Chronique de jurisprudence

Le Professeur Jean-Claude RICCI vous propose chaque mois sa chronique de jurisprudence du Conseil d'État. Il sélectionne les principales décisions rendues par la Haute Juridiction, les classe par thème et les analyse.

Vous pouvez consulter toutes ses chroniques depuis janvier 2018 et effectuer des recherches parmi celles-ci.

Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mai 2023

Mai 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Annulation.

Par un courrier du 16 novembre 2017 le maire de Maincy a interrogé la préfète de Seine-et-Marne sur les actions engagées par la préfecture pour évaluer la pollution persistante liée à la présence de poussières de dioxine sur le territoire de sa commune due à l'ancien incinérateur. Puis, par un second courrier, du 11 décembre 2017, le maire a demandé à la préfète de lui transmettre le résultat d'analyses ainsi que, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales relatives à son pouvoir de police, pour solliciter son assistance afin de prendre toutes mesures nécessaires à la protection de la population.

Contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions du fond, le Conseil d’État considère que, eu égard au contexte dans lequel il s'inscrivait, ce courrier du maire doit être regardé comme sollicitant la préfète, qui avait compétence pour ce faire dans le cadre de ses pouvoirs de police résultant des art. L. 2212-1 et L. 2215-8 du CGCT, pour que des analyses complémentaires du risque sanitaire soient menées et que des mesures de protection de la population soient le cas échéant prises, de sorte que la réponse qui lui a été adressée par la préfète le 6 février 2018, faisant état des analyses déjà effectuées, révélait un refus de faire droit à la demande de la commune, susceptible d'être contesté devant le juge administratif.

C’est donc par une qualification inexacte des faits que la cour administrative d’appel a rejeté le recours de la commune motif pris de ce que, contenant une simple information à l'attention du maire, le courrier en réponse de la préfète de Seine-et-Marne du 6 février 2018 n'avait pas le caractère d'une décision faisant grief susceptible de recours.

(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)

 

2 - Lettre de la Caisse des dépôts et consignations - Suspension du paiement des frais pédagogiques d’un organisme de formation - Acte faisant grief - Qualification inexacte des faits - Annulation de l’arrêt d’appel.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce et encourt l’annulation l’arrêt jugeant que ne fait pas grief la lettre par laquelle la Caisse des dépôts et consignations informe la requérante « que, compte tenu des pratiques frauduleuses récurrentes que les investigations conduites sur ses demandes de paiements au titre de ce droit à la formation avaient mises en évidence, ayant donné lieu à un signalement au procureur de la République, elle suspendait le paiement des frais pédagogiques que son organisme avait présentés ou présenterait au titre de ces formations et qu'en conséquence, elle ne pourrait davantage donner une suite favorable aux demandes de prises en charge de financement pour les formations assurées par celui-ci. »

(12 mai 2023, Sarl Formaeco, n° 462789)

 

3 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.

(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)

V. n° 115

 

4 - Désignation d’un membre du gouvernement en qualité de garde des sceaux - Demande d’annulation - Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet.

Saisi d’une demande d’annulation du décret nommant, parmi les membres du gouvernement, M. Éric Dupont-Moretti en qualité de garde des sceaux, le Conseil d’État la rejette car la juridiction administrative ne saurait connaître de la légalité des actes relatifs aux rapports d'ordre constitutionnel institués entre le président de la république, le premier ministre et le gouvernement, au nombre desquels figure le décret relatif à la composition du Gouvernement. C’est le rappel d’une solution classique en matière d’acte de gouvernement.

(24 mai 2023, M. B., n° 465976)

(5) V. aussi, rejetant pour défaut d’intérêt pour agir de son auteur, le recours en annulation du décret du 2 juin 2022 pris en application de l'article 2-1 du décret du 22 janvier 1959 relatif aux attributions des ministres, qui établit une liste des actes relevant des attributions du garde des sceaux, ministre de la justice, dont celui-ci ne connaît pas et qui sont exercées par le premier ministre : 24 mai 2023, M. A., n° 466446.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

6 - Antenne de téléphonie mobile - Couverture du territoire national - Intérêt public - Justificatif de l’urgence - Suspension ordonnée.

Rappel, dans le cadre d’un référé suspension dirigé contre un arrêté municipal refusant l’installation d’une antenne de téléphonie mobile, que eu égard à l'intérêt public qui s'attache à la couverture du territoire national par le réseau de téléphonie mobile tant 3G que 4G et à la finalité de l'infrastructure projetée, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie.

(11 mai 2023, Société ATC France, n° 464106)

 

Biens et Culture

 

7 - Vente d’une parcelle du domaine privé communal - Appel à candidatures - Promesse unilatérale de vente sous réserve d’obtention d’un permis de construire - Caducité - Cession à un tiers - Caractère parfait de la vente antérieure - Erreur de droit - Annulation.

Une commune lance un appel d’offres en vue de la cession d’une parcelle de son domaine privé et retient, par une délibération du 1er octobre 2015, l’offre de M. C. avec lequel elle conclut, le 30 décembre 2015, une promesse unilatérale de vente courant jusqu'au 30 septembre 2016 pour un prix de 668 000 euros, sous réserve de l'obtention par celui-ci, dans ce délai, d'un permis de construire un ou plusieurs bâtiments à usage d'habitation individuelle ou collective. Faute pour ce dernier de justifier dans ce délai avoir obtenu un permis de construire, la commune, par délibération du 31 janvier 2017, a cédé la parcelle à M. A. au prix de 467 000 euros.

M. C. se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a confirmé le rejet de sa demande d’annulation de la délibération du 31 janvier 2017.

Le requérant soutient que cette délibération n'a pas pu légalement procéder à la vente à M. A. de la parcelle litigieuse en raison du caractère créateur de droits à son profit de la délibération du 1er octobre 2015. Pour rejeter cette argumentation la cour avait relevé que la promesse unilatérale de vente consentie à l'intéressé le 30 décembre 2015 était devenue caduque, faute d'obtention d'un permis de construire dans le délai imparti.

Le Conseil d’État est à la cassation au visa des art. 1582 (« La vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer ») et 1583 (« (la vente) est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n'ait pas encore été livrée ni le prix payé ») du Code civil. Il tire de là que la cour a commis une erreur de droit pour n’avoir pas recherché si la délibération du 1er octobre 2015 retenant l'offre de M. C. parmi celles formées par les différents candidats à l'acquisition, dont elle a relevé qu'elle « avait autorisé cette vente à M. C. », traduisait, eu égard à ses termes, l'existence d'un accord entre la commune et ce dernier sur la chose et le prix de nature à caractériser une vente parfaite.

En l’espèce, la vente pourrait sembler être une obligation conditionnelle (cf. art. 1304 C. civ.) puisque dépendant de la réalisation d’un événement futur - le permis de construire n’existe pas au moment de la vente - et incertain - on ne sait pas si le permis de construire sera ou non accordé. Cette condition serait donc ici suspensive puisque l’accomplissement de la condition rend l’obligation pure et simple, à la différence de l’obligation résolutoire où l’accomplissement de la condition entraîne l’anéantissement de l’obligation (cf. art. 1304, 1304-3 à 1304-7 C. civ.). Toutefois, il est de principe que les conditions liées à une autorisation administrative, tel, comme en l’espèce, l’octroi d’un permis de construire, ne sont suspensives de l’obligation que dans le cas où l’autorisation est une condition de la validité du contrat car elle lui donne alors son plein effet (ainsi d’un arrêté de lotir qui exerce un effet rétroactif sur le contrat), tel n’est pas le cas ici où l’obtention d’un permis de construire n’est point une condition de la validité de l’acte de vente ainsi qu’il résulte des dispositions précitées du Code civil (Sur ces points, voir : J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey, LMD, 2018, p. 424 et s., spécialt § 840).

(12 mai 2023, M. C., n° 465482)

 

8 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.

Dans une instance en expulsion d’occupants sans titre du domaine public fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-3 du CJA, le Conseil d’État rappelle à nouveau que si ce texte institue un référé pour lequel n’est pas prévue la tenue d’une audience publique, toutefois, s’agissant d’une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, le juge doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Faute que cela ait eu lieu en l’espèce, l’ordonnance est frappée de cassation.

Pour la bonne cause certes, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une réécriture partielle de la loi par le juge.

(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)

 

 

Contrats

 

9 - Contrats publics - Pratiques anticoncurrentielles - Action en réparation du préjudice subi par la personne publique - Modification du régime de la prescription - Participation à l’action anti-concurrentielle d’organes de la collectivité - Point de départ du délai de la prescription - Rejet.

La région d'Île-de-France a lancé un programme de rénovation et de reconstruction des lycées dont elle a la charge et conclu, entre 1988 et 1997, 241 marchés publics, dont 101 marchés d'entreprises de travaux publics (les célèbres et vilipendés METP), pour un coût global de 23,3 milliards de francs, soit plus de 3,5 milliards d'euros.

D’une part, par un arrêt du 27 février 2007, devenu définitif, la cour d'appel de Paris a confirmé la condamnation de plusieurs préposés d'entreprises attributaires de ces marchés ainsi que d'élus et autres personnes, dont le président du conseil régional d'Île-de-France, tous reconnus coupables notamment de participation personnelle et déterminante à une entente anticoncurrentielle en vue de l'attribution de ces marchés et condamné les intéressés à verser à la région d'Ile-de-France, partie civile, la somme de 100 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral.

D’autre part, parallèlement à la procédure pénale, le Conseil de la concurrence, qui s'était saisi d'office de faits portant sur 90 de ces marchés, a sanctionné, par une décision confirmée par un arrêt devenu définitif, de la cour d'appel de Paris, l'entente anticoncurrentielle mise en place par les entreprises attributaires des marchés en cause, retenant l'implication de plusieurs sociétés de travaux publics et infligé à la plupart d'entre elles des sanctions pécuniaires.

La région d'Île-de-France a ensuite engagé une action en responsabilité à l'encontre de ces entreprises devant le tribunal de grande instance de Paris en vue d’obtenir réparation de son préjudice matériel résultant de ces pratiques. Le Tribunal des conflits a jugé, par une décision du 16 novembre 2015, que cette action relevait de la compétence de la juridiction administrative.

Le tribunal administratif a estimé prescrite l’action à fins indemnitaires de la région mais la cour administrative d’appel a jugé le contraire, retenu la responsabilité de certaines entreprises pour les deux tiers du préjudice subi et celle de la région pour un tiers et ordonné une expertise en vue que soit évalué le préjudice.

Le Conseil d’État était saisi de deux pourvois, celui, principal, des entreprises condamnées et celui, incident, de la région contestant l’admission de sa responsabilité partielle.

C’est la modification des règles de la prescription en matière civile par la loi du 17 juin 2008, spécialement des art. 2224 et 2270-1 du Code civil, combinées à celles gouvernant l’action en dommages et intérêts du fait de pratiques anticoncurrentielles, régies par notamment par les art. L. 481-1 et L. 482-1 du code de commerce, issus d’une ordonnance du 9 mars 2017, qui sont au cœur du débat puisque, comme l’indique la narration ci-dessus, les faits se sont étendus sur une période commençant avant la loi de 2008 et s’achevant après. Ensuite, devait être réglée la question des responsabilités et de leur partage.

Le juge de cassation approuve entièrement la solution retenue par la cour administrative d’appel.

 

I - Tout d’abord, concernant la prescription.

Le juge rappelle que la réforme du Code civil introduite par la loi précitée de 2008 a eu pour effet de ramener de dix ans à cinq ans la prescription des actions personnelles ou mobilières, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. Par ailleurs, depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’ordonnance du 9 mars 2017, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, s’appliquent les dispositions de l'art. L. 482-1 du code de commerce selon lesquelles le délai de prescription de cinq ans « commence à courir du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître de façon cumulative :

1° Les actes ou faits imputés à l'une des personnes physiques ou morales mentionnées à l'art. L. 481-1 et le fait qu'ils constituent une pratique anticoncurrentielle ;

2° Le fait que cette pratique lui cause un dommage ;

3° L'identité de l'un des auteurs de cette pratique.

Toutefois, la prescription ne court pas tant que la pratique anticoncurrentielle n'a pas cessé.

(...) ».

Le Conseil d’État déduit de cet ensemble législatif que le délai de prescription « ne peut commencer à courir avant la date à laquelle la personne publique a eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime de la part des titulaires des marchés. Dans l'hypothèse où le préjudice de la personne publique résulte de pratiques auxquelles ses organes dirigeants ont participé, de sorte qu'en raison de leur implication elle n'a pu faire valoir ses droits à réparation, la prescription ne peut courir qu'à la date à laquelle, après le remplacement de ses organes dirigeants, les nouveaux organes dirigeants, étrangers à la mise en œuvre des pratiques anticoncurrentielles, acquièrent une connaissance suffisamment certaine de l'étendue de ces pratiques. »

En effet, l’un des éléments-clés de ce dossier vient de ce qu’une partie des membres des organes dirigeants de la région étaient complices, sinon même instigateurs, des pratiques anti-concurrentielle dommageables pour la collectivité.

Appliquant ces éléments au cas de l’espèce, le Conseil d’État approuve tout d’abord la cour d’avoir jugé, sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces du dossier, que si la région a soutenu, dans son assignation formée devant le tribunal de grande instance en février 2010, que le point de départ du délai de prescription était le 9 octobre 1996, elle ne saurait se voir opposer les termes de cette assignation dans l’instance dont la cour administrative d’appel a été saisie.

Il l’approuve également d’avoir considéré, sans erreur de droit, que l'autorité de la chose jugée au pénal, qui ne s'impose, en principe, aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions, devait être écartée en l’espèce car n’était pas revêtue de l’autorité de chose jugée au pénal la date retenue par l'arrêt du 27 février 2007 de la cour d'appel de Paris comme point de départ du délai de prescription de l'action publique du fait qu’elle ne constitue pas une constatation de fait.

Enfin, c’est encore sans erreur de droit ou contradiction des motifs et en vertu de son pouvoir d’appréciation souveraine non entaché de dénaturation, que la cour a jugé qu'aucune des circonstances qu'elles a énumérées, antérieures à la décision du 9 mai 2007 du Conseil de la concurrence, et notamment pas celle tenant à l'implication d'élus et agents de la région dans la mise en œuvre de l'entente, ne permettait d'établir que la région aurait eu connaissance de manière suffisamment certaine de l'étendue des pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime, pour en déduire que la prescription décennale de l'action en responsabilité contre les titulaires des marchés en cause n'a commencé à courir qu'à compter de cette date et qu'ainsi l'action de la région n'était pas prescrite lorsqu'elle a saisi la juridiction judiciaire en février 2010, ce qui a eu pour effet d'interrompre la prescription, puis a estimé que certains élus et agents de la région, en favorisant les pratiques anticoncurrentielles, avaient commis des fautes non détachables du service, engageant la responsabilité de la région et donc susceptibles d'exonérer partiellement de leur responsabilité les requérantes.

 

II - Ensuite, concernant la question des responsabilités.

La cour est approuvée d’avoir jugé :

- sans erreur de qualification juridique, que les requérantes avaient participé à la constitution et au fonctionnement de l'entente anticoncurrentielle et que les fautes qu'elles avaient commises présentaient un lien direct avec l'éventuel surcoût supporté par la région ;

- sans avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, que les fautes commises par les personnels de la région n’étaient pas détachables du service, et, sans dénaturation des faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que ces fautes étaient de nature à exonérer les requérantes d'un tiers de leur responsabilité à l'égard de la région.

(Section, 9 mai 2023, Société Gespace France, n° 451710 ; Sociétés Spie Batignolles et Spie Opérations et Mme C., n° 451839 ; Société Nord France Boutonnat, n° 451862, jonction)

(10) V. aussi très voisine de l’espèce précédente avec des protagonistes différents en sus de la région d’Île-de-France : Section, 09 mai 2023, Société Eiffage Construction et Société Fougerolle, n° 451817 ; Société de participations et de gestions immobilières (SPGI), n° 451836 ; M. F., n° 451899

 

Droit du contentieux administratif

 

11 - Exécution des décisions du juge administratif - Notion - Exécution tardive ne justifiant pas la liquidation d’une astreinte - Rejet.

Par une décision du 15 avril 2022 (n° 452905, cf. cette Chronique, avril 2022, n° 11), le Conseil d'État, après voir annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret d'application du cinquième alinéa de l'art. 75 de la loi du 4 mars 2002, en tant qu'il est relatif à la profession de chiropracteur, a enjoint à celui-ci de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision et a prononcé à l'encontre de l'Tat une astreinte de 500 euros par jour de retard.

Constatant, sur avis de la section du rapport et des études du Conseil d’État, que le décret du 30 décembre 2022 relatif à la formation continue des chiropracteurs, a été publié au Journal officiel de la république française le 31 décembre 2022, soit soixante-dix-huit jours après l’expiration du terme qu’il avait fixé, le juge considère cependant que sa décision a été exécutée et qu’il n’y a pas lieu, dans ces circonstances, eu égard aux diligences accomplies, de procéder à la liquidation de l'astreinte prononcée à l'encontre de l'État. 

Regrettons que ces 78 jours s’ajoutent aux 19 années s’étant écoulées entre la date de la loi et celle de la demande adressée par l’association requérante au premier ministre par sa lettre du 2 février 2021…

(04 mai 2023, Association française de chiropraxie, n° 452905)

 

12 - Notion de décision faisant grief - Courrier d’un maire à une préfète - Demande de communication d’analyses sanitaires - Refus - Décision faisant grief - Annulation.

(10 mai 2023, Commune de Maincy, n° 456488)

V. n° 1

 

13 - Recours en révision - Recours ouvert contre les décisions de refus d’admission des pourvois en cassation - Recours non ouvert contre certaines décisions juridictionnelles - Rejet.

Dès lors que le recours en révision peut être formé contre les décisions de refus d'admission des pourvois en cassation (art. R. 822-3 CJA), ainsi de la présente affaire, ne peut qu'être écarté le moyen tiré de ce que l'art.R. 834-1 du CJA, fixant les cas d’ouverture du recours en révision, méconnaîtrait les art. 6, paragraphe 1, et 13 de la convention EDH, en n'ouvrant pas la voie du recours en révision aux décisions des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et aux décisions non-contradictoires du Conseil d'État. 

(11 mai 2023, Société Armos, n° 462226)

 

14 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)

V. n° 85

 

15 - Productions postérieures à la clôture de l’instruction - Obligation de viser une note en délibéré - Règle générale applicable devant toutes les juridictions administratives - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Omission - Annulation.

Rappel, à nouveau, de l’obligation, pour tout juge administratif - donc aussi pour la CNDA - saisi de productions, telle une note en délibéré, parvenues après la clôture de l’instruction et avant la lecture de la décision, d’en prendre connaissance et de les viser.

L’arrêt de la Cour est ici cassé pour n’avoir pas visé une note en délibéré remplissant les conditions de procédure requises pour l’être.

(11 mai 2023, M. A., n° 462237)

 

16 - Litige en réparation d’un préjudice imputable au service - Recours gracieux - Décision implicite de rejet - Décision explicite purement confirmative - Forclusion - Rejet.

Dans un litige en imputabilité au service d’une maladie, une fonctionnaire territoriale, après avoir formé, le 12 janvier 2016, un recours gracieux contre la décision du président du conseil départemental de reconnaître cette imputabilité et que ce recours a été rejeté par une décision implicite, a saisi la commission départementale de réforme. Après avis négatif de cette dernière, le président du conseil départemental a, par un second arrêté, réitéré son refus.

L’intéressée se pourvoit contre l’arrêt par lequel la cour administrative d'appel a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif rejetant sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie au motif que sa demande de première instance était tardive et par conséquent irrecevable. 

La cour avait jugé que le silence gardé par le président du conseil départemental sur le recours gracieux de la requérante formé le 12 janvier 2016 avait fait naître une décision implicite de rejet le 14 mars 2016, laquelle ne pouvait être contestée que jusqu'au 17 mai 2016. Elle a relevé que le second arrêté, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental rejetant explicitement le recours gracieux de la requérante n'avait pas, en l'absence de demande ou circonstances de fait ou de droit nouvelles, rouvert un délai de recours contre la décision implicite de rejet du 14 mars 2016 qui était devenue définitive à cette date. Elle en a déduit que le recours contentieux formé par Mme A. le 3 mai 2017 devant le tribunal administratif de Nancy était tardif. 

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en l’absence d’erreur de droit de la cour : d’une part, en sa qualité d’agent titulaire de la fonction publique en activité, la requérante ne saurait se prévaloir de l'absence d'accusé de réception de son recours gracieux du 12 janvier 2016 par l'administration, et d’autre part, la seconde décision, du 26 octobre 2016, du président du conseil départemental était purement confirmative de sa décision implicite de rejet du 14 mars 2016, elle ne pouvait donc pas rouvrir le délai de recours contentieux.

(15 mai 2023, Mme A., n° 463055)

 

17 - Expulsion d’occupants sans titre du domaine public - Procédure de l’art. L. 521-3 du CJA - Dispense de la tenue d’une audience publique - Gravité de la mesure - Obligation de permettre des observations orales - Annulation.

(12 mai 2023, Société Gaumar et M. B., n° 467034)

V. n° 8

 

18 - Référé suspension - Appréciation de l’urgence - Requérant ayant tardé à saisir le juge - Aggravation brusque d’une situation non établie - Rejet.

Dans le cadre d’un litige portant sur le refus de reconnaître l’imputabilité au service de la pathologie affectant le requérant à la suite d’une chute sur son lieu de travail, ce dernier a saisi le juge des référés d’une demande de suspension d’exécution des arrêtés refusant de reconnaître cette imputabilité.

Il se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant sa requête et son pourvoi est rejeté pour défaut d’urgence : il n’a saisi le juge des référés de trois arrêtés du 11 août 2021 et de quatre arrêtés du 15 novembre 2021 que le 9 novembre 2022 et s’il allègue une dégradation subite de sa situation financière, celle-ci ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés.

(12 mai 2023, M. D., n° 469276)

 

19 - Référé liberté - Appréciation de l’urgence particulière à ce référé - Demande d’injonction en vue de la modification d’un décret - Régime de l’aide juridictionnelle devant le tribunal de police - Défaut d’urgence - Rejet.

Parce qu’est proche l’échéance de son jugement devant le tribunal de police, le requérant demande au Conseil d’État, par voie de référé liberté, d'enjoindre au ministre de la justice, au ministre de l'économie, ainsi qu'à la première ministre, de modifier et/ou de compléter, par toutes voies de droit, le décret du 28 décembre 2020 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, afin d'octroyer un droit à l'aide juridictionnelle au bénéfice des administrés faisant l'objet d'une contravention de la 1ère à la 4ème classe devant les tribunaux de police, et au bénéfice des administrés en phase précontentieuse, en vue de l'introduction d'un recours administratif préalable obligatoire avant saisine d'une juridiction administrative.

Pour justifier de l’urgence à statuer, le demandeur invoque, outre la proximité de l’audience devant le tribunal de police, sans d’ailleurs en préciser la date, qu’à défaut il serait porté atteinte au droit à un recours effectif. Ces éléments n’établissent en rien en quoi ses intérêts seraient gravement compromis faute pour le juge saisi d’avoir statué dans les quarante-huit heures.

L’urgence au sens de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas n’importe quelle urgence.

(15 mai 2023, M. B., n° 473638)

 

20 - Référé liberté - Demande de suspension de la décision de limitation des soins et de communication du dossier médical de la patiente - Défaut d’urgence particulière - Recours partiellement sans objet - Rejet.

La requérante a saisi le juge du référé liberté du tribunal administratif d’une requête en vue, d’une part, que soit suspendue la décision d’un centre hospitalier de limiter les soins qui y sont donnés à sa mère, d’autre part, que lui soit communiqué le dossier médical de sa mère.

Elle interjette appel de l’ordonnance de rejet de ces deux demandes. Le Conseil d’État rejette à son tour ces demandes.

D’abord, s’agissant des soins, la requête, introduite devant le Conseil d’État le 09 mai 2023, était déjà sans objet puisque la mère de la requérante est décédée le 17 avril 2023. Ensuite, s’agissant de la communication du dossier médical, manque en tout état de cause l’établissement de l’urgence particulière qui contraindrait le juge administratif du référé liberté à statuer en quarante-huit heures.

(15 mai 2023, Mme C., n° 473669)

 

21 - Sursis à exécution des décisions juridictionnelles - Condition de conséquences difficilement réparables - Absence - Rejet.

La cour administrative d'appel de Marseille a, sur requête de la société Cathédrale d’images, par son arrêt du 28 novembre 2022, mis fin à compter du 1er novembre 2023 à l'exécution de la convention de délégation du service public relative à la gestion des carrières de Bringasses et de Grands Fonds conclue le 23 avril 2010 entre la commune des Baux-de-Provence et la société Culturespaces.

Arguant de ce que la conclusion d'une nouvelle convention ou la reprise en régie du service représente pour son budget une charge importante, la commune a saisi le Conseil d’Tat d’un sursis à l’exécution de cet arrêt. Il est rejeté motif pris de ce que ces circonstances ne sont pas de nature à établir que l'exécution de l'arrêt est susceptible d'entraîner pour la commune des conséquences difficilement réparables malgré le différé d'exécution qu'il prononce. 

On signale que par une décision du même jour (n° 470156 et n° 471042) le Conseil d’État a refusé l’admission du pourvoi de la commune des Baux-de-Provence contre l’arrêt du 28 novembre 2022 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a annulé, à compter du 1er novembre 2023, la convention de délégation de service public signée le 19 janvier 2018 entre la commune et la société Culturespaces, relative à la conservation, la valorisation, la gestion et l'exploitation culturelle et touristique du château des Baux-de-Provence.

(12 mai 2023, Commune des Baux-de-Provence, n° 471041)

 

22 - Action en réparation du préjudice résultant de l’exécution tardive d’un jugement - Jugement rétablissant une personne dans son droit au versement du revenu de solidarité active (RSA) - Contentieux ne concernant pas des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi à cette cour.

Une action en responsabilité tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du retard de l'administration à exécuter un jugement statuant sur un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens du 1° de l'art. R. 811-1 du CJA ne constitue pas elle-même un litige portant sur de telles prestations. Elle n'est donc pas au nombre des litiges visés au 1° de cet article pour lesquels le tribunal administratif statue, par exception, en dernier ressort.

C’est à tort que le requérant a cru devoir se pourvoir en cassation devant le Conseil d’État. Il y a donc lieu de le renvoyer à la cour administrative d’appel, seule compétente pour recevoir son appel.

(12 mai 2023, M. B., n° 469019)

 

23 - Demande de renvoi « automatique » au Conseil constitutionnel d’une QPC dont le renvoi au Conseil constitutionnel a été refusé par la Cour de cassation - Décision ne relevant pas de l’organisation du service public de la justice - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Cette affaire ressemble à ces sottisiers délirants ou loufoques parfois donnés à nos étudiants dans un souci pédagogique ou de vérification des connaissances.

Le demandeur s’est vu refuser par la Cour de cassation - le 21 juin 2021 - la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité qu’il lui avait posée et qu’elle a jugée irrecevable. Il porte ce refus devant le juge des référés du Conseil d’État aux fins qu’il décide le renvoi « automatique » de cette question au Conseil constitutionnel.

Au lieu de rejeter ce recours pour incompétence manifeste avec, à la clé, une amende pour avoir abusé du prétoire, ou encore pour forclusion, le juge du référé liberté du Palais-Royal, s’appuyant sur la distinction célèbre entre organisation et fonctionnement du service public de la justice, estime n’être pas dans le premier, cas seule hypothèse où il serait compétent.

Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

(10 mai 2023, M. A., n° 473483)

 

24 - Référé « mesures utiles » - Contrats souscrits à la Caisse d’épargne - Demande d’exécution et de paiement de ces contrats - Incompétence manifeste de la juridiction administrative - Rejet.

Ne relève manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative la requête en référé introduite sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA (référé « mesures utiles ») tendant à ce que le juge des référés du Conseil d’État fasse procéder à l’exécution et au paiement de deux contrats souscrits à la Caisse d’épargne.

(10 mai 2023, Mme B., n° 473563)

 

25 - Récusation des juges - Récusation de l’un des présidents-adjoint de la section du contentieux du Conseil d’État - Mutation d’un magistrat en qualité de président d’un tribunal administratif - Absence d’impartialité - Rejet.

Le requérant demande l’annulation de l'arrêt du 24 mars 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 9 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 30 janvier 2019 par lequel le vice-président du Conseil d’État a muté M. E. en qualité de président du tribunal administratif de Paris, ainsi que la décision du 15 mai 2019 par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre cette décision. 

Au soutien de sa demande, M. C. fait d’abord valoir que M. D., président-adjoint de la section du contentieux, se trouve dans une situation de subordination hiérarchique vis-à-vis du vice-président du Conseil d’État, cette circonstance n'est pas de nature à mettre en doute son impartialité dès lors que, ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017, quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d’État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance à son égard.

Ensuite, le requérant ne fait état d'aucun élément permettant d'établir que M. D. entretiendrait des liens personnels avec le vice-président du Conseil d’État de nature à mettre en cause son impartialité.

Enfin, le rejet de précédentes requêtes de M. C. et par des motifs que celui-ci critique, par des décisions rendues par le Conseil d’État, statuant au contentieux sous la présidence de M. D., est insusceptible d'établir un manque d'impartialité de ce dernier. 

D’où le rejet de la requête en récusation.

(23 mai 2023, M. C., n° 474384)

(26) V. aussi, rejetant la requête tendant à l’annulation, d'une part, du décret du président de la république du 21 avril 2022 portant nomination de M. D. en qualité de président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret, et, d'autre part, le décret du président de la république portant nomination de Mme G. en qualité de présidente du tribunal administratif de Melun, ensemble la décision par laquelle le vice-président du Conseil d’État a rejeté son recours gracieux contre ce décret. L’argumentation au soutien de ces demandes est la même que celle décrite au point précédent et elle est, identiquement, rejetée : 23 mai 2023, M. E., n° 474385.

 

27 - Recours en interprétation - Article R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations - Application au régime de la délivrance d’un passeport - Rejet.

Le recours par lequel il est demandé directement au Conseil d’État d'interpréter un acte administratif est subordonné à l'existence d'un différend né et actuel, susceptible de relever de la compétence du juge administratif, dont la résolution est subordonnée à l'interprétation demandée.

Or les dispositions de l'art. R. 113-5 du code des relations entre le public et les administrations, qui ne sont au demeurant pas applicables à la délivrance d'un passeport, ne régissent pas les conditions dans lesquelles l'autorité administrative est habilitée à demander à un citoyen français ayant la qualité de binational de justifier de sa seconde nationalité.

Il suit de là que la requête en vue de l’interprétation par le juge d’un acte réglementaire sans rapport avec le différend dont se prévaut le demandeur doit être rejetée.

(24 mai 2023, M. B., n° 457958)

(28) V. aussi, rappelant qu’un recours en interprétation d'une décision juridictionnelle n'est recevable que s'il émane d'une partie à l'instance ayant abouti au prononcé de la décision dont l'interprétation est sollicitée et dans la seule mesure où il peut être valablement argué que cette décision est obscure ou ambiguë. Tel n’est pas le cas d’une décision du Conseil d’État (23 novembre 2022, Mme D., M. et Mme A. c/ commune de Neuilly-sur-Seine, n° 441184) énonçant « que la hauteur majorée d'une construction, dont le volume constructible a lui-même été majoré, ne saurait être supérieure à la hauteur maximale fixée en valeur absolue dans le règlement du plan local d'urbanisme » car elle n’est ni obscure ni ambiguë. La requête est rejetée pour irrecevabilité : 24 mai 2023, Commune de Neuilly-sur-Seine, n° 469950.

 

29 - Recours en annulation d’un décret portant attributions d’un ministre - Requérant sans intérêt pour agir contre cette décision - Rejet.

(24 mai 2023, M. A., n° 466446)

V. n° 5

 

30 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.

(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)

V. n° 124

 

31 - Règlement de la compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction (art. R. 351-3 CJA) - Litige opposant une collectivité territoriale ultra-marine à un centre hospitalier en matière de financement du service public hospitalier - Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège l’autorité publique auteur de la décision contestée - Renvoi au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le centre hospitalier requérant a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon l’annulation des délibérations de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon relatives au financement, pour les années 2017 à 2020, de l'EHPAD et de l'unité de soins de longue durée dont ce centre assure la gestion, de l’arrêté du président de la même collectivité fixant le montant du forfait dépendance de l'EHPAD pour l'année 2021 ainsi  que de celui fixant le montant de la dotation dépendance de l'unité de soins de longue durée pour l'année 2021, du refus du président de la collectivité territoriale d'initier la démarche de contractualisation du centre hospitalier et de l'arrêté du président de la collectivité territoriale du 7 octobre 2021 ordonnant la réalisation d'une mission de contrôle administratif sur le fonctionnement du centre hospitalier.

Par deux ordonnances, la présidente de ce tribunal a, par application de la procédure prévue à l’art. R.351-3 du CJA, renvoyé au président de la section du contentieux du Conseil d’État, ou au magistrat à ce délégué, la question de la détermination de la juridiction administrative compétente pour connaître de ce litige.

Le juge relève d’abord que si l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles prévoit que les litiges relatifs au financement des établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux relèvent en premier ressort de la compétence des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, il résulte cependant de l'art. L. 531-1 du même code que ces dispositions ne sont pas applicables à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il constate ensuite que si l'art. R. 351 du même code, relatif aux sièges et au ressort des tribunaux interrégionaux de la tarification sanitaire et sociale, prévoit que celui de Nantes a dans son ressort Saint-Pierre-et-Miquelon, ces dispositions ne sont justifiées que par la compétence qu'exerce le tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale pour trancher les désaccords éventuels entre l’État et le département en cas de compétence conjointe, sur le fondement de l'art. L. 314-1 du même code, lui-même applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il s’ensuit que ces dispositions réglementaires n'ont donc pas pour effet, et ne sauraient d'ailleurs avoir légalement pour objet, de donner compétence au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nantes pour connaître des présents litiges.

La connaissance du litige est donc renvoyée au tribunal de Saint-Pierre-et-Miquelon dès lors que l’art. L. 311-1 du CJA fait des tribunaux administratifs, en premier ressort, les juges de droit commun du contentieux administratif.

(24 mai 2023, Centre hospitalier François Dunan, n° 468457)

 

32 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

Le tribunal administratif de Versailles a, sur recours de l’intéressée, annulé la décision du 6 juillet 2020 par laquelle le directeur de la plateforme industrielle courrier de la Poste de Paris-Sud-Wissous a indiqué à cette dernière qu'il allait opérer des retenues sur ses traitements pour absence de service fait à la suite de l'exercice de son droit de retrait et lui a enjoint de rembourser à Mme H. les sommes qui avaient été retenues. Saisie d’un appel de la société anonyme (SA) La Poste dirigé contre ce jugement, la cour administrative d'appel de Versailles, avant d’y statuer, a décidé de soumettre au Conseil d’État les deux questions suivantes : 

1°) Un recours en annulation contre une lettre par laquelle l'administration informe un agent public que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur ses traitements en raison de l'exercice injustifié de son droit de retrait et tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui rembourser la somme prélevée, relève-t-il par nature, en totalité, du plein contentieux ou constitue-t-il, en totalité, un recours pour excès de pouvoir ou relève-t-il à la fois de l'excès de pouvoir et du plein contentieux ?

2°) Dans l'hypothèse où le tribunal a méconnu tout ou partie de son office quant à la nature du recours porté devant lui, cette question doit-elle être soulevée d'office par la cour au titre de la régularité de la décision juridictionnelle contestée et communiquée aux parties en application de l'art. R. 611-7 du CJA ?

Exerçant sa fonction de régulateur suprême de la justice administrative, le Conseil d’État répond en trois étapes à la première question posée dans une formulation qui est de principe même si elle confirme une jurisprudence bien établie se situant dans une ligne très orthodoxe envers la doctrine de Laferrière sur ce sujet, que : «  La nature d'un recours exercé contre une décision à objet pécuniaire est fonction, hormis les cas où il revêt par nature le caractère d'un recours de plein contentieux, tant des conclusions de la demande soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l'appui de ces conclusions. »

Ensuite, il est précisé qu’en dépit de ce que le recours dirigé contre un titre de perception relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard être assimilée à une telle décision lorsqu'elle ne comporte pas l'indication du montant de la créance ou qu'elle émane d'un organisme employeur qui n'est pas doté d'un comptable public. En ce cas, les conclusions tendant à l'annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir. Ainsi, la nature du contentieux peut subir l’effet du non-respect d’une règle relative à la forme ou au contenu de la décision attaquée ou encore du fait de l’existence ou non dans la structure de décision d’un comptable public. Si la solution est assez logique elle comporte cependant une dose regrettable de complexité.

Également, il est indiqué - et l’on ne regrettera pas cette simplification - que les conclusions à fin d’injonction de remboursement, lesquelles relèvent du plein contentieux, accompagnant le recours en annulation n'ont pas pour effet de donner à l'ensemble des conclusions le caractère d'une demande de plein contentieux.

Enfin, répondant à la seconde question posée, le juge du Palais-Royal rappelle qu’est d'ordre public la méconnaissance par le juge de tout ou partie de son office en raison d'une erreur quant à la nature du recours concernant la lettre informant un agent public de ce que des retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement.

Il faut saluer ce bel effort de clarification et redire combien la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113 du CJA est précieuse.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

 

33 - Suspension d’exécution d’un refus de recrutement dans la police nationale - Condition d’âge - Moment de son appréciation - Erreur de droit - Annulation de la suspension.

M. A. a subi avec succès les épreuves de sélection pour être recruté en qualité d'adjoint de sécurité de la police nationale au titre des « cadets de la République ». Il a été informé que son recrutement ne pourrait intervenir car il avait dépassé l'âge limite de 30 ans. Il a formé un recours en annulation de cette décision assorti d’un référé suspension, auquel le juge des référés du tribunal administratif a fait droit par une ordonnance contre laquelle le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation.

Le juge des référés s’est fondé, pour ordonner la suspension du refus, sur ce que l'art. R. 411-8 2° du code de la sécurité intérieure ne précisant pas à quelle date s'apprécie la condition d'âge maximal, celle-ci pouvait être appréciée à la date du dépôt de candidature à un recrutement en qualité de cadet de la République. Le juge de cassation juge qu’une erreur de droit est à la base de ce jugement. Selon lui il convient d’abord de relever que l’art. R. 411-8 du code précité dispose que « Nul ne peut être recruté en qualité d'adjoint de sécurité : (...) 2° S'il est âgé de moins de dix-huit ans ou de plus de trente ans ; (...) » et que l’art. R. 411-9 dudit code précise que : « Les adjoints de sécurité sont recrutés par contrat écrit, pour une durée de trois ans renouvelable une fois par reconduction expresse, conclu, au nom de l’État (...) ». D’où il conclut que les conditions d'âge posées par l'article R. 411-8 doivent être appréciées à la date de prise d'effet du contrat de recrutement conclu en application de l'article R. 411-9. L’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit.

Statuant au fond pour régler le litige et cette fois en qualité de juge des référés, le Conseil d’État estime que l’urgence alléguée n’étant pas établie du fait que le demandeur, qui a indiqué travailler comme « assistant moniteur de tennis » puis est présentement bénéficiaire du RSA, la requête est rejetée sans qu’il y ait lieu d’examiner l’existence de la seconde des deux conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension d’exécution d’acte en référé.

(26 mai 2023, ministre de l’intérieur, n° 467838)

 

34 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance de visa pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.

(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)

V. n° 66

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

35 - Convention fiscale franco-allemande - Territorialité de l’imposition - Biens et revenus immobiliers - Revenus n’ayant pas ce caractère - Gestion prétendue anormale - Abus de droit - Annulation et rejet partiels.

La convention franco-allemande du 21 juillet 1959, comme la plupart des conventions de cette nature conclues par la France, stipule en son art. 3 que sont imposables dans l’État contractant où ces biens sont situés les revenus provenant des biens immobiliers et que la notion de bien immobilier se détermine d'après les lois de l’État contractant où est situé le bien considéré. Sont des biens immobiliers au sens de cet article les droits auxquels s'appliquent les dispositions du droit privé concernant la propriété foncière, les droits d'usufruit sur les biens immobiliers, etc.

En revanche, l'art. 10 de cette convention dispose que les intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances, assortis ou non de garanties hypothécaires, ne sont imposables que dans l’État contractant dont le bénéficiaire est le résident.

En l’espèce, la société Parilease, spécialisée dans les opérations de crédit-bail et appartenant au groupe fiscalement intégré dont la société-mère est la société BNP Paribas, a conclu des contrats de cession-bail avec deux sociétés de droit allemand, Bayer et Heidelberger.

L'administration fiscale a considéré n’être pas en présence de revenus immobiliers soumis aux dispositions de l’art. 3 de la convention précitée ce qui les aurait fait relever du système d’imposition allemand. Elle a, en conséquence, soumis à l'impôt sur les sociétés les revenus tirés de ces contrats, qu'elle a qualifiés de financiers et donc assujettis au régime fiscal tel que régi par l’art. 10 de la convention fiscale. Elle a, en outre, qualifié d'acte anormal de gestion la stipulation d'intérêts calculés à des taux inférieurs aux taux du marché au profit des sociétés Bayer et Heidelberg et a imposé les libéralités correspondantes comme des revenus distribués à ces sociétés. Enfin, elle a soumis les flux correspondants à retenue à la source, sur le fondement de l'article 119 bis du CGI. Les sociétés requérantes se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du jugement rejetant leurs prétentions.

Tout d’abord, le juge de cassation annule l’arrêt déféré à sa censure pour avoir jugé que le ministre devait être regardé comme ayant apporté la preuve que les opérations en cause, d'apparence immobilière, dissimulaient en réalité une activité de financement dépourvue de lien avec un immeuble, et que le montage, qui avait pour but de bénéficier d'une double exonération découlant de l'application des articles 3 et 10 de la convention franco-allemande, était constitutif d'un abus de droit au sens de l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales. En effet, pour qu’il y ait « abus de droit » et donc pour que soient déclarés inopposables à l’administration fiscale les actes constitutifs d’un tel abus, il faut, selon une formule jurisprudentielle classique et constante, que ces actes aient un caractère fictif ou que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'aient pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

L’annulation de l’arrêt est fondée sur l’erreur de droit résultant de l’absence de recherche par la cour du point de savoir si les auteurs des contrats en cause avaient recherché le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ni s'ils avaient pu être inspirés par un autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

Au passage, il faut relever, ce qui n’est pas d’une orthodoxie totale au regard des règles du droit international des traités et conventions, que le Conseil d’État estime possible, et le cas échéant, nécessaire cette recherche de l’intention du contribuable même dans l’hypothèse où, comme ici, la norme dont le contribuable recherche le bénéfice procède d'une convention fiscale bilatérale ayant pour objet la répartition du pouvoir d'imposer en vue d'éliminer les doubles impositions et que cette convention ne prévoit pas explicitement l'hypothèse de fraude à la loi.

 

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État juge que l’administration fiscale a eu raison d’écarter la nature immobilière des revenus litigieux (1) mais qu’elle a eu tort de qualifier comme constituant un abus de droit (2) et comme un acte anormal de gestion (3) le montage financier en cause.

Il faut ici rappeler que bien que rejetant l’existence d’un abus de droit, le juge est tenu par le principe que, l'administration ne pouvant renoncer à appliquer la loi fiscale, elle est en droit à tout moment de justifier l'impôt sur un nouveau fondement légal qu'elle a compétence liée pour appliquer. Or en l’espèce, il est demandé au juge, dans l'hypothèse d'un règlement au fond de l'affaire et si l'existence d'un abus de droit par fraude à la loi n'était pas retenue, de requalifier les contrats litigieux en contrats de financements avec intérêts.

 

1 - Pour dire que les revenus litigieux n’étaient pas de caractère immobilier le juge retient que cela résulte du montage financier retenu par les parties contractantes.

Les contrats litigieux, qui consistaient en des contrats de cession d'usufruit et de crédit-bail conclus par la société Parilease, l'un avec la société Bayer, l'autre avec la société Heidelberger, avaient pour objet, pour la première, d'accorder aux secondes des financements s'élevant respectivement à 184 800 000 euros et 75 105 000 euros, garantis par le transfert temporaire de l'usufruit d'immeubles.

Si le code civil allemand ne subordonne pas la cession de l'exercice de l'usufruit, par l'usufruitier, au consentement préalable du propriétaire, la section 7 de la partie 2 de la convention de cession-bail conclue entre la société Parilease et la société Heidelberger stipule que « l'usufruitier n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit à un quelconque tiers sans le consentement écrit préalable du propriétaire », sauf si le contrat de crédit-bail est résilié et si le preneur « n'a pas payé la valeur de résiliation en temps voulu ». Le préambule du contrat de crédit-bail adossé à cette convention énonce, par ailleurs, qu'il « n'y aura aucune cession réelle de l'utilisation des biens au bailleur et que l'usage économique reste au preneur ». Si l'option d'achat n'est pas exercée par la société Heidelberger, celle-ci peut prolonger la durée de location jusqu'à l'expiration des droits d'usufruit. 

De plus, la clause B7 du contrat conclu entre les sociétés Parilease et Bayer, prévoit que le bailleur n'est pas habilité à céder l'exercice de l'usufruit sans l'accord préalable du preneur. Le bailleur n'est, par ailleurs, pas autorisé à transformer ou à modifier la propriété, sauf si la durée du crédit-bail a expiré. La clause C5 stipule quant à elle que le preneur « a le droit de faire toute modification y compris la destruction de certains immeubles » sans le consentement du bailleur si les coûts de ces « modifications sont inférieurs à 25% du paiement de l'usufruit et/ou (...) ne diminuent pas la valeur de la propriété » et « si le preneur souhaite abandonner les parties de la propriété pendant la durée, le bailleur devra abandonner l'usufruit concernant lesdites parties : à condition, toutefois, que (i) le preneur propose au bailleur d'étendre le présent contrat à une propriété alternative se trouvant en Allemagne raisonnablement similaire à et de valeur équivalente ou supérieure à la partie de la propriété devant être abandonnée ou (ii) le preneur paie la valeur normale de résiliation basée sur la valeur au prorata de la partie de la propriété devant être abandonnée ». En vertu de la clause C15.2, si le preneur n'exerce pas son option d'achat au terme de la durée du crédit-bail, il bénéficie d'un droit de préférence en cas de cession à un tiers.

Enfin, d'une part, en vertu de l'article 3.3 du contrat de crédit-bail conclu avec la société Heidelberger, la détermination des loyers est calculée selon un taux d'intérêt de 45 points de base en dessous du taux d'intérêt de référence, correspondant à la moyenne des cours des titres échangés sur les taux d'intérêt divulgués sur l'écran Icapeuro de Reuters pour les taux de 1 à 10 ans. D'autre part, la clause A1 du contrat conclu avec la société Bayer définit le « taux d'intérêt du crédit bail » comme « i) le taux swap en euro amortissable chaque semestre applicable pendant dix ans avec une durée de vie moyenne de 5,5 ans ... tiré de la courbe du taux d'intérêt indiquée sur la page ICAE de Bloomberg ou sur la page ICAPEUR de Reuters moins (...) (ii) la marge », cette marge étant égale à 50 points de base. Par ailleurs, les contrats prévoient, en cas de remise en cause de la double exonération des revenus versés par les sociétés allemandes à la société Parilease, soit une majoration des taux d'intérêt, soit leur résiliation.

On voit bien que, par l’ensemble des stipulations qui y sont contenues, les contrats en cause s’éloignent complètement du régime allemand de l’usufruit et c’est bien parce que les restrictions apportées à l'exercice du droit d'usufruit de la société Parilease sont telles que les contrats doivent être regardés comme ayant une substance essentiellement financière et non immobilière. Les revenus tirés de ces contrats par la société Parilease, à hauteur des intérêts et à l'exclusion des loyers et amortissements comptabilisés, ne constituaient donc pas des « revenus de biens immobiliers » au sens de l'article 3 de la convention fiscale franco-allemande, ce qui les aurait fait relever du droit allemand mais des « intérêts et autres produits des obligations, bons de caisse, prêts et dépôts ou de toutes autres créances » au sens de l'article 10 de la même convention, qui les fait relever du régime fiscal français.

 

2 - Pour rejeter l’existence d’un abus de droit, le juge retient que les contrats litigieux, ci-dessus décrits, eu égard à leur objet, qui a été effectivement mis en œuvre et que l'administration n'a d'ailleurs pas écartés pour procéder au redressement contesté, ne peuvent être regardés comme ne répondant à aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que la société, si elle n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées, compte tenu de sa situation ou de ses activités réelles. Ils ne constituaient pas un montage artificiel dépourvu de toute substance économique et ne pouvaient pas conduire à regarder les opérations litigieuses comme contraires aux objectifs poursuivis par les États signataires de la convention fiscale franco-allemande. Il en résulte que ces actes n'étaient pas constitutifs d'un abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales.

 

3 - L’administration ne peut qualifier d’« acte anormal de gestion » que celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, à charge pour elle  d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal. En l’espèce, le ministre soutient que les taux d'intérêt prévus par les contrats conclus par la société Parilease sont insuffisants au regard de taux de référence calculés, soit en les majorant de 100 points de base comme le prévoient les stipulations contractuelles en cas de modification des hypothèses fiscales, soit en fonction du niveau de solvabilité des sociétés Heidelberger et Bayer et qu’ainsi cette société aurait décidé de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Le juge estime, au contraire, qu’en prévoyant, compte tenu des hypothèses fiscales qu'elle avait retenues, les taux d'intérêts stipulés aux contrats, la société Parilease ne peut être regardée comme ayant décidé, à la date de la signature des actes en cause, de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Faute pour le ministre d’avoir établi que les contreparties que la société Parilease a retirées des opérations de cession-bail seraient inexistantes ou insuffisantes au regard de l'avantage consenti aux sociétés allemandes, de sorte que la société aurait, en concluant ces contrats, commis un acte anormal de gestion, l’imposition à ce titre est, contrairement à ce qu’il soutient, illégale. 

(03 mai 2023, Société BNP Paribas et société Parilease, n° 434441)

 

36 - Casinos - Établissements thermaux et hôteliers - Abattement supplémentaire pour dépenses à caractère immobilier - Agrément préfectoral et décision du directeur régional des finances publiques - Régimes contentieux - Contrôle par le juge de cassation de la qualification juridique des faits comme constituant une dépense à caractère immobilier - Annulation partielle.

 L'article 34 de la loi du 30 décembre 1995 dans la version que lui a donnée la loi du 29 décembre 2014 de finances rectificative pour 2014 permet aux casinos de bénéficier d'un abattement supplémentaire de 5 p. 100 sur le produit brut des jeux correspondant aux dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier qu'ils réalisent dans les établissements thermaux et hôteliers leur appartenant ou appartenant à une collectivité territoriale et dont ils assurent la gestion.

Le bénéfice de cet abattement est subordonné à un agrément préfectoral et il est accordé par le directeur (départemental ou régional) des finances publiques. L’éventuel recours contre la décision préfectorale relève du contentieux de l’excès de pouvoir tandis que celui formé contre la décision fiscale relève du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux. Il suit de là que la partie de l’arrêt frappé de cassation portant sur le recours dirigé contre la décision fiscale est entachée d’erreur de droit pour avoir traité ce recours comme étant un recours pour excès de pouvoir.

Sur le fond, le juge rejette le recours en tant qu’il est dirigé contre la partie de l’arrêt ayant jugé que les dépenses d'installation de chantier, de nettoyage, de démolition, de prestations intellectuelles, de travaux préparatoires de dépose et repose de sanitaires, d'autres déposes et de curage ne constituaient pas, au sens et pour l’application de l’art. 34 de la loi de 1995 précitée, « des dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ». En revanche, il accueille le recours en tant qu’il conteste la partie de l’arrêt d’appel qui a exclu de cette dernière catégorie la dépense de refixation d'une volige car elle porte sur un accessoire ou un complément de travaux de gros œuvre.

Il convient de relever cet important aspect de la décision qui confère au juge de cassation le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits s’agissant de l’appréciation portée par les juges du fond sur le caractère de dépenses d'acquisition, d'équipement et d'entretien à caractère immobilier ouvrant droit au bénéfice de l’abattement supplémentaire maximum de 5% au titre des sommes exposées par les établissements et dans les conditions visés par l'article 34 de la loi du 30 décembre 1995

(03 mai 2023, Société des Hôtels et Casino de Deauville, n° 452696)

 

37 - Taxe sur la valeur ajoutée - Professeur de théâtre - Attestation de l’administration fiscale - Prise de position formelle (art. L. 80B, LPF) - Erreur de droit - Annulation.

A l’appui de son recours en décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels il a été assujetti au titre de la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, le contribuable, directeur d'un cours de théâtre privé dans lequel il enseigne, fait valoir une attestation en date du 16 décembre 2013 par laquelle le contrôleur des finances publiques compétent certifie qu'il n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée du fait de son activité de professeur de théâtre.

Sa demande est partiellement rejetée en première instance et en appel au motif que ce document n'était pas susceptible de constituer une prise de position formelle au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales.

Sur pourvoi du contribuable le juge de cassation - réitérant une jurisprudence rendue sur la version précédente de ce texte législatif (8 septembre 1999, Sarl société d'exploitation des établissements Madej, n° 161330) - annule l’ordonnance d’appel pour erreur de droit en estimant « que cette attestation avait été délivrée au requérant, à sa demande, pour les besoins de son activité professionnelle à laquelle il était fait expressément référence » et qu’elle constituait bien ainsi une « prise de position formelle » au sens de l’art. L. 80B du LPF.

(04 mai 2023, M. B., n° 453366)

 

38 - Contentieux fiscal - Contestation d’assiette de la taxe d’aménagement - Exigence d’une réclamation préalable à l’administration fiscale - Absence - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d’une exigence du contentieux fiscal prévue à l’art. R.190-1 du livre des procédures fiscales : le contribuable désirant contester devant le juge administratif l'assiette de la taxe d'aménagement doit, à peine d'irrecevabilité, former une réclamation préalable auprès du service territorial de la direction générale des finances publiques avant le 31 décembre de la deuxième année suivant l'émission du premier titre de perception ou du titre unique.

(12 mai 2023, ministre des finances, de l’économie…, n° 464199)

 

39 - Déficits fonciers - Déductibilité des frais de travaux de reconstruction - Notion de reconstruction - Accessoire indissociable de tels travaux - Absence de recherche de ce caractère - Annulation.

Le I de l’art. 31 du CGI permet de déduire certaines charges de la propriété pour la détermination du revenu net.

En l’espèce, la cour administrative d’appel a considéré qu’en 2011 et 2012 les contribuables avaient effectué des travaux portant sur le gros œuvre et que s’agissant des travaux de réfection de l'installation électrique, du chauffage, des menuiseries, des peintures, des sols et de l'isolation, réalisés en 2013 et 2014, ils étaient indissociables des travaux sur le gros œuvre effectués en 2011 et 2012 de sorte que l'ensemble ainsi formé sur ces quatre années, présentant comme caractéristiques à la fois d'être « important » et d'affecter dans certains cas le gros œuvre de l'immeuble dont cette société était propriétaire, devait être regardé comme procédant d'une unique opération de reconstruction.

Pour annuler ce raisonnement, le Conseil d’État reproche à la cour de s’être fondée sur ce que les travaux de gros œuvre entrepris en 2011 et 2012 avaient rendu possibles des travaux de second œuvre réalisés en 2013 et 2014, sans rechercher si les premiers de ces travaux avaient eux-mêmes la nature de travaux de reconstruction dont les seconds auraient été l'accessoire indissociable au sens et pour l’application des dispositions précitées du CGI selon lesquelles : « Les charges de la propriété déductibles pour la détermination du revenu net comprennent :

1° Pour les propriétés urbaines :

a) Les dépenses de réparation et d'entretien (...)

b) Les dépenses d'amélioration afférentes aux locaux d'habitation, à l'exclusion des frais correspondant à des travaux de construction, de reconstruction ou d'agrandissement (...) ».

Or le Conseil d’État considère que sont des travaux de reconstruction ceux qui comportent la création de nouveaux locaux d'habitation ou qui ont pour effet d'apporter une modification importante au gros œuvre, ainsi que les travaux d'aménagement interne qui, par leur importance, équivalent à des travaux de reconstruction. Pour ces derniers, le juge estime que des travaux d'aménagement interne, quelle que soit leur importance, ne peuvent être regardés comme des travaux de reconstruction que s'ils affectent le gros œuvre ou s'il en résulte une augmentation du volume ou de la surface habitable.

(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 464489)

 

40 - Prix de cessions immobilières nettement inférieurs à la valeur vénale des logements cédés - Fonctions d’un contribuable lui permettant de connaître cette minoration - Erreur sur ces fonctions - Dénaturation - Annulation.

Une cour administrative d’appel juge fondée l’affirmation par l’administration fiscale qu’une société a eu l’intention d’octroyer et un contribuable de recevoir une libéralité résultant de cessions d’appartements à un prix nettement inférieur à leur valeur vénale. Elle s’appuie pour cela sur les fonctions salariales exercées par ce dernier au sein de la société en charge de la gestion du programme immobilier qu’elle réalise, donc directement impliqué dans la gestion de ce programme et qui ne pouvait de ce fait ignorer que le prix de cession des logements qu'il avait acquis était significativement inférieur à leur valeur vénale.

Sur pourvoi, Conseil d’État est à la cassation de cet arrêt qui repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce que le contribuable était seulement agent de service et non , comme l’a qualifié la cour, chargé de la gestion du programme immobilier.

(12 mai 2023, MM. Christian et Stéphane A., n° 465663)

 

41 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères et de traitement des déchets - Prélèvement destiné à couvrir les dépenses engendrées par ce service public - Inclusion dans les dépenses de fonctionnement à ce titre du coût des services centraux celles directement liées aux besoins dudit service - Erreur de droit et insuffisance de motivation - Annulation.

Dans un litige relatif à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le Conseil d’État, réitérant une solution constante, reproche à un tribunal administratif d’avoir inclus dans le montant des dépenses directement générées par les besoins de ce service public une certaine somme parce qu’elle correspondait à « des coûts de structure » sans rechercher si elle constituait une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la métropole, établie sur la base d'une comptabilité analytique produite au dossier et correspondant à la fraction de ces dépenses directement exposée pour les besoins du service de collecte et de traitement des déchets.

(12 mai 2023, Société Les Chandons, n° 466775)

 

42 - Plus-values professionnelles - Régime d’exonération (art. 238 quindecies du CGI) - Cession partielle de droits sociaux - Condition non satisfaite - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour dire des contribuables fondés à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux, ainsi que des pénalités correspondantes, auxquelles ils ont été assujettis à raison de la plus-value réalisée lors de la cession, de droits sociaux d’une société, retient que cette plus-value était, contrairement à ce que soutenait l'administration, imposable selon le régime des plus-values professionnelles et sur ce qu'elle bénéficiait de l'exonération prévue à l'art. 238 quindecies du CGI. En effet, les contribuables n'ayant cédé qu'une partie des droits sociaux qu'ils détenaient dans la société, les conditions de mise en œuvre des dispositions de l'art. 238 quindecies précité n'étaient pas satisfaites dès lors que le III de cet article concerne la cession de « l’intégralité des droits ou parts détenus par le contribuable (…) ».

(12 mai 2023, M. et Mme A., n° 467294)

 

Droit public de l'économie

 

43 - Autorité des marchés financiers - Recours contre une décision de la commission des sanctions de cette autorité - Société ayant agi dans son intérêt propre au détriment de celui des porteurs - Défaut de mention du taux de rotation élevé des portefeuilles gérés par une société - Obligation pour la commission des sanctions d’aggraver la sanction prononcée.

Le président de l'Autorité des marchés financiers demandait l’annulation de l’avertissement prononcé par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers à l’encontre de la société Skylar France en ce qu'elle a écarté les griefs tirés de la méconnaissance par celle-ci des intérêts des investisseurs.

Le Conseil d’État juge d’une part, que, contrairement à ce qu'a retenu la commission des sanctions, il était suffisamment établi que la société Sylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui des porteurs, par suite, elle ne pouvait, sans méconnaître les art. L. 533-10 du code monétaire et financier et 314-3 du règlement général de l'Autorité des marchés financiers ni entacher sa décision d'erreur d'appréciation, écarter le grief tiré de ce que Skylar France avait privilégié son intérêt au détriment de celui de ses clients, et d’autre part, que cette commission a écarté à tort le grief tiré du défaut de mention de l'application d'un taux de rotation élevé des portefeuilles dans les prospectus des fonds gérés par Skylar France. En revanche, est rejeté le moyen du requérant tiré de ce que la commission n’a pas retenu le grief tiré du défaut de fourniture d'un commentaire personnalisé sur la gestion mise en œuvre et d'absence de détail des performances dans les rapports de gestion sous mandat.

En conséquence, le juge décide que la sanction prononcée à l'encontre de la société Skylar France et de M. B., son président et unique actionnaire, doit être aggravée par une publication de manière non anonyme, pendant trois ans à compter de cette décision, de la décision de la commission des sanctions et de la présente décision, sur le site internet de l'Autorité des marchés financiers.

Le pouvoir ainsi exercé de réformation de la décision contestée atteste l’ampleur des pouvoirs détenus par le juge de la pleine juridiction.

(24 mai 2023, président de l'Autorité des marchés financiers, n° 449983)

 

44 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

V. n° 32

 

45 - Demande en référé suspension - Pourvoi en cassation - Décision attaquée entièrement exécutée - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

La requérante a demandé, en vain, la suspension de la décision préfectorale accordant le concours de la force publique en vue de l'exécution du jugement d’un tribunal judiciaire ordonnant son expulsion du logement qu'elle occupe. Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet. L’expulsion a lieu avant que ne se prononce le juge de cassation : le pourvoi est donc devenu sans objet et il n’y a plus lieu d’y statuer.

(25 mai 2023, Mme A., n° 471269)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

46 - Récupération d’indu de RSA - Rétablissement personnel - Amende - Indu d’origine frauduleuse - Absence de caractère de « dette ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale » - Annulation.

Aux termes de l'article L. 711-4 du code de la consommation, dans sa version applicable aux faits de l’espèce : « Sauf accord du créancier, sont exclues de toute remise, de tout rééchelonnement ou effacement :

(...) 3° Les dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale.

(...) L'origine frauduleuse de la dette est établie soit par une décision de justice, soit par une sanction prononcée par un organisme de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale ». L le juge déduit des travaux préparatoires à l’adoption de l’art. 116 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 dont est issue la réserve édictée au 3° de l’art. 711-4 du code de la consommation précité, combinés avec les dispositions des art. L. 262-13, L. 262-16, L. 262-24 et L. 262-46 du code de l’action sociale et des familles, avec celles de l’art. L. 741-1 du code de la consommation et, enfin, avec celles des art. L. 114-12, L. 114-17 et L. 114-17-1 du code de la sécurité sociale, que méconnaît le champ d’application de la loi (en l’occurrence le 3° précité de l’art. L. 711-4), le jugement estimant que le demandeur ne pouvait pas se prévaloir, pour s’opposer aux indus de revenu de solidarité active mis à sa charge, de l'ordonnance du juge du tribunal d'instance de Chartres ayant conféré force exécutoire au plan de rétablissement personnel recommandé par la commission de surendettement, au motif que les indus en cause trouvaient leur origine dans l'absence de déclaration injustifiée de ses salaires par le requérant, ayant donné lieu à une sanction prononcée dans les conditions prévues à l'article L. 114-17 du code de la sécurité sociale.

En jugeant ainsi, le tribunal administratif a méconnu le champ d'application du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation.

En effet,  les dettes tenant à un versement indu de revenu de solidarité active ne peuvent être regardées, quelle que puisse être leur éventuelle origine frauduleuse, comme relevant de la catégorie des « dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses commises au préjudice des organismes de protection sociale énumérés à l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale » au sens du 3° de l'article L. 711-4 du code de la consommation et, à ce titre, exclues de l'effacement qu'entraîne le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire rendu exécutoire par le juge de l'exécution sur toutes les dettes non professionnelles du débiteur, arrêtées à la date de l'ordonnance conférant force exécutoire à la recommandation de la commission de surendettement des particuliers. 

Rappelons que le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi est d’ordre public.

(12 mai 2023, M. B., n° 461606)

 

47 - Hébergement d’urgence - Limite des capacités de mise à l’abri - Annulation.

Voilà encore un énième épisode de l’interminable et dramatique saga de l’hébergement des personnes, la plupart étrangères, en situation d’urgence.

Il faut encore une fois rappeler que les procédures de référé, spécialement le référé suspension et le référé liberté, ne sont pas les bonnes à tout faire du contentieux administratif. Séduisantes pour les requérants par leur célérité, ceux-ci, et leurs avocats, en usent et en abusent à leurs risques et périls. Ces voies de droit ne peuvent servir que pour ce à quoi elles sont destinées. Toute situation dramatique, inhumaine, glaciale par son caractère tragique, ne relève pas ipso facto d’un traitement par le référé et, disons-le, même d’un traitement contentieux tout court car, au vrai, il ne s’agit pas d’une question proprement juridique même si l’on prend soin d’y plaquer un habillage juridique. Les capacités d’accueil de la France ne sont pas infinies et indéfiniment extensibles. Cette affaire en témoigne.

M. D., ressortissant bangladais, a obtenu le statut de réfugié en septembre 2020 et il dispose d'une carte de résident ; il a été rejoint en France, en février 2023, par Mme A. et leur enfant de six ans au titre de la réunification familiale. Ils ont obtenu du juge des référés de première instance qu’injonction soit faite au préfet de leur proposer un hébergement d'urgence. Sur appel, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en dépit de la gravité de la situation des demandeurs. Ainsi, relève-t-il que « Le 115 a (…) reçu, dans la seule journée du 20 avril 2023, 2 079 appels, mais seuls 687 ont obtenu une réponse et 971 personnes, dont 711 correspondant à des familles avec des enfants, ces derniers étant au nombre de 332 mineurs, n'ont pu se voir proposer de solution d'hébergement. De même, il résulte des précisions apportées à l'audience que du 1er au 7 mai 2023, sur les 493 enfants de moins de 6 ans concernés par une demande de prise en charge, 252 se sont trouvés sans solution. »

En l’espèce, où les intéressés disposent de moyens de subsistance, ceux-ci ne se trouvent donc pas dans la situation la plus grave et il est normal que soit d’abord assuré l’hébergement des personnes et des familles constituant des cas plus désespérés.

Enfin, cette solution demeure alors même que, comme indiqué pour la première fois en appel et pour regrettable que soit cette circonstance, le demandeur reconnu prioritaire depuis novembre 2021 dans le cadre de la procédure distincte du droit au logement opposable, ne s'est pas vu proposer à ce jour de solution à ce titre.

(ord. réf. 15 mai 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logementn° 473605)

(48) V. aussi, décidant que c’est à bon droit que le juge du référé liberté a, notamment, enjoint au département du Loiret d'attribuer à Mme M’mah A. un hébergement, dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de son ordonnance, au titre de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles qui dispose : « Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil général : (...) 4° Les femmes enceintes et les mères isolées avec leurs enfants de moins de trois ans qui ont besoin d'un soutien matériel et psychologique, notamment parce qu'elles sont sans domicile. ».

Le département appelant faisait valoir que l’intéressée ne remplissait ni la condition d'urgence prévue par l'art. L.521-2 du CJA, ni les conditions prévues au 4° de l'art. L.222-5 du code de l'action sociale et de la famille, car elle ne justifiait ni son besoin de soutien psychologique ni son absence de ressources, et qu’elle avait contribué à la situation qu'elle dénonce, d'une part, en regagnant illégalement le territoire français après avoir été reconduite en Italie en application de la procédure « Dublin », d'autre part, en refusant, à une reprise au moins, une solution d'hébergement d'urgence, après avoir recouru dans un premier temps à des solutions d'hébergement alternatives chez des personnes privées. Le juge des référés du Conseil d’État fonde son rejet de l’appel sur ce que Mme A. est enceinte et accompagnée de ses deux enfants dont l'un a moins de trois ans, qui se sont vu reconnaître le statut de réfugié par deux décisions du 8 février 2023 et sur ce qu'elle ne dispose d'aucune autre ressource que les 180 euros mensuels qui lui sont versés par le département pour l'accès aux produits de première nécessité, enfin, qu'elle se trouvait, jusqu'à ce qu'un hébergement lui soit proposé en exécution de l'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif d'Orléans, sans domicile ni solution d'hébergement pour elle-même et pour ses enfants.

Il est donc jugé que sont remplies en l’espèce, les conditions prévues au 4° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles ainsi que la condition d'urgence requise par l'art. L.521-2 du CJA : ord. réf. 30 mai 2023, Département du Loiret, n° 473995.

 

49 - Ressortissante tunisienne - Contrat « jeune majeur » - Nouvelle prise en charge refusée par le département - Annulation - Rejet.

 Une ressortissante tunisienne née en 2005, entrée en France en juillet 2020, a fait l'objet d'un placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance, puis, d’un jugement en assistance éducative rendu en 2020, le juge des enfants l'ayant confiée à la direction de la protection de l'enfance et de la jeunesse (DPEJ) du conseil départemental pour une durée de quatre mois, prolongée par une nouvelle ordonnance du 6 janvier 2021. Enfin, une procédure de tutelle d'Tat a été ouverte le 12 avril 2021 par le juge des tutelles des mineurs, l'assistance éducative étant en conséquence déclarée sans objet, la tutelle de Mme B. a fait l'objet d'une mainlevée le 25 octobre 2022. Par un nouveau jugement en assistance éducative du 3 janvier 2023, le juge des enfants du tribunal judicaire a placé à nouveau Mme B. sous la responsabilité de la DPEJ du conseil départemental. Le 22 février 2023, Mme B. a demandé au président du conseil départemental la conclusion d'un « contrat jeune majeur » pour terminer ses études d'esthétique dans un lycée. Par une décision du 10 mars 2023, le président du conseil départemental a refusé de faire droit à sa demande et l'a informée de la fin de sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance à compter du 27 mars 2023. 

Le juge du référé liberté, saisi par l’intéressée, a suspendu cette décision et a enjoint cette autorité de réexaminer sa situation notamment en lui proposant un accompagnement comportant l'accès à une solution de logement adaptée, la prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires ainsi qu'un suivi éducatif pour lui permettre de poursuivre sa scolarité au moins jusqu'à la fin de l'année scolaire en cours. 

L’appel dirigé contre cette ordonnance est rejeté.

Le juge estime d’abord que le département n'apporte en appel aucun élément de nature à remettre en cause le constat du juge des référés selon lequel l’intéressée ne bénéficie d'aucun soutien familial réel, d'aucune ressource, ni d'aucune solution d'hébergement stable à compter du 27 mars 2023. Ensuite, il considère que c'est à bon droit que le juge des référés a estimé que les réserves pouvant être exprimées concernant le comportement de Mme B. lorsqu'elle était mineure ainsi que son manque d'investissement dans ses études ne pouvaient suffire, pour l'application des dispositions du 5° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, à justifier qu'il soit mis fin à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance.

Statuant sur un cas limite - ce que révèle l’incise « eu égard à l'ensemble des circonstances particulières de l'espèce » -, la décision conclut que, par son argumentation, le requérant ne justifie pas la remise en cause de l'appréciation du juge des référés aussi bien sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale résultant du refus de prolonger la prise en charge de Mme B., en sa qualité de jeune majeure, que sur l'urgence de cette prise en charge.

(ord. réf. 09 mai 2023, Président du conseil départemental du Val-de-Marne, n° 473601)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

50 - Élections municipales - Format anormal des bulletins de vote - Atteinte à la sincérité du scrutin - Annulation.

Altère la sincérité du scrutin la manœuvre consistant à imprimer des bulletins de vote sur des feuilles de papier dont les côtés mesuraient 148 mm x 210 mm, soit au format A5, et non, comme l'exigent les dispositions de l'art. R. 30 du code électoral, sur des feuilles de 105 mm x 148 mm, soit de format A6.

Cette irrégularité, en provoquant un gonflement des enveloppes électorales, a été de nature à permettre l'identification du sens du vote des électeurs au moment où ils introduisaient leur enveloppe dans l'urne. Elle conduit à l’annulation des opérations électorales.

(04 mai 2023, M. I., élections municipales complémentaires d’Ercourt, n° 469492)

 

51 - Élections départementales - Appel d’un jugement en contestation des résultats électoraux - Qualité pour agir en cas de rejet de la protestation en première instance - Intervention tardive à cette instance - Rejet.

Selon un principe constant du contentieux électoral tout électeur est recevable à contester les résultats d’une élection et, en cas d’annulation de celle-ci, à interjeter appel, tel n’est pas le cas lorsque les premiers juges ont rejeté la protestation : dans cette hypothèse seuls les protestataires de première instance ont qualité pour former appel. Toutefois, celui qui, en première instance, était intervenu à l’instance tardivement n’a pas qualité pour interjeter appel.

(15 mai 2023, M. C., élections départementales du canton de Noisy-le-Grand, n° 462074)

 

52 - Élections à l’assemblée de la Polynésie française - Référé « mesures utiles » - Demande d’injonction tendant à la proclamation des résultats de cette élections - Requête sans objet - Rejet.

Par une étrange requête le demandeur a saisi le juge des référés du Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA (référé « mesures utiles ») aux fins qu’il appelle à la cause le haut-commissaire de la république en Polynésie française et qu’il enjoigne notamment au président de l'assemblée de la Polynésie française, de proclamer les résultats de l'élection des représentants à cette assemblée du 30 avril 2023, sous astreinte d'un million de francs Pacifique par heure de retard à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir.

Les demandes sont rejetées, le juge relevant que la « commission de recensement des votes a proclamé publiquement, le 1er mai 2023, les résultats définitifs du second tour pour (cette élection) (…). Les résultats de cette élection ont ensuite été publiés, par arrêté du président de l'assemblée de la Polynésie française (…) du 3 mai 2023 prenant acte de l'élection des représentants à l'assemblée de la Polynésie française, au Journal officiel de la Polynésie française le 4 mai 2023. »

Il suit de là, avec évidence, que cette requête, introduite le 15 mai 2023, était déjà dépourvue d’objet lors de son dépôt au Conseil d’État et que les conclusions qu’elle contient sont irrémédiablement irrecevables.

L’infliction d’une amende pour abus du prétoire n’aurait pas été malvenue en la circonstance.

(16 mai 2023, M. B., n° 474130)

 

53 - Élections professionnelles dans la fonction publique - Arrêté d’organisation d’opérations électorales - Élections s’étant déroulées - Recours devenu sans objet - Non-lieu à statuer - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de l’arrêté du 9 mars 2022 portant dérogation à l'utilisation du vote électronique en vue du prochain renouvellement général des instances de dialogue social dans la fonction publique de l’État et de l'instruction du 2 décembre 2022 relative à l'organisation des scrutins de comités sociaux d'administration de proximité des directions départementales interministérielles.

Le recours est rejeté car il est devenu sans objet du fait que les élections se sont déjà déroulées.

En effet, s’il est possible de contester au moyen d'un recours tendant à l'annulation des opérations électorales concernées la légalité des actes attaqués qui sont relatifs à l'organisation du scrutin, en revanche, le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de ces actes est, après la tenue du scrutin, devenu sans objet. Il n’y a donc pas lieu d’y statuer.

(12 mai 2023, Union fédérale des syndicats de l’État CGT (UFSE-CGT), l'Union syndicale Solidaires Fonction publique et la Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 469412)

 

Environnement

 

54 - Betteraves sucrières - Traitement par produits interdits sauf conditions particulières - Absence - Annulation.

Cette affaire est un nouvel épisode de la « guerre de la betterave sucrière » suscitée par l’emploi de substances chimiques destinées à assurer la protection sanitaire de ces plantes mais toxique pour les abeilles en particulier.

Les requérantes demandaient l’annulation, d’une part, de l'arrêté interministériel (agriculture et transition écologique) du 5 février 2021 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et, d’autre part, pour certaines d’entre elles, l’annulation de l'arrêté interministériel du 31 janvier 2022 autorisant provisoirement l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant les substances actives imidaclopride ou thiaméthoxame et précisant les cultures qui peuvent être semées, plantées ou replantées au titre des campagnes suivantes.

L’art. 53 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques dispose dans son 1. qu’un État membre peut autoriser, pour une période n'excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d'un usage limité et contrôlé, lorsqu'une telle mesure s'impose en raison d'un danger qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens raisonnables. Toutefois, la CJUE a dit pour droit que ces dispositions ne permettent pas à un État membre d'autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue du traitement de semences, ainsi que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits, dès lors que la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide de ces produits ont été expressément interdites par un règlement d'exécution (19 janvier 2023, Pesticide Action Network Europe e.a., aff. C-162/21).

Deux règlements d’exécution (2018/783 et 2018/785 du 29 mai 2018) ont interdit la mise sur le marché et l'utilisation de semences traitées à l'aide des deux substances actives imidaclopride et thiamétoxame, sauf aux fins de culture dans des serres permanentes, tout au long de leur cycle de vie, de sorte que la culture obtenue ne soit pas replantée à l'extérieur. 

Dès lors que les ministres défendeurs ne soutiennent pas que des cultures de betteraves sucrières seraient pratiquées sous serre tout au long de leur cycle de vie, il s’ensuit qu’ils ne pouvaient pas, sans illégalité, par les arrêtés attaqués, se fonder sur les dispositions de l'article 53 du règlement de l’Union n° 1107/2009 pour autoriser l'emploi de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits contenant de l'imidaclopride ou du thiaméthoxame.

Les arrêtés contestés sont annulés.

(03 mai 2023, Association Agir pour l'environnement et autres, n° 450155 et n° 461199 ; Association CRIIGEN et autres, n° 450287 ; Association Générations futures et autres, n ° 450932, n° 451271 et n° 451380 ; Union nationale de l’apiculture française, n° 450933 et n° 451272)

 

55 - Action pour le climat - Gaz à effet de serre - Objectif de réduction d’émissions fixé par la loi et le droit de l’Union - Stratégie bas carbone - Procédure d’examen de l’exécution effective d’une décision du Conseil d’Tat - Complément d’injonction ordonné.

Nouvel épisode de l’« affaire du siècle », inépuisable saga contentieuse.

Avec grande constance dans la fermeté, sûreté et sérénité d’analyse et beaucoup de pédagogie, le Conseil d’État persiste et signe, forçant l’effort toujours un peu vacillant du politique, sensible qu’il est à d’autres sirènes.

On se souvient que dans une décision très remarquée du (1er juillet 2021, Commune de Grande-Synthe et M. A., n° 427301) le Conseil d’État avait annulé le refus implicite opposé par le président de la république, le premier ministre et la ministre de la transition écologique à la demande de la commune de Grande-Synthe de prendre toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'art. L. 100-4 du code de l'énergie et à l'annexe I du règlement communautaire du 30 mai 2018 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris. Le juge avait également enjoint au premier ministre de prendre de telles mesures avant le 31 mars 2022.

La commune de Grande-Synthe, le premier ministre ayant opposé un refus implicite de prendre les mesures supplémentaires qu’elle préconise pour permettre d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d'assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction de ces émissions, a saisi le Conseil d’État, sur le fondement des art. L. 911-5 et R. 931-2 du CJA, de trois demandes tendant à l’annulation de ce refus et au prononcé d'une astreinte.

Après que la section du rapport et des études, ayant exécuté les diligences lui incombant, a transmis ces demandes d'exécution au président de la section du contentieux, celui-ci a ouvert une procédure juridictionnelle d'exécution. 

Ainsi, outre le fond, soit la lutte contre le réchauffement climatique, cette décision est très importante par la description minutieuse et complète des voies et moyens du juge pour assurer l’exécution effective de ses décisions, spécialement ses injonctions. Nous pensons que jamais le juge n’était allé aussi loin dans l’investigation et dans l’analyse.

 

A)           Le dispositif théorique

 

1 - Tout d’abord, à travers la description de l’office du juge de l’exécution, le Conseil d’État fournit un modèle théorique et méthodologique pour permettre cette investigation et pour effectuer cette analyse, décrivant d’abord ainsi l’objet de son office « Au cas d'espèce, le Gouvernement doit, pour démontrer la correcte exécution de la décision du 1er juillet 2021, justifier que les mesures prises, ainsi que les mesures qui peuvent encore être raisonnablement adoptées pour produire des effets dans un délai suffisamment court, permettent que la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national soit compatible avec l'atteinte des objectifs précédemment mentionnés, fixés à l'échéance 2030 (…). »

 

2 - Puis, le juge expose comment il va procéder pour apprécier l’état et le degré d’exécution : « (…) le juge de l'exécution prend en considération tous les éléments recueillis lors de l'instruction contradictoire permettant de s'assurer, avec une marge de sécurité suffisante, et en tenant compte des aléas de prévision et d'exécution, que les objectifs fixés par le législateur pourront être atteints. »

 

3 - Enfin, le juge indique les quatre étapes de cette appréciation ; il lui revient « (…) en premier lieu, d'examiner si les objectifs intermédiaires ont été atteints à la date à laquelle il statue et dans quelles conditions, en tenant compte, le cas échéant, des événements exogènes qui ont pu affecter de manière sensible le niveau des émissions constatées. En deuxième lieu, (…) de prendre en compte les mesures adoptées ou annoncées par le Gouvernement et présentées comme de nature à réduire les émissions de gaz à effet de serre mais également, le cas échéant, les mesures susceptibles d'engendrer au contraire une augmentation notable de ces émissions. En troisième lieu, (de) prendre en considération les effets constatés ou prévisibles de ces différentes mesures et, plus largement, l'efficacité des politiques publiques mises en place, au regard des différentes méthodes d'évaluation ou d'estimation disponibles, y compris les avis émis par les experts, notamment le Haut conseil pour le climat (…), pour apprécier la compatibilité de la trajectoire de baisse des émissions de gaz à effet de serre avec les objectifs assignés à la France. Au regard de l'ensemble de ces éléments, il appartient, en dernier lieu, au juge de déterminer, dans une perspective dynamique, et sans se limiter à l'atteinte des objectifs intermédiaires, mais en prenant en compte les objectifs fixés à la date de sa décision d'annulation, si, au vu des effets déjà constatés, des mesures annoncées et des caractéristiques des objectifs à atteindre ainsi que des modalités de planification et de coordination de l'action publique mises en œuvre, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l'échéance de 2030 peuvent, à la date de sa décision, être regardés comme raisonnablement atteignables. »

Au terme de ce bilan, deux situations peuvent se présenter : soit  « le juge de l'exécution estime que des éléments suffisamment crédibles et étayés permettent de regarder la trajectoire d'atteinte de ces objectifs comme respectée, il peut clore le contentieux lié à l'exécution de sa décision » ; soit, à l’inverse, le juge  estime que, la trajectoire d'atteinte de ces objectifs n’a pas été respectée  et, en ce cas, « il lui appartient d'apprécier l'opportunité de compléter les mesures déjà prescrites ou de prononcer une astreinte, en tenant compte pour ce faire tant des circonstances de droit et de fait à la date de sa décision que des diligences déjà accomplies par l'administration pour procéder à l'exécution de la décision du 1er juillet 2021, ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être. »

 

B)            L’examen de la situation concrète

 

Le juge applique strictement le canevas de contrôle qui vient d’être rappelé.

 

1 - En premier lieu, sont appréciés les niveaux d'émissions de gaz à effet de serre relevés jusqu'à la date de la présente décision, le juge constatant que « Sous réserve de la confirmation de (…) données provisoires pour l'année 2021 puis pour l'année 2022, ces éléments mettent en évidence que les parts annuelles indicatives d'émissions prévues pour le 2e budget carbone pour les années 2019, 2020 et 2021, (…)  ont été respectées et que celle prévue pour l'année 2022 pourrait l'être également. Sur la période 2019-2021, il en résulte un rythme de diminution annuel moyen des émissions de gaz à effet de serre de l'ordre de - 1,9 %. »

 

2 - En deuxième lieu, sont étudiées les mesures adoptées ou annoncées, mises en avant par le Gouvernement pour justifier de l'exécution de la décision dans les secteurs des transports (30% des émissions en 2021), du bâtiment, résidentiel comme tertiaire (18% des émissions), de l’activité agricole (19% des émissions), de l’activité industrielle (19% des émissions), des déchets (3% des émissions), ainsi que les financements alloués à l’ensemble de ces mesures et à la transition écologique.

 

3 - En troisième lieu, et c’est un point évidemment très important, est appréciée la compatibilité de ces mesures et du pilotage des politiques publiques mis en place avec la trajectoire de diminution des émissions de gaz à effet de serre. Le juge met en balance les efforts faits, les critiques qui y sont adressées, le constat du Haut conseil pour le climat et le rehaussement des exigences de l’Union européenne en cette matière.

 

De tout ceci, découle la conclusion tirée par le juge en ces termes : « Cependant, si (le Gouvernement)  fait valoir que ces mesures permettront d'atteindre ces objectifs de réduction des émissions, d'une part, l'évaluation prospective qu'il a produite repose sur des hypothèses de modélisation qui ne sont pas vérifiées à ce stade et ne permettent pas de considérer comme suffisamment fiables les résultats avancés, d'autre part, les conclusions de cette évaluation apparaissent en contradiction avec l'analyse par objectifs sectoriels de la stratégie nationale bas carbone menée par le Haut conseil pour le climat, laquelle n'a été remise en cause, dans sa méthodologie ou les conclusions auxquelles elle aboutit, par aucune des parties.

Dans ces conditions, et compte tenu notamment du renforcement de l'ampleur des réductions de gaz à effet de serre attendues par les 3ème et 4ème budgets carbone par rapport au niveau constaté jusqu'ici, il demeure des incertitudes persistantes, qui n'ont pas été levées par l'instruction contradictoire menée, complétée par la séance orale d'instruction, quant à la capacité des mesures prises à ce jour et des modalités de coordination stratégique et opérationnelle de l'ensemble de l'action publique mises en œuvre, à rendre suffisamment crédible l'atteinte d'un rythme de diminution des émissions territoriales de gaz à effet de serre cohérent avec les objectifs de réduction fixés pour 2030 par les dispositions législatives nationales ou par le droit de l'Union européenne pertinents.

Il en résulte qu'en l'état de l'instruction, la décision du 1er juillet 2021 ne peut être regardée comme complètement exécutée. Dans ces circonstances, et compte tenu notamment des diligences déjà accomplies par le Gouvernement ainsi que de celles qui sont encore susceptibles de l'être, il y a lieu, en l'état, de compléter l'injonction prononcée par cette décision en édictant, sur le fondement des articles L. 911-5 et R. 911-32 du code de justice administrative, les mesures complémentaires nécessaires pour en assurer l'exécution complète, sans qu'il soit besoin par ailleurs de prononcer une astreinte. »

Cette décision est assortie de l’obligation pour le premier ministre de prendre ces mesures complémentaires avant le 30 juin 2024 et de produire, à échéance du 31 décembre 2023, puis au plus tard le 30 juin 2024, tous les éléments justifiant de l'adoption de ces mesures et permettant l'évaluation de leurs incidences sur ces objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

Cette décision constitue une véritable mise en tutelle du pouvoir exécutif dans son action climatique.

(10 mai 2023, Commune de Grande-Synthe et autres, n° 467982)

 

56 - Permis d’implantation d’éoliennes - Dégradation de la qualité d’un paysage remarquable - Préservation d’espaces caractéristiques du patrimoine montagnard - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation et renvoi.

L’arrêt confirmatif par lequel une cour administrative d’appel a rejeté le recours formé par les demanderesses contre trois décisions par lesquelles le préfet de la Loire a accordé trois permis de construire à la SAS Monts du Forez Énergie pour la construction d'un poste de livraison, d'un local technique et d'un mât de mesure, pour la construction d'une éolienne, et enfin pour la construction de quatre autres éoliennes est annulé pour double dénaturation des pièces du dossier soumis au juge.

D’une part, pour écarter le moyen tiré de ce que le préfet aurait entaché d'erreur manifeste son appréciation sur le respect par les permis de construire litigieux de l'art. R. 111-27 du code de l’urbanisme, la cour a jugé que le projet prévoit une implantation des ouvrages dans l'alignement de la crête du Grand Caire, selon un espacement régulier, créant ainsi une ligne de fuite propre à en atténuer l'impact visuel sur les paysages environnants et que les reliefs boisés et dômes environnants participent à éviter des ruptures d'échelle, de sorte qu'il n'en résulterait pas d'effet d'écrasement. Or le juge de cassation considère qu’eu égard à l'implantation des éoliennes projetées et à la dégradation de la qualité du paysage remarquable du site en résultant en dépit des éléments mis en avant pour justifier l'atténuation de leur impact visuel, la cour ne pouvait, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui étaient soumises, estimer que la décision du préfet de la Loire était exempte d'erreur manifeste d'appréciation.

D’autre part, la cour ne pouvait pas davantage, sans dénaturer les pièces du dossier, au regard de ce qui vient d’être dit, écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. L. 122-9 du code de l'urbanisme par les arrêtés attaqués alors que ce dernier dispose que : « Les documents et décisions relatifs à l'occupation des sols comportent les dispositions propres à préserver les espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine naturel et culturel montagnard ».

(24 mai 2023, Association Vent du Haut-Forez, communes de Chalmazel-Jeansagnière, de la Chamba, de La Côte-en-Couzan et de Saint-Didier-sur-Rochefort, n° 455072)

 

57 - Arrêté relatif à l’emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles destinés à servir d'appelants - Arrêté relatif à l’emploi de pantes pour la capture de l'alouette des champs - Arrêté relatif à l’emploi de la tenderie aux vanneaux et de la tenderie aux grives - Arrêté relatif à l’emploi de matelotes pour la capture de l'alouette des champs - Non-lieu ou annulation selon les cas.

Les requérantes demandaient l’annulation du refus du premier ministre d’abroger les arrêtés du 17 août 1989 qui autorisent divers modes de capture d’oiseaux estimés contraires au droit de l’Union.

Sont tout d’abord déclarés sans objet les recours dirigés contre ces arrêtés en tant qu’ils sont relatifs à la capture de l'alouette des champs respectivement au moyen de pantes et de matoles puisqu’ils ont été abrogés par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de l'alouette des champs à l'aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et par l'art. 9 de l'arrêté du 4 octobre 2022 relatif à la capture de cet oiseau à l'aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne. En effet, si ces arrêtés ont le même objet que les arrêtés querellés du 17 août 1989 qu'ils abrogent, ils procèdent à des modifications substantielles des conditions dans lesquelles les procédés de chasse traditionnelle sur lesquels ils portent sont autorisés. Par suite, sont devenus sans objet en tant que dirigés contre le refus d’abroger les arrêtés de 1989, les recours n° 459403, n° 460530 et n° 460152. 

Ensuite, s’agissant des autres recours, concernant la tenderie aux vanneaux et la tenderie aux grives, les refus d’abroger les arrêtés de 1989 sont annulés pour contrariété aux dispositions de l’art. 9 de la directive du 30 novembre 2009 tel qu’interprété par la CJUE (17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux, aff. C-900/19).

Les chasseurs dépités se consoleront en visionnant à nouveau, désopilant, « Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques ».

(24 mai 2023, Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459400 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459403 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459405 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 459409 ; Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 460452 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 460530)

 

58 - Ours brun dans les Pyrénées - Régime d’effarouchement - Condition d’urgence non satisfaite - Rejet.

Était demandée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 mai 2023 des ministres de l'agriculture et de la transition écologique relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux, à l'exception de son article 7 abrogeant l'arrêté du 20 juin 2022.

La requête est rejetée pour défaut de satisfaction de la condition d’urgence car le juge estime que l'arrêté litigieux, qui fixe les conditions d'octroi des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns et les modalités de leur mise en œuvre, n'a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d'autoriser les mesures d'effarouchement des ours, une telle autorisation ne pouvant résulter que de la décision prise par le préfet en application des dispositions de l'art. R. 411-6 du code de l'environnement. 

(30 mai 2023, Association One Voice, n° 474050)

 

État-civil et nationalité

 

59 - Retrait d’un décret de naturalisation - Motifs - Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre retire le décret de naturalisation d’un ressortissant camerounais pour avoir menti au cours de la procédure sur le nombre de ses enfants, en déclarant quatre alors qu’il était le père de trois autres.

(11 mai 2023, M. E., n° 464406)

(60) V. aussi, admettant la légalité du retrait du décret de naturalisation d’une ressortissante ivoirienne pour dissimulation de sa situation maritale dès lors qu’elle n’a pas déclaré, au cours de la procédure de naturalisation, son mariage avec un ressortissant ivoirien demeurant à l’étranger, ne le faisant qu’après intervention du décret de naturalisation : 11 mai 2023, Mme A., n° 467149.

 

61 - Refus d’acquisition de la nationalité française - Infractions diverses - Rejet.

Est légal le refus d’autoriser la naturalisation d’un ressortissant tunisien fondé sur ce que l’intéressé, en 2017, 2018 et 2020, respectivement :

1° a été reconnu coupable, par ordonnance pénale du tribunal de grande instance de Chambéry, de faits de conduite d'un véhicule à moteur sous l'empire d'un état alcoolique et de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, faits pour lesquels, il a été condamné à 300 euros d'amende, à la suspension de son permis de conduire pendant trois mois et à la confiscation d'armes ;

2° a dû s'acquitter d'une amende de 450 euros sur composition pénale pour des faits de conduite d'un véhicule malgré la suspension administrative de son permis de conduire ;

3°enfin, a été reconnu coupable par le tribunal correctionnel de Chambéry de récidive de port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, ainsi que de violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité et de transport sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D, entraînant sa condamnation à un an d'emprisonnement avec sursis, à une interdiction de détenir une arme soumise à autorisation pendant cinq ans et à la confiscation des biens ou instruments ayant servi à commettre l'infraction.

Eu égard à la gravité des faits ainsi qu'à leur caractère répété et récent, et alors même que l'intéressé aurait eu un comportement ultérieur satisfaisant, le premier ministre, par son décret du 18 mars 2022 portant refus d’acquisition de la nationalité française, n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil en estimant que ces faits rendaient l’intéressé indigne d'acquérir la nationalité française :

(11 mai 2023, M. B., n° 465165).

 

Étrangers

 

62 - Obligation de quitter le territoire français, fixation du pays de destination et interdiction temporaire de retour en France - Absence d’attaches sérieuses en France - Maintien de liens avec le pays d’origine - Rejet.

Le représentant de l’État dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, par un arrêté du 17 mars 2023, a obligé le requérant à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. Le requérant demande, par voie de référé liberté, outre la suspension de l’exécution de ces décisions, qu’injonction soit faite à leur auteur de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de l'ordonnance à intervenir, en troisième lieu, d'ordonner la restitution de son passeport et, en dernier lieu, d'enjoindre au représentant de l’État, en cas d'éloignement effectif, de mettre en œuvre son retour à Saint-Martin.

Le requérant interjette appel de l’ordonnance qui a rejeté l’ensemble de ses demandes.

Le juge des référés du Conseil d’État rejette l’appel.

Si M. B. soutient vivre depuis 2013 en concubinage avec Mme C., ressortissante française née en 1949, qui est handicapée et requiert sa présence au quotidien, ces affirmations ne sont pas corroborées par les pièces du dossier : hébergé de façon épisodique chez cette personne, il n’établit pas l’état concubinaire et l’existence d’une relation de couple si ce n’est pas des témoignages de complaisance de son entourage ; de plus, il a déclaré être célibataire, lors de son audition par les services de la police aux frontières le 25 juillet 2016 et aux termes de la fiche de renseignements qu'il a remplie le 8 novembre 2019 à l'occasion de sa demande de titre de séjour. Enfin, M. B., âgé de 54 ans, a vécu l'essentiel de sa vie dans son pays d'origine et ne prouve pas y être dépourvu d'attache, alors qu'il résulte de l'instruction qu'il a effectué à destination de celui-ci, pendant plusieurs années et encore en 2019, plusieurs virements au bénéfice de son frère. Dans ces conditions, l'arrêté litigieux  - contrairement à ce qui est soutenu - ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale.

(ord. réf. 08 mai 2023, M. B., n° 473705)

 

63 - Obligation de quitter le territoire français et interdiction temporaire de retour - Personne pouvant recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays - Conjointe y résidant - Absence d’atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale - Rejet.

Confirmant l’arrêt frappé de cassation, le Conseil d’État rejette le recours formé par un ressortissant bangladais, signalé au fichier Système d’information Schengen (SIS), contre deux arrêtés du préfet de police de Paris lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai avec interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

Tout d’abord, il est établi que le requérant pourrait recevoir des soins médicaux appropriés dans son pays d’origine. Ensuite, quand bien même il prétend avoir tissé des liens en France du fait de son insertion professionnelle, il reste que son épouse vit au Bangladesh.

Ni son état de santé ni le respect de sa vie privée et familiale ne peuvent donc être invoqués à l’encontre des arrêtés préfectoraux qu’il attaque.

(25 mai 2023, M. B., n° 461647)

 

64 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Effet dès la lecture de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Prétendue méconnaissance des droits de la défense et du principe du contradictoire - QPC - Rejet de la demande de transmission.

La requérante soutient que les dispositions de l’art. L. 542-1 du CESEDA portent atteinte à des droits ou libertés reconnus par la Constitution en ce qu'elles prévoient que le droit du demandeur d'asile de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de lecture en audience publique de la décision de la CNDA statuant sur le recours formé contre une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, méconnaissant ainsi les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789, la convention EDH, le 2 de l'art. 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les principes généraux du droit communautaire. 

La demande de transmission est rejetée pour deux motifs.

En premier lieu, l’OQTF est une mesure de police non une sanction à caractère punitif, par suite est inopérant le moyen tiré de ce que les dispositions querellées méconnaîtraient les droits de la défense et le principe du contradictoire garantis par la Constitution, en ce qu'elles privent l'étranger dont la demande d'asile a été rejetée de la possibilité de présenter des observations et de faire valoir des éléments nouveaux avant l'adoption d'une telle mesure.

En second lieu, ne sauraient être invoquées les dispositions la convention EDH, la charte des droits fondamentaux de l'Union et les principes généraux du droit communautaire car ces engagements internationaux et ces principes « ne sont pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution » et ne peuvent donc pas être invoqués au soutien d’une QPC. Cette seconde partie de la décision est discutable dans tous les cas où les droits et principes qui y sont visés constituent en même temps des droits et principes figurant dans la Constitution ou déduits de celle-ci par la jurisprudence interne.

Elle entre d’ailleurs sur ce point directement en contradiction avec le principe d’équivalence des protections et/ou des garanties issu notamment de la décision d’Assemblée Société Arcelor Atlantique et Lorraine et autres (8 février 2007, n° 287110).

(25 mai 2023, Mme A., n° 471735)

 

65 - Avis de droit - Étranger - Demande de titre de séjour - Notion d’avis « émis à l’issue d’une délibération » - Délibération du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) - Procédure applicable - Réponse en ce sens.

Interrogé par deux tribunaux administratifs sur des questions voisines relatives au mode de statuer du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et au statut des décisions en résultant, le Conseil d’État indique ceci.

La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et ses textes d'application ont prévu une procédure particulière aux termes de laquelle le préfet statue sur la demande de titre de séjour présentée par l'étranger malade.

Selon cette procédure, en premier lieu, un médecin de l’OFII autre que ceux composant le collège de trois médecins devant rendre leur avis au préfet, établit un rapport médical relatif à l'état de santé du demandeur, après avoir, le cas échéant, convoqué l’intéressé pour examen et fait procéder aux examens estimés nécessaires.

En deuxième lieu, au vu de ce rapport, est rendu un avis par trois médecins du service médical de l'Office, qui se prononcent en répondant par l'affirmative ou par la négative aux questions figurant à l'article 6 précité de l'arrêté du 27 décembre 2016, notamment sur les points de savoir si l'état de santé du demandeur nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, enfin la durée prévisible du traitement. 

En troisième lieu, compte tenu de ce qui précède cet avis commun constitue une garantie pour l’étranger malade.

Enfin, les médecins signataires de l'avis ne sont pas tenus, pour répondre aux questions posées, de procéder à des échanges entre eux en dépit de l’emploi par les textes de l’expression « avis émis à l’issue d’une délibération » car l'avis résulte de la réponse apportée par chacun à des questions auxquelles la réponse ne peut être qu'affirmative ou négative. Il suit de là que la circonstance que, dans certains cas, ces réponses n'aient pas fait l'objet de tels échanges, oraux ou écrits, est sans incidence sur la légalité de la décision prise par le préfet au vu de cet avis.

(25 mai 2023, M. C., n° 471239 ; M. B., n° 471465)

 

66 - Visa d’entrée sur le territoire français - Recours en injonction de délivrance pour une enfant mineure - Incompétence du Conseil d’État en première instance - Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d’État n’est manifestement pas compétent pour connaître directement d’un référé tendant à ce qu’il enjoigne à l'administration compétente de délivrer un visa d'entrée sur le territoire de la république française à la fille mineure du requérant afin qu'elle vienne du Cameroun en France pour vivre avec lui.

Il résulte en effet des dispositions de l’art. R. 312-18 du CJA que : « Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises en matière d'autorisations de voyage et de visas d'entrée sur le territoire de la république française relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence du tribunal administratif de Nantes. (...) ».

(ord. réf. 23 mai 2023, M. A., n° 473659)

 

67 - Médecin algérienne - Accueil en France en qualité de stagiaire par un centre hospitalier - Demande de titre de séjour en préfecture - Nécessité d’un visa de travail temporaire - Délivrance par les autorités consulaires françaises en Algérie - Confirmation de l’ordonnance de rejet.

La requérante, médecin de nationalité algérienne souhaitant exercer en France, a conclu une convention en vue de son accueil en qualité de stagiaire associé pour une durée de six mois renouvelable à compter du 1er novembre 2022. Cette convention a fait l'objet d'un avis favorable du ministère de l'intérieur. Elle est arrivée en France, accompagnée de ses trois enfants, à l'été 2022, sous couvert d'un visa de court séjour dit « visa touristique de type C » et elle a, le 25 novembre 2022, sollicité par courriel un rendez-vous en sous-préfecture en vue de l'obtention d'un titre de séjour.

Informée par cette dernière de la nécessité, avant de pouvoir commencer son stage, d’obtenir un visa de travail temporaire auprès d'une autorité consulaire française en Algérie, l’intéressée a saisi le tribunal administratif d’un référé aux fins d’injonction au préfet de lui délivrer un formulaire de demande de titre de séjour et un récépissé du dépôt de cette demande une fois celle-ci effectuée.

Elle relève appel de l'ordonnance par laquelle ce juge a rejeté sa demande. L’appel est rejeté.

Comme jugé en première instance, il résulte des dispositions de l’art. L. 312-2 du CESEDA que le visa de long séjour à des fins de travail temporaire que doit détenir la requérante pour effectuer régulièrement son stage auprès d’un centre hospitalier ne peut pas être délivré par les services préfectoraux et doit faire l'objet d'une demande auprès d'autorités consulaires françaises en Algérie, ainsi d’ailleurs que les services de la sous-préfecture l’ont indiqué à l’intéressée trois jours après avoir été saisis et qu’ils l'ont expliqué aux services administratifs du centre hospitalier.

C’est à bon droit que, jugeant qu’il n’était pas porté en l’espèce une atteinte grave à une liberté fondamentale, le juge des référés, a rejeté la demande dont il était saisi.

(ord. réf. 25 mai 2023, Mme A., n° 474333)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

68 - Fonction publique territoriale - Sanction disciplinaire - Possibilité de retenir des faits antérieurs à la nomination de l’agent - Conditions - Motivation insuffisante - Annulation.

Réitérant un certain courant jurisprudentiel ancien (Section, 5 décembre 1930, Sarrail, n° 3130, D. 1931.3.58, concl. Rivet) mais pas isolé (6 juillet 2016, Mme Maurice et autres, n° 392728), le juge administratif pose en principe : « Lorsque l'administration estime que des faits, antérieurs à la nomination d'un fonctionnaire mais portés ultérieurement à sa connaissance, révèlent, par leur nature et en dépit de leur ancienneté, une incompatibilité avec le maintien de l'intéressé dans la fonction publique, il lui revient, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, d'en tirer les conséquences en engageant une procédure disciplinaire en vue de procéder, à raison de cette incompatibilité, à la révocation de ce fonctionnaire. »

Toutefois, cette possibilité n’est pas sans garde-fou et, en l’espèce, est annulé un arrêt de cour d’appel infirmant le jugement ayant annulé la révocation d’un fonctionnaire pour des faits antérieurs à sa nomination dans la fonction publique et assorti cette annulation d’une injonction de réintégration.

Le juge a estimé en premier lieu que ne pouvait être retenue contre l’intéressé la consultation du dossier d'un bénéficiaire par fraude d'une allocation versée par le département et à l’égard duquel aucune charge n'a été retenue à l'issue de l'enquête judiciaire qui avait été diligentée après la découverte de fraudes aux prestations sociales versées par le département.

Il a considéré en second lieu, que ne pouvaient pas davantage fonder légalement la décision de révocation  les faits que cet agent, né en 1989 : 1°/ a été condamné en 2008, par un tribunal correctionnel à raison d'un vol avec violence n'ayant pas entraîné d'incapacité de travail, commis au préjudice d'un magasin pour un montant de 485 euros, à une peine de deux ans de prison dont un an avec sursis, puis 2°/ a été condamné par un autre tribunal correctionnel, en 2012, pour avoir tenté de pénétrer sans autorisation dans un établissement pénitentiaire en s'y présentant avec une pièce d'identité qui n'était pas la sienne, à une peine de trente jours-amende.

Le juge considère, avec mansuétude, que ces condamnations - dont l'administration a pris connaissance en 2014, qui ont donné lieu, pour la seconde, à une dispense d'inscription au bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé et, pour la première, à un effacement de ces mentions par jugement du 15 mai 2012 -, eu égard à l'ancienneté des faits ayant justifié la première condamnation et à leur nature, ayant d'ailleurs conduit l'autorité judiciaire à retenir en 2012 que leur gravité ne justifiait pas ou plus de mention des condamnations correspondantes au bulletin n° 2 du casier judiciaire, n'affectaient pas à elles seules le bon fonctionnement ou la réputation du service dans des conditions justifiant la révocation de l'intéressé par l'arrêté attaqué du 26 avril 2017. 

(03 mai 2023, M. A., n° 438248)

 

69 - Corps des inspecteurs d’académie-inspecteurs pédagogiques régionaux - Création d’un échelon spécial au sein de la hors classe de ce corps - Rétroactivité illégale - Demande irrecevable.

L’intéressé, inspecteur hors classe de l'éducation nationale, a fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er octobre 2015. Un arrêté du 19 février 2016 a inscrit 54 agents au tableau d'avancement à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe au titre de l'année 2015.

Constatant ne pas figurer dans cette liste, il a contesté en vain la légalité de cette omission et se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de ce rejet.

Pour dire ce recours irrecevable, le Conseil d’État relève que le décret du 30 décembre 2015 a créé, au sein de la hors classe du corps des inspecteurs de l'éducation nationale, un échelon supplémentaire dit « échelon spécial », l’art. 7 de ce décret dispose que « des tableaux d'avancement à l'échelon spécial sont établis, l'un au titre de l'année 2015, l'autre au titre de l'année 2016, à compter de la date d'entrée en vigueur des dispositions de l'article 16 du décret du 18 juillet 1990 dans leur rédaction issue du présent décret ». Or aucune disposition de nature législative n’a donné à ce décret un effet rétroactif : le tableau d’avancement de l’année 2015 pour la promotion à l'échelon spécial du grade d'inspecteur de l'éducation nationale hors classe était donc illégal et le demandeur ne pouvait pas s’en prévaloir, d’autant qu’il a été admis à la retraite au cours de cette même année et qu’ainsi le tableau d’avancement attaqué ne lui cause aucun préjudice de carrière. Son recours est rejeté pour irrecevabilité.

(03 mai 2023, M. B., n° 451350)

 

70 - Conseil de discipline - Avis sur un licenciement - Partage des voix - Sens de l’avis - Rejet de la proposition de licenciement - Annulation.

L’administration ayant envisagé le licenciement d’un agent pour insuffisance professionnelle, a saisi le conseil de discipline. Quatre de ses membres ont voté en faveur du licenciement et quatre autres se sont abstenus.

L’intéressé a obtenu la suspension en référé de la mesure de licenciement et le ministre de la justice se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

C’est l’occasion pour le juge de cassation de rappeler, à titre préliminaire, que, d’une part, si en matière disciplinaire il existe une échelle de sanctions entre lesquelles l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire peut choisir, en revanche, en cas d'insuffisance professionnelle, la seule mesure qui peut intervenir est l'éviction de l'intéressé, d’autre part, dans la circonstance qu’un conseil de discipline ne se prononce pas en faveur du licenciement, l’autorité administrative peut néanmoins y procéder.

En l’espèce, en l’état du partage des voix, le conseil de discipline doit être regardé comme ayant été consulté et comme ne s'étant pas prononcé en faveur de la proposition de licenciement qui lui était soumise. Il n’y a là nulle ambiguïté sur le sens de son avis contrairement à ce qu’a jugé la juridiction des référés pour ordonner la suspension.

Par ailleurs, n’est pas retenue l’existence d’un doute sérieux qui serait tiré d’une irrégularité de la procédure suivie devant le conseil de discipline.

(03 mai 2023, garde des sceaux, n° 466103)

 

71 - Agent public territorial - Enseignant au conservatoire de musique - Révocation - Comportement inapproprié avec ses élèves - Annulation et rejet.

Une collectivité publique se pourvoit en cassation d’une ordonnance de référé suspendant l’exécution de l’arrêté portant évocation d’un enseignant d’un conservatoire de musique pris par le président de cette collectivité.

Le juge de cassation annule l’ordonnance de suspension et rejette, au fond, la demande qu’avait présentée en première instance l’intéressé.

Il est d’abord reproché au premier juge d’avoir - au prix d’une erreur de droit - estimé remplie la condition d’urgence en se fondant seulement sur ce que l'arrêté litigieux privait l’enseignant de l'emploi d'assistant spécialisé d'enseignement artistique titulaire qu'il exerce au conservatoire de Pau depuis 27 ans et de près de 30 % de ses ressources financières et qu'il a des dépenses incompressibles mensuelles, alors qu’il lui incombait de rechercher si, compte tenu de l'argumentation présentée en défense par la communauté d'agglomération Pau Béarn Pyrénées, relative aux troubles que la réintégration de l'intéressé occasionnerait, la suspension demandée était susceptible de porter à des intérêts publics une atteinte de nature à faire regarder la condition d'urgence comme n'étant pas remplie.

Par ailleurs sont rejetés, comme non établis, les griefs tirés, l’un, de ce que le président de la communauté d’agglomération se serait cru en situation de compétence liée envers l’avis du conseil de discipline, l’autre de ce que la décision de révocation était insuffisamment motivée. En effet, celle-ci mentionne bien qu'il est reproché à cet enseignant un comportement inapproprié à l'égard de plusieurs de ses élèves se caractérisant notamment par des gestes déplacés et des contacts physiques répétés sans lien avec l'enseignement du piano.

Sur ces deux points, l’ordonnance de référé est jugée entachée de dénaturation des faits de l’espèce.

(05 mai 2023, Communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées, n° 462141)

(72) V. aussi, et à l’inverse, annulant une ordonnance de référé rejetant le recours d’un technicien de laboratoire tendant à la suspension de sa révocation de la fonction publique. Cette annulation procède du double motif, d’une part, qu’existe une urgence en l’espèce du fait que la décision de révocation prive l’agent, demandeur d’emploi non indemnisé depuis janvier 2023, et de son emploi d'agent titulaire de la fonction publique et de son traitement, portant ainsi à sa situation une atteinte grave et immédiate, alors que son employeur ne soutient pas que sa réintégration porterait atteinte au bon fonctionnement du service et, d’autre part, qu’existe un doute sérieux sur la légalité de cette décision en ce qu’elle est fondée sur une faute unique - les violences commises par le requérant le 16 décembre 2021 à l'encontre d'un collègue, qui ont entrainé pour celui-ci cinq jours d'arrêt de travail -, alors que durant cette altercation les violences ont été réciproques, et que les états de service du requérant sont bons depuis près de douze ans, la sanction paraissant, en l’état du dossier, disproportionnée : 04 mai 2023, M. B. c/ groupe  hospitalo-universitaire Hôpitaux universitaires Henri Mondor, n° 470035.

 

73 - Fonctionnaire - Accident de trajet - Appréciation du taux d’incapacité permanente partielle (IPP) - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Est jugé entaché de dénaturation des pièces du dossier le jugement qui, pour rejeter un recours contre un refus d’indemnisation d’un accident de trajet relève « qu’il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis de la commission de réforme du 19 novembre 2019, que le taux d'incapacité permanente partielle (IPP) lié aux séquelles de la fracture malléole interne qui a affecté la cheville droite de M. A. doit être évalué à 10 % dont 5 % imputables à un état antérieur » alors que cette commission, dans ses avis du 19 novembre 2019 et du 30 juin 2020, a constaté la consolidation au 19 juin 2019 de l'état du requérant résultant de son accident du 26 avril 2017 avec taux d'incapacité permanente partielle évalué à 10%, relevé l'existence d'un état antérieur prédominant évalué à 5% non imputable, qu'elle a distingué du taux de 10 % imputable à l'accident de service, et conclu à l'éligibilité du requérant à l'allocation temporaire d'invalidité.

(12 mai 2023, M. A., n° 463753)

 

74 - Relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique - Principe général du droit à un salaire minimum - Augmentation de traitement pour avancement d’échelon - Rejet.

Rappel de ce qu’en vertu d’un principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, les agents publics ont droit à un minimum de rémunération qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.

Il suit de là que, contrairement à ce que soutient le requérant, ne comportant aucune disposition de caractère statutaire, le décret attaqué, qui porte relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique, n’avait pas à être soumis à la consultation préalable du Conseil commun de la fonction publique et qu’il ne méconnaît pas davantage, par lui-même, la règle instituée par le dernier alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement. 

(12 mai 2023, Syndicat CGT Finances publiques, n° 465173)

 

75 - Agent public cessant ses fonctions pour une activité privée lucrative - Directeur général des services d’une commune - Appréciation de la compatibilité - Avis négatif de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Rejet.

Le demandeur, directeur général des services d’une commune chef-lieu de département après avoir été celui d’une commune voisine, a souhaité opérer une reconversion professionnelle pour devenir directeur de la société Pierre et Finance. La HATVP a émis un avis négatif sur cette demande du fait du risque pénal en résultant au regard des art. 432-12 et 432-13 du code pénal.

La Haute autorité a notamment fondé son avis sur ce que M. D. avait visé le projet de délibération soumis à l'approbation du conseil municipal d'Ensisheim au cours de sa séance du 14 janvier 2021, autorisant le maire de cette commune à céder à la société MDB plusieurs parcelles appartenant à la commune en vue d'y construire un pôle santé et sur ce que cette société était détenue par un unique actionnaire qui possédait également, par l'intermédiaire d'une société holding, la société Pierre et Finance que M. D... entendait rejoindre.

Le requérant demande l’annulation de cet avis ; sa requête est rejetée.

D’abord, c’est par une exacte application de l’art. L. 124-12 du code général de la fonction publique que la Haute autorité a estimé que l'interposition d'une société holding entre l'actionnaire détenant la société Pierre et Finance et la société MDB ne faisait pas obstacle à l'application des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.

Ensuite, la circonstance, invoquée par le requérant, qu'il n'aurait rendu qu'un avis de nature technique sur le projet de création d'une maison médicale, et que la décision de céder des parcelles de la commune à la société MDB, prise sur le fondement, notamment, de considérations d'opportunité, relevait de la seule compétence du conseil municipal, n’empêche pas que la Haute Autorité a fait une inexacte application de l'art. L. 124-12 du code général de la fonction publique en estimant qu'un tel avis était de nature à entrer dans le champ des dispositions de l'art. 432-13 du code pénal.

Enfin, c’est sans inexactitude dans sa qualification des faits que la Haute autorité a estimé qu’existait un risque pénal du fait que l’intéressé a rendu un avis en tant que directeur général des services, sur le projet de délibération autorisant le maire d'Ensisheim à conclure un contrat avec la société MDB alors même que le demandeur fait valoir que la création d'une maison médicale a été envisagée avant sa prise de fonction et que l'opération a été instruite par le service des domaines et sous la responsabilité d'une personne chargée de l'urbanisme au sein de la commune. 

(12 mai 2023, M. D., n° 468470)

 

76 - Enseignant-formateur d’un centre de formation d’apprentis - Agent chargé de fonctions représentatives - Licenciement pour claque sur le thorax d’un élève récalcitrant - Faits qualifiés exactement - Confirmation de l’annulation du licenciement - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêt confirmant le jugement d’un tribunal administratif annulant le licenciement d’un enseignant dans un centre d’apprentissage pour avoir giflé le thorax d’un élève âgé de près de dix-huit ans. Le pourvoi est rejeté car le juge de cassation estime que la cour administrative d’appel n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que les faits incriminés n’avaient pas une gravité suffisante pour justifier son licenciement. En effet, l’enseignant avait, lors d'un cours dispensé à une classe de terminale dans un centre de formation d’apprentis, donné une claque sur le thorax d'un élève-apprenti qui avait fait usage à plusieurs reprises de son téléphone portable pendant le cours et avait persisté dans ce comportement en dépit du rappel à l'ordre qu'il lui avait adressé, en accompagnant ce geste de l'avertissement qu'il allait le « dépouiller ». La cour en a déduit que le caractère fautif du manquement de l’enseignant à ses obligations professionnelles étant établi, cette faute n'était pas d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de l'intéressé dès lors, notamment, que ces faits avaient été commis en réaction à l'attitude provocatrice et insolente de l'élève-apprenti et s'inscrivaient dans un contexte de tensions constaté au sein de l'établissement entre les formateurs et les élèves-apprentis, que la demande formulée lors de deux entretiens d'évaluation en 2014 et 2016 par l’enseignant de suivre une formation à la gestion des rapports conflictuels était demeurée sans réponse de la part de son employeur à la date à laquelle les faits litigieux étaient survenus, que l’enseignant n'avait fait l'objet d'aucune sanction durant les vingt-cinq ans passés au sein du Centre de formation pour adultes (CFA) et qu'il ne s'était jusqu'alors jamais vu reprocher, dans l'exercice de ses fonctions, des faits de même nature que ceux en litige.

(16 mai 2023, Association PROMETA, n° 460677)

 

77 - Nomination directe dans la magistrature - Condition de diplôme - Absence - Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que pour refuser à la requérante l’accès direct à la magistrature, la commission d’avancement a retenu qu’en dépit du fait qu’en sa qualité d’adjointe administrative de 2ème classe ayant exercé successivement, entre 2009 et 2016, au conseil général du Val de Marne, à la cour administrative d'appel de Paris et à la Cour des comptes, celle-ci ne pouvait faire valoir qu’un succès en première année de droit et un DUT en « techniques de commercialisation » au lieu de l'accomplissement d'une formation d'une durée au moins égale à quatre années d'études après le baccalauréat dans un domaine juridique.

En outre, l’intéressée ne satisfaisait plus, au moment de sa demande, à la condition d’âge.

(24 mai 2023, Mme A., n° 461066)

(78) V. aussi, jugeant que c’est sans erreur manifeste d’appréciation - compte tenu de l'avis défavorable rendu par les chefs de la cour d'appel d'Aix-en-Provence - que le Conseil supérieur de la magistrature - qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation - a rendu un avis non conforme sur la candidature de la requérante présentée par le garde des sceaux en vue de sa nomination à titre temporaire au tribunal judiciaire de Nice alors même qu’elle est titulaire d'une maîtrise de droit, d'un DEA de droit privé et du doctorat en droit de l'université de Nice, qu’elle fait valoir qu'elle a enseigné entre 1995 et 1999 et qu'elle a exercé comme avocate pendant neuf ans, puis comme juriste-consultant au sein du même cabinet pendant quatre ans, de sorte que ses compétences juridiques seraient établies et qu’elle produit aussi des témoignages attestant de ses qualités dans l’exercice de ses fonctions : 24 mai 2023, Mme A., n° 462246.

On a vu des décisions rendues au terme d’un raisonnement plus convaincant étant donnés les faits ici rapportés.

 

79 - Fonction publique hospitalière - Fixation du temps de travail et organisation du temps de travail - Absence d’atteinte au droit au repos et à la protection de la santé, au respect de la vie privée et familiale - Rejet.

Contrairement à ce qui est soutenu par la requérante  les articles 1er à 3 du décret du 30 novembre 2021 relatif au temps de travail et à l'organisation du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, ne portent pas atteinte au droit au repos et à la protection de la santé ainsi qu’au droit au respect de la vie privée et familiale aussi bien car, d’une part, ils ne conduisent pas, par eux-mêmes, à généraliser le recours à une amplitude maximale de journée de travail de 12 heures autorisé à titre dérogatoire, lorsque les contraintes de continuité du service public l'exigent en permanence et, d’autre part, l’annualisation du temps de travail, qui a pour objet d’assurer la continuité du fonctionnement du service public de santé, ne déroge ni aux dispositions relatives aux temps de repos quotidien et hebdomadaire, ni à la durée maximale hebdomadaire de travail, fixées par les art. 6 et 9 du décret du 4 janvier 2002.

Par ailleurs ne peut être retenu le moyen selon lequel les art. 1er et 2 de ce décret du 30 novembre 2021 ne respecteraient pas les dispositions de l'art. 36 du décret du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public dès lors que ces dernières ont été édictées postérieurement au décret attaqué.

(25 mai 2023, Fédération SUD Santé Sociaux, n° 460965)

 

80 - Avis de droit - Décision à objet pécuniaire - Retenue sur traitement d’un agent public - Nature du contentieux né de cette décision - Office du juge - Caractère d’ordre public - Réponse en ce sens.

(25 mai 2023, Mme H., n° 471035)

V. n° 32

 

81 - Enseignement supérieur - Professeur des universités - Faits de harcèlement - Suspensions temporaires des fonctions - Illégalité de la première, légalité de la seconde - Annulation et rejet partiels.

Le requérant, professeur des universités, dirige l'unité de formation et de recherche en sciences et techniques des activités physiques et sportives de l'université Caen Normandie. Il a fait l'objet, le 18 novembre 2020, de la part du président de son université, d'une mesure de suspension d'une durée maximale d'une année, avec maintien de son traitement. Puis, à la suite de son placement en congé de maladie ordinaire, pour la période du 5 au 30 juillet 2021, le président de l'université a pris un nouvel arrêté de suspension pour une durée de deux mois, sans privation de traitement, à compter du 23 août 2021.

L’enseignant demande l'annulation de ces deux décisions ainsi que de la décision rejetant le recours gracieux qu'il avait formé contre le premier arrêté.

Le Conseil d’État rappelle qu’eu égard à la nature de l'acte de suspension des fonctions et à la nécessité d'apprécier, à la date à laquelle cet acte a été pris, la condition de légalité tenant au caractère vraisemblable de certains faits, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de statuer au vu des informations dont disposait effectivement l'autorité administrative au jour de sa décision et non pas au jour où statue ce juge.

De là s’ensuit que les éléments nouveaux qui seraient, le cas échéant, portés à la connaissance de l'administration postérieurement à sa décision, ne peuvent, alors même qu'ils seraient relatifs à la situation de fait prévalant à la date de l'acte litigieux, être utilement invoqués au soutien d'un recours en excès de pouvoir contre cet acte. 

Faisant application de cette règle contentieuse à la première des deux décisions attaquées, soit la suspension ordonnée par l’arrêté du 18 novembre 2020, le juge en prononce l’annulation motif pris de ce que, pour la prendre, le président de l’université ne s’est fondé que sur un signalement transmis, le 13 novembre 2020, par une enseignante rapportant les déclarations que lui aurait faites, début octobre 2020, Mme B., selon lesquelles M. Davenne, chargé de superviser ses travaux de thèse, aurait commis à son encontre des agissements susceptibles d'être regardés comme constitutifs d'une situation de harcèlement sexuel et moral à son encontre. En outre, ce seul signalement, d’ailleurs non produit au dossier, relate des propos tenus par Mme B. à raison de faits, dont l'autrice du signalement n'a pas été témoin et qui n'étaient, à la date de l'arrêté litigieux, corroborés par aucun autre élément porté à la connaissance du président de l'université à la date de son arrêté.

En revanche, concernant le second arrêté de suspension, celui du 23 août 2021, le juge constate « que lors de son audition, le 9 mars 2021, en présence de la directrice par intérim des ressources humaines, de la responsable de la direction des affaires juridiques, de la vice-présidente en charge des ressources humaines et du médecin du travail, Mme B. a dénoncé des faits de " harcèlement moral et sexuel " qui auraient été commis à son encontre par M. Davenne. (que) Mme B. a réitéré ses propos dans un témoignage circonstancié qu'elle a rédigé, le 16 mars 2021, faisant état de comportements déplacés et ambigus de M. Davenne à son égard, ayant eu lieu à plusieurs reprises. Par suite, et même si la matérialité de certains des faits est contestée par M. Davenne, le président de l'université de Caen Normandie a pu, en l'état des éléments alors portés à sa connaissance, estimer que les faits imputés à M. Davenne revêtaient un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité. Eu égard à ce caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et compte tenu du retentissement de ces allégations au sein de l'université, il n'a, par suite, pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L.951-4 du code de l'éducation en prenant, le 23 août 2021, la mesure attaquée. »

Ceci montre combien est délicate dans les affaires de cette nature l’appréciation du juge comme au reste la détermination de la conduite à tenir pour l’autorité hiérarchique.

(26 mai 2023, M. Davenne, n° 468850 et n° 468851, jonction)

 

82 - Militaire - Général de division de la gendarmerie nationale - Suspension de ses fonctions - Contestation de la mesure de suspension fondée sur la privation d’une partie de sa rémunération - Absence de situation d’urgence - Rejet.

Un général de division de la gendarmerie nationale, qui a fait l’objet d’une mesure de suspension de ses fonctions pour une durée maximale de quatre mois, a demandé au juge des référés du Conseil d’État que soit ordonnée la suspension de l’exécution de cette mesure au motif qu’elle le prive d’une partie de sa rémunération, soit son indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise. Pour rejeter la demande, le juge relève que le requérant n'apporte aucun élément tenant tant à ses revenus qu'à ses charges personnelles et familiales, non plus qu'à son épargne et sa trésorerie, permettant de considérer qu'il se trouverait, de ce fait, placé dans une situation financière telle qu'en résulterait pour lui une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.

Par suite, la condition relative à l’existence d’un moyen propre à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée n’est donc pas examinée.

(09 mai 2023, M. B., n° 473707)

 

Libertés fondamentales

 

83 - Droit de propriété - Énonciations portées au cadastre - Régime foncier de la Polynésie française - Rejet.

Saisi d’un litige en responsabilité du fait de mentions portées au cadastre de la Polynésie française s’agissant de certaines parcelles, le juge rappelle un principe constant du droit français selon lequel « Les énonciations cadastrales, par elles-mêmes et quelle que soit leur ancienneté, ne constituent pas un titre de propriété. »

Ensuite, dans le cas spécial de la Polynésie française, le juge estime en premier lieu que dans le cadre des opérations de rénovation du cadastre, les énonciations cadastrales peuvent être rectifiées à la diligence de l'administration lorsqu'elles sont entachées d'inexactitude, sans que soit ainsi tranchée une question relative au droit de propriété. Lorsqu'une contestation sérieuse portant sur la propriété d'une parcelle est portée à la connaissance de l'administration dans le cadre de telles opérations, cette dernière peut légalement se borner à faire état du litige et à mentionner les personnes concernées par ce dernier et susceptibles de se voir reconnaître la qualité de propriétaire.

Il considère, en second lieu, que dans l’hypothèse où l'administration est saisie, postérieurement à l'achèvement des opérations de rénovation du cadastre, d'une demande tendant à la rectification des énonciations portées sur les documents cadastraux relatives à la situation juridique d'une parcelle et qu'un litige s'élève sur le droit de propriété de cette parcelle, elle est tenue de se conformer à la situation de propriété telle qu'elle a été constatée pour l'élaboration des documents cadastraux et ne peut que refuser la rectification demandée tant qu'une décision judiciaire ou un accord entre les intéressés n'est pas intervenu.

(04 mai 2023, SCI Pora-Pora et Mme A., n° 462404)

 

84 - Droit d’asile - Ressortissante ivoirienne invoquant des mutilations sexuelles - Certificats médicaux contradictoires - Octroi de l’asile - Pouvoir souverain d’appréciation de la Cour nationale du droit d’asile exempt d’erreurs - Rejet.

Une ressortissante ivoirienne, représentée par sa mère, s’est vu reconnaître la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) du fait de son exposition à la pratique de l'excision en cas de retour en Côte d'Ivoire. L’OFPRA demande l’annulation de l’arrêt de la Cour pour dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit concernant la charge de la preuve, méconnaissance des règles gouvernant l’office de la CNDA. 

Le pourvoi est rejeté dans un contexte très particulier.

Un certificat médical, produit par l’intéressée, établi le 15 octobre 2020 par deux médecins du Centre Hospitalier Sud Francilien, a constaté que l'intéressée présentait des stigmates de mutilation sexuelle. Puis, le certificat médical établi le 22 avril 2021, par un médecin légiste de l'Hôtel Dieu à Paris, a conclu à l'absence de mutilation sexuelle.

La Cour a estimé que ce second certificat contredisait les conclusions du précédent certificat et ne permettaient pas d'exclure la possibilité d'une erreur lors de l'élaboration de ce dernier, elle a considéré que l'absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être tenue pour établie, et que ses craintes d'être exposée à une excision tenues pour fondées compte tenu de son environnement familial et du contexte qui prévaut en Côte d'Ivoire.

Approuvant la solution retenue par la Cour, le Conseil d’Tat juge que si le certificat médical du 22 avril 2021  concluant à l’absence de mutilation sexuelle de l'intéressée devait être regardé, eu égard aux garanties attachées aux conditions de son élaboration, comme revêtu d'une valeur probante particulière, la Cour s'est bornée, pour faire néanmoins prévaloir les certificats médicaux produits par l'intéressée, à évaluer, au terme d'une appréciation souveraine, la réalité des risques invoqués par la demanderesse en prenant en compte l'ensemble des pièces produites à l'appui de ses prétentions. Ce faisant, et contrairement à ce que soutient l'Office, la Cour, qui n'était pas tenue d'ordonner une mesure supplémentaire d'instruction ou d'expertise, a rendu un arrêt exempt de tout vice tel que rappelé plus haut.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 458952)

 

85 - Octroi de la qualité de réfugiée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Demande de révision par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Annulation.

L’OFPRA a formé devant la CNDA un recours en révision de sa décision annulant le rejet par l’Office de la demande d'asile présentée par Mme B. et reconnaissant à celle-ci la qualité de réfugiée. Ce recours ayant été rejeté, l’Office se pourvoit.

Pour annuler le rejet du recours en révision, le Conseil d’État retient que la Cour a insuffisamment motivé sa décision de rejet. En effet, d’un côté l’OFPRA faisait valoir que compte tenu de l'obligation de se présenter en personne lors d'une demande de visa et du prélèvement nécessaire des empreintes dactyloscopiques, Mme B. n'avait pas pu simultanément se trouver le 6 janvier 2016 à Luanda pour solliciter un visa de la part des autorités consulaires portugaises et être détenue en République démocratique du Congo. De l’autre côté, la Cour avait répondu que les dispositions du règlement (CE) n° 810/2009 n'imposaient pas une prise de rendez-vous « dans tous les cas », et qu'il pouvait « être dérogé à l'exigence de se présenter en personne pour demander un visa », tout en relevant que l'OFPRA n'avait pas produit un relevé des empreintes digitales de l'intéressé contemporain de sa demande de visa. Elle en avait conclu que les faits relevés par sa décision du 27 juin 2018 n'étaient pas « nécessairement incompatibles avec le fait que le père de l'intéressé lui ait obtenu un visa portugais à Luanda alors qu'elle était en détention en République démocratique du Congo ». 

Cependant, à juste raison, le Conseil d’État relève que la Cour ne motive pas suffisamment sa décision dès lors que Mme B. ne contestait pas que ses empreintes figuraient bien dans le système d'information sur les visas, ni n'affirmait que leur recueil avait eu lieu antérieurement au 6 janvier 2016 et que l'Office soutenait pour sa part que l'affirmation selon laquelle le père de l'intéressée avait confié à un tiers le soin de présenter une demande de visa, affirmation peu crédible, n'était pas étayée.

(11 mai 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462259)

 

86 - Bâtiments pénitentiaires - Mesures de sécurité, d’hygiène et de respect de la dignité des personnes dans un centre pénitentiaire - Injonctions diverses.

Les organisations requérantes interjettent appel d’une ordonnance par laquelle le juge du référé liberté, saisi de plusieurs dizaines de demandes d’injonctions envers le ministre de la justice concernant des mesures urgentes à prendre au centre pénitentiaire de Saint-Etienne - La Talaudière, s’il a fait droit à certaines de leurs demandes, ne les a pas toutes admises.

Le juge des référés du Conseil d’État rend une ordonnance d’une exceptionnelle longueur en raison du nombre et de la diversité des demandes dont il était saisi s’agissant :

- des mesures de sécurité (fonctionnement des trappes de désenfumage, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'incendie, mesures provisoires destinées à prévenir les risques d'inondation et d'électrocution, organisation d'une nouvelle visite par la commission de sécurité de l'arrondissement de Saint-Etienne),

- des mesures relatives aux conditions de détention en cellules (équipement des cellules, travaux de réfection des cellules du quartier disciplinaire, travaux de cloisonnement des sanitaires dans les cellules du bâtiment A et dans deux cellules du quartier des femmes, mesures relatives à l'hygiène personnelle, à l'accès aux douches collectives et à leur entretien),

- des mesures relatives à certaines cours de promenade (travaux de nettoyage de ces cours, mesures relatives aux points d'eau, aux urinoirs et à l'installation de divers équipements dans les cours promenades utilisées dans le quartier des hommes, cours promenades du quartier disciplinaire),

- des mesures relatives aux dispositifs téléphoniques, mesures relatives à l’unité sanitaire en milieu pénitentiaire (USMP),

- des conditions de travail des personnes détenues dans la zone des ateliers,

- de la gestion des parloirs « avocat ».

(ord. réf. 15 mai 2023, Section française de l'observatoire international des prisons (OIP-SF) et Association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D), n° 472994)

 

87 - Détenue - Fouille intégrale systématique de sa personne - Conditions de détention - Rejet.

Il est ici interjeté appel de l’ordonnance de référé par laquelle le premier juge a rejeté les prétentions de la demanderesse tendant à voir revues les conditions de fouille intégrale auxquelles elle est soumise ainsi que diverses modalités de sa détention.

L’appel est rejeté d’abord concernant le régime de fouille corporelle en raison de la circonstance que ce régime a été imposé à l’intéressée, qui avait rejoint les rangs de l'Tat islamique en Syrie en 2014 et a été successivement mariée à deux hommes impliqués dans des actes terroristes, n'est rentrée en France que le 20 octobre 2022, où elle a été mise en examen pour participation à une entente ou à un groupement formé en vue de la préparation d'un ou plusieurs attentats terroristes et incarcérée, afin de l'empêcher de se procurer, lors de ses contacts avec des personnes extérieures à l'établissement pénitentiaire, des objets qu'elle pourrait utiliser pour commettre des actes violents à l'encontre du personnel pénitentiaire. L’amélioration apparente de son comportement a conduit à maintenir, pendant une durée limitée, jusqu'à la fin du mois de juin 2023, un régime de fouilles intégrales qui a donné lieu à une dizaine de fouilles depuis le début du mois d'avril, la plupart au retour de parloirs. Ceci n'apparaît pas, compte tenu de son comportement dans un passé encore récent et à condition, comme l'a relevé l'auteur de l'ordonnance attaquée, que le rythme des fouilles de sa cellule demeure mesuré, comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme B. de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants.

L’appel est rejeté ensuite concernant les conditions de détention, d’une part, la détenue en reconnaissant elle-même l’amélioration, d’autre part, elle est, pour l’essentiel, assujettie au même régime de détention que les autres détenus.

(ord. réf. 30 mai 2023, Mme B., n° 474090)

 

88 - Droit d’asile - Régime du traitement des demandes d’asile à Mayotte - Application de l’art. 73 de la Constitution - Rejet.

Rejetant, en ses divers moyens, un recours dirigé contre le décret n° 2022-211 du 18 février 2022 portant adaptation de certaines dispositions relatives aux modalités de traitement des demandes d'asile à Mayotte et rectifiant les dispositions applicables en Guadeloupe, en Guyane et à la Martinique, le Conseil d’État souligne que l'art. 73 de la Constitution permet l’adaptation dans les départements et les régions d'outre-mer, des lois et des règlements du fait des caractéristiques et des contraintes particulières de ces collectivités. 

En raison de la multiplication par neuf, entre 2015 et 2021, du nombre de demandes d'asile à Mayotte motivées par des considérations purement économiques qui ne relèvent donc pas du droit d'asile, il a fallu prévoir une accélération du traitement des demandes d'asile sur ce territoire notamment en réduisant les délais impartis aux demandeurs pour saisir l'OFPRA et lui transmettre les éléments complémentaires nécessaires à l'instruction de leur demande. Ce faisant, le décret attaqué n'est entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation au regard de l'article 73 de la Constitution.

(24 mai 2023, Cimade service œcuménique d'entraide et autre, n° 463397)

 

Police

 

89 - Permis de conduire - Perte de validité - Demande de suspension du retrait du permis - Appréciation de l’urgence à suspendre - Annulation.

Cette décision du juge des référés se signale à l’attention en ce qu’elle annule le rejet d’une demande de suspension du retrait d’un permis de conduire, ce qui est assez inhabituel au Palais-Royal.

Classiquement, un automobiliste s’est vu notifier une décision référencée « 48 SI » par laquelle le ministre de l'intérieur a prononcé l'invalidité d'un permis de conduire et une injonction tendant à ce qu'il soit restitué.

L’intéressé a saisi, en vain, le juge du référé suspension du tribunal administratif, celui-ci estimant non remplie cette demande tant en raison des exigences de la sécurité routière qu’en raison du caractère répété des infractions commises.

Le juge de cassation reproche à cette ordonnance de n’avoir pas recherché si ces infractions présentaient un caractère suffisant de gravité commettant ainsi une erreur de droit.

Dans une formulation assez solennelle sinon de principe, le juge énonce que, dans le cadre d’un référé suspension à fin de restitution du permis, « la condition d'urgence, qui doit s'apprécier objectivement et globalement, tient compte, d'une part, de l'atteinte grave et immédiate portée notamment à l'exercice de la profession du conducteur et, d'autre part, de la gravité et du caractère répété des infractions au code de la route commises par l'intéressé sur une brève période, ainsi que des exigences de protection et de sécurité routière. »

En l’espèce, il est jugé que la décision attaquée porte une atteinte grave et immédiate à la situation professionnelle de l’intéressé, qui exerce la profession de menuisier et gérant unique d'une société à responsabilité limitée et qui utilise quotidiennement, sans alternative, son véhicule professionnel pour se rendre sur les chantiers dans le cadre de son activité.

Dans les circonstances de l'espèce, les infractions d'excès de vitesse inférieurs à 20 km/heure par rapport à la vitesse maximale autorisée reprochées à l'intéressé, constatées pour la plupart au même endroit sur une route en ligne droite dont la vitesse maximale autorisée est ultérieurement passée de 90 km/heure à 80 km/heure, et ayant conduit à chaque fois à des retraits d'un point du capital de points de l'intéressé, si elles étaient répétées, ne présentaient pas, dans les circonstances de l'espèce, un caractère de gravité qui justifierait de ne pas regarder comme remplie la condition d'urgence. 

C’est là un glissement important dans la manière d’apprécier les motifs et les conditions du retrait de permis de conduire pour les juger justifiées dans le cas où le comportement infractif manifesterait une dangerosité du conducteur : l’accumulation d’infractions dont aucune ne revêt un grand caractère de gravité ne fait pas naître, au total, une gravité plus grande.

(04 mai 2023, M. A., n° 461895)

 

90 - Permis de conduire délivré à l’étranger - Demande d’échange avec un permis français - Preuve de sa validité et de son authenticité - Régime applicable - Annulation.

Est annulée l’ordonnance rejetant la demande d’un ressortissant tunisien d’échanger son permis de conduire tunisien contre un permis français au motif qu’elle repose sur une dénaturation des pièces du dossier en ce qu’elle juge que les documents fournis par le requérant « ne présentaient pas par eux-mêmes des garanties suffisantes de validité et d'authenticité du titre ». C’est l’occasion de rappeler « qu'en cas de doute sur la validité et l'authenticité du titre dont l'échange est demandé, le préfet compétent fait procéder à son analyse avec l'aide d'un service spécialisé en fraude documentaire et peut la compléter en consultant par la voie diplomatique l'autorité étrangère qui a délivré le titre. L'intéressé peut, lors de l'instruction de sa demande par l'administration comme à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir contre une décision refusant l'échange, apporter la preuve de la validité et de l'authenticité de son titre par tout moyen présentant des garanties suffisantes. Cette possibilité lui est ouverte, même dans le cas où l'autorité étrangère, consultée par le préfet, n'a pas répondu. »

(25 mai 2023, M. B., n° 462968)

 

91 - Police de la protection des animaux de compagnie - Lutte contre la maltraitance animale - Cas des associations sans refuge - Refus de transmission d’une QPC.

Le décret du 18 juillet 2022, relatif à la protection des animaux de compagnie et des équidés contre la maltraitance animale, pris notamment pour l’application de l’art. L. 214-6-6 du code rural, dans la version que lui a donnée l'art. 10 de la loi du 30 novembre 2021 visant à lutter contre la maltraitance animale et à conforter le lien entre les animaux et les hommes, définit notamment les informations essentielles devant figurer dans le contrat d'accueil de l'animal de compagnie et précise les modalités de délivrance du certificat vétérinaire prévu par ces dispositions.

En particulier, l’art. L. 214-6-6 du code rural, pour les associations avec refuge, ainsi que l’art. L. 214-6-5 du même code pour les associations sans refuge, établissent les obligations leur incombant dans le recours au placement d'animaux de compagnie auprès d’accueillants.

Dans un litige en annulation du décret du 18 juillet 2022 en tant qu'il s'applique aux associations sans refuge mentionnées à l'art. L. 214-6-5 précité, l’association requérante, qui est une association sans refuge, soulève l’inconstitutionnalité de cette dernière disposition en ce qu’elle méconnaîtrait l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé et en ce qu’elle porterait atteinte à la liberté d’entreprendre.

Le Conseil d’État refuse de transmettre la QPC car, d’une part, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions contestées ont entouré la faculté donnée aux associations sans refuge d'avoir recours au placement d'animaux domestiques de garanties de nature à assurer la protection de la santé humaine, dans des conditions qui sont adaptées au fait que ces associations n'ont vocation à accueillir et à prendre en charge de tels animaux qu'en petit nombre et de manière temporaire exclusivement en vue de leur placement, et, d’autre part, car les dispositions qui se bornent à permettre à des associations sans refuge de procéder au placement d'animaux de compagnie et à définir les conditions d'exercice de cette activité ne portent pas atteinte à la liberté d’entreprendre de ces associations.

(05 mai 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 469131)

(92) V. aussi, à propos du refus de restitution à sa propriétaire d’un chien jugé dangereux de 2ème classe et classé comme tel l’arrêté municipal autorisant sa détention ayant été abrogé : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461191.

(93) V. encore et a fortiori s’agissant d’un chien dangereux de 1ère catégorie pour lequel aucune autorisation de détention n’a été accordée : 25 mai 2023, Mme A. c/ commune d’Aulnay-sous-Bois, n° 461196.

 

94 - Police des installations classées pour la protection de l'environnement - Création de compost à partir de boues de stations d’épuration - Mise en demeure de respecter la réglementation - Nuisances olfactives - Suspension de l’activité d’une entreprise de traitement - Absence de disproportion de la mesure - Rejet.

La société requérante, qui exploite une activité d'élaboration de compost à partir de boues de stations d'épuration et qui est, comme telle, soumise à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, a fait l’objet d’une mise en demeure par arrêté préfectoral du 20 août 2015 pour non-respect de certaines dispositions de l'arrêté ministériel du 12 juillet 2011 autorisant son fonctionnement, lui prescrivant de produire une étude de faisabilité technique des travaux à réaliser pour canaliser les odeurs qu'elle émet dans un délai d'un mois et de réaliser ces travaux dans un délai de quatre mois.

Par un second arrêté, du 19 octobre 2015, faute de cette étude et de ces travaux, le préfet a suspendu l'activité de la Socété Lombricorse.

Celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de sa demande d’annulation de ces deux arrêtés.

Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit que, d’une part, la cour a jugé - au regard des dispositions de l’art. L. 171-8 du code de l'environnement - que la mesure de suspension n’était pas disproportionnée en raison du non-respect des mises en garde adressées à la société par les inspecteurs de l'environnement, particulièrement entre 2014 et 2015, puis de celle adressée à l'exploitant par le préfet le 20 août 2015 en vue que soit rétabli le fonctionnement régulier de l'exploitation et que, d’autre part, elle a également jugé, sans erreur de droit, non disproportionnée cette suspension du chef des nuisances olfactives significatives pour le voisinage portant atteinte à l'environnement et à la santé publique. 

(10 mai 2023, Société Lombricorse, n° 447189)

 

95 - Police des manifestations - Survol photographique d’une manifestation par drones - Défaut d’urgence - Rejet.

Les organisations requérantes ont interjeté appel, le 1er mai 2023, de l’ordonnance en référé liberté (L. 521-2 CJA) par laquelle le premier juge a rejeté leur recours tendant à la suspension d’exécution de l'arrêté du préfet de la Gironde du 28 avril 2023 autorisant la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs le 1er mai 2023 à Bordeaux.

L’appel est rejeté car les demandeurs n’établissent pas en quoi, à la date du 6 mai 2023, existerait encore une urgence à statuer sur la conservation, dans les conditions déterminées par les dispositions de l'art. L. 242-4 du code de la sécurité intérieure, des données enregistrées le 1er mai à Bordeaux sur le fondement de l’arrêté préfectoral querellé.

Encore une fois, c’est d’une urgence de caractère particulier que traite l’art. L. 521-2 du CJA et même d’une double urgence : à saisir le juge et, ce juge saisi, à ce qu’il statue très rapidement avec quelque efficacité en vue de la solution de cette partie du litige.

Le référé liberté est, et doit demeurer, une procédure d’exception dont les conditions strictes de déclenchement doivent être respectées.

(ord. réf. 06 mai 2023, Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473714)

(96) V. aussi, avec même solution concernant une manifestation du 1er mai au Havre en ce que l’ordonnance de référé ne suspend que partiellement un arrêté préfectoral dont le contenu est similaire à celui du préfet de Gironde mentionné ci-dessus : ord. réf. 06 mai 2023, M. C., Mme A., Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et Syndicat des avocats de France (SAF), n° 473716.

(97) V. également, rejetant, en l’absence de doute sérieux sur sa légalité, malgré la nature et le nombre de moyens soulevés, et sans avoir à examiner la condition d’urgence, une demande de suspension de l’exécution du décret n° 2023-283 du 19 avril 2023 relatif à la mise en œuvre des traitements d'images au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs pour des missions de police administrative : ord. réf. 24 mai 2023, M. B. et Association de la défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), n° 473547.

(98) V. encore la décision ci-dessous.

 

99 - Police des manifestations - Interdiction de toute manifestation ou de tout rassemblement aux abords du 76ème Festival de Cannes - Absence d’atteinte manifestement illégale à la liberté de manifester - Rejet.

Il était demandé au juge du référé liberté du Conseil d’État d’annuler l’ordonnance rendue en première instance rejetant le recours tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 15 mai 2023 du préfet des Alpes-Maritimes portant interdiction de manifester ou de se rassembler dans un périmètre donné au sein de la commune de Cannes, pendant le 76ème festival international du film.

L’appel est rejeté.

Le juge opère un double rappel particulièrement bien venu.

D’abord, le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'art L. 521-2 du CJA, doit être concilié avec la sauvegarde de l'ordre public et il appartient à l'autorité investie du pouvoir de police, lorsqu'elle est saisie de la déclaration préalable prévue à l'art. L. 211-1 du code de la sécurité intérieure ou en présence d'informations relatives à un ou des appels à manifester, d'apprécier le risque de troubles à l'ordre public et de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles, au nombre desquelles figure, le cas échéant, l'interdiction de la manifestation, si une telle mesure est seule de nature à préserver l'ordre public. 

Ensuite, il indique - ce qui est souvent perdu de vue - que « La seule circonstance qu'un évènement annoncé soit susceptible d'être l'occasion de troubles majeurs à l'ordre public, y compris en présence d'une menace terroriste, n'est pas de nature à justifier en toute circonstance une interdiction générale de manifester dans ses abords, dès lors que l'autorité administrative dispose des moyens humains, matériels et juridiques de prévenir autrement les troubles en cause que par une telle interdiction. »

En l’espèce, le préfet a interdit, du 16 mai 2023 à minuit au dimanche 28 mai 2023 à 6 heures, par un arrêté du 15 mai 2023, pris sur le fondement de l'art. L. 211-4 du code la sécurité intérieure, toute manifestation ou tout rassemblement sur le territoire de la commune de Cannes, dans une zone comprenant les abords du Palais des Festivals et une partie du Boulevard de la Croisette où se concentrent les établissements accueillant les différents événements.

Sur ce, le juge relève en premier lieu que ce Festival a le caractère d'un évènement international, pendant lequel viennent à Cannes, en provenance du monde entier, des centaines de personnalités de la culture, de l'économie et de la politique, et qui rassemble dans un périmètre restreint les 40 000 festivaliers et les journalistes accrédités, les 230 000 spectateurs attendus sur la durée du festival. En outre, pendant le festival, le boulevard de la Croisette et les rue attenantes font l'objet d'une concentration humaine exceptionnelle, le jour comme la nuit. Il n’est pas contesté qu’existe donc un « haut risque en termes de terrorisme » et une résurgence de la délinquance de droit commun.

Le juge relève aussi qu’en vue d’assurer la sécurité du Festival l’État mobilise chaque jour une centaine de policiers de la sécurité publique, quatre compagnies républicaines de sécurité, une quinzaine de motards CRS pour piloter les cortèges, une quarantaine de gendarmes chargés de la lutte anti-drone, de la surveillance et de la gestion des axes d'accès et de la surveillance maritime, une équipe de déminage présente 24h/24, une équipe d'intervention du RAID et de tireurs postés sur des points hauts, des moyens dédiés du Service départemental d’incendie et de secours et du SAMU pour assurer la prise en charge de victimes, des agents des services de renseignement, une quinzaine de militaires de la force Sentinelle, cinq équipes cynophiles avec des chiens détecteurs d'explosifs.

Enfin, le préfet, en ayant aussi instauré pour la durée du festival deux périmètres de protection au sein desquels l'accès et la circulation des personnes sont réglementés, autorisé le recours à une caméra installée sur un aéronef et la première ministre ayant soumis par décret toute personne accédant, à un autre titre que celui de spectateur ou de participant, à une liste d'établissements et d'installations situés dans la commune de Cannes, à un avis préalable de l'autorité administrative, n’ont pas porté à la liberté de manifester une atteinte qui est manifestement illégale.

Cela d’autant plus que ce périmètre interdit est très restreint : il n'interdit pas de manifester plus loin sur la Croisette.

(ord. réf. 24 mai 2023, Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO), Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature et Mme A., n° 474297)

 

100 - Police des loyers - Encadrement des loyers - Loi du 23 novembre 2018 - Loi n’emportant pas décision d’encadrement des loyers - Rejet.

Dans le cadre d’un recours en annulation du décret du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, l’organisation requérante, entre autres moyens, soulève celui tiré de la violation par cette loi de la convention EDH, spécialement son art. 140 s’agissant du droit de propriété (art. 14 de la Convention).

Pour rejeter ce grief le Conseil d’État retient que l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 a entendu doter les établissements publics de coopération intercommunale, au titre de la compétence en matière d'habitat qu'elles exercent librement, d'un outil supplémentaire pour exercer cette compétence. Cette dernière compétence n’appartient donc qu’à eux et il ne saurait être soutenu que dès lors que la mise en œuvre de ces dispositions législatives peut avoir pour conséquence qu'un encadrement des loyers soit mis en place dans un territoire présentant des caractéristiques identiques à celles d'un autre territoire dans lequel aucun encadrement ne sera appliqué, faute de demande de la collectivité concernée, l’article précité introduirait une discrimination incompatible avec les stipulations combinées de l'art. 14 de la convention EDH et de l'art. 1er de son premier protocole additionnel. En effet, cette différence ne résulterait que du choix fait par chaque collectivité de mettre en œuvre une politique d'encadrement des loyers ou de ne pas le faire, et non pas des dispositions de l'art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 elles-mêmes.

(25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 33, n° 458153)

(101) V. aussi, pour une solution identique sur ce point : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 69, n° 458155.

(102) V. encore, identique aux précédents : 25 mai 2023, Union nationale des propriétaires immobiliers 34, n° 458156.

 

103 - Police des débits de boissons - Infraction de détention par une discothèque de bonbonnes de protoxyde d’azote - Absence de répétition de l’infraction - Fermeture de l’établissement - Suspension ordonnée - Confirmation et rejet.

A la suite de la découverte dans une discothèque, le 30 avril 2022, d’environ trois cents bonbonnes de protoxyde d'azote, substance dont la vente ou la mise à disposition à titre gratuit sont interdites par l'art. L. 3611-3 du code de la santé publique, et la gérante de l'établissement ayant indiqué avoir développé une pratique commerciale consistant à offrir une bonbonne à tout client achetant une bouteille d'alcool, un arrêté préfectoral a ordonné le 23 novembre 2022 la fermeture de cet établissement pour une durée de six mois.

Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de l’ordonnance suspendant, sur le fondement de l’art. L. 521-1 du CJA, la décision de fermeture.

Son recours est rejeté, le Conseil d’État adoptant le raisonnement du juge des référés de première instance.

En premier lieu, l’ordonnance est suffisamment motivée en ce qu’elle juge de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté litigieux le moyen tiré de l'absence de possibles troubles à l'ordre public à la date de cet arrêté.

En second lieu, le juge n’a pas dénaturé les pièces du dossier en se fondant, pour dire qu’existait un doute sérieux sur la légalité de la décision de fermeture, sur ce qu'aucune nouvelle infraction aux lois et règlements relatifs aux débits de boissons et aux restaurants, en particulier aux règles relatives à la vente et à la distribution de protoxyde d'azote, n'a plus été relevée à l'encontre de l'établissement depuis le mois de mai 2022, également sur ce que, selon les constats d'huissier effectués les 25 et 29 octobre 2022, la présence d'aucune bonbonne de protoxyde d'azote ni d'aucun matériel permettant la consommation de cette substance n'a été relevée dans l'établissement, y compris pendant une période d'ouverture et, enfin, sur ce que, dans le cadre de la procédure contradictoire préalable suivie en application de l'art. L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, la société Alebenaxe a souscrit auprès de l'administration l'engagement de mener des actions de prévention consistant à informer, selon diverses modalités, les clients de l'établissement des risques attachés à la consommation de cette substance.

 Au reste, il convient de rappeler qu'une mesure de fermeture d’un tel commerce ne peut avoir pour objet que de prévenir la continuation ou le retour de désordres liés au fonctionnement de l'établissement, non de sanctionner un état de fait antérieur et depuis disparu.

(25 mai 2023, Société Alebenaxe, n° 470301)

 

104 - Police des armes et munitions - Refus de classer un lanceur de balles de défense et ses munitions dans une certaine catégorie - Urgence et existence d’un doute sérieux - Suspension ordonnée.

La société requérante demandait que soit suspendue l’exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de classer le lanceur de balles de défense (LBD) « POK 44 » en catégorie C, 3° et sa munition « KOT 44 » en catégorie C, 8°, en application de l'article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure.

Pour ordonner la suspension sollicitée, le juge des référés du Conseil d’État retient tout d’abord l’existence d’une urgence à statuer en raison des éléments suivants.

La société requérante a investi de manière significative en recherche et développement pour mettre au point une première arme, qui a finalement été classée en catégorie A2, ce qui n'a pas permis une commercialisation suffisante pour couvrir les dépenses opérées. Elle a, en conséquence, été placée en redressement judiciaire le 22 avril 2022. Pour éviter une liquidation judiciaire, elle a souhaité modifier cette arme pour obtenir un classement en catégorie C3 de nature à en permettre une plus large commercialisation ce qui apparaît essentiel à l'équilibre financier de la société et à sa survie éventuelle. D’où sa demande de classement litigieuse sur laquelle, six mois après, elle n’a reçu aucune réponse alors que la prolongation de la période d'observation octroyée par le tribunal de commerce doit s'achever cet été, une audience étant prévue le 25 août prochain. Cette société ne dispose, à ce jour, d'aucune perspective d'examen de ses demandes, le ministre de l'intérieur se bornant à indiquer, à la suite de sa sollicitation lors de l'audience publique, que le plan de charge du centre de recherches et d'expertise de la logistique (CREL) est particulièrement lourd - alors même que seules trois demandes de classement de LBD, dont celle de la société Redcore, sont en attente - et ne lui permet pas d'opérer l'expertise technique que le ministre considère être nécessaire. Si le ministre propose d'avoir recours à un prestataire extérieur pour effectuer les tests sous le contrôle du CREL, une décision de classement n'est envisagée qu'entre la mi-septembre et fin novembre 2023, soit près d'un an après la première demande de la société requérante et en outre postérieurement à l'échéance connue de la procédure de redressement judiciaire. En outre, comme le ministre ne peut  sérieusement soutenir que la suspension de l'exécution des décisions en litige porterait atteinte à l'impératif de sauvegarde de l'ordre public, aucune expertise préalable n'ayant pu encore évaluer la dangerosité de l'arme, la décision que la société sollicite ayant précisément pour objet de conduire l'administration à procéder, dans des délais raisonnables, à l'instruction de ses demandes et à statuer, au regard des critères fixés par les dispositions y relatives du code de la sécurité intérieure, sur les classements sollicités en recueillant le cas échéant l'avis, lequel n'est au demeurant pas obligatoire, des experts techniques mentionnés à l'art. R. 311-3 du code de la sécurité intérieure. 

Ensuite, le juge estime que sont propres à créer un doute sérieux les moyens tirés de ce que les refus implicites des demandes de classement sont entachés d'erreur d'appréciation et méconnaissent le principe d'égalité et les règles de la concurrence, dès lors que, d'une part, le lanceur « POK 44 » dont elle demande l'inscription présente un canon lisse et un calibre 44/83 BE similaires à l'arme de force intermédiaire de calibre 44/83 à canon lisse fabriquée et commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation flash-Ball modèle compact, classé au 3 de la catégorie C par l'arrêté du 30 avril 2001 relatif au classement de certaines armes et munitions, et que, d'autre part, la munition dont elle demande l'inscription respecte la norme CIP pour le calibre 44/83 comme la munition à projet non métallique de calibre 44/83 commercialisée par la société Verney-Carron sous l'appellation « 44/83 BE », classée au 8° de la catégorie C par le même arrêté de 2001. 

D’où la suspension ordonnée de la décision de refus, un délai d’un mois étant laissé au susdit ministre pour classer l’arme en question en catégorie C3 et ses munitions en catégorie C8.

(ord. réf. 30 mai 2023, SAS Redcore, n° 473632)

 

Professions réglementées

 

105 - Médecin - Suspension en raison d’une pathologie rendant dangereux l’exercice de ses fonctions - Formation du Conseil de l’ordre statuant au titre de ses pouvoirs de police - Rejet.

Dans un litige où, sur demande d’un directeur général d’une agence régionale de santé en vue qu’un médecin soit suspendu du droit d'exercer la médecine en raison d'un état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession, le Conseil d’État rappelle la nature du pouvoir exercé en ce domaine par la formation restreinte d’un conseil régional ou interrégional ou du Conseil national de l'ordre des médecins.

C’est une fonction de police ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. R. 4124-3 du code de la santé publique, d’où il suit que l’intéressé ne peut utilement soutenir que les droits de la défense tels que garantis par les stipulations de l’art. 6 § 1 de la Convention EDH, auraient été méconnus lors de la procédure en cause.

(26 mai 2023, M. A., n° 469062)

(106) V. aussi, rejetant le pourvoi d’un médecin anesthésiste-réanimateur dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins le suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise en raison d'une suspicion d'état pathologique rendant dangereux l'exercice de sa profession du fait de son addiction à l’alcool : 26 mai 2023, M. A., n° 467020.

(107) V. également, rejetant le pourvoi d’un médecin ophtalmologiste dirigé contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins qui a prolongé la mesure de suspension prise à son encontre sur le fondement de l'art. R. 4124-3 du code de la santé publique pour une durée de trois ans et qui a subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une nouvelle expertise car en dépit de son hospitalisation d’office en 2004 et de l’amélioration de son état de santé, il résulte de l'expertise réalisée le 17 mai 2022, qui mentionne « un trouble grave de la personnalité non pris en charge », que ce praticien présente un état pathologique persistant rendant dangereux l'exercice de sa profession : 26 mai 2023, M. A., n° 469542

(108) V. encore, rejetant le pourvoi d’une praticienne contre la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins la suspendant du droit d'exercer la médecine pour une durée de six mois et subordonnant la reprise de son activité au suivi d'une formation théorique et pratique en raison de ce que du fait de son abstention de suivre toute formation continue depuis de nombreuses années, elle présente des insuffisances professionnelles rendant dangereuse la pratique de la médecine générale et nécessitant une remise à niveau : 26 mai 2023, Mme B., n° 465253.

 

109 - Vétérinaire - Soins gratuits aux animaux dont les propriétaires sont sans ressources suffisantes - Manquement déontologique non visé par une plainte - Sanction - Rejet.

La chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires n’a pas entaché d’irrégularité  sa décision de sanctionner une vétérinaire pour manquement déontologique à la règle édictée par l’art. R. 242-50 du code rural, selon laquelle les vétérinaires exerçant au sein des associations dont l'objet est la protection des animaux et habilitées à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes, doivent s'assurer du respect de la gratuité des soins qu'ils dispensent et cela alors même que la plainte dont cette chambre a été saisie n'invoquait qu'un grief de refus de soins.   

(26 mai 2023, Mme B., n° 459342)

 

110 - Professionnels du chien et du chat - Institution d’un certificat d’engagement et de connaissance - Délai entre la délivrance du certificat et la cession de l’animal - Coûts supplémentaires - Charge administrative - Rejet.

Le V de l'art. L. 214-8 du code rural a créé un certificat d'engagement et de connaissance délivré avant acquisition d'un animal de compagnie ainsi que ses modalités de délivrance et d'utilisation. Les requérants demandent la suspension d’exécution de l'instruction technique du 14 novembre 2022 afin de préciser le contenu de ce certificat.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence sans examen de l’autre condition donnant ouverture à référé suspension et selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA. Si les professionnels invoquent, au soutien de la demande de suspension, un surcroît de charge administrative, des coûts supplémentaires pour eux, les résultats d’un « sondage » auprès des adhérents, etc., le juge relève cependant que ces éléments ne sont pas de nature à justifier d'une situation d'urgence au sens des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA.

En outre, si le syndicat requérant soutiennent qu’est prévue une amende pour les contraventions de 4ème classe méconnaissant certaines dispositions dont l'instruction précise les conditions de mise en œuvre, ces sanctions ne trouvent leur source que dans la violation des textes législatifs et réglementaires applicables.  

(ord. réf. 25 mai 2023, Syndicat national des professions du chien et du chat, n° 474194)

 

Responsabilité

 

111 - Responsabilité hospitalière - Prise en charge d’un accouchement - Rejet d’une demande d’expertise - Notification à une adresse indiquée - Délai ayant couru à la demande des requérants - Rejet.

Les demandeurs, un fils et sa mère, ont sollicité du juge des référés que soit ordonnée une expertise médicale sur le fondement des dispositions de l'art. R. 532-1 du CJA, aux fins de déterminer l'ampleur des préjudices en lien avec la faute commise selon eux par le centre hospitalier d'Avignon en ne procédant pas à une césarienne lors de la naissance de M. C., le 15 décembre 1997 dans cet établissement.

Cette demande a été rejetée faute d'utilité, dès lors qu'aucune demande indemnitaire ne pourrait être utilement présentée au juge administratif par les requérants, qui n'avaient pas contesté en temps utile le rejet de leur demande préalable du 25 septembre 2020.

Les demandeurs se pourvoient en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette ordonnance de rejet.

Pour confirmer l’arrêt attaqué, le juge de cassation relève d’abord que le courrier par lequel l'avocat de M. C. et de Mme C. avait demandé au centre hospitalier d'Avignon de saisir son assureur, « d'assumer sa responsabilité » et « de reconnaitre le lien direct entre le défaut de réalisation d'une césarienne » lors de la naissance de M. C. le 15 décembre 1997 et le préjudice invoqué, présentait, ainsi que jugé par la cour, alors même que les préjudices subis n'étaient ni détaillés ni chiffrés, le caractère d'une demande indemnitaire préalable au sens des dispositions de l'art. R. 421-1 du CJA.

Le juge rappelle ensuite qu’il incombe au destinataire d'une décision administrative qui soutient que l'avis de réception d'un pli recommandé portant notification de cette décision à l'adresse qu'il avait lui-même indiquée à l'administration n'a pas été signé par lui, d'établir que le signataire de l'avis n'avait pas qualité pour recevoir le pli en cause. En l’espèce, les demandeurs soutiennent que le rejet de leur demande par le centre hospitalier a été notifié au bureau de leur avocat à Avignon alors que la demande portait la mention « toutes les correspondances doivent être adressées à Arles ». Le juge confirme cependant que cette notification qui, d’une part, a été notifiée à l’adresse figurant sur la demande préalable du 25 septembre 2020 et d’autre part a fait l’objet d’un accusé de réception dont la qualité du signataire n’est pas discutée, a valablement fait courir le délai de deux mois dont les requérants disposaient pour contester le refus d’indemnisation opposé par la lettre recommandée du 19 janvier 2021, reçue le 22 janvier 2021.

Au surplus, c’est sans erreur de droit que le juge des référés et la cour ont rejeté le moyen tiré de ce que le délai de recours ne leur aurait pas été opposable en l'absence de connaissance de la nature et de l'étendue de leurs préjudices, alors qu'ils avaient eux-mêmes, par leur demande, fait courir ce délai de recours.

Par suite, c’est à bon droit qu’a été jugée inutile l’expertise sollicitée.

(04 mai 2023, M. C. et Mme C., n° 461655)

 

112 - Responsabilité - Préjudice subi par un fonctionnaire territorial - Imputabilité au service - Appréciation méconnaissant les termes du litige - Annulation.

Méconnaît les termes du litige dont la cour est saisie et encourt l’annulation, l’arrêt qui se prononce sur l’imputabilité au service d’une pathologie alors qu’était seule en discussion l’imputabilité d’un accident survenu à une date déterminée.

(15 mai 2023, Commune de Chécy, n° 455610)

 

113 - Réquisition de véhicules par l’administration - Indemnisations du chef de la réquisition et du chef des préjudices subis - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Plusieurs de ses véhicules ayant fait l’objet d’une réquisition par les services de l’État, la société requérante a demandé réparation, d’une part, du chef de la réquisition des véhicules, d’autre part du chef des dommages survenus à ces véhicules.

La cour administrative d’appel a estimé, pour rejeter une partie des réclamations indemnitaires de la requérante, que celle-ci n'avait apporté aucun élément permettant de distinguer, parmi les préjudices dont elle avait demandé à être indemnisée, ceux qui ne l'auraient pas déjà été par la somme de 229 190 euros qui lui avait été versée par l’État le 21 décembre 2017.

Le juge de cassation annule cet arrêt pour dénaturation des pièces du dossier en relevant :

1° que dans le mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur devant la cour administrative d'appel, celui-ci distinguait, parmi les demandes de paiement adressées par la société à la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy le 21 novembre 2017, celles présentées au titre de la rétribution de la réquisition des véhicules de celles tendant à l'indemnisation des dommages subis par les véhicules concernés au cours de la période de réquisition, en précisant que ces dernières étaient distinctes des sommes qui lui étaient dues par l'Tat au titre de la réquisition des biens lui appartenant.

2° qu’il ressort également des mêmes pièces du dossier que dans son mémoire en défense produit devant le tribunal administratif, la préfète de Saint-Martin et Saint-Barthélemy avait précisé « qu'aucun paiement n'avait eu lieu concernant les dommages causés aux véhicules ». 

(12 mai 2023, Société Grand Case Equipement Entreprise, n° 463880)

 

114 - Préjudice locatif causé à un bien à usage de bureaux - Proximité de dépôts de déchets - Carence du pouvoir de police - Absence de lien direct de causalité - Rejet.

La SCI demanderesse louait à la société La Poste Immo et à la société GDF Suez des locaux professionnels lui appartenant situés à Avignon sur un terrain voisin d'une déchetterie et d'une aire d'accueil des gens du voyage. Ayant dû consentir en 2014 une baisse de loyer à la société GDF Suez et, en mars 2016, la société La Poste Immo ayant résilié son bail et quitté les lieux, la SCI, estimant ces événements liés notamment à la présence récurrente de dépôts sauvages de déchets, dégradant l'environnement des locaux commerciaux de ces entreprises, ainsi qu’aux actes de vandalisme commis dans ces locaux, a demandé au tribunal administratif la condamnation de la commune d'Avignon à lui payer une certaine somme du chef des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la carence du maire à faire usage de son pouvoir de police pour faire cesser ces atteintes à la tranquillité publique, à la salubrité publique et à la commodité du passage sur la voie publique.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif qui, tout en jugeant que le maire a fait preuve de carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière de salubrité publique et de commodité du passage sur la voie publique, en raison de l'insuffisance tant de la surveillance des abords de la déchetterie que des diligences effectuées auprès de la communauté d'agglomération du grand Avignon, responsable de la collecte des déchets, cette carence ne présente pas de lien de causalité avec les préjudices invoqués.

Le pourvoi est rejeté car le Conseil d’État considère que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce en constatant l’absence de lien direct de causalité entre la carence du maire et de la communauté d’agglomération et le préjudice subi alors que « la dégradation des lieux à l'origine de cette baisse résulte, selon les affirmations mêmes de la société, de l'existence de la déchetterie et d'un camp destiné aux gens du voyage ».

Le raison paraît quelque peu sophistique en ce que la cause du préjudice résulterait non de la carence du pouvoir de police mais de ce que le terrain est implanté à cet endroit, comme si devait être appliquée ici la théorie ou exception de « risque accepté » (cf. J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, p. 323 § 583).

Reste que, sans cette carence manifeste, la déchetterie, mieux organisée et contrôlée et le camp, encadré et surveillé, n’auraient pas contribué à la grave dégradation de la capacité locative des biens en cause. Par application de la théorie de la cause adéquate, habituellement utilisée par le juge administratif, c’est cette seconde façon de voir qui est exacte non celle retenue ici qui ressemble davantage à la théorie de l’équivalence des conditions que rejette en principe toujours la jurisprudence administrative.

(25 mai 2023, SCI Marquette Famille, n° 454472)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

115 - Prix des médicaments - Refus d’accorder la hausse demandée du prix de médicaments - Baisse unilatérale de leur prix - Décisions du Comité économique des produits de santé - Obligation de motivation - Rejet.

Les litiges portaient sur deux décisions du Comité économique des produits de santé, la première, du 7 décembre 2021, refusant de faire droit à la demande de la société requérante d'augmentation du prix de vente de ses spécialités « Coumadine 2 mg, comprimés sécables (B/20) » et « Coumadine 5 mg, comprimés sécables (B/30) », la seconde, du 17 décembre 2021, diminuant de 10 % à compter du 1er février 2022 le prix de vente de ces mêmes spécialités.

La société Teofarma demande l’annulation assortie d’astreinte, ou le réexamen de ces deux décisions.

Les deux recours sont joints. Ils sont rejetés, aucun des moyens de forme ou de fond n’ayant réussi à convaincre le juge.

Ce qui retient l’attention, c’est l’affirmation par le Conseil d’État - qui conclut qu’il en a bien été ainsi en l’espèce - que l'art. R. 163-14 du code de la sécurité sociale prévoit que les décisions portant refus de modification du prix d'un médicament sont communiquées à l'entreprise avec la mention de leurs motifs. Il en va de même des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé revoit à la baisse le prix de vente d'un médicament en application du II de l'article L. 162-16-4 du même code.

Cette interprétation, qui doit être approuvée, n’allait cependant pas de soi. En effet, l’obligation de motivation n’est expressément prévue qu’à l’art. R. 163-14 de ce code, cette disposition ne concernant pas le Comité économique. Par ailleurs, le II de l’art. L. 162-14-6 de ce code s’il énumère les sept critères sur lesquels ce Comité peut se fonder pour fixer le prix de vente au public des médicaments à un niveau inférieur ou baissé, par convention ou à défaut, n’impose pas une obligation de motivation. Reste que le législateur en opérant une énumération limitative de ces critères a, par là même, dressé la liste des motifs possibles des décisions prises en cette matière par le Comité économique et donc a décisivement délimité lesdits motifs. L’obligation de motivation se situe ainsi dans une logique peu discutable.

(12 mai 2023, Société Teofarma, n° 461115 et n° 461176)

 

Service public

 

116 - Association syndicale autorisée (ASA) - Régime des taxes syndicales - Inclusion de parcelles dans le périmètre syndical - Accomplissement incomplet ou défectueux des missions syndicales - Absence d’effet sur l’obligation au paiement des taxes - Rejet.

Le litige portait sur le paiement de taxes syndicales mises à la charge des propriétés incluses dans son périmètre par une association syndicale autorisée, laquelle constitue un établissement public administratif (cf. la célébrissime décision du Tribunal des conflits, du 9 décembre 1899, Consorts Ducornot c/ Association syndicale du canal de Gignac, n° 515, Rec. Lebon, p. 731 ; Sir. 1900.3.49, note M. Hauriou).

En préliminaire à l’examen du fond du litige le Conseil d’État rappelle qu’est irrecevable un moyen nouveau en cassation et qui n’est pas d’ordre public.

Tout d’abord, ces taxes visant non les propriétaires mais les propriétés incluses dans le périmètre syndical, elles sont dues tant que la propriété n’est pas distraite du périmètre.

Ensuite, si le défaut d'accomplissement par une ASA de ses missions peut être de nature à entraîner la décharge de taxes syndicales, la circonstance qu'une telle association n'accomplirait qu'incomplètement ses missions ou les accomplirait de manière défectueuse, ne saurait, en principe, conduire à accorder la décharge des taxes syndicales réclamées à un membre de l'association. 

Il incombe au propriétaire, le cas échéant, de rechercher seulement la responsabilité du syndicat.

(05 mai 2023, M. C., n° 456227)

 

117 - Éducation nationale - Instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire - Composition - Traitement de données à caractère personnel - Rejet.

L’association requérante conteste sur deux points la juridicité du décret n° 2022-184 du 15 février 2022 relatif à l'instance départementale chargée de la prévention de l'évitement scolaire. Sa demande est rejetée.

En premier lieu, il est reproché à ce décret de ne pas prévoir, au sein de cette instance départementale, de représentants d'associations d'instruction en famille ou des parents d'élèves. Toutefois, cette composition étant directement fixée par la loi (cf. art. L. 131-5-2 du code de l’éducation), le moyen ne peut être utilement soulevé.

En second lieu, il est également soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait l'art. 8 de la convention EDH, le règlement du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. L’objet de ce décret est de favoriser l'échange et le croisement d'informations entre les services municipaux, les services du conseil départemental, les organismes débiteurs de prestations familiales et les services de l’État, afin de repérer les enfants soumis à l'obligation scolaire qui ne sont pas inscrits dans un établissement d'enseignement public ou privé et qui n'ont pas fait l'objet d'une autorisation d'instruction dans la famille. Ainsi, les dispositions attaquées n'ont pour objet ni de créer de traitement de données à caractère personnel, ni de modifier les conditions d'utilisation de traitements existants. 

Ce moyen ne peut pas davantage que le précédent être utilement soulevé.

(09 mai 2023, Association Les enfants d’abord, n° 463213)

 

118 - Éducation nationale - Collèges - Organisation des enseignements - Modifications - Rejet.

Les requérants contestaient la juridicité d’une part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège, d’autre part, de l'arrêté du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 21 octobre 2015 relatif aux classes des sections d'enseignement général et professionnel adapté.

Ils en demandaient également la suspension d’exécution par voie de référé.

Ces deux recours sont joints et rejetés, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.

Tout d’abord, alors que le syndicat requérant est membre du Conseil supérieur de l'éducation, il ne saurait soutenir qu’« il reviendra au ministère de l'éducation et de la jeunesse de produire l'avis visé du Conseil supérieur de l'éducation du 24 mars 2023 », tout en ne soutenant pas devant le juge que cet organisme n'aurait pas été consulté préalablement à leur édiction ou en ne contestant pas la régularité de cette consultation.

Ensuite, aucune disposition ne fait obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce qu'une matière ne soit enseignée qu'au cours de certaines années de scolarité du collège seulement et, notamment, qu'elle ne le soit qu'au cycle 4 correspondant aux classes de cinquième, quatrième et troisième, ni à ce qu'une heure d'enseignement qui relevait de l'enseignement commun soit supprimée et que soit concomitamment ajoutée une heure d'enseignement relevant des enseignements complémentaires. 

Semblablement, les dispositions de l’art. L. 332-5 du code de l’éducation qui prévoient que la formation dispensée à tous les élèves des collèges comprend obligatoirement une initiation technologique, qu’elles soient appliquées seules ou en combinaison avec celles des art. L. 122-1-1 et L. 332-3 dudit code, n'imposent pas que l'initiation technologique soit dispensée au cours de chaque année composant la scolarité au collège.

Enfin, si l’art. L. 211-1 du code précité impose que les programmes ne peuvent entrer en vigueur que douze mois au moins après leur publication, sauf dérogation expresse du ministre chargé de l'éducation, après avis du Conseil supérieur de l'éducation, cette règle ne s’applique pas en l’espèce où ne sont en cause que la modification de l'organisation des formations, et en particulier, le volume horaire des enseignements, mais non les programmes au sens des dispositions de l’art. L. 211-1.

Aucun des moyens n’étant de nature à faire naître un doute sérieux sur la juridicité des textes attaqués, il y a lieu de rejeter le référé suspension sans examen de la condition d’urgence.

(ord. réf. 22 mai 2023, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie et Association PAGESTEC, n° 474147 et n° 474149, jonction)

 

119 - Éducation nationale - École primaire - Harcèlement scolaire - Demande de changement d’établissement - Rejet.

Les requérants ont demandé au juge du référé liberté du tribunal administratif, d'une part, d'annuler les décisions en date des 21 et 27 mars 2023 par lesquelles le maire de Montmorency a refusé de faire droit à leur demande de dérogation à la carte scolaire pour leurs enfants D., E. et C., respectivement âgés de dix, huit et cinq ans, et, d'autre part, d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Versailles d'affecter leurs enfants dans tout autre établissement que l'école élémentaire Jean de La Fontaine, qu'il plairait à la commune de Montmorency de déterminer.

Ils forment appel de l’ordonnance de rejet de ces demandes.

Ils essuient à nouveau un refus, cette fois de la part du juge des référés du Conseil d’État.

Le premier juge avait fondé son rejet de la requête pour défaut d’urgence car 

- les violences, physiques ou verbales, survenues pendant le temps scolaire ou périscolaire, dont D. et E. auraient été victimes ou témoins et dont les requérants se prévalent, apparaissaient isolées, pour certaines relativement anciennes, sans avoir nécessité la mise en place d'un suivi médical ou psychologique particulier ni avoir eu de répercussion sur les résultats scolaires des enfants,

- une attention soutenue avait été portée aux sollicitations de la famille, tant par l'équipe pédagogique et éducative de l'école que par les services de l'éducation nationale et de la commune,

- un dispositif de vigilance rassemblant équipe enseignante et équipe périscolaire avec un bilan hebdomadaire ayant en particulier été mis en place après un incident ayant affecté D. en octobre 2021,

- l’enfant E. ayant, en dernier lieu, été changée de classe le 11 avril 2023 ainsi que ses parents en avaient fait la demande.

Le juge d’appel relève qu’à défaut de tout autre élément apporté par les parents pour démontrer le contraire, il ne peut que confirmer l’appréciation du premier juge sur le défaut d’urgence.

(ord. réf. 23 mai 2023, M. et Mme B., n° 478379)

 

Sport

 

120 - Infliction d’un point de malus à une équipe - Non-conformité du diplôme de son éducateur principal - Sursis à exécution ordonné - Décision entièrement exécutée - Erreur de droit - Annulation.

L’association requérante a demandé au juge des référés du tribunal administratif la suspension de l'exécution de la décision du 12 juillet 2022 par laquelle la commission d'appel du District du Var de football a confirmé la décision de sa commission de structuration des clubs d'infliger à l'équipe « moins de 14 ans » (U 14) de ce club un point de malus pour non-conformité du diplôme de son éducateur principal ainsi que la décision du 1er septembre 2022 par laquelle le District du Var de football a refusé de suivre la proposition du comité national olympique et sportif français de rapporter cette décision.

Le juge des référés a suspendu l'exécution des décisions des 12 juillet 2022 et 1er septembre 2022 et a enjoint d'inclure l'équipe « moins de 15 ans » (U15) du Racing FC Toulon au sein du championnat régional après lui avoir restitué le point retiré à l'issue de la saison 2021/2022.

Le District du Var de football se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Pour accueillir le pourvoi le juge de cassation retient une classique erreur de droit : le juge des référés ne pouvait statuer sur les litiges dont il était saisi, qui portaient sur la détermination des clubs appelés à participer au championnat régional organisé par la Ligue Méditerranée de football pour la saison 2022-2023, alors que toute décision relative à la détermination des clubs appelés à participer à ce championnat devait être regardée comme étant entièrement exécutée dès lors qu'il avait commencé, ce qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis et qu'il a d'ailleurs constaté.

Il n’y a jamais lieu à suspendre une décision entièrement exécutée puisque cela serait sans aucun effet utile.

(11 mai 2023, District du Var de football, n° 471249)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

121 - Autorisation d’urbanisme délivrée en méconnaissance des dispositions applicables - Sursis à statuer en vue de sa régularisation - Conditions et régime de régularisation - Violation d’une règle devenue inapplicable lors de la nouvelle décision du juge - Régularisation impossible - Rejet.

La présente décision est d’une certaine importance.

L’on sait que l’illégalité, de fond ou de forme, d'une autorisation d'urbanisme peut être régularisée soit par la délivrance d'une autorisation modificative qui remplit certaines conditions ou si la règle méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce ou encore si intervient une décision administrative individuelle valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale (Cf. art. L. 600-5-1 c. urb.). 

Ici, le juge se trouvait dans un autre cas de figure, celui dans lequel le vice affectant l'autorisation initiale et qui a justifié le sursis à statuer, résulte de la méconnaissance d'une règle d'urbanisme qui n'est plus applicable à la date à laquelle le juge statue à nouveau sur la demande d'annulation, après l'expiration du délai imparti aux intéressés pour notifier la mesure de régularisation. En ce cas, il est jugé que cette circonstance est insusceptible, par elle-même, d'entraîner une telle régularisation et de justifier le rejet de la demande (cf. 03 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736 ; v. cette Chronique, juin 2020, n° 169).

(04 mai 2023, Société Octogone, n° 464702)

 

122 - Certificat d’urbanisme négatif prétendu illégal - Action en responsabilité - Certificat négatif jugé régulier - Rejet.

Les requérants ont recherché la responsabilité d’une commune à raison du préjudice que leur aurait causé l’illégalité d’un certificat d’urbanisme négatif délivré par le maire de la commune. Ils se pourvoient contre l’arrêt jugeant régulier ce certificat négatif. Le pourvoi est rejeté.

La cour administrative d’appel avait jugé que le certificat d’urbanisme négatif ne méconnaissait pas les dispositions de l’art. UD I du règlement du plan local d'urbanisme de la commune car ces dispositions, éclairées par le rapport de présentation, si elles ne proscrivaient pas toute construction de logements dans ce secteur, elles y faisaient obstacle à une densification excessive de l'habitat et donc au projet litigieux, de construction de six maisons d'habitation sur une parcelle de 1 330 m2, qui en comportait déjà une.

Le Conseil d’Tat approuve ce raisonnement par un double motif.

D’abord, la cour, ce jugeant, n'a pas donné une portée normative aux éléments du rapport de présentation qu'elle a mentionnés et n’a pas estimé que la construction de logements était interdite, mais elle s’est bornée à prendre en considération les indications qu'il comportait en l'absence en particulier de précisions dans le règlement sur le caractère de la zone.

Ensuite, la cour - après avoir porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation sur les faits et les pièces du dossier - a pu légalement déduire des dispositions du règlement ainsi éclairées par ces indications que si toute construction de logement n'était pas interdite dans cette zone, un projet tel que celui des époux B., eu égard à la densité de logements qu'il prévoyait, ne pouvait y être envisagé, sans que cette appréciation puisse être remise en cause par la circonstance que le règlement ait prévu, pour cette zone comme pour d'autres qu'un pourcentage des logements doit être affecté à des catégories de logements locatifs sociaux. 

(11 mai 2023, M. et Mme B., n° 462554)

 

123 - Permis de construire des logements - Exception d’illégalité du classement d’une parcelle par le plan local d’urbanisme - Absence de moyen dirigé contre la partie du PLU remise en vigueur du fait de l’illégalité - Erreur de droit - Annulation.

Pour annuler le permis de construire des logements délivré par le maire de la commune requérante, le tribunal administratif s’était fondé sur l’exception d’illégalité soulevée par les demandeurs, tirée de ce qu’était illégal le classement, par le PLU, en zone UHb de la parcelle concernée par le projet.

Rappelant sa jurisprudence en matière d’exception d’illégalité dirigée contre une partie divisible d’un PLU, le Conseil d’État indique que l’annulation ou la déclaration d’illégalité - pour un ou plusieurs motifs non étrangers aux règles applicables au projet en cause - d’un tel document a pour effet de remettre en vigueur les dispositions du document immédiatement antérieur relatives à cette zone géographique et que c'est au regard de ces règles que doit être appréciée la légalité de l'autorisation. D’où cette conséquence, appliquée ici dans toute sa rigueur, que le moyen tiré de l'exception d'illégalité du document local d'urbanisme à l'appui d'un recours en annulation d'une autorisation d'urbanisme ne peut être utilement soulevé que si le requérant soutient également que cette autorisation méconnaît les dispositions pertinentes ainsi remises en vigueur.

Ce n’était pas le cas en l’espèce. C’est pourquoi le jugement litigieux est annulé.

(24 mai 2023, Commune de Jouars-Pontchartrain, n° 461192)

 

124 - Permis de construire accordé dans une zone de tension entre offre et demande de logements - Régime contentieux temporaire dérogatoire (art. R. 811-1-1 CJA) - Interprétation stricte - Condition non remplie - Compétence d’appel de la cour administrative d’appel - Renvoi en conséquence.

L’art. R.811-1-1 du CJA a prévu que les recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes situées en zone de tension entre offre et demande de logements sont jugés par le tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort, seul un pourvoi en cassation étant alors possible.

Cette disposition déroge au droit commun qui ouvre à tout justiciable la voie de l’appel. Il en résulte qu’elle doit être interprétée restrictivement.

En l’espèce était contesté le jugement ayant annulé le permis de construire délivré à une société en vue de la surélévation d'un immeuble existant qui comportait avant travaux une surface de 1029 m2 dédiée à l'habitation et une surface de 1408 m2 dédiée aux bureaux et au commerce. Ainsi, ce permis de construire devant aboutir à la création d'une surface nouvelle de 511 m2 de bureaux, n’a pas pour objet la réalisation de logements supplémentaires. Son régime contentieux ne relève donc pas du mécanisme dérogatoire institué par l’art. R. 811-1-1 précité, l’action en cause constitue donc un appel qui doit être porté, conformément au régime de droit commun, devant la cour administrative d’appel à laquelle renvoie la présente décision.

(24 mai 2023, Société Ilana El, n° 466755)

 

125 - Demande d’annulation du permis de construire des logements et des places de stationnement - Prétendu défaut d’intérêt à agir - Motivation insuffisante et erreur de droit - Annulation.

La société ESCOTA, exploitante d’autoroute, avait demandé l’annulation d’un permis de construire trois logements et quatre places de stationnement délivré par la commune de Menton et son recours a été rejeté pour défaut d’intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision.

Le jugement est cassé à bon droit.

Le tribunal s’était fondé, pour rejeter le recours de la société ESCOTA, sur ce que le chemin d’accès commun au terrain de la pétitionnaire et à celui d’ESCOTA appartenait au domaine public communal et que cette route était ouverte à la circulation publique d’où résultait l’absence de trouble de jouissance pour cette société.

Le Conseil d’État, pour annuler ce jugement, reproche aux premiers juges, alors que le terrain d'assiette du projet se situe en face d'un talus occupé au moins en partie par la société ESCOTA, dans le cadre d'une concession d'autoroute au titre de laquelle elle exploite l'échangeur autoroutier ainsi que la portion d'autoroute situés en contrebas et dans la continuité du talus, de n’avoir pas recherché si cette société ne justifiait pas d'un intérêt pour agir, d'une part, en ce que compte-tenu de l'occupation de ces terrains, la société ESCOTA pouvait être regardée comme un voisin immédiat et, d'autre part, du fait des éléments dont la société ESCOTA faisait état, relatifs notamment aux risques qu'un usage plus intensif du chemin ferait peser sur l'exploitation de l'ouvrage autoroutier situé en contrebas.

(25 mai 2023, Société ESCOTA, n° 463482)

 

126 - Convention de projet urbain partenarial (PUP) - Contrat de nature administrative - Contestation possible par un recours « Département de Tarn-et-Garonne » - Rejet.

La requérante demandait l’annulation ou la résiliation de la convention de projet urbain partenarial conclue le 3 octobre 2018 entre la communauté de communes du pays de Gex, aux droits de laquelle est venue la communauté d'agglomération du pays de Gex, et la société en nom collectif Eurocommercial Properties Taverny. Le tribunal administratif a annulé cette convention en tant qu'elle porte sur les travaux de dévoiement du réseau d'eau potable et prévoit à ce titre une contribution de la société d'un certain montant, ainsi que l'obligation pour la communauté de communes de réaliser le réseau correspondant.

Sur pourvoi, le Conseil d’État considère qu’il se déduit des dispositions de l’art. L. 332-11-3 du code de l’urbanisme qu’une telle convention de PUP a la nature d’un contrat administratif et que, par suite, sa validité peut être contestée par un tiers dans les conditions prévues par la décision d’Assemblée du 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne (n° 358994).

La solution est très innovante, très logique et doit donc être approuvée.

(01 juin 2023, Société Massonex, n° 464062)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2023

Avril 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Droit polynésien – Recours dirigé contre le refus de mettre à l’ordre du jour du conseil des ministres de Polynésie française un projet d’acte d’abrogation d’une loi du pays – Compétence en premier ressort du tribunal administratif de Polynésie française – Attribution du litige à ce tribunal.

La société requérante a demandé, en vain, au président de la Polynésie française d’abroger la loi du pays relative au cadre réglementaire des délégations de service public de la Polynésie en ce qu’elle prévoit que les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'article L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital. Elle demande au Conseil d’État l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la Polynésie française a refusé de faire droit à sa demande.

La demande est transmise au tribunal administratif de Polynésie française, compétent en premier ressort pour juger les recours formés contre une disposition d’une loi de pays, qui est un acte administratif, et donc contre le refus de l’abroger. La compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État n’existe que pour les requêtes portant sur la conformité d’une « loi du pays » avec la Constitution, les lois organiques, les engagements internationaux de la France ou les principes généraux du droit qui lui paraissent sérieuses. Ce n’est donc que dans ce cas que le tribunal pourra, le cas échéant, transmettre au Conseil d’État tout ou partie du litige.

(07 avril 2023, Société Pacific Mobile Télécom, n° 468496)

 

2 - Caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (L. 121-1 et s. CRPA) – Retrait d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux (art. L. 424-5 c. urb.) – Application de cette exigence – Erreur de droit – Annulation.

Le principe du respect du caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (cf. art. L. 121-1 et s. du CRPA) constitue une garantie pour le titulaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux que l'autorité administrative entend retirer. Le délai de trois mois prévu par l'art. L. 424-5 du code de l'urbanisme oblige l'autorité administrative à mettre en œuvre cette décision de manière à éviter que le bénéficiaire de la décision de non-opposition à déclaration préalable ne soit privé de cette garantie.

Commet donc une erreur de droit le juge des référés du tribunal administratif qui juge qu’en l’état de l’instruction n’était pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté retirant la décision de non opposition à déclaration préalable de travaux le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu, alors que le maire, qui n'était pas en situation de compétence liée contrairement à ce que soutient la commune, n'avait pas attendu l'expiration du délai de trois mois, à compter de la réception de son courrier du 16 août 2022, délai qu'il avait lui-même imparti à la société Hera pour présenter ses observations, sans en outre que celle-ci l'ait encore fait, et que la société n'avait pas négligé de venir retirer cette lettre au cours du délai prévu par le code des postes et communications électroniques.

(13 avril 2023, Société Hera, n° 468416)

 

3 - Demande de communication de dossiers – Dossier inexistant matériellement – Impossibilité d’exercer le droit à communication – Rejet.

La demande de communication des requérants portait non seulement sur leur dossier médical détenu par l'Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) dans le cadre de leur demande de titre de séjour mais aussi sur le dossier administratif de M. A. et ceux de ses enfants. Or l’OFII ne dispose d'aucun autre dossier que celui constitué par les différents éléments médicaux relatifs aux requérants et qui leur ont été communiqués.

L'inexistence du dossier demandé fait ainsi obstacle à ce qu'il soit fait droit à la demande de communication.

(14 avril 2023, M. et Mme A., n° 463009)

 

4 - Obligation de prendre dans un délai raisonnable les décisions réglementaires d’exécution des lois - Mise en œuvre de l’art. L. 421-4 du code de l’urbanisme (travaux soumis à déclaration préalable et non à permis de construire) - Loi du 8 août 2016 non exécutée plus de six ans après - Injonction de prendre les mesures d’exécution.

Rappel que l'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect d'engagements internationaux de la France y ferait obstacle. 

Ici, le décret d’application n’est toujours pas intervenu six ans et huit mois après que la loi du 8 août 2016 a prévu à son article 81 qu’« Un décret en Conseil d'État arrête la liste des constructions, aménagements, installations et travaux qui, en raison de leurs dimensions, de leur nature ou de leur localisation, ne justifient pas l'exigence d'un permis et font l'objet d'une déclaration préalable.

(...)

Ce décret arrête également la liste des cas dans lesquels il est fait exception à l'obligation de déclaration préalable à laquelle sont soumises les coupes et abattages d'arbres dans les bois, forêts ou parcs situés sur le territoire de communes où l'établissement d'un plan local d'urbanisme a été prescrit ainsi que dans tout espace boisé identifié en application des articles L. 113-1, L. 151-19 ou L. 151-23 ou classé en application de l'article L. 113-1 ». 

Le juge estime dépassé le délai raisonnable d’exécution de la loi, annule le refus du premier ministre d’y procéder et fait injonction à cette autorité de prendre dans un délai de six mois les mesures réglementaires qui s’imposent.

Sept ans, deux mois et vingt jours pour exécuter une loi visant la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages !... A l’ère du numérique fulgurant de vitesse, cela devient un exploit à inscrire au Guinness World Records.

(28 avril 2023, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 460553)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

5 - Individu ayant obtenu, de la justice des États-Unis, les changements de nom et de sexe – Demande de rectification en conséquence à ses anciens employeurs français – Refus – Dépôt d’une plainte à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Plainte clôturée – Rejet.

Paul Longfield a obtenu d'un tribunal de l'État de Virginie, aux tats-Unis, qu'il ordonne de remplacer ce prénom et ce nom par ceux de Camille D. A la suite, Mme D. a sollicité auprès de ses anciens employeurs la rectification de ses nom, prénom et sexe sur l'ensemble des documents la concernant en possession de ces derniers, ainsi que la communication de ces documents rectifiés. Ayant essuyé un refus, elle a saisi la CNIL de plaintes tendant à ce que cette dernière mette en demeure ces sociétés de procéder à la rectification demandée et de lui fournir les documents ainsi rectifiés.

La CNIL ayant informé Mme D. de la clôture de ses plaintes, cette dernière demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et du rejet du recours gracieux qu'elle a présentée contre celle-ci, en date du 19 août 2021. 

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État  estime que les anciens nom et sexe n’étaient pas inexacts au moment de leur recueil, la décision américaine n’étant pas rétroactive, que le maintien de données originairement exactes et n’ayant pas vocation à être rectifiées ne revêt pas un caractère discriminatoire et ne méconnaît pas les stipulations de l'art. 14 de la convention EDH, le principe de non-discrimination garanti par l'art. 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union et par les art. 225-1, 225-2, 226-19 et 432-7 du code pénal. Pas davantage il n’est ici porté atteinte au respect de la vie privée protégé par l'art. 8 de la convention EDH. Enfin, le juge rappelle que les décisions de clôture de plaintes litigieuses ne font nullement obstacle à la reconnaissance juridique des personnes ayant changé de sexe.

(14 avril 2023, Mme D., n° 462479 et n° 462543)

(6) V. aussi, identique et avec même requérante mais concernant deux demandes de rectification, l’une adressée au service des impôts des particuliers et l’autre en préfecture concernant un titre de séjour : 14 avril 2023, Mme D., n° 464869.

(7) V. encore, avec même requérante au sujet de la mention de sa civilité figurant sur une facture : 14 avril 2023, Mme D., n° 465011.

 

8 - CSA puis ARCOM - Demande d’engager une procédure de mise en demeure - Refus - Saisine du juge - Défaut d’intérêt pour agir - Rejet.

Le requérant défère au juge de l’excès de pouvoir, pour annulation, les décisions implicites du CSA/ARCOM rejetant ses demandes de mettre en demeure plusieurs sociétés éditrices de programmes d'interroger les professionnels de santé invités sur leurs antennes sur leurs liens d'intérêt, notamment avec l'industrie pharmaceutique.

Les recours sont rejetés faute que leur auteur justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour attaquer ces décisions devant le Conseil d'État.

(07 avril 2023, M. F., n°s 460468, 462378, 463033, 463399, 463400)

(9) V. aussi, identique sur le défaut d’intérêt pour agir mais tiré ici du caractère vague des missions statutaires d’une association : 07 avril 2023, Association des parents en colère, n° 463685.

 

10 - Protection des consommateurs - Obligation de mentionner le prix d’une prestation dans sa globalité - Société indiquant distinctement le prix de la prestation et celui du dispositif indispensable à sa réalisation - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

(07 avril 2023, Société Orange, n° 461082)

V. n° 73

 

11 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Autorisation d’utilisation de fréquences radioélectriques sur certaines bandes - Accès à internet fixe par satellite - Liaisons entre les systèmes à satellites non-géostationnaires - Rejet.

Le Conseil d’État était saisi de deux recours en annulation :

- l’un dirigé contre la décision du 25 mai 2022 par laquelle l’ARCEP a autorisé la société Starlink Internet Services Limited à utiliser les fréquences radioélectriques des bandes 10,95-12,70 GHz (sens espace vers Terre) et 14-14,5 GHz (sens Terre vers espace), sur l'ensemble du territoire pour lequel l'ARCEP est affectataire de ces fréquences, pour un réseau ouvert au public lui permettant de fournir un accès à internet fixe par satellite ;

- l’autre dirigé contre les trois décisions du 2 juin 2022 par lesquelles l'ARCEP a autorisé la société Starlink France SARL à utiliser les fréquences radioélectriques des bandes 17,7-19,3 GHz (sens espace vers Terre) et 29,5-30 GHz (sens Terre vers espace) afin d'établir des liaisons entre les systèmes à satellites non-géostationnaires enregistrés au registre international des fréquences respectivement sous les noms de Steam 2-B, Steam 2 et USASAT-NGSO-3D et la station terrienne Starlink GSN7914 située à Carros, dans les Alpes-Maritimes, pour la fourniture au public d'un accès à internet fixe par satellite.

Le litige, très technique, donne lieu à une décision, très longue, de rejet.

 

1 - Sur la décision de l’ARCEP du 25 mai 2022

 

S’agissant de la légalité externe de cette décision.

Le juge considère qu’il appartient à l'ARCEP d'attribuer les autorisations d'utilisation des fréquences ou bandes de fréquences radioélectriques qui lui ont été assignées par le Premier ministre. ; la décision n’avait donc pas à être signée conjointement avec les ministres chargés de la santé et de l'environnement. De plus, la formation plénière de l’ARCEP était en nombre pour délibérer au terme d’une consultation publique dont la sincérité n’a été en rien altérée. Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, l'autorisation a été accordée dans des conditions objectives et transparentes.

 

S’agissant de la légalité interne de cette décision.

Tout d’abord, ne sont pas retenus les moyens tirés, d'une part, de ce que l'ARCEP n'aurait pas épuisé sa compétence et aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prescrire, au titre des 1°, 4°, 6° et 9° du II de l'art. L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, des conditions d'utilisation des fréquences de nature à garantir que leur utilisation ne causera pas de brouillages préjudiciables aux autres systèmes satellitaires, d'autre part, de ce qu'elle aurait ainsi méconnu l'objectif de gestion équitable des fréquences énoncé au 7° du I de l'art. L. 32-1 du même code. En effet, le juge indique qu’il en est ainsi en raison des conditions et garanties dont l’autorisation litigieuse est assortie : enregistrement du système à satellites non-géostationnaires avec lequel les stations terriennes fixes installées chez les clients de la société Starlink Internet Services Limited résidant en France pourront établir des liaisons, sous le nom de Steam-1 au registre international des fréquences tenu par l'UIT, qui consigne ses caractéristiques et les fréquences qui lui sont assignées ; la société attributaire ne bénéficie pas d'une garantie de non brouillage et est soumise à une obligation de non interférence vis-à-vis des autres utilisateurs des mêmes bandes de fréquences ; elle est tenue de respecter les règles définies pour l'utilisation des fréquences par la convention de l'UIT et par le règlement des radiocommunications ; l'utilisation des fréquences par les terminaux des utilisateurs est soumise aux conditions techniques décrites à l'annexe 1 à la décision ECC/DEC/(17)04 de la conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications, conditions de nature à prévenir le risque d'interférences préjudiciables à d'autres services autorisés ; obligation est faite à l’attributaire d'interrompre immédiatement toute activité liée à l'utilisation de ces fréquences si des brouillages étaient constatés. 

Ensuite, sont également rejetés comme dirigées contre des décisions n’étant pas entachées d’erreur manifeste d’appréciation la fixation à dix ans de la durée de l’autorisation ou la circonstance que l'autorisation attaquée ne comporte pas de conditions supplémentaires pour assurer la promotion d'une concurrence effective. 

Pas davantage ne saurait être retenu le moyen qu’une autorisation d’utilisation de fréquences radioélectriques méconnaîtrait le droit au respect de la vie privée protégé par les art. 8 de la convention EDH et 9 du Code civil.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, compte tenu de l'état des connaissances scientifiques, ni les objectifs d'un niveau élevé de protection de l'environnement et de la santé et de sobriété de l'exposition de la population aux champs électromagnétiques énoncés au 8° et au 9° du II de l'art. L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques ni le principe de précaution n'impliquaient d'assortir l'autorisation contestée, outre le respect des valeurs limites d'exposition aux champs électromagnétiques fixées réglementairement, de prescriptions particulières et de mesures de prévention ou de protection.

 

2 - Sur les décisions de l’ARCEP du 2 juin 2022

 

S’agissant de la légalité externe de ces décisions

Sont rejetés les deux moyens principaux tirés, d’abord, comme ci-dessus, du défaut de signatures conjointes des décisions attaquées par les ministres chargés de l'environnement et de la santé et, ensuite, de l’irrégularité de la procédure suivie au regard de l’art. L. 123-19-2 du code de l’environnement et de la non consultation du public concernant l’autorisation donnée à l’attributaire d’utiliser des fréquences radioélectriques pour transmettre des signaux entre trois systèmes satellitaires enregistrés au registre international des fréquences et une unique station terrestre fixe, située à Carros (Alpes-Maritimes) car si ces autorisations participent de la fourniture de services fixes d'accès à internet à haut débit par satellite, elles sont pas par elles-mêmes susceptibles d'avoir une incidence importante sur le marché de la fourniture d'accès à internet à haut débit ou d'affecter les intérêts des utilisateurs finals.

 

S’agissant de la légalité interne de ces décisions

D’abord, les conditions mises à l'utilisation des fréquences dont s'agit pour établir des liaisons avec la station terrienne de Carros ne sont pas insuffisantes pour prévenir les risques de brouillage avec les autres systèmes satellitaires.

Ensuite, les décisions attaquées n'ayant pas pour objet d'autoriser l'utilisation d'une position orbitale par un système satellitaire mais, seulement, l'utilisation des fréquences qui lui sont assignées sur le territoire français, pour permettre la liaison entre les satellites et une station terrestre fixe, il s’ensuit que doivent être écartés les moyens tirés de la méconnaissance de l'objectif de garantir un niveau élevé de protection de l'environnement et du principe de précaution. 

Enfin, pas davantage que pour l’autre décret ne saurait être retenue une atteinte à la vie privée du chef direct de cette autorisation.

(17 avril 2023, Sociétés Viasat Inc et Skylogic France, n° 466294 ; Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 469188, 469313, 469314, 469315, jonction)

 

12 - Demande de déréférencement - Contenu d’une information - Contenu n’étant plus strictement nécessaire à l’information du public - Annulation du refus par la CNIL de mettre en demeure un journal.

Le requérant demandait l’annulation du refus de la commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) de mettre en demeure le journal La Montagne de procéder au déréférencement d’un article contenant une information le concernant.

Pour annuler ce refus le Conseil d’État retient que l'article de presse litigieux, qui se rapporte à une condamnation de l’intéressé pour des faits d'escroquerie, de banqueroute, de faux et usage de faux, d'abus de confiance et d’exécution de travail dissimulé, et qui a été publié dans le quotidien régional La Montagne « porte sur des faits antérieurs à 2014, qu’il se borne à relater de façon factuelle le procès et la condamnation dont » le requérant  « et la gérante de droit de la société au sein de laquelle il intervenait ont fait l'objet, sans comporter d'analyses ou de commentaires de nature à nourrir un débat d'intérêt public sur les enjeux liés à cette procédure.

En outre, il relève que l’intéressé, âgé de 68 ans, dont la société, en cause dans l'affaire pénale relatée par l'article, a été liquidée en 2013 et qui ne peut légalement plus avoir la qualité de dirigeant d'entreprise jusqu'à ce que la peine d'interdiction de gérer pendant 15 ans à compter de janvier 2017 à laquelle il a été condamné soit entièrement purgée, « ne jouit pas d'une notoriété particulière, le dossier ne faisant à cet égard ressortir ni que l'affaire dans laquelle il a été condamné aurait fait l'objet d'autres commentaires publics, ni que la décision d'appel aurait elle-même donné lieu à un article de presse référencé par le même moteur de recherche à partir de son nom. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier, et n'est d'ailleurs pas allégué par la CNIL, que l'article de presse litigieux ne serait pas accessible en ligne à partir d'autres informations que le nom de M. A. Enfin, l'article de presse dont le déréférencement est demandé ne peut être regardé comme reflétant la situation judiciaire actuelle de l'intéressé dès lors que, par un arrêt du 14 mars 2018, la cour d'appel de Riom a réduit la peine infligée au requérant par le tribunal correctionnel à deux ans d'emprisonnement assorti d'un sursis avec mise à l'épreuve de deux ans et à une interdiction de gérer de dix ans et a confirmé la peine complémentaire de première instance de publication de la décision en la limitant toutefois au dispositif de son arrêt et à une seule publication. Dans ces conditions, et eu égard aux répercussions que le référencement de cet article est susceptible d'avoir sur la situation personnelle du requérant, l'accès à ce contenu en ligne à partir du nom de ce dernier ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme strictement nécessaire à l'information du public, justifiant de maintenir le lien litigieux par exception au principe selon lequel la personne concernée a le droit au déréférencement des contenus la concernant. »

(20 avril 2023, M. A., n° 463487)

 

13 - Engagement librement consenti par un opérateur en déploiement du réseau de fibre jusqu’à l’habitant en zone moins dense - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Force contraignante de l’engagement (art. L. 33-13, code des postes et télécommunications) - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Absence de nature contractuelle - Rejet.

(21 avril 2023, Société Orange, n° 464349)

V. n° 25

 

14 - Modifications des caractéristiques techniques d’émission par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) - Modifications intervenues après délivrance de l’autorisation d’usage des fréquences - Objectif d’intérêt général - Absence d’illégalité - Rejet.

Les collectivités requérantes poursuivaient l’annulation du la décision du 4 novembre 2020 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA devenu ARCOM) a autorisé la société d'exploitation du multiplexe R6-SMR6 à modifier son site de diffusion ainsi que la décision du 19 février 2021 rejetant leur recours gracieux.

Après avoir indiqué - étrangement - que les décisions contestées n’avaient pas à être motivées ni, non plus, à donner le sens et la date de l’avis de l'Agence nationale des fréquences concernant les décisions d'implantation sur le territoire national des stations radioélectriques de toute nature, lequel n’avait pas, non plus, à être publié ou communiqué dans le cadre de l’instance, le juge rejette le recours au fond. Il se fonde à titre principal sur ce qu’il résulte des dispositions des articles 22, 25 et 30-2 de la loi du 30 septembre 1986 que le CSA (devenu ARCOM), détient la possibilité de modifier, postérieurement à la délivrance des autorisations d'usage de fréquence, dans un objectif de bonne gestion du domaine public hertzien et de prise en compte de l'intérêt du public, les spécifications techniques dont est assorti cet usage et notamment, parmi celles-ci, le lieu d'émission à partir duquel s'effectue la diffusion, dans la mesure où de telles modifications ne remettent pas en cause les choix opérés entre les différents candidats lors de l'attribution initiale des fréquences, l'existence même de l'autorisation délivrée ni les conditions essentielles de sa mise en oeuvre. 

(25 avril 2023, Commune de Vesoul, communauté d'agglomération de Vesoul et autres, n° 461678)

 

15 - Demande d’engagement par l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) d’une procédure de sanction - Invocation de la mauvaise qualité d’un réseau de communications électroniques en fibre optique - Préjudices graves allégués - Absence d’un droit à bénéficier de l'accès à un réseau en fibre optique- Engagements pris par l’exploitant du réseau - Défaut d’urgence - Rejet.

La communauté d’agglomération requérante a demandé en vain à l’ARCEP la prise de sanction à l’encontre des opérateurs responsables de la mauvaise qualité, sur son territoire, du réseau de communications électroniques en fibre optique. Elle soutient que cette situation préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts matériels et moraux de ses administrés, faisant valoir que les dysfonctionnements persistants de l'accès à ce réseau compromettent la continuité des services publics, des activités économiques et du télétravail sur son territoire. Elle invoque en outre la directive du 11 décembre 2018 portant code des communications électroniques européen, dont l'art. 84 dispose que « (...) les États membres veillent à ce que tous les consommateurs sur leur territoire aient accès, à un tarif abordable, compte tenu des circonstances nationales spécifiques, à un service d'accès adéquat à l'internet à haut débit disponible (...) ».

Elle saisit le Conseil d’État d’un référé suspension contre le refus de l’ARCEP d’engager une procédure de sanction. Sa demande est rejetée.

Au plan théorique, le juge des référés répond qu’il ne résulte pas des dispositions de cette directive que les usagers puissent se prévaloir d'un droit à bénéficier de l'accès à un réseau en fibre optique. Au plan pratique, le juge relève que l'ARCEP fait état, dans sa décision litigieuse du 20 février 2023, des engagements pris auprès d'elle par l'exploitant du réseau, notamment sur la remise en état des infrastructures dégradées, avec une échéance au mois de mai 2023 pour 17 points de mutualisation.

C’est pourquoi, à défaut d’urgence, la demande en référé suspension est rejetée.

(ord. réf. 04 avril 2023, Communauté d'agglomération Paris-Saclay, n° 472306)

 

Biens et Culture

 

16 - Occupation domaniale - Domaine public maritime - Tarif de la redevance applicable aux bateaux dans le Port-Vieux de La Ciotat - Redevance domaniale et non pour service rendu - Justification par la rareté des emplacements disponibles - Prise en considération de la taille des bateaux - Rejet.

La commission permanente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a adopté la tarification 2018 pour l'occupation du domaine public maritime applicable au Port-Vieux de la commune de La Ciotat, telle que détaillée dans le rapport et ses annexes et décidé d'augmenter de 200 euros le montant de la redevance des bateaux de plaisance au port à sec et des bateaux de plaisance des catégories A à D amarrés au port à flot, à l'exclusion des bateaux dits de tradition et des bateaux des catégories E à P du port à flot.

Sur recours des requérants le tribunal administratif a annulé cette délibération mais sur appel de la société publique locale (SPL) La Ciotat Shipyards et du département des Bouches-du-Rhône la cour administrative d’appel a infirmé ce jugement.

Le Conseil d’État rejet le pourvoi des demandeurs contre cet arrêt.

La cour est approuvée d’abord pour avoir jugé que si la redevance acquittée en contrepartie de l'autorisation d'occupation du port de plaisance ouvrait droit à titre accessoire au bénéfice d'un service de manutention au moyen d'un chariot élévateur pour la mise en eau et hors d'eau des navires en cas de passage du port à sec au port à flot et inversement, cette redevance était calculée de façon globale et forfaitaire, avec pour seuls critères de détermination de son tarif la longueur des bateaux, leurs caractéristiques et l'emplacement de leur stationnement, indépendamment de l'utilisation effective de l'engin de levage et d’en avoir déduit que cette redevance revêtait le caractère d'une redevance domaniale et non, fût-ce pour partie, d'une redevance pour service rendu, de sorte que sa modification avait légalement pu intervenir sans être précédée de l'affichage prévu par les dispositions précitées de l'art. R. 5314-9 du code des transports. 

Semblablement, c’est sans illégalité que la Cour s’est fondée, pour apprécier la légalité des tarifs fixés par la délibération litigieuse, sur la rareté des emplacements disponibles et sur les avantages procurés aux bénéficiaires par leur occupation. 

Enfin, c’est sans erreur de droit qu’elle a estimé que le principe d’égalité n’avait pas été méconnu en l’espèce par la délibération litigieuse prévoyant, pour les occupants du port à flot, des tarifs différents selon la taille des navires pour tenir compte de la rareté relative des emplacements de différente taille et exempter de la hausse de la redevance les navires dits de tradition, qui se trouvent placés dans une situation différente de celle des autres navires.

(14 avril 2023, Association des plaisanciers du Port-Vieux de La Ciotat et autres, n° 462797)

 

17 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Demande préfectorale d’ordonner une démolition - Étendue des pouvoirs du juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA - Rejet.

De ce que le juge des référés ne peut ordonner sur le fondement de l'art. L. 521-3 du CJA que des mesures qui ont nécessairement un caractère provisoire ou conservatoire, il s’ensuit qu’invité par un préfet à ordonner la démolition d’une extension de bâtiment empiétant sur le domaine public maritime, ce juge ne peut que rejeter cette demande car, de ce chef, sa compétence ne peut s’exercer qu’en vue d’ordonner le démontage ou le déplacement de l’ouvrage litigieux.

En jugeant qu'aucun principe ne faisait obstacle à ce qu’il soit ordonné à l'occupant irrégulier du domaine public de démolir les ouvrages implantés sans droit ni titre sur le domaine public dans le cas où cette destruction découle directement et nécessairement de la mesure d'expulsion, le juge des référés du tribunal administratif a entaché son ordonnance d'erreur de droit. 

(14 avril 2023, Société Cuisine éco-logique et diététique caribéenne, n° 466993)

 

18 - Exposition d’œuvres picturales – Tableau très suggestif présenté par une société chargée d’une mission de service public – Demande de retrait du tableau ou son interdiction d’accès aux mineurs – Rejet.

Les requérantes demandaient le retrait d’un tableau exposé au Palais de Tokyo, société dont l’État est l’unique actionnaire et qui est chargée d’une mission de service public, ou l’interdiction d’accès de mineurs à cette exposition consacrée à l’œuvre d’une artiste.

Le tableau, dénommé « Fuck abstraction ! », représente, selon la description donnée par le juge « la silhouette d'un homme au corps très puissant, nu, sans visage, qui impose une fellation à une victime mince et de très petite taille, nue, à genoux et aux mains liées dans le dos ».  La question posée est classique dans l’histoire de la culture : la dénonciation d’actes ignobles peut-elle être faite au moyen de leur représentation ou de leur mise en scène ? Comment faire le départ entre le voyeurisme complice et la catharsis ?

L’autrice du tableau envisage son œuvre « comme un site de résistance individuelle et de dissidence, dénonçant l'humiliation et la violence (…) la caisse de résonance des conflits contemporains et de leur médiatisation, de la guerre du Golfe à celle des Balkans dans les années 1990 et des changements géopolitiques qui suivent le " Printemps arabe " aussi bien que des conflits qui, depuis le début des années 2000, ont poussé des centaines de milliers de personnes du Moyen-Orient et d'Afrique à migrer. »

Ici, pour rejeter les demandes dont il était saisi, le juge des référés, statuant en appel, retient l’interdiction d’accès aux mineurs visitant seuls l’exposition ainsi que les précautions prises par la société organisatrice sur fond de liberté de création et de liberté de diffusion artistiques. Reste que manque, dans ce qui demeure, un acte de communication, donc entre deux parties, le sentiment et les mobiles de l’autre partie, le visiteur, dont on ne peut trop présumer l’innocence du regard. Comme le dit Paul Valéry à propos de ses écrits : « Mes vers ont le sens qu'on leur prête. Celui que je leur donne ne s'ajuste qu'à moi, et n'est opposable à personne. C'est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait même mortelle, que de prétendre qu'à tout poème correspond un sens véritable, unique et conforme à quelque pensée de l'auteur. »  (Variété III (1936), Commentaires de Charmes (1929), p. 1509, éd. Pléiade).

(ord. réf. 14 avril 2023, Association Juristes pour l'enfance, n° 472611 ; Association Pornostop, n° 472612 ; Association Innocence en danger, n° 472646 ; Association Face à l’inceste, n° 472702)

 

19 - Décret portant classement de sites – Procédure d’enquête – Absence d’erreur d’appréciation – Rejet.

Il était demandé l’annulation du décret du 25 septembre 2020 portant classement, parmi les sites du département du Rhône, des vallons de l'ouest lyonnais, comprenant les communes de Charbonnières-les-Bains, Dardilly, Ecully, Marcy-l'Etoile, La-Tour-de-Salvagny. La demande est annulée aucun des moyens invoqués n’étant retenu par le juge.

En premier lieu, la circonstance que l’art. L. 121-16 du code de l'environnement, prévoyant la faculté pour l'autorité compétente d'organiser une concertation préalable à l'enquête publique associant le public pendant l'élaboration du projet, ne faisait pas obstacle à ce que le directeur régional de l'aménagement et du logement décidât d'organiser à un stade préparatoire une consultation restreinte à certains acteurs, qui différait, tant par sa nature que par son déroulement, de la concertation préalable mentionnée à l'art. L. 121-16. Le décret attaqué n’a, ainsi, pas été pris au terme d'une procédure irrégulière.

Les requérants ne sont pas fondés à soutenir que dossier d'enquête publique accessible en ligne était incomplet, en ce qu'il ne comportait ni le bilan des échanges ni le rapport de présentation incluant l'analyse paysagère, historique et géomorphologique du site. Toutefois, d'une part, le bilan de ces échanges, distincts de la concertation préalable définie à l'art. L. 121-16 du code de l'environnement et mentionnée au 5° de l'art. R. 123-8 du même code, n'avait pas à figurer au dossier soumis à l'enquête publique. Tout comme ces requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir ni qu’aurait nui à l'information complète du public ni qu’aurait été de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête l'absence du rapport de présentation dans le dossier mis en ligne dès lors qu’il a pu être consulté dans la version papier du dossier d'enquête publique mise à la disposition du public dans les locaux des mairies concernées.

Pas davantage ne peut être invoquée l’erreur figurant tant dans le rapport du commissaire enquêteur que dans l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites ayant consisté à attribuer à une délibération communale un sens favorable

 alors que c’est l’inverse qui s’est produit car, selon le juge « cette inexactitude n'a pas été susceptible de nuire à la bonne information du public ni de nature à exercer une influence sur les résultats de l'enquête ». Ce rejet pêche par le défaut de toute explication à son soutien.

Il est aussi jugé que l'autorité publique n'étant pas tenue de donner suite à la réserve dont le commissaire enquêteur avait assorti son avis favorable et portant sur l'absence de création d'un comité de gestion préalablement à son adoption, le moyen est inopérant. Là aussi un peu moins d’hermétisme n’aurait pas nui.

Enfin, au fond, le classement est justifié en ce qu’il est fondé, d’une part, sur le caractère pittoresque du site pour justifier son classement au regard de son homogénéité, de la qualité de son bâti et de la richesse de son milieu naturel ainsi que de sa proximité avec une zone fortement urbanisée et d’autre part que le site en cause se caractérise par la qualité et la diversité de ses paysages de fond de vallée dans un contexte péri-urbain qui constitue l'une de ses spécificités et présente, comme autre trait remarquable, le fait d'être traversé par de nombreux ruisseaux, tout en offrant de belles perspectives lointaines sur les monts du Lyonnais et les monts d'Or, ainsi qu'une structure paysagère qui constitue un exemple unique de relief de ce type à proximité de la ville de Lyon.

(19 avril 2023, Mme O., n° 446831 ; Association de défense des vallons de l'ouest lyonnais et autres, n° 446869)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) – Calcul de la contribution incendie – Détermination des contributions de chaque commune et établissement public de coopération intercommunale – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel ne prend pas en compte la part départementale des contributions au budget du service départemental d'incendie et de secours puisque depuis 2004 la contribution du département est arrêtée par le conseil départemental dans un compte distinct.

(12 avril 2023, Commune de Pignan, n°s 452386, 452388, 452389, 452392, 452393, 452395, 452396 et 452399)

 

Contrats

 

21 - Marché de maîtrise d’œuvre en vue d’une opération de construction hospitalière – Résiliation pour faute aux frais et risques – Demande de reprise des relations contractuelles ou, à défaut, de paiement du solde du décompte de résiliation et d’indemnisation du préjudice subi – Marché de substitution - Annulation partielle.

Un marché de maîtrise d'œuvre d’une opération de construction d'un pôle et d'un nouveau bâtiment médicotechnique a été confié par les Hôpitaux civils de Colmar à un groupement momentané d'entreprises solidaires composé de la société Art et Build Architectes, mandataire du groupement, et des sociétés B+B, OTE et Gamba. Ce marché a été résilié le 6 juillet 2015 à l'égard de la seule société Art et Build pour faute, à ses frais et risques.

En conséquence, le maître d’ouvrage a conclu le 27 juillet 2015 un avenant au marché confiant, d'une part, à la société B+B, la mission de mandataire et, d'autre part, aux sociétés B+B et OTE les éléments de mission de base et optionnels inachevés par la société Art et Build. Cette dernière devait donc supporter leur coût dans le cadre de ce marché de substitution.

La société requérante a contesté cette résiliation et a demandé, à titre subsidiaire, la réparation des préjudices subis puis elle a introduit devant le tribunal administratif un recours en contestation de validité de la résiliation. La société a mis en demeure la personne publique de lui notifier le décompte de résiliation du marché à la suite du rejet de sa réclamation. Cette mise en demeure étant restée sans réponse, elle a demandé le 6 novembre 2015 aux Hôpitaux civils de Colmar de lui verser le solde de son contrat résilié. Devant le refus opposé à cette dernière réclamation, la société en a saisi le tribunal administratif qui a rejeté ses demandes.

Elle se pourvoit en cassation de l'arrêt du 28 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a annulé ce jugement en tant qu'il avait rejeté sa demande tendant au paiement du solde du décompte de résiliation du marché conclu avec les Hôpitaux civils de Colmar, puis rejeté cette demande et le surplus de ses conclusions. 

Si la décision est classique concernant la résiliation du marché pour faute et la conclusion subséquente d’un marché de substitution en ce que, d’une part, la faute est établie et la résiliation jugée proportionnée à la gravité de la faute commise, et d’autre part, est jugé légal le recours à un marché de substitution en l’état d’un refus d’exécuter une mise en demeure, il est assez innovant en matière de pénalités de retard.

Le juge rappelle le caractère purement forfaitaire des pénalités contractuelles qui sont liées au fait matériel de l’inexécution des obligations contractuelles et sont dues alors même que la personne publique n'aurait subi aucun préjudice ou que le montant des pénalités mises à la charge de son cocontractant qui résulte de leur application serait supérieur au préjudice subi. Elles sont donc applicables de plein droit et ce n’est qu’à titre exceptionnel que le juge, saisi de conclusions en ce sens, peut modérer ou augmenter ces pénalités lorsqu’elles atteignent un montant manifestement excessif ou dérisoire, eu égard au montant du marché ou aux recettes prévisionnelles de la concession, y inclus les subventions versées par l'autorité concédante, et compte tenu de la gravité de l'inexécution constatée. C’est évidemment à la partie concernée qu’incombe la démonstration du caractère excessif, dans un sens ou dans l’autre, des pénalités contractuellement prévues.

Dans le cas où – et c’est là l’apport principal de cette décision –, la convention litigieuse  fixe la part qui revient à chaque membre d'un groupement solidaire dans l'exécution d'une prestation, le juge saisi par l'un de ces membres de conclusions tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge en raison des retards dans l'exécution de la part des prestations dont il avait la charge, doit, pour apprécier leur caractère manifestement excessif eu égard au montant du marché, prendre en compte la seule part de ce marché qui lui est attribuée en application de cette convention.

En l’espèce, il est jugé qu’en prenant en compte la totalité du montant du marché pour calculer la part de ce marché que représentaient les pénalités infligées à la société Art et Build Architectes et non la seule part de ce marché attribuée à cette dernière, la cour administrative d'appel, qui n'était saisie que des conclusions présentées par cette dernière société et tendant à ce que soient modérées les pénalités mises à sa charge par les Hôpitaux civils de Colmar, a commis une erreur de droit. 

(12 avril 2023, Société Art et Build Architectes, n° 461576)

 

22 - Travaux de construction d’un collège – Désordres – Transaction entre le maître d’ouvrage et l’assureur d’un des participants à la construction – Action subrogatoire de l’assureur – Régime applicable – Erreur de droit – Annulation.

A la suite de désordres apparus après la réception des travaux de construction d’un collège, le département maître d'ouvrage et son assureur, la société SMA, ont conclu une transaction par laquelle le département s’est désisté de son action engagée contre cette société et, réciproquement, cette dernière a accepté de l'indemniser notamment de la somme de 791 226 euros au titre des désordres affectant l'étanchéité de la toiture.

Subrogée dans les droits du département en vertu de la quittance subrogative, la société SMA, a saisi le tribunal administratif de Grenoble qui a notamment condamné M. E. et la société Patriarche et Co, maître d'œuvre, ainsi que la société Les fils d'Eugène D., entrepreneur, à lui verser la somme de 785 824,91 euros hors taxes au titre des désordres identifiés susindiqués, augmentée de la TVA et des intérêts au taux légal, et condamné la société Les fils d'Eugène D. à garantir M. E. et la société Patriarche et Co à hauteur de 90 % des condamnations mises à leur charge.

Sur l'appel formé par la société Les fils d'Eugène D., la cour administrative d'appel a ramené le montant de la condamnation à la somme de 395 613 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.

La société SMA se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il limite l'indemnité qui lui a été allouée à cette dernière somme.

Le juge rappelle qu’en vertu des dispositions de l’art. 1346-4 du Code civil et de l’art. L. 121-12 du code des assurances la subrogation a lieu dans la mesure de ce qui a été payé et dans la limite de la créance détenue par l'assuré contre le responsable. Le juge, saisi d’un recours subrogatoire exercé par l'assureur contre le tiers débiteur, doit, si les conditions d'engagement de la responsabilité du tiers débiteur sont remplies, déterminer le droit à réparation de l'assuré, puis celui de l'assureur subrogé. Le droit de ce dernier ne peut, naturellement, excéder le montant de l'indemnité d'assurance qu'il a versée à son assuré.

Revenant au cas de l’espèce – et ceci est l’apport principal de la décision -, le juge examine l’hypothèse où est retenu un partage de responsabilité en raison d'une faute commise par l'assuré ; en ce cas il est jugé que ce partage doit être appliqué à l'assiette constituée par l'évaluation du préjudice subi par l'assuré et non au montant de l'indemnité versée par l'assureur à son assuré. C’est pourquoi la cour administrative d’appel a commis ici une erreur de droit en appliquant le partage de responsabilité qu'elle a retenu en raison d'une faute commise par le département maître d’ouvrage, au montant de l'indemnité d'assurance versée par la société SMA au département au titre de la transaction, alors qu'il lui appartenait d'appliquer ce partage au seul montant de l'évaluation du préjudice subi par le département.

L’arrêt querellé est annulé en tant qu'il limite l'indemnité allouée à la société SMA à la somme de 395 613 euros.

(12 avril 2023, Société SMA, n° 463881)

 

23 - Marché public de service – Exécution de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane – Clause d’exclusion des candidats ayant certains liens avec des entités exploitant le sol ou le sous-sol – Demande d’écarter cette clause – Rejet.

L'Office national des forêts (ONF), en vue de la passation du marché public de service relatif à l'exécution de missions de travail aérien et de transport public sur l'ensemble du territoire de la Guyane, a inséré une clause prévoyant l'exclusion des candidats ayant un lien organique ou capitalistique avec toute entité physique et/ou morale exerçant une activité professionnelle soit d'exploitation du sol ou du sous-sol, soit étroitement liée à celles-ci.

Cette clause a été retenue car le marché en cause concerne la fourniture de moyens en vue de la mission de surveillance des activités minières légales et illégales dont la bonne exécution impose des exigences de confidentialité et d'indépendance des pilotes vis-à-vis notamment des personnes susceptibles de faire l'objet de cette surveillance.

La société requérante a demandé au juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA), d'ordonner à l'Office national des forêts (ONF), à titre principal, de reprendre l'analyse des offres en vue de la passation de ce marché public de service en écartant la clause d'exclusion de certains candidats ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel appel d'offres, après avoir écarté le motif d'exclusion litigieux, si la reprise de l'analyse des offres est impossible. 

Le juge des référés a enjoint à l'ONF de supprimer cette clause des documents contractuels du marché, d'informer les opérateurs économiques intéressés de cette modification des documents contractuels et d'ouvrir, à compter de cette information, un nouveau délai de réception des offres au moins égal à cinquante jours.

Le pourvoi de l’ONF contre cette ordonnance est accueilli et le Conseil d’État statue au fond.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la clause litigieuse, qui vise à assurer l'indépendance de l'attributaire du marché et de ses pilotes vis-à-vis des entités ou activités susceptibles d'être contrôlées dans le cadre de l'exécution de ce marché, doit ainsi être regardée comme une condition de participation à la procédure de passation propre à garantir les capacités professionnelles des candidats nécessaires à l'exécution du marché, au sens des dispositions de l'art. L. 2142-1 du code de la commande publique et elle ne porte donc pas, contrairement à ce qu’a jugé le juge des référés, sur les conditions d'exécution du marché lui-même, qui sont soumises, elles, aux dispositions de l'art. L. 2112-2 du même code.

Ensuite, réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État rejette le recours en ses trois moyens. D’abord, l'ONF n’a pas méconnu, dans les circonstances de l’espèce, les dispositions de l'art. L. 2141-10 du code de la commande publique, qui visent la prévention d'une situation de conflit d'intérêts susceptible d'intervenir dans la procédure de sélection des offres et d'attribution du marché. Ensuite, si le juge du référé précontractuel peut annuler la procédure de passation d'un marché pour manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de fixer des niveaux minima de capacité liés et proportionnés à l'objet du marché résultant de l'art. L. 2142-1 du code de la commande publique, il ne peut le faire que si l'exigence de capacité imposée aux candidats est manifestement dépourvue de lien avec l'objet du marché ou manifestement disproportionnée. Tel n’est pas le cas en l’espèce car aucune des autres modalités que la société Héli-Cojyp présente comme alternatives à la clause litigieuse n'aurait permis à l'ONF de garantir que les candidats disposent des capacités professionnelles nécessaires à l'exécution du marché compte tenu des exigences de confidentialité et d'indépendance précitées.  Enfin, alors même que les liens commerciaux que pourrait entretenir un candidat avec une personne physique ou morale exerçant une activité professionnelle liée à l'exploitation du sol ou du sous-sol ne sont pas de même nature que des liens organiques ou capitalistiques avec une telle personne, la requérante ne peut soutenir que la clause en litige aurait été rédigée de telle manière à n'exclure que la société Héli-Cojyp et qu'ainsi elle revêtirait un caractère discriminatoire. La motivation du rejet de ce dernier moyen laisse à désirer.

(12 avril 2023, Société Héli-Cojyp, n° 466740)

 

24 - Marché de fourniture d’un produit larvicide contre les moustiques – Candidat retenu proposant un produit sans autorisation de mise sur le marché (AMM) – Illicéité du contrat conclu – Rejet.

La commune de Hyères, suite à un appel d’offres, dans le cadre d’un marché de fourniture, en vue de la fourniture d’un produit larvicide destiné à éradiquer les moustiques, a retenu la candidature de la société CERA et conclu avec elle un contrat. La société Sumitomo Chemical Agro Europe – qui fournissait le produit présenté par une société évincée du contrat, la société Bergon - a demandé au tribunal administratif, à titre principal, d'annuler ce contrat et, à titre subsidiaire, d’en prononcer la résiliation. Sa demande a été rejetée en première instance puis accueillie en appel d’où le pourvoi en cassation des intimées.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État retient, comme la cour, la circonstance que le produit proposé par la société n’avait pas reçu d’autorisation de mise sur le marché et que ce produit ne pouvait prétendre bénéficier des dérogations prévues par le droit de l’Union européenne.

Comme, d’une part, l’offre de la société Bergon n’était pas irrégulière, incomplète ou inacceptable, et d’autre part, le produit « Aquabat XT » présenté par la société CERA comportait une substance active dont la demande d’autorisation de mise sur le marché n’avait pas été autorisée à la date de la conclusion du contrat, il s’ensuit que le contrat litigieux est entaché d’illicéité à raison de ce que son objet même est irrégulier. C’est donc sans erreur de droit ni inexactitude dans la qualification des faits que la cour a jugé que le défaut d'autorisation de mise sur le marché d'un produit dont la fourniture constituait l'objet même du contrat litigieux entachait d'illicéité le contenu de ce contrat et qu'un tel vice était de nature à justifier son annulation.

(05 avril 2023, Commune de Hyères, n° 459834 ; Société Compagnie Européenne de Réalisations Antiparasitaires (CERA), n° 459865)

 

25 - Engagement librement consenti par un opérateur en déploiement du réseau de fibre jusqu’à l’habitant en zone moins dense - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Force contraignante de l’engagement (art. L. 33-13, code des postes et télécommunications) - Acceptation de l’engagement par le ministre compétent - Absence de nature contractuelle - Rejet.

Le litige opposait la société Orange et l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du fait de la mise en demeure de cette société par la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l’ARCEP, d’avoir à respecter sa proposition d'engagements relatifs au déploiement de réseaux de fibre jusqu'à l'habitant en zone moins dense.

Parmi les nombreux moyens développés au soutien de son recours par la société Orange, un seul retiendra l’attention, le lecteur étant renvoyé au texte de la décision pour ses aspects propres au droit des communications électroniques.

La requérante soutenait que les engagements qu’il lui était reproché de ne pas exécuter correctement avaient la nature d’un contrat. Le Conseil d’État rejette cette argumentation.

Tout d’abord, l’art. L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques dispose notamment : « Le ministre chargé des communications électroniques peut accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux.

L'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 (...) ».

Ensuite, la société requérante soutient que les engagements souscrits au titre de l'article L. 33-13 précités devraient être regardés comme de nature contractuelle.

Pour rejeter cette analyse juridique, le Conseil d’État juge que, par ces dispositions, « le législateur a entendu donner une force contraignante aux engagements librement consentis par les opérateurs en matière de déploiement du réseau de fibre jusqu'à l'habitant en permettant au ministre chargé des communications électroniques de les accepter. Il en résulte que les engagements librement souscrits sur ce fondement et acceptés par cette autorité ne peuvent être qualifiés de contrat entre l'opérateur et l'État. Par conséquent, la requérante ne peut utilement se prévaloir de ce que les dispositions attaquées conduiraient à méconnaître la liberté contractuelle. »

Ce raisonnement appelle plusieurs observations.

D’abord, le juge administratif exclut la force obligatoire de l’engagement unilatéral, ce qui s’écarte fort de la solution retenue en droit civil et en droit commercial.

Ensuite, il fait dépendre la force obligatoire de cet engagement de son acceptation par le ministre compétent.

Enfin, et ceci paraît contradictoire avec ce qui précède. En décidant que la force obligatoire de l’engagement unilatéral résulte de son acceptation par l’autorité administrative, le juge décrit ni plus ni moins que le mécanisme central du contrat, la rencontre d’une offre et d’une acceptation concordantes, des volontés elles-mêmes concordantes du solvens et de l’accipiens. Il est difficile, dès lors, de ne pas apercevoir un contrat dans cette situation. D’autant qu’il a déjà été jugé que deux actes unilatéraux concordants constituent un contrat (ainsi de deux délibérations de conseils municipaux, chacune constituant pourtant une décision unilatérale : C.E. 20 mars 1996, Commune de Saint-Céré, Rec. Lebon p. 87 ; CAA Paris, 20 novembre 2007, Commune de Bry-sur-Marne, 05PA02535 ; en ce sens, voir : J.C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Universités, 2018 p. 47 § 56).

De plus, la confusion s’accroît à la lecture du deuxième alinéa de l’art. L. 33-13 précité où il est indiqué que l’ARCEP contrôle le respect de l’engagement et sanctionne les manquements à cet engagement. Tout ceci plonge entièrement dans l’univers contractuel et la position du juge semble d’autant moins judicieuse.

(21 avril 2023, Société Orange, n° 464349)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Recours en révision – Notion de « pièces fausses » - Rejet.

Les requérants soutiennent, dans le cadre d’un recours en révision, lequel ne peut être formé que si le juge n’a été déterminé à la solution qu’il a retenue qu’en raison de ce qu’elle repose sur des pièces fausses, que tel est le cas en l’espèce.

Dans le cadre de la contestation de la délivrance d’un permis de construire, il est soutenu que la décision du Conseil d'État du 27 juillet 2022 dont ils demandent la révision a été rendue sur pièces fausses.

Les demandeurs font d’abord valoir que les deux pièces fournies à l'appui de la demande du permis de construire modificatif n° 4, intitulées « synthèse surface taxable PCM 4 » et « synthèse surface de plancher PCM 4 », comportent des omissions volontaires de la part de la société pétitionnaire, en ce qu'elles ne mentionnent pas, dans le tableau de synthèse du calcul de la surface taxable et de la surface de plancher du projet, le local de stockage de matériel de piscine de 28 m2, dont la prise en compte porte la surface de plancher au-delà de 2 000 m2.

Les demandeurs font ensuite valoir que cette omission aurait une incidence sur la conformité du projet aux dispositions des articles UH 2 et UH 15 du règlement du plan local d'urbanisme, dans sa version alors applicable, lequel doit, lorsque la surface de plancher du projet dépasse 2 000 m2, comporter 25% de logements à coûts abordables, prévoir un dispositif de production d'énergie renouvelable et au moins un dispositif destiné à économiser l'eau. 

Définissant la notion de pièces fausses, le juge rappelle qu’il ne suffit pas qu'une décision du juge administratif ait été rendue au vu de pièces dont les énonciations sont contredites par d'autres pièces du dossier pour regarder cette décision comme ayant été rendue sur pièces fausses. Ici, les deux pièces litigieuses ne sont pas constitutives d’un faux n’ayant pas été délibérément falsifiées par la pétitionnaire.

Cette décision montre l’étroitesse des cas d’ouverture du recours en révision que renforce l’interprétation restrictive qu’en donne le juge ce qui n’est pas anormal pour une voie de recours qualifiée d’« extraordinaire ».

(07 avril 2023, M. et Mme A., n° 467857)

 

27 - Référé suspension d’une décision administrative – Absence de moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision - Motivation insuffisante de l’ordonnance de rejet – Annulation.

L’une des deux conditions exigées par l’art. L. 521-1 CJA pour former un référé suspension est de faire état « d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ». Dans une affaire où était contestée la décision administrative de fermeture d’un EHPAD, le juge a rejeté la demande au motif qu'il n'était pas fait état dans la requête d'un moyen propre à créer un doute sérieux.

Pour annuler le rejet de cette dernière, le Conseil d’État reproche au juge des référés de n’avoir pas analysé soit dans les visas de son ordonnance, soit dans les motifs de celle-ci, les moyens développés au soutien de la demande de suspension, afin, notamment, de mettre le juge de cassation en mesure d'exercer son contrôle. En effet, le juge du référé suspension s’était borné, d’abord dans les visas, à relever que la demanderesse soutenait que la décision attaquée était entachée « d'erreurs de faits », qu'elle avait « méconnu l'art. L. 313-16 du code de l'action sociale et des familles » et qu'elle était « entachée d'une erreur manifeste d'appréciation » et était « disproportionnée », puis dans les motifs qu’« aucun des moyens analysés ci-dessus, dans les visas n'apparaissait propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ». C’est là une « maigre motivation ».

(13 avril 2023, Société par actions simplifiée EHPAD Flore, n° 470481)

 

28 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Demande d’intervention au litige – Condition remplie – Admission.

(14 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465403)

V. n° 52

 

29 - Question préjudicielle – Office du juge administratif saisi – Impossibilité de soulever d’autres questions que celle(s) posée(s) même d’ordre public – Annulation.

Une cour d’appel a renvoyé au juge administratif une question préjudicielle car elle estime que si un cautionnement consenti par une commune à des personnes privées a le caractère d'un contrat de droit privé, elle n'est pas compétente pour dire si les conditions dans lesquelles l'organe investi du pouvoir délibérant a donné son adhésion au cautionnement souscrit en faveur d’une société sont conformes aux dispositions de la loi n°88-13 du 5 janvier 1988 et du décret d'application de l'art. L. 2252-1 du CGCT, invoqués par la commune.

Il suit de là que la cour, en mentionnant ce seul moyen, qui est relatif aux conditions de fond dans lesquelles une commune peut accorder à une personne de droit privé une garantie d'emprunt ou son cautionnement, a défini et limité l'étendue de la question qu'elle entendait soumettre à la juridiction administrative.

C’est pourquoi, le tribunal administratif saisi de cette question a méconnu son office de juge de la question préjudicielle, en statuant sur le point de savoir si le conseil municipal avait disposé, avant d'adopter la délibération litigieuse, d'éléments d'information suffisants pour lui permettre de vérifier que les règles prudentielles prévues par les dispositions de l'art. L. 2252-1 du CGCT et ses décrets d'application étaient respectées.

La société requérante est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué.

(04 avril 2023, MM. B. et A., n° 458592)

 

30 - CSA puis ARCOM - Demande d’engager une procédure de mise en demeure - Refus - Saisine du juge - Défaut d’intérêt pour agir - Rejet.

(07 avril 2023, M. F., n°s 460468, 462378, 463033, 463399, 463400)

V. n° 8

 

31 - Caractère contradictoire de la procédure contentieuse - Décision fondée sur une déclaration à la police - Document ne figurant pas dans les pièces de la procédure - Méconnaissance du contradictoire - Annulation.

Dans un litige relatif à une obligation de quitter le territoire français (OQTF) et fixant le pays de destination était invoquée une déclaration de l’époux de la requérante faite à la police. Ce document ne figurait pas dans les pièces de la procédure. Le tribunal administratif a annulé les décisions attaquées mais la cour administrative d’appel a retenu cette déclaration pour annuler le jugement.

Sur pourvoi de l’intéressée, l’ordonnance est annulée. Ce qui frappe c’est la solennité du ton adopté par le juge. Celui-ci écrit : « 1. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes ".

2. Il résulte de ces dispositions qu'au nombre des règles générales de procédure qui s'imposent, même en l'absence d'un texte exprès, à toutes les juridictions, figure celle d'après laquelle aucun document ne saurait être régulièrement soumis au juge sans que les parties aient été mises à même d'en prendre connaissance. »

Comme indiqué ci-dessus ces exigences n’ont pas été respectées en appel.

(07 avril 2023, Mme A., n° 462428)

 

32 - Communication du sens des conclusions du rapporteur public - Communication très tardive et ambiguë - Annulation du jugement subséquent.

Le Conseil d’État annule un jugement rendu dans des conditions irrégulières.

L'audience devant se tenir au tribunal, à 9h30, le rapporteur public a, à 9 heures, porté à la connaissance des parties le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer dans les termes suivants : « Satisfaction totale ou partielle ».

La procédure est irrégulière d’abord car le demandeur ne peut pas être regardé comme ayant été mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, le sens des conclusions du rapporteur public.

La procédure suivie est également irrégulière car leur « sens » ne permettait pas de connaître la position du rapporteur public sur le montant de l'indemnisation qu'il proposait de mettre à la charge de l'État, et ne satisfaisait dès lors pas aux prescriptions de l'art. R. 711-3 du CJA.

L’annulation ne pouvait pas être évitée.

(07 avril 2023, M. B., n° 463412)

 

33 - Opposition d’une irrecevabilité manifeste insusceptible d’être couverte en cours d’instance - Pièces du dossier en sens contraire - Obligation de surseoir à statuer - Irrégularité - Annulation.

Est entachée d’irrégularité conduisant à sa censure l’ordonnance du juge d’appel qui rejette une requête comme entachée d'une irrecevabilité manifeste faute qu’elle ait été présentée par le ministère d'un avocat et qu’ait été formée une demande d'aide juridictionnelle, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que le requérant avait, dans sa requête d'appel, expressément indiqué avoir déposé une demande d'aide juridictionnelle,  et qu’il incombait donc au juge d’appel de surseoir à statuer.

(07 avril 2023, M. A., n° 464100)

 

34 - Marché de construction d’un groupe scolaire - Litige portant sur le décompte d’un macro-lot - Opposition de fins de non-recevoir - Pouvoirs d’évocation du juge d’appel et effet dévolutif - Annulation.

Dans un litige où était en cause « le destin de fins de non-recevoir » (pour reprendre l’intitulé du célèbre article de R. Odent aux Mélanges M. Waline, LGDJ 1974, p. 653) présentées devant la juridiction d’appel, le Conseil d’État rappelle l’état général de la jurisprudence avant d’en faire application au cas de l’espèce.

Tout d’abord, le juge indique les solutions classiques en la matière : « 1. (…) lorsque le juge d'appel statue par la voie de l'évocation, il est tenu d'examiner l'ensemble des moyens soulevés en première instance même lorsqu'ils n'ont pas été repris devant lui, à la seule exception des moyens qui ont été expressément abandonnés. 

2. (…) saisi par l'effet dévolutif de l'appel, le juge d'appel, auquel est déféré un jugement ayant rejeté au fond des conclusions sans que le juge de première instance ait eu besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées devant lui, ne peut faire droit à ces conclusions qu'après avoir écarté expressément ces fins de non-recevoir, alors même que le défendeur, sans pour autant les abandonner, ne les aurait pas reprises en appel. »

Ensuite, le juge de cassation annule l’arrêt déféré à sa censure pour manquement à l’office du juge d’appel en ce qu’il a fait partiellement droit aux conclusions présentées devant elle par la société demanderesse appelante tant par la voie de l'évocation que par celle de l'effet de dévolutif de l'appel, sans avoir expressément statué sur les fins de non-recevoir qui n'étaient pas inopérantes et que la commune de Brétigny-sur-Orge n'avait pas expressément abandonnées.

En effet, la commune de Bretigny-sur-Orge avait opposé en première instance trois fins de non-recevoir aux demandes présentées par la société demanderesse, tirées de l'absence de signature du mémoire en réclamation présenté par cette société, de l'absence d'envoi de ce mémoire au maître d'œuvre et de sa tardiveté eu égard à la date de notification du décompte général. La circonstance que la commune de Brétigny-sur-Orge n'a pas respecté le délai fixé par le tribunal administratif pour la production du mémoire récapitulatif que ce tribunal l'avait invitée à produire (cf. premier alinéa de l'art. R. 611-8-1 du CJA), alors qu'elle avait expressément repris, dans ce mémoire récapitulatif enregistré avant la clôture de l'instruction, ces trois fins de non-recevoir ne pouvait conduire à les regarder comme ayant été abandonnées par la commune, contrairement à ce que soutient la société demanderesse.

(07 avril 2023, Commune de Brétigny-sur-Orge, n° 464339)

 

35 - Sursis à l’exécution d’un arrêt d’appel - Conséquences difficilement réparables - Affirmation non établie - Rejet.

La cour administrative d’appel a enjoint au maire de la commune demanderesse à la cassation, de prendre, dans le délai d'un mois à compter de la notification de son arrêt, des décisions de non-opposition aux déclarations préalables litigieuses, déposées en vue de la création de lots sur une parcelle.

Le pourvoi, fondé sur ce que « dans les circonstances particulières de l'espèce » l’exécution de l'arrêt litigieux risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables, est rejeté.

Le Conseil d’État relève que les déclarations préalables en cause, qui ne font pas état de la réalisation de travaux d'aménagement, ont pour seul objet de permettre la division foncière d'un terrain appartenant aux pétitionnaires. La commune n’indique pas en quoi consistent  « les circonstances particulières de l'espèce » qu'elle invoque et ne saurait soutenir que la non opposition demandée rendrait possible l'engagement des travaux projetés par les pétitionnaires, travaux dont la consistance n'est pas précisée et dont elle n'indique pas s'ils ont donné lieu au dépôt d'une demande d'autorisation d'urbanisme et, le cas échéant, à la délivrance d'une telle autorisation. 

(14 avril 2023, Commune de Saint-Didier-au-Mont-d’Or, n° 468578)

 

36 - Tierce opposition - Conditions de formation d’un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Organisme représenté par un autre - Irrecevabilité de la tierce opposition.

Un litige a opposé le Conseil national des barreaux français (CNBF) à l’association Ouvre-boîte concernant la demande, par cette dernière, de publication en ligne de l'annuaire national des avocats établi par le Conseil national des barreaux qui avait été rejetée par le CNBF. Le Conseil d’État a annulé la décision du Conseil national des barreaux refusant de publier en ligne l'annuaire national des avocats comportant le nom et le prénom de chacun des avocats, le numéro d'identifiant CNBF, le barreau d'appartenance, l'adresse, le nom et le numéro de SIREN de la structure d'exercice, la ou les mentions de spécialisation, la date de prestation de serment, les bureaux secondaires et les langues parlées, dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé, et a enjoint au Conseil national des barreaux de mettre en ligne dans ce même standard l'annuaire national des avocats comportant les informations énumérées dans un délai d'un mois à compter de sa décision (V. sur cette affaire, la présente Chronique, septembre 2022, n° 4 et n° 5 ).

La Caisse nationale des barreaux français forme un recours en tierce opposition contre cette décision. Pour rejeter ce recours le Conseil d’État que le numéro d'identification CNBF est une donnée à caractère personnel créée par la Caisse nationale des barreaux français et fournie à l'avocat lors de son affiliation aux régimes de retraite et de prévoyance qu'elle gère, qui permet d'identifier l'avocat de manière unique et elle est utilisée par ce dernier pour l'authentification de l'accès à son espace personnel en ligne sur le site de la CNBF, comprenant l'ensemble des données à caractère personnel relatifs à cette affiliation. Ce numéro, partagé par la CNBF avec d'autres institutions intervenant dans la gestion de la profession d'avocat, dont le Conseil national des barreaux, demandeur en tierce opposition, sert notamment d'identifiant de connexion pour l'ensemble des outils numériques de ce dernier, dont le portail e-Barreau. Il en résulte que la Caisse nationale des barreaux français avait, s'agissant de la préservation de la confidentialité de cette donnée pour la sécurité de l'authentification des avocats à des services en ligne, des intérêts concordant avec ceux du Conseil national des barreaux dans le litige opposant ce dernier à l'association Ouvre-boîte. Elle doit, par suite, être regardée comme ayant été représentée par ce Conseil dans l'instance ayant statué sur ce litige. Sa tierce opposition est irrecevable puisque selon l’art. R. 832-1 CJA l’action en tierce opposition n’est ouverte que contre une décision juridictionnelle préjudiciant aux droits du demandeur, dès lors que ni lui ni ceux qu'il représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

(20 avril 2023, Caisse nationale des barreaux français, n° 470972)

 

37 - Conseiller du commerce extérieur de la France – Radiation de la liste de ces conseillers - Défaut d’urgence – Rejet de la demande en référé suspension.

Le Conseil d’État rejette la demande de suspension d’exécution du décret du 2 février 2023 en ce qu'il l'a radié de la fonction de conseiller du commerce extérieur de la France en raison du défaut d’urgence, condition indispensable à l’admission d’une action à fin de référé suspension et à son éventuel succès. Le juge rejette pour deux motifs l’argument selon lequel il y aurait urgence à suspendre la décision de radiation attaquée car elle porterait une atteinte grave à sa réputation professionnelle et à son activité, eu égard au fait que ses clients potentiels seraient conduits, lors des diligences auxquelles ils procèdent avant d'avoir recours aux services de son entreprise, à en prendre connaissance, notamment par la consultation des informations le concernant sur internet. 

En premier lieu, la qualité de conseiller du commerce extérieur de la France n'est pas destinée à l'usage personnel ni au soutien de l'activité professionnelle de ceux qui se la voient reconnaître, mais à organiser le concours qu'ils apportent au ministre chargé de l'économie afin de soutenir le développement des échanges internationaux de la France. 

En second lieu, les difficultés des entreprises dirigées par le requérant, qui ont résulté notamment des sanctions prises après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, sont antérieures à la publication de décret attaqué, sans que la radiation litigieuse soit à l'origine de difficultés spécifiques.

(ord. réf. 18 avril 2023, M. A., n° 472647)

 

38 - Acte à dispositions indivisibles - Demande d’annulation partielle - Irrecevabilité - Rejet.

Réitération d’une solution contentieuse classique et bien connue : sont radicalement irrecevables les conclusions à fin d’annulation partielle d’un acte indivisible. Ici était demandée l’annulation des articles 1er et 4 du décret du 8 avril 2022 relatif aux aides exceptionnelles attribuées aux entreprises de transport public routier et aux entreprises de négoce d'animaux vivants alors que ces articles sont indivisibles des autres dispositions de ce texte.

(21 avril 2023, Fédération des distributeurs alimentaires spécialisés (FEDALIS), n° 464846)

 

39 - Régime contentieux spécifique aux décisions concernant le projet de terminal méthanier flottant du Havre - Régime des délais et nature du double degré de juridiction - Inopérance de certains moyens - Rejet.

Était contesté ici le décret du 29 septembre 2022 relatif au régime contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l'axe Seine (site du Havre).

Le recours est rejeté en dépit des caractéristiques très dérogatoires au droit commun de ce contentieux si particulier.

Rappel de ce que tant la règle du double degré de juridiction que le régime juridique des délais de recours devant le juge administratif relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire. C’est donc sans illégalité qu’en cette matière le décret litigieux confie au tribunal administratif de Rouen une compétence en premier et dernier ressort, fixe à un mois le délai de recours contentieux et décide que ce dernier n’est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif préalable. Enfin, la circonstance que le non-respect du délai de dix mois imparti au tribunal pour statuer n’est pas sanctionné, n’étant pas prescrit à peine de nullité du jugement tardif ou de dessaisissement de la juridiction, n’affecte pas la sécurité juridique.

Par ailleurs, est inopérante en l’espèce l’invocation de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (n° 2022-843 DC, du 12 août 2022, Loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat) car le décret attaqué, qui relève du « pouvoir réglementaire autonome » (noter l’expression…)  pour fixer la procédure applicable devant la juridiction administrative, n'a pas été pris en application des articles 29 et 30 de la loi du 16 août 2022 précitée. 

On peut cependant trouver que ce cumul de dérogations, allant toutes dans le même sens de resserrement des possibilités des candidats au recours, commence à faire beaucoup.

(28 avril 2023, Association Ecologie pour Le Havre et autres, n° 469305)

 

40 - Demande de pension militaire d’ayant-cause - Demanderesse illettrée - Lenteur aléatoire du courrier entre la France et le Mali - Circonstances particulières - Annulation.

La requérante, résidente malienne, a demandé le 8 février 2018 le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité en sa qualité d'ayant-cause de son époux, décédé en 2007. Elle a saisi, par suite du refus opposé par la ministre des armées, le tribunal administratif par un recours du 16 septembre 2020, enregistré le 7 octobre 2020 au greffe du tribunal, tendant à l'annulation de ce refus. Par lettre du 19 novembre 2020, le greffe du tribunal a demandé à l’intéressée de régulariser le défaut de signature de sa demande dans le délai d'un mois. Celle-ci a accusé réception de cette lettre le 16 décembre 2020 et y a répondu par un courrier revêtu de son empreinte digitale en date du 29 décembre 2020, enregistré au greffe du tribunal le 12 février 2021, postérieurement à l'ordonnance du 8 février 2021 du président de la 2ème chambre de ce tribunal qui a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable, faute de réception de la régularisation requise dans le délai prescrit.

Sur pourvoi de la requérante, l’ordonnance est annulée en raison de la lenteur et de l'imprévisibilité des délais d'acheminement du courrier postal entre la France et le Mali, que le tribunal administratif ne pouvait ignorer compte tenu du délai d'acheminement des différents courriers figurant au dossier et de ce que Mme A. avait expressément indiqué dans sa demande qu'elle était illettrée. C’est pourquoi le tribunal, en rejetant cette demande comme manifestement irrecevable, moins de deux mois après que l'intéressée avait reçu notification de la demande de régularisation, a rendu sa décision, dans les circonstances très particulières de l'espèce, au terme d'une procédure irrégulière conduisant à son annulation.

(28 avril 2023, Mme A., n° 459801)

(41) V. aussi, même solution : 28 avril 2023, Mme C., n° 459806.

 

42 - Compétence à l’intérieur de l’ordre administratif de juridiction - Approbation de la procédure de vol aux instruments d'un aérodrome - Compétence de premier ressort du tribunal administratif d’emprise de l’aérodrome - Transmission au tribunal administratif compétent.

Le recours formé contre le refus implicite de la ministre de la transition écologique d’abroger la décision de la directrice interrégionale de la sécurité de l'aviation civile du Nord relative à l'approbation des procédures de vol aux instruments de l'aérodrome de Lille-Lesquin, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État mais, en vertu des dispositions de l’art. R. 312-10 du CJA, du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve l'emprise de cet aérodrome, c’est-à-dire le tribunal administratif de Lille.

(21 avril 2023, Association de défense contre les nuisances aériennes et commune de Fretin, n° 465989)

 

43 - Aménagement commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l’État en justice par le président de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Effet d’un désistement plus de deux mois après la saisine de la CNAC - Rejet.

(28 avril 2023, Commission nationale d'aménagement commercial, n° 469710)

V. n° 199

 

44 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Construction d’un ensemble commercial – Principe de la cristallisation des moyens – Application en cette matière – Rejet.

(04 avril 2023, Société Distribution Casino France, n° 460754)

V. n° 194

 

45 - Permis initial et modificatif de construire un stade nautique - Absence d’étude d’impact jointe au dossier - Jugement avant-dire droit prononçant un sursis à l’exécution de l’autorisation - Règle de la cristallisation des moyens - Forclusion.

(17 avril 2023, Commune de Mérignac, n° 468789 ; SAS Stade nautique Mérignac, n° 468801)

V. n° 195 et n° 196

 

46 - Permis de construire – Connaissance acquise par une entrevue en mairie – Absence d’affichage – Exception de forclusion opposée à tort –Annulation.

(20 avril 2023, Mme H. et autres, n° 464606)

V. n° 197

 

47 - Demande d’injonction au président du conseil de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation de désigner un avocat - Procédure se déroulant devant le juge judiciaire - Incompétence manifeste du juge administratif - Rejet.

Rappel que le juge des référés du Conseil d'État ne peut être régulièrement saisi, en premier et dernier ressort, d'une requête tendant à la mise en œuvre de l'une des procédures d’urgence que pour autant que le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État. En l’espèce, la demande tendait à voir ce juge enjoindre au président de l'ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation de lui désigner un avocat afin de former un pourvoi en cassation à l'encontre du jugement d’une juridiction de l’ordre judiciaire.

La juridiction administrative du référé est évidemment incompétence pour accueillir une telle requête, d’où son rejet selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 du CJA.

(11 avril 2023, M. B., n° 472576)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Cession de titres non cotés entre filiales d’un même groupe – Prix considéré comme minoré – Libéralité réintégrée dans les résultats de la société vérifiée – Rejet.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société Crédit Agricole Leasing et Factoring (CALF), membre du groupe fiscalement intégré Crédit agricole, l’administration a considéré que la cession à une autre filiale du groupe de l'intégralité des titres non cotés de la société Slibail Longue Durée (SLD) avait été réalisée à un prix minoré et estimé que la libéralité ainsi consentie devait être réintégrée dans les résultats de la société vérifiée.

Elle a infligé à la société Crédit Agricole, société intégrante du groupe, l'amende de 5 % prévue au c du I de l'article 1763 du CGI pour défaut de déclaration de cette libéralité, regardée comme une subvention intragroupe.

Le tribunal administratif, saisi par le ministre des finances, ayant prononcé la décharge de l'amende fiscale en litige, le ministre a saisi la cour administrative qui a rejeté son appel et il se pourvoit en cassation.

L’arrêt est annulé par le motif que le tribunal administratif a fait droit à la requête du Crédit Agricole en se fondant sur un moyen inopérant, à savoir l’application d'une règle de droit inapplicable, et le ministre appelant n'a pas invoqué le caractère inopérant du moyen retenu par les premiers juges, il incombait au juge d'appel de relever d'office cette inopérance, compte tenu de sa nature, pour censurer le motif retenu par le tribunal, sous réserve du respect du contradictoire.

En l’espèce, le tribunal administratif a prononcé la décharge de l'amende qui a été infligée à la société Crédit Agricole au motif que, dans la procédure ayant conduit à la rectification du résultat de l'exercice clos en 2010 de la société CALF à raison de la réintégration de cet avantage et par suite du résultat d'ensemble du groupe au titre de ce même exercice, la cour administrative d'appel de Versailles avait, par un arrêt du 25 octobre 2018, qui était frappé d'un pourvoi, jugé que l'administration fiscale n'établissait pas l'existence d'une telle libéralité. Et la cour, rejetant l’appel du ministre, a jugé qu'en se bornant à soutenir que le tribunal administratif de Montreuil s'était, à tort, approprié les motifs de l'arrêt du 25 octobre 2018 sans critiquer le motif de décharge retenu par ce tribunal, le ministre ne critiquait pas utilement ce jugement.

Cependant, et c’est là un apport essentiel de cette décision, le Conseil d’État décide qu'en raison du principe d'indépendance des procédures menées à l'encontre, d'une part, de la société CALF ayant conduit à la rectification de son résultat de l'exercice clos en 2010 et, d'autre part, de la société Crédit Agricole en qualité de société mère du groupe ayant conduit à ce que lui soit infligée l'amende pour non-respect de son obligation déclarative, il appartenait à la cour de relever l'inopérance du motif retenu par le tribunal tiré de l'autorité de la chose jugée de l'arrêt du 25 octobre 2018 rendu dans le cadre de la première de ces deux procédures distinctes. La cour a ainsi commis une erreur de droit ce qui conduit à l’annulation de son arrêt.

(07 avril 2023, Société Crédit Agricole, n° 466244)

(49) V. aussi, portant sur un autre aspect du litige précédent, à savoir le rétablissement des déficits reportables du groupe fiscalement intégré dont elle est la société mère au titre de l'exercice clos en 2010, la décision annulant l’arrêt pour contradiction des motifs entre, d’une part, la constatation que la société dont les titres étaient cédés était en cessation d'activité progressive et que son actif net était essentiellement constitué d'un portefeuille de placements de trésorerie pour valider, eu égard à cette situation particulière, le recours à la seule méthode d'évaluation dite patrimoniale ou mathématique pour déterminer la valeur vénale de ces titres et, d'autre part, l’affirmation que ces mêmes circonstances particulières à l'espèce étaient également susceptibles d'avoir une influence sur le caractère significatif de l'écart de prix : 07 avril 2023, Société Crédit Agricole, n° 466247.

 

50 - Taxe d’aménagement - Immeuble figurant dans les stocks d’une entreprise – Traitement fiscal à l’entrée et à la sortie du stock – Rejet.

Le juge rappelle le traitement fiscal de la taxe d’aménagement grevant un immeuble qu’une société détient en stock.

Lorsqu'un immeuble figure dans les stocks d'une entreprise, il résulte tout d’abord du II de l'art. 302 septies B du CGI, que la taxe d'aménagement mise à sa charge à raison de cet immeuble vient en augmentation de son prix de revient, qui constitue en principe la valeur pour laquelle il est inscrit à l'actif.

En revanche, lorsque la taxe d'aménagement est établie après que l'immeuble est sorti de ses stocks, cette taxe doit être déduite en charge de son bénéfice imposable, pourvu que cette déduction intervienne, ainsi que l'exigent les dispositions du 4° du 1 de l'art. 39 du CGI, au titre de l'exercice au cours duquel elle a été mise en recouvrement.

La requérante n’ayant pas satisfait à ces conditions voit son pourvoi rejeté par suite d’une substitution des motifs à ceux sur lesquels reposait l’arrêt attaqué.

(14 avril 2023, Société R2L Constructions venant aux droits de la société LSA 57, n° 459464)

 

51 - Cession de créance de restitution d’un impôt non déductible – Sort fiscal du produit ainsi réalisé – Caractère imposable ou non imposable selon qu’a été ou non constatée une créance – Annulation.

La société Engie, société mère du groupe fiscalement intégré Engie, a demandé au tribunal administratif de prononcer :

- le rétablissement des déficits de l'ancien groupe Suez existant à la clôture de l'exercice 2007 pour un montant de 1 641 952 237 euros tel qu'il lui a été transféré au 1er janvier 2008,

- le rétablissement des résultats d'ensemble du groupe fiscalement intégré Engie au titre des exercices clos entre 2011 et 2014 tels qu'ils avaient été initialement calculés,

- la décharge des impositions supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions assimilées au titre des exercices clos en 2012 et 2013 mises à la charge du groupe pour un montant de 89 559 040 euros.

Si le tribunal administratif a fait droit à sa demande, la cour administrative d'appel, sur appel du ministre de l'économie, des finances…, a annulé ce jugement, remis à la charge de la société Engie les suppléments d'impôt sur les sociétés en litige et ramené les déficits de l'ancien groupe Suez existant à la clôture de l'exercice clos en 2007 au montant de 931 548 845 euros.  

La société Engie se pourvoit.

Le juge de cassation opère une distinction dans le cas où une société cède, dans les conditions prévues aux art. L. 313-23 et L. 313-24 du code monétaire et financier, une créance de restitution d'un impôt non déductible, selon que la créance a été enregistrée en comptabilité dans le respect des prescriptions des règles comptables ou qu’elle n’a pas été constatée en comptabilité.

Dans le premier cas, il est jugé que le produit que la société reçoit du cessionnaire doit être regardé comme procédant au remboursement anticipé d'un impôt non déductible et par suite n'est pas imposable. Dans l'hypothèse où cette cession est assortie d'une garantie au bénéfice du cessionnaire en cas de non-restitution de l'impôt en cause, les sommes versées le cas échéant ultérieurement à ce titre par la société cédante ne sont pas déductibles. 

Dans le second cas, il est jugé que le produit que la société reçoit du cessionnaire correspond, jusqu'à la constatation du caractère certain et liquide de la créance de restitution de l'impôt en cause, à un emprunt, ne donnant pas lieu à une augmentation de l'actif net de la société et, par suite, n'est pas imposable au titre de l'exercice au cours duquel il a été perçu. Après que le montant d'impôt non déductible remboursable par l'État a été déterminé, éventuellement à l'issue d'une procédure contentieuse, la part du produit de cession reçu par la société cédante, net des sommes versées le cas échéant au cessionnaire au titre de la garantie solidaire, n'est pas imposable à hauteur de ce montant. La part du produit net excédant, le cas échéant, ce même montant constitue en revanche une recette entrant dans la détermination du bénéfice imposable de la société cédante. 

C’est pourquoi, en l’espèce, l’arrêt d’appel est cassé pour erreur de droit en ce qu’en refusant de regarder le prix de cession fixé en application de la convention de cession du 2 septembre 2015 par laquelle la société Suez a cédé, en application de l'art. L. 313-23 du code monétaire et financier, les créances correspondant à la restitution du précompte mobilier qu'elle avait acquitté au titre des années 1999 à 2003, comme le remboursement anticipé d'un impôt non déductible faute pour le cessionnaire d'avoir été autorisé par l'État à procéder à un tel remboursement et compte tenu du caractère seulement partiel de ce remboursement, il n’a pas relevé que ces circonstances n'étaient pas de nature à faire obstacle à une telle qualification.

(14 avril 2013, Société Engie, n° 461811)

 

52 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Demande d’intervention au litige – Condition remplie – Admission.

Une société a demandé au tribunal administratif de prononcer la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2019 et 2020. Elle a obtenu gain de cause. Le ministre des finances s’est pourvu en cassation.

L'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest a formé une demande d’intervention dans cette instance ouverte par le ministre.

Se posait la question de la recevabilité de cette demande.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige est recevable à former une intervention, devant le juge du fond comme devant le juge de cassation. En conséquence, il juge recevable la demande d’intervention de l'établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest car celui-ci justifie d'un intérêt de nature à le rendre recevable à intervenir devant le juge de l'impôt compte tenu de la particularité des litiges en matière de taxe d'enlèvement des ordures ménagères.

(14 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465403)

 

53 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Non concordance entre le taux de taxe adopté par délibération d’une communauté d’agglomération et taux figurant sur les avis d’imposition - Annulation pour les années en litige.

Le Conseil d’État annule le jugement d’un tribunal administratif pour dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis car, pour rejeter le moyen selon lequel, en l'absence de notification par une communauté d'agglomération aux services fiscaux des décisions relatives au taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, en méconnaissance des dispositions de l'art. 1639 A bis du CGI, les impositions litigieuses ne pouvaient pas être recouvrées, il retient qu'il résultait de l'instruction que la délibération du conseil communautaire de la communauté d'agglomération avait été transmise aux services fiscaux, lesquels s'étaient fondés sur cette délibération et sur le taux qu'elle instituait pour asseoir les cotisations de taxe en litige. Alors qu’il ressortait directement de la délibération figurant au dossier qui lui était soumis, que le taux de taxe de 9,7 % qu'elle mentionne diffère de celui de 12,07 % figurant sur les avis d'imposition des années 2015 à 2019, également au dossier, adressés aux sociétés requérantes et que, par suite, cette délibération ne pouvait fonder les impositions en litige.

(05 avril 2023, Société Stezal et société Lannutti France Transport, n° 461947)

 

54 - Taxe sur les surfaces commerciales – Détermination de la surface à retenir – Chapiteaux temporaires – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que, pour l'établissement de la taxe sur les surfaces commerciales, la surface de vente à retenir pour le calcul de l'assiette est celle dont dispose l'établissement à raison duquel la taxe est établie à la date du fait générateur de l'imposition, soit le 1er janvier de l'année au titre de laquelle la taxe est due. Doit être prise en compte, à cet égard, la surface de la totalité des espaces de l'établissement affectés, à la date du fait générateur, à la circulation de la clientèle pour effectuer ses achats, à l'exposition des marchandises proposées à la vente ou à leur paiement et à la circulation du personnel pour présenter les marchandises à la vente qui présentent un caractère clos et couvert, sans qu'il y ait lieu d'exclure les surfaces des espaces ne revêtant pas un caractère permanent. Pour la détermination du taux de la taxe, il y a lieu, pour calculer le chiffre d'affaires au mètre carré, de tenir compte des surfaces de vente créées ou modifiées en cours d'exercice, y compris celles qui revêtent un caractère temporaire, au prorata du temps d'ouverture de ces surfaces.

Le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant que  la requérante ne pouvait inclure la surface de chapiteaux adjoints à titre temporaire aux locaux permanents des établissements litigieux dans la surface de vente retenue pour le calcul de la taxe sur les surfaces commerciales au motif que seules les installations closes et couvertes destinées à être exploitées de manière permanente étaient imposables à cette taxe.

(04 avril 2023, Société Castorama France, n° 443007)

 

55 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Activité de producteur-grainetier – Activité ne s'inscrivant pas dans un cycle biologique de production agricole ou dans son prolongement nécessaire – Bâtiment relevant du régime d’exonération – Qualification inexacte des faits - Annulation.

La requérante qui exerce l’activité de production et de négoce de semences a demandé, à raison du bâtiment qu’elle exploite à cette fin, l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties prévue au 6° a. de l’art. 1382 du CGI. Cela lui ayant été refusé, elle a saisi, en vain, le tribunal administratif. Celui-ci a jugé que son activité ne s'inscrit pas dans un cycle biologique de production agricole ou dans son prolongement nécessaire, la société n'étant pas propriétaire des semences, confie des graines, préalablement obtenues auprès de producteurs, à des agriculteurs chargés d'en assurer la multiplication dans le cadre d'une prestation de service et n'intervient pas dans leur culture qui est essentiellement assurée par les agriculteurs chargés de la multiplication des semences. 

La société se pourvoit et le jugement est annulé pour qualification inexacte des faits car, relève à juste titre le juge de cassation, l'activité de producteur-grainier s'insére bien dans le cycle biologique de la production végétale dès lors qu'elle confie à des agriculteurs-multiplicateurs le soin de multiplier des semences-mères dont, même si elle n'en est pas propriétaire, elle détient les droits, qu'elle assure la direction et la surveillance du processus de multiplication et qu'elle partage avec l'agriculteur-multiplicateur les risques de l'opération.

En conséquence, la demanderesse est fondée à soutenir que le bâtiment litigieux, dans lequel elle procède aux opérations de séchage, triage, calibrage, égrenage et conditionnement des semences vendues à ses clients, entre dans le champ de l'exonération prévue au 6° a. de l'art. 1382 du CGI, et à demander, pour ce motif, la décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie.

(04 avril 2023, Société Alliance Seeds, n° 451364)

(56) V. aussi, jugeant qu’il résulte des dispositions du 12° de l’art. 1382 du CGI qu’entrent dans le champ de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties qu’il institue non seulement les équipements techniques permettant la production d'électricité d'origine photovoltaïque mais également les constructions qui en sont le support nécessaire, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance : 28 avril 2023, Société Le Betout Énergies, n° 467433.

 

57 - Vérification de comptabilité - Proposition de rectification - Litige sur l’adresse d’envoi de cette proposition - Annulation.

La notification d'une proposition de rectification à une société doit être effectuée à la dernière adresse qu'elle a officiellement communiquée à l'administration fiscale aux fins d'y recevoir ses courriers.

En l’espèce, la proposition de rectification avait été adressée avenue du Château à Vincennes, dernière adresse connue de l'administration qui en avait eu connaissance par le comptable de la société VB Blois. La cour administrative d'appel a jugé que l'administration était en droit de tenir pour exacte l'information qui lui avait été ainsi communiquée. 

Le Conseil d’État est à la cassation de cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si l'adresse communiquée par le chef comptable au vérificateur à la suite d'échanges tendant à l'organisation d'une dernière réunion de synthèse, pouvait être regardée comme l'adresse à laquelle la société VB Blois dont le siège social était établi rue de Tolbiac à Paris entendait désormais recevoir les courriers émanant de l'administration fiscale. 

(05 avril 2023, Société VB Blois, n° 463112)

 

58 - Vérification de comptabilité - Proposition de rectification - Étendue de l’exigence de motivation - Contenu du document - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Une cour administrative d’appel avait jugé irrégulière la notification d’une proposition de rectification d’une déclaration fiscale car cette proposition ne comportait aucune indication des motifs du rejet de la comptabilité de l’entreprise et la proposition de rectification adressée à l’entreprise, qui était jointe, n'était pas accompagnée des cinq annexes donnant le détail des achats et des ventes retenus pour reconstituer le chiffre d'affaires de l'entreprise. 

Le Conseil d’État est à la cassation dès lors que la cour s’est abstenue de rechercher si les mentions des feuillets principaux de la proposition de rectification et jointe à celle notifiée au contribuable à titre personnel, tant en ce qui concerne les motifs du rejet de la comptabilité de la société que les éléments pris en compte pour la reconstitution de son chiffre d'affaires, auraient permis à M. C. de formuler des observations utiles pour contester le rehaussement en cause. Cela d’autant plus que la proposition de rectification notifiée à M. C. à titre personnel afin de tirer à son égard les conséquences en matière d'impôt sur le revenu des omissions de recettes constatées à l'occasion de la vérification de la comptabilité de l’entreprise, mentionne le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal, la catégorie d'imposition retenue ainsi que les années d'imposition concernées et que, d'autre part, était annexée à ce document une copie de la proposition de rectification adressée à l’entreprise.

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464623)

 

59 - Taxe sur les véhicules de société - Entreprise en liquidation judiciaire - Notification de l’avis de mise en recouvrement - Mandataire liquidateur seul habilité à représenter l’entreprise - Champ d’application de la loi - Moyen d’ordre public - Annulation.

Dans un litige en recouvrement de la taxe sur les véhicules de société étaient discutées les conditions de la notification de l’avis de mise en recouvrement adressé à une société en cours de liquidation judiciaire.

Alors que la cour administrative d’appel a jugé, sur le fondement de l’art. 1844-8 du Code civil,  que l'avis de mise en recouvrement de la taxe sur les véhicules avait été valablement notifié à la société requérante le 16 janvier 2001, de sorte qu'il avait pu faire courir le délai de recours et que sa réclamation préalable obligatoire formée le 23 juin 2016 était tardive, au motif que cet avis lui avait été notifié avant la publication au bulletin officiel des annonces civiles et commerciales du jugement du 10 janvier 2001 du tribunal de commerce arrêtant le plan de redressement organisant la cession de l'entreprise, le juge de cassation soulève d’office le moyen tiré de la méconnaissance du champ d’application de la loi. Selon ce dernier, il convenait d’appliquer les dispositions de l’art. L. 622-9 du code de commerce, à supposer même que la société ne se fût trouvée en liquidation que par l’effet de ce jugement. En effet, le Conseil d’État interprète ces dispositions comme signifiant que les droits et actions du débiteur qu'elles visent incluent ceux qui se rapportent, le cas échéant, aux dettes fiscales de celui-ci, et, par suite, aux actes de la procédure d'imposition le concernant, tels que les avis de mise en recouvrement, qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur son patrimoine (dans le même sens, voir, s’agissant de redressements relatifs à une entreprise individuelle mise en liquidation judiciaire, la décision de principe : Section, 14 mars 2008, Me Moyrand, n° 290591). Dès lors, c'est au liquidateur que doit être adressé, dès la date du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, un avis de mise en recouvrement des impositions dues par la société en liquidation. Par suite, si jusqu'à la date à laquelle l'administration a été informée de cette liquidation judiciaire, et au plus tard à la date de publication du jugement prononçant la mise en liquidation, la notification d'un avis de mise en recouvrement faite non au liquidateur mais à la seule société a pour effet d'interrompre (cf. art. L. 189 du livre des procédures fiscales), la prescription prévue aux art. L. 169 et suivants de ce livre, elle ne saurait être regardée comme régulière au regard des dispositions de l'art. L. 256 du livre des procédures fiscales. 

L’arrêt attaqué est annulé avec renvoi.

(07 avril 2023, M. C. agissant en qualité de mandataire liquidateur amiable de la société générale de textile Balsan, n° 456830)

 

60 - Convention fiscale franco-italienne du 5 octobre 1989 - Pouvoir d’interprétation du juge - Prévention des doubles impositions - Annulation.

L’Italie, comme de nombreux autres États, a conclu une convention fiscale, le 5 octobre 1989, avec la France en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales.

L’art. 10 de cette convention stipule que : « 1. Les dividendes payés par une société qui est un résident d'un État à un résident de l'autre État sont imposables dans cet autre État.

2. Toutefois, ces dividendes sont aussi imposables dans l'État dont la société qui paie les dividendes est un résident, et selon la législation de cet État (...) ».

L’art. 24 stipule pour sa part : « La double imposition est évitée de la manière suivante :

1. Dans le cas de la France :

a) Les bénéfices et autres revenus positifs qui proviennent d'Italie et qui y sont imposables conformément aux dispositions de la Convention, sont également imposables en France lorsqu'ils reviennent à un résident de France. L'impôt italien n'est pas déductible pour le calcul du revenu imposable en France. Mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français dans la base duquel ces revenus sont compris. Ce crédit d'impôt est égal :

- pour les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 16 et 17 (...) au montant de l'impôt payé en Italie, conformément aux dispositions de ces articles. Il ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus (...) ». 

Par ailleurs, le Conseil d’État juge que compte tenu du caractère forfaitaire de la quote-part des produits de participations qu'une société mère doit réintégrer à son bénéfice en application du I de l'art. 216 du CGI (applicable aux suppléments d’impôt sur les sociétés en litige au titre des années 2010, 2011 et 2012), sans possibilité pour cette dernière de limiter cette réintégration au montant réel des frais et charges de toute nature exposés par elle au cours de la période d'imposition en vue de l'acquisition ou de la conservation des revenus correspondants, les dispositions de cet article doivent être regardées non comme ayant pour seul objet de neutraliser la déduction, opérée au titre de ses frais généraux, des charges afférentes aux titres de participation dont les produits sont exonérés d'impôt sur les sociétés, mais comme visant à soumettre à cet impôt, lorsque le montant des frais est inférieur à cette quote-part forfaitaire, une fraction des produits de participations bénéficiant du régime des sociétés mères.

C’est pourquoi, dans l'hypothèse où il est établi que le montant des frais réellement exposés pour l'acquisition ou la conservation des produits de participations est inférieur à la quote-part forfaitaire, l'impôt français dans la limite duquel est imputé le crédit d'impôt correspondant à l'impôt retenu à l'étranger sur la totalité des produits de participations distribués est égal au produit du taux de l'impôt français et de la différence entre la quote-part forfaitaire et le montant des frais réellement exposés.

En l’espèce, la cour a jugé que la soumission à l'impôt sur les sociétés de la fraction des dividendes reçus par la société A. Raymond et Cie, société requérante, de sa filiale italienne correspondant à la quote-part de frais et charges fixée forfaitairement à 5 % de ces dividendes devait être analysée comme une modalité d'imposition de l'ensemble de ces revenus, ce dont elle a déduit que la société était fondée à demander, en application de l'article 24 de la convention fiscale franco-italienne, l'imputation de crédits d'impôt sur les cotisations d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre des exercices clos en 2010, 2011 et 2012.

Le Conseil d’État reproche à la cour l’erreur de droit qui a consisté à ne pas avoir recherché si le montant de la quote-part était supérieur aux frais et charges réellement exposés par la société A. Raymond et Cie pour l'acquisition ou la conservation des dividendes reçus de sa filiale italienne.

(07 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 462709)

 

61 - Cotisations de taxe sur les salaires - Conditions d’exonération d’un établissement pour personnes âgées - Exonération de TVA - Satisfaction des conditions du droit de l’Union - Rejet.

 Le 1 de l'article 231 du CGI, dans sa rédaction applicable aux années en litige, dispose : « Les sommes payées à titre de rémunérations aux salariés (...) sont soumises à une taxe égale à 4,25 % de leur montant évalué selon les règles prévues à l'article L. 136-2 du code de la sécurité sociale (...). Cette taxe est à la charge des entreprises et organismes qui emploient ces salariés, (...), qui paient ces rémunérations lorsqu'ils ne sont pas assujettis à la taxe sur la valeur ajoutée ou ne l'ont pas été sur 90 % au moins de leur chiffre d'affaires au titre de l'année civile précédant celle du paiement desdites rémunérations. (...) ». 

L’art. 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée dispose : « 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.

Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...)

2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ».

Enfin, selon le g du 1 de l'article 132 de cette même directive, les États membres exonèrent de la taxe sur la valeur ajoutée « les prestations de services et les livraisons de biens étroitement liées à l'aide et à la sécurité sociales, y compris celles fournies par les maisons de retraite, effectuées par des organismes de droit public ou par d'autres organismes reconnus comme ayant un caractère social par l'État membre concerné (...) ».

De la combinaison de ces textes s’impose une double recherche : celle de déterminer si l'activité est exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et celle de s’assurer que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

Sur le premier point, la CJUE considère que la condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Les dispositions de droit européen et de droit interne (art. 13 précité de la directive 2006/112/CE ; jurisprudence de la CJUE ; art. 256 précité du CGI et L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles) comme l’observation de la réalité de terrain conduisent à décider que les EHPAD agissent bien, en tant qu’autorité publique au sens et pour l’application de ces dispositions européennes comme nationales.

Sur le second point, eu égard au caractère social des EHPAD publics, qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources et qui, par suite, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations relatives à l'hébergement de celles-ci, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Au reste, cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu du b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI.

Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le non-assujettissement à la TVA de l'EHPAD Résidence des Prés, dont il n'est pas contesté qu'il est habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre, n'était pas susceptible de générer de distorsion dans les conditions de la concurrence au sens et pour l'application de l'article 256 B du CGI et des dispositions de la directive précitée du 28 novembre 2006. 

(07 avril 2023, Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Résidence des Prés, n° 463222)

(62) V. identique : 07 avril 2023, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise (CHAM), n° 463237.

(63) V. aussi, très voisin : 07 avril 2023, Centre hospitalier de Vire, n° 463241.

 

64 - Échange obligatoire et automatique d’informations - Dispositifs transfrontières soumis à déclaration - Secret professionnel de l’avocat - Question préjudicielle - Conformité ou non de l’art. 8bis ter § 5 de la directive 2011/16 du 15 février 2011 modifiée à la Charte des droits fondamentaux de l’Union - Rejet et admission partiels.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de commentaires administratifs relatif à l’application de l'article 8 bis ter, paragraphe 5, de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 modifiée, relative à l'échange automatique et obligatoire d'informations dans le domaine fiscal en rapport avec les dispositifs transfrontières devant faire l'objet d'une déclaration, au regard des articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Elles soutenaient notamment que, portant atteinte au secret de l’avocat, les dispositions de cet article violaient les articles précités de la Charte.

Le Conseil d’État a posé deux questions préjudicielles à la CJUE qu’il a ensuite retirées, cette Cour ayant entre-temps répondu à des questions identiques posées par la Cour constitutionnelle de Belgique. Étaient en cause les dispositions de l’art. 1649AD et de l’art. 1649 AE du CGI.

Le juge part du principe que si l’avocat est tenu au secret professionnel et si la violation de ce secret est pénalement réprimée, c’est sous réserve des limitations à cette exigence posées par la loi et répondant à des objectifs d’intérêt général tels, en l’espèce, la lutte contre la planification fiscale agressive et la prévention du risque d'évasion et de fraude fiscales.

Appliquant la jurisprudence bruxelloise (CJUE, 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a, aff. C-694/20), le juge décide :

- d’une  part, que les requérants sont fondés à soutenir que les deux premiers alinéas du paragraphe n° 180 et le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20 réitèrent des dispositions de l'article 1649 AE du CGI qui sont elles-mêmes identiques à des dispositions de l'art. 8 bis ter de la directive du 15 février 2011 modifiée contraires aux stipulations de l'art. 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et à en demander, pour ce motif, l'annulation. Ils sont, pour les mêmes motifs, fondés à demander l'annulation des mots « ou de notification » et « , à l'article 1649 AE du CGI » et du paragraphe n° 370 des commentaires publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-20, qui réitèrent les dispositions de l'art. 1729 C ter du CGI elles aussi contraires aux stipulations de l'art. 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- d’autre part, les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des paragraphes n°s 150 et 165 des commentaires administratifs publiés sous la référence BOI-CF-CPF-30-40-10-20, qui exposent les dispositions du premier alinéa du 4° du I de l'art. 1649 quater AE du CGI, de leur paragraphe n° 160, lequel se borne à énumérer les professions astreintes à une obligation de secret professionnel dont la violation est réprimée par l'art. 226-13 du code pénal, de leur paragraphe n° 170, qui traite de la détermination des débiteurs de l'obligation déclarative sans comporter aucun commentaire relatif à l'obligation de notification et de leur paragraphe n° 190, relatif à la notification par l'intermédiaire au contribuable lui-même.  

(14 avril 2023, Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers et Ordre des avocats du barreau de Paris, n° 448486)

 

65 - Propositions de rectification d’impositions - Domicile indiqué jugé fictif - Attribution d’un autre domicile - Absence de recherche de la réalité des faits - Annulation.

L’administration fiscale, bien qu’invitée par un couple de contribuables vérifiés à adresser ses correspondances à l’adresse d’un appartement appartenant à l’époux, situé à Saint-Martin, a envoyé une proposition de rectification d’impositions à Caluire-et-Cuire (Rhône) dont elle estimait que c’était là l’adresse de résidence effective des contribuables.

La cour administrative d’appel a considéré que l’administration avait correctement établi que l’adresse à Saint-Martin était fictive et que l’envoi de la notification à Caluire-et-Cuire était régulier.  La cour a, en effet, estimé que les contribuables n’avaient communiqué une adresse à Saint-Martin que pour pouvoir ensuite bénéficier des avantages fiscaux attachés à une telle domiciliation.

L’arrêt est cassé faute d’avoir recherché si l’adresse à Saint-Martin était inexistante ou n’avait été communiquée à l'administration fiscale que dans le but d'égarer celle-ci dans la conduite de la procédure de contrôle et de rectification de l'impôt.

Il existe bien une présomption d’innocence et il n’existe pas de présomption de véracité des supputations administratives.

(14 avril 2023, M. et Mme C., n° 467129)

 

66 - Contrôle fiscal - Opposition à ce contrôle - Régularité de la procédure d’imposition - Évaluation d’office - Régularité de la reconstitution du chiffre d’affaires - Rejet.

Une société avait demandé que soit prononcée la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2012 à 2014 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er avril 2011 au 31 mars 2014, ainsi que des pénalités correspondantes, et de l'amende qui lui a été infligée en application de l'art. 1759 du CGI. La cour administrative d’appel a, par arrêt confirmatif, rejeté l’appel formé par la contribuable contre le jugement du tribunal administratif prononçant un non-lieu à statuer à concurrence du dégrèvement accordé en cours d'instance et rejetant le surplus de sa demande.

Le pourvoi en cassation contre cet arrêt est rejeté.

Tout d’abord la procédure d’imposition suivie en l’espèce a été régulière dans la mesure où, en réponse à la demande du vérificateur de lui communiquer les éléments nécessaires à l’exercice de son contrôle (traitements informatiques en vue de s'assurer de la cohérence et de l'exhaustivité des ventes et règlements enregistrés, contrôle des taux de TVA appliqués aux ventes, suivi du flux matières, contrôle des procédures de correction et d'annulation utilisées par les systèmes de caisse ainsi que des traitements permettant de vérifier la cohérence et l'exhaustivité des données requises pour ces différentes analyses), et alors que la contribuable avait choisi de mettre à la disposition de l'administration les copies des documents, données et traitements lui permettant de réaliser les traitements informatiques souhaités sur son propre matériel, cette dernière s’est bornée à communiquer des fichiers portant non sur la période contrôlée mais sur celle postérieure en arguant de ce que l’établissement avait subi un incendie le détruisant partiellement.

La cour est donc approuvée d’avoir jugé, dans la mesure où la caisse enregistreuse n’avait pas été détruite et où le représentant de la société avait indiqué que lui avait été prêté une caisse enregistreuse en attendant la livraison d’une nouvelle, que l'absence de production des fichiers informatiques permettant la mise en œuvre des traitements informatiques que l’administration souhaitait entreprendre revêtait un caractère délibéré, de sorte qu'était caractérisée une situation d'opposition à contrôle fiscal et que l'administration pouvait légalement faire usage de la procédure d'évaluation d'office prévue à l'art. L. 74 du livre des procédures fiscales.

Ensuite, la cour n’a pas, non plus, donné aux faits de l’espèce une qualification juridique inexacte en adoptant les motifs du tribunal administratif, selon lequel la seule circonstance que la méthode de reconstitution retenue par l'administration conduisait à un chiffre d'affaires pour l'exercice clos le 31 mars 2013 supérieur à celui de l'exercice clos le 31 mars 2012 n'était pas de nature à établir, alors qu'en application de l'art. L. 193 du livre des procédures fiscales la charge de la preuve incombait à la société, qui avait régulièrement fait l'objet d'une procédure d'évaluation d'office pour opposition à contrôle fiscal, que cette méthode était radicalement viciée dans son principe et n'aurait pas tenu compte de la circonstance qu'un incendie avait partiellement détruit les bâtiments de la société en juin 2012.

(14 avril 2023, Sarl La Siesta, n° 463329)

 

67 - Omission de réponse à moyen - Date de règlement spontané de la TVA omise - Irrégularité - Annulation.

Est entachée d’irrégularité l’ordonnance d’appel qui ne répond pas au moyen invoqué par la contribuable, qui n’était pas inopérant, selon lequel elle avait spontanément réglé au cours du mois d'août 2018 la TVA omise, de sorte que le décompte des intérêts de retard qui lui ont été appliqués devait être arrêté au 31 août 2018, moyen qui différait de celui soulevé en première instance, tiré de ce que le décompte de ces mêmes intérêts devait être arrêté au 31 juillet 2018, que le tribunal administratif avait écarté au motif qu'il était constant que la société requérante n'avait pas procédé au paiement de cette taxe au cours du mois de juillet 2018.

(14 avril 2023, Société Cofagest Conseils, n° 467622)

(68) V. aussi, annulant, en matière de RSA, un jugement omettant de répondre au moyen de la requérante comportant une demande d’annulation du rejet d’un recours administratif préalable obligatoire et de condamnation subséquente du département à lui restituer les sommes récupérées comme indûment perçues : 20 avril 2023, Mme A., n° 466185.

 

69 - Cession de biens immobiliers - Soumission à une taxation à la TVA sur la marge - Biens acquis de vendeurs non assujettis à la TVA - Absence d’établissement du paiement de la taxe par les vendeurs initiaux - Moyen d’ordre public - Méconnaissance du champ d’application de la loi - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 268 du CGI telles qu’interprétées pat la jurisprudence de la CJUE que le régime de taxation sur la marge ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée. 

Méconnaît le champ d’application de la loi la juridiction jugeant que des cessions de biens immobiliers pouvaient être soumises au régime de taxation à la TVA sur la marge, alors qu'elle avait par ailleurs relevé que l'acquisition des terrains en litige, qui avait été effectuée auprès de vendeurs particuliers n'ayant pas la qualité d'assujettis, n'avait pas été soumise à la TVA, sans qu'il soit justifié que le prix d'acquisition aurait incorporé un montant de taxe acquittée en amont par les vendeurs initiaux.

On relèvera qu’est considérée ici comme un moyen d’ordre public la méconnaissance du champ d’application de la loi alors qu’il s’agit en réalité d’un texte législatif tel que son interprétation et son champ d’application résultent d’une décision de la CJUE ce qui n’est pas sans poser de problèmes au regard de la hiérarchie des normes.

(18 avril 2023, Société Dekal, n° 468094)

 

70 - Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) - Caisse des dépôts et consignations (SAS CDC Entreprises) - Plan d’attribution gratuite d’actions à certains salariés - Infliction d’amendes - Contradiction de motifs et erreurs de droit - Annulation.

La CDBF a condamné à amendes les requérants pour faute de gestion constitutive de l'infraction prévue à l'art. L. 313-4 du code des juridictions financières, à raison de décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

La Caisse des dépôts et consignations a instauré, le 1er octobre 2007, un mécanisme d'intéressement pour motiver et fidéliser les salariés de CDC Entreprises, dont la Caisse des dépôts est l'associée unique, en mettant en œuvre un plan d'attributions gratuites au bénéfice des salariés d'actions à dividende prioritaire représentant 20 % du bénéfice distribuable, sans droit de vote, le montant global de ces actions ne pouvant excéder 10 % du capital de la société. Dans ce cadre, par quatre décisions, des 21 décembre 2007, 19 décembre 2008, 21 décembre 2009 et 26 novembre 2010, M. A., en sa qualité de président de CDC Entreprises, a décidé l'attribution gratuite d'un total de 29 308 actions de préférence d'un montant nominal de 10 euros, réparties entre 70 salariés, lui-même étant bénéficiaire de l'attribution de 2 290 actions et M. D., directeur général de la société, recevant 1 623 actions. Par une décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 11 juin 2010, il a été décidé de procéder au versement de 3 268 412 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, une somme de 10 573 320 euros étant versée à la Caisse des dépôts et consignations. Par une nouvelle décision collective écrite des associés de CDC Entreprises du 31 mars 2011, il a été décidé de procéder au versement de 1 954 201 euros de dividendes prioritaires aux salariés détenteurs d'actions de préférence, tandis qu'une somme de 7 814 560 euros était versée à la Caisse des dépôts et consignations.

La CDBF a jugé que si les différents faits relatifs à la mise en œuvre, au fonctionnement et au dénouement du plan d'attributions gratuites d'actions présentaient un lien entre eux, ils ne pouvaient pas pour autant être regardés comme formant un tout indissociable. Elle a donc jugé que seuls les faits intervenus postérieurement au 29 janvier 2010 pouvaient être valablement poursuivis et sanctionnés et que ne pouvaient pas non plus être pris en compte ceux intervenus à partir de 2012, les personnes poursuivies ayant respectivement quitté leurs fonctions en 2011 et 2012. Elle n’a donc retenu que trois décisions pour examen : celle portant attribution d'actions intervenue le 26 novembre 2010, qu’elle a jugé régulière, et les deux décisions de distribution de dividendes intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011.

Ces deux dernières décisions ont été jugées constituer une faute de gestion de la part de MM. D. (directeur général de la même société CDC Entreprises), A. ( président de la société) et F. (directeur général de la Caisse des dépôts et consignations), la Cour de discipline budgétaire et financière estimant que ces deux décisions, l’une de ne pas procéder à des reports à nouveau, à la différence des années précédentes, et l’autre, de verser 20% du bénéfice distribuable aux salariés détenteurs des actions de préférence attribuées gratuitement, avaient conduit à attribuer des dividendes excessifs à ces salariés, pour des montants sans rapport avec l'objectif de fidélisation de ces salariés poursuivi par le plan d'attributions gratuites d'actions, et étaient en conséquence intervenues au détriment des intérêts matériels et patrimoniaux de la Caisse des dépôts et consignations, actionnaire public principal de CDC Entreprises. 

Sur pourvoi des trois intéressés, le Conseil d’État est à la cassation.

D’abord, il juge que la CDBF a entaché son arrêt de contradiction de motifs et d’erreur de droit en tant qu’après avoir jugé, par une partie de son arrêt qui est devenue définitive, que tous les actes et décisions afférents à l'adoption et à la mise en œuvre initiale du plan d'attributions gratuites d'actions, y compris les décisions d'attributions gratuites d'actions aux salariés intervenues en 2007, 2008 et 2009, étaient couverts par la prescription et que la décision d'attributions d'actions intervenue le 26 novembre 2010 était régulière, elle a jugé aussi que les décisions litigieuses intervenues les 11 juin 2010 et 31 mars 2011 conduisant en pratique à ne pas procéder à des reports à nouveau, ou très marginalement en 2011, avaient eu pour conséquence de léser la Caisse des dépôts et consignation du fait d'une remontée de dividendes moindre que celle à laquelle elle pouvait prétendre, alors que des décisions de report à nouveau total ou partiel auraient privé la Caisse des dépôts et consignations de toute remontée de dividendes ou en auraient réduit le montant par rapport aux sommes qui lui ont effectivement été distribuées sur la période de référence des années 2010 et 2011.

Ensuite, le juge de cassation relève une autre erreur de droit de la CDBF pour avoir jugé qu'en attribuant 20 % du bénéfice distribuable des exercices en cause aux salariés détenteurs des actions de préférence, les décisions litigieuses avaient conduit à leur attribuer un montant excessif de dividendes constitutif d'une faute de gestion, alors que, sauf à méconnaître tant les statuts modifiés de la société CDC Entreprises que le règlement général relatif aux attributions gratuites d'actions et les conventions d'actionnaires conclues avec les salariés bénéficiaires de cette attribution gratuite, toute décision de distribution de dividendes devait conduire au versement prioritaire d'un dividende correspondant à 20 % du bénéfice distribuable aux salariés titulaires de ces actions, en raison de leur caractère d'actions de préférence.

Il y a tout de même lieu de s’interroger sur la légitimité démocratique et morale de l’institution, au sein d’un groupe public, d’un tel mécanisme financier.

(21 avril 2023, M. D., n° 452310 ; M. F., n° 452412 ; M. A., n° 452420)

 

71 - Écoulement du délai de reprise de l’administration fiscale - Insuffisances ou omissions révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse (art. L. 188 C du livre des proc. fisc.) - Réouverture du délai de reprise - Conditions - Absence - Annulation.

Si l’art. L. 188 C du livre des procédures fiscales permet à l’administration fiscale, lorsque sont écoulés les délais de reprise, de réparer cependant les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux ou par une réclamation contentieuse jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due, c’est sous une double condition.

D’abord, seul l'engagement de poursuites peut être regardé comme ouvrant l'instance, non l'ouverture d'une enquête préliminaire, ni l'examen des poursuites par le ministère public, qui n’ont pas, eux-mêmes, un tel effet.

Ensuite, des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux au sens de ces mêmes dispositions lorsque l'administration fiscale dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise.

Enfin, lorsque, à la date à laquelle l'administration fiscale dispose de ces informations, le délai normal de reprise est expiré et qu'elle n'est plus en mesure, sur ce seul fondement, de réparer les insuffisances et omissions d'imposition, elle ne saurait prétendre au bénéfice des dispositions de l’art. L. 188 C précité. A cet égard, la circonstance que ces informations seraient ultérieurement mentionnées dans une procédure judiciaire n'ouvre pas non plus à l'administration le droit de se prévaloir de cet article dès lors qu'en pareille hypothèse, ces informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par cette instance.

Tel était le cas en l’espèce, où l'administration fiscale disposait, à la suite de l'exercice de son droit de communication en 2012, postérieurement à l'expiration du délai normal de reprise le 31 décembre 2011 et avant l'ouverture de l'instance pénale en 2013, des informations permettant d'établir l'appréhension des sommes en cause par M. A. en 2008 et, par suite, l'insuffisance d'imposition de M. et Mme A. à l'impôt sur le revenu et aux contributions sociales au titre de cette année. Ces informations ne pouvant être regardées comme lui ayant été révélées par l'instance ouverte ultérieurement, l'administration fiscale ne pouvait, par suite, après l'ouverture de l'instruction pénale, procéder à la rectification des revenus des requérants au titre de l'année 2008 sur le fondement de l'article L. 188 C du livre des procédures fiscales.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a rejeté les conclusions en décharge des impositions supplémentaires en litige au titre de l'année 2008 ainsi que des pénalités correspondantes.

Il convient de souligner qu’il est peu fréquent de voir le juge administratif donner, dans l’intérêt du contribuable, une interprétation aussi stricte de la loi fiscale.

(28 avril 2023, M. et Mme A., n° 465858)

 

Droit public de l'économie

 

72 - Débits de tabacs - Implantation et déplacement - Maire agissant au nom de l’État - Soumission aux décisions du préfet prises pour le département - Absence de précisions - Application de la règle édictée pour les débits de boissons - Rejet.

Le litige portait sur un arrêté municipal autorisant le déplacement d’un débit de tabacs au sein d’une même commune, dans les locaux d’un débit de boissons. Sur recours d’un autre exploitant, voisin, de débit de tabacs, le tribunal administratif a annulé l’arrêté d’autorisation. Le ministre des finances se pourvoit en cassation de ce jugement.

Il convient de rappeler que le maire, intervenant en matière de débits de tabacs comme d’ailleurs aussi en matière de débits de boissons, agit au nom de l’État. Il est donc soumis à la réglementation de ces mêmes matières prise, pour le département, par le préfet.
Or en l’espèce, si le préfet a bien pris une réglementation pour les débits de boissons en décidant qu’ils ne pouvaient pas être situé à moins de 150 mètres d’établissements d'instruction publique et d’établissements scolaires privés ainsi que de tous établissements de formation ou de loisirs de la jeunesse, il n’a pas pris de réglementation relative aux débits de tabacs.

La cour administrative d’appel a jugé qu’en l’état de ce silence de la réglementation préfectorale, il convenait de faire application aux débits de tabacs des prescriptions édictées pour les débits de boissons. Elle est approuvée par le juge de cassation qui rejette le pourvoi du ministre.

Le droit n’est-il pas « la plus puissante des écoles de l’imagination » ? (J. Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu, 1935)

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 453434)

 

73 - Protection des consommateurs - Obligation de mentionner le prix d’une prestation dans sa globalité - Société indiquant distinctement le prix de la prestation et celui du dispositif indispensable à sa réalisation - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

La société Orange a été sanctionnée à la suite de contrôles diligentés par les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) dans six boutiques et sur le site internet de la société, à l'issue desquels l'administration a estimé que sept supports commerciaux présents en boutique et quatorze pages internet ne permettaient pas au consommateur de prendre connaissance d'emblée du prix dont il devrait s'acquitter pour un abonnement internet ligne fixe. La société a été, en conséquence, sanctionnée. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de sa demande d’annulation du fait des sanctions infligées.

Son recours est rejeté.

Le juge déduit des dispositions du droit européen (en particulier le 1 de l’art. 102 de la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen et son règlement d'exécution (UE) 2019/2243 de la Commission du 17 décembre 2019 ainsi que les art. 5 et 6 de la directive 2011/83/UE) et de celles du droit interne (notamment l’art. L. 112-1 du code de la consommation) que constitue une infraction à leur égard la circonstance que les publicités, communication et annonces tarifaires en boutique et sur le site internet de la société requérante concernant les offres internet haut-débit en ADSL et fibre présentaient de façon séparée le prix de l'abonnement et le prix de location d'une box, sans faire apparaître la somme totale toutes taxes comprises devant être effectivement payée par le consommateur pour l'offre souscrite. Contrairement à ce qu’elle soutient, la société requérante n’était pas dispensée d'afficher un prix total incluant le prix de l'abonnement et celui de la location de la box, qui ne constituaient pas des prestations séparées. 

(07 avril 2023, Société Orange, n° 461082)

 

74 - Produits biocides – Pratiques commerciales prohibées – Publicité commerciale de ces produits – Contrariété partielle au droit de l’Union – Annulation dans cette mesure.

Les requérants avaient contesté la légalité du décret du 26 juin 2019 relatif aux pratiques commerciales prohibées pour certaines catégories de produits biocides et celle du décret du 26 juin 2019 relatif à la publicité commerciale pour certaines catégories de produits biocides. Le Conseil d’État avait estimé nécessaire de poser la question préjudicielle suivante à la CJUE : « Le règlement (UE) n° 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l'utilisation des produits biocides s'oppose-t-il à ce qu'un État membre adopte, dans l'intérêt de la santé publique et de l'environnement, des règles restrictives en matière de pratiques commerciales et de publicité telles que celles que prévoient les art. L. 522-18 et L. 522-5-3 du code de l'environnement ?

Le cas échéant, sous quelles conditions un État membre peut-il adopter de telles mesures ? »

La présente décision tire les conséquences de la réponse donnée à cette demande par la CJUE dans sa décision n° C-147/21 du 19 janvier 2023.

Il est d’abord jugé que le II de l'art. R. 522-16-2 du code de l'environnement, qui impose des mentions supplémentaires à celle prévue par l'article 72 du règlement du 22 mai 2012 pour la publicité à destination des professionnels méconnaît le règlement précité et doit par suite être annulé. La cour a en effet dit pour droit que ce dernier s'oppose à une réglementation nationale qui exige l'apposition d'une mention supplémentaire à celle prévue à l'article 72 de ce règlement sur la publicité à destination des professionnels en faveur des produits biocides.

Ensuite, la cour ayant dit que ce même règlement ne s'oppose pas à une réglementation nationale interdisant la publicité à destination du grand public en faveur des produits biocides, ni à une réglementation nationale interdisant certaines pratiques commerciales sous réserve, d’une part, de ne pas méconnaître les articles 34 et 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, d’autre part, de ne pas affecter l'accès au marché à ceux des produits biocides concernés qui sont originaires d'autres États membres que celui de tels produits provenant de France ou, si c'était le cas, qu'elles soient justifiées par des objectifs de protection de la santé et de la vie des personnes ainsi que de l'environnement et qu'elles soient propres à garantir la réalisation de ces objectifs sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce les mesures en cause ne peuvent être considérées, pour cette seule raison, comme affectant davantage les produits provenant d'autres États membres que les produits nationaux, alors qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que de telles pratiques étaient indispensables pour accéder au marché français. Il résulte de ce qui précède que ces dispositions ne peuvent être regardées comme étant de nature à affecter davantage l'accès au marché des produits biocides concernés originaires d'autres États membres que celui de tels produits provenant de France et que, par voie de conséquence, elles ne sont pas contraires aux articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(21 avril 2023, Comité interprofessionnel des huiles essentielles françaises et autres, n° 433889)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

75 - Salarié protégé – Refus d’un changement de ses conditions de travail – Faute – Erreur de droit – Annulation.

Si le refus d’un salarié protégé d’accepter un changement de ses conditions de travail constitue une faute pouvant permettre son licenciement c’est sous le respect de plusieurs critères rappelés ici par le juge (absence de modification du contrat de travail de l'intéressé, obligation pour l'autorité administrative d’apprécier si le refus du salarié constitue une faute d'une gravité suffisante pour justifier l'autorisation de licenciement sollicitée, modalités de mise en œuvre et effets de la modification envisagée sur la situation personnelle du salarié et sur les conditions d'exercice de son mandat). En particulier, il est rappelé que le changement des conditions de travail ne peut avoir pour objet de porter atteinte à l'exercice de ses fonctions représentatives.

Un refus d’autorisation de licenciement lui ayant été opposé en l’espèce, la société Orange se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de son recours en première instance.

La cour avait motivé son arrêt de rejet par de nombreux éléments : le fait que le salarié protégé bénéficiait, en vertu de son contrat de travail, d'une rémunération fixe assortie d'une part variable dont les modalités de mise en œuvre relevaient de décisions de son employeur ; la circonstance que le segment de clientèle qui lui était attribué n'était pas prévu par son contrat ; le fait aussi que, dans le cadre d'une réorganisation des services de vente mise en œuvre à compter du 31 décembre 2015, il avait été chargé du secteur des clients « moyen de marché », alors que celui des clients « haut de marché » lui était antérieurement confié et que le « pay plan » permettant de déterminer la part variable de sa rémunération avait été modifié, se traduisant notamment par une diminution des coefficients et des marges produits. La cour en a conclu que cette évolution des modalités de détermination de la part variable de la rémunération de l’intéressé, résultant de la modification du « pay plan » et du changement du segment de clientèle, emportait, par elle-même, une modification de ses conditions de travail et, partant, de son contrat, qu'il pouvait refuser sans commettre de faute.

Malgré cette riche motivation, le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché s'il résulterait de ces changements une baisse de la rémunération du salarié. L’annulation méritait une critique un peu plus « substantielle ».

(12 avril 2023, Société Orange, n° 449229)

 

76 - Salarié protégé – Licenciement pour inaptitude physique – Efforts de reclassement de l’employeur – Période d’appréciation de ces efforts – Rejet.

Rappel par le juge, d’abord, qu’en cas de licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique à intégrer l’emploi précédemment occupé, il incombe à l’administration du travail de rechercher si l'inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé et si, dans l'affirmative, l'employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise ou au sein du groupe, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. 

Rappel ensuite que l'inspecteur du travail doit apprécier les possibilités de reclassement du salarié à compter du moment où le licenciement est envisagé et jusqu'à la date à laquelle il statue sur la demande de l'employeur tandis que le ministre chargé du travail doit, lorsqu'il statue sur la légalité de la décision de l'inspecteur du travail, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date de cette décision. Si le ministre annule la décision de l'inspecteur du travail et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement, il doit alors, en principe, apprécier le sérieux des recherches de reclassement jusqu'à la date à laquelle il statue lui-même.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour, pour rejeter le recours du demandeur, a relevé  d’abord que par son avis du 19 avril 2016, le médecin du travail a déclaré M. B. définitivement inapte à ses fonctions mais toutefois apte à occuper un poste « sans contact direct avec la clientèle, sans objectif commercial et situé dans un rayon de 10 kilomètres de son domicile », elle a relevé ensuite que l’employeur a sollicité le médecin du travail, par lettre du 23 mai 2016, afin d'obtenir son avis sur un poste de reclassement, créé spécialement pour M. B. dans une agence située à 11 kilomètres de son domicile, ayant pour caractéristique d'être sans contact direct avec la clientèle et sans objectif commercial, et qu'en l'absence de réponse de sa part, elle l'a de nouveau sollicité, par lettre du 8 juin 2016, après le refus de M. B., par lettre du 7 juin 2016, d'être reclassé sur ce poste, au motif qu'il n'était pas compatible avec son état de santé, a, enfin, estimé que, dans ces conditions, l'employeur n'était pas tenu de saisir à nouveau le médecin du travail pour qu'il formule un avis sur l'offre de reclassement faite à M. B. 

(12 avril 2023, M. B., n° 453831)

(77) V. voisin, mais non semblable, la décision annulant un arrêt de cour administrative d’appel qui, pour confirmer le jugement de première instance annulant l’autorisation administrative de licenciement d’une salariée protégée pour faute grave, retient que ce motif ne pouvait être retenu par l’inspecteur du travail d’abord saisi d’une demande d’autorisation de licenciement pour inaptitude physique, après avis du médecin travail en ce sens. Le juge de cassation relève que l’employeur soutenait que la salariée avait refusé de se rendre aux convocations qu'elle lui avait adressées en vue de son reclassement. La cour a commis une erreur de droit en omettant de rechercher si, par un tel comportement, la salariée n'avait pas mis son employeur dans l'impossibilité de s'acquitter de son obligation de reclassement, de sorte que, dans ces circonstances particulières, il avait pu légalement envisager de licencier la salariée pour un autre motif que l'inaptitude tel un motif disciplinaire : 12 avril 2023, Société L’Anneau, n° 458974.

 

78 - Salarié protégé – Rupture conventionnelle – Contrôle de l’autorité administrative – Étendue – Rejet.

Le litige portait sur une demande d’annulation de la décision du 27 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail de la Côte d'Or a autorisé la rupture conventionnelle du contrat de travail liant le requérant à la caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Or ainsi que de la décision du 20 mai 2018 par laquelle la ministre du travail a implicitement rejeté son recours hiérarchique contre cette décision.

La question était assez nouvelle.

Le Conseil d’État, attentif à la  sauvegarde du statut protecteur dont bénéficient certains salariés chargés de représenter leurs collègues, rappelle fermement qu’en cas de demande d'autorisation d'une rupture conventionnelle conclue par un salarié protégé et son employeur, il incombe à l’inspection du travail de s'assurer, au vu de l'ensemble des pièces du dossier, que la rupture n'est pas au nombre de celles mentionnées à l'art. L. 1237-16 du code du travail, qu'elle n'a été imposée à aucune des parties et que la procédure et les garanties prévues par les dispositions du code du travail (à savoir les art. L. 1237-11 et suivants, L. 2242-20 et L. 2242-21), ont été respectées. A ce titre, il leur incombe notamment de vérifier qu'aucune circonstance, en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par le salarié ou à son appartenance syndicale, n'a été de nature à vicier son consentement. Le contrôle est très étendu et très exigeant pour l’administration : vérifier l’absence de vice du consentement suppose une investigation poussée sans grand rapport avec la recherche de l’existence d’un tel vice. Ceci place la rupture conventionnelle du salarié protégé sous une tutelle étroitement comparable à celle dominant son licenciement.

En l’espèce le pourvoi est rejeté car la cour administrative d’appel, contrairement à ce qui était soutenu, n’avait pas à examiner d’office si la rupture conventionnelle avait un lien avec l’exercice d’un mandat syndical ce moyen n’étant pas d’ordre public. Pareillement, l'existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination syndicale n'est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l'inspection du travail autorise une rupture conventionnelle, sauf à ce que ces faits aient, en l'espèce, vicié le consentement du salarié. Enfin, c’est sans qualifier inexactement les faits ni commettre d’erreur de droit que la cour, pour se prononcer sur le moyen tiré de ce que le consentement de M. A. à la rupture conventionnelle avait été vicié, a relevé, d’une part :

 - que le requérant n'avait pas exercé son droit de rétractation après la signature de la convention, dont il avait d'ailleurs été à l'origine,

- que, sur sa requête, son employeur avait été condamné par la cour d'appel de Reims pour harcèlement moral et discrimination syndicale, par un arrêt du 30 septembre 2020, pour des faits datant au plus tard de 2015,

- que M. A. avait demandé, dans le cadre de cette instance judiciaire, la résiliation judiciaire de son contrat de travail, qu'il n'avait pas obtenue,

- que des discussions sur un protocole transactionnel portant sur des indemnités à verser à M. A. n'avaient pas abouti et que l'employeur avait antérieurement à la rupture conventionnelle demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier.,

Et, d’autre part, jugé que ces circonstances n'étaient pas de nature à établir que M. A. n'avait pas librement consenti à la rupture conventionnelle. 

(13 avril 2023, M. A., n° 459213)

 

79 - Salariés protégés - Licenciements pour motif économique - Pouvoir de contrôle de l’autorité administrative - Annulation.

La société requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de l’annulation de l’autorisation de licenciement de neuf salariés de celle-ci donnée par la ministre du travail en suite de son annulation des refus opposés à ces licenciements par l’inspection du travail.

C’est l’occasion pour le juge de cassation d’apporter d’importantes précisions sur le contrôle administratif pouvant être exercé sur la licéité du licenciement pour motif économique de salariés protégés.

Naturellement, négativement, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé.

Positivement, lorsque la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l’autorité administrative de vérifier si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié.

En ce cas, lorsque la demande d'autorisation est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, l'autorité administrative, si elle ne peut contrôler si cette cessation d'activité est justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise, doit contrôler que la cessation d'activité de l'entreprise est réellement totale et définitive sans que fasse obstacle au caractère total et définitif de la cessation d’activité la circonstance que l'entreprise appartienne à un groupe au sein duquel une autre entreprise du groupe a poursuivi une activité de même nature.

A l’inverse, le licenciement ne saurait être autorisé s'il apparaît que le contrat de travail du salarié doit être regardé comme transféré à un nouvel employeur ou s'il est établi qu'une autre entreprise est, en réalité, le véritable employeur du salarié.

La cour a commis une erreur de droit en se fondant, pour annuler l’autorisation de licenciement accordée par la ministre, sur ce qu’il existait en l’espèce une situation de « co-emploi » entre la société OEC et le groupe dont elle relève alors que ce moyen était inopérant, seul pouvant être éventuellement retenu, ainsi qu’il vient d’être dit, le moyen tiré de ce qu'une autre entreprise était, en réalité, le véritable employeur des salariés protégés qu'il était projeté de licencier en raison de la cessation d'activité de l'entreprise OEC.

(28 avril 2023, Société Orion Engineered Carbons (OEC), n°s 453087, 453088, 453089, 453090, 453091, 453092, 453094, 453095 et 453096, jonction)

 

80 - Hébergement d’urgence – Attribution de chambres d’hôtel – Existence d’inconvénients – Rejet.

Les requérants et leurs trois enfants sont logés, depuis le 24 mars 2023, dans deux chambres d’un hôtel qui est un hébergement de long séjour. Le Conseil d’État considère qu’eu égard à la saturation du dispositif d'hébergement d'urgence dans la région d'Île-de-France, leur demande de se voir attribuer un logement pérenne ne peut être satisfaite même si l’hébergement actuel ne comporte l'accès qu'à un four pour réchauffer les aliments et non à une véritable cuisine, s'il est éloigné de l'école dans laquelle deux des enfants du couple sont scolarisés et en dépit de ce que leur fille de cinq ans est atteinte d'une maladie nécessitant un suivi médical régulier. En outre, il a été justifié à l'audience que les requérants allaient bénéficier d'un accompagnement social par la plateforme d'accompagnement social à l'hôtel du département, la première visite d'une assistante sociale étant fixée au lundi 3 avril 2023 à 11 heures. Il s'ensuit que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif a été entièrement exécutée :  les requérants ne sont donc pas fondés à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté leur demande d'exécution.

(03 avril 2023, M. et Mme F., n° 472276)

 

81 - Arrêté portant extension d’une convention collective – Ministre refusant de faire application des dispositions réglementaires applicables à la date de l’arrêté d’extension – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 21 mai 2021 de la ministre du travail portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des salariés en portage salarial (n° 3219).

Le juge annule cet arrêté dont l’illégalité était évidente.

La ministre auteur de l’arrêté d’extension a indiqué dans son rapport d'observations relatif à l'extension de l'avenant litigieux, soumis, le 20 mai 2021, à la sous-commission des conventions et accords, qu'alors même que les dispositions de l'art. L. 2261-23-1 du code du travail étaient applicables aux conventions et accords conclus après le 23 septembre 2017, il n'y avait pas lieu de faire application de ces dispositions, afin « d'une part, de permettre aux organisations représentatives de s'approprier ces dispositions, et, d'autre part, de ne pas refuser d'étendre un très grand nombre de conventions, accords et avenants » qui ne les auraient pas prises en compte, en raison, notamment, de ce que les négociations ayant conduit à ces conventions, accords, avenants, avaient commencé avant l'entrée en vigueur de ces dispositions. En refusant d’appliquer les dispositions réglementaires en vigueur à la date de l'arrêté attaqué, la ministre chargée du travail a commis une erreur de droit et a entaché sa décision d'illégalité. 

(12 avril 2023, Fédération des entreprises de portage salarial, société Plug et Pay, société Portify et société Régie de portage salarial, n° 455941 ; Confédération générale du travail, n° 456007)

(82) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l'arrêté de la ministre du travail portant extension aux journalistes professionnels de la convention collective nationale de la télédiffusion du 2 juillet 2021 et de son avenant n°2 notamment en ce que ses stipulations, contrairement à ce qui était soutenu, n’ont clairement ni pour objet, ni pour effet de rendre applicable la convention collective nationale de la télédiffusion aux journalistes professionnels et aux pigistes régis par la convention collective nationale des journalistes et qu’ainsi elle n’est, sur ce point entachée entaché ni d'erreur de droit ni d'erreur d'appréciation ni d’atteinte au principe de sécurité juridique : 28 avril 2023, Syndicat national des journalistes et Union syndicale Solidaires, n° 463882.

 

83 - Établissements publics de santé ou médico-sociaux – Comité social d’établissement – Absence de personnalité morale – Création de formations spécialisées – Règles de fonctionnement – Principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail – Rejet.

Le Conseil d’État rejette les divers moyens soulevés par les fédérations requérantes à l’appui de leur demande d’annulation du décret n° 2021-1570 du 3 décembre 2021 relatif aux comités sociaux d'établissement des établissements publics de santé, des établissements sociaux, des établissements médico-sociaux et des groupements de coopération sanitaire de moyens de droit public.

Le décret attaqué ne porte pas atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 en ne précisant pas que les comités sociaux d’établissement et leurs éventuelles formations spécialisées internes sont dotés de la personnalité morale. 

L’art. 2 du décret n’affecte pas, par lui-même, la liberté syndicale en décidant que le rattachement d'un groupement de coopération sanitaire de moyens de droit public au comité social de l'un des établissements publics de santé membre du groupement doit intervenir au moins huit mois avant l'élection du comité social d'établissement, afin de faciliter l'organisation de l'élection des représentants du personnel au sein du comité social d'établissement en permettant d'assurer que l'effectif retenu pour cette élection, dont dépend le nombre de sièges à pourvoir, soit déterminé à une date à laquelle le rattachement est déjà intervenu.

L’art. 3, en fixant un seuil de 200 agents pour la création d’une formation spécialisée au sein d’un comité social d’établissement, n’a ni privé d'effectivité le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ni porté atteinte à la liberté syndicale garantie par le sixième alinéa du préambule de 1946 et par l'article 11 de la convention EDH, alors au demeurant, d’une part, que les représentants du personnel participent, au sein de ce comité, à la protection de la santé et de la sécurité des agents et d’autre part, qu'il résulte des dispositions de l'article 4 de la loi du 6 août 2019 qu'une formation spécialisée peut être créée, dès lors que des risques professionnels particuliers le justifient, même dans les établissements ou groupements de coopération dont les effectifs sont inférieurs à ce seuil. 

L’art. 48 ne méconnaît pas, par lui-même, les dispositions de l'art. L. 136-1 du code général de la fonction publique, en vertu desquelles « des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail » en disposant que les membres de la formation spécialisée procèdent à intervalles réguliers à la visite des services relevant de la compétence de la formation et alors que doivent obligatoirement être inscrits à l'ordre du jour des réunions de la formation spécialisée les points dont l'examen a été demandé par la moitié au moins des représentants titulaires du personnel au sein de cette instance et qui entrent dans sa compétence, parmi lesquels, le cas échéant, une délibération mandatant une délégation de la formation spécialisée pour procéder à une visite des services et fixant l'objectif, le secteur géographique et la composition de cette délégation, la circonstance que l'exercice du droit de visite des membres de la formation spécialisée soit conditionné à l'adoption d'une telle délibération. Ne peut non plus être soutenu à cet égard le moyen que les dispositions contestées de cet art. 48 porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles ne prévoient pas les mêmes conditions de visite que celles prévues par le code du travail s'agissant du comité social et économique des entreprises.

L’art. 51 ne méconnaît pas le droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 en prévoyant que le président de la formation spécialisée ne peut faire appel à un expert certifié que dans les cas où cette dernière ne dispose pas déjà des éléments nécessaires à l'évaluation des risques professionnels, des conditions de santé et de sécurité ou des conditions de travail.  Semblablement, ces dispositions ne méconnaissent pas davantage le droit à la protection de la santé en décidant qu’en ce cas les projets de réorganisation de service sont examinés, en vertu de l’art. L. 253-10 du code général de la fonction publique, non par la formation spécialisée mais par le comité social d'établissement.

De la même manière, la faculté reconnue par cet article au président de la formation spécialisée de refuser de faire appel à un expert malgré le vote majoritaire favorable des membres de la formation, est subordonnée à une obligation de motivation substantielle du refus et, en cas de désaccord sérieux et persistant, à l’intervention de l'agent de contrôle de l'inspection du travail. Il s’ensuit que, par elle-même, cette disposition ne porte atteinte, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, ni au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ni au droit à la protection de la santé garanti, sans qu'ait à cet égard d'incidence la circonstance que le comité social d'établissement et la formation spécialisée ne seraient pas dotés de l'autonomie financière.

Enfin, il ne saurait être prétendu que ces dispositions porteraient atteinte au principe d'égalité en ce qu'elles ne prévoient pas les mêmes conditions de recours à une expertise que celles prévues par le code du travail s'agissant du comité social et économique des entreprises. 

Enfin, l’art. 67 n’a pas porté atteinte à l'effectivité du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail en décidant que l'ordre du jour des réunions du comité social d'établissement ou de la formation spécialisée instituée, le cas échéant, en son sein, est fixé par leur président, celui-ci étant tenu de consulter au préalable le secrétaire du comité ou de la formation spécialisée, lequel peut proposer l'inscription de points à l'ordre du jour. Il en va de même des points entrant dans la compétence de ces instances dont l'examen a été demandé par la moitié au moins des représentants titulaires du personnel en leur sein ou de ceux pour lesquels une disposition légale ou réglementaire a rendu obligatoire la consultation de ces organes.

(12 avril 2023, Fédération SUD santé sociaux, n° 461194 ; Fédération CGT de la santé et de l'action sociale, n° 461221, jonction)

(84) V., jugeant entaché d’erreur de droit l’arrêt admettant qu’en raison du déroulement d’élections professionnelles l’employeur, normalement tenu de saisir le comité d’entreprise du projet de licenciement d’un salarié protégé pour faute disciplinaire dans les dix jours de la date de mise à pied (art. R. 2421-14 c. trav.), a attendu 29 jours pour ce faire : 13 avril 2023, Société Eiffage Route Grand Sud, n° 451832.

 

85 - Salariée protégée handicapée – Licenciement pour motif économique – Diligences et contrôles de l’autorité administrative – Rejet.

Le juge avait à connaître du cas difficile du licenciement pour motif économique d’une salariée protégée handicapée. Avec beaucoup de précisions et de fermeté le juge rappelle les exigences que doit respecter l’autorité administrative à laquelle est demandée l’autorisation de licencier.

Outre le fait que le licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé, lorsque la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié. Enfin, si ledit salarié est porteur d’un handicap, il incombe à l'autorité administrative de vérifier que l'employeur a pris toutes les mesures appropriées pour permettre à ce travailleur de conserver un emploi correspondant à sa qualification, qu’il a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d'adaptation. 

En l’espèce, pour apprécier le respect par l’employeur  de son obligation de recherche sérieuse de postes de reclassement, la cour administrative d’appel a pu, sans dénaturation ni erreur de droit, relever, d'une part, que des propositions écrites et précises de postes de reclassement ont été faites à la requérante  parmi lesquelles figuraient des postes d'opérateur de production, identiques à celui qu'elle occupait précédemment, pour lequel le médecin du travail l'avait déclarée apte à plusieurs reprises, d'autre part, qu'il n'était pas allégué que ce poste aurait fait l'objet d'adaptations particulières liées à sa qualité de travailleur handicapé, ni que les postes proposés auraient nécessité des adaptations liées à cette qualité.

La cour a rendu un  arrêt exempt de tout reproche en jugeant que l’employeur avait pris en compte, dans sa recherche des possibilités de reclassement de la salariée, la qualité de travailleur handicapé de celle-ci, malgré l'absence de sollicitation préalablement à sa recherche, de l'avis du médecin du travail, et que, par suite, celui-ci n'avait pas méconnu son obligation de procéder à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement.

(04 avril 2023, Mme A., n° 449276)

 

86 - Allocations de logement (allocation de logement sociale et allocation de logement familiale) - Contentieux - Juridiction compétente (ordonnance du 17 juillet 2019) - Litige antérieur au 1er janvier 2020 - Compétence du juge judiciaire - Annulation.

Le demandeur a saisi la juridiction administrative d’un recours en annulation des décisions des 5 et 13 septembre 2019 par lesquelles la caisse d'allocations familiales lui a demandé le remboursement d'indus d'allocation de logement sociale.

L’ordonnance du 17 juillet 2019 relative à la partie législative du livre VIII du code de la construction et de l'habitation a substitué en cette matière la compétence des juridictions administratives à celle des juridictions judiciaires à compter du 1er janvier 2020.

Soulevant d’office ce moyen car il est d’ordre public, le Conseil d’État décide qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 835-4 du code de la sécurité sociale et de celles de l’ordonnance du 17 juillet 2019 précitée, ces décisions, qui sont intervenues avant le 1er janvier 2020, demeurent soumises aux dispositions applicables en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole prévues aux art. L. 142-1 et suivants du code de la sécurité sociale, c’est-à-dire aux juridictions judiciaires.

Si, en l’espèce, la directrice de la caisse d'allocations familiales s'est à nouveau prononcée, après la date du 1er janvier 2020, sur une demande de remise de dette et sur un recours gracieux concernant les mêmes décisions initiales, ces décisions n'ont pu, en tout état de cause, se substituer aux décisions initiales dès lors que les dispositions relatives à l'entrée en vigueur du recours administratif préalable obligatoire institué par l'article L. 825-2 du code de la construction et de l'habitation et celles relatives à ses modalités d'applications prévues aux articles R. 825-1 à R. 825-3 du même code n'étaient pas applicables aux décisions prises avant le 1er janvier 2020, faute d'être entrées en vigueur avant cette date.

Par suite, les conclusions présentées par M. A. continuent de relever de la compétence du juge judiciaire et doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. 

(07 avril 2023, M. A., n° 457507)

 

87 - Aide personnalisée au logement - Action en répétition de l’indu de cette allocation - Prescription biennale - Opposabilité tant au bailleur qu’au locataire - Rejet.

Rappel que si l'allocation de logement familiale est en principe versée au bailleur, auquel il incombe de la déduire du montant du loyer et des dépenses accessoires de logement, l'action en recouvrement d'un indu d'aide personnalisée au logement se prescrit dans le délai de deux ans fixé par l'art. L. 553-1 du code de la sécurité sociale, que l'aide ait été versée au bailleur ou directement à l'allocataire. 

C’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé ici que la créance de la caisse était prescrite.

(25 avril 2023, Caisse d’allocations familiales du Nord, n° 460784)

(88) V. aussi, rappelant d’abord que lorsqu'un ménage n'a pas perçu de ressources prises en considération pour le calcul de l'aide personnalisée au logement au cours de l'année civile de référence mais qu'il apparaît, au mois de novembre de l'année suivante, qu'un de ses membres exerce désormais une activité professionnelle rémunérée, la caisse d’allocations familiales procède à une évaluation forfaitaire des ressources pour déterminer si les conditions d'un renouvellement pour une année civile sont remplies et fixer, le cas échéant, le montant de l'aide qui sera versée à compter du 1er janvier suivant. Rappelant ensuite qu’une activité professionnelle rémunérée au sens de ces dispositions est une activité qui permet à la personne qui l'exerce de disposer de revenus professionnels réguliers, le juge estime que ne peuvent être regardés comme des revenus professionnels réguliers des revenus faibles et épisodiques. Tel est le cas de l’espèce où Mme A. n'a exercé que quelques mois l’emploi de garde à domicile pour un revenu de moins de deux cents euros par mois et n’a été employée dans un lycée que moins d’un mois : 27 avril 2023, Mme A., n° 463640.

 

89 - Demande de logement de caractère prioritaire et urgent - Carence de l’État - Indemnisation - Annulation.

Constatant la carence fautive de services préfectoraux et de la commission de médiation dans l’attribution d’un logement social au requérant, ce qui l’a contraint à vivre dans des conditions précaires et notamment d'habiter dans son véhicule automobile du mois de mars 2018 à la fin janvier 2020, le juge alloue une indemnité de trois mille euros couvrant la période du 30 juin 2018 au 24 janvier 2020 déduction faite de trois mois (septembre à novembre 2019) où il a été pris en charge par une association.

(27 avril 2023, M. A., n° 464630)

 

90 - Conventions collectives nationales - Fusion de champs conventionnels - Nécessité de présenter des conditions sociales et économiques analogues - Rejet.

La fédération requérante demandait l’annulation de l'arrêté de la ministre du travail portant fusion de champs conventionnels en tant qu'il procède au rattachement de la convention collective nationale du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés (IDCC 1947) à la convention collective nationale des salariés du négoce des matériaux de construction (IDCC 3216).

Cette fusion était motivée par la faiblesse du nombre des accords ou avenants signés et du nombre des thèmes de négociation couverts au sein de la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés.

Le Conseil d’État rejette le recours.

Il rappelle à titre liminaire qu’une fusion de champs conventionnels suppose que les branches fusionnées présentent des conditions sociales et économiques analogues.

Puis, il constate que :

- la branche du négoce du bois d'œuvre et de produits dérivés et celle du négoce des matériaux de construction recouvrent des activités présentant des caractéristiques similaires consistant à distribuer, stocker et transporter des matériaux de construction,

- les champs d'application professionnels des deux branches ont en commun une même activité économique regroupée sous le code APE 46.73A à savoir celle de « commerce de gros (commerce interentreprises) de bois et de matériaux de construction »,

- les salariés des deux branches exercent des métiers qui présentent, en dépit de certaines spécificités, une grande proximité,

 - les deux branches relèvent du même opérateur de compétences en matière de formation professionnelle.

Le juge en conclut qu’alors même que les deux branches conservent des différences (modalités de calcul de certaines rémunérations et primes), la Fédération nationale du bois, requérante, n'est pas fondée à soutenir que la ministre chargée du travail a fait une inexacte application des dispositions de l'art. L. 2261-32 du code du travail en retenant que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche des salariés du négoce des matériaux de construction, sans qu’ait, à cet égard, d’incidence sur cette décision la circonstance que la branche du négoce de bois d'œuvre et de produits dérivés présenterait des conditions sociales et économiques également analogues à celles d'autres branches s'agissant notamment des grilles de classification des emplois prévues par les conventions collectives.

(12 avril 2023, Fédération nationale du bois, n° 457280)

 

91 - Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) - Pandémie de Covid 19 - Pertes d’activités - Dotation du conseil général au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie et de la prestation de compensation du handicap - Réclamation financière - Compétence juridictionnelle - Renvoi aux juridictions compétentes.

La requérante a demandé la condamnation du département du Nord à lui verser, d'une part, une certaine somme assortie des intérêts au taux légal, ou, à titre subsidiaire, une certaine somme moins importante, assortie des intérêts au taux légal, au titre de la créance qu'elle estime détenir sur le département ou, à défaut, de son préjudice, du fait de l'absence de fixation de tarifs au titre des exercices 2017 à 2021 et, d'autre part, une somme au titre de l'absence de reprise de ses déficits des exercices 2013 et 2014. Elle a demandé, par une deuxième requête, l'annulation de la délibération 22 novembre 2021 par laquelle la commission permanente du conseil départemental du Nord a décidé d'accorder aux services d'aide et d'accompagnement à domicile une « dotation », « relative à la compensation des pertes d'activité » dans le cadre de la pandémie de Covid-19, d'un certain montant, au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie et au titre de la prestation de compensation du handicap, et a autorisé le président du conseil départemental à signer une convention avec chacun de ces services pour le versement de cette compensation financière. Par une troisième requête, l'association a demandé la condamnation du département du Nord à lui verser une certaine somme, assortie des intérêts au taux légal, au titre de la créance qu'elle estime détenir sur le département, ou, à défaut, de son préjudice, du fait des modalités, selon elle illégales, de compensation financière de la perte d'activité des services d'aide et d'accompagnement à domicile définies par la délibération précitée de la commission permanente du conseil départemental du Nord. Le président de la 6ème chambre du tribunal administratif, sur le fondement du premier alinéa de l'art. R. 351-3 du CJA, a transmis les dossiers de ces demandes au tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale de Nancy. Par une ordonnance du 9 septembre 2022, la présidente de ce tribunal a, à son tour, transmis ces dossiers au président de la section du contentieux du Conseil d'État, en application du troisième alinéa de l'art. R. 351-6 du CJA, aux fins de règlement de la question de compétence et d'attribution du jugement de tout ou partie de ces affaires à la juridiction déclarée compétente.

Ces trois affaires étant jointes, le Conseil d’État décide :

- En tant que l’association demande la condamnation du département à lui verser la somme correspondant à la différence entre le financement qu'elle aurait, selon elle, dû recevoir de la part de cette collectivité si, d'une part, le tarif fixé par le président du conseil départemental au titre de l'exercice 2016 avait été maintenu pour les exercices 2017 à 2021 et si, d'autre part, le déficit de ses exercices 2013 et 2014 avait été repris, et la somme qu'elle a effectivement perçue pour la même période en application de la délibération du 12 décembre 2016, ses conclusions, qui sont exclusivement relatives à la créance que l'association requérante prétend tirer de la méconnaissance de son droit à la fixation d'un tarif conforme aux textes en vigueur, en sa qualité d'association habilitée à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, relèvent, en vertu des dispositions de l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles, de la compétence du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. 

- En tant que l’association demande l'annulation de la délibération du 22 novembre 2021 de la commission permanente du conseil départemental du Nord, prise sur le fondement des dispositions des ordonnances des 25 mars et 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021, ses conclusions relèvent de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale.

- En tant que l'association requérante demande le versement de la somme correspondant, selon elle, à la différence entre la somme qu'elle aurait dû recevoir de la part du département du Nord, si le montant de la compensation financière de la perte d'activité subie dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 sur la période du 1er juillet 2020 au 31 mai 2021 avait été fixé conformément aux dispositions des ordonnances des 25 mars et 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021, et la somme qu'elle a effectivement perçue pour la même période, ses conclusions, qui s’analysent en une demande d’indemnisation des conséquences de l'illégalité qu'elle allègue de la délibération du 22 novembre 2021, relèvent également de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale.

(14 avril 2023, Association Aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), nos 469698, 469716 et 469718, jonction)

 

92 - Délégation d’actes par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail - Cas des visites de préreprise et de reprise et de la visite médicale de mi-carrière - Rejet.

Le Conseil national de l'ordre des médecins demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail, en tant qu'il n'exclut pas, à son article 1er, les visites de préreprise et de reprise et la visite médicale de mi-carrière du champ des visites et examens pouvant être délégués par le médecin du travail à un infirmier en santé au travail.

La requête est rejetée en tous ses chefs de grief.

En ce qui concerne les visites de préreprise et de reprise, leur délégation à des infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail n’est pas entachée d’illégalité alors même que ces dispositions ne mentionnent pas expressément la possibilité que le médecin du travail délègue à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites de préreprise et de reprise. Pas davantage, le décret attaqué n’a été pris en méconnaissance des dispositions législatives du code de la santé publique qui réservent à un médecin la réalisation de certains actes, ni n’est entaché entaché d'erreur manifeste d'appréciation et de méconnaissance du droit à la protection de la santé qui résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et des dispositions de l'article 7 de la directive du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, en ce qu'elles prévoient que les personnes ou services extérieurs à l'entreprise chargés des activités de protection et des activités de prévention des risques professionnels de l'entreprise doivent avoir les aptitudes nécessaires et disposer des moyens personnels et professionnels requis. 

En ce qui concerne les visites médicales de mi-carrière qui peuvent être réalisées par les infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail, le Conseil national de l'ordre des médecins n'est pas fondé à soutenir que l'article 1er du décret attaqué a été édicté en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 4624-2-2 du code du travail qui, contrairement à ce qui est soutenu, ne réservent pas la réalisation de cette visite soit au médecin du travail, soit à l'infirmier en pratique avancée. 

(28 avril 2023, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 465318)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

93 - Élection d’un adjoint au maire - Élection acquise - Recommencement du vote après proclamation des résultats - Empiètement du conseil municipal sur la compétence du juge de l’élection - Annulation de la seconde délibération.

Le maire d’une commune, tenant compte d'objections formulées à l'encontre des opérations électorales tenues en vue de l'élection de sa huitième adjointe, a soumis au conseil municipal un projet de délibération tendant à ce qu'il soit procédé de nouveau à cette élection. Toutefois, la délibération par laquelle le conseil municipal a procédé à cette élection, a été transmise au préfet et les résultats de cette première élection ont été proclamés dès l'issue de ce scrutin.

Le demandeur est évidemment fondé à soutenir qu'en adoptant la délibération abrogeant la précédente et en procédant de nouveau à l'élection, le conseil municipal est intervenu dans une matière réservée par la loi au juge de l'élection.

La délibération litigieuse est annulée.

(18 avril 2023, M. D., n° 469594)

 

94 - Élections départementales - Rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats - Inéligibilité - Annulation dans les circonstances de l’espèce.

Le juge d’appel annule un jugement prononçant une inéligibilité d’un an à l’encontre d’un binôme de candidats pour défaut de présentation d’un compte de campagne visé par un expert-comptable. D’abord parce qu’a été présenté en appel un compte dûment visé, ensuite à cause de la faiblesse des sommes en jeu et, enfin, car cette défaillance n’a pas un caractère délibéré.

(24 avril 2023, M. D. et Mme B., élections départementales du canton de Gourin, n° 465002)

(95) V. aussi, jugeant injustifié le prononcé d’une inéligibilité de six mois à l’encontre d’un binôme ayant déposé son compte de campagne onze jours après expiration du délai imparti et alors que ce retard, d’une part, ne résulte pas d’un manquement délibéré, et d’autre part est uniquement dû au manque de célérité de l'imprimeur de la propagande qui n’a pas transmis en temps utile les pièces comptables requises : 24 avril 2023, Mme D. et M. B., élections départementales du canton de Souillac, n° 465021.

 

96 - Inscription sur une liste électorale - Vérification de la satisfaction de la condition de domicile - Compétence du juge judiciaire - Juge administratif compétent pour apprécier l’existence éventuelle de manœuvres dans l’établissement de la liste - Rejet.

Invité, d’une part, à annuler l'élection d’un candidat au conseil municipal de Menton et à le déclarer inéligible pour une durée de trois ans, d'autre part, à annuler les opérations électorales qui se sont déroulées le 30 janvier et le 6 février 2022 en vue de la désignation des conseillers municipaux et communautaires de la commune, le Conseil d’État confirme le rejet de la protestation prononcé en première instance.

La décision rappelle que s'il n'appartient pas au juge de l'élection d'apprécier si un électeur inscrit sur les listes électorales remplit effectivement la condition de domicile exigée par l'art. L. 11 du code électoral, il lui incombe cependant de rechercher si des manœuvres dans l'établissement de la liste électorale ont altéré la sincérité du scrutin. Tel n’est pas le cas en l’espèce où le tribunal de proximité de Menton a rejeté la demande tendant à la radiation de ce candidat de la liste électorale de la commune et où le tribunal administratif a jugé que son inscription sur la liste électorale de la commune de Menton n'avait pas constitué, dans les circonstances de l'espèce, une manœuvre ayant altéré la sincérité du scrutin.  

(24 avril 2023, M. G., élections départementales du canton de Menton, n° 466236)

 

97 - Arrêté fixant la liste des candidats pour le second tour de l’élection des représentants à l’Assemblée de Polynésie française - Demande de rédaction en langue française de leur intitulé - Acte non détachable des opérations électorales - Rejet.

N’est pas détachable des opérations électorales l’arrêté par lequel le haut-commissaire de la république en Polynésie française fixe les listes de candidats en application des dispositions de l'article R. 243 du code électoral. Par suite la requête tendant à ce que le juge ordonne, sur le fondement de l’art. R. 521-3 du CJA, la rectification de l’intitulé de cette liste afin qu’il soit rédigé en langue française, est irrecevable : il appartient au demandeur de forme r un recours dirigé contre ces opérations elles-mêmes.

(26 avril 2023, M. B., n° 473582)

(98) V., identique : 13 avril 2023, M. B., n° 472900.

 

Environnement

 

99 - Pêche à l’anguille européenne - Fixation des dates de pêche – Unités de gestion de l’anguille (UGA) – Diminution de 90% de la population d’anguilles européennes depuis 1960 – Urgence et atteinte grave à la conservation de l’espèce anguille jaune – Suspension partielle.

La requérante demande la suspension (L. 521-1 CJA) d’exécution de l’arrêté du 9 mars 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de 12 centimètres, d'anguille jaune et d'anguille argentée en domaine maritime.

Le juge des référés, rejetant les autres moyens soulevés, retient que cet arrêté – dont il s’étonne qu’il ait été pris par le seul secrétaire d'État auprès de la première ministre chargé de la mer - en tant qu'il concerne respectivement les anguilles de moins de 12 centimètres, et les anguilles argentées, n'a pas été pris conjointement avec le ministre de la transition écologique, chargé de la pêche en eau douce créant ainsi un doute sérieux sur sa légalité.

Ensuite, il estime qu’en l'absence de quotas, la fixation des périodes de pêche est, dans les zones où elle est autorisée, la seule mesure de régulation de la pêche de l'anguille jaune et de l'anguille argentée. Or l’art. 1er de l’arrêté attaqué, qui fixe les dates de la pêche de l'anguille jaune, est susceptible de porter à sa conservation une atteinte grave et immédiate.

Sont donc ordonnées la suspension d’exécution de l’art. 1er de l’arrêté attaqué en tant qu'il concerne les unités de gestion de l'anguille (UGA) Artois-Picardie, Seine-Normandie, Bretagne, Garonne-Dordogne-Charente-Gironde et Adour-cours d'eau côtiers et celle de l’art. 3 de cet arrêté en tant qu'il concerne les UGA Artois-Picardie, Seine-Normandie, Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise et Garonne-Dordogne-Charente-Gironde.

(ord. réf. 07 avril 2023, Défense des milieux aquatiques (DMA), n° 472401)

(100) V. aussi, semblable mais limitant la suspension d’exécution dans les autres UGA où l’art. 1er est applicable, c'est-à-dire les UGA Loire, Côtiers vendéens et Sèvre niortaise, Corse et Rhône-Méditerranée puisque pour les autres UGA est intervenue l’ordonnance de référé ci-dessus ce même jour : ord. réf. 07 avril 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 472213.

 

101 - Élevage industriel – Notion – Indétermination et pluralité d’interprétations nationales – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’affaire n’est pas banale : les textes de l’Union européenne et, avant eux, de la Communauté, emploient fréquemment les mots « élevage industriel » sans que soit le moins du monde définie cette expression dont, pourtant, les effets juridiques sont certains et importants. Ceci conduit les États de l’Union à donner des sens et des portées différents à cette catégorie juridique.

Saisi par une association d’une demande d’annulation de la décision du 4 février 2020 par laquelle l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) a rejeté sa demande de modification du Guide de lecture des règlements (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 et (CE) n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 en tant qu'il définit la notion d'élevage industriel au sens de l'annexe I du règlement (CE) n° 889/2008. En particulier, la requérante demande que soit mis en évidence que l'interprétation nouvelle relative à la définition d'effluents d'élevage industriel n'est plus applicable ni en vigueur.

Le Conseil d’État décrit longuement – peut-être avec une certaine délectation – l’imbroglio juridique et conceptuel dans lequel les organes compétents de l’Union ont plongé un secteur en raison de leur incapacité à pouvoir dire de quoi ils parlent.

Il décide de poser deux questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg : la notion d'« élevage industriel » doit-elle être interprétée comme équivalente à celle d'élevage hors sol ? s'il est répondu à la question précédente que la notion d'« élevage industriel » est distincte de celle d'élevage hors sol, quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d'industriel au sens de l'annexe II du règlement (UE) 2021/1165 prohibant l'emploi en agriculture biologique d'engrais et amendements en provenance d'élevages industriels ?

(12 avril 2023, Association AFAÏA, n° 445611)

 

102 - Travaux de création d’une autoroute – Coupe d’arbres en alignement -  Dérogation – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande en référé liberté tendant à voir suspendues les opérations d'abattage sur les alignements d'arbres au droit du tracé de la future autoroute A 69, à titre principal, celles qui sont sur le point de débuter sur le territoire de la commune de Vendine, et ce dans l'attente de la délivrance éventuelle de la dérogation au titre de l'art. L. 350-3 du code de l'environnement. 

Le référé liberté n’est pas accueilli.

Si le juge considère que le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'art. L. 521-2 du CJA, il rappelle cependant que son intervention est subordonnée, d’une part, au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires, d’autre part, à l’appréciation, en vue d’ordonner d’éventuelles mesures, des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises.

En l’espèce, c’est sans erreur que le juge des référés du tribunal administratif a, par son ordonnance attaquée, rejeté la requête tendant, sur le fondement l'art. L. 521-2 du CJA, à la suspension des opérations d'abattage d'alignements d'arbres au droit du tracé de la future autoroute A 69 entre Castres et Verfeil. En effet, la condition d’urgence n’est pas remplie : si une partie des arbres formant des alignements le long des voies situées sur le parcours de la future autoroute ont été abattus dans le cadre de la phase préparatoire des travaux, les opérations d'abattage ont été suspendues le 31 mars 2023 et ne reprendront pas avant le mois de septembre 2023. Cette interruption fait application de la mesure de réduction MR 03, annexée à l'arrêté interdépartemental d'autorisation environnementale du 1er mars 2023, relative à l' « adaptation du calendrier de travaux vis-à-vis des enjeux écologiques (flore, faune et zones humides) », qui limite la période de déboisements, d'une part, entre le 1er septembre et la mi-novembre, et, d'autre part, entre le 15 février et le 31 mars « dans les secteurs à moindres enjeux avec validation de la DREAL/DE », n'autorisant toute l'année que les interventions ponctuelles de coupe d'arbre sans cavité en l'absence de gîtes potentiels pour les chauve-souris et les oiseaux. Au reste les entreprises chargées des travaux de construction, ont confirmé à l’audience qu'elles respecteraient la période d'interdiction d'abattage des alignements d'arbres qui ne sauraient entrer dans le champ de cette dérogation et que le programme des travaux ne comportait aucun abattage d'arbres entrant dans le champ de la protection de l'art. L. 350-3 du code de l'environnement avant le mois de septembre prochain. Enfin, contrairement à ce que soutient l'association requérante, ni le communiqué de presse publié le 31 mars 2023, qui se borne à faire le point sur les travaux réalisés et ne mentionne, au titre des prochains travaux forestiers, que la seule coupe d'arbres isolés entrant dans le champ de la dérogation à la période d'interdiction des déboisements, ni l'arrêté du préfet du Tarn du 31 mars 2023 qui réglemente la circulation entre les communes du Saïx et de Cambounet-le-So dans le cadre des travaux de déboisement et dont il a été indiqué à l'audience qu'il s'agissait de faciliter le ramassage des arbres déjà abattus, ne permettent de mettre en doute la réalité de l'interruption de l'abattage des alignements d'arbres qui sont seuls en cause dans la présente instance.

(ord. réf. 19 avril 2023, Association France Nature Environnement Midi-Pyrénées, n° 472633)

 

103 - Plans simples de gestion et documents d’aménagement forestier - Applicabilité de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement - Absence - Conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvages (Natura 2000) - Dispositions critiquées conformes à ces exigences - Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande tendant à ce que le ministre de l’agriculture prenne toutes mesures utiles pour assurer la transposition effective des directives du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, s'agissant des plans simples de gestion et des documents d'aménagement forestier.

Pour rejeter le recours, le juge retient en premier lieu que les exigences de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement ne concernent ni les plans simples de gestion (cf. art. L. 312-1 du code forestier) ni les documents d’aménagement forestier (cf. art. L. 212-1 du code forestier). En effet, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (par ex. : 27 octobre 2016, D'Oultremont e.a, aff. C-290/15 ; 7 juin 2018, Inter-Environnement Bruxelles e.a., aff. C-671/16, 12 juin 2019, Terre Wallonne, aff. C-321/18) ; 25 juin 2020, Éoliennes à Aalter et à Nevele, aff. C-24/19), que la notion de « plans et programmes » soumis à évaluation environnementale en application du § 2 de l'art. 3 de la directive précitée se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l'autorisation et la mise en œuvre d'un ou de plusieurs projets, mentionnés par la directive du 13 décembre 2011, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Sont également soumis à évaluation environnementale les plans et programmes mentionnés au § 4 de l'art. 3, qui définissent le cadre dans lequel la mise en œuvre d'autres projets pourra être autorisée à l'avenir, lorsqu'ils sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement. Or ni les plans simples de gestion ni les documents d’aménagement forestier, bien qu'exigés par des dispositions législatives, ne constituent un document élaboré ou adopté par l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements et les établissements publics en dépendant. En outre, ils n’ont   ni pour objet, ni pour effet de définir un ensemble significatif de critères et de modalités devant être mis en œuvre par les autorités compétentes pour autoriser des projets, au sens de la directive du 13 décembre 2011, affectant les bois et forêts concernés, mais autorisent, pour les premiers, directement le propriétaire à réaliser, sans formalité supplémentaire, les coupes et travaux qu'il prévoit et, pour les seconds, la réalisation des coupes prévues, sans autorisation préalable.

Le juge rejette en second lieu le moyen tiré de la méconnaissance, par les dispositions forestières en cause, des exigences de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (législation Natura 2000). D’abord, il résulte directement des dispositions du IV bis et du VI de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement, l’obligation pour l'autorité administrative chargée de l'approbation ou de l'agrément de ces documents de gestion forestière de les soumettre d'office à une évaluation des incidences Natura 2000 s'ils sont susceptibles d'affecter de manière significative un site Natura 2000, indépendamment du fait qu'ils portent ou non sur des forêts situées dans un site Natura 2000.

Ensuite, il résulte également de là  que lorsqu'un propriétaire ou un gestionnaire demande à bénéficier des procédures spéciales d'approbation ou d'agrément d'un document de gestion prévues à l'article L. 122-7 du code forestier qui porte sur des forêts situées dans un site Natura 2000 ou susceptible d'affecter un tel site de manière significative, il appartient à l'autorité compétente (1° de l'art. L. 121-7 et de l'art. R. 122-21 du code forestier), avant d'approuver ou d'agréer ce document, de vérifier sa conformité aux dispositions spécifiques arrêtées conjointement par l'autorité administrative chargée des forêts et l'autorité administrative compétente au titre de la législation Natura 2000 qui sont portées en annexes des directives ou schémas régionaux mentionnés à l'art. L. 122-2 du code forestier. En outre, ces annexes, en vertu de l'art. D. 122-15 de ce code, qui donnent lieu préalablement à leur approbation à une évaluation des incidences Natura 2000, fixent des prescriptions et des règles de gestion précises et spécifiques aux différentes zones qu'elles identifient et en fonction des habitats d'espèces recensés annuellement en vertu de l'article D. 122-13 du code forestier, qui ont pour objet de garantir que les exigences de la législation Natura 2000 sont respectées.

(21 avril 2023, Association France Nature Environnement, n° 453009)

 

104 - Tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie - Objectif de protection de l’environnement - Signalétique d’information des consommateurs - Charge financière en résultant - Absence de caractère disproportionné - Calendrier de mise en place ne comportant pas d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 29 juin 2021 relatif à l'information des consommateurs sur la règle de tri des déchets issus des produits soumis au principe de responsabilité élargie du producteur.

Leurs recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond.

En premier lieu, sur la forme, contrairement à ce qui est soutenu la consultation du Conseil d’État (section des travaux publics) sur ce projet de texte a bien eu lieu et le décret litigieux ne contient pas de dispositions qui diffèreraient à la fois du projet initial du Gouvernement et du texte adopté par la section des travaux publics. Ensuite, le projet de ce décret a bien été notifié à la Commission européenne et les modifications apportées après cette notification, qui n'ont pas pour effet de modifier le champ d'application des mesures prévues, d'en raccourcir le calendrier de mise en œuvre ou de prévoir des spécifications ou exigences supplémentaires à l'égard des produits ou emballages concernés, n'ont pas affecté de manière significative le projet initialement transmis. Il n'avait donc pas à être soumis à nouveau à la Commission.

En second lieu, sur le fond, est tout d’abord rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. R. 541-12-21 du code de l’environnement méconnaîtraient les exigences de l’art. 21 § 1 de la directive du 6 septembre 2006 relative aux piles et accumulateurs ainsi qu'aux déchets de piles et accumulateurs et celles de l’art. 14 de la directive du 4 juillet 2012 relative aux déchets d'équipements électriques et électroniques, en ce que celles-ci auraient pour effet de contraindre les producteurs concernés à ne pas respecter les dispositions des art. R. 543-127 ou R. 543-177 du code de l'environnement. Il résulte, en effet, de ces dernières dispositions que, si elles autorisent les producteurs à recourir à un support dématérialisé, par dérogation à l'obligation posée au deuxième alinéa de l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement de faire figurer la signalétique et l'information prévues par cet article « sur le produit, son emballage ou, à défaut, dans les autres documents fournis », pour tout ou partie de la signalétique et de l'information devant figurer sur les produits de petites dimensions ou de très petites dimensions, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet d'exonérer les producteurs de leurs éventuelles obligations spécifiques en vertu de la filière de responsabilité élargie du producteur dont ils relèvent et en particulier, s'agissant des filières piles et accumulateurs et équipements électriques et électroniques, des obligations découlant, respectivement des art. R. 543-127 et R. 543-177 du code de l'environnement, adoptés pour la transposition des directives du 6 septembre 2006 et du 4 juillet 2012 précitées.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement institueraient une mesure d'effet équivalent à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors qu’elles imposent aux producteurs relevant d'une filière de responsabilité élargie du producteur, telle que définie à l'art. L. 541-10 du même code, d'apposer sur le produit, son emballage ou dans les documents fournis avec le produit, d'une part, une signalétique indiquant au consommateur que ce produit relève d'un geste de tri, d'autre part, une information quant aux modalités de ce geste de tri, le cas échéant, élément par élément, conduisent, de fait, à interdire sur le marché français la commercialisation de produits ne comportant pas la signalétique et l'information précisées par les dispositions du décret attaqué, alors même qu'ils peuvent être légalement fabriqués et commercialisés dans d'autres États membres. Le juge, s’il reconnaît ce risque, rappelle cependant qu'en adoptant la mesure contestée, le législateur a poursuivi un objectif d'amélioration de la gestion des déchets issus des produits dans une perspective de renforcement de la protection de l'environnement, notamment en imposant de façon systématique l'information du consommateur sur les modalités de tri ou d'apport de ces déchets, en évitant le risque de confusion susceptible d'être induit par l'apposition de différents symboles ou marquages ayant une signification environnementale et, de façon générale, les erreurs de tri, afin d'améliorer la proportion de déchets valorisés. Cette exigence est d’autant plus justifiée qu’il résulte du supplément d’instruction ordonné par le juge, d’une part, qu'aucune des quatre principales filières de responsabilité élargie du producteur, portant sur les emballages ménagers, les équipements électriques et électroniques, le textile et l'ameublement, n'avait atteint ses objectifs de collecte séparée en 2020 et d’autre part qu'une étude menée par un éco-organisme de la filière emballages ménagers a mis en évidence en 2019 que près des trois quarts des consommateurs avaient des doutes quant au geste de tri approprié, s'agissant de certains produits.

Enfin, concernant la signalétique imposée, sont rejetés les moyens que sa mise en œuvre entraînerait des coûts disproportionnés ou qu’il existerait des dispositifs moins contraignant et aussi efficaces, que les dérogations prévues pour les petits ou très petits emballages afin de ne pas en augmenter le volume seraient inadaptées, que les obligations ainsi imposées aux producteurs par l'art. L. 541-10-3 du code de l'environnement, qui sont justifiées par l'objectif de protection de l'environnement poursuivi, iraient au-delà des contraintes strictement nécessaires à l'atteinte de cet objectif, que ces mesures ne respecteraient pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui en sont à l'origine, que le décret attaqué serait entaché d'erreurs manifestes d'appréciation faute de prendre en compte le calendrier de mise en place du dispositif harmonisé de règles de tri sur les emballages ménagers prévu à l'art. L. 541-10-18 du code de l'environnement, et eu égard aux modalités d'entrée en vigueur des obligations prévues à l'art. L. 541-9-3 du code de l'environnement qu'il retient.

(21 avril 2023, Fédération des industries électriques, électroniques et de communication et la Fédération française des industries jouet - puériculture, n° 456081)

 

105 - Police des animaux non indigènes susceptibles de causer des dégâts - Décret portant dérogation à la durée d’application initiale de la période d’autorisation de destruction - Exception d’illégalité impossible - Circonstances exceptionnelles - Rejet.

(21 avril 2023, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 465683)

V. n° 156

 

106 - Préservation de la ressource en eau destinée à la consommation humaine - Objectif constitutionnel de protection de l’environnement - Refus de transmission d’une QPC.

Au soutien de la demande d’annulation du décret du 10 septembre 2022 relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine, la requérante a soulevé une QPC portant sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des art. L. 218-1 à L. 218-14 du code de l'urbanisme. 

Ces dispositions, issues des lois du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et la proximité de l'action publique et du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale, instituent en faveur des communes, groupements de communes ou syndicats mixtes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau un droit de préemption des surfaces agricoles sur un territoire délimité en tout ou partie dans l'aire d'alimentation de captages utilisés pour l'alimentation en eau destinée à la consommation humaine.

La demande de transmission de la QPC est rejetée dès lors qu’en cherchant à préserver la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine, le législateur, par les dispositions contestées, a poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement.

Il s’ensuit que ne peuvent être utilement critiqués ni l’institution même d’un droit de préemption à cette fin, ni les modalités de mise en œuvre de ce droit alors même que, peut-être, le même résultat pourrait être obtenu au moyen des dispositifs légaux déjà existants, ni le régime juridique applicable aux biens ainsi préemptés.

(27 avril 2023, Union de syndicats Fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles d'Ile-de-France (FRSEA IDF), n° 468822)

 

107 - Autorisation de construction et d’exploitation d’un parc éolien - Arrêté d’autorisation ne comportant pas la dérogation prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement - Suspension de l'exécution des parties non viciées de l'arrêté jusqu'à délivrance éventuelle de cette dérogation - Annulation.

Une cour administrative d’appel a annulé un arrêté préfectoral autorisant la construction et l’exploitation d’un parc éolien motif pris de qu’il ne comportait pas la dérogation prévue à l’art. L. 411-2 du code de l’environnement transposant l'article 12 de la directive du Conseil du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats ».

Pour annuler cet arrêt le juge de cassation relève que la dérogation « espèces protégées » n’est pas nécessaire si le pétitionnaire justifie avoir pris des mesures d'évitement et de réduction présentant, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé pour que soit exigée une dérogation « espèces protégées ». Or, en l’espèce, la cour, pour estimer nécessaire l’exigence d’une telle dérogation, n’a retenu que les seules mesures d’évitement prises par le pétitionnaire et a estimé qu'il ne pouvait être tenu compte des mesures de réduction telles que le système de bridage prévu, alors qu'il lui appartenait d'apprécier si, en prenant en compte les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire, leune telle dérogation n’était pas nécessaire. 

La cour, en s’abstenant de procéder ainsi, a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt avec renvoi.

(28 avril 2023, ministre de la transition écologique, n° 460062 ; Société Énergie Charente, n° 460088, jonction)

(108) V. aussi, à l’inverse, l’annulation, pour erreur de droit, d’un arrêt d’appel qui, pour juger que le projet de construction et d’exploitation d’éoliennes n'emportait aucune destruction d'espèce, ni altération ou dégradation de leurs habitats au sens des dispositions des art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement, a notamment pris en compte la mise en place de mesures de compensation, dont il ressort des pièces du dossier, en particulier de l'étude d'impact versée au dossier de demande de la société pétitionnaire et de l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale, qu'elles sont en partie destinées à remédier à des destructions partielles ou totales d'habitats d'espèces protégées, alors que la cour ne pouvait prendre en compte que les seules mesures d'évitement et de réduction, et non les mesures de compensation, pour déterminer si les risques résiduels induits par le projet sur les espèces protégées ou leurs habitats étaient suffisamment caractérisés : 28 avril 2023, M. B. et Association la Prairie Libre, n° 460471.

 

État-civil et nationalité

 

109 - Mention « mort pour la France » - Demandes de prime de captivité et de démobilisation – Exception de prescription quadriennale – Régime de la loi du 29 janvier 1831 modifiée – Rejet.

Étaient demandés en l’espèce l’attribution au père du requérant de la mention « Mort pour la France », ainsi que le versement du solde de la prime de captivité et de la prime de démobilisation dues à son père, assorties des intérêts au taux légal.

Le tribunal administratif a rejeté le refus implicite de la ministre des armées d’accéder à ces demandes sur le fondement de l’exception de prescription quadriennale que régissait alors la loi du 29 janvier 1831 modifiée en 1945. L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif.

Le pourvoi est rejeté à titre principal parce que ce régime de prescription quadriennale, antérieur au régime actuel issu de la loi du 31 décembre 1968, ne prévoyait pas que la prescription ne courrait pas contre le créancier qui pouvait être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. 

Ainsi, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les faits en jugeant que les créances correspondant au solde de la prime de captivité et à la prime de démobilisation du défunt étaient prescrites à la date à laquelle ses ayants-droit ont saisi le juge administratif, en 2018, sans qu'ait d'incidence sur le cours de la prescription la circonstance que son épouse aurait été dans l'incapacité de connaître les conditions exactes du décès de son époux, la prescription ayant commencé à courir au plus tard à compter de l'année 1953 au cours de laquelle elle a eu connaissance de sa qualité d'ayant-droit, le décès de son époux ne lui ayant été notifié que le 8 août de cette année.

Pas davantage la cour ne s’est méprise sur les conclusions dont elle était saisie en déduisant de la circonstance que le requérant indiquait avoir ignoré jusqu'en 2013 l'existence de la circulaire du ministre des armées du 4 décembre 1944, affirmant à tort que l'ensemble des primes de captivité dues aux anciens combattants sénégalais leur avaient été régulièrement versées, en jugeant que cette circulaire ne pouvait être regardée comme un fait de l'administration au sens de l'art. 10 de la loi du 29 janvier 1831 de nature à modifier le cours des délais de prescription. 

Enfin, sont inopérants les moyens tirés de ce que la cour aurait commis une erreur de droit en refusant de regarder sa créance comme devant être rattachée à l'exercice 2014, au cours duquel le président de la république a prononcé, lors d'un déplacement au Sénégal, un discours portant sur les événements survenus en 1944 au camp de Thiaroye et de ce que les demandes indemnitaires du 1er décembre 1944 formées par le défunt auraient interrompu le cours de la prescription de ses créances et prorogé le délai de recours contentieux car ils sont nouveaux en cassation.

Il en va de même de l’invocation de la méconnaissance des stipulations des art. 2 et 6 de la convention EDH et du moyen tiré de ce que les déclarations du président de la république en 2014 auraient fait naître une obligation naturelle, transformée en obligation civile.

(05 avril 2023, M. A., n° 459652)

 

110 - Décret de naturalisation - Décret rapporté pour mensonge par omission - Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre a rapporté le décret portant naturalisation du requérant, ressortissant algérien, en se fondant sur ce qu’il n’a pas indiqué, pendant l’instruction de sa demande de naturalisation, avoir contracté une union avec une ressortissante algérienne vivant en Algérie, sans qu’ait d’effet sur la légalité du retrait la circonstance qu'il s'est, postérieurement au décret attaqué, séparé de son épouse.

(26 avril 2023, M. C., n° 464573)

(111) V. aussi, même solution envers un ressortissant guinéen n’ayant pas indiqué au cours de la procédure de naturalisation avoir épousé une ressortissante américaine vivant aux États-Unis : 26 avril 2023, M. A., n° 464683.

(112) V. encore, même solution - pour défaut d’urgence - à propos d’une demande de suspension du décret retirant la décision de naturalisation par le motif que son bénéficiaire n’a pas déclaré durant la procédure de naturalisation l’union contractée avec une ressortissante tunisienne vivant en Tunisie, en dépit de ce que le contrevenant allègue que le décret rapportant sa naturalisation  ferait obstacle à ce qu'il puisse se maintenir en qualité de fonctionnaire stagiaire dans l'emploi d'adjoint technique qu'il occupe depuis le 1er octobre 2022, sur le fondement d'un arrêté du garde des sceaux, du 13 septembre 2022, en vue d'être titularisé à l'issue de son stage au 1er octobre 2023, le Conseil d’État devant statuer avant le mois d’octobre sur la légalité de ce décret : 25 avril 2023, M. B., n° 472996.

 

Étrangers

 

113 - Ressortissant marocain - Refus de délivrance d’un titre de séjour et ordre de quitter le territoire français (OQTF) - Convention franco-marocaine en matière de séjour et d’emploi - Renvoi à la législation nationale sur les points non traités par la convention - Rejet.

Le requérant, à qui a été refusée la délivrance d’un titre de séjour et adressé un OQTF, invoque à l’encontre de ces décisions qu’il attaque, les dispositions de la convention franco-marocaine du 9 octobre 1987 en matière de séjour et d’emploi.

Il se pourvoit en cassation contre l’ordonnance d’appel confirmative du rejet de sa demande.

Son pourvoi est rejeté.

Les stipulations des art. 3 et 9 de l'accord franco-marocain précisent qu’il est renvoyé sur tous les points que cet accord ne traite pas, à la législation nationale. Il en est ainsi des dispositions pertinentes du CESEDA, pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord.

Or, les stipulations de l'art. 3 de cet accord ne régissent que la délivrance d'un titre de séjour pour exercer une activité salariée et cet accord ne comporte par ailleurs aucune stipulation relative aux conditions d'entrée des ressortissants marocains sur le territoire français.

L’ordonnance litigieuse n’est pas entachée d'erreur de droit en ce qu’elle juge que les dispositions de l'art. L. 412-1 du CESEDA, qui subordonnent de manière générale la délivrance de toute carte de séjour à la production par l'étranger d'un visa de long séjour, ne sont pas incompatibles avec les stipulations de cet accord et qu'en conséquence le préfet avait pu légalement refuser au requérant la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié au motif qu'il ne justifiait pas d'un visa de long séjour. 

(05 avril 2023, M. B., n° 462770)

 

114 - Avis de droit - Demande de naturalisation - Instruction de la demande - Enquête administrative - Régime de la consultation des données à caractère personnel ou du fichier « TAJ » - Conséquences - Avis en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis de droit portant sur une importante question : il s’agissait de savoir si dans le cours de l’enquête administrative organisée à l’occasion d’une demande de naturalisation, il était possible à l’autorité compétente de consulter des données à caractère personnel relatives à la pétitionnaire lorsque la procédure a fait l'objet d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite ou de consulter le fichier des antécédents judiciaires (dit fichier TAJ) compte tenu des dispositions des art. 230-8 et R. 40-29 du code pénal.

La réponse est claire et nette.

Dans le cadre d'une enquête administrative menée pour l'instruction d'une demande d'acquisition de la nationalité française, les données à caractère personnel concernant le demabdeur à la naturalisation qui figurent le cas échéant dans le traitement des antécédents judiciaires ne peuvent être consultées lorsqu'elles ont fait l'objet d'une mention, notamment à la suite d'une décision de non-lieu ou de classement sans suite. Aucun texte ne permet de déroger à cette interdiction.

En revanche, lorsque les données à caractère personnel ne sont pas assorties d'une telle mention elles peuvent être consultées par les personnels de la police et de la gendarmerie habilités et par les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'État.

En conséquence, l'autorité compétente ne peut légalement fonder le rejet ou l'ajournement de la demande de naturalisation sur des informations qui seraient uniquement issues d'une consultation des données personnelles figurant dans le traitement des antécédents judiciaires à laquelle elle aurait procédé en méconnaissance de l'interdiction susmentionnée. 

(17 avril 2023, Mme B., n° 468859)

 

115 - Avis de droit - Demandes de visa - Décisions des autorités consulaires en la matière - Commission de recours contre les refus de visas - Régime.

Le Conseil d’État répond à diverses questions posées par le tribunal administratif de Nantes relatives aux refus de visas opposés par les autorités consulaires françaises, à leur motivation ainsi qu’à leur traitement par la commission de recours contre les refus de visas. Les réponses apportées revêtent une grande importance tant qualitative qu’au plan quantitatif.

Tout d’abord, le juge rappelle l’obligation pour les décisions de refus de visa (cf. art. L. 211-2 CRPA) comme pour les décisions de rejet des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) formés contre ces décisions de refus, d’être motivées. A défaut, l’intéressé peut demander communication des motifs du rejet implicite du RAPO (6 décembre 2002, Lukundu, n° 200991).

Ensuite, dans le cas où le recours administratif préalable obligatoire formé contre une décision de refus d'une demande de visa fait l'objet d'une décision implicite de rejet, cette décision implicite, qui se substitue à la décision initiale, doit être regardée comme s'étant appropriée les motifs de la décision initiale.

Il en va de même, dans le cadre d’une procédure de recours administratif préalable obligatoire applicable aux refus de visa introduite avant l'entrée en vigueur des dispositions de l’art. D. 512-3 du CESEDA dans la version que lui a donnée le décret du 29 juin 2022, si le demandeur a été averti au préalable par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'une telle appropriation en cas de rejet implicite de sa demande. 

Également, lorsque la décision consulaire n'est pas motivée, le demandeur qui n'a pas sollicité, sur le fondement de l'art. L. 232-4 du CRPA, la communication des motifs de la décision implicite de rejet prise sur son recours préalable obligatoire, ne peut utilement soutenir devant le juge qu'aurait été méconnue l'obligation de motivation imposée par l'art. L. 211-2 du même code.

Lorsque la décision consulaire est motivée, l'insuffisance de cette motivation peut être utilement soulevée devant le juge, sans qu'une demande de communication de motifs ait été faite préalablement. Si, toutefois, dans cette hypothèse, une telle demande a été présentée et l'autorité administrative y a explicitement répondu, cette réponse doit être regardée comme une décision explicite se substituant à la décision implicite de rejet initiale du recours administratif préalable obligatoire.

Enfin, le mécanisme d'appropriation des motifs ne fait pas obstacle à ce que l'administration puisse faire valoir devant le juge un ou plusieurs autres motifs et que le juge fasse droit, dans les conditions de droit commun, à cette demande de substitution de motifs dès lors que celle-ci ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué (cf. la bien connue décision de Section du 6 février 2004, Hallal, n° 240560).

A cet égard, la circonstance que l'administration puisse faire valoir un ou plusieurs autres motifs ne peut être regardée comme privant l'intéressé de la garantie que constituerait l'examen de son recours administratif préalable obligatoire. 

(21 avril 2023, Mme Q. et M. A., n° 468836)

 

116 - Conjoint étranger d’un national français - Étranger victime de violences familiales ou conjugales - Rupture de la vie commune - Maintien ou renouvellement du titre de séjour - Erreur ce droit - Annulation et injonction de délivrer une carte de séjour temporaire.

L’art. L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile CESEDA), après avoir disposé que le renouvellement de la carte de séjour délivrée à l’étranger conjoint d’un Français est subordonné au fait que la communauté de vie n'ait pas cessé, sauf deux exceptions : en cas de décès du conjoint français ou si l'étranger a subi des violences familiales ou conjugales et que la communauté de vie a été rompue. Dans ces deux cas, l'autorité administrative ne peut pas procéder au retrait du titre de séjour de l'étranger et doit en accorder le renouvellement.

Il appartient donc au juge d’apprécier l'existence de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune du demandeur avec son conjoint de nationalité française.

Une ressortissante tunisienne s’est vu refuser le renouvellement de son titre de séjour pour rupture de la vie commune avec son ex-mari alors même qu’elle invoquait avoir subi des violences conjugales.

Pour rejeter le recours de celle-ci contre ce refus préfectoral, la cour administrative d’appel a retenu qu'aucune suite judiciaire n'avait été donnée à la plainte déposée par la requérante pour des faits de violences physiques et psychologiques commis par son conjoint et relevé que la procédure de divorce avait été initiée par son époux, qui a quitté le domicile conjugal après qu'elle s'est réfugiée auprès de sa famille.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit, ainsi que le soutenait la requérante en indiquant que les faits dénoncés étaient corroborés par d'autres éléments au dossier qui était soumis à la cour et en rapportant la preuve notamment par des éléments mentionnés dans un certificat médical ainsi que par des attestations de voisins, qu’elle a subi des violences conjugales ayant conduit à la rupture de la communauté de vie avec son conjoint de nationalité française.

Injonction est faite de lui délivrer dans un délai d'un mois une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

(19 avril 2023, Mme A., n° 454072)

 

117- Étranger en cours d’expulsion - Obligation de présentation à l’hôtel de police trois fois par jour - Atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir - Annulation partielle.

Un étranger en cours d’expulsion a été astreint à résider dans le département de l'Isère, dans les limites de la commune de Grenoble, à se présenter trois fois par jour à l'hôtel de police de Grenoble, y compris les dimanches et jours fériés, à demeurer à son domicile tous les jours de 21 heures à 7 heures, et a subordonné ses déplacements en dehors de la commune de Grenoble à une autorisation écrite. Il conteste à la fois l’arrêté instaurant cette mesure et l’arrêté d’expulsion. Son recours contre ce dernier est rejeté.

Concernant le premier arrêté, il est jugé qu’en l'absence de tout élément avancé par l'administration pour justifier la nécessité d'une fréquence de présentation à l’hôtel de police trois fois par jour, cette assignation à résidence porte une atteinte excessive à la liberté d'aller et de venir de l'intéressé en tant qu'elle lui fait obligation de s'y présenter plus de deux fois par jour. 

Est donc ordonnée la suspension d’exécution de l’arrêté querellé tant que celui-ci n’a pas été remplacé par un autre arrêté imposant, au maximum, une fréquence de présentation de deux fois par jour.

(26 avril 2023, M. A., n° 465768) 

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

118 - Médecin chef du service de santé des armées – Demande d’attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière – Refus – Injonction de réexamen de la demande – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation.

Le requérant, médecin en chef du service de santé des armées, a sollicité le 6 décembre 2010 l'attribution du pécule modulable d'incitation à une seconde carrière prévue par l'art. 149 de la loi du 28 décembre 2008 de finances pour 2009.

L’intéressé a demandé, en vain en première instance, l’annulation du refus opposé le 10 février 2011 à sa demande. La cour administrative d’appel, qu’il a saisie, a annulé le jugement, la décision de refus de la ministre et enjoint à cette dernière de réexaminer cette demande. Par une nouvelle décision, du 29 mai 2017, la ministre a rejeté la seconde demande de l’intéressé. Saisie à nouveau, la cour,  par un arrêt du 2 novembre 2021, a annulé cette décision ainsi que la décision implicite du 13 novembre 2017 née du silence gardé sur son recours formé devant la Commission des recours des militaires contre cette décision et elle a enjoint à la ministre des armées de procéder au réexamen de la demande et de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois en tenant compte des circonstances de droit et de fait en vigueur à la date de cette nouvelle décision. Contre cet arrêt, la ministre se pourvoit en cassation.

Relevant d’office le moyen d’ordre public tiré du champ d’application de la loi de finances du 28 décembre 2008 et de la loi de programmation militaire 2014-2019 du 18 décembre 2013 et sans examiner le moyen développé au soutien du pourvoi, le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit. La cour, compte tenu des dispositions de l’art. 149 de la loi de finances de 2008 selon lesquelles le pécule modulable d'incitation à une seconde carrière qu'il avait institué n'était susceptible d'être versé qu'au titre des demandes présentées entre 1er janvier 2009 et le 31 décembre 2014, ne pouvait motiver son annulation de la seconde décision du refus de la ministre, prise le 29 mai 2017, sur ce que celle-ci aurait dû être fondée sur les dispositions de la loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 qui n’étaient pas applicables aux demandes de pécule présentées à la date de cette nouvelle décision de refus. La cour ne pouvait donc pas décider que la situation de l’intéressé aurait dû faire l'objet d'une nouvelle appréciation à cette même date, et non à celle de sa demande initiale.

(12 avril 2023, ministre des armées, n° 459988)

 

119 - Agent du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) - Régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) – Combinaison entre l’indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE), la prime de « fonctions informatiques » (PFI) et la prime de participation à la recherche scientifique (PPRS) – Rejet.

Le Président du CNRS, par une décision du 1er septembre 2017, a fixé le montant mensuel brut de l’indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) versée à une ingénieur de recherche de 1ère classe dans le cadre de la mise en place du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) au sein de l'établissement. Saisi par l’intéressée, le tribunal administratif a annulé les articles 2 et 3 de cette décision et enjoint au CNRS, d'une part, de réintégrer dans l'assiette de l'IFSE due à celle-ci  la somme correspondant à la différence entre ce qui lui a été alloué et ce qui lui était dû, à compter du 1er janvier 2018 et jusqu'à la date de son prochain changement de fonctions et, d'autre part, de procéder à la liquidation des sommes dues dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Le CNRS se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif de la cour administrative d'appel.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge déduit des termes de l’art. 6 du décret du 20 mai 2014 portant création du RIFSEEP dans la fonction publique de l'État que ses dispositions qui garantissent à l'agent concerné, jusqu'à son prochain changement de fonctions, un montant d'IFSE au moins égal au montant des primes et indemnités qu'il percevait antérieurement à la mise en place de cette nouvelle indemnité, à l'exception des versements à caractère exceptionnel, d'une part, que la seule circonstance qu'une fraction du régime indemnitaire antérieurement servi était liée à l'appréciation de ses résultats et de sa manière de servir n'a pas pour effet d'exclure cette part variable du calcul du montant minimal garanti de l'IFSE et, d'autre part, que sont en revanche exclus de ce calcul les versements qui, par leur nature ou par leur montant au regard de la moyenne des versements antérieurs, présentent un caractère exceptionnel.

Selon le juge, il résulte notamment des motifs de la décision du 16 janvier 2018 rejetant le recours gracieux de l’intéressée, que, par la décision en litige du 1er septembre 2017, le président du CNRS a exclu les versements, dénommés « compléments » ou « suppléments », effectués au titre de la part variable de la PPRS et de la PFI servies antérieurement à cette date, du calcul du montant de l'IFSE versée à l’intéressée en application des dispositions de l'art. 6 du décret du 20 mai 2014, au motif que, liés à son engagement professionnel et à sa manière de servir, ces versements revêtiraient un caractère exceptionnel au sens de ces dispositions et qu'ils auraient, dès lors, vocation à lui être servis au titre du complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir, et non au titre de l'IFSE.

Le Conseil d’État décide que la cour administrative d’appel :

1°/ n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que les versements de la part variable de la PPRS et de la PFI ne peuvent être regardés comme revêtant un caractère exceptionnel au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014 car la seule circonstance qu'une part de la PPRS et de la PFI est attribuée en fonction des résultats et de la manière de servir des agents qui en bénéficient ne saurait suffire à conférer à cette part un caractère exceptionnel au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014 et à les exclure, par suite, du calcul du montant minimal de l'IFSE garanti par ces dispositions, sans qu'ait d'incidence la création, par ce décret, d'un complément indemnitaire annuel lié à l'engagement professionnel et à la manière de servir.

2°/  n’a pas, non plus, dénaturé les faits et pièces du dossier en jugeant que les versements, dénommés « compléments » ou « suppléments », effectués au titre de la part variable de la PPRS et de la PFI servies à cet agent antérieurement au 1er septembre 2017 ne revêtaient pas un caractère exceptionnel, au sens de l'article 6 du décret du 20 mai 2014, eu égard à leur nature et à leur montant au regard de la moyenne des versements antérieurs, et en en déduisant qu'ils devaient être pris en compte dans leur intégralité pour le calcul du montant de l'IFSE versée à l’intéressée en application de ces mêmes dispositions.

(12 avril 2023, Centre national de la recherche scientifique (CNRS), n° 464456)

 

120 - Professeurs des écoles stagiaires – Note de service - Modalités d’accomplissement de l’année de stage – Prise en considération d’éléments non prévus par le décret relatif au statut particulier des professeurs des écoles – Méconnaissance d’un décret par une note de service prise au nom d’un ministre – Incompétence – Annulation.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la note de service du 20 mai 2022, révélée par ses échanges avec la direction générale des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, par laquelle la sous-directrice de la gestion prévisionnelle, de la formation et des affaires statutaires et règlementaires au sein de cette direction a précisé les modalités d'accomplissement de l'année de stage des professeurs des écoles stagiaires à compter de la rentrée scolaire de 2022 et d'affectation des lauréats des concours de recrutement des professeurs des écoles.

Le Conseil d’État relève l’illégalité de cette note en raison de l’incompétence de son auteur du fait qu’elle méconnaît les dispositions du décret du 1er août 1990 portant statut particulier des professeurs des écoles et il en prononce l’annulation intégrale ses dispositions étant indivisibles du reste du texte.

En effet, selon l’art. 10 du décret statutaire, une fois déterminé par les rectorats le nombre de postes ouverts aux professeurs des écoles stagiaires dans chaque département, l'affectation de ces derniers par département ne doit être établie qu’en fonction des seuls vœux et rangs de classement des lauréats.

Or la mise en œuvre de la note de service attaquée à la rentrée 2022 conduit, d'une part, à ce que les capacités d'accueil de professeurs des écoles stagiaires ouvertes dans chaque département soient définies en termes de postes à temps plein et de postes à mi-temps, d'autre part, qu'il soit tenu compte de cette quotité de service pour l'affectation, par département, des lauréats - lesquels, selon leur formation ou leur expérience, ont vocation à réaliser un stage soit à mi-temps, soit à temps plein. Cette méthodologie retenue par la note contredit le décret précité qui ne subordonne une telle affectation qu'aux vœux et ordre de classement des lauréats.

Si le ministre de l'éducation nationale fait valoir que les possibilités d'affectation par département des professeurs des écoles stagiaires sont, en pratique, tributaires de l'identification, au regard des besoins d'enseignants constatés dans chaque département et des capacités d'accueil correspondantes, des viviers de postes vacants adaptés aux quotités de service, il n’en demeure pas moins que les dispositions combinées des art. 10 et 12 du décret du 1er août 1990, selon lesquelles les professeurs des écoles sont, en principe, titularisés dans le département où se déroule leur stage, font obstacle à ce que les services compétents puissent tenir compte, dans les procédures d'affectation, d'éléments non prévus par ces dispositions.

(12 avril 2023, Syndicat des enseignants de l'Union nationale des syndicats autonomes, n° 465510)

 

121 - Fonctionnaire - Détermination de l’imputabilité directe au service d’une maladie ou de son aggravation – Conditions – Rejet.

Rappel de ce qu’une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

C’est donc sans erreur de droit ni de qualification juridique qu’une cour administrative d’appel, pour juger que la maladie dont souffre le demandeur n’est pas imputable au service, retient, d’une part, que si l'intéressé verse au dossier deux certificats médicaux indiquant qu'il souffre d'un syndrome dépressif réactionnel à des problèmes professionnels, ces documents sont dénués de toute précision et ne permettent pas d'établir un lien entre la pathologie de l'intéressé et ses conditions de travail et qu’il ressort des conclusions de l'expertise produite par l'administration que l'existence d'un tel lien n'est pas établie, et d'autre part, l'absence de M. C. au sein du service depuis plus de trois ans à la date de la constatation de sa maladie.

(04 avril 2023, M. C., n° 451896)

 

122 - Enseignement – Agents contractuels - Accompagnants des élèves en situation de handicap – Classement de ces agents – Atteinte au principe d’égalité – Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait, d’une part, l’annulation du deuxième alinéa de l'art. 2 du décret du 23 août 2021 modifiant l'art. 11 du décret du 27 juin 2014 relatif aux conditions de recrutement et d'emploi des accompagnants des élèves en situation de handicap, ainsi que le dernier alinéa de l'art. 4 de ce même décret , d’autre part, l’annulation de la note de service du 11 octobre 2021 de la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère de l'agriculture et de l'alimentation relative « aux accompagnants des élèves en situation de handicap - points d'attention à suivre pour leur recrutement et leurs conditions de rémunération ».

Le Conseil d’État rejette les trois moyens soulevés.

En premier lieu, il résulte des dispositions de l'art. L. 917-1 du code de l'éducation que les dispositions réglementaires générales applicables aux agents contractuels de l'État (cf. art. 7 de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'État ; décret du 17 janvier 1986 concernant les agents contractuels de l’État), sont applicables aux accompagnants des élèves en situation de handicap. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, par les dispositions attaquées du décret du 23 août 2021, le pouvoir réglementaire a pu prévoir que les accompagnants des élèves en situation de handicap sont classés au premier échelon de la grille indiciaire qui leur est applicable, sans qu'il soit tenu compte de la qualification détenue par ces agents et de leur expérience professionnelle.

En deuxième lieu, ce décret ne méconnaît pas le principe d'égalité entre les accompagnants des élèves en situation de handicap et l'ensemble des autres agents contractuels de l'État relevant du décret du 17 janvier 1986, pour lesquels il est tenu compte, dans la fixation de leur rémunération, de la qualification détenue et de leur expérience professionnelle. Ne peut, non plus, être invoquée une rupture de l'égalité entre les accompagnants des élèves en situation de handicap et les agents contractuels d'enseignement ou d'éducation des lycées agricoles, recrutés en application du décret du 22 octobre 1968 pour exercer des fonctions d'enseignement, d'éducation ou d'orientation car ces derniers sont placés, eu égard à leurs missions et aux conditions d'exercice de celles-ci, dans une situation différente justifiant une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et qui n’est pas manifestement disproportionnée au regard des motifs qui la justifient. 

En troisième lieu, la circonstance que les dispositions du dernier alinéa de l'art. 4 du décret du 23 août 2021 prévoient que les accompagnants d'enfants en situation de handicap reclassés à un échelon doté d'un indice brut inférieur à celui sur la base duquel ils étaient rémunérés avant leur reclassement conservent à titre personnel le bénéfice de cet indice brut antérieur jusqu'au jour où ils bénéficient dans la grille prévue à l'art. 11 du décret du 27 juin 2014 modifié d'un indice brut au moins égal, ont pour effet de bloquer la progression de carrière des agents concernés jusqu'à ce que leur ancienneté corresponde au niveau de rémunération auquel ils ont été recrutés n’a qu’un caractère transitoire lié à la mise en place des nouvelles modalités de rémunération des accompagnants d'enfants en situation de handicap, celle-ci est désormais déterminée en fonction d'un échelonnement indiciaire. Ces dispositions visent d’ailleurs à préserver, à l'avantage des agents concernés, le niveau de rémunération auquel ils pouvaient prétendre avant leur reclassement dans cet échelonnement. Il n’est donc pas porté atteinte au principe d'égalité.

(04 avril 2023, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 457825)

 

123 - Accès à l’auditorat au Conseil d’État et à la Cour des comptes – Corps et cadres d’emplois concernés - Méconnaissance prétendue de la loi du 6 août 2019 et de l’ordonnance du 2 juin 2021 – Rejet.

Les deux requêtes jointes tendaient à l’annulation du décret n° 2021-1216 du 22 septembre 2021 fixant la liste des corps et cadres d'emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes.

Elles sont rejetées.

Le Conseil d’État estime que ce décret ne porte pas atteinte à la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, notamment son art. 59, en tant qu’il ne mentionne pas dans la liste des corps et cadres d'emplois dont les membres peuvent être nommés auditeurs au Conseil d'État et à la Cour des comptes, le corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et celui des magistrats des chambres régionales des comptes.

Ce décret ne méconnaît pas davantage l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de l'État, prise sur le fondement de l'art. 59 de la loi du 6 août 2019 précitée dans la mesure où le législateur a laissé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les corps - autres que le corps des administrateurs de l'État - et les cadres d'emplois, pour autant qu'ils soient d'un niveau comparable au corps des administrateurs de l'État, dont les membres peuvent présenter leur candidature en vue d'exercer les fonctions d'auditeur au Conseil d'État ou à la Cour des comptes.

Enfin, s’agissant de l’absence de mention des corps de magistrats précités, il est jugé que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que soient réglées de façon différente des situations différentes, que les membres de ces corps de magistrats ont déjà accès aux emplois d’auditeurs selon des modalités qui leur sont spécifiques et que cela ne méconnaît point les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles.

(04 avril 2023, Syndicat de la juridiction administrative, n° 458653 ; Syndicat des juridictions financières, n° 462391)

 

124 -Agent de Pôle Emploi - Mesure disciplinaire - Poursuites reposant sur des témoignages anonymisés - Condition de compatibilité avec le principe du contradictoire - Rejet.

Cette décision aborde une question difficile.

Dans le cadre d’une procédure disciplinaire, il est loisible à l’employeur public de recourir à des témoignages et, dans le cas où la connaissance de l’identité serait de nature à porter préjudice aux témoins, de les anonymiser. Toutefois, comment concilier ce premier souci avec l’exigence de respecter le caractère contradictoire de la procédure afin de permettre à la personne poursuivie de se défendre ?

De façon embarrassée, et on le comprend, le juge préconise à l’autorité disciplinaire, si l’intéressé conteste l’authenticité des témoignages ou la véracité de leur contenu, « de produire tous éléments permettant de démontrer que la qualité des témoins correspond à celle qu'elle allègue et tous éléments de nature à corroborer les faits relatés dans les témoignages. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. » Tout cela est bien vague mais comment dire ou faire autrement ?

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a relevé que Pôle Emploi s'est exclusivement fondé sur des témoignages qui émaneraient d'agents qui auraient participé à une session de formation, rapportant des propos qui y auraient alors été tenus, ces témoignages ayant été anonymisés et ne permettant ainsi pas d'identifier leurs auteurs, ainsi que sur une synthèse, également anonymisée, dont l'auteur reste ainsi inconnu, rapportant des propos qui auraient été tenus à l'occasion d'une enquête téléphonique avec des agents dont l'identité n'est pas davantage précisée et qui ont refusé de confirmer leurs propos par écrit, et qu’elle a estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments anonymisés produits ne suffisaient pas à apporter la preuve de la réalité des faits contestée par l'intéressée

(05 avril 2023, Pôle Emploi, n° 463028)

 

125 - Fonctionnaire civil de l’État - Réserviste - Mission militaire en Bosnie-Herzégovine - Demande de bonification de campagne simple - Rejet.

Un fonctionnaire civil faisant partie de la réserve opérationnelle a été détaché en qualité de chef de bataillon pour une mission en Bosnie-Herzégovine. Il a demandé l’annulation de son titre de pension en tant que la bonification de campagne simple, prévue par le décret du 15 février 1994 portant attribution de celle-ci aux militaires en service sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, ne lui a pas été accordée au titre de cette période de détachement.

Il a saisi le tribunal administratif du refus opposé à sa demande par le ministre des finances.
Ce dernier se pourvoit en cassation du jugement annulant sa décision de refus.

Le pourvoi est rejeté.

En effet, si, comme le soutient le ministre, l'art. L. 513-4 du code général de la fonction publique dispose que le fonctionnaire détaché reste affilié à son régime de retraite et ne peut être affilié au régime de retraite dont relève la fonction de détachement ni acquérir, à ce titre, des droits quelconques à pensions ou allocations, il résulte toutefois de dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite (art. L.1, L.2, L.5 et L.12) que les pensions versées aux fonctionnaires civils et aux militaires relèvent du même régime de retraite. Le ministre n'est ainsi pas fondé à soutenir que le tribunal administratif aurait commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'art. 46 de la loi du 11 janvier 1984 (codifié sous l'art. L. 513-4 du code général de la fonction publique) ne font pas obstacle à la prise en compte des services militaires accomplis par l’intéressé en position de détachement pour la liquidation de sa pension.

De plus, en vertu des dispositions précitées, les réservistes exerçant une activité dans le cadre de leur engagement à servir dans la réserve opérationnelle ayant la qualité de militaires, c’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé que les services accomplis par le requérant lui ouvrent droit au bénéfice de la bonification de campagne prévue par les dispositions du c) de l'article L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite et du décret du 15 février 1994. 

(05 avril 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465606)

 

126 - Praticien hospitalier - Affection prétendue imputable au service - Notion d’imputabilité - Absence - Rejet.

Dans un litige portant sur l’éventuelle imputabilité au service hospitalier de l’affection dont est atteint un praticien hospitalier, le juge rappelle qu’« Une maladie contractée par un praticien hospitalier, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service. »

En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé, par une exacte qualification des faits, que l'affection dont souffrait le demandeur n'était pas imputable au service, car, en premier lieu, si la période au cours de laquelle l'intéressé a été affecté au centre hospitalier de Thann, a été marquée par un contexte professionnel tendu, le dossier ne met en évidence aucun élément propre à sa situation qui permettrait d'établir l'existence d'un lien direct entre le syndrome dépressif dont il a souffert et ce contexte professionnel ; en second lieu, durant la période au cours de laquelle il a été affecté au centre hospitalier de Belfort-Montbéliard, à compter de 2006, le requérant a été placé sur un poste adapté à son état dépressif, reconnu comme maladie professionnelle.

(07 avril 2023, M. B., n° 450231)

 

127 - Praticiens hospitaliers - Contractuels en CDD puis titularisés - Retrait de la titularisation - Indemnité de précarité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Des praticiens sont recrutés par un centre hospitalier par contrats à durée déterminée renouvelés chaque année jusqu’à ce que, reçus au concours national des praticiens hospitaliers, ils soient titularisés. Peu après ces arrêtés de titularisation sont retirés à leur demande et ils sollicitent l’octroi de l’indemnité de précarité. Ils saisissent du refus de leur allouer cette indemnité le tribunal administratif qui rejette leurs demandes. La cour administrative d’appel, infirmant ces jugements, condamne le centre hospitalier à leur verser cette indemnité.

Le centre hospitalier saisit le juge de cassation qui lui donne satisfaction.

Le juge commence par indiquer que pour un praticien contractuel, employé dans le cadre de contrats à durée déterminée qui est recruté comme praticien hospitalier dans le cadre du statut prévu au 1° de l'art. L. 6152-1 du code de la santé publique, la relation de travail se poursuit dans des conditions qui doivent être assimilées, pour l'application de l'art. L. 1243-8 du code du travail, à celles qui résulteraient de la conclusion d'un contrat à durée indéterminée. En cas de vacance d’un emploi de praticien hospitalier relevant de la spécialité du praticien contractuel, un refus de ce dernier d’y présenter sa candidature, alors qu'il a été déclaré admis au concours national de praticien des établissements publics de santé, doit être assimilé au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée au sens du 3° de l'art. L. 1243-10 du code du travail.

Il suit de là, naturellement, sous réserve qu'eu égard aux responsabilités et aux conditions de travail qu'il comporte l'emploi vacant puisse être regardé comme identique ou similaire à celui précédemment occupé en qualité de contractuel et qu'il soit assorti d'une rémunération au moins équivalente, l'indemnité de fin de contrat n'est pas due en pareille hypothèse.
Ensuite, abordant le fond, le juge relève que les requérants soutenaient que leur refus d'être titularisés sur les postes qui leur étaient proposés tenait à ce qu'ils ne disposaient pas d'information quant aux responsabilités, aux conditions de travail et à la rémunération de ces emplois, qui leur auraient permis de les regarder comme équivalents à ceux qu'ils occupaient antérieurement. Et, constatant que le centre hospitalier disposait de ces éléments d'information, la cour annule le refus d’octroyer la prime de précarité.

Le Conseil d’État annule à bon droit l’arrêt pour n’avoir pas recherché si le refus par les requérants des postes proposés avait effectivement pour fondement l'insuffisance de leur information sur les responsabilités, les conditions de travail et la rémunération de ces emplois, alors qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les intéressés n'avaient nullement cherché à obtenir ces informations du centre hospitalier.

L’arrêt est ainsi entaché d'une erreur de droit et le centre hospitalier fondé à demander l'annulation de l'arrêt.

(07 avril 2023, Centre hospitalier de Privas Ardèche, venu aux droits du centre hospitalier des Vals d'Ardèche, n° 460107)

 

128 - Professeur des universités-praticiens hospitaliers - Candidature à un poste ouvert dans un CHU - Refus suite à une enquête interne - Rejet.

Recruté par contrat par le CHU de Rouen en qualité de praticien hospitalier, le requérant a été admis au concours de professeurs des universités-praticiens hospitaliers dans la spécialité génécologie obstétrique, gynécologie médicale et il a présenté sa candidature au poste de professeur dans cette spécialité ouvert au recrutement dans ce CHU.

Il demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du président de la république du 
6 septembre 2021 fixant la liste des candidats nommés et titularisés en cette qualité en tant que son nom n'y figure pas. 

Pour rejeter le recours, le juge retient qu’il « ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport de la commission de déontologie de l'UFR santé de Rouen et des conclusions de l'enquête interne, que le requérant a adopté dans l'exercice de ses fonctions un comportement inapproprié à l'égard d'internes et d'étudiantes stagiaires en maïeutique, prenant en particulier la forme, à l'égard de ces dernières, de questions insistantes, personnelles et déplacées de nature à faire naître chez elles un sentiment de malaise et d'une tentative de séduction inappropriée à l'égard d'une étudiante stagiaire vécue par elle comme une agression, qu'il a également montré à plusieurs reprises au sein du service des images et vidéos à connotation sexuelle et que, au regard de ce comportement, le président de l'université de Rouen a adressé un courrier de signalement au procureur de la République sur le fondement des dispositions de l'art. 40 du code de procédure pénale ».

Le refus de le proposer à la nomination par le président de la république, en dépit de plusieurs témoignages en sa faveur, refus qui ne constitue pas une sanction disciplinaire mais une mesure prise en considération de la personne, ne repose ni sur des considérations matériellement erronées, ni sur une erreur d'appréciation.

(28 avril 2023, M. A., n° 458275)

 

129 - Administratrice civile - Absence d’affectation - Harcèlement moral - Arrêt insuffisamment motivé - Annulation.

La requérante, administratrice civile hors classe, se plaint de qu’elle soit souvent laissée sans affectation et que, pendant neuf années, elle ne se soit vu confier que des missions ponctuelles ce dont elle déduit que cette attitude vexatoire adoptée par l'administration à son égard, reposait sur des motifs discriminatoires à raison de ses origines, de son âge ou de son sexe, et était de nature à faire naître une présomption de harcèlement moral. 

Le Conseil d’État rappelle que tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.

Puis, il annule l’arrêt attaqué en relevant que pour juger que l’intéressée n’avait pas été laissée sans affectation effective au-delà d'un délai raisonnable et pour écarter en conséquence l'existence d'un comportement discriminatoire de l'administration à son égard et toute présomption de harcèlement moral, la cour administrative d'appel ne s'est prononcée sur l'absence d'affectation effective de la requérante que pour les périodes de mai 2012 à début 2013 et de mars-avril 2018, alors que Mme B. faisait également valoir qu'elle n'avait reçu aucune affectation effective entre les mois de janvier 2010 et mars 2011.

Dès lors, en faisant droit aux conclusions d'appel incident de la ministre de la culture sans répondre à son argumentation sur ce point au titre de cette période, alors que celle-ci devait nécessairement être prise en compte pour l'appréciation du bien-fondé du jugement attaqué et de ses conclusions indemnitaires au titre de l'ensemble des faits générateurs de responsabilité qu'elle invoquait, la cour a insuffisamment motivé son arrêt et dénaturé les pièces du dossier ce qui conduit à l’annulation de l’arrêt querellé.

(07 avril 2023, Mme B., n° 461782)

 

130 - Agents des services pénitentiaires - Mouvement social important - Grève interdite par la loi - Retenues sur traitement opérées à l’encontre d’agents en congé pour maladie - Annulation.

L’exercice du droit de grève est légalement interdit aux agents des services pénitentiaires. Pour contourner cette prohibition, des agents, à l’occasion d’un important mouvement social, se sont placés en congés pour maladie menaçant ainsi le fonctionnement même de ces services. Un directeur interrégional des services pénitentiaires a opéré sur les traitements des agents concernés une retenue d’1/30ème par jour d’arrêt maladie. Ces agents ont obtenu du tribunal administratif l’annulation de ces retenues dès lors qu’ils ont produit des certificats médicaux et n’ont pas refusé de se soumettre à une contre-visite médicale.

Saisies par le garde des sceaux, les 6è et 5è chambres réunies de la section du contentieux réitèrent à cette occasion une jurisprudence inaugurée le 6 novembre 2019 (garde des sceaux c/ Faroux, n° 428820).

En principe, le droit de grève est interdit par la loi aux agents des services pénitentiaires. Lorsque ceux-ci se prévalent de congés pour maladie sur la base de certificats médicaux, l’administration n’est pas fondée à opérer des saisies sur traitement de ce seul fait ; elle peut seulement organiser des contre-visites médicales par un médecin agréé.

Toutefois, dans les circonstances, comme celles de l’espèce, « marquées par un mouvement social de grande ampleur dans une administration où la cessation concertée du service est interdite, et la réception d'un nombre important et inhabituel d'arrêts de travail sur une courte période la mettant dans l'impossibilité pratique de faire procéder de manière utile aux contre-visites prévues par l'art. 25 du décret du 14 mars 1986 (relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaire), l'administration est fondée, dès lors qu'elle établit que ces conditions sont remplies, à refuser d'accorder des congés de maladie aux agents du même service, établissement ou administration lui ayant adressé un arrêt de travail au cours de cette période. » Naturellement, il est toujours loisible à ces agents, le cas échéant, d’établir par tout moyen la réalité du motif médical ayant justifié leur absence pendant la période considérée. Ils peuvent également saisir le conseil médical, qui rendra un avis motivé dans le respect du secret médical.

Le jugement déféré est annulé pour erreur de droit.

La solution doit être approuvée dans la mesure où elle instaure un certain équilibre dans une situation née de l’emploi d’un détournement de procédure pour contourner une interdiction édictée par la loi.

(21 avril 2023, garde des sceaux, n° 450533, n° 450535, n° 450536 et n° 450437, jonction)

 

131 - Ambulancier hospitalier - Radiation des cadres pour abandon de poste - Obligation de réintégration après annulation de la radiation - Mise à la retraite - Impossibilité d’exécuter le jugement ordonnant la réintégration - Annulation.

Un jugement a annulé la décision par laquelle le directeur du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe a prononcé la radiation des cadres d’un ambulancier pour abandon de poste ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux et a enjoint au CHU de le réintégrer et de reconstituer sa carrière. 

Le CHU se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant son appel contre ce jugement.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit et méconnaissance de l’office du juge l’ordonnance litigieuse, motif pris de ce que si l’annulation de la décision ayant illégalement mis fin aux fonctions d'un agent public oblige l'autorité compétente à replacer l'intéressé dans l'emploi qu'il occupait précédemment et à reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date à laquelle il avait été mis fin à ses fonctions, il est cependant dérogé à cette obligation dans les hypothèses où la réintégration est impossible, notamment lorsqu'il n'a plus la qualité d'agent public, ce qui est le cas de l’espèce où la personne a été admise à la retraite, quelles que soient les circonstances dans lesquelles cette décision de mise à la retraite est intervenue. En ce cas il est fait obstacle à ce que l'exécution de la décision juridictionnelle implique la réintégration effective de l'intéressé dans son emploi ou dans un emploi équivalent.

(25 avril 2023, CHU de la Guadeloupe, n° 464090)

 

132 - Personnels du corps d'encadrement et d'application et les agents spécialisés et techniciens de la police technique et scientifique - Instruction fixant le régime d’indemnisation des heures accomplies au-delà de la 160ème heure - Indemnisation des agents du service de la production quatre fois supérieure à celle des autres agents - Absence d’atteinte au principe d’égalité entre agents du même corps - Rejet.

Une instruction du directeur général de la police nationale a prévu l'indemnisation des heures supplémentaires effectuées entre le 1er janvier 2019 et le 30 juin 2021 pour les personnels du corps d'encadrement et d'application et les agents spécialisés et techniciens de la police technique et scientifique. L'instruction prévoit pour les agents autres que ceux du service de la protection, d’une part, à titre obligatoire, l'indemnisation des heures excédant la cent-soixantième heure, dans la limite d'un montant de 5 358 euros brut, correspondant au plafond de l'exonération annuelle d'impôt sur le revenu et, à titre optionnel, une indemnisation complémentaire. Pour les agents du service de la protection l’instruction prévoit qu’ils seront indemnisés à titre obligatoire des heures effectuées et acquises au cours de la même période, au-delà du plancher de cent soixante heures, dans la limite de quatre fois le plafond d'exonération d'impôt sur le revenu de 5 358 euros.

Les requérants demandent en fait l'annulation de l'instruction en tant qu'elle a prévu des modalités dérogatoires plus favorables pour les seuls agents du service de la protection.

Le Conseil d’État rejette le grief d’atteinte au principe d’égalité de traitement entre agents publics appartenant à un même corps. Pour cela il retient que pour résorber le stock d'heures supplémentaires des agents du service de la protection, particulièrement important en comparaison de celui accumulé par des agents d'autres services, l’instruction attaquée a organisé des modalités distinctes d'indemnisation du stock d'heures supplémentaires de ces agents, avec notamment une indemnisation obligatoire quatre fois supérieure à celle prévue pour les autres agents, cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre ces agents au regard du nombre d'heures supplémentaires qu'ils ont à effectuer et qu'ils ont effectivement effectuées sans qu'elles soient indemnisées ou récupérées.

Les autres moyens développés au soutien de la demande d’annulation sont également rejetés.

(27 avril 2023, Mme BG. et autres, n° 459668)

 

133 - Inspecteur d’académie détaché dans les fonctions de directeur académique des services déconcentrés de l'éducation nationale - Agent remis dans son corps d’origine - Mesure prise en considération de la personne - Entretiens et témoignages figurant au dossier sous forme anonyme - Absence de communication intégrale directe ou indirecte des pièces du dossier - Annulation.

Rappel de ce que, à l’issue d’une enquête administrative diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport qui a été établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

Dans ce cas, l'administration doit informer l'agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'il puisse se défendre utilement. 

En l’espèce, le requérant n’a eu connaissance que de certains des 44 comptes rendus d’audition alors qu'il n'est pas allégué que cette communication parcellaire avait pour objet de protéger les personnes qui avaient témoigné sur la situation en cause. L’irrégularité de la procédure suivie entraîne par voie de conséquence l’annulation du décret attaqué (cf. cette Chronique, février 2020, n°101, à propos de la décision du 5 février 2020, M. Richard Decottignies, n° 433130 ; novembre 2022, n° 129, à propos de la décision du 18 novembre 2022, M. Jean-Pierre de Vincenzi, n° 457565).

(28 avril 2023, M. B., n° 443749)

 

134 - Loi du 12 mars 2012 - Agents contractuels recrutés à temps incomplet - Dispositif dérogatoire d’accès aux corps de fonctionnaires d’État - Conditions - Annulation et renvoi.

La loi du 12 mars 2012 a créé un dispositif dérogatoire d'accès, sauf pour les corps de catégorie C, par examens professionnalisés réservés ou par concours réservés, aux corps de fonctionnaires de l'État pour les agents contractuels à temps incomplet recrutés sur le fondement de l'article 6 de la loi du 11 janvier 1984.

La requérante, Mme B., qui bénéficiait simultanément, à la date du 31 mars 2013, de deux contrats à durée déterminée à temps incomplet auprès de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris (ENSBA), d'une part, et de l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville (ENSA-PB), d'autre part, afin de dispenser des enseignements en anglais, a été informée par deux décisions, respectivement des 5 et 12 septembre 2017, qu'elle n'était pas éligible à l'accès à la fonction publique de l'État prévu par l'article 1er de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, au motif qu'elle ne remplissait pas, pour chacun de ses deux contrats, les conditions de quotité de travail requises par cette loi. Si le tribunal administratif a rejeté ses deux demandes tendant à l'annulation de ces décisions, la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les décisions des 5 et 12 septembre 2017 et a enjoint de réexaminer l'éligibilité de Mme B. à l'accès à l'emploi titulaire par les concours réservés.

La ministre de la culture se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État juge d’abord, confirmant l’arrêt attaqué, que la circonstance que l'article 41 de la loi du 20 avril 2016 a limité la période d'ouverture des examens professionnalisés réservés et des concours réservés jusqu'au 12 mars 2018, date au-delà de laquelle les agents concernés n'étaient plus éligibles à ce dispositif dérogatoire, ne rendait pas sans objet les demandes d'annulation de Mme B. car  l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir des décisions contestées lui refusant l'accès à ce dispositif conduirait l'administration à réexaminer si l'intéressée remplissait les conditions pour un tel accès dérogatoire à la fonction publique sur le fondement des dispositions en vigueur à la date de ces décisions.

Le Conseil d’État juge ensuite que le bénéfice de ce dispositif dérogatoire est réservé aux agents effectuant, à la date du 31 mars 2013, une quotité de travail au moins égal à 70 % d'un emploi permanent et que cette quotité est calculée pour chaque emploi lorsque l'agent intéressé a conclu plusieurs contrats auprès d'employeurs différents. Or il ressort des pièces du dossier que les fonctions occupées par Mme B. à la date du 31 mars 2013 relevaient de deux contrats distincts auprès de deux employeurs, l'ENSBA et l'ENSA-PB, et qu'elles doivent ainsi être regardées comme relatives à deux emplois distincts pour l'application de l'article 2 de la loi du 12 mars 2012. Par suite, en jugeant que les quotités de travail correspondant à ces deux contrats de travail devaient être additionnées pour apprécier si la condition posée au 2° de l'article 2 de la loi du 12 mars 2012 était remplie, la cour a commis une erreur de droit.

(28 avril 2023, ministre de la culture, n° 454797)

 

135 - Magistrature judiciaire - Procédure d’intégration directe - Refus en dépit d’éléments positifs du dossier - Absence d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature a émis un avis défavorable à la candidature de l’intéressée à l’intégration directe dans la magistrature en dépit « d'attestations favorables émanant de divers professionnels du droit ainsi que de l'avis favorable émis le 8 novembre 2017 par les chefs de juridiction du tribunal de grande instance de Nîmes, (de ce) que Mme B. justifie, d'une part, d'un parcours académique substantiel, en tant que titulaire d'une maîtrise en droit de l'urbanisme et de l'environnement, d'un master en droit et gestion de l'environnement et d'un doctorat en droit public, ainsi, d'autre part, que d'une riche expérience professionnelle dans le domaine du conseil et de l'expertise juridiques et d'une pratique de la médiation judiciaire. »

En effet, il résulte des termes de l'avis attaqué et n'est pas sérieusement contesté que celle-ci a, lors de son audition du 31 mai 2021, laissé apparaître des lacunes dans la connaissance de l'institution judiciaire et la maîtrise de notions juridiques élémentaires ainsi qu'un manque d'esprit de synthèse et de clarté dans l'expression de sa pensée. De plus, les chefs de juridiction de la cour d'appel Nîmes s'étaient déjà bornés, dans leur rapport du 19 décembre 2017 relatif à la candidature de Mme B., à émettre un avis « seulement plutôt favorable » en relevant que l'intéressée avait fait montre d'un manque d'esprit de synthèse dans l'exposé de ses motivations.

Le recours est rejeté.

La solution peut sembler quelque peu « limite ».

(28 avril 2023, Mme B., n° 455390)

(136) V. aussi, à l’inverse, ordonnant à la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature de procéder au réexamen de la candidature du requérant motif pris de l’erreur manifeste qu’elle a commise en rendant un avis défavorable sur sa candidature, en se bornant à le fonder sur ce que le quota statutaire mentionné à l'avant-dernier alinéa de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 s'impose à la commission d'avancement lorsqu'elle procède à l'examen comparatif des dossiers des candidats et sur ce que cette dernière a publié la liste des qualités attendues des candidats à un recrutement dans le corps judiciaire malgré la qualité de son dossier de candidature. En effet, le candidat est titulaire d'une licence en droit de l'université de Beyrouth, d'un diplôme d'études approfondies (DEA) en droit de l'informatique et des nouvelles technologies délivré en 2004 par l'université de Montpellier, docteur en droit en 2008 dans cette même université, titulaire depuis 2010 du certificat d'aptitude à la profession d'avocat. Après avoir prêté serment devant la cour d'appel de Paris en 2011, M. B. a exercé les fonctions d'avocat collaborateur dans un cabinet spécialisé dans le droit des nouvelles technologies entre 2011 et 2016 et d'avocat associé spécialiste du droit de la propriété intellectuelle à compter de 2018. Après avoir suivi en 2018 une formation de défense pénale organisée par le barreau de Paris, M. B. a assuré diverses permanences de comparutions immédiates, de comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité, d'interrogatoires de premières comparutions et de gardes en vue ainsi, à compter de 2020, que des consultations juridiques dans des mairies et points d'accès au droit. Sa candidature à la procédure de nomination sur le fondement de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 a reçu les avis unanimement favorables de la procureure générale près la cour d'appel de Paris, du premier président de la cour d'appel de Paris, du président du tribunal judiciaire de Paris et du procureur de la république près le tribunal judiciaire de Paris, lesquels ont notamment relevé le sérieux et le caractère posé et réfléchi de M. B. ainsi que son expérience et ses compétences de nature à lui permettre d'intégrer sans difficulté l'École nationale de la magistrature et de devenir auditeur de justice. Ce dernier bénéficie également d'attestations élogieuses de deux avocats honoraires, au vu des aptitudes professionnelles et personnelles qu'il a démontrées dans ses fonctions d'avocat : 28 avril 2023, M. B., n° 461997.

Il est légitime de se demander comment une commission (« d’avancement » paraît-il) peut laisser passer une « pointure » pareille…

(137) V. également, annulant le refus opposé par cette commission à un maître de conférences en droit de l'université de Strasbourg, en qualité de substitut du procureur auprès du Tribunal spécial pour le Liban, concernant sa candidature à un détachement judiciaire en ce qu’il est ainsi motivé : « malgré ses compétences professionnelles avérées, celui-ci ne présente pas les aptitudes professionnelles requises pour exercer immédiatement des fonctions judiciaires opérationnelles dans le cadre d'un détachement au premier grade de la hiérarchie judiciaire » ce qui ne constitue guère une motivation d’autant que, aggravant le cas des services de la place Vendôme, le garde des sceaux se réfère au rapport d'activité de la commission d'avancement (sic), lequel comporte notamment une énumération des qualités attendues des candidats à un recrutement dans le corps judiciaire. Tout ceci ne satisfait guère l’exigence de motivation des décisions défavorables de la Commission posée à l’art. 41-2 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature : 28 avril 2023, M. A., n° 467115.

 

138 - Magistrature judiciaire - Révocation d’un magistrat par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) - Demande d’annulation - Incompétence manifeste de la juridiction du référé - Rejet.

On ne sera pas surpris d’apprendre que le juge du référé, ici le référé liberté mais cela vaut pour toute juridiction de référé, n’a pas compétence pour prononcer l’annulation d’une décision de révocation d’un magistrat rendue par le CSM, au surplus le 5 mai 1982.

(11 avril 2023, M. A., n° 472563)

 

Libertés fondamentales

 

139 - Demandes d’asile - Rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Demande d’aide juridictionnelle - Forclusion opposée - Erreur de droit - Annulation.

 Après s’être vus refuser leurs demandes d’asile par l’OFPRA, par deux décisions du 14 juin 2021 reçues le 17 juin, les requérants ont formulé une demande d’aide juridictionnelle le 22 juin 202, en vue de pouvoir saisir la Cour nationale du droit d'asile dans le délai de quinze jours qui leur était imparti.

La présidente de la Cour nationale du droit d'asile a rejeté leurs requêtes comme tardives car alors que les décisions du bureau d'aide juridictionnelle leur avaient été notifiées le 20 juillet 2021, ils n’ont formé les deux recours que le 20 août 2021 contre les décisions de l'OFPRA.

Le Conseil d’État est à la cassation car, d’une part, le 20 juillet 2021 correspond à la date à laquelle les deux avis postaux ont été déposés à leur adresse par le facteur en leur absence et, d’autre part, ils ont retiré au bureau de poste les plis contenant les notifications le 26 juillet. Ils n’étaient donc pas forclos à la date du 20 août 2021 lorsqu’ils ont saisi la cour, contrairement à ce que celle-ci a jugé.

La décision de la cour est annulée pour erreur de droit.

(07 avril 2023, Mme A. et M. C., n° 462906)

 

140 - Procréation médicalement assistée -Loi nouvelle ouvrant le droit d’accéder à l’identité du tiers donneur – Rétroactivité – Transmission d’une QPC.

(07 avril 2023, M. B., n° 467467)

(141) V. aussi 07 avril 2023, M. B., n° 467776.

V. n° 166

 

142 - Services de presse en ligne – Définition et conditions légales de reconnaissance – Absence d’incompétence négative – Refus de transmission d’une QPC.

(07 avril 2023, Sociétés RL Mags Limited et Shopper Union France, n° 469186 et n° 470660, jonction)

V. n° 167

 

143 - Extradition - Notification du décret d’extradition - Langue dans laquelle est communiqué le décret d’extradition - Non nécessité d’une langue comprise par le destinataire - Rejet.

Réitérant une vieille jurisprudence le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni des stipulations de la convention d’extradition en cause, ni de celles des art. 5 § 2 et 6 § 3 de la Convention EDH, ni de l’art. 696-10 du code de procédure pénale, ni du code des relations entre le public et l’administration que la notification d’un décret d’extradition à son destinataire ait lieu dans une langue qu'il comprend. La solution est surprenante et ne brille ni par sa modernité ni par sa bienveillante humanité.

(17 avril 2023, M. B., n° 468994)

 

144 - Autorisations de voyage et visas d’entrée et de séjour en France - Décrets du 29 juin 2022 - Avis du Conseil d’État - Régime des recours administratifs préalables obligatoires - Absence de délai de distance - Double degré de juridiction - Rejet.

Il était demandé l’annulation des deux décrets du 29 juin 2022 relatifs aux modalités de contestation des refus d'autorisation de voyage et des refus de visas d'entrée et de séjour en France. Les requêtes sont rejetées en tous leurs griefs.

Il ne ressort d’aucune disposition ou d’aucun principe qu’un décret modifiant les conditions d'exercice et d'examen des recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) formés contre les refus d'autorisation de voyage et les refus de visas d'entrée et de séjour devrait être soumis pour avis à l'une des sections consultatives du Conseil d'État.

La circonstance que le RAPO doive être formé dans les trente jours du refus, donc dans un délai d’une durée inférieure à celle du recours contentieux, ne méconnaît pas le droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789 et par l'art. 13 de la convention EDH, et n’est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, alors même que ce recours doit être rédigé en français. 

Enfin, ne sont pas davantage critiquables au regard des exigences précitées l’absence de délai de distance s’ajoutant au délai de droit commun, ce qui ne porte pas atteinte au principe d’égalité (sic), l’absence de possibilité d’appel des jugements rendus en cette matière par le tribunal administratif de Nantes, etc.

(21 avril 2023, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le syndicat des avocats de France, n° 467208 et n°467211)

 

145 - Article L. 561-2 du CESEDA - Exclusion du droit du réfugié mineur à être rejoint par ceux des frères et sœurs non accompagnés par un ascendant direct - Principe d’égalité - Respect de la vie privée - Intérêt supérieur de l’enfant - Droit à mener une vie familiale normale - Refus de transmission d’une QPC.

Les demandeurs ont soulevé une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 561-2 du CESEDA en tant qu'elles excluent la possibilité pour un réfugié mineur de bénéficier de son droit à être rejoint par ceux de ses frères et sœurs non accompagnés par un ascendant direct, méconnaissant ainsi le principe d'égalité devant la loi garanti notamment par l'art. 6 de la Déclaration de 1789, le droit de mener une vie familiale normale garanti par les alinéas 10 et 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l'exigence de protection de l'intérêt supérieur de l'enfant découlant des mêmes dispositions.

La demande de transmission est rejetée.

En premier lieu, n’est pas retenu le moyen par lequel les requérants soutiennent que la différence de traitement opérée par les dispositions litigieuses de l'art. L. 561-2 du CESEDA, entre les mineurs bénéficiant de la qualité de réfugié selon que leurs parents résident ou non sur le territoire français et selon que leurs frères et sœurs mineurs demeurés à l'étranger accompagnent ou non leurs parents porterait atteinte au principe d'égalité. Une telle différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre les mineurs réfugiés en France selon qu'ils sont ou non accompagnés de leurs parents, au regard de l'objet des dispositions contestées, qui est de leur permettre d'être rejoints par leurs parents demeurés à l'étranger tout en évitant que la mise en œuvre de ce droit n'implique que des enfants qui seraient dans l'impossibilité d'accompagner leurs parents sur le territoire national soient séparés de leur famille.
En second lieu, parce qu’elles visent à permettre aux réfugiés d'être rejoints par certains membres de leur famille dans des conditions plus favorables que celles qui permettent aux étrangers séjournant régulièrement en France de solliciter le regroupement familial, les dispositions contestées ne portent aucune atteinte au droit à une vie familiale normale ni, en tout état de cause, à l'intérêt supérieur de l'enfant. 

(21 avril 2023, M. B. et Mme C., n° 471018)

 

146 - Liberté de manifestation - Contestation de la réforme des retraites - Circulaire du garde des sceaux relative au traitement judiciaire des infractions commises à cette occasion - Rejet.

La requérante demandait que soit ordonnée la suspension de l’exécution de la circulaire du 18 mars 2023 du garde des sceaux relative au traitement judiciaire des infractions commises à l'occasion des manifestations ou des groupements en lien avec les contestations contre la réforme des retraites. 

Après avoir relevé que la requête ne portait que sur la seule suspension du point 1 de la circulaire (« Un dispositif judiciaire adapté à la prévention et à la prise en compte d'éventuelles procédures en nombre »), le juge la rejette.

La demande soutenait que cette circulaire porterait une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté de manifester et serait de nature à dissuader les personnes opposées à la réforme des retraites d'exercer cette liberté. Notamment, elle donnerait instruction aux officiers de police judiciaire de procéder à des interpellations et à des placements en garde à vue préventifs, dans le seul but d'empêcher les personnes concernées de manifester ainsi que le montrerait le fait que ces placements en garde à vue ne débouchent pas, dans la grande majorité des cas, sur l'exercice de poursuites pénales.

Le juge des référés relève en premier lieu que ce texte se borne, à inviter les procureurs de la république, d’une part, à se tenir informés des évènements et des moyens mis en œuvre pour garantir le maintien de l'ordre public en rappelant leur pouvoir de délivrer des réquisitions aux fins de contrôle d'identité, de visite des véhicules et d'inspection visuelle et de fouille des bagages dans des lieux et pour une période de temps qu'ils déterminent et d’autre part, à veiller à ce que des moyens humains et matériels suffisants soient consacrés aux missions de police judiciaire, enfin, à adapter l'organisation des parquets en vue de les mettre en capacité de traiter dans de bonnes conditions les procédures relatives aux infractions commises en marge des manifestations.

Le juge des référés estime, contrairement aux allégations de la requête, qu’il ne ressort de la circulaire contestée ni que son auteur aurait donné instruction aux procureurs de systématiquement délivrer des réquisitions aux fins de contrôle d'identité, de visite des véhicules et d'inspection visuelle et de fouille des bagages sur les lieux ou à proximité des manifestations, l'opportunité d'y procéder étant explicitement laissée à leur appréciation, au cas par cas, ni, non plus, qu’il aurait incité les procureurs à donner instruction aux officiers de police judiciaire de procéder au placement systématique de manifestants en garde à vue.

(ord. réf. 21 avril 2023, Mme A., n° 472924)

 

147 - Permis de visite à un détenu - Refus - Permis sollicité par la prostituée du proxénète interné - Emprise sur l’intéressée - Rejet.

Les mesures tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite à un détenu, parce qu’elles affectent directement le maintien des liens des détenus avec leurs proches, sont susceptibles de porter atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par l'art. 8 de la convention EDH ; elles doivent donc être nécessaires, adaptées et proportionnées à assurer le maintien du bon ordre et de la sécurité de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions sans porter d'atteinte excessive au droit des détenus.

En l’espèce n’est pas jugée porter une telle atteinte la décision de la directrice de la maison d'arrêt de Draguignan refusant de délivrer un permis de visite à Mme B. car le détenu, condamné à cinq ans de prison pour proxénétisme aggravé, a joué un rôle très actif dans la prostitution de Mme B., continue d'avoir une emprise sur Mme B. et n’établit pas être le père de l'enfant de Mme B.

Aucun élément ne permet ainsi de remettre en cause l’ordonnance rendue par le juge du référé liberté du tribunal administratif de Toulon.

(27 avril 2023, M. D., n° 472995)

 

Police

 

148 - Police vétérinaire – Médicament vétérinaire – Traitement local externe des mouches des bovins – Suspension de mise sur le marché – Rejet.

La société Armosa France se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif qui a rejeté sa demande d’annulation de la décision du directeur de l'Agence nationale du médicament vétérinaire suspendant la mise sur le marché du produit « Tectonik Pour-On ».

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État relève que pour qualifier ce produit de médicament vétérinaire la cour ne s'est pas fondée sur la seule circonstance que sa composition comportait un principe actif, la perméthrine, substance ayant des effets anti-parasitaires, mais a procédé à l'analyse de la capacité de ce produit à corriger ou modifier des fonctions physiologiques des animaux traités en exerçant une action pharmacologique, ainsi qu'à l'analyse de sa composition, de ses modalités d'emploi, et des risques que peut entraîner son utilisation.

Semblablement, pour qualifier ce produit de médicament vétérinaire, la cour a, sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique, apprécié la capacité du « Tecktonik Pour-On », dans des conditions d'emploi normales, à restaurer de manière significative les fonctions physiologiques des sujets traités.

(12 avril 2023, Société Armosa France venant aux droits de la société Protecta, n° 453174)

 

149 - Police des jeux d’argent et des paris – Française des jeux – Monopole sous étroit contrôle d’État – Intérêt général poursuivi – Nécessité d’octroi de droits exclusifs – Adéquation du dispositif légal – Aide d’État – Droit de la concurrence – Rejet partiel, non-lieu partiel à statuer et renvoi préjudiciel à la CJUE.

La société requérante demande, par trois requêtes, l’annulation de l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard, du décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur La Française des jeux et du décret n° 2019-1061 du 17 octobre 2019 relatif à l'encadrement de l'offre de jeux de La Française des jeux et du Pari mutuel urbain.

Au terme d’une très longue décision le Conseil d’État rejette une partie des demandes, prononce un non-lieu partiel et opère un renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’affaire se situe dans le contexte très sensible et passablement nébuleux de l’interdiction les jeux d'argent et de hasard sauf dérogations, notamment pour les jeux de loterie et les paris sportifs en réseau physique de distribution (cf. art. L. 320-1 du code de la sécurité intérieure).

L'article 2 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 attaquée, prohibe les jeux d'argent et de hasard. C’est dans ces conditions que l'art. 15 de l'ordonnance confie à La Française des jeux (LFDJ) le monopole d'exploitation de ces jeux pour une durée de 25 ans, en contrepartie du versement par celle-ci d'une indemnité à l'État.

L'article L. 320-4 du CSI prévoit que l'offre de jeu de la société LFDJ, comme celle de tout opérateur de jeux autorisé, doit contribuer « à canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique et à prévenir le développement d'une offre illégale de jeux d'argent » et concourir aux objectifs de la politique de l'État en matière de jeux d'argent et de hasard : prévention du jeu excessif ou pathologique et protection des mineurs, assurer l'intégrité, la fiabilité et la transparence des opérations de jeu et prévenir les activités frauduleuses ou criminelles ainsi que le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

L'art. 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société LFDJ et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution.

Le IV de cet art. 137 a autorisé le Gouvernement, dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, à prendre par ordonnance de l'article 38 de la Constitution les mesures relevant du domaine de la loi afin, d'une part, de préciser le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, de définir les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'État sur leur titulaire, et, d'autre part, de redéfinir les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard.

Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a adopté l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard.

Le juge groupe en cinq points, d’inégales longueur et importance les moyens soulevés par la demanderesse.

1 - En premier lieu, sont développés des moyens tirés de ce que l'octroi des droits exclusifs porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services.

Le juge commence par relever que les dispositions querellées qui réservent à la société LFDJ l'exploitation des jeux de loterie et des jeux de pronostics sportifs sur le territoire national par l'intermédiaire d'un réseau physique de détaillants, si elles n'instaurent pas d'inégalité de traitement susceptible de défavoriser les entreprises ayant leur siège dans d'autres États membres de l'Union européenne, dès lors qu'elles s'appliquent indistinctement à tous les opérateurs susceptibles de proposer des jeux de loterie, quelle que soit leur nationalité, peuvent cependant être de nature à limiter, pour les prestataires de service ressortissants d'un des États membres de l'Union européenne ou installés à l'intérieur de celle-ci, la libre prestation de services que constitue l'exploitation des jeux de hasard et faire obstacle à leur liberté d'établissement. 

La jurisprudence de la CJUE (30 juin 2011, Zeturf Ltd, n° C-212/08 ; 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International Ltd contre Departamento de Jogos da Santa Casa da Misericórdia de Lisboa, aff. C-42/07 ; 30 juin 2011, Zeturf Ltd contre Premier ministre, aff. C-212/08) subordonnant à la réalisation de quatre conditions la possibilité pour les États membres de prendre des mesures dérogatoires en la matière, le Conseil d’État examine leur éventuelle satisfaction en l’espèce.

Les dispositions querellées satisfont, à l’évidence, un impérieux objectif d’intérêt général en ce qu’elles ont pour objet la protection de la santé et de l'ordre public en raison des risques avérés de jeu excessif, de fraude et d'exploitation des jeux de loterie à des fins criminelles, par la limitation des jeux et leur organisation par une société privée étroitement contrôlée par l'État.

Pareillement, l'absence de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable résultant de l’octroi du monopole ne contrevient pas au droit de l’Union tel qu’interprété par la jurisprudence (CJUE, 3 juin 2010, Sporting Exchange Limited, aff. C-203/08).

Egalement, l’octroi de droits exclusifs répond à une nécessité car il permet d’assurer une meilleure maîtrise des risques liés aux jeux de hasard et à poursuivre l'objectif de lutte contre la dépendance au jeu de manière plus efficace qu'un régime d'ouverture à la concurrence d'opérateurs privés, fussent-ils assujettis à un système d'autorisation et soumis à un régime de contrôle et de sanctions. Ainsi d’ailleurs que l’a jugé en ces termes la CJUE (30 avril 2014, Robert Pfleger e.a., aff. C-390/12) « à la différence de l'instauration d'une concurrence libre et non faussée au sein d'un marché traditionnel, l'application d'une telle concurrence dans le marché très spécifique des jeux de hasard, c'est-à-dire entre plusieurs opérateurs qui seraient autorisés à exploiter les mêmes jeux de hasard, est susceptible d'entraîner un effet préjudiciable, lié au fait que ces opérateurs seraient enclins à rivaliser d'inventivité pour rendre leur offre plus attrayante que celle de leurs concurrents et, de cette manière, à augmenter les dépenses des consommateurs liées au jeu ainsi que les risques de dépendance de ces derniers ».

Enfin, les dispositions litigieuses ne sont pas contraires aux art. 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l’UE en tant qu’elles instituent un dispositif d’ensemble à la fois proportionné et cohérent.

2 - En deuxième lieu, est rejeté le moyen qu’il serait, par ce mécanisme, porté atteinte à la liberté constitutionnelle d'entreprendre car le monopole a été institué par l’art. 137 de la loi du 22 mai 2019 non par les dispositions critiquées. Au reste, même si le Conseil d’État est muet sur ce point, il est constant que la demanderesse n’invoque pas une inconventionnalité de ce texte et n’a pas formé à son encontre une QPC.

3 - En troisième lieu, il serait, par-là, créé un abus de position dominante sur le marché des paris en ligne. Le moyen ne saurait être retenu car à « supposer que l'art. 137 précité ait contribué, en raison des droits exclusifs qu'il prévoit, à assurer à la société LFDJ une position dominante sur le marché des paris en ligne et soit susceptible d'affecter les échanges entre les États-membres de l'Union européenne,  cette disposition ne serait  incompatible avec l'article 102 du traité que si l'entreprise était amenée, par l'exercice du droit exclusif dans les conditions dans lesquelles il lui a été conféré, à exploiter sa position dominante de façon abusive or tel n’est pas le cas de l’espèce.

4 - En quatrième lieu, sont examinés les moyens autres que ceux relatifs à l'existence d'une aide d'État illégale, ils sont rejetés car les dispositions critiquées ne font pas obstacle à ce que l'art. 16 de l'ordonnance du 2 octobre 2019 soumette la société LFDJ non seulement à un cahier des charges mais également à une convention, ni à ce qu'il renvoie au décret n° 2019-1060 du 17 octobre 2019 le soin de préciser le contenu de ces actes. Ces dispositions, par ailleurs, n'ont ni pour objet ni pour effet d'interdire que le montant du versement mis à la charge de la société LFDJ en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été confiés soit fixé dans le cahier des charges de cette société.

Pareillement, c’est sans illégalité que l'ordonnance attaquée, d’une part, a pu, sans méconnaître la liberté d'entreprendre, arrêter le principe du versement par la société LFDJ d'une indemnité en contrepartie des droits exclusifs qui lui ont été octroyés, sans en préciser les modalités de calcul et d’autre part, après avoir posé les principes et les modalités du contrôle étroit de l'État sur la société LFDJ, renvoyer au pouvoir réglementaire la fixation des modalités d'application de ce contrôle.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les textes ont défini les caractéristiques des jeux, les différentes gammes et catégories de jeux de loterie sous droits exclusifs, ainsi que celles de l'offre de paris sportifs en réseau physique de distribution.

5 - En cinquième lieu, le juge se prononce sur les moyens relatifs à l'existence d'une aide d'État illégale. Il relève que, « par une décision SA.56399 et SA.56634 du 26 juillet 2021, publiée au Journal officiel de l'Union européenne du 3 décembre 2021, la Commission européenne a ouvert la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (…)  " en ce qui concerne la rémunération due à l'État par La Française des jeux en échange des droits exclusifs qui lui ont été attribués ", en raison de l'octroi supposé de ce qu'elle a qualifié être une aide d'État illégale. Dans ces conditions, il résulte des stipulations de l'article 108, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,  (…) telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 21 novembre 2013, Deutsche Lufthansa AG, C-284/12 et au point 29 de son arrêt (grande chambre) du 21 décembre 2016, Commission européenne contre Hansestadt Lübeck, C-524/14P, qu'il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête n° 436441, au soutien de laquelle est utilement soulevé le moyen (…) tiré de ce que l'octroi de droits exclusifs à la société LFDJ constituerait une aide d'État illégale au motif que la contrepartie de cet octroi aurait été fixée à un montant sous-estimé, en suivant une méthode biaisée et non transparente, jusqu'à la décision finale de la Commission. »

(14 avril 2023, Société The betting and gaming council, n° 436439, n° 436441 et n° 436449, jonction)

(150) V. identique, confirmant le renvoi préjudiciel et jugeant qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 436439 dirigées contre l'ordonnance n° 2019-1015 du 2 octobre 2019 en tant qu'elle ne prévoit pas que le deuxième alinéa du II de l'art. L. 320-9-1 du code de la sécurité intérieure s'applique au 5° du I du même article : 14 avril 2023, Société The betting and gaming council, n° 436439.

(151) V. aussi, dans le même litige que ci-dessus mais rejetant la demande pour défaut d’intérêt pour agir de la société requérante : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited, n° 437248 et n° 439237, deux espèces.

(152) V. cependant, examinant au fond, sur le même sujet, une requête de la même société et la rejetant en tous ses chefs de demande : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited, n° 441561.

(153) V. également, sur le même sujet et assez identiques, avec rejet : 14 avril 2023, Société Betclic enterprises limited n° 448445 et société SPS betting France limited, n° 452182.

 

154 - Police du maintien de l’ordre - Non-respect de l’obligation du port du numéro d'identification réglementaire - Difficultés d’engagements de poursuites - Rejet.

Les organisations requérantes, demandent au juge du référé liberté qu’il ordonne au ministre de l'intérieur de prendre des mesures correctives car les agents des forces de police et de gendarmerie, de façon massive, ne respectent pas l'obligation qui leur est faite de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification réglementaire, avec pour conséquence de rendre difficile ou impossible l'identification de ceux de ces agents qui auraient un comportement répréhensible ou feraient un usage disproportionné de la force dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre et de faire par suite échec aux enquêtes et poursuites susceptibles d'être diligentées à raison de tels actes.

La requête est rejetée au terme d’une argumentation peu assurée.

Si le juge admet que l'obligation de port du numéro d'identification n'a pas été respectée en différentes occasions par des agents de la police nationale pendant l'exécution de leurs missions, en particulier lors d'opérations de maintien de l'ordre, ce qui traduit des manquements aux dispositions réglementaires applicables, il estime cependant que des instructions régulières étant données par l'autorité hiérarchique quant à l'obligation pour les agents de porter sur leur uniforme leur numéro d'identification et les indications données dans le cours de l'instruction de référé ne permettent pas de caractériser, pour l'ensemble des unités de police et de gendarmerie, l'ampleur des manquements qui peuvent subsister en dépit des instructions données.

En outre, il rappelle  que le port du numéro d'identification sur l'uniforme n'est pas le seul élément permettant d'identifier les agents de la police et de la gendarmerie intervenant dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre, les dispositifs visuels qui figurent très visiblement sur l'équipement des agents indiquent de façon suffisamment fine l'unité à laquelle ils appartiennent, de telle sorte que le défaut éventuel de port du numéro d'identification ne fait pas échec aux enquêtes et poursuites devant être engagées dans le cas de faits de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales qui peuvent être invoquées par les requêtes.

Il en conclut que les manquements constatés au port du numéro d'identification ne traduisent pas une carence suffisamment caractérisée à faire respecter l'obligation en cause, de nature à porter par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant le prononcé d’une injonction par le juge des référés du Conseil d'État. 

(05 avril 2023, Ligue des droits de l'homme (LDH) et Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 472509 ; Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, n° 472516)

 

155 - Parti politique - Dissolution - Demande d’abrogation du décret portant dissolution - Irrecevabilité d’une demande d’abrogation de ce décret - Rejet.

L’association requérante demandait l'annulation de la décision implicite de rejet par le président de la république de sa demande tendant à l'abrogation du décret du 5 novembre 1963 portant dissolution du parti dit Rassemblement démocratique des populations tahitiennes (R.D.P.T.).

Le recours est rejeté car ne peut être appliqué ici le principe selon lequel l'autorité administrative peut abroger un acte non réglementaire qui n'a pas créé de droits mais continue de produire effet, lorsqu'un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction.

Selon le juge, en effet, « un décret prononçant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, pris sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 ou, aujourd'hui, de l'art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, produit tous ses effets directs dès son entrée en vigueur, de telle sorte qu'une demande tendant à son abrogation ultérieure est sans objet alors même que, ainsi que le prévoit l'art. 431-15 du code pénal, la participation au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait dissous constitue un délit. »

La solution retenue laisse dubitatif par son caractère excessif : la dissolution aurait une durée perpétuelle ? Aucun changement, de fait ou de droit, ne pourrait en ce cas être retenu ? Tout ceci ne semble plus de saison et l’on serait curieux de connaître à ce sujet l’opinion de la cour EDH.

(20 avril 2023, Association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora, n° 458602)

 

156 - Police des animaux non indigènes susceptibles de causer des dégâts - Décret portant dérogation à la durée d’application initiale de la période d’autorisation de destruction - Exception d’illégalité impossible - Circonstances exceptionnelles - Rejet.

Par un décret du 21 juin 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire a prolongé la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019 modifié, pris pour l'application de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts.

L’association requérante demande l’annulation de ce décret en se fondant sur deux moyens, l’un et l’autre rejetés par le juge.

En premier lieu, est opéré le rappel, classique, que l'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. Or le décret attaqué ne constitue pas une mesure d'application de l’arrêté 3 juillet 2019 dont il prolonge la durée d’application et il ne trouve pas sa base légale dans cet arrêté. Le moyen est rejeté.

En second lieu, si l'association requérante soutient sans erreur de droit que la prolongation jusqu'au 30 juin 2023 de la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019, par dérogation aux dispositions de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement d'après lesquelles elle est de trois ans, n'est pas justifiée par l'insuffisance des données disponibles et méconnaît le principe d'action préventive énoncé par l'art. L. 110-1 du code de l'environnement, il résulte des circonstances exceptionnelles ayant prévalu pendant la crise sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19, que l'autorité administrative n'a pas été en mesure de recueillir, en temps utile pour la préparation d'un nouvel arrêté triennal, des données suffisamment fiables et précises sur les dégâts occasionnés par les espèces, nonobstant la poursuite de prélèvements pendant cette période, alors que de telles données sont nécessaires au classement d'une espèce en tant qu'espèce susceptible d'occasionner des dégâts sur certains territoires, notamment pour respecter le principe de prévention des atteintes à l'environnement. Dans ces circonstances, c'est sans erreur manifeste d'appréciation que le décret attaqué a prolongé pour un an la durée de validité de l'arrêté du 3 juillet 2019. 

(21 avril 2023, Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire, n° 465683)

 

157 - Police des carrières - Mesures diverses ordonnées par le préfet - Suspension ordonnée pour risque de mise en péril de l’exploitation de la carrière - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge qui ordonne la suspension d’exécution d’un arrêté préfectoral en ce qu’elle est susceptible de mettre en péril la poursuite de l'exploitation d’une carrière alors qu’il lui incombait de prendre en considération également l'intérêt général qui s'attache à l'exécution de prescriptions visant notamment à garantir la sécurité des personnes travaillant dans la carrière et à contrôler les incidences de l'exploitation sur les aquifères voisins.

(24 avril 2023, Société Bermont et fils, n° 462780)

 

158 - Police des débits de boissons - Interdiction de servir de l’alcool à des personnes ivres - Accident mortel survenu après la sortie d’un établissement - Contradiction entre des images vidéosurveillance et l’autorité absolue attachée aux constatations de fait du juge pénal - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande d’annulation de l’arrêté sub-préfectoral prononçant la fermeture administrative de son établissement pour avoir servi de l’alcool à des personnes manifestement ivres qui ont, après la sortie de cet établissement, provoqué un accident de la route mortel. La sous-préfète se fondait sur la circonstance que « le visionnage des images de vidéosurveillance de l'établissement établit que l'exploitante a servi de l'alcool au conducteur alors que celui-ci était ivre ».

Le Conseil d’État rappelle que l'autorité de la chose jugée des décisions des juges répressifs devenues définitives, qui s'impose aux juridictions et à toutes les autorités administratives, s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation, en produisant, en tant que de besoin pour la première fois dans l'instance de cassation, les pièces propres à justifier de son bien-fondé.

Or un jugement de la juridiction de proximité rendu sur opposition à ordonnance pénale le 11 mars 2021, a relaxé Mme A. des fins des poursuites engagées à son encontre sur le fondement de l'art. R. 3353-2 du code de la santé publique, au motif que les intéressés ne présentaient aucun signe d'ébriété manifeste au moment où de l'alcool leur a été servi dans le débit de boissons. 

Statuant au fond, le juge de cassation, après annulation de l’arrêt d’appel, annule le jugement du tribunal administratif.

(25 avril 2023, Mme A., n° 462997)

 

159 - Police du stationnement - Stationnement payant - Preuve du paiement - Erreur de droit -Annulation.

Est annulée pour erreur de droit l’ordonnance de la commission du contentieux du stationnement payant qui se borne à constater la seule absence de production du justificatif de paiement de la redevance de stationnement, sans rechercher si Mme C. ne produisait pas d'autres éléments de preuve qu'elle s'était acquittée de la redevance due pour le stationnement de son véhicule, notamment le relevé de sa carte bancaire comportant le jour, l’heure et le destinataire du paiement.

(27 avril 2023, Mme C., n° 465822)

 

Professions réglementées

 

160 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Pièce de la procédure comportant des contradictions entre les mentions et les motifs – Irrégularité – Annulation.

Le Conseil d’État annule pour irrégularité une décision de la chambre disciplinaire du Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes qui comporte tout à la fois des mentions selon lesquelles le requérant a présenté des observations lors de l'audience publique et repris la parole en dernier et des motifs, énonçant qu'il était absent et non représenté à l'audience, de sorte qu'il ne s'est pas expliqué lors de la séance de jugement sur les faits reprochés.

Une telle contradiction entre les mentions et les motifs de la décision ne peut que conduire inexorablement à son annulation.

(13 avril 2023, M. B. et société « Cabinet du docteur B. », n° 452082)

(161) V. aussi, jugeant, concernant une formation disciplinaire régionale de l’ordre des vétérinaires, qu’un moyen relatif à l'irrégularité de la composition d'une formation de jugement, quel qu'en soit le fondement, peut être invoqué à toute étape de la procédure, y compris devant le juge de cassation, la circonstance que l'intéressé s'est abstenu de demander la récusation d'un membre de la formation de jugement ayant rendu la décision attaquée étant sans incidence sur la recevabilité du moyen : 13 avril 2023, Société Socavet et autres, n° 458478.

 

162 - Vétérinaires salariés – Obligations déontologique de gratuité des soins donnés aux animaux de personnes dans le besoin – Perception d’émoluments interdite - Non opposition à cette perception – Rejet.

Les requérants étaient à l’époque des faits vétérinaires salariés de la Fondation Assistance Aux Animaux, habilitée à dispenser des soins gratuits aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ils exerçaient dans des centres où des participations financières étaient demandées aux clients, tant à leur arrivée qu'à l'issue de la consultation, une grille de tarification des actes étant à cet égard affichée dans la salle d'attente.

La chambre nationale de discipline de l’ordre des vétérinaires a relevé que les demandeurs
étaient informés de ces pratiques, auxquelles ils ne s'étaient pas opposés et que l’un d’eux y contribuait en recourant à des gestes codés pour informer les personnels administratifs des actes qu'il avait pratiqués, en vue de leur tarification.

 La juridiction disciplinaire n'a ni entaché sa décision d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits en jugeant que ces praticiens avaient méconnu leurs obligations déontologiques découlant des dispositions des art. L. 214-6 et R. 242-50 du code rural, sans que la circonstance qu'ils aient le statut de salariés soit, compte tenu des termes mêmes de l'art. R. 242-50 du code rural, susceptible de les exonérer du respect de ces obligations. 

(04 avril 2023, M. F. et M. C., n° 453598)

 

163 - Infirmière - Procédure disciplinaire - Juridiction retenant un motif non soumis au débat contradictoire - Annulation.

Statue irrégulièrement par méconnaissance du principe du respect des droits de la défense, la juridiction disciplinaire de l’ordre des infirmiers qui se fonde, pour infliger une sanction, sur un grief qui ne figurait pas dans la plainte initiale, n’avait pas été retenu par la juridiction disciplinaire de première instance et ne faisait l’objet que d’une mention incidente dans l’un des mémoires produits en appel. Ainsi, l’intéressée n’a pas été mise à même de s'expliquer, dans le cadre de la procédure écrite, sur le grief que la juridiction d’appel envisageait de retenir à son encontre.

La décision est annulée.

(07 avril 2023, Mme E., n° 450059)

 

164 - Ordre des chirurgiens-dentistes - Responsabilité pour illégalités fautives liées à la teneur de courriers - Courriers ne contenant pas de décisions faisant grief - Erreur de droit - Fonctionnement défectueux du service public de la justice - Responsabilité de l’État - Même solution pour la justice ordinale et pour une demande indemnitaire émanée de tiers - Annulations et rejet.

(28 avril 2023, Mme B. et société de Keating, n° 451211)

V. n° 180

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

165 - Procréation médicalement assistée - Loi nouvelle ouvrant le droit d’accéder à l’identité du tiers donneur – Rétroactivité – Transmission d’une QPC.

La loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique sur le fondement de laquelle a été pris le décret du 25 août 2021 relatif à l'accès aux données non identifiantes et à l'identité du tiers donneur a prévu que la commission d’accès aux données non identifiantes, saisie par l’enfant né d’un don, d’une demande d’accès à ses origines, peut contacter les tiers donneurs ayant réalisé un don avant l'entrée en vigueur de la loi, à une époque où leur anonymat était garanti vis-à-vis de l'enfant né du don, afin de solliciter et de recueillir leur consentement à la communication de leurs données non identifiantes et de leur identité. Le Conseil d’État juge que ce changement législatif pose une question nouvelle et sérieuse au regard notamment du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale, d’où sa décision de transmission de la QPC.

Ceci dit, la loi nouvelle ne fait pas obligation au donneur de répondre positivement à l’interrogation éventuelle de la commission et elle ne sanctionne pas le refus d’autorisation.

(07 avril 2023, M. B., n° 467467)

(166) V. aussi, voisine, la décision de transmettre la QPC fondée sur ce que les dispositions de l’art. 342-9 du Code civil, issues de la loi du 2 août 2021, en interdisant l’établissement de tout lien de filiation entre le tiers donneur intervenu dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et l’enfant issu de ce don porteraient atteinte au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale, en ce qu'elles excluraient la possibilité, pour le tiers donneur, d'établir un lien de filiation avec l'enfant né du don par la voie de l'adoption : 07 avril 2023, M. B., n° 467776.

 

167 - Services de presse en ligne – Définition et conditions légales de reconnaissance – Absence d’incompétence négative – Refus de transmission d’une QPC.

Les demanderesses soulevaient une QPC dirigée contre le troisième alinéa de l'article 1er de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 modifiée portant réforme du régime juridique de la presse en ce que, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions de reconnaissance d'un service de presse en ligne, le législateur aurait méconnu sa propre compétence et affecté plusieurs libertés (de communication, d'expression, de pluralisme de la presse, d'entreprendre, le principe d'égalité ainsi que la garantie des droits et la séparation des pouvoirs). En effet, selon les requérantes, il en va ainsi dès lors que pour bénéficier du régime d'aide à la presse, un service de presse en ligne doit être reconnu par la commission paritaire des publications et agences de presse régie par le décret du 20 novembre 1997 relatif à la commission paritaire des publications et agences de presse.

Pour rejeter la demande de transmission, le Conseil d’État relève qu’en définissant les services de presse en ligne, le législateur a énoncé les critères conduisant à reconnaître un tel service, notamment celui tenant au contenu d'intérêt général mis à disposition du public, qui repose, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur une appréciation des caractéristiques objectives de la publication telles que le contenu informatif du service, la nature des sujets et la manière dont ils sont traités. Ayant ainsi défini les conditions de reconnaissance d'un service de presse en ligne, le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence en renvoyant à un décret, notamment, la désignation de l'autorité compétente pour prendre cette décision. 

On peut trouver un peu sommaire le raisonnement du juge s’agissant du régime des libertés fondamentales.

(07 avril 2023, Sociétés RL Mags Limited et Shopper Union France, n° 469186 et n° 470660, jonction)

 

168 - Droit fiscal – Déductibilité de charges – Refus - Amendes – QPC présentant un caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Présente un caractère sérieux la question de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis, du II de l'art. 1737 du CGI, applicable au litige et non déjà déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, en ce qu'il porte atteinte au principe de proportionnalité des peines résultant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

(14 avril 2023, Société Angellini Filliat, n° 470761)

 

169 - Création de salles de « shoot » - Art. 83 de la loi du 23 décembre 2021 - Atteintes au principe d’égalité, au droit à la sauvegarde de la dignité humaine, à la protection de la santé, à la participation aux décisions à effets environnementaux, à la sécurité… - Refus de transmission de la QPC.

Les requérants, diverses associations et des particuliers, dans le cadre d’une demande d’annulation de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux haltes « soins addictions », autrement dit « salles de shoot », soulève une question prioritaire de constitutionnalité dirigée contre  l'art. 43 de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dans sa rédaction issue de l'art. 83 de la loi n° 2021 1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

La demande de transmission de la QPC au Conseil constitutionnel est rejetée en tous ses chefs.

L'art. 43 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, avait prévu la création à titre expérimental, pour une durée maximale de six ans à compter de la date d'ouverture du premier espace, de salles de consommation à moindre risque au sein des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogues, dans des locaux distincts de ceux habituellement utilisés dans le cadre de leurs autres missions. Ce texte autorisait les personnes majeures consommant des drogues souhaitant bénéficier de conseils en réduction de risques, à détenir les produits destinés à leur consommation personnelle et à les consommer sans que le professionnel intervenant dans ces espaces puisse être poursuivi pour complicité d'usage illicite de stupéfiants et pour facilitation de l'usage illicite de stupéfiants. Enfin, les dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à l'autorisation par le département des établissements sociaux et médico-sociaux n’étaient pas applicables aux projets de mise en place des salles de consommation à moindre risque.

Cette expérimentation avait été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, déc. n° 2015-727 DC, considérants 35 et suivants).

L’art. 83 de la loi du 23 décembre 2021, objet de la présente QPC, a étendu la durée de l’expérimentation, élargi les types de lieu d’installation de ces salles et décidé que ces lieux ne seraient plus seulement « un espace de réduction des risques par usage supervisé », mais également un espace « d'accès aux soins (…)  dans le respect d'un cahier des charges national arrêté par le ministre chargé de la santé ».

En fixant un nouveau terme à la durée de l’expérimentation, il n’a pas été porté atteinte au principe d’égalité. De même est inopérant le grief tiré de ce que ces dispositions méconnaîtraient, eu égard à ce nouveau terme, d'autres principes ou droits de valeur constitutionnelle, en particulier le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit à la protection de la santé, le droit de participation à l'élaboration des décisions ayant une incidence sur l'environnement, le « droit à la sécurité » et celui de vivre dans un environnement sain.

Pareillement, les requérants sont jugés n’être pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils contestent, par lesquelles le législateur a mis en œuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution, porteraient atteinte, au motif qu'elles permettraient la supervision de l'administration de stupéfiants sans être assorties de dispositifs permettant le traitement de l'addiction à ces substances, à cet objectif et au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. 

Enfin, les décisions relatives à l'ouverture d'une halte « soins addictions » ne constituent pas des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement, d’où il suit que les requérants ne peuvent utilement soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes les droits et libertés résultant de cet article en s'abstenant de prévoir des modalités de participation du public avant toute désignation du centre devant accueillir une halte « soins addictions », en ne fixant aucun critère pour leur implantation ou en s'abstenant de préciser les mesures permettant aux usagers de drogue de traiter leur addiction. Ce dernier aspect était, évidemment, le plus important pour les requérants.

(14 avril 2023, Association Union parisienne et autres, n° 463428)

 

170 - Arrêté fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital - Interventions thérapeutiques sans nécessité médicale - Absence - Participation d’associations de patients participant au diagnostic et aux propositions thérapeutiques en ce cas - Refus - Principe d’égalité - Refus de transmettre une QPC.

Le Conseil d’État refuse de transmettre la QPC soulevée par l'association requérante à l’appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital (ou enfants intersexes) en application de l'art. L. 2131-6 du code de la santé publique.

La demande est rejetée d’abord car les dispositions de cet article n'ont ni pour objet, ni pour effet, contrairement à ce que soutient l'association requérante, de poser un principe d'intervention thérapeutique sur ces enfants ou d'autoriser des interventions qui ne répondraient pas à une nécessité médicale ; ensuite parce que les dispositions litigieuses, jointes à d’autres du même code et aux art. 16-1 et 16-3 du Code civil sont de nature à garantir le respect des principes d'inviolabilité et d'intégrité du corps humain et tendent ainsi à assurer le respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, lequel n'implique pas que des associations de patients participent à la concertation des équipes pluridisciplinaires établissant le diagnostic et le cas échéant les propositions thérapeutiques prévue par l'article législatif en litige ; enfin parce que les enfants présentant des variations du développement génital sont dans une situation différente de ceux qui ne présentent pas de telles variations, le législateur a pu instituer une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

(14 avril 2023, Association Alter Corpus, n° 470546)

 

171 - Taxe d'apprentissage - Taxe de participation des employeurs au développement de la formation professionnelle continue - Défaut de paiement ou paiement tardif - Majoration de 100% du montant de l’insuffisance - QPC - Refus de transmission.

En l’espèce se posait la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 1599 ter I, 235 ter H bis et 235 ter KK qu’une cour administrative d’appel a refusé de transmettre au Conseil d’État.

La transmission de la QPC est refusée.

La majoration de 100% des taxes susmentionnées pour défaut de paiement ou pour paiement tardif institue une sanction financière dont la nature est directement liée à celle de l'infraction et dont les montants, égaux aux insuffisances constatées, correspondent à la part inexécutée des obligations fiscales, elle ne méconnaît donc ni le principe d'individualisation des peines ni la présomption d'innocence.

Elle ne revêt pas un caractère manifestement disproportionné quand bien même le manquement constaté ne serait pas intentionnel.

Il n’est pas impossible que la Cour EDH, éventuellement saisie, soit d’un avis contraire.

(18 avril 2023, Société Regus Business Centers, n° 464508)

(172) V. aussi, identique : 18 avril 2023, Société Atéac, n° 464512.

 

173 - Tenue des audiences devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Absence de procès-verbal ou d’enregistrement des audiences - Incompétence négative - Atteinte au droit à recours effectif - Nature administrative de cette juridiction - Refus de transmettre une QPC.

La demanderesse soulevait une QPC tirée de ce qu'en ne prévoyant pas l'établissement d'un procès-verbal ou l'enregistrement de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, sauf lorsque cette audience se tient dans les conditions prévues à l'art. L. 532-13 du même code (audience par communication audiovisuelle), ces dispositions seraient entachées d'incompétence négative et privent de garanties légales le droit au recours effectif.

La demande de transmission de cette QPC est rejetée motif pris de ce qu’une telle exigence est relative à la procédure contentieuse administrative et ne met pas en cause par elle-même l'exercice, par les justiciables devant cette Cour, de leur droit d'agir en justice et d'exercer un recours effectif. 

(21 avril 2023, Mme B., n° 468444)

 

174 - Articles L. 712-1 et L. 712-2 du code de l’énergie - Classement en réseau de chaleur et de froid - Atteintes alléguées à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle, au principe d'égalité devant la loi et au principe de libre administration des collectivités territoriales - Refus de transmission d’une QPC.

L’association demanderesse a soulevé une QPC dirigée contre les articles L. 712-1 et L. 712-2 du code de l’énergie issus de la loi 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, à l’appui d’un recours en annulation du décret du 26 avril 2022 et de l'arrêté de la ministre de la transition écologique du 26 avril 2022 relatifs au classement des réseaux de chaleur et de froid, qui constituent un service public à caractère industriel et commercial par détermination légale.

La transmission est refusée car, contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions ne portant pas, au regard de l'objectif qu'elles poursuivent, une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et à la liberté contractuelle.

Pas davantage ne portent-elles atteinte au principe d'égalité (art. 6, Déclaration de 1789) car les exploitants de ces réseaux de distribution de chaleur et de froid, qui sont alimentés en moyenne à plus de 50 % par des énergies renouvelables ou de récupération, ne sont pas placés dans la même situation que les exploitants des réseaux de distribution de gaz ou les fournisseurs de systèmes de chauffage individuel au gaz qui sont très majoritairement alimentés par du gaz fossile, le biométhane ne représentant que 1,6 % du gaz méthane consommé en France.

Enfin, il n’est pas non plus porté atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales celles-ci n’étant pas privées par ces dispositions de la compétence de gestion du service public local de distribution public de gaz qu'elles tiennent de l'art. L. 2224-31 du CGCT.

(26 avril 2023, Association Coénove, n° 465266)

 

175 - Interdiction d'élimination des invendus non alimentaires et lutte contre le gaspillage - Économie circulaire - Art. 80, loi du 10 février 2020 - Transmission d’une QPC.

Le moyen selon lequel l’art. 80 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire méconnaîtrait le principe d'égalité et la liberté d'entreprendre garantis par les art. 4 et 6 de la Déclaration de 1789, le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'art. 8 de la même déclaration, l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la loi, et qu'elles sont entachées d'incompétence négative en ce qu’il met fin au plus tard le 1er janvier 2022, à l'apposition d'étiquettes directement sur les fruits ou légumes, à l'exception des étiquettes compostables en compostage domestique et constituées en tout ou partie de matières biosourcées est jugé soulever une question de caractère sérieux  justifiant une transmission de la QPC.

(26 avril 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 466929)

 

176 - Compétence d’une cour d’appel spécialement désignée à cet effet pour connaître des recours contre les décisions individuelles prises par le Conseil national des barreaux (CNB) - Absence d’atteinte à la compétence du juge administratif en matière d’exercice de prérogatives de puissance publique - Refus de transmettre une QPC.

Un élève-avocat inscrit à une école d’avocats a sollicité, en vain, l’octroi d’une bourse sur critères sociaux. Au soutien de son recours en annulation de ce refus opposé par le Conseil national des barreaux, il soulève une QPC tirée de ce que l’art. L. 311-4, 2°, du code de l’organisation judiciaire, en ce qu’il confie à une  cour d’appel à ce désignée la compétence pour connaître des recours contre les décisions individuelles prises par le Conseil national des barreaux, méconnaîtrait le principe fondamental reconnu par les lois de la république selon lequel, à l'exception des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire, relève en dernier ressort de la compétence de la juridiction administrative l'annulation ou la réformation des décisions prises, dans l'exercice de prérogatives de puissance publique, par les autorités exerçant le pouvoir exécutif, leurs agents, les collectivités territoriales de la république ou les organismes publics placés sous leur autorité ou leur contrôle. 

La transmission est évidemment refusée dès lors que le CNB, personne morale de droit privé, n’exerce aucune prérogative de puissance publique lorsqu’il statue sur les questions de la nature de celle en litige, lesquelles ne sauraient relever de la compétence du juge administratif.

(26 avril 2023, M. B., n° 471403)

 

Responsabilité

 

177 - Avis de droit - Responsabilité hospitalière – Préjudice résultant d’une vaccination anti-amarile – Fondement de l’indemnisation – Application du II de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique.

Dans le cadre d’une action en recherche de responsabilité éventuelle de l’Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) suite aux préjudices résultant pour le demandeur d’une vaccination contre la fièvre jaune (vaccin anti-amarile), était posée la question suivante au Conseil d’État : une affection iatrogène directement imputable à une vaccination qui ne relève pas des art. L. 3111-9 et L. 3131-1 du code de la santé publique peut-elle faire l'objet d'une indemnisation sur le fondement du II de l'art. L. 1142-1 du code de la santé publique par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale lorsque les conditions posées par cet article sont remplies ?

L’art. L. 3111-9 du CSP concerne le régime de réparation des préjudices consécutifs à une vaccination obligatoire, ce que n’est pas le vaccin anti-amarile, tandis que l’art. L. 3131-1 du CSP concerne la réparation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en certaines circonstances :  campagnes de vaccinations dans le cadre de mesures d'urgence en cas de menace sanitaire grave ou lorsqu'il est fait appel à la réserve sanitaire pour renforcer l'offre de soins sur le territoire d'une région ou d'une zone de défense et de sécurité en cas de situation sanitaire exceptionnelle. Cette hypothèse ne concerne pas, non plus, la vaccination contre la fièvre jaune.

Le Conseil d’État répond qu’en ce cas les conséquences dommageables qui ont résulté d’une telle vaccination peuvent être réparées sur le fondement du II de l'art. L. 1142-1 du code de la santé publique dès lors, d’une part, que les conditions posées par cet article sont remplies et, d’autre part, l’on se trouve dans l’un des trois cas suivants : 1° lorsque la responsabilité du service public hospitalier ne peut pas être recherchée pour faute ou 2°, sans faute, au titre des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits qu'il utilise, ou 3° que la responsabilité du producteur ou du fournisseur du vaccin ne peut être recherchée au titre des produits défectueux devant le juge judiciaire,. 

Il faut regretter l’emploi du verbe « pouvoir » ici car il est équivoque : cette solution est-elle pour le juge une obligation (et en ce cas le verbe « devoir » s’imposait) ou une faculté (et en ce cas quelles sont les autres possibilités offertes au juge ?).

(12 avril 2023, M. A., n° 469086)

 

178 - Responsabilité du fait des lois – Régime - Responsabilité sans faute – Conséquences – Annulation.

Dans un litige né de la suppression de l’impôt sur les spectacles par l'art. 21 de la loi du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, une commune recherche la réparation du préjudice subi de ce fait et met donc en jeu la responsabilité de l’État du fait des lois.

Les conditions d’engagement de cette responsabilité font difficulté. Si deux d’entre elles sont sans équivoque, existence d’un préjudice grave et spécial et absence d’exclusion par la loi de toute réparation, une incertitude demeure sur une troisième condition.

Faut-il que la loi ait prévu la réparation ou cette réparation est-elle possible même dans le silence de la loi ? En bref, comment faire en cas de silence de la loi sur la possibilité de réparer ? La question se pose, en premier lieu, d’autant plus qu’elle concerne une situation très fréquente car le parlement ne songe jamais que puisse être dommageable l’expression de la volonté générale. A ce point de vue, Rousseau et ses sophismes ne sont pas morts… De plus, imaginer la prévision de dommages législatifs supposerait chez nos hommes politiques une humilité et une hauteur de vues assez peu communes dans ce milieu…

La question, en second lieu, est également importante parce que la jurisprudence a fluctué. Le silence de la loi sur la possibilité de réparer a d’abord été interprété comme excluant la réparation. Puis, cette solution bien peu logique a été clairement abandonnée avant que le Conseil d’État, à l’époque récente, ne la remette en selle. A nouveau, il est ensuite retourné à l’orthodoxie jurisprudentielle et cette décision le confirme.

En l’espèce, l’arrêt de la cour est annulé pour avoir fondé la solution retenue sur ce que le législateur était demeuré silencieux.

(04 avril 2023, Commune de Décines-Charpieu, n° 466854)

 

179 - Gens du voyage - Intervention ophtalmologique - Indemnisation - Rejet concernant les frais d’aménagement du logement et la perte du mode de vie itinérant - Annulation.

Opérée pour un décollement rétinien la demanderesse demande réparation des divers préjudices subis du fait de cette intervention qui a entraîné la perte définitive de la vision de l'œil droit et l’apparition, de ce fait, d'un strabisme avec déviation externe de l'œil droit et d'une réduction de la fente palpébrale droite.

Elle s’est pourvue en cassation contre un arrêt de cour administrative d’appel et son pourvoi n’a été admis qu’en ce qui concerne la détermination du préjudice lié aux frais d'aménagement du logement et du « préjudice identitaire ». Elle obtient gain de cause sur ces deux points.

D’abord, alors que Mme D., qui se présentait comme appartenant, à la communauté des gens du voyage, se plaignait d'avoir été contrainte de renoncer à son mode de vie antérieur, la cour, commettant ainsi une erreur de droit, s’est fondée, pour rejeter la demande présentée au titre des frais d'aménagement du logement, sur la seule circonstance que la perte de vision d'un œil n'interdit pas nécessairement, sous certaines conditions, la conduite d'un camping-car ou d'une caravane de moins de 3,5 tonnes, alors qu’elle devait rechercher si le logement dans un tel véhicule était de nature, eu égard tant à ses caractéristiques qu'à la composition du foyer, à répondre aux besoins de l'intéressée.

Ensuite, en jugeant que la perte pour la victime de la possibilité de conserver le mode de vie itinérant en caravane qui était le sien n'était pas de nature à ouvrir droit à indemnisation, alors que le fait de devoir renoncer à son mode de vie spécifique, le déracinement qui en découle et ses incidences sur les conditions de vie matérielles et morales de l'intéressé est par lui-même constitutif d'un préjudice qui doit être réparé, la cour administrative a commis une seconde erreur de droit.

(07 avril 2023, Mme D. et ses enfants mineurs, n° 452931)

 

180 - Ordre des chirurgiens-dentistes - Responsabilité pour illégalités fautives liées à la teneur de courriers - Courriers ne contenant pas de décisions faisant grief - Erreur de droit - Fonctionnement défectueux du service public de la justice - Responsabilité de l’État - Même solution pour la justice ordinale et pour une demande indemnitaire émanée de tiers - Annulations et rejet.

Le litige portait sur des réclamations indemnitaires dirigées contre le Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes à raison d’illégalités fautives qu’auraient contenu un courrier et un courriel de ce Conseil.

Tout d’abord, la cour administrative d’appel ayant confirmé le rejet de cette action à fins indemnitaires par le tribunal administratif au motif qu’elle était irrecevable car dirigée contre les contenus d’un courriel et d’un courrier qui, en réalité, ne comportaient aucune décision faisant grief, le Conseil d’État est à la cassation. Ce qui se comprend fort bien car il n’était point nécessaire pour les demanderesses de former un recours pour excès de pouvoir en vue d’exercer leur action indemnitaire puisque le juge du plein contentieux peut, par lui-même, relever l’illégalité d’un acte, son caractère fautif et ses effets dommageables. La cour a commis une erreur de droit en subordonnant la recevabilité d’un recours de plein contentieux à la formation d’un recours pour excès de pouvoir alors qu’une action indemnitaire peut être exercée à l’encontre d’illégalités fautives contenues dans une simple recommandation (Section, 31 mars 2003, Société anonyme Laboratoires pharmaceutiques Bergadem, n° 188833) ou une mesure d’ordre intérieur (Section, 9 juin 1978, Spire, n° 8397).

Ensuite, réitérant une décision de principe (Section, 27 février 2004, Mme Popin, n° 217257), le juge rappelle que « la décision par laquelle une autorité ordinale décide de traduire un praticien devant l'instance disciplinaire compétente n'est pas détachable de la procédure juridictionnelle ainsi engagée », par suite, « les conclusions à fin de dommages et intérêts, y compris si elles sont présentées par des tiers, à raison de l'illégalité fautive reprochée aux poursuites disciplinaires à l'origine de cette procédure doivent être regardées comme tendant à la réparation d'un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice. » Or la justice étant rendue de façon indivisible au nom de l'État, il n'appartient qu'à celui-ci de répondre, à l'égard des justiciables, des dommages pouvant résulter pour eux de l'exercice de la fonction juridictionnelle assurée, sous le contrôle du Conseil d'État, par les juridictions administratives.

La requête est cependant rejetée au fond.

(28 avril 2023, Mme B. et société de Keating, n° 451211)

 

181 - Vaccination obligatoire contre l’hépatite B - Infirmière - Apparition d’un syndrome de myofasciite à macrophages - Indemnisation refusée en l’absence d’établissement d’un lien de causalité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La requérante, infirmière de son état, a été vaccinée contre l’hépatite B, vaccination obligatoire à raison de sa profession, et a réclamé réparation du préjudice résultant pour elle de l'apparition d'un syndrome de myofasciite à macrophages qu’elle impute à cette vaccination.

La cour administrative d’appel a rejeté la demande d’indemnisation au motif qu’il résulte des travaux scientifiques sur les liens possible entre cette vaccination contenant des adjuvants aluminiques et le développement de différents symptômes constitués de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, de fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs, qu'aucun lien de causalité n'était scientifiquement établi à la date de son arrêt.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit car la cour, saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, ne pouvait pas écarter toute responsabilité de la puissance publique en recherchant si le lien de causalité entre l'administration d'adjuvants aluminiques et les différents symptômes attribués à la myofasciite à macrophages était ou non établi. Il lui incombait de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe.

Et le juge de cassation de délivrer aux juridictions un véritable mode d’emploi ainsi conçu : « Il appartenait ensuite à la cour, après avoir procédé à la recherche mentionnée au point précédent, soit, s'il en était ressorti, en l'état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter l'appel de Mme A., soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations ».

(25 avril 2023, Mme A., n° 443248)

 

182 - Personne atteinte d’une malformation de naissance - Intervention chirurgicale - Séquelles - Réparation - Indemnisation de la perte de gains professionnels - Refus de réparer cette perte - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Mme B., atteinte d’une malformation de naissance du membre inférieur droit, a subi de ce fait deux interventions chirurgicales à l'issue desquelles elle conserve des séquelles. Elle demande l'annulation de l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel a réduit le montant de l'indemnité mise à la charge de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP) par un jugement du tribunal administratif. Le Conseil d'État a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de Mme B. dirigées contre cet arrêt en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des pertes de gains professionnels qu'elle a subis du fait de sa prise en charge.

La cour avait fondé son refus d’indemniser le préjudice de perte de gains professionnels dont la réparation était demandée par Mme B., sur le fait que ce préjudice n’était pas établi dès lors que ses capacités professionnelles et ses diplômes lui permettent d'exercer des professions sédentaires de bureau de haut niveau pour lesquelles la disgrâce physique dont elle se plaint ne constitue pas un handicap.

Le Conseil d’État annule l’arrêt sur ce point pour dénaturation des pièces du dossier puisqu’il résulte de ces dernières que la demanderesse établissait de manière circonstanciée, d'une part, notamment au moyen de plusieurs certificats médicaux, qu'elle éprouvait une fatigabilité accrue qui ne lui permettait plus d'exercer que des activités à temps partiel moins qualifiées par rapport à son occupation professionnelle antérieure, ainsi que des difficultés de concentration engendrées par la prise régulière d'antalgiques et d'autre part, qu'elle avait dû effectuer plusieurs séjours dans des établissements spécialisés pour soigner les répercussions psychologiques importantes de son handicap qui avaient rendu difficile sa recherche d'emploi.

(27 avril 2023, Mme B., n° 449642)

 

183 - Naissance prématurée d’une enfant - Alimentation au lait artificiel - Retard à vérifier l’état du lait maternel - Enfant handicapée à 80% avec séquelles neurologiques graves - Annulation.

Une enfant née prématurément le 16 mai 2009 à trente-et-une semaines d'aménorrhée a été hospitalisée en néonatologie, placée sous antibiothérapie probabiliste en raison du caractère inexpliqué de sa prématurité et de la Ranitidine lui a été administrée du 17 au 29 mai. Le 1er juin 2009, l'enfant, en état de choc sévère, a été transférée en réanimation et placée sous ventilation mécanique, en raison d'une entérocolite ulcéro-nécrosante de grade IV. L'enfant, handicapée à 80 %, reste atteinte de séquelle neurologiques graves. Ses parents se pourvoient en cassation de l'arrêt de rejet confirmatif rendu par la cour administrative.

L’arrêt est annulé par suite d’une série de critiques adressées par le Conseil d’État.

La cour a insuffisamment motivé son arrêt en jugeant que le délai de treize jours mis pour tester l’absence de cytomégalovirus dans le lait maternel s'expliquait par l'absence, non-fautive, de lactarium au sein du CHU de Pointe-à-Pitre, alors que les requérants soutenaient que le centre hospitalier avait commis une faute en attendant treize jours après la naissance de l'enfant, qui souffrait de troubles digestifs importants, pour faire procéder à l'analyse du lait maternel, et qu'il ressortait des deux rapports d'expertise que le lait maternel a un effet protecteur supérieur contre l'entérocolite.

La cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce en jugeant que la prescription de Ranitidine ne constituait pas une faute susceptible d'engager la responsabilité du CHU de Pointe-à-Pitre, au motif que la nocivité de ce médicament était mal connue à l'époque des faits, sans tenir compte par ailleurs de l'absence d'indication à cette prescription au moment des faits alors qu’il résultait du second rapport d'expertise que l'administration de Ranitidine n'était en tout état de cause pas indiquée, même au regard des connaissances de l'époque, la seule présence de sang rouge dans les résidus gastriques et les selles dans les deux jours suivants la naissance, après un accouchement hémorragique, justifiant une analyse de l'hémoglobine et non la prescription de ce médicament. 

La cour a commis une première erreur de droit en retenant qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'entérocolite ulcéro-nécrosante dont a été victime le nourrisson puisse être regardée comme directement imputable à la prescription de Ranitidine, alors qu'il ressortait de la seconde expertise médicale que le recours à ce médicament est un facteur favorisant de l'entérocolite et de l'émergence d'un germe pathogène type colibacille et que la mortalité est six fois supérieure chez les nouveau-nés prématurés exposés à la Ranitidine. 

La cour a commis une seconde erreur de droit en écartant toute indemnisation par la solidarité nationale au titre de la perte de chance de se soustraire au dommage alors qu’elle avait retenu l'absence de faute du centre hospitalier dans la prescription de Ranitidine et constaté que l'administration au nouveau-né de ce médicament avait sensiblement majoré le risque pour celui-ci de développer une entérocolite ulcéro-nécrosante.

(27 avril 2023, M. D. et Mme C., n° 460136)

 

Service public

 

184 - Enseignement supérieur – Diplôme de capacité en droit – Autonomie des établissements de délivrance – Normes nouvelles sans caractère rétroactif – Organisation des et durée des études – Rejet.

Les recours demandaient l’annulation de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021 relatif au certificat de capacité en droit. Ils sont rejetés.

Le Conseil d’État estime que le principe d’autonomie des établissements leur permet, pour délivrer un diplôme national, de définir des modalités de formation différentes alors même que le caractère national du diplôme a pour objet et pour effet de conférer les mêmes droits à tous ses titulaires, quel que soit l'établissement accrédité qui l'a délivré.

Il juge ensuite que le texte n’a pas une portée rétroactive car il ne porte pas atteinte à des situations déjà constituées et ne dispose que pour l’avenir et qu’il n’est pas démontré que, d’une durée d’un ou de deux ans selon le choix de l’établissement, il n’était pas possible de mettre en place la nouvelle version de ce diplôme dès l’année universitaire 2021-2022.

Enfin, la nouvelle maquette, dans le contenu des enseignements, le nombre d’heures d’enseignement, le choix d’un cursus en un ou deux ans, l’organisation de projets individuels ou collectifs, les enseignements complémentaires, etc., n’est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'objet de la capacité en droit, qui est d'assurer une formation correspondant aux besoins des milieux professionnels tout en permettant à des étudiants d'accéder à des études supérieures.

Voilà une motivation bien trop  légère et laxiste pour le détricotage d’un diplôme national qui est loin d’avoir démérité.

(04 avril 2023, Syndicat Force ouvrière de l'enseignement supérieur et de la recherche (FO ESR), n° 458802 ; Association Cap-Assas, Mme D. et M. A., n°458884, jonction)

 

185 - Enseignement supérieur – Chaires de professeur junior – Principe d’égal accès aux emplois publics – Recours au contrat – Principe d’indépendance des enseignants chercheurs – Existence d’un agent référent – Engagement de servir – Rejet.

L’art. L. 952-6-2 du code de l’éducation, issu de l’art. 4 de la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l'enseignement supérieur, crée les professeurs juniors, agents contractuels de droit public. Ceci est un élément de plus dans le processus de démantèlement (systématique ?) du statut des professeurs d’université.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1710 du 17 décembre 2021 relatif au contrat de chaire de professeur junior prévu par l'art. L. 952-6-2 précité et par l'art. L. 422-3 du code de la recherche, ainsi que l'ensemble des actes règlementaires pris en application de ce décret, dont l'arrêté du 17 décembre 2021 de la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation fixant le nombre de contrats de chaires de professeurs juniors susceptibles d'être pourvus pour l'année 2021 et le montant du financement par l'Agence nationale de la recherche.

Le recours est rejeté en tous ses griefs.

Un établissement public d'enseignement supérieur ou de recherche peut créer un contrat de chaire de professeur junior en cas d'existence d'un besoin spécifique lié à sa stratégie scientifique ou à son attractivité internationale, dans des domaines de recherche pour lesquels il justifie de cette nécessité. Pour bénéficier de cette voie de recrutement, l'établissement doit justifier de ses besoins en fonction des projets nécessaires à la mise en œuvre de sa stratégie scientifique, prévue notamment dans son contrat d'établissement, ou au renforcement de son attractivité internationale.

Ce contrat ne porte ainsi pas atteinte au principe d'égal accès aux emplois publics contrairement à ce que soutiennent les organisations requérantes, lesquelles ne pas davantage fondées à critiquer la pertinence du recours à ce type de contrat pour pourvoir des emplois permanents car cette possibilité a été instituée par le législateur.

En deuxième lieu, l'établissement, pour pourvoir une chaire de professeur junior, doit conclure avec la personne recrutée un contrat qui a pour objet de lui permettre d'acquérir une qualification en rapport avec les missions du corps dans lequel elle a vocation à être titularisée et stipule les engagements des parties concernant les objectifs à atteindre par le professeur junior ainsi que les moyens qui lui sont apportés par son employeur pour l'exercice de ses fonctions. Si ce contrat doit définir notamment l'intitulé précis du projet de recherche et d'enseignement retenu qui fait l'objet d'une convention de recherche et d'enseignement annexée au contrat, les moyens garantis par l'autorité de recrutement pour la réalisation de ce projet de recherche et d'enseignement ainsi que les obligations de service d'enseignement et les objectifs à atteindre en matière de recherche, il ne porte pour autant pas atteinte au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs et à leurs libertés académiques.

En troisième lieu, le pouvoir règlementaire pouvait légalement confier à un référent scientifique, désigné parmi les membres du corps dans lequel le bénéficiaire du contrat a vocation à être titularisé, assisté de deux enseignants-chercheurs ou chercheurs de rang égal à celui de l'emploi susceptible d'être occupé après titularisation, la responsabilité de suivre le déroulement du contrat et d'apporter son soutien à l'agent dans la réalisation du parcours devant le conduire à la titularisation. De plus, en chargeant ce référent scientifique d'établir un document de suivi du parcours de titularisation au plus tard trois mois avant le terme du contrat, transmis à l'intéressé qui peut y apporter ses observations dans un délai de quinze jours, et de produire un avis sur l'aptitude de l'agent, également communiqué à ce dernier pour observations, le pouvoir règlementaire n'a ni méconnu les dispositions législatives dont le décret attaqué fait application,ni porté atteinte au principe d'indépendance des enseignants-chercheurs et au principe d'égal accès aux emplois publics. 

En quatrième lieu, en rendant applicables au contrat de chaire de professeur junior les dispositions du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l'État, en cas de licenciement du professeur junior pour manquement à ses obligations contractuelles, pour faute disciplinaire ou pour insuffisance professionnelle après la période d'essai et compte tenu des garanties entourant la procédure conduisant à cette mesure, le décret contient des procédures strictement équivalentes à celles prévues en matière de licenciement des enseignants-chercheurs titulaires. L’allégation de méconnaissance du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs doit être écartée.

Tout ceci est encore un bel exemple d’usine à gaz qui n’a pour seul effet que d’accroître encore davantage les pouvoirs des présidents d’université - mais non leur responsabilité personnelle - sans guère de profit ni pour la recherche ni pour les étudiants ni pour les établissements.

(04 avril 2023, Union fédérale des syndicats de l'État CGT, Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT et Fédération syndicale unitaire, n° 461603)

 

186 - Organisation judiciaire - Désignation de tribunaux judiciaires à compétence départementale - Juridictions à compétences techniques - Contentieux résiduel - Absence d’ambiguïté et de complexité dans la désignation des juridictions - Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret du 20 août 2021 désignant les tribunaux judiciaires à compétence départementale en application de l'art. L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire et celui du 27 décembre 2021 modifiant la liste de ces tribunaux.

Les requêtes sont rejetées car les matières retenues pour fixer la spécialisation des tribunaux judiciaires revêtent un caractère technique certain et leur volume est résiduel. L’attribution de cette spécialisation à certains tribunaux, contrairement à ce qui est soutenu, n’est pas empreinte de complexité et de formalisme excessifs (cf. art. R. 211-4 code de l’organisation judiciaire).

Par ailleurs, si les dispositions critiquées conduisent à la désignation, selon les cas, d'un ou deux tribunaux judiciaires spécialisés par département et pour des matières qui ne sont pas toujours identiques, les juridictions ainsi désignées sont clairement identifiées et leur compétence matérielle, s'agissant des matières identifiées par l'art. R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire, est définie sans ambiguïté, sans qu'il en découle de difficultés particulières d'accès à la justice pour les citoyens. Cette dernière affirmation est très discutable.

Enfin, la désignation des tribunaux judiciaires à compétence départementale ainsi que la définition du champ matériel de leur spécialisation ont été arrêtées au vu des propositions formulées par les premiers présidents de certaines cours d'appel et procureurs généraux près ces cours, conformément aux dispositions du II de l'art. L. 211-9-3 du code de l'organisation judiciaire, en prenant en compte les spécificités territoriales propres à chaque ressort. Au surplus, les décrets attaqués, s'agissant d'actes réglementaires, n’avaient pas à être motivés.

(19 avril 2023, Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 457674 et n° 461941)

 

187 - Services pénitentiaires – Conditions d’incarcération – Demande de transfert d’une détenue à raison de son état de santé – Défaut d’atteinte grave à une liberté fondamentale – Rejet.

La requérante, détenue qui a demandé son transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire à raison de son état de santé, sa pathologie lui imposant d’être équipée de poches de colostomie et d'urostomie qui nécessitent des soins quotidiens, voit sa requête rejetée par le juge du référé liberté.

Celui-ci considère tout d’abord qu’il ne résulte pas de l’instruction, à  la date à laquelle il statue,  que l’état de santé de la requérante serait incompatible avec un régime de détention en maison d'arrêt et que cet état nécessiterait une hospitalisation. 

Il retient ensuite qu’elle a été incarcérée au quartier de semi-liberté des femmes de la maison d'arrêt, dans une cellule équipée d'une douche en accès libre qui, conformément au certificat de la médecin chargée de l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire de cette maison d'arrêt, permet à l'intéressée d'assurer son hygiène quotidienne. Il résulte, d'autre part, de l'instruction qu'une infirmière de cette unité, présente au sein de l'établissement pénitentiaire chaque jour entre 8 heures et 17h30, jours fériés compris, est en situation de pouvoir l'assister à sa demande, notamment au moment de ses soins quotidiens. 

Enfin, il n’y a pas lieu pour le juge du référé de l’art. L. 521-2 CJA d’ordonner un transfèrement administratif dans un établissement pénitentiaire mieux approprié d’autant, d’une part, que la demande formée par la requérante en ce sens auprès de la juge d'application des peines du tribunal judiciaire, au titre de l'art. 803-8 du code de procédure pénale, a été rejetée comme non fondée par une ordonnance du 9 mars 2023 frappée d'appel, et, d'autre part, que le dossier administratif d'orientation et de transfert est actuellement en phase finale d'étude auprès de l'administration centrale : ainsi n’est apporté aucun élément attestant d'un besoin supérieur d'assistance médicale à très bref délai.

(ord. réf. 20 avril 2023, Mme A., n° 472455)

 

Sport

 

188 - Police de l’ordre public – Interdiction de déplacement de supporteurs d’un club de football – Préservation et conciliation de l’ordre public et des libertés fondamentales – Rejet dans les circonstances de l’espèce.

Les requérantes demandaient que soit suspendue l’exécution d’un arrêté préfectoral publié le 18 avril 2023,  interdisant à toute personne se prévalant de la qualité de supporteur du FC Bâle ou se comportant comme tel, d'une part, de circuler ou stationner sur la voie publique au sein d'un périmètre délimité par l'art. 1er, du mercredi 19 avril 2023 à 10 heures au vendredi 21 avril suivant à 20 heures, et, d'autre part, d'accéder au stade dans un secteur délimité à l'article 2 le jeudi 20 avril 2023 entre 18 heures et minuit - et d’un arrêté ministériel publié le 19 avril  2023 interdisant à toute personne se prévalant de la qualité de supporteur du FC Bâle ou se comportant comme tel de se déplacer, individuellement ou collectivement, entre les points frontières français et la commune de Nice, ce jeudi 20 avril 2023, jour du match, à partir de 0 heure. Ces mesures ont été prises à l’occasion des quarts de finale de la compétition Ligue Europa Conférence de la saison 2022-2023 organisée le jeudi 20 avril 2023 à 21 heures au stade Allianz Riviera de Nice, s’agissant du match retour entre les clubs de football de l'Olympique Gymnaste Club de Nice (OGC Nice) et du Fussball-Club Basel 1893 (FC Bâle).

Si le juge rejette les recours c’est au prix d’un certain embarras.

D’abord, est relevée la triple circonstance, avancée par les requérantes, qu'il n'existe ni animosité particulière entre les supporteurs des deux clubs en cause, ni rivalité historique entre ces clubs, lesquels ne s'étaient jamais rencontrés en compétition officielle avant le match aller du 13 avril 2023, et, d'autre part, qu'aucun incident grave n'a été déploré en marge de ce dernier match, seules quelques bagarres entre de petits groupes isolés de supporteurs ayant été recensées grâce à des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Enfin, si l'arrêté ministériel litigieux fait état, outre de faits anciens et peu pertinents relatifs à des matchs du FC Bâle de 2014 et 2015, d'une « idéologie politique opposée » entre les supporteurs bâlois, qui se revendiqueraient de l'extrême gauche, et niçois, qui appartiendraient à l'ultra-droite, cette assertion, contestée par les requérantes, n'est assortie d'aucune précision et n'est pas sérieusement étayée par les pièces du dossier soumis au juge des référés. 

Ensuite, le juge constate avec sévérité que « la publication exceptionnellement tardive de ces arrêtés, en décalage avec le dispositif prévu dans le cadre de la concertation organisée depuis deux semaines entre les parties prenantes et alors qu'aucune circonstance de fait déterminante n'est intervenue depuis la seconde réunion de préparation, le 14 avril 2023, apparaît extrêmement regrettable, les supporteurs helvétiques ayant déjà pris leurs dispositions pour se rendre à Nice ».

Toutefois, les demandes sont finalement rejetées en raison du cumul :

- de l’existence d’un certain nombre de supporteurs radicaux du FC Bâle,

- de débordements violents en 2019 et 2022 imputables à la présence de nombreux supporteurs radicaux de l'OGC Nice et occasionnant des blessés à l’occasion de plusieurs rencontres organisées à l'Allianz Arena de Nice,

- de l’information des renseignements généraux sur l’organisation d’un projet d’affrontements physiques en prévision du match aller du 13 avril, projet finalement abandonné,

de l’importance de l’enjeu constitué, pour les deux équipes, s’agissant d’une qualification en demi-finale de cette compétition européenne et de l'indécision particulière qui résulte du match nul enregistré au match aller, justifiant le classement du match retour au quatrième niveau, sur cinq, dans l'échelle des confrontations sportives à risque par la direction nationale de lutte contre le hooliganisme de la police nationale, enfin de la très forte sollicitation au même moment des forces de l’ordre dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites,

- de ce que les supporteurs du FC Bâle conservent en tout état de cause la possibilité de venir à Nice pour assister à la rencontre sportive, sous réserve de ne pas se prévaloir de cette qualité ni de se comporter comme tels.

Enfin, et la chose est très rare, le juge, au soutien de son argumentation de rejet, indique que la tardiveté de publication des arrêtés querellés peut être à l'origine de préjudices, notamment matériels, qui sont susceptibles d'être réparés dans le cadre d'une action en responsabilité contre l'État, si ces mesures étaient regardées comme illégales ou excédant les sujétions pouvant peser normalement sur ces personnes.

Il faut souligner l’excellente réactivité du juge des référés qui, saisi le 19 avril et un mémoire en réplique ayant été encore déposé le 20 avril, a pu statuer dans cette même journée du 20 tout en organisant une procédure orale complète et pleinement contradictoire suivie d’une ordonnance richement motivée.

(ord. réf. 20 avril 2023, Association nationale des supporters (ANS), n° 473418 ; Association Football supporters Europe (FSE), n°473419 ; Société FC Basel 1893, n° 473421 ; Associations FCB Fanclub Orgesiss et autres, n°473425, jonction)

 

Travaux publics et expropriation

 

189 - Déclaration d’utilité publique - Création d’une ligne de métro automatique de grande capacité - Opération entrant dans le projet du Grand Paris - Rejet.

Les demandes tendaient à l’annulation du décret n° 2022-457 du 30 mars 2022 modifiant le décret du 21 novembre 2016 déclarant d'utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation du tronçon de métro automatique du réseau de transport public du Grand Paris reliant les gares de Pont-de-Sèvres et de Saint-Denis Pleyel, gares non incluses (tronçon inclus dans la ligne dite " rouge " et correspondant à la ligne 15 Ouest), dans les départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis et emportant mise en compatibilité des documents d'urbanisme de diverses communes de Bois-Colombes, Courbevoie, Gennevilliers, Nanterre, Rueil-Malmaison, Saint-Cloud et d’un établissement public territorial.

Le recours portait donc, par suite de modifications apportées au projet initial, contre le décret modificatif d’un précédent admettant l’utilité publique du projet et contre la nouvelle déclaration d’utilité publique.

Le Conseil d’État examine les nombreux moyens, de légalité externe comme de légalité interne, soulevés pour les rejeter entièrement.

Concernant la légalité externe, il est jugé que l’enquête publique, rendue à nouveau nécessaire en raison de modifications substantielles apportées au projet sans que celles-ci ne le transforment en un projet nouveau, elle ne souffre pas d’irrégularités.

Semblablement, l’appréciation sommaire des dépenses, sur laquelle le juge administratif ne se montre jamais très exigeant (litote), consiste à vérifier qu’elle est raisonnablement chiffrée au moment de l’enquête. Étant rappelé que ne peut être soulevée par voie d’exception l’illégalité qui aurait entachée, du fait de sa sous-estimation, l’appréciation sommaire des dépenses dans le cadre de l’enquête initiale. Le juge considère ici comme régulière cette appréciation en dépit de ce qu’aucune évaluation n’ait été faite ou présentée concernant la dépollution d’un site, le coût de l’expulsion de locataires ou de ce qu’auraient été sous-évaluées les dépenses d’acquisitions foncières.

L’étude d’impact ne souffre pas d’insuffisances car y figurent bien les mesures destinées à éviter, réduire ou compenser les impacts du projet ainsi que l'évaluation des incidences du projet sur le climat et sa vulnérabilité au changement climatique, lesquelles y sont suffisamment décrites, tout comme les interconnexions et le cumul de ses incidences avec les projets connexes concernant notamment le secteur de la gare de Nanterre - La Folie, le secteur de la gare de La Défense et le secteur de la gare de Bécon-les-Bruyères. De même, s'agissant du déport de l'emprise chantier de la gare de Bécon-les-Bruyères, l’étude comporte des développements suffisants concernant ses incidences sur le cadre de vie des habitants du « Village Delage » et le milieu naturel du site ainsi que sur les mesures d'évitement, de réduction ou de compensation destinées à réduire l'impact sonore des travaux, minimiser les nuisances des circulations et traiter les déblais du chantier.

Enfin, l’évaluation socio-économique a été suffisamment actualisée.

Concernant la légalité interne, deux questions sont abordées. D’abord, classiquement, se posait celle de l’utilité publique du projet. On ne sera guère surpris que le juge se refuse à apprécier la pertinence du choix fait plutôt que d’un autre moins invasif et moins cher et qu’il estime, au total, que le bilan coûts-avantages lié aux modifications apportées au projet est positif eu égard, en dépit d’un surcoût considérable, aux avantages supplémentaires qu’il contient. Ensuite, répondant à l’argumentation des requérantes, le juge considère que le décret modificatif n’est pas incompatible avec l'orientation d'aménagement et de programmation « Village Delage ». En effet, l’une des requérantes, la commune de Courbevoie, faisait valoir que ce décret est de nature à compromettre l'orientation d'aménagement et de programmation « Village Delage » qu’elle a retenue dans son plan local d'urbanisme. Le moyen est rejeté du fait que la surface de l'emprise chantier est limitée et que cette emprise revêt un caractère temporaire.

On demeure toujours étonné qu’existent des requérants pour croire en la possibilité d’une annulation contentieuse d’un projet de cette importance. C’est bien connu, Jean Rivero l’a excellemment rappelé : la jurisprudence, administrative comme constitutionnelle, « filtre le moustique et laisse passer le chameau ». Au fond, plus c’est gros et plus cela passe n’en déplaisent aux tenants du mythique « État de droit » car plus c’est gros plus une annulation, quel que soit son bien-fondé, constitue un acte politique par ses effets, chose qu’en démocratie on peut difficilement pardonner à un juge.

(17 avril 2023, Société Hublot Défense, n° 464389 ; Société Réseau de transport d’électricité (RTE), n° 464529 ; Sociétés Interconstruction et BNP Paribas Immobilier Promotion, n° 467840 ; Commune de Courbevoie, n° 467862)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

190 - Permis de construire – Implantation d’une construction en limite séparative –Interdiction en ce cas de porter atteinte aux conditions d’éclairement de l’immeuble voisin – Notion et degré d’atteinte – Exigence distincte de la perte d’ensoleillement – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit le jugement qui, en présence de la disposition d’un plan local d’urbanisme décidant que « l'implantation d'une construction en limite séparative peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin (... ) », estime que cette notion ne doit pas être confondue avec celle de perte d’ensoleillement et qu’il n’était pas porté une atteinte grave aux conditions d’éclairement en l’espèce où l’obscurcissement concernait des pièces à usage de salles de bain déjà seulement éclairées par des jours de souffrance.

(12 avril 2023, Syndicat des copropriétaires des 1-3 square Alice et 123 rue Didot et M. B., n° 451794)

 

191 - Permis d’aménager – Terrain d’assiette situé en zone agricole – Terrain également situé dans le prolongement d’une zone d’activités – Terrain pollué impropre à une activité agricole – Dénaturation des pièces – Annulation.

Une commune a délivré à la société Saint Christophe un permis d'aménager quatre lots à bâtir sur un terrain. Cette décision est annulée par le tribunal administratif ; le pétitionnaire se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État considère que le tribunal administratif ne commet pas d’erreur de droit en se fondant sur la continuité du secteur à vocation agricole dans lequel s'inscrirait la parcelle en cause et la cohérence de la zone agricole à laquelle son classement porterait atteinte, et dont une part importante est actuellement exploitée pour l'agriculture, sans rechercher si cette parcelle présente elle-même un caractère de terres agricoles.

En revanche, ce tribunal dénature les pièces du dossier qui lui est soumis en jugeant, malgré le large pouvoir d'appréciation dont disposaient les auteurs du plan local d'urbanisme, que le classement du terrain d'assiette du permis litigieux en zone constructible était entaché d'une erreur manifeste d’appréciation, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que la parcelle en cause, qui n'a jamais été classée en zone agricole et dont le sol, pollué, est impropre à l'exercice d'une activité agricole, se situe dans la continuité, non seulement d'un secteur à vocation agricole, mais également d'une zone d'activités commerciales et en bordure d'une avenue très passante.

(12 avril 2023, Société Saint Christophe, n° 455306)

 

192 - Permis de construire – Arrêté constatant sa caducité – Obligation de notification de l’appel au pétitionnaire (art. R. 600-1 c. urb.) – Absence d’indication de l’accomplissement de cette formalité – Irrégularité – Annulation.

La société requérante a demandé au tribunal administratif d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté par lequel le maire de Villiers-le-Bel a constaté la caducité du permis de construire qui lui avait été accordé pour la construction d'un ensemble immobilier et d'un parc de stationnement automobile. Le tribunal administratif a annulé cet arrêté car invitée à régulariser sa requête en produisant une copie du certificat de dépôt de la lettre recommandée adressée au titulaire du permis de construire en litige et informée qu'à défaut, sa requête serait rejetée comme irrecevable, la commune de Villiers-le-Bel n'a pas fourni les pièces justifiant de l'accomplissement de la notification de sa requête d'appel au titulaire du permis de construire, requise par les dispositions de l'article R. 600-1 du code l'urbanisme.

La commune a interjeté appel devant la cour administrative d’appel qui a annulé ce jugement et rejeté la demande présentée par la société Cystaim V3 devant le tribunal administratif.  

Cette société se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt en raison de l’irrégularité qui l’entache car la cour devait soulever d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité, pour non-justification de la formalité de la notification, de l’appel que la commune a formé devant elle.

(12 avril 2023, Société Cystaim V3, n° 456141)

 

193 - Retrait d’une décision de non-opposition à déclaration préalable de travaux (art. L. 424-5 c. urb.) – Caractère contradictoire de la procédure administrative non contentieuse (L. 121-1 et s. CRPA) – Non-respect de cette exigence – Erreur de droit – Annulation.

(13 avril 2023, Société Hera, n° 468416)

Voir n° 2

 

194 - Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Construction d’un ensemble commercial – Principe de la cristallisation des moyens – Application en cette matière – Rejet.

La requérante a demandé l’annulation d’un arrêté municipal qui a délivré à la société JPM Alimentation un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la construction d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 2 284 m².

Elle se pourvoit en cassation d’un arrêt qui a écarté comme irrecevable l'un des moyens qu'elle avait soulevé, en faisant application des dispositions de l'art. R. 600-5 du code de l'urbanisme relatif à la cristallisation des moyens. Elle soutenait que l’opposition de cette irrecevabilité n’était pas possible puisque le recours dont elle l'avait saisie ne tendait à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale.

Le pourvoi est rejeté car, c’est l’apport principal de cette décision et un apport important, le Conseil d’État considère, pour la première fois semble-t-il sur le fondement de l’art. R. 600-5, que la cristallisation des moyens prévue par les dispositions cet article s'applique au recours formé par une personne mentionnée à l'article L. 752-17 du code de commerce contre un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

(04 avril 2023, Société Distribution Casino France, n° 460754)

 

195 - Permis initial et modificatif de construire un stade nautique - Absence d’étude d’impact jointe au dossier - Jugement avant-dire droit prononçant un sursis à l’exécution de l’autorisation - Règle de la cristallisation des moyens - Forclusion.

Le maire de Mérignac a accordé à la société Stade nautique Mérignac un permis de construire par arrêté du 5 octobre 2020, puis un permis de construire modificatif par arrêté du 7 juin 2021, pour la réalisation de ce stade.

Saisi en ce sens par plusieurs requérants sur le fondement des art. L. 122-2 et L. 123-16 du code de l'environnement, le tribunal administratif, avant dire droit, a sursis à statuer, par ordonnance du 24 octobre 2022, sur la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de vingt mois à compter de la notification de son jugement pour permettre à la société Stade nautique Mérignac de justifier de la régularisation des vices tirés de la méconnaissance de l'art. R. 431-16 du code de l'urbanisme, faute d'étude d'impact jointe au dossier de demande de permis de construire, et de l'illégalité de la décision de l'autorité environnementale dispensant le projet d'une telle étude.

C’est de cette ordonnance qu’il est demandé annulation.

La réponse n’allait pas de soi car il fallait, pour cela, combiner des textes d’inspirations différentes : l’art. L. 521-1 du CJA, relatif au référé suspension, l’art. L. 122-2 du code de l’environnement, sur le régime de l’absence d’étude d’impact, et l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme, relatif à la cristallisation des moyens. C’est d’ailleurs l’occasion de se demander, en l’état actuel de certaines urgences et gravités environnementales, s’il ne faudrait pas hiérarchiser les textes applicables même quand ils ont une identique nature juridique et décider, par exemple, dans un contexte donné, que telle disposition législative du code de l’environnement l’emporte nécessairement sur une disposition législative du code de l’urbanisme ou de justice administrative sans s’arrêter aux principes classiques selon lesquels la loi spéciale déroge à la loi générale ou la loi postérieure déroge à la loi antérieure.

Le juge de cassation annule l’ordonnance litigieuse au terme du raisonnement suivant qui contredit partiellement notre remarque précédente.

A titre de principe, il tire de la combinaison de ces trois dispositions que le juge auquel est adressée  une demande de suspension d'une des décisions mentionnées à l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme fondée sur l'absence d'étude d'impact et qui constate l'absence d'une telle étude, doit faire droit à la demande, alors même que le requérant ne se prévaut pas des dispositions de l'art. L. 122-2 du code de l'environnement, sans avoir à s'interroger sur l'existence ou non d'une urgence à suspendre l'exécution de la décision.

Cependant, une telle demande de suspension n'est recevable, quel qu'en soit le fondement, que jusqu'à l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens soulevés devant le juge saisi en premier ressort sans qu’ait à cet égard un quelconque effet la circonstance que, par un jugement avant dire droit, le juge ait constaté l'absence d'étude d'impact et accordé aux parties un délai pour régulariser ce vice.

En l’espèce, le juge des référés de première instance a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son ordonnance pour avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la demande de suspension de l'exécution des permis de construire litigieux par le motif que cette demande n'était pas soumise aux dispositions de l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme alors que toute demande tendant à la suspension de l'exécution d'un permis de construire doit être présentée avant l'expiration du délai fixé pour la cristallisation des moyens. 

(17 avril 2023, Commune de Mérignac, n° 468789 ; SAS Stade nautique Mérignac, n° 468801)

(196) V. aussi, précisant que le juge du référé suspension saisi d’une demande de suspension d’exécution de l’un des actes visés à l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme doit vérifier, au besoin même d’office, que le délai au terme duquel se réalise la cristallisation des moyens soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir saisi en première instance n’est pas expiré et cela alors même que cette circonstance ne ressortirait pas des pièces du dossier de la procédure de référé : 14 avril 2023, Mme A., n° 460040.

 

197 - Permis de construire – Connaissance acquise par une entrevue en mairie – Absence d’affichage – Exception de forclusion opposée à tort –Annulation.

Pour déclarer entaché de forclusion un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire, le premier juge avait retenu que les requérants ayant été reçus en mairie le 13 juillet 2021 pour discuter de certaines illégalités dont aurait été entaché ce permis, ils devaient être regardés comme ayant eu connaissance de cet arrêté au plus tard à cette date. Elle en a déduit que le délai de recours de deux mois avait couru et qu'alors même que le bénéficiaire du permis de construire n'avait pas encore procédé à son affichage, leurs recours gracieux présentés les 6 et 12 novembre suivants étaient tardifs.

Le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit car en l'absence de tout affichage, seul l'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre le permis de construire litigieux, révélant qu'il a connaissance de cette décision, peut être de nature à faire courir à son égard le délai de recours contentieux. 

(20 avril 2023, Mme H. et autres, n° 464606)

 

198 - Permis d’aménager un lotissement - Nécessité de tenir compte des dispositions particulières au littoral - Notion de « village » - Notion définie par le schéma de cohérence territoriale (SCoT) - Erreur de droit - Annulation.

Les requérants avaient demandé, et obtenu en appel, l’annulation de l’arrêté municipal délivrant à la défenderesse, auteur du pourvoi en cassation, un permis d'aménager un lotissement en vue de la création d'une vingtaine de lots destinés à l'habitat individuel et collectif.

Auparavant, au plan procédural, il convient d’indiquer que le juge reconnaît à un syndicat mixte pour le SCoT ainsi qu’à une commune et une communauté d’agglomération dont les territoires sont couverts par ce schéma, un intérêt à intervenir au soutien des pourvois en cassation tendant à l'annulation de l’arrêt d’appel.

Le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel en rappelant, d’une part, que l'autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande d'autorisation d'occupation ou d'utilisation du sol doit s'assurer de la conformité du projet avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières au littoral, notamment celles de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme qui prévoient que l'extension de l'urbanisation ne peut se réaliser qu'en continuité avec les agglomérations et villages existants et, d’autre part, que l'autorité administrative apprécie la conformité d'une autorisation d'urbanisme avec l'art. L. 121-8 précité en tenant compte des dispositions du SCoT applicable (Cf. 9 juillet 2021, Commune de Landéda, n° 445118 ; v. cette Chronique, juillet-août 2021, n° 244) notamment celles qui déterminent les critères d'identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et définissent leur localisation, dès lors qu'elles sont suffisamment précises et compatibles avec les dispositions législatives particulières au littoral. 

En l’espèce, le Conseil d’État reproche à la cour d’avoir écarté les dispositions du SCoT et d’en avoir déduit que le maire de Ploemeur avait lui-même fait une application inexacte des dispositions de l'art. L. 121-13 du code de l'urbanisme (principe d’urbanisation limitée) en délivrant le permis d'aménager contesté en tenant compte de ce schéma. La cour, ce jugeant, a cru pouvoir se limiter à relever qu'il intégrait le lieu-dit « Kerpape », d’implantation du lotissement, et le centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle à la centralité urbaine et à la zone déjà urbanisée de Kerroc'h et de Lomener. Elle a ainsi commis une erreur de droit en s’abstenant, pour déterminer s'il convenait de tenir compte des dispositions du SCoT, d'apprécier si les conditions d'utilisation du sol permises dans le secteur en cause pouvaient être regardées comme permettant une extension de l'urbanisation limitée au sens de l'art. L. 121-13 précité.

(21 avril 2023, Mme E., n°456788 ; Commune de Ploemeur, n° 456808)

 

199 - Aménagement commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l’État en justice par le président de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Effet d’un désistement plus de deux mois après la saisine de la CNAC - Rejet.

La CNAC se pourvoit en cassation d’un arrêt annulant l’arrêté municipal refusant de délivrer à une société un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un ensemble commercial d'une surface totale de vente de 3 953 m² et enjoignant à celui-ci de se prononcer sur cette demande de permis de construire dans un délai de deux mois à compter de la notification de son arrêt.

A cette occasion le juge est amené à trancher deux points intéressants de procédure.

En premier lieu, répondant à une fin de non-recevoir, le Conseil d’État juge que l'État a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'art. L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale. Si le secrétariat de la CNAC est assuré par les services du ministre chargé du commerce, la Commission n'est pas soumise au pouvoir hiérarchique des ministres, qui n'ont pas le pouvoir de réformer ses avis et décisions. Le président de la CNAC a qualité pour représenter l'État devant les juridictions administratives dans ces litiges et peut signer, par dérogation aux dispositions du second alinéa de l'art. R. 432-4 du code de justice administrative, les recours et mémoires présentés devant le Conseil d'État au nom de l'État, lesquels sont dispensés du ministère d'avocat au Conseil d'État conformément à ce que prévoit le premier alinéa du même article.

En second lieu, répondant à une objection de la société demanderesse, le juge indique qu’en cas de désistement du requérant de son recours contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial postérieurement au délai de deux mois suivant sa réception par le président de la CNAC, celle-ci conserve la faculté de se prononcer sur le projet qui lui a été soumis. Dès lors que ces dispositions, qui ne relèvent pas du domaine de la loi et n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer une possibilité d'autosaisine de la CNAC, s'ajoutant à celle prévue par les dispositions du V de l'art. L. 752-17 du code de commerce, elles ressortissent à la compétence du pouvoir réglementaire qui a ainsi pu légalement prévoir que, dans certaines conditions, le désistement d'un requérant est susceptible de ne pas entraîner le dessaisissement de la CNAC.

(28 avril 2023, Commission nationale d'aménagement commercial, n° 469710)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mars 2023

Mars 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des critères repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Critères figurant dans un avis ministériel - Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande de permis de construire huit éoliennes et du refus explicite d’autoriser leur exploitation.

Elle se fondait pour cela sur ce que les motifs avancés par le ministre des armées, constants depuis 2010, à savoir des éléments d'appréciation comportant notamment les critères litigieux d'appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires, alors que ces critères sont repris de lignes directrices qui n’ont pas fait l'objet d'une publication préalable.

Le recours est rejeté car ces critères étaient repris de manière explicite dans l'avis du ministre des armées du 30 janvier 2015 et dans ses annexes.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

 

2 - Demande adressée à l’ARCOM d’intervenir auprès d’une société éditrice de programme – Absence de demande de mise en œuvre de l’un des pouvoirs détenus par l’ARCOM – Refus opposé à cette demande ne constituant pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux – Rejet.

La requérante avait demandé l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande, adressée le 20 avril 2020 au Conseil supérieur de l'audiovisuel, devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), tendant à le voir « intervenir auprès de la société France Télévisions » afin qu'elle cesse de faire usage à l'antenne ou sur tout support de la marque verbale « Vrai ou fake », en particulier en tant que titre d'une rubrique du journal télévisé ou d'une émission. Le CSA a adressé le 7 décembre 2020 à la société France Télévision un courrier se bornant à l’inviter « dans la mesure du possible à traduire le terme anglais " fake " dans l'ensemble des titres de programme ».

La demande de l'association requérante au CSA ne tendant à la mise en œuvre d'aucun des pouvoirs reconnus à cette autorité par la loi du 30 septembre 1986, le refus opposé à cette demande ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. 

La requête est rejetée pour irrecevabilité.

(10 mars 2023, Association Francophonie Avenir, n° 460929)

 

3 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

L’association requérante demandait l’infirmation du jugement par lequel le tribunal administratif  a rejeté sa requête en annulation de la décision par laquelle EDF a refusé de lui communiquer le dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles usés dans une version occultée à bon escient ainsi que sa demande d’injonction à ce que cette société lui communique cette version dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Le Conseil d’État opère une distinction au sein de la demande rejetée.

Tout d’abord, il juge que c’est sans insuffisance de motivation que les premiers juges ont considéré que la communication des passages du document demandé relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés dans la piscine d'entreposage et à la température de l'eau porterait atteinte au secret des affaires, de sorte que la société EDF était fondée à la refuser d’autant que l’invocation, ici, de la convention d’Aarhus comme de l'avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (tel qu’interprété par la CJUE : 23 novembre 2016, Bayer CropScience SA-NV et autre, aff. C-442/14), est inopérante puisque ces textes ne concernent que l’information qui « a trait à des émissions dans l'environnement » lesquelles ne s’entendent donc pas des émissions purement hypothétiques, seules concernées en l’espèce. En outre, parce que la teneur des outils de surveillance développés par EDF dans le cadre de son activité de recherche et développement et la température de l'eau de la piscine d'entreposage relèvent du secret des procédés, le tribunal administratif n’a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le secret des affaires faisait obstacle à la divulgation des passages du document traitant de ces deux points. 

Ensuite, en revanche, le Conseil d’État estime qu’est entachée d’insuffisance de motivation la partie du jugement attaqué rejetant, sans en donner les raisons, celles des conclusions relatives à l'occultation des passages du document concernant l'implantation des systèmes de refroidissement et du mécanisme de maintien du niveau d'eau. Le jugement est donc annulé dans cette mesure.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

 

4 - Communication de documents concernant les biens et impôts d’une représentation diplomatique en France – Distinction entre documents communicables et non communicables – Rejet et non-lieu partiels.

Le litige portait sur le refus opposé par le ministre des affaires étrangères à la demande de la société requérante de lui communiquer la « liste diplomatique et consulaire » ou ses pages concernant la République du Congo, des documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par cet État, ainsi que tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisation de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à ce même État et utilisé pour les besoins de sa mission diplomatique.

Ce refus a été annulé par le tribunal administratif et ce jugement est frappé d’un pourvoi par le ministre.

Le Conseil d’État juge d’abord que la simple désignation des biens d'un État étranger reconnus par la France, État accréditaire, comme étant affectés à la mission diplomatique de celui-ci, justifiant ainsi qu'il bénéficie des immunités et privilèges, notamment fiscaux, s'y attachant en vertu des engagements internationaux de la France et des dispositions législatives et réglementaires applicables, n'est pas une information dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. C’est pourquoi, une liste des locaux ainsi reconnus, ou un bordereau ou un autre document par lequel le ministère chargé des affaires étrangères se borne à notifier à l'administration fiscale qu'un local fait l'objet d'une telle reconnaissance, sont, lorsqu'ils existent et sous réserve des autres exceptions prévues à l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, communicables à toute personne qui en fait la demande.

Il juge ensuite, au contraire, qu’il en va différemment des demandes de reconnaissance et d'exonération fiscale formulées par l'État accréditant et des pièces qui leur sont annexées, des documents relatifs à l'instruction de ces demandes, des actes accomplis par l'administration fiscale à l'endroit de l'ambassade ou de ses diplomates, des pièces concernant ou mentionnant les réclamations et litiges s'y rapportant, des « notes verbales » échangées entre l'ambassade et le ministère, ainsi que de l'ensemble des documents relatifs aux biens pour lesquels la reconnaissance de l'affectation à la mission diplomatique a été refusée, leur divulgation étant de nature à porter atteinte aux relations diplomatiques entre la France et l'État étranger.  

S’agissant en l’espèce d’une demande de communication portant sur les biens utilisés par la République du Congo, il résulte des diligences effectuées par la 10ème chambre de la section du contentieux que le dossier relatif à ces biens qu’elle s’est fait communiquer sans le soumettre au débat contradictoire, ne contient que des documents de la nature de ceux dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France et qui présentent un caractère indivisible, et ne comporte ni bordereau de notification de reconnaissance de biens affectés à la mission diplomatique de la République du Congo, ni de liste ou de registre des biens bénéficiant d'une telle reconnaissance, qu'aucune disposition ne fait d'ailleurs obligation à l'administration de tenir. 

D’où le rejet et le non-lieu partiels prononcés.

(15 mars 2023, Société Commissions Import Export, n° 463834)

 

5 - Communication des documents administratifs – Exception des secrets protégés – Secret des affaires – Motivation insuffisante d’un jugement – Annulation et rejet.

Même si, se prononçant au fond, le juge de cassation réaffirme la solution qu’avaient retenue les premiers juges, le jugement n’en est pas moins cassé pour insuffisance de motivation.

On sait que l’une des exceptions au droit à la communication des documents administratifs est constituée par la protection du secret des affaires.

Dans un litige où était demandée la communication de l'estimation prévisionnelle du coût de travaux de construction ou de réhabilitation de logements devant figurer au dossier d'agrément en vertu du b) du 10° de l'article R. 365-5 du code de la construction et de l'habitation, le tribunal administratif s’était borné à juger régulier le refus de communication car un tel document pouvait contenir des informations financières sur les travaux en cours ou à venir et ainsi sa communication était susceptible de porter atteinte au secret des affaires. C’était une motivation un peu mince, d’où l’annulation du jugement mais sa confirmation sur le fond.

(27 mars 2023, M. A., n° 453633)

 

6 - Décret portant aide à certains acteurs de santé dont l'activité a été affectée par l'épidémie de Covid-19 – Disposition de ce décret interprétée par la Caisse nationale de l’assurance maladie – Interprétation retenue par souci de cohérence mais non conforme au texte – Annulation.

Les organisations requérantes poursuivaient l’annulation de la décision implicite de la Caisse nationale de l'assurance maladie rejetant leur demande tendant au retrait de la formule de calcul, différente de celle prévue au VI de l'article 2 du décret n° 2020-1807 du 30 décembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l'aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19, adoptée pour calculer le montant de l'indemnisation de la perte d'activité des exploitants de taxi conventionnés, ainsi que cette formule de calcul.

La Caisse ne conteste pas avoir donné de cette disposition une interprétation différente de celle qu’appelait la lettre du texte mais fait valoir qu'elle s'est bornée, ce faisant, à l’interpréter en lui restituant sa juste portée, compte tenu de l'incohérence manifeste de la formule de calcul énoncée par les dispositions du décret, ce qui, selon elle, serait corroboré par la modification apportée ultérieurement en ce sens par le décret du 15 avril 2022.

Cependant, le juge relève qu’ainsi la Caisse n’a pas respecté le texte qu’elle devait appliquer et exécuter, méconnaissant ainsi son caractère clair et dépourvu d’ambiguïté.

La décision de la Caisse est annulée.

(30 mars 2023, Fédération nationale du taxi (FNDT) et autres, n° 464059)

 

7 - Propos tenus par un ministre – Propos relayés sur son compte « Twitter » - Propos ne constituant pas une instruction donnée à ses subordonnés et n’attentant point à une liberté fondamentale – Rejet du recours en référé liberté.

Le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, au cours d'une rencontre avec la presse ayant trait à diverses questions relatives en particulier au maintien de l'ordre, dans une vidéo relayée sur son compte « Twitter », propos selon lesquels, notamment, « être dans une manifestation non déclarée est un délit » et que ce fait « mérite une interpellation ». 

Les requérants demandent au juge du référé liberté l’annulation de ces énonciations du ministre de l'intérieur exprimées le 21 mars 2023.

Le recours est rejeté car, relève, avec une certaine sévérité, l’auteur de l’ordonnance de référé, « D'une part, ces propos ne révèlent pas l'existence d'une instruction aux policiers et aux gendarmes d'interpeller toute personne se trouvant sur les lieux d'une manifestation au seul motif que celle-ci n'aurait pas été déclarée. D'autre part, ces déclarations faites le 21 mars dernier et alors même qu'elles ont été relayées sur un réseau social, pour regrettables qu'elles soient en raison de leur caractère erroné, ne sont pas susceptibles d'avoir par elles-mêmes des effets notables sur l'exercice de la liberté de manifester et de se réunir. Il s'ensuit que les requérants ne sont manifestement pas fondés à soutenir que les déclarations ministérielles caractérisent une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés justifiant l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». 

(29 mars 2023, Association « Lanceur d’alerte », n° 472440 ; MM. B., n° 472447 ; M. E., n° 472469, jonction)

 

 

Contention, isolement, psychiatrie et communication des documents administratifs

 

On assiste depuis plusieurs mois à une offensive tous azimuts d’associations afin d’obtenir des établissements psychiatriques qu’ils leur communiquent le registre de contention et d’isolement ainsi que le rapport annuel décrivant le recours à ces méthodes médicales. Devant cette prolifération, à la fois pour l’accompagner et pour la contenir, le juge a développé une jurisprudence désormais très nettement établie comme on le voit par les exemples ci-après.

 

8 - Communication des documents administratifs – Registre de contention et d’isolement d’un établissement psychiatrique – Rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement – Conditions de compatibilité entre droit d’accès aux documents administratifs et protection de la vie privée – Refus de transmission d’une QPC.

Un jugement de tribunal administratif a annulé la décision d’un centre hospitalier refusant la communication à une association d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement ainsi que du rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement. Il a ordonné cette communication, sous injonction, sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient pour ce qui concerne le registre de contention et d'isolement.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation de ce jugement.

Le Conseil d’État opère une confrontation entre les dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 311-1, L. 311-6 et L. 311-7) et celles du code de la santé publique (art. L. 3222-5-1) d’où il résulte, assez évidemment, que si le droit à la communication des documents administratifs que sont ceux demandés ici trouve son fondement dans l’art. 15 de la Déclaration de 1789, l’art. 2 de ce texte impose le respect de la vie privée « qui requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale ». Il suit de là que si le registre et le rapport prévus à l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique constituent des documents administratifs communicables aux tiers c’est sous la réserve que soient occultées ou disjointes les mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée ou au secret médical des patients. Il en va ainsi, en particulier, s'agissant du registre qui retrace les mesures d'isolement ou de contention, des mentions permettant d'identifier ceux-ci, directement ou indirectement.

Observant en outre que ce registre est accessible à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires, le juge estime que les limitations ainsi apportées au droit d'accès aux documents administratifs, ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Le jugement est annulé.

(16 mars 2023, Centre hospitalier Nord Deux-Sèvres, n° 460617)

(9) V. aussi, très voisin du précédent et peut-être plus explicite : 16 mars 2023, CHU de Saint- Étienne, n° 460681.

(10) V. encore, identique au précédent 16 mars 2023, Centre hospitalier de Roanne, n° 461003.

(11) V. également, identique : 16 mars 2023, Centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay, n° 462537.

(12) V. : 16 mars 2023, Établissement public de santé Barthélémy Durand, n° 463219 et n° 464192, n° 465652 et n° 465975 ; 16 mars 2023, CHU Sud Francilien de Corbeil-Essonnes, n° 463231 et n° 463987 ; 16 mars 2023, CHU du Forez, n° 467045 et n° 467861 ; 16 mars 2023, Centre hospitalier Le Vinatier, n° 467062 et n° 467689.

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

13 - Société éditrice de programmes radiophoniques – Autorisation d’exploitation sous plafond d’une certaine puissance apparente rayonnée – Dépassement de cette puissance – Sanction infligée par l’ARCOM – Absence d’irrégularités – Rejet.

Le CSA (devenu ARCOM) a infligé à la société éditrice requérante une sanction pécuniaire de quinze mille euros pour avoir dépassé la puissance apparente rayonnée maximale autorisée à 1000 watts qui lui a été accordée.

La société demande l’annulation de cette décision ; sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure de sanction serait entachée d’irrégularité du fait qu'il n'a pas été donné suite à sa demande faite en réponse à la notification des griefs par le rapporteur, que lui soient communiqués le cahier des charges, la description des procédures et l'évaluation des marges d'erreur applicables aux mesures réalisées par l'Agence nationale des fréquences qui lui étaient opposées car les éléments relatifs à la méthodologie des contrôles ne constituent ni une pièce du dossier de sanction ni une pièce sur laquelle le rapporteur se serait fondé pour proposer la sanction. Au reste, la société requérante ne conteste d'ailleurs pas l'exactitude matérielle des mesures de la puissance apparente rayonnée qui ont été effectuées ; en outre, elle a contesté la méthode dans les observations qu'elle a adressées au rapporteur, en se fondant sur le procès-verbal de constat établi par le technicien du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui mentionne les principales spécificités techniques de l'équipement utilisé pour effectuer ces mesures et comporte des indications relatives au déroulement de la campagne de mesures.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, la décision de sanction est suffisamment motivée en ce qu’elle indique les motifs pour lesquels le CSA retient l'existence d'un manquement ainsi que la sanction qu'il inflige.

Enfin, les circonstances, d’une part, que le dépassement de la puissance maximale autorisée n'a pas altéré, notamment par des brouillages, les conditions de diffusion des opérateurs autorisés à émettre depuis les sites voisins, et d’autre part, que la sanction prononcée à l'encontre d'autres services de radiodiffusion pour des manquements de même nature aurait été moindre, sont, la première, sans incidence sur la matérialité du manquement et la seconde sans incidence sur le caractère proportionné de la sanction retenue.

(09 mars 2023, Société Quinto Avenir, n° 459859)

 

14 - Plainte ou réclamation adressée à la CNIL (ou ARCOM) – Pouvoirs de cette autorité – Refus de mettre en œuvre l’un de ses pouvoirs – Régime de droit et régime contentieux applicables – Rejet.

Il est possible à toute personne concernée de saisir la CNIL, devenue ARCOM, d’une plainte en vue de son instruction par son président en cas de manquement aux dispositions de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés.

En cas de refus du président de la CNIL d'engager une procédure sur le fondement de l'article 20 de la loi du 6 janvier 1978 et, notamment, de saisir la formation restreinte sur le fondement du III de cet article, y compris lorsque la commission a procédé à des mesures d'instruction, constaté l'existence d'un manquement aux dispositions de cette loi et pris l'une des mesures prévues aux I et II de ce même article, l'auteur de la plainte peut le déférer au juge de l'excès de pouvoir.

En ce cas, il appartient au juge de censurer cette décision de refus soit pour un motif d'illégalité externe soit, au titre du bien-fondé de la décision, en cas d'erreur de fait ou de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir. C’est donc un contrôle contentieux « restreint ».

En revanche, lorsque le président de la CNIL a saisi la formation restreinte sur le fondement du III de cet article 20, l'auteur de la plainte n'a pas d’intérêt à contester la décision prise à l'issue de cette procédure, quel qu'en soit le dispositif.

Il en va cependant différemment lorsque l'auteur de la plainte se fonde sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à la personne concernée à l'égard des données à caractère personnel la concernant, notamment les droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition mentionnés aux articles 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978. En effet, en ce cas, l’intéressé, s'il ne peut contester devant le juge l'absence ou l'insuffisance de sanction une fois que la formation restreinte a été saisie, est néanmoins toujours recevable à demander l'annulation du refus du président de la CNIL de mettre en demeure le responsable de traitement de satisfaire à la demande dont il a été saisi par cette personne ou du refus de la formation restreinte de lui enjoindre d'y procéder.

Le pouvoir d'appréciation de la CNIL s'exerce alors, eu égard à la nature du droit individuel en cause, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

(27 mars 2023, Mme E., n° 467774)

 

Biens et Culture

 

15 - Passerelle surplombant les voies ferrées aux abords d’une gare – Arrêté municipal mettant à la charge de SNCF Réseau la mise en sécurité de la passerelle – Bien faisant partie du domaine public ferroviaire – Dénaturation des pièces – Annulation.

Le maire d’une commune met la SNCF en demeure de prendre des mesures conservatoires de mise en sécurité de la passerelle piétonne surplombant les voies ferrées aux abords de la gare. Sur recours de la SNCF, le juge des référés a suspendu l’arrêté municipal au motif qu’existe en l’espèce un doute sérieux car la passerelle en cause ne pouvait appartenir à cette société dès lors qu'elle assurait la jonction entre une voie communale et une voie départementale.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de ce que les biens immobiliers appartenant à une personne publique et affectés au service public du transport ferroviaire ont le caractère de dépendances du domaine public dont la SNCF assume toutes les obligations du propriétaire (cf. art. L. 2111-1 et L. 2111-20 du code des transports), ce qui conduit à la considérer comme la propriétaire de ces biens pour l'exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.

L’argument tiré par le premier juge de la mise en communication entre deux voies publiques non étatiques assurée par la passerelle est rejeté car le procès-verbal du 2 octobre 1933 de récolement et de remise des travaux conduits par la Compagnie du Chemin de fer du Nord établissait que cet ouvrage avait été édifié, dans l'intérêt du service public du chemin de fer, par cette entreprise en sa qualité de concessionnaire de ce service public et appartenait ainsi au domaine public ferroviaire, dont il n’est plus sorti depuis lors.

Que se passerait-il dans le cas où n’existerait pas un tel document aussi explicite ? Le juge ne donne pas la réponse directement mais la suggère car ce motif n’est précédé d’aucune des mentions telles « Au surplus », « En outre », « Au reste », etc., signe que l’argument lui a paru décisif. Est-ce à dire que si un quelconque document avait fait état de ce que la passerelle n’a été installée qu’à fin de circulation entre ces deux voies la solution eût été différente ? Ce n’est pas certain, un intérêt public n’étant pas forcément exclusif d’un autre intérêt public et, de plus, le survol des voies ferrées n’est pas une compétence matérielle locale.

(1er mars 2023, commune de Tergnier, n° 466574)

 

16 - Exercice du droit de préemption – Déclaration d’intention d’aliéner affectée d’irrégularité – Vente parfaite avant exercice de ce droit – Doute sérieux et urgence – Suspension ordonnée.

Le Conseil d’État, infirmant l’ordonnance du premier juge rejetant la demande de référé suspension, ordonne la suspension de la délibération d’un conseil général exerçant son droit de préemption sur une parcelle dont un jugement judiciaire a proclamé que sa vente – entre le demandeur et le conseil général – était parfaite, ledit conseil ayant expressément renoncé à exercer son droit de préemption et alors que la seconde déclaration d’intention d’aliéner portant sur la même parcelle a été faite par une personne n’ayant pas qualité à cet effet.

Rappel de ce que l’art. 480 du code de procédure civile décide que bénéficie dès son prononcé de l’autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident (…) ». 

(1er mars 2023, M. B., n° 462877)

 

17 - Autorisation d’occupation privative du domaine public – Compatibilité avec l’affectation et la conservation du domaine – Autorisation de durée limitée – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de la décision autorisant une association à occuper l'esplanade des Feuillants du jardin des Tuileries du 16 novembre 2018 au 11 janvier 2019 et à ouvrir ses installations au public de 11h à 23h45 les dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, du 24 novembre 2018 au 6 janvier 2019.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête.

Le pourvoi est rejeté.

En premier lieu, ne peut être retenu le moyen tiré de l’absence d'une procédure de sélection préalable régulière, en méconnaissance des dispositions des art. L. 2122-1-1 et L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques dès lors qu’une telle irrégularité n'est pas en rapport avec les intérêts lésés dont l’association requérante se prévaut.

Ensuite, il est constant que l’autorisation accordée, limitée à une durée de deux mois, ne porte que sur une petite partie du jardin des Tuileries (4% environ), et qu’elle concerne des activités ludiques et de spectacles (fêtes foraines) compatibles avec l’affectation comme avec la conservation de cette dépendance domaniale.

Ainsi, le pourvoi ne peut qu’être rejeté.

(08 mars 2023, Association Les Amis des Tuileries, n° 462550)

 

18 - Contravention de grande voirie – Demande de constatation formulée par un tiers - Obligations imparties à l’autorité administrative – Régime contentieux – Avis de droit.

Saisi d’une demande d’avis de droit concernant la date à laquelle doit se placer le juge de l’excès de pouvoir pour apprécier la légalité du refus du préfet de poursuivre la répression d’une contravention de grande voirie alléguée par un tiers, le Conseil d’État saisit cette occasion pour un large tour d’horizon du régime de droit et du régime contentieux applicables.

En bref, il est répondu que dans l’hypothèse concernée par la question posée le juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions d’un tiers tendant à l'annulation du refus de l'autorité compétente de déférer au tribunal administratif des faits de contravention de grande voirie, doit se placer à la date de ce refus pour en apprécier la légalité.

Le juge apporte encore quelques intéressants rappels ou précisions qui justifient la publication de cette décision au Recueil Lebon.

D’abord, est important le rappel qu’en principe, la légalité d'un acte administratif doit être appréciée à la date de son édiction. Il ne peut en aller autrement, c’est-à-dire se placer à la date à laquelle le juge statue, que dans l’hypothèse où la mise en œuvre de cette exception permet de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait. 

Ensuite, et c’est un rappel également important, les autorités compétentes, en cas de manquement aux textes ayant pour objet la protection de l'intégrité ou de l'utilisation du domaine public, ont l’obligation de dresser un procès-verbal constatant les faits, de notifier au contrevenant la copie de ce procès-verbal puis d'adresser l'acte de notification au juge des contraventions de grande voirie auquel il appartient de décider de la poursuite et de la répression de l'infraction, tant au titre de l'action publique que de l'action domaniale. Si la jurisprudence a admis que cette obligation trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont ces autorités ont la charge, notamment dans les nécessités de l'ordre public, celles-ci ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative. Cette dernière précision est très utile face à certains comportements laxistes.

Également, cette obligation à la charge de l’autorité de protection du domaine public n'est pas susceptible de s'éteindre par l'effet de l'écoulement du temps. Et sur ce point, le juge enfonce le clou : « Si la disparition de l'atteinte à l'intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d'objet l'action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d'objet l'action publique ».

Le juge précise encore s’agissant des effets du temps sur le régime de la contravention de grande voirie, que si une atteinte à l'intégrité du domaine public ou une situation d'occupation irrégulière apparaît postérieurement au refus de l'autorité compétente de mettre en œuvre les pouvoirs dont elle est investie, cette autorité est tenue de tirer les conséquences d'un tel changement de circonstances en dressant constat de l'atteinte au domaine et en saisissant le juge des contraventions de grande voirie. Il résulte de là, par application du principe de l’effet utile des décisions du juge - ici de l’annulation du refus de l'autorité compétente de procéder, à la demande d'un tiers, à la constatation d'une contravention de grande voirie et à la transmission du procès-verbal au tribunal administratif -, impose que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une demande d'annulation de ce refus, en apprécie la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait à la date de sa propre décision. 

(31 mars 2023, Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, n° 470216)

 

19 - Contrat comportant autorisation d’occupation du domaine public – Absence de clause relative à son renouvellement – Proposition d’avenant tendant à la poursuite de l’occupation – Rejet – Décision entièrement exécutée – Demande de suspension de cette décision devenue sans objet – Rejet.

La requérante, titulaire d'une convention d'occupation temporaire du site des haras de Rodez, lequel constitue une dépendance du domaine public, a demandé au département de l’Aveyron que soit conclu un avenant en vue de l'autoriser à poursuivre son occupation, dans les mêmes conditions, au-delà du terme de la convention en cours qui courait jusqu’au 31 mai 2022. Cette convention ne comportait aucune stipulation relative à son renouvellement.

Le président du conseil départemental de l'Aveyron a informé l’occupante qu'il n'y avait pas lieu de maintenir au-delà de cette date l'autorisation d'occupation des lieux dans les conditions convenues par cette convention et lui a enjoint de quitter les lieux et de procéder à leur remise en état primitif avant le 30 juin 2022.

La requérante a saisi le tribunal administratif d’un référé suspension qui a été rejeté le 14 juin 2022 car cette demande est devenue sans objet du fait que le refus opposé par le département de l’Aveyron s’est trouvé entièrement exécuté à la date d’échéance de la convention soit le 31 mai 2022.

Le Conseil d’État confirme sur ce point l’ordonnance de référé : à la date d’expiration de la convention, la demande tendant à ce que soit suspendue par le juge l'exécution de la décision refusant de la prolonger se trouve alors privée d'objet. 

(31 mars 2023, Société Station A, n° 465385)

 

20 - Domaine privé – Renonciation à acquérir un fonds de commerce – Décision ne constituant pas un acte de gestion du domaine privé – Compétence de la juridiction administrative.

On signale au lecteur cette intéressante décision du Tribunal des Conflits relative à l’étendue des compétences juridictionnelles respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de domaine privé des personnes publiques.

Après avoir décidé, par une délibération municipale du 10 octobre 2016, d’approuver le principe et le prix d'acquisition d’un fonds de commerce de boucherie et d’autoriser le maire à signer tous les actes nécessaires à cette opération, la commune de Cannes a informé la demanderesse, le 9 avril 2018, de son intention de ne pas acquérir le fonds de commerce dans les conditions prévues par la délibération du 10 octobre 2016.

La Sarl propriétaire du fonds a recherché la responsabilité de la ville en vue d’être indemnisée du préjudice résultant pour cette société de la volte-face de la ville. Le juge administratif, d’abord saisi, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de la compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige.

Pour rejeter la compétence judiciaire et renvoyer l’affaire au juge administratif, le Tribunal décide que « L'acte d'une personne publique, qu'il s'agisse d'une délibération ou d'une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif. Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchée la responsabilité de cette personne publique à raison d'un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait. »

Cette très claire décision a le grand mérite d’opérer une circonscription stricte de la compétence du juge judiciaire organisée exclusivement autour de la gestion du domaine privé.

(T. C. 13 mars 2023, Sarl Boucherie cannoise, n° C4620)

 

Collectivités territoriales

 

21 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans abrogation préalable expresse de la délégation consentie – Annulation sur ce point.

Un conseil municipal qui a délégué au maire de la commune, pour la durée de son mandat, l’exercice du droit de préemption de la commune ne peut se ressaisir de cette compétence pour l’exercer lui-même que sous la condition d’une délibération préalable expresse abrogeant la délibération antérieure portant délégation.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

 

22 - Correspondant défense de la commune – Silence des textes sur les modalités de sa désignation – Compétence du maire – Rejet.

Une instruction ministérielle du 8 janvier 2009 invite les communes à désigner un correspondant défense, interlocuteur privilégié des autorités civiles et militaires pour ce qui concerne les questions de défense.

Les textes étant muets sur les modalités de désignation de ce correspondant défense, le Conseil d’État juge, judicieusement, qu’elle revient au maire, seul chargé de l'administration communale (cf. art. L. 2122-18 du CGCT) ; il lui est loisible de recueillir à cet effet l'avis du conseil municipal. Il en résulte que la délibération par laquelle le conseil municipal se prononce, le cas échéant, sur la désignation du correspondant défense d'une commune celle-ci se bornant à donner un avis, elle ne saurait faire grief. En outre, la contestation de cette désignation ne constitue pas une protestation électorale.

(30 mars 2023, Mme G., n° 468012)

(23) V., réitérant en substance mutatis mutandis la solution précédente à propos de la désignation d’une conseillère municipale comme déléguée de sa commune au sein du syndicat départemental d'énergie, d’un syndicat intercommunal des transports publics et d’un syndicat environnement et comme correspondante défense de la commune. La protestation contre ces désignations doit être formée dans les conditions, formes et délais prescrits par le code électoral pour les réclamations contre les élections du conseil municipal. Il s'ensuit qu'une commune n'a pas la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de représentants d'une commune au conseil d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un syndicat mixte ; elle a, en revanche, la qualité de partie au litige pour ce qui concerne la contestation de la délibération relative à la désignation du correspondant défense de la commune. L’arrêt apporte aussi cette précision que l'élection des membres du conseil municipal au conseil d'un syndicat de communes ou d'un syndicat mixte se fait, à moins que le conseil municipal ne décide du contraire à l'unanimité, au scrutin secret : 31 mars 2023, Mme G., n° 468012.

 

Contrats

 

24 - Contrats de la commande publique – Offre anormalement basse – Notion et régime – Rejet.

La communauté demanderesse a lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande, d'une durée de cinq ans, comportant trois lots, pour la réalisation de travaux d'extension, de réhabilitation et de réparation des réseaux d'assainissement ainsi que des travaux de branchements et de réparations ponctuelles sur ce même réseau. Ayant estimé anormalement basse l’offre de la société Chassaing TP, elle l’a écartée de la suite de la procédure de passation du contrat. Saisi par cette dernière société, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a enjoint à la communauté d’agglomération, d'une part d'interrompre sans délai l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché en litige et, d'autre part, si elle entendait poursuivre la réalisation du programme de travaux publics en litige, de reprendre la procédure de passation dans son ensemble au stade de la définition des lots susceptibles d'y figurer.

La communauté d’agglomération s’est pourvue en cassation de cette ordonnance.

Au visa des art. L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique, l’ordonnance est annulée.

Le juge rappelle tout d’abord la marche à suivre en cas d’offre apparaissant anormalement basse, notion qui est généralement d’un maniement délicat : « (…)  il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. »

Ensuite, appliquant cette ligne générale d’appréciation au cas de l’espèce, le juge de cassation estime entachée d’erreur de droit et de dénaturation l’ordonnance attaquée alors qu’il résultait des pièces du dossier que la communauté d'agglomération avait demandé à la société Chassaing TP de justifier les prix proposés, lesquels étaient en deçà de l'estimation et de la moyenne des autres offres avec des écarts importants et d’apporter tous éléments justificatifs au sujet d’une liste non exhaustive de prestations dont les coûts et les prix apparaissaient incohérents. C’est au vu de la réponse de la société que le président de la communauté d'agglomération a rejeté son offre comme anormalement basse.

Celui-ci a, en effet, constaté d’abord l’absence d'explication générale sur les tarifs appliqués, lesquels apparaissaient particulièrement bas en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultants des offres concurrentes, ensuite que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations n'apparaissaient pas en adéquation avec le descriptif du chantier-exemple produit dans le mémoire technique de l'entreprise, également, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations comportaient toujours des imprécisions et carences et, enfin, que les réponses apportées par la société Chassaing TP comportaient des incohérences dans les justifications apportées, ces deux dernières considérations étant assorties d'exemples précis. 

(ord. réf. 14 mars 2023, Communauté d'agglomération du Grand Cahors, n° 465456)

 

25 - Contrat de concession de lots de plage – Sous-concession du service public balnéaire – Définition des besoins à satisfaire – Vice de nature à permettre ou non la poursuite cde l’exécution du contrat – Annulation avec renvoi.

Retour sur la plage de Pampelonne et sur le feuilleton de la chaotique attribution de lots de sous-concession de plage en ce haut-lieu du contentieux administratif.

Le Conseil d’État annule par un double motif l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a prononcé la résiliation, à compter du 1er avril 2023, de la sous-concession d’un lot sur la plage de Pampelonne dans le cadre de l’exécution du service public balnéaire.

En premier lieu, il est jugé que la cour, pour prononcer la résiliation du contrat litigieux, ne pouvait pas, sans erreur de droit se borner à considérer que la commune avait entaché la procédure de passation de celui-ci d'un vice tenant à l'insuffisante définition de ses besoins, faute pour elle d'avoir précisé le « niveau de standing » des établissements qui était attendu pour chaque lot, alors que l'autorité concédante avait informé les candidats sur les principales caractéristiques du service public concédé, et qu'elle n'était pas tenue de définir cet élément de la stratégie commerciale des établissements exploités sur chacun des lots.

En second lieu, alors qu’elle était saisie du recours d’un tiers contre l’attribution d’un lot, la cour devait respecter les exigences contentieuses attachées par la jurisprudence à la recevabilité et aux effets d’un tel recours. C’est pourquoi elle a entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que la procédure de passation du contrat en cause était entachée d'un vice qui découlait de divers manquements de la commune de Ramatuelle à ses obligations de mise en concurrence et qu’ainsi ces irrégularités devaient conduire à la résiliation du contrat de sous-concession, alors qu'il lui appartenait de rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice dont elle estimait qu'était entachée la procédure de passation du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, la poursuite de l'exécution du contrat. 

(10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464816)

(26) V., identique mais pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464817 ; Société foncière PLM, n° 465657.

(27) V., pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464818 et Société Le Byblos, n° 465687.

(28) V., toujours identiques : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464819 et Société La Serena, n° 465469 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464820 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464821 et Société l’O, n° 465665 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464822 et Société Loisirs Soleil, n° 465236 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464823 et Société Rama, n° 465694 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464824 et Société Tropicana, n° 465080 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464825 et Société L’Esquinade, n° 465676 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464830.

 

29 - Modification unilatérale du contrat – Existence d’une irrégularité divisible du reste du contrat – Purge possible par modification unilatérale – Faculté ouverte à la personne publique en dehors de tout recours au juge – Annulation.

Le Conseil d’État précise dans cette décision – ce qui n’allait pas de soi – que la personne publique contractante peut user de son pouvoir de modification unilatérale du contrat en vue de le purger d’une disposition illicite si celle-ci est divisible du reste du contrat.

Dans le cas où cette illicéité ne serait pas divisible du reste du contrat et serait d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique contractante peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans avoir besoin de saisir le juge à cette fin.

En l’espèce, saisi par le préfet, sur le fondement de l’art. L. 554-1 du CJA, d’une demande référé de suspension de délibérations entérinant une modification unilatérale de trois conventions concédant la distribution d'électricité à la société Enedis dans le périmètre de la requérante, le juge des référés avait fait droit à cette demande de suspension par le motif  que la modification unilatérale d'un contrat concédant un service public ne saurait être mise en œuvre au seul motif de purger le contrat de stipulations illicites.

La décision rapportée annule cette ordonnance.

(08 mars 2023, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (SIPPEREC), n° 464619)

 

30 - Candidat évincé de l’attribution d’une concession de services – Concession de mobilier urbain – Demande de communication de pièces ou de mentions qui y sont portées – Rejet et admission partiels.

La requérante  a demandé au tribunal administratif de Paris – et a obtenu - l'annulation de la décision par laquelle la Ville de Paris a refusé : 1° de lui communiquer le rapport d'analyse des offres présentées pour l'attribution d'une concession de services relative à la conception, la fabrication, la pose, l'entretien, la maintenance et l'exploitation de mobiliers urbains publicitaires, 2° a occulté des mentions portant atteinte au secret des affaires, 3° les courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel France au cours de la phase de négociation des offres et 4° les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019.

La ville demande l’annulation de ce jugement et, dans l’attente, que soit prononcé le sursis à son exécution.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal a relevé que la SOMUPI avait pu légitimement estimer, au vu des déclarations de cet adjoint, qu'il existait d'autres documents relatifs à la garantie bancaire de la société attributaire que la seule note des services municipaux déjà produite par la collectivité, qui ne faisait ressortir aucun élément propre à éclairer la réalité du montant de cette garantie bancaire. 

Ensuite, s’agissant des échanges entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation, il est jugé que c’est au prix d'une erreur de qualification juridique que le tribunal a considéré que les pièces et courriers échangés entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation devaient être regardés comme, en principe, communicables à la SOMUPI, alors même qu'il mentionne la réserve du respect du secret des affaires car il lui revenait d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.

Enfin, concernant la communication d'une version moins occultée du rapport d'analyse des offres, le juge note que parmi les mentions occultées par la Ville de Paris dans le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI, figurent des éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l'égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations ; toutefois, dès lors que, comme l'a relevé le tribunal administratif, ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ils ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l'entreprise et sont, par suite, communicables,  ainsi des éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu'à leur nombre et au calendrier de leur déploiement. C’est à bon droit que le tribunal a jugé que le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI avait fait l'objet d'occultations excessives.

(15 mars 2023, Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI), n° 465171)

 

31 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

A la suite de l’erreur de manipulation commise par l’agent d’une société informatique intervenant sur l’infrastructure de la demanderesse, cette dernière a été contrainte de mobiliser plusieurs de ses agents pour réaliser des opérations de ressaisie des données perdues à la suite de cette erreur et elle a produit une estimation chiffrée du montant de ce préjudice sur la base d'une liste des agents concernés, de la fraction de leur temps de travail consacré à ces opérations et du montant de leur rémunération. Le tribunal administratif n’a admis que partiellement sa demande indemnitaire et la cour administrative d’appel a dénié toute réparation.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en relevant que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les éléments ci-dessus fournis par la collectivité ne permettaient pas d'établir la réalité du préjudice subi par la communauté d'agglomération en termes de charges de personnel, aux seuls motifs que celle-ci ne justifiait pas avoir dû recruter du personnel supplémentaire, ni avoir versé des compléments de rémunération pour accomplir le travail de ressaisie, ni avoir renoncé à l'exercice de missions de service public.

Nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces du dossier.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

 

32 - Marché public de travaux – Appel d’offres restreint en vue de la sélection de trois candidats autorisés à soumissionner – Sélection ensuite, après négociation, de l’offre économiquement la plus avantageuse - Candidature écartée au profit d’une autre – Candidature retenue ne justifiant pas de l’une des compétences exigées – Irrégularité – Annulation et reprise de la procédure à partir de l’examen des candidatures.

Dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché de travaux portant sur la construction de huit classes et d’un réfectoire pour une école élémentaire, la candidature de la demanderesse a été écartée au profit d’un autre groupement.

Or il résulte du rapport d'analyse des candidatures, que ce groupement ne justifiait pas de la compétence « restauration collective » pourtant exigée par les documents de la consultation. Sa candidature ne pouvait être régulièrement retenue et ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société Pro services, demanderesse, dont la candidature a été écartée au profit de celle du groupement.

Ce vice entraîne l’annulation de la procédure de passation du marché public en litige à compter de l'analyse des candidatures, ainsi que, par voie de conséquence, l’annulation de la décision portant rejet de la candidature de la société Pro services.

Si la commune entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, elle devra la reprendre à ce stade.

(31 mars 2023, Société Pro services, n° 468242

 

Droit du contentieux administratif

 

33 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Champ d’application – Absence d’erreur matérielle – Rejet.

Dans un litige en attribution de la charge des frais au titre de l’art. L. 761-1 du CJA, la chambre requérante a formé un recours en rectification d’erreur matérielle de l’ordonnance portant répartition des sommes allouées sur le fondement de cette disposition.

Le recours est rejeté après que le juge a rappelé qu’aux termes de l’art. R. 833-1 du CJA, le recours en rectification d'erreur matérielle n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel de la juridiction qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision.

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où le rejet prononcé.

(10 mars 2023, Chambre de commerce et d’industrie de Grenoble, n° 465409)

 

34 - Office du juge de cassation - Moyen de cassation retenu – Moyen le plus approprié selon le juge, non tenu par la hiérarchie des moyens établie par l’auteur du pourvoi – Annulation avec renvoi.

Dans un litige en contestation de la décision mettant fin au détachement de la requérante auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, à Bruxelles, et aux conséquences financières en résultant, le Conseil d’État décrit ce qu’est l’office du juge de cassation lorsqu’il prononce l’annulation d’une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort.

Il lui appartient de fonder l'annulation sur le moyen relatif à la régularité ou au bien-fondé de la décision juridictionnelle contestée, soulevé devant lui ou d'ordre public, « qui lui paraît, eu égard à son office de juge de cassation, le plus approprié pour statuer sur le pourvoi. Il n'est pas tenu, pour faire droit aux conclusions d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui ou ceux qu'il retient explicitement comme étant fondés, ni de se conformer à la hiérarchie de ses prétentions éventuellement faite par l'auteur du pourvoi en fonction de la cause juridique sur laquelle elles reposent. » 

Cette décision réitère mutatis mutandis la solution retenue par l’arrêt de Section, Société Eden dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir appuyé sur une pluralité de moyens d’annulation (21 décembre 2018, n° 409678, Rec. Lebon p. 468).

En l’espèce, est retenu le moyen que l’arrêt a été rendu sans que ses visas ne portent mention d’une note en délibéré reçue antérieurement.

(15 mars 2023, Mme J., n° 452953)

 

35 - Référé liberté – Demande d’annulation d’un décret et de suspension de tout jugement en découlant – Irrecevabilité - Rejet.

Rappel qu’il n’entre pas dans l’office du juge des référés, juge du provisoire, de prononcer l’annulation d’une décision administrative, une telle demande est donc manifestement irrecevable. Est pareillement manifestement irrecevable la demande, sans autre précision, de suspension de « tout jugement qui découle (du) décret (du 4 mai 2022 portant incorporation au CGI de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code) et celui à venir du 2 mars 2023 ».

(ord. réf. 07 mars 2023, Mme B., n° 471765)

 

36 - Exécution d’une décision de justice – Rapport négatif de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Ouverture d’une procédure juridictionnelle d’astreinte d’office – Condamnation à astreinte.

Par une décision du 25 novembre 2020 (Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451), le Conseil d'État a annulé le décret du 26 décembre 2018 relatif aux départements d'information médicale en tant qu'il ne prévoit pas, lors de l'accès des commissaires aux comptes aux données personnelles de santé recueillies au cours de l'analyse de l'activité, de mesures de protection techniques et organisationnelles propres à garantir l'absence de traitement de données identifiantes et, en cas d’accès des prestataires extérieurs à ces données, de mesures techniques et organisationnelles propres à assurer que seules sont traitées, avec des garanties suffisantes, les données identifiantes nécessaires au regard des finalités du traitement et de dispositions destinées à garantir qu'ils accomplissent effectivement leurs activités sous l'autorité du praticien responsable de l'information médicale. Le Conseil d’État a encore précisé dans cette même décision que cette annulation impliquait nécessairement l'édiction d'une réglementation complémentaire.

Il résulte des diligences effectuées par la section du rapport et des études du Conseil d’État que cette dernière partie de la décision n’a pas été exécutée et c’est pourquoi le président de la section du contentieux a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle d'astreinte d'office.

Est donc prononcée contre l’État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de trois cents euros par jour jusqu'à la date à laquelle la décision du 25 novembre 2020 aura reçu exécution.

(09 mars 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 468007)

(37) V. aussi, pour un autre exemple de prononcé d’une astreinte d’office dans un litige où le haut-commissaire de la République en Polynésie française a refusé d'édicter les mesures qu'implique nécessairement l'application des art. L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles en Polynésie française : 17 mars 2023, M. B., n° 463548.

 

38 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

Devant la hausse considérable des tarifs de l’électricité ont été mis en place deux dispositifs d’atténuation des effets économiques de cette hausse : le « bouclier tarifaire », qui concerne les consommateurs non domestiques employant moins de dix personnes, dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères et « l’amortisseur électrique », pour les consommateurs finals dont le nombre d'employés, le chiffre d'affaires ou la consommation électrique sont supérieurs aux seuils fixés pour bénéficier du « bouclier tarifaire » et qui remplissent les conditions prévues à l'art. 3 du décret du 31 décembre 2022 dans la version que lui a donné le décret du  03 février 2023 pris pour l’exécution des VIII et IX de l'art. 181 de la loi de finances pour 2023. Les deux mécanismes, on l’aura compris, sont exclusifs l’un de l’autre.

Les entreprises de boulangerie requérantes demandaient au juge saisi au moyen d’un référé liberté « d'enjoindre au gouvernement d'étendre à toute personne concernée par l'amortisseur électrique, dont ils font partie, le bouclier tarifaire électrique instauré par le décret n° 2022-1774 du 31 décembre 2022 ».

La requête est rejetée faute d’urgence extrême.

Il faut à nouveau insister sur ce que l’urgence de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas celle des autres référés, notamment du référé suspension. Cela se comprend du fait du délai de 48 heures en principe imparti au juge pour statuer. Ceci implique, d’une part, la possibilité pour l’administration de prendre dans ce bref délai des mesures propres à obvier efficacement à la situation présente et, d’autre part, que ces mesures soient elles-mêmes efficaces dans ce même délai.

Ici, le juge des référés décide que « ni les mesures sollicitées, qui sont des mesures réglementaires ne présentant pas le caractère de mesures de sauvegarde provisoires à très bref délai, ni la situation des entreprises requérantes, qui n'établissent pas que faute de remplir les conditions posées par l'art. 1er du décret du 31 décembre 2022 pour bénéficier du « bouclier tarifaire », elles se trouveraient exposées à bref délai à une cessation de paiement, ne permettent de regarder comme remplie la condition d'extrême urgence justifiant l'intervention rapide du juge des référés saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »  

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

 

39 - Référé suspension – Prise postérieure d’une décision remédiant au vice retenu pour ordonner la suspension – Pourvoi contre la décision de suspension devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

La commune de Toulon se pourvoit en cassation d’une ordonnance ordonnant la suspension de l’arrêté municipal prononçant la fermeture au public d’un établissement au double motif de l’existence d’une urgence à statuer et du défaut de caractère contradictoire de la procédure suivie par la commune.

Entretemps, cette dernière a recueilli les observations de l’intéressé et prononcé à nouveau la fermeture de la salle. Du fait de cette nouvelle décision, le pourvoi contre l'ordonnance suspendant la première décision doit être regardé comme privé d'objet. Il n’y a donc pas lieu pour le Conseil d’État d’y statuer.

(10 mars 2023, Commune de Toulon, n° 466752)

 

40 - Marché public – Mise en cause de la responsabilité des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre – Conclusions subsidiaires d’appel – Invocation d’un manquement à l’obligation de conseil – Absence de présentation d’un moyen à cet effet avant l’expiration du délai d’appel – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel, saisie de conclusions subsidiaires d’appel tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre pour manquement à leur obligation de conseil, les rejette, au visa des dispositions combinées des art. R. 411-1, R. 811-2 et R. 811-13 du CJA, comme manifestement irrecevables dès lors que le demandeur n'a présenté devant le juge d'appel, dans le délai d'appel, aucun moyen spécifique au soutien de ses conclusions contestant le jugement du tribunal administratif sur ce point.

(17 mars 2023, Groupement de coopération sanitaire de moyens de Mangot-Vulcin, n° 462460)

 

41 - Délai d’appel – Délai franc expirant un dimanche – Report au premier jour ouvrable suivant – Erreur de droit – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance qui juge manifestement irrecevable pour cause de tardiveté l’appel formé le lundi 27 décembre 2021 contre un jugement notifié le 25 octobre 2021 alors que le délai d’appel, délai franc, expirait le dimanche 26 décembre 2021 à minuit. L’appel était donc encore recevable le lundi 27 décembre.

(17 mars 2023, Mme D., n° 462765)

 

42 - Police de l’audience – Infraction d’audience – Pouvoirs du président de la formation de jugement – Conséquences différentes selon que le fauteur de trouble est ou non partie à l’affaire examinée lors de l’incident – Conciliation de la dignité des débats et de l’impartialité du juge.

L’affaire n’est – heureusement – pas banale.

Au cours d’une audience se tenant dans le cadre d’un litige en licenciement d’un salarié protégé ainsi qu’après que l’affaire a été mise en délibéré, l’intéressé a perturbé les débats et eu une attitude qui n'était ni digne ni respectueuse de la justice, de ses magistrats et de ses greffiers. Le président de la formation de jugement a alors usé des pouvoirs qui lui sont conférés par l’art. R. 731-1 du CJA au titre de la police des audiences.

Le Conseil d’État rappelle que le président de la formation de jugement doit, en ce cas, ordonner au perturbateur qu'il mette fin immédiatement à ses agissements, sous peine d'être expulsé de la salle d'audience. Si les agissements en cause peuvent recevoir une qualification pénale, tel l’outrage à magistrat, le président en informe le chef de juridiction pour signalement au procureur de la république tout comme il est loisible à tout magistrat directement visé de porter plainte ou d’actionner l’action publique ou l’action civile. Pour autant, la circonstance que le président d'une formation de jugement fasse, en présence de tels agissements, usage de ses pouvoirs de police n'est pas, en elle-même, de nature à affecter la régularité de la décision juridictionnelle rendue à l'issue de cette audience. 

En revanche, lorsque le perturbateur est partie au litige soumis à la juridiction au cours de l’audience perturbée et afin de ne pas créer dans le chef de cette partie un doute sur son impartialité à juger son affaire, il appartient au président de la formation de jugement de rayer l'affaire du rôle de l'audience, de façon à ce qu'elle puisse être examinée à une autre audience, devant une formation de jugement à laquelle il ne participe pas ainsi, éventuellement, que les magistrats directement visés. A fortiori en va-t-il ainsi lorsque, comme au cas de l’espèce, le président de la même formation de jugement a immédiatement après la fin de l'audience porté plainte contre le perturbateur à raison de son comportement à l'audience et que l'arrêt qu'il attaque a été rendu postérieurement à ce dépôt de plainte, après qu'il a été délibéré sur le litige par une formation de jugement présidée par le même magistrat administratif.

(21 mars 2023, M. C., n° 456347)

 

43 - Recours formé par une personne morale – Demande de communication de ses statuts et, le cas échéant, de communication d’une délibération – Qualité de représentant de la personne morale non contestée par l’autre partie – Irrecevabilité – Annulation et renvoi au tribunal administratif – Annulation et rejet.

Rappel de ce que, saisi de la requête d'une personne morale, le juge peut s'assurer, chaque fois qu'il l'estime nécessaire, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette qualité ne serait pas contestée sérieusement par l'autre partie.

Commet par suite une erreur de droit et encourt cassation l’arrêt d’appel fondé sur ce que le premier examen du dossier de première instance ne faisait pas apparaître que le représentant de la fédération requérante n'aurait pas eu qualité pour agir au nom de cette dernière.

Cette solution doit être approuvée car la vérification de la qualité pour agir, élément fondamental de tout procès, appartient au seul juge et ne saurait être abandonnée aux parties.

(24 mars 2023, Société des forces hydrauliques du Nées, n° 448722)

 

44 - Dénaturation des pièces – Appelant affublé de la nationalité monténégrine – Titulaire d’un passeport croate – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la cour administrative d’appel qui attribue à un appelant la nationalité monténégrine alors qu’il est titulaire d’un passeport croate et de la nationalité croate.

(24 mars 2023, M. A., n° 448841)

 

45 - Nouvelle-Calédonie - Condamnation de l’État (administration pénitentiaire) à astreinte – Inexécution partielle – Pouvoirs du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) – Attribution du produit de l’astreinte.

L’état, notamment sanitaire, du centre pénitentiaire de Nouméa est déplorable et la requérante, ainsi que d’autres organisations d’ailleurs, s’en est souvent plainte au juge administratif.

La présente affaire illustre une nouvelle fois cette situation et la difficulté d’en obtenir l’amélioration à défaut de cessation complète de l’état très dégradé.

Par une décision du 11 février 2022, le Conseil d'État a prononcé une astreinte à l'encontre de l'État s'il n'était pas justifié, dans le délai d'un mois suivant la notification de cette décision, de l'exécution, d'une part, des injonctions prononcées par l'ordonnance du 19 février 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Nouméa tendant à ce que soit facilité l'accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, que soit résorbée l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, que le suivi des personnes détenues par un médecin addictologue soit assuré, que des produits répulsifs soient distribués, à titre gratuit, aux personnes détenues dans les cellules infestées et que soient installées des moustiquaires dans les salles d'enseignement et les cellules infestées et, d'autre part, de l'injonction prononcée par la décision n° 439372, 439444 du 19 octobre 2020 du Conseil d'État tendant à ce qu'il soit procédé au remplacement des fenêtres cassées ou défectueuses.

Par la même décision, le taux de cette astreinte a été fixé à 1 000 euros par jour de retard.

Au plan de la procédure, le Conseil d’État rappelle que si  le juge de l'exécution saisi, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 911-7 du CJA, aux fins de liquidation d'une astreinte précédemment prononcée peut la modérer ou la supprimer, même en cas d'inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l'administration en vue de procéder à l'exécution de la chose jugée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution est demandée.

Usant de souplesse et de réalisme, le juge admet cependant que l'administration puisse justifier avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu'il lui a été enjoint de prendre, et qu’en ce cas le juge de l'exécution peut constater que l'ordonnance du juge des référés a été exécutée. 

Au fond, le Conseil d’État constate que si la plupart des prescriptions contenues dans les injonctions antérieures (accès facilité des détenus aux téléphones mis à leur disposition, résorption de l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, organisation du suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, remplacement des fenêtres cassées) ont été exécutées ou sont en cours d’exécution, l’une d’elles ne l’est toujours pas. Il s’agit de l’injonction relative à l’installation de moustiquaires dans les salles d'enseignement, à laquelle l'administration n'a pas procédé à ce jour. Même si le ministre de la justice fait valoir, d’une part, que les salles d'enseignement ont été équipées d'une climatisation mise en marche un quart d'heure avant le début des cours et fonctionnant durant toute la durée de la classe, d’autre part, l'efficacité d'une telle mesure pour limiter l'impact des moustiques durant les cours, il n'apporte pas d'éléments établissant que celle-ci a des effets au moins équivalents aux mesures que l'ordonnance du 19 février 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nouméa lui a enjoint de mettre en œuvre.

Ainsi, le ministre ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant en l'espèce pleinement exécuté cette ordonnance. 

Suite à sa modération, le produit de l’astreinte allouée à la demanderesse est fixé à dix mille euros.

On approuvera cette solution autant par sa haute valeur symbolique que par ses effets concrets même si l’on peut regretter que le juge ait fait preuve d’une patience infinie dans l’attente d’un comportement de l’administration pénitentiaire qui serait un tantinet plus respectueux de l’autorité de la chose jugée.

(27 mars 2023, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 452354)

 

46 - Procédure contentieuse – Régularité des jugements – Absence de mention des juges ayant rendu un jugement ou arrêt – Annulation.

Est annulé l’arrêt dont la minute ne comporte pas les noms des juges l’ayant rendu.

(29 mars 2023, M. B., n° 464527)

 

47 - Procédure contentieuse – Requête manifestement irrecevable – Champ d’application et régime contentieux – Annulation.

La présente décision se caractérise par deux rappels et une importante précision qui aurait pu en justifier la publication au Recueil Lebon.

Rappel en premier lieu de ce que la catégorie des « requêtes manifestement irrecevables » recouvre trois hypothèses :

1° les requêtes dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte,

2° les requêtes qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsque ce délai est expiré,

3° les requêtes ayant fait l’objet d’une invitation à régulariser, lorsque vient à expiration le délai imparti au requérant à cette fin.

Rappel en second lieu, que ces requêtes peuvent être rejetées par ordonnance (art. R. 222-1 CJA).

Par ailleurs, cette décision apporte cette précision/innovation que dans le cas où la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu'elle aurait fixé une date de clôture d'instruction, la requête ne peut pas être rejetée par ordonnance mais seulement par une décision prise après audience publique. 

Ainsi, commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance, prise sur le fondement du 4° de l’art. R. 222-1 CJA précité, rejetant comme manifestement irrecevable une demande tendant à l'annulation d’un permis d'aménager en retenant, postérieurement à la clôture de l'instruction, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de ce que le demandeur ne justifiait pas d'un intérêt pour agir.

En ce cas, le juge devait préalablement inviter le requérant à régulariser sa requête en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'art. L. 600-1-2 du code de l'urbanisme et l’informer, comme l'exige l'art. R. 612-1 du CJA, des conséquences qu'emporterait un défaut de régularisation dans le délai imparti.

(30 mars 2023, M. B., n° 453389)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Impôt sur les sociétés – Société mère d’un groupe fiscalement intégré - Distribution de dividendes et autres profits – Institution de la règle du précompte (art. 223 sexies CGI) – Contrariété en certains cas à une directive – Limites – Rejet.

Si cette affaire est importante son exposition n’en demeure pas moins d’une certaine complexité, tournant autour de la question du précompte.

Le code général des impôts (art. 158 bis) dispose que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises bénéficient à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ». Surtout, selon le premier alinéa du 1 de l'art. 223 sexies de ce code, dans sa version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : « (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ». Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : « Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ».

En l’espèce, la société L'Air liquide, société mère d'un groupe fiscalement intégré, a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution de l'intégralité du précompte dont elle s'est acquittée entre 2000 et 2004 à raison de la redistribution à ses actionnaires, notamment, de produits des participations qu'elle détient dans ses filiales établies dans des États membres de l'Union européenne autres que la France. Après rejet de sa réclamation, la société L'Air liquide a saisi le juge administratif qui a prononcé la restitution du précompte dont s'était acquittée la société au titre des distributions de dividendes intervenues en 2002 et 2003 à hauteur de respectivement 18 315 969 euros et de 11 994 059 euros et rejeté le surplus de sa demande. Par deux pourvois, ici joints, le ministre de l'économie, des finances...  et la société L'Air liquide se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel, statuant sur appel de la société L'Air liquide, a porté le montant de cette restitution à 42 443 780 euros et 19 725 565 euros au titre des distributions intervenues en 2002 et en 2003 et rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la société.

Se posait à ce stade une intéressante question d’applicabilité et de portée de l’art. 4 d’une directive de l’Union tel qu’interprété par la CJUE dans son arrêt du 12 mai 2022 (Schneider Electric et autres, aff. C-556/20). Selon la Cour, le paragraphe 1 de l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, doit être interprété comme s'opposant à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'art. 7 de cette même directive.

Le Conseil d’État donne une interprétation assez restrictive de cette solution jurisprudentielle.

Il juge, en effet, positivement, qu’une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes.

Il juge aussi, négativement cette fois, que lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de telles filiales, l'obligation dans laquelle elle se trouve, le cas échéant, d'acquitter à ce titre le précompte n’est pas incompatible avec la directive du 23 juillet 1990. Ce point eût mérité, assurément, un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En conséquence, le pourvoi est rejeté en ses deux chefs principaux de griefs.

Tout d’abord, il est jugé qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les dispositions relatives au précompte et la convention EDH, spécialement l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette convention et l’art. 14 de celle-ci. Or, pour exciper, comme le fait ici la société, d’une situation discriminatoire, il convient de démontrer qu’elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou qu'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

De ce chef, la société requérante fait soutenir que les dispositions de l'art. 223 sexies du CGI, telles qu'interprétées en conséquence de l'arrêt du 12 mai 2022 de la CJUE, en ce qu'elles ont pour effet de soumettre au précompte mobilier une société mère établie en France à raison de la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans un État tiers à l'Union européenne tandis que n'en est pas redevable une société mère qui redistribue des dividendes en provenance de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, instituent entre les sociétés mères un traitement discriminatoire au regard du droit au respect de leurs biens, selon le lieu d'établissement de leurs filiales. 

Selon le Conseil d’État, par l’institution du précompte, le législateur a entendu assurer la cohérence du dispositif d'élimination de la double imposition économique des dividendes qu'il créait, en faisant en sorte que l'avoir fiscal dont les sommes distribuées étaient assorties, constitue la contrepartie de la soumission à l'impôt, en amont, des bénéfices sur lesquels ces sommes étaient prélevées. Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE précitée, telle qu’interprétée par le Conseil d’État, que le champ de la directive est limité, en vertu de son article 1er, aux distributions en provenance ou à destination d'un autre État membre, lorsqu'elle procède à la redistribution, également assortie de l'avoir fiscal, de dividendes en provenance de filiales établies dans des États tiers à l'Union européenne et qu’une telle société mère demeure redevable du précompte. Il découle ainsi des dispositions contestées, telles qu'elles doivent être mises en œuvre pour se conformer aux exigences du droit de l'Union européenne, une différence de traitement entre sociétés mères, au regard de la soumission au précompte, selon que celles-ci redistribuent des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France ou des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État tiers à l'Union européenne. 

Ce raisonnement se discute : si la compétence des actes et jugements des organes de l’Union se limitent au territoire globalisé des États qui la composent, il n’en reste pas moins que doivent être respectées les conditions d’une concurrence et d’une égalité desdits États envers les États tiers d’une part, et au regard des charges mises sur les contribuables des différents États de l’Union du fait d’activités et de relations économiques qu’ils entretiennent en dehors de l’Union. Par ailleurs, reconnaissant implicitement le bien-fondé de cette objection (d’où cette affirmation que « le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles »), le Conseil d’État recherche si du fait du régime fiscal critiqué par le pourvoi en résulte une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Et celui-ci de conclure que la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable.

Ensuite, est rejeté le second grief tiré de ce que la déclaration de précompte ne serait pas opposable au contribuable dès lors qu’il n’a pas à la souscrire. Le juge estime que la circonstance que le droit de l'Union fasse obstacle au prélèvement d'un précompte à raison de la redistribution de produits de filiales établies dans un État membre de l'Union autre que la France ne remet pas, par elle-même, en cause la possibilité de recourir aux éléments portés dans cette déclaration pour déterminer le montant du précompte dont une société demeure redevable à raison de la distribution d'autres bénéfices ainsi que celui dont elle est fondée à obtenir la restitution.

Enfin, sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d’État donne raison à ce dernier s’agissant du grief d’erreur de droit articulé à l’encontre de l’arrêt d’appel frappé de pourvoi pour n’avoir pas précisé le montant effectivement versé aux bénéficiaires des distributions alors qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 46 quater-0 E de l'annexe III au CGI que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent.

(1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 443678 ; Société l’Air liquide, n° 443800)

(49) V. dans le même sens, annulant l’arrêt d’appel ayant jugé que la société demanderesse (SA Mersen) était fondée à obtenir la restitution de l'intégralité du précompte qu'elle avait acquitté en 2002 et 2003 : 27 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 438187.

(50) V. aussi, largement comparable en son principe à la décision n° 443678, rejetant une QPC à l’encontre de l’art. 223 sexies du CGI, ainsi que les arguments d’inopposabilité du précompte et d’incompatibilité du précompte avec la directive de 1990 lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de filiales établies dans un État à l’extérieur de l’Union : 1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 441657 ; Société Schneider Electric, n°442192.

(51) V. également, prononçant, après renvoi préjudiciel à la CJUE, l’annulation des commentaires administratifs attaqués (documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322  - Instruction 4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au BOI du 30 mars) au motif qu'ils réitèrent les dispositions de l'article 223 sexies du CGI relatives au précompte mobilier lesquelles sont incompatibles avec le droit de l’Union : 1er mars 2023, Société européenne Schneider Electric et sociétés anonymes (SA) Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, n° 442224 ; Société anonyme L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude, n° 442248.

(52) V. voisin dans l’esprit mais portant sur une autre imposition, l’application positive faite à la société demanderesse de la jurisprudence de la CJUE (2 septembre 2015, Groupe Steria SCA, aff. C-386/14) selon laquelle l'art. 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option, en vertu des dispositions de l'art. 223 A du CGI : 1er mars 2023, Société AXA, n° 464552.

(53) V., dans le sens des décisions précédentes mais annulant les imprécisions dans le calcul du précompte par une cour administrative d’appel : 27 mars 2023, S.A. Chargeurs, n° 442866. Et aussi, très comparables en substance : 27 mars 2023, SA Engie venue aux droits de la SA GDF Suez, n° 443285 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SA Péchiney, n° 443294 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SAS Alcan France, n° 443296 ; 27 mars 2023, SA Orange venue aux droits de la SA France Télécom, n° 443413 ; 27 mars 2023, SA Accor, n° 443425 ; 27 mars 2023, SA Axa, n° 443457 ; 27 mars 2023, SA Imerys, n° 443483.

 

54 - Impôt sur les sociétés – Conventions internationales d’évitement de doubles impositions – Interprétation – Cas d’une situation déficitaire – Impossibilité d’imputation d’un crédit d’impôt conventionnel au titre d’un exercice ultérieur – Rejet.

La société Natixis ainsi que les filiales appartenant au groupe fiscal intégré dont elle est la société mère ont perçu, au titre de chacune des années 2008 à 2011, divers revenus de source étrangère, en particulier des dividendes, auxquels étaient attachés des crédits d'impôt correspondant à l'impôt prélevé à la source dans les États dont provenaient ces revenus, en application des stipulations des conventions fiscales bilatérales conclues entre la France et ces États en vue d'éliminer les doubles impositions.

La société requérante n'ayant pu les imputer sur l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos au cours des mêmes années compte-tenu de sa situation déficitaire, elle a demandé à l'administration fiscale le remboursement des cotisations d'impôts sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 au titre duquel elle était redevenue bénéficiaire, à concurrence d'une somme correspondant au montant de ces crédits d'impôt.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.

Son pourvoi est rejeté aux termes d’une décision complexe et discutable.

Dans un premier temps, le juge commence par relever que les stipulations des articles relatifs à l'élimination des doubles impositions des quinze conventions fiscales bilatérales conclues par la France et invoquées par la requérante prévoient que, lorsqu'un résident de France perçoit des revenus en provenance de ces États revêtant la nature, notamment, d'intérêts, de redevances et de dividendes et que ces revenus y ont supporté l'impôt, ils sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français, leur bénéficiaire disposant d’un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt payé ou supporté dans l'État d'origine, qui ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. Il relève ensuite que ces conventions ne comportent, en revanche, aucune stipulation prévoyant qu'une société résidente de France puisse imputer sur l'impôt dû au titre d'un exercice ultérieur le crédit d'impôt conventionnel correspondant à l'impôt acquitté à l'étranger qu'elle ne peut, en raison de sa situation déficitaire, imputer au titre de l'exercice au cours duquel elle perçoit les revenus y ouvrant droit. On peut déjà s’interroger sur la pertinence intellectuelle d’une telle exclusion de la symétrie fiscale.

Dans un deuxième temps, le juge recourt à la notion, obscure, de « double imposition juridique » pour en tirer « que l'absence de possibilité de report d'un crédit d'impôt conventionnel non utilisé du fait d'une situation déficitaire ne saurait conduire à priver un contribuable résident de France du bénéfice de l'élimination d'une double imposition » et pour réfuter la thèse de la société requérante selon laquelle les stipulations des conventions fiscales bilatérales en cause devraient être lues, dans leur silence, comme prévoyant nécessairement le report des crédits d'impôt conventionnels non utilisés. Une telle déduction ne nous semble pouvoir être admise que si elle est commune à tous les signataires desdites conventions sans que puisse être invoquée une prétendue souveraineté fiscale comme on le voit ci-après.

Dans un troisième temps, le juge croit pouvoir s’abriter derrière la circonstance que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle, en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour. Il juge en conséquence que : « En particulier, le droit de l'Union, dans son état actuel, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de l'Union ». Ceci ne saurait faire échec aux exigences d’égalité concurrentielle et d’interdiction de dumping fiscal qui, par elles-mêmes, prohibent nécessairement des attitudes nationales portant directement atteinte à la libre circulations des capitaux (on nous fera grâce du caractère d’alibi de l’invocation de la différence de situation entre deux sortes de sociétés), à la libre détermination des actes juridiques et de leurs motifs, sans entraves nationales.

La solution est d’autant plus regrettable qu’elle s’accompagne d’un refus de renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg sur ce sujet.

(08 mars 2023, Société anonyme Natixis, n° 456349)

 

55 - Investissements productifs en outre-mer – Agrément fiscal en vue de l’admission au crédit d’impôt existant pour de tels investissements – Entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location – Contrôle de l’administration fiscale et portée – Erreur de droit – Annulation.

Une entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location à des bases nautiques dans les départements d'outre-mer ou directement à des particuliers s’est vu refuser l’agrément fiscal nécessaire à l’obtention du bénéfice du crédit d’impôt afférent à de tels investissements en vertu des art. 244 quater W et 217 undecies (premier alinéa du I) du CGI. Elle a saisi le juge administratif ; la cour administrative d’appel a annulé le refus d’agrément.

Sur pourvoi du ministre le Conseil d’État annule pour erreur de droit l’arrêt qui avait jugé que les dispositions du III de l'art. 217 undecies du CGI ne permettent ni de fonder un refus d'agrément, ni de limiter le montant des investissements productifs pour lesquels il est délivré, en se fondant sur d'autres conditions que celles qu'elles prévoient, alors même que l'investissement ne répondrait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'art. 244 quater W du CGI.

Il tombe en effet sous le sens que le crédit d'impôt institué par cet article ne peut s'appliquer que sous réserve que soient satisfaites les conditions de fond fixées à cet article, relatives notamment à la nature, à la localisation et à la réalisation des investissements et dont la vérification incombe à la seule administration fiscale. En outre, le VII de cet article  soumet certains de ces investissements à l'agrément préalable prévu au III de l'article 217 undecies précité. La délivrance de l’agrément est ainsi subordonnée au respect des conditions posées à l'article 244 quater W ainsi que, le cas échéant, à celles fixées au III de l'article 217 undecies.

(02 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452492)

 

56 - Décision de dégrèvement fiscal produite en cours d’instance – Dégrèvement n’ayant été ni notifié ni exécuté envers le contribuable – Litige devenu sans objet – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance d’appel qui, pour décider que le litige n'était pas privé d'objet par la simple intervention d’une décision de dégrèvement car celle-ci n'avait été ni notifiée à la société contribuable, ni exécutée, alors que la production en cours d'instance d'une décision de dégrèvement d'une imposition dont un contribuable a demandé la décharge au juge de l'impôt suffit à priver d'objet le litige.

(02 mars 2023, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 454923)

 

57 - Avantages occultes – Notion – Retrait de sommes d’un compte courant d’associé – Absence de caractère de prêt – Libéralité – Imposition en tant que telle - Rejet.

Ne commet ni erreur de droit ni inexacte qualification des faits l’arrêt d’appel, par ailleurs suffisamment motivé, qui aperçoit non un prêt remboursable mais une libéralité dans le fait pour un contribuable d’avoir prélevé des sommes dans un compte courant d’associé au sein de la société PA Finances, à hauteur de la quasi-totalité de la trésorerie de cette dernière, alors que la convention de placement de ces sommes conclue le 10 juillet 2012 entre M. D. et la société PA Finances était dépourvue de date certaine, qu’elle ne précisait pas le nom de ses signataires, ne mentionnait ni le montant des sommes confiées à M. D., ni les placements envisagés et que si elle prévoyait, au demeurant, sans autre précision, que le rendement escompté devait être « du double du taux de rémunération versé par notre nouvelle banque » et que les sommes devaient être restituées « à première demande », elle n'organisait aucun mécanisme de garantie.

En outre, la cour a constaté que si les procès-verbaux d'assemblée générale du 20 juillet 2013 et du 27 juin 2014 faisaient mention de cette convention, ils n'apportaient pas davantage de précisions sur les modalités de l'opération. Enfin, elle a également retenu le fait qu'aucun produit financier résultant de ces placements n'avait été enregistré par la société au cours des exercices vérifiés et que les sommes en cause n'avaient été restituées à la société que le 5 décembre 2014, soit postérieurement à la notification de la proposition de rectification en date du 20 novembre 2014.

Pas davantage n’a été commise une erreur de droit en ce que la cour a jugé que l'administration avait pu imposer les sommes en litige en qualité d'« avantages occultes » au sens des dispositions du c) de l'article 111 du CGI.

(06 mars 2023, M. et Mme D., n° 458553)

 

58 - Société n’ayant qu’un siège social apparent au Luxembourg – Réintégration dans le revenu imposable de dividendes et tantièmes perçus sans imputation de la retenue à la source pratiquée au Luxembourg – Conditions d’application de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 – Rejet et annulation partiels.

L’administration fiscale a exigé des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales du fait de la perception de dividendes et de tantièmes par un contribuable en qualité d’administrateur et d’actionnaire de la société CA Animation dont le siège social est au Luxembourg. Ce dernier invoquait le bénéfice de l’application de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.

Une double question se posait.

En premier lieu, l’application de cette convention supposait l’examen de la réalité de l’implantation de la société au Luxembourg. Sur ce point la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir répondu par la négative en retenant que la société ne disposait au Luxembourg que d'un local de 13 m² mis à sa disposition par une société luxembourgeoise de domiciliation, qu’elle n'y employait qu'un salarié de la même société exerçant pour elle une activité de comptable quelques heures par semaine tandis que, dans le même temps, ses contrats ont continué à être signés et les décisions à être prises depuis le siège parisien d'autres sociétés du groupe par M. d'Espous et son co-associé, tous deux domiciliés en France.

C’est donc sans erreur de droit, ni de qualification juridique des faits que la cour a jugé que le centre effectif de direction de cette société se situait en France alors même que la société CA Animation tenait ses assemblées générales et ses conseils d'administration au Luxembourg.

En conséquence, le contribuable ne saurait se prévaloir du bénéfice du crédit d'impôt prévu par les stipulations de l'article 19 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, à hauteur du montant de la retenue à la source subie au Luxembourg par les revenus tirés des dividendes et tantièmes. 

En second lieu, en revanche, l’arrêt est annulé pour erreur de droit en tant qu’il a refusé au demandeur le bénéfice de l’application des dispositions de l’art. 122 du CGI lui permettant de déduire des dividendes en litige l'imposition supportée au Luxembourg dès lors que la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne comporte aucune stipulation excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet État d'un revenu imposable en France et dès lors que M. d'Espous, bénéficiaire de la distribution des dividendes, a supporté la charge fiscale ayant pesé sur ces derniers.

(15 mars 2023, M. A. d’Espous, n° 449723)

 

59 - Demande de restitution d’un crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'œuvres cinématographiques – Demande rejetée pour dépassement du plafond d'aides publiques (VII de l’art. 220 sexies CGI) – Production d’un film « difficile » - Erreur de droit dans l’appréciation de la nature d’aide publique prohibée et sur les effets du plafonnement de l’aide – Annulation avec renvoi.

La requérante a demandé le remboursement d'un crédit d'impôt à raison du film « Vent du Nord » qu'elle a coproduit. L'administration fiscale ayant rejeté sa demande notamment à raison du dépassement du plafond d'aides publiques institué par le VII de l'art. 220 sexies du CGI, sa position a été confirmée, sur recours de la société Barney Production, par les juges du fond, d’où le pourvoi en cassation de cette dernière.

L’art. 220 sexies du CGI a pour objet d’assurer la compatibilité du régime français d'aide au cinéma et à l'audiovisuel avec les règles européennes relatives aux aides d'État, ce régime a été déclaré compatible avec les traités européens par une décision de la Commission européenne.

Par ailleurs, il résulte de l’art. 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que sont considérées comme des aides d'État les interventions de l'État ou au moyen de ressources d'État qui sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres, en accordant un avantage à son bénéficiaire ayant pour conséquence de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. En bref, sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

Examinant le cas d’espèce, le Conseil d’État relève en premier lieu que le film « Vent du Nord », parce qu’il entre dans la qualification de film dit « difficile », peut bénéficier du crédit d'impôt prévu à l'art. 220 sexies du CGI à condition que le montant total des aides publiques accordées n’excède pas, du fait du crédit d’impôt, plus de 60 % du budget de production. Le juge de cassation relève en second lieu qu’en application de la convention de financement conclue avec l'association Pictanovo, organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire, cette association a versé à la société Barney Production une somme de 150 000 euros pour participer au financement du film. Ce contrat organise un partage des recettes nettes du film permettant à l'association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu'au remboursement de la somme versée, puis 6 % de ces recettes. En revanche, cette convention ne lui donne pas la qualité de coproducteur, la société Barney Production demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l'œuvre.

De là se déduit que la cour a commis deux erreurs de droit : d’abord, en jugeant que la somme versée par l'association Pictanovo pour le financement du film avait le caractère d'une aide publique sans rechercher si et dans quelle mesure cette somme constituait un avantage que la société Barney Production n'aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché ; ensuite, en jugeant qu’en cas de franchissement du seuil (de 50% ou de 60%) du coût définitif de production de l'œuvre par le montant total des aides publiques accordées pour la production d'un film, le crédit d’impôt devait être remis en cause dans sa totalité, et non pas seulement pour la fraction excédant ce plafond.

(15 mars 2023, Société Barney Production, n° 452317)

 

60 - Impôt sur les sociétés – Créances irrécouvrables – Réintégration de leur montant dans le résultat taxable – Double imposition partielle au détriment de la contribuable – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce qu’il résulte des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du CGI qu'une provision ne saurait être déduite du résultat de l'exercice si elle n'a pas été effectivement constatée dans les écritures comptables à la clôture de l'exercice. Le défaut de constitution d'une provision n'est ainsi pas susceptible de faire l'objet d'une correction demandée par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement.

Dès lors que les provisions qui avaient été constituées par la STPCL au titre des exercices clos entre 2006 et 2009 avaient été reprises au cours de l'exercice clos en 2010 et ne figuraient plus au bilan de clôture de cet exercice, l'absence de déduction du montant de ces provisions pour le calcul du résultat passible de l'impôt sur les sociétés au titre de cet exercice ne pouvait être regardée – contrairement à ce qu’a jugé la cour - comme caractérisant une surtaxe commise au détriment de la société ou une double imposition de nature à ouvrir droit à une demande de compensation à l'occasion de la réintégration par l'administration de la perte sur créances irrécouvrables, d’où la censure de l’arrêt pour erreur de droit.

(13 mars 2023, Société de travaux publics et de construction du Littoral (STPCL), n° 465369)

 

61 - Impôt sur le revenu – Non déclaration de revenus – Prétendue irrégularité de procédure – Dénaturation – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et encourt la cassation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que le défaut de communication d’une lettre de l’administration fiscale du 13 août 2015 avait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition, alors que les renseignements contenus dans cette lettre ne pouvaient être regardés comme ayant été effectivement utilisés pour fonder tout ou partie des impositions supplémentaires mises en recouvrement puisque après un entretien postérieur avec le contribuable, l’administration a informé ce dernier par lettre du 24 octobre 2016 qu'elle abandonnait le chef de redressement  qui y était contenu.

(13 mars 2023, M. et Mme C., n° 466024)

 

62 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

La société requérante, qui assure des prestations de soutien scolaire dans un but lucratif a fait l’objet d’un rappel de TVA à raison de celles-ci. Elle soutient qu’est contraire à la Constitution, en ce qu’il porterait atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, le a du 1° du paragraphe 7 de l'art. 261 du CGI, pris pour la transposition des dispositions du i du 1 de l'art. 132 et de l'art. 133 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en tant qu’il exonère de la taxe sur la valeur ajoutée, par son premier alinéa, « les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée ». 

Le recours est bien évidemment rejeté tant en raison de l’objectif de favoriser l'accès à des prestations d'intérêt général aux prix les plus faibles poursuivi par cette disposition qu’en raison de ce que l’argument selon lequel cela aurait pour effet de faire supporter aux consommateurs de ces services une charge plus lourde que celle supportée par ceux qui acquièrent ces services auprès d'organismes privés sans but lucratif dont la gestion est désintéressée, est, en lui-même, sans incidence sur le respect du principe d'égalité devant les charges publiques entre les redevables légaux de la TVA que sont les prestataires.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

(63) V. aussi, identique : 13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467226.

 

64 - Compte bancaire ouvert à l’étranger – Obligation de déclaration – Obligation déclarative s’imposant à une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France - Omission de déclaration – Caractère imposable des fonds transitant par ce compte – Rejet.

L’art. 1649 A du CGI fait obligation à tout contribuable domicilié en France, de déclarer à l'administration les références de tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger, à défaut de quoi les fonds ayant transité par ce compte constituent des revenus imposables, sauf preuve que les sommes en question étaient hors champ d'application de l'impôt ou en étaient exonérées, ou constituaient des revenus ayant déjà été soumis à l'impôt.

Le Conseil d’État considère, par une interprétation large de ce texte, que l'obligation déclarative ainsi posée est applicable à tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger par une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France, quel que soit le titulaire de ce compte, y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale.

En l’espèce, l’administration fiscale a imposé comme un revenu imposable entre les mains de M. C., les sommes ayant transité sur le compte bancaire letton d’une société chypriote dont le contribuable requérant était actionnaire à 50 % et avait tout pouvoir sur le compte bancaire letton.

C’est donc sans erreur de droit que l’arrêt d’appel juge qu’étaient imposables et soumises à déclaration les sommes débitées sur l’ordre de M. C. pour le paiement des fournisseurs sans qu'aient d'incidence à cet égard les circonstances que la société chypriote était une société commerciale non établie en France et que M. C. avait agi en qualité de mandataire social de cette société.

(08 mars 2023, M. et Mme C., n° 463267)

 

65 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

La société RG Patrimoine a obtenu le permis de construire une maison individuelle sur un terrain appartenant à M. A., puis la commune a conclu avec M. A., le 29 juin 2017, une convention de projet urbain partenarial par laquelle l'intéressé s'engageait à verser à la commune une participation correspondant à 50 % du coût des équipements publics à réaliser à raison de la construction projetée. Les 6 juillet 2018 et 9 juillet 2019, deux titres de perception ont été adressés à la société RG Patrimoine en vue du recouvrement de la taxe d'aménagement due à raison de l'opération de construction.

La société RG Patrimoine a saisi le tribunal administratif de l’annulation du refus qui a été opposé à sa demande de restitution de la fraction de ces sommes correspondant à la part communale de la taxe d'aménagement. Ce recours ayant été rejeté par le tribunal, la société se pourvoit en cassation. 

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État retient tout d’abord qu’il résulte des art. L. 332-11-3 et L. 332-11-4 du code de l’urbanisme que la durée de l'exonération de taxe locale d'équipement est l'une des composantes nécessaires d'une convention de projet urbain partenarial. Il indique ensuite qu'à défaut de mention, dans une convention de projet urbain partenarial, de la durée d'exonération de la taxe d'aménagement, les parties à cette convention ne peuvent être regardées comme ayant entendu se référer à la durée maximale de dix ans mentionnée à l'art. L. 332-11-4 du même code. C’est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la convention de projet urbain partenarial conclue entre la commune et M. A. n'avait pu avoir pour effet d'exonérer la société requérante de la taxe d'aménagement faute de fixer la durée durant laquelle les constructions édifiées dans son périmètre seraient exclues du champ d'application de la taxe d'aménagement. Au reste, ainsi que l’a d'ailleurs relevé le tribunal, cette convention mentionnait que la société RG Patrimoine serait assujettie à cette taxe au taux de 8 %.

Enfin, contrairement à ce que soutenait la requérante, celle-ci n’a pas fait l’objet d’une double imposition faute d’avoir été assujettie, à la fois, à une participation d’urbanisme et à la taxe d’aménagement.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

(66) V. aussi, jugeant qu’une commune, qui n’a pas la qualité de partie dans l’instance par laquelle un tribunal administratif se prononce sur un litige relatif à la taxe d’aménagement, laquelle constitue une imposition établie, liquidée et recouvrée par l'État au profit de la personne morale de droit public qui en est le bénéficiaire légal, n'est pas recevable à se pourvoir en cassation contre certains articles du dispositif dudit jugement : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468940.

(67) V., identiques, avec même demanderesse : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468941 ; n° 468943 ; n° 468944.

 

68 - TVA – Demande de remboursement d’un crédit de TVA – Nature juridique de « réclamation » (art. L. 190 du LPF) – Décision de rejet – Absence d’effets des irrégularités affectant la procédure conduisant à cette décision – Rejet.

La contribuable, importatrice de tabac, a fait l’objet d’un rappel de TVA et a demandé, en vain, aux juges du fond le remboursement du crédit de TVA dont elle s’estimait titulaire. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet prononcé en première instance.

Le Conseil d’État rappelle qu’une demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constitue une réclamation au sens de l’art. L. 190 du LPF dont le rejet, partiel ou total, par l'administration, n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification.

Or la contribuable se prévalait d’irrégularités dans la procédure d’instruction de la réclamation notamment le fait qu’était dépourvue de signature la proposition de rectification établie à l'issue du contrôle diligenté par l'administration afin d'instruire la demande de remboursement présentée par la société, au point qu’elle a saisi le doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Fort-de-France d’une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement.

Ce nonobstant, il est jugé que les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de cette réclamation, y compris celles qui affecteraient les opérations de vérification ou de contrôle effectuées, le cas échéant, à cette occasion, sont sans incidence sur le bien-fondé de cette décision. Les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants.

(10 mars 2023, Société Import Négoce International, n° 460695)

 

69 - Taxe d’habitation – Locaux non assujettis à cette taxe les deux années précédentes – Irrecevabilité du recours en décharge de l’imposition – Motif d’ordre public – Rejet.

Sont irrecevables, et ce motif est d’ordre public, des conclusions en décharge de la taxe d’habitation qui aurait grevé certains locaux alors que, pour les deux années antérieures, la taxe a fait l’objet d’un dégrèvement total, pour la première année, et n’a pas été réclamée pour la seconde année.

(10 mars 2023, Société Montpellier Rugby Club, n° 460959)

 

70 - Taxe sur les véhicules de société – Conditions d’assujettissement – Interprétation de l’art. 1010 du CGI – Charte des droits et obligations du contribuable vérifié – Interprétation jurisprudentielle – Annulation de l’arrêt et confirmation du jugement.

La société requérante, spécialisée dans la conception et la commercialisation de circuits touristiques en France auprès d'une clientèle anglophone, s’est vue notifier des rappels de taxe sur les véhicules de société. Sur son recours, le tribunal administratif a prononcé la décharge de ces impositions. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt infirmatif de la cour administrative d'appel.

Le juge de cassation décide in fine que c’est à bon droit que le tribunal administratif que les véhicules de neuf places à raison desquels la société Butterfield et Robinson France a été assujettie aux rappels de taxe sur les véhicules de société en litige étant pris en location par la société canadienne Butterfield et Robinson Inc., seule cette dernière pouvait être assujettie à la taxe sur les véhicules de société à raison de ces véhicules. 

Mais la décision vaut surtout par les deux interprétations jurisprudentielles assez innovantes qu’elle contient et qui pouvaient ne pas aller de soi.

En premier lieu, l'art. 1010 du CGI disposait, à l’époque des faits : « I. - Les sociétés sont soumises à une taxe annuelle à raison des véhicules de tourisme qu'elles utilisent en France, quel que soit l'État dans lequel ils sont immatriculés, ou qu'elles possèdent et qui sont immatriculés en France. (...).

II. (...)

Lorsqu'elle est exigible en raison des véhicules pris en location, la taxe est à la charge de la société locataire. (...) ».

Le Conseil d’État interprète ces dispositions comme signifiant que l'administration est tenue d'assujettir à la taxe tous les redevables qui remplissent l'un des critères alternatifs d'assujettissement ainsi définis sauf pour ce qui concerne la taxe exigible en raison de véhicules pris en location qui n'est due que par la seule société locataire. 

En second lieu, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié dispose que le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires sur les rectifications envisagées au terme de la vérification. Si des divergences importantes subsistent, le contribuable peut faire appel à un interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur.

Le Conseil d’État en déduit cette interprétation que ces dispositions n'imposent pas que le supérieur hiérarchique du vérificateur prenne expressément position après son entretien avec le contribuable. En l'absence de prise de position écrite du supérieur hiérarchique, les divergences avec l'administration fiscale doivent être regardées comme persistant. Par suite, tant que n’est pas intervenu un document écrit par lequel l'administration fiscale fait savoir au contribuable qu'il n'y a plus de désaccord, le contribuable peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné. Dans l'hypothèse où une position écrite du supérieur hiérarchique faisant état de la disparition des divergences entre l'administration fiscale et le contribuable intervient après que celui-ci a demandé à rencontrer l'interlocuteur, cette demande devient sans objet. 

(10 mars 2023, Société Butterfield et Robinson France, n° 464123)

 

71 - Droit fiscal international – Convention fiscale bilatérale en vue d’éviter les doubles impositions – Régime juridique au regard de la hiérarchie des normes – Rejet et annulation partiels.

Rappel, cette fois à propos de la convention fiscale bilatérale du 19 juillet 1989 entre la France et les Émirats arabes unis, que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Il incombe donc en premier lieu au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification.

Il incombe également, en second lieu, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

En l’espèce, il est jugé que si l’administration fiscale a pu à bon droit refuser au contribuable le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 A du CGI, en revanche, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige.

(20 mars 2023, M. A., n° 452718)

 

72 - Entreprise soumise à une obligation déclarative – Obligation, sous peine d’amende, d’utiliser un formulaire fourni par l’administration fiscale– Formulaire ne permettant pas l’inscription d’une mention – Annulation de l’amende.

Le I de l'article 54 septies du CGI, dispose que les entreprises assujetties aux obligations déclaratives qu'il énonce doivent utiliser un état conforme au modèle fourni par l'administration et dont le contenu est précisé par décret. Les déclarations n’utilisant pas ou ne respectant pas ce modèle pour y porter les informations légalement requises, sont passibles d’une amende prévue par les dispositions du e du I de l'article 1763 du CGI.

La société demanderesse a fait l’objet d’une amende pour ne pas s’être soumise à cette exigence de forme.

Elle a fait valoir devant les juges du fond que devant porter le montant des mali résultant d’une opération de fusion, elle n’a trouvé dans ce formulaire aucun espace pour ce faire. La cour administrative d’appel a cependant confirmé la sanction motif pris de ce qu’il existait sur ce formulaire une ligne vierge qui permettait d’y inscrire le montant des mali.

Sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en rappelant d’abord que les dispositions régissant l’infliction d’amendes, lesquelles constituent des sanctions, sont d'interprétation stricte. Ensuite, le juge relève que la ligne prétendue vierge par les juges du fond, correspondait à diverses rubriques (valeur fiscale, valeur comptable, montant de la soulte éventuellement reçue, montant de la soulte imposée et valeur d'échange ou d'apport des biens) dont aucune ne concernait le cas de l’espèce qui relevait du 3° du I de l'art. 38 quindecies de l'annexe 3 au CGI.

L’amende infligée était donc évidemment l’illégale.

(22 mars 2023, Société Grenoble Logistique Distribution, n° 455621)

 

73 - Associé d’une société civile professionnelle (SCP) de notaires – Maintien de la qualité d’associé d’un notaire n’exerçant plus d’activité professionnelle – Situation abusive emportant versement d’indemnités aux autres associés – Déductibilité des sommes dues à ce titre – Erreur de droit – Annulation.

Un notaire, membre d’une SCP de notaires, qui a cessé d’exercer, continue néanmoins à percevoir une quote-part des résultats de la SCP. Puis, à raison de l’irrégularité de cette perception de revenus, il a été tenu de verser des indemnités à ses ex-associés.

Il a prétendu déduire ces indemnités du montant des revenus tirés de sa quote-part à raison de son maintien abusif dans ladite SCP.

Le Conseil d’État annule, sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt d’appel qui a jugé déductibles les indemnités versées à ses confrères. En effet, les dépenses mentionnées à l'art. 13 du CGI, sous réserve des dépenses reconnues déductibles du revenu global par l'art. 156 du même code, sont uniquement celles qui ont été nécessaires pour acquérir ou conserver les produits bruts retenus pour le calcul du revenu de la catégorie envisagée, ainsi des frais engagés pour acquérir ou conserver des éléments d'actif qui sont affectés aux entreprises ou aux professions exercées par le contribuable. En revanche, et sauf disposition contraire expresse, les frais engagés pour maintenir ou accroître le patrimoine privé du contribuable ne sont pas déductibles, alors même que des revenus sont ou pourront être retirés de certains éléments de ce patrimoine. 

(22 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464167)

 

74 - Taxe sur les surfaces commerciales – Prise en compte des surfaces de vente temporaires (chapiteaux) – Calcul de ces surfaces – Solution prévue par la loi écartée en raison d’une prise de position formelle de l’administration – Annulation partielle.

Un litige s’est élevé en matière de taxe sur les surfaces commerciales concernant le mode de calcul de l’inclusion dans la superficie taxable des surfaces temporaires de vente, généralement sous chapiteaux.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte de la loi (art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) que pour la détermination du taux de la taxe, il y a lieu, pour calculer le chiffre d'affaires au mètre carré, de tenir compte des surfaces de vente créées ou modifiées en cours d'exercice, y compris celles qui revêtent un caractère temporaire, au prorata du temps d'ouverture de ces surfaces. Toutefois, les paragraphes 58 à 60 de l'instruction fiscale 6 F-2-12 du 23 avril 2012, publiée au Bulletin officiel des impôts du 3 mai 2012, donnent une interprétation de la loi différente de celle jugée seule régulière par le Conseil d’État en ce que ces dispositions prévoient une règle de fractionnement de l'exercice en plusieurs périodes correspondant à des surfaces de vente différentes, le montant de la taxe dû au titre de l'année étant égal à la somme des montants de taxe calculés pour chaque période concernée, l'assiette, le taux et les éventuelles majorations étant calculés distinctement pour chaque période, en fonction de la surface de vente de la période et du chiffre d'affaire proratisé et par application du barème prévu par l'art. 3 de la loi du 13 juillet 1972.

Comme cette interprétation est formelle, le contribuable est fondé, en vertu de l’art. L. 80A du livre des procédures fiscales, à s’en prévaloir et à exiger son application plutôt que celle du texte législatif.

C’est donc par erreur de droit que le tribunal administratif a refusé de faire application de cette interprétation. Le jugement est annulé.

(27 mars 2023, Société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Castorama France, n° 460777)

 

75 - Taxe d’aménagement au titre d’un permis de construire – Abattement pour locaux artisanaux – Locaux en partie vacants – Absence de remise en cause – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la circonstance que des locaux artisanaux sont demeurés en partie vacants ne permet pas de remettre en cause l’abattement de la taxe d’aménagement dont a bénéficié le pétitionnaire du permis de construire ces locaux.

(27 mars 2023, Société Color, n° 463961)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Locaux à usage d’hypermarché – Comparaison avec un local de référence – Local occupé par son propriétaire – Absence de « location à des conditions normales » - Annulation.

Est entaché d’erreur de droit le jugement qui rejette la contestation par une contribuable du montant de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie à raison de locaux à usage d’hypermarché, contestation fondée sur ce que pour évaluer par voie de comparaison ces locaux a été retenu un local-type n° 27 bis de la catégorie « Maisons exceptionnelles » du procès-verbal d'évaluation de Montpellier, le tribunal administratif s'est borné à relever que, contrairement à ce qui était soutenu, ce local était déjà construit à la date du 1er janvier 1970. Or la société demanderesse soutenait que l'administration n'établissait pas avoir évalué son immeuble au moyen d'un local de référence loué à des conditions de prix normales au 1er janvier 1970 et que la déclaration « modèle P » du local-type n°1 du procès-verbal de la commune de Pérols, invoquée en défense par l'administration pour justifier de la valeur locative du local-type, portait la mention « occupé par son propriétaire », de sorte qu'il ne pouvait en être déduit que ce local-type était loué à des conditions normales au 1er janvier 1970.

(27 mars 2023, SAS Immobilière Carrefour, n° 464693)

 

77 - Impôts sur le revenu - Conjoints – Principe de l’imposition par foyer - Solidarité – Séparation ou divorce – Conséquences – Annulation partielle.

Une cour administrative a accordé à la demanderesse décharge de la solidarité entre conjoints au paiement de l’impôt sur la totalité de l’imposition mise à la charge du foyer fiscal alors que cette dernière avait perçu des revenus au cours de l’année en litige. La cour a commis une erreur de droit car il lui incombait de limiter la décharge à la différence entre, d'une part, le montant de la totalité de l’imposition et, d'autre part, la fraction de la cotisation correspondant à ses revenus personnels et à la moitié des revenus communs.

(27 mars 2023, Mme A., n° 466281)

 

78 - Époux placés sous le régime de la communauté universelle – Mise en commun des valeurs mobilières appartenant à l’un des époux – Cession à titre gratuit de titres dont la plus-value est en report d’imposition - Absence de caractère de cession à titre gratuit – Inapplicabilité du II de l’art. 92 B du CGI – Rejet.

Le II de l’art. 92 B du CGI dispose que les cessions de titres à titre onéreux mettent fin au report d’imposition des plus-values ainsi dégagées et que lors de la cession à titre gratuit des titres dont la plus-value a bénéficié du report d'imposition, cette dernière est définitivement exonérée d'imposition. 

En l’espèce, les époux avaient choisi le régime de la communauté universelle ce qui a entraîné la mise en communauté de valeurs mobilières appartenant à l'un des époux, à laquelle a été adossée leur attribution au conjoint survivant, résultant de l'application d'une clause en ce sens figurant dans le contrat de mariage. Il résulte donc des dispositions des art. 1525 et 1526 et du premier alinéa de l’art. 1527 du Code civil que cette mise en communauté avec attribution au dernier survivant constitue un avantage matrimonial non une donation et, par suite, ne saurait constituer ni une cession à titre gratuit ni une cession à titre onéreux pour l’application du II de l’art. 92 B du CGI. Il suit de là qu’au décès de son mari sa veuve était la redevable de l'imposition de la plus-value résultant de l'opération d'échange de titres réalisée par son mari en octobre 1999 et que cette cession à titre onéreux a mis fin au report d'imposition de cette plus-value sous le régime duquel elle avait été placée. 

(27 mars 2023, Mme B., n° 456550)

 

79 - Taxe sur les salaires – Conditions d’exonération – Application a contrario du 1 de l’art. 231 du CGI – Annulation.

Fait une fausse application du 1 de l’art. 231 du CGI la cour administrative d’appel qui juge qu’une entreprise doit être déchargée d’un rappel de taxe sur les salaires alors que, par a contrario de ces dispositions, pour ne pas être redevable de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations payées au cours d'une année civile, le contribuable doit, non seulement être assujetti cette année-là à la taxe sur la valeur ajoutée sur une partie au moins de son chiffre d'affaires, mais aussi l'avoir été l'année précédente à hauteur d'au moins 90 % de son chiffre d'affaires.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où l’annulation de l’arrêt avec renvoi.

(31 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460383)

 

80 - Plus-value de cession d’un bien immobilier – Taxation – Calcul de la plus-value – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Les contribuables demandeurs ont acquis en 2002 un ensemble immobilier d’une surface totale de 3 553 m2, sur laquelle étaient bâtis une maison principale et plusieurs dépendances pour un prix hors mobilier de 557 964 euros. L’une de ces dépendances a fait l'objet de travaux en vue d'y aménager cinq gîtes et des parties communes. Les différents lots de cette parcelle ont été progressivement inscrits à l'actif de l’entreprise individuelle de loueur de locaux meublés exercée par M. C., pour une valeur totale de 430 000 euros. Le bâtiment abritant cette dépendance a été vendu en 2013, avec son terrain d'assiette d'une surface de 281 m2. Le bien cédé étant inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle exploitée par M. C., les contribuables ont estimé que la plus-value réalisée à l'occasion de cette vente était de nature professionnelle et qu'elle était exonérée en application des dispositions de l'article 151 septies du CGI. Ils n’ont donc procédé à aucune déclaration à ce titre. L’administration fiscale, suite à une vérification de comptabilité et à un contrôle sur pièces a remis partiellement en cause cette exonération.

Selon celle-ci la part de la plus-value de cession correspondant à la différence entre le montant pour lequel le bien avait été inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle de M. C., soit 430 000 euros, et son prix de revient, qu'elle a évalué à 44 128 euros, devait être regardée non comme une plus-value professionnelle, mais comme une plus-value imposable entre les mains de M. et Mme C. selon le régime des plus-values de particuliers en application de l'article 151 sexies du CGI.

Des suppléments d’impôt, de contributions sociales, des intérêts de retard et une majoration de 10% ont été infligés.

Le juge de cassation annule pour erreur de droit l’arrêt d’appel rejetant la demande des contribuables.

En effet, pour retenir un prix de revient de 44 128 euros de la parcelle détachée de l'ensemble immobilier acquis en 2002, en vue de la détermination de la fraction de la plus-value de cession de ce bien correspondant à la période, comprise entre son acquisition et son inscription à l'actif professionnel de M. C., pendant laquelle il est demeuré dans le patrimoine privé de ce dernier, l'administration s'est bornée à appliquer au prix total d'acquisition de ce bien, soit 557 964 euros, le rapport entre la superficie de cette parcelle, soit 281 m², et les 3 553 m² de surface totale du terrain d'assiette de l'ensemble immobilier initial. Or la cour administrative d’appel, rejetant l’appel des contribuables, a jugé que la méthode ainsi mise en œuvre par l'administration permettait de traduire fidèlement le prix de revient de la parcelle cédée et tenait suffisamment compte de la part prépondérante du bâti dans le prix d'acquisition.

Le Conseil d’État reproche à cet arrêt de n’avoir pas recherché si, à la date d'acquisition, le rapport entre la valeur des constructions édifiées sur la parcelle détachée et la valeur totale des constructions était identique au rapport des surfaces des terrains d'assiette.

(31 mars 2023, M. et Mme C., n° 467715)

 

81 - EDF - Impôt sur les sociétés – Démantèlement de centrales nucléaires ou de certains de leurs réacteurs – Provision constituée à titre de passif - Actif résultant d’un amortissement linéaire rétroactif – Remise en cause par l’administration fiscale – Rejet.

Le lecteur intéressé est invité à se reporter au texte même de cette décision, importante mais assez technique.

La société EDF, demanderesse, a, à compter de l'exercice clos en 2002, constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures actualisées de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale.

Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de « dernier cœur » correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier cœur du ou des réacteurs des centrales à démanteler, et comprenant une part « amont », correspondant à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'aura pas été totalement irradié au moment de l'arrêt des réacteurs, ainsi qu'une part « aval », correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.

Cependant, à la suite de vérifications de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2008 et 2010, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la « part amont » de la provision de « dernier cœur ». Elle a en effet estimé que cette part ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'art. 39 ter C du CGI.

La cour administrative d'appel, statuant sur renvoi du Conseil d'État en ce qui concerne le premier des deux exercices en litige et sur appel en ce qui concerne le second, a, d'une part, annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2017 et l'article 2 du jugement de ce même tribunal du 14 février 2019 faisant droit, respectivement pour l'exercice clos en 2008 et celui clos en 2010, aux demandes de la société EDF de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui en sont résultées et, d'autre part, remis à la charge de la société EDF ces impositions supplémentaires.

La société EDF s’est pourvue en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2021. Son pourvoi est rejeté.

(31 mars 2023, Société EDF, n° 455199)

 

Droit public de l'économie

 

82 - Demande de reconnaissance d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) – Demande jugée irrecevable – Conditions de recevabilité – Ajout d’une condition – Annulation avec injonction de réexamen de la candidature à l’AOC.

La candidature de la société requérante tendant à la reconnaissance en appellation d'origine contrôlée de la dénomination « Le Puy » a été rejetée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux de vie de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).

Son recours ayant été rejeté par l’arrêt d’appel confirmatif, la société se pourvoit en cassation. Après cassation de l’arrêt d’appel pour s’être mépris sur la portée des conclusions dont la cour était saisie, le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit commise par l’INAO en déclarant irrecevable la demande d’AOC.

En effet, l'art. 2 du règlement n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 dispose qu'un producteur de vin isolé ne peut présenter de demande de reconnaissance d'une appellation d'origine que s'il est établi d’une part qu'il est le seul producteur dans la zone géographique considérée et d’autre part que soit cette zone possède des caractéristiques sensiblement différentes de celles des zones d'appellation délimitées environnantes, soit les principales caractéristiques du vin qu'il produit diffèrent de celles des vins obtenus dans les zones délimitées environnantes. L’INAO ne devait donc se prononcer sur la recevabilité de la demande qu’au regard des deux conditions susénoncées, la première étant univoque et la seconde de caractère alternatif. Or, pour dire irrecevable la demande d’AOC dont les requérants l’avaient saisie, la commission de l’INAO a retenu que s'il existait des différences de caractéristiques entre le vin produit par la société et les produits obtenus dans les zones à proximité, cependant la seconde condition posée par l'art. 2 du règlement n° 607/2009 n'était pas remplie car ces différences de caractéristiques étaient uniquement liées à « l'itinéraire technique » du producteur. L’INAO a ainsi commis une erreur de droit car l’examen des différences de caractéristiques résultant, au-delà de certaines particularités des pratiques culturales ou de vinification, de facteurs naturels ou humains spécifiques au milieu géographique propre au produit en question, ne relève que de l'appréciation à porter, une fois la demande de protection regardée comme recevable, sur le bien-fondé de la reconnaissance de cette demande au profit d'un producteur isolé.

L’INAO a deux mois pour réexaminer la demande qu’il avait estimée irrecevable.

(08 mars 2023, Société JP et P Amoreau, n° 446183)

 

83 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

V. n° 38

 

84 - Décision non ou irrégulièrement notifiée – Décision implicite – Application de la règle du délai raisonnable – Point de départ du délai – Absence de forclusion – Rejet.

Dans le cadre d’une procédure de licenciement d’une salariée protégée l’employeur a saisi d’une demande d’autorisation préalable l’inspection du travail puis, cette demande ayant été rejetée le 8 août 2016, sur recours hiérarchique, le ministre compétent l’a également rejetée sans que celui-ci n’accuse réception de cette démarche contrairement aux exigences de l’art. L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration.

D’une part, il suit de cette carence que les délais de recours fixés par le code de justice administrative ne sont pas opposables à l’employeur en ce qui concerne la décision implicite de rejet du 8 février 2017. D'autre part, à supposer que la société KDI doive être regardée comme ayant eu connaissance de la décision implicite de rejet opposée à sa demande à compter du 8 mars 2017, date à laquelle elle a sollicité la communication des motifs de ce rejet, elle  disposait en tout état de cause, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable d'un an à compter de cette date. Par suite, Mme A. n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait dû retenir que la demande de l’employeur, enregistrée le 19 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif était irrecevable en raison de sa tardiveté. 

En effet, le demandeur, lorsqu'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, si l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, de la date de naissance de la décision implicite et, si la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision. 

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

(85) V. aussi, identique avec même requérante : 10 mars 2023, Mme A., n° 450809.

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 96

 

86 - Patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel – Définition – Absence d’ambiguïté – Règle d’insaisissabilité de la partie d’un bien non occupé par l’activité professionnelle – Rejet.

Doivent être rejetés les deux griefs principaux du recours tendant à l’annulation du décret du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel.

D’abord, l’art. R. 526-26 du code de commerce, issu de ce décret, en définissant les biens, droits, obligations et sûretés utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel comme ceux « qui par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité », et en énumérant différentes catégories de biens répondant à cette définition, sans que cette liste présente un caractère exhaustif, est suffisamment précis et n’est pas équivoque : il ne contrevient donc pas à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. 

Ensuite, l’art. R. 526-26, 3°, du code de commerce, en incluant dans les biens immeubles entrant dans un patrimoine professionnel seulement la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel et susceptibles, par suite, d'être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de l'intéressé, n'a fait que tirer les conséquences qui découlent des termes mêmes de l’art. L. 526-1 du code de commerce :  il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaît le principe d'insaisissabilité de la résidence principale posé par l'article L. 526-1 précité. 

(10 mars 2023, Association Solidarité Paysans, n° 465332)

 

87 - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

La société requérante, société d'assurance mutuelle chargée notamment de la gestion de régimes de retraite complémentaire facultatifs, a fait l’objet d’un contrôle au terme duquel le collège de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, d’une part, constaté une dégradation du taux de couverture du capital de solvabilité requis de la société Capma et Capmi et, d’autre part,  relevé que si le capital de solvabilité requis déclaré au titre des risques actions avait diminué de 35 % au cours de la même période sans que cette variation ne soit clairement justifiée et malgré le redressement des marchés actions constaté depuis la fin du mois de mars 2020, la situation prudentielle de la société demeurait fragile.

L’ACPR, par une décision du 4 novembre 2020, a exigé de la société Capma et Capmi, sur le fondement de l'art. L. 612-32 du code monétaire et financier, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière. La société a saisi le Conseil d’État, se désistant cependant par la suite de certaines de ses demandes.

Une première question d’importance est tranchée par le juge au moyen d’une interprétation très constructive des textes en jeu. En effet, celui-ci estime qu’il résulte de l’art. L. 352-7 du code des assurances que les entreprises d'assurance ou de réassurance sont tenues de soumettre un plan de rétablissement à l'approbation de l'autorité de contrôle tandis qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 612-1 du code monétaire et financier que l'ACPR, qui doit veiller à ce que ces entreprises soient en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, peut exiger de celles-ci l'établissement d'un programme de rétablissement comprenant les mesures appropriées permettant de restaurer ou de renforcer leur situation financière, et notamment leur solvabilité, d'améliorer leurs méthodes de gestion ou d'assurer l'adéquation de leur organisation à leurs activités ou à leurs objectifs de développement. Le Conseil d’État juge qu’il est loisible à l’ACPR, selon les cas, d’user des ou de se fonder sur l’une ou l’autre de ces deux procédures qui n’ont pas un objet identique, le plan de rétablissement prévu par le code des assurances intervenant à l'initiative de l'organisme d'assurance, en cas de non-couverture du capital de solvabilité requis ou s'il risque de ne plus être couvert à court terme alors que le programme de rétablissement prévu par le code monétaire et financier ne vise pas spécifiquement la couverture du capital de solvabilité requis et les règles prévues par l'article L. 352-1 du code des assurances, mais, plus largement, à restaurer ou renforcer la situation financière ou de liquidité, améliorer les méthodes de gestion ou assurer l'adéquation de l'organisation aux activités ou aux objectifs de développement d'une personne soumise au contrôle de l'ACPR.

Ensuite, il est jugé, ce qui est tout à fait logique, que la décision attaquée constitue une mesure de police au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et qu’elle doit donc être motivée, cette exigence de motivation étant satisfaite en l’espèce.

Pour le reste, il est jugé que l’ACPR, dans les circonstances de l’espèces et au vu des éléments portés à sa connaissance, n’a pas pris une mesure disproportionnée et donc illégale en imposant à la société requérante d'établir un programme de rétablissement dont celle-ci est libre de fixer le contenu, sous réserve que ce programme comprenne toutes les mesures appropriées pour restaurer ou améliorer la situation qui l'a rendu nécessaire.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

88 - Aide sociale – Prise en charge des frais relatifs à l'hébergement d’une personne en EHPAD – Contribution de 90% - Assiette et calcul – Erreur de droit partielle – Annulation dans cette mesure.

Les personnes âgées hébergées en EHPAD doivent contribuer à hauteur de 90% de leurs ressources aux dépenses engagées pour elles par les départements.

Le président du conseil départemental doit appliquer ce pourcentage au montant des ressources de l'intéressé diminué des dépenses qui sont mises à sa charge par la loi et qui sont exclusives de tout choix de gestion. 

Lorsque ces ressources proviennent en tout ou en partie de loyers perçus par la personne hébergée, ceux-ci sont pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources pour leur montant net des charges supportées par le propriétaire pour leur perception. En revanche ne peuvent venir en déduction celles des dépenses qui contribuent directement à la conservation ou à l'augmentation du patrimoine, telles que, le cas échéant, les remboursements du capital de l'emprunt ayant permis son acquisition. 

En l’espèce, où la gestion du bien immobilier de l’intéressée est confiée à une agence immobilière moyennant une commission de 7% perçue par elle sur les loyers, le montant de la commission doit être déduit de l'assiette des ressources à prendre en compte pour le calcul de sa contribution à ses frais d'hébergement et d'entretien. Le tribunal administratif a ici commis une erreur de droit en déduisant ces honoraires, non des loyers perçus par l'intéressée pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources, mais du montant même de la contribution mise à sa charge. 

(1er mars 2023, Mme A. tutrice de Mme C., n° 451981)

 

89 - Décision de Pôle emploi refusant l’inscription d’une personne étrangère titulaire d’un titre de séjour « étudiant » - Contentieux social – Régime spécifique – Étendue de l’office du juge – Obligation pour lui de se prononcer sur les droits du requérant – Annulation.

Manque à son office dans un litige de plein contentieux et portant sur un contentieux social, le tribunal administratif qui, après avoir jugé illégal le motif de refus d'inscription opposé par Pôle emploi à la requérante, s'est borné à annuler cette décision et à enjoindre à Pôle emploi de réexaminer la demande d'inscription de l'intéressée, alors qu'il lui revenait de fixer lui-même les droits de l’intéressée pour la période en litige ou de la renvoyer devant Pôle emploi pour qu'il procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement.

(1er mars 2023, Pôle emploi, n° 455880)

 

90 - Ressortissant étranger titulaire d’une carte de séjour « étudiant » - Limitation du droit à exercer une activité salariée – Absence de discrimination contraire au droit international – Rejet.

Le demandeur se pourvoit contre le rejet par un tribunal administratif de sa demande d’annulation de la décision par laquelle Pôle emploi a refusé de l'inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi. Il argue en particulier de ce que la stricte limitation de son droit à exercer une activité salariée du fait qu’il est titulaire d’une carte de séjour « étudiant » constituerait une atteinte au principe d’égalité, aux stipulations de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH et à son art. 14, ainsi qu’à l’art. 11 de la convention internationale du travail n° 97.

Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a jugé que sa situation était très différente de celle d’un demandeur d’emploi et que n’étaient pas invocables les stipulations de la convention OIT qui ne concernent que les travailleurs migrants.

(1er mars 2023, M. A., n° 456329)

(91) V., très semblable, pour une ressortissante étrangère titulaire de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle « entrepreneur / profession libérale », autorisée à séjourner sur le territoire pour y exercer une activité non salariée, économiquement viable et dont elle tire des moyens d'existence suffisants, qui n’est donc pas autorisée à exercer en France une activité professionnelle salariée : 1er mars 2023, Mme B., n° 459364.

 

92 - Bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) – Cumul possible avec certains aides ou secours – Versements récurrents – Absence d’exclusion de leur prise en considération – Répétition de l’indu - Rejet.

C’est sans erreur de droit ou de qualification juridique ou dénaturation qu’un tribunal administratif juge que les sommes en cause n’ont pas des montants et des périodicités irréguliers pouvant les faire qualifier d’aides ou de secours cumulables avec le bénéfice du RSA des versements récurrents de montants non négligeables.

(1er mars 2023, M. A., n° 458009)

 

93 - Salariés de la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs – Conséquences d’un changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs – Conservation de la garantie d'emploi et du régime spécial de sécurité sociale au titre des pensions et prestations de retraite – Rejet.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a inséré dans le code des transports des dispositions régissant le changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Outre le transfert de plein de droit au nouvel employeur des contrats de travail en cours depuis au moins six mois, le maintien des conventions et accords collectifs qui leur sont applicables, le bénéfice de la garantie du niveau de leur rémunération, ces dispositions prévoient que les intéressés continuent de relever du régime spécial de sécurité sociale dont ils bénéficiaient au titre des pensions et prestations de retraite.

Pour l'application de ces dispositions, le premier ministre a pris le décret du 31 décembre 2021 ayant pour objet de préciser, en cas de changement d'employeur, les règles applicables en matière de retraite pour les salariés ayant été employés par le groupe public unifié et régis par le statut. C’est de ce décret que la fédération requérante demande l’annulation.

Sont rejetés d’abord les moyens de légalité externe dont un retient particulièrement l’attention, le juge indiquant logiquement que si le décret attaqué modifie, notamment, le décret du 30 juin 2008 qui avait été pris après avis du Conseil d'État, des modifications peuvent être apportées par décret simple à un décret pris après avis en Conseil d'État lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cet avis n'est requis par aucun texte ni aucun principe.

Sont également rejetés tous les moyens de légalité interne dont la plupart tournent autour des dispositions du décret censées affecter le régime de sécurité sociale applicables à ces agents. En réalité, c’est la loi elle-même qui a instauré une dichotomie : les cheminots continueront à relever d’un régime spécial de sécurité sociale qui leur est propre s’agissant des pensions et prestations de retraite, en revanche, pour le reste ils relèveront du régime général de sécurité sociale (cf. les points 7 à 14 de la décision).

(16 mars 2023, Fédération CGT des Cheminots, n° 461974)

 

94 - Formation professionnelle – Fonds indûment perçus à ce titre – Ordre de reversement et sanctions pécuniaires – Décisions fondées sur des renseignements obtenus de tiers – Refus d’en révéler l’identité – Refus justifié en l’espèce – Rejet.

L’administration, après contrôle, a estimé que la requérante avait perçu indûment des fonds pour l’organisation de la formation professionnelle et qu’elle s’était livrée à des manœuvres frauduleuses pour les obtenir ; elle a ordonné le reversement des sommes allouées et infligé une sanction pécuniaire au titre de la fraude. Elle s’est fondée pour cela sur des témoignages dont elle a refusé de communiquer l’identité à la requérante.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d’appel, sur le recours de la société Sapiens, a annulé ces décisions au motif qu’elles avaient été prises au terme d'une procédure irrégulière car l'administration n'établissait ni même n'alléguait en défense que l'accès à ces renseignements aurait été de nature à porter gravement préjudice aux auteurs de ces témoignages.

L’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier dès lors que pour apprécier l'exécution effective des actions de formation, parmi un ensemble d'indices concordants, les décisions litigieuses s’appuient sur des témoignages obtenus auprès de tiers, dont la teneur a été communiquée, de façon circonstanciée, à la société requérante et que l'administration a décidé de ne pas communiquer à cette dernière l'identité des témoins « en considérant que la révélation de cet élément était de nature à porter préjudice à leurs auteurs et notamment à leur avenir professionnel dans la société ou la branche d'activité dans laquelle ils évoluent ».

(16 mars 2023, Société Sapiens, n° 462603)

 

95 - Allocation de solidarité spécifique – Cumul avec des revenus de reprise d’activité – Conditions et durée du cumul – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que l’intéressée ayant commencé son activité professionnelle le 17 mars 2014, elle ne pouvait plus cumuler à compter d'août 2014 les revenus qu'elle tirait de cette activité professionnelle avec l'allocation de solidarité spécifique au motif qu'elle avait, à cette date, postérieure à ses trois premiers mois d'activité professionnelle, atteint le plafond de sept cent cinquante heures d'activité professionnelle, alors même qu'elle n'avait pas encore atteint son douzième mois d'activité professionnelle. En effet, il résulte des dispositions des art. L. 5423-1 et L. 5425-1, R. 5425-2 à R. 5425-4 et R. 5425-5 du code du travail que le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique peut être cumulé avec les revenus tirés de la reprise d'une activité professionnelle, totalement pendant une durée de trois mois, puis partiellement, au moins jusqu'au douzième mois d'activité professionnelle et, le cas échéant, au-delà de ce douzième mois si le nombre total des heures d'activité professionnelle n'atteint pas alors sept cent cinquante heures, en ce cas jusqu'à ce que ce plafond soit atteint.  

(09 mars 2023, M. B., n° 464346)

 

96 - Salariée protégée – Procédure – Obligation de rechercher et de proposer des emplois de reclassement – Respect – Rejet.

Une entreprise n’ayant pas obtenu de l’inspection du travail puis du ministre concerné l’autorisation de licencier l’une de ses salariées investie des fonctions de représentation du personnel, a saisi le juge administratif d’un recours en annulation de ces refus.

La salariée se pourvoit contre l’arrêt rejetant sa demande d’annulation du jugement ayant jugé légal le licenciement litigieux.

Le juge de cassation approuve la solution retenue par les juges du fond en relevant que pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, la cour a constaté, d'une part, que plus de vingt postes répondant aux exigences de l'art. L. 1233-4 du code du travail ont été proposés à Mme A. sur le territoire national, sans que la salariée ne donne suite à aucune de ces propositions, d'autre part, que, si Mme A. avait indiqué, en début de procédure, être intéressée par des postes situés à l'étranger, elle ne maîtrisait pas la langue des pays concernés ni à tout le moins l'anglais, ce qui constituait une compétence indispensable à l'exercice des fonctions commerciales auxquelles elle pouvait prétendre, de sorte que la recherche de tels postes de reclassement n'avait pas abouti, enfin que l’employeur établissait qu'aucun poste n'était disponible dans les sociétés du groupe situées en Belgique et en Suisse.

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 85

 

97 - Salariée protégée déclarée physiquement inapte – Licenciement – Vérification de la recherche effective d’emplois de remplacement – Recours hiérarchique au ministre – Licenciement avant décision du ministre – Exigences – Annulation.

Le litige portait sur le licenciement d’une salariée protégée déclarée physiquement inapte à occuper le poste de travail qui était jusque-là le sien et plus particulièrement sur le régime procédural applicable compte tenu des données de l’espèce.

Au vu du certificat d’inaptitude de son employée, la société employeuse a sollicité de l’inspection du travail, et obtenu, l’autorisation de la licencier. Sur recours hiérarchique, le ministre a annulé l’autorisation de licenciement et refusé de l’accorder. Saisi par l’entreprise, le tribunal administratif a rejeté le recours dirigé contre le refus ministériel d’autoriser le licenciement, puis, sur appel de l’entreprise, la cour administrative a annulé le jugement ainsi que le refus d’autorisation opposé par le ministre.

L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le juge rappelle que, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement dans un tel cas de figure, l'inspecteur du travail doit s'assurer que l'employeur, conformément aux dispositions du code du travail relatives au reclassement des salariés inaptes, a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutation ou transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail.

Lorsque, comme au cas de l’espèce, le ministre du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur du travail, il se prononce également au regard des dispositions du code du travail, relatives au reclassement des salariés inaptes, en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, soit qu'il confirme cette décision, soit, si celle-ci est illégale, qu'il l'annule et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement.

Enfin, dans le cas où le salarié a entretemps été licencié, le ministre ne doit apprécier les efforts de recherche de reclassement du salarié par l'employeur que jusqu'à la date de son licenciement.

(21 mars 2023, Mme B., n° 453558)

 

98 - Entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire – Homologation ou validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Annulation – Effets différents selon les cas – Rejet.

Le juge rappelle ici le régime légal applicable aux effets de l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l'emploi d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire.

Ces effets diffèrent selon que l’annulation est fondée sur l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen.

C’est pourquoi, le juge saisi d'une requête dirigée contre une décision administrative d'homologation ou de validation du PSE d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, qui soulève plusieurs moyens, doit d’abord se prononcer sur les moyens autres que celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative, en réservant, à ce stade, un tel moyen. Ce n’est que si aucun de ces moyens n'est fondé, que le juge doit ensuite se prononcer, le cas échéant, sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision administrative.

Ensuite, lorsque l'autorité administrative prend la « nouvelle décision suffisamment motivée » prévue à l'art. L. 1233-58 du code du travail, après l'annulation d'une première décision de validation ou d'homologation d'un PSE pour insuffisance de motivation, il convient d’observer, en premier lieu, que cette nouvelle décision intervient nécessairement sans que l'administration procède à une nouvelle instruction de la demande, au vu des circonstances de fait et de droit existant à la date d'édiction de la première décision, et, en second lieu, qu’elle n’a pour seul objet que de régulariser le vice d'insuffisance de motivation entachant la précédente décision.

Il en résulte donc qu’en cas de recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette seconde décision seuls sont susceptibles d'être invoqués devant le juge ceux critiquant ses vices propres.

En l’espèce, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en écartant le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'insuffisance de motivation faute de se prononcer sur le caractère suffisant du PSE et en constatant que la décision d'homologation litigieuse faisait mention, notamment, d'une part, des démarches effectuées par le liquidateur judiciaire pour rechercher des postes de reclassement, des possibilités de reclassement, des mesures d'accompagnement du PSE concernant en particulier des aides à la création d'entreprise, à la formation et à la validation des acquis par l'expérience ainsi que le budget global alloué à ce titre, et de la proposition d'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle et, d'autre part, comportait l'appréciation de l'administration selon laquelle le plan est proportionné aux moyens de l'entreprise conformément au II de l'art. L. 1233-58 du code du travail.

(21 mars 2023, Syndicat national du personnel navigant commercial, n° 453029)

(99) V. aussi, jugeant que c’est au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation, sans dénaturation ni méprise ni erreur de droit, qu’une cour administrative d’appel :

- a relevé que la cessation d'activité d’une société se traduirait par la suppression de la totalité de ses emplois et que cette situation était de nature à avoir des incidences sur la santé physique et mentale de ses salariés, ainsi que l'avait d'ailleurs constaté le cabinet Qualisocial, mandaté à cet effet.

- n'a pas jugé que les risques pour la santé des salariés qu'elle a relevés devaient être présumés. - constaté que le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société soumis à l'autorité administrative en vue de son homologation ne comportait aucune mesure propre à protéger les salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l'activité de l'entreprise.

- a déduit de ce qui précède que l'administration n'avait pu légalement homologuer ce document unilatéral, peu important que deux des mesures prévues pour les salariés de la société L'Équipe, dans le cadre d'une autre procédure, eussent été susceptibles de bénéficier aux salariés de la société. En statuant ainsi, la cour ne s'est pas méprise sur la portée du contrôle qu'il incombe à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, d'opérer sur la présence de telles mesures dans le document unilatéral qui lui est soumis en vue de son homologation et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.

- ne s'est pas prononcée sur le contrôle par l'administration du caractère approprié des actions figurant à ce titre dans le document unilatéral, dès lors qu'elle a relevé qu'il n'en comportait pas, sans commettre les erreurs de droit alléguées quant au contrôle qu'il appartient à l'administration de faire sur ce point : 21 mars 2023, Société L'Equipe et société Presse Sports Investissement, n° 460660 ; ministre du travail, n° 460924.

 

100 - Plan pour la sauvegarde de l’emploi (PSE) – Obligations de contrôle et de vérification s’imposant à l’administration chargée d’homologuer ce plan – Mesures prises pour la sécurité et la santé des salariés – Absence d’examen du document unique sur ce point – Rejet.

Dans une décision de principe, remarquable par sa qualité rédactionnelle et son souci pédagogique comme par sa complétude, le juge de cassation rejette ici un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en ce que, saisie par des syndicats et des salariés, elle a confirmé l’annulation prononcée par le tribunal administratif de la décision d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'unité économique et sociale de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

La décision, sur pourvoi du ministre, se présente – et sans doute aussi, se veut – un véritable mode d’emploi pour l’administration chargée du contrôle des PSE.

Le juge y rappelle le contrôle que doit exercer l'autorité administrative sur le respect par l'employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour, durant la réorganisation de l'entreprise, assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs à l'occasion de l'établissement d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

S'agissant de l'obligation pour l'administration de procéder à un tel contrôle, le juge rappelle ses fondements législatifs (art. L. 1233-61 et L. 1233-57-3 du code du travail) ainsi que son étendue, particulièrement en ce qui concerne la procédure d'information et de consultation du comité social et économique. Il déduit de l’ensemble des textes applicables que l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant PSE, de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en contrôlant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'art. L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles du même code précités.

Au passage, il est précisé que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative, le juge judiciaire étant pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est liée à la mise en œuvre du document ou de l'opération de réorganisation.
S'agissant des modalités du contrôle de l'administration, le juge opère une distinction chronologique au sein de ces modalités entre celles existant au stade de l'élaboration du PSE et celles liées à l'homologation du document unilatéral portant PSE.

Pour l’élaboration, l'autorité administrative peut adresser des observations et des propositions à l'employeur concernant son déroulement ou les mesures sociales prévues, elle peut aussi enjoindre à l'employeur de fournir des informations, telles celles relatives aux conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail des travailleurs et, en présence de telles conséquences, aux actions arrêtées pour les prévenir et en protéger les travailleurs. 

Pour ce qui est de l’homologation, l'autorité administrative doit s'assurer que la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel a été régulière et que ce document et le plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu sont conformes aux exigences résultant des dispositions législatives et des stipulations conventionnelles qui le régissent. En particulier, l'administration ne peut légalement accorder l'homologation que si le comité d'entreprise (comité social et économique) a été mis à même d'émettre régulièrement un avis sur l'opération projetée et ses modalités d'application ainsi que sur le projet de licenciement collectif et le PSE, et si le document et le plan de sauvegarde qu'il comporte contiennent tous les éléments ainsi exigés et qu'il appartient à l'administration de contrôler. 

A cet égard, et c’est là le point central de la décision, concernant le contrôle du respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, le juge impose deux séries d’obligations à l’administration chargée du contrôle.

Tout d’abord, il incombe à l'administration, dans le cadre de son contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation, de vérifier que l'employeur a adressé au comité d'entreprise (comité social et économique), avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l'administration, parmi tous les éléments utiles qu'il doit lui transmettre pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou sur la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et à protéger leur santé physique et mentale.

Ensuite, dans le cadre du contrôle du contenu du document unilatéral soumis en vue de son homologation, l’administration doit vérifier, au vu de ces éléments d'identification et d'évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au sein du comité d'entreprise (comité social et économique), des échanges d'informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l'élaboration du PSE, dès lors qu'ils conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l'employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux art. L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs. 

Illustrant l’ampleur du contrôle qu’il est imparti à l’administration d’effectuer comme l’immensité des exigences s’imposant à l’employeur, la décision approuve la cour administrative d'appel de Versailles d’avoir jugé que si l'autorité administrative avait vérifié si les institutions représentatives du personnel, dont elle a relevé qu'elles avaient notamment disposé d'éléments sur les conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des salariés de l'AFPA, avaient pu rendre leur avis en toute connaissance de cause, celle-ci n'avait en revanche pas procédé au contrôle du contenu du document unilatéral qui lui incombait afin de vérifier le respect, par l'AFPA, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

C’est ainsi qu’au terme d’une motivation suffisante et sans erreur de droit, la cour a pu juger que la décision d'homologation du 13 décembre 2019 était entachée d'illégalité. 

Nul doute, ce qui peut poser problème au plan des principes régissant une société capitaliste mais se justifie dès lors que sont en jeu des êtres humains, que tout ceci a transformé l’administration du travail, en cette matière en supérieur hiérarchique pur et simple des entreprises privées devant recourir à un PSE. Sans doute conviendrait-il d’en tirer des conséquences notamment en termes d’engagement de sa responsabilité.

(21 mars 2023, ministre du travail, n° 450012)

 

101 - Accord collectif portant rupture conventionnelle – Validation administrative – Décision de fermeture d’un site prise antérieurement à la signature de cet accord collectif – Irrégularité – Rejet.

Une union syndicale a demandé en vain au tribunal administratif l’annulation de la décision de l’administration du travail validant l'accord collectif du 15 décembre 2020 portant rupture conventionnelle collective au sein de la société Paragon Transaction. Elle a obtenu gain de cause en appel ; la société se pourvoit en cassation de cet arrêt infirmatif.

Le code du travail dispose (art. L. 1233-3, L. 1237-17 et suivants, surtout L. 1237-19-3), que l'autorité administrative ne peut valider un accord collectif portant rupture conventionnelle collective que s'il satisfait cumulativement à quatre conditions :

1°/ être conforme à l'article L. 1237-19,

2°/ comporter les clauses prévues à l'article L. 1237-19-1,

3°/ contenir des mesures, prévues au 7° du même article L. 1237-19-1, précises et concrètes,

4°/ faire suite, le cas échéant, à une procédure d'information du comité social et économique régulière.

En outre, l’administration ne peut valider un tel accord s'il est entaché de nullité, notamment en raison de ce que des vices, propres à entacher l'accord de nullité, ont affecté les conditions de sa négociation. 

En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir tout d’abord relevé, sans dénaturation, qu'il résultait de la note d'information transmise par la société Paragon Transaction à son comité social et économique le 23 octobre 2020 qu'elle projetait de réorganiser ses activités d'imprimerie en France et à ce titre de fermer le site de production de Romorantin, le site devant être vendu après sa « désindustrialisation », ses activités et ses personnels devant être transférés à d'autres établissements de l'entreprise.

Elle a ensuite, à juste titre, relevé que cette même note mentionnait que, dans le cas où plus de dix salariés refuseraient la modification de leur contrat de travail nécessitée par ce transfert, la société envisageait de soumettre aux institutions représentatives du personnel un projet de plan de sauvegarde de l'emploi.

Elle a, enfin, relevé que l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective précisait qu'il s'inscrivait dans le cadre de ce même projet de transfert de l'ensemble des personnels de Romorantin.

C’est donc sans irrégularité que la cour a déduit de ces éléments que la société Paragon Transaction avait décidé la fermeture du site de Romorantin avant la signature de l'accord portant rupture conventionnelle collective validé par l'autorité administrative et que les salariés de ce site, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que le contrat de travail contenait une clause de mobilité susceptible d'être mise en œuvre en vue de leur transfert vers d'autres établissements de l'entreprise, n'étaient pas en mesure d'espérer un maintien dans leur emploi à l'issue de la période d'application de l'accord.

Le pourvoi est rejeté.

(21 mars 2023, Société Paragon Transaction, n° 459626)

(102) V. aussi, assez comparable, à propos des agents, de droit public et de droit privé, de la Caisse des dépôts et consignations, relevant notamment que la circonstance que les membres du comité unique de l’établissement public (CUEP) se sont prononcés avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ne les a pas privés de la possibilité d'exercer utilement leur pouvoir d'appréciation et n'a pas fait obstacle à ce qu'ils soient mis à même de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective, dès lors que l'amendement parlementaire introduisant ces dispositions avait été porté à leur connaissance lors de la consultation du 11 juin 2019, de même que la circonstance que l'accord ne serait signé que si ces dispositions, qui, d'ailleurs, n'ont pas été modifiées lors des débats parlementaires, étaient adoptées, le projet d'accord n'ayant au demeurant lui-même pas été modifié après l'avis émis par le CUEP le 11 juin 2019 : 21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

 

103 - Salarié protégé – Refus d’autorisation de le licencier – Confirmation du refus par la ministre du travail avec substitution de motif – Irrégularité – Décision faisant à nouveau courir le délai de deux mois permettant l’engagement d’une nouvelle procédure de licenciement – Annulation.

Par une décision du 23 avril 2018, l'inspectrice du travail a refusé de délivrer l'autorisation, sollicitée par la société Transavia, de licencier pour faute un salarié protégé, en raison de l'insuffisante gravité des fautes qui lui étaient reprochées et de ce qu'un lien entre cette procédure et les mandats qu'il exerce ne pouvait être exclu.

Sur recours hiérarchique de la société Transavia France, la ministre du travail a, par une décision du 25 octobre 2018, déclaré confirmer la décision de l'inspectrice du travail, tout en retenant un autre motif de refus, tiré de ce que la procédure suivie était irrégulière par  méconnaissance du délai de convocation de l’intéressé à l'entretien préalable au licenciement fixé par des dispositions du code du travail ; elle a en outre précisé que sa décision se substituait à la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique.

Cependant la ministre du travail ne pouvait pas légalement, sans annuler la décision de l'inspectrice du travail, y substituer un autre motif de refus de l'autorisation de licenciement sollicitée, or cette décision illégale est devenue définitive.

Toutefois, le délai de prescription ayant été interrompu par l'introduction de ce recours hiérarchique et la ministre du travail ayant refusé de délivrer l'autorisation sollicitée pour un motif de procédure, différent de celui retenu par l'inspectrice du travail, sa décision a fait courir en l'espèce un nouveau délai de deux mois, en application des dispositions de l'art. L. 1332-4 du code du travail, ce qui permettait à la société Transavia France d'engager une nouvelle procédure de licenciement pour les mêmes faits, en régularisant les vices entachant la première.

La cour administrative d’appel a jugé, implicitement mais nécessairement, que le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées du code du travail concernant les faits reprochés au salarié, qui avait été régulièrement interrompu avant que l'employeur ne formule sa demande d'autorisation initiale, avait recommencé à courir à compter de la décision de l'inspectrice du travail du 23 avril 2018. Elle en a déduit que ces faits ne pouvaient faire l'objet de la seconde procédure de licenciement engagée le 8 novembre 2018, dès lors qu'ils étaient prescrits à cette date, entachant son arrêt d’erreur de droit.

(21 mars 2023, Société Transavia France, n° 455890)

 

104 - Arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective – Convention collective de l’édition phonographique – Signature par des syndicats représentatifs – Accord pouvant porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés – Absence de violation du code de la propriété intellectuelle – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’une requête en annulation de l'arrêté du 2 juillet 2021 de la ministre du travail portant extension d'un accord portant avenant à la convention collective nationale de l'édition phonographique (IDCC n°2770).

Le recours est rejeté en tous ses chefs de grief.

L'arrêté d'extension n'avait pas à mentionner que la condition de représentativité des organisations syndicales signataires de l'accord était remplie ; au reste, cette condition était remplie en l’espèce.

Ensuite, ne saurait être retenu le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait omis de faire application de l'art. L. 2261-23-1 du code du travail dès lors que l'arrêté attaqué prévoit, en son article 6, que la nature de cet accord ne rend pas nécessaire l'élaboration de stipulations spécifiques à destination des entreprises de moins de cinquante salariés.

Également, il ne saurait être soutenu que l'arrêté attaqué serait illégal en ce qu'il étend l'accord du 25 septembre 2020 en méconnaissance de l'art. L. 2131-1 du code du travail faute pour les organisations syndicales signataires de l'accord d'être compétentes pour organiser les conditions de cession des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes alors qu’il résulte directement de dispositions législatives (L. 2131-1 et L. 2231-1 du code du travail, art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version alors en vigueur) que la négociation et la conclusion d'accords collectifs peut porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés.

Encore, contrairement à ce qui est soutenu, l'avenant du 25 septembre 2020 étendu par l'arrêté attaqué pouvait légalement prévoir que le montant du « cachet de base » des artistes-interprètes repose sur trois éléments de rémunération, relatifs respectivement à la prestation de l'artiste-interprète, à l'autorisation d'enregistrement et à l'autorisation d'exploiter, qui peut varier selon les modes d'exploitation. Il pouvait aussi prévoir que le montant des deux derniers éléments de rémunération est fonction du premier élément de rémunération et détermine à cet égard des montants minima.

Au reste, l'accord, qui ne détermine que des montants minima de « cachets de base », prévoit que les stipulations du contrat de travail déterminent par écrit avec précision l'étendue des autorisations données et les modalités et conditions de la rémunération due à l'artiste-interprète au titre de chaque mode d'exploitation. En outre, la situation des artistes-interprètes couverts par le titre III de l'annexe III de la convention collective nationale de l'édition phonographique telle qu'elle est modifiée par l'avenant étendu par l'arrêté attaqué entre dans le champ des situations pour lesquelles l'art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, notamment le 4° de son II, permet une rémunération forfaitaire. 

(21 mars 2023, Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (SPEDIDAM), n° 456775)

 

105 - Donneur d’ordre – Vérification du respect par son cocontractant de son obligation de déclaration et de paiement auprès des URSSAF – Portée – Vérification de l’authenticité de l’attestation de paiement - Conséquence en cas de non-respect de l’exigence de vérification – Dénaturation – Annulation.

L’art. L. 8222-1 du code du travail dispose que « Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

(...) Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret ».

Pour faire bonne mesure, en accompagnement de cette obligation de dénonciation non rémunérée ni indemnisable, l’art. L. 8222-2 de ce code précise que le donneur d'ordre qui n'a pas procédé à l'ensemble des vérifications prévues à l'art. L. 8222-1 précité et précisées par décret, notamment la vérification de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, est tenu solidairement au paiement des sommes dues au Trésor public et aux organismes de protection sociale par le cocontractant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.

Le donneur d'ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l'article L. 8222-1 précité, y compris celle de l'authenticité de l'attestation remise par son cocontractant, lorsqu'il s'est fait remettre par ce cocontractant les documents qu'énumère l'article D. 8222-5 du code du travail, à moins d'une discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et les informations dont le donneur d'ordre pouvait avoir connaissance, telles que l'identité de son cocontractant ou le volume d'heures de travail nécessaire à l'exécution de la prestation ou que, s'agissant de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, l'administration établisse que celle-ci n'émane pas de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions dues par le cocontractant.

En l’espèce, une cour administrative d’appel a jugé que la société requérante pouvait être tenue au paiement solidaire des impositions supplémentaires auxquelles sa cocontractante, la société Asfi, a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 au motif qu’elle n’avait pas vérifié si les attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale que lui a remises la société Asfi émanaient réellement de l'Urssaf. Cette solution est d’autant plus blâmable qu’elle applique inconsidérément un texte lui-même passablement discutable en ce qu’il repose sur un principe de non-confiance assez unique en Europe.

Le Conseil d’État annule, sans grande hésitation, pour dénaturation des pièces du dossier, l’arrêt déféré à sa censure alors que l'administration ne soutenait pas que ces attestations étaient frauduleuses et qu'aucune pièce du dossier ne permettait d'émettre un doute sur leur authenticité.

(22 mars 2023, Société Bovendis, n° 456631)

 

106 - Salarié protégé – Accusations de harcèlement moral sur des salariés – Mise à pied et procédure de licenciement – Rejet de la demande de licenciement – Recours hiérarchique au ministre – Demande au juge du référé liberté de maintenir à titre conservatoire la mesure de mise à pied – Rejet compte tenu des mesures prises par la société requérante.

Cinq salariés d’une entreprise ayant menacé d’user de leur droit de retrait en l'absence de mesures prises afin de faire cesser les faits de harcèlement moral qu'aurait commis à leur endroit un salarié protégé, l’employeur de ce dernier a engagé une procédure de licenciement et, dans l’immédiat, a prononcé sa mise à pied conservatoire assortie de l’obligation de travailler à distance.

L’inspection du travail ayant rejeté la demande d’autorisation de licenciement, la mesure de mise à pied cessait ipso facto. La société a saisi le ministre chargé du travail d’un recours hiérarchique.

Elle a formé devant le tribunal administratif une demande tendant à la suspension en référé liberté du refus d’autoriser le licenciement. Sa requête ayant été rejetée, elle interjette appel en Conseil d’État.

Ce dernier, manifestant un certain embarras devant ce conflit entre protection d’un délégué du personnel et protection de la dignité des personnes à laquelle il aurait porté atteinte, relève cependant que, d’une part, la décision d’imposer à ce délégué de travailler à distance et de s’abstenir de se rendre sur le site de l’entreprise et d’autre part, l’absence de contestation par l’intéressé de ces mesures, empêchent le refus d’autoriser le licenciement de porter une atteinte manifestement illégale à aucune des libertés fondamentales invoquées tant par son employeur que par certains salariés. D’où le rejet de la requête.

(24 mars 2023, Société Elior Services Propreté et Santé, n° 471970)

 

107 - Allocation de retour à l’emploi – Octroi de l’allocation subordonné à une perte involontaire d’emploi – Agent territorial admis sur sa demande à une retraite anticipée pour invalidité – Absence de privation involontaire d’emploi – Rejet.

L’allocation de retour à l’emploi est attribuée aux personnes involontairement privées d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi. Tel n’est pas le cas d’un agent territorial qui a sollicité et obtenu la mise en retraire anticipée pour invalidité car il n’est pas « involontairement privé d’emploi ».

(30 mars 2023, Mme A., n° 460907)

 

108 - Arrêté ministériel fixant le nombre de sièges aux syndicats dans chaque section de conseils de prudhommes – Absence de fixation globale pour l’ensemble des sections de conseils de prudhommes du département – Rejet.

C’est conformément aux dispositions de l’art. R.1441-3 du code du travail et sans méconnaître celles de l’art. L. 1441-4 de ce code qu’un arrêté ministériel fixe le nombre de sièges à attribuer aux organisations syndicales dans chaque section de chacun des conseils de prudhommes du département et non globalement pour l'ensemble des sections du ou des conseils de prudhommes du département.

(30 mars 2023, Union syndicale Solidaires, n° 462949)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

109 - Listes électorales – Demande de communication de la liste électorale et du tableau des inscriptions et radiations actualisées au jour de sa demande – Maire agissant en défense au nom de l’État – Appel irrecevable en Conseil d’État – Écritures de la commune écartées du débat.

Dans un litige en demande de communication de la liste électorale, un maire ne peut agir en défense devant le Conseil d’État au nom de l’État, celui-ci ne pouvant y être représenté – sauf dispositions dérogatoires expresses – que par un ministre (art. R. 432-34 du CJA).

(27 mars 2023, M. A., n° 465736)

 

110 - Délibération des collectivités territoriales - Désignation des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial – Actes ayant la nature d’opérations électorales – Réclamation devant respecter les délais fixés au code électoral – Annulation et rejet.

Confirmant une jurisprudence bien établie semble-t-il même si elle ne nous semble pas avoir la vertu d’évidence, le Conseil d’État réaffirme que les désignations, par l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial, constituent des opérations électorales dont la contestation relève des dispositions des art. R. 119 à R. 123 du code électoral.

Il suit de là que dans le cas où une réclamation n'a pas été consignée au procès-verbal de la séance au cours de laquelle l'élection a lieu ou si le procès-verbal n'a pas été établi immédiatement, la réclamation doit être formée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection lors de cette séance, dans les conditions définies à l'art. R. 119 du code électoral. 

(30 mars 2023, M. R., n° 465716)

 

Environnement

 

111 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des motifs repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

V. n° 1

 

112 - Projet de parc éolien en mer – Modifications du projet – Préfet en prenant acte – Régularité de la procédure suivie – Modifications ne portant pas une atteinte substantielle au projet initial – Rejet.

Le recours recherchait l’annulation de la décision préfectorale prenant acte des modifications au projet de parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier portées à sa connaissance par la société Éoliennes en mer îles d'Yeu et de Noirmoutier.

Le recours est rejeté en premier lieu pour défaut d’irrégularité de la procédure suivie. Il n’était pas obligatoire en l’espèce pour le préfet « de consulter l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement ou les professionnels de la pêche exerçant leur activité professionnelle aux abords immédiats de la zone d'implantation du parc éolien » avant qu’il ne prenne acte des modifications communiquées par la défenderesse ; pas davantage il n’était tenu de solliciter l’avis du comité de gestion et de suivi scientifique institué par arrêté préfectoral, ni, non plus, d’exiger de la pétitionnaire la description de chacune des modifications apportées et lui-même de motiver sa décision prenant acte en distinguant chacune des modifications apportées au projet et leurs impacts.

Le recours est rejeté en second lieu car les modifications, importantes quantitativement, sont soit compensées par des effets moindres de la part d’autres aspects, ainsi, par exemple, si l’emprise sur les fonds marins passe de 943 m2 à 2739 m2 en revanche l’emprise totale des câbles inter-éoliennes sur les fonds marins se réduira de 689 473 m2 à 62 790 m2, soit de faible portée, telles les nuisances sonores en mer et leurs effets sur la faune.

(1er mars 2023, Associations « Non aux Éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et « Société pour la protection du paysage et de l'esthétique de la France » (SPPEF), n° 455415)

(113) V. également, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt qui, pour rejeter le recours de la société requérante contre l’arrêté préfectoral refusant de délivrer quatre permis de construire quatre éoliennes, d’une part, s’est fondé sur ce que le projet litigieux était de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison des inconvénients importants qu'il présenterait pour les conditions et le cadre de vie des riverains alors que de telles considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions, et d'autre part, n'a explicité ni la teneur, ni la gravité des atteintes à la salubrité publique qui seraient induites par le projet : 01 mars 2023, Société Énergie Ménétréols, n° 455629.

(114) V. aussi, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt d’appel qui suspend l’exécution de l’arrêté préfectoral délivrant à la demanderesse au pourvoi une autorisation environnementale pour l'implantation et l'exploitation d’un parc de six éoliennes en tant que cet arrêté ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement, jusqu'à la délivrance de cette dérogation, et sursoit à statuer sur le surplus des conclusions de la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt, pour permettre à la société titulaire de l'autorisation de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l'étude d'impact sur les chiroptères. Le juge de cassation relève une première erreur de droit en ce que la cour ne pouvait pas ordonner une mesure de régularisation sans s’être mise à même de déterminer si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise. Une seconde erreur de droit a consisté en ce que, expressément invitée par la société pétitionnaire à faire usage des dispositions du 2° du I de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement (octroi d’une possibilité de régularisation), la cour ne pouvait substituer à cette mesure – comme elle l’a fait en l’espèce -, l’annulation partielle prévue au 1° du I du même article : 1er mars 2023, Société Ferme Éolienne de Saint-Maurice, n° 458933.

(115) V. encore, jugeant que la lutte contre la « saturation visuelle » produite sur trois villages riverains par un projet d’implantation d’éoliennes est au nombre des intérêts qui, aux termes des art. L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, doivent être pris en compte pour apprécier les inconvénients d’un projet pour la commodité du voisinage (cf. art. L. 511-1 précité) alors qu’en l’espèce sont déjà construits ou autorisés deux parcs éoliens comportant un total de dix-huit éoliennes à un kilomètre, sept parcs éoliens comportant un total de soixante-huit éoliennes à cinq kilomètres et quatorze parcs éoliens comportant cent-vingt-six éoliennes à dix kilomètres : 1er mars 2023, Société EDPR France Holding, n° 459716.

(116) V., rejetant le pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel en ce qu’il estime qu’un projet d’exploitation d’éoliennes et d’un poste de livraison nécessite l'obtention d'une dérogation dans les conditions prévues par l'article L. 411-2 du code de l'environnement : 27 mars 2023, Société Parc éolien des Écoulottes, n° 451112.

(117) V., jugeant entaché de dénaturation l’arrêt estimant que des ouvrages et éoliennes d’une certaine hauteur n'étaient pas susceptibles de constituer des obstacles pour la navigation aérienne au motif que, d'une part, la partie du secteur dédié de façon permanente à l'entraînement au vol à très basse altitude (ou SETBA) concernée ne serait utilisée que pour entrer dans l'espace d'entraînement et que, d'autre part, l'implantation des éoliennes litigieuses dans la stricte continuité du projet TVR n° 3 conduirait à faire obstacle, du fait de l'application des dispositions de l'arrêté interministériel du 10 octobre 1957, au survol à basse altitude de ces installations : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 451633, n° 451634 et n° 451635.

 

118 - Implantation d’éoliennes - Conservation d’espèces animales non domestiques – Exigence ou non d’une dérogation - Portée de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement et obligations en découlant pour l’exercice du pouvoir de contrôle du juge – Appréciation de la réalité de la diminution du risque pour l’espèce – Annulation.

C’est une décision discutable qu’a rendu le Conseil d’État en annulant un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un litige opposant une association de défense de la nature à un préfet refusant de d’imposer à une société d’implantation d’éoliennes de demander une dérogation « espèces protégées » avant toute autorisation d’installation.

La cour avait estimé que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'art. L. 411-1 du code de l'environnement du fait que le site d'implantation du projet constituait une réserve importante de biodiversité, riche en espèces protégées dont le projet était susceptible d'affecter la conservation et que les mesures visant à atténuer l'impact du projet sur la biodiversité ne permettaient pas d'écarter tout risque pour les espèces concernées, notamment en ce qu'elles constituent de simples mesures de réduction et non d'évitement.

Le Conseil d’État impose, en effet, aux juges du fond, en cette hypothèse, de vérifier si les mesures envisagées présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

En outre, il est posé en postulat que l’art. L. 411-1 précité institue un régime de protection qui ne dépend ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes mais qui résulte seulement de la constatation que le projet comporte pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé. Il est ainsi posé une double condition : existence d’un risque et risque caractérisé. Il convient donc pour le juge d’apprécier dans chaque cas si les mesures d’évitement et de réduction sont telles que, par leur effectivité, elles retirent au risque l’aspect « caractérisé » sans que pour autant ne disparaisse l’aspect « risque » ce qui suffit toutefois pour que ne soit plus exigible l’obtention d’une dérogation « espèces protégées ».

Ainsi, l’arrêt est annulé pour n’avoir pas recherché si les mesures prises présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

C’est là exiger un contrôle contentieux trop subtil, trop « saucissonné » et, pour tout dire, un peu hypocrite en réduisant au strict minimum l’exigence légale, sans oublier l’introduction d’une forte dose de subjectivité.

(27 septembre 2023, Société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, n° 452445)

(119) V. aussi, très comparable quant à l’application de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement : 27 mars 2023, Association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 455753.

(120) V. également, rejetant le pourvoi du ministre de l’écologie dirigé contre l’arrêt d’appel ayant annulé le refus du préfet d’autoriser une société à exploiter une installation de production d'électricité composée de neuf aérogénérateurs et deux postes de livraison, la cour ayant estimé sans inexactitude dans l’appréciation des faits ni dénaturation de pièces et dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’étaient suffisantes les mesures prises relatives à la protection de l’avifaune et des chiroptères situés dans une zone Natura 2000 : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 459846.

 

121 - Classement du renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges – Arrêté en ce sens du ministre de la transition écologique – Absence d’erreur de droit ou d’erreur d’appréciation – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de l’arrêté ministériel qui, pris sur le fondement de l’art. R. 427-6 du code de l'environnement, fixe la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts, en tant qu'il classe le renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges.

Pour rejeter le recours le Conseil d’État relève tout d’abord qu’un tel classement est susceptible d’être appliqué soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans un département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit – et alors même que l’espèce en cause ne serait pas répandue de façon significative – lorsqu'il est établi que cette espèce est à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions.

Ensuite, il est établi que le renard roux, qui apporte une contribution positive à l'écosystème forestier dans un département où la couverture forestière est particulièrement importante, est néanmoins susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par le II de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement dans les communes du département des Vosges mentionnées par l'arrêté litigieux ; en particulier en raison de  la présence de volailles et d'élevage de léporidés et de petit gibier, la réalisation d'au moins un lâcher de repeuplement de petit gibier et les déclarations de dégâts dus au renard.

On peut s’interroger sur l’admission, implicite mais certaine en l’espèce, de l’intérêt pour agir d’une association de défense d’oiseaux à propos de la protection du renard roux, espérons que ces oiseaux-là ne tiennent pas en leur bec un fromage…

(1er mars 2023, Association Oiseaux-Nature, n° 464089)

 

122 - Plate-forme de recyclage de déchets inertes du BTP – Arrêté préfectoral de mise en demeure pris postérieurement à l’introduction du pourvoi – Conclusions à fin de suspension d’une précédente décision devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

La requérante a demandé au tribunal administratif, en référé, la suspension de l'exécution de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à sa télédéclaration effectuée pour l'exploitation d'une plate-forme de recyclage de déchets inertes et de production de granulats et sables recyclés. Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.  

Par un arrêté du 11 mai 2021, ce préfet a mis en demeure la société requérante de régulariser sa situation soit en cessant ses activités irrégulières et en remettant le site en état, soit en déposant un dossier de demande d'enregistrement pour l'exploitation d'une station de transit, regroupement ou tri de produits ou de déchets non dangereux.

Cet arrêté a été pris après introduction du pourvoi formé contre l’ordonnance de référé du premier juge. Ainsi, en dépit de ce qu’il a été contesté devant le tribunal administratif, ce second arrêté prive d'objet les conclusions à fin de suspension de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à la déclaration de la société relative à cette exploitation et lui a ordonné de cesser immédiatement toute activité. 

Il n’y a donc plus lieu à statuer sur ce pourvoi.

C’est là une illustration de ce classique motif de non-lieu à statuer que constitue un changement dans les circonstances de droit ou de fait affectant l’objet du litige.

(15 mars 2023, Société Espace Recyclage Méditerranée (ERM), n° 452196)

 

123 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

V. n° 3

 

124 - Chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne – Obligation d’équipement de dispositifs acoustiques – Mesure étendue à l’année entière – Rejet.

Un arrêté de la ministre de la mer du 27 novembre 2020 modificatif d’un arrêté du 26 décembre 2019, a étendu à toute l'année l’obligation (jusque-là quadrimestrielle) d'équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et les chalutiers démersaux en paire dans le golfe de Gascogne, quelle que soit leur longueur, afin de limiter l'entrée accidentelle des cétacés, particulièrement les petits cétacés, dans les chaluts et chalutiers.

L'association Sea Shepherd France demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté modificatif du 27 novembre 2020.

Sa requête est rejetée, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.

D’abord, ce texte étant un acte réglementaire, il n’est pas soumis à l’obligation de motivation.

Ensuite, il n’est pas entaché d’incompétence du fait qu’il a été signé par la ministre de la mer, dans la compétence de laquelle entrait la matière qu’il régit.

Encore, ne sauraient être invoquées à l’encontre de l’arrêté litigieux les dispositions combinées du règlement (UE) 2019/1241 du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques ainsi que son règlement d'exécution (UE) 2020/967 du 3 juillet 2020 établissant les règles détaillées relatives aux caractéristiques concernant le signal et la mise en œuvre des dispositifs de dissuasion acoustique visés à son annexe XIII, partie A, au motif que cet arrêté s'abstient de prévoir des prescriptions techniques encadrant les niveaux à la source des dispositifs de dissuasion acoustique dans la fourchette comprise entre 130 et 150 dB mentionnée par ce règlement d'exécution. En effet, d’abord ce règlement ne s’applique qu’à certaines zones de pêche seulement dont le golfe de Gascogne ne fait pas partie et ensuite la limitation qu’il institue ne concerne que les filets maillants de fond ou les filets emmêlants et non les chaluts pélagiques visés par l'arrêté attaqué.

Enfin, ne saurait être opposée à l’encontre de la pertinence du dispositif retenu par l’arrêté querellé une étude concernant la mer Baltique car celle-ci présente des caractéristiques, d’ouverture et de profondeur, très différentes de celles du golfe de Gascogne et, en outre, cette étude se prononce uniquement sur l'usage de dispositifs de dissuasion acoustique associés à des filets fixes alors qu'il n'est pas établi que l'effet d'exclusion de tels dispositifs associés aux chaluts visés par l'arrêté attaqué serait équivalent. Au reste, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), dans des avis rendus en 2020 et 2023, a recommandé, pour réduire les captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, l'utilisation de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et démersaux, combinée avec des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées.

En l’état des connaissances scientifiques, la requête ne peut qu’être rejetée.

(20 mars 2023, Association Sea Shepherd France, n° 447253)

(125) V. aussi, portant sur plusieurs questions voisines mais assorties de demandes différentes, notamment la contestation du caractère suffisant des mesures de protection de certaines espèces, la décision, importante et innovante (justifiant sa publication au Recueil Lebon), jugeant que l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande de prise de mesures adéquates pour la protection des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, réside dans l'obligation, pour l'autorité compétente, que le juge peut d’ailleurs prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du CJA, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. L'arrêté attaqué et les décisions de refus de prendre des mesures suffisantes de protection sont annulés en tant, respectivement, que le premier ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés et que les secondes refusent de prendre de telles mesures.

Injonction est ainsi faite à l'État, dans un délai de six mois :

- d'adopter en premier lieu lesdites mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur caractère suffisant pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. 

- de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces : 20 mars 2023, Associations France Nature Environnement, n° 449788 et n° 459153; Association Défense des milieux aquatiques, n° 449849 ; Association Sea Shepherd France, n° 453700.

(126) V. également, rejetant un recours dirigé contre une prétendue inexécution ou mésexécution de la décision du Conseil d’État du 28 juillet 2020 (n° 429018) annulant d’une part une disposition réglementaire relative au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a et b) et le même arrêté, en tant qu'il ne comporte pas d'autres mesures de protection plus rigoureuses des bars juvéniles que celles qui résultent du droit de l'Union ou des délibérations du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins rendues obligatoires et, d'autre part, enjoignant au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l'incidence sur l'écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, en particulier s'agissant de la protection du dauphin commun. Le juge a relevé dans sa décision que le ministre a pris en cours d’instance un arrêté fixant une nouvelle taille minimale de capture du bar à 40 cm et estimé, à la date à laquelle elle a été rendue, au vu en particulier d'un avis du CIEM du 30 juin 2020, que la biomasse de bar dans le golfe de Gascogne était stabilisée à un niveau légèrement supérieur à celui permettant d'atteindre le rendement maximal durable : 20 mars 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 454842.

 

127 - Déchets – Obligation d’élimination – Charge de cette élimination – Dénaturation des faits de l’espèce – Annulation.

Le Conseil d’État décide qu’une carence de l’administration, non établie en l’espèce mais cet élément n’importe pas ici, dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière d’élimination de déchets ne saurait faire, par elle-même, échec à la mise en cause du détenteur des déchets ou du propriétaire du terrain quant à leur obligation de les éliminer. Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui se fonde sur cette carence prétendue pour juger illégal l'arrêté préfectoral attaqué mettant en demeure les propriétaires du terrain de procéder à leur enlèvement.

Dénature les pièces du dossier cette même cour administrative d’appel en ce qu’elle estime non négligents les propriétaires des terrains d’assiette de ces déchets  alors, d'une part, qu'elle constate que la pollution du site était établie depuis au moins vingt ans, à la suite d'un rapport d'expertise de 1999, confirmé ensuite par un bureau d'études en 2009, et que les propriétaires des terrains, qui habitent pourtant sur place, n'avaient attiré l'attention de l'administration sur les risques qu'en 2015, et, d'autre part, qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les propriétaires ne pouvaient ignorer la présence sur le site de très nombreux déchets, que plusieurs membres de l'indivision D., requérante, avaient eux-mêmes exploité une installation classée pour la protection de l'environnement sur le même site et connaissaient les risques liés au stockage des déchets et, enfin, qu'ils n'avaient procédé à aucuns travaux avant 2020.

(27 mars 2023, Indivision D., n° 462947)

 

128 - Déchets faiblement radioactifs – Valorisation – Absence d’atteinte aux principes de participation du public, aux principes de justification, d'optimisation et de limitation ainsi qu’au principe de non-régression – Rejet.

La requérante demandait, par deux recours distincts mais joints par le juge, l’annulation du décret n° 2022-175 du 14 février 2022 relatif aux substances radioactives éligibles aux opérations de valorisation mentionnées à l'art. R. 1333-6-1 du code de la santé publique (recours n° 463186) et celle du décret n° 2022-174 du 14 février 2022 relatif à la mise en œuvre d'opérations de valorisation de substances faiblement radioactives (recours n° 463187).

Les recours sont rejetés.

En premier lieu, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, pour soutenir que le principe de participation aurait été méconnu lors de l'adoption du décret attaqué, d'un moyen fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'art. 7 de la Charte de l'environnement car l’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement est intervenu afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'art. 7 de la Charte de l'environnement est applicable notamment aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics. 

En deuxième lieu, si les principes de justification, d'optimisation et de limitation sont applicables aux activités de valorisation de substances métalliques ayant précédemment été utilisées pour l'exercice d'une activité nucléaire réalisée dans une installation contrôlée pour la protection de l'environnement ou une installation nucléaire de base, ils ne sont pas applicables à la commercialisation et à l'utilisation des produits résultant d'une opération de valorisation, qui ne sont plus des substances radioactives telles que définies à l'art. L. 542-1-1 du code de l'environnement.

Il suit de là, compte tenu de l’intérêt général qui s'attache au développement de la valorisation des substances métalliques très faiblement radioactives issues d'installations dans lesquelles est exercée une activité nucléaire, que les décrets attaqués ne méconnaissent pas le principe de justification (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Semblablement, compte tenu des valeurs limites fixées qui sont nettement inférieures à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires, lesdits décrets ne méconnaissent pas davantage les principes d’optimisation et de limitation (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Enfin, et c’est sans doute là le principal apport de cette décision, si le principe de non-régression s'impose au pouvoir réglementaire lorsqu'il détermine des règles relatives à l'environnement, il n’est cependant pas invocable lorsque le législateur a entendu en écarter l'application dans un domaine particulier ou lorsqu'il a institué un régime protecteur de l'environnement et confié au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de dérogations qu'il a lui-même prévues à ce régime. Tel n’est pas le cas ici où le législateur n'a pas entendu écarter l'application du principe de non-régression ou confier au pouvoir réglementaire compétence pour déterminer les conditions de mise en œuvre de dérogations à un régime protecteur de l'environnement. Cependant, les décrets attaqués comportent des garanties destinées à prévenir les risques pour la santé et l'environnement notamment du fait de la très faible radioactivité des substances dont la valorisation est susceptible d'être autorisée sur le fondement des décrets attaqués et aux garanties qu'ils prévoient. Ainsi ces décrets ne conduisent pas à une régression de la protection de l'environnement. 

(27 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 463186)

 

129 - Centrale devant fonctionner en bonne part au bois comme combustible – Ressources forestières locales limitées et soumises à une protection particulière – Insuffisance de l’étude d’impact à cet égard – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à son annulation l’arrêt d’appel qui juge qu’une étude d’impact n'avait pas à analyser les effets sur l'environnement du plan d'approvisionnement en bois d’une centrale dont cette matière devenait le principal combustible alors que cette étude devait analyser non seulement les incidences directes sur l'environnement de l'ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d'être provoquées par son utilisation et son exploitation. Or, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'exploitation de la centrale de Provence repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales, ressources naturelles faisant l'objet d'une protection particulière. Il s'ensuit que les principaux impacts de la centrale sur l'environnement, par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, devaient nécessairement être analysés dans l'étude d'impact contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel. 

(27 mars 2023, Association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres, n° 450135)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Déchéance de la nationalité française – Commission d’actes de terrorisme – Rejet.

Le requérant, qui a acquis la qualité de Français en 2002, a été déchu de cette nationalité par un décret du 17 novembre 2021 pris sur le fondement des art. 25 et 25-1 du Code civil suite à une condamnation par le tribunal correctionnel à huit années d’emprisonnement, assorties d’une période de sûreté des deux tiers, pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits que l'art. 421-2-1 du code pénal qualifie d’actes de terrorisme.

Il demande l’annulation de ce décret, sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la décision querellée est correctement motivée. Elle ne contrevient pas au principe non bis in idem énoncé par l'art. 4 du protocole n° 7 à la CEDH car cette déchéance ne constitue pas une poursuite en matière pénale mais une sanction administrative. Cette dernière n’est pas excessive au regard de la gravité des infractions commises consistant à rejoindre un groupe terroriste, à participer à des entraînements et aux opérations armées de ce groupe.

Le comportement de l’intéressé postérieurement à ces faits, eu égard à leur nature comme à leur gravité, ne permet pas de remettre en cause l’appréciation portée par le décret attaqué qui a notamment pour effet de le priver de ses droits civils et politiques en France.

(15 mars 2023, M. A., n° 460443)

(131) V. aussi, assez largement comparable et allant dans le même sens : 22 mars 2023, M. B., n° 471511.

(132) V. également, rejetant le recours dirigé contre le décret rapportant le décret accordant la nationalité française à un ressortissant malgache pour dissimulation de sa situation familiale (marié et père d’une enfant) : 20 mars 2023, M. C., n° 463682.

 

133 - Refus d’autoriser l’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité – Fraude au revenu de solidarité active – Rejet.

Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil en s’opposant à l’acquisition de la nationalité française par un ressortissant algérien du fait d’avoir perçu, avec sa femme, le revenu de solidarité active, alors qu'en 2018, 2019 et 2020, il a séjourné en Algérie plus de deux cents jours par an et a été présent sur le territoire français durant seulement deux mois civils complets. En ne respectant pas l'obligation qui lui incombait de faire connaître à l'organisme payeur cette information relative à sa résidence et en percevant indûment d'importants montants au titre du revenu de solidarité active, faute de satisfaire à la condition de résidence stable et effective en France, l’intéressé s’est rendu indigne d’acquérir la nationalité française.

(20 mars 2023, M. A., n° 460239)

(134) V. la même solution retenue à l’égard d’une ressortissante israélo-américaine ne pouvant être regardée comme assimilée à la communauté française pour avoir adopté un mode de vie caractérisé par une méconnaissance et une ignorance des valeurs et principes essentiels de la société française : 20 mars 2023, Mme A., n° 461575.

(135) V. l’approbation par le juge du refus identique opposé à la demande d’un ressortissant congolais s’étant rendu coupable de fraude aux allocations versées par Pôle emploi, de conduite d’un véhicule sans permis et de blessures involontaires commise au volant d’un véhicule : 29 mars 2023, M. B., n° 463785.

 

136 - Libération des liens d’allégeance avec la France demandée et obtenue par le père – Demande, par la fille, de l’annulation de cet acte – Délai raisonnable de trois ans pour contester – Recevabilité de la requête – Annulation.

Le père de la requérante a demandé et obtenu le 19 octobre 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs et majeurs.

S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, faute de notification régulière, le délai raisonnable de saisine du juge ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

La requérante, qui était mineure à cette époque, et à qui cette autorisation n’a pas été notifiée, n’a été informée de son existence qu'à la suite d'un courrier du ministère de l'intérieur en date du 8 février 2022. Comme l'intéressée, qui vit en France, s'est vu délivrer, à plusieurs reprises, des pièces d'identité françaises ainsi qu'un certificat de nationalité française et qu'elle n'a jamais cessé d'être regardée comme Française, en particulier dans ses relations avec les administrations de l'État et des collectivités territoriales, sa requête, dans les circonstances particulières dont se prévaut Mme B., contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, est recevable.

La requérante étant mineure lors de la demande de cessation des liens d’allégeance avec la France, celle-ci devait émaner de ses deux parents or seul le père a sollicité cette mesure. Il s’ensuit qu’elle est fondée, pour ce qui la concerne, à demander l'annulation du décret du 19 octobre 1976 en ce qu'il porte libération de ses liens d'allégeance avec la France.

(20 mars 2023, Mme B., n° 467580)

 

137 - Naturalisation – Retrait du décret l’autorisant - Dissimulation d’un mariage – Adulte handicapé – Absence d’urgence – Rejet de la demande de suspension.

Un décret de naturalisation a été retiré pour dissimulation par l’intéressé de son mariage contracté avec une ressortissante étrangère en cours d’instruction de sa demande de naturalisation. Elle sollicite en référé la suspension de l’exécution de ce retrait en invoquant notamment l’urgence du fait de la perte d’aides financières qu’elle perçoit et du risque de ne pas obtenir de titre de séjour.

Le référé est rejeté car si le requérant soutient que ce décret fait obstacle à ce qu'il se maintienne régulièrement sur le territoire français et qu'il risque en conséquence d'être privé des aides financières dont il bénéficie du fait de son handicap, notamment l'allocation aux adultes handicapés, celles-ci étant conditionnées à la régularité du séjour en France pour les personnes de nationalité étrangère, le décret contesté n'implique pas, par lui-même, qu’il serait privé de tout droit au séjour sur le territoire français et, par suite, des aides dont il bénéficie. En outre, la seule circonstance invoquée par le requérant et tirée de ce que la préfecture de police de Paris lui a enjoint de restituer son passeport et sa carte nationale d'identité n'est pas de nature à établir que l'administration entendrait lui refuser un titre de séjour s'il dépose une demande en ce sens, alors au demeurant qu’il réside sur le territoire français depuis 2002 et y a été admis au séjour en 2011. 

(20 mars 2023, M. A., n° 471634)

(138) V. aussi, pour une solution identique à l’endroit d’une ressortissante camerounaise : 29 mars 2023, Mme D., n° 464242.

 

Étrangers

 

139 - Ressortissants turcs d’origine kurde – Demande d’admission au séjour pour motif de santé – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée à leur encontre – Arrêt infirmatif de l’annulation prononcée en première instance – Cassation et rejet de la demande d’annulation du jugement.

L’affaire est exemplaire de certains entêtements administratifs.

Les demandeurs, résidant en France depuis plus de dix ans et parents de quatre enfants français, ont fait l’objet d’une OQTF sous trente jours à raison du refus de leur délivrer un titre de séjour avec interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Ils ont obtenu du tribunal administratif l’annulation de ces décisions préfectorales pour erreur manifeste d’appréciation ; la cour administrative d’appel a, sur appel de leur auteur, annulé ce jugement.

Sur pourvoi des intéressés, le Conseil d’État est à la cassation après avoir relevé : « que M. et Mme A. résident en France de manière continue depuis plus de dix ans, qu'ils s'y sont mariés, et que leurs enfants, nés en France en 2013, 2015 et 2017, un quatrième enfant étant né en 2021, postérieurement aux décisions litigieuses, y ont toujours vécu, y sont scolarisés et parfaitement intégrés. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'excellente insertion de la famille est attestée par le maire de leur commune et par plusieurs dizaines de parents d'élèves, enseignants, voisins et amis, ce qui avait conduit la commission du titre de séjour des étrangers à émettre, le 11 mars 2020, un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour ; que M. A. disposait, à la date à laquelle ont été pris les arrêtés litigieux, d'une promesse d'embauche, transformée depuis en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, conclu le 5 janvier 2021, dans une entreprise du secteur du bâtiment ; enfin que la famille entretient des relations très étroites avec les frères de M. A. qui bénéficient en France du statut de réfugié. » Dès lors, a inexactement qualifié ces faits l’arrêt estimant que les arrêtés litigieux ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme A. au respect de leur vie privée et familiale. Le jugement de première instance est confirmé et en particulier l’injonction qu’il fait de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

(24 mars 2023, M. et Mme A., n° 453493)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

140 – Fonctionnaire - Abandon de poste – Notion - Régime applicable – Rejet.

La chose est assez rare pour être signalée : le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’en l’espèce un fonctionnaire était bien en état d’abandon de poste. En général, le juge administratif suprême répugne à apercevoir une telle situation, recherchant tous les moyens susceptibles de venir contredire ou contrecarrer l’état d’abandon.

Ici, un inspecteur des finances publiques a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de déplacement d'office à la suite de laquelle il a été affecté à une direction régionale des finances publiques à compter du 1er novembre 2018. Il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 5 novembre 2018, date à laquelle il était attendu, ni le 6 novembre 2018, sans en informer son administration. Il a ensuite fourni à son administration un arrêt maladie pour la période du 7 novembre au 7 décembre 2018.

Par un courrier du 21 novembre 2018 signifié par acte d'huissier, il a été invité à se présenter à son poste le 10 décembre 2018. Comme il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 10 décembre ni les jours suivants, un courrier du 14 décembre 2018 signifié par acte d'huissier, l’a mis en demeure de se présenter dans son nouveau service au plus tard le 19 décembre 2018, sous peine de s'exposer à être radié des cadres pour abandon de poste, sans le bénéfice des garanties de la procédure disciplinaire. Faute de s’être présenté le 19 décembre, il a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 20 décembre 2018.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté le recours formé contre cette décision. L’intéressé se pourvoit en cassation.

Pour constater l’abandon de poste le juge exige la réunion de deux séries de conditions.

En premier lieu, il incombe au service auquel appartient l’agent de le mettre en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié fixé par l'administration. Cette mise en demeure doit être écrite, notifiée à l'intéressé et l'informer du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable.

En second lieu, si l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

Tel était le cas en l’espèce où le requérant avait été mis en demeure, par un courrier du 14 décembre 2018 du directeur régional des finances publiques, de rejoindre son poste, au plus tard le 19 décembre 2018 et alors que ce courrier de mise en demeure lui a été signifié à son domicile, seule adresse connue de l'administration, par acte d'huissier de justice, le 17 décembre 2018 et que, en son absence, l'huissier de justice, conformément à l'article 656 du code de procédure civile, a laissé à son domicile un avis de passage, mentionnant que lui était signifié un courrier de mise en demeure de reprendre ses fonctions et que ce courrier devait être retiré dans le plus bref délai à son étude. 

(15 mars 2023, M. B., n° 456789 et n° 456844)

 

141 - Fonctionnaire d’État – Affectation d’office – Décision considérée comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de faire l’objet d’un recours – Allégation de faits de harcèlement moral – Obligation d’apprécier l’allégation – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

En principe, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

En l’espèce la cour administrative d’appel a considéré, comme le tribunal, que le recours dont l’avait saisie la requérante du fait de son affectation d’office au secrétariat général de la préfecture en qualité de chef de la mission de pilotage des politiques partenariales et de l'appui territorial par une décision du préfet, tendait à contester une mesure d’ordre intérieur et que comme tel il était irrecevable.

Le Conseil d’État annule cet arrêt au motif que l’intéressée faisait valoir que cette affectation d'office, alors qu'elle n'était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d'altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. Il incombait donc à la cour, à peine d’erreur de droit, de rechercher, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

(08 mars 2023, Mme B., n° 451970)

(142) V. aussi, dans cette même affaire, la décision cassant pour erreur de droit l’arrêt d’appel qui avait annulé le jugement du tribunal administratif reconnaissant l'imputabilité au service d'un accident survenu le 11 janvier 2017 et de la pathologie anxio-dépressive dont souffrait la requérante, au motif que la cour ne pouvait exiger, pour une reconnaissance de l’imputabilité au service, un lien non seulement direct mais également certain et déterminant entre l'état de santé de la requérante et ses conditions de travail : 08 mars 2023, Mme B., n° 451972.

 

143 - Fonctionnaire territorial – Exclusion temporaire de fonctions – Procédure disciplinaire irrégulière – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande de suspension de la sanction.

Si dans le cadre d’une procédure disciplinaire, l'administration n’est pas tenue d'informer le fonctionnaire poursuivi, préalablement à la séance du conseil de discipline, de son intention de faire entendre des témoins ou de l'identité de ceux-ci, le conseil de discipline, ayant décidé de procéder à l'audition de témoins, ne peut pas, sans méconnaître les droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure, entendre les témoins le jour même de la séance sans avoir mis en mesure le fonctionnaire poursuivi d'assister à leur audition. En l'absence du fonctionnaire, le conseil de discipline ne peut auditionner de témoin que si l'agent a été préalablement avisé de cette audition et a renoncé de lui-même à assister à la séance du conseil de discipline ou n'a justifié d'aucun motif légitime imposant le report de celle-ci.

L’ordonnance du premier juge est cassée pour erreur de droit en ce qu’elle a jugé que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure n'était pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension était demandée.

Statuant au fond, le juge de cassation retient l’urgence à décider dès lors que l’agent est privé de son traitement depuis le 8 avril 2022 et estime qu’est fondé le moyen d’irrégularité de la procédure disciplinaire ; il ordonne en conséquence la suspension de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans.

(ord. réf. 08 mars 2023, M. B., n° 463478)

 

144 - Fonctionnaire hospitalier – Demande de départ anticipé à la retraite – Validation de services en qualité de services actifs – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Rappel de ce que si la validation de services effectués en qualité d'agent non titulaire, en application des dispositions de l'art. 8 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locale, permet que les services correspondants soient pris en compte pour le calcul de la durée de services effectifs ouvrant droit à l'admission à la retraite, une telle validation n'a pas pour effet de les assimiler à des services accomplis dans des emplois de catégorie active pour l'application des dispositions du I de l'art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Commet donc une erreur de droit le tribunal administratif qui juge comme étant des services accomplis dans la catégorie active les services validés accomplis en qualité d'aide-soignante, et qu’ainsi est illégale la décision du 26 janvier 2014 lui refusant le bénéfice de l'admission à la retraite au motif que l'intéressée justifiait, compte tenu de ces services, d'une durée de quinze ans de services dans la catégorie active.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Lourdes, n° 447964)

 

145 - Chargé de travaux dirigés dans une université – Poursuites disciplinaires devant le CNESER - Refus de qualifier ses agissements comme constitutifs de harcèlement sexuel – Qualification inexacte des faits et sanction par trop infra-proportionnelle – Annulation.

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) a infligé à un chargé de travaux dirigés la sanction du blâme à raison de son comportement envers des étudiantes en estimant que celui-ci n’était pas constitutif de harcèlement sexuel.

Le Conseil d’État casse à bon droit ce jugement d’abord en ce qu’il a inexactement qualifié les faits de l’espèce (nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces), faits répétés à l'encontre de certaines étudiantes, qui ont créé une situation intimidante et offensante pour elles, et ensuite en ce qu’il a infligé une sanction trop faible car hors de proportion avec les fautes commises compte tenu de la nature de ces faits et de la relation d'autorité qui est celle d'un enseignant-chercheur avec ses étudiants ainsi qu'à l'exemplarité et l'irréprochabilité qui, par suite, lui incombent.

Pour motiver sa cassation le juge écrit ceci qui se passe de commentaire : « M. A. a proposé à plusieurs étudiantes de son groupe de travaux dirigés, qui avaient sollicité un entretien avec lui pour échanger sur la notation de leurs copies, de se rendre au restaurant ou de lui rendre visite à son domicile, en fin de semaine ou le soir, d'autre part, (…) il a proposé, lors d'un entretien en tête-à-tête, à une étudiante qui était souffrante de lui faire un massage, enfin, (…) il a assorti l'un de ses messages d'invitation à une soirée privée à l'une de ses étudiantes d'un commentaire sur son apparence physique et sur celui d'une de ses amies à qui était également destinée son invitation. »

(10 mars 2023, Établissement Sorbonne Université, n° 456602)

 

146 - Gendarmes – Recours formé par un syndicat – Recours en excès de pouvoir contre le refus de versement de sommes à des agents publics – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du refus du ministre de l'intérieur de faire bénéficier les agents du commandement des écoles de la gendarmerie nationale et du commandement des réserves de la gendarmerie nationale du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel.

Cette requête est jugée irrecevable par application du principe que nul en France ne plaide par procureur hormis le roi. En effet, c’est un principe constant que les syndicats de fonctionnaires et d’agents publics ne sont pas recevables à introduire eux-mêmes, en lieu et place des agents, un recours en excès de pouvoir contre une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues. 

(10 mars 2023, Syndicat Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés - Union nationale des syndicats autonomes (UATS-UNSA), n° 462076)

 

147 - Arrêté prononçant la mutation d’un magistrat administratif en qualité de président d’un tribunal administratif – Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA) – Composition et fonctions – Atteinte à l’impartialité et à l’indépendance de ses membres – Refus de transmission d’une QPC.

Contestant la décision du vice-président du Conseil d'État prononçant la mutation de 
M. C. en qualité de président du tribunal administratif de Paris et celle par laquelle il a rejeté son recours gracieux contre cette décision, le requérant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des art. L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative.

Sans surprise, le recours est rejeté.

Ces dispositions sont relatives aux compétences et à la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Tout d’abord, le fait que, parmi ses treize membres, le CSTACAA comprend le vice-président du Conseil d'État, en qualité de président, le conseiller d'État, président de la mission d'inspection des juridictions administratives et le secrétaire général du Conseil d'État, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est pas de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Au reste, ceci est confirmé par le Conseil constitutionnel (n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017), selon lequel quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance, en particulier à son égard.

Ainsi, doit être rejeté le moyen tiré de la méconnaissance par ces dispositions des principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 qui ne soulève pas une question sérieuse.

En outre, le requérant ne saurait faire valoir que les dispositions de l'art. L. 232-1, relatives aux attributions du CSTACAA, seraient, faute de préciser les modalités selon lesquelles il les exerce, entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte à ces mêmes principes, alors que le fonctionnement du CSTACAA est régi par l'art. L. 232-6 du même code, article qui n'est pas contesté dans le cadre de la QPC. 

Pas davantage les dispositions contestées ne sauraient être arguées de porter atteinte au droit à recours effectif devant une juridiction indépendante et impartiale alors qu’elles ne concernent pas les voies de recours contentieux contre les nominations des magistrats administratifs.

(10 mars 2023, M. B., n° 464355)

(148) V. identique, rejetant le recours – assorti d’une QPC et d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime - dirigé contre les nominations du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de la présidente du tribunal administratif de Melun : 10 mars 2023, M. D., n° 468104.

 

149 - Concours de recrutement de fonctionnaires et agents publics - Concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » - Irrégularités – Absence – Rejet.

Le recours d’un candidat malheureux au concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » donne l’occasion de rappels du droit des concours. On en signale deux.

En premier lieu, la circonstance que l’arrêté ministériel désignant les membres d’un jury de concours d'admission n'ait pas été publié est sans influence sur la légalité de la délibération du jury.

En second lieu, alors que quatre postes étaient à pourvoir, le jury a pu n’en pourvoir que trois en l’absence de fixation par les textes d’un seuil d’admission.

(17 mars 2023, M. D., n° 464646) 

 

150 - Fixation de la liste des emplois de conseiller d'administration de la défense – Absence d’inclusion dans cette liste de l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon – Erreur manifeste d’appréciation – Annulation.

L’arrêté du 26 avril 2017, modifié en 2021, pris pour l’application du décret du 12 décembre 2008 relatif à l'emploi de conseiller d'administration de la défense, ne  comporte pas dans la liste qu’il établit l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon alors que cet emploi, de l’aveu de la ministre autrice de cet arrêté, implique l'exercice de responsabilités comparables à celles qui sont confiées aux titulaires d'autres emplois mentionnés dans l'arrêté du 26 avril 2017.

Faute d’y avoir inclus cet emploi, la ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation conduisant à l’annulation assortie d’une injonction de modifier l'arrêté du 20 décembre 2021 pour y inclure l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon.

(17 mars 2023, M. C., n° 464985)

 

151 - Lieutenant de l’armée de terre – Dissimulation d’une coupure du réseau Intradef – Caractère fautif en dépit des effets positifs de cette action – Sanction non disproportionnée – Rejet.

La requérante a fait l’objet d’une sanction de dix jours d’arrêts pour avoir sciemment dissimulé à sa hiérarchie, dans le cadre de l’opération « Barkhane », qu'une coupure du réseau Intradef, qui permet l'échange d'informations opérationnelles au sein du ministère des armées, avait été effectuée par ses subordonnés en méconnaissance des consignes données sur la date et les conditions dans lesquelles cette action devait avoir lieu. 

L’intéressée faisait valoir pour sa défense, ce qui ne semble d’ailleurs pas contesté, que ses subordonnés auraient agi avec de bonnes intentions, que la procédure de maintenance mise en œuvre se serait déroulée dans des conditions plus favorables que celles qui auraient résulté de l'application des consignes données par la hiérarchie et que la dissimulation des dates auxquelles cette opération s'est déroulée s'expliquerait par ses relations dégradées avec le commandant d'unité. Le Conseil d’État n’en aperçoit pas moins en l’espèce un comportement fautif justifiant la sanction, non disproportionnée, qui lui a été infligée.

Il est bien connu que « La discipline fait la force principale des armées… ».

(17 mars 2023, Mme C., n° 465454)

 

152 - Personnel de la Caisse des dépôts et consignations – Accord collectif portant rupture conventionnelle – Disjonction d’un accord collectif global – Rejet.

(21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

V. n° 102

 

153 - Conseil général de l’environnement et du développement durable – Membres associés de la formation d’autorité environnementale ainsi que des missions régionales d'autorité environnementale – Membres ayant la qualité de fonctionnaires ou de contractuels – Indemnité réduite de moitié – Méconnaissance du principe d’égalité – Annulation.

Méconnaît le principe d’égalité l’art. 3 du décret n° 2022-466 du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable en ce qu’il prévoit que cette indemnité forfaitaire est réduite de moitié pour ceux de ces membres qui sont fonctionnaires et agents contractuels en activité.

En effet, ces personnes, qui siègent dans ces instances en sus de leurs activités professionnelles, ne sont pas moins qualifiées que les autres membres associés et n’y consacrent pas moins de temps qu’eux. Or le ministre n’a pas été capable de justifier cette différence devant le juge.

(27 mars 2023, M. B. et autres, n° 463421)

 

Libertés fondamentales

 

154 - Liberté de réunion – Interdiction d’une réunion au contenu susceptible de heurter de front les principes fondamentaux de la république – Rejet.

La requérante demandait, au moyen d’un référé liberté, l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant la conférence organisée par l'association « Les Profs Sudio » prévue le 5 mars 2023 sur le territoire de la commune, au regard du contenu très prévisible des interventions portant atteinte aux principes et valeurs de la république, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes, pouvant constituer dans certains cas des infractions pénales et des risques d'atteintes graves compte tenu du nombre important de participants prévus et de la montée en puissance de vives réactions sur les réseaux sociaux, qu'il serait difficile aux forces de police de maîtriser.

L’appel est rejeté par les motifs de la nature récurrente et grave des propos déjà tenus par l’intervenant principal à cette réunion publique ainsi que par d’autres intervenants, l’absence de sincérité d’un prétendu repentir formulé le jour même de l’audience de référé, le soutien donné à cette manifestation par des personnes ou entités salafistes, diffusant des ouvrages d’une organisation dissoute par décret notamment pour agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

(ord. réf. 04 mars 2023, Mme C., n° 471871)

 

155 - Demande d’asile – Refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Confirmation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

L’intérêt de cette décision, par-delà son rejet d’un pourvoi tendant à voir le Conseil d’État annuler la confirmation par la CNDA du refus, déjà opposé par l’OFPRA, de répondre favorablement à une demande d’asile, est signalé ici pour son contenu et sa rédaction.

Il faut d’abord retenir le caractère méticuleux et précis de l’examen des faits, actes, propos ou circonstances, par le juge de cassation. Sera noté ensuite le grand souci de retenir tout ce qui pourrait venir au soutien de la demande d’asile.

Même si, en l’espèce, cela se conclut sur un rejet, il est bon de savoir avec quel souci d’humanité et de bienveillance le juge s’assure qu’aucun élément n’est, en l’état, susceptible d’appuyer la thèse du requérant.

(06 mars 2023, M. A., n° 461466)

 

156 - Retrait du statut de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation de ce retrait par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Personne constituant « une menace grave pour la sûreté de l'État » même en l’absence de poursuite pénale - Annulation.

L’OFPRA se pourvoit en cassation d’un jugement de la CNDA annulant sa décision du 22 octobre 2019 de retirer à un ressortissant russe d'origine tchétchène, M. C., la qualité de réfugié qu’il lui avait reconnue le 20 décembre 2012.

Pour casser ce jugement, le Conseil d’État retient que l’intéressé « est connu des services de renseignements depuis 2010 en raison de liens actifs et réguliers dans la mouvance islamiste radicale et avec des membres de l'organisation terroriste " Émirat du Caucase ". Ces services ont notamment relevé qu'il avait entretenu des liens étroits avec M. B., qui a rejoint la zone irako-syrienne à l'été 2015, a intégré les rangs de l'État islamique et est présumé mort en 2016 et qu'il appartenait à un groupe de ressortissants tchétchènes liés à la mouvance djihadiste se réunissant régulièrement dans un local à Strasbourg. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée qu'il a été contrôlé à plusieurs reprises à bord de véhicules en compagnie de personnes liées à l' Émirat du Caucase, dont le frère de M. B. Enfin, il ressort du compte rendu de son entretien devant l'OFPRA que M. C. s'est borné à nier l'existence d'un groupe et d'un local dans lequel il se réunirait et a tenu des propos évasifs, confus et contradictoires sur la réalité et l'intensité de ses liens avec les personnes mentionnées dans la note blanche des services de renseignement, témoignant manifestement d'une volonté de dissimulation. Dans ces conditions, et alors même que M. C. n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale et que les documents produits par l'OFPRA ne font pas apparaître d'agissements à caractère terroriste qu'il aurait lui-même commis ». Ainsi, la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que M. C. représentait une menace grave pour la sûreté de l'État au sens et pour l’application de l’art. L. 511-7 (ex-art. L. 711-6) du CESEDA. 

(02 mars 2023, OFPRA, n° 458126)

 

157 - Demande de réexamen d’une demande d’asile – Rejet pour irrecevabilité - Éléments nouveaux apportés postérieurement – Office du juge – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile manque à son office en ce que, après avoir confirmé l’irrecevabilité d’une demande d’asile prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au motif que les risques de persécutions allégués n'étaient pas établis et que le demandeur à l’asile ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire, constate dans sa décision la présentation postérieure par le demandeur d’éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu'il justifie des conditions requises pour prétendre à une protection internationale, sans pour autant lui octroyer une telle protection. La cour devait d’abord annuler la décision d'irrecevabilité de l'Office et lui renvoyer la demande de réexamen afin que le demandeur soit mis à même de bénéficier de la garantie que constitue son entretien personnel.

(02 mars 2023, M. B., n° 461056)

 

158 - Droit d’asile – Demande d’asile jugée irrecevable par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et renvoi devant l’OFPRA – Dénaturation des pièces – Annulation.

La CNDA dénature les pièces du dossier à elle soumis  en ce que, pour écarter la valeur probante de documents produits par l’OFPRA à l’appui de sa décision d’irrecevabilité d’une demande d’asile, documents émanés du ministère italien des affaires étrangères et dont le caractère officiel n’est pas contesté par la CNDA, se borne à relever l'approximation des mentions y figurant, l'absence de production du relevé d'empreintes issu du fichier Eurodac, ainsi que le défaut de production d'éléments à la fois sur le déroulement précis de la procédure de demande d'asile en Italie et sur les motifs pour lesquels M. A. aurait obtenu cette protection en 2008.

(03 mars 2023, M. A., n° 462843)

 

159 - Demande d’asile au nom d’une enfant mineure – Demande d’hébergement de ses parents et d’attribution de l’allocation pour demandeur d’asile - Impossibilité technique avancée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – Réformation partielle d’une ordonnance.

Des parents ont déposé une demande d'asile au nom de leur fille mineure puis saisi le juge du référé liberté d’une demande d’injonction au directeur général de l’OFII de respecter les conditions matérielles d’accueil dont bénéficie leur fille, de leur attribuer un hébergement ainsi que l'allocation pour demandeur d'asile avec délivrance de la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

L'OFII relève appel de l’ordonnance de référé en tant seulement qu’elle lui fait injonction, en vue du versement aux parents de l'allocation pour demandeur d'asile au nom de leur fille mineure, de leur délivrer la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA. 

En effet, l’office fait valoir l'impossibilité technique, en l’espèce, de verser l'allocation sur une telle carte puisque la demande d'asile n’a été présentée qu’au nom d'un enfant mineur dont les représentants légaux n'ont jamais été demandeurs d'asile or, notamment pour des motifs de sécurité liés à la lutte contre la fraude, le système d'information lui permettant d'attribuer à un demandeur d'asile la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA est alimenté par les données relatives à l'identité du demandeur enregistrées par le ministère de l'intérieur lors du dépôt de la demande dans son propre système d'information et que l'attribution d'une telle carte implique qu'un demandeur d'asile majeur soit référencé dans le logiciel et qu'il soit actuellement ou ait précédemment été demandeur d'asile, ce qui n'est pas le cas des parents de l’enfant mineure en cause.

L’OFII propose donc le recours à la dérogation prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA en procédant au versement de l'allocation par virement sur le compte bancaire de l’un des parents. Outre que cette solution est équivalente à l’attribution de la carte – qui n’est qu’une carte de paiement, non de retrait -, l'OFII indique qu'il a conclu depuis 2019 un accord avec la Banque Postale pour faciliter les ouvertures de compte des demandeurs d'asile dans 360 bureaux référents, cette ouverture de compte étant facilitée par des mesures d’accompagnement des demandeurs d'asile.

C’est cette solution que retient le juge d’appel, réformant l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a de contraire à cette dernière.

(ord. réf. 14 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471676)

(160) Voir, identiques en substance : 23 mars 2023, M. C. et Mme A., n° 471873 ; 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 471953.

(161) V. aussi, un peu comparable mais avec demande d’hébergement, en l’état de parents d’une enfant ayant moins d’un an et qui a obtenu la qualité de réfugiée, la décision annulant le rejet par le tribunal administratif de leur demande tendant à voir ordonner à l’OFII et à l’État la fourniture d’un hébergement d’urgence : ord. réf. 07 mars 2023, Mme B. et M. E., n° 471728.

(162) V., voisin : 22 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471820.

(163) V., à l’inverse, confirmant le rejet par le premier juge d’une demande d’annulation du refus d’attribuer un hébergement d’urgence à un couple accompagné d’enfants de 10 et 13 ans et alors même que la mère ferait l’objet d’une intervention chirurgicale en ambulatoire, car il existe des situations d’urgence plus graves :  ord. réf. 09 mars 2023, Mme et M. C., n° 471727.

(164) V. dans le même sens, la confirmation de l’ordonnance de rejet d’une demande d’hébergement d’une mère de 62 ans et de son fils de 27 ans, en situation de handicap moteur et cognitif, hébergés provisoirement et à titre précaire, le soir, à l’hôpital Tenon à Paris : 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 472223.

(165) V. encore, constatant que le litige est devenu sans objet du fait que postérieurement à l’ordonnance attaquée, la vice-présidente du tribunal pour enfants a confié l’enfant mineure aux services de l'aide sociale à l'enfance pour une durée de six mois, l'allocation pour demandeur d'asile étant versée aux services de l'aide sociale à l'enfance : 10 mars 2023, Mme F. et M. C., n° 471729.

 

166 - Constructions illicites – Ordre préfectoral d’évacuation et de destruction – Recours en suspension assorti d’une QPC – Risques allégués d’atteinte à divers libertés et droits – Refus de transmission de la QPC.

L'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a entendu doter l’autorité administrative à Mayotte et en Guyane, en raison du caractère alarmant des constructions illicites, des moyens de riposte eu égard aux atteintes à la propriété, aux risques de troubles à l'ordre public et pour la santé et la salubrité publiques qui en découlent. 

Contestant la juridicité des décisions préfectorales ordonnant l’évacuation et la destruction de ces constructions, les requérants y ont joint une QPC en tant que les dispositions législatives précitées, qui fondent les décisions préfectorales, méconnaissent la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques alors qu’il est porté atteinte au respect de la vie privée, aux principes de fraternité et de sauvegarde de la dignité humaine et au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif (ce dernier moyen, nouveau en cassation, ne peut être retenu). 

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

D’abord, tant en raison de l’objectif poursuivi par la loi que des garanties mises par celle-ci à l’exercice des pouvoirs conférés à cette fin aux préfets, il ne saurait être soutenu qu’elle n'assure pas, de ce fait, une conciliation équilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ainsi qu’au principe de fraternité. 

Ensuite, en prévoyant que la mise en œuvre de ces pouvoirs est subordonnée à une « proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant », la loi a entendu prendre en compte la situation personnelle et familiale des personnes concernées, et notamment leurs facteurs de vulnérabilité. Elle a ainsi institué des garanties légales suffisantes de nature à respecter le droit au respect de la vie privée.

(10 mars 2023, Mme A., M. B. et Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n° 469663)

 

167 - Demande d’asile – Risque de persécutions du fait d’une conversion au christianisme – Preuve de cette conversion – Preuve rapportée après la clôture de l’instruction – Nécessité, dans les circonstances de l’espèce, de rouvrir l’instruction – Annulation.

Le requérant, de nationalité iranienne, a formé une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en faisant notamment valoir qu'il craignait d'être exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des persécutions de la part des autorités en raison de sa conversion au christianisme.

Le directeur général de l’OFPRA a rejeté sa demande, au motif notamment que son cheminement vers le christianisme, avant son départ d'Iran, n'était pas avéré. Puis, au dossier de l’instruction de l’affaire devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), a été versé, le 10 juin 2021, veille de la clôture de l'instruction écrite, intervenue cinq jours francs avant la date de l'audience, un mémoire contenant une note de sa division de l'information, de la documentation et des recherches relative aux conversions d'Iraniens au christianisme, dans laquelle l'OFPRA contestait, pour la première fois, la sincérité de la conversion au christianisme de l'intéressé, depuis son arrivée en France, et en concluait qu'il ne serait pas exposé à des risques de persécution en cas de retour en Iran. Dans un mémoire en défense qu’il a produit après la clôture de l’instruction, le requérant a produit un certificat de baptême. La Cour a expressément refusé de le prendre en compte.

Le juge de cassation commence par relever qu’en principe la seule circonstance qu'un mémoire en défense soit communiqué la veille de la clôture de l'instruction écrite devant intervenir cinq ou trois jours francs avant la date de l'audience n'implique, par elle-même, ni le report de l'audience, ni la réouverture de l'instruction écrite, eu égard à la possibilité pour la Cour de tenir compte des observations orales de l'autre partie sur cette nouvelle production et, le cas échéant, de diligenter un supplément d'instruction à l'issue de l'audience. 

Cependant, il estime, à juste titre, qu’en l’espèce, compte tenu de ce que le document produit par ce dernier contredisait tout à fait une pièce du dossier, la CNDA a irrégulièrement statué en ne communiquant pas ce certificat en rouvrant l’instruction pour satisfaire le principe du contradictoire ou en ordonnant un supplément d’instruction à l’issue de l’audience.

(15 mars 2023, M. B., n° 460953)

 

168 - Spectacle – Interdiction dans le cadre d’un festival – Spectacle comportant des passages nazis et antisémites – Répertoire ayant évolué – Absence de trouble avéré à l’ordre public – Atteinte à la liberté fondamentale de réunion - Confirmation de la suspension de l’arrêté municipal d’interdiction.

Au soutien de sa décision d’interdiction d’un spectacle du rappeur Freeze Corléone devant se tenir dans sa commune au sein du festival « Boumin Fest », la mairesse de Rennes invoque d’une part, les textes de celui-ci qui constitueraient « de véritables provocations et incitations à la haine, voire à la violence (...) remettant en cause les valeurs républicaines et la cohésion nationale », d’autre part, la circonstance que de tels propos seraient « de nature à très fortement exacerber les tensions déjà vives entre différents groupuscules politiques extrêmes présents à Rennes ».

La ville de Rennes interjette appel de l’ordonnance de suspension de l’arrêté d’interdiction. Le Conseil d’État, confirmant l’ordonnance du premier juge, rejette chacun de ces deux motifs.

En premier lieu, s’il est exact que l’intéressé a écrit et chanté des textes, dont le contenu n'est pas contesté, comportant des passages faisant référence de manière positive au nazisme et revêtant clairement un caractère antisémite, celui-ci soutient que ces textes ne sont plus ceux qui composent aujourd'hui ses concerts. Cette affirmation est confirmée par la communication des textes actuels de ses chansons, notamment celles devant être jouées à Rennes, et par la consultation sur Youtube des spectacles récents ou actuels du requérant.

En second lieu, l’allégation de troubles possibles à l’ordre public n’est pas assortie de la preuve de risques avérés, elle est donc insuffisante à justifier qu’il soit porté atteinte de manière évidente à une liberté aussi fondamentale que la liberté de réunion.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. F. Corléone, n° 472161)

 

169 - Extradition – Contrôle du juge – Irrégularités de la procédure suivie par l’État requérant – Absence de contrôle sur la qualification des actes retenue par les juridictions de l’État requérant – Absence d’infraction politique eu égard à sa gravité – Rejet.

Rejetant la demande d’annulation du décret autorisant l’extradition du requérant vers la Russie, le Conseil d’État rappelle un certain nombre de points gouvernant le droit extraditionnel

Tout d’abord, il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution desquels l'extradition a été sollicitée.

Ensuite, il résulte des principes généraux du droit applicables à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, absente en l’espèce, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

Enfin, le décret attaqué accorde l'extradition de M. A. pour des faits qualifiés de double meurtre commis en réunion avec préméditation par contrat, détention, transport et port illégaux d'armes à feu et de munitions. Une telle infraction n'est pas une infraction politique par sa nature et ne peut être regardée, compte tenu de sa gravité, comme ayant un caractère politique. En outre, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités russes dans un but autre que la répression, par les juridictions russes, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé.

(29 mars 2023, M. A., n° 461399)

(170) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret d’extradition d’un ressortissant tunisien et rappelant que le moyen tiré de ce que le demandeur aurait subi une durée de détention préventive excessive, en violation de l'article 5 de la convention EDH relatif au droit pour la personne arrêtée d'être traduite devant un juge, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition : 29 mars 2023, M. B., n° 468706.

 

171 - Asile accordée sur la base de documents frauduleux – Demande de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de révision de sa décision d’octroyer l’asile – Requête tardive – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

L’OFPRA a saisi la CNDA d’un recours en révision de sa décision accordant l’asile à un ressortissant russe d’origine tchétchène en raison de ce qu’elle résultait d’une fraude et ce recours a été rejeté pour cause de tardiveté.

Annulant ce refus, le Conseil d’État juge qu’en estimant que la computation du délai dans lequel devait être introduit un recours en révision avait commencé à courir à la date à laquelle les premiers éléments transmis par le ministère de l'intérieur avaient été reçus, sans rechercher s'ils étaient suffisants pour permettre de caractériser l'existence d'une fraude, la Cour a entaché sa décision d'erreur de droit. 

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 461951)

 

172 - Réfugié – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) d’une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) mettant fin au statut de réfugié – Insuffisance de motivation – Annulation.

La CNDA motive insuffisamment son jugement et manque à son office quand, saisie par l’intéressé d’une décision de l’OFPRA mettant fin à son statut de réfugié au motif que sa présence sur le territoire français constitue une menace grave pour la société au sens du 2° de l'art. L. 511-7 du CESEDA, elle annule cette décision en jugeant que tel n’est pas le cas et que la situation de l'intéressé ne relève d'aucune autre clause de cessation permettant de mettre fin au statut de réfugié alors que l’OFPRA s’était fondé sur le 3° de l'art. L. 711-4 de ce code devenu l'art. L. 511-8, portant fin de la qualité de réfugié, et que l'OFPRA demandait à titre principal à la Cour de faire application de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'art. 1er de la convention de Genève.

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462644)

 

Police

 

173 - Incendie d’un campement occupé par des roms – Action en référé en vue d’un recensement et d’un relogement des personnes, notamment mineures – Rejet.

Est rejeté l’appel dirigé contre l’ordonnance rejetant la demande de première instance tendant à ce que soient ordonnées - dans un délai de 48 heures et sous astreinte - aux autorités préfectorales et communales concernées diverses mesures de recensement des personnes en détresse et des mineurs isolés ainsi que des mesures de mise à l'abri ou de relogement des personnes dispersées à la suite de l’évacuation forcée d’un campement de roms à moitié détruit par un incendie né dans la nuit du 24 au 25 janvier 2023 ayant provoqué la mort d’une personne, qui occupait irrégulièrement un terrain correspondant à une ancienne bretelle de sortie d'autoroute.

Le juge d’appel relève, comme le premier juge, l'absence de carences caractérisées de la part des personnes publiques concernées dans l'accomplissement de leur mission d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes (cf. art. L. 345-2 à L. 5-2-5 code de l’action sociale et des familles) d’abord parce que la commune de Fresnes et la préfecture du Val-de-Marne ont constaté qu'aucune des personnes évacuées après l'incendie n'avait sollicité le bénéfice d'une mise à l'abri d'urgence dans le gymnase situé à proximité du campement et réquisitionné à cette fin le temps nécessaire à la recherche d'un hébergement pérenne, ou n'avait demandé à bénéficier des places en hôtel proposées aux familles qui en auraient formulé la demande, ensuite en raison de l'échec du diagnostic sanitaire et social lancé en août 2022 par l'État, en raison d'une opposition qui s'est manifestée sur place et, enfin, du fait que les personnes, évacuées du campement, qui se sont « repliées » sur un parking de Vitry-sur-Seine ou à Rungis, n'ont pas fait état d'une demande particulière au titre de l'hébergement d'urgence notamment auprès du Samu social par des appels au " 115 " ou d'une absence de prise en compte de situations signalées du fait de vulnérabilités particulières de certaines personnes.

(ord. réf. 06 mars 2023, Mme et M. BE et autres, n° 471862)

 

174 - Infraction au stationnement payant – Signalisation prétendue insuffisante – Erreur de droit – Annulation.

Un automobiliste a demandé à la commission du contentieux du stationnement payant d'annuler la décision du maire de Versailles rejetant son recours administratif dirigé contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement de 33 euros mis à sa charge par la commune de Versailles. Le magistrat à ce désigné a prononcé la décharge demandée et enjoint à la commune d'émettre un ordre de reversement sous deux mois.

La commune se pourvoit.

Pour annuler cette décision, le Conseil d’État relève l’erreur de droit commise en première instance du fait qu’il a été constaté qu'un panneau de type B6b4 était installé au niveau du 27 rue des Réservoirs, constituant l'entrée de cette voie dans le sens de la circulation vers le numéro 1 de la rue des Réservoirs et que la signalisation du stationnement payant cessait de produire effet après le n° 19 de cette rue, en raison de son intersection avec une autre rue, et qu'ainsi la signalisation du stationnement payant méconnaissait, dans cette portion de la voie, les prescriptions de l'article 55 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière. Le juge de cassation observe, à l’inverse, que le maire a, par un arrêté du 19 juillet 2019 réglementant le stationnement payant sur la voirie communale par zones en application des dispositions de l'article 55-1 de l'instruction interministérielle sur la sécurité routière, institué une zone dite « orange » dans le secteur Notre-Dame, zone agglomérée où 1300 places de stationnement payant sont délimitées sur différentes voies, dont la rue des Réservoirs devant le numéro 1 de laquelle il est constant que le contrevenant avait stationné son véhicule.

(10 mars 2023, Commune de Versailles, n° 466040)

 

175 - Amende forfaitaire délictuelle – Notification par envoi en courrier simple – Régime – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, ainsi que le refus de l’abroger, notamment en ce qu’il substitue, après constatation d’un délit, à l’envoi au domicile d’une notice de paiement et d’un formulaire de requête en exonération par lettre recommandée, une lettre simple désormais.

Le recours est rejeté, outre en ses moyens de légalité externe, en ses deux moyens de légalité interne.

En premier lieu, ces nouvelles dispositions se bornent à affecter les modalités d'envoi de l'avis d'infraction et sont seulement de nature, au cas où l'envoi par lettre simple n'aurait pas de date certaine, à rendre inopposable le délai applicable à la contestation de l'avis. Ainsi, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les intéressés du droit à un recours juridictionnel effectif (art. 6 et 13 de la convention EDH). 

En second lieu, ces dispositions sont applicables à l'ensemble des délits relevant de la procédure d'amende forfaitaire. Elles n'ont par elles-mêmes ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au mode de vie itinérant des gens du voyage, elles ne méconnaissent ainsi pas le droit des gens du voyage au respect de leur vie privée et familiale, ni n’instituent à leur encontre une discrimination incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention EDH. 

(17 mars 2023, Association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), association Action Grand Passage (AGP) et association protestante des amis des Tziganes (APATZI), n° 457736 ; Associations Union de défense active des forains (UDAF) et France liberté voyage, n° 462145)

 

176 - Chasse – Associations communales de chasse agréées (ACCA) – Création postérieure d’associations de chasse – Distinction chronologique ne constituant pas une discrimination prohibée au sens de l’art. 14 de la Convention EDH – Rejet.

Dans l’interminable contentieux né de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations de chasseurs et renforçant la police de l'environnement, contentieux opposant, dans les milieux de la chasse, les ACCA et les associations de chasseurs constituées postérieurement à la création d’une ACCA, est intervenu un avis de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (avis n° 16-2021-002 du 13 juillet 2022) sollicité par le Conseil d’État (15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036) sur la compatibilité de la dichotomie entre associations de chasse instituée par cette loi au regard de l’art. 14 de la Convention EDH. C’était d’ailleurs là la première demande d’avis du Conseil à la Cour EDH.

Au reçu de cet avis, le Conseil d’État rend une décision de compatibilité qui est un peu limite mais bien dans l’air du temps.

En bref, il est jugé que la distinction légale ne constitue pas une discrimination contraire aux art. 14 de la convention EDH et 1er du premier protocole additionnel à cette convention en tant qu'elle prive du droit de se retirer d'une ACCA existante les associations de propriétaires créées après la constitution de l'ACCA car, estiment les juges du Palais-Royal, « si les propriétaires regroupés en association postérieurement à la création d'une ACCA ne peuvent jouir d'un exercice exclusif du droit de chasse sur les terrains leur appartenant, ils disposent toutefois, en leur qualité de membres de droit de l'association communale, de l'autorisation de chasser sur l'espace constitué par l'ensemble des terrains réunis par cette association, la distinction temporelle qu'opèrent les dispositions du troisième alinéa de l'art. L. 422-18 du code de l'environnement entre ces associations et celles existant à la date de création de l'ACCA constitue une mesure proportionnée au but légitime poursuivi ». On peut être quelque peu surpris de ce qu’une interdiction d’être en paix chez soi n’est pas inconventionnelle puisqu’elle est (assortie du ? compensée par le ?) droit d’enquiquiner les autres chez eux.

(23 mars 2023, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036)

 

177 - Police de l’ordre public et de la sécurité publique – Chien dangereux – Chien retiré à son ropriétaire – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de fait ni dénaturation que le juge des référés a rejeté la demande de suspension de l’arrêté par lequel le maire de Juvignac a prononcé le retrait définitif au requérant de son chien ainsi que le placement de l'animal au refuge.

Il est établi que cet animal présente « un danger grave et immédiat » justifiant son placement en lieu de dépôt et qu’un vétérinaire l’a déclaré dangereux pour tout autre chien et toute personne de son entourage avec un niveau de risque de 3 sur 4.

Aucun doute sérieux sur la juridicité de l’arrêté querellé ne peut justifier la suspension de son exécution.

(24 mars 2023, M. B., n° 466442)

 

178 - Police des placements financiers - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

V. n° 87

 

Professions réglementées

 

179 - Monopole des pharmaciens – Produits de médecine nucléaire – Distinction entre médicaments radio-pharmaceutiques « A » et « B » - Rejet.

Les organisations requérantes demandent l’annulation du décret n° 2022-114 du 1er février 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l'activité de médecine nucléaire.

L'art. L. 6122-1 du code de la santé publique, prévoit qu’un décret fixe la liste des activités de soins et des équipements lourds soumis à autorisation de l'agence régionale de santé. Sur ce fondement, le décret du 30 décembre 2021 relatif aux conditions d'implantation de l'activité de médecine nucléaire décide qu'à compter du 1er juin 2023, l'activité de médecine nucléaire est soumise à une autorisation qui est accordée par site géographique et comporte l'une des deux mentions suivantes : « Mention A » lorsque l'activité concernée comprend les actes diagnostiques ou thérapeutiques hors thérapie des pathologies cancéreuses, réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou préparé conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptisé en système clos et « Mention B », lorsque l'activité concernée comprend en outre les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique préparé selon un procédé aseptisé en système ouvert, les actes diagnostiques réalisés dans le cadre d'exploration de marquage cellulaire des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides, les actes thérapeutiques réalisés par l'administration de dispositif médical implantable actif ou les actes thérapeutiques pour les pathologies cancéreuses réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique.

L'art. L. 4211-1 du code de la santé publique réserve aux pharmaciens, sauf dérogations, « 1° La préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine » (...) . Aux termes de l'art. L. 5121-1 de ce code, on entend par « 7° Médicament radio-pharmaceutique, tout médicament qui, lorsqu'il est prêt à l'emploi, contient un ou plusieurs isotopes radioactifs, dénommés radionucléides, incorporés à des fins médicales ». Enfin, aux termes du I de l'art. R. 5126-9 : « Pour assurer une ou plusieurs des activités prévues aux 1° à 10° suivants, la pharmacie à usage intérieur est tenue de disposer d'une autorisation mentionnant expressément cette ou ces activités ou délivrée tacitement à la suite d'une demande mentionnant expressément cette ou ces activités : (...) 6° La préparation des médicaments radio-pharmaceutiques (...) ». 

En premier lieu, si la préparation préalable d'un médicament radio-pharmaceutique, qui relève de l'autorisation portant la mention « B », ressortit à la compétence du pharmacien, en revanche, la manipulation d'un médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou sa préparation conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptique en système clos, seule activité autorisée au titre de la mention « A », ne saurait être assimilée à une préparation médicamenteuse relevant du monopole des pharmaciens. Il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des art. L. 4211-1, L. 4232-1 et R. 5126-9 du code de la santé publique en se bornant, pour les activités autorisées avec la mention « A » sur un site ne disposant pas d'une pharmacie à usage intérieur, à prévoir le simple « concours » d'un radiopharmacien régulièrement inscrit à la section compétente de l'ordre national des pharmaciens, sans imposer, comme il le fait pour l'autorisation portant la mention « B », que les médicaments radio-pharmaceutiques soient préparés sous le contrôle d'une pharmacie à usage intérieur et sous la responsabilité d'un radiopharmacien inscrit à la section H (pharmaciens exerçant dans les établissements de santé) de l'ordre national des pharmaciens.

En deuxième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que les mots concours et participation utilisés à l’art. D. 6124-190 du code de la santé publique, faute de définition, manqueraient à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité.

Enfin, il ne saurait davantage être soutenu que les dispositions du décret attaqué, en  imposant que la préparation préalable des médicaments radio-pharmaceutiques, qui relève d'une autorisation « mention B » pour laquelle le titulaire de l'autorisation doit disposer d'une pharmacie à usage intérieur autorisée à assurer l'activité prévue au 6° de l'art. R. 5126-9 précité du code de la santé publique, soit effectuée sous le contrôle de la pharmacie à usage intérieur et que l'équipe comprenne au moins un radiopharmacien présent sur le site pendant les activités relevant de sa responsabilité, n'aurait pas prévu de règles et garanties suffisamment précises, de nature à assurer la sécurité de l'usage des médicaments radio-pharmaceutiques et à protéger la santé publique, qu'il méconnaîtrait le droit de toute personne, garanti notamment par l'art. L. 1110-5 du code de la santé publique, de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées et des bonnes pratiques de préparation des médicaments radio-pharmaceutiques prévues à l'art. L. 5121-5 de ce code.

Les recours sont rejetés.

(16 mars 2023, Syndicat national des radio-pharmaciens, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, Conseil national professionnel de la pharmacie d'officine et de la pharmacie hospitalière et syndicat national des pharmaciens gérants et hospitaliers publics et privés, n° 462809 ; Conseil national de l'ordre des pharmaciens et Conseil central de la section H de l'ordre des pharmaciens, n° 462891, jonction)

 

180 - Entraîneur et driver de chevaux de course – Commission d’infractions diverses - Retrait d’autorisations – Rejet.

Sur injonction du ministre de l’intérieur, l'association France Galop, chargée de missions de service public en ce domaine, a retiré à l’intéressé l'autorisation de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course. Ce dernier a saisi le juge du référé suspension qui a accordé la suspension de la décision de France Galop.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, l’ordonnance du premier juge est cassée, le juge de cassation relevant que la décision querellée a été prononcée en raison de ce que le requérant a commis, en 2014, des faits de violence par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, de violence avec usage ou menace d'une arme et de menace de mort réitérée, qu'il a commis, en 2015, des faits de détention non autorisée de stupéfiants et de conduite de véhicule en ayant fait usage de stupéfiants, qu’il a été mis en examen en 2021 du chef d'escroquerie commise en bande organisée pour avoir, en sa qualité d'entraîneur, administré de façon répétée sur une période de plusieurs mois des produits dopants à des chevaux de course, ces faits ayant entraîné le placement sous contrôle judiciaire de l'intéressé le 9 septembre 2021.

Il est assez clair qu’en jugeant que le moyen tiré de ce que ces faits ne sont pas de nature à justifier le retrait de ses autorisations de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures de police litigieuses, alors que ces faits n'étaient pas sérieusement contestés par l'intéressé et que la poursuite de son activité était susceptible de porter atteinte au bon déroulement des courses hippiques et des paris dont elles sont le support et, ainsi, de créer des troubles à l'ordre public, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. B., n° 459720)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

181 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

V. n° 62

 

182 - Usage de stupéfiants par le conducteur d’un véhicule – Sanction pénale de cette infraction – Dépistage de l’état d’imprégnation stupéfiante – Absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait – Refus de transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État refuse la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC tendant à voir déclarer contraire à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit les art. L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route en tant qu’ils prévoient la possibilité de recourir à une analyse salivaire pour établir le délit d'usage illicite de conduite sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants, d'autre part l'évolution du cadre réglementaire fixant les modalités de dépistage des stupéfiants et de classement des plantes et substances classées comme stupéfiants, et que cette disposition a entraîné l'augmentation du nombre de condamnations judiciaires prononcées sur le fondement de l'art. L. 235-1 du code de la route.

Le Conseil d’État considère que ces éléments ne remettent en cause ni la portée du dispositif de la décision du Conseil constitutionnel (n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011) jugeant que les dispositions du I de l'art. L. 235-1 du code de la route qui définissent le délit de conduite d'un véhicule sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants et les sanctions encourues, dans leur rédaction issue de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007, étaient conformes à la Constitution, ni son champ d'application et qu’elles ne constituent pas un changement des circonstances de droit ou de fait.

(24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470132)

(183) V. aussi, rejetant le recours en QPC de la même requérante fondé sur l’inconstitutionnalité des dispositions combinées du troisième alinéa de l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'art. 495-17 du code pénal : 24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470350.

 

184 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

V. n° 211

 

Responsabilité

 

185 - Accident de la circulation dont a été reconnue l’imputabilité au service – Rupture d’anévrisme jugée non imputable à l’accident de service – Qualification erronée des faits – Annulation.

La requérante a été victime le 2 octobre 2012 d’un accident de la circulation jugé imputable au service. Le 21 mars 2013 elle est victime d’une rupture d’anévrisme qu’elle prétend imputable à l’accident de la circulation et donc au service.

La cour administrative d’appel a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de la décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident vasculaire cérébral au motif que les conclusions du rapport de l'expert ne reposaient que sur des probabilités et que ni ce rapport ni les autres pièces médicales versées au dossier ne permettaient d'établir avec certitude un lien direct entre la rupture d'anévrisme et l'accident de service dont la requérante a été victime.

Sur le pourvoi de la victime, pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État relève que la requérante, qui n'avait pas d'antécédents neurologiques ou vasculaires, a développé, après l'accident de la circulation dont elle a été victime le 2 octobre 2012 et dont l'imputabilité au service a été reconnue, une hypertension artérielle, un syndrome de stress post-traumatique et des céphalées importantes et que le traumatisme crânien subi à l'occasion de cet accident, associé à l'élévation anormale de la tension artérielle, exposait l'intéressée à un risque élevé de rupture d'anévrisme dans les mois suivant. Le juge de cassation en déduit hypothétiquement qu’en refusant d’apercevoir le lien entre l’accident de la circulation et la rupture d’anévrisme la cour a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

(08 mars 2023, Mme B., n° 456390)

 

186 - Déplacement d’une sonde à ballonnet – Nécessité d’une coloscopie – Perforation colique – Lien de causalité – Engagement de la responsabilité de l’hôpital – Rejet.

L’hôpital demandeur contestait l’engagement de sa responsabilité par une cour administrative d’appel et a formé un pourvoi en cassation contre son arrêt.

Au cours de l’hospitalisation d’un patient a été constatée la migration vers le côlon gauche d’une sonde à ballonnet placée en novembre 2015 afin d’assurer son alimentation entérale. L’aggravation de l’état du patient a d’abord provoqué l’échec de la coloscopie en vue d’extraire la sonde puis conduit à l’opération chirurgicale d'une péritonite stercorale provoquée par une perforation colique, à l'occasion de laquelle la sonde a finalement pu être retirée.

Une action en responsabilité a été dirigée par le patient contre le centre hospitalier demandeur à la cassation, son action ayant été reprise par son épouse au décès de ce dernier. Le centre hospitalier conteste la motivation de l’arrêt d’appel en ce qu’elle retient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche résultait d'un défaut de surveillance fautif du centre hospitalier entre le 11 et le 25 décembre 2015 et que la coloscopie du 4 février 2016, rendue nécessaire par la migration de la sonde, était à l'origine de la perforation colique subie par le patient. Elle a estimé qu’une faute a été commise par le centre hospitalier et que cette faute était à l'origine des complications médicales présentées par le patient du fait de la perforation colique. 

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État considère d’abord que si le centre hospitalier soutient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche a pu intervenir durant la seule journée du 24 décembre 2015, alors que le patient était rentré à son domicile, il résulte du rapport d’expertise que la migration de la sonde a nécessairement pris plusieurs jours, entre le 11 et le 25 décembre 2015, période durant laquelle il était hospitalisé. La cour n'a ainsi pas commis d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces en retenant que le défaut de surveillance du centre hospitalier de Chartres était fautif. 

Il considère ensuite que la cour n’a ni commis une erreur de droit, ni entaché son arrêt de dénaturation en retenant l'existence d'un lien de causalité entre la faute du centre hospitalier de Chartres et les préjudices subis par le patient du fait de la perforation colique dès lors que l'expert estimait que la coloscopie pouvait avoir favorisé la perforation colique.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Chartres, n° 460084)

 

187 - Retard de diagnostic – Prise en charge pour assistance par une tierce personne – Principes et régime applicables – Annulation.

Lorsqu’à été allouée à la victime d'un dommage corporel une indemnisation au titre des frais d'assistance par une tierce personne il y a lieu d’en déduire le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais.

D’une part, cette solution doit être appliquée même dans le cas où les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage.

D’autre part, cette déduction n’est pas possible lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Ces solutions ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime.

Dans le cas où la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

Ainsi, dans la présente espèce, la cour administrative d’appel a manqué à son office et commis une erreur de droit en jugeant qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnité ou de la rente allouée au titre de l'assistance par une tierce personne le montant perçu de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément éventuel et la prestation de compensation du handicap, sans rechercher si le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnisation mise à la charge du centre hospitalier excédait le montant total des frais d'assistance. 

(17 mars 2023, Mme et M. D., Centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 453647)

(188) V. aussi, identique sur la question de l’assistance d’une tierce personne : 21 mars 2023, Mme B. et Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Savoie, n° 435632.

(189) V. également, approuvant le juge des référés d’une cour administrative d’appel de s’être fondé sur les circonstances que la victime conservait l'usage de ses membres supérieurs et bénéficiait de la prise en charge de soins infirmiers deux fois par jour et de deux visites quotidiennes de l'association ADMR (services à la personne), pour juger que l'obligation d'indemniser Mme D. au titre de ses besoins futurs d'assistance par une tierce personne ne pouvait être regardée comme non sérieusement contestable que dans la limite de dix heures par jour : 21 mars 2023, Mme D., n° 455899.

 

190 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

V. n° 31

 

191 - Responsabilité hospitalière - Chute d’un toit – Admission dans un état très grave à l’hôpital – Faute dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale – Indemnisation à des titres divers – Rejets et annulations partiels.

A la suite du décès de leur mari et père, hospitalisé à la suite de la chute d’un toit l’ayant laissé dans un état grave, et en leur nom propre les requérants ont sollicité la réparation de divers préjudices subis du fait de fautes qui auraient été commises par le centre hospitalier dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale de la victime.

L’arrêt d’appel a été cassé par le Conseil d’État en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des droits de succession, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).

S’agissant de l'indemnisation des frais de soutien psychologique l’arrêt est annulé pour dénaturation en ce qu’il a refusé d’indemniser les frais futurs de soutien psychologique motif pris de ce que les demandeurs n'avaient pas produit d'éléments permettant de « chiffrer précisément » ce poste de préjudice alors qu’ils avaient fourni un certificat médical évaluant le besoin en cause à deux séances mensuelles de 60 euros chacune.

S’agissant de l’indemnisation des frais de succession est approuvé le refus par la cour d’une telle indemnisation car de tels frais, classiquement, ne peuvent être regardés comme un élément du préjudice résultant directement de la prise en charge fautive de la victime.

S’agissant de l'indemnisation des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et sur les revenus de substitution perçus par ses enfants, la cour a doublement dénaturé les pièces du dossier. D’abord en jugeant qu’il ne pouvait être tenu pour certain que la victime, à défaut de faute de l’hôpital, aurait pu exercer à nouveau ses fonctions de gestionnaire d'entreprise alors qu’une telle déduction ne résultait pas des pièces du dossier et notamment du rapport d’expertise. Ensuite, en jugeant que les deux enfants avaient perçu 37 621,80 euros chacun de pension d’orphelins jusqu’à l’âge de 21 ans alors qu’il résultait des pièces du dossier qu’ils n’avaient reçu, chacun, que 1767,60 euros.

Enfin, s’agissant de l'indemnisation du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que cet élément de préjudice ne se distinguait pas des préjudices moraux que le centre hospitalier et la SHAM ont été condamnés à indemniser alors qu'il s'agissait d'un préjudice distinct, dont la réparation incombait d'ailleurs au seul assureur du centre hospitalier.

(20 mars 2023, Mme E. et autres, n° 452939)

 

192 - Étudiante en architecture affectée d’un lourd handicap à la suite d’une intervention chirurgicale – Réparation des préjudices nés des frais d'aménagement de son appartement et des frais d'aménagement des domiciles de ses parents – Erreurs de droit – Annulation.

Le pourvoi de l’intéressée avait été admis contre un arrêt de cour administrative d’appel en tant qu’il se prononce sur les préjudices nés des frais d'aménagement de l'appartement de Mme A. ainsi que des frais d'aménagement des domiciles de ses parents. L’arrêt est cassé en raison de deux erreurs de droit.

Tout d’abord, après avoir reconnu la nécessité d’aménager l’appartement de l’intéressée à raison de son état et que la charge en incombait à l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la désignation d'un expert pour évaluer le coût des travaux d'aménagement du domicile, dès lors que l'intéressée avait la possibilité de faire établir elle-même directement des devis. Il incombait à la cour de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour que soit précisée l'étendue de ce préjudice.

Ensuite, pour juger que les frais d'adaptation du domicile familial ainsi que, après la séparation de ses parents, de l'appartement occupé par sa mère, n'étaient pas des préjudices personnels de la requérante, la cour s'est bornée à retenir que leur coût avait été exposé par ses parents. Ce jugeant était commise une erreur de droit.

En effet, lorsque le préjudice à réparer consiste dans l'aménagement du domicile de la victime, il ouvre droit à son indemnisation alors même que la victime n'a pas avancé les frais d'aménagement. En outre, si l'indemnisation des frais d'aménagement du logement doit porter en principe sur le domicile principal de la victime, cependant lorsque celle-ci justifie, eu égard aux contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps entre son domicile principal et un domicile familial ou celui d'un proche, elle est fondée, au titre de ce préjudice, à demander l'indemnisation des frais strictement nécessaires à son accueil dans cet autre domicile. Il incombait donc à la cour de tenir compte du fait, qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, que, s'agissant de la période immédiatement postérieure à son hospitalisation, le domicile familial constituait le domicile principal de Mme A. et, ensuite, de rechercher, s'agissant de la période postérieure à la consolidation de son état de santé et à l'installation dans un domicile principal situé à proximité du lieu de ses études, si les deux logements parentaux qui avaient été aménagés en raison de son handicap ne constituaient pas des lieux entre lesquels elle justifiait, en raison des contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps.

(21 mars 2023, Mme A., n° 454374)

 

193 - Conséquences dommageables d’un accouchement en centre hospitalier – Abstention de statuer sur une partie des conclusions – Arrêt statuant ultra petita – Annulation.

Encourt cassation à un double titre l’arrêt d’appel qui, d’une part, omet de statuer sur des conclusions en indemnisation de troubles dans les conditions d'existence subis par des parents ainsi que des troubles dans les conditions d'existence de leur fille aîné et, d’autre part, statue définitivement sur le préjudice moral des parents et de leur fille aînée alors qu’était demandée seulement une indemnisation à titre provisionnel dans l’attente de consolidation.

(21 mars 2023, Mme A. et M. E., n° 454817)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

194 - Test de dépistage du Covid-19 – Tarification en cas de réalisation en officine pharmaceutique – Tarification inférieure à celle des tests pratiqués par d’autres professionnels libéraux – Opération de dépistage collectif – Absence de disproportion manifeste contraire au principe d’égalité – Rejet.

Le ministre de la santé a fixé à 19 euros par acte, à compter du 1er juillet 2021, le tarif du prélèvement et de l'analyse réalisés dans le cadre d'un examen de détection des antigènes du Covid-19 ou SARS-CoV-2, par un dispositif médical de diagnostic in vitro lorsqu'ils sont effectués respectivement par les pharmaciens libéraux, ainsi que par les infirmiers diplômés d'État, médecins, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes et chirurgiens-dentistes, libéraux ou exerçant en centre de santé et à 15 euros lorsque cette opération est réalisée dans le cadre d'un dépistage collectif en établissement médico-social ou en centre ambulatoire dédié. Puis, par un arrêté du 11 février 2022, modificatif du précédent, entré en vigueur le 15 février 2022, le tarif a été ramené à 15 euros pour les seuls pharmaciens libéraux.

L’union requérante conteste une mesure qu’elle estime contraire au principe d’égalité et de nature à dissuader les personnes de s’adresser à eux.

Le recours est rejeté d’abord parce qu’en réalité lorsqu’ils effectuent ces tests ces derniers le font dans des conditions comparables à celles d'un dépistage collectif, ce qui a d’ailleurs conduit à ce que les pharmaciens libéraux aient effectués 85 % des 62 millions de tests réalisés en 2021, et en cela il n’y a pas de disproportion manifeste entre les deux tarifs, l’un, attaqué, applicable aux pharmaciens d’officine et l’autre appliqué aux autres professionnels libéraux ; ensuite, l’argument de fait est controuvé en ce que ne se constate pas l’effet désincitatif allégué sur les neuf premiers mois de l’année 2022.

(01 mars 2023, Union des syndicats de pharmaciens d'officine, n° 463994)

 

 

Reprendre encore un peu de Covid…, sur un contentieux intarissable…

 

Une série de décisions rendues notamment (mais pas que) par la dixième chambre de la section du contentieux mettent en lumière une certaine persistance du contentieux né du Covid et de son traitement administratif. L’obstination des requérants se heurte au mur des rejets du Palais-Royal sans pour autant que son élan soit brisé. L’échec semble même fouetter l’énergie des demandeurs : « Je t’aime moi non plus ».

 

195 - Ainsi, du rejet du recours en annulation du décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'il permet de bénéficier du « passe sanitaire » sur la présentation d'un justificatif de statut vaccinal, sans avoir à produire dans ce cas le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou d'un test antigénique car la différence de traitement instaurée par le décret attaqué entre, d'une part, les personnes vaccinées, qui pouvaient bénéficier du « passe sanitaire » en présentant un simple justificatif de statut vaccinal et, d'autre part, les personnes non vaccinées, qui devaient pour en bénéficier présenter le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou un test antigénique, est fondée sur une différence de situation des personnes concernées au regard du risque de transmission du virus. Cette différence de traitement, qui est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation et du motif d'intérêt général tiré de la nécessité de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus Covid-19 France et M. B., n° 454869)

 

196 - Il en va semblablement de la demande d'annuler le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, du moins en ce qu'il s'applique dans des lieux de plein air ainsi que dans les transports publics et en ce qu'il permet de supprimer les obligations de présentation du résultat négatif d'un test RT-PCR et de port du masque dans les lieux dont l'accès est soumis à présentation du « passe sanitaire ». Le rejet est fondé, outre l’argumentation développée au point précédent, sur l’absence de contrariété à l'objectif de santé publique poursuivi par la loi ainsi que sur l’absence de disproportion manifeste dans la situation qu’elle instaure.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus covid-19 France et autres, n° 455485)

 

197 - Pareillement, encourt le rejet la demande qui, outre l’annulation du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, tend à voir le premier ministre être enjoint de compléter la liste des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19, dans un délai qui ne pourra excéder quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, par la mention : « Antécédents de réaction d'hyper-immunité à une vaccination antérieure constatée par un certificat médical ». Outre plusieurs des motifs précédents, il est rappelé, la chose a été abondamment discutée en temps de Covid, que « l'administration d'un vaccin sur le fondement d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne constitue pas, eu égard à sa nature et à ses finalités, un " essai clinique " au sens de la définition qu'en donne l'article 2 du règlement n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. ». Ce vaccin n’a donc pas à être soumis au régime d’un tel essai.

(03 mars 2023, M. B., n° 457318)

 

198 - De la même manière, ne saurait prospérer le recours tendant à voir annulée l'instruction du 9 septembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relative à l'obligation vaccinale des personnels des services et établissements de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en tant qu'elle inclut dans le champ de l'obligation vaccinale contre la Covid-19 les psychologues de l'éducation nationale et les personnels administratifs travaillant dans les mêmes locaux que ces derniers. Le ministre pouvait édicter une obligation vaccinale s’imposant à des personnels alors même qu’ils ne font pas partie des professions médicales ou des professions relevant du champ sanitaire et médico-social et qu'ils n'exercent aucune de leurs missions dans des établissements de santé ou des établissements à caractère médico-social.

(03 mars 2023, Syndicat Action et Démocratie, n° 457370) 

 

199 - Dans la même lignée se situe le rejet de divers recours joints tendant plus ou moins à l’annulation de plusieurs dispositions du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié en tant, d'une part, qu'elles subordonnent, pour les personnes ne pouvant justifier ni d'un schéma vaccinal complet ni d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19, l'accès à certains établissements, lieux, services et événements à la présentation du résultat négatif d'un test ou d'un examen de dépistage et, d'autre part, qu'elles réduisent la durée du certificat de rétablissement de six à quatre mois. 

Il en va encore ainsi des demandes dirigées contre le « passe sanitaire » et le « passe vaccinal » ainsi que contre le « certificat de rétablissement ».

(03 mars 2023, M. A., n° 461280 ; Mme E., n° 462042 ; M. F., n° 462046 ; M. H., n° 462070)

 

200 - Est encore rejetée la demande d’annulation des deuxièmes alinéas du b) et du c) du 1° de l'art. 1er du décret n° 2022-176 du 14 février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire avec injonction à l'État de modifier les dispositions contestées afin de prendre en compte les différences immunitaires entre les personnes eu égard à leur situation vaccinale, et ce dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la décision du Conseil d’État.

(03 mars 2023, Association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE) et autres, n° 461485)

 

201 - N’avait pas davantage de chance de prospérer la demande d’annulation de l'art. 1er du décret du 14 février 2022 en ce qu'il réduit de six à quatre mois la durée de validité des certificats de rétablissement prévus par le 1° du A du II de l'art. 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Celles-ci ont parfaitement pu, au vu des circonstances, prévoir leur entrée en vigueur immédiate sans phase transitoire, d’autant que le principe du droit de l’Union dit de confiance légitime est inopérant en dehors de l’application directe ou de la mise en œuvre de ce droit.

(03 mars 2023, M. B., n° 461546)

 

202 - Voir aussi, rejetant ce même grief, en ce que cette réduction de validité de six à quatre mois ne reposerait pas sur un fondement scientifique et qu’elle porterait atteinte au principe de non-rétroactivité.

(03 mars 2023, Association BonSens.org, n° 461777) et aussi (03 mars 2023, M. B., n° 462149)

 

203 - Est encore rejeté le recours tendant à l'annulation des dispositions du 2° du V de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans la version que lui a donnée le décret modificatif du 17 septembre 2021 en tant qu'elles subordonnent les déplacements vers la Nouvelle-Calédonie des personnes de plus de dix-sept ans et ne présentant pas de contre-indication médicale à la vaccination anti-Covid-19 à l'obligation de présenter un justificatif de statut vaccinal. Le premier ministre était compétent pour décider cette mesure, l’urgence ne permettait pas de consulter, dans le délai organique requis, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et, enfin, la mesure prise n'a pas porté une atteinte injustifiée, inadéquate ou disproportionnée à la liberté d'aller et de venir ni, en tout état de cause, à la liberté de conscience (15 mars 2023, Mme R. et autres, n° 458526)

 

204 - Demande d’abrogation de dispositions réglementaires relatives à l’interdiction faite au médecin « de provoquer délibérément la mort » - Refus – Absence d’inconventionnalité – Rejet.

Les demandeurs recherchaient l’annulation des décisions implicites par lesquelles le premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation du deuxième alinéa de l'art. R. 4127-38 du code de la santé publique selon lesquelles le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Le recours est rejeté.

Le juge relève que cette prohibition est instituée par des dispositions législatives (code pénal et code de la santé publique) et que, contrairement à ce qui est allégué, la disposition réglementaire attaquée n’y ajoute pas une interdiction qui n’y figurerait pas.

Ensuite, cette interdiction ne contrevient nullement aux art. 2, 3 et 8 de la Convention EDH relatifs respectivement au droit à la vie, à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme (29 juillet 2002, Pretty c. Royaume-Uni ; 20 janvier 2011, Haas c. Suisse), ni non plus à l’art. 14 de cette Convention.

Enfin, en l’état des dispositions pénales, ces dispositions ne méconnaissent pas davantage l’art. 7 de la Convention EDH en ce qu'elles exposeraient les médecins à être condamnés pour une infraction qui ne résulterait pas clairement de la loi. 

(09 mars 2023, Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et autres, n° 453481)

 

205 - Accompagnement par un psychologue – Convention type de l’assurance maladie – Conditions de prise en charge des séances – Rejet.

Le recours tendait à l’annulation de l'arrêté ministériel du 2 mars 2022 fixant la convention type entre l'assurance maladie et les professionnels s'engageant dans le cadre du dispositif de prise en charge de séances d'accompagnement par un psychologue en tant que l'article 6.1 de cette convention-type prévoit que, pour que la séquence de soins bénéficie d'une prise en charge des séances dans le cadre du dispositif « MonPsy », « l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé en présentiel » et qu'au maximum 20 % du volume de l'activité conventionnée d'un psychologue peut être effectuée à distance.

Le recours est rejeté d’une part car en indiquant que l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé « en présentiel », l'article 6.1 du modèle de convention type critiqué se borne à rappeler ce qui résulte des dispositions mêmes de l'art. R. 162-68 du code de la sécurité sociale et d’autre part car elles ne portent atteinte ni au principe d’égalité ni à celui de non-discrimination pour ce qui regarde les psychologues ou les patients handicapés.

(09 mars 2023, M. A., n° 463798)

 

206 - Décision de limiter les soins thérapeutiques – Médecin revenant sur cette décision – Décision devant être considérée comme abrogée – Demande en référé liberté devenue sans objet.

Le requérant a demandé au juge du référé liberté d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 2 mars 2023 prise par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), portée à sa connaissance le 3 mars 2023, portant limitation des soins thérapeutiques dispensés à sa mère, Mme C.

Après rejet de sa requête et sur son appel, la cour a renvoyé le dossier au Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’appel car il est devenu sans objet dès lors que, constatant l’amélioration de l’état de santé de la patiente qui lui permettait d’exprimer sa volonté, l’administration hospitalière était revenue sur sa décision du 2 mars qui doit être considérée comme abrogée.

(27 mars 2023, M. C., n° 472046)

 

207 - Fixation du prix de cession de médicaments aux établissements de santé – Modification intervenue par avenant à une convention antérieure - Appréciation de l’amélioration du service médical rendu – Rejet.

Les laboratoires requérants demandaient l’annulation des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé a fixé le prix de cession hors taxe aux établissements de santé des spécialités Neofordex 40 mg, comprimé, et Dexliq 4mg/ml et invoquait au soutien de celle-ci divers moyens, tous rejetés.

En premier lieu, ne pouvait être invoquée au cas de l’espèce l’art. 17, relatif à la prévisibilité et à la stabilité des prix, de l'accord-cadre du 5 mars 2021, dès lors que celui-ci réserve expressément le cas où existe un accord conventionnel particulier entre les parties ce qui était le cas dans la présente affaire où les décisions litigieuses sont des avenants à des conventions antérieurement conclues.

Ensuite, n’est relevée aucune erreur de la part du Comité économique des produits de santé, dans son appréciation de l'amélioration du service médical rendu apportée par les spécialités en cause en vue d'en fixer le prix

(30 mars 2023, Société Les Laboratoires CT.RS, n° 463747)

 

208 - Autorisation d’exercice de certains professionnels de santé – Autorisation temporaire – Incompétence du ministre – Méconnaissance du principe d’égalité devant la loi – Annulation.

Le ministre de la santé a pris le 1er juin 2021 un arrêté prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dont l’art. 17 est ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre obtenu dans un État non membre de l'Union européenne ou non partie à l'accord sur l'Espace économique européen et permettant l'exercice de la profession dans le pays d'obtention de ce diplôme, certificat ou titre, présents dans un établissement de santé, un établissement social ou un établissement médico-social entre le 1er octobre 2018 et le 30 juin 2019 et ayant exercé des fonctions rémunérées, en tant que professionnel de santé, pendant au moins deux ans en équivalent temps plein depuis le 1er janvier 2015 se voient délivrer une attestation permettant un exercice temporaire, sous réserve du dépôt d'une demande d'autorisation d'exercice avant le 30 octobre 2021. »

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées avant 30 juin 2021, le Conseil d’État retient le moyen d’annulation soulevé par les requérants tiré de ce que le ministre, en réservant cette possibilité dans les conditions susénoncées, a fixé une condition que ne prévoient ni le premier alinéa du B du IV et le premier alinéa du V de l'art. 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 ni le décret du 7 août 2020 pris pour son application. Comme, contrairement à ce que soutient le ministre défendeur, cette disposition ne saurait être tenue pour avoir été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de la menace d'épidémie de Covid-19 sur la santé de la population, il s’ensuit qu’elle est entachée d'incompétence.

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées entre le 30 juin 2021 et le 30 octobre 2021, en premier lieu, la prolongation de la date limite de dépôt d’une demande d’autorisation d’exercice peut être considérée, compte tenu des mesures d'urgence qu'appelait, alors, l'épidémie de Covid-19, ce que les requérants ne contestent d'ailleurs pas, comme ayant été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population. En second lieu toutefois, en réservant la possibilité ainsi prolongée d'accès au dispositif dérogatoire aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'un établissement de santé, d'un établissement social ou un établissement médico-social, ces dispositions ne permettent pas de rendre compte de la diversité des situations au regard de l'objet de la loi concernant les praticiens exerçant dans d’autres environnements, notamment les libéraux. Il en résulte que la différence de traitement que les dispositions contestées ont instituée, qui n'est pas non plus justifiée par un motif d'intérêt général, méconnaît le principe d'égalité devant la loi. 

(31 mars 2023, M. S. et autres, n° 461396)

 

Service public

 

209 - Redevance d’assainissement – Rapport entre son montant et le service rendu – Éléments de coût pouvant être pris en compte en vue de la détermination de son montant – Cas des dépenses de personnel – Erreur de droit – Annulation avec renvoi sur ce point.

Une association a obtenu d’une cour administrative d’appel l’annulation de délibérations du conseil communautaire d’une communauté de communes arrêtant les règlements du service public d'assainissement non collectif géré en régie laquelle s’assure les services d'un prestataire titulaire d'un marché public afin d’exercer la mission obligatoire de diagnostic et de contrôle des installations d'assainissement non collectif et décidant de ne pas prendre en charge les prestations d'entretien des installations.

Pour annuler ces délibérations en tant qu'elles fixent le montant et les modalités d'appel de la redevance relative aux contrôles périodiques de fonctionnement des installations existantes, l’arrêt d’appel infirmatif a retenu que le montant annuel de la redevance collectée auprès des usagers avait fortement progressé à partir de 2016, que la communauté de communes ne justifiait pas de cette augmentation, dès lors qu'elle ne faisait état d'aucun déficit au titre des années antérieures, qu'elle n'apportait pas d'explication justifiant les sommes importantes imputées à compter de 2016 au budget du service au titre de salaires du personnel, alors que les prestations de communication, d'information, de contrôle d'établissement d'un fichier informatique, de rédaction de rapports de synthèse et, jusqu'en juin 2017, de facturation, avaient été confiées au titulaire du marché public conclu pour l'exécution du service d'assainissement non collectif, et que ce montant était largement supérieur, chaque année à partir de 2016, aux frais acquittés par la collectivité en paiement des prestations fournies aux usagers. Elle en a déduit que les tarifs fixés par les délibérations attaquées ne trouvaient pas leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers et méconnaissaient les dispositions des art. R. 2224-19-5 et R. 2224-19-10 du code général des collectivités territoriales.

Pour annuler cet arrêt, le juge de cassation rappelle d’abord comment il convient d’appliquer la règle d’équivalence entre montant de la redevance et service rendu, jugeant que si « l'objet du paiement que l'administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges du service public, il n'en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Il s'ensuit que le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. » Puis, examinant les faits de l’espèce, le juge reproche à la cour de n’avoir pas pris en compte que la communauté de communes soutenait que le personnel qu'elle avait mis à disposition du service à partir de 2016 avait notamment pour tâche, non seulement de concevoir le marché public de prestation de service et d'organiser sa passation, mais aussi d'assurer le suivi de son exécution, d'identifier les installations d'assainissement, d'assurer une veille de la réglementation applicable aux diagnostics des installations, d'assurer une partie de la facturation, à tout le moins à compter de juin 2017, et d'assurer une partie de la gestion des relations avec les usagers. Or la cour n’a pas recherché si, compte tenu des dépenses de personnel restant ainsi à la charge de la communauté de communes, le montant des redevances demandées aux usagers était proportionné au regard de l'ensemble des charges du service et de la valeur économique de la prestation pour ses bénéficiaires.

La cassation est prononcée dans cette mesure.

(08 mars 2023, Communauté de communes Randon-Margeride, n° 451725)

 

210 - Fédérations sportives délégataires de missions de service public – Nature de leurs actes – Rattachement ou non à leurs prérogatives de puissance publique – Absence en l’espèce – Rejet.

Si les décisions prises par les fédérations sportives, qui sont des personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé, cependant, lorsqu’elles ont reçu à titre exclusif délégation à l’effet d’exercer les missions prévues aux art. L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur les a chargées de l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif. Celles de leurs décisions qui procèdent de l'usage des prérogatives de puissance publique qui leur ont été attribuées pour l'accomplissement de cette mission présentent le caractère d'actes administratifs même lorsque ces décisions sont édictées par leurs statuts.  

Tel est le cas de la Fédération française de billard qui a reçu délégation du ministre chargé des sports, la juridiction administrative est donc compétente pour connaître des règles édictées par ses statuts si elles manifestent l'usage de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public. 

En l’espèce, le recours tendait à l'annulation de l'article 1.2.1, qui fixe les règles relatives aux associations et autres personnes composant la fédération, de l'article 1.3 permettant à la fédération de créer des organes déconcentrés au niveau régional et territorial et déterminant les devoirs de ces organes et le contrôle exercé par la fédération sur leur gestion et leur fonctionnement, de l'article 2.3.3 relatif aux incompatibilités avec le mandat de président de la fédération, de l'article 2.3.5 relatif aux conditions d'élection du bureau fédéral de la fédération, de l'article 2.4.1 relatif aux commissions obligatoires de la fédération et de l'article 3.1 relatif aux rétributions perçues par la fédération pour services rendus.

Ces dispositions ont trait à l'organisation et au fonctionnement interne de la fédération et ne manifestent pas l'usage par celle-ci de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public.

La requête est rejetée car portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(15 mars 2023, Ligue de billard d'Ile-de France, Ligue de billard du Centre-Val de Loire et Ligue de billard Grand Est, n° 466632)

 

211 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

La société requérante a soulevé une QPC à propos des dispositions combinées de l’art. L. 311-1 et du 2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles – relatives aux actions éducatives pour les élèves, mineurs ou majeurs, atteints de handicap - telles que les interprète le Conseil d’État.

Celui-ci déduit en effet des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap constituent une mission d'intérêt général, le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des établissements et services (cf.  2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles), dont font partie les instituts médico-éducatifs, revête le caractère d'une mission de service public.

La requérante fonde son action en QPC sur ce que sont ainsi méconnus les principes d'égal accès à l'instruction et d'égalité devant la loi, en tant que ces dispositions ainsi interprétées excluent que la mission assurée par les instituts médico-éducatifs revête le caractère d'une mission de service public, y compris au titre du service public de l'éducation. 

Le Conseil d’État rejette la demande de transmission au terme d’un raisonnement confus où se manifeste à plein l’indigence conceptuelle affectant les notions d’intérêt général et de service public. Le raisonnement vaut d’être cité en son entier : « Il résulte de ces dispositions (i. e. notamment les art. L. 111-1, L. 112-1 à L. 112-5 et L. 351-1 à L. 351-5 du code cde l’éducation) qu'il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsqu'elle s'effectue en tout ou en partie dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, cette scolarisation participe du service public de l'éducation. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que les dispositions qu'elle conteste ne confèrent pas à la mission de ces instituts le caractère d'un service public ne saurait en tout état de cause, par elle-même, avoir d'incidence sur l'égal accès à l'instruction des élèves en situation de handicap. » Comprenne qui pourra…

Enfin, pour couronner le tout est ainsi balayé l’argument de différence de traitement : « A supposer que puisse être regardée comme constitutive d'une différence de traitement l'orientation (…) des élèves en situation de handicap vers des structures particulières adaptées à leurs besoins alors que celles-ci ne sont pas, contrairement aux établissement scolaires, chargés d'une mission de service public, (…) une telle différence serait en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui visent précisément à assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants au moyen, pour ceux d'entre eux présentant un handicap, d'un régime particulier de scolarisation, par l'éducation nationale elle-même, dans l'enceinte d'établissements adaptés. »

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

212 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans délibération préalable abrogeant expressément la délégation consentie – Annulation sur ce point.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

V. n° 21

 

213 - Permis de construire – Sursis à statuer – Préservation d’un site médiéval – Instauration d’un espace naturel intermédiaire entre celui-ci et le village actuel – Absence de compromission du futur plan d’urbanisme – Dénaturation des pièces – Annulation.

Est annulé pour dénaturation des pièces du dossier l’arrêt d’appel qui, pour annuler le sursis à l’exécution d’une demande de permis de construire un bâtiment d'habitation comportant trois logements au motif que le projet litigieux n'était pas de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d’urbanisme contrairement à ce que soutenait la commune.

Le Conseil d’État relève que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable, soumises au débat du conseil municipal de Zellenberg lors de sa réunion du 28 novembre 2016, ont entendu préserver l'unité historique, architecturale et paysagère existante du village médiéval, installé sur un promontoire, en prévoyant le classement en espace naturel à vocation paysagère de la zone intermédiaire avec le front bâti du village. Or il résulte des pièces du dossier que le projet de construction litigieux, d'une surface de 339 m² sur trois niveaux, se situe sur l'une des quelques parcelles naturelles qui font partie de la zone dépourvue de construction autour de l'ensemble médiéval du village, et notamment de sa tour. Il suit nécessairement de là que ce projet était de nature à rompre le détachement visuel de la silhouette historique du village situé sur le promontoire que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable ont entendu préserver. C’est donc au prix d’une dénaturation de ce dossier que la cour a prononcé l’annulation du sursis à statuer sur la demande de permis.

(06 mars 2023, Commune de Zellenberg, n° 460214)

 

214 - Permis de construire – Permis de construire modificatif en vue de régularisation – Refus d’accorder ce permis – Demande de pièces complémentaires parvenue hors délai – Absence d’interruption du délai de constitution d’un permis tacite – Arrêté de suspension dudit permis valant retrait – Retrait illégal du permis pour défaut de contradictoire – Annulation.

Le requérant s’est vu délivrer le permis de construire une maison à usage d'habitation et une piscine par arrêté municipal du 16 mars 2018. Le tribunal administratif, saisi à cet effet par une association syndicale autorisée de propriétaires, a, d’abord, sursis à statuer afin de permettre au pétitionnaire d'obtenir un permis modificatif régularisant les vices tirés, d'une part, du caractère incomplet du dossier de demande de permis s'agissant de la rampe d'accès à la maison projetée et, d'autre part, de l'atteinte portée à la sécurité publique par la pose d'une buse dans un vallon en l'absence de prescription spéciale édictée par le maire.

Ce dernier a, par arrêté du 23 mars 2022, refusé de délivrer le permis modificatif de régularisation déposé le 20 décembre 2021.

Le juge des référés du tribunal administratif ayant rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022, l’intéressé se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le juge des référés du Conseil d’État est à la cassation.

Tout d’abord, il est relevé que, saisis de la demande de permis modificatif le 20 décembre 2021, les services municipaux ont adressé au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires le 19 janvier 2022, qui a été reçue le 21 janvier 2022, soit après l'expiration du délai d'un mois mentionné à l'art. R. 423-38 du code de l'urbanisme. Le juge rappelle à cet égard que, contrairement à ce que soutenait la commune, ce délai n’est pas un délai franc.

Il suit de là, d’une part, que la demande de pièces complémentaires n’a pas pu interrompre le délai d'instruction de la demande fixé par l'art. R. 423-23 du même code et que ce délai était expiré lorsque l'arrêté litigieux a été pris, le 23 mars 2022 et, d’autre part, que le permis modificatif sollicité par le requérant doit être regardé comme ayant été tacitement accordé. Ainsi, l'arrêté litigieux dont la suspension d'exécution était demandée au tribunal administratif doit s’analyser comme constituant un retrait de ce permis tacite.

Des dispositions de l’art. L.  211-2 du code des relations entre le public et l'administration il résulte qu’un tel retrait est soumis à une procédure contradictoire préalable, laquelle n’a pas eu lieu en l’espèce. Le retrait du permis est donc illégal sans que puisse faire échec à cette conséquence la circonstance, relevée par le juge des référés du tribunal, que des échanges ont eu lieu entre le pétitionnaire et le service instructeur car ces échanges n'ont pu constituer la procédure préalable requise par le code précité, dès lors que M. A. n'a pas été mis à même de produire des observations sur les motifs mêmes qui ont conduit le maire à retirer le permis de construire tacite dont il bénéficiait.

L’ordonnance de référé critiquée est entachée d’erreur de droit et encourt cassation pour avoir jugé que le moyen tiré de ce que la décision attaquée retirait illégalement une autorisation tacitement acquise n'était pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Statuant au fond, le juge de cassation rejette en premier lieu le moyen invoqué par la commune, selon lequel l'annulation par le tribunal administratif de l'arrêté du 16 mars 2018, en l'absence de notification de la mesure de régularisation refusée à M. A., l’aurait privé de son intérêt pour contester le refus opposé par le maire le 23 mars 2022 de lui délivrer le permis modificatif qu'il sollicitait en vue de la régularisation de son projet. En réalité, le recours de M. A. doit être regardé comme dirigé contre le refus du maire d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter. En second lieu, le juge décide que l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 doit être suspendue car sont réunies les deux conditions requises pour l’octroi d’une telle suspension : 1°/ il existe bien un moyen sérieux comme indiqué ci-dessus ; 2°/ il y a bien urgence à statuer car l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 porte atteinte, de façon grave et immédiate, à sa situation dès lors que la réalisation du projet est motivée par sa perte d'autonomie, nécessitant l'aménagement d'un accès à sa propriété mieux adapté à sa mobilité désormais réduite, et qu'il a engagé sur ses fonds propres des frais à hauteur de 200 000 euros et contracté un prêt bancaire à hauteur de 300 000 euros pour la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire délivré le 16 mars 2018, laissés inachevés en raison de l'annulation de ce permis de construire.

Enfin, cette suspension ayant pour effet de rétablir provisoirement le permis de construire modificatif tacitement obtenu par M. A., il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant aux fins qu'un tel permis de construire lui soit délivré ou que sa demande soit réexaminée.

(09 mars 2023, M. A., n° 466405)

 

215 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

V. n° 65

 

216 - Permis de construire un bâtiment à usage d’habitation – Demande d’annulation – Dossier du permis incomplet ou inexact – Condition d’annulation – Rejet.

Rappel d’une constante du contentieux du permis de construire et application positive à l’espèce.

« (…) la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. »

(17 mars 2023, Mme B. et M. C., n° 450074)

 

217 - Commerces transformés en « dark stores » - Détermination de leur catégorie d’appartenance – Entrepôts - Changement irrégulier de destination pour défaut de déclaration préalable – Impossibilité de régularisation – Rejet.

Un phénomène de mode urbanistique consiste, notamment à Paris, à transformer des commerces situés en rez-de-chaussée en locaux de réception et de stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs circulant à bicyclette : ce sont les « dark stores ».

La Ville de Paris, dans le souci de lutter contre le développement de cette fâcheuse occupation urbaine, a mis en demeure les sociétés requérantes de restituer lesdits locaux dans leur état d’origine. Deux des sociétés concernées ont obtenu du juge des référés la suspension de ces arrêtés, d’où le pourvoi formé par la ville.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance de suspension.

D’abord, le remplacement de commerces, c’est-à-dire des espaces de vente destinés à la présentation et à la vente de bien directement à la clientèle, par des entrepôts, s’agissant de lieux destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs supposait une déclaration préalable qui, en l’espèce, n’a pas été faite.

Ensuite, se posait la question de savoir si une telle déclaration aurait pu déboucher sur une décision de non-opposition à déclaration préalable. Les parties s’opposaient sur ce point, les sociétés en cause soutenant que cela était possible et la ville soutenant le contraire. C’est ce dernier point de vue que retient le juge en se fondant sur les art. R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme et sur l'arrêté ministériel du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu. En effet, il résulte de ces dispositions ainsi que de celles du 1° de l’art. UG 2.2.2 du plan local d'urbanisme que : « (...) La transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée est interdite ». 

(23 mars 2023, Ville de Paris c/ Sociétés Frichti et Gorillas Technologies France, n° 468360)

 

218 - Plan local d’urbanisme – Illégalité prétendue entachant son élaboration ou sa révision – Régularisation (art. L. 600-9 c. urb.) – Sort des autres moyens – Rejet.

Le Conseil d’État rappelle notamment, dans cette très longue décision, que le juge saisi de conclusions dirigées contre un plan local d’urbanisme est dans l’obligation, avant d’éventuellement mettre en œuvre l’art. L. 600-9 en vue de la régularisation de ce document d’urbanisme et de surseoir à statuer à cette fin, de constater qu'aucun des autres moyens soulevés n'est fondé et d'indiquer, dans la décision avant-dire droit par laquelle il surseoit à statuer sur le recours dont il est saisi, pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.

Si l'auteur du recours peut contester cette décision avant-dire droit en tant qu'elle écarte comme non fondés certains de ses moyens et en tant qu'elle fait application des dispositions de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, en revanche, il ne peut plus, à compter de la délibération régularisant le vice relevé, maintenir celles de ses conclusions qui sont dirigées contre la décision avant-dire droit en tant qu'elle met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, celles-ci devenant, par le fait même de la délibération de régularisation, sans objet.

(24 mars 2023, M. B. et Mme E., n° 448282 et n° 452908)

 

219 - Autorisation unique valant permis de construire et d’exploiter sept éoliennes – Refus – Annulation – Erreur de droit – Annulation et rejet.

Le juge rappelle à nouveau le sens et la portée de l’art. R. 111-27 du code de l’urbanisme lorsqu’il est appliqué à une demande d’autorisation de construire et d’exploiter des éoliennes.

Si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou encore à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Cette autorité doit d’abord apprécier la qualité du site sur lequel la construction est projetée. Elle doit ensuite évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Négativement, ce texte, ne permet pas qu'il soit procédé au cours de cette seconde phase à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux qu’il mentionne et, le cas échéant, qui figurent au plan local d'urbanisme.

Positivement, l’autorité administrative doit apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations. 

Ainsi, en jugeant que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'art. R. 111-27 du code de l'urbanisme en raison de l'implantation du projet en dehors du périmètre de protection institué par les dispositions du code du patrimoine, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

(24 mars 2023, Association Paysages et Forêts de l'Armançon, n° 460474 ; ministre de la transition écologique, n° 460637)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2023

Février 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.

Dès lors qu’est opposé à un agent public le refus de lui attribuer la nouvelle bonification indiciaire alors qu’il remplit les conditions pour en bénéficier, cette décision doit être regardée comme « refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir », au sens des dispositions de l'art. L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. 

En jugeant le contraire, le juge du tribunal administratif a entaché son ordonnance d’une erreur de droit, d’où l’annulation de cette ordonnance.

(03 février 2023, M. B., n° 459224)

 

2 - Communication de documents administratifs - Notes de frais et reçus des déplacements, notes de frais de restauration et reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet – Éléments ayant la nature de documents administratifs communicables – Injonction de communiquer.

Le Conseil d’État juge, très logiquement et même sous le sceau de l’évidence, que constituent des documents communicables les notes de frais et les reçus des déplacements, les notes de frais de restauration, les reçus des autres frais de représentations engagés par la maire de Paris ainsi que par les membres de son cabinet sans que puissent y faire obstacle le prétendu respect de la vie privée des personnes invitées ou accompagnatrices.

La solution doit être non pas seulement approuvée mais applaudie.

Tout d’abord, il est de l’essence même de la vie démocratique où l’impôt repose sur tous que tous puissent connaître l’usage et la destination des fonds prélevés de force sur leur patrimoine personnel et sur leur travail, à défaut de quoi les contributions fiscales et autres redevances perdraient toute légitimité.

Ensuite, il ne saurait exister aucun obstacle à cette communication et surtout pas l’invocation de la vie privée des personnes car s’il en était ainsi c’est que les frais en cause n’auraient pas dû relever d’un décaissement public mais d’un financement sur les propres et privés deniers des intéressés directs. Au reste, si l’on devait admettre une telle exception, même encadrée, disparaîtrait dans un gouffre malséant toute dépense faite avec ou au profit d’un quidam quelconque.

Il faut ici rappeler que le Conseil d’État avait jugé communicables les pièces comptables relatives aux gerbes florales que le Président Mitterrand faisait déposer le 11 novembre sur la tombe de Philippe Pétain à l’île d’Yeu (27 novembre 2000, Association Comité tous frères, n° 188431, au Recueil Lebon).

(08 février 2023, Ville de Paris, n° 452521)

 

3 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

Dans un litige né du refus d’un centre hospitalier de communiquer à une association son registre de contention et d'isolement, le juge rappelle la communicabilité de principe de ce document sans que puisse y faire obstacle le fait que l’art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique a prévu que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement. Ces dispositions, ainsi que jugé à bon droit par le tribunal administratif, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles fixées par les dispositions du code des relations entre le public et l'administration relatives au droit d'accès aux documents administratifs.

Ensuite, les éléments permettant d'identifier les patients doivent, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du code des relations entre le public et l'administration, être occultés préalablement à la communication du registre de contention et d'isolement, afin de ne pas porter atteinte au secret médical et à la protection de la vie privée, comme doivent également l'être celles permettant d'identifier les soignants, afin d'éviter que la divulgation d'informations les concernant puisse leur porter préjudice. 

Enfin, et c’est la nouveauté principale de cette décision, quand bien même l'identité des patients a fait l'objet d'une pseudonymisation, laquelle ne permet l'identification des personnes en cause qu'après recoupement d'informations, il est de l’office du  juge administratif d'apprécier si, eu égard à la sensibilité des informations en cause et aux efforts nécessaires pour identifier les personnes concernées, leur communication est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical.

Appliquant ces préconisations à l’espèce, le juge considère que la conjonction de la nature des informations en cause, qui touchent à la santé mentale des patients, et du nombre restreint de personnes pouvant faire l'objet d'une mesure de contention et d'isolement, rend de fait leur identification facilitée, d’autant que les autorités énumérées à l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique peuvent accéder à l'ensemble des informations figurant sur les registres et contrôler l'activité des établissements concernés. C’est pourquoi l'identifiant dit « anonymisé » figurant dans les registres de contention et d’isolement, sous la forme de « l'identifiant permanent du patient » (IPP) ou sous celle d'un identifiant spécialement défini, doit être regardé comme une information dont la communication, parce qu’elle est susceptible de porter atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical, n'est communicable qu'au seul intéressé en vertu des dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration.

Le jugement est censuré en tant qu’il a enjoint au centre hospitalier requérant au pourvoi de communiquer à l'association demanderesse le registre de contention et d'isolement sans occultation préalable de l'identifiant « anonymisé » du patient. 

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

 

4 - Réponse à une demande d’information - Décision administrative – Absence - Document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation – Absence – Rejet.

Par un courrier relatif à l'intéressement et à la participation dans les enquêtes du bureau des enquêtes de coût, le délégué général pour l'armement a, en réponse à une demande du Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), indiqué que l'intéressement et la participation des salariés ne seraient pas pris en compte dans le coût de revient des enquêtes réalisées par le bureau des enquêtes de coût du service des achats d'armement et que ces éléments n'avaient pas non plus vocation à être intégrés dans les éléments comptables de valorisation des devis.

Le CIDEF, sa demande d’abrogation de cette prise de position ayant été rejetée implicitement, saisit le Conseil d’État d’un recours dirigé contre ce silence assorti d’une demande d’ordonner l’abrogation de ce refus.

Le recours est rejeté au terme d’un raisonnement discutable.

Se fondant sur la notion de documents à portée générale susceptibles d’effets notables, notamment ceux à caractère impératif ou constituant des lignes directrices, les juges du Palais-Royal estiment que le refus d’abroger n’est pas susceptible, ici, d’un recours pour excès de pouvoir. Il est soutenu que la lettre litigieuse répondait à une demande de la requérante et lui faisait part de l’interprétation de son auteur quant à la notion de coût de revient des prestations dans le cadre des marchés de défense, ainsi elle ne révèlerait « par elle-même aucune décision ». Peu sûr de lui, mais cherchant à convaincre par emploi d’un psittacisme argumentatif, le juge ajoute aussitôt « Dès lors que cette lettre se borne à répondre à une demande d'information particulière, elle ne saurait être regardée comme constituant un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des entreprises du secteur industriel de la défense », ce qui répète la phrase précédente.

Faut-il comprendre qu’une réponse à une demande particulière d’information n’entre dans la catégorie des « mesures à portée générale d’effets notables » que si elle est elle aussi à portée générale ? Mais il n’en est que rarement ainsi dès lors que la demande est « particulière ». Ou bien faut-il entendre ici que c’est parce qu’elle n’est pas susceptible d’effets notables sur les membres du CIDEF que cette solution est retenue ? Ou bien encore, l’obscurité des critères et du propos autorisant bien des suppositions pour sortir du « noir », faut-il considérer qu’ici c’est la conjonction d’une réponse à une question particulière et de l’absence d’effets notables qui fonde la réponse du juge ?

Voilà une solution qui, comme l’on dit, « interpelle »…

Mais, comme un malheur n’arrive jamais tout seul, voilà qu’en l’espèce, contrairement à ce que dit la décision, d’une part, la réponse litigieuse a bien des effets notables sur les intéressées puisqu’elles apprennent par elle, et par elle seule, la réduction de leurs marges bénéficiaires du fait de l’interdiction de déduire certaines charges, et d’autre part, que pour être « particulière » la question concerne toutes les entreprises du secteur…

Alors quid ? Marc de café ? Boule de cristal ? Tirage des cartes ? Prières à Sainte Rita ?

(10 février 2023, Conseil des industries de défense françaises (CIDEF), n° 460448)

 

5 - « Lignes directrices en matière de criblage » - Politique de versement des subventions à vocation humanitaire - Aide humanitaire et lutte contre le terrorisme et le blanchiment – Acte comportant des mesures réglementaires – Incompétence du ministre signataire – Annulation.

Les associations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir d’un document intitulé « Lignes directrices en matière de criblage », émané des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, relatif à la politique de « criblage » aux fins de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme en matière d'actions humanitaires et de stabilisation.

Ce document définit le « criblage » comme un processus destiné à vérifier, préalablement à la réalisation d'un projet de développement ou d'un projet à vocation humanitaire, qu'une personne physique ou morale devant bénéficier du versement de fonds dans le cadre de tels projets ne figure pas sur les listes de personnes faisant l'objet de mesures restrictives en termes d'avoirs décidées par les autorités européennes ou nationales. 

La requête en excès de pouvoir reposait sur le fait que cette obligation de « criblage », visant les bénéficiaires finaux ainsi que les partenaires de mise en œuvre récipiendaires de subventions, est applicable aux organismes de la société civile et ne ménage qu'une exemption restrictive pour les seuls projets à vocation humanitaire.

Pour annuler ce document, le juge retient l’incompétence du ministre signataire car, sous couleur de « lignes directrices » il impose des conditions nouvelles, tant à l'octroi de subventions, par les services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ou du groupe Agence française de développement (AFD), aux organismes de la société civile qui demandent le financement de projets incluant une mise à disposition de fonds ou de ressources économiques à des personnes physiques ou morales, qu’en prévoyant une dérogation pour les projets qui répondent directement aux besoins essentiels des populations en situation de risque humanitaire. Ces dispositions revêtent ainsi un caractère réglementaire et, à leur égard, les agents des services instructeurs ne disposent d'aucun pouvoir d'appréciation permettant d'y déroger. Or, aucun texte ne donnait compétence au ministre pour édicter de telles règles d’autant que, contrairement à ce qui est soutenu en défense, l'obligation de « criblage » ne peut pas être regardée comme la conséquence nécessaire de l'application de dispositions du code monétaire et financier,  lesquelles ne posent qu'une interdiction de mise à disposition de fonds ou de ressources économiques au profit des personnes qui font l'objet d'une mesure de gel, sans préciser les moyens par lesquels cette interdiction doit être respectée. 

On voit combien cette décision, par sa clarté et sa netteté, contraste avec l’incertaine décision précédente.

(10 février 2023, Associations Coordination Sud, Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Fédération Handicap International, CCFD - Terre solidaire, Centre de Recherche et d'Information pour le Développement, Coordination Humanitaire et Développement et Secours catholique, n° 461486)

 

6 - Rapport annuel d’activités de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) – Demande d’annulation de passages concernant les requérants – Absence de caractère réglementaire ou de nature de document à effets notables – Rejet.

Il était demandé au juge, en premier lieu, d’annuler pour excès de pouvoir les rapports annuels d'activité 2003, 2016-2017 et 2018-2020 de la Miviludes, à tout le moins en tant qu'ils comportent des développements négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont les personnes requérantes font partie ou portant atteinte à leur réputation et plus largement à l'activité de yoga qu'elles pratiquent.

Il lui était également demandé, en second lieu, d'enjoindre à la Miviludes et au ministre de l'intérieur de retirer de tout support ou documentation les références aux passages du rapport comportant des éléments négatifs à l'égard des mouvements pratiquant le yoga et la méditation dont elles font partie.

Les recours, joints, sont rejetés pour irrecevabilité manifeste, le juge relevant que ces rapports ne revêtent pas un caractère réglementaire ni ne constituent des documents à portée générale susceptibles d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elles s'adressent et que leur irrégularité est insusceptible d’être couverte en cours d’instance.

Détaillant son raisonnement pour chacun des trois rapports visés, le Conseil d’État juge que s’agissant de celui de 2003, où il était reproché au groupe Shri Ram Chandra Mission, « en des termes affirmatifs », d'exercer une emprise psychologique sur ses membres par un contrôle pesant de leur comportement privé et par un conditionnement de leurs enfants, il ne peut plus être regardé, à la date de la présente décision, comme susceptible d'influer de manière significative sur les comportements ou comme produisant des effets notables, eu égard à son ancienneté. D’ailleurs son contenu n’a pas été repris tel quel dans les rapports plus récents.

Ensuite, concernant le rapport 2016-2017, le juge n’y aperçoit que des informations destinées au public sur des risques que présentent des propositions émanant d'individus isolés ou de petites structures gravitant autour d'organisations internationales comme la Shri Ram Chandra Mission, sans exprimer de mise en garde ou prise de position concernant les associations requérantes elles-mêmes. De plus, le simple rappel, dans une note de bas de page, de ce que la Shri Ram Chandra Mission a fait l'objet de « plusieurs signalements défavorables » auprès de la Miviludes, sans porter d'appréciation sur le bien-fondé de ces signalements, ne traduit pas davantage de prise de position de nature à avoir une influence notable sur le public.

Enfin, le rapport 2018-2020, selon les juges du Palais-Royal, s’il fait figurer les associations requérantes parmi les « mouvements ou techniques qui ont suscité le plus d’interrogations sur les trois dernières années », se borne cependant à indiquer que ces derniers « présentent à des titres et des degrés divers des risques pour les adeptes », dont une typologie globale est dressée, sans que ces risques soient spécifiquement associés aux associations requérantes ni que des faits précis leur soient imputés ou qu'une mise en garde soit explicitement formulée. Par suite fait ici encore défaut, dans ces conseils de vigilance, le caractère de mesure susceptible d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles s'adressent les requérants et ne sont pas de nature à produire des effets notables à leur égard justifiant qu'elles puissent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(10 février 2023, Associations Shri Ram Chandra Mission France et Institut Heartfulness, n° 456954 et n° 461330, jonction)

 

7 - Demande de retrait d’une déclaration conjointe sur la modification du tunnel routier du Fréjus – Déclaration prise en application d’une convention internationale – Acte non détachable de la conduite des relations internationales de la France – Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Échappe à la compétence de la juridiction administrative la connaissance de la requête tendant au retrait de la déclaration conjointe « sur la modification du tunnel routier du Fréjus » du 3 décembre 2012 car cette déclaration prise en application de la convention franco-italienne du 23 février 1972 concernant le tunnel routier du Fréjus et cette convention elle-même ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France.

(24 février 2023, M. Daniel B. et autres, n° 463543)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.

Le maire requérant a demandé en vain l’annulation de la décision préfectorale ayant donné récépissé à une société de sa déclaration au titre de la loi sur l'eau, en vue de procéder à l'épandage de boues issues du traitement des eaux usées sur des parcelles agricoles d'une superficie totale de 115 hectares, situées sur le territoire de plusieurs communes.

Il se pourvoit et son pourvoi est jugé irrecevable faute d’avoir obtenu, antérieurement à son action en justice, une délibération ou une délégation du conseil municipal en ce sens, conformément aux prescriptions des art. L. 2122-21 et L. 2122-22 du CGCT.

(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)

 

9 - Publication d’un document de bilan de l’action municipale – Absence d’espace réservé à l’opposition municipale – Action en référé liberté - Irrégularité ne constituant pas une situation d’urgence – Engagements pris par la municipalité – Rejet.

Le juge du référé liberté du tribunal administratif a enjoint la maire de la commune requérante de suspendre la diffusion d’un document intitulé « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale », de procéder à sa réédition en intégrant dès la première page les observations des conseillers municipaux d'opposition sur les propos tenus dans ce document sur la gestion et la réalisation de la majorité municipale, puis de lui assurer la même diffusion que le document initial dans la première quinzaine du mois de février 2023.

La commune interjette appel de cette ordonnance du 11 janvier 2023.

L’appel est accueilli au double motif, d’une part, que si n’ont pas été respectées en l’espèce les prescriptions de l’art. L. 2121-27-1 du CGCT obligeant à réserver dans les bulletins municipaux un espace « à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale », cela ne constitue pas pour autant, dans ce cas précis, une situation d’urgence imposant de statuer dans les 48 heures, et d’autre part, que la commune défenderesse appelante s’est engagée par deux fois, dans ses conclusions écrites et à l’audience, à publier dans le bulletin d'information municipale de février 2023 deux tribunes pour chacun des deux groupes d'opposition, une habituellement prévue dans chaque bulletin, conformément aux dispositions de l'art. L. 2121-27-1 du CGCT, et une autre compte tenu de l'absence d'espace réservé à l'expression des groupes d'opposition dans le document « Engagements tenus 2022 - Bilan de l'action municipale ». 

L’ordonnance querellée est annulée.

(08 février 2023, Commune de Plaisir, n° 470804)

 

Contrats

 

10 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu entre personnes publiques – Contrat comportant une mission de service public administratif – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge, à l’occasion d’un litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, que ce détachement résulte d’un contrat administratif du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif - à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie - et que son contentieux relève du juge administratif.

(10 février 2023, M. B., n° 448745)

 

11 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit contre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

Un fonctionnaire territorial recherche la responsabilité du comité des œuvres sociales d’une commune ainsi que celle de cette commune du fait du préjudice qu’il estime avoir subi  en raison des conditions de gestion puis de la résiliation du contrat collectif de prévoyance et d'assurance maladie souscrit par le comité des œuvres sociales de Meylan auprès de la société d'assurance Adrea Mutex, puis de la résiliation d'un contrat de complément de retraite qu'il pensait avoir été souscrit par le comité des œuvres sociales.

Le tribunal administratif ayant rejeté son action en condamnation solidaire du comité et de la commune, le demandeur a saisi la cour administrative d’appel, laquelle a renvoyé le litige au Conseil d’État. Trois questions étaient posées, la solution de la dernière n’étant que la conséquence des réponses données aux deux autres.

Tout d’abord, le litige relevait-il de la compétence du juge administratif alors que le contrat en cause a été conclu entre une personne privée et une personne publique ?

La réponse du juge est, très logiquement, positive car « les organismes à but non lucratif ou les associations nationales ou locales régies par la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association à qui l'État, les collectivités locales et leur établissements publics choisissent de confier à titre exclusif la gestion de tout ou partie des prestations d'action sociale individuelles ou collectives dont bénéficient les agents qu'elles emploient agissent au nom et pour le compte de l'employeur public qui a fait ce choix. »

Ensuite, l’action en responsabilité fautive pouvait-elle être dirigée contre la commune ?

La réponse est, ici aussi, positive du fait que la personne privée agit au nom et pour le compte de la commune en sa qualité d’employeur de ses salariés dont le demandeur. C’est d’ailleurs cette responsabilité qui doit être recherchée puisque c’est à titre exclusif que la commune a confié la gestion des prestations en cause, à charge pour elle, en cas de condamnation et dans la proportion de cette dernière, de se retourner, le cas échéant, contre la personne privée.

Enfin, parce qu’il s’agit en l’espèce d’une action en responsabilité introduite par un agent contre la collectivité publique qui l'emploie à raison de fautes dans la gestion des prestations d'action sociale facultative instituées en application de l'article 9 de la loi du 13 juillet 1983, celle-ci ne constitue pas un litige relatif à des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'action sociale au sens de l'article R. 811-1 du CJA, l’on ne se trouve donc pas dans un cas où le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort, comme l’a sans doute pensé la cour administrative d’appel, mais dans la situation classique de droit commun où les jugements relèvent de l’appel devant cette cour, à laquelle il est donc renvoyé. 

(17 février 2023, M. A., n° 460846)

(12) V. aussi, identique : 17 février 2023, Mme B., n° 460850.

 

13 - Marché de fourniture et de pose d’abribus – Offre irrégulière – Obligation de poser des scellements de mobiliers neufs – Offre prévoyant une réutilisation de certains scellements de mobiliers déposés – Offre irrégulière – Annulation de la procédure du marché – Reprise éventuelle au stade de l’analyse des offres – Annulation de l’ordonnance.

La métropole requérante demandait l’annulation de l’ordonnance qui, rendue sur le fondement de l’art. L. 551-1 du CJA, a annulé la procédure d'appel d'offres dans un marché de fourniture et de pose d’abribus au stade de l'analyse des offres.

L’ordonnance est annulée pour avoir été rendue à l’issue d’une procédure irrégulière puis le juge de cassation se prononce au fond.

Il relève qu’alors que le cahier des charges prévoyait que les scellements des mobiliers doivent être neufs, l’offre retenue indiquait prévoir une réutilisation de certains scellements des mobiliers déposés. C'est, dès lors, en méconnaissance de la prescription imposée par le règlement de consultation de construire des scellements neufs que son offre a été jugée régulière par le pouvoir adjudicateur. 

Comme la société requérante était la seule autre candidate elle a été nécessairement lésée par cela. La procédure est annulée au stade de l’analyse des offres et si la métropole désire la reprendre c’est sous obligation de déclarer irrégulière l’autre offre.

(7 février 2023, Métropole Toulon-Provence-Méditerranée, n° 461935)

 

14 - Contrat de partenariat – Réalisation d’une ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire - Dommages de travaux publics – Personnes responsables et chargées de leur réparation – Erreur de droit – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.

Les requérants, les époux E., et leur entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL) ont demandé la réparation des dommages résultant pour eux des travaux de construction de la ligne à grande vitesse Bretagne - Pays de la Loire, travaux réalisés sur la base d’un contrat de partenariat.

Le tribunal administratif a condamné la société Eiffage Rail Express à indemniser respectivement les époux E. et l’EARL.

Sur appel des demandeurs et appel incident d’Eiffage, la cour administrative d’appel a annulé le jugement en tant qu’il accordait une indemnité aux époux E. et réduit le montant de l’indemnité que ce jugement avait alloué à l’EARL.

Les demandeurs se pourvoient. Le Conseil d’État annule l’arrêt soumis à sa censure sur deux points importants, soit l’essentiel.

Auparavant, le juge rappelle que s’agissant d’un contrat de partenariat conclu sur le fondement des dispositions de l'ordonnance du 17 juin 2004, ici entre ce qui est aujourd’hui SNCF Réseau et Eiffage Rail Express, un tel contrat a pour double et automatique effet, d’abord, de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, ensuite, de déterminer le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique. 

De là s’ensuit une première annulation de l’arrêt. En effet, la cour a jugé, sur erreur de droit, que la société SNCF Réseau devait être regardée comme seul maître de l'ouvrage dès la date d'achèvement des travaux de construction des ouvrages et équipements que le titulaire du contrat était chargé de réaliser ; elle en a, par suite, déduit, pour ce seul motif, que les époux E. n'étaient pas fondés à rechercher la responsabilité de la société Eiffage Rail Express pour les dommages résultant de la présence de l'ouvrage. Ce jugeant, elle a omis de tenir compte de la règle fondamentale du partage de risque entre les cocontractants qui est inhérente au contrat de partenariat.

Le juge de cassation prononce une seconde annulation fondée sur ce que la cour s’est méprise sur les écritures de l’EARL E. Il résulte de dispositions du code rural (cf. L. 123-1, L. 123-24 et L. 123-26) que, lorsqu'un remembrement est effectué – comme en l’espèce -  en vue de la réalisation d'un grand ouvrage public et qu'il apparaît inévitable de déroger aux dispositions de l'art. L. 123-1 du code rural, les propriétaires pour lesquels, du fait de ces dérogations, des préjudices subsistent au terme des opérations de remembrement, sont fondés à demander au maître de l'ouvrage réparation des dommages résultant de ces opérations, constatés à l'issue de celles-ci, à titre de dommages de travaux publics. Si la cour a rejeté les demandes indemnitaires de l’EARL E. par le motif que celle-ci n'a pas la qualité de propriétaire des terrains en cause et qu'elle ne peut dès lors pas prétendre à la réparation des préjudices invoqués sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural, il résulte des pièces de la procédure devant la cour que l'EARL E. a expressément demandé la réparation de son préjudice au titre des dommages résultant de la présence de l'ouvrage public, sur le fondement de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage, responsabilité qui est au demeurant d'ordre public, et non sur le fondement de l'art. L. 123-26 du code rural.

(14 février 2023, M. et Mme E. et EARL E., n° 459046)

 

15 - Procédure de dialogue compétitif en vue de l’attribution d’un marché à bons de commande de fournitures et de services – Marché conclu entre une société publique locale pour l'aménagement numérique et une société privée – Recours d’un candidat évincé - Marché constituant un contrat de droit privé – Incompétence du juge administratif – Annulation et rejet.

La société publique locale pour l'aménagement numérique de la Guyane (SPLANG) a engagé une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché à bons de commande de fournitures et de services de continuité opérationnelle des installations satellitaires et hertziennes dont elle a la charge. Elle a conclu ce marché avec une société ; une autre société, évincée, a demandé, en vain, aux juges du fond, l’annulation ou la résiliation de ce marché. Elle se pourvoit.

Soulevant un moyen d’ordre public, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel pour n’avoir pas relevé d’office l’incompétence de l’ordre administratif de juridiction pour connaître du litige alors que le contrat litigieux a été conclu d’une part par le SPLANG, société anonyme régie par le code de commerce, qui ne saurait être considérée comme transparente par rapport aux personnes publiques qui l’ont créée et la contrôlent, agissant en son nom et pour son propre compte et d’autre part une autre société de droit privé.

La demande de la requérante, au fond, est rejeté par voie d’évocation du fait de l’annulation de l’arrêt d’appel.

(14 février 2023, Société Guyacom, n° 460527)

 

16 - Convention d’occupation et d’utilisation temporaire du domaine public maritime – Respect des critères par l’offre formulée dans le dossier de candidature – Doute sérieux sur la légalité de la convention – Erreur de droit – Annulation.

Le juge des référés a, à la demande de la société Antibes Bateaux Services (ABYS), suspendu une convention portant autorisation d'occupation et d'utilisation temporaire du domaine public conclue entre la société Vauban 21 et la société Organisation Nautique d'Antibes (ONA).

Il s’est, pour cela, appuyé sur le doute sérieux existant sur la légalité de cette convention au motif que, faute pour les capacités et aptitudes de la société ABYS, partenaire de la société Organisation Nautique d'Antibes, d'avoir été présentées dans le dossier de candidature de cette dernière, la société Vauban 21 n'avait pas été mise en mesure de contrôler l'exactitude de l'offre de la société Organisation Nautique d'Antibes au regard de sa capacité financière à assurer l'activité économique de location de bateaux et, ainsi, de vérifier le respect par cette offre du critère de cohérence, de fiabilité et de pertinence des équilibres financiers.

Le juge de cassation annule l’ordonnance attaquée pour erreur de droit car il résulte du cahier des charges que les éléments propres à permettre d'opérer cette vérification, tenant à l'analyse des offres, devaient être produits dans l'offre elle-même et non dans le dossier de candidature, qui devait seulement comporter un engagement écrit du partenaire du candidat.

(23 février 2023, Société Vauban 21, n° 461077 ; Société Antibes Bateaux Services, n° 461081)

 

17 - Marché public de fournitures – Obligations de publicité et de mise en concurrence – Principe d’impartialité faisant partie de ces obligations – Annulation avec injonction d’exclure, en cas de reprise de la procédure du marché, une certaine entreprise.

La requérante se pourvoit en cassation d’une ordonnance du juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) qui a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la procédure de passation d’un marché public ayant pour objet l'extension et la maintenance du système de vidéo-protection urbaine de la commune de Caudry, et d'enjoindre à la commune de reprendre l'intégralité de cette procédure.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au visa, notamment, de l’art. L. 2141-10 du code de la commande publique qui permet à l’acheteur d’exclure de la procédure de passation d’un marché les personnes pouvant compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché.

En effet, le principe d’impartialité de l’administration active s’impose à tout pouvoir adjudicateur afin que soit garanti le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, inhérent à la commande publique.

Le juge constate que ce principe général du droit n’a pas été respecté en l’espèce puisque, d’une part, l’assistance à maîtrise d’ouvrage de la commune était assurée par la société AV Protec dont le dirigeant est également celui de la société éditrice du logiciel que l'offre du groupement attributaire désignait comme son fournisseur, et d’autre part, la société AV Protec a, au titre de sa mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage, participé à l'analyse des offres et à leur notation et a été ainsi susceptible d'influencer l'issue de la procédure.

La cassation de l’ordonnance querellée est prononcée pour qualification inexacte des faits. Nous y aurions plutôt vu une dénaturation. Le juge enjoint en outre, en cas reprise de la procédure au stade de l’analyse des offres, d’en exclure la participation de la société AV Protec.

(28 février 2023, Société Sofratel, n° 467455)

 

Droit du contentieux administratif

 

18 - Exécution des décisions de justice – Absence d’exécution dans le délai fixé par l’injonction – Ouverture d’une procédure d’astreinte sur rapport de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Condamnation à astreinte.

 Le Conseil d'État, par une décision du 10 juin 2020 (n° 429957), a annulé le refus du ministre de la santé de proposer à la signature du premier ministre le décret en Conseil d'État relatif à la salubrité des habitations prévu à l'art. L. 1311-1 du code de la santé publique, et il a enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans le délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision.

Après que la section du rapport et des études du Conseil d’État a constaté l’inexécution de cette décision à l’expiration du délai imparti et demandé l’ouverture d’une procédure d’astreinte d’office, le Conseil d’État fixe, faute d’exécution dans le mois de la présente décision, à trois cents euros par jours le montant de l’astreinte jusqu’à complète exécution de la chose jugée.

Le montant est raisonnable compte tenu d’un retard de près de 24 mois à la date du présent arrêt.

Il va bien falloir un jour se décider à mettre en jeu la responsabilité personnelle des ministres qui se fichent de la chose jugée. La crainte de la sanction sur le portefeuille personnel constituerait là aussi le commencement de la sagesse.

(02 février 2023, M. A. C. et M. B. C., n° 463549)

(19) V. même solution, au terme d’une procédure identique et avec identique montant d’astreinte, à propos de l’inexécution d’une décision du 8 novembre 2019 (n° 424954), aux termes de laquelle le Conseil d’État a annulé le refus de la ministre de la santé d'abroger, en tant qu'elles réservent aux docteurs en médecine l'épilation au laser et à la lumière pulsée, les dispositions du 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 et  précisé que cette annulation avait nécessairement pour conséquence que les autorités compétentes étaient tenues, dans un délai raisonnable, non seulement d'abroger le 5° de l'article 2 de l'arrêté du 6 janvier 1962 en tant qu'il porte sur l'épilation au laser et à la lumière pulsée, mais aussi d'encadrer ces pratiques d'épilation par des mesures de nature à garantir, dans le respect des règles du droit de l'Union européenne relatives au libre établissement et à la libre prestation de services, la protection de la santé publique : 02 février 2023, M. A., premier requérant dénommé, n° 468009.

(20) V. aussi, jugeant sans objet la demande d’exécution sous astreinte d’une décision du Conseil d’État (Section, 5 octobre 2018, Association Saint-Hubert, n° 407715, au Recueil Lebon) qui :

1° annule le refus du premier ministre d'abroger les dispositions de l'art. R. 422-53 du code de l'environnement qui excluent toute possibilité pour des propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse de se regrouper après la constitution d'une association communale de chasse agréée (ACCA) afin d'exiger le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette ACCA, alors que l'art. L. 422-18 du même code permet pourtant un tel regroupement en vue d'un retrait d'une ACCA déjà constituée,

2° enjoint le premier ministre de prendre, dans le délai de neuf mois à compter de la notification de cette décision, les dispositions nécessaires pour modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement afin de remédier à cette illégalité.

En effet, l'art. 13 de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement, a prévu à l'art. L. 422-18 modifié du code de l'environnement un droit d'opposition des propriétaires et des associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'association. Il en résulte que le législateur, en excluant que les propriétaires de terrains ou les détenteurs de droit de chasse puissent se regrouper après la constitution d'une ACCA pour obtenir le retrait du fonds ainsi constitué du territoire de cette association, met fin, pour l'avenir, à l'obligation légale de modifier l'art. R. 422-53 du code de l'environnement. 

D’où il suit que le recours en exécution d’une décision de justice est, depuis, devenu sans objet : 10 février 2023, Association Saint-Hubert, n° 438153.

 

21 - Demande en référé suspension – Affaire devant être appelée à une prochaine audience – Urgence non démontrée – Rejet.

Rejet d’une demande en référé suspension alors que l’examen du fond du dossier est prévu pour une audience devant se tenir dans les prochaines semaines et qu’aucune urgence n’est démontrée qui justifierait que soit rendue une décision immédiate par le juge de ce référé.

(02 février 2023, M. A., n° 470854)

 

22 - Introduction d’une action en justice par un maire au nom de la commune – Nécessité d’une décision du conseil municipal - Absence – Irrecevabilité du pourvoi.

(03 février 2023, Maire d’Aubenas-les-Alpes, n° 460101)

V. n° 8

 

23 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Demande de suspension de la nomination du PDG d’EDF – Absence d’urgence – Rejet.

Pour demander la suspension de la désignation de M. Luc Rémont en qualité de PDG d’EDF, les requérants invoquent le caractère illégal de celle-ci car elle intervenue en méconnaissance des droits du Parlement, ce qui porterait nécessairement atteinte à un intérêt public.

Ceci n’établit aucunement l’urgence à statuer.

Faute d’urgence, il n’y a pas lieu d’examiner la seconde des conditions donnant ouverture à un référé suspension.

La requête est rejetée.

(03 février 2023, M. U. et autres, M. H. et autres, n° 470891)

 

24 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle qu’elle a choisie – Rejet.

(08 février 2023, M. A., n° 470823)

V. n° 134

 

25 - Clôture de l’instruction – Réception postérieure par le juge d’un mémoire d’une des parties – Obligation d’en prendre connaissance et de le viser sans l’analyser sauf décision de réouverture de l’instruction – Annulation.

Nouveau rappel que la réception par le juge, postérieurement à la clôture de l'instruction, d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, lui fait obligation d’en prendre connaissance avant de rendre sa décision et soit de le viser sans l'analyser et sans rouvrir l’instruction soit de rouvrir l'instruction.

(09 février 2023, Association des habitants et amis du Chesnay, n° 461404)

 

26 - Référé – Impossibilité pour le juge des référés d’être saisi de conclusions à caractère indemnitaire – Rejet.

Rappel de ce que le juge des référés ne saurait se prononcer sur des conclusions à fin d'indemnité, qui ne peuvent être utilement soumises qu'au juge du fond. Rejet du pourvoi contre le rejet, par le premier juge, pour ce motif, de la demande en ce sens.

(ord. réf. 08 février 2023, M. A., n° 470978)

 

27 - Forme et contenu des requêtes – Existence obligatoire de conclusions à peine d’irrecevabilité – Appréciation de cette existence – Méprise sur la portée des écritures – Annulation.

Pour rejeter le recours formé par une société viti-vinicole contre la décision de l’établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui ordonnant le reversement d’une aide qui lui avait été attribuée pour le financement d’un projet d’investissement, les juges du fond s’était fondés sur ce que le mémoire produit par la demanderesse ne comportait pas de conclusions, cette absence constituant un motif d’irrecevabilité d’ordre public.

Le Conseil d’État est à la cassation de ce jugement et de cet arrêt car, expose-t-il, « aux termes de sa requête (…), intitulée " recours contentieux contre le titre de recette n° 2017-1799 du 29 juin 2017 ", la société La goutte d'or, qui n'était pas assistée d'un conseil, demandait que la somme mise à sa charge par ce titre de recette " soit dans son ensemble reconsidérée et fortement diminuée " et invoquait, par une motivation renvoyant précisément à des documents joints à la requête, plusieurs moyens tendant à contester le bien-fondé de la demande de reversement de l'aide dont elle avait bénéficié. »

Il s’agissait bien, contrairement à ce qui a été jugé en première instance et en appel, de « conclusions » tendant à la décharge, totale ou partielle, de la somme en litige.

(14 février 2023, Société La goutte d’or, n° 456666)

 

28 - Référé suspension – Demande d’attribution de l’aide au retour à l’emploi (ARE) – Refus – Situation jugée ni être urgente ni porter une atteinte suffisamment grave - Rejet de la demande de suspension du refus – Annulation et injonction.

Un refus ayant été opposé par le maire de la commune à sa demande de versement de l'allocation de retour à l'emploi (ARE), le requérant a, outre l’annulation de ce refus, demandé la suspension de son exécution, au moins à titre provisoire, dans l’attente du jugement sur le fond.

Le juge des référés a rejeté sa demande, l’urgence à suspendre le refus de l’ARE ne lui paraissant pas établie et ce refus ne préjudiciant pas de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation car ce refus n'avait pas eu pour effet d'aggraver la situation financière préexistante du requérant.

Le juge de cassation annule cette ordonnance car le juge des référés ne pouvait s’arrêter à ce seul constat pour conclure à l'absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation financière de M. B., alors que l'intéressé se prévalait de la précarité de sa situation financière, à laquelle le refus opposé ne permettait pas de remédier : le juge des référés a ainsi entaché son ordonnance d'une erreur de droit.

Après annulation de l’ordonnance, statuant au fond, le juge donne raison au requérant et fait injonction au maire de la commune d’accorder cette allocation sous deux mois.

(ord. réf. 07 février 2023, M. B., n° 460105)

 

29 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) – Recours dirigé contre un refus de délivrance de visa d’entrée sur le territoire français – Sauf circonstances particulières, décision non constitutive d’une situation d’urgence – Rejet.

Rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle, sous réserve de circonstances particulières, le refus de délivrance d'un visa d'entrée sur le territoire français ne fait pas apparaître une situation d'urgence qui justifie l'intervention à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

En l’espèce de telles circonstances ne sont pas établies à la date à laquelle le juge statue. La demande de visa d’un ressortissant congolais résidant en république du Congo afin de rencontrer une ressortissante angolaise, bénéficiant du statut de réfugiée, résidant au Havre avec laquelle il aurait une relation, et qui serait le père de son enfant à naître, ne caractérise pas une situation d’urgence, d’autant qu’il est déclaré par Mme D. dans son attestation d’accueil comme étant un « ami ».

(ord. réf. 15 février 2023, M. C. et Mme D., n° 471244)

 

30 - Demande d’abaissement d’éoliennes – Action d’associations et de particuliers – Intérêt pour agir dénié – Motivation insuffisante ou erreur de qualification juridique – Annulation.

Les requérants ont demandé que soit abaissée la hauteur d’éoliennes défigurant le paysage, se trouvant en co-visibilité avec un château et causant des nuisances visuelles aux occupants de chambres d’un hôtel. Les juges, de première instance et d’appel, ont rejeté ce recours motif pris du défaut d’intérêt pour agir de chacun d’eux.

Le juge de cassation annule l’arrêt litigieux.

S’agissant de l’action introduite par les deux associations, il est jugé qu’elles ont bien intérêt à agir en raison de leur objet social respectif tel qu’il est présenté dans leurs statuts (d’une part, « empêcher que les sites naturels ou urbains qui font la beauté du visage de la France ne soient dégradés ou détruits par des spéculations des industries, des constructions des travaux publics conçus, installés, exécutés sans aucun souci de l'aspect de la région et des intérêts même matériels qui sont attachés à cet aspect » pour l’une  et, d’autre part,  « lutter, dans son périmètre d'action, contre tout ce qui porte atteinte, notamment du fait de l'implantation de centrales éoliennes, à l'environnement, à l'agriculture, aux activités forestières, pastorales, viticoles, touristiques, de villégiatures ou de loisirs, aux paysages, à la faune et à la flore, aux ressources naturelles en air et en eau, aux monuments historiques, protégés ou non, au petit patrimoine et aux bâtiments typiques (...) » et « ester en justice contre toutes décisions publiques ou privées, notamment tous permis de construire et autorisation d'exploitation, toute autorisation unique, toutes zones, tous schémas, tous projets susceptibles de porter atteinte à l'objet de l'association », pour l’autre), alors, d’une part, qu’elles indiquaient que les quatre éoliennes faisant l'objet de la décision attaquée étaient distantes de quatre kilomètres d’un château protégé au titre des monuments historiques, et que la situation de covisibilité de ces éoliennes avait un impact significatif sur les vues disponibles depuis le château, le domaine et le practice de golf, et d’autre part, que les associations requérantes faisaient valoir que leur objet social leur conférait un intérêt de nature à leur donner qualité pour agir contre la décision litigieuse, notamment contre l'atteinte portée par les éoliennes litigieuses à plusieurs autres monuments protégés et à des éléments caractéristiques du paysage situés à proximité du parc éolien. L’arrêt est censuré pour son insuffisance de motivation.

S’agissant de l’action des particuliers, le rejet était fondé sur la seule distance entre le domaine de B. et les éoliennes litigieuses et la covisibilité réduite pour dénier à M. et Mme C. un intérêt suffisamment direct pour contester la décision litigieuse. Pour relever l’erreur de qualification juridique contenue dans l’arrêt déféré, le juge de cassation retient la lettre, produite par M. et Mme C., du directeur de l'hôtel-restaurant et du golf exploités sur le domaine de B., faisant état du mécontentement de clients à l'égard des éoliennes visibles depuis le château et, en particulier, de la gêne occasionnée à la nuit tombée par les lumières émises par ces appareils visibles depuis leurs chambres, ainsi que la visibilité de ces éoliennes de nature à porter atteinte aux conditions d'exploitation de l'hôtel-restaurant et du golf installés sur le domaine.

(17 février 2023, M. et Mme C., association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France et association de défense de l'environnement et du patrimoine de la région Bourgogne Franche-Comté, n° 450111)

 

31 - Responsabilité – Rejet d’une indemnisation pour incompatibilité entre deux textes – Motivation insuffisante – Annulation.

Un agent de la société Orange, blessé au cours de travaux de remplacement de modules redresseurs de type géode qu’il effectuait pour cette société a réclamé la réparation du préjudice résultant de douleurs résiduelles consécutives à son accident et invoquait à cet effet une faute de la société Orange dans la mise en œuvre de la clause de sauvegarde prévue par l'accord intergénérationnel conclu entre cette société et les organisations syndicales représentatives relatives au temps partiel sénior. Pour rejeter ce chef de demande la cour administrative d’appel s’est bornée à juger que les stipulations de cet accord étaient contraires au statut général de la fonction publique de l'État auquel demeurent soumis les fonctionnaires de la société Orange. Cependant, elle ne s’est pas expliquée sur cette contrariété ni sur l'absence d'application de cet accord aux fonctionnaires de la société Orange qui en résulterait ce qui entraîne la cassation de son arrêt pour insuffisance de motivation.

(17 février 2023, M. A., n° 450296)

 

32 - Contrat administratif – Notion – Contrat conclu par une personne privée avec une personne publique en agissant au nom et pour le compte de cette dernière – Compétence de la juridiction administrative – Action en responsabilité dirigée à bon droit cintre la personne publique – Litige relevant de l’appel devant la cour administrative d’appel – Renvoi à cette dernière.

(17 février 2023, M. A., n° 460846)

V. n° 11

 

33 - Clôture de l’instruction - Désistement pur et simple postérieur à cette clôture en cours d’instance devant la cour administrative d’appel – Juridiction statuant en l’état du dossier sans donner acte du désistement – Régularité – Rejet.

C’est sans irrégularité qu’une cour administrative d'appel, qui aurait pu rouvrir l'instruction au reçu d’une lettre de désistement, postérieurement à la clôture de l’instruction, afin de communiquer cette lettre et donner acte du désistement, statue en l'état du dossier à la date de la clôture de l'instruction et se prononce sur les conclusions de la demande car elle n’a pas, en ce cas, l'obligation de faire usage des pouvoirs qu'elle détient au titre des dispositions de l’art. R. 613-4 du CJA.

Cette solution est la réitération d’une jurisprudence bien établie depuis trois décennies au moins (cf. 22 mai 1991, Consorts Guillou, Recueil Lebon p. 199 ; 5 avril 1996, Nouveau syndicat intercommunal pour l'aménagement de la vallée de l'Orge, n° 141684, Recueil Lebon p. 121)

(17 février 2023, Commune de Pléneuf-Val-André, n° 450707)

 

34 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.

(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)

V. n° 146

 

35 - Demande d’aide juridictionnelle antérieurement à l’audience – Obligation pour la juridiction saisie de surseoir à statuer jusqu’à la décision du bureau d’aide juridictionnelle – Absence – Annulation.

Statue irrégulièrement sur une affaire la cour administrative d’appel qui, informée de l’existence d’une demande de bénéficier de l’aide juridictionnelle, ne sursoit pas afin d’attendre la décision du bureau d’aide juridictionnelle.

(17 février 2023, M. A., n° 454112)

 

36 - Ordonnance de référé – Respect, adapté à l’urgence, du contradictoire – Méconnaissance – Dénaturation des pièces par confusion entre le référé de l’art. L. 521-2 (objet de la saisine du juge) et le référé de l’art. L. 521-1 – Annulation.

Le juge des référés du Conseil d’État était saisi d’un appel dirigé contre une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte statuant sur plusieurs requêtes dirigées contre un arrêté préfectoral du 19 septembre 2022 ordonnant l'évacuation et la destruction de constructions illicites sur le territoire de la commune de Mamoudzou, arrêté exécuté le 14 janvier 2023.

Pour l’essentiel ces demandes sont devenues sans objet au jour où le juge statuait.

L’ordonnance est intéressante concernant deux vices procéduraux qui entraînent nécessairement l’annulation de la décision du premier juge.

En premier lieu,  le ministre appelant soutenait que, s'il a reçu communication des requêtes de première instance sur lesquelles il n'y a pas eu lieu de statuer, il n'a, en revanche, reçu communication des trois requêtes auxquelles il a été fait droit par l’ordonnance attaquée qu'après l'audience, à laquelle le préfet de Mayotte ne s'est pas rendu, puisqu'il tenait pour certain le non-lieu sur les quatre requêtes qu'il avait reçues, aux conclusions desquelles une autre ordonnance avait déjà fait droit.

Ainsi, il était manifeste que le principe du caractère contradictoire de la procédure avait été méconnu mais l’on sait que ce principe doit être adapté à l'urgence en référé. Se posait donc la question de savoir jusqu’où pouvait être admise en l’espèce une entorse à ce principe fondamental de procédure. Le juge relève qu’ici il a été non pas aménagé mais entièrement méconnu, d’où l'irrégularité de l'ordonnance attaquée.

En second lieu, le premier juge était saisi sur le fondement d’un référé liberté, donc de l’art. L. 521-2 du CJA, or il statue, dans l’ordonnance querellée, sur la base du référé suspension, donc de l’art. L. 521-1 du CJA, puisqu’il retient, pour en prononcer l’annulation, non une atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale mais un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué. Solution d’autant plus inexplicable que, d’une part, le juge a bien visé expressément l’art. L. 521-2, et d’autre part, n’a pu que constater qu’il n’était saisi d’aucune demande d’annulation au fond.

(ord. réf. 16 février 2023, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, n° 470970)

 

37 - Dispense ou non de conclusions du rapporteur public – Information devant être donnée avant l’audience dans un délai raisonnable – Absence – Annulation.

Le Conseil d’État annule le jugement d’un tribunal administratif rejetant le recours formé par le requérant contre la décision par laquelle, sur son recours préalable, une commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées a confirmé sa décision l'orientant vers le milieu ordinaire du travail pour la période du 27 octobre 2020 au 11 mars 2023. 

En effet, s’agissant d’un litige entrant dans la catégorie des contentieux qui, en vertu des dispositions de l’art. R. 732-1-1, sont susceptibles d'être dispensés de conclusions du rapporteur public, il importait que le demandeur fût informé de l’existence, ou non, de cette dispense dans son affaire. Or l'absence, au dossier, de l’avis d'audience, ne permet pas au juge de cassation de s'assurer qu'il comportait les informations relatives aux conclusions du rapporteur public et pas davantage n’est établie l’existence d’une mise en demeure informant le requérant de prendre connaissance de la dispense de conclusions du rapporteur public sur l’application « Sagace ».

(17 février 2023, M. B., n° 462051)

 

38 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

V. n° 149

 

39 - Aide juridictionnelle – Situation d’urgence – Demande d’admission provisoire à l’aide – Rejet – Irrecevabilité de la demande d’annulation de ce rejet – Rejet.

En cas d’urgence, la juridiction saisie peut décider d’admettre provisoirement le demandeur au bénéfice de l’aide juridictionnelle. Il résulte des dispositions combinées de l’art. 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et de celles de l’art. 62 du décret du 28 décembre 2020 prises pour l’application des précédentes qu’en cas de refus d’accorder le bénéfice de cette aide, la décision de refus n’est pas susceptible de recours. Il en résulte que les conclusions tendant à la réformation d’une ordonnance de rejet d’une demande d’admission provisoire à l’aide juridictionnelle sont irrecevables.

(15 février 2023, Mme A., n° 470765)

 

40 - Sommes exposées par un requérant et non comprises dans les dépens – Possibilité de les mettre à la charge d’une partie en cas de non-lieu – Simple faculté – Rejet.

Le juge administratif a la faculté de mettre à la charge d'une partie des sommes exposées par le requérant et non comprises dans les dépens dans le cas où il constate qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions principales de la requête. Ce n’est là cependant qu’une faculté non une obligation.  C'est ainsi à bon droit que, dans les circonstances de l'espèce, nonobstant les démarches qui avaient été entreprises en vain auprès de la préfecture par l'avocat de la requérante, avant l'enregistrement de sa demande en référé, le juge des référés a rejeté les conclusions présentées par la requérante au titre des dispositions de l’art. L. 761-1 du CJA.

(15 février 2023, Mme A., n° 470765)

 

41 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.

(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)

V. n° 90

 

42 - Référé liberté - Demande de suspension de l’exécution d’un acte administratif devenu définitif – Impossibilité sauf changement dans les circonstances de fait ou de droit – Rejet.

En l'absence de changement de circonstances de fait ou de droit, il ne saurait être utilement recouru à la procédure du référé liberté pour obtenir la suspension de l'exécution d'un acte administratif devenu définitif, ici l'article 1er du décret du 23 février 2022 relatif au cumul entre la pension d'invalidité et les revenus professionnels et modifiant diverses dispositions relatives aux pensions d'invalidité. 

(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471450)

(43) V. aussi, identique : ord. réf. 21 février 2023, Mme A. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471390

(44) V. encore, identique : ord. réf. 21 février 2023, M. C. et Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés, n° 471352

 

45 - Désistement d’office (art. R. 612-5-1 CJA) – Appel de l’ordonnance de donné acte du désistement – Obligations s’imposant au juge d’appel – Erreur de droit – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. R. 612-5-1 du CJA - permettant à la juridiction saisie d’interroger le demandeur sur le point de savoir s’il confirme expressément le maintien des conclusions dont il l’a saisie à peine de désistement d’office faute de réponse dans le délai imparti – que le juge d’appel a, en cette hypothèse, cinq obligations à satisfaire.

Il doit vérifier que l'intéressé a reçu la demande de maintien des conclusions, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre, qu’elle l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et, enfin, d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1.

Faute d’avoir satisfait à cette dernière exigence, l’ordonnance attaquée est annulée pour erreur de droit. Nous dirions plutôt que, faute que cette exigence figure dans le code de justice administrative, étant une invention jurisprudentielle, le juge d’appel, en cette occurrence, a manqué à son office.

(23 février 2023, M. et Mme B., n° 460562)

 

46 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recrutement et discipline des agents publics nommés par décret du président de la république (art. 13 de la Constitution) – Suspension d’activité dans l’intérêt du service – Rejet.

Ne relève pas de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort sur le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du président de la république en vertu des dispositions de l'article 13 de la Constitution et des art. 1er et 2 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique sur les nominations aux emplois civils et militaires de l'État, une requête dirigée contre la suspension du requérant, à titre conservatoire, de ses fonctions hospitalières et universitaires, mesure sans caractère disciplinaire seulement fondée sur l’intérêt du service.

(ord. réf. 24 février 2023, M. A., n° 471366)

 

47 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

V. n° 149

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Distribution de revenus (art. 109 CGI) – Notion – Imputation à un établissement stable situé en France de bénéfices réalisés par une société étrangère – Preuve à la charge de l’administration – Preuve non rapportée – Annulation.

Rappel en premier lieu, que la rectification par l’administration fiscale, au titre de l'impôt sur les sociétés, résultant de l'imputation à un établissement stable situé en France, par l'intermédiaire duquel elle est regardée comme y exerçant son activité, de bénéfices réalisés par une société étrangère (la société Garovito Construções), n’a pas pour effet d’établir ipso facto l'existence d'une distribution de revenus par cette société, au sens de l'article 109 du CGI. La circonstance que le contribuable ainsi imposé soit le maître de l'affaire n’établit pas davantage cette existence. 

Rappel en second lieu, dès lors que le contribuable s’est opposé à la rectification proposée, qu’il incombait à l’administration fiscale d'établir l'existence d'une distribution de la fraction des bénéfices de la société imputés à son établissement stable et réputée correspondre à des montants de taxe sur la valeur ajoutée prétendument éludés.

(03 février 2023, M. B., n° 456210)

(49) V. aussi, et à l’inverse, le rejet du recours de cette même société tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2009 à 2011du fait de l’irrégularité de l’envoi d’un avis de vérification de comptabilité à une société étrangère ayant son siège hors de France et dans un autre État de l’Union européenne : 03 février 2023, Société Garovito Construções, n° 456212.

 

50 - Contribuable placé en liquidation – Monopole du liquidateur pour présenter ou poursuivre une réclamation à l’administration fiscale – Cas où la réclamation est présentée par une société ultérieurement dissoute – Rejet.

Le juge applique au cas de l’espèce la jurisprudence portant à un an en principe le délai de saisine du juge en cas d’absence de notification ou de notification irrégulière des voies et délais de recours.

Surtout, il décide que les règles posées par le code de commerce organisant le dessaisissement du débiteur placé en liquidation au profit d'un liquidateur n’ayant été édictées que dans l'intérêt des créanciers, seul le liquidateur peut s'en prévaloir pour exciper de l'irrecevabilité du dirigeant d'une société placée en liquidation à présenter une réclamation à l'administration fiscale, à se pourvoir en justice ou à poursuivre une instance en cours.

Il précise ensuite que, dans le cas d’une réclamation présentée ou d’un litige engagé devant la juridiction administrative par une société ultérieurement dissoute, l'instruction de la réclamation ou la procédure contentieuse se poursuit dans les mêmes conditions que si la société n'avait pas été dissoute sauf si le liquidateur est intervenu pour contester la poursuite de l'action par les dirigeants de la société et demander à leur être substitué.

En l’espèce, la société requérante soutenait que l'introduction des réclamations, présentées par le commissaire à l'exécution du plan pour obtenir la décharge des impositions en litige, n'aurait pu être valablement faite que par le liquidateur de la société. Toutefois, il résulte des dispositions des art. R. 421-5 du CJA et R. 190-1, R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales que ces réclamations, qui ont été valablement introduites en vertu du mandat donné par le dirigeant de la société, étaient de nature à faire courir les délais mentionnés par ces dispositions.

Il en résulte que la nouvelle réclamation présentée le 23 juin 2016 était tardive, ainsi que l'a jugé la cour administrative d'appel, ce qui entraîne le rejet du pourvoi.

(10 février 2023, M. C., mandataire liquidateur amiable de la Société générale de textile Balsan, n° 456829)

 

51 - Acquisition d’actions par une société – Paiement d’intérêts à cette occasion – Déduction de ces intérêts pour le calcul de l’impôt sur les sociétés – Date d’appréciation du montant de ces intérêts - Imposition supplémentaire par l’administration fiscale – Rejet.

Le 27 janvier 2009, la société Siemens a annoncé son intention d'exercer son option de vente des actions qu'elle détenait, à hauteur de 34 %, dans le capital de la société Areva NP, conformément aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001 conclu avec son co-actionnaire, la société Areva.

Par ailleurs, au mois de mars 2009, les sociétés Siemens et Areva ont procédé à une augmentation de capital de la société Areva NP. Les deux actionnaires ont convenu, par un accord du 3 mars 2009, que l'apport effectué par la société allemande du fait de l’exercice de l’option de vente ci-dessus, serait remboursé à la date de rachat de sa participation et, au plus tard, le 31 janvier 2012. La société Areva a procédé le 18 mars 2011 au règlement du prix d'acquisition des titres à la société Siemens. Ces titres ont été inscrits à l'actif du bilan de la société Areva à la clôture de l'exercice 2011.

Par application des clauses combinées de l'art. 4.7.2 du pacte précité du 30 janvier 2001 et du « Schedule 4.7.2 » figurant en annexe de ce pacte, le prix d'acquisition des actions de la société Areva NP a été déterminé à partir de leur valeur à la date d'exercice, par la société Siemens, de son option de vente, majorée d'intérêts courant entre cette date et la date de paiement du prix, alors que la clause 4.7.1.1 du même pacte prévoyait un transfert de propriété des titres à la date de paiement du prix.

Ensuite, du fait des actions issues de l'augmentation de capital, les stipulations de l'accord du 3 mars 2009 renvoyaient, s'agissant de la date de transfert de propriété et du prix de cession, lequel prévoyait également le versement d'intérêts, aux stipulations du pacte du 30 janvier 2001.

Les intérêts versés par la société Areva à ce double titre (acquisition des actions rachetées par Siemens et augmentation du capital) ont été déduits du résultat imposable de l'exercice clos en 2011 après avoir été provisionnés sur une base estimative depuis 2009. 

Contrairement à ce qui est soutenu par la contribuable requérante, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé que compte tenu de la date de transfert de propriété des titres, effective seulement à la date du paiement du prix en vertu des stipulations contractuelles susrappelées, les intérêts en litige devaient être regardés comme un élément du prix d'acquisition des titres et, par suite, être immobilisés en application des dispositions de l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI.  La circonstance que le montant des intérêts litigieux ne correspondrait pas à l'évolution de la valeur des actions en cause entre 2009 et 2011 et celle que la société Areva aurait exercé, de fait, un contrôle exclusif de la société Areva NP à compter de l'exercice, par la société Siemens, de son option de vente et qu'elle aurait procédé à une consolidation à 100 % de la société Areva NP dans ses comptes consolidés dès 2009 sont à cet égard sans effet sur la solution retenue.

Le pourvoi est rejeté

(10 février 2023, Société Areva, n° 462729)

 

52 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères – Zone non desservie par un service d’enlèvement d’ordures ménagères - Demande de décharge ou de réduction de son montant – Détermination de la distance entre le lieu de production de ces ordures et celui de leur enlèvement – Rejet.

Ne commet pas d’erreur le tribunal administratif qui, pour rejeter la demande de la région Hauts-de-France tendant à voir annulée ou réduite sa contribution à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères au titre du port de Calais motif pris de l’absence de point d’enlèvement des déchets à moins de 200 mètres de ceux-ci, juge que pour mesurer cette distance il convient de retenir non l’éloignement de chaque parcelle du port par rapport au lieu d’enlèvement mais celui décompté à partir des entrées de cette propriété qui est d’un seul tenant. La solution peut surprendre car ce qui compte en définitive c’est l’ampleur du déplacement des déchets d’un point à un autre c’est-à-dire très exactement la charge de déplacement pesant sur le seul assujetti. Il ne faut pas oublier qu’un grand port peut comporter plusieurs milliers de mètres.

Ce mode de calcul, au reste, ne saurait s’autoriser de dispositions en ce sens, en particulier des art. 1520 et 1521 du CGI qui sont muets sur ce point.

(07 février 2023, région Hauts-de-France, n° 449553)

 

53 - Comptable public déclaré débiteur – Versement d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et d’indemnités horaires pour travail de nuit – Absence de décision en ce sens de l’ordonnateur – Absence de préjudice pour l’établissement employeur – Annulation et rejets partiels.

Le ministre requérant demandait l’annulation d’un arrêt de la Cour des comptes constituant le comptable alors en fonctions, au titre de l'exercice 2016, débiteur envers un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), d’une certaine somme pour versement à une infirmière et à deux aides-soignantes d’indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés, et d’une autre somme pour versement à ces deux mêmes aides-soignantes d’indemnités horaires au titre du travail de nuit intensif. 

Le Conseil d’État, appliquant strictement les règles et principes régissant l’ordonnancement des dépenses, considère, rejetant sur ce point le pourvoi, que le comptable public doit, lorsqu'il procède au paiement des indemnités forfaitaires pour travail les dimanches et jours fériés et des indemnités horaires pour travail de nuit intensif, exiger, au titre des pièces justificatives, la production d'une décision individuelle d'attribution prise par le directeur de l'établissement et que ne sauraient tenir lieu de cette décision les tableaux mensuels de service, indiquant nominativement les journées de présence effectivement réalisées par les agents concernés, établis et signés par l'ordonnateur dans le cadre des astreintes.

En revanche, le pourvoi est reçu en ce que la Cour des comptes a commis une erreur de droit  en retenant un préjudice financier qu’aurait subi l’EHPAD du fait de l’irrégularité des paiements,  alors que le versement des deux indemnités en litige était de droit pour les agents de l'établissement concernés dès lors qu'ils ont réalisé les services en cause (cf. décrets du 2 janvier 1992 pour le travail effectué les dimanches et jours fériés, et du 30 novembre 1988 pour le travail de nuit) et qu’il est constant, au regard des tableaux de service établis et signés par l'ordonnateur attestant des journées et nuitées de présence, que ces indemnités avaient été versées aux agents de l'établissement ayant effectivement réalisé les services en cause et que le service avait été fait.

Est-il permis d’écrire que l’on voit dans tout cela des chinoiseries sans autre intérêt que de sanctionner des préjudices imaginaires commis par un agent de bonne foi sur la base de documents prétendument inadéquats mais dont les attestations sont exactes et irréfutables ? C’est Feydeau dans « De la rue Cambon au Palais-Royal ».

(17 février 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 446136)

 

54 - Comptabilité publique – Demande de remise gracieuse – Éléments devant être pris en compte par le comptable – Distinction entre les demandes de remise gracieuse selon leur antériorité ou leur postériorité au décret du 18 septembre 2018 modifiant l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 – Application inexacte de la loi – Annulation sans renvoi.

Rappel qu’il résulte des dispositions de l’art. 120 du décret du 7 novembre 2012 dans la version que lui a donnée le décret du 18 septembre 2018 que le régime applicable aux demandes de remise gracieuse dont sont saisis les comptables publics diffère selon que la créance dont il est demandé remise est née antérieurement ou postérieurement à l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018.

Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur les majorations, les frais de poursuite ou les intérêts nés avant l’entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils doivent prendre en considération tous les éléments pertinents relatifs à la situation du demandeur en vue de déterminer la décision à prendre en vue d’accorder ou de refuser la remise sollicitée. 

Lorsque les comptables sont saisis d’une demande de remise gracieuse portant sur la somme en principal d'une créance, formée après l'entrée en vigueur du décret du 18 septembre 2018, ils ne peuvent prendre en compte que les capacités financières du demandeur.

(17 février 2023, M. B., n° 460599)

 

55 - Taxe annuelle sur les surfaces de stationnement – Champ d’application – Contribution à l’activité exercée dans les locaux annexes – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que pour l’application combinée des dispositions des art. 1599 quater C (taxe annuelle sur les surfaces de stationnement) et 231 ter du CGI (taxe annuelle sur les surfaces de bureaux), applicables au titre de l'année 2017, le législateur avait alors entendu inclure dans le champ d'application de la taxe annuelle sur les surfaces de stationnement, les surfaces annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage, sous réserve qu'elles ne soient pas topographiquement intégrées à un établissement de production. Pour déterminer si les surfaces de stationnement doivent être regardées comme annexées à l'une des catégories de locaux ainsi énumérées, il y a lieu de déterminer si leur utilisation contribue directement à l'activité qui y est déployée. En ne recherchant pas la réalisation de cette dernière condition, le jugement querellé est entaché d’erreur de droit.

(23 février 2023, Société Gaîté Parkings, n° 463892)

 

Droit public de l'économie et des finances

 

56 - Conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 – Institution d’un fonds de solidarité – Exclusion, dans une « Foire aux questions » mise en ligne, des loueurs en meublés non professionnels du bénéfice de l’aide de ce fonds – Annulation.

Dans une « Foire aux questions » publiée sur le site du ministère de l’économie et des finances et consacrée au fonds de solidarité destiné à venir en aide aux activités touchées par les effets de l’épidémie de Covid-19, à la rubrique « Puis-je en bénéficier ? », il était indiqué en réponse à la question « Les loueurs en meublés non professionnels sont-ils éligibles au fonds de solidarité ? », sans autre précision : « Non, les loueurs en meublés non professionnels ne sont pas éligibles au fonds ».

La requérante demandait l’annulation de cette réponse.

Rejetant la fin de non-recevoir du ministre opposée à la recevabilité de cette demande, le juge rappelle que peuvent lui être déférés par la voie du recours pour excès de pouvoir tous actes, documents ou autres susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Tel est le cas des éléments ci-dessus.

Ensuite, la réponse est annulée car elle méconnaît la définition du champ des personnes susceptibles de bénéficier du fonds de solidarité tel qu’il résulte des dispositions de l’art. 11 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, de l’art. 1er de l’ordonnance du 25 mars 2020 instituant un fonds de solidarité pour les « personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation » ainsi que de celles de l’art. 1er du décret du 30 mars 2020 pris pour l’application de l’art. 3 de l’ordonnance précitée.. 

(03 février 2023, Mme A., n° 451052)

 

57 - Droit de l’énergie – Énergie électrique – Octroi d’un volume additionnel d’électricité au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) – Fixation du prix de cession de ce volume – Rejet.

Les requérants contestaient, pour l’essentiel, la légalité du décret du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et des deux arrêtés du 11 mars 2022 fixant, l’un, le volume global maximal d'électricité devant être cédé par la société Électricité de France (EDF) au titre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique et l’autre le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité, en tant qu'il ne fixe pas à un prix unique de 46,20 euros/MWh le prix de la totalité du volume d'électricité nucléaire historique cédé par EDF au titre de l'année 2022.

Les recours, après avoir été joints bien qu’ils ne présentent pas à juger d’identiques questions car celles-ci sont tout de même très proches, sont, sans grande surprise, tous rejetés.

Le juge organise en deux temps son appréciation de la légalité des décisions attaquées, d’abord par rapport aux exigences du droit interne, ensuite par rapport à celles du droit de l’Union.

Au regard du droit interne.

Le décret du 11 mars 2022, au plan de sa légalité interne, n’est pas entaché d’illégalité. Il convient de rappeler que l'obligation imposée à EDF d'offrir à la vente un volume d'électricité d'origine nucléaire à un prix déterminé a pour objet d'assurer la liberté de choix du fournisseur en faisant bénéficier l'ensemble des fournisseurs et leurs clients de la compétitivité du parc électronucléaire français et de contribuer à la stabilité des prix.

En portant ce volume de 100 à 120 TWh, l’auteur du décret et de l’arrêté corrélatif n’a pas créé illégalement un dispositif nouveau distinct de celui de l’ARENH mais, restant strictement dans ce cadre, d’augmenter le volume global d’électricité pouvant être cédé par EDF.

Ce volume a été fixé en fonction du volume total d’électricité produite par les centrales nucléaires déclaré par EDF, il ne contrevient pas aux dispositions de l’art. L. 336-1 du code de l’énergie. C’est pourquoi d’ailleurs, contrairement à ce qui est allégué, les pouvoirs publics n’avaient pas à suspendre l’ARENH dès lors que le volume global susceptible d’être cédé représentait 40% de la production prévue pour l’année 2022.

Si dans sa décision du 9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294, le Conseil d’État a jugé, en se fondant sur la liberté de choix du fournisseur d’électricité, d’accès transparent, équitable et non discriminatoire à l’électricité produite par les centrales nucléaires et le développement de la concurrence, que la Commission de régulation de l’énergie ne pouvait pas modifier, pour les remettre en cause, les volumes d’ARENH déjà notifiés et suivis d’engagements fermes d’achat, il n’en va pas de même ici où existaient des tensions exceptionnelles sur les marchés de l'énergie ainsi que des hausses massives des prix au détail supportés par les consommateurs finals d'énergie, notamment ceux bénéficiant des tarifs réglementés, pouvant aller jusqu’à 130%, ce qui a obligé les pouvoirs publics à prendre des mesures urgentes et dérogatoires.

Au regard de ces caractéristiques imprévisibles, le caractère transitoire de l’augmentation du volume d’ARENH décidé en 2022 ne porte pas une atteinte excessive ou disproportionnée à la liberté d’entreprendre d’EDF qui détient le monopole d'exploitation du parc électronucléaire français.

L’arrêté du 11 mars 2022 fixant le prix des volumes d'électricité additionnels cédés dans le cadre de la période de livraison exceptionnelle instaurée par le décret précité n’est pas, lui non plus irrégulier, les art. L. 337-14 et L. 337-16 du code de l’énergie prévoyant eux-mêmes que le prix de cession de l’électricité peut être révisé au vu de l'évolution du volume global maximal d'énergie cédé.

Le décret est sans portée rétroactive contrairement à ce qui est soutenu.

Au regard du droit de l’Union.

Le rehaussement du volume global alloué n’avait pas à faire l’objet d’une notification préalable à la Commission. Au contraire, « en imposant à EDF de céder une part de l'électricité produite par le parc nucléaire français et en offrant ainsi aux fournisseurs alternatifs la possibilité de réduire leurs coûts d'approvisionnement en électricité, favorisant de ce fait le développement de la concurrence sur le marché de l'électricité, l'ARENH doit être regardé comme un mécanisme opérant un rééquilibrage des charges entre opérateurs sur le marché français de l'électricité aux fins de favoriser la concurrence, et ne saurait par suite caractériser l'existence d'une aide au sens du paragraphe 1 de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

En outre, en rehaussant, pour l'année 2022, eu égard aux tensions exceptionnelles sur le marché de l'électricité, à 120 TWh le volume global maximal d'électricité pouvant être cédé dans le cadre de l'ARENH, les actes attaqués répondent aux objectifs mentionnés à l'article 1er de la directive du 5 juin 2019 et, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaissent pas ceux du paragraphe 4 de son article 3.

Par ailleurs, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir, à l'appui de leurs recours, des termes du g du 7 de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du 5 juin 2019 qui concerne la fixation des prix de l'électricité fournie aux clients finals alors que les actes attaqués n'ont pas pour objet de fixer les prix de détail de l'électricité fournie aux clients finals mais instituent un droit d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique produite par l'opérateur historique au profit des fournisseurs alternatifs d'électricité selon des conditions, notamment tarifaires, définies par la loi et les règlements.

(03 février 2023, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462840 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463188 ; société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463405 ; syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence et autres, n° 463530 ; Conseil de surveillance du FCPE Actions EDF et autres, n° 465735 ; société EDF, n° 466558, jonction)

 

58 - Fonds européen pour la pêche (FEP) – Aide financière aux investissements productifs en aquaculture – Contrôle administratif de l’utilisation de l’aide - Solde de l’aide non versé par l’État – Cassation et rejet.

Par convention conclue avec l’État, la société Medithau, requérante, a obtenu une aide financière dans le cadre du programme opérationnel du fonds européen pour la pêche (FEP) 2007-2013 relatif aux investissements productifs en aquaculture, pour la réalisation d'un projet de modernisation de structures d'élevage ostréicole et d'acquisition de matériel productif. Cette aide comportait, pour une part, des fonds communautaires du FEP et, pour une autre part, une aide de l'État au titre du contrat de plan État/région (CPER).

Suite à une demande de liquidation de l’aide, la société a reçu un avis de paiement en date du 29 décembre 2015 de l'Agence de services et de paiement. Puis, elle a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation du rejet implicite par le préfet de son recours gracieux contre cette décision de paiement. Ce dernier a rejeté toutes les demandes de la société ; celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Après avoir annulé cet arrêt pour insuffisance de motivation ainsi que le jugement dont les motifs avaient, sur ce point, été repris par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État statue au fond sans renvoyer en vertu des dispositions de l’art. L. 821-2 CJA.

La demande d’annulation de la décision attaquée est rejetée.

D’abord il est jugé que la procédure suivie en l’espèce n’était pas irrégulière car la décision refusant, après examen du service fait, de verser à la société Medithau une partie de l'aide prévue était consécutive au dépôt par la requérante du dossier de liquidation de l'aide. En effet, faisant suite à une demande de la société tendant au versement de l'aide octroyée, cette décision n'était pas au nombre de celles soumises à procédure contradictoire en vertu des dispositions, alors applicables, de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. En outre, l'administration a informé la société requérante de l'organisation d'un contrôle sur place, puis, lors de deux réunions tenues avec elle, elle l’a informée des anomalies constatées lors de ce contrôle, la mettant ainsi en mesure de présenter ses observations. L'administration n'était donc tenue ni d'associer la société à ce contrôle, ni d'accéder à sa demande tendant à ce que ce contrôle se tienne au cours de la semaine du 3 août 2015, ni de lui adresser un procès-verbal de ce contrôle, ni de l'inviter formellement à présenter ses observations.

Ensuite, il résultait des stipulations de la convention que l'administration pouvait demander au bénéficiaire d'une aide au titre du fonds européen pour la pêche, lorsque l'exécution de son projet n'était pas terminée au 31 décembre 2014, d'établir un dossier qui devait permettre de liquider la subvention au prorata des dépenses éligibles effectivement réalisées à cette date, dans la limite des factures acquittées jusqu'au 28 février 2015, et réduire, le cas échéant, à due proportion, le montant de la subvention. Le Conseil d’État fait ici une déduction très logique de la sémantique en indiquant, d’une part, que l’expression « travaux réalisés » mentionnés par la convention impliquaient non seulement que le matériel acheté ait été acquis et livré mais également qu'il ait été installé sur l'exploitation au 31 décembre 2014 tandis que l’expression « facture acquittée » implique que le règlement correspondant devait avoir été encaissé par l'émetteur de la facture au plus tard le 28 février 2015. 

(07 février 2023, Société Medithau, n° 443980)

 

59 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Compétence et pouvoirs de sa commission des sanctions – Société de gestion de portefeuilles - Sanction de faits commis par le dirigeant d’une société antérieurement au retrait d’agrément de cette société – Rejet.

Pour la première fois, le juge déduit des dispositions combinées – alors en vigueur - des articles du code monétaires et financier relatives au pouvoir de sanction de la commission des sanctions de l’AMF (art. L. 621-15, L. 621-9 et L. 543-1) avec celles de l’article de L. 532-10 de ce code relatives au retrait d’agrément des sociétés de gestion de portefeuilles, que si les dispositions de l'art. L. 532-10 précité, qui prévoient qu'une société privée d'agrément peut être sanctionnée, elles n'ont, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de faire obstacle à ce que le dirigeant d'une société ayant fait l'objet d'un retrait d'agrément soit sanctionné pour des faits antérieurs à ce retrait.

(17 février 2023, Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne et M. de Kersauson, n° 445507)

 

60 - Exercice par une société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de son droit de préemption - Question préjudicielle – Absence d’indication dans le décret autorisant l’exercice par une SAFER de son droit de préemption des zones des départements concernées et de la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés – Absence d’illégalité – Réponse en ce sens.

Interrogé par une juridiction judiciaire sur la légalité, au regard de l'art. L. 143-7 du code rural, du II de l'art. R. 143-1 de ce code et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH, du décret du 24 juin 2019 autorisant une SAFER à exercer le droit de préemption et à bénéficier de l'offre amiable avant adjudication volontaire en ce que l'article 1er de ce décret ne précise ni les zones, au sein des départements qu'il vise, dans lesquelles le droit de préemption peut s'exercer, ni la superficie minimale des terrains pouvant être préemptés.

Prenant une grande liberté par rapport au texte du II de l’art. R. 143-1 du code rural, lequel dispose : « Le décret qui confère à une société d'aménagement foncier et d'établissement rural le droit de préemption mentionné par l'article L. 143-1 est pris sur proposition du ministre chargé de l'agriculture.

Il détermine les zones au sein desquelles le droit de préemption peut s'exercer et les circonscriptions administratives au sein desquelles elles se situent. Le cas échéant, il fixe pour tout ou partie de ces zones, la superficie minimale des terrains auxquels il peut s'appliquer.», le juge en donne une interprétation très assouplie. En effet, il considère que, sous réserve du double respect de la nature des biens concernés et des conditions requises, une décision de préemption peut porter sur des terrains se trouvant dans plusieurs départements sans être obligée d’indiquer celles des zones de ces départements qui sont concernées par l’exercice – qui reste tout de même exorbitant – du droit de préemption ni, non plus, la superficie minimale des terrains où la préemption est susceptible de s'appliquer.

Il n’est pas certain que la Cour EDH aurait une perception identique de la correction juridique de cette interprétation au regard des droits fondamentaux de propriété, de libre exercice d’une profession et autres.

(17 février 2023, MM. D. et autres et Sarl C., n° 467360)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

61 - Demande d’octroi par une caisse d’allocations familiales (CAF) d’une aide financière d’urgence – Compétence des juridictions judicaires pour connaître des litiges relatifs à l'application du droit de la sécurité sociale – Compétence s’étendant aux litiges individuels – Annulation du jugement critiqué et rejet des conclusions portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

La caisse requérante demande l’annulation d’un jugement qui a fait droit aux conclusions d’une demanderesse tendant à l’annulation du refus, par cette caisse, de lui allouer l’aide financière d’urgence qu’elle avait sollicitée auprès d’elle.

Le juge de cassation, suivant en cela la jurisprudence du Tribunal des conflits, estime que les conclusions de la demanderesse se rapportent à un litige qui ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative car il résulte des dispositions des art. L. 142-8 du code de la sécurité sociale que les juridictions de l’ordre judiciaire sont compétentes pour connaître des litiges relatifs à l'application des législations et réglementations de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole  et il en déduit qu’elles le sont aussi pour les litiges individuels portant sur des prestations que les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole servent à leurs assurés ou allocataires dans le cadre de l'action sanitaire et sociale que ces organismes exercent. 

Le jugement déféré à sa censure est annulé pour incompétence de l’ordre administratif de juridiction.

(1er février 2023, Caisse d’allocations familiales de l’Isère, n° 451989)

 

62 - Salariés travaillant selon des horaires non collectifs – Obligations de l’employeur – Sanction en cas de non-respect – Personnels employés sur deux sites mais selon un même horaire collectif – Sanction illégale – Annulation.

Il résulte notamment des dispositions des art. L. 3171-3, alinéa 1, et L. 3171-4 du code du travail que lorsque le travail de tous les salariés d'un même service ou atelier ou d'une même équipe est organisé selon le même horaire collectif par l'employeur, ce dernier doit informer les salariés par affichage des heures auxquelles commence et finit chaque période de travail et adresser, avant son application, le double de cet horaire collectif à l'inspection du travail.

En dehors de ce cas, il incombe à l’employeur d’établir quotidiennement et chaque semaine un décompte des heures accomplies par chaque salarié.

Suite à un contrôle, il a été infligé à la société La Poste une amende pour non-respect des obligations s’imposant en cas d’emploi de salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif. Sur recours de cette dernière la sanction a été annulée par le tribunal administratif ; la ministre requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif de cette annulation.

Le Conseil d’État confirme la position des juges du fond en relevant que l'autorité administrative ne pouvait légalement infliger cette sanction à la société La Poste, s'agissant de salariés employés sur deux sites sur lesquels un même horaire collectif de travail, négocié par un accord collectif, avait été rendu opposable par voie de règlement affiché et adressé à l'inspection du travail. 

(1er février 2023, ministre du travail, de l’emploi et de la réinsertion, n° 457116)

 

63 - Hébergement d’urgence – Refus d’une proposition d’hébergement en dehors de Paris – Refus non justifié en l’espèce – Défaut d’urgence – Rejet.

Confirmation de l’ordonnance rejetant la requête d’une femme accompagnée de ses trois enfants mineurs dont l’une souffre d'une névralgie cervico-brachiale ainsi que de douleurs de son épaule et de son coude gauche, actuellement abrités dans un gymnase, tendant à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence et d’un accompagnement social. Cette personne a refusé au moins une proposition d’hébergement pérenne au motif que ce logement est situé en dehors de Paris où elle occupe un emploi, étant animatrice à la ville de Paris. Le juge estime ce motif non valable pour justifier son refus car cet emploi, d’une part, estl imité à six mois et, d’autre part, n’est pas suffisant pour permettre de subvenir aux besoins de quatre personnes alors qu’était offerte une solution pérenne dans une ville hors de la région Île-de-France où les enfants pourraient être scolarisée et l’enfant malade pourrait bénéficier d’un suivi médical approprié.

En l’absence d’urgence, l’action en référé liberté est rejetée.

(ord. réf. 1er février 2023, Mme C., n° 470648)

(64) V. aussi, confirmant le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence pour un couple de ressortissants ivoiriens dont la femme est enceinte et qui est accompagnée d’une enfant de huit ans, se trouvant sans abri à la rue et ne disposant pas de moyens de subsistance propres, cela du fait de la saturation des services d’hébergement en Île-de-France en dépit d’une augmentation constante des lieux et des formes d’hébergement en raison d’une demande sans cesse croissante : ord. réf. 14 février 2023, Mme A. et M. C., n° 470897.

(65) V. en revanche, annulant le rejet opposé en première instance à des parents et à leurs deux enfants mineurs de trois ans et demi et de quinze mois, dont la fille a obtenu le statut de réfugiée en mars 2022, de la mise en œuvre à leur égard du dispositif d’hébergement d’urgence et l’application des mesures au titre du mécanisme « Grand froid » : ord. réf. 14 février 2023, Mme B. et M. C., n° 470852.

(66) V., dans le même sens que ci-dessus, confirmant l’ordonnance du premier juge, le rejet du recours de la Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL) contre l’injonction faite au préfet d’accorder un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants ivoiriens et à leurs deux enfants, de 3 et 8 ans, sans abri par grand froid, ce qui place cette famille « sans doute possible parmi les familles les plus vulnérables » en dépit des difficultés, que le juge reconnaît, rencontrées par les services préfectoraux pour assurer cet hébergement et des efforts croissants faits en ce sens : ord. réf. 16 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471232.

(67) V. la solution semblable à la précédente, confirmant la décision du premier juge ordonnant l’hébergement d’urgence d’un homme sans abri depuis le 4 novembre 2022 et souffrant de graves pathologies de longue durée susceptibles, selon un certificat médical, d’entraîner, faute d’hébergement, des « complications mortelles » : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471466.

(68) V. aussi, comme la précédente décision, confirmant l’ordonnance enjoignant d’offrir un hébergement à un couple d’ivoiriens sans abri depuis le mois de mai 2022 avec une enfant d’un peu plus de trois ans : ord. réf. 23 février 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 471131.

 

69 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.

La contestation par le requérant, pasteur de son état, de la destitution prononcée à son encontre par son Église de rattachement, l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL), soulevait deux questions distinctes, celle de la compétence du juge administratif pour connaître de ce recours et la QPC adossée à cette contestation.

En premier lieu, en Alsace et en Moselle le culte est un service public par l’effet du Concordat de 1801 : la loi du 9 décembre 1905 n’étant pas applicable dans cette région qui n’était plus française à cette date par suite des stipulations du traité de Francfort de 1871. Les pasteurs, comme les autres ministres du culte, y sont rémunérés sur fonds publics. Se posait donc la question de savoir si les sanctions adoptées par une Église à l’encontre d’un de ses ministres devaient être considérées comme prises dans et pour l’organisation dudit service public et si, constituant une décision administrative, leur contentieux relevait de la compétence du juge administratif. La réponse est, classiquement, négative (Section, 17 octobre 1980, sieur Pont, n° 13567, au Recueil Lebon, à propos d’un aumônier d’hôpital protestant ; 17 octobre 2012, Raymond B. c/ Évêque de Metz, n° 352742, au Recueil Lebon) : les décisions prises par les différentes Églises en matière d’organisation de leurs cultes respectifs ne constituent pas des décisions administratives.

En second lieu, le requérant soulevait une question prioritaire de constitutionnalité fondée sur ce que les articles organiques, pour les cultes protestants, de la loi du 18 germinal an X relative à l'organisation des cultes, en particulier les articles 25, 33, 34 et 44, tels qu'interprétés par le juge administratif de manière constante, seraient entachés d'incompétence négative et porteraient atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif en ce qu'ils ne prévoient pas de voie de recours contre les décisions de destitution prononcées par le directoire de l'EPCAAL à l'encontre des pasteurs et contre les décisions refusant de les réintégrer et de leur verser leur rémunération. Ce moyen incident est rejeté. D’abord, une QPC ne peut être dirigée contre des dispositions de nature réglementaire or tel est le cas des articles organiques ajoutés à la loi du 18 germinal an X, ce qui suppose, selon le Conseil d’État, existante dès 1801 la distinction de la loi et du règlement puisqu’est ici expressément invoqué l’art. 37 de la Constitution sur la base duquel n’a été pris aucun article organique depuis 1801…La QPC est donc rejeté de ce chef. Ensuite, une telle question ne peut concerner que l’atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution de 1958 non par une législation antérieure à cette dernière, ainsi desdits articles organiques. Enfin, le droit à recours effectif invoqué par le requérant n’implique pas ipso facto la compétence du juge administratif pour connaître des mesures prises en matière d’organisation interne des cultes.

(06 février 2023, M. C., n° 468425)

(70) V. aussi, identique : 06 février 2023, Mme D., n° 468426.

 

71 - Organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales (art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale) – Régime des contrôles effectués par eux – « Charte du cotisant contrôlé » - Dispositions relatives aux investigations sur support dématérialisé – Annulation.

Dans le cadre du droit de contrôle dont disposent les organismes chargés du recouvrement des cotisations et contributions sociales en application de l'art. L. 243-7 du code de la sécurité sociale, est prévue une information des personnes contrôlées sur l’existence d’une « Charte du cotisant contrôlée ».  Un arrêté du ministre de la santé a fixé le modèle de la « Charte du cotisant contrôlé » dans lequel figure un paragraphe intitulé « Les investigations sur support dématérialisé ». Celui-ci comporte notamment les indications suivantes : « Lorsque les documents et documents nécessaires à l'agent chargé du contrôle sont dématérialisés, les opérations de contrôle peuvent être réalisées par la mise en œuvre de traitements automatisés sur son matériel professionnel », des copies, faites au format informatique demandé par l'agent chargé du contrôle, des documents, données et traitements nécessaires à l'exercice de contrôle devant alors être mises à la disposition de celui-ci. Il indique également qu' « En cas de refus écrit ou d'impossibilité avérée », les traitements automatisés devront être réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé, soit que ce dernier les réalise lui-même, en en produisant les résultats au format et dans les délais indiqués par l'agent, soit qu'il autorise l'agent chargé du contrôle à les faire, lui-même ou par l'intermédiaire d'un utilisateur désigné par le cotisant contrôlé. 

Or, relève le Conseil d’État, « La présentation ainsi faite, en mettant en avant la possibilité que les investigations sur support dématérialisé soient réalisées sur le matériel professionnel de l'agent de contrôle à partir de copies fournies à ce dernier par le cotisant contrôlé et en ne faisant pas état de la possibilité que les traitements automatisés soient réalisés sur le propre matériel du cotisant contrôlé que dans l'hypothèse d'un refus écrit par celui-ci ou d'impossibilité avérée de mise en œuvre d'un traitement sur le matériel de l'agent de contrôle, sans rappeler la procédure, prévue par les dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale, selon laquelle il peut être recouru au matériel informatique utilisé par la personne contrôlée ni le droit pour cette dernière, également prévu par ces dispositions sous certaines conditions, de s'y opposer, méconnaît le sens et la portée des dispositions de l'art. R. 243-59-1 du code de la sécurité sociale. »

Ce paragraphe est annulé.

(17 février 2023, Association Le Cercle Lafay, n° 464155)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

72 - Élections départementales – Présentation irrégulière d’un compte de campagne – Production postérieure d’un relevé bancaire – Rejet du compte et inéligibilité annulés.

Les membres d’un binôme voient leur compte de campagne rejeté assorti de l’inéligibilité prononcée à leur encontre au motif  qu’ils n'avaient pas joint le relevé des opérations effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal, et n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, ni répondu à sa demande concernant la justification de leurs frais de transport.

Toutefois, le Conseil d’État annule le jugement prononçant ces deux sanctions, en retenant, comme il l’a déjà fait à plusieurs reprises, que le compte de campagne a été établi par un expert-comptable et que les intéressés ont produit ce relevé bancaire à l'appui de leur mémoire en défense devant le tribunal administratif, permettant ainsi de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.

(06 février 2023, M. A. et M. D., Élections départementales du canton de Plestin-les-Grèves, n° 465379)

 

Environnement

 

73 - Implantation d’éoliennes en zone urbaine – Refus d’y apercevoir une zone urbanisée – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les faits de l’espèce et les pièces du dossier qui lui sont soumis et encourt annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes sur le territoire d’une commune s’est fondé sur l’art. L. 121-8 du code de l’urbanisme car cette zone ne constituait pas une zone déjà urbanisée, caractérisée par un nombre et une densité significatifs de construction alors que, relève le juge de cassation, le terrain d'assiette du projet litigieux est situé en continuité avec une vaste zone industrielle de plus de cent hectares, dont 50 hectares sont occupés par une usine de conversion et de purification du minerai d'uranium, avec 24 hectares de surface bâtie comportant plusieurs bâtiments, et une dizaine de bassins de décantation et d'évaporation. Cette usine est elle-même en continuité avec le hameau des Amarats, où sont implantés une station d'épuration, un parc photovoltaïque et un poste électrique.

(17 février 2023, Société le Soleil participatif, n° 452346 ; ministre de la transition écologique, n° 452499)

 

74 - Détention d’animaux d’espèces non domestiques – Absence de prise en compte des animaux nés dans l'élevage demeurant au stade juvénile – Méconnaissance de l’art. L. 412-1 c. env. – Annulation.

Méconnaît les exigences découlant de l’art. L. 412-1 du code de l’environnement l’arrêté exceptant de la formalité de la déclaration ou de la soumission à autorisation « les animaux nés dans l'élevage (…)  tant qu'ils sont au stade juvénile » car le législateur impose au pouvoir réglementaire de soumettre à déclaration préalable ou à autorisation préalable en raison de la gravité de leurs effets la capture, la détention, la cession, l'importation et l'exportation des animaux d'espèces non domestiques sur l'état de conservation de ces espèces et des risques qu'ils présentent pour la santé, la sécurité et la salubrité publiques.

(17 février 2023, Association One Voice, n° 453843)

 

75 - Enseignes de publicité lumineuses et enseignes lumineuses – Obligation d’extinction nocturne – Absence d’exception et absence de mesures transitoires – Rejet pour l’essentiel.

Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 octobre 2022 portant modification de certaines dispositions du code de l'environnement relatives, notamment celles de l’art. R. 581-35 du code de l’environnement, aux règles d'extinction des publicités lumineuses et aux enseignes lumineuses, spécialement ses articles 1er et 4.

La critique de l’art. 1er de ce décret portait sur ce qu’il rend applicable à l'ensemble du territoire français l'obligation d'extinction nocturne, entre 1 heure et 6 heures, des publicités lumineuses avec une exception pour celles installées sur l'emprise des aéroports sans étendre cette dernière aux dispositifs implantés dans l'emprise du marché d'intérêt national de Rungis. Le moyen est rejeté en raison des différences de destination, de nature d'activité et de fréquentation entre ces deux types d'installations et alors même que toutes deux ont en commun d'avoir une activité nocturne. 

Concernant l’art. 4, il était reproché au décret attaqué que l’art. R. 581-35 du code de l’environnement méconnait le principe de sécurité juridique en ce qu'il est immédiatement applicable et ne ménage pas de régime transitoire pour permettre aux professionnels d'intervenir sur les dispositifs d'éclairage des publicités lumineuses dont le fonctionnement n'est pas pilotable à distance car ils ne sont pas équipés d'un système permettant de programmer leur extinction entre 1 heure et 6 heures alors que les opérateurs les exploitant sont exposés à des amendes jusqu'à ce qu'ils aient été dotés d'un tel système. Observant que les professionnels étaient informés depuis le printemps 2021 de l’évolution future de la réglementation en la matière pour avoir été consultés sur le projet de décret au mois de mai 2021, le juge admet que cet art. 4 est cependant illégal en tant qu'il n'a pas différé d'un mois l'application de l'obligation d'extinction nocturne aux publicités lumineuses autres que celles supportées par du mobilier urbain dont le fonctionnement ou l'éclairage n’est pas pilotable à distance.

(24 février 2023, Syndicat national de la publicité extérieure (SNPE), n° 468221)

 

État-civil et nationalité

 

76 - Opposition à l’acquisition de la nationalité française – Défaut d’assimilation à la communauté française – Application régulière de l’art. 21-4 du Code civil – Rejet.

C’est par une exacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil que pour s’opposer à l’acquisition de la nationalité française par la requérante, le premier ministre a retenu son défaut d’assimilation à la communauté française résultant notamment des propos qu'elle a tenus au cours des entretiens menés par les fonctionnaires de la préfecture de l'Oise chargés de l'instruction de son dossier et de ce qu’elle adopte un mode de vie et des positions incompatibles avec les valeurs essentielles de la République française, notamment l'égalité entre les hommes et les femmes.

(06 février 2023, Mme B., n° 459152)

 

77 - Naturalisation – Décret la rapportant – Fraude – Rejet.

Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application de l’art. 27-2 du Code civil en rapportant, dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude par son service, le décret de naturalisation de la requérante, ressortissante sénégalaise, par le motif que celle-ci avait menti sur sa situation familiale en ne signalant pas le changement de cette situation du fait de son mariage avec un ressortissant sénégalais résidant habituellement à l’étranger.

Eu égard, au surplus, au fait qu’elle est titulaire d'un master de droit, sciences, économie, gestion et qu’elle exerce la profession de juriste, cette dissimulation ne peut être que volontaire.

(06 février 2023, Mme C., n° 463006)

 

78 - Déchéance de la nationalité française – Acte de terrorisme – Décision soumise à l’obligation de motivation – Gravité des faits – Rejet.

Le Conseil d’État rejette un recours dirigé contre un décret portant déchéance de la nationalité française pour faits de terrorisme.

Ce motif de déchéance, légal et légitime, est attesté par les faits relatés dans un jugement de TGI ayant condamné le requérant pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme du fait d’avoir assisté ses fils lors de leur départ en zone syro-irakienne pour rejoindre les rangs de l'organisation terroriste « État islamique », de leur avoir apporté un soutien logistique et financier pendant leur engagement sur place et d’avoir facilité le départ de France de deux jeunes femmes afin qu'elles rejoignent ses fils. 

Par ailleurs le décret attaqué satisfait aux exigences de motivation requises.

Enfin, il ne porte pas d’atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du fait de la gravité du comportement du requérant.

(10 février 2023, M. B., n° 458130)

 

79 - Opposition à changement de nom – Autorisation de changement de nom donnée par le garde des sceaux en exécution d’une décision de justice définitive – Absence d’effet sur le droit de faire opposition à ce changement (art. 61-1 C. civ.) – Rejet.

Le garde des sceaux a opposé un refus à une personne ayant demandé à changer son nom patronymique en celui d’Arbellot de Rouffignac. Ce refus ayant été annulé par un arrêt définitif de cour administrative d’appel, le garde des sceaux a été contraint, en exécution de cet arrêt, d’accorder le changement de nom sollicité. Le requérant a formé opposition à ce changement de nom. Le Conseil d’État juge recevable (mais non fondée en l’espèce) une telle opposition, formée sur le fondement de l’art. 61-1 du Code civil, tous moyens pouvant être invoqués à l’appui de cette opposition en dépit de l’existence d’un tel arrêt.

(24 février 2023, M. X. Arbellot de Rouffignac, n° 465061)

 

Étrangers

 

 

La CNDA fâchée avec les règles de procédure contentieuse ?

 

Plusieurs décisions de ce mois de février attirent l’attention sur des irrégularités de procédure survenant avec une certaine fréquence devant la Cour nationale du droit d’asile. Il est vrai que celle-ci statue souvent dans des conditions et sur des cas difficiles ainsi que sur la base de textes enchevêtrés et pas toujours cohérents tantôt entre eux tantôt par rapport au droit commun processuel.

 

Ainsi, sont annulées pour ce motif plusieurs décision rendues par la Cour :

 

80 - L’abstention de la Cour de viser une note en délibéré pourtant adressée à elle, au moyen de l'application CNDém@, après l’audience et avant la lecture de sa décision : 06 février 2023, M. A., n° 461644.

 

81 - L’ordonnance d’un magistrat de la Cour, rendue quatre jours après notification à l’intéressé de son admission au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale, rejetant sa requête car celle-ci ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA, alors que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et sans l'avoir mis en demeure de le faire en lui impartissant un délai à cette fin : 06 février 2023, M. B., n° 461765.

 

82 - L’appel d’une affaire à l’audience après l’octroi d’une aide juridictionnelle totale au demandeur sans qu’en soit avisé l’avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation désigné pour le représenter à l’audience et sans que ce dernier ait été mis à même de produire en défense : 06 février 2023, M. B., n° 467793.

 

83 - Le rejet par la Cour d’une même demande une seconde fois alors qu’elle ne pouvait statuer à nouveau sur le litige dont elle était saisie par la demande susvisée, lequel avait le même objet, la même cause et émanait de la même requérante que celui qu’elle avait déjà définitivement jugé : 06 février 2023, Mme A., n° 463862.

 

84 - L’ordonnance rejetant la demande du requérant le 22 septembre 2021 alors qu’il avait été informé que son affaire était inscrite à l'audience publique du 28 septembre 2021 et que la date de clôture de l'instruction avait été fixée au 23 septembre 2021, méconnaissant ainsi le principe du contradictoire : 10 février 2023, M. A., n° 458588.

 

85 - Rétablissement d’un individu dans la qualité de réfugié – Invocation de l’ancienneté des faits reprochés – Rejet de la qualification pénale retenue pour ces faits – Qualification inexacte des faits – Annulation.

L’OFPRA reproche à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) d’avoir annulé sa délibération rejetant la demande de réexamen de la demande d'asile présentée par un étranger encourant une peine d’emprisonnement pour trafic d’être humain, et de l’avoir rétabli dans la qualité de réfugié.

La CNDA avait retenu l’ancienneté des faits reprochés, la modestie des sommes récoltées par ce trafic, l’absence de dimension internationale du trafic et elle rejetait la qualification donnée à l’infraction par une chambre de l’instruction.

Le Conseil d’État est bien évidemment à la cassation, apercevant dans cette décision une inexacte qualification des faits, car l’ancienneté des faits n’efface pas la nature juridique du comportement litigieux comme « crime grave de droit commun et surtout la CNDA, en vertu du principe que le criminel tient le civil en état, ne saurait remettre en cause la qualification à laquelle la chambre de l'instruction procède lorsqu'elle statue, par une décision juridictionnelle sur le fondement des dispositions de l'art. 695-31 du code de procédure pénale, sur une demande d'exécution d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités judiciaires d'un autre État membre de l'Union, la Hongrie en l’espèce, en vue de l'exécution d'une condamnation définitive prononcée par ces dernières, après avoir vérifié que ces faits constituent une infraction au regard de la loi française ou relèvent de l'une des catégories énumérées à l'art. 694-32 du code de procédure pénale.

(08 février 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 463014)

 

86 - Circulaire relative à l’exécution des obligations de quitter le territoire (OQTF) – Inscription des personnes concernées dans deux fichiers (FPR et N-SIS II) – Conséquences devant être tirées de l’inscription à ces fichiers – Rejet.

Statuant en formation collégiale en état de référé, le Conseil d’État rejette ici le recours tendant à la suspension de l’exécution de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur et des outre-mer relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.

Le premier moyen d’illégalité était tiré de ce que cette circulaire ordonnerait l'inscription des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans le fichier des personnes recherchées (FPR) et le système national d'information Schengen (N-SIS II).

Ce moyen est rejeté en deux temps.

D’abord, il résulte des dispositions du décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées qu’elles autorisent l'autorité administrative à inscrire à ce fichier les étrangers faisant l'objet d'une OQTF exécutoire, que cette obligation soit ou non assortie d'un délai de départ volontaire, et que ce dernier soit expiré ou non. Ainsi c’est sans violer ces dispositions que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au FPR des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. R. 231-6 du code de la sécurité intérieure que l'étranger obligé de quitter le territoire ne peut être inscrit au N-SIS II s'il ne fait en outre l'objet d'une interdiction de retour. Or le point 5 de la circulaire litigieuse dispose que si les OQTF et les interdictions de retour doivent être inscrites au FPR, seules ces dernières doivent faire l'objet d'un versement au N-SIS II. Ainsi c’est sans violer ces dispositions réglementaires que l’auteur de la circulaire attaquée a invité les préfets à procéder à l'inscription au N-SIS II des étrangers faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français mais pas d'une interdiction de retour.

Le second moyen d’illégalité portait sur les conséquences que la circulaire invite les préfets à tirer de l’irrégularité du séjour d’un étranger. En particulier, il est invoqué que la circulaire, en prescrivant aux préfets « de prendre systématiquement des OQTF à l'égard de tout étranger en situation irrégulière, de rejeter toute demande de délai de départ volontaire, de systématiquement assigner à résidence ceux des intéressés qui ne seraient pas déjà placés en rétention administrative et de veiller à ce que soient tirées les conséquences de l'irrégularité de leur séjour sur les droits sociaux et prestations dont ils bénéficient », porterait une atteinte grave et illégale à la situation des personnes concernées, notamment en les privant de leur liberté d'aller et venir, en rendant impossible la poursuite de leur activité professionnelle et en les privant de moyens de subsistance. Pour rejeter l’argument et dans une rédaction quelque peu embarrassée, les juges – qui reconnaissent que « les prescriptions adressées aux préfets par la circulaire contestée pourraient les conduire, si elles étaient lues sans discernement, à prendre des mesures individuelles méconnaissant certaines dispositions du (CESEDA) » -  estiment qu’il n’y a pas urgence à suspendre l’exécution de ce texte sur ce point en dépit de ce qui précède, et retiennent, d’une part, qu’il n’a pas été constaté une modification significative des pratiques des préfectures en cette matière depuis l’édiction de cette circulaire (sic) et qu’en toute hypothèse la menace prétendue se réaliserait au moyen de décisions individuelles prises pour son application que les intéressés peuvent attaquer devant les juridictions administratives y compris en assortissant leurs requêtes d’une demande de suspension en urgence.

(ord. réf., form. coll., 10 février 2023, Association Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s (GISTI), association Ligue des droits de l'homme, association Utopia 56, association Avocats pour la défense des droits des étrangers et Syndicat des avocats de France, n° 470573)

 

87 - Expulsion d’un ressortissant kosovar – Retrait de la carte de résident – Menace grave pour l’ordre public – Rejet.

Pour rejeter le recours en référé liberté formé par un ressortissant kosovar à l’encontre de l’arrêté préfectoral ordonnant son expulsion vers le Kosovo ainsi que le retrait de sa carte de résident, le Conseil d’État, après avoir relevé que celui-ci ne saurait se prévaloir d’une résidence régulière en France de dix ans compte tenu de la déduction d’un cumul de neuf années d’incarcération, expose en ces termes la justification que la décision contestée ne porte pas une atteinte manifestement disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, ni une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur de ses enfants. 

« M. A. a fait l'objet de dix-sept condamnations par les juridictions pénales, notamment pour des faits de violence commis à l'encontre de sa compagne ou de son ancienne compagne, de conduite de véhicule sans permis, de menace de mort et de port sans motif légitime d'une arme blanche de catégorie D. L'intéressé n'exerce aucune activité professionnelle, et a indiqué devant le juge des libertés et de la détention qu'il était divorcé de Mme B. Il ne résulte pas de l'instruction (…) qu'il contribuerait à l'éducation et à l'entretien effectif de ses deux enfants mineurs ni qu'il serait dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. »

La réponse circonstanciée du juge se passe de commentaires.

(15 février 2023, M. A., n° 470830)

 

88 - Demande de titre de séjour – Absence de qualité de parent d’un mineur français – Nécessité de contribuer à son entretien et à son éducation – Insuffisance – Rejet.

Commet une erreur de droit quant à l’interprétation de l’art. L. 313-11, 6° du CESEDA, l’arrêt qui annule le refus préfectoral d’accorder un titre de séjour « vie privée et familiale » à une personne établissant qu’elle contribue effectivement à l’entretien et à l’éducation d’un enfant mineur français alors qu’il convenait d’établir également si tel était le cas de l’homme auteur de la reconnaissance de paternité de cet enfant et qui n’était pas demandeur du titre de séjour.

(17 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 450924)

 

89 - Avis de droit – Refus de la reconnaissance qualité de réfugié et de la protection subsidiaire suivi d’OQTF (4° de l’art. L. 611-1 du CESEDA) – Demande postérieure d’un titre de séjour – Refus pouvant être assorti à nouveau d’une OQTF – Décisions réputées rendues concomitamment – Régime contentieux de l’OQTF.

Répondant à une demande d’avis de droit (cf. art. L. 113-1 CJA) portant sur les conditions et effets d’application de l'art. L. 611-1 du CESEDA, le Conseil d’État indique que dans l’hypothèse où un étranger, à qui a été refusée la reconnaissance de la qualité de réfugié ou la protection subsidiaire et qui a fait l'objet d'une ou, le cas échéant, de plusieurs obligations de quitter le territoire français fondées sur le 4° de cet article, et qui a ensuite présenté une demande tendant à la délivrance ou au renouvellement d'un titre de séjour, l’administration peut assortir le refus qu'elle est susceptible d'opposer à cette demande d'une obligation de quitter le territoire français fondée sur le 4° de cet article. 

Les deux décisions, celle relative au séjour et celle comportant obligation de quitter le territoire français dont elle est assortie doivent être regardées comme intervenues concomitamment au sens du dernier alinéa de l'art. L. 614-5 du CESEDA. Il en résulte que le contentieux de la décision relative au séjour soulevé à l'occasion d'un recours contre l'obligation de quitter le territoire français suit le régime contentieux applicable à cette dernière tel que prévu par cet article et cela alors même que cette dernière décision a pu être prise également sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du même code.

(21 février 2023, M. A., n° 468799)

 

90 - Décision d’instruire une demande d’asile en « procédure accélérée » et non en « procédure normale » - Saisine du juge du référé liberté – Rejet.

Un requérant ne saurait saisir le juge du référé liberté d’une demande tendant à contester le classement d'une demande d'asile en procédure « accélérée » et non en « procédure normale » ainsi qu’il résulte tant des dispositions du CESEDA que des effets propres d’une telle décision de classement.

(ord. réf. 22 février 2023, M. A., n° 470820)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

91 - Agent public territorial – Candidature à un emploi sur mutation dans une autre commune – Absence d’information donnée à cette commune sur l’existence d’une procédure pénale visant la candidate pour infractions commises dans l’exercice de fonctions analogues – Silence sans caractère frauduleux – Annulation.

Le Conseil d’État juge que commet une erreur de droit une cour administrative d’appel qui estime légal le retrait par une commune de sa décision d’accepter la mutation d’un agent public territorial vers cette commune motif pris de ce que cette dernière aurait commis une faute en manquant à son devoir de probité pour avoir dissimulé à la commune qu'elle faisait l'objet d'une enquête pénale pour abus de confiance portant sur des faits commis dans l'exercice de fonctions analogues à celles qu’elle allait exercer par l’effet de sa mutation.

Le Conseil d’État juge qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne faisant obligation à un fonctionnaire d'informer la collectivité publique auprès de laquelle il postule dans le cadre d'une procédure de mutation de l'existence d'une enquête pénale le mettant en cause, celui-ci ne peut être regardé comme ayant commis une fraude en n'en faisant pas état. Cette solution est d’autant plus surprenante qu’implicitement il est également jugé que n’existe aucun principe général du droit non plus qu’aucun principe déontologique imposeant à un agent public une loyauté minimale envers un futur employeur.

Il est à remarquer, en outre, que la décision de retrait prise par le maire de la commune l’a été après que l’agent a été condamnée par le tribunal correctionnel à emprisonnement avec sursis pour abus de confiance.

(03 février 2023, Mme A., n° 441867)

 

92 - Recrutement de magistrats exerçant à titre temporaire – Nécessité de sept ans au moins d’activités professionnelles idoines à l’exercice des fonctions judiciaires – Conseiller prud’homme – Condition non remplie – Rejet.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la justice estime que les activités de conseiller prud'homme dont se prévaut le requérant ne permettaient pas, à elles seules, de regarder comme remplie la condition, posée par les textes en vue d’un recrutement comme magistrat exerçant à titre temporaire, de justifier de sept années au moins d'exercice professionnel qualifiant particulièrement le candidat pour exercer des fonctions judiciaires, ce qui implique nécessairement qu'une partie substantielle de cette expérience relève du domaine juridique.

(03 février 2023, M. D., n° 458549)

 

93 - Décision refusant le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire – Agent en droit de la percevoir – Obligation de motivation (art. L. 211-2 CRPA) – Annulation.

(03 février 2023, M. B., n° 459224)

V. n° 1

 

94 - Magistrat de la Cour des comptes – Poursuites et condamnation pénale – Agent en congé maladie – Régime de la mesure de suspension – Rejet.

Rappel tout d’abord de ce que la mesure conservatoire de suspension d’un agent public intervenue durant que celui-ci était en congé maladie ne peut entrer en vigueur qu’à l’issue dudit congé. Rappel ensuite que met fin à la mesure de suspension l’intervention postérieure d’un congé maladie sans que l’auteur de cette mesure soit privé du droit de la reprendre à nouveau au terme de ce congé.

La circonstance que l’employeur public, ici la Cour des compte, ne s’oppose pas au retour dans ses fonctions de l’intéressé après condamnation à une peine d’emprisonnement avec sursis, ne prive pas l’autorité compétente (ici le président de la république) du droit de le suspendre à nouveau.

(06 février 2023, M. B., n° 470618)

 

95 - Fonctionnaire détaché comme commandant de port auprès du port autonome (devenu grand port maritime) de Guadeloupe – Nommé ensuite commandant du port de Mayotte – Invocation de harcèlement moral – Étendue du contrôle du juge – Rejet.

Un officier de port, capitaine de port de 1ère classe, détaché pour une durée de cinq ans, auprès du port autonome de la Guadeloupe, devenu Grand port maritime de la Guadeloupe (GPMG) pour y exercer les fonctions de commandant de port, demande notamment l’annulation de l’arrêté ministériel mettant fin à ce détachement avant son terme. Il invoque à cet effet l’existence de faits de harcèlement moral, par ailleurs reconnus, mais entre des parties différentes, par jugement rendu en matière civile par la cour d’appel de Basse-Terre.

Le juge de cassation, qui statue ici après deux cassations, exerce en réalité le contrôle ordinaire d’un juge d’appel.

Il rejette en définitive le pourvoi en relevant que l’arrêt d’appel invoqué, de caractère non pénal, n’a pas autorité de chose jugée à l’égard du juge administratif, que la cause de la mesure prise et des difficultés rencontrées par l’intéressé était étrangère à tout harcèlement moral et, enfin, que certains dysfonctionnements résultent du comportement général du requérant.

(07 février 2023, M. B., n° 452441)

 

96 - Agent d’une chambre des métiers – Sanction – Indication devant la commission disciplinaire de l’exercice par l’intéressé de fonctions syndicales – Référence ne pouvant à elle seule être considérée comme viciant la sanction – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour annuler la sanction infligée à l’agent d’une chambre de métiers et de l’artisanat, retient qu’il a été fait mention devant la commission disciplinaire de ses fonctions syndicales alors qu’il incombait à la cour de rechercher si cette mention, qui était de caractère objectif, avait eu une influence sur l'avis émis par le conseil de discipline ou sur la décision prise par le président de la chambre de métiers et de l'artisanat de la région Bourgogne-Franche-Comté.

(07 février 2023, Chambre de métiers et de l'artisanat de région Bourgogne-Franche-Comté, n° 453183)

 

97 - Fonctionnaires et agents publics – Allocation temporaire d’invalidité – Nature d’une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles – Prise en compte en tant que ressources du foyer – Rejet.

Confirmant le jugement querellé devant lui, le Conseil d’État rappelle à nouveau quelle est la nature de l'allocation temporaire d'invalidité pour les fonctionnaires et agents publics.

Il constate, à juste titre, que cette allocation a pour objet de réparer, en cas de maintien en activité, les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle de l’agent.

Il en déduit donc, que cette allocation doit être regardée comme une rente allouée aux victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles au sens du 7° de l'article R. 844-2 du code de la sécurité sociale et du 4° du I de l'article L. 842-8 de ce code.

En conséquence, et contrairement à ce que soutient la demanderesse, cette allocation est au nombre des ressources du foyer dont l'article L. 842-3 du code de la sécurité sociale prévoit qu'elles sont prises en compte pour l'appréciation du droit à la prime d'activité, soit en tant que revenu professionnel lorsque les conditions mentionnées à l'article L. 842-8 de ce code sont satisfaites, soit, à défaut, en tant que revenu de remplacement en application du 7° de l'article R. 844-2 du même code.

(15 février 2023, Mme A., n° 459030)

 

98 - Concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects – Épidémie de Covid-19 – Adaptation des épreuves – Demande d’annulation – Rejet.

En raison de l’épidémie de Covid-19, les ministres des finances et de la fonction publique ont adapté les épreuves du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects organisé au titre de l'année 2020. En particulier, a été supprimée l'épreuve orale d'admission et l'épreuve écrite d'admissibilité est devenue l’unique épreuve d'admission.

La requérante, candidate malheureuse, demande l’annulation de cet arrêté interministériel.

Sa requête est rejetée.

Concernant la critique de l’absence de motivation de certains actes, le juge rappelle que n’avaient à être motivées ni l'arrêté adaptant les épreuves de ce concours, ni la décision du jury fixant la note minimale pour prononcer l'admission des candidats, ni non plus la délibération arrêtant la liste des candidats admis.

Ensuite, il était possible pour les ministres de procéder aux adaptations querellées alors que le déroulement des épreuves du concours avait déjà débuté car la pandémie est survenue précisément au cours de ce déroulement, le 12 mars 2020, et alors que celui-ci n’était pas achevé.

En ne prévoyant pas le recours à la visioconférence pour l’organisation de l’épreuve orale et en supprimant purement et simplement celle-ci, les ministres défendeurs n’ont pas commis d’erreur manifeste d’appréciation alors même que cette solution par visioconférence a été retenue pour l’organisation d’épreuves orales dans le cadre d’autres concours administratifs.

Enfin, le juge précise un élément important du droit des concours et qui est souvent ignoré tant par les administrations organisatrices que par les jurys et les candidats.

L'institution de notes éliminatoires pour chaque épreuve fait partie de la réglementation du concours et doit être arrêtée par l'autorité investie du pouvoir réglementaire, en revanche, la fixation d'une note minimale pour prononcer l'admission des candidats relève de l'appréciation souveraine du jury sur la valeur des candidats.

En l’espèce, le jury du concours professionnel d'avancement au grade de contrôleur principal des douanes et droits indirects était donc compétent pour fixer le nombre de points que devaient obtenir les candidats pour être admis.

(14 février 2023, Mme A., n° 452995)

 

99 - Ouvrier de l’État - Exposition à l’amiante – Préjudice d’anxiété – Point de départ de la prescription du droit à réparation – Annulation et rejet.

Le demandeur, ouvrier d'État employé au sein du service des parcs combustibles de la direction du commissariat de la marine nationale de la base navale de Fort-de-France, est éligible, à raison de son exposition aux poussières d’amiante, à une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (ASCAA) dont le régime est fixé par le décret du 21 décembre 2001.

Il a demandé la réparation de son préjudice d’anxiété du fait de son éligibilité à l’ASCAA et a saisi le tribunal administratif après le rejet de sa demande préalable par la ministre des armées. Cette dernière se pourvoit contre le jugement ayant accordé au demandeur l’indemnisation du préjudice d’anxiété.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi en raison de la prescription de la créance de l’intéressé sur l’État.

Suivant un schéma de raisonnement désormais bien établi en cette matière, le juge rappelle que le préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir un ouvrier d'État éligible à l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, « naît de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ». Le juge estime donc que c’est la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel qui est par elle-même de nature à porter à la connaissance de l'intéressé, s'agissant de l'établissement et de la période désignés dans l'arrêté, la créance qu'il peut détenir de ce chef sur l'administration au titre de son exposition aux poussières d'amiante.

En l’espèce, c’est un arrêté du 21 avril 2006, publié le 10 mai, qui a fixé la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une ASCAA à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense. Il s’ensuit que c’est à cette date que le demandeur doit être réputé avoir pris conscience du risque générateur de son préjudice d’anxiété. Par application de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale, la prescription était acquise le 31 décembre 2010 soit antérieurement à sa demande d’indemnisation formée le 10 juin 2020.

C’est ainsi par suite d’une erreur de droit que le tribunal administratif a écarté l’exception de prescription quadriennale soulevée devant lui par la ministre des armées.

(14 février 2023, ministre des armées, n° 461094)

 

100 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.

(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)

V. n° 138

 

101 - Fonctionnaire territorial – Sanction disciplinaire réduite par le conseil de discipline de recours – Employeur public demandant la suspension d’exécution de cette réduction de sanction – Rejet pour défaut d’urgence – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

La collectivité requérante avait demandé la suspension de la décision du conseil de discipline de recours ayant commué la révocation d’un agent public territorial en exclusion temporaire des fonctions pour deux ans. Sa demande a été rejetée pour défaut d’urgence.

Sur pourvoi de la collectivité, le Conseil d’État annule ce rejet.

Pour dire fondée la demande de la communauté d’agglomération de suspendre la nouvelle sanction disciplinaire, le Conseil d’État retient d’abord que comme l’affirme celle-ci, l'exécution de l'avis du conseil de discipline de recours aurait pour effet d'obliger la communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne à réintégrer l’intéressé dans ses effectifs puisque, d'une part, elle ne peut prononcer une sanction plus sévère que celle résultant de l'avis du conseil de discipline de recours et que, d'autre part, l'intéressé n'exerce plus ses fonctions depuis plus de deux ans. Compte tenu, outre des restrictions médicales qui limitent ses possibilités d'affectation, de la gravité des faits d'agression physique et verbale reprochés à l'intéressé à l'encontre de son supérieur hiérarchique, chef du service mécanique, et du comportement violent dont il a déjà fait preuve à l'égard de ses supérieurs ou de ses collègues de travail, ayant donné lieu précédemment à sanction disciplinaire, la communauté d'agglomération est fondée à soutenir qu'en jugeant que la réintégration de l’intéressé dans ses effectifs n'était pas susceptible de porter atteinte au bon fonctionnement de ses services, pour en déduire que cette réintégration ne créait pas une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-1 du CJA de nature à justifier la suspension de la décision contestée, le juge des référés du tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier qui lui étaient soumis.

Est donc prononcée l’annulation du refus d’ordonner la suspension sollicitée, décision du conseil de discipline de recours est ainsi suspendue. Enfin le juge estime qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la décision de la commission de discipline de recours ramenant à une suspension temporaire de deux ans une sanction de révocation définitive.

(14 février 2023, Communauté d'agglomération de Châlons-en-Champagne, n° 468821)

 

102 - Fonctionnaire territorial détaché auprès d’une collectivité ou d’un établissement – Fin, anticipée ou non du détachement – Droit à réintégration dans la collectivité d’origine – Impossibilité de réintégration – Faculté de demander un congé spécial ou une indemnité de licenciement à la collectivité d’exercice du détachement – Substitution de motif – Confirmation.

Un litige opposait un centre de gestion de la fonction publique territoriale à une communauté d’agglomération sur la charge finale du versement à un fonctionnaire communal détaché des rémunérations lui étant dues du fait de sa décision de mettre fin avant le terme prévu à son détachement auprès d’elle.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État de rappeler que « (…) les personnes morales de droit public ne peuvent être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas, cette interdiction étant d'ordre public et devant être soulevée d'office par la juridiction à laquelle une telle condamnation est demandée. »

Ce qui fait cependant le principal intérêt de la décision concerne le régime de reclassement et de prise en charge des fonctionnaires territoriaux dont le détachement sur un emploi fonctionnel a pris fin. C’est là, en pratique, une question récurrente et d’une très grande portée concrète en raison du nombre de situations de ce type se rencontrant au sein des collectivités et établissements territoriaux.

La réponse ici donnée l’est en termes de principe faisant ainsi ressortir son caractère nouveau.

L’hypothèse est celle de la fin du détachement d’un fonctionnaire territorial (ici municipal) sur un emploi fonctionnel mentionné à l'art. 53 de la loi du 26 janvier 1984, lorsque cet achèvement a lieu à l'initiative de la collectivité ou de l'établissement (ici une communauté d’agglomération) au sein de laquelle ou duquel il est détaché sur un tel emploi.

La question est celle de savoir à qui incombe in fine la charge des rémunérations versées au fonctionnaire détaché à partir de l’achèvement du détachement tant que celui-ci n’est pas réintégré dans son cadre d’emploi : à la collectivité d’origine ou à la collectivité de détachement ?

Avant de donner sa réponse le juge précise que celle-ci n’a pas à tenir compte de ce que cette fin de fonctions est intervenue avant le terme normal du détachement ou résulte du non-renouvellement de celui-ci. Ceci est normal car la réintégration doit intervenir à l’issue de la période, pleine ou interrompue, du détachement.

Le principe, au demeurant très logique, posé par l’art. 53 précité est que ce fonctionnaire est réintégré dans son corps ou cadre d'emplois et réaffecté à la première vacance ou création d'emploi dans un emploi correspondant à son grade relevant de sa collectivité ou de son établissement d'origine en application de l'article 67 de la même loi.

Cependant, dans l’hypothèse ou sa collectivité ou établissement d'origine n'est pas en mesure à cette date de le réaffecter sur un tel emploi, le fonctionnaire est en droit, dans les conditions prévues par l'article 53 précité, de demander à l’entité auprès de laquelle il occupait l'emploi fonctionnel par l’effet du détachement de bénéficier, à son choix, d'un reclassement, d'un congé spécial ou d'une indemnité de licenciement.

Le juge estime que le choix par l’agent de s’adresser à l’entité d’exercice du détachement sur le fondement de l’art. 53 exclut que puisse ensuite lui être appliquées les dispositions de l'article 67 de la loi du 26 janvier 1984.

Par ailleurs, il décide que pour l’application de cette solution il n’y a pas lieu de vérifier si la collectivité employeur, ici la commune, était en mesure de réintégrer l’agent dans ses effectifs au moment où il a formulé cette demande de congé spécial. C’est donc à bon droit que le centre de gestion requérant a réclamé auprès de la communauté d’agglomération.

Ceci nous semble laisser entière la faculté pour l’entité de détachement de se retourner ensuite, après remboursement au centre de gestion, contre la collectivité d’emploi d’origine pour l’inanité du motif qu’elle a avancé pour affirmer ne pas disposer d’emploi de réintégration ad hoc.

(10 février 2023, Centre interdépartemental de gestion de la grande couronne de la région Ile-de-France, n° 443616)

(103) V. aussi, jugeant que relève du juge administratif le litige né de ce qu’une commune a mis fin de manière anticipée au détachement auprès d’elle du demandeur, salarié de droit privé de la Caisse des dépôts et consignations, ce détachement résultant d’un contrat de droit public du fait de sa conclusion entre deux personnes publiques pour l'accomplissement d'une mission de service public administratif, à savoir la préfiguration du pôle municipal gérontologique et de l'autonomie : 10 février 2023, M. B., n° 448745.

 

104 - Agent contractuel à temps indéterminé d’un établissement public administratif (AEFE) - Demande de protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral allégués – Refus – Qualification des faits comme harcèlement – Annulation sans renvoi et rejet.

La demanderesse, responsable audiovisuelle, responsable iconographique et des productions audiovisuelles au sein du service communication et événements de l'agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), a saisi la directrice de cet établissement public administratif d’une demande de protection fonctionnelle pour faits de harcèlement moral de la part de son chef de service. Ceci lui a été refusé et, en vain, elle a saisi le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel d’une demande d’annulation de ce refus assortie de demandes d’indemnité en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis du fait de ce comportement.

Elle se pourvoit en cassation ; son pourvoi est rejeté.

Le juge de cassation rappelle la ligne jurisprudentielle qu’il a fixée en matière de litiges fondés sur un motif de harcèlement après que chaque partie a, pour la victime prétendue, fait état de faits en ce sens et, pour l’administration, montré que ces faits sont étrangers à des actes de harcèlement : « La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. (…) Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique ».

Ensuite, il considère que la cour a, sans dénaturation, estimé que la circonstance qu’a finalement été octroyée à l’intéressée le bénéfice de la protection fonctionnelle et de l’existence d’un traitement inégalitaire subi par elle, ne constituaient pas des faits de harcèlement.

En revanche, il annule l’arrêt d’appel en tant que, à propos des autres faits soulevés par la requérante, il a également rejeté cette qualification alors qu’ils étaient susceptibles de faire présumer l'existence de ce harcèlement moral et devaient être analysés sous cet angle.

Jugeant au fond, le Conseil d’État rejette finalement cette qualification, d’une part en raison de ce que le comportement managérial du chef de service, non exempt de reproches, était largement commandé par le comportement professionnel de la requérante et, d’autre part, en raison des efforts faits par l’AEFE pour une pacification de ces relations (autorisations d’absence sans incidence sur le traitement, propositions d’un congé de formation puis de différents poste au sein de l’AEFE, appui à sa candidature au sein de l'Institut français).

(14 février 2023, Mme C., n° 461247)

 

105 - Harcèlement grossier à connotation sexuelle – Actes répétés – Révocation – Invocation d’un état mental antérieur ayant conduit à ne pas exécuter une précédente décision de révocation – Absence d’irresponsabilité établie lors du nouveau harcèlement – Rejet.

Un agent territorial qui s’est rendu coupable tant à l’oral que par écrits de plusieurs propos ou documents « extrêmement déplacés, agressifs et dégradants, dont plusieurs ayant un caractère sexuel et comportant des menaces physiques, à l'une de ses collègues de la maison de la région à Béziers, à l'une de ses supérieures hiérarchiques et à une élue de la région, lesquelles ont porté plainte pour harcèlement moral », a été révoqué de ses fonctions par la présidente de la région Occitanie. L’agent requérant conteste la régularité et la juridicité de cette décision sans succès en première instance, avec succès en appel.

La région se pourvoit en cassation.

Délaissant diverses questions de procédure et de forme qui n’apportent pas au fond du litige au principal, il convient d’indiquer qu’une première fois, en 2008, pour des motifs semblables, l’intéressé avait fait l’objet d’une décision de révocation qui n’avait pas été exécutée compte tenu d’appréciations médicales d’ordre psychiatrique ayant conclu à son irresponsabilité au moment des faits qui lui étaient alors reprochés.

Se prévalant d’un état physique identique, l’intéressé demandait que soit annulée la décision de révocation : c’est cette argumentation qu’a retenue la cour administrative d’appel. Il est de jurisprudence classique que l’état mental puisse être retenu pour dégager l’agent de sa responsabilité ou pour que soit adoucie la sanction dont il a fait l’objet (pour une révocation jugée disproportionnée au regard de l’état de l’agent, v. 15 octobre 2020, M. Brunel, n° 438488 ; V. cette Chronique, octobre 2020 n° 97).

Toutefois, ici, le juge relève que durant la période de commission des faits reprochés ayant justifié la révocation, soit d’avril à septembre 2016, l'état de santé mentale de l’agent n'était pas de nature à altérer son discernement d’où s’ensuit le caractère non disproportionné de la sanction par la révocation.

(17 février 2023, région Occitanie, n° 450852)

 

Hiérarchie des normes

 

106 - Allocation gratuite de quotas d’émission de gaz à effet de serre - Référentiels de produits - Référentiels n'incluant plus la production de ciment d'aluminates de calcium - Directives de l’Union européenne – Règlement délégué d’exécution – Obligation de soumission de l’autorité nationale – Rejet.

Une entreprise produisant certaines variétés de ciments a demandé l’allocation à titre gratuit de quotas d’émission de gaz à effet de serre et a présenté à cet effet à la ministre défenderesse une demande d’inclure dans les référentiels d’éligibilité à cette allocation de quotas, le ciment d’aluminates de calcium. Elle attaque la décision de refus opposée par cette dernière et résultant du silence gardé sur la demande dont elle a été saisie.

Le recours est rejeté en raison de la compétence liée de la France en cette matière du fait que la Commission européenne a, par le règlement d'exécution 2021/447 du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels, pris en compte pour les valeurs des référentiels de « clinker » de ciment gris et blanc des données qui n'incluent plus la production de ciment d'aluminates de calcium, et en a tiré la conséquence que ce type de ciment ne pourrait plus entrer dans ces référentiels et se voir octroyer des quotas gratuits à ce titre. En conséquence, pour l’application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 10 bis de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 relatif à la détermination de référentiels pour l'allocation des quotas à titre gratuit, le règlement délégué (UE) 2019/331 de la Commission du 19 décembre 2018 prévoit 54 référentiels de produits, avec les valeurs de ces référentiels et les taux d'actualisation de ces valeurs pour la période courant de 2021 à 2030, de façon à garantir que les modalités d'allocation des quotas encouragent l'utilisation de techniques efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ce règlement délégué a été complété par le règlement d'exécution (UE) 2021/447 de la Commission du 12 mars 2021 déterminant les valeurs révisées des référentiels. Il résulte de son article 4. et de l’art. 11 de la directive 2003/87 du 13 octobre 2003 que l'autorité nationale est tenue de mettre en œuvre le règlement d'exécution arrêté par la Commission déterminant les référentiels.

Ainsi, la ministre défenderesse ne pouvait que refuser la demande adressée par la société Imerys Aluminates et tendant à ce que la production de ciment d'aluminates de calcium soit maintenue dans les référentiels de « clinker » de ciments gris et blanc.

(17 février 2023, Société Imerys Aluminate, n° 452452)

 

Libertés fondamentales

 

107 - Établissements pénitentiaires de Guyane – Demandes de prise de mesures d’hygiène, de salubrité et de respect de la vie privée – Rejet.

Retour sur l’interminable et désolant feuilleton sur l’état des prisons guyanaises.

La requérante, tout aussi connue que les problèmes qu’inlassablement elle dénonce, demandait l’annulation d’une ordonnance rendue sur référé liberté rejetant diverses demandes qu’elle a formulées afin d’améliorer les conditions de vie des détenus dans un centre pénitentiaire.

Le Conseil d’État, statuant comme juge d’appel, rejette la requête.

Tantôt les demandes sont jugées sans objet car satisfaction leur a été ou est sur le point d’être donnée, tantôt elles le sont en considération des efforts faits par l’administration pour corriger ce qui peut l’être (cas de la création d’une nouvelle cuisine ou des des douches, extérieures comme intérieures, de la dératisation, de la lutte contre les insectes rampants tels que les cafards, de la distribution d’insecticides, de la protection de la vie privée, etc.).

(ord. réf. 06 février 2023, Section française de l’observatoire international des prisons, n° 470228)

 

108 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

V. n° 3

 

109 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.

(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)

V. n° 112

 

110 - Ressortissant albanais conjoint d’une personne bénéficiant en France de la protection subsidiaire – Extradition – Personne condamnée par défaut – Exigence de sa présence devant la cour d’appel – Rejet.

Un ressortissant albanais, faisant l’objet depuis 2016 d’un mandat d’arrêt délivré par un tribunal de son pays et qui a été condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement pour meurtre avec préméditation et détention non autorisée ou fabrication d'armes militaires et munitions, demande l’annulation du décret du premier ministre autorisant son extradition à la demande des autorités albanaises pour être jugé en appel.

Tous les moyens soulevés au soutien de sa requête sont rejetés.

Tout d’abord, a été donnée l’assurance par l’Albanie que, conformément aux principes de l'ordre public français et aux conventions internationales signées par la France, qui imposent qu'en matière pénale, une personne condamnée par défaut puisse obtenir d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître, et à se défendre, l’intéressé pourra être rejugé en sa présence devant la cour d’appel de Tirana, la première sentence n’étant, en l’état, pas exécutoire. L’argument, invoqué par le requérant et tiré de l’absence de double degré de juridiction en matière criminelle, selon lequel seraient par-là violées des dispositions de la Convention EDH (art. 6) et de son protocole additionnel n° 7 (art. 2) est rejeté.

Ensuite, la circonstance que l’épouse du demandeur s'est vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire sur le fondement de la Convention de Genève du 18 juillet 1951 et de la directive de l’Union du 13 décembre 2011, ne saurait faire par elle-même obstacle à l'exécution du décret attaqué.

Également, s’il est invoqué que la mise en œuvre de l’extradition porterait atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, prévu et garanti par l’art. 8 de la Convention EDH, c’est là l’objet même d’une telle procédure qui a pour objet la remise aux États de ceux de leurs ressortissants auteurs d’infractions afin qu’ils y soient jugés et leur condamnation exécutée. Au surplus, sa femme pourra le rejoindre en Albanie où se trouvent les familles des deux membres du couple.

Enfin, ne sauraient être retenus – car de caractère trop général et non étayé - les moyens tirés de l’état des prisons albanaises, du risque de vengeance de la famille d’un policier, victime d'un autre meurtre commis en Albanie pour lequel il a été jugé et condamné en 1999, sans que les autorités albanaises soient en mesure de le protéger. En l’état, il n’est pas porté atteinte aux stipulations de l’art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la Convention EDH.

(10 février 2023, M. B., n° 463793)

(111) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation du décret autorisant l’extradition d’un ressortissant espagnol à la demande du Royaume d’Espagne pour participation à des actes de terrorisme, assassinats et tentatives d'assassinats, à raison d'un attentat à la voiture piégée devant la caserne de la garde civile de Saragosse le 11 décembre 1987. En effet, contrairement à ce qui était soutenu, le décret d’extradition a bien été pris en connaissance des éléments que l'État requérant devait présenter aux autorités françaises en vertu des stipulations de l'art. 12 de la convention européenne d'extradition ; la demande ne concernait pas des actes politiques ni ne poursuivait un but politique. Enfin, ne saurait entacher ce décret d’irrégularité la durée excessive de l’instruction menée en Espagne ou le défaut d’impartialité du rapport du service d'information de la garde civile espagnole communiqué au ministère public français, sauf pour l’intéressé à démontrer « qu'il en résulterait une erreur évidente quant aux faits (qui lui sont) reprochés », ce qui n’est même pas allégué par lui : 10 février 2023, M. C., n° 465653.

 

Police

 

112 - Police des cultes – Police de l’ordre public – Dissolution d’associations d’exercice du culte et d’enseignement – Menaces pour l’ordre public – Notion d’agissements imputables à une association – Gravité et réitération de propos justifiant la décision contestée – Rejet.

Les associations requérantes, qui assuraient la gestion du lieu de culte « mosquée d'Allonnes » et de l'école qu'il abritait, demandaient l’annulation du décret prononçant leur dissolution.

Le juge rappelle d’abord que, en application des dispositions de l’art. L. 212-1-1 du code de la sécurité intérieure, « sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements (mentionnés aux 6° et 7° de l’article L. 212-1 dudit code) commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l'association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu'informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient ». C’est pourquoi, ici, le Conseil d’État s’attache, d’une part, à relever l’existence de comportements ou propos de la nature de ceux que les dispositions précitées répriment et, d’autre part, à constater l’inertie à leur égard des responsables associatifs.

Le juge relève ainsi, avec un grand souci de précision, les éléments tirés des notes blanches des services de renseignement, « qu'était régulièrement propagée au sein de la mosquée d'Allonnes, par le président et le vice-président ainsi que par l'imam de la mosquée et des prédicateurs, une conception de l'islam reposant sur la distinction entre les musulmans salafistes et les " mécréants français ", considérés comme " pires que des animaux " et ayant vocation à " aller en enfer ". Y était défendue l'idée que la France est " islamophobe " et qu'elle " fait la guerre à l'islam ", justifiant, au titre du djihad, d'" unir les forces de l'islam pour se préparer à combattre les islamophobes " et demandant à Allah de " donner la victoire aux musulmans ". Les notes blanches font également état de relations étroites entre certains membres des associations requérantes, officiant au sein de la mosquée, et des individus appartenant à la mouvance islamiste radicale, ainsi que de la diffusion sur les réseaux sociaux de publications propageant les mêmes théories et de projets de départ en Syrie en vue de se livrer au djihad armé, témoignant d'une radicalisation de fidèles fréquentant la mosquée. Enfin, des propos violents à caractère antisémite et homophobe ont été tenus à plusieurs reprises par une personne qui exerçait des fonctions d'enseignant au sein de l'école abritée par la mosquée, de même que, par l'imam de celle-ci, des propos discriminatoires à l'égard des femmes, justifiant les violences conjugales par le fait que l'époux peut " disposer de sa femme à sa guise ", qualifiant le viol conjugal d'" invention de l'Occident " et appelant à l'instauration de la charia. »

Au terme de cette analyse des comportements et propos répréhensibles, le juge constate ensuite qu’« il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les dirigeants de l'association auraient condamné les propos litigieux tenus par des membres de l'association ou auraient entrepris de les exclure. » 

C’est donc à bon droit que, dans le respect du 6° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, ces attitudes ont été imputées aux associations en cause.

Ensuite, il est relevé que tombent sous le coup du 7° de l’art. précité (associations ou groupements de fait « qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger ») divers propos ou attitudes des principaux dirigeants des associations dissoutes : justification  des assassinats de Samuel Paty en 2020 et de Stéphanie Monfermé en 2021, affirmation, en écho à la nouvelle publication de caricatures du prophète Mahomet dans le journal Charlie Hebdo, que toute personne qui se moque du prophète doit mourir, multiples propos encourageant au djihad armé et valorisant la participation à une telle lutte et la mort en « martyr », propos et publications multiples de fidèles ayant fréquenté la mosquée d'Allonnes relevant de l'apologie du terrorisme, se réjouissant de l'attaque dans les locaux de Charlie Hebdo et des attentats du Bataclan, ou appelant à prendre les armes « pour faire couler le sang ». Tout ceci atteste le caractère incitatif à la commission d'actes de terrorisme des agissements constatés au sein de la mosquée. 

Il suit de là que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation du décret attaqué qui, eu égard, à la gravité et à la constance des propos et attitudes en cause, ne porte pas d’atteinte disproportionnée à la liberté d’association ou à celle de religion ni ne saurait être jugé discriminatoire envers le culte musulman.

(08 février 2023, Association Al Qalam et association allonnaise pour le Juste Milieu, n° 462120)

 

113 - Infraction au code de la route – Amende forfaitaire – Paiement immédiat – Information préalable concernant le retrait de points - Charge de la preuve de la délivrance de cette information incombant à l’administration – Rejet sur ce point.

Rappel de ce que, en cas d’infraction routière, le paiement immédiat de l'amende forfaitaire entre les mains de l'agent verbalisateur suite à l’interception du véhicule oblige l'administration à apporter la preuve, par la production de la souche de la quittance prévue à l'article R. 49-2 du code de procédure pénale dépourvue de réserve sur la délivrance de l'information requise, que celle-ci est bien intervenue préalablement au paiement. 

Rejet du pourvoi sur ce point.

(09 février 2023, ministre de l’intérieur, n° 459672)

 

114 - Arrêté portant interdiction de circulation des camions de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale – Contestation de l’interdiction en dehors des zones urbanisées – Moyen laissé sans réponse – Route affirmée être l’unique voie d’accès à une entreprise – Dénaturation – Annulation.

Une entreprise conteste l’interdiction de circuler faite aux véhicules de plus de cinq tonnes sur une portion de route départementale au double motif que cette interdiction n’est pas justifiée dans la partie non urbanisée de cette route et que celle-ci est la seule voie d’accès permettant à ses camions d’accéder à son centre de tri.

La cour administrative d’appel ne se prononce pas sur le premier moyen et juge le second non étayé par les plans qui lui ont été remis.

Le Conseil d’État annule doublement cet arrêt : en tant qu’il ne répond pas à l’un des moyens et en tant qu’il dénature les pièces du dossier pour avoir jugé – contre l’évidence – que la seule production des plans de situation n’établissait pas l’unicité d’accès alléguée alors que l'exactitude de cette affirmation ressortait sans équivoque de ces plans, étayés par la production d'extraits de carte routière et d'attestations des chauffeurs de l'entreprise.

(09 février 2023, Société Val’Horizon, n° 461627)

 

115 - Police des manifestations sportives – Match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio – Niveau élevé de risque d’atteinte à l’ordre public – Interdiction de stationnement aux abords du stade et interdiction de déplacement des supporters corses à Nice – Absence d’illégalité manifeste – Rejet.

L’interdiction, par des arrêtés du ministre de l’intérieur et du préfet des Alpes-Maritimes, de stationner aux abords du stade Allianz Riviera à Nice et de déplacements de supporters corses à l’occasion d’un match de football entre l’OGC Nice et l’AC Ajaccio, le 10 février 2023, n’a pas constitué, dans les circonstances de l’espèce, une atteinte grave et manifeste à la liberté de déplacement.

En effet, d’une part les rencontres entre ces deux clubs donnent classiquement lieu à des affrontements sérieux, d’autre part, la situation de l’ordre public était alors fragilisée car ainsi que le relève le juge des référés, les forces de l’ordre : « doivent tout particulièrement sécuriser la manifestation sportive à laquelle sont attendus environ 23 000 spectateurs dans un contexte de menace terroriste toujours présente, ainsi que, dès le lendemain matin, une manifestation contre la réforme des retraites où environ 7 000 personnes doivent défiler entre 10 h et 15 h à Nice, puis à partir de 14h30, l'ouverture du carnaval de Nice et un spectacle nocturne regroupant environ 20 000 spectateurs, toujours le même jour le déplacement à Nice de supporters du Paris Saint-Germain qui se rendent à Monaco pour assister à un match de la ligue et, dimanche, l'ouverture de la fête du citron à Menton ainsi qu'un nouveau défilé du carnaval de Nice, où 20 000 spectateurs sont attendus à chaque fois. Il est en outre constant que les équipes de supporters venant des communes de Corse ne pourront pas repartir le soir même faute d'avion ou de bateaux mais devront attendre au plus tôt le lendemain. »

Il est vrai qu’il y avait là une configuration de « panique à bord » justifiant les interdictions édictées.

(ord réf. 09 février 2023, Association nationale des supporters, n° 471184)

 

116 - Police de la sécurité publique – Interdiction d’accès à une cité marchande – Risques d’incendie et d’écroulement – Absence d’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie – Rejet.

Le demandeur en référé liberté sollicitait l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant l’accès à une cité marchande composée de plusieurs modules, il invoquait à cet effet, notamment, l’atteinte portée à la liberté du commerce et de l’industrie.

Pour rejeter le recours et confirmer la solution retenue en première instance, le juge d’appel relève que l’espace en cause, composé de lots modulaires vétustes et dangereux du fait d’écroulements de plusieurs d’entre eux, la plupart inoccupés ou squattés, était également un foyer d’incendies, l’un d’eux ayant causé la mort d’une personne en janvier 2023. C’est pourquoi, et alors même que le demandeur, qui y tient un commerce de vente de viande au détail, invoque le fait que son local ne présenterait pas les mêmes risques d’incendie et d’effondrement que les autres, la mesure de police prise par le maire, ainsi que jugé en première instance, ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie. 

(ord. réf. 13 février 2023, M. B., n° 471068)

 

117 - Police de l’ordre public et des manifestations – Dissolution d’un groupement de fait – Continuité et identité des dirigeants, membres et méthodes avec ceux d’une association déjà dissoute – Faits avérés – Rejet.

C’est en vain que les requérants ont demandé au moyen d’un référé liberté l’annulation du décret de dissolution du groupement de fait qu’ils dirigent.

Le décret justifie cette mesure par deux motifs.

Tout d’abord, est invoquée la continuité entre l'association « Ferveur Parisienne » et le groupement de fait : représentation du groupement par M. A., ancien président de l'association « Ferveur Parisienne », les anciens membres ou sympathisants de l'association au profil de supporters « ultras » classés à risques dont une douzaine particulièrement actifs se retrouvent dans le groupement de fait qui s'identifie toujours au travers de symboles communs, le drapeau représentant un homme cagoulé montrant ses dents constitue l'un des symboles de l'association « Ferveur Parisienne », et ce symbole continue d'être utilisé par les membres du groupement de fait, sans que les dénégations de l’un des demandeurs parviennent à établir que les circonstances ainsi relevées seraient entachées d'erreur matérielle. 

Ensuite, la dissolution veut réprimer les actes de dégradation commis contre des biens dans des enceintes sportives ou à leurs abords, les messages injurieux ou tags sur des véhicules ou des immeubles imputés à plusieurs membres de « Ferveur parisienne », d’autant que ces comportements ne sont pas sérieusement contestés. Il en va ainsi d’actes de violence répétés décrits et établis dans une note circonstanciée du ministre de l’intérieur versée au contradictoire et longuement citée par le juge des référés, tous actes soit non contestés ou non démentis soit non sérieusement contestés.

Ainsi, « eu égard au caractère répété des faits et à la gravité des actes de violences contre les personnes en cause, commis en réunion, la mesure de dissolution, qui est indépendante des poursuites pénales, et n'est pas incompatible avec l'interdiction administrative de stade, n'est pas manifestement disproportionnée à l'objectif de protection de l'ordre public en vue duquel elle a été édictée ». C’est pourquoi la demande de référé est rejetée en l'absence, dans cette décision de dissolution, d'atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 21 février 2023, M. A. et M. M’Veng Essama, n° 470989)

 

118 - Police de établissements recevant du public – Étage d’un immeuble divisé en logements pour handicapés moteurs cérébraux – Niveau relevant de la catégorie des établissements recevant du public de type J et de cinquième catégorie – Arrêté municipal ordonnant la réalisation de travaux de mise en conformité – Décision de fermeture au public – Rejet.

La commune requérante interjette appel de l’ordonnance rendue en référé liberté par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de l’arrêté municipal ordonnant la fermeture au public d’un niveau d’immeuble occupé par des appartements destinés à des handicapés cérébraux moteurs car il a considéré que la réglementation applicable aux établissements recevant du public ne s'appliquant pas en l'espèce l'arrêté du maire du Mans portait à la liberté de la société, demanderesse en première instance, de disposer de ses biens une atteinte grave et manifestement illégale.

Le Conseil d’État est à la cassation de cette ordonnance car, d’une part,  il ne fait aucun doute que la réglementation concernant les établissements recevant du public s'applique aux locaux habités par des personnes handicapées de l'immeuble en litige et, d’autre part, ces locaux ne sont pas conformes aux normes régissant de tels établissements en particulier s’agissant de la réunion en un lieu unique de personnes dont l'aptitude à se soustraire aux effets d'un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l'appréciation des mesures en vue d'assurer la sécurité des personnes contre l'incendie en vertu de l'art. R. 143-3 du code de la construction et de l'habitation.

L’arrêté municipal querellé n’est pas illégal.

Ne sauraient faire obstacle à cet état de fait et de droit les moyens que la demanderesse n’est pas l’exploitante desdits locaux au sens et pour l’application de la réglementation en cause, que n’ont pas été indiqués de façon claire la nature et l'échéancier des mesures à prendre pour que ceux-ci lui soient rendus conformes, que la commune ne s’est pas assurée concrètement de l'existence de possibilités de relogement des personnes handicapées dans des conditions adaptées à leur situation.

L’ordonnance attaquée est annulée.

(ord. réf. 20 février 2023, Commune du Mans, n° 470899)

 

Professions réglementées

 

119 - Géomètre-expert – Radiation de l’ordre – Abstention persistante de remise des documents et archives à l’ordre des géomètres-experts – Injonction sur astreinte de remise des pièces sous trente jours – Annulation.

Suite à sa radiation de l’ordre des géomètres-experts l’intéressé s’est vu réclamer par un conseil régional de l’ordre la remise de l'intégralité des documents et archives de son cabinet de géomètre-expert relatifs aux travaux exécutés en application du 1° de l'article 1er de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946. Devant la mauvaise volonté de ce dernier, le conseil régional a saisi le juge des référés du tribunal administratif d’une demande tendant à le voir ordonner cette remise. Cette demande ayant été rejetée, le conseil demandeur se pourvoit en cassation.

Pour rejeter la requête dont il avait été saisi, le juge des référés avait retenu que ni l'urgence ni le caractère utile de la mesure sollicitée prévus par l'art L. 521-3 du CJA n'étaient démontrés par le requérant, faute de la production de l'accusé de réception du courrier du 2 juin 2020 attestant du refus du géomètre radié de communiquer les documents demandés.

Cassant ce raisonnement pour dénaturation des pièces du dossier, le juge relève, d’une part, les missions de service public confiées par la loi à la personne privée qu’est le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts (contrôle de l'exercice de la profession de géomètre-expert détentrice d’un monopole pour fixer les limites des biens fonciers, procéder à toutes opérations techniques ou études sur l'évaluation, le partage, la mutation ou la gestion de ces biens lorsque ces opérations ont pour but l'établissement de procès-verbaux, plans de bornage et autres plans destinés à être annexés à des actes authentiques, judiciaires ou administratifs pour constats, états de lieux ou division des biens dont il s'agit…) et d’autre part, les éléments du dossier faisant ressortir l’absence d’effets des demandes réitérées du conseil régional auprès de l’intéressé afin qu’il satisfasse à son obligation de remise des documents en cause, empêchant par-là l’exercice par ledit conseil de ses missions de service public.

Est ordonnée à l’individu récalcitrant, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, la production des pièces dans un délai de trente jours.

Ceci ne préjuge évidemment pas d’éventuelles actions en responsabilité susceptibles d’être engagées du fait de préjudices résultant de cette inertie comportementale.

(ord. réf. 10 février 2023, Conseil régional de l'ordre des géomètres-experts de Paris-Île-de-France, n° 449633)

 

120 - Pharmacien – Condition de moralité – Refus de réinscription au tableau de l’ordre des pharmaciens – Exercice illégal de la pharmacie – Circonstances particulières – Annulation du refus de réinscription – Rejet.

A la suite du rachat d’une officine, M. A. a été autorisé à la transférer à une autre adresse, dans la même commune, par un arrêté du directeur de l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France. Le tribunal administratif, saisi par cinq pharmaciens concurrents, a annulé cet arrêté car les conditions du rachat de l'officine avaient rendu caduque la licence qui lui était attachée. En conséquence, le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens a prononcé la radiation de M. A. du tableau de l'ordre.

Les inspecteurs de l'ARS d'Île-de-France ont constaté que M. A., postérieurement à cette radiation, a délivré des médicaments notamment en se les procurant auprès d'une autre officine. Toutefois, la cour administrative d'appel de Versailles, sur appel de M. A., a annulé le jugement du tribunal et rejeté la demande d'annulation de l'arrêté du directeur de l'ARS d'Île-de-France, en retenant, notamment, que la licence attachée à l'officine n'était pas caduque.

Par la suite, le conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, a rejeté la demande de réinscription au tableau A de l'ordre présentée par M. A. au motif qu'il ne présentait pas les garanties de moralité professionnelle exigées par le code de la santé publique, en se fondant notamment sur les constatations du rapport d'inspection.

Sur recours hiérarchique, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé ce refus et prononcé l'inscription de l'intéressé au tableau de la section A de l'ordre.

Le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre des pharmaciens demande au Conseil d'État d'annuler la décision prononçant l'inscription de M. A.

Le pourvoi est rejeté, le juge relevant que le Conseil national n’avait pas commis d’erreur de droit, d’une part en jugeant que les faits reprochés n’ayant donné lieu à aucune condamnation pénale, ne revêtait pas un caractère de gravité suffisant et, d’autre part, en tenant compte de ce que le comportement reproché, commis sans publicité et de manière transitoire, l’avait été au cours d'une période durant laquelle M. A. avait été indument privé de sa licence et radié du tableau de l'ordre à la suite d'un jugement du tribunal administratif annulé par la suite avec effet rétroactif. Ainsi c’est à bon droit qu’il a estimé que dans les circonstances particulières de l’espèce l’intéressé n’avait pas fait preuve d’un défaut de moralité professionnelle.

(09 février 2023, Conseil régional de l'ordre des pharmaciens d'Île-de-France, n° 464973)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

121 - Locataires de logements gérés par la régie immobilière de la Ville de Paris – Maintien de l’économie des conventions – Respect du droit à la propriété privée – Supplément de loyer de solidarité – Application différenciée en fonction de la signature ou non d’une convention réglementée – Refus de transmission d’une QPC.

A l’appui d’un pourvoi en cassation dirigé contre le rejet de leurs demandes de mettre fin aux conventions conclues entre le Conseil de Paris, agissant au nom de l’État, et la Régie immobilière de Paris, les requérants ont soulevé une QPC fondée sur l’atteinte portée à l’économie des conventions, au droit de propriété et au principe d’égalité par diverses dispositions du code de la construction et de l’habitation qui instituent, pour certains locataires, un surloyer dit loyer de solidarité.

Le Conseil d’État, rejetant tous les moyens présentés, refuse de transmettre cette question.

Tantôt ce refus est fondé sur des motifs de procédure : telle disposition législative n’est pas applicable à l’espèce, ou bien les moyens soulevés à l’encontre d’une autre sont dépourvus de précisions.

Tantôt ce refus porte sur le fond de l’argumentation.

D’une part, l’institution d’un loyer de solidarité destiné à favoriser la mobilité sociale au profit des personnes aux ressources modestes et les plus défavorisées obéit à un objectif d’intérêt général dont l’application est proportionnée audit objectif, ce qui justifie l’atteinte ainsi portée aux contrats de location en cours d’exécution nonobstant le principe de liberté contractuelle et celui de la foi due aux contrats.

D’autre part, si les locataires ne sont pas traités de la même façon selon que leur bailleur a signé ou n’a pas signé une convention en application de l'article L. 351-2 du code de la construction et de l'habitation (qui fixe le champ d’application de l’aide personnalisée au logement), c’est parce que de ce fait ils se trouvent placés dans des situations différentes au regard des dispositions régissant le surloyer.

Encore une fois, le juge piétine allègrement le contrat et donc les libertés qu’il engendre. En outre, s’agissant d’un motif de solidarité il ne s’aperçoit point pourquoi cette solidarité devrait être mise à la charge de certains seulement des locataires et non de tous : c’est d’une solidarité qu’il s’agit ou non ? L’universalité est à la base de la solidarité non la sélectivité opérée entre des bienfaiteurs forcés.

(1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, M. B., M. E. et M. C., n° 466335)

(122) V., identique : 1er février 2023, Association Amicale Mouffetard-Calvin-Mirbel, Mme D. Mme H., M. A. et M. B., n° 466338

 

123 - Contribuables non-résidents dont la totalité des revenus est de source française – Régime de prise en compte des pensions alimentaires versées par ces contribuables – Calcul de l’impôt sur le revenu – Application de taux minima – Inégalité entre non-résidents – Absence – Refus de transmission d’une QPC.

Selon les dispositions combinées des art. 164 A et 197 A du CGI les contribuables non-résidents disposant de revenus de source français sont assujettis à l’impôt sur le revenu dont le montant ne peut être inférieur à celui qui résulterait de l'application de taux d'imposition minima prévus au a de l'article 197 A du CGI. Toutefois, lorsque ces contribuables établissent que le taux moyen d'imposition résultant de l'application du barème progressif sur l'ensemble de leurs revenus de sources française et étrangère, pensions alimentaires déduites, est inférieur à ces taux minima, il est fait application de ces taux sur les revenus de source française imposables.

Le demandeur soutenait que ces dispositions méconnaissent les principes constitutionnels d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en tant qu’elles s’appliquent aux non-résidents dont la totalité des revenus est de source française. De plus, alors que ces dispositions auraient été prises, selon le demandeur, pour rapprocher les situations fiscales respectives des non-résidents et des résidents elles ne bénéficient qu'aux non-résidents dont le taux moyen d'imposition est inférieur aux taux minima. 

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au double motif que le dispositif litigieux « vise à favoriser les contribuables les moins fortunés » (sic) en accentuant ainsi la progressivité du barème en leur faveur et que « compte tenu de leur faible incidence sur le montant de l'impôt dû, les dispositions contestées ne sont pas de nature à créer une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques entre les contribuables non-résidents, même lorsqu'ils perçoivent exclusivement des revenus de source française, et par suite ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques ». 

Ce « raisonnement » pèche par son invisibilité.

(03 février 2023, M. A., n° 468904)

 

124 - Art. L. 111-3 du CESEDA – Exclusion de Mayotte de la liste des territoires comme étant « en France » - Application aux étrangers voulant se prévaloir d’une résidence de dix ans en France – QPC – Refus de transmission.

Le requérant soulevait une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 111-3 du CESEDA en tant qu’en excluant Mayotte de la liste des territoires devant s'entendre comme « en France », elles feraient obstacle à ce qu'un étranger ayant résidé à Mayotte jusqu'en 2014, et sollicitant un titre de séjour sur la période de 2020 à 2024, puisse se prévaloir de la durée de résidence de dix ans en France requise par les dispositions des articles L. 313-14 et L. 511-4 du CESEDA alors applicables, ce qui porterait  atteinte à des droits et libertés que la Constitution garantit en créant une différence de traitement injustifiée entre les étrangers ayant séjourné à Mayotte et ceux ayant séjourné sur d'autres parties du territoire national.

La demande de transmission de la QPC est rejetée en ce que la disposition en cause a été prise en raison de la situation particulière tenant à l'éloignement et à l'insularité de la collectivité de Mayotte, ainsi qu'à l'importance des flux migratoires dont elle est spécifiquement l'objet et aux contraintes d'ordre public qui en découlent. Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu, cette disposition n’a ni pour objet ni pour effet de régir l'éloignement du demandeur de titre de séjour et ne fait par elle-même pas obstacle à ce qu'un enfant français né de père ou de mère qui ne possède pas la nationalité française puisse voyager vers l'étranger pour suivre son parent, d’où s’ensuit l’absence d’atteinte à la liberté d’aller et de venir.

(10 février 2023, M. A., n° 468884)

 

125 - Art. L. 426-4 du CESEDA – Demande de deuxième renouvellement d’une carte de séjour – Soumission à l’absence de menace pour l’ordre public – Transmission d’une QPC.

Dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance du 16 décembre 2020, non ratifiée à la date de la présente décision, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 426-4 du CESEDA qui subordonnent à l'absence de menace pour l'ordre public la délivrance de plein droit d'une carte de résident permanent dès le deuxième renouvellement d'une carte de résident, soulèvent une question présentant un caractère sérieux au regard des droits et libertés garantis notamment par les dispositions du dixième alinéa du Préambule à la Constitution du 27 octobre 1946.

(28 février 2023, M. D., n° 468561)

 

126 - Taxation des cessions de terrains nus constructibles (art. 1605 nonies CGI) - Atteintes à l’égalité devant la loi et à l’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission de la QPC

L'article 1605 nonies du CGI prévoit depuis le 1er janvier 2016 la perception d’une taxe sur la cession à titre onéreux des terrains nus ou des droits relatifs à des terrains nus rendus constructibles du fait de leur classement, postérieurement au 13 janvier 2010, par un plan local d'urbanisme ou par un autre document d'urbanisme en tenant lieu, en zone urbaine ou à urbaniser ouverte à l'urbanisation ou par une carte communale dans une zone où les constructions sont autorisées ou par application de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme. 

La requérante soulève à l’encontre de ce texte une QPC fondée sur ce que ses dispositions porteraient atteinte aux principes constitutionnels d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques.

Le Conseil d’État rejette la demande de transmission de cette question au Conseil constitutionnel.

Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité est rejeté car cette taxe s’applique à tous les propriétaires de terrains comportant les caractéristiques prévues à l’article précité du CGI lorsqu’ils en font cession.

Le moyen tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques appelait un raisonnement plus sophistiqué car la requérante soutenait qu'en ne prévoyant, pour la définition du champ d'application de la taxe et de celle de son assiette, ni la prise en compte des frais d'acquisition du terrain, ni celle des frais d'aménagement et de viabilisation exposés par le vendeur avant sa cession, le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels au regard du but poursuivi et qu'il aurait conféré à cette taxe un caractère confiscatoire, alors, de surcroît, que les dispositions de l'article 1529 du CGI prévoient la possibilité d'instituer une taxe communale reposant sur la même assiette. Pour rejeter une argumentation d’une certaine force apparente, le Conseil d’État retient un double motif.

Tout d’abord, il retient la finalité de la disposition critiquée. L’objectif du législateur a été, comme en témoignent les travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 2010, dite, et c’est important ici, « de modernisation de l’agriculture… », dont est issue l’art. 1605 nonies, de lutter contre la disparition des terres agricoles, en freinant notamment leur transformation en terrains à bâtir à des fins spéculatives, d’où une assiette assez large de la taxe et le refus de la déduction de certains frais et charges.

Ensuite, sont relevés les différents dispositifs destinés à alléger partiellement le poids de la taxation : la taxe n’est applicable que si le rapport entre prix de cession et prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10, l'assiette est diminuée d'un abattement de 10 % par année de détention au-delà de la huitième année suivant la date à laquelle le terrain a été rendu constructible,  le taux de la taxe n'excède pas 5 % lorsque le rapport entre le prix de cession du terrain et le prix d'acquisition ou la valeur vénale est supérieur à 10 et inférieur à 30, et 10 % au-delà de cette limite pour la part d'assiette restant à taxer.

Cette taxe n’a donc pas un caractère confiscatoire, contrairement à ce qui est soutenu.

Enfin, en renvoyant aux règles régissant le contrôle, le contentieux, les garanties et les sanctions, applicables à l'impôt sur le revenu, le VI de l’article litigieux démontre que le législateur n’a pas méconnu, comme soutenu à tort, sa propre compétence.

(10 février 2023, Société Lionheart, n° 469715)

 

127 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) – Méconnaissance par le législateur de l’étendue de sa compétence au titre des art. 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI – Utilisation d’un chiffre d’affaires antérieur au fait générateur de l’imposition – Atteinte portée à une situation acquise – Refus de transmettre une QPC.

La requérante a soulevé une QPC tirée de ce qu'en adoptant les dispositions des articles 1586 ter, 1586 quater et 1586 quinquies du CGI, le législateur aurait méconnu l'étendue de ses compétences d'une manière affectant par elle-même la garantie des droits assurée par l'article 16 de la Déclaration de 1789 et les principes d'égalité devant la loi et les charges publiques en ce que, faute d'avoir prévu un mécanisme de nature à garantir qu'un contribuable ne soit pas imposé à la CVAE sur la base d'un chiffre d'affaires antérieur au fait générateur de l'imposition et à la promulgation de la loi qui l'a instituée, il a, dans le cas d'une société dont l'exercice social ne coïncide pas avec l'année civile, porté atteinte à une situation légalement acquise et institué une différence de traitement injustifiée entre les sociétés selon la date de clôture de leur exercice social.

La transmission est refusée motif pris de ce qu’en adoptant les dispositions querellées le législateur « a pleinement exercé sa compétence et n'a disposé que pour l'avenir, sans porter atteinte à des situations juridiquement acquises ni remettre en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de telles situations. » C’est là une « argumentation » qui relève davantage de l’argument d’autorité que du raisonnement juridique.

En revanche, le raisonnement du juge est davantage convaincant s’agissant de rejeter le grief d’atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

(20 février 2023, Société RMG, n° 467178)

(128) V. aussi, refusant de renvoyer une QPC dirigée contre le I bis de l'art. 1586 quater du CGI, en tant que en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du CGI pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, porterait atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789. 

On regrettera la faible rigueur de l’analyse par le juge des moyens soulevés à l’appui de cette question : 23 février 2023, SAS Transports Georges et Schmitt Vrac, n° 464765.

 

129 - Ordre des experts-comptables – Composition de la chambre nationale de discipline – Présence de deux fonctionnaires désignés par le ministre de l’économie et des finances – Refus de transmission d’une QPC.

Le recours tendait à voir jugée par le Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article 50 de l'ordonnance du 19 septembre 1945 dans la version qui lui a été donnée par l'article 14 de la loi du 14 février 2022 en faveur de l'activité professionnelle indépendante en tant qu’il prévoit désormais la présence, parmi les cinq membres composant la chambre nationale de discipline de l’ordre des experts-comptables, de deux fonctionnaires nommés par le ministre chargé de l’économie et des finances.

Le juge refuse la transmission de la question au double motif qu’il ne serait pas, par-là, porté atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions, dès lors qu’il résulte de l'ordonnance que ces fonctionnaires n'y représentent pas le ministre (sic) et que la fixation de garanties permettant de faire obstacle à que les fonctionnaires puissent siéger lorsque la chambre nationale de discipline connaît des questions relevant des services à l'activité desquels ils ont participé, et dont le requérant critique l'absence à l'article 50 contesté, relèverait, en tout état de cause, de la compétence du pouvoir réglementaire (re-sic). 

(23 février 2023, M. A., n° 467516)

 

Responsabilité

 

130 - Responsabilité à raison de dommages de travaux publics – Point de départ et régime de la prescription – Annulation.

Au cours du mois de juin 2002, M. et Mme B. ont constaté l'apparition de nombreux désordres dans leur propriété à la suite d'importantes fuites d'eau dues à la rupture de la bride d'alimentation en eau sous pression de la borne d'incendie située contre la façade de leur maison, désordres qui conduiront ensuite à rendre leur maison inhabitable et, ensuite, à ce qu’elle soit frappée d’un arrêté de démolition.

Après dépôt du rapport de l’expert désigné par le tribunal administratif, les intéressés ont demandé à ce tribunal, le 17 novembre 2009, la condamnation solidaire de la commune et de la Société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu'ils ont subis. Une ordonnance du 11 mai 2012 a désigné un nouvel expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune ainsi que de la communauté de communes et de la société Lyonnaise des eaux, devenue ensuite Suez Eau France. M. et Mme B. ont alors demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire de l'ensemble des parties mises en cause par cet expert. Par un jugement du 30 décembre 2016, la société Lyonnaise des eaux/Suez  a été condamnée à verser une certaine somme à M. et Mme B. et une autre à la société MAIF, leur assureur.

Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel de la société Suez Eau France contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme B., et mis les frais des deux expertises à la charge de cette société.

Puis, par une décision du 20 novembre 2020, le Conseil d'État, sur  pourvoi de la société Suez Eau France, a annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté ses conclusions et mis à sa charge définitive les frais d'expertise et il a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire à la cour administrative. Celle-ci, par arrêt du 30 avril 2021, contre lequel M. et Mme B. et la société MAIF se pourvoient en cassation, la cour a annulé le jugement en tant qu'il a condamné la société Suez Eau France à verser des indemnités à M. et Mme B. et à la société MAIF, mis à sa charge les frais des deux expertises et rejeté les conclusions présentées par M. et Mme B. et la société MAIF devant le tribunal administratif.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État se fonde sur le régime de la prescription (I) appliqué à l’espèce (II).

 

I - Il est d’abord jugé que le point de départ du délai de prescription tel qu’il résulte de l’art. 2224 du Code civil est la date à laquelle la victime a eu une connaissance suffisamment certaine de l'étendue du dommage mais ajoute cette précision, discutable en son énoncé flou, que les « conséquences futures et raisonnablement prévisibles des désordres apparus ne constituent pas une aggravation du dommage de nature à reporter le point de départ du délai de prescription », ce qui constituait le nœud du litige.

Ensuite, concernant la durée du délai de prescription, l’art. 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile fixe à dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation le délai dans lequel doivent être intentées les actions en responsabilité civile extracontractuelle tandis que l’art. 2224 précité fixe cette prescription à cinq ans s’agissant des actions personnelles ou mobilières.

Enfin, pour ce qui est de l’interruption et de la suspension du délai de prescription, il est fait application des art. 2241 du Code civil dans sa version née de la loi du 17 juin 2008 et 2244 dans la version antérieure à cette loi : la demande adressée à un juge de diligenter une expertise interrompt le délai de prescription jusqu'à l'extinction de l'instance. Étant observé que les dispositions de l'article 2239 du code civil, issues de cette loi, selon lesquelles le délai de prescription est suspendu jusqu'à la remise par l'expert de son rapport au juge, ne sont quant à elles applicables qu'aux expertises ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 qui a institué cette nouvelle cause de suspension du délai de prescription.

 

II – Le Conseil d’État estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que dans cette affaire le point de départ du délai de prescription ne pouvait pas être fixé à la date de l'aggravation des dommages subis par le bâtiment appartenant à M. et Mme B. car une telle aggravation était la conséquence de l'abstention de ces derniers de prendre des mesures pour remédier aux désordres initialement constatés. En effet, la cour devait seulement rechercher si les nouveaux dommages invoqués par les victimes constituaient des conséquences raisonnablement prévisibles des désordres survenus, insusceptibles de reporter le point de départ du délai de prescription.

S’agissant d’une seconde cassation dans une même affaire le Conseil d’État statue comme juge d’appel et définitivement.

Il fixe au mois de juin 2002 la date de la connaissance certaine par les demandeurs de l’étendue des dommages et décide en conséquence que, sauf interruption ou suspension, la prescription était théoriquement acquise à compter du 30 juin 2012. Toutefois, du fait de l’instance en désignation d’expert qui s’est close par l’ordonnance du 6 janvier 2003 portant désignation d’expert, la prescription n’a été acquise que le 6 janvier 2013. En revanche, il n’y a pas eu suspension du cours de la prescription pendant la durée de la procédure car – comme déjà indiqué plus haut - la suspension du fait des opérations d’expertise introduite par la loi du 17 juin 2008 à l’art. 2239 du Code civil ne s’applique qu’aux expertises ordonnées postérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi, ce qui n'est pas le cas ici.

En outre, si les demandeurs ont bien saisi le juge administratif d’une demande indemnitaire et d’une demande d’expertise les 17 et 27 novembre 2009, celles-ci étaient dirigées contre la commune et contre la SNTPP non contre Suez Eau France envers laquelle la prescription continuait de courir. Et il n’existe pas d’autres causes d’interruption de la prescription dans ce dossier.

L’action des demandeurs était prescrite lorsque, le 12 juillet 2016, ils ont formé devant le tribunal administratif une demande indemnitaire dirigée contre Suez Eau France.

On voit par là qu’est capitale la position jurisprudentielle selon laquelle alors même que l'article 2244 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 réservait un effet interruptif aux actes « signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire », d’une part, ces termes n'ont pas été repris par le législateur aux nouveaux articles 2239 et 2241 de ce code, d’autre part, il ne résulte ni des dispositions de la loi du 17 juin 2008 ni de ses travaux préparatoires que la réforme des règles de prescription résultant de cette loi aurait eu pour effet d'étendre le bénéfice de la suspension ou de l'interruption du délai de prescription à d'autres personnes que le demandeur à l'action, et notamment à l'ensemble des participants à l'opération d'expertise. La suspension de la prescription, en application de l'article 2239 du code civil, lorsque le juge accueille une demande de mesure d'instruction présentée avant tout procès, le cas échéant faisant suite à l'interruption de cette prescription au profit de la partie ayant sollicité cette mesure en référé, tend à préserver les droits de cette partie durant le délai d'exécution de cette mesure et ne joue qu'à son profit, et non, lorsque la mesure consiste en une expertise, au profit de l'ensemble des parties à l'opération d'expertise, sauf pour ces parties à avoir expressément demandé à être associées à la demande d'expertise et pour un objet identique.

On regrettera cependant ce jeu incessant du juge dans l’application des textes, selon les points examinés, tantôt dans leur version antérieure à la loi de 2008 et tantôt dans leur version postérieure à cette même loi.

(07 février 2023, M. et Mme B., société MAIF, n° 454109)

 

131 - Action en réparation de nuisances sonores causés par une usine d’embouteillage – Calcul du niveau de ces nuisances – Invocation des seuils limites fixées par un arrêté préfectoral – Arrêté inapplicable en dehors de l’établissement – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Encourt l’annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour rejeter la demande indemnitaire des requérants en vue de la réparation des préjudices subis du chef des nuisances sonores causées par l’activité d’une usine d’embouteillage, se fonde sur le non dépassement de seuils fixés par un arrêté préfectoral concernant le bruit à l’intérieur de cet établissement, alors que la demande de réparation concernait des nuisances causées par les mouvements de camions vers l'installation, trouvant ainsi leur source à l'extérieur de l'établissement mais étaient en lien direct avec l'exploitation et mesurées au voisinage immédiat de l'installation.

(17 février 2025, M. et Mme B., n° 443710)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

132 - Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé – Guide de la Haute autorité de santé préparé en son sein par cette Commission - Guide portant « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » - Recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre ce guide – Rejet et annulation partiels.

Les requérantes contestaient la légalité de certains points des chapitres 5 et 6 d’un guide intitulé « Évaluation de la compatibilité IRM des dispositifs médicaux par la CNEDiMTS » rédigé, au sein de la HAS, par sa commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDiMTS).

Tout d’abord, rejetant la fin de non-recevoir opposée par la HAS, le juge déclare le recours recevable en ce que les dispositions du guide litigieux doivent être regardées, dans leur ensemble, comme faisant grief, eu égard aux effets notables qu'elles sont susceptibles d'avoir tant à l'égard des industriels fabricants de dispositifs médicaux implantables que des professionnels de santé.

Ensuite, sur le fond, le Conseil d’État rejette l’une des deux demandes et admet l’autre.

En premier lieu, était contesté, au sein du chapitre 5 du guide, intitulé « Modalités de réalisation d'un examen IRM recommandées par la CNEDiMTS », le point 5.4 qui dispose que « pour tout dispositif ou système implanté MR Unsafe (non IRM compatible) ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de son IRM compatibilité (notice, fabricant...), la réalisation d'une IRM devrait être formellement proscrite ». Le juge rejette le recours sur ce point car il relève qu’en réalité la formulation abrupte de ce point est très nuancée par le paragraphe introductif de ce chapitre ; ainsi, la Commission de la HAS n’a pas commis une erreur manifeste d'appréciation en recommandant aux prescripteurs, de façon générale, sans préjudice de leur recherche de la prise en charge la plus appropriée à chaque patient, de ne pas réaliser d'examen d'imagerie par résonance magnétique chez des patients porteurs d'un dispositif ou système implanté non compatible avec cet examen ou sans label clairement identifié malgré une recherche précise de sa compatibilité. 

En second lieu, les requérants contestaient également, au sein du chapitre 6 intitulé « principes d'évaluation de la CNEDiMTS », le point 6.2 qui recommande que, pour tout dispositif médical implantable actif compatible sous condition avec un examen d'imagerie par résonance magnétique inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, l'ensemble des éléments implantés soient, dans le cas d'une primo-implantation, compatibles avec un tel examen. Or, au vu des pièces du dossier, cette précision est jugée illégale en ce qu’elle ne réserve pas le cas des dispositifs cardiaques implantables actifs, car elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

L’annulation est prononcée dans cette limite.

(1er février 2023, Société par actions simplifiée Microport CRM France et société par actions simplifiée Sorin CRM, n° 460587)

 

133 - Communication de documents administratifs – Cas du registre de contention et d’isolement d’un établissement hospitalier – Pseudonymisation du nom des patients – Office du juge – Annulation partielle.

(08 février 2023, Centre hospitalier de l'arrondissement de Montreuil-sur-Mer, n° 455887)

V. n° 3

 

134 - Greffe pulmonaire – Refus d’inscrire un patient sur la liste nationale des malades en attente de greffe – Comportement rétif du patient envers les indications thérapeutiques – Appréciation nationale de l’intérêt et de la priorité à la greffe – Pouvoirs du juge du référé liberté – Refus du juge de prescrire à une équipe médicale une démarche thérapeutique autre que celle choisie – Rejet.

Le requérant, atteint de mucoviscidose, s’est vu refuser l’inscription sur la liste nationale des malades en attente d’une transplantation pulmonaire, il interjette appel du rejet de sa demande par ordonnance du juge du référé liberté du tribunal administratif.

Pour rejeter la demande faite en appel, le Conseil d’État retient que, outre le fait de n’avoir pas voulu être vacciné contre le Covid-19, le patient, diabétique, a refusé de suivre certains des traitements qui lui ont été prescrits, tels qu'un régime diabétique, alors même qu'il a été informé des risques importants de complications à la suite d'une transplantation pulmonaire en cas de diabète mal équilibré.

Après consultation de l'instance nationale de concertation pluridisciplinaire regroupant à l'échelon national des représentants des équipes spécialisées dans ce type d'interventions, laquelle a confirmé le bien-fondé de la décision de refus d'inscription envisagée par l'équipe soignante, celle-ci a estimé, dans un contexte de rareté des greffons disponibles, à privilégier le choix d'un patient pour lequel les chances de succès de l'opération paraissent les plus élevées, compte tenu de son état de santé, mais également d'autres éléments tels que son degré d'observance des prescriptions thérapeutiques.

Dès lors il n’appartient pas au juge des référés de prescrire à l'équipe médicale d'engager les démarches en vue d'une prise en charge thérapeutique autre que celle qu'elle a choisie de pratiquer à l'issue du bilan qu’elle a réalisé et qu’elle était seule à pouvoir effectuer.

(08 février 2023, M. A., n° 470823)

 

135 - Prescription d’un médicament contre l’ostéoporose – Conditions d’intervention de la commission de la transparence – Risque de mésusage – Obligation de recourir à un médecin spécialiste pour la première prescription – Absence de disproportion manifeste des conditions de remboursement – Rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de deux arrêtés ministériels du 17 janvier 2022, l’un subordonnant la prise en charge et le remboursement de la spécialité Prolia à une prescription initiale par un médecin spécialiste dans la prise en charge de l'ostéoporose (notamment rhumatologue, gynécologue, gériatre et interniste) et l’autre modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'art. L. 5123-2 du code de la santé publique s’agissant de la spécialité Prolia.

Les différents moyens soulevés, de légalité externe et de légalité interne, sont rejetés.

Sur la légalité externe.

En premier lieu, il est jugé, et l’on peut regretter cette solution même dans le silence des textes, que la commission de la transparence n’est pas tenue d’informer l'entreprise qui exploite un médicament de son intention de procéder à sa réévaluation.

En deuxième lieu, ne se constate aucune irrégularité dans la circonstance que la commission ne s’est pas prononcée à nouveau en dépit du délai qui s’est écoulé entre la date de son avis et celui des arrêtés litigieux alors, d’une part, que les ministres avaient informé la requérante dès le 20 octobre 2021 de leur intention de suivre l’avis de la commission et, d’autre part, qu'aucun changement de circonstance de fait ou de droit n'est invoqué à l’appui de cette demande de nouvel avis de la commission.

En troisième lieu, ne sauraient être invoqué à l’encontre d’arrêtés qui ont un caractère réglementaire le non-respect d’une procédure contradictoire, laquelle ne peut concerner que des décisions individuelles défavorables.

Sur la légalité interne.

La commission de la transparence pouvait parfaitement, pour rendre son avis, se fonder sur les résultats de l'étude post-inscription réalisée par la société requérante, qui ont mis en évidence une non-conformité importante de la prescription au périmètre de remboursement établi par la commission de la transparence lors de son évaluation initiale, alors que le service médical rendu par la spécialité est insuffisant en dehors de ce périmètre. 

Semblablement, c’est sans erreur manifeste d’appréciation que les ministres auteurs des arrêtés attaqués pouvaient s’approprier les recommandations formulées par cette commission au terme dudit examen, notamment en ce qui concerne tant le risque de mésusage identifié que les spécificités intrinsèques de la spécialité Prolia, pour décider, d’une part, que la primo-prescription de cette spécialité devait être faite par un médecin spécialiste et, d’autre part, que l’inscription de ce produit sur la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge ou donnant lieu à remboursement par les caisses d'assurance maladie serait subordonnée, à la fois, à la qualification ou à la compétence des médecins prescripteurs et à la soumission de cette spécialité au régime du médicament d'exception. 

Enfin, sont encore rejetés : 1° le moyen qu’il serait porté atteinte au droit à la protection de la santé garanti par le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par l'art. L. 1110-1 du code de la santé publique du fait que la prescription du Prolia est réservée à certains spécialistes et alors même que le nombre de médecins rhumatologues libéraux serait faible dans certains territoires, dès lors qu’ils ne sont pas les seuls prescripteurs autorisés ; 2° le moyen que le Prolia serait soumis à des conditions de remboursement manifestement disproportionnées au regard des conditions de remboursement retenues pour ceux de ses comparateurs pertinents dont les spécificités intrinsèques et la position dans la stratégie thérapeutique sont comparables.

(17 février 2023, Société Amgen, n° 462425)

 

Service public

 

136 - Service public du culte en Alsace et en Moselle - Pasteur de l'Église protestante de la Confession d'Augsbourg d'Alsace et de Lorraine (EPCAAL) – Destitution par son Église de rattachement – Absence de caractère de décision administrative – Refus de transmission d’une QPC.

(06 février 2023, M. C., n° 468425)

V. n° 69

 

137 - Société de courses agréée en qualité de société mère des courses au galop (loi du 2 juin 1891) – Société chargée d’une mission de service public – Compétence du juge administratif – Respect du principe d’égalité – Annulation partielle.

Les requérants recherchaient l’annulation des conditions générales arrêtées par l'association France Galop s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles pour l'année 2019 en ce qu'elles suppriment la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Ils soulevaient le défaut de respect du principe d’égalité entre éleveurs par les décisions de l’association France Galop.

En premier lieu, le Conseil d’État tranche implicitement une question de compétence puisque celle-ci n’était pas discutée devant lui. Il résulte des dispositions de la loi du 2 juin 1891 (art. 2) modifiée et de celles des décrets du 5 mai 1997 (art. 12) et du 2 novembre 2010 (art.1er), que l'association France Galop est, en qualité de société mère des courses au galop, chargée d'une mission de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage. Les décisions prises dans le cadre ou pour l’exercice de ces compétences relèvent donc, au contentieux, de la compétence du juge administratif.

En deuxième lieu, Il s’ensuit que cette association est, à ce titre, compétente pour verser des primes, dans un but de soutien au secteur de l'élevage, aux éleveurs de chevaux placés, selon des modalités qu'elle définit, dans les conditions prévues à l'art. 12 du décret du 5 mai 1997.

A cette fin, l’association a arrêté des « conditions générales s'appliquant aux courses plates et aux courses à obstacles » pour définir notamment les conditions d'attribution et de répartition des primes aux éleveurs de chevaux placés lors des courses plates et d'obstacles. Pour l'année 2019 elle a décidé de supprimer la prime aux éleveurs de chevaux de six ans et au-dessus en plat et de chevaux de dix ans et au-dessus en obstacle sauf pour certaines courses. Cette prime n’est donc allouée que pour le placement en course de chevaux de moins de six ans ou de moins de dix ans selon la nature des courses, plates ou d’obstacles. C’est la double décision attaquée.

S’agissant de l’attribution de primes sous condition d’âge le recours est rejeté car l'instauration d'un critère portant sur l'âge du cheval pour l'attribution de la prime aux éleveurs tient compte de l'évolution des performances des chevaux en fonction de leur âge, la sélection aux fins de reproduction intervenant le plus souvent avant six ans pour les courses plates et avant dix ans pour les courses d'obstacles. Dès lors la différence de traitement ainsi instituée est fondée sur un critère objectif en rapport direct avec les missions de service public d'amélioration de l'espèce équine et de promotion de l'élevage confiées à l'association France Galop : il n’est donc pas porté atteinte au principe d'égalité. 

S’agissant, en revanche, de l’octroi d’une prime sans considération de l’âge des chevaux pour certaines courses, la mesure porte atteinte de manière injustifiée au principe d’égalité car elle ne repose pas sur une différence de situation objective en rapport avec l'objet de la mesure ou n’est pas justifiée par des raisons d'intérêt général. Cette partie de la décision est annulée.

Le recours est donc reçu dans cette mesure.

(10 février 2023, MM. G., C. et E. et SCP Amauger-Texier, agissant en qualité de mandataire liquidateur de la société Écurie Jarla, n° 468238)

 

138 - Création de l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie - Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay – Règles de représentation du personnel – Rejet.

Le décret du 29 décembre 2021 a créé l'établissement public Mobilier national - Manufactures nationales des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie-Ateliers-conservatoires d'Alençon et du Puy-en-Velay. Le syndicat requérant demande son annulation pour des griefs de légalité externe et de légalité interne, à ce dernier titre on signalera l’un de ces moyens, tous étant rejetés, il s’agit de celui relatif à la représentation du personnel au sein du conseil d’administration de cet établissement public.

Deux critiques principales étaient adressées au décret.

En premier lieu, la fixation à cinq ans de la durée des mandats des représentants du personnel, en ce qu'elle accroîtrait la période séparant les élections, serait inadaptée à l'accroissement de la mobilité des travailleurs et dissuaderait les candidatures en raison de l'engagement demandé sur une longue durée. L’argument est rejeté : outre que c’est la solution retenue pour un grand nombre d’établissements publics, le juge relève que cette durée ne conduit par elle-même en aucune façon à méconnaître le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail prévu par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et qu’elle n'est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

En second lieu, était également critiquée la disposition de l’art. 25 du décret selon laquelle le conseil d'administration siège valablement sans membres représentant le personnel de l'établissement « jusqu'à la première élection des représentants du personnel au conseil d'administration, qui doit avoir lieu dans les six mois qui suivent l'entrée en vigueur du présent décret ». Le moyen est rejeté en raison du caractère de durée brève de l’application de cette disposition, du maintien du conseil d’administration dans toutes ses compétences et de ce qu’en définitive elles ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail, tout ceci en dépit de l’absence de maintien en fonction, à titre provisoire, des actuels représentants. Ce second rejet est plus leste que bien construit.

(14 février 2023, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles (CGT-Culture), n° 461976)

 

Sport

 

139 - Dopage – Sanctions – Application de la loi nouvelle plus douce – Erreur de droit – Annulation.

Alors que le 1° de l'art. L. 232-9 du code du sport, dans sa rédaction applicable à la date de la commission des faits, interdisait «  à tout sportif de détenir ou tenter de détenir, sans raison médicale dûment justifiée, une ou des substances ou méthodes interdites » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites, depuis l'ordonnance du 19 décembre 2018 cet art. L. 232-9 distingue désormais, en son II, d'une part, l'interdiction « de posséder en compétition, sans justification acceptable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites en compétition » figurant sur la liste des substances et méthodes interdites élaborée en application de la convention internationale contre le dopage dans le sport et, d'autre part, celle « de posséder hors compétition, sans justification valable, une ou plusieurs des substances ou méthodes interdites hors compétition » figurant sur cette liste. 

Cette législation nouvelle est moins contraignante que la précédente et plus favorable aux sportifs, c’est donc par erreur de droit que la cour administrative d’appel a refusé d’en faire application en l’espèce, d’où la cassation de son arrêt avec renvoi à cette cour..

(10 février 2023, M. A., n° 462656)

 

Travaux publics et expropriation

 

140 - Procédure d’expropriation – Annulation de l’arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d’utilité publique de l’opération – Paiement de l’indemnité de dépossession déjà effectué – Recours au juge judiciaire en restitution de l’ensemble immobilier – Sursis à statuer – Annulation de l’arrêt annulant l’arrêté de cessibilité – Continuation des travaux – Demande de suspension – Rejet – Confirmation.

Dans le cadre d’une très importante opération d’urbanisme, réalisée à Marseille par l’établissement public administratif Euroméditerranée, il a été procédé à la mise en œuvre d’une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique. Celle-ci va provoquer un contentieux d’une relative complexité.

En vue de l’acquisition de parcelles entrant dans le périmètre de cette opération d’aménagement (« Euromed 2 »), le préfet a déclaré d'utilité publique les travaux de réalisation de celle-ci et déclaré cessible, au bénéfice de l'EPA Euroméditerranée, l'ensemble immobilier situé sur les parcelles en cause qui ont fait l’objet d'une ordonnance d'expropriation. Après que le juge judiciaire a fixé le montant les indemnités de dépossession, celles-ci ont été payées.

Saisi par les intéressées, la cour administrative d'appel a annulé l'arrêté de cessibilité par voie de conséquence de ce que l'arrêté déclarant les travaux d'utilité publique était lui-même illégal.

En conséquence, la SCI requérante a saisi le juge de l'expropriation d’une demande aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier.

L'établissement public avait notifié quelques jours avant que ne soit rendu l’arrêt d’appel, l'ordre de service du démarrage de l'exécution des travaux de démolition des bâtiments concernés.

Le juge des référés du tribunal administratif, saisi par la SCI, a enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause.

Cette ordonnance a été confirmée par le juge des référés du Conseil d'État concernant l'injonction avec cette précision que l’injonction prendrait fin notamment si l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille était annulé : ce fut le cas par une décision du 25 juillet 2022 (Établissement public d'aménagement Euroméditerranée, n° 462681, demande d’annulation, et n° 462773, sursis à l’exécution ; Voir cette Chronique, juillet-août 2022 n° 72).

Le juge des référés du tribunal administratif, sur demande de la SCI, a à nouveau enjoint à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre sans délai les travaux de démolition engagés sur les parcelles en cause mais cette ordonnance a été annulée par le juge des référés du Conseil d'État (cf. 25 août 2022, même requérante, n° 466421 ; voir cette Chronique juillet-août 2022, n° 73).

En cet état de la procédure le juge de l'expropriation, saisi par la SCI d’une demande en restitution des biens, a sursis à statuer jusqu’à ce que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de l'arrêté de cessibilité.

La SCI, au moyen d’un référé liberté, s’est alors tournée vers le juge des référés du tribunal administratif qui a rejeté sa demande de le voir enjoindre à l'EPA Euroméditerranée d'interrompre les travaux.

Elle interjette appel de cette ordonnance. Sa requête est rejetée.

L’argument principal de la SCI est que, par la poursuite des travaux de démolition, il serait porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit de propriété dès lors que la démolition des biens litigieux la prive de toute possibilité d'obtenir leur restitution du fait qu’elle ne peut exercer son droit à recours effectif, prévu et garanti par la Constitution et par les art. 6 et 13 de la Convention EDH.

C’est tout d’abord l’occasion pour le juge de rappeler que le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction constitue une liberté fondamentale cependant « l'effectivité d'un recours ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution des mesures (…) dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens. »

C’est ensuite l’explication du motif du rejet de l’appel en référé liberté. En l’état, la cour de Marseille demeure toujours saisie, par l’effet du renvoi opéré par le Conseil d’État, de la question de la légalité de l’arrêté de cessibilité et tant qu’elle ne s’est pas prononcée la requérante n’est manifestement pas en présence d’une « annulation par une décision définitive du juge administratif » selon la formule dont use le législateur (cf. art. L. 223-2 code expropriation), situation qui seule permettrait au juge de l’expropriation de constater l’absence de base légale du transfert de propriété. C’est donc sans erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif, dont l’ordonnance est ici attaquée, a considéré que si la reprise des travaux est de nature, dans l'hypothèse d'une annulation devenue irrévocable de l'arrêté de cessibilité, à faire obstacle à ce que les biens en cause soient restitués à la société, qui serait alors indemnisée, cette reprise ne constitue pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit au recours effectif et au droit de propriété, alors que l'absence d'annulation définitive de l'arrêté de cessibilité fait en tout état de cause obstacle en l'état à l'action en restitution devant le juge de l'expropriation, qui a sursis à statuer dans l'attente que le juge administratif se soit définitivement prononcé sur la légalité de cet arrêté.

La solution n’est pas sans logique mais il reste tout de même qu’en pareille occurrence il y a grande chance que la SCI ne recouvrera jamais son bien et que l’allocation d’une somme d’argent en réparation n’équivaudra pas à la restitution de son bien. L’équivalent monétaire d’une chose ne constitue jamais cette chose elle-même.

Il serait plus judicieux, surtout dans ces opérations de grande ampleur et de longue durée, que préalablement à l’engagement des travaux, ceux-ci fussent purgés de tout recours.

(13 février 2023, SCI Les Marchés Méditerranéens, n° 471038)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

141 - Permis de construire, démolir ou aménager – Recours contre cette décision – Requérants recevables à contester tout modificatif ou toute régularisation d’un tel permis dans le cadre de la première instance ou non – Annulation.

Accentuant et élargissant une tendance jurisprudentielle très récente, la présente décision pose comme règle procédurale que les parties à une instance en contestation d’un permis de construire, de démolir ou d'aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue sont recevables à contester la légalité d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation intervenue au cours de cette instance, lorsqu'elle leur a été communiquée, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de forme ni de délai.

Si cette contestation prend la forme d'un recours pour excès de pouvoir présenté devant la juridiction saisie de la décision initiale, elle doit être regardée comme un mémoire produit dans l'instance en cours. La circonstance qu'elle ait été enregistrée comme une requête distincte est toutefois sans incidence sur la régularité du jugement ou de l'arrêt attaqué, dès lors qu'elle a été jointe à l'instance en cours pour y statuer par une même décision.

En l’espèce, est annulé le jugement ayant déclaré les requérants irrecevables en leur action contre le permis modificatif motif pris de ce qu’était expiré le délai de recours contentieux lorsqu’ils ont ajouté à leurs conclusions dirigées contre le permis initial, des conclusions tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif.

(1er février 2023, M. et Mme B., M. F., n° 459243)

 

142 - Retrait d’un permis de construire à la demande de tiers – Tiers et pétitionnaires jugés destinataires du retrait – Absence de notification du retrait aux tiers – Absence de déclenchement du délai de recours contentieux – Demande de permis entachée non d’erreur matérielle mais de fraude – Rejet.

Après qu’il a accordé à M. A., le 28 octobre 2003, le permis de construire une habitation, un maire, alerté par les voisins du terrain d’assiette du permis, M. et Mme D., a , par arrêté du 6 août 2007, retiré ce permis pour fraude, puis, par un arrêté du 10 juillet 2015, il a retiré l’arrêté de 2007 portant lui-même retrait du permis litigieux.

Le tribunal administratif a rejeté une requête tendant à voir annuler l’arrêté du 10 juillet 2015 ; sur appel des demandeurs déboutés, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement ainsi que l’arrêté de 2015.

Les héritiers de M. A. se pourvoient contre cet arrêt. Leur recours est rejeté.

En premier lieu, en effet, le retrait, à la demande d’un tiers, d’une décision retirant une décision délivrant un permis de construire, crée des droits pour ce tiers qui doit, dès lors, être regardé, de même que le bénéficiaire du permis ainsi rétabli, comme le destinataire de la décision retirant le retrait du permis de construire. Dès lors, cette décision ne peut être opposée à ce tiers que si elle lui a été régulièrement notifiée. Il suit de là que le délai de recours contentieux ne peut commencer à courir à son égard qu'à la même condition. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé qu'en l'absence de notification de l'arrêté du 10 juillet 2015 par lequel le maire a retiré l'arrêté du 6 août 2007 qui avait retiré le permis de construire du 28 octobre 2003, le délai de recours contentieux n'avait pas commencé à courir à l'encontre de l'arrêté du 10 juillet 2015 à l'égard de M. et Mme D.

En second lieu, le permis primitivement accordé reposait sur une fraude car le juge de cassation, confirmant sur ce point aussi l’arrêt d’appel, estime que la déclaration dans le formulaire de demande de permis de construire d'une surface hors œuvre nette de 8 % inférieure à celle que M. A. projetait de construire devait être regardée non comme une simple erreur matérielle mais comme une manœuvre frauduleuse destinée à tromper l'autorité administrative.

(1er février 2023, M. et Mme H. venus aux droits de M. A., n° 461478)

 

143 - Demande d’autorisation de changement de destination de locaux d’habitation en bureaux – Absence de demande de changement d’usage – Rejet de cette dernière – Indépendance des législations – Rejet.

Illustrant la parfaite complexité de notre système juridique, l’art. R. 421-l7 du code de l’urbanisme institue une déclaration préalable en cas de changement de destination de locaux jusque-là d’habitation tandis que l’art. L. 631-7 du code de la construction et de l’habitation instaure, lui, dans certaines communes, une autorisation préalable du changement d’usage. Dans le premier cas, le but de la déclaration préalable serait de contrôler le respect des règles d'urbanisme, lesquelles peuvent dépendre de la destination de la construction, tandis que l’autorisation préalable de l’art. L. 631-7 aurait pour but d’assurer le maintien, dans certaines communes, d'un nombre suffisant de logements.

On avouera ne pas bien comprendre ce distinguo par trop subtil car, en définitive, remplacer une habitation par un ou des bureaux paraît, du moins pour le bon sens commun, constituer à la fois un changement de destination et un changement d’usage.

En l’espèce, la SCI Agcy Immo a adressé – sur le fondement de l’art. R. 421-17 précité - une déclaration préalable à la ville de Marseille en vue de la transformation en bureaux de locaux d’habitation, d’où est née une décision tacite de non opposition à déclaration préalable. Puis, lors de la location de ces locaux à la Société Eurotrade Fish par bail commercial, la ville a accordé à cette dernière une attestation de changement de destination, accompagnée d'une mention selon laquelle il lui appartenait, pour utiliser ces locaux comme bureaux, de demander en outre une autorisation de changement d'usage, sur le fondement de l'art. L. 631-7 précité.

La demande de changement d’usage ayant été rejetée par arrêté municipal, cette entreprise et la société bailleresse ont saisi, en vain, le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce dernier arrêté, assorti d’une demande de suspension de l’exécution de celui-ci.

Elles se pourvoient en cassation du rejet de cette demande de suspension.

Pour rejeter leur pourvoi le Conseil d’État s’appuie sur le bien connu principe d’indépendance des législations (v., pour une critique raisonnée et justifiée de cette notion jurisprudentielle, I. Mboup, La notion instrumentale d'indépendance des législations, RDP 2013, p. 589) qu’on a sommairement rappelé au début de cette notule.

Il relève en particulier que si selon « les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation (…), dans les cas qu'elles prévoient, la demande faite au titre du permis de construire ou de la déclaration préalable de travaux vaut demande de changement d'usage, lorsque le permis de construire est délivré ou que le maire ne s'oppose pas à la déclaration de travaux, ces autorisations, lorsqu'elles valent changement de destination, ne lient pas l'autorité administrative chargée de se prononcer de manière distincte sur la demande d'autorisation de changement d'usage pour les mêmes locaux. » L’argumentation peine à convaincre ;

Ainsi c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a successivement jugé, tout d’abord, que le changement de destination du local en cause résultant de la non opposition à déclaration de travaux ne rendait pas inutile la délivrance d'une autorisation de changement d'usage de ce même local et, ensuite, que les dispositions de l'article L. 631-8 du code de la construction et de l'habitation ne jouent que dans le cas changements d'usage qui font l'objet de travaux entrant dans le champ d'application du permis de construire.

(09 février 2023, Société Eurotrade Fish et SCI Agcy Immo, n° 462409)

 

144 - Division d’un terrain en plusieurs lots dont un à bâtir – Absence d’opposition à la déclaration préalable de division – Formalité de notification du recours – Absence de justification en première instance – Irrecevabilité manifeste – Invocation d’un moyen nouveau en appel – Rejet.

Les requérants, qui contestent l’absence d’opposition du maire d’une commune à la déclaration de division d’un terrain en lots dont l’un est à bâtir, ont vu leur action déclarée manifestement irrecevable pour n’avoir pas répondu à la demande de justification de la notification de leur recours à l’auteur et au bénéficiaire de l’acte attaqué (art. R. 600-1 c. urb.).

Ils ne sauraient être recevables à invoquer pour la première fois en cassation ni que l'obligation de notification prévue par ces dispositions n'était pas applicable en l'espèce faute d'information en ce sens sur le terrain d'assiette du projet ou dans l'arrêté litigieux ni qu'il appartenait au juge de s'assurer d'office de l'existence d'une information sur le terrain d'assiette ni qu'une telle obligation de notification porterait atteinte au droit d'exercer un recours effectif.

(10 février 2023, M. de Saint-Trivier et autres, n° 460156)

 

145 - Permis de construire – Demande d’annulation – Intérêt pour agir – Existence – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Pour rejeter par ordonnance la demande d’annulation de deux permis de construire formée par le requérant, le juge du fond a considéré qu’il n’avait pas d’intérêt pour agir au sens et pour l’application de l’art. L. 600-1-2 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État est, très justement, à la cassation  car le requérant faisait valoir, au soutien de ses prétentions, qu’il est voisin immédiat du terrain d’assiette du projet litigieux, sa propriété étant contiguë à celui-ci et que l'une des constructions envisagées, située à 4 mètres de la limite séparative entre les deux terrains et d'une hauteur de 6,70 mètres, était susceptible, en raison de son ampleur et de son implantation, d'entraîner une perte d'ensoleillement et des nuisances sonores.

Parce que les dispositions légales emportent en cette matière une forte atteinte au droit d’action de justiciables potentiels, il nous paraît inutile et même nocif d’y rajouter une interprétation par trop restrictive d’un texte déjà très « verrouillé ».

(15 février 2023, M. C., n° 466005)

 

146 - Permis de construire - Clôture de l’instruction – Indication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office – Absence de réouverture automatique de l’instruction – Mise en œuvre des pouvoirs de l’art. L. 600-5-1 c. urb. – Absence de réouverture de l’instruction – Rejet.

Cette décision se signale à l’attention surtout par les deux rappels qu’elle contient.

Rappel, tout d’abord, que l’information donnée aux parties, après clôture de l’instruction, qu’un moyen est susceptible d’être relevé d’office, n’a pas pour effet de rouvrir ipso facto l’instruction y compris en cas de communication aux parties, par le juge, des observations reçues sur ce moyen relevé d'office et alors même que, par l'argumentation qu'elle développe, une partie doit être regardée comme ayant expressément repris le moyen énoncé par le juge et soulevé ainsi un nouveau moyen.

Il n’en irait autrement que dans le seul cas, bien connu, où le mémoire reçu postérieurement à la clôture de l'instruction contiendrait l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire et dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction.

Rappel, ensuite, dans le même ordre d’idées, qu’en cas de clôture préalable de l’instruction, l’invitation à produire des observations, adressée par le juge aux parties, en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, ni cette invitation ni la communication par le juge des observations reçues en réponse à cette invitation n'ont, par elles-mêmes, pour effet de rouvrir l'instruction déjà close.

Naturellement, parce que le juge administratif dirige souverainement l’instruction, dans tous les cas où il n’est pas tenu de rouvrir l’instruction il détient cependant la faculté de le faire, à charge pour lui de respecter l’ensemble des règles gouvernant cette réouverture.

(17 février 2023, M. U. et autres, n° 452560)

 

147 - Permis primitif devenu définitif - Permis modificatif – Appréciation de l’intérêt du demandeur à agir – Cas du voisin immédiat - Présomption d’existence d’un intérêt à agir – Annulation partielle.

Cette décision est intéressante à un double titre qui concerne l’hypothèse d’un recours en annulation dirigé contre un permis modificatif alors que le permis initial est devenu définitif ; elle constitue un prolongement d’une décision du 17 mars 2017, M. et Mme D., n° 396362.

Lorsque le permis initial est devenu définitif soit qu’il n’ait pas été contesté soit que, attaqué au contentieux, le recours ait été définitivement rejeté et que survient un permis modificatif de ce dernier, l’appréciation de l’intérêt à agir ne peut plus se faire que par la confrontation de la situation du requérant par rapport aux seules modifications apportées par le permis modificatif au permis initial.

Toutefois, lorsque le recours contre le permis modificatif est formé par les voisins immédiats du projet, ceux-ci bénéficient d’une présomption d’intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation des modifications apportées au projet.

(17 février 2023, Mme D. et autres, n° 454284)

 

148 - Urbanisme opérationnel – Prescription de la révision d’un plan d’occupation des sols (POS) – Adoption du plan d’urbanisme postérieurement à la cessation des effets du POS – Application du régime de l’art. L. 122-2 du code de l’urbanisme – Opposition de la règle de constructibilité limitée – Erreur de droit - Annulation.

Une commune décide la révision de son POS en vue de lui substituer un plan local d’urbanisme (PLU). En approuvant le PLU, le conseil municipal a classé en zone 1 AU un secteur précédemment classé en zone 3 Nac. La cour administrative d’appel, par arrêt infirmatif, a annulé cette délibération au motif qu’elle avait été prise en méconnaissance des règles de constructibilité limitée résultant de l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme car le plan local d'urbanisme avait procédé sur ces parcelles à une ouverture à l'urbanisation, sans que la dérogation prévue en ce cas par l'art. L. 142-4 ait été obtenue par la commune.

La commune se pourvoit et le Conseil d’État est à la cassation.

Selon le juge de cassation il résulte des dispositions de l’art. L. 122-2 c. urb., antérieurement à la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, que la règle de constructibilité limitée ne s'appliquait qu'aux procédures de modification et de révision du plan local d'urbanisme, et non aux procédures d'élaboration du plan local d'urbanisme.

Par ailleurs, des dispositions de la loi précitée de 2014, il découle que si la révision d'un POS en vue qu’il soit mis en forme d'un PLU doit être regardée comme une évolution d'un document d'urbanisme, il en va différemment lorsque, par l'effet de l'art. L. 174-3 du c. urb., le POS cesse d'être applicable sur le territoire concerné : en ce cas il ne peut s’agir que d’une procédure d’élaboration d'un PLU. 

C’est pourquoi l’arrêt attaqué repose sur une erreur de droit en ce qu’il juge que la délibération litigieuse était régie par les dispositions des art. L. 142-4 et L. 142-5 du code précité, d’où son annulation.

Ainsi, parce que l'art. L. 122-2 de ce code ne visait que la procédure de modification ou de révision du PLU, et non la procédure d'élaboration d'un tel document, la commune de Roussillon ne pouvait pas être soumise aux dispositions prévoyant, pour les communes non couvertes par un schéma de cohérence territoriale, l'interdiction de l'ouverture à l'urbanisation d'une zone à urbaniser délimitée après le 1er juillet 2002 ou d'une zone naturelle.

La cour ne pouvait donc pas annuler la délibération attaquée par le motif que le classement opéré par elle en zone 1 AU le secteur antérieurement classé en zone 3 NAc, aurait dû être précédé de la dérogation préfectorale prévue à l'art. L. 142-5 du code de l'urbanisme.

(17 février 2023, Commune de Roussillon, n° 460508)

 

149 - Permis de construire – Sursis à statuer en attente de régularisation de ce permis – Pourvoi – Jugement annulant le permis – Non-admission du pourvoi contre ce second jugement – Pourvoi contre le premier jugement devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

Les demandeurs se sont pourvus en cassation d’un jugement qui, rendu sur leur saisine en annulation d’un permis de construire, a sursis à statuer sur ce recours en vue d’en permettre la régularisation. Par un second jugement, le permis a été annulé et les requérants ont formé un pourvoi contre ce second jugement. Ce pourvoi a fait l’objet d’une décision de non-admission par le Conseil d’État. Il est donc jugé que le premier pourvoi est devenu sans objet, le premier jugement étant devenu définitif.

(15 février 2023, M. et Mme L. et autres, n° 463519)

 

150 - Permis de construire – Allégation de fraude dans la demande de permis – Concomitance d’un acte de vente et d’un compromis de vente contraire – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Le tribunal administratif avait été saisi d’un recours en annulation d’un arrêté portant permis de construire au motif que la demande de ce permis était entachée de fraude.

Le tribunal a rejeté cette demande  en se fondant d’abord sur ce que les époux pétitionnaires étaient propriétaires de la totalité d’une parcelle de 370 m² à la date de dépôt de leur demande de permis de construire, ensuite, sur ce que le compromis de vente portant sur la bande de 100 m² était assorti d'une condition suspensive, à savoir l'achèvement de la construction envisagée, laquelle n'était intervenue que le 19 mai 2020, soit postérieurement au refus du maire de retirer le permis de construire, enfin il n'était pas établi qu'à la date de son jugement l'acte de vente définitif ait été passé.

Le juge de cassation censure ce raisonnement motif pris que le tribunal n’a pas recherché, comme le soutenait la requérante, si la concomitance de l'acte de vente et du compromis de vente contraire conclus le même jour et la combinaison de leurs stipulations ne révélaient pas, en l'espèce, une manœuvre destinée, aux seules fins d'obtenir un permis de construire indu, à présenter à l'administration une demande pour un terrain d'assiette dont la surface et les caractéristiques étaient différentes de celles du terrain réellement envisagé pour asseoir la construction.

(17 février 2023, Mme E., n° 461212)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2023

Janvier 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

 1 - Droit public de l’agriculture – Arrêté portant autorisations de nouvelles plantations de vigne – Acte réglementaire – Compétence – Rejet.

L'arrêté par lequel le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de l'agriculture fixent, pour certains produits vitivinicoles et dans certaines zones géographiques, des limitations du nombres d'hectares rendus disponibles pour l'octroi d'autorisations de nouvelles plantations de vigne, présente un caractère réglementaire. Le contentieux en résultant relève de la compétence directe du Conseil d’État statuant en premier et en dernier ressort.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 48

 

2 - Lutte contre la pollution atmosphérique - Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

V. n° 85

 

3 - Guerre du Yémen - Délivrance de licences d’exportation des matériels de guerre et matériels assimilés – Demande de suspension de ces licences – Vérification de leur conformité aux engagements internationaux de la France – Acte de gouvernement – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Il avait été demandé au premier ministre de suspendre les licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen, notamment l’Arabie saoudite.

Son silence valant décision implicite de rejet, les requérantes ont saisi, en vain, le juge administratif, avant dire droit, d'enjoindre le premier ministre de déclassifier et de verser à l'instance, après avis de la commission du secret de la défense nationale, d'une part, l'ensemble des licences délivrées aux pays membres de la coalition internationale impliquée dans la guerre au Yémen à compter du 26 mars 2015 et antérieurement, mais dont l'exécution serait postérieure, d'autre part, l'ensemble des délibérations et avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre afférents à ces licences et, enfin, toutes les informations susceptibles d'éclairer la juridiction et les parties sur la conformité aux engagements internationaux de la France, des licences délivrées. Elle a également demandé au tribunal d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé pendant deux mois par le premier ministre sur sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen.

Le Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit, ni qualification inexacte des faits et sans contradiction de motifs que le premier juge a estimé que la juridiction administrative n’était pas compétente pour reconnaître du recours dirigé contre ce refus. En effet ce dernier n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France. Constituant un acte de gouvernement, il n’est pas possible d’invoquer à son encontre les stipulations des art. 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l'art. 2 de la charte des Nations-Unies et de l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les dispositions des art. 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l'art. L. 2335-4 du code de la défense.

Le recours est rejeté

(27 janvier 2023, Association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 436098 ; Associations Action sécurité éthique républicaines (ASER), Action contre la faim, Salam For Yemen, Médecins du monde et Sherpa, n° 436099)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Respect du pluralisme des courants d’opinion dans les services de radio et de télévision – Absence de précision législative ou réglementaire sur la détermination du respect de cette exigence – Prise en compte par le CSA (devenu ARCOM) des horaires et conditions de diffusion des émissions concernées – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du CSA la mettant en demeure de se conformer aux dispositions de sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, ainsi qu'aux stipulations de la convention portant sur le même objet conclue entre le CSA et la société requérante, et d'annuler également la décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), venue aux droits du CSA, rejetant le recours gracieux formé par la société requérante contre cette mise en demeure.

Le principal argument de la requérante consistait en ce qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni aucune stipulation applicable aux services de radio et de télévision ne précise expressément que le respect des obligations en matière d'expression pluraliste des courants d'opinion fixées par la délibération du 22 novembre 2017, prise sur le fondement des articles 1 et 13 de la loi du 30 septembre 1986, doit s'apprécier en tenant compte des heures de diffusion des émissions.

Cette défense est rejetée à bon droit par le juge pour qui, comme cela est d’ailleurs évident, « il résulte de l'objet même de ces dispositions, qui tendent à ce que les différents courants d'opinion soient équitablement diffusés afin de concourir à la formation de l'opinion des téléspectateurs et de contribuer ainsi au débat et à l'expression démocratique, que les obligations qu'elles édictent ne sauraient être regardées comme respectées sans tenir compte des horaires et des conditions de diffusion de ces émissions. » 

Cette décision constitue une transposition à la matière du pluralisme d’une précédente décision relative au calcul du respect par une chaîne de télévision de son obligation de respecter les contraintes qui lui sont imposées en ce qui concerne la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'expression originale française et la diffusion d'oeuvres audiovisuelles d'origine communautaire (Section, 20 janvier 1989, Commission nationale de la communication et des libertes (CNCL), n° 103063).

(13 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 462663)

(5) V. aussi, rejetant le recours de la même requérante contre une mise en demeure du CSA pour avoir déclaré un total d’interventions de sept minutes pour un candidat auquel avait été accordée une heure d’antenne… : 27 janvier 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 455263.

 

6 - Injonction administrative à déréférencer l’adresse d’un site – Rejet du référé suspension et de la demande de transmission d’une QPC – Rejet.

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a enjoint les sociétés Google Ireland, Qwant, Microsoft Corporation et Apple de procéder au déréférencement de l'adresse du site « Wish.co » de leurs moteurs de recherche et applications respectifs. La société requérante se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé rejetant à la fois sa demande de suspension de cette décision et sa demande de transmettre au Conseil d’État une question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre du a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

Le pourvoi est rejeté.

D’abord la QPC ne pouvait prospérer en l’état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 2022-1016 QPC du 21 octobre 2022, Société ContextLogic Inc.) qui a déclaré conforme à la Constitution le a du 2° de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Ensuite, concernant les moyens dirigés contre la décision de la DGCCRF, ils ne sont pas davantage retenus.

Le juge des référés n’a pas méconnu le champ d'application de la loi en jugeant implicitement qu'une tromperie sur la nature d'un produit prévue au 1° de l'article L. 441-1 du code de la consommation, peut justifier la mise en œuvre d'une mesure de déréférencement en application de l'article L. 521-3-1 du code de la consommation.

II n’a pas, non plus, commis une erreur de droit ou dénaturé les pièces du dossier en jugeant, que n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision de déréférencement contestée, le moyen soulevé tiré de ce que le délit de tromperie reproché n'était pas manifestement caractérisé alors que la requérante n'établissait pas avoir supprimé toute possibilité pour les vendeurs d'obtenir, pour les produits proposés à la vente, un badge portant la mention « Vérifié par les utilisateurs Wish », lequel était de nature à induire en erreur le consommateur sur la conformité et la sécurité des produits.

Pas davantage l’ordonnance querellée n’a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la mesure de déréférencement ordonnée n’était pas disproportionnée et qu’il n’existait pas de doute sérieux sur sa légalité alors même que l’administration aurait pu choisir l’autre sanction prévue par la loi (message avertissant les consommateurs du risque de préjudice encouru lorsqu'ils accèdent au contenu manifestement illicite).

Enfin, l’ordonnance attaquée n’a pas méconnu le régime de la charge de la preuve.

(27 janvier 2023, Société ContextLogic, n° 459960)

 

7 - Contribution au développement de la production de certaines œuvres audiovisuelles - Obligation pour les éditeurs de radio et de télévision - Mise en demeure – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision par laquelle le CSA l'a mise en demeure de se conformer à l'avenir à ses obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles patrimoniales, d'œuvres audiovisuelles patrimoniales indépendantes et d'œuvres audiovisuelles patrimoniales d'expression originale française fixées aux articles 40, 42 et 43 du décret du 2 juillet 2010 relatif à la contribution à la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre.

Le recours est rejeté.

Contrairement à ce qui est soutenu, le CSA a correctement appliqué les dispositions de l'art. 33 du décret du 2 juillet 2010 et les pouvoirs qu'il tient de l'art. 42 de la loi du 30 septembre 1986 en estimant que la société d'édition de Canal Plus, en procédant à la déduction des ressources totales de ses exercices 2018 et 2019, prises en compte pour le calcul, de sa contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles, la partie du produit des abonnements de ses usagers qu'elle a estimé correspondre au produit de cette offre de presse en ligne, avait méconnu les obligations de contribution au développement de la production d'œuvres audiovisuelles que lui imposent les textes et que ce manquement justifiait de faire usage des pouvoirs de mise en demeure qui lui sont reconnus.

Ensuite, les dispositions de l’art. 33 du décret précité ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques au motif, inexact, que l'assiette de la contribution ne serait pas définie de manière objective et rationnelle ni, non plus, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.

Par ailleurs, contrairement à l’argumentation de la demanderesse, la mise en demeure est un acte de procédure non contentieuse conforme aux exigences constitutionnelles (cf. C.C. déc. n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, Conseil supérieur de l’audiovisuel) et indispensable en tant qu’elle permet, ensuite, l’infliction de sanctions, dans le respect du principe de la légalité des délits et des peines.

(27 janvier 2023, Société d’édition de Canal Plus, n° 452765)

 

Collectivités territoriales

 

8 - Délibérations municipales portant avenant à une concession d’aménagement et approbation de la cession d’une parcelle domaniale - Recours de conseillers municipaux pour excès de pouvoir contre ces deux délibérations – Irrecevabilité du recours contre la délibération portant avenant et recevabilité du recours contre celle autorisant une cession – Annulation et renvois partiels.

Par deux délibérations du même jour un conseil municipal a approuvé, en premier lieu, un avenant n° 2 à un traité de concession d'aménagement conclu avec une société et, en second lieu, la cession par un établissement public foncier régional, à cette même société, d’une parcelle domaniale. 

Des conseillers municipaux forment un recours pour excès de pouvoir contre chacune de ces délibérations.

La cour administrative d’appel a rejeté ces conclusions en raison de ce qu’elles étaient irrecevables. Les demandeurs se pourvoient en cassation et le pourvoi est partiellement admis.

Le Conseil d’État, faisant une application classique et sans surprise de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne, opère une distinction entre les objets des deux recours.

Le premier recours pour excès de pouvoir, ainsi que l’a jugé la cour, était irrecevable car seul peut être formé contre un contrat, par un tiers, le préfet ou un membre de l’assemblée délibérante, un recours de plein contentieux, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

En revanche, c’est par suite d’une erreur de droit, entraînant sur ce point son annulation, que l’arrêt d’appel a déclaré irrecevables les conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre la délibération autorisant la cession d’une parcelle domaniale à la société. Il est donc renvoyé sur ce point à la cour.

Ceci montre l’intérêt comme la persistance de la distinction des contentieux dans le droit du procès administratif.

(17 janvier 2023, Mme E. et autres, n° 462893)

 

9 - Mise en vente d’une parcelle par une communauté de communes – Intérêt à l’acquisition manifesté par deux entreprises – Cession du terrain à l’une d’elles et octroi d’un permis de construire – Contestation de ce permis par l’autre entreprise – Absence d’intérêt pour agir – Rejet.

Une communauté de communes ayant annoncé sa décision de mettre en vente une parcelle lui appartenant située dans une zone d’activités, deux sociétés d’exploitation de garages et de vente d’automobiles ont manifesté leur intérêt pour l’acquérir.

En septembre 2018 les deux candidates sont informées que la communauté de communes entendait vendre la parcelle à l’une d’entre elles ; en octobre 2018, la requérante, candidate évincée, fait une offre d’acquisition à la communauté de communes au prix que cette dernière a fixé, puis, en avril 2019 elle assigne la communauté devant le TGI aux fins de voir juger parfaite la vente de la parcelle à son profit (en raison de l’accord sur la chose et sur le prix).

En juillet et décembre 2019, respectivement, la communauté et le maire d’une des communes membres de la communauté ce communes, formalise la décision de vendre et octroie un permis de construire à la société attributaire de la parcelle.

La requérante saisit le juge administratif d’une demande d’annulation de ce permis de construire.

Sans surprise le pourvoi est rejeté, ce qui confirme les rejets déjà prononcés en première instance et en appel.

Il tombe sous le sens que celui qui entend agir comme propriétaire d'un bien qu’il prétend affecté directement par une décision administrative mais qui ne fait état ni d'un acte de propriété, ni d'une promesse de vente, ni d'un contrat préliminaire ne justifie pas d'un intérêt de nature à lui donner qualité pour demander l'annulation d'une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le code de l'urbanisme, sauf à ce qu'il puisse sérieusement revendiquer la propriété de ce bien devant le juge compétent.

(25 janvier 2023, Société Touche Automobiles, n° 445937)

 

Contrats

 

10 - Acte d’engagement d’un groupement d’entreprises pour la construction d’un centre culturel et touristique – Marché de prestations intellectuelles confiant à l’une des entreprises une mission de conception et de direction artistique – Juge du référé de l’art. L. 521-3 CJA ordonnant aux diverses entreprises, sur demande du maître d’ouvrage, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire – Entreprise estimant ne pas devoir ni pouvoir produire ce document – Contestation sérieuse – Erreur de droit – Annulation.

Sur demande de son assureur, la commune de Bordeaux a saisi le juge du référé de l’art. L. 523-1 CJA d’une requête en vue qu’il soit ordonné au groupement d’entreprises auquel a été confié, par acte d’engagement, la construction d’un centre culturel et touristique du vin, de justifier de la souscription d'une assurance de responsabilité décennale obligatoire. Le juge a enjoint ces sociétés de produire ce document sous deux mois sous astreinte.

La société requérante qui, dans le cadre d’un marché de prestations intellectuelles, s’est vu confier une mission de conception et de direction artistique des productions audiovisuelles et multimédia du parcours permanent de ce centre, a alors soutenu qu’elle estimait ne pas être soumise à cette obligation et que, par suite, elle n'avait pas souscrit une telle assurance pour le chantier en cause et se trouvait par conséquent dans l'impossibilité de transmettre l'attestation demandée. 

Elle demande l’annulation de l’ordonnance demandant la transmission d’attestation d’assurance.

Le Conseil d’État accède à sa requête au motif que la mise en œuvre de L. 521-3 est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse ; or l’argumentation de la requérante constituait précisément une telle contestation : le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit en faisant injonction à la société requérante de produire l’attestation d’assurance litigieuse.

(ord. réf. 11 janvier 2023, Société Casson Mann Limited, n° 466691)

 

11 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat –Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse – Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

 (27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

V. n° 52

 

12 - Recours excès de pouvoir – Action dirigée contre un décret approuvant un avenant à une concession d’autoroutes et contre la modification d’une disposition du cahier des charges – Recours portant sur des clauses réglementaires d’un contrat et sur des clauses non réglementaires d’un avenant à ce contrat – Annulation et rejet partiels.

Le requérant demandait l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 28 janvier 2022 approuvant, d’une part, le dix-huitième avenant à la convention passée entre l'État et la société Autoroutes du Sud de la France (ASF) pour la concession de la construction, de l'entretien et de l'exploitation d'autoroutes et au cahier des charges annexé, ayant pour objet de permettre le Contournement Ouest de Montpellier et, d'autre part, l'article 25 modifié du cahier des charges annexé à cette convention en tant qu'il majore les tarifs de péages sur l'ensemble du réseau concédé à la société ASF.

En premier lieu était contestée la clause tarifaire autorisant une hausse du prix des péages ce qui soulevait préalablement une importante question de recevabilité à laquelle le juge répond ici positivement car l’article modifié du cahier des charges, qui augmente pour l'ensemble du réseau concédé à la société des Autoroutes du Sud de la France (ASF), le tarif des péages applicable au véhicules de la classe 1 pour les exercices 2023 à 2026, présente un caractère réglementaire susceptible d'être contesté par la voie d'un recours pour excès de pouvoir.

La qualité d'usager du réseau autoroutier concédé à la société ASF, donne au demandeur un intérêt direct et certain lui permettant de demander l'annulation pour excès de pouvoir de cette disposition sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la fin de non-recevoir opposée à cette demande et tirée du caractère limité de cette augmentation.

Sur le fond, cette clause réglementaire est annulée car la hausse qu’elle autorise est mise à la charge de l'ensemble des usagers de la totalité des 2 714 km du réseau autoroutier concédé à la société ASF alors qu’il ne s’agit que de financer les travaux de réalisation d'un tronçon de 6,2 km destiné au contournement ouest de Montpellier dépourvu de péage. Ainsi est méconnue la règle de proportionnalité entre le montant du tarif et la valeur du service rendu. 

En deuxième lieu, en revanche, est rejeté le recours dirigé contre des clauses non réglementaires de l’avenant, car il fallait pour que ce recours fût recevable que le demandeur, tiers au contrat litigieux, ait été lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation de l’avenant ou par ses clauses. Par ailleurs, d’une part, l’invocation de sa seule qualité d'usager des autoroutes concédées à la société ASF, ne justifie pas ipso facto que le demandeur serait lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la décision d'aménagement du contournement ouest de Montpellier ou par les autres stipulations de l'avenant relatives à sa mise en œuvre, et, d’autre part, ces dispositions non réglementaires n’étant pas indivisibles de celles réglementaires annulées, elles ne sauraient l’être par voie de conséquence.

Enfin, en dernier lieu, est rejeté le recours dirigé contre la légalité du décret du 28 janvier 2022 en tant qu’il porte approbation du contrat litigieux. En effet, la jurisprudence restreint les cas d’ouverture à recours en cette hypothèse aux seuls moyens tirés de vices propres entachant l'acte d'approbation ou de l'annulation de cet acte par voie de conséquence de ce qui est jugé sur les recours formés contre le contrat. Or, le seul moyen fondé sur un vice propre au décret attaqué soulevé par le requérant manque en fait : la section des travaux publics du Conseil d’État a bien émis un avis sur le décret attaqué.

(27 janvier 2023, M. A., n° 462752 et n° 465060)

 

13 - Marché de travaux – Retards dans l’exécution d’un lot – Expertise – Décompte de liquidation d’un marché résilié – Délai de 45 jours (art. 13.4.4. CCAG Travaux) – Point de départ – Annulation sans renvoi (jugement au fond).

Dans le cadre d’un marché portant sur un projet de reconstruction, restructuration et extension d’un centre hospitalier, la société GETELEC TP s’est vue attribuer par acte d’engagement du 18 octobre 2013 le lot 401 « VRD / Station-Service ».

Le centre hospitalier, mettant un terme à de nombreuses difficultés rencontrées dans l’exécution de ce marché, a résilié le marché le 5 novembre 2019 et notifié à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, un décompte de liquidation comportant notamment des pénalités de retard et fixant le solde du marché à une somme négative. Par lettre du 1er octobre 2020, la société GETELEC TP a fait part de son refus de signer le décompte de liquidation et a transmis un mémoire en réclamation qui a été rejeté par une décision du centre hospitalier du 9 novembre 2020.

La société a saisi le 13 janvier 2022 le juge du référé de l’art. R. 532-1 du CJA en vue que soit désigné un expert afin de déterminer avec précision les causes du retard pris par le chantier, le volume de travaux réellement effectués dans le cadre de l'exécution du lot qui lui a été attribué, ainsi que le montant des préjudices en découlant pour cette société.

Le juge du premier degré a ordonné cette expertise, confirmé en cela par le juge des référés de la cour administrative d’appel rejetant le recours dirigé contre cette ordonnance.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation du rejet de sa demande d’annulation de l’ordonnance.

Se fondant sur les dispositions du CCAG Travaux ici applicable, le Conseil d’État juge qu’il résulte de la combinaison de dispositions des art. 47,13 et 50 de ce cahier que, dans le silence de ce document sur ce point, en cas de résiliation du marché, l'établissement et la contestation du décompte de liquidation, qui se substitue alors au décompte général établi dans les autres cas, sont régis par les stipulations des articles 13 et 50 du CCAG.

Normalement, l'absence de notification au titulaire du décompte de résiliation dans le délai, fixé par l'article 47.2.3, de deux mois suivant la date de signature du procès-verbal prévu à l'article 47.1.1, permet au titulaire de mettre le représentant du pouvoir adjudicateur en demeure de le faire, l'absence de réponse à cette mise en demeure dans un délai de trente jours l'autorisant alors à saisir le tribunal administratif en cas de désaccord.

Il en résulte donc que la notification du décompte de résiliation postérieurement au délai de deux mois – comme c’était le cas en l’espèce -, qu'elle réponde à une mise en demeure adressée par le titulaire au représentant du pouvoir adjudicataire ou pas, fait courir le délai de 45 jours imparti par l'article 13.4.4 au titulaire pour renvoyer au représentant du pouvoir adjudicateur le décompte général revêtu de sa signature, sans ou avec réserves, ou pour faire connaître les motifs pour lesquels il refuse de le signer, à peine d'être regardé comme ayant accepté le décompte notifié par le représentant du pouvoir adjudicateur.

C’est pourquoi la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que le décompte de liquidation du marché notifié par le centre hospitalier à la société GETELEC TP, le 10 août 2020, soit neuf mois après la signature du procès-verbal de résiliation du marché, ne pouvait tenir lieu de décompte de liquidation, au motif que sa notification était intervenue au-delà du délai de deux mois prévu par l'article 47.2.3 du CCAG, et que la société GETELEC TP ne pouvait ainsi se voir opposer les délais de contestation de ce décompte prévus par ce cahier.

S’agissant, ensuite, de la demande d’expertise celle-ci est jugée sans utilité dès lors que comme sus-indiqué, en cas de décompte de liquidation après résiliation du marché, la société titulaire du marché disposait d'un délai de 45 jours pour renvoyer le décompte signé ou faire connaître les motifs pour lesquels elle refusait de le signer. Or ce n’est que le 1er octobre 2020 que la société a formé un recours contre un décompte de liquidation qui lui avait été notifié le 10 août 2020, soit 51 jours plus tard. La société n’ayant pas contesté la décision de résilier le marché et le délai de 45 jours étant expiré, le décompte litigieux est devenu définitif rendant sans utilité l’expertise demandée.

(27 janvier 2023, Centre hospitalier Louis-Daniel Beauperthuy, n° 464149)

 

Droit du contentieux administratif

 

14 - Référé liberté – Révocation d’un magistrat par le Conseil supérieur de la magistrature – Demande de réexamen du pourvoi – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable la demande formée devant le juge du référé liberté tendant à ce qu’il réexamine le pourvoi que le demandeur avait formé le 27 avril 1981 contre la décision prise le 8 février 1981 par le Conseil supérieur de la magistrature ayant prononcé sa révocation du corps des magistrats de l'ordre judiciaire. 

(ord. réf. 02 janvier 2023, M. A., n° 469589)

 

15 - Conseil d’État, juge des référés – Condition tenant à la compétence du Conseil d’État pour connaître du litige principal – Absence – Ordonnance de rejet.

Rappel de ce que la compétence du Conseil d’État pour statuer en référé est subordonnée à la condition impérative que le litige principal auquel se rattache la mesure sollicitée en référé relève lui-même de la compétence du Conseil d’État.

Tel n’est pas le cas lorsque, comme en l’espèce, le tribunal administratif ne statue pas en premier et dernier ressort, son jugement relevant alors de l’appel devant la cour administrative d’appel non du recours direct en Conseil d’État.

On relèvera qu’en ce cas le rejet étant prononcé pour irrecevabilité manifeste, le Conseil d’État ne renvoie pas le litige à cette juridiction car il incombe au requérant de saisir lui-même, le cas échéant, la juridiction d’appel compétente.

(04 janvier 2023, M. A., n° 469953)

(16) V. aussi, très largement comparable : ord. réf. 30 janvier 2023, M. B., n° 470351.

 

17 - Juge du référé liberté – Pouvoirs et limites du juge administratif – Défaut de désignation de l’objet de la requête – Demande d’une injonction à l’encontre d’un tribunal administratif – Incompétence matérielle – Rejet.

Un requérant demande au juge des référés du Conseil d’État, , de façon peu banale, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation d’un décret, d’une décision de caisse d’allocations familiales (CAF)  lui refusant le bénéfice de certaines aides dont l'aide personnalisée au logement et qu’il soit fait injonction à un tribunal administratif d’accélérer le jugement de la requête qu’il y a introduite.

Le juge rejette – en sera-t-on étonné ? – tous ces « moyens ».

Le juge administratif n’est pas compétent pour annuler la décision d’une CAF de la nature de celle déférée ici.

Il n’est pas davantage saisi régulièrement alors que la requête se borne à viser « un décret de 2018 supprimant les aides au logement pour les accédants à la propriété pour les prêts ou contrats location-accession signés à compter du 1er février 2018 ».

Enfin, il n’entre ni dans les compétences ni dans l’office du juge des référés d’enjoindre un tribunal administratif de statuer sur la requête dont le requérant l’a saisi.

(ord. réf. 23 janvier 2023, M. B., n° 470483)

 

18 - Décision du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) admettant un magistrat à la cessation de ses fonctions – Décret d’exécution de cette décision – Saisine du juge des référés – Pourvoi en cassation contre la décision du CSM – Demande de sursis à l’exécution de cette décision – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de la part du CSM de la sanction d’admission à la cessation de ses fonctions, a fait l’objet, en exécution de cette décision, d’un décret présidentiel le radiant des cadres de la magistrature.

Il a saisi le juge des référés d’une demande de suspension du décret de révocation, qui est faite à l’appui de la demande d’annulation de cette même décision, ainsi que le prononcé de diverses injonctions. Parallèlement, il a formé un pourvoi en cassation contre la décision du CSM et une demande de sursis à l’exécution de celle-ci.

Les différentes requêtes sont évidemment rejetées.

Concernant le décret de révocation, il est rappelé que celui-ci n’est qu’une mesure d’exécution de la décision de sanction prise par le CSM et qu’une exception d’illégalité de ce décret ne saurait être tirée de l’illégalité de la décision du CSM car celle-ci est une décision juridictionnelle qui ne saurait relever du juge de l’excès de pouvoir mais du juge de cassation. Ce n’est que si ce dernier cassait la décision du CSM que le requérant pourrait ensuite saisir le juge de l’excès de pouvoir afin qu’il tire les conséquences d’une telle annulation sur le décret litigieux.

Par ailleurs, le pourvoi en cassation étant actuellement pendant et aucune décision de surseoir à l’exécution de la décision du CSM n’ayant été prise, il s’ensuit que le décret attaqué est toujours exécutoire et que son exécution ne saurait être suspendue dans la mesure où il ne fait que tirer les conséquences nécessaires de la décision juridictionnelle du CSA.

(ord. réf. 25 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470343)

(19) V. aussi, identique au précédent avec même requérant : 31 janvier 2023, M. Joary Andrianarivony, n° 470889.

 

20 - Moyen envisagé comme devant être relevé d’office – Observations présentées sur ce moyen après la clôture de l’instruction – Obligation de communication aux autres parties – Absence – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige en contestation du licenciement de l’agent non contractuel d’une communauté de communes, le Conseil d’État est amené à annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel rendu sans communiquer aux autres parties les observations de l’une d’elles, même faites après la clôture de l’instruction, en réponse à l’information que la cour était susceptible de relever d’office le moyen tiré de l'irrecevabilité de l'exception d’illégalité dirigée contre la décision nommant une personne aux fonctions précédemment occupées par le requérant licencié.

(06 janvier 2023, M. C., n° 449405)

 

21 - Référé liberté et référé suspension – Absence d’équivalence – Existence de deux régimes spécifiques – Délivrance d’une carte de résident – Refus – Demande en référé liberté – Conséquences – Rejet.

Un ressortissant guinéen a sollicité le renouvellement de sa carte de résident et un premier récépissé, puis d’autres, lui ont été délivrés à sa demande. Il a cependant saisi le juge du référé liberté (L. 521-2 CJA) d’une demande en vue que soit ordonnée à l’autorité préfectorale la délivrance à son bénéfice d’une carte de résident dans les plus brefs délais, cette absence de délivrance, selon lui, compromettait, en faisant obstacle à son retour en France, son projet de se rendre au Niger à la suite du décès de sa sœur, lui interdit d'utiliser son véhicule, de bénéficier des droits sociaux et d'exercer une activité professionnelle.

La demande est rejetée car formulée dans le cadre d’un référé liberté elle supposerait, pour pouvoir être accueillie, la preuve de la nécessité de bénéficier à très bref délai de la délivrance d'une carte de résident, d'autant plus qu'il ne conteste pas n'avoir pas sollicité la délivrance d'un récépissé de sa demande dont rien ne permet de penser qu'il ne lui aurait pas été délivré et qui lui aurait permis d'être en situation régulière. 

Au contraire, son action aurait eu davantage de succès si elle avait été fondée sur les dispositions de l’art. L. 521-1 CJA régissant le référé suspension.

Comme le rappelle le Conseil d’État, de façon très pédagogique : « En distinguant les deux procédures prévues par les articles L. 521-1 et L. 521-2 (…), le législateur a entendu répondre à des situations différentes. Les conditions auxquelles est subordonnée l'application de ces dispositions ne sont pas les mêmes, non plus que les pouvoirs dont dispose le juge des référés. En particulier, le requérant qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article. »

(ord. réf. 11 janvier 2023, M. A., n° 470153)

(22) V. aussi, rejetant pour le même motif que dans l’arrêt précédent une requête d’un syndicat de médecins qui, faisant état de difficultés d'approvisionnement en France de certains médicaments, en particulier l'amoxicilline et le paracétamol, demande au juge du référé liberté du Conseil d'État d’enjoindre la première ministre, pour limiter la pénurie, d'ordonner des réquisitions, de procéder à des importations massives ou d'adopter des mesures de soutien à la production de médicaments : ord. réf. 11 janvier 2023, Syndicats des jeunes médecins, n° 470223.

 

23 - Annulation d’un permis de construire délivré par le maire de Paris - Maire d’arrondissement - Intérêt pour agir en intervention dans un pourvoi contre le jugement annulant ce permis – Absence – Rejet.

Dans le cadre d’un pourvoi du maire de Paris dirigé contre le jugement annulant un permis de construire qu’il a délivré, est irrecevable l’action en intervention formée par un maire d’arrondissement et tendant au maintien de ce jugement.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; Ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

24 - Sens des conclusions du rapporteur public – Obligation de communication aux parties dans un délai raisonnable avant l’audience – Modification de la position du rapporteur après cette communication – Nouvelle communication des conclusions modifiées en dehors du délai raisonnable – Circonstance sans effet en l’absence de modification du sens des conclusions – Rejet.

S’il est fait obligation au rapporteur public, à peine d’irrégularité du jugement ou de l’arrêt, de communiquer aux parties, dans un délai raisonnable avant l’audience, le sens de ses conclusions (cf. art. R. 711-3 du CJA), celui-ci peut aussi préciser, notamment lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir. Cependant, la communication de cette information aux parties n’est pas, elle, à la différence de l’obligation précédente, prescrite à peine d’irrégularité du jugement.

Par ailleurs, lorsqu’après avoir communiqué dans un délai raisonnable le sens de ses conclusions, le rapporteur public ajoute par la suite des précisions ou informations complémentaires qui ne contredisent ni ne modifient le sens des conclusions tel que communiqué antérieurement, la circonstance que la seconde communication n’ait pas été effectuée dans un délai raisonnable est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué.

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474)

V. aussi n° 126

 

25 - Désistement d’office – Conditions d’existence – Octroi d’une prorogation du délai pour produire – Demande de prorogation tardive – Désistement d’office s’imposant – Rejet.

En principe, lorsque le demandeur a annoncé la production ultérieure d’un mémoire complémentaire, à l’expiration du délai imparti par la juridiction, il est réputé d’office s’être désisté de son action dès lors qu’il a reçu la mise en demeure prévue, qu'elle lui a laissé un délai suffisant pour y répondre et qu’il a été informé des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai.

En l’espèce, l’avocat de la requérante avait sollicité et obtenu une prorogation d’un mois du délai de quinze jours primitivement accordé pour la production du mémoire complémentaire. Par la suite, la cour administrative d’appel a constaté que la demanderesse devait être réputée s’être désistée de sa requête.

Cette dernière se pourvoit en cassation contre cet arrêt en excipant de la prolongation de délai qui avait été accordée par la cour.

Las, le pourvoi est rejeté car à la date à laquelle son avocat a demandé la prorogation du délai primitif de quinze jours ce dernier délai était déjà expiré, de sorte que l’intéressée devait être réputée s’être désistée.

La solution est sévère car l’avocat a pu, de bonne foi, penser que la prorogation était valide et, surtout, que la même cour ne saurait opposer le désistement d’office que, par son comportement, elle semblait, même fût-ce par erreur, avoir renoncé à opposer

(13 janvier 2023, Mme B., n° 452716)

 

26 - Référé liberté – Délai de 48 heures pour statuer – Délai non prescrit à peine de dessaisissement – Expiration de ce délai n’ayant pas pour effet la saisine automatique du Conseil d’État – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Rappel de ce que le délai de 48 heures imparti au juge par l’art. L. 521-2 du CJA pour statuer sur une requête en référé liberté n’est pas fixé à peine de dessaisissement.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, la circonstance que le tribunal administratif auquel le requérant demandait par voie de référé liberté d'interdire immédiatement la poursuite de déversements d'effluents pollués chimiquement dans la Romanche, à l'aval de Vizille, et dans le Drac, à l'aval du barrage de Notre-Dame de Commiers, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, n’ait pas statué à l’expiration du délai de 48 heures n’avait ni pour effet de le dessaisir ni, non plus et encore moins ( !), de saisir automatiquement le juge des référés du Conseil d’État.

(ord. réf. 13 janvier 2023, M. B., n° 470233)

 

27 - Référé « mesures utiles » – Demande de communication de pièces – Saisine du juge déjà effectuée sur le fond – Inutilité de la saisine du juge du référé « mesures utiles » - Rejet.

Est sans utilité, et donc rejetée, la demande, par une association, en référé « mesures utiles », tendant à ce que ce juge ordonne la communication de pièces qu’elle estime indispensables pour étayer un recours alors qu’elle a, par ailleurs, saisi le juge d’un recours sur le fond et qu’il lui est, par conséquent, possible de demander à ce juge qu’il ordonne cette communication de pièces.

(ord. réf. 18 janvier 2023, Association Animalia - Refuge et Sanctuaire, n° 470278)

 

28 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Recours dirigé contre une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) agréant un local destiné à recevoir des demandeurs d'asile dans le cadre d'un entretien personnel – Absence de caractère d’acte réglementaire d’une autorité à compétence nationale – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours direct en annulation de la décision du directeur général de l’OFPRA d’agréer les locaux de la zone d'attente de l'aéroport de la Réunion-Roland Garros et les locaux relevant de la police aux frontières qui lui sont rattachés pour y recevoir des demandeurs d'asile, demandeurs du statut d'apatride, réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire entendus dans le cadre d'un entretien personnel mené par l’OFPRA par un moyen de communication audiovisuelle.

Le recours est rejeté car il est jugé manifestement irrecevable : cette décision du directeur général de l’OFPRA ne saurait constituer un acte réglementaire pris par une autorité à compétence nationale que le 2° de l’art. R. 311-1 du CJA réserve à la compétence directe du Conseil d’État.

(ord. réf. 19 janvier 2023, CIMADE et autre, n° 470529)

 

29 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

V. n° 81

 

30 - Rejet d’un pourvoi en cassation d’une ordonnance de référé de rejet – Nouvelle demande en référé – Défaut de confirmation dans le délai requis de la requête en annulation – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Le requérant a saisi le juge d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire qu’il a assorti d’une requête en référé suspension de ce permis. Cette dernière a été rejetée par le juge des référés du tribunal administratif et ce refus a été confirmé, sur pourvoi, par le Conseil d’État statuant en cassation.

Le requérant a formé une nouvelle demande de suspension que le juge des référés a rejetée par le motif – fondé sur les dispositions de l’art. R. 612-5-2 du CJA - qu’il n’avait pas, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance de non-admission du Conseil d'État, confirmé sa requête à fin d'annulation et qu’ainsi il était réputé s’être désisté de son action.

Le Conseil d’État est à la cassation car il résulte des termes même de cet article (« sauf lorsqu'un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés ») qu’ils excluent le cas dans lequel un pourvoi en cassation est exercé contre l'ordonnance rendue par le juge des référés, sans réserver de solution particulière pour le cas où ce pourvoi ne serait, en définitive, pas admis. 

(20 janvier 2023, M. A., n° 464784)

 

31 - Intervention en défense au niveau de l’appel – Arrêt contraire aux conclusions de l’intervenant – Recevabilité du pourvoi en cassation de l’intervenant sous condition – Condition non satisfaite – Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’une autorisation d’implantation d’éoliennes, rappel d’une règle bien connue du droit du contentieux administratif selon laquelle celui qui, devant la cour administrative d'appel, est régulièrement intervenu en défense, est recevable à se pourvoir en cassation contre l'arrêt rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'il aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre l'arrêt faisant droit au recours. 

Application négative ici la condition n’étant pas remplie, avec rappel de ce que la circonstance qu'une personne justifie d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition à l'arrêt par lequel une cour administrative d'appel a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque la cour a assorti son arrêt d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers à cette autorisation sans qu'ils puissent se voir opposer les termes de l'arrêt.

(25 janvier 2023, Association Dans le Vent et autres, n° 449197)

(32) V., solution identique, également en matière d’implantation d’éoliennes : 25 janvier 2023, Commune de Tourville-la-Campagne, n° 450161.

 

33 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Nature de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

V. n° 88

 

34 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

V. n° 122

 

35 - Cotisation foncière des entreprises – Taxe pour frais de chambre de commerce et d’industrie – Taxe spéciale d’équipement – Substitution par le juge d’un terme de comparaison retenu par l’administration fiscale – Dénaturation – Annulation.

Pour prononcer la réduction de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie et de la taxe spéciale d'équipement auxquelles une société propriétaire d’un local sur les Champs-Elysées, a été assujettie au titre des années 2015 à 2017, la cour administrative d’appel avait écarté le local-type n° 246 du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées retenu comme terme de comparaison par l'administration fiscale pour déterminer la valeur locative du bien en litige. La cour avait estimé que ce local-type, d'une superficie totale de 553 m2 pondérée à 399 m2 et d'une valeur locative au mètre carré de 421 francs (ou 77 euros), avait été rayé de ce procès-verbal pour faire l'objet d'une autre évaluation, portant cette fois sur une surface totale de 471 m2 pondérée à 348 m2 et une valeur locative au mètre carré de 589 francs (ou 90 euros). 

Sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt est annulé pour dénaturation de pièces du dossier car, relève le juge de cassation, « Il ressort cependant des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que le local-type n° 246 n'a pas été rayé du procès-verbal des locaux commerciaux ordinaires du secteur Paris Champs Elysées mais que sur la ligne concernant ce local mise en évidence par un surlignage bleu, seule la référence cadastrale a été rayée, et que, d'autre part, le local d'une surface totale de 471 m2 mentionné par la cour ne correspond pas à une autre évaluation du local-type n° 246 mais se rapporte au local-type n° 245 qui, quoique situé à la même adresse, est distinct du local-type n° 246. »

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458875)

 

36 - Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Proposition de tarifs réglementés de vente d’électricité – Acte préparatoire – Exception d’illégalité de cette proposition contre l’arrêté fixant les tarifs – Absence de caractère d’acte de droit souple – Rejet.

Les recours pour excès de pouvoir étaient dirigés contre la délibération de la Commission de régulation de l'énergie du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

Les recours, joints, sont rejetés pour des motifs d’ordre procédural.

En premier lieu, les propositions motivées de la CRE faites aux ministres concernés (économie et énergie) de tarifs réglementés de vente d'électricité, ne constituent en elles-mêmes qu'un acte préparatoire à l’arrêté fixant lesdits tarifs, elles ne peuvent donc pas faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir. 

En deuxième lieu, il ne saurait être soutenu que les tarifs proposés par la Commission dans la délibération contestée seront pris en compte pour déterminer la composante de rattrapage, intégrée aux TRVE dits « bleus » résidentiels lors de leur première évolution pour 2023, la fixation de cette composante résultera du niveau des TRVE fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie lors de leur première évolution en 2023.

Par suite, la seule circonstance que les tarifs proposés par la Commission soient susceptibles d'influer sur le niveau de la composante de rattrapage n'est pas de nature à conférer à cette délibération le caractère d'un acte pouvant être déféré au juge de l'excès de pouvoir. En revanche, il pourra être excipé, le cas échéant, de l'illégalité de la délibération contestée à l'appui d'une demande d'annulation de cet arrêté.

En troisième lieu, la réponse est la même que la précédente s’agissant du moyen selon lequel, la délibération adoptant cette même proposition de la CRE serait de nature à influer sur l'ampleur de la compensation pour charges de service public due à certaines entreprises locales de distribution et aux fournisseurs alternatifs d'électricité. Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette délibération est irrecevable mais une exception d’illégalité pourrait être formée.

Enfin, cette délibération, simplement préparatoire, ne constitue pas non plus un acte de droit souple pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir car elle ne produit pas, par elle-même, « des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d'électricité. »

(27 janvier 2023, Association Consommation logement et cadre de vie (CLCV) et autres, n° 461379 ; Société EkWateur, n° 462470, jonction)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

37 - Entreprise de restauration – Vérification de comptabilité – Reconstitution des recettes – Dénaturation des pièces – Régularité de la procédure d’imposition – Bien-fondé des impositions, pénalités et amende – Annulation et rejet.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation d’un arrêt qui, après cassation et renvoi, a déchargé une société des impositions et pénalités mises à sa charge.

L’arrêt est cassé pour dénaturation des pièces du dossier car il est fondé sur ce que la méthode de reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était fondée sur un retraitement de données selon des règles qui n'étaient pas justifiées et qu’ainsi l'administration n’apportait pas la preuve du bien-fondé des suppléments d'impôt résultant de cette reconstitution. Or, selon le Conseil d’État, l’administration s'était prévalue d'un guide de lecture et de sa propre connaissance des modalités de fonctionnement du logiciel de caisse permissif « Prores » utilisé par la société, acquise au fur et à mesure des contrôles auxquelles elle procède et synthétisée dans un document intitulé « Rappels sur les systèmes de caisse Pi Électronique », annexé aux propositions de rectification notifiées à la société. 

S’agissant d’une seconde cassation dans le cadre d’un même litige, le Conseil d’État juge donc l’affaire au fond en partant du jugement de première instance et des moyens que la société contrôlée avait développés.

Il est jugé que la procédure d’imposition conduite en l’espèce était – comme l’a jugé le tribunal administratif, régulière, le vérificateur ayant suffisamment informé la société sur la nature des investigations souhaitées afin de lui permettre d'effectuer son choix, en toute connaissance de cause et avec un délai suffisant de réflexion de sept jours, entre les options prévues par l'article L. 47 A du livre des procédures fiscales et cela alors même que l'éventualité d'une reconstitution des recettes n'était pas mentionnée dans ce courrier.

Également, l’administration fiscale n’a pas méconnu son obligation de loyauté ainsi que les droits de la défense.

Par ailleurs, la reconstitution des recettes mise en œuvre par le vérificateur était uniquement fondée sur les éléments indiqués par le vérificateur dans un document annexé aux propositions de rectification communiqués à la société. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, il n’a été porté atteinte ni à l'art. L. 76 B du livre des procédures fiscales, ni à l'art. 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et ni aux art. 6 et 13 de la convention EDH.

Enfin, sont jugées bien fondées tant les impositions que les pénalités et l’amende mises à la charge de la société contrôlée.

(05 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452595)

 

38 - Moyen tiré de l’existence d’éléments d’équipement dispensés de taxe foncière sur les propriétés bâties – Obligation de réponse du juge à ce moyen – Absence – Motivation insuffisante – Annulation.

Ne motive pas suffisamment son jugement et encourt la cassation, le tribunal administratif qui, saisi de moyens fondés sur ce que des installations frigorifiques et des panneaux isothermes devaient être exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties au motif qu'ils présentaient les caractéristiques des biens d'équipement spécialisés mentionnés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts, les rejette en se bornant à indiquer que les éléments produits par la demanderesse étaient insuffisants s’agissant des installations frigorifiques et qu’elle n’apportait aucun élément de nature à démontrer que les panneaux isothermes ne feraient pas corps avec le reste du bâtiment.

(05 janvier 2023, Société Alliance Océane, n° 454909)

 

39 - Personne prétendue « maître de l’affaire » - Imposition en conséquence – Jugement contraire du tribunal correctionnel – Motivation insuffisante – Annulation et renvoi dans la mesure de la cassation prononcée.

Encourt la cassation pour insuffisance de sa motivation, l’arrêt d’appel qui, pour rejeter l’argumentation du contribuable selon laquelle, contrairement à ce que prétend l’administration fiscale, il n’est pas le maître de l’affaire, se borne à relever que l’intéressé ne conteste pas sérieusement les éléments de fait réunis par l’administration pour opérer cette qualification alors que celui-ci, pour prétendre n’être pas le maître de l’affaire, invoquait notamment des constatations de fait issues d'un jugement de tribunal correctionnel, produit au dossier, dont il soutenait qu'elles étaient revêtues de l'autorité absolue de la chose jugée.

(05 janvier 2023, M. C., n° 455612)

 

40 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Aires de stationnement situées sur le territoire de deux communes – Évaluation distincte – Absence d’erreur de droit - Rejet.

La requérante loue aux sociétés d’un groupe dont elle fait partie, en premier lieu, des biens d'exploitation d'une superficie de 15 000 m² situés sur le territoire de la commune du Plessis-Pâté (Essonne) et, en second lieu, un ensemble de parcelles, contigu au premier et d'une superficie de 25 000 m², aménagé en aire de stationnement pour poids-lourds, situé sur le territoire limitrophe de la commune de Brétigny-sur-Orge.

La société requérante n’ayant pas jugé utile de déclarer le second terrain, l’administration procéda à son évaluation d’office ce qui souleva un contentieux sur le point de savoir s’il devait y avoir une évaluation distincte ou non pour déterminer la valeur locative de chaque fraction de propriété susceptible de faire l'objet d'une utilisation distincte par un même occupant. Le Conseil d’État répond ici positivement à cette question, précisant même que la circonstance que la propriété fasse ou non l'objet d'une exploitation commerciale autonome est sans incidence à cet égard.

C’est pourquoi le tribunal administratif est approuvé pour avoir jugé que dès lors qu'aucune partie de l'aire de stationnement en litige ne présentait des caractéristiques ou une valeur d'utilisation différente d'une autre, cette aire devait être évaluée, conformément à sa nature, dans la catégorie des parcs de stationnement à ciel ouvert sans qu'il y ait lieu d'appliquer à une quelconque fraction de cette aire un coefficient de pondération inférieur à un.

(05 janvier 2023, SCI Sociprat, n° 460519)

 

41 - Majoration de la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune – Demande de réduction à due concurrence de la taxe foncière sur les propriétés non bâties – Terrain jugé se situer en zone urbaine – Non-examen de l’existence de voies et réseaux – Erreur de droit – Annulation.

La commune de Cournon-d’Auvergne ayant majoré la valeur locative des terrains constructibles non bâtis situés dans les zones urbaines de la commune, M. et Mme D. ont demandé que soit réduite à due concurrence de cette majoration le montant de la taxe foncière sur les propriétés non bâties applicable à la parcelle dont ils étaient propriétaires. Ceci leur ayant été refusé et leur recours contentieux contre ce refus ayant été rejeté, leurs héritiers ont, après leurs décès, saisi le juge d’un pourvoi en cassation.

Il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 1393 du CGI combinées à celles du B. du II de l’art. 1395, que les communes peuvent majorer la valeur locative de ces terrains lorsqu’ils sont situés dans les zones, d’une part, définies comme urbanisées ou à urbaniser par le document d'urbanisme applicable et, d’autre part, équipées de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées, à l'exception des terrains insusceptibles de recevoir une construction.

Or, pour rejeter la requête de M. et Mme D., puis de leurs héritiers, le tribunal administratif s’est fondé sur la localisation du terrain litigieux en zone urbaine. Ce jugeant, il a commis une erreur de droit car une telle localisation n’est pas suffisante, encore faut-il que la zone au sein de laquelle se situe le terrain soit équipée de voies publiques et de réseaux d'eau et d'électricité suffisants pour desservir les constructions devant y être implantées.

(05 janvier 2023, Mme D. et autres, héritiers de M. et Mme D., n° 462008)

 

42 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique - Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

Une société rejetant des substances polluantes qui n'avait pas mis en œuvre de dispositif agréé de suivi régulier des rejets des substances polluantes inhérents à son activité, a adressé à l'agence de l'eau Seine-Normandie, dans les délais impartis, les déclarations en vue de la détermination de l'assiette de la redevance pour pollution d'origine non domestique au titre des années 2011 et 2012 suivant la méthode indirecte (cf. II, deuxième alinéa, art. L. 213-10-2 du code de l'environnement). L'agence de l'eau a entendu faire application non de cette méthode, mais de la taxation d'office (cf. 1° de l'art. L. 213-11-6 du code précité) applicable aux personnes n'ayant pas fourni la déclaration des éléments nécessaires à son calcul à la date fixée par la loi. 

1 - La requérante demande l’annulation de cette substitution de la base légale de l’imposition, les redevances perçues par les agences de l'eau en application de l'article L. 213-10 du code de l'environnement constituant des impositions de toute nature. 

Le Conseil d’État accueille le moyen car il est de principe que le juge de l'impôt ne peut pas substituer d'office au fondement de l'imposition contestée un autre fondement justifiant son maintien lorsqu'il n'y a pas été invité par l'administration défenderesse au cours de l'instance.

C’est pourquoi est annulé sur ce point l’arrêt d’appel qui s’était borné à juger inopérant le moyen, invoqué par la contribuable, tiré de l’irrégularité du recours à la taxation d’office par les motifs que celle-ci n'avait été privée d'aucune des garanties inhérentes à la procédure contradictoire de contrôle prévue par le code de l'environnement et que l'agence de l'eau avait déterminé l'assiette des redevances dues en se fondant sur les informations déclarées par la société.

Ce jugeant elle a évidemment manqué à son office.

2 - Cependant, comme on le sait, l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, pour justifier le bien-fondé d'une imposition, de substituer une base légale à celle qui a été primitivement invoquée par elle dès lors que cette substitution peut être faite sans méconnaître les règles de la procédure d'imposition. Or en l’espèce, l’agence de l’eau fait valoir devant le Conseil d'État, dans l'hypothèse d'un règlement au fond après cassation, que les redevances litigieuses peuvent être maintenues sur le fondement de la méthode indirecte à partir des informations qui ont été communiquées par la société.

Le juge fait droit à cette demande de substitution de base légale car elle ne prive la contribuable d'aucune garantie de procédure. De là suit qu’est annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu’il a prononcé la décharge des impositions litigieuses au motif qu'elles ont été établies à l'issue d'une procédure de redressement irrégulière. En effet, la substitution de base légale rend inopérants les moyens relatifs aux impositions litigieuses soulevés par la société Boréalis Chimie devant le tribunal administratif. 

3 – En outre, l’agence de l’eau avait infligé une majoration de 40% du montant de la redevance en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 213-11-7 du code de l’environnement et l’art. 1728 du CGI mais la société Boréalis Chimie n’entrant pas dans le champ de ces dispositions législatives, c’est sans erreur de droit que la cour, dont l’arrêt est, sur ce point, confirmé, a jugé que l’agence de l’eau n'avait pu légalement appliquer cette majoration, ni non plus celle de 10%.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

 

43 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante qui a obtenu le permis de construire un local constituant une crèche, contestait son assujettissement de ce fait à la taxe pour la construction de locaux commerciaux.

Son recours ayant été rejeté elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement rejetant la demande d’annulation du titre de perception litigieux.

Le juge rappelle tout d’abord qu’il résulte des dispositions des art. L. 520-1, L. 520-8 et du III. de l’art. L. 520-7 du code de l’urbanisme ainsi que de celles du III de l’art. 231 ter du CGI, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires, que les locaux utilisés par des associations sont imposables dans la catégorie des locaux à usage de bureaux au sens du 1° du III de l'article 231 ter du CGI, à l'exception de ceux qu'elles utilisent pour exercer, à titre lucratif, des activités de commerce ou de prestations de services et qui sont destinés à accueillir la clientèle, ces locaux-là étant imposables dans la catégorie des locaux commerciaux au sens du 2° de ce même III.

Ensuite le jugement est annulé au double motif :

1°/ qu’il s’est borné à juger que ces locaux constituaient des locaux commerciaux au sens des dispositions du 2° du III de l'art. L. 231 ter du CGI car le public s'y rendait afin d'y recevoir une prestation de services moyennant une rémunération alors qu’à elle seule la perception d'une rémunération en contrepartie d'une prestation de services ne suffit pas à faire regarder cette prestation comme fournie à titre lucratif ;

2°/ qu’il devait distinguer parmi ces locaux ceux relevant du régime fiscal des locaux commerciaux – car destinés à accueillir une clientèle pour la réalisation, à titre lucratif, de prestations de services - et ceux relevant d’un autre régime fiscal.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

 

44 - Taxe sur les surfaces de stationnement – Conditions de soumission à la taxe – Conditions d’exonération – Intégration topographique à un établissement de production – Rejet de la demande de décharge – Erreur de droit – Annulation.

La requérante s’est vu refuser par l’administration fiscale la décharge de la taxe sur les surfaces de stationnement à laquelle elle avait été assujettie. Ayant, en vain, demandé l’annulation de ce refus devant le tribunal administratif, elle se pourvoit.

Le juge de cassation lui donne raison.

Tout d’abord, cette société est propriétaire d'un ensemble immobilier, exploité par le groupe de transport collectif Transdev, composé de bureaux, d'un atelier d'entretien et de réparation de véhicules, de surfaces d'accueil des bus et de surfaces de stationnement des véhicules du personnel et des visiteurs, ainsi que des voies de circulation desservant ces surfaces.

Elle a sollicité la décharge de la taxe, obtenant un dégrèvement partiel par l’administration mais rejet du surplus de sa demande. Le litige porte donc sur la part de taxe maintenue à la charge de la requérante.

Ensuite, il résulte des dispositions de l’art. 1599 quater C du CGI que la taxe sur les surfaces de stationnement est due pour celles de ces surfaces qui sont annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage. Toutefois, en sont exceptés ceux des locaux qui sont topographiquement intégrés à un établissement de production (III de cet article du CGI et III, 1°, 2°, 3° et 4°, de l’art. 231 ter du CGI).

Le tribunal a jugé que le moyen de la requérante selon lequel les surfaces en cause n’étaient pas taxables ne pouvait être reçu puisqu’il revenait pour cette dernière à opposer une condition de mise à disposition de ces surfaces aux utilisateurs des locaux taxables non prévue par l'article 1599 quater C précité.

Le Conseil d’État est, très logiquement, à la cassation car le tribunal devait seulement rechercher si l'utilisation de ces surfaces contribuait directement à l'activité déployée dans des locaux relevant de l'une des catégories visées aux 1° à 3° de l'article 231 ter précité.

(27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458457)

(45) V. la solution identique retenue pour un autre établissement de la même société : 27 janvier 2023, Société L’Immobilière des Fontaines, n° 458459.

 

46 - Crédit impôt recherche – Acquisition de matériel génétique végétal – Absence de nouveauté de l’élément d’actif source des dotations aux amortissements – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante a acquis auprès d’une autre société du matériel génétique végétal constitué de graines, de plants, de plantes, de cellules germinales et d'autres matériels héréditaires. Ce matériel génétique dit « B. » a été immobilisé à l'actif de la société Ragt 2N.

L’administration fiscale a exclu de la base de calcul du crédit d'impôt recherche sollicité par la requérante au titre des années 2012 et 2013 les dotations aux amortissements afférentes au « B. » ainsi que les frais de fonctionnement forfaitaires correspondants.

La cour administrative d’appel a d’abord relevé que la société Ragt Semences ne produisait aucun élément de nature à établir que les travaux menés par sa filiale Ragt 2N sur le « B. » ne se situeraient pas dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel génétique. Puis, la cour a, en conséquence, considéré que les dotations aux amortissements liées à cet élément d'actif ne satisfaisaient pas à la condition de nouveauté applicable aux immobilisations créées ou acquises et par suite ne pouvaient être prises en compte au titre des dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt. 

Annulant cet arrêt le juge de cassation relève que, pour l’application du a du II de l'article 244 quater B du CGI (qui régit le crédit d’impôt recherche), la cour devait seulement s’interroger sur le point de savoir si cet élément d'actif immobilisé pouvait être regardé comme acquis à l'état neuf  sans s’arrêter sur la circonstance que les travaux menés par la filiale de la société sur le « B. » se situeraient dans la stricte continuité méthodologique et scientifique de ceux déjà engagés par la société venderesse du matériel végétal. En effet, la disposition précitée du CGI est très claire sur ce point : relèvent du régime du crédit d’impôt («…a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique, y compris la réalisation de prototypes ou d'installations pilotes (…).)

(27 janvier 2023, Société Ragt Semences, n° 460229)

 

47 - Avis de mise en recouvrement (ou AMR) – Régime de la signature – Distinction entre AMR antérieurs et ceux postérieurs au 1er janvier 2017 – Absence de mention – Erreur de droit – Annulation.

La décision apporte d’importantes précisions concernant certaines exigences de forme accompagnant les avis de mise en recouvrement et précise très nettement les différences séparant, sur ce point, les AMR adressés aux contribuables avant le 1er janvier 2017 et ceux notifiés postérieurement à cette date.

Les avis de mise en recouvrement émis antérieurement au 1er janvier 2017 doivent mettre le contribuable en état de vérifier que leur signataire est effectivement l'autorité compétente en vertu des dispositions des articles L. 256, L. 257 A et R. 256-8 du livre des procédures fiscales. Si l'ampliation de l'avis de mise en recouvrement adressée au contribuable n'a pas nécessairement à comporter de signature dès lors que l'original déposé au service compétent en est revêtu, il résulte des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration que cet avis doit en revanche comporter les mentions de nature à permettre l'identification de son auteur et sa qualité. 

Les avis de mise en recouvrement émis à compter du 1er janvier 2017 n'ont pas à comporter la signature de leur auteur, dès lors que, par les autres mentions qu'ils comportent, ils sont conformes aux prescriptions de l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration. A défaut de cette conformité, ils doivent comporter cette signature.

(27 janvier 2023, Société Le Saphir, n° 462599)

 

Droit public de l'économie

 

48 - Droit public de l’agriculture – Autorisations de nouvelles plantations de vigne – Vignoble alsacien – Risque d’offre excédentaire ou de dépréciation importante de l’AOP Alsace – Démonstration non rapportée – Rejet.

Le ministre de l’agriculture et celui des finances ont mis en œuvre le dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole - Campagne 2019, sans limiter le nombre d'hectares rendus disponibles, au sein de la zone Alsace, pour la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle pour des superficies situées hors de l'aire de l'appellation d'origine protégée (AOP) Alsace. L’association requérante, au soutien de sa demande d’annulation pour illégalité, prétend que cet arrêté crée, d’une part, un risque d'offre excédentaire de produits vitivinicoles eu égard aux perspectives offertes par le marché, d’autre part un risque de dépréciation importante de l'AOP Alsace.

Son action est rejetée faute pour elle d’apporter la démonstration de la réalité de l’un et l’autre points de son argumentation.

(06 janvier 2023, Association des viticulteurs d’Alsace, n° 454866)

Sur cette décision voir aussi le n° 1

(49) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 21 février 2022 relatif à la mise en œuvre du dispositif d'autorisations de plantation en matière de gestion du potentiel de production viticole (campagne 2022), dont l'annexe 1 procède à la définition des limitations de la délivrance d'autorisations de plantation nouvelle au niveau régional pour la campagne 2022, tendant à l'annulation des dispositions de cette annexe 1, qui sont divisibles, en tant qu'elles fixent une limitation à deux hectares pour la zone « VSIG - départements 54, 55, 57 et 88 » : 06 janvier 2023, M. B., n° 463194 et n°464371.

 

50 - Droit de l’énergie – Allocation d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) – Illégalités diverses reprochées – Rejet.

La requérante soutenait que la décision de la Commission de la régulation de l’énergie (CRE) lui attribuant certains volumes d’ARENH était entachée de plusieurs illégalités (délibération irrégulière, erreur de droit, erreur manifeste d’appréciation) et elle en demandait la suspension d’exécution au juge du référé suspension en tant qu’elle portait sur des quantités inférieures à celles demandées par la requérante. Certes était invoquée l’urgence à statuer mais il est assez évident que la voie du référé, avec les limites inhérentes à l’office de ce juge des référés, n'est pas la plus propice au succès dans des contentieux de la nature de celui en cause.

L’action est rejetée car le juge relève que les indicateurs établis à partir de la demande d’ARENH formulée par la société requérante excèdent les seuils fixés par l’art. R. 336-14 du code de l’énergie tels que mis en œuvre par délibération de la CRE laquelle fait ressortir, selon les postes de demandes, soit une demande manifestement surévaluée compte tenu de l’évolution déjà en cours qui est en décalage à la fois avec la croissance constatée sur l'ensemble de son portefeuille entre septembre 2021 et septembre 2022, avec l'importance des pertes récentes de clients et avec la surestimation de son niveau de droits d'ARENH pour l'année 2021, soit une justification insuffisante de son projet de développement sur le marché des consommateurs « petits professionnels » alors que la société l'avait déjà annoncé antérieurement sans pouvoir le mettre en œuvre. Dans ces conditions, le juge du référé suspension, en l’état du dossier, n’aperçoit ni erreur de droit, ni erreur de fait, ni, non plus, une erreur manifeste d’appréciation dans la décision querellée et donc, n’éprouve pas de doute sérieux sur la légalité de celle-ci.

(ord. réf. 09 janvier 2023, Société OHM Énergies, n° 469813)

(51) V. aussi, à propos d’un recours voisin et pareillement rejeté : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Sagiterre, n° 469993.

 

52 - Énergie photovoltaïque – Régime privilégié des contrats d’achat de l’électricité produite par cette source d’énergie – Rémunération estimée excessive – Modifications par voie législative intervenue en cours d’exécution de ces contrats d’achat – Rétroactivité – Aide d’État résultant d’une tarification avantageuse - Absence de notification à la Commission – Illégalité de l’arrêté – Annulation.

Pour favoriser la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables l’État a mis en place, sur la base de l’art. 10 de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, un mécanisme faisant obligation aux distributeurs d'électricité de conclure avec les producteurs qui en font la demande un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par les installations qui utilisent des énergies renouvelables. Des arrêtés des 10 juillet 2006, 12 janvier 2010 et 31 août 2010 ont successivement fixé les conditions applicables aux contrats conclus à compter de l'intervention de chacun d'eux pour l'achat de l'électricité produite par les installations, d’une certaine puissance, utilisant l'énergie radiative du soleil. 

Cette rémunération est vite apparue par trop avantageuse en ce qu’elle emportait une rémunération excessive au bénéfice des producteurs et dangereuse pour les finances des distributeurs d’électricité.

La loi de finances pour 2021 a prévu dans son art. 225 une réduction du tarif d’achat de l’électricité d’origine photovoltaïque et organisé une procédure de fixation du tarif ainsi que pour le devenir des contrats en cours. Pour l’exécution de cet article 225 ont été pris, d’une part, le décret du 26 octobre 2021 et, d’autre part, l’arrêté du même jour.

De ces textes il est demandé l’annulation par les entités requérantes qui n’obtiennent pas satisfaction sauf sur un point qui n’était peut-être pas attendu par elles, celui de l’illégalité du régime de tarification spéciale d’achat de l’énergie électrique d’origine solaire fixé par l’arrêté litigieux en tant que constituant une aide d’État il n’avait pas été déclaré à la Commission européenne.

Les requérants sont donc déboutés en tous leurs chefs de griefs.

Concernant le décret attaqué, il est jugé ne point porter atteinte au principe de sécurité juridique ni à l’exigence d’une législation transitoire pour éviter les brusques changements normatifs (cf. art. L. 221-5 du code des relations du public avec l’administration), cette sécurité juridique étant suffisamment garantie par l'entrée en vigueur différée de la réglementation nouvelle assortie du caractère suffisant du délai laissé – même s’il n’est que de 35 jours -   au regard de la nature des mesures à prendre et des actions déjà entreprises. 

Également, ce décret n’est pas entaché d’incompétence négative car, d’une part, les critères retenus à son art. 2 pour déterminer le niveau de rémunération raisonnable des capitaux sont définis avec une précision suffisante et, d’autre part, ce décret pouvait laisser à un arrêté le soin d’établir la formule de calcul de ce tarif, y compris en prévoyant une marge de 10 % et une majoration pour tenir compte de la localisation géographique des installations, critère d'ailleurs prévu à l'art. 3 du décret. Enfin, s'il est soutenu que le décret n'a pas défini plusieurs des critères légaux nécessaires à la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, il ressort des dispositions de l'art. 6 de ce décret que les critères permettant d'apprécier la viabilité économique du producteur sont définis de manière suffisamment précise et qu'en tout état de cause, il appartient à la Commission de régulation de l'énergie, en vertu de l'art. 7 de ce même décret, de procéder à un examen de cette viabilité au cas par cas, en fonction des particularités de chacune des installations concernées. 

Le décret n’a pas, non plu, opéré une délégation illégale de compétence à la Commission de régulation de l'énergie en se bornant non à lui permettre d’exercer le pouvoir de fixer le tarif individuel dans le cadre de la mise en œuvre de la clause de sauvegarde, mais seulement à préciser les dispositions législatives donnant à la Commission un pouvoir de proposition.

Concernant la rétroactivité, le juge tente une esquive peu sérieuse en arguant de ce que le législateur ayant décidé que « la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l'installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, n'excède pas une rémunération raisonnable », il s’en déduirait selon les juges du Palais-Royal qu’il a nécessairement entendu que c’est sur la durée totale des contrats en cause que doit s’apprécier le caractètre raisonnable du niveau de rémunération.

Faut-il encore répéter que le contrat est, fondamentalement, un combiné de justice et de prévision sur la durée entière du contrat. Si la rémunération était juste au départ, ce que l’on doit nécessairement admettre car l’État est présumé n’être ni injuste ni déraisonnable, il est entré dans les prévisions des parties comme étant l’animus contrahendi, la raison même de la conclusion du contrat, la prise en compte du montant total, pour les fournisseurs, de la rémunération attendue et pour les distributeurs du coût à supporter. En opérant un détournement des clauses contractuelles, il est attenté à la liberté contractuelle quelles que soient les contorsions rhétoriques du juge pour masquer l’évidence : à savoir un maintien de prix assurant une rémunération raisonnable (celle d’origine était donc déraisonnable), la possibilité d’invoquer une clause de sauvegarde.

Voudrait-on démontrer que le « contrat » administratif n’en est pas un que l’on ne s’y prendrait pas autrement : la diatribe européenne contre la conception française des rapports de l’individu et de la puissance publique a encore de beaux jours devant elle.

L’invocation de l’intérêt général (sorte de mantra aussi obscur que les motifs de transes de la Pythie de Delphes), à supposer ce fantasme existant, ne saurait valoir contre la fondamentalité des droits subjectifs de l’individu.

Pour finir, et c’est là la surprise, le juge relève que le tarif d’achat de 2006 et la suite constituait une aide d’État qui n’avait pas été notifiée à la Commission européenne en violation directe des art. 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union (TFUE), et de leurs règlements d’application. Puis, il note que l’arrêté litigieux du 26 octobre 2021 n’a pas lui non plus était notifié alors qu’il institue une aide nouvelle même s’il constitue une réduction du volume de l’aide par rapport à celle qui résultait d’arrêtés antérieurs non notifiés, d’où son illégalité et son annulation.

Le paradoxe c’est que cette annulation fait revivre les arrêtés précédents qui, pourtant, comportaient un niveau plus élevé d’aides d’État… C’est dire qu’il est important de remédier à ce beau désordre qui n’est plus voltaïque mais volcanique.

(27 janvier 2023, Association Solidarité Renouvelables, association Enerplan, syndicat des professionnels de l'énergie solaire et syndicat des énergies renouvelables, n° 458991 ; Société Bovi-ER et société Pepigreen, n° 459049, jonction)

 

53 - Décision du conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) – Renforcement de la cohésion du groupe – Illégalités très partielles – Rejet pour l’essentiel.

Ce litige se situe au sein d’une ample et ancienne controverse opposant certaines caisses de Crédit mutuel à la Confédération nationale sur fond de rationalisation s’opposant à une ample revendication d’autonomie de chaque caisse locale.

Le législateur, par le II de l’art. L. 511-20, l’art. L. 511-30, l’art. L. 511-32 et l’art. L. 512-56 du code monétaire et financier, tenant compte des exigences de la Banque centrale européenne et de celles de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, a dévolu à la CNCM la représentation des caisses de crédit  mutuel affiliées à son réseau auprès de ces deux organismes ainsi que les missions de veiller à la cohésion de ce réseau et à l'application des dispositions législatives et réglementaires propres aux établissements de crédit, d'exercer un contrôle administratif, technique et financier sur l'organisation et la gestion de chaque caisse et de prendre toutes les mesures nécessaires au bon fonctionnement du réseau, afin de garantir la stabilité financière de celui-ci et la protection des déposants et sociétaires.

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la décision attaquée par la requérante, décision de caractère général n° 1-2021 relative au renforcement de la cohésion du Groupe Crédit mutuel adoptée le 2 février 2021 par le conseil d'administration de la Confédération nationale du crédit mutuel (CNCM), organe central du Crédit mutuel.

Le Conseil d’État ne retient que deux des moyens soulevés contre cette décision et rejette les autres, soit les plus lourds de conséquences.

Il juge entachées d’illégalité, d’une part, la règle générale et contraignante, édictée aux art. 2 et 3 de la décision attaquée, qui n'est ni prévue ni impliquée par aucune des dispositions législatives précitées, selon laquelle les entités du groupe Crédit mutuel qui y sont mentionnées sont tenues de faire référence à leur appartenance au groupe dans leurs dénominations sociale et commerciale ainsi que dans toutes leurs activités commerciales et non commerciales, et d’autre part, l'art. 4 de cette décision en tant qu'il soumet à autorisation préalable les décisions relatives aux dénominations sociale et commerciale de toute structure créée directement ou indirectement par les caisses ou les fédérations et en tant que la demande d'autorisation doit comporter la représentation graphique de la dénomination envisagée.

Sont en revanche rejetés les moyens :

- que l'art. 5 de la décision attaquée serait illégal en ce qu'il prévoit un contrôle de second niveau de la CNCM pour l'appréciation des risques et également qu’il serait entaché d'une erreur de droit en ce qu'il étendrait illégalement les obligations que la réglementation bancaire impose aux établissements de crédit en matière de contrôle interne aux risques tenant à l'atteinte à l'image du groupe Crédit mutuel ;

- que l’art. 6 serait entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il prévoirait un dispositif sanctionnant des manquements dont la caractérisation serait illégale et des sanctions manifestement inadaptées aux manquements constatés ;

- que les art. 7.1 et 8 de cette décision ne permettraient pas à la CNCM de procéder à un contrôle préalable des demandes d'autorisation des opérations mentionnées aux art. L. 511-2 et L. 511-12-2 du code monétaire et financier (opérations de prise de participation, d'acquisition ou d'établissement de succursales par des établissements de crédit) aux fins de déterminer si les opérations envisagées ne sont pas de nature à compromettre la stabilité financière de l'établissement concerné et du groupe Crédit mutuel dont la surveillance prudentielle est exercée sur une base consolidée, ainsi que la protection des déposants et sociétaires ;

- que l’art. 7.2 serait entaché d'une erreur de droit en ce qu’il soumet les prises de participation des affiliés du réseau Crédit mutuel dans des sociétés commerciales, hors secteur financier, à un régime d'autorisation préalable ;

- que l’art. 11 remettrait en cause des situations juridiquement constituées en méconnaissance du principe de non-rétroactivité des actes administratifs.

(27 janvier 2023, Société Crédit mutuel Arkéa, n° 451308)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

 

Hébergement d’urgence

Rigueur et compassion

 

Une quinzaine de décisions rapportées ici attestent de l’importance du besoin d’hébergement d’urgence de ressortissants étrangers, principalement des femmes seules avec enfant(s), et de la difficulté, pour les administrations et pour le juge administratif, de répondre à une demande sans cesse croissante avec des moyens toujours insuffisants.

D’où, comme le montre la lecture de ce qui suit, une jurisprudence donnant l’impression d’être ballotée et cahotante dans ses motivations, tantôt audacieuse tantôt plus « suiviste ».

Que tout cela puisse déplaire ou donner lieu à critique se comprend mais à condition de reconnaître les efforts faits, l’ampleur de la demande, la diversité des situations, le tout se combinant en un ensemble un peu désespérant où la compassion tient lieu de droit positif et où le droit se cherche une raison d’exister sur fond de misère humaine et de détresse matérielle et morale directement venu de la vision de Dante ou des descriptions d’Eugène Sue.

 

54 - Dispositif d’hébergement d’urgence – Période hivernale – Personne seule avec deux enfants – Rejet.

Dans une décision que l’on peut juger sévère, le juge du référé liberté du Conseil d’État rejette l’appel formé contre une ordonnance de référé refusant d'enjoindre au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, de prendre en charge la requérante ainsi que ses deux fils mineurs âgés de 14 et de 16 ans., dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence, sans délai, bien que cette ressortissante tunisienne vive, depuis son arrivée en France le 4 décembre 2022, dans la rue avec ses fils.

Le Conseil d’État fonde son rejet sur ce qu’aucun élément nouveau n’est apporté en appel à l’encontre de l’ordonnance attaquée, laquelle est fondée sur l'état de saturation du dispositif d'accueil en hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Île-de-France, de l'âge de la requérante et de celui de ses deux enfants ainsi que de son état de santé en retenant que la dégradation de celui-ci n'était pas établie et que le cancer apparu il y a plus de dix ans, avait été soigné et paraissait stabilisé. Par suite, il est jugé que « cette famille n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, placée parmi les plus vulnérables ».

(ord. réf. 04 janvier 2023, Mme B. épouse C., n° 470060)

(55) V., dans le même sens, annulant l’ordonnance de référé faisant droit à la demande d’une ressortissante congolaise, enceinte de quelques mois, et à sa fille de quatre ans, entrée en France le 4 octobre 2022, de recevoir un hébergement d’urgence dans l’attente du traitement de sa demande d’asile alors qu’elle est titulaire d’un titre de résidence délivré par les autorités brésiliennes valable jusqu'en 2029 : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469942.

(56) V. aussi, comme dans l’affaire ci-dessus, l’annulation d’une ordonnance enjoignant de fournir un hébergement d’urgence à un couple de ressortissants guinéens et à leurs deux enfants, dont la demande d’asile a été rejetée et qui ne se trouvent pas subissant une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470049.

(57) V. en revanche, annulant l’ordonnance de rejet de la demande d’hébergement de deux adultes et de leurs deux enfants motif pris de ce que si un hébergement a été attribué pour trois nuitées, puis, en un autre lieu, en long séjour, le représentant de la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement n'a pas été en mesure, malgré la prolongation de l'instruction, de produire le document attestant que cet hébergement d'urgence serait maintenu conformément aux obligations prévues par les articles L. 345-2-2 et L. 345-2-3 du code de l'action sociale et des familles rappelées ou de s'engager sur un tel hébergement d'urgence dit de long séjour. Il est donc ordonné à l'État de continuer à proposer sans solution de continuité à Mme D., M. B. et à leurs deux filles mineures un hébergement d'urgence conforme aux exigences afin de les placer à l'abri et d’assurer leur accompagnement social : ord. réf. 04 janvier 2023, M. D. et Mme B., n° 470063.

(58) V. également, confirmant l’ordonnance enjoignant à un préfet d’assurer l’hébergement d’une ressortissante algérienne et de son fils né le 15 août 2022 sans abri et obligés à dormir dans la rue malgré les appels de l’intéressée au dispositif de veille sociale unique d'Île-de-France : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 469944.

(59) V., identique au précédent, en ce qu’est retenu le très jeune âge de l’enfant (né le 15 novembre 2022) de parents ivoiriens pour rejeter le recours dirigé contre l’ordonnance enjoignant aux services concernés de fournir aux intéressés un hébergement d’urgence : ord. réf. 05 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470044.

(60) V. encore, dans le même sens que l’ordonnance précédente, la confirmation du rôle central joué par l’âge des enfants ainsi que l’a estimé la juge des référés du tribunal administratif : ord. réf. 17 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470434.

(61) V. encore, très voisine, l’ordonnance qui tout en constatant le caractère irrégulier du séjour en France de parents guinéens, de 20 ans et 24 ans, reconnaît leur situation de détresse sociale alors que vivant dans la rue, la mère a accouché le 8 août 2022 d’une petite fille : ord. réf. 16 janvier 2023, Mme C. et M. B., n° 470178

(62) V. en revanche, la solution discutable au regard des décisions précédentes qui confirme le rejet en première instance d’une demande d’hébergement d’urgence formulée par une famille malienne composée d’un couple avec deux enfants de 6 et trois ans et alors que la femme est enceinte, motif pris de ce que la circonstance que le conjoint, à raison de son sexe, ne peut séjourner dans le même lieu que la femme et les enfants ne crée pas une situation d’urgence ou d’atteinte grave à une liberté fondamentale : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme C. et M. A., n° 470442.

(63) V. aussi, le rejet d’une demande d’annulation d’un refus d’hébergement d’urgence, celle-ci ayant été satisfaite, rendant ainsi sans objet la requête introduite : ord. réf. 10 janvier 2023, Mme B., n° 470122, ou encore, à propos de réfugiés kazakh : ord. réf. 27 janvier 2023, M. A. et Mme C., n° 470407.

(64) V. aussi, un tantinet agacée, l’ordonnance rejetant l’appel dirigé contre l’ordonnance de référé liberté ayant :

- d’une part, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de l’association requérante tendant à ce qu’il soit fait injonction de mettre fin à la technique d'encerclement des familles réunies sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris pour réclamer un hébergement d’urgence, plus aucune famille ne se trouvant en ce lieu au moment où ce juge a statué ;

- d’autre part, rejeté la demande tendant à ce que soit ordonnée une évaluation individuelle de chaque manifestant et une orientation vers un dispositif d'hébergement adapté et pérenne, faute pour l’association demanderesse de soumettre au juge des référés tout élément de nature à établir le bien-fondé de ses demandes ni d'identifier des situations individuelles, ni d'apporter le moindre commencement de preuve d'une carence caractérisée des autorités compétentes : ord. réf. 10 janvier 2023, Association Utopia 56, n° 470140.

(65) V. tout aussi agacée, la décision rejetant la demande d’une ressortissante ivoirienne tendant à l’annulation de l’ordonnance de rejet du premier juge, se disant mère d’un enfant mineur, s'abstenant de préciser la date de son entrée en France, la durée et les conditions de son séjour sur le territoire français, l'état civil de l'enfant qui ne porte, par ailleurs, pas le même nom que le sien, ainsi que la réalité et la fréquence de ses appels au « 115 », ceci joint à l’absence, en appel, de production d’une pièce ou d’une précision nouvelle concernant en particulier la situation de l'enfant dont elle mentionne seulement le nom et la date de naissance et dont elle prétend être la mère, ni de manière générale de tout élément de nature à remettre en cause les appréciations retenues par le premier juge : ord. réf. 27 janvier 2023, Mme A., n° 470669.

(66) V., plus originale, la décision rejetant l’action introduite sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, selon lequel le juge des référés, saisi par toute personne intéressée, peut modifier les mesures qu'il avait précédemment ordonnées ou y mettre fin, au vu d'un élément nouveau, alors qu’était demandée la modification de la solution d’hébergement adoptée par l’État en l’espèce, d’où l’irrecevabilité de l’action introduite dans ces conditions : ord. réf. 19 janvier 2023, Mme A., n° 470459.

(67) V., manifestant l’attention et le souci extrêmes du juge des référés concernant une demande d’hébergement faite par une ressortissante malienne et sa fille de quatre ans scolarisée en moyenne section d’une école maternelle, pour, au final, confirmer l’ordonnance des premiers juges ordonnant le maintien de l’hébergement qui leur a été offert dans un hôtel de la banlieue parisienne, la requérante ne rapportant pas d’éléments qui justifieraient qu’il y soit mis un terme : ord. réf. 30 janvier 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 470213.

(68) V., en revanche, pour une ressortissante ivoirienne accompagnée de son enfant de quatre ans, la confirmation de l’ordonnance rejetant une demande d’hébergement alors qu’existent en Île-de-France des situations de plus grande vulnérabilité et en dépit des problèmes de santé rencontrés par l'enfant décrits par un courrier d'un médecin de centre de protection maternelle et infantile de la ville de Paris : ord. réf. 30 janvier 2023, Mme A., n° 470640.

(69) V. encore, la confirmation du rejet de la « demande d’hébergement » faite par une ressortissante ivoirienne et de sa fille âgée de douze ans alors que n’est pas établie l’existence de cette demande et en dépit de la maladie des yeux de cette dernière : ord. réf. 31 janvier 2023, Mme C. agissant au nom de sa fille mineure A., n° 470745.

 

 

 

70 - Organisme de logement social – Régime disciplinaire applicable à la personne morale ou à une personne physique, dirigeante ou membre de celle-ci – Différence de traitement – Rejet.

L'agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) a proposé au ministre chargé du logement, après enquête, de prononcer une sanction à l’encontre du requérant pour faute commise dans l’exercice de ses fonctions de président du conseil d'administration du comité interprofessionnel du logement action logement Nord (CIL/ALN).

Si le recours contre la procédure et le quantum de sanction est rejeté, la décision retient l’attention précisément sur un aspect de la procédure disciplinaire.

Celle-ci, en matière d’organismes de logement social, qui est régie par le code de la construction et de l’habitation en ses art. L. 342-9, L. 342-12 et L. 342-14, d’une part, et en son art. R. 342-14, d’autre part, distingue deux régimes disciplinaires selon qu’est poursuivi un organe de la personne morale (conseil d'administration, conseil de surveillance directoire ou organe délibérant de cet organisme) ou une personne physique. Dans le premier cas, l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer une sanction au ministre compétent qu'après que le conseil de surveillance, le conseil d'administration, le directoire ou l'organe délibérant de cet organisme a notamment été mis en mesure de présenter, en disposant à cette fin d'un délai de quatre mois, ses observations sur le rapport définitif de contrôle. Au contraire, dans le cas d’une personne physique, ne sont prévues ni la notification à celle-ci du rapport définitif de contrôle, ni que soit menée à son terme la procédure contradictoire relative à l'élaboration du rapport définitif avant que l'agence propose au ministre de prononcer une sanction contre cette personne.

Cette différence, pour très surprenant que cela soit, n’est pas jugée irrégulière sans doute car aucune QPC ou exception d’inconventionnalité n’avait été soulevée par le requérant.

(13 janvier 2023, M. Thibault de Maillard, n° 451078)

(71) V. aussi, largement identique : 13 janvier 2023, M. Duflo, n° 454951.

(72) V. également, sur le même sujet mais avec des faits et des solutions bien différents : 13 janvier 2023, M. J.-Ph. Sudre, n° 457264.

 

73 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

V. n° 116

 

74 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

V. n° 118

 

75 - Droit public de l’agriculture – Aides directes dans le cadre de la politique agricole commune – Contrôle d’une exploitation agricole – Refus – Réduction de 100% du montant des aides – Rejet.

Une société civile d’exploitation agricole (SCEA) se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a rejeté sa demande d’annulation de la décision préfectorale du 3 mars 2017 lui appliquant un taux de réduction de 100 % sur les aides directes perçues dans le cadre de la politique agricole commune au titre de la campagne 2016.

Son recours est rejeté.

La société s’est opposée à un contrôle sur place de son exploitation : celui-ci, d’abord annoncé le 29 novembre 2016 pour une visite fixée au 6 décembre 2016, a fait l’objet d’une demande de reprise de contact, puis un nouveau contrôle, annoncé par courriel du 20 décembre, a été prévu pour le 21 décembre avec invitation faite au gérant d’indiquer s’il acceptait ce contrôle ou s’y opposait. Suite au refus exprimé, a été prise la décision attaquée appliquant un taux de réduction de 100% au montant des aides communautaires accordées à la SCEA.

Celle-ci invoque en vain le caractère de sanction de la mesure et donc la nature de plein contentieux du litige en résultant, en effet cette décision se borne à exiger le reversement d'une aide indûment perçue ; cette contestation, ainsi que jugé en appel, relève donc bien du contentieux de l’excès de pouvoir.

Ensuite, la cour a donné une qualification juridique exacte aux faits rapportés ci-dessus en jugeant que la société ne pouvait être considérée, à raison de son attitude, comme ayant pris toute mesure pouvant raisonnablement être requise de sa part pour garantir que le contrôle sur place envisagé pour l'année 2016 se réalise intégralement, d’autant qu’elle n'avait justifié ni de circonstances exceptionnelles au sens du du règlement (UE) n° 1306/2013, ni de ce que son gérant aurait été confronté à un cas de force majeure et qu’ainsi son comportement caractérisait un refus de contrôle au sens de l’art. D. 615-59 in fine du code rural comme l’a à bon droit constaté la décision préfectorale litigieuse.

Enfin, la société requérante ne saurait invoquer à l’encontre du taux de réduction retenu, soit 100%, une erreur de droit ou l’absence de prise en compte des conséquences désastreuses pour l’entreprise de l’application de ce taux dès lors que cette mesure ne constitue pas une sanction et que l’autorité administrative ne possède aucun pouvoir de modulation de ce taux.

(24 janvier 2023, Société civile d’exploitation agricole A., n° 450834)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

76 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme et proclamation d’inéligibilité – Document incomplet mais complété – Annulation.

Le juge d’appel annule le jugement de première instance qui a confirmé le rejet du compte de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Ce dernier avait estimé, comme la Commission, que le compte présenté n'était appuyé que de pièces disparates et incomplètes, qui ne permettaient pas d'attester la réalité et la régularité des opérations réalisées, notamment bancaires.

Le Conseil d’État condamne cette analyse en relevant que toutefois, outre la circonstance que ce compte défectueux avait été établi par un expert-comptable, le binôme a produit une réfection de relevé de ce compte, pour la période du 15 juin 2021 au 10 mars 2022, à l'appui de son mémoire en défense devant le tribunal administratif. Or ce document permet de contrôler la réalité des recettes et des dépenses réalisées par le mandataire financier inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec les opérations du mandataire financier qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaît.

Ainsi sont annulés le rejet du compte et la proclamation subséquente de l’inéligibilité du binôme.

(05 janvier 2023, M. D. et Mme B., Élections départementales du canton de Douarnenez, n° 464905)

(77) V. aussi, identique en substance : 05 janvier 2023, Mme D. et M. A., Élections départementales du canton de Quimperlé, n° 464906.

 

78 - Élections départementales – Rejet du compte de campagne d’un binôme – Jugement contraire du tribunal administratif – Confirmation en appel.

La CNCCFP demandait l’annulation du jugement rejetant sa demande de rejet du compte de campagne d’un binôme de candidats.

L’appel est rejeté.

Les membres du binôme n'avaient pas joint au compte de campagne qu'ils ont déposé dans le délai légal le relevé des opérations postérieures au 30 juin 2021 effectuées sur le compte bancaire ouvert par leur mandataire financier et ils n'ont pas davantage fourni ce document dans le cadre de l'instruction menée par la CNCCFP.

Cette dernière a rejeté leur compte de campagne pour ce motif.

Cependant le juge constate, en regard de ces manquements, que le relevé des opérations joint à ce compte de campagne faisait apparaître un virement au titre d'un prêt financier consenti par une formation politique, que le compte de campagne, établi par un expert-comptable, était en outre accompagné de documents comptables, en particulier un rapprochement bancaire pour les mois de juillet et août 2021 et du journal de banque, qui retraçaient la totalité des opérations intervenues sur le compte bancaire ouvert par le mandataire financier en précisant les dates et les comptes d'origine des virements correspondant à un second prêt consenti par la même formation et à l'apport personnel du candidat, pour un montant total de 833 euros de recettes, et les numéros, les bénéficiaires et les dates de débit de cinq chèques pour un montant total de 586 euros de dépenses.

Il décide qu’en l'espèce, eu égard au faible nombre des opérations réalisées et à la modicité des sommes engagées, et dès lors que les documents produits permettaient de contrôler la réalité des recettes et des dépenses inscrites au compte de campagne, de s'assurer que celles-ci étaient cohérentes avec les opérations qu'il mentionne et qu'aucune autre anomalie n'apparaissait, la Commission n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement qu'elle attaque, le tribunal administratif a rejeté sa saisine.

On ne saurait trop dire que le bon sens et le sens de la mesure sont des qualités inhérentes aux juristes. La démonstration en est faite par cette décision comme elle l’avait été en première instance.

(25 janvier 2023, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), Élections départementales du canton d’Auch 2, n° 465145)

 

Environnement

 

79 - Réglementation de la pêche au maigre – Injonction au premier ministre le 8 juillet 2020 – Exécution par arrêté du 23 août 2022 – Absence de condamnation à astreinte – Requête devenue sans objet.

L’association requérante demandait la condamnation sous astreinte du ministère de l’agriculture pour défaut de mise en œuvre de la décision du 8 juillet 2020 (n°s 428271, 428276) par laquelle le Conseil d’État a jugé qu'en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale de capture du maigre à la lumière des éléments en sa possession, alors qu'aucune autre mesure adaptée n'était prise, le ministre avait méconnu les obligations découlant du principe de précaution et a, en conséquence, d’une part, annulé les décisions implicites du ministre refusant d'abroger les dispositions des arrêtés des 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 relatives à la taille minimale de capture du maigre commun, et d’autre part, enjoint à ce ministre de procéder, dans un délai d'un an, et conformément aux motifs de cette décision, au réexamen de la demande de l'association de défense des ressources marines (ADRM), demanderesse dans cette instance, tendant à la fixation de tailles minimales de capture plus élevées pour le maigre commun.

La requérante a, le 24 juin 2021, saisi le Conseil d’État sur le fondement de l’art. L. 911-5 du CJA en sa qualité de juge de l’exécution.

La requête est rejetée pour avoir perdu son objet dès lors qu’il est établi que la décision du 8 juillet 2020 a été entièrement exécutée à la date à laquelle il est statué sur le présent arrêt même si cette exécution est intervenue après expiration du délai imparti par le juge à l’administration.

La solution est regrettable en ce qu’elle ne sanctionne pas le retard d’une année mis à donner effet à une décision de justice rendue au nom du peuple français.

(06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 447363)

(80) V. aussi, identique : 06 janvier 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 458566.

 

81 - Projet susceptible d’avoir une incidence sur l’environnement ou la santé humaine – Incidence du projet pour d’autres motifs que sa dimension – Injonction au premier ministre de prendre une mesure en ce sens – Notion d’exécution d’une décision de justice – Rejet.

Par une décision n° 425424 du 15 avril 2021, le Conseil d'État a annulé le décret du 4 juin 2018 modifiant les catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale en tant qu'il ne prévoit pas de dispositions permettant qu'un projet, mentionné à l'annexe de l'article R. 122-2 du code de l'environnement, susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement pour d'autres caractéristiques que sa dimension, puisse être soumis à une évaluation environnementale et il a, en conséquence, fait injonction au premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision, les dispositions en ce sens.

Le décret du 25 mars 2022, relatif à l'évaluation environnementale des projets, a été pris pour l’exécution de cette décision de justice.

Les requérantes demandent au Conseil d'État d'assurer sous astreinte l'exécution de sa décision (cf. art. L. 911-5 et R. 931-2 CJA) et d'ordonner la communication de l'ensemble des documents préparatoires du décret du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets. 

La requête est rejetée.

D’abord il ne résulte pas des termes du décret attaqué que seraient exclus de son champ d’application les déboisements d'une surface inférieure à 0,5 ha ou, de façon générale, les demandes d'extension ou de modification relatives à un projet donné. 

Ensuite, les dispositions de ce texte « instituent bien une obligation, et non une simple option, à la charge de l'autorité compétente. »

Dès lors, et en dépit de ce que le décret d’exécution ait été pris plus de deux mois après l’expiration du délai de neuf mois imparti par la décision précitée du 15 avril 2021, cette dernière doit être considérée comme ayant été exécutée.

(20 janvier 2023, Association France Nature Environnement et association France Nature Environnement Allier, n° 464129)

 

82 - Procédure fiscale – Redevance pour pollution d’origine non domestique – Condition de la substitution de base légale – Absence de demande en ce sens de l’administration défenderesse – Méconnaissance de l’office du juge de l’impôt – Annulation sur ce point et recours à la méthode de calcul préconisée par la contribuable.

(25 janvier 2023, Société Boréalis Chimie, n° 446730)

V. n° 42

 

83 - Liste des espèces exotiques envahissantes (règlement (UE) n° 1143/2014 du 22 octobre 2014) - Absence de notification préalable de la liste à la Commission européenne – Absence d’illégalité de l’arrêté attaqué – Contrôle réduit du juge – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de l'arrêté interministériel du 28 juin 2021 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion et interdisant toutes activités portant sur des spécimens vivants.

La requête est rejetée.

Tout d’abord aucun des moyens de légalité externe n’est retenu et en particulier celui tiré de ce que la liste que l'arrêté attaqué établit des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour La Réunion n'a pas été notifiée à la Commission européenne, ainsi que le prévoierait l'art. 6 du règlement n° 1143/2014, alors que ce texte n'impose pas la notification préalable des listes établies par les États-membres ; au demeurant, il ressort des pièces du dossier que cette notification à la Commission européenne a été effectuée en septembre 2021. 

Ensuite, les moyens de légalité interne sont également rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est allégué, les dispositions du paragraphe 2 de l'art. 6 du règlement précité, si elles imposent aux États-membres comptant des régions ultrapériphériques d'adopter une liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes dans chacune de ces régions, elles ne font clairement pas obstacle à ce que, lorsque les particularités du territoire le justifient, soit prévue une interdiction d'introduire sur le territoire d'une collectivité d'outre-mer l'ensemble des espèces appartenant à une classe, un ordre ou une famille d'animaux déterminés, celle-ci étant assortie d'une énumération des espèces appartenant à cette classe, cet ordre ou cette famille qui sont expressément exclues de l'interdiction. 
En deuxième lieu, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. R. 411-1 du code de l'environnement selon lesquelles « Les espèces sont indiquées par le nom de l'espèce ou de la sous-espèce ou par l'ensemble des espèces appartenant à un taxon supérieur ou à une partie désigné de ce taxon » ne sont pas applicables aux espèces exotiques envahissantes relevant des art. L. 411-5 et L. 411-6 et ne peuvent dès lors être utilement invoquées à l'appui de la requête dirigée contre l'arrêté attaqué fixant la liste des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le règlement n° 1143/2014 ne fait pas obstacle à ce que les auteurs de l'arrêté attaqué précisent que les interdictions qu'il prévoit ne s'appliquent pas aux espèces mentionnées dans l'annexe I de l'arrêté du 9 février 2018 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces animales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion, laquelle énumère la liste des espèces exotiques pouvant y être introduites.

Enfin et surtout, le juge indique expressément n’exercer qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation sur la fixation par les ministres concernés de la liste des espèces exotiques envahissantes. Ainsi en va-t-il de ce que, à la différence de l'arrêté du 1er avril 2019 relatif à la prévention de l'introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire de La Réunion qui a dressé une liste exhaustive des espèces végétales dont l'introduction est interdite sur ce territoire, l’arrêté querellé interdit des classes, ordres ou familles entières d'animaux, en excluant de cette interdiction seulement quelques espèces.

(25 janvier 2023, Association Réunion Biodiversité, n° 460440)

 

84 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

V. n° 108

85 - Lutte contre la pollution atmosphérique – Classification des véhicules pour l’attribution de certificats de qualité de l’air en fonction de leur niveau d’émission de polluants – Incompétence de l’autrice de la décision – Procédure irrégulière – Annulation.

Les sociétés requérantes poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 11 avril 2022 modifiant l'arrêté du 21 juin 2016 établissant la nomenclature des véhicules classés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques en application de l'art. R. 318-2 du code de la route.

Cet arrêté définit la catégorie des « véhicules biodiesel », qui ont pour source d'énergie le biogazole de type B100, dont les caractéristiques sont définies par un arrêté du 29 mars 2018, et d'en fixer la classification dans cette nomenclature. De plus, cet arrêté modifie la définition des véhicules à essence.

Les véhicules biodiesel de la catégorie des poids lourds, autobus et autocars bénéficient, lorsqu'ils sont soumis à la norme EURO VI ou immatriculés pour la première fois à partir du 1er janvier 2014, d'un certificat de qualité de l'air de classe 1.

L’arrêté est annulé en tant que, pris par la seule ministre de la transition écologique, alors que le II de l'art. R. 318-2 du code de la route, prévoit que les critères de classement des véhicules comme les conditions d'application de cet article sont fixés par arrêté des ministres chargés de l'environnement, des transports et de l'intérieur. Il est donc entaché d’incompétence.

L’arrêté a été pris au terme d’une procédure irrégulière car, en permettant la circulation d'une catégorie de véhicules, dont il n'est pas contesté qu'ils émettent des polluants atmosphériques, doit être regardé comme ayant une incidence directe et significative sur l'environnement, au sens des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement. Son adoption devait donc être précédée, à peine d'illégalité, d'une consultation préalable du public conformément à ces dispositions. 

(25 janvier 2023, Société Gaz'up, société Primagaz, société Proviridis et société Endesa Energia, n° 465058)

 

86 - Autorisation d’implantation d’éoliennes – Procédure - Autorité environnementale devant disposer d’une autonomie réelle (art. 6, directive du 13 décembre 2011) – Absence – Rejet.

Réitération d’une jurisprudence désormais bien établie sur la base de l’art. 6 de la célèbre directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement telle que l’interprète la CJUE et qui pose l’exigence d’une réelle autonomie de l’autorité environnementale chargée d’évaluer un projet.

Ceci conduit aux deux solutions suivantes :

1°/ « Lorsque le préfet de région est l'autorité compétente pour autoriser le projet, en particulier lorsqu'il agit en sa qualité de préfet du département où se trouve le chef-lieu de la région, ou dans les cas où il est chargé de l'élaboration ou de la conduite du projet au niveau local, si la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable, définie par le décret du 2 octobre 2015 relatif au Conseil général de l'environnement et du développement durable et les art. R. 122-21 et R. 122-25 du code de l'environnement, peut être regardée comme disposant, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences résultant de la directive, il n'en va pas de même des services placés sous son autorité hiérarchique, comme en particulier la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). » 

2°/ « Lorsque le projet est autorisé par un préfet de département autre que le préfet de région, l'avis rendu sur le projet par le préfet de région en tant qu'autorité environnementale doit, en principe, être regardé comme ayant été émis par une autorité disposant d'une autonomie réelle répondant aux exigences de l'article 6 de la directive du 13 décembre 2011, sauf dans le cas où c'est le même service qui a, à la fois, instruit la demande d'autorisation et préparé l'avis de l'autorité environnementale. En particulier, les exigences de la directive, tenant à ce que l'entité administrative appelée à rendre l'avis environnemental sur le projet dispose d'une autonomie réelle, impliquant notamment qu'elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui soient propres, ne peuvent être regardées comme satisfaites lorsque le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, à moins que l'avis n'ait été préparé, au sein de cette direction, par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales. »

En l’espèce, l'avis de l'autorité environnementale a été émis par le préfet de la région Champagne-Ardennes sur la décision attaquée prise par le préfet du département de la Haute-Marne à une date antérieure à l'entrée en vigueur du décret du 28 avril 2016 portant réforme de l'autorité environnementale, avait été préparé par le pôle environnement durable-évaluation environnementale relevant de la mission connaissance et développement durable spécifiquement chargé de l'instruction des avis de l'autorité environnementale, mais relevant, comme le service ayant procédé à l'instruction de la demande d'autorisation, de l'autorité du directeur régional de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).

Dans ces conditions, la cour administrative d'appel n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011.

(25 janvier 2023, Société Haut-Vannier, n° 448911 ; ministre de la transition écologique, n° 449054, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

87 - Décret autorisant un changement de nom – Procédure de relèvement de nom susceptible de tomber en déshérence (art. 61 Code civil) – Nécessité d’un intérêt légitime à cette procédure – Absence de risque d’extinction – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 21 décembre 2021 portant changement de noms, en ce qu'il a autorisé M. J. Bolelli, Mme L. Bolelli et M. L. Bolelli. à changer leur nom en « Bolelli Fleuriot de Langle ».

Il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l’art. 61 du Code civil que « La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré (...) ».

En l’espèce, les consorts Bolelli ont demandé à adjoindre à leur nom celui de leur mère et grand-mère, en invoquant leur intérêt légitime au relèvement de ce nom, menacé selon eux d'extinction, illustré notamment par leur ascendant aux sixième et septième degrés, Paul Antoine Marie Fleuriot vicomte de Langle, second de la tragique expédition de La Pérouse et commandant de l'Astrolabe, dont ils s'attachent à perpétuer la mémoire.

Le juge relève cependant que ce nom, porté par M. Fleuriot de Langle et par ses deux enfants, descendants aux troisième et quatrième degrés, comme les consorts D., de Jean-Charles Fleuriot de Langle, n'est pas menacé d'extinction.

Dans ces conditions, les intéressés ne justifient pas d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom, en application du premier comme du deuxième alinéa de l'art. 61 du code civil. Le décret attaqué est annulé.

(25 janvier 2023, M. et Mme Fleuriot de Langle, n° 461746)

 

88 - Décret de retrait de la nationalité française (art. 23-8 Code civil) – Contestation – Recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Le demandeur contestait le décret lui retirant la nationalité française sur le fondement des dispositions de l’art. 23-8 du Code civil selon lesquelles : « Perd la nationalité française le Français qui, occupant un emploi dans une armée ou un service public étranger ou dans une organisation internationale dont la France ne fait pas partie ou plus généralement leur apportant son concours, n'a pas résigné son emploi ou cessé son concours nonobstant l'injonction qui lui en aura été faite par le Gouvernement. L'intéressé sera, par décret en Conseil d'État, déclaré avoir perdu la nationalité française si, dans le délai fixé par l'injonction, délai qui ne peut être inférieur à quinze jours et supérieur à deux mois, il n'a pas mis fin à son activité. »

Si le recours est rejeté c’est surtout l’aspect contentieux qui retient l’attention car, pour la première fois, nous semble-t-il le Conseil d’État admet, implicitement mais nécessairement, que le recours en annulation dirigé contre un décret fondé sur l’art. 23-8 du Code civil est un recours pour excès de pouvoir.

(25 janvier 2023, M. A., n° 466223)

 

Étrangers

 

89 - Ressortissants géorgien et ukrainien – Rejet de la demande d’asile comme de délivrance d’un titre de séjour – Ordre de quitter le territoire français – Référé liberté exceptionnellement admis au regard des circonstances très particulières de l’espèce – Annulation de l’ordonnance de référé.

En principe la formation par un étranger d’un recours en référé liberté (L. 521-2 CJA) contre une obligation de quitter le territoire français (OQTF) non assortie d'un délai de départ volontaire est irrecevable car la procédure spéciale organisée par l'art. L. 614-6 du CESEDA présente des garanties au moins équivalentes à celles des procédures régies par le livre V du code de justice administrative. Il s’ensuit que cette procédure spéciale est, par suite, exclusive de celle de droit commun.

Toutefois, le juge rappelle qu’exception est faite à ce principe d’irrecevabilité en cas ce circonstances particulières notamment lorsque les modalités selon lesquelles il est procédé à l'exécution d'une obligation de quitter le territoire français emportent des effets qui, en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait survenus depuis l'intervention de cette mesure et après que le juge, saisi sur le fondement du CESEDA, a statué ou que le délai prévu pour le saisir a expiré, excèdent ceux qui s'attachent normalement à sa mise à exécution.

Il est ici fait application de cette réserve pour admettre la recevabilité du référé liberté introduit et pour, au fond, ordonner la suspension de la mesure d’OQTF.

En effet, le requérant a fait valoir, après l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile confirmant le rejet de sa demande, l'impossibilité matérielle dans laquelle se trouve actuellement la fille aînée de son épouse, mineure de nationalité ukrainienne à leur charge, d'obtenir de l'ambassade d'Ukraine en France le passeport qu'elle a sollicité dans le cadre de la poursuite de son contrat d'apprentissage, document d'identité sans lequel elle ne peut pas voyager à l'étranger et, le cas échéant, accompagner sa mère en Géorgie si elle veut rejoindre son époux. Il résulte également de l'instruction, notamment des dispositions produites de la loi organique relative à la nationalité géorgienne, que, d'une part, Mme F., dont les deux parents sont ukrainiens, ne peut revendiquer la nationalité géorgienne, et, d'autre part, que les enfants C. et E. ne pourraient pas davantage prétendre à cette nationalité. S'il est vrai qu'il n'est pas établi que ces derniers ne disposeraient pas d'un droit au séjour en Géorgie en raison de leur lien filial avec un ressortissant géorgien, tel n'est pas le cas pour la première, qui est dépourvue de tout lien avec la Géorgie et dont l'admissibilité à un séjour légal en Géorgie est par conséquent indéterminée selon les pièces versées à l'instruction.

C’est pourquoi le Conseil d’État annule l’ordonnance de référé rejetant ce recours au vu, d’une part, des « conditions très particulières de difficultés matérielles liées à l'obtention, dans les circonstances actuelles, de documents d'identité ukrainiens et des incertitudes juridiques sur la possibilité de reconstituer de manière légale la cellule familiale en Géorgie » et, d’autre part, de ce que « la mise à exécution de l'obligation de quitter le territoire français dont fait l'objet M. E. pourrait avoir pour effet une séparation de l'intéressé d'avec son épouse et au moins une partie de leurs enfants pour un durée indéterminée, voire de manière durable ou définitive ».

Un tel risque révèle que la décision contestée porterait une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du demandeur (cf. art. 8 de la convention EDH) et à l'intérêt supérieur de ses enfants (cf. art. 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant) En conséquence, sans que soit remise en cause la décision d’OQTF « qui n’est pas caduque », cette mesure, par ses effets, excède ici ceux qui s'attachent normalement à la mise à exécution d'une obligation de quitter le territoire français, d’où la suspension ordonnée par le juge d’appel.

(02 janvier 2023, M. E., n° 469912)

 

90 - Obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire – Notification d’un délai erroné pour la saisine du juge – Demande d’aide juridictionnelle impuissante à prolonger le délai dans le cas d’un recours contre l’OQTF – Rejet.

L’intéressé s’est vu notifier une décision portant obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire avec indication de la possibilité de la contester dans un délai de trente jours devant le tribunal administratif alors que ce délai est en réalité de quinze jours.

Selon l’art. R. 421-5 du CJA, lorsque les mentions relatives aux délais de recours contre une décision administrative figurant dans la notification de cette décision sont erronées, elles doivent être regardées comme seules opposables au destinataire de la décision lorsqu'elles conduisent à indiquer un délai plus long que celui qui résulterait des dispositions normalement applicables.

De plus, en l’espèce, l’intéressé avait demandé le bénéfice de l’aide juridictionnelle ce qui constitue normalement un motif de prorogation du délai de recours contentieux.

En l’espèce et alors que le tribunal avait jugé tardive cette demande d’aide juridictionnelle formulée après l’expiration du délai de trente jours, le pourvoi est rejeté motif pris de ce que l’art. L. 512-1 du CESEDA permet à l’étranger qui conteste l’OQTF de demander au président du tribunal, dès la saisine de celui-ci, par une requête susceptible d'être motivée même après l'expiration du délai de recours, le concours d'un interprète et la désignation d'office un avocat. 

(06 janvier 2023, M. D., n° 461471)

 

91 - Ressortissant algérien faisant l’objet de deux OQTF et de trois interdictions temporaires de retour en France – Qualité de demandeur d’asile en Allemagne non établie – Rejet.

Le requérant, qui a fait l’objet de mesures d’OQTF assorties d’interdiction de retour sur le territoire français contestait par voie de référé liberté l’ordonnance du tribunal administratif de Pau refusant de lui accorder la suspension de l'arrêté du 2 juillet 2022 portant à nouveau OQTF.

Il se prévalait de deux moyens tant devant le premier juge qu’en appel.

Il invoquait d’abord un pur moyen de procédure en arguant de ce que l'ordonnance avait été irrégulièrement rendue en première instance car alors qu'il critiquait la mise en rétention ordonnée par le préfet de Corrèze, sa requête a été communiquée au préfet de la Haute-Vienne et qu’ainsi n’avait pas été respecté le caractère contradictoire de la procédure. Le moyen est rejeté car la mesure litigieuse dont il demandait la suspension a bien été prise par le préfet de la Haute-Vienne.

Il invoquait ensuite l’existence d’un fait nouveau à savoir son enregistrement comme demandeur d’asile en Allemagne, ce qui ferait obstacle à l’exécution de la mesure querellée.

Le moyen, comme en première instance, est rejeté car il n’est corroboré « que par la production de la copie du verso d'un document présenté comme une carte d'entrée sur le territoire émise par l'Allemagne, dont la validité a au demeurant expiré, copie qui, si elle mentionne le nom du requérant, ne permet nullement de l'identifier. Cette seule circonstance, comme l'a relevé le premier juge, ne suffit pas à établir la qualité de demandeur d'asile en Allemagne, (fait) naître un doute sérieux sur la vraisemblance de cette qualité tardivement revendiquée et qui n'est assortie d'aucune précision circonstancielle, ne rendant ainsi en rien nécessaire qu'il soit procédé à des mesures d'instruction supplémentaires. La circonstance que le résultat de la consultation de la borne " eurodac " ne soit pas produite par l'administration est sans incidence sur l'appréciation portée par le premier juge, qui n'est entachée d'aucune erreur. »

(ord. réf. 20 janvier 2023, M. A., n° 470486)

 

Fonction publique et agents publics – Agent des services publics

 

92 - Éviction illégale d’un agent public contractuel de son emploi – Reconstitution de ses droits sociaux – Refus de signer des avenants au contrat – Rejet de la demande de prescrire de nouvelles mesures d’exécution d’un arrêt – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, par un arrêt du 3 octobre 2019, enjoint une université de réintégrer la requérante à compter de la date de son licenciement et de reconstituer ses droit sociaux, rejette la demande d’exécution de cet arrêt formée par celle-ci aux motifs qu’elle a refusé de signer les deux avenants à son contrat proposés par l'université accroissant sa rémunération, en raison d'un désaccord sur le montant de cette dernière et que ce refus faisait obstacle à la reconstitution des droits sociaux de l'intéressée.

En effet, cette reconstitution pouvait être effectuée par l'université sur la base de la rémunération fixée par le contrat à la date de son éviction illégale, éventuellement augmentée du montant résultant de l'application des textes retenue par l'administration, dont la contestation - le cas échéant - par la requérante relèverait d'un litige distinct de celui tranché par l'arrêt du 3 octobre 2019.

(06 janvier 2023, Mme D., n° 460794)

 

93 - Mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique (décret du 11 février 2016, art. 3) – Circulaire d’application aux agents de l’administration centrale des ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur – Limitation à deux jours par semaine du recours au télétravail – Définition du télétravail et fixation de ses lieux d’exercice – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’une circulaire ministérielle (éducation nationale et enseignement supérieur) du 6 juin 2018 appliquant à l’administration centrale de ces ministères les dispositions du décret du 11 février 2016 relatif aux conditions et modalités de mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique et la magistrature.

Est tout d’abord rejeté le grief fondé sur l’incompétence des ministres signataires de la circulaire car le décret se bornant à fixer un plafond de quotité d’activités susceptibles d’exercice en forme de télétravail, il incombait aux ministres concernés, titulaires du pouvoir d’organiser les services placés sous leur autorité (cf. Section, 7 février, Jamart) d’établir le régime du télétravail y étant applicable.

Ensuite, étaient contestés la fixation par la circulaire des lieux d’exercice du télétravail ainsi que son non-respect d’un accord du 13 juillet 2021 relatif à la mise en œuvre du télétravail dans la fonction publique. Les moyens sont rejetés car, d’une part, cet accord, ne comportant aucune disposition à caractère réglementaire, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante et ne saurait donc servir de base à la contestation de la légalité de la circulaire attaquée et, d’autre part, les ministres concernés sont restés dans les bornes des dispositions du décret en limitant, en leur qualité de chefs de service, les lieux dans lesquels peut être exercée l'activité en télétravail.

(06 janvier 2023, M. D., n° 461085 ; Association syndicale des attachés d'administration de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de la jeunesse et des sports (ASAMEN), n° 462534, jonction)

 

94 - Corps des chargés de recherche – Possibilité, sous conditions, d’un reclassement rétroactif – Modalités applicables aux personnes « en fonctions » à la date d’entrée en vigueur du décret – Principe d’égalité et différence de traitement – Portée de la rétroactivité – Rejet.

Le syndicat requérant demandait, d’une part, l’annulation de l'art. 5 du décret n° 2022-262 du 25 février 2022 modifiant les dispositions statutaires communes aux corps de fonctionnaires des établissements publics scientifiques et technologiques et, d’autre part, qu’injonction soit faite au premier ministre de prendre un décret ouvrant le bénéfice du reclassement rétroactif prévu par l'art. 47 de la loi n° 2020-1674 du 24 décembre 2020 à tous les chargés de recherche, à compter de la date de leur prise de fonctions dans ce corps, sans autre condition que d'avoir été titularisés dans le corps des chargés de recherche avant l'entrée en vigueur des règles de classement modifiées par décret et de présenter une demande de reclassement dans un délai de neuf mois à compter de la date de publication du décret rectificatif à intervenir.

Le recours est, sans surprise, rejeté.

Tout d’abord, le juge relève que l'art. 5 du décret attaqué, contrairement à ce qui est soutenu, ne méconnaît pas l'art. 47 de la loi du 24 décembre 2020 sur la base duquel il a été pris et qu’il n’est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation. En effet, l’intention du législateur, en adoptant cette disposition, était d’éviter que les plus jeunes chercheurs, recrutés peu de temps avant la modification des règles de classement, ne soient placés dans une situation moins favorable que ceux recrutés postérieurement à cette modification. L’auteur du décret querellé a ainsi légalement pu prévoir que les nouvelles modalités de classement sont susceptibles de bénéficier aux chargés de recherche titulaires « en fonctions » à la date d'entrée en vigueur dudit décret, y compris lorsqu'ils sont placés en position de détachement ou de disponibilité. 

Ensuite, ne porte pas atteinte au principe d’égalité la différence de traitement instituée par le décret litigieux entre les personnes qui appartiennent au corps des chargés de recherche à la date de son entrée en vigueur et celles qui n'appartiennent plus à ce corps car cette différence, qui est en rapport avec l'objectif poursuivi par le législateur, n'est pas manifestement disproportionnée.

Enfin, sur la question de la rétroactivité possible de la mesure de reclassement, le juge observe que si le législateur a autorisé le pouvoir réglementaire à appliquer de manière rétroactive les nouvelles modalités de classement aux chargés de recherche déjà titularisés, il n'a pas entendu que les reclassements en résultant produisent effet dès leur entrée dans le corps des chargés de recherche. C’est pourquoi n’est pas illégal le choix de la date du 1er janvier 2021 pour la prise d’effet de ce reclassement.

(06 janvier 2023, Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS-FSU) et autres, n° 463556)

 

95 - Ouvriers de l’État – Agents n’ayant pas la qualité de fonctionnaires – Absence d’application de l’art. 34 de la Constitution – Compétence du pouvoir réglementaire – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours en annulation de la décision implicite par laquelle a été rejetée la demande des requérants tendant à l'abrogation du II de l'art. 2 du décret du 30 décembre 2016 relatif à certains éléments de rémunération des personnels à statut ouvrier relevant du ministère de la défense.

Pour rejeter le moyen tiré de l’incompétence du pouvoir réglementaire en cette matière, le juge rappelle que les ouvriers de l’État n’ayant pas la qualité de fonctionnaires les règles qui leur sont applicables ne relèvent pas du domaine de la loi et, s’agissant de celles relatives à la détermination de leur rémunération, elles ne mettent en cause aucun des règles et principes relevant de la compétence du pouvoir législatif.

(06 janvier 2023, M. C. et autres, n° 463631)

 

96 - Syndicat de fonctionnaires – Recours pour excès de pouvoir en lieu et place des agents publics concernés – Litiges portant sur la rémunération - Irrecevabilité manifeste pour défaut de qualité à agir – Rejet.

Rappel d’un principe constant régissant les recours contentieux formés par un syndicat de fonctionnaires et agents publics.

De tels recours sont irrecevables dès lors qu’ils ne tendent qu’à demander l’annulation pour excès de pouvoir d’une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues car, en ce cas, le syndicat est manifestement sans qualité pour agir.

(06 janvier 2023, Syndicat FEETS-FO, n° 464153)

 

97 - Minimum de traitement versé dans la fonction publique – Augmentation de l’indice majoré correspondant à ce minimum – Recours en annulation infondé – Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret du 20 avril 2022 portant relèvement du minimum de traitement dans la fonction publique et portant de 343 à 352 l'indice majoré correspondant à ce minimum de traitement.

Le recours est rejeté au visa du principe général du droit, applicable à tout salarié et dont s'inspire l'art. L. 3231-2 du code du travail, selon lequel les agents publics ont droit à un minimum de rémunération (cf. Section, 23 avril 1982, Ville de Toulouse c/ Aragnou, n° 36851) qui, en l'absence de disposition plus favorable pour la catégorie de personnel à laquelle l'intéressé appartient, ne saurait être inférieur au salaire minimum de croissance défini à l'art. L. 3231-2 de ce code.

Par ailleurs, ce décret, ce disposant, ne contrevient pas à la règle instituée par le quatrième alinéa de l'art. L. 522-2 du code général de la fonction publique, selon laquelle tout avancement d'échelon se traduit par une augmentation de traitement. 

(06 janvier 2023, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 464463)

 

98 - Sanction disciplinaire – Interdiction d’une double sanction à raison des mêmes faits et à l’égard de la même personne – Rejet.

Rejetant le recours formé par un lieutenant de gendarmerie contre la sanction de blâme qui lui a été infligée, la présente décision rappelle qu’en vertu d’un principe général du droit l’autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. Ainsi, cette autorité, lorsqu’elle a pris une première décision définitive à l'égard d'une personne qui faisait l'objet de poursuites à raison de certains faits, ne peut ensuite engager de nouvelles poursuites à raison des mêmes faits en vue d'infliger une sanction.

Le juge précise en outre que cette règle s'applique aussi bien lorsque l'autorité avait initialement infligé une sanction que lorsqu'elle avait décidé de ne pas en infliger une. 

C’est là une application très bienveillante de ce principe général du droit.

(06 janvier 2023, M. C., n° 464486)

 

99 - Agent territorial – Admission à la retraite sans rente invalidité – Contestation de cette décision par divers moyens – Rejet.

La requérante, adjoint technique territoriale dans des écoles maternelles a été placée durant de longues périodes en congés maladie de diverses natures puis mise à la retraite sans l’octroi d’une rente invalidité celle-ci lui ayant été refusée. Son recours contre cette dernière décision ayant été rejeté elle saisit d’un pourvoi le Conseil d’État.

La requête est rejetée.

Le juge rappelle tout d’abord qu’une rente invalidité ne peut être servie qu’en cas de maladie imputable au service or une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

Il résulte du dossier de l’intéressée que si elle a été à plusieurs reprises et sur une durée de dix ans environ placée en congé maladie ou de longue maladie ou de longue durée, il n’apparaît pas que cela fût imputable au service ou aggravé par celui-ci.

Si est invoqué un harcèlement moral décrit par des médecins, s’est sans erreur de droit que les premiers juges ont relevé que l'appréciation de faits caractérisant un harcèlement moral dépassait le cadre strictement médical de la mission confiée aux médecins qui les ont évoqués.

Ensuite aucun des certificats médicaux produits ne s’est prononcé sur l'existence d'un lien entre ses conditions de travail et la maladie développée ; de plus, si la commission de réforme a, dans un premier temps, supposé l’existence d’un tel lien, elle est revenue sur ce point par la suite, écartant tout lien. Pareillement, l’enquête administrative diligentée par le maire sur les faits prétendus de harcèlement moral ne s’est pas prononcée sur l’imputabilité de la maladie au service.

C’est donc sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal l’a déboutée de son action.

(17 janvier 2023, Mme A., n° 461068)

 

100 - Agent de l’administration pénitentiaire – Adjoint de sécurité non titulaire – Nomination en qualité d’élève surveillant – Refus de reprise des services exercés en qualité de non titulaire – Illégalité – Rejet pour défaut de motivation de la requête – Annulation sans renvoi (examen au fond).

Le requérant, qui avait été recruté le 2 novembre 2010 en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire au ministère de l'intérieur, a été informé le 19 août 2016, qu'il avait été déclaré apte à la fonction de surveillant de l'administration pénitentiaire et que sa nomination en qualité d'élève surveillant serait prononcée le 17 octobre 2016, date de début de sa scolarité à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP).

L’intéressé a donc présenté sa démission comme agent non titulaire à compter du 16 octobre 2016, en précisant être convoqué à l'ENAP le 17 octobre 2016 et en joignant sa convocation. Il a été nommé le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP à compter du 17 octobre 2016 avant d'être nommé stagiaire dans le corps des personnels d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire puis d'être titularisé dans le grade de surveillant de ce corps à compter du 18 juin 2018.

Par une décision du 8 mars 2019, ministre de la justice, a rejeté la demande du requérant tendant à la reprise de ses services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire du 2 novembre 2010 au 16 octobre 2016.

M. A. se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif sur le fond rejetant son recours contre le rejet de sa demande par le ministre de la justice. Le Conseil d’État lui donne raison.

D’abord, s’agissant de l’arrêt d’appel  son annulation résulte de ce qu’il repose sur une erreur de droit pour avoir jugé que le requérant n'était pas fondé à demander l'annulation de la décision du ministre de la justice refusant de prendre en compte les services effectués en qualité d'adjoint de sécurité non titulaire puisqu'il avait cessé d'exercer ses fonctions d'adjoint de sécurité le 16 octobre 2016 et qu'il n'avait donc plus la qualité d'agent non titulaire de l'État à la date de sa nomination le 17 octobre 2016 en qualité d'élève surveillant à l'ENAP. En effet, il ressortait des pièces du dossier que l'intéressé n’avait démissionné de ses fonctions le 16 octobre 2016 que dans le but de commencer sa scolarité à l'ENAP le lendemain.

Ensuite, l’arrêt étant cassé, restait à examiner le jugement : il est lui aussi cassé car, pour rejeter la demande dont le requérant les avait saisi les premiers juges ont considéré qu’elle était irrecevable faute de comporter une motivation alors que son auteur faisait valoir la nécessaire prise en compte de ses fonctions exercées en tant qu'adjoint de sécurité non titulaire jusqu'au 16 octobre 2016 et précisait avoir quitté ces fonctions afin de pouvoir commencer sa scolarité à l'ENAP le 17 octobre 2016. Sa demande satisfaisait ainsi à l'exigence de motivation requise par l'article R. 411-1 du CJA.

Statuant au fond, le juge de cassation prononce l’annulation de la décision querellée du ministre de la justice.

Il aura fallu pour cela, dans un litige ne présentant aucune difficulté particulière, attendre près de quatre années sa résolution : c’est trop, beaucoup trop.

(25 janvier 2023, M. A., n° 456535)

 

101 - Conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire – Liquidation de la pension de retraite – Obligation de prendre en compte la bonification indiciaire – Absence d’erreur de droit – Rejet.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce que prétend le ministre demandeur au pourvoi, qu’un tribunal administratif juge qu’il résulte de la combinaison des dispositions du premier alinéa de l'article 1er du décret du 11 avril 1988 fixant le régime de rémunération applicable à certains emplois de direction d'établissements d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 2 du décret du 11 décembre 2001 portant statut particulier du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale, de celles de l’art. 1er du décret du 20 octobre 2016 relatif aux emplois fonctionnels des services déconcentrés de l'éducation nationale ainsi que de celles de l’art. L. 421-1 du code de l’éducation, que les fonctions de conseiller technique de recteur ou de vice-recteur pour les établissements et la vie scolaire, nouvelle dénomination des « proviseurs vie scolaire », font partie des fonctions entrant dans le champ du II de l'art. 6 du décret du 11 avril 1988 qui ouvrent droit, pour les agents du corps des personnels de direction d'établissement d'enseignement ou de formation relevant du ministre de l'éducation nationale détachés sur un tel emploi fonctionnel, au bénéfice de la bonification indiciaire prévue par ce décret.

Il s’ensuit que c’est à bon droit qu’il a jugé que l’intéressée avait droit au bénéfice d'une bonification indiciaire de 130 points et donc à une rémunération sur la base de l'indice 1143 pour le calcul de ses droits à pension de retraite.

Est donc rejeté le pourvoi du ministre prétendant que le tribunal se serait fondé sur une rémunération résultant de la conservation à titre personnel d'un indice antérieurement détenu pour déterminer les droits à pension de l’intéressée.

(27 janvier 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460577)

 

102 - Médecin urgentiste - Agent hospitalier contractuel – Contrats successifs à durée déterminée – Encadrement impossible de l’activité de chirurgien – Licenciement - Existence d’un contrat à durée indéterminée – Absence – Rejet.

Le requérant, médecin urgentiste employé contractuel d’un centre hospitalier, a demandé l’annulation du licenciement dont il a fait l’objet ainsi que le versement de son traitement depuis cette date et sa réintégration.

Il se pourvoit en cassation d’un arrêt qui a seulement légèrement augmenté le montant de l’indemnité allouée en première instance mais rejeté toutes ses autres demandes formées dans son appel.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, eu égard aux dispositions des art. L. 6152-1 et R. 6152-610 du code de la santé publique, le contrat de trois ans conclu en dernier lieu par le praticien requérant ne peut pas, faute de décision expresse de son employeur, être requalifié en contrat à durée indéterminée.

Ensuite, il en va de même pour « le contrat d’engagement de servir » conclu en février 2016 entre le requérant et le centre hospitalier, la cour ayant estimé, en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation, que ce contrat ne constituait pas un contrat à durée indéterminée se substituant au contrat à durée déterminée de trois ans dont l'intéressé était titulaire à compter du 1er septembre 2014.

Également, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en se fondant sur les dispositions de l’art. R. 6152-610 du code de la santé publique (lequel dispose : « Les praticiens attachés sont recrutés pour un contrat d'une durée maximale d'un an, renouvelable dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre mois. / (...) A l'issue de cette période de vingt-quatre mois, le renouvellement s'effectue par un contrat de trois ans, renouvelable de droit, par décision expresse. A l'issue du contrat triennal, le renouvellement s'effectue par un contrat à durée indéterminée. (...) », non sur celles de l’art. R. 6152-629 retenu par le tribunal administratif.

(27 janvier 2023, M. A., n° 451516)

 

Libertés fondamentales

 

103 - Demande d’asile – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Caractère suspensif d’exécution de l’OQTF du fait de la saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

Une ressortissante haïtienne qui s’est vue refuser le bénéfice du droit d’asile ou de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, a contesté ce refus et, tandis que son action en justice est pendante devant la CNDA, demande au juge des référés du Conseil d’État, sur le fondement de l’art. L. 521-2 du CJA, l’annulation de l’ordonnance rendue par le juge du référé liberté du tribunal administratif de Guadeloupe, rejetant sa demande de suspension de la décision d’OQTF prise à son encontre.

Le recours est rejeté

Le Conseil d’État juge d’abord qu’il n’y a pas d’urgence à statuer en l’espèce puisque, par l’effet de sa saisine de la CNDA, l’exécution de l’OQTF est suspendue jusqu’à reddition de la décision de cette dernière. Il juge ensuite qu’il n’est pas non plus porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale de l’intéressée en dépit de l’état de santé physique et psychologique dont elle se prévaut et de la situation de violence en Haïti ainsi qu'en attesterait un communiqué du Haut-commissariat des réfugiés du 3 novembre 2022 demandant aux États de mettre fin au renvoi forcé des ressortissants haïtiens dans ce pays ; pas davantage, faute d'éléments circonstanciés et suffisamment étayés, la requête n'établit l’existence d’une telle atteinte, la seule production d'un certificat médical daté du 8 décembre 2022 selon lequel Mme B. nécessiterait un suivi médical à raison de troubles gynécologiques et de douleurs dorsales, et d'un signalement du 13 décembre 2022 de la Cimade attirant l'attention de l'OFPRA sur la situation de vulnérabilité particulière de l'intéressée, se manifestant par du stress, de l'angoisse et une certaine confusion à raison de traumatismes vécus en Haïti avant sa fuite en 2018, d'un accident de voiture subi la même année et de sa grande précarité ne permettent pas, non plus, d’apercevoir une telle atteinte. Enfin, la seule invocation de la situation sécuritaire particulièrement dégradée en Haïti ne saurait justifier le prononcé d'une telle mesure de rapatriement dès lors qu'il résulte de l'instruction que Mme B. réside actuellement, ainsi qu'il ressort de son mémoire en réplique enregistré le 29 décembre 2022, à Port-au-Prince, « à l'abri dans un hôtel loin des [gangs] ».

(ord. réf. 09 janvier 2023, Mme B., n° 469996)

 

104 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

V. n° 115

 

105 - Personnes bénéficiaires de la protection subsidiaire dans l’un des États de l’Union – Impossibilité de solliciter cette protection auprès d’un autre État membre – Admission au séjour en France – Possibilité d’y demander l’asile ou la protection subsidiaire – Annulation.

Dans cette importante décision, très favorable à une extension considérable du droit d’asile, le Conseil d’État statue sur un pourvoi de ressortissants syriens contre une décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) confirmant le rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) comme irrecevables de leurs demandes d’asile au motif que les autorités espagnoles leur avaient reconnu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2014. 

Ayant par la suite été admis au séjour en France le 1er décembre 2017, les requérants ont présenté des demandes de réexamen de leurs demandes d'asile, qui ont été rejetées par l'OFPRA, confirmé par la CNDA dans ses décisions du 26 mars 2021 contre lesquelles ils se pourvoient en cassation. 

Très pédagogiquement le Conseil d’État expose le mécanisme complexe de combinaison du droit national de l’asile et du régime européen de traitement des étrangers demandeurs à l’asile ou, à défaut, à la protection subsidiaire.

Tout d’abord, le principe est qu’en vertu des dispositions de l'art. L. 723-11 du CESEDA, la personne qui s'est vu reconnaître le bénéfice de la protection subsidiaire dans un État membre de l'Union européenne, sur le fondement de persécutions subies dans l'État dont elle a la nationalité, ne peut plus normalement, aussi longtemps que le bénéfice de cette protection lui est maintenu et effectivement garanti dans l'État qui lui a reconnu ce statut, revendiquer auprès d'un autre État membre le bénéfice d'une protection conventionnelle ou subsidiaire à raison de ces persécutions dès son entrée sur le territoire de cet État.

Ensuite, dans le cas où cet étranger a été admis au séjour par cet État, il lui est toujours loisible d'y déposer une demande d'asile.

Ceci est déduit par le juge des dispositions du droit de l’Union.

Enfin, en France, lorsque cette demande a été déposée auprès de l'OFPRA, celui-ci est légalement tenu d'examiner si, au regard des persécutions dont la personne établit qu'elle serait, à la date de sa demande, menacée dans le pays dont elle a la nationalité, elle est fondée à demander le bénéfice de l'asile conventionnel et, à défaut, de la protection subsidiaire.

De plus, et ceci est plus difficilement compatible avec le droit de l’Union nous semble-t-il, il est jugé qu’il en va de même dans le cas où l'admission au séjour ayant été accordée après le rejet d'une première demande d'asile, la demande présentée après cette admission prend la forme d'une demande de réexamen.

Un renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg ne nous serait pas apparu superflu.

(25 janvier 2023, M. C. et autres, n° 460094)

 

Police

 

106 - Autorisation municipale de déplacement intra-communal d’un débit de tabacs – Maire agissant comme agent de l’État – Combinaison de ses pouvoirs avec ceux du préfet – Définition préfectorale du périmètre de protection des mineurs visant les débits de boissons et absence d’un tel périmètre pour les débits de tabac – Silence suppléé par la réglementation relative aux débits de boissons – Rejet.

Le demandeur a obtenu par arrêt confirmatif l’annulation de l’arrêté municipal autorisant le déplacement d’un débit de tabacs exploité par Mme A.

Le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation de cet arrêt. Il est débouté de ses prétentions.

Le juge rappelle qu’en ce domaine le maire agit comme agent de l’État et qu’ainsi il se trouve tenu de respecter les règles de distance relatives à l'implantation des débits de tabac prises pour la fixation du périmètre de protection des mineurs par le préfet par suite des dispositions combinées des art. L. 3335-1 et L. 3511-2-2, devenu l'article L. 3512-10, du code de la santé publique. Pareillement, le préfet prend un arrêté similaire s’agissant des débits de boissons.  Or, en l’espèce, si le préfet avait bien pris un arrêté pour ce qui concerne les débits de boissons, il ne l’avait pas fait pour les débits de tabacs d’où se posait la question de savoir si le maire était tenu néanmoins par sa subordination fonctionnelle au préfet ou si son arrêté, en matière de débits de tabac, n’était pas soumis à une telle subordination. Le Conseil d’État, confirmant la cour, juge que le maire devait appliquer pour ces derniers débits les distances fixées par le préfet dans son arrêté relatif aux débits de boissons.

La solution est plus expédiente que franchement respectueuse du droit positif et elle est, pour cela, bienvenue compte tenu de la matière à réglementer.

(13 janvier 2023, M. D., n° 453434)

 

107 - Police des mines – Installations minières – Déclaration d’arrêt définitif de travaux miniers – Obligation de remise en état s’imposant à l’ancien exploitant ou à son ayant droit – Renonciation au titre minier – Absence d’effet sur cette obligation – QPC non transmise.

Un préfet enjoint le requérant de déclarer l'arrêt définitif des travaux et d'utilisation d'installations minières pour la concession d’une mine de lignite. Il a contesté cette décision, en vain, en première instance et en appel et se pourvoit en cassation y compris contre le rejet de sa demande de transmission d’une QPC.

1 – Sur la procédure d’arrêt des travaux

La police des mines a pour objets, aux termes de l’art. L. 171-1 du code minier, « de contrôler et d'inspecter les activités de recherches et d'exploitation minières ainsi que de prévenir et de faire cesser les dommages et les nuisances qui leur sont imputables, d'assurer la bonne exploitation du gisement et de faire respecter les exigences et les intérêts mentionnés à l'article L. 161-1 (lequel comporte une énumération fort longue de contraintes à respecter) et les obligations mentionnées à l'article L. 161-2 et par les textes pris pour leur application. »

Les textes instituent une procédure d’arrêt des travaux applicable à une installation particulière lorsqu'elle cesse d'être utilisée pour l'exploitation, à l'ensemble des installations et des travaux concernés lors de la fin d'une tranche de travaux, et en tout état de cause à l'ensemble des installations et des travaux n'ayant pas fait l'objet de la procédure d'arrêt lors de la fin de l'exploitation (cf. art. L. 163-1 eod. loc.). Cette procédure consiste en une déclaration faite à l'autorité compétente au plus tard au terme de la validité du titre minier. Faute de déclaration, l'autorité administrative reste habilitée au-delà de ce terme pour prescrire les mesures nécessaires (en ce sens, v. l’art. L. 163-2 du code minier).

En l’espèce, l'exploitation d’une concession de lignite a été attribuée à M. A. D. par un décret du 20 mai 1931, puis transférée, à sa demande, à son fils, M. C. D., par un décret en date du 5 août 1958. M. B. D. est, en tant qu'héritier des biens de son père, n'ayant pas renoncé à cette succession, l'ayant droit de M. C. D., son père et dernier exploitant du site, au sens et pour l’application de la législation minière.

C’est pourquoi, en premier lieu, la cour administrative d’appel a pu juger sans erreur de droit que M. B. D. pouvait être soumis à la procédure d'arrêt des travaux miniers prévue aux articles L. 163-1 et suivants du code minier, sans qu'y fasse obstacle la circonstance qu'aucun décret de mutation du titre minier ne serait intervenu à son bénéfice. 

En deuxième lieu, la cour n’a donc pas non plus commis d’erreur de droit en jugeant qu'il incombe à l'exploitant d'une concession minière ou, si celui-ci a disparu, à son ayant droit, de faire cesser les dommages causés à l'environnement par les activités minières après leur arrêt et de prévenir les dommages que pourrait ultérieurement causer la concession minière mise à l'arrêt, et qu'il n'est mis fin à l'exercice de la police de l'exploitation des mines que lorsque le préfet donne acte à l'exploitant ou à son ayant droit que les mesures qu'il a envisagées dans son dossier de déclaration d'arrêt des travaux ou qui ont été prescrites par l'autorité administrative ont été exécutées, sauf cas de survenance ultérieure de risques importants pour la sécurité des biens et des personnes.

Enfin c'est sans erreur de droit que la cour a écarté l’application des dispositions du 3° de l'article L. 132-13 du code minier à l'encontre de la décision attaquée car ces dispositions ne sont applicables que lorsqu'il n'existe plus d'exploitant en fin de concession. Or, en l’espèce, la concession n'avait pas pris fin et le requérant était soumis à une obligation de remise en état du site en sa qualité d'ayant droit de l'exploitant.

2 – Sur le refus par la cour de la transmission de la QPC

Le requérant avait soulevé une QPC à l’encontre de l’art. L. 163-10 du code minier en ce qu’il dispose que « l'absence de titre minier ne fait pas obstacle à l'application de l'intégralité des dispositions des articles L. 163-1 à L. 163-9 » dont il contestait le refus de transmission opposé par la cour. Ce moyen est rejeté car le juge cassation, comme celui d’appel, estime ce texte inapplicable au présent litige et donc irrecevable puisqu’il concerne uniquement l’hypothèse d’absence de titre minier ce qui n’était pas le cas dans la présente affaire où le requérant disposait toujours du titre minier et où il n’y a jamais eu de procédure d’arrêt des travaux à propos de cette mine.

(25 janvier 2023, M. B. D., n° 454221)

 

108 - Police du bruit – Nuisances sonores des aérodromes – Restrictions aux mouvements d’aéronefs – Dérogations possibles – Irrégularités de procédure alléguées – Principe de non-régression – Rejet.

Un arrêté ministériel du 8 mars 2022 a prévu la possibilité de dérogations aux dispositions de l’arrêté du même ministre, du 25 avril 2022, instaurant des restrictions d'exploitation de l'aérodrome de Beauvais-Tillé en interdisant notamment à tout aéronef d'atterrir ou de décoller entre 0 heure et 5 heures.

Le recours est rejeté en ses trois chefs principaux de grief.

Il ne saurait être soutenu, au regard des dispositions de l’art. L. 571-13 du code de l’environnement, que la consultation de la commission consultative de l'environnement de l'aérodrome de Beauvais-Tillé, qui a eu lieu le 1er octobre 2021, serait irrégulière faute pour son comité permanent d'avoir préalablement instruit les questions sur lesquelles la commission devait se prononcer. 

Il résulte des dispositions du e) de l'art. 2 de la directive 2002/30/CE du 26 mars 2002 relative à l'établissement de règles et procédures concernant l'introduction de restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de la Communauté et de celles des art. R. 227-8 et R. 227-9 du code de l’aviation civile que l'évaluation des caractéristiques et informations portant sur un aérodrome et leur mise à disposition ne sont requises que préalablement à l'édiction d'un arrêté du ministre chargé de l'aviation civile imposant des restrictions d'exploitation à un aérodrome c'est-à-dire visant à limiter ou à réduire l'accès d'aéronefs à cet aérodrome. Or l'arrêté litigieux a au contraire pour objet d'autoriser un plus grand nombre d'atterrissages sur l'aérodrome de Beauvais-Tillé, d’où il suit que le moyen susénoncé ne saurait être retenu.

Enfin, ne saurait être invoquée l’atteinte, par l’arrêté querellé, portée au principe de non-régression (art. L. 110-1 c. env.) en raison des nombreuses conditions restrictives qu’il pose à l’octroi de dérogations en ne permettant à des aéronefs d'atterrir sur cet aérodrome entre 0 et 1 heure, que dans la limite de 25 dérogations par an et sous certaines conditions. D'une part, ces dérogations se limitent aux cas des aéronefs qui devaient atterrir entre 21 heures et 23 heures et doivent repartir le lendemain, qui subissent un retard pour des raisons indépendantes de la volonté du transporteur, effectuent des vols réguliers de transport de passagers et répondent à des normes acoustiques précises, et, d'autre part, ces dérogations doivent être justifiées au regard des conséquences environnementales ou d'ordre public qu'emporterait une impossibilité d'atterrissage entre 0 et 1 heure.

(25 janvier 2023, Association de défense de l'environnement des riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé, association regroupement des organismes de sauvegarde de l'Oise et association contre les nuisances de l'aéroport de Tillé, n° 463812)

 

Professions réglementées

 

109 - Société vétérinaire – Radiation du tableau de l’ordre – Méconnaissance de la condition de détention du capital – Recours administratif tardif – Invocation de l’absence de régularité de la signature apposée sur le récépissé du pli recommandé – Rejet.

La décision du conseil national de l’ordre des vétérinaires prononçant la radiation de la société requérante de l’ordre des vétérinaires pour méconnaissance de la condition de détention du capital posée par les dispositions du II, 1° de l'art. L. 241-17 du code rural ne permet pas d’émettre un doute sérieux sur sa légalité en l’état d’un recours administratif formé le 7 novembre 2022 contre une décision reçue par l’intéressée le 13 juillet 2022.

(ord. réf. 13 janvier 2023, Société Ultravet, n° 469835)

(110) V. aussi, à propos d’une radiation fondée sur le même motif et contestée par un recours administratif tardif car formé le 18 juillet 2022 contre une notification de radiation reçue le 31 janvier 2022 : ord. réf. 13 janvier 2023, Société Clinique vétérinaire des Bruyères, n° 469843.

(111) V. également, suspendant l'exécution de la décision de la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins du 18 octobre 2022 qui a suspendu la requérante, médecin pneumologue, du droit d'exercer la médecine pendant une durée d'un an et subordonné la reprise de son activité professionnelle aux résultats d'une expertise médicale ; le juge estime établies :       

- d’une part, la condition de doute sérieux quant à la légalité de la décision du conseil de l’ordre car il n’est pas démontré que le suivi médical dont faisait l'objet Mme B. à la date de la décision attaquée serait en lui-même incompatible avec l'exercice de la médecine, ni que le traitement qu'elle prenait à cette date aurait été susceptible d'altérer les conditions dans lesquelles l'intéressée exerçait ses fonctions à cette même date, d’autant que celle-ci n'a, à cet égard, fait l'objet d'aucune plainte d'un patient ni d'aucun reproche de la part de son employeur tout au long de la période, d'environ quatre mois, pendant laquelle elle a exercé ses fonctions de médecin pneumologue tout en étant soumise à un traitement, y compris celui dont elle a fait état devant le Conseil national de l'ordre des médecins. Enfin, l'instruction ne fait pas ressortir de risque d'inobservance du traitement prescrit à la requérante, qui est par ailleurs consciente des troubles dont elle souffre. 

- d’autre part, la condition d’urgence en raison de la forte réduction de ses revenus au regard de ses besoins et de ceux de son fils malade aux besoins duquel elle subvient : ord. réf. 13 janvier 2023, Mme B., n° 469932.

 

112 - Expert-comptable – Revendication d’une créance contre un client – Éléments de preuve de sa qualité de créancier tirés de correspondances électroniques avec ce client – Violation du secret professionnel – Absence – Annulation de la sanction infligée.

La chambre de discipline auprès du conseil supérieur de l’ordre des experts-comptables a sanctionné le requérant pour faute professionnelle résultant de ce que dans le cadre d’une action formée devant le juge judiciaire en qualité de créancier de l’un de ses clients il a communiqué des copies d’échanges électroniques avec celui-ci afin d’établir la réalité de sa qualité de créancier des honoraires lui étant dus ainsi que les accords conclus en vue de déterminer le montant de sa rémunération.

Le Conseil d’État annule la sanction car la chambre de discipline, avant de la prononcer, n’a pas recherché si le secret professionnel n'avait été levé que dans la mesure strictement nécessaire à la défense des droits de l'intéressé.

(25 janvier 2023, M. D., n° 440070)

 

113 - Infirmier – Régime des poursuites disciplinaires – Infirmier non inscrit au tableau de l’ordre – Incompétence de la juridiction de l’ordre – Erreur de droit - Annulation.

En principe, les poursuites disciplinaires engagées contre le membre d’une profession organisée en ordre sont présentées devant et jugées par les juridictions de cet ordre. En l’espèce, un infirmier était poursuivi devant l’instance disciplinaire de l’ordre des infirmiers alors qu’il n’était pas inscrit au tableau de cet ordre. Le conseil national de l’ordre des infirmiers a estimé devoir se déclarer incompétent.

Sur pourvoi de la caisse d’assurance maladie, le Conseil d’État casse cette décision au terme d’un raisonnement un peu embarrassé alors qu’il est somme toute logique en dépit de son caractère d’expédient.

Le Conseil raisonne par analogie. D’abord, à l’époque où l’ordre des infirmiers n’existait pas et où donc les infirmiers n’étaient inscrits sur aucun tableau, ces poursuites se déroulaient devant les organes juridictionnels de l’ordre des médecins. Ensuite, ils ont continué à relever de ces juridictions après la création de l’ordre et ce jusqu’au 1er janvier 2015 dans tous les cas où en méconnaissance de leur obligation d’inscription sur le tableau de l’ordre ils ont omis de s’y faire inscrire.

Par conséquent le juge en tire cette conséquence que les infirmiers sont depuis le 1er janvier 2015 susceptibles d'être poursuivis devant les sections des assurances sociales de l'ordre des infirmiers pour l'ensemble des actes qu'ils ont réalisés, qu'ils soient ou non inscrits au tableau de cet ordre.

Par suite, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des infirmiers a commis une erreur de droit en se déclarant incompétente pour connaître des faits commis antérieurement à son inscription au tableau de l'ordre des infirmiers par un infirmier pour des actes facturés du 15 janvier au 15 septembre 2013.

(27 janvier 2023, CPAM du Rhône, n° 453882)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

114 - Démarchage téléphonique en matière de travaux de rénovation énergétiques – Interdiction législative – Absence d’atteinte à une liberté ou un droit garanti par la Constitution – Non-transmission de la QPC.

A l’appui de sa demande d’annulation de la décision lui infligeant une amende administrative pour manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation, la société requérante a soulevé une QPC.

Cette question était fondée sur l’atteinte portée par cette disposition au principe d’égalité en tant qu’elle ne prohibe le démarchage téléphonique que de la part de sociétés réalisant des travaux de rénovation énergétique.

Pour refuser la transmission de cette QPC le Conseil d’État retient les motifs du législateur pour prendre cette mesure tels qu’ils ressortent des débats et travaux parlementaires (protection de la vie privée, protection des consommateurs contre le démarchage abusif et conciliation du bon usage des deniers publics avec l'objectif d'intérêt général de réduction de la consommation énergétique des bâtiments résidentiels) et en déduit, d’une part, que l’interdiction ne concerne qu'une des formes possibles de sollicitation commerciale et de publicité et qu’elle n'est pas absolue, d’autre part, qu’elle traite de la même manière tous les professionnels dont l'activité a pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables et qu’elle n’avait pas, en revanche, à traiter pareillement les entreprises d’autres secteurs d’activités qui ne sont pas placés dans la même situation.

La solution est assez peu convaincante car ce qui est recherché c’est l’interdiction des agressions que constituent les démarchages, peu importants qu’ils concernent la rénovation énergétique, les fers à repasser ou les maillots de bain.

(05 janvier 2023, Société NRGIE Conseil, n° 468506)

 

115 - Enfant souffrant de graves séquelles neurologiques et d’un polyhandicap irréversible – Décision de limitation des soins – QPC portant sur la conformité de dispositions du code de la santé publique au regard des droits et libertés constitutionnellement garantis s’agissant d’une mineure – Refus de transmission de la QPC mais suspension provisoire ordonnée en vue d’une nouvelle expertise.

Suite à une noyade dans une piscine ayant duré un certain temps, une enfant se trouve dans un état désespéré et les médecins, au vu de cette situation irréversible ont pris une décision de limitation des soins. Celle-ci a été contestée par ses parents mais le juge des référés, après avoir pris connaissance de l’expertise qu’il avait ordonnée, a rejeté le référé liberté introduit.

Les intéressés ont saisi par voie d’appel le Conseil d’État qui devait trancher deux questions.

En premier lieu, a été soulevée devant lui une QPC fondée sur ce que les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 1110-5-1, du quatrième alinéa de l'art. L. 1110-5-2 et du sixième alinéa de l'art. L. 1111-4 du code de la santé publique, telles qu'elles ont été interprétées par le Conseil d'État comme couvrant autant la situation de personnes majeures que mineures, méconnaissent le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté personnelle ainsi que l'article 34 de la Constitution, faute de précision sur l'inclusion des mineurs et de garanties suffisantes dans cette hypothèse particulière, alors que l'accord des parents devrait être obligatoire pour toute décision d'arrêt des traitements prodigués à des enfants. 

Ce moyen est rejeté car, selon le juge, « dès lors qu'aucune règle ou principe constitutionnel ne s'oppose à ce que le législateur ait prévu un régime qui s'applique tant aux personnes majeures que mineures et que la procédure qu'il a mise en place présente des garanties suffisantes, la circonstance que les dispositions contestées donnent au corps médical (…) la responsabilité de décider de l'arrêt des traitements prodigués à un mineur, en s'efforçant tout particulièrement de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, sans cependant être tenu d'obtenir leur accord, ne méconnaît en tout état de cause pas les droits ou libertés garantis par la Constitution que les requérants invoquent. »

La réponse est un peu courte s’agissant de se prononcer sur la hiérarchie devant exister entre les normes applicables en matière de droits fondamentaux, entre les textes relatifs aux pouvoirs du corps médical dans certaines situations critiques pour les patients et les normes relatives au statut des parents à l’égard de leurs enfants. D’ailleurs, cette décision, dont la rédaction trahit un certain embarras, comporte une relative contradiction en ce qu’in fine elle retient une attitude plus compassionnelle que médicale ou scientifique.

En second lieu, il s’agissait pour le juge de se prononcer sur le fond du dossier : arrêts des soins ou pas ? Le juge consacre un long développement pour montrer que la décision médicale n’est guère critiquable compte tenu des éléments certains concernant l’état de l’enfant et semble laisser entendre que c’est la solution raisonnable. Toutefois, par une sorte de Deus ex machina, le juge estime qu’un semblant d’amélioration dont en réalité il dit lui-même qu’il n’y a rien à en espérer, « ainsi que de la position de ses parents qui estiment qu'une décision d'arrêt de soins serait trop précoce, à laquelle comme il a été dit une attention particulière doit être portée,… » le conduisent à décider l’octroi d’un délai d’observation de de deux mois à l’issue duquel une nouvelle expertise sera ordonnée suivie d’une décision normalement définitive.

Il faut comprendre l’extrême complexité d’une décision juridictionnelle rendue dans ces conditions : il faut à la fois appliquer les textes dont on ne saurait dire qu’ils sont déraisonnables et - car les juges sont aussi des êtres humains - donner aux familles une réponse revêtant une certaine forme compassionnelle. Cependant, le risque est celui d’un glissement de la motivation des décisions qui, d’une réponse en droit, tourne à une rédaction choisie pour rendre acceptables ces décisions ; l’exercice peut tourner davantage à l’effort de communication qu’à un acte proprement juridique.

(ord. réf. form. coll. 12 janvier 2023, M. A. et Mme K., n° 469669)

 

116 - Droits à congé payé – Régime spécifique des salariés en activité discontinue chez une pluralité d’employeurs – Refus de transmission d’une QPC.

Les requérantes, employeuses de salariés exerçant une activité discontinue chez plusieurs employeurs, soulèvent une QPC contre l’art. L. 3141-32 du code du travail en ce qu’il prévoit en ce cas des modalités particulières pour la détermination des congés payés de ces salariés, notamment par la création de caisses de congé payé.

Au plan de la procédure, il faut relever l’admission en l’espèce de la recevabilité de l’intervention en défense de caisses de congé payé aux côtés du ministre du travail défendeur à l’instance en QPC. Comme cette instance n’est qu’annexe à l’action principale (voir aussi la solution la notule n° 117 ci-après sur ce point), une telle intervention n’est possible que de la part de ceux qui étaient déjà intervenants dans l’instance principale.

Cette règle est une excellente illustration du principe d’immutabilité du litige principal à travers les instances qui en dérivent afin de ne pas étendre à l’infini le champ du litige à juger et d’éviter au juge le risque de devoir juger via l’intervention nouvelle un litige lui-même largement nouveau.

Sur le fond, le juge refuse la transmission de la QPC, aucun des moyens soulevés ne l’ayant convaincu de le faire.

La prétendue existence d’un « débat de société » sur ce régime de congé payé ne saurait donner ouverture à QPC pas plus que ne peut être invoqué un droit spécifique aux congés payés des salariés ou un principe fondamental reconnu par les lois de la République, distinct du droit constitutionnel au repos.

L’atteinte à la liberté d’entreprendre ou au principe d’égalité devant les charges publiques que réalise cette disposition n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi par le législateur de tenir compte des conditions très particulières d’exécution de leurs tâches par les salariés concernés.

(20 janvier 2023, Association Collectif contre les caisses de congé du BTP, société DVM Renov et société Philippe et fils, n° 467970)

 

117 - Droit au logement opposable – Intervention à l’instance en QPC – Introduction ou maintien dans le domicile d’autrui par menace ou contrainte – Absence de recours au juge – Atteinte au droit au recours – Transmission d’une QPC.

Cette décision est d’abord intéressante en ce qu’elle confirme la précédente s’agissant de l’admission d’interventions dans l’instance en QPC.

Deux associations, la fédération Droit au logement et la fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés, ont formé une intervention en demande aux côtés de la requérante dans le cadre de l’action en QPC que cette dernière a formée, leur constitution est refusée en ces termes : « Eu égard au caractère accessoire, par rapport au litige principal, d'une question prioritaire de constitutionnalité, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable à l'appui du mémoire par lequel il est demandé au Conseil d'État de renvoyer une telle question au Conseil constitutionnel qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale », or, en l’espèce, ces associations ne sont pas intervenues au soutien de la demande de Mme C. tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 22 mars 2022 par lequel le préfet de police l'a mise en demeure de quitter le logement qu'elle occupait. 

En l’absence d’intervention à l’instance principale est donc impossible l’intervention à l’instance dérivée ou annexe.

Ensuite, sur le fond, il est jugé que présente un caractère sérieux la question de savoir si l'art. 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable porte atteinte au droit constitutionnel au recours en ce qu’il fait exception à l’art. L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution selon lequel « Sauf disposition spéciale, l'expulsion d'un immeuble ou d'un lieu habité ne peut être poursuivie qu'en vertu d'une décision de justice ou d'un procès-verbal de conciliation exécutoire et après signification d'un commandement d'avoir à libérer les locaux. ». En effet, il institue une procédure administrative permettant d’expulser à très bref délai les occupants irréguliers d’un domicile lorsque cette irrégularité est constatée. Et cela sans aucune procédure juridictionnelle.

La question est donc transmise.

(20 janvier 2023, Mme C., n° 458389)

 

118 - Fonds départemental de compensation du handicap en vue de l’aide financière à apporter au reste à charge pour les bénéficiaires – Plafonnement du reste à charge des frais de compensation – Limitation des aides à compensation en fonction des financements des fonds départementaux – Atteintes aux principes d’égalité et de fraternité – Transmission d’une QPC.

Les requérantes contestaient la constitutionnalité des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'art. L. 146-5 du code de l'action sociale et des familles, en ce que, tout en fixant le principe selon lequel les frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées ne peuvent excéder 10 % de leurs ressources personnelles nettes d'impôts, elles assortissent le versement des aides destinées à permettre cette compensation d'une limite tenant aux financements des fonds départementaux de compensation du handicap et ne prévoient pas d'obligation, pour les contributeurs qu'elles mentionnent, de participer au financement de ces fonds, méconnaissant ainsi le principe d'égalité, le principe de fraternité et un principe à valeur constitutionnelle nouveau dit « d'accessibilité universelle et de solidarité de la société à l'égard des personnes handicapées », qui serait issu du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Le juge y voit une question nouvelle et présentant un caractère sérieux, justifiant son renvoi au juge constitutionnel, laissant à ce dernier le soin de se prononcer, outre les principes d’égalité et de fraternité, sur l’existence du nouveau principe à valeur constitutionnelle suggéré par les demanderesses en QPC.

(20 janvier 2023, Association Handi-Social et Mme B., n° 468567)

 

119 - Modification de dispositions du code forestier par voie d’ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Ordonnance non ratifiée – Questions prioritaires de constitutionnalité, l’une transmise, l’autre non.

Le syndicat requérant a déposé deux QPC à l’appui de sa demande d’annulation pour excès de pouvoir de l'ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, la première était dirigée contre 1° du I de l'article 79 de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique, la seconde contre divers articles du code forestier, du code de l’environnement et du code de la santé publique dans la rédaction qui leur a été donnée par l’ordonnance précitée.

La demande de transmission de la première QPC est rejetée car le juge constitutionnel ne peut être saisi par voie de QPC que de griefs tirés de ce que les dispositions d'une loi d'habilitation portent atteinte, par elles-mêmes ou par les conséquences qui en découlent nécessairement, aux droits et libertés que la Constitution garantit. Or en l’espèce la loi d’habilitation ne porte par elle-même aucune atteinte directe à un droit ou liberté que la Constitution garantit dans la mesure où elle se borne à permettre au gouvernement de modifier les dispositions du code forestier relatives à l'Office national des forêts afin d'élargir les possibilités de recrutement d'agents contractuels de droit privé et de leur permettre de concourir à l'exercice de l'ensemble des missions confiées à l'office, y compris la constatation de certaines infractions et à l'exclusion de leur recherche, par certains d'entre eux commissionnés et assermentés à cet effet.

En revanche, le Conseil d’État décide de transmettre la seconde QPC dont il était saisi car celle-ci soulève une question nouvelle présentant un caractère sérieux en ce que les dix dispositions législatives retenues portent notamment atteinte à l'art. 66 de la Constitution au regard de l'étendue des pouvoirs de police judiciaire conférés aux agents de droit privé de l'Office national des forêts et des modalités de leur contrôle par l'autorité judiciaire.

(27 janvier 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466225)

 

Responsabilité

 

120 - Infection nosocomiale – Condition de la réparation du préjudice – Détermination de la perte de chance non du préjudice corporel subi – Cas de survenance d’une seconde infection nosocomiale – Rejet.

Le requérant, victime d’une fracture du tibia, a subi, du fait de complications infectieuses, une nouvelle hospitalisation au cours de laquelle il a contracté une infection de caractère nosocomial puis, par suite d’une seconde fracture du tibia, il a été à nouveau hospitalisé et a contracté au cours de cette hospitalisation une seconde infection de caractère nosocomial.

Le juge administratif, saisi par la victime, a d’abord réparé le préjudice corporel mais, sur appels du centre hospitalier et de M. B., la cour administrative d’appel a estimé que la seconde infection, qui était bien de caractère nosocomial, avait seulement été à l'origine d'une perte de chance de ne pas subir une deuxième fracture du tibia et que c’était donc à tort que les premiers juges avaient indemnisé la victime de son préjudice corporel et non la part du rôle joué par l’infection dans la perte de chance de subir cette seconde fracture.

Le requérant se pourvoit contre cet arrêt et son recours en cassation est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle ici sa jurisprudence selon laquelle « dans le cas où une infection nosocomiale a compromis les chances d'un patient d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de cette infection et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Il en va de même lorsque, à la suite d'une première infection nosocomiale, un patient fait l'objet d'une nouvelle prise en charge au cours ou au décours de laquelle apparaît une seconde infection nosocomiale, et que ce patient demande la réparation d'un nouveau dommage auquel cette seconde infection nosocomiale a compromis ses chances d'échapper. Toutefois, lorsqu'il est certain que le nouveau dommage ne serait pas survenu en l'absence de la première infection nosocomiale, le préjudice qui doit être réparé est le dommage corporel et non la perte de chance d'éviter la survenue de ce dommage ». En l’espèce, c’est sans erreur de droit que pour juger que la seconde infection nosocomiale contractée par M. B. lui avait seulement fait perdre une chance d'éviter la survenue d'une seconde fracture du tibia, la cour a retenu que le site du second foyer de fracture avait été fragilisé par la première intervention, et que la nouvelle infection contractée à cette occasion était probablement limitée dans son étendue. De ces constatations souveraines non entachées de dénaturation il se déduit donc qu'il n'était pas certain que le dommage corporel constaté après la seconde infection ne serait pas survenu en l'absence de ces deux interventions. C’est pourquoi c’est bien la perte de chance qui doit servir de fondement à l’indemnisation non le préjudice corporel subi.

(13 janvier 2023, M. B., n° 453963)

 

121 - Co-auteurs de fautes ayant causé un dommage – Auteur public et auteur privé – Possibilité pour la victime de demander la condamnation pour le tout de la personne publique – Réponse en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi, selon la procédure d’avis de droit de l’art. L. 113-1 du CJA, des deux questions suivantes :

« 1°) En cas de cumul de fautes, commises l'une par une personne publique, l'autre par une personne privée dont l'appréciation de la responsabilité relève du juge judiciaire, et qui portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, le juge administratif saisi par la victime de conclusions se fondant sur un partage de responsabilité entre co-auteurs, peut-il déterminer la part de responsabilité devant incomber à la personne publique attraite devant lui à l'issue d'un tel partage ou doit-il écarter le partage de responsabilité demandé par la victime et condamner la personne publique, dans la limite de la somme demandée, à réparer intégralement le dommage, à charge pour elle, le cas échéant, d'exercer une action récursoire ?

2°) Dans cette seconde hypothèse, doit-il soulever d'office un moyen en ce sens ? »

La réponse du Conseil d’État, très logique et parfaitement opportune, ne correspond cependant pas tout à fait à la totalité de la question posée car elle n’envisage que la seule hypothèse où la victime demande au juge administratif « la condamnation de l'une de ces personnes à réparer l'intégralité de son préjudice ». En ce cas, il est clair que ce juge a l’obligation de condamner la personne publique à réparer pour le tout, à charge pour elle, le cas échéant, de se retourner contre le co-auteur privé par la voie d’une action récursoire. C’est encore à bon droit que le juge rappelle qu’en ce cas il n’y a pas lieu de tenir compte du partage de responsabilité entre les coauteurs, lequel n'affecte que les rapports réciproques entre ceux-ci, mais non le caractère et l'étendue de leurs obligations à l'égard de la victime du dommage. 

Mais la question posée n’était pas celle-là puisqu’elle portait sur l’hypothèse où la victime ne saisit le juge administratif que d’une action en responsabilité dirigée contre la seule personne publique et pour sa part propre de responsabilité, laissant à l’autre co-auteur la charge de sa propre part de responsabilité. Pourtant il nous semble que, même ainsi formulée, la question doit recevoir la même réponse que celle indiquée plus haut.

A notre sens, il conviendrait que chacun des deux ordres décide que la victime choisit librement celui des deux qu’elle entend saisir et que ce dernier soit toujours compétent pour statuer sur l’entière indemnisation du préjudice subi ainsi que, le cas échéant, sur l’action récursoire de l’un des co-auteurs contre l’autre.

De toutes façons, cette dernière action est toujours soumise à un régime contentieux bancal, l’ordre de juridiction choisi devant toujours in fine statuer soit s’il est administratif, sur la part de responsabilité du co-auteur privé, soit s’il est judiciaire, sur la part de responsabilité du co-auteur public.

(Avis, 20 janvier 2023, Groupe hospitalier du sud de l’Oise, n° 468190)

 

122 - Responsabilité hospitalière – Régime de mise en cause des caisses de sécurité sociale – Mise en cause d’ordre public – Présentation pour la première fois en appel de chefs de débours – Irrecevabilité sauf conclusions portant sur des prestations nouvelles – Annulation partielle.

Dans cette importante décision le juge précise assez complètement les conséquences à tirer des dispositions du huitième alinéa de l'art. L. 376-1 du code de la sécurité sociale, relatif au recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale contre le responsable d'un accident ayant entraîné un dommage corporel. Il étend ainsi une jurisprudence récente (6 mai 2021, CPAM de Paris, n° 421744, aux Tables du Recueil Lebon).

Ce texte impose au tribunal administratif, saisi par la victime d'une demande tendant à la réparation du dommage corporel par l'auteur de l'accident, d’appeler en cause la caisse à laquelle la victime est affiliée. Cette exigence s’impose également en appel à la cour administrative d'appel, saisie dans le délai légal d'un appel de la victime. A défaut du respect de cette obligation, le jugement ou l’arrêt est irrégulier et il incombe à la cour ou au juge de cassation de relever d’office cette irrégularité résultant de l’omission de mise en cause.

En appel, lorsque le jugement a mis en cause la caisse cette dernière ne peut régulièrement présenter d'autres conclusions que celles de sa demande de première instance, sauf s’agissant de prestations servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement ou portant sur des prestations dont elle était dans l'impossibilité de justifier le montant avant cette date.

En revanche, lorsque les premiers juges ont omis de mettre en cause la caisse, celle-ci peut obtenir, le cas échéant d'office, l'annulation du jugement en tant qu'il statue sur les préjudices au titre desquels elle a exposé des débours et présenter ainsi, pour la première fois devant le juge d'appel, des conclusions tendant au paiement de l'ensemble de ces sommes.

En l’espèce, la caisse requérante avait présenté au tribunal administratif dans une instance avant dire droit des conclusions subrogatoires en vue du remboursement de ses débours mais par la suite, après ce jugement, la caisse n’a pas pris de conclusions tendant au remboursement des prestations servies à l'intéressée à compter de cette date mais a seulement demandé que ses droits relatifs à ces dépenses futures soient « réservés ». 

La caisse a présenté pour la première fois en cause d’appel des conclusions tendant au remboursement des frais exposés par elle entre le 10 octobre 2017 et le jugement du 7 février 2019 réglant le litige de première instance. La cour administrative d’appel a alors considéré que la CPAM de Côte d'Or ne justifiait pas avoir été dans l'impossibilité d'indiquer le montant de ses débours au cours de l'instruction devant le tribunal administratif et qu’ainsi elle ne pouvait régulièrement présenter pour la première fois devant le juge d'appel des conclusions chiffrées.

Sur pourvoi de la caisse, le Conseil d’État approuve la cour qui, ce jugeant, n’a pas commis d’erreur de droit. En revanche, elle a commis une erreur de droit en jugeant également irrecevables celles des conclusions de la caisse tendant au remboursement des prestations nouvelles servies à la victime postérieurement à l'intervention du jugement du tribunal administratif ou des dépenses futures qu'elle serait de façon certaine amenée à engager pour celle-ci. La cassation porte sur ce seul point.

(27 janvier 2023, CPAM de Côte d’Or, n° 453427)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

123 - Organisation hospitalière – Suspension de l’autorisation donnée à un centre hospitalier pour l’exercice de la gynécologie-obstétrique – Mise en demeure de remédier aux manquements constatés – Absence d’atteinte aux libertés invoquées – Rejet.

Le directeur général de l'Agence régionale de santé (ARS) de Bourgogne-Franche-Comté a suspendu l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique délivrée au centre hospitalier d'Autun et l’a mis en demeure  de lui faire connaître, dans le mois, les mesures prises pour obvier aux manquements constatés.

Les requérantes, agissant en référé liberté, poursuivent l’annulation de l’ordonnance rejetant leur demande de suspendre cette décision.

L’appel est rejeté.

Le juge des référés relève que la maternité du centre hospitalier d'Autun a été contrainte d'interrompre l'accueil de nouvelles parturientes du 14 au 22 novembre 2022 étant dans l’impossibilité d'assurer les astreintes médicales de nuit de gynécologie obstétrique et le centre hospitalier a informé l’ARS qu'en raison des absences de pédiatres, de gynécologues-obstétriciens ainsi que de sages-femmes sur la période du 17 décembre 2022 au 1er janvier 2023, la maternité ne serait plus en mesure d'assurer la continuité des soins à compter du 17 décembre 2022, faute de modalités de remplacement de ces personnels. En outre, les tableaux de service de la maternité faisaient également apparaître des ruptures dans la permanence des soins au cours du mois de janvier 2023.

Le directeur général de l'ARS, au vu des risques que ces difficultés répétées rencontrées par la maternité d'Autun pour garantir la continuité des soins faisaient courir pour la qualité et la sécurité de la prise en charge des patientes, a pris la double mesure litigieuse de suspension et de mise en demeure.

Il s’en déduit que la suspension de l'autorisation d'exercer l'activité de gynécologie-obstétrique n'a pas, dans les circonstances de l’espèce, porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés invoquées par les requérantes en dépit des inconvénients sérieux en résultant selon les requérantes (éloignement des autres maternités, risques sur les accouchements, difficultés d’hébergement pré-accouchement, rôle joué par la maternité d’Autun dans la couverture régionale des besoins…).

Par ailleurs, il résulte de l’instruction menée encore au cours de l’audience du 26 janvier 2023 et ensuite qu’à ce jour la maternité n’est pas en état de statisfaire aux exigences de la mise en demeure sans que puisse être reproché à l’ARS une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et illégale aux libertés invoquées.

La requête est ainsi rejetée sans même qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’éventuelle existence d’une urgence à statuer.

(ord. réf. 30 janvier 2023, Association pour la promotion de la santé en Autunois et Morvan (ASPAM) et Mme A., n° 470415)

 

Service public

 

124 - Distribution d’électricité – Mesure de désactivation quotidienne – Délestages prétendus dommageables par un utilisateur – Absence d’urgence – Rejet.

Dans un souci d’économie d’énergie en raison du risque de pénurie, la ministre de la transition énergétique a, par arrêté, ordonné aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver la fermeture des contacts pilotables intégrés aux dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs ayant souscrit, en métropole continentale, une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne de ce contact.

Cette désactivation quotidienne, qui ne peut être supérieure à deux heures, intervient entre 11 heures et 15h30 et doit commencer avant 14 heures.

La requérante demande la suspension de l'exécution de cet arrêté en raison de ce que les risques de coupure d’électricité affecteraient sa situation personnelle, son activité de télétravail, et ses libertés fondamentales, si elle n'était plus en mesure de recharger sa voiture électrique ou si les services de communication s'en trouvaient perturbés.

La demande suspension est rejetée car la requérante ne justifie pas de l’urgence qu’il y aurait à ordonner cette suspension.

Il faut rappeler que le demandeur en référé suspension a l’obligation de justifier que la suspension qu’il sollicite est commandée par la réunion des deux conditions distinctes posées à l’art. L. 521-1 CJA.

(ord. réf. 16 janvier 2023, Mme B., n° 470320)

 

Travaux publics et expropriation

 

125 - Expropriation pour cause d’utilité publique – Arrêté de cessibilité – Possibilité de plusieurs arrêtés successifs même portant sur les parcelles d’un même propriétaire – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif jugeant que les dispositions de l’art. L. 132-1 du code l’expropriation doivent être interprétées comme imposant de faire figurer dans un même arrêté de cessibilité l'ensemble des parcelles appartenant à un même propriétaire, dont l'expropriation est poursuivie et que l'extension du périmètre à exproprier à une parcelle qui n'était pas incluse dans l'enquête parcellaire initiale concernant d'autres parcelles appartenant au même propriétaire aurait justifié qu'il soit procédé à une nouvelle enquête parcellaire portant sur l'ensemble des parcelles de ce propriétaire et non à une enquête parcellaire et un arrêté de cessibilité portant uniquement sur la nouvelle parcelle.

Le Conseil d’État juge au contraire dans une formulation très nette et en termes de principe que « Ni (l’art. L. 132-1) ni aucune autre disposition législative ou règlementaire n'impose que l'ensemble des immeubles à exproprier pour la réalisation d'un projet déclaré d'utilité publique fasse l'objet d'un unique arrêté de cessibilité. Des arrêtés de cessibilité peuvent dès lors être pris successivement si l'expropriation de nouvelles parcelles se révèle nécessaire pour la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique. La circonstance que des parcelles faisant l'objet de ces arrêtés successifs appartiennent à un même propriétaire est à cet égard sans incidence. »

Il est permis de trouver quelque peu latitudinaire cette manière de traiter une liberté fondamentale comme le droit de propriété et la possibilité pour son propriétaire d’en suivre commodément l’exact déroulement.

Ajoutons que, sauf à prétendre pour la circonstance l’existence d’une procédure complexe qui n’en est pas une car ce n’est pas le cas de l’arrêté de cessibilité, cela conduit pour un même propriétaire à des dates différentes de points de départ des délais de recours contentieux qu’il pourrait former.

(25 janvier 2023, Établissement public d'aménagement de Paris-Saclay, n° 458930)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

126 - Permis de construire – Établissement destiné à recevoir du public – Obligation de mentionner la nécessité d’obtenir une autorisation à cet effet – Autorité compétente pour délivrer l’autorisation – Dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) – Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation du jugement ayant prononcé l’annulation d’un permis de démolir et d’un permis de construire délivrés par la ville de Paris.

Les pourvois, de la ville et du bénéficiaire du permis, sont rejetés.

En premier lieu, est approuvée l’annulation en tant qu’elle est fondée sur le non-respect des dispositions de l'art.  UG 11 du règlement du PLU de la Ville de Paris relatives à l'aspect extérieur des constructions, aux aménagements de leurs abords, à la protection des immeubles et des éléments de paysage, applicables à la zone UG qui comprend l'essentiel du territoire construit de la ville et, en particulier, de celles du point 1.3 de cet article qui énoncent que ces constructions doivent s'intégrer au tissu urbain existant, en prenant en compte les particularités des quartiers, celles des façades existantes et des couvertures. Dispositions que le juge estime non divisibles des autres dispositions de cet article qui précisent que peuvent être autorisées des constructions nouvelles permettant d'exprimer une création architecturale et qui n'imposent pas que soit refusée une autorisation de nature à porter atteinte au caractère des lieux avoisinants. Or sur ce point le jugement querellé estime que le projet litigieux ne satisfaisait pas aux exigences d'insertion dans le tissu urbain existant car si son environnement n'est pas caractérisé par une unité des registres architecturaux ou une régularité des volumes, les constructions imposantes en béton projetées, qui entraîneraient la densification massive d'une parcelle offrant jusqu'alors un espace de respiration et de verdure dans le quartier, n'expriment aucune création architecturale, n'ont, malgré la végétalisation des toitures, pas de caractère innovant et ne s'intégrent pas de manière harmonieuse aux lieux avoisinants, constitués en majorité d'immeubles en pierre ou recouverts d'un parement de pierre dont la surface construite est inférieure à la moitié de celle du terrain. 

En second lieu, le jugement n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit au regard des dispositions de l’art. UG 13.3 du règlement de ce PLU en considérant qu’en dépit de la marge d'appréciation laissée à la Ville de Paris par cette disposition, il n'était tenu ni de regarder tout projet de construction nouvelle comme exprimant, pour ce seul motif, une création architecturale, ni de regarder toute innovation comme caractérisant, par elle-même, un projet innovant.

En revanche, en vertu du principe que le juge de cassation ne saurait prononcer le rejet d’un pourvoi sans avoir, au préalable, censuré celui ou ceux des motifs retenus par les juges du fond qui seraient erronés, il est procédé à deux censures.

Tout d’abord, le tribunal ne pouvait pas, sans erreur de droit, imposer que, à la fois, le permis de construire mentionne expressément l’obligation pour pétitionnaire de demander une autorisation complémentaire au titre de l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation en ce qui concerne l'aménagement intérieur des établissements recevant du public avant leur ouverture et qu’il fasse obligation d’obtenir cette autorisation avant la délivrance dudit permis. En effet, le permis de construire litigieux ne tenant lieu, en l’espèce, ni d'autorisation d'aménagement ni d'autorisation de création au titre de la réglementation des établissements recevant du public, sa légalité n'était dès lors pas subordonnée à la délivrance d'une telle autorisation de création.

Ensuite, une seconde erreur de droit a été commise par le tribunal en jugeant que l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation prévue par l'art. L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation se trouvait « au sein de la Ville de Paris », alors que l'autorité compétente est, à Paris, le préfet de police (dispositions combinées de l’art. L. 2512-17 du CGCT, art. 72 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'État dans les régions et départements et art. 2 du décret du 8 mars 1995 relatif à la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité).

(13 janvier 2023, Office public de l’habitat Paris Habitat, n° 450446 ; ville de Paris, n° 450474, jonction)

V. aussi le n° 24

 

127 - Permis de construire en vue de la création d’une activité de crèche associative – Imposition des locaux soit comme bureaux soit comme locaux commerciaux – Prestations rémunérées – Absence de caractère automatiquement commercial – Erreur de droit – Annulation.

(27 janvier 2023, Association France Horizon, n° 452256)

V. n° 43

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Décembre 2022 

Décembre 2022 

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Compétences transférées par l'État à des collectivités territoriales - Arrêtés interministériels constatant le montant des dépenses devant être compensées par l'État - Décisions non réglementaires - Compétence du tribunal administratif en premier ressort - Transmission à ce tribunal.

L'arrêté interministériel du 2 décembre 2020 fixant le montant des accroissements de charge résultant pour les départements des revalorisations exceptionnelles du revenu de solidarité active (RSA) ne constitue pas un acte réglementaire et la requête tendant à son annulation doit être renvoyée au tribunal administratif compétent pour la juger en premier ressort.

(6 décembre 2022, Département de la Haute-Saône, n° 453142)

 

2 - Dépôt des brevets auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) - Forme du dépôt fixé par une convention internationale d'effet direct - Dépôt sous forme papier - Exigence d'un dépôt sous forme électronique et sous un format ne permettant pas la conversion du fichier adressé - Illégalités - Annulation.

Le requérant demande l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents. Selon celle-ci : « le dépôt d'une demande de brevet français, de certificat d'utilité, (...) ainsi que les procédures et échanges subséquents, s'effectuent sous forme électronique sur le site Internet de l'INPI via l'interface dédiée et conformément au traité sur le droit des brevets » (...). 

Le traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets dispose, d'une part, au d du 1) de son article 8, qu' « Une Partie contractante accepte le dépôt des communications sur papier aux fins du respect d'un délai », d'autre part, au 1) de son article 6, que « Sauf disposition contraire du présent traité, aucune Partie contractante ne peut exiger qu'une demande remplisse, quant à sa forme ou à son contenu, des conditions différentes : i) des conditions relatives à la forme ou au contenu qui sont prévues en ce qui concerne les demandes internationales déposées en vertu du Traité de coopération en matière de brevets ».

Le Conseil d'État commence par juger, ce qui était indispensable à la solution du litige, que les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers car « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

Passant ensuite à l'examen du fond de la requête dont il était saisi le Conseil d'État décide en premier lieu que la décision querellée du directeur général de l'INPI est contraire aux stipulations conventionnelles précitées en tant qu'elle impose un dépôt des demandes de brevets exclusivement sous forme électronique, non sur format papier,  et, en second lieu, que cette décision est également inconventionnelle en ce qu'elle impose que les demandes de brevets d'invention internationaux soient déposées sous forme électronique par le téléservice Epoline alors que ce téléservice permet leur dépôt au format PDF, sans possibilité de conversion ultérieure au format Open XML, car il s'agit d'un format différent pour les demandes de brevet français contrairement à l'exigence conventionnelle que les conditions de forme requises soient identiques pour le dépôt des demandes de brevet international et pour les demandes de brevet français.

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

 

3 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

V. n° 100

 

4 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

Des dispositions combinées de l'art. L. 211-7 du code de l'énergie et du I de l'art. 21 de la loi du 22 avril 2000 ainsi que de l'art. 2 du décret du 6 juin 2001 pris pour l'application du chapitre II du titre II de cette loi, il résulte que le silence gardé par le ministre chargé de l'énergie sur une demande de certificats d'économies d'énergie autre que celles relatives à des opérations spécifiques fait naître une décision implicite d'acceptation à l'issue d'un délai de deux mois suivant la date de réception par le ministre du dossier de demande.

Il suit de là que le courrier par lequel le ministre invite l'auteur de la demande à produire des pièces complémentaires et lui notifie qu'à défaut de leur production dans le délai fixé par ce courrier sa demande sera réputée rejetée constitue une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. 

Est donc entaché d'erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge être en ce cas en présence d'une mesure préparatoire ne pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir alors qu'il incombait à la cour de répondre au moyen tiré de ce que cette invitation à produire de nouvelles pièces sous menace d'un rejet de la demande aurait illégalement retiré la décision implicite d'acceptation des demandes en litige dont elle avait admis qu'elles étaient antérieurement nées et, par suite, d'en tirer les conséquences quant à la légalité de la décision rejetant expressément ces mêmes demandes. 

(12 décembre 2022, « Association Réduisons le CO² », n° 447144)

 

5 - Délibération d'un conseil municipal approuvant le principe et les itinéraires d'un service privé de transports - Absence de caractère décisoire - Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - Annulation.

La communauté de communes du Pays de Gex est irrecevable à contester par la voie d'un recours pour excès de pouvoir la délibération par laquelle le conseil municipal de la commune de Saint-Genis-Pouilly a validé le principe et les itinéraires des véhicules navettes proposées par une société privée permettant de desservir un centre commercial, ceci ne constituant qu'un service de transport privé.

Doit ainsi être annulé l'arrêt confirmatif annulant cette délibération par le motif, erroné en droit et reposant sur une inexacte qualification des faits, que les navettes ne répondaient pas aux conditions d'un service de transport privé car elles étaient organisées par une société pour la clientèle des commerces du centre commercial qu'elle exploitait.

(16 décembre 2022, Commune de Saint-Genis-Pouilly, n° 447350)

 

6 - Dotation des policiers municipaux d'armes à feu - Refus implicite du premier ministre de soumettre un projet de loi en ce sens au parlement - Acte de gouvernement – Irrecevabilité - Rejet.

Le syndicat requérant s'est vu opposer une décision implicite de rejet de la part du premier ministre à sa demande de doter tous les policiers municipaux d'armes à feu. Cette demande, contraire aux dispositions de l'art. L. 511-5 du code de la sécurité intérieure, suppose, pour être satisfaite, le dépôt par le premier ministre d'un projet de loi accordant une telle autorisation de port d'arme.

Il est de jurisprudence constante (v. par ex., dans la jurisprudence récente : 20 janvier 2014, X., n° 372883) que le refus de soumettre un projet de loi au parlement concerne les relations entre les pouvoirs publics constitutionnels dont ce refus n'est pas détachable et, par suite, étant un acte de gouvernement, est insusceptible de tout contrôle juridictionnel.

(28 décembre 2022, Union syndicale professionnelle des policiers municipaux, n° 460928)

 

7 - Prétendue décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’information donnée à un médecin de nationalité tunisienne par le secrétaire général adjoint du Conseil national de l'ordre des médecins sur les conditions de dépôt des demandes d'inscription au tableau de l'ordre des médecins et les explications données par celui-ci des conditions prévues par le code de la santé publique pour une inscription au tableau de l'ordre de médecins ne constituent pas une décision.

Par ailleurs, destinées au seul requérant, ces précisions ne constituent point, non plus, des documents de portée générale émanant d'autorités publiques.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre ces indications est manifestement irrecevable, d’où son rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

 

8 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

V. n° 45

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Attribution de fréquences radio-électriques à La Réunion et à Mayotte - Enchères principales en bande 700Mhz - Évaluation des conditions de concurrence - Caractère objectif - Attribution non discriminatoire - Rejet.

Le Conseil d'État rejette la demande de la société requérante tendant à l'annulation, d'une part, des décisions de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) du 14 décembre 2021, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021 relatif aux résultats des enchères principales en bande 700 MHz pour l'attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte, par lesquelles elle a attribué à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 Mhz de fréquences en bande 700 MHz, chacune, et a refusé d'attribuer à la requérante plus de 5 Mhz de fréquences, et d'autre part, de ce communiqué de presse.

Au terme de la procédure prévue au et réglementée par le I de l'art. L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, le ministre chargé des communications électroniques, sur proposition de l'ARCEP, a fixé, par arrêté du 30 juillet 2021, les modalités et les conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans les bandes 700 MHz et 3,4 - 3,8 GHz à La Réunion pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

Tout d'abord, il est jugé que les décisions d'attribution par l'ARCEP, à l'issue des enchères principales, d'un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz à la société Orange et à la société Telco OI et refusant d'attribuer à la requérante plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, ne constituent que des mesures préparatoires. Ainsi est irrecevable le recours pour excès de pouvoir dirigé contre elles tout comme celui dirigé contre le communiqué de presse qui se borne à rendre publiques ces mesures.

Ensuite sont rejetés les deux moyens principaux de fond soulevés par la société Zeop Mobile.

Il ne saurait être soutenu que l'ARCEP, pour faire sa proposition au ministre, n'aurait pas effectué une évaluation prospective objective des conditions de concurrence sur le marché car il ressort des pièces du dossier qu'elle a organisé à cet effet plusieurs consultations publiques sur les besoins en fréquences des opérateurs, qu'elle a apprécié la dynamique concurrentielle et que la proposition adressée au ministre reposait effectivement sur des analyses objectives.

Semblablement, ne saurait être soulevée par la voie de l'exception, l'illégalité de l'arrêté du 30 juillet 2021. Cet arrêté a prévu, d'abord, qu'un maximum de quatre opérateurs pourraient obtenir des blocs de fréquences de 5 MHz avec un prix de réserve nul en contrepartie d'engagements et, ensuite, que ces opérateurs pourraient obtenir des fréquences additionnelles au terme d'une enchère combinatoire à un tour sous pli fermé au second prix dont les modalités, qui prévoient que le lauréat emporte l'enchère au prix proposé par le deuxième plus offrant, conduisent à une modération structurelle des prix des blocs. Enfin, afin de prévenir le risque de déséquilibres trop importants dans les quantités de fréquences attribuées aux opérateurs mobiles qui pourraient freiner l'exercice d'une concurrence effective et loyale, l'arrêté a fixé des plafonds de détention de fréquences par opérateur. En édictant ces modalités, le ministre s'est fondé sur l'analyse de la situation concurrentielle sur le marché de La Réunion et a pris en considération les différences de situations entre les candidats potentiels, tenant en particulier aux autorisations dont ils disposaient déjà, sans que le principe de non-discrimination ait, en l'espèce, rendu nécessaire la mise en place par l'autorité administrative d'une procédure d'attribution comportant un traitement spécifique favorable à la société requérante.

(8 décembre 2022, Société Zeop Mobile, n° 460749 et n° 465105)

 

10 - Décision de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) - Refus d'engager à la demande d'une association une procédure de mise en demeure à l'encontre d'une société française Eutelsat SA - Diffusion par cette dernière de chaînes russes - Existence d'une urgence et d'un doute sérieux - Annulation.

L'association requérante, reconnue d'utilité publique, s'est vue opposer un refus de la part de l'ARCOM à sa demande tendant à l'engagement d'une procédure de mise en demeure à l'encontre de la société française Eutelsat SA afin qu'elle cesse la diffusion des chaînes russes « Rossiya 1 », « Perviy Kanal » et « NTV ».

L'association requérante, qui a pour but la défense de la lberté de la presse, a saisi l'ARCOM d'une demande tendant à ce qu'elle mette en demeure la société anonyme Eutelsat, opérateur de réseaux satellitaires établi en France, de cesser la diffusion des services de télévision russes Rossiya 1, Perviy Kanal et NTV, distribués par les plateformes NTV+ et Trikolor, au motif qu'ils comportent des programmes portant atteinte à la dignité humaine, incitant à la haine et à la violence à l'encontre de certaines populations et minorités, légitimant l'intervention illégale de l'armée russe en Ukraine et ne garantissant pas le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion.

Le juge des référés retient d'abord l'existence d'une urgence en raison de la réalité, de l'actualité et de l'ampleur des conséquences dommageables susceptibles de résulter de la diffusion des programmes litigieux auprès des publics qui les reçoivent ; à cet égard, la circonstance que le conflit armé ait débuté en février 2022 est sans incidence sur l'appréciation de cette urgence.

Il admet ensuite qu'existe un doute sérieux sur la juridicité du refus opposé par l'ARCOM à la demande de l'association requérante notamment en raison de ce qu'elle n'a pas recherché si sa compétence pouvait être fondée sur les dispositions de l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et les stipulations de l'article 5 de la convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontière, en tenant compte, d'une part, de ce que l'Ukraine est, à la différence de la Russie où sont établis les radiodiffuseurs responsables de ces services et de la Biélorussie, partie à cette convention, d'autre part, des conditions dans lesquelles les services de télévision litigieux sont distribués et diffusés dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie en 2014 et en 2022 et, enfin, de la circonstance que la capacité satellitaire utilisée pour cette diffusion relève de la compétence de la France, qui est également partie à la même convention.

(ord. réf. 9 décembre 2022, Association Reporters sans frontières, n° 468969)

 

11 - Mise en demeure par le CSA (devenu ARCOM) d’une société éditrice de programme radiodiffusé - Demande de sanctions à l’encontre de cette société suite à des faits nouveaux – Refus du directeur général de l'ARCOM de transmettre cette demande au rapporteur de l’ARCOM – Décision non susceptible de recours pour excès de pouvoir – Rejet.

L’article 1er du décret du 9 novembre 1994 interdit à tout éditeur de programme radiodiffusé de diffuser, dans une zone où il ne diffuse pas au moins trois heures de programme d'intérêt local entre 6 heures et 22 heures, des messages de publicité locale au sens de l'article 3 de ce décret. A plusieurs reprises le CSA, spontanément ou sur saisine du syndicat requérant, a mis en demeure la société Vortex, éditrice du programme de radio diffusé par voie hertzienne « Skyrock » de se conformer à cette exigence qu’elle ne respectait pas.

Par trois requêtes successives, jointes ici, le SIRTI a réitéré ses demandes sur le fondement, chaque fois, de faits nouveaux. Les requêtes sont rejetées par le Conseil d’État soit que les manquements fussent limités et non réitérés, soit parce qu’en réalité le refus de sanction allégué n’était pas établi.

Le point le plus intéressant de cette décision concerne un autre aspect, celui du refus du directeur général de l’ARCOM de transmettre au rapporteur les faits signalés dans une plainte du SIRTI et de son traitement contentieux. En effet, il est jugé qu’un tel refus ne saurait faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir dès lors qu’il résulte de textes combinés entre eux (art. 42-7 de la loi du 30 septembre 1986 et art. 2 et 3 du décret du 19 décembre 2013 relatif à la procédure de sanction mise en œuvre par le CSA/ARCOM) que le rapporteur peut se saisir de tout fait susceptible de justifier l'engagement d'une procédure de sanction, dès lors qu'il en a connaissance, sans que cette faculté soit limitée aux faits qui lui sont signalés par le directeur général de l'ARCOM. Il en résulte que l’abstention de saisir le rapporteur ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(20 décembre 2022, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 448516, n° 448523 et n° 451547, jonction)

 

Biens et Culture

Droit de l'Union et occupations domaniales, publicité et mises en concurence

 

Par deux décisions du même jour, les 7ème et 2ème chambres du Conseil d'État se prononcent sur le champ d'application et la portée des exigences de publicité et de concurrence en matière de contrats d'occupation domaniale respectivement sur une dépendance du domaine privé et sur une dépendance du domaine public. Les solutions retenues sont assez diamétralement opposées et elles reposent précisément sur la nature publique ou privée de la dépendance en cause.

Par là, le juge attache un intérêt certain à une dichotomie traditionnelle entre les natures juridiques des propriétés publiques, lui faisant produire d'importants effets alors qu'une large partie de la doctrine est, pour le moins, dubitative sur la pertinence du maintien de cette distinction.

 

12 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

Les requérants, conseillers municipaux de Biarritz, ont demandé l'annulation de la délibération du conseil municipal de Biarritz autorisant le maire de la commune à signer avec la société Socomix un bail emphytéotique d'une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances de l'hôtel du Palais. Par quatre autres délibérations, le conseil municipal a également approuvé : 1) le traité d'apport du fonds de commerce de l'hôtel du Palais à la société Socomix, 2) l'entrée au capital de cette société de la société DF collection, 3) le pacte d'actionnaires devant être conclu entre la société Socomix, la société DF collection et sa société mère, la société JC Decaux, et 4) la modification des statuts de la société Socomix.

Les requérants se pourvoient en cassation de l'arrêt confirmatif du rejet de leurs prétentions.

Ils font valoir à titre principal que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006  relative aux services dans le marché intérieur, dont le délai de transposition s'achevait le 28 décembre 2009. En effet, si l'art. L. 2122-1-1 du CGCT a transposé cet article s'agissant des obligations de publicité et de mise en concurrence préalablement à la délivrance d'autorisations d'occupation du domaine public permettant l'exercice d'une activité économique, il ne l'a pas fait pour ce qui regarde les baux portant sur des biens appartenant au domaine privé des personnes publiques.

Tout d'abord le Conseil d'État rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les justiciables peuvent toujours se prévaloir, à l'appui d'un recours dirigé contre un acte administratif non réglementaire, des dispositions précises et inconditionnelles d'une directive, lorsque l'État n'a pas pris, dans les délais impartis par celle-ci, les mesures de transposition nécessaires.

Ensuite, et c'est là l'apport central de la décision, le juge interprète strictement la directive en jugeant que ni les termes de celle-ci ni la jurisprudence célèbre en résultant (CJUE 14 juillet 2016, Promoimpresa Srl, aff. C-458/14 et Mario Melis, aff. C-67/15), qui prend d'ailleurs le contrepied de la jurisprudence de Section Ville de Paris et Association Paris Jean Bouin (3 décembre 2010, req. n° 338272, n° 338527, au Recueil Lebon), n'imposent l'application de cette exigence de publicité et de mise en concurrence à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant au domaine privé de personnes publiques, qui ne constituent pas une autorisation pour l'accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l'article 4 de cette même directive.

Il en résulte que doit être rejeté le moyen tiré de ce que c'est à tort que l'État n'a pas pris les mesures de transposition nécessaires de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006.

Est donc inopérante l'invocation du caractère irrégulier du bail litigieux en ce qu'il ne serait pas conforme au droit de l'Union.

Le recours contre l'arrêt d'appel, qui n'a pas commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les faits à lui soumis, est ainsi rejeté.

Il conviendra de connaître la position de la Cour de Luxembourg sur une solution jurisprudentielle qui n'est fondée que sur la distinction entre deux catégories de biens publics ignorée du droit de l'Union et de la plupart des droits nationaux des États membres ; il semble même que la solution pourrait apparaître comme frontalement opposée. Il est vrai que l'on peine à comprendre en quoi, pourquoi et comment le caractère de dépendance du domaine privé pourrait avoir une quelconque incidence sur le régime européen des attributions d'occupations domaniales

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

 

13 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

Le Sénat, affectataire du jardin du Luxembourg, dépendance de son domaine public, a conclu avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat d'occupation de cette dépendance domaniale en vue de l'exploitation de six courts de tennis.

La requérante reprochait l'absence de mise en concurrence du contrat d'occupation et recherchait l'annulation de ce contrat mais, par un arrêt confirmatif, la cour administrative d'appel a estimé que le vice tiré de l'absence de procédure de mise en concurrence avant la signature de la convention en litige invoqué par la société requérante, à le supposer établi, ne constituait pas un vice d'une particulière gravité que le juge devrait relever d'office et, rejetant les prétentions de la requérante, elle en a, en conséquence, déduit qu'il ne faisait pas obstacle à la poursuite de son exécution.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit puisque la cour, comme le relève le juge de cassation, était saisie du recours d'un tiers contestant la validité du contrat et non d'un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat : dès lors elle devait rechercher si le vice invoqué devant elle ne justifiait pas le prononcé de  la résiliation du contrat.

Examinant le fond ce l'affaire, le juge de cassation écarte une exception d'incompétence soulevée par le Sénat selon lequel loi du 1er août 2003 n'a explicitement mentionné, comme contrats relevant de la compétence du juge administratif, que les marchés publics. Il découle des travaux parlementaires que l'intention du législateur a été de rendre compatibles les dispositions de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires avec les exigences de publicité et de mise en concurrence découlant notamment du droit de l'Union européenne. Le juge administratif peut ainsi connaître de recours en contestation de la validité de tout contrat susceptible d'être soumis à des obligations de publicité et de mise en concurrence. 

Concernant la qualification du contrat en cause, le juge réitère sa décision du 10 juillet 2020 (Société Paris Tennis, n° 434582 ; Voir cette Chronique, juillet-août 2020, n° 74) selon laquelle aucune clause de la convention ne permet de caractériser l'existence d'une mission de service public que le Sénat aurait entendu déléguer à cet organisme et le Sénat ne s'est réservé aucun droit de contrôle sur la gestion même de l'activité sportive de la Ligue de Paris de tennis : il ne peut donc pas s'agir d'une concession de service public. La convention attaquée est ainsi un contrat d'occupation du domaine public.

Enfin, il convient encore de relever trois points essentiels :

- l'objet de cette convention, à savoir l'exploitation de courts de tennis, constitue bien une activité de service au sens de la directive précitée de 2006, non un service d'intérêt général non économique ;

- en attribuant le contrat, le Sénat a agi en tant qu'autorité compétente au sens donné à cette expression par la directive et par suite le titre d'occupation qu'il a délivré constitue un acte formel relatif à l'accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d'une démarche auprès d'une autorité compétente au sens et pour l'application de la directive ;

- ces courts de tennis, situés en plein centre de la ville de Paris, constituent une ressource limitée en raison de la faible disponibilité d'équipements comparables en ces lieux et il ne peut être soutenu que la Ligue titulaire de la concession en était la seule attributaire possible.

C'est pourquoi il et jugé que faute d'avoir fait l'objet des procédures garantissant l'impartialité comme la transparence, en raison de l'absence de mise en concurrence, et parce que ne sont affectées par cette irrégularité ni le consentement de la personne publique ni la licéité du contenu de la convention, il n'est pas procédé à son annulation (donc rétroactive) mais à sa résiliation avec effet différé au 1er mars 2023.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

 

14 - Exercice du droit de préemption urbaine - Délibération municipale l'instituant - Absence d'accomplissement des formalités de publicité - Rejet de la demande de référé suspension - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante s'est vue refuser la suspension en référé de la décision par laquelle la directrice générale de l'Établissement public foncier de l'ouest Rhône-Alpes (EPORA) a exercé le droit de préemption urbain sur un bien lui appartenant.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du tribunal administratif avait écarté comme n'étant pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision les moyens soulevés par la société requérante selon lesquels la délibération du conseil municipal instituant le droit de préemption n'aurait pas fait l'objet des formalités de publicité prévues par les dispositions précitées pour rendre ce droit opposable tant s'agissant de son affichage que de sa mention dans deux journaux diffusés dans le département.

Le Conseil d'État est à la cassation de cette ordonnance de rejet pour dénaturation des pièces du dossier car il ressort de celles-ci que seule était produite, pour justifier de l'accomplissement de ces formalités, outre la délibération elle-même, dont la mention selon laquelle elle ferait l'objet de ces formalités ne pouvait établir que tel avait été le cas, une facture acquittée pour une publication au sein d'un unique journal. 

Concernant la condition d'urgence, nécessaire à l'octroi d'une suspension d'exécution, le juge réitère sa jurisprudence habituelle selon laquelle eu égard à l'objet d'une décision de préemption et à ses effets vis-à-vis de l'acquéreur évincé, sauf circonstances particulières la condition d'urgence doit en principe être regardée comme remplie lorsque cet acquéreur  demande la suspension d'une telle décision. Ce qui est le cas en l'espèce.

La suspension de la décision de préemption est ordonnée.

(ord. réf. 8 décembre 2022, Société Pierre et Patrimoine, n° 466081)

(15) V. en revanche, annulant l'ordonnance suspendant l'utilisation par une commune du droit de préemption urbain en raison de ce que serait propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision de préemption en litige le moyen tiré de ce qu'un projet d'installation des services municipaux ne constitue pas une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. Au contraire, selon le Conseil d'État, le droit de préemption urbain peut s'exercer, comme en l'espèce, en vue de la rénovation ou de l'aménagement d'immeubles existants dans le but d'y installer des services administratifs et techniques municipaux car cet objet peut constituer une action ou une opération d'aménagement au sens de l'article L. 300-1 du code précité : 8 décembre 2022, Commune de Thiais, n° 464418.

 

16 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

17 - Domanialité publique d’un bien – Conditions de reconnaissance de cette nature – Hypothèse où le bien est déjà occupé par un tiers en vertu d’un contrat – Existence d’un bail commercial - Annulation et rejet.

Cette décision veut mettre un terme à un feuilleton contentieux.

La commune requérante, par une délibération de son conseil municipal du 8 février 2019, a constaté la désaffectation de biens immobiliers jusqu'alors utilisés pour l'exploitation d'un service public municipal de camping et procédé au déclassement de ces biens du domaine public communal.

Le 1er septembre 2019, elle a conclu un bail commercial d'une durée de neuf ans avec une société en vue de l'exploitation de ce même terrain de camping. Puis, par une délibération du 22 septembre 2020, le conseil municipal a abrogé sa délibération du 8 février 2019 et, enfin, par une délibération du 17 décembre 2020, il a constaté l'extinction du bail commercial en conséquence de sa délibération du 22 septembre 2020 et autorisé l'exploitant à se maintenir dans les lieux jusqu'au 1er janvier 2021 seulement.

Par un courrier du 22 décembre 2020, reçu le 29 décembre, le maire de la commune a transmis cette dernière délibération à la société en lui demandant de se présenter le 2 ou le 4 janvier 2021 pour procéder à un état des lieux contradictoire du camping et à la remise des clés.

La société n'ayant pas déféré à cette invitation, la commune a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Lyon, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'ordonner son expulsion, au besoin avec le concours de la force publique. Celui-ci a rejeté la demande de la commune, puis, après cassation de cette première ordonnance et renvoi du Conseil d’État, il a de nouveau rejeté la demande de la commune par une ordonnance du 11 mars 2022 contre laquelle se pourvoit la commune requérante.

Le juge de cassation rappelle tout d’abord que le juge des référés saisi dans une telle hypothèse a le double devoir de vérifier si la demande d’expulsion des occupants du bien présente un caractère d’urgence et si elle ne se heurte pas à une contestation sérieuse.

Ensuite, il relève qu’en l’espèce est satisfaite l’une des conditions alternatives dont la présence est nécessaire à la qualification du bien en cause comme constituant une dépendance du domaine public. En effet, il en est ainsi lorsque la personne publique propriétaire du bien a décidé d’affecter ce bien à un service public et réalisé l’aménagement nécessaire à l'exécution des missions de ce service public.

Jusque-là il n’y a rien que de très classique.

Toutefois, et c’est ce qui fait l’importance de la décision et, sans doute, explique le choix de la publier au Recueil Lebon, il ajoute les deux précisions suivantes.

En premier lieu, il est jugé que cet aménagement du bien en vue du service public peut être regardé « comme entrepris de façon certaine, eu égard à l'ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés ». L’aménagement ne doit donc pas s’entendre comme comportant exclusivement des éléments matériels car l’existence d’éléments immatériels peut concourir à cet aménagement et l’on peut même penser, ce qui n’était pas tout à fait le cas ici, que la seule existence d’éléments immatériels pourrait suffire à établir l’existence d’un aménagement : si ce n’est pas de la domanialité virtuelle cela y ressemble beaucoup.

En second lieu, le juge enfonce un peu plus le clou en ajoutant cette précision que la solution précédente s’applique aussi dans le cas où, à la date de la décision d'affectation, un tiers bénéficierait sur le bien en cause, par voie contractuelle, d’un droit d'occupation de ce bien. En effet, dès cette décision d’aménager et non dès l’aménagement, le bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public du fait de l’affectation à un service public.

Par suite, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit en ce qu’elle a jugé que la société occupante était titulaire, ainsi qu'elle le soutenait, d'un bail commercial dont la nature et la portée n'avaient pas été modifiées par la délibération du 10 mai 2022 décidant d'affecter les terrains en cause à un service public de camping municipal. En effet, si le contrat de bail commercial, pouvait valoir, jusqu'à son éventuelle dénonciation, titre d'occupation du domaine public, il ne pouvait conserver, après l'inclusion dans le domaine public des biens sur lesquels il portait, son caractère de bail commercial en tant que celui-ci comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. 

Cette dernière formulation est critiquable car ce n’est pas tant sur la compatibilité du bail avec la domanialité publique qu’il convient de s’interroger (puisque cette domanialité publique  n‘existait pas au temps de la conclusion du bail) mais l’inverse : est-il légitime (on écrit bien « légitime » et non pas « légal » ou « régulier », ce qui est sans intérêt ici), après qu’a été accordé un bail commercial, c’est-à-dire l’un des actes les plus protégés et les mieux garantis du droit français, de l’occire en décidant, parfois capricieusement, à la faveur d’un changement politique ou d’intérêts personnels voire d’un classique détournement bien maquillé, de créer les conditions de la domanialité publique ?

L’on voit bien qu’ainsi l’on passe d’une compétence ou d’une politique publique à l’exercice d’un pouvoir sans foi ni loi, despotique et brutal.

Il ne reste plus à l’occupant, comme l’y invite au reste cette décision, qu’à rechercher l'indemnisation du préjudice en résultant.

Cette décision est affligeante par le recul qu’elle constitue au regard des évolutions ayant caractérisé, ces dernières années, le régime des occupations domaniales, spécialement celles reposant sur des baux commerciaux, cela à la fois dans un but de sécurité juridique et d’intérêt financier bien compris des personnes publiques propriétaires.

Ce raidissement ne nous semble plus de saison tant que le juge n’exercera pas un contrôle plus étendu, complet même, sur la pertinence des décisions des propriétaires domaniaux en forme de va-et-vient incontrôlés entre domanialité publique et domanialité privée affectant, chaque fois, gravement, les droits des occupants en place.

La présente affaire constitue sur ce point une illustration remarquable de ce qu’il convient de ne pas faire.

(30 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n° 464505)

 

Collectivités territoriales

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Portée et date d'effet de la lettre de démission - Conditions et conséquences - Substitution d'un autre élu à la personne démissionnaire.

Dans le cadre de l'appel dirigé contre un jugement ordonnant le remplacement d'une élue municipale démissionnaire par un autre élu, le Conseil d'État précise trois points importants.

En premier lieu, le litige né du refus d'un maire de convoquer aux séances du conseil municipal l'élu venant immédiatement après celui démissionnaire est un litige en matière électorale (confirmation de 16 janvier 1998, Jean-Luc X. c/ Maire de Saint-Michel-sur-Orge, n° 188892).

En deuxième lieu, au sujet de la lettre de démission et de ses effets, il est jugé que la démission d'une conseillère municipale figurant dans une lettre adressée au maire le 1er octobre 2020 prend effet à cette date (réitération de 16 janvier 1998 précité) dès lors, d'une part, que les termes de cette lettre sont dénués de toute équivoque et d'autre part, qu'il n'est pas établi que des actes de harcèlement moral de la part d'une adjointe au maire ou des menaces d'administrés aient été de nature à révéler l'existence d'une contrainte dans l'écriture de ladite lettre.

En troisième lieu, le délai de recours ouvert contre le refus du maire (comme c'était le cas en l'espèce) de désigner le candidat devant succéder au démissionnaire court à compter soit de la notification de la réponse du maire ou d'une autre forme de publicité donnée à cette réponse, soit de la publication d'un nouveau tableau des membres du conseil municipal postérieurement à la demande de désignation d'un nouveau conseiller municipal, soit d'une réunion de ce conseil avec le maintien du conseiller ayant présenté sa démission. 

(9 décembre 2022, M. A., Commune de Paea et Mme D., n° 461901 et n° 462800)

 

19 - Suppression d'une régie municipale - Licenciement de deux agents de la régie - Absence de prise de position du conseil municipal sur le sort des agents - Licenciements irréguliers - Annulation.

La commune requérante ayant décidé de mettre un terme à une régie municipale gérant un service public administratif, il a été procédé au licenciement des agents affectés à cette régie. Ceux-ci ont demandé au juge administratif - et obtenu - l'annulation de la délibération du conseil municipal ayant voté la dissolution de la régie et de la décision administrative les licenciant. La commune se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement d'annulation.

Son pourvoi est rejeté.

La circonstance que mention ait été faite du licenciement des deux agents dans l'exposé des motifs de la délibération municipale décidant de mettre un terme à la régie municipale ne permet pas d'établir que leur situation a été déterminée par cette délibération au sens de l'article R. 2221-62 du code général des collectivités territoriales car cette seule mention ne prouve pas que le conseil municipal a, en cette circonstance, effectivement pris position sur la question du licenciement des deux agents de la régie. La délibération est ainsi entachée d'illégalité.

Par ailleurs, il résulte du I de l'article 39-5 du décret du 15 février 1988 relatif aux agents contractuels de la fonction publique, ainsi que l'a jugé la cour, que le président du conseil d'administration de la régie, lorsqu'il notifie à l'agent sa décision de le licencier du fait de la suppression de son emploi à la suite de la décision de l'autorité territoriale de renoncer à poursuivre l'exploitation de la régie, de l'inviter à présenter une demande écrite de reclassement. Saisie d'une telle demande, l'autorité territoriale est tenue de chercher à reclasser l'agent au sein de ses services en lui proposant un emploi de niveau équivalent, ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi. La décision de licenciement, prise sans le bénéfice d'une procédure antérieure de reclassement était illégale.

(14 décembre 2022, Commune de Grenoble, n° 450115)

 

20 - Directeur d'un office public de l'habitat (OPH) - Usage intempestif et démesuré d'instruments numériques de travail - Demande de remboursement - Emission de titres exécutoires et d'avis à tiers détenteurs - Compétence juridictionnelle pour connaître du contentieux du recouvrement des créances non fiscales des collectivités territoriales - Annulation et rejet partiels.

Le requérant, auxquels est imputé l'établissement de connexions intervenues depuis son téléphone portable et sa tablette professionnels à partir de l'étranger, facturées ensuite à hauteur de 117 378,70 euros par l'opérateur à son employeur, a contesté des titres exécutoires et avis à tiers détenteur émis par le comptable du trésor à son encontre.

Il se pourvoit en cassation de l'arrêt d'appel infirmatif rejetant son recours.

Le juge de cassation rappelle qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales combinées à celles de l'art. L. 281 du livre des procédures fiscales qu'en matière  de contentieux des créances non fiscales des collectivités territoriales, les litiges portant sur le recouvrement de ces créances relèvent de la compétence du juge de l'exécution et que ceux portant sur leur bien-fondé relèvent du juge compétent pour en connaître sur le fond.

Il suit de là que les demandes du requérant au tribunal administratif, tendant à voir annuler  : 1° la décision par laquelle le comptable public a procédé à une compensation entre son indemnité de licenciement et un titre exécutoire valant avis de paiement de la somme de 117 378,70 euros, 2° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 24 mai 2016 par le comptable public pour un montant total de 137 140,69 euros, en vue du recouvrement de trois titres exécutoires, 3° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 11 mai 2017 pour un montant de 6 486,11 euros, en vue du recouvrement d'un nouveau titre exécutoire, 4° l'avis de saisie administrative à tiers détenteur émis le 27 avril 2018 pour un montant de 89 736,69 euros, en vue du recouvrement du reliquat d'un précédent titre exécutoire, relevaient, contrairement à ce qui a été jugé, de la juridiction judiciaire et non du juge administratif.

(27 décembre 2022, M. B., n° 447378)

 

21 - Tri des biodéchets - Généralisation du tri à la source - Installations de tri mécano-biologiques - Atteinte au principe d'égalité entre collectivités territoriales - Principe de non-régression - Mesures d'exécution de la loi - Rejet.

Les requérantes, par des recours joints par le juge, demandaient, notamment, l'annulation du décret n° 2021-855 du 30 juin 2021 relatif à la justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets et aux installations de tri mécano-biologiques et celle de l'arrêté interministériel (transition écologique et outre-mer) du 7 juillet 2021 pris en application de l'article R. 543-227-2 du code de l'environnement.

Les recours sont rejetés.

D'abord, les dispositions en cause ont été prises en exécution de dispositions législatives dont le Conseil constitutionnel a jugé (22 avril 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et autres, n° 2022-990 QPC) qu'elles ne méconnaissaient ni le principe d'égalité des collectivités territoriales devant la loi ni celui de non-régression dès lors qu'elles poursuivent l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement ; comme en outre, les requérantes n'invoquent pas de vices qui leur seraient propres, les moyens dirigés contre ces dispositions de ces chefs doivent être rejetés.

Ensuite, ni le décret ni l'arrêté querellés ne comportent l'instauration de sanctions et tous deux se bornent à fixer, sans erreur manifeste d'appréciation, les conditions d'application de l'obligation de tri à la source résultant de la loi et interdisant aux installations de tri mécano-biologiques d'admettre des déchets provenant de collectivités qui n'auraient pas démontré avoir mis en place le tri à la source des biodéchets. Il s’ensuite qu’ils ne peuvent de ce fait être argués d’illégalité.

(27 décembre 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et association pour la méthanisation écologique des déchets, n° 456190 ; Association AMORCE, n° 456272 ; Fédération nationale des collectivités de compostage, Association pour la méthanisation écologique des déchets et association AMORCE, n° 456432, jonction)

 

Contrats

 

22 - Baux commerciaux sur le domaine privé des personnes publiques - Conclusion d'un bail emphytéotique en vue de l'exploitation d'un hôtel - Inapplication de l'article 12 de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur - Absence d'obligation de publicité et de mise en concurrence - Rejet.

(2 décembre 2022, Mme A. et M. D., n° 460100)

V. n° 12

 

23 - Convention d'occupation du domaine public - Exploitation de courts de tennis situés dans le jardin du Luxembourg, propriété du Sénat - Absence de procédure de mise en concurrence - Contrat comportant occupation du domaine public - Activité de service - Biens faiblement substituables - Résiliation d'office du contrat - Annulation.

(2 décembre 2022, Société Paris Tennis, n° 455033)

V. n° 13

 

24 - Bail emphytéotique sur une dépendance domaniale communale - Résiliation anticipée - Résiliation amiable assortie d'une indemnité - Détermination de ce montant - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Une commune convient avec la société preneuse d'un bail emphytéotique sur un terrain communal, de le résilier amiablement avec allocation d'une indemnité d'un certain montant.

Sur recours d'habitants de la commune estimant excessive l'indemnité contractuellement établie et allouée, la cour administrative d'appel, par arrêt infirmatif, a annulé la délibération autorisant le maire à résilier ce bail de manière anticipée en contrepartie du versement litigieux. La cocontractante demande et obtient l'annulation de cet arrêt.

Le juge de cassation rappelle d'abord la ligne générale applicable aux conditions de résiliation amiable d'un contrat administratif. Lorsque cette résiliation comporte le versement d'une indemnité par la personne publique à son cocontractant celle-ci ne doit pas excéder le montant du préjudice subi résultant du gain dont ce dernier a été privé ainsi que des dépenses qu'il a normalement exposées et qui n'ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat.

Ensuite, faisant application au cas de l'espèce de cette ligne générale, le Conseil d'État juge que la cour a commis une erreur de droit en estimant qu'en raison de l'obligation faite aux preneurs d'aménager et d'exploiter un village de vacances sur le site, le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du contrat ne pouvait correspondre qu'à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir. Ce jugeant, elle a donc refusé de tenir compte, pour déterminer si le montant de l'indemnité accordée par la commune au titre de la résiliation du contrat était excessif au regard du préjudice en résultant pour le cocontractant au titre du gain dont il a été privé, du prix qu'il pouvait tirer de la cession des droits qu'il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l'exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail.

(16 décembre 2022, SNC Grasse-Vacances, n° 455186)

 

25 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

La célèbre plage de Pampelonne située sur le territoire de la commune de Ramatuelle est une nouvelle fois le théâtre d'un contentieux récurrent aussi prolifique que les grains de sable qui la composent.

La société Le Chalet des jumeaux a obtenu de la cour administrative d'appel plusieurs arrêts prononçant la résiliation des traités de sous-concession du service public balnéaire relatifs à plusieurs lots conclus entre la commune de Ramatuelle et divers attributaires.

La commune, seule ou avec un attributaire, a saisi le Conseil d'État de sursis à l'exécution de ces arrêts de résiliation.

Estimant satisfaites les deux conditions qui doivent être réunies pour prétendre obtenir un tel sursis, le Conseil d'État prononce dans chacune de ces espèces la suspension de l'arrêt litigieux.

Tout d'abord, il est jugé que l'exécution au 1er avril 2023 (début de la saison balnéaire) de l'arrêt querellé risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables compte tenu des incidences financières potentiellement très lourdes de cette résiliation au regard du budget de la commune.

Ensuite, deux moyens d'erreurs de droit invoqués par les demandeurs au sursis paraissent, en l'état, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de l'arrêt attaqué, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond. Il s'agit d'abord de ce que la cour a estimé que les irrégularités relevées devaient conduire à la résiliation du contrat sans rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice entachant la validité du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, ne permettait pas la poursuite de l'exécution du contrat. Il s'agit ensuite de ce que la cour a jugé que les lots auraient dû être répartis en fonction de leur « niveau de standing », la commune s'étant arrogée un pouvoir discrétionnaire d'attribution des lots, faute d'avoir procédé à cette répartition.

(6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

(26) V. aussi, identiques en tout point : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

 

27 - École normale supérieure de Lyon (ENS) - Procédure de conclusion des contrats - Recours d'un tiers aux contrats de l'ENS - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de l'arrêt d'appel confirmatif, rejetant son recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la délibération n° III-2-B adoptée le 14 décembre 2015 par le conseil d'administration de l'ENS de Lyon, approuvant une convention pour la souscription et la mise en œuvre d'un contrat de partenariat public-privé relatif au projet de réhabilitation, restructuration et mise aux normes du site Monod de l'ENS de Lyon.

Son pourvoi est rejeté au terme d'une analyse qui peut surprendre.

La procédure de conclusion des contrats conclus par cet établissement s'effectue en deux temps : signature du contrat par le président de l'ENS et soumission du contrat signé au conseil d'administration.

C'est ce schéma procédural qui entraîne, selon le juge, l'irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir du demandeur.

En effet, le recours dit « Tarn-et-Garonne » (cf. Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, Rec. Leb. p. 70) n'est ouvert au tiers à un contrat que s'il comporte des moyens dirigés contre l'acte d'approbation du contrat non lorsqu'il comporte des moyens dirigés contre le contrat lui-même.

Sans doute trompé par l'intervention subséquente du conseil d'administration de l'ENS, le requérant a cru y voir un acte d'approbation d'un contrat qui était déjà signé d'où son recours. Cependant, le Conseil d'État rejette cette analyse : l'intervention du conseil d'administration  participe « en réalité au processus de sa conclusion ».

Cette déduction opérée par le juge peut se discuter car les choses ne sont pas aussi nettes. L'art. L. 712-3 du code de l'éducation dispose que le conseil d'administration de l'ENS « (...) 3°/ ... approuve les accords et les conventions signés par le président de l'établissement (...) ». Le terme « approuve » semble permettre de qualifier l'intervention du conseil d'administration comme une « approbation » contrairement à ce qui est jugé ici, et, constituant une « approbation » il peut donner, nous semble-t-il, ouverture à un recours « Tarn-et-Garonne ».

Faut-il voir dans cette jurisprudence restrictive l'indice que ce dernier recours n'est vraiment qu'une exception et, comme telle, de droit étroit, voire, comme ici, particulièrement étroit (puisque exceptiones sunt strictissimae interprÉtationis comme l'on ne dit plus guère) ?

(2 décembre 2022, M. D., n° 454318)

(28) V. aussi, du même jour, jugeant sur recours des héritiers du requérant précédent reprenant l'instance qu'il avait introduite, que M. D. n'était pas recevable à contester le contrat de partenariat conclu le 18 avril 2018, dans le cadre du projet « Lyon campus » portant sur la réhabilitation des bâtiments abritant l'École normale supérieure de Lyon (ENS) sur le site Monod, entre l'Université de Lyon et la société Neolys, car en invoquant seulement sa qualité de membre du conseil d'administration de l'ENS de Lyon ou d'enseignant chercheur, il n'établit pas la possibilité d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation du contrat litigieux ou par ses clauses : 2 décembre 2022, M. D. et Mme D., héritiers de M. D., n° 454323.

 

29 - Exécution d’un marché – Survenue d’un différend – Obligation pour le titulaire de présenter un mémoire en réclamation avant toute saisine du juge (cf. art. 50.1.1 du CCAG Travaux) – Copie au maître d’œuvre du mémoire en réclamation adressé au maître d’ouvrage – Indemnité due – Rejet.

La société Can, chargée par le Grand port maritime de Marseille (GPMM), d’un marché de travaux de dragage d'entretien des postes d'attente fluviaux sur les bassins ouest de ce port, a demandé la résiliation de ce marché en raison de la tardiveté de la notification de l'ordre de service de la première tranche de ces travaux. Le GPMM a résilié le marché aux torts de la société. Celle-ci a obtenu du tribunal administratif l’indemnisation des frais engagés pour assurer l’exécution du marché.

Après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif et renvoi devant elle, la cour administrative d’appel a confirmé le rejet qu’elle avait prononcé du recours du GPMM contre le jugement et maintenu le montant d’indemnisation fixé par le Conseil d’État.

Le GPMM saisit à nouveau le juge de cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, s’il est exact que les art. 46.2.1 et 50.1.1. du CCAG Travaux imposent au titulaire du marché, en cas de différend survenu dans le cours de l’exécution du marché, à peine d’irrecevabilité du recours contentieux, de présenter au maître d’œuvre une réclamation par demande écrite dûment justifiée et si, en l’espèce, le titulaire n’a présenté qu’une demande écrite ne satisfaisant qu’aux seules conditions de l’art. 46.2.1 du CCAG, c’est sans dénaturation, dans le cadre de son appréciation souveraine, que la cour a jugé satisfaite l’exigence d’une réclamation conforme aux dispositions de l’art. 50.1.1. du CCAG dès lors qu’avait bien été présentée au maître d’ouvrage une réclamation conforme à ce dernier article et qu’il en avait été adressé copie au maître d’œuvre.

Ensuite, c'est sans erreur de droit que la cour a estimé que certaines des dépenses faites par le titulaire après le terme de la période de préparation lui ouvraient droit à indemnité sur le fondement de l’art. 46.2.1. du CCAG lequel n’interdit pas l’indemnisation des frais et investissements exposés après le terme de la période de préparation dès lors que ces dépenses ont été engagées pour le marché et sont nécessaires à son exécution.

Le pourvoi est rejeté.

(29 décembre 2022, Grand port maritime de Marseille, n° 458678)

 

Droit du contentieux administratif

 

30 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Société le Byblos, n° 465723 et Commune de Ramatuelle, n° 468212 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

31 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux sur la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui aperçoit une circonstance de nature à faire naître un doute sérieux sur la date de son entrée vigueur le fait de prononcer la sanction disciplinaire de la radiation des cadres à l'encontre d'un agent placé en congé pour maladie alors qu'une telle position ne fait obstacle ni à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni à l'entrée en vigueur de la décision de sanction en résultant.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

 

32 - Compétence matérielle du juge administratif - Refus par un service préfectoral d'accomplir une formalité obligatoire pour lui - Publicité de l'inclusion de voies privées dans la voirie publique - Rejet de la compétence du juge administratif - Erreur de droit - Annulation.

L'ensemble immobilier « Super Antibes », représenté par son syndic, a demandé l'annulation de la décision par laquelle le chef du bureau des affaires foncières et de l'urbanisme de la préfecture des Alpes-Maritimes a refusé de procéder à la publication au service de la publicité foncière d'un arrêté préfectoral du 8 août 1957 fixant le classement d'office dans la voirie urbaine d'une commune des voies privées du groupe d'habitations « Super Antibes ».

Par une ordonnance confirmative, le président d'une chambre de la cour administrative d'appel a rejeté sa demande au motif que la juridiction administrative était incompétente pour en connaître.
Le demandeur se pourvoit en cassation.

Accueillant le pourvoi, le Conseil dÉtat aperçoit dans ces ordonnances d'incompétence une erreur de droit résultant d'une méprise sur la portée de l'acte attaqué ; en effet, dès lors qu'était en cause une décision émanant des services de la préfecture et se bornant à constater qu'un arrêté préfectoral de 1957 portant classement d'office de voies privées dans la voirie urbaine dont se prévaut l'ensemble immobilier requérant n'a pas fait l'objet de la publicité foncière pourtant obligatoire et à indiquer qu'un transfert d'office de ces voies ne résulte que d'une initiative de la commune, le contentieux en découlant relevait de la compétence de la juridiction administrative.

(9 décembre 2022, Ensemble immobilier « Super Antibes », n° 460574)

 

33 - Recours en révision - Cas d'ouverture - Notion de pièce fausse - Décision rendue sans respect des règles fondamentales de procédure - Absence - Rejet.

Les requérants ont formé un recours en révision d'une décision du Conseil d'État rejetant leur pourvoi. Ils invoquaient l'existence en l'espèce de deux des trois cas qui, selon l'art. R. 834-1 CJA, donnent ouverture à un recours en révision. Cette voie de droit étant extraordinaire chacun des cas est apprécié restrictivement.

Tout d'abord, ils soutenaient que le Conseil d'État aurait statué sur leur pourvoi en cassation au vu de documents, non précisément identifiés par eux, « obsolètes et parfaitement caduques», dont la partie adverse aurait fait une présentation et une utilisation fallacieuse dans le but d'égarer le juge. Pour autant, ces affirmations n'établissent pas que la décision dont la révision est demandée aurait été fondée sur des pièces fausses.

Ensuite, ils ne sauraient non plus alléguer le défaut de contradictoire dès lors qu'ils n'établissent pas que la décision attaquée serait intervenue sans qu'aient été observées les dispositions du CJA relatives à la composition de la formation de jugement, à la tenue des audiences ainsi qu'à la forme et au prononcé de la décision.

(9 décembre 2022, M. et Mme B., n° 463786)

 

34 - Réouverture de l'instruction - Circonstance de droit nouvelle - Jurisprudence nouvelle du Conseil d'État - Évolution prévisible du fait de la jurisprudence de la CJUE - Rejet.

N'est pas entaché d'irrégularité l'arrêt d'appel qui se borne à viser, sans l'examiner, un mémoire produit après la clôture de l'instruction et invoquant une circonstance de droit nouvelle tirée d'une jurisprudence nouvelle du Conseil d'État dès lors que cette dernière ne fait que reprendre une jurisprudence antérieure de la CJUE. En effet, il ne s'agissait pas en l'espèce d'une production contenant l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, ce qui aurait contraint le juge à en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

(12 décembre 2022, Société d'édition des artistes peignant de la bouche et du pied (APBP), n° 441063)

 

35 - Silence d'une autorité administrative valant acceptation - Cas d'une demande de certificats d'économies d'énergie hors opérations spécifiques - Retrait impossible après expiration d'un délai de deux mois - Invitation à produire des pièces complémentaires - Décision faisant grief - Annulation.

(12 décembre 2022, Association « Réduisons le CO² », n° 447144)

V. n° 4

 

36 - Litiges en matière d'impôts locaux, dont la taxe sur le foncier bâti - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif - Conclusions portant à la fois sur cette taxe et sur la cotisation foncière des entreprises (CFE) - Compétence possible de la juridiction d'appel - Divisibilité de la compétence pour connaître du recours faute de connexité - Rejet.

Le tribunal administratif statue normalement en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux (cf. art. R. 811-1 CJA) et donc, notamment, sur les litiges relatifs à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

Toutefois, par exception, les recours en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties dirigés contre les décisions statuant également sur des conclusions relatives à la cotisation foncière des entreprises, sont susceptibles d'appel à la double condition, d'une part, que l'examen du contentieux portant sur ces deux impositions ait lieu à la demande du même contribuable et que les deux impositions reposent en tout ou partie sur la valeur des mêmes biens, appréciée la même année.

S'il y a connexité, le recours en ses deux branches relève du Conseil d'État ; à défaut de connexité, la partie du recours portant sur le foncier bâti relève du Conseil d'État et celle relative à la CFE de la voie de l'appel.

(12 décembre 2022, Société EGM Wind, n° 459058)

 

37 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Erreur matérielle ayant eu une influence sur le sens de la décision - Rectification des visas, des motifs et du dispositif.

Le requérant avait demandé la rectification pour erreur matérielle d'une décision du Conseil d'État dont les visas et les motifs analysent le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance enregistrée sous le n° 443811 comme tendant à l'annulation du jugement attaqué, à laquelle procède, conformément à ses motifs, le dispositif de cette décision, alors que ce pourvoi ne tendait, ainsi qu'il ressort de ses termes mêmes, à l'annulation de ce jugement qu'en tant qu'il portait sur les années 2017 et 2018.

Le pourvoi est admis et les rectifications nécessaires sont opérées car ce n'est que du fait d'une erreur purement matérielle que le Conseil d'État, qui n'a pas porté sur ce point d'appréciation d'ordre juridique, s'est mépris sur la portée exacte des conclusions de ce pourvoi. Or cette erreur, qui ne peut être regardée comme étant imputable aux parties, a eu une influence sur le sens de la décision rendue le 12 mai 2022. 

(12 décembre 2022, Syndicat mixte d'élimination et de valorisation des déchets du Calaisis, n° 465668)

 

38 - Représentation de l'État en justice - Ministre représentant l'État dans une instance différent de celui le représentant dans une autre instance - Refus de reconnaître l'autorité de chose jugée par le précédent jugement - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement du litige au fond).

Dans un litige en contestation du refus du ministre de l'intérieur d'octroyer à un gardien de la paix le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité est posée une question d'autorité de chose jugée du jugement rendu dans une instance où l'État était représenté par le ministre de l'intérieur.

Le tribunal, saisi d'un recours contre un nouveau refus opposé à l'intéressé à sa demande d'allocation temporaire d'invalidité, a estimé que ne pouvait pas être opposée l'autorité de chose jugée par le premier jugement car le ministre de l'action et des comptes publics n'avait pas été appelé dans l'instance.

Le jugement est cassé car la première procédure a bien revêtu un caractère contradictoire à l'égard de l'État dès lors que celui-ci y était représenté par un ministre, l'absence de mise en cause du ministre de l'action et des comptes publics étant sans incidence à cet égard.

Cette solution, qui peut s'autoriser des motifs de célérité et de caractère pratique, s'éloigne toutefois d'une attitude jurisprudentielle plus stricte car il convient de concilier le principe d'unité de l'État (et aussi de l'unité de sa caisse) et celui de la délimitation stricte des compétences propres à chaque ministre.

(13 décembre 2022, M. A., n° 443465)

 

39 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

V. n° 204

 

40 - Demande de renvoi pour suspicion légitime - Éléments de fait invoqués impuissants à caractériser un doute légitime sur l'impartialité d'une juridiction - Rejet.

Le requérant demandait le dessaisissement de la cour administrative d'appel de Versailles, normalement compétente pour connaître de sa requête, et le renvoi de celle-ci à une autre cour administrative d'appel, au motif que l'affaire dont est saisie cette cour administrative concerne les fonctions d'adjoint administratif stagiaire qu'il a exercées au sein de la cour judiciaire d'appel de Versailles et de certaines juridictions judiciaires du ressort de celle-ci et que les deux cours, judiciaire et administrative, ont leur siège dans la même commune.

Sans surprise, il est jugé que cette circonstance n'établit pas, par elle-même, une suspicion légitime de partialité à son endroit de la part de cette cour administrative d'appel.

(27 décembre 2022, M. B., n° 463005)

 

41 - Principe du caractère contradictoire de l’instruction des affaires (art. L. 5 CJA) – Renvoi après cassation – Reprise d’instance - Obligation pour le juge du renvoi de mettre les parties en état de produire, le cas échéant, de nouveaux mémoires – Conséquences – Annulation.

Dans un litige portant sur la contestation de la notation d’un fonctionnaire et au visa de l’art. L. 5 du CJA, le Conseil d’État expose assez complètement les conséquences qu’implique, après cassation, la reprise d’instance devant la juridiction de renvoi.

La juridiction du fond à laquelle est opéré le renvoi d’une affaire après cassation doit, en vertu du principe de l’instruction contradictoire des dossiers, mettre les parties à même de produire de nouveaux mémoires pour adapter leurs prétentions et argumentations en fonction des motifs et du dispositif de la décision du Conseil d'État.

De là découle directement pour le juge de renvoi l’obligation de notifier la reprise de l'instance soit au mandataire qui représentait la partie dans l’instance cassée, soit, si la juridiction de renvoi a été préalablement informée du choix d’un autre mandataire par la partie concernée, au nouveau mandataire, ou, en cas d’impossibilité, d'effectuer la notification à la partie elle-même.

Dans tous les cas, outre la notification, toujours obligatoire à peine d’irrégularité, au mandataire, la juridiction de renvoi peut décider d'informer la partie elle-même.

Cette dernière solution nous semble la plus convenable.

(22 décembre 2022, M. A., n° 441300)

 

42 - Révocation d’un avocat ou rétractation de son mandat – Sort des obligations de l’avocat premier choisi – Régime du report d’audience – Rejet.

Dans le cadre d’un litige en contestation d’un arrêté préfectoral ayant autorisé la création d’une association foncière pastorale autorisée, le Conseil d’État rappelle deux points de procédure.

En premier lieu, lorsque dans les litiges où le ministère d’avocat est obligatoire, soit la partie qui l’a désigné révoque le mandat de son avocat soit ce dernier met lui-même un terme à son mandat, l’avocat – en vertu d'une règle générale de procédure - est tenu d’assurer ses obligations professionnelles jusqu’à la constitution de l’avocat qui le remplace. Cet incident étant sans effet sur le déroulement de la procédure juridictionnelle il s’ensuit que le juge, auquel il incombe de veiller à la bonne administration de la justice, n'a aucune obligation, hormis le cas où des motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire l'imposeraient, de faire droit à une demande de report de l'audience formulée par une partie.

Il n'a pas davantage à motiver le refus qu'il oppose à une telle demande.

(22 décembre 2022, M. B., n° 450762)

 

43 - Décision – Absence de caractère décisoire - Documents de portée générale émanés des autorités publiques – Absence d’un tel caractère – Irrecevabilité manifeste du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(23 décembre 2022, M. B., n° 453205)

V. n° 7

 

44 - Médiation en procédure administrative – Soumission au principe d’impartialité – Magistrat désigné médiateur exerçant ensuite la fonction de rapporteur public dans le même litige – Atteinte au principe d’impartialité – Rejet.

Le principe d’impartialité, lequel est évidemment applicable au médiateur désigné ou choisi dans le cadre d’un procès administratif, s’oppose à ce qu’une personne soit successivement appelée à assurer la fonction de médiateur puis celle de rapporteur public dans l’instruction du litige où elle a exercé la médiation.

(29 décembre 2022, Société GEMCO, n° 459673)

 

45 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice (art. R. 811-15 CJA) – Jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative – Jugement susceptible de faire l’objet d’une demande de sursis à l’exécution - Rejet.

Il est possible de demander au juge qu’il prononce le sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel ou d’un jugement ou d’un arrêt faisant l’objet d’un pourvoi en cassation lorsque l’exécution de la décision de justice contestée entraînerait des conséquences difficilement réparables.

Pour la première fois, à notre connaissance, il est jugé possible d’utiliser la procédure du sursis à exécution à l’encontre d’un jugement constatant l’inexistence d’une décision administrative (ici la délibération d’un conseil municipal et la décision subséquente de résiliation d’un contrat), un tel jugement devant être considéré comme prononçant l’annulation d’une décision administrative au sens des dispositions de l’art. R. 811-15 CJA.

(29 décembre 2022, Commune de Loos, n° 463598)

 

46 – Intervention – Intervention au soutien d’une QPC – Nécessité d’un mémoire distinct – Absence – Irrecevabilité – Rejet.

Le requérant a soulevé une QPC au soutien du recours dirigé contre la mise en œuvre à son encontre des dispositions de l’art. 32 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France ; un tiers a formé une intervention en demande aux côtés du requérant mais sans respecter la forme exigée par l’art. R. 632-1 du CJA selon lequel l’intervention s’effectue par un mémoire distinct de celui du demandeur principal. Le non-respect de cette exigence est sanctionné par l’inéligibilité, d’où le rejet de l’intervention.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

47 - Tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel - Mise à jour des paramètres départementaux - Contestation par voie d'exception d'illégalité impossible - Recours pour excès de pouvoir - Méthodologie du juge - Annulation partielle.

La société requérante poursuivait l'annulation de l'arrêt rejetant son recours contre la décision de la commission départementale des valeurs locatives des locaux professionnels de la Seine-Saint-Denis portant mise à jour des paramètres départementaux d'évaluation des locaux professionnels en ce qu'elle assigne un coefficient de localisation de 1,3 aux parcelles de la section cadastrale BI de la commune de Tremblay-en-France.

Il résulte des dispositions du XV de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010, codifiées à l'article 1518 F du CGI, que les décisions fixant les tarifs applicables pour la détermination de la valeur locative d'un local professionnel ou la fixation d'un coefficient de localisation ne peuvent pas être contestées par la voie de l'exception à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie. Toutefois, le juge considère que ces décisions peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En l'espèce, en premier lieu, la requérante soutenait, sans être contredite par l'administration, que la section BI, située sur le territoire de la commune de Tremblay n° 6 auquel cette section appartient, comprenait, à la date à laquelle les loyers servant à la révision des valeurs locatives ont été observés, au sein de ce secteur d'évaluation, la totalité des biens des catégories de locaux professionnels, définies par l'article 310 Q de l'annexe II au code général des impôts, soit les hôtels, les magasins appartenant à un ensemble commercial et ceux de grande surface, la majorité des locaux assimilables à des bureaux ou à usage de bureaux, des parcs de stationnement à ciel ouvert ou couverts.

En second lieu, la requérante soutenait également que, compte tenu des règles de détermination des valeurs locatives, il résultait directement de cette situation que les tarifs moyens au mètre carré retenus pour les locaux situés dans les limites de l'ensemble du secteur d'évaluation n° 6 étaient déterminés, entièrement pour les quatre premières catégories et de manière prépondérante pour les quatre dernières, par les loyers moyens au mètre carré observés, pour ces mêmes catégories, au sein des parcelles de la section cadastrale en litige, ce qui excluait toute possibilité d'appliquer un coefficient de localisation à ces parcelles, sauf à majorer indûment, pour une grande part des locaux situés dans les limites de cette section, les tarifs moyens qui y étaient appliqués, en contrariété avec la logique de la révision des valeurs locatives des locaux professionnels.

Or dans son arrêt confirmatif la cour a écarté le moyen ci-dessus par le motif que la société requérante ne produisait aucun élément à l'appui de ses affirmations ni aucune précision de nature à les étayer. L'arrêt est cassé pour erreur de droit en considérant, d'une part, que le motif retenu par la cour était démenti par les pièces versées au dossier et d'autre part  qu'en présence d'allégations sérieuses non contestées par l'administration, il revenait à la cour d'apprécier le bien-fondé de la contestation qui lui était soumise au vu des éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction et en sollicitant, le cas échéant, des éléments de l'administration fiscale en charge d'établir les valeurs locatives cadastrales.

(5 décembre 2022, Société anonyme Aéroports de Paris, n° 461428)

 

48 - Mise à disposition de salariés de mobil-homes - Qualification en véritables logements ou en hébergements professionnels à caractère temporaire - Mise à disposition constituant une rémunération occulte - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

Une entreprise d'installation de systèmes thermiques et climatiques a fait l'objet de divers rehaussements de droits et taxes car l'administration fiscale a qualifié de rémunérations occultes versées à ses salariés des montants correspondant aux frais de location de plusieurs mobil-homes, enregistrés dans les comptes de l'entreprise sans avoir fait l'objet d'une inscription explicite en tant qu'avantage en nature. L'administration a donc refusé leur déductibilité au titre des charges des exercices en cause pour l'établissement de l'impôt sur le revenu.

Cependant le contribuable soutenait que ces logements, qui étaient partagés dans des conditions précaires et temporaires par plusieurs ouvriers, ne pouvaient être regardés comme destinés à l'usage personnel de ceux-ci.

Or la cour a refusé la déduction des sommes correspondantes faute de comptabilisation explicite de ces éléments en tant que tels, la location de mobil-homes pour les besoins des salariés constituant nécessairement selon elle des avantages en nature accordés à ceux-ci. L'arrêt est cassé pour l'erreur de droit ayant consisté à ne pas rechercher si ces salariés pouvaient en l'espèce être regardés comme bénéficiant de tels avantages du fait de l'occupation, en tout ou partie, de lieux présentant le caractère de véritables logements ou s'il s'agissait seulement d'hébergements professionnels à caractère temporaire.

(5 décembre 2022, M. A., n° 462577)

 

49 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination de la valeur locative d'immobilisations industrielles assujettissables à la taxe - Établissement de la valeur d'origine - Cas d'un bail à construction arrivé à terme assorti de la remise des biens sans indemnité au bailleur - Erreur de droit - Annulation.

La société contribuable a conclu avec la société MPO International plusieurs baux à construction pour une durée de trente ans sur des terrains lui appartenant. Au terme du dernier de ces contrats la société preneuse a remis à la requérante, sans indemnité, les bâtiments industriels construits et exploités jusque-là par elle sur ces terrains. L'administration a alors transféré de la société MPO international à la requérante la charge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties d'abord imputées à la première de ces sociétés. Pour l'établissement de la valeur locative qu'elle a retenue, l'administration s'est fondée sur le prix de revient pour la société MPO International des constructions qu'elle avait édifiées.

La contribuable requérante se pourvoit en cassation du jugement rejetant sa demande de décharge de ces impositions.

Accueillant le pourvoi, le Conseil d'État précise d'abord que les locaux industriels qui ont fait l'objet, au terme d'un bail à construction, d'une remise sans indemnité au bailleur, doivent être regardés comme ayant été acquis à titre onéreux par ce dernier, dès lors qu'une telle remise constitue la fraction en nature de la rémunération par le preneur de la prestation qui lui a été fournie par le bailleur en exécution du contrat.

Ensuite, s'agissant de déterminer la valeur d'origine de ces locaux, le juge estime qu'il peut être recouru soit à une méthode directe s'appuyant sur leur valeur vénale en fin de bail telle qu'elle aurait pu être estimée à la date de signature de celui-ci, soit à une méthode fondée sur la fraction, également appréciée à cette date, de la valeur de marché des loyers que le bailleur a renoncé à percevoir sous forme monétaire pendant la durée du bail.

Enfin, et quoi qu'il en soit de la méthode choisie, les premiers juges ont commis une erreur de droit en décidant que l'administration fiscale pouvait, après avoir écarté la valeur d'un euro à laquelle la société Domaine de Lorgerie avait comptabilisé à l'actif de son bilan les bâtiments industriels reçus sans indemnité de la société MPO International, déterminer la valeur locative de ces locaux en se fondant sur leur prix de revient pour la société MPO International, tel qu'il ressortait des documents comptables produits par cette société dans le cadre de la réclamation qu'elle avait formée en contestation des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle avait initialement été assujettie.

(5 décembre 2022, Société Domaine de Lorgerie, n° 463427)

(50) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit le jugement qui dit légale la décision de l'administration fiscale d'émettre, en matière de taxe sur le foncier bâti, un rôle particulier à l'encontre de la société requérante sur le fondement de l'article 1508 du CGI au motif que celle-ci n'avait pas rempli l'obligation déclarative qui lui incombait dans le cadre de la réévaluation foncière des locaux professionnels de 2011 en vertu de l'article 1502 du CGI alors que les redevables ne sont tenus de souscrire la déclaration prévue à l'article 1502 précité que dans la seule hypothèse d'une révision générale des évaluations : 12 décembre 2022, SCI Eguna, n° 453503.

(51) V. également, apercevant une erreur de droit, pour mauvaise interprétation du 12° de l'art. 1382 CGI, dans le jugement refusant à la société redevable, en matière de production d'énergie photovoltaïque, le bénéfice de l'exonération de taxe sur le foncier bâti pour des constructions qui sont le support nécessaire des équipements techniques permettant cette production d'électricité, tels les postes de transformation et de livraison et leurs terrassements : 12 décembre 2022, Société Le Betout Energies, n° 453995.

 

52 - Contestation par un redevable du bien-fondé des impositions mises à sa charge - Obligation de constituer des garanties - Offre de la société mère, société de droit allemand, de se porter caution - Juge devant seulement se prononcer sur le caractère suffisant de la garantie - Erreur de droit - Annulation.

Le redevable qui entend contester le montant des impositions mises à sa charge ou les refus de dégrèvements doit, si les sommes litigieuses excèdent un certain seuil, constituer une garantie auprès du comptable du trésor. La caution est au nombre des sûretés personnelles admises par l'art. R. 277-1 du livre des procédures fiscales.

La requérante se pourvoit contre l'arrêt d'appel confirmatif estimant que l'offre de sa société mère de se porter caution dans les formes voulues par l'administration ne constituait pas une garantie propre à assurer le recouvrement de sa créance par le trésor public, celui-ci est cassé pour n'avoir pas recherché seulement, alors que le cautionnement est au nombre des sûretés personnelles admises par la disposition précitée du LPF, si cette garantie présentait au cas de l'espèce un caractère suffisant.

(12 décembre 2022, Société Stauff, n° 453950)

 

53 - Réintégration de recettes dans l'assiette de l'impôt - Commission départementale des impôts ayant estimé réintégrée à tort une partie de cette somme - Administration fiscale s'étant rangée à cet avis - Somme déduite une seconde fois par la juridiction d'appel - Dénaturation des pièces du dossier - Arrêt statuant ultra petita - Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et statue ultra petita la cour administrative d'appel jugeant que l'administration avait à tort inclus dans les revenus professionnels de M. C. au titre de l'année 2009 la somme de 181 170 euros, alors que cette somme avait, ainsi que le contribuable l'indiquait lui-même dans ses écritures, déjà été déduite des bases d'imposition pour tenir compte de l'avis de la commission départementale. 

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 463750 ; M. C. représentant l'hoirie C., n° 464613)

 

54 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

V. n° 78

 

55 - Impôt sur les sociétés et contributions additionnelles - Société mère absorbée par une société devenue mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré - Régime des déficits reportables - Moyen relevé d'office - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 223 A, 223 I, 223 L et 223 S du CGI qu'en principe les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré lorsque celui-ci a cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe en vertu de l'article 223 S du CGI.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l'espèce,  la société mère est absorbée par une société qui se constitue mère d'un nouveau groupe fiscal intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve de l'obtention de l'agrément prévu en ce cas. Ces déficits, sous la condition qui vient d'être indiquée peuvent également être imputés sur les bénéfices des sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe.

Ainsi commet une erreur de droit l'arrêt d'appel confirmatif jugeant que la société Poweo, renommée Direct Energie, après avoir absorbé la société Direct Energie, mère du groupe fiscalement intégré constitué avec les sociétés Direct Energie Distribution et Direct Energie Génération, avait pu légalement cumuler le bénéfice des mécanismes d'imputation des déficits antérieurs à la constitution du nouveau groupe prévus respectivement par les dispositions du a du 1 et par celles du 5 de l'art. 223 I du CGI. En effet, ce jugeant la cour a méconnu le champ d'application des dispositions législatives en cause car elle a permis, sur le fondement du 5 de l'art. 223 I précité, l'imputation sur les bénéfices de la société absorbante des déficits constitués par l'ancien groupe qui lui avaient été transférés en vertu du 6 de cet article, alors que ces dispositions ne permettent l'imputation des déficits constitués par l'ancien groupe que sur les résultats des sociétés membres de ce groupe et qui font partie du nouveau groupe.

Ce moyen n'avait pas été soulevé par le ministre en cassation mais, parce qu'il concerne le champ d'application de la loi, il doit être relevé d'office par le juge  « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens du pourvoi ».

Semblablement, méconnaît le champ d'application de la loi le jugement du tribunal administratif dans cette affaire en ce qu'il a estimé que le 5 de l'article 223 I du CGI autorisait la société absorbante Poweo, au titre des déficits, à opérer sur ses bénéfices propres une imputation supplémentaire, le tribunal a méconnu le champ d'application de ces dispositions dès lors que les déficits antérieurs effectivement imputés par la société Direct Energie sur ses bénéfices propres de l'exercice clos en 2013 lui ont permis d'obtenir une déduction égale au plafond mentionné ci-dessus, quand bien même n'auraient pas été pris en compte les déficits constitués par l'ancien groupe et transférés en vertu du 6 de l'article 223 I du code général des impôts. En effet, les déficits subis par la société absorbante Poweo, renommée Direct Energie, antérieurement à la constitution du nouveau groupe fiscalement intégré ainsi que les déficits de la société absorbée qui lui avaient été transférés en vertu des agréments délivrés par l'administration fiscale respectivement sur le fondement du II de l'article 209 du CGI et du 6 de l'article 223 I dudit code, pouvaient être imputés uniquement sur ses bénéfices propres ultérieurs en application du a du 1 de cet article 223 I, dans la limite du plafond prévu par le troisième alinéa du I de l'article 209.

Là encore le moyen est relevé d'office.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 451553)

 

56 - Crédit d'impôt - Production d'électricité photovoltaïque - Biens amortissables dégressivement - Cas de travaux relatif à la mesure de l'électricité distribuée - Refus d'éligibilité au crédit d'impôt - Qualification inexacte des faits - Annulation de l'arrêt et rejet du recours.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce la cour administrative d'appel qui juge que ne sont pas éligibles au crédit d'impôt prévu pour la réalisation d'installations productrices d'énergie au sens de l'article 22 de l'annexe II au CGI des travaux de raccordement au réseau public d'EDF relatifs à la mesure de l'électricité distribuée alors que le compteur situé au point de livraison et le dispositif d'échange d'informations d'exploitation installés à l'occasion de ces travaux de raccordement sont des installations indispensables et normalement utilisées pour la production d'électricité photovoltaïque exercée dans l'installation au titre de laquelle le crédit d'impôt était sollicité.

(14 décembre 2022, Société Cocli Energie, n° 447908)

 

57 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) - Inclusion dans l'assiette du calcul de cette cotisation de plus-values résultant de la cession d'immeubles - Condition d'activité normale et courante de l'entreprise (art. 1586 sexies CGI) - Cessions ne constituant pas l'activité normale de la contribuable - Erreur de qualification juridique et insuffisance de motivation - Annulation.

Il résulte des dispositions des art. 1585 quinquies et 1585 sexies du CGI que la CVAE est calculée sur le chiffre d'affaires réalisé et la valeur ajoutée produite notamment par les « plus-values de cession d'immobilisations corporelles et incorporelles, lorsqu'elles se rapportent à une activité normale et courante ».

La société requérante a pour objet social la location d'immeubles, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles. Suite à une vérification menée par l'administration fiscale, elle conteste la réintégration dans sa base d'imposition à la CVAE du montant des plus-values qu'elle a réalisées lors de la cession d'immeubles.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d'appel a rejeté sa contestation car elle a estimé que les gains de cession d'immeubles perçus au cours des exercices vérifiés devaient être regardés comme résultant de l'activité normale et courante de la société. Elle s'est fondée à cet effet sur ce que l'objet social de la contribuable comprend non seulement la location, mais aussi l'achat et la vente d'immeubles et en a déduit que la vente d'immeubles fait partie de son activité normale et courante au sens et pour l'application de l'art. 1585 sexies CGI précité. Relevant ensuite qu'elle avait cédé neuf immeubles en 2011 et onze immeubles en 2012, pour un prix de vente de plus de 4 millions d'euros chaque année, et effectué des cessions pour un montant équivalent en 2009 et 2010, elle a jugé que ces cessions avaient un caractère régulier, que les plus-values en résultant, de l'ordre de deux millions d'euros en 2011 et trois millions d'euros en 2013, représentaient une part significative des profits de la société, dont le résultat d'exploitation s'élevait pour ces années à environ six millions d'euros, et enfin que la société n'apportait aucune précision sur les raisons pour lesquelles elle avait décidé de céder les biens en cause. En conséquence, elle en a conclu que la vente d'immeubles faisait partie intégrante de l'activité économique de la société et de son modèle économique.

Pour annuler cette motivation qui, en apparence, paraissait assez solide, le juge de cassation reproche à la cour d'avoir commis une erreur de qualification juridique en jugeant que les plus-values devaient être incluses dans l'assiette de la CVAE à laquelle la requérante a été assujettie au titre des années 2011 et 2012. En effet, le juge retient que la société faisait valoir, sans être sérieusement contredite par l'administration, que ces cessions, dont elle ne contestait pas le caractère régulier, ne portaient que sur une dizaine d'immeubles par an, quantité qui devait être rapportée à la détention d'un parc total d'environ deux cent quatre-vingts immeubles. Ainsi pouvait-elle soutenir que ces cessions n'étaient aucunement indispensables à la bonne santé financière de l'entreprise car les produits d'exploitation locatifs se montant à près de quatorze millions d'euros par an et le résultat d'exploitation étant largement bénéficiaire indépendamment des plus-values de cession, son modèle économique reposait sur la détention durable des immeubles qu'elle mettait en location, leur cession n'étant pas systématiquement dictée par une dépréciation de ces immeubles dans le temps, et ne procédant pas d'une stratégie pré-établie de cessions systématiques ou à bref délai, mais d'arbitrages ponctuels, en fonction de l'état de l'immeuble et de facteurs locaux de commercialité.

(16 décembre 2022, Sarl Soval, n° 448403)

 

58 - Société gérant des activités de direction de sociétés spécialisée dans l'intérim - Reprise du fonds de commerce de cette société - Sous-location de ses anciens locaux par ladite société - Cessation de l'assujettissement à la TVA - Erreur de droit - Annulation.

La requérante - dont l'objet est la direction de sociétés spécialisées dans l'intérim - a demandé en vain au juge administratif de prononcer la décharge des rappels de TVA dont elle a fait l'objet et des pénalités dont étaient assortis ces rappels ainsi que le remboursement d'un crédit de TVA.

La cour administrative d'appel avait jugé que la circonstance que la société Qualygest France avait procédé à la sous-location des locaux - dans lesquels elle avait exercé son activité - au repreneur de son fonds de commerce ne permettait pas de la regarder comme ayant conservé la qualité d'assujettie à la TVA après la cession du fonds dès lors qu'elle aurait pu résilier le bail et qu'elle s'était bornée à facturer des sous-loyers.

Le Conseil d'État est à la cassation car il résulte des dispositions de l'art. 256 A du CGI que la sous-location constitue une activité économique et qu'elle entre ainsi dans le champ d'application de la TVA contrairement à ce qu'a jugé l'arrêt d'appel.

(16 décembre 2022, Société Qualygest France, n° 452853 et n° 452855)

 

59 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

Le pourvoi était dirigé contre un arrêt d'appel en ce qu'il a jugé que les démarches entreprises en l'espèce par les propriétaires avant la cession des parcelles en cause n'étaient pas au nombre des démarches actives de commercialisation foncière et que, par suite, ils ne pouvaient être regardés comme ayant exercé une activité économique en procédant à cette cession.

Pour rejeter le pourvoi du ministre, le Conseil d'État rappelle que l'assujettissement à la TVA de la cession, par une personne physique, d'un terrain à bâtir, est possible dans deux grandes catégories de situations : soit cette cession procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique, soit est, par là, réalisée une opération d'aménagement d'un terrain à bâtir, d'une ampleur telle qu'elle ne saurait relever de la simple gestion d'un patrimoine privé.

Cette catégorisation a sa logique étant toutefois observé que plus le terrain cédé par une personne physique est de grandes dimensions plus il y a de risque pour son propriétaire de relever de la seconde catégorie (ampleur de l'opération) ce qui introduit subtilement - et peut-être involontairement - une distinction fondée sur la surface au regard du champ d'application de laTVA, conséquence  sans doute inaperçue par le législateur.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

60 - Pourvoi incident portant sur une imposition distincte de celle sur laquelle porte le pourvoi principal - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel d'une solution constante : est irrecevable le pourvoi incident portant sur une imposition (ici l'impôt sur le revenu) différente de celle sur laquelle porte le pourvoi principal (la TVA). La raison en est que tout recours incident voit sa recevabilité subordonnée à ce que son contenu soit en étroit rapport avec l'objet du litige principal faute quoi il saisit le juge d'un litige nouveau, ce qui est le cas lorsque l'incident porte sur l'impôt sur le revenu tandis le principal concerne la TVA.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

 

61 - Pénalités fiscales - Pénalité de 40% pour défaut de dépôt dans les délais d'une déclaration fiscale ou de production de pièces nécessaires à l'établissement de l'impôt - Principe de personnalité des peines et principe de responsabilité petsonnelle - Conditions d'application et d'exception - Annulation.

Le pourvoi du ministre tendait à l'annulation d'un arrêt d'appel ayant prononcé la décharge de la majoration de 40% mise à la charge d'une société pour retard dans la souscription d'une  déclaration en vue de l'imposition.

Dans une rédaction solennelle et soignée, le juge de cassation rappelle le double principe gouvernant l'infliction de pénalités fiscales.

En premier lieu, est posée la règle que le principe de responsabilité personnelle et le principe de personnalité des peines s'opposent à ce que des pénalités fiscales, qui présentent le caractère d'une punition tendant à empêcher la réitération des agissements qu'elles répriment, puissent être prononcées à l'encontre de contribuables lorsque ceux-ci n'ont pas participé aux agissements que ces pénalités sanctionnent.

En second lieu cependant, il est indiqué que doit être regardé comme ayant pris personnellement part à un tel manquement la personne morale associée d'une société de personnes dont le gérant est aussi celui de cette société de personnes, ainsi que, le cas échéant, ce gérant s'il est lui-même associé de cette dernière société. 

En l'espèce, la cour a relevé que pour infliger la pénalité litigieuse l'administration n'établissait pas la participation de la société demanderesse (Sarl Fiorim) au retard déclaratif de son associée la SCI Les Terrasses du Prieuré. Pour annuler cet arrêt le Conseil d'État relève l'erreur de droit ayant consisté pour la cour à ne pas relever que la même personne était à la fois gérante des deux sociétés ce qui permettait que les pénalités en cause fussent mises à la charge de la société Fiorim.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 461887)

 

62 - Détermination du domicile du contribuable - Lieu d'adresse des actes de procédure administrative fiscale non contentieuse - Obligation pour l'administration fiscale d'établir où le redevable habite effectivement - Erreur de droit - Annulation.

Rappel de ce qu'il est toujours possible à l'administration de ne pas adresser les actes de procédure fiscale non contentieuse à l'adresse indiquée par le contribuable dès lors qu'elle établit le caractère fictif du domicile dont l'adresse lui a été indiquée. En ce cas, elle est fondée à retenir une autre adresse si elle prouve que c'est celle où le contribuable réside effectivement.

Par ailleurs, s'il est établi que le contribuable a eu connaissance de ces actes, il importe peu qu'ils aient été adressés à une adresse erronée ou qu'ils aient été retirés par des personnes qui n'y avaient pas été habilitées. 

En l'espèce, la cour avait jugé que, le contribuable ne résidant plus à l'adresse aux États-Unis dont l'administration fiscale avait connaissance ni dans une certaine rue sise à Aix-en-Provence comme il le soutenait, l'administration avait pu notifier ces actes de procédure à l'adresse de sa mère à Aix-en-Provence dans la mesure où, ressortant des relevés bancaires obtenus dans le cadre du droit de communication, cette adresse était la seule dont l'administration disposait.

En jugeant sur cette base que ces actes avaient été régulièrement notifiés au contribuable la cour a commis une erreur de droit car elle n'a pas recherché soit si le contribuable résidait effectivement à l'adresse de sa mère soit s'il avait eu connaissance des actes de procédure notifiés à cette adresse. 

Le pourvoi du redevable, fondé sur ce moyen, est admis au fond et l'arrêt annulé avec renvoi à son auteur.

(16 décembre 2022, M. A., n° 454528)

 

63 - Taxe professionnelle - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas d'exonération - Cotisation foncière des entreprises - Annulation pour l'essentiel.

Le groupement demandeur, opérateur de manutention portuaire du terminal dans le grand port maritime de Dunkerque, assure le déchargement des navires porteurs de grands vracs secs tels que charbon et minerais, le stockage de ces vracs sur des parcs à ciel ouvert et le rechargement, principalement sur navires et rail, en vue de l'alimentation en matières premières des industries lourdes françaises ou européennes.

Ce groupement a fait l'objet de cotisations supplémentaires de taxe professionnelle pour deux années et de cotisation foncière des entreprises pour une autre année. 

La demande de décharge de ces impositions supplémentaires a été partiellement accueillie par l'arrêt d'appel infirmatif contre lequel le ministre des finances se pourvoit.

Au visa des art. 1467 (taxe professionnelle), 1469 (détermination de la valeur locative), 1381 (taxe foncière sur les propriétés bâties) et 1382 (exonérations de la taxe foncière sur les propriétés bâties) du CGI, le juge de cassation estime que la cour administrative d'appel a à bon droit considéré  que, étant  spécifiquement adaptés à l'activité du GIE, le fossé filtrant et le parc à raclure ainsi que les installations relatives à l'éclairage du site et à la distribution électrique utilisées notamment pour le déchargement à quai de nuit, n'étaient pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du CGI comme exceptés de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties qu'institue l'art. 1381 du CGI.

Puis, il juge, au contraire, que la cour a, à tort, considéré comme spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel, quand bien même elles concourent à celles-ci, les immobilisations relatives aux portails d'accès, tout comme les travaux liés à l'aménagement des terre-pleins de stockage et à leur desserte ainsi que les travaux d'enrochement du sol et de reprofilage, qui se rapportent directement aux installations de stockage des pondéreux, entrent dans le champ d'application du 1° de l'article 1381 du CGI, tandis que les travaux liés à la desserte ferroviaire entrent, en tant qu'accessoires de la voie, dans le champ d'application de son 2°. De même, les travaux relatifs à la lagune d'évacuation, qui s'apparentent à des travaux de terrassement, entrent dans le champ du 1° de l'article 1381 et ne constituent pas, au demeurant, des outillages, installations et moyens matériels d'exploitation au sens du 11° de l'article 1382 du même code. Il en va également ainsi des systèmes de collecte d'eau et d'assainissement qui, pour l'essentiel, s'apparentent au creusement de tranchées et ne peuvent être distingués des installations de stockage sur lesquelles ils sont réalisés.

Enfin, par suite de ce qui précède, la cour ne pouvait juger que la valeur locative des biens du GIE exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties étaient, de ce fait même, exonérés de taxe professionnelle. 

La complexité et l'enchevêtrement de textes - eux-mêmes très illustratifs d'une volonté de maximiser la ressource fiscale qui atteint ici un sommet - conduisent inévitablement à un échafaudage virevoltant et ébouriffant où les meilleurs juges y perdent leur latin.

(16 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 456646)

 

64 – Existence d’une rémunération occulte – Écritures comptables comportant un objet réel identifiable - Dénaturation de pièces et erreur de droit - Annulation sans renvoi.

C'est au prix d'une dénaturation des pièces du dossier et d'une erreur de droit qu'une cour administrative d'appel aperçoit l'existence d'un avantage ou d'une rémunération occulte en l'espèce.

La société requérante, à la suite d'un  protocole d'accord entre la société SHS, qu'elle avait acheté, et l'ensemble des plaignants dans le cadre d'une action collective (ou class action, celle-ci s'étant déroulée aux États-Unis), aux termes duquel les parties s'engageaient à mettre un terme définitif à leur action contre le paiement, par la société SHS, d'un montant de 75 millions de dollars pour les actionnaires jugés recevables par un tribunal de New-York (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de New-Yok) et de 40 millions de dollars pour les actionnaires non recevables (c'est-à-dire ceux ayant acquis les actions litigieuses à la bourse de Zurich). La société Scor SE a versé à sa filiale SHS la somme de 30 585 390 euros en application d'un protocole transactionnel conclu le 30 juin 2008 entre les deux sociétés pour couvrir le coût de l'indemnisation versée par la société SHS aux actionnaires non recevables.  Elle a porté le montant de cette subvention au compte 91100112 « Contribution Switzerland AG », sous le libellé « contrib class action Switz ». Le document de référence de la société Scor SE pour l'année 2008, d'une part, présentait en détail les étapes du litige entre la société Converium devenue SHS et ses anciens actionnaires, notamment la conclusion du protocole susmentionné, pour lequel il était précisé qu'il couvrait également les actionnaires qui n'avaient pas été jugés recevables pour l'action de groupe, et d'autre part, précisait que l'issue de l'un ou plusieurs de ces litiges « pourrait avoir un impact défavorable significatif sur la situation financière ou les résultats des opérations du Groupe ». 

La cour a cru devoir juger que le libellé et l'enregistrement comptable ne permettaient pas d'identifier la somme versée à la filiale SHS de sorte que la société Scor SE n'était pas fondée à contester le caractère occulte de l'avantage consenti, d'autant que la charge en cause aurait dû être enregistrée en charge exceptionnelle et non en charge par nature.

Très logiquement, le juge de cassation relève que le versement litigieux ayant été présenté par la société dans sa comptabilité d'une façon permettant d'identifier l'objet réel de la dépense et son bénéficiaire, la cour a, par l'arrêt querellé et qui est pour ce double motif cassé, dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et commis une erreur de droit. 

(16 décembre 2022, Société Scor SE, n° 459047)

 

65 - Qualification comme avantage occulte - Loyer versé pour une partie de l'appartement occupé par un contribuable - Versement par ce dernier d'un loyer pour le même appartement - Libéralité consentie à la société propriétaire - Absence de preuve d'une libéralité consentie au locataire - Annulation.

Méconnaît les dispositions du c de l'art. 111 du CGI qui définit les rémunérations et avantages occultes, l'arrêt d'appel qui aperçoit une libéralité en faveur du requérant dans la circonstance qu'une société verse à la société propriétaire de l'appartement qu'il occupe un loyer couvrant 40% de la sperficie de l'appartement et alors que le requérant verse lui-même un loyer à raison de cet appartement à ladite société propriétaire.

Si ce mécanisme atteste de l'existence d'une libéralité de la société versant une part du montant du loyer à la société propriétaire, cela n'établit pas ipso facto que le demandeur aurait bénéficié d'une prise en charge par la société versant une fraction du loyer, de dépenses qui auraient normalement dû incomber au demandeur. 

(16 septembre 2022, M. B., n° 461118)

(66) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge qu'alors même que les requérants avaient présenté des facturations dissociées pour les parties - d'un immeuble classé à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques - déjà utilisées en logements et pour celles résultant d'un agrandissement de surface ou d'une nouvelle affectation, les travaux en cause, eu égard à leur nature et à leur ampleur, devaient être regardés dans leur ensemble comme des travaux d'agrandissement et de reconstruction alors qu'il incombait à la cour de rechercher si, au sein des travaux en cause, les dépenses de réparation et d'entretien pouvaient être dissociées des dépenses de reconstruction ou d'agrandissement, et en écartant comme inopérante la circonstance que des pièces avaient été produites en ce sens : 16 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461335.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFB) - Travaux entraînant la destruction d'un immeuble ou affectant son gros-oeuvre - Exonération de taxe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que des travaux n'ayant pas porté atteinte de manière significative aux éléments porteurs des immeubles servant d'assiette à la TFB ne sauraient être considérés comme ayant porté  atteinte à leur gros œuvre alors que des travaux peuvent porter atteinte au gros œuvre d'un bâtiment sans nécessairement en affecter les éléments porteurs. 

C'est à bon droit que la société redevable soutenait que les immeubles en litige dont elle est propriétaire n'étaient pas assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties.

(16 décembre 2022, Sarl Pamier, n° 461939)

 

68 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public - Prohibition de tout contrôle de légalité sur l'acte administratif à l'origine de la créance - Annulation avec renvoi à la Cour des comptes.

La Cour des comptes a mis en débet l'agent comptable d'une université puis, par arrêt définitif, l'a déclarée débitrice envers cette dernière du montant du versement, à dix de ses agents, d'un complément indemnitaire intitulé «compensation logement ». 

Il lui est reproché de n'avoir pas suspendu le paiement d'une indemnité qui ne pouvait pas trouver son fondement dans le texte législatif visé par la délibération du conseil d'administration de l'université l'ayant instituée en faveur des agents des catégories B et C.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en rappelant à une Cour des comptes très rétive en cette matière que si les comptables doivent vérifier, y compris au moyen d'une appréciation juridique, le caractère complet, précis et cohérent des pièces justificatives de la dépense engagée au regard de la catégorie de la dépense et de la nature et de l'objet de la dépense telle qu'elle a été ordonnancée, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. 

Par suite, en fondant la décision contestée sur l'inexercice par la comptable d'un contrôle de légalité sur la délibération instituant la catégorie de dépense en cause, la Cour des comptes a commis une erreur de droit.

(27 décembre 2022, Mme A. c/ Cour des comptes, n° 453533)

 

69 - Comptabilité publique - Responsabilité du comptable public d'un établissement médico-social - Versement d'une indemnité de sujétion - Existence d'un préjudice financier pour l'établissement - Erreur de droit - Plan de contrôle incomplet établi par le comptable public - Refus de remise gracieuse - Annulation et renvoi partiels à la Cour des comptes.

Le comptable public d'un établissement médico-social est condamné par un arrêt partiellement infirmatif de la Cour des comptes pour le paiement irrégulier d'une indemnité de sujétion spéciale à divers personnels non médicaux titulaires de l'établissement à raison du préjudice financier ainsi causé à l'établissement ; cette juridiction lui a refusé le bénéfice d'une remise gracieuse totale des sommes mises à sa charge.

Sur pourvoi, le Conseil d'État estime que c'est par erreur de droit que la Cour a retenu l'existence d'un préjudice financier au détriment de l'établissement employeur résultant du paiement de cette indemnité. En effet, le paiement de l'indemnité de sujétion spéciale ne pouvait pas préjudicier à l'établissement car le versement de cette indemnité était de droit pour les agents de l'établissement répondant aux conditions réglementaires (art. 1er du décret du 1er août 1990 relatif à l'attribution d'une indemnité de sujétion spéciale aux personnels de la fonction publique hospitalière) et il n'était pas contesté que tous les bénéficiaires de l'indemnité en litige répondaient à ces conditions.

En revanche, en refusant à ce comptable le bénéfice de la remise gracieuse pour les sommes restant en litige, la Cour n'a pas commis d'erreur de droit dès lors que celui-ci avait établi pour le second semestre 2015 un plan de contrôle sélectif de la paye, approuvé par la direction départementale des finances publiques de la Gironde le 8 juillet 2015, qui ne prévoyait pas les modalités de contrôle des trois indemnités constitutives des charges retenues à son encontre. Faute, du fait de cette omission, de s'être donné les moyens d'exercer un contrôle exhaustif sur ces indemnités, le comptable ne pouvait pas solliciter le bénéfice d'une remise gracieuse totale. 

(28 décembre 2022, M. A. c/ Cour des comptes, n° 441052)

 

70 - Société - Impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux - Proposition de rectification - Non réponse dans le délai réglementaire - Délai de reprise - Non respect - Rejet.

Le contribuable destinataire d'une proposition de rectification de sa déclaration d'impôt dispose, selon les cas, de trente ou de soixante jours, pour présenter ses observations sur cette proposition. La simple indication par le contribuable, dans ce délai, du refus des rectifications envisagées ne saurait tenir lieu des « observations » prévues à l'art. L. 57 du livre des procédures fiscales (LPF) et, par suite, ne saurait proroger le délai imparti pour les formuler de sorte qu'en l'espèce, reçues par l'administration fiscale le 6 mars, les observations du contribuable en réponse à une notification de la proposition de rectification notifié les 17 et 20 décembre précédent étaient tardives et ne pouvaient donc pas être retenues.

Par ailleurs, le bénéfice du délai spécial de reprise de deux ans prévu par le deuxième alinéa, alors en vigueur, de l'article L. 169 du LPF, était subordonné à la réception, par le service des impôts des entreprises, dans le délai de huit mois prévu aux art. 1649 quater E et 1649 quater H du CGI à compter de la réception par le centre de gestion agréé ou l'association agréée des déclarations de leur adhérent, de la copie du compte rendu de mission établi par ces centres ou associations au titre des exercices en cause, à la suite du contrôle de la concordance, de la cohérence et de la vraisemblance de ces déclarations. Faute qu'en l'espèce l'administration ait été rendue destinataire, dans le délai de huit mois suivant la date de réception des déclarations des résultats de la société des requérants par l'organisme agréé auquel elle avait adhéré, du compte rendu de mission établi par cet organisme au titre de l'exercice en cause, la circonstance que la société aurait remis ce compte rendu en main propre au vérificateur le jour de la première intervention de celui-ci n'était pas de nature à régulariser le défaut de transmission par l'organisme agréé au service des impôts des entreprises.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 461493)

(71) V. aussi, précisant que si le délai de trente jours prévu à l'art. L. 57 du LPF est un délai franc, l'octroi au contribuable d'un délai de soixante jours n'a pas pour effet de le faire bénéficier de deux délais francs de trente jours chacun mais d'un unique délai franc de trente jours augmenté de trente jours non francs : 21 décembre 2022, M. A., n° 462224.

 

72 - Dividendes - Date de mise à disposition du contribuable - Clause d'indisponibilité voulue par le contribuable - Acte de disposition de ce dernier - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit et doit être annulé l'arrêt jugeant que des dividendes préciputaires versés par une société aux requérants ne pouvaient être regardés comme ayant été mis à la disposition de ces époux, car ces sommes, ayant été inscrites sur un compte courant d'associés bloqué par l'effet des stipulations d'une convention de subordination conclue en 2007 entre, notamment, la société attributrice des dividendes, les requérants  et plusieurs banques, cette circonstance faisait juridiquement obstacle à leur retrait au cours de l'année de leur attribution. En effet, la cour devait relever que M. B. avait été à l'origine de cette convention de subordination d'où il résultait, en dépit de l'antériorité de celle-ci, que l'indisponibilité des dividendes en litige ne procédait que d'un acte de disposition de la part du contribuable.

(21 décembre 2022, M. et Mme B., n° 462533)

 

73 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année, après cinq ans de détention des titres, des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

Les dispositions de l'art. 150-0 D ter du CGI, qui accordent au gérant d'une sarl l'avantage fiscal d'un abattement d'un tiers chaque année - après cinq ans de détention des titres - des gains nets réalisés dans certaines sociétés, sont d'interprétation stricte ; elles ne s'appliquent qu'au seul gérant statutaire non au gérant de fait ni à celui agissant sur délégation de pouvoirs de la part du gérant statutaire.

Cette limitation au seul gérant statutaire ne contrevient pas au principe constitutionnel d'égalité de traitement de situations semblables dès lors, précisément, d'une part, que les gérants de fait de telles sociétés, qui n'ont pas été régulièrement nommés et ne peuvent dès lors être regardés comme porteurs des intérêts sociaux de la personne morale, peuvent seulement être tenus responsables des préjudices causés par leur immixtion autonome dans la conduite des affaires de ces sociétés et, d'autre part, que les personnes disposant de délégations les autorisant à agir au nom du gérant de la société ne bénéficient que d'une capacité limitée, compte tenu du caractère révocable de tels mandats, exercés sous le contrôle du gérant et ne pouvant jamais avoir pour effet de transférer l'intégralité de la responsabilité sociale attachée au dirigeant de droit. D'où résulte le refus de transmission de la QPC.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

 

74 - Société n’ayant pas pour objet social la cession de biens immobiliers – Cession de parcelles pour impossibilité d’y édifier la construction projetée – Soumission à la TVA – Rejet.

La requérante a pour objet social l'acquisition, la gestion et l'administration de biens immobiliers et se trouve assujettie à la TVA en raison de cette activité de location de terrains et d’immeubles.

Elle a acquis sept parcelles susceptibles d’être construites et a revendu cinq d’entre elles sur lesquelles elle ne pouvait édifier la construction qu’elle envisageait.

Se posait la question de savoir si cette revente devait être soumise à la TVA.

Pour la société requérante, il ne s’agissait que d’une activité de gestion de son patrimoine, la cession étant motivée par l’obtention d’informations selon lesquelles ne pouvait y être construite la maison d’habitation projetée qu’elle comptait donner en location.

Au contraire, l’administration, confirmée par les juges du fond et ces derniers par le juge de cassation dans la présente décision, soutenait au contraire que cette cession était soumise à la TVA.

Le Conseil d’État, confirmant cette analyse, juge qu’alors même que l'objet social de la société ne comprenait pas la cession de biens, la société Vin Rox, du fait de la cession en l’espèce des cinq parcelles en cause, lesquelles avaient le caractère de terrains à bâtir, devait être regardée comme s'étant livrée non à la gestion de son patrimoine comme elle le prétendait mais à l'activité économique pour laquelle elle était assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée, à savoir l'activité d'achat de terrains à bâtir en vue d'y construire des biens destinés à la location, quand bien même ces terrains constitueraient un actif immobilisé et non un stock, car cette activité comporte nécessairement le risque que certains d'entre eux se révèlent impropres à l'usage qu'elle entendait en faire et soient cédés afin d'assurer la pérennité de l'activité.

(21 décembre 2022, Société Vin Rox, n° 459476)

 

Droit public de l'économie

 

75 - Tarif des redevances aéroportuaires à l'aéroport de Toulouse-Blagnac - Homologation par l'Autorité de régulation des transports (ART) - Transposition correcte de la directive sur les redevances aéroportuaires - Complétude de l'information de la commission consultative économique - Institution d'une redevance par bagage enregistré - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'ART homologant  les tarifs des redevances aéroportuaires de l'aéroport de Toulouse-Blagnac, en tant qu'elle a homologué le tarif de la redevance par bagage et le tarif de la redevance par passager ou, subsidiairement, dans son ensemble.

Le recours est rejeté en ses divers moyens et tout d'abord en ce qu'il était prétendu par la voie de l'exception, l'imparfaite transposition, par les dispositions législatives et règlementaires (code des transports et code de l'aviation civile) en cause, du paragraphe 2 de l'article 6 de la directive 2009/12/CE du 11 mars 2009 sur les redevances aéroportuaires. Le Conseil d'État estime que si les dispositions de ce § 2 s'imposent aux États membres qui, comme la France, ont, en vertu du paragraphe 5 de l'article 6 de la même directive, retenu « une procédure obligatoire en vertu de laquelle les redevances aéroportuaires ou leur niveau maximal sont déterminés ou approuvés par l'autorité de supervision indépendante », elles doivent être entendues, dans ce cas, comme fixant pour objectif de prendre en compte, lors de la modification du système ou du niveau des redevances aéroportuaires, l'avis des usagers sans, toutefois, que puissent être mises à la charge de l'entité gestionnaire de l'aéroport des obligations relatives à la décision prise par l'autorité de supervision indépendante. 

Pour le reste, il est jugé :

- que la commission consultative économique, contrairement à ce qui est soutenu, a disposé de l'ensemble des informations requises par les dispositions réglementaires applicables pour lui permettre d'émettre valablement un avis sur les propositions de tarifs ;

- que c'est sans erreur de droit que l'ART a homologué les tarifs des redevances proposés par la société Aéroport de Toulouse-Blagnac en ce qu'ils ont prévu la création d'une redevance accessoire destinée à couvrir ces services complémentaires que constituent la mise à disposition des installations de tri des bagages ;

- que dans la mesure où la redevance par bagage porte sur chaque bagage enregistré et utilisant les installations de l'aérodrome destinées à traiter les bagages, elle est la contrepartie directe du service ainsi défini, c'est pourquoi les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'assiette retenue pour la redevance, fixée par bagage, ne serait pas adaptée à son objet ou présenterait un caractère discriminatoire;

- qu'en proposant les tarifs litigieux l'ART, en isolant les coûts liés aux installations de tri, de traçabilité et de distribution des bagages et en appliquant un taux d'augmentation uniforme de 3,5 % à l'ensemble des redevances ainsi identifiées, n'a pas commis une erreur manifeste d'appréciation dès lors que les dispositions de l'article L. 6327-2 du code des transports ont pour objet de protéger les usagers d'une hausse excessive de ces tarifs.

Enfin, le système dit « système de réconciliation des bagages » déployé par l'Aéroport de Toulouse-Blagnac consiste en la mise à disposition des installations de traçabilité des bagages enregistrés au départ jusqu'aux points de livraison des bagages. La circonstance que la redevance pour bagages puisse inclure un tel système ne suffit pas à établir que ce système relèverait des services d'assistance en escale définis aux articles L. 6326-1 du code des transports et R. 216-1 du code de l'aviation civile et constituerait ainsi un service concurrent de celui déployé par certains usagers de l'aéroport ou leurs prestataires.

(8 décembre 2022, Syndicat des compagnies aériennes autonomes et chambre syndicale du transport aérien, n° 462429)

 

76 - Hausse importante du prix des carburants - Création d'une aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants - Exclusion de l'essence d'aviation - Différence objective de situation et caractère non disproportionné de la différence de traitement instituée - Rejet.

Les deux requêtes contestaient la juridicité des décrets des 25 mars, 22 août et 25 octobre 2022 relatifs à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'ils excluent du dispositif d'aide l'essence d'aviation. Les recours sont rejetés.

Le décret du 25 mars 2022 n'avait pas à être contresigné des ministres chargés de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, de la mer et de l'agriculture. Ce décret ne rompt pas l'égalité car l'exclusion du bénéfice de l'aide des consommateurs de l'essence d'aviation correspond à une différence de situation qui est en rapport direct avec l'objet du décret attaqué et ne traduit pas une différence de traitement qui serait manifestement disproportionnée. En effet, cette aide est destinée à réduire les prix des carburants qu'elle identifie au profit des ménages ainsi que des entreprises produisant et distribuant des biens et services de consommation courante.

Le décret du 22 août 2022 n'avait pas plus à être contresigné par les ministres susmentionnés que le décret du 25 mars et, pas davantage ne porte-t-il atteinte tant au principe d'égalité qu'à celui de libre concurrence au détriment du secteur aérien.

Enfin, le décret du 25 octobre 2022 ne souffre pas des vices susindiqués et, en outre, il ne méconnaît pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. (8 décembre 2022, Fédération française aéronautique, n° 464222 ; Groupement des industriels et professionnels de l'aviation générale, n° 464227, jonction)

(77) V. aussi, jugeant illégal, en premier lieu, le premier alinéa de l'article 17 du décret du 25 mars 2022 relatif à l'aide exceptionnelle à l'acquisition de carburants en tant qu'en prévoyant que cette aide n'entre pas dans la définition et le calcul des charges de carburants et en faisant ainsi obstacle à ce qu'elle soit intégrée dans les mécanismes de détermination des charges et du coût du carburant, il viole les dispositions des art. L. 3221-2 et L. 3222-1 du code des transports; et jugeant illégal, en second lieu, le second alinéa de l'art. 17 du décret du 25 mars 2022, qui a pour effet de modifier le mécanisme d'indexation des prix et charges des contrats concernés par ces dispositions en le fondant sur des données qui ne sont plus en rapport direct avec ceux effectivement constatés, méconnaissant ainsi l'objet des dispositions de cet art. L. 3222-2. Le juge prononce un différé au 1er janvier 2023 des effets de l'annulation qu'il prononce : 8 décembre 2022, Fédération des distributeurs alimentaires spécialisés, n° 464397.

 

78 - Redevance d'archéologie préventive - Qualification comme aide d'État - Absence de lien entre son produit et des aides d'État - Annulation sans renvoi (second pourvoi).

La Société Les Sablières de l'Atlantique a été autorisée à procéder à l'extraction de granulats dans une zone située au large des côtes du département de la Loire-Atlantique, entre Saint-Nazaire et La Baule. A raison de cette autorisation, elle a été assujettie à la redevance d'archéologie préventive pour un montant de 1,2 millions d'euros environ.

Après qu'une première décision du Conseil d'État a cassé l'arrêt de la cour administrative d'appel déchargeant cette société du paiement de cette redevance, ce dernier est à nouveau saisi d'un pourvoi en cassation dirigé contre l'arrêt d'appel qui, à la suite de la cassation, a réitéré sa solution précédente fondée sur ce que cet impôt, en tant qu'il sert à alimenter le budget de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP), présentait le caractère d'une aide d'État qui n'avait pas été notifiée à la Commission européenne etqui était donc, comme telle, illégale. En effet, selon la cour, il ne résultait pas de l'instruction qu'eu égard aux modalités de calcul de la redevance, la fraction de cette taxe reversée à l'INRAP ne dépassait pas ce qui était strictement nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l'exécution des missions d'intérêt général assurées par l'établissement. Ainsi, compte tenu du non respect de  l'obligation de notification préalable de l'aide, la redevance ne pouvait pas être perçue ; par voie de conséquence, la cour a rejeté l'appel de la ministre de la culture dirigé contre le jugement du tribunal administratif prononçant la décharge de la redevance. 

Le Conseil d'État casse cet arrêt confirmant le précédent arrêt de cette même cour.

Pour cela, le juge rappelle d'abord que l'INRAP, d'une part, exerce une activité de diagnostics d'archéologie préventive et de recherche relevant d'une mission de service public non ouverte à la concurrence, d'autre part, assure une activité de fouilles archéologiques, devenue concurrentielle depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 modifiant la loi du 17 janvier 2001 relative à l'archéologie préventive. A ce double titre, cet institut recevait, jusqu'au 31 décembre 2015, une fraction du produit de la redevance d'archéologie préventive, des subventions publiques et la rémunération des opérations de fouilles qu'il réalise. 

Ensuite, le Conseil d'État relève deux éléments en sens contraire du raisonnement de la cour. En premier lieu, il résultait des dispositions de l'art. L. 524-11 du code du patrimoine qu'une partie du produit de la redevance, d'un montant discrétionnairement fixé chaque année par les autorités compétentes, au-delà d'un seuil minimum de 30 %, était affectée au Fonds national pour l'archéologie préventive alors qu'une autre partie de ce produit était affectée aux collectivités territoriales ou à leurs groupements à raison des activités de diagnostic réalisées par leurs services d'archéologie. En second lieu, l'art. L. 524-1 du même code prévoyait que le budget de l'établissement était abondé par des subventions étatiques, systématiquement versées afin de pallier l'insuffisance de rendement de la redevance pour couvrir les seuls coûts des activités non ouvertes à la concurrence de l'INRAP.

Enfin, il conclut de là « qu'à supposer même que, compte tenu du cumul des financements publics dont l'établissement bénéficiait à la date du fait générateur de la taxe (sic)  en litige, des subventions croisées entre les activités non-concurrentielles et les activités concurrentielles de l'INRAP aient pu avoir lieu, lesquelles constitueraient alors une aide d'État au secteur concurrentiel, la redevance d'archéologie préventive ne saurait en tout état de cause être regardée comme nécessairement affectée au financement de cette aide d'État et comme étant de nature à influencer directement son importance

Non seulement la cour aurait commis une erreur de droit mais encore lui impartissait-il de relever même d'office que la redevance litigieuse n'entrait pas dans le champ d'application des stipulations des articles 107 et 108 du TFUE, relatives aux aides d'État, « faute de lien d'affectation contraignant entre cette taxe et les éventuelles aides d'État dont aurait bénéficié l'INRAP au titre de ses activités concurrentielles de fouilles archéologiques."

L'argumentation peine à convaincre car le versement de la redevance, quelle que fût sa part dans le financement global de l'INRAP, était indispensable à la viabilité financière de cet établissement public ; il nous semble qu'il relevait donc du régime des aides d'État dès lors qu'il résulte de la jurisprudence de la CJUE (grande chambre, 22 décembre 2008, Société Régie Networks contre Direction de contrôle fiscal Rhône-Alpes Bourgogne, aff. C-333/07) d'ailleurs citée dans la décision du Conseil d'État que pour apercevoir une absence d'aide d'État, il faut que « le produit de la taxe concernée n’influen(ce) pas directement l’importance de l’aide ». Cette condition négative posée par la CJUE (point 103) ne semble pas satisfaite ici.

(9 décembre 2022, ministre de la culture, n° 448108)

 

79 - Activité d'émission et de gestion de monnaie électronique - Notion de monnaie électronique - Notion de collecte de fonds - Interdiction temporaire d'exercice de cette activité - Exercice de cette activité, à titre d'activité nouvelle, sous un régime dérogatoire (art. L. 525-1, code monétaire et financier) - Obligations s'imposant à l'émetteur de monnaie électronique - Rejet.

La société requérante, agréée en qualité d'établissement émetteur de monnaie électronique, a fait l'objet, de la part de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'une interdiction temporaire de poursuivre son activité d'émission et de gestion de monnaie électronique faute de bénéficier, depuis le 11 juillet 2021, de la garantie financière destinée à protéger les fonds qu'elle collecte, jusqu'à ce qu'elle justifie de nouveau d'un dispositif de protection des fonds conforme aux règles prudentielles applicables. L'ACPR a décidé de rendre publique cette décision à compter de sa date de prise d'effet.

La société demande l'annulation de ses décisions : son recours est rejeté.

Elle développe trois séries d'arguments : à l'encontre de l'interdiction temporaire d'exercice, contre la publication de celle-ci et contre le refus de l'autoriser à poursuivre son activité sous un régime dérogatoire.

A l'appui de sa contestation de la décision temporaire d'exercice, la société fait valoir trois moyens si l'on laisse de côté la simple allégation d'un détournement de pouvoir.

Tout d'abord, il est affirmé que son produit « Ticket Premium » ne constituerait pas une monnaie électronique au sens du code monétaire et financier (art. L. 315-1, I) ce que réfute le juge en relevant, d'abord, que cette société dispose bien, sur sa demande, d'un agrément en qualité d'établissement de monnaie électronique. En outre, elle propose à ses clients d'acquérir, par tout moyen habituel, dans un point de vente de son réseau, essentiellement composé de buralistes, un ticket qui comporte un code électronique PIN qu'elle émet et auquel est associée une ligne de valeur monétaire qui peut être soit consommée en ligne auprès des sites marchands, notamment de jeux et de paris en ligne, acceptant ce mode de paiement, soit remboursée sous conditions à hauteur de la créance détenue sur la société. Le produit « Ticket Premium » constitue donc, contrairement à ce que soutient la  demanderesse, une monnaie électronique.

Ensuite, si la société Wari Pay fait plaider qu'elle ne collecte aucun fonds du public au sens de l'article L. 526-32 du code monétaire et financier, en réalité, les fonds des clients sont collectés pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d'un réseau de distribution mandaté à cet effet. De plus, il revient à la société requérante de rembourser aux sites marchands le montant des tickets consommés et aux utilisateurs celui des tickets non consommés. Il s'agit bien là d'une collecte des fonds au sens de l'art. L. 526-32 du code monétaire et financier.

Enfin, la société invoque la méconnaissance par l'ACPR de dispositions du code monétaire et financier en estimant que les intérêts de ses clients étaient susceptibles d'être compromis car l'encours à couvrir correspond aux seuls tickets non encore consommés, sans être périmés. Cependant, il est constant que la société Wari Pay ne justifiait plus, à compter du 11 juillet 2021, de la garantie des fonds qu'elle collectait, garantie qui est exigée par les dispositions de l'article L. 526-32 du code précité. Au surplus, il résulte d'un jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 juin 2021 qui, tout en mettant fin à la procédure de redressement judiciaire de la société Wari Pay, a constaté que l'apport financier justifiant la clôture de cette procédure permettait à la société de financer seulement son activité pour les trois mois suivants et que la poursuite de celle-ci au-delà de cette période dépendait notamment de la mise en place d'une garantie financière après le 11 juillet 2021. La situation financière de la société était, à la date des décisions attaquées, fortement dégradée. Ainsi la mesure d'interdiction attaquée, de caractère temporaire dans l'attente de la justification de la mise en place d'un dispositif de protection des fonds des clients, était justifiée et ne revêtait pas un caractère disproportionné.

Concernant la décision de publication de l'interdiction temporaire, sont rejetés les moyens d'absence de base légale (cf. les dispositions de l'art. L. 612-1 du code précité) et de caractère disproportionné dès lors que cette publication vise l'information des clients actuels ou potentiels.

S'agissant du refus d'autoriser la continuation de l'activité sous le régime dérogatoire de l'art. L. 525-5 du code monétaire et financier,  celui-ci est fondé sur ce que la société requérante n'avait pas respecté l'obligation faite par l'art. L. 525-5 du même code, d'une notification préalable à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci puisse notamment s'assurer que les conditions d'exercice de cette nouvelle activité ne portent pas atteinte au respect par cet émetteur des obligations qui lui sont imposées par ailleurs pour l'exercice de l'activité d'émission et de gestion de monnaie électronique au titre de laquelle il a obtenu son agrément. Il en va notamment ainsi dans le cas où l'émetteur de monnaie électronique fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercer son activité au titre de laquelle il a obtenu son agrément et souhaite la poursuivre sous le régime dérogatoire de l'article L. 525-5 dudit code : il doit en faire la demande à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution afin que celle-ci apprécie si cette activité peut être exercée, durant la période d'interdiction temporaire, dans les conditions prévues par cet article. Il n'en va autrement que si l'émetteur renonce à l'agrément dont il bénéficie.

Par suite, le refus d'autoriser la poursuite de l'activité sous un régime dérogatoire est justifié.

(9 décembre 2022, Société Wari Pay, n° 456582)

 

80 - Épidémie de Covid-19 - Institution d'un fonds de solidarité pour certaines entreprises - Exclusion du bénéfice de l'aide pour les entreprises contrevenantes aux mesures sanitaires - Légalité - Rejet.

La requérante contestait certaines dispositions du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 en ce qu'elles excluent du bénéfice du fonds de solidarité celle des entreprises ayant fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative sur le fondement du troisième alinéa de l'article 29 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.

La requérante exploite un établissement accueillant la pratique du football en salle et a fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative pour manquement aux obligations prescrites, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour la lutte contre l'épidémie.

Rejetant les recours, le Conseil d'État juge que le décret excluant certaines entreprises du bénéfice de l'aide du fonds de solidarité n'est pas illégal dès lors qu'il s'agit d'entreprises dont la perte de chiffre d'affaires alléguée est en réalité imputable non à l'épidémie elle-même mais aux conséquences d'un tel manquement, ce refus ne saurait davantage être considéré comme présentant le caractère d'une sanction car il se borne à déterminer l'une des conditions d'attribution de cette aide, dont l'objectif, défini par les dispositions de l'ordonnance du 25 mars 2020, est de venir en aide aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique qui ont été particulièrement touchées à la fois par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du Covid-19 et par les mesures prises pour en limiter la propagation.

(16 décembre 2022, Société NT, n° 456434 et 456558)

(81) V. aussi, jugeant que ne sont pas illégales les dispositions du décret n° 2021-943 du 16 juillet 2021 instituant une aide visant à compenser les coûts fixes non couverts des entreprises dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et qui ont été créées après le 1er janvier 2019, en tant qu'elles ne bénéficient pas à l'ensemble des sociétés qui ont débuté leur activité avant son entrée en vigueur, celles-ci ne portant atteinte ni au principe d'égalité dans la mesure où elles ont seulement pour objet de soutenir les entreprises existantes dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19 et par les conséquences de la crise sanitaire, ni au droit de l'Union, les mesures litigieuses ayant été déclarées compatibles avec le marché intérieur par la Commission européenne : 16 décembre 2022, Société Compagnie Hôtelière de Nice,  société Couronne Arenas, société Hotelhop Nice Grand Arenas et société Balm Restaurant, n° 456746, n° 458350, n°  460048 et 460050.

 

Droit social et action sociale

 

82 - Licenciement d'une salariée protégée - Salariée italienne de l'ambassade du Brésil en France - Salariée de droit local - Acceptation de l'État étranger de voir ses salariés être soumis au droit français - Application du droit français et compétence des juridictions françaises - Annulation sans renvoi (affaire jugée au fond).

La Section du contentieux est amenée à trancher une très intéressante question de champ d'application du droit français et, conséquemment, de compétence des juridictions françaises en matière de droit social.

Une salariée protégée de nationalité italienne, recrutée par l'ambassade du Brésil en France, a fait l'objet d'un licenciement sans l'autorisation de l'inspection du travail, celle-ci ayant argué de son incompétence, position implicitement confirmée sur recours hiérarchique par ministre.

La salariée a saisi le juge administratif et elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête en première instance fondé sur ce que la représentation officielle d'un État étranger en France lorsqu'elle emploie des personnels de droit local dans les conditions prévues par le code du travail n'est pas susceptible de relever du champ d'application des dispositions de l'art. L. 2311-1 du code du travail, de sorte que l'autorité administrative avait pu légalement se déclarer incompétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement de Mme B., agente de droit local de l'ambassade du Brésil en France.

Le Conseil d'État annule cet arrêt au terme d'un raisonnement que l'on doit approuver.

Le juge affirme d'abord que le principe de souveraineté fait, en principe, obstacle à ce que les dispositions du code du travail relatives aux relations collectives de travail, telles celles concernant les délégués du personnel, s'appliquent aux personnels de droit local employés dans les conditions prévues par le code du travail par la représentation officielle d'un État étranger en France, alors même que ces dispositions ont vocation à s'appliquer à ces personnels.

Cependant, tout État étranger peut décider de faire volontairement application de ce code à ces personnels. 

Or en l'espèce, suite à l'élection de délégués du personnel, l'ambassadeur du Brésil en France a manifesté de manière claire et non équivoque sa volonté de rendre applicable aux agents de droit local de sa représentation diplomatique en France les dispositions relatives aux relations collectives de travail figurant au code du travail.

Examinant l'affaire au fond, le Conseil d'État juge que l'inspecteur du travail ne pouvait légalement se déclarer incompétent pour se prononcer sur la demande tendant à ce que son licenciement soit autorisé, ni la ministre du travail pour rejeter son recours hiérarchique.

(Section, 9 décembre 2022, Mme B., n° 433766)

 

83 - Prise en charge par un département d'un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité - Obligation de poursuivre l'aide en qualité de jeune majeur - Impossibilité d'une prise en charge partielle - Injonction de rétablir une aide globalisée.

Un département ayant pris en charge un mineur étranger isolé jusqu'à sa majorité, refuse de lui allouer, alors que son droit au séjour ne lui a pas été reconnu par la préfecture et qu'il fait l'objet d'un ordre de quitter le territoire français (OQTF), l'aide globale en sa qualité de jeune majeur ne bénéficiant d'aucun soutien familial, d'aucune ressource et d'aucune solution d'hébergement. Ce mineur forme un pourvoi contre l'ordonnance de référé rejetant sa demande d'enjoindre le département de lui accorder cette aide.

Le juge d'appel estime, d'une part, que l'aide en qualité de jeune majeur est, dans les circonstances de l'espèce, une obligation pour le département, d'autre part, que cette aide doit être accordée dans sa globalité avec toutes ses composantes et qu'elle ne peut être fractionnée. Il est fait injonction au département, au visa de l'urgence et de l'atteinte grave à une liberté fondamentale, de proposer dans les plus brefs délais à l'intéressé un « contrat jeune majeur » afin d'assurer la prise en charge, outre ses besoins en matière d'hébergement ou de logement et de ressources, également ceux couvrant l'accès à un accompagnement dans les démarches administratives et la poursuite de sa formation en CAP maçonnerie.

Cette solution illustre jusqu'à la caricature et dans la perfection de son absurdité l'incohérence de notre système juridique en la matière : que devient l'OQTF dans ces conditions ? Comment peut-on imposer à une personne publique d'oeuvrer au maintien en France, avec un confort minimum, d'une personne, ressortissant guinéen, que l'autorité préfectorale, avec les garanties d'usage, a décidé de placer hors du territoire national ? Ou, inversement, qu'est-ce qu'un système juridique qui permet d'adresser à un étranger une OQTF qu'il sera fait injonction, de facto, de ne pas exécuter ?

Manifestement il y a là une incapacité crasse et persistante à construire une politique cohérente car nos gouvernants n'en ont pas l'idée claire. On le sait « ce qui se conçoit bien s'énonce clairement...», visiblement, ici, on est très loin de cette « clarté ».

(ord. réf. 12 décembre 2022, M. A., n° 469133)

 

84 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Instances à consulter - Cas d'établissements relevant de plusieurs directions régionales du travail - Hypothèse où le projet de licenciement porte sur un seul établissement - Rejet.

Le recours des organisations demanderesses tendant à l'annulation de la décision par laquelle la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Normandie a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société Janssen-Cilag France, filiale du groupe Johnson et Johnson,  a été rejeté en première instance comme en appel.

Le point central de leur argumentation reposait sur l'incompétence de la DIRECCTE de Normandie pour prendre la décision contestée, il n'est pas retenu par le juge de cassation.

Celui-ci déduit des dispositions du code du travail opérantes en la matière (art. L. 1233-28, L. 1233-51, L. 1233-57-8, R. 1233-3-4 et R. 1233-3-5) trois conséquences, certaines bien connues, d'autres plus innovantes voire nouvelles.

En premier lieu, ceci ne faisant pas difficulté, lorsqu'un projet de licenciement collectif pour motif économique d'au moins dix salariés dans une même période de trente jours concerne plusieurs établissements distincts d'une même entreprise, l'employeur doit consulter le comité social économique central de l'entreprise ainsi que les comités sociaux et économiques des établissements concernés par le projet.

En deuxième lieu, ceci est plus nouveau mais la solution est logique, lorsque ces établissements relèvent de la compétence de plusieurs DIRECCTE, la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation du document unilatéral portant PSE est celle dans le ressort de laquelle se situe le siège de l'entreprise.

En troisième lieu, enfin, si le projet de licenciement collectif ne concerne qu'un seul établissement, l'employeur n'est tenu de consulter le comité social économique central de l'entreprise, sous réserve d'en informer la DIRECCTE du siège de l'entreprise, que lorsque le projet excède le pouvoir du chef d'établissement. Ceci a pour conséquence que la DIRECCTE compétente pour prendre la décision d'homologation est alors celle dans le ressort de laquelle se situe l'établissement concerné par le projet de licenciement.

Le juge de cassation apporte encore cette précision que la consultation éventuelle du comité social et économique central et l'information de la DIRECTE du siège quant à cette consultation sont à cet égard sans incidence.

(13 décembre 2022, Comité social et économique central de la société Janssen-Cilag France et autres, n° 454491)

(85) V. aussi, jugeant que l’administration du travail saisie d'une demande d'homologation d'un document élaboré en application de l'article L. 1233-24-4 du code du travail, doit s'assurer que le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité. A cet effet, il incombe à l'employeur, en précisant leur nature et leur localisation, d’identifier dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise ou, lorsque celle-ci appartient à un groupe, de rechercher sérieusement l’existence de postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Enfin, dans le cas d’une entreprise en liquidation judiciaire, si le liquidateur judiciaire, alors qu'il a utilement saisi les autres entreprises du groupe en vue d'une recherche des postes de reclassement disponibles sur le territoire national, n'a pas obtenu les réponses de tout ou partie de ces entreprises, le plan de reclassement doit cependant être regardé comme satisfaisant les exigences figurant aux dispositions des articles L. 1233-61 à L. 1233-62 du code du travail et l'administration peut, le cas échéant, estimer, dans le cadre du contrôle global qui lui incombe, que le PSE est suffisant, eu égard aux moyens de l'entreprise : 27 décembre 2022, M. AL. et autres, n° 452898 (Cf. cette Chronique, avril 2021, n° 95 à propos de 16 avril 2021, Confédération générale du travail de la Guadeloupe (CGTG) et comité d’entreprise de la Société Bois Debout, n° 426287).

 

86 - Aide sociale - Frais d’hébergement en établissement social, médico-social ou de santé – Prise en charge au titre de l’aide sociale – Conditions – Erreur de droit – Annulation.

L’association requérante, tutrice d’une majeure protégée, a demandé, en vain, au tribunal administratif l’annulation de la décision d’un président de conseil départemental refusant le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées pour ladite majeure au titre d’une certaine période ; elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État déduit en premier lieu des dispositions des art. L. 113-1, L. 131-1, L. 131-4 et R. 131-2 du code de l’action sociale et des familles et de l’art. L. 114-5 du code des relations du public avec l’administration que les frais d'hébergement des personnes accueillies dans un établissement social ou médico-social habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale ou dans un établissement de santé dispensant des soins de longue durée ne sont pris en charge au titre de l'aide sociale qu'à compter du premier jour de la quinzaine suivant la date de la présentation de la demande tendant au bénéfice d'une telle aide.

Il en déduit, en second lieu, que ce n'est que lorsque la demande a été déposée, quel qu'en soit l'auteur, dans le délai de deux mois suivant le jour d'entrée dans l'établissement, éventuellement prolongé dans la limite de deux mois supplémentaires, que la prise en charge de ces frais peut prendre effet à compter du jour d'entrée dans l'établissement.

Il s’en déduit, selon le juge, que sont sans incidence sur l'application de ces dispositions aussi bien la circonstance qu'un dossier ne peut être regardé comme complet à la date de son dépôt au centre communal ou intercommunal d'action sociale ou, à défaut, à la mairie de résidence de l'intéressé que celle que le centre communal ou intercommunal d'action sociale ou la mairie de résidence de l'intéressé n'aurait pas respecté son obligation de transmission de la demande à l'autorité départementale.

Le jugement querellé, ayant rejeté le recours de l’association requérante, est annulé pour erreur de droit.

(22 décembre 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 459777)

 

87 - Intéressement des bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique à la reprise d'une activité professionnelle – Modification du régime applicable par le décret du 5 mai 2017 – Applicabilité – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal qui juge que l’intéressé devait remplir, à compter du 1er septembre 2017, les conditions prévues à l'article R. 5425-2 du code du travail, dans sa rédaction résultant du décret du 5 mai 2017, pour bénéficier du versement de l'allocation de solidarité spécifique, sans rechercher si ce dernier avait, à cette date, des droits ouverts au dispositif d'intéressement et s'il pouvait en conséquence, en application du III de l'article 5 du même décret, continuer à percevoir cet intéressement dans les conditions antérieures à ce décret, jusqu'à l'expiration de ses droits.

(29 décembre 2022, M. B., n° 445137)

 

88 - Conseil d’orientation des conditions de travail – Composition – Adoption des délibérations – Rejet.

La CFE-CGC demandait l’annulation du décret du 23 décembre 2021 relatif à la composition et au fonctionnement du Conseil d'orientation des conditions de travail et des comités régionaux ainsi qu’injonction soit faite au premier ministre et à la ministre du travail d'adopter un nouveau décret fixant les modalités d'adoption des délibérations du comité national de la prévention et de la santé au travail (CNPST) en formation paritaire en retenant une répartition égalitaire du nombre de voix entre organisations syndicales.

Les demandes sont rejetées.

Tout d’abord, ni les dispositions du premier alinéa de l'article L. 4641-2-1 du code du travail sur la base desquelles et pour l’exécution desquelles a été pris le décret attaqué, relatives à la composition du comité, ni aucun autre texte ou principe n'imposent, contrairement à ce que soutient la requérante, que, pour l'adoption des délibérations du collège restreint du comité, les voix des représentants des organisations syndicales de salariés soient décomptées en donnant un poids égal à chacune de ces organisations. En prévoyant que ces délibérations doivent, de la même façon que les accords interprofessionnels en vertu de l'article L. 2232-2 du code du travail, recueillir le vote favorable d'une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentative ayant obtenu, aux élections prises en compte pour la mesure de l'audience au niveau national et interprofessionnel, au moins 30 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives à ce niveau, quel que soit le nombre de votants, sans faire l'objet d'une opposition majoritaire, le décret attaqué n'est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, en ne prévoyant pas que les mêmes règles s'appliquent, pour l'adoption de ces délibérations, au vote des organisations professionnelles d'employeurs, le décret attaqué ne peut être regardé comme créant une différence de traitement contraire au principe d'égalité.

(29 décembre 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 461529)

 

Élections et financement de la vie politique

 

89 - Élections départementales - Irrégularités diverses - Irrecevabilité de conclusions à fin d'annulation partielle - Employés municipaux membres de bureaux de vote - Rejet.

Parmi les nombreuses questions de fait et de droit soulevées par la protestation électorale qui a donné lieu à la présente décision de rejet, on signalera seulement deux points.

En premier lieu, il est rappelé cette règle spécifique du contentieux électoral que sont irrecevables en cette matière les conclusions tendant seulement à l'annulation des résultats de certains bureaux de vote et non de l'ensemble des opérations électorales. 

En second lieu, la circonstance que des agents de la commune d'Avignon, qui étaient rémunérés par celle-ci pour assurer le bon fonctionnement matériel des bureaux de vote, aient été invités à compléter la composition de quatre bureaux de vote en y siégeant comme assesseurs, n'est pas contraire aux dispositions des art. R. 42 et R. 44 du code électoral dès lors qu'ils avaient la qualité d'électeur dans la commune et qu'il n'est pas soutenu que leur présence en qualité d'assesseur aurait, dans les circonstances de l'espèce, altéré la sincérité du scrutin.

(2 décembre 2022, Mme J. et M. G., Élections départementales du canton d'Avignon-3, n° 461276)

 

90 - Élections départementales - Envoi du compte de campagne en préfecture et non à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Comptes non signés d'un expert-comptable - Rejet.

Le juge d'appel rejette le recours dirigé contre le jugement qui, confirmant le rejet par la CNCCFP du compte de campagne du binôme appelant pour irrégularité substantielle (défaut de signature par un expert-comptable), l'a condamné à dix-huit mois d'inéligibilité et a prononcé la démission d'office de ses membres.

En effet, les intéressés, d'une part, prétendaient avoir adressé ce compte à la préfecture au lieu de l'envoyer à la CNCCFP mais la trace de cet envoi n'a pas été retrouvée et, d'autre part, soutenaient, sur le fondement de l'art. L. 114-2 du CRPA, qu'il appartenait à la préfecture de transmettre cet envoi à la commission, alors que cette disposition législative n'est applicable qu'aux demandes des administrés adressées à l'administration.

(6 décembre 2022, M. A. et Mme D., Élections départementales du canton de Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, n° 465262)

(91) V. aussi, confirmant le jugement prononçant une inéligibilité de six mois des membres d'un binôme et les déclarant en conséquence démissionnaires d'office, pour avoir déposé leur compte de campagne plus de six semaines après l'expiration du délai fixé par l'article 11 de la loi du 22 février 2021 et n'avoir régularisé ce compte qu'après mise en demeure: 9 décembre 2022, M. D. et Mme C., Élections départementales du canton de Lectoure-Lomagne, n° 464514.

(92) V. également, l'arrêt d'appel confirmant le rejet par le tribunal administratif d'une protestation invoquant diverses irrégularités commises par un binôme (diffusion de tracts ou messages notamment à la veille ou le jour du scrutin, distributions de tracts auxquels il a été répondu en temps utile, absence d'altérations à la sincérité du scrutin, etc.) : 13 décembre 2022, Mme A. et M. F., Élections départementales du canton deSaint-Jean-de-Monts, n° 462592.

 

93 - Élections départementales - Défaut de production du relevé bancaire attestant des opérations réalisées par le mandataire électoral - Défaut régularisable - Rejet de la saisine de la CNCCFP et annulation du jugement prononçant l'inéligibilité.

Avec beaucoup de bon sens, le Conseil d'État annule la saisine de la CNCCFP fondée sur ce qu'un binôme n'avait pas produit le relevé bancaire attestant des opérations réalisées par son mandataire électoral alors que ce relevé a été communiqué à la commission en cours d'instruction de son dossier et que, dès lors que le compte de campagne a été signé par un expert-comptable, le défaut d'un tel relevé est régularisable jusqu'à ce que la commission se prononce. Semblablement, il annule le jugement prononçant, subséquemment à ce rejet par la commission, et la confirmation de ce rejet et l'inéligibilité des membres du binôme.

(7 décembre 2022, M. E. et Mme C., Élections départementales du canton de Granville, n° 463524)

(94) V. aussi, jugeant que le dépôt du compte de campagne avec un mois de retard mais dès réception de la mise en demeure qui leur a été adressée par la CNCCFP et alors que les membres du binôme pouvaient légitimement penser que leur mandataire financière procèderait à ce dépôt dans le délai requis, dès lors qu'ils avaient signé ce compte plus d'un mois avant la date limite du dépôt et que l'un des membres du binôme avait échangé avec la mandataire pour lui rappeler la nécessité de déposer ce compte dans les délais ; ainsi manquement en cause ne revêt aucun caractère délibéré, d'autant que le compte ne présentait  ni dépense ni recette, il y a lieu, en conséquence d'annuler le jugement prononçant l'inéligibilité du binôme pour six mois : 16 décembre 2022, M. B. et Mme C., Élections départementales du canton de Segré-en-Anjou Bleu, n° 461747.

(95) V., en revanche, confirmant le rejet du prétendu compte de campagne déposé avec deux mois de retard et alors que les documents remis, qui ne permettaient pas de retracer l'ensemble des opérations financières réalisées au titre de la campagne électorale, ne constituaient pas le compte de campagne et que les opérations retracées faisaient apparaître un solde déficitaire : 7 décembre 2022, M. B., Élections départementales du canton de Bagnols-sur-Cèze, n° 463761.

 

96 - Élections départementales – Non dépôt du compte de campagne et non réponse à une mise en demeure de le faire - Inéligibilité pour douze mois – Invocation de la bonne foi de l’un des membres du binôme – Solidarité des deux membres du binôme – Rejet.

Pour contester l’inéligibilité infligée par le tribunal administratif en raison du non dépôt de son compte de campagne avant l’expiration du délai prescrit et de sa non réponse à la mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, la requérante invoque sa bonne foi et la seule responsabilité de l’autre membre du binôme dans l’absence de dépôt du compte. Le moyen ne saurait prospérer en raison du principe de solidarité entre membres d’un binôme instauré par le législateur.

(30 décembre 2022, Mme C., Élections départementales du canton de Castelnau-le-Lez, n° 464814)

 

97 - Financement des partis ou groupements politiques - Recours à des prestataires de services de paiement (art. L. 521-1, code monétaire et financier) - Refus d'annuler la disposition relative au traitement des fonds reçus par le biais d'un tel prestataire - Disposition non nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières - Annulation.

Le premier ministre a opposé un refus implicite à la demande de la formation politique requérante tendant à l'abrogation du 5° de l'article 11-3 du décret n° 90-606 du 9 juillet 1990 dans sa rédaction issue du décret n° 2020-1397 du 17 novembre 2020 qui prévoit que le montant des fonds perçus par le biais d'un prestataire de service de paiement est versé intégralement et sans délai sur le compte de dépôt ouvert par le mandataire financier et que la perception éventuelle de frais par le prestataire ne peut intervenir qu'après ce versement.

Le refus est annulé car, observe le juge, cette dernière exigence, qui a pour effet d'empêcher concrètement le recours aux prestataires de service de paiement qui ne sont pas des établissements bancaires, compte tenu de ce que sont en pratique leurs propres conditions de fonctionnement, ne peut, par elle-même et eu égard aux autres dispositions de l'article 11-3 du décret du 9 juillet 1990, en particulier celles figurant aux 2° et 3° de cet article, être regardée comme étant nécessaire pour garantir la traçabilité des opérations financières et assurer le respect des dispositions de l'article 11-4 de la loi du 11 mars 1988. Il est enjoint au premier ministre d'abroger cette disposition sous six mois.

(8 décembre 2022, Association de financement du parti Reconquête !, n° 463624)

 

98 – Assemblée des Français de l’étranger – Candidature subordonnée à l’élection comme conseiller des Français de l’étranger – Perte de ce mandat – Démission d’office de l’Assemblée – QPC - Rejet.

Rappel de ce que sont seuls éligibles à l'Assemblée des Français de l'étranger les conseillers des Français de l'étranger élus, la perte de ce mandat entraînant leur démission d'office de l'Assemblée des Français de l'étranger, sauf recours devant le Conseil d'Etat.

Cette solution législative (art. 16 et 23 de la loi du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France) n’est pas contraire au principe d’égalité, d’où le rejet de la QPC.

(22 décembre 2022, M. B., n° 466863)

 

Environnement

 

99 - Cars et autobus à très faibles émissions - Critères - Directive ayant pour objectif le recours à des véhicules utilitaires à émission nulle - Véhicules utilisant le biogaz - Véhicules n'étant pas à émission nulle - Absence d'atteinte à la libre administration des collectivités territoriales - Rejet.

L'association requérante recherchait l'annulation du décret du 17 novembre 2021 relatif aux critères définissant les autobus et autocars à faibles émissions. Sa requête est rejetée.

Pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre, le droit européen (directive du 23 avril 2009 telle que modifiée par celle du 20 juin 2019) a prévu une montée en puissance progressive de la proportion de véhicules de transports routiers répondant à la qualification de véhicules propres et économes en énergie. Ces textes ont défini, en bref, le véhicule propre comme un véhicule utilitaire lourd à émission nulle sans moteur à combustion interne, ou équipé d'un moteur à combustion interne dont les émissions de CO2 sont inférieures à 1 g/kWh. Transposant cette dernière directive, l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement (issu de l'ordonnance du 17 novembre 2021) dispose : : « La proportion minimale d'autobus ou d'autocars à faibles émissions qui sont acquis ou utilisés dans le cadre [de marchés publics et contrats de concession, tels que définis par les articles L. 1111-1 et L. 1121-1 du code de la commande publique, et relatifs au transport routier de voyageurs] s'établit, pour une année calendaire, pour l'État, pour les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que pour leurs établissements publics, lorsqu'ils gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars pour assurer des services de transport public de personnes réguliers ou à la demande, à :

1° 50 % jusqu'au 31 décembre 2024 ;

2° 100 % à compter du 1er janvier 2025.

Pour les autobus, la moitié au moins de ces proportions est constituée d'autobus à très faibles émissions. Cette obligation n'est applicable qu'à compter du 1er juillet 2022 pour les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics. Un décret peut prévoir des modulations pour tenir compte notamment de la situation des personnes assujetties à l'obligation et des zones concernées ».

Or le décret attaqué, du 19 novembre 2021, décide que, parmi les autobus, les véhicules à très faibles émissions ne comprennent que des véhicules dont la motorisation est électrique et des véhicules électriques-hybrides utilisant l'hydrogène comme source d'énergie complémentaire à l'électricité (cf. 5° de l'article D. 224-15-2 du code de l'environnement). 

La requérante soutient que cette disposition ne respecte pas les objectifs de la directive de 2019. Ce moyen ne saurait prospérer puisque la directive ne se fonde pas sur une appréciation des incidences énergétiques et environnementales de ces véhicules tout au long de leur cycle de vie, mais sur un type de motorisation, sans combustion interne, ou à défaut, dont les émissions de dioxyde de carbone, mesurées essentiellement à l'échappement, doivent être inférieures à 1 g/kWh. Dès lors, la requérante ne saurait reprocher au décret litigieux de ne pas retenir un classement des autobus en fonction de leurs incidences énergétiques et environnementales tout au long de leur cycle de vie.

Ensuite, si, comme le soutient la requérante, un autobus équipé d'un moteur à combustion utilisant du biogaz peut être un véhicule propre au sens du 4 de l'article 4 de la directive de 2009, il est constant que, compte tenu des caractéristiques de la combustion de ce gaz, et du niveau des émissions de dioxyde de carbone à l'échappement qui en résultent, il ne peut, contrairement à ce que soutient la requérante, être qualifié de véhicule utilitaire lourd à émission nulle en application du 5 de cet article 4. Ainsi l'association requérante ne peut utilement soutenir que l'exclusion, par les dispositions attaquées du 5° de l'art. D. 224-15-2 du code de l'environnement, des autobus roulant au biogaz de la catégorie des véhicules à très faibles émissions, ou groupe 1, qui résulte directement des dispositions de la directive de 2009 dont elles assurent la transposition, méconnaîtrait l'objectif de promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de toutes les sources renouvelables de la directive transposée et de la directive du 11 décembre 2018. Une telle exclusion ne saurait davantage être considérée comme entachée d'erreur manifeste d'appréciation ni quant au choix des moyens pour atteindre les objectifs minimaux de recours à des autobus à émissions nulles fixés à la France par la directive de 2009 ni au regard des objectifs de la politique énergétique nationale tels que définis à l'article L. 100-4 du code de l'énergie et déclinés par le décret du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie.

Enfin, il ne saurait être prétendu que l'obligation pour les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices qui gèrent directement ou indirectement un parc de plus de vingt autobus et autocars de recourir, pour assurer des services de transport public de personnes réguliers en ville, à hauteur de 25 % du parc renouvelé jusqu'au 31 décembre 2024 puis de 50 % à compter du 1er janvier 2025, à des autobus à très faibles émissions qui résulte de l'art. L. 224-8-2 du code de l'environnement porterait une atteinte illégale à la libre administration des collectivités territoriales car l'obligation de n'utiliser que des autobus dont la motorisation est électrique ou électrique-hybride utilisant l'hydrogène à titre de source d'énergie complémentaire à l'électricité coûterait plus cher que de recourir à des autobus roulant au biogaz.

(8 décembre 2022, Association française du gaz naturel pour véhicules (AFGN), n° 464035)

 

100 - Conditionnement de fruits et légumes frais non transformés sous emballage comportant de la matière plastique - Délégation du législateur au pouvoir réglementaire aux fins de fixer le régime de ce conditionnement - Décret excédant le champ de la dévolution de compétence - Annulation.

Se situant dans le cadre de la saga du régime juridique du conditionnement des fruits et légumes, les requêtes, jointes, tendaient à l'annulation du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique.

Le 16e alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, issu de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, décide d'abord, qu'à compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique et, ensuite, que cette obligation n'est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu'aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. C'est de ce texte que fait application le décret attaqué.

Celui-ci est annulé pour un double motif d'illégalité.

En premier lieu, alors que le législateur confiait au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac afin de les exempter, le décret querellé incorpore dans la liste qu'il a dressée des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique à la date du 1er janvier 2022. Sur ce point il viole la lettre et, davantage encore, l'esprit du texte qu'il est censé appliquer.

En second lieu, alors que la loi ne prévoit pas de terme en cas d'exemption d'où il se déduit que ces exemptions ne sont pas temporaires, le décret ajoute à la loi en faisant de cette exemption une situation temporaire.

Il faut dire notre désaccord avec cette solution qui n'a pour elle qu'une apparence de logique.

Le pouvoir exécutif a voulu inclure dans la réglementation qu'il a instituée un cas manifestement non prévu par le législateur, celui des fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d'alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Il s'agit bien là d'une situation temporaire ne pouvant persister que jusqu'à l'invention d'une autre solution que le plastique comme matière de conditionnement d'où le recours à une exemption temporaire pour ce cas.

Eût-il fallu, pour respecter l'intention du législateur, laisser persister un vide juridique et technique,  au risque, en ce cas, pour le pouvoir réglementaire, de se faire taper sur les doigts par le juge pour n'avoir pas comblé ce vide ? A solution bancale, celle initialement retenue par l'administration était moins mauvaise que celle issue de cette décision.

En outre, sans sourciller, alors que sa décision intervient un an après l'entrée en vigueur du décret critiqué, le juge, à raison de l'indivisibilité des dispositions du 16e alinéa du III de l'art. L. 541-15-10 du code de l'environnement, estime que les effets de cette annulation n'ont pas à être différés dans le temps car l'annulation n'emporte à elle seule « aucune conséquence manifestement excessive au regard de l'intérêt des opérateurs économiques concernés ». Pour les consommateurs, leurs poumons et autres conditions de vie, il faudra attendre une autre époque du feuilleton de cette saga.

(9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 458440 ; Syndicats POLYVIA et ELIPSO, n° 459332 ; Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop) et autres, n° 459387; Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459398, jonction)

 

101 - Autorisation d'implantation d'éoliennes - Existence d'espèces protégées - Risque d'atteintes - Degré de ce risque devant être pris en considération - Prise en compte des mesures d'évitement/réduction/compensation proposées par le pétitionnaire - Avis de droit en ce sens.

Le Conseil d'État était saisi de deux demandes d'avis de droit par la cour administrative d'ppel de Douai.

Par la première, la cour demandait si l'autorité administrative saisie d'une demande environnementale portant sur un projet comportant un risque de mutilation, destruction ou de perturbation intentionnelle pour l'une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, ou de destruction, altération ou dégradation d'habitats de ces espèces, devait exiger du pétitionnaire qu'il sollicite l'octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès que l'atteinte est portée à un seul spécimen ou habitat ou seulement en cas d'atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats.

Par la seconde question, la cour demandait si, dans chacune de ces hypothèses, l'autorité administrative doit tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d'atteinte à ces espèces ou seulement des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet.

Le Conseil d'État, au visa de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, des art. L. 411-1, L. 411-2 et R. 411-6, 411-7, 411-8 et 411-12 du code de l'environnement, apporte une réponse en quatre points.

Tout d'abord, en principe la destruction ou perturbation des espèces protégées et de leurs habitats est interdite sauf dérogation que l'autorité administrative peut accorder lorsque sont réunies trois conditions : absence de solution alternative satisfaisante ;  absence de nuisance au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ; justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés notamment celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

Ensuite, l'autorité administrative doit examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes. 

Également, le pétitionnaire doit obtenir une dérogation « espèces protégées » si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé compte tenu de la prise en compte des mesures proposées par le pétitionnaire. Lorsque ces dernières sont telles qu'elles offrent la garantie d'une diminution du risque de sorte que ce dernier n'apparaisse plus comme caractérisé il n'est pas nécessaire de solliciter l'octroi de la dérogation.

Enfin, l'octroi d'une dérogation sur le fondement du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement n'est possible qu'au vu d'une appréciation prenant en compte l'ensemble des éléments énumérés au point précédent (risques d'atteintes inhérentes au projet, mesures préconisées par le pétitionnaire, état de conservation des espèces concernées).

(Section, 9 décembre 2022, Association Sud-Artois pour la protection de l'environnement et autres, n° 463563)

 

102 - Demande d'implantation d'éoliennes - Refus de l'autorisation environnementale - Effet d'écrasement sur le paysage et le bâti - Effet de saturation - Perspective - Rejet.

Le recours de la société demanderesse contre l'arrêté du préfet du Morbihan lui refusant l'autorisation environnementale afin d'exploiter un parc éolien sur le territoire de la commune de Brignac, déjà rejeté par la cour administrative d'appel, l'est également en cassation aux termes d'une décision confirmant en tous points la motivation de l'arrêt d'appel.

Le projet litigieux est estimé produire - comme déjà jugé -  un effet d'écrasement sur un site ne présentant aucune particularité remarquable, constitué de vastes plaines cultivées à ragosses, doucement vallonnées et ponctuellement boisées, entouré de quelques fermes et bourgs mais offrant des vues dégagées sur l'horizon, ponctuellement contraintes par la présence de bosquets et de haies. 

Ce projet présente ainsi des inconvénients excessifs pour la protection des paysages et la commodité du voisinage ne pouvant être prévenus par des prescriptions spéciales alors qu'il altèrerait par trop les paysages du périmètre rapproché du fait que la construction projetée dominerait nettement la végétation avoisinante et créerait, outre un important effet d'écrasement depuis certains hameaux, un effet de saturation du fait de la proximité des éoliennes avec ces hameaux, de leur implantation désordonnée et de leur prégnance dans le paysage.

Enfin, le faible relief rendrait les éoliennes fréquemment visibles depuis les points de vue lointains, le parc projeté serait en situation de covisibilité avec certaines des quatre-vingt-sept éoliennes des onze parcs déjà construits dans un rayon de 20 km autour du site d'implantation et viendrait ainsi s'ajouter à un paysage éolien déjà chargé, contribuant ainsi à la saturation visuelle du paysage nonobstant l'atténuation de la fréquence et de l'étendue de la covisibilité avec les parcs existants du fait de la distance les séparant, du léger relief et de la présence d'espaces boisés. 

(27 décembre 2022, Société parc éolien des Landes de Jugevent, n° 444453)

(103) V. aussi, annulant l'arrêt infirmatif prononçant l'annulation d'un rejet préfectoral  d'une demande d'autorisation unique pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien dans une zone grevée d’une servitude de dégagement à l'approche d'un aérodrome, en raison de la confusion entre l'altitude minimale de secteur, ou MSA, qui garantit aux pilotes qu'ils peuvent, dans le cadre des procédures de vol aux instruments, évoluer sans rencontrer d'obstacle dans un périmètre de 25 miles nautiques (soit 46,3 km) autour d'un aérodrome, en disposant d'une marge de franchissement suffisante, et  l'altitude minimale de sécurité radar (AMSR), délimitée à une distance de 14 miles nautiques (soit 25,928 km) d'un aérodrome, qui permet pour sa part aux aéronefs d'être détectés et guidés dans le cadre du guidage radar par les services de contrôle aérien dans des conditions de sécurité suffisantes : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique, n° 453442.

(104) V. encore, rejetant - au visa des art. L. 181-18, L. 411-1 et L. 411-2 c. env. - le pourvoi de la ministre de la transition écologique et de la pétitionnaire d'autorisation d'implantation d'un parc éolien, et confirmant l'arrêt d'appel, motif pris du risque de destruction intentionnelle de la cicogne noire, espèce courant un risque majeur d'extinction en France, et de l'impossibilité de mesures de régularisation compte tenu du lieu d'implantation choisi pour le parc éolien : 27 décembre 2022, ministre de la transition écologique et société Ferme éolienne du Bois Bodin, n° 456293.

(105) V., très importante par son caractère innovant, la riche et très longue décision rendue au sujet d’une autorisation d’exploitation d’éoliennes en mer au large de Dieppe et du Tréport en ce que, d’une part, elle passe en revue un très grand nombre de griefs généralement développés dans cette sorte de contentieux et, d’autre part, précise les conditions de mise en œuvre du 2° du I de l’art. L. 181-18 du code de l’environnement relatif à la régularisation de vices entachant une autorisation environnementale. Il y est notamment jugé que : « Les dispositions du 2° du I de l'article L. 181-18 permettent au juge, lorsqu'il constate un vice qui entache la légalité de la décision mais qui peut être régularisé par une décision modificative, de rendre un jugement avant dire droit par lequel il fixe un délai pour cette régularisation et sursoit à statuer sur le recours dont il est saisi. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation. Ces dispositions peuvent trouver à s'appliquer, que le vice constaté entache d'illégalité l'ensemble de l'autorisation environnementale, y compris s'agissant d'un vice d'incompétence, ou une partie divisible de celle-ci.

Lorsque les juges du fond, après avoir écarté comme non fondés des moyens de la requête, ont cependant retenu l'existence d'un ou de plusieurs vices entachant la légalité d'une autorisation environnementale dont l'annulation leur était demandée et ont alors décidé de surseoir à statuer en faisant usage des pouvoirs qu'ils tiennent de l'article L. 181-18 du code de l'environnement pour inviter l'administration à régulariser ce ou ces vices, l'auteur du recours formé contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit peut contester ce jugement ou cet arrêt en tant qu'il a écarté comme non fondés les moyens dirigés contre l'autorisation environnementale initiale et également en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 181-18. Toutefois, à compter de la délivrance de l'autorisation modificative en vue de régulariser le ou les vices relevés, les conclusions dirigées contre le jugement ou l'arrêt avant dire droit, en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, sont privées d'objet. »

C’est pourquoi, par suite de la prise d’un arrêté modificatif, du 29 décembre 2020, se substituant aux arrêtés précédents, un non-lieu à statuer est opposé en l’espèce aux conclusions du pourvoi des associations requérantes dirigées contre l'arrêt avant dire droit en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : 28 décembre 2022, Association « Sans offshore à l’horizon » et autres, n° 447229 et n° 453855.

 

106 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

Le juge rappelle à nouveau qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales concernées par ces dispositions, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites.

S'il est possible de déroger à cette interdiction de principe c'est sous réserve que sont remplies trois conditions distinctes et cumulatives, chacune restrictivement interprétée :

- absence de solution alternative satisfaisante,

- absence d'atteinte au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle,

- justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés dont celui que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur au sens du c) du 4° de l'article L. 411-2 précité.

En l'espèce, le Conseil d'État décide que la cour administrative d'appel, dans son arrêt confirmatif, n'a ni commis une erreur de droit ni qualifié erronément les faits en jugeant, d'une part, que le territoire de l'ouest toulousain est déjà desservi suffisamment pourvu en pôles commerciaux, qu'il n'est pas confronté, en la matière, à des difficultés ou des déséquilibres particuliers et qu'il résulte du SCOT de la grande agglomération toulousaine que l'offre en grands centres commerciaux est satisfaisante pour les prochaines années et, d'autre part, qu'il n'était pas démontré que les 1 938 emplois pérennes annoncés, représenteraient des créations nettes d'emploi résultant de l'implantation du projet. Elle a donc a bon droit conclu que le projet litigieux ne répondait pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

(107) V. aussi, soulevant, dans le cadre d’une autorisation préfectorale de réouverture d’une carrière, des questions assez largement identiques, et jugeant notamment (dans la lignée de CJUE, 10 octobre 2019, Luonnonsuojeluyhdistys Tapiola Pohjois-Savo – Kainuu ry, aff. C-674/17) que : « Pour apprécier si le projet ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de déterminer, dans un premier temps, l'état de conservation des populations des espèces concernées et, dans un deuxième temps, les impacts géographiques et démographiques que les dérogations envisagées sont susceptibles de produire sur celui-ci. » : 28 décembre 2022, Société La Provençale, n° 449658.

 

108 - Création d’une installation nucléaire de base – Prolongation du délai de mise en service de cette installation – Respect du droit de l’Union et de l’art. 7 de la Charte de l’environnement – Respect des capacités techniques et financières de réalisation du projet – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours des organisations requérantes dirigé contre les refus implicites du premier ministre d’abroger le décret du 10 avril 2007 autorisant la création de l'installation nucléaire de base dénommée Flamanville 3, comportant un réacteur nucléaire de type EPR, sur le site de Flamanville et de retirer le décret du 25 mars 2020 modifiant le décret précédent.

S’agissant du décret du 25 mars 2020, le juge considère que contrairement à ce qui est soutenu, ce décret ne méconnaît pas les art. 4 et 8 bis de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, modifiée par la directive du 16 avril 2014, en ce que son édiction aurait dû être précédée d'une actualisation de l'étude d'impact ou, à tout le moins, d'une saisine de l'autorité environnementale aux fins qu'elle détermine si l'installation nucléaire de base Flamanville 3 devait faire l'objet d'une actualisation de son évaluation environnementale, voire d'une nouvelle évaluation. En effet, l’objet de ce décret, l'allongement de quatre ans du délai de mise en service de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 a pour objet de permettre la réparation des soudures des circuits secondaires principaux et la réalisation d'autres travaux de finition du chantier. Ces travaux ne devant pas modifier la réalité physique du site de l'installation, ils ne modifieront pas les éléments essentiels pour la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement, ainsi que cela ressort de l'avis rendu le 11 février 2020 par l'Autorité de sûreté nucléaire, qui relève que le report demandé ne modifie pas les conclusions de l'analyse ayant conduit à l'octroi de l'autorisation de création de l'installation et qu'EDF, qui a mis en place des dispositions pour assurer la bonne conservation des équipements déjà installés et le maintien des compétences des équipes chargées de l'exploitation de l'installation, est toujours en mesure de mener à bien le chantier. Le maître d'ouvrage n'était dès lors pas tenu, ni au titre du IV de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, ni au titre du III de l'article L. 122-1-1 du même code, de procéder à l'actualisation de l'étude d'impact qu'il avait réalisée préalablement à l'autorisation de création de l'installation, ni de saisir l'autorité environnementale pour qu'elle détermine si la prorogation du délai de mise en service devait être soumise à évaluation environnementale. 

Le juge relève également qu’a été respecté l’art. 7 de la Charte de l’environnement puisque l'autorisation de création de l'installation Flamanville 3 a fait l'objet d'un débat public, organisé par la Commission nationale du débat public du 19 octobre 2005 au 18 février 2006 ainsi que d'une enquête publique, qui s'est déroulée du 15 juin au 31 juillet 2006. Or les éléments fondamentaux n’ayant pas changé et n’étant pas modifiés, la participation du public à ces décisions demeure toujours valable, ne nécessitant pas d’actualisation.

Pas davantage ne sont retenus, notamment, les moyens tirés de la situation financière gravement déficitaire d’EDF qui ne remet pas en cause sa capacité technique à mener à bien le projet, le respect d’un niveau satisfaisant de sécurité, d’ailleurs déjà jugé par le Conseil d’État en 2019 (décision n° 416140 et 425780 du 24 juillet 2019 rendue sur recours des mêmes requérants), etc.

S’agissant du décret du 10 avril 2007, le recours est rejeté au double motif que, contrairement aux moyens qui le soutiennent, la mise à jour de l'évaluation environnementale n’est pas une condition du maintien de l'autorisation de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 résultant du décret du 10 avril 2007 et il ne ressort pas de l'instruction que la société EDF ne disposerait pas des capacités techniques et financières pour conduire le projet de création de l'installation nucléaire de base Flamanville 3 dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l'environnement.

(28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n° 444845 et n° 444846)

(109) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision du 8 octobre 2020 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant la mise en service partielle de l'installation nucléaire de base (INB) n° 167 (Flamanville 3) pour l'arrivée du combustible nucléaire dans le périmètre du réacteur et la réalisation d'essais particuliers de fonctionnement de l'installation nécessitant l'introduction de substances radioactives dans celle-ci : 28 décembre 2022, Association Réseau « Sortir du nucléaire » et autres, n°447330.

 

110 - Mise en œuvre de mesures réglementaires ordonnées par des décisions du Conseil d’État – Non-respect du délai imparti à cet effet - Demande d’astreinte au juge de l’exécution – Absence de mesures propres à assurer cette exécution – Condamnation de l’État à astreinte.

Les recours tendaient à l’exécution de mesures ordonnées par le Conseil d’État dans plusieurs décisions rendues le 26 juillet 2021donnant , d’une part, deux mois aux ministres concernés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, pour édicter les actes réglementaires afin de prévoir des distances de sécurité supérieures à dix mètres pour l'ensemble des produits classés cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, sans distinction des catégories de danger prévues par le règlement du 16 décembre 2008 et, d’autre part, six mois pour prendre les mesures réglementaires énoncées au point 61 de sa décision.

Après instruction du dossier par la Section du rapport et des études, le juge constate que si des engagements ont été pris, notamment pour que soit accéléré le traitement des demandes de modification des conditions d’emploi de près des trois cents produits concernés, ces mesures « ne sauraient être regardées comme justifiant, à la date de la présente décision, avoir pris les mesures propres à assurer l'exécution de la décision du 26 juillet 2021 en ce qu'elle annule l'article 8 de l'arrêté du 27 décembre 2019 en tant qu'il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés CMR 2 dont l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique. » 

Au visa de l’art. L. 911-5 du CJA et compte tenu qu’il s’agit là d’un manquement grave à une exigence du droit de l’Union, le juge porte, après expiration d’un délai d’exécution de deux mois, à cinq cents euros par jour de retard le montant de l’astreinte.

(22 décembre 2022, Association Générations futures, association France Nature Environnement, Union fédérale des consommateurs - Que choisir (UFC - Que choisir), association Collectif vigilance OGM et pesticides 16, Union syndicale Solidaires, association Eau et rivières de Bretagne, association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP) et association Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l'ouest, n° 462352 ; Association Collectif des maires anti-pesticides, n° 462362)

 

État-civil et nationalité

 

111 - Décret conférant la nationalité française - Extension de plein droit au seul enfant mineur sous conditions de résidence stable et durable et de déclaration de l'enfant avant la signature du décret de naturalisation - Enfant devenue majeure avant cette date - Impossibilité d'extension des effets du décret de naturalisation - Rejet.

Rappel de ce qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que si sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : 1° être mineur, 2° son existence  ayant été portée à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret, 3°  ayant résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

La condition d'âge s'apprécie à la date de signature du décret de naturalisation nonobstant les circonstances que ce décret est intervenu après une longue procédure d'instruction et que la fermeture de la préfecture du fait des circonstances exceptionnelles liées à la crise sanitaire.

En l'espèce, l'intéressée est devenue majeure le 15 août 2021 alors que le décret de naturalisation de son père a été signé le 7 octobre 2021.

(9 décembre 2022, M. C., n° 463264)

 

112 - Carte nationale d'identité - Demande de renouvellement - Refus - Carte encore valide - Détention d'un passeport - Annulation.

Ne commet pas d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que c'est illégalement qu'un préfet, saisi d'une demande de renouvellement d'une carte d'identité délivrée en 2007, y oppose un refus fondé d'une part sur ce que cette carte est encore en cours de validité à la date du 1er janvier 2014 d'autant que la durée de validité d'une telle carte a été portée de dix à quinze ans, et d'autre part, sur ce que le demandeur est également détenteur d'un passeport en cours de validité.

Ce double motif ne peut justifier le refus préfectoral.

(2 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 459599)

 

113 - Opposition à changement de nom - Recherche de l'intérêt légitime à changer de nom - Rejet.

Les requérantes entendaient s'opposer au décret du 17 juin 2022 en tant qu'il autorise Mme J. Saint Guily et M. A. G. à changer leur nom respectivement en « Saint Guily Sonier de Lubac » et « G. Sonier de Lubac ».

Pour rejeter le recours, le Conseil d'État relève que Mme Saint Guily et M. G. ont été autorisés à ajouter, par le décret attaqué, à leur nom de famille le nom « Sonier de Lubac » qui

 est celui porté respectivement par leur arrière-grand-mère maternelle et arrière-arrière-grand-mère maternelle, et qu'à la date de ce décret, le nom revendiqué était en voie d'extinction dans la famille Sonier de Lubac faute de porteurs susceptibles de le transmettre.

Si les requérantes font valoir que la fille majeure de Mme D... Sonier de Lubac porte désormais ce nom, par adjonction à son propre nom, à la suite de la demande qu'elle avait présentée sur le fondement des dispositions de l'article 61-3-1 du code civil, entrées en vigueur le 1er juillet 2022, et que l'autre enfant majeur de cette requérante a entrepris des démarches aux mêmes fins, de telles circonstances, postérieures à l'édiction du décret contre lequel il est formé opposition, ne peuvent être utilement invoquées.

Par suite, Mme Saint Guily et M. G. justifiaient d'un intérêt légitime à demander le changement de leur nom.

(27 décembre 2022, Mmes D., H. et E. Sonier de Lubac, n° 466270)

 

Étrangers

 

114 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Soustraction à une précédente OQTF - Refus d'octroi d'un délai de départ volontaire - Motivation suffisante - Rejet.

Parmi les divers moyens, d'ailleurs tous rejetés, soulevés par un ressortissant égyptien pour s'opposer à son obligation de quitter sans délai le territoire français, le juge de cassation relève qu'est suffisamment motivé l'arrêt qui, pour rejeter la demande d'octroi d'un délai de départ volontaire, se fonde sur ce que l'intéressé s'est soustrait à une précédente obligation de quitter le territoire prononcée à son encontre.

(9 décembre 2022, M. B., n° 458803)

 

115 - Procédure d'extradition - Existence d'un régime spécifique du contradictoire - Conditions de placement sous écrou extraditionnel sans effets sur la légalité du décret d'extradition - Assurances données par l'État requérant à l'État requis non communiquées à l'intéressé - Rejet.

Examinant, pour le rejeter, le recours d'un  ressortissant brésilien contre le décret l'extradant pour remise à ses autorités nationales, le Conseil d'État se prononce sur plusieurs aspects procéduraux.

L'obligation d'une procédure contradictoire avant la prise de décisions devant être motivées (art. L. 121-1 CRPA) ne s'applique pas, en l'absence de précisions en ce sens dans la convention d'extradition, dans les cas où existe un procédure particulière prévue par les textes comme, ici, les art. 696-8 et suivants du code de procédure pénale.

Les conditions dans lesquelles l'intéressé a été placé sous écrou extraditionnel à la suite de la demande d'arrestation provisoire émanant de ses autorités nationales n'affectent pas, par elles-mêmes, la légalité du décret accordant son extradition à ces autorités. 

Enfin, le fait que les assurances données par le gouvernement brésilien le 27 octobre 2021, visées par le décret attaqué, n'aient pas été communiquées au requérant n'est pas de nature à établir que ce décret serait intervenu en méconnaissance des droits de la défense. 

(8 décembre 2022, M. A., n° 465421)

 

116 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile – Confusion dans la communication d’une décision de justice – Fin de non-recevoir pour tardiveté – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

La Cour nationale du droit d'asile a adressé par erreur à la requérante un premier pli contenant une décision dont les motifs concernaient la situation d'un autre demandeur d'asile.

L'OFPRA ne lui a notifié la décision la concernant que le 30 décembre 2020.

La requérante est, dès lors, fondée à soutenir qu'en retenant que la décision attaquée lui avait été notifiée à la date de réception du premier pli pour juger que sa demande, formée le 28 janvier 2021, était tardive, la présidente de la Cour nationale du droit d'asile a dénaturé les pièces du dossier.

Par suite, l'ordonnance attaquée est annulée.

(29 décembre 2022, Mme A., n° 456784)

(1147 V. aussi, annulant une décision de la CNDA ne visant pas une note en délibéré pourtant produite après l’audience et avant la lecture de la décision : 29 décembre 2022, M. A., n° 461055. V. aussi, identique en substance : 29 décembre 2022, Mme et M. B., n° 461425.

 

118 - Convention de Genève sur les réfugiés – Clause d’exclusion – Notion d’« agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies » - Participation ou soutien à des actes terroristes – Qualification inexacte des faits comme ne relevant pas de l’exclusion – Annulation.

Le c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 prévoit que les dispositions protectrices qu’elle institue au bénéfice des réfugiés « ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser : (...) c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».

Le Conseil d’État considère que « Les actes terroristes ayant une ampleur internationale en termes de gravité, d'impact international et d'implications pour la paix et la sécurité internationales peuvent être assimilés à des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies au sens du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Il en va de même des actions de soutien d'une gravité suffisante à une organisation qui commet, prépare ou incite à la commission de tels actes ».

En conséquence elle juge que l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides) est fondé à demander l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) jugeant que les faits pour lesquels le requérant avait été condamné par le juge pénal ne relevaient pas de la clause d'exclusion prévue au c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. Certes, elle a retenu pour cela les circonstances, à les supposer établies, que l'intéressé n'aurait pas appartenu au cercle décisionnel d’une entreprise terroriste et que l'aide logistique apportée au projet d'attentat n'aurait été ni essentielle, ni décisive, ainsi que les regrets qu'il avait exprimés à l'audience. Cependant, et à bon droit, le Conseil d’État relève que le juge pénal a établi que ce dernier avait participé à une association terroriste en toute connaissance de cause, après avoir relevé qu'il avait entretenu des liens avec l'organisation « Émirat du Caucase », affiliée à l'organisation al-Qaïda, classée comme organisation terroriste par l'Organisation des Nations Unies, et apporté un soutien logistique à l'ensemble de ses membres, en créant ou en aidant à la diffusion de trois sites internet, sur l'un desquels il avait publié un appel au djihad global, et un soutien financier, en acceptant de servir d'intermédiaire pour financer un voyage d'un membre de cette organisation, qui était destiné à commettre un attentat à Moscou.

La décision de la CNDA est annulée pour inexactitude dans la qualification juridique des faits. C’est le moins que l’on pouvait attendre du juge de cassation.

(29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456891)

(119) V. aussi, jugeant que si les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié, il appartient à l'OFPRA et, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile, d'examiner la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération. La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparu. En l’espèce, il est jugé qu’un individu qui a été condamné le 6 octobre 2006 à trois mois d'emprisonnement pour conduite sous l'empire d'un état alcoolique, sans assurance et refus de se soumettre aux contrôles de la force publique, le 3 mai 2007 à quatre mois de prison pour faits de violence aggravée, commis sous l'empire d'un état alcoolique, ayant entraîné pour la victime une interruption temporaire de travail supérieure à huit jours et, le 26 septembre 2014, à quinze ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son voisin, commis sous l'empire d'un état alcoolique, dans des circonstances dont la Cour relève le caractère particulièrement violent, doit être considéré comme constituant une menace grave pour la société française en dépit des formations suivies et des qualifications obtenues par l'intéressé en vue de sa réinsertion, et du suivi médical dont il fait l'objet concernant son addiction à l'alcool : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 456943.

(120) V. également, largement comparable au précédent mais où l’usage de stupéfiants remplace celui de l’alcool assorti de multiples infractions : 29 décembre 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 458957.

 

121 - Ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré en Ukraine - Entrée en France lors de l'invasion de l'Ukraine - Décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 - Refus de la protection temporaire (art. L. 581-3 du CESEDA) - Suspension du refus ordonnée et obligation de réexamen de la demande de titre de séjour - Annulation.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation de l'ordonnance prononçant la suspension du refus d'octroyer à une ressortissante arménienne bénéficiaire d'un titre de séjour non permanent délivré par les autorités ukrainiennes et venue en France lors de l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Pour annuler l'ordonnance querellée par le ministre, le Conseil d'État retient que c'est à tort que le premier juge a estimé entaché d'un doute sérieux quant à sa juridicité le refus opposé à la demanderesse par l'autorité préfectorale  au motif qu'elle aurait commis une erreur de droit en se croyant en situation de compétence liée pour rejeter la demande de protection temporaire de la requérante faute pour celle-ci de disposer d'un titre de séjour permanent délivré par les autorités ukrainiennes. En effet, le juge des référés a relevé qu'il résultait des dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'article 2 de la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 que, sous réserve d'autres conditions à remplir, les autorités des États membres doivent accorder le bénéfice de la protection temporaire aux ressortissants étrangers pouvant établir qu'ils étaient en séjour régulier sur la base d'un titre de séjour permanent en cours de validité conformément au droit ukrainien mais qu'elles peuvent également l'accorder à d'autres personnes qui étaient en séjour régulier en Ukraine.

Selon le Conseil d'État, contrairement à ce que soutient la requérante, la décision d'exécution du Conseil du 4 mars 2022 à laquelle les articles L. 581-2 et L. 581-3 du CESEDA se réfèrent pour définir le champ d'application de la protection temporaire, ainsi que par voie de conséquence l'instruction interministérielle relative à la mise en œuvre de cette décision, qui en rappelle les termes, ne méconnaît pas le principe d'égalité de traitement garanti par le droit de l'Union européenne, et le principe de non-discrimination, en tant qu'elle ne prévoit pas le bénéfice de cette protection pour les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine non titulaires d'un titre de séjour permanent.

Au reste, la protection temporaire est un dispositif exceptionnel permettant d'assurer, dans toute l'Union, une protection minimale immédiate et de caractère temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées ne pouvant rentrer dans leur pays d'origine. Il en résulte que la différence de traitement entre les ressortissants de pays tiers autres que l'Ukraine, selon qu'ils sont titulaires d'un titre de séjour permanent ou non délivré par les autorités de ce pays, n'est en tout état de cause pas susceptible de caractériser une méconnaissance des principes invoqués de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision de refus litigieuse.

(ord. réf. 27 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 465363)

 

Fonction publique et agents publics

 

122 - Inspecteurs du travail issus du troisième concours de recrutement - Absence de prise en compte des années de scolarité pour le calcul de l'ancienneté de services - Différence de traitement avec ceux issus des deux autres concours - Différence de traitement entre inspecteurs issus du troisième concours déjà fonctionnaires et les autres - Rejet.

Selon les dispositions du décret du 20 août 2003 (art. 12bis) les inspecteurs du travail recrutés à l'issue du troisième concours, filière à caractère social, sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an, sauf si l'application des articles 11 et 12 leur est plus favorable tandis que ceux recrutés à l'issue d'un autre concours sont titularisés au 1er échelon du grade d'inspecteur du travail, la durée effective de la scolarité, à l'exception de la période de redoublement éventuel, étant prise en compte pour l'avancement d'échelon.

Le requérant, issu du troisième concours, conteste la décision qui ne l'a titularisé au troisième échelon du grade d'inspecteur du travail qu'avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Le juge rappelle qu'il est possible, sans illégalité, de faire une application différenciée du principe d'égalité en fonction de situations différentes sous les deux conditions d'être en rapport avec l'objet de la norme qui l'institue et de ne pas entraîner des effets manifestement disproportionnés par rapport à sa justification.

Les inspecteurs-élèves accédant à la fonction publique pour la première fois voient leur scolarité prise en compte au titre de l'ancienneté. Ceux issus du troisième concours se rangent en deux catégories : ceux qui étaient déjà fonctionnaires avant l'admission en tant qu'inspecteurs bénéficient de la reprise d'une fraction de leur ancienneté et n'ont pas droit à une telle reprise au titre de la scolarité ; ceux qui n'étaient pas antérieurement fonctionnaires  sont classés, lors de leur titularisation dans le grade d'inspecteur du travail, au troisième échelon, avec une reprise d'ancienneté d'un an.

Pour le Conseil d'État, il n'apparaît pas que ces différences de traitement ne sont pas en rapport avec les différences objectives de situations au moment du recrutement comme inspecteurs du travail  ni, non plus que les conséquences en sont manifestement excessives à cet égard.

(2 décembre 2002, M. B., n° 456277)

 

123 - ÉNA - Classement des élèves d'une promotion - Affectation aux carrières - Titularisation d'administrateurs civils - Demandes d'annulation - Rejet.

Le Conseil d'État rejette l'ensemble des griefs dirigés par le requérant contre la décision du 30 août 2021 par laquelle le directeur de l'ÉNA a arrêté le classement des élèves de la promotion 2020-2021, contre l'arrêté ministériel du 7 octobre 2021 portant affectation aux carrières de cette promotion et contre le décret du 11 octobre 2021 portant nomination et titularisation (administrateurs civils).

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, s'il résulte des dispositions de l'article 39 du décret du 9 novembre 2015 relatif aux conditions d'accès et aux formations à l'École nationale d'administration qu'aucune personne ayant dispensé des enseignements auprès de la promotion à laquelle appartiennent les élèves ne peut être membre d'un jury ou examinateur, ces dispositions ne sont applicables qu'aux études régies par cet article et non aux stages, lesquels sont réglementés par les dispositions de l'article 38 du même décret. Le requérant ne saurait donc  soutenir que sa note de stage serait entachée d'irrégularité au motif qu'un des membres du jury était préalablement intervenu devant les élèves de sa promotion.

Ensuite, les pièces du dossier ne confirment pas les allégations du requérant selon lesquelles ses notes de stages auraient été fondées essentiellement sur ses rapports de stage sans prendre en compte, ainsi que le prévoient les dispositions du III de l'article 38 du décret du 9 novembre 2015, les appréciations établies par ses maîtres de stage. 

Également, si la note évaluant les acquis et les compétences professionnelles des élèves doit être distincte des notes attribuées pour chacun des stages, elle doit, contrairement à ce que soutient le requérant, être attribuée par un jury composé des mêmes personnes sauf empêchement de l'une d'entre elles. 

Enfin, il ressort des pièces du dossier que la direction des stages de l'ÉNA s'est bornée en l'espèce à demander aux maîtres de stage d'apprécier la capacité des élèves, après avoir développé des contacts pendant leur stage, à s'en servir pour accomplir leurs missions. Cette appréciation étant fondée sur les seules capacités professionnelles des élèves, le requérant  n'est pas fondé à soutenir qu'en lui attribuant des notes sur le fondement notamment des appréciations portées par ses maîtres de stage sur ses capacités en la matière, serait constitutive d'une discrimination et serait contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

(2 décembre 2022, M. A., n° 458123)

 

124 - Fonctionnaire en détachement - Liquidation des droits à pension - Indice devant être retenu - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, officier de sapeurs-pompiers professionnels au grade de capitaine, a été détaché à partir de 1994 en qualité d'ATER puis, à partir de 1995, en qualité de maître de conférences au sein de l'UFR de pharmacie de l'université de Picardie. Il a été maintenu dans cette position jusqu'à sa radiation des cadres en 2014 pour motif de retraite.

Il conteste l'indice de rémunération retenu pour le calcul de sa pension, soit l'indice 750 détenu dans son corps d'origine, au lieu de l'indice 920 correspondant à son emploi de détachement, ainsi que le refus qui a été opposé à sa demande de révision.

Le tribunal administratif a rejeté son action en se bornant à juger que le requérant ne pouvait invoquer utilement, à l'appui de ce moyen, les dispositions des articles 64 et 65 de la loi du 26 janvier 1984 et de l'article 5 du décret du 26 décembre 2003, qui régissent seulement le régime de cotisation des agents territoriaux détachés et qui ne sont pas relatives aux modalités de liquidation de leur pension. 

Le jugement est très logiquement cassé en ce qu'il repose sur une erreur de droit car les juges  du fond devaient rechercher si les retenues pour pension versées par l'intéressé, calculées, en sa qualité d'agent détaché sur un emploi ouvrant droit à une pension de retraite relevant du code des pensions civiles et militaires de retraite, sur le traitement afférent à son emploi de détachement, ouvraient droit pour l'intéressé à la liquidation de sa pension sur le fondement de l'indice qu'il détenait dans cet emploi.

(5 décembre 2022, M. C., n° 459329)

(125) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit l'arrêt estimant qu'un congé de longue durée pour maladie devait également être pris en compte en tant que « services militaires effectifs » pour l'application du II de l'art. L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite, dans sa version alors applicable selon lequel « Lorsque la durée de services militaires effectifs est inférieure à la durée nécessaire pour pouvoir bénéficier d'une liquidation de la pension, définie au II de l'article L. 24, augmentée d'une durée de services effectifs de dix trimestres, un coefficient de minoration de 1,25 % s'applique au montant de la pension militaire liquidée en application des articles L. 13 et L. 15 dans la limite de dix trimestres ». En effet, seule la durée des services militaires effectifs est prise en compte pour la détermination de l'éventuel coefficient de minoration de la pension militaire de retraite et cette durée n'inclut par assimilation que les congés limitativement énumérés par ces dispositions, au nombre desquels ne figurait pas le congé de longue durée pour maladie avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 24 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 : 5 décembre 2022, Mme C., n° 462035.

 

126 - Corps de fonctionnaires en voie d'extinction - Corps paramédicaux de la fonction publique hospitalière - Échelonnement indiciaire - Protocole d'accord sans effet juridique - Principe d'égalité - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret n° 2021-1406 du 29 octobre 2021 modifiant divers décrets portant statuts particuliers de corps paramédicaux de la catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction et le décret n° 2021-1408 du 29 octobre 2021 fixant l'échelonnement indiciaire applicable à divers corps de catégorie A de la fonction publique hospitalière placés en voie d'extinction.

Les deux moyens invoqués au soutien de ce recours sont rejetés.

En premier lieu, il ne saurait être reproché au décret de 1998,  applicable aux infirmiers spécialisés et à celui de 2001 relatif aux cadres de santé, de méconnaître les stipulations du protocole d'accord du 13 juillet 2020 prévoyant une revalorisation des grilles indiciaires de ces corps mis en extinction, à due proportion de celle appliquée aux corps de catégorie A comparables. En effet, un tel protocole, qui « s'analyse comme un exposé des intentions et des orientations arrêtées par le Gouvernement en concertation avec les syndicats signataires, est dépourvu de valeur juridique et de force contraignante » ne saurait servir à une telle action contentieuse.

En second lieu, les requérants ne peuvent invoquer le fait que les modifications apportées aux grilles indiciaires par les décrets attaqués seraient moins favorables que celles apportées, pour la mise en œuvre de ce même protocole, aux grilles des corps comparables  car le principe d'égalité de traitement n'est susceptible de s'appliquer, s'agissant de fonctionnaires, qu'entre agents d'un même corps. 

(5 décembre 2022, Mme L. et autres, n° 459756)

(127) V. aussi avec même solution : 5 décembre 2022, M. AJ. et autres, n° 459784.

 

128 - Référé suspension - Radiation des cadres - Doute sérieux quant à la date d'entrée en vigueur de la décision - Agent en congé de longue durée pour maladie - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

(6 décembre 2022, M. B., n° 465627)

V. n° 31

 

129 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Révocation d'un fonctionnaire territorial - Annulation avec injonction de réintégration - Arrêt d'appel infirmatif - Retrait de la décision de réintégration pendant la procédure de pourvoi en cassation - Suspension ordonnée - Rejet.

Suite à sa révocation, le fonctionnaire départemental concerné a saisi le juge du référé suspension qui, d'abord, a suspendu la mesure de révocation et ordonné sa réintégration, ce que le confirmé l'ordre de réintégration. Sur l'appel du département, la cour administrative d'appel a annulé le jugement et, alors qu'un pourvoi en cassation avait été formé par le fonctionnaire contre l'arrêt d'appel, le département a retiré la décision de réintégration provisoire.

Saisi par l'intéressé, le juge du référé-suspension a suspendu l'exécution de cette décision de retrait. Le département s'est pourvu en cassation de cette ordonnance.

Son pourvoi est rejeté car relève le Conseil d'État, de façon inédite en cette matière même s'il existe des précédents plus timides (23 mai 2018, ministre de l'intérieur, n° 416313), l'administration disposait en ce cas d'un délai « raisonnable » de quatre mois pour retirer la mesure de réintégration provisoire à compter de la notification de l'arrêt d'appel  prononçant l'annulation de la décision portant révocation de cet agent public. Semblablement, passé ce délai et dans le cas où un pourvoi en cassation a été introduit contre l'arrêt ayant confirmé la révocation de l'agent, l'autorité compétente dispose à nouveau de la faculté de retirer la décision de réintégration, dans un délai raisonnable de quatre mois à compter de la réception de la décision qui rejette le pourvoi ou de la notification de la décision juridictionnelle qui, après cassation, confirme en appel l'annulation du premier jugement. 

Dans tous les cas, l'exercice du pouvoir de retrait est subordonné à une invitation préalable faite à l'agent de présenter ses observations.

La décision apporte une autre précision d'importance concernant le sort de la rémunération de l'agent en pareille circonstance.

Lorsque la réintégration d'un agent public révoqué a été prise en exécution d'une décision de justice, l'intéressé a droit de percevoir la rémunération correspondant à ses fonctions sauf en cas d'absence de service fait soit par suite du refus de l'agent d'effectuer ses missions soit en conséquence d'une mesure ordonnée par l'autorité judiciaire faisant obstacle à l'exercice par l'intéressé de toute fonction au sein des services de son administration. Dans tout autre cas la rémunération est due.

(Section, 9 décembre 2022, département de la Seine-Saint-Denis, n° 451500)

 

130 - Régime disciplinaire de la fonction publique - Faits reprochés s'étant produits dans l'intimité et donc en dehors du service - Condamnation pénale par une cour d'appel - Rejet.

Un militaire radié des cadres du fait de sa condamnation par une cour d'appel pour faits de violences volontaires et d'agression sexuelle sur ses enfants mineurs, demande l'annulation de la mesure.

Le Conseil d'État rappelle le principe selon lequel le comportement d'un fonctionnaire ou d'un militaire en dehors du service peut constituer une faute de nature à justifier une sanction s'il a pour effet de perturber le bon déroulement du service ou de jeter le discrédit sur l'administration.

Ensuite, au cas d'espèce, il est jugé que l'autorité administrative disciplinaire n'a pas, dans les circonstances de l'espèce, inexactement qualifié les faits en retenant leur caractère fautif.

Enfin, eu égard au motif de la condamnation pénale, la sanction de la radiation des cadres n'est pas disproportionné en dépit de la manière de servir de cet agent, jusqu'alors sans reproche.

(12 décembre 2022, M. A., n° 463974)

 

131 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur de l’enseignement supérieur – Sanction jugée insuffisante – Illégalité – Annulation.

L’affaire n’est pas banale car les décisions de ce genre sont rares dans la fonction publique.

Un enseignant, ayant sévi à la tête d’un commando pour « libérer » une enceinte facultaire de ses occupants, a fait l’objet de la part du CNESER de la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement.

Sur pourvoi du ministre de l’enseignement supérieur, cette décision est cassée parce que hors de proportion, entendons par là « insuffisante », avec les faits reprochés.

Classiquement, l’annulation des sanctions comme étant « hors de proportion avec les faits reprochés » ne concerne que les sanctions jugées excessives. La situation inverse est très rare ne serait-ce que parce que, dans l’immense majorité des cas, le requérant est l’agent sanctionné lui-même et qu’il est de principe qu’en matière disciplinaire l’appel ou le pourvoi formé par la personne sanctionnée ne peut aboutir à aggraver la sanction qui lui a été infligée. Ici, c’est le ministre qui a saisi le juge de cassation, la situation est donc différente de ce qu’elle est d’ordinaire.

Pour juger insuffisante la sanction, le Conseil d’État retient la matérialité des faits qu’il décrit et le jugement rendu par le tribunal correctionnel dans cette affaire.

Lui reprochant le choix de la sanction susrappelée, il ordonne au CNESER de prononcer non la sanction prévue au 5° de l'art. L. 952-8 du code de l'éducation mais l’une des sanctions prévues par les alinéas suivants de cet article, c’est-à-dire une sanction plus sévère.

(30 décembre 2022, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, n° 465304)

 

132 - Régime disciplinaire de la fonction publique – Professeur des universités – Mesure de suspension à titre conservatoire – Durée maximale ne pouvant excéder un an même en présence de poursuites disciplinaires – Annulation.

Le requérant, professeur des universités poursuivi disciplinairement, a fait l’objet d’une mesure de suspension avec maintien du traitement, pour six mois, renouvelée deux fois. Il a demandé sa réintégration à l’expiration d’une année de suspension, l’université a refusé.

Le Conseil d’État annule cette décision, rappelant ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 951-4 du code de l’éducation que la durée totale de la suspension susceptible d'être infligée à un enseignant-chercheur ne peut excéder une année quand bien même l'intéressé fait l'objet de poursuites disciplinaires. C’est donc à tort que l’université, pour refuser la demande de levée de la suspension, s’est fondée sur l’existence d’une procédure disciplinaire en cours.

(26 décembre 2022, M. B., n° 468102)

 

133 - Désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'Institut national du service public (INSP) - « Lettre-circulaire » ne demandant de faire des propositions en vue de cette désignation qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique - Illégalité - Annulation.

Est entachée d'illégalité et doit donc être annulée la « lettre-circulaire » du directeur adjoint à la directrice générale de la fonction publique, relative à la nomination de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qui ne demande de faire des propositions en vue de la désignation de représentants syndicaux au conseil d'administration de l'INSP, qu'à certaines seulement des fédérations syndicales siégeant au Conseil supérieur de la fonction publique en violation des dispositions de l'art. 7 du décret du 1er décembre 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'État. Par voie de conséquence est également annulé l'arrêté ministériel procédant à la nomination des agents ainsi irrégulièrement présentés.

(13 décembre 2022, Fédération générale des fonctionnaires Force ouvrière, n° 463701)

 

134 - Notation d'un officier de police judiciaire - Compétence de plein droit du substitut d'un procureur général près une cour d'appel - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, au regard des art. 19-1 et 34 du code de procédure pénale et de l'art. L. 122-4 du code de l'organisation judiciaire, la juridiction administrative décidant que la décision d'établir la notation d'un officier de police judiciaire ne pouvait, sans texte lui attribuant spécifiquement cette compétence, être prise par le substitut général du parquet de la cour d'appel sans délégation de signature à cet effet.

(14 décembre 2022, ministre de la justice, n° 443208)

 

135 - Agent public en CDD placée en congé de mobilité - Démission avant le terme du contrat de directrice d'un établissement public de coopération culturelle - Agent placée, en l'absence de poste vacant à son niveau de traitement, en position de congé sans rémunération - Demande d'octroi d'une aide de retour à l'emploi refusée - Annulation.

Une agent public du ministère de la culture recrutée en CDD, devenue directrice d'un établissement public de coopération culturelle, a démissionné de cet emploi avant le terme du contrat et a été placée, faute de poste vacant, en position de congé sans rémunération. Elle a demandé l'octroi d'une aide de retour à l'emploi qui lui a été refusée et le recours contentieux contre ce refus  a été rejeté par arrêt d'appel confirmatif au motif que les démarches qu'elle avait effectuées demeuraient peu nombreuses et que sa participation à des ateliers afin de retrouver un emploi n'était pas établie.

 Elle se pourvoit ; l'arrêt est annulé.

L'aide au retour à l'emploi suppose que le travailleur qui la sollicite ait été involontairement privé de son emploi (cf. art. L. 5421-1 c. trav.). Il résulte donc des énonciations de la cour que la requérante, faute de recherches sérieuses, ne pouvait relever de cette qualification et que c'était à bon droit que l'aide sollicitée lui avait été refusée.

Pour répondre à la requête dont il était saisi le juge de cassation franchit le pas en se reconnaissant le pouvoir de contrôler la qualification juridique des faits allégués ou déniés en vue de déterminer si la requérante relève ou non de la catégorie juridique « travailleur involontairement privé d'emploi ». Opérant une analyse circonstanciée des faits tels qu'ils ressortent des pièces du dossier, le Conseil d'État juge que la cour a inexactement qualifié les faits (nous pensons plutôt qu'elle les a dénaturés). L'intéressée remplit bien les conditions pour bénéficier de l'aide qu'elle a sollicitée et le juge ordonne son versement à la requérante.

(14 décembre 2022, Mme B., n° 450694)

 

136 - Fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux - Condition d'inscription  de plein droit au tableau d'avancement - Règle de l'échelon spécial - Avancement au grade d'attaché hors classe - Prise en compte, au titre de l'expérience professionnelle, d'exercice de fonctions à un niveau élevé de responsabilité - Éléments permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice des fonctions syndicales - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

L'article 23 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires a prévu que les fonctionnaires bénéficiant d'une décharge totale de service pour l'exercice de mandats syndicaux sont inscrits de plein droit au tableau d'avancement à un échelon spécial, au vu de l'ancienneté acquise dans l'échelon immédiatement inférieur et de celle dont justifient en moyenne les fonctionnaires détenant le même échelon, relevant de la même autorité de gestion et ayant accédé, au titre du précédent tableau d'avancement et selon la même voie, à l'échelon spécial, sous réserve de remplir les conditions fixées par le statut particulier de leur corps ou cadre d'emplois pour bénéficier d'un avancement d'échelon spécial.

S'agissant d'apprécier les conditions d'avancement au grade d'attaché hors classe, lesquelles sont régies notamment par l'art. 21 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux, les fonctionnaires concernés peuvent demander à ce que l'exercice des mandats syndicaux pour lesquels ils bénéficient d'une décharge totale de service soit pris en compte, au titre des acquis de l'expérience professionnelle, pour le calcul de la durée d'exercice de fonctions correspondant à un niveau élevé de responsabilité requise par ces dispositions, lorsqu'ils ont préalablement occupé des fonctions correspondant à celles énumérées par ces dispositions et que les responsabilités ensuite exercées dans le cadre de leurs mandats syndicaux peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions ainsi énumérées.

En l'espèce, c'est à bon droit que la cour administrative d'appel a recherché si les fonctions syndicales exercées par le requérant pouvaient être regardées comme des fonctions de direction, d'encadrement, de conduite de projet, ou d'expertise, correspondant à un niveau élevé de responsabilité, susceptibles d'être prises en compte en complément des sept ans et quatre mois d'exercice de ses responsabilités à la tête des services financiers de la commune de Saint-Pierre.

En revanche, elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que cet agent n'avait pas apporté d'éléments significatifs permettant d'apprécier les compétences acquises dans l'exercice de ses fonctions syndicales alors qu'il résulte de ces pièces même que l'intéressé préside depuis 2008, après avoir été membre de son bureau puis vice-président, le syndicat autonome de la fonction publique territoriale de La Réunion, principal syndicat de la fonction publique territoriale de La Réunion et qu'il est, depuis 2010, secrétaire général de la Fédération générale autonome des fonctionnaires de La Réunion. Pour le juge de cassation, de telles responsabilités « peuvent être regardées comme d'un niveau comparable à celles correspondant aux fonctions énumérées par l'article 21 du décret du 30 décembre 1987 ».

On peut comprendre les hésitations de la cour à aller jusqu'à une telle conclusion.

(16 décembre 2022, M. A., n° 449708)

 

137 - Magistrate du siège - Avertissement - Propos et comportements visant une greffière - Manquements justifiant la mesure - Rejet.

Ne fait pas une inexacte application des art. 43 et 44 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative à la magistrature, la décision d'une première présidente de cour d'appel d'adresser un blâme (qui n'est pas une sanction mais une mesure prise en considération de la personne) à une conseillère de la cour  qui, lors d'une audience publique, a tenu de manière répétée des propos désobligeants à l'égard d'une greffière,  qui entretient avec cette dernière des relations structurellement dégradées et lui adresse des reproches réguliers mettant en cause son comportement professionnel.

Le recours est rejeté.

(27 décembre 2022, Mme B., n° 454743)

 

138 - Magistrate - Demande d'intégration directe dans la magistrature - Fourniture d'un relevé de notes non traduit en français - Condition de diplôme non remplie - Rejet.

Solution très sévère, dont on peut se demander si elle est en phase avec l'évolution du monde contemporain, de la technologie, des échanges et des affaires.

Il y est jugé que c'est à bon droit que la commission d'avancement du Conseil supérieur de la magistrature a estimé que la requérante, candidate à une entrée directe dans la magistrature, ne remplissait pas la condition de diplôme requise, faute d'avoir produit, comme l'exigent les dispositions de l'article 17-1 du décret du 4 mai 1972, une traduction en français, établie par un traducteur assermenté, de son diplôme italien.

Un relevé de notes qui comporte ainsi pour l'essentiel des chiffres indo-arabes, donc universels, ne semble pas exiger un effort insurmontable pour sa lecture.

(27 décembre 2022, Mme A., n° 460017)

 

139 - Militaire – Refus de la vaccination anti-Covid-19 – Régime de vaccination fixé par le ministre de la défense – Rejet.

Le requérant, lieutenant-colonel de l’armée de terre, a fait l’objet d’une sanction de huit jours d’arrêts pour refus de se soumettre à la vaccination contre le virus Covid-19.

Entre autres griefs, il conteste la compétence du ministre de la défense pour fixer le régime de vaccination des militaires. Le moyen est rejeté en l’état des dispositions, qui ne sont pas illégales, de l’art. D. 4122-13 du code de la défense qui confère expressément compétence à ce ministre en la matière.

(29 décembre 2022, M. B., n° 460213)

 

140 - Jury de recrutement de professeur des universités – Impartialité – Existence en dépit de conflits personnels entre le vice-président du jury et la requérante – Rejet.

Candidate malheureuse au recrutement en qualité de professeur des universités près l’Université de La Rochelle, la requérante invoquait le défaut d’impartialité du jury à son endroit.

Si le Conseil d’État rappelle solennellement le beau principe d’impartialité il en fait ici une application bien désolante.

Le juge rappelle : « Le respect du principe d'impartialité fait obstacle à ce qu'un comité de sélection constitué pour le recrutement d'un enseignant-chercheur puisse régulièrement siéger, en qualité de jury de concours, si l'un de ses membres a, avec l'un des candidats, des liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. »

Il juge que n’est pas établi en l’espèce le défaut d’impartialité au terme de la description suivante : « Il ressort des pièces du dossier que si Mme B. a entretenu entre 2014 et 2018 des relations difficiles avec plusieurs membres de l'équipe de recherche alors placée sous sa responsabilité et notamment avec M. Bustamante, vice-président du comité de sélection dans le cadre du concours contesté par la présente requête, auquel elle reproche d'avoir été le « détracteur récurrent » de ses décisions, l'obligeant à porter ce différend à la connaissance de la direction de l'université et à en informer la conseillère de prévention, il ne peut être retenu, à la lecture des éléments du dossier et notamment des courriels produits qu'ils seraient l'expression ou la conséquence d'un conflit personnel qui l'opposerait plus particulièrement à M. C. et il n'est, en outre, pas établi que cette hostilité, à la supposer avérée, aurait perduré après 2015. Par suite, le moyen tiré de ce que la composition du comité de sélection était irrégulière, en raison de ce que M. C. ne pouvait y siéger sans méconnaître le principe d'impartialité, ne peut qu'être écarté. »

Le lecteur sera-t-il surpris de notre total désaccord avec une solution déraisonnable ?

En réalité, le défaut du mécanisme jurisprudentiel de contrôle tient ici à ce qu’il exige la réunion de deux conditions : d’une part, la preuve de circonstances de nature à faire s’interroger sur l’impartialité, d’autre part, l’influence de faits avérés sur la décision critiquée. Outre que cette seconde condition est de nature métaphysique (« Moi l’Éternel, j’éprouve le cœur, je sonde les reins », cf. Jér. 17, 10), ce qui devrait suffire à en tenir le juge éloigné, elle est superfétatoire. Constatant l’existence d’une situation en apparence conflictuelle, il convient que l’autorité administrative comme le juge, en reste là et pourvoit immédiatement, chacun dans son ordre, à donner plus d’apparence de réalité au principe d’impartialité.

Enfin, pour faire un peu de psycho-sociologie administrative des univers clos comme l’Université, croire qu’un conflit (ou plusieurs) entre A et B ne métastase pas sur C, D et E, relève d’une naïveté qui ne peut, à ce niveau, être admise ou même être sérieusement supposée.

(26 décembre 2022, Mme B., n° 463807)

 

141 - Procédure de recrutement d’un professeur des universités – Qualification aux fonctions de professeur des universités – Date d’appréciation – Existence indifférente d’un recours contentieux contre le refus de qualification – Principe d’égalité – Inopérance de critiques dirigées contre la composition d’un comité de sélection qui n’a pas eu à connaître de la candidature du requérant – Rejet.

Contestant la décision d’une université déclarant sa candidature irrecevable et, subséquemment, la décision du comité de sélection ne la retenant pas, le requérant, candidat à un emploi de professeur des universités, soulève plusieurs moyens d’illégalité, tous rejetés.

Est tout d’abord rappelé ce grand classique du droit du contentieux administratif selon lequel, à l’expiration du délai de recours, le requérant ne peut plus, sauf s’il est d’ordre public, soulever un moyen relevant d’une cause juridique distincte de celle à laquelle appartien(ne)nt le(s) moyen(s) soulevé(s) dans le délai de recours.

Ensuite, est également rappelé ce classique du droit des concours de recrutement dans la fonction publique que le candidat doit détenir les qualifications requises pour s’y présenter au plus tard le jour de la clôture des inscriptions. Il est constant qu’en l’espèce le requérant ne détenait pas, à cette date, la qualification aux fonctions de professeur des universités, établie par le Conseil national des universités (CNU), nécessaire pour se présenter à l’emploi sur lequel il postulait. La circonstance qu’il ait introduit un recours, toujours pendant, contre le refus de qualification par le CNU est sans effet sur l’impossibilité de se porter candidat à cette date, les recours contentieux n’ayant pas d’effet suspensif, sauf texte exprès, en procédure administrative contentieuse.

Également, contrairement à ce qui est soutenu, le régime du recrutement des professeurs de l’enseignement supérieur ne résulte pas des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 mais de celles du décret du 6 juin 1984 portant statut particulier du corps des professeurs d’universités.

Enfin, le requérant ne saurait exciper de ce que le comité de sélection de l’université aurait statué dans une composition irrégulière au regard des principes d’impartialité et d’égalité alors que, en raison de l’irrecevabilité opposée à sa candidature par l’université, ce comité n’a pas eu à en connaître.

(30 décembre 2022, M. B., n° 443369)

(142) V. aussi, un peu voisin, le rejet du recours d’un candidat malheureux sur un emploi de professeur des universités ainsi profilé « Littérature latine et humanisme rhénan », contre la délibération du conseil d’administration d’une université donnant un avis favorable à la liste de candidats établie par le comité de sélection en vue du recrutement sur cet emploi, liste sur laquelle il ne figure, bien évidemment, pas : 30 décembre 2022, M. C., n° 457103.

 

143 - Enseignement supérieur – Prime d’encadrement doctoral et de recherche – Prime individuelle de qualité des activités et d’engagement professionnel – Différence de traitement – Absence d’espérance légitime d’obtenir la prime individuelle – Rejet.

Les professeurs d’université requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir de la deuxième phrase du II de l'article 7 du décret du 29 décembre 2021 portant création du régime indemnitaire des personnels enseignants et chercheurs, en ce que, d'une part, elle prévoit que les attributaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, dont la période d'attribution arrive à son terme après le 1er janvier 2022, ne peuvent présenter une demande de prime individuelle avant un délai de carence d'un an après ce terme, quel que soit le motif invoqué à l'appui de cette demande, et en ce que, d'autre part, elle applique ce délai de carence d'un an à la présentation d'une demande au titre de la prime individuelle.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, les requérants soutenaient que la disposition litigieuse, qui prive pendant un an les enseignants-chercheurs bénéficiant de la prime d'encadrement doctoral et de recherche dont la période d'attribution expire après le 1er janvier 2022 de la possibilité d'obtenir une nouvelle prime individuelle, y compris pour un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, alors que les bénéficiaires de la prime individuelle pourront demander à bénéficier à nouveau de cette prime sans délai de carence s'ils fondent leur demande sur un motif différent de celui ayant conduit à l'attribution de la première prime, introduit une différence de traitement entre les membres d'un même corps qui ne correspond à aucune différence de situation et n'est pas justifiée par un intérêt général. Le Conseil d’État rejette le moyen compte tenu de l’institution d’un régime transitoire de compensation pouvant durer jusqu’en 2025 et de ce que les bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche au titre d'une activité scientifique jugée d'un niveau élevé peuvent bénéficier à nouveau de cette prime, sans délai de carence, s'ils apportent une contribution exceptionnelle à la recherche ou s'ils sont lauréats d'une distinction scientifique de niveau international ou national.  

En second lieu, est jugé inopérant le moyen tiré d'une espérance légitime des requérants d'obtenir la prime individuelle, celle-ci ne pouvant être regardée comme un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH ; en effet cela résulte de ce que, d’une part, l'objet de la prime individuelle et les conditions d'attribution de celle-ci, qui diffèrent au demeurant de celles de la prime d'encadrement doctoral et de recherche, et, d’autre part, cette disposition elle-même ne leur confèrent aucun droit particulier à se voir attribuer cette prime en tant que bénéficiaires de la prime d'encadrement doctoral et de recherche.

(27 décembre 2022, Mme D. et autres, n° 461967)

 

144 - Attaché territorial – Radiation des cadres pour abandon de poste – Absence de réponse à mise en demeure – Absence d’indication sur son état de santé – Rejet.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui, pour annuler la décision radiant des cadres pour abandon de poste un attaché territorial affecté au service départemental et métropolitain d'incendie et de secours (SDMIS) du Rhône, retient que si l’intéressé s’est soustrait sans justification à trois contre-visites, il s’est néanmoins rendu sur son lieu de travail le vendredi 11 mars 2016 manifestant ainsi une réelle intention de reprendre son service. Par suite, il devait être regardé comme ayant repris son service à l'échéance fixée par sa hiérarchie et comme s'étant conformé à la mise en demeure qui lui a été adressée. 

Annulant cette décision, le juge de cassation retient que le demandeur, mis en demeure de reprendre son service, s'est certes rendu le vendredi 11 mars 2016 au SDMIS accompagné par trois représentants syndicaux mais il n'a, à cette occasion, exprimé aucune intention de reprendre son service et n'a d'ailleurs repris son activité au SDMIS ni le jour même, ni les jours suivants.

La circonstance qu'il a fait parvenir par la suite un certificat médical daté du 11 mars 2016 mentionnant une contre-indication à la reprise du travail, celui-ci n'a été produit qu'après le délai fixé par la mise en demeure et n'apporte aucune précision sur son état de santé par rapport aux certificats médicaux antérieurement produits. Comme, en outre, le requérant s'était antérieurement soustrait sans justification à toutes les contre-visites médicales organisées par son employeur, compte tenu de son abstention, l'autorité compétente était en droit d'estimer que le lien avec le service avait été rompu du fait de l'intéressé.

Cette solution, qu’il faut approuver, tranche avec une évolution jurisprudentielle jusque-là très réticente pour apercevoir l’existence d’un abandon de poste tant étaient multipliées par le juge les exigences de forme requises pour qu’un comportement puisse être qualifié d’abandon de poste. Dès lors se comprend très bien l’attitude de la cour ici, quelque peu commandée par des précédents jurisprudentiels très restrictifs.

(22 décembre 2022, M. A., n° 448005)

 

Hiérarchie des normes

 

145 - Traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets - Convention internationale d'effet direct - Décision d'application du directeur de l'INPI - Annulation.

Le requérant demandait l'annulation d'une décision du directeur général de l'INPI qui a fixé les modalités de dépôt des demandes de brevets et des procédures et échanges subséquents en ce qu'elle violerait certaines dispositions du traité de Genève du 14 septembre 2000 sur le droit des brevets.

Pour apprécier le bien-fondé de la demande  le Conseil d'État devait se prononcer sur le point de savoir si les stipulations de ce traité sont d'effets directs à l'égard des particuliers.

La réponse est positive : « Eu égard à l'intention exprimée par les parties et à l'économie générale du traité, ainsi qu'à leur contenu et à leurs termes, ces stipulations n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. »

(9 décembre 2022, M. A., n° 458276)

V. aussi sur cette affaire le n° 2

 

146 - Affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français en Andorre - Régime résultant d'une convention internationale bilatérale et des textes d'application de droit interne - Convention d'effet direct - Note de service indiquant les critères et barème de classement des demandes de mutation - Non respect des dispositions législatives - Annulation.

Une convention bilatérale franco-andorrane du 11 juillet 2013 a prévu l'affectation d'enseignants dans les établissements d'enseignement public français et fixé un régime que mettent en oeuvre des textes de droit interne français soit pris pour l'application des dispositions de cette convention (ainsi les art. D. 911-53 et D. 911-54 du code de l'éducation) soit gouvernant le régime général des mutations de fonctionnaires (cf. art. 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État).

Une note, attaquée ici pour illégalité, a attribué un certain nombre de points par critère de priorité satisfait par les candidats à une affectation en Andorre. Cependant, si cette note a repris les critères fixés par la convention bilatérale, qui est d'ailleurs d'effet direct dans le chef des particuliers, elle n'a pas repris les cinq critères figurant aux 1° à 5° du II de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 précitée, ne retenant que celui des demandes de mutation pour rapprochement familial et délaissant les quatre autres critères auxquels elle n'affecte, par conséquent, aucun point.

La note, entachée d'illégalité et dont les dispositions litigieuses sont indivisibles, est annulée en son entier.

(13 décembre 2022, M. B., n° 461501)

 

147 - Article 27 du règlement n° 1223/2009 relatif aux produits cosmétiques – Mesure provisoire d’une autorité nationale prise sur le fondement du 3. de cette disposition - Mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance – Non-conformité à l’art. au 2. de l’art. 27 précité – Annulation.

La fédération requérante avait demandé l’annulation de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant des conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol et imposant l’indication sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins. Le Conseil d’État avait renvoyé à la CJUE la question préjudicielle de savoir si cette mesure, qui n’est pas illégitime et qui est conservatoire dans l’attente d’une décision de la Commission européenne saisie à cette fin, est contraire aux prescriptions du règlement européen du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques (voir cette Chronique, décembre 2020 n° 203).

Muni de cette réponse (cf. CJUE, 15 septembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, aff. C-4/21), le Conseil d’État la fait sienne.

Comme il résulte de cette décision que le 2. de l’art. 27 du règlement précité sur les produits cosmétiques ne saurait être interprété comme permettant à une autorité nationale l’adoption d’une mesure provisoire générale s'appliquant à une catégorie de produits contenant une même substance, il en résulte que la décision querellée de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé est dépourvue de base légale : elle est donc annulée.

(29 décembre 2022, Fédération des entreprises de la beauté, n° 429578)

 

Libertés fondamentales

 

148 - Extradition - Délai excessif de détention provisoire - Durée excessive de la procédure d'extradition - Règles inapplicables en droit extraditionnel - Rejet.

Examinant et rejetant un recours formé par un ressortissant croate contre un décret ordonnant son extradition vers la Croatie à la demande de cet État, le Conseil d'État est amené à préciser la portée de la règle du délai raisonnable en cette matière.

L'intéressé invoquait la durée excessive de sa détention provisoire et la durée également excessive de la procédure d'extradition elle-même, lesquelles contreviendraient aux stipulations du § 1 de l'art. 6 de la Convention EDH.

Pour rejeter toute application de la règle dite du délai raisonnable, le juge se fonde, sans s'expliquer, sur ce que le « droit d'être jugé dans un délai raisonnable, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition » et sur ce qu'il n'existe pas de stipulations ou de dispositions imposant aux autorités de l'État requis un délai pour se prononcer sur une demande d'extradition. Les deux arguments nous semblent faiblement convaincants...

(9 décembre 2022, M. A., n° 464716)

 

149 - Extradition vers le Maroc - Invocation de l'art. 3 (traitements inhumains ou dégradants) de la convention EDH - Rejet.

Est rejeté le recours fondé sur ce que le décret autorisant l'extradition du requérant vers le Maroc serait contraire aux stipulations de l'art. 3 de la convention EDH interdisant la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants.

Le juge relève que les autorités marocaines ont apporté, à l'appui de leur demande d'extradition, des assurances détaillées portant, d'une part sur l'application des droits et garanties résultant des conventions internationales auxquelles le Royaume du Maroc est partie, notamment le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, d'autre part sur les droits procéduraux qui seront respectés, en particulier le contrôle judiciaire des actes qui seront accomplis, le droit à l'assistance d'un avocat avec lequel le requérant pourra correspondre et s'entretenir librement et confidentiellement, le droit à un contrôle régulier de la légalité de sa détention par un tribunal, le droit d'être détenu dans des conditions décentes, de pratiquer sa religion, de communiquer avec sa famille et toute personne de son choix sous réserve d'exceptions prévues par la loi et justifiées, ainsi que le droit d'être jugé publiquement, contradictoirement, dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial.

Il note ensuite que ces autorités se sont également engagées à ce que les membres du conseil national des droits de l'homme puissent communiquer avec l'intéressé et lui rendre visite ainsi qu'à fournir au Gouvernement français toute information qu'il pourrait solliciter relativement à sa situation.

Enfin, le juge rappelle que le décret attaqué indique que l'extradition n'est accordée que sous réserve du respect des conditions reprenant les garanties apportées par les autorités marocaines.

Il suit de cet ensemble d'éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention EDH doit être écarté.

Toutefois, il convient d'observer que la rédaction retenue et l'ensemble des garde-fous mis par le juge à l'acceptation de considérer cette extradition comme régulière manifestent de sa part une certaine réticence suspicieuse assez peu respectueuse de la présomption de bonne foi de l’État en cause.

(27 décembre 2022, M. A., n° 463101)

 

150 - Scolarisation d'enfants dans le cercle familial - Délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille - Mode dérogatoire d'instruction - Régime - Absence d'irrégularité - Rejet.

Les divers requérants poursuivaient l'annulation de dispositions relatives au régime d'exception applicable à l'enseignement dispensé au sein de la famille. Étaient notamment visés : le décret n° 2022-182 du 15 février 2022 relatif aux modalités de délivrance de l'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-183 du 15 février 2022 relatif à la commission devant laquelle sont formés les recours administratifs préalables obligatoires exercés contre les décisions de refus d'autorisation d'instruction dans la famille, le décret n° 2022-849 du 2 juin 2022 modifiant l'article D. 131-11-10 du code de l'éducation.

Tous les chefs de critiques sont rejetés qu'il s'agisse de la consultation du Conseil d'État, de la période fixée pour la présentation des demandes d'autorisation ou du délai fixé pour la réception des pièces et informations manquantes, de l'exigence de justificatifs du domicile et des identités, des demandes d'autorisation motivées par l'état de santé de l'enfant ou sa situation de handicap ou par la pratique d'activités sportives ou artistiques intensives ou par l'itinérance en France ou du fait de l'éloignement géographique d'un établissement scolaire public ou par la situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif ou encore en cas de harcèlement, de l'inscription des élèves auprès d'un organisme délivrant un enseignement à distance, etc.

En réalité, cette interminable guerre de tranchées aurait besoin d'une réelle volonté de pacification. Sans verser dans un angélisme qui pourrait être préjudiciable aux enfants concernés, il nous semble nécessaire de sortir d'une logique d'affrontement issue de la position selon laquelle ce mode de scolarisation serait une exception ou une dérogation à un principe de scolarisation normalement effectuée en dehors du cercle familial. Il serait plus respectueux des personnes d'accepter un principe inverse où la scolarisation familiale aurait sa légitimité de plein droit et serait assortie des contrôles et exigences de vérification induits par le fait qu'elle ne se déroule pas en public, qu'elle peut être l'occasion de dérapages ou d'insuffisances, de dérives sectaires ou communautaristes, etc.

(13 décembre 2022, M. B., n° 462274 ; Association Liberté éducation, n° 463175 et n° 463177 ; Association "Les Enfants d'abord", n° 463210, n° 463212 et n° 466467 ; Mme F. et autres, n° 463320 ; Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 468228, jonction)

(151) V. aussi, confirmant la suspension de l'exécution de la décision de refus opposée par une inspectrice d'académie à une demande d'autorisation d'instruction dans la famille au titre de l'année scolaire 2022-2023, ce refus fondé sur l'état de santé de l'enfant alors qu'il est soutenu que cet état de santé fait obstacle à toute scolarisation, est de nature de créer un doute sérieux sur sa légalité : 13 déc. 2022, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 466623.

(152) V. également, annulant une ordonnance de référé suspendant l'exécution du refus d'une inspectrice d'académie d'autoriser la scolarisation à domicile  en raison de « l'existence d'une situation propre à l'enfant motivant le projet éducatif » (cf. art. L. 131-5 c. éducation)  car la demande de dérogation n'expose pas de manière étayée la situation propre à l'enfant motivant, dans son intérêt, le projet d'instruction dans la famille : 13 décembre 2022, M. et Mme D., n° 467550.

(153) V. encore sur ce sujet irritant et inépuisable, confirmant l’ordonnance de référé rejetant le recours des intéressés contre la décision de l'inspecteur d'académie refusant une demande d'autorisation d'instruction dans la famille et contre sa confirmation par la commission académique : 26 décembre 2022, Mme C. et M. E., n° 466760.

 

154 - Étranger prétendument en situation d'apatridie - Absence - Rejet.

Ne peut se prétendre en état d'apatridie que celui dont l'État susceptible de le regarder comme son ressortissant par application de sa législation ne le considère pas comme tel. Cette condition n'est pas satisfaite en l'espèce, où l'intéressé ne conteste pas l'exactitude de la mention de la nationalité marocaine sur l'extrait de son acte de naissance dont il se prévaut ni, non plus, le fait de s'être prévalu de sa nationalité marocaine à l'appui de ses démarches antérieures et infructueuses pour obtenir l'asile.

En outre, le requérant n'invoque aucune norme de droit international de nature à faire échec à l'application de la convention de New York du 28 septembre 1954, qui conduit à donner un plein effet à la reconnaissance par un État de ses ressortissants.

Enfin, le requérant ne saurait se prévaloir ni de ce qu'il aurait renoncé à cette nationalité, cette renonciation unilatérale ne lui ouvrant pas, par elle-même, le droit à se voir reconnaître la qualité d'apatride, ni de ce que le Sahara occidental, où il est né, est un territoire inscrit sur la liste des territoires non autonomes au sens de l'article 73 de la Charte des Nations Unies car cette situation ne suffit pas à faire regarder comme apatrides au sens de l'article 1er de la convention précitée de New York, les personnes d'origine sahraouie qui ont reçu la nationalité marocaine.

(27 décembre 2022, M. El Hasnaoui, n° 457625)

 

155 - Liberté de religion – Liberté d’association – Liberté de conscience – Liberté de pensée - Exercice public du culte - Exigence de déclaration préalable – Étendue du contrôle de l’État – Rejet –

Les organisations requérantes demandaient, ensemble ou séparément, l’annulation du décret n° 2021-1789 du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes et du décret n° 2021-1844 du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905.

L’ensemble des requêtes et des moyens sont rejetés.

S’agissant du recours contre le décret du 23 décembre 2021 pris pour l'application de la loi du 2 janvier 1907 concernant l'exercice public des cultes, deux moyens principaux étaient soulevés.

D’abord concernant le moyen tiré de l’imprécision de la notion, retenue par ce texte, « d'activités en relation avec l'exercice public d'un culte » qui entacherait celui-ci d’incompétence négative et le rendrait sans base légale, son rejet est fondé sur ce que cette notion d’activités recouvre, par exemple, selon le juge qui les cite expressément, l'acquisition, la location, la construction, l'aménagement et l'entretien des édifices servant au culte, ainsi que l'entretien et la formation des ministres et autres personnes concourant à l'exercice du culte. Il convient d’observer l’incomplétude de l’énumération et l’imprécision des éléments donnés à titre d’exemples : quid des cérémonies, des meubles meublants, des célébrations hors d’édifices cultuels, etc. ? Quid des hypothèses, propres au culte catholique, d’absence d’associations cultuelles, les associations diocésaines ne pouvant jouer ce rôle ?

Ensuite, est rejeté le moyen d’atteintes portées par ces dispositions à la liberté d'association, à la liberté de pensée, à la liberté de conscience et à la liberté de religion au regard des exigences résultant de la convention EDH. Le Conseil d’État estime que ces atteintes satisfont aux exigences conventionnelles car elles sont justifiées car elles sont prévues par la loi, poursuivent un but légitime, sont nécessaires dans une société démocratique comme l’est la société française et leur degré de contrainte est proportionné au but poursuivi. On demeure cependant consterné par l’affligeante motivation donnée à cet effet et selon laquelle si ces dispositions constituent une ingérence dans la liberté de constitution et d'exercice de ces associations et dans le libre exercice des cultes, elles poursuivent un but légitime dès lors que les nouvelles obligations qu'elles imposent visent à assurer la transparence financière des activités cultuelles de ces associations, dans un objectif de préservation de l'ordre public. On avoue ne pas bien comprendre en quoi la transparence financière préserverait l’ordre public. L’on voit cependant clairement que n’est visé en réalité par ces dispositions qu’un culte bien déterminé et que pour camoufler l’hypocrite silence de n’oser pas nommer on a cru bon de plonger dans le même bain répressif tous les autres cultes. Au point de vue de la dignité morale attendue des gouvernants dans une démocratie la solution retenue est bien navrante.

S’agissant du recours contre le décret du 27 décembre 2021 relatif aux associations cultuelles régies par la loi du 9 décembre 1905, là aussi sont rejetés les deux moyens présentés.

D’abord, il est jugé que la notion « d'avantages propres à la catégorie des associations cultuelles » renvoie à l'ensemble des avantages à caractère patrimonial et fiscal dont bénéficient ces associations et qu’ainsi il ne saurait être soutenu que le décret serait entaché d'incompétence négative et dépourvu de base légale. Là encore, ce point ne saurait concerner les religions dépourvues d’associations cultuelles, soit, par exemple, le catholicisme.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de l’illégale discrimination des associations cultuelles par rapport aux autres associations, notamment celles reconnues d’utilité publique, en ce qu’est institué pour les premières un plafonnement des ressources provenant d’immeubles leur appartenant et que ce plafonnement n’existe pas pour les autres catégories d’associations. Là encore la légalité de cette dichotomie statutaire s’appuie sur un « argument » ainsi libellé « (…) cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation tenant à leur objet exclusivement cultuel » l’adverbe est de trop car il faut y faire entrer le logement, l’alimentation, les pensions de retraite, le traitement, les charges sociales des desservants, etc.

Il est assez incroyable que ce pays ne parvienne pas à trouver un mode juridique pacifié des relations entre l’État et la religion, le droit se constituant ici constamment en termes de domination et de souveraineté comme si le premier détenait un quelconque monopole des vertus et intelligences publiques.

(22 décembre 2022, Union des associations diocésaines de France, Conférence des évêques de France, Fédération protestante de France, Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800, et n° 461803, jonction)

 

156 - Séparation des Églises et de l’État – Loi du 9 décembre 1905 – Exercice du droit de préemption urbain renforcé en vue de la réalisation d’un équipement collectif à vocation cultuelle exclusive – Absence de caractère d’aide prohibée à un culte – Annulation.

Réitérant une jurisprudence se voulant conciliatrice entre liberté de religion et principe de laïcité de l’État (Assemblée, 19 juillet 2011, Commune de Trélazé, n° 308544, Fédération de la libre pensée et de l’action sociale du Rhône et Picquier, n° 308817, Communauté urbaine du Mans – Le Mans Métropole, n° 309161, Commune de Montpellier, n° 313518,  et Mme V., n° 320796, cinq espèces), le Conseil d’État annule ici un arrêt d’appel qui avait jugé illégal, dans les circonstances de  l’espèce, l’exercice  par une commune de son droit de préemption urbain renforcé en vue de l'extension d’un centre socio-cultuel implanté sur le terrain communal mitoyen de la parcelle préemptée, qui a fait l'objet d'un bail emphytéotique administratif passé entre la ville et la fédération cultuelle des associations musulmanes de cette commune afin, d'une part, d'augmenter la capacité d'accueil de la mosquée existante pour répondre aux besoins de la communauté musulmane locale ainsi que celle du parc de stationnement assurant l'accueil des fidèles et, d'autre part, de créer des salles de classe, des salles de conférences et une bibliothèque consacrées à l'enseignement religieux. Les juges du fond y avaient vu, d’une part, une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905 et d’autre part, un projet d'une ampleur insuffisante pour pouvoir être regardé comme un équipement collectif répondant à un intérêt général suffisant au sens des dispositions des art. L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme.

Le Conseil d’État prend l’exact contrepied de ce raisonnement en jugeant en premier lieu que si le principe de laïcité interdit aux collectivités publiques d’apporter aucune contribution directe ou indirecte à la construction de nouveaux édifices cultuels, il ne fait point obstacle, en revanche, à l’exercice du droit de préemption qui, s’il est pris dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, en vue de permettre la réalisation d'un équipement collectif à vocation cultuelle, n’est pas par lui-même constitutif d'une aide à l'exercice d'un culte prohibée par les dispositions de la loi du 9 décembre 1905. En second lieu, les juges du Palais-Royal estiment être en l’espèce en présence d’un projet qui, eu égard à son objet et à son ampleur, présente bien le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement au sens des dispositions combinées des articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme qui régissent l’exercice du droit de préemption urbain. 

Il faut avouer que collectivités publiques et juges administratifs munis de ce faible viatique dont la subtilité le dispute au flou se préparent de beaux jours contentieux et pour une cure d’insécurité juridique engendrés par cette jurisprudence.

(22 décembre 2022, Mmes A., n° 447100)

 

157 - Suicide assisté – Demande d’abrogation de dispositions contraires – Refus implicite – Absence de violation de la Convention EDH – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger les articles R. 4127-37 à R. 4127-38 du code de la santé publique qui prohibent la provocation délibérée de la mort par les médecins. Elle soutient que ce refus méconnaîtrait les stipulations de la Convention EDH.

Cette argumentation est rejetée car les articles 2, 8 et 9 de cette convention, relatifs respectivement au droit à la vie, au droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de pensée, de conscience et de religion, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme, notamment par les arrêts qu'elle a rendus le 29 juillet 2002 (Pretty c. Royaume-Uni, n° 2346/02), et le 20 janvier 2011 (Haas c. Suisse, n° 31322/07), n'impliquent pas par eux-mêmes de prévoir l'intervention médicale réclamée par l'association pour l'exercice du droit qu'elle revendique.

(29 décembre 2022, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement » n° 465977)

 

158 - Droit au respect de la vie – Limitation ou arrêt de traitement et de soins – Absence de mort cérébrale et évolution favorable sur l’échelle de Glasgow – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de rejet et renvoi à la juridiction.

Une équipe médicale ayant décidé de limiter le traitement d’une patiente pour « défaillance neurologique majeure » avec « une absence d'activité corticale et des noyaux gris centraux », seul le tronc cérébral restant « actif », ainsi qu’en raison de l'absence de « facteur corrigeable qui pourrait permettre d'améliorer l'état neurologique et d'espérer une amélioration », ses proches ont saisi le juge du référé en vue qu’il ordonne la suspension de cette décision.

Ils se pourvoient contre l’ordonnance de rejet de leur requête.

Pour annuler cette ordonnance le Conseil d’État retient que les demandeurs « faisaient toutefois valoir en première instance que l'équipe médicale avait indiqué que Mme I. n'était pas en état de mort cérébrale et ils soutenaient que son état clinique avait évolué de façon favorable sur l'échelle, dite de Glasgow, selon laquelle est évalué l'état de conscience, qu'elle conservait de la motricité, des réflexes, en accompagnant ces mouvements d'une respiration spontanée, ainsi qu'une sensibilité à la douleur. Ils produisaient également les derniers éléments médicaux dont ils disposaient, émanant du service de radiologie de l'hôpital, résultant d'un angioscanner cérébral et d'un scanner thoracique réalisés le 4 mars 2022 et prescrits au titre d'une recherche d'un signe de mort encéphalique et d'un foyer infectieux au niveau thoracique, concluant, d'une part, au niveau cérébral, à une absence d'arrêt circulatoire et, comparativement au scanner qui avait été réalisé le 5 janvier 2022, à la présence d'hypodensités parenchymateuses diffuses sous- et sus-tentorielles plus étendues faisant évoquer des zones d'ischémie constituée, mais aussi à une meilleure visibilité des sillons et du système ventriculaire faisant évoquer une diminution de l'œdème cérébral et, d'autre part, au niveau thoracique, à l'absence d'épanchement pleuropéricardique, d'adénomégalie médiastino-hilaire et de foyer parenchymateux. »

Or le juge relève, d’une part, que le centre hospitalier n’a apporté aucune précision à l'appui de son affirmation selon laquelle les éléments susénoncés ne témoignaient pas d'une amélioration de l'état neurologique de Mme I. et, d’autre part, que le premier juge, en rendant son ordonnance de rejet, a, eu égard à son office si particulier en pareil dossier, commis une erreur de droit en se bornant, dans ces circonstances, alors qu'il était sérieusement soutenu devant lui que la décision prise pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, à juger, sans s'assurer davantage qu'il n'en résultait pas que l'exécution de la décision attaquée devait être suspendue à titre conservatoire jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête en annulation dont elle faisait l'objet, qu'au regard des informations données à l'audience, aucun des moyens invoqués n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité.

Cette décision doit être saluée en ce qu’elle exige du juge l’exercice plein et entier de son office sans se croire asservi aux opinions du corps médical et de ce dernier un comportement plus respectueux des propres données médicales à sa disposition, le tout sous la vigilance des proches et des familles

Elle doit être présente à l’esprit au moment où se déroule un gravissime débat sur la légalisation de la mort volontaire des patients.

(21 décembre 2022, M. I. représentant unique des requérants, n° 463391)

 

Police

 

159 - Police du permis de conduire - Permis de conduire probatoire - Commission d'une infraction privative d'un point durant la période probatoire - Empêchement à la constitution d'un capital de douze points à l'issue de cette période - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui estime que le titulaire d'un permis probatoire qui, durant la période de probation, est l'auteur d'une infraction entraînant la perte d'un point, dispose au terme des trois ans de probation d'un total de douze point diminué d'un seul alors qu'il résulte des dispositions de l'art. R. 223-1 du code de la route que la commission d'une infraction durant cette période fait obstacle à l'attribution des douze points à son terme.

(13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 462711)

(160) V. aussi, jugeant qu'est entaché d'erreur de droit le jugement qui estime que la commission d'une infraction d'excès de vitesse inférieur à 20 km/h n'interrompt pas le délai de deux ans consécutif à une précédente infraction nécessaire à la reconstitution des points de permis alors qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 223-6 et de l'art. R. 413-214 du code de la route qu'en ce cas le délai de reconstitution est porté à trois ans : 13 décembre 2022, ministre de l'intérieur, n° 463185.

 

161 - Plan de prévention des risques naturels d'inondation (PPRNi) d’une rivière - Objet – Annulation de la totalité du plan à raison de l’illégalité de certains zonages – Divisibilité des zonages par rapport au plan – Annulation totale de l’arrêt d’appel et partielle du jugement – Rejet.

La requérante avait demandé en première instance, et obtenu, l’annulation d’un arrêté préfectoral approuvant le plan de prévention des risques d'inondation (PPRi) de la basse vallée de la Durance sur le territoire de la commune de Châteaurenard. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel infirmatif.

Ce dernier est cassé par le double motif qu’il a statué ultra petita en annulant l’entier jugement alors qu’il n’était pas saisi de conclusions en ce sens dès lors que la ministre appelante ne contestait pas l'illégalité des zones « RH MIN » et « R1 MIN » que ce jugement a constaté et qu’il a rejeté les conclusions de l’association requérante pour défaut d’intérêt pour agir alors que ses statuts lui donnaient intérêt à l’action.

Le jugement est, lui aussi, annulé motif pris de ce qu’il annule en totalité le PPRNi alors que la partie illégale (soit les zonages RH MIN et R1 MIN) était divisible de ce plan.

Examinant, par évocation, ce qui reste à juger au fond, le Conseil d’État considère que doit être écarté le moyen tiré de ce que le plan litigieux serait illégal pour ne pas prendre  suffisamment en considération le risque de crue de l'Anguillon et le risque de ruissellement alors que ce plan, relatif aux risques naturels d'inondation de la basse vallée de la Durance, a pour seul objet d’apprécier le risque d'inondation par débordement de la Durance, ce qui impose de tenir compte du débit des affluents de la Durance tels que l'Anguillon, comme cela a été fait, mais non, comme cela est reproché, de traiter des risques de débordement de ces affluents, ni des risques d'inondation liés au ruissellement.

Ce distinguo ne nous paraît pas très réaliste car, en définitive, c’est bien un diagnostic global qui est attendu.

(28 décembre 2022, Association « Châteaurenard défiguré - Association de protection du patrimoine rural et environnemental », n° 449412)

 

162 - Police des stupéfiants ou des substances prétendues telles – Cannabinoïdes – Interdiction de commercialisation de fleurs et feuilles brutes de certaines variétés de cannabis n’excédant pas un certain taux de delta-9-tetrahydrocannabinol – Annulation.

Saisi par les organisations requérantes de recours dirigés, pour l’essentiel, contre le refus d’abroger les dispositions du code de la santé publique interdisant l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale de cannabidiol obtenu à partir de la plante de chanvre entière, la commercialisation des produits issus des parties de la plante de cannabis autres que ses fibres et graines, la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes de cannabis de la variété cannabis sativa L sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation.

Le juge relève d’abord que si le cannabidiol et le delta-9-tétrahydrocannabinol sont deux des principaux cannabinoïdes végétaux essentiellement concentrés dans les fleurs et les feuilles de la plante de cannabis sativa L, également appelée cannabis ou chanvre, leur teneur respective varie fortement selon les variétés de cette plante. En outre, en l'état des données de la science, si le cannabidiol a des propriétés décontractantes et relaxantes ainsi que des effets anticonvulsivants, il ne présente pas de propriétés psychotropes et il ne comporte pas les mêmes effets indésirables que le delta-9-tétrahydrocannabinol, identifié comme le principal composant psychoactif du cannabis susceptible notamment de faire naître un effet de dépendance.

Il en résulte que des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes peuvent être distinguées en raison de leur faible teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol.

Le juge constate ensuite que les risques pour la santé dépendent des quantités de delta-9-tétrahydrocannabinol effectivement ingérées en fonction des produits consommés et des modes de consommation. En l'état des données de la science, les autres molécules présentes dans les fleurs et feuilles de cannabis, notamment le cannabidiol, ne peuvent pas être regardées comme revêtant une nocivité particulière. Si le taux de 0,30 % de delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas un seuil d'innocuité, il ne ressort d'aucune pièce versée aux dossiers que les fleurs et feuilles de variétés de cannabis ayant une teneur en delta-9-tetrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % présenteraient des risques pour la santé publique justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur commercialisation et la restriction de leur récolte, importation et commercialisation à des fins de production industrielle d'extraits de chanvre.

Le juge considère enfin que le motif, invoqué par les ministres défendeurs, tenant à la protection de l'ordre public et aux risques pour la santé publique que présentent d'autres variétés de cannabis d'aspect similaire ne peut, en tout état de cause, justifier la restriction de l'utilisation des fleurs et feuilles des variétés présentant une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol inférieure à 0,30 % à la seule production industrielle d'extraits de chanvre. 

C’est pourquoi il est jugé, sans qu’il besoin de saisir préalablement la CJUE, que « les requérants sont fondés à soutenir que l'interdiction de la commercialisation des fleurs et feuilles brutes des variétés de cannabis sativa L. présentant un taux de delta-9-tetrahydrocannabinol inférieur à 0,30 % n'est pas proportionnée et à demander, pour ce motif, l'annulation du premier alinéa du II de l’article 1er (de l’arrêté querellé du 22 février 1990) ainsi, en conséquence, que celle du second alinéa de ce II. »

(29 décembre 2022, Confédération des buralistes, n° 444887 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 455024) ; SAS Slow et autres, n° 460291 ; SAS Mister Flower Avenue Niel et autres, n° 460297 ; SAS unipersonnelle Weedstock et autres, n° 460298 ; SAS Green Leaf Company, n° 460324 ; SAS Shyw, n° 460352 ; Union des professionnels du CBD, n° 460374 ; Syndicat professionnel du chanvre, n° 460379 ; Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 461908 ; SAS Green Carpathes Corp, n° 461910 ; SAS Ioda, n° 461911 ; Sarl TDAMD et autres, n° 461912 ;  SAS Dream flower CBD shop, n° 461957 ; SAS Santino et autres, n° 461975)

(163) Voir, en revanche, rejetant la demande d’annulation du décret n° 2022-194 du 17 février 2022 relatif au cannabis à usage médical : 29 décembre 2022, Union des professionnels du CBD et SAS CBD'EAU, n° 463256.

 

Professions réglementées

 

164 - Médecin - Conclusion d'une convention entre une personne physique médecin et une personne morale en vue de la constitution d'une société en participation - Mise à disposition du médecin des moyens d'exercice de sa profession - Pouvoirs de l'ordre des médecins - Recours contre l'avis rendu par ce dernier - Rejet.

De cette riche décision seront retirés plusieurs enseignements.

En premier lieu, s'il résulte de diverses dispositions du code de la santé publique que les personnes physiques exerçant la profession de médecin peuvent constituer ensemble une société en participation régie par l'article 22 de la loi du 31 décembre 1990 pour l'exercice même de cette profession, celles-ci ne font pas obstacle à ce qu'une personne physique exerçant la profession de médecin puisse également conclure avec une personne morale une convention constitutive d'une société en participation soumise aux dispositions des articles 1871 à 1872-1 du Code civil visant notamment à permettre au professionnel de disposer de moyens nécessaires à l'exercice de sa profession.

Il revient ensuite au conseil départemental de l'ordre des médecins auquel la convention est obligatoirement transmise, de donner un avis sur la compatibilité du contrat qui lui est ainsi communiqué avec les règles applicables à la profession, en particulier celles qui prévoient l'indépendance professionnelle des médecins.

En second lieu, concernant le statut contentieux de l'avis ainsi donné par le conseil départemental de l'ordre, le Conseil d'État indique qu'en dépit de son caractère d'avis ne pouvant déboucher ni sur une homologation ni sur un refus d'homologation de la convention qu'il a examinée il constitue néanmoins une décision faisant grief et, partant, susceptible de recours.

Toutefois, il convient de distinguer selon la personne qui forme un recours contre cet avis décisoire : si c'est le médecin lui-même, il a intérêt et qualité pour introduire de ce chef un recours pour excès de pouvoir ; en revanche, ce même recours est irrecevable s'il est formé par la personne morale qui n'exerce pas la profession de médecin et n'est donc pas inscrite au tableau de l'ordre.

En l'espèce, la médecin s'étant désistée, le recours ne subsistait plus que de la part de la personne morale, il était donc irrecevable.

(13 décembre 2022, Mme A. et société ONO Holding France, n° 445683)

 

165 - Masseur-kinésithérapeute ressortissant algérien - Demande du bénéfice d'exercer par dérogation cette profession - Absence de titre ou diplôme permettant d'exercer sur le territoire national - Refus - Rejet.

Fait une exacte application des dispositions en cause le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes qui, relevant que le pétitionnaire ne justifie d'aucun titre de formation ou autorisation lui permettant d'exercer la profession de masseur-kinésithérapeute sur le territoire national, refuse son inscription au tableau de l'ordre. En effet, l'intéressé se prévalait, pour prétendre au bénéfice des dispositions dérogatoires du 3° de l'art. L. 4321-2 du code de la santé publique, du diplôme d'État algérien de technicien supérieur de santé option «kinésithérapie » qui lui aurait été délivré par la République Algérienne démocratique et populaire le 9 septembre 1987, un certificat de formation professionnelle qui lui aurait été délivré le 18 décembre 1987 par le ministère algérien du travail et des affaires sociales, et une «dispense de scolarité relative aux études préparatoires au diplôme d'État de masseur-kinésithérapeute » qui lui aurait été délivrée le 14 octobre 1999 par la préfecture de Paris. Ces éléments ne permettent pas d’attester de son aptitude à exercer cette profession en France.

(28 décembre 2022, M. A., n° 460631)

 

166 - Médecin ressortissant franco-allemand – Diplôme de médecin délivré par un État tiers à l’Union européenne mais reconnu automatiquement par un État de l’Union – Effet de cette reconnaissance dans les autres États de l’Union – Renvoi préjudiciel à la CJUE – Sursis à statuer.

Le Conseil d’État renvoie à la CJUE, car sa réponse est indispensable à la solution de l’affaire dont il est saisi, la question de savoir si un médecin, ressortissant d'un des États membres de l'Union européenne, qui est titulaire d'un titre de formation de médecin spécialiste délivré dans un État membre, visé au point 5.1.2 de l'annexe V de la directive 2005/36/CE relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles, peut, avec ce seul titre, se prévaloir, dans un autre État membre, du régime de reconnaissance automatique des titres de formation défini à l'article 21 de cette directive, alors même qu'il est titulaire d'un titre de formation médicale de base délivré par un État tiers qui a seulement été reconnu par l'État membre dans lequel il a obtenu son diplôme de médecin spécialiste et ne figure pas parmi ceux visés au point 5.1.1 de l'annexe V de cette directive et que le point 4 de l'article 25 de la directive subordonne la délivrance d'un titre de formation de médecin spécialiste à la possession d'un des titres de formation de médecin avec formation de base ainsi visés.

(27 décembre 2022, M. B., n° 459585)

 

167 - Chirurgien-dentiste inscrit simultanément en France et dans un État non membre de l’Union ou de l’Espace économique européen – Irrégularité – Radiation – Possibilité d’une sanction à raison même de cette irrégularité – Annulation.

La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes commet une erreur de droit en jugeant que doit être relaxé des poursuites diligentées à son encontre le chirurgien-dentiste qui, inscrit au tableau de l'ordre en France tout en étant également inscrit ou enregistré en cette qualité dans un État ne faisant pas partie de l'Union européenne ou n'étant pas partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique, ne régularise pas sa situation en mettant fin à cette double inscription malgré une demande en ce sens du conseil départemental de l'ordre.

Au contraire, comme jugé en première instance, s'il appartient au conseil départemental de l'ordre des chirurgiens-dentistes, siégeant dans sa formation administrative, de tenir à jour le tableau relevant de son ressort et de radier de celui-ci le praticien qui, par suite de l'intervention de circonstances avérées, postérieures à son inscription, a cessé de remplir les conditions requises pour y figurer, cette prérogative ne fait pas par elle-même obstacle à ce qu'une action disciplinaire soit engagée en raison des mêmes circonstances lorsque celles-ci permettent de caractériser un manquement de ce praticien à ses devoirs professionnels.

(27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459874)

(168) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, Conseil départemental de la Réunion de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 459876.

 

169 - Praticien en relation intime avec une patiente et en même temps médecin traitant du conjoint de celle-ci – Manquement aux obligations déontologiques – Cessation de la vie commune entre les conjoints – Maintien d’un PACS – Erreur de droit – Annulation.

Il est jugé que commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins infligeant au requérant la sanction de l'avertissement pour être demeuré le médecin traitant d’un patient dont la conjointe était sa maîtresse ainsi que de ses deux filles et en dépit de ce qu’un PACS liait les deux conjoints durant la période 2016-2018 après laquelle ce pacte a été rompu.

Il faut relever la plasticité de la notion de déontologie retenue dans cette décision : mais au fait, existe-t-il encore une déontologie ?

(26 décembre 2022, M. C., n° 453753)

 

170 - Vétérinaire – Poursuites disciplinaires – Principe de l’égalité des armes et droit à un procès équitable – Non-respect du fait des dispositions réglementaires régissant la procédure disciplinaire – Praticien ayant pu disposer d’un temps suffisant pour organiser sa défense – Absence de violation de la Convention EDH - Rejet.

Il résulte des dispositions de l'art. R. 242-99 du code rural que le vétérinaire qui fait l'objet de poursuites disciplinaires n'a la possibilité, tant en première instance qu'en appel, de consulter le rapport du rapporteur qu'à compter de l'envoi de l'avis d'audience qui, si est pris en compte le délai le plus court, peut n'intervenir que quinze jours avant l'audience, soit, dans tous les cas, postérieurement à sa communication au président de l'instance ordinale, alors que ce dernier a la faculté de demander le prononcé d'une sanction à l'encontre du professionnel lors de l'audience et qu'en outre, il peut être à l'origine des poursuites disciplinaires engagées. Ces dispositions ne permettent pas de garantir dans tous les cas le respect du principe de l'égalité des armes, tel que garanti par l'article 6, paragraphe 1, de la convention EDH.

Toutefois, lorsque, comme au cas de l’espèce, l’intéressé a, de fait, disposé du temps nécessaire (un mois) à la préparation de sa défense et n'a fait état d'aucune difficulté dans celle-ci, celui-ci a disposé « d'une possibilité raisonnable de se défendre dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport au président du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ». Par suite, il ne saurait exciper de la violation du principe de l'égalité des armes et du droit à un procès équitable tels que fixés par l’art. 6 § 1 de la Convention EDH.

(27 décembre 2022, M. D., n° 452531)

 

171 - Infirmiers – Honoraires qualifiés d’abusifs – Erreur de droit – Annulation.

La section des assurances sociales de l’ordre national des infirmiers a qualifié d’abusifs les honoraires facturés grâce à la carte de professionnel de santé de M. B. alors que les actes auxquels ils correspondaient avaient été réalisés par les infirmiers qui avaient été présentés irrégulièrement comme assurant son remplacement.

Toutefois, le Conseil d’État annule cette sanction pour erreur de droit motifs pris de ce que ces infirmiers étaient en cours d'intégration dans son cabinet de soins, qu'il est constant que les actes dont la section a exigé le reversement des honoraires correspondants, ont été effectivement pratiqués et qu’ils n’ont pas été surcotés ou réalisés dans des conditions équivalentes à une absence de soins.

(28 décembre 2022, M. B., n° 454329 et n° 457279)

 

172 - Chirurgien-dentiste – Refus d’inscription au tableau de l’ordre – Décision suffisamment motivée et exempte d’illégalité – Rejet.

Est suffisamment motivée et exempte d’illégalité la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui, pour refuser l’inscription du requérant au tableau de l’ordre, a retenu  d'une part, qu’il ne respectait pas dans ses cabinets successifs les règles d'hygiène propres à l'exercice de sa profession, d'autre part, qu'il avait confié à certaines de ses employées des tâches de stérilisation ou de radiographie ne relevant pas de leurs prérogatives, enfin qu'il avait eu une attitude irrespectueuse vis-à-vis de ses salariés et non-confraternelle vis-à-vis d'une consœur. Est donc régulière la décision estimant que l’intéressé ne remplissait pas les conditions de moralité et de compétence auxquelles est subordonnée l'inscription d'un chirurgien-dentiste au tableau de l'ordre. 

(30 décembre 2022, M. A, n° 445119)

 

173 - Chirurgien-dentiste de nationalité hongroise – Demande de qualification en orthopédie dentofaciale – Refus de l’Ordre – Composition irrégulière d’une commission – Erreurs de droit – Annulation.

Le conseil requérant demandait la censure de l’arrêt par lequel une cour administrative d’appel a annulé la décision qu’il avait prise rejetant la demande de qualification en orthopédie dentofaciale d’une chirurgienne-dentiste hongroise.

L’arrêt querellé est annulé pour erreurs de droit au double motif qu’il a retenu pour rendre son arrêt, en premier lieu, une irrégularité dans la désignation d'un membre d'une commission consultative alors qu’un tel grief ne peut plus être invoqué, à l'appui d'un recours dirigé contre une décision prise après avis de cette commission, une fois que cette désignation est devenue définitive comme c’était le cas en l’espèce et, en second lieu, qu’il a jugé qu’un membre d'un conseil départemental et non du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, ne pouvait régulièrement siéger au sein de cette même commission nationale d'appel pour la qualification des chirurgiens-dentistes en qualité de représentant du Conseil national, alors que les dispositions du 3° de l'article 2 de l'arrêté du 24 novembre 2011 relatif aux règles de qualification des chirurgiens-dentistes prévoient seulement que l'arrêté du ministre chargé de la santé doit désigner « un représentant du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes ».

(30 décembre 2022, Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n° 460966)

(174) V. aussi, rejetant le recours d’un praticien contre la décision du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui l'a suspendu du droit d'exercer la profession de chirurgien-dentiste pour une durée de trois ans et a subordonné la reprise de son activité à la justification du respect d'obligations de formation : 30 décembre 2022, M. B., n° 462279.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

175 - Loi du 25 janvier 2011 portant suppression des avoués - Avoués faisant valoir leurs droits à la retraite dans l'année de la promulgation de la loi - Loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 portant exonération d'impôt sur les plus-values de cession d'études d'avoués pour ceux ayant fait valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 - Exception d'inconstitutionnalité - Refus de transmission d'une QPC.

L'article 54 de la loi du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, dans sa rédaction applicable du 1er janvier 2010 au 30 décembre 2011 dispose dans son IV : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite dans l'année qui suit la promulgation de la loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ». Cet art. 151 septies A exonère, à certaines conditions, Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies du CGI lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'une activité libérale.

Ensuite, ce même article 54 a reçu la rédaction suivante par le II de l'article 35 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 : « IV. Les avoués qui font valoir leurs droits à la retraite avant le 31 décembre 2012 bénéficient des dispositions de l'article 151 septies A du CGI ».

Les contribuables requérants estiment que les dispositions du IV de l'article 54 de la loi du 30 décembre 2009, dans leur rédaction issue de la loi du 28 décembre 2011, sont illégales en tant qu'elles sont interprétées comme manifestant la volonté du législateur de réserver aux seuls avoués ayant fait valoir leurs droits à la retraite entre la date de promulgation de cette loi et le 31 décembre 2012, le bénéfice de l'exonération prévue d'imposition de l'indemnité perçue en réparation de la perte du droit de présentation de leur successeur du fait de la suppression de leur profession à compter du 1er janvier 2012. Ils considèrent qu'ainsi interprétées ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi fiscale garantie par l'article 6 de la Déclaration de 1789.

Rejetant cette analyse, le Conseil d'État juge que s'il résulte de ce choix législatif une différence de traitement avec les avoués qui, à la date du 25 janvier 2011, poursuivaient leur activité tout en ayant déjà fait valoir leurs droits à la retraite, celle-ci répond à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi, dès lors que les intéressés ne peuvent être regardés comme ayant fait valoir leurs droits à la retraite en conséquence de la suppression de leur profession par la loi du 25 janvier 2011. Il refuse de transmettre la QPC.

L'argument est aussi traditionnel que spécieux car on n'aperçoit pas et le juge n'offre pas davantage d'éclairer notre lanterne sur ce point, où est la différence objective de situation justifiant directement et à elle seule une telle différence de traitement : l'existence d'une différence de fait liée à la chronologie ne suffit pas à la rendre ipso facto « objective ».

(5 décembre 2022, M. et Mme A., n° 463454)

 

176 - Cotisation foncière des entreprises - Exonération de cette cotisation pour certains artistes - Absence d'exonération pour les tatoueurs - Personnes se trouvant dans une situation objectivement différente - Refus de transmission d'une QPC.

Le SNAT soutenait que les dispositions du 2° de l'article 1460 du CGI, telles qu'interprétées par la jurisprudence du Conseil d'État, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en tant qu'elles excluent les artistes tatoueurs du bénéfice de l'exonération de cotisation foncière des entreprises qu'elles prévoient pour les peintres, graveurs, sculpteurs et dessinateurs.

Pour rejeter cette prétention et refuser la transmission de la QPC, le juge relève, d'une part, que le législateur a entendu favoriser ces personnes pour tenir compte des particularités du marché de l'art et, d'autre part, qu'à cet effet il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en réservant le bénéfice de cet avantage à ceux de ces artistes qui sont considérés comme tels et ne vendent que le produit de leur art. Or les tatoueurs se trouvent dans une situation objectivement différente. En effet, ils réalisent non des objets cessibles, eu égard au principe de non-patrimonialité du corps humain, mais une prestation de service, laquelle ne saurait être regardée comme la vente du produit de leur art au sens et pour l'application des dispositions contestées de l'art. 1460 du CGI. 

La QPC soulevée n'est pas transmise.

(5 décembre 2022, Syndicat national des artistes tatoueurs et des professionnels du tatouage (SNAT), n° 467864)

 

177 - Zone de revitalisation rurale - Création ou reprise d'entreprises - Exonération conditionnelle de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés à raison des bénéfices réalisés - Différences alléguées ou non différences critiquées - Refus de transmission d'une QPC.

Les dispositions du b) du III de l'article 44 quindecies du CGI, dans leur rédaction issue de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, établissent une différence de traitement entre les entreprises individuelles reprises dans les zones de revitalisation rurale, suivant que le repreneur est ou non le conjoint de l'entrepreneur individuel cédant, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité ou leurs ascendants et descendants ou leurs frères et sœurs. Le requérant estime que ces dispositions méconnaissent ainsi les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques.

Ces mêmes dispositions traitant de manière identique le rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP et la reprise d'une entreprise individuelle, le requérant estime que, de ce fait, elles méconnaissent les mêmes principes que ci-dessus dès lors qu'elles aboutissent à ne pas opérer de différence parmi les reprises de la totalité des parts d'un associé d'une SCP selon que le repreneur acquiert plus ou moins de la moitié des droits de vote et de participation aux bénéfices de la société.

Le Conseil d'État rejette la demande de transmission d'une QPC dans chacun des deux cas susvisés.

D'abord, le souci du législateur en instituant le mécanisme fiscal d'exonération de la création ou de la reprise d'entreprises inviduelles situées dans une zone  de revitalisation rurale a été de favoriser le maintien d'activités économiques dans les zones rurales concernées en facilitant les reprises d'entreprises, aux repreneurs d'entreprises individuelles qui ne sont pas membres de la famille de l'entrepreneur cédant. Une telle distinction est bien en rapport avec l'objet de la loi qui établit cette différence de traitement, ainsi elle ne porte pas atteinte au principe d'égalité devant la loi. Par ailleurs, le caractère objectif et rationnel des critères retenus n'instaure pas, non plus, de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Ensuite, étant rappelé que le principe d'égalité n'impose pas de traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes, la loi ne méconnaît en l'espèce ni le principe d'égalité devant la loi ni celui d'égalité devant les charges publiques en excluant de la même façon les rachats de la totalité des parts d'un associé de SCP et les reprises d'entreprises individuelles du bénéfice de l'exonération des impôts lorsque le repreneur fait partie de la famille du cédant, et en n'opérant pas de distinction, parmi ces opérations de rachat de la totalité des parts d'un associé de SCP exclues du bénéfice de l'exonération, en fonction de la proportion des droits qu'il détient dans la société.

(6 décembre 2022, M. A., n° 465688)

 

178 - Avantage fiscal - Abattement d'un tiers chaque année après cinq ans de détention des titres des gains nets réalisés dans les sarl (art. 150-0 D ter du CGI) - Règle d'interprétation stricte - Dérogation ne pouvant concerner que le gérant statutaire lui-même - Absence d'inconstitutionnalité - Rejet de la demande de transmission d'une QPC et rejet au fond.

(21 décembre 2022, M. et Mme A., n° 465669)

V. n° 73

 

179 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

V. n° 184

 

180 - Demande de déclaration de non-conformité d’une décision du Conseil constitutionnel au droit de l’Union – Demandes diverses – Incompétence manifeste du juge administratif – Rejet.

La requérante demandait au juge du référé liberté : 1°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la décision n° 2017-689 QPC du 8 février 2018 du conseil constitutionnel qui a supprimé « par ricochet » le statut fiscal des locations meublées non professionnelles (LMNP) ;  2°) de laisser « inappliqué à son encontre » l'article 155, IV, 2° du code général des impôts ; 3°) de déclarer non conforme au droit de l'Union européenne la prescription au 31 décembre 2022 de l'exercice 2020 pour les contribuables LMP et LMNP, et de laisser inappliquée cette prescription à leur encontre pour que, lors de la campagne déclarative en avril 2023, ces contribuables puissent modifier leurs liasses fiscales et leurs déclarations des revenus 2020 ; 4°) de transmettre au Conseil constitutionnel le message cité en page 37 de sa requête.

Si on ne sera pas surpris de voir ces pittoresques demandes ne pas être transmises au Conseil constitutionnel pour cause d’irrecevabilité manifeste en tant qu’elles sont formées devant le juge administratif, de référé de surcroît, on le sera davantage par l’absence d’amende pour abus du recours assortissant ce rejet… Il y a des amendes qui se perdent.

(28 décembre 2022, Mme B., n° 469889)

 

Responsabilité

 

181 - Défectuosités affectant le réseau d'eau chaude sanitaire d'un centre hospitalier - Souscription d'un contrat d'assurances - Notion de déclaration de sinistres - Expertise ordonnée par le juge du référé provision - Existence ou non d'une prescription biennale - Défectuosité rendant l'ouvrage impropre à sa destination - Montant de la provision - Rejet.

Un centre hospitalier a demandé au juge des référés de condamner la requérante à lui verser une somme correspondant au montant des travaux de reprise nécessaires à la réparation des désordres affectant le réseau d'eau chaude sanitaire de ses bâtiments. Tandis que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande, celui de la cour administrative d'appel a ordonné à la requérante de verser à titre de provision une certaine somme, avec intérêts.

La société requérante se pourvoit contre cette ordonnance.

Le juge de cassation, se prononçant sur le bien-fondé de l'ordonnance de référé provision, examine quatre griefs articulés contre celle-ci par la demanderesse.

En premier lieu, il rejette l'argument fondé sur ce que le centre hospitalier n'aurait pas déclaré régulièrement le sinistre à la société d'assurances. Comme l'a relevé le juge d'appel le centre hospitalier n'était pas tenu de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour la réalisation de l'ouvrage en litige, et donc, par suite, il n'était pas soumis aux dispositions règlementaires du code des assurances imposant notamment la forme de la déclaration de sinistre préalable. Il suit de là que, saisissant dans le cadre d'un litige relatif à la responsabilité des constructeurs, le juge des référés sur le fondement de l'article R. 532-1 du CJA, il lui demande - et obtienne - la prescription d'une expertise. Dès lors la requérante,  en l'absence d'une méconnaissance d'aucune stipulation du contrat lui-même relative au caractère préalable à toute demande d'expertise d'une telle déclaration, ne peut soutenir que son obligation d'assurance serait, en l'espèce, sérieusement contestable.

En deuxième lieu, ne saurait être opposée ici la prescription biennale car le courrier du 11 septembre 2020 par lequel le centre hospitalier a demandé à son assureur le remboursement ou l'avance de divers frais, doit être regardé comme la déclaration de sinistre.  Surtout, au reçu de ce qui doit être considéré comme constituant la déclaration de sinistre préalable au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 242-1 du code des assurances, la société requérante disposait de soixante jours  pour répondre à celle-ci et lui indiquer sa position faute de quoi elle était déchue du droit d'opposer la prescription biennale sauf dans le cas où cette prescription aurait été acquise à la date d'expiration de ce délai de soixante jours.

En troisième lieu, la nature des désordres en cause les fait relever de la prescription biennale en ce que l'existence d'un risque grave et patent de présence de légionnelles, s'agissant d'un hôpital, rend l'ouvrage impropre à sa destination alors même que, en l'espèce, des mesures de désinfection palliatives avaient permis transitoirement à l'établissement de fonctionner sans que cette présence ne soit effectivement détectée.

Enfin, relativement au montant de la provision allouée par le juge, il est rappelé d'une part qu'il n'existe pas à ce montant d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état et d'autre part que si tombe sous le contrôle du juge de cassation la qualification juridique opérée par le juge des référés du caractère non sérieusement contestable de l'obligation invoquée devant lui, en revanche, relève du pouvoir souverain d'appréciation du juge du référé provision l'évaluation du montant de la provision. En l'espèce, ce montant - contrairement à ce que soutient la société d'assurances - n'est pas excessif puisqu'il a été calculé sur le seul coût de prestations justifiées par l'expert pour remédier aux désordres et effectivement engagées par le centre hospitalier.

(6 décembre 2022, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 465221)

 

182 - Action en indemnité - Invocation possible en appel de chefs de préjudices non réclamés en première instance - Conditions d'unicité du fait générateur et de maintien du chiffrage de première instance - Annulation.

Rappel d'une solution jurisprudentielle désormais bien établie : le requérant qui, en première instance, demandait la réparation des conséquences dommageables d'un fait ou d'une abstention d'une personne publique est recevable, d'une part, à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, d'autre part à invoquer des chefs de préjudice non indiqués devant les premiers juges.

Ceci appelle trois ordres de précisions.

Dans tous les cas cette primo-invocation en appel est subordonnée à la réunion de deux conditions: les chefs de préjudice dont est saisi le juge d'appel doivent impérativement se rattacher au même fait générateur que celui en cause en première instance et le montant total des prétentions de l'appelant ne peut excéder le montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.

Ensuite, d'une part, reste sauve la possibilité de se prévaloir en appel, le cas échéant, d'éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement-  ou s'étant aggravés ou révélés dans toute leur ampleur postérieurement au jugement attaqué -, et ayant une incidence sur le montant de réparation réclamé, et d'autre part, s'appliquent les règles gouvernant la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle.

Enfin, si le tribunal administratif a été saisi de conclusions tendant à la réparation des préjudices de la victime et des préjudices subis par des ayants-droit, il y a lieu, en appel, de distinguer le montant demandé par chacun des ayants-droit à titre personnel et le montant demandé au nom de la victime.

(13 décembre 2022, Mme D. et M. G., n° 458396)

 

183 - Société d'avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation - Préjudice résultant de manquements à ses obligations - Demande de réparation - Rejet.

Le Conseil d'État était saisi d'une action en réparation du préjudice prétendument subi par un justiciable du fait de manquements à ses obligations qui auraient été commis par une société d'avocats aux Conseils.

Il est d'abord rappelé, ce qui est parfois perdu de vue par les requérants surtout en une époque où toute personne croit tout savoir sur tout et être capable de juger tous ses semblables dans leurs faits et propos, qu'un avocat est libre de choisir, dans l'intérêt de son client, les éléments et moyens à présenter au soutien de ses conclusions et qu'il n'est pas tenu de subordonner la production de ses écritures à l'accord de son client.

Ensuite, concernant le cas de l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que si avaient été soulevés les moyens que le demandeur reproche à la société d'avocats de n'avoir pas soulevé, ils eussent été jugés présenter un caractère sérieux de nature à justifier l'admission de ses pourvois en cassation.

Faute de préjudice, il ne saurait y avoir de réparation.

(27 décembre 2022, M. A, n° 455147)

 

184 - Régime législatif de responsabilité pour faute – Réparation des préjudices subis par les harkis et leurs familles – Exclusion de la mise en cause de la responsabilité de l’État – Droit au recours – Respect du droit de propriété – QPC – Refus de transmission – Rejet.

Les recours, joints, étaient dirigés contre le décret n° 2022-393 du 18 mars 2022 relatif aux mesures d'indemnisation des préjudices et aux mesures d'aide sociale en faveur des harkis, des autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et de leurs familles et contre le décret n° 2022-394 du 18 mars 2022 relatif à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles. Au soutien de leurs recours pour excès de pouvoir les exposants soutenaient l’inconstitutionnalité de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis et les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et réparation des préjudices subis par ceux-ci et leurs familles du fait de l'indignité de leurs conditions d'accueil et de vie dans certaines structures sur le territoire français sur la base de laquelle et pour l’exécution de laquelle ont été pris les deux décrets attaqués.

Ils soutenaient que ce texte portait atteinte aux droits et libertés qu’ils tiennent de la Constitution du fait qu’il exclut toute mise en cause de la responsabilité de l'État à raison de l'abandon des harkis à leur propre sort en Algérie, méconnaissant ainsi la faculté d'agir en responsabilité protégée par l'article 4 de la Déclaration de 26 août 1789 et le droit à un recours juridictionnel effectif protégé par son article 16, et portant atteinte au droit de propriété protégé par ses articles 2 et 17 ainsi qu'au principe d'égalité protégé par son article 6. 

La transmission de la QPC est refusée.

Tout d’abord est rejetée l’argumentation tendant à voir juger que la loi méconnaît les art. 4 et 16 de la Déclaration de 1789 qui institue un régime légal de responsabilité pour faute de l'État afin de permettre l'indemnisation du préjudice lié à la très grande précarité matérielle dans laquelle ont vécu ces personnes et leurs familles, parfois pendant plusieurs années, et aux atteintes qui ont été portées à leurs libertés individuelles ainsi qu'aux privations diverses qu'elles ont subies dans le cadre de leur séjour dans les structures où elles ont été accueillies. De caractère forfaitaire, ce régime de réparation n’est pas subordonné à la preuve de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ce préjudice et la faute de l'administration et il n’est pas soumis à la prescription quadriennale. En effet, les requérants reprochent à ce mécanisme législatif l'atteinte disproportionnée qu’il porterait au droit à un recours juridictionnel effectif (art. 16 Déclaration 1789) ainsi qu’à la faculté d'agir en responsabilité (art. 4 Déclaration préc.), au motif qu'il ne prévoit pas de mécanisme de réparation pour les préjudices liés aux représailles et aux massacres dont les supplétifs de l'armée française en Algérie et leurs familles ont été victimes sur le territoire algérien, après le cessez-le-feu du 18 mars 1962 et la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 5 juillet 1962, et à leur absence de rapatriement en France. Toutefois, estime le Conseil d’État, « un grief tiré de ce que des dispositions législatives seraient entachées d'incompétence négative ne peut être utilement présenté qu'à la condition de contester les insuffisances du dispositif qu'elles instaurent et non pour revendiquer la création d'un régime dédié. Or, le grief tiré de ce que les dispositions législatives en cause porteraient une atteinte excessive au droit à un recours juridictionnel, en ce qu'elles ne créent pas un dispositif de réparation de préjudices qui, tant par leur cause que leur nature, ne sauraient être assimilés à ceux qu'elles régissent, doit être analysé comme reprochant à ces dispositions d'être, à cet égard, entachées d'incompétence négative faute d'avoir créé un régime de responsabilité dédié à la réparation de ces préjudices distincts. Ce grief est, par suite, inopérant. »

Ensuite, est également rejeté le moyen tiré de la violation des art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 car l'institution d'un tel dispositif d'indemnisation pour des créances qui seraient prescrites en application du droit commun ne saurait, en tout état de cause, être regardée comme portant atteinte au droit de propriété garanti par ces dispositions.

Enfin, il ne saurait être soutenu que ce système de réparation porterait atteinte au principe d’égalité en ce qu’il ne ferait pas application au cas des harkis des dispositions de l'art. 149 du code de procédure pénale, lequel ne concerne que les personnes qui ont fait l'objet d'une détention provisoire avant d'être relaxées ou acquittées, ce qui est une situation dissemblable de celle évoquée par les demandeurs.

(22 décembre 2022, M. E. et association Génération Harkis, n° 464247 ; M. I. et Comité Harkis et Vérité, n° 464249 ; Mme I., n° 464250 ; M. I., n° 464252 ; M. F., n° 468852, jonction)

(185) V. aussi, rejetant le recours tendant à l’annulation du décret du 22 mars 2022 portant nomination du président de la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles et du décret du 8 avril 2022 portant nomination à la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis, les autres personnes rapatriées d'Algérie anciennement de statut civil de droit local et les membres de leurs familles : 22 décembre 2022, M. C. et association Génération Harkis, n° 464328.

 

Santé  publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

186 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

V. n° 189

 

187 - Covid-19…Le retour…du contentieux

 

Si, depuis près de trois ans, le contentieux lié aux mesures prises pour lutter contre la pandémie de Covid-19 n’a, en réalité, jamais cessé, il a connu une certaine recrudescence, au moins quantitative, en ce 29 décembre 2022.

Toutes les décisions sont de rejet et l’imagination des requérants connaît un certain tarissement, d’où le bégaiement des moyens de fait et/ou de droit censés emporter la conviction du juge.

Il n’est pas utile de dire à nouveau, ce qui l’a été à maintes reprises dans cette Chronique depuis près de trente-six mois, et qui ne présente plus guère d’originalité désormais.

On se borne à recenser les vingt-six décisions (jointes ou non) que les lecteurs intéressés pourront directement consulter. Seuls sont indiqués les noms des parties et les numéros des requêtes, toutes ces décisions ayant été rendue le 29 décembre.

M. A., 451388

M. C. et autres, 453692

M. C., 455259

M. P. et autres, 455384

Cercle Droit et Liberté et autres, 455530 et Association Victimes Coronavirus Covid-19 France et autres, 455558, et recours joints 455770, 456063, 456160, 456193, 456195, 456533, 457236, 457266, 457340, 458244

Mme A., 455614

M. B., 455786

Syndicat Action et Démocratie, 457293

Association VIA - La voie du peuple, 457561 et aussi, 457657, 457689, 459074, 459093, 459270

M. A., 461271

 

 

Service public

 

188 - Service public balnéaire - Sous-concession de ce service public - Résiliation d'un lot - Sursis à exécution d'un arrêt.

 (6 décembre 2022, Société foncière PLM, n° 468209 ; Commune de Ramatuelle, n° 468211)

Et aussi : 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468210 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468213 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468215 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468216 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468217 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468218 ; 6 décembre 2022, Commune de Ramatuelle, n° 468219)

V. n° 25

 

189 - Fixation du prix de journée d'hospitalisation - Tarifs des autres prestations de soins délivrées à des personnes ne relevant pas de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française - Tarifs surévalués et sans rapport avec le service rendu - Conditions de juridicité d'une tarification différente pour un même service rendu - Non respect du principe d'égalité des usagers devant le service public - Rejet.

La victime de la chute d'un portail a demandé réparation du préjudice en résultant à l'auteur du dommage et à son assureur qui ont opposé l'illégalité d'un arrêté du 17 avril 2014, rendant exécutoire une délibération du 20 février 2014 du Centre hospitalier de la Polynésie française fixant les nouveaux tarifs applicables pour l'année 2014, sur la base duquel ils étaient susceptibles de devoir réparer les préjudices subis par la victime. Le tribunal judiciaire a renvoyé l'examen de cette question, qu'il a estimée préjudicielle, au juge administratif.

Les requérants demandent, pour deux d'entre eux, l'annulation du jugement et pour un troisième, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement par lequel le tribunal administratif a jugé illégaux les tarifs car étant manifestement surévalués et sans rapport avec le service rendu, ils méconnaissent le principe d'égalité des usagers devant le service public.

Le Conseil d'État rejette les recours joints.

Préalablement à l'examen du fond il note que les tarifs litigieux « s'appliquent ainsi, pour l'année 2014, aux patients non ressortissants de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, correspondant essentiellement aux personnes affiliées à la sécurité sociale métropolitaine. »

En premier lieu, le juge de cassation décide que c'est sans erreur de droit et dans le cadre de l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que le tribunal administratif a jugé que, même en faisant la part de certaines charges supplémentaires auxquelles était confronté le Centre hospitalier, cette augmentation tarifaire continue n'était pas justifiée par une hausse des coûts de revient, ni calculée dans les conditions prévues par l'article 61 de l'arrêté du conseil des ministres de Polynésie française du 12 septembre 1988 relatif à l'organisation, au fonctionnement et aux règles financières, budgétaires et comptables du Centre hospitalier territorial de la Polynésie française et qu'elle aboutissait à des tarifs devant être regardés comme manifestement surévalués et déconnectés du service rendu.

En deuxième lieu, le juge de cassation rejette l'argument tiré de ce que le juge judiciaire aurait reconnu « fiable » l'outil « programme de médicalisation des systèmes d'information » (PMSI) pour le calcul des tarifs d'hospitalisation des seuls résidents polynésiens ressortissant de la caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française. En effet, d'une part, ce juge n'a pas remis en cause le constat de la surévaluation de la tarification applicable aux non-ressortissants et d'autre part, le tribunal administratif a seulement entendu rappeler que ces tarifs, utilisés notamment pour le calcul du préjudice subi dans le cadre d'actions subrogatoires, étaient très largement inférieurs aux tarifs appliqués aux non-ressortissants.

Enfin, est rappelé le double principe constant et classique : 1° que la fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service ou de l'ouvrage commande cette mesure; 2° qu'en ces cas la différence de tarifs ainsi instituée ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des circonstances ou des objectifs qui la motivent. Ainsi est caractérisée ici l'atteinte illégale au principe d'égalité devant le service public.

 (9 décembre 2022, Polynésie française, n° 462393 et n° 462394 ; Centre hospitalier de la Polynésie française, n° 462466 ; Caisse de prévoyance sociale de la Polynésie française, n° 463025, jonction)

(190) V. aussi, rejetant la requête en référé de la société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO) tendant à la suspension de l'exécution de la délibération du 20 octobre 2022 de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) refusant de l'autoriser à mettre en œuvre des traitements automatisés à des fins de recherche, d'étude ou d'évaluation nécessitant un accès aux données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), cette société invoquant l'urgence à suspendre cette décision en raison des conséquences négatives du refus de la CNIL sur sa situation financière dès lors que ce refus fait obstacle à la publication du numéro spécial de son hebdomadaire relatif au palmarès des hôpitaux de France, qui constitue habituellement une des meilleures ventes de l'année de l'hebdomadaire du Point et, d'autre part, de la nécessité de proposer une information complète et actualisée au public sur l'activité hospitalière, à bref délai : 29 décembre 2022, Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO), n° 469969.

 

191 - Encadrement des prix de certains produits et services en Polynésie française - Atteinte à la liberté d'entreprendre - Existence d'un motif d'intérêt général - Souci de modération des prix en cas de crise ou de calamité - Rejet pour l'essentiel.

La fédération requérante demandait que soit déclarée contraire au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « loi du pays » du 7 juillet 2022 relative aux conditions d'encadrement des prix de certains produits ou services et portant modification de la partie législative du livre Ier du code de la concurrence publiée.

Des nombreuses dispositions contestées seules deux dispositions partielles d'entre elles sont censurées.

En premier lieu, sont jugées illégales : 1°, pour incompétence négative, les dispositions du deuxième alinéa de l'art. LP. 110-1 du code de la concurrence de la « loi du pays » en ce qu'elles permettent au conseil des ministres de réglementer de manière pérenne, après avis de l'autorité polynésienne de la concurrence, les prix « notamment dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison de situations de monopole ou d'oligopole, de difficultés durables d'approvisionnement ou de sous-équipement commercial ». L'emploi de l'adverbe notamment créant une situation d'indétermination juridique. 2°, pour atteinte à la liberté d'entreprendre et incompétence négative, les dispositions de l'art. LP. 111-5 du code de la concurrence qui permettent au conseil des ministres d'encadrer les prix des fabricants et producteurs locaux en cas d'augmentations non justifiées de ces prix, sans préciser davantage car ainsi leur champ d'application n'est pas suffisamment précis. 

En second lieu, toutes les autres dispositions sont jugées n'être pas irrégulières en raison, selon les cas, de ce qu'elles sont fondées sur l'objectif de protection des consommateurs et de développement économique et social lesquels constituent un motif d'intérêt général, ou motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou encore par une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé ou fixent le prix maximal des produits et services de première nécessité et des produits et services de grande consommation. Semblablement, les dispositions relatives aux amendes administratives sanctionnant le non respect des prescriptions de la « loi du pays » ne sont pas entachées d'illégalité en dépit de ce qu'elles sont cumulables.

(9 décembre 2022, Fédération générale du commerce de la Polynésie française, n° 466687)

 

192 - Service public de la justice - Aide juridique et aide juridictionnelle - Détermination du caractère insuffisant des ressources justifiant l'octroi de l'aide - Effet de seuil - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation des articles 5 et 101 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Il invoquait tout d'abord leur illégalité du fait de la création par elles d'un effet de seuil en raison des règles de plafond retenues instaurant une différence de traitement entre justiciables suivant la répartition de leurs ressources entre revenu, patrimoine mobilier ou financier et patrimoine immobilier. Le moyen est rejeté en ce que cette différence n'est ni manifestement disproportionnée en regard de l'objet de la loi du 10 juillet 1991 que ce décret applique,  ni contraire à l'art. 6 de la convention EDH.

Contrairement à ce que soutient le demandeur le pouvoir réglementaire  n'a pas excédé la marge d'appréciation laissée par la loi en décidant de tenir compte de manière séparée du patrimoine mobilier et du patrimoine immobilier pour apprécier l'éligibilité du demandeur à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat.

Enfin, les dispositions litigieuses, en décidant que la résidence principale du demandeur d'aide juridictionnelle ou juridique n'est pas prise en compte dans l'estimation du patrimoine immobilier auquel s'applique le plafond prévu par le décret attaqué, n'ont pas entendu, ce faisant, exclure que l'autorité compétente pour statuer sur la demande puisse tenir compte, au titre de ces mêmes dispositions et dans le cadre d'un examen au cas par cas, de l'existence d'autres biens qui ne pourraient être vendus ou donnés en gage sans entraîner un trouble grave pour leur propriétaire, n'ont pas méconnu la loi. 

(27 décembre 2022, M. B., n° 448990)

(193) V. aussi, identique : 27 décembre 2022, M. B., n° 450220.

 

194 - Enseignement supérieur – Approbation des statuts de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » - Rejet.

Les accouchements sont souvent douloureux, ainsi en va-t-il à peu près toujours de celui d’une nouvelle université.

La création de la COMUE « Université de Lyon » donne lieu à un feuilleton contentieux qui trouve peut-être son épilogue dans la présente décision.

Le recours était fondé sur un très grand nombre de moyens, de légalité externe comme de légalité interne, de fait comme de droit.

Ils sont tous rejetés au terme d’une très longue décision qui ne saurait être analysée ici en tous ses éléments, pour l’essentiel tirés d’allégations de vices qui auraient affecté les procédures de délibérations et de votes divers tout au long du processus de formation de cette nouvelle université.

On se permet de renvoyer le lecteur au texte même de l’arrêt.

(20 décembre 2022, M. H., association Démocratie et Transparence à l'Université de Lyon, association Idexit et autres, n° 450286)

 

195 - Entreprises publiques – Participation des salariés aux résultats de leur entreprise – Différence de traitement justifiée – Rejet.

Les requérants demandaient qu’il leur soit fait application des dispositions de l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés. Ils invoquent en particulier l’identité de leurs situations respectives avec celle d’Aéroports de Paris où cette ordonnance est appliquée via le décret du 26 novembre 1987 déterminant les établissements publics et entreprises publiques soumis à ce régime.

Le recours est rejeté car si les sociétés requérantes sont incluses dans le périmètre de l'Agence des participations de l'État et si l'État est représenté au sein de leur conseil de surveillance, il n’en demeure pas moins des différences appréciables entre leurs situation et celle d’Aéroports de Paris car ces trois sociétés perçoivent des financements publics dans le cadre de leurs programmes d'investissement, contrairement à la société Aéroports de Paris, sont soumises à des règles de détermination des tarifs de leurs redevances moins incitatives au développement des activités commerciales que celles applicables à la société Aéroports de Paris et, enfin,  se trouvent dans un environnement moins concurrentiel que celle-ci.

Ces différences objectives quant à la réalisation de bénéfices susceptibles de donner lieu à la participation des salariés à leurs résultats justifient leur exclusion du champ d’application de l’ordonnance et du décret précités sans qu’il y ait méconnaissance du principe d’égalité.

(22 décembre 2022, Comités sociaux et économiques de la société anonyme Guadeloupe Pôle Caraïbes, de la société anonyme Aéroport Réunion Roland-Garros et de la société Aéroport Martinique Aimé-Césaire, n° 460585)

 

196 - Service public hospitalier – Établissements publics de santé - Praticiens hospitaliers – Régime des émoluments, rémunérations ou indemnités – Grille des émoluments – Rejet.

Cette question ayant déjà fait l’objet récemment de notules, le lecteur est renvoyé aux n°s 61, 186 et 187 de la Chronique de novembre 2022.

(28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 446916 ; Syndicat des médecins réanimateurs, n° 449344 et n° 452101)

(197) V. aussi, dans un domaine voisin, rejetant le recours en annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret n° 2018-639 du 19 juillet 2018 relatif au Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, en tant qu'il prévoit que les personnels enseignants et hospitaliers titulaires et non titulaires sont représentés au sein de collèges statutaires distincts, ce qui porterait atteinte à la liberté syndicale et au principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail garantis respectivement par les alinéas 6 et 8 du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’au principe d’égalité : 28 décembre 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 461595.

 

Sport

 

198 - Dopage - Procédure devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Publicité des audiences - Publicité sur demande des intéressés - Absence de contrariété à l'art. 6 § 1 de la convention EDH - Rejet.

Un sportif convaincu de dopage fait l'objet d'une sanction. Outre la classique et, ici, vaine contestation de la disproportion de la sanction infligée portant interdiction d'une durée de quatre ans de participer aux compétitions dans la discipline du pancrace, il soulève l'irrégularité résultant de l'absence de caractère public des audiences se tenant devant la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage.

Pour rejeter ce moyen d'irrégularité, le Conseil d'État relève que l'art. R.232-95 du code du sport, en disposant que devant cette commission : " Les débats ne sont pas publics sauf demande contraire formulée, avant l'ouverture de la séance, par l'intéressé, ou son conseil (...) ", ne fait nullement obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, au droit de l'intéressé ou de son défenseur, dès lors qu'il en fait la demande, à ce que sa cause soit entendue publiquement. 

(27 décembre 2022, M. A., n° 462122)

(199). V. aussi, à propos d'une sanction infligée à la suite d'un contrôle antidopage positif pratiqué à l'occasion d'une compétition de football, la décision jugeant que les dispositions du II de l'article L. 232-23-3-10 du code du sport, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 21 avril 2021, qui sont indivisibles de celles du II de l'article L. 232-23-3-3 de ce code, prévoient des sanctions moins sévères que celles en vigueur à la date de la commission du manquement et qu'elles sont donc applicables au litige en vertu du principe d'application immédiate de la loi répressive plus douce et réduisant en conséquence de un an à trois mois l'interdiction primitivement prononcée : 27 décembre 2022, M. B., n° 465059.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

200 - Permis de construire modificatif - Intérêt pour agir contre ce permis - Recours d'un propriétaire voisin - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Saisi d'un recours en suspension d'un permis de construire modificatif, un tribunal administratif rejette cette demande motif pris de ce que son auteur ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre ce permis.

L'ordonnance rejetant la requête en référé est annulée pour qualification inexacte des faits dès lors que la demanderesse : 1° avait établi être propriétaire d'une maison à usage d'habitation située à proximité immédiate de la parcelle d'assiette du projet, 2° avait fait valoir que la décision attaquée apportait à l'implantation de la maison en limite séparative une modification de nature à compromettre l'accès à sa propriété, 3° qu'elle créait du côté de sa propriété une aire de stationnement et agrandissait une piscine, susceptibles d'engendrer des nuisances sonores, 4° qu'elle créait sur le bâtiment principal une ouverture donnant directement sur sa propriété.

La requérante avait ainsi fait état d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à localisation des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction, de nature à établir l'atteinte susceptible d'être portée par le permis de construire modificatif en litige aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

(8 décembre 2022, Mme D., n° 465790)

 

201 - Permis de construire - Demande d'annulation pour contrariété du permis à une disposition du POS - Refus - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante demandait l'annulation du permis de construire délivré à Mme A. comme contraire aux dispositions de l'art. 11UC du règlement du POS de la commune selon lesquelles : « (...) 2. Les clôtures sur limites séparatives sont limitées à deux mètres de haut mesurés à compter du fond voisin » en ce qui concerne la clôture située en limite séparative nord entre le terrain de Mme A. de celui de la requérante.

Le tribunal a rejeté cette requête au motif que ce moyen ne ressortait d'aucune pièce du dossier. Le jugement est annulé pour dénaturation des pièces du dossier car il apparaissait manifestement sur le plan de coupe longitudinale joint au dossier que la hauteur de ce mur excédait la limite de deux mètres prévue à l'article 11 UC précité.

(9 décembre 2022, Mme B., n° 456164)

 

202 - Instruction des déclarations préalables de travaux, demandes de permis, etc. - Expiration du délai d'instruction - Naissance d'une décision de non-opposition à déclaration préalable ou d'un permis tacite - Demande de complément de pièce - Pièce non exigée par la réglementation - Demande sans effet sur la constitution d'une décision de non-opposition ou de permis tacite dès l'expiration du délai d'instruction - Rejet.

Abandonnant une jurisprudence d'apparition récente (9 décembre 2015, Commune d'Asnière-sur-Nouère, n° 390273, point 6), la section du contentieux juge désormais que la demande, au cours de l'instruction d'une déclaration préalable, d'un permis de construire ou d'aménagement, de pièce(s) complémentaire(s) ne pouvant être requises, n'a pas pour effet d'empêcher la constitution, au terme du délai d'instruction, d'une décision de non-opposition ou d'un permis de construire tacite. Cette solution jurisprudentielle est bien meilleure que la précédente.

(Section, 9 décembre 2022, Commune de Saint-Herblain, n° 454521)

 

203 - Livraison de terrains à bâtir - Conditions d'exonération de TVA - Gestion d'un patrimoine privé et non commercialisation foncière - Rejet.

(9 décembre 2022, ministre de l'économie, des finances..., n° 459206)

V. n° 59

 

204 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Classement de parcelles en espaces boisés - Demande d'annulation « en tant que ne pas » - Rejet.

Est rejeté le pourvoi fondé sur ce que serait illégale la délibération d'un conseil municipal classant les parcelles du requérant en zone boisée du PLU en tant qu'elle ne classe pas d'autres parcelles ne lui appartenant pas dans cette même catégorie.

Le rejet est fondé sur ce que les parcelles litigieuses, d'abord, ne font pas partie du site classé du Ru du Rebaix, à l'inverse de celles appartenant au requérant, ensuite qu'elles font partie d'un ensemble construit, ce qui n'est pas le cas des parcelles qui lui appartiennent. Enfin, le rapport du commissaire enquêteur relève que la zone dont le requérant considère qu'elle devrait être traitée de manière homogène est en réalité très hétérogène, comprenant en son centre un vaste secteur à caractère naturel dont les parcelles non construites ne constituent qu'une partie, séparant deux secteurs urbains constitués classés en zone UA ou UB.

La délibération ne repose ainsi sur aucune erreur manifeste d'appréciation.

(13 décembre 2022, M. A., n° 451577)

 

205 - Permis de construire - Immeuble collectif de logements - Date d'appréciation de la réglementation applicable - Refus implicite d'autoriser une régularisation - Annulation du permis - Rejet.

La société demanderesse a demandé un permis de construire un immeuble collectif de douze logements, cette demande a été rejetée. Le tribunal administratif, sur le recours de cette dernière, a annulé le refus et enjoint le maire de prendre une nouvelle décision. Le maire a interjeté appel aux fins d'annulation de ce jugement. Durant ce temps, la société a confirmé sa demande de permis qui fut à nouveau rejetée mais un protocole étant intervenu entre cette société et la commune, cette dernière s'est désistée de son appel et a délivré le permis de construire sollicité le 20 avril 2018.

Deux associations ont demandé au tribunal administratif l'annulation de ce permis, ce qui leur a été refusé, et elles ont interjeté appel. La cour administrative d'appel a annulé le jugement ainsi que l'arrêté accordant le permis de construire.

La pétitionnaire se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Trois questions de droit se posaient, d'où l'importance de cette décision.

En premier lieu, en principe, selon l'art. L. 600-2 du code de l'urbanisme, après annulation juridictionnelle d'un refus de permis de construire la confirmation par l'intéressé de la demande de permis (comme d'ailleurs de l'autorisation de travaux) ne peut pas faire l'objet d'un refus ou être accordée avec des prescriptions spéciales sur le fondement de règles d'urbanisme postérieures à la date du refus annulé. Ce texte constitue bien évidemment une disposition dérogatoire, il est donc d'interprétation stricte. Or, en l'espèce la cour a jugé souverainement et sans dénaturation que le projet présenté et ayant obtenu le permis délivré le 20 avril 2018 constituait en réalité une modification du projet initial dépassant de simples ajustements ponctuels. Il revêtait donc la nature d'une demande portant sur un nouveau projet et sa juridicité devait donc être appréciée non au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de la décision illégale de refus de permis de construire (9 mai 2017), mais au regard des règles du plan local d'urbanisme (PLU) adopté en 2017, applicables à la date de cette nouvelle demande.

En deuxième lieu, effectuant cette comparaison entre le permis remanié et le PLU, la cour a jugé que plusieurs balcons excédaient la largeur maximale fixée par l'article UC 1 du PLU, que l'emprise de la construction méconnaissait la règle d'implantation par rapport aux voies publiques prévue par l'article UC 5, que la construction ne respectait pas les règles de prospect prévues par l'article UC 6, que l'emprise au sol était deux fois supérieure au coefficient maximal d'emprise au sol de 40 % fixé par l'article UC 8, que la hauteur était supérieure à la hauteur maximale prévue par l'article UC 9, que le projet ne comportait pas de local ou abri extérieur réservé au stationnement des cycles non motorisés, contrairement à ce que prévoit l'article UC 11, et comportait un nombre insuffisant de places de stationnement eu égard au nombre de logements et à la surface de plancher globale, et enfin que par sa situation, ses dimensions et son volume, le projet était de nature à porter significativement atteinte au caractère et à l'intérêt du site classé des Roches Blanches en méconnaissance des articles UC 2 et UC 10 du PLU. Elle a annulé le permis contesté.

En troisième lieu, ce jugeant, la cour n'a pas fait usage de l'obligation qui pèse sur elle de surseoir à statuer lorsque le ou les vices affectant la légalité de l'autorisation d'urbanisme dont l'annulation est demandée sont susceptibles d'être régularisés. Ce qui pouvait susciter deux interrogations. D'abord, la cour, en s'abstenant de se prononcer sur ce point n'a-t-elle pas commis une erreur de droit ? La réponse est négative car la cour a implicitement mais nécessairement estimé que l'un au moins des vices affectant la légalité du permis de construire était insusceptible d'être régularisé.  Ensuite, ce refus de demander à l'intéressée de solliciter la régularisation du permis ne devait-il pas être motivé ? La réponse est encore négative car la cour n'était pas saisie en l'espèce d'une demande de régularisation.

(14 décembre 2022, Société Eolarmor, n° 448103)

 

206 - Permis de construire un centre commercial et de loisirs - Atteinte à des espèces végétales et animales protégées - Dérogation subordonnée à l'existence d'une raison impérative d'intérêt public majeur - Annulation de l'arrêté préfectoral accordant le permis - Rejet.

(27 décembre 2022, Société PCE et société Foncière Toulouse Ouest, n° 449624)

V. n° 106

 

207 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Critiques globale du plan et du classement de parcelles d'un secteur - Rejet.

La société requérante poursuivait l'annulation de la décision de la communauté d'agglomération des deux baies en Montreuillois approuvant le PLU du Touquet Paris-Plage, à titre principal dans son intégralité et, à titre subsidiaire, en tant qu'elle approuve le classement de l'ensemble du secteur du Polo en zone NH, des parcelles BC17 et BC18 en zone NL et des parcelles de ce secteur correspondant à des dents creuses en zone NL.

Elle se pourvoit contre l'arrêt confirmatif du jugement de rejet de ses prétentions.

Le juge de cassation rejette le pourvoi, estimant que c'est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé que le classement en zone N des parcelles appartenant à la société La Morinie n'était pas entaché d'illégalité par le quadruple motif que ces parcelles présentaient le caractère de dents creuses non bâties, que le secteur du Polo était, de manière générale, peu densifié, que la forêt existante y avait été conservée, cet espace boisé relevant en outre d'une zone d'intérêt écologique, faunistique et floristique, et qu'enfin il présentait un intérêt écologique certain.

(27 décembre 20225, Société La Morinie, n° 450222)

 

208 - Permis de construire tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale – Contestation par une association – Examen de la condition d’intérêt à agir – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Les dispositions des art. L. 425-4, L. 600-1-2 et L. 600-1-4 du code l’urbanisme ne font pas obstacle à ce qu'une association puisse contester un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale à la fois en tant qu'il vaut autorisation de construire et en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt pour agir contre chacune de ces autorisations. 

Il appartient donc à la juridiction saisie de telles conclusions, pour déterminer leur recevabilité, de rechercher si cette association justifie, au regard de l'objet défini par ses statuts et son champ d'action géographique, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre chacune de ces autorisations.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que pour déclarer une association irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, une cour administrative d’appel relève qu’elle a pour objet la défense des intérêts collectifs des commerçants, indépendants et artisans dans le département et en a déduit que, les autorisations de construire ne portant pas atteinte, par elles-mêmes, au commerce, ses statuts ne lui donnaient intérêt pour agir contre un permis de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale. En effet, en jugeant ainsi il n’est pas tenu compte des autres finalités poursuivies par l'association retracées à l'article 2 de ses statuts et figurant dans les pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment « la défense et la préservation du cadre de vie contre toute atteinte qui y serait portée par la planification ou l'autorisation de surfaces destinées au commerce ».

(26 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 442811)

() V. aussi, assez comparable, avec même demanderesse : 30 décembre 2022, Association En toute franchise département du Var, n° 456413.

 

209 - Autorisation de division foncière en lotissement – Autorisation d’occupation du sol délivrée sur l’un des lots – Autorisation d’urbanisme ne trouvant pas sa base légale dans le permis de lotir – Inopérance de l’invocation par voie d’exception de l’illégalité de l’autorisation de lotir – Rejet.

Sans être totalement nouvelle ou imprévisible, la solution retenue dans la présente décision est, dans sa logique, assez innovante. Le Conseil d’État y juge qu’une décision d’autorisation de lotir ne saurait être tenue pour la base légale d’une autorisation d'occupation des sols délivrée sur l'un des lots issus de cette division foncière ni cette dernière comme ayant été prise pour l'application de la décision d’autorisation de lotir. Il en résulte qu’est inopérant le moyen, soulevé par voie d’exception à l'appui de conclusions dirigées contre l'autorisation d'occupation des sols, tiré de l'illégalité de la décision d'autorisation de lotir. 

(22 décembre 2022, SCI Generatio et autres, n° 458524)

 

210 - Travaux de construction – Réalisation irrégulière – Application de l’art. L. 480-1 du code de l’urbanisme – Démolition partielle ordonnée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’ordonnance de référé suspension qui juge créer un doute sérieux la circonstance qu’appliquant l’art. L. 480-1 c. urb., le maire d’une commune ordonne la démolition partielle du mur de clôture d’un poulailler.

Cette décision n’allait pas de soi car la déclaration de travaux portait sur un mur maçonné enduit de 25 centimètres de hauteur, percé en partie basse de passages pour laisser la libre circulation des animaux sauvages et surmonté d'un grillage à larges mailles de 1,55 mètre de haut et qu’il a été constaté qu’en réalité avait été construit sur cette base un mur plein de de deux mètres de haut. Le maire, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 481-1 précité, a ordonné la démolition partielle du mur. Pour juger cela possible, le juge de cassation recourt à la méthode de l’analyse des travaux préparatoires à l'adoption de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique dont sont issues les dispositions litigieuses. Il nous paraît que qui peut le plus pouvant le moins, la décision ordonnant la réduction à une hauteur de 25 centimètres d’un mur de deux mètres est possible dès lors qu’en aurait pu être ordonnée la démolition totale.

(22 décembre 2022, Commune de Villeneuve-lès-Maguelone, n° 463331)

 

211 - Permis de construire tacite – Retrait à la suite du recours administratif gracieux de tiers – Annulation contentieuse de la décision de retrait – Second recours administratif gracieux contre le permis initial – Absence de conservation du délai de recours contentieux – Annulation.

Le juge fait application, en matière de permis de construire, de la règle « recours administratif sur recours administratif ne vaut » selon laquelle la formation d’un second recours administratif gracieux contre la même décision ne conserve pas le délai du recours pour excès de pouvoir (Pour la décision de principe, voir : 27 février 1935, Séguéla et autres, n° 28348 et n° 28557, Recueil Lebon p. 249 ; voir aussi :  3 février 1975, Caron, n° 92308, Recueil Lebon p. 83 ; 11 mars 2009, A., n° 294765, Recueil Lebon aux Tables, p. 635, 881).

Toutefois le cas de l’espèce pouvait faire hésiter quant à la solution à retenir.

Un pétitionnaire se voit accorder un permis de construire tacite le 3 juin 2017 que conteste le recours administratif gracieux de tiers, ceci entraînant le retrait par le maire, le 4 septembre 2017, du permis tacite litigieux. Sur recours du bénéficiaire du permis ce retrait est annulé par le juge le 19 juin 2020. Les tiers forment le 7 septembre 2020 un nouveau recours gracieux contre le permis, puis saisissent le juge des référés le 5 novembre 2020, qui suspend l’exécution du permis de construire.

Le Conseil d’État est très logiquement à la cassation de l’ordonnance.

L’annulation, le 19 juin 2020, du retrait du permis de construire tacite, a eu pour effet de le faire revivre à compter de cette date. Si les intéressés disposaient alors de deux mois pour saisir le juge d’un recours contentieux, en revanche ils ne disposaient plus de la faculté de former un second recours gracieux le 7 septembre de sorte que le juge des référés, en écartant la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête enregistrée le 5 novembre 2020, a commis une erreur de droit.

(28 décembre 2022, M. C., n° 447875)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juin 2022

Juin 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Détermination des documents ayant cette nature - Correspondances (courriels) entre le maire et des élus municipaux relatives à des affaires soumises à délibération du conseil municipal - Distinction à opérer - Annulation.

Les échanges de correspondances (ici des courriels) entre un maire et des élus municipaux portant sur des sujets faisant l'objet de délibérations du conseil municipal ne sont communicables que si elles sont reçues ou adressées dans le cadre des fonctions exercées au nom de la commune, par le maire, ses adjoints ou les membres du conseil municipal auxquels le maire a délégué une partie de ses fonctions. Tel n'est pas le cas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, des correspondances des élus locaux exprimant, notamment, des positions personnelles ou des positions prises dans le cadre du libre exercice de leur mandat électif car en ce cas elles ne peuvent nullement être regardées comme émanant de la commune.

La solution, d’application assez aisée, doit être approuvée.

(3 juin 2022, Commune d'Arvillard, n° 452218)

 

2 - Plateforme gouvernementale d'information sur internet - Refus d'un ministre de retirer de cette plateforme des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort d'un recours contre ce refus - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le refus d'un ministre de retirer d'une plateforme gouvernementale d'information sur internet des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites étant une décision ne présentant pas un caractère réglementaire, le recours dirigé contre ce refus ne peut être porté en premier ressort devant le Conseil d'État (cf. art. R. 311-1 CJA).

Ce dernier renvoie donc l'affaire au tribunal administratif de Paris.

(3 juin 2022, Association "Pornostop", n° 453794)

(3) V. aussi, la solution retenue à propos d'un recours dirigé contre la décision du ministre de l'intérieur d'interdire la vente aux mineurs, la publicité et l'exposition à la vue au public de l'ouvrage "Apprendre le Tawhid aux enfants", prise sur le fondement de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : 3 juin 2022, Société Authenticia, n° 457453.

(4) V. également, rejetant comme ne relevant pas de la compétence directe du Conseil d'État un recours dirigé contre un acte non réglementaire, en l'espèce l'arrêté portant agrément d'une société en tant qu'éco-organisme de la filière à responsabilité élargie du producteur des huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles, tel que défini par l'article R. 543-3 du code de l'environnement : ord. réf. 9 juin 2022, Chambre syndicale du reraffinage et Société Compagnie française Eco-huile, n° 463769

 

5 - Décision individuelle dont l'octroi serait créateur de droit - Décision ne relevant manifestement pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État - Rejet.

Est manifestement irrecevable en tant qu'il est porté devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort, le recours tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail, une telle mesure constitue, en effet, une décision individuelle créatrice de droits.

(7 juin 2022, M. B., 464569)

(6) V. aussi, la solution identique retenue pour rejeter la demande de suspension de la décision de la commune de Niort procédant au retrait de l'autorisation de stationnement dont l'intéressé bénéficiait sur le territoire de la commune : 8 juin 2022, M. A., n° 464722.

 

7 - Acte de gouvernement - Refus du pouvoir exécutif de soumettre un projet de loi au parlement - Invocation sans effet de l'existence d'engagements internationaux de la France - Rejet.

L'association requérante avait demandé, en vain, au Ppemier ministre de permettre aux commerçants-artisans de pouvoir ester en justice contre les autorisations de construire de plus de 1000 m2 de surface de vente non soumis à autorisation d'exploitation commerciale. Elle a saisi le juge d'une demande d'injonction aux autorités compétentes de procéder, par la loi, à cette modification.

La réponse contenue dans la présente décision réitère une solution constante et classique : le refus du pouvoir excutif de déposer un projet de loi devant le parlement constitue un acte de gouvernement car il concerne les relations entre des pouvoirs publics constitutionnels. Il est précisé, en outre, ici, que cette solution jurisprudentielle n'est en rien affectée par la circonstance, comme en l'espèce, que la requérante invoque au soutien de sa requête les engagements internationaux de la France. Irrecevable, la demande principale est ainsi rejetée tout comme le sont, pour le même motif et par voie de conséquence, les demandes accessoires à celle-ci.

(15 juin 2022, Association En toute franchise région PACA, n° 447544)

 

8 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

Est illégal un tableau d'avancement de professeurs de lycée professionnel établi sur la base d'une note de service prise par un recteur d'académie et fixant des critères d'attribution de points dès lors que, comportant des mesures de nature statutaire et ajoutant à un décret, cette note est entachée d'incompétence et donc illégale.

Doit être annulé l'arrêt d'appel qui omet de relever d'office une telle irrégularité.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

 

9 - Obligation légale non respectée – Invocation d’une circonstance de force majeure – Situation non prévue par un texte – Rejet de l’exception – Erreur de droit – Annulation.

La requérante, pour justifier que le total de ses absences hors de Polynésie française a excédé le plafond de 90 jours fixé par  l'article 137 de loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 pour les bénéficiaires de l’indemnité temporaire de retraite résidents de Polynésie française, invoquait l’exception de force majeure.

Pour rejeter sa demande le tribunal administratif retient qu’elle ne pouvait utilement se prévaloir d'un cas de force majeure non prévu par un texte.

Ce jugeant il commettait une erreur de droit car ainsi que le rappelle le Conseil d’État : « Un requérant peut utilement se prévaloir d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer du respect d'une obligation légale, alors même que la loi ne réserve pas le cas de la force majeure. »

La force majeure n’est ni une règle ni un principe mais est inhérente – comme la respiration - à la nature des choses car « à l’impossible nul n’est tenu ».

(28 juin 2022, Mme A., n° 452627)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

10 - Administration numérique - Obligation de recourir à un téléservice pour accomplir une démarche administrative - Obligation sans effet sur les conditions légales  de délivrance des actes et autorisations - Exigence d'exercice effectif des droits des administrés et d'accès normal des usagers au service - Cas particuliers des étrangers et des porteurs de handicaps - Nécessité de prévoir des solutions de substitution - Illégalité de l'absence de telles solutions - Annulations partielles.

Etait en cause ici le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour qui modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour ainsi que son arrêté d'application. 

Le Conseil d’État, dépassant le strict cadre du litige concret dont il était saisi fournit une réponse en même temps qu'un mode d'emploi complet du recours obligatoire au téléservice.

En principe, l'institution d'une obligation d'user du téléservice pour effectuer une démarche administrative et notamment obtenir une autorisation est légale dès lors qu'elle ne modifie pas les conditions existantes de délivrance des actes et ne concerne pas les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi. 

Cependant, il incombe aux pouvoirs publics d'assurer l'accès des individus aux systèmes de téléservice en vertu des dispositions de l'art. L. 112-9 du code des relations du public avec l'administration. Si les administrés ont le droit mais non l'obligation d'user du téléservice, le pouvoir réglementaire peut instituer une obligation d'accomplir des démarches administratives au moyen d'un téléservice. En soi, cette exigence ne contrevient pas aux divers droits ou principes invoqués par les demandeurs (principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant le service public et de continuité du service public, droit à la compensation du handicap, principe de non-discrimination et autres droits garantis par la Convention EDH, etc.).

Enfin, il incombe toutefois au pouvoir réglementaire de n'édicter une « telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement. »

Appliquant cette ligne générale d'interprétation et de conciliation au cas de l'espèce, le Conseil d'État annule le décret du 24 mars 2021 en tant qu'il ne prévoit pas de solution de substitution à la procédure de téléservice et l'arrêté du 27 avril 2021, en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

Non seulement ces annulations impliquent pour le ministre l'édiction d'une réglementation complémentaire mais encore, dans l'attente de son entrée en vigueur effective, il est fait obligation à l'autorité administrative, si un étranger venait à se trouver confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité. 

(Section, 3 juin 2022, Conseil national des barreaux, n° 452798 et 454716 ; La Cimade et autres, n° 452806, jonction)

(11) V. aussi, du même jour, l'important avis rendu par une décision de Section (le fait est notable) en réponse à des demandes d'avis des tribunaux administratifs de Montreuil et de Versailles portant sur l'étendue de la notion de téléservice (demande de rendez-vous, courriel à une administration via une adresse internet dédiée), sa nature ou non de traitement automatisé de données à caractère personnel, enfin, son caractère détachable ou non de la procédure de demande d'actes (ici de titres de séjour) : Avis, Section, 3 juin 2022, La Cimade et autres, n° 461694 et n° 461695 ; La Cimade et autres, n° 461922, jonction.

 

12 - Sanction infligée par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Personne ayant intérêt à contester cette sanction - Rejet.

Le Conseil d'État rejette - pour défaut d'intérêt - le recours de la société requérante qui était dirigé contre une sanction infligée par l'ARCEP à la société Free Caraïbes et tendait, d'une part, à l'annulation d’une sanction infligée par l'ARCEP à cette dernière société, et d'autre part, à la substitution à cette décision de sanction d'une autre décision aggravant la précédente.

En effet, lorsque l'ARCEP a décidé de mettre en demeure un exploitant, un fournisseur ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil, de se conformer dans un délai déterminé aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à son activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre, seule la personne qui fait l'objet de cette mise en demeure a intérêt à la contester, quelle qu'en soit la teneur. 

La solution peut se discuter : un exploitant de réseau, un fournisseur de services ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil semble légitime à contester une sanction visant un tiers lorsque cette sanction, du fait de son irrespect de textes ou principes  ou de son insuffisance ou de son incomplétude, lui cause un préjudice ou l'aggrave. Sinon il lui faut quitter le terrain de l'excès de pouvoir, ou du contentieux de l'annulation, pour se porter sur celui du plein contentieux, ici celui de la responsabilité.

A l'inverse, on peut présenter cette solution comme manifestant la vigueur persistante de la distinction des contentieux que l'on sait être sérieusement discutée au sein même du Conseil d'État notamment.

(21 juin 2022, Société Outremer Télécom, n° 453266)

(13) V. aussi, admettant la recevabilité du recours de la même société dirigé contre la même partie adverse mais le rejetant au fond en tant qu'il visait à l'annulation de la décision de l'ARCEP ayant renoncé à demander une modification de l'accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre les sociétés Digicel French Caribbean et Free Caraïbe et à ce que le juge administratif enjoigne à l'ARCEP d'adopter, dans un certain délai, une décision visant à la modification de cet accord afin d'assurer le respect des objectifs de la régulation et des obligations souscrites par les parties dans le cadre de leurs autorisations de fréquences : 21 juin 2022, Société Outremer Télécoms, n° 453528.

 

14 - Loi du 6 janvier 1978 (dite informatique et libertés), art. 82 – Manquements à cette disposition – Sanction pécuniaire infligée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Invocation d’irrégularités, d’illégalités et d’inconventionnalités diverses – Rejet.

Condamnée à 35 millions d’euros de pénalité assortis d’une injonction sous astreinte et d’une publication de la décision, la société requérante invoque de nombreux griefs, tous rejetés, comme aussi sa demande de renvoi de huit questions préjudicielles à la CJUE.

 

I - Tout d’abord il est jugé que la CNIL était compétente pour prendre la décision querellée sans que puisse être invoquée à l’encontre de cette compétence l'absence d’application du mécanisme du « guichet unique » défini à l'article 56 RGPD, s’agissant de traitements transfrontaliers. Les mesures de mise en œuvre et de contrôle de la directive du 12 juillet 2002 ne relèvent que de la compétence des autorités nationales de contrôle en vertu de l'article 15 bis de cette directive.

Par suite, pour ce qui concerne le contrôle, au regard des dispositions ayant transposé les objectifs de la directive précitée, des opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs en France d'un service de communications électroniques, même procédant d'un traitement transfrontalier, le mécanisme du « guichet unique » ne s'applique pas. La CNIL, qui n’a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits ni ne s’est méprise sur le champ des opérations soumises à son contrôle, ne saurait, non plus, se voir reprocher de n’avoir pas mis en œuvre le mécanisme du « guichet unique » prévu par le RGPD.

II - Ensuite, concernant l’art. 3 de la loi de 1978, la requérante met en cause sa compatibilité avec le droit de l’Union. Le Conseil d’État livre d’abord ex-ante son interprétation de l’article 3, examine ensuite sa compatibilité et, enfin, ex-post, vérifie son application à l’espèce.

Le Conseil d’État estime que cette disposition qui , en son I, déclare s’appliquer « aux traitements des données à caractère personnel effectués dans le cadre des activités d'un établissement d'un responsable du traitement ou d'un sous-traitant sur le territoire français, que le traitement ait lieu ou non en France », s’applique donc sans préjudice, en ce qui concerne les traitements entrant dans le champ du RGPD, des critères prévus par les paragraphes 2 et 3 de l'article 3 de ce règlement. Au reste, il découle de la jurisprudence européenne (CJUE, 5 juin 2018, Unabhängiges Landeszentrum für Datenschutz Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie Schleswig-Holstein GmbH, aff. C-210/16) y compris celle forgée sur le I de l’art. 3 du RGPD (CJUE 15 juin 2021, Facebook Ireland Ltd e.a., aff. C-645/19) qu'au vu de l'objectif poursuivi par cette directive et par ce règlement, consistant à assurer une protection efficace et complète des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment du droit à la protection de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, un traitement de données à caractère personnel peut être regardé comme effectué « dans le cadre des activités » d'un établissement national non seulement si cet établissement intervient lui-même dans la mise en œuvre de ce traitement, mais aussi dans le cas où ce dernier se borne à assurer, sur le territoire d'un État membre, la promotion et la vente d'espaces publicitaires permettant de rentabiliser les services offerts par le responsable d'un traitement consistant à collecter des données à caractère personnel par le biais de traceurs de connexion installés sur les terminaux des visiteurs d'un site.

L’art. 82 de la loi de 1978 s'applique aux opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs d'un service de communications électroniques en France lorsque le responsable de ce traitement y dispose d'un établissement et que ce traitement est effectué dans le cadre des activités de cet établissement. Pas davantage la directive de 2002 ne fait obstacle à ce que la CNIL, autorité nationale compétente en France, sanctionne ce responsable en cas de manquements aux dispositions de cet article 82 commis au préjudice de ces utilisateurs. 

Au reste, cet article, qui vise à garantir l'effectivité des dispositions de la directive de 2002 et à assurer une protection efficace des libertés et des droits fondamentaux des utilisateurs des terminaux concernés en France, s'applique quel que soit le lieu de l'établissement principal de ce responsable : l’art. 82 ne saurait en tout état de cause constituer une entrave à la libre prestation de services prohibée par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pas davantage qu'une entrave à la liberté d'établissement interdite par l'article 49 du même traité. Les dispositions de la directive de 2002, en ce qu'elles ne font pas obstacle à une telle législation, ne sont pas davantage de nature à constituer une telle entrave.

Enfin, il est établi par l’instruction qu’à la date de la décision de la CNIL attaquée la société Amazon Online France, dont il n'est pas contesté qu'elle constitue un établissement de la société Amazon Europe Core en France, exerçait une activité de promotion et de commercialisation d'outils publicitaires contrôlés et exploités par la société Amazon Europe Core, fonctionnant notamment grâce aux données collectées par le biais des traceurs de connexion déposés sur les terminaux des utilisateurs du site « amazon.fr » en France. Ainsi, la formation restreinte de la CNIL a fait une exacte application des dispositions de cet article 3 en déduisant de ces éléments que le traitement de données mis en œuvre par la société Amazon Europe Core était effectué dans le cadre des activités de son établissement Amazon Online France situé en France, au sens de l'article 3 de la loi du 6 janvier 1978 et n'a donc pas, contrairement à ce qui est soutenu, insuffisamment motivé sa décision sur ce point.

III – La procédure suivie et au terme de laquelle a été prise la décision de sanction critiquée a été en tous points régulière. La société requérante ne peut sérieusement soutenir :

- d'une part, qu'elle n'a pas été suffisamment informée du champ des contrôles effectués et des faits ayant fondé la sanction,

- et, d'autre part, que la mention du RGPD dans ces documents l'aurait induite en erreur, alors surtout que le consentement requis par l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 est défini par le RGPD, conformément aux dispositions du f) de l'article 2 de la directive de 2002. 

La requérante ne saurait davantage soutenir que l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de répondre à une demande d'information des services de la CNIL à une date à laquelle un rapporteur avait été désigné, sans qu'elle en soit encore informée, aurait caractérisé une violation de son droit à ne pas s'auto-incriminer et, alors qu’elle a bénéficié au total d'un délai de six mois pour présenter sa défense, que la procédure serait à ce titre irrégulière.

Semblablement, la société requérante n'est pas fondée à soutenir, alors même que le procès-verbal du contrôle en ligne effectué le 19 mai 2020 par les services de la CNIL ne mentionne pas qu'il a été demandé par le rapporteur, que la procédure aurait été conduite en méconnaissance de l'article 39 du décret du 29 mai 2019.

IV – Aucune violation de l’art. 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE n’est ici en cause contrairement à ce qui est allégué. Ne saurait être retenue l’affirmation par la requérante qu'en engageant une procédure de contrôle et de sanction portant sur la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel qui faisaient déjà l'objet de poursuites de la part de l'autorité luxembourgeoise de protection des données à raison des mêmes faits, la formation restreinte de la CNIL a méconnu le principe, tel que garanti par l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon lequel une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites à raison des mêmes faits. En effet, ce principe ne s’applique, conformément à l’interprétation qu’a donné de cet art. 50 la CJUE (26 février 2013, Aklagaren c/ Akerberg Fransson, aff. C-617/10 ; 3 avril 2019, Powszechny Zaklad Ubezpieczen na Zycie SA, aff. C-617/17 ;  22 mars 2022, bpost SA c/ Autorité belge de la concurrence, aff. C-117/20) que lorsqu'une procédure à caractère pénal, au sens de ces dispositions, est définitivement close, notamment lorsqu'une sanction pénale est devenue définitive, ce qui suppose qu'une décision a été rendue à la suite d'une appréciation portant sur le fond de l'affaire et n'est plus susceptible de recours, que ces dispositions s'opposent à ce que des poursuites de nature pénale pour la même infraction soient par la suite diligentées contre une même personne et, le cas échéant, qu'une sanction à caractère pénal soit prononcée. 

Tel n’est, bien évidemment, pas le cas de la société requérante en l’état.

V - Enfin, le recours est rejeté également sur deux autres points.

D’abord, la caractérisation du manquement à l’art. 82 en matière de « cookies » est certaine car ainsi que le relève la CNIL « d'une part, quel que soit le parcours de l'utilisateur - que celui-ci se rende directement sur le site « amazon.fr » ou qu'il se rende sur une page « produit » du site via une annonce -, plus de quarante « cookies » poursuivant une finalité publicitaire étaient déposés sur le terminal de l'utilisateur préalablement à toute action de sa part et que, d'autre part, l'information délivrée par la société s'agissant des opérations d'accès ou d'inscription des « cookies » était soit incomplète, soit inexistante ». Vainement, est invoqué le caractère non clair et stabilisé du cadre juridique applicable aux traceurs de connexion car c’est le II de l’art. 32 de la loi de 1978 qui posait déjà le principe d'un consentement préalable au dépôt des « cookies », celui d'une information claire et complète de l'utilisateur, ainsi que d'un droit d'opposition. 

Ensuite, la sanction infligée n’est en rien disproportionnée compte tenu de la gravité des manquements commis, des avantages obtenus par la société grâce à ces manquements et du chiffre d'affaires annuel mondial de la société Amazon Europe Core sur lequel la CNIL s'est fondée, estimé à 7,7 milliards d'euros.

La sanction porte donc sur 0,0045 % de ce dernier chiffre.

Beaucoup de contribuables français en infraction souhaiteraient être traités avec une aussi incommensurable mansuétude.

(27 juin 2022, Société Amazon Europe Core, n° 451423)

 

15 - Traitement de données de santé – Passage du système « StopCovid » au système « TousAntiCovid » - Respect de la vie privée – Exigences s’imposant aux traitements de données personnelles – Double enregistrement de données sur un serveur distinct – Finalité légitime – Traitement adéquat et proportionné au regard de ces finalités – Rejet.

L’association requérante contestait la légalité du décret du 12 février 2021 modifiant le décret du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid ».

Le recours est rejeté.

 

L’association soutenait tout d’abord, pour l’essentiel, que la mise en place, par le décret attaqué, d'une localisation par « QR-code » des personnes physiques est insuffisamment encadrée en ce qui concerne des lieux pouvant révéler des données sensibles et qu'une identification des personnes est possible à partir de l'enregistrement des lieux qu'elles ont fréquentés.

Le moyen est rejeté en premier lieu car la nouvelle fonctionnalité introduite dans l'application n'autorise pas la mise en œuvre d'un suivi des déplacements de l'utilisateur mais se borne à permettre l'enregistrement, à partir de protocoles différents et sur un serveur distinct et séparé de celui permettant le suivi des contacts, de données permettant d'informer les utilisateurs qu'ils ont fréquenté un lieu où se trouvait pendant la même période de temps une personne dépistée positive à la Covid-19. Il est rejeté en second lieu car le décret prévoit que ces données sont conservées sur le serveur central et sur le téléphone de l'utilisateur pendant quinze jours à compter de leur enregistrement sur ce téléphone et que l'utilisateur a la possibilité, depuis son terminal, de supprimer de son historique tout lieu visité.

Le juge en déduit que le risque d'identification indirecte susceptible de résulter de l'enregistrement de ces lieux sur le serveur, même dans le cas de personnes ayant eu un très faible nombre de contacts ou ayant fréquenté des lieux où se trouvaient un faible nombre de personnes au cours de la même période, est particulièrement limité.

 

La requérante contestait ensuite le décret litigieux en ce qu’il autoriserait un double enregistrement de données sur des serveurs distincts et sans que cela apparaisse nécessaire et efficace au vu des finalités poursuivies. Le moyen ne convainc pas le juge pour qui l'introduction de la nouvelle fonctionnalité d'enregistrement des visites par l'utilisateur de certains lieux ouverts au public est utile pour lutter plus efficacement contre l'épidémie de Covid-19 et l'existence de deux serveurs distincts sans possibilité de communication de l'un à l'autre constitue une garantie pour limiter les atteintes à la vie privée et protéger les données. 

(27 juin 2022, Association Dataring, n° 451655)

 

Biens

 

16 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Mise en demeure de se mettre en conformité - Mise en demeure constituant un acte sans effets juridiques - Impossibilité de la contester par voie de recours contentieux - Nécessité de recourir à la procédure d'établissement d'une contravention de grande voirie puis, le cas échéant, d'en assurer l'exécution forcée - Rejet.

Rappel d'un aspect du droit domanial souvent négligé tant par les administrations que par les occupants de certaines dépendances du domaine public naturel : la procédure de contravention de grande voirie est ici la seule procédure permettant d'exiger d'un occupant irrégulier de ce domaine l'exécution des mesures prescrites en vue de sa remise en état.

Une simple mise en demeure, même circonstanciée, précise et fixant un délai, est toujours impuissante à obtenir un tel résultat car elle dépourvue d'effets juridiques propres. D'où cette conséquence logique qu'une telle mise en demeure ne saurait être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir faute qu'elle revête le caractère d'une décision.

(14 juin 2022, Société anonyme immobilière de la Pointe du Cap Martin, n° 455050)

 

Collectivités territoriales

 

17 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

L'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable jusqu'à son abrogation par la loi du 6 août 2019, disposait notamment : « Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 sont fixées par la collectivité ou l'établissement, dans les limites applicables aux agents de l'État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. (...)

Les régimes de travail mis en place antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale peuvent être maintenus en application par décision expresse de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement prise après avis du comité social territorial, sauf s'ils comportent des dispositions contraires aux garanties minimales applicables en matière de durée et d'aménagement du temps de travail ».

L'art. 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique  dispose désormais en son I. :

« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d'un délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition. » (...)

Les communes requérantes soutenaient que ces dernières dispositions portent à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d'intérêt général.

Convaincu de ce que la question peut être regardée comme nouvelle, le Conseil d'État en accepte la transmission.

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Conditions de forme - Absence d'information du maire - Démission inexistante - Rejet.

L'art. L. 2121-4 du CGCT impose que la démission d'un membre du conseil municipal soit adressée au maire. En l'absence de la preuve d'une telle information ne peut être réputé démissionnaire le membre du conseil municipal qui se prétend tel.

(3 juin 2022, M. J. et M. d'Aldéguier, Élections municipales de la commune de Montesquieu-Lauragais, n° 461722)

 

19 - Obligation d’un taux minimum de logements locatifs sociaux – Taux cible ramené à 20% en certains cas – Décret fixant les valeurs des ratios de calcul – Contestation – Rejet.

Le I de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation impose aux communes dont la population atteint un certain seuil de population et qui sont englobées dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants d'atteindre, au plus tard en 2025, un taux de 25 % de logements locatifs sociaux en regard des résidences principales.

Le II de cet article institue une dérogation à ce taux, réduit à 20%, dans deux hypothèses. En premier lieu, lorsque le parc de logements existant ne justifie pas un effort de production supplémentaire pour répondre à la demande et aux capacités à se loger des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées. En second lieu, pour les communes de plus de 15 000 habitants dont le nombre d'habitants a crû dans des conditions et sur une durée fixées par décret et qui n'appartiennent pas à une agglomération ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comportant une commune de plus de 15 000 habitants, lorsque leur parc de logements existant justifie un effort de production pour répondre à la demande des personnes concernées.

En conséquence, un décret fixe, au début de chacune des périodes triennales, la liste des agglomérations ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, dans lequel s’applique ce taux cible de 20% de logements locatifs sociaux.

Le décret du 6 août 2020 fixe, pour la période triennale 2020-2022, les valeurs des ratios permettant de déterminer la liste des agglomérations, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes mentionnés au II de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation et détermine la liste des communes bénéficiant d'un taux cible dérogatoire de 20 % de logements locatifs sociaux en regard du nombre de résidences principales, en fonction de la moyenne arithmétique sur les trois dernières années du rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels hors mutations internes dans le parc locatif social de la collectivité concernée.

La commune de Montauban et la communauté d'agglomération du Grand Montauban demandent au Conseil d’État l’annulation de ce décret pour excès de pouvoir en tant qu’elles ne figurent pas au nombre des collectivités mentionnées sur la liste établie par le décret précité.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, les requérantes ne sauraient exciper de l’illégalité du décret du 27 juin 2019 sur la base duquel a été pris le décret attaqué du 6 août 2020. En effet, le décret de 2019 a modifié les modalités de calcul du ratio servant de base à la détermination du taux d'obligation de logements locatifs sociaux, en disposant que ce dernier est désormais calculé à partir de la moyenne arithmétique, sur les trois dernières années de référence, entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. En retenant cette modalité de calcul en lieu et place de la précédente qui consistait en un calcul du même ratio à une date fixe, le pouvoir règlementaire a entendu améliorer la prévisibilité des obligations incombant aux collectivités concernées en lissant les variations ponctuelles du ratio occasionnées par des modifications non structurelles sur le parc locatif et n'a pas méconnu les objectifs fixés par le législateur. Si la modalité de calcul choisie se fonde sur une moyenne arithmétique sur trois ans du ratio précité, cette moyenne demeure fondée sur le rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social de la collectivité en cause. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, le décret attaqué, en fixant, pour pouvoir bénéficier de la dérogation au taux de 25 % de logements locatifs sociaux, des taux de pression distincts en fonction de la situation des collectivités concernées au regard de la taxe sur les logements vacants ou du statut de commune dite isolée, a apporté un traitement différent à des communes placées dans des situations différentes, en fonction de critères objectifs et rationnels, assis sur les caractéristiques démographiques et géographiques et sur le degré de tension sur l'accès au logement constaté dans ces collectivités, en rapport avec l'objectif de la règlementation mise en œuvre. Ainsi, le décret attaqué ne méconnaît pas le principe d'égalité.

Egalement, le Conseil d’État croit pouvoir rejeter le moyen tiré de ce que la Cour des comptes, dans son rapport annuel de février 2020, a dénoncé l'existence de lacunes statistiques dans le cadre de l'exploitation des données provenant du système national d'enregistrement, prévu par l'article L. 441-2-1 du code de la construction et de l'habitation, pour l'établissement du ratio entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. Il considère que cette circonstance « n'est pas par elle-même de nature (…) à rendre illégales les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa du II et du deuxième alinéa du III de l'article R. 302-14 du code de la construction et de l'habitation qui prévoient le recours à des extractions de données provenant de ce système pour l'établissement de ce ratio ». On peut trouver l’argumentation plus expédiente (ne pas contraindre l’administration à de longs et fastidieux et di

fficiles nouveaux calculs) que convaincante car c’est bien le vice intrinsèque résultant de données lacunaires qui est, par lui-même, le cas échéant, de nature à miner l’entier système normatif fondé sur lesdites données.

Pas davantage n’est retenu le moyen, corrélé au précédent, que cette non fiabilité des chiffres a engendré la non inclusion des collectivités requérantes sur  la liste de celles relevant du taux cible de 20%. Le juge a beau jeu, mais c’est un sophisme ici, de dire que cette argumentation « n’est au demeurant pas appuyée sur un constat précis » : comment exiger un tel constat alors que la base de ce constat, estimée lacunaire, n’est par hypothèse, pas discutable ?

C’est une illustration remarquable de la théorie de l’impossibilité de rapporter la preuve exigée.

Enfin, la circonstance d’une pandémie justifie que le décret litigieux n’ait pas été publié au début de la période triennale comme exigé par les textes mais seulement au mois d’août 2020 : l’excuse épidémique a bon dos, celle-ci ayant débuté en fin du premier semestre 2020 or trois mois contenaient bien « le début de la période triennale »…

(24 juin 2022, Commune de Montauban et communauté d'agglomération du Grand Montauban, n° 445183)

 

Contrats

 

20 - Concession - Dépôt d'une candidature par voie électronique - Candidature rejetée pour cause de tardiveté - Candidat justifiant de ses diligences pour effectuer le téléchargement de sa candidature et du fonctionnement normal de son équipement informatique - Rejet.

La solution retenue est ici applicable à une procédure contractuelle mais elle est transposable mutatis mutandis à toute procédure comportant une nécessité de téléchargement. Elle est au reste parfaitement justifiée.

La candidature d'une société à une concession a été rejetée pour cause de tardiveté dans sa réception or celle-ci soutient avoir effectué les diligences nécessaires en vue du téléchargement et disposer d'un matériel informatique en état de fonctionnement normal.

Le recours est rejeté car si l'un des deux liens hypertextes indiqués par la collectivité ne permettait pas le téléchargement d'une candidature, l'autre lien, également mentionné dans le règlement de la consultation, fonctionnait correctement et avait d'ailleurs permis la remise en temps utile de plusieurs candidatures. 

(3 juin 2022, Société Saur, n° 461899)

 

21 - Contentieux contractuel - Accord cadre portant sur un lot de transport d'élèves et d'étudiants  handicapés - Lot  divisé en circuits attribués par répartition entre trois sociétés - Décision de la collectivité de ne pas reconduire cet accord cadre avec l'une des sociétés - Demande d'annulation des accords subséquents - Ordonnance de référé annulant l'accord cadre - Annulation pour avoir statué ultra petita - Action en réalité irrecevable – Rejet.

Une collectivité territoriale, a conclu un accord cadre portant sur un lot ayant pour objet le transport scolaire pour élèves et étudiants en situation de handicap, les dix circuits de transports étant répartis entre trois sociétés par marché d'une durée d'un an renouvelable trois fois. A l'expiration de la première année, la collectivité informe l'une de ces sociétés qu'elle ne reconduira pas l'accord cadre avec elle. En conséquence, cette dernière n'est pas consultée lors de l'attribution des marchés subséquents. Elle saisit le juge du référé d'une action en annulation desdits marchés ou, subsidiairement, à ce qu'il ordonne l'une des mesures alternatives prévues à l'art. L. 551-19 du CJA. Ce juge annule l'accord cadre.

Le Conseil d'État casse l'ordonnance pour avoir statué ultra petita puisque le requérant n'a demandé que l'annulation des marchés subséquents non l'annulation de l'accord cadre sur la base duquel ils ont été passés.

Réglant le litige au fond, le Conseil d'État relève d'office l'irrecevabilité de la demande formée devant le juge des référés car le demandeur n'a ni sollicité la suspension de la décision de mettre fin à ses relations contractuelles avec la collectivité Alsace ni, non plus, saisi le juge d'une action en reprise des relations contractuelles. Partant, il n'était plus titulaire de cet accord cadre et, partant, il se trouvait sans intérêt pour contester les marchés pris pour son exécution.

(3 juin 2022, Collectivité européenne d'Alsace venant aux droits du département du Bas-Rhin, n° 462256)

 

22 - Marché à prix global et forfaitaire - Régime des sujétions imprévues - Régime des travaux supplémentaires - Indemnisation aux conditions habituelles - Annulation partielle.

Double rappel de ce que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire son titulaire a droit à être indemnisé  :

1° des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c'est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du marché ;

2° au titre de travaux supplémentaires effectués, que ceux-ci l'aient été même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ou que ceux-ci aient été utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande.

(10 juin 2022, Société VATP, n° 451334)

 

23 - Convention entre un médecin ne relevant pas du statut de praticien statutaire à temps plein - Conclusion d'une convention d'exercice libéral au sein d'un hôpital entre ce dernier et ce médecin - Fixation contractuelle du taux d'une redevance devant être versée à l'hôpital par le médecin - Taux illégal - Décision de l'hôpital mettant rétroactivement à la charge du médecin le paiement de la différence entre les deux taux, illégal ou légal - Illégalité de la décision en raison de sa rétroactivité - Nécessité de recourir au juge pour lui donner cette portée - Rejet.

Cette très intéressante décision donne l'occasion de rappeler les profondes différences séparant l'acte unilatéral du contrat en droit administratif. Même si sont reconnues d'importantes prérogatives à l'administration contractante, le contrat demeure un acte mettant d'abord en jeu des droits purement subjectifs qui viennent, en de nombreux cas, limiter les pouvoirs unilatéraux de l'administration. La présente affaire en constitue une excellente illustration.

Un médecin qui n'y exerce pas à plein temps mais seulement un jour et demi par semaine ainsi que des tours de garde et d'astreintes, conclut avec l'hôpital qui l'emploie, le 28 décembre 2009, une convention prévoyant notamment qu'il devra verser à ce dernier 16% sur les actes réalisés au titre de son activité libérale au sein de l'établissement. Les 11 juillet 2017, 20 septembre 2017 et 16 avril 2018, à la suite de divers actes, l'hôpital émet un titre exécutoire à portée rétroactive assis non sur le taux contractuel de 16% mais sur celui de 30% qui est, en effet, celui prévu par la réglementation (arrêté du 28 mars 2011). L'hôpital estime que la clause portant taux de 16%  est « nulle et non écrite ».

Mais un contrat n'est pas une décision unilatérale...

Tout d'abord, l'arrêt d'appel est annulé pour s'être fondé sur le fait que l'intéressé détenait des droits définitivement acquis en application de la décision individuelle dont il avait fait l'objet. Précisément, la théorie des droits acquis ne s'applique qu'aux actes unilatéraux et le praticien n'a jamais fait l'objet d'une « décision individuelle » puisque engagé dans une relation contractuelle.

Ensuite, la décision de l'hôpital ne pouvait pas rétroagir, elle est illégale et le juge de rappeler que si l'hôpital peut retenir le taux de 30% pour l'avenir puisqu'il s'impose aux parties contractantes, en revanche, sa rétroactivité de pouvait résulter que d'une décision de justice, ce qui aurait nécessité une saisine du juge administratif par l'hôpital. Ce n'a pas été le cas en l'espèce.

Ainsi se trouve pleinement confirmé le jugement du tribunal administratif de Bastia.

(13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453769)

(24) V., identique : 13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453770.

 

25 - Marchés publics - Manoeuvres dolosives - Annulation - Conséquences financières et contentieuses - Questions diverses - Annulations et rejets partiels - Désignation d'un expert pour le surplus.

Cette décision se situe dans un contexte contentieux d'ententes frauduleuses anticoncurrentielles entre sociétés lors de la réponse à des appels d'offres lancés par le département de Seine-Maritime qui a donné lieu à une cascade de décisions de justice. Ici, la requérante saisit le Conseil d'État d'un pourvoi dirigé contre l'arrêt qui, d'une part, n'a que partiellement fait droit à son appel s'agissant des conséquences financières de l'annulation des marchés tant en première instance qu'en appel et en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident du département.

Parmi les nombreuses questions à résoudre on en retiendra quatre : le régime contentieux et financier du dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, la détermination des dépenses utiles dont demeure créancier l'auteur des manoeuvres dolosives, les conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime, l'expertise du surplus des demandes.

I - Dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, régime contentieux et financier

Le Conseil d'État rappelle ainsi les règles applicables.

La personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l'annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif. 

Il suit de là qu'après annulation du contrat pour pratiques anticoncurrentielles leur auteur doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais qu'il peut cependant prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci. De ce chef, en cas d'annulation du contrat, la personne publique ne peut obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime puisque cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles. En revanche, cette collectivité peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant. 

II - Détermination du caractère de « dépenses utiles » dont est créancier l’auteur du dol

Il appartient au juge, au besoin par voie d'expertise, d'évaluer les dépenses qui ont été utiles à la personne publique et dont, en conséquence, l’auteur des manœuvres dolosives est créancier.

A cet égard, la prise en compte de toute marge bénéficiaire étant exclue, sont de telles dépenses celles qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration ainsi que la quote-part des frais généraux qui contribue à l'exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique.

En revanche, ne peuvent pas être regardés comme utilement exposés pour l'exécution du marché les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s'il s'agit d'un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant.

III - Conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime

 Sur ce point, le juge estime qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a elle-même le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance.

Toutefois, le juge admet que lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement. Or les conclusions d'une collectivité publique tendant à la réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles de son cocontractant doivent être regardées comme portant sur une créance qui trouve son origine dans un contrat.

Par suite, la société Lacroix City Saint-Herblain n'est pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées par le département de la Seine-Maritime devant le tribunal administratif seraient irrecevables.

Pour déterminer le préjudice qu'elle a estimé que le département de la Seine-Maritime avait subi en raison de l'indisponibilité des sommes payées indûment par celui-ci au titre du surprix des marchés annulés durant la période antérieure à la demande d'intérêts devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel a jugé qu'il y avait lieu de condamner la société Lacroix City Saint-Herblain au paiement d'une certaine somme correspondant, pour chacun des marchés, à l'application du taux d'intérêt légal aux sommes indisponibles depuis la fin de l'exécution des marchés.

Cependant, la cour a sur ce point insuffisamment motivé son arrêt car elle n'a indiqué ni les bases ni les modalités du calcul de ce montant, alors qu'elle s'écartait de la méthode proposée par le département de la Seine-Maritime. 

Au reste,  si le département de la Seine-Maritime soutient que le comportement dolosif de la société Lacroix City Saint-Herblain lui a causé un préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés jusqu'à la date de sa demande d'intérêts, le seul préjudice qu'il allègue avoir subi tient à l'impossibilité de se désendetter du montant correspondant. Ce préjudice n'étant pas indemnisable, le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions relatives à l'indemnisation du préjudice qu'il alléguait avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes d'argent correspondant au surcoût des marchés.

IV - Renvoi à une expertise

Sur l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain portant sur les restitutions consécutives à l'annulation du marché au titre des dépenses utiles, le juge relève que les méthodes préconisées tant par cette dernière que par le département pour établir le montant des dépenses qui ont été utiles à la personne publique souffrent, chacune, de défauts méthodologiques.

Aussi, l'état du dossier ne permettant pas au Conseil d'État d'apprécier le montant des dépenses engagées par la société pour l'exécution de ces marchés et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime, pas davantage que les effets de l'érosion monétaire jusqu'à la date du 26 mars 2015, à laquelle la demande du département a été enregistrée devant le tribunal administratif, sur les prix payés par le département au titre des marchés annulés et les dépenses utiles exposées par la société Lacroix City Saint-Herblain, avant de statuer, une expertise est ordonnée sur ces deux points avec mission à l'expert de concilier les parties si faire se peut à l'issue des opérations d'expertise.

(17 juin 2022, Société Lacroix City Saint-Herblain, n° 454189)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Action en référé - Intervention - Condition de recevabilité d'une intervention - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation et, devant le juge de cassation, des fédérations de parents d'élèves interviennent en défense aux côtés des parents demandeurs en première instance. Se posait ainsi la question de la recevabilité de leurs interventions.

Celles-ci sont jugées irrecevables car elles ne satisfont pas à la condition ainsi énoncée en termes de principe : « Eu égard à son caractère accessoire par rapport au litige principal, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable, lorsqu'elle est présentée à l'appui d'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale tenant à l'annulation de cette décision, à moins qu'il n'en ait par ailleurs lui-même directement demandé l'annulation. » Ici, faute que les intervenantes ne justifient ni même n'allèguent être intervenues devant le tribunal administratif en demande au soutien des requêtes à fin d'annulation présentées par les parents d'élèves ou avoir elles-mêmes demandé l'annulation pour excès de pouvoir des décisions en litige, leurs interventions en cassation sont irrecevables. 

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Sur un autre aspect de cette affaire, voir n° 198

 

27 - Référé liberté - Atteinte à une liberté fondamentale - Notion – Mutations d’enseignantes - Absence d’atteinte en l'espèce - Rejet.

Dans le cadre de référés liberté tendant à voir annulées des décisions de mutations d'enseignantes dans l'intérêt du service, le juge, amené à apprécier l'atteinte éventuelle à une liberté fondamentale, rappelle, d'une part, que la méconnaissance du droit d'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne à la communication de son dossier ne révèle pas, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du CJA, et d'autre part, que la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas non plus, par elle-même, une atteinte de cette nature faute, par exemple, que soit démontrée l'existence d'une volonté de discrimination.

(3 juin 2022, Mme B. et autres, n° 464259 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464262 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464279 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464285 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464288 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464294, six espèces)

 

28 - Demandes adressées à l'administration - Accusés de réception - Point de départ du délai de recours - Art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du CRPA - Absence de litige entre l'administration et l'un de ses agents - Tardiveté opposée - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le magistrat qui juge applicables à un litige relatif au versement de la moitié de la rente viagère d'invalidité dont peut bénéficier le conjoint d'un fonctionnaire en complément de la pension de réversion, les dispositions des art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations du public avec l'administration alors qu'un tel litige ne saurait être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents au sens de l'article L. 112-2 dudit code. Est donc annulée l'ordonnance rejetant la demande du requérant,  qui portait sur le versement de cette moitié de la rente d'invalidité, au motif qu'elle était irrecevable en raison de sa tardiveté.

(10 juin 2022, M. D., n° 458304)

 

29 - Refus d'autorisation d'exploiter une centrale électrique - Arrêt rejetant le recours - Conséquences difficilement réparables - Moyen sérieux - Sursis à l'exécution de l'arrêt accordé.

Dans un litige relatif au refus préfectoral d'accorder à la société requérante l'autorisation d'exploiter une centrale électrique sur le gave de Pau, le Conseil d'État ordonne le sursis à l'exécution de l'arrêt rejetant le recours dirigé contre ce refus au double motif des conséquences difficilement réparables de cette décision qui empêche l'exercice de l'unique activité de la société et de l'existence d'un moyen sérieux tiré de ce que la cour n'a pas répondu aux moyens par lesquels la société Suo énergie soutenait que le mécanisme des biens de retour était inapplicable en l'espèce.

(9 juin 2022, Société Suo énergie, n° 460176)

 

30 - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Demande d'allocation d'une provision sur une indemnité pour accident de service - Provision accordée - Portée de l'exigence de respect d'une procédure contradictoire - Admission par l'administration du caractère non sérieusement contestable de l'obligation à l'origine de l'octroi de la provision - Octroi de la provision et mise à la charge de l'État fondés - Rejet.

Une enseignante, sérieusement blessée par la chute d'un tableau de bois fixé à un mur de sa classe, a sollicité l'octroi d'une indemnité, à la suite d'une expertise évaluant son préjudice. Après que lui a été opposé un refus implicite de lui verser cette indemnisation, l'intéressée a saisi le juge des référés d'une demande de versement d'une provision. Cette dernière lui a été accordée et le ministre de l'éducation nationale conteste à la fois la mise à la charge de l'État et le montant de l'allocation provisionnelle.

On sait que l'octroi d'une provision suppose que la créance invoquée au soutien de la demande de référé provision ne soit pas « sérieusement contestable ».

Le Conseil d'État approuve d'abord l'ordonnance de référé d'avoir retenu que la rectrice de l'académie avait admis le caractère non contestable de l'obligation dont la requérante se prévalait au soutien de ses conclusions à fin de provision. On aura bien noté que ce qui est incontestable ici ce n'est pas la demande de provision mais l'obligation servant de source à la demande de provision.

Il approuve ensuite celle-ci d'avoir énoncé que, dans la mesure où la réparation des préjudices subis par la demanderesse est susceptible d'être mise à la charge de l'État même en l'absence de faute, l'obligation dont l'existence est invoquée par elle au soutien de ses conclusions afin de provision à la charge de l'État n'est pas sérieusement contestable, cette fois au sens de l'article R. 541-1 du CJA, sans qu'il ait eu à se prononcer dans cette instance sur une éventuelle faute de l'État.

(14 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 446406)

 

31 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins, alors même, qu'elle avait informé les parties que sa décision était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les griefs reprochés à la requérante portaient en partie sur des faits antérieurs au délai de prescription de trois ans prévu à l'article R. 145-22 du code de la sécurité sociale, a omis de faire apparaître dans sa décision retenant à l'encontre de celle-ci de nombreux manquements, soit la date à compter de laquelle la facturation des actes reprochés n'était pas atteinte par la prescription, de sorte que ces actes étaient susceptibles de poursuites disciplinaires, soit la date à laquelle les actes jugés par elle fautifs ont été facturés. Ce faisant, elle n'a pas permis au juge de cassation de contrôler le respect des règles de prescription d'où l'annulation de sa décision comme entachée d'insuffisance de motivation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

 

32 - Moyen relevé d'office par le juge - Moyen n'étant pas d'ordre public - Méconnaissance de l'office du juge et erreur de droit - Cassation.

Pour suspendre l'exécution d'une sanction disciplinaire infligée à un étudiant par son établissement, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER)  a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décisions disciplinaire qui lui était déférée. Or ce moyen, qui n'était pas d'ordre public et qui n'était pas invoqué par l'appelant, a été relevé d'office par le CNESER. Ce manquement à l'office du juge et l'erreur de droit qu'il comporte conduisent inévitablement à la cassation.

(14 juin 2022, M. B., n° 441516)

 

33 - Régularité des décisions de justice - Contradiction entre les motifs d'une décision de justice et son dispositif - Annulation.

Rappel de ce que l'existence d'une contradiction entre les motifs (ici  d'un arrêt d'appel) et le dispositif d'une décision de justice entraîne toujours son annulation. En l'espèce, alors que l'arrêt, dans ses motifs, met une indemnisation à la charge d’une commune, dans un article de son dispositif il la met à la charge de l'État.

(15 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 458622)

 

34 - Régularité des décisions de justice - Litige n'entrant pas dans les cas de dispense du prononcé des conclusions par un rapporteur - Absence de preuve de l'existence de telles conclusions - Annulation.

Dans un litige portant sur le refus d'un premier président de cour d'appel d'ordonner la communication de documents administratifs, le Conseil d'État rappelle que le rapporteur public n'est dispensé de prononcer des conclusions qu'en certaines matières et que dans les autres, faute qu'existe dans le jugement ou l'arrêt, un élément établissant ce prononcé, la décision est irrégulière et doit être annulée.

(17 juin 2022, Société Sarlu, Agence Funeraire Lyonnaise Pompes Funèbres Viollet, n° 452459)

 

35 - Régularité des décisions de justice - Non convocation de la demanderesse à l'audience - Annulation.

Est rendu dans des conditions irrégulières entraînant sa cassation, le jugement dont aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond ni la fiche Sagace détaillant les événements et mesures d'instruction n'établissent que la requérante  ait été convoquée à l'audience au cours de laquelle elle n'était ni présente, ni représentée.

(17 juin 2022, Mme B., n° 452936)

(36) V. aussi, annulant un jugement rendu sans convocation à l'audience ni représentation de la justiciable et cela alors même qu'elle n'a pas produit de mémoire avant que l'affaire ne soit appelée à l'audience : 21 juin 2022, Commune de Brie-sous-Matha, n° 445342.

 

37 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande de réparation également au titre de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

V. n° 182

 

38 - Suspension du refus de raccordement d'un terrain au réseau d'eau potable d'une commune - Contestation - Contestation devenue sans objet du fait de l'épuisement de ses effets - Rejet.

Un particulier a obtenu du juge des référés la suspension de la décision d'une communauté d'agglomération refusant sa demande tendant au raccordement, pour l'hiver 2020-2021, au réseau d'eau potable de son terrain. La collectivité se pourvoit en Conseil d'État contre cette ordonnance.

Constatant que la demande de raccordement portait sur « l'hiver 2020-2021 », lequel s'est achevé le 20 mars 2021, le juge estime que cette décision, même si elle n'avait pas été suspendue, aurait épuisé ses effets à la date à laquelle le Conseil d'État statue sur le présent pourvoi d’où le rejet d'une demande devenue sans objet.

(16 juin 2022, Communauté d'agglomération du Niortais, n° 448302)

 

39 - Référé liberté - Réalisation par une collectivité publique de travaux sur les réseaux dans le cadre d'une opération d'aménagement - Demandes réitérées de dépose des vérandas établies sur le domaine public - Absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Rejet.

Des restaurateurs disposant de vérandas sur le domaine public sont invités à les déposer en vue de permettre la réalisation de travaux sur les réseaux dans le cadre des opérations d'aménagement d'une voie publique. Après avoir bénéficié de plusieurs reports de la date d’enlèvement des vérandas, d'août 2021 au début de juin 2022, et alors que la collectivité a fixé une date butoir à cet effet, ils saisissent le juge du référé liberté.

Leur recours est évidemment rejeté en première instance comme en appel.

C'est en vain qu'ils font valoir l'existence d'atteintes graves et manifestement illégales à la liberté d'entreprendre, en se fondant tout d'abord sur une prétendue erreur manifeste d'appréciation tirée de ce que la date des travaux aurait été fixée sans tenir compte de leurs contraintes d'exploitation, qui révèlerait une absence d'examen particulier des circonstances.

Ils se prévalent en outre en vain de la méconnaissance d'engagements qu'aurait pris la collectivité, lesquels résulteraient tant des dates de travaux indiquées sur son site internet que d'un document présenté lors d'une réunion. En effet, l'instruction de cette affaire ne révèle aucun engagement de la part de cette collectivité.

Dès lors que n'existe ici aucune atteinte de la nature de celles justifiant l'octroi d'une suspension au titre de l'art. L. 521-2 CJA, la requête est rejetée.

(ord. réf. 16 juin 2022, SARL Aristo SLBR et autres, n° 464713)

 

40 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

V. n° 75

 

41 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

 

42 - Référé suspension dirigé contre une décision dont la contestation est soumise à l’exercice d’un  recours administratif préalable obligatoire – Demande en référé possible avant décision de l’administration  sur ce recours préalable – Décision intervenant sur ce dernier recours avant ou après que le juge des référés a statué – Effets – Formation d’un pourvoi en cassation – Effets – Décision attaquée devenue sans objet – Non lieu à statuer – Rejet.

Lorsqu’une décision de l’administration ne peut être contestée au contentieux qu’après formation contre cette décision d’un recours administratif (cas en l’espèce où il s’agissait de refus de délivrance de visa par l’autorité consulaire française de Téhéran), il est possible au requérant, sans attendre la réponse de l’administration, de saisir le juge du référé suspension si sont réunies les deux conditions nécessaires (urgence et existence d’un moyen créant un doute sérieux).

Tout d’abord, en principe, la mesure ordonnée par le juge des référés vaut, au plus tard, jusqu'à l'intervention de la décision administrative prise sur le recours présenté par l'intéressé à moins que ce juge n’en décide autrement.

Ensuite, si une décision implicite ou explicite de rejet du recours préalable obligatoire intervient avant qu'il n'ait statué, le juge des référés reste néanmoins saisi si le requérant présente une requête tendant à l'annulation de cette dernière décision et s'il lui en adresse une copie ou si le juge constate qu'elle a été adressée au greffe et la verse au dossier. 

Enfin, si la décision implicite ou explicite statuant sur le recours administratif préalable obligatoire intervient après que le juge des référés a statué sur la demande de suspension de la décision initiale, à laquelle elle se substitue, et avant l'introduction d'un pourvoi en cassation formé contre l'ordonnance du juge des référés, les conclusions de ce pourvoi sont dépourvues d'objet et ne sont, par suite, pas recevables puisqu’il n’y a plus lieu d’y statuer.

(22 juin 2022, M. C. et Mme B., n° 462341)

(43) V. aussi, comparable mutatis mutandis s’agissant également d’un refus de délivrance d’un visa par l’autorité consulaire française d’Istanbul : 22 juin 2022, M. F. et Mme F., n° 462628.

 

44 - Juge des référés - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Ordonnance de référé rejetant les conclusions nonobstant les règles régissant le traitement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative - Rejet.

Rappel de ce que le juge des référés saisi, comme en l'espèce où était demandée la suspension  de l'exécution des délibérations du jury ayant fixé la liste des candidats admis au concours externe de psychologue de l'éducation nationale pour la session 2022, de conclusions ne relevant manifestement pas de la compétence directe du Conseil d'État en premier et dernier ressort, est compétent, nonobstant les dispositions régissant le traitement des questions de compétence à l'intérieur de l'ordre juridictionnel administratif, pour rejeter par voir d'ordonnance toute demande ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative ou étant irrecevable ou mal fondée.

(ord. réf. 21 juin 2022, Mme A., n° 464890)

 

45 - Référé liberté – Demandes ne relevant pas du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable et doit être rejeté selon l’expédiente procédure de l’art. L. 522-3 du CJA, le recours en référé liberté tendant à voir cette juridiction prononcer diverses injonctions, adressées notamment au directeur du service d'accès au droit et à la justice et d'aide aux victimes du ministère de la justice, en rapport au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle dont se prévaut la demanderesse en référé.

(20 juin 2022, Mme A. épouse C., n° 464936)

(46) V. aussi, identique : 20 juin 2022, M. B., n° 465012.

 

47 - Affaire normalement jugée à juge unique - Impôts locaux - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Renvoi à une formation collégiale - Absence d'indication sur l'un des trois magistrats composant cette formation - Annulation.

La minute du jugement rendu sur renvoi à une formation collégiale au lieu du juge unique doit mentionner les noms des trois magistrats ayant siégé à l'audience puis participé au délibéré sur l'affaire. Le défaut d'indications sur l'un des trois membres de la juridiction entache d'irrégularité le jugement et conduit à sa cassation.

(23 juin 2022, Société l'Immobilière Groupe Casino, n° 445797)

(48) V. aussi, identique : 23 juin 2022, Société Mercyalis, n° 445798

 

49 - Contentieux fiscal - Autorité de la chose jugée au pénal - Constatations de fait opérées par le juge répressif -  Substitution de base  légale en matière fiscale - Rejet.

La présente affaire décrit une très intéressante situation contentieuse où s'articulent - ou s'imbriquent - le caractère protecteur des libertés qui est celui du droit pénal et le régime contentieux administratif, aussi favorable que possible aux intérêts de l'administration fiscale.

Un couple de contribuables fait l'objet de rehaussements d'impositions (cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales) ainsi que de pénalités à raison de prélèvements inscrits au débit du compte courant d'associé détenu par l'époux dans les écritures de l'EURL Better Life. En outre, sont engagées des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel.

Ce dernier a relaxé l'époux des fins de poursuites intentées contre lui pour fraude fiscale au motif qu'il ne connaissait pas la qualification de ces sommes au moment de la passation des écritures et de son obligation déclarative car il ignorait, jusqu'à une certaine date, que les prélèvements effectués en 2011, 2012 et 2013 figurant au débit de son compte courant d'associé ouvert dans les écritures de l'EURL Better Life avaient donné lieu, à l'initiative de son comptable, à une écriture de régularisation inscrite au débit du compte de rémunération. 

Comme on le sait, les constatations de fait du juge pénal, qui sont revêtues de l'autorité de la chose jugée en vertu des dispositions de l'art. 4, al. 2 du code pénal, qu'exprimait l'adage « le criminel tient le civil en l'état » avant la réforme de cet article par la loi du 5 mars 2007, lient absolument le juge de l'impôt.

L'arrêt d'appel ayant jugé le contraire est annulé.

Cependant, la jurisprudence du Conseil d'État est en ce sens que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement infligée.

C'est ce qui est appliqué ici, les condititions de la substitution de base légale étant satisfaites. Simplement, la pénalité finalement retenue est ramenée de 40% à 10%, ce taux d'une part, étant celui applicable en cas de manquement non intentionnel, et d'autre part, ne privant les contribuables d'aucune garantie.

(23 juin 2022, M. et Mme B., n° 446656)

 

50 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité – Erreur de droit – Annulation.

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

V. n° 103

 

51 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Date d’envoi et non date de réception – Erreur de droit – Annulation.

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

V. n° 104

 

52 - Donné acte d’un désistement d’office – Dépôt d’un mémoire valant confirmation du maintien de la requête – Erreur matérielle – Recours en révision impossible – Ouverture à un recours en rectification d’erreur matérielle – Ordonnance nulle et non avenue – Admission du recours en rectification.

Les requérants avaient contesté par voie d’un référé suspension le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire. A cette demande de référé, qui a été rejetée, était jointe une demande d’annulation de ce décret. L’art. R. 612-5-2 du CJA prévoit en ce cas que le requérant doit confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet faute de quoi il est réputé s’être désisté.

Par une ordonnance du 30 novembre 2021, le président de la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État a donné acte du désistement d'instance des requérants au motif que, bien qu'informés, dans la notification de l'ordonnance de référé, qu'il leur appartenait, à peine de désistement d'office, de confirmer expressément, dans le délai d'un mois, le maintien de leur requête au fond, ils n'avaient fait parvenir aucune confirmation du maintien de leur requête au fond dans ce délai. 

Or les demandeurs ont produit le 27 juillet 2021, lendemain de la notification de l'ordonnance rejetant leur demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, un mémoire enregistré dans le cadre de leur requête en annulation. 

Le juge, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de donné acte du désistement, décide de façon très raisonnable que si, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté : la production, dans le délai d'un mois, d’un nouveau mémoire au soutien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, vaut confirmation du maintien de cette requête. 

C’était le cas dans cette affaire.

Se pose alors la question de savoir sur quel fondement peut être contestée l’ordonnance donnant acte, à tort, d’un désistement. Les requérants demandaient à titre principal la révision (art. R. 834-1 CJA) de l’ordonnance et, subsidiairement, sa rectification pour erreur matérielle.

Compte tenu des dispositions très restrictives régissant les cas d’ouverture à recours en révision, la demande ne pouvait pas prospérer de ce chef. En revanche, est accueilli le recours en rectification d’erreur matérielle, l’ordonnance de donné acte du désistement constituant « une erreur matérielle qui ne peut être regardée comme insusceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision et qui est imputable, non aux requérants, mais au juge », cette dernière est déclarée nulle et non avenue.

(24 juin 2022, M. B., Fédération nationale des entreprises des activités physiques de loisirs (ACTIVE-FNEAPL), Association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et Syndicat des loisirs actifs (SLA), n° 460898)

 

53 - Imposition sur le produit brut des jeux (art. 34, loi du 30 décembre 1995 portant loi de finances rectificative pour 1995) – Décision préfectorale agréant les dépenses ouvrant droit à abattement supplémentaire – Contestation de cette décision relevant du contentieux de l’excès de pouvoir – Décision du directeur des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire - Contestation de cette décision relevant du contentieux de la pleine juridiction – Erreur de droit – Annulation.

Réitération, assez spectaculaire étant donnés les débats actuels à ce sujet, d’une très célèbre jurisprudence (Section, 29 juin 1962, Société des Aciéries de Pompey, n° 53090, rec. Leb. p. 438, JCP 1963.II.13026, concl. M. Poussière ; v. aussi, J.-C. Ricci, Le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, thèse Aix-Marseille, PUAM 1977, passim).

Un litige s’est élevé entre une société exploitante d’un casino qui, ayant entrepris la construction d’un hôtel attenant à son établissement de jeux, a obtenu du préfet l'agrément préalable de ses dépenses, à hauteur d’un certain montant, afin de bénéficier de l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux pour un montant de 10 560 000 euros environ. Le directeur départemental des finances publiques, après annulation par le tribunal administratif d’un premier montant d’abattement définitif, a arrêté à 8 750 000 euros environ le montant des dépenses éligibles. La cour administrative, sur appel de la société, n’ayant majoré ce montant que de 105 000 euros environ, la société se pourvoit en cassation.

Reprenant la distinction posée dans la décision de principe ci-dessus, le Conseil d’État rappelle que si la décision prise par le préfet sur la demande d'agrément des dépenses ouvrant droit à l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, la décision du directeur départemental ou régional des finances publiques arrêtant le montant de l'abattement supplémentaire sur la demande du contribuable, qui présente le caractère d'une réclamation, n'est pas détachable de la procédure d'imposition, de sorte que sa contestation relève d'un recours de plein contentieux formé devant le juge de l'impôt. 

Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant irrecevables les conclusions de la demanderesse dirigées contre la décision du directeur départemental des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux et surtout en statuant en excès de pouvoir sur cette contestation.

(27 juin 2022, Société Amnéville Loisirs, n° 444875)

 

54 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, référé instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

Un convoi routier de la société Sleepy Yacht et Spezial Transport GmbH s’étant immobilisé sur une voie ferrée à hauteur d’un passage à niveau  a été percuté par un convoi ferroviaire de fret composé de wagons appartenant à la société Europorte et transportant de l'acide phosphorique pour le compte de la société Prayon. A la demande de SNCF Réseau, le tribunal administratif a ordonné une expertise aux fins de déterminer les causes du sinistre, ainsi que les désordres affectant l'ouvrage public et de recenser les préjudices invoqués par SNCF Réseau et d'en évaluer le montant. Sur appel des sociétés impliquées dans l’accident, Prayon, Europorte France, et de leurs assureurs, QBE Insurance Europe limited et Helvetia compagnie suisse d'assurances, la présidente de la cour administrative d’appel a, d’une part, étendu la mission initiale de l'expert à l'évaluation des préjudices de l'ensemble des parties et intervenantes présentes à l'expertise et, d’autre part, rejeté, notamment, les conclusions d'appel présentées par la société VTG France et autres tendant à ce soit admise l'intervention de la société VTG Rail Europe GmbH et à ce qu’elle soit mise en cause dans les opérations d'expertise. 

Le pourvoi introduit par cette dernière est donc dirigé contre l’ordonnance d’appel en tant qu’elle refuse d’admettre son intervention volontaire sans l’instance et de la mettre en cause dans les opérations d’expertise qu’elle a ordonnées.

Deux questions importantes de procédure se posaient.

En premier lieu, le pourvoi dirigé contre l’ordonnance d’appel était-il recevable et fondé, ces points étant contestés par SNCF Réseau ?

Sur la recevabilité du pourvoi, le juge rappelle d’abord un principe essentiel de procédure commun aux cassations civile et administrative, selon lequel « L'intérêt à se pourvoir en cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. » De là résulte qu’en l’espèce le pourvoi est recevable puisque par cette voie de droit les sociétés requérantes contestent l'ordonnance qu'elles attaquent en tant qu'elle a rejeté une partie de leurs conclusions d'appel.

Sur le bien-fondé du pourvoi, il faut indiquer d’abord que le rejet de l’appel était fondé sur ce que les conclusions de la société VTG Rail Europe GmbH, dont le siège est à Hambourg, étaient tardives puisque déposées au-delà du délai de quinzaine imparti par les dispositions de l’art. R. 533-1 CJA. Ce rejet était entaché d’une double erreur de droit car :

1° le CJA institue un délai de distance de deux mois pour les justiciables résidant à l’étranger qui s’ajoute au délai fixé par le code (art. R. 811-5 CJA). Cette société disposait donc de deux mois et quinze jours pour saisir le juge d’appel : la notification de l’ordonnance du premier juge ayant été effectuée le 1er octobre 2021 et les conclusions de la requérante ayant été formulées dans un mémoire enregistré au greffe le 30 novembre 2021, la forclusion n’était donc pas encourue contrairement à ce qui a été jugé par erreur de droit.

2° Au reste et au surplus, indépendamment de ce motif scripturaire, il était un autre motif d’illégalité de l’ordonnance attaquée : l’appel en cause était un appel incident qui, à raison même de cette nature et selon une jurisprudence constante, pouvait être formé sans condition de délai.

En second lieu, du fait de l’annulation de l’ordonnance, le juge de cassation statuant alors comme juge d’appel, se trouvait ipso facto saisi des deux rejets contenus dans l’ordonnance annulée : refus d’admettre l’intervention volontaire des requérantes et refus de les dire communes avec les autres parties dans l’expertise ordonnée.

Les principes du droit du contentieux sont ici très simples : peuvent être appelées à une expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du CJA les personnes n’étant pas manifestement étrangères au litige susceptible d'être engagé devant le juge de l'action qui motive l'expertise. Telle était, bien évidemment, le cas des demanderesses en l’espèce encore qu’un apparent obstacle juridique ait été soulevé par les parties défenderesses au pourvoi : la société VTG Rail Europe GmbH est identifiée comme le « détenteur », au sens de la directive du 11 mai 2016 relative à la sécurité ferroviaire, des wagons impliqués dans le litige. Elle n’en est donc ni propriétaire, ni locataire, pour autant, contrairement à ce qu'a retenu le juge des référés du tribunal administratif, elle n'est pas manifestement étrangère au litige.

Il doit ainsi être donné suite à sa demande d'être appelée aux opérations d'expertise.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

 

55 - Requête jugée abusive – Amende – Application inexacte de l’art. R. 741-12 CJA – Cassation sans renvoi, plus rien ne restant à juger.

Fait une inexacte application de l'article R. 741-12  du CJA la cour administrative d’appel qui, jugeant abusive la requête formée devant elle par l’appelante, lui inflige une amende alors que, par cette requête, l’intéressée, étudiante à l'école universitaire de management de Clermont-Ferrand, demandait l'annulation de la délibération du jury de cette école et l'annulation de la décision du doyen de cette même école du 22 juin 2017, en ce qui concerne sa note d'examen au diplôme universitaire en gestion internationale du patrimoine 2016 qu'elle n'avait ainsi pu obtenir, et eu égard aux moyens qui étaient développés au soutien de ses demandes.

(29 juin 2022, Mme C., n° 455124)

 

56 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

V. n° 157

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Impôt sur les sociétés - Acte anormal de gestion - Notion - Régime de la preuve du caractère anormal de la gestion - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le juge rappelle qu'est un acte anormal de gestion celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Concernant l'administration de la preuve de cette anormalité à l'occasion d'une cession d'actifs, le juge se montre, comme à l'accoutumée en cette matière, assez laxiste envers l'administration.

Il suffit à celle-ci de relever que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue. C'est alors au contribuable d'apporter un élément de nature à remettre en cause cette évaluation. A défaut,  l'administration est regardée comme ayant apporté la preuve du caractère anormal de l'acte de cession sauf pour le contribuable à justifier l'appauvrissement comme résultant d'une décision prise dans l'intérêt de l'entreprise, où à laquelle elle s'est trouvée dans la nécessité de procéder ou encore en établissant qu'elle en a tiré une contrepartie. 

En l'espèce, pour juger que la contribuable avait consenti à certains salariés une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion, la cour administrative d'appel s'est seulement arrêtée à relever que le prix de cession des actions d'une  société filiale était, à la date de cession, significativement inférieur à leur valeur vénale. Ce jugeant elle a dénaturé les pièces du dossier dont il ressortait que les fonctions exercées au sein du groupe par les bénéficiaires des cessions de titres en cause étaient énoncées dans la demande introductive d'instance présentée par la société devant le tribunal administratif et que la société produisait la copie d'une promesse de vente consentie en considération du rôle personnel que pouvait jouer le bénéficiaire dans le développement de la société dont les titres étaient cédés et qu'elle était subordonnée à la condition que ce bénéficiaire soit toujours salarié au jour de la levée de l'option d'achat et cède les titres ainsi cédés à la société Groupe Windsor en cas de rupture de son contrat de travail. 

(2 juin 2022, Société Groupe Windsor, n° 448886)

(58) V. aussi, identiques : 2 juin 2022, M. A., n° 448888 ; Mme A., n° 448893, deux espèces.

 

59 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - TVA relative aux dépenses d'aménagement d'un immeuble - Déductibilité - Conditions - Absence - Rejet.

Rappel de ce qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 271 du CGI que la déduction de la TVA grevant des biens et services n'est possible que si ces biens et services ont été utilisés en vue de la réalisation de celles des opérations imposables à la TVA.

Tel n'est pas le cas de la TVA acquittée sur des biens et travaux d'aménagement d'un appartement dès lors que ces aménagements et agencements ainsi réalisés avaient été abandonnés par la société requérante sans contrepartie à la société bailleresse, dans laquelle son propre gérant avait des intérêts.

(2 juin 2022, Société ITD, n° 449810)

 

60 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Terrain à bâtir - Application de la TVA sur la marge (art. 268 CGI) - Terrain supportant déjà du bâti - Exclusion du régime de l'art. 268 CGI - Rejet.

Rappel, une fois de plus, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA prévues à l'art. 392 de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA dont les art. 257, 266 et 268 CGI assurent la transposition, ne s'appliquent qu'aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et non à ceux d'entre eux qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment. 

(17 juin 2022, Société De Cambracq, n° 443893)

 

61 - Impôt sur le revenu - Dépenses déductibles - Somme versée en qualité de caution - Somme versée par le dirigeant d'une entreprise caution de celle-ci - Annulation.

Les sommes que le dirigeant salarié d'une entreprise a versées en sa qualité de caution de l'entreprise sont déductibles du revenu imposable au cours de l'année de leur versement à condition que la qualité de caution soit  directement liée à celle de dirigeant, que cet engagement ait été pris dans l'intérêt de l'entreprise et, enfin, que son montant ne soit pas hors de proportion avec les revenus actuels ou escomptés de l'auteur de la caution.

(2 juin 2022, M. et Mme A., n° 450870)

 

62 - Impôt sur le revenu - Rattachement ou non des enfants majeurs au foyer fiscal - Irrévocabilité du choix opéré - Erreur commise de bonne foi - Annulation.

Les dispositions du 3 de l'art. 6 du CGI prévoient que les enfants devenus majeurs vivant au foyer de leurs parents ont la faculté d'opter, pour l'année entière et pour l'ensemble de leurs revenus, entre une imposition dans les conditions de droit commun et le rattachement, avec l'accord du contribuable, au foyer fiscal de leurs parents ou de l'un d'eux selon le cas, et en suivant les règles fixées par ces dispositions. A l'expiration du délai de déclaration, l'option exercée est irrévocable pour l'année au titre de laquelle elle a été souscrite.

En l'espèce, il était soutenu par les parents que les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal.

L'administration fiscale, après avoir constaté que ces enfants avaient déjà déposé des déclarations de revenus séparées au titre des mêmes années, a remis en cause le quotient familial des intéressés et les déductions relatives aux enfants à charge scolarisés dans l'enseignement supérieur auxquelles ils avaient procédé.

La cour administrative d'appel a jugé que le caractère irrévocable de l'option ne permettait pas de revenir sur les déclarations personnelles lesquelles constituaient des révocations de leurs demandes antérieures de rattachement au foyer fiscal de leurs parents.

L'arrêt est judicieusement cassé motif pris de l'erreur de droit qu'il contient pour avoir écarté comme inopérante la circonstance invoquée par les contribuables selon laquelle les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal alors que cette erreur, si elle a été commise de bonne foi, était susceptible de priver de portée les déclarations de revenus souscrites par les enfants. 

(21 juin 2022, M. et Mme A., n° 439846)

 

63 - Groupe fiscalement intégré - Principe de neutralisation des opérations internes - Conditions - Provisions pour dépréciation de titres de participation - Reprise ultérieure (totale ou partielle) de la provision - Déduction du résultat d'ensemble - Limite - Rejet.

Le code général des impôts prévoit que sont neutralisées les opérations internes entre sociétés d'un groupe fiscalement intégré afin d'éviter les doubles prises en compte du résultat des sociétés intégrées. Au reste la neutralisation entre  provisions pour dépréciation de titres de participation et reprises de provisions portant sur ces titres ne se justifie que si les sociétés concernées demeurent membres du groupe intégré, ce qui va de soi.

Trois situations appellent des précisions particulières.

En premier lieu, lors de la reprise ultérieure de tout ou partie de la provision par la société du groupe qui l'avait initialement constituée, la fraction correspondante de cette provision est déduite du résultat d'ensemble.

En deuxième lieu, le résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré est majoré du montant des dotations complémentaires aux provisions constituées par une société après son entrée dans le groupe, à raison de la dépréciation des titres de participation, soumis au régime des plus et moins-values à long terme, qu'elle détient sur une autre société du même groupe.

Enfin, en cas de dissolution du groupe fiscalement intégré avant la reprise de la provision par la société qui l'avait initialement constituée, il n'y a pas lieu de déduire du dernier résultat d'ensemble du groupe la fraction de la provision non encore reprise, sauf dispositions expresses en ce sens. 

Le pourvoi contre l'arrêt d'appel est rejeté notamment au prix d'une substitution  de motif.

 (9 juin 2022, Société Vivalto Santé, n° 445023)

 

64 - Principe d'imposition commune des époux - Contribution sur les revenus du patrimoine - Assujettissement à ce principe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui juge qu'une personne ne pouvait faire l'objet d'une imposition commune avec son époux à raison de la contribution du patrimoine alors qu'il résulte des dispositions combinées de l'art. L. 136-6 du code de la sécurité sociale, des art. L. 14-10-4 et L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles et de celles des art. 1600-0 C, 1600-0 G, 1600-0 F bis du CGI ainsi que de l'art. 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, que la contribution sur les revenus du patrimoine est assise selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, d'où il découle que, contrairement à ce qu'a jugé la cour, elle est donc soumise au principe de l'imposition commune entre époux prévu par l'article 6 du code général des impôts.

(9 juin 2022, ministre de l'écoomie et des finances, n° 456544)

 

65 - Intégration fiscale à une société mère - Régime français refusant à une société mère résidente le bénéfice de la neutralisation fiscale de la quote-part de frais et charges réintégrée - Difficulté sérieuse d'interprétation de l'art. 49 du TFUE - Renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg.

Soulève une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne nécessitant la saisine de la CJUE, la question de savoir si l'article 49 du TFUE s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des dividendes perçus par elle de sociétés résidentes parties à l'intégration ainsi que, pour tenir compte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 (Groupe Steria SCA, aff. C-386/14), à raison de dividendes perçus de filiales établies dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime d'intégration mais qui refuse le bénéfice de cette neutralisation à une société mère résidente qui, en dépit de l'existence de liens capitalistiques avec d'autres entités résidentes permettant la constitution d'un groupe fiscal intégré, n'a pas opté pour son appartenance à un tel groupe, à raison tant des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales résidentes que de ceux provenant de filiales établies dans d'autres États membres satisfaisant aux critères d'éligibilité autres que la résidence. 

(14 juin 2022, SA Manitou BF, n° 454107)

(66) V. aussi, avec même solution de renvoi préjudiciel : 14 juin 2022, SA Bricolage Investissement France, n° 458579.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Valeur locative d'un stade - Modification de cette valeur intervenue en 2016 - Modification ayant une incidence les années postérieures - Rejet de la contestation pour disparition entre-temps de la compétence en cause de la commission communale des impôts directs -  Impossibilité de se prévaloir d'irrégularités affectant une année antérieure à celles d'imposition - Erreur de droit - Annulation.

La requérante, société chargée de la rénovation du stade Vélodrome de Marseille puis de la gestion de la mise à disposition de ce stade par un contrat de partenariat conclu avec la commune de Marseille en 2014, a demandé décharge, au moins partielle, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 dans les rôles de la commune de Marseille à raison des droits dont elle disposait sur le stade Vélodrome et le stade Delors.

La contribuable s'est vue déchargée de ces contributions en cours d'instance sur décisions de l'administration fiscale. Le tribunal a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette partie du litige et rejeté le surplus des demandes dont il était saisi. La société se pourvoit contre ce jugement, avec succès.

Le litige tenait à l'irrégularité des conditions dans lesquelles la commune a, au cours de l'année 2017, modifié la valeur locative de ce stade puisqu'elle y a procédé sans saisir préalablement la commission communale des impôts directs. L'administration fiscale a alors émis un rôle complémentaire de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Or si cette dernière a, par la suite, sur réclamation de la requérante, prononcé le dégrèvement de ces impositions supplémentaires, n'en demeure pas moins en vigueur, pour le futur, la nouvelle valeur locative irrégulièrement arrêtée.

Le tribunal a rejeté le moyen d'irrégularité procédurale en se fondant sur la suppression entre-temps de la compétence de cette commission pour arrêter les valeurs locatives des immeubles ; il a également jugé que la société ne pouvait utilement exciper de l'irrégularité de la modification de la valeur locative révisée du stade Vélodrome à l'encontre des impositions établies au titre des années 2017 et 2018.

Ce faisant, deux erreurs de droit étaient ainsi commises conduisant à la cassation : l'irrégularité initiale dans la fixation de la valeur locative du stade Vélodrome demeure et la requérante peut utilement invoquer, pour solliciter la réduction des cotisations d'impôts locaux dues à compter de l'année 2017 dans la mesure de l'application des dispositifs de lissage (cf. le XVI de l'art. 34 de la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2010, pour 2011, dans la version que lui a donnée la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015), lesquels tiennent compte des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017, l'illégalité du mode de détermination de cette valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 au motif que l'administration l'avait établie par application du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du CGI à une valeur locative au 1er janvier 2016 irrégulièrement fixée en l'absence d'avis de la commission communale des impôts directs et devant par suite être définitivement écartée. 

(14 juin 2022, Société Arema, n° 458555)

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Décharge prononcée par le juge - Obligation pour celui-ci de désigner le redevable de cette taxe - Omission de statuer sur ce point - Annulation.

Rappel de ce qu'aux termes de l'art. 1404 du CGI, le tribunal qui décharge un contribuable de la cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties est tenu d'en désigner le redevable faute de quoi son jugement encourt annulation.

La solution est conforme au texte mais ce texte, lui, n'est pas satisfaisant car il institue à la charge du juge une obligation de désigner le redevable d'un impôt, tâche qui revient à l'administration fiscale et on ne voit pas sur quel fondement sérieux repose ce véritable privilège.

(16 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 447507)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Caractère d'établissement industriel du local-type - Dénaturation  des pièces du dossier - Annulation.

La requérante, pour contester le montant de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2016 en raison d'un immeuble situé à Romorantin-Lanthenay, se prévalait du caractère erroné du choix, comme terme de comparaison, d'un local-type n° 70, estimant plus correcte la référence au local-type n° 3.

Sa requête est rejetée par le tribunal administratif en raison de ce que, compte tenu de la prépondérance de l'outillage utilisé, la valeur locative du local litigieux aurait dû être évaluée selon les règles applicables aux établissements industriels, à la suite de son acquisition par une coopérative agricole car la requérante ne produisait aucun élément afférent à la nature et à l'importance des moyens techniques mis en œuvre pour l'exercice de l'activité.

Or, relève le Conseil d'État « la société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir que l'affectation à un usage industriel du local-type n° 3 de la commune de Châlette-sur-Loing ressortait de l'acte du 1er mars 1973 par lequel la société Magasins Généraux du Gâtinais a vendu une partie des terrains et bâtiments composant ce local-type, dès lors que, de même que ceux que cette société a conservés, ces terrains et bâtiments y sont qualifiés de terrains et bâtiments industriels. La société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir également qu'il ressortait de cet acte de vente que le lot n° 3 constitué, avec trois autres lots, en vue de cette vente comportait d'importants moyens techniques et l'acte de vente indique en effet que ce lot comprenait, notamment,  « un silo à tourteaux composé de huit cellules métalliques à fond conique d'une capacité vrac de six cents tonnes environ avec installation de manutention mécanique de déchargement de péniches et chargement direct de wagons/camions vrac, composé de deux élévateurs à godet et six vis transporteur incluant une bascule de circuit CURONOS ». La société des Entrepôts de Thumeries a, par ailleurs, produit un rapport, en date du 22 janvier 1976, du conseil d'administration de l'une des sociétés cessionnaires du local-type n° 3, la société CAPROGA La Meunière, qui comportait plusieurs photos montrant l'importance des installations du site ainsi que des indications sur la capacité d'expédition journalière de céréales s'élevant à 1 250 tonnes par jour par voie fluviale et 500 tonnes par jour par voie ferrée."

On peut se demander sur quelles pièces s'est fondé le tribunal administratif pour rendre le jugement attaqué et, à juste titre, annulé.

(21 juin 2022, Société des Entrepôts de Thumeries, n° 441810)

(70) V. aussi, en matière de cotisation foncière des entreprises, sur la méthode d'évaluation de la valeur locative d'immeubles industriels et d'immobilisations industrielles, mettant en particulier à l'écart l'acte dit loi du 15 mars 1942 relatif à la contribution foncière des propriétés bâties et non bâties, maintenu en vigueur en 1945, qui a donné valeur législative aux prescriptions d'une instruction du 1er octobre 1941 contenant une définition restrictive de la notion d'établissement industriel : 21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 450705.

(71) V. aussi, illustratifs du faible degré d'acceptation sociale de cette taxe, source d'un si abondant contentieux qu'il serait bien venu de calculer le coût de ce dernier pour apprécier la valeur nette rapportée par cette antique taxe : 23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443520 ; 23 juin 2022, Société Stéarinerie Dubois Fils, n° 450247 ; 23 juin 2022, CHU de Bordeaux, n° 453077, en y ajoutant, pour faire bonne mesure, la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères.

 

72 - Procédure fiscale non contentieuse - Mises en demeure en vue du recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres - Non respect de l'obligation d'informer l'intéressé des voies et délais de recours - Substitution du délai raisonnable d'un an - Inapplication - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'auteur de l'ordonnance rejetant l'appel dirigé contre le jugement déclarant le contribuable forclos en son action contre la décision de recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres pour non respect du délai de saisine de deux mois fixé par l'art. R. 199-1 du livre des procédures fiscales alors qu'en l'absence de notification à l'intéressé ou de connaissance acquise par celui-ci de ce délai, il disposait du délai raisonnable d'un an, de nature jurisprudentielle, pour saisir le juge.

(20 juin 2022, M. B., n° 443433)

 

73 - Procédure fiscale non contentieuse - Exercice du droit de communication - Utilisation de pièces déclarées illégales par un juge - Établissement d'une imposition subséquente - Condition de régularité de l'utilisation des pièces - Rejet.

Cette décision a le grand mérite d'accentuer le contrôle du juge sur la régularité de l'emport ou de l'utilisation par l'administration fiscale de pièces lorsqu'ils sont par la suite déclarés illégaux. En particulier, par son caractère équilibré, elle précise et rassure par rapport à la décision trop timorée du 15 avril 2015 (Société Car diffusion, n° 373269) publiée au Rec. Lebon.

Il y est jugé que l'art. 16 de la Déclaration de 1789 fait obstacle à ce que l'administration fiscale se prévale, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. En revanche, cette imposition est légalement justifiée par des éléments non compris dans le champ de la déclaration d'illégalité prononcée par le juge, dès lors que ces éléments ne découlent pas eux-mêmes de l'exploitation des pièces ou documents obtenus de façon irrégulière. 

(21 juin 2022,  Société Constructions générales du bâtiment (CGB), n° 446421)

 

74 - Revenus d'origine indéterminée - Taxation d'office puis dégrèvement partiel - Décharge des pénalités pour manquement délibéré  - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Un couple de ressortissants néerlandais résidant et travaillant en France a fait l'objet d'une mesure de taxation d'office à raison d'importants revenus d'origine indéterminée non déclarés, assortie de diverses majorations et de pénalités.

Par la suite, l'administration fiscale a, en cours d'instance d'appel, accordé un dégrèvement et maintenu les pénalités. La cour administrative d'appel a jugé n'y avoir lieu à statuer sur le montant du dégrèvement, déchargé les intéressés des pénalités et rejeté le surplus de leurs réclamations.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a annulé les pénalités infligées.

La cour a, en effet, estimé que les contribuables avaient bénéficié en cours de procédure d'un dégrèvement sur une partie importante des impositions résultant de la réintégration de revenus d'origine indéterminée et que la seule circonstance qu'ils ne parvenaient pas à apporter la preuve de l'origine des revenus restant en litige ne démontrait pas qu'ils avaient intentionnellement éludé les impositions correspondantes. Or le ministre défendeur soutenait que les rehaussements de revenus imposables maintenus après le dégrèvement représentaient toujours un montant important par rapport aux sommes déclarées et que les manquements aux obligations déclaratives présentaient un caractère répété.

En décidant sans rechercher s'il en était bien ainsi la cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation sur ce point de son arrêt.

(21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443828)

 

75 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

Rappel de ce que le contribuable qui a saisi le juge de l'impôt de conclusions tendant à la décharge d'une imposition à laquelle il a été assujetti est recevable à demander au juge du référé-suspension (art. L. 521-1 CJA), la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition, dès lors que celle-ci est exigible. Naturellement, il lui appartient de satisfaire à la double condition de faire état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure d'imposition ou sur le bien-fondé de l'imposition et de démontrer l'urgence à statuer.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

 

76 - Impôt sur les sociétés - Abandon de créances ou octroi d'aides financières par une société à une filiale - Notion - Conséquences sur la valeur de la participation de la société dans le capital de la filiale - Présomption simple pouvant être renversée - Erreur de droit à ne l'avoir pas admis - Annulation.

En principe, l'abandon de créances ou l'octroi d'aides financières consenti par une société à des filiales a pour effet mécanique d'accroître la valeur de la participation de cette société au capital des filiales lorsqu'elle se traduit, pour ces dernières, par un actif net comptable positif. En ce cas, cette aide ou cet abandon ne peut être déduit.

Il n'en va autrement que dans le cas où la société établit qu'en dépit de cette aide ou de cet abandon la valeur de sa participation dans le capital de ses filiales n'a, ce nonobstant, pas augmenté.

En arguant de ce que la société demanderesse ne présentait que des évaluations reposant sur des méthodes de nature économique insusceptibles d'établir au plan comptable la situation nette des filiales et en s'abstenant de rechercher si la participation de cette société dans le capital des filiales avait ou non augmenté du fait de l'aide apportée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt.

(21 juin 2022, Société Ixcore, n° 447084)

 

77 - Bénéfices ou revenus positifs tirés d'une entité établie ou constituée hors de France - Entité soumise à un régime fiscal privilégié - Soumission au CGI français - Application au régime des sociétés mères - Erreur de droit - Annulation.

Selon l'art. 123bis du CGI  : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique-personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable-établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. (...)".

Pour l'application de ce texte les bénéfices ou les revenus positifs d'une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du CGI comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent donc le régime des sociétés mères tel qu'il est défini aux articles 145 et 216 du CGI dès lors que l'entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France. 

En l'espèce, une cour administrative d'appel juge que la part des bénéfices d'une société trouvant son origine dans des produits de participation ne pouvait être calculée par application du régime des sociétés mères et que ce régime ne s'applique qu'aux sociétés qui ont été effectivement soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal. Elle commet, ce jugeant, une erreur de droit car la prise en compte de ce régime pour le calcul des bénéfices de cette société, établie à Gibraltar, dépendait de ce que cette société aurait été soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés si elle avait été établie en France. 

(21 juin 2022, M. et Mme B., n° 449408)

 

78 - Liberté de mouvement de capitaux intra-communautaires et entre États de l'Union et pays tiers - Prohibition de toute restriction (1. de l'art. 63, TFUE) - Détermination du caractère défavorable d'un traitement fiscal - Comparaison entre résidents et non-résidents fiscaux - Conséquence - Rejet.

Rappel de ce que pour l'application du principe de libre mouvement des capitaux posé par le 1. de l'art. 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union, il y a lieu de comparer la charge fiscale supportée respectivement par le contribuable qui conteste au nom de ce principe l'imposition qu'il subit en France et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.

S'il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement avec les contribuables résidents. 

Ici, au terme de cette comparaison, le taux d'imposition du contribuable requérant applicable aux plus-values qu'il a réalisées est réduit de 33 1/3% à 19%.

(23 juin 2022, M. B., n° 445785)

 

79 - Taxe sur les logements vacants – Biens immobiliers demeurés en indivision après un divorce – Taxe assise pour le tout sur l’un seulement des co-indivisaires – Confusion entre indivision et solidarité – Erreur de droit – Annulation.

Des époux qui avaient acquis des biens en indivision n’ayant pas partagé ces biens lors de leur divorce, l’administration fiscale, confirmée par le juge des référés du tribunal administratif, a estimé que du fait de cette indivision la taxe sur les logements vacants pouvait être réclamée en son entier à l’un quelconque des deux indivisaires.

Ainsi était opérée une confusion entre indivision et solidarité – guère admissible au regard des principes fondamentaux attachés aux catégories juridiques et notamment celui selon lequel « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée (…) » (énoncé à l’art. 1202 du Code civil) –.

Réitérant sa jurisprudence constante sur ce point (V. par ex. : Plén. Fisc., 25 juillet 1975, Antoine et Emmanuelle Vauchez, n° 92401 et n° 92402, Rec. Lebon p. 459 ; 30 septembre 2019, M. C., n° 419384 ; Mme C. épouse B., n° 419490), le Conseil d’État décide que l’administration ne pouvait réclamer le paiement de la taxe qu’à chacun des co-indivisaires à proportion de sa part dans l’indivision.

L’ordonnance est, très naturellement et très évidemment, cassée.

(23 juin 2022, Mme B., n° 449318)

 

80 - Demande de remboursement du précompte versé par une société (Suez) au trésor public – Remboursement ordonné par jugement - Cession postérieure de cette créance de remboursement du précompte à une autre société (Société générale) – Juridiction d’appel annulant le jugement – Émission à l’encontre de la société cessionnaire d’avis de recouvrement valant commandements de payer – Contestation du bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez  et opposition à poursuites – Arrêt de rejet – Pourvoi – Rejet.

La société Suez a versé un précompte lors de la redistribution de dividendes perçus en 1999, 2000 et 2001 de ses filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne, puis a vainement demandé le remboursement de ce précompte et a saisi de ce litige le tribunal administratif qui, lui donnant raison, a ordonné la restitution des sommes litigieuses. Durant l’instance devant ce tribunal, Suez a cédé à la Société générale ce qui, par l’effet du jugement précité, est devenu sa créance sur le trésor public.

Sur appel du ministre des finances, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et remis à la charge de la société Suez, au titre de chacune des années en litige, les montants en litige et prescrit qu'il serait tenu compte, pour l'exécution de son arrêt, de ce que les sommes correspondantes avaient été encaissées par la Société générale. C’est donc contre cette dernière que l’administration fiscale a émis quatre avis de mise en recouvrement puis deux mises en demeure valant commandements de payer.

La Société générale a tout d’abord, au gracieux, contesté le bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez et formé une opposition à poursuites. Ses demandes ayant été rejetées, elle a saisi, en vain, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel (arrêt du 12 décembre 2014).

Elle dirige son pourvoi contre l’arrêt de cette dernière.

Le Conseil d’État estime que ce pourvoi doit être regardé comme tendant seulement à ce que le juge de cassation statue sur sa demande en décharge des impositions. Il rejette alors les moyens développés au soutien du pourvoi en raison de leur caractère inopérant.

En effet, l’administration fiscale n’était pas tenue d'émettre les avis de mise en recouvrement dès lors que, par l’effet de l’arrêt du 12 décembre 2014, l'imposition avait été rétablie de plein droit à son profit.

Il suit de là que si la Société générale pouvait, en sa qualité de cessionnaire de la créance correspondant à la restitution du précompte réclamée par la société Suez, former une réclamation en son nom propre dans les mêmes délais que le cédant et avait qualité pour agir devant le juge de l'impôt afin d'obtenir le paiement de cette créance, en revanche, elle n'était plus recevable, pas plus que la société Suez elle-même, à former une nouvelle réclamation tendant à la restitution de ces impositions postérieurement à l'arrêt de la cour administrative d'appel statuant sur ces impositions, lequel, au demeurant, ne constituait pas à son égard, pas davantage que les avis de mise en recouvrement qui se bornaient à en tirer les conséquences, un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

(24 juin 2022, Société générale, n° 443754)

 

81 - Sursis d’imposition de plus-values ne dégageant pas de liquidités – Objectif poursuivi par le législateur – Souci de réinvestissement économique – Caractère de réinvestissement non établi – Opération à but exclusivement fiscal – Erreur de droit – Annulation.

Le Conseil d’État rappelle ici qu’en adoptant les dispositions de l'art. 150-0 B du CGI (issues de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000) le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités.

Pour cela, l’apport des titres d'une société par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis leur cession immédiate par cette dernière ne répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur que si le produit de cession fait l'objet, pour une part significative et à bref délai, d'un réinvestissement à caractère économique par cette société.

En revanche, faute d’un tel réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel, d’où la cassation de son arrêt pour erreur de droit, de n’avoir pas tenu compte de l'ensemble des sommes ayant bénéficié du mécanisme du sursis d'imposition pour apprécier si le produit de la cession de titres avait fait l'objet, pour une part significative, d'un réinvestissement à caractère économique.

(27 juin 2022, M. B., n° 449656)

(82) V. aussi, s’agissant des dispositions de l’art. 150-0 D CGI et de l’abattement renforcé de 85% sur les plus-values de cession de titres prévu par le 3° du 1 quater de cet article, l’annulation de l’arrêt d’appel qui, dénaturant les pièces du dossier, juge que la société A détenait une participation dans la société B alors que c’est exactement l’inverse (sic)… : 24 juin 2022, M. et Mme A., n° 455925.

(83) V. encore, avec même dénaturation et même conséquence : 24 juin 2022, M. et Mme B., n° 455926.

 

84 - Prescription quadriennale – Acte ou fait interruptif de la prescription – Communication écrite de l’administration intéressée – Courrier se prononçant sur le fait générateur de la créance – Absence d’interruption – Qualification inexacte de pièces du dossier – Annulation.

L’art. 2 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale décide que cette prescription est interrompue par « Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) ». 

En l’espèce, où était en cause un litige relatif à une indemnité différentielle puis compensatrice estimée calculée sur une base erronée à partir d’une prime de rendement des ouvriers d'État au taux moyen de 16 % au lieu du taux maximum de 32 %, la cour administrative d’appel avait jugé qu’un courrier adressé à l’intéressé par le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense ne constituait pas un acte interruptif de la prescription quadriennale et avait rejeté sa requête de ce chef.

Annulant cette qualification inexacte d’une pièce du dossier, le Conseil d’État relève que le courrier précité précisait les règles applicables pour la détermination de la prime de rendement à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité différentielle en litige et informait le requérant de l'évolution de celle-ci. Ainsi, se prononçant sur le fait générateur de la créance de M. B., ce courrier devait être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance.

(27 juin 2022, M. B., n° 456175)

 

Droit public de l'économie

 

85 - Importation de certaines productions agricoles - Étiquetage de produits comme venant du Maroc - Produits provenant en réalité du Sahara occidental - Éléments d'information du consommateur ayant le caractère d'une norme de commercialisation - Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE.

La confédération requérante recherchait l'annulation du refus implicite opposé par les ministres des finances et de l'agriculture à sa demande, fondée sur l'art. 23 bis du code des douanes, que soit pris un arrêté prohibant l'importation de tomates cerises et de melons charentais récoltés sur le territoire du Sahara occidental, au motif que ce territoire n'appartient pas au Royaume du Maroc et que, par suite, l'étiquetage présentant ces produits comme originaires du Maroc viole les dispositions du droit de l'Union relatives à l'information des consommateurs sur l'origine des fruits et légumes mis à la vente.

Le Conseil d'État relève que l'exigence de la mention du pays ou territoire d'origine, qui a pour objet l'information du consommateur et revêt ainsi le caractère d'élément d'une norme de commercialisation, doit, en principe, être respectée dès l'importation. Toutefois, aucun des règlements en cause (n° 1169/2011 du 25 octobre 2011; n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ; règlement d'exécution n° 543/2011 de la Commission ; règlement n° 952/ établissant le code des douanes de l'Union) ne confère expressément compétence aux États membres pour adopter des mesures, qu'elles soient individuelles ou générales, d'interdiction des importations des produits qui ne seraient pas conformes alors qu'une telle mesure, notamment dans l'hypothèse où la méconnaissance des conditions d'importation présente un caractère massif rendant difficile l'accomplissement de nombreux contrôles en aval une fois les produits disséminés sur le territoire de l'Union, pourrait justifier au niveau national l'adoption d'une interdiction des importations de fruits et légumes en provenance d'un pays déterminé.

Ceci le conduit à poser quatre questions préjudicielles à la CJUE dont certaines sont très délicates mais déterminantes pour la solution du litige soumis au Conseil d'État :

1) les dispositions du règlement n° 1169/2011, du règlement n° 1308/2013, du règlement n° 543/2011 et du règlement n° 952/2013 doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles autorisent un État membre à adopter une mesure nationale d'interdiction des importations, en provenance d'un pays déterminé, de fruits et légumes qui méconnaissent les articles 26 du règlement n° 1169/2011 et 76 du règlement n° 1308/2013 faute de mentionner le pays ou territoire dont ils sont réellement originaires, notamment lorsque cette méconnaissance présente un caractère massif et qu'elle peut difficilement être contrôlée une fois les produits entrés sur le territoire de l'Union ?

 2) il est posé à la Cour la question de savoir si l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'UE et le Maroc doit être interprété en ce sens que, pour l'application des articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et de l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011, d'une part, les fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ont comme pays d'origine le Maroc et, d'autre part, si les autorités marocaines sont compétentes pour délivrer les certificats de conformité prévus par le règlement n° 543/2011 aux fruits et légumes récoltés sur ce territoire.

3) En cas de réponse positive à cette deuxième question, il est demandé à la Cour de dire si la décision du Conseil du 28 janvier 2019 approuvant l'accord sous forme d'échange de lettres est conforme à l'article 3, paragraphe 5 du traité sur l'Union européenne, à l'article 21 du même traité et au principe coutumier d'autodétermination rappelé notamment à l'article 1er de la Charte des Nations-Unies. 

4) Enfin, la Cour est interrogée sur la question de savoir si, compte tenu de l'analyse qu'elle a fait sur la situation du territoire du Sahara occidental dans ses arrêts du 21 décembre 2016 (Conseil c/Front Polisario, aff. C-104/16 P) et du 27 février 2018 (Western Sahara Campaign UK, aff. C-266/16) et des réponses apportées aux questions précédentes, les articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011 doivent être interprétés en ce sens qu'au stade de l'importation comme de la vente au consommateur, l'emballage des fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ne peut mentionner le Maroc au titre du pays d'origine mais doit faire mention du territoire du Sahara occidental ?

(9 juin 2022, Confédération paysanne, n° 445088)

 

86 - Fourniture d'électricité - Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) - Volumes déterminés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Remise en cause - Motifs - Rejet.

La société requérante -  qui n'a pu présenter de demande au titre de la période de livraison commençant le 1er janvier 2021 en raison d'une interruption de son droit à l'ARENH prononcée en application de l'article R. 336-27 du code de l'énergie en raison d'un défaut de paiement - ne saurait exciper des objectifs de liberté de choix du fournisseur d'électricité, d'accès transparent, équitable et non discriminatoire à l'électricité produite par les centrales nucléaires et de développement de la concurrence énoncés par le code de l'énergie, pour demander l'annulation de la délibération du 6 mai 2021 ainsi que de la décision du 28 mai 2021 de la CRE l'informant qu'aucun volume d'ARENH ne pourrait lui être accordé sur la période de livraison débutant le 1er juillet 2021 car les objectifs invoqués par la requérante ne sauraient permettre à la CRE, en l'absence de disposition expresse en ce sens, de remettre en cause les volumes d'ARENH qu'elle a notifiés à leurs bénéficiaires au titre d'une période en cours - en l'espèce celle courant du 1er janvier au 31 décembre 2021 - et qui ont donné lieu à des engagements fermes d'achat de la part de ces fournisseurs d'électricité.

En outre, selon le code de l'énergie, les cessions d'électricité en application du dispositif d'ARENH reposent sur des livraisons d'électricité pour une quantité déterminée sur une période d'un an et selon un profil qui doit être constant d'un mois à l'autre. Il n'est donc pas possible de prévoir une cession d'électricité au titre de la période de livraison allant du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 qui ne commencerait qu'en janvier 2022, date à laquelle les décisions prises sur les demandes présentées au titre de la période débutant au 1er janvier 2021 n'auront plus d'incidence. 

(9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294)

 

87 - Aménagement commercial - Projet d'équipement commercial refusé par avis de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) avant le 15 février 2015 - Annulation contentieuse du refus - Nouvelle décision sur réexamen du dossier - Nature d'une décision et non d'un avis - Erreur de droit - Annulation.

Contrairement à ce qui a été jugé par la cour administrative d'appel dont l'arrêt est, pour ce motif, annulé, lorsqu'à la suite de l'annulation contentieuse d'une décision de la CNAC antérieure au 15 février 2015 (date d'entrée en vigueur de l'art. 6 du décret 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial), celle-ci statue à nouveau sur la demande d'autorisation commerciale dont elle se retrouve saisie du fait de cette annulation, l'acte par lequel elle se prononce sur le projet d'équipement commercial a le caractère d'une décision, susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non d'un avis, à la condition qu'il n'ait été apporté au projet aucune modification substantielle au regard des règles dont la CNAC doit faire application et cela même si la Commission se prononce à nouveau après le 15 février 2015. 

(14 juin 2022, Société Distribution Casino France, n° 437816)

(88) V. aussi, rejetant comme irrecevable le recours d'une commune dirigé contre l'avis favorable donné par la Commission nationale d'aménagement commercial à un projet d'aménagement commercial que la commune avait refusé d'autoriser, motif pris de ce que cet avis n'étant qu'une mesure préparatoire, il est insusceptible de faire l’objet d'un recours contentieux.

(14 juin 2022, Commune d'Aix-en-Provence, n° 446920)

 

89 - Aménagement commercial - Juridicité d'un projet  prétendue contraire à deux objectifs ou critères - Sursis à statuer sur l'un d'entre eux et absence de décision sur l'autre - Insuffisance de motif et erreur de droit - Annulation par voie de conséquence de la seconde décision - Annulations avec renvoi.

Dans ce litige en contestation de l'arrêté municipal délivrant à une société  un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un ensemble dénommé de 39 000 m² de surfaces de vente et d'un parc de stationnement de 2 056 places, sur un terrain de 13,68 hectares, la requérante soutenait devant la cour administrative d'appel que le projet litigieux méconnaissait l'objectif d'aménagement du territoire prévu par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce, d'une part, au regard du critère de l'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral et d'autre part, au regard du critère de l'effet sur les flux de transports.

La cour, après avoir estimé que le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'objectif d'aménagement du territoire en raison de ses effets sur les flux de transport était fondé, en l'état du dossier qui lui était alors soumis, a fait usage des pouvoirs qu'elle tenait de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et a décidé de sursoir à statuer par son arrêt du 27 juin 2019, sans toutefois se prononcer préalablement sur le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral.

Or il lui incombait, avant de surseoir à statuer, de constater que les autres moyens invoqués n'étaient pas fondés, ce qu'elle n'a pas fait, rendant ainsi un arrêt  insuffisamment motivé et commettant une erreur de droit. C'est pourquoi le Conseil d'État est à la cassation.

Le Conseil d'État fait ensuite application de la technique, au demeurant très justifiée ici, d'annulation par voie de conséquence.

En effet, lorsque le juge administratif, saisi de conclusions à fin d'annulation d'une autorisation d'urbanisme, s'il estime par une première décision, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, les motifs de cette première décision qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision qui clôt finalement l'instance si cette seconde décision rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans la première décision a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation.

C'est pourquoi, en l'espèce, il appartient au juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux décisions, s'il annule la première décision, d'annuler en conséquence, le cas échéant d'office, la seconde décision.

(15 juin 2022, Société Eurocommercial Properties Taverny, n° 442937)

 

90 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Conseillers en investissements financiers – Manquements - Sanctions disciplinaires - Absence de caractère excessif ou disproportionné au regard des manquements reprochés - Rejet.

Les requérants recherchaient l'annulation  de la décision par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre, pour chacun, une sanction pécuniaire de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers d'une durée de 5 ans, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à 5 ans à compter de la date de la décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme ; à titre subsidiaire, ils demandaient au juge de réformer cette décision en annulant l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant cinq années prononcée à leur encontre ou en en réduisant la durée.

Les demandes sont, sans grande surprise, rejetées.

Tout d'abord, la circonstance qu'est ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire, la faculté  de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Au reste, compte tenu de la procédure suivie devant la commission des sanctions, notamment les conditions d'établissement du rapport et de sa soumission au contradictoire, la parole donnée n dernier lieu aux personnes poursuivies, assurent - contrairement à ce qui est soutenu - le respect des principes du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense.

Ensuite, les fait reprochés sont bien d'une certaine gravité, consistant notamment à avoir conseillé à une congrégation religieuse des investissements très spéculatifs inadaptés tant aux connaissances de celle-ci qu'à sa situation financière et à ses objectifs d'investissement, à ne pas avoir remis dès le début des relations avec deux clientes, divers documents d'information ainsi qu'en ne les informant pas des modalités et du montant des commissions perçues sur les investissements effectués. Enfin, il leur est également reproché, d'une part, la méconnaissance de l'obligation de diffuser des informations exactes, claires et non trompeuses dans leurs relations avec plusieurs autres clients, et d'autre part, l'encaissement des fonds de six clients pour un montant de 660 000 euros, qui ne rémunéraient pas leur activité.

Ces faits, reconnus par les intéressés et répétés sur une durée de trois ans, constituent des manquements caractérisés auxquels il convient d'ajouter des comportements frauduleux constituant des manquements à l'obligation de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs auxquels ont été remis des documents antidatés.

Les sanctions infligées ne sont, dans ces conditions, ni excessives ni disproportionnées quand bien même l'une des personnes sanctionnées fait valoir, s'agissant de l'interdiction d'exercice de cinq années, que, au vu de son âge, cela a pour effet de lui faire cesser définitivement l'activité en cause.

En revanche, est rejeté le recours incident du président de l'AMF tendant à ce que la sanction pécuniaire soit portée de cinquante mille à cent mille euros.

(17 juin 2022, Société Groupe Consultant en Gestion Financière Internationale (CGFI) et M. A., n° 443523)

 

91 - Aménagement commercial - Étendue de la compétence de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) – Étendue de sa compétence systématique - Faculté d'autosaisine en dehors de cette compétence - Erreur de droit - Annulation.

Il résulte des dispositions de l'art. L. 752-17 du code de commerce que la CNAC est systématiquement informée des projets dont la surface de vente est supérieure ou égale à 20 000 m2 et de ceux ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet.

Toutefois, cette compétence systématique de la CNAC ne l'empêche pas, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel, de connaître de l'ensemble des projets d'aménagement et non seulement de ceux dont la surface de vente devant être autorisée est supérieure ou égale à 20 000 m2.

(20 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 441707)

 

92 - Inspecteurs de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes - Enquête débouchant sur la constatation de manquements et l'infliction d'amendes administratives - Nominations de ces agents constatateurs non publiées - Irrégularité - Annulation des sanctions - Erreur de droit - Annulation.

La société Réseau assistance, sanctionnée par deux amendes administratives pour des manquements constatés par des agents du service de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes ayant donné lieu de leur part à l'établissement de procès-verbaux, conteste la régularité de la procédure suivie à son endroit.

La cour administrative d'appel, se fondant sur l'obligation de publication des décisions portant nominations, promotions de grades et mises à la retraite dans la fonction publique d'État (art. 28 de la loi du 11 janvier 1984 et art. 2 du décret du 19 mars 1963 portant règlement d'administration publique relatif à la publication des décisions concernant la situation individuelle des fonctionnaires), a, d'une part, constaté l'absence de publication des nominations en qualité d'inspecteurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, des agents verbalisateurs, et d'autre part, déduit de cette situation qu'ils n'avaient pas été habilités à mener les opérations d'enquête à l'encontre de la société Réseau Assistance à compter du mois de janvier 2016, ni à en dresser procès-verbal le 1er mars 2016.

Le Conseil d'État annule cet arrêt en raison de l'erreur de droit sur laquelle il repose : la circonstance que les décisions de nominations les concernant n'aient pas été publiées est sans incidence sur la légalité de leur nomination comme sur la validité de leurs actes.

D'où cette question naïve : que recherche le législateur en imposant cette publication ? Rien ? Il serait étrange que le législateur exige de porter à la connaissance de l'opinion des nominations sans que le non respect de cette exigence de forme ait une quelconque incidence.

(23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443379)

 

93 - Demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture – Composition du dossier – Exigences d’informations portant atteinte au secret des affaires – Absence d’atteinte – Rejet.

La demanderesse recherchait l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 1er avril 2020 fixant la composition des dossiers de demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture et les critères à prendre en compte dans la préparation des éléments requis pour l'évaluation.

A l’appui de son recours, l’union requérante invoquait trois moyens, tous rejetés.

En premier lieu, était invoqué en vain le non respect du principe de sécurité juridique  puisqu’en annexe de l’arrêté litigieux figure bien un « guide relatif à l'évaluation des dossiers de demande relative à une autorisation de mise sur le marché ou à un permis pour des matières fertilisantes, des adjuvants pour matières fertilisantes et des supports de culture », lequel présente les recommandations relatives aux éléments à renseigner selon les différents paramètres évalués et permet notamment aux demandeurs d'être informés des éléments attendus pour évaluer la conformité de leurs produits aux teneurs de référence et de flux. C’est donc à tort qu’était soulevée ici la méconnaissance du principe de sécurité juridique.

En deuxième lieu, il était prétendu que l'arrêté querellé était entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que, d'une part, il fixerait des valeurs en éléments traces métalliques (ETM) de référence maximale pour la délivrance des différentes autorisations relatives aux produits concernés qui se situeraient en-deçà des valeurs limites fixées par le règlement européen du 5 juin 2019, par les normes françaises qui seraient applicables et par la règlementation d'autres États membres sans tenir compte, au demeurant, des particularités des différentes catégories de fertilisants, et en ce que, d'autre part, il porterait atteinte à la liberté de circulation des marchandises. Le juge relève cependant que cet argument doit être écarté puisque ces teneurs constituent uniquement des références pour la qualité des produits et qu'en cas de dépassement de ces dernières, le demandeur apporte les justifications nécessaires sur les éléments en excédent, sans que cela fasse obstacle à son autorisation.

En troisième lieu et surtout – c’est là l’apport le plus important de la décision -, était invoquée l’atteinte au secret des affaires qui résulterait des exigences contenues au I de l’art. 4 de l’arrêté en litige. Pour rejeter le moyen, le juge, se fondant sur les dispositions du code commerce relatives au secret des affaires (art. L. 151-1 et L. 151-7) et sur celle du code rural et de la pêche maritime relatives aux permis d’expérimentation d’une matière fertilisante, d'un adjuvant pour matières fertilisantes ou d'un support de culture ainsi qu’aux autorisations de mise sur le marché (art. L. 255-1, L. 255-7 et L. 255-8 et R. 255-7), en déduit que le secret des affaires n'est pas opposable à la transmission des informations demandées en application des dispositions du I de l'article 4 de l'arrêté attaqué dès lors qu'elles sont requises dans le cadre de l'instruction des demandes de permis d'expérimentation menée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. L'obligation de divulgation de telles informations est limitée à cette agence, aux fins de l'évaluation dont elle a la charge, et les conclusions de son évaluation, qui sont rendues publiques, ne peuvent inclure aucune information dont la publication porterait atteinte au secret des affaires. 

(24 juin 2022, Union des industries de la fertilisation, n° 443192)

 

Droit social et action sociale

 

94 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Entreprise en liquidation judiciaire - Recherche de reclassements par le liquidateur - Portée de l'obligation de reclassement - Rejet.

Dans cette importante décision le Conseil d'État juge que l'obligation de reclassement des salariés d'une société faisant l'objet d'un PSE qu'imposent les art. L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail est satisfaite même si l'annexe au plan est incomplète faute pour une des entreprises du groupe d'avoir fait savoir, avant la décision de l'administration, s'il existait des postes de reclassement sur le territoire national en son sein, dès lors que le liquidateur judiciaire a utilement saisi de cette question les autres entreprises du groupe. L'administration doit exercer un contrôle global du caractère suffisant des mesures que contient le PSE (cf. Assemblée, 22 juillet 2015, Syndicat CGT de l'union locale de Calais et environs, n° 383481).

La cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant illégale la décision de l'administration validant le PSE en raison de l'incomplétude de l'annexe relative aux reclassements.

(1er juin 2022, ministre du travail, n° 434225 ; SELAFA MJA et la SELARL FIDES, agissant en qualité de liquidateurs de la société Alliage Assurances, n° 434243)

 

95 - Plan de sauvegarde de l'emploi  (PSE) - Plan de reclassement du personnel intégré au PSE - Étendue et portée du contrôle exercé par l'inspection du travail - Rejet.

Une nouvelle fois est en cause l'étendue du contrôle exercé par l'inspection du travail, dans le cadre d'un PSE, s'agissant des indications et précisions qui doivent figurer dans le plan de reclassement du personnel, lequel est intégré au PSE.

De l'ensemble des dispositions applicables du code du travail, le juge tire une double conséquence, positive et négative, au stade du document unilatéral portant PSE.

Positivement d'abord, l'autorité administrative doit s'assurer qu'en application des articles L. 1233-61 et suivants du code du travail, le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, que l'employeur a identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise et, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, que l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national dans les autres entreprises du groupe, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir à ces postes, en indiquant dans le plan, pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, leur nombre, leur nature et leur localisation.

Négativement ensuite, l'autorité administrative ne peut contrôler le respect de l'obligation qui, en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, incombe à l'employeur qui projette de licencier un salarié pour motif économique, consistant à procéder, préalablement à son licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles pour le reclassement de ce salarié, qu'ils soient ou non prévus au PSE, en vue d'éviter autant que possible ce licenciement. Il en va ainsi même lorsque le document unilatéral arrêtant le PSE comporte des garanties relatives à la mise en œuvre de l'obligation, prévue à l'article L. 1233-4 du code du travail, de recherche sérieuse de reclassement individuel.

Le juge relève à cet égard que, de telles garanties, dont les salariés pourront, le cas échéant, se prévaloir, pour contester leur licenciement, ne sont pas de nature à dispenser l'employeur de respecter, dans toute son étendue, l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article L. 1233-4 du code du travail. 

Le recours est rejeté.

(20 juin 2022,  Comité social et économique de l'UES Hop ! et autres, n° 437767)

 

96 - Salarié protégé - Licenciement collectif pour motif économique - Contrôle de la régularité de la consultation du comité d'entreprise - Qualité de l'information qui y est donnée - Consultation non nécessaire du comité d'hygiène et de sécurité - Connaissance satisfaisante du périmètre  du groupe - Contrôle de la réalité du motif économique invoqué - Absence de manquement de l'employeur à son obligation de reclassement - Rejet.

Le juge relève l'absence d'irrégularités qui affecteraient la décision de licenciement pour motif économique de la requérante, salariée protégée, dans le cadre d'un licenciement collectif.

C'est en vain que la demanderesse critique les conditions de consultation du comité central d'entreprise de la société employeur ainsi que celles des comités d'établissement, en particulier eu égard aux informations suffisantes qui leur ont été communiquées.

En revanche, n'était pas requise la consultation du comité d'hygiène et de sécurité.

Tout aussi vainement la requérante invoque-t-elle une méconnaissance par l'administration du travail du périmètre du groupe, cela résultant des pièces du dossier, et une insuffisante connaissance de la réalité du motif économique invoqué au soutien de sa décision de licenciement.

Enfin, l'employeur n'a pas manqué à son obligation de recherche sérieuse de reclassement, alors surtout que l'intéressé n'a pas donné suite à la proposition de reclassement personnalisé qui lui a été faite.

(14 juin 2022, M. B., n° 437422)

(97) V. aussi, annulant une ordonnance du juge d'appel estimant que le liquidateur judiciaire d'une société qui avait procédé au licenciement d'un agent de celle-ci n'avait pas effectué une recherche sérieuse de reclassement dans la mesure où il s'était borné à adresser aux autres entreprises du groupe une « lettre-circulaire » indiquant les emplois occupés par les salariés à reclasser ainsi que leur classification car ce courrier ne comportait aucune précision quant aux caractéristiques de ces emplois, notamment quant à leur rémunération et à leurs conditions d'exercice. Le Conseil d'État juge que commet une erreur de droit l'auteur de cette ordonnance qui estime qu'il appartenait au liquidateur judiciaire, au titre de son obligation de recherche personnalisée de reclassement, d'accompagner son courrier de recherche de postes de reclassement auprès des autres entreprises du groupe de précisions quant à la rémunération et aux caractéristiques des emplois occupés par les salariés à reclasser : 14 juin 2022, Selarl Grave-Randoux, n° 446792.

 

98 - Autorisation administrative de licenciement pour faute disciplinaire d’un salarié protégé – Contestation de la procédure suivie et des motifs du licenciement – Rejet.

Réglant au fond le litige par application de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État – au contraire de l’arrêt d’appel infirmatif attaqué devant lui - juge légale et régulière la décision de l’inspection du travail autorisant ici le licenciement pour motif disciplinaire d’un salarié protégé.

Sur la procédure, le juge relève que n’est pas fondé le moyen tiré de ce que le requérant n’aurait pas disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant la délégation unique du personnel soit le lendemain de son entretien préalable. Ainsi, la décision de l'inspectrice du travail n’est pas illégale pour avoir estimé que le délai séparant l'entretien préalable de la consultation de la délégation unique du personnel était suffisant. Il constate également que les membres titulaires et suppléants de la délégation unique du personnel ont été régulièrement convoqués à la réunion extraordinaire du 15 décembre 2017 en vue de sa consultation sur le projet de licenciement pour motif disciplinaire de l’intéressé.

Enfin, ne saurait être soutenu le caractère non contradictoire de l’enquête menée par l’inspectrice du travail en ce que celle-ci a mis à la disposition du requérant la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire adressée par son employeur en y adjoignant les déclarations, non anonymisées, de l'apprentie auprès de laquelle il lui est reproché d'avoir eu un comportement inapproprié et les témoignages, anonymisés, des autres salariés, dès lors qu'elle avait estimé que la connaissance des noms de ces salariés était, à ce stade de la procédure, de nature à porter préjudice à leurs auteurs. En procédant ainsi, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu les exigences posées par l'article R. 2121-11 du code du travail. 

Sur le motif du licenciement, le juge estime que l’inspectrice du travail n’a pas inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis en estimant qu'ils étaient fautifs et de nature à justifier à eux seuls le licenciement. En effet, il ressortait du dossier que le requérant a eu à l'égard d'une apprentie de dix-neuf ans un geste à caractère sexuel, particulièrement inapproprié dans le cadre des relations professionnelles et qu’il tenait habituellement des propos à caractère déplacé à l'encontre de salariées de l'entreprise. Ce geste, commis au préjudice d'une jeune femme en contrat d'apprentissage, constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement sans que puisse y faire obstacle les allégations du requérant qui ne sont pas établies.

(29 juin 2022, M. B., n° 442190)

 

99 - Licenciement pour motif économique d’un salarié protégé – Portée de l’exigence d’une enquête administrative contradictoire – Cas particulier d’un licenciement en vertu de l’art. L. 631-17 du code de commerce – Rejet.

De cette très longue décision seront retenus ici seulement deux aspects.

Le premier concerne l’étendue de l’obligation pour l’autorité administrative de mener une enquête contradictoire en cas de licenciement d’un salarié protégé.

Si des dispositions du code du travail (art. R. 2421-4 et R. 2421-11) imposent à l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, de procéder à une enquête contradictoire quel que soit le motif de la demande, cette obligation ne s’applique pas lorsque ministre chargé du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur. Il n’en va autrement que dans l’hypothèse où l'inspecteur du travail n'ayant pas lui-même respecté l’exigence d’une enquête contradictoire, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation. 

Le second aspect concerne le cas particulier où des licenciements pour motif économique sont jugés nécessaires alors que l’entreprise est placée en période d’observation dans le cadre d’un redressement judiciaire. En ce cas, selon l’art. L. 631-17 du code de commerce, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce.

Le Conseil d’Etat estime en outre, au-delà du texte légal, que si est envisagé le licenciement d’un salarié protégé, l'administrateur doit, en outre, solliciter l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement, et qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée.

En revanche, le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions du code de commerce que pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes sont examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Il s’ensuit que si un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration et, partant, devant le juge administratif.

(29 juin 2022, Mme C., n° 443955)

 

100 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en cause de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

V. n° 183

 

101 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut de ces agents ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

V. n° 144

 

 

102 - Droit à congé annuel payé - Absence d'exercice de ce droit par le salarié placé en congé maladie - Régime juridique issu du droit de l'Union européenne - Erreur de droit - Annulation partielle.

Il résulte des dispositions l'art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail telles qu'interprétées par la jurisprudence de la CJCE (20 janvier 2009, Gerhard Schultz-Hoff, aff.C-350/06 et Stringer e. a., aff. C-520/06) :

- que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, ne s'éteint pas à l'expiration de celle-ci et, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, qu'un droit à indemnité financière doit lui être reconnu lorsqu'il n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé.

- que ce droit au report ou, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, à indemnisation financière, s'exerce toutefois, en l'absence de dispositions sur ce point dans le droit national, dans la limite de quatre semaines par année de référence.

L'arrêt de la cour est confirmé en tant qu'il statue sur le premier aspect et annulé en tant que, sur le second aspect, il juge que l'intéressé devait disposer de 25 jours de congés payés qui n'avaient pu être pris du fait d'un arrêt de maladie alors qu'il résulte de l'art. 7 de la directive qu'il n'avait droit qu'à 20 jours.

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 443053)

 

103 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité –

Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance d’appel jugeant qu'un syndicat n'a pas qualité pour introduire un recours contre la décision de l'inspecteur du travail autorisant un employeur à licencier un salarié protégé pour inaptitude alors, d’une part, qu’un syndicat de salariés est recevable à demander l'annulation de la décision par laquelle un inspecteur du travail autorise le licenciement d'un délégué du personnel et d’autre part, que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité pour introduire elle-même le recours ce qui était le cas de l’espèce. 

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

 

104 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Prise en compte de la date d’envoi non de la date de réception – Erreur de droit – Annulation.

Pôle emploi a, le 30 juillet 2020, signifié par acte d'huissier de justice à Mme B. une contrainte émise le 22 juillet 2020 pour la récupération d'une somme correspondant à un indu d'allocation de solidarité spécifique. Une ordonnance du magistrat du tribunal administratif à ce désigné a jugé que l'opposition à cette contrainte, formée le 17 août 2020 au greffe de ce tribunal, était tardive et l'a, en conséquence, rejetée comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du CJA.

Cependant, le Conseil d’État relève que si, en principe, les délais de recours devant les juridictions administratives sont des délais francs, les recours devant être enregistrés au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai, il résulte toutefois un régime particulier de computation des délais du chef des dispositions de l'article R. 5426-22 du code du travail selon lesquelles : « Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ».

D’une part, ces dispositions sont applicables également aux oppositions formées par un allocataire à l'encontre d'une contrainte émise par Pôle emploi aux fins d'obtenir le remboursement d'une prestation servie au titre du régime d'assurance chômage qu'il estime avoir indûment versée, oppositions qui relèvent des juridictions judiciaires.

D’autre part, ainsi que cela est le cas devant ces juridictions en vertu des articles 642 et 668 du code de procédure civile, l'opposition à contrainte doit seulement être « adressée » à la juridiction compétente, c'est-à-dire expédiée - en cas d'envoi postal -, avant le terme du délai de quinze jours à compter de la signification de la contrainte, qui n'est pas un délai franc mais est seulement susceptible de prorogation jusqu'au premier jour ouvrable suivant s'il expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé.

En l’espèce, la signification à l’intéressée ayant eu lieu le 30 juillet 2020 par exploit d’huissier, le délai de quinze jours prévu à l'article R. 5426-22 précité expirait le vendredi 14 août 2020 à minuit.

Se fondant, pour rejeter comme tardive l'opposition de Mme B. à la contrainte signifiée le 30 juillet 2020, sur la circonstance qu'elle n'avait été enregistrée au greffe du tribunal que le lundi 17 août 2020, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit faute d’avoir recherché à quelle date le pli contenant l'opposition à contrainte avait été adressé au tribunal. 

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

(105) V. aussi, identique : 24 juin 2022, M. B., n° 455435.

 

106 - Centre communal d’action sociale (CCAS) – Suspension d’aides facultatives – Intérêt pour agir d’une organisation nationale à l’encontre d’une mesure à effet local – Indétermination des motifs de suspension des aides et urgence – Annulation.

Par délibération de son conseil d’administration, un président de CCAS a été autorisé à suspendre l'accès aux aides sociales facultatives, telles que prévues dans le règlement de l'aide sociale facultative de ce CCAS, aux personnes décrites dans la délibération. Etaient visées : les personnes ayant « fait l'objet d'un rappel à l'ordre », ou ayant « refusé l'accompagnement parental proposé par le conseil des droits et devoirs des familles au titre de l'article 141-2 du code de l'action sociale et des familles », ou « fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public » ou « causé un préjudice à la commune », ainsi que la « famille directe » de ces personnes « lorsque lesdites personnes sont mineures ».

L’organisation demanderesse a formé un référé tendant à la suspension de l’exécution de cette délibération. Cette action soulevait deux questions distinctes.

La première tenait à l’intérêt d’une organisation à vocation nationale pour agir contre une mesure à effet local. La réponse, on le sait, est en principe négative sauf si la décision contestée « soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ». Le premier juge des référés ne l’a pas pensé puisqu’il a jugé irrecevable l’action introduite en l’espèce. Au contraire, le juge du Conseil d’État a estimé que cette décision était de nature à affecter des personnes vulnérables et qu’elle présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local, d’où il déduit la recevabilité du recours. La solution se discute car la potentialité de « diffusion » de cette décision suppose autant de délibérations distinctes des CCAS des différentes communes « imitatrices » ; de là à voir apparaître un intérêt suffisamment général, il y a un très grand pas à franchir…

La seconde question portait sur le fond de la demande : le juge y aperçoit l’urgence à statuer eu égard aux effets de la délibération contestée sur la situation des personnes susceptibles de bénéficier des aides sociales facultatives et a un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée en ce qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de ses imprécisions quant aux circonstances pouvant conduire à la suspension des aides sociales facultatives et de l'absence de tout encadrement de la faculté reconnue au président du CCAS.

(24 juin 2022, Ligue des droits de l’homme, n° 454799)

 

Élections et financement de la vie politique - Transparence de la vie publique

 

107 - Élection des députés à l'Assemblée nationale représentant la huitième circonscription  des Français de l'étranger - Demande d'ouverture de bureaux de vote supplémentaires - Refus - Rejet.

Électeur dans la 8ème circonscription des Français de l'étranger (Chypre, la Grèce, Israël, Italie, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège et Turquie) l'intéressé avait demandé l'ouverture de bureaux de vote supplémentaires en Israël, dans la circonscription consulaire de Tel-Aviv, à Ashod et Beer-Sheva. Il demande l'annulation du refus opposé à sa demande.

Pour rejeter le recours le Conseil d'État relève d'une part, le peu d'utilisation du vote à l'urne dans cette circonscription, la distance raisonnable pour effectuer le trajet aller-retour entre Tel-Aviv et Ashod ou Beer-Sheva qui dure deux heures, d'autre part, la circonstance de la coïncidence de la date du scrutin avec la fête juive de Chavouot où les fidèles restreignent fortement leurs déplacements, réduisant encore davantage le recours au vote à l'urne.

(1er juin 2022, M. A., n° 464200)

(108) V. aussi, à propos d'un litige relatif à l'acheminement de matériel électoral pour les élections législatives se déroulant en France continentale et aux conditions de délai : 5 juin 2022, M. B. et autres requérants de Lutte ouvrière, n° 464686.

(109) V. encore, statuant sur diverses contestations, dont aucune n'est retenue, relatives à la circonscription électorale Asie-Océanie et constatant qu'au total le résultat de l'élection demeure inchangé : 16 juin 2022, M. Q. et autres, n° 459463.

 

110 - Élections des conseillers des Français de l’étranger – 4ème circonscription du Canada – Ambiguïté sur le soutien apporté à une liste – Profession de foi se prévalant du soutien d’un président de la république – Manœuvres dans un contexte de faible écart de voix – Annulation.

Deux recours, joints, demandaient l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées d’abord entre les 21 et 26 mai, puis le 29 mai 2021 en vue de l'élection des conseillers des Français de l'étranger dans la 4ème circonscription du Canada (Montréal, Moncton et Halifax).

Le juge retient, pour procéder à l’annulation sollicitée, en premier lieu, l’ambiguïté résultant de ce que sur la circulaire électorale de la liste conduite par Mme Q. (Écologie, urgence climatique et environnement avec les Françaises et les Français du Québec et des Provinces atlantiques : liste verte pour servir et défendre vos intérêts en accord avec les objectifs de développement durable de l'ONU) figuraient la signature du président de la Fondation Nicolas Hulot ainsi que son portrait et un logo très semblable à celui de cette Fondation même s’il était soutenu que cette liste ne s’était pas appropriée le soutien de cette Fondation mais que cette liste apportait son soutien à cette Fondation.

Est retenu en second lieu le fait que la profession de foi de la liste conduite par M. F. (Ensemble avec le Président de la République et le Premier ministre pour une fiscalité équitable en supprimant la CSG/CRDS, une protection sociale de la CFE accessible à tous et une simplification des démarches consulaires en ligne) a fait figurer en pleine page la photographie de M. Emmanuel Macron, Président de la République en exercice, accompagnée de la mention de cette qualité dans la plus forte police de caractères du document, associée à la photographie de M. F... en format réduit insérée en bas à droite et, en bas à gauche, à un logo reproduisant la façade du palais de l'Élysée arborant le pavillon national. Les bulletins de vote de cette liste ont par ailleurs reproduit, également avec la plus forte police de caractères du document, la mention « Président de la République » , accompagnée par le même logo.

Tout ceci a été jugé constituer des manœuvres qui, en l’état du faible écart des voix, conduisaient à l’annulation des opérations électorales litigieuses.

(24 juin 2022, M. Y., n° 453475 ; M. X. et M. AH., n° 453507)

 

111 - Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (12 décembre 2021) - Choix de la date de la consultation - Prise de position publique du premier ministre - Modalités de vote offertes dans certaines communes pour cause d'épidémie - Acte de campagne regrettable - Rejet.

Le Conseil d'État rejette tous les griefs contenus dans les protestations dirigées contre la tenue de la consultation du 12 décembre 2021 sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Tout d'abord,  était critiquée le maintien de cette consultation en temps de pandémie et durant la période de deuil coutumier décrété par le sénat coutumier qui auraient provoqué un fort taux d'abstention. Ces griefs sont rejetées car les mesures prises ont permis de concilier sécurité sanitaire et bon déroulement des opérations électorales. Par ailleurs, le taux d'abstention n'est pas, en France, à lui seul, un élément de la validité d'un scrutin.

Ensuite, en prenant position en faveur du choix de la France par les électeurs néo-calédoniens le premier ministre n'a contrevenu à aucune règle ou principe et notamment pas à une prétendue « obligation de loyauté et d'impartialité ».

En outre, pour certaines communes, du fait de leur situation sanitaire, le haut-commissaire de la république a prévu une faculté de prolongation de la période ouverte pour les électeurs des communes insulaires de la Nouvelle-Calédonie pour demander à voter ou à ne plus voter dans un lieu de vote ouvert à Nouméa lors de cette consultation, il a prolongé de deux semaines la période d'option dont disposaient les électeurs des communes de Bélep, île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa pour choisir de voter dans un lieu de vote délocalisé.

Enfin, pour regrettable que soit la diffusion des clips vidéos des groupements « Voix du Non 2 » et « Voix du Non 3 » pendant une partie de la campagne officielle celle-ci n'a pas porté atteinte à la sincérité du scrutin en l'état du nombre de « non » parmi les suffrages exprimés.

(3 juin 2022, Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et autres, n° 459711 ; M. AZ. et autres, n° 459753, jonction)

 

112 - Élections législatives - Établissement de la « grille des nuances politiques » - Objectif d'obtenir des résultats électoraux sincères - Refus de prévoir une nuance « NUPES » - Organisation présentant un programme partagé de gouvernement et des candidats uniques sur tout le territoire - Annulation.

En vue des élections législatives devant se tenir les 5 et 12 juin 2022, le ministre de l'intérieur a, comme à l'accoutumée, établi une grille des nuances politiques afin que les citoyens disposent de résultats électoraux sincères faisant apparaître les tendances politiques.

Diverses formations politiques se sont réunies en une Union qui s'est dotée d'un programme politique qu'elles se partagent et présentant des candidatures uniques communes.

La circulaire du 13 mai 2022 ne prévoit pas la nuance « NUPES » dans la grille des nuances, chaque parti la composant y est enregistré sous son propre nom tandis que la nuance « ECO » réunit tous les partis écologistes quelle que soit leur tendance politique, gauche ou droite.

Les requérants demandaient la suspension de l'exécution de cette circulaire en tant que n'y figure pas la nuance NUPES.

Le juge des référés statuant en formation collégiale prononce la suspension de la circulaire litigieuse.

Il le fait d'abord à partir d'un constat porté par un souci de démocratie. La coalition « NUPES », analyse le juge, « rassemble les principaux partis et formations politiques d'opposition situés à gauche de l'échiquier politique français, autour d'un programme partagé de gouvernement et des candidatures uniques dans l'ensemble des circonscriptions électorales. Ce rassemblement constitue un courant politique qui participe à la structuration du débat électoral en vue des élections législatives de 2022. Dans ces conditions, l'absence de comptabilisation, sous une nuance unique, des suffrages qui se porteront sur les candidats soutenus par la coalition " NUPES " (...) est susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux à l'issue des deux tours de scrutin. »

Il le fait ensuite dans un souci d'équité, relevant, non sans malice, « que les suffrages portés sur les candidats des partis et formations composant la majorité présidentielle seront comptabilisés sous la seule nuance " Ensemble ! ". »

Il le fait enfin en contraignant le ministre de l'intérieur à mettre un terme à une double incohérence qui, ici, confine la mauvaise foi, ce dont le juge n'est dupe. Il est noté, d'une part, « que (les suffrages) portés sur les candidats investis par les partis et formations écologistes appartenant à la coalition " NUPES " seront comptabilisés sous la nuance " ECO " avec d'autres mouvements écologistes qui n'ont pas rejoint cette coalition » et d'autre part, que si « le ministre de l'intérieur fait valoir que la coalition " NUPES " n'a été constituée que récemment et qu'à la différence des partis et formations composant la majorité présidentielle, les partis et formations politiques de la coalition " NUPES " ont conservé leur autonomie pour l'investiture des candidats dans les circonscriptions électorales qu'elles se sont réparties, pour la campagne audiovisuelle et pour l'accès au financement public (...) » ce même ministre « regroupant (par sa circulaire), sous des nuances communes, des formations politiques totalement indépendantes les unes des autres, le critère de l'autonomie n'apparaît dès lors pas déterminant dans la définition des nuances ».

L'analyse est fine et sévère, montrant par là les limites d'un exercice confiant au ministre de l'intérieur le soin de distribuer un nuancier politique sur l'honnêteté intellectuelle duquel on peut s'interroger.

Reste cependant aussi qu’une « coalition » dont les composantes demeurent indépendantes les unes des autres et agissent tantôt ensemble tantôt séparément  a quelque mal à prouver qu’elle existe réellement.

(ord. réf. form. coll., 7 juin 2022, La France insoumise, Europe Ecologie les Verts, Génération.s, Génération Écologie, Les nouveaux Démocrates, le Parti communiste français, le Parti socialiste et la coalition la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), n° 464414)

 

113 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

V. n° 41

 

 

114 - Élections au conseil départemental - Irrégularité alléguée de procurations - Écart des voix - Demande de proclamer des inéligibilités - Absence de preuve de manoeuvres frauduleuses - Rejets.

La circonstance, prétendue, que sur 130 procurations, plusieurs dizaines d'entre elles auraient été établies irrégulièrement est sans effets sur les résultats du scrutin dès lors qu'au premier tour du scrutin, 556 voix séparaient le binôme arrivé en troisième position de celui arrivé en deuxième position et qu'au second tour, 271 voix séparaient les deux binômes restés en lice.

Par ailleurs, en l'absence de toute preuve que M. K. ou Mme F. auraient accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin, la demande de les déclarer inéligibles ne peut qu'être rejetée.

(17 juin 2022, M. H. et Mme B., Élections des conseillers du canton de Vesoul 2, n° 461890)

 

115 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Avis d'incompatibilité entre des fonctions exercées et des fonctions envisagées - Rejet.

Le juge des référés de l'art. L. 521-4 CJA rejette la demande de suspension de l'exécution  de la délibération de la HATVP contenant un avis d'incompatibilité à propos de l'exercice des fonctions de directeur d'activités au sein de la société Alliaserv ESNA avec les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années dans les services de la commune de Cenon.

Pour ce faire, il relève, pour l'essentiel, tout d'abord, qu'un contrat de performance énergétique chauffage, ventilation, climatisation, d'une durée de 6 ans et 8 mois, a été attribué le 21 avril 2021 par la commune de Cenon au groupement dont la société Alliaserv ESNA est le mandataire ainsi que le marché global de performance pour la construction d'un centre aqualudique, d'une durée totale de 138 mois, confié par la commune le 1er mars 2021 à un groupement dont la société Baudin Chateauneuf est le mandataire et dont la société Alliaserv ESNA est l'un des co-traitants.

Il relève ensuite que ces deux contrats ont fait l'objet de procédures de passation pilotées par la direction du patrimoine dont le requérant était à l'époque le directeur. Le juge précise que si ce dernier fait valoir qu'il ne disposait pas de délégation de signature pour conclure ces marchés, qu'il n'a pas participé avec voix délibérative au jury du concours, qu'aucun document écrit n'atteste qu'il a formalisé un avis à l'une quelconque des étapes du choix et que la commune bénéficiait dans les deux cas d'une assistance à maîtrise d'ouvrage, il n'en reste pas moins que les fonctions qu'il exerçait l'ont effectivement conduit à participer à de nombreuses étapes du processus d'analyse, de négociation et de sélection dans chacun des deux marchés.

Par suite, le moyen tiré de ce que la HATVP aurait inexactement appliqué les dispositions pénales en cause et commis une erreur dans l'appréciation du risque que les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'article 432-13 du code pénal puissent être réunis, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

(ord. réf. 14 juin 2022, M. A., n° 464441)

 

Environnement

 

116 - Implantation d'éoliennes - Refus d'autorisation - Annulation par le juge administratif - Formation de tierces oppositions - Régime applicable - Rejet pour l'essentiel.

Diverses interventions n'ayant pas été admises par les premiers juges, cela donne l'occasion au Conseil d'État, outre l'examen des moyens de fond, de rappeler les principes qui gouvernent la tierce opposition en procédure administrative.

Tout d'abord, la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue en défense à un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ».

Ensuite, la circonstance qu'une association justifie, eu égard à son objet social, d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition au jugement par lequel un tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque le tribunal administratif a assorti son jugement d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement. Cette association n'est donc pas recevable à relever appel d'un tel jugement alors même qu'elle est intervenue en défense devant le tribunal administratif. Il en va de même de toute personne qui justifierait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision administrative, dès lors que le jugement par lequel le tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation ne préjudicie pas à ses droits.

Également, celui dont l'intervention en défense n'a pas été admise par le tribunal administratif, s'il peut former appel contre le jugement en tant qu'il n'a pas admis son intervention, n'est en revanche pas recevable à contester le jugement en tant qu'il statue sur les refus de permis de construire contestés par la société demanderesse, dès lors qu'il ne justifie pas qu'il aurait eu qualité pour former tierce opposition à l'encontre de ce jugement.

Enfin, lorsque le juge administratif annule un refus d'autoriser une installation classée pour la protection de l'environnement et accorde lui-même l'autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions, la voie de la tierce opposition est ouverte contre cette décision aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, sans qu'ils aient à justifier d'un droit lésé. Le tiers peut invoquer tout moyen à l'appui de sa tierce opposition.

A cet égard, pour pouvoir contester une décision prise au titre de la police des installations classées, les tiers doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

(1er juin 2022, Association Apache et autres, n° 441176 ; M. B., n° 441181 ; Commune de Richelieu, n° 481183, jonction)

(117) V. aussi, sur le régime de l'intervention dans le procès administratif : 14 juin 2022, Société Vilogia, n° 449416.

 

118 - Protection d'espèces d'oiseaux menacées - Connaissances scientifiques lacunaires à leur égard - Souci d'améliorer ces connaissances - Absence d'autorisation directe de prélèvements par le décret attaqué - Rejet.

L'association requérante, bien connue du juge administratif, poursuivait l'annulation du décret n° 2020-1092 du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative et demandait à la ministre de la transition écologique, à titre principal, de désinscrire la barge à queue noire, le courlis cendré, le grand-tétras et la tourterelle des bois de l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée et de les inscrire sur la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire prévue par l'arrêté du 29 octobre 2009 et, à titre subsidiaire, de prendre sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement des arrêtés suspendant la chasse de la barge à queue noire, du courlis cendré, du grand-tétras et de la tourterelle des bois.

Le Conseil d'État rejette le recours.

La chasse des espèces en cause est autorisée sur le territoire européen de la France et dans sa zone maritime. Le juge précise, se fondant notamment sur les dispositions des art. L. 425-16 et L. 425-17 du code de l'environnement, que si leur chasse, si elle n'est pas interdite, doit néanmoins être réglementée de manière à ce que le nombre maximal d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de ces espèces dans leur aire de distribution.

De là se déduit la juridicité du décret attaqué dans la mesure où son auteur, en l'état de connaissances scientifiques lacunaires sur ces oiseaux, vise à recueillir des données permettant d'améliorer ces connaissances scientifiques.

De plus, si ces espèces sont en mauvais état, ce n'est pas le décret litigieux qui est susceptibles d'aggraver cette situation mais les éventuels arrêtés pris sur sa base en tant qu'ils autoriseraient des prélèvements. C'est donc au ministre de la chasse qui reviendra, dans ses arrêtés, de satisfaire à l'exigence d'une régulation équilibrée de chaque espèce du point de vue écologique.

Par suite, d'une part c'est contre de tels arrêtés que devraient, le cas échéant, être dirigés les recours de la demanderesse, d'autre part, et pour le même motif, ne sauraient être retenue à l'encontre dudit décret l'atteinte aux principes de précaution et de conciliation (cf. art. L. 110-1 et L. 110-2 c. env. et art. 6 Charte de l'environnement).

(1er juin 2022, Association One Voice, n° 445616)

(119) V. aussi le rejet du recours de cette association dirigé contre le décret du 27 août 2020 relatif à la gestion adaptative des espèces, qui précise notamment la nature des informations recueillies par les chasseurs lors des prélèvements de spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative et les modalités de leur transmission en application de l'article L. 425-20 du code de l'environnement : 1er juin 2022, Association One Voice, n° 445728.

(120) V. encore, rejetant un recours en suspension de l'exécution d'un arrêté ministériel en tant qu'il classe le renard roux sur la liste des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges : 7 juin 2022, Association Oiseaux-Nature, n° 464088.

(121) V. également, annulant  le refus du ministre chargé de la chasse de prendre un arrêté suspendant la chasse au grand tétras, espèce en mauvais état de conservation, ce refus ne respectant pas l'obligation qui résulte des objectifs de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages au motif, rédigé ici en termes de principe, que : « S'il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi l'ensemble des mesures qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent et si le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait en principe être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations, le refus de prendre une mesure déterminée est illégal dans l'hypothèse où l'édiction de cette mesure se révèle nécessaire au respect des obligations qui s'imposent aux autorités compétentes et où l'abstention de la prendre fait obstacle à ce qu'elles puissent être respectées ». : 1er juin 2022, Associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon, n° 453232

 

122 - Police de l'eau - Cours d'eau - Débit minimal nécessaire à la continuité écologique sur la Mayenne - Exploitation de microcentrales hydroélectriques - Répartitition des débits attribués - Rejet.

Était contesté un arrêté préfectoral fixant  la répartition des débits des deux microcentrales hydroélectriques installées sur le seuil de la Richardière, sur la Mayenne. Après avoir vu rejeter son action en première instance puis en appel, la société requérante a saisi le juge de cassation en invoquant deux moyens, l'un et l'autre rejetés.

En premier lieu, la requérante jugeait illégale la fixation de l'ordre de priorité dans la répartition des débits autorisés entre la microcentrale qu'elle exploite et celle de la Société hydraulique d'études et de mission d'assistance (SHEMA). Pour rejeter ce moyen le juge relève, comme la cour administrative d'appel, que cette répartition évolue en fonction du débit moyen de la Mayenne et que pour reconnaître à la SHEMA une priorité d'attribution de débit le préfet a pu légalement retenir qu'à la différence de l'ouvrage de cette dernière celui de la requérante n'était pas équipé de turbines ichtyophiles ni de passes à anguilles.

En second lieu, il est jugé, confirmant l'arrêt d'appel, que si les dispositions du code de l'environnement relatives à la police de l'eau imposent de prendre en compte les droits des tiers ainsi que les droits et usages antérieurement établis, elles ne sauraient ni conduire l'autorité administrative à porter atteinte à la règle du débit minimal nécessaire pour garantir la continuité écologique, qui participe de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont le respect est prescrit par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ni imposer, contrairement à ce que soutient le pourvoi, qu'un ordre de priorité soit fixé sur le fondement d'une antériorité d'exploitation. Le pourvoi est rejeté.

(22 juin 2022, Société de Lauture, n° 441187)

 

123 - Énergie nucléaire - Autorisation de mise en service d'une installation nucléaire de base (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés) - Défaut d'intérêt à agir - Délai de mise en service - Non respect - Conséquences - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 28 juillet 2020 autorisant la mise en service de l'installation nucléaire de base n° 173, dénommée Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés, exploitée par EDF sur le site du Bugey, dans la commune de Saint-Vulbas (Ain).

Tout d'abord, pour rejeter le recours des collectivités publiques genevoises, le Conseil d'État se fonde sur leur défaut d'intérêt intérêt direct et certain leur donnant qualité pour demander l'annulation de la décision attaquée. Il considère en effet « que l'installation litigieuse a pour objet de conditionner et d'entreposer des déchets activés produits dans le cadre, d'une part, du programme de démantèlement des centrales nucléaires dites " de première génération " et de la centrale de Creys-Malville, et, d'autre part, de l'exploitation, de la maintenance et d'éventuelles modifications des centrales nucléaires à eau pressurisée, dans l'attente de leur stockage définitif prévu par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Il en résulte également que cette installation n'a vocation ni à produire de l'énergie, ni à fabriquer ou enrichir des combustibles nucléaires. Les collectivités requérantes sont situées à une soixantaine de kilomètres du site d'implantation de l'installation litigieuse et en amont du Rhône. »

Compte tenu de l'objet de l'activité ainsi exercée, des caractéristiques de l'installation et de leur éloignement du site, la République et Canton de Genève et la ville de Genève ne démontrent pas avoir un intérêt à agir.

Ensuite, concernant la procédure suivie et les critiques qui lui sont adressées par les autres requérants que ceux déclarés dépourvus d'intérêt à agir, le Conseil d'État indique que le décret du 2 novembre 2007 autorisant la création d'une installation nucléaire de base, y compris une installation dont la demande d'autorisation de création a été instruite selon les procédures prévues par le décret du 11 décembre 1963, fixe notamment le délai dans lequel cette installation doit être mise en service. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe qu'une nouvelle autorisation serait requise en cas de dépassement de ce délai, un tel dépassement ayant uniquement pour effet d'ouvrir la possibilité de mettre fin à l'autorisation de l'installation, après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire.

(22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 444945)

(124) V. aussi, assez voisin et également de rejet, la décision : 22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 451998.

Ces deux décisions soulèvent une importante question de principe qui est de savoir jusqu'à quel point il est légitime de faire prévaloir le seul le droit national (ici le droit français) du lieu d'application d'une décision de l'administration lorsque ses effets peuvent se produire, pour l'essentiel, tant en durée qu'en étendue et en gravité, sur le territoire d'un autre État. La souveraineté territoriale trouve ici, comme en bien d'autres matières environnementales, des limites ou des remises en cause sérieuses. La transnationalité des effets ou des risques n'est guère compatible avec la souveraineté de l'État et ce n'est pas l'existence d'un droit et - corrélativement - d'une obligation de réparer qui peut fonder la juste cause du droit de décider solitairement.

 

125 - Projet dénommé « Grand Paris » - Procédure d'évaluation des investissements publics (loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 et décret du 23 décembre 2013) - Contre-expertise - Cas de recours à cette procédure - Contre-expertise non versée au dossier d'enquête - Conséquences - Rejet.

Le décret du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics pris en application de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012, institue en certaines hypothèses une obligation de réaliser une contre-expertise indépendante en fonction de la part  du montant du financement d'un projet prise en charge par celles des personnes publiques mentionnées au II de l'art. 1er de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris lorsque ce financement atteint au moins 100 000 000 euros hors taxe et représente au moins 5 % du montant total hors taxe du projet d'investissement.

La présente espèce soulevait deux questions distinctes : celle des hypothèses concernées par la détermination de ce seuil et celle des conséquences du non versement de la contre-expertise au dossier de l'enquête publique.

Sur le premier point, le Conseil d'État interprète les dispositions précitées comme rendant obligatoire le recours à une contre-expertise non seulement pour un projet dont le montant de financement public dépasse les seuils qui y sont fixés, mais aussi, en cas de modification d'un projet déjà autorisé, soit lorsque la modification entraîne un dépassement des seuils de financement public prévus par cette disposition, soit lorsque la modification apportée porte elle-même sur des montants supérieurs à ces seuils.

Sur le second point, plus spécifique à l'espèce, il est jugé qu'alors même que le projet a déjà fait l'objet d'une contre-expertise, les modifications qui lui ont été ensuites apportées requéraient à nouveau une contre-expertise qui, précisément, n'a pas été déposée au dossier de l'enquête publique ainsi d'ailleurs que l'avis du secrétaire général pour l'investissement. Toutefois, il est jugé que l'analyse socio-économique qui figurait dans le dossier d'enquête indiquait clairement les différentes évolutions par rapport aux projections faites initialement et tenait compte des observations faites dans le cadre de la contre-expertise et par le secrétaire général pour l'investissement et y répondait. Dans ces conditions, l'absence de la contre-expertise et de l'avis du secrétaire général pour l'investissement dans le dossier d'enquête n'a pas été de nature à nuire à l'information du public ni à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

Certes, c'est là l'application d'une jurisprudence simplificatrice selon laquelle les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de cette enquête publique, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. On doit cependant regretter que des textes prévoient l'obligation de respecter des formes et procédures dont le juge décide ensuite que leurs omissions ou imperfections ne seront sanctionnées que de temps à autre. Il serait plus conforme à la démocratie de laisser au seul législateur le pouvoir de distinguer entre les formalités qu’il requiert à peine de nullité et celles dont le non respect est pour lui moins ou pas peccamineux. Ce serait plus conforme au respect du à la hiérarchie des normes que de laisser le juge, comme c’est le cas aujourd’hui, faire son marché au sein de la règle légale.

(22 juin 2022, Association France Nature Environnement Ile-de-France et autres, n° 450701)

 

État-civil et nationalité

 

126 - Personne déclarée « Mort pour la France » - Décès survenu en Algérie le 15 août 1956 - Demande de versement d'une pension de réversion (loi de finances pour 2011) - Demanderesse se prévalant d'un jugement rendu à titre rétroactif – Absence de l’État français en tant que partie à ce jugement - Absence d'opposabilité de celui-ci - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit l'arrêt d'appel estimant que le jugement du tribunal de Cherchell (Algérie), du 8 octobre 2006, authentifiant le mariage de la requérante avec un homme « mort pour la France » le 15 août 1956 et ordonnant son inscription à l'état-civil à titre rétroactif, rendu sans que l'État français n'ait été appelé à l'instance, n'était pas opposable à celui-ci et ne constituait qu'un élément de preuve susceptible d'être retenu par le juge pour apprécier si la date du mariage était établie de façon certaine. Le pourvoi est rejeté.

(14 juin 2022, Mme C., n° 455292)

 

127 - Actes d'état civil étrangers - Obligation de légalisation - Force probante d'un acte légalisé - Irrégularité de la légalisation - Effets - Avis de droit.

Le Conseil d'État a été saisi selon la procédure de l'art. L. 113-1 CJA de deux demandes d'avis de droit relatives à la légalisation des actes d'état civil étrangers et au régime juridique de ces actes.

Le Conseil  rappelle à titre liminaire que le régime de  la légalisation des actes publics étrangers destinés à être produits en France a été d'abord soumis à l'ordonnance d'août 1681 jusqu'à son abrogation par l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, puis, de cette date jusqu'à la loi du 23 mars 2019, par la coutume internationale reconnue par une jurisprudence établie du juge judiciaire.

L'absence de voie de recours possible contre les refus de légalisation a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution les dispositions des 1er et 3è alinéas du II de l'article 16 de la loi de 2019, tout comme le Conseil d'État a annulé le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère pris en exécution de ces dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles, l'un et l'autre juges ayant repoussé au 31 décembre 2022 les effets de ces annulations.

Les dispositions de la loi de 2019, qui se sont substituées à compter de leur entrée en vigueur comme fondement de l'exigence de légalisation à la coutume internationale, demeurent donc applicables jusqu'au 31 décembre 2022. C'est sur leur base que sont posées les questions auxquelles répond le présent avis de droit.
En premier lieu, il résulte de là l'existence d'une présomption légale selon laquelle dans l'acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, puisque la présomption ainsi instituée n'est qu'une présomption simple, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. 

En deuxième lieu, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. D'où il suit qu'en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
En troisième lieu, enfin, dès lors que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.

Revenant aux cas des espèces qui sont à l'origine de sa saisine pour avis, le Conseil d'État indique que l'autorité administrative saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du CESEDA, doit fonder sa réponse, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

(21 juin 2022, M.B., n° 457494 ; M. C., n° 458031, deux espèces, jonction)

 

128 - Nationalité française - Déchéance - Sanction dépourvue de caractère disproportionné - Rejet.

N'est pas entaché d'illégalité le décret prononçant la déchéance de la nationalité française d'un individu aux motifs qu'il a été condamné à une peine de six ans de prison assortie d'une période de sûreté de la moitié pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme et qu'il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal qu'il a rejoint en Syrie un groupe djihadiste affilié à Al-Qaida dont il adoptait l'idéologie djihadiste, a suivi un entraînement au maniement des armes, possédé une arme automatique et été en contact avec des combattants djihadistes sur zone.

Au regard de ces éléments, la mesure attaquée ne revêt point un caractère disproportionné.

(22 juin 2022, M. B., n° 455395)

 

129 - Attribution de la nationalité française - Fraude par omission de déclaration - Retrait d'un décret accordant cette nationalité - Article 27-2 du Code civil - Rejet.

N'est pas illégale la décision du premier ministre de rapporter un décret de naturalisation fondée sur ce que son bénéficiaire, pendant l'instruction de sa demande de naturalisation, a contracté mariage en Tunisie, où elle réside habituellement, avec une ressortissante tunisienne sans porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant cette demande, la survenue de ce mariage, lequel a constitué un changement de sa situation familiale. L'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale.

Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil. 

(22 juin 2022, M. C., n° 457369)

 

130 - Nationalité française - Demande d'acquisition par mariage - Personne non assimilée à la communauté française - Refus - Rejet.

C'est sans illégalité au regard des dispositions de l'art. 21-4 du Code civil que pour refuser à une personne l'acquisition de la nationalité française par mariage le premier ministre s'est fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait être regardé comme assimilé à la communauté française dès lors qu'il adopte un mode de vie caractérisé par une soumission des femmes qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes, ainsi qu'il résulte notamment des propos qu'il a tenus au cours des entretiens menés par les agents du consulat général de France à Alger chargés de l'instruction de son dossier.

(22 juin 2022, M. B., n° 459548)

 

131 - Actes de l’état civil – Mention du nom de chacun des deux parents – Régime d’espacement des deux noms – Circulaires imposant l’existence seulement d’un espace – Interprétation exacte de la loi – Rejet.

La loi (art. 311-21 C. civ.) ayant prévu que les deux parents puissent donner à leurs enfants leurs deux noms de famille « accolés dans l'ordre choisi par eux », il s’ensuit que les circulaires du 25 octobre 2011 relative à la modification des modalités d'indication des « doubles noms » et du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, en tant qu'elles imposent qu'un simple espace sépare les deux noms des parents qui souhaitent procéder à leur accolement pour leurs enfants en application de l'art. 311-21 du code civil ne fixent pas une règle nouvelle mais donnent de la loi une exacte interprétation : elles ne sont donc pas entachées d’incompétence.

Pas davantage, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’en n’autorisant pas que l'accolement des deux parties des noms dévolus puisse se faire par tous les signes d'adjonction communément admis en langue française, ces circulaires porteraient atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention EDH, méconnaîtraient l'art. 2 de la Constitution et l'art. 111 de l'ordonnance d'août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts.

(21 juin 2022, M. E. et autres, n° 456840)

 

Étrangers

 

132 - Étranger mineur entré irrégulièrement en France - Étranger devenu majeur - Obligation de solliciter un titre de séjour - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) possible seulement en ce cas - Octroi d'une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » sans effet sur l'obligation de solliciter un titre de séjour - Rejet.

L'étranger entré irrégulièrement en France alors qu'il était mineur a l'obligation, lorsqu'il est devenu majeur, de solliciter un titre de séjour dans les deux mois suivant l'accession à l'âge de dix-huit ans.

D'une part, ne saurait faire obstacle ou échec à cette obligation la circonstance qu'il ait été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qu'il puisse éventuellement se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », dans les conditions prévues à l'article L. 313-15 du CESEDA.

D'autre part, et en revanche, il ne peut faire l'objet d'une OQTF que s'il s'est abstenu de solliciter un titre pendant cette période.

Enfin, si l'autorité préfectorale doit, avant de prendre une décision portant obligation de quitter le territoire français, mettre l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permettre, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne, ne commet pas d'erreur de droit la juridiction qui, pour écarter le moyen pris de ce qu'en l'espèce le préfet aurait méconnu le droit de l'intéressé d'être entendu, faute pour lui d'avoir bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de la notification de la décision contestée, relève qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que cette assistance lui aurait été nécessaire dès lors qu'il avait lui-même déclaré savoir lire et comprendre le français lors de la notification de l'arrêté.

(1er juin 2022, M. A., n° 441736)

 

133 - Demande de titre de séjour - Importance de cet acte pour le séjour et l'éventuel emploi d'un étranger - Nécessité d'une fixation du rendez-vous en préfecture dans un délai raisonnable - Dysfonctionnement constaté de la procédure de formalités préalables en ligne - Possibilité de saisir le juge du référé (L. 521-3 CJA) - Pouvoir du juge - Rejet - Infliction d'une amende pour recours abusif - Annulation.

Cette décision traduit une fois de plus le mouvement jurisprudentiel d'accentuation de la pression exercée sur l'administration des étrangers dans un souci du traitement raisonnable des dossiers.

En l'espèce, il est jugé que doit être fixée dans un délai raisonnable la date du rendez-vous en préfecture pour l'étranger candidat à l'obtention d'un titre de séjour car ce dernier est très important pour son séjour et, le cas échéant, pour travailler.

Lorsque cette démarche doit être précédée de formalités devant être effectuées en ligne et qu'il est établi un dysfonctionnement du système télématique en cause, l'étranger peut saisir le juge du référé mesures utiles afin qu'il enjoigne au préfet de fixer, dans un délai que le juge détermine, la date du rendez-vous. A cet effet, ce juge doit tenir compte de la situation concrète de l'intéressé ainsi que de son comportement et des données concrètes du dossier.

En l'espèce, le juge des référés est approuvé d'avoir apprécié qu'il n'y avait pas urgence à statuer en mai 2021 sur ce litige dès lors que le demandeur a fait l'objet, le 8 novembre 2017, d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n'a pas déféré.

En revanche, est annulée la décision du juge d'infliger à l'intéressé une amende pour requête abusive car celle-ci est fondée sur la circonstance que l'intéressé avait antérieurement déjà présenté la même demande, qui avait été rejetée par ordonnance du 29 mars 2021 pour les mêmes motifs. Or, relève le Conseil d'État, eu égard à l'objet même de sa demande M. A. pouvait considérer que l'écoulement du temps était de nature à davantage caractériser la situation d'urgence qu'il invoquait, sa requête a donc inexactement été qualifiée d'abusive. 

La solution est très « bienveillante »…

(9 juin 2022, M. A., n° 453391)

(134) V. aussi, largement fondée sur les mêmes principes de raisonnement, l'importante décision (d'ailleurs promise à une publication au Recueil Lebon) par laquelle le Conseil d'État juge - dans un litige relatif à des demandes afghanes de visas pour réunification familiale (V. sur ce point : Assemblée, 2 décembre 1994, Agyepong, Rec. p. 523 ; 10 juin 2011, Mulenda Zangela, Rec. p. 290) - que si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l'autorité consulaire serait tenue de recevoir l'étranger désireux d'obtenir un visa au titre de la réunification familiale, toutefois, en raison de l'importance pour les intéressés d'obtenir un tel titre « il incombe à l'autorité consulaire saisie d'une demande de visa au titre de la réunification familiale, accompagnée des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, de convoquer ces personnes afin de procéder, notamment, aux relevés de leurs empreintes digitales, puis à l'enregistrement de leurs demandes dans un délai raisonnable. » Ce qui confirme une jurisprudence antérieure (10 juin 2020, M. Bhiri, Rec. T. p.780 et 918).

Au terme d'une analyse très fouillée et précise de l'ensemble des mesures prises par les autorités françaises tant nationales que dans les postes consulaires d'Islamabad, de Téhéran et de New-Delhi, le juge déclare que la requête dont il est saisi est devenue sans objet et qu'il n'y a donc plus lieu d'y statuer : 9 juin 2022, M. T. et Mme A. et autres, n° 455754.

(135) V. encore, dans la même lignée, assez audacieux même s'il débouche sur un rejet, l'arrêt jugeant, à propos de demandes de visas pour l'épouse et les huit enfants mineurs d'un réfugié afghan, que lorsque l'autorité consulaire, saisie d'une demande de visa pour réunification familiale, s'abstient de convoquer le demandeur pendant deux mois, naît une décision implicite de refus de convoquer, dont il peut être demandé l'annulation et, le cas échéant, la suspension de l'exécution sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA : 9 juin 2022, M. B., n° 457934.

(136) V. également, identique au précédent mutatis mutandis : 9 juin 2022, M. A., n°457936

(137) V. enfin, rejetant pour défaut d'urgence la demande de suspension de l'absence de rendez-vous en dépit de l'impossibilité alléguée par la requérante d'y parvenir en se connectant au site internet de la préfecture : ord. réf. 22 juin 2022, Mme B., n° 461563.

 

138 - Demande de titre de séjour refusée sur le fondement d'un texte - Demande adressée au juge du référé suspension de lui délivrer ce titre sur la base d'une autre disposition - Obligation de saisir l'administration en vue de sa régularisation - Décision échappant à l'office du juge du référé liberté - Rejet.

L'étrangère qui s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour en application du 1° de l'art. R. 431-5 du CESEDA et dont le recours dirigé contre ce refus est rejeté par le juge, ne saurait demander à celui-ci, en faisant valoir qu'elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur d'autres fondements, d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un récépissé de renouvellement de titre de séjour dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir car une telle demande n'entre pas dans l'office du juge du référé liberté, l'intéressée n'ayant pas, préalablement, présenté à l'administration une demande de régularisation.

(ord. réf. 20 juin 2022, Mme A., n° 464258)

 

139 - Séjour des étrangers - Décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou prolongeant la durée de cette interdiction - Procédure contentieuse - Extension à cette matière des dispositions de l'art. L. 614-5 du CESEDA.

Un tribunal administratif a interrogé le Conseil d'État sur la question de savoir si les recours formés contre les décisions portant prolongation d'une interdiction de retour sur le territoire français prises à l'encontre d'un étranger en application de l'article L. 612-11 du CESEDA doivent être présentés, instruits et jugés selon les modalités prévues aux articles L. 614-5 du CESEDA et R. 776-13-1 et suivants du CJA ?

Adoptant une démarche particulièrement constructive, le juge déduit de diverses dispositions du CESEDA et de l'art. R. 776-3 du CJA que la procédure contentieuse applicable à la contestation d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français relève du régime applicable à la contestation de la décision portant obligation de quitter le territoire français qu'elle accompagne ou, lorsque la décision d'interdiction de retour est prise postérieurement à celle-ci, et en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, de la procédure prévue par l'article L. 614-5 du CESEDA. 

Il estime également qu'il résulte de l'économie générale de ces mêmes dispositions que la procédure prévue par l'article L. 614-5 est également applicable, en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, à la contestation des décisions prolongeant les interdictions de retour, prises en application de l'article L. 612-11 du CESEDA. 

Voilà une bien utile clarification qui montre, une fois de plus, l'invraisemblable fatras rassemblé dans l'illisible CESEDA.

(Avis, 9 juin 2022, M. B., n° 462143)

 

140 - Étranger - Mesure d'éloignement - Préfet de département compétent pour la prendre - Choix du lieu de résidence ou de celui de l'interpellation ou du fondement retenu pour prononcer l'OQTF - Cas d'une mesure d'éloignement fondée sur le rejet définitif d'une demande de protection internationale - Avis de droit.

Saisi d'une demande d'avis (cf. art. L. 113-1 CJA) en ce sens, le Conseil d'État apporte les précisions suivantes concernant la détermination du préfet de département compétent dans diverses situations de prononcé d'une obligation de quitter le terrtoire français (OQTF).

Tout d'abord et à titre principal, le préfet territorialement compétent pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français est celui qui constate l'irrégularité de la situation au regard du séjour de l'étranger concerné. De ce chef, il est indifférent que cette mesure soit liée à une décision refusant à ce dernier un titre de séjour ou son renouvellement, au refus de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire, ou encore au fait que l'étranger se trouve dans un autre des cas énumérés à l'article L. 611-1 CESEDA.

Ensuite, en toute hypothèse, le préfet du département où se trouve le lieu de résidence ou de domiciliation de l'étranger est toujours compétent à cet effet.

Enfin, dans le cas où l'irrégularité de la situation de l'étranger a été constatée dans un autre département, le préfet de ce département est également compétent. Il peut donc exister en ce cas une dualité d'autorités compétentes.

Ceci clarifie de façon très opportune et avec grande simplcité des situations confuses dont le nombre est assez élevé.

(13 juin 2022, M. B., n° 459555)

 

Fonction publique et agents publics - Agents des services publics

 

141 - Professeur de l'enseignement supérieur - Exercice, sans autorisation, d'activités privées et publiques lucratives en sus de ses obligations de service - Manquements divers dans l'exercice de ses fonctions administratives et pédagogiques au sein de son université - Sanction fondée et proportionnée - Rejet.

Le Conseil d'État, statuant en premier et dernier ressort s'agissant d'un litige relatif à un fonctionnaire nommé par décret du président de la république, juge fondée et proportionnée la sanction de suspension de six mois de ses fonctions sans privation de son traitement, prise par un président d'université à l'encontre d'un professeur de son université pour l'exercice, sans autorisation, en sus de ses obligations professionnelles, d'activités privées (dans une entreprise) et publiques (dans une autre université) lucratives, ce qui a eu pour conséquence des dysfonctionnements sérieux sur l'accomplissement des activités pédagogiques et administratives dont l'intéressé avait la charge dans sa propre université.

(1er juin 2022, M. B., n° 458362)

 

142 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

V. n° 173

 

143 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) – Demande d’indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

V. n° 178

 

144 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut du personnel de la SNCF ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, salarié protégé de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, a fait l'objet de la part de la ministre du travail, d'une autorisation de licenciement qu'il a contestée en vain en première instance et en appel, d'où son pourvoi.

Il résulte de l'art. L. 2111-1 du code du travail que les dispositions du livre Ier et du livre IV de la deuxième partie de ce code  - relatives notamment aux syndicats professionnels, au délégué syndical ou au représentant de section syndicale, ainsi qu'à leur protection - s'appliquent au personnel des entreprises publiques soumises à un statut règlementaire, tel que le personnel de la SNCF, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

La question se posait donc de savoir si, en l'espèce, l'on se trouvait - ou non - en présence de dispositions particulières dérogeant au code du travail.

Les dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel prévoient pour les agents faisant l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire, qui s'apparente à une mesure de mise à pied sans suspension du salaire, suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, des règles particulières comportant notamment en fin de procédure l'intervention du conseil de discipline.

Cependant, aucune de ces règles ne fixe de délai pour la saisine de l'inspecteur du travail lorsque, s'agissant d'un salarié protégé, sa radiation ou son licenciement est envisagé.

Par suite, ces dispositions du statut ne peuvent être interprétées comme ayant fixé une règle particulière dérogeant à celles du code du travail figurant au deuxième alinéa de l'article R. 2421-6 du code du travail, dont il résulte que la demande de licenciement doit être adressée dans les huit jours à compter de la consultation du conseil de discipline, au cas où un agent de la SNCF ayant la qualité de représentant d'une section syndicale est susceptible d'être radié à l'issue d'une période de suspension conservatoire.

Ainsi les juges du fond ont commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article R. 2421-6 précité ne s'appliquaient pas aux agents de la SCNF ayant la qualité de salarié protégé, dès lors qu'aucune disposition législative ne le prévoit et qu'elles ne sont pas plus favorables que celles résultant de leur statut, en particulier, en ce qui concerne la procédure disciplinaire. 

L'arrêt d'appel confirmatif est cassé.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

 

145 - Classes préparatoires - Professeur de chaire supérieure - Service statutaire - Décision réduisant le nombre des heures supplémentaires - Compétence de l'auteur de la mesure et légalité de celle-ci - Erreur de droit - Annulation.

Le proviseur d'un lycée tire de cette qualité la compétence pour fixer et, le cas échéant, modifier le service d'enseignement assuré dans sa discipline par la requérante, dans le respect de son statut de professeure de chaire supérieure.

Est légale la décision par laquelle le proviseur a retiré à l'intéressée les enseignements magistraux qu'assurait celle-ci dans la classe 2PSI « étoile » en physique et sciences de l'ingénieur et lui a attribué, toujours en classe préparatoire, des enseignements en première année de physique et sciences de l'ingénieur. Par cette décision, il n'a ni « modifié la chaire » sur laquelle l'intéressée avait été affectée, ni incompétemment modifié son affectation, alors qu'il s'est borné à lui attribuer un nouveau service d'enseignement dans sa discipline. Il en va ainsi alors même que la décision querellée a eu pour effet de réduire les heures d'enseignement accomplies par la demanderesse au-delà de ses obligations statutaires et ainsi sa rémunération effective.

La décision contraire rendue par la cour administrative d'appel est annulée.

(20 juin 2022, Mme A., n° 440778)

 

146 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

V. n° 8

 

147 - Modalités d'accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant  - Ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances - Contrôle contentieux des ordonnances non ratifiées passé le délai d'habilitation - Recherche de la diversification des profils des élèves admis à suivre un cycle préparatoire - Conditions de ressources - Condition de résidence dans un quartier prioritaire - Discrimination - Rejets.

I - La requérante soutenait l'illégalité de divers textes réglementaires (ordonnance de l'article 38, décret et arrêtés) en tant qu'ils établissent pour des publics défavorisés des règles d'accès dérogatoires à certaines écoles de service public. Elle entendait dénoncer un recrutement non au mérite et aux qualités mais fondé sur la condition sociale ou sur celle de résidence dans certains quartiers.

Cette critique est rejetée encore qu'elle soulève de réelles questions fondamentales comme l’érection du darwinisme en norme légale ou encore le caractère non nécessaire d'un haut niveau en matière de fonction publique supérieure ce que démontre a contrario le fait que de telles solutions ne sont pas retenues pour la délivrance du diplôme de médecin ou l'admission au corps de ballet de l'Opéra de Paris, fonctions souffrant guère l’à peu-près ou l’amateurisme.

Ainsi sont donc rejetés les moyens tirés de l'atteinte portée aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics, ou également du fait des critères retenus pour l'attribution de bourses de l'enseignement supérieur ou pour l'accès facilité à ces filières notamment en raison de la résidence dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, une zone de revitalisation rurale ou une collectivité située outre-mer, ces critères ne servant qu'à départager des candidats en cas d'égalité de mérite.

Les mêmes objections sont également rejetées quand elles sont formulées à l'encontre des conditions d'accès aux cycles de formation.

II - La décision se signale aussi par ce qu'elle précise à propos des recours dirigés contre les dispositions non ratifiées d'une ordonnance de l'art. 38.

Après avoir rappelé les conséquences résultant de la jurisprudence récente et incongrue du Conseil constitutionnel admettant que des QPC soient posées à l'encontre de telles ordonnances lorsqu'elles sont fondées sur la violation d'un droit ou d'une liberté constitutionnellement garanti, le Conseil d'État ajoute ceci qui n'est pas nouveau mais dont la ferme réitération n'est pas innocente : Nonobstant cette jurisprudence, le juge administratif peut annuler l'ordonnance dont il est saisi par voie d'action ou peut écarter son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d'autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d'autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit. A ce titre, le requérant a le choix des moyens qu'il entend soulever, en particulier lorsque des principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitution, dans des engagements internationaux ou dans des principes généraux du droit. 

A bon entendeur, salut.

(20 juin 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 451852 et n° 452060)

 

148 - Auditeur de justice stagiaire - Refus de titularisation en fin de stage - Déclaration d'inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires - Mesure prise en considération de la personne sans caractère disciplinaire - Absence de droit de l'intéressée à faire valoir ses observations - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Rejet.

La requérante demandait notamment l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part de la décision du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 la déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et d'autre part, de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d'auditrice de justice.

Il faut retenir surtout de cette décision de rejet, parmi les nombreux moyens qui y sont examinés, le rappel par le juge du régime juridique des refus de titularisation en fin de stage dans la fonction publique.

Tout d'abord, la situation de l'agent public stagiaire est probatoire et provisoire.

Ensuite, il découle de cela qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de façon générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier.

Enfin, cette décision n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements.

Les mêmes règles et principes s'appliquent à la décision par laquelle le jury de classement décide, sur le fondement de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, d'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires un auditeur de justice en raison de son inaptitude à ces fonctions.

(22 juin 2022, Mme E., n° 444254 et n° 444260)

(149) V. aussi, voisine - en ce qu’elle porte sur un refus de titularisation et un licenciement - quoique comportant en outre d’autres aspects, notamment de procédure contentieuse, la décision : 24 juin 2022, M. B., n° 438227.

(150) V. également, concernant le rejet d’un pourvoi dirigé contre un arrêt rejetant la demande d’annulation du refus de titulariser la requérante dans le corps des maîtres de conférences des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministère de l'agriculture après prolongation d’une année de son année de stage et fondé sur ce que malgré des éléments favorables, la stagiaire n'était pas dénuée de défaillances en matière pédagogique : 29 juin 2022, Mme C., n° 439974.

 

151 - Praticiens hospitaliers et internes - Fixation du temps de travail par demi-journées - Indétermination de la durée d'une demi-journée - Établissement à titre prévisionnel d'un tableau de service nominatif mensuel - Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande tendant à l'adoption d'une réglementation imposant le décompte horaire du temps de travail des internes et des praticiens hospitaliers et instituant une sanction en cas de méconnaissance par les établissements publics de santé des règles relatives à la limitation de ce temps de travail.

En réalité, les textes régissant le temps de travail des praticiens hospitaliers fixent leurs obligations de service hebdomadaires à dix demi-journées lorsqu'ils exercent à temps plein, sans que leur durée de travail ne puisse excéder quarante-huit heures par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois. De façon similaire, les textes régissant la durée de service des internes la fixent à dix demi-journées, dont huit demi-journées de stage et une demi-journée de temps de formation hors stage, qui ne peuvent excéder quarante-huit heures par période de sept jours, calculées en moyenne sur le trimestre, ainsi qu'une demi-journée de temps personnel de consolidation des connaissances et des compétences, qui n'est pas décomptée comme du temps de travail effectif.

Or aucune disposition du code de la santé publique ne définit la durée d'une demi-journée, notamment en termes de nombre d'heures qu'elle comporte.

Pour rejeter le recours et contourner la difficulté ainsi créée, le Conseil d'État recourt à un tour de passe-passe.

Il relève d'abord que, pour organiser et suivre l'accomplissement des obligations de service des praticiens hospitaliers et des internes, l'établissement qui les emploie, d'une part, conformément aux dispositions des articles R. 6153-2-2 et R. 6153-2-3 du code de la santé publique, établit à titre prévisionnel un tableau de service nominatif mensuel comportant leurs périodes de travail et, d'autre part, leur transmet un récapitulatif tous les quatre mois, pour les praticiens hospitaliers, et tous les trois mois, pour les internes.

Ensuite - car pour autant de tels tableaux ne résolvent pas la difficulté que l'on vient de signaler - le Conseil d'État considère que les dispositions précitées « impliquent également nécessairement que les établissements publics de santé se dotent, en complément des tableaux de services prévisionnels et récapitulatifs qu'ils établissent, d'un dispositif fiable, objectif et accessible permettant de décompter, selon des modalités qu'il leur appartient de définir dans leur règlement intérieur, outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque agent, afin de s'assurer que la durée de son temps de travail effectif ne dépasse pas le plafond réglementaire de quarante-huit heures hebdomadaires, calculées en moyenne sur une période de quatre mois pour les praticiens hospitaliers et de trois mois pour les internes. » Cette façon de raisonner ne répond pas à la question car une fois décompté le nombre total d'heures effectuées afin de vérifier le non dépassement du plafond européen de 48 heures hebdomadaires on ne sera pas plus avancé quant à la détermination du nombre de demi-journées effectuées ou devant l'être. Quant au nébuleux renvoi à « des modalités qu'il appartient (aux hôpitaux) de définir dans leur règlement intérieur » il introduit le risque, illégal et incohérent, d'une fixation en nombre d'heures de la durée d'une demi-journée propre à chaque structure hospitalière compétente. Ce n'est guère pensable.

Il eût été plus judicieux que le juge fixe, comme il sait très bien le faire, une durée raisonnable de la demi-journée, quatre heures par exemple, à charge pour le pouvoir réglementaire ou législatif, sorti de sa torpeur normative sur le sujet et n'étant pas, éventuellement, d'accord, d'en fixer par la suite une autre.

(22 juin 2022, Syndicat des jeunes médecins, n° 446917)

(152) V. aussi, largement comparable un autre rejet sur le même sujet par une décision où l'on peut lire - ce qui est inexact - que l'organisation « requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de fixer la valeur horaire d'une demi-journée, les dispositions attaquées exposeraient les internes à des inégalités de traitement. » : 22 juin 2022, Intersyndicale nationale des internes, n° 446944.

(153) V. également, comportant même rejet et même affirmation erronée : 22 juin 2022, Association Action praticiens hôpital, n° 447003.

 

154 - Agent public - Plongeuse à la cuisine d'un ministre - Suspension de ses fonctions - Demande de protection fonctionnelle - Refus de cette protection annulé - Contestation du ministre rejetée.

Une personne exerçant les fonctions de plongeuse dans la cuisine du cabinet d'un ministre est suspendue de ses fonctions pour quatre mois et essuie un refus du ministre de lui accorder la protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral et de violences à caractère sexiste et sexuel.

Saisi par l'intéressée, le juge du référé a suspendu l'exécution de cette décision de refus en estimant que l'intéressée avait été victime de tels faits et qu'elle n'avait pas commis de faute personnelle.

Le ministre se pourvoit contre l'ordonnance de suspension.

Son recours est rejeté en ses deux chefs.

En premier lieu, le juge des référés ayant fait droit aux conclusions tendant à la suspension de la décision implicite refusant d'accorder la protection fonctionnelle,  le ministre de l'éducation nationale n'est évidemment pas recevable à contester l'ordonnance en tant qu'elle a omis de statuer sur les mêmes conclusions de l'intéressée dirigées contre la même décision de refus, prise cette fois explicitement.

En second lieu, en jugeant comme il l'a fait à propos de la victime, le juge des référés n'a pas dénaturé les pièces du dossier.

(22 juin 2022, ministre de l'éducation nationale..., n° 458141 et n° 458152)

 

155 - Concours national d’agrégation des professeurs de droit (droit privé et sciences criminelles 2020-2021) – Contestation de la nomination du président du jury, de certains membres du jury, des résultats d’admission, des nominations et des affectations des impétrants – Invocation d’irrégularités multiples – Rejet.

Par cette décision, longue en raison du nombre et de la diversité des moyens articulés à l’encontre des décisions contestées, est rejeté le recours d’un candidat, par ailleurs défaillant à la dernière épreuve de « spécialité » devant être préparée en loge.

Le lecteur intéressé se reportera au texte de cette décision dont les développements ne peuvent être traités dans le cadre de cette Chronique mais qui soulève nombre de questions récurrentes dont plusieurs ne sont pas négligeables.

(15 juin 2022, M. H., n°446348)

 

156 - Fonctionnaire invoquant des faits de harcèlement moral – Régime d’établissement de ces faits – Absence d’obligation d’établir la preuve des faits – Faits permettant la naissance d’une présomption d’existence du harcèlement – Erreur de droit – Annulation.

Un ouvrier professionnel des établissements d'enseignement de la fonction publique d'État détaché auprès du département du Var en qualité d'adjoint technique territorial principal de 2ème classe au collège « Les Eucalyptus » d'Ollioules a demandé en vain aux juges de premier degré et d’appel l’indemnisation du préjudice subi du fait d'un harcèlement moral dont il s'estimait victime ainsi qu'au titre d'un dysfonctionnement des services résultant d'un manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents.

La cour administrative d’appel, dans son arrêt confirmatif, avait rejeté les demandes du requérant motif pris de ce qu’il n'établissait pas avoir été victime d'une situation de harcèlement moral.

Ce dernier se pourvoit et c’est l’occasion pour le juge de cassation d’indiquer à nouveau le régime juridique d’établissement des faits de harcèlement moral, matière délicate s’il en est.

L’exigence attachée à l’établissement des faits dénoncés comme étant de harcèlement moral est ainsi rappelée : « Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. » 

Il est reproché à la cour d’avoir en réalité exigé du demandeur qu’il rapporte la preuve des faits dénoncés alors « qu'il lui appartenait seulement, en vertu des règles d'administration de la preuve (…), d'apporter des éléments de fait de nature à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ».

L’erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation avec renvoi de l’arrêt déféré à la censure du Conseil d’État.

(24 juin 2022, M. B., n° 444568)

 

157 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

Rappel et sanction de la règle élémentaire de procédure qu’une requête en référé suspension doit, à peine d’irrecevabilité insurmontable, être accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision dont la suspension est demandée.

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

 

Hiérarchie des normes

 

158 - Polynésie française – Dispositions du code l’éducation (art. R. 914-57 et R. 914-58) – Applicabilité ou non dans ce territoire – Portée et place hiérarchique de la loi du 17 juillet 1986 et de la loi organique du 27 février 2004 (art. 7 et 14) – Répartition des compétences entre l’État et le territoire de Polynésie française – Cas des agents publics - Détermination de la qualité d’agents publics – Art. 9 de la loi du 17 juillet 1986 inconciliable avec le principe de compétence exclusive de l’État en cette matière – Disposition abrogée par la loi organique – Exclusivité de la compétence d’État en matière d’agents publics.

La cour d’appel de Papeete a été saisie de demandes de requalification en contrats à durée indéterminée de contrats d’engagement des requérantes qui ont exercé les fonctions de maître délégué au sein d'établissements scolaires en Polynésie française en exécution de plusieurs contrats à durée déterminée conclus avec le vice-recteur de la Polynésie française.

Elle a relevé que ces contrats, qui portent visa des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation, rendus applicables en Polynésie française, avaient été conclus sous une forme différente et pour un motif autre que ceux limitativement énumérés par le code du travail polynésien pour autoriser le recours au contrat à durée déterminée. 

Elle a donc sursis à statuer et renvoyé au Conseil d’État la question préjudicielle portant sur la légalité, au regard de la loi du 17 juillet 1986 et des articles 7 et 14 de la loi organique statutaire du 27 février 2004, des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation en tant qu'ils s'appliquent en Polynésie française en vertu de l'article R. 973-1 du même code.

Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « fonction publique civile et militaire de l'État » et le « statut des autres agents publics de l'État » sont au nombre des matières pour lesquelles les autorités de l'État sont compétentes. Il résulte, en outre, de l'article 7 de la même loi organique, dans sa rédaction antérieure à la loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, applicable aux contrats en litige, que les dispositions législatives et réglementaires relatives aux « statuts des agents publics de l'État » sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière. Or le Conseil d’État relève que si l’art. 31 de cette loi organique permet aux autorités de Polynésie de participer à l’exercice des compétences que l’État  conserve en matière législative et réglementaire, le régime des agents publics de l’État ne figure pas dans les matières limitativement énumérées dans lesquelles peut s’opérer cette participation.

Ensuite, l'article 1er de la loi du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française dispose : « La présente loi est applicable dans le territoire de la Polynésie française (...).

Elle s'applique à tous les salariés exerçant leur activité dans le territoire.

Elle s'applique également à toute personne physique ou morale qui emploie lesdits salariés.

Sauf dispositions contraires de la présente loi, elle ne s'applique pas aux personnes relevant d'un statut de droit public (...) ».

Comme cette dernière réserve, relative aux personnes relevant d'un statut de droit public, ne vise que les agents régis par le titre premier du statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales, il s'ensuit que les agents contractuels de l'État et de ses établissements publics administratifs employés en Polynésie français étaient régis par les dispositions de la loi du 17 juillet 1986, avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 8 de la loi du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, qui prévoit désormais que « les agents non titulaires de l'État régis par le droit privé sont placés sous un régime de droit public à compter du 1er juillet 2021 lorsqu'ils travaillent pour le compte d'un service public administratif en Polynésie française ». 

Enfin, en vertu de la jurisprudence dite Berkani (TC 25 mars 1996, n° 03000, Rec. Lebon p. 535), sauf dispositions législatives contraires, ont la qualité d'agents publics tous les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'une personne publique gérant un service public administratif, quel que soit leur emploi.

Il suit donc de là cette première conséquence que la loi du 17 juillet 1986, en soumettant de tels personnels en Polynésie française à ses dispositions, n'a pas eu pour effet de les priver de leur qualité d'agent public.

Il suit également de là cette seconde conséquence que les dispositions de l’art. 9 de la loi du 17 juillet 1986, en renvoyant à une délibération de l’assemblée de la Polynésie française la fixation des cas et des conditions dans lesquels un contrat de travail peut être conclu à durée déterminée lorsque ce contrat est conclu entre un agent public et l'État, sont inconciliables avec le principe de la compétence exclusive de l'État pour fixer le statut de ses agents publics, qui découle de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004. 

Ces dispositions doivent donc être considérées comme ayant été abrogées par l’art. 196 de la loi organique qui a abrogé toutes les dispositions contraires à cette loi organique.

(27 juin 2022, Mme A. et Mme E., n° 452552)

 

 

Libertés fondamentales

 

159 - Formations de santé - Institution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret n° 2020-553 du 11 mai 2020 relatif à l'expérimentation des modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d'enseignements communs et l'accès à la formation par la recherche. Elle invoquait des moyens de légalité externe qui ne nous retiendrons pas et des moyens de légalité interne tournant pour l'essentiel autour de la liberté d'enseignement.

Ils sont tous rejetés.

Pour dire que le décret attaqué ne porte pas atteinte à la liberté de l'enseignement, le juge retient que ce dispositif de conventionnement, s'il réserve aux universités l'initiative d'une telle expérimentation, ne porte cependant pas atteinte au caractère propre des établissements privés et ne les empêche pas de créer, de gérer ou de financer de tels établissements. Les dispositions de ce décret n'ont en outre pas pour effet d'interdire à ces établissements de délivrer des formations.

Semblablement, pour rejeter le grief d'atteinte à la liberté d'entreprendre, au principe de libre concurrence ainsi qu'à la liberté contractuelle, il est indiqué que le décret litigieux ne crée aucune obligation pour les établissements d'enseignement supérieur privés délivrant des formations dans le domaine de la santé de faire partie d'une expérimentation ni de conclure, par voie de conséquence, une convention dans ce cadre, qu'il n'a pas, non plus, pour objet ou pour effet de limiter le nombre d'établissements pouvant conclure une telle convention ou de restreindre le droit des établissements non parties à une expérimentation d'organiser des formations dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Enfin, doit être relevé le fait que l'accord des établissements associés à une expérimentation est requis préalablement à la transmission d'un projet d'expérimentation aux ministres compétents aux fins d'autorisation.

Également, il ne saurait être soutenu l'instauration d'une inégalité entre étudiants selon que leur établissement aura ou non conclu une convention d'expérimentation car le décret attaqué n'établit par lui-même aucune atteinte au principe de l'égal accès dans l'enseignement supérieur ou à une formation professionnelle.

Ici, la motivation du juge peine à convaincre dans la mesure où le décret attaqué n'instaurant pour les universités aucune obligation de conventionner avec des établissements privés, l'absence éventuelle de conventionnement est bien une conséquence directe, nécessaire et liée de la liberté que ce décret laisse sur ce point aux universités et la différence entre étudiants selon que l'établissement privé dont il relève a ou n'a pas été invité à conventionner en est aussi la résultante directe.

Encore, peut laisser dubitatif l'argument selon lequel bien que la possibilité d'expérimentation ait été prévue par la loi du 24 juillet 2019 également pour les formations paramédicales et que ces dernières ne soient pas envisagées par le décret litigieux cela n'emporte pas méconnaissance de ladite loi parce que cette différence serait en rapport direct avec l'objectif d'expérimentation sans être manifestement disproportionnée.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

 

160 - Droit d'asile - Exclusion du statut de réfugié - Régime de la convention de Genève du 28 juillet 1951 (a), b) et c) du F de l'article 1er) - Office du juge - Cas du « crime grave » à mobile politique (cf. le b) précité) - Appréciation - Rejet.

Les a), b) et c) du F de l'article 1er de la convention de Genève prévoient l'exclusion du bénéfice du statut de réfugié lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les crimes ou les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile.

En ce cas, il entre dans l'office de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction sont de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur a été personnellement impliqué dans de tels crimes ou agissements. 

S'agissant du cas spécifique visé par le b) de ce texte, qui a pour objet d'exclure de cette protection l'auteur d'un crime grave dont il est allégué qu'il ne présente pas le caractère de crime de droit commun mais qu'il a été commis dans un but politique, le demandeur d'asile ne peut être exclu du bénéfice du statut de réfugié si le caractère politique de l'acte qu'il a commis prédomine sur le caractère de droit commun.

En ce cas, il incombe à la CNDA de déterminer s'il existe un lien direct entre l'acte commis et le but politique poursuivi et de mesurer l'adéquation et la proportionnalité entre cet acte et ce but, au regard notamment des moyens employés, de l'exercice ou non d'une violence anormale et indiscriminée et de la nature et du nombre des victimes.

Même si elle peut s'autoriser de précédents jurisprudentiels (v., par ex. : 4 décembre 2017, OFPRA, n° 403454, sur le point de savoir si l'intéressé avait une responsabilité personnelle et consciente dans les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994) - moins explicites toutefois que la présente décision - cette dernière est assez spectaculaire par l'ampleur qu'elle donne à l'interprétation unilatérale, même si elle est de bon sens, de l'une des conventions internationales parmi les plus invoquées devant les juridictions françaises et dont il est à regretter qu’elle ne soit pas dotée d’une juridiction ad hoc au moins pour son interprétation.

(21 juin 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447538)

 

Police

 

161 - Autorisation, dans l'intérêt de la défense et de la sécurité nationale, de la connexion des terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile - Mesure de police - Intérêt pour agir contre cette mesure - Qualité de concurrent insuffisante - Annulation.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu, à la demande de la société concurrente Orange, l'exécution des décisions du 1er juillet 2021 du Premier ministre autorisant SRR à exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau 5G sur le territoire de La Réunion (cf. art. L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques). Saisi de recours formés par les sociétés SRR et SFR, bénéficiaires de l'autorisation, et par le premier ministre, Le Conseil d'État annule l'ordonnance attaquée pour erreur de droit.

Il relève que la société Orange, qui se prévaut de sa qualité de concurrent de SRR sur le marché de la téléphonie mobile à la Réunion, ne justifie pas de ce fait d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation des autorisations accordées à ce dernier, sa demande est donc irrecevable. 

(9 juin 2022, Sociétés SRR et SFR, n° 460203 ; Premier ministre, n° 460207)

 

162 - Amende infligé à un transporteur aérien - Débarquement  en France d'une passagère dépourvue de document de voyage - Pouvoir et devoirs du juge saisi – Étendue du contrôle exercé par le juge de cassation - Rejet.

L'art. L. 6421-2 du code des transports institue une amende à la charge des transporteurs aériens qui débarquent sur le territoiore français des passagers dépourvus de documents de voyage.

En l'espèce, où était en cause la compagnie Air France, le Conseil d'État clarifie sur trois points ce dispositif devenu une source non négligeable de contentieux.

En premier lieu, le juge saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision administrative infligeant une amende à une entreprise de transport doit, d'une part, statuer sur le bien-fondé de cette pénalité et, d'autre part, s'il y a lieu, peut réduire le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. 

En deuxième lieu, ce juge exerce, sous réserve de dénaturation, un pouvoir souverain de constatation et d'appréciation de l'irrégularité qu'il est reproché au transporteur de ne pas avoir décelée.

En troisième lieu enfin, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le caractère manifeste des irrégularités dont l'absence de détection constitue un manquement du transporteur à ses obligations de contrôle de nature à justifier le prononcé d'une amende. En revanche, ce juge ne saurait remettre en cause l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des manquements constatés et des circonstances de l'espèce, appréciation qui est laissée au pouvoir des juges du fond sauf si la solution retenue est hors de proportion.

(21 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 448996)

(163) V. aussi, à propos d'amendes infligées à Air France pour méconnaissance de son obligation de réacheminement résultant alors de l'article L. 625-7 du CESEDA et jugeant que constitue une circonstance exonératoire l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte : 21 juin 2022, Société Air France, n° 450480 ; ministre de l'intérieur, n° 451363.

 

164 - Règlement relatif à certaines tenues de bain dans les piscines municipales - Régles d'organisation et de fonctionnement d'un service public - Respect des principes de neutralité et d'égalité de traitement des usagers - Possibilité d'adaptations justifiées pour motifs religieux sans remise en cause de la neutralité du service  - Autorisation du port du « burkini » - Différence de traitement injustifiée et caractère trop fortement dérogatoire - Rejet.

La présente ordonnance de référé, rendue dans un contexte fortement médiatisé et controversé, l'a été en formation collégiale, signe, à la fois, du souci du juge d'en asseoir la légitimité et d'en solenniser le caractère pédagogique.

Le conseil municipal de Grenoble avait adopté le 16 mai 2022 un nouveau règlement intérieur des quatre piscines municipales dont la commune est gestionnaire dont l'art. 10 de ce règlement, pour le dire vite, y autorisait le port du « burkini ».

Le préfet de l'Isère avait saisi le juges des référés d'un recours contre cette délibération et s'était fondé pour cela sur les dispositions du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales. Il convient de rappeler ici que lorsqu'il est dirigé contre un acte de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, ce référé est traité comme le référé liberté de l'art. L. 521-2 du CJA, en particulier concernant le délai de 48 heures imparti au juge pour statuer.

Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu ladite délibération par ordonnance du 25 mai 2022 dont la commune interjette appel.

Le raisonnement débouchant sur le rejet de l'appel dirigé contre cette ordonnance est organisé en trois temps.

1°/ En premier lieu, est posé le principe bien connu que le gestionnaire d'un service public est tenu, lorsqu'il définit ou redéfinit les règles d'organisation et de fonctionnement d'un service public, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l'égalité de traitement des usagers.

2°/ En second lieu, le juge admet cependant que « pour satisfaire à l'intérêt général qui s'attache à ce que le plus grand nombre d'usagers puisse accéder effectivement au service public », il est loisible  de prendre en considération, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s'imposent à lui, certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses. Ce n'est là qu'une faculté, les intéressés ne disposant d'aucun droit à ce qu'il soit tenu compte de leurs convictions.

3°/ Enfin, en troisième lieu, il ne peut s'agir que d'adaptations qui ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l'ordre public ou nuire au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public. 

 

La cause était dès lors entendue : en ne satisfaisant pas à la condition positive exposée au 2°/ et en se situant, en droit comme en fait, dans le cadre de la prohibition édictée au 3°/, la délibération litigieuse ne pouvait qu'être annulée.

(ord. réf. formation collégiale, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n° 464648)

 

165 - Police des mines et carrières - Autorisation d'exploitation au vu notamment des capacités financières de la société pétitionnaire - Substitutiton de deux financeurs à deux autres figurant dans le dossier de consultation du public - Substitution sans effet sur l'information suffisante du public - Absence d'irrégularité - Annulation pour erreur de droit.

Est entaché d'erreur de droit l'arrêt d'une cour administrttive d'appel qui, pour juger irrégulière la procédure d'attribution d'un permis de recherche exclusif à une société s'appuie sur l'insuffisance de l'information financière donnée lors de la consultation du public du fait qu'après celle-ci deux financeurs du projet avaient été substitués à deux autres figurant dans le dossier de consultation.

Dès lors que cette substitution n'altérait pas les capacités financières de la société attributaire du permis exclusif elle n'a pas eu pour effet, contrairement à ce qu'a jugé la cour, d'entaché d'irrégularité la procédure d'information.

(22 juin 2022, Commune de Couflens et autres, n° 442746)

 

166 - Autorisation de port d'arme - Demande d'autorisation par un maire menacé de mort - Refus - Contrôle restreint du juge - Rejet.

Le maire du Plessis-Robinson avait sollicité l'autorisation du port d'une arme à raison de menaces de mort proférées à son encontre et il avait attaqué en vain devant le juge administratif du fond le refus opposé par le ministre de l'intérieur.

Son pourvoi en cassation est rejeté par le double motif que le juge administratif n'exerce sur les refus d'autorisation de port d'armes qu'un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation et que les juges du fond disposent en la matière d'un pouvoir souverain  d'appréciation des faits, sous réserve de dénaturation.

(22 juin 2022, M. A., n° 450398)

 

167 - Police de la sécurité dans les ports - Refus de délivrer l'agrément individuel pour effectuer des visites de sûreté portuaire - Refus résultant de la consultation d'un fichier - Absence de preuve de la consultation régulière du fichier et par une personne habilité - Circonstance sans effet  sur la régularité du refus d'agrément - Annulation.

Le demandeur s'est vu refuser par le préfet la délivrance de l'agrément individuel nécessaire pour effectuer des visites de sûreté portuaire au motif que la consultation du traitement des antécédents judiciaires effectuée à l'occasion de l'enquête administrative préalable à la délivrance de l'agrément révélait de sa part des faits récents justifiant un refus d'agrément.

Il a saisi la juridiction administrative qui, tant en première instance qu'en appel, a estimé que, faute pour le ministre de l'intérieur d'apporter la preuve, qui lui incombait, de ce que la consultation du traitement des antécédents judiciaires l'avait été par un agent individuellement désigné et spécialement habilité à cette fin, la décision attaquée devait être regardée comme entachée d'un vice de procédure. 

Le Conseil d'État, faisant litière de ce raisonnement, juge dès lors que le code des transports prévoit la possibilité que certains traitements automatisés de données à caractère personnel soient consultés au cours de l'enquête conduite par l'administration dans le cadre de ses pouvoirs de police, préalablement à la délivrance d'un agrément individuel, la circonstance que l'agent ayant procédé à cette consultation n'aurait pas été individuellement désigné et régulièrement habilité à cette fin, si elle est susceptible de donner lieu aux procédures de contrôle de l'accès à ces traitements, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la décision prise sur la demande d'agrément. 

Encore une fois, est-ce bien le rôle du juge administratif de discriminer entre les violations des exigences de forme prévues par la loi celles méritant sanction et celles n'étant que des peccadilles ? Sur quoi se fonde-t-on pour décider que le législateur a voulu fonder une hiérarchie des violations dont l'existence ne ressort nullement du texte qu'il a adopté, surtout dans une matière aussi pernicieuse, insinuante et délétère pour les libertés ? Surtout, enfin, d’où se déduirait, si cette hiérarchie des violations  existait, la compétence du juge pour y mettre bon ordre ?

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 452969)

 

Professions réglementées

 

168 - Médecin spécialiste en psychiatrie – Suspension du droit d’exercer – Insuffisance professionnelle – Obligation de suivre une formation adaptée – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni d’appréciation que le Conseil national de l’ordre des médecins – estimant que les lacunes professionnelles de M. C. étaient constitutives d'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession - a pris à l’encontre de celui-ci une mesure de suspension temporaire du droit d'exercer pendant un an avec obligation de suivre une formation adaptée pendant la durée de la mesure en se fondant pour cela sur un rapport d’expertise qu’il avait ordonné et qui relevait  que ce praticien présentait des insuffisances en matière de connaissances dans le domaine de la psychiatrie de l'adulte, notamment des lacunes dans l'élaboration de diagnostics, la prescription de psychotropes ou l'énonciation de bilans complémentaires nécessaires dans la surveillance de traitements et qu'en outre, il n'avait pas actualisé ses connaissances depuis plusieurs années, malgré l'obligation de développement professionnel continu. 

A cet égard, il importe peu qu'aucune plainte n'ait, antérieurement à la décision contetée, été déposée à son encontre.

(15 juin 2022, M. C., n° 454846)

 

169 - Chirurgiens-dentistes – Procédure disciplinaire – Procédure d’un confrère contre un autre jugée abusive par l’instance ordinale – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui juge que la procédure intentée par un confrère contre un autre revêtait un caractère abusif alors que, pour justifier les manquements disciplinaires qu'elle reprochait à son confrère, l’intéressée faisait valoir, d’une part, mettre en cause l'extraction par ce praticien d'une dent saine et en indiquant de quelle dent il s'agissait, de sorte que sa requête n'était pas totalement dépourvue de précision, et d'autre part, que sa plainte n'était pas motivée par une intention de nuire à ce confrère.

(29 juin 2022, Mme A., n° 442685)

 

170 - Médecin – Interdiction de toute publicité et communication commerciale par voie électronique – Sanction – Incompatibilité de dispositions prohibitives du code de la santé publique avec celles du droit de l’Union (art. 56 TFUE) – Annulation.

Statuant sur une sanction disciplinaire infligée par un conseil départemental de l’ordre des médecins à l’un de ses membres pour avoir contrevenu aux dispositions des art. R. 4126-19 et R. 4127-19 du code de la santé publique prohibant de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, le Conseil d’État rappelle à nouveau l’incompatibilité de ces dispositions avec les stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff.C-339/15). La sanction est annulée.

(29 juin 2022, M. A., n° 458711)

 

171 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

V. n° 31

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

172 - TVA - Obligation d'établir mensuellement un état récapitulatif - Sanction du non respect de cette obligation - Invocation des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines - Demande de transmission d'une QPC - Existence d'un contrôle de proportionnalité exercé par les juges du fond - Rejet.

Les textes instituent, en matière de TVA frappant les échanges intracommunautaires, une obligation pour les entreprises d'établir un état récapitulatif des clients auxquels elles ont fourni des services pour lesquels le preneur est redevable de la taxe dans un autre État membre de la Communauté européenne. Le non respect de cette obligation est puni par l'art. 1788 A du CGI d'une amende de 750 euros portée à 1500 euros à défaut de production de la déclaration dans les trente jours d'une mise en demeure. La requérante soulevait une QPC  à l'encontre de cette disposition en arguant que par son caractère automatique et forfaitaire elle porte atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines puisqu'elle est infligée tous les mois et indépendamment de l'existence de droits éludés et de la valeur des biens ou services échangés.

Le Conseil d'État refuse cette transmission par le motif  que « le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le contribuable ».

On ne peut qu'être étonné que l'auto-institution par un juge d'une compétence à statuer en proportionnalité ait pour effet de supprimer la possibilité d'un recours en QPC surtout qu'à notre connaissance, les opinions des différents juges - qui ne sont que des opinions - sur la proportionnalité peuvent être disparates à souhait risquant ainsi de faire éclater l'unicité d'interprétation de la norme constitutionnelle.

En outre, qu'est-ce une sanction qui, à la fois, peut être plus lourde que le préjudice subi et frapper une absence de droits éludés ? Du fétichisme ou du racket ?

(1er juin 2022, Société Perferencement, n° 459099)

 

173 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

Le syndicat demandeur posait une QPC tirée de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État en ce qu'elles réserveraient aux seules organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un représentant aux fins d'assister un agent de l'État dans l'exercice d'un recours administratif contre les décisions individuelles défavorables prises à son encontre en matière de promotion interne, d'avancement de grade et de mutations. Le Conseil d'État juge que si la question n'est pas nouvelle - lui-même s'est prononcé sur le sujet dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire contenant en substance la même disposition - elle revêt un caractère sérieux justifiant sa transmission.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

 

174 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

V. n° 17

 

175 - Implantation d'éoliennes - Allégation d'inconstitutionnalité de la distance de 500 mètres devant les séparer des habitations - Conseil constitutionnel s'étant déjà prononcé sur cette question  - Invocation d'un changement dans les circonstances - Changement insuffisant pour justifier une nouvelle saisine de ce Conseil - Rejet.

Les requérants soulevait une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre des dispositions du dernier alinéa de l'art. L. 515-44 du code de l'environnement en ce qu'elles fixent à 500 mètres la distance d'éloignement imposée entre les installations d’éoliennes et les constructions à usage d'habitation en arguant de ce que si le Conseil constitutionnel a déjà déclaré cette disposition conforme à la Constitution (13 août 2015, Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, n° 2015-718 DC), un changement de circonstances est survenu postérieurement à cette décision du fait d'une évolution de la taille et de la puissance des éoliennes.

Le Conseil d'État, avec une grande avarice de démonstration comme d’analyse des moyens, se borne, pour refuser la transmission de la QPC, à dire que les évolutions invoqués par les requérants « ne sont pas telles qu'elles caractériseraient un changement dans les circonstances de fait justifiant que le Conseil constitutionnel soit à nouveau saisi de la constitutionnalité de ces dispositions ». Ce qui, d'évidence, ne répond pas à l'argumentation dont le juge était saisi.

(9 juin 2022, Commune de Courcival et autres, n° 460644)

 

176 - Déduction de la TVA déjà acquittée - Défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue à cet effet -  Amende forfaitaire et automatique - Atteinte au principe de proportionnalité des peines - Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Le moyen tiré de ce que les dispositions du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 16 juin 2021 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-CF-INF-20-20 réitérant les dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du GI, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment, du fait de l'absence de plafonnement du montant de l'amende, au principe de proportionnalité des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux, justifiant ainsi la transmission de la QPC qui le contient.

(14 juin 2022, Société Igdal, n° 462398)

 

Responsabilité

 

177 - Prescription des actions personnelles ou mobilières en responsabilité - Art. 2224 du Code civil - Point de départ de la prescription - Date de manifestation du dommage et non date de la connaissance de sa cause - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui fixe, en violation des dispositions de l’art. 2224 du Code civil, le point de départ de la prescription non au jour de la manifestation du dommage mais à celui de l'identification de l'origine des désordres et des responsables de ces désordres.

(10 juin 2022, Socié Otéis, n° 450675)

 

178 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) - Indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

Un agent d’une CCI reproche à cette chambre, son employeur, de n'avoir pas cotisé à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO et demande réparation du préjudice subi de ce fait. La cour administrative d'appel a, d'une part, jugé que le régime d'assurance vieillesse reposant sur l'aléa d'un départ à la retraite et que M. D. n'ayant pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite, le préjudice qui résulte de la minoration de la pension complémentaire qui lui serait servie présente un caractère éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation, et d'autre part, que, dès lors qu'avaient été publiés les textes règlementaires obligeant son employeur, ainsi qu'il l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, il appartenait à M. D., s'il s'y croyait fondé, d'en demander le bénéfice au titre des services d'enseignant titulaire qu'il avait accomplis du 1er mars 2006 au 31 décembre 2010. L'arrêt est cassé en ses deux chefs pour erreurs de droit.

En premier lieu, il incombait à la cour de rechercher si des circonstances particulières, telle que l'âge de l'agent, permettaient de regarder le préjudice invoqué comme suffisamment certain.

En second lieu, la cour n'a pas, non plus, recherché si le requérant ne pouvait pas être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

(179) V. aussi, concernant un identique litige avec la même CCI, confirmant le second point de l'analyse de la décision précédente : 10 juin 2022, M. D. , n° 452737.

 

180 - Dépose d'éléments d'un opéra contenant de l'amiante - Travaux de dépollution - Demande, en qualité de subrogée, de remboursement des fonds avancés par la commune, et des réparations versées par son assureur - Rejet.

C'est sans erreur de qualification des faits qu'une cour d'appel rejette le recours de l'assureur de la commune de Lyon et de son opéra, motif pris, d'une part, de ce que la ville de Lyon avait connaissance de la présence d'amiante dans les cinq portes coupe-feu dont elle a demandé à une société, par un bon de commande émis le 9 décembre 2008, de procéder à la dépose, l'évacuation en décharge et le remplacement, et qu'elle ne s'était pas assurée que cette société ou la société à laquelle cette dernière sous-traitait l'exécution de la prestation disposait du certificat de qualification exigé par l'arrêté du 22 février 2007 définissant les conditions de certification des entreprises réalisant des travaux de retrait ou de confinement de matériaux contenant de l'amiante, et d'autre part, de ce que le préjudice dont la ville demandait réparation du fait de la pollution du site survenue à la suite de l'exécution de cette prestation lui était exclusivement imputable, alors même que la société et sa sous-traitante étaient informées de la présence d'amiante dans les portes et qu'elles ne disposaient pas du certificat de qualification requis.

On peut trouver la solution excessive en ce qu'elle n'opère pas a minima un partage de responsabilité.

(10 juin 2022, Société Axa France Iard, n° 453977)

 

181 - Acquisition d'un hôtel - Exercice du droit de préemption urbain suivi d'une renonciation -  Dommages résultant de décisions légales - Responsabilité sans faute à prouver engagée - Moyen d'ordre public devant être soulevé d'office - Absence - Cassation sans renvoi, le juge statuant au fond.

Sur déclaration d'intention d'aliéner en vue de l'acquisition d'un hôtel faite par la requérante, la commune a fait part de sa volonté d'exercer son droit de préemption puis, un an plus tard, a renoncé à cette acquisition forcée.

Le bien ayant subi divers dégâts et déprédations, la société requérante a réclamé réparation à la commune pour faute. La cour de Nancy a rejeté cette demande sans se prononcer sur l'éventuelle existence d'une responsabilité sans faute à prouver, moyen qui est d'ordre public.

Elle doit donc être considérée comme ayant rejeté également mais implicitement ce chef de responsabilité, or comme sont ici réunies, selon le Conseil d'État, les conditions de déclenchement de ce régime de responsabilité (décisions légales, préjudice grave, de caractère spécial et excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine couverte par le droit de préemption), la cassation est prononcée.

Statuant au fond, le juge, après avoir décidé que la faute de la victime (ici le défaut d'un gardiennage des lieux) ne pouvait pas empêcher le jeu de la réparation sans faute à prouver, il attribue une indemnisation déduction faite de la part du rôle causal joué par la faute de la victime dans la réalisation puis dans l'ampleur du dommage.

(13 juin 2022, Société Immotour, n° 437160)

 

182 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande également de réparation de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

L’intéressée, assistante territoriale d'enseignement artistique employée par la commune de Loos, recherchait sur deux terrains la responsabilité de cette commune.

Sur le fondement de la responsabilité pour faute, elle sollicitait la réparation des préjudices découlant du harcèlement moral dont elle soutenait avoir été victime et des fautes qu'elle soutenait avoir été commises par la commune de Loos dans l'organisation du service et à raison du manquement à son obligation de protection de la santé de ses agents.

Sur le fondement de la responsabilité sans faute à prouver, elle demandait la réparation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales liées à la pathologie dont elle souffrait.

La cour administrative d'appel ne s'est pas prononcée sur sur ce second chef de demande de réparation du préjudice. Son arrêt est annulé car l'omission de réponse à un moyen qui n’était pas inopérant a entaché celui-ci d'insuffisance de motivation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

 

183 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en jeu de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

Le licenciement d'un salarié protégé ne pouvant intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative, il en résulte que l'illégalité de cette autorisation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. 
Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de l'État en ce cas, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, de la faute également commise par l'employeur en sollicitant la délivrance d'une telle autorisation.

En l'espèce, la cour administrative d'appel est approuvée pour avoir opéré un partage de responsabilité du fait des fautes respectives commises, d'une part,  par l'employeur en adressant la lettre de convocation à l'entretien préalable sans qu'elle comporte la mention de la possibilité, pour l'intéressé, de se faire assister par un conseiller du salarié lors de son entretien préalable alors que cette société ne comportait pas d'institution représentative du personnel et d'autre part, par l'autorité administrative qui a délivré une autorisation de licenciement sur la base d'une procédure irrégulière.

En revanche, la cour devait également, ce qu'elle n'a pas fait, appliquer ce même partage de responsabilité, entre les deux parties perdantes, l'employeur et l'État,  à la somme allouée au demandeur au titre de l'art. L. 761-1 CJA.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

 

184 - Responsabilité de l'administration fiscale dans l'établissement et le recouvrement de l'impôt - Notion de préjudice - Exclusion du paiement de l'impôt - Annulation.

Le Conseil d'État rappelle opportunément qu'en principe l'État est responsable de toute faute commise lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt envers un contribuable ou toute autre personne s'il existe entre cette faute et le préjudice un lien direct de causalité.

Précisant les préjudices susceptibles d'être, ou non, réparés, le juge indique, positivement, que peuvent être réparées les conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans les conditions d'existence dont le contribuable justifie.

Négativement, il considère que ne sont pas recevables des conclusions indemnitaires qui n'invoquent que le préjudice résultant du paiement de l'imposition car ces conclusions ont le même objet que l'action tendant à la décharge de cette imposition que le contribuable a introduite ou aurait pu introduire sur le fondement des règles prévues par le livre des procédures fiscales.

En l'espèce est annulé l'arrêt qui, pour juger la requérante non recevable à rechercher la responsabilité de l'État du chef du préjudice dont elle demandait réparation, a relevé que la demande d'agrément présentée par son mandataire tendait à obtenir à son profit une réduction d'impôt de même montant sur le fondement des dispositions de l'article 199 undecies B du CGI, ce dont elle a déduit que la demande indemnitaire présentée par la société requérante avait en réalité le même objet qu'une demande tendant à la réduction d'une imposition et qu'elle devait, par voie de conséquence, être rejetée comme irrecevable faute d'avoir été présentée dans les formes et délais prévus par les articles L. 190 et suivants du livre des procédures fiscales. Ce jugeant la cour a commis une erreur de droit car  la réduction d'impôt qu'établissent  les dispositions de l'article 199 undecies B du CGI n'est instituée qu'en faveur des contribuables qui réalisent un investissement productif neuf outre-mer, à l'exclusion, le cas échéant, de l'entreprise locataire chargée de l'exploiter, laquelle ne bénéficie qu'indirectement de cette réduction d'impôt sous la forme d'une diminution du loyer et du prix de cession du bien que sont tenus de consentir les investisseurs.

Dès lors la cour ne pouvait dire irrecevable une demande indemnitaire au motif qu'elle avait le même objet qu'une demande tendant à l'octroi de l'avantage fiscal prévu par l'article 199 undecies B du CGI, alors que l'action engagée par l'entreprise ayant la disposition du bien produit tendait, non à l'octroi d'une indemnité équivalant à une réduction d'impôt, mais à la réparation d'un préjudice distinct, de caractère économique et financier, tenant à l'absence de rétrocession, pour assurer le financement des travaux, d'une fraction de la réduction d'impôt dont aurait bénéficié l'investisseur si l'agrément sollicité lui avait été délivré conformément à la loi.

(23 juin 2022, Société l'Île, n° 445213)

 

185 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, rééré instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

V. n° 54

 

Santé  publique

 

186 - Maladies à déclaration obligatoire - Statut n'existant pas pour le syndrome hémolytique et urémique (SHU-Typique) - Contrôle du juge - Rejet.

Saisi au moyen d'un référé liberté de demandes d'injonctions à la ministre de la santé, d'une part, de consulter le Haut conseil de la santé publique en vue d'ajouter le syndrome hémolytique et urémique à la liste des maladies à déclaration obligatoire puis, à la suite de cet avis, de l'y ajouter, et d'autre part, de prendre, dans l'attente, toutes les mesures réglementaires appropriées propres à assurer une intervention urgente locale, nationale ou internationale, pour tout cas de syndrome hémolytique et urémique identifié.

Si le recours est rejeté, notamment car fait défaut ici la satisfaction de la condition d'urgence particulière au référé liberté, la décision est intéressante en ce que le juge y affirme que l'extension de la liste des maladies à déclaration obligatoire peut être demandée à l'autorité administrative compétente et qu'un refus de sa part peut être contesté devant la juridiction administrative par la voie d'une requête en annulation assortie, le cas échéant, d'une demande de suspension.

(ord. réf. 8 juin 2022, , n° 464243)

 

187 - Enfants présentant un trouble du neuro-développement - Diagnostic en vue d'un parcours de bilan et d'intervention précoce - Prise en charge par l'assurance-maladie - Conclusion d'un contrat conforme à un contrat type entre les psychologues et les structures organisatrices de ces bilan et intervention - Obligation de respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles édictées par la Haute autorité de santé (HAS) - Rejet.

Les différentes requêtes,  contestant chacune la juridicité de l'arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l'expertise spécifique des psychologues mentionnée à l'article R. 2135-2 du code de la santé publique, ont été jointes.

Outre des moyens de légalité externe, d'ailleurs rejetés, les demandes soulevaient des moyens de légalité interne, également rejetés.

L'exception d'illégalité opposée à l'arrêté litigieux du fait qu'il serait pris pour l'application de l'art. R. 2135-2, point III, lequel serait illégal, ne saurait prospérer. En effet, alors que  cette dernière disposition se borne à fixer les prestations qui, lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'un parcours de bilan et d'intervention précoce pour les troubles du neuro-développement par des psychologues ayant conclu un contrat avec une plateforme de coordination et d'orientation, peuvent être prises en charge par l'assurance maladie, l'arrêté attaqué, lui, fixe les conditions mises à l'usage professionnel du titre de psychologue par le I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social. Cet arrêté n'a donc pas été pris en exécution ou pour l'application du III de l'art. R. 2135-2 précité.

Ensuite, les dispositions contestées ne portent atteinte ni à la liberté des psychologues de mettre en œuvre d'autres types d'expertise que ceux mentionnés dans cet arrêté et aux patients d'y recourir, ni à l'égalité entre les patients, ceux bénéficiant de prestations prises en charge dans le cadre d'une plateforme de coordination et d'orientation se trouvant en tout état de cause dans une situation différente de ceux qui n'en bénéficient pas.

Enfin, il n'est pas démontré que les recommandations de bonnes pratiques préconisées par la HAS seraient manifestement incomplètes, inexactes ou obsolètes. Et l'arrêté attaqué, en prévoyant que les interventions et programmes que le psychologue met en œuvre doivent, pour être pris en charge, respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la Haute Autorité de santé, propres à chaque trouble du neuro-développement, et en s'y référant pour définir l'expertise spécifique que ce psychologue doit détenir, n'a pas méconnu la portée des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et n'est entaché, ni d'erreur manifeste d'appréciation, ni de détournement de pouvoir.

Étrange durcissement du droit « mou ».

(13 juin 2022, Association des psychologues freudiens, n° 452333 ;  M. E. et autres, n° 453254 ; Association Collège des psychologues de l'Arisse, n° 453328 ; Syndicat CGT-APAJH33, n° 453329,  jonction)

 

188 - Médicaments - Autorisation de mise sur le marché (AMM) - Réglementation européenne - Nouvelle demande d'AAM ou modification d'une AMM existante - Médicament n'apportant aucune amélioration du service médical rendu (ASMR) -  Notion et régime - Annulation partielle.

Les requérantes demandaient, notamment, d'abord l'annulation de deux arrêtés du 1er juillet 2021, le premier modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics et le second  modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux, en tant qu'ils étendent la prise en charge de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable sous plaquettes thermoformées (B30), à l'indication de la réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé,

Elles demandaient ensuite l'annulation :

- en premier lieu, de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux,

- en second lieu, de la décision implicite de l'ANSM rejetant leur demande du 2 août 2021 d'abrogation de la décision du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable.

Dans ce litige, où était une nouvelle fois en cause les choix des autorités de santé publique et de celles de sécurité sociale d'autoriser, ou non, la mise sur marché de médicaments et, au sein des médicaments autorisés, à fixer le taux de remboursement de ces spécialités dans un souci de maîtrise des dépenses de santé, le Conseil d'État est conduit, répondant de manière très partiellement favorable aux demandes dont il était saisi, à une longue exposition du régime général applicable où se combinent dispositions du droit de l'Union et dispositions de droit interne.

En l'espèce, il concède seulement aux requérantes l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2021 inscrivant la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables figurant à L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

(13 juin 2022, SAS Ethypharm et SAS Laboratoires Etypharm, n° 456303, n° 459188, n° 459191)

 

189 - Médicament - Radiation de médicaments de la liste « en sus » (art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale) - Absence d'atteinte grave et immédiate à la situation de la requérante et des patients - Défaut d'urgence - Rejet de la demande de suspension de la mesure de radiation.

Les ministres chargés de la santé et du budget ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dite liste « en sus », radiant de cette liste les spécialités pharmaceutiques « DIFICLIR » fabriquées par la requérante.

Cette dernière saisit le juge d'un référé tendant à la suspension de cette décision. Elle soutient que la prise en charge directe de leur coût par les établissements de santé a des répercussions immédiates sur leur prescription par les médecins hospitaliers ce qui crée une modification de sa situation et porte préjudice à l'intérêt des patients de voir leurs besoins médicaux suffisamment couverts. 

Pour rejeter la requête en référé, le juge relève d'abord que la décision de radier ces spécialités de la liste « en sus » ne fait pas obstacle à leur prise en charge dans le cadre du tarif des prestations facturées par les établissements de santé.

Il constate ensuite que les montants remboursés au titre de la liste « en sus » pour la spécialité DIFICLIR ont été intégrés dans les tarifs d'hospitalisation associés aux « groupes homogènes » consommateurs de cette spécialité. Vainement, à cet égard, la société Tillots Pharma France fait valoir que cette réintégration ne compense pas l'intégralité du coût du traitement, qu'elle a déjà enregistré des refus de vente depuis le 1er mars 2022 et que ces spécialités représentent près de 30% de son chiffre d'affaires. En effet, ces divers éléments ne permettent pas, en l'état de l'instruction, d'établir que la décision contestée serait de nature à porter une atteinte grave et immédiate, d'une part, à la situation financière de la requérante et, d'autre part, à la mise de ces spécialités à disposition aux patients qui en auraient besoin.

Ainsi, en l'absence de l'urgence requise par les dispositions de l'art. L. 521-1 CJA, il n'y a pas lieu d'ordonner la suspension sollicitée.

(15 juin 2022, Société Tillotts Pharma France, n° 464329)

 

190 - Vaccination anti-Covid-19 – Liste limitative des contre-indications à cette vaccination – Compétence du pouvoir réglementaire – Conformité de la liste aux données acquises de la science – Absence d’atteintes à des dispositions constitutionnelles ou conventionnelles – Rejet.

La requérante contestait par divers moyens de légalité interne – outre des moyens de légalité externe de peu de portée - le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu’il prévoit les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19.

Ils sont, comme c’était prévisible, tous rejetés.

Tout d’abord le pouvoir réglementaire était bien compétent sur délégation du législateur pour établir, au titre des conditions de vaccination des personnes soumises à l'obligation de vaccination, une liste limitative de contre-indications médicales faisant obstacle à leur vaccination. 

Ensuite, le pouvoir réglementaire, en fixant la liste - contestée par le recours - des contre-indications médicales à la vaccination contre la maladie Covid-19 reconnues en l'état des connaissances scientifiques et sans la laisser à l'appréciation individuelle de chaque médecin, n’a pas méconnu l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par les dispositions des art. L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique. 

Enfin, le décret attaqué ne méconnaît pas davantage l’art. 8 de la Convention EDH en tant qu’il garantit le droit à l’intégrité physique qui fait partie du droit au respect de la vie privée d’autant que la requérante ne démontre pas en quoi le contenu de la liste limitative des contre-indications à la vaccination des personnes soumises à cette obligation serait de nature à instaurer un rapport qui ne serait pas suffisamment favorable entre d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale.

(24 juin 2022, Mme B., n° 457396)

 

191 – Covid-19 – Obligation vaccinale des professionnels de santé – Suspension des agents non vaccinés – Exigences posées par la loi non par le décret attaqué – Loi non contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Rejet.

Les requérantes demandaient, d’une part, que soit suspendue l’exécution de toutes les dispositions relatives à l'obligation vaccinale des professionnels chargés d'assurer les services d'urgence sur le territoire français contenues dans le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, et, d’autre part, qu’il soit fait injonction à l'Etat de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée au droit à la vie des usagers du système de santé français et d'assurer la réouverture et la continuité des services d'urgence. 

Leur critique portait sur le fait que ce texte, en instaurant la vaccination obligatoire des personnels des services de santé et le principe de la suspension des agents publics qui ne justifient pas avoir satisfait à cette obligation vaccinale, méconnaît le droit des patients compte tenu de la situation actuelle des services d’urgence et des établissements de santé.

Leur requête est rejetée tout d’abord parce que, comme le relève le juge des référés, les exigences en cause ne résulte pas du décret attaqué mais de la loi du 5 août 2021, en ses art. 12 et 14. Elle est rejetée ensuite parce que les dispositions de cette loi relatives à l’obligation vaccinale des professionnels de santé et à leur suspension d’exercer en cas de refus ne sont manifestement pas incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la convention EDH et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Il suit de là que le décret pris en application de cette loi  ne peut être considéré comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales que les associations requérantes invoquent.

(ord. réf. 30 juin 2022, Association Je ne suis pas un danger et Association de défense de la santé publique et de l'environnement (ADSPE), n° 465040)

 

 

Service public

 

192 - École normale supérieure de Lyon (ENS lyon) - Règlement intérieur - Annulations successives des différentes versions de ce règlement adoptées par le conseil d'administration - Situation grave - Arrêté ministériel (enseignement supérieur) portant règlement intérieur - Compétence du ministre - Rejet.

Les versions successives du règlement intérieur de l'ENS Lyon ayant été, chacune, annulées, la ministre chargée de l'enseignement supérieur a établi ce règlement par arrêté.

Les requérants demandaient l'annulation de cet arrêté en relevant que l'on ne se trouvait pas, en l'espèce, dans l'hypothèse prévue, à titre transitoire, par l'art. 17 du décret du 12 décembre 2013 qui permet au ministre d'arrêter le règlement intérieur si celui-ci n'est pas adopté dans les trois mois de l'installation du nouveau conseil d'administration.

Le Conseil d'État juge que cet établissement étant sans règlement intérieur depuis  plusieurs années, le ministre était habilité par l'art. L. 719-8 du code de l'éducation  à arrêter lui-même cet acte du fait d'une « difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires » de l'ENS Lyon sans qu'y fasse obstacle l'expiration du délai de trois mois prévu par le décret précité.

En réalité, l'exercice de ce pouvoir s'autorise directement du principe de continuité du service public.

(1er juin 2022, M. D. et Mme A., n° 440370)

(193) V. aussi, rejetant - au visa de l'art. L. 719-8 du code de l'éducation (difficultés graves dans le fonctionnement d'organes universiataires)  - le recours dirigé contre un arrêté du 13 janvier 2021, par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a fixé les modalités permettant de compléter, à titre provisoire, la composition du conseil d'administration de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » jusqu'à l'organisation d'élections conformément à ses statuts, dans leur rédaction issue du décret du 30 décembre 2020. Cet arrêté prévoyait l'organisation par le recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes d'un tirage au sort des représentants des collèges des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs, des autres personnels et des usagers parmi les élus titulaires des collèges correspondants au sein des conseils d'administration des établissements membres de la COMUE en exercice à la date de publication dudit arrêté. Il fixe également, à titre provisoire, la liste des entreprises et associations représentées au conseil d'administration de la COMUE. Cet arrêté a été modifié par un arrêté du 28 janvier 2021, par lequel la ministre en a modifié l'article 2 afin de prévoir que, pour l'université Lyon-II, participent au tirage au sort, pour les mêmes collèges, les élus titulaires de son conseil d'administration en exercice à la date du tirage au sort : 1er juin 2022, M. B. et Association Démocratie et transparence à l'université de Lyon, n° 451043.

 

194 - Formations de santé - Intitution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

V. n° 159

 

195 - Enseignement en classe préparatoire - Durée hebdomadaire de service - Notion de classe - Décret du 25 mai 1950 - Rejet.

Le litige portait sur le point de savoir si la durée hebdomadaire de service pour un professeur de classe préparatoire est de huit heures comme le prétendait le requérant ou de dix heures comme le soutenait l'administration. Le Conseil d'État, confirmant l'arrêt d'appel infirmatif, interprète les dispositions de l'art. 6 du décret du 25 mai 1950  portant règlement d'administration publique pour la fixation des maxima de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré comme signifiant que le terme « classe » doit être regardé comme faisant référence aux groupes d'élèves respectifs auxquels le professeur dispense son enseignement de manière habituelle pendant l'année scolaire, et non à l'effectif total de la division dont ces groupes sont issus. En l'espèce, où l'enseignant exerçait devant trois groupes de 17, 14 et 15 élèves, ceux-ci constituaient trois classes et non une seule cmposée de 46 élèves comme l'affirmait le demandeur. Son service hebdomadaire était bien de dix heures.

(1er juin 2022, M. B., n° 452644)

 

196 - École maternelle - Classe de très petite section - Condition d'inscription d'enfants - Refus de la commune - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation.

Les trois ordonnances de référé sont cassées pour omission de répondre à un moyen soulevé par la commune et qui n'est pas inopérant.

Celle-ci soutenait qu'en l'absence de projet éducatif propre à l'accueil des enfants n'ayant pas atteint l'âge de l'obligation scolaire, de locaux et de matériels adaptés, elle ne pouvait pas accueillir dans de bonnes conditions en classe de très petite section de maternelle les enfants âgés de moins de trois ans.

Le Conseil d'État juge tout d'abord, fixant par là une norme générale classique, que les dispositions des art. L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation « qui n'instituent pas un droit pour les enfants âgés de moins de trois ans à l'issue de l'année civile où a lieu la rentrée scolaire, qui ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, à être accueillis dans les écoles et classes maternelles, impliquent que lorsque cet accueil peut être organisé, il le soit en priorité dans les écoles et classes maternelles situées dans un environnement social défavorisé et dans la limite des places disponibles. Saisi d'une demande d'admission dans une classe ou une école maternelle d'un enfant de moins de trois ans non soumis à l'obligation scolaire, il appartient au maire de se prononcer conformément aux dispositions (...) des articles L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation, en prenant en considération la situation particulière de l'école ou de la classe en cause, le cas échéant en lien avec les services de l'éducation nationale. Il ne peut en revanche refuser une telle admission sur le fondement de considérations de principe portant sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans qu'il n'est pas compétent pour édicter. »

Le Conseil d'État relève ensuite qu'est fondée en droit l'invocation par la commune de l'absence de projet éducatif relatif à l'accueil des enfants non encore soumis à l'obligation scolaire et de l'insuffisance des moyens humains et matériels nécessaires à l'accueil de ces très jeunes enfants, alors même que de tels enfants étaient, au cours des années scolaires précédentes, accueillis au sein des classes de petite et moyenne sections de l'école maternelle en cause.

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Voir aussi, pour un autre aspect de ce litige, le n° 26

 

197 - Diplômes nationaux - Compétence pour les délivrer réservée aux seuls établissements accrédités à cet effet - Obligation d'obtenir une certification par un organisme externe non accrédité en vue de l'obtention d'un diplôme national - Illégalité des décret et arrêté attaqués - Annulation intégrale des dispositions indivisibles.

Un décret et un arrêté  du 3 avril 2020 imposent aux candidats au brevet de technicien supérieur et au diplôme universitaire de technologie d'obtenir en langue anglaise une certification délivrée par un organisme extérieur. Ce document est pris en compte pour la délivrance des diplômes précités qui, étant des diplômes nationaux, ne peuvent être délivrés qu'au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciées par des établissements accrédités à cet effet. Par définition, les organismes extérieurs visés par les textes litigieux n'appartiennent pas à cette catégorie.

En conséquence, ces établissements, en subordonnant l'obtention des diplômes nationaux à la présentation par les candidats d'une certification, qui fait l'objet d'une évaluation externe par des organismes non accrédités, méconnaissent les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'éducation.

Ces dispositions étant indivisibles des autres dispositions de ce décret et de cet arrêté, l'annulation ainsi prononcée emporte l'annulation de l'ensemble des dispositions du décret et de l'arrêté du 3 avril 2020, sauf, s'agissant de ce dernier, pour celles de ses dispositions concernant la licence professionnelle.

(7 juin 2022, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères et autres, n° 441056 ; Fédération des langues régionales germaniques de France et autres, n° 441903 ;  Association Urgéncia Diversitat Biolingüistica, n° 447981)

 

198 - Enseignement privé - Forfait d'externat - Injonction en référé de verser à titre provisoire une certaine somme - Décision n'ayant pas en tous points les effets de l'exécution d'un jugement d'annulation - Rejet.

Les collectivités publiques concernées ont l'obligation de verser aux établissements d'enseignement privé ayant conclu un contrat d'association à l'enseignement public un forfait d'externat calculé selon les règles fixées par des textes généraux.

La région requérante a refusé à un établissement sous contrat le versement du forfait d'externat pour l'année 2019-2020 et le juge des référés a suspendu l'exécution de ce refus en même temps qu'il a ordonné la convocation, sous un mois, de l'organe délibérant de la région pour réexamen de la mesure de refus. La commission permanente a refusé d'adopter une délibération allouant le forfait d'externat. Le juge des référés a suspendu cette délibération de refus et fait injonction à la région de verser, à titre provisoire, le montant du forfait d'externat.

La région se pourvoit contre cette ordonnance d'injonction dont elle demande l'annulation au motif que la mesure ordonnée aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision alors que la juridiction de référé est une juridiction du provisoire.

Pour rejeter cette argumentation, le juge du Conseil d'État décide que si, en effet, les mesures prescrites en référé doivent présenter un caractère provisoire, ce qui interdit au juge des référés de prononcer l'annulation d'une décision administrative ou d'ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision, tel n'est pas le cas en l'espèce. Notamment, l'injonction à titre provisoire de verser le montant d'un forfait d'externat n'a pas des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par la région de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation de la décision de refus litigieuse, la somme versée à titre provisoire n'étant pas acquise définitivement à l'association bénéficiaire.

C'est donc sans erreur de droit que le juge des référés de première instance a décidé comme il l'a fait.

(16 juin 2022, Région Hauts-de-France, n° 454824)

 

Travaux publics et expropriation

 

199 - Expropriation en urgence - Octroi d'une indemnité d'expropriation provisionnelle - Indemnité à parfaire mais définitive en son montant actuel - Traitement fiscal - Rattachement à l'exercice au cours duquel a été perçue l'indemnité – Erreur de droit - Annulation.

La société requérante, exploitante d'un bar discothèque, a été expropriée selon la procédure d'urgence pour la réalisation du dédoublement de l'autoroute A9. Le juge de l'expropriation lui a accordé une indemnité d'expropriation provisionnelle afin de permettre à l'expropriant de prendre immédiatement possession des lieux.

Au plan fiscal, la cour administrative d'appel, se fondant sur le caractère « provisionnel » et donc incomplet de l'indemnité d'expropriation, a estimé que son monta           nt ne pouvait pas être rattaché à l'année de perception de la provision.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit car quoique provisionnel le montant alloué est définitif pour cette partie, il ne pourra in fine qu'être confirmé ou augmenté. La provision devait donc être rattachée à l'exercice fiscal au cours duquel elle a été encaissée par la contribuable.

(3juin 2022, Société D3P, n° 452708)

(200) V. aussi, mêmes solutions pour la même opération d'expropriation : 3 juin 2022, Société KRCS, n° 452710 ; 3 juin 2022, SCI Alpha, n° 452711 ; Société Agora Paradise, n° 452714.

 

201 - Expropriation -  Annulation de l'arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d'utilité publique - Action en restitution de l'ensemble immobilier exproprié - Travaux de démolition entrepris par le bénéficiaire de l'expropriation - Suspension immédiate de ces travaux ordonnée en référé - Suspension confirmée sous réserve d'intervention d'une décision au fond du Conseil d'État, ou du juge de l'expropriation ou d'un nouvel arrêté de cessibilité.

Dans le cadre de l'importante opération d'aménagement « Euromed », dans sa phase « Euromed 2 », l'établissement public administratif (EPA) porteur du projet consistant en la création d'une ZAC, a obtenu l'expropriation et payé l'indemnité d'expropriation relatives à des parcelles qui étaient propriété de la SCI « Les marchés méditerranéens ». Cette dernière a obtenu du juge administratif l'annulation de l'arrêté de cessibilité en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique et, conséquemment, la suspension immédiate des travaux de démolition entrepris par l'EPA sur ses parcelles jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause. L'intéressée a, parallèlement, saisi le juge de l'expropriation en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier. 

L'établissement demandeur interjette appel de l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel.

Il fait valoir en premier lieu le défaut d'urgence particulière au référé liberté car, d'une part, les immeubles en cause ont fait l'objet de travaux les rendant impropres à ce qu'ils soient rendus à leur usage originel d'abattoir et, d'autre part, l'interruption des travaux entraîne des surcoûts importants et empêche l'alimentation en électricité de logements dont la construction est bientôt terminée.

Ce moyen est évidemment rejeté, d‘abord parce que le demandeur n'établit pas l'inexistence d'un autre moyen de raccordement au réseau électrique et, ensuite et surtout, parce que le caractère restituable de biens expropriés ne dépend pas du maintien de leur usage antérieur d'abattoirs. Au reste, il est relevé en l'espèce une atteinte minime, voire inexistante, au gros œuvre et donc l'absence d'obstacle à leur restitution à l'ancien propriétaire.

L'EPA appelant invoquait ensuite l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale et le moyen est rejeté d'originale façon par le juge des référés du Conseil d'État. Celui-ci considère que la poursuite, postérieurement à la décision privant l'ordonnance d'expropriation de sa base légale, de travaux de démolition des bâtiments implantés sur les parcelles en cause, est de nature à rendre irréversible l'appropriation des parcelles en cause, au regard des travaux réalisés et de leur état au moment où le juge de l'expropriation saisi statuera, et à priver de son effet utile le recours de la SCI tendant à obtenir la restitution des biens expropriés devant le juge de l'expropriation. Ainsi il serait contrevenu au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par la Convention EDH, droit qui constitue une liberté fondamentale et qui n'est pas lié à la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution de mesures dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens.

Enfin, l'établissement public s'étant pourvu en cassation contre l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel et ayant demandé le sursis à son exécution, le sursis ou l'annulation de l'arrêt attaqué rendrait inapplicables, avec effet immédiat, les dispositions précitées de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation. C'est pourquoi, qu'il sera « immédiatement mis fin à la suspension des travaux en cause si le Conseil d'État, statuant au contentieux, annule ou sursoit à l'exécution de l'arrêt du 22 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'arrêté de cessibilité du 27 février 2017 ou si le juge de l'expropriation se prononce ou si est adopté un nouvel arrêté de cessibilité portant sur ces parcelles. »

(ord. réf.  17 juin 2022, Établissement public administratif Euroméditerranée, n° 463341)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

202 - Lotissement - Lotissement comportant des habitations individuelles et des habitations collectives - Arrêté municipal modifiant le cahier des charges du lotissement - Calcul de la majorité nécessaire pour demander ou accepter une modification dudit cahier - Interprétation de l'art. L. 442-10 c. urb. - Rejet.

Le recours contestait l'arrêté municipal approuvant la modification de l'art. 1er  du cahier des charges d'un lotissement.

L'art. L. 442-10 du code de l'urbanisme subordonne à la satisfaction de l'une des deux conditions suivantes la juridicité de la modification du cahier des charges d'un lotissement :

- soit une demande émanant de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement

- soit une demande émanant des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.

Le débat s'est porté sur la détermination et le calcul de cette majorité dans la mesure où le lotissement en cause comprenait  trois catégories de lots :  des lots comportant des maisons individuelles, des lots supportant des constructions détenues en copropriété et des lots affectés à d'autres usages que l'habitation.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir jugé qu'il convenait en ce cas, d'une part, de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, et d'autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.

(1er juin 2022, Société Le Flocon, n° 443808)

 

203 - Déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots - Lotissement - Demande de permis de construire - Absence de cession du lot concerné - Impossibilité de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 c. urb. - Rejet de la demande de prononcer le non-lieu.

Une société a adressé au maire de Bormes-les-Mimosas une déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots, en vue de construire sur l'un d'eux, l'autre supportant déjà une villa. Le maire, par son arrêté du 28 avril 2015, ne s'est pas opposé à cette déclaration préalable.

Elle a ensuite sollicité un permis de construire en se prévalant du bénéfice des dispositions de l'art. L. 442-14 du code l'urbanisme selon lesquelles, notamment : « Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant: 1° la date de non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable (...) ». 

Cependant, cette société, qui entendait conserver la propriété de l'ensemble de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait le permis litigieux pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée, n'avait pas procédé, à la date de la demande du permis de construire, à la cession dont aurait résulté la division.

Il lui était par suite, en l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, impossible de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 du code de l'urbanisme précité, puisque son projet de construction ne pouvait en relever.

C'est pourquoi, d'une part, cette société ne peut opposer aux requérants le non-lieu à statuer et, d'autre part, commet une erreur de droit l'arrêt d'appel jugeant que la règle posée à l'article L. 442-14 s'appliquait à l'arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d'urbanisme approuvé le 28 mars 2011 et non de celles du plan approuvé le 17 décembre 2015.

(13 juin 2022, M. et Mme B., n° 452457)

 

204 - Permis de construire une surface de vente valant autorisation d'exploitation commerciale - Annulation par une cour administrative d'appel - Défaut de consommation économe de l'espace - Atteinte à la qualité environnementale et à l'objectif de développement durable - Absence d'erreur de droit - Rejet.

C'est sans erreur de droit que pour annuler un arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, une cour administrative d'appel  relève que le projet méconnaît, d'une part, au regard du critère de consommation économe de l'espace, l'objectif d'aménagement du territoire, et d'autre part, au regard du critère de qualité environnementale du projet, l'objectif de développement durable.

 (14 juin 2022, Société Caroline, n° 443560)

 

205 - Permis de construire et permis modificatif - Extension d'une maison individuelle - Plan local d'urbanisme - Demande d'annulation des permis fondée sur une règle de prospect figurant au PLU - Ordonnnce litigieuse ne se prononçant pas sur le respect cette règle - Insuffisance de motivation - Annulation.

Encourt annulation l'ordonnance d'appel confirmant le rejet d'une demande d'annulation de permis de construire en se fondant sur ce que le cinquième alinéa du futur article UC 7 du PLU n'était pas applicable aux extensions de constructions existantes alors que les demandeurs invoquaient au soutien de leurs conclusions à fin d'annulation les dispositions du septième alinéa de cet article dont ils estimaient qu'elles avaient été méconnues en l'espèce.

Le Conseil d'État fonde son annulation sur ce que « l'auteur de l'ordonnance attaquée a insuffisamment motivé sa décision » ; il nous semblerait plus adéquat d'y apercevoir la sanction d'une omission de réponse à moyen.

(17 juin 2022, M. E. et Mme B., n° 455945)

 

206 - Permis de construire obtenu par fraude - Intérêt pour agir en annulation du refus d'abroger ce permis - Délai de recours contentieux - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin.

Le juge ajoute ici cette importante précision qu'en ce cas le délai du recours contentieux ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle. 

(22 juin 2022, Société Corim et associés, n° 443625 ;  Commune de Juvignac, n° 443633)

 

207 - Permis de construire - Projet prévoyant l'abattage d'arbres sans en justifier - Illégalité régularisable - Absence de bouleversement de l'économie du projet - Rejet.

C'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu'un tribunal administratif juge que le permis de construire 38 logements et un parc de stationnement en sous-sol est illégal en tant qu'il autorise un projet de construction ne pouvant, sans qu'il en soit justifié, être réalisé sans l'abattage de l'ensemble des arbres de haute tige préexistants sur son terrain d'assiette et qu'une telle illégalité est susceptible de régularisation, dès lors qu'elle n'apporterait pas un bouleversement tel à l'économie générale du projet qu'elle en modifierait la nature, une telle régularisation n'impliquant qu'une diminution de l'ampleur du projet.

(22 juin 2022, Commune de Neuilly-Plaisance, n° 456477; Société HLM France Seqens, n° 456489 ; Mme K. et autres, n° 456858)

 

208 - Permis de construire – Détermination du nombre de places de stationnement imposé par les textes – Jugement retenant un article du plan local d’urbanisme (PLU) – Article inopposable en raison d’une disposition du code de l’urbanisme – Annulation.

Un tribunal administratif annule partiellement un permis de construire pour nombre insuffisant de places de stationnement car en raison de la distance mesurée entre la station de tramway la plus proche et la parcelle en litige étaient applicables les dispositions du deuxième alinéa de l'art. L. 151-35 du code de l'urbanisme. Ceci l’a conduit à écarter partiellement les dispositions de l'art. AU1 12 du règlement du plan local d'urbanisme en ce qu'elles avaient de contraire à la règle de l'art. L. 151-35, qui s'impose nonobstant toute disposition d'un PLU, limitant la réalisation lors de la construction de logements sociaux de plus d’une demi-place de stationnement par logement.

Ce jugeant, le tribunal n’a ainsi pas tenu compte – alors qu’il devait au besoin le relever même d’office s’agissant du champ d’application du texte invoqué devant lui – de ce que l'art. L. 151-36 du code de l'urbanisme limite cette exigibilité, pour les logements à usage d'habitation autres que ceux mentionnées aux 1° à 3° de l'art. L. 151-34 et situés dans le même périmètre, à une aire de stationnement par logement au maximum, nonobstant toute disposition du PLU. Par suite, en s'abstenant de faire application de ces dispositions pour la partie restante du projet comprenant des logements non sociaux, qui avaient pour effet de rendre l'art. AUI 12 du règlement du PLU inopposable à l'ensemble du projet, le tribunal administratif, à qui il appartenait de vérifier, le cas échéant d'office, que les dispositions invoquées devant lui étaient applicables au litige, a commis une erreur de droit. 

(22 juin 2022, Société Hélénis, n° 456445)

 

209 - Permis de construire modificatif – Demande d’annulation – Jugement impartissant la prise d’un permis modificatif de régularisation – Nouveau permis modificatif contesté au contentieux – Rejet du recours contre ce nouveau permis – Annulation du jugement en appel – Régime contentieux des recours dirigés contre un jugement recourant à l’art. L. 600-5-1 c. urb. et contre un jugement mettant fin à l’instance – Erreur de droit – Annulation.

La technique de la régularisation en matière de permis de construire, de démolir ou d’aménager, censée simplifier et accélérer la gestion du contentieux de l’urbanisme, vire parfois à une belle complexité ainsi qu’on en juge dans la présente affaire. Certes, le Conseil d’État s’emploie à exposer très pédagogiquement la marche à suivre mais il n’en reste pas moins que le chemin est très chaotique, assez proche d’Indiana Jones à la poursuite du permis disparu ou du Mystère de la chambre (jaune) de régularisation.

Un permis de construire ayant été délivré pour la réalisation d'une maison individuelle avec garage, le maire a d’abord ordonné l'interruption des travaux pour non-conformité de  « l'implantation altitudinale » du bâtiment audit permis, puis il a délivré un permis de construire modificatif autorisant l'augmentation de la surface de plancher sans modification de l'emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l'implantation du dispositif d'assainissement non collectif.

Des propriétaires voisins  ont demandé l’annulation de ce permis modificatif.

Le tribunal administratif a tout d’abord, par un premier jugement, sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, en impartissant un délai de quatre mois aux pétitionnaires ainsi qu'à la commune pour justifier de la délivrance d'un nouveau permis modificatif permettant d'assurer la conformité du projet à l'obligation de consulter l'architecte des bâtiments de France.

Ce permis modificatif nouveau a été délivré le 20 décembre 2018 et versé à l'instruction. Il a été attaqué par les mêmes demandeurs que précédemment.

Par un second jugement,  le tribunal a constaté que le vice relevé dans son premier jugement avait été régularisé et a rejeté les conclusions à fin d’annulation dont il était saisi.

Saisie, d’une part, par les requérants déboutés d’un recours contre les deux jugements du tribunal administratif et d’autre part d’un appel incident formé par les pétititonnaires contre le premier jugement, la cour administrative d'appel a annulé les deux jugements, les deux arrêtés municipaux des 21 septembre 2015 (délivrant le premier permis modificatif)  et 20 décembre 2018 (délivrant le second permis modificatif), ainsi que le rejet du recours gracieux des requérants.

Les pétitionnaires se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord, ce qui est sa jurisprudence désormais constante quoique pas très ancienne lorsqu'un tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer sur une demande d’annulation (ici d’un permis de construire) en faisant usage de son pouvoir d’inviter l'administration à régulariser le vice relevé.

En ce cas, l'auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement aussi bien en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme qu’en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1. En revanche, dès l’instant de la délivrance du permis modificatif de régularisation, les conclusions de celui-ci dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont privées d'objet.

Le Conseil d’État indique ensuite que, lorsqu’après délivrance du permis modificatif, le juge qui constate la conformité de ce permis modificatif à son propre jugement avant dire droit, met fin à l’instance par un second jugement, l'auteur d'un recours contre ce jugement peut contester aussi bien la légalité du permis de construire modificatif, en invoquant des moyens propres, que le permis initial en soutenant qu’il n'était pas régularisable contrairement à ce qu’a jugé le jugement avant dire droit.

Enfin, abordant plus spécifiquement le cas de l’espèce, le juge de cassation tire des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme cette conséquence que, tant à l'appui d'un recours contre un jugement avant dire droit recourant à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme qu'à l'appui d'un recours contre le jugement mettant fin à l'instance, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à l'appui de leurs conclusions, passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties, faite selon un dispositif permettant d'en attester la date de réception, du premier mémoire en défense présenté dans l'instance par  l'un quelconque des défendeurs.

Par ailleurs, la circonstance que le délai de recours puisse ne pas être expiré, notamment compte tenu des dispositions de l'article R. 811-6 du CJA prévoyant que le délai d'appel contre un jugement avant dire droit court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige, ou même que ce jugement ne soit pas encore intervenu, est sans incidence à cet égard.

Or en l’espèce, la cour avait retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme pour annuler le permis de construire délivré le 21 septembre 2015 et, par voie de conséquence, le permis modificatif délivré le 20 décembre 2018, en accueillant ce moyen elle a commis une erreur de droit.

(24 juin 2022, M. A. et Mme G., n° 456348)

 

210 - Permis de construire – Méconnaissance d’une disposition du plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation de la basse vallée du Var – Absence d’aire de refuge – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Un tribunal administratif annule l’arrêté municipal accordant à la requérante un permis de construire en vue de l'édification de deux immeubles de quarante logements, dont seize logements locatifs sociaux, et un commerce, après démolition des constructions existantes. Puis, après cassation de ce jugement, ce tribunal annule à nouveau le permis de construire pour méconnaissance de l'art. 1.1.2 du plan de prévention des risques naturels d'inondation applicable à la commune.

Le plan applicable à cette commune définit une zone bleue comme « zone de risque d'autorisations sous prescription », subdivisée en 6 zones (B1 à B6) en fonction de l'intensité de l'aléa. Il définit ensuite une zone rouge, subdivisée en 4 zones (R0 à R3), comme une zone de « risque d'interdiction » dans laquelle les occupations et utilisations du sol sont très limitées et soumises au respect de prescriptions particulières. Enfin, l'article 1.1.2 du plan, dans sa partie relative aux dispositions particulières et aux règles de construction applicables en zone R3, s'agissant des aires de plein air à vocation sportive, de loisirs ou d'espaces verts, précise que « les projets devront inclure une aire de refuge qui devra s'implanter au-dessus de la cote d'implantation du présent article ». 

S’appuyant sur cette dernière disposition, le tribunal administratif a jugé que ce projet méconnaissait l'obligation posée par celle-ci en raison de l'absence de création d'une aire de refuge dans le cadre de l'aménagement des jardins prévus dans la zone rouge R3.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette motivation une erreur de droit  car, selon lui, le juge devait rechercher si les parties du projet situées en zone bleue, attenantes aux espaces extérieurs situées en zone rouge, ne présentaient pas des caractéristiques, au regard notamment de leur accessibilité, leur permettant de tenir lieu de l'aire de refuge exigée.

La solution semble davantage dictée par le souci de « sauver » un projet de constructions que par le respect des prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation. Elle fait bon marché des conditions de survenue de crues dans cette région géographique et orographique soumise à un régime méditerranéen caractérisé par l’intensité et la soudaineté des catastrophes pluviométriques.

(24 juin 2022, Société La Maison familiale de Provence, n° 453543)

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Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2022

Mai 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Pouvoir d’instruction du premier ministre – Circulaire adressée à certaines autorités et leur prescrivant d’agir en matière d’environnement – Circulaire invitant les administrations à éviter de recourir au plastique – Application anticipée d’une mesure législative – Illégalité - Rejet.

Le premier ministre a, par une circulaire du 25 février 2020 relative aux engagements de l'État pour des services publics écoresponsables, indiqué aux ministres et secrétaires d'État et aux préfets de région que la démarche de l'État exemplaire devait désormais reposer sur un socle de vingt mesures présentées comme obligatoires ainsi que sur un dispositif de mobilisation des agents appelés à identifier et proposer d'autres mesures. Dans la liste des vingt engagements du socle obligatoire énumérés dans l'annexe de cette circulaire, la mesure n° 9 prévoit qu'à compter de juillet 2020, l'État s'engage à ne plus acheter de plastique à usage unique en vue d'une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu'il organise.

C’est de cette mesure que la requérante demandait l’annulation en invoquant deux moyens au soutien de sa prétention.

En premier lieu, le premier ministre n’aurait pas été compétent pour prendre cette circulaire. Rejetant le moyen, le Conseil d’État n’aperçoit pas ici l’exercice d’un pouvoir réglementaire mais d’un pouvoir tiré de celles des dispositions de l’art. 21 de la Constitution en vertu desquelles « il dirige l'action du gouvernement ». De cette fonction constitutionnelle le juge déduit qu’il lui est toujours loisible « d'adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d'agir dans un sens déterminé ou d'adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur ». On aperçoit ici un mélange et une adaptation des arrêts Labonne et Jamart avec toutefois cette importante différence, d’une part, qu’il s’agit de mesures « obligatoires » selon les propres termes de la circulaire et qui ont effet très au-delà du cercle de leurs destinataires puisqu’elles affectent directement les professionnels du secteur et ce n’est pas la formule trompeuse selon laquelle le premier ministre « s’est borné à leur prescrire un certain nombre d'actions visant à améliorer le respect de l'environnement par les administrations de l'État, notamment en évitant de recourir à des produits en plastique à usage unique » qui change les choses car c’est bien d’un ordre qu’il s’agit en l’espèce et d’un ordre affectant l’ordonnancement juridique.

Faut-il lire cette décision comme créant deux pouvoirs du premier ministre au sein de l’art. 21 de la Constitution, celui, classique, d’exécution des lois et désigné expressément comme tel par ce texte et celui, nouveau, fondé sur le fait qu’il dirige l’action du gouvernement ? Étant au surplus indiqué que par « gouvernement » le juge entend ici toute la chaîne de commandement du pouvoir exécutif jusqu’aux préfets de région.

En second lieu, la fédération requérante invoquait également une autre illégalité : alors que la loi (art. L. 541-15-10 du code de l'environnement) avait d’ores et déjà fixé une date à partir de laquelle il était interdit à l'État d'acquérir des produits en plastique à usage unique, celle du 1er janvier 2022, la circulaire attaquée anticipe l’échéance au mois de juillet 2020.

Il y a là, semble-t-il deux difficultés.

La première est de savoir s’il appartenait au premier ministre de modifier la date prévue par le législateur alors que n’est invoquée nulle urgence ou circonstance exceptionnelle. Se posait ainsi sérieusement la question de la légalité de cette circulaire sur ce point.

La seconde résulte de ce que cette anticipation est plus qu’une entorse au principe de sécurité juridique, lequel impose (au moins depuis l’arrêt Lacroix) la prise de mesures transitoires pour « lisser » les effets de décisions administratives brutales. Les opérateurs concernés pourraient exiger l’indemnisation du préjudice causé par cette accélération des choses.

En revanche, en l’absence de règles communautaires applicables en l’espèce, ne saurait être invoqué le principe de confiance légitime.

(16 mai 2022, Fédération nationale de vente et services automatiques, n° 445265)

 

2 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

V. n° 27

 

3 - Décision ministérielle répartissant des quotas de pêche - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

La décision par laquelle la ministre chargée de la pêche maritime procède à la répartition de quotas de pêche ne présente pas de caractère réglementaire, dès lors sa contestation ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort.

(ord. réf. 18 mai 2022, Syndicat des moniteurs guides de pêche français, n° 463774)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Sites en ligne à contenu pornographique – Obligation pour tout service de communication au public en ligne d’en empêcher l’accès aux mineurs – Demande se heurtant à une décision implicite de rejet du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Mesures prises en réalité en ce sens – Rejet d’une demande devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

L’association requérante contestait la décision implicite de refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 pour assurer la protection des mineurs à l'égard des contenus accessibles sur huit sites internet.

Pour rejeter ce recours, le juge constate qu’il est devenu sans objet car en réalité il résulte de l’instruction que le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a, d'une part, mis en demeure les éditeurs de cinq des sites concernés de se mettre en conformité avec leur obligation, résultant de l'article 227-24 du code pénal, d'empêcher l'accès des mineurs à leur contenu, et, d'autre part, a demandé à l'éditeur des trois autres sites d'établir que le procédé technique mis en place répond effectivement à cette obligation tout en l'informant de la possibilité d'une mise en demeure si sa réponse n'était pas satisfaisante.Par suite, la demande de la requérante est devenue sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

(19 mai 2022, Association Civitas, n° 454178)

 

Biens

 

5 - Copropriété des immeubles bâtis – Notifications et mises en demeure par voie électronique – Obligation de l’accord exprès des propriétaires – Absence d’atteinte à divers principes ou libertés invoqués – Rejet.

Le recours contestait la légalité de l’art. 42-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâties, créé par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové et qui dispose que : « Les notifications et mises en demeure, sous réserve de l'accord exprès des copropriétaires, sont valablement faites par voie électronique. » Son annulation était recherchée. Cette demande est rejetée.

Dès lors que le recours à ce procédé est subordonné à l’accord exprès du propriétaire concerné et n’a donc pour lui aucun caractère obligatoire, il en résulte que ne peut être invoquée au soutien de la demande d’annulation l’atteinte au principe de sécurité juridique, à l'économie de conventions légalement conclues, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre. Pas davantage, en raison de cette liberté de consentir à ce mode de communication, il ne peut être sérieusement soutenu que le texte litigieux opérerait une discrimination mettant en cause le principe d’égalité entre les copropriétaires y ayant recours et ceux qui le refusent, entre les copropriétaires selon les ressources financières de la copropriété ou celles du copropriétaire ou selon l'accessibilité d'internet dans la zone géographique concernée.

(11 mai 2022, M. Prince, n° 448191)

 

6 - Domaine public maritime - Interdiction d'aménagement ou d'édification d'ouvrages - Exercice de l'action domaniale à l'encontre du propriétaire ou gardien - Notion de gardien - Rejet.

Propriétaire d'une villa aux pieds de laquelle se trouvent plusieurs installations situées sur le domaine public (plate-forme en béton dallée, trois bollards, un plongeoir et une rampe double d'escaliers), la société requérante a été invitée à les démolir et à remettre les lieux en leur état naturel.

Cette dernière, qui n'est ni propriétaire ni constructeur de ces biens, contestait sa qualité de gardien de ceux-ci et soutenait ne pas en avoir l'usage exclusif.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir - sans erreur de droit ni de qualification des faits - jugé le contraire en retenant que la demanderesse avait la jouissance des installations en cause, situées en contrebas de sa propriété, que des panneaux interdisant l'accès aux piétons sont apposés à proximité du seul cheminement permettant au public d'y accéder, que l'ancien propriétaire de la villa avait, comme elle, demandé à occuper la dépendance sur laquelle elles sont construites, et qu'elle s'était elle-même acquittée d'indemnités pour occupation sans droit ni titre de cette dépendance.

C'est donc à bon droit que la requérante est tenue de remettre les lieux en leur état naturel.

(31 mai 2022, Société Mayer, n° 457886)

 

7 - Convention fiscale internationale (convention franco-chinoise du 30 mai 1984 en vue de prévenir les doubles impositions) - Fonction d'une telle convention - Office du juge dans l'application des stipulations claires de la convention - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige relatif à l'application d'une convention fiscale franco-chinoise en matière d'impôts sur les sociétés, le juge est amené à apporter un certain nombre de précisions ou d'éclaircissements.

I. - Tout d'abord, il est jugé, très classiquement car c'est une évidence, qu'une convention fiscale internationale destinée à éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Ensuite, et ceci découle directement de ce qui précède, il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Enfin, et alors même qu'une telle convention n'a pas pour objet la répartition du pouvoir d'imposer entre les deux États qui y sont parties, il incombe au juge saisi de faire application des stipulations claires subordonnant l'imputation du crédit d'impôt forfaitaire qu'elles prévoient, à raison de l'impôt réputé perçu dans l'État où les revenus en cause trouvent leur source, à l'inclusion dans l'assiette de l'impôt sur les bénéfices dû en France du revenu en cause augmenté de cet impôt. 

 

II. - En conséquence c'est au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a cru pouvoir juger dans le cas de l'espèce que dès lors qu'aucune disposition législative de droit interne ne prévoyait l'inclusion de cet impôt forfaitaire dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France, la société requérante était en droit d'imputer sur cet impôt, calculé, en ce qui concerne les opérations en cause, sur le seul montant des intérêts de source chinoise perçus par elle, un crédit d'impôt égal au montant total de l'impôt réputé prélevé à la source sur ces intérêts.

La cassation est donc encourue.

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 461519)

 

Contrats

 

8 - Sous-concession d’un lot de plage – Mise en concurrence – Méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution – Étendue de la liberté de définition des éléments d’appréciation des offres – Obligation de cohérence avec les critères, leur portée et leur hiérarchisation – Utilisation de flèches de couleur et absence de note chiffrée – Office du juge du référé de l’art. L. 551-1 CJA – Annulation.

Une société, candidate infructueuse à l’attribution d’un lot de sous-concession de plage, a obtenu du juge des référés de l’art. L. 551-1 CJA l’annulation de la procédure de la mise en concurrence au stade de l’examen des offres. La commune organisatrice de la procédure d’attribution des lots se pourvoit en cassation.

Le pourvoi est accueilli.

Le juge de cassation rappelle sa ligne jurisprudentielle constante sur la large étendue du pouvoir détenu par l’autorité concédante pour définir la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics comme dans son appréciation globale des offres.

Cette liberté lui permet, d’une part, de déterminer chacun des éléments d'appréciation qu’elle décide de prendre en compte pour réaliser son évaluation des offres, d’autre part, de fixer les modalités de leur combinaison.

Pour étendue et discrétionnaire qu’elle soit cette liberté n’est cependant pas sans limites.

Les deux plus importantes sont, l’une externe, l’autre interne à la volonté de l’autorité concédante.

En premier lieu, au plan externe, s’imposent à elle les principes fondamentaux du droit de la commande publique tels ceux d’égalité entre les concurrents et de transparences des procédures. La méthode d’évaluation retenue doit donc respecter et mettre en œuvre ces principes en particulier en ce que les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution doivent être en lien direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation.

En second lieu, au plan interne, l’autorité est soumise à une obligation de cohérence entre ses choix, d’une part, en ne prenant en compte que des éléments d’appréciation des offres qui sont en rapport direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation, d’autre part, en s’abstenant de retenir des modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments qui seraient, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation car, dans l’un et l’autre de ces cas les modalités retenues pourraient conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Toutefois, cette exigence de cohérence interne cède le pas au respect des principes du droit de la commande publique, d’où le juge tire ici cette conséquence que les limites à la liberté de l’autorité concédante découlant de l’obligation de respecter ces principes s’imposent alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation.

En l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que la méthode d'évaluation de l'offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l'appréciation de l'autorité concédante sur les différents critères d'attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d'être convertis en note chiffrée, ce qui laissait « une trop grande part à l'arbitraire ».

En réalité, d’une part, chaque critère faisait l’objet d’une appréciation littérale accompagnée d’une flèche (une flèche verte orientée vers le haut pour la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas pour la moins bonne, des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite pour les évaluations intermédiaires) et d’autre part, l’autorité concédante a classé les offres au regard de l'appréciation qu'elle avait portée sur chacun des critères. Cette façon de procéder, qui permettait de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles et qui n’était pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation, n’était pas entachée d'irrégularité.

Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit alors qu'il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d'évaluation retenue n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante.

(3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 459678 et n° 460724)

(9) V. aussi, à propos de l’attribution d’un autre lot sur la même plage, la décision, identique à celle rapportée ci-dessus, mais ajoutant ces précisions bien connues :

1° que le montant prévisionnel des redevances proposées par les candidats, alors même qu'il serait évalué pour partie par référence au chiffre d'affaires prévisionnel s'agissant des redevances variables, n'est pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et de la cohérence des offres sur le plan financier, dont il est un élément d'appréciation, et vise à apprécier non la valeur financière de l'offre mais la cohérence et la crédibilité de celle-ci au plan financier ;

2° qu’il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l'autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres ;

3° que le caractère éventuellement initialement irrégulier d’une offre ne fait pas obstacle à ce que la négociation la fasse évoluer et conduise à sa régularisation ;

4° qu’il incombe au juge des référés, comme faisant partie intégrante de son office, de vérifier que l'autorité concédante n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460089 ; 3 mai 2022, Société Le 10 Plage, n° 460155, jonction.

(10) V. également, identiques aux décisions jointes ci-dessus : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460090 ; Société Le Sporting Plage, n° 460154, jonction.

 

11 - Marché en cours d’exécution – Marché conclu avec un groupement sans personnalité juridique – Substitution à un ou plusieurs membres de ce groupement d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques – Obligation d’organiser une mise en concurrence – Avenant au marché – Incompétence du juge du référé contractuel sauf si l’avenant a été lui-même soumis aux règles de publicité et de concurrence – Annulation partielle de l’ordonnance rendue en référé contractuel avec différé d’exécution et infliction d’une pénalité (cf. art. L. 551-19 CJA).

La requérante a notamment demandé l’annulation – par voie de référé contractuel – du contrat conclu entre le Groupe hospitalier du sud de l'Ile-de-France (GHSIF) et la société Bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), le nouvel assureur se substituant à la Lloyd's Insurance Company, pour l'exécution des prestations d'assurance de responsabilité civile à compter du 1er janvier 2022 et des contrats ou avenants conclus entre le GHSIF et le BEAH ou la Lloyd's Insurance Company en ce qu'ils contiennent des augmentations tarifaires prohibées par le code de la commande publique.

Elle se pourvoit contre une ordonnance de référé jugeant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur certains chefs de demande et rejetant le surplus.

A la suite d’un appel d’offres ouvert le Groupe hospitalier précité a conclu avec plusieurs sociétés d’assurance un contrat d’assurance responsabilité civile et risques annexes. Avant le terme de ce contrat, l’une des compagnies signataires de celui-ci l’a résilié pour sa part et le Groupe hospitalier a conclu avec BEAH un avenant substituant à cette compagnie une autre pour la période restant à courir du contrat initial.

La requérante demande en fait l’annulation de cet avenant et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État décide qu’il n'entre pas dans la compétence du juge du référé contractuel, telle que définie par l'article L. 551-13 du CJA, de statuer sur un avenant à un contrat sauf dans le cas où la conclusion d'un tel accord est soumise aux règles de publicité et de concurrence qui s'appliquent à la passation des contrats visés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 du CJA.

Il juge ensuite, par combinaison des dispositions des art. L. 2194-1, R. 2142-19 à R. 2142-25, et R. 2194-5 à R. 2194-7 du code de la commande publique, que la substitution en cours d’exécution d’un marché public, au groupement d’opérateurs qui l’a signé, d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques constitue en réalité une modification du titulaire du marché laquelle ne peut être réalisée régulièrement sans mise en concurrence que dans les cas limitativement énoncés à la disposition législative et aux dispositions réglementaires précitées. C’est donc par suite d’une erreur de droit que, pour rejeter le recours dont l’avait saisi la SHAM, le juge du référé contractuel a estimé que le changement d’un seul des membres du groupement sans modification du mandataire dudit groupement ne constituait pas une modification du titulaire du marché.

Jugeant l’affaire au fond (par application de l’art. L. 821-2 CJA) par suite de l’annulation prononcée de l’ordonnance, le juge de cassation estime, d’une part, que la sortie de l’une des sociétés du groupement  n'a pas eu lieu en application d'une clause de réexamen ou d'une option et qu'elle n'est pas intervenue à la suite d'une opération de restructuration de celle-ci et, d’autre part, que cette décision de retrait  en application d’une clause de résiliation stipulée au contrat constituait un événement qu’un acheteur diligent pouvait prévoir (cf. art. R. 2194-5 du CCP).

Il juge également que la requérante n'est pas recevable à contester devant le juge du référé contractuel cet avenant en tant qu'il a modifié le prix du marché d'assurances initial car cette augmentation du prix est inférieure à la fois au seuil de 215 000 euros hors taxes et à 10 % du montant total du marché. En revanche, elle est recevable à contester celles des stipulations de l’avenant procédant au remplacement de l’un des contractants, ces stipulations étant divisibles des autres dispositions de l’avenant, en tant qu’ont été méconnues par le Groupe hospitalier les obligations de publicité et de mise en concurrence.

Enfin, opérant une balance bien connue des lecteurs de cette Chronique, le Conseil d’État prononce une annulation différée  jusqu’au terme de la durée d’exécution du marché en raison du double inconvénient qui résulterait, au regard de l’intérêt général, de l’ouverture d’une période où le Groupe hospitalier ne verrait plus sa responsabilité couverte et du risque contentieux que ferait courir une annulation rétroactive sur les sinistres susceptibles d’être intervenus ou découverts durant ce laps de temps.

Compte-tenu du temps d’exécution du contrat restant encore, une pénalité financière – très légère – de 5000 euros est infligée au Groupe hospitalier.

(16 mai 2022, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 45940)

 

12 - Renouvellement du contrat – Restitution à la commune, par le précédent titulaire du contrat, des biens de retour matériels et immatériels – Retour normalement gratuit dans le patrimoine communal – Invocation du régime de la propriété littéraire et artistique – Marque déposée – Urgence ou utilité des mesures sollicitées par la commune – Annulation de l’ordonnance de référé et admission du recours.

La commune de Nîmes demande l’annulation de l’ordonnance de référé qui a rejeté sa demande tendant à voir ordonner à la société Culturespaces de procéder sans délai à la restitution des biens de retour de la concession portant sur l'exploitation touristique et culturelle des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne que constituent les biens matériels et immatériels liés à ce contrat, notamment les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux, le film relatif à la Maison carrée et les décors des Grands Jeux romains ou, à tout le moins, de restituer sans délai les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux et les décors des Grands Jeux romains, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

1 - Le juge commence par rappeler qu’en principe le juge administratif ne peut intervenir dans la gestion d'un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat. C’est le rappel de la bien connue jurisprudence Préfet de l’Eure.

Toutefois doit être réservé le cas où l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. Cette situation permet au juge du contrat de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d'urgence, le juge des référés peut, de même (cf. art. L. 521-3 CJA) ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Il est précisé ici qu’au nombre des mesures susceptibles d’être prises à ce titre figure la restitution par le concessionnaire des biens de retour afin que soient assurés la continuité du service public et son fonctionnement correct.

2 – Dans le présent litige, la candidature de la société Culturespaces à qui avait été attribuée en 2012 pour prendre effet le 7 janvier 2013, une délégation de service public portant sur l'exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville, impliquant la gestion des services d'accueil, l'animation culturelle, la communication et la valorisation des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne n’a pas été retenue lors de l’attribution d’une nouvelle concession avec même objet. Si le juge judiciaire a ordonné à cette société de suspendre toute action de destruction et de s'assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d'être qualifiés de biens de retour de la concession, le juge administratif des référés, au visa de l’art. L. 521-3 CJA, a rejeté la demande de la commune en vue que lui soient restitués lesdits biens. 

Pour estimer que les stipulations de la convention de délégation de service public étaient susceptibles de faire obstacle au retour gratuit à la personne publique de biens nécessaires au service public créés au cours de la délégation, il incombait au juge des référés de rechercher si les biens en cause étaient nécessaires au fonctionnement du service public puisqu’il est de  principe que si les parties au contrat de délégation peuvent décider la dévolution gratuite à la personne publique d'un bien qui ne serait pas nécessaire au fonctionnement du service public, elles ne peuvent en revanche jamais exclure qu'un bien nécessaire au fonctionnement du service public lui fasse retour gratuitement, or c’est ce qu’a jugé erronément le juge des référés. En effet, dans une concession de service public ou de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.

Il s’ensuit nécessairement qu’au terme de la convention, les biens qui sont entrés dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font retour à celle-ci gratuitement, ce qui interdit que le contrat puisse, à l’arrivée de ce terme, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique. Il n’y a d’exception que dans le cas où une clause du contrat de concession permet à la personne publique, lorsque sont remplies les conditions qu'elle fixe, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.

4 – Statuant au fond, le Conseil d’État rejette la double critique sur la compétence juridictionnelle tenant d’une part à l’exception d’incompétence soulevée par la défenderesse, fondée d’une part sur la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de litiges portant sur la propriété littéraire et artistique (art. L. 331-1 code de la propriété intellectuelle) et d’autre part sur le fait que l’office du juge des référés ne saurait s’étendre aux litiges en restitution de biens de retour. Sur le second point, l’arrêt avait déjà répondu et sur le premier point le juge rétorque que la restitution des éléments matériels et immatériels des différents supports s’effectue sans préjudice des éventuels droits de propriété intellectuelle relatifs à ces supports ou aux contenus hébergés par ces pages.

Puis, il ordonne la restitution gratuite à titre de biens de retour :

- du film visé à l'article 18 de la convention, à savoir un « nouveau film de la Maison Carrée » en raison de son caractère utile et urgent pour permettre le démarrage immédiat de la nouvelle concession ;

- des droits d'administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l'objet du contrat qui sont nécessaires de façon urgente au fonctionnement du service public tel qu'institué par la commune de Nîmes, ce transfert devant s’effectuer dans le respect des obligations que le droit de l’Union attache à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel sans que ces obligations puissent constituer aucun obstacle à l’exercice du droit au retour ;

- des décors créés pour l’organisation de la manifestation dite des « Grands jeux romains » qui l'ont été spécialement pour cette occasion quand bien même, comme le soutient la société défenderess, ils ne seraient plus nécessaires au service public et sans que puisse être opposée à cette restitution la circonstance que l'appellation « Grands Jeux romains » serait protégée par une marque déposée par la société Culturespace, ces circonstances ne sauraient faire obstacle au retour de ces biens à la commune en raison de l’urgence ou de l’utilité qui s’y attache pour cette dernière.

En revanche, faute de précisions sur ceux-ci, est rejetée la demande de la commune en restitution d’autres biens.

Cette décision fait injonction d’opérer la restitution desdits bien sous quinzaine assortie, passé ce délai, d’une astreinte de 200 euros par jour de retard.

(16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904)

 

13 - Marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier – Marché attribué à un groupement solidaire – Absence de répartition des tâches, par le marché, entre les membres du groupement – Représentation mutuelle – Formulation, au contentieux, de conclusions divergentes – Attribution des sommes correspondant aux prestations de l’un des membres – Conséquence sur les obligations du maître de l’ouvrage envers les autres membres du groupement – Cassation.

Un groupement d’entreprises s’étant vu attribuer le marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier et le marché ne précisant pas la répartition des tâches entre les entreprises membres, se posait la question de savoir quelles règles doivent être suivies en ce cas pour le paiement des prestations fournies.

Ceci conduit le Conseil d’État à rappeler tout d’abord qu’en l’absence de répartition, par les stipulations du marché, des prestations relevant de chacune des entreprises membres du groupement solidaire créé pour l'exécution du marché, ces entreprises sont réputées se représenter mutuellement. Il suit de là que les conclusions qu’elles forment à fin de paiement desdites prestations doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement ; ainsi, ces demandes peuvent tendre au paiement du solde global du marché. 

Ensuite, est envisagée l’hypothèse où, comme dans le cas de l’espèce, les membres du groupement présentent au juge des conclusions divergentes. En ce cas, tout membre du groupement peut demander le paiement, pour son propre compte, des prestations qu’il a effectuées y compris dans le silence du marché sur la répartition des tâches et cela sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la question de savoir si ce membre est mandataire ou non du groupement.

Enfin, se déduit de là cette conséquence que le maître de l’ouvrage qui a versé la somme correspondant à la prestation réalisée par le membre demandeur se trouve libéré de sa dette à du concurrence de son montant et cela à l’égard de tous les membres du groupement.

(19 mai 2022, Société Patriarche venant aux droits de la société BDM Architectes, n° 454367)

 

14 - Marché de travaux – Absence de projet de décompte final adressé au maître d’œuvre dans le délai de 45 jours à compter de la notification de réception des travaux – Décompte final établi d’office par le maître d’œuvre pouvant faire l’objet de réclamations dans les 45 jours de sa transmission y compris sur des postes absents de ce décompte – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Il résulte des dispositions de l’art. 13 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux, dans sa rédaction approuvée par l'arrêté du 8 septembre 2009, applicable ici, que faute pour le titulaire du marché d’avoir adressé au maître d’œuvre un projet de décompte final dans les 45 jours de la notification de la réception des travaux, le maître d’œuvre établit d’office un décompte final que le titulaire du marché doit renvoyer, éventuellement assorti  des motifs de son refus, dans les 45 jours de sa réception.

La question qui se posait ici et qui d’ailleurs n’était pas nouvelle, était de savoir si le titulaire peut contester le décompte final définitif établi d’office par le maître d’œuvre sur des postes de rémunération ou d’indemnisation qui n’y sont pas mentionnés. La réponse est positive car les dispositions précitées du CCAG « n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver (le titulaire du marché) du droit de former, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la transmission du décompte général du marché, une réclamation sur ce décompte général, quand bien même elle porterait sur un poste de rémunération ou d'indemnisation qui n'avait pas été mentionné dans le décompte final établi d'office par le maître d'œuvre ».

En somme le décompte établi d’office n’a pas un effet cristallisateur sur les prétentions du titulaire du marché et ne constitue ainsi pas un cas de déchéance des droits de ce dernier à réclamation.

(19 mai 2022, Sociétés Eiffage Route Nord Est, Eiffage Génie civil et Entreprise Jean Lefebvre Nord, n° 455134)

 

Droit du contentieux administratif

 

15 - Aide juridictionnelle – Retrait de l’aide pour requête abusive ou dilatoire - Exercice d’un pouvoir propre du juge – Retrait prononcé d’office ne constituant pas le relèvement d’un moyen d’ordre public – Rejet sur ce point – Annulation au fond.

Le litige portait, dans le cadre de la contestation d’un refus préfectoral de renouveler à un ressortissant algérien son certificat de résidence mention « retraité », sur les conditions de retrait de l’aide juridictionnelle primitivement accordée. Si, en définitive, le Conseil d’État donne raison au requérant sur ce dernier point, la décision vaut surtout par l’analyse qu’elle présente de la nature juridique du retrait d’une décision d’octroi du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

En l’espèce, la cour administrative d’appel avait jugé abusive la seconde des deux requêtes présentées par le demandeur et prononcé d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle conformément aux dispositions de l’art. 104 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui était alors applicable. Le requérant soutenait que la cour avait commis une irrégularité en ne lui communiquant pas préalablement l’existence d’un moyen relevé d’office. Cet argument est rejeté car le juge prononçant d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle exerce un pouvoir propre dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et ne soulève donc pas un moyen d’ordre public. Il n’a pas à communiquer préalablement au demandeur ce relèvement d’office qui n’entre pas dans les prévisions de l’art. R. 611-7 du CJA.

(5 mai 2022, M. C., n° 455860)

 

16 - Autorisation de fusion absorption – Société requérante prétendant exercer une activité concurrente de celle de la société issue de la fusion – Absence d’activité après liquidation de la société requérante – Absence d’intérêt donnant qualité pour agir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté ministériel du 10 décembre 2020 autorisant la fusion par voie d'absorption de la société anonyme Bpifrance par sa filiale la société anonyme Bpifrance Financement et faisaient valoir, d’une part, que la société MEI Partners exerce dans son domaine une activité concurrente de celle de la société résultant de cette fusion et d’autre part qu'elle détient une créance sur l'État, au titre d'une « gestion d'affaires » consistant à réclamer par la voie contentieuse le reversement à l'État d'aides d'État qui auraient été indûment versées à BPi.

Le Conseil d’État juge la requête manifestement irrecevable et la rejette comme telle car il constate que la société MEI Partners est dépourvue de toute activité réelle au moins depuis le jour de sa mise en liquidation et que à  supposer même que des aides d'État aient été indûment versées à la BPi, l'opération de fusion autorisée par l'arrêté du 10 décembre 2020 serait dépourvue de toute incidence sur la créance que l'État détiendrait à ce titre sur l'établissement fusionné comme, à supposer qu'elle existe, la créance que détiendrait la société MEI Partners sur l'État.

Dès lors, ni cette société ni son liquidateur judiciaire ne justifient d'un intérêt leur donnant qualité à agir contre l'autorisation attaquée ou les décisions refusant d'abroger cette autorisation et de notifier à la Commission européenne les « apports d'actif » correspondants ou un plan de restructuration de la société Bpifrance. Il en va de même, par voie de conséquence, de M. A., qui se borne à faire valoir sa qualité d'actionnaire de la société MEI Partners et de la société Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux, d’où il prétend tirer sa vocation à succéder aux droits et obligations de la société MEI Partners. 

(11 mai 2022, Société MEI Partners, Me Jean-Marc Noël, liquidateur judiciaire de cette société, Société européenne Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux et M. B. A., n° 442707)

 

17 - Motivation des jugements – Omission de réponse à moyen – Jugement insuffisamment motivé – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’habitation, une association sportive invoquait devant le juge un moyen tiré des dispositions du 2° du I de l'article 1407 du CGI et un moyen tiré de deux réponses ministérielles publiées au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Le tribunal administratif a rejeté le recours en se fondant sur le premier de ces moyens sans répondre au second ni juger, par exemple, qu’il était irrecevable ou inopérant.

Le jugement est annulé à raison de l’insuffisance de sa motivation.

(11 mai 2022, Association sportive du Bas Rhône Languedoc, n° 449944)

 

18 - Harcèlement moral et harcèlement sexuel – Appel principal et appel incident – Autorité absolue de chose jugée au pénal – Annulation avec renvoi.

Inspectrice des douanes, la requérante a adressé au ministre des finances et des comptes publics une demande tendant notamment à la reconnaissance de deux accidents de service, à la reconnaissance de faits de harcèlement moral et de faits de harcèlement sexuel et à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison de ces différents faits. Cette demande ayant été rejetée d’abord implicitement puis explicitement, elle a saisi le tribunal administratif  qui a condamné l'État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice moral causé par le refus de protection à raison des faits de harcèlement sexuel, enjoint au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

Saisie d’un appel principal de l’intéressée et d’un appel incident du ministre, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel principal de Mme B. contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions tendant à la reconnaissance des faits de harcèlement moral, à la réparation des préjudices liés à ce harcèlement, à la mise en œuvre de la protection fonctionnelle à raison de ces faits et la prise en charge intégrale de ses frais et honoraires de procédure ; elle a fait droit à l'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics en annulant le jugement du tribunal administratif, à l'exception de son article 1er en tant qu'il avait annulé la décision refusant de reconnaître l'existence de deux accidents de service et de son article 3 faisant injonction au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois. Mme B. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État annule tout d’abord l’arrêt en tant qu’il fait droit à l’appel incident du ministre car, on le sait, l’appel incident n’est recevable que s’il ne soumet pas au juge un litige distinct de celui dont l’appel principal l'a saisi. Or l’appel principal ne portait que sur le harcèlement moral non sur le harcèlement sexuel tandis que l’appel du ministre ne concernait que les faits de harcèlement sexuel. Comme ces deux sortes de harcèlement constituent des catégories juridiques distinctes, l’appel incident du ministre soulevait un litige distinct de celui sur lequel portait l’appel principal, il était ainsi irrecevable.

Le Conseil d’État annule ensuite l’arrêt d’appel en tant qu’il a rejeté l’appel principal de Mme B. car cette dernière invoque un arrêt définitif rendu au pénal par la cour d’appel de Paris qui a condamné le supérieur hiérarchique de la requérante à six mois de prison avec sursis pour des faits de harcèlement moral. Il est de principe que la chose jugée portant sur les faits constatés par une juridiction pénale s’impose absolument aux juridictions administratives et que le moyen tiré de la méconnaissance de l’autorité absolue ainsi attachée à ces décisions juridictionnelles est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État.

Il s’ensuit que le dispositif de l’arrêt de la cour administrative d’appel doit être annulé en tant qu’il repose sur des constatations de fait directement contraires à celles retenues par la cour d’appel de Paris statuant avec plénitude de juridiction sur elles.

L’arrêt est ainsi annulé en totalité.

(12 mai 2022, Mme B., n° 442880)

 

19 - Mémoires produits dans l’instance – Passages injurieux, outrageants ou diffamatoires – Constatation de ce caractère – Suppression desdits passages ordonnés – Annulation de l’arrêt mais confirmation de sa solution.

L’art. L. 741-2 CJA, s’appropriant les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’art. 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, permet au juge administratif d’ordonner la suppression « des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires » contenus dans les mémoires produits devant lui. L’exercice de cette faculté n’est pas très fréquent et la présente espèce fournit l’occasion d’une illustration.

(12 mai 2022, M. C., n° 448022)

 

20 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Production régulière d’une note en délibéré – Note non visée par la Cour – Annulation et renvoi.

Est irrégulière et doit être annulée la décision de la CNDA qui ne vise pas une note en délibéré produite après l’audience et avant la lecture de la décision alors que cette note en télécopie comportant la signature de l’avocat a été déposée à la Cour et figure dans le dossier soumis au juge du fond.

(12 mai 2022, M. B., n° 452153)

 

21 - Procédure devant les juridictions administratives – Dispense de conclusions du rapporteur public par le code de justice administrative et par une disposition d’une ordonnance non ratifiée – Nature législative de la dispense – Rejet faute de QPC.

Dans un litige de droit fiscal, les contribuables requérants contestaient le caractère discrétionnaire du pouvoir reconnu en procédure administrative contentieuse au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public de prononcer ses conclusions dans un litige donné. Ils critiquaient l’absence de tout critère objectif pour fonder cette dispense.

Ce pouvoir est prévu à titre permanent par les dispositions de l’art. L. 732-1 du CJA et, à titre temporaire et exceptionnel, par celles de l’art. 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, prise sur habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la cessation de l’urgence sanitaire (qui aura lieu le 12 juillet 2020).

Renversant sa jurisprudence (20 octobre 1982, Société Chanel, n° 29501 ; 17 avril 1989, Sarl « Hostellerie du Grand Cerf, n° 58150), le Conseil d’État pose en postulat que si les règles de procédure administrative contentieuse relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou par d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, tel n'est pas le cas des dispositions de l'article L. 7 du code de justice administrative prévoyant l'intervention du rapporteur public, lesquelles relèvent des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

Il s’ensuit, d’une part, que les dispositions de l’art. 8 précité de l’ordonnance du 25 mars 2020 ont-elles aussi nécessairement une nature législative en ce qu’elles dérogent expressément à l’art. L. 7 précité et d’autre part, que s’agissant d’invoquer l’atteinte portée à un droit constitutionnellement garanti, alors que le délai d’habilitation est expiré, les requérants devaient accompagner leur recours d’une QPC ainsi qu’il résulte de l’étrange jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 50

 

22 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

C’est sans abus que le président de chambre d’une cour administrative d’appel a, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. R. 222-1 CJA, rejeté par voie d’ordonnance l’appel formé contre le jugement refusant d’annuler une délibération communale approuvant le plan local d’urbanisme et cela sans viser le mémoire déposé après la clôture de l’instruction alors même que celui-ci contenait des conclusions nouvelles.

Cette solution, nouvelle, est logique. Il est heureux que le juge n’ait pas estimé que ses effets sont disproportionnés au regard du droit de propriété en cause dans ce litige du fait du classement, par le PLU, en zone UE réservée aux équipements publics et d'intérêt collectif, de la parcelle dont le requérant est propriétaire…

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

 

23 - Covid-19 – Aide de l’État à l’attractivité des foires et salons français – Société non inscrite sur la liste des entreprises aidées – Référé-liberté – Engagement de l’État pris à l’audience – Défaut d’urgence compte tenu de cet engagement – Rejet sous réserve.

Dans le contexte de la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19, un décret du premier ministre, auquel est annexée une liste des entreprisequi y sont éligibles, a institué une aide d’État pour leur participation aux foires et salons français.

La société requérante, absente de cette liste alors qu’elle organise des foires et salons et un événement de cette nature (« ADF et PCD et PLD Paris » devenu en 2022 « Paris Packaging Week »), a demandé – mais en vain - au premier ministre ainsi qu’au ministre de l’économie son inscription sur cette liste.  

Elle saisit le juge des référés sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA en vue qu’il enjoigne à l'État de modifier, sous sept jours, l'annexe du décret n° 2022-370 du 16 mars 2022 de façon à y inscrire le salon Paris Packaging Week organisé du 29 au 30 juin 2022 et, par voie de conséquence, celui organisé du 25 au 26 janvier 2023.

L’intérêt de cette affaire est d’illustrer parfaitement l’importante mutation que la procédure de référé fait subir à la procédure administrative contentieuse. C’est ce que démontre la façon dont ce litige a été traité.

Tout s’est en réalité noué au cours de l’audience durant laquelle le ministre défendeur a reconnu que la demanderesse remplissait bien les conditions d’éligibilité à l’aide instituée et pour être inscrite sur la liste des entreprises bénéficiaires. Le juge des référés a demandé au ministre de produire après l’audience un mémoire par lequel il s’engageait à procéder à cette inscription « dans les meilleurs délais » selon ses propres termes.

Prenant acte de cet engagement même s’il est pris sans date certaine, le juge des référés constate qu’à la date où il statue il n’y a plus d’urgence et rejette donc la requête dont il était saisi.

Toutefois, et pour donner pleine efficacité à sa décision, il est précisé dans l’ordonnance que « Cet engagement (du ministre de l’économie) devra cependant être traduit dans le droit aussi tôt que possible, la société requérante disposant en toute hypothèse de la possibilité de saisir à nouveau le juge des référés s'il n'en était pas ainsi ». 

Il faut saluer cette manière de procéder où l’élégance procédurale est jointe au réalisme pratique.

(16 mai 2022, Société Easyfairs Oriex, n° 463623)

 

24 - Condamnation de l’administration pénitentiaire à une obligation de faire sous astreinte – Distribution de kits et de trousses d’hygiène aux détenus – Prétendue inexécution de cette mesure – Demande de liquidation de l’astreinte – Rejet.

Par une décision du 24 décembre 2021 le Conseil d’État a condamné l’administration pénitentiaire à une astreinte de mille euros par jour de retard s’il n’était pas justifié, dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision, de l'exécution des injonctions contenues dans l'ordonnance du 28 avril 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Melun relatives à la distribution de kits et de trousses d'hygiène aux détenus du centre pénitentiaire de Fresnes. Arguant de l’inexécution de la mesure ordonnée, la requérante a saisi le Conseil d’État d’une demande de liquidation d’astreinte.

La demande est rejetée car après diligences faites par la section du rapport et des études du Conseil d'État il est constaté qu’en date du 22 janvier 2022 l’administration s’est acquittée de cette obligation d’une part par l’affichage d’une note accessible aux lieux où circulent les détenus leur indiquant la possibilité d’obtenir une dotation supplémentaire à la distribution mensuelle de kits d’hygiène quelles que soient leurs ressources financières et d’autre part par une instruction de service en ce sens destinée aux personnels pénitentiaires.

La circonstance que ne sont pas mentionnés les motifs pour lesquels une demande de kit d'hygiène supplémentaire pourrait être refusée et que l'information n’a pas été effectuée par écrit en différentes langues étrangères ou oralement par le canal interne de la télévision, ne saurait constituer une inexécution de la mesure prescrite dès lors qu'il résulte de l'instruction que les modalités de distribution du formulaire permettent aux détenus de demander des précisions orales aux agents pénitentiaires pour garantir l'effectivité de la mesure. Ainsi n’est pas établie l’inexécution alléguée.

(19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 435622)

(25) V. aussi, avec même requérante, le rejet, d’une part, de son recours en annulation  contre les décisions implicites par lesquelles le directeur du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly et le directeur de l'administration pénitentiaire ont refusé de l'informer de l'état d'avancement de l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane du 23 février 2019 et de lui communiquer les documents en attestant ainsi que des bilans trimestriels de l'état d'avancement de son exécution, et d'autre part, de sa demande tendant à ce qu’injonction soit adressée aux directeurs saisis de faire droit à ses demandes, ou, à défaut, de procéder à leur réexamen sous astreinte : 19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 456201.

 

26 - Recours en révision – Décision prétendue rendue sur pièce fausse – Notion – Cas d’un avenant contractuel – Absence d’un tel caractère – Rejet.

La circonstance que dans le cadre d’une négociation contractuelle les autorités d'Aéroports de Paris auraient indiqué de façon inexacte à leurs interlocuteurs que le souhait d'organiser une nouvelle consultation avait été formulé par le conseil d'administration lui-même, inexactitude dont, au demeurant, l'existence n'a pas été établie par un avis rendu par la commission d'accès aux documents administratifs, n'aurait pas pour effet de faire regarder l'avenant au protocole conclu le 20 avril 2004 comme une pièce fausse au sens des dispositions de l'article R. 834-1 du CJA.

Par suite fait défaut l’existence de celui des trois cas d’ouverture du recours en révision invoqué en l’espèce, d’où le rejet du recours.

(19 mai 2022, Société JSC Investissement et autres, n° 458394)

 

27 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé  contre la décision implicite de rejet par le premier ministre et par la secrétaire d'État qui lui est rattachée, chargée des personnes handicapées, de sa demande tendant à ce qu'ils mettent en œuvre, à l'encontre de l'exploitant du site internet de la Tour Eiffel, les pouvoirs qu'ils tiennent du décret du 24 juillet 2019 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne, est dirigé contre une décision non réglementaire et ne peut donc être porté directement devant le Conseil d’État. Le dossier est renvoyé au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

 

28 - Jugement se prononçant sur une question préjudicielle – Délai d’appel – Expiration – Rejet.

L’appel interjeté le 15 juillet 2019 contre un jugement notifié le 18 mai 2019, statuant sur une question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire et comportant l’indication des délais de recours, est à juste titre rejeté comme entaché de forclusion le délai d’appel étant, en cette matière, de quinze jours.

(19 mai 2022, M. A., n° 445744)

 

29 - Requête contenant des moyens non assortis de précisions – Précisions apportées après expiration du délai d’appel - Requête rejetée comme manifestement irrecevable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Encourt cassation, au visa des dispositions combinées de l’art. R. 411-1 CJA et de l’art. R. 4126-11 du code de la santé publique, l’ordonnance rejetant comme manifestement irrecevable un appel formé contre un jugement de la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins alors que la requête contenait l'exposé de conclusions soumises au juge d'appel et qu’elle était assortie de moyens : la décision attaquée procéderait d'une inexacte appréciation des faits invoqués dans la plainte du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ;  l'instruction de cette plainte serait entachée de partialité ; la sanction prononcée serait insuffisamment motivée s'agissant du manquement, lui étant reproché, relatif au caractère illusoire des procédés thérapeutiques mis en œuvre ; la sanction infligée devrait être plus modérée. 

Il en va ainsi alors même qu’au moment de leur dépôt ces moyens n'auraient pas été, à ce stade, assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et que le requérant n’a apporté des précisions à l'appui de certains de ces moyens qu’après expiration du délai d’appel. 

(20 mai 2020, M. B., n° 439568)

 

30 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

V. n° 115

 

31 - Recours excès de pouvoir – Intervention devant le tribunal administratif – Conditions pour interjeter appel – Obligation de le faire dans le délai d’appel – Absence de respect de ce délai – Forclusion – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue soit à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, soit en défense à un tel recours, est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité soit pour introduire elle-même le recours, soit, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours.

Il en résulte nécessairement que son mémoire en intervention présenté en soutien à l'appel doit être regardée comme constituant lui-même un appel, qui, pour être recevable, devait avoir été introduit dans les délais de recours contentieux.

C’est au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a annulé la délibération d’urbanisme contestée par cet appel alors que, formé après expiration du délai d’appel, celui-ci était irrecevable car entaché de forclusion.

(24 mai 2022, M. B., n° 443699)

 

32 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

V. n° 69

 

33 - Référé liberté - Nécessité d'établir l'urgence à statuer - Atteinte éventuelle à une liberté fondamentale ne pouvant établir par elle-même cette urgence - Rejet.

Le requérant, avait demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif d'enjoindre au maire de la commune de Montreuil, par une ordonnance qui serait exécutoire dès son prononcé, d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal du 30 mars 2022 la proposition de délibération qu'il a déposée sous le titre « Mise en œuvre d'une communication sans stéréotype de sexe et de l'utilisation de l'écriture épicène et inclusive » et de répondre aux questions orales déposées dans le cadre du code général des collectivités territoriales et du règlement intérieur du conseil municipal. Il invoquait au soutien de sa requête que la possibilité de présenter en conseil municipal une proposition de délibération et d'obtenir en séance publique des réponses à des questions d'actualité constituent des libertés fondamentales reconnues à un élu local que seule pourrait garantir une intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Le juge relève une nouvelle fois que les conditions de formation d'une demande en référé liberté sont cumulatives, dont celle de l'urgence à statuer, et que cette urgence ne résulte pas ipso facto d'une atteinte à une liberté fondamentale.

(5 mai 2022, M. A., n° 463170)

 

34 - Référé de l'art. L. 521-3 - Irrecevabilité manifeste - Demande qu'injonction soit faite à un tribunal judiciaire - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé tendant à ce que le juge administratif fasse injonction à un tribunal judiciaire « de faire cesser la privation de son droit constitutionnel d'être représenté par un avocat et d'obtenir un procès équitable et impartial ». Il faut beaucoup d'aménité pour s'abstenir d'apercevoir dans cette démarche une requête abusive...

(9 mai 2022, M. B., n° 463095)

(35) V. aussi, tout aussi étrange que la précédente, la requête en référé liberté - évidemment rejetée - tendant à l'annulation de la décision du Conseil constitutionnel du 13 avril 2022, relative aux résultats du premier tour du scrutin de l'élection du président de la République et à la suspension les élections présidentielles de 2022 : 9 mai 2022, Mme B., n° 463369.

 

36 - Référé suspension - Professeur des universités - Personne porteuse d'un handicap - Demande de mutation prioritaire - Demande renvoyée au comité de sélection - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant - Rejet.

Le requérant, professeur des universités affecté à Rouen, a demandé au titre de son handicap, sa mutation prioritaire sur un emploi à pourvoir à l'université de Paris-Cité. Le conseil d'administration de cette université a renvoyé sa demande à l'examen du comité de sélection.

L'intéressé saisit le Conseil d'État d'une demande de suspension de cette décision.

Le recours est évidemment rejeté.

Tout d'abord, sa demande - contrairement à ce qu'il soutient - n'a pas été rejetée par l'université mais, ayant été adressée au conseil d'administration de celle-ci, elle a été transmise par ce dernier au comité de sélection. Ensuite, les problèmes psychiques invoqués par le requérant durent depuis plus de dix ans et cet état a été estimé consolidé désormais, ce qui exclut l'existence d'une urgence. Enfin, alors qu'il est seul concerné, le demandeur ne saurait prétendre, par son action, protéger les intérêts généraux des personnes en situation de handicap souhaitant bénéficier de la procédure de mutation prioritaire.

(10 mai 2022, M. A., n° 463730)

 

37 - Demande de faire injonction à un tribunal administratif - Compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort - Absence - Rejet.

Est manifestement irrecevable le référé liberté formé directement devant le Conseil d'État et tendant à ce que ce dernier enjoigne à un tribunal administratif diverses choses dans le cadre d'une instance pendante devant ce tribunal.

(13 mai 2022, M. D., n° 463799)

 

38 - Référé suspension - Litige porté au rôle d'une chambre du Conseil d'État dans les prochaines semaines - Absence d'urgence - Rejet.

Il n'y a pas lieu de faire droit à un référé tendant à la suspension de la décision du premier ministre de prolonger la réintroduction temporaire des contrôles à l'ensemble des frontières intérieures de la zone de Schengen du 1er mai 2022 au 31 octobre 2022, telle qu'elle a été révélée par la notification à la Commission effectuée en application de l'article 27 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

En effet, dès lors que sur le rapport de la 10ème chambre de la section du contentieux, cette affaire va être inscrite prochainement au rôle en vue du jugement du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision litigieuse, il n'y a pas d'urgence à statuer.

(13 mai 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, n° 463851)

 

39 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

S'il résulte des dispositions de l'article R. 4222-4-2 du code du code de la santé publique que le Conseil d'État est compétent pour statuer, en premier et dernier ressort, sur les recours contentieux formés contre les décisions de refus d'inscription au tableau prononcées, sur recours administratif préalable obligatoire, par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens saisi d'une décision de l'un des conseils régionaux de la section A ou de l'un des conseils centraux des sections B, C, D, E, G ou H, il s'en déduit que le Conseil d'État est également compétent pour statuer, dans les mêmes conditions, sur les décisions d'inscription au tableau de l'ordre, de retrait d'inscription, ou de radiation de ce tableau.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

(40) V. aussi, s'agissant d'un refus d'inscription au tableau de l'ordre des pharmaciens : 25 mai 2022, Mme A., n° 446477.

 

41 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) - Procédure disciplinaire - Déduction, à partir de propos tenus actuellement, de la preuve de la tenue de ces mêmes propos antérieurement - Manquement à l'office du juge par insuffisance de motivation - Annulation.

Le CNESER avait à connaître du cas d'un étudiant poursuivi disciplinairement par son université pour avoir tenu à l'encontre d'un enseignant des propos injurieux et menaçants.

Pour juger les faits établis et rejeter le recours de l'étudiant contre la mesure d'exclusion définitive de cette université, le CNESER a retenu qu'il avait donné une teneur injurieuse, insultante et diffamatoire aux courriels qu'il avait adressés aux juridictions de première instance et d'appel durant l'instruction de son affaire et qu'ainsi était prouvée la continuité du comportement reproché à l'intéressé.

Le Conseil d'Etat est à la cassation de cette décision car en déduisant d'un fait certain le contenu d'un fait incertain, le juge a manqué à son office. En effet, pour dire continu le comportement reproché il eût fallu que le CNESER, de quelque façon, s'assurât de la nature des propos initiaux pour lesquels l'étudiant a été poursuivi et sanctionné.

(30 mai 2022, M. B., n° 450374)

 

42 - Procédure contentieuse - Demande d'une production rapide d'éventuelles observations - Absence d'indication du délai imparti à cet effet - Atteinte au principe du caractère contradictoire - Annulation.

Porte atteinte à l'exigence de contradictoire le jugement de rejet d'une requête après que son auteur a été informé, suite au dépôt d'un mémoire en défense par l'administration, d'une part que : «  Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires dans les meilleurs délais » et d'autre part que  «  Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ». Ces indications ne permettaient pas au demandeur de connaître le délai dont il disposait pour produire ses observations en réplique et ne pouvait, non plus, les faire valoir oralement en l'absence d'audience.

(31 mai 2022, M. B., n° 453814)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Établissement sur la base des éléments déclarés par le contribuable – Droits excédant ceux résultant desdits éléments – Non-respect des droits de la défense – Annulation.

On retiendra surtout de cette décision l’opportun rappel de ce que le respect du principe général des droits de la défense exige, lorsqu'une imposition est, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties, assise sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le redevable.  En effet, l'administration ne peut établir, à la charge du contribuable des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir mis à même de présenter ses observations.

Faute du respect de cette règle élémentaire, l’imposition en litige est réduite à hauteur des éléments déclarés.

(11 mai 2022, SAS DA B., n° 439567)

 

44 - Réintégration erronée par le vérificateur de charges dans les résultats de la contribuable – Rejet pour impossibilité de distinguer la répartition des charges de l’avion dont la contribuable est propriétaire – Erreur de droit et méconnaissance par le juge de son office – Annulation.

Commet une erreur de droit et méconnaît son office la cour administrative d’appel  qui juge justifiée la réintégration par le vérificateur dans les résultats d’une EURL des charges liées à l’entretien et aux heures de vol de l’avion appartenant à cette entreprise en raison de l’impossibilité de distinguer entre les charges afférentes à l'entretien et à l'usage de l'avion relevant de l'activité de l'EURL et celles qui se rattachent aux déplacements personnels de M. A. B. alors qu’elle avait admis, sur justifications apportées par les requérants, que l'usage de l'avion avait présenté un caractère professionnel à hauteur de 48 heures de vol.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 446757)

 

45 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exclusion de panneaux d’isolation thermique de la base d’imposition à cette taxe – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante, qui exploite un établissement industriel de fabrication de fromages, a demandé au tribunal administratif la réduction des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie du fait de l'exclusion des panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties. 

Le Conseil d'État avait prononcé l'admission des conclusions du pourvoi, en tant que ce jugement statue sur l’exclusion desdits panneaux.

Par la présente décision est prononcée, pour erreur de droit, la cassation de ce jugement  à raison de ce que pour exclure les panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties il s’est fondé sur ce que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI doivent s'entendre de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante et fréquemment réitérée au Palais-Royal, que pour l’appréciation de la consistance des propriétés (cf. art. 1495 CGI et 324 B de son annexe III) qui entrent, en vertu de ses articles 1380 et 1381, dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, « il est tenu compte non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles, mais également des biens faisant corps avec eux.

Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application du 11° de l'article 1382 du même code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 ».

L'exclusion des panneaux solaires de la base d'imposition était donc irrégulière.

(11 mai 2022, Société Établissements L. Tessier, n° 450570)

 

46 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Immeubles étant la propriété d’un syndicat mixte – Exonération de la taxe sous conditions – Absence de satisfaction à ces conditions – Annulation du jugement et rejet de la requête.

En application des 1° et 9° de l’art. 1382 du CGI, les syndicats mixtes peuvent bénéficier de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des immeubles dont ils sont propriétaires à condition, d'une part, que ces immeubles soient affectés à un service public ou à un objet d'utilité générale et, d'autre part, qu'ils ne soient pas, pour leurs propriétaires, productifs de revenus, même symboliques. 

En l’espèce, l’immeuble litigieux  était mis à disposition d'un tiers exploitant dans le cadre d'un contrat prévoyant que cet exploitant reverse au syndicat une fraction des recettes ou des résultats de l'activité qu'il exerce dans cet immeuble, par suite cet immeuble doit être considéré comme productif de revenus au sens des dispositions du 1° de l'article 1382, sans que puisse faire échec à l’application de ce texte la circonstance que ce reversement puisse varier en fonction des résultats de l'exploitation. 

Doit donc être annulé pour erreur dans la qualification juridique des faits le jugement ayant estimé qu’en l’espèce le syndicat devait être exonéré de la taxe.

On peut ne pas être d'accord avec la solution retenue.

(12 mai 2022, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 443811)

 

47 - Contribuable travaillant en Arabie saoudite - Existence prétendue d’un foyer en France – Lieu habituel d’existence et centre de vie personnelle en France – Éléments retenus impuissants à opérer cette localisation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Alors que l’intéressé est employé par une société de construction en Arabie saoudite, la cour administrative d’appel, pour juger justifiée la position de l’administration selon laquelle il a son domicile fiscal en France, retient que celui-ci, divorcé, était propriétaire d'un appartement à Rennes, qu'il y disposait d'un logement dans lequel il séjournait lors de ses congés et qu'il versait une pension alimentaire à ses deux enfants mineurs qui résidaient en France. A l’évidence, ce raisonnement minimaliste n’établit en aucune façon l’existence que le contribuable habitait normalement en France et y avait le centre de sa vie personnelle. Il serait temps de réaliser que la détention d’un bien immobilier, même à usage d’habitation, sur le territoire français, n’établit point une « habitation normale » en France et que ce critère a fait son temps depuis sa mise à l’honneur en droit romain.

(11 mai 2022, M. A., n° 450692)

 

48 - Opérations de marchands de biens ou de lotisseurs portant sur des terrains à bâtir – Conditions d’assujettissement à la TVA sur la marge – Saisine et réponse de la CJUE – Conséquences sur le litige – Rejet.

Saisi par la requérante d’un recours dirigé contre l’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande de restitution de TVA, le Conseil d’État, avant dire droit, a saisi la CJUE de questions préjudicielles (25 juin 2020, SAS Icade Promotion Logement, n° 416727). La présente décision statue au vu des réponses données par la Cour de Luxembourg (30 septembre 2021, aff. C-299-20).

En premier lieu, la CJUE a jugé que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.

Elle a cependant précisé qu’en dehors de ces cas, cette disposition ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.

En second lieu, la CJUE a estimé que ce même article 392 doit être interprété en ce sens :

1° qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir,

2° qu'il n'exclut pas en revanche l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité.

Le Conseil d’État tire de là deux conséquences principales.

Tout d’abord, il déduit de cette décision de la CJUE que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI sont incompatibles avec les dispositions de l'article 392 de la directive 2006/112/CE en tant qu'elles soumettent au régime de la TVA sur la marge les cessions de terrains à bâtir réalisées par des revendeurs assujettis, au profit des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, lorsque l'acquisition initiale du terrain à bâtir par le revendeur n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée, et que le prix auquel le revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient compatibles avec l'article 392 de cette directive.
Le juge ajoute toutefois qu’il résulte de la combinaison des dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 2 et du k) du paragraphe 1 de l'article 135 de la directive 2006/112/CE que toute livraison de terrains à bâtir réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel doit, en principe, être soumise à la TVA. Le régime de taxation sur la marge, prévu à l'article 392 de cette directive, constitue une dérogation au régime de droit commun de l'article 73 de la même directive en vertu duquel la TVA est calculée sur la totalité du prix de vente. Ainsi, dès lors que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI ne sont incompatibles avec la directive 2006/112/CE qu'en tant qu'elles soumettent les opérations en cause à une TVA calculée sur la marge et non à la TVA calculée sur le prix total, la société Icade Promotion ne peut utilement invoquer une telle incompatibilité pour demander la restitution de la TVA qu'elle a acquittée, qui a été calculée sur la seule marge. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par la cour aux points 8 et 9 de l'arrêt attaqué.

Ensuite, le juge estime que la circonstance que la société Icade Promotion a procédé, dans le cadre de son activité de lotisseur, à des travaux de viabilisation des terrains préalablement à leur revente à des particuliers est par elle-même sans incidence sur l'application du régime de la TVA sur la marge prévue par les dispositions combinées du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI aux opérations de cession de terrains à bâtir qui entrent dans le champ de la taxe. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, peut être substitué aux motifs retenus par la cour. Il s'ensuit que les moyens du pourvoi dirigés contre ces motifs de l'arrêt attaqué, tirés d'une dénaturation des pièces du dossier, d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

Enfin, sur un point particulier la présente décision étonne.

La société requérante invoquait une jurisprudence constante de la CJUE selon laquelle le principe de neutralité fiscale de la TVA s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ainsi que, d'autre part, à ce que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA. Le Conseil d’État estime que la société Icade Promotion ne saurait utilement se prévaloir de ce principe au motif que les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant pouvaient être exonérées de taxe sauf option contraire en application du 1° du 5 de l'article 261 du CGI, dans sa rédaction en vigueur lors de la période d'imposition en litige, dès lors que, par cette disposition, le législateur a seulement entendu maintenir l'exonération dont bénéficiaient ces opérations avant l'entrée en vigueur de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comme l'autorisaient les dispositions du b) du paragraphe 3 de l'article 28 de cette directive, désormais reprises à l'article 371 de la directive 2006/112/CE.

Et le Conseil d’État de conclure : « Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu au point 10 de l'arrêt attaqué. Le moyen du pourvoi dirigé contre ce motif de l'arrêt attaqué, tiré d'une erreur de droit, ne peut, par conséquent, qu'être écarté. »

Sera-t-on étonné de nous voir dubitatif devant un tel raisonnement ? En quoi le maintien d’un privilège anti-concurrentiel est-il une justification ?

(12 mai 2022, Société Icade Promotion, n° 416727)

 

49 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Dispense dérogatoire de TVA en cas de cession d'une unité immobilière (art. 257bis CGI) - Conditions - Régime de régularisation de la TVA antérieurement due - Cas de dispense de régularisation - Cession ou acquisition initiale placée en dehors du champ d'application de la TVA - Impossibilité de se prévaloir de la dérogation (cf. art. 207, annexe II CGI) - Rejet après substitution d'un motif.

La société requérante a cédé le 30 juin 2009 un ensemble immobilier composé de bâtiments à usage de supermarché, d'une station-service et d'un parking qu'elle avait fait construire en 2004. L'administration fiscale a alors estimé qu'en application des dispositions du 1° du 1 du III de l'art. 207 de l'annexe II au CGI, cette société était tenue, en l'absence d'imposition à la TVA de la cession de cet ensemble immobilier, de régulariser la taxe antérieurement déduite ayant grevé les dépenses d'acquisition et de construction de cet ensemble.

Ayant saisi en vain les juridictions du fond en annulation des rappels de TVA auxquels elle a été assujettie, la requérante se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État considère que la dispense de TVA prévue par l'art. 257bis CGI lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens s'applique à tout transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'une entreprise dès lors que le bénéficiaire du transfert a pour intention d'exploiter le fonds de commerce ou la partie d'entreprise ainsi transmis et non simplement de liquider immédiatement l'activité concernée.

Par ailleurs, il lui paraît résulter des dispositions de l'art. 207 de l'annexe II au CGI que la cession de l'ensemble immobilier litigieux étant intervenue plus de cinq ans après son achèvement, cette cession était ainsi placée hors du champ de la TVA (cf. 2 du 7° de l'art. 257 du CGI).

Il en résulte donc que cette opération ne pouvait être regardée comme dispensée de TVA en application de l'art. 257bis précité car une telle dispense ne peut bénéficier qu'à une opération soumise à cette même taxe.

La contribuable requérante ne pouvait pas, ainsi, bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions du 1° du 4 du III de l'art. 207 de l'annexe II CGI, qui permettent de ne pas procéder à la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses d'acquisition en cas de cession d'un bien immobilier dispensée de TVA.

Le Conseil d'État substitue ainsi ce motif reposant sur des faits constants à celui, erroné, qu'avait retenu la cour administrative d'appel dans son arrêt dont il justifie cependant légalement le dispositif.

(31 mai 2022, Société Anciens établissements Georges Schiever et fils, n° 451379)

 

50 - Bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux (art. 123 bis CGI) – Régime d’imposition – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 123bis du CGI que sont imposables les bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux à raison d’entités situées dans des États ou territoires où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, sur lesquelles ces résidents exercent un contrôle, même partagé, quelle que soit la forme juridique de ce contrôle et dès lors, quand il est quantifiable, qu’il est supérieur à 10 %.

Ces conditions étant réunies dans le cas de l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a rejeté le recours dont elle était saisie.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 21

 

51 - Société à responsabilité limitée (Sarl) – Déduction de charges considérée comme constituant un revenu distribué (art. 109, 1° et 2° du 1, CGI) – Revenu imposé dans les mains de l’associé et gérant de la société – Présomption de distribution en raison de la qualité de maître de l’affaire du contribuable – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

L’administration fiscale n’avait pas accepté la déduction de certaines charges invoquée par une Sarl et les a considérées comme des revenus distribués imposables entre les mains du contribuable en sa qualité de maître de l’affaire.

La cour administrative d’appel avait jugé que si les dispositions du 2° du 1 de l’art. 109 du CGI font obligation à l'administration, lorsqu'elle estime devoir imposer l'associé d'une société qui n'a pas accepté, même tacitement, le redressement de son imposition à l'impôt sur le revenu, d'apporter la preuve que celui-ci a eu la disposition des sommes ou valeurs qu'elle entend imposer à son nom à raison de revenus regardés comme distribués, l'administration est toutefois réputée apporter la preuve de l'appréhension effective des fonds lorsqu'elle établit que cet associé, en sa qualité de maître de l'affaire, était en mesure de prélever des sommes à son profit.

L’arrêt est cassé pour erreur de droit car, relève à bon droit le Conseil d’État, s'agissant d'une imposition fondée sur le 2° du 1 de l'article 109 du CGI, il incombait à la cour de rechercher si les revenus avaient effectivement été distribués au requérant, et non de le présumer en raison de la qualité de maître de l'affaire de ce dernier. 

(19 mai 2022, M. C., n° 446787)

 

52 - Loi du pays en Polynésie française – Loi du pays relative aux impôts et taxes - Imposition des plus-values de cessions immobilières – distinction entre cessions intervenant dans les cinq ans de l’acquisition et celles postérieures – Finalité d’intérêt général – Critère objectif – Absence de charge excessive ou de caractère confiscatoire – Rejet.

Dans le cadre d’un recours en annulation de l’acte dit « loi du pays » n° 2021-55 du 27 décembre 2021, pris par la Polynésie française, portant simplification et performance du système fiscal, en faveur de la solidarité et de l'emploi et notamment de son article LP 30, le Conseil d’État est amené, notamment, à se prononcer sur un des aspects essentiels de cette réforme fiscale.

Le nœud de la difficulté résidait dans l’art. LP 30 de ce texte qui porte de 20 à 50 % le taux d'imposition des plus-values de cessions de biens immobiliers lorsque la vente intervient dans les cinq premières années de détention de ces biens.

Tout d’abord, cette « loi » ne constituant pas un texte à caractère « économique ou social » au sens de la loi organique relative à la Polynésie française, mais un texte à caractère exclusivement fiscal, son adoption n’avait pas à être précédée de la consultation préalable du conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française.

Ensuite, le passage d’un taux d’imposition de 20% à celui de 50% ne constitue pas une sanction punitive et ne relève donc pas des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines fixés à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

Également, en retenant cette majoration pour les seules plus-values nées de la cession de biens immobiliers intervenue moins de cinq ans après leur acquisition, les auteurs du texte ont entendu retenir un critère objectif et rationnel, celui de lutter contre la spéculation foncière. D’une part son taux n’est pas confiscatoire puisqu’il porte sur la plus-value « nette » et d’autre part, la circonstance que toute cession intervenant moins de cinq ans après l’acquisition, sans distinguer selon le nombre d’années à l’intérieur de cette durée globale, n’entraîne pas une atteinte caractérisée au principe d’égalité devant les charges publiques.

Le recours est rejeté.

(19 mai 2022, Mme C., n° 460705)

(53) V. aussi, sur l’étendue et les motifs du contrôle exercé par le juge sur les « lois du pays » à propos de la loi portant réforme de la gouvernance de la protection sociale généralisée, dont il était en l’espèce prétendu qu’elle n’était pas non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : 19 mai 2022, M. A., n° 460991.

 

54 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Installations d’un port de plaisance sises sur le domaine public maritime – Détermination de leur valeur locative – Rejet.

Confirmant les jugements de première instance, le Conseil d’État juge – à propos de Port-Camargue - que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal administratif a estimé que la valeur locative au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle sont assujetties les installations des ports de plaisance situées sur le domaine public maritime doit être établie en fonction du seul nombre de postes d'amarrage du port, multiplié par un tarif déterminé selon la situation géographique du port de plaisance concerné et les services et équipements qu'il offre aux usagers. En revanche, il n’y a pas lieu, en raison de leur caractère inopérant, de tenir compte pour l’établissement de cette imposition de ce que certains postes d'amarrage ne seraient pas des propriétés bâties ou ne seraient pas une propriété publique.

La solution n’était pas évidente et elle est, au reste, discutable ; le juge lui-même a d'ailleurs recouru ici au biais des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 (art. 37) pour aboutir à l’interprétation ci-dessus des art. 1380, 1400 et du III de l’art. 1501 du CGI.

(20 mai 2022, Commune du Grau-du-Roi, n° 437810)

 

55 - Transfert de parts sociales détenues dans une société civile professionnelle vers le patrimoine privé de l’un des associés cessant son activité de médecin – Détermination de la moins-value ou de la plus-value résultant de ce transfert – Critique de la méthode d’évaluation de la valorisation des parts retenue par le vérificateur - Question de fait susceptible d’effet sur la réponse à donner à une question de droit (art. L.59 A, II, LPF) – Non information sur la possibilité de saisir  la commission départementale des impôts directs – Annulation de l’arrêt d’appel sans renvoi.

L’un des associés d’un cabinet médical constitué sous forme d’une SCI cessant son activité de médecin, ses parts sociales dans cette dernière ont été transférées dans son patrimoine privé. Le vérificateur a, suite à un contrôle sur pièces, assujetti cet associé à un supplément d’impôt et de cotisations sociales.

Alors que le contribuable contestait la méthode utilisée pour apprécier la valorisation des parts en litige, le vérificateur, dans sa réponse aux observations du contribuable (la « ROC »), a rayé la mention pré-imprimée relative à la faculté de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs.

Pour ce motif, dont il a jugé qu’il avait privé l’intéressé d’une garantie légale, le tribunal administratif avait prononcé au bénéfice du contribuable la décharge des cotisations d’impôt et des prélèvements sociaux corrélatifs. La cour administrative d’appel, sur appel du ministre des finances, a annulé ce jugement et rejeté la demande du contribuable.

Le Conseil d’État, sur pourvoi de ce dernier, casse cet arrêt motif pris de ce que la contestation de la méthode d’évaluation constituait une question de fait dont la réponse était susceptible de retentir sur une question de droit et qu’ainsi elle pouvait être posée à la commission départementale des impôts directs conformément au II de l’art. 59 du LPF. L’intempestive radiation par le vérificateur de la rubrique ad hoc sur la « ROC » a ainsi privé le contribuable du bénéfice de la garantie légale.

La cassation de l’arrêt d’appel remettant en vigueur le jugement de première instance prononçant la décharge, il n’y a pas lieu de renvoyer le litige à la cour.

(20 mai 2022, M. C., n° 441999)

 

56 - Convention fiscale franco-néo-zélandaise – Champ d’application – Commentaires du comité fiscal de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) – Redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande – Caractère indifférent du versement des redevances à un intermédiaire établi dans un État tiers – Obligation de se prononcer sur la qualité de bénéficiaire effectif – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La société Planet, qui exerce une activité de distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, a été assujettie à des rappels de retenue à la source à raison de sommes qualifiées de redevances versées aux sociétés Les Mills Belgium SPRL et Les Mills Euromed Limited, établies respectivement en Belgique et à Malte, en contrepartie de la sous-distribution de programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills International LTD, établie en Nouvelle-Zélande.

Le tribunal administratif a déchargé la requérante des sommes mises à sa charge, tandis que sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, la cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a rétabli les impositions.

Sur pourvoi de la contribuable, le Conseil d’État juge en premier lieu, qu’eu « égard à leur objet, et telles qu'elles sont éclairées par les commentaires formulés par le comité fiscal de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur l'article 12 de la convention-modèle établie par cette organisation publiés le 11 avril 1977, et ainsi d'ailleurs qu'il résulte des mêmes commentaires publiés respectivement les 23 octobre 1997, 28 janvier 2003 et 15 juillet 2014 et en dernier lieu le 21 novembre 2017, les stipulations du 2 de l'article 12 de la convention fiscale franco-néo-zélandaise sont applicables aux redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un État tiers. » 

En second lieu, il reproche à la cour, alors qu’il lui incombait de se prononcer elle-même sur la qualité de bénéficiaire effective desdites sommes qui était celle de la société Planet, de s’être bornée, pour qualifier les sommes en cause de « redevances », à examiner la qualification des sommes versées par la société Planet à la société belge Les Mills Belgium SPRL en 2011 ainsi qu'à la société maltaise Les Mills Euromed Limited de 2012 à 2014, seulement au regard des stipulations de la convention fiscale franco-néo-zélandaise du 30 novembre 1979. 

(20 mai 2022, Société Planet, n° 444451)

 

57 - Durée maximum des vérifications comptables à fin fiscale – Durée fixée à trois mois – Durée portée à six mois en cas d’irrégularités graves affectant la valeur probante de la comptabilité – Calcul de cette durée – Prolongation supérieure à six mois du fait de l’examen de la comptabilité d’un tiers – Absence d’effet sur la régularité de la vérification – Rejet.

De cette décision dont l’objet est, pour l’essentiel, de statuer sur la remise en cause d’un crédit d’impôt recherche, sera retenue une question de procédure fiscale non contentieuse.

L’art. 52 du livre des procédures fiscales dispose en son I. que « Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) » ; en son II. il prévoit un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles ce délai de trois mois peut être porté à six mois au maximum, notamment dans le cas, prévu au 4° de ce II., où auraient été « commises de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ». 

En l’espèce, le contribuable invoquait la circonstance que la vérification sur place avait duré plus de six mois puisqu’elle avait débuté chez un tiers et que c’est sur la base des éléments qui y furent recueillis qu’a été ouverte la vérification de la comptabilité de la requérante. Ainsi, cette vérification serait frappée de nullité comme aussi les rectifications d’impôt consécutives.

Par une interprétation par trop latitudinaire du texte de l’art. L. 52 précité en faveur de l’administration fiscale, le Conseil d’État rejette le moyen d’irrégularité au motif que « (…) l'exploitation, à l'issue de la vérification de comptabilité d'un contribuable, d'éléments recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité d'un tiers est sans incidence pour apprécier, au regard des dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, la durée de la première de ces vérifications de comptabilité. »

(20 mai 2022, Société Trade Invest, n° 446817)

 

58 - Impôt sur le revenu et taxes assimilées, impôts sur les sociétés – Compétence territoriale du comptable public – Incompétence – Impossibilité d’obtenir décharge pour ce motif – Dispositions impératives de l’art. L. 206 LPF – Rejet.

Dans un litige né du recours au régime de la taxation d’office, le juge fait usage des dispositions peu connues de l’art. L. 206 du LPF selon lesquelles : « En ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les taxes assimilées et l'impôt sur les sociétés, les contestations relatives au lieu d'imposition ne peuvent, en aucun cas, entraîner l'annulation de l'imposition. » et en fait application à l’espèce par substitution de motif à celui retenu dans l’arrêt d’appel attaqué.

(20 mai 2022, SCI Les Greniers de Sophie, n° 448794)

 

59 - Demande de décharge de l’obligation de payer des cotisations sociales corrélatives à des impositions – Opposition de la prescription – Application de l’art. 2251 du Code civil – Interprétation de la notion de volonté « sans équivoque » - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Des ressortissants français qui établissent leur domicile fiscal en Suisse demandent le remboursement des prélèvements sociaux consécutifs aux impositions qu’ils ont acquittées.

Ils se sont pourvus en cassation suite à l’échec des procédures antérieures.

Le débat juridique principal consistait, d’une part, à déterminer si, comme le soutenaient les demandeurs, l’action de l’administration en recouvrement de ces impositions était prescrite et d’autre part, si, comme le soutenait l’administration fiscale, le paiement spontané de leurs impôts par les contribuables valait renonciation au bénéfice de la prescription.

L’art. 2251 du Code civil dispose : « La renonciation à la prescription est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription. »

Le paiement d’un impôt sans y être contraint par un acte particulier doit-il être considéré comme exprimant « sans équivoque » la volonté de renoncer à se prévaloir d’une prescription affectant l’impôt ?

La cour administrative d’appel l’a pensé : en effectuant un paiement volontaire et spontané les contribuables auraient manifesté sans équivoque leur renonciation à se prévaloir d’une prescription affectant l’objet du paiement.

La solution est heureusement cassée par les juges du Palais-Royal pour qui il résulte du second alinéa de l’art. 2251 précité qu’« un contribuable ne saurait être regardé comme ayant (tacitement) renoncé à la prescription du seul fait du règlement, en l'absence d'acte de poursuite, d'une imposition. » Cela d’autant plus qu’en l’espèce, il est relevé « que les intéressés avaient, le 24 décembre 2014, soit avant le paiement des sommes en litige, demandé la décharge de l'obligation de payer en se prévalant de la prescription et (…) que le paiement était intervenu aux fins d'obtenir la mainlevée des hypothèques prises par le comptable public sur des biens immobiliers dont ils étaient propriétaires, les privant par suite de la libre disponibilité de ces biens ».

(20 mai 2022, M. et Mme C., n° 449038)

 

60 - Société civile d’exploitation viticole (SCEV) – Cession par l’un des associés à la SCEV de l’usufruit temporaire de parts détenues par lui – Société non admise à la négociation sur un marché réglementé - Détermination de la valeur de cession de l’usufruit des parts sociales – Méthode d’évaluation par l’administration fiscale – Méthode non sérieusement contestée par les contribuables – Rejet.

La société civile requérante, constituée à parts égales entre deux époux, a reçu de Mme D. l’usufruit temporaire de ses parts divisées en deux fractions, l’une pour une durée d’usufruit de dix ans et l’autre pour une durée d’usufruit de dix-sept ans. L’administration fiscale a réévalué la valeur des cessions d'usufruit temporaire, réintégré en conséquence la différence dans l'actif net de la société et requalifié le montant de la cession des parts sociales de Mme D. en plus-values professionnelles. Ceci a conduit à une imposition supplémentaire de la SCEV à l’impôt sur les sociétés et de Mme D. à l’impôt sur le revenu.

Saisi par la société et par M. et Mme D., le tribunal administratif a partiellement fait droit aux demandes de décharge qu’ils ont présentées, confirmé par arrêt de la cour administrative d’appel.

Les demandeurs se pourvoient en cassation contre cet arrêt en tant qu’il rejette le surplus de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté.

Cette affaire posait la classique question de l’évaluation des parts sociales d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé.

La méthode d’évaluation retenue par le vérificateur a consisté à déterminer la valeur attendue de l'usufruit des parts de la SCEV en effectuant la moyenne arithmétique des valeurs obtenues à l'aide, d'une part, de la méthode de la valeur actualisée des flux de revenus futurs, en capitalisant le montant du dividende moyen distribué les trois années précédant la cession en litige, à partir d'un taux de rendement et d'un taux de croissance des dividendes sur la durée de l'usufruit, et d'autre part de la méthode de la valeur en pleine propriété des titres, l'usufruit étant déterminé à partir du taux de rendement des titres sur la durée de l'usufruit.

Au terme de cette analyse, il est apparu à la cour que la valeur de l'usufruit des titres en litige ainsi déterminée était supérieure de 69 % à la valeur déclarée par les contribuables s'agissant des titres démembrés durant une période de dix ans et de 114 % pour ceux portant sur une durée de dix-sept ans.

Le juge rejette en réalité pour deux motifs principaux le pourvoi.

En premier lieu, la méthode utilisée par le vérificateur n’est pas réellement contestée par les contribuables qui se bornent à cet égard à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en refusant de soustraire des résultats distribués la rémunération versée à Mme D., associée exploitante de la SCEV, pour la détermination du dividende de référence utilisé pour calculer la valeur actualisée des flux de revenus futurs de l'usufruitier et la valeur de rendement de la pleine propriété des titres alors précisément que le dividende de référence a été calculé à partir des résultats distribués les trois années précédentes, lesquels correspondaient aux résultats comptables de la SCEV compte tenu de la pratique de distribution intégrale de ces derniers. Or, il ressort des pièces comptables figurant au dossier soumis aux juges du fond que les rémunérations versées par la SCEV à Mme D., ont été, au cours des exercices précédant la cession, déduites des résultats comptables. Il s’ensuit que cette déduction n’avait pas à être opérée une seconde fois.

En second lieu, c’est en vain que les contribuables ont proposé une méthode alternative d’évaluation de l’usufruit fondée sur le solde actualisé de la trésorerie disponible correspondant à la différence entre l'excédent brut d'exploitation et le besoin en fonds de roulement, les annuités d'autofinancement des investissements et la rémunération des associés. D’une part, les contribuables ne s’expliquaient pas sur le fait qu’ainsi la société entendait modifier pour l'avenir sa pratique antérieure constante de distribution de la totalité de ses bénéfices comptables. D’autre part, comme relevé par la cour, cette méthode se bornait à déterminer l'endettement financier de la SCEV et sa trésorerie disponible et ne permettait pas, par suite, de déterminer le montant des distributions prévisionnelles attendu par l'usufruitier.

Au reste, la méthode alternative proposée aboutissait, sur les quatre années antérieures, à retenir un montant de trésorerie disponible nettement inférieur au montant effectivement distribué au titre de ces mêmes années.

Est également confirmé le taux de majoration de l’impôt pour manquement délibéré retenu par l’administration et entériné par la cour. 

(20 mai 2022, Société civile Ambroise D. et M. et Mme D., n° 449385)

 

61 - Impôt sur le revenu et contribution sur les hauts revenus - Plus-value de cession de valeurs mobilières - Pénalités - Contestation par le redevable - Rejet en première instance de la demande sur ce point - Obligation pour le juge d'appel d'examiner une inexactitude éventuelle de la déclaration fiscale - Rejet.

Il avait été infligé au contribuable requérant une pénalité pour manquement délibéré à l'obligation de déclaration fiscale.

En première instance, le tribunal administratif avait définitivement rejeté la demande du contribuable tendant à la décharge de l'imposition supplémentaire résultant de la remise en cause du régime d'abattement auquel il prétendait avoir droit.

En appel, le ministre avait saisi la cour d'une demande de substitution de la pénalité de l'article 1758 A du CGI à la pénalité pour manquement délibéré retenue en première instance. La cour s'est alors prononcée sur la réalité de l'inexactitude dans la déclaration du contribuable invoquée par le ministre. Celui-ci contestait devant le juge de cassation ce réexamen et prétendait que le motif retenu par la cour était surabondant.

Donnant raison à la cour, le Conseil d'État juge qu'en dépit de ce que le jugement avait jugé définitivement ce point, il incombait à la cour, comme elle l'a fait, de se prononcer sur l'inexactitude invoquée pour justifier l'application de la pénalité de l'article 1758 A.

(25 mai 2022, M. C. Baron B., n° 447812)

 

62 - Abus de droit - Montage par emboîtement d'une succesion d'opérations - Montage permettant à des sociétés d'entrer dans les prévisions de dispositions du CGI dispensant de l'impôt sur les sociétés - Montage ne reposant sur aucune justification économique  - Montage devant être qualifié de prise en pension de titres - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits qu'une cour d'appel qualifie d'abus de droit - alors qu'aucune justification économique sérieuse n'en est donnée -  une succession d'opérations emboîtées les unes dans les autres entre des filiales et leur société mère ainsi qu'avec une société écran à seule fin qu'entrant ainsi dans les prévisions de dispositions du CGI puisse être obtenue une exonération de l'impôt sur les sociétés.

(31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453173)

(63) V. aussi, sur d'autres aspects de ce même litige : 31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453175

 

64 - Plus-value de cession ou d'échanges de titres de sociétés - Régime du sursis d'imposition (art. 150-0 B CGI) - Sursis portant aussi sur la soulte - Condition - Absence en l'espèce - Annulation.

L'art. 150-0 B CGI prévoit un sursis d'imposition de la plus-value constatée lors de la cession ou de l'échange de titres pour permettre la réalisation de cette opération alors qu'en cas de paiement immédiat de l'impôt le redevable ne disposerait pas des liquidités nécessaires pour y procéder. Ce sursis d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport.

Compte tenu de l'objet de ce sursis, lorsque la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés, l'administration fiscale est fondée en ce cas à prétendre que, à l'encontre de l'objectif poursuivi par la loi fiscale, les parties à l'opération n'ont, en l'espèce, recherché que le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B du CGI, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées. 

C'est à bon droit que ce comportement, contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, a été sanctionné sur le fondement de l'abus de droit (art. L. 64 LPF).

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455349 ;  M; et Mme C., n° 455807)

(65) V. aussi, sur ce mécanisme de sursis d'imposition et sur l'application du régime de répression des abus de droit : 31 mai 2022, M. B., n° 454288.

 

Droit public de l'économie

 

66 - Énergie électrique – Accès régulé à l’électricité nucléaire historique – Allocation exceptionnelle d’un volume additionnel d’électricité devant être cédé aux entreprises privées fournisseurs d’énergie électrique – Atteinte aux intérêts financiers d’EDF et de ses agents – Rejet.

L’importance de l’enjeu, l’atteinte aux intérêts de l’une des plus puissantes baronnies françaises, la qualité des requérants, le nombre et la diversité des intervenants à l’instance expliquent la reddition de cette ordonnance de référé en formation collégiale.

En bref, l’État a imposé à EDF de livrer une quantité supplémentaire d’électricité produite à partir de l’énergie nucléaire, en sus de celle que cet établissement est déjà tenu de livrer aux entreprises privées fournissant de l’énergie électrique aux consommateurs.

Il convient ici de rappeler que le code de l’énergie (cf. art. L. 336-1 et L. 336-2) prévoit que pour permettre l’exercice par le consommateur de sa liberté de choisir son fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, est institué un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique (ARENH) produite par des centrales nucléaires, pour une période transitoire. Cet accès, d’une part, est ouvert à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes et, d’autre part, est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation des centrales nucléaires mentionnées à l’article L. 336-2 précité. 

Le décret litigieux du 11 mars 2022 et son arrêté d’application du même jour ont fixé les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) à 20 TWh en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011.

Les requérants demandent, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l'exécution de ces deux textes tandis que l’un d’entre eux ne demande que la suspension de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022. Ces requêtes sont rejetées.

1 - À l’encontre de l’ensemble des deux textes attaqués étaient développés trois moyens.

Le premier d’entre eux consistait à invoquer l’atteinte grave et immédiate qui serait portée par les dispositions querellées aux intérêts propres des requérants et à ceux des personnes qu'ils défendent ou représentent, en leur qualité, soit d'organisations syndicales représentant les salariés d'Électricité de France (EDF), soit de conseils de surveillance de deux fonds communs de placement ouverts aux salariés et retraités d'EDF et investis en actions EDF, soit d'associations de défense des actionnaires salariés d'EDF. Le moyen est rejeté à la fois pour défaut d’argumentation au soutien de ces affirmations et pour défaut d’établissement en quoi la diminution du cours de l’action d’EDF aurait une incidence revêtant le caractère d’une atteinte grave et immédiate sur leur propre situation ou sur celle des actionnaires salariés d'EDF.

Le deuxième moyen porte sur l’atteinte qui serait portée par les mesures contestées à la situation d'EDF, ainsi qu'aux intérêts publics qui s'attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir ; il est rejeté car aucun élément n’est apporté qui permettrait d’établir l'ampleur de l'atteinte portée par les mesures contestées au regard de l'ensemble de l'équilibre financier d’EDF même en faisant la part des autres facteurs pertinents, y compris l'indisponibilité d'une partie du parc de production d'électricité d'origine nucléaire et l'effet de la hausse des cours de l'électricité sur les recettes d'EDF sur le marché de gros.

Le troisième moyen, reposant sur ce que les mesures en cause méconnaîtraient le droit de l’Union pour non-notification à la Commission européenne et pour violation des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, est rejeté car il n’établit pas en quoi, s’il était fondé, il prouverait l’urgence à statuer en référé.

Au reste, le juge constate que les mesures prises sont justifiées par l’existence d'une forte hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité qui est à l'origine d'importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, et qui a d'ailleurs conduit la Commission européenne à adopter plusieurs communications sur les mesures de réduction des coûts de l'énergie susceptibles d'être prises par les États membres. Les dispositions litigieuses s’inscrivent pleinement dans une stratégie de limitation des effets de cette importante hausse des prix et poursuivent une finalité d’intérêt général car cette limitation a un effet sur les coûts d'approvisionnement des fournisseurs qui en bénéficient, et indirectement sur les tarifs qu'ils sont en mesure de proposer aux clients finaux. Sans avoir d'effet direct en 2022 pour les clients éligibles aux tarifs réglementés, dont elle devrait cependant alléger le rattrapage tarifaire en 2023, elle devrait dès 2022 avoir des conséquences tarifaires pour les autres consommateurs d'électricité.

Faute d’urgence démontrée et alors qu’aucun doute sérieux ne pèse sur la légalité des mesures en litige, la demande en référé est rejetée.

2 – Concernant la demande spécifique de suspension des dispositions de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022, formulée par les centres Leclerc (SIPLEC), elle est fondée sur ce que la différence entre le prix qu'elles fixent et le prix du marché de gros de l'électricité est de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers.

Cependant, alors que la fourniture d'électricité ne représente qu'une part limitée de son activité, qui n'est au demeurant tournée que vers les sociétés de son groupe, la requérante n’établit pas l'ampleur de cette atteinte au regard de l'ensemble de son activité.

Au reste, le manque à gagner invoqué, calculé par rapport à la situation où ce prix de rachat n'aurait pas été plafonné, ne s'analyse que comme une limitation apportée à l'avantage que constituerait pour un fournisseur qui en bénéficie la livraison d'un volume additionnel d'ARENH au prix de 46,20 euros fixé par un autre arrêté du 11 mars 2022, alors qu'au surplus un fournisseur n'est pas tenu de solliciter l'attribution de cet avantage et que celui-ci a vocation, comme il a été dit ci-dessus, à être répercuté sur son client.

Par suite, l’absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts financiers de la requérante n’est pas susceptible de justifier l'urgence qu'elle invoque, d’où le rejet du référé. 

(ord. réf. form. coll. 5 mai 2022, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462841 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463190 ; Société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463411)

(67) V. aussi, rejetant pour défaut d'urgence la demande, notamment, de suspension de l'exécution d'une part, du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et, d'autre part, de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Électricité de France au titre de l'ARENH, pris en application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie : 17 mai 2022, Syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence, syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'électricité de France (EDF), syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, syndicat CGT du site EDF Flamanville et syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux, n° 463531.

 

 68 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Conseil en investissements financiers (CIF) – Courtier en assurance et en réassurance - Commission d’infractions diverses – Sanctions – Rejet.

L’AMF a sanctionné la société requérante et l’un de ses gérants, également requérant, pour manquements à leurs obligations professionnelles : en premier lieu, pour manquement à l'obligation d'agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts des clients pour avoir fait souscrire à des clients non professionnels un produit n'ayant pas reçu d'autorisation de commercialisation en France ; en deuxième lieu, du fait de la réception par la société de fonds autres que ceux destinés à rémunérer son activité de CIF ; en troisième lieu, pour n’avoir pas respecté l'obligation d'agir avec loyauté et d'exercer son activité avec la diligence qui s'impose au mieux des intérêts de ses clients du fait d’avoir conseillé à des clients de conclure des contrats de prêt avec un établissement non habilité à recevoir des fonds remboursables du public.

La commission des sanctions de l’AMF a prononcé à l'encontre de la société Traditia un avertissement et, à l'encontre du gérant poursuivi, un avertissement et une sanction pécuniaire de 50 000 euros. Elle a en outre ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.

Les sanctionnés demandent au Conseil d’État, en vain, l’annulation de ces mesures.

Pour rejeter le recours, le juge retient tout d’abord que la décision de sanction est, contrairement aux allégations des demandeurs, régulière car les contrôles réalisés par les agents de l’AMF – auxquels ne s’applique pas le principe des droits de la défense – se sont déroulés sans déloyauté dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.

Le juge retient ensuite que la décision attaquée est fondée en ce qui concerne les manquements relevés par l’AMF sans que l’absence éventuelle de préjudice pour les clients concernés atténue en quelque façon la méconnaissance par cette société de ses obligations professionnelles et leur particulière gravité et alors même que, pour l’une des catégories d’infractions, il est invoqué l’existence d’un seul cas.

Enfin, il est jugé que les diverses sanctions infligées, pécuniaires et autres, n’ont aucun caractère disproportionné.

(16 mai 2022, Société Traditia et M. P. Le Gouz de Saint-Seine, n° 452191)

 

Droit social et action sociale

 

69 - Aide sociale au logement – Retour du bénéficiaire à meilleure fortune – Recouvrement du montant de l’aide par le département – Demande de restitution de la somme recouvrée par le département – Refus – Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige – Désignation directe par le Conseil d’État de la juridiction judiciaire compétence.

Une personne handicapée avait perçu d'un département une aide au logement qu’elle a remboursée sur demande de ce dernier lorsqu’elle s’est retrouvée à meilleure fortune conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles.

La fille de la bénéficiaire, Mme G., a demandé au département de lui restituer cette somme, ce qui lui a été refusé. Elle a saisi la juridiction administrative d’un recours en annulation de ce refus.

Le Conseil d’État, se fondant sur l’art. L. 134-3 du code précité, juge que les juridictions judiciaires sont seules compétente pour connaître de ce litige. Par ailleurs, mettant en œuvre, s’agissant d’un contentieux relatif à l’admission à l’aide sociale,  les dispositions du premier alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, le Conseil d’État renvoie les parties directement devant le tribunal judiciaire de Versailles compte tenu des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale.

(2 mai 2022, M. G. tuteur de Mme G., n° 450154)

 

70 - Aide sociale à l’hébergement aux personnes âgées – Refus de cette aide par un département – Compétence juridictionnelle pour connaître du litige né de ce refus – Participation des bénéficiaires, dans la limite d’un plafond, aux frais de leur hébergement – Rejet.

Le litige est né de la décision d’un président de conseil départemental de refuser à une personne le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées. L’association requérante se pourvoit contre le jugement rejetant sa demande d’annulation de ce refus. Le pourvoi est rejeté.

Examinant les éléments du litige, le juge de cassation est amené à apporter deux précisions importantes sur le régime juridique de la contribution des bénéficiaires et de leurs débiteurs alimentaires aux frais engendrés par leur prise en charge.

En premier lieu est réglée une complexe question de compétence juridictionnelle née de l’imbrication des dispositions des art. L. 132-7, L. 134-1 et L. 134-3 du code de l’action sociale et des familles.

De première part, le juge administratif, du fait qu’il est compétent pour déterminer dans quelle mesure les frais d'hébergement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l'aide sociale, est nécessairement compétent pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l'aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires.

De seconde part, seul le juge judiciaire est compétent pour assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, pour décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Lorsque le juge judiciaire a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge administratif ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par cette décision.

Pour la période antérieure à la date à laquelle la décision de l'autorité judiciaire contraint les obligés alimentaires à verser une participation, c’est au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, qu’il revient de s'assurer qu'il ne résulte pas manifestement des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue que la contribution postulée par le département n'a pas été ou ne sera pas versée spontanément par les obligés alimentaires.

En second lieu, devait être précisée la règle posée par les art. L. 132-3 et L. 132-4 du code précité selon laquelle les personnes âgées hébergées en établissement et prises en charge au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources sans que la somme ainsi laissée à leur disposition ne puisse être inférieure à 1 % du montant annuel des prestations minimales de vieillesse. Le Conseil d’État estime que ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion ce qui implique nécessairement que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code précité doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses. 

Dès lors que le tribunal administratif a statué en ce sens le recours de l’association demanderesse est rejeté.

(12 mai 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 454403)

 

71 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

 Le département des Yvelines a émis, le 20 juin 2014, un avis de sommes à payer en recouvrement du montant de l'aide sociale versée au titre des frais d'hébergement et d'entretien de Mme H. D., personne handicapée, entre le 27 septembre 2006 et le 31 décembre 2013, à la suite du retour à meilleure fortune de cette dernière.

Il a été demandé au département l'annulation de cette décision et à ce que cette somme soit restituée à l'intéressée.

Le président du conseil départemental des Yvelines a rejeté cette demande.

Saisi par l'intéressée, le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint au département de lui rembourser cette somme.

Le département des Yvelines conteste ce jugement devant le Conseil d'État.

Relevant d'office le moyen, celui-ci estime, d'une part, que la décision de refus litigieuse résultant de l'application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles elle ressortit à la compétence du juge judiciaire, et d'autre part, qu'est sans incidence sur cette compétence la circonstance que le dernier alinéa de l'article L. 344-5 du même code prévoit que les sommes versées au titre des frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées « ne font pas l'objet d'un recouvrement à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune ».

Par application de l'article 32, al. 1, du décret du 27 février 2015 ainsi que des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale, l'affaire est directement renvoyée au tribunal judiciaire de Versailles.

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

 

Élections et financement de la vie politique

 

72 - Élection de conseillers départementaux – Différences entre les signatures de certains électeurs entre les deux tours – Annulation des votes litigieux – Office du juge de l’élection – Annulation hypothétique du nombre de voix de chaque binôme de candidats – Confirmation de l’annulation des résultats du second tour de scrutin et, par voie de conséquence et d’office, de ceux du premier tour.

La différence entre les paraphes ou signatures apposés sur le registre des émargements par les mêmes électeurs entre les deux tours de scrutin en vue de la désignation des conseillers départementaux dans le canton n° 4 d’Amiens conduit le juge à annuler six suffrages.

Il est donc procédé au calcul des résultats par retranchement hypothétique de ces suffrages à chacun des binômes en présence, d’où il résulte en l’espèce que ce nombre étant supérieur à l'écart de deux voix qui sépare le nombre de voix obtenues par ce binôme et celui d’un autre binôme, le second tour de scrutin dans cette circonscription électorale doit être annulé ce qui entraîne d’office l’annulation des opérations électorales du premier tour.

(19 mai 2022, M. B. et Mme I., Él. cantonales d’Amiens, n° 460491)

 

73 - Élections au conseil régional - Critique de la neutralité du président d'un bureau de vote - Demande de sanction pénale à son encontre - Incompétence - Annulation.

Parmi les demandes contenues dans sa protestation électorale tendant à l'annulation du scrutin s'étant déroulé en vue du renouvellement général du conseil régional de Bretagne, le protestataire demandait l'infliction d'une sanction pénale à l'encontre du président d'un bureau de vote.

Le rejet était d'évidence en raison de l'incompétence de l'ordre administratif de juridiction en matière pénale.

(31 mai 2022, M. B., Élections au conseil régional de Bretagne, n° 454309)

(74) V. aussi, sur ces mêmes élections, confirmant la sanction de dix-huit mois d'inéligibilité en l'absence de dépôt d'un compte campagne : 31 mai 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. B., n° 459536.

 

Environnement

 

75 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

V. n° 126

 

76 - Programmation pluriannuelle de l’énergie – Énergie nucléaire – Prolongation de la durée d’exploitation de réacteurs nucléaires – Notion (décret du 21 avril 2020) – Légalité du rapport annexé à ce décret – Principe d’impartialité en matière environnementale (art. 6 directive du 27 juin 2001) – Rejet.

Bien que présentant des questions distinctes, les deux séries de requêtes jointes ici ont pour objet de contester la juridicité du décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie, la première en tant que ce texte décide la prolongation de l'exploitation des réacteurs nucléaires français au-delà de leur quatrième visite décennale, la seconde en demandant l’annulation de l’entier décret.

Les recours sont rejetés.

Sur la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs actuellement existants, le Conseil d’État relève  d’abord que si le rapport annexé au décret attaqué pose un principe général de mise à l'arrêt des réacteurs du parc nucléaire français à l'échéance de leur cinquième visite décennale, cette orientation n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs en cause au-delà de leur quatrième visite décennale, une telle prolongation étant soumise à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions prévues notamment au dernier alinéa de l'article L. 593-19 du code de l'environnement.

C’est pourquoi sont rejetés les moyens d'irrégularité et d'erreur de droit tirés de ce que cette orientation, fixée par le rapport annexé au décret attaqué, révèlerait un projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui aurait dû faire l'objet, pour chacun des réacteurs concernés, d'une évaluation environnementale conforme aux exigences posées par la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, d'une évaluation d'incidences conforme aux exigences posées par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et d'une procédure d'information et de participation du public conforme aux exigences posées par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

Le raisonnement tourne au sophisme car l’on voit mal pourquoi il serait besoin de prévoir une cinquième visite décennale si les réacteurs devaient avoir cessé de fonctionner à cette date et, mettre en avant la nécessité d’une autorisation - préalable à la prolongation - de l’Autorité de sûreté nucléaire : c’est faire bon marché de la réalité sociologique, politique et lobbyiste de prise des décisions de cette importance.

Ensuite il est jugé que c’est sans irrégularité que le rapport annexé au décret attaqué ne donne pas d'indications quant aux ressources publiques mobilisées pour le soutien à la filière nucléaire, contrairement à ce qui y est mentionné s'agissant des énergies renouvelables. Le juge estime qu’il ressort des pièces du dossier que ce rapport consacre un développement détaillé aux coûts de production de l'électricité nucléaire à la charge des exploitants et qu'à la différence du secteur des énergies renouvelables, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne prévoit pas d'affecter des ressources publiques à l'atteinte des objectifs qu'elle fixe en matière d'électricité nucléaire, leur financement relevant en principe de l'exploitant des centrales.
Egalement, le rapport annexé au décret attaqué n’est pas entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique que des investissements lourds seraient nécessaires pour permettre la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de leur cinquième visite décennale parce que, selon le juge, une telle indication n'implique nullement que de tels investissements ne seront pas nécessaires à l'issue de la quatrième visite décennale de ces réacteurs. On a envie de se demander : « Et alors ? ».
Enfin, le rapport litigieux n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du fait qu’il ignorerait les problèmes de sûreté que présente le parc nucléaire français actuellement car les textes prévoient (art. L. 593-20 à L. 593-23 et L. 593-1 c. env.) que l'autorité compétente peut, à tout moment, décider d'édicter des prescriptions, de suspendre le fonctionnement ou d'ordonner la mise à l'arrêt d'une installation nucléaire de base en cas de risque ou de menace pour certains intérêts.

Sur l’ensemble du décret, les critiques sur son défaut de complétude sont rejetées car les éléments pertinents figurent sur le site internet du ministère chargé de l’écologie et ce mode de publicité ne méconnaît pas l’exigence que ces éléments soient « fixés par décret ».

Semblablement, et contrairement à ce qui est soutenu, la procédure suivie et organisée en France en la matière n’est pas contraire aux prescriptions de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, du moins dans l’interprétation qui lui est donnée par la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10), s'agissant du principe de séparation fonctionnelle et effective entre l'autorité publique compétente pour élaborer et adopter un plan ou un programme et l’autorité chargée de la consultation en matière environnementale.

Également, ne constituent des irrégularités ni la circonstance que les hypothèses de coûts financiers de certaines filières n’ont pas été notifiées à la Commission européenne car, à ce stade, ce ne sont que des prévisions, ni celle qu’en raison des critiques formulées par l’Autorité environnementale dans son avis le décret subséquent serait illégal, celui-ci ne faisant l’objet de la part du juge que d’un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation, ni une prétendue obsolescence des scenarii macro-économiques sur lesquels s’appuie la programmation pluriannuelle de l’énergie du fait de la crise née de l’épidémie de Covid-19 car cette obsolescence n’est pas établie par les auteurs du recours n° 441382.

Enfin, le décret n’est entaché ni d’une erreur de droit ni d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que le rapport qui lui est annexé prévoit, afin d'atteindre l'objectif de 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire d'ici 2035, de mettre à l'arrêt quatorze réacteurs nucléaires, dont ceux de la centrale de Fessenheim car il est précisé qu'il s'agit d'une orientation dont les modalités de mise en œuvre devront être décidées de concert avec la société Électricité de France. Par suite, ce passage du rapport n’empiète pas sur les prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie, le plan stratégique que cet article impose à ce dernier d'établir ayant précisément pour objet de traduire les orientations fixées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie ; ce rapport  ne décide pas davantage la mise à l'arrêt des réacteurs en cause, une telle mise à l'arrêt ne pouvant être mise en œuvre que dans les conditions prévues par l'article L. 593-26 du code de l'environnement.

Ces questions sont irritantes et les réponses qui y sont données frustrantes tant il est clair que l’ensemble des techniques, modalités et organismes censés donner au public toute garantie d’impartialité et de fiabilité sont profondément entachés par l’entre-soi dominant au sein de l’appareil d’État avec des personnes de formation identique ou voisine, respirant le même « air » culturel, défendant le même système d’intérêts sur ce qui serait « bon pour la France ». Il est à craindre que quels que soient les éminents mérites des personnes, celles-ci finissent par pécher non par manque d’honnêteté mais du fait de leur aveuglement né du partage, sans distanciation et sans remises en cause, des connaissances et des savoirs devenus, hélas, des certitudes infrangibles or, il faut le rappeler, il n’y a pas de rapport entre la raison et la vérité ou encore, sur un tout autre plan, entre la Vernunft et la Verstand pour reprendre la célèbre distinction de Kant, systématisée par Hegel.

Pas davantage la cohérence de choix eux-mêmes rationnels n’est gage de quoi que ce soit.

(16 mai 2022, Associations Réseau « Sortir du nucléaire » et Greenpeace France, n° 441351 ; Association Fédération environnement durable et autres, n° 441382, jonction)

 

77 - Contrôle technique des véhicules motorisés à deux et trois roues et quadricycles à moteur – Fixation de la date d’entrée en vigueur de ce contrôle et prise de mesures transitoires – Notion de mesures alternatives de sécurité routière – Report de date d’entrée en vigueur méconnaissant l’obligation de transposition d’une directive européenne – Suspension du report de date ordonnée.

Les requérantes contestaient la légalité du décret du 9 août 2021 en tant qu’il repousse du 1er octobre 2022 au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L (véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur) et qu'il prévoit des dispositions transitoires et ils en demandaient donc l’immédiate suspension.

Il convient de rappeler que l’instauration de ce contrôle a un double but, de sécurité routière et de protection de la santé respiratoire et auditive des individus.

Le juge des référés du Conseil d’État donne satisfaction aux requérantes après avoir observé que le délai de transposition de la directive 2014/45 du 3 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques est expiré depuis le 20 mai 2017 et que la directive fixe une date d'application au 1er janvier 2022 et que l’intérêt qui s'attache à ce qu'il soit mis fin immédiatement à une atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne est au nombre des intérêts publics qui doivent être pris en considération par le juge des référés dans le cadre de son office.

En l’espèce, il est relevé qu’à l’audience de référé le Gouvernement a annoncé son intention de ne pas appliquer ce texte y compris au 1er janvier 2023 alors qu’il a disposé, depuis le 1er janvier 2022, du temps nécessaire à la mise en place et à l’agrément des centres techniques de contrôle nécessaires. Par suite, d’une part, il y a urgence à statuer en tant que le décret contesté reporte au-delà du 1er octobre 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3 et, d’autre part, ce report lui-même, même si une notification a été adressée par le Gouvernement français à la Commission européenne, méconnaît l’obligation de transposer la directive précitée ce qui fait naître un doute sérieux sur la juridicité de ce report. 

En ordonnant la suspension du décret litigieux en tant qu’il reporte au-delà du 1er octobre 2022 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, le juge des référés impose par là-même au pouvoir exécutif de décider cette entrée en vigueur à cette date du 1er octobre 2022.

(17 mai 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 462679)

 

78 - Non-opposition à déclaration portant sur le rejet d'eaux pluviales - Opération ayant la nature de projet d'aménagement - Assiette du projet excédant dix hectares - Obligation impérative d'une évaluation environnementale - Absence - Suspension ordonnée de l'exécution de la non-opposition.

Le Conseil d'État ordonne que soit suspendue la non opposition à une déclaration de rejet d'eaux pluviales en raison des caractéristiques de l'opération qui constitue un projet d'aménagement sur un espace de plus de 19 hectares sur lequel sont prévues  la création de jardins destinés à accueillir 300 000 visiteurs par an et la construction de divers bâtiments, comprenant notamment un aquarium, une géode, un bâtiment administratif, un restaurant, un pavillon des vins, des équipements d'accueil et des sanitaires, ainsi que des voies d'accès et des terrassements sur l'ensemble du terrain d'assiette.

En effet, il résulte de la rubrique 39 b) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que cette opération devait être soumise à une évaluation environnementale systématique, laquelle n'a pas eu lieu en l'espèce.

(25 mai 2022, Association France Nature Environnement Languedoc-Roussillon, n° 447898)

 

État-civil et nationalité

 

79 - Procédure de naturalisation – Non-déclaration de la situation matrimoniale du pétitionnaire – Caractère nécessairement frauduleux des déclarations souscrites à l’appui de la demande de naturalisation – Régularité du retrait rétroactif du décret de naturalisation – Rejet.

C’est sans illégalité qu’est rapporté un décret de naturalisation par le motif que son bénéficiaire n’a pas déclaré l’union matrimoniale qu’il contractait dans un pays étranger avec une ressortissante étrangère durant la procédure de naturalisation sans que la circonstance qu’il a lui-même avisé les services concernés de l’existence de cette union mais postérieurement à l’édiction du décret de naturalisation, ait d’incidence sur le caractère frauduleux de l’omission.

(12 mai 2022, M. B., n° 455913)

 

Étrangers

 

80 - Demande de titre de séjour – Demande formulée après expiration du délai pour le renouvellement du titre antérieur – Demande constituant une première demande d’un nouveau titre de séjour – Rejet.

Rappel de ce que le titulaire d’un titre de séjour qui doit en solliciter le renouvellement dans un certain délai et ne le fait qu’après expiration dudit délai doit être regardé non comme sollicitant un renouvellement de ce titre mais comme étant l‘auteur d’une première demande d’un nouveau titre de séjour.

(12 mai 2022, M. A., n° 461894)

 

Fonction publique et agents publics

 

81 - Nouvelle bonification indiciaire – Conditions d’attribution – Bonification liée non au corps ou au grade mais à l’emploi – Obligation d’abroger un texte illégal ab initio ou postérieurement à son édiction – Annulation.

Le recours portait sur le refus implicite du premier ministre d’abroger l'article 1er du décret n° 91-1067 du 14 octobre 1991 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels du ministère de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace, en ce qu’il exclut du bénéfice de cette bonification des fonctionnaires en raison de leur appartenance à un corps.

Le Conseil d’État rappelle l’obligation résultant du principe devenu ensuite règle que l'autorité administrative compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

En l’espèce, le décret litigieux excluait du bénéfice de la bonification indiciaire qu’il instituait la catégorie des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement, devenue par la suite la catégorie des ingénieurs des ponts et chaussées et des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Or la loi du 18 juillet 1991, créant cette bonification, rattache ladite bonification, dans le I de son art. 27, à « certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières (…) » sans aucune référence au corps d’appartenance ou au grade du fonctionnaire.

Le décret attaqué est donc entaché d’illégalité tout comme le refus primo-ministériel de l’abroger, d’où leurs annulations.

(5 mai 2022, M. B., n° 452347)

 

82 - Personnel des chambres de commerce et d’industrie (CCI) – Agent titulaire – Licenciement par suppression d’emploi – Indemnité proportionnelle à l’ancienneté - Années de fonction prises en compte pour le calcul de l’indemnité – Rejet.

La requérante, agent titulaire d’une chambre de commerce et d’industrie, a été licenciée par suppression de l’emploi qu’elle occupait. Elle a contesté le calcul du montant de l’indemnité versée pour son licenciement et calculée en proportion de ses années d’ancienneté.

Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a jugé que ne pouvaient être prises en compte au titre de l’ancienneté de services que les années accomplies dans des emplois définis à l'article 1er du statut du personnel des CCI annexé à l’arrêté du 25 juillet 1997, à savoir des emplois répondant à un besoin permanent, exercés pour une quotité de service d'au moins 50%, et sans que les intéressés exercent aucune autre activité professionnelle rémunérée ou non.

La cour a, en conséquence jugé que les années de service accomplies en tant qu'agent contractuel ou vacataire de droit public ne pouvaient être prises en compte que pour autant que l'intéressé avait occupé des emplois répondant cumulativement aux trois critères ci-dessus.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État faisant sien le raisonnement de la cour administrative d’appel.

(5 mai 2022, Mme A., n° 455181)

 

83 - Agents hospitaliers - Vaccination obligatoire contre le Covid-19 – Décision de suspendre de ses fonctions et de son traitement un agent non vacciné – Agent en congé pour maladie – Mesures ne pouvant prendre effet qu’au retour de l’agent dudit congé – Annulation.

Le contentieux des mesures prises envers les agents hospitaliers refusant d’être vaccinés contre le Covid-19 ou ne l’étant pas est devenu envahissant (cf. cette Chronique, Avril 2022, n° 146 et la vingtaine de décisions qui y sont recensées).

Il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que la suspension de ces agents de leurs fonctions ainsi que du traitement afférent est en principe légale et justifiée.

Cependant, lorsque l’agent est, au moment où elles sont prononcées, en congé pour maladie, maternité ou autre, ces mesures ne sont légales que si elles interviennent au retour de congé de l’agent.

En revanche, comme c’est le cas de la présente espèce, ces mesures sont illégales lorsqu’elles sont appliquées pendant la période de congé.

(ord. réf. 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459011)

(84) V. aussi, très semblables : 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459012 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 458892 ; 31 mai 2022, M. A., n° 459840 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 460158.

(85) V. également diverses décisions en matière de suspension des fonctions d'agents hospitaliers pour non ou incomplète vaccination contre le Covid-19 : 31 mai, Mme B., n° 458261 ; Mme B., n° 458212 ; Mme A., n° 457984 ; Mme A., n° 457879 ; Mme B., n° 458892 ; Mme A., n° 459085 ; Mme A., n° 459305 ; Mme A., n° 459369.

 

86 - Obligation pour l’administration d’assurer la sécurité et la protection de la santé physique et morale de ses agents – Devoir de proposition d’aménagement ou de modification des conditions et/ou des postes de travail pour les agents concernés – Compétence exclusive du service de médecine préventive – Qualification inexacte des faits – Annulation et renvoi.

Est annulé pour avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, le jugement d’un tribunal administratif qui, pour rejeter le recours de l’intéressé contre son employeur public pour n’avoir pas suivi les préconisations du médecin de travail à son égard, se fonde sur les constatations d’un infirmier  auteur d’une attestation de suivi alors que celles-ci, d’évidence, ne sauraient remettre en cause les propositions d'aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions émises par le médecin conformément aux dispositions des art. 2-1, 11 et 24 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale.

Cette solution est la confirmation de la décision du 30 décembre 2011, Patrick Renard, n° 330959.

(12 mai 2022, M. B., n° 438121)

 

87 - Fixation du contingent d’heures de décharge d’activité attribuées à chaque syndicat professionnel – Agents employés par un syndicat mixte – Syndicat ne pouvant être affilié qu’à titre facultatif à un centre de gestion départemental – Obligation pour ce centre de gestion de calculer et répartir le contingent d’heures de décharge en tenant compte des syndicats mixtes qui lui sont affiliés même à titre facultatif – Rejet.

La solution retenue ici est la confirmation de celle adoptée par la cour administrative d’appel.

La circonstance que l’affiliation des syndicats mixtes composés exclusivement de  collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs auprès des centres départementaux de gestion est purement facultative ne dispense pas un centre de gestion de tenir compte des agents des syndicats mixtes qui lui sont affiliés  - même s'ils le sont à titre facultatif - pour calculer la répartition de l’enveloppe globale du contingent d’heures de décharge de service entre les agents inscrits sur la liste électorale du comité technique placé auprès de lui.

(12 mai 2022, Syndicat CFDT Interco 67 et Fédération Interco CFDT, n° 442675)

 

88 - Enseignant de l’enseignement supérieur – Sanction disciplinaire – Comportement inapproprié envers des étudiants étrangers et des étudiantes – Suspension en référé – Annulation – Suspension ordonnée pour d’autres motifs – Rejet.

Un enseignant de l’école supérieure d’art de Nice fait l’objet, à titre de sanction disciplinaire pour comportements inappropriés tant à l’égard d’étudiants étrangers que d’étudiantes, d’une mesure de suspension de ses fonctions pour deux années, assortie d’un sursis d’une année. Sur requête de l’agent, le juge des référés a suspendu cette sanction en tant qu'elle lui interdit de percevoir une rémunération et d'acquérir des droits à l'avancement, aux congés et à la retraite.

Le ministre de la culture se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au double motif que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en jugeant d’une part qu’était de nature à créer un doute sérieux la circonstance que la décision reposait sur des faits non établis et d’autre part que la sanction retenue était entachée d’une erreur d’appréciation.

Puis, réglant l’affaire au fond (par application de l'art. L. 821-2 CJA), le juge de cassation relève tout d’abord que la privation de traitement de l’intéressé est de nature à bouleverser ses conditions d’existence et constitue une situation d’urgence justifiant l’engagement d’une procédure de référé suspension. Il juge ensuite que crée un doute sérieux sur la légalité de la sanction la non-communication à l’agent de la totalité des procès-verbaux d'auditions des personnes entendues par l'inspection générale des affaires culturelles au cours de l’enquête visant les faits reprochés à l'intéressé sauf, le cas échéant, s’agissant de procès-verbaux dont la communication serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

Il est donc fait droit aux conclusions que l’agent sanctionné a présentées en première instance.

(ord. réf. 19 mai 2022, ministre de la culture, n° 448273)

 

89 - Accords collectifs dans la fonction publique – Modalités de négociation et de conclusion – Intervention du comité de suivi des mesures – Faculté de demande d’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord réservée aux syndicats signataires de l’accord – Illégalité – Annulation partielle.

Les requérantes demandaient l’annulation des articles 5, 8 et 10 du décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique.

Tout d’abord, sont rejetées les demandes dirigées contre l’art. 5, cette disposition n’ayant ni pour objet ni pour effet d’attribuer au comité de suivi des pouvoirs excédant le seul suivi de la mise en œuvre de l’accord, et contre l’art. 10, ce dernier résultant des dispositions mêmes de l’art. 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et ces dispositions ayant été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (déc.n° 2021-956 QPC, 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État - CGT et autres).

Ensuite, et en revanche, est annulée la partie de l’art. 8 décidant que la faculté de demander l’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord est réservée aux seules organisations signataires de l’accord car cette condition ajoute à la loi.

(19 mai 2022, Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT), Fédération CGT des services publics, Confédération générale du travail (CGT), Fédération syndicale unitaire (FSU), Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et Union syndicale Solidaires Fonction Publique, n° 456425)

 

90 - Intégration dans des corps de la fonction publique de l’État d’agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice – Abstention du premier ministre de prendre le décret d’application de la loi du 7 janvier 1983 et du décret du 3 mai 1988 – Inexécution d’une décision d’annulation rendue par le Conseil d’État et assortie d’une injonction – Absence de réponse du pouvoir exécutif à la section du rapport et des études du Conseil d’État – Demande de nouvelle injonction d’octroi d’une indemnité – Ouverture d’une procédure juridictionnelle pour inexécution d’une décision de justice (cf. art. L. 911-5 CJA) – Irrecevabilité.

« Tout çà pour çà ? », « Finir en eau de boudin » ou « Beaucoup de bruit pour rien (ou, pour les puristes Much ado about nothing) » pourraient être quelques-unes des épitaphes de cette désolante décision.

Par une décision du 13 février 2020, le Conseil d’État a annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret prévu à l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État et à l'article 8 du décret du 3 mai 1988 fixant les conditions d'intégration dans des corps de la fonction publique de l'État d'agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice et enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision.

C’était déjà remarquable d’insignifiance que de traiter avec tant de mansuétude un retard qui, selon les cas, durait depuis 37 ans et depuis 32 ans.

À une requérante qui l’a saisi en mai 2021 d’un recours en vue d’assurer l’exécution de sa propre décision, inexécutée depuis plus de neuf mois après l’expiration du délai imparti pour cette exécution, le Conseil d’État répond que par une ordonnance du 14 novembre 2021, donc elle-même intervenue plus de six mois après sa saisine, le gouvernement ayant, par le 37° du I de l’art. 3 de celle-ci, abrogé à compter du 1er mars 2022 les troisième à sixième alinéas de l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983, il s’ensuit que le gouvernement ne dispose plus de base légale pour adopter le décret prévu par ce dernier article et, en application de celui-ci, par le décret du 3 mai 1988. 

D’évidence, la demande de la requérante n’était pas irrecevable au moment où elle a saisi le juge administratif, elle ne pouvait donc pas être déclarée irrecevable comme cela est décidé ici alors qu'il s'agit d'un contentieux de l'annulation non de la pleine juridiction.

Ainsi, demeure sans sanction aucune un comportement gouvernemental digne des gamineries d’une cour de récréation.

Encore une déception infligée au Huron par le Palais-Royal.

(19 mai 2022, Mme A., n° 457932)

 

91 - Enseignement supérieur - Concours de recrutement en qualité de professeur des universités – Contestation des résultats - Absence d’inscription de la requérante sur la liste des candidats à l’expiration de la date de clôture des inscriptions – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable le recours formé contre un concours de recrutement aux fonctions de professeur d’université par une personne qui, à la date de clôture des inscriptions à ce concours, n’y était pas candidate.

(18 mai 2022, Mme D., n° 433164)

(92) V. aussi : 19 mai 2022, Mme D., n° 444662.

 

93 - Enseignement supérieur - Nomination en qualité de professeur des écoles nationales supérieures d'architecture - Refus implicite - Annulation avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

Est annulé le refus implicite du président de la République de nommer le requérant dans le grade de professeur de 2ème classe des écoles nationales supérieures d'architecture alors :

- d'une part, qu'il remplissait les conditions prévues par l'article 47 du décret du 15 février 2018 et qu'il a été classé premier du concours organisé en 2020 pour le recrutement d'un professeur des écoles nationales supérieures d'architecture dans la discipline « Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine (TPCAU) » au sein de l'École nationale supérieure d'architecture de Saint-Etienne ;

- d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent les ministres de la culture et de l'enseignement supérieur, le requérant n'a pas participé à la procédure de recrutement aux postes de professeur auxquels il a été candidat et n'a pas bénéficié d'informations qui lui auraient conféré des avantages sur les autres candidats ;

- enfin, que l'administration n'invoque aucun autre motif susceptible de faire obstacle à la nomination de l'intéressé.

Le président de la République avait donc compétence liée et devait procéder à la nomination de l'intréressé en qualité de professeur. Son refus implicite de le faire est annulé avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

(20 mai 2022, M. C., n° 457501)

 

94 - Fonctionnaire de police - Reconstitution de carrière - Rappels de traitements subséquents - Opposition de la prescription quadriennale - Rejet.

La demanderesse, fonctionnaire de police, a obtenu, par décision du 30 mai 2017, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de ses différentes fonctions exercées depuis le 1er septembre 1997. En conséquence devaient lui être versés des rappels de traitement ; toutefois, le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Sud-Est a opposé la prescription quadriennale aux rappels de traitement qui devaient être versés à l'intéressée à la suite de la reconstitution de sa carrière ayant tenu compte de cet avantage.

Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête tendant à l'annulation de l'opposition de la prescription quadriennale.

Pour rejeter le pourvoi, le juge retient que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les créances dont se prévalait la demanderesse au titre des rémunérations supplémentaires résultant de l'octroi de l'avantage spécifique étaient susceptibles de se voir opposer la prescription quadriennale. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que les faits générateurs des créances détenues par la requérante au titre de cette reconstitution de sa carrière étaient constitués par les services qu'elle avait effectués et sur lesquels portait cette reconstitution de carrière. Enfin, c'est par une appréciation souveraine des faits dénuée de dénaturation que la cour a estimé que la requérante ne pouvait pas prétendre ignorer jusqu'en 2016 l'existence de ses créances sur l'État.

(25 mai 2022, Mme B., n° 438596)

(95) V. aussi, identique : 25 mai 2022, M. B., n° 438597.

 

96 - Enseignant de collège - Relation sentimentale avec une mineure - Révocation - Sanction hors de proportion avec les éléments figurant au dossier - Confirmation de l'arrêt d'appel - Rejet.

Une cour administrtative d'appel est approuvée par le Conseil d'Etat pour avoir jugé hors de proportion avec les éléments figurant au dossier de l'intéressé la sanction de la révocation dont il a fait l'objet.

Le Conseil d'Etat opère une balance entre les faits reprochés et le dossier global de l'enseignant.

D'une part, le juge retient qu'il est reproché à celui-ci d'avoir noué une relation sentimentale avec une de ses élèves de classe de troisième alors âgée de quinze ans et de l'avoir embrassée et caressée sur le bras. Il a été condamné pour ces faits, sous la qualification pénale délictuelle d'atteintes sexuelles sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité, à une peine, homologuée par une ordonnance judiciaire dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité, d'emprisonnement de quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois, non assortie de la peine complémentaire d'interdiction d'exercice d'une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

D'autre part, le juge relève également, dans une rédaction très circonstanciée, que c'est à bon droit que la cour a, pour juger disproportionnée la sanction de la révocation, considéré « la nature des agissements en cause, la procédure pénale choisie par le Procureur de la République, la qualification pénale retenue, le quantum de la peine d'emprisonnement infligée, l'absence de prononcé d'une peine complémentaire, le contexte dans lequel ces faits, isolés, ont été commis, la conscience de l'intéressé de l'anormalité de son comportement, l'absence de structure pathologique de sa personnalité et de manifestation perverse ou déviante constatée par l'expertise psychiatrique et sa manière de servir durant l'ensemble de sa carrière, également mise en évidence par la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat ».

C'est donc sans dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit ou de qualification qu'a éré rendu cet arrêt, ce qui conduit au rejet du pourvoi du ministre.

(30 mai 2022, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 449582)

 

97 - Praticien hospitalier - Suspension de ses fonctions - Utilisation des moyens du service pour ses propres activités - Détérioration du climat et perturbation du fonctionnement du service - Rejet.

La ministre de la santé n'a pas pris une décision illégale en suspendant de ses fonctions un praticien hospitalier motif pris de ce que l'utilisation par ce praticien de moyens du service pour ses activités personnelles a déclenché un conflit grave détériorant le climat du service et en perturbant le fonctionnement sans que puisse faire obstacle à la légalité de cette mesure les inconvénients en résultant pour les patients suivis par l'intéressé.

(31 mai 2022, M. B., n° 439415)

 

Libertés fondamentales

 

98 - Ressortissant syrien – Demande d’octroi de la protection subsidiaire – Refus d’octroi insuffisamment motivé – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile a refusé à un ressortissant syrien le bénéfice de la protection subsidiaire qu’il sollicitait à défaut d’obtenir celui de l’asile politique. L’intéressé saisit le Conseil d’État d’un pourvoi, ce dernier l’accueille positivement.

Pour ce juger, il relève que pour solliciter son admission au bénéfice de l'asile, le requérant soutenait craindre d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison de l'aide qu'il a apportée à des familles d'opposants syriens à Damas en les approvisionnant en gaz et de ce qu'arrêté lors d'une livraison, il aurait été placé en détention et aurait subi des mauvais traitements. Or la Cour, sans même se prononcer sur le degré de violence existant en Syrie, s’est bornée à rejeter cette demande au moyen d’une formule stéréotypée notant que ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites à l'audience ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués et de fonder les craintes énoncées au regard de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La décision de rejet est annulée pour son insuffisance de motivation et le renvoi de l'affaire est ordonné devant cette Cour.

(3 mai 2022, M. B., n° 449396)

 

99 - Liberté de l’éducation – Droit de l’enfant à l’instruction – Enseignement dispensé dans la famille – Contrôle de la puissance publique – Soumission à une autorisation préalable – Institution d’un délai de huit jours pour la formation d’un recours administratif obligatoire préalable à la saisine d’une commission en cas de refus d’autorisation – Annulation sur ce dernier point et rejet du surplus.

Les requérants ainsi qu’une association intervenante demandaient la suspension de diverses dispositions des deux décrets du 15 février 2022 pris sur le fondement de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, qui précisent les modalités de délivrance de l'autorisation de l'instruction dans la famille et les conditions dans lesquelles une décision de refus d'autorisation peut faire l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire.

Sauf pour l’un d’entre eux, les moyens sont rejetés alors même qu’est établie ici l’urgence à statuer.

La limitation entre le 1er mars et le 31 mai de la période durant laquelle doit être adressée la demande d’autorisation préalable d’une instruction dans la famille ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’exigence d’un justificatif du domicile des personnes responsables de l’enfant n’est pas illégale, les personnes sans domicile fixe ou stable pouvant toujours solliciter une attestation de domicile auprès de services ou institutions à ce désignés.

Les obligations administratives et de renseignements instituées par ces décrets, spécifiquement pour les demandes de dérogation motivées par l’état de santé de l’enfant, par la pratique d’activités sportives ou artistiques incompatibles avec le fonctionnement normal d’un établissement d’enseignement, par la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ou en cas de harcèlement à l’école, et en particulier l’exigence de détention du baccalauréat pour enseigner à un enfant scolarisé en famille, ne comportent pas d’illégalités de nature à créer un doute sérieux.

Enfin sont rejetés divers moyens tenant à l’imprécision de certaines dispositions, à la brièveté de certains délais, à la composition de la commission de recours contre un refus d’autorisation.

Toutefois, le juge des référés estime que crée un doute sérieux quant à sa juridicité, l’art. D. 131-11-10 du code de l’éducation issu de l’un des décrets attaqués en ce qu’il prévoit que toute décision de refus d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de huit jours à compter de sa notification écrite, ce délai étant jugé trop court et comme portant atteinte au droit à un recours effectif, sa suspension est ordonnée.

(ord. réf. 16 mai 2022, Association Union nationale pour l'Instruction et l'Épanouissement (UNIE), n° 463123 ; Association Les Enfants d’Abord, n° 463224 ; A. F. et autres, n° 463324)

 

100 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République – Transmission de deux QPC.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

V. n° 128

 

101 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

Statuant en formation collégiale en état de référé et après la tenue de deux audiences, le juge rejette la demande d’annulation de la décision d’une équipe médicale d’arrêter les traitements dont est l’objet une personne victime en janvier 2022 d’un traumatisme crânien ayant laissé des lésions cérébrales graves dont deux examens médicaux successifs, réalisés en mars et avril 2022, ont montré que la poursuite des soins constituerait une obstination déraisonnable.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

 

102 - Détenue – Exercice du droit de visite – Restriction, suppression ou limitation du droit de visite – Compétence du pouvoir de police du chef d’établissement pénitentiaire – Atteinte au respect de la vie privée et familiale – Nécessité de mesures adaptées et proportionnées – Demande d’exercice du droit de visite dans les conditions normales – Défaut d’urgence – Rejet.

Les requérants se plaignent des conditions fixées par la chef de l’établissement pénitentiaire où est détenue la requérante à l’exercice par son conjoint, M. C., de son droit de visite. Ils demandent au juge des référés qu'il enjoigne à la directrice du centre de détention de Bapaume de délivrer à M. C. un permis de visite dans un parloir sans dispositif de séparation.

Pour confirmer le rejet en première instance du référé liberté dont il était saisi, le juge relève l’absence d’urgence à statuer en raison de ce qu’il a été décidé que si les quatre premières visites qui devaient se dérouler dans un parloir comportant un hygiaphone ne donnaient lieu à aucun incident, cette restriction serait levée. En effet, deux visites ayant eu lieu les 23 et 30 avril 2022 et une autre étant prévue le 14 mai, le tout sans incident, la levée de la restriction est donc très proche.

(ord. réf. 17 mai 2022, M. C. et Mme A., n° 463681)

 

103 - Témoin de Jéhovah – Refus de toute transfusion sanguine – Volonté expresse connue des médecins de l’hôpital – Transfusion du minimum nécessaire à la survie du patient et proportionnée à son état – Absence d’atteinte à la liberté fondamentale d’un patient de donner son consentement à un traitement médical – Rejet.

Les requérants, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, ont demandé au juge des référés d'enjoindre à l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon de respecter la volonté de M. A. C., hospitalisé à la suite d’un traumatisme grave sur la voie publique, et de ne procéder en aucun cas à une transfusion sanguine contre son gré, conformément au respect du consentement libre et éclairé du malade, et de recourir en substitution aux traitements médicaux sans transfusion de sang, acceptés, eux, par le patient.

La requête contre l'irrespect de cette volonté par l'hôpital ayant été rejetée, ils ont saisi le Conseil d’État par voie d’appel.

Celui-ci les déboute au motif que si leur parent a bien reçu des doses de sang, contrairement aux indications données à l’équipe médicale et au contenu du document que la victime portait sur elle exprimant le refus de toute transfusion « même si le personnel soignant estime qu'une telle transfusion s'impose pour me sauver la vie », cette équipe a strictement limité les quantités transfusées et les facteurs de coagulation à ce qui était indispensable à la survie immédiate du malade. Ainsi, dès lors que le protocole suivi ne s’est écarté du choix du patient que dans la mesure strictement nécessaire et proportionnée à son état, il n’a pas été porté atteinte à la liberté fondamentale de consentement aux soins non plus qu’à d’autres libertés fondamentales garanties par la Charte européenne des droits fondamentaux, la convention EDH et la convention d’Oviedo du 4 avril 1997.

Reste que, au total, a été transfusée une personne qui s’y refusait absolument en raison de ses convictions religieuses. Qu’est devenue en ce cas la « fondamentalité » de la liberté invoquée par les requérants et reconnue par les textes comme par le juge ?

(ord. réf. 20 mai 2022, Consorts C., n° 463713)

 

104 - Ressortissants algériens - Titulaires d'un certificat de résidence « scientifique » - Epidémie de Covid-19 - Personnes non autorisées à entrer en France métropolitaine - Illégalité et annulation partielles.

Les requérants demandaient l'annulation de deux instructions du premier ministre, l'une relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour les familles de ressortissants algériens « scientifiques chercheurs », l'autre en tant qu'elle maintient l'exclusion des familles des « scientifiques chercheurs » ressortissants algériens du dispositif de dérogations d'entrée sur le territoire français.

Le Conseil d'État rejette la plupart des moyens soulevés retenant cependant que la différence de traitement instituée par l'une des instructions attaquées entre les titulaires d'un visa de long séjour « passeport talent » qui peuvent entrer en France ainsi que leur conjoint et leurs enfants et ceux titulaires du certificat de résidence « scientifique »  prévu au f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien de 1968 qui sont, eux, exclus du bénéfice de ce régime d'accès y compris les titulaires eux-mêmes.

(25 mai 2022, M. O. et autres, n° 450085 et n° 450542)

(105) V. aussi, rejetant le recours, comparable au précédent, de ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins exerçant en France : 25 mai 2022, Mme K. et autres, n° 451247.

 

106 - Bénéficiaire, dans un autre pays de l'Union, du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire - Impossibilité de revendiquer en France des droits conférés par ce statut ou cette protection sauf en cas d'admission au séjour - Absence de demande de renouvellement du titre de séjour dans le pays d'octroi du statut ou de la protection - État de fait sans effet sur l'existence de ce statut ou de ladite protection - Situation différente en cas d'échec de démarches de renouvellement - Annulation de l'arrêt contraire.

L'étranger qui a obtenu dans un pays de l'Union le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ne peut pas revendiquer en France de droits tirés de ce statut ou de cette protection quand ces droits lui sont assurés dans le pays en question sauf s'il a été admis au séjour en France.

Par ailleurs, la circonstance que cet étranger n'a pas sollicité le renouvellement de son titre de séjour dans l'État d'accueil est sans effet sur la revendication de droits en France sauf s'il est établi que cette protection ou ce bénéfice ne lui est plus assuré ou est devenu ineffectif ou que les démarches en vue du renouvellement de son titre au séjour ont échoué.

Enfin, la circonstance que le titre de séjour est expiré et le fait que l'intéressé a regagné pendant un certain temps son pays d'origine et de persécution n'établissent point sa renonciation à la protection accordée par l'État d'accueil.

(25 mai 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451863)

 

Police

 

107 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la ville de Paris – Contrariété à la convention EDH – Compétence pour demander l’encadrement des loyers – Étendue de la compétence du premier ministre – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif expérimental d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

La demande est rejetée en tous ses chefs, de légalité externe comme de légalité interne.

Sur le plan de la légalité externe, sont écartés deux moyens.

Le premier moyen est celui tiré de la non-consultation, préalablement au décret attaqué, de l’Autorité de la concurrence car ce texte institue non un régime nouveau au sens de l’art. L. 462-2 du code de commerce mais un régime expérimental, celui prévu par l’art. 140 précité de la loi du 23 novembre 2018.

Le second moyen est tiré de la non-consultation du Conseil national de l’habitat organisée par l’art. R* 361-2 du code de la construction et de l’habitation, cette consultation n’étant prévue que pour les mesures destinées à favoriser la mixité sociale or le décret litigieux, s’il peut contribuer à cet objectif, n’a pas cela pour objet.

Sur le plan de la légalité interne, il est d’abord jugé que la fixation, par le préfet, de « loyers de référence » dans les zones urbanisées caractérisées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements situées à l’intérieur du périmètre d’application du dispositif d’encadrement des loyers ne porte pas une atteinte déraisonnable au droit de propriété eu égard à l’exigence d’intérêt général qui motive ce dispositif. Cela nous paraît cependant imposer de revoir toutes les évaluations et assiettes fiscales relatives aux biens ainsi limités dans leur rentabilité.

Pas davantage, le décret querellé ne saurait être considéré comme portant atteinte à la protection du droit de propriété en instituant une discrimination qui serait incompatible avec les dispositions de l’art. 14 de la Convention EDH et de l’art. 1er de son premier protocole additionnel du fait qu’il subordonne la mise en place du dispositif d’encadrement des loyers à une demande préalable émanant d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat ou d'une autre collectivité ayant cette compétence, cela en raison de la liberté que la loi confère à ces derniers pour exercer cette faculté de déclencher ce dispositif.

On aperçoit mal cependant en quoi le caractère facultatif du déclenchement de ce mécanisme a à voir avec l'éventuelle atteinte au droit de propriété ; celle-ci se réalise dès l'instauration de l'encadrement des loyers.

Également, si le premier ministre détient le pouvoir d’apprécier si le choix par une collectivité de retenir un certain périmètre pour l’application de l’encadrement des loyers est justifié, il ne lui appartient pas de décider si des territoires situés en dehors de celui de la collectivité demanderesse devraient également être assujettis à cet encadrement. C'est pourtant là une réelle difficulté juridique dans la mesure où est ainsi supprimée toute objectivité dans la détermination des zones concernées et il nous semblerait bien venu de décider que la légalité des périmètres proposés ainsi que de ceux retenus soit soumise à un contrôle « en tant que ne pas » (Assemblée,16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646).

Enfin, les données chiffrées sur le rapport entre le niveau moyen des loyers dans le parc social locatif et celui des loyers du parc locatif privé démontrent le bien-fondé du recours, pour la ville de Paris, à l’encadrement des loyers.

(10 mai 2022, Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI Paris) et Chambre nationale des propriétaires, n° 431495)

(108) V. aussi, très largement identiques et rejetant les recours : 10 mai 2022, Chambre des propriétaires du Grand Paris, n° 449603 et n° 454450, 2 espèces.

 

109 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la métropole européenne de Lille – Respect des conditions posées par la loi – Rejet.

Les deux requêtes jointes tendaient, d’une part à l’annulation du rejet implicite de leurs demandes d’abrogation et d’autre part à l’annulation du décret n° 2020-41 du 22 janvier 2020 fixant le périmètre du territoire de la métropole européenne de Lille sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Les moyens développés au soutien de ces recours sont rejetés.

Le juge relève que contrairement à ce qui est soutenu, d’une part, le premier ministre a procédé, avant de prendre le décret litigieux, à la vérification du respect des conditions posées par l’art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 sans se croire en situation de compétence liée et, d’autre part, il résulte bien des chiffres y relatifs un écart important, du simple au double, entre le montant moyen du loyer dans le parc locatif public et celui du loyer dans le parc locatif privé. Il est ainsi établi l’existence d’une situation entrant dans les prévisions du législateur pour l’instauration d’un régime d’encadrement des loyers. 

(10 mai 2022, Association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord, n° 442698 ; Association UNPI Nord de France, n° 442699)

 

110 - Police économique et sociale – Obligation d’atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales – Exemption de l’obligation – Conditions – Annulation du décret refusant à une commune cette exemption.

La loi a prévu la possibilité, pour une commune, d’être exemptée à certaines conditions de l'obligation d'atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales (art. L. 302-5 et suivants c. de la construction et de l’habitation). La commune requérante demande l’annulation du décret du 30 décembre 2019 fixant la liste des communes exemptées de cette obligation, en tant qu'elle n'est pas mentionnée dans ses annexes qui désignent, pour la période triennale 2019 – 2022, les communes concernées.

Pour être exemptées de leurs obligations en matière de logement social, les communes doivent être proposées comme éligibles à cette exemption par une décision de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) auquel elles appartiennent et doivent être ensuite retenues par le décret prévu par le premier alinéa de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation.

Il en résulte que l'absence de présentation par l'EPCI compétent fait obstacle à ce que la commune puisse être retenue par ce décret. Ceci appelant deux précisions juridiques importantes.

En premier lieu, si la commune doit remplir l'une au moins des trois conditions mentionnées au III de l'article L. 302-5 précité pour demander à être exemptée de l’obligation, cela n’impose pas à l’EPCI de proposer sa candidature à l’exemption, celui-ci pouvant refuser en se fondant sur divers critères (importance de la demande de logements locatifs sociaux sur son territoire, taux de logements sociaux de la commune, politique en matière de réalisation de logements sociaux et performances passées dans l'atteinte des objectifs).

En second lieu, si la délibération de l'EPCI, qu'elle accueille la demande d'une commune ou qu’elle la rejette, n’a que le caractère d’une mesure préparatoire insusceptible d’être discutée au contentieux, sa légalité peut néanmoins, en vertu d’une jurisprudence constante, être invoquée au soutien du recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret pris au titre de la période triennale pour laquelle l’exemption a été sollicitée par la commune.

En l’espèce, le Conseil d’État retient que le refus du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Paris-Vallée de la Marne (devenue ensuite communauté d'agglomération de Marne la vallée - Val Maubuée) de proposer la commune requérante comme éligible à l’exemption est entaché d’illégalité car, d’une part, celle-ci satisfait bien à l’un au moins des critères prévus par la loi et d’autre part la communauté d’agglomération  ne fait état d’aucune circonstance justifiant que ne soit pas proposée à l’exemption la commune d’Emerainville. En effet, cette dernière soutenait sans être contredite que plus de la moitié du territoire urbanisé de la commune était soumis à une inconstructibilité résultant d'une zone A, B ou C du plan d'exposition au bruit de l'aérodrome de Lognes-Emerainville.

Le décret est donc illégal et son annulation est accompagnée d’une injonction à la communauté d’agglomération de réexaminer sous deux mois la demande de la commune d’Emerainville.

(10 mai 2022, Commune d’Emerainville, n° 439128)

 

111 - Police des événements sportifs – Service d’ordre assuré dans l’intérêt de l’organisateur d’une manifestation (art. L. 211-11 code de la sécurité intérieure) – Remboursement des dépenses afférentes à cette intervention – Charge des dépenses excédant les besoins normaux du maintien de l’ordre - Absence de signature de la convention sans effet sur la dette des organisateurs – Rejet.

L'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dispose notamment :

« Les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie.

Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt (...) ». 

L'association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre a reçu, à l’issue de l’organisation, en 2016, des épreuves du championnat du monde moto « Superbike » sur le circuit de Nevers Magny-Cours, une facture de la gendarmerie nationale relative au service d'ordre assuré lors de cette manifestation que l'association a refusé de payer et qui a fait l’objet d’une majoration. L'association a demandé en vain l’annulation de ce titre de perception au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel ; elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Il résulte des dispositions précitées du code de la sécurité intérieure qu’elles ne concernent que les services d'ordre assurés dans l'intérêt de l'organisateur d'une manifestation excèdant les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général.

Le texte opère une distinction très claire entre, d’une part, les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif qui sont seuls susceptibles de se voir imposer par l'État la tenue d'un tel service d'ordre et qui ne peuvent être assujettis qu’au paiement de la part du coût d’intervention des forces de l’ordre excédant celui résultant de la satisfaction des besoins normaux de sécurité. et d’autre part toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d'ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie et qui est tenue de rembourser à l'État la totalité des dépenses correspondantes. 

Normalement, une convention doit être signée entre les services publics de maintien de l’ordre et les bénéficiaires de l’opération (art. 2 et 4 du décret du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie).

En l’espèce, il est tout d’abord jugé que c’est sans dénaturation et dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour a estimé justifié le déploiement des forces de l’ordre au vu de l'affluence telle qu'elle ressortait des articles de presse consacrés à cet événement et des chiffres de la billetterie ainsi qu’en raison du nombre de spectateurs de cette manifestation.

Ensuite, le titre de perception litigieux était régulier en la forme car il comportait toutes les mentions requises.

Enfin, l’absence de caractère lucratif de la manifestation comme l’absence de signature par l’association requérante de la convention proposée par le préfet de la Nièvre ne pouvaient pas faire obstacle à l’application des dispositions de l’art. L. 211-11 précitées.

(11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449370)

(112) V. aussi, identique : 11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449371.

 

113 - Police de l’hygiène et de la sécurité – Réglementation des piscines privées ouvertes à l’usage public – Baignade artificielle – Application du régime des piscines – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les demandeurs contestaient la légalité d’un arrêté préfectoral interdisant l’accès du public à un lieu de baignade qu’ils exploitent jusqu’à la mise en conformité aux règles régissant les piscines.

Pour casser l’arrêt d’appel le Conseil d’État relève que celui-ci repose sur une inexacte qualification des faits en jugeant applicable en l’espèce la réglementation propre aux piscines privées ouvertes au public alors qu’il résulte du dossier que l’installation en cause est constituée d'une cuvette créée par terrassement, dont l'aménagement permet, par une membrane imperméable posée sur son fond, de maintenir captives les eaux souterraines de la nappe phréatique ; elle n’est donc pas une piscine – ce qui supposerait une alimentation en eau à partir d'un réseau de distribution publique (art. D. 1332-4, alinéa 2 du code de la santé publique) - mais une baignade artificielle à laquelle ne saurait être imposée la réglementation propre aux piscines.

(11 mai 2022, Société Marissol et Mme C., n° 438409)

 

114 - Associations et groupements de fait – Dissolution – Conditions – Atteinte aux libertés de réunion et d’association – Suspension du décret de dissolution.

Un décret du 30 mars 2022, du président de la République, a dissout l’organisation requérante sur le fondement du 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en retenant trois motifs.

Les requérants demandent la suspension du décret de dissolution.

Le Conseil d’État statuant en formation collégiale en état de référé suspend ledit décret aucun des motifs de dissolution ne lui semblant établi et l’urgence lui paraissant démontrée.

En premier lieu, le grief de mener des actions violentes est rejeté car il n’est pas établi que le groupement en cause ait été à l'origine d’appels à manifester ni que les agissements violents commis à l'occasion de ces manifestations aient été directement liés aux activités de ce groupement cela alors même que plusieurs de ses membres ont participé à ces manifestations. Par ailleurs, d’une part, les condamnations infligées à certains membres pour « violences volontaires », à raison des éléments les caractérisant, ne sauraient les faire regarder comme « violents » au sens et pour l’application de la disposition précitée, et d’autre part, l’instruction ne montre pas que les dégradations causées aux biens soient le fait dudit groupement.

En deuxième lieu, le positionnement idéologique de ce groupement ainsi que la phraséologie qu’il utilise, notamment sur les réseaux sociaux, tout comme sa participation à un festival dit « antifafest » dont il n’est pas l’organisateur, ne caractérisent pas une provocation à des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 précité.

Enfin, en troisième lieu, s’il est certain que peut être reprochée à ce groupement la violence de ses propos – ainsi les publications sur les réseaux sociaux des photographies de tags « Mort aux nazis » sur les murs du local du groupement d'extrême-droite Terra Nostra, des commentaires « On va se venger », publié à la suite de l'incendie d'une mosquée, et « pour une bonne dissolution, une seule solution : vive la chaux vive », publié en référence aux dissolutions des groupements d'extrême-droite Unité radicale, Bloc identitaire et Génération identitaire, des formules « deux banques ont eu le bonjour du bloc anticapitaliste », figurant dans le compte-rendu d'une manifestation, et « c'est cela qui nous tient à cœur en tant qu'antifascistes : des ripostes collectives et multiples d'autodéfense populaire ». Il en est de même du recours au mot-clé " #feuauxprisons " ou du dessin d'un centre de rétention administrative en flammes intitulé « feu aux centres de rétention », à l'appui de publications dénonçant de supposées violences d'État – ceux-ci ne sauraient manifestement pas être regardés comme entrant dans les prévisions du texte précité.

(ord. réf. form. coll. 16 mai 2022, M. A. C. et groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit « la GALE »), n° 462954)

 

115 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

La commune requérante a mis en demeure deux frères, propriétaires indivis d’un immeuble en état de péril, d’exécuter les travaux propres à faire cesser cet état et, les travaux n’ayant pas été réalisés dans le délai imparti, les a fait exécuter d’office.

Un contentieux est né de la réclamation du remboursement des frais avancés par la commune au moyen de titres exécutoires adressés à l’un des deux frères.

La cour administrative d’appel a jugé que faute de l’existence d’une solidarité entre les deux frères débiteurs la commune ne pouvait pas légalement émettre les titres exécutoires litigieux à l'encontre de l’un d’eux seulement pour la totalité de la somme due par l'indivision qu'il formait avec son frère.

Sans s’arrêter aux moyens du pourvoi, le Conseil d’État soulève d’office, car il est d’ordre public, celui tiré de la méconnaissance par l’arrêt d’appel du champ d’application de la loi du fait que cette solidarité résulte des termes mêmes de l’art. L. 541-2-1 du code de la construction et de l’habitation.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

 

116 - Police sanitaire - Covid-19 - Limitation des effectifs admis dans des festivals de musique - Communiqué annonçant un acte réglementaire mais ayant un effet significatif sur les comportements des personnes - Acte faisant grief - Rejet au fond.

Saisi d'un recours en annulation du cadre de l'organisation des festivals pour l'année 2021, annoncé par la ministre de la culture dans son communiqué de presse du 18 février 2021, en tant qu'il prévoit d'interdire les festivals de plus de 5 000 personnes et impose la configuration assise, le Conseil d'État tranche d'abord une question de recevabilité.

Il juge en effet que « Si, en principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il en va différemment lorsque cette annonce a pour objet, comme en l'espèce, d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elle s'adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises. » La solution est judicieuse et se distingue radicalement de la question du droit mou.

Ensuite, au fond, le juge estime que les mesures que contient ce communiqué ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

 Le recours est rejeté.

(25 mai 2022, Association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac, n° 451846)

 

117 - Police du permis de conduire - Émission d'amendes forfaitaires pour infractions au code de la route - Amendes non acquittées - Absence de preuve de la connaissance par l'intéressée des informations requises - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour estimer qu'une personne a bien reçu l'information requise par les articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route en matière de contravention, se borne à retenir que les infractions commises auraient donné lieu à l'émission d'amendes forfaitaires, sans constater que ces amendes n'avaient pas été payées et qu'ainsi n'était pas rapportée la preuve de l'existence de l'information.

(31 mai 2022, Mme B., n° 445132)

(118) V. aussi, sur la portée probante la mention certifiée par l'agent verbalisateur que le contrevenant a refusé d'apposer sa signature sur une page écran où figurent toutes les mentions nécessaires (31 mai 2022, ministre de l'intérieur, n° 45557) ou, sur la preuve de la réception par l'intéressé du procès-verbal, l'exécution de la composition pénale afférente à l'infraction litigieuse n'établissant pas la réception de l'information préalable requise par les textes (31 mai 2022, M. A., n° 45623) ou encore pour ce même défaut d'information (31 mai 2022, M. B., n° 456408).

 

Professions réglementées

 

119 - Masseurs-kinésithérapeutes – Étendue de la compétence du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en matière d’études et de diplômes – Pouvoirs de l’ordre en cette matière – Annulation et injonction.

La requérante demandait l’annulation de deux décisions implicites du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes : le refus d'abroger l'avis du 13 juin 2018 relatif à la pratique par un kinésithérapeute de la « puncture kinésithérapique par aiguille sèche », dite « dry-needling » et le refus de reconnaître la formation qu'elle dispense en lien avec l'Association suisse de dry-needling.

Donnant raison à la requérante, le Conseil d’État retient deux moyens.

Tout d’abord, il résulte des art. L. 4321-2 et s. et R. 4321-122 et s. du code de la santé publique que si le Conseil national de l'ordre peut, au titre de sa compétence de reconnaissance d'une qualification, d'un titre ou d'un diplôme particulier, fixer aussi, de manière générale, les contenus ou les modalités de formation qu'il estime nécessaires pour que certaines qualifications, titres ou diplômes puissent figurer dans des documents, annuaires ou plaques professionnels, en revanche cet organisme ne tire ni de ces dispositions ni d'aucun autre texte ou principe la compétence pour déterminer les contenus des formations requises pour la pratique, par les masseurs-kinésithérapeutes, des différents actes professionnels de masso-kinésithérapie. Il s’ensuit qu’en estimant en l’espèce, pour rejeter la demande dont il était saisi, que « Seul le kinésithérapeute ayant validé un cursus de formation complémentaire à celui de sa formation initiale peut réaliser la puncture kinésithérapique par aiguille sèche (...) » et que « le contenu du cursus de formation nécessaire à la mise en œuvre de cette technique » est celui élaboré par le « collège de la masso-kinésithérapie », instance professionnelle n'ayant qu'une compétence de proposition en matière de formation continue des masseurs-kinésithérapeutes, le Conseil national de l'ordre a méconnu sa propre compétence.

Ensuite, pour refuser de reconnaître la formation délivrée par la requérante, le Conseil national s’est fondé sur ce que les diplômes qui la sanctionnent « ne sont pas précédés de la formation prévue par le « collège de la masso-kinésithérapie ». » Ce faisant il s’est livré à une inexacte application de la règle de droit dont il est chargé d’assurer le respect car il ne lui appartenait d'apprécier, au vu des pièces soumises par les demandeurs, que le contenu et les modalités de la formation que ces derniers lui soumettaient, en sollicitant le cas échéant de leur part tout élément complémentaire de nature à en éclairer certains aspects.

(10 mai 2022, Société française de dry-needling (SFDN), n° 439652 et n° 447474)

(120) V. aussi la solution identique mutatis mutandis d’annulation du refus par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de reconnaître le certificat interuniversitaire de kinésithérapie du sport délivré conjointement par l'université catholique de Louvain (Belgique) et l'université de Liège (Belgique) au titre de l'année universitaire 2015-2016 : 10 mai 2022, M. B., n° 441497.

 

121 - Pharmacien – Infliction d’une sanction non prévue par les textes applicables – Aggravation en appel sur le seul appel du contrevenant – Illégalités – Annulation.

Sur plaintes du médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du Bas-Rhin du service médical de la Caisse nationale d'assurance-maladie et du directeur de cette caisse, le requérant s’et vu infliger par la section des assurances sociales du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des pharmaciens la sanction d'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Sur l’appel du demandeur, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé cette décision au motif qu'elle n'était pas prévue par les dispositions de l'article R. 145-2 du code de la sécurité sociale et lui a infligé la sanction d'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Le pharmacien ainsi sanctionné se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève, sans le dire ici, qu’en vertu d’un principe général du droit disciplinaire, la juridiction disciplinaire d’appel saisie par le seul appel de la personne sanctionnée en première instance ne peut pas lui infliger une sanction plus lourde que celle retenue en première instance. C’est le cas ici où l’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant cinq ans est plus lourde que celle lui interdisant, pour la même durée, de donner des soins aux assurés sociaux.

La décision querellée est annulée.

(10 mai 2022, M. B., n° 447369)

 

122 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

V. n° 39

 

123 - Huissiers de justice – Greffiers des tribunaux de commerce – Tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit – Tarifs réglementés des huissiers de justice et des greffiers de tribunaux de commerce – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient toutes l’annulation des articles 5 et 8 du décret du 28 février 2020 relatif aux tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit pris pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 444-2 du code commerce qui ont, respectivement, modifié l'article R. 444-7 et inséré l'article R. 444-12-1 dans la partie réglementaire de ce code. Séparément une organisation d’huissiers et le conseil national des greffiers de tribunaux de commerce demandaient respectivement l’annulation d’arrêtés du 28 février2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers et ceux des greffiers de tribunaux de commerce.

Sans grande surprise ces diverses demandes sont rejetées.

La consultation de l’Autorité de la concurrence n’a pas été entachée d’irrégularité du fait qu’après son avis et conformément à celui-ci le projet de décret a été modifié pour en tenir compte en vue du calcul de l'objectif de taux de résultat moyen à partir d’un taux de référence sans consultation de cette Autorité dès lors que cette modification ne posait pas de question nouvelle.

S‘agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-7 du code commerce, il est jugé que le premier ministre était compétent, sur délégation législative (art. L. 444-2 et L. 444-7 code précité), pour définir par décret en Conseil d'État les modalités de détermination de l'objectif de taux de résultat moyen sur la base duquel les tarifs sont fixés par arrêté conjoint des ministres de la justice et de l'économie et pour y préciser que l'objectif de taux de résultat moyen est déterminé à partir d'un taux de référence égal à 20 % auquel est appliqué un coefficient correcteur multiplicateur.

Par ailleurs le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les dispositions des art. L. 444-2 et L. 4444-7 du code de commerce en décidant que la rémunération raisonnable est déterminée globalement pour chaque profession en appliquant au chiffre d'affaires régulé un taux de résultat moyen de cette profession.  Il n’a pas non plus retenu des critères dépourvus de précision et d'objectivité en fixant un taux de référence de 20 % pour la détermination de l'objectif de taux de résultat moyen pour l'ensemble des professions réglementées concernées et en prévoyant la possibilité d'ajuster ce taux à la hausse dans la limite d'un multiple de 1,6, ce qui  tient compte des différences existant entre ces professions, notamment de la part du chiffre d'affaires régulé dans leur chiffre d'affaires total, des différences des taux de résultat entre elles, ainsi que de l'évolution du service rendu.

S’agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-12-1 du code de commerce, est rejeté le moyen tiré d’une prétendue violation des objectifs fixés par l'article L. 444-2 ainsi que de l'étendue de la compétence du pouvoir réglementaire, ce dernier ayant défini de  manière suffisamment précise les critères de détermination des majorations des émoluments pouvant être fixées dans les départements et collectivités d’outre-mer pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de chaque territoire et de celles qui en résultent pour les professionnels qui y sont installés, tout en fixant l'objectif de rapprocher le taux de résultat moyen de ces professionnels de l'objectif de taux de résultat moyen mentionné à l'article R. 444-7.

Enfin, s’agissant des arrêtés du 28 février 2020 relatif, l’un aux huissiers de justice, l’autre aux greffiers des tribunaux de commerce, sont rejetés le recours en ce qu’ils sont fondés sur une illégalité par voie de conséquence du fait de la prétendue irrégularité des articles 5 et 8 du décret attaqué dont ils font application puisque les recours dirigés contre ces dispositions sont eux-mêmes rejetés.

(16 mai 2022, Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442355 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442356 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442357 ; Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442359 ; Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, n° 442577, jonction)

 

124 - Médecin - Interdiction d'exercice de la médecine - Obligation de suivre une formation - Atteinte grave et immédiate à la situation du requérant - Doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension temporaire d'exercer - Suspension ordonnée.

La formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins avait suspendu pour six mois le requérant de l'exercice de ses fonctions et l'avait obligé à suivre une formation en raison d'une connaissance faible du réseau régional d'accès à l'innovation thérapeutique.

Estimant, d'une part, que le motif retenu était d'une légalité douteuse car n'était pas démontrée l'existence d'une insuffisance professionnelle grave de nature à rendre dangereux l'exercice de la médecine par l'intéressé et, d'autre part, constatant l'atteinte grave ainsi portée à la situation du requérant, le juge des référés du Conseil d'État ordonne la suspension de l'exécution de la décision litigieuse.

(ord. réf. 24 mai 2022, M. A., n° 463888)

 

125 - Médecin - Signalement adressé à l'autorité judiciaire - Juge des enfants déjà saisi du dossier - Sanction disciplinaire pour violation du secret professionnel - Absenced'une telle violation - Annulation.

Ne commet pas de faute contre la déontologie professionnelle et fait à tort l'objet d'une sanction disciplinaire le médecin qui signale au juge des enfants le cas d'une mineure dont ce juge était déjà saisi.

(30 mai 2022, Mme A., n° 448646)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

126 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

L’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement fixe le régime d’application du principe, prévu à l’art. 7 de la Charte de l’environnement, de participation du public à la prise de décisions intéressant l’environnement. La fédération requérante soutient à cet égard une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que le législateur, en édictant l'article L. 123-19-1 de ce code, a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir des garanties légales suffisantes relatives à la fiabilité des avis exprimés au cours de la procédure de participation, pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

L’argument est rejeté par le Conseil d’État qui juge que le législateur a opéré une mise en œuvre effective de cet article 7 notamment s’agissant de l’information sur l’organisation de la consultation, des formes d’expression, électronique ou orale, des avis, de l’exigence d’une prise en compte des avis et suggestions du public au moyen de leur synthèse avant adoption éventuelle du projet de décision. Ainsi la loi ayant déterminé de manière suffisante les modalités permettant une participation effective du public pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, il n’y a pas lieu à transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

 

127 - Assistance médicale à la procréation – Personnes ayant changé de sexe à l’état-civil et disposant de la capacité de mener une grossesse - Exclusion du bénéfice de cette assistance – Transmission de la QPC.

Constitue une question nouvelle celle de savoir si ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi l’exclusion, par l’art. L. 2141-2 du code de la santé publique, de l'accès à l'assistance médicale à la procréation des personnes ayant changé la mention de leur sexe à l'état civil mais disposant de la capacité de mener une grossesse.

(12 mai 2022, Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, n° 459000)

 

128 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la république – Transmission de deux QPC.

Le Conseil d’État était saisi de deux requêtes en QPC formées par les représentants de l’ensemble des églises chrétiennes qui se trouvent en France, l’une dirigée contre les art. 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 dans leur version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 (recours n° 461800) et l’autre contre les art. 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 dans la version que leur a donnée la loi du 24 août 2021 (recours n° 461803).

Il accueille les deux demandes comme « nouvelles », la première au regard des droits constitutionnels en cause et de l'étendue des obligations pesant désormais sur les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 et ayant des activités cultuelles ; la seconde au regard des droits constitutionnels en cause et compte tenu de la portée donnée à la déclaration de la qualité cultuelle.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

 

129 - Référé liberté - Demande de transmission par le Conseil d'État d'une QPC au Conseil constitutionnel - Litige en cours d'instruction devant un tribunal aministratif - Incompétence manifeste du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé liberté demandant au Conseil d'État qu'il transmette au Conseil constitutionnel sa question prioritaire de constitutionnalité concernant le dossier n° 2104607, en cours d'instruction devant le tribunal administratif de Melun, dès lors qu'un tel recours n'est pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d'État de connaître en premier et dernier ressort (cf. art. R. 311-1 CJA).

(9 mai 2022, Mme B., n° 463358)

 

Responsabilité

 

130 - Responsabilité hospitalière – Accomplissement d’un acte médical – Obligation préalable au recueil du consentement du patient – Information sur les risques connus attachés à cet acte médical – Absence – Effets – Interruption d’une intervention – Appréciation des conséquences – Annulation.

M. A. B., souffrant de douleurs lombaires, a été opéré d'un rétrécissement du canal rachidien. Au cours de l'opération, une brèche de la dure-mère et un saignement épidural ont conduit le chirurgien à interrompre le geste opératoire et à renoncer ainsi à obtenir une libération canalaire totale. A la suite de cette opération, l’intéressé a souffert, malgré plusieurs interventions chirurgicales ultérieures, d'un déficit sensitif et moteur des membres inférieurs caractérisé par des douleurs et des limitations fonctionnelles importantes.

Il se pourvoit contre l’arrêt d’appel partiellement infirmatif en tant qu’il met diverses sommes à la charge de l’établissement hospitalier et qu'il rejette son appel incident.

Le Conseil d’État est à la cassation à la suite du raisonnement et des motifs suivants.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique que préalablement au recueil du consentement du patient à l'accomplissement d'un acte médical, doivent être portées à sa connaissance les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

Ensuite, la cour ayant jugé que l’absence d’information préalable donnée au patient sur la possible survenance du syndrome dont il souffrait n'avait pas méconnu l'obligation d'information qui résulte des dispositions de l’art. L. 1111-2 précité car ce risque ne s'était, en l'espèce, réalisé que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales, elle a commis une erreur de droit. Il lui incombait de rechercher si le risque en question ne pouvait advenir, en toutes circonstances, que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales et non dans le seul cas soumis à son examen. 

Enfin, la cour a jugé que la brèche de la dure-mère et l'hémorragie survenue au cours de l'opération, qui ne résultaient d'aucune erreur commise par le chirurgien, ne justifiaient pas qu'il interrompe son intervention. Elle en a déduit qu'en ne conduisant pas à son terme la décompression du « fourreau dural », le praticien avait commis une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, qui était en lien direct, non avec le dommage subi par M. A. B., mais avec une perte de chance d'éviter ce dommage, qu’elle a estimée à 20 %. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car la cour s’est fondée pour cela sur un rapport d'expertise dont il résultait que, dans les opérations du type de celle en litige et en cas de brèche de la dure-mère, le fait de ne pas mener à son terme la décompression canalaire entraînait, pour le patient, une moindre chance de rétablissement fonctionnel, donc de guérison par rapport à son état de santé avant l'opération, que l'expert estimait à 20 %. Le juge de cassation estime que la cour a commis, ce jugeant, une erreur de droit en rne echerchant pas si, après la survenue de l'incident opératoire de brèche de la dure-mère, la poursuite jusqu'à son terme et dans les règles de l'art de l'opération de libération canalaire aurait été de nature à éviter ce dommage, ou seulement susceptible de limiter la probabilité qu'il survienne et, dans cette dernière hypothèse, d'apprécier les chances qu'un tel dommage survienne malgré la poursuite de l'opération jusqu'à son terme et dans les règles de l'art.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 439623)

 

131 - Responsabilité hospitalière - Produits et appareils de santé - Implantation d'un produit défectueux dans le corps d'un patient - Action récursoire - Responsabilité sans faute du producteur de ce produit (art. 1245 à 1245-17 du Code civil) - Responsabilité pour faute du producteur - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État apporte d'utiles précisions en matière de responsabilité hospitalière du fait de l'implantation d'un produit ou appareil défectueux dans le corps d'un patient. Plus précisément, il rappelle que l'hôpital dispose de deux sortes d'action récursoire contre le producteur ou le fabricant du produit ou de l'appareil défectueux.

En premier lieu, par application du droit de l'Union transposé en droit interne par les articles 1245 à 1245-17 du Code civil, l'hôpital peut fonder son action récursoire sur la responsabilité sans faute du producteur ou fabricant, celle-ci se prescrivant par dix ans.

En second lieu, lorsque l'hôpital fonde son action récursoire sur la faute commise par le producteur ou fabricant, cette prescription décennale n'est pas opposable.

En l'espèce, l'arrêt d'appel est annulé pour n'avoir envisagé que le cas de la responsabilité sans faute résultant des dispositions précitées du Code civil sans rechercher si pouvait être relevée une faute du producteur.

(25 mai 2022, CHU de Rennes, n° 446692)

 

132 - Responsabilité hospitalière - Lésion accidentelle non fautive survenue au cours d'une intervention chirurgicale - Lésion n'étant pas la cause d'arrêts de travail d'une certaine durée - Conditions de prise en charge au titre de la solidarité nationale non remplies - Rejet.

Une cour administrative d'appel a annulé le jugement mettant à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des préjudices subis par la victime requérante du fait d'une lésion survenue, sans faute, au cours d'une intervention chirurgicale.

La cour est approuvée par le Conseil d'État d'abord pour avoir jugé, sans erreur de droit et sans dénaturation, que la seule persistance des douleurs invalidantes qui avaient justifié l'opération, ainsi que les traitements médicamenteux que ces douleurs exigeaient, avaient à eux seuls justifié les arrêts de travail accordés à la victime.

Elle est également approuvée pour avoir déduit de l'appréciation précédente, sans erreur de droit et sans qualification inexacte des faits, que, alors même que la lésion d'un nerf aurait pu avoir, à elle seule, pour conséquence d'entraîner des arrêts de travail de la durée requise par les dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique, cet accident médical ne pouvait, en l'espèce, être regardé comme ayant entraîné des arrêts de travail au sens de ces dispositions et qu'ainsi ses conséquences ne remplissaient pas la condition de gravité requise pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

(25 mai 2022, M. A., n° 453990)

 

133 - Agents embarqués à bord de navires de la Marine nationale - Exposition à l'amiante - Préjudice d'anxiété – Conditions de réparation – Indemnisation - Rejet.

Ces décisions confirment en tout point, s’agissant du préjudice d’anxiété, la partie de l’avis de droit rendu sur cette question par le Conseil d’État saisi par la cour administrative d’appel de Marseille dont il a été rendu compte dans cette Chronique (avril 2022, n° 181 sur 19 avril 2022, M. D., n° 457560).

Il convient de souligner la remarquable efficacité de la procédure d’avis de droit afin d’évacuer et d’accélérer les litiges, parfaitement illustrée par ce contentieux du préjudice d’anxiété consécutif à l’exposition à l’amiante des personnels embarqués à bord de navires de la Marine nationale.

(13 mai 2022, ministre des armées, n° 450501 ; n° 450503 ; n° 450504 ; n° 450505 ; n° 450966 ; n° 451322 ; n° 451325 ; n° 451333 ; n° 451345 ; n° 452876 ; n° 451877 ; n° 453377 ; n° 451379 ; n° 451380 ; n° 453818 ; n° 453819 ; n° 453842, 17 espèces)

 

134 - Responsabilité d'un centre hospitalier - Suicide de l'un de ses praticiens - Action en responsabilité de la veuve - Obligation de sécurité de résultat - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Rejet.

Dans le cadre d'un contentieux formé par l'épouse d'un praticien contre le centre hospitalier employeur de son mari, en raison du suicide de ce dernier, celle-ci reprochait à la cour administrative d'appel de n'avoir pas soulevé d'office la responsabilité de l'établissement au titre d'une « obligation de sécurité de résultat » qui aurait pesé sur lui. 

Le moyen est rejeté car nulle erreur de droit ne saurait être imputée à l'arrêt, aucune obligation de cette nature n'incombant, de ce chef, à la cour.

(31 mai 2022, Mme A., n° 436824)

 

135 - Fonctionnaire - Imputabilité d'une pathologie au service - Condition d'établissement - Régime légal (art. 34 loi du 11 janvier 1984) - Nécessité d'un lien seulement direct et non d'un lien direct et certain - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, recherchant l'éventuelle imputabilité au service de troubles divers d'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques éprouvés par la requérante à la suite de son affectation dans un bureau situé à quelques mètres d'un émetteur de forte puissance, exige l'existence d'un lien direct et certain entre cette pathologie et la localisation de son emploi.

Selon le Conseil d'Etat, il résulte, en effet, des dispositions de l'art. 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat que cette imputabilité ne repose que sur l'existence d'un lien direct sans qu'il soit nécessaire de rechercher en outre si ce lien a un caractère certain.

(31 mai 2022, Mme B., n° 447677)

 

Santé  publique – Santé – Sécurité sociale

 

136 - Local jugé non impropre à l’habitation – Local de 13 m2 – Superficie supérieure au minimum réglementaire fixé par le règlement sanitaire départemental – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Le règlement sanitaire départemental de Paris fixe des superficies minimales en dessous desquelles les locaux concernés sont par nature impropres à l'habitation et ne peuvent donc être utilisés aux fins d'habitation. En ce cas, le préfet dispose du pouvoir de mettre en demeure le propriétaire de faire cesser l’occupation des locaux à fin d’habitation.

Saisie d’un appel du préfet dirigé contre le jugement ayant annulé son arrêté de mise en demeure afin de cessation d’habiter, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement d’annulation de l'arrêté préfectoral en retenant que le local litigieux présente une surface totale au sol de 13 m2 et dispose d'un éclairage naturel suffisant.

L’arrêt d’appel est cassé sur pourvoi du ministre chargé de la santé.

Le Conseil d’État retient que la cour a inexactement qualifiés les faits en raison de la configuration particulière des lieux qui sont constitués de deux espaces d'environ quatre mètres de long chacun, situés dans l'alignement l'un de l'autre, le premier étant large d'un peu moins de deux mètres et le second étant large d'environ un mètre. Cette configuration, nonobstant les éléments positifs retenus par la cour, rend ces locaux impropres à l’habitation.

(11 mai 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 447135)

 

137 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

V. n° 101

 

Service public

 

138 - Communication de documents administratifs - Personne privée chargée d'une mission d'intérêt général - Notion de service public - Réitération des critères jurisprudentiels (décisions NARCY et A.P.R.E.I.) - Erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre de l'exécution de marchés publics la société requérante a demandé la communication de documents administratifs y afférents. Pour rejeter sa demande les premiers juges ont estimé que cette demande de communication n'était pas adressée à une personne privée disposant de prérogatives de puissance publique. Ils se fondaient ainsi sur la jurisprudence Narcy (Section 28 juin 1963, p. 401; AJDA 1964 p. 91, note A. de Laubadère).

Le jugement est annulé pour n'avoir pas recherché si la personne privée ne se trouvait pas dans l'hypothèse de l'arrêt A.P.R.E.I. (Section 22 février 2007, n° 264541) qui reconnaît l'existence d'une situation de gestion d'un service public par une personne privée dans le cas où eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une mission de service public alors même qu'elle ne disposerait pas de prérogatives de puissance publique.

Il est jugé en l'espèce, au visa des art. L. 2422-5 et L. 2422-10 du code de la commande publique, que le mandataire de maîtrise d'ouvrage d'une des personnes mentionnées à l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui agit en son nom et pour son compte, est tenu, en application de l'article L. 311-1 du même code, et tant que sa mission n'est pas achevée, de communiquer aux tiers les documents administratifs qu'il a produits ou reçus dans le cadre de l'exercice de son mandat, dans les conditions prévues par le livre III dudit code.

(25 mai 2022, Société Spie Batignolles Ile-de-France, n° 450003)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

139 - Permis de construire une antenne relais – Inscription dans le périmètre de visibilité d’un site remarquable – Avis de l’architecte des Bâtiments de France – Portée – Annulation de l’ordonnance de suspension - Suspension de la décision du maire ordonnée.

Le Conseil d’État décide, se fondant sur les dispositions des art. L. 621-32, L. 632-1 et L. 632-2-1 du code du patrimoine et sur celles des art. R. 424-1 et R. 424-3 du code de l’urbanisme, que, « si la délivrance d'une autorisation de construction d'une antenne relais dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable est soumise à un avis de l'architecte des Bâtiments de France, cet avis n'est pas un avis conforme et que le silence gardé par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire une antenne relais dans un tel périmètre fait naître à l'issue du délai d'instruction un permis de construire tacite, alors même que l'avis a été assorti de prescriptions. » 

L’ordonnance de référé est annulée pour erreur de droit en tant qu’elle refuse de suspendre la décision implicite de rejet de la demande de délivrance d'un certificat au motif que le silence gardé par le maire de Villeneuve d'Ascq avait fait naître une décision de refus du permis, en raison des prescriptions émises par l'architecte des Bâtiments de France dans l'instruction de la demande.

Le Conseil d’État ordonne la suspension de la décision litigieuse.

On peut regretter une application des textes régissant la protection des sites et monuments remarquables beaucoup plus stricte pour les constructions de bâtiments que pour celles d’antennes relais même si sont pris en considération des motifs d’intérêt général de couverture du territoire par des réseaux de téléphonie mobile.

 (ord. réf. 3 mai 2022, Sociétés Bouygues Télécom et Cellnex, n° 453520)

 

140 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

V. n° 22

 

141 - Permis de construire – Disposition d’un plan local d’urbanisme instituant une faculté dérogatoire – Refus d’user de cette faculté – Étendue du contrôle du juge sur ce refus – Annulation.

Rappel de ce que lorsque l'autorité administrative, se prononçant sur une demande d'autorisation d'urbanisme, ne fait pas usage d'une faculté qui lui est ouverte par le règlement d'un plan local d'urbanisme d'accorder ou d'imposer l'application d'une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s'assurer que l'autorité administrative n'a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il s’agit donc d’un contrôle juridictionnel restreint.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, qui, au surplus, a dénaturé les pièces du dossier à elle soumis, c’est sans illégalité que la commune n’a pas exercé la faculté de dérogation au plan local d’urbanisme.

(12 mai 2022, Commune de Tassin la Demi-Lune, n° 453502)

 

142 - Permis de construire – Règles de prospect - Calcul de la distance entre deux immeubles – Existence de loggias – Point de départ du calcul de la distance – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour apprécier le respect des règles de prospect, calcule la distance séparant deux immeubles dont l’un comporte des loggias, non à partir de la façade de ce dernier mais à partir de la baie ouvrant sur la loggia, traitant ainsi l’espace entre cette baie et la façade comme s’il constituait un balcon.

(12 mai 2022, M. A. et autres, n° 453787)

 

143 - Permis de construire valant permis de démolir – Construction susceptible de porter atteinte aux lieux environnants – Pouvoir de l’autorité compétente – Appréciation de l’effet de la construction sur le site en cas de démolition suivie de reconstruction – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Il résulte des dispositions des art. R. 111-1 et R. 111-27 du code de l’urbanisme que l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou à la conservation des perspectives monumentales.

En l’espèce, le maire de la commune a refusé de délivrer un permis de construire valant permis de démolir pour la construction d'un ensemble immobilier de cinquante logements, dont quinze logements sociaux, répartis en deux résidences indépendantes, avec cinquante-quatre places de stationnement sur deux niveaux de sous-sol. 

Le débat se portait sur le point de savoir comment déterminer, d’une part, l'existence d'une atteinte, et d’autre part, en conséquence, si celle-ci est de nature à fonder un refus de permis de construire ou l’instauration de prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis.

Très pédagogiquement, le juge détaille les deux phases de cette appréciation.

En premier lieu, l’autorité compétente doit examiner quelle est la qualité du site sur lequel la construction est projetée. En second lieu, il lui appartient d'évaluer l'effet que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Et le juge d’ajouter deux précisions très importantes à cette sorte de vade-mecum.

Tout d’abord, ces deux examens sont les seuls qui doivent être pratiqués, il est ainsi exclu que cette autorité se livre à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux susrappelés. 

Ensuite, dans le cas où la demande de permis de construire porte à la fois sur la construction et sur la démolition d'une construction existante, lorsque cette démolition est nécessaire à cette opération (cf. art. L. 451-1 c. urb.), l’autorité compétente doit évaluer l’effet sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée.

En l’espèce, l’ordonnance d’appel est annulée pour s’être fondée sur l’effet de la seule démolition en s’abstenant d’examiner celui-ci du fait du remplacement par de nouvelles constructions.

(12 mai 2022, Société civile de construction vente Léane, n° 453959)

 

144 - Permis de construire - Application du règlement du plan local d'urbanisme - Distance minimale à respecter entre la façade d'un immeuble et la limite séparative - Calcul - Erreur de droit - Annulation.

Le règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Divonne-les-Bains dispose qu'à l'exception des débordements de toiture inférieurs ou égaux à un mètre, tout point de la façade, y compris au niveau de balcons en saillie, doit respecter une distance minimale par rapport à la limite séparative correspondant à la moitié de la hauteur de la façade, mesurée à l'égout du toit ou, dans le cas d'un mur pignon, au sommet de ce dernier, avec un minimum de quatre mètres.

Se fondant sur cette disposition, les premiers juges ont annulé le permis de construire attaqué devant eux pour non respect de ces prescriptions. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et rejeté le recours au motif que l'ensemble de cette façade, hors débord de toiture, se trouvait à cinq mètres de la limite séparative, soit à une distance supérieure à la moitié de la hauteur totale de ce mur pignon, de neuf mètres.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d'État annule l'arrêt infirmatif pour erreur de droit en relevant, d'une part, que la façade sud-ouest de la construction autorisée, qui se situe pour l'essentiel à cinq mètres de la limite séparative, comporte, sous le débord de toiture d'un mètre, deux balcons en saillie de la même profondeur, qui se trouvent ainsi à quatre mètres de la projection verticale de cette limite et, d'autre part, que la cour a fait abstraction des balcons en saillie pour l'application de l'art. N7 du règlement du plan local d'urbanisme, alors que ce dernier n'en exclut pas la prise en compte, y compris s'ils se trouvent à l'aplomb d'un débord de toiture.

(25 mai 2022, MM. B. et autres, n° 455127)

 

145 - Urbanisme et aménagement commercial - Recours préalable obligatoire à la Commission nationale d'aménagement commercial - Date à laquelle doit se placer cette commission pour rendre son avis - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction administrative qui ne retient pas que, saisie d'un recours préalable obligatoire d'un projet d'aménagement commercial, la Commission nationale d'aménagement commercial est tenue de se prononcer sur celui-ci en l'état des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son avis

(30 mai 2022, Société supermarchés Match, n° 450230)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2022

Avril 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Procédure d’interdiction d’emprunt ou d’émission de titres – Procédure applicable aux organismes divers d’administration centrale (ODAC) – Incompétence négative – Absence de compétence liée – Annulation.

Des arrêtés pris par le ministre des finances et le secrétaire d’État au budget ont inscrit la société anonyme de gestion de stocks de sécurité (SAGESS) sur la liste des organismes divers d'administration centrale (ODAC) ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée. La société concernée a demandé l’annulation de ces arrêtés ministériels en tant qu’ils l’ont inscrite sur cette liste, en vain en première instance, avec succès en appel.

Les ministres concernés se pourvoient ; ils sont déboutés.

Le Conseil d’État confirme d’abord l’arrêt d’appel en ce qu’il a relevé que les ministres défendeurs ont méconnu l’étendue de la compétence que leur confère l'article 12 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 en reconnaissant eux-mêmes que les listes annexées aux arrêtés contestés – dont ils devaient être les auteurs - avaient été établies en s'en remettant exclusivement à l'appréciation de l'INSEE, renonçant ainsi par là à définir par eux-mêmes la liste des organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales soumis à l'interdiction de souscrire un emprunt d'une durée supérieure à douze mois ou d'émettre des titres de créance dont le terme excède cette durée.

Ensuite, rejetant le moyen développé par les demandeurs à la cassation sur ce point, le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni de l’art. 12 précité ni des termes du règlement du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux de l'Union européenne et de ses annexes que ces ministres étaient en situation de compétence liée pour l’établissement de cette liste  alors qu’il leur incombait de porter une appréciation, notamment sur l'organisation, l'objet et l'origine des ressources des organismes concernés et en particulier sur le caractère non marchand de leur activité ainsi que sur le contrôle qu'exerce à leur égard l'administration publique.

(1er avril 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance et ministre délégué chargé des comptes publics, n° 4443924)

 

2 - Faculté pour une autorité publique de donner des instructions à ses subordonnés – Faculté discrétionnaire même sur invitation d’un tiers – Absence d’obligation de répondre à une telle demande – Refus opposé à celle- i ne pouvant pas être déféré au juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Le juge rappelle ici que s’il est loisible à toute autorité administrative (ici le président de la république et le premier ministre) d’adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire même sur saisine en ce sens de tiers.

Il en résulte, d’une part, qu’elle n’est pas tenue de répondre à une telle demande de tiers, et d’autre part, qu’un tel refus de répondre ne peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir. 

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA), n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 123

 

3 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

Les associations requérantes avaient déjà contesté le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère sur le fondement d’une QPC dirigée contre le II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en tant qu’il exclut tout recours contre la décision de refus de légalisation.

Le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État (cf. cette Chronique, décembre 2021 n° 211), a accueilli la QPC mais différé l’effet de l’annulation de la disposition litigieuse au 31 décembre 2022 (C.C. 18 février 2022, n° 2021-972 QPC) après avoir indiqué dans les motifs de sa décision que « la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité » (sic).

Le caractère platonique en l’espèce de cette décision a conduit les mêmes associations à opter pour une voie plus simple et – du moins le croyaient-elles - plus efficace à savoir l’invocation de l’inconventionnalité de la disposition législative servant de base au décret attaqué en ce qu’elle porte une atteinte excessive au droit à un procès équitable (cf. art 6 CEDH). Si le Conseil d’État accueille la requête pour les mêmes raisons que le Conseil constitutionnel, toutefois, comme ce dernier, il estime devoir repousser les effets de la sanction de cette inconventionnalité au 31 décembre 2022 car son application immédiate aurait des conséquences manifestement excessives. Seuls peuvent cependant se prévaloir de cette inconventionnalité les auteurs d’actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause.

On avoue mal percevoir en quoi pourraient consister, si elles existent, les conséquences « manifestement excessives » d’une application immédiate. Certes, on pourra objecter qu’il eût été mal venu pour le Conseil d’État de ne pas s’aligner sur la date fixée par le Conseil constitutionnel mais c’est oublier que :

« Quand sur une personne on prétend se régler,

C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler » (Molière, Les Femmes savantes, I,1)

Au reste, la Cour de Strasbourg pourrait fort bien ne pas avoir la même opinion que ces juridictions hexagonales sur l’application du droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable…

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

 

4 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, du contrôle, du recouvrement ou du contentieux des impôts et autres prévus au code général des impôts – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret et droit à la communication des documents administratifs – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

V. n° 74

 

5 - Procédure administrative non contentieuse – Examen par le comité technique de ce ministère de textes relatifs à l’organisation de directions du ministère de la culture – Séance tardive – Représentants du personnel quittant celle-ci – Consultation régulière car effective – Rejet.

En vue de l’examen de projets de textes du ministère de la culture relatifs aux missions et à l'organisation, respectivement, de la direction générale de la création artistique et de la direction générale des patrimoines et de l'architecture, les membres du comité technique de l'administration centrale du ministère de la culture ont été convoqués pour le 3 décembre 2020, afin de recueillir l'avis du comité technique sur ces projets. A l’issue de cette procédure de consultation ont été prises diverses décisions par arrêtés ministériels.

L’objet du présent recours est d’en obtenir l’annulation notamment sur le fondement du caractère irrégulier de la consultation.

Pour rejeter cette requête, le Conseil d’État relève que ces décisions ont été arrêtées à l'issue d'une large concertation préalable : 53 réunions de travail ont été tenues avec les représentants du personnel à partir de juin 2019 ; plus de la moitié des amendements proposés par les représentants du personnel ont été retenus par l'administration.

De plus, alors que la réunion du comité technique, initialement prévue le 25 novembre 2020, a été reportée d'une semaine à la demande des représentants du personnel et que l'ordre du jour de la réunion, transmis le 16 novembre 2020, prévoyait l'examen des différents textes au cours d'une seule journée, avant que ne soit envisagée, le 1er décembre, la prolongation de la séance pendant deux heures et demie, le 4 décembre au matin, pour le seul examen des textes relatifs à la direction générale des patrimoine et de l'architecture, dans ce qui se présentait comme un déroulé prévisionnel de la séance.

Le 3 décembre, la séance, qui a commencé à 9 heures, n'a pas permis d'examiner tous les projets de textes inscrits à l'ordre du jour, sur lesquels les représentants du personnel ont présenté 432 amendements.

Un important retard avait été pris à cause du recours à la visio-conférence du fait de l’épidémie de Covid-19 et des dysfonctionnements de celle-ci, lesquels ne sont pas imputables à l’administration.

Alors qu'il restait à examiner, à 22 heures 15, les projets de textes relatifs à la direction générale de la création artistique et à la direction générale des patrimoines, les représentants du personnel ont décidé de quitter la séance.

Ce départ, alors que l’examen des projets de textes concernant la direction générale de la création artistique et la direction générale des patrimoines et de l’architecture n’avait pas encore commencé et que, par conséquent, comme le relève le syndicat requérant, ses experts admis à participer au comité technique sur ces deux points de l’ordre du jour n’avaient pas été entendus, doit être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme exprimant leur refus de se prononcer sur les projets de texte restant à l’ordre du jour. 

Par application de la théorie de la formalité impossible, les syndicats requérants ne sauraient se plaindre du défaut d’une consultation à laquelle ils se sont en réalité eux-mêmes volontairement refusé.

(8 avril 2022, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles CGT-Culture, n° 450289)

 

6 - Arrêté d’un président de conseil départemental – Doute sur son authenticité - Demande de copie certifiée conforme – Demande jugée sans utilité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi – Injonction d’effectuer cette communication.

La requérante, ayant de forts doutes à ce sujet, a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'enjoindre à un département de lui communiquer une copie de l'arrêté du président du conseil départemental, du 28 avril 2016, certifiée conforme à l'original. 

Le premier juge a estimé que cette demande ne présentait pas le caractère « utile » exigé par les dispositions précitées dès lors qu’il résulte des art. R. 113-10 et R. 113-11 du code des relations entre le public et l'administration qu’il est interdit à l'administration d'exiger des usagers la production de copies certifiées conformes pour les documents administratifs et que ceux-ci ne prévoient la délivrance de copies certifiées conformes que pour satisfaire à des demandes d'autorités étrangères.

L’ordonnance est annulée pour l’erreur de droit consistant à user de dispositions relatives à la simplification des démarches administratives, lesquelles n’étaient, à l’évidence, pas applicables à la demande en référé présentée par l'Union maritime de Mayotte (UMM) sur le fondement de l'article L. 521-3 précité.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État retient que l’UMM ait état de doutes sérieux sur l'authenticité de l'arrêté litigieux qui lui a été opposé pour justifier des tarifs applicables aux usagers du port pour une certaine période car cet acte, entaché d'irrégularités formelles, n'a fait l'objet ni d'une transmission au contrôle de légalité, ni d'une publication dans un bulletin officiel. Elle justifie sa demande par l'intention de demander la résiliation du contrat de concession du port de Longoni à la société MCG si l'arrêté tarifaire attaqué se révélait être un faux.

Le juge accède à la demande qui selon lui présente un caractère utile et urgent et ne fait pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative, notant au passage que le département de Mayotte n'a fait valoir aucune observation dans la présente instance. 

(8 avril 2022, Union maritime de Mayotte (UMM), n° 455000)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Liste des dispositifs médicaux ayant obtenu le marquage « CE » et de ceux se l’étant vu refuser - Demande faite par une journaliste dans le cadre d’une enquête effectuée dans plusieurs pays – Refus de communication – Annulation partielle.

Les requérantes avaient demandé au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) et à la société GMED de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont délivré le marquage « conformité européenne » (CE) ainsi que la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de l'accorder. Ces organismes ayant refusé de communiquer les listes demandées, elles ont saisi le tribunal administratif afin qu’il leur enjoigne de communiquer sans délai ces listes.

Si le tribunal a fait droit aux conclusions tendant à la communication de la liste des dispositifs médicaux ayant reçu le marquage « CE » et déjà mis sur le marché, il a en revanche rejeté le surplus de leur demande notamment en ce qu’elle portait sur la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels a été refusé l’octroi du marquage « CE ».

Les requérantes se pourvoient en cassation. Elles ne reçoivent qu’une satisfaction partielle. Il était invoqué trois sources normatives auxquelles le refus partiel de communication aurait porté atteinte.

S’agissant du code des relations du public avec l’administration, le juge rejette deux des trois moyens d’illégalité mais retient le troisième. Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ou de qualification des faits que les premiers juges ont estimé, d’une part, que les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration protégeant le secret des affaires s'opposaient à la communication des informations demandées s'agissant de dispositifs médicaux non encore mis sur le marché et, d’autre part, qu’ils ont fait usage du critère de la mise sur le marché sans se limiter au seul espace national. En revanche, le tribunal ne pouvait invoquer le secret des affaires pour juger régulier le refus de communication à partir du moment où les dispositifs médicaux ont été mis sur le marché sans avoir obtenu le marquage « CE » en France mais l’ont obtenu d’un autre organisme certificateur de l’un des autres États membres de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE). Ce jugeant il a commis une erreur de droit : était donc communicable la liste des dispositifs mis sur le marché avec un marquage « CE » n’émanant pas de LNE ou de GMED.

S’agissant du droit de l’Union, sont rejetés les deux moyens y relatifs. D’abord la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection du secret des affaires est muette sur la communication des documents administratifs et elle n’institue pas les journalistes comme détenteurs légitimes d’informations portant atteinte à un tel secret, par suite c’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé qu’elle ne pouvait pas être invoquée. Ensuite, est rejeté comme nouveau en cassation le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

S’agissant de la convention EDH, le tribunal est approuvé d’abord d’avoir jugé que l’art. 10 de ce texte peut être considéré comme instituant un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Ensuite, le tribunal est approuvé pour avoir jugé que le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés à cet article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

Enfin, il est jugé que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal a considéré que le refus de communication de la liste de l'ensemble des dispositifs médicaux auxquels avait été délivré ou refusé le marquage « CE » opposé par le LNE et la société GMED à Mme B. constituait, pour ce qui concerne les dispositifs qui n'avaient pas été mis sur le marché, une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention EDH, en raison de ce que les risques que représenteraient pour la santé publique des dispositifs médicaux défaillants restent théoriques tant que ceux-ci n'ont pas été mis sur le marché. 

(8 avril 2022, Société éditrice du Monde et Mme B., n° 447701)

 

8 - Droit souple – Question-réponse en ligne sur le site de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Interprétation de la loi susceptible d’effets notables – Refus de retrait de cette question-réponse – Recevabilité du recours pour excès de pouvoir – Admission du recours et rejet au fond.

La CNIL a mis en ligne sur son site internet le 18 mars 2021, dans le cadre d’une série de 32 « questions - réponses sur les lignes directrices modificatives et la recommandation cookies et autres traceurs », une question-réponse n° 12 portant sur son interprétation des dispositions de l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Ce texte institue un droit à une information claire et complète de tout abonné ou utilisateur d'un service de communications électroniques.

Dans ce texte, la CNIL, à la question : « Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation sont-ils exemptés de consentement ? », répond ceci : « Non. Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation n'entrent pas dans les exemptions de l'article 82 de la loi Informatique et Libertés, qui doivent être interprétées strictement. En effet, ces opérations n'ont pas pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique et ne sont pas strictement nécessaires à la fourniture d'un service de communication en ligne expressément demandé par l'utilisateur ». 

Les organisations requérantes ont demandé l’annulation de cette réponse.

L’intérêt principal de cette affaire réside dans le point de savoir si cette dernière est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En effet, si elle fait partie du vaste ensemble d’actes réunis sous le qualificatif de droit souple encore fallait-il déterminer si cette souplesse était si distendue que la réponse litigieuse pouvait être ignorée au contentieux ou, au contraire, si cette souplesse contient encore suffisamment de fermeté potentielle pour être, le cas échéant, retendue et, alors, en ce cas, intéresser le contentieux.

Pour juger recevable le recours dont il était saisi, le Conseil d’État a retenu que cette réponse, interprétant l’art. 82 précité de la loi du 6 janvier 1978 quant à la portée et au champ d'application des exemptions à l'obligation de consentement préalable au dépôt des traceurs de connexion, en ce qui concerne les opérations dites d'affiliation, était susceptible, eu égard à sa teneur, de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d'affiliation et des utilisateurs et abonnés de services électroniques.

Par suite, est rejetée la fin de non-recevoir opposée par la CNIL à la requête et admise la recevabilité de cette dernière.

Le recours est cependant rejeté au fond.

(8 avril 2022, Syndicat national du marketing à la performance (SNMP), n° 452668 ; Collectif des acteurs du marketing digital (CPA), n° 459026)

 

9 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État

– Transmission à la juridiction compétente.

Les décisions par lesquelles le garde des sceaux dissout une société  de notaires, supprime un office notarial et désigne, à titre provisoire puis à titre définitif, l'attributaire des minutes de l'office ainsi supprimé n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'assurer l'organisation du service public notarial et sont, dès lors, dépourvues de caractère réglementaire.

Leur contestation par la voie du recours pour excès de pouvoir ne relève donc pas de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort mais de celle du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé l’office ou le siège de la société.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

 

10 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

V. n° 124

 

11 - Premier ministre - Obligation d'assurer l'exécution des lois - Décret d'exécution devant être pris dans un délai raisonnable - Absence de respect de cette exigence en l'espèce - Annulation assortie d'une injonction sous astreinte.

Si le premier ministre est chargé de l'exécution des lois notamment par l'édiction, spontanée ou sur ordre de la loi, d'actes réglementaires, il ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard puisqu'il doit agir dans un délai raisonnable.

En l'espèce, l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 a prévu qu'un décret doit fixer les conditions de la soumission à une obligation de formation continue pour toute personne faisant un usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur.

L'association requérante demande l'annulation du refus implicite du premier ministre d'accéder à la demande qu'elle avait formulée par lettre du 2 février 2021 de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la loi du 4 mars 2002, pour les personnes faisant un usage professionnel du titre de chiropracteur uniquement.

Constatant que quelque complexe que puisse être éventuellement la rédaction de ce décret le délai raisonnable d'exécution de la loi est dépassé, le juge enjoint à l'intéressé de prendre ce décret sous six mois à peine de 500 euros par jour de retard.

(15 avril 2022, Association française de chiropraxie, n° 452905)

 

12 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

Est rejetée, en tant qu'elle est portée directement devant le juge des référés du Conseil d'État, la demande de suspension de l'arrêté du 2 février 2022 de la ministre de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone « océan Atlantique à l'est de la longitude 45° O et Méditerranée » pour l'année 2022.

Cet arrêté ne revêtant pas un caractère réglementaire, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort et cette incompétence s'applique aussi et par suite à la juridiction des référés exercée par le Coneil d’État.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

 

13 - Motivation des décisions administratives - Autorisation dérogatoire de redoubler l'année de PASS pour la seule année 2021-2022 - Compétence du président d'université - Refus d'autoriser le redoublement - Obligation de motivation - Annulation.

Le décret du 4 novembre 2019 pris pour l'application de l'art. 1er de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé qui a réformé l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, a prévu que, par dérogation, à titre exceptionnel et pour la seule année universitaire 2020-2021, les étudiants inscrits en PASS - qui, lorsqu'ils n'ont pas été admis en deuxième année des études de santé ne peuvent, en principe, pas redoubler en PASS - pourraient être autorisés par le président de l'université, sur proposition d'une commission d'examen des situations individuelles exceptionnelles dans le cadre de l'accès en deuxième année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, être autorisés à s'inscrire une nouvelle fois à la rentrée universitaire 2021 dans l'une de ces formations. Naturellement le président de l'université peut opposer un refus à la demande de dérogation.

En l'espèce, le juge des référés avait estimé que la décision refusant à une étudiante l'autorisation de redoubler la première année des études de santé dans la filière PASS n'avait pas à être motivée. Le Conseil d'État annule l'ordonnance de référé pour erreur de droit. Ce refus de dérogation doit être motivé.

(27 avril 2022, Université Paris Cité, n° 457838)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

14 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Autorisation donnée à une société d’utiliser des fréquences radioélectriques pour la transmission de signaux entre satellites et postes fixes terriens situés chez les clients résidentiels – Décision susceptible d’affecter fournisseurs d’accès à internet à haut débit et utilisateurs finals – Obligation de consulter le public – Absence – Annulation.

La commission fédérale des communications des États-Unis d'Amérique (FCC) a autorisé la société SpaceX, dans le cadre du projet dénommé Starlink, à déployer 12000 satellites en position orbitale basse pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit.

En conséquence, l'ARCEP, a autorisé la société Starlink Internet Services Limited à utiliser des fréquences radioélectriques permettant de transmettre des signaux entre ces satellites et des stations terriennes fixes installées chez les clients résidentiels pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit sur l'ensemble du territoire national.

Les requérantes considèrent que cette décision est illégale car elle aurait dû être précédée d’une consultation du public en vertu des dispositions du V de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques qui rendent obligatoire pour l’ARCEP cette consultation avant qu’elle n'adopte des mesures ayant une incidence importante sur un marché ou affectant les intérêts des utilisateurs finals.

Entérinant cette analyse, le Conseil d’État estime que l’autorisation litigieuse est, en effet, susceptible d'avoir une incidence importante sur le marché de la fourniture d'accès à internet à haut débit et d'affecter les intérêts des utilisateurs finals.

En ne procédant pas à la consultation préalable du public, l'ARCEP a pris une décision irrégulière au regard du texte précité ; sa décision est annulée. 

(5 avril 2022, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 455321)

 

15 - Autorité de la concurrence – Ouverture d’une phase de « pré-notification » à la demande des parties à un projet de concentration – Élément de procédure de caractère préparatoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un tel acte – Rejet.

Rappel, à nouveau, que « La décision de l'Autorité de la concurrence d'ouvrir, à la demande des parties à un projet de concentration, une (…) phase de « pré-notification » de l'opération susceptible de lui être notifiée ultérieurement en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, constitue un élément de la procédure pouvant conduire l'Autorité à se prononcer sur l'opération de concentration en cause. Elle revêt, dès lors, un caractère purement préparatoire et n'est, par suite, et alors même qu'au cours de cette phase les agents chargés de l'instruction de l'affaire peuvent demander, sous peine des sanctions prévues à l'article L. 450-8 et au V de l'article L. 464-2 du code de commerce, la communication d'informations ou de documents auprès de tiers à l'opération, pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

(7 avril 2022, Société Iliad et société Free, n° 458272)

 

16 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Sanction pour non respect du quota de diffusion de documentaires - Notion de documentaires - Inexistence en l'espèce - Rejet.

Rejetant la requête dont il était saisi, le Conseil d'État approuve le CSA d'avoir jugé que différents programmes diffusés par la société requérante ne constituaient pas des documentaires en prenant en compte l'existence d'un point de vue d'auteur, la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et, le cas échéant, l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires.

C'est donc sans erreur de droit que le CSA a jugé que les documentaires diffusés par la requérante ont représenté non 72,45% du temps total de diffusion comme soutenu par l'intéressée mais 59,2%, et sans inexactitude ou excès qu'il a fixé à un certain montant la sanction infligée en conséquence.

(22 avril 2022, Société RMC Découverte, n° 449533)

 

17 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande de fixation par le CSA d'une règle applicable à la publication de sondages en période électorale - Incompétence du CSA - Rejet.

Le requérant sollicitait du CSA qu'il impose à tous les sondages réalisés en période électorale de comporter l'ensemble des candidats déclarés, classés par ordre alphabétique. La demande ayant été rejetée, le Conseil d'État est saisi sur renvoi du tribunal administratif primitivement saisi. Le recours est évidemment rejeté, le CSA ne tirant d'aucun texte ou principe la compétence pour fixer des règles applicables aux sondages d'opinion.

(22 avril 2022, M. B., n° 458050)

 

18 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande d'adresser des mises en demeure à certaines sociétés de programmes à raison de propos tenus à l'antenne - Refus implicite - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de la décision implicite du CSA refusant de mettre en demeure les sociétés nationales de programme Radio France et France Télévisions de se conformer à leurs obligations à la suite d'interventions sur leurs chaînes de Mmes G., F. et B.

Le recours est rejeté car les propos incriminés, tenus par ces personnes, n'ont pas méconnu les règles s'imposant aux journalistes et autres intervenants sur les ondes et les écrans, par suite, le CSA n'a pas lui-même enfreint ses obligations en rejetant la demande dont il était saisi.

Par ailleurs, ne saurait être invoquée, au soutien des prétentions du demandeur, la « Charte d'éthique professionnelle des journalistes », d'une part, car ce texte est sans valeur normative, et d'autre part, car il n'est pas au rang des dispositions dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou, désormais, l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, doit assurer le respect.

(22 avril 2022, M. E., n° 459057)

 

19 - Enregistrement de photos de personnes dans l'espace public - Utilisation, en certaines hypothèses, dans un dispositif de reconnaissance faciale - Existence d'une nécessité absolue à cet effet - Contrôle du procureur de la république - Dispositif proportionné - Justification par la lutte contre la criminalité publique - Absence de contrariété au droit de l'Union - Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger les alinéas 16 et 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, tel qu'explicité par un courrier du ministre de la justice, en tant que ces dispositions autorisent un traitement automatisé de données biométriques qui permet de révéler l'identité associée aux déplacements et aux activités de toute personne dont l'image est collectée par les autorités, notamment par le réseau de vidéosurveillance ou par des caméras embarquées, et qui, ce faisant, empêche tout anonymat dans l'espace public, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 10 de la directive 2016/680, du 27 avril 2016, lues à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le recours est rejeté en chacune des deux branches relevant de la légalité interne.

En premier lieu, en ce qui concerne l'alinéa 16 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le Conseil d'État retient trois éléments.

Tout d'abord, il est jugé que l'enregistrement d'une photographie des personnes mises en cause comportant les données biométriques nécessaires à la mise en œuvre d'un dispositif de reconnaissance faciale a pour objet de permettre aux agents habilités à accéder à ce traitement et à procéder à ces opérations, d'identifier une personne à partir de l'image de son visage, grâce à une recherche automatisée, et, le cas échéant, d'exploiter les informations de la fiche correspondante, pour les finalités mentionnées à l'article 230-6 du code de procédure pénale. Cette identification à partir du visage d'une personne et le rapprochement avec les données enregistrées peut (sic) s'avérer absolument nécessaire à la recherche des auteurs d'infractions et à la prévention des atteintes à l'ordre public, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Par suite, l'enregistrement de telles données dans ce traitement répond à la condition de « nécessité absolue » posée par les dispositions de l'art. 10 de la directive précitée.

Ensuite, il est relevé que sont strictement délimités les cas de recueil de ces données.

Enfin, les données ainsi obtenues ne peuvent être utilisées par les services compétents qu'en cas de nécessité absolue ; leur usage faisant l'objet d'un suivi par un magistrat désigné à cet effet par le ministre de la justice et étant soumis au contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, laquelle peut s'assurer du respect des droits des personnes concernées.

Ainsi il n'est porté atteinte ni aux art. 7, 8 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne tel que les interprète la CJUE (cf. 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et autres, aff. C-511/18, C-512/18 et C-520/18) ni non plus à leur lettre même qui admet des limitations à l'exercice de ces droits et libertés, pour autant que celles-ci soient prévues par la loi, qu'elles respectent le contenu essentiel de ces droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d'autrui, ni, non plus, à l'art. 10 de la directive invoquée, ce qui dispense d'effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En second lieu, en ce qui concerne l'alinéa 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le juge rappelle l'inapplicabilité du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), en vertu de son article 2,  aux traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière. 

De plus, il ne saurait être soutenu que portent atteinte à l'art. 9 du RGPD les dispositions de l'alinéa litigieux qui se bornent à mettre en oeuvre l'article 230-6 du code de procédure pénale.

(26 avril 2022, Association "la Quadrature du Net", n° 442364)

 

20 - Données personnelles - Traitement de telles données jugé non conforme au Règlement général sur la protection des données (RGPD) - Infliction d'une amende et injonction de mettre ce traitement en conformité avec le RGPD - Rejet.

La requérante a fait l'objet de la part de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une condamnation à une amende de 250 000 euros assortie d'une injonction de mettre ses traitements de données en conformité avec le RGPD sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de trois mois accordé pour ce faire. Elle demande l'annulation de ces deux mesures ; son recours est rejeté.

Le juge n'aperçoit pas d'irrégularités dans la procédure suivie par la formation restreinte de la CNIL dans ce dossier, contrairement à ce qui est soutenu.

Sur le fond, il considère avérés les manquements constatés par la CNIL notamment la circonstance que la vulnérabilité du système informatique à l'origine de la violation des données de près de 200 000 clients européens est la conséquence directe de l'absence de mise en œuvre par la société Optical Center d'un contrôle régulier sur les mesures techniques et organisationnelles prises par son sous-traitant chargé d'assurer la sécurité de son site web, aucun document produit par cette dernière ne permettant de justifier de la mise à jour régulière des différents composants logiciels du site. Ensuite, est pointé le manque de robustesse de la politique de mots de passe de la société eu égard aux catégories de données traitées qui incluent notamment le numéro de sécurité sociale de ses clients, ce qui a accru l'exposition de son système à un risque d'attaque informatique. Enfin, il est certain que la société a méconnu ses obligations en matière d'exercice des droits des personnes dont les données sont traitées.

Concernant le montant de la sanction infligée, celui-ci n'apparaît pas d'un montant disproportionné eu égard au chiffre d'affaires de 202 millions d'euros réalisé par la société contrevenante au cours de l'année de commission de l'infraction.

(26 avril 2022, Société Optical Center, n° 449284)

 

21 - Décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Décision portant définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée - Décision désignant un opérateur comme exerçant une influence significative sur ce marché - Obligations imposées à cet opérateur à ce titre - Illégalité pour incomplétude - Annulation.

L'Arcep détient, en vertu des dispositions des art. L. 37-1, L. 38, L. 38-1 et L. 38-2 du code des postes et des communications électroniques, le pouvoir d'imposer certaines mesures aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques.

Cette prérogative s'exerce en trois temps.

En premier lieu, l'ARCEP doit d'abord constater qu'un marché pertinent présente des caractéristiques susceptibles de justifier l'imposition d'obligations particulières, en prenant en considération les éventuelles barrières à l'entrée et l'évolution de la structure de ce marché vers une concurrence effective.

En deuxième lieu, l'ARCEP doit alors établir qu'il existe un ou plusieurs opérateurs bénéficiant d'une puissance significative sur ce marché.

En dernier lieu, l'ARCEP peut imposer à ces opérateurs, en vue d'établir une concurrence effective et durable sur ce marché, une ou plusieurs des obligations prévues aux articles L. 38 et L. 38-1 du code des postes et des communications électroniques.

Ces obligations, qui dérogent à la liberté d'entreprise, doivent être justifiées, adaptées et proportionnées au regard de la nature du problème concurrentiel identifié.

A cet effet, l'ARCEP a défini à partir de 2005 un cadre de régulation ayant pour objet de favoriser le développement de la concurrence sur le marché du haut débit fixe, en estimant que l'existence d'un fonctionnement concurrentiel sur le marché de gros était la condition nécessaire d'un fonctionnement satisfaisant sur les marchés de détail de l'accès à haut débit et très haut débit. Cet accès s'effectue au moyen de la boucle locale de cuivre ou d'une boucle locale optique, qui peut être dédiée à un abonné (BLOD) ou mutualisée entre abonnés (« fibre optique jusqu'à l'abonné » ou FttH), et qui permet de déployer la fibre optique depuis le nœud de raccordement jusqu'aux logements ou aux locaux à usage professionnel.

C'est dans ce cadre qu'ont été fixées les obligations imposées à Orange en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché, celles-ci comprenant notamment celle de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale de cuivre, qui ne peut être raisonnablement dupliquée par les opérateurs tiers. Elles incluent également, depuis une décision de l'ARCEP du 14 décembre 2017, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès passif aux infrastructures de sa boucle locale optique mutualisée pour répondre aux besoins du marché des entreprises et de proposer aux autres opérateurs une offre de gros leur permettant de revendre sous leur propre marque ses offres de détail à destination des entreprises.

Par une décision du 15 décembre 2020 l'ARCEP a, d'une part, déclaré pertinent le marché de la fourniture en gros d'accès local en position déterminée, qui comprend les offres d'accès à la boucle locale de cuivre et aux boucles locales optiques des opérateurs de communications électroniques et, d'autre part, a désigné la société Orange comme étant l'opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, elle lui a donc imposé un certain nombre d'obligations. 

En particulier, et c'est l'objet du litige, l'art. 18 de cette décision - dont la société requérante demande l'annulation - impose à Orange de faire droit, dans les zones très denses, aux demandes de raccordement de local à usage professionnel à son infrastructure de réseau FttH dans un délai raisonnable qui ne peut en principe excéder six mois à compter de la demande de raccordement. Il précise en outre qu’ « Orange n'est pas tenu de faire droit aux demandes de raccordement d'un local à usage professionnel lorsque celui-ci est situé :

- dans un immeuble faisant déjà l'objet d'une convention d'équipement en fibre optique signée avec un autre opérateur d'immeuble ou

- dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en poches de basse densité ou

 - dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en dehors des poches de basse densité, lorsque l'immeuble a moins de douze locaux et a vocation à être raccordé à ce point de mutualisation ».

Pour annuler cette disposition, le Conseil d'État, accueillant l'argumentation d'Orange, relève qu'aucun des postulats mentionnés par l'ARCEP dans les énonciations de la décision attaquée « n'est quantifié et que le seul élément qui serait susceptible de caractériser un frein au développement de la concurrence relevé par l'ARCEP est formulé en termes hypothétiques. (...) Il ressort des pièces du dossier, notamment du document soumis à la consultation publique le 11 juillet 2019, ainsi que des échanges intervenus au cours de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mars 2022, qu'à la date de la décision attaquée, la part de marché nationale d'Orange sur le segment des accès à haute qualité des entreprises était inférieure à 40 % sur la boucle locale de cuivre et à 30 % sur la boucle locale optique dédiée, en nette diminution par rapport à 2017, et que ses parts de marché dans les zones très denses étaient inférieures à ses parts de marché nationales. »

Faute que l'ARCEP ait identifié sur les marchés considérés aucun obstacle au développement d'une concurrence effective qui serait susceptible de justifier les obligations litigieuses, il s'ensuit que, par sa décision querellée, il a violé les dispositions du code des postes et des communications électroniques mises en oeuvre.

(26 avril 2022, Société Orange, n° 449833)

 

22 - Transfert de données personnelles - Transfert de données des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers - Incompétence de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Absence de menace grave et immédiate sur les requérants - Rejet.

Était demandée l'annulation de la décision de la CNIL rejetant la demande de la Ligue des droits de l'homme tendant à ce que la Commission exerce en urgence son droit de contrôle et de sanction afin de suspendre ou d'interdire le transfert de données personnelles des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers.

Le recours est rejeté.

C'est avec suffisamment de précision que la CNIL a justifié de son incompétence pour connaître de cette demande, qui relève de son homologue néerlandaise, incompétence qui ne saurait être mise entre parenthèses du fait que la CJUE a constaté que les États-Unis n'assurent pas un niveau adéquat de protection des données à caractère personnel transférées depuis l'Union vers des organisations établies dans ce pays, en raison des possibilités d'accès à ces données et d'utilisation de celles-ci par les autorités publiques américaines dans le cadre de programmes de surveillance fondés sur l'article 702 du « Foreign Intelligence Surveillance Act » (FISA) ou de l' « Executive order n° 12333 »

(26 avril 2022, Ligue des droits de l'homme et autres, n° 449845)

 

Biens

 

23 - Avis de droit - Association syndicale autorisée de propriétaires - Demande préfectorale de modification d'un acte pris par une telle association syndicale -Modification d'office - Délai - Acte soumis à l'obligation de transmission - Application de la jurisprudence Préfet de l'Eure.

Le Conseil d'État était saisi d'une demande d'avis de droit portant sur l'étendue et l'exercice du pouvoir de tutelle du préfet sur une association syndicale autorisée de propriétaires tel qu'il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires et de son décret d'application du 3 mai 2006.

Pour l'essentiel, cette tutelle porte sur ceux des actes des associations syndicales soumis à l'obligation de transmission.

Tout d'abord, en cas de refus de l'association de donner suite à une demande de modification faite par le préfet, celui-ci dispose d'un délai de deux mois (parfois réduit à huit ou dix jours) pour lui demander d'opérer, dans les trente jours, cette modification pour des motifs de légalité ou d'opportunité. Puis, en cas de refus explicite de l'association d'effectuer cette modification ou de refus implicite, passé le délai de trente jours, le préfet prend cette décision dans les deux mois de ce refus, ce délai n'étant pas de caractère franc. S'il n'a pas pris de décision à l'expiration de ce délai - lequel ne peut être prorogé - il est réputé avoir renoncé à la modification.

Les actes devant être obligatoirement transmis au préfet ne peuvent recevoir exécution qu'une fois qu'ils ont été approuvés. Ceux des actes qui sont soumis à approbation ainsi que tous les autres actes, n'entrent en vigueur qu'une fois expiré le délai imparti au préfet pour en demander, le cas échéant, la modification ou, lorsque le préfet a demandé une telle modification, qu'une fois que celle-ci a été adoptée par l'association syndicale autorisée ou que le préfet y a procédé d'office ou qu'il y a finalement renoncé.

Le préfet ne peut pas, en raison des pouvoirs de tutelle dont il dispose à leur égard, demander au juge l'annulation d'un acte soumis à l'obligation de transmission. C'est l'application de la bien connue jurisprudence Préfet de l'Eure (30 mai 1913, n° 49241, Rec. Lebon p. 583 ; Sirey 1915.III. p. 9 note M. Hauriou).

En revanche, pour les actes de l'association syndicale non soumis à cette obligation, le préfet dispose du délai de droit commun du recours contentieux soit deux mois, délai faisant éventuellement suite à l’exercice d'un recours gracieux.

(19 avril 2022, M. et Mme D. et Catherine G., Association syndicale autorisée des propriétaires des rues Mirabeau et Sergent-Bobillot, n° 461061)

 

Collectivités territoriales

 

24 - Conseil régional – Règlement intérieur – Régime de l’exercice du droit d’amendement – Temps de parole d’un groupe épuisé – Amendement réputé défendu par ce groupe – Régularité – Annulation.

Le conseil régional d’Île-de-France a adopté dans son règlement intérieur la disposition suivante en son article 24 : « Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ».

Le conseiller régional requérant en a demandé l’annulation, ce que lui a accordé l’arrêt d’appel infirmatif en jugeant que cette disposition portait une atteinte excessive au droit d’amendement.

Sur pourvoi de la région, le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit en retenant, d’une part, qu’aucune disposition non plus qu’aucun principe n’institue un droit d’amendement des élus locaux, et d’autre part, que l’ensemble du régime des amendements prévu au règlement intérieur de ce conseil régional en assure l’exercice effectif comme l’encadrement raisonnable.

On peut juger discutable l’affirmation que n’existe pas un droit d’amendement des élus locaux alors que les conseils des collectivités territoriales sont des assemblées délibérantes dotées d’un pouvoir plénier de décision dans leur ordre de compétence et que le droit d’amendement est naturellement inhérent aux membres de ces sortes d’organismes.

(14 avril 2022, M. François Damerval, n° 438429)

 

25 - Commune – Expression des élus - Obligation d’équité entre les espaces d’expression respectivement offerts à la majorité et à l’opposition – Obligation du caractère suffisant de l’espace ouvert à l’opposition – Annulation et rejet.

Le juge des référés du tribunal administratif avait, sur le fondement de l’art. L 521-1 du CJA, suspendu l’exécution d’une délibération du conseil municipal de la commune appelante pour avoir, par une modification de l’art. 32 de son règlement intérieur, réduit de moitié l'espace globalement réservé à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité municipale et réservé un espace aux élus de la majorité. Il a en particulier jugé qu’était, par-là, violé l’art. L. 2121-27-1 du CGCT.

Saisi par la commune, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en estimant que ce dernier article imposait seulement, d’une part, que l'espace réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale présente un caractère suffisant et soit équitablement réparti eu égard aux caractéristiques de la publication et, d'autre part, qu’il n’avait pas pour objet d'interdire qu'un espace soit attribué à l'expression des élus de la majorité, sous réserve que cette expression n'ait pas pour effet, notamment au regard de son étendue, de faire obstacle à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité.

Or il relève que le premier juge en décidant comme il l’a fait a commis une erreur de droit car il ne lui appartenait que de se prononcer sur le caractère suffisant et équitablement réparti, au regard des caractéristiques de la publication, de l'espace réservé à l'expression des élus de l'opposition.

(ord. réf. 15 avril 2022, Commune de Thouaré-sur-Loire, n° 448912)

(26) V. aussi la solution inverse adoptée sur le même sujet, dans un contexte de droit et de fait différent, par : 15 avril 2022, M. C. d'Hulst, Mme E. D., M. B. A. et Mme Amandine van Mullen c/ commune de Willems, n° 451097.

 

27 - Nouvelle-Calédonie - Conseil du dialogue social - Étendue du champ de sa saisine pour avis - Défense en justice des délibérations prises par le Congrès - Qualité à cet effet du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie - Rejet.

Sur pourvoi du gouvernement néo-calédonien, le Conseil d'État est amené à deux importantes précisions.

Tout d'abord, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a qualité pour défendre, au nom de la Nouvelle-Calédonie, devant les juridictions dans les instances mettant en cause la légalité des délibérations adoptées par le Congrès.

Ensuite, compte tenu de la compétence générale dévolue au conseil économique, social et environnemental de la Nouvelle-Calédonie, où siègent aussi des représentants des organisations professionnelles et des syndicats, le conseil du dialogue social n'est compétent pour émettre un avis que sur les textes ou leurs dispositions qui ont pour objet le travail, l'emploi, la formation professionnelle, la protection ou la prévoyance sociale applicables aux seuls salariés.

C'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que le conseil du dialogue social aurait dû être consulté sur le projet de délibération-cadre litigieux, alors que ce texte fixe les orientations d'une réforme globale de la protection sociale sans comporter de dispositions spécifiques aux seuls salariés.

(22 avril 20222, Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 445320)

 

Contrats

 

28 - Principes directeurs de la commande publique – Information exacte sur les critères de sélection des offres – Moment de cette information – Ajout de sous-critères, pondération et hiérarchisation – Obligations – Annulation.

Dans cette affaire où étaient en cause les conditions de sélection des offres dans le cadre de la construction de la nouvelle cité administrative de Toulouse, le juge fait deux rappels classiques.

1°/  « (…) pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d'informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S'il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

En revanche, il n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés. »

2°/ « (…) il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats. »

(1er avril 2022, Société Bourdarios, n° 458793 ; Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 458864, jonction)

 

29 - Comité consultatif de règlement amiable des différends – Compétence matérielle – Exclusion des actions en reprise des relations contractuelles – Saisine pour ce motif n’interrompant pas le délai de recours contentieux – Forclusion opposée à bon droit – Rejet.

A la suite de la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre dont elle était titulaire, l’entreprise requérante a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends (CCIRA) d’une demande de reprise des relations contractuelles mais cet organisme, s’il peut être saisi des litiges relatifs à une résiliation n’a pas compétence pour ordonner la reprise des relations contractuelles. Il s’ensuit qu’outre le rejet de la demande ce mauvais aiguillage a entraîné la forclusion de la demande car, a jugé la cour administrative d’appel approuvée en cela par le Conseil d’État, le temps passé en vain devant la CCIRA ne conserve pas le délai de recours contentieux.

On peut comprendre l’étonnement de la demanderesse en un temps où l’on encense le recours au règlement amiable des litiges lequel devrait ipso facto, comme le recours gracieux ou le recours hiérarchique, conserver le délai du recours contentieux. Gageons qu’une évolution rendue évidente par le bon sens se produira sans trop tarder.

(12 avril 2022, Société Agence d'architecture Frédéric Nicolas, n° 452601)

 

30 - Marché de prestations intellectuelles - Décompte final - Solde du marché - Juridiction statuant ultra petita - Exigence d'un mémoire préalable en réclamation avant toute instance contentieuse - Absence - Rejet.

Le centre hospitalier de Cannes a conclu en 2002 avec la société Somerco un marché de prestations intellectuelles portant sur une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) d'un projet de restructuration complète d'un ensemble immobilier pour une rémunération globale et forfaitaire. Ce marché a fait l'objet d'un marché complémentaire ainsi que d'avenants. Par une décision du 2 mars 2009 il a été procédé à la résiliation des marchés aux torts exclusifs de la société Somerco.

Le litige s'est porté sur le décompte final, le centre hospitalier n'ayant pas admis le projet de décompte présenté par l'entrepreneur et lui ayant substitué ses propres décomptes généraux des marchés résiliés.

L'appel principal, formé par le centre hospitalier, portait sur la contestation d'une somme mise à sa charge par l'arrêt d'appel alors que la cour n'avait été saisie d'aucune demande en ce sens. L'arrêt est annulé sur ce point pour avoir statué au-delà des conclusions donc ultra petita.

La solution est logique et classique.

L'appel incident de la société Somerco portait sur la dénaturation des pièces du dossier qui aurait été commise par la cour en arrêtant les montants dus à celle-ci. Le pourvoi est rejeté car il résulte des dispositions combinées des articles 12.31, 12.32 et 40.1 du cahier des clauses administratives générales « prestations intellectuelles » (CCAG-PI), applicable aux marchés litigieux, que tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Or la cour s'est fondée sur ce point sur le projet de décompte car les montants qui y étaient portés n'ont pas été contestés par la société Somerco dans son mémoire en réclamation.

La solution ici retenue est constante.

(21 avril 2022, Centre hospitalier de Cannes, Société Sommerco, n° 453914)

 

31 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

V. n° 178

 

Droit du contentieux administratif

 

32 - Obligation d’emploi de la langue française dans les décisions de justice (édit de Villers-Cotterêts, août 1539) – Possibilité d’une citation en langue étrangère assortie de sa traduction en français ou dont la teneur est explicitée en français – Absence – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 2 de la Constitution de 1958 et de l’article 111 de l’édit d’août 1539 dit édit de Villers-Cotterêts que tout jugement doit être rédigé en langue française.

Ce qui implique, d’une part, que les productions et mémoires des parties en langue étrangère doivent être accompagnées d’une traduction authentique en français cette version seule pouvant être soumise au débat contradictoire, et d’autre part, qu’un jugement n’est pas irrégulier lorsqu’il inclut la citation d'un texte en langue étrangère si cette citation est assortie soit de sa traduction en langue française, soit d'une explicitation de sa teneur en français.

En l’espèce, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur les dispositions en langue anglaise de l'article 31 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'Île de Man sans assortir sa citation d'une traduction en langue française ou d'une explicitation de sa teneur en français. L’arrêt est annulé.

Le lecteur appréciera sans doute de trouver ici le texte savoureux de l’art. 111 de l’édit précité :

« Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

V. aussi, sur un autre aspect de la décision, le n° 70

 

33 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

V. n° 68

 

34 - Demandes d’asile et de l’octroi de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Annonce d’un mémoire complémentaire – Production dudit mémoire – Rejet pour non production du mémoire annoncé – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier et est en conséquence annulée la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui rejette une demande d’octroi du statut de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire, pour défaut de production du mémoire complémentaire qui avait été annoncée alors que ce mémoire a été produit dans les délais légaux et comportait des moyens nouveaux qui n’étaient pas inopérants.

(5 avril 2022, M. A., n° 447324)

 

35 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

V. n° 177

 

36 - Refus d’entrer sur le territoire français opposé par un brigadier de police à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle – Décision individuelle – Tribunal administratif compétent pour connaître du recours contre cette décision – Lieu du siège de l’autorité qui a pris la décision attaquée – Renvoi au tribunal administratif de Montreuil.

Un ressortissant congolais s’étant vu refuser par un brigadier de police, à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, l’autorisation de pénétrer sur le territoire français, celui-ci a saisi le juge administratif d’un recours contre cette décision.

Il s’agissait de déterminer le tribunal territorialement compétent pour connaître de ce litige.

La difficulté venait de ce que le CESEDA qualifie une telle décision de mesure individuelle et de ce que l’art. R. 312-8 du CJA détermine en ce cas le tribunal compétent par le lieu de résidence du destinataire de la mesure individuelle de police. Pour sortir de l’impasse le Conseil d’État use de l’article-balai qu’est l’art.  R. 312-1 du CJA dont la première phrase du premier alinéa est ainsi conçue : « Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ».

Par suite, la connaissance du litige est ici attribuée au tribunal administratif de Montreuil dont le ressort territorial comprend, en vertu des dispositions de l’art. R. 221-3 du CJA, l'emprise de l'aérodrome de Paris - Charles-de-Gaulle.

(5 avril 2022, M. B., n° 460466)

(37) V. aussi, identique, à propos du refus d’accès en France opposé à un ressortissant ivoirien et sur le même aéroport : 5 avril 2022, M. B., n° 460470.

 

38 - Décision de non-lieu à statuer en excès de pouvoir – Non-lieu tiré d’une autre décision – Impossibilité en l’absence de caractère irrévocable de cette dernière décision – Possibilité en cas de jonction des requêtes – Hypothèse de saisine du juge, à la fois, de conclusions à fin de retrait et à fin d’annulation d’une même décision – Non-lieu à statuer.

Dans un litige né de la contestation par une candidate non admise à un concours de recrutement d'un professeur des universités-praticien hospitalier, le juge est amené, car c’est un des aspects de cette affaire, à revisiter les conditions de prononcé d’un non-lieu à statuer par le juge de l’excès de pouvoir du fait de la disparition de l’objet du litige en cours d’instance.

En principe, il n’est pas possible à ce juge de déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable.

Cependant, lorsque les deux affaires relèvent de sa compétence, il est toujours loisible à ce juge, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de les joindre pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations.

Cette solution a le grand avantage de permettre à toutes les parties concernées, en cas d'exercice d'une voie de recours, d’être mises en cause et celle à laquelle un non-lieu a été opposé, d’être mise à même de former, si elle le souhaite, un recours incident contre cette partie du dispositif du jugement. 

Par ailleurs, dans le cas où le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision et de conclusions tendant à son retrait, si celui-ci statue par une même décision, il se prononce d’abord sur les conclusions à fin de retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière. 

C’est ce qui se produit en l’espèce s’agissant de la demande d’annulation de la décision du jury du concours de ne pas admettre la requérante.

(6 avril 2022, Mme I., n° 432065)

 

39 - Commune condamnée en première instance – Défaut d’exercice par le maire d’une compétence exercée au nom de l’État – Absence de qualité du maire pour interjeter appel – Ministre ne s’étant pas approprié ses conclusions – Irrecevabilité.

Le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, par une ordonnance du 28 octobre 2021, avait fait injonction au maire de la commune requérante et au recteur de l’académie de Mayotte de « faire le nécessaire (...) pour que soit assurée la scolarisation dans une école maternelle de la commune » du fils des requérants.

Ces derniers et des associations ont à nouveau saisi ce juge afin qu’en application des dispositions de l’art. L. 911-4 du CJA soit exécutée l’ordonnance précédente ; par une ordonnance du 20 janvier 2022, il a enjoint les mêmes destinataires de scolariser l’enfant dans les cinq jours sous astreinte de cent euros par jour de retard.

La commune saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Cet appel est jugé irrecevable car le Conseil d’État estime que l’ordonnance attaquée « ne porte pas (…) sur les seules modalités d'admission de l'enfant dans une classe de maternelle, mais sur son inscription sur la liste scolaire, qui relève des compétences du maire agissant (…) au nom de l'État ».

Seul un ministre, ou le premier d’entre eux, avait qualité pour interjeter appel par conclusions propres ou en s’appropriant celles de la commune.

L’appel formé par le maire l’a été par une personne dépourvue de qualité à cet égard et il est donc irrecevable et cela alors même que tant la première ordonnance que la seconde imposaient au maire de les exécuter.

(ord. réf. 4 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462087)

(40) V. aussi, identiques, six autres ordonnances : ord. réf. 5 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462088 ; n° 462090 ; n° 462091 ; n° 462092 ; n° 462094 ; n° 462095.

 

41 - Covid-19 – Ordonnances du 18 novembre 2020 et ordonnance modificative du 13 mai 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif – Contestations de divers aspects de procédure devant l’ensemble des juridictions administratives – Critique de dispositions applicables à la Cour nationale du droit d’asile – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de dispositions contenues dans plusieurs ordonnances destinées à modifier le droit procédural administratif en raison de l’épidémie de Covid-19.

De très nombreux moyens étaient développés, tous rejetés :

- certains comme inopérants (ainsi celui tiré de la non consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la loi du 23 mars 2020, art. 11, en dispensant),

- certains comme devant être écartés (la procédure administrative relève du règlement non de la loi ; les ordonnances ne sortent pas du champ fixé par la loi d’habilitation, par ex. la dispense de conclusions du rapporteur public, la possibilité de référé sans audience ou la signature des décisions collégiales par le seul président ; plusieurs dérogations sont à caractère exceptionnel et n’interdisent pas, lorsque c’est possible, l’utilisation des règles habituelles),

- d’autres comme relevant du domaine de la QPC (irrecevables car non présentées en l’espèce par un mémoire distinct, ainsi de la contestation du référé sans audience),

- d’autres car les dispositions critiquées opèrent en réalité une conciliation raisonnable entre des exigences contradictoires, ce qui les fait échapper au reproche d’atteinte à diverses convention ou charte européennes,

- d’autres encore car l’atteinte à la collégialité qui est dénoncée par les requêtes est temporaire, de champ limité et réservée aux cas exceptionnels.

Il en va de même des dispositions exceptionnelles régissant la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile.

(6 avril 2022, Association ELNA France et autres, n° 440715 ; Association GISTI et autre, n° 440806 ; Conseil national des barreaux, n° 440866 ; Syndicat de la juridiction administrative, n°441399 et n° 447578 et n° 447873) 

 

42 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

V. n° 138

 

43 - Gendarmerie nationale – Contestation d’un arrêté ministériel (armées) relatif au régime indemnitaire des artificiers – Gendarmes relevant du ministre de l’intérieur – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Rejet.

Des gendarmes ont demandé à la ministre des armées d'abroger l'arrêté du 5 février 2018 fixant, par armées et directions, le nombre d'artificiers militaires susceptibles de percevoir une indemnité mensuelle de déminage et de dépiégeage en tant qu’il n’inclut pas la gendarmerie parmi les entités pouvant bénéficier de cette indemnité.

Ils demandent l'annulation de la décision implicite de rejet de cette demande par la ministre des armées.

Leur recours est rejeté comme irrecevable car l’abrogation d’une décision administrative ne saurait être demandée que par une personne y ayant intérêt ce qui n’est pas le cas des gendarmes nationaux à l’égard d’une décision du ministre des armées puisque ces agents relèvent du ministre de l’intérieur.

(6 avril 2022, M. L. et autres, n° 457348)

 

44 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

45 - Recours contre une disposition d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ordonnance ratifiée en cours d’instance – Recours devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une disposition d’une ordonnance de l’art. 38 ratifiée par le législateur pendant le cours de l’instance rend sans objet ce recours et il n’y a donc plus lieu d’y statuer.

(13 avril 2022, M. Israël, n° 441050)

 

46 - Fonctionnaire des douanes mis à la retraite – Mise en cause de la responsabilité de l’État notamment en raison d’un défaut d’information sur ses droits à pension de retraite – Interprétation erronée de cette demande par la juridiction d’appel – Annulation.

Se méprend sur les écritures dont elle est saisie la cour administrative d’appel qui juge que l’appelant ne contestait pas ne pas remplir les conditions légales lui permettant de bénéficier d'un report de la limite d'âge alors que celui-ci soutenait dans ses conclusions d’appel que bien qu'ayant atteint la limite d'âge qui lui était applicable le 28 février 2015, il aurait pu bénéficier, en raison de sa situation familiale, d'un recul de cette limite d'âge en application de l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, ce qui lui aurait permis de détenir pendant six mois le neuvième échelon de son grade.

La pension de retraite eût été alors calculée sur le neuvième échelon de son grade et non, comme elle l’a été, sur le huitième.

(14 avril 2022, M. B., n° 442882)

 

47 - Procédure contentieuse – Mémoire présenté avant la clôture de l’instruction et contenant des conclusions subsidiaires – Mémoire non visé et conclusions non examinées – Annulation.

Doit être annulé le jugement qui, rejetant les conclusions principales d’un requérant, ne vise pas le mémoire qu’il a présenté avant la clôture de l’instruction et ne se prononce pas sur les conclusions subsidiaires qu’il contient.

(14 avril 2022, Société de l’abattoir de Tarbes, n° 443658)

 

48 - Avis d’audience – Communication à un avocat associé au sein de la structure à laquelle appartient l’avocat mandataire de la requérante – Procédure irrégulière – Annulation.

Doit être annulé le jugement rendu sur un dossier alors que l’avis d’audience y relatif a été adressé non à l’avocat mandataire de la société demanderesse mais à un autre avocat associé à ce dernier dans une « communauté de bureaux » sans qu’il soit établi que l’avocat mandataire aurait eu connaissance de cet avis et alors que la demanderesse n’a été ni présente ni représentée à l’audience.

(14 avril 2022, Société Bibko Système, n° 443691)

(49) V. aussi, adoptant la même solution à propos du même avocat mais dans un autre dossier : 14 avril 2022, M. C., n° 443693.

(50) V. également, comparable, s’agissant de l’omission de viser une note en délibéré : 14 avril 2022, M. et Mme D., n° 446116.

 

51 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt d’appel – Rejet d’un recours en rectification – Erreur de droit – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge qu’une contradiction entre les motifs d’un arrêt et son dispositif ne peut présenter le caractère d'une erreur matérielle susceptible d'être corrigée par la voie d'un recours en rectification d’erreur matérielle.

(15 avril 2022, M. D., n° 450394)

(52) V. aussi, rejetant un recours en rectification d'erreur matérielle fondé sur ce qu'un président de chambre au Conseil d'État a informé l'avocat des requérants qu'une ordonnance était susceptible d'être prise sur le fondement des 1° à 4° de l'article R. 822-5 CJA sans attendre la production d'éventuels mémoires et sans renouveler cette information après une telle production : 25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870.

(53) V. également, rejetant un tel recours car est en cause non une erreur matérielle mais une appréciation juridique ou un motif surabondant : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449354 et n° 449356, deux espèces, ou encore un moyen inopérant auquel il n'a pas été répondu : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449359.

 

54 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

En l'espèce, deux recours en annulation d'un permis de construire délivré au défendeur avaient été formés, l'un par une personne physique, l'autre par une association. Puis cette dernière s'est désistée de son recours contentieux, ce dont il lui a été donné acte. Cette association a alors formé une intervention volontaire en demande au soutien des conclusions de la demanderesse personne physique. Cette intervention a été rejetée en première instance ainsi que la demande d'annulation du permis de construire attaqué.

L'association a, seule, interjeté appel de ce jugement et la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que le permis de construire.

Le pétitionnaire se pourvoit en cassation.

Deux questions de procédure se posaient.

La première était de savoir si, s'étant désistée, l'association pouvait néanmoins poursuivre l'instance.

La seconde était celle de l'intérêt à agir de l'association.

Sur le premier point, il n'y avait pas vraiment de difficulté. Réitérant une jurisprudence désormais bien établie et au rebours de sa jurisprudence antérieure, le Conseil d'État rappelle qu'un désistement dont la portée n'est pas précisée par le désistant n'est qu'un désistement d'instance non un désistement d'action. On sait que la différence est importante : alors que le désistement d'action interdit toute reprise de la même demande devant le juge ce qui entraînerait ipso facto son irrecevabilité, le désistement d'instance n'empêche pas une telle reprise. Ici le juge de cassation confirme que c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel en a jugé ainsi.

Sur le second point, l'arrêt est annulé en toutes ses conséquences. En effet, il résulte de l'art. 3 des statuts de l'association requérante qu'elle a pour objet « d'assurer la protection de la nature et de l'environnement de l'île de Noirmoutier, de sauvegarder sa flore, sa faune, ses réserves naturelles, en tenant compte du milieu dont elles dépendent, de veiller au bon équilibre des intérêts humains, sociaux, culturels, scientifiques, économiques, sanitaires et touristiques ». Or la cour a jugé que cette association aurait eu qualité, en vertu de cet article 3, pour introduire elle-même un recours et qu'elle était ainsi recevable à interjeter appel du jugement ayant rejeté la demande d'annulation du permis attaqué.

Il tombe sous le sens que cet objet statutaire ne comprend pas la faculté de former un recours en annulation d'un permis de construire portant sur une maison individuelle située sur un terrain supportant déjà une construction et lui-même inclus dans une zone déjà urbanisée de la commune. A défaut d'intérêt à agir, l'association ne pouvait ni saisir elle-même le tribunal aministratif d'une telle demande ni, non plus, intervenir aux côtés de la demanderesse. D'où il suit que, sans qualité pour agir en première instance elle n'avait pas davantage qualité pour interjeter appel. L'annulation du permis à la demande d'un requérant qui ne pouvait agir est donc elle-même annulée.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

 

55 - Référé suspension - Décision implicite de rejet d'abroger une disposition du décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile - Maintien en vigueur du régime de l'exécution provisoire (ancien art. 524 du code de procédure civile) - Rejet.

La société requérante demandait au juge administratif du référé, à la fois :

- qu'il ordonne la suspension de l'exécution de la décision implicite du premier ministre refusant d'abroger le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile en tant qu'il maintient l'application de l'ancien article 524 du code de procédure civile aux instances engagées avant le 1er janvier 2020 sans prévoir expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés ;

- qu'il enjoigne au susdit d'édicter à titre provisoire, jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué au fond, un décret complétant celui du 11 décembre 2019 prévoyant expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés.

Le référé est rejeté au terme d'une argumentation embarrassée, le juge évoquant « le fonctionnement de l'autorité judiciaire », ce qui semble pencher vers une incompétence du juge aministratif saisi, puis constate l'absence d'urgence et poursuit enfin par la recherche d'un éventuel doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

En bref, le décret attaqué ayant décidé le maintien de l'application de l'ancien art. 524 du CPC à toutes les instances introduites avant le 1er janvier 2020, la société requérante - qui a été condamnée par le tribunal de commerce, sous régime d'exécution provisoire, à verser près de 51 000 000,00 d'euros à une autre société -, estime que cette mise en oeuvre immédiate du jugement de condamnation l'exposerait à se trouver dans une situation critique, elle en a demandé l'abrogation au premier ministre. Par son silence, ce dernier a refusé d'accéder à cette exigence.

Le juge des référés estime que la condition d'urgence n'est pas satisfaite car les éléments dont la société « fait état se rapportent au fonctionnement de l'autorité judiciaire à travers l'appréciation que le premier président de la cour d'appel, saisi au titre de l'article 524 du code procédure civile maintenu en vigueur, est susceptible de porter prochainement, à la lumière d'un rapport d'expertise qu'il a sollicité, sur sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la condamnation la concernant au regard des risques que fait peser sur sa pérennité la condamnation prononcée à son encontre par le premier juge. Ces circonstances ne sont pas au nombre de celles qui caractérisent une urgence justifiant que, sans attendre, le juge administratif suspende le refus d'abroger les dispositions réglementaires qui ont seulement eu pour effet de maintenir en vigueur aux instances en cours les dispositions de l'ancien art. 524 ».

Puis, alors que cela n'est pas nécessaire, il est passé à l'examen du doute sérieux sur la légalité du refus dont il est affirmé qu'il n'existe pas en l'espèce car il ne saurait être soutenu que « faute d'imposer le prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire d'une condamnation à caractère pécuniaire lorsqu'elle a pour effet d'entraîner la cession d'actifs stratégiques ou la souscription d'un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'atteintes au droit de propriété autres que l'octroi de sûretés, (cette exécution provisoire) porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété (...) ».

(14 avril 2022, SAS InnoVent, n° 462980)

 

56 - Référé liberté - Intéressé figurant sur une liste d'attente - Demande devant être traitée par rang d'antériorité - Invocation d'une atteinte à une liberté fondamentale - Diligences accomplies excluant une telle atteinte - Rejet.

L'intéressé, arrivé en France en novembre 2021, a demandé à être scolarisé. Suite à des tests pratiqués en janvier 2022, le centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés (CASNAV) a préconisé sa scolarisation dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A).

Il a été avisé par courriel du 14 mars 2022 par les services compétents que sa demande sera traitée en fonction des places vacantes et de l'antériorité des demandes en attente.

Le juge des réfrés déduite de ces diligences accomplies qu’il en résulte que l'intéressé ne saurait soutenir que son défaut actuel de scolarisation doit être regardé comme portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 19 avril 2022, M. A., n° 462747)

 

57 - Contentieux fiscal - Vérification de comptabilité - Non communication de pièces - Pièces jugées ne pas constituer des pièces comptables - Erreur de qualification juridique des faits - Annulation.

Commet une erreur de qualification des faits conduisant à sa cassation l'arrêt d'appel jugeant qu'aucune des pièces sur lesquelles s'était fondée l'administration fiscale pour procéder aux rehaussements litigieux ne présentait le caractère de pièces comptables de l'entreprise vérifiée et que l'administration n'était, dès lors, pas tenue de soumettre ces pièces à un débat oral et contradictoire,  alors que plusieurs d'entre elles étaient des factures émises par les fournisseurs de la société requérante et constituaient donc des pièces comptables.

(21 avril 2022, Société Uranie International, n° 442599)

 

58 - Détenu – Demande de libération conditionnelle - Rapports remis au juge de l'application des peines - Contestation - Compétence exclusive de la juridiction judiciaire - Rejet.

Le requérant, détenu, a demandé sa libération conditionnelle et celle-ci lui a été refusée au vu de rapports émis par les agents pénitentiaires compétents et communiqués au juge de l'application des peines.

Il sollicite du juge administratif l'indemnisation par l'État du préjudice moral qu'il a subi de ce fait.

Le Conseil d'État estime - très logiquement - que la responsabilité de l'État à raison de l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire mentionné à l'article 712-7 du code de procédure pénale et des rapports produits par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) à destination du juge de l'application des peines dans le cadre et pour les besoins de l'instruction d'une demande de libération conditionnelle ne peut être mise en cause que devant le juge judiciaire.

En effet, une telle demande met en cause le fonctionnement du service public de la justice judiciaire (TC 27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/ État, n° 01420 ; cet arrêt est parfois, abusivement, dénommé « Préfet de la Guyane ») du fait d'actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire. 

(22 avril 2022, M. C., n° 449084)

 

59 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

V. n° 12

 

60 - Recours en révision - Cas limitativement énumérés par l'art. R. 834-1 CJA - Cas de l'espèce n'en relevant pas - Rejet.

Les cas dans lesquels peut être introduit un recours en révision sont strictement et limitativement énumérés à l'art. R. 834-1 CJA. Dès lors, les requérants ne sauraient fonder un tel recours sur la circonstance que l'envoi d'un courrier les avisant, ainsi que leur conseil, de ce que l'admission de leur pourvoi était susceptible d'être refusée en application des dispositions de l'article R. 822-5 du CJA n'était pas suffisant pour répondre à l'exigence d'information préalable prévue par les dispositions de l'article R. 822-5-1 de ce code, dès lors que ce courrier leur a été communiqué préalablement à l'enregistrement de leur nouveau mémoire régularisé par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et que ce courrier n'a pas été réitéré. 

(25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870)

 

61 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de droit ayant la nature de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

V. n° 161

 

62 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

V. n° 214

 

63 - Transfert d'un aérodrome envisagé puis délaissé - Conditions d'indemnisation des propriétaires riverains - Contestation - Demande d'ordonner une médiation - Rejet.

Le litige portait sur les conditions d'indemnisation des propriétaires riverains d'un aérodrome dont le transfert est annoncé puis abandonné, en raison du dommage en résultant du fait d'acquisition, d'amélioration, d'extension, etc. de logements consécutives à l'annonce du transfert puis frustrées par l'abandon dudit transfert.

Les requérants demandaient à titre principal l'organisation d'une médiation et à titre subsidiaire, l'annulation du décret du 19 avril 2021 portant création d'un dispositif d'aide à la revente aux propriétaires d'immeubles d'habitation riverains de certains aérodromes appartenant à l'État à la suite de l'abandon de leur transfert sur un autre site, ainsi que, par voie de conséquence, des arrêtés pris pour son application. Ils soulevaient également une QPC tirée de l'atteinte portée au principe d'égalité par les dispositions critiquées en ce qu'elles créent une différence de traitement entre propriétaires en fonction de la date d'acquisition, de reconstruction ou de réalisation des travaux sur leurs logements.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de demande.

L'un de ses rejets retient l'attention, il s'agit du rejet de la demande d'organiser une médiation car celui-ci est formulé sans aucune explication.

Rien n'éclaire sur les conditions, objectifs ou autres que doit revêtir une telle demande pour être accueillie et c'est dommage dans la mesure où il a été répété sur tous les tons que l'usage de solutions alternatives au procès devait être grandement favorisé au point même que l'on a eu l'impression de l'apparition d'un droit commun du traitement des litiges sous la forme des modes alternatifs de règlement des différends allant même jusqu'à la formation d'un acronyme (MARD) et d'une exception, la voie classique du contentieux juridictionnel.

Une contradiction nous semble ainsi exister entre le caractère discrétionnaire de l'exercice du pouvoir d'ordonner une médiation et le souci d'en développer fortement l'usage.

Si le législateur tient à cette réforme, il conviendrait d'en prendre les moyens, par exemple en décidant qu'une demande de médiation ne peut être refusée sauf pour un motif d'ordre public ou d'absence d'avantage eu égard aux circonstances de temps et de fait de l'espèce.

(26 avril 2022, Commune de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, région Pays-de-la-Loire, département de Loire-Atlantique, Nantes Métropole, commune de Nantes, commune de Bouguenais et association « Le Collectif des Citoyens Exposés au Trafic Aérien » (COCETA), n° 457654)

 

64 - Délai du recours contentieux - Point de départ de ce délai - Publication - Publication équivalente à une parution au Journal officiel - Conditions - Publication faisant courir le délai de recours - Rejet.

Le recours des intéressés est rejeté pour cause de tardiveté de la saisine du juge administrative compte tenu du délai écoulé depuis la publication de l'instruction  réglementaire litigieuse.

Pour parvenir à ce résultat, le Conseil d'État relève qu'en principe l'absence d'obligation de publier un acte réglementaire dans un recueil autre que le Journal officiel, la publication dans un tel recueil n'est pas, en principe, de nature à faire courir le délai du recours contentieux sauf si le recueil dans lequel le texte est publié peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision.

Or il constate qu'en l'espèce l'instruction attaquée du 19 septembre 2018 a été mise en ligne le 21 septembre 2018, dans son intégralité, sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans la rubrique dédiée au Bulletin officiel de ce ministère, dans des conditions permettant un accès facile et garantissant sa fiabilité et sa date de publication. Enfin, il relève qu'eu égard à l'objet de cette circulaire, relative aux règles s'appliquant à la diffusion, à l'utilisation par les administrations et à la réutilisation par des tiers de données du système intégré de gestion et de contrôle d'aides relevant de la politique agricole commune, cette diffusion était de nature à assurer le respect des obligations de publication à l'égard des personnes ayant un intérêt leur donnant qualité pour la contester. Elle a ainsi fait valablement courir le délai de recours contentieux de deux mois, d'où il suit que la requête de M. et Mme D. d'Hautecloque, enregistrée le 20 février 2020 au tribunal administratif de Paris, était tardive et donc irrecevable. 

(29 avril 2022, M. et Mme D. d'Hautecloque, n° 440879)

 

65 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

V. n° 203

 

Droit fiscal et droit financier public

 

66 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation de la proportionnalité du produit de cette taxe par rapport aux dépenses engagées par la commune – Octroi à la commune de subventions métropolitaines en vue de l’équilibre du budget du traitement des déchets – Aide sans effet sur la détermination de la proportionnalité du taux de la taxe aux dépenses – Déduction obligatoire cependant du produit de la redevance spéciale au titre de la collecte des déchets non ménagers. Annulation partielle.

La société requérante contestait, par voie d’exception d’illégalité, la légalité de ses cotisations primitives de taxe d’enlèvement des ordures ménagères et invoquait au soutien de ses prétentions en cassation les deux moyens rejetés par le tribunal administratif.

En premier lieu, la commune où est située l’immeuble qu’elle possède a obtenu pendant six années consécutives une subvention de sa métropole vers son budget annexe retraçant les recettes et dépenses liées au traitement des déchets afin d'en assurer l'équilibre. La requérante soutenait que ces sommes devaient être déduites du montant des dépenses retenu pour apprécier la proportionnalité du produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères aux dépenses réellement exposées par la commune. Le moyen est rejeté, comme il l’avait été en première instance, car ces subventions ne constituent pas des recettes non fiscales au sens et pour l’application des dispositions de l’art. L. 2224-14 du CGCT combinées avec celles des art. L. 2331-2 et 2331-4 de ce code. Or seule des recettes non fiscales doivent être déduites pour apprécier la proportionnalité.

En second lieu cependant, et à l’inverse le jugement frappé de pourvoi est annulé en tant qu’il n’a pas inclus dans les recettes non fiscales le produit attendu de la redevance spéciale relative à l’enlèvement des déchets non ménagers.

(1er avril 2022, Société PF02, n° 444266)

(67) V. aussi, jugeant - au rebours des premiers juges dont le jugement est annulé - fondée l'exception d'illégalité soulevée par la société requérante à l'encontre de délibérations fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à un niveau que le juge considère comme manifestement disproportionné pour l'année 2014 : 22 avril 2022, Société Hyper 19, n° 454748.

 

68 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a demandé pour elle-même et, en tant que sa mandataire, pour la société Bpifrance Financement, la décharge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elles ont été toutes deux assujetties, l’une pour 2016 et l’autre pour 2017 à raison des mêmes locaux situés à Cambrai. 

Les premiers juges ont fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l’administration fiscale, sur le fondement de l’art. R. 197-1 LPF, à raison de ce que cet unique recours portait sur des impositions établies au nom de contribuables différents.

Le jugement est annulé pour erreur de droit car il n’a pas été recherché si les conclusions de cette demande présentaient entre elles un lien suffisant, auquel cas seulement elle eût été recevable.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

 

69 - Réintégration dans les bénéfices d’une société d’une somme portée au passif – Élément de passif injustifié – Société unipersonnelle dissoute – Associé unique disposant d’un droit propre sur une créance entrée dans son patrimoine du fait de la disparition de la société – Annulation partielle.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que, ainsi que l’affirme l’administration fiscale, constituent un élément de passif injustifié deux dettes inscrites au bilan de l’exercice d’une société car la liquidation anticipée de celle-ci a éteint ces dettes.

La cour s’est fondée pour aboutir à cette conclusion sur le fait qu'il ne résultait d'aucune disposition législative que la dissolution d'une société emportait de plein droit transfert de ses créances dans le patrimoine de ses associés, personnes physiques, et qu’en l’espèce la société n'établissait pas, en l'absence des formalités prescrites par l'article 1690 du code civil et de tout autre élément probant, la réalité d'un transfert de créances au profit de l'ancien associé unique, personne physique, de la société liquidée.

En réalité, il résulte des dispositions d’une part de l’art. L. 1844-5 du Code civil, et d’autre part de celles de l’art. L. 237-2 du code de commerce que l'ancien associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée peut se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.

(1er avril 2022, Société Erol Construction, n° 445634)

 

70 - Entreprise de jeu de poker en ligne – Demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée – Conditions – Rejet.

Une entreprise de jeu de poker en ligne, basée sur l’Île de Man, afin de justifier de sa demande de remboursement de crédit de TVA, entend d'établir qu'elle réalise des prestations de services dans le champ d'application de la TVA en vertu de la législation locale.

A cet effet, elle soutient exercer une activité de prestations de services de marketing et de support au profit de la société Rational Entertainment Enterprises Limited (REEL), seule propriétaire et exploitante de licences de jeux, et elle a produit : 1° le contrat la liant avec cette société, 2° un certificat d'immatriculation à la TVA établi le 6 janvier 2011 portant mention du code d'activité 82990 « Autres activités de soutien aux entreprises », et 3° un courrier de l'administration fiscale de l'Île de Man du 18 décembre 2013 indiquant que l'activité de la société requérante consiste en la fourniture de services de marketing et d'autres services opérationnels de support aux sociétés du groupe Rational et qu'à ce titre, elle effectue des transactions taxables à la TVA en vertu de la législation fiscale locale, ainsi que des factures établies par ses soins et adressées à la société REEL. 

Pour rejeter sa demande, le juge relève d’abord, que les factures produites ne mentionnent pas de taux de TVA ni ne détaillent les types de prestations réalisées ; ensuite, que la société requérante ne facturait à la société REEL que des montants de taxe inférieurs à 0,31 % des prestations en cause.

De la sorte, doit être considérée comme exacte l’affirmation du ministre défendeur, que d’ailleurs la requérante ne conteste pas, selon laquelle ces montants de taxe établissent soit l'exonération intégrale de l'activité qu'elle exerçait dans le secteur des jeux d'argent et de hasard au titre de la période d'imposition en litige en vertu de la législation fiscale de l'Île de Man, soit l'exonération d'une part prépondérante des prestations fournies, laquelle aurait dû donner lieu à l'établissement d'un prorata de déduction.

En conséquence, le Conseil d’État décide que, faute d'éléments complémentaires que seule la société demanderesse était en mesure de fournir et alors que celle-ci ne conteste que le principe du refus de remboursement qui lui a été opposé, la condition prévue à l'article 242-0 Q de l'annexe II au CGI, tenant à ce que les services fournis par la société française à la demanderesse aient été utilisés pour des opérations taxables dans l'Île de Man, ne peut être regardée comme satisfaite.

Par suite, la demande de remboursement de TVA en litige est donc rejetée.

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 32

 

71 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Droit à déduction de la TVA - TVA grevant une opération taxable - Obligation de présenter les factures en attestant - Absence - Erreur de droit - Annulation et rejet au fond de la requête initiale.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que l'administration fiscale, en l'absence de factures en attestant le paiement et pour ce seul motif, ne pouvait pas légalement refuser d'imputer sur la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de ses ventes de biens et services la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé les achats de biens et services qui avait nécessairement été effectués pour les besoins de l’activité, au seul motif que le contribuable n'était pas en mesure de présenter les factures correspondantes. Ce jugeant, la cour n'a pas respecté les dispositions claires et impératives du 2. du II de l'art. 271 du CGI selon lesquelles " 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, soit de la déclaration d'importation sur laquelle ils sont désignés comme destinataires réels."

(22 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455114)

 

72 - Crédit-bail avec option d’achat sur un bâtiment industriel – Acquisition de ce bâtiment – Faculté de contestation par le crédit-preneur de la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes auxquelles il a été assujetti – Annulation et rejet de la QPC.

La requérante, spécialisée dans la fabrication de machines agricoles et forestières, a acquis par levée d’option d’un crédit-bail un bâtiment à usage industriel pour lequel elle est assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes.

Elle a entendu contester le montant des sommes réclamées à ce titre mais le tribunal administratif, rejetant sa demande, lui a opposé que la valeur locative litigieuse du bien en cause était définitivement établie à l'issue de l'année 2012, année d'acquisition du bien par la société requérante, en l'absence de rectification intervenue à l'initiative de l'administration ou du crédit-bailleur. Il a donc exclu toute possibilité de réclamation du crédit-preneur pour les exercices non prescrits.

La société se pourvoit et, par mémoire distinct, soulève une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. 1499 0 A du CGI.

Cependant le Conseil d’État décide, praeter legem et avec grand bon sens, que si la valeur locative plancher à retenir en application de l'article 1499-0 A du code général des impôts est celle qui a été retenue pour l'imposition du crédit-bailleur au titre de l'année d'acquisition, cette valeur locative peut être contestée par le crédit-preneur ayant acquis les immobilisations industrielles, à l'occasion des impositions auxquelles il est assujetti au titre de chaque exercice non prescrit, dans les conditions de droit commun. 

Ainsi, est annulé le jugement en sens contraire et il n’y a plus lieu de statuer sur la QPC.

(5 avril 2022, Société Rousseau, n° 448710)

 

73 - Domaine viticole – Vérification de comptabilité – Reconstitution de stocks – Rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable – Faits non réellement établis – Rejet.

Après vérification de sa comptabilité, la société exploitante d’un domaine viticole a fait l’objet d’une reconstitution de stocks débouchant sur un rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable assorti d’une amende fiscale.
Le tribunal administratif a fait droit à sa demande de décharge des différentes sommes mises à sa charge et ce jugement a été confirmé en appel. Le ministre des finances se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté en ses trois branches.

Tout d’abord, c’est sans dénaturation que la cour a jugé que la reconstitution de stocks opérée par le vérificateur ne permettait pas d'aboutir au constat d'une minoration de récoltes, dès lors que cette reconstitution faisait apparaître à la fois des manquants et des excédents, pour des volumes approximativement équivalents.
Ensuite, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé : 1° que l'absence de production, au cours du contrôle, du registre de cave ne permettait pas de caractériser une grave irrégularité dans la comptabilisation des stocks, dès lors que la société avait mis à la disposition du vérificateur les déclarations de récolte, les stocks fiscaux à la clôture et au début de chaque exercice ainsi que les déclarations récapitulatives mensuelles mentionnant les pertes, au surplus ces documents ont d'ailleurs été utilisés par le vérificateur dans sa reconstitution du stock théorique ; 2° que l'irrégularité de la comptabilisation des stocks ne pouvait résulter de l'absence de numéro de factures dans les ventes comptabilisées au grand livre, dès lors que le vérificateur avait lui-même estimé que les factures produites étaient exhaustives, le total de ces factures dépassant même le chiffre d'affaires déclaré.

Enfin, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation en jugeant que l'administration fiscale n'apportait pas la preuve qui lui incombait de ce que la comptabilisation des stocks et, partant, la comptabilité dans son ensemble, présentaient de graves irrégularités et étaient par suite dénuées de valeur probante. 

Belle occasion pour l’administration fiscale, si l’on ose dire, de mettre de l’eau dans son vin…

(6 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446799)

 

74 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts et autres prévus au CGI – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que c’est à bon droit que l’administration fiscale a opposé le secret institué par l’art. L. 103 du LPF aux requérants qui contestaient le refus de celle-ci de leur communiquer les déclarations et justificatifs fiscaux concernant l'encaissement des sommes versées au titre de contrats d'assurance vie souscrits par Mme L. G., les déclarations fiscales complémentaires et rectificatives émises, les justificatifs de prélèvement de 20 % sur les sommes perçues dépassant 152 500 euros, les attestations sur l'honneur établies par les bénéficiaires en application de l'article 990-I du code général des impôts et les justificatifs du versement des droits.

Le Conseil d’État censure pour erreur de droit cette solution car si ce secret a été institué par la disposition précitée en faveur des personnes appelées, à l'occasion de leurs fonctions ou attributions, à intervenir dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts pour toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations, cette disposition n'est opposable ni au débiteur solidaire de l'impôt, dans la mesure où les pièces couvertes par le secret sont utiles à l'exercice de son droit de réclamation, dans la limite de la solidarité prononcée à son encontre, ni aux héritiers tenus au paiement d'une dette fiscale de la succession. Il en va ainsi des documents administratifs sur lesquels l'administration fiscale s'est fondée pour établir l'imposition mise à la charge de la succession, dans la mesure où ils sont utiles à l'exercice des droits des requérants, y compris lorsque plusieurs personnes sont intéressées par les mêmes documents, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des autres informations mettant en cause la vie privée de tiers qu'ils comporteraient. 

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

 

75 - Pension versée en vue de l’entretien d’un enfant – Déductibilité des revenus soumis à l’impôt – Conditions – Distinction entre pension alimentaire et pension versée en raison d’une obligation d’entretien et d’éducation – Omission de réponse à moyen non inopérant - Annulation.

Le contribuable requérant avait déduit de son revenu imposable la pension versée à la mère de son enfant. L’administration fiscale a réduit le montant admis en déduction, rehaussé les impositions dues et infligé les pénalités y afférentes.

Sa demande d’annulation de ces diverses décisions ayant été rejetée en première instance et ce rejet confirmé par deux ordonnances rendues par le magistrat compétent de la cour administrative d’appel, le contribuable se pourvoit.

Si les choses sont claires pour une pension alimentaire, laquelle est ipso facto déductible du revenu imposable par l’effet des dispositions du 2° du II de l’art. 156 du CGI, en revanche cette possibilité de déduction est plus délicate à évaluer pour une pension versée en application de l’obligation d’entretien et d’éducation posée par les dispositions des art. 203 et 371-2 du Code civil, ce dernier texte disposant que « Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant ».

En l’espèce, le juge admet le principe de déductibilité de cette pension sous condition que le contribuable se prévale soit de ce que son montant a été fixé par un jugement soit, à défaut, de ce que, comme l’indique l’art. 371-2 précité, que ce montant est proportionné au regard de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant, compte tenu notamment de son âge.

Par ailleurs, car c’était un autre point en discussion dans cette affaire, le juge précise que les ressources à prendre en considération pour déterminer le caractère proportionné du montant de la pension sont les revenus avant déduction des pensions versées ou reçues.

En omettant de répondre au moyen tiré de cette dernière exigence, lequel n’est pas inopérant puisqu’en réalité il est complètement opérant et efficace, les ordonnances attaquées sont entachées d’irrégularité.

Si cette question n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’une décision allant dans le sens de la présente décision, cette dernière cependant est plus nette et de portée plus large.

(14 avril 2022, M. E., n° 436589)

 

76 - Taxes foncières – Taxe établie sur les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Biens dont le contribuable dispose au terme de la période d’imposition sans en disposer au début de celle-ci – Biens assujettis au 1er janvier – Rejet.

La solution retenue dans cette affaire peut surprendre.

L’art. 1415 du CGI dispose : « La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ». Le juge interprète cette disposition ainsi : « (…) La circonstance que la taxe foncière soit établie pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ne fait pas obstacle à ce que les biens dont le redevable disposait au terme de la période de référence sans en disposer au début de celle-ci soient intégrés dans cette assiette. »

Ainsi, en l’espèce est jugé erroné en droit l’arrêt d’appel qui relève que l'installation de traitement des eaux et le bâtiment de traitement n'étant passibles de la taxe foncière qu'à compter, respectivement, des 1er janvier 2010 et 1er janvier 2011, ces biens devaient être exclus de l'assiette de la cotisation foncière des entreprises au titre, respectivement de 2011 et de 2012, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la construction de ces biens a été achevée, respectivement, au mois de mai 2009 et le 25 juillet 2010.

(14 avril 2022, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 389812)

 

77 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Biens assujettis – Cas des biens faisant corps avec les biens assujettis – Exemption pour les biens relevant du 11° de l’art. 1382 du CGI – Annulation partielle.

Le litige portait sur l’assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, au titre du 11° de l’art. 1382 du CGI, de certains biens d’un établissement industriel de fabrication de roues pour véhicules automobiles.

Le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé que les sols techniques d’une telle entreprise, dès lors qu'ils constituent des ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation au sens du 1° de l'article 1381 du CGI, ne peuvent pas être exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 11° de l'article 1382.

En revanche, il censure l’erreur de droit commise par le tribunal en jugeant que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI s'entendent de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles, et en rejetant cette qualification pour la chaufferie et pour l'adaptateur électrique. Il devait, en effet, pour l’application correcte de ce dernier texte, déterminer ceux de ces biens qui faisant partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation de l’établissement industriel en cause c'est-à-dire ceux de ces biens qui, tels la chaufferie ou l’adaptateur électrique litigieux, relèvent de cet établissement, qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans celui-ci et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

(15 avril 2022, Société Mefro Wheels France, n° 488898)

 

78 - Évaluation de la valeur d’un fonds de commerce – Provision pour dépréciation – Valeur inscrite au bilan comptable de l’exercice 2013 – Absence de comparaison avec la valeur de la société lors de sa création en 1994 – Refus – Erreur de droit – Annulation.

Les requérants ont contesté la décision de l’administration fiscale assujettissant cette société à une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés en raison de la remise en cause de la déduction d’une provision pour dépréciation de la valeur de son fonds de commerce.

La cour administrative, pour rejeter l’appel qu’ils avaient dirigé contre le jugement de rejet du tribunal administratif, a estimé que les intéressés ne justifiaient pas du bien-fondé de la provision litigieuse car le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés avant déduction de la provision étaient supérieurs à ceux des deux années précédentes.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas été comparé, comme cela était demandé, la valeur du fonds de commerce évalué, selon les modalités retenues lors de la création de la société en 1994, avec la valeur inscrite à l'actif du bilan comptable à la clôture de l'exercice 2013.

(14 avril 2022, Société MC Legal et Me Pellegrini, mandataire judiciaire de cette société, n° 443985)

 

79 - Doctrine administrative – Interprétation formelle de la loi fiscale (art. L. 80 A du LPF) – Interprétation inopposable lorsqu’est en cause un autre aspect de l’imposition – Substitution de motif – Rejet.

Par substitution de motif de pur droit, la requête de la SCI C., fondée sur l’interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration (mécanisme de l’art. L. 80 A du LPF), est rejetée car elle est relative à l’interprétation des dispositions applicables au régime fiscal des sociétés immobilières pour le commerce et l'industrie  (SICOMI) issues de l'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 alors que le présent litige est relatif à l’interprétation des dispositions de l'article 239 sexies du CGI applicables au crédit-preneur en cas de levée de l'option d'achat.

(15 avril 2022, Société civile immobilière C., n° 452251)

 

80 - Société civile gestionnaire de contrats de capitalisation – Absence d’option pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés – Associés soumis au régime du II de l’art. 238 bis K du CGI – Soumission à l’impôt sur le revenu par quote-part des revenus (art. 125-0 A CGI) – Annulation et rejet partiels.

Censurant sur ce point pour erreur de droit l’arrêt frappé de pourvoi, le Conseil d’État juge qu’une société n’ayant pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et l'ensemble de ses associés relevant du II de l'article 238 bis K du CGI, ceux-ci sont soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus de la société déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du CGI sans qu'aient d'incidence à cet égard ni la répartition de ces revenus ni les modalités de calcul du résultat que la société était statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés.

(15 avril 2022, M. G., n° 454264)

(81) V. aussi, identiques pour l’essentiel : 15 avril 2022, M. et Mme H., n° 454265 ; 15 avril 2022, Héritiers de Mme A., n° 454266.

 

82 - Institut français du textile et de l’habillement – Centre technique industriel régi par le code de la recherche (art. L. 521-1 et suivants) – Soumission de son activité aux impôts commerciaux – Assujettissement à la taxe professionnelle – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L’organisme requérant a demandé la décharge de montants supplémentaires de taxe professionnelle à raison de deux établissements qu’il exploite à Troyes et à Mulhouse.

Il se pourvoit en Conseil d’État contre les arrêts confirmatifs ayant rejeté ses demandes.

Cet organisme est un centre technique industriel, régi par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de la recherche, qui est chargé de promouvoir le progrès des techniques et de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l'industrie textile et de l'habillement.

Il réalise, dans cet objet, à la demande d'entreprises du secteur, des travaux de laboratoires et d'ateliers expérimentaux et participe à des enquêtes sur la normalisation ainsi qu'à l'établissement des règles de contrôle de la qualité des produits textiles.

L’administration fiscale a cru pouvoir estimer que cet organisme devait être assujetti aux impôts commerciaux sur la totalité de son activité.

L’arrêt de rejet – après avoir relevé que l'institut était investi d'une mission d'intérêt général et alors qu'il soutenait que l'activité en litige consistait en des actions collectives engagées dans l'intérêt de l'ensemble des professionnels du secteur - se fonde sur ce que cet institut a vocation à permettre aux professionnels du secteur du textile et de l'habillement de réduire leurs coûts, d'augmenter leurs recettes ou de faciliter l'exercice d'un des aspects de leur activité.

L’erreur de droit, ici censurée à bon droit, est assez évidente surtout que la cour n’a même pas recherché si, en agissant ainsi, l'institut venait en aide seulement à certaines entreprises qui en retiraient un avantage concurrentiel. 

(15 avril 2022, Institut français du textile et de l'habillement, n° 456205)

 

83 - Restructurations et créations d'entreprises - Sursis d'imposition des plus-values résultant d'opérations ne dégageant pas de liquidités - Apports de titres dont le produit de cession concourt à un réinvestissement de caractère économique - Cas de l'activité de loueur en meublé - Absence d'un tel caractère sauf cas particulier - Rejet.

Dans le souci de favoriser soit la restructuration soit la création soit le développement d'entreprises, la loi fiscale a prévu (art. 150-0 B CGI) un sursis automatique d'imposition sur les plus-values lorsqu'elles proviennent d'opérations ne dégageant pas de liquidités. Il en a été déduit que la cession de titres dont le produit fait l'objet d'un réinvesstissement économique est éligible à ce sursis.

En principe, l'activité de loueur en meublé ne revêt pas un tel caractère et ne peut prétendre au bénéfice de ce sursis sauf si le propriétaire accomplit son activité dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d'hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu'il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains.

Ce n'était pas le cas en l'espèce ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel.

(19 avril 2022, M. B., n° 442946)

 

84 - Redevance assise, en Île-de-France, sur la construction, la reconstruction ou l'agrandissement des locaux commerciaux et des locaux de stockage  - Notion de réserves attenantes à des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal - Cas en l'espèce - Rejet.

En région Île-de-France l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme alors en vigueur a institué une redevance perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement de locaux commerciaux et de locaux de stockage, le III de l'art. 231 ter du CGI définissant respectivement chacune de ces ceux catégories de locaux en ses 2° « (2° (...) les locaux commerciaux, (...) s'entendent des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés à la vente) » et 3° « ( (...) les locaux de stockage, (...) s'entendent des locaux ou aires couvertes destinés à l'entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production) ».

La société requérante contestait le jugement estimant que les réserves litigieuses, d'une surface de 685 m², constituaient, au sens du 2° du III de l'article 231 ter du CGI, des réserves attenantes à des locaux où est exercée une activité de restauration, après avoir relevé que ces réserves, où sont entreposés des denrées et des matériels nécessaires à l'exploitation des restaurants, sont situées à quelques étages au-dessous de ceux-ci et reliées à eux par des ascenseurs et qu'elles se trouvent ainsi à proximité immédiate des salles de restauration et qu'ainsi ils entraient dans l'assiette de la redevance litigieuse.

Le Conseil d'État rejette le pourvoi dirigé contre ce jugement car il ne repose pas sur une qualification inexacte des faits de l'espèce.

(19 avril 2022, Société Unibail Rodamco Westfield, n° 443039)

 

85 - Revenus réalisés par une filiale étrangère d'une société française - Revenus réputés acquis par la société française (art. 209 B du CGI) - Absence d'incompatibilité entre cette disposition et le droit de l'Union - Rejet.

La requérante ayant fait l'objet de rehaussements d'impositions ainsi que de contributions y afférentes, après avoir contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, a saisi le Conseil d'État d'un pourvoi que celui-ci rejette, aucun des moyens présentés au soutien du pourvoi n'étant admis.

Parmi eux, l'un retient spécialement l'attention en ce qu'il portait sur l'incompatibilité des dispositions de l'art. 239 B du CGI avec le droit de l'Union.

La société soutenait que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la société Rubis ne pouvait utilement se prévaloir, dans le cadre d'un litige mettant en cause sa filiale établie à l'île Maurice, de l'incompatibilité de l'article L. 209 B du CGI avec le principe de libre circulation des capitaux.

Elle reproche à cet arrêt - prétendument destiné à frapper les seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France, notamment dans un pays tiers, et d'en déterminer les activités - d'avoir jugé cet article applicable quand bien même la société établie en France ne détiendrait ni la majorité du capital ni la majorité des droits de vote au sein de la filiale. Le Conseil d'État rétorque que cet article doit s'analyser avec le but poursuivi par le législateur au moyen de cette disposition : il s'agit de dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI.

La requérante reproche ensuite à cet article, de ce fait, sa contrariété avec le droit de l'Union tel qu'interprété par la la Cour de Justice.

En effet, la jurisprudence de la CJUE (13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, aff. C-35/11) opère une distinction quant à l'opposabilité des stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux.

En principe, lorsqu'est en cause la participation d'une société résidente d'un État membre dans une société établie dans un pays tiers, l'examen de l'objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de cet article 63. Il suit de là qu'une législation nationale ne s'appliquant pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers doit être appréciée au regard de ces stipulations. En ce cas, une société résidente d'un État membre peut, indépendamment de l'ampleur de la participation qu'elle détient dans la société distributrice de dividendes établie dans un pays tiers, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d'une telle réglementation.

Par exception, si l'objet d'une législation nationale ne lui donne vocation à s'appliquer qu'aux participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie dans le pays tiers et d'en déterminer les activités, les stipulations de l'article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées.

Tel est, selon le juge, le cas de l'espèce.

En retenant le critère de la détermination du pouvoir d'une société résidente de déterminer les activités de sa filiale établie dans un pays tiers, le juge lève la contrariété prétendue mais court le risque d'une interprétation très extensive de la jurisprudence de la CJUE que cette dernière pourrait ne pas entériner.

(25 avril 2022, Société Rubis, n° 439859)

 

86 - Taxe sur la valeur ajoutée - Compensations entre impositions - Limites - Rejet.

La société requérante se prévalait, à l'appui de ses conclusions à fin de décharge par voie de compensation entre les rappels litigieux de taxe sur la valeur ajoutée et l'excédent de taxe constaté par l'administration fiscale, des dispositions de l'art. L. 80 du livre des procédures fiscales permettant à l'administration d'effectuer toutes les compensations entre impôts et autres taxes. 

Le Conseil d'État pose ici tout d'abord une règle selon laquelle « En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la compensation ne peut s'effectuer entre des impositions qui ne sont pas dues par le contribuable et des impositions qui avaient été initialement omises par l'administration que lorsque chacune de ces impositions est relative à la période couverte par un même avis de mise en recouvrement. »

Ensuite, il interprète l'art. L.80 LPF précité comme ne permettant pas à l'administration fiscale d'opérer des compensations en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Le régime de la compensation est, en matière fiscale, non seulement inique mais complètement anachronique. Il serait temps de constater que la société a évolué et que les moeurs du XIXè siècle ont fait leur temps.

(25 avril 202, Société SPI, n° 444616)

 

87 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

V. n° 175

 

Droit public de l'économie

 

88 - Concessions hydroélectriques – Regroupement – Fixation d’une nouvelle date d’échéance des concessions – Regroupement comprenant pour partie des concessions ayant déjà fait l’objet d’une dérogation de plein droit – Illégalité – Annulation.

La procédure de regroupement de concessions hydroélectriques formant une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés et déjà accordées sur un cours d’eau pose un problème de flux des trésoreries disponibles pour chacune des concessions regroupées car en raison de leur échelonnement dans le temps elles se déroulent chacune selon sa chronologie propre. C’est pourquoi, le regroupement de concessions – qui implique nécessairement l’adoption d’une date d’échéance commune – consiste concomitamment à allonger la durée des concessions proches de l’échéance et à réduire la durée de celles dont la date d’échéance est la plus éloignée. Lorsque, parmi les concessions regroupées, figurent une ou plusieurs concessions ayant déjà fait l’objet d’une prorogation de plein droit dite aussi « en délais glissants » (cf. alinéa 3 de l’art. L. 521-16 c. énergie) il convient d’assurer la neutralité économique du regroupement. A cet effet doit être définie la date d'échéance théorique de cette (ou ces) concession(s).

Naturellement, la formule permettant de calculer cette date d'échéance théorique varie selon qu'est positive, négative ou nulle la variable « E » mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie, qui correspond à la valeur actualisée nette des flux de trésorerie pendant la période de prorogation de la concession, augmentée des investissements de remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession et qui ont été réalisés après cette date.

En l’espèce, le litige portait sur le point de savoir quels flux de trésorerie doivent être pris en compte lorsque la variable « E » est nulle ou négative, la requérante soutenant sur ce point l’illégalité des dispositions de l’art. R. 521-61 du code précité.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que l’art. L. 521-16-1 (al. 4) du code précité dispose que seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période, à l'exclusion de ceux qui visent seulement à la remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession, et qui ont été réalisés après cette date, doivent être pris en compte pour la détermination de la date commune d'échéance des concessions regroupées.

Cette disposition a pour but évident d'inciter le concessionnaire à poursuivre ses investissements pendant cette période, indépendamment du caractère excédentaire ou déficitaire de son exploitation.

Or le juge constate ensuite que l’art. R. 521-61 précité décide, lorsque la variable « E » est nulle ou négative, que doit être pris en compte pour le calcul de la date commune d'échéance des concessions regroupées l'ensemble des flux de trésorerie réalisés dans le cadre de la concession en « délais glissants ». Cette disposition méconnaît ainsi directement, en tenant compte de flux de trésorerie autres que ceux correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire pendant la période de « délais glissants », l’art. L. 521-16-1 dudit code pour l’application duquel elle a été prise alors que celui-ci énonce très clairement – comme indiqué plus haut - que dans l’hypothèse ici en cause seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période doivent être pris en compte.

(12 avril 2022, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), n° 434438)

 

89 - Président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics – Personne classée dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession – Appréciation dénuée d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Le président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics s’est vu demander par sa banque - sur le fondement des dispositions des art. L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier - un certain nombre de documents et d’informations en raison de ce que cette activité présente un risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qui fait considérer l’intéressé comme « politiquement exposé ».

Estimant cette demande injustifiée, il a saisi l’Autorité de contrôle prudentiel (APC) aux fins qu’elle sanction ladite banque à raison de son comportement à son égard. Cette demande ayant été rejetée, il a saisi le Conseil d’État.

Celui-ci rejette le pourvoi en relevant que l’ACP n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que le classement du requérant, par sa banque, dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession, et qu'en conséquence elle avait pu lui demander des informations de même nature que celles demandées aux personnes politiquement exposées. Le Conseil d’Etat juge que la décision de l’ACP n'était pas de nature à justifier l'ouverture d'une procédure de sanction à son encontre, cela alors même qu’il ne serait pas lui-même une « personne politiquement exposée ». 

On regrettera que le Conseil d’État n’exerce sur une telle décision qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation alors qu’elle est d’une extrême gravité par ses conséquences possibles comme par la réprobation morale qu’elle comporte ainsi qu’en raison de l’atteinte envers la dignité des personnes qui la sous-tend.

Au surplus, il est certain qu’en raison des moyens et de la puissance de stockage de cette information il en demeurera trace ad perpetuam (rei memoriam) même si elle est infondée.

(15 avril 2022, M. D., n° 450459)

(90) V. aussi, rejetant un recours contre la décision du 9 mars 2021 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a adressé une mise en garde à une société d’assurances, sur le fondement de l'article L. 612-30 du code monétaire et financier, à l'encontre de la poursuite de pratiques tenant à la communication d'informations inexactes ou imprécises concernant la solvabilité de la société d'assurance de droit danois Gefion Insurance et au renouvellement anticipé de contrats d'assurance souscrits auprès de cet assureur partenaire : 15 avril 2022, Société TCA Assurances, n° 452307.

 

Droit social et action sociale

 

91 - Représentativité syndicale dans le champ d’une convention collective – Personnel des offices publics de l’habitat (art. L. 421-1 et s. c. de la construct. et de l’habitat.) – Décision ministérielle définissant les audiences respectives des différents syndicats – Application des critères posés par le code du travail – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision de la ministre du travail du 6 février 2018 établissant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat (IDCC n° 3220).

Concernant la compétence juridictionnelle, le Conseil d’État confirme implicitement le jugement du tribunal administratif primitivement saisi, mais à tort : le litige relève bien de la compétence de premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris par application du 1° de l’art. R. 351-3 CJA.

Ensuite, au fond, les divers moyens soulevés sont rejetés.

Concernant la légalité externe de la décision contestée, celle-ci a bien été prise par un agent compétent en vertu de la délégation de signature dont il disposait et après consultation du Haut Conseil du dialogue social (HCDS), par ailleurs elle n’avait pas à être motivée.

Concernant la légalité interne, il est tout d’abord jugé qu’est inopérant le grief développé à l’encontre de la décision attaquée dès lors que la présomption de représentativité fixée par les I et III de l’art. 11 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a, en vertu de ces dispositions, une durée de quatre années. Ensuite, la dernière mesure de représentativité ayant eu lieu le 4 décembre 2014, il ne saurait être reproché à la décision querellée, prise le 6 février 2018, de ne pas respecter la représentativité issue des élections, très postérieures à cette décision, du 6 décembre 2018.

Egalement, en regroupant les collèges comprenant les agents de maîtrise et assimilés ainsi que les cadres pour mesurer l'audience de la CFE-CGC la décision attaquée fait une correcte application des dispositions de l’art. L. 2122-7 du code du travail.

Enfin, la ministre défenderesse n’a pas commis d’erreur de droit en estimant, au vu des critères fixés par le code du travail, que l'UNSA OPH n'était pas au nombre des organisations syndicales représentatives dans le champ de la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat, et que, par suite, alors même qu'elle avait signé cette convention, elle n'avait pas à figurer dans la liste des organisations syndicales représentatives.

(6 avril 2022, Syndicat UNSA OPH et autres, n° 434612)

 

92 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Validation par le directeur régional des entreprises - Non satisfaction au critère de transparence financière – Non publicité des comptes – Rejet.

Un directeur régional des entreprises a validé le 16 septembre 2019 l'accord collectif signé le 23 août 2019 entre la société Imprimerie du Midi et les organisations syndicales FILPAC-CGT Midi Libre et FO relatif à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société.

Le tribunal administratif a rejeté la demande du Syndicat Sud Industrie 34 et de M. B. La cour administrative d’appel a annulé ce jugement et la décision du directeur régional des entreprises.

Le Conseil d’État, saisi par un pourvoi en cassation fait siennes les solutions de la cour qui ne sont entachées ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification des faits.

La cour a estimé que l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord d'entreprise portant plan de sauvegarde de l'emploi doit vérifier, d’une part, que cet accord a été régulièrement signé pour le compte d'une ou de plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise et d’autre part que le ou les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité énoncés par l'article L. 2121-1 du code du travail, dont celui de transparence financière. C’est donc sans erreur de droit qu’elle a jugé irrégulière la validation par l’administration d’un PSE dès lors que l'une des organisations syndicales signataires, ayant obtenu 80% des suffrages lors du premier tour des élections professionnelles, ne satisfaisait pas, à la date de la signature de cet accord, au critère de transparence financière requis par les dispositions de l'article L. 2121-1 du code du travail, peu important que la représentativité de ce syndicat n'eût pas été contestée devant le juge judiciaire à l'occasion du contentieux des élections professionnelles.

La cour, pour juger non satisfait le critère de transparence financière, s’est d’abord fondée sur ce que le syndicat FILPAC-CGT Midi Libre n'avait publié sur son site internet, au titre du dernier exercice clos ayant précédé la signature de l'accord, ainsi que, d'ailleurs, des deux exercices l'ayant précédé, que ses bilans simplifiés, tandis que ses comptes de résultats simplifiés ainsi que le tableau annexe de ses ressources n'ont quant à eux fait l'objet d'aucune mesure de publicité. Elle s’est ensuite également fondée sur ce qu'il n'était pas soutenu qu'aurait été mise en œuvre une mesure de publicité équivalente.

C’est à juste titre qu’elle a jugé que l'accord ne pouvait pas, par suite, être légalement homologué par l'administration.

(6 avril 2022, Société Imprimerie du Midi, n° 444460 ; Syndicat Filpac-CGT Midi Libre, n° 444447 ; Ministre du travail, n° 444642)

 

93 - Licenciement d’un salarié protégé – Vérification administrative du caractère sérieux de la recherche d’un reclassement par l’employeur– Contrôle du juge – Contrôle global de cette vérification – Erreur portant sur un détail de cette approche globale – Erreur ne devant pas être retenue – Annulation.

L’une des tâches de l’inspection du travail lors du licenciement d’un salarié protégé consiste à s’assurer que l’employeur s’est bien livré à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national. En l’espèce, la cour administrative d’appel avait annulé l’autorisation de licenciement au motif qu’elle comportait une erreur en ce qu’elle indiquait que l’intéressé n’avait pas souhaité recevoir des offres de reclassement à l’étranger.

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour ne devait pas s’arrêter à ce détail mais s’assurer que l’obligation légale de reclassement imposée à l’employeur avait bien été respectée en l’espèce tant en ce qui concerne un reclassement sur le territoire national que pour ce qui regarde un reclassement en dehors de ce territoire « sans s'arrêter sur une erreur susceptible d'émailler, dans le détail de la motivation de la décision attaquée, une des étapes intermédiaires de l'analyse portée sur ce point par l'autorité administrative ».

La solution est nouvelle et se discute car affirmer qu’un salarié n’a pas demandé un reclassement hors territoire national alors qu’il l’a demandé et prétendre que l’autorisation donnée sur cette base pourrait néanmoins ne pas être illégale est assez acrobatique.

(12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442338)

(94) Voir aussi, identiques et concernant la même société : 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442339 ; 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442340.

(95) V. également, confirmant l’assouplissement du contrôle contentieux de la correcte application par l’administration du travail, de son obligation de vérifier, en cas de licenciement d’un salarié protégé, la recherche sérieuse par l’employeur (ici par l’administrateur judiciaire) de possibilités de reclassement de l’intéressé : 12 avril 2022, Société ACM, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, n° 443229, n° 443231 et n° 443232, trois espèces.

 

96 - Licenciement d'un salarié protégé - Dénonciation de faits susceptibles d'une qualification pénale - Licenciement à raison de cette dénonciation - Conditions de régularité - Absence - Annulation.

Un salarié membre du comité d'entreprise a signalé à diverses administrations et autres des faits commis par des salariés et des responsables de la société employeur susceptibles de recevoir une qualification pénale et notamment celle du délit d'abus de biens sociaux. Après que cette société a obtenu du ministre du travail l'autorisation administrative de licenciement et qu'il a été licencié, l'intéressé a saisi le juge administratif. La cour administrative d'appel a, par arrêt confirmatif, rejeté le recours dirigé contre l'autorisation de licenciement.

Il saisit le Conseil d'État d'un pourvoi contre cet arrêt.

Le coeur du débat se concentre sur les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail. Selon ce texte (cf. son 1er alinéa), le licenciement d'un salarié protégé pour dénonciation de faits pénalement répréhensibles n'est pas possible lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : les faits dénoncés doivent être susceptibles d'être qualifiés crime ou délit, ils doivent avoir été connus dans l'exercice des fonctions et leur dénonciation doit avoir été faite de bonne foi.

En l'espèce, pour annuler l'arrêt déféré à sa censure, le juge de cassation relève qu'en jugeant que la dénonciation a porté sur des faits non étayés et qu'ainsi, même s'il a agi dans l'exercice de ses fonctions, le salarié n'en a pas moins commis une faute, la cour n'a pas correctement appliqué les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail, spécialement celles de son troisième alinéa.

(27 avril 2022, M. I., n° 437735)

 

97 - Revenu de solidarité active (RSA) – Fausse déclaration de revenus ou omission délibérée – Sanction par une amende administrative – Prescription de l’action – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 262-52 du code de l’action sociale et des familles que la fausse déclaration ou l'omission délibérée de déclaration ayant abouti au versement indu du RSA est passible d'une amende administrative. Toutefois, le président du conseil départemental ne peut sanctionner par cette amende que des fausses déclarations ou des omissions délibérées de déclaration ayant abouti à un versement indu du RSA qui s'est poursuivi moins de deux ans avant la date à laquelle il prononce cette amende. 

Ici le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant légal le prononcé, par le président du conseil départemental, le 9 juillet 2019, d’une amende administrative à raison de perceptions indues du RSA au titre de périodes antérieures au 31 mars 2017.

(12 avril 2022, Mme B., n° 453056)

 

98 - Accord collectif de travail – Extension par arrêté ministériel – Refus – Accord incomplet devant être ultérieurement complété – Impossibilité – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté interministériel portant extension d'un avenant à la convention collective nationale du golf, en tant qu'il exclut de cette extension les stipulations figurant à son article 9.10.2.

La demande est rejetée au motif qu’un ministre ne peut pas, sans méconnaître les pouvoirs qu'il tient de l’article L. 2261-25 du code du travail, étendre certaines clauses d'un accord collectif de travail sous réserve qu'elles soient complétées par un accord collectif ultérieur dont il n'est pas en mesure d'apprécier, comme il lui appartient pourtant de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur. 

En outre, s’il résulte du dernier alinéa de cet article L. 2261-25 que l'entrée en vigueur de clauses étendues peut être subordonnée à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant des stipulations complémentaires, il résulte des termes mêmes de l'article L. 6324-3 du code du travail qu'il n'appartient qu'à un accord collectif de branche étendu de définir la liste des certifications professionnelles éligibles à la reconversion ou à la promotion par alternance. Par suite c’est sans erreur de droit que le ministre concerné a estimé que le caractère incomplet de l'article 9.10.2 de l'avenant n° 75 du 24 janvier 2019 au regard de l'article L. 6324-3 du code du travail faisait obstacle à qu’il procède à son extension. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'éducation permanente, de la formation, de l'animation, de l'hébergement, du sport et du tourisme Force ouvrière (SNEPAT-FO) et fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 442247)

 

99 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Autorisation de licenciements de salariés protégés pour motif économique - Appréciation de leur légalité sur renvois préjudiciels - Situation économique appréciée au niveau de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité - Rejet.

Dans le cadre d'un PSE, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de plusieurs salariés protégés motif pris de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise requérante.

Sur renvoi préjudiciel de neuf jugements du juge judiciaire en appréciation de la légalité de ces autorisations, le tribunal administratif s'est fondé, pour porter cette appréciation, notamment s'agissant de la compétitivité, sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.

Cette façon de procéder, critiquée par le pourvoi, est approuvée par le juge de cassation et elle est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de ce dernier en ce domaine.

C'est donc par une exacte appréciation des faits que le tribunal a constaté, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la société requérante détient de manière directe ou indirecte plusieurs filiales à 100 %, qu'elle a constitué des coentreprises - ou « joint-venture » - avec des tiers pour les besoins de ses activités et que la division « mousse souple » (polyuréthane) de ce groupe est organisée entre, d'une part, le pôle « Eurofoam » « construit autour d'une joint-venture détenue à 50 % par le groupe Recticel et à 50 % par le groupe Greiner », et d'autre part, le pôle « 100 % Recticel » « composé des sociétés historiques du groupe Recticel, détenues à 100 % par la société Recticel NV/SA », dont la société Recticel SAS, spécialisée dans la production de mousse souple.

C'est également sans erreur de droit que le tribunal en a déduit que la menace sur la compétitivité de l'entreprise Recticel SAS, invoquée par cette dernière pour justifier les licenciements litigieux, devait s'apprécier, au sein du groupe contrôlé par la société Recticel NV/SA, au niveau du secteur d'activité constitué du pôle « Eurofoam » et du pôle « 100% Recticel ».

C'est donc à bon droit que le tribunal administratif a jugé, en prenant en compte ce périmètre, que l'autorité administrative avait illégalement accordé les autorisations de licenciement sollicitées : la menace pour la compétitivité alléguée par la société Recticel SAS n'était pas établie au niveau du secteur d'activité en cause. 

(27 avril 2022, Société Recticel SAS, n°s 441784, 441786, 441788, 441789, 441790, 441792, 441793, 441794 et 441795)

 

100 - Pôle emploi - Extension d'un avenant à la convention collective nationale de cet établissement public administratif - Compétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre l'arrêté ministériel portant extension - Rejet.

Le syndicat demandeur contestait la légalité de l'arrêté ministériel du 15 janvier 2020 par lequel la ministre du travail a étendu les stipulations de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle emploi, lequel a été agréé par un arrêté du 22 novembre 2019 de la ministre du travail et du ministre de l'action et des comptes publics.

Outre les questions de fond soulevées à cet égard et dont tous les moyens y relatifs sont rejetés, le Conseil d'État tranche implicitement mais nécessairement en faveur de la compétence du juge administratif pour connaître des litiges nés d'extensions de la convention collective nationale de Pôle emploi.

La solution, pour inédite qu'elle soit, est logique : si le personnel de Pôle emploi relève – ce qui n’est guère judicieux - du droit privé, cet organisme est un établissement public administratif et ses salariés sont chargés par la loi d'une mission de service public.

(27 avril 2022, Fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 440521)

 

101 - Revenu de solidarité active (RSA) - Revenus tirés d'une activité professionnelle – Produit d'une sous-location d'appartement - Conditions de prise en compte - Absence de bénéfice tiré de cette sous-location - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le jugement qui estime que doit être pris en compte pour le calcul des droits au revenu de solidarité active le sous-loyer que son bénéficiaire perçoit de la sous-location d'une partie du logement qu'il occupe lui-même en qualité de locataire, alors même que celui-ci fait valoir qu'il n'en retire aucun bénéfice, cette sous-location lui ayant seulement permis de faire face à ses charges locatives en y contribuant partiellement. Cette annulation entraîne subséquemment - sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de cassation dirigés à son encontre - celle du jugement qui estime fondée la contrainte délivrée par un organisme social en vue de la répétition de l'indu prétendument né de cette sous-location.

(12 avril 2022, M. L., n° 440736)

 

102 - Emploi d'un étranger non muni d'une autorisation d'exercer en France une activité salariée - Infraction réprimée au moyen d'une contribution spéciale forfaitaire - Obligation de s'assurer de la proportionnalité de la sanction en cas d'invocation des difficultés financières de l'entreprise - Absence - Annulation.

Pour avoir employé un étranger non muni de l'autorisation administrative d'exercer une activité salariée en France la société requérante est condamnée à près de vingt mille euros de contribution spéciale forfaitaire (17700,00 euros) et de frais de réacheminement de l'employé (2124,00 euros).

Celle-ci, reconnaissant l'infraction, invoquait des circonstances propres à l'espèce, notamment des difficultés financières en résultant. La cour administrative d'appel a refusé de les examiner. Le Conseil d'État est à la cassation car il incombait à la cour pour exercer son plein contrôle sur la proportionnalité de la sanction, d'examiner si, au regard de la nature et de la gravité des agissements, il n'était pas justifié, en dépit de l'exigence de répression effective des infractions, que la société soit, à titre exceptionnel, dispensée de cette sanction. 

Il faut regretter cette propension du juge, qui diffuse partout désormais, de tailler des croupières aux textes législatifs sous prétexte de proportionnalité et autres considérations semblables. Aucun traité international ou autre norme quelconque ne peut fonder la subversion de l'ordre démocratique selon lequel le peuple, directement ou par ses représentants, au rang desquels ne se trouve pas le juge, même constitutionnel, a seul le pouvoir de vouloir en son nom et de décider. Donner au juge un pouvoir de réformation des règles et tarifs fixés par le législateur est un attentat contre cet ordre que les citoyens peuvent seul juger socialement désirable. C'est ici le lieu de rappeler ce principe cardinal énoncé par Montesquieu et qui à ses yeux de magistrat avait vertu d'évidence : les juges n'ont que le pouvoir d'empêcher non celui de statuer. Il appartient au législateur de se prémunir contre ces basses manoeuvres de contournement et de grignotage du plus vilain effet.

(12 avril 2022, Sarl Majesty Pizza, n° 449684)

 

103 - Liberté syndicale - Accord de méthode sur les conditions de participation à une négociation collective - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

En vue de négociations collectives à venir au sein du grand hôpital de l'Est francilien, un accord de méthode a été conclu entre les organisations syndicales et la direction de cet hôpital sur les conditions de ces négociations. L'organisation requérante considère que sur trois points cet accord porte atteinte à la liberté syndicale dans la fonction publique. Sa demande en référé liberté est rejetée.

Le juge des référés du Conseil d'État estime qu'il n'est porté atteinte à cette liberté :

- ni par la stipulation de l'accord selon laquelle chaque organisation syndicale doit désigner les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein de l'hôpital car si elle ne permet pas la participation du secrétaire général actuel du syndicat requérant, qui est retraité, elle n'empêche pas ledit syndicat de désigner tel de ses membres en activité ;

- ni non plus par la stipulation de l'accord critiqué décidant que le nombre de représentants habilités à négocier par chaque organisation syndicale est au plus égal à la moitié des membres élus titulaires du comité technique d'établissement ;

- ni non plus, enfin, par l'engagement pris par les organisations syndicales signataires de l'accord de méthode de s'engager à ne pas communiquer sur les négociations pendant toute la durée de celles-ci, dans le but de contribuer à leur bon déroulement.

(ord. réf. 19 avril 2022, Syndicat Union fédérale autonome santé (UFAS) du grand hôpital de l'Est francilien, n° 462991)

 

104 - Conseiller prud'homme - Première élection - Obligation de formation dans un certain délai à l'exercice de sa fonction juridictionnelle - Circonstance d'un congé maladie ou d'un congé maternité sans effet sur la sanction pour non respect du délai - Démission d'office - Rejet.

L'art. L. 1442-1 du code du travail impose à tout conseiller prud'homme désigné pour la première fois de suivre, dans les quinze mois à compter du premier jour du deuxième mois suivant sa désignation, une formation à l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, à défaut l'intéressé(e) est réputé démissionnaire d'office par le premier président de la cour d'appel.

Ce dernier, pour apprécier l'éventuel non respect de ce délai, ne peut pas tenir compte de circonstances, telles que le placement de l'intéressé en congé de maladie ou en congé de maternité, qui l'auraient mis dans l'impossibilité de remplir cette obligation dans le délai fixé. Par suite c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'en prenant une telle décision le chef de cour se borne à qualifier juridiquement le manquement à l'obligation de formation initiale et à constater la violation des dispositions précitées du code du travail, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l'espèce.

Le pourvoi est rejeté.

(21 avril 2022, Mme H. K. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449255)

(105) V. aussi, solution identique : 21 avril 2022, Mme E. G. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449262.

 

106 - Revenu de solidarité active (RSA) - Travailleur indépendant - Demande de remise gracieuse d'un indu de RSA - Pouvoirs et devoirs du juge - Compassion jurisprudentielle - Annulation.

Cette décision constitue une nouvelle illustration, en matière de contentieux sociaux, de l'exercice compassionnel de la fonction juridictionnelle.

Réitérant un certain courant jurisprudentiel dans l'exercice de la juridiction gracieuse en matière de RSA (V. par ex. : 15 juin 2009, Département de la Manche, n° 320040 ; 17 novembre 2017, M. Rodriguez, n° 400606) le Conseil d'État rappelle en ces termes la conduite à tenir.

« Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de RSA, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise.

Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a manqué à ses obligations déclaratives, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des éléments dépourvus d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des éléments ainsi omis, de l'information reçue et notamment, le cas échéant, de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les éléments omis »

La décision précitée de 2017 précisait en outre que : « A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration. »

(26 avril 2022, Métropole de Lyon, n° 441370)

 

107 - Revenu de solidarité active (RSA) - Octroi subordonné à une recherche d'emploi ou d'insertion sociale - Pouvoirs du président du conseil départemental - Annulation.

Si toute personne bénéficiant du RSA est, en contrepartie du droit à l'allocation, tenue à des obligations en matière de recherche d'emploi ou d'insertion sociale ou professionnelle et si le président du conseil départemental est en droit de suspendre le versement du revenu de solidarité active, il ne peut ni réviser à titre rétroactif les droits au RSA d'un bénéficiaire au motif d'inaccomplissement des démarches prévues, ni fonder un refus d'ouverture de droits au RSA sur un tel motif, sauf à ce que le demandeur ait fait l'objet d'une décision préalable de suspension de ses droits et n'ait pas signé un projet personnalisé d'accès à l'emploi ou l'un des contrats prévus aux articles L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles. 

(26 avril 2022, M. Fino, n° 453176)

 

Élections et financement de la vie politique

 

108 - Élection des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires – Scrutin de liste à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne – Demande d’annulation partielle des opérations électorales – Conditions – Rejet.

La recevabilité d’une demande d’annulation partielle d’élections tendant à la désignation des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires dont l’élection a lieu dans le cadre d’un scrutin à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne, est limitée à la satisfaction de l’une des quatre conditions suivantes en raison du caractère indivisible de l’attribution des sièges.

Les griefs au soutien de la protestation ne peuvent porter que sur l'inéligibilité d'un ou de plusieurs candidats ou bien sont susceptibles de conduire au prononcé de l'inéligibilité d'un ou de plusieurs élus, ou encore portent sur l'incompatibilité des fonctions d'un ou de plusieurs candidats avec le mandat de conseiller des Français de l'étranger ou de délégué consulaire, ou enfin permettent au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix.

En l’espèce la demande en ce sens est rejetée faute de satisfaire à l’une des ces conditions limitativement énumérées.

(7 avril 2022, M. D. et M. H., n° 453234)

(109) Voir aussi, rejetant une protestation dirigée contre le déroulement électronique des opérations électorales dans la circonscription du Paraguay parce que l’absence du nom complet d’un candidat n’a pu tromper aucun électeur et parce que l’affirmation de l’impossibilité pour certains électeurs de voter faute que l’administration leur ait adressé un authentifiant n’est pas étayée : 7 avril 2022, M. F., n°454063.

(110) Voir également, rejetant une protestation électorale relative à l’élection de quatre conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de l'Afrique occidentale fondée sur ce que sur les 22 suffrages exprimés (sur 25 électeurs inscrits) un bulletin présentait une irrégularité dans la taille des caractères imprimés sur celui-ci, chaque électeur imprimant lui-même son bulletin à partir d’un fichier numérisé et cette légère différence ne constituant ni un signe de reconnaissance de la part d’un électeur, ni une modification du modèle du bulletin de vote produit par une liste, ni comme susceptible d'affecter la désignation de la liste en faveur de laquelle le bulletin incriminé a été utilisé, elle n'a donc pu porter atteinte ni au secret du vote ni à la sincérité du scrutin : 7 avril 2022, M. A., n° 459522.

(111) V. encore, rejetant le grief d'irrégularité de certains bulletins et rectifiant les résultats du scrutin pour la circonscription d'Europe centrale et orientale : 26 avril 2022, M. H., n° 459373 ; M. M., n° 460304.

 

112 - Élections au conseil départemental – Très faible taux de participation – Circonstance indifférente à la régularité de l’élection – Rejet.

Rappel de ce que la faiblesse insigne du taux de participation à des élections n’entache pas d’irrégularité ou d’illégalité les résultats du scrutin. Il n’en irait autrement que si cette faiblesse traduis ait une situation de crainte, de peur de représailles ou autre qui caractériserait une atteinte à la libre expression du suffrage.

Pour le reste c’est bien évidemment à leur conscience que les élus sont renvoyés pour déterminer si le ridicule arithmétique des conditions de leur élection les atteint ou leur est indifférent…

(12 avril 2022, Élections départementales de l’Aisne, canton de Laon-I, n° 459807)

 

113 - Élections municipales - Accusations injurieuses par tracts - Gravité de la mise en cause d'un candidat figurant sur une liste - Impossibilité d'une défense ou réponse utile - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation du second tour des élections.

Le Conseil d'État confirme la décision des premiers juges d'annuler le second tour d'élections municipales en jugeant qu'un tract injurieux mettant gravement en cause la moralité d'un des candidats figurant sur une liste, diffusé dans une soixantaine de boîtes à lettres au moins et largement commenté sur les réseaux sociaux, n'avait pu faire l'objet d'une défense utile même en prenant en considération le délai écoulé entre sa distribution et le second tour du scrutin, la circonstance que la liste concernée ait pu diffuser, dans ce délai, un tract condamnant ces accusations, sans les imputer à qui que ce soit, ou encore la circonstance que les candidats figurant sur la liste adverse auraient été étrangers à la diffusion du tract litigieux. En effet, le juge relève qu'aucun de ces éléments n'a pu notablement réduire les effets des imputations portées dans ce tract.

(14 avril 2022, Mme O., Él. mun. de Pugny-Chatenod, n° 446922)

 

114 - Élection présidentielle - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et du respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

V. n° 183

 

115 - Élection présidentielle - Demande d'annulation de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant la liste des candidats à cette élection - Demande de suspension de cette élection - Demande d'assignation en justice des membres du Conseil constitutionnel - Demande de mise en place d'un comité de suspension confiée au groupement requérant - Incompétence manifeste du Conseil d'État - Rejet.

Avec un tel florilège de demandes adressées au juge des référés du Conseil d'État il n'y avait pas grand risque à en prédire l'échec. Un regret cependant, pour donner à la chose tout son prix si l'on peut dire : l'absence d'amende pour recours abusif.

(ord. réf. 7 avril 2022, Syndicat anti-fraude, anti-corruption, justice et Mme B., n° 462964)

(116) V. aussi, le rejet du recours eiusdem farinae tendant à voir le Conseil d'État suspendre l'exécution de la décision du 7 mars 2022 du Conseil constitutionnel portant liste officielle des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 et valider la candidature du requérant à cette élection : ord. réf. 7 avril 2022, M. B., n° 462967

(117) V. également, le rejet d'un recours en référé suspension par lequel il était demandé au juge ad hoc du Conseil d'État de procéder à l'invalidation de la candidature de M. A. par l'annulation de la décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022 portant liste des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 : ord. réf. 8 avril 2022, Association Le Peuple de France et M. D., n° 463024.

(118) V., assez pittoresque, le rejet, pour incompétence du Conseil d’État, de la demande d’annulation du second tour des élections présidentielles du 23 avril 2022 en même temps que de la demande de suspension de son titulaire actuel, des fonctions de président de la république à raison d’un état de santé incompatible avec ces fonctions : ord. réf. 22 avril 2022, Mme A., n° 463347.

 

119 - Élection présidentielle - Vote des Français de l'étranger - Impossibilité de voter à Shanghaï - Décision des autorités locales - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d'exécution de la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, révélée par un communiqué publié sur le site internet de l'ambassade de France en Chine le 22 avril 2022, de ne pas ouvrir le bureau de vote de Shanghaï pour le second tour de l'élection présidentielle, le dimanche 24 avril 2022.

Pour rejeter ce recours, le juge des référés du Conseil d'État se fonde sur ce que les autorités chinoises de Shanghaï - sollicitées en ce sens par le consul général de France dans cette ville - ont réitéré, par oral, leur refus d'autoriser l'ouverture de bureaux de vote en vue du second tour des élections présidentielles à raison du strict confinement imposé pour lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19.

S'instaure ainsi une règle implicite : ne peut être discutée au contentieux une décision prise par des autorités nationales étrangères conduisant à interdire l'accès à et/ou l'ouverture de bureaux de vote pour les Français résidant à l'étranger. Si l'on peut admettre une solution bien proche du régime de l'acte de gouvernement, il est regrettable que l'on ne songe pas à la contourner d'élégante façon en réinstaurant, surtout pour cette élection, le vote électronique qui a très bien fonctionné chaque fois où il a été appliqué.

Il ne faudrait pas croire que le cas ici en cause est isolé : ainsi, en Italie, tout Français atteint de Covid-19 n'a pu se rendre aux urnes lors de cette même élection présidentielle.

Il faut retenir que les bureaux de vote à l'étranger couvrent de vastes territoires concernant donc plusieurs centaines voire milliers de personnes.

Enfin, le délai d'établissement des procurations ne permet pas de couvrir les cas apparus dans les dernières semaines avant le scrutin.

(ord. réf. 23 avril 2022, M. A., n° 463437)

 

120 - Élections régionales - Compte de campagne - Absence de dépôt et de réponse à une mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Inéligibilité confirmée.

Saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le Conseil d'État inflige à la tête de liste, en région Guadeloupe, une inéligibilité de dix-huit mois à compter de sa décision pour non dépôt du compte de campagne dans le délai imparti et non réponse à la mise en demeure adressée par la Commission.

Cette omission constitue, en effet, compte tenu de l'absence d'ambiguïté de la règle applicable et, en l'espèce, de l'absence de toute justification, un manquement caractérisé et délibéré à une obligation substantielle.

(29 avril 2022, Mme A., n° 459494)

(121) V. aussi, la solution identique retenue à propos de ces mêmes élections régionales à l'encontre d'un candidat tête de liste qui, pour justifier le non dépôt de son compte de campagne, invoque la maladie de sa mandataire financier et l'impossibilité pour lui d'accéder au compte bancaire ouvert à cet effet, le juge relevant le peu de preuve de cet état de fait et l'absence de réponse de sa part à la demande d'observations puis à la mise en demeure qui lui ont par la suite été adressées par la Commission : 29 avril 2022, M. D., n° 459495.

 

Environnement

 

122 - Études de dangers concernant les gares de triage – Demande d’annulation partielle de la note technique ministérielle en ce sens – Compétence de son auteur – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

L’association recherchait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le point 2.1 de la note technique du 22 juin 2015 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative aux études de dangers remises en application de l'article L. 551-2 du code de l'environnement et au porter-à-connaissance concernant les gares de triage.

Le premier alinéa de l’art. L. 551-2 du code de l’environnement prévoit que : « Lorsque du fait du stationnement, chargement ou déchargement de véhicules ou d'engins de transport contenant des matières dangereuses, l'exploitation d'un ouvrage d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure ou d'une installation multimodale peut présenter de graves dangers pour la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques, directement ou par pollution du milieu, une étude de dangers est réalisée et fournie à l'autorité administrative compétente. Un décret en Conseil d'État précise selon les ouvrages d'infrastructure si cette étude est réalisée par le maître d'ouvrage, le gestionnaire de l'infrastructure, le propriétaire, l'exploitant ou l'opérateur lorsque ceux-ci sont différents. Cette étude est mise à jour au moins tous les cinq ans.(…) ». L’art. R. 551-1 de ce code dispose notamment que cette étude de dangers « En tant que de besoin, (…) donne lieu à une analyse de risques qui prend en compte la probabilité d'occurrence, la cinétique et la gravité des accidents potentiels, que leur cause soit interne ou externe, selon une méthodologie qu'elle explicite. Elle définit et justifie les mesures propres à réduire la probabilité et les effets de ces accidents. »

Sur le fondement de ce dernier texte un arrêté interministériel du 18 décembre 2009 énumère les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte pour les études de dangers des ouvrages d'infrastructures de transport où stationnent, sont chargés ou déchargés des véhicules ou des engins de transport contenant des matières dangereuses. Cet arrêté énonce notamment la liste minimale des phénomènes dangereux et des scenarii-types à prendre en compte.

La note technique litigieuse a pour objet de compléter cet arrêté en tant qu’elle définit les phénomènes dangereux à considérer et les probabilités d'occurrence à utiliser. Selon son point 2, objet du présent recours en annulation, suite à une étude relative à l'accidentologie sur les gares de triages européennes menée en 2013, énumère les dispositions que devront prendre en compte les prochaines études de dangers ou leurs révisions : la localisation des phénomènes dangereux (point 2.1) et leur probabilité (point 2.2). En particulier, le point 2.1 de la note précise que « dans les prochaines études de dangers ou leurs révisions, l'origine des phénomènes dangereux étudiés sera considérée comme limitée à la zone de formation et à la zone de débranchement pour les gares de triage à butte. En l'absence de butte de triage, seul le faisceau de la zone de formation des trains sera pris en compte. » En outre, elle indique que les zones « dites de réception et de départ » quand elles ne se confondent pas avec les zones de formation et de débranchement, « ne présentent pas une accidentologie spécifique justifiant leur prise en compte dans le cadre de la démarche de maîtrise des risques prévue par le code de l'environnement ».

Répondant à un premier argument de la demanderesse, le juge estime que si le législateur a prévu à l’art. L. 551-2 précité qu’un décret en Conseil d’État déterminera les catégories d'ouvrages concernés par l'étude de dangers dont elles prévoient la réalisation ainsi que la personne chargée de la réaliser, le ministre chargé des transports de matières dangereuses n’en est pas moins compétent pour préciser les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte dans une telle étude, en les adaptant, le cas échéant, à chaque catégorie d'ouvrages concernée. En apportant, par le point 2.1 de la note contestée, les indications qu’elle contient, la ministre de l'écologie s'est bornée à préciser les critères techniques et méthodologiques applicables à cette catégorie d'ouvrage et n'a pris aucune disposition qui relèverait d'un décret en Conseil d'État en application des dispositions de l'article L. 551-2 du code de l'environnement. Le moyen développé sur ce point par l'association requérante est rejeté car la note n’a pas été prise par une autorité incompétente et ne contrevient pas, par ses dispositions, aux art. R. 551-1 et suivants du code précité.

Est également rejeté le second argument, tiré de la non publication de l'étude d'accidentologie, suite à l’accident survenu en gare de Sibelin en mars 2017, sur laquelle s'est fondée la ministre pour édicter les dispositions contestées car cela n’établit pas que le refus d’abroger les points litigieux de la note précitée serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

(5 avril 2022, Associations Contre le Train en zone Urbaine et pour le Respect de l'Environnement (FRACTURE), n° 452268)

 

123 - Demande de désignation d’une autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union (art. 3 règlement (UE) du 16 avril 2004) – Possibilité de désigner la direction d’un ministère – Obligation d’indépendance de cette autorité par rapport à toute organisation intervenant dans ce secteur d’activités – Absence en l’espèce – Annulation.

Les seize associations requérantes demandaient l’annulation du refus implicite opposé par le président de la république et le premier ministre à leur demande de désigner en tant qu’autorité responsable de la procédure des restrictions d’exploitation en vue de lutter contre les nuisances aéroportuaires une personne ou entité indépendante de tout organisme intervenant dans ce secteur au lieu de l’entité désignée en mars 2017.

Elles reprochaient aux intéressés d’avoir désigné à cet effet la direction générale de l'aviation civile qui ne leur apparaît pas présenter les garanties d’indépendance requises par le règlement européen du 16 avril 2004.

Pour accueillir ce moyen et dire irrégulière cette désignation, le Conseil d’État relève qu’en soi une telle désignation ne contrevient pas aux dispositions de ce règlement à condition que soit assurée « l'indépendance de cette autorité, notamment vis-à-vis de toute organisation qui interviendrait dans l'exploitation de l'aéroport, le transport aérien ou la fourniture de services de navigation aérienne, ou qui représenterait les intérêts de ces branches d'activités ainsi que ceux des riverains de l'aéroport. »

Il constate que cette condition fait défaut en l’espèce car « de telles garanties ne ressortent, s'agissant de la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l'aviation civile, ni des pièces du dossier ni du décret du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Au contraire, il résulte de l'article 6 de ce décret, que la tutelle de l'établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse est assurée, pour la France, par cette direction. Par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation méconnaît les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 ».

Les décisions refusant d’abroger cette désignation sont irrégulières et injonction est faite au premier ministre de procéder sous six mois à la désignation d’une autorité présentant les garanties d’indépendance exigées par le droit de l’Union.

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA) et autres, n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 2

 

124 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation déjà prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

L’arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’un parc éolien en mer n’est pas illégal en ce qu’il n’a pas prévu la saisine du comité de gestion et de suivi du parc éolien préalablement à l'adoption du protocole de suivi et de transmission des mesures de surveillance et de contrôle, dès lors que l'obligation de le consulter a été prévue par un arrêté antérieur toujours en vigueur.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

 

125 - Évaluation de l'incidence de certains projets sur l'environnement - Obligation d'impartialité - Séparation fonctionnelle entre autorité de décision ou autorisation et autorité ce consultation (art. 6 directive du 13 déc. 2011) - Autonomie réelle de l'entité donneuse d'avis - Cas où la compétence d'autorisation appartient au préft de département autre que le préfet de région - Annulation.

Rappel - une nouvelle fois - et cette obligation incessante pour le juge de se répéter a quelque chose d'agaçant,  qu'il se déduit des dispositions de l'art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, que l'autorité qui a rendu l'avis sur un projet de nature à affecter l'environnement doit disposer d'une autonomie réelle en particulier du fait qu'elle dispose de moyens administratifs et humains propres.

Tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le projet (ici d'autorisation d'exploitation d'un parc éolien) a été instruit pour le compte du préfet de département par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, dès lors qu'au sein de cette dernière l'avis n'a pas été préparé par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

Doit ainsi être annulé pour dénaturation des faits de l'espèce l'arrêt confirmatif attaqué qui a rejeté le grief tiré de l'irrégularité de la consultation.

(13 avril 2022, M. et Mme A. c/ Préfet du Val-de-Loire et Sarl Val de Moines Énergies, n° 447406)

 

126 - Protection des oiseaux - Cas du grand cormoran ou Phalacrocorax carbo sinensis - Quotas préfectoraux des dérogations à l'interdiction de destruction - Absence d'atteinte à la directive « oiseaux sauvages » - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de l'arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022.

Le Conseil d'État rejette tant les moyens de légalité externe (non examinés ici) que les moyens de légalité interne.

Concernant ces deniers, il estime en premier lieu qu'il n'est pas porté atteinte aux objectifs poursuivis par la directive européenne du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages en raison de l'ensemble des exigences réglementaires encadrant les décisions portant quotas dérogatoires.

En deuxième lieu, l'arrêté litigieux se borne à fixer des plafonds de destructions modulables, sans pouvoir être dépassés, par les préfets en fonction des circonstances locales et lorsque n'y existe aucune autre solution satisfaisante.

En troisième lieu, s'il existe incontestablement un risque de confusion entre deux espèces de grands cormorans, le carbo sinensis et le carbo carbo, cette dernière espèce étant particulièrement vulnérable et protégée - aucune destruction n'étant autorisée -, l'arrêté attaqué a fixé, pour les trois départements où ces deux espèces coexistent, des quotas annuels de destruction très bas, la solution alternative des effarouchements y étant, en dépit de sa moindre efficacité supposée, privilégiée.

(21 avril 2022, Association One Voice, n° 435539)

(127) V. aussi, assez comparable, la solution de rejet de recours en annulation de l'arrêté interministériel du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) : 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448136 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448185 ; Association FERUS, n° 448210 et 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448141 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448203 ; Association FERUS, n° 448214, deux espèces)

 

128 - Parc naturel régional - Charte du parc - Rapports avec une autorisation d'implantion ou d'exploitation d'une installation classée pour l'environnement - Obligation de cohérence avec les objectifs définis dans la charte du parc - Erreur ce droit - Annulation avec renvoi.

Dans la présente affaire le Conseil d'État réitère la solution qu'il avait retenue dans un arrêt de Section ayant jugé que l'activité d'extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter des mesures précises la concernant (Section 8 février 2012, Union des industries de carrières et matériaux de construction de Rhône-Alpes, n° 321219, Rec. Lebon p. 26).

En l'espèce, la solution antérieure est précisée, sa portée étendue ainsi que son champ d'application.

Il appartient à l'autorité administrative chargée d'autoriser l'implantation et/ou l'exploitation d'une installation classée pour l'environnement dans un parc naturel régional d'assurer la cohérence entre les objectifs de la charte du parc et la décision individuelle d'autorisation.

A cet effet, d'une part, la charte ne peut légalement ni imposer des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard ni subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur. D'autre part, cependant, le caractère général des orientations définies dans la charte peuvent être mises en oeuvre au moyen de règles de fond précises avec lesquelles les décisions des différentes autorités administratives compétentes doivent être cohérentes, sous réserve de ne pas méconnaître les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que l'arrêt d'appel a jugé inopérant le moyen tiré de ce que pour autoriser l'implantation d'éoliennes le préfet n'avait pas tenu compte de la charte d'un parc naturel régional alors qu'il lui incombait au contraire de vérifier si l'autorisation d'exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte et ses documents annexes.

(21 avril 2022, Comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie et autres, n° 442953)

 

129 - Principe d'interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d'une espèce protégée dont l'état de conservation est défavorable (Cf. art. L. 411-1 du c. env.) - Cas de l'ours brun des Pyrénées - Mesures dérogatoires d'effarouchement - Conditions de légalité - Formes d'effarouchement légales et formes d'effarouchement illégales - Annulation partielle.

Les requérantes poursuivaient l'annulation de l'arrêté du 12 juin 2020 de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

Le juge relève tout d'abord que, malgré diverses mesures, l'état de conservation de l'espèce « ours brun » n'a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l'article 1er de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats ».

Il constate ensuite que l'arrêté attaqué ayant pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu'au 1er novembre 2020, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, a prévu en son art. 2 deux formes d'effarouchements après un certain nombre d'attaques de troupeaux par des ours réparties sur un laps de temps déterminé.

Il juge enfin que si la première forme d'effarouchement ou effarouchement simple (par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux) ne porte pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromet pas l'amélioration de l'état de l'espèce, il n'en va pas de même de la seconde forme dite effarouchement renforcé (par des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation) en l'absence de données scientifiques nouvelles témoignant que les dérogations susceptibles d'être accordées par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce.

En conséquence, la dérogation en faveur de cette seconde forme d’effarouchement est annulée.

(22 avril 2022, Association Ferus - Ours, loup, lynx et autres, n° 442676 : Association Sea Shepherd France, n° 442769, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Acquisition de la nationalité par mariage après déclaration - Opposition du gouvernement - Indignité - Liens avec le service de renseignement de la Tunisie - Rejet.

C'est sans illégalité que le premier ministre, pour s'opposer à l'acquisition de la nationalité par mariage sur déclaration de l'intéressé a retenu notamment les liens que celui-ci avait entretenus et continuait d'entretenir avec les services de renseignement de la Tunisie, ainsi qu'en attestaient ses nombreux contacts avec des autorités françaises et tunisiennes, en particulier l'hébergement, dans les locaux de l'association qu'il préside, d'un diplomate détaché du consulat de Tunisie à Paris.

(26 avril 2022, M. I., n° 449785)

 

Étrangers

 

131 - Refus de délivrance d'un titre de séjour mention « étudiant »,  assorti d'une OQTF - Condition de bourse non remplie - Absence de poursuite de scolarité en France depuis l'âge de seize ans - Attaches familiales en Tunisie - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de contradiction de motifs, sans insuffisance de motivation, sans inexactitude dans la qualification des faits ni dénaturation des faits qu'une cour administrative d'appel juge successivement :

1° qu'une étrangère titulaire d'une bourse de l'enseignement supérieur ne peut demander l'octroi de plein droit d'une carte avec la mention « étudiant », ceci étant réservé aux seuls « boursiers du gouvernement français » c'est-à-dire ceux bénéficiaires d'une bourse attribuée par le ministère des affaires étrangères ;

2° qu'elle ne peut pas davantage solliciter une dispense du visa de long séjour dès lors qu'elle n'a pas été scolarisée en France depuis l'âge de seize ans ;

3° que si la requérante a obtenu le baccalauréat, avec mention très bien, en France, où elle a reçu en septembre 2017 une bourse de l'enseignement supérieur ainsi qu'une bourse au mérite au titre de l'année 2017-2018, et suivait avec succès, à la date de la décision attaquée une scolarité en classes préparatoires scientifiques au lycée Masséna de Nice, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales et affectives en Tunisie, où elle a passé l'essentiel de sa vie, et où elle pourrait poursuivre ses études, et ne justifiait pas, à la date de la décision attaquée, de la présence en France de membres de sa famille, comme l'ont relevé les juges du fond, son frère, notamment, ne s'étant vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour que postérieurement à cette décision.

La solution est sévère mais la ligne de défense choisie n'autorisait guère une autre réponse.

(21 avril 2022, Mme A., n° 442200)

 

132 - Étranger titulaire d'une carte de résident - Bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) - Condition - Absence ici - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif jugeant que le titulaire d'une carte de résident en qualité d'ascendant à charge d'un ressortissant de nationalité française peut bénéficier du revenu de solidarité active alors même qu'il n'invoque aucun changement dans sa situation depuis la délivrance de ce titre.

En effet, le titulaire d'une telle carte est réputé entièrement pris en charge par son descendant et ne saurait dès lors, en principe, être regardé comme remplissant la condition de ressources nécessaire à l'octroi du RSA sauf dans le cas où, invoquant un changement dans sa situation à cet égard depuis la délivrance de ce titre de séjour, il justifie qu'il ne peut plus, du fait de ce changement, être regardé comme entièrement pris en charge par son descendant et à condition que compte tenu de l'ensemble des autres ressources du foyer il satisfasse à la condition d'éligibilité au RSA.

(26 avril 2022, Département de la Drôme, n° 449780)

 

133 - Libération des liens d'allégeance avec la France - Perte subséquente de la qualité de Français - Impossibilité de recouvrer la nationalité française sauf à solliciter la réintégration dans la nationalité française - Rejet.

La personne qui a perdu la qualité de français par suite de sa demande de libération des liens d'allégeance avec la France ne peut obtenir le retrait ou l'abrogation  du décret accordant cette libération sauf à démontrer qu'elle n'est pas l'auteur véritable de la demande de libération ou à s'engager dans la procédure de réintégration dans la nationalité française dans le respect des art. L. 24-1 et L. 24-2 du Code civil.

(26 avril 2022, Mme G., n° 454218)

 

Fonction publique et agents publics

 

134 - Procédure disciplinaire – Principe général du droit d’impossibilité d’aggravation d’une sanction dans le cadre de l’appel formé par le seul sanctionné – Notion d’aggravation – Violation de ce principe – Annulation.

Un universitaire a fait l’objet, de la part de la section disciplinaire de son université, d’une interdiction d'exercice des fonctions de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans, avec privation de la moitié du traitement.

Sur appel du sanctionné, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire a annulé cette décision et infligé à l’appelant la sanction de l'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de trois ans, avec privation de la totalité du traitement. 

L’intéressé se pourvoit en cassation contre cette décision.

Le Conseil d’État relève d’office le moyen – car il est d’ordre public – tiré du principe général du droit disciplinaire de la fonction publique selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel, lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction. Cette solution est classique (cf. 14 mars 1994, Patrick Yousri, n° 115915, Rec. Lebon, tables p. 1144-1166, à propos d’une sanction disciplinaire infligée à un architecte ; 17 juillet 2013, M. Dioum, Rec. Lebon p. 223, en matière universitaire).

La difficulté était de déterminer si le CNESER avait, ou non, aggravé la sanction prononcée en première instance puisqu’il avait, d’une part, réduit de cinq à trois ans la durée de l’interdiction d’exercice, d’autre part et au contraire, aggravé l’étendue du champ d’application de la sanction qu’il a étendu à l’enseignement en sus de la recherche et le quantum financier puisque la privation de traitement était passée de la moitié à la totalité de celui-ci.

L’art. L. 952-8 du code de l’éducation, qui énumère les sanctions applicables, énonce en son 5° « L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; (…) ».

Le juge de cassation considère que les sanctions reposent ainsi sur la combinaison de quatre éléments (nature et étendue des fonctions dont l'exercice est interdit, périmètre de l'interdiction d'exercice, durée de celle-ci et étendue de la privation de traitement), d’où il tire cette conséquence qu’une sanction doit être regardée comme aggravée lorsque l'un de ces éléments est aggravé et cela même dans le cas où l’un quelconque des autres éléments serait atténué.

La sanction infligée au requérant a donc été aggravée en appel alors qu’il était seul appelant, elle doit ainsi être annulée car elle contrevient au principe général du droit susénoncé.

(6 avril 2022, M. M., n° 438057)

 

135 - Procédure disciplinaire - Non respect du délai de convocation devant le conseil de discipline - Urgence présumée en raison de la gravité des effets d'une suspension temporaire des fonctions pour deux ans - Erreur de droit du juge des référés - Doute sérieux sur la légalité de la sanction attaquée - Suspension de la sanction ordonnée.

Le requérant a fait l'objet de la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions de technicien de recherche et de formation au rectorat de l'académie de Poitiers, pour une durée de deux ans.

Il a contesté cette décision en vain devant le juge des référés du tribunal administratif. Son pourvoi est reçu par le Conseil d'État qui a annulé l'ordonnance qui lui était déférée.

D'une part, ce dernier a constaté l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée en ce qu'elle a été prise sans respect du délai de quinze jours prévu par la réglementation pour convoquer un agent devant le conseil de discipline.

D'autre part, la gravité des effets d'une suspension de fonctions durant deux années confère une présomption d'urgence à la demande de suspension.

La réunion des deux conditions nécessaires à cet effet conduit le juge à ordonner la suspension de la sanction litigieuse.

(22 avril 2022, M. B., n° 452906)

 

136 - Université – Recrutement sur un emploi de professeur – Procédure – Compétences respectives du comité de sélection et du conseil académique - Obligation pour ce dernier de motiver ses avis et interdiction de porter des appréciations d’ordre scientifique – Annulation.

Le recrutement des professeurs d’université, en dehors des disciplines comme le droit ou la médecine, où il existe un recrutement par un concours d’agrégation, et même pour le droit, dans les cas de recrutement hors concours d’agrégation, se déroule en trois temps : un examen et un classement des candidats retenus par le comité de sélection, l’avis du conseil académique et la décision du conseil d’université en formation restreinte aux agents d’un rang au moins égal à celui du poste à pourvoir.

En l’espèce, le Conseil d’État annule l’avis d’un conseil académique sur la candidature d’une maître de conférences sur un emploi de professeur des universités pour deux motifs principaux : il n’est pas suffisamment motivé en ce qu’il se borne à relever une « inadéquation entre la candidature et le profil du poste » sans indiquer aucunement les raisons de cette appréciation et il est entaché d’incompétence car il relève l’« insuffisance d'éléments sur les travaux de recherche » alors que, à la différence du comité de sélection, le conseil académique ne constitue pas un jury et qu’il ne lui revient donc pas d’apprécier les mérites scientifiques des candidats retenus par ce comité, surtout pour ne pas donner suite à l’avis motivé favorable du comité.

Encore une fois sévissent la complexité des procédures de recrutement dans l’enseignement supérieur dont les étapes successives ne font que traduire la défense de divers prés carrés et l’hypocrisie du fondement réel des décisions de recrutement à cause d’une opacité profonde habillée en une prétendue transparence. Compte tenu de l’évolution depuis un quart de siècle, ce mal va s’étendre encore davantage, les pouvoirs publics n’ayant de cesse que de se plier aux exigences de potentats universitaires plus soucieux de leur puissance que de la qualité des enseignants de l’enseignement supérieur.

(6 avril 2022, Mme D., n° 447899)

 

137 - Allocation temporaire d’invalidité – Conditions d’octroi – Situation de l’agent victime d’un accident de service occasionnant une invalidité permanente mais placé en congé maladie pour un autre motif – Droit à l’allocation – Erreur de droit – Annulation.

Victime d’un accident, reconnu imputable au service par la présidente d’un conseil départemental, une adjointe administrative a sollicité l’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité. Cela lui a été refusé par décision du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, agissant en qualité de gestionnaire de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales ; le recours formé contre ce refus a été rejeté par le tribunal administratif. L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement pour erreur de droit.

Pour rejeter le recours, ce dernier s’était fondé sur ce que la requérante ne pouvait prétendre au versement de cette allocation au 15 mars 2017, date de consolidation des séquelles de l'accident de service, car elle n'avait pas repris ses fonctions en raison d'un syndrome de stress post-traumatique et de troubles dépressifs associés la conduisant à être placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée. Le tribunal a ensuite déduit, d’une part des articles L. 417-8 et L. 417-9 du code des communes, maintenus en vigueur et étendus à l'ensemble des agents concernés par la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale par le III de son article 119 et, d’autre part, de l'article 2 du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, que le fonctionnaire victime d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 % ne peut bénéficier d'une telle allocation qu'à compter de la date à laquelle il reprend effectivement ses fonctions. 

Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car, précisément, il découle de ces dispositions que le fonctionnaire territorial qui justifie d'une invalidité permanente résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 10 % et qui ne peut reprendre ses fonctions en raison d'un placement en congé de maladie pour un autre motif a droit au versement de l'allocation temporaire d'invalidité à compter de la constatation officielle de la consolidation de sa blessure ou de son état de santé s'il formule une demande en ce sens dans l'année qui suit cette constatation. 

(6 avril 2022, Mme Q., n° 453847)

 

138 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

Un militaire nommé par décret du président de la république a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de « retrait d'emploi par mise en non-activité » pour une durée de six mois à compter de la notification du décret à l'intéressé. Sa rémunération a, en conséquence, été réduite à 40% de sa solde tandis qu’une redevance d'occupation majorée a été mise à sa charge pour le logement qui lui avait été concédé.

Il saisit le Conseil d’État, normalement compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au recrutement et à la discipline des agents nommés par décret du président de la république (art. R. 311-1 CJA). Le Conseil d’État renvoie le requérant devant le tribunal administratif de Paris car sa requête est fondée sur que la sanction dont il a fait l’objet n'était pas exécutoire faute de lui avoir été régulièrement notifiée et sur la demande de condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de son exécution. De tels griefs n’entrent pas dans le champ d’application de la disposition dérogatoire – et donc appréciée restrictivement – précitée.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

 

139 - Professeur des universités – Procédure de recrutement – Unicité du jury – Impartialité – Présence d’un professeur émérite d’une université étrangère – Utilisation de la visioconférence – Annulation d’une précédente procédure de recrutement – Conséquences devant en être tirées – Rejet.

Cette affaire constitue une nouvelle illustration des défectuosités inhérentes aux recrutement de professeurs dans l’enseignement supérieur du moins dans les disciplines où n’existe pas un véritable concours.

En l’espèce, le requérant – candidat sur un emploi de professeur de géographie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis - avait obtenu du Conseil d’État l’annulation d’une précédente procédure de recrutement le concernant et sa reprise au stade de l'examen, par le comité de sélection, des candidatures en vue de leur audition. La seconde procédure n’ayant pas débouché sur son recrutement, il a à nouveau saisi le Conseil d’État, cette fois sans succès car tous ses moyens sont rejetés.

Ici, le juge estime d’abord qu’aucune règle ni aucun principe n'impose que le comité de sélection, lorsqu'il se prononce sur les mérites des candidats en vue de leur audition, statue dans une composition identique pour tous les candidats. A cet égard, la seule circonstance qu'un membre du jury d'un examen ou d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de cet examen ou de ce concours. Autant dire que le principe d’unicité du jury se trouve ainsi bien malmené.

Ensuite, il est jugé que le principe d'impartialité, s’il faisait en l'espèce obstacle à ce que M. Fox, président du comité de sélection, et Mme N. participent de nouveau à l'examen de la candidature de M. E., compte tenu de la nature de leurs relations personnelles, il n'exigeait nullement que le conseil académique nomme un nouveau président ou modifie plus largement la composition du comité de sélection. Par suite la délibération du conseil académique fixant la composition de ce comité n’était pas irrégulière.

Également, il est jugé que l'annulation de la délibération précédente du comité de sélection n'impliquait pas, contrairement à ce que soutient M. E., que deux nouveaux rapporteurs soient chargés d'émettre un avis sur sa candidature. Ainsi, le comité de sélection a pu valablement délibérer au vu du rapport établi en 2017 et du nouveau rapport établi par le rapporteur désigné le 10 mai 2019 en remplacement de M. Fox. 

Enfin, seule une erreur manifeste d’appréciation – condition à peu près introuvable – pourrait être censurée s’agissant de l’inadéquation relevé par le jury entre le profil du candidat et celui du poste à pourvoir.

Ceci démontre qu’il est impossible d’imposer à une université, par voie juridique, qu’elle recrute le meilleur candidat. In fine elle obtient toujours gain de cause même si, le cas échéant, son choix devait être mauvais ou inadéquat et le juge reste impuissant.

(12 avril 2022, M. E., n° 433633)

 

140 - Agents publics à statut – Personnel des chambres de commerce et d’industrie – Licenciement pour suppression de poste – Procédure – Conditions de consultation de la commission paritaire – Exigence de reclassement – Rejet.

L’agent d’une chambre de commerce et d’industrie (CCI) sous contrat à durée indéterminée est licencié après que son emploi a été supprimé.

Se posaient deux questions.

En premier lieu, il est rappelé qu’en vertu d’un principe général du droit, commun au droit du travail et à celui de la fonction publique, s’impose à l’employeur, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, une obligation de chercher à reclasser l'intéressé.

En second lieu, le statut du personnel de ces chambres prévoit en cette hypothèse l’intervention d’une consultation de la commission paritaire régionale de la CCI de région. Le Conseil d’État juge que, d’une part, la consultation de cette commission ne peut avoir lieu, conformément à ces dispositions statutaires, qu’après l’entretien individuel préalable au licenciement et, d’autre part, qu’en revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe une obligation de consulter cette commission avant que l'assemblée générale de la CCI de région ne décide de supprimer un emploi.

C’est donc sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé comme elle l’a fait : le pourvoi est rejeté.

(12 avril 2022, M. K., n° 450467)

 

141 - Désignation des représentants syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique territoriale – Application de la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne – Possibilité de listes incomplètes – Annulation – Admission partielle.

La répartition des sièges syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique est une source inépuisable de contentieux, obligeant le juge à rappeler sans cesse un certain nombre de solutions bien établies.

En premier lieu, c’est sans illégalité que l’art. 23 du décret du 17 avril 1989 dispose que les sièges de représentants syndicaux titulaires sont répartis entre les listes, en fonction des voix recueillies par chacune d'elles, à la proportionnelle à la plus forte moyenne conformément aux dispositions des art. 29 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et 9 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

En deuxième lieu, c’est sans illégalité que le décret attaqué dispose que cette règle de représentation proportionnelle doit s'apprécier au regard du nombre de sièges de représentants titulaires obtenus par chaque liste au sein de la composition de la commission, prise dans son ensemble, et non au sein de chacun des groupes hiérarchiques de la catégorie d'agents concernés.

En troisième lieu, les organisations syndicales ne sont pas tenues de présenter des listes complètes dans tous les groupes hiérarchiques de la commission paritaire.

Enfin, d’une part, le a) et la deuxième phrase du b) de l'article 23 du décret précité, pour garantir les droits des listes qui ne sont pas arrivées en tête lors des élections des représentants du personnel aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales, décident que ces listes doivent être assurées non seulement qu'elles obtiendront le nombre de sièges auxquels les résultats du scrutin leur donnent droit, mais encore qu'elles pourront obtenir ces sièges dans les groupes hiérarchiques pour lesquels elles avaient présenté des candidats, dans la mesure où le nombre des sièges qu'elles ont obtenus le leur permet. Cependant, d’autre part, ces mêmes dispositions ne sauraient conduire à ce que la répartition globale des sièges de représentants titulaires issue du scrutin proportionnel soit modifiée.

Application de ces principes est faite au cas de l’espèce où le juge répartit lui-même les sièges de titulaires et de suppléants au sein de la commission administrative paritaire des agents de catégorie C du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Meuse. 

(12 avril 2022, Syndicat CFDT Interco Meuse et Fédération Interco CFDT, n° 451408)

 

142 - Personnels de l’État affectés dans un établissement public administratif (EPA) – Déconcentration du pouvoir de les gérer au profit du directeur de l’établissement – Décision de déconcentration relevant d’un décret en Conseil d’État – Compétence du directeur pour la gestion des membres de ce corps affectés en dehors cet EPA – Rejet.

Un décret en Conseil d’État a prévu qu'à compter du 1er janvier 2022, les membres des corps d’agents techniques de l’environnement et de techniciens de l'environnement seront recrutés, nommés et gérés par le directeur de l'Office français de la biodiversité.

Le syndicat requérant demande l’annulation de la décision de rejet de sa demande d’abrogation des art. 5 et 11 du décret du 22 mai 2020.

Le recours est rejeté tout d’abord car il résulte de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qu'une déconcentration de l'ensemble des actes de gestion des membres d'un corps de fonctionnaires de l'État affectés dans un établissement public administratif peut être décidée, par décret en Conseil d'État, au profit du directeur de cet établissement.

Le recours est rejeté ensuite parce que la faculté reconnue ci-dessus au pouvoir réglementaire peut s’étendre à la gestion des membres de ce corps affectés au sein de services de l'État ou dans d'autres établissements publics dès lors que cette mesure de déconcentration répond à des motifs de bonne gestion administrative et à la condition que ce directeur soit en mesure d'exercer cette mission. 

C’est donc sans illégalité que le décret attaqué a confié au directeur de l'Office français de la biodiversité non seulement la mission de recruter, nommer et gérer les membres du corps des agents techniques de l'environnement et de celui des techniciens de l'environnement qui sont affectés au sein de l'Office mais également les membres des mêmes corps qui ne sont pas affectés dans l’Office mais dans les établissements publics de parcs nationaux.

Il est jugé, ce qui peut sembler un peu limite, que ce transfert de gestion ne méconnaît pas, par lui-même, les principes de spécialité et d'autonomie des établissements publics. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'environnement FSU, n° 452471)

 

143 - Administration pénitentiaire - Note comportant des modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) – Invocation d’une directive européenne ne concernant que les congés annuels – Rejet.

Est rejetée la demande d’annulation d’une note de service de l’administration pénitentiaire relative aux modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) en ce qu’elle serait contraire à l’art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail car cet article ne concerne que le seul régime des congés annuels.

(13 avril 2022, Mme A., n° 448144)

 

144 - Ministère des affaires étrangères – Conseiller de coopération culturelle à l’ambassade de France à Malte – Contrat à durée déterminée (CDD) – Licenciement – Demande réparation – Rejet.

Le requérant, recruté par CDD du 1er septembre 2017 au 31 août 2019 pour occuper les fonctions de conseiller culturel à l’ambassade de France à Malte, ayant été licencié le 7 décembre 2017, se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande d’indemnisation à raison d’un licenciement qu’il estime abusif.

Les divers moyens invoqués au soutien de sa requête sont rejetés.

Tout d’abord, le régime de son licenciement relève bien, comme jugé en appel, du champ du décret du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'État et des établissements publics de l'État à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger et il résulte de l’art. 8 de ce texte que : « Le contrat n'est définitif qu'à l'expiration du stage probatoire ou de formation que l'intéressé peut être appelé à effectuer dès la conclusion de son contrat dans le pays où il se trouve au moment de son recrutement. Au cours et à l'expiration de cette période de stage l'engagement peut être résilié de part et d'autre sans condition ni préavis ».

Ensuite, s’agissant du décompte de la durée de ce stage, elle n’est fixée que par le seul contrat en dehors de tout autre texte ou principe ici applicable, soit une durée de trois mois à partir de la date de prise d’effet du contrat fixée souverainement et sans dénaturation par la cour administrative d’appel, au lundi 11 septembre 2017. 

Il ne résulte du décret de 1969 aucune obligation de motivation de la décision mettant fin au contrat, les dispositions de l’art. L. 211-2 du code des relations du public avec l’administration étant contrairement à ce que soutient le requérant, inapplicables en matière contractuelle.

Enfin, le motif retenu pour juger justifiée la décision de licenciement (parution en cours de stage d'un article de presse mettant gravement en cause le comportement personnel de M. F., dans l'exercice des responsabilités qui avaient été antérieurement les siennes au sein d'une organisation dont il avait été le président et de nature à nuire sérieusement à l’image de la France à Malte) l’a été sans dénaturation des faits qui ont été souverainement appréciés par la cour.

(15 avril 2022, M. F., n° 453230)

 

145 - Fonctionnaires de l'État et certains magistrats - Dispositions concernant la durée des séjours et le régime des congés propres à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna - Régime différent de celui applicable dans les autres collectivités d'outre-mer - Différence de traitement non illégale - Rejet.

Le pouvoir réglementaire (décrets du 26 novembre 1996 et du 22 septembre 1998) a organisé un régime propre au séjour des agents de l'État affectés dans le groupe de territoires constitué des trois collectivités d'outre-mer situées dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna), tenant compte de l'éloignement et des sujétions particulières qui s'imposent à eux, en limitant la durée de leur affectation et en leur permettant, à leur retour, dont les frais de voyage sont pris en charge, de bénéficier de congés supplémentaires à l'issue de ce séjour, tout en laissant à leur charge les frais de voyage qu'ils exposeraient dans le cas où ils feraient le choix de s'absenter de ces territoires au cours de leur séjour, quelle que soit leur destination. 

La requérante, affectée à Wallis-et-Futuna contestait la différence de traitement entre celui qui lui est applicable et celui dont relèvent les autres agents de l'État exerçant leurs fonctions dans d'autres collectivités d'outre-mer ou sur le territoire européen de la France, en particulier l'application d'un régime particulier exclusif de celui du dispositif des « congés bonifiés ».

Pour rejeter le grief, le Conseil d'État se fonde sur ce qu'eu égard aux avantages que comporte ce régime particulier et alors d'ailleurs que ces agents bénéficient, en outre, d'une majoration de rémunération et d'une indemnité d'éloignement d'un montant tenant compte des sujétions pesant sur eux, la différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport direct avec l'objet des normes qui l'établissent, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation. 

(21 avril 2022, Mme L., n° 443620)

 

146 - Cuisinier non vacciné employé dans un centre hospitalier - Agent exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier - Agent suspendu de ses fonctions - Absence de doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension - Annulation de l'ordonnance de suspension sans renvoi.

Entache son ordonnance d'erreur de droit le juge des référés qui estime qu'existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de suspension pour non soumission à l'obligation vaccinale d'un cuinier exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier qui l'emploie.

(ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Roanne, n° 458231)

(147) V. aussi, largement analogue et émanant du même directeur d'hôpital, à propos de la suspension de ses fonctions d'une ouvrière principale de deuxième classe : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458238.

(148) V., très voisin : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Grenobles-Alpes, n° 459380.

(149) V. également, avec solution inverse, le rejet du pourvoi dirigé contre une ordonnance de suspension d'une agent hospitalier non vaccinée dès lors que celle-ci, sans être contredite sur ce point par le groupe hospitalier défendeur, soutenait être en congés annuels à la date de prise d'effet de la mesure de suspension dont elle a fait l'objet ; par ailleurs est jugée constituée une situation d'urgence en raison de la perte de revenus consécutive à la mesure de suspension : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458352.

(150) V. encore, les dix-neuf solutions, identiques à la précédente, retenues lorsque l'agent suspendu était en congé maladie au moment de l'instauration de l'obligation vaccinale, celle-ci ne pouvant prendre effet qu'à la cessation dudit congé : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458360 ou encore : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458361 ; n° 458363 ; n° 458364 ; n° 458366 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Lannion-Trestel, n° 459258 et n° 459263 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 459297 et n° 459298 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier intercommunal d'Aix-Pertuis, n° 459323, n° 459478, n° 459480, n° 459481, n° 459482, n° 459977 et n° 459980 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier Théophile Roussel, n° 459793 et n° 460076 ; ord. réf. 22 avril 2022, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, n° 459985.

 

151 - Prime d'attractivité versée à certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et à certains psychologues de l'éducation nationale - Institution d'une différence de traitement par différenciation du montant de la prime en fonction du grade de l'agent - Différence satisfaisant aux exigences jurisprudentielles - Rejet.

Est rejeté le recours de la fédération demanderesse dirigé contre les articles 4 et 5 du décret du 12 mars 2021 instituant une prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et pour certains psychologues de l'éducation, ainsi que l'arrêté du 12 mars 2021 fixant le montant annuel de la prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale ainsi que pour certains psychologues de l'éducation nationale.

Ces textes instituent des montants différents de cette prime, d'une part entre agents titulaires en fonction de leur grade et, d'autre part, entre ces derniers et les agents non titulaires.

Le juge rappelle, dans une formulation traditionnelle, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. 

Il réitère aussi sa doctrine selon laquelle ces principes peuvent être appliqués à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

Au cas de l'espèce, la différenciation du montant de la prime n'est pas illégale car elle est en rapport direct avec l'objet du texte, justifiée par la différence des situations des agents publics concerné. Elle n'est pas, non plus, manifestement disproportionnée au regard du motif qui la fonde, à savoir les difficultés chroniques du recrutement par concours des personnels enseignants et d'éducation et de psychologues scolaires, marqué notamment par un faible taux de candidatures, une moindre sélectivité et une augmentation du nombre de postes non pourvus.

Enfin, il ne contrevient pas davantage à la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive du 28 juin 1999 et ne révèle pas davantage une erreur manifeste d'appréciation.

(27 avril 2022, Fédération des syndicats Sud Education, n° 452511)

 

Libertés fondamentales

 

152 - Extradition – Décret autorisant l’extradition d’un ressortissant serbe – Absence d’irrégularités – Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le décret autorisation l’extradition d’un ressortissant serbe condamné à cinq ans et trois mois de prison pour vol avec violences commis en réunion.

Le décret a bien été pris sur le rapport du garde des sceaux (cf. art. 696-18 c. proc. pén.), il comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait exigé par l’art. L. 211-5 du code des relations du public avec l’administration, la demande d’extradition est rédigée en français conformément à la déclaration de la France annexée à la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 en application du 2 de son article 12.

Enfin, le requérant ne saurait soutenir que la communication des décisions de condamnation fondant la demande d’extradition n’était pas intégrale car cette circonstance résulte de l'existence de coauteurs des faits ayant été jugés par la même décision que le requérant ; ceci n'a pas privé les autorités françaises des éléments nécessaires à l'examen de la demande dont elles étaient saisies, notamment au regard des garanties prévues par l'article 6 de la convention EDH.

En l’absence de violation de la convention d’extradition précitée, la demande est rejetée.

(5 avril 2022, M. A., n° 458438)

 

153 - Transfert d’un détenu placé en détention provisoire – Nouveau lieu d’incarcération distant de 7000 km de sa famille – Mesure normalement excessive – Circonstances particulières justificatives – Légalité sous réserve d’une stricte limitation temporelle de la mesure – Rejet.

Un juge des libertés et de la détention a placé un individu en détention provisoire sous mandat de dépôt en Guadeloupe où il réside avec sa famille puis s’est dessaisi du dossier au profit de la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France. Ensuite, le garde des sceaux l’a affecté dans un centre de détention situé dans l’Allier.

Le juge administratif du référé liberté, saisi par l’intéressé, dans une ordonnance longuement et clairement motivée, rejette la demande d’annulation de cette dernière mesure.

Le juge reconnaît que déplacer une personne, pour les besoins d’une détention provisoire, à sept mille kilomètres de son lieu de vie habituel avec sa famille, dont ses quatre enfants, bouleverse « dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, le droit de M. B. de conserver des liens familiaux autres que ceux que permettent le téléphone et les moyens de télécommunication audiovisuelle ».

Cependant, le juge tient également compte des caractéristiques particulières que cette personne présente au regard du bon déroulement de l’enquête. Il relève à cet effet « que la mesure se trouve justifiée par la nécessité d'éloigner de la Guadeloupe, et même, comme l'a indiqué à l'audience la représentante du ministre de la justice, dans l'immédiat, de la Martinique, l'intéressé, mis en examen pour des faits qui sont déroulés du 15 novembre 2021 au 17 janvier 2022, afin de protéger le bon déroulement d'une enquête délicate et difficile impliquant de nombreuses personnes auxquelles il est reproché d'avoir agi de manière préméditée et coordonnée à l'échelle du département. Il n'est pas en effet sérieusement contesté que l'intéressé, connu des services de police comme un des leaders du gang dénommé « Sektion Kriminel », qui a déjà fait l'objet de deux condamnations pénales en 2016 et 2017, et d'un relevé d'incident en détention dès le 4 février 2022 à la maison d'arrêt de Basse-Terre pour détention non autorisée d'un téléphone portable, entretient des liens avec différents protagonistes de l'affaire en cours d'instruction et dispose, ainsi que l'a noté le juge des libertés et de la détention, dans son ordonnance du 21 janvier 2022, d'une capacité d'influence sur les milieux locaux ou de pression, même indirecte, sur les témoins et les victimes voire, comme la représentante du ministre l'a indiqué à l'audience, sur les familles des surveillants pénitentiaires. La mesure tend enfin à prévenir, pour les mêmes raisons, des troubles dans les établissements pénitentiaires à Basse-Terre ou Baie-Mahaut. »

Faisant la balance entre ces intérêts opposés, le juge admet au final la légalité du transfèrement sous réserve qu’ « il appartiendra au garde des sceaux, ministre de la justice, compte tenu de l'évolution de la situation, du déroulement de l'enquête, de sa durée, des places disponibles dans les établissements pénitentiaires susceptibles d'accueillir une personne placée en détention provisoire, et sans préjudice des demandes émanant de l'autorité judiciaire, de veiller, dès que possible, à un rapprochement géographique de M. B... de sa famille, même le cas échéant en métropole, (…) ».

(ord. réf. 6 avril 2022, M. B., n° 462556)

 

154 - Détenu – Refus du permis de visite opposé à son conjoint – Allégation de risque de fourniture ou de trafic de drogue – Mesure excessive – Illégalité – Annulation avec injonction de réexamen sous huit jours.

Après avoir rappelé que les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires, le Conseil d’État juge qu’affectant directement les liens d’un détenu avec sa famille, ces décisions doivent, notamment au regard de l’art. 8 (respect de la vie privée et familiale) de la CEDH, être nécessaires, adaptées et proportionnées au respect du bon ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire sans porter une atteinte excessive aux droits du détenu.

En l’espèce, l’interdiction faite, pour une durée indéterminée, à son compagnon de visiter la personne incarcérée et à ses enfants de voir leur mère est excessive alors même que selon l’administration pénitentiaire les multiples condamnations du demandeur pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, dont la dernière date de 2017, ne permettent pas d'écarter un risque de trafic de stupéfiants à l'occasion de ses visites à sa compagne.

Il est enjoint à l’auteur de la mesure d’interdiction de réexaminer sous huit jours la demande d’octroi d’un permis de visite.

(ord. réf. 8 avril 2022, M. C., n° 462880)

 

155 - Entreprises en difficulté – Jugement arrêtant le plan de cession – Actionnaires sans pouvoir sur la procédure de cession des actifs – Faculté restreinte d’exercice d’un recours juridictionnel – Cas des actionnaires demeurant à l’étranger – Atteintes à plusieurs droits ou libertés - Rejet.

La requérante contestait le rejet implicite par le premier ministre de sa demande d'abrogation des art. R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce, du troisième alinéa de l'article 586 et de l'entier article 643 du code de procédure civile en ce qu’ils restreignent par trop le droit à un recours effectif des actionnaires en cas d’arrêt d’un plan de cession des actifs d’une entreprise en difficulté faisant l’objet d’une procédure préventive dite « prepack cession », en particulier le droit des actionnaires demeurant à l’étranger.

En bref, il est reproché à cet ensemble normatif, régissant la cession d’actifs d’entreprises en difficulté, d’une part, de tenir les actionnaires à l’écart de la procédure de cession alors qu’il s’agit d’une procédure préventive et non liquidative, d’autre part, de fixer à dix jours le délai de recours contentieux ce qui est manifestement trop bref car il n’est même pas tenu compte du délai de distance pour ceux des actionnaires résidant à l’étranger.

Le Conseil d’État rejette d’abord les griefs dirigés contre l’art. L. 611-7 du commerce motif pris de ce qu’il les avait déjà rejetés dans une précédente décision refusant de renvoyer une QPC posée sur ce point faute qu’une nouvelle QPC soit posée. Il estime ensuite que certaines des dispositions législatives ou réglementaires critiquées par la requérante n’ont pas été prises pour l’application de cet art. L. 611-7.

Enfin, il rejette deux autres moyens qui retiennent l’attention.

En premier lieu, la requérante soutenait que les dispositions de l'art. R. 661-2 du code de commerce sont illégales en ce qu’elles limitent à dix jours, à compter de la publication du jugement arrêtant ou rejetant le plan de cession au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, sans que ce délai puisse être augmenté pour les actionnaires demeurant à l'étranger, le délai de la tierce opposition dite « tierce opposition – nullité » ouvert aux actionnaires d'entreprises en difficulté à l'encontre dudit jugement.

L’argument n’était pas sans portée et la motivation de son rejet par le juge est assez décevante. Selon lui, ce bref délai serait justifié par l’intérêt général qui s’attache à ce que des mesures rapides soient prises assorties d’une limitation stricte de leur délai de contestation. Pour faire bonne mesure, est également invoquée la publication immédiate sur internet du Bulletin officiel précité d’où il résulterait que ce bref délai « n'est pas susceptible de rendre un tel recours impossible (sic), ni même excessivement difficile (re-sic) pour les intéressés, y compris lorsque ceux-ci résident à l'étranger ».

En second lieu, le juge relève, en réponse à un autre argument de la demanderesse, que s’il est exact que l’art. R. 661-2 du code de commerce fixe à dix jours le délai d'exercice de la tierce opposition à l'encontre des jugements rendus en matière de difficultés des entreprises et si les art. 586, alinéa 3, et 643 du code de procédure civile, dont il résulte que ce délai n'est augmenté au profit des tiers demeurant à l'étranger que si le jugement contesté leur a été notifié, ces dispositions n'ont ni pour objet d'autoriser l'organisation de la cession partielle ou totale d'une entreprise en difficulté, ni de définir les conditions dans lesquelles un plan de cession, susceptible de porter atteinte aux intérêts des actionnaires, peut être préparé.

Il s’ensuit que les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaitraient le principe d'égalité, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique au motif que le dispositif dit de « prepack cession » conduirait en cas de cession de l'entreprise en difficulté à priver de toute valeur les actions de cette entreprise, sans garantie pour les actionnaires que leurs intérêts soient préservés, doivent être écartés. 

(14 avril 2022, Société Aldini AG, n° 446819)

 

156 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

Les deux requérants demandaient l'annulation du I de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020, qui interdit les rassemblements et réunions dans les lieux de culte à l'exception des cérémonies funéraires et limite à 30 personnes la participation à ces cérémonies. Cette interdiction est demeurée en vigueur jusqu'au 27 novembre 2020.

Après avoir rappelé le caractère fondamental de la liberté de culte et que celle-ci « ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte », le juge indique aussi la nécessité de concilier cette liberté avec l'objectif de protection de la santé.

Se fondant sur le caractère strictement proportionné des mesures critiquées et leur durée limitée à celle du risque épidémique, le Conseil d'État juge, d'une part qu'il n'est ainsi pas porté atteinte aux stipulations de l'art. 9 de la convention EDH, et d'autre part, que ces mesures, dans le contexte où elles sont intervenues, étaient nécessaires.

Enfin, relevant leur forte atténuation à compter du décret du 2 décembre 2020, le juge estime qu'il n'a pas été porté une atteinte disproportionnée à une liberté fondamentale.

On retrouve donc ici, tel un mantra, le raisonnement maintes fois répété du juge sans que ce psittacisme à l'égard de lui-même rende sa rhétorique plus convaincante.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

 

157 - Demandeur d'asile – Comportement erratique et dangereux - Octroi de la protection subsidiaire par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Un ressortissant de nationalité afghane, demandeur d'asile, s'est signalé depuis février 2018 par une série de comportements, attitudes et propos menaçants, ce qui a conduit l'OFPRA à lui refuser tant l'octroi de la qualité de réfugié que celui de la protection subsidaire.

La CNDA a estimé excusables ces attitudes et propos violents ou grossiers en raison de l'état mental du concerné et lui a accordé la protection subsidiaire.

L'OFPRA demande au Conseil d'État l'annulation de cette décision, ce qui lui est accordé au terme d'un exposé des faits qui laisse peu de place à la sollicitude.

Le Conseil d'État considère ici, et c'est un apport important de sa décision, que l'autorité administtrative, quelle que soit la fondamentalité du droit d'asile, ne peut ignorer qu'un individu constitue une menace grave pour l'ordre public de l'État d'accueil et cela en dépit de son état mental. Au demeurant cet état psychologique chaotique fait partie des éléments à prendre en compte pour apprécier la dangerosité de l'intéressé.

En octroyant à cette personne le bénéfice de la protection subsidiaire, la CNDA a inexactement qualifié les faits de l'espèce, d'où la cassation prononcée et le renvoi à cette dernière pour réexamen du dossier.

(22 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 455520)

(158) V. aussi, annulant la décision de la CNDA estimant que n'atteignaient pas un degré de gravité suffisant pour être qualifiés « crime grave de droit commun » au sens et pour l'application du c) du F de l'art. 1er  de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et lui reconnaissant la qualité de réfugié, la participation directe et régulière, pendant deux ans, d'un engagé volontaire dans l'armée tchadienne, aux activités habituelles de son unité consistant à exiger des civils contrôlés la remise des biens de valeur qu'ils détenaient et à user de violences à l'encontre des personnes récalcitrantes, infractions assimilables à une pratique d'extorsion en bande organisée, réprimée en France de vingt ans de réclusion criminelle par l'article 312-6 du code pénal, peine portée à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d'usage ou de menace d'une arme : 26 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 453613.

(159) V. encore, très largement comparable, annulant pour inexacte qualification juridique des faits  la décision de la CNDA reconnaissant la qualité de réfugié à un ressortissant sri-lankais dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'il aurait pu prendre une part personnelle de responsabilité dans la commission d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, au sens et pour l'application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : 29 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451365.

(160) V. enfin, jugeant, pour annuler une décision de la CNDA octroyant l'asile à un ancien policier afghan, la non vérification par celle-ci de la double condition suivante.

En premier lieu les opinions politiques susceptibles d'ouvrir droit à la protection internationale ne peuvent être regardées comme résultant de la seule appartenance à une institution de l'État que lorsque celle-ci subordonne l'accès des personnes à un emploi en son sein à une adhésion à de telles opinions, ou agit sur leur seul fondement, ou combat exclusivement tous ceux qui s'y opposent.

En second lieu, la qualité de réfugié est susceptible d'être reconnue à un demandeur qui craint avec raison de subir des actes de persécution en cas de retour dans son pays d'origine en raison de ses activités passées au sein d'une institution de l'État, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités nationales, lorsque, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce relatives à sa situation individuelle, notamment à la nature et au niveau des responsabilités qu'il y a exercées, aux activités auxquelles il a pris part, aux motivations personnelles qui l'ont amené à s'engager au sein de cette institution et à la perception que les acteurs des persécutions en cause sont susceptibles d'en avoir, un lien peut être établi entre ces persécutions et les opinions politiques que ces derniers lui attribuent personnellement : 29 avril 2022, M. A., n° 447581.

 

161 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de caractère de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

Est rejetée une demande en référé liberté tendant à l'octroi d'un logement d'urgence car le droit au logement opposable ne constitue pas une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

 

162 - Fermeture d'un lieu de culte - Conciliation nécessaire entre respect des libertés et sauvegarde de l'ordre public - Motifs de police insuffisants à justifier cette mesure - Rejet.

Le Conseil d'État statuant en formation collégiale en état de référé, rejetant l'appel du ministre de l'intérieur, confirme l'annulation par le premier juge des référés de l'arrêté préfectoral du 14 mars 2022 prononçant la fermeture, pour une durée de six mois, de la mosquée « Al Farouk » de Pessac. 

Après avoir énoncé les conditions impératives de légalité de la fermeture d'un lieu de culte eu égard, d'une part au respect de la liberté fondamentale que constitue (en l'espèce) le droit de propriété et, d'autre part, au respect de la liberté fondamentale de culte, le Conseil rejette tous les moyens soutenus par le ministre défendeur appelant :

- S'il est prétendu, d'une part, que les imams intervenant ou étant intervenus à la mosquée de Pessac ont tenu dans le cadre de leurs prêches des propos de nature à encourager la haine et la violence à l'égard des non-musulmans ou des musulmans ne partageant pas leurs convictions, ce fait n'est pas établi par l'instruction, et, d'autre part, si dans une discussion, le 22 octobre 2021, un groupe de jeunes fidèles aurait justifié l'assassinat d'une personne, ces propos et les liens entre les personnes en cause et l'association gestionnaire du lieu de culte ne sont pas suffisamment établis pour en imputer la responsabilité à celle-ci.

- Si les publications régulières par l'association gestionnaire de la mosquée ou par son président, sur des sites internet ou des réseaux sociaux, des textes de tiers, aux thèses desquels ils se sont associés de manière évidente qui, adoptant une posture volontairement victimaire, rendent les institutions de la République, les responsables politiques, voire la société française dans son ensemble, responsables d'un prétendu climat d'islamophobie, incitent au repli identitaire et contestent le principe de laïcité et s'il résulte également de l'instruction que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a publié des messages, dans certaines de ses publications sur le réseau social Facebook, de soutien à des associations dissoutes ou à des organisations ou à des personnes promouvant un islam radical, « ces publications ne présentent pas, compte tenu de leur teneur et dans les circonstances de l'espèce, un caractère de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination ».

- Si l'association gestionnaire du lieu de culte a diffusé sur son compte Facebook, les 9 et 12 mai 2021, un message appelant à la prière pour refouler les juifs de Jérusalem et une publication qualifiant Israël d'État terroriste, ayant suscité un commentaire qui présentait un caractère ouvertement antisémite et incitait à la violence, ces éléments, supprimés seulement en mars 2022, s'ils sont susceptibles de caractériser la diffusion, au sein de la mosquée de Pessac, d'idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes ou tendant à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence, de nature le cas échéant à fonder une mesure de fermeture temporaire du lieu de culte en application de l'article 36-3 de la loi du 9 décembre 1905, ne permettent pas, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et de leur caractère isolé au regard des nombreuses pièces produites, et alors au surplus que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a pris, après l'engagement de la procédure de fermeture administrative, des mesures correctrices pour modérer les échanges sur ses réseaux sociaux, de caractériser un lien avec un risque de commission d'actes de terrorisme ou une apologie de tels actes au sens des dispositions de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.

S'ensuit donc l'annulation de la fermeture pour six mois de la mosquée en cause.

On observera le très grand libéralisme dont fait preuve ici le juge administratif - nonobstant l'accumulation des griefs et des faits reprochés par l'auteur de la mesure attaquée - libéralisme fondé non sur une appréciation globale des circonstances et des faits relevés mais sur leur découpage en vue d'une appréciation strictement individualisée de chaque cas « infractif ».

(ord. réf. form coll. 26 avril 2022, Ministre de l'intérieur, n° 462685)

 

Police

 

163 - Police des édifices insalubres à titre irrémédiable - Interdiction définitive d'habiter avec obligation de démolition - Détermination de la valeur du coût de reconstruction - Présomption irréfragable d'urgence en cas de reféré suspension de l'arrêté préfectoral d'insalubrité irrémédiable - Erreur de droit - Suspension ordonnée.

Les requérants, copropriétaires d'un immeuble déclaré insalubre à titre irrémédiable par arrêté préfectoral, ont demandé l'annulation et la suspension d'exécution dudit arrêté par lequel le préfet portait interdiction d'habiter et obligation de démolition.

Leur demande a été rejetée en première instance, d'où la saisine du Conseil d'État.

Celui-ci rappelle qu'en raison de la gravité des conséquences résultant de la démolition d’un bâtiment à usage d'habitation et actuellement occupé, la condition d'urgence doit être présumée lorsque le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet en demande la suspension.

Cette présomption d'urgence est à peu près irréfragable lorsque l'autorité administrative n'invoque aucune circonstance particulière faisant apparaître, soit que l'exécution de la mesure de démolition n'affecterait pas gravement la situation des copropriétaires, soit qu'un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure. Tel n'est pas le cas en l'espèce, où l'urgence doit être présumée établie.

En second lieu, constitue en l'espèce un moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées celui tiré de ce que le coût de reconstruction tel qu’évalué par l'administration n'avait pas incorporé le coût de démolition de l'immeuble concerné. En jugeant le contraire le juge des référés a commis une erreur de droit. En effet, le coût des travaux nécessaires à la résorption de l'insalubrité du bâtiment est évalué à 2 686 827,92 euros et le coût de sa reconstruction, dans lequel doit être inclus le coût de sa démolition, est évalué à 2 991 233,31 euros.

Par suite, l'arrêté contesté est fondé sur une évaluation inexacte du coût de reconstruction de la partie de l'immeuble concernée ce qui est propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Les conditions posées par l'art. L. 521-1 CJA étant remplies, est ordonnée la suspension de cet arrêté et annulée l'ordonnance de rejet de la demande de suspension de cet arrêté.

(22 avril 2022, Société Drofer et autres, n° 451505)

 

Professions réglementées

 

164 - Vétérinaire – Poursuites devant la juridiction ordinale - Rejet en raison du caractère purement civil du litige – Erreur de droit – Annulation.

Une personne porte plainte devant l’ordre des vétérinaires contre un vétérinaire pour avoir administré à son chat un médicament à usage humain, qui n'était pas autorisé pour les animaux et ne pouvait être délivré que par les pharmaciens et dont, en outre, le prix n'était pas libre. Sa plainte est rejetée au motif qu'elle ne tendait qu’à l'engagement de la responsabilité civile professionnelle du vétérinaire.

Le Conseil d’État annule la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires pour erreur de droit car les faits dénoncés sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations fixées au code de déontologie vétérinaire, matière qui ressortit à la compétence des juridictions ordinales. 

(6 avril 2022, Mme B., n° 433880)

 

165 - Médecin – Reconnaissance mutuelle des diplômes dans l’Union européenne – Reconnaissance par l’Espagne – Refus d’accorder une équivalence en France pour non-conformité de la spécialité médicale en cause – Contrariété à la jurisprudence de la CJUE - Erreur de droit – Annulation.

La requérante, de nationalité française, est titulaire du diplôme syrien de docteur en médecine reconnu en Espagne comme équivalent au titre espagnol de « Licenciada en medicina » par application des dispositions de la directive 2005/36 du 7 septembre 2005, elle ne dispose cependant pas du titre attestant sa qualification professionnelle de médecin-dermatologue en Espagne au sens de la même directive qui lui donnerait droit à une reconnaissance automatique de cette qualification en France.

Exerçant depuis janvier 2016 en qualité de dermatologue à Dubaï, elle a saisi le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) d'une demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie sur le fondement du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique.

Cette demande a été rejetée comme irrecevable par le chef du département concours, autorisation d'exercice, mobilité, développement professionnel du CNG au motif qu'elle ne justifiait pas de la reconnaissance par l'Espagne de ses qualifications professionnelles en qualité de dermatologue.

Son recours contre cette décision a été rejeté par un arrêt d’appel confirmatif. La cour administrative d'appel a jugé que l'administration était tenue de déclarer irrecevable la demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie-vénérologie de Mme O. au motif que son diplôme de médecine ayant été reconnu par l'Espagne au titre de « Licenciada en medicina » et non au titre de la spécialité « Dermatologia médico-quirurgica y venereologia »  elle ne pouvait exercer en Espagne la spécialité de dermatologie, et par suite ne remplissait pas les conditions fixées par le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique,

Toutefois, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (cf. par ex. : 8 juillet 2021, BB contre Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, aff. C-166/20) qu’en l’absence de titre de formation qualifiant un demandeur pour l’exercice d’une profession réglementée il incombe aux autorités nationales saisies de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'État membre d'origine que dans l'État membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. 

Or le Conseil d’État estime que la requérante satisfaisait en l’espèce à ces conditions puisqu’elle « est titulaire d'une attestation de formation spécialisée (AFS) de dermatologie et vénéréologie (Université Claude Bernard- Lyon I), d'une attestation de formation spécialisée approfondie (AFSA) de dermatologie et vénéréologie (Université Montpellier I), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie esthétique, lasers dermatologiques et cosmétologie (Université de Franche-Comté), d'un diplôme universitaire de formation à la recherche clinique (Université Montpellier I), d'un diplôme universitaire de pathologie et thérapeutique chirurgicale du cuir chevelu (Université Pierre et Marie Curie, Paris VI), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie chirurgicale oncologique (Université Montpellier I) et a en outre effectué des stages pratiques dans des établissements de santé en France, notamment dans le service de dermatologie de l'Hôpital Lyon Sud et au sein du service de dermatologie de l'Hôpital Saint-Eloi, qui relève du centre hospitalier universitaire régional de Montpellier. »

L’arrêt déféré à la censure du juge de cassation est annulé.

(6 avril 2022, Mme O., n° 436218)

 

166 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Non-respect du délai de convocation à l’audience – Présence à l’audience – Annulation.

Doit être annulée la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes car elle a été rendue au terme d’une procédure irrégulière en ce qu’il ne résulte ni des pièces de la procédure ni des termes de cette décision que les requérants auraient reçu une convocation à l'audience du 27 février 2020 quinze jours au moins avant cette date, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4126-25 du code de la santé publique et cela alors même que M. B. a assisté à l'audience et a pu y présenter des observations.

La solution est logique car ce délai de quinzaine a été institué à la fois pour que l’intéressé se rende disponible et, surtout, pour qu’il puisse préparer utilement ses observations en vue de l’audience.

(6 avril 2022, M. B. et société B., n° 443359)

 

167 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Motivation insuffisante des griefs fondant la sanction disciplinaire – Annulation.

Saisie par le médecin-conseil, chef du service médical de la région Rhône-Alpes, au titre de l'échelon local du service médical de la Loire, et la directrice de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé au requérant la sanction de l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pour une durée de deux mois assortis du sursis et l'a condamné à verser la somme de 7 686,55 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire. Sur appel des demandeurs, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté l’interdiction de deux mois à six mois, assortis du sursis pour la période excédant trois mois et dont la partie ferme est à exécuter du 1er mars au 31 mai 2021, avec publication, et à 10 093,00 euros la somme à payer à la CPAM de la Loire.

Le praticien se pourvoit en cassation.

Pour casser la décision du conseil national, le Conseil d’État relève que sa section des assurances sociales s’est fondée pour sanctionner le requérant sur ce qu’il avait coté des actes qui n'étaient pas remboursables ainsi que des actes qui n'avaient pas été réalisés ou constatés ou des actes antidatés, qu'il avait pratiqué la double cotation d'un même acte dans trois dossiers et qu'il avait facturé des actes non conformes aux données acquises par la science et que, par suite, elle a jugé qu'il devait être condamné à verser la somme de 10 093,00 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, cette somme étant justifiée par « de nombreuses anomalies [qui] remplissent une ou plusieurs des conditions mentionnées à l'article L. 145-2 CSS et constituent des abus d'honoraires ». Or, ce jugeant, elle n’a pas précisé, parmi les anomalies qu'elle avait relevées, celles qui étaient constitutives d'honoraires abusifs ni les modalités de calcul du montant de la sanction pécuniaire infligée.

Le Conseil d’État précise au passage ce que sont des honoraires abusifs : « (…) ceux qui sont réclamés pour un acte facturé sans n'avoir jamais été réalisé, pour un acte surcoté, pour un acte réalisé dans des conditions telles qu'alors même qu'il a été effectivement pratiqué, il équivaut à une absence de soins, ou encore ceux dont le montant est établi sans tact ni mesure. »

(6 avril 2022, M. C., n° 450279)

 

168 - Chirurgien-dentiste – Sanction disciplinaire – Faute au sens de l’art. L. 145-1 du code de la sécurité sociale – Erreur de droit sur un ensemble indivisible – Annulation totale.

Un chirurgien-dentiste est poursuivi disciplinairement pour n’avoir pas fourni, à plusieurs reprises, des radiographies en réponse aux demandes qui lui avaient été adressées dans le cadre de l'analyse de son activité par le service du contrôle médical départemental.

Le Conseil national de l’ordre (section des assurances sociales) a jugé que l'intéressé avait ainsi méconnu l'obligation, qui découle des dispositions de l'article R. 315-1-1 du code de la sécurité sociale, de communiquer au service du contrôle médical toutes les radiographies lui permettant de procéder à l'analyse prévue à l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. Son attitude a été sanctionnée pour non-respect des dispositions de l’art. L. 145-1 du code précité.

Cette décision est cassée car ce dernier article ne concerne que des fautes commises par un praticien à l’occasion des soins qu’il délivre aux assurés sociaux non les relations du praticien avec les services administratifs de contrôle.

Comme la sanction infligée à l’intéressé reposait à la fois sur ces faits et sur d’autres, elle résulte d’un ensemble apprécié indivisément ce qui entraîne l’annulation de la décision attaquée dans son ensemble.

(12 avril 2022, M. E., n° 442638)

 

169 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(12 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

170 - Société de pharmaciens biologistes - Recours à une publicité interdite - Sanction - Absence d'erreur dans la qualification des faits et d'erreur de droit - Rejet.

Saisie par des confrères pharmaciens, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a jugé que la requérante s'était rendue coupable d'une publicité interdite et a, en conséquence, prononcé contre la SELAS Gen-Bio la sanction de l'interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant une durée de 15 jours et contre ses deux co-responsables la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un mois, assortie d'un sursis de 15 jours. 

La SELAS se pourvoit ; son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État juge que l'instance disciplinaire a exactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que constituait une publicité interdite (cf. art. L. 6222-8 c. santé pub.) la circonstance que quatre articles consacrés à la SELAS Gen-Bio avaient paru entre 2015 et 2016 dans la presse régionale destinée au grand public du territoire où cette société est implantée, que ces articles procédaient à une mise en valeur de la société ainsi que des pharmaciens biologistes qui la composaient, qu'ils soulignaient notamment, en termes élogieux, ses performances techniques ainsi que l'essor de son activité économique et qu'ils détaillaient ses implantations géographiques, sans se borner à une simple information du lecteur. Elle a également à bon droit relevé que si les pharmaciens poursuivis soutenaient ne pas avoir pris l'initiative de ces publications, cette circonstance n'était pas de nature à les exonérer de leur responsabilité, dès lors qu'il leur appartenait en toute hypothèse de veiller au respect de leurs obligations déontologiques et réglementaires. 

(15 avril 2022, Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Gen-Bio, n° 440308)

 

171 - Experts-comptables et commissaires aux comptes - Conditions d'organisation et de fonctionnement de la Compagnie nationale et des compagnies régionales des commissaires aux comptes - Décret du 2 juin 2020 - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret du 2 juin 2020 relatif à la Compagnie nationale et aux compagnies régionales des commissaires aux comptes en particulier s'agissant des règles de composition.

Est d'abord écarté le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire, celui-ci ayant agi par délégation du législateur.

Ensuite, le pouvoir réglementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en instituant au sein du conseil national deux collèges, celui des commissaires aux comptes exerçant une ou des missions de certification auprès d'entités d'intérêt public et celui des commissaires aux comptes n'exerçant pas de telles missions. En dépit du poids démographique limité des premiers dans l'ensemble de cette profession, la spécificité des enjeux les concernant et de leurs missions ainsi que leur poids économique justifiaient l'existence de deux catégories de commissaires aux comptes. Pas davantage une telle distinction ne porte d'atteinte disproportionnée au principe de représentativité ou à celui d'égalité.

La prétendue atteinte au principe de sécurité que réaliserait le décret contesté doit être écartée car les règles de l'organisation des élections tenues en septembre 2020 ont donné lieu à une concertation préalable et étaient connues avant même la publication du décret attaqué, dès l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

(21 avril 2022, Fédération des experts comptables et des commissaires aux comptes de France, n° 441690 ; M. H., n° 441720 ; M. E., n° 441722)

 

172 - Avocats - Prestation de « conseil en ressources humaines » - Exclusion des cabinets d'avocats de la prestation de « conseil en ressources humaines » - Atteinte au principe de libre concurrence - Annulation d'une instruction ministérielle.

Par une décision du 13 août 2020 la ministre du travail a rejeté le recours gracieux du Conseil national des barreaux tendant au retrait ou à la modification, de son instruction du 4 juin 2020 relative à la prestation de « conseil en ressources humaines » pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), afin de permettre aux cabinets d'avocats de pouvoir assurer la prestation de conseil en ressources humaines.

Le recours pour excès de pouvoir contre cette décision est accueilli par le Conseil d'État qui y voit une atteinte injustifiée au principe de libre concurrence car plusieurs des thématiques relatives au « conseil en ressources humaines » comportent une dimension juridique et les connaissances sur l'environnement institutionnel et l'expertise en matière de droit du travail sont des critères de contrôle de la qualité des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel. Au reste, de nombreux cabinets d'avocats disposent d'une expérience en matière de conseil et de gestion des ressources humaines en entreprise. Ainsi, en excluant par principe les cabinets d'avocats des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel pour bénéficier de la prise en charge par l'État de la prestation « conseil en ressources humaines », l'instruction attaquée est entachée d'illégalité.

(26 avril 2022, Conseil national des barreaux, n° 453192)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

173 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

V. n° 3

 

174 - Droit fiscal - Rectification de déclarations fiscales sur invitation de l'administration - Absence de demande de rectification adressée par l'administration fiscale - Contribuables en situations différentes justifiant un traitement différencié - Refus de renvoi d'une QPC.

Au soutien de leurs prétentions à obtenir décharge de contributions fiscales supplémentaires, des contribuables ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité que la cour administrative d'appel a refusé de transmettre.

Les intéressés se pourvoient contre cet arrêt en tant, d'une part, qu'il refuse cette transmission et, d'autre part, qu'il rejette au fond leur appel dirigé contre le rejet de leur requête par le tribunal administratif.

La QPC était dirigée contre le a) du II de l'art. 1758 A du CGI, selon lequel la majoration de 10% frappant le retard ou le défaut de déclarations fiscales ainsi que les inexactitudes et omissions qui y sont relevées, n'est pas applicable : « a) En cas de régularisation spontanée ou lorsque le contribuable a corrigé sa déclaration dans un délai de trente jours à la suite d'une demande de l'administration (...) ». Les requérants faisaient valoir l'inconstitutionnalité du traitement inégalitaire entre les contribuables informés par l'administration et ceux ne l'étant pas, les premiers échappant à la majoration, les seconds y étant soumis. Rejetant, « comme de bien entendu » (cf. la célèbre valse d’Arletty et Michel Simon dans Circonstances atténuantes) ce raisonnement, le Conseil d'État refuse la transmission sollicitée motif pris de ce que les deux catégories de contribuables font l'objet à juste titre de traitements différenciés car justifiés par une différence de situation et en rapport direct avec l'objet de la loi (sic). 

On regrettera vivement le paralogisme au moyen duquel le Conseil d'État construit sa réponse. En effet, il n'y a initialement, au plan objectif, strictement aucune différence entre les deux catégories car il n'y a en réalité qu'une seule catégorie, celle des contribuables dont la déclaration est entachée de manquements.

L'apparition de deux catégories naît d'un processus purement subjectif et parfaitement arbitraire, à savoir la décision de l'administration fiscale de n'adresser une demande qu'à une partie seulement des contribuables ressortissant pourtant à cette unique catégorie.

C'est l'administration et elle seule, sans motivation explicite d'ailleurs sur le fait qu'elle a choisi de n'aviser que certains des contribuables, qui crée une différenciation. Dans ces conditions le juge est mal venu de dire cette dichotomie justifiée au regard de la loi, laquelle est bien évidemment complètement hors circuit en cette matière.

Au reste, le principe d'égalité exigerait à tout le moins que tous les contribuables fussent avertis par l'administration ou que la loi fixe avec précision le(s) critère(s) permettant à cette dernière d'instituer deux catégories au sein des déclarations défaillantes.

(22 avril 2022, M. A. et Mme C., n° 459103)

 

175 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

Est transmise au Conseil constitutionnel la QPC tirée de ce que les dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI, instituant une amende forfaitaire de 50% pour non respect d'obligations déclaratives  prévues à l'art. 240, au 1 de l'article 242 ter et à l'article 242 ter B du CGI, portent atteinte au principe de proportionnalité des peines découlant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

En effet,  si la décision n° 2012-267 QPC du 20 juillet 2012 a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du 1 du I de l'article 1736 du CGI, l'intervention de ses décisions n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, n° 2017-667 QPC du 27 octobre 2017 et n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 sont susceptibles de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et d’avoir une incidence sur l’abrupte jurisprudence du 20 juillet 2012. 

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

 

Responsabilité

 

176 - Décision du Conseil d’État en matière fiscale – Soumission de dividendes perçus par une société non résidente à une retenue à la source – Application du 2 de l’art. 119 bis CGI - Disposition jugée compatible avec le droit de l’Union – Décision postérieure de la CJUE affirmant l’existence d’une incompatibilité – Demande de réparation du préjudice subi par la société contribuable du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union – Rejet par adoption des motifs de la juridiction d’appel.

La requérante, société de droit luxembourgeois, a demandé réparation à l’État du préjudice que lui a causé la décision du Conseil d'État n° 352209 du 29 octobre 2012 jugeant qu’elle était soumise à l’obligation, instituée par l’art. 119 bis CGI, d’une retenue à la source au taux de 15% sur les dividendes que lui ont versé deux sociétés de droit français.

Elle fonde sa réclamation pécuniaire sur la circonstance que, par une décision du 22 novembre 2018 (Sofina SA, aff. C-575/17), d’ailleurs rendue sur saisine du Conseil d’État, la CJUE a jugé que n’était pas compatible avec les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) la réglementation d'un État membre assujettissant les dividendes distribués par une société résidente à une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice.

La réclamation de la société Kermadec a été rejetée en première instance et la cour administrative d’appel, tout en relevant la contrariété de la décision du Conseil d’État à la jurisprudence européenne précitée de 2018, l’a également rejetée au fond.

Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi : celui-ci est, à son tour, rejeté.

Deux questions se posaient, une de procédure contentieuse, l’autre de fond.

Sur la procédure, il était objecté que ce litige devait être tranché non par le Conseil d’État mais directement par la CJUE elle-même, d’où la demande d’un renvoi préjudiciel. L’argumentation est rejetée en trois propositions.

D’abord, le droit de l’Union lui-même (cf. CJUE 30 septembre 2003, Gerhard Köbler c. Republik Österreich, aff. C-224/01) réserve au droit national la compétence exclusive pour désigner quelle est, dans son ordre juridique, la juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs à la mise en jeu de la responsabilité de l’État à raison des dommages causés aux particuliers par une violation manifeste du droit de l'Union résultant du contenu d'une décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort.

Ensuite, cette juridiction nationale doit respecter les principes fondamentaux garantissant l’impartialité de la justice, l’égalité des armes et le respect du contradictoire ; ceci est assuré en l’espèce car les membres de la formation de jugement du Conseil d'État qui a adopté la décision dont il est allégué qu'elle est entachée d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne doivent s'abstenir de siéger dans l'instance qui doit statuer sur l'existence de cette violation. 

Enfin, et en tout état de cause, l’art. 267 du TFUE ne donne pas compétence à la Cour de Luxembourg pour appliquer les règles du droit de l'Union à une espèce déterminée, mais seulement pour se prononcer sur l'interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l'Union. Dès lors, il ne saurait y avoir lieu à saisine de la CJUE à titre préjudiciel afin qu'elle apprécie elle-même le caractère manifeste de la méconnaissance alléguée du droit de l'Union par une décision du juge national.

Sur le fond, il convenait de vérifier qu’étaient réunies en l’espèce les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État pour faute lourde résultant d’une violation manifeste du droit de l’Union par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Le Conseil d’État confirme la réponse négative donnée à cette question par la cour administrative d’appel.

Là aussi l’argumentation est rejetée en ses trois branches.

D’abord, l’engagement de cette responsabilité pour violation manifeste du droit de l’Union suppose la commission d’une faute lourde dont l’existence doit être appréciée au jour où a été rendue la décision litigieuse soit le 29 octobre 2012.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse, le seul fait que le Conseil d’État n’ait pas procédé à un renvoi préjudiciel à la Cour européenne à propos de la question posée par la société Kermadec ne saurait constituer en soi une faute ainsi qu’il résulte d’ailleurs de la jurisprudence de cette Cour (Köbler précité). Cette dernière estime en effet que si la décision de non renvoi ou l’abstention de renvoi d’une question préjudicielle est un des éléments que le juge national peut prendre en considération pour apprécier l’existence d’une responsabilité, cette décision ou cette abstention ne constitue pas une cause autonome susceptible, à elle seule, d’engager la responsabilité de la juridiction nationale.

Enfin, cette faute doit être manifeste et ce n’est pas le cas ici ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel. La décision du Conseil d’État, lorsqu’elle a été rendue, se situait dans le prolongements d’arrêts antérieurs de la Cour et, spécialement, de celui du 22 décembre 2008 (Belgique c/ Truck Center SA, aff. C-282/07)  où est expressément admise la conformité au droit communautaire d'une différence de traitement consistant en l'application de techniques d'imposition différentes selon le lieu d'établissement des sociétés bénéficiaires de capitaux, les sociétés non-résidentes étant assujetties à une retenue à la source tandis que les sociétés résidentes étaient imposées à l'impôt sur les sociétés.

D’une part, l’arrêt d’appel attaqué ne souffre d’aucune critique, d’autre part, en l’absence de doute raisonnable, il ne saurait y avoir lieu de saisir à titre préjudiciel la CJUE.

Reste qu’un principe élémentaire de justice, de bon sens et de droit naturel – au demeurant principe général du droit administratif - interdit de condamner quelqu’un à payer une somme qu’il ne doit pas et que ce principe est laissé ici lettre morte…

(1er avril 2022, Société Kermadec, n° 443882)

 

177 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

Une décision définitive du juge pénal a condamné une société italienne et des personnes physiques à remettre en état des lieux sur lesquels ils avaient illégalement effectué de travaux d'exhaussement et de coupe d'arbres sans autorisation sur plusieurs parcelles sur le territoire de la commune de Vallauris. Cette condamnation a été prononcée sous astreinte à défaut d’exécution dans un délai de six mois.

Une SCI a demandé réparation à la commune et à l’État du préjudice subi du fait de leur abstention à faire procéder d’office ou à procéder eux-mêmes à l’exécution de l’arrêt d’appel ordonnant ces mesures.

Par arrêt confirmatif la cour administrative d’appel a jugé qu’était engagée la responsabilité fautive de l’État. La ministre se pourvoit en vain car le Conseil d’État rejette son pourvoi.

En premier lieu, il est jugé que l’obligation d’exécuter la décision du juge pénal, en faisant procéder aux travaux nécessaires à la remise en état des lieux, prend effet à l’expiration du délai qu’il a fixé indépendamment du prononcé éventuel d’une astreinte. C’est sans erreur de droit que la cour a jugé que la liquidation de l'astreinte ne constituait ni un préalable ni une alternative à cette exécution d'office.

En second lieu, si l’autorité administrative peut se dispenser d’exécuter une décision de justice ce ne peut être que pour un motif tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique. Or en l’espèce n’était invoqué que le coût de la remise en état des lieux ce qui n’est pas un motif pertinent pour refuser d’exécuter une décision de justice. En jugeant que, par leur carence, les services de l’État avaient commis une faute engageant la responsabilité de ce dernier la cour n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

 

178 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

Le département de la Vendée a été condamné par jugement d’un tribunal administratif à verser à une société une certaine somme correspondant à des surcoûts résultant de la réalisation de plans d'exécution et de notes de calcul dont cette société n'était pas contractuellement redevable et de la moitié des surcoûts générés par la modification du plan de construction initial. Le département, estimant que les manquements pour lesquels il avait été condamné étaient exclusivement imputables au groupement chargé de la maîtrise d'œuvre, après avoir vainement recherché la responsabilité du seul mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Plan 01 et Arest et de M. O., membres du groupement de maîtrise d'œuvre. Cette demande, rejetée en première instance, a été accueillie en appel.

La requérante, condamnée à rembourser le département, se pourvoit en cassation.

Le débat juridique se concentre, pour l’essentiel, sur le point de savoir si la créance du département était ou non prescrite au moment où celui-ci a entendu la répéter sur la requérante.

Or il existe, sur ce terrain de la responsabilité résultant de contrats de travaux publics, deux délais de prescription. Selon l’art. 2224 du Code civil la prescription est de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières et le Conseil d’État la juge applicable en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant. Selon l’art. 1792-4-3 de ce Code la prescription est de dix ans (la fameuse garantie décennale) pour les actions dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants. Comme cette disposition figure dans une section du code civil relative aux devis et marchés et qu’elle est insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, le Conseil d’État la considère applicable aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous traitants. 

En l’espèce c’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a appliqué le délai décennal à une action en responsabilité intentée par le département de la Vendée en sa qualité de maître d’ouvrage et dirigée contre les constructeurs membres du groupement de maîtrise d’œuvre et cela – c’est un point très important de cette décision – « alors même (que l’action en responsabilité) ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination ». 

Il s’agit d’un élargissement important du champ d’application de cette disposition qui s’aligne d’ailleurs sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

 

179 - Avis de droit - Action en responsabilité pour faute – Possibilité de demande d’injonction – Condition – Action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics – Condition identique de la demande d’injonction.

Des questions posées dans le cadre d’un avis de droit conduisent le Conseil d’État à un abandon jurisprudentiel bien venu car simplificateur.

Il s’agissait de savoir si la possibilité pour le juge administratif de mettre en œuvre ses pouvoirs d'injonction, en l'absence de toute conclusion aux fins d'indemnité, reconnue en matière de dommages d'ouvrages ou de travaux publics dans le cadre de la responsabilité sans faute, peut être étendue en matière de responsabilité pour faute, notamment dans le cas de la carence fautive d'une personne publique à exercer ses pouvoirs de police ou de son refus de se conformer aux obligations qui lui sont fixées par voie législative ou réglementaire.

Le Conseil d’État répond que la personne qui subit un dommage causé par un comportement fautif, d’une part, a droit à sa réparation et, d’autre part, en cas de persistance du comportement fautif produisant un dommage, peut saisir le juge de conclusions à fin d’injonction mais seulement si elle a formulé des conclusions à fins indemnitaires.

Il précise aussi, et c’est là l’innovation jurisprudentielle, que la solution est la même dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics.

On approuvera cette solution de simplicité.

(12 avril 2022, Société La Closerie, n° 458176)

 

180 - Responsabilité hospitalière - Séquelles du traitement de la fracture d'une cheville - Demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels - Rejet - Annulation.

Employé dans une entreprise de transports, le requérant, qui a fait l'objet d'une prise en charge hospitalière pour le traitement d'une fracture de sa cheville gauche, en a conservé des séquelles dont il a demandé réparation au titre de l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels. La cour administrative d'appel a rejeté ce chef de réparation motif pris de ce qu'il n'était pas définitivement inapte à toute activité professionnelle.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en retenant que la cour, ce jugeant, n'avait pas indiqué les motifs pour lesquels elle estimait que, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie, le déficit fonctionnel permanent de l'intéressé ne devait pas être regardé, eu égard notamment à son âge, à son secteur d'activité et à son niveau de formation, comme la cause directe d'une perte de toute possibilité de retrouver un revenu professionnel, tant pour la période antérieure que pour la période postérieure à son arrêt.

En effet, la victime faisait valoir devant la juridiction d'appel qu'alors même que son déficit fonctionnel permanent avait été évalué à 15 % seulement, celui-ci, d'une part, s'accompagnait de limitations fonctionnelles importantes, en particulier d'une exclusion de la station debout prolongée ou de la station assise prolongée, du travail en hauteur, du travail avec utilisation d'échelle ou d'escabeau, des montées ou descentes d'escaliers répétées et de la marche prolongée ou en terrain instable, d'autre part, que ces contraintes l'avaient forcé à abandonner un projet de reconversion dans la restauration ou l'hôtellerie après son licenciement et qu'enfin, eu égard à son âge et à son niveau de qualification, elles l'avaient privé, et le privaient pour l'avenir, de toute chance réelle et sérieuse de retrouver un emploi.

Il appartiendra à la cour, si elle la maintient, de motiver plus sérieusement la solution de rejet d'indemnisation du préjudice professionnel.

(15 avril 2022, M. A., n° 446813)

 

181 - Avis de droit - Exposition à l'amiante - Délai(s) de prescription applicable (s) - Prescription quadriennale - Caractère continu et évolutif du préjudice d'anxiété ou caractère instantané - Causes d'interruption du délai de prescription.

La cour administrative d'appel de Marseille, usant de la procédure d'avis de droit régie par l'art. L. 113-1 du CJA, a posé au Conseil d'État un certain nombre de questions, d'une grande importance, sur le régime de la prescription des actions en responsabilité intentées du fait de l'exposition à l'amiante.

Trois groupes de questions étaient posés : le point de départ du délai de prescription, la prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété et l'éventuelle interruption de la prescription.

1 - Sur le point de départ du délai de prescription, la cour s'interrogeait d'abord sur le point de savoir s'il avait commencé à courir à compter de la date de publication de l'arrêté portant inscription de l'établissement dans lequel l'intéressé a travaillé sur la liste de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; ensuite, dans l'hypothèse où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA et lorsque l'intéressé a travaillé durant la période initiale et terminé son activité pendant la période de prolongation, s'il convient de prendre en compte la date de la publication de l'arrêté initial d'inscription ou celle de l'arrêté de prolongation ; enfin, en cas de réponses négatives, quelle date retenir.

 Le Conseil d'État répond tout d'abord que la créance de réparation dont dispose la victime naît à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés ; si le préjudice présente un caractère continu et évolutif la créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. 

2 - Sur le deuxième point, relatif au préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir tout salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA), le juge régulateur décide qu'il naît « de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ».

Cette conscience est nécessairement acquise par la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel : Le droit à réparation du préjudice d'anxiété est donc acquis à la date de publication de cet arrêté.

Dans la sous-hypothèse évoquée par la cour où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé.

Si l'exposition à l'amiante a cessé, la créance se rattache non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

3 - Sur le troisième point, relatif à l'interruption de la prescription, la cour demandait au Conseil d'État si le cours de ce délai de prescription avait pu être interrompu par les recours formés soit à l'encontre de l'État, par des tiers tels que les ayants droit des salariés d'autres sociétés ayant donné lieu aux quatre décisions du Conseil d'État du 3 mars 2004, n° 241150, 241151, 241152, 241153 ou par des sociétés comme dans le cas de la décision du 9 novembre 2015, SAS Construction Mécanique de Normandie (CMN) n° 342468, soit à l'encontre de l'employeur, par les actions en reconnaissance de sa faute inexcusable formées devant les juridictions judiciaires, soit par la plainte pénale contre X déposée en 2006 par un salarié de l'établissement de Dunkerque de la société Normed et une association.

Le Conseil d'État regroupe en trois points sa réponse sur cette question en raison de la diversité des cas visés et des régimes juridiques y afférents.

En premier lieu, il est répondu que les recours formés à l'encontre de l'État par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

En deuxième lieu, il résulte de ces dernières dispositions qui subordonnent l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent pas non plus, en l'absence d'une telle mise en cause, interrompre le cours du délai de prescription de la créance éventuellement détenue sur l'État.

En troisième lieu, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions de l'article 2 précité de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance.

En revanche, ne présentent un tel caractère ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique par le seul Parquet, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette dernière action donne lieu en première instance et en appel. 

On saluera le remarquable effort de clarification et de simplification réalisé par cet avis davantage normatif qu'interprétatif mais fidèle à la ligne générale comme à l'esprit des textes applicables.

(19 avril 2022, M. D., n° 457560)

 

Santé publique - Santé - Sécurité sociale

 

182 - Spécialité pharmaceutique pouvant être délivrée sans prescription – Conditions – Traitement différent de deux spécialités étroitement comparables – Annulation.

Le laboratoire requérant produit un médicament (Nalgesic 300 mg, comprimé pelliculé) dont l’autorisation de mise sur le marché ne prévoit pas sa délivrance par un pharmacien sans sa prescription préalable par un médecin. Il a demandé de modifier l’autorisation de mise sur le marché sur ce point et proposé au ministre de la santé d'accorder à cette spécialité, pour son conditionnement en boîte de 10 comprimés, une exonération à la règlementation des substances vénéneuses dont elle relève en vue que, dans ce conditionnement, sa prescription médicale ne soit plus obligatoire mais facultative.

Cette double demande était notamment fondée sur ce qu’un autre médicament (Ibuprofène), étroitement comparable à celui en cause, bénéficiait lui de l’exonération.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a refusé de transmettre au ministre de la santé la proposition d’exonération sollicitée.

Le laboratoire saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’étrange argumentation de l’ANSM qui, pour justifier le refus de transmettre la demande du laboratoire requérant, prétend qu’en fait il y aurait lieu de revoir l’exonération de l’ibuprofène car celle-ci résulte d’arrêtés pris en 1994 et 2007. En effet, outre que le Nalgesic 300 mg fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché depuis 1976, le juge relève qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu que ce réexamen serait engagé ni même véritablement envisagé. D’où il suit que le directeur général de l'ANSM ne pouvait, compte tenu du caractère étroitement comparable des deux spécialités, se fonder sur cette seule circonstance pour refuser de proposer l'exonération sollicitée. 

L’administration dispose de six mois pour réexaminer la demande du laboratoire requérant « de façon cohérente avec les spécialités étroitement comparables ».

(6 avril 2022, Société Laboratoire Sciencex, n° 449623)

 

183 - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et de respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

Comme l'on pouvait s'y attendre, de même que l'instauration de mesures contraignantes pour faire face au Covid-19 avait soulevé une submersion contentieuse, de même la levée de ces mêmes mesures suscite à son tour une ire contentieuse. Ce qui confirme que « Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles » (Ch. de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946)

Les requérants entendaient obtenir, d'une part la suspension des mesures génértales liées à la sortie de la crise sanitaire, d'autre part, la traduction desdites mesures dans le cadre du déroulement de l'élection présidentielle.

On ne sera guère surpris du rejet de l'ensemble de ces demandes.

Tout d'abord, l'évolution de la situation sanitaire générale ne révèle pas une erreur manifeste d'appréciation dans les décisions relatives au port du masque et à la distanciation.

Ensuite, la circulaire et son addendum sanitaire en vue, proprement, de l'élection présidentielle sont des actes de droit souple sans caractère décisoire mais susceptibles d'avoir des incidences notables sur les électeurs se rendant aux urnes. Ils peuvent donc être déférés au juge de l'excès de pouvoir pour l'un des moyens susceptibles d'être relevés en ce cas (fixation d'une règle nouvelle entachée d'incompétence, interprétation du droit positif en méconnaissant le sens et la portée ou mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure). En l'espèce le juge ne relève rien de tel y compris dans les conseils de prudence donnés, la possibilité de conserver le port du masque dans l'enceinte du buteau de vote sauf à dévoiler son visage pour vérification d'identité, etc.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

(184) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le protocole du ministre des solidarités et de la santé du 18 mars 2022 édicté dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et relatif aux établissements et services accueillant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap en ce qu'il prévoit une obligation du port du masque en intérieur seulement pour les personnes âgées accueillies en établissement médico-social car ce protocole, ne constituant que des recommandations, n'institue pas d'obligation, il n'est pas une mesure pouvant être considérée comme n'étant pas manifestement nécessaire et proportionnée à l'objectif de santé publique en raison de l'évolution des taux d'incidence et d'hospitalisation chez les personnes âgées de plus de 70 ans  et, enfin, eu égard aux personnes et formes de pathologies en cause, de tels établissements sont dans une situation différente de celle des établissements médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap : ord. réf. 20 avril 2022, Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et autres, n° 463012.

(185) V. également, le rejet d'un recours tendant à l'annulation de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui interdit tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence, en tant qu'il limite à une heure quotidienne et à un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile la dérogation prévue pour, soit l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit les besoins des animaux de compagnie : 26 avril 2022, M. F., n° 445861 ;  M. B., n° 445894.

(186) V. encore, rejetant un autre recours en annulation de ce même article 4 du décret du 29 octobre 2020 : 26 avril 2022, Mme A., n° 446079 ou celui dirigé contre le I de cet article 4 en tant qu'il ne comporte pas d'exception - à l'interdiction de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence - pour le ramassage du bois de chauffage, la cueillette de fruits sauvages ou de champignons, ou le jardinage en un lieu distinct du lieu de résidence : 26 avril 2022, M. C., n° 446386 et n° 449566.

(187) V. le rejet du recours dirigé contre le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 modifiant divers décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il réglemente les déplacements en dehors du domicile et l'accès aux établissements de type X et de type PA, interdisant notamment tout exercice d'activités physiques et sportives des mineurs dans les établissements sportifs couverts et toute pratique d'une telle activité, même en extérieur, entre 18 heures et 6 heures : 26 avril 2022, Mme F. et autres, n° 450015.

(188) V., rejetant la demande de transmission d'une QPC fondée sur l'inconstitutionnalité de l'art.  1er de la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de la gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, en tant qu'il interdit l'accès à certains lieux, la pratique de certaines activités et certains déplacements effectués en transports publics interrégionaux aux personnes non détentrices d'un passe vaccinal aux fins de lutter contre l'épidémie de Covid-19 : 26 avril 2022, M. C., n° 460958.

(189) V., rejetant des recours dirigés contre la décision, contenue dans l'article 36 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié par trois décrets successifs, imposant le port du masque aux enfants dès l'âge de 6 ans dans les établissements d'enseignement : 29 avril 2022, Mme N., n° 449527 ; Mme S., n° 449646 ; Mme I. et autres, n° 450660 ; M. C., représentant unique désigné et autres requérants, n° 450668.

(190) V., annulant partiellement la circulaire n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant que, par principe, elle impose qu'un refus soit systématiquement opposé aux demandes d'étrangers d'entrer en France en vue d'y célébrer leur mariage avec un Français car elle porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage et au respect de la vie privée et familiale : 29 avril 2022, Mme L. et autres et association de soutien aux amoureux au ban public, n° 450885.

 

191 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

V. n° 156

 

192 - Classification commune des actes médicaux (CCAM) - Fixation de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes techniques figurant à la CCAM - Absence d'autorisation donnée à l'accomplissement d'actes ne relevant pas de la compétence des praticiens qui s'y livrent - Rejet.

Le Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie demandait l'annulation - après rejet implicite de sa demande d'abrogation - de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) rendant applicables aux chirurgiens-dentistes libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques par l'assurance maladie, les dispositions des livres I, II et III de la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l'assurance maladie prévue par les dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale qui, jusqu'alors, s'appliquaient, en vertu de la décision du 11 mars 2005 du même collège des directeurs, aux seuls médecins libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques.

L'organisation requérante estimait notamment qu'en prenant la décision litigieuse, le collège des directeurs de l'UNCAM avait méconnu les dispositions des articles L. 4141-1 et L. 4161-1 du code de la santé publique, faute d'avoir expressément exclu de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes réalisés par des chirurgiens-dentistes, ceux qui relèvent de la seule compétence des médecins. Il aurait ainsi permis à un praticien de l'art dentaire d'effectuer des actes figurant sur cette liste qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose.

Le moyen est rejeté car, explique le Conseil d'État, la décision litigieuse a pour seul objet de fixer une orientation relative aux inscriptions d'actes et prestations réalisés par les chirurgiens-dentistes, en vue de leur prise en charge ou de leur remboursement par l'assurance maladie telle que prévue par les art. L. 182-2-3 et L. 182-2-4 du code de la sécurité sociale.

(12 avril 2022, Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie, n° 452963)

 

193 - Médicaments « particulièrement coûteux » - Notion et champ d'application - Indication d'un médicament restreinte aux troubles de l'érection - Refus d'inscription sur la liste des spécialités remboursables - Absence d'erreur manifeste d'appréciation – Rejet.

Le litige portait sur le refus ministériel d'inscrire parmi les spécialités remboursables deux spécialités produites par la société requérante destinées à lutter contre les troubles de l'érection en raison de l'impact que pourrait avoir l'admission au remboursement de celles-ci sur leur consommation, alors que les troubles de l'érection peuvent avoir des causes variées et que les traitements pharmacologiques sont déconseillés lorsque des facteurs psychologiques et relationnels en sont la cause prépondérante. En outre, ce refus d'inscription est fondé sur ce qu'une telle inscription est susceptible d'entraîner, compte tenu des conditions dans lesquelles ces spécialités sont prescrites, une augmentation sensible de leur consommation totale, en dehors d'une indication restreinte aux patients pour lesquels une atteinte organique grave est à l'origine des troubles de l'érection, et dès lors non justifiée au regard de leur utilité pour la santé publique.

A cet égard, le caractère particulièrement coûteux d'un médicament peut s'apprécier soit à partir de son prix unitaire soit à raison des dépenses globales qui sont ainsi engendrées.

Enfin, s'il existe une procédure permettant de subordonner le remboursement d'une spécialité, en fonction des indications dans lesquelles elle est prescrite, lorsqu'elle relève des « médicaments particulièrement coûteux », à une information du contrôle médical tant pour les médicaments particulièrement coûteux unitairement qu'au regard des dépenses globales représentées, il ne ressort pas en l'espèce que les ministres compétents auraient pu mettre utilement en œuvre cette faculté de telle sorte que l'inscription de ces spécialités ne serait plus susceptible d'entraîner des hausses de consommation ou des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie au regard de leur utilité pour la santé publique.

Le recours est rejeté.

(26 avril 2022, Société Les Laboratoires Majorelle, n° 454942 et n° 454943)

 

194 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Décision d'arrêt de traitements pour motif d'obstination déraisonnable - Mise en balance des éléments en présence - Rejet.

Statuant en formation collégiale - comme c'est souvent le cas dans ce contentieux - sur une situation médicale dramatique, le Conseil d'État confirme l'ordonnance rendue par le tribunal administratif rejetant la demande d'annulation de la décision de l'équipe médicale du service d'anesthésie et de réanimation d'un hôpital d'arrêter des traitements prodigués à l'épouse du premier requérant dénommé.

Appliquant une ratio decidendi désormais bien établie, le juge fait une balance entre, d'une part, les données objectives fournies par l'état actuel de la science au regard de l'état du patient concerné et de son évolution future à peu près certaine, et d'autre part, le respect de la vie qui constitue une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 du CJA.

Ici, il constate que la poursuite des traitements dont l'arrêt a été décidé ne saurait améliorer les perspectives d'évolution de l'état de la patiente et, dès lors, apparaît inutile et comme résultant d'une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. La demande d’annulation de la décision d’arrêt des soins est, en conséquence, rejetée.

(ord. réf. formation collégiale, 25 avril 2022, M. I. et autres, n° 462576)

 

Service public – Autorités administratives diverses

 

195 - Caisse des dépôts et consignations (CDC) – Réforme de la gouvernance de la Caisse (décr. 20 novembre 2019) – Absence de vices de légalité externe – Désignation des représentants du personnel au sein de la commission de surveillance – Pouvoirs attribués au directeur général de la Caisse – Surveillance et garantie de l’autorité législative – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret du 20 novembre 2019 portant réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. Tous les moyens, de légalité externe comme de légalité interne, sont rejetés.

Concernant la légalité externe, il est jugé que cette réforme ne relevait pas des dispositions de l’art. 1, 1er alinéa, du code du travail qui ne prévoient de concertation préalable avec les organisations syndicales qu’en cas de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, ce qui n’est pas le cas de l’espèce où la réforme ayant été opérée par la loi le décret attaqué se borne à en fixer les conditions d’application ; au reste, les conditions et les modalités de la gouvernance de la Caisse ne relèvent pas du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle.

Pareillement, le décret litigieux ne saurait être contesté en sa légalité du chef qu’il n’a pas été soumis à l’avis préalable du Comité unique de la Caisse des dépôts et consignations (CUEP) alors que ce dernier avait donné son avis sur plusieurs projets de décrets qui in fine ont été réunis en un seul, celui du 20 novembre 2019, objet du litige.

Concernant la légalité interne du décret du 20 novembre 2019, trois chefs de critiques étaient développés par les requérantes.

En premier lieu, était contestée la désignation des membres représentant le personnel au sein de la commission de surveillance opérée par le décret. Cette critique, qui porte sur la méconnaissance par les dispositions en cause du principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, du principe général de représentativité, le fait que le pouvoir réglementaire les aurait entachées d'erreur manifeste d'appréciation ou qu’elles seraient entachées d'incompétence négative revient à mettre en cause la loi elle-même ce qui ne peut être fait, devant le juge administratif, qu’au moyen d’une QPC.

En deuxième lieu, les requérantes jugeaient illégaux les pouvoirs conférés au directeur général de la Caisse. Brevitatis causa, la réforme transfère du premier ministre et du ministre de l’économie à ce directeur le pouvoir de désigner des directeurs délégués.

Sont rejetés les griefs selon lesquels ne serait pas prévue l’autorité compétente pour mettre fin aux fonctions de ces directeurs délégués alors que s’applique le bien connu principe du parallélisme des compétences (voir, par ex. : C.E. 1er février 2006, Touzard, n° 271676) même si le Conseil d’État ne le cite pas expressément ici tout en l’appliquant. Ainsi le premier ministre n’a pas commis d’erreur de droit en prévoyant explicitement cette compétence au profit du directeur général de la Caisse alors même que la loi est muette sur ce point. Pareillement, ce retrait de fonctions s’effectue, dans le silence du texte critiqué, selon les règles et principes applicables aux agents des différents corps auxquels appartiennent les personnes concernées. De même, la faculté de déléguer une partie de ses pouvoirs reconnue au directeur général ne contrevient à aucun principe général non plus qu’à aucune règle.

En troisième lieu, enfin, la CDC n’est pas « une administration centrale de par la loi ».

Concernant les moyens critiquant l’absence de surveillance et de garantie de l'autorité législative prévue à l’art. L. 518-2 du code monétaire et financier, ceux-ci ne sauraient prospérer puisque sur ce point le décret contesté se borne à reproduire des dispositions législatives.

(1er avril 2022, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n° 437773)

(196) V. aussi, à propos des refus du ministre du travail d’ouvrir une enquête de représentativité et de fixer la liste des organisations représentatives dans le périmètre du personnel navigant technique (PNT) des entreprises de transport aérien, l’arrêt décidant, d’une part, implicitement, que le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur ces décisions de refus et d’autre part que ce ministre est compétent, en application de l'article L. 2121-2 du code du travail, pour, s'il y a lieu, fixer la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans tout périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir : 6 avril 2022, Syndicat national des pilotes de ligne France ALPA, n° 439658.

 

197 - Exercice du droit de grève dans les services publics – Cas des autoroutes – Réglementation de l’exercice de la grève par directive ministérielle – Application de la jurisprudence Dehaene – Rejet.

Le syndicat demandait, au principal, l’annulation du refus implicite de retirer, à tout le moins d’abroger, la directive ministérielle du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève, sur les autoroutes concédées.

Sans surprise la requête est rejetée à la suite d’un raisonnement droit venu de la solution retenue par le célèbre arrêt Dehaene (Assemblée 7 juillet 1950, Rec. Lebon p. 426) et constamment réitérée (par ex : Assemblée, 4 février 1966, Syndicat unifié des techniciens de la RTF, Rec. Lebon p. 81ou Assemblée, 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et Mines et autres, Rec. Lebon p. 94).

Tout d’abord, « En indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'Assemblée Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l'une des modalités et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte. »

Ensuite, la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, en vigueur lors de l’édiction de la directive ministérielle attaquée, ne constitue pas l'ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution puisqu’elle ne régit l’exercice du droit de grève que sur deux points seulement. Aussi, faute qu’existe la complète législation annoncée par la Constitution et la reconnaissance du droit de grève ne pouvant avoir un caractère absolu ou illimité, c’est à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même les conditions d’exercice de ce droit dans ce service. Dans le cas des services concédés, ce pouvoir appartient, sauf texte particulier, à l'autorité concédante, qui, s'agissant des concessions d'autoroutes, est l'État. 

Le cahier des charges de la concession d’autoroutes par l’État à Cofiroute, approuvé par décret, prévoit que le ministre chargé de la voirie nationale est compétent pour réglementer le service minimum sur les autoroutes en cas de grève.

Par la directive attaquée, son auteur a pu légalement et en demeurant dans le champ de sa compétence, définir les fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens dont la continuité doit être assurée en période de grève, qui sont relatives aux interventions de sécurité, aux équipements de sécurité, à la surveillance de certains ouvrages, et aux informations et moyens nécessaires à ces tâches et au fonctionnement de ces équipements.

(5 avril 2022, Syndicat CGT de la société Cofiroute, n° 450313)

 

198 - Principe d’égalité – Application pouvant, à certaines conditions, être différenciée en fonction de la différence des situations – Limites – Prime accordée à une partie seulement de certaines catégories d’établissements scolaires – Exclusion des assistants d’éducation du bénéfice de cette prime – Absence de justification – Annulation.

C’est une solution contentieuse bien établie et de longue date que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

Le Conseil d’État précise ici que ces modalités de mise en œuvre différenciée du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

En l’espèce, a été créée au bénéfice de certains personnels affectés ou exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ (Réseau d'éducation prioritaire renforcé) ou REP (Réseau d'éducation prioritaire) une prime destinée à prendre en compte les conditions difficiles d'exercice de leurs fonctions par ces personnels, à attirer des candidatures pour ces emplois et destinées à servir durablement dans ces écoles ou établissements, de façon à y améliorer la stabilité des équipes pédagogiques et de vie scolaire.Cette prime est ouverte à tous les personnels intervenant dans ces établissements, y compris aux contractuels sous CDD, mais pas aux assistants d'éducation.

Le Conseil d’État accueille le recours de la fédération requérante contre un traitement inégalitaire injustifié dans la mesure où ces agents sont soumis aux mêmes contraintes et charges que leurs autres collègues bénéficiaires de la prime. L’atteinte au principe d’égalité est jugée illégale car a été créée une différence de traitement sans rapport avec l'objet du texte qui institue cette indemnité.

L’application positive des limites aux atteintes au principe d’égalité est assez rare pour que soit saluée cette décision qui sera d’ailleurs publiée au Recueil Lebon

(12 avril 2022, Fédération Sud Education, n° 452547)

(199) V. en revanche, jugeant qu’est justifiée la différence de montant de la prime selon que la fonction est exercée en REP+ ou en REP : 12 avril 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Education, n°456068, n° 456069 et n° 456072.

 

200 - Opérations de lutte contre l'incendie ou de secours - Participation de mineurs en qualité de sapeurs pompiers volontaires - Protection de l'intérêt supérieur de l'enfant - Principe général prohibant l'emploi et l'exposition de mineurs - Inexistence - Méconnaissance de dispositions européennes ou internationales - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension du refus implicite du premier ministre d'abroger les articles R. 723-6 et R. 723-10 du code de la sécurité intérieure en tant qu'ils permettent l'engagement et la participation à des opérations de lutte contre l'incendie ou de secours de mineurs âgés de moins de dix-huit ans et de plus de seize ans en qualité de sapeurs-pompiers volontaires et assortissait cette demande principale d'une d'action afin qu'injonction soit donné au susdit d'abroger les articles litigieux.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, contrairement à ce que soutient le syndicat demandeur, il n'existe pas de principe général qui interdirait l'emploi de personnes de moins de dix-huit ans exposées à des risques pour leur santé, leur sécurité, leur moralité ou à des travaux excédant leur force.

En deuxième lieu, ces dispositions ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant car, d'une part, l'engagement de mineurs âgés de plus de seize ans comme sapeurs-pompiers volontaires, susceptibles d'exercer les mêmes missions, potentiellement dangereuses, que les sapeurs-pompiers volontaires majeurs, repose sur le volontariat et le bénévolat et nécessite, outre le choix volontaire du mineur, le consentement écrit de son représentant légal et, d'autre part, cet engagement est subordonné à des conditions d'aptitude physique et médicale, certifiée par un médecin après examen de l'intéressé, enfin, les intéressés bénéficient, avant toute participation à une activité opérationnelle, d'une formation adaptée dispensée tout au long d'une période probatoire qui ne peut être inférieure à un an et leur engagement opérationnel se fait de manière progressive au fur et à mesure de l'acquisition des compétences indispensables à leur sécurité. 

En troisième lieu, les éléments qui précèdent expliquent et justifient que cet emploi de mineurs de seize à dix-huit ans pour l'exercice de fonctions les exposant à des risques certains ne contrevient pas aux dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'art. 7 de la directive du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail.

Enfin, s'agissant du moyen tiré de la méconnaissance d'autres engagements internationaux de la France, il est jugé que ceux-ci laissent une marge importante d'appréciation aux États et qu’étant dépourvus d'effet direct dans le chef des particuliers (sur cette notion, voir la décision fondatrice : Assemblée 11 avril 2012, GISTI et Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, Rec. Lebon p. 142), ils requièrent l'intervention d'actes complémentaires, ils ne peuvent donc être invoqués à l'appui de conclusions dirigés contre les dispositions attaquées : ainsi en va-t-il de l'article 7 relatif au droit des enfants et des adolescents à la protection de la charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996, de l'article 3 de la convention internationale du travail n° 138 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, adoptée à Genève le 26 juin 1973, des articles 3 et 7 de la convention internationale du travail n° 182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999.

(19 avril 2022, Syndicat Sud SDIS National, n° 451727)

 

201 - Enseignement supérieur - Compétence exclusive du conseil d'administration - Incompétence du président d'université pour statuer dans une matière non encore régie par le conseil d'administration - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'au sein des universités le conseil d'administration, auquel il appartient de déterminer la politique de l'établissement, est compétent pour fixer, s'il y a lieu, les capacités d'accueil et les modalités de sélection pour l'accès à la première année du deuxième cycle, d'où il suit qu'en l'espèce, la décision du président de l'université prise le 27 juillet 2018, de refuser une inscription en master I alors que le conseil d'administration, seul compétent à cet effet, n'a délibéré que le 22 octobre 2018 sur la fixation de capacités d'accueil et de modalités de sélection pour l'accès à ce master I, est entachée d'incompétence. 

(27 avril 2022, Université Paris Cité venue aux droits de l'Université Paris V - Descartes, n° 450490)

 

Sport

 

202 - Fédération française de football (FFF) – Statuts – Cas non prévus – Décisions de relégation en National 2 et de montée en National 1 – Règlement des championnats de National 1 et de National 2 - Compétence du comité exécutif – Maintien à 18 de l’effectif du championnat de National 1 – Principe de sécurité juridique – Rejet.

Les recours joints, qui sont une conséquence de l’épidémie de Covid-19, tendent à faire juger entachées d’incompétence et d’illégalité les décisions prises par le comité exécutif de la FFF concernant les montée et descente en et du National 1 des clubs concernés alors que l’une des deux séries avait pu jouer tous les matches prévus et l’autre non et que les statuts et autres règlements applicables n’ont pas prévu une telle situation.

Le Conseil d’État estime que le comité exécutif de la Fédération tient de l’art. 18 des statuts le pouvoir de statuer sur « tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football et sur tous les cas non prévus par les statuts ou règlements » et ceci en dépit de ce que l'article 38 du règlement des championnats de National 1 et 2 2020-2021 dispose que les cas non prévus par ce règlement relèveront de l'appréciation de la commission d'organisation compétente car, en tout état de cause, l'article 3 des règlements généraux dispose que « le comité exécutif peut, en application de l'article 18 des statuts, prendre toute mesure modificative ou dérogatoire que dicterait l'intérêt supérieur du football ». Il suit de là qu’en l'absence de dispositions ayant prévu par avance des règles à suivre en matière de relégation et d'accession entre deux championnats lorsque des circonstances imprévues font obstacle à ce que l'un d'entre eux se poursuive jusqu'à son terme et donne lieu à un classement, tandis que l'autre a pu aller à son terme, et alors qu'un intérêt général s'attachait à une clarification des règles applicables, notamment pour adapter les modalités de comblement des vacances de places à ce contexte inédit, le comité exécutif était, contrairement à ce qui est soutenu, compétent pour prendre les mesures contestées.

Par suite nécessaire et liée, il appartenait au comité exécutif de déterminer les conséquences à en tirer pour résoudre les difficultés d'articulation découlant de cette situation imprévue, le cas échéant en dérogeant aux dispositions normalement applicables ou en les adaptant. Si le règlement des championnats de National 1 et de National 2 2020-2021 (art. 5 et 6) permettait de désigner 17 équipes pour participer au championnat de National 1, il ne faisait cependant pas obstacle à ce que le comité exécutif puisse légalement prendre des dispositions pour adapter les règles d'attribution des places vacantes afin de ne pas en rester à ce nombre d'équipes et, au contraire, s'il l'estimait souhaitable, d'atteindre le nombre qu'il fixe de 18 équipes qualifiées pour disputer le championnat. Ces dispositions n'imposaient pas davantage, pour combler les vacances dans la composition d'un championnat, de donner une priorité au repêchage des clubs classés en fin de tableau du championnat de National 1 de la saison 2019-2020 sur l'accession des clubs classés meilleurs deuxièmes à l'issue de cette même saison. De ce chef, la décision contestée ne méconnaît pas les dispositions des articles 5 et 6 de ce règlement.

De là aussi, cette conséquence que le juge ne peut exercer, en l’espèce, qu’un contrôle réduit à l’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne :

1° le maintien à 18 de l'effectif du championnat de National 1 et la définition à cet effet d’une règle de repêchage ou d'accession permettant de compenser la relégation de l'équipe classée dernière de ce championnat alors que le principe d'une « saison blanche » avait été retenu pour le championnat 2020-2021 de National 2,

2° le choix de ne pas repêcher l'équipe classée dernière du championnat de National 1, qui résultait de l'application de la règlementation et reflétait les résultats sportifs d'une saison parvenue à son terme,

3° le choix d'attribuer la dernière place vacante au meilleur deuxième du championnat de National 2 en se référant au dernier classement fondé sur le mérite sportif, soit celui de la saison 2019-2020, par une simple adaptation des règles applicables en vue de combler les places vacantes,

4° la décision de ne pas procéder, de façon dérogatoire, au repêchage d'un club classé en fin de tableau du championnat de National 1 au titre de la même saison.

Enfin, sont également rejetés deux autres griefs.

Tout d’abord, c’est sans atteinte illégale au principe d’égalité que la FFF a fondé ses décisions de relégation et de montée pour combler les places vacantes sur les performances de saisons différentes selon les championnats car cette différence est liée à une différence de situation dès lors qu'un seul des deux championnats concernés a donné lieu à un classement.

Ensuite, n’est pas non plus contraire au principe de sécurité juridique la décision du comité exécutif du 23 avril 2021 au motif qu’elle aurait entériné l'absence d'accession en National 1, ce qui laissait penser qu'aucune relégation en National 2 n'aurait lieu ; il ressort, en effet, des pièces du dossier que la décision en cause ne portait que sur les accessions sportives, sans prendre parti sur l'articulation entre les championnats de National 1 et National 2, et qu'en revanche, le choix d'appliquer les règles relatives aux vacances de places prévues par les règlements des championnats avait été opéré dès le 6 mai 2021.

(5 avril 2022, Association Lyon-La Duchère et société anonyme sportive professionnelle Lyon-La Duchère, n° 454918 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 454953, jonction)

 

203 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

Rejetant la fin de non-recevoir opposée par la requérante à une sportive convaincue de dopage et sanctionnée pour cela, le Conseil d'État rappelle à nouveau (cf. 6 avril 2016, M. Rosier, n° 374224) que dans les litiges relevant du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux, le silence des textes sur ce point ne peut être interprété comme excluant pour une personne sanctionnée, la faculté de présenter des conclusions reconventionnelles en vue d'obtenir l'annulation ou la réformation de la sanction prononcée à son encontre.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

204 - Sursis à une demande de permis de construire – Pétitionnaire bénéficiaire d’une promesse de vente d’un terrain sous condition d’obtention d’un permis de construire sur celui-ci – Constatation d’une urgence – Suspension du refus de permis de construire – Erreur de droit – Annulation.

Le maire de la commune requérante a opposé à une société de promotion immobilière un sursis à statuer sur sa demande de permis de construire. Sur saisine de cette société le juge des référés a suspendu l’arrêté opposant le sursis et ordonné le réexamen sous un mois de la demande de permis.

Réexaminant cette demande le maire l’a rejetée le 29 juin 2021 et le juge des référés a, par ordonnance du 27 août 2021, suspendu ce refus et ordonné, à nouveau, le réexamen, sous un mois, de la demande de permis en tenant compte des motifs de son ordonnance. Celle-ci reposait sur la circonstance que le promoteur avait conclu avec le propriétaire du terrain d'assiette une promesse de vente, consentie jusqu'au 20 octobre 2021, sous la condition suspensive de la délivrance dans le délai d'instruction d'un permis de construire valant permis de démolir pour la réalisation de l'opération projetée. Le juge en a donc déduit qu'en raison du refus opposé à sa demande, la société pétitionnaire risquait de devoir renoncer à l'acquisition du terrain et à son projet immobilier, en vue de la réalisation duquel elle avait engagé des frais, et qu'elle serait ainsi exposée à d'importantes pertes financières.

Saisi par la commune, le Conseil d’État casse cette ordonnance à raison de son erreur de droit. Il est constant, en effet, que le défaut de réalisation d’une promesse de vente sous condition suspensive stipulée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur ne rend pas caduque la promesse.

C’est donc par erreur de droit que pour juger qu’il y avait urgence à statuer, l’auteur de l’ordonnance attaquée s’est fondé sur ce que le refus litigieux faisait obstacle à l'acquisition du bien objet de la promesse de vente conclue le 13 mai 2020 et prorogée par un avenant du 23 juin 2021. En réalité, il lui incombait de rechercher si, comme le faisait valoir la commune d'Auribeau-sur-Siagne, la condition suspensive tenant à la délivrance d'un permis de construire n'avait pas été stipulée dans l'intérêt exclusif de la société pétitionnaire. 

(7 avril 2022, Commune d’Auribeau-sur-Siagne, n° 453667 et n° 456647)

 

205 - Décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme – Recours contentieux – Règle de la cristallisation des moyens – Irrecevabilité de principe des moyens nouveaux – Exceptions – Annulation.

Dans le souci d’accélérer les procédures en matière d’urbanisme l’art. R. 600-5 du code de l’urbanisme décide – par dérogation au droit commun du procès administratif - que lorsqu’une juridiction a été saisie d’un recours en annulation ou en réformation d’une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, les moyens nouveaux sont irrecevables passé le délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

En l’espèce, des particuliers avaient demandé l’annulation d’un permis de construire délivré en vue de la surélévation d’un immeuble et leur recours avait été rejeté par le tribunal administratif sur le fondement de son irrecevabilité tirée des dispositions de l’art. R. 600-5 c. urb.

Le juge de cassation, dans une importante décision, annule ce jugement aux termes de ce que l’on pourrait appeler la doctrine du Conseil d’État sur l’utilisation de l’art. R. 600-5 précité.

Après avoir rappelé le sens et la portée de ce texte, le juge de cassation énonce deux inflexions majeures à la rigueur de la règle de cristallisation des moyens.

En premier lieu, le président de la formation de jugement ou d’instruction peut fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens « s’il estime que les circonstances de l’affaire le justifient ». La formule est souple est large : ces moyens peuvent être de droit mais aussi, ce sera le cas le plus fréquent, de fait ; par ailleurs nous ignorons l’étendue du contrôle qui sera exercé sur ce pouvoir de « décristallisation » ou, plutôt, de « recristallisation », mais on peut penser qu’il sera réduit à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, ce qui signerait sa nature discrétionnaire.

En second lieu, s’il est normalement facultatif l’exercice de ce pouvoir de « recristallisation » peut être rendu obligatoire pour la juridiction ; c’est le cas, selon une formulation bien connue,  lorsque le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Il est donc fait application ici de l’exception initialement instituée à raison du contenu de certaines notes en délibéré.

La solution doit être approuvée mais soulève une interrogation critique : pourquoi s’évertuer à faire prendre par le pouvoir réglementaire des textes de procédure « durs » comme le fait souvent le Conseil d’État, si c’est ensuite pour les « assouplir » au nom d’un certain réalisme contentieux ?

(8 avril 2022, M. et Mme M., n° 442700)

 

206 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Règlement évoquant « la plate-forme » d’une voie – Notion en l’absence de définition – Rejet.

Dans un litige en matière de permis de démolir en vue de la construction d’un immeuble collectif comportant 23 logements, était notamment en cause la disposition suivante du dernier alinéa de l’art. 3 du règlement d’un PLU : « (…) Aucune voie automobile ne doit avoir une plate-forme d'une largeur inférieure à 7 mètres ». Faute que les auteurs du plan aient défini cette notion de plate-forme d’une voie, le Conseil d’État s’essaie à une telle définition en jugeant que « la plate-forme d'une voie comprend, en l'absence de précisions contraires, la chaussée, sur laquelle circulent les véhicules, les accotements qui bordent la chaussée et qui peuvent, le cas échéant, accueillir des trottoirs, ainsi que d'éventuels terre-pleins. » Le choix d’une définition large n’est, bien évidemment, pas sans conséquence sur la portée et les effets de la disposition en cause. Cependant, ce décidant, le juge est parfaitement dans son office.

(8 avril 2022, M. K. et autres, n° 448183)

 

207 - Arrêté d’interruption de travaux en cours pour non-conformité à l’autorisation de construire – Obligation d’organiser une procédure contradictoire sauf urgence – Abstention d’apprécier l’urgence – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Si, en principe, la mesure de police que constitue un arrêté d’interruption de travaux pour non-conformité à l’autorisation de construire doit, à peine de nullité, être précédé d’une procédure contradictoire, c’est sous réserve de l’existence d’une urgence ou de circonstances exceptionnelles.

En l’espèce, où la commune invoquait expressément l’urgence, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant l’arrêté litigieux au seul motif du défaut de contradictoire sans examen de l’existence ou non de l’urgence invoquée par la commune.

(13 avril 2022, Société les Roures, n° 448969)

 

208 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d’aménagement – Applicabilité à tous installations ou aménagements soumis à autorisation par une disposition du code de l’urbanisme – Cas de résidences mobiles de loisir implantées dans un camping – Absence de soumission à autorisation – Infraction pénale – Circonstance indifférente – Insuffisance de motivation – Annulation et renvoi.

L’art. L. 331-6 du code de l’urbanisme soumet au paiement de la taxe d'aménagement les installations ou aménagements de toute nature soumis à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme. En cas de constructions ou d'aménagements sans autorisation ou en infraction aux obligations résultant de l'autorisation de construire ou d'aménager, la date du fait générateur est celle du procès-verbal constatant l'achèvement des constructions ou des aménagements en cause.

Une personne ayant disposé des résidences mobiles de loisir sur un terrain de camping, a été, pour cela, reconnue pénalement responsable par arrêt d’une cour judiciaire d’appel pour installation sans autorisation.

Celle-ci a soutenu devant le tribunal administratif que l’installation de ce type d’habitat n'est soumise par le code de l'urbanisme à aucun régime d'autorisation et qu'en l'absence de procès-verbal constatant l'édification d'une construction sans une telle autorisation, la taxe d'aménagement était privée de fait générateur. Le tribunal a rejeté cette argumentation.

Le Conseil d’État, sur pourvoi dirigé contre ce jugement, l’annule car il incombait seulement au juge de rechercher si cette installation était soumise à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme sans pouvoir se soustraire à cette exigence en invoquant une décision du juge pénal.

Voilà une belle illustration de l’indépendance des qualifications juridiques opérées par chaque ordre de juridiction.

(14 avril 2022, M. A., n° 422801)

 

209 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d'aménagement - Modification apportée au permis de construire - Droit à décharge - Délai de réclamation à compter du permis modificatif - Annulation.

Une société a obtenu un permis de construire modificatif qui avait pour objet une réduction du nombre d'emplacements de stationnement afférents à un ensemble immobilier.

Elle a donc demandé à l'administration, en vain, une réduction du montant de la taxe d'aménagement à laquelle elle avait été assujettie. Le tribunal administratif a rejeté sa requête comme entachée de forclusion, la saisine du juge ayant eu lieu le 3 février 2017 soit plus de deux ans (cf. art. L. 331-31 c. urb.) après l'émission du premier titre de perception, le 27 octobre 2014.

Le Conseil d'État annule pour erreur de droit cette solution car lorsque la modification apportée au permis de construire entraîne non pas un complément de taxe faisant l'objet d'un titre de perception émis dans le délai de douze mois à compter de la date de délivrance de ce nouveau permis conformément aux dispositions de l'article L. 331-24 du code de l'urbanisme, mais ouvre droit à une décharge, une réduction ou une restitution de taxe en application du 2° de l'article L. 331-30 de ce code, les réclamations sont recevables, s'agissant des seules modifications apportées au projet, jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de la délivrance du permis modificatif. 

En l'espèce, le permis modificatif a été délivré le 10 novembre 2015, le délai de saisine du juge expirait donc le 31 décembre 2017 et c'est donc à tort que le tribunal a opposé la forclusion à une saisine intervenue en février 2017.

(22 avril 2022, Société Le Malaza, n° 439459)

 

210 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

V. n° 54

 

211 - Droit de préemption urbain - Parcelles grevées de baux à construction et comportant des constructions - Exercice de ce droit au moment de la levée des options - Transmission de la promesse de vente à l'autorité de préemption - Incompatibilité avec la constitution d'une réserve foncière ou la réalisation d'une opération d'aménagement - Annulation des ordonnances attaquées - Suspension en référé ayant pour effet d'empêcher le transfert de propriété, la prise de possession des biens préemptés au bénéfice de la collectivité publique et permettant aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

La commune requérante a décidé d'user de son droit de préemption urbain sur trois parcelles grevées de baux à construction et supportant des constructions, à l'occasion de la levée des options d'achat par les acquéreurs en vue d'une opération d'aménagement d'un « pôle d'excellence du nautisme ».

Les acquéreurs évincés ont obtenu par deux ordonnances de référé la suspension de l'arrêté de préemption en tant qu'il permet le transfert de propriété ou la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption. 

La commune se pourvoit en Conseil d'État. Celui-ci annule ces ordonnances pour un pur motif de procédure, à savoir le non-respect du contradictoire après une malencontreuse mesure de réouverture (involontaire ?) de l'instruction.

Passant à l'examen du fond, le juge fait ici application d'une présomption d'urgence liée à toute décision de préemption au regard de ses effets sur l'acquéreur évincé dès lors que l'autorité de préemption n'invoque ou n'établit pas de circonstances particulières permettant d'écarter, au cas de l'espèce, la présomption d'urgence. Ce n'est pas le cas ici.

Concernant la seconde condition tenant à l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le Conseil d'État la juge satisfaite ici.

Il relève tout d'abord, ce qui n'allait pas de soi, que la circonstance qu'une parcelle soit grevée d'un bail à construction ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'exercice du droit de préemption lorsqu'elle fait l'objet d'une aliénation soumise au droit de préemption car cette situation n'entre pas dans l'énumération limitative que fait l'art. L. 213-1 du code de l'urbanisme des exceptions à l'exercice du droit de préemption.

Il précise ensuite, en raison du mécanisme particulier du bail à construction, les conséquences s'attachant inéluctablement à une préemption exercée à l'occasion de la levée, par le preneur, de l'option stipulée au contrat d'un bail à construction. Or cette levée d'option a pour effet de lui permettre d'accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail et de transmettre à l'autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur. De cette seconde conséquence, il s'ensuit que la commune qui préempte succède à l'acquéreur évincé dans les obligations attachées à cette qualité, au premier rang desquelles figure l'obligation d'exécuter la promesse de vente. 

C'est pourquoi existe bien ici un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption puisqu'en emportant obligation pour la commune de céder aux acquéreurs les parcelles visées par la déclaration d'intention d'aliéner cette préemption ne permet plus de satisfaire au motif de son intervention, à savoir la réalisation d'une opération d'aménagement.

Enfin, relevant que le juge du référé suspension, en ordonnant la suspension de la décision de préemption peut limiter les effets de sa décision soit au transfert de propriété soit à la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique, le Conseil d'État décide qu'il n'y a pas lieu au cas de l'espèce, de limiter les effets de la suspension et qu'il convient donc de permettre aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

(19 avril 2022, Commune de Mandelieu-la-Napoule, n° 442150)

 

212 - Permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement - Application de l'art. L. 121-8 c. urb. - Distinction entre secteur déjà urbanisé et espace d'urbanisation diffuse - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'office requérant demandait l'annulation du jugement d'un tribunal administratif ayant annulé l'arrêté municipal qui lui avait accordé un permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement comportant onze lots. 

Les premiers juges s'étaient fondés, pour prononcer cette annulation, sur les dispositions de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme dans la version que lui a donnée la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Ils ont considéré que le terrain d'assiette du projet étant inscrit dans un « compartiment » ne présentant pas une densité significative de constructions, il n'était pas situé dans un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article précité.

En jugeant ainsi ils ont commis une erreur de droit car ils n'ont pas fait application des critères retenus par ce texte pour distinguer les secteurs déjà urbanisés des espaces d'urbanisation diffuse.

(22 avril 2022, Office public de l'habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229)

 

213 - Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSVM) - Conséquences du PSVM sur les travaux possibles sur les immeubles qui y sont situés - Installation d'un ascenseur - Evolution du texte du III de l'art. L. 313-1 c. urb. - Art. 3 du PSVM contraire à la loi - Annulation.

Leur immeuble étant situé dans le périmètre du PSMV de la commune de Versailles, les requérants, propriétaires d'un appartement en copropriété, se sont vu refuser, à la suite de la déclaration préalable de travaux, l'autorisation d'y installer un ascenseur en application de l'art. 3 du règlement de ce PSVM qui dispose en particulier : « La conservation de ces immeubles est impérative : par suite, tous travaux effectués sur un immeuble ne peuvent avoir pour but que la restitution de l'immeuble dans son état primitif ou dans un état antérieur connu compatible avec son état primitif ».

Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt d'appel infirmatif du jugement qui avait enjoint à la commune de Versailles de leur délivrer un certificat de non-opposition à cette déclaration préalable.

Le Conseil d'État annule l'arrêt contesté en relevant que si le III de l'art. L. 313-1 c. urb. disposait jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, que « (...) Le plan de sauvegarde et de mise en valeur peut (...) comporter l'indication des immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles : (...) dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales (...) », il résulte de ses travaux  préparatoires que si les PSVM peuvent identifier les immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales, cette dernière loi ne permet plus désormais d'en interdire toute modification de façon générale et absolue.

Il suit de là qu'en maintenant une telle interdiction générale et absolue les dispositions de l'art. 3 précitées du PSVM de la commune de Versailles sont contraires à la loi et que c'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a rendu l'arrêt frappé de pourvoi.

(26 avril 2022, M. et Mme B., n° 448894)

 

214 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

Dans le souci d'accélérer le règlement du contentieux des permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou des permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une commune dans laquelle a été constatée une tension entre offre et demande de logements ayant conduit à l'institution d'une taxe annuelle sur les logements vacants, le code de justice administrative attribue au tribunal administratif le jugement en premier et dernier ressort de ces litiges.

Le Conseil d'État apporte à cet égard deux précisions.

Tout d'abord, la compétence du tribunal administratif s'étend aux recours dirigés contre les retraits ou les refus de retrait des autorisations accordées (réitération sur ce point de : Section, 5 mai 2017, M. Fiorentino, n° 391925).

Ensuite, cette compétence dérogatoire du tribunal administratif ne s'étend pas aux recours dirigés contre les certificats de conformité des travaux à l'autorisation délivrée ou les refus de retraits de ces certificats. En ce cas, qui est celui de l'espèce, l'appel est porté devant la cour administrative d'appel.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

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Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2022

Mars 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Consultation préalable obligatoire d’un organisme – Choix d’une consultation directe du public – Décision subséquente de consulter l’organisme prévu – Irrégularités affectant la consultation ouverte – Absence d’effet sur la décision de l’administration – Rejet.

Lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA).

Toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)).

En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

V. n° 74 pour les autres aspects de cette décision

 

2 - « Tweets » du premier ministre et du ministre de l’intérieur – Messages ne révélant pas une décision – Simples rappels d’une obligation déjà existante – Rejet.

Le recours dirigé contre des « tweets » contenant prétendument l’obligation de recourir à un certain modèle d’attestation au titre du justificatif de déplacement hors du domicile par temps de Covid-19 est rejeté car ces messages se bornent à rappeler une obligation préexistante non à l’instituer.

(4 mars 2022, M. C., n° 445905)

(3) V. aussi la solution identique retenue s’agissant d’un recours contre le point 2 d’un communiqué du premier ministre du 20 mars 2021 : 4 mars 2022, M. C., n° 451312.

 

4 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Un communiqué de presse, du 20 juillet 2020, de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, a annoncé la mise en œuvre d’un dispositif dit « Pack rebond », destiné à favoriser l'implantation de sites industriels sur l'ensemble du territoire national, ajoutant ainsi 66 nouveaux sites aux 12 déjà retenus en janvier 2020.

Ces sites « clés en main » ont vocation à faciliter – par la purge préalable ou l’anticipation des autorisations administratives nécessaires – et à accélérer la réalisation des investissements industriels sur le territoire national grâce au raccourcissement des délais de réalisation des projets pour les investisseurs.

L'association requérante a demandé l'annulation du communiqué de presse et du dossier de presse annexé, en tant qu'ils se rattachent aux sites « clés en main »
Sa requête est jugée irrecevable car dirigée contre des documents qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions. En particulier, les travaux préparatoires qu’ils annoncent n'ont pas pour objet de déroger aux dispositions législatives et réglementaires gouvernant les autorisations régies par le code de l’environnement, ils ne comportent pas davantage de décision nouvelle ni de donnent instruction aux services concernés.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

 

5 - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires –Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 25 mai 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'abroger le dernier alinéa de l'article 6.1 du modèle de convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente au titre de l'article L. 201-13 du code rural et de la pêche maritime, figurant en annexe 2 à l'instruction technique n° DGAL/SDSPA/2019-642 du 30 octobre 2019.

Elles invoquaient divers moyens d’annulation dont aucun n’est examiné puisque le Conseil d’État relève d’office (ce qui est révélé par l’incise figurant au début du point 11 « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête ») le moyen tiré de l’incompétence du ministre de l’agriculture pour édicter par une instruction technique l’art. 6.1 querellé.

En effet, selon ce texte, « Sous réserve de l'application d'une procédure écrite spécifique garantissant l'égalité de traitement entre adhérents et non adhérents, le délégataire est autorisé à ne pas transmettre les certificats et attestations sanitaires à tout détenteur d'animaux dont le compte fait apparaître une dette, contractée au titre de l'exécution de la présente délégation, de plus de 6 mois et ayant fait l'objet d'au moins deux rappels. Il en informe le délégant. ».

Cette disposition permet donc à l'organisme délégataire compétent pour établir et expédier les attestations sanitaires à délivrance anticipée, alors que les conditions auxquelles la réglementation en vigueur subordonne la délivrance des attestations sollicitées sont remplies au regard de la qualification sanitaire des troupeaux d'appartenance ou de provenance des bovins, de refuser la délivrance de ces attestations au seul motif que le demandeur n'a pas réglé les redevances dues au titre d'attestations délivrées antérieurement.

Or aucun texte ou principe existant à la date de l’instruction technique ni non plus à la date de la présente décision ne confère au susdit ministre une telle compétence.

L’annulation est prononcée avec injonction d’abroger sous un mois le dernier alinéa de l’art. 6.1 litigieux.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

 

6 - Demande de communication de documents administratifs – Nombre considérable des documents visés – Effort disproportionné exigé de l’administration – Obligation en ce cas pour l’administré d’apporter la justification de sa demande – Rejet.

Il arrive que les administrés saisissent l’administration d’une demande de communication portant sur un nombre élevé de pièces et d’annexes exigeant d’elle un travail long et considérable, d’ampleur disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

En ce cas, et alors qu’un administré n’a pas, en principe, à justifier de son intérêt à cette communication, il lui incombe de faire connaître l’intérêt qui s’attache pour lui à ladite communication. Le juge fait ensuite la balance entre l’effort très important à fournir et l’intérêt du demandeur à ladite communication. Ce second aspect est, sans être nouveau, une accentuation et une précision d’une tendance jurisprudentielle née à partir des actions contentieuses célèbres d’un requérant quérulent (21 juillet 1989, Association SOS Défense et Sieur Bertin, n° 34954) et récemment ravivée (27 mars 2020, Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS), n° 426623 ; voir cette Chronique mars 2020 n° 5).

(17 mars 2022, M. M., n° 449620)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Communication ordonnée par le juge – Obligation d’y déférer sauf impossibilité matérielle – Destruction de ces documents – Obligation de reconstitution – Rejet.

Dans un litige opposant la société requérante à l’association Nos Amis Les Animaux, (NALA), le juge avait, en 2018, annulé le refus de communiquer à cette dernière une copie des registres d'entrée et de sortie des animaux ainsi que les registres de leur suivi sanitaire et de santé et fait injonction de procéder à cette communication dans les quatre mois.

En juillet 2020, saisi d’une demande d’exécution du jugement précédent, le tribunal a ordonné son exécution dans les deux mois sous astreinte quotidienne sauf à justifier de leur destruction ou de leur versement en archives.

La société a formé un pourvoi contre ce dernier jugement au motif que les documents en cause avaient été détruits en janvier 2019 et produisait à l’appui de cette affirmation une attestation de son gérant.

Dans une décision dont la rigueur doit être complètement approuvée, le Conseil d’État juge que les personnes et entités tenues à la communication, d’autant quand celle-ci est ordonnée par le juge, ont l’obligation de faire toutes diligences pour y satisfaire, cela alors même que la réglementation ne leur imposerait plus, à cette date, de les conserver. Si - comme c’était le cas de l’espèce - elles ont procédé à une destruction après la notification du jugement, elles sont tenues d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour les reconstituer, sous réserve d'une charge de travail manifestement disproportionnée, sans préjudice de l'engagement de leur responsabilité.

Ici, le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé, sans erreur de droit, que la requérante ne justifiait ni de l'exécution du jugement ni de la destruction des documents demandés.

La solution est tout à fait justifiée : il serait trop facile aux organismes concernés de se défaire de l’obligation de communication en invoquant la prétendue destruction des pièces demandées.

(17 mars 2022, Société Solution Antoine Beaufour, n° 452034)

 

8 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation - Annulation du refus et injonction d’abroger l’arrêté attaqué.

L’étude d’huissiers requérante demandait l’annulation du refus d’abroger l’arrêté du garde des sceaux portant approbation d’une modification du règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice en matière de calcul des indemnités kilométriques dues aux huissiers du chef de leurs déplacements à fin d’instrumenter. Elle considérait cet arrêté comme étant illégal du fait qu’il porte approbation d’une décision modificative du règlement intérieur elle-même contraire aux dispositions de l’art. 75-3 du décret du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers.

Accueillant le moyen, le Conseil d’État relève qu’aucune disposition n’attribue compétence aux auteurs du règlement intérieur pour déroger aux mesures prises par le ministre sur le fondement de l'article 75-3 du décret du 29 février 1956. La délibération litigieuse est donc illégale et cela alors même que le ministre aurait eu compétence pour modifier sur le fondement de cet article 75-3 les dispositions de l'arrêté antérieur du 4 août 2004. L’arrêté d’approbation est, par de voie de conséquence, lui-même illégal.

Le refus de l’abroger est annulé assorti d’une injonction au ministre de procéder sous deux mois à son abrogation.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Éducation nationale – Affectation des collégiens dans les lycées - Arrêté autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel (Affelnet Lycée) – Arrêté ne définissant pas les règles d’affectation des collégiens dans les lycées – Griefs inopérants – Rejet.

Les parents d’une collégienne demandent l’annulation, à tout le moins la modification de l'arrêté ministériel (éducation nationale) du 17 juillet 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Affelnet Lycée ».

Ils soulèvent divers griefs d’irrégularité ou d’illégalité à l’encontre de cette décision.

Toutefois, les requérants se méprennent sur la nature et la portée de ce texte qui n’a pas pour objet d’organiser lui-même ce traitement automatisé au moyen d’algorithmes mais seulement d’en autoriser la création.

C’est pourquoi les griefs développés à son encontre sont inopérants car ils visent une décision critérisant et organisant le régime et les règles d’affectation des collégiens dans des lycées alors que tel n’est pas l’objet de l’arrêté litigieux.

Le recours est rejeté.

(4 mars 2022, M. et Mme D., n° 451932)

 

10 - Covid-19 – Aide exceptionnelle en faveur de services de radio aux recettes publicitaires affectées par l’épidémie – Différence de traitement avec le sort réservé à certains éditeurs de service de radio associatifs – Différence en rapport direct avec l’objet de l’aide – Rejet.

Le décret du 10 avril 2021 a créé un dispositif de soutien à la diffusion hertzienne terrestre de services de télévision à vocation locale et de radio ayant été affectés par la propagation de l'épidémie de Covid-19.

Il exclut du champ d’application du bénéfice de l’aide les éditeurs associatifs accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion qui ont bénéficié, au titre de l'exercice comptable 2019, de la subvention d'exploitation prévue à l'article 5 du décret du 25 août 2006 pris pour l'application de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret précité en tant qu’il n’ouvre pas droit, pour certaines catégories d’éditeurs de service de radio, au bénéfice de l’aide qu’il institue.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe tiré de la prétendue non-communication à la Commission européenne du décret attaqué car il manque en fait, le juge rejette également le moyen de légalité interne reposant sur la violation du principe d’égalité en raison de la différence de traitement opérée selon les services de radio concernés.

Pour cela, il relève la différence objective de situation entre, d’une part, les services de radio dont les recettes, notamment publicitaires, ont été particulièrement affectées par la crise économique liée à l'épidémie de Covid-19, pour lesquels le décret litigieux a prévu la prise en charge ponctuelle d'une partie de leurs coûts de diffusion et, d’autre part, les éditeurs des services de radio associatifs susmentionnés, ceux-ci tirant la majorité de leurs ressources de subventions publiques et la perte de leurs ressources publicitaires liée à l'épidémie de Covid-19 n'étant susceptible d'affecter directement qu'une part plafonnée à 20 % de leur chiffre d'affaires total, contre 80 % à 100 % du chiffre d'affaires des éditeurs de services éligibles au dispositif. En outre, ces éditeurs non éligibles à l’aide pouvaient bénéficier de dispositifs de soutien qui leur étaient propres, notamment par l'adaptation du mode de calcul et du calendrier de versement des aides du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER).

La différence de traitement critiquée est ainsi en rapport direct avec l’objet de l’aide exceptionnelle créée par le décret attaqué.

(9 mars 2022, Syndicat national des radios libres et Confédération nationale des radios associatives, n° 452767)

 

Biens – Culture – Patrimoine

 

11 - Monuments historiques – Demande de radiation d’une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques – Refus – Procédure régulière – Erreur de droit – Annulation.

Les requérantes avaient demandé au préfet de région la radiation de l'inscription de la « Butte des Zouaves », lieu de mémoire, à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Cela leur ayant été refusé, elles avaient obtenu en première instance et en appel l’annulation du rejet préfectoral, la cour administrative d’appel relevant en particulier que la décision de refus de radier devait être précédée d’une consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans ce raisonnement, d’où l’annulation de l’arrêt, car seule la décision d'inscrire ou de radier un immeuble au titre des monuments historiques suppose nécessairement l'intervention de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. En revanche, la décision refusant de faire droit à une demande de radiation n’a pas à faire l’objet d’une telle consultation qui n’est d’ailleurs exigée par aucun texte et notamment pas par l'article R. 621-59 du code du patrimoine, lequel se borne à prévoir la consultation de cette commission en cas de décision de radiation. 

(7 mars 2022, Ministre de la culture, n° 449328)

 

12 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

Un litige s’étant élevé sur la détermination du redevable de la taxe sur les propriétés foncières bâties entre, d’une part, une métropole propriétaire du terrain d’assiette et une société privée titulaire d’un bail emphytéotique sur ledit terrain, le Conseil d’État, qui statue ici pour la seconde fois en cassation, signe d’une certaine difficulté, est conduit à une analyse de la situation de droit complexe née de cette situation.

Deux précisions importantes apportées par cette décision doivent être retenues.

En premier lieu, la solution est sur ce point bien connue et constante : « Dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique. La faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public d'une collectivité territoriale, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales, entrés en vigueur le 1er juillet 2006, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public. »

Or, en l’espèce, le tribunal administratif, appliquant les règles de droit civil régissant les contrats de bail, s'est fondé sur ce que le contrat en cause n'attribuait pas au bailleur, avant la fin du contrat, la propriété des constructions et aménagements réalisés par le preneur pour décider que la société SMA Environnement était propriétaire des constructions réalisées en cours d'exécution du bail emphytéotique administratif et donc redevable de la taxe litigieuse sur les constructions édifiées. En réalité, ce jugement reposait sur une erreur de droit car il s'agissait de biens établis sur le domaine public dont il n'était pas contesté qu'ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public et par suite propriété, non de la société preneuse mais de la personne publique délégante.

En second lieu, il résulte des articles 1402 et 1403 du CGI que les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Seule leur publication au fichier immobilier fait produire ses effets à la mutation. Il suit de là que tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire.

Ainsi donc, pour qu’une mutation de propriété soit opposable à l’administration fiscale, s’agissant de déterminer le redevable légal de la taxe foncière, il faut qu’elle ait été publiée au fichier immobilier. 

Or le bail emphytéotique administratif objet du litige n'ayant pas été publié au fichier immobilier il s’ensuit que la qualité d'emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.

C’est donc à tort que cette dernière a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique administratif.  

En revanche, la communauté d'agglomération Agglopole Provence, aux droits de laquelle est venue la métropole d'Aix-Marseille-Provence, étant propriétaire, au 1er janvier des années d'imposition en litige, des constructions réalisées par la société SMA Environnement, elle doit être désignée redevable légale des impositions en litige.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(13) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

 

14 - Bail commercial sur le domaine privé communal – Exploitation d’un camping – Rétablissement postérieur de la domanialité publique sur ce bien – Demande d’expulsion de l’occupant – Rejet du référé pour contestation sérieuse (art. L. 521-3 CJA) – Annulation.

La société requérante exploite un camping sur un terrain communal autrefois dépendance du domaine public mais déclassé le 8 février 2019 et devenu domaine privé antérieurement à la conclusion du bail avec cette société, le 1er septembre 2019.

Le conseil municipal a délibéré le 22 septembre 2020 l’abrogation de sa précédente délibération du 8 février 2019 portant déclassement d’une parcelle du domaine public et, par suite, a, par décision du 17 décembre 2020, constaté l’extinction du bail commercial à effet du 1er janvier 2021.

Devant le refus du preneur de quitter les lieux la commune a saisi le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA.

Celui-ci a constaté l’existence d’une contestation sérieuse résultant de ce que la société, d’une part, avait demandé au tribunal administratif l'annulation de la délibération du 22 septembre 2020, d'autre part, soutenait que le bail commercial avait été conclu à une date où le camping municipal était situé sur le domaine privé, la délibération litigieuse du 22 septembre 2020 n'ayant pu modifier cette situation juridique. Il a, en conséquence, rejeté la demande en référé présentée par la commune.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de référé, annule celle-ci au motif qu’« En statuant ainsi, sans se prononcer sur le bien-fondé de l'argumentation soulevée devant elle, laquelle n'était au surplus pas dirigée contre la décision par laquelle la commune avait mis fin au titre d'occupation dont était titulaire la société, le juge des référés (…) a commis une erreur de droit. »

(11 mars 2022, Société Domaine du Pierrageais, n° 452006)

 

15 - Dépendance du domaine public – Installation d’un fonds de commerce (restaurant) interdite sur cette dépendance – Illégalité dans le cas de l’espèce – Indivisibilité de la clause illégale avec le reste de la convention d’occupation du domaine public – Refus d’annuler – Rejet.

Une convention d’occupation précaire d’une dépendance du domaine public autorise les requérants à y installer un commerce de restaurant. La convention interdit la création d’aucun fonds de commerce sur cette dépendance.

Les requérants saisissent le juge administratif aux fins de voir annuler soit la convention soit la clause litigieuse. En effet, il résulte de l’art. L. 2124-32-1 du CGCT issu des dispositions de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l'entrée en vigueur de cette loi qu’est reconnu aux occupants d'une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d'exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d'occupation à la condition qu'ils disposent d'une clientèle propre distincte des usagers du domaine public. 

Ils se pourvoient contre l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que si la clause litigieuse était bien illégale, elle formait cependant un ensemble indivisible avec les autres stipulations de la convention d’occupation ; or  la méconnaissance par cette clause des dispositions de l'article L. 2124-32-1 du CGCT ne pouvait pas constituer, à elle seule, un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation de la convention en son entier ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention.

La solution est approuvée par le juge de cassation qui n’y aperçoit aucune erreur de droit.

(11 mars 2022, M. L. et M. B., n° 453440)

 

16 - Domaine privé communal – Présence d’une statue de la Vierge Marie – Refus de l’enlever ayant le caractère d’une décision administrative – Compétence du juge administratif – Érection de la statue postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 – Statue n’entrant pas dans l’une des exceptions prévues par la loi (art. 28) – Obligation d’enlèvement – Rejet.

La commune requérante demandait la cassation de l’arrêt d’appel annulant le refus du maire de déplacer une statue de la Vierge Marie située au sommet du Mont Chatel (Ain) sur une parcelle dépendant du domaine privé de la commune car établie en violation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Son recours est rejeté.

Le juge règle en premier lieu deux points de procédure.

Tout d’abord, la commune a commis une erreur procédurale en ne reprenant pas explicitement en appel la fin de non-recevoir qu’elle avait soulevée en première instance mais qui n’avait pas été examinée par le tribunal administratif celui-ci ayant opposé l’exception de connaissance acquise à la demande des requérants dirigée contre le refus opposé par la commune. Elle ne peut donc reprocher à la cour de n’avoir pas examiné un moyen qu’elle n’avait pas repris devant elle.

Ensuite, la commune ne peut pas soutenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige en se fondant sur la domanialité privée de la parcelle d’implantation de la statue car les requérants contestaient une décision administrative laquelle ressortit à la compétence du juge administratif.

Cette solution peut se discuter dès lors que l’arrêt n’indique pas si cette décision est détachable ou non de la gestion de cette dépendance du domaine privé, ce n’est que dans le premier cas que serait justifiée la compétence du juge administratif.

Sur le fond, le juge confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé, positivement, que l’art. 28 de la loi de 1905 interdit d’élever des monuments religieux sur les emplacements publics, et, négativement, que cette statue n’entre dans aucune des exceptions prévues par ce même article 28.

Même si depuis plusieurs siècles c’est là un lieu de pèlerinage constant et traditionnel, la statue ne constitue pas en soi un édifice servant au culte, ce qui aurait complètement changé la donne.

Également, il est rappelé que l’interdiction édictée par la loi de 1905 s’applique indifféremment au domaine privé et au domaine public des personnes publiques.

Enfin, le Conseil d’État rejette l’argument de la commune selon lequel elle n’est pas l’auteur ni le financeur de la statue – ce sont des particuliers - qui ne lui appartiendrait pas et donc ne saurait être destinataire de l’injonction de déplacement ; en effet, la statue étant située sur un sol qui lui appartient la commune en est propriétaire par application des dispositions des art. 552 et 555 du code civil,

Il ne reste plus à la commune, si elle tient à conserver la statue in situ, qu’à vendre aux particuliers intéressés la portion de parcelle nécessaire à son maintien ou encore à conclure un bail emphytéotique comportant construction d’un édifice du culte que surmonterait ensuite ladite statue peut-être encore plus haut que précédemment : « Quo non ascendam ? ».

Devise du surintendant Fouquet qui serait ici parfaitement en situation.

(11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d'Alvey, n° 4540706 et n° 456932)

 

17 - Biens culturels ne constituant pas des « trésors nationaux » - Exportation définitive ou temporaire – Relèvement des seuils de recours obligatoire à un certificat administratif attestant de l’absence de caractère de « trésor national » - Absence de non-respect du droit de l’Union – Mesure d’intérêt général – Rejet.

La requérante contestait la juridicité de l’art. 5 du décret du 28 décembre 2020 relatif au régime de circulation des biens culturels en ce qu’il modifie l’annexe 1 du code du patrimoine en rehaussant les seuils applicables à certaines catégories de biens.

Si les biens entrant dans la catégorie des « trésors nationaux » sont exclus d’exportation sauf renonciation par l’État à leur acquisition (V. Ph. TOSI, La notion française de trésor national, thèse Aix-Marseille, 2016), il n’en va pas de même des autres biens culturels.

Toutefois, au-delà d’un certain seuil de leur valeur déclarée la réglementation exige que cette exportation soit précédée d’un certificat administratif attestant que le bien n’est pas un trésor national.

L’objet du décret attaqué était de relever le seuil à partir duquel est exigé ce certificat.

La requérante fait d’abord valoir que ce relèvement ne serait pas conforme au règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels qui définit les seuils d'ancienneté et de valeur à partir desquels un bien culturel doit faire l'objet d'une licence d'exportation préalablement à sa sortie du territoire de l'Union européenne.

Le Conseil rejette cet argument, d’une part car aucune disposition de ce règlement ne fait obligation aux États-membres de fixer des seuils identiques à ceux du règlement pour la délivrance du certificat en cause, et d’autre part car l’art. 5 du décret attaqué est sans incidence sur les conditions dans lesquelles un bien illégalement exporté peut faire l'objet d'un retour, qui sont fixées par les articles L. 112-1 et suivants du code du patrimoine ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application, lesquels transposent la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre. Il suit de là que la SPPEF ne peut utilement invoquer la méconnaissance ni des termes ni des objectifs de cette directive.

La requérante invoque aussi le risque de sous-estimation des œuvres, le relèvement des seuils facilitant la fraude à l’exportation. Le moyen est rejeté d’abord car les trésors nationaux ont une valeur très supérieure à ces seuils et il n’y a donc pas de risque de voir exporter de véritables trésors nationaux, ensuite car il reste la sanction pénale de telles fraudes qui est assortie d’une procédure de retour des œuvres.

Le détournement de pouvoir allégué n’est pas, lui non plus, retenu.

(17 mars 2022, Association Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France-Sites et Monuments (SPPEF), n° 454057)

 

18 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

V. n° 22

 

19 - Domaine public – Personne privée titulaire d’une servitude de droit privé sur ce domaine – Servitude consistant en un droit d’implanter des ouvrages – Installation d’un réseau de chauffage urbain – Assimilation d’une telle servitude à une autorisation d’occupation du domaine public – Obligation pour son titulaire de déplacer à ses frais les installations existant sur la partie de terrain grevé de la servitude – Légalité des titres exécutoires émis pour valoir remboursement des frais engagés par le propriétaire du domaine pour le déplacement des installations – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Annulation.

Cette décision est importante en ce que, pour la première fois, elle assimile complètement le titulaire d'une servitude de droit privé maintenue après son incorporation dans le domaine public, au titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages. Le Conseil d’État enfonce encore d’ailleurs un peu plus le clou en relevant que la circonstance que le titulaire de la servitude n’est pas soumis au paiement d’une redevance au titre de ces ouvrages est sans incidence sur son assimilation à un titulaire d’autorisation d’occupation domaniale.

En l’espèce, une société disposait d’une servitude sur la voirie publique expressément maintenue après incorporation de cette voirie dans le domaine public. A ce titre, elle y a placé les installations d’un réseau de chauffage urbain.

La collectivité publique a, par la suite, décidé d’implanter sur cette voie une ligne de tramway en site propre ce qui nécessitait le déplacement, sous forme d’un dévoiement, des ouvrages de chauffage. Ayant effectué elle-même les travaux de déplacement du réseau, la collectivité a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société titulaire de la servitude pour mise à sa charge des frais qu’elle avait acquittés.

Elle se fondait pour cela sur une assimilation du titulaire d’une servitude de droit privé sur le domaine public au titulaire d’une autorisation d’occupation dudit domaine.

L’enjeu juridique et financier (le coût du déplacement du réseau de chauffage excède sept millions d’euros) était très important.

Classiquement, en effet, le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation du domaine public, doit supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine. Nul doute que la seconde condition était satisfaite en l’espèce car la création d’une ligne de tramway sur une voie publique constitue bien une réalisation conforme à la destination de cette dépendance domaniale. Le respect de la première condition est, lui, plus discutable : en quoi la réalisation de la ligne de tramway est-elle bien entreprise dans l’intérêt du domaine occupé ? Existe-t-il ici un intérêt objectivement et a priori attaché à la voie conduisant comme par une conséquence nécessaire et liée à la création d’une ligne de tramway ? Cela peut, au moins, se discuter.

Mais qu’en est-il d’une servitude de droit privé quant à la charge du coût de déplacement d’installations s’y trouvant ?

Saisi par la société d’un recours contre la légalité du titre exécutoire, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel contre ce jugement dont l’avait saisie le département défendeur, relevant en particulier que la société titulaire de la servitude, à la différence d’un occupant domanial, n’acquittait aucune redevance au titre de la servitude.

Cassant cet arrêt le Conseil d’État décide que : « Le titulaire d'une servitude de droit privé permettant l'implantation d'ouvrages sur le terrain d'une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n'acquitterait pas de redevance à ce titre. » D’où cette conséquence, selon cette étrange doctrine, qu’il doit supporter les frais de déplacement des installations lorsque celui-ci répond aux deux conditions susmentionnées (travaux réalisés dans l’intérêt du domaine et conformes à la destination de ce dernier). Voilà une bien étrange conception de la servitude notion et catégorie juridique que seul régit le Code civil, notamment en ses art. 697 et suivants.

Il y a là la manifestation d’une certaine crispation et d’un impérialisme autour d’une vision passablement « vintage » de la protection des situations immobilières de droit privé comme de droit public.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

Pour un autre aspect de cette décision, voir n° 53

 

Contrats

 

20 - Accord-cadre portant sur des prestations de service de formation professionnelle – Phase d’analyse des offres – Rejet d’une offre estimée anormalement basse – Annulation de l’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Annulation partielle - Absence de renvoi, plus rien ne restant à juger.

Dans le cadre de la conclusion de certains lots d’un accord-cadre portant sur des prestations de services de formation professionnelle au bénéfice des personnes à la recherche d'un emploi, Pôle emploi, au stade de l’analyse des offres, a rejeté l’offre présentée par l’une des sociétés candidates comme étant anormalement basse. Sur recours de la société évincée, fondé sur l’art. L. 551-1 CJA, le juge des référés du tribunal administratif, après avoir constaté le non-lieu à statuer sur l’un des lots litigieux, a annulé la décision de Pôle emploi rejetant les offres de l’intéressée et portant sur les autres lots.

Pôle emploi se pourvoit en vue d’obtenir la cassation de cette ordonnance.

Le pourvoi est partiellement rejeté car, sans être contestée sur ce point, l’ordonnance attaquée a estimé que les prix proposés par la société évincée n'étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l'exécution des marchés et qu'en conséquence Pôle Emploi avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'écarter les offres présentées par cette société au motif de leur caractère anormalement bas et qu'il avait ainsi méconnu le principe d'égalité entre les candidats.

En revanche, dès lors que ce manquement ne se rapportait qu’à la seule phase d’examen des offres, le premier juge ne pouvait pas annuler l’ensemble de la procédure, ordonnant à Pôle emploi, s’il entendait la poursuivre, de reprendre la procédure en son entier.

Comme la société évincée requérante n’a demandé en première instance que l'annulation de la procédure au stade de la sélection des offres, aucune question ne restant à juger, le juge de cassation n’use pas ici de son pouvoir de statuer au fond.

Il appartient donc désormais à Pôle emploi, s’il entend poursuivre la conclusion du marché, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres.

(ord. réf. 2 mars 2022, Pôle emploi, n° 458019)

 

21 - Procédure de concession d’aérodrome – Ordonnance avant-dire enjoignant l’État de différer la signature de ce contrat – Annulation de la décision d’attribution de la concession – Rejet.

La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) de Polynésie française a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-24 CJA, d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a dans la limite de 20 jours, d'autre part, d'enjoindre à l'État de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire et les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue et enfin, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution de la concession et la décision du 15 septembre 2021 rejetant l'offre du groupement et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation de la concession. 

Le juge saisi a rendu deux ordonnances : par la première (8 octobre 2021), il a fait injonction à l’État, avant-dire droit, de différer pendant vingt jours la signature du contrat de concession de l'aérodrome et rejeté les demandes de communication de la CCISM. ; par la seconde (28 octobre 2021), il a annulé la décision attribuant la concession de l’aérodrome au groupement Société Egis Airport Operation - Caisse des dépôts et consignations.

La ministre de la transition écologique et le groupement se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette l’argument de procédure fondé sur le non-respect du principe du contraire et des droits de la défense car le juge des référés, s’il s’est fondé, pour prononcer l’annulation du contrat de concession, sur l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire, moyen soulevé par la CCISM dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, soit quelques heures seulement avant l'audience, il a, à l'issue de l'audience, différée la clôture de l'instruction jusqu'au 26 octobre et d’ailleurs, un mémoire en défense présenté pour l'État a été enregistré le 26 octobre 2021, avant donc cette clôture.

Sur le fond, le juge de cassation approuve le premier juge d’avoir retenu, d’une part, pour annuler l’attribution du contrat de concession, la circonstance que, contrairement aux exigences du guide de constitution de l’offre, l’offre retenue ne comportait pas l’identité des cocontractants constructeurs et qu’ainsi, irrégulière au regard des indications données dans le document de la consultation, elle devait être écartée, et, d’autre part, le fait que cette irrégularité était de nature à avoir lésé la CCISM demanderesse.

(2 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 458354 ; Société Egis Airport Operation et Caisse des dépôts et consignations, n° 458356)

 

22 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

La commune de Toulouse a créé un musée de la photographie (dit Galerie du Château d’eau) qu’elle a géré et exploité d’abord en régie directe avant d’en confier la gestion à l'association pour la Photographie au Château d'eau (PACE). Lorsque cette dernière a été mise en redressement judiciaire s’est posée, devant le juge judiciaire, la double question de la nature juridique des conventions successives conclues entre la commune et l’association et, par voie de conséquence, de celle du statut juridique de ces biens.

Interrogé par ce juge au moyen de questions préjudicielles, le tribunal administratif a estimé qu’une partie des conventions, les premières, constituaient des marchés publics, et les secondes ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013, de conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions. Étrangement, il a estimé ne pas pouvoir répondre à la question de savoir qu’elle était la nature, publique ou privée, des biens en litige. C’est oublier que la juridiction saisie d’une question préjudicielle exerce un office pleinement juridictionnel et qu’elle est donc tenue d’y répondre, sauf hypothèses de saisine irrégulière ou d’incompétence de la juridiction saisie.

La commune, qui avait soutenu devant le tribunal administratif que les conventions qu’elle avait conclues avec l'association étaient des délégations de service public et que les fonds photographique et documentaire constitués par l'association dans le cadre de ces conventions constituaient des biens de retour, donc lui appartenant, se pourvoit en Conseil d’État.

Après avoir rappelé, d’une part, les définitions respectives des marchés publics (dans le code des marchés publics de l’époque puis dans celui de la commande publique) et des conventions de délégation de service public (dans le CGCT et le code de la commande publique), et, d’autre part, que les subventions ne sauraient constituer des contrats de commande publique (en ce sens les remarquables observations de C. Blanchon, in Recherche sur la subvention : contribution à l’étude du don en droit public, Thèse Aix 2017, LGDJ 2019, Préf. F. Linditch), le Conseil d’État juge être en présence d’une délégation non d’un marché en se fondant sur le célébrissime et toujours discuté critère de la part d’aléa que doit comporter un tel contrat (depuis, notamment : 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ commune de Lambesc, n° 168325, à propos de la notion de rémunération « substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation »).

Cet aléa se retrouve ici, estime le juge, en dépit des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants apportés par la commune de Toulouse à son cocontractant. La preuve en est que l’association se trouve en redressement judiciaire, l’aléa économique lié à son contrat ayant joué en sa défaveur.

Ici, l’argument est un peu court : la déconfiture peut n’être pas la conséquence objective d’aléas mais, par exemple, d’une mauvaise gestion laquelle n’est pas un aléa objectif mais purement subjectif donc non inhérent à la structure même du contrat tel que configurée par la volonté commune des parties.

Concernant le statut des biens, il est directement commandé par la solution précédente : ce sont des biens de retour qui font donc partie du patrimoine de la commune dès l’origine du contrat sauf stipulation contraire explicite – inexistante ici – du contrat. Ils sont donc de nature publique et doivent être appréciés comme tels pour le dénouement de la procédure de redressement judiciaire.

En revanche, l’on sait que les biens de reprise n’entrent dans le patrimoine de la collectivité publique, en cas d’exercice de sa faculté d’acquisition, qu’à l’expiration du contrat.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

 

23 - Attribution d’un lot de sous-concession de travaux et de service public balnéaire – Exploitation d’un lot de plage – Exclusion de la procédure de passation d’un contrat de concession – Motifs – Dénomination de la société attributaire comportant un risque grave de confusion avec une autre entreprise candidate – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de référé pour un autre motif et annulation de la procédure de passation du lot litigieux au stade de l'examen des offres.

Le litige concernait l’attribution d’un lot de la sous-concession de la plage de Pampelonne rendue célèbre pour être une zone inépuisable de contentieux depuis plus d’un demi-siècle (cf. Assemblée 29 mars 1968, Société anonyme du lotissement de la plage de Pampelonne, n° 59004, Rec. Lebon p. 211 ; AJDA 1968 p. 335).

La commune de Ramatuelle, concessionnaire de la plage, avait lancé une procédure qui a conduit à l’attribution d’un lot de la sous-concession de plage à la société EPI. Le juge des référés du tribunal administratif, statuant au visa de l’art. L. 551-1 du CJA, a considéré que la dénomination sociale de la société EPI, attributaire pressentie du contrat de sous-concession en litige, créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l'hôtel du même nom, actionnaire unique de la société EPI plage de Pampelonne, également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement, d'ailleurs titulaire de la marque « EPI Plage ».

Il a, en conséquence, jugé que la commune concédante aurait dû exclure la société EPI de la procédure de passation ou, à tout le moins, solliciter ses observations sur le fondement de l'article L. 3123-11 du code de la commande publique et que s’étant abstenue de le faire elle a entaché d’illégalité la décision d’attribution du lot litigieux.

Le juge de cassation censure pour erreur de droit cette ordonnance car le choix par un opérateur économique d'une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d'induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l'attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement des dispositions de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique. Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit.

Toutefois, la procédure d’attribution de ce lot est annulée au stade de l’examen des offres puisque la candidature retenue ne respectait pas la stipulation du cahier des charges techniques exigeant qu’une surface minimum de 60 % soit allouée à la location de bains de soleil alors qu’il ressortait du plan de masse soumis par la société EPI dans son offre que cette surface n’y était que de 41%.

La commune était tenue d’écarter l’offre de cette dernière. 

(24 mars 2022, Société EPI et MM. Frédéric F. et Paul C., n° 457733 ; Commune de Ramatuelle, n° 457735)

(24) V. aussi, à propos de la sous-concession irrégulière d’un autre lot de cette même plage pour incomplétude grave des documents remis à l’appui de sa candidature par une société attributaire de ce lot et dont l’irrégularité rend insusceptible de permettre la poursuite de l’exécution du contrat : 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle, n° 454341 ; Société Tropezina Beach Development, n° 454896.

 

25 - Marché de travaux – Réserves lors de la réception des travaux – Réserves non levées dans le délai imparti – Exécution des travaux à la demande du maître de l’ouvrage aux frais et risques du titulaire y compris après établissement du décompte général – Réserves non levées à la réception devant être portées par le maître de l’ouvrage, chiffrées ou non chiffrées, sur le décompte, à peine de déchéance du droit à en être indemnisé – Réserves non chiffrées portées au décompte empêchant le caractère définitif du décompte sur les seuls éléments de ce dernier y relatifs – Réserves portées chiffrées au décompte sans réclamation du titulaire emportant caractère définitif du décompte – Annulation.

Cette décision revêt, par les précisions qu’elle apporte à la jurisprudence existante, une importance théorique et pratique certaine au regard du régime des réserves en matière de marchés publics de travaux.

La commune requérante, qui avait confié le lot n° 1 « démolition - gros œuvre » du marché de réaménagement d'une grange en bibliothèque à Sainte-Flaive-des-Loups, a fait l’objet de la part de la société attributaire de ce lot d’une double demande qui a été portée au contentieux : arrêter à une certaine somme le montant du décompte général et définitif de ce lot et verser à cette entreprise le solde du décompte assorti d’intérêts moratoires et capitalisés.

Le tribunal administratif a condamné la commune à payer le solde du marché avec intérêts et capitalisation de ceux-ci et rejeté le surplus des demandes des parties. Ce jugement a été confirmé par l’arrêt rejetant l’appel de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

Le Conseil d’État tranche deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il résultait d’une stipulation du cahier des clauses administratives générales alors applicable aux marchés de travaux que le maître de l'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire.

Le Conseil d’État juge qu’il ne résulte pas de là que le maître de l’ouvrage serait tenu de faire assurer ces travaux avant l’établissement du décompte général, ce qui était alors assez discuté.

En second lieu, et surtout, était en cause le régime juridique des réserves émises lors de la réception des travaux. Ceci conduit le juge à quatre rappels ou précisions.

1°/ Les réserves peuvent être chiffrées ou non chiffrées.

2°/ Lorsque les réserves émises à la réception, qu’elles aient été chiffrées ou non, n’ont pas été levées au moment de l’établissement du décompte, elles doivent impérativement y être reprises car à défaut le maître de l’ouvrage serait déchu de son droit à indemnisation du fait que le caractère définitif du décompte est en principe insurmontable.

3°/ Lorsque les réserves non chiffrées ont été portées au décompte celui-ci ne devient définitif qu’en ce qui concerne ceux de ses éléments non affectés par les réserves.

4°/ Lorsque le maître de l’ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte sans réclamation du titulaire de ce chef, le décompte devient définitif dans sa totalité.

Naturellement, en ce cas les sommes correspondant à ces réserves sont déduites du solde des sommes dues au titulaire si celui-ci n'a pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves. 

En l’espèce l’arrêt d’appel est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a estimé que malgré l'inscription dans le décompte général et définitif d'une somme correspondant aux travaux ayant fait l'objet de réserves non levées, la commune maître d'ouvrage ne pouvait se prévaloir d'une créance correspondant à cette somme à l'encontre du titulaire au motif que ces travaux n'avaient pas été réalisés.

Cette clarification jurisprudentielle vient heureusement compléter une solution relativement récente (6 mai 2019, Société ICADE promotion c/ CHU de Reims, n° 420765 ; V. cette Chronique, mai 2019 n° 19) jugeant que le caractère définitif du décompte ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s'il est établi que le maître d'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige.

(28 mars 2022, Commune de Saine-Flaive-des-Loups, n° 450477)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel – Litige en réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Compétence de cette cour.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice prétendument subi du fait du concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

La décision est intéressante même si elle résout la difficulté par la solution implicite qu’elle contient.

Si les textes confient à la cour administrative d’appel la compétence de premier et dernier ressort pour connaître du contentieux né de la délivrance ou du refus de délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, ils sont muets sur la juridiction administrative compétente pour connaître du recours à fins indemnitaires en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par une autorisation d’exploitation illégalement accordée comme c’était le cas en l’espèce, ou par le refus illégal de délivrer cette autorisation.

On sera pleinement d’accord avec le Conseil d’État pour confier à cette même juridiction, dans un louable souci de simplification, et le contentieux de la légalité de ces autorisations d’urbanisme et celui de plein contentieux né directement de l’irrégularité desdites autorisations ou de leur refus.

(2 mars 2022, Commune de Saint-Affrique, n° 440079)

 

27 - Mémoire comportant des conclusions indemnitaires nouvelles – Absence de mesure de clôture de l’instruction - Mémoire parvenu au greffe de la juridiction avant l’audience – Conclusions non visées et sans réponse – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige relatif à la fixation du taux d’invalidité permanente partielle des séquelles résultant d’une maladie professionnelle, un tribunal administratif, destinataire près de deux semaines avant l’audience et en l’absence d’ordonnance de clôture de l’instruction, d’un nouveau mémoire de l’intéressé contenant des prétentions indemnitaires nouvelles, omet de le viser et d’y répondre.

Cette irrégularité étant irrémissible, le jugement est annulé.

(3 mars 2022, M. C., n° 439613)

 

28 - Jugement – Signatures devant être portées sur la minute d’un jugement – Absence de l’une d’elles – Annulation.

 L’article R. 741-7 du CJA disposant que la minute du jugement rendu par un tribunal administratif doit être signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, il s’ensuit que l’absence de la signature du rapporteur ayant siégé dans la formation collégiale qui a rendu le jugement constituant l’omission d’une formalité substantielle en raison de l’objectif poursuivi par cette disposition, entraîne l’annulation du jugement.

(3 mars 2022, Société Bégédis, n° 442760)

 

29 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

V. n° 4

 

30 - Excès de pouvoir  - Existence d’une pluralité de moyens pouvant justifier une annulation – Choix du moyen le plus adéquat à la résolution du litige – Existence concomitante d’une demande d’injonction – Demande prioritaire dans l’examen des moyens idoines – Demande d’injonction constituant la demande principale – Hiérarchisation des moyens en fonction de la cause juridique – Obligation pour le juge de la respecter – Rejet des moyens au soutien de la demande principale mais existence d’un moyen retenu au soutien de la demande subsidiaire – Conséquences sur l’office du juge – Effets en cas d’appel – Rejet.

Réitération d’une importante jurisprudence de formulation complexe mais logique (Section 21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678 ; V. cette Chronique, décembre 2018 n° 89)

« (…) lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. »

(7 mars 2022, Mme A., n° 438147)

 

31 - Annulation d’une résolution du conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) – Ouverture d’une procédure contradictoire sur la date de prise d’effet de l’annulation – Absence de motifs de report – Effets de l’annulation non différés avec portée rétroactive.

Le Conseil d’État, par une décision du 2 juillet 2021, a annulé pour motif d’incompétence une résolution du conseil d’administration de l’ONF puis sursis à statuer sur la détermination de la date d’effet de cette annulation, rouvrant ainsi le débat contentieux sur cet aspect.

Tout d’abord, le juge refuse de donner acte à l’un des requérants de son désistement puisque par le premier arrêt il avait été statué sur ses conclusions.

Ensuite,  le Conseil d’État, par la présente décision, juge, d’une part, que l'annulation rétroactive de la réglementation litigieuse n’emporterait pas des conséquences manifestement excessives au regard des situations qui ont pu se constituer lorsqu'elle était en vigueur, notamment par l'effet des contrats de vente conclus sur les lots de bois d'œuvre de chêne acquis auprès de l'ONF et, d’autre part, que si la réglementation annulée poursuit une finalité d'intérêt général de préservation de la filière de transformation du bois de chêne, l'ONF et la Fédération nationale du bois soutenant en défense qu'elle devra être remplacée par une réglementation de portée équivalente, ne sont pas apportés en l’espèce des éléments permettant d’établir que l’effet rétroactif attaché à cette annulation entraînerait des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt général. 

Enfin, il considère qu’eu égard aux inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation de la résolution attaquée, il n'y a lieu ni de différer les effets de cette annulation ni d'en réputer définitifs les effets passés. 

(9 mars 2022, Syndicat de la filière bois et autres, n° 427483)

 

32 - Avocats ressortissants d’un État membre de l’Union européenne – Représentation de leurs clients devant le Conseil d’État et la Cour de cassation – Régime fixé aux art.  2 et 3 du décret du 16 février 2021 – Rejet.

Le groupement requérant contestait les art. 2 et 3 du décret du 16 février 2021 organisant la représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation par les professionnels ressortissants des États membres de l'Union européenne (UE) ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) autres que la France et modifiant le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 relatif aux conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Ces dispositions font obligation aux avocats de l’UE et de l’EEE - afin de pouvoir assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation sur le fondement de l'autorisation délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice -, d’une part, d’avoir élu domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation auquel les actes de la procédure sont valablement notifiés, d’autre part, de joindre à leur constitution un document attestant l'existence d'une convention avec l'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation autorisant l'élection de domicile pour l'instance considérée. 

Selon le groupement requérant, ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, les libertés d’établissement et de prestation de services, d’autre part, le principe d’égalité.

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, l’obligation pour un avocat d’élire domicile chez un avocat aux Conseils n’a pas été jugée contraire au droit de l’Union, notamment à l'article 5 de la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (en ce sens : CJCE 10 juillet 1991, Commission des Communautés européennes contre République française, aff. C-294/89).

Semblablement, l’obligation pour cet avocat d’obtenir une autorisation délivrée par le garde des sceaux au vu des documents attestant de son identité, de sa nationalité et de son titre professionnel et de ceux permettant de vérifier qu'il est habilité dans l'État où il est établi à représenter les parties devant les juridictions suprêmes, juges de cassation de cet État, et qu'il y consacre à titre habituel une part substantielle de son activité, n’est imposée qu’en vue de garantir l'objectif de bonne administration de la justice. Elle ne contrevient pas aux dispositions de l'article 3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 prévoyant la possibilité d'imposer à l'avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de cet État membre.

Ainsi, l’art. 3 du décret attaqué, en subordonnant la représentation en justice devant les juridictions de cassation par un avocat ressortissant d'un État membre de l'Union ou partie à l'accord sur l'EEE autre que la France à l'obtention préalable d'une autorisation du ministre de la justice et à l'obligation de conclure une convention prévoyant l'élection de domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ne méconnaît ni la liberté d'établissement ni la liberté de prestation de services, l’une et l’autre garanties par le droit de l'Union.

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu par le groupement requérant, les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte au principe d’égalité.

D’abord, il ne saurait être soutenu qu'en permettant au ministre de la justice, de suspendre provisoirement l'autorisation d'exercer l'activité d'assistance et de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation accordée à un professionnel d'un autre État européen que la France, lorsque l'urgence le justifie et que l'une ou plusieurs des conditions permettant cet exercice ne sont plus remplies, il serait porté atteinte au principe d'égalité dans la mesure où aucun texte ne prévoit la possibilité d'une telle mesure de suspension à l'égard d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En effet, les professionnels autorisés à représenter les parties devant les juridictions suprêmes françaises sous leur titre professionnel d'origine ne sont pas dans la même situation que les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation auxquels une telle autorisation n'a pas à être délivrée.

Ensuite, il ne saurait davantage être soutenu que dès lors que pour assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, sous leur titre professionnel d'origine, les ressortissants d'un État membre de l’UE ou partie à l'accord sur l'EEE doivent justifier que, dans le pays où ils sont établis, ils sont habilités à représenter les parties devant la ou les juridictions de cassation et y consacrent une part substantielle de leur activité, ils ne sont pas dans la même situation que les avocats exerçant en France qui ne peuvent justifier d'une telle expérience devant une juridiction de cassation.

Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent parfois à l’intérieur de l’espace juridictionnel français s’agissant de la distinction, souvent critiquée, entre les avocats aux Conseils et ceux de barreaux.

(7 mars 2022, Groupement européen d'intérêt économique Alphalex avocats, n° 451753)

 

33 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Juge retenant un document non soumis au débat contradictoire – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le juge s’était fondé, pour rejeter la requête, sur le contenu du budget primitif de la commune pour l’année considérée.

Cependant, ce document n’avait pas été versé aux débats et n’avait par conséquent pas fait l’objet d’une discussion contradictoire entre les parties.

Le juge de cassation prononce bien évidemment l’annulation de ce jugement rendu dans des conditions irrégulières.

(11 mars 2022, SCI Noisy-le-Sec, n° 453571)

 

34 - Contributions à la taxe sur le foncier bâti et sur le foncier non bâti – Contestation du jugement du tribunal administratif – Contestation ayant le caractère d’un appel devant être porté devant la cour administrative d’appel non devant le Conseil d’État – Renvoi à la cour.

Une commune réclame réparation à l’État de la faute commise par les services fiscaux en raison de l'insuffisant assujettissement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de la société civile Synchrotron Soleil aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties au titre de plusieurs années. Le tribunal ayant donné raison à la commune, le ministre des finances a contesté ce jugement que la cour de Versailles a renvoyé au Conseil d’État estimant que cette affaire relevait des cas où le tribunal administratif statue en premier et en dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA).

Le Conseil d’État considère que ce recours constitue un appel en raison de ce que le litige n’entre matériellement pas dans les exceptions prévues au 4° de l’art. R. 811-1 CJA ni non plus, en raison du montant de l’indemnité réclamée (près d’1,5 million d’euros), dans un cas prévu au 8° de cet article.

Le dossier est renvoyé à la cour de Versailles.

(11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saint-Aubin, n° 460641)

(35) V. aussi, identique : 11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saclay, n° 460623)

 

36 - Intérêt donnant qualité pour agir – Buralistes contestant le régime de TVA applicable aux débits de tabacs situés dans un terminal ferroviaire à l’instar de ceux situés dans un port ou un aéroport – Absence d’intérêt direct et certain – Rejet.

La confédération syndicale demanderesse poursuivait l’annulation des paragraphes 10 et suivants des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) du 22 juillet 2021 en tant qu'ils interprètent la loi comme incluant les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles (situé à la sortie du tunnel sous la Manche) dans le champ du bénéfice du régime suspensif de paiement de la TVA prévu pour les ports et aéroports.

En effet, pour justifier de sa recevabilité à former un recours pour excès de pouvoir contre les commentaires qu'elle conteste, la confédération requérante se prévaut seulement de la différence de traitement qu'ils institueraient, dans l'accès au régime suspensif de TVA, entre les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles et les gérants de débit de tabac établis à proximité, au détriment de ces derniers, alors que ses statuts lui donnent pour objet la défense des intérêts de la profession des gérants de débits de tabacs et des chambres syndicales qui en sont membres. Elle ne justifie ainsi pas d'un intérêt direct et certain lui donnant qualité pour agir. 

(11 mars 2022, Confédération nationale des buralistes de France, n° 456321)

 

37 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Exercice de fonctions disciplinaires – Obligation de viser les conclusions et moyens des parties – Obligation pour le juge d’appel qui en modifie le dispositif d’annuler le jugement – Annulation.

Le CNESER, dispose, entre autres, de compétences disciplinaires et il statue en ce cas comme juridiction administrative relevant du Conseil d’État par la voie de la cassation.

En l’espèce, il avait relaxé des poursuites disciplinaires dont elle avait fait l’objet en première instance de la part de la commission disciplinaire de son université, une maître de conférences. Toutefois, dans sa décision, le CNESER n’avait ni visé les conclusions et moyens de la requérante ni, non plus, procédé à leur analyse dans ses motifs, ce qui entraîne son annulation.

De plus, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, le CNESER, qui avait modifié le dispositif du jugement qui lui était soumis, s’est abstenu de l’annuler, d’où un second motif de cassation.

On remarquera au passage ce rappel bienvenu car souvent oublié que « le juge d'appel, statuant au titre de l'effet dévolutif de l'appel, n'est pas juge de la décision de première instance (…) ». En effet, le double degré de juridiction impose un nouvel examen de l’affaire non un examen du jugement. Au contraire, on peut bien dire du pourvoi en cassation que, d’une certaine manière, en se limitant aux seules pièces du dossier, il juge l’arrêt non l’affaire.

(14 mars 2022, Université de Strasbourg, n° 438191)

(38) V. aussi, jugeant que le CNESER a dénaturé les pièces du dossier à lui soumis en jugeant que l’enseignant déféré devant lui n’avait pas commis les faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés, qualifiant ainsi inexactement les faits en litige : 14 mars 2022, Université Lumière Lyon 2, n° 446009.

 

39 - Bulletin officiel de la sécurité sociale – Commentaires administratifs y figurant – Rubrique « frais professionnels » - Commentaires susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du chapitre 9 et des paragraphes 2120 à 2250 des commentaires publiés le 31 mars 2021 au Bulletin officiel de la sécurité sociale sous la référence « Frais professionnels » ainsi que leur annexe.

Le recours est rejeté en ses différents moyens.

D’une part, les dispositions attaquées ne méconnaissent ni le sens ni la portée de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ni ne leur apportent une modification entachée d'incompétence en ce qu'elles indiquent, comme le juge également la Cour de cassation, que, pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels, la seule appartenance à l'une des professions y ouvrant droit ne suffisant pas à elle seule. 

D’autre part, il ne saurait être sérieusement soutenu :

- ni que l’art. 81 du CGI, qui ouvre le bénéfice d'une exonération de plein droit pour la seule détermination de l'impôt sur le revenu des professions qu'il vise, institue une présomption d'utilisation des frais professionnels de ces professions conforme à leur destination faisant obstacle à ce que des justificatifs du caractère effectif de l'exposition de tels frais soient requis pour la détermination des cotisations sociales dues,

- ni que l’exigence de justification du caractère effectif des frais professionnels serait susceptible de porter atteinte à la liberté de la presse ou au secret des sources protégé par la loi du 29 juillet 1881. 

Toutefois, l’intérêt principal de cette décision réside en ce que c’est la première fois, semble-t-il, que le recours pour excès de pouvoir est admis contre les commentaires administratifs figurant au Bulletin officiel de la sécurité sociale.

Cette solution est d’ailleurs logique.

(14 mars 2022, Alliance de la presse d'information générale, Syndicat des éditeurs de la presse magazine et Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, n° 453073)

 

40 - Recours en référé liberté – Interdiction temporaire de circulation de véhicules sur un passage à niveau – Réalisation de travaux – Arrêté municipal d’interdiction argué d’insuffisance de motivation – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

L’insuffisance de motivation d’un arrêté municipal de police, à la supposer établie, n’ouvre pas la voie du référé liberté car, en soi, cette circonstance n’établit pas l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 11 mars 2022, SAS Société Carrefour Supply Chain et autres, n° 461751)

 

41 - Amende pour requête abusive (art. R. 741-12 CJA) – Absence d’urgence déjà opposée à une première requête en référé liberté – Réitération en l’absence de fait nouveau – Requérant professionnel du droit – Rejet.

C’est sans inexactitude dans sa qualification des faits à lui soumis qu’un juge des référés condamne un requérant à une amende pour recours abusif en relevant que l’intéressé, professionnel du droit, après avoir formé un premier référé liberté rejeté pour défaut d’urgence, en forme un second, également dépourvu d’urgence et en l’absence de tout fait nouveau postérieur au premier rejet.

Il est bon de rappeler que le référé est une procédure juridictionnelle non un exutoire.

(23 mars 2022, M. B., n° 450713)

 

42 - Frais exposés et non compris dans les dépens (art. L. 761-1 CJA) – Attribution – Autorisation délivrée par le maire au nom de l’État – Mise à la charge du requérant débouté d’une somme au titre de l’art. L. 761-1 CJA au profit de la commune – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La société requérante avait demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA, la suspension du rejet par le maire de Senlisse de sa demande d’autorisation de travaux (cf. L. 111-8 code de la construction et de l’habitation) en vue de la création d'une salle de réception au château de la Cour Senlisse.

Déboutée, la société a été condamnée, par l’art. 2 de l’ordonnance de référé, sur le fondement de l’art. L. 761-1 CJA, à verser une certaine somme à la commune.

Elle saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre cet art. 2.

Le pourvoi est admis en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ordonnant le versement d’une somme à la commune alors que le maire n’a pas agi en l’espèce comme organe de la commune mais exercé une compétence en tant qu’autorité de l’État.

(24 mars 2022, Société Senlisse Evénements, n° 456225)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

Est entaché d’irrégularité le jugement qui, statuant sur un litige en détermination de la valeur locative cadastrale d’un ensemble immobilier pour la fixation de la taxe foncière sur les propriétés bâties, omet de répondre au moyen qui n’était pas inopérant contestant cette détermination car effectuée sur la base d’une division en trois lots de cet ensemble immobilier alors que n’y est exercée qu’une seule activité de vente de pneumatiques.

La solution est constante et va de soi.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

 

44 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure administrative contentieuse – Dispense de conclusions du rapporteur public – Absence de motivation – Rejet.

Si l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que, durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, « le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête », il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucun principe que cette décision doit être motivée.

(28 mars 2022, Mme A., n° 442854)

 

45 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances subrogée aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

V. n° 139

 

46 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

V. n° 91

 

47 - Délai d’appel – Notification du jugement par lettre recommandé – Point du départ du délai - Date de retrait du pli postal – Arrêt de rejet – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier l’ordonnance rejetant un appel au motif que le jugement appelé avait été notifié un 18 octobre alors qu’il résulte de ces pièces que la destinataire de cette notification, absente de chez elle le 18 octobre, avait retiré le pli la contenant le 19 octobre ainsi qu’en atteste l’opérateur postal.

(30 mars 2022, Mme B., n° 442313)

(48) V. aussi, sur le même thème de la computation du délai de recours, le rejet d’un pourvoi en cassation pour cause de tardiveté en dépit de la prorogation des délais contentieux consécutive à la pandémie de Covid-19 (décret du 25 mars 2020), le pourvoi ayant été formé le 11 septembre 2020 alors que le délai pour le former expirait le 24 août 2020 : 30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019.

 

49 - Concours de la force publique – Délai de constitution d’une faute pour abstention de fournir ce concours – Rejet.

C’est sans erreur de droit – contrairement à ce que soutient le ministre demandeur au pourvoi - qu’un tribunal administratif juge que la responsabilité fautive de l’État est engagée en raison de son refus d’accorder le concours de la force publique au terme du délai de deux mois suivant la demande d’octroi de ce concours, conformément aux dispositions des art. L. 412-1 et R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

(30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019)

 

50 - Référé suspension – Condition d’urgence – Office du juge dans l’appréciation de cette condition – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation et rejet.

Dans un litige relatif à la suspension d’un agent hospitalier de ses fonctions, il est reproché au juge des référés de n’avoir retenu, pour apprécier l’urgence à suspendre la décision attaquée, que les seuls effets de cette décision sur le sort de l’intéressé  sans examiner l’autre aspect de cette question d’urgence constitué par l’argument du centre hospitalier selon lequel la réintégration de l'intéressé était de nature à causer des troubles dans le bon fonctionnement de l'établissement justifiant l'exécution de cette même décision.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’analyse faite par le juge des référés une erreur de droit et une insuffisance de motivation, d’où la cassation, ici prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 449277)

 

51 - Appel d’un jugement – Demande de sursis à l’exécution de ce jugement – Demande pouvant être fondée sur les dispositions générales de l’art. R. 811-17 du CJA même dans le cas où elles pourraient l’être sur celles, particulières, de l’art. R. 811-15 du CJA – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance rejetant une demande de sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel au motif que cette demande, présentée sur le fondement de l'art. R. 811-17 du CJA, entrait dans le champ d'application de l'article R. 811-15 de ce code alors que la partie qui s’y croit fondée peut présenter au juge d'appel des conclusions à fin de sursis à exécution d'un jugement ayant annulé une décision administrative en invoquant les dispositions générales de l'article R. 811-17 du CJA, y compris dans le cas où de telles conclusions pourraient être fondées sur les dispositions particulières de l'art. R. 811-15 de ce code.

(30 mars 2022, CHU de la Martinique, n° 450520)

 

52 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur sur la date fixant le point de départ des intérêts d’une somme – Recours recevable et fondé – Rectification en conséquence.

Le Conseil d’État juge recevable et fondé un recours en rectification d’erreur matérielle reposant sur la circonstance que si dans le dispositif de sa décision le juge fait mention de la date du 21 décembre 2020 comme point de départ du calcul des intérêts au taux légal assortissant une condamnation pécuniaire, le point 10 des motifs de cette décision mentionne la date du 21 décembre 2010.

Le dispositif est rectifié en conséquence.

(30 mars 2022, M. et Mme B., n° 454906)

 

53 - Condition d’opposabilité des voies et délais de recours contre une décision administrative – Obligation de les mentionner dans la notification de la décision administrative – Application de la règle du délai raisonnable en cas de défaut de mention de ces indications – Règle applicable aux titres exécutoires – Règle applicable à la saisine d’un ordre juridictionnel incompétent pour connaître du fond du litige – Rejet.

Dans cette affaire, importante pour la solution qu’elle contient en droit domanial (voir par ailleurs), était posée une intéressante question de délai de recours contentieux.

Le département défendeur opposait une fin de non-recevoir à la demande d’annulation d’un titre exécutoire qu’il avait émis le 19 septembre 2011 au motif qu’elle était tardive.

En l’espèce, le titre exécutoire litigieux ne précisait pas les voies et délais de recours dont disposait à son encontre la société destinataire. Cette omission empêchait le délai de recours de courir.

Toutefois, on le sait, pour échapper au risque d’un délai infini de recours, le Conseil d’État a fixé de façon prétorienne une limite à la durée possible du recours en ce cas, celui-ci est généralement d’un an (C.E. Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763), mais il peut, en certains cas, être plus long (ainsi est-il de trois ans s’agissant des recours dirigés contre des décrets portant libération des liens d’allégeance avec la France : 29 novembre 2019, X., n°411145, n° 426372, n° 429248, 3 espèces). La forclusion ne peut, en principe, pas être opposée à un recours contre une décision ne comportant pas mention des voies et délais de recours s’il est formé dans l’année qui suit sa réception par son destinataire. Cette solution jurisprudentielle a été étendue aux recours contre des titres exécutoires (16 avril 2019, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, n° 422004).

En l’espèce, en raison de mentions jugées ambigües portées sur le titre exécutoire, sa récipiendaire l’a contesté devant les juridictions de l’ordre judiciaire jusqu’à ce qu’un terme définitif soit porté à cette affaire par un arrêt rendu le 29 mars 2017 par la Cour de cassation confirmant l’incompétence de l’ordre judiciaire pour en connaître.

Par suite, le département soutenait que la juridiction administrative avait été saisie trop tardivement.

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge administratif de cassation rejette cette argumentation car la règle du délai raisonnable s’applique aussi en cas de saisine, comme en l’espèce, d’un ordre juridictionnel incompétent.

Il suffit donc, pour échapper à toute forclusion, d’une part que, dans le délai d’un an, une juridiction, même incompétente, ait été saisie et d’autre part, que le juge administratif ait été saisi au plus tard dans les deux mois de la décision judiciaire irrévocable se déclarant incompétente soit, ici, avant le 29 juin 2017.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

54 - Demande de décharge ou de réduction d’impôt - Compensation à l’initiative de l’administration fiscale – Régime – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions d’application de l’art. L. 203 du LPF selon lequel : « Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. »

Le Conseil d’État déduit de ce texte, d’une part, la faculté pour l‘administration fiscale d’effectuer ou de demander au juge la compensation sans mener au préalable une procédure de rectification ou de taxation d'office, et notamment sans adresser la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 du LPF ou la notification mentionnée à son article L. 76, d’autre part, l’obligation pour cette administration de respecter les garanties prévues en matière d'engagement et de conduite d'un tel contrôle en faveur du contribuable vérifié.

Est donc cassé l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait rejeté, à tort, comme inopérant le moyen soulevé par le contribuable que l'administration fiscale aurait effectué au cours de l'instruction de la réclamation contentieuse un rapprochement critique des déclarations du contribuable et des éléments de sa comptabilité sans respecter les garanties du contribuable vérifié.

(2 mars 2022, M. N., n° 442722)

 

55 - Transformation de locaux commerciaux en bureaux ou non – Notions de « locaux commerciaux » et de « locaux à usage de bureaux » - Activité de généalogiste successoral – Assujettissement à la redevance instituée par l’art. L. 520-1 c. urb. -Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une société civile immobilière obtient un permis de construire afin de transformer des locaux commerciaux en locaux à usage de bureaux. Après achèvement des travaux, elle est assujettie à la redevance prévue à l’art. L. 520-1 du code de l’urbanisme en raison du changement de destination des lieux.

Elle fait valoir qu’en réalité et contrairement aux termes de sa demande de permis de construire, les locaux n’avaient pas changé de destination et qu’ainsi la redevance n’était pas due.

Pour rejeter cette prétention les premiers juges, se fondant sur la demande de permis et sur la consistance physique des locaux au terme des travaux, ont estimé que la contribuable ne rapportait pas la preuve de l’absence de changement de destination de ces locaux en particulier s’agissant de l’installation future d’une activité de généalogiste successoral.

Or la contribuable requérante soutenait que la notice de sécurité pour les établissements recevant du public figurant dans le dossier de demande du permis de construire établissait que la moitié des locaux serait accessible au public, que l'activité de généalogiste successoral était, comme la précédente, de nature commerciale et que le bail commercial conclu avec le futur occupant mentionnait la réception de clientèle dans les locaux.

Le Conseil d’État annule le jugement attaqué pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas recherché si l'activité de généalogiste successoral impliquait, dans tout ou partie des locaux en litige, l'accueil d'une clientèle pour la réalisation de prestations commerciales.

(3 mars 2022, SCI Apler, n° 435318)

 

56 - Cession, par les usufruitiers, de parts sociales démembrées – Charge de l’imposition au titre de la plus-value dégagée lors de la cession - Prise en considération de faits ou actes postérieurs à la cession – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Par acte notarié du 28 octobre 2008, un couple de parents fait donation à ses trois enfants d’actions d’une société qu’il détient, pour l’essentiel en usufruit. Cette cession est suivie de deux autres, les 6 janvier et 5 février 2009.

Puis, par un pacte du 15 novembre 2008, les donateurs et les donataires ont convenu qu'en cas de cession intégrale par M. et Mme A. de leurs actions de la société Viveris, leurs fils cèderaient simultanément la nue-propriété des actions données, le prix devant être remployé par ces derniers dans une société civile immobilière à constituer avec leurs parents.

L’administration fiscale a prétendu imposer les parents à l’impôt sur les revenus, à titre supplémentaire, assorti des contributions sociales y relatives, à raison, d'une part, de revenus de capitaux mobiliers dégagés lors de la cession du 6 janvier 2009, et, d'autre part, de plus-values de cession de droits sociaux nées lors l'opération du 5 février 2009.

La demande d’annulation de ces décisions fiscales a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d’appel a estimé que la fraction des gains tirés du rachat des actions en vue de leur distribution à des salariés de la société Viveris serait imposée entre les mains des requérants selon le régime applicable aux plus-values de l'article 150-0 A du CGI et qu’il y avait lieu de rejeter le surplus de leur requête d'appel.

Les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure en raison des deux erreurs de droit sur lesquelles il repose et qui tournent toutes deux autour de l’oubli que les effets fiscaux d’une cession de titres sont immédiats, complets et définitifs.

Auparavant le juge de cassation rappelle que si l'imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l'usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales dont la propriété est démembrée procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales, se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, en revanche, lorsque les parties ont décidé, par les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession - comme c’était le cas en l’espèce -, que le droit d'usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l'usufruitier. Lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas juger que les requérants n'établissaient pas que le reste de la somme perçue par leurs fils aurait fait l'objet d'un remploi dans la société civile immobilière à créer, de sorte que ces derniers n'avaient pas satisfait à l'obligation leur incombant en vertu du pacte susmentionné, en se fondant pour cela sur des circonstances postérieures au fait générateur que constituait la cession.

En second lieu, la cour ne pouvait pas se fonder sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Viveris du 24 décembre 2008 aux termes duquel l'adoption des résolutions autorisant les rachats de titres valait, pour les actionnaires de titres dont la propriété était démembrée, « mandat irrévocable à l'usufruitier par le nu-propriétaire de percevoir seul le prix de base et l'éventuel complément de prix » car ce procès-verbal ne pouvait avoir eu pour objet ou pour effet de modifier les droits respectifs que l'acte de donation partage du 28 octobre 2008 ou le pacte du 15 novembre 2008 conféraient aux usufruitiers et aux nus propriétaires sur les titres en litige.

(3 mars 2022, M. et Mme A., n° 437247)

 

57 - Travaux de reconstruction – Notion au sens de l’art. 31 du CGI – Travaux affectant le gros œuvre et d’une ampleur suffisante – Absence – Annulation.

Ayant fait l’objet de redressements fiscaux pour avoir entrepris dans un bien immobilier comprenant un ancien hôtel-restaurant et une maison de gardien, des travaux qualifiés fiscalement de « reconstruction » et donc non déductibles des revenus fonciers, la requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmant le rejet de son recours en première instance.

De l’énumération des charges de la propriété déductibles du revenu imposable qu’il comprend l’art. 31 (cf. le I, 1°, b/) du CGI en exclut expressément ceux constituant des travaux de reconstruction.

En l’espèce, l’administration fiscale, confirmée en cela par les juges du fond, avait estimé que la contribuable avait réalisé des travaux dont l’ensemble constituait une reconstruction. Elle estimait tout d’abord que la transformation de l'ancien hôtel-restaurant et de la maison de gardien en studios et chambres meublés avait conduit à une redistribution importante de l'espace intérieur de ces locaux ainsi qu'à la création de surfaces de logement supplémentaires, quand bien même la surface habitable de l'ensemble n'avait pas été substantiellement augmentée. Elle relevait également que les travaux de démolition, de dépose des planchers de bois remplacés par des planchers en béton, ceux de couverture, de démolition et de reconstruction de cloisons intérieures, ainsi que le percement d'ouvertures, avaient affecté de manière significative le gros œuvre et n'étaient pas dissociables des travaux de rénovation et d'amélioration des locaux simultanément entrepris. 

Il s’agissait donc d’une reconstruction au sens et pour l’application de l’art. 31 précité et non, comme le soutenait la demanderesse, des travaux d'entretien, de réparation ou encore d'amélioration.

Le Conseil d’État est à la cassation car il juge que les travaux en litige n'ayant pas affecté de manière importante le gros œuvre et n'étant pas d'une ampleur suffisante pour être qualifiés de travaux de reconstruction, la cour, en jugeant le contraire, a dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

On peut trouver cette décision sévère à l’égard de la juridiction d’appel compte-tenu des éléments de fait susrappelés.

(3 mars 2022, Mme B., n° 443135)

(58) V. aussi, très semblable, apercevant une dénaturation des faits et une inexacte qualification de ceux-ci, dès lors que le gros œuvre n’a pas été affecté de manière importante, dans un arrêt qui juge que constituent une reconstruction et un agrandissement des travaux de ravalement de la façade, de remplacement des huisseries extérieures, de modification partielle de la toiture et d'isolation des cloisons existantes ainsi que des travaux d'installation électrique, d'alimentation en eau et de plomberie réalisés au rez-de-chaussée du bâtiment et qui étaient indissociables de ceux entrepris pour la transformation du grenier en surface habitable : 3 mars 2022, M. et Mme B., n° 447962.

 

59 - Revenus des capitaux mobiliers – Manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI) – Imposition supplémentaire et pénalités – Absence d’agissements en ce sens – Recherche d’office par le juge d’une intention délibérée d’éluder l’impôt – Réduction de la pénalité.

La requérante, salariée et associée d’une société exploitant un commerce de boulangerie-pâtisserie dont elle possède 10% des parts, a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt assorti d’une pénalité de 80% pour manœuvres frauduleuses. Elle a contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, d’où son pourvoi.

Le Conseil d’État estime qu’il n’est pas établi que l’intéressée ait participé à la mise en place d'un système de fraude consistant en l'effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries dont celle l’employant car les juges du fond n’ont pas relevé de sa part d'agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle qui lui soient personnellement imputables.

Il rejette également la demande de substitution de motif faite par le ministre des finances car elle supposerait l’appréciation d’éléments de fait au stade de la cassation.

En revanche, il recherche d’office si, sur la base des éléments de fait relevés par l’administration fiscale lors de son contrôle, n’est pas établie l’intention délibérée de la contribuable d’éluder le paiement de l’impôt. Estimant qu’elle ne pouvait pas ignorer les manœuvres frauduleuses mises en place au sein de la société, il ramène de 80% à 40% la majoration d’impôt qui lui a été infligée.

(7 mars 2022, Mme Galipienso, n° 449087)

 

60 - Impôts sur les sociétés - Demande de report en arrière d’une partie de déficit d’un exercice clos (art. 220 quinquies du CGI) – Refus partiel – Refus justifié – Rejet.

La société requérante avait sollicité le remboursement d'une créance née du report en arrière d'une partie du déficit constaté au titre de l'exercice 2010 sur les bénéfices de l'exercice clos en 2007, à hauteur de 566 480 euros et elle se fondait pour cela sur les dispositions de l’art. 220 quinquies du CGI dont le I. est ainsi libellé : « I. Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa du I de l'article 209, le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l'avant-dernier exercice puis de celui de l'exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices et à l'exclusion des bénéfices (...) qui ont donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts (...) ». 

Ainsi donc, il résulte de ces dispositions que les entreprises peuvent imputer le déficit d'un exercice sur les bénéfices réalisés lors de l'un des trois exercices précédents, sous réserve que le montant ainsi imputé n'excède pas la fraction non distribuée de ces bénéfices, déduction faite des bénéfices ayant donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts.

Cette dernière condition empêche ainsi – comme cela a été jugé en première instance et en appel - l'imputation d'un tel déficit sur les bénéfices pour lesquels l'impôt sur les sociétés a été acquitté au moyen de l'excédent de crédit d'impôt mentionné à l'article 199 ter B du CGI. 

Le pourvoi est logiquement rejeté.

(10 mars 2022, SAS Technocer, n° 443690)

 

61 - Taxe sur la valeur ajoutée – Demande de compensation par l’administration entre une non-soumission à la TVA et une remise en cause du droit à déduction de TVA – Défaut de constatation de l’insuffisance de taxation pouvant être relevé antérieurement à la réclamation de la contribuable – Annulation.

Dans un litige en matière de TVA due par un organisme de construction et de location de logements, l’administration fiscale a demandé en cours d’instance que les impositions en litige soient maintenues par substitution de dispositions du code général des impôts à la base légale initialement retenue pour les fonder. Elle soutenait notamment que l'absence de soumission à la TVA des cessions de terrains à bâtir litigieuses, fût-ce au bénéfice de la seule interprétation administrative de la loi, faisait obstacle à ce que la société requérante puisse bénéficier de l'imputation de la TVA ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement des terrains à bâtir. 

Pour rejeter cette argumentation et donc cette demande, le juge observe qu’en réalité celle-ci tend à compenser la non-soumission à la TVA des opérations de cession de terrains par la remise en cause du droit à déduction de la TVA ayant grevé des opérations distinctes d'achats de biens et services. Cette demande ne s’analyse donc pas en une classique demande de substitution de base légale mais en une demande de compensation.

Or celle-ci ne peut qu’être rejetée en raison de la chronologie des faits de l’espèce.

Il résulte de l'instruction, notamment d'une proposition de rectification adressée le 18 décembre 2009 par l'administration à la société, qu’elle disposait, avant l'introduction par la contribuable de sa réclamation, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de remettre en cause l'imputation de la taxe ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement.

Par suite, l'insuffisance de taxation en cause ne saurait être regardée comme ayant été « constatée dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande » au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales.

La demande de compensation ne peut, dès lors, qu'être rejetée et le jugement contesté, annulé.

(11 mars 2022, SA Habitat des Hauts-de-France venue aux droits de la SA Habitat 62/59, n° 448818)

 

62 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(63) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

V. n° 13

 

64 - Société – Acte anormal de gestion – Cession de parts - Appauvrissement sans contrepartie – Absence – Annulation sans renvoi (recours à l’art. R. 821-2 CJA).

Pour le calcul de l’impôt sur les sociétés les art. 38 et 209 du CGI excluent que puissent être déduites du revenu imposable les opérations qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale en ce qu’elles aboutissent à un appauvrissement de l’entreprise à des fins étrangères à son intérêt. En cas de cession d’un élément d’actif, tels des titres, est refusée la prise en compte de la perte résultant de cessions à un prix significativement inférieur à la valeur vénale retenue par l’entreprise cédante sauf si est rapportée la preuve de l’impossibilité de ne pas réaliser cette cession ou qu’elle y trouve une contrepartie.

En l’espèce, l’administration avait estimé que constituait un acte anormal de gestion et donc comme une libéralité la cession par une entreprise à un particulier – à un prix significativement inférieur à leur valeur vénale à cette date - d’actions d’une société filiale en exécution d’un engagement antérieur de cession.

Déboutée en première instance et en appel, la requérante se pourvoit.

Pour confirmer la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait écarté l'argumentation de la société prétendant s'être trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession qu'elle avait contracté à l'égard de M. G. au motif que cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure et que la promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de ce dernier en contrepartie du sien.

Le Conseil d’État annule cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si, à la date du 14 mars 2009, en consentant une promesse de vente d’actions à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n'était pas subordonnée au respect d'engagements pris par ce dernier, la société Alone et Co avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l'implication complémentaire qu'elle pouvait attendre, du fait de l'option d'achat qu'elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

Statuant au fond, le Conseil d’État rejette d’abord le moyen tiré de ce que M. G. ne fût pas salarié de la société Alone et Co car ceci n'était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu'elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la société filiale, un intérêt propre à inciter l'intéressé au développement de cette société dont il était, comme il a été dit, le directeur commercial.

Il vérifie ensuite l’éventuelle existence d’un intérêt de l’entreprise requérante à cette cession et le trouve dans les compétences de M. G. et son expérience commerciale dans la vente de préparations culinaires auprès de restaurants, segment d'activité sur lequel la société filiale avait axé son développement, et cela était de nature à permettre à M. G., par son implication particulière, d'obtenir un accroissement important du chiffre d'affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres.

Enfin, le juge, fait litière  de l’argument selon lequel la promesse de vente en litige ouvrait à M. G. la possibilité d'exercer son droit d'option à tout moment pendant une période de cinq ans et n'était pas subordonnée à des engagements de sa part, en relevant d’abord, que le prix de 1 euro qu'elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, ensuite, que les perspectives de croissance de l'activité de la société ne présentaient aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l'égard de M. G. un réel effet incitatif.

(11 mars 2022, Société Alone et Co, n° 453016)

 

65 - Taxe d’aménagement (cf. art. L. 331-6 c. urb.) – Permis de construire délivré à plusieurs personnes – Redevable(s) de la taxe – L’un quelconque des bénéficiaires ou chacun pour sa propre fraction – Rejet.

Dans une décision antérieure (19 juin 2019, Ministre de la cohésion des territoires et de la mer, n° 413967) le Conseil d’État avait déjà jugé qu’en cas de permis de construire délivré à plusieurs personnes physiques ou morales pour la construction de bâtiments dont le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une division en propriété ou en jouissance avant l'achèvement des travaux, les redevables de la taxe d'aménagement dont ce permis est le fait générateur sont les titulaires de celui-ci, chacun d'entre eux étant redevable de l'intégralité de la taxe due à raison de l'opération de construction autorisée.

Il avait donc également jugé, en conséquence, que l'administration compétente peut soit mettre cette taxe à la charge de l'un quelconque des bénéficiaires du permis, soit à la charge de chacun d’eux sans que le montant cumulé des différents titres de perception émis excède celui de la taxe due.

Il avait censuré pour erreur de droit le jugement décidant impossible la mise de la taxe à la charge d’un seul de ces bénéficiaires.

Il réitère cette solution dans la présente affaire où un autre tribunal avait commis semblable erreur en jugeant que reposait sur une erreur manifeste d’appréciation la décision de l’administration fiscale de ne faire porter la charge de la taxe d’aménagement que sur une seule personne alors qu’en l’espèce le terrain avait fait l'objet d'une division avant la demande de permis de construire et que l'administration disposait de la répartition des surfaces de plancher entre les bénéficiaires.

Cette seconde solution, étendant la précédente, ne nous paraît point judicieuse si ce n’est de faciliter la tâche de l’administration laissant ensuite aux différents bénéficiaires la charge de se débrouiller – ou pas – entre eux.

C’est là une prime à une certaine paresse administrative.

Après tout, le juge administratif, qui est au service de tous, n’est pas tenu de favoriser à peu près systématiquement le confort de l’administration alors qu’elle dispose de moyens et d’agents rémunérés à l’effet d’exercer complètement et correctement ses tâches.

(17 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 453610)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

V. n° 43

 

67 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation du caractère manifestement disproportionné du produit de la taxe – Termes de comparaison – Prise en compte des seuls produits et dépenses relatifs aux ordures ménagères – Absence - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La solution est classique en matière d’appréciation du caractère manifestement disproportionné, ou non, du montant de la taxe sur les ordures ménagères eu égard aux dépenses qui sont consacrées à cet important service public.

Le contentieux est abondant, signe soit d’une mauvaise acceptation de cette charge fiscale soit d’une mauvaise pédagogie sur les conditions de sa fixation.

La requérante ayant été déboutée de sa demande de décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à sa charge par le syndicat intercommunal de collecte de traitement des ordures ménagères au titre de l'année 2015 à raison de locaux situés à Lons-le-Saunier, saisit le Conseil d’État.

Celui-ci censure l’erreur de droit sur laquelle repose le jugement frappé de pourvoi.

Pour établir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'était pas manifestement disproportionné, le tribunal administratif a comparé les recettes globales du syndicat à ses dépenses globales qui comprenaient donc, les unes et les autres, les ordures ménagères et celles non ménagères. Il lui incombait de ne comparer que les recettes et les dépenses afférentes aux seules ordures ménagères puisque c’était uniquement sur cette catégorie que portait le litige dont il était saisi.

Le Conseil d’État rappelle que les premiers juges pouvaient procéder à cette comparaison au besoin au moyen d'un supplément d'instruction s'ils estimaient non probants les éléments produits par la société sur ce point. 

(28 mars 2022, Société L'Immobilière Groupe Casino, n° 442878)

 

68 - Société soumise à l’impôt sur les sociétés – Sommes créditées au compte courant d’un associé – Sommes considérées être à la disposition de cet associé et devant imposées comme telles – Règle applicable même en cas d’erreur comptable sauf preuve contraire pertinente – Rejet.

Pour habituelle qu’elle soit la solution est assez impitoyable.

Dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 2º du 1 de l'article 109 du CGI.

Pour échapper à cette rigoureuse interprétation, l'associé doit faire la preuve du contraire en démontrant soit qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes soit que ces sommes ne correspondent pas à la mise à sa disposition d'un revenu.

(28 mars 2022, M. C., n° 444025)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Évaluation de la valeur locative attribuée à un immeuble - Recours à la méthode par comparaison – Impossibilité de comparer avec un local type détruit ou entièrement restructuré – Situation devant exister antérieurement au 1er janvier de l’année d’imposition – Annulation sans renvoi (décision rendue au fond).

L’une des deux méthodes d’évaluation de la valeur locative d’un immeuble pour l’application des taxes foncières est celle dite « par comparaison », résultant des dispositions de l’art. 1415 du CGI. Elle consiste à comparer l’immeuble à évaluer avec un local type similaire situé dans la commune ou, à défaut, situé dans une commune présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause.

En l’espèce, où l’un des éléments à évaluer était un cinéma, pour pratiquer cette comparaison l’administration fiscale avait retenu un local à usage de cinéma qui avait lui-même été évalué par comparaison avec un local type constitué par un cinéma détruit en 2011-2012, alors qu’il s’agissait de fixer la taxe foncière sur les propriétés bâties au 1er janvier des années 2015 et 2016. En admettant pour régulier ce curieux raisonnement, le tribunal administratif a commis une erreur de droit, d’où son annulation., sans renvoi par application de l’art. L 821-2 CJA

Nous sommes ainsi rassurés : il n’existe pas encore de locaux fantômes ayant une valeur foncière malgré l’exubérante inventivité de Bercy pour alimenter « la pompe à phynances » chère au Père Ubu.

(30 mars 2022, SNC Beaugrenelle Patrimoine, n° 444837)

 

70 - Produit de la cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire – Personne imposable – Imposition dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu ou bénéfice procuré – Imposition en l’espèce aux bénéfices industriels et commerciaux – Rejet.

Le 1° du 5 de l'art. 13 du CGI décide que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé.

Dans cette affaire, le Conseil d’État interprète ce texte, pour la première fois semble-t-il, non seulement – cela va de soi -  à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d'un bien ou droit, d'un usufruit portant sur celui-ci mais encore, ce qui est beaucoup moins évident même au visa des articles 617 et 619 du Code civil, à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d'un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d'usufruit pour une période qui n'est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit, selon le Conseil d’État, que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu’en l’espèce l’apport fait à une société par la contribuable, pour une durée contractuellement fixée à trente ans, de l'usufruit dont celle-ci était titulaire à titre viager sur les parts d’une autre société n'avait pas la nature d'une cession d'usufruit temporaire, au sens et pour l'application des dispositions précitées du CGI.

Toutefois cette solution suppose admises des prémisses discutables.

(31 mars 2022, Mme C., n° 458518)

 

71 - Taxe sur les encaissements des entreprises du numérique (art. 299 CGI) – Services taxables (art. 299 bis CGI) – Localisation en France – Détermination de cette localisation – Rejets et annulations partiels.

La société requérante demandait l’annulation du rejet implicite par le ministre des finances de sa demande d’abrogation de plusieurs paragraphes des commentaires administratifs parus au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts en 2020 et 2021.

Ces commentaires ont notamment pour objet d’expliciter des dispositions contenues aux art. 299 et 299 bis du CGI, spécialement ce dernier texte, lesquels créent une taxe sur les services numériques et en organisent le régime juridique en particulier s’agissant de déterminer la notion de « localisation en France » de l’activité taxable ainsi que l’assiette des encaissements taxables.

En premier lieu, sont jugées irrecevables celles des demandes dirigées contre la version des 23 et 30 mars 2020 de ces paragraphes puisqu’une nouvelle version leur a été substituée le 8 avril 2021 rendant ces demandes sans objet. Il convient ici de rappeler qu’il n’en est ainsi que dans le contentieux de la légalité, en revanche, un éventuel recours en responsabilité fondé sur l’existence de préjudices causés du chef et au temps des dispositions remplacées serait recevable et, le cas échéant, fondé.

En deuxième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 170 de ces commentaires en ce qu’il restreint le bénéfice de l'exclusion des services taxables aux seuls jeux proposant des interactions minimes entre les joueurs ou ayant pour principale fonctionnalité le jeu en solitaire, indépendamment du contenu numérique qu'ils proposent, car ce faisant ces commentaires ajoutent à la loi qu’ils ont prétendument pour objet d’expliciter.

En troisième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 80 de ces commentaires en ce qu’il indique que les services proposés par une société à une autre société du même groupe ne peuvent bénéficier de l'exclusion du champ d'application de la taxe lorsque ce service est fourni à l'ensemble des entreprises alors qu’il découle clairement des dispositions du dernier alinéa du 2° du II de l'art. 299 du CGI que sont exclues des services taxables l'ensemble des prestations de services fournies entre entreprises appartenant à un même groupe, sans qu'ait d'incidence à ce égard la circonstance que ces prestations soient rendues dans le cadre d'un service taxable proposé également à des tiers. Comme au cas précédent ces commentaires ajoutent illégalement à la loi.

En quatrième lieu, est rejeté le recours en tant qu’il est dirigé contre le § 30 desdits commentaires administratifs qui se bornent à préciser que les informations figurant dans le compte client d'un utilisateur, notamment celles relatives à son domicile habituel, peuvent, sans être à elles seules suffisantes pour établir avec certitude la présence de cet utilisateur en France, être mobilisées dans le cadre d'un faisceau d'indices pour déterminer sa localisation. Ce faisant, ces commentaires se bornent à mettre en œuvre les dispositions du 2° du II de l'article 299 bis du CGI selon lesquelles la localisation d'un utilisateur est une donnée objective pouvant être appréciée par tout moyen.

En cinquième lieu, le juge procède à une distinction s’agissant de l’appréciation de la légalité du § 140 des commentaires administratifs.

D’une part, il estime que le 4ème alinéa de ce paragraphe ne méconnaît pas la loi qu’il a pour objet d’éclairer, spécialement le 3° du I de l’art. 299 bis précité, dès lors qu’il n’intervient que pour expliciter le régime fiscal applicable lorsqu'un exploitant d'une place de marché impose aux acheteurs d'avoir recours aux offres de transport des biens qu'il propose, en leur facturant des frais de livraison dont le montant varie en fonction de la solution de livraison retenue et, en particulier, en précisant que cette prestation obligatoire de transport ne peut être regardée comme indépendante de l'accès à l'interface numérique elle-même ou de son utilisation. Cette interprétation est, au reste, conforme aux dispositions du I de l’art. 257 ter CGI, à propos des opérations distinctes et indépendantes taxables à la TVA.

D’autre part, les 5ème, 6ème et 7ème alinéas de ce même paragraphe sont jugés entachés d’incompétence en ce que, ajoutant à la loi, celui-ci décide (au lieu d’éclairer) que ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme indépendantes de l'accès ou de l'utilisation de l'interface les prestations dont l'acquisition permet de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées, ou encore d'avantages commerciaux et qu'en particulier, lorsqu'un exploitant d'une place de marché propose aux vendeurs des services logistiques revêtant un caractère optionnel et en concurrence avec d'autres entreprises, mais qui leur permettent de bénéficier de conditions tarifaires plus avantageuses dans l'utilisation de cette place de marché, ces prestations ne sont pas, sur le plan économique, indépendantes de l'accès à la place de marché ou de son utilisation. Cette opinion est évidemment en contradiction avec les dispositions législatives précitées selon lesquelles la simple existence d'une offre promotionnelle conjointe ne saurait caractériser, à elle seule, l'existence de prestations associées ou indispensables.

Enfin, en dernier lieu, concernant les §§ 110 et 150 des commentaires administratifs,  le juge rejette tout d’abord le recours dirigé contre le dernier alinéa du § 110 et les deux premiers alinéas du § 150 en tant qu’ils se bornent à énoncer que lorsqu'une offre commerciale propose à un prix forfaitaire une prestation indissociable comportant une composante taxable et une composante non taxable même si celle-ci revêt un caractère accessoire les dispositions du 3° du I de l'article 299 bis ne font pas obstacle à ce que l'ensemble des sommes versées soit intégrée à la base de calcul de l'assiette de la taxe.

En revanche, le troisième alinéa du paragraphe 150 est jugé entaché d’incompétence car en énonçant que lorsque l'exploitant d'une place de marche commercialise, pour un prix forfaitaire, une offre donnant, pendant une période déterminée, accès à un service de fourniture de contenus numériques ainsi qu'un accès privilégié à la place de marché, cette offre ne peut être artificiellement décomposée, il ajoute aux dispositions de l’art. 257 ter du CGI selon lesquelles l'existence d'une offre commerciale conjointe ne saurait faire obstacle, à elle seule, à ce que les prestations qu'elle rassemble puissent être considérées comme indépendantes.

Le Conseil d’État enjoint au ministre des finances de procéder sous deux mois à l’abrogation de ceux des commentaires administratifs qui sont annulés par la présente décision.

(31 mars 2022, Société par actions simplifiée unipersonnelle Amazon Online France, n° 461058)

 

72 - Redevance d’archéologie préventive (art. L. 524-2 c. du patrimoine) – Note de la direction générale d’un ministère relative à l’impact d’une jurisprudence sur la taxe d’aménagement (art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.) – Rejet d’une QPC – Rejet de la requête.

La requérante demandait l’annulation de « précisions » contenues dans une note d’une direction générale du ministère du logement et de l'habitat durable et relatives, d’une part, à la taxe d'aménagement, et, d’autre part, à la redevance d'archéologie préventive. En même temps elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la contrariété, aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de la jurisprudence du Conseil d’État interprétant les art. L. 331-6 et L. 331-10 c. urb.

Le juge refuse de transmettre la QPC et rejette la requête au fond.

L’art. L. 524-2 du code du patrimoine institue une redevance dite d’archéologie préventive calculée dans les conditions prévues aux art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.

Ces derniers distinguent parmi les opérations concernées, entre autres, deux situations, celle de la reconstruction et celle de l’agrandissement.

Pour le Conseil d’État est une reconstruction « une opération comportant la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants » tandis que l’agrandissement est « une opération ayant pour conséquence une augmentation nette de la surface d'un bâtiment préexistant ».

La différence entre ces deux catégories d’opérations est importante en raison des effets qu’y attache la jurisprudence du Conseil d’État. En cas de reconstruction, la taxe d'aménagement est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu d'en déduire la surface supprimée y compris lorsque l'opération consiste en la reconstruction après destruction totale d'une partie divisible de bâtiments existants. Au contraire, en cas d’agrandissement, la taxe d'aménagement est assise sur la surface créée, déduction faite, le cas échéant, de la surface supprimée.

Cette dualité de traitement de ces deux sortes d’opérations retentit donc directement sur la redevance d’archéologie préventive qui est l’objet du litige.

La requérante développe au soutien de la QPC deux arguments principaux. Tout d’abord, les articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb., tels qu'interprétés par la jurisprudence du Conseil d’État, instituent une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi fiscale entre, les redevables de la taxe d'aménagement à raison d'opérations d'agrandissement ceux redevables de cette taxe due à raison d'opérations de reconstruction avec destruction totale des bâtiments existants ou d'une partie divisible d'entre eux. Ensuite, une seconde inconstitutionnalité est relevée en ce que la distinction entre la reconstruction où la taxe est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu de déduire la surface détruite et l’agrandissement où la taxe est calculée sous déduction de la surface détruite porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

Ces moyens sont rejetés selon un raisonnement bien connu : les règles d’assiette de cette imposition sont définies selon « des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec son objet », il y aurait une différence de nature entre les deux catégories d’opérations. Au reste, selon un mantra bien rodé « la loi (…) s'est bornée à régler de manière différente des situations différentes, cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi ».

Exit la QPC, place à l’examen de la requête au fond.

Son rejet coule de source : celles des dispositions de la note dont l’annulation était demandée ne méconnaissent pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, les dispositions des articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb. ni celles des art. L. 331-6 et L. 331-10 de ce code qu'elles commentent ni non plus celles des art. L. 524-2 et L. 524-7 du code du patrimoine qu’elles ont également pour objet de commenter.

Ces rejets successifs fondés sur l’existence de situations, d’objectifs et autres différents justifiant l’adoption de solutions différentes sont agaçants en raison de leur légèreté. Il ne suffit pas de constater qu’une reconstruction est différente d’un agrandissement encore que ce dernier, suppose dans tous les cas, comme la reconstruction, une construction, il faut encore montrer comment et pourquoi la logique de l’institution d’une redevance d’archéologie préventive serait atteinte dans sa substance même comme dans sa finalité en l’absence de ce traitement différencié. Faute quoi, d’une part, toute différence en soi, même minime même artificielle même peccamineuse, suffirait à justifier des inégalités de traitement, d’autre part, l’invocation de l’existence de situations différentes tournerait à la simple figure de style sans consistance et donc impuissante à convaincre dans une matière aussi délicate et conflictuelle que le droit fiscal.

(31 mars 2022, Société civile immobilière Aix Lesseps Tübingen, n° 460168)

 

73 - Fonds communs de placements à risque (FCPR) – Répartition d’actifs entre porteurs de parts – Soumission de la fraction imposable au régime des plus-values à long terme – Condition de délai des apports en capital – Commentaires administratifs ajoutant à la loi – Annulation.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre de l'économie, des finances et de la relance de sa demande tendant à l'abrogation de la dernière phrase du paragraphe n° 120 des commentaires administratifs publiés le 11 mars 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts relatifs au régime fiscal des fonds communs de placement à risque (FPCR).

Elle estimait illégale l’exigence posée par ces commentaires que le bénéfice du régime des plus-values à long terme ne pouvait être accordé à un porteur de parts non souscripteur initial de ces parts qu’à la condition qu’il ait acquis ses parts depuis au moins deux ans à la date de la répartition des parts.

Le Conseil d’État reçoit l’argument car le paragraphe litigieux, en ce disposant, ajoute à la loi qu’il prétend commenter.

En effet, il résulte des dispositions combinées du IX de l’art. L. 214-28 du code monétaire et financier sur la distribution de fractions d’actifs par un FCPR et du 2° du 5 de l’art. 38 du CGI, que lors de la répartition d’actifs entre ses porteurs de parts par un FCPR, que ceux-ci les aient souscrites à l’émission ou qu’ils les aient acquises postérieurement, la fraction imposable de cette répartition est soumise pour sa totalité au régime des plus-values à long terme, à condition que les apports en capital aient été effectués deux ans au moins avant la répartition. 

La requérante est par suite fondée à demander l’annulation de la décision implicite de refus d’abroger ledit paragraphe, le ministre se voyant accorder un délai de deux mois pour procéder à cette abrogation.

 (31 mars 2022, Société Financière Investissement Azur, n° 461406)

 

Droit public de l'économie

 

74 - Acquisition de logements neufs ou en l’état futur d’achèvement - Acquisition bénéficiant d’une réduction d’impôt – Plafonnement des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale – Légalité – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-1426 du 20 décembre 2019 pris pour l'application du X bis de l'article 199 novovicies du CGI et relatif au plafonnement des frais et commissions des intermédiaires intervenant lors d'une acquisition de logement bénéficiant de la réduction d'impôt prévue à cet article.

A défaut de respecter ce plafonnement, les professionnels encourent une amende administrative.

Tous les moyens invoqués, de forme comme de fond, sont rejetés.

Tout d’abord, l’on sait que lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA) ; toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)). En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

Ensuite, les dispositions litigieuses qui se bornent à faire application du X bis de l'article 199 novovicies CGI, en tant qu’elles plafonnent les frais de commercialisation versés aux intermédiaires pour la vente de logements éligibles à la réduction d'impôt, limitant ainsi la liberté de ces intermédiaires de fixer les tarifs de leurs prestations, entrent bien, contrairement à ce qui était soutenu, dans les prévisions de l’art. 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car elles constituent une exigence à laquelle l'exercice de l'activité d'intermédiaire commercial en matière immobilière en France est subordonné au sens et pour l’application du § 7 de l’art. 4 de cette directive.

Elles ne comportent aucune discrimination ni à raison de la localisation des intermédiaires ni à raison de leur nationalité.

Elles sont commandées par le souci de moraliser les prix des transactions et d’éviter les montants abusifs des ventes, en violation de l’art. 199 novovicies précité.

Enfin, dans la mesure où le plafonnement ne s’applique qu’aux frais de commercialisation, qu’à l’acquisition de certains types de logement seulement et que dans certaines zones géographiques, ne sont critiquables ni le recours au pouvoir réglementaire pour prendre la disposition querellée, ni le montant du plafond retenu par le décret attaqué, ni la prétendue atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou au principe de l’obligation d’édicter des mesures transitoires dans un souci de sécurité juridique.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

 

75 - Locaux professionnels – Centres commerciaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Application d’un coefficient de localisation au terme d’une comparaison entre deux grands centres commerciaux urbains – Absence d’erreur de droit ou d’inexactitude dans la qualification des faits – Rejet.

Une société de location d’espaces dans des centres commerciaux a demandé, et obtenu du juge la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de locaux situés à Marseille, dans les 15e et 16e arrondissements.

Le ministre soutenait que la magistrate déléguée avait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce à raison de la démarche suivie pour aboutir à sa décision.

Celle-ci, appliquant pleinement les dispositions régissant la matière, issues de l'article 34 de la loi de finances rectificative n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, a retenu l’existence d’une différence entre les locaux-types d’un centre commercial situé à « La Valentine », dans le 11e arrondissement, et ces mêmes locaux considérés dans le centre commercial objet du litige, dit « Grand Littoral ». Elle a relevé que les locaux situés dans ce dernier subissaient un taux de vacance élevé, que les tarifs au mètre carré appliqués aux locaux-types, dans la cadre de la révision de la valeur locative des locaux professionnels, étaient supérieurs de 25 % pour les boutiques et de près de 70 % pour les moyennes surfaces à ceux appliqués au centre commercial à évaluer. En outre, la société requérante faisait valoir que le centre commercial en litige est situé au cœur d'un quartier d'habitat social au taux de chômage élevé, ce qui n'est pas le cas du centre commercial « La Valentine ». 

Le recours du ministre est ainsi rejeté.

(2 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 451239)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Locaux appartenant à une société fromagère – Locaux mis à disposition d’une autre société fromagère – Absence d’exonération de la taxe – Rejet.

Une société coopérative de fabrication de fromage mettait ses locaux à disposition d’une autre société fromagère et entendait bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties instituée par le b du 6° de l'article 1382 du CGI pour les bâtiments affectés à un usage agricole par les sociétés coopératives agricoles. Or, en l’espèce, la société occupante réalisait, pour son compte, une activité de transformation du lait.

L’exonération a été à bon droit refusée car cette disposition n’est pas applicable à une société coopérative agricole qui loue ou met à la disposition d'une personne tierce des bâtiments, quand bien même les opérations réalisées au sein de ces bâtiments le seraient à partir des seuls produits issus de cultures ou d'élevages des membres de la société coopérative agricole.

En d’autres termes, l’exonération ne joue que dans le cas où une société coopérative agricole occupe ses bâtiments pour y exercer sa propre activité agricole.

(10 mars 2022, Société coopérative « Les Fruitières de Savoie », n° 438828)

(77) V. aussi, assez voisin : 10 mars 2022, Société coopérative agricole (SCA) Cave de l'Ormarine, n° 449226.

 

78 - Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement (art. L. 121-22 c. de l’énergie) – Conditions – Exclusion du bénéfice du remboursement en l’absence d’engagement du fournisseur d’énergie sur l’origine et le mode de production de l’énergie facturée – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite opposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à sa demande de remboursement partiel de la CSPE qu’elle a acquittée au titre de l’énergie acquise par elle pour les besoins d’un site qu’elle exploite.

Le recours est rejeté au prix d’une lecture très étroite des dispositions de l’art. L. 121-22 du code de l’énergie  selon lesquelles, notamment : « Les consommateurs finals d'électricité acquérant de l'électricité produite à partir d'une source d'énergie renouvelable (...) dans un État membre de l'Union européenne peuvent demander le remboursement d'une part de la contribution acquittée en application de l'article L. 121-10 pour cette électricité lorsqu'ils en garantissent l'origine (...) ». Le Conseil d’État considère qu’en l’absence de cette garantie d’origine, le remboursement ne saurait avoir lieu même si, comme dans le cas de l’espèce, le consommateur final – et alors que l’électricité est un bien fongible – démontre qu'il a acquis et utilisé des garanties d'origine attestant de la production d'électricité à partir de sources renouvelables dans un autre État membre de l'Union européenne (situées en Finlande, en Slovénie et en Suède) pour des quantités équivalentes.

Il n’est pas certain que la CJUE reprendrait à son compte une interprétation aussi restrictive des termes et exigences de l’art. 15 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

(2 mars 2022, Société Bellevue Distribution, n° 443883)

 

79 - Organisation de producteurs (règlement communautaire du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles) – Organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Reconnaissance d’une SICA (société d’intérêt collectif agricole) en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Illégalité pour violation du droit de l’Union – Rejets partiels et renvois préjudiciels.

La requérante demande l’annulation de l'arrêté du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière. Elle invoque à cet effet divers moyens de légalité interne (ceux de légalité externe, sans grand intérêt, n’étant pas étudiés ici), tous organisés autour de l’idée que cette reconnaissance ne respecte pas le droit de l’Union tel qu’il ressort notamment des art. 152, 153 et 154 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Le Conseil d’État rejette tout d’abord le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du c) du 1 de l'article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013.

D’une part, la SICA des betteraviers d'Etrépagny a conclu avec la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) une convention d'externalisation d'activités par laquelle la CGB s'engage à mettre à disposition de la SICA « au minimum un (emploi) demi-équivalent temps plein », respectant ainsi les exigences minimales posées par l'article D. 551-55 du code rural et de la pêche maritime. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'externalisation prévue se ferait dans des conditions ne permettant pas à l'organisation de producteurs de conserver le contrôle de l'activité externalisée et que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la SICA disposait de moyens suffisants pour exécuter correctement ses activités.

Il rejette également le moyen tiré de ce que, à supposer même que les conditions de reconnaissance d'une organisation de producteurs soient satisfaites en l’espèce, l'arrêté de reconnaissance attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions prohibant les pratiques anti-concurrentielles figurant aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

La requérante invoquait au soutien de ce moyen deux motifs.

1°/ la présence au sein de la SICA de membres non producteurs tels que la CGB Eure, la CGB Ile-de-France et la société Naples Investissement créerait un risque d'entente et d'échange illicite d'informations au-delà du périmètre de l'organisation de producteurs.

2°/ la seule exemption à la règle prévue par les statuts de la SICA imposant à des adhérents de lui apporter la totalité de leur production n’est prévue qu’en faveur des volumes déjà engagés auprès d'une coopérative sucrière, cette règle conduisant ainsi à favoriser ces coopératives, au détriment de sociétés telles que la requérante elle-même. 

Enfin, le Conseil d’État renvoie à la CJUE trois questions préjudicielles :

- La règle énoncée par le b) du 1 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, selon laquelle les statuts d'une organisation de producteurs exigent de ses membres de « n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation », doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs ?

Pour s'assurer du respect du principe prévu par le c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n°1308/2013, selon lequel les producteurs membres d'une organisation de producteurs doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière : 

- y a-t-il lieu, pour apprécier l'indépendance des membres de l'organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d'autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l'affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l'exercice de responsabilités de direction au sein d'une telle confédération ?
- suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l'organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d'examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d'un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l'organisation ? 

(10 mars 2022, Société Saint-Louis Sucre, n° 439178)

 

80 - Droit public de l’agriculture - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires – Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

V. n° 5

 

Droit social et action sociale

 

81 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif relatif à un PSE - Signature par une personne n’ayant pas reçu mandat à cet effet – Défaut de conclusion régulière de l’accord - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’a été irrégulièrement signé un accord collectif relatif à un plan de sauvegarde de l’emploi dès lors que, du côté de l’employeur, est intervenue à l’acte la directrice générale adjointe en charge des ressources humaines et de l'éthique et que cette dernière ne disposait pas d'un mandat exprès donné par les entreprises de l'unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre pour signer un tel accord.

Est donc exigée praeter legem (cf. les termes de l’art. L. 2231-1 c. trav.) l’existence d’un mandat exprès préalable des entreprises membres de l'UES.

Ce défaut de mandat peut ainsi être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours dirigé contre la décision administrative validant le PSE.

(2 mars 2022, Ministre du travail, n° 438136 ; Société Pierre Fabre Santé Information, n° 438200)

 

82 - Salarié protégé – Autorisation administrative de licenciement – Étendue du contrôle exercé par l’inspecteur du travail – Prise en compte du contrat de travail et des conventions collectives lui étant applicables – Obligation de recherche sérieuse de reclassement – Absence de contrôle sur le reclassement externe – Rejet.

En l’espèce, la société exerçant la fonction de mandataire liquidateur d’une autre société avait sollicité et obtenu de l’inspection du travail l’autorisation administrative de licencier trois salariés protégés en leur qualité de représentants du personnel.

Leur recours contre ces décisions administratives ayant été rejeté en première instance comme en appel, ils se pourvoient.

L’essentiel du litige se concentrait sur l’étendue des obligations s’imposant à l’inspection du travail lors de son contrôle du licenciement de salariés protégés.

C’est sur ce point que l’arrêt apporte d’intéressantes précisions.

Le Conseil d’État rappelle que l’objectif de ce contrôle est de s’assurer que le licenciement n’est pas motivé par les fonctions de représentation des salariés et de défense de leurs intérêts exercées par les personnes licenciées. C’est pourquoi l’autorisation administrative de licenciement est un préalable obligatoire à tout licenciement d’un salarié protégé.

Pour cette raison, il incombe tout d’abord à l’inspection du travail de s’assurer de la régularité du fond et de la forme du licenciement en se fondant, d’une part sur le contrat de travail lui-même et d’autre part, sur les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.

Il incombe également à l’autorité administrative de vérifier le sérieux qui a présidé à l’obligation de reclassement en s’appuyant à la fois sur les exigences légales en la matière et, le cas échéant, sur celles de nature conventionnelle (contrat de travail et conventions collectives). Cette exigence comporte à titre principal l’effective recherche par l’employeur des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

En revanche, le juge fixe une limite importante aux obligations mises à la charge de l’administration du travail : il n’appartient pas à cette dernière de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. 

(2 mars 2022, Mme J., n° 442578 ; M. S., n° 442579 ; M. C., n° 442582, jonction)

 

83 - Médecine du travail – Régime propre aux industries électriques et gazières – Pouvoirs dévolus aux médecin-conseils desdites industries – Défaut d’urgence – Rejet de la demande de référé suspension.

Un arrêté ministériel du 27 décembre 2021, modificatif d’un arrêté du 13 septembre 2011, dispose que lorsqu'un médecin-conseil du régime spécial des industries électriques et gazières considère qu'un arrêt de travail n'est pas fondé, il en informe l'employeur qui notifie à l'agent une décision conforme à cet avis. L'agent peut présenter une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur devant une commission médicale de recours amiable nationale.

La fédération requérante saisit le juge des référés pour en obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

La requérante fait valoir, d’une part, que le caractère national de la commission médicale de recours amiable est dissuasif pour les agents concernés, d’autre part et surtout, qu’il est ainsi porté une atteinte grave et immédiate aux droits et intérêts des agents des industries électriques et gazières dans la mesure où le médecin-conseil peut remettre en cause un arrêt de travail délivré par le médecin traitant de l'agent en imposant à ce dernier de reprendre son travail dans les vingt-quatre heures.

Au vu du débat tenu à l’audience, le juge relève en premier lieu que ce mécanisme ne sera mis en place qu’après accord des parties sur le règlement intérieur de la commission médicale de recours amiable, lequel est toujours en concertation entre elles.

Il indique également que l’examen au fond de la requête en annulation assortissant la demande de suspension aura lieu avant l’été 2022. De là se déduit l’absence d’urgence.

(ord. réf. 3 mars 2022, Fédération nationale des syndicats salariés des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT), n° 461592)

 

84 - Réponse à une question préjudicielle - Établissement d’enseignement privé agricole sous contrat d’association – Enseignant délégué du personnel – Condition de rémunération des heures consacrées à cette fonction – Absence de rémunération par l’État – Obligation incombant à l’établissement employeur – Rejet.

La cour de Poitiers a renvoyé au juge administratif des questions préjudicielles sur le régime applicable à un enseignant d’un établissement privé sous contrat exerçant en qualité de délégué du personnel en ce qui concerne l’imputation ou non des heures consacrées à ces fonctions sur sa dotation horaire globale et la charge de leur rémunération.

Les réponses données par le tribunal administratif n’ayant pas satisfait l’association gestionnaire de cet établissement, celle-ci se pourvoit, en vain.

Le Conseil d’État confirme entièrement la réponse des premiers juges donnée sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire.

Tout d’abord, les heures de dotation accordées aux établissements privés sous contrat d'association, donnant lieu à rémunération par l'État des contractuels agents publics, sont réservées à l'accomplissement par ces derniers d'une obligation de service sous forme d'un service d'enseignement exercé dans les conditions prévues par le contrat d'association, mais des heures de décharges d'activité peuvent être déduites des horaires correspondant à cette obligation de service, dans la mesure où elles correspondent soit à des dispositions applicables aux personnels de l'enseignement public, soit à la possibilité de bénéficier d'autorisations d'absence dans les conditions prévues à l'article R. 813-76 du code rural et de la pêche maritime s’agissant des établissements d’enseignement agricole.

Ensuite, il résulte de ce qui précède que les fonctions de délégué du personnel exercées par l’enseignant d’un établissement privé sont distinctes de celles de délégué syndical, or aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le principe d'une telle décharge s'agissant des personnels de l'enseignement public. Il s’ensuit que c’est à tort que l’École des Établières a décompté la décharge de service accordée à l’intéressé de la dotation horaire globale qui lui a été accordée pour l'exercice de ses mandats de délégation du personnel.

D’où il suit que la charge de la rémunération de ces heures incombe non à l’État mais à l’établissement.

Enfin, l’École des Établières, tiers au contrat public qui lie l’enseignant à l'État, n'a pu modifier unilatéralement un tel contrat. Elle a toutefois influé irrégulièrement sur son exécution.

(10 mars 2022, Association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières, n° 441913)

 

85 - Règlement intérieur d’une entreprise – Interdiction de la consommation d’alcool – Conditions de restriction des droits des salariés – Prévention des risques professionnels – Existence de risques élevés compte tenu des activités exercées – Annulation.

Dans son règlement intérieur, une entreprise de construction d’automobiles interdit aux employés de son établissement de Sandouville, l’introduction, la distribution et la consommation de boissons alcoolisées. Le directeur régional du travail a imposé la modification de la disposition du règlement intérieur comportant cette prohibition.

L’entreprise a demandé l’annulation de cette décision. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État rappelle qu’il faut ici mettre en balance, d’une part le respect des droits et libertés des salariés et d’autre part l’obligation légale imposée à l’employeur de protéger leur santé et leur sécurité.

Pour casser l’arrêt déféré à sa censure, le Conseil d’État procède en deux temps.

Tout d’abord, il rappelle que l’obligation de sécurité s’impose sans qu’il y ait lieu d’établir l’existence antérieure d’accidents ou l’existence particulière d’un risque.

Ensuite, le juge impose à l’employeur de justifier en quoi l’interdiction édictée répond à des réalités ou à des nécessités objectives.

En l’espèce, il est relevé, pour dire légale la disposition litigieuse du règlement intérieur, « qu'à la date de la décision attaquée, l'établissement de Sandouville de la société Renault employait 2 262 salariés, dont 1 500 utilisaient des machines et outils de carrosserie-montage et utilisaient ou manipulaient des produits chimiques dans le cadre d'activités d'emboutissage, de tôlerie, de peinture, de montage et de contrôle de la qualité par la réalisation de tests. (…) 167 étaient employés à la maintenance des équipements industriels et d'exploitation, 189 à la logistique, 140 à l'assistance technique et (…) moins de 10 % des salariés occupaient des fonctions tertiaires. (…) l'ensemble des salariés étaient appelés à se déplacer régulièrement sur l'ensemble du site et à partager les mêmes locaux. Eu égard, dans ces conditions, aux risques de sécurité auxquels étaient exposés l'ensemble des salariés du site à raison des activités qui y étaient exercées et à l'obligation pesant sur l'employeur de mettre en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail au titre de son obligation de sécurité sur le fondement des principes généraux de prévention fixés à l'article L. 4121-2 de ce code, l'administration a porté sur les faits une inexacte appréciation en estimant que les dispositions du règlement intérieur de l'établissement interdisant d'y introduire, distribuer ou consommer des boissons alcoolisées n'étaient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. »

La solution doit être pleinement approuvée dans son fondement juridique comme dans son appréhension des faits.

(14 mars 2022, Société Renault, n° 434343)

 

86 - Licenciement d’un salarié sur avis médical d’inaptitude pour danger immédiat – Annulation par l’inspecteur du travail de l’avis et du licenciement – Non-respect prétendu du contradictoire – Rejet.

L’intéressé, ingénieur marketing industriel et « reporting group » à temps partiel, a été licencié par son entreprise à la suite d’un avis médical d'inaptitude pour danger immédiat prononcé par le médecin de travail. Sur recours du salarié l’inspecteur du travail a annulé cet avis et, par suite, le licenciement.

Sur appel de l’entreprise, la décision de double annulation prise par l’inspecteur du travail est annulée.

Le motif retenu est que cette décision est intervenue au terme d'une procédure irrégulière car l’entreprise a été privée de la garantie d'une procédure contradictoire dès lors que l'inspecteur du travail ne l'avait informée ni de la mesure qu'il envisageait de prendre ni des motifs sur lesquels elle reposerait.

Pour annuler cet arrêt à la demande du salarié, le juge de cassation estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant comme elle l’a fait dès lors qu’elle avait elle-même jugé que l’inspecteur avait fait connaître à l’entreprise l'existence du recours formé par le salarié à l'encontre de l'avis du médecin du travail, lui avait communiqué les pièces produites et l'avait invitée à présenter ses observations.

On demeure surpris qu’un texte, fût-il législatif (art. L. 4624-1 c. trav.), puisse reconnaître à un agent public tel un inspecteur du travail, le pouvoir d’annuler une décision médicale même sous le bénéfice d’une motivation et encore qu’il s’agisse d’un avis, dans la mesure où il existe un délit d’exercice illégal de la médecine (cf. art. L. 4161-1 c. santé publ.).

Ce n’est pas l’obligation faite à l’inspecteur ou à l’employeur qui passe outre cet avis médical de motiver sa décision qui est de nature à changer quoi que ce soit à leur incompétence certaine en cette matière. En réalité, le législateur a confondu deux choses : la nature strictement médicale de l’avis et ses effets sociaux ; il a fait basculer la sentence médicale du côté du seul droit du travail, la faisant ainsi tomber sous la puissance souveraine de l’inspecteur du travail. Cette confusion et sa conséquence procèdent d’un parti-pris idéologique.

(15 mars 2022, M. B., n° 442272)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élection présidentielle – Mémento à l’usage des candidats à cette élection établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Lignes directrices – Absence de motivation – Élection ne ressortissant pas de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNCCFP adoptant un « mémento à l'usage du candidat à l'élection présidentielle et de son mandataire » au motif qu'il y est indiqué que les prêts ou avances remboursables accordés par des personnes physiques sont prohibés par le troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Les deux moyens développés au soutien de cette requête sont rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ce mémorandum ne constitue pas une décision mais des lignes directrices lesquelles ne sont pas soumises à une obligation de motivation.

En second lieu, ne sauraient non plus être invoquées, car inopérantes ici, les dispositions de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH, celles-ci ne concernant que des élections en vue du « choix du corps législatif » ce que, d’évidence, n’est pas l’élection présidentielle.

(9 mars 2022, M. A., n° 460212)

 

88 - Élection présidentielle – Limitation du droit de recours des électeurs contre cette élection – Commentaires du Conseil constitutionnel – Décret du 22 décembre 2016 – Rejet.

Dans la présente affaire étaient demandées :

1° l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président de la république sur la demande du requérant tendant à l'abrogation des termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 dans sa version issue du décret n° 2016-1819 du 22 décembre 2016 ;

2° l’annulation des commentaires mis en ligne sur le site Internet du Conseil constitutionnel intitulés « Qui peut exercer un recours contre les opérations électorales ? » en tant qu'ils font état d'une limitation du droit au recours des électeurs aux seules opérations de vote le jour de l'élection présidentielle ;

3° l’injonction au président de la république d'abroger les termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret précité du 8 mars 2001.

A l’énoncé de ces demandes on ne sera guère surpris de leur rejet par le juge administratif.

Ce dernier relève que la disposition du décret litigieux selon laquelle « tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation » n’a bien évidemment ni pour objet ni pour effet d’empêcher le Conseil constitutionnel d’exercer en cette matière électorale les compétences qui lui sont dévolues tant par l’art. 58 de la Constitution que par les dispositions organiques de l’ordonnance du 7 novembre 1958 (art. 46, 48, 49 et 50) et par celles du III de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Par suite, ne saurait être sérieusement soutenue la méconnaissance par les dispositions critiquées des normes et principes invoqués par le requérant.

(25 mars 2022, M. B., n° 461992)

 

Environnement

 

89 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

V. n° 117

 

90 - Déchets – Déchets se trouvant sur une installation classée pour la protection de l’environnement - Police spéciale des déchets appartenant au préfet (art. L. 541-1 et s. c. env.) – Étendue des pouvoirs du préfet – Rejet.

Les sociétés demanderesses ont été mises en demeure, sous astreinte, par arrêtés préfectoraux, d’évacuer ou de stocker sur place dans les conditions qu’ils fixent, des déchets irrégulièrement déversés par elles sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement. Elles se pourvoient en cassation contre l’arrêt confirmatif de rejet de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté en ses trois branches.

En premier lieu, alors même que ces déchets se trouvaient sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement, les mesures et mises en demeure prises par le préfet relèvent non de la police des installations classées mais d’une autre police spéciale, la police des déchets. Il était donc bien compétent pour prendre les décisions attaquées.

En deuxième lieu, se posait la question de la charge des obligations et donc, corrélativement, des manquements à celles-ci dans la mesure où ces déchets étaient apportés par les deux sociétés requérantes sur un terrain où ils ont été mélangés à d’autres et à de la terre et alors qu’il y avait sur place un détenteur du site à qui incombait la responsabilité des déchets. Appliquant les dispositions très claires des deuxième et troisième alinéas de l’art. L. 541-2 c. env. (selon lesquels :

« Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge »), le juge retient que les requérantes ne pouvaient être exonérées de leurs obligations, notamment en s'assurant que la société KLV Terrassement, exploitante d’une installation de déchets inertes, était autorisée à prendre en charge leurs déchets, dont ceux non inertes, et qu’elles devaient supporter les conséquences des manquements constatés aux prescriptions du code de l'environnement.

Enfin, était contestée la solution alternative proposée par le préfet aux contrevenantes : gestion collective des déchets sur le site de l’installation classée ou bien évacuation et gestion par les deux sociétés des déchets non inertes à due proportion de ceux qu'elles avaient chacune apporté sur le site. Le juge de cassation confirme les juges du fond qui ont estimé cette alternative non illégale puisqu’il incombe au préfet de prendre « toute mesure appropriée ».

(7 mars 2022, Société Est Environnement et société Arches Démolition, n° 438611)

 

91 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

La société requérante, exploitante depuis 1996 d’une installation classée pour activité de « transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation de déchets non dangereux », outre un arrêté de suppression de cette installation, a fait l’objet, sur le fondement de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de deux titres exécutoires d’un montant total de 1,5 million d’euros qu’elle a contestés par un recours en annulation et par un référé en suspension de leur exécution.

La requête en référé a été rejetée en première instance par le double motif qu’elle était manifestement sans objet et que la situation d’urgence invoquée par la demanderesse lui était imputable.

L’ordonnance de rejet est cassée en ses deux motifs.

En premier lieu, le juge des référés a commis une première erreur de droit en se fondant, pour estimer que la requête était sans objet, sur l'effet automatiquement suspensif de l'opposition à un titre exécutoire énoncée à l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, alors que, précisément, l'opposition à l'état exécutoire faisant suite à une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement n'a pas de caractère suspensif. 

En second lieu, le juge a commis une seconde erreur de droit en jugeant que la condition d’urgence n’était pas remplie en l’espèce car cette situation d’urgence était liée à la propre imprudence de la requérante car son activité portait une atteinte réitérée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Or il incombait à la juridiction des référés de vérifier, ce qu’elle n’a pas fait, si l'exécution de l'arrêté en cause, dont la légalité était contestée, portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société demanderesse.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

 

92 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté préfectoral délivrant à une société une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien ; ayant été débouté en première instance et en appel ils forment un pourvoi en cassation qui est également rejeté.

Des divers moyens invoqués, l’un retient plus particulièrement l’attention. Il est tiré de l’existence du règlement départemental de la voirie du Morbihan, relatif à l'implantation d'éoliennes en bordure de la voie publique dont une disposition n’aurait pas été respectée par le préfet lors de la délivrance de l’autorisation unique.

Il convient de rappeler qu’en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable à l'autorisation unique contestée, une telle autorisation « tient lieu des permis, autorisation, approbation ou dérogation » prévus par divers textes. Se posait donc une question de hiérarchie des normes entre le règlement départemental de voirie et l’autorisation unique que le juge tranche en faveur de l’autorisation en décidant que ce règlement de voirie n'est pas opposable à cette autorisation dès lors que les dispositions de celui-ci n’appellent « l'intervention d'aucune décision administrative dont l'autorisation unique aurait été susceptible de tenir lieu ».

On peut trouver cette argumentation par trop laconique.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

 

93 - Création d’un parc éolien – Autorisation dérogatoire de détruire ou d’altérer les habitats de reproduction ou de repos de spécimens d’espèces animales protégées – Conditions de dérogation – Absence – Annulation.

Des requérants ont obtenu en appel l’annulation d’un arrêté préfectoral portant autorisation délivrée à la société pétitionnaire de dérogation aux interdictions relatives aux espèces de faune sauvage protégées, dans le cadre de la réalisation de son parc éolien.

La ministre de la transition écologique et la société bénéficiaire de la dérogation se pourvoient. Elles sont déboutées.

Le Conseil d’État rappelle, dans sa formulation habituelle, le régime des conditions d’octroi d’autorisations dérogatoires de projets d’aménagement ou de construction au regard de la protection des espèces animales et végétales :

« (…) un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. »

L’existence de cet intérêt public majeur étant acquise, le juge précise encore que « le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

Le cumul de ces conditions rend donc très difficile la légalité de ces dérogations.

En l’espèce, le juge de cassation reprend à son compte l’analyse faite par la cour administrative d’appel ainsi que la conséquence qu’elle en a tirée.

Relevant que seraient affectées quatre espèces de reptiles, une espèce d'amphibien, soixante-dix espèces d'oiseaux dont neuf à fort enjeu de conservation et que le bénéfice apporté par l’implantation d’éoliennes serait somme toute assez restreint, le projet est, sans surprise, jugé comme ne répondant pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

D’où s’ensuit le rejet des pourvois.

(10 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 439784 ; Société Parc éolien des Avants-Monts, n° 439786)

 

94 - Autorisation préfectorale d’exploitation d’éoliennes – Sursis à statuer en vue de régularisation – Sursis ordonné sans examen d’un moyen soulevé – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige né de l’autorisation d’exploiter quatre éoliennes et deux postes de transformation dont les requérantes demandaient l’annulation, celles-ci ont, notamment soulevé le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les articles L. 181-13 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison de l'atteinte qu'il portait à la préservation de l'avifaune, des paysages et du patrimoine culturel. Sans répondre à ce moyen, la cour administrative d’appel a, sur le fondement de l’art. L. 181-18 de ce code, ordonné le sursis à statuer sur la requête dont elle était saisie dans l'attente de la production, par le préfet, d'une autorisation modificative en vue d'obtenir un avis de l'autorité environnementale permettant de régulariser son arrêté querellé. 

Le Conseil d’État lit l’art. L. 181-18 précité comme imposant au juge administratif, avant de prendre la décision de surseoir à statuer, d’une part, qu’il constate préalablement qu'aucun des autres moyens présentés devant lui n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d’autre part, qu’il indique dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés. 

Faute d’avoir procédé ainsi, l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour qui l’a rendu.

(10 mars 2022, Association Chazelle-l'Echo Environnement et autres, n° 448766)

 

95 - Désignation de l’exploitant d’un parc d’éoliennes en mer – Autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité en mer – Refus implicites d’abrogation de ces décisions – Rejet.

Les trois recours sont joints car dirigés contre la décision implicite de rejet, par la ministre de l’écologie, de demandes tendant à l'abrogation, d’une part, de décisions du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien, respectivement, au large de Courseulles-sur-Mer, de Saint-Nazaire et de Fécamp, et d’autre part, des décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de chacune des trois communes précitées.

Les recours dirigés contre l’attribution de divers lots à la société Éolien Maritime France sont rejetés car, dit le juge, les statuts des requérantes qui visent à la protection de l’environnement ne leur confèrent pas un intérêt leur donnant qualité pour agir contre le refus d’abrogation des décisions du 6 avril 2012 car celles-ci ont pour seul objet, au terme d’un appel d’offres, de retenir une candidature pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité. Cette désignation est suivie de l'autorisation administrative d'exploiter une installation de production d'électricité, prévue par l'article L. 311-1 du code de l'énergie, délivrée au candidat retenu, laquelle désigne le titulaire de cette autorisation et fixe le mode de production et la capacité autorisée ainsi que le lieu d'implantation de l'installation. 

Sur ce point, les requêtes sont donc irrecevables.

Les recours dirigés contre les décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter trois parcs éoliens offshore sont rejetées car cette autorisation crée des droits pour son bénéficiaire.

Or, contrairement à ce qui est soutenu en l’espèce, d’une part le cahier des charges de l’appel d’offres n’impose pas une condition de stabilité de l’actionnariat composant la société bénéficiaire et, d’autre part, il ne résulte d’aucun élément du dossier ni que le maintien de la participation de la société Dong Energy dans le capital de la société Éolien Maritime France constituerait une condition de l'autorisation délivrée à la société Éolien Maritime France, ni que la modification du capital de la société titulaire était soumise à une autorisation. 

C’est donc à tort que les requérants demandent l’annulation du refus d’abroger les décisions litigieuses.

(21 mars 2022, Association Libre Horizon et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 457678 ; Association pour la protection du site et de l'environnement de Sainte-Marguerite (PROSIMAR) et groupement des résidents pour la sauvegarde environnementale de la Baule (GRSB), n° 451683 ; Association de protection du site des Petites-Dalles et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 451684, jonction)

 

Étrangers

 

97 - Contestation d’une mesure d’éloignement assortie d’un placement en rétention – Régime contentieux (art. L. 512-1, III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA) – Contestation d’un arrêté d’expulsion ou d’une autre mesure prise pour l’exécution d’une mesure d’éloignement et/ou de placement en rétention – Régime contentieux distinct du précédent – Inapplicabilité du régime de jugement par ordonnance de l’art. R. 222-1 CJA – Obligation de statuer en formation collégiale – Annulation.

Cette décision illustre parfaitement l’excessive complexité et la quasi-illisibilité d’ensemble du régime contentieux de divers recours susceptibles d’être formés par un ressortissant étranger en fonction des mesures négatives diverses pouvant être prises à son égard.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées du III de l'article L. 512-1 du CESEDA qu’en cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1 de ce code, l'étranger concerné peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. En ce cas le juge saisi statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours, avec dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Ensuite, cette procédure spéciale est jugée applicable aux recours relatifs à toutes les sortes de décisions qui y sont mentionnées et cela, d’une part, quelle que soit la mesure d'éloignement en vue de l'exécution de laquelle le placement en rétention a été pris, et d’autre part, quand bien même aucun recours n’aurait été formé contre cette dernière mesure.

Enfin, s’agissant des arrêtés d’expulsion comme des mesures en vue de leur exécution, cette procédure spéciale n’est pas applicable, d’où il suit que dans le cas où l’étranger fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, alors même qu’il est maintenu en rétention et que l'arrêté d'expulsion n'a pas été contesté, le recours en annulation dirigé contre une décision fixant le pays de renvoi de l’étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ne peut être examiné que par une formation collégiale du tribunal administratif, sauf utilisation par le juge de la faculté de statuer par voie d’ordonnance conformément aux dispositions de l’art. R. 222-1 du CJA. En outre, ne joue pas ici la dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Comme le moyen tiré de ce qu’il ne pouvait pas être statué – comme en l’espèce – par une formation juridictionnelle irrégulièrement composée, puisque unipersonnelle et non collégiale, est d’ordre public, il peut être relevé d’office par le juge de cassation car il n’implique pas d’appréciation sur les pièces du dossier soumis aux juges du fond.

(22 mars 2022, M. B., n° 446639)

 

98 - Demandeur d’asile – Expulsion de son lieu d’hébergement – Autorité compétente pour la décider – Motifs – Rejet.

Cette décision comporte deux précisions nouvelles sur le régime d’expulsion d’un demandeur d’asile du logement qu’il occupe dans un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile.

Tout d’abord, par déduction des articles L. 552-15 et L. 551-16 du CESEDA combinés avec l’art. L. 521-3 du CJA, le juge estime que le préfet ou le gestionnaire du lieu d'hébergement est compétent pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile de toute personne commettant des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement, y compris les demandeurs d'asile en attente de la détermination de l'État responsable de l'examen de leur demande d'asile ou de leur transfert effectif vers celui-ci.

Ensuite, pour déterminer l’existence de manquements graves, le juge retient, cette fois non par déduction de textes combinés mais du fait « de l'économie générale et des termes des dispositions précitées » la circonstance pour un demandeur d'asile de se maintenir dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile alors qu'il ne bénéficie plus des conditions matérielles d'accueil et qu'en conséquence, il a été mis fin à son hébergement.

Est donc annulée l’ordonnance qui avait rejeté la demande préfectorale d’expulsion pour absence de manquement grave en l’espèce.

(ord. réf. 22 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 450047)

 

99 - Brexit – Situation des ressortissants britanniques en France au regard du droit au séjour – Régime fixé par le décret du 19 novembre 2020 – Rejet.

Les deux recours joints demandaient notamment l’annulation, assortie d’une injonction, de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur une demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020.

Ce décret, pris à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, régit l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni.

Le recours est rejeté en ses trois moyens.

En premier lieu, les requérantes soutenaient que l'accord du 17 octobre 2019 sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom, sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué, priverait les ressortissants britanniques de la citoyenneté européenne, et serait ainsi contraire aux principes et obligations communautaires invoqués par elles. Le moyen est rejeté car le décret litigieux se borne à fixer les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. En réalité, cette perte ce citoyenneté européenne est la conséquence non de cet accord mais de son entrée en vigueur ainsi qu’il résulte nécessairement des dispositions du § 2 de l’art. 50 du traité sur l’Union européenne.

En deuxième lieu, c’est à tort que les requérantes soutiennent que le décret attaqué aurait méconnu les stipulations des articles 15 et 18 de l'accord de retrait en prévoyant la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans alors qu’il résulte de ces stipulations qu'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques remplissant les conditions qu'il énumère, et que ce titre de séjour est renouvelé de plein droit sauf si la présence du demandeur constitue une menace pour l'ordre public.

Enfin, en troisième lieu, les demanderesses soutiennent que les dispositions du décret litigieux limitant à dix ans la validité du titre de séjour portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » créent une discrimination entre les ressortissants britanniques titulaires de ce titre et les autres étrangers titulaires des titres ouvrant droit, aux termes de l'article L. 426-4 du CESEDA, à l'obtention d'une carte de résident permanent à durée indéterminée. L’argument, qui peut sembler assez fort, est cependant rejeté motif pris de ce que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 12 de l'accord de retrait ne concerne que les situations relevant du champ d'application de l'accord et le principe identique énoncé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne concerne que les situations relevant du champ d'application du traité.

Ces principes ne s’appliquent donc qu’en cas de discriminations entre un ressortissant britannique par rapport à un ressortissant d'un État membre ou entre un ressortissant d'un État membre par rapport au ressortissant d'un autre État membre. Ils ne sauraient être invoqués en cas d’éventuelles différences de traitement entre les ressortissants britanniques et ceux des pays tiers.

(22 mars 2022, Mme A., n° 453326 ; Association EUBritizens, n° 456678, jonction)

 

Fonction publique et agents publics

 

100 - Enseignement supérieur – Maître de conférences – Défaut d’autorisation de cumul d’une activité accessoire avec l’exercice d’une fonction publique – Sanction – Réformation partielle du quantum de la sanction.

Maître de conférences, le requérant avait fait l’objet d’une double sanction de la part de son université (interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans et privation de la moitié de son traitement) pour avoir exercé une activité extérieure sans avoir sollicité auprès de son université l’autorisation requise par les textes.

Condamné par la section disciplinaire de l’université à une interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans avec privation de la moitié de son traitement, il a interjeté appel de cette décision devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire. Celui-ci a prononcé la relaxe de l’intéressé.

Sur pourvoi de l’université, le Conseil d’État a annulé le jugement du CNESER et renvoyé le dossier devant lui. Le CNESER a confirmé la décision de relaxe.

L’université s’étant à nouveau pourvue contre ce jugement, le Conseil d’État devait juger au fond et définitivement.

Il juge tout d’abord que le CNESER a commis une erreur de droit en décidant la relaxe du requérant au motif que l'université ayant signé plusieurs contrats en vertu desquels l’intéressé devait participer à des activités de recherche avec des établissements d'enseignement et des entreprises, elle devait être réputée l’avoir tacitement autorisé à cumuler ses activités d'enseignement auprès de l'école de management Audencia de Nantes et de l'école supérieure de commerce (ESC) de Rennes avec son activité principale de maître de conférences à l'université. Selon le Conseil d’État il n’aurait pu y avoir autorisation tacite de cumul d’activités que si l’agent avait formé une demande écrite et motivée en ce sens. A défaut a bien été commise une faute disciplinaire sans qu’ait d’incidence la circonstance que l'université était informée de la participation de l’agent, d'une part, à un programme de recherche résultant d'une convention conclue entre une société qui n’était qu’une filiale de valorisation créée par cette université et l'école Audencia de Nantes, et d'autre part, à une mission confiée par cette même université à l'école supérieure de commerce de Rennes dans le cadre d'un programme de recherches conduit par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. 

Il juge ensuite excessive la sanction d’interdiction d’exercer durant deux années car, relève-t-il non sans une certaine contradiction, que si l’agent « s'est abstenu de demander l'autorisation de cumuler son activité avec ses activités d'enseignement au sein de l'ESC de Rennes et de l'école Audencia de Nantes, lesquelles se sont déroulées pendant plusieurs années, pour une quotité horaire conséquente, excédant d'ailleurs pour l'une celle d'un emploi à temps plein, et des rémunérations très élevées, alors même qu'il avait par le passé sollicité une autorisation de cumul pour une activité accessoire d'enseignement très ponctuelle. Toutefois, il résulte également de l'instruction que durant la même période, l'université d'Aix-Marseille a bénéficié des liens entretenus par M. I. avec ces deux écoles, qu'elle ne pouvait, par suite, totalement ignorer et qu'elle a ainsi noué plusieurs partenariats avec ces écoles. Dans ces conditions, il y a lieu de réformer la sanction prononcée à l'égard de M. I... par la commission disciplinaire de première instance en ramenant la sanction d'interdiction d'exercer toute fonction de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur à une période d'un an assortie de la privation de la moitié du traitement. »

En somme, pour le juge, la connaissance certaine par l’université – et ce pendant plusieurs années – de l’existence d’une activité menée par un de ses enseignants à l’extérieur de l’université et le fait qu’elle en ait tiré un certain bénéfice, si elle peut avoir un effet sur le quantum de la sanction infligée, ne saurait donner naissance à une autorisation tacite de cumul d’activités, laquelle présuppose une demande écrite expresse de l’agent.

Au reste, cette règle d’autorisation de cumul nous semble plutôt discutable, d’une part, parce qu’elle inverse indûment la charge de la preuve : c’est à l’administration d’établir que, du fait, de l’exercice d’une activité accessoire, il est – éventuellement - porté atteinte à la qualité du service ou à son fonctionnement, et d’autre part, il est bien connu que les autorisations et, surtout, les refus d’autorisation de cumul sont loin de satisfaire toujours – ni même souvent -  aux motifs en vue du respect desquels cette procédure a été instituée.

(2 mars 2022, Université d’Aix-Marseille, n° 432959)

(101) V. aussi, confirmant le bien-fondé de l’annulation par le CNESER de la sanction d‘interdiction, pendant un an, faite à un maître de conférences par le conseil de discipline de son université, d'accéder à une classe, un grade ou un corps supérieur, faute de preuve suffisante en ce sens et en dépit du régime probatoire particulier des faits de harcèlement moral allégués à son encontre : 2 mars 2022, Université de Poitiers, n° 444556.

 

102 - Covid- 19 - Examens et concours d’accès à la fonction publique – Instauration de règles dérogatoires – Obligation de respecter l’égalité entre les candidats – Dérogations devant être strictement nécessaires à raison de l’épidémie – Rejet.

L'ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 permet en son article 5, en cas de besoin et par dérogation, l’organisation des examens et concours d’accès à la fonction publique sans la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l'instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection. 

Candidat malheureux à un concours de recrutement en vue de l’accès à la magistrature, le requérant demandait l’annulation de cette disposition.

Le recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond, articulés autour de l’idée générale que l’ordonnance ne pouvait traiter de la même manière les recrutements dans la magistrature et ceux dans la fonction publique « de droit commun ».

Sur la forme, était critiquée, d’une part, l’absence de recours à la loi organique s’agissant du recrutement de magistrats de l’ordre judiciaire et d’autre part l’absence du contreseing du garde des sceaux sur l’ordonnance litigieuse, en qualité de « ministre responsable ». Ces deux moyens ne pouvaient prospérer car la mesure adoptée ne touche point au statut de la magistrature et d’autre part n’entrait point dans les compétences dévolues au garde des sceaux.

Sur le fond, tout d’abord, l’expression « fonction publique » dont use l’ordonnance doit s’entendre, à raison de la généralité de ses termes, comme s’appliquant également à l’accès aux fonctions de magistrat.

Ensuite, contrairement à ce que soutient le requérant, la dispense de présence physique ne viole pas l’égalité entre les candidats car elle ne les expose pas à être traités différemment les uns des autres.

Également, les dispositions critiquées, d’une part, sont motivées par le souci d'assurer la continuité des recrutements et promotions, dans le respect de l'égalité de traitement entre les candidats et, d’autre part, ne peuvent être mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Elles ne sauraient donc de ce fait être arguées d’illégalité.

Enfin, le recours est dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée mais pour laquelle est expiré le délai d’habilitation, c’est pourquoi, en vertu d’une jurisprudence – parfaitement incongrue - du Conseil constitutionnel, la critique reposant sur l’atteinte que cette ordonnance porterait à des droits ou libertés constitutionnellement garantis (principe d'égal accès aux emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et incompétence négative du législateur affectant de tels droits ou libertés) ne peut être conduite qu’au travers d’une QPC.

Faute qu’ait été respecté cette exigence procédurale, les griefs articulés de ce chef sont irrecevables.

(2 mars 2022, M. F., n° 439830)

 

103 - Covid-19 – Agent hospitalier non vacciné – Suspension de ses fonctions – Doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Suspension de celle-ci – Annulation.

Une agent affectée à la cuisine centrale d’un hôpital ayant refusé de satisfaire à l’obligation vaccinale, a été suspendue de ses fonctions et de son traitement jusqu’à ce qu’elle satisfasse à cette obligation légale (cf. art. 12 de la loi du 5 août 2021) et elle a saisi le juge du référé suspension qui, estimant douteuse la légalité de cette décision, l’a suspendue au motif que l’intéressée travaille dans la cantine du CHU de Saint-Etienne dont les locaux sont situés à distance des autres locaux de cet établissement de santé.

Sur pourvoi du CHU, le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de l’erreur de droit sur laquelle elle repose dès lors que l’obligation vaccinale susmentionnée concerne les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ce qui exclut que puisse être pris en considération pour dispenser de cette obligation légale l'emplacement des locaux en question ou la circonstance que l’agent ait ou non des activités de soins ou encore qu’il soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé.

(2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458237)

(104) V., identique : 2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 459274.

(105) V. aussi, très comparable, concernant un contrôleur principal affecté à la trésorerie hospitalière Nord-Drôme : 2 mars 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 459589 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 459790.

(106) V. également, jugeant que la suspension d’activité et de traitement assortissant l’absence de vaccination d’une infirmière exerçant dans un établissement de santé et actuellement en congé maladie, ne peut être appliquée qu’au retour de celle-ci, à la fin de son congé pour maladie et que c’est donc sans erreur de droit que le premier juge a notamment sursis à l’application de la décision litigieuse jusqu’au retour de l’intéressée : 2 mars 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458353.

 

107 - Directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Procédure disciplinaire – Procédure contradictoire – Obligation de communication de l’ensemble des pièces sauf celles pouvant porter de graves préjudices aux témoins – Communication incomplète – Illégalité – Annulation.

Nouveau rappel que : « Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Application à l’espèce où le juge des référés avait écarté, pour rejeter la requête en référé suspension, le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'irrégularité du fait que le requérant n'avait pu avoir communication de l'intégralité des pièces de son dossier.

La requête est cependant rejetée faute que le demandeur ait établi l’existence d’une urgence à statuer.

(7 mars 2022, M. B., n° 453339)

 

108 - Magistrature – Candidat à une intégration directe dans le corps judiciaire – Avis défavorable de la commission d’avancement – Étendue et limite de son pouvoir d’appréciation – Incapacité à justifier du motif du refus – Annulation avec injonction de prendre une nouvelle décision sous deux mois.

Le requérant, ancien avocat, a sollicité son intégration directe dans la magistrature. Et cela lui a été refusé suite à un avis défavorable de la commission d’avancement.

On sait qu’en principe – et c’est là un fréquent motif de rejet des recours dirigés contre des refus d’intégration directe – d’une part, il n’existe aucun droit des candidats à se voir accorder une intégration directe, et, d’autre part, la commission d'avancement dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude de candidats à exercer les fonctions de magistrat. Pourtant, ici, la décision de refus opposée par le garde des sceaux est annulée. Le fait est assez rare pour être relevé.

Le Conseil d’État, pour parvenir à ce résultat, utilise une technique classique : quelle que soit l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’une personne ou d’un organisme public encore faut-il que sa décision soit compréhensible au regard des éléments de fait de l’espèce. Ce n’était pas le cas ici ainsi qu’on va en juger.

Le candidat, décrit le Conseil d’État, « né en 1967, est titulaire d'une maîtrise et d'un diplôme d'études approfondies de droit public de l'université de Nancy, a passé le certificat d'aptitude à la profession d'avocat en 1996 et exerce depuis 1997 la profession d'avocat, d'abord au sein d'un cabinet spécialisé en procédure civile à Thionville, puis dans un cabinet généraliste à Metz, avant d'exercer pour son propre compte depuis 2006, à Metz, en particulier en droit commercial et en droit de la famille. Sa candidature à l'intégration dans la magistrature a reçu, le 2 avril 2019, un avis « favorable » du procureur général et de la première présidente de la cour d'appel de Metz, sous réserve d'approfondir sa réflexion sur des questions relatives au statut de la magistrature et aux évolutions de l'organisation judiciaire prévues par la loi du 23 mars 2019 de réforme de la justice, ainsi qu'un avis « très favorable » du président du tribunal de grande instance de Metz et du procureur de la République près ce tribunal ainsi qu'une dizaine d'attestations très favorables de magistrats en fonction et d'anciens magistrats ou de fonctionnaires l'ayant connu dans l'exercice de leurs fonctions. »

Or, face à cela, il n’a pas été possible malgré la mesure d'instruction diligentée par la 6ème chambre de la section du contentieux, tendant à la production des motifs qui ont fondé l'avis défavorable de la commission d'avancement sur la demande d'intégration directe puisqu’« aucun élément de nature à justifier cet avis n'a été produit par le garde des sceaux, ministre de la justice ».

Appliquant la solution inaugurée par l’arrêt Barel (Assemblée, 28 mai 1954, RDP 1954 p. 509-538, concl. Maxime Letourneur, note Marcel Waline) et complétée notamment par l’arrêt Jules Vicat-Blanc (21 décembre 1960, D. 1961 p. 421, note René Chapus), le Conseil d’État annule « faute de justification » la décision de refus d’intégration directe. Il ne dit pas que l’intéressé doit être intégré mais seulement que le juge n’a pas été mis en mesure de comprendre pourquoi un refus lui a été opposé.

La commission d’avancement dispose de deux mois pour, après réexamen du dossier de l’intéressé, prendre une nouvelle décision sur sa demande d’intégration directe.

(10 mars 2022, M. A., n° 444812)

 

109 - Instruction ministérielle – Instruction fixant la mesure du temps de travail effectif des agents – Recours à un mode de calcul forfaitaire – Disposition de nature statutaire – Exigence d’un décret en Conseil d’État – Incompétence du ministre – Annulation.

Une instruction ministérielle dite « instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) », dispose dans sa mise à jour d’octobre 2019 (en son point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er) que, pour les agents couverts par le régime des horaires variables et effectuant une mission hors du service pour une journée ou plus, cette mission est comptabilisée forfaitairement sur la base d'1/5ème de la durée hebdomadaire de travail, ou à hauteur d'un 1/10ème de la durée hebdomadaire lorsque la mission est inférieure ou égale à une demi-journée.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette disposition ainsi que contre le document édité par la DGFIP et intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité » daté de décembre 2019, en tant qu'il reprend la teneur du point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er de cette instruction concernant le décompte du temps de travail des agents en mission, le Conseil d’État procède à l’annulation directe du premier de ces textes et à l’annulation par voie de conséquence du second.

Il juge, en effet, que ce décompte du temps de travail par adoption d’une méthode forfaitaire, non prévue par le statut, suppose une modification de celui-ci qui relève d’un décret en Conseil d’État, d’où se déduit l’évidente incompétence du ministre pour la décider lui-même par l’instruction contestée.

Sont donc annulés l’instruction querellée et le document intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité ».

(14 mars 2022, M. D., n° 438315)

(110) V. aussi, en présence du même requérant et à propos de cette même instruction ministérielle dans sa version d’août 2019, en tant que le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de celle-ci prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

Ce texte est jugé illégal car il reprend les dispositions de l’art. 5 du décret du 26 octobre 1984 lequel est contraire au droit de l’Union en matière de conséquences découlant de la fin de la relation de travail tel que ce droit est interprété par la jurisprudence de la CJUE (6 novembre 2018, Stadt Wuppertal, aff. C-569/16 ; Volker Willmeroth, aff. C- 570/16 ; Kreuziger, aff. C-619/16).

La disposition litigieuse est annulée : 14 mars 2022, M. D., n° 441041.

 

111 - Pension de retraite – Nombre de trimestres de cotisation validés – Règle de « l’arrondi » (art. R. 26 c. pensions civiles et militaires de retraite) – Règle applicable au calcul de la durée des services non à celui de la durée d’assurance – Annulation.

L’art. 26 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que, pour la détermination du nombre de trimestres retenus pour le calcul des droits à pension de retraite, lorsque s’est écoulée une durée d’au moins 45 jours, cette période est décomptée comme un trimestre entier.

Toutefois le Conseil d’État précise ici que cette règle d’arrondi ne s’applique qu’à la durée des services accomplis pour laquelle le reliquat de 45 jours au moins vaut trimestre travaillé non à la durée de cotisation pour laquelle 45 jours ne valent qu’un demi-trimestre.

(14 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 449792)

 

112 - Pensions militaires d’invalidité – Prise en compte d’infirmités étrangères au service – Conditions – Effets – Cas d’infirmités multiples – Annulation.

L’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ouvre droit à pension en cas d'aggravation, par le fait ou à l'occasion du service, d'infirmités étrangères au service. Selon l'art. L. 4 du même code : « Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (…) ».

Pour cela, le même article fixe notamment les règles suivantes :

1° seules ont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 % ;

2° lorsque l'infirmité résulte exclusivement de maladie, elle n’ouvre droit à pension que si le degré d'invalidité qu'elle entraîne atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples ;

3°, enfin, en cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions qui viennent d’être indiquées.

Le requérant, radié des cadres de la marine nationale en 2011, s'est vu reconnaître par un jugement du tribunal des pensions militaires de Marseille, rendu en 2015 et devenu définitif, un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité « trouble anxio-dépressif » au taux de 30 % à compter du 8 janvier 2002. Puis, par un jugement du 9 mai 2019, ce tribunal a également reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des infirmités « syndrome d'apnée du sommeil », « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque » et « édenture ».

Sur appel du ministre des armées, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. K. : celui-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt seulement en tant qu’il lui a dénié le droit à pension pour l'infirmité « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, pour rejeter la demande de l’intéressé au titre de l’« hypertension artérielle avec retentissement cardiaque », a considéré, au vu de l’expertise qu’elle avait ordonnée, que le taux d'invalidité entraîné par cette affection, étrangère au service mais aggravée par le seul fait du service, était de 15 %, dont 10 % seulement du fait du service. Elle en a donc conclu que, n'atteignant pas le degré d'invalidité de 30 % exigé par les dispositions de l’art. 4 précité, cette affection ne pouvait pas ouvrir droit à pension. 

Elle n’a pu parvenir à cette solution qu’en ne retenant pas l'existence de l'affection de « trouble anxio-dépressif » retenant sans doute qu’une pension d'invalidité avait déjà été allouée à l'intéressé à ce titre.

C’est là précisément que gît l’erreur de droit : la cour devait apprécier, pour déterminer le droit au bénéfice d'une pension au titre de l'aggravation de l'hypertension artérielle, si cette dernière combinée avec le « trouble anxio-dépressif » ne constituait pas une situation d’infirmités multiples au sens et pour l’application de l’art. L. 4 précité.

Statuant au fond par l’effet de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État, appliquant les règles de calcul énoncées à l’art. L. 9 du code des pensions militaires d’invalidité, juge que le requérant est fondé à demander l'attribution d'une pension au taux de 45 %, taux qui se substitue au taux de 30 %, à compter du 26 novembre 2008, date de réception de sa demande.

(22 mars 2022, M. K., n° 442509)

 

113 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

V. n° 136

 

114 - Suspension d’un conseiller référendaire à la Cour des comptes – Mesure sans caractère disciplinaire – Soupçon de commission de faits d’exhibition sexuelle dans le bureau de l’intéressé – Mesure conservatoire dans l’intérêt du service - Absence d’exigence de soumission de la mesure de suspension à une obligation de motivation comme à une procédure contradictoire – Rejet.

Le requérant soupçonné, avec grande vraisemblance, de s’être rendu coupable du fait d’exhibition sexuelle dans son bureau, a été suspendu de ses fonctions de référendaire à la Cour des comptes par un décret du président de la république pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes. Il demande l’annulation de cette mesure de suspension, arguant de divers griefs à l’encontre de sa juridicité, tous rejetés.

La mesure en question, prise sur le fondement des dispositions de l’art. L. 124-10 du code des juridictions financières, contrairement à ce que soutient le requérant, ne constitue pas une mesure disciplinaire, - laquelle aurait nécessité la communication de son dossier à l’intéressé, une motivation de la décision et une procédure contradictoire -, mais une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, à la fois s’agissant de son fonctionnement interne et de son image extérieure compte tenu du retentissement  de ces faits et des fonctions exercées par la personne suspendue. Il faut et il suffit pour qu’une telle décision soit prise légalement que soit rapportée l’existence vraisemblable de faits graves, éléments que le Conseil d’État juge réunis en l’espèce.

(21 mars 2022, M. Naïl Bouricha, n° 452722)

 

115 - Fonction publique territoriale – Convention de prestations de services avec une collectivité territoriale – Conclusion postérieure d’un contrat à durée déterminée – Refus d’une intégration sur la base d’un contrat à durée indéterminée – Refus de considérer la collectivité comme l’employeur du requérant – Cassation.

Le requérant a conclu le 13 septembre 1995 avec la commune (devenue collectivité territoriale d'outre-mer) de Saint-Barthélemy une convention de prestations de services consistant en des prestations de conseil et de rédaction juridiques ainsi que de gestion des contentieux. Cette convention, plusieurs fois renouvelée, a été remplacée en octobre 2006 par un contrat à durée déterminée de trois ans (2006-2009), sur le fondement de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, contrat renouvelé une fois (2009-2012), puis par un courrier du 10 juillet 2012, le président de la collectivité de Saint-Barthélemy a informé l’intéressé que le contrat arrivant à échéance le 30 novembre 2012 ne serait pas renouvelé, la collectivité lui reprochant des retards et absences injustifiées ainsi qu'un manque de rigueur dans le suivi des dossiers.

L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande : 1° d’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la collectivité territoriale sur sa demande du 26 décembre 2016 tendant à sa réintégration sur la base d'un contrat à durée indéterminée, 2° d’injonction au président de cette collectivité de lui proposer un contrat à durée indéterminée et 3° de condamnation à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction.

Le tribunal a condamné la collectivité à verser à M. A. une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de proposition d'un contrat à durée indéterminée et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A. contre ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande et, sur l'appel incident de la collectivité, a annulé ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, et a rejeté la demande d'indemnisation de M. A.

Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État, pour se prononcer sur ce litige, se fonde sur les dispositions, d’une part, de l'art.15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique et, d’autre part, de l’art. 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

Le juge interprète ces textes – qui ont pour objet principal la résorption de la précarité dans la fonction publique - comme imposant au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une demande invoquant ces dispositions, de vérifier si en dépit de l'existence de contrats antérieurs conclus sous la forme de conventions de prestations de services, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès de la même personne publique en qualité d'agent de celle-ci. Et le Conseil d’État énumère quelques-uns des indices permettant cette détermination par la méthode bien connue en plusieurs matières dite du faisceau d’indices.

En l’espèce, il est relevé que « M. A. exerçait de fait, sous l'autorité directe (du) maire de la commune puis président de la collectivité territoriale, les fonctions de responsable du service juridique de la collectivité. Il travaillait avec les moyens de cette collectivité et disposait d'un bureau personnel à l'hôtel de ville. Il a assuré la représentation de cette collectivité au sein de plusieurs commissions administratives et instances consultatives et recevait les convocations à des réunions, commissions et séances du conseil municipal, adressées par le maire. Il a au demeurant continué à exercer les mêmes fonctions dans les mêmes conditions lorsqu'il est devenu agent de la collectivité sous contrat à durée déterminée signé le 17 octobre 2006. Il percevait une rémunération mensuelle forfaitaire en qualité de prestataire et a perçu ensuite une rémunération équivalente lorsqu'il est devenu agent contractuel en 2006, ses frais professionnels ayant toujours été directement pris en charge par la commune. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, comme l'allègue la collectivité, M. A. aurait eu d'autres clients lorsqu'il travaillait pour le compte de celle-ci sous le statut de prestataire. Par ailleurs, la circonstance que M. A. aurait proposé ou a accepté le recours au statut de prestataire en 1995 est sans incidence, dès lors qu'il convient de qualifier le contrat au regard de la consistance réelle du lien qui a uni les parties tout au long de ces années ».

Fort de cette analyse, le Conseil d’État ne peut guère que constater l’inexacte qualification de ces faits dont la cour administrative d’appel a entaché son arrêt en jugeant que les éléments du dossier « ne permettaient pas de regarder la collectivité de Saint-Barthélemy comme étant en réalité l'employeur de M. A. lorsqu'ils étaient liés par une convention de prestations de services ». 

L’arrêt est cassé avec renvoi.

(30 mars 2022, M. A., n° 440051)

 

116 - Agent non titulaire devenu titulaire – Montant minimum de la rémunération après titularisation – Montant ne pouvant être inférieur à 70% de la rémunération perçue avant titularisation – Incidence sur le reclassement indiciaire – Cas des agents en régime de temps de travail partiel – Rejet.

Dans le souci de garantir une rémunération minimale aux agents titularisés dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État, les textes (I de l'article 7 du décret du 23 décembre 2006 relatif aux règles du classement d'échelon consécutif à la nomination dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État et art. 1er de l'arrêté du 29 juin 2007 fixant le pourcentage et les éléments de rémunération pris en compte pour le maintien partiel de la rémunération de certains agents non titulaires accédant à un corps soumis aux dispositions du décret précité) ont prévu qu'à quotité de travail inchangée, le traitement brut effectivement perçu par un agent postérieurement à sa titularisation ne peut être inférieur à 70 % de la rémunération moyenne mensuelle brute effectivement perçue par l’agent avant cette titularisation, calculée sur la base des six meilleures rémunérations mensuelles perçues au cours de la période de douze mois précédant sa titularisation.

Cette règle impose donc à l’autorité de titularisation de reclasser l’agent à des indices (brut et majoré) tels qu’ils lui assurent une rémunération au moins égale à 70% de sa rémunération antérieure à sa titularisation déterminée comme indiqué ci-dessus.

En l’espèce, une ingénieure de l'agriculture et de l'environnement stagiaire bénéficiait d'un temps de travail partiel de 6/7èmes dans le dernier poste qu'elle occupait avant sa titularisation et a continué après cette titularisation à travailler selon la même quotité de temps. Elle a été reclassée aux indices brut 611 et majoré 513, ce qui ne lui permettait de ne percevoir que 65% de sa rémunération antérieure au lieu des 70% fixés par la réglementation.

Le ministre de l’agriculture employeur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt d’appel qui a considéré que, dans le cas particulier des agents travaillant à temps partiel, l’échelon de reclassement devait être déterminé à partir de la rémunération que ces agents auraient dû percevoir s'ils avaient exercé leurs fonctions à plein temps avant titularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, l’arrêt étant dépourvu de l’erreur de droit invoquée par le ministre demandeur au pourvoi.

(30 mars 2022, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 441191)

 

Hiérarchie des normes

 

117 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

V. n° 92

 

118 - Décret du 8 avril 2020 attribuant aux préfets un pouvoir de dérogation – Pouvoir limité à certaines matières et ne concernant que des dispositions non réglementaires – Dérogations justifiées par les circonstances locales, soumises aux normes supérieures et motivées par l’intérêt général – Rejet.

Les diverses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 attribuant aux préfets de région et de département, ainsi qu’aux représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer, le pouvoir de déroger en certaines matières et pour certains motifs à des « normes arrêtées par l’administration ».

Les moyens de légalité interne (ceux de légalité externe ne devant pas retenir l’attention) sont tous rejetés.

En premier lieu, le juge relève que la formule citée plus haut ne désigne que des actes administratifs non réglementaires, ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ses destinataires ne peuvent déroger ni aux actes réglementaires ni, a fortiori, aux normes d’un rang supérieur.

En second lieu, ce pouvoir de dérogation : 1° ne peut être exercé qu'afin d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; 2° ne peut concerner que certaines matières limitativement énumérées ; 3° doit être justifié par un motif d’intérêt général ; 4° doit être motivé par la prise en compte de circonstances locales le justifiant ; 5°, enfin, ne saurait affecter ni les intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni de façon disproportionnée les objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Enfin, la circonstance que le décret attaqué n'énumère pas les normes susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, ni ne détaille les motifs d'intérêt général ou les circonstances locales susceptibles de justifier les dérogations accordées sur son fondement n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ni à le faire considérer comme entaché d'incompétence négative ni, non plus, de porter atteinte au principe de sécurité juridique. Il n’est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation, faute d'encadrer suffisamment le pouvoir de dérogation reconnu aux préfets. 

(21 mars 2022, Les amis de la Terre France, Notre affaire à tous, Wild et Legal et Maïouri Nature Guyane, n° 440871 ; Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir, n° 441069, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

119 - Étranger demandeur d’asile – Homonymie – Demande considérée comme une demande de réexamen – Erreur des services – Obligation pour l’intéressé de recommencer ses démarches – Rejet.

L’intéressé s'est présenté en préfecture en novembre 2021 et y a déposé une demande d'asile. En raison d'une homonymie, la préfecture a requalifié sa demande en demande de réexamen d'une précédente demande d'asile et l'a transmise comme telle à l'OFPRA.

L’OFPRA, en janvier 2022, a renvoyé le formulaire de demande de réexamen au demandeur en lui indiquant qu'aucune décision le concernant n'avait été prise sur une précédente demande d'asile, qu'il ne pouvait donc présenter une demande de réexamen et qu'il lui appartenait de faire enregistrer une demande d'asile.

Le requérant faisait valoir qu'il incombait à l'OFPRA de corriger l'erreur commise par les services de la préfecture, d'instruire sa demande et d'en informer le préfet pour qu'il lui délivre une attestation. Le premier juge a rejeté la demande en référé liberté.

Le recours est à nouveau rejeté en appel au motif que l'OFPRA ne peut examiner une demande d'asile qui n'a pas été préalablement enregistrée comme telle en préfecture et qu’il appartient, en conséquence, à l’intéressé, de faire enregistrer une demande d'asile, en complétant un formulaire plus détaillé que celui qu'il avait soumis à l'appui de la demande de réexamen.

C’est pourquoi, il ne saurait être soutenu qu’il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. 

La solution n’est pas très satisfaisante au regard des exigences de bienveillance s’imposant en cas de faute de l’administration.

Ce rejet ne préjuge évidemment pas du droit de l’intéressé à obtenir réparation du préjudice éventuellement causé par ce dysfonctionnement administratif qui ne lui est en rien imputable.

(8 mars 2022, M. B., n° 461453)

 

120 - Liberté d’association – Associations recevant des subventions publiques – Obligation de souscription d’un contrat d’engagement républicain – Atteinte à la liberté d’association – Absence et défaut d’urgence – Rejet.

Onze associations contestaient en référé, et en demandait la suspension d’exécution, le décret du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État. Elles estiment que ces dispositions ont un effet dissuasif sur les demandes de subventions créant un risque de disparition rapide compte tenu, d'une part, de l'importance de ces aides pour leur fonctionnement et le financement de leurs activités qui présentent en outre un caractère d'intérêt général et, d'autre part, d'un manque de trésorerie.

Le juge des référés n’aperçoit pas dans ce texte d’atteinte à la liberté d’association, ainsi que l’a d’ailleurs également jugé le Conseil constitutionnel, ni non plus une diminution significative des subventions accordées depuis son entrée en vigueur le 2 janvier 2022.

Faute d’urgence établie le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 4 mars 2022, Ligue des droits de l'Homme et autres, n° 462048)

 

121 - Réfugié – Reconnaissance de plein droit de la qualité de réfugié - Prise en charge par un organe des Nations Unies – Prise en charge d’un palestinien par l’UNRWA – Inapplicabilité en ce cas de la convention de Genève de 1951 (cf. article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa) – Interprétation d’une disposition du droit de l’Union en cas de cessation de la prise en charge d’un réfugié par un organe des Nations Unies (art. 12, § 1, a), seconde phrase de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 reprise à l’identique à l’ art. 12, § 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011) – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Dans une délicate affaire de demande de l’attribution de la qualité de réfugié à un Palestinien ne relevant pas ou plus de la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la Cour nationale du droit d’asile a estimé que cette personne devait se voir reconnaître de plein droit la qualité de réfugié en France. L’OFPRA, par un pourvoi en cassation, demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État décide, la réponse étant indispensable à la solution du litige, de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Luxembourg :

« 1° Indépendamment des dispositions du droit national autorisant, sous certaines conditions, le séjour d'un étranger en raison de son état de santé et le protégeant, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement, les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un réfugié palestinien malade qui, après avoir eu effectivement recours à la protection ou à l'assistance de l'UNRWA, quitte l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de cet organisme dans lequel il avait sa résidence habituelle au motif qu'il ne peut y avoir un accès suffisant aux soins et traitements que son état de santé nécessite et que ce défaut de prise en charge entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, peut être regardé comme se trouvant dans un état personnel d'insécurité grave et dans une situation où l'UNRWA est dans l'impossibilité de lui assurer des conditions de vie conformes à la mission lui incombant ?

2° Dans l'affirmative, quels critères - tenant par exemple à la gravité de la maladie ou à la nature des soins nécessaires - permettent d'identifier une telle situation ? »

(22 mars 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) c/ Cour nationale du droit d’asile, n° 449551)

 

122 - Perte du statut de réfugié – Absence d’effet sur la qualité de réfugié – Mesure d’éloignement à l’encontre d’un réfugié – Existence d’une présomption en faveur de ce dernier – Obligation d’un examen particulièrement approfondi et exigeant de la situation personnelle de l’intéressé – Annulation.

Le statut de réfugié est particulièrement protecteur en raison des motifs d’octroi de ce régime juridique. C’est pourquoi, même lorsque le bénéfice de ce statut est supprimé, dans les conditions et pour les raisons figurant à l’art. L. 711-6 du CESEDA et sous les limites prévues par l'article 33 § 1 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l'article 14 § 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, l’intéressé conserve néanmoins la qualité de réfugié.

Par suite, lorsque l’administration décide de prononcer à l’encontre de celui-ci une mesure d’éloignement, deux exigences s’imposent.

D’une part, il appartient à l’intéressé qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

D’autre part, il incombe à l’administration ainsi qu’au juge administratif éventuellement saisi, en raison même de la qualité de réfugié de l’intéressé, « élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités (…) », de vérifier « au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, (…) l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination ». 

En l’espèce, est jugé entaché d’erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour rejeter la contestation par l’intéressé de la mesure d’éloignement le visant, se borne à relever qu’il ne faisait état, tant en première instance qu'en appel, d'aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des risques encourus, alors qu’elle devait s’assurer que « l'administration avait procédé, à la date de la décision d'éloignement en litige, à un examen approfondi de sa situation, prenant particulièrement en compte cette qualité (de réfugié), au regard de l'existence de risques de traitement prohibé par ces stipulations à son retour en Russie ». 

(28 mars 2022, M. M., n° 450618)

 

123 - Extradition – Appréciation de la gravité de l’infraction justifiant la remise d’une personne aux autorités d’un État – Prise en compte de circonstances aggravantes prévues en droit français non dans celui de l’État requérant l’extradition – Conditions de légalité – Rejet.

Dans une décision très importante – assez défavorable aux personnes dont l’extradition est demandée -, le Conseil d’État reconnaît au premier ministre le pouvoir de retenir, pour des faits de vol sous la menace d’une arme, une qualification criminelle permettant l’extradition de son auteur alors même, d’une part, que les autorités requérantes (Arménie) n'ont pas retenu cette circonstance aggravante, mais celle, distincte, inexistante en droit français, de « vol à grande échelle ». et, d’autre part, que la circonstance que les faits incriminés ont été commis sous la menace d'une arme, n'est mentionnée ni dans la qualification pénale retenue par l'État requérant, ni dans la demande d'extradition elle-même, car cette circonstance ressort de l'exposé des faits figurant dans le mandat d'arrêt pour l'exécution duquel l'extradition est demandée, conformément aux stipulations du 2. de l’art. 12 de convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, exposé qui est joint à cette demande.

On savait le Conseil d’État peu enclin au formalisme : il est ici montré que ce n’est rien de le dire.

(22 mars 2022, M. A., n° 456003)

 

Police

 

124 - Permis de conduire – Constatation de son invalidité – Irrégularités – Rejet.

C’est sans dénaturation des pièces du dossier et au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’un tribunal administratif annule une décision « 48 SI » constatant l’invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul en retenant deux éléments.

Premièrement, le recours de l’intéressé contre cette décision n’est pas tardif car, comme relevé par le tribunal, celle-ci a été envoyée et reçue, le 10 août 2015, à une adresse située dans une commune qui n'était plus celle de l'intéressé et aucune pièce du dossier n'établissait la date à laquelle celui-ci en avait eu connaissance.

Secondement, la signature figurant sur l'avis de réception du pli distribué le 10 août 2015 n'était pas, selon l'intéressé, la sienne d’où il suit que c’est sans erreur, en l’absence de preuve contraire, que le tribunal a jugé que ce dernier n'avait pas réceptionné le pli.

On demeure cependant surpris que le Conseil d’État indique qu’« aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer sa nouvelle adresse à l'administration en cas de changement d'adresse ». En effet, il est obligatoire de porter sur la carte grise du véhicule la nouvelle adresse dans le mois qui suit le changement d’adresse ou de résidence (cf. art. R. 322-7 du code de la route).

(23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 453357)

 

125 - Habilitation d’un intermédiaire à demander le certificat d’immatriculation d’un véhicule à moteur – Retrait – Sanction disproportionnée – Dénaturation des pièces du dossier – Application, en référé, de l’art. L. 821-2 CJA – Annulation et rejet.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision du 17 mai 2021 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a retiré l'habilitation l'autorisant à intervenir sur le système d'immatriculation des véhicules. Le juge des référés du tribunal administratif ayant accueilli favorablement sa demande, le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Pour retirer l’habilitation dont bénéficiait la requérante, l’administration s’est fondée sur une sélection des dossiers d'immatriculation traités par l'organisme habilité. Or pour juger disproportionnée la mesure de retrait, le juge des référés a retenu que les manquements relevés par l'administration portaient toutefois sur une très faible proportion des dossiers traités par la société groupe PHD. De la sorte, ce nombre de manquements n’a aucun caractère exhaustif n’étant obtenu que sur la base d’un petit nombre de recensions

C’est pourquoi le Conseil d’État estime que, ce jugeant, les pièces du dossier ont été dénaturées puisqu’il tombe sous le sens que la proportion des manquements relevés par rapport au nombre total de dossiers traités par cet organisme n'était pas de nature à caractériser l'ampleur de ces manquements.

Utilisant, ce qui est assez rare en matière de référé, la faculté qui lui est ouverte de statuer au fond sans renvoyer (art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État rejette la demande de suspension, aucun des deux moyens invoqués (décision reposant sur des faits matériellement inexacts et présentant un caractère disproportionné), n’étant de nature à créer un doute sérieux quant la légalité de la décision de retrait contestée.

(ord. réf. 23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 455021

 

Professions réglementées

 

126 - Médecin – Juridiction ordinale statuant en matière disciplinaire – Appelant réputé s’être désisté d’office (art. R. 611-8-1 CJA) – Dans les circonstances de l’espèce, usage abusif de son pouvoir par la juridiction – Annulation.

L’art. R. 811-6-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement en appel de demander à une partie de reprendre dans un mémoire récapitulatif les conclusions et moyens présentés en première instance qu'elle entend maintenir ; celui-ci peut en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif, la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes. 

En l’espèce, l’appelant, médecin sanctionné en première instance d’une peine d’interdiction d’exercer d’une durée d’une année dont six mois avec sursis, avait été réputé s’être désisté d’office, son mémoire récapitulatif étant parvenu à la juridiction le lendemain de l’expiration du délai qui lui avait été imparti pour le produire.

« Dans les circonstances particulières de l’espèce », le juge de cassation considère abusif l’usage fait des dispositions précitées et il doit être approuvé. En effet, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins était saisie depuis le 22 avril 2014 de l'appel formé par le requérant et celui-ci avait produit entre 2015 et 2019 cinq mémoires, en réponse tant aux mémoires du défendeur que des mesures d'instruction diligentées par la juridiction qui a mené une instruction pendant près de 7 ans.

La solution retenue doit, dans ces conditions concrètes de déroulement de l’instance, être approuvée.

(2 mars 2022, M. K., n° 453800)

 

127 - Orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes – Absence de compétence exclusive pour délivrer des orthèses de série – Remboursement par l’assurance maladie subordonné à la délivrance de ces éléments par les professionnels habilités – Annulation partielle et injonction.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la décision implicite du ministre de la santé rejetant sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 2015 relatif à la délivrance des orthèses de série par les orthoprothésistes, les podo-orthésistes et les orthopédistes-orthésistes ainsi que l’annulation de la décision par laquelle le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a rejeté sa demande d'abrogation du « moratoire » en vertu duquel les caisses d'assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels ne remplissant pas les conditions légales auxquelles cette délivrance est subordonnée, ainsi que ce « moratoire ».

Le Conseil d’État rejette le premier chef de demande car il ne résulte d’aucun texte ou principe que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes disposeraient d'une compétence exclusive pour la délivrance des orthèses de série.

Il accueille favorablement le second chef de demande car les orthèses de série, doivent, pour être prises en charge par l'assurance maladie, être délivrées dans le respect des dispositions de la liste des produits et prestations mentionnée à l'article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonnent leur remboursement à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités. Or il est constant que les caisses d’assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer, en particulier par des prestataires de services et distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique ne disposant pas de personnel habilité à le faire. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie a édicté une décision illégale en rejetant la demande du syndicat requérant tendant à ce qu'il prenne toutes mesures ou décisions de nature à faire cesser de telles pratiques. C’est pourquoi, outre l’annulation est prononcée une injonction à son endroit de prendre toute mesure ou décision de nature à faire cesser, dans un délai de quatre mois à compter de la décision, les remboursements des prothèses délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer.

(14 mars 2022, Syndicat national de l'orthopédie française (SNOF), n° 446506 et n° 466510)

 

128 - Chirurgien-dentiste – Praticien ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire en première instance – Appel interjeté seulement sur le quantum de la sanction et par le médecin-conseil demandeur – Office du juge d’appel – Annulation avec renvoi.

Un chirurgien-dentiste est condamné en première instance par la chambre disciplinaire régionale de son ordre d’une interdiction d’exercer sa profession pendant deux mois assortis d’un sursis d’un mois.

Le médecin-conseil qui avait saisi la juridiction ordinale de la plainte ayant conduit à cette sanction interjette seul appel et pour insuffisance du quantum de la peine.

En appel, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a tout d’abord estimé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les faits reprochés au praticien car celui-ci n'avait pas fait appel, cet appel n’ayant été formé que par le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical d'Île-de-France, lequel ne contestait que l’insuffisance du quantum de la sanction infligée en première instance.

Ensuite, et pour l’unique motif de contester le quantum de la sanction infligée en première instance, elle a jugé qu'eu égard à la nature des faits reprochés, la sanction d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste lui ayant été infligée en première instance devait être portée de deux mois dont un avec sursis à deux ans, dont un an assorti du sursis. 

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle ainsi l’office du juge d’appel ordinal statuant en matière disciplinaire : « (il lui appartient), dès lors qu'(il) est valablement saisi(e) d'une requête d'appel formée contre la décision d'une chambre disciplinaire de première instance ayant infligé à un chirurgien-dentiste une sanction disciplinaire, de statuer, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, tant sur le bien-fondé des fautes qui sont reprochées au chirurgien-dentiste que sur le choix, le cas échéant, d'une sanction, sauf à ce qu'un moyen de régularité présenté par cette requête puisse être accueilli et la conduise à annuler la décision contestée et à évoquer l'affaire. Il en va ainsi y compris lorsque seul l'auteur de la plainte a formé appel en vue de l'aggravation de la sanction prononcée en première instance. »

(15 mars 2022, M. C., n° 440006)

 

129 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation et injonction de l’abroger.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

V. n° 8

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Opération de concentration (art. L. 430-3, L. 430-4 et L. 430-7-1 c. commerce) – Autorité de la concurrence – Fusion entre opérateurs de télévision – Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une phase de « pré-notification » - Mesure préparatoire – Irrecevabilité subséquente de la QPC soulevée à l’encontre de dispositions du code commerce (art. L. 450-8 et V de l’art. L. 464-2) – Refus de transmission.

Les requérantes contestaient la décision de l’Autorité de la concurrence d’ouvrir, dans le cadre d’un projet de fusion des activités de TF1 et de Métropole Télévision, une phase dite de « pré-notification » conformément aux points 191 à 200 des lignes directrices arrêtées par cette Autorité sur le fondement de dispositions de l’art. L. 430-3 du code de commerce.

Elles estimaient que portent atteinte à des droits ou libertés constitutionnellement garanties les dispositions de l’art. L. 450-8 et du V de l’art. L. 464-2 du code de commerce en ce qu’elles assortissent de sanctions la non communication aux agents chargés de l'instruction de l'affaire des informations ou documents qu’ils sollicitent auprès de tiers à l'opération de fusion dans le cadre de la procédure de « pré-notification ».

La demande de transmission de la QPC est refusée car la procédure de « pré-notification » ne constitue qu’une mesure purement préparatoire, donc insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Par suite, la QPC adossée à ce recours irrecevable est elle-même irrecevable

(1er mars 2022, Société Free et société Iliad, n° 458272 et n° 459347)

 

131 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Le 2° du I de l’art. L. 214-17 du code de l’environnement impose aux moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, le respect d’obligations en vue d’assurer la continuité écologique des cours d’eau sur lesquels ils sont installés.

La loi du 24 février 2017, dont est issu l’art. L. 214-18-1 du code de l’environnement a exonéré tous les moulins à eau qui, à la date de publication de cette loi, sont fondés en titre ou disposent d’une autorisation d’exploitation, de l’obligation de respecter la continuité écologique des cours d’eau.

Les associations requérantes invoquent à l’encontre de ce dernier texte une QPC tirée de ce qu’il méconnaît les art. 1er à 4 de la Charte de l’environnement ainsi que le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où il octroie cette exonération à tous les moulins sans en limiter le bénéfice aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.

Jugée présenter un caractère sérieux, la QPC est transmise.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

 

132 - Abandon de certaines catégories de terrains par leurs propriétaires à la commune d’assiette – Absence d’imposition due pour ces terrains à compter de leur abandon – Caractère obligatoire pour la commune de l’acceptation de l’abandon (art. 1401 CGI) – Inconstitutionnalité soutenue au moyen d’une QPC – Transmission de celle-ci.

L’art. 1401 du CGI permet aux contribuables désireux de s'affranchir de l'imposition à laquelle les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux doivent être soumis, à la condition qu’ils renoncent à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.

Il suffit que la déclaration détaillée de cet abandon perpétuel soit faite par écrit, à la mairie de la commune, par le propriétaire ou par un mandataire.

Les cotisations d’impôt sont supportées par la commune à compter des rôles d’imposition établis postérieurement à l'abandon.

C’est un cas original d’acquisition forcée de biens immobiliers.

La Ville de Nice soulève une QPC à l’encontre de cette disposition en arguant de ce qu’en ne soumettant cet abandon à aucune condition d’acceptation par la commune, elle contrevient notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales même si cette procédure d’abandon unilatéral de terrains ne concerne strictement que ceux limitativement énumérés à l’art. 1401 précité du CGI.

(18 mars 2022, Commune de Nice, n° 454827)

 

133 - Autorité administrative – Compétence pour constater des infractions ou manquements à des obligations légales - Pouvoir d’en ordonner le respect et d’en sanctionner la violation – Atteinte au principe de la séparation des pouvoirs – QPC – Refus de sa transmission.

Invitée par le service compétent à cesser certaines pratiques commerciales trompeuses, la société requérante a, au soutien de sa demande d’annulation de la mesure, soulevé une QPC.

Celle-ci est fondée sur ce que le pouvoir reconnu à une autorité purement administrative, ici le directeur départemental de la protection des populations, de constater des manquements ou des infractions à des dispositions légales (art. L. 511-5 et L. 521-1 code de la consommation), d’en enjoindre la cessation et d’infliger des sanctions violerait notamment le principe de la séparation des pouvoirs.

L’argument ne pouvait être un seul instant retenu, il est rejeté par le Conseil d’État qui rappelle que ni ce dernier principe ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, « ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ».

La transmission de la QPC n’aura donc pas lieu.

(28 mars 2022, Société Yutaka France-Japon Management, n° 451014)

 

Responsabilité

 

134 - Fonctionnaire territorial – Accident de service – Existence ou non d’un lien de causalité directe entre une faute de la commune et le dommage subi par la victime – Lien déclaré inexistant – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Un agent technique territorial qui assurait des travaux d’élagage est victime d’un accident et réclame réparation du préjudice subi.

La cour administrative d’appel, statuant sur le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent, a, d’une part, reconnu l’existence d’une faute de la commune pour n’avoir pas fait bénéficier l’agent d’une formation adéquate en matière d’élagage, d’autre part, dénié l’existence d’un lien causal direct et certain entre ce manquement et le préjudice. Elle s’est, pour cela, fondée sur ce que le sapiteur psychiatre avait conclu à l'existence d'un syndrome de Ganser construit autour de l'accident dans une perspective de reconnaissance.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt pour qualification inexacte des faits car « il ressortait tant du rapport de la sapiteure neurologue que de celui de l'expert désigné par le tribunal administratif, d'une part, que le syndrome de Ganser était distinct du syndrome post-commotionnel dont souffrait M. C., qui associait céphalées, instabilité, fragilité cognitive et labilité émotionnelle et, d'autre part, que ce dernier syndrome, qui était à l'origine d'une difficulté dans son intégration socio-familiale, entraînait un déficit fonctionnel permanent évalué à 15 %. ».

(7 mars 2022, M. C., n° 441313)

 

135 - Droit à un délai raisonnable de jugement - Durée excessive d’une procédure contentieuse – Responsabilité de l’État – Rejet.

Le demandeur recherchait la responsabilité de l’État à raison de la durée qu’il estimait excessive d’une procédure devant la juridiction administrative et qui, depuis l’introduction de sa requête en première instance jusqu’à la reddition de la décision de cassation, s’est déroulée sur sept ans et trois mois.

Il avait saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le rejet implicite, par le ministre de la justice, de sa demande d’indemnisation du chef de cette durée.

Au terme d’une analyse très précise des faits le Conseil d’État rejette la requête en ces termes : « Il résulte de l’instruction que les procédures devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont duré respectivement deux ans et dix mois et deux ans et près de quatre mois et que la décision du Conseil d’État, statuant au contentieux, est intervenue le 21 juin 2021, soit sept ans et trois mois après l'introduction de la demande de M. D. Il résulte également de l'instruction que le comportement de M. D. durant l'instruction de sa demande et de sa requête d'appel a contribué à l'allongement de la durée de ces procédures, dès lors qu'en première instance, il n'a produit son mémoire en réplique que deux ans après l'introduction de sa demande et qu'en appel, il a sollicité et obtenu un délai supplémentaire de six mois pour produire un nouveau mémoire. De plus, il résulte de l'instruction que le litige introduit par M. D. présentait un certain degré de difficulté, dès lors qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 août 2013 mettant fin à la concession de logement dont il bénéficiait, il soutenait devant les juges du fond que la délibération du 28 juin 2013 du conseil d'administration du SDIS du Rhône (mettant fin à sa concession de logement) était entachée d'illégalité au motif, d'une part, que les biens cédés appartenaient au domaine public du SDIS du Rhône et, d'autre part, à supposer que ces biens fassent partie du domaine privé du SDIS, que leur cession à un prix inférieur à leur valeur n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général et ne comportait pas des contreparties suffisantes. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, ni la durée de deux ans et dix mois, devant le tribunal administratif, ni celle de près de deux ans et quatre mois, devant la cour administrative d'appel, n'apparaissent excessives, et qu'en outre, la durée globale de la procédure de près de sept ans et trois mois, laquelle doit se calculer à compter de la date de saisine du tribunal administratif et non, comme le soutient M. D..., à compter de l'introduction de son recours gracieux, ne présente pas non plus de caractère excessif. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu et à demander, pour ce motif, la réparation des préjudices qu'il invoque. »

(14 mars 2022, M. D., n° 458257)

 

136 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

Le Conseil d’État fait application d’une jurisprudence bien établie dans le cadre d’un recours formé par une directrice d’école primaire afin d’obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé l’irrégularité de la décision lui retirant son emploi ainsi que celle des actes de gestion de sa fin de carrière.

Le juge rappelle – avec son réalisme habituel – qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public a normalement droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait d'une mesure illégalement prise, au plan procédural, à son encontre. Toutefois, s’il apparaît, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, que l’autorité compétente, en l’absence de cette irrégularité, aurait pris la même décision, il n’y a pas lieu à réparation puisque le préjudice allégué n’est pas la conséquence directe de l’illégalité.

Cette solution, ici intervenue en droit de la fonction publique, joue en toute matière.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

 

137 - Société d’avocats aux conseils – Responsabilité pour faute – Défaut de pourvoi en cassation contre deux arrêts – Absence de faute – Rejet.

Subrogée dans les droits de ses clients, la compagnie d’assurances requérante recherchait la responsabilité d’une société d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour n’avoir pas formé trois pourvois en cassation contre trois arrêts d’une cour d’appel. Il s’agissait, d’une part, d’un arrêt relatif à une pharmacie et, d’autre part, de deux arrêts relatifs à M. et Mme C., co-associés gérants de cette pharmacie ès qualités.

Pour dire n’y avoir lieu à faute et donc à responsabilité, le Conseil d’État retient qu’il y a bien eu échange de correspondances entre la société d’avocats et l’avocat de la pharmacie ainsi que de M. et Mme C., au sujet de trois pourvois et du montant des honoraires y relatifs, mais qu’il ressort des pièces du dossier que l’avocat de la société Allianz, tout en acceptant le montant desdits honoraires et chargé la société d’introduire le pourvoi contre l’arrêt déjà communiqué relatif à la pharmacie, n’a joint à cet envoi que les seules pièces afférentes à cet arrêt sans joindre aucun document ou autre relatif aux deux autres arrêts, qui concernaient les co-associés gérants de la pharmacie, M. et Mme C.

Par suite, le juge considère que, saisie d’un seul arrêt, la société d’avocats n’a commis aucune faute en n’introduisant le pourvoi que contre celui-ci à l’exclusion des autres arrêts.

La solution est surprenante car il tombe sous le sens que, recevant des honoraires d’un montant fixée par elle pour trois pourvois, la société d’avocats n’ait pas, à tout le moins, avisé ses clients de la distorsion entre ce montant et l’introduction d’un seul pourvoi. Il n’eût point été incongru d’apercevoir une faute dans ce défaut d’alerte de ses clients sur une incohérence manifeste quand bien même la société a fait parvenir son projet de mémoire à l’avocat des clients pour observations avant son dépôt, d’où il ressortait l’existence d’un seul pourvoi.

Reste pendante l’éventuelle recherche de la responsabilité de ce dernier avocat.

(15 mars 2022, Société Allianz IARD, n° 440753)

 

138 - Réparation des dommages imputés par un détenu aux conditions de sa détention – Conditions – Description circonstanciée et plausible de ces conditions par l’intéressé – Commencement de preuve – Renversement de la charge de la preuve – Absence de réponse - Annulation.

Une personne qui a été détenue durant trois mois environ dans un centre pénitentiaire a demandé en vain au tribunal administratif la réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de conditions de détention indignes.

Elle se pourvoit.

Après avoir rappelé qu’en principe il incombe à celui qui demande réparation d’établir, outre l’existence de préjudices, le fait qu’ils ont pour cause des fautes commises par une personne publique, le juge rend une solution très innovante en jugeant, ici, que la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Il en tire cette conséquence - qui équivaut quasiment à un renversement de la charge de la preuve – que c'est alors à l'administration d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur. Le jugement de rejet de la demande est ainsi entaché d’erreur de droit et annulé, cela d’autant plus que l'administration n'avait pas produit de mémoire en défense et n'avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur.

Si le ministre défendeur soutient détenir des éléments de nature à permettre la réfutation de ces faits et allégations, le Conseil d’État le renvoie à les développer devant la juridiction à laquelle l’affaire sera à nouveau soumise.

(21 mars 2022, M. F., n° 443986)

 

139 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances de l’aérodrome également subrogée à la fois aux droits de l’aérodrome, son assuré, et, par transaction aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

Pendant que se déroulaient sur l’aérodrome de Toulouse Blagnac, des travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste de cet aérodrome, un accident est survenu à un aéronef ayant heurté une balise temporaire sur la piste. L’assureur de la Société Aéroport de Toulouse Blagnac, subrogé dans les droits de son assuré, a recherché, d’une part, la responsabilité contractuelle des entreprises de construction sur le fondement du contrat de maîtrise d’œuvre qu’elles avaient conclu avec la société Aéroport de Toulouse Blagnac et, d’autre part, leur responsabilité extracontractuelle envers la compagnie propriétaire de l’aéronef.

Il convient ici de préciser que l’assureur avait conclu une transaction avec cette dernière et l’a dédommagée de son préjudice.

Alors que le tribunal administratif était entré en voie de condamnation des constructeurs, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement au motif que la demande dont il était saisi avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Les sociétés d’assurance et d’aéroport se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État aperçoit dans ces deux questions de responsabilité (contractuelle à l'égard du concessionnaire de l'aérodrome et extracontractuelle à l'égard de la victime du dommage) une difficulté sérieuse dont il décide de renvoyer l’examen au Tribunal des conflits pour déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître de chacune de ces actions en responsabilité.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

 

140 - Exposition à l’amiante pendant une durée assez longue – Impossibilité de s’y soustraire – Existence d’un préjudice d’anxiété – Conditions du droit à indemnisation – Cas d’agents de la marine nationale – Rejet.

Une nouvelle fois se trouve en cause l’amiante et ses graves effets sur la santé de ceux qui y ont été exposés.

C’est l’occasion pour le juge de revenir sur le préjudice d’anxiété et le régime de sa réparation.

Dans cette affaire, un agent de la Marine nationale s’est trouvé exposé durant sa carrière au risque d'inhaler des poussières d'amiante lors de ses affectations à bord de bâtiments de la Marine nationale car, d’abord, sur ces navires construits jusqu'à la fin des années quatre-vingts, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord ; ensuite, ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques leur étant imposées, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin.

La cour administrative d’appel en avait conclu « qu'en conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la Marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, étaient susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ». Par suite, elle a jugé que l’intéressé ayant été exposé de manière intensive, sans protection particulière, lors de ses affectations à bord de navires de la Marine nationale, à l'inhalation de poussières d'amiante pendant une durée totale d'environ huit ans et quatre mois, il avait ainsi été exposé à un risque élevé de développer une pathologie grave de nature à engendrer un préjudice d'anxiété indemnisable, alors même que ses fonctions de commis aux vivres n'étaient pas de nature, par elles-mêmes, à l'exposer à un tel risque. Il pouvait donc légitimement craindre de voir son espérance de vie diminuer du fait du manquement de son employeur à ses obligations de sécurité et avait ainsi droit à réparation de ce préjudice d’anxiété sans qu’il soit exigé de lui qu'il produise des preuves de manifestations pathologiques de son anxiété.

La ministre des armées se pourvoit en cassation : elle est déboutée.

Le Conseil d’État, dans une formulation de principe, décide que l’agent public, faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de provoquer pour lui un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Il n’a pas pour cela à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave : il lui suffit d’établir que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves. 

Tel est le cas des agents publics exposés durant plusieurs années, à raison de leurs fonctions, à intervenir ou à évoluer dans un environnement de matériaux et d’installations contenant de l’amiante, les conduisant ainsi à en inhaler les poussières s’en dégageant.

Tel est particulièrement le cas des marins de la Marine nationale « qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante ». 

Cette présomption – puisque c’est en réalité ce qu’elle est – de préjudice d’anxiété joue même à l’égard des personnes bénéficiant par ailleurs du dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (loi du 29 décembre 2015), lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d'espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante, l’éligibilité à ce dispositif justifiant de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à leur exposition à l'amiante. 

Par suite, la ministre ne saurait demander l’annulation de l’arrêt querellé qui ne comporte ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier.

Il faut relever la modicité de la somme de 5000 euros allouée en réparation du préjudice d’anxiété.

(28 mars 2022, Ministre des armées, n° 453378)

 

141 - Responsabilité hospitalière – Responsabilité pour faute – Détermination du montant dû par un centre hospitalier à une caisse de sécurité sociale à raison de ses débours nés du versement d’une pension d’invalidité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

À la suite d’une faute commise par un centre hospitalier, une caisse de sécurité sociale, amenée à verser une pension d’invalidité à la victime de cette faute, en a réclamé le remboursement à ce centre hospitalier.

Pour calculer le montant dû à la caisse, la cour administrative d’appel s’est bornée aà retenir l'intégralité du montant des arrérages et du capital versés par la caisse primaire et à y appliquer le taux de perte de chance qu'elle avait préalablement établi commettant ainsi une erreur de droit.

En effet, il lui incombait de déterminer d’abord le montant des préjudices subis par la victime du fait de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle de l'incapacité, puis de fixer, dans la limite de ce montant et en tenant compte du coefficient de perte de chance, la part de la pension d'invalidité qui devait être mise à la charge du centre hospitalier.

La cassation est prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale, n° 446822)

 

Santé publique

 

142 - Covid-19 – Apparition du variant omicron – Perte de nécessité du passe vaccinal – Demande de suspension d’une disposition du décret du 1er juin 2021 modifié – Rejet en l’état de la situation sanitaire.

Se fondant sur l’inutilité du passe vaccinal en raison de l’évolution des données sanitaires nationales, les requérants demandaient la suspension de l'exécution du I de l'article 47-1 du décret n° 2021-669 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans la version qui lui a été donnée par le a) du 5° de l'article 1er du décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022.

Pour rejeter la requête, le juge du référé suspension retient notamment qu’à la date à laquelle il statue et en dépit d’un net ralentissement de l’épidémie, la circulation virale demeure toujours importante puisqu’au « 20 février 2022, le taux d'incidence était de 832, 80 000 nouveaux cas ayant été en moyenne relevés par jour pour la semaine du 14 au 20 février 2022. Par ailleurs, 69% des admissions à l'hôpital sont dues au Covid-19 ainsi que 79% des admissions en soins critiques à l'hôpital, l'admission en hospitalisation conventionnelle approchant le nombre de patients atteint lors des pics des trois premières vagues épidémiques et dépassant ceux de la quatrième vague. Au niveau national, plus de la moitié de la capacité hospitalière est dédiée au traitement de patients atteints du Covid-19, l'activité hospitalière hors traitement épidémique étant de 20% inférieure à la moyenne d'avant la crise sanitaire. »

(ord. réf. 1er mars 2022, M. G. et autres, association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et association ADELICO, n° 461686)

(143) V. aussi, dans le même sens, ajoutant cette précision que les modifications incessantes de la définition du schéma vaccinal complet sont sans incidence sur la légalité des dispositions critiquées : ord. réf. 11 mars 2022, M. E., n° 461570.

 

144 - Personnes françaises handicapées – Accueil de ces personnes dans des établissements belges – Invitation à signer des conventions avec une Agence régionale de santé (ARS) – Demande de suspension – Rejet.

9 000 personnes handicapées de nationalité françaises sont hébergées dans des établissements belges, sur financement de l'assurance maladie française en raison, pour la plupart d’entre elles, du manque de capacités d'accueil en France, à proximité des familles.

Le gouvernement français a décidé de développer de nouvelles capacités d'accueil en France en vue de rapprocher les personnes handicapées de leurs familles et a annoncé un moratoire concernant la création de nouvelles places d'accueil pour les Français en Belgique. Enfin, il a proposé la signature d’une convention avec les établissements belges accueillant des Français, en vue de garantir la qualité de la prise en charge et de l'accompagnement de ces personnes.

L’association requérante, au moyen d’un référé liberté, poursuit l’annulation de l’ordonnance qui a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de la décision du le directeur général de l’ARS des Hauts-de-France l'invitant à signer sans délai deux conventions fixant, pour l'une la capacité maximale d'accueil de ressortissants français atteints de handicap et, pour l'autre, les garanties exigées de l'établissement en termes de qualité de prise en charge et d'accompagnement des personnes.

Le courrier indique que, faute de signature, le Centre national de financement des soins à l'étranger cesserait de financer les forfaits des personnes accueillies, qui seraient alors susceptibles d'être réorientées vers d'autres établissements.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du Conseil d’État statuant par voie d’appel relève qu’il a été précisé à l’audience de référé que le refus par l'association de signer les deux projets de convention n'entraînerait aucune interruption du financement par l'assurance maladie de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes handicapées hébergées aujourd'hui dans l'établissement.

Il relève également que si l’association requérante prétend qu’en cas d’impossibilité d’accueillir de nouveaux Français handicapés sa situation économique serait gravement bouleversée en raison de ce qu’est en cours de construction un bâtiment permettant d’accueillir 29 personnes supplémentaires, cependant elle ne fournit pas de documents comptables pertinents ni n’explique pourquoi ce bâtiment ne pourrait pas servir à l’accueil d’autres publics.

Enfin, les autorités françaises ne disposent en rien du pouvoir de retirer unilatéralement de l'établissement les personnes accueillies. Si le départ d'une personne handicapée de l'établissement peut être envisagé ce ne peut être qu’en raison de la nécessité de recueillir le consentement des principaux intéressés.

(ord. réf. 11 mars 2022, Association Etoile filante, n° 461750)

(145) V. aussi, même solution : ord. réf. 11 mars 2022, Association Étoile filante, n° 461752.

 

146 - Covid-19 – Décret du 29 octobre 2020 – Port obligatoire du masque pour les enfants à partir de six ans dans les établissements d’enseignement – Rejet.

Les recours joints tendaient à contester l’obligation du port de masques pour les enfants dès l’âge de six ans au sein des établissements d’enseignement.

Ils sont tous rejetés, certains pour tardiveté, d’autres pour absence de précisions en permettant l’examen, ceux retenus sont dirigés contre le décret du 29 octobre 2020.

Ce rejet ne surprendra pas l’observateur familier des solutions du juge administratif en cette matière : la mesure est justifiée par l’état de circulation du virus, elle n’est pas disproportionnée au regard de la menace à laquelle elle entend obvier et ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés qu’elle peut affecter.

(4 mars 2022, M. S., n° 446394 ; M. X. d’Abbadie d’Arrast, n° 446431 ; M. T. G. et M. B., n° 446907 ; M. F.J.B., n° 447212 ; Association Victimes coronavirus covid-19 France (AVCCF / Stop covid-19) et autre, n° 448209 ; M. I., n° 449472 ; M. AA., n° 449499 ; M. O., n° 449672 ; Mme P. épouse L., n° 450666 ; M. D.B., n° 451245 ; M. M., n° 453406)

(147) V. aussi, très comparable s’agissant de l’interdiction, par le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020, de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence à l'exception des déplacements qu'il mentionne : 4 mars 2022, M. A., n° 447451.

 

148 - Covid-19 – Certificat de rétablissement – Condition d’octroi non prévue – Inopérance du moyen - Proportionnalité de la mesure – Absence d’atteinte à l’égalité – Rejet.

Les requêtes jointes contestaient que le décret du 1er juin 2021, plusieurs fois modifié ou remanié, notamment dans la version qui lui a été donnée par le décret du 7 juin 2021, ne prévoit pas qu'un certificat de rétablissement puisse être délivré sur présentation d'un document mentionnant un résultat positif à un test sérologique attestant de la présence d'anticorps contre le virus SARS-CoV2. 

Le moyen est inopérant car depuis l’édiction de ce dernier texte s’appliquent désormais les dispositions postérieures du règlement (UE) du 14 juin 2021 du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats Covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de Covid-19.

Ensuite, en décidant de ne pas permettre l'accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels, aux personnes rétablies d'une contamination au SARS-CoV2 justifiant seulement d'un résultat positif à un test sérologique, le gouvernement n’a pas pris, eu égard en particulier, aux avis du comité scientifique (du 3 mai 2021) et de la Haute autorité de santé (17 juin 2021), une mesure disproportionnée.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté atteinte au principe d’égalité dès lors que des mesures différentes sont prises envers des personnes se trouvant objectivement en des situations différentes au regard de la finalité des mesures en cause.

(14 mars 2022, Mme D., n° 454794 ; Mme R., n° 455239, jonction)

 

149 - Covid-19 – Exercice de l’activité de libraire – Restrictions – Activité de cueillette dans la nature pour les besoins d’un commerce de restauration – Absence de restriction possible – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation des art. 4 et 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Elle contestait l’art. 37 de ce décret en ce qu’il l’empêcherait d’exercer son activité de libraire, la réduisant à la seule livraison ou au seul retrait de commandes. Son recours est rejeté par les moyens habituels et répétitifs : l’évolution de la situation, la circulation du virus, le caractère non-disproportionné des mesures prohibitives, etc.

La requérante contestait également l’art. 4 dudit décret en ce que ses dispositions lui interdisaient les déplacements, au-delà de la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre, pour cueillir des produits récoltés dans la nature et destinés à l'exercice de son activité de restauration, et de vente à emporter.  Sur ce point le recours est rejeté car il n’est pas fondé : une telle interdiction n’existe pas car sont autorisés par le 1° de cet art. 4 les déplacements à destination ou en provenance du lieu d'exercice d'une activité professionnelle. 

(17 mars 2022, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445882)

 

150 - Covid-19 – Régime des autotests scolaires (protocole sanitaire du 25 janvier 2022) – Modification postérieure à l’introduction du référé liberté – Modification sans effet sur l’objet de la requête – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Est rejeté le référé liberté dirigé contre le protocole sanitaire appliqué en école maternelle ou élémentaire, collèges et lycées à partir du 25 janvier 2022 contraignant les enfants scolarisés à effectuer trois autotests à J+0, J+2 et J+4 dès que l'un de leurs camarades de classe était testé positif à la Covid-19. 

Même si postérieurement à l'introduction de la requête, un nouveau protocole sanitaire, introduit le 11 février 2022, impose aux enfants d'effectuer un autotest seulement au deuxième jour après le contact avec la personne testée positive à la Covid-19, et non plus le jour même et le quatrième jour, cette circonstance n'est cependant pas de nature à priver la requête de son objet. 

Cependant, n’est pas apportée la démonstration qu’il serait porté, par-là, atteinte à une liberté fondamentale au sens et pour l’application par le juge administratif du référé liberté des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 7 mars 2022, M. A., n° 460830)

 

151 - Covid-19 – Institution du passe sanitaire – Document n’étant plus ni nécessaire ni proportionné – Non-démonstration de l’existence d’une situation d’urgence ou d’une atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Le recours contre le maintien du passe sanitaire doit être rejeté car n’est pas rapportée la preuve de l’existence d’une situation d’urgence, le référé tendant à faire juger que l’institution d’un passe sanitaire ne serait plus nécessaire ni proportionnée tout en portant atteinte à diverses libertés fondamentales.

(ord. réf. 10 mars 2022, Association Je ne suis pas un danger, n° 461969)

(152) V. aussi, assez voisin en substance, en tant qu’est rejetée la demande qu’il soit fait injonction au premier ministre de produire aux débats l'ensemble des éléments à sa disposition permettant d'établir ou tout du moins de corroborer que le passe vaccinal et le passe sanitaire présentent un caractère nécessaire pour la protection de la santé publique dans l'ensemble des établissements scolaires concernés ; le juge n’a aperçu dans cette requête aucun moyen de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées : ord. réf. 11 mars 2022, Mme Vogley épouse Castan, n° 462041.

(153) V. encore, rejetant la contestation du passe vaccinal et du passe sanitaire reposant sur divers motifs car aucun des moyen invoqués n’est de nature à faire douter de la légalité de la décision attaquée (art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans leur rédaction issue notamment des décrets des 22 janvier et 14 février 2022) : ord. réf. 11 mars 2022, M. Pierre Boileau, n° 462047.

(154) V. également, rejetant pour défaut d’urgence un référé tendant à la suspension du refus d’abroger l'article 2 du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 en ce qu’il affecterait le déplacement des gens du voyage : ord. réf. 16 mars 2022, Union défense active des forains et association France liberté voyage, n° 462146.

 

155 - Chute mortelle d’un patient dans un hôpital – Absence de défaut de surveillance – Existence d’une faute du service hospitalier pour défaut de recherche du placement de la victime dans un établissement psychiatrique – Erreur dans l’identification de la modalité de prise en charge – Erreur de droit - Annulation.

Un patient, âgé de 90 ans, admis dans un centre hospitalier et faisant l’objet d’un diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel, est décédé des suites d'une chute du balcon de la chambre voisine de celle qu'il occupait au sein du service de gériatrie de cet établissement.

La cour administrative d’appel, tout en constatant l’absence de défaut de surveillance de la part de l’hôpital, relève l’existence d’une faute de sa part. En effet, le service hospitalier où la victime avait été admise n'étant pas adapté à sa prise en charge, l’hôpital, qui avait effectué vainement des recherches en vue d'une admission en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a commis une faute en n’effectuant pas des démarches en vue de son admission en soins psychiatriques dès lors qu’il ne démontrait pas que l'admission en soins psychiatriques de personnes âgées atteintes de démence n'était pas justifiée en l’espèce.

Le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché « si la pathologie de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel dont souffrait M. B. relevait effectivement, en l'espèce, d'une telle prise en charge sanitaire ».

(30 mars 2022, Hospices civils de Lyon (HCL) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 438048)

 

Service public

 

156 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Répartition et conditions de désignation des membres – Collège des salariés – Représentation des artisans et des professions libérales – Représentation des syndicats agricoles – Rejets.

Diverses organisations professionnelles contestent le sort fait par le décret du 24 mars 2021 à leur représentation parmi les diverses catégories de membres du CESE. Leurs requêtes, jointes, sont rejetées.

En ne distinguant pas, dans le collège des salariés, entre salariés du secteur privé et fonctionnaires ou agents publics, le décret litigieux ne méconnaît aucune règle ou principe qui imposerait une telle distinction et il n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Ne saurait être contestée la répartition de ces sièges entre syndicats agricoles au motif qu’elle porterait atteinte au principe d'égalité car n'aurait pas été suivie à cette fin une méthode identique à celle retenue pour répartir les sièges des représentants des salariés entre leurs organisations syndicales.

De plus, si, pour répartir les sièges entre les neuf représentants des syndicats d’exploitants agricoles le décret attaqué devait tenir compte de leurs résultats aux élections professionnelles, il n'était pas tenu, contrairement à ce que soutient la Confédération paysanne, de les répartir selon la règle de la représentation proportionnelle.

Pareillement, dès lors que le pouvoir règlementaire s'estimait en mesure d'apprécier la représentativité des organisations professionnelles appelées à désigner des représentants des professions libérales au CESE, et alors même qu'aucun arrêté de représentativité des organisations professionnelles pour les professions libérales n'aurait été pris, il n'a en tout état de cause pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne diligentant pas, avant de désigner ces organisations, une enquête de représentativité.

En regroupant les représentants des artisans et des professions libérales, qui présentent des caractéristiques communes et peuvent le cas échéant être représentés par les mêmes organisations professionnelles, le décret attaqué, qui n'a supprimé aucune de ces deux catégories, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958, qui fixe les catégories de membres composant le CESE, et n'a pas commis non plus d'erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, dès lors qu’il ne restait plus qu’un seul siège à pourvoir dans la catégorie « professions libérales » on ne saurait dire illégal le choix fait par le décret de désigner la Chambre nationale des professions libérales plutôt que l'Union nationale des professions libérales, l’une et l’autre étant également représentatives de ces professions et alors que n’est démontrée aucune erreur manifeste d’appréciation.

(14 mars 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 452870 ; Union des entreprises de proximité (U2P), n° 452948 ; Confédération paysanne, n° 456822)

 

157 - Usager du service public – Adresse de domicile déclarée par lui – Adresse lui étant opposable - Obligation d’indiquer tout changement de domicile – Notion de déclaration de changement de domicile – Absence – Rejet.

L’usager des services publics indique à ceux-ci l’adresse de son domicile afin qu’y soient adressées les correspondances qu’ils lui destinent.

Cette déclaration d’adresse est faite sous la propre et exclusive responsabilité de son auteur. Cette exigence s’étend également à tout changement de l’adresse connue par ces services.

Toutefois, ne peut être considérée comme informant d’un changement de domicile que la communication qui en comporte expressément la mention.

Ainsi, la circonstance qu’une personne connue sous une unique adresse dans une commune indique travailler dans un autre département ne constitue pas une déclaration de changement de domicile et toute notification, transmission ou autre à cette adresse est valable et opposable à son destinataire avec les conséquences de droit qu’elle emporte.

(30 mars 2022, M. A., n° 454429)

 

Sport

 

158 - Dopage – Cycliste – Sanction encourue de quatre ans de diverses interdictions – Sanction ramenée à deux ans – Annulation – Rétablissement d’interdictions d’une durée de quatre années.

Une cycliste professionnelle, par ailleurs chargée de la section sport-études dans un lycée et alors vice-présidente de l'association française des coureurs cyclistes, a été contrôlée positive à une substance interdite.

La peine encourue est un ensemble d’interdictions d’une durée de quatre années. Toutefois, la commission des sanctions de l’AFLD a retenu que, selon les dires de l’intéressée, d’une part, elle ne se serait injectée qu’une seule dose, d’autre part, son geste aurait été commandé par la volonté de retrouver la confiance de son entraîneur sportif et d’obtenir le renouvellement de son contrat avec l'équipe Dolticini-Van Eyck pour des raisons purement sportives sans avoir à se soumettre aux pratiques humiliantes de son entraîneur, constitutives, selon elle, de harcèlement sexuel. La commission des sanctions de l’AFLD a donc réduit cet ensemble d’interdictions à deux années.

Sur recours de la présidente de l’AFLD, le Conseil d’État rétablit la durée de quatre ans d’interdiction prévue par les textes en relevant d’abord que selon les spécialistes, il n’y avait pas eu une seule injection mais au moins deux espacées de quelques jours, ensuite que l’intéressée n'a pas été écartée de l'équipe lorsqu'elle a cessé d'envoyer les photographies demandées par le directeur sportif de son équipe et a continué à être engagée sur plusieurs courses avec cette équipe et, enfin et peut-être surtout, que la commission des sanctions de l’AFLD s’était prononcée sur la seule base des affirmations de l’intéressée «  sans au demeurant avoir fait usage des pouvoirs d'instruction qu'elle tient des articles L. 232-93 et L. 232-94 du code du sport ».

(22 mars 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 450363)

 

Travaux publics et expropriation

 

159 - Demande d’autorisation d’occupation temporaire en vue de la réalisation de travaux publics – Loi du 29 décembre 1892 – Délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire impossible pour le préfet – Identique impossibilité pour le juge statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, à titre principal, l’autorisation d’occuper immédiatement, pour une durée de cinq mois, en vertu de la loi de 1892, la partie non bâtie d'une parcelle située à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), afin d'y installer le matériel, les machines et les matériaux nécessaires à la réalisation de sondages préalables aux opérations de construction de l'ouvrage d'entonnement OA7054, de procéder auxdits sondages et, à la fin de l'occupation, de remettre les lieux dans leur état d'origine.

Cette demande a été rejetée en raison de ce que, eu égard aux caractéristiques du terrain, l'article 2 de loi du 29 décembre 1892 faisait obstacle à ce que le préfet puisse délivrer l'autorisation demandée et qu'il en allait de même, par voie de conséquence, du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la circonstance que le préfet n'était pas compétent pour délivrer l'autorisation sollicitée n'était pas à elle seule de nature à faire regarder la demande comme irrecevable ou mal fondée, d’autant qu’elle n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de l’ordre administratif de juridiction. 

(8 mars 2022, Société du Grand Paris, n° 450162)

 

160 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Expropriation de parcelles situées dans le périmètre de la future ZAC - Avis rendu par le préfet de région sur ce projet – Insuffisance alléguée de l’étude d’impact – Appréciation sommaire des dépenses – Office du juge se prononçant sur le caractère d’utilité publique d’une opération conduisant à expropriation – Rejet.

La communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire d’une commune membre la ZAC « Ferney-Genève Innovation » et approuvé le dossier de création de la ZAC dont la réalisation a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014.

Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain, après enquêtes, a déclaré d'utilité publique les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la ZAC et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune. La commission d'enquête ayant émis un avis défavorable sur l'emprise du projet, ceci a conduit à une nouvelle enquête parcellaire à l'issue de laquelle, par un arrêté du 10 avril 2018, le préfet a déclaré cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la réalisation de la ZAC.

Par deux jugements du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes, d'une part, de la société Financière Ferney et autres, d'autre part, de l'association Église Évangélique de Crossroads, propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, tendant à l'annulation, respectivement, de l'arrêté du 22 juillet 2016 et de l'arrêté du 10 avril 2018. L'association Église Évangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres se pourvoient en cassation contre les arrêts du 12 novembre 2020 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leurs appels formés contre ces jugements.

Les pourvois sont joints.

L’arrêt attaqué ne faisant pas apparaître que le rapporteur public a été entendu à l’audience de jugement de ces deux requêtes, la preuve de la régularité de la procédure suivie n’est pas rapportée et les arrêts sont annulés.

Le Conseil d’État statue directement au fond sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Tous les moyens soulevés sont rejetés.

Est d’abord rappelée, pour être appliquée à l’espèce, la solution jurisprudentielle selon laquelle l'illégalité frappant la délibération créant une ZAC ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. 

Ensuite, s’agissant de la garantie d’indépendance de l’autorité émettrice de l’avis sur l’évaluation environnementale, qu’impose la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, le juge la considère comme respectée en l’espèce dès lors, d’une part, que l’avis a été rendu par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône, en qualité d'autorité environnementale, préparé et formalisé par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Rhône-Alpes et, d’autre part, que la déclaration d'utilité publique été prise par le préfet de l'Ain, après avoir été instruite par les services de la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture de l'Ain. Il est ainsi satisfait aux exigences de l’art. 6 de cette directive telle qu’interprétée par la jurisprudence de la CJUE.

Également, il est jugé que l’étude d’impact réalisée en 2015 et présentée dans le cadre du dossier de déclaration d'utilité publique était complète et suffisamment précise sur les incidences et les mesures environnementales au regard des caractéristiques d'ensemble du projet de ZAC telles qu'elles étaient connues à la date de l'enquête publique, y compris les modalités envisagées pour la création d'un réseau de chauffage. 

Encore, est rappelée la limite de l’exigence de précision requise de ce que les textes nomment eux-mêmes « appréciation sommaire des dépenses » figurant dans le dossier d’enquête publique, d’où le rejet du grief d’incomplétude et d’imprécision formulé sur ce point. Pas davantage n’est frappé du même défaut le rapport de la commission d’enquête.

Enfin, et c’était là l’aspect le plus important de cette affaire, le juge (qui n’est plus de cassation ici mais du fond par l’effet du recours à l’art. L. 821-2 CJA) entre dans une analyse minutieuse de ce qu’est l’office du juge lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers.

Celui-ci, ainsi saisi, doit obligatoirement examiner si l’opération répond à une finalité d'intérêt général, si l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.

Il doit ensuite, mais seulement s'il est saisi d'un moyen en ce sens, s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

Application de cette méthodologie du contrôle de l’utilité publique est alors effectuée dans la suite de la décision :

1° Le projet de création de la ZAC « répond à l'objectif d'intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, en favorisant la mixité sociale et le développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités et en contribuant à la limitation des trajets domicile-travail ».

2° Si les requérants font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, ce qui rendait inutile l’expropriation, ce projet privé ne permettait pas d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Par suite, l'inclusion de leurs parcelles dans le périmètre d'expropriation n’est pas, contrairement à ce qui est soutenu,  sans rapport avec cette opération. 

3° Les diverses atteintes (aux espèces animales, à l’activité agricole, à un lieu de culte existant) ont été prévues et assorties de mesures tendant à les réduire et, en tout hypothèse, ne sont pas excessives eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce projet.

(22 mars 2022, Association Église Évangélique de Crossroads, n° 448610 ; Sociétés Financière Ferney, Investissements Fonciers et Participations (IFP) et Ferjac et autres, n° 448619)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

161 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Rejet.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice subi du fait de cette illégalité et causé par le concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

L’action à fins indemnitaires a été rejetée par la cour administrative d’appel au double motif, d’une part, que les divers préjudices allégués comme devant être réparés étaient sans lien direct et certain avec l’illégalité de l’autorisation d’exploitation commerciale, et, d’autre part, que cette délivrance ne faisait pas obstacle, vu les circonstances de droit de l’espèce, à ce que la société demanderesse continue sa propre exploitation.

Le juge de cassation, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, rejette le pourvoi.

(2 mars 2022, Société Steso et M. J., n° 443276)

 

162 - Projet de plan local d’urbanisme (PLU) – Définition des modalités de la concertation – Décision de tenir la concertation jusqu’à ce que soit arrêté le PLU – Condition et régime de l’illégalité d’une reprise de la procédure d’élaboration sans nouvelle concertation - Bande des cent mètres - Projet de construction de logements – Illégalité alors même que cette bande est entourée de parcelles construites – Annulation partielle.

L’association requérante demandait, à la fois pour des motifs de procédure et pour des motifs de fond, l’annulation d’une délibération municipale approuvant le PLU de la commune. Parmi ceux-ci deux méritent attention, l’un étant rejeté et l’autre admis.

Au plan procédural, le juge rappelle que la commune qui a adopté une délibération définissant les modalités de la concertation en prévoyant que celle-ci doit avoir lieu jusqu'à l'arrêt du projet de plan local d'urbanisme, ne peut pas reprendre la procédure d'élaboration et arrêter un nouveau projet sans le soumettre à une nouvelle concertation. Toutefois, appliquant une jurisprudence désormais classique, il est précisé qu’un tel vice n'est de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'élaboration du projet que si ce vice a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet ou s'il a privé le public d'une garantie. Tel n’était pas le cas en l’espèce, comme cela a été jugé en appel et contrairement à ce que soutenait la requérante,

Sur le fond, le PLU prévoyait, s’agissant de l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, la réalisation sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction même s'il est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites, d'un ensemble immobilier de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Sans surprise, cette solution d’urbanisme est déclarée irrégulière et l’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier pour avoir jugé que cette partie du projet n’entraînait pas une densification significative des espaces dans lesquels il devait s'insérer…

(7 mars 2022, Association Cucq Trepied Stella 2020, n° 443804)

 

163 - Permis de construire – Régularité de l’omission de réponse à certains moyens - Existence d’une servitude de « cour commune » – Absence d’opposabilité de plein droit à une demande de permis de construire – Rejet.

De cette longue décision qui intéresse autant le droit de l’urbanisme que le droit du contentieux administratif seront seulement retenus deux points.

En premier lieu, il est rappelé, au plan procédural, que ne commet pas d’irrégularité le juge qui, quoique tenu, lorsqu’il rejette un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif rendu en matière d’urbanisme, de répondre à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant, omet de répondre à un moyen qui est soit inopérant soit non assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé soit assorti d'éléments insusceptibles de venir à son soutien. 

Ces trois situations se rencontrent dans cette décision.

En second lieu, il est également rappelé que si l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable, doit apprécier la légalité du projet en tenant compte des effets qu'attachent l'article L. 471-1 du code de l'urbanisme ou, le cas échéant, les prescriptions particulières légalement édictées que comporte un plan local d'urbanisme, à l'existence d'une servitude de « cour commune » sur le terrain d'assiette du projet ou un terrain voisin, une telle servitude n'est pas, par elle-même, opposable à la demande d'autorisation contrairement à ce qui était soutenu en l’espèce.

(17 mars 2022, Syndicat des copropriétaires du 26, rue d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447456 ; Syndicat des copropriétaires du 7, allée d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447536, jonction)

 

164 - Directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains (décret du 2 août 2005) – Intervention postérieure de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement – Appréciation actuelle de la juridicité de cette directive – Principe d’inconstructibilité dans les zones d’aléas dites d’affaissements progressifs ou principe de constructions conditionnées en dehors de ces zones par le plan de prévention des risques – Demande d’abrogation du décret de 2005 – Rejet.

La commune requérante demande l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement (DTA) des bassins miniers nord-lorrains en tant qu'il en approuve les orientations relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère.

Le litige soulevait la question du moment où le juge doit se placer pour apprécier la juridicité du décret critiqué. Celui-ci a été pris en 2005 pour porter approbation d’une DTA, notamment en ce que celle-ci, dans cette importante zone ex-minière, a prévu soit l’interdiction de construire sur les zones d’affaissements progressifs soit, dans les autres zones, une construction fortement contrainte en application du plan de prévention des risques. A l’époque où ce décret a été pris s’appliquaient les dispositions de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme. Puis, l’art. 13 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a substitué aux DTA les directives territoriales d'aménagement et de développement durables. Cependant, le III de cet article 13 décide que les DTA antérieures à la publication de la loi de 2010 conservent ceux de leurs effets résultant de la version antérieure à la loi de 2010 et de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme précité. Il était prévu également soit qu’elles puissent être modifiées en vue d’y intégrer les dispositions relatives aux nouvelles directives territoriales d'aménagement soit qu'elles soient supprimées par décret en Conseil d’État. 

Ensuite, l’art. 1er de l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme a supprimé, à compter de l'entrée en vigueur de cette modification, le 1er avril 2021, l'exigence de compatibilité des schémas de cohérence territoriale, ainsi que le cas échéant des plans locaux d'urbanisme, des documents en tenant lieu et des cartes communales, avec les directives territoriales d'aménagement.

Des dispositions applicables en la matière au jour où il statue le juge déduit le rejet de la requête.

Tout d’abord, en interdisant ou limitant strictement les possibilités de construire, comme indiqué plus, haut, la DTA ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'art. L. 111-1-1 du code de l’urbanisme.

Ensuite, la juridicité de cette DTA ne saurait être critiquée ni en ce qu’elle classerait la commune requérante comme commune significativement concernée par les zones d'aléas miniers, ni en fixant les règles d'inconstructibilité découlant de ce classement, lesquels résultent en l'espèce du plan de prévention des risques miniers du secteur de Jarny approuvé par arrêté préfectoral du 26 mars 2013. L’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou le caractère disproportionné des mesures restrictives en raison de la circonstance qu’aucun affaissement de terrain n’a eu lieu depuis plus de vingt ans ne sauraient être invoqués à l’encontre de cette DTA qui n’en est pas à l’origine.

Enfin, ce dernier élément, de fait, ne prive pas d’objet les dispositions de la DTA attaquée.

(21 mars 2022, Commune de Jarny, n° 439835)

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