Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Juin 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication de documents administratifs - Détermination des documents ayant cette nature - Correspondances (courriels) entre le maire et des élus municipaux relatives à des affaires soumises à délibération du conseil municipal - Distinction à opérer - Annulation.

Les échanges de correspondances (ici des courriels) entre un maire et des élus municipaux portant sur des sujets faisant l'objet de délibérations du conseil municipal ne sont communicables que si elles sont reçues ou adressées dans le cadre des fonctions exercées au nom de la commune, par le maire, ses adjoints ou les membres du conseil municipal auxquels le maire a délégué une partie de ses fonctions. Tel n'est pas le cas, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, des correspondances des élus locaux exprimant, notamment, des positions personnelles ou des positions prises dans le cadre du libre exercice de leur mandat électif car en ce cas elles ne peuvent nullement être regardées comme émanant de la commune.

La solution, d’application assez aisée, doit être approuvée.

(3 juin 2022, Commune d'Arvillard, n° 452218)

 

2 - Plateforme gouvernementale d'information sur internet - Refus d'un ministre de retirer de cette plateforme des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour connaître en premier et dernier ressort d'un recours contre ce refus - Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le refus d'un ministre de retirer d'une plateforme gouvernementale d'information sur internet des liens renvoyant vers des contenus proposés par certains sites étant une décision ne présentant pas un caractère réglementaire, le recours dirigé contre ce refus ne peut être porté en premier ressort devant le Conseil d'État (cf. art. R. 311-1 CJA).

Ce dernier renvoie donc l'affaire au tribunal administratif de Paris.

(3 juin 2022, Association "Pornostop", n° 453794)

(3) V. aussi, la solution retenue à propos d'un recours dirigé contre la décision du ministre de l'intérieur d'interdire la vente aux mineurs, la publicité et l'exposition à la vue au public de l'ouvrage "Apprendre le Tawhid aux enfants", prise sur le fondement de l'article 14 de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse : 3 juin 2022, Société Authenticia, n° 457453.

(4) V. également, rejetant comme ne relevant pas de la compétence directe du Conseil d'État un recours dirigé contre un acte non réglementaire, en l'espèce l'arrêté portant agrément d'une société en tant qu'éco-organisme de la filière à responsabilité élargie du producteur des huiles minérales ou synthétiques, lubrifiantes ou industrielles, tel que défini par l'article R. 543-3 du code de l'environnement : ord. réf. 9 juin 2022, Chambre syndicale du reraffinage et Société Compagnie française Eco-huile, n° 463769

 

5 - Décision individuelle dont l'octroi serait créateur de droit - Décision ne relevant manifestement pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d'État - Rejet.

Est manifestement irrecevable en tant qu'il est porté devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort, le recours tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail, une telle mesure constitue, en effet, une décision individuelle créatrice de droits.

(7 juin 2022, M. B., 464569)

(6) V. aussi, la solution identique retenue pour rejeter la demande de suspension de la décision de la commune de Niort procédant au retrait de l'autorisation de stationnement dont l'intéressé bénéficiait sur le territoire de la commune : 8 juin 2022, M. A., n° 464722.

 

7 - Acte de gouvernement - Refus du pouvoir exécutif de soumettre un projet de loi au parlement - Invocation sans effet de l'existence d'engagements internationaux de la France - Rejet.

L'association requérante avait demandé, en vain, au Ppemier ministre de permettre aux commerçants-artisans de pouvoir ester en justice contre les autorisations de construire de plus de 1000 m2 de surface de vente non soumis à autorisation d'exploitation commerciale. Elle a saisi le juge d'une demande d'injonction aux autorités compétentes de procéder, par la loi, à cette modification.

La réponse contenue dans la présente décision réitère une solution constante et classique : le refus du pouvoir excutif de déposer un projet de loi devant le parlement constitue un acte de gouvernement car il concerne les relations entre des pouvoirs publics constitutionnels. Il est précisé, en outre, ici, que cette solution jurisprudentielle n'est en rien affectée par la circonstance, comme en l'espèce, que la requérante invoque au soutien de sa requête les engagements internationaux de la France. Irrecevable, la demande principale est ainsi rejetée tout comme le sont, pour le même motif et par voie de conséquence, les demandes accessoires à celle-ci.

(15 juin 2022, Association En toute franchise région PACA, n° 447544)

 

8 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

Est illégal un tableau d'avancement de professeurs de lycée professionnel établi sur la base d'une note de service prise par un recteur d'académie et fixant des critères d'attribution de points dès lors que, comportant des mesures de nature statutaire et ajoutant à un décret, cette note est entachée d'incompétence et donc illégale.

Doit être annulé l'arrêt d'appel qui omet de relever d'office une telle irrégularité.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

 

9 - Obligation légale non respectée – Invocation d’une circonstance de force majeure – Situation non prévue par un texte – Rejet de l’exception – Erreur de droit – Annulation.

La requérante, pour justifier que le total de ses absences hors de Polynésie française a excédé le plafond de 90 jours fixé par  l'article 137 de loi du 30 décembre 2008 de finances rectificative pour 2008 pour les bénéficiaires de l’indemnité temporaire de retraite résidents de Polynésie française, invoquait l’exception de force majeure.

Pour rejeter sa demande le tribunal administratif retient qu’elle ne pouvait utilement se prévaloir d'un cas de force majeure non prévu par un texte.

Ce jugeant il commettait une erreur de droit car ainsi que le rappelle le Conseil d’État : « Un requérant peut utilement se prévaloir d'un cas de force majeure de nature à l'exonérer du respect d'une obligation légale, alors même que la loi ne réserve pas le cas de la force majeure. »

La force majeure n’est ni une règle ni un principe mais est inhérente – comme la respiration - à la nature des choses car « à l’impossible nul n’est tenu ».

(28 juin 2022, Mme A., n° 452627)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

10 - Administration numérique - Obligation de recourir à un téléservice pour accomplir une démarche administrative - Obligation sans effet sur les conditions légales  de délivrance des actes et autorisations - Exigence d'exercice effectif des droits des administrés et d'accès normal des usagers au service - Cas particuliers des étrangers et des porteurs de handicaps - Nécessité de prévoir des solutions de substitution - Illégalité de l'absence de telles solutions - Annulations partielles.

Etait en cause ici le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour qui modifie notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour ainsi que son arrêté d'application. 

Le Conseil d’État, dépassant le strict cadre du litige concret dont il était saisi fournit une réponse en même temps qu'un mode d'emploi complet du recours obligatoire au téléservice.

En principe, l'institution d'une obligation d'user du téléservice pour effectuer une démarche administrative et notamment obtenir une autorisation est légale dès lors qu'elle ne modifie pas les conditions existantes de délivrance des actes et ne concerne pas les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi. 

Cependant, il incombe aux pouvoirs publics d'assurer l'accès des individus aux systèmes de téléservice en vertu des dispositions de l'art. L. 112-9 du code des relations du public avec l'administration. Si les administrés ont le droit mais non l'obligation d'user du téléservice, le pouvoir réglementaire peut instituer une obligation d'accomplir des démarches administratives au moyen d'un téléservice. En soi, cette exigence ne contrevient pas aux divers droits ou principes invoqués par les demandeurs (principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant le service public et de continuité du service public, droit à la compensation du handicap, principe de non-discrimination et autres droits garantis par la Convention EDH, etc.).

Enfin, il incombe toutefois au pouvoir réglementaire de n'édicter une « telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement. »

Appliquant cette ligne générale d'interprétation et de conciliation au cas de l'espèce, le Conseil d'État annule le décret du 24 mars 2021 en tant qu'il ne prévoit pas de solution de substitution à la procédure de téléservice et l'arrêté du 27 avril 2021, en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France.

Non seulement ces annulations impliquent pour le ministre l'édiction d'une réglementation complémentaire mais encore, dans l'attente de son entrée en vigueur effective, il est fait obligation à l'autorité administrative, si un étranger venait à se trouver confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité. 

(Section, 3 juin 2022, Conseil national des barreaux, n° 452798 et 454716 ; La Cimade et autres, n° 452806, jonction)

(11) V. aussi, du même jour, l'important avis rendu par une décision de Section (le fait est notable) en réponse à des demandes d'avis des tribunaux administratifs de Montreuil et de Versailles portant sur l'étendue de la notion de téléservice (demande de rendez-vous, courriel à une administration via une adresse internet dédiée), sa nature ou non de traitement automatisé de données à caractère personnel, enfin, son caractère détachable ou non de la procédure de demande d'actes (ici de titres de séjour) : Avis, Section, 3 juin 2022, La Cimade et autres, n° 461694 et n° 461695 ; La Cimade et autres, n° 461922, jonction.

 

12 - Sanction infligée par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Personne ayant intérêt à contester cette sanction - Rejet.

Le Conseil d'État rejette - pour défaut d'intérêt - le recours de la société requérante qui était dirigé contre une sanction infligée par l'ARCEP à la société Free Caraïbes et tendait, d'une part, à l'annulation d’une sanction infligée par l'ARCEP à cette dernière société, et d'autre part, à la substitution à cette décision de sanction d'une autre décision aggravant la précédente.

En effet, lorsque l'ARCEP a décidé de mettre en demeure un exploitant, un fournisseur ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil, de se conformer dans un délai déterminé aux dispositions législatives et réglementaires afférentes à son activité ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre, seule la personne qui fait l'objet de cette mise en demeure a intérêt à la contester, quelle qu'en soit la teneur. 

La solution peut se discuter : un exploitant de réseau, un fournisseur de services ou un gestionnaire d'infrastructure d'accueil semble légitime à contester une sanction visant un tiers lorsque cette sanction, du fait de son irrespect de textes ou principes  ou de son insuffisance ou de son incomplétude, lui cause un préjudice ou l'aggrave. Sinon il lui faut quitter le terrain de l'excès de pouvoir, ou du contentieux de l'annulation, pour se porter sur celui du plein contentieux, ici celui de la responsabilité.

A l'inverse, on peut présenter cette solution comme manifestant la vigueur persistante de la distinction des contentieux que l'on sait être sérieusement discutée au sein même du Conseil d'État notamment.

(21 juin 2022, Société Outremer Télécom, n° 453266)

(13) V. aussi, admettant la recevabilité du recours de la même société dirigé contre la même partie adverse mais le rejetant au fond en tant qu'il visait à l'annulation de la décision de l'ARCEP ayant renoncé à demander une modification de l'accord de mutualisation de réseaux mobiles conclu entre les sociétés Digicel French Caribbean et Free Caraïbe et à ce que le juge administratif enjoigne à l'ARCEP d'adopter, dans un certain délai, une décision visant à la modification de cet accord afin d'assurer le respect des objectifs de la régulation et des obligations souscrites par les parties dans le cadre de leurs autorisations de fréquences : 21 juin 2022, Société Outremer Télécoms, n° 453528.

 

14 - Loi du 6 janvier 1978 (dite informatique et libertés), art. 82 – Manquements à cette disposition – Sanction pécuniaire infligée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Invocation d’irrégularités, d’illégalités et d’inconventionnalités diverses – Rejet.

Condamnée à 35 millions d’euros de pénalité assortis d’une injonction sous astreinte et d’une publication de la décision, la société requérante invoque de nombreux griefs, tous rejetés, comme aussi sa demande de renvoi de huit questions préjudicielles à la CJUE.

 

I - Tout d’abord il est jugé que la CNIL était compétente pour prendre la décision querellée sans que puisse être invoquée à l’encontre de cette compétence l'absence d’application du mécanisme du « guichet unique » défini à l'article 56 RGPD, s’agissant de traitements transfrontaliers. Les mesures de mise en œuvre et de contrôle de la directive du 12 juillet 2002 ne relèvent que de la compétence des autorités nationales de contrôle en vertu de l'article 15 bis de cette directive.

Par suite, pour ce qui concerne le contrôle, au regard des dispositions ayant transposé les objectifs de la directive précitée, des opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs en France d'un service de communications électroniques, même procédant d'un traitement transfrontalier, le mécanisme du « guichet unique » ne s'applique pas. La CNIL, qui n’a pas entaché sa décision d'inexactitude matérielle des faits ni ne s’est méprise sur le champ des opérations soumises à son contrôle, ne saurait, non plus, se voir reprocher de n’avoir pas mis en œuvre le mécanisme du « guichet unique » prévu par le RGPD.

II - Ensuite, concernant l’art. 3 de la loi de 1978, la requérante met en cause sa compatibilité avec le droit de l’Union. Le Conseil d’État livre d’abord ex-ante son interprétation de l’article 3, examine ensuite sa compatibilité et, enfin, ex-post, vérifie son application à l’espèce.

Le Conseil d’État estime que cette disposition qui , en son I, déclare s’appliquer « aux traitements des données à caractère personnel effectués dans le cadre des activités d'un établissement d'un responsable du traitement ou d'un sous-traitant sur le territoire français, que le traitement ait lieu ou non en France », s’applique donc sans préjudice, en ce qui concerne les traitements entrant dans le champ du RGPD, des critères prévus par les paragraphes 2 et 3 de l'article 3 de ce règlement. Au reste, il découle de la jurisprudence européenne (CJUE, 5 juin 2018, Unabhängiges Landeszentrum für Datenschutz Schleswig-Holstein contre Wirtschaftsakademie Schleswig-Holstein GmbH, aff. C-210/16) y compris celle forgée sur le I de l’art. 3 du RGPD (CJUE 15 juin 2021, Facebook Ireland Ltd e.a., aff. C-645/19) qu'au vu de l'objectif poursuivi par cette directive et par ce règlement, consistant à assurer une protection efficace et complète des libertés et des droits fondamentaux des personnes physiques, notamment du droit à la protection de la vie privée et à la protection des données à caractère personnel, un traitement de données à caractère personnel peut être regardé comme effectué « dans le cadre des activités » d'un établissement national non seulement si cet établissement intervient lui-même dans la mise en œuvre de ce traitement, mais aussi dans le cas où ce dernier se borne à assurer, sur le territoire d'un État membre, la promotion et la vente d'espaces publicitaires permettant de rentabiliser les services offerts par le responsable d'un traitement consistant à collecter des données à caractère personnel par le biais de traceurs de connexion installés sur les terminaux des visiteurs d'un site.

L’art. 82 de la loi de 1978 s'applique aux opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs d'un service de communications électroniques en France lorsque le responsable de ce traitement y dispose d'un établissement et que ce traitement est effectué dans le cadre des activités de cet établissement. Pas davantage la directive de 2002 ne fait obstacle à ce que la CNIL, autorité nationale compétente en France, sanctionne ce responsable en cas de manquements aux dispositions de cet article 82 commis au préjudice de ces utilisateurs. 

Au reste, cet article, qui vise à garantir l'effectivité des dispositions de la directive de 2002 et à assurer une protection efficace des libertés et des droits fondamentaux des utilisateurs des terminaux concernés en France, s'applique quel que soit le lieu de l'établissement principal de ce responsable : l’art. 82 ne saurait en tout état de cause constituer une entrave à la libre prestation de services prohibée par l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, pas davantage qu'une entrave à la liberté d'établissement interdite par l'article 49 du même traité. Les dispositions de la directive de 2002, en ce qu'elles ne font pas obstacle à une telle législation, ne sont pas davantage de nature à constituer une telle entrave.

Enfin, il est établi par l’instruction qu’à la date de la décision de la CNIL attaquée la société Amazon Online France, dont il n'est pas contesté qu'elle constitue un établissement de la société Amazon Europe Core en France, exerçait une activité de promotion et de commercialisation d'outils publicitaires contrôlés et exploités par la société Amazon Europe Core, fonctionnant notamment grâce aux données collectées par le biais des traceurs de connexion déposés sur les terminaux des utilisateurs du site « amazon.fr » en France. Ainsi, la formation restreinte de la CNIL a fait une exacte application des dispositions de cet article 3 en déduisant de ces éléments que le traitement de données mis en œuvre par la société Amazon Europe Core était effectué dans le cadre des activités de son établissement Amazon Online France situé en France, au sens de l'article 3 de la loi du 6 janvier 1978 et n'a donc pas, contrairement à ce qui est soutenu, insuffisamment motivé sa décision sur ce point.

III – La procédure suivie et au terme de laquelle a été prise la décision de sanction critiquée a été en tous points régulière. La société requérante ne peut sérieusement soutenir :

- d'une part, qu'elle n'a pas été suffisamment informée du champ des contrôles effectués et des faits ayant fondé la sanction,

- et, d'autre part, que la mention du RGPD dans ces documents l'aurait induite en erreur, alors surtout que le consentement requis par l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 est défini par le RGPD, conformément aux dispositions du f) de l'article 2 de la directive de 2002. 

La requérante ne saurait davantage soutenir que l'obligation dans laquelle elle s'est trouvée de répondre à une demande d'information des services de la CNIL à une date à laquelle un rapporteur avait été désigné, sans qu'elle en soit encore informée, aurait caractérisé une violation de son droit à ne pas s'auto-incriminer et, alors qu’elle a bénéficié au total d'un délai de six mois pour présenter sa défense, que la procédure serait à ce titre irrégulière.

Semblablement, la société requérante n'est pas fondée à soutenir, alors même que le procès-verbal du contrôle en ligne effectué le 19 mai 2020 par les services de la CNIL ne mentionne pas qu'il a été demandé par le rapporteur, que la procédure aurait été conduite en méconnaissance de l'article 39 du décret du 29 mai 2019.

IV – Aucune violation de l’art. 50 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE n’est ici en cause contrairement à ce qui est allégué. Ne saurait être retenue l’affirmation par la requérante qu'en engageant une procédure de contrôle et de sanction portant sur la mise en œuvre de traitements de données à caractère personnel qui faisaient déjà l'objet de poursuites de la part de l'autorité luxembourgeoise de protection des données à raison des mêmes faits, la formation restreinte de la CNIL a méconnu le principe, tel que garanti par l'article 50 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, selon lequel une même personne ne peut faire l'objet de plusieurs poursuites à raison des mêmes faits. En effet, ce principe ne s’applique, conformément à l’interprétation qu’a donné de cet art. 50 la CJUE (26 février 2013, Aklagaren c/ Akerberg Fransson, aff. C-617/10 ; 3 avril 2019, Powszechny Zaklad Ubezpieczen na Zycie SA, aff. C-617/17 ;  22 mars 2022, bpost SA c/ Autorité belge de la concurrence, aff. C-117/20) que lorsqu'une procédure à caractère pénal, au sens de ces dispositions, est définitivement close, notamment lorsqu'une sanction pénale est devenue définitive, ce qui suppose qu'une décision a été rendue à la suite d'une appréciation portant sur le fond de l'affaire et n'est plus susceptible de recours, que ces dispositions s'opposent à ce que des poursuites de nature pénale pour la même infraction soient par la suite diligentées contre une même personne et, le cas échéant, qu'une sanction à caractère pénal soit prononcée. 

Tel n’est, bien évidemment, pas le cas de la société requérante en l’état.

V - Enfin, le recours est rejeté également sur deux autres points.

D’abord, la caractérisation du manquement à l’art. 82 en matière de « cookies » est certaine car ainsi que le relève la CNIL « d'une part, quel que soit le parcours de l'utilisateur - que celui-ci se rende directement sur le site « amazon.fr » ou qu'il se rende sur une page « produit » du site via une annonce -, plus de quarante « cookies » poursuivant une finalité publicitaire étaient déposés sur le terminal de l'utilisateur préalablement à toute action de sa part et que, d'autre part, l'information délivrée par la société s'agissant des opérations d'accès ou d'inscription des « cookies » était soit incomplète, soit inexistante ». Vainement, est invoqué le caractère non clair et stabilisé du cadre juridique applicable aux traceurs de connexion car c’est le II de l’art. 32 de la loi de 1978 qui posait déjà le principe d'un consentement préalable au dépôt des « cookies », celui d'une information claire et complète de l'utilisateur, ainsi que d'un droit d'opposition. 

Ensuite, la sanction infligée n’est en rien disproportionnée compte tenu de la gravité des manquements commis, des avantages obtenus par la société grâce à ces manquements et du chiffre d'affaires annuel mondial de la société Amazon Europe Core sur lequel la CNIL s'est fondée, estimé à 7,7 milliards d'euros.

La sanction porte donc sur 0,0045 % de ce dernier chiffre.

Beaucoup de contribuables français en infraction souhaiteraient être traités avec une aussi incommensurable mansuétude.

(27 juin 2022, Société Amazon Europe Core, n° 451423)

 

15 - Traitement de données de santé – Passage du système « StopCovid » au système « TousAntiCovid » - Respect de la vie privée – Exigences s’imposant aux traitements de données personnelles – Double enregistrement de données sur un serveur distinct – Finalité légitime – Traitement adéquat et proportionné au regard de ces finalités – Rejet.

L’association requérante contestait la légalité du décret du 12 février 2021 modifiant le décret du 29 mai 2020 relatif au traitement de données dénommé « StopCovid ».

Le recours est rejeté.

 

L’association soutenait tout d’abord, pour l’essentiel, que la mise en place, par le décret attaqué, d'une localisation par « QR-code » des personnes physiques est insuffisamment encadrée en ce qui concerne des lieux pouvant révéler des données sensibles et qu'une identification des personnes est possible à partir de l'enregistrement des lieux qu'elles ont fréquentés.

Le moyen est rejeté en premier lieu car la nouvelle fonctionnalité introduite dans l'application n'autorise pas la mise en œuvre d'un suivi des déplacements de l'utilisateur mais se borne à permettre l'enregistrement, à partir de protocoles différents et sur un serveur distinct et séparé de celui permettant le suivi des contacts, de données permettant d'informer les utilisateurs qu'ils ont fréquenté un lieu où se trouvait pendant la même période de temps une personne dépistée positive à la Covid-19. Il est rejeté en second lieu car le décret prévoit que ces données sont conservées sur le serveur central et sur le téléphone de l'utilisateur pendant quinze jours à compter de leur enregistrement sur ce téléphone et que l'utilisateur a la possibilité, depuis son terminal, de supprimer de son historique tout lieu visité.

Le juge en déduit que le risque d'identification indirecte susceptible de résulter de l'enregistrement de ces lieux sur le serveur, même dans le cas de personnes ayant eu un très faible nombre de contacts ou ayant fréquenté des lieux où se trouvaient un faible nombre de personnes au cours de la même période, est particulièrement limité.

 

La requérante contestait ensuite le décret litigieux en ce qu’il autoriserait un double enregistrement de données sur des serveurs distincts et sans que cela apparaisse nécessaire et efficace au vu des finalités poursuivies. Le moyen ne convainc pas le juge pour qui l'introduction de la nouvelle fonctionnalité d'enregistrement des visites par l'utilisateur de certains lieux ouverts au public est utile pour lutter plus efficacement contre l'épidémie de Covid-19 et l'existence de deux serveurs distincts sans possibilité de communication de l'un à l'autre constitue une garantie pour limiter les atteintes à la vie privée et protéger les données. 

(27 juin 2022, Association Dataring, n° 451655)

 

Biens

 

16 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Mise en demeure de se mettre en conformité - Mise en demeure constituant un acte sans effets juridiques - Impossibilité de la contester par voie de recours contentieux - Nécessité de recourir à la procédure d'établissement d'une contravention de grande voirie puis, le cas échéant, d'en assurer l'exécution forcée - Rejet.

Rappel d'un aspect du droit domanial souvent négligé tant par les administrations que par les occupants de certaines dépendances du domaine public naturel : la procédure de contravention de grande voirie est ici la seule procédure permettant d'exiger d'un occupant irrégulier de ce domaine l'exécution des mesures prescrites en vue de sa remise en état.

Une simple mise en demeure, même circonstanciée, précise et fixant un délai, est toujours impuissante à obtenir un tel résultat car elle dépourvue d'effets juridiques propres. D'où cette conséquence logique qu'une telle mise en demeure ne saurait être contestée devant le juge de l'excès de pouvoir faute qu'elle revête le caractère d'une décision.

(14 juin 2022, Société anonyme immobilière de la Pointe du Cap Martin, n° 455050)

 

Collectivités territoriales

 

17 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

L'article 7-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version applicable jusqu'à son abrogation par la loi du 6 août 2019, disposait notamment : « Les règles relatives à la définition, à la durée et à l'aménagement du temps de travail des agents des collectivités territoriales et des établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 sont fixées par la collectivité ou l'établissement, dans les limites applicables aux agents de l'État, en tenant compte de la spécificité des missions exercées par ces collectivités ou établissements. (...)

Les régimes de travail mis en place antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale peuvent être maintenus en application par décision expresse de l'organe délibérant de la collectivité ou de l'établissement prise après avis du comité social territorial, sauf s'ils comportent des dispositions contraires aux garanties minimales applicables en matière de durée et d'aménagement du temps de travail ».

L'art. 47 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique  dispose désormais en son I. :

« I.- Les collectivités territoriales et les établissements publics mentionnés au premier alinéa de l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ayant maintenu un régime de travail mis en place antérieurement à la publication de la loi n° 2001-2 du 3 janvier 2001 relative à la résorption de l'emploi précaire et à la modernisation du recrutement dans la fonction publique ainsi qu'au temps de travail dans la fonction publique territoriale disposent d'un délai d'un an à compter du renouvellement de leurs assemblées délibérantes pour définir, dans les conditions fixées à l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, les règles relatives au temps de travail de leurs agents. Ces règles entrent en application au plus tard le 1er janvier suivant leur définition. » (...)

Les communes requérantes soutenaient que ces dernières dispositions portent à la libre administration des collectivités territoriales et à la liberté contractuelle une atteinte disproportionnée que ne justifierait aucun motif d'intérêt général.

Convaincu de ce que la question peut être regardée comme nouvelle, le Conseil d'État en accepte la transmission.

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

 

18 - Démission d'un membre du conseil municipal - Conditions de forme - Absence d'information du maire - Démission inexistante - Rejet.

L'art. L. 2121-4 du CGCT impose que la démission d'un membre du conseil municipal soit adressée au maire. En l'absence de la preuve d'une telle information ne peut être réputé démissionnaire le membre du conseil municipal qui se prétend tel.

(3 juin 2022, M. J. et M. d'Aldéguier, Élections municipales de la commune de Montesquieu-Lauragais, n° 461722)

 

19 - Obligation d’un taux minimum de logements locatifs sociaux – Taux cible ramené à 20% en certains cas – Décret fixant les valeurs des ratios de calcul – Contestation – Rejet.

Le I de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation impose aux communes dont la population atteint un certain seuil de population et qui sont englobées dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants d'atteindre, au plus tard en 2025, un taux de 25 % de logements locatifs sociaux en regard des résidences principales.

Le II de cet article institue une dérogation à ce taux, réduit à 20%, dans deux hypothèses. En premier lieu, lorsque le parc de logements existant ne justifie pas un effort de production supplémentaire pour répondre à la demande et aux capacités à se loger des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées. En second lieu, pour les communes de plus de 15 000 habitants dont le nombre d'habitants a crû dans des conditions et sur une durée fixées par décret et qui n'appartiennent pas à une agglomération ou à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comportant une commune de plus de 15 000 habitants, lorsque leur parc de logements existant justifie un effort de production pour répondre à la demande des personnes concernées.

En conséquence, un décret fixe, au début de chacune des périodes triennales, la liste des agglomérations ou des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés, dans lequel s’applique ce taux cible de 20% de logements locatifs sociaux.

Le décret du 6 août 2020 fixe, pour la période triennale 2020-2022, les valeurs des ratios permettant de déterminer la liste des agglomérations, des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et des communes mentionnés au II de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation et détermine la liste des communes bénéficiant d'un taux cible dérogatoire de 20 % de logements locatifs sociaux en regard du nombre de résidences principales, en fonction de la moyenne arithmétique sur les trois dernières années du rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels hors mutations internes dans le parc locatif social de la collectivité concernée.

La commune de Montauban et la communauté d'agglomération du Grand Montauban demandent au Conseil d’État l’annulation de ce décret pour excès de pouvoir en tant qu’elles ne figurent pas au nombre des collectivités mentionnées sur la liste établie par le décret précité.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, les requérantes ne sauraient exciper de l’illégalité du décret du 27 juin 2019 sur la base duquel a été pris le décret attaqué du 6 août 2020. En effet, le décret de 2019 a modifié les modalités de calcul du ratio servant de base à la détermination du taux d'obligation de logements locatifs sociaux, en disposant que ce dernier est désormais calculé à partir de la moyenne arithmétique, sur les trois dernières années de référence, entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. En retenant cette modalité de calcul en lieu et place de la précédente qui consistait en un calcul du même ratio à une date fixe, le pouvoir règlementaire a entendu améliorer la prévisibilité des obligations incombant aux collectivités concernées en lissant les variations ponctuelles du ratio occasionnées par des modifications non structurelles sur le parc locatif et n'a pas méconnu les objectifs fixés par le législateur. Si la modalité de calcul choisie se fonde sur une moyenne arithmétique sur trois ans du ratio précité, cette moyenne demeure fondée sur le rapport entre le nombre de demandes de logements sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social de la collectivité en cause. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, le décret attaqué, en fixant, pour pouvoir bénéficier de la dérogation au taux de 25 % de logements locatifs sociaux, des taux de pression distincts en fonction de la situation des collectivités concernées au regard de la taxe sur les logements vacants ou du statut de commune dite isolée, a apporté un traitement différent à des communes placées dans des situations différentes, en fonction de critères objectifs et rationnels, assis sur les caractéristiques démographiques et géographiques et sur le degré de tension sur l'accès au logement constaté dans ces collectivités, en rapport avec l'objectif de la règlementation mise en œuvre. Ainsi, le décret attaqué ne méconnaît pas le principe d'égalité.

Egalement, le Conseil d’État croit pouvoir rejeter le moyen tiré de ce que la Cour des comptes, dans son rapport annuel de février 2020, a dénoncé l'existence de lacunes statistiques dans le cadre de l'exploitation des données provenant du système national d'enregistrement, prévu par l'article L. 441-2-1 du code de la construction et de l'habitation, pour l'établissement du ratio entre le nombre de demandes de logements locatifs sociaux et le nombre d'emménagements annuels, hors mutations internes, dans le parc locatif social. Il considère que cette circonstance « n'est pas par elle-même de nature (…) à rendre illégales les dispositions de la dernière phrase du premier alinéa du II et du deuxième alinéa du III de l'article R. 302-14 du code de la construction et de l'habitation qui prévoient le recours à des extractions de données provenant de ce système pour l'établissement de ce ratio ». On peut trouver l’argumentation plus expédiente (ne pas contraindre l’administration à de longs et fastidieux et di

fficiles nouveaux calculs) que convaincante car c’est bien le vice intrinsèque résultant de données lacunaires qui est, par lui-même, le cas échéant, de nature à miner l’entier système normatif fondé sur lesdites données.

Pas davantage n’est retenu le moyen, corrélé au précédent, que cette non fiabilité des chiffres a engendré la non inclusion des collectivités requérantes sur  la liste de celles relevant du taux cible de 20%. Le juge a beau jeu, mais c’est un sophisme ici, de dire que cette argumentation « n’est au demeurant pas appuyée sur un constat précis » : comment exiger un tel constat alors que la base de ce constat, estimée lacunaire, n’est par hypothèse, pas discutable ?

C’est une illustration remarquable de la théorie de l’impossibilité de rapporter la preuve exigée.

Enfin, la circonstance d’une pandémie justifie que le décret litigieux n’ait pas été publié au début de la période triennale comme exigé par les textes mais seulement au mois d’août 2020 : l’excuse épidémique a bon dos, celle-ci ayant débuté en fin du premier semestre 2020 or trois mois contenaient bien « le début de la période triennale »…

(24 juin 2022, Commune de Montauban et communauté d'agglomération du Grand Montauban, n° 445183)

 

Contrats

 

20 - Concession - Dépôt d'une candidature par voie électronique - Candidature rejetée pour cause de tardiveté - Candidat justifiant de ses diligences pour effectuer le téléchargement de sa candidature et du fonctionnement normal de son équipement informatique - Rejet.

La solution retenue est ici applicable à une procédure contractuelle mais elle est transposable mutatis mutandis à toute procédure comportant une nécessité de téléchargement. Elle est au reste parfaitement justifiée.

La candidature d'une société à une concession a été rejetée pour cause de tardiveté dans sa réception or celle-ci soutient avoir effectué les diligences nécessaires en vue du téléchargement et disposer d'un matériel informatique en état de fonctionnement normal.

Le recours est rejeté car si l'un des deux liens hypertextes indiqués par la collectivité ne permettait pas le téléchargement d'une candidature, l'autre lien, également mentionné dans le règlement de la consultation, fonctionnait correctement et avait d'ailleurs permis la remise en temps utile de plusieurs candidatures. 

(3 juin 2022, Société Saur, n° 461899)

 

21 - Contentieux contractuel - Accord cadre portant sur un lot de transport d'élèves et d'étudiants  handicapés - Lot  divisé en circuits attribués par répartition entre trois sociétés - Décision de la collectivité de ne pas reconduire cet accord cadre avec l'une des sociétés - Demande d'annulation des accords subséquents - Ordonnance de référé annulant l'accord cadre - Annulation pour avoir statué ultra petita - Action en réalité irrecevable – Rejet.

Une collectivité territoriale, a conclu un accord cadre portant sur un lot ayant pour objet le transport scolaire pour élèves et étudiants en situation de handicap, les dix circuits de transports étant répartis entre trois sociétés par marché d'une durée d'un an renouvelable trois fois. A l'expiration de la première année, la collectivité informe l'une de ces sociétés qu'elle ne reconduira pas l'accord cadre avec elle. En conséquence, cette dernière n'est pas consultée lors de l'attribution des marchés subséquents. Elle saisit le juge du référé d'une action en annulation desdits marchés ou, subsidiairement, à ce qu'il ordonne l'une des mesures alternatives prévues à l'art. L. 551-19 du CJA. Ce juge annule l'accord cadre.

Le Conseil d'État casse l'ordonnance pour avoir statué ultra petita puisque le requérant n'a demandé que l'annulation des marchés subséquents non l'annulation de l'accord cadre sur la base duquel ils ont été passés.

Réglant le litige au fond, le Conseil d'État relève d'office l'irrecevabilité de la demande formée devant le juge des référés car le demandeur n'a ni sollicité la suspension de la décision de mettre fin à ses relations contractuelles avec la collectivité Alsace ni, non plus, saisi le juge d'une action en reprise des relations contractuelles. Partant, il n'était plus titulaire de cet accord cadre et, partant, il se trouvait sans intérêt pour contester les marchés pris pour son exécution.

(3 juin 2022, Collectivité européenne d'Alsace venant aux droits du département du Bas-Rhin, n° 462256)

 

22 - Marché à prix global et forfaitaire - Régime des sujétions imprévues - Régime des travaux supplémentaires - Indemnisation aux conditions habituelles - Annulation partielle.

Double rappel de ce que dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire son titulaire a droit à être indemnisé  :

1° des dépenses exposées en raison de sujétions imprévues, c'est-à-dire de sujétions présentant un caractère exceptionnel et imprévisible et dont la cause est extérieure aux parties, si ces sujétions ont eu pour effet de bouleverser l'économie générale du marché ;

2° au titre de travaux supplémentaires effectués, que ceux-ci l'aient été même sans ordre de service, dès lors que ces travaux étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art ou que ceux-ci aient été utiles à la personne publique contractante lorsqu'ils sont réalisés à sa demande.

(10 juin 2022, Société VATP, n° 451334)

 

23 - Convention entre un médecin ne relevant pas du statut de praticien statutaire à temps plein - Conclusion d'une convention d'exercice libéral au sein d'un hôpital entre ce dernier et ce médecin - Fixation contractuelle du taux d'une redevance devant être versée à l'hôpital par le médecin - Taux illégal - Décision de l'hôpital mettant rétroactivement à la charge du médecin le paiement de la différence entre les deux taux, illégal ou légal - Illégalité de la décision en raison de sa rétroactivité - Nécessité de recourir au juge pour lui donner cette portée - Rejet.

Cette très intéressante décision donne l'occasion de rappeler les profondes différences séparant l'acte unilatéral du contrat en droit administratif. Même si sont reconnues d'importantes prérogatives à l'administration contractante, le contrat demeure un acte mettant d'abord en jeu des droits purement subjectifs qui viennent, en de nombreux cas, limiter les pouvoirs unilatéraux de l'administration. La présente affaire en constitue une excellente illustration.

Un médecin qui n'y exerce pas à plein temps mais seulement un jour et demi par semaine ainsi que des tours de garde et d'astreintes, conclut avec l'hôpital qui l'emploie, le 28 décembre 2009, une convention prévoyant notamment qu'il devra verser à ce dernier 16% sur les actes réalisés au titre de son activité libérale au sein de l'établissement. Les 11 juillet 2017, 20 septembre 2017 et 16 avril 2018, à la suite de divers actes, l'hôpital émet un titre exécutoire à portée rétroactive assis non sur le taux contractuel de 16% mais sur celui de 30% qui est, en effet, celui prévu par la réglementation (arrêté du 28 mars 2011). L'hôpital estime que la clause portant taux de 16%  est « nulle et non écrite ».

Mais un contrat n'est pas une décision unilatérale...

Tout d'abord, l'arrêt d'appel est annulé pour s'être fondé sur le fait que l'intéressé détenait des droits définitivement acquis en application de la décision individuelle dont il avait fait l'objet. Précisément, la théorie des droits acquis ne s'applique qu'aux actes unilatéraux et le praticien n'a jamais fait l'objet d'une « décision individuelle » puisque engagé dans une relation contractuelle.

Ensuite, la décision de l'hôpital ne pouvait pas rétroagir, elle est illégale et le juge de rappeler que si l'hôpital peut retenir le taux de 30% pour l'avenir puisqu'il s'impose aux parties contractantes, en revanche, sa rétroactivité de pouvait résulter que d'une décision de justice, ce qui aurait nécessité une saisine du juge administratif par l'hôpital. Ce n'a pas été le cas en l'espèce.

Ainsi se trouve pleinement confirmé le jugement du tribunal administratif de Bastia.

(13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453769)

(24) V., identique : 13 juin 2022, Centre hospitalier d'Ajaccio, n° 453770.

 

25 - Marchés publics - Manoeuvres dolosives - Annulation - Conséquences financières et contentieuses - Questions diverses - Annulations et rejets partiels - Désignation d'un expert pour le surplus.

Cette décision se situe dans un contexte contentieux d'ententes frauduleuses anticoncurrentielles entre sociétés lors de la réponse à des appels d'offres lancés par le département de Seine-Maritime qui a donné lieu à une cascade de décisions de justice. Ici, la requérante saisit le Conseil d'État d'un pourvoi dirigé contre l'arrêt qui, d'une part, n'a que partiellement fait droit à son appel s'agissant des conséquences financières de l'annulation des marchés tant en première instance qu'en appel et en tant qu'il a partiellement fait droit à l'appel incident du département.

Parmi les nombreuses questions à résoudre on en retiendra quatre : le régime contentieux et financier du dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, la détermination des dépenses utiles dont demeure créancier l'auteur des manoeuvres dolosives, les conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime, l'expertise du surplus des demandes.

I - Dol résultant de pratiques anticoncurrentielles, régime contentieux et financier

Le Conseil d'État rappelle ainsi les règles applicables.

La personne publique victime, de la part de son cocontractant, de pratiques anticoncurrentielles constitutives d'un dol ayant vicié son consentement, peut saisir le juge administratif, alternativement ou cumulativement, d'une part, de conclusions tendant à ce que celui-ci prononce l'annulation du marché litigieux et tire les conséquences financières de sa disparition rétroactive, et, d'autre part, de conclusions tendant à la condamnation du cocontractant, au titre de sa responsabilité quasi-délictuelle, à réparer les préjudices subis en raison de son comportement fautif. 

Il suit de là qu'après annulation du contrat pour pratiques anticoncurrentielles leur auteur doit restituer les sommes que lui a versées la personne publique mais qu'il peut cependant prétendre en contrepartie, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement des dépenses qu'il a engagées et qui ont été utiles à celle-ci. De ce chef, en cas d'annulation du contrat, la personne publique ne peut obtenir, sur le terrain quasi-délictuel, la réparation du préjudice lié au surcoût qu'ont impliqué les pratiques anticoncurrentielles dont elle a été victime puisque cette annulation entraîne par elle-même l'obligation pour le cocontractant de restituer à la personne publique toutes les dépenses qui ne lui ont pas été utiles. En revanche, cette collectivité peut demander la réparation des autres préjudices que lui aurait causés le comportement du cocontractant. 

II - Détermination du caractère de « dépenses utiles » dont est créancier l’auteur du dol

Il appartient au juge, au besoin par voie d'expertise, d'évaluer les dépenses qui ont été utiles à la personne publique et dont, en conséquence, l’auteur des manœuvres dolosives est créancier.

A cet égard, la prise en compte de toute marge bénéficiaire étant exclue, sont de telles dépenses celles qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration ainsi que la quote-part des frais généraux qui contribue à l'exécution du marché et est à ce titre utile à la personne publique.

En revanche, ne peuvent pas être regardés comme utilement exposés pour l'exécution du marché les frais de communication ainsi que, dans le cas où le contrat en cause est un marché public et sauf s'il s'agit d'un marché de partenariat, les frais financiers engagés par le cocontractant.

III - Conditions de recevabilité de la demande d'indemnisation des préjudices subis par le département de Seine-Maritime

 Sur ce point, le juge estime qu'une collectivité publique est irrecevable à demander au juge administratif de prononcer une mesure qu'elle a elle-même le pouvoir de prendre. En particulier, les collectivités territoriales, qui peuvent émettre des titres exécutoires à l'encontre de leurs débiteurs, ne peuvent saisir directement le juge administratif d'une demande tendant au recouvrement de leur créance.

Toutefois, le juge admet que lorsque la créance trouve son origine dans un contrat, la faculté d'émettre un titre exécutoire dont dispose une personne publique ne fait pas obstacle à ce que celle-ci saisisse le juge administratif d'une demande tendant à son recouvrement. Or les conclusions d'une collectivité publique tendant à la réparation des préjudices causés par les pratiques anticoncurrentielles de son cocontractant doivent être regardées comme portant sur une créance qui trouve son origine dans un contrat.

Par suite, la société Lacroix City Saint-Herblain n'est pas fondée à soutenir que les conclusions indemnitaires présentées par le département de la Seine-Maritime devant le tribunal administratif seraient irrecevables.

Pour déterminer le préjudice qu'elle a estimé que le département de la Seine-Maritime avait subi en raison de l'indisponibilité des sommes payées indûment par celui-ci au titre du surprix des marchés annulés durant la période antérieure à la demande d'intérêts devant le tribunal administratif, la cour administrative d'appel a jugé qu'il y avait lieu de condamner la société Lacroix City Saint-Herblain au paiement d'une certaine somme correspondant, pour chacun des marchés, à l'application du taux d'intérêt légal aux sommes indisponibles depuis la fin de l'exécution des marchés.

Cependant, la cour a sur ce point insuffisamment motivé son arrêt car elle n'a indiqué ni les bases ni les modalités du calcul de ce montant, alors qu'elle s'écartait de la méthode proposée par le département de la Seine-Maritime. 

Au reste,  si le département de la Seine-Maritime soutient que le comportement dolosif de la société Lacroix City Saint-Herblain lui a causé un préjudice lié à l'indisponibilité des sommes correspondant au surcoût des marchés jusqu'à la date de sa demande d'intérêts, le seul préjudice qu'il allègue avoir subi tient à l'impossibilité de se désendetter du montant correspondant. Ce préjudice n'étant pas indemnisable, le département n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ses conclusions relatives à l'indemnisation du préjudice qu'il alléguait avoir subi du fait de l'indisponibilité des sommes d'argent correspondant au surcoût des marchés.

IV - Renvoi à une expertise

Sur l'appel principal de la société Lacroix City Saint-Herblain portant sur les restitutions consécutives à l'annulation du marché au titre des dépenses utiles, le juge relève que les méthodes préconisées tant par cette dernière que par le département pour établir le montant des dépenses qui ont été utiles à la personne publique souffrent, chacune, de défauts méthodologiques.

Aussi, l'état du dossier ne permettant pas au Conseil d'État d'apprécier le montant des dépenses engagées par la société pour l'exécution de ces marchés et qui ont été utiles au département de la Seine-Maritime, pas davantage que les effets de l'érosion monétaire jusqu'à la date du 26 mars 2015, à laquelle la demande du département a été enregistrée devant le tribunal administratif, sur les prix payés par le département au titre des marchés annulés et les dépenses utiles exposées par la société Lacroix City Saint-Herblain, avant de statuer, une expertise est ordonnée sur ces deux points avec mission à l'expert de concilier les parties si faire se peut à l'issue des opérations d'expertise.

(17 juin 2022, Société Lacroix City Saint-Herblain, n° 454189)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Action en référé - Intervention - Condition de recevabilité d'une intervention - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation et, devant le juge de cassation, des fédérations de parents d'élèves interviennent en défense aux côtés des parents demandeurs en première instance. Se posait ainsi la question de la recevabilité de leurs interventions.

Celles-ci sont jugées irrecevables car elles ne satisfont pas à la condition ainsi énoncée en termes de principe : « Eu égard à son caractère accessoire par rapport au litige principal, une intervention, aussi bien en demande qu'en défense, n'est recevable, lorsqu'elle est présentée à l'appui d'une demande de suspension de l'exécution d'une décision administrative sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, qu'à la condition que son auteur soit également intervenu dans le cadre de l'action principale tenant à l'annulation de cette décision, à moins qu'il n'en ait par ailleurs lui-même directement demandé l'annulation. » Ici, faute que les intervenantes ne justifient ni même n'allèguent être intervenues devant le tribunal administratif en demande au soutien des requêtes à fin d'annulation présentées par les parents d'élèves ou avoir elles-mêmes demandé l'annulation pour excès de pouvoir des décisions en litige, leurs interventions en cassation sont irrecevables. 

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Sur un autre aspect de cette affaire, voir n° 198

 

27 - Référé liberté - Atteinte à une liberté fondamentale - Notion – Mutations d’enseignantes - Absence d’atteinte en l'espèce - Rejet.

Dans le cadre de référés liberté tendant à voir annulées des décisions de mutations d'enseignantes dans l'intérêt du service, le juge, amené à apprécier l'atteinte éventuelle à une liberté fondamentale, rappelle, d'une part, que la méconnaissance du droit d'un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne à la communication de son dossier ne révèle pas, par elle-même, une atteinte à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du CJA, et d'autre part, que la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas non plus, par elle-même, une atteinte de cette nature faute, par exemple, que soit démontrée l'existence d'une volonté de discrimination.

(3 juin 2022, Mme B. et autres, n° 464259 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464262 ; 3 juin 2022, Mme C. et autres, n° 464279 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464285 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464288 ; 3 juin 2022, Mme D. et autres, n° 464294, six espèces)

 

28 - Demandes adressées à l'administration - Accusés de réception - Point de départ du délai de recours - Art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du CRPA - Absence de litige entre l'administration et l'un de ses agents - Tardiveté opposée - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le magistrat qui juge applicables à un litige relatif au versement de la moitié de la rente viagère d'invalidité dont peut bénéficier le conjoint d'un fonctionnaire en complément de la pension de réversion, les dispositions des art. L. 112-2, L. 112-3 et L. 112-6 du code des relations du public avec l'administration alors qu'un tel litige ne saurait être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents au sens de l'article L. 112-2 dudit code. Est donc annulée l'ordonnance rejetant la demande du requérant,  qui portait sur le versement de cette moitié de la rente d'invalidité, au motif qu'elle était irrecevable en raison de sa tardiveté.

(10 juin 2022, M. D., n° 458304)

 

29 - Refus d'autorisation d'exploiter une centrale électrique - Arrêt rejetant le recours - Conséquences difficilement réparables - Moyen sérieux - Sursis à l'exécution de l'arrêt accordé.

Dans un litige relatif au refus préfectoral d'accorder à la société requérante l'autorisation d'exploiter une centrale électrique sur le gave de Pau, le Conseil d'État ordonne le sursis à l'exécution de l'arrêt rejetant le recours dirigé contre ce refus au double motif des conséquences difficilement réparables de cette décision qui empêche l'exercice de l'unique activité de la société et de l'existence d'un moyen sérieux tiré de ce que la cour n'a pas répondu aux moyens par lesquels la société Suo énergie soutenait que le mécanisme des biens de retour était inapplicable en l'espèce.

(9 juin 2022, Société Suo énergie, n° 460176)

 

30 - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Demande d'allocation d'une provision sur une indemnité pour accident de service - Provision accordée - Portée de l'exigence de respect d'une procédure contradictoire - Admission par l'administration du caractère non sérieusement contestable de l'obligation à l'origine de l'octroi de la provision - Octroi de la provision et mise à la charge de l'État fondés - Rejet.

Une enseignante, sérieusement blessée par la chute d'un tableau de bois fixé à un mur de sa classe, a sollicité l'octroi d'une indemnité, à la suite d'une expertise évaluant son préjudice. Après que lui a été opposé un refus implicite de lui verser cette indemnisation, l'intéressée a saisi le juge des référés d'une demande de versement d'une provision. Cette dernière lui a été accordée et le ministre de l'éducation nationale conteste à la fois la mise à la charge de l'État et le montant de l'allocation provisionnelle.

On sait que l'octroi d'une provision suppose que la créance invoquée au soutien de la demande de référé provision ne soit pas « sérieusement contestable ».

Le Conseil d'État approuve d'abord l'ordonnance de référé d'avoir retenu que la rectrice de l'académie avait admis le caractère non contestable de l'obligation dont la requérante se prévalait au soutien de ses conclusions à fin de provision. On aura bien noté que ce qui est incontestable ici ce n'est pas la demande de provision mais l'obligation servant de source à la demande de provision.

Il approuve ensuite celle-ci d'avoir énoncé que, dans la mesure où la réparation des préjudices subis par la demanderesse est susceptible d'être mise à la charge de l'État même en l'absence de faute, l'obligation dont l'existence est invoquée par elle au soutien de ses conclusions afin de provision à la charge de l'État n'est pas sérieusement contestable, cette fois au sens de l'article R. 541-1 du CJA, sans qu'il ait eu à se prononcer dans cette instance sur une éventuelle faute de l'État.

(14 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 446406)

 

31 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins, alors même, qu'elle avait informé les parties que sa décision était susceptible d'être fondée sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les griefs reprochés à la requérante portaient en partie sur des faits antérieurs au délai de prescription de trois ans prévu à l'article R. 145-22 du code de la sécurité sociale, a omis de faire apparaître dans sa décision retenant à l'encontre de celle-ci de nombreux manquements, soit la date à compter de laquelle la facturation des actes reprochés n'était pas atteinte par la prescription, de sorte que ces actes étaient susceptibles de poursuites disciplinaires, soit la date à laquelle les actes jugés par elle fautifs ont été facturés. Ce faisant, elle n'a pas permis au juge de cassation de contrôler le respect des règles de prescription d'où l'annulation de sa décision comme entachée d'insuffisance de motivation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

 

32 - Moyen relevé d'office par le juge - Moyen n'étant pas d'ordre public - Méconnaissance de l'office du juge et erreur de droit - Cassation.

Pour suspendre l'exécution d'une sanction disciplinaire infligée à un étudiant par son établissement, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER)  a retenu le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décisions disciplinaire qui lui était déférée. Or ce moyen, qui n'était pas d'ordre public et qui n'était pas invoqué par l'appelant, a été relevé d'office par le CNESER. Ce manquement à l'office du juge et l'erreur de droit qu'il comporte conduisent inévitablement à la cassation.

(14 juin 2022, M. B., n° 441516)

 

33 - Régularité des décisions de justice - Contradiction entre les motifs d'une décision de justice et son dispositif - Annulation.

Rappel de ce que l'existence d'une contradiction entre les motifs (ici  d'un arrêt d'appel) et le dispositif d'une décision de justice entraîne toujours son annulation. En l'espèce, alors que l'arrêt, dans ses motifs, met une indemnisation à la charge d’une commune, dans un article de son dispositif il la met à la charge de l'État.

(15 juin 2022, ministre de l'éducation nationale, n° 458622)

 

34 - Régularité des décisions de justice - Litige n'entrant pas dans les cas de dispense du prononcé des conclusions par un rapporteur - Absence de preuve de l'existence de telles conclusions - Annulation.

Dans un litige portant sur le refus d'un premier président de cour d'appel d'ordonner la communication de documents administratifs, le Conseil d'État rappelle que le rapporteur public n'est dispensé de prononcer des conclusions qu'en certaines matières et que dans les autres, faute qu'existe dans le jugement ou l'arrêt, un élément établissant ce prononcé, la décision est irrégulière et doit être annulée.

(17 juin 2022, Société Sarlu, Agence Funeraire Lyonnaise Pompes Funèbres Viollet, n° 452459)

 

35 - Régularité des décisions de justice - Non convocation de la demanderesse à l'audience - Annulation.

Est rendu dans des conditions irrégulières entraînant sa cassation, le jugement dont aucune des pièces du dossier soumis aux juges du fond ni la fiche Sagace détaillant les événements et mesures d'instruction n'établissent que la requérante  ait été convoquée à l'audience au cours de laquelle elle n'était ni présente, ni représentée.

(17 juin 2022, Mme B., n° 452936)

(36) V. aussi, annulant un jugement rendu sans convocation à l'audience ni représentation de la justiciable et cela alors même qu'elle n'a pas produit de mémoire avant que l'affaire ne soit appelée à l'audience : 21 juin 2022, Commune de Brie-sous-Matha, n° 445342.

 

37 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande de réparation également au titre de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

V. n° 182

 

38 - Suspension du refus de raccordement d'un terrain au réseau d'eau potable d'une commune - Contestation - Contestation devenue sans objet du fait de l'épuisement de ses effets - Rejet.

Un particulier a obtenu du juge des référés la suspension de la décision d'une communauté d'agglomération refusant sa demande tendant au raccordement, pour l'hiver 2020-2021, au réseau d'eau potable de son terrain. La collectivité se pourvoit en Conseil d'État contre cette ordonnance.

Constatant que la demande de raccordement portait sur « l'hiver 2020-2021 », lequel s'est achevé le 20 mars 2021, le juge estime que cette décision, même si elle n'avait pas été suspendue, aurait épuisé ses effets à la date à laquelle le Conseil d'État statue sur le présent pourvoi d’où le rejet d'une demande devenue sans objet.

(16 juin 2022, Communauté d'agglomération du Niortais, n° 448302)

 

39 - Référé liberté - Réalisation par une collectivité publique de travaux sur les réseaux dans le cadre d'une opération d'aménagement - Demandes réitérées de dépose des vérandas établies sur le domaine public - Absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Rejet.

Des restaurateurs disposant de vérandas sur le domaine public sont invités à les déposer en vue de permettre la réalisation de travaux sur les réseaux dans le cadre des opérations d'aménagement d'une voie publique. Après avoir bénéficié de plusieurs reports de la date d’enlèvement des vérandas, d'août 2021 au début de juin 2022, et alors que la collectivité a fixé une date butoir à cet effet, ils saisissent le juge du référé liberté.

Leur recours est évidemment rejeté en première instance comme en appel.

C'est en vain qu'ils font valoir l'existence d'atteintes graves et manifestement illégales à la liberté d'entreprendre, en se fondant tout d'abord sur une prétendue erreur manifeste d'appréciation tirée de ce que la date des travaux aurait été fixée sans tenir compte de leurs contraintes d'exploitation, qui révèlerait une absence d'examen particulier des circonstances.

Ils se prévalent en outre en vain de la méconnaissance d'engagements qu'aurait pris la collectivité, lesquels résulteraient tant des dates de travaux indiquées sur son site internet que d'un document présenté lors d'une réunion. En effet, l'instruction de cette affaire ne révèle aucun engagement de la part de cette collectivité.

Dès lors que n'existe ici aucune atteinte de la nature de celles justifiant l'octroi d'une suspension au titre de l'art. L. 521-2 CJA, la requête est rejetée.

(ord. réf. 16 juin 2022, SARL Aristo SLBR et autres, n° 464713)

 

40 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

V. n° 75

 

41 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

 

42 - Référé suspension dirigé contre une décision dont la contestation est soumise à l’exercice d’un  recours administratif préalable obligatoire – Demande en référé possible avant décision de l’administration  sur ce recours préalable – Décision intervenant sur ce dernier recours avant ou après que le juge des référés a statué – Effets – Formation d’un pourvoi en cassation – Effets – Décision attaquée devenue sans objet – Non lieu à statuer – Rejet.

Lorsqu’une décision de l’administration ne peut être contestée au contentieux qu’après formation contre cette décision d’un recours administratif (cas en l’espèce où il s’agissait de refus de délivrance de visa par l’autorité consulaire française de Téhéran), il est possible au requérant, sans attendre la réponse de l’administration, de saisir le juge du référé suspension si sont réunies les deux conditions nécessaires (urgence et existence d’un moyen créant un doute sérieux).

Tout d’abord, en principe, la mesure ordonnée par le juge des référés vaut, au plus tard, jusqu'à l'intervention de la décision administrative prise sur le recours présenté par l'intéressé à moins que ce juge n’en décide autrement.

Ensuite, si une décision implicite ou explicite de rejet du recours préalable obligatoire intervient avant qu'il n'ait statué, le juge des référés reste néanmoins saisi si le requérant présente une requête tendant à l'annulation de cette dernière décision et s'il lui en adresse une copie ou si le juge constate qu'elle a été adressée au greffe et la verse au dossier. 

Enfin, si la décision implicite ou explicite statuant sur le recours administratif préalable obligatoire intervient après que le juge des référés a statué sur la demande de suspension de la décision initiale, à laquelle elle se substitue, et avant l'introduction d'un pourvoi en cassation formé contre l'ordonnance du juge des référés, les conclusions de ce pourvoi sont dépourvues d'objet et ne sont, par suite, pas recevables puisqu’il n’y a plus lieu d’y statuer.

(22 juin 2022, M. C. et Mme B., n° 462341)

(43) V. aussi, comparable mutatis mutandis s’agissant également d’un refus de délivrance d’un visa par l’autorité consulaire française d’Istanbul : 22 juin 2022, M. F. et Mme F., n° 462628.

 

44 - Juge des référés - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Ordonnance de référé rejetant les conclusions nonobstant les règles régissant le traitement des questions de compétence au sein de la juridiction administrative - Rejet.

Rappel de ce que le juge des référés saisi, comme en l'espèce où était demandée la suspension  de l'exécution des délibérations du jury ayant fixé la liste des candidats admis au concours externe de psychologue de l'éducation nationale pour la session 2022, de conclusions ne relevant manifestement pas de la compétence directe du Conseil d'État en premier et dernier ressort, est compétent, nonobstant les dispositions régissant le traitement des questions de compétence à l'intérieur de l'ordre juridictionnel administratif, pour rejeter par voir d'ordonnance toute demande ne relevant pas de la compétence de la juridiction administrative ou étant irrecevable ou mal fondée.

(ord. réf. 21 juin 2022, Mme A., n° 464890)

 

45 - Référé liberté – Demandes ne relevant pas du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est manifestement irrecevable et doit être rejeté selon l’expédiente procédure de l’art. L. 522-3 du CJA, le recours en référé liberté tendant à voir cette juridiction prononcer diverses injonctions, adressées notamment au directeur du service d'accès au droit et à la justice et d'aide aux victimes du ministère de la justice, en rapport au droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle dont se prévaut la demanderesse en référé.

(20 juin 2022, Mme A. épouse C., n° 464936)

(46) V. aussi, identique : 20 juin 2022, M. B., n° 465012.

 

47 - Affaire normalement jugée à juge unique - Impôts locaux - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Renvoi à une formation collégiale - Absence d'indication sur l'un des trois magistrats composant cette formation - Annulation.

La minute du jugement rendu sur renvoi à une formation collégiale au lieu du juge unique doit mentionner les noms des trois magistrats ayant siégé à l'audience puis participé au délibéré sur l'affaire. Le défaut d'indications sur l'un des trois membres de la juridiction entache d'irrégularité le jugement et conduit à sa cassation.

(23 juin 2022, Société l'Immobilière Groupe Casino, n° 445797)

(48) V. aussi, identique : 23 juin 2022, Société Mercyalis, n° 445798

 

49 - Contentieux fiscal - Autorité de la chose jugée au pénal - Constatations de fait opérées par le juge répressif -  Substitution de base  légale en matière fiscale - Rejet.

La présente affaire décrit une très intéressante situation contentieuse où s'articulent - ou s'imbriquent - le caractère protecteur des libertés qui est celui du droit pénal et le régime contentieux administratif, aussi favorable que possible aux intérêts de l'administration fiscale.

Un couple de contribuables fait l'objet de rehaussements d'impositions (cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution sur les hauts revenus et de contributions sociales) ainsi que de pénalités à raison de prélèvements inscrits au débit du compte courant d'associé détenu par l'époux dans les écritures de l'EURL Better Life. En outre, sont engagées des poursuites pénales devant le tribunal correctionnel.

Ce dernier a relaxé l'époux des fins de poursuites intentées contre lui pour fraude fiscale au motif qu'il ne connaissait pas la qualification de ces sommes au moment de la passation des écritures et de son obligation déclarative car il ignorait, jusqu'à une certaine date, que les prélèvements effectués en 2011, 2012 et 2013 figurant au débit de son compte courant d'associé ouvert dans les écritures de l'EURL Better Life avaient donné lieu, à l'initiative de son comptable, à une écriture de régularisation inscrite au débit du compte de rémunération. 

Comme on le sait, les constatations de fait du juge pénal, qui sont revêtues de l'autorité de la chose jugée en vertu des dispositions de l'art. 4, al. 2 du code pénal, qu'exprimait l'adage « le criminel tient le civil en l'état » avant la réforme de cet article par la loi du 5 mars 2007, lient absolument le juge de l'impôt.

L'arrêt d'appel ayant jugé le contraire est annulé.

Cependant, la jurisprudence du Conseil d'État est en ce sens que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse, de justifier d'une pénalité en en modifiant le fondement juridique, à la double condition que la substitution de base légale ainsi opérée ne prive le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévues par la loi et que l'administration invoque, au soutien de la demande de substitution de base légale, des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement infligée.

C'est ce qui est appliqué ici, les condititions de la substitution de base légale étant satisfaites. Simplement, la pénalité finalement retenue est ramenée de 40% à 10%, ce taux d'une part, étant celui applicable en cas de manquement non intentionnel, et d'autre part, ne privant les contribuables d'aucune garantie.

(23 juin 2022, M. et Mme B., n° 446656)

 

50 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité – Erreur de droit – Annulation.

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

V. n° 103

 

51 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Date d’envoi et non date de réception – Erreur de droit – Annulation.

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

V. n° 104

 

52 - Donné acte d’un désistement d’office – Dépôt d’un mémoire valant confirmation du maintien de la requête – Erreur matérielle – Recours en révision impossible – Ouverture à un recours en rectification d’erreur matérielle – Ordonnance nulle et non avenue – Admission du recours en rectification.

Les requérants avaient contesté par voie d’un référé suspension le décret n° 2021-955 du 19 juillet 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire. A cette demande de référé, qui a été rejetée, était jointe une demande d’annulation de ce décret. L’art. R. 612-5-2 du CJA prévoit en ce cas que le requérant doit confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce rejet faute de quoi il est réputé s’être désisté.

Par une ordonnance du 30 novembre 2021, le président de la 10ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État a donné acte du désistement d'instance des requérants au motif que, bien qu'informés, dans la notification de l'ordonnance de référé, qu'il leur appartenait, à peine de désistement d'office, de confirmer expressément, dans le délai d'un mois, le maintien de leur requête au fond, ils n'avaient fait parvenir aucune confirmation du maintien de leur requête au fond dans ce délai. 

Or les demandeurs ont produit le 27 juillet 2021, lendemain de la notification de l'ordonnance rejetant leur demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, un mémoire enregistré dans le cadre de leur requête en annulation. 

Le juge, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de donné acte du désistement, décide de façon très raisonnable que si, pour ne pas être réputé s'être désisté de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, le requérant qui a présenté une demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA doit, si cette demande est rejetée au motif qu'il n'est pas fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision, confirmer le maintien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés, il doit le faire par un écrit dénué d'ambiguïté : la production, dans le délai d'un mois, d’un nouveau mémoire au soutien de sa requête à fin d'annulation ou de réformation, vaut confirmation du maintien de cette requête. 

C’était le cas dans cette affaire.

Se pose alors la question de savoir sur quel fondement peut être contestée l’ordonnance donnant acte, à tort, d’un désistement. Les requérants demandaient à titre principal la révision (art. R. 834-1 CJA) de l’ordonnance et, subsidiairement, sa rectification pour erreur matérielle.

Compte tenu des dispositions très restrictives régissant les cas d’ouverture à recours en révision, la demande ne pouvait pas prospérer de ce chef. En revanche, est accueilli le recours en rectification d’erreur matérielle, l’ordonnance de donné acte du désistement constituant « une erreur matérielle qui ne peut être regardée comme insusceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision et qui est imputable, non aux requérants, mais au juge », cette dernière est déclarée nulle et non avenue.

(24 juin 2022, M. B., Fédération nationale des entreprises des activités physiques de loisirs (ACTIVE-FNEAPL), Association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et Syndicat des loisirs actifs (SLA), n° 460898)

 

53 - Imposition sur le produit brut des jeux (art. 34, loi du 30 décembre 1995 portant loi de finances rectificative pour 1995) – Décision préfectorale agréant les dépenses ouvrant droit à abattement supplémentaire – Contestation de cette décision relevant du contentieux de l’excès de pouvoir – Décision du directeur des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire - Contestation de cette décision relevant du contentieux de la pleine juridiction – Erreur de droit – Annulation.

Réitération, assez spectaculaire étant donnés les débats actuels à ce sujet, d’une très célèbre jurisprudence (Section, 29 juin 1962, Société des Aciéries de Pompey, n° 53090, rec. Leb. p. 438, JCP 1963.II.13026, concl. M. Poussière ; v. aussi, J.-C. Ricci, Le pouvoir discrétionnaire de l’administration fiscale, thèse Aix-Marseille, PUAM 1977, passim).

Un litige s’est élevé entre une société exploitante d’un casino qui, ayant entrepris la construction d’un hôtel attenant à son établissement de jeux, a obtenu du préfet l'agrément préalable de ses dépenses, à hauteur d’un certain montant, afin de bénéficier de l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux pour un montant de 10 560 000 euros environ. Le directeur départemental des finances publiques, après annulation par le tribunal administratif d’un premier montant d’abattement définitif, a arrêté à 8 750 000 euros environ le montant des dépenses éligibles. La cour administrative, sur appel de la société, n’ayant majoré ce montant que de 105 000 euros environ, la société se pourvoit en cassation.

Reprenant la distinction posée dans la décision de principe ci-dessus, le Conseil d’État rappelle que si la décision prise par le préfet sur la demande d'agrément des dépenses ouvrant droit à l'abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux peut être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir, la décision du directeur départemental ou régional des finances publiques arrêtant le montant de l'abattement supplémentaire sur la demande du contribuable, qui présente le caractère d'une réclamation, n'est pas détachable de la procédure d'imposition, de sorte que sa contestation relève d'un recours de plein contentieux formé devant le juge de l'impôt. 

Il suit de là que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant irrecevables les conclusions de la demanderesse dirigées contre la décision du directeur départemental des finances publiques arrêtant le montant de l’abattement supplémentaire sur le produit brut des jeux et surtout en statuant en excès de pouvoir sur cette contestation.

(27 juin 2022, Société Amnéville Loisirs, n° 444875)

 

54 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, référé instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

Un convoi routier de la société Sleepy Yacht et Spezial Transport GmbH s’étant immobilisé sur une voie ferrée à hauteur d’un passage à niveau  a été percuté par un convoi ferroviaire de fret composé de wagons appartenant à la société Europorte et transportant de l'acide phosphorique pour le compte de la société Prayon. A la demande de SNCF Réseau, le tribunal administratif a ordonné une expertise aux fins de déterminer les causes du sinistre, ainsi que les désordres affectant l'ouvrage public et de recenser les préjudices invoqués par SNCF Réseau et d'en évaluer le montant. Sur appel des sociétés impliquées dans l’accident, Prayon, Europorte France, et de leurs assureurs, QBE Insurance Europe limited et Helvetia compagnie suisse d'assurances, la présidente de la cour administrative d’appel a, d’une part, étendu la mission initiale de l'expert à l'évaluation des préjudices de l'ensemble des parties et intervenantes présentes à l'expertise et, d’autre part, rejeté, notamment, les conclusions d'appel présentées par la société VTG France et autres tendant à ce soit admise l'intervention de la société VTG Rail Europe GmbH et à ce qu’elle soit mise en cause dans les opérations d'expertise. 

Le pourvoi introduit par cette dernière est donc dirigé contre l’ordonnance d’appel en tant qu’elle refuse d’admettre son intervention volontaire sans l’instance et de la mettre en cause dans les opérations d’expertise qu’elle a ordonnées.

Deux questions importantes de procédure se posaient.

En premier lieu, le pourvoi dirigé contre l’ordonnance d’appel était-il recevable et fondé, ces points étant contestés par SNCF Réseau ?

Sur la recevabilité du pourvoi, le juge rappelle d’abord un principe essentiel de procédure commun aux cassations civile et administrative, selon lequel « L'intérêt à se pourvoir en cassation s'apprécie par rapport au dispositif de la décision juridictionnelle critiquée. » De là résulte qu’en l’espèce le pourvoi est recevable puisque par cette voie de droit les sociétés requérantes contestent l'ordonnance qu'elles attaquent en tant qu'elle a rejeté une partie de leurs conclusions d'appel.

Sur le bien-fondé du pourvoi, il faut indiquer d’abord que le rejet de l’appel était fondé sur ce que les conclusions de la société VTG Rail Europe GmbH, dont le siège est à Hambourg, étaient tardives puisque déposées au-delà du délai de quinzaine imparti par les dispositions de l’art. R. 533-1 CJA. Ce rejet était entaché d’une double erreur de droit car :

1° le CJA institue un délai de distance de deux mois pour les justiciables résidant à l’étranger qui s’ajoute au délai fixé par le code (art. R. 811-5 CJA). Cette société disposait donc de deux mois et quinze jours pour saisir le juge d’appel : la notification de l’ordonnance du premier juge ayant été effectuée le 1er octobre 2021 et les conclusions de la requérante ayant été formulées dans un mémoire enregistré au greffe le 30 novembre 2021, la forclusion n’était donc pas encourue contrairement à ce qui a été jugé par erreur de droit.

2° Au reste et au surplus, indépendamment de ce motif scripturaire, il était un autre motif d’illégalité de l’ordonnance attaquée : l’appel en cause était un appel incident qui, à raison même de cette nature et selon une jurisprudence constante, pouvait être formé sans condition de délai.

En second lieu, du fait de l’annulation de l’ordonnance, le juge de cassation statuant alors comme juge d’appel, se trouvait ipso facto saisi des deux rejets contenus dans l’ordonnance annulée : refus d’admettre l’intervention volontaire des requérantes et refus de les dire communes avec les autres parties dans l’expertise ordonnée.

Les principes du droit du contentieux sont ici très simples : peuvent être appelées à une expertise ordonnée sur le fondement des dispositions de l'article R. 532-1 du CJA les personnes n’étant pas manifestement étrangères au litige susceptible d'être engagé devant le juge de l'action qui motive l'expertise. Telle était, bien évidemment, le cas des demanderesses en l’espèce encore qu’un apparent obstacle juridique ait été soulevé par les parties défenderesses au pourvoi : la société VTG Rail Europe GmbH est identifiée comme le « détenteur », au sens de la directive du 11 mai 2016 relative à la sécurité ferroviaire, des wagons impliqués dans le litige. Elle n’en est donc ni propriétaire, ni locataire, pour autant, contrairement à ce qu'a retenu le juge des référés du tribunal administratif, elle n'est pas manifestement étrangère au litige.

Il doit ainsi être donné suite à sa demande d'être appelée aux opérations d'expertise.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

 

55 - Requête jugée abusive – Amende – Application inexacte de l’art. R. 741-12 CJA – Cassation sans renvoi, plus rien ne restant à juger.

Fait une inexacte application de l'article R. 741-12  du CJA la cour administrative d’appel qui, jugeant abusive la requête formée devant elle par l’appelante, lui inflige une amende alors que, par cette requête, l’intéressée, étudiante à l'école universitaire de management de Clermont-Ferrand, demandait l'annulation de la délibération du jury de cette école et l'annulation de la décision du doyen de cette même école du 22 juin 2017, en ce qui concerne sa note d'examen au diplôme universitaire en gestion internationale du patrimoine 2016 qu'elle n'avait ainsi pu obtenir, et eu égard aux moyens qui étaient développés au soutien de ses demandes.

(29 juin 2022, Mme C., n° 455124)

 

56 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

V. n° 157

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

57 - Impôt sur les sociétés - Acte anormal de gestion - Notion - Régime de la preuve du caractère anormal de la gestion - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Le juge rappelle qu'est un acte anormal de gestion celui par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Concernant l'administration de la preuve de cette anormalité à l'occasion d'une cession d'actifs, le juge se montre, comme à l'accoutumée en cette matière, assez laxiste envers l'administration.

Il suffit à celle-ci de relever que la cession a été réalisée à un prix significativement inférieur à la valeur vénale qu'elle a retenue. C'est alors au contribuable d'apporter un élément de nature à remettre en cause cette évaluation. A défaut,  l'administration est regardée comme ayant apporté la preuve du caractère anormal de l'acte de cession sauf pour le contribuable à justifier l'appauvrissement comme résultant d'une décision prise dans l'intérêt de l'entreprise, où à laquelle elle s'est trouvée dans la nécessité de procéder ou encore en établissant qu'elle en a tiré une contrepartie. 

En l'espèce, pour juger que la contribuable avait consenti à certains salariés une libéralité constitutive d'un acte anormal de gestion, la cour administrative d'appel s'est seulement arrêtée à relever que le prix de cession des actions d'une  société filiale était, à la date de cession, significativement inférieur à leur valeur vénale. Ce jugeant elle a dénaturé les pièces du dossier dont il ressortait que les fonctions exercées au sein du groupe par les bénéficiaires des cessions de titres en cause étaient énoncées dans la demande introductive d'instance présentée par la société devant le tribunal administratif et que la société produisait la copie d'une promesse de vente consentie en considération du rôle personnel que pouvait jouer le bénéficiaire dans le développement de la société dont les titres étaient cédés et qu'elle était subordonnée à la condition que ce bénéficiaire soit toujours salarié au jour de la levée de l'option d'achat et cède les titres ainsi cédés à la société Groupe Windsor en cas de rupture de son contrat de travail. 

(2 juin 2022, Société Groupe Windsor, n° 448886)

(58) V. aussi, identiques : 2 juin 2022, M. A., n° 448888 ; Mme A., n° 448893, deux espèces.

 

59 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - TVA relative aux dépenses d'aménagement d'un immeuble - Déductibilité - Conditions - Absence - Rejet.

Rappel de ce qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 271 du CGI que la déduction de la TVA grevant des biens et services n'est possible que si ces biens et services ont été utilisés en vue de la réalisation de celles des opérations imposables à la TVA.

Tel n'est pas le cas de la TVA acquittée sur des biens et travaux d'aménagement d'un appartement dès lors que ces aménagements et agencements ainsi réalisés avaient été abandonnés par la société requérante sans contrepartie à la société bailleresse, dans laquelle son propre gérant avait des intérêts.

(2 juin 2022, Société ITD, n° 449810)

 

60 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Terrain à bâtir - Application de la TVA sur la marge (art. 268 CGI) - Terrain supportant déjà du bâti - Exclusion du régime de l'art. 268 CGI - Rejet.

Rappel, une fois de plus, que les règles de calcul dérogatoires de la TVA prévues à l'art. 392 de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA dont les art. 257, 266 et 268 CGI assurent la transposition, ne s'appliquent qu'aux opérations de cession de terrains à bâtir qui ont été acquis en vue de leur revente et non à ceux d'entre eux qui, lors de leur acquisition, avaient le caractère d'un terrain bâti, notamment quand le bâtiment qui y était édifié a fait l'objet d'une démolition de la part de l'acheteur-revendeur ou quand le bien acquis a fait l'objet d'une division parcellaire en vue d'en céder séparément des parties ne constituant pas le terrain d'assiette du bâtiment. 

(17 juin 2022, Société De Cambracq, n° 443893)

 

61 - Impôt sur le revenu - Dépenses déductibles - Somme versée en qualité de caution - Somme versée par le dirigeant d'une entreprise caution de celle-ci - Annulation.

Les sommes que le dirigeant salarié d'une entreprise a versées en sa qualité de caution de l'entreprise sont déductibles du revenu imposable au cours de l'année de leur versement à condition que la qualité de caution soit  directement liée à celle de dirigeant, que cet engagement ait été pris dans l'intérêt de l'entreprise et, enfin, que son montant ne soit pas hors de proportion avec les revenus actuels ou escomptés de l'auteur de la caution.

(2 juin 2022, M. et Mme A., n° 450870)

 

62 - Impôt sur le revenu - Rattachement ou non des enfants majeurs au foyer fiscal - Irrévocabilité du choix opéré - Erreur commise de bonne foi - Annulation.

Les dispositions du 3 de l'art. 6 du CGI prévoient que les enfants devenus majeurs vivant au foyer de leurs parents ont la faculté d'opter, pour l'année entière et pour l'ensemble de leurs revenus, entre une imposition dans les conditions de droit commun et le rattachement, avec l'accord du contribuable, au foyer fiscal de leurs parents ou de l'un d'eux selon le cas, et en suivant les règles fixées par ces dispositions. A l'expiration du délai de déclaration, l'option exercée est irrévocable pour l'année au titre de laquelle elle a été souscrite.

En l'espèce, il était soutenu par les parents que les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal.

L'administration fiscale, après avoir constaté que ces enfants avaient déjà déposé des déclarations de revenus séparées au titre des mêmes années, a remis en cause le quotient familial des intéressés et les déductions relatives aux enfants à charge scolarisés dans l'enseignement supérieur auxquelles ils avaient procédé.

La cour administrative d'appel a jugé que le caractère irrévocable de l'option ne permettait pas de revenir sur les déclarations personnelles lesquelles constituaient des révocations de leurs demandes antérieures de rattachement au foyer fiscal de leurs parents.

L'arrêt est judicieusement cassé motif pris de l'erreur de droit qu'il contient pour avoir écarté comme inopérante la circonstance invoquée par les contribuables selon laquelle les déclarations de revenus à titre personnel souscrites par leurs enfants majeurs l'avaient été par erreur et que ceux-ci n'avaient jamais eu l'intention de renoncer au rattachement à leur foyer fiscal alors que cette erreur, si elle a été commise de bonne foi, était susceptible de priver de portée les déclarations de revenus souscrites par les enfants. 

(21 juin 2022, M. et Mme A., n° 439846)

 

63 - Groupe fiscalement intégré - Principe de neutralisation des opérations internes - Conditions - Provisions pour dépréciation de titres de participation - Reprise ultérieure (totale ou partielle) de la provision - Déduction du résultat d'ensemble - Limite - Rejet.

Le code général des impôts prévoit que sont neutralisées les opérations internes entre sociétés d'un groupe fiscalement intégré afin d'éviter les doubles prises en compte du résultat des sociétés intégrées. Au reste la neutralisation entre  provisions pour dépréciation de titres de participation et reprises de provisions portant sur ces titres ne se justifie que si les sociétés concernées demeurent membres du groupe intégré, ce qui va de soi.

Trois situations appellent des précisions particulières.

En premier lieu, lors de la reprise ultérieure de tout ou partie de la provision par la société du groupe qui l'avait initialement constituée, la fraction correspondante de cette provision est déduite du résultat d'ensemble.

En deuxième lieu, le résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré est majoré du montant des dotations complémentaires aux provisions constituées par une société après son entrée dans le groupe, à raison de la dépréciation des titres de participation, soumis au régime des plus et moins-values à long terme, qu'elle détient sur une autre société du même groupe.

Enfin, en cas de dissolution du groupe fiscalement intégré avant la reprise de la provision par la société qui l'avait initialement constituée, il n'y a pas lieu de déduire du dernier résultat d'ensemble du groupe la fraction de la provision non encore reprise, sauf dispositions expresses en ce sens. 

Le pourvoi contre l'arrêt d'appel est rejeté notamment au prix d'une substitution  de motif.

 (9 juin 2022, Société Vivalto Santé, n° 445023)

 

64 - Principe d'imposition commune des époux - Contribution sur les revenus du patrimoine - Assujettissement à ce principe - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel qui juge qu'une personne ne pouvait faire l'objet d'une imposition commune avec son époux à raison de la contribution du patrimoine alors qu'il résulte des dispositions combinées de l'art. L. 136-6 du code de la sécurité sociale, des art. L. 14-10-4 et L. 262-24 du code de l'action sociale et des familles et de celles des art. 1600-0 C, 1600-0 G, 1600-0 F bis du CGI ainsi que de l'art. 15 de l'ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale, que la contribution sur les revenus du patrimoine est assise selon les mêmes règles que l'impôt sur le revenu, d'où il découle que, contrairement à ce qu'a jugé la cour, elle est donc soumise au principe de l'imposition commune entre époux prévu par l'article 6 du code général des impôts.

(9 juin 2022, ministre de l'écoomie et des finances, n° 456544)

 

65 - Intégration fiscale à une société mère - Régime français refusant à une société mère résidente le bénéfice de la neutralisation fiscale de la quote-part de frais et charges réintégrée - Difficulté sérieuse d'interprétation de l'art. 49 du TFUE - Renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg.

Soulève une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne nécessitant la saisine de la CJUE, la question de savoir si l'article 49 du TFUE s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des dividendes perçus par elle de sociétés résidentes parties à l'intégration ainsi que, pour tenir compte de l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 2 septembre 2015 (Groupe Steria SCA, aff. C-386/14), à raison de dividendes perçus de filiales établies dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, auraient été objectivement éligibles, sur option, au régime d'intégration mais qui refuse le bénéfice de cette neutralisation à une société mère résidente qui, en dépit de l'existence de liens capitalistiques avec d'autres entités résidentes permettant la constitution d'un groupe fiscal intégré, n'a pas opté pour son appartenance à un tel groupe, à raison tant des dividendes qui lui sont distribués par ses filiales résidentes que de ceux provenant de filiales établies dans d'autres États membres satisfaisant aux critères d'éligibilité autres que la résidence. 

(14 juin 2022, SA Manitou BF, n° 454107)

(66) V. aussi, avec même solution de renvoi préjudiciel : 14 juin 2022, SA Bricolage Investissement France, n° 458579.

 

67 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Valeur locative d'un stade - Modification de cette valeur intervenue en 2016 - Modification ayant une incidence les années postérieures - Rejet de la contestation pour disparition entre-temps de la compétence en cause de la commission communale des impôts directs -  Impossibilité de se prévaloir d'irrégularités affectant une année antérieure à celles d'imposition - Erreur de droit - Annulation.

La requérante, société chargée de la rénovation du stade Vélodrome de Marseille puis de la gestion de la mise à disposition de ce stade par un contrat de partenariat conclu avec la commune de Marseille en 2014, a demandé décharge, au moins partielle, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 dans les rôles de la commune de Marseille à raison des droits dont elle disposait sur le stade Vélodrome et le stade Delors.

La contribuable s'est vue déchargée de ces contributions en cours d'instance sur décisions de l'administration fiscale. Le tribunal a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur cette partie du litige et rejeté le surplus des demandes dont il était saisi. La société se pourvoit contre ce jugement, avec succès.

Le litige tenait à l'irrégularité des conditions dans lesquelles la commune a, au cours de l'année 2017, modifié la valeur locative de ce stade puisqu'elle y a procédé sans saisir préalablement la commission communale des impôts directs. L'administration fiscale a alors émis un rôle complémentaire de taxe foncière sur les propriétés bâties.

Or si cette dernière a, par la suite, sur réclamation de la requérante, prononcé le dégrèvement de ces impositions supplémentaires, n'en demeure pas moins en vigueur, pour le futur, la nouvelle valeur locative irrégulièrement arrêtée.

Le tribunal a rejeté le moyen d'irrégularité procédurale en se fondant sur la suppression entre-temps de la compétence de cette commission pour arrêter les valeurs locatives des immeubles ; il a également jugé que la société ne pouvait utilement exciper de l'irrégularité de la modification de la valeur locative révisée du stade Vélodrome à l'encontre des impositions établies au titre des années 2017 et 2018.

Ce faisant, deux erreurs de droit étaient ainsi commises conduisant à la cassation : l'irrégularité initiale dans la fixation de la valeur locative du stade Vélodrome demeure et la requérante peut utilement invoquer, pour solliciter la réduction des cotisations d'impôts locaux dues à compter de l'année 2017 dans la mesure de l'application des dispositifs de lissage (cf. le XVI de l'art. 34 de la loi de finances rectificatives du 29 décembre 2010, pour 2011, dans la version que lui a donnée la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015), lesquels tiennent compte des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017, l'illégalité du mode de détermination de cette valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 au motif que l'administration l'avait établie par application du coefficient annuel de majoration prévu à l'article 1518 bis du CGI à une valeur locative au 1er janvier 2016 irrégulièrement fixée en l'absence d'avis de la commission communale des impôts directs et devant par suite être définitivement écartée. 

(14 juin 2022, Société Arema, n° 458555)

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Décharge prononcée par le juge - Obligation pour celui-ci de désigner le redevable de cette taxe - Omission de statuer sur ce point - Annulation.

Rappel de ce qu'aux termes de l'art. 1404 du CGI, le tribunal qui décharge un contribuable de la cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties est tenu d'en désigner le redevable faute de quoi son jugement encourt annulation.

La solution est conforme au texte mais ce texte, lui, n'est pas satisfaisant car il institue à la charge du juge une obligation de désigner le redevable d'un impôt, tâche qui revient à l'administration fiscale et on ne voit pas sur quel fondement sérieux repose ce véritable privilège.

(16 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 447507)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Caractère d'établissement industriel du local-type - Dénaturation  des pièces du dossier - Annulation.

La requérante, pour contester le montant de la cotisation de taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2016 en raison d'un immeuble situé à Romorantin-Lanthenay, se prévalait du caractère erroné du choix, comme terme de comparaison, d'un local-type n° 70, estimant plus correcte la référence au local-type n° 3.

Sa requête est rejetée par le tribunal administratif en raison de ce que, compte tenu de la prépondérance de l'outillage utilisé, la valeur locative du local litigieux aurait dû être évaluée selon les règles applicables aux établissements industriels, à la suite de son acquisition par une coopérative agricole car la requérante ne produisait aucun élément afférent à la nature et à l'importance des moyens techniques mis en œuvre pour l'exercice de l'activité.

Or, relève le Conseil d'État « la société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir que l'affectation à un usage industriel du local-type n° 3 de la commune de Châlette-sur-Loing ressortait de l'acte du 1er mars 1973 par lequel la société Magasins Généraux du Gâtinais a vendu une partie des terrains et bâtiments composant ce local-type, dès lors que, de même que ceux que cette société a conservés, ces terrains et bâtiments y sont qualifiés de terrains et bâtiments industriels. La société des Entrepôts de Thumeries faisait valoir également qu'il ressortait de cet acte de vente que le lot n° 3 constitué, avec trois autres lots, en vue de cette vente comportait d'importants moyens techniques et l'acte de vente indique en effet que ce lot comprenait, notamment,  « un silo à tourteaux composé de huit cellules métalliques à fond conique d'une capacité vrac de six cents tonnes environ avec installation de manutention mécanique de déchargement de péniches et chargement direct de wagons/camions vrac, composé de deux élévateurs à godet et six vis transporteur incluant une bascule de circuit CURONOS ». La société des Entrepôts de Thumeries a, par ailleurs, produit un rapport, en date du 22 janvier 1976, du conseil d'administration de l'une des sociétés cessionnaires du local-type n° 3, la société CAPROGA La Meunière, qui comportait plusieurs photos montrant l'importance des installations du site ainsi que des indications sur la capacité d'expédition journalière de céréales s'élevant à 1 250 tonnes par jour par voie fluviale et 500 tonnes par jour par voie ferrée."

On peut se demander sur quelles pièces s'est fondé le tribunal administratif pour rendre le jugement attaqué et, à juste titre, annulé.

(21 juin 2022, Société des Entrepôts de Thumeries, n° 441810)

(70) V. aussi, en matière de cotisation foncière des entreprises, sur la méthode d'évaluation de la valeur locative d'immeubles industriels et d'immobilisations industrielles, mettant en particulier à l'écart l'acte dit loi du 15 mars 1942 relatif à la contribution foncière des propriétés bâties et non bâties, maintenu en vigueur en 1945, qui a donné valeur législative aux prescriptions d'une instruction du 1er octobre 1941 contenant une définition restrictive de la notion d'établissement industriel : 21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 450705.

(71) V. aussi, illustratifs du faible degré d'acceptation sociale de cette taxe, source d'un si abondant contentieux qu'il serait bien venu de calculer le coût de ce dernier pour apprécier la valeur nette rapportée par cette antique taxe : 23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443520 ; 23 juin 2022, Société Stéarinerie Dubois Fils, n° 450247 ; 23 juin 2022, CHU de Bordeaux, n° 453077, en y ajoutant, pour faire bonne mesure, la taxe sur l'enlèvement des ordures ménagères.

 

72 - Procédure fiscale non contentieuse - Mises en demeure en vue du recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres - Non respect de l'obligation d'informer l'intéressé des voies et délais de recours - Substitution du délai raisonnable d'un an - Inapplication - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'auteur de l'ordonnance rejetant l'appel dirigé contre le jugement déclarant le contribuable forclos en son action contre la décision de recouvrement des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et autres pour non respect du délai de saisine de deux mois fixé par l'art. R. 199-1 du livre des procédures fiscales alors qu'en l'absence de notification à l'intéressé ou de connaissance acquise par celui-ci de ce délai, il disposait du délai raisonnable d'un an, de nature jurisprudentielle, pour saisir le juge.

(20 juin 2022, M. B., n° 443433)

 

73 - Procédure fiscale non contentieuse - Exercice du droit de communication - Utilisation de pièces déclarées illégales par un juge - Établissement d'une imposition subséquente - Condition de régularité de l'utilisation des pièces - Rejet.

Cette décision a le grand mérite d'accentuer le contrôle du juge sur la régularité de l'emport ou de l'utilisation par l'administration fiscale de pièces lorsqu'ils sont par la suite déclarés illégaux. En particulier, par son caractère équilibré, elle précise et rassure par rapport à la décision trop timorée du 15 avril 2015 (Société Car diffusion, n° 373269) publiée au Rec. Lebon.

Il y est jugé que l'art. 16 de la Déclaration de 1789 fait obstacle à ce que l'administration fiscale se prévale, pour établir une imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. En revanche, cette imposition est légalement justifiée par des éléments non compris dans le champ de la déclaration d'illégalité prononcée par le juge, dès lors que ces éléments ne découlent pas eux-mêmes de l'exploitation des pièces ou documents obtenus de façon irrégulière. 

(21 juin 2022,  Société Constructions générales du bâtiment (CGB), n° 446421)

 

74 - Revenus d'origine indéterminée - Taxation d'office puis dégrèvement partiel - Décharge des pénalités pour manquement délibéré  - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Un couple de ressortissants néerlandais résidant et travaillant en France a fait l'objet d'une mesure de taxation d'office à raison d'importants revenus d'origine indéterminée non déclarés, assortie de diverses majorations et de pénalités.

Par la suite, l'administration fiscale a, en cours d'instance d'appel, accordé un dégrèvement et maintenu les pénalités. La cour administrative d'appel a jugé n'y avoir lieu à statuer sur le montant du dégrèvement, déchargé les intéressés des pénalités et rejeté le surplus de leurs réclamations.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il a annulé les pénalités infligées.

La cour a, en effet, estimé que les contribuables avaient bénéficié en cours de procédure d'un dégrèvement sur une partie importante des impositions résultant de la réintégration de revenus d'origine indéterminée et que la seule circonstance qu'ils ne parvenaient pas à apporter la preuve de l'origine des revenus restant en litige ne démontrait pas qu'ils avaient intentionnellement éludé les impositions correspondantes. Or le ministre défendeur soutenait que les rehaussements de revenus imposables maintenus après le dégrèvement représentaient toujours un montant important par rapport aux sommes déclarées et que les manquements aux obligations déclaratives présentaient un caractère répété.

En décidant sans rechercher s'il en était bien ainsi la cour a commis une erreur de droit conduisant à la cassation sur ce point de son arrêt.

(21 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443828)

 

75 - Référé suspension - Utilisation de cette procédure en matière fiscale - Conditions de recevabilité et conditions d'admission - Rejet.

Rappel de ce que le contribuable qui a saisi le juge de l'impôt de conclusions tendant à la décharge d'une imposition à laquelle il a été assujetti est recevable à demander au juge du référé-suspension (art. L. 521-1 CJA), la suspension de la mise en recouvrement de l'imposition, dès lors que celle-ci est exigible. Naturellement, il lui appartient de satisfaire à la double condition de faire état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la régularité de la procédure d'imposition ou sur le bien-fondé de l'imposition et de démontrer l'urgence à statuer.

(21 juin 2022, Société François Invest Construction Promotion (FICOP), n° 451062)

 

76 - Impôt sur les sociétés - Abandon de créances ou octroi d'aides financières par une société à une filiale - Notion - Conséquences sur la valeur de la participation de la société dans le capital de la filiale - Présomption simple pouvant être renversée - Erreur de droit à ne l'avoir pas admis - Annulation.

En principe, l'abandon de créances ou l'octroi d'aides financières consenti par une société à des filiales a pour effet mécanique d'accroître la valeur de la participation de cette société au capital des filiales lorsqu'elle se traduit, pour ces dernières, par un actif net comptable positif. En ce cas, cette aide ou cet abandon ne peut être déduit.

Il n'en va autrement que dans le cas où la société établit qu'en dépit de cette aide ou de cet abandon la valeur de sa participation dans le capital de ses filiales n'a, ce nonobstant, pas augmenté.

En arguant de ce que la société demanderesse ne présentait que des évaluations reposant sur des méthodes de nature économique insusceptibles d'établir au plan comptable la situation nette des filiales et en s'abstenant de rechercher si la participation de cette société dans le capital des filiales avait ou non augmenté du fait de l'aide apportée, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt.

(21 juin 2022, Société Ixcore, n° 447084)

 

77 - Bénéfices ou revenus positifs tirés d'une entité établie ou constituée hors de France - Entité soumise à un régime fiscal privilégié - Soumission au CGI français - Application au régime des sociétés mères - Erreur de droit - Annulation.

Selon l'art. 123bis du CGI  : " 1. Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une entité juridique-personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable-établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette entité juridique sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants. (...)".

Pour l'application de ce texte les bénéfices ou les revenus positifs d'une entité juridique établie ou constituée hors de France et soumise à un régime fiscal privilégié sont déterminés selon les règles du CGI comme si l'entité juridique était imposable à l'impôt sur les sociétés en France. Ces règles incluent donc le régime des sociétés mères tel qu'il est défini aux articles 145 et 216 du CGI dès lors que l'entité juridique serait soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés au taux normal si elle était établie en France. 

En l'espèce, une cour administrative d'appel juge que la part des bénéfices d'une société trouvant son origine dans des produits de participation ne pouvait être calculée par application du régime des sociétés mères et que ce régime ne s'applique qu'aux sociétés qui ont été effectivement soumises à l'impôt sur les sociétés au taux normal. Elle commet, ce jugeant, une erreur de droit car la prise en compte de ce régime pour le calcul des bénéfices de cette société, établie à Gibraltar, dépendait de ce que cette société aurait été soumise totalement ou partiellement à l'impôt sur les sociétés si elle avait été établie en France. 

(21 juin 2022, M. et Mme B., n° 449408)

 

78 - Liberté de mouvement de capitaux intra-communautaires et entre États de l'Union et pays tiers - Prohibition de toute restriction (1. de l'art. 63, TFUE) - Détermination du caractère défavorable d'un traitement fiscal - Comparaison entre résidents et non-résidents fiscaux - Conséquence - Rejet.

Rappel de ce que pour l'application du principe de libre mouvement des capitaux posé par le 1. de l'art. 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union, il y a lieu de comparer la charge fiscale supportée respectivement par le contribuable qui conteste au nom de ce principe l'imposition qu'il subit en France et un contribuable résident de France placé dans une situation comparable.

S'il apparaît que le contribuable non-résident a été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale et, le cas échéant, au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement avec les contribuables résidents. 

Ici, au terme de cette comparaison, le taux d'imposition du contribuable requérant applicable aux plus-values qu'il a réalisées est réduit de 33 1/3% à 19%.

(23 juin 2022, M. B., n° 445785)

 

79 - Taxe sur les logements vacants – Biens immobiliers demeurés en indivision après un divorce – Taxe assise pour le tout sur l’un seulement des co-indivisaires – Confusion entre indivision et solidarité – Erreur de droit – Annulation.

Des époux qui avaient acquis des biens en indivision n’ayant pas partagé ces biens lors de leur divorce, l’administration fiscale, confirmée par le juge des référés du tribunal administratif, a estimé que du fait de cette indivision la taxe sur les logements vacants pouvait être réclamée en son entier à l’un quelconque des deux indivisaires.

Ainsi était opérée une confusion entre indivision et solidarité – guère admissible au regard des principes fondamentaux attachés aux catégories juridiques et notamment celui selon lequel « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée (…) » (énoncé à l’art. 1202 du Code civil) –.

Réitérant sa jurisprudence constante sur ce point (V. par ex. : Plén. Fisc., 25 juillet 1975, Antoine et Emmanuelle Vauchez, n° 92401 et n° 92402, Rec. Lebon p. 459 ; 30 septembre 2019, M. C., n° 419384 ; Mme C. épouse B., n° 419490), le Conseil d’État décide que l’administration ne pouvait réclamer le paiement de la taxe qu’à chacun des co-indivisaires à proportion de sa part dans l’indivision.

L’ordonnance est, très naturellement et très évidemment, cassée.

(23 juin 2022, Mme B., n° 449318)

 

80 - Demande de remboursement du précompte versé par une société (Suez) au trésor public – Remboursement ordonné par jugement - Cession postérieure de cette créance de remboursement du précompte à une autre société (Société générale) – Juridiction d’appel annulant le jugement – Émission à l’encontre de la société cessionnaire d’avis de recouvrement valant commandements de payer – Contestation du bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez  et opposition à poursuites – Arrêt de rejet – Pourvoi – Rejet.

La société Suez a versé un précompte lors de la redistribution de dividendes perçus en 1999, 2000 et 2001 de ses filiales établies dans d'autres États membres de l'Union européenne, puis a vainement demandé le remboursement de ce précompte et a saisi de ce litige le tribunal administratif qui, lui donnant raison, a ordonné la restitution des sommes litigieuses. Durant l’instance devant ce tribunal, Suez a cédé à la Société générale ce qui, par l’effet du jugement précité, est devenu sa créance sur le trésor public.

Sur appel du ministre des finances, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et remis à la charge de la société Suez, au titre de chacune des années en litige, les montants en litige et prescrit qu'il serait tenu compte, pour l'exécution de son arrêt, de ce que les sommes correspondantes avaient été encaissées par la Société générale. C’est donc contre cette dernière que l’administration fiscale a émis quatre avis de mise en recouvrement puis deux mises en demeure valant commandements de payer.

La Société générale a tout d’abord, au gracieux, contesté le bien-fondé de l'application du précompte aux redistributions de dividendes servis par les filiales de la société Suez et formé une opposition à poursuites. Ses demandes ayant été rejetées, elle a saisi, en vain, le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel (arrêt du 12 décembre 2014).

Elle dirige son pourvoi contre l’arrêt de cette dernière.

Le Conseil d’État estime que ce pourvoi doit être regardé comme tendant seulement à ce que le juge de cassation statue sur sa demande en décharge des impositions. Il rejette alors les moyens développés au soutien du pourvoi en raison de leur caractère inopérant.

En effet, l’administration fiscale n’était pas tenue d'émettre les avis de mise en recouvrement dès lors que, par l’effet de l’arrêt du 12 décembre 2014, l'imposition avait été rétablie de plein droit à son profit.

Il suit de là que si la Société générale pouvait, en sa qualité de cessionnaire de la créance correspondant à la restitution du précompte réclamée par la société Suez, former une réclamation en son nom propre dans les mêmes délais que le cédant et avait qualité pour agir devant le juge de l'impôt afin d'obtenir le paiement de cette créance, en revanche, elle n'était plus recevable, pas plus que la société Suez elle-même, à former une nouvelle réclamation tendant à la restitution de ces impositions postérieurement à l'arrêt de la cour administrative d'appel statuant sur ces impositions, lequel, au demeurant, ne constituait pas à son égard, pas davantage que les avis de mise en recouvrement qui se bornaient à en tirer les conséquences, un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

(24 juin 2022, Société générale, n° 443754)

 

81 - Sursis d’imposition de plus-values ne dégageant pas de liquidités – Objectif poursuivi par le législateur – Souci de réinvestissement économique – Caractère de réinvestissement non établi – Opération à but exclusivement fiscal – Erreur de droit – Annulation.

Le Conseil d’État rappelle ici qu’en adoptant les dispositions de l'art. 150-0 B du CGI (issues de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000) le législateur a entendu faciliter les opérations de restructuration d'entreprises, en vue de favoriser la création et le développement de celles-ci, par l'octroi automatique d'un sursis d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités.

Pour cela, l’apport des titres d'une société par un contribuable à une société qu'il contrôle, puis leur cession immédiate par cette dernière ne répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur que si le produit de cession fait l'objet, pour une part significative et à bref délai, d'un réinvestissement à caractère économique par cette société.

En revanche, faute d’un tel réinvestissement à caractère économique, une telle opération doit être regardée comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel, d’où la cassation de son arrêt pour erreur de droit, de n’avoir pas tenu compte de l'ensemble des sommes ayant bénéficié du mécanisme du sursis d'imposition pour apprécier si le produit de la cession de titres avait fait l'objet, pour une part significative, d'un réinvestissement à caractère économique.

(27 juin 2022, M. B., n° 449656)

(82) V. aussi, s’agissant des dispositions de l’art. 150-0 D CGI et de l’abattement renforcé de 85% sur les plus-values de cession de titres prévu par le 3° du 1 quater de cet article, l’annulation de l’arrêt d’appel qui, dénaturant les pièces du dossier, juge que la société A détenait une participation dans la société B alors que c’est exactement l’inverse (sic)… : 24 juin 2022, M. et Mme A., n° 455925.

(83) V. encore, avec même dénaturation et même conséquence : 24 juin 2022, M. et Mme B., n° 455926.

 

84 - Prescription quadriennale – Acte ou fait interruptif de la prescription – Communication écrite de l’administration intéressée – Courrier se prononçant sur le fait générateur de la créance – Absence d’interruption – Qualification inexacte de pièces du dossier – Annulation.

L’art. 2 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription quadriennale décide que cette prescription est interrompue par « Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) ». 

En l’espèce, où était en cause un litige relatif à une indemnité différentielle puis compensatrice estimée calculée sur une base erronée à partir d’une prime de rendement des ouvriers d'État au taux moyen de 16 % au lieu du taux maximum de 32 %, la cour administrative d’appel avait jugé qu’un courrier adressé à l’intéressé par le secrétariat général pour l'administration du ministère de la défense ne constituait pas un acte interruptif de la prescription quadriennale et avait rejeté sa requête de ce chef.

Annulant cette qualification inexacte d’une pièce du dossier, le Conseil d’État relève que le courrier précité précisait les règles applicables pour la détermination de la prime de rendement à prendre en compte pour le calcul de l'indemnité différentielle en litige et informait le requérant de l'évolution de celle-ci. Ainsi, se prononçant sur le fait générateur de la créance de M. B., ce courrier devait être regardé comme une communication écrite de l'administration au sens de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 et comme ayant interrompu le cours de la prescription quadriennale de la créance.

(27 juin 2022, M. B., n° 456175)

 

Droit public de l'économie

 

85 - Importation de certaines productions agricoles - Étiquetage de produits comme venant du Maroc - Produits provenant en réalité du Sahara occidental - Éléments d'information du consommateur ayant le caractère d'une norme de commercialisation - Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE.

La confédération requérante recherchait l'annulation du refus implicite opposé par les ministres des finances et de l'agriculture à sa demande, fondée sur l'art. 23 bis du code des douanes, que soit pris un arrêté prohibant l'importation de tomates cerises et de melons charentais récoltés sur le territoire du Sahara occidental, au motif que ce territoire n'appartient pas au Royaume du Maroc et que, par suite, l'étiquetage présentant ces produits comme originaires du Maroc viole les dispositions du droit de l'Union relatives à l'information des consommateurs sur l'origine des fruits et légumes mis à la vente.

Le Conseil d'État relève que l'exigence de la mention du pays ou territoire d'origine, qui a pour objet l'information du consommateur et revêt ainsi le caractère d'élément d'une norme de commercialisation, doit, en principe, être respectée dès l'importation. Toutefois, aucun des règlements en cause (n° 1169/2011 du 25 octobre 2011; n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ; règlement d'exécution n° 543/2011 de la Commission ; règlement n° 952/ établissant le code des douanes de l'Union) ne confère expressément compétence aux États membres pour adopter des mesures, qu'elles soient individuelles ou générales, d'interdiction des importations des produits qui ne seraient pas conformes alors qu'une telle mesure, notamment dans l'hypothèse où la méconnaissance des conditions d'importation présente un caractère massif rendant difficile l'accomplissement de nombreux contrôles en aval une fois les produits disséminés sur le territoire de l'Union, pourrait justifier au niveau national l'adoption d'une interdiction des importations de fruits et légumes en provenance d'un pays déterminé.

Ceci le conduit à poser quatre questions préjudicielles à la CJUE dont certaines sont très délicates mais déterminantes pour la solution du litige soumis au Conseil d'État :

1) les dispositions du règlement n° 1169/2011, du règlement n° 1308/2013, du règlement n° 543/2011 et du règlement n° 952/2013 doivent-elles être interprétées en ce sens qu'elles autorisent un État membre à adopter une mesure nationale d'interdiction des importations, en provenance d'un pays déterminé, de fruits et légumes qui méconnaissent les articles 26 du règlement n° 1169/2011 et 76 du règlement n° 1308/2013 faute de mentionner le pays ou territoire dont ils sont réellement originaires, notamment lorsque cette méconnaissance présente un caractère massif et qu'elle peut difficilement être contrôlée une fois les produits entrés sur le territoire de l'Union ?

 2) il est posé à la Cour la question de savoir si l'accord sous forme d'échange de lettres entre l'UE et le Maroc doit être interprété en ce sens que, pour l'application des articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et de l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011, d'une part, les fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ont comme pays d'origine le Maroc et, d'autre part, si les autorités marocaines sont compétentes pour délivrer les certificats de conformité prévus par le règlement n° 543/2011 aux fruits et légumes récoltés sur ce territoire.

3) En cas de réponse positive à cette deuxième question, il est demandé à la Cour de dire si la décision du Conseil du 28 janvier 2019 approuvant l'accord sous forme d'échange de lettres est conforme à l'article 3, paragraphe 5 du traité sur l'Union européenne, à l'article 21 du même traité et au principe coutumier d'autodétermination rappelé notamment à l'article 1er de la Charte des Nations-Unies. 

4) Enfin, la Cour est interrogée sur la question de savoir si, compte tenu de l'analyse qu'elle a fait sur la situation du territoire du Sahara occidental dans ses arrêts du 21 décembre 2016 (Conseil c/Front Polisario, aff. C-104/16 P) et du 27 février 2018 (Western Sahara Campaign UK, aff. C-266/16) et des réponses apportées aux questions précédentes, les articles 9 et 26 du règlement (UE) n° 1669/2011 et l'article 76 du règlement (UE) n° 1308/2011 doivent être interprétés en ce sens qu'au stade de l'importation comme de la vente au consommateur, l'emballage des fruits et légumes récoltés sur le territoire du Sahara occidental ne peut mentionner le Maroc au titre du pays d'origine mais doit faire mention du territoire du Sahara occidental ?

(9 juin 2022, Confédération paysanne, n° 445088)

 

86 - Fourniture d'électricité - Accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) - Volumes déterminés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Remise en cause - Motifs - Rejet.

La société requérante -  qui n'a pu présenter de demande au titre de la période de livraison commençant le 1er janvier 2021 en raison d'une interruption de son droit à l'ARENH prononcée en application de l'article R. 336-27 du code de l'énergie en raison d'un défaut de paiement - ne saurait exciper des objectifs de liberté de choix du fournisseur d'électricité, d'accès transparent, équitable et non discriminatoire à l'électricité produite par les centrales nucléaires et de développement de la concurrence énoncés par le code de l'énergie, pour demander l'annulation de la délibération du 6 mai 2021 ainsi que de la décision du 28 mai 2021 de la CRE l'informant qu'aucun volume d'ARENH ne pourrait lui être accordé sur la période de livraison débutant le 1er juillet 2021 car les objectifs invoqués par la requérante ne sauraient permettre à la CRE, en l'absence de disposition expresse en ce sens, de remettre en cause les volumes d'ARENH qu'elle a notifiés à leurs bénéficiaires au titre d'une période en cours - en l'espèce celle courant du 1er janvier au 31 décembre 2021 - et qui ont donné lieu à des engagements fermes d'achat de la part de ces fournisseurs d'électricité.

En outre, selon le code de l'énergie, les cessions d'électricité en application du dispositif d'ARENH reposent sur des livraisons d'électricité pour une quantité déterminée sur une période d'un an et selon un profil qui doit être constant d'un mois à l'autre. Il n'est donc pas possible de prévoir une cession d'électricité au titre de la période de livraison allant du 1er juillet 2021 au 30 juin 2022 qui ne commencerait qu'en janvier 2022, date à laquelle les décisions prises sur les demandes présentées au titre de la période débutant au 1er janvier 2021 n'auront plus d'incidence. 

(9 juin 2022, Société Oui Energy, n° 454294)

 

87 - Aménagement commercial - Projet d'équipement commercial refusé par avis de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) avant le 15 février 2015 - Annulation contentieuse du refus - Nouvelle décision sur réexamen du dossier - Nature d'une décision et non d'un avis - Erreur de droit - Annulation.

Contrairement à ce qui a été jugé par la cour administrative d'appel dont l'arrêt est, pour ce motif, annulé, lorsqu'à la suite de l'annulation contentieuse d'une décision de la CNAC antérieure au 15 février 2015 (date d'entrée en vigueur de l'art. 6 du décret 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial), celle-ci statue à nouveau sur la demande d'autorisation commerciale dont elle se retrouve saisie du fait de cette annulation, l'acte par lequel elle se prononce sur le projet d'équipement commercial a le caractère d'une décision, susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non d'un avis, à la condition qu'il n'ait été apporté au projet aucune modification substantielle au regard des règles dont la CNAC doit faire application et cela même si la Commission se prononce à nouveau après le 15 février 2015. 

(14 juin 2022, Société Distribution Casino France, n° 437816)

(88) V. aussi, rejetant comme irrecevable le recours d'une commune dirigé contre l'avis favorable donné par la Commission nationale d'aménagement commercial à un projet d'aménagement commercial que la commune avait refusé d'autoriser, motif pris de ce que cet avis n'étant qu'une mesure préparatoire, il est insusceptible de faire l’objet d'un recours contentieux.

(14 juin 2022, Commune d'Aix-en-Provence, n° 446920)

 

89 - Aménagement commercial - Juridicité d'un projet  prétendue contraire à deux objectifs ou critères - Sursis à statuer sur l'un d'entre eux et absence de décision sur l'autre - Insuffisance de motif et erreur de droit - Annulation par voie de conséquence de la seconde décision - Annulations avec renvoi.

Dans ce litige en contestation de l'arrêté municipal délivrant à une société  un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la création d'un ensemble dénommé de 39 000 m² de surfaces de vente et d'un parc de stationnement de 2 056 places, sur un terrain de 13,68 hectares, la requérante soutenait devant la cour administrative d'appel que le projet litigieux méconnaissait l'objectif d'aménagement du territoire prévu par les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce, d'une part, au regard du critère de l'effet sur l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral et d'autre part, au regard du critère de l'effet sur les flux de transports.

La cour, après avoir estimé que le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'objectif d'aménagement du territoire en raison de ses effets sur les flux de transport était fondé, en l'état du dossier qui lui était alors soumis, a fait usage des pouvoirs qu'elle tenait de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme et a décidé de sursoir à statuer par son arrêt du 27 juin 2019, sans toutefois se prononcer préalablement sur le moyen tiré de l'atteinte du projet à l'animation de la vie urbaine, rurale et dans les zones de montagne et du littoral.

Or il lui incombait, avant de surseoir à statuer, de constater que les autres moyens invoqués n'étaient pas fondés, ce qu'elle n'a pas fait, rendant ainsi un arrêt  insuffisamment motivé et commettant une erreur de droit. C'est pourquoi le Conseil d'État est à la cassation.

Le Conseil d'État fait ensuite application de la technique, au demeurant très justifiée ici, d'annulation par voie de conséquence.

En effet, lorsque le juge administratif, saisi de conclusions à fin d'annulation d'une autorisation d'urbanisme, s'il estime par une première décision, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, les motifs de cette première décision qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision qui clôt finalement l'instance si cette seconde décision rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans la première décision a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation.

C'est pourquoi, en l'espèce, il appartient au juge d'appel ou de cassation, saisi de conclusions dirigées contre ces deux décisions, s'il annule la première décision, d'annuler en conséquence, le cas échéant d'office, la seconde décision.

(15 juin 2022, Société Eurocommercial Properties Taverny, n° 442937)

 

90 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Conseillers en investissements financiers – Manquements - Sanctions disciplinaires - Absence de caractère excessif ou disproportionné au regard des manquements reprochés - Rejet.

Les requérants recherchaient l'annulation  de la décision par laquelle la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers a prononcé à leur encontre, pour chacun, une sanction pécuniaire de 50 000 euros et une interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers d'une durée de 5 ans, ordonné la publication de la décision sur le site Internet de l'Autorité des marchés financiers et fixé à 5 ans à compter de la date de la décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme ; à titre subsidiaire, ils demandaient au juge de réformer cette décision en annulant l'interdiction d'exercer l'activité de conseiller en investissements financiers pendant cinq années prononcée à leur encontre ou en en réduisant la durée.

Les demandes sont, sans grande surprise, rejetées.

Tout d'abord, la circonstance qu'est ouverte à un membre du collège ayant pris part à la phase d'instruction préalable à l'instance disciplinaire, la faculté  de présenter des observations et de proposer une sanction doit être regardée comme celle d'émettre un avis, qui ne lie la commission des sanctions ni quant au principe même du prononcé d'une sanction, ni quant au quantum de celle-ci. Au reste, compte tenu de la procédure suivie devant la commission des sanctions, notamment les conditions d'établissement du rapport et de sa soumission au contradictoire, la parole donnée n dernier lieu aux personnes poursuivies, assurent - contrairement à ce qui est soutenu - le respect des principes du caractère contradictoire de la procédure et des droits de la défense.

Ensuite, les fait reprochés sont bien d'une certaine gravité, consistant notamment à avoir conseillé à une congrégation religieuse des investissements très spéculatifs inadaptés tant aux connaissances de celle-ci qu'à sa situation financière et à ses objectifs d'investissement, à ne pas avoir remis dès le début des relations avec deux clientes, divers documents d'information ainsi qu'en ne les informant pas des modalités et du montant des commissions perçues sur les investissements effectués. Enfin, il leur est également reproché, d'une part, la méconnaissance de l'obligation de diffuser des informations exactes, claires et non trompeuses dans leurs relations avec plusieurs autres clients, et d'autre part, l'encaissement des fonds de six clients pour un montant de 660 000 euros, qui ne rémunéraient pas leur activité.

Ces faits, reconnus par les intéressés et répétés sur une durée de trois ans, constituent des manquements caractérisés auxquels il convient d'ajouter des comportements frauduleux constituant des manquements à l'obligation de diligence et de loyauté à l'égard des contrôleurs auxquels ont été remis des documents antidatés.

Les sanctions infligées ne sont, dans ces conditions, ni excessives ni disproportionnées quand bien même l'une des personnes sanctionnées fait valoir, s'agissant de l'interdiction d'exercice de cinq années, que, au vu de son âge, cela a pour effet de lui faire cesser définitivement l'activité en cause.

En revanche, est rejeté le recours incident du président de l'AMF tendant à ce que la sanction pécuniaire soit portée de cinquante mille à cent mille euros.

(17 juin 2022, Société Groupe Consultant en Gestion Financière Internationale (CGFI) et M. A., n° 443523)

 

91 - Aménagement commercial - Étendue de la compétence de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) – Étendue de sa compétence systématique - Faculté d'autosaisine en dehors de cette compétence - Erreur de droit - Annulation.

Il résulte des dispositions de l'art. L. 752-17 du code de commerce que la CNAC est systématiquement informée des projets dont la surface de vente est supérieure ou égale à 20 000 m2 et de ceux ayant déjà atteint ce seuil ou devant le dépasser par la réalisation du projet.

Toutefois, cette compétence systématique de la CNAC ne l'empêche pas, contrairement à ce qu'avait jugé la cour administrative d'appel, de connaître de l'ensemble des projets d'aménagement et non seulement de ceux dont la surface de vente devant être autorisée est supérieure ou égale à 20 000 m2.

(20 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 441707)

 

92 - Inspecteurs de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes - Enquête débouchant sur la constatation de manquements et l'infliction d'amendes administratives - Nominations de ces agents constatateurs non publiées - Irrégularité - Annulation des sanctions - Erreur de droit - Annulation.

La société Réseau assistance, sanctionnée par deux amendes administratives pour des manquements constatés par des agents du service de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes ayant donné lieu de leur part à l'établissement de procès-verbaux, conteste la régularité de la procédure suivie à son endroit.

La cour administrative d'appel, se fondant sur l'obligation de publication des décisions portant nominations, promotions de grades et mises à la retraite dans la fonction publique d'État (art. 28 de la loi du 11 janvier 1984 et art. 2 du décret du 19 mars 1963 portant règlement d'administration publique relatif à la publication des décisions concernant la situation individuelle des fonctionnaires), a, d'une part, constaté l'absence de publication des nominations en qualité d'inspecteurs de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, des agents verbalisateurs, et d'autre part, déduit de cette situation qu'ils n'avaient pas été habilités à mener les opérations d'enquête à l'encontre de la société Réseau Assistance à compter du mois de janvier 2016, ni à en dresser procès-verbal le 1er mars 2016.

Le Conseil d'État annule cet arrêt en raison de l'erreur de droit sur laquelle il repose : la circonstance que les décisions de nominations les concernant n'aient pas été publiées est sans incidence sur la légalité de leur nomination comme sur la validité de leurs actes.

D'où cette question naïve : que recherche le législateur en imposant cette publication ? Rien ? Il serait étrange que le législateur exige de porter à la connaissance de l'opinion des nominations sans que le non respect de cette exigence de forme ait une quelconque incidence.

(23 juin 2022, ministre de l'économie et des finances, n° 443379)

 

93 - Demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture – Composition du dossier – Exigences d’informations portant atteinte au secret des affaires – Absence d’atteinte – Rejet.

La demanderesse recherchait l’annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 1er avril 2020 fixant la composition des dossiers de demandes relatives à des autorisations de mise sur le marché et permis de matières fertilisantes, d'adjuvants pour matières fertilisantes et de supports de culture et les critères à prendre en compte dans la préparation des éléments requis pour l'évaluation.

A l’appui de son recours, l’union requérante invoquait trois moyens, tous rejetés.

En premier lieu, était invoqué en vain le non respect du principe de sécurité juridique  puisqu’en annexe de l’arrêté litigieux figure bien un « guide relatif à l'évaluation des dossiers de demande relative à une autorisation de mise sur le marché ou à un permis pour des matières fertilisantes, des adjuvants pour matières fertilisantes et des supports de culture », lequel présente les recommandations relatives aux éléments à renseigner selon les différents paramètres évalués et permet notamment aux demandeurs d'être informés des éléments attendus pour évaluer la conformité de leurs produits aux teneurs de référence et de flux. C’est donc à tort qu’était soulevée ici la méconnaissance du principe de sécurité juridique.

En deuxième lieu, il était prétendu que l'arrêté querellé était entaché d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation, en ce que, d'une part, il fixerait des valeurs en éléments traces métalliques (ETM) de référence maximale pour la délivrance des différentes autorisations relatives aux produits concernés qui se situeraient en-deçà des valeurs limites fixées par le règlement européen du 5 juin 2019, par les normes françaises qui seraient applicables et par la règlementation d'autres États membres sans tenir compte, au demeurant, des particularités des différentes catégories de fertilisants, et en ce que, d'autre part, il porterait atteinte à la liberté de circulation des marchandises. Le juge relève cependant que cet argument doit être écarté puisque ces teneurs constituent uniquement des références pour la qualité des produits et qu'en cas de dépassement de ces dernières, le demandeur apporte les justifications nécessaires sur les éléments en excédent, sans que cela fasse obstacle à son autorisation.

En troisième lieu et surtout – c’est là l’apport le plus important de la décision -, était invoquée l’atteinte au secret des affaires qui résulterait des exigences contenues au I de l’art. 4 de l’arrêté en litige. Pour rejeter le moyen, le juge, se fondant sur les dispositions du code commerce relatives au secret des affaires (art. L. 151-1 et L. 151-7) et sur celle du code rural et de la pêche maritime relatives aux permis d’expérimentation d’une matière fertilisante, d'un adjuvant pour matières fertilisantes ou d'un support de culture ainsi qu’aux autorisations de mise sur le marché (art. L. 255-1, L. 255-7 et L. 255-8 et R. 255-7), en déduit que le secret des affaires n'est pas opposable à la transmission des informations demandées en application des dispositions du I de l'article 4 de l'arrêté attaqué dès lors qu'elles sont requises dans le cadre de l'instruction des demandes de permis d'expérimentation menée par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail. L'obligation de divulgation de telles informations est limitée à cette agence, aux fins de l'évaluation dont elle a la charge, et les conclusions de son évaluation, qui sont rendues publiques, ne peuvent inclure aucune information dont la publication porterait atteinte au secret des affaires. 

(24 juin 2022, Union des industries de la fertilisation, n° 443192)

 

Droit social et action sociale

 

94 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Entreprise en liquidation judiciaire - Recherche de reclassements par le liquidateur - Portée de l'obligation de reclassement - Rejet.

Dans cette importante décision le Conseil d'État juge que l'obligation de reclassement des salariés d'une société faisant l'objet d'un PSE qu'imposent les art. L. 1233-61 et L. 1233-62 du code du travail est satisfaite même si l'annexe au plan est incomplète faute pour une des entreprises du groupe d'avoir fait savoir, avant la décision de l'administration, s'il existait des postes de reclassement sur le territoire national en son sein, dès lors que le liquidateur judiciaire a utilement saisi de cette question les autres entreprises du groupe. L'administration doit exercer un contrôle global du caractère suffisant des mesures que contient le PSE (cf. Assemblée, 22 juillet 2015, Syndicat CGT de l'union locale de Calais et environs, n° 383481).

La cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant illégale la décision de l'administration validant le PSE en raison de l'incomplétude de l'annexe relative aux reclassements.

(1er juin 2022, ministre du travail, n° 434225 ; SELAFA MJA et la SELARL FIDES, agissant en qualité de liquidateurs de la société Alliage Assurances, n° 434243)

 

95 - Plan de sauvegarde de l'emploi  (PSE) - Plan de reclassement du personnel intégré au PSE - Étendue et portée du contrôle exercé par l'inspection du travail - Rejet.

Une nouvelle fois est en cause l'étendue du contrôle exercé par l'inspection du travail, dans le cadre d'un PSE, s'agissant des indications et précisions qui doivent figurer dans le plan de reclassement du personnel, lequel est intégré au PSE.

De l'ensemble des dispositions applicables du code du travail, le juge tire une double conséquence, positive et négative, au stade du document unilatéral portant PSE.

Positivement d'abord, l'autorité administrative doit s'assurer qu'en application des articles L. 1233-61 et suivants du code du travail, le plan de reclassement intégré au PSE est de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, que l'employeur a identifié dans le plan l'ensemble des possibilités de reclassement des salariés dans l'entreprise et, lorsque l'entreprise appartient à un groupe, que l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles pour un reclassement sur le territoire national dans les autres entreprises du groupe, quelle que soit la durée des contrats susceptibles d'être proposés pour pourvoir à ces postes, en indiquant dans le plan, pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, leur nombre, leur nature et leur localisation.

Négativement ensuite, l'autorité administrative ne peut contrôler le respect de l'obligation qui, en application de l'article L. 1233-4 du code du travail, incombe à l'employeur qui projette de licencier un salarié pour motif économique, consistant à procéder, préalablement à son licenciement, à une recherche sérieuse des postes disponibles pour le reclassement de ce salarié, qu'ils soient ou non prévus au PSE, en vue d'éviter autant que possible ce licenciement. Il en va ainsi même lorsque le document unilatéral arrêtant le PSE comporte des garanties relatives à la mise en œuvre de l'obligation, prévue à l'article L. 1233-4 du code du travail, de recherche sérieuse de reclassement individuel.

Le juge relève à cet égard que, de telles garanties, dont les salariés pourront, le cas échéant, se prévaloir, pour contester leur licenciement, ne sont pas de nature à dispenser l'employeur de respecter, dans toute son étendue, l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article L. 1233-4 du code du travail. 

Le recours est rejeté.

(20 juin 2022,  Comité social et économique de l'UES Hop ! et autres, n° 437767)

 

96 - Salarié protégé - Licenciement collectif pour motif économique - Contrôle de la régularité de la consultation du comité d'entreprise - Qualité de l'information qui y est donnée - Consultation non nécessaire du comité d'hygiène et de sécurité - Connaissance satisfaisante du périmètre  du groupe - Contrôle de la réalité du motif économique invoqué - Absence de manquement de l'employeur à son obligation de reclassement - Rejet.

Le juge relève l'absence d'irrégularités qui affecteraient la décision de licenciement pour motif économique de la requérante, salariée protégée, dans le cadre d'un licenciement collectif.

C'est en vain que la demanderesse critique les conditions de consultation du comité central d'entreprise de la société employeur ainsi que celles des comités d'établissement, en particulier eu égard aux informations suffisantes qui leur ont été communiquées.

En revanche, n'était pas requise la consultation du comité d'hygiène et de sécurité.

Tout aussi vainement la requérante invoque-t-elle une méconnaissance par l'administration du travail du périmètre du groupe, cela résultant des pièces du dossier, et une insuffisante connaissance de la réalité du motif économique invoqué au soutien de sa décision de licenciement.

Enfin, l'employeur n'a pas manqué à son obligation de recherche sérieuse de reclassement, alors surtout que l'intéressé n'a pas donné suite à la proposition de reclassement personnalisé qui lui a été faite.

(14 juin 2022, M. B., n° 437422)

(97) V. aussi, annulant une ordonnance du juge d'appel estimant que le liquidateur judiciaire d'une société qui avait procédé au licenciement d'un agent de celle-ci n'avait pas effectué une recherche sérieuse de reclassement dans la mesure où il s'était borné à adresser aux autres entreprises du groupe une « lettre-circulaire » indiquant les emplois occupés par les salariés à reclasser ainsi que leur classification car ce courrier ne comportait aucune précision quant aux caractéristiques de ces emplois, notamment quant à leur rémunération et à leurs conditions d'exercice. Le Conseil d'État juge que commet une erreur de droit l'auteur de cette ordonnance qui estime qu'il appartenait au liquidateur judiciaire, au titre de son obligation de recherche personnalisée de reclassement, d'accompagner son courrier de recherche de postes de reclassement auprès des autres entreprises du groupe de précisions quant à la rémunération et aux caractéristiques des emplois occupés par les salariés à reclasser : 14 juin 2022, Selarl Grave-Randoux, n° 446792.

 

98 - Autorisation administrative de licenciement pour faute disciplinaire d’un salarié protégé – Contestation de la procédure suivie et des motifs du licenciement – Rejet.

Réglant au fond le litige par application de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État – au contraire de l’arrêt d’appel infirmatif attaqué devant lui - juge légale et régulière la décision de l’inspection du travail autorisant ici le licenciement pour motif disciplinaire d’un salarié protégé.

Sur la procédure, le juge relève que n’est pas fondé le moyen tiré de ce que le requérant n’aurait pas disposé d'un délai suffisant pour préparer son audition devant la délégation unique du personnel soit le lendemain de son entretien préalable. Ainsi, la décision de l'inspectrice du travail n’est pas illégale pour avoir estimé que le délai séparant l'entretien préalable de la consultation de la délégation unique du personnel était suffisant. Il constate également que les membres titulaires et suppléants de la délégation unique du personnel ont été régulièrement convoqués à la réunion extraordinaire du 15 décembre 2017 en vue de sa consultation sur le projet de licenciement pour motif disciplinaire de l’intéressé.

Enfin, ne saurait être soutenu le caractère non contradictoire de l’enquête menée par l’inspectrice du travail en ce que celle-ci a mis à la disposition du requérant la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire adressée par son employeur en y adjoignant les déclarations, non anonymisées, de l'apprentie auprès de laquelle il lui est reproché d'avoir eu un comportement inapproprié et les témoignages, anonymisés, des autres salariés, dès lors qu'elle avait estimé que la connaissance des noms de ces salariés était, à ce stade de la procédure, de nature à porter préjudice à leurs auteurs. En procédant ainsi, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu les exigences posées par l'article R. 2121-11 du code du travail. 

Sur le motif du licenciement, le juge estime que l’inspectrice du travail n’a pas inexactement apprécié les faits qui lui étaient soumis en estimant qu'ils étaient fautifs et de nature à justifier à eux seuls le licenciement. En effet, il ressortait du dossier que le requérant a eu à l'égard d'une apprentie de dix-neuf ans un geste à caractère sexuel, particulièrement inapproprié dans le cadre des relations professionnelles et qu’il tenait habituellement des propos à caractère déplacé à l'encontre de salariées de l'entreprise. Ce geste, commis au préjudice d'une jeune femme en contrat d'apprentissage, constitue une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement sans que puisse y faire obstacle les allégations du requérant qui ne sont pas établies.

(29 juin 2022, M. B., n° 442190)

 

99 - Licenciement pour motif économique d’un salarié protégé – Portée de l’exigence d’une enquête administrative contradictoire – Cas particulier d’un licenciement en vertu de l’art. L. 631-17 du code de commerce – Rejet.

De cette très longue décision seront retenus ici seulement deux aspects.

Le premier concerne l’étendue de l’obligation pour l’autorité administrative de mener une enquête contradictoire en cas de licenciement d’un salarié protégé.

Si des dispositions du code du travail (art. R. 2421-4 et R. 2421-11) imposent à l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, de procéder à une enquête contradictoire quel que soit le motif de la demande, cette obligation ne s’applique pas lorsque ministre chargé du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur. Il n’en va autrement que dans l’hypothèse où l'inspecteur du travail n'ayant pas lui-même respecté l’exigence d’une enquête contradictoire, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation. 

Le second aspect concerne le cas particulier où des licenciements pour motif économique sont jugés nécessaires alors que l’entreprise est placée en période d’observation dans le cadre d’un redressement judiciaire. En ce cas, selon l’art. L. 631-17 du code de commerce, l'administrateur judiciaire ne peut procéder à des licenciements pour motif économique que s'ils présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable et après autorisation, non nominative, du juge-commissaire désigné par le tribunal de commerce.

Le Conseil d’Etat estime en outre, au-delà du texte légal, que si est envisagé le licenciement d’un salarié protégé, l'administrateur doit, en outre, solliciter l'autorisation nominative de l'inspecteur du travail qui vérifie, outre le respect des exigences procédurales légales et des garanties conventionnelles, que ce licenciement n'est pas en lien avec le mandat du salarié, que la suppression du poste en cause est réelle et a été autorisée par le juge-commissaire, que l'employeur s'est acquitté de son obligation de reclassement, et qu'aucun motif d'intérêt général ne s'oppose à ce que l'autorisation soit accordée.

En revanche, le Conseil d’Etat déduit de ces dispositions du code de commerce que pendant cette période d'observation, la réalité des difficultés économiques de l'entreprise et la nécessité des suppressions de postes sont examinées par le juge de la procédure collective dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Il s’ensuit que si un licenciement a été autorisé par une ordonnance du juge-commissaire, ces éléments du motif de licenciement ne peuvent être contestés qu'en exerçant les voies de recours ouvertes contre cette ordonnance et ne peuvent être discutés devant l'administration et, partant, devant le juge administratif.

(29 juin 2022, Mme C., n° 443955)

 

100 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en cause de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

V. n° 183

 

101 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut de ces agents ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

V. n° 144

 

 

102 - Droit à congé annuel payé - Absence d'exercice de ce droit par le salarié placé en congé maladie - Régime juridique issu du droit de l'Union européenne - Erreur de droit - Annulation partielle.

Il résulte des dispositions l'art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail telles qu'interprétées par la jurisprudence de la CJCE (20 janvier 2009, Gerhard Schultz-Hoff, aff.C-350/06 et Stringer e. a., aff. C-520/06) :

- que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période, parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de la période en cause, ne s'éteint pas à l'expiration de celle-ci et, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, qu'un droit à indemnité financière doit lui être reconnu lorsqu'il n'a pu, pour cette raison, exercer son droit au congé annuel payé.

- que ce droit au report ou, lorsqu'il est mis fin à la relation de travail, à indemnisation financière, s'exerce toutefois, en l'absence de dispositions sur ce point dans le droit national, dans la limite de quatre semaines par année de référence.

L'arrêt de la cour est confirmé en tant qu'il statue sur le premier aspect et annulé en tant que, sur le second aspect, il juge que l'intéressé devait disposer de 25 jours de congés payés qui n'avaient pu être pris du fait d'un arrêt de maladie alors qu'il résulte de l'art. 7 de la directive qu'il n'avait droit qu'à 20 jours.

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 443053)

 

103 - Intervention d’un syndicat en première instance, en demande aux côtés du salarié licencié – Appel interjeté par le syndicat intervenant – Conditions de recevabilité –

Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance d’appel jugeant qu'un syndicat n'a pas qualité pour introduire un recours contre la décision de l'inspecteur du travail autorisant un employeur à licencier un salarié protégé pour inaptitude alors, d’une part, qu’un syndicat de salariés est recevable à demander l'annulation de la décision par laquelle un inspecteur du travail autorise le licenciement d'un délégué du personnel et d’autre part, que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité pour introduire elle-même le recours ce qui était le cas de l’espèce. 

(14 juin 2022, Syndicat CGT Schindler, n° 456117)

 

104 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu – Opposition à contrainte – Demande tardive – Délai de droit commun de saisine du juge et délai spécial de l’art. R. 5426-22 du code du travail – Computation – Prise en compte de la date d’envoi non de la date de réception – Erreur de droit – Annulation.

Pôle emploi a, le 30 juillet 2020, signifié par acte d'huissier de justice à Mme B. une contrainte émise le 22 juillet 2020 pour la récupération d'une somme correspondant à un indu d'allocation de solidarité spécifique. Une ordonnance du magistrat du tribunal administratif à ce désigné a jugé que l'opposition à cette contrainte, formée le 17 août 2020 au greffe de ce tribunal, était tardive et l'a, en conséquence, rejetée comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de l'article R. 222-1 du CJA.

Cependant, le Conseil d’État relève que si, en principe, les délais de recours devant les juridictions administratives sont des délais francs, les recours devant être enregistrés au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai, il résulte toutefois un régime particulier de computation des délais du chef des dispositions de l'article R. 5426-22 du code du travail selon lesquelles : « Le débiteur peut former opposition par inscription au secrétariat du tribunal compétent dans le ressort duquel il est domicilié ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée au secrétariat dudit tribunal dans les quinze jours à compter de la notification ».

D’une part, ces dispositions sont applicables également aux oppositions formées par un allocataire à l'encontre d'une contrainte émise par Pôle emploi aux fins d'obtenir le remboursement d'une prestation servie au titre du régime d'assurance chômage qu'il estime avoir indûment versée, oppositions qui relèvent des juridictions judiciaires.

D’autre part, ainsi que cela est le cas devant ces juridictions en vertu des articles 642 et 668 du code de procédure civile, l'opposition à contrainte doit seulement être « adressée » à la juridiction compétente, c'est-à-dire expédiée - en cas d'envoi postal -, avant le terme du délai de quinze jours à compter de la signification de la contrainte, qui n'est pas un délai franc mais est seulement susceptible de prorogation jusqu'au premier jour ouvrable suivant s'il expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé.

En l’espèce, la signification à l’intéressée ayant eu lieu le 30 juillet 2020 par exploit d’huissier, le délai de quinze jours prévu à l'article R. 5426-22 précité expirait le vendredi 14 août 2020 à minuit.

Se fondant, pour rejeter comme tardive l'opposition de Mme B. à la contrainte signifiée le 30 juillet 2020, sur la circonstance qu'elle n'avait été enregistrée au greffe du tribunal que le lundi 17 août 2020, l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit faute d’avoir recherché à quelle date le pli contenant l'opposition à contrainte avait été adressé au tribunal. 

(24 juin 2022, Mme B., n° 453757)

(105) V. aussi, identique : 24 juin 2022, M. B., n° 455435.

 

106 - Centre communal d’action sociale (CCAS) – Suspension d’aides facultatives – Intérêt pour agir d’une organisation nationale à l’encontre d’une mesure à effet local – Indétermination des motifs de suspension des aides et urgence – Annulation.

Par délibération de son conseil d’administration, un président de CCAS a été autorisé à suspendre l'accès aux aides sociales facultatives, telles que prévues dans le règlement de l'aide sociale facultative de ce CCAS, aux personnes décrites dans la délibération. Etaient visées : les personnes ayant « fait l'objet d'un rappel à l'ordre », ou ayant « refusé l'accompagnement parental proposé par le conseil des droits et devoirs des familles au titre de l'article 141-2 du code de l'action sociale et des familles », ou « fait l'objet d'un jugement définitif suite à une infraction troublant l'ordre public » ou « causé un préjudice à la commune », ainsi que la « famille directe » de ces personnes « lorsque lesdites personnes sont mineures ».

L’organisation demanderesse a formé un référé tendant à la suspension de l’exécution de cette délibération. Cette action soulevait deux questions distinctes.

La première tenait à l’intérêt d’une organisation à vocation nationale pour agir contre une mesure à effet local. La réponse, on le sait, est en principe négative sauf si la décision contestée « soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ». Le premier juge des référés ne l’a pas pensé puisqu’il a jugé irrecevable l’action introduite en l’espèce. Au contraire, le juge du Conseil d’État a estimé que cette décision était de nature à affecter des personnes vulnérables et qu’elle présentait, dans la mesure notamment où elle répondait à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local, d’où il déduit la recevabilité du recours. La solution se discute car la potentialité de « diffusion » de cette décision suppose autant de délibérations distinctes des CCAS des différentes communes « imitatrices » ; de là à voir apparaître un intérêt suffisamment général, il y a un très grand pas à franchir…

La seconde question portait sur le fond de la demande : le juge y aperçoit l’urgence à statuer eu égard aux effets de la délibération contestée sur la situation des personnes susceptibles de bénéficier des aides sociales facultatives et a un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée en ce qu’elle est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation en raison de ses imprécisions quant aux circonstances pouvant conduire à la suspension des aides sociales facultatives et de l'absence de tout encadrement de la faculté reconnue au président du CCAS.

(24 juin 2022, Ligue des droits de l’homme, n° 454799)

 

Élections et financement de la vie politique - Transparence de la vie publique

 

107 - Élection des députés à l'Assemblée nationale représentant la huitième circonscription  des Français de l'étranger - Demande d'ouverture de bureaux de vote supplémentaires - Refus - Rejet.

Électeur dans la 8ème circonscription des Français de l'étranger (Chypre, la Grèce, Israël, Italie, Malte, Saint-Marin, Saint-Siège et Turquie) l'intéressé avait demandé l'ouverture de bureaux de vote supplémentaires en Israël, dans la circonscription consulaire de Tel-Aviv, à Ashod et Beer-Sheva. Il demande l'annulation du refus opposé à sa demande.

Pour rejeter le recours le Conseil d'État relève d'une part, le peu d'utilisation du vote à l'urne dans cette circonscription, la distance raisonnable pour effectuer le trajet aller-retour entre Tel-Aviv et Ashod ou Beer-Sheva qui dure deux heures, d'autre part, la circonstance de la coïncidence de la date du scrutin avec la fête juive de Chavouot où les fidèles restreignent fortement leurs déplacements, réduisant encore davantage le recours au vote à l'urne.

(1er juin 2022, M. A., n° 464200)

(108) V. aussi, à propos d'un litige relatif à l'acheminement de matériel électoral pour les élections législatives se déroulant en France continentale et aux conditions de délai : 5 juin 2022, M. B. et autres requérants de Lutte ouvrière, n° 464686.

(109) V. encore, statuant sur diverses contestations, dont aucune n'est retenue, relatives à la circonscription électorale Asie-Océanie et constatant qu'au total le résultat de l'élection demeure inchangé : 16 juin 2022, M. Q. et autres, n° 459463.

 

110 - Élections des conseillers des Français de l’étranger – 4ème circonscription du Canada – Ambiguïté sur le soutien apporté à une liste – Profession de foi se prévalant du soutien d’un président de la république – Manœuvres dans un contexte de faible écart de voix – Annulation.

Deux recours, joints, demandaient l’annulation des opérations électorales qui se sont déroulées d’abord entre les 21 et 26 mai, puis le 29 mai 2021 en vue de l'élection des conseillers des Français de l'étranger dans la 4ème circonscription du Canada (Montréal, Moncton et Halifax).

Le juge retient, pour procéder à l’annulation sollicitée, en premier lieu, l’ambiguïté résultant de ce que sur la circulaire électorale de la liste conduite par Mme Q. (Écologie, urgence climatique et environnement avec les Françaises et les Français du Québec et des Provinces atlantiques : liste verte pour servir et défendre vos intérêts en accord avec les objectifs de développement durable de l'ONU) figuraient la signature du président de la Fondation Nicolas Hulot ainsi que son portrait et un logo très semblable à celui de cette Fondation même s’il était soutenu que cette liste ne s’était pas appropriée le soutien de cette Fondation mais que cette liste apportait son soutien à cette Fondation.

Est retenu en second lieu le fait que la profession de foi de la liste conduite par M. F. (Ensemble avec le Président de la République et le Premier ministre pour une fiscalité équitable en supprimant la CSG/CRDS, une protection sociale de la CFE accessible à tous et une simplification des démarches consulaires en ligne) a fait figurer en pleine page la photographie de M. Emmanuel Macron, Président de la République en exercice, accompagnée de la mention de cette qualité dans la plus forte police de caractères du document, associée à la photographie de M. F... en format réduit insérée en bas à droite et, en bas à gauche, à un logo reproduisant la façade du palais de l'Élysée arborant le pavillon national. Les bulletins de vote de cette liste ont par ailleurs reproduit, également avec la plus forte police de caractères du document, la mention « Président de la République » , accompagnée par le même logo.

Tout ceci a été jugé constituer des manœuvres qui, en l’état du faible écart des voix, conduisaient à l’annulation des opérations électorales litigieuses.

(24 juin 2022, M. Y., n° 453475 ; M. X. et M. AH., n° 453507)

 

111 - Consultation sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie (12 décembre 2021) - Choix de la date de la consultation - Prise de position publique du premier ministre - Modalités de vote offertes dans certaines communes pour cause d'épidémie - Acte de campagne regrettable - Rejet.

Le Conseil d'État rejette tous les griefs contenus dans les protestations dirigées contre la tenue de la consultation du 12 décembre 2021 sur l'accession à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie.

Tout d'abord,  était critiquée le maintien de cette consultation en temps de pandémie et durant la période de deuil coutumier décrété par le sénat coutumier qui auraient provoqué un fort taux d'abstention. Ces griefs sont rejetées car les mesures prises ont permis de concilier sécurité sanitaire et bon déroulement des opérations électorales. Par ailleurs, le taux d'abstention n'est pas, en France, à lui seul, un élément de la validité d'un scrutin.

Ensuite, en prenant position en faveur du choix de la France par les électeurs néo-calédoniens le premier ministre n'a contrevenu à aucune règle ou principe et notamment pas à une prétendue « obligation de loyauté et d'impartialité ».

En outre, pour certaines communes, du fait de leur situation sanitaire, le haut-commissaire de la république a prévu une faculté de prolongation de la période ouverte pour les électeurs des communes insulaires de la Nouvelle-Calédonie pour demander à voter ou à ne plus voter dans un lieu de vote ouvert à Nouméa lors de cette consultation, il a prolongé de deux semaines la période d'option dont disposaient les électeurs des communes de Bélep, île des Pins, Lifou, Maré et Ouvéa pour choisir de voter dans un lieu de vote délocalisé.

Enfin, pour regrettable que soit la diffusion des clips vidéos des groupements « Voix du Non 2 » et « Voix du Non 3 » pendant une partie de la campagne officielle celle-ci n'a pas porté atteinte à la sincérité du scrutin en l'état du nombre de « non » parmi les suffrages exprimés.

(3 juin 2022, Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie et autres, n° 459711 ; M. AZ. et autres, n° 459753, jonction)

 

112 - Élections législatives - Établissement de la « grille des nuances politiques » - Objectif d'obtenir des résultats électoraux sincères - Refus de prévoir une nuance « NUPES » - Organisation présentant un programme partagé de gouvernement et des candidats uniques sur tout le territoire - Annulation.

En vue des élections législatives devant se tenir les 5 et 12 juin 2022, le ministre de l'intérieur a, comme à l'accoutumée, établi une grille des nuances politiques afin que les citoyens disposent de résultats électoraux sincères faisant apparaître les tendances politiques.

Diverses formations politiques se sont réunies en une Union qui s'est dotée d'un programme politique qu'elles se partagent et présentant des candidatures uniques communes.

La circulaire du 13 mai 2022 ne prévoit pas la nuance « NUPES » dans la grille des nuances, chaque parti la composant y est enregistré sous son propre nom tandis que la nuance « ECO » réunit tous les partis écologistes quelle que soit leur tendance politique, gauche ou droite.

Les requérants demandaient la suspension de l'exécution de cette circulaire en tant que n'y figure pas la nuance NUPES.

Le juge des référés statuant en formation collégiale prononce la suspension de la circulaire litigieuse.

Il le fait d'abord à partir d'un constat porté par un souci de démocratie. La coalition « NUPES », analyse le juge, « rassemble les principaux partis et formations politiques d'opposition situés à gauche de l'échiquier politique français, autour d'un programme partagé de gouvernement et des candidatures uniques dans l'ensemble des circonscriptions électorales. Ce rassemblement constitue un courant politique qui participe à la structuration du débat électoral en vue des élections législatives de 2022. Dans ces conditions, l'absence de comptabilisation, sous une nuance unique, des suffrages qui se porteront sur les candidats soutenus par la coalition " NUPES " (...) est susceptible de porter atteinte à la sincérité de la présentation des résultats électoraux à l'issue des deux tours de scrutin. »

Il le fait ensuite dans un souci d'équité, relevant, non sans malice, « que les suffrages portés sur les candidats des partis et formations composant la majorité présidentielle seront comptabilisés sous la seule nuance " Ensemble ! ". »

Il le fait enfin en contraignant le ministre de l'intérieur à mettre un terme à une double incohérence qui, ici, confine la mauvaise foi, ce dont le juge n'est dupe. Il est noté, d'une part, « que (les suffrages) portés sur les candidats investis par les partis et formations écologistes appartenant à la coalition " NUPES " seront comptabilisés sous la nuance " ECO " avec d'autres mouvements écologistes qui n'ont pas rejoint cette coalition » et d'autre part, que si « le ministre de l'intérieur fait valoir que la coalition " NUPES " n'a été constituée que récemment et qu'à la différence des partis et formations composant la majorité présidentielle, les partis et formations politiques de la coalition " NUPES " ont conservé leur autonomie pour l'investiture des candidats dans les circonscriptions électorales qu'elles se sont réparties, pour la campagne audiovisuelle et pour l'accès au financement public (...) » ce même ministre « regroupant (par sa circulaire), sous des nuances communes, des formations politiques totalement indépendantes les unes des autres, le critère de l'autonomie n'apparaît dès lors pas déterminant dans la définition des nuances ».

L'analyse est fine et sévère, montrant par là les limites d'un exercice confiant au ministre de l'intérieur le soin de distribuer un nuancier politique sur l'honnêteté intellectuelle duquel on peut s'interroger.

Reste cependant aussi qu’une « coalition » dont les composantes demeurent indépendantes les unes des autres et agissent tantôt ensemble tantôt séparément  a quelque mal à prouver qu’elle existe réellement.

(ord. réf. form. coll., 7 juin 2022, La France insoumise, Europe Ecologie les Verts, Génération.s, Génération Écologie, Les nouveaux Démocrates, le Parti communiste français, le Parti socialiste et la coalition la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (NUPES), n° 464414)

 

113 - Référé suspension - Demande d'annulation des élections législatives des 12 et 19  juin 2022 - Requête manifestement irrecevable - Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA comme manifestement irrecevable devant le Conseil d'État la requête en référé suspension tendant à le voir annuler les élections législatives du 19 juin 2022.

Où la fertilité de l'imagination des plaideurs n'assure pas la fécondité du succès contentieux...

(ord. réf. 20 juin 2022, M. A., n° 465117)

V. n° 41

 

 

114 - Élections au conseil départemental - Irrégularité alléguée de procurations - Écart des voix - Demande de proclamer des inéligibilités - Absence de preuve de manoeuvres frauduleuses - Rejets.

La circonstance, prétendue, que sur 130 procurations, plusieurs dizaines d'entre elles auraient été établies irrégulièrement est sans effets sur les résultats du scrutin dès lors qu'au premier tour du scrutin, 556 voix séparaient le binôme arrivé en troisième position de celui arrivé en deuxième position et qu'au second tour, 271 voix séparaient les deux binômes restés en lice.

Par ailleurs, en l'absence de toute preuve que M. K. ou Mme F. auraient accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin, la demande de les déclarer inéligibles ne peut qu'être rejetée.

(17 juin 2022, M. H. et Mme B., Élections des conseillers du canton de Vesoul 2, n° 461890)

 

115 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Avis d'incompatibilité entre des fonctions exercées et des fonctions envisagées - Rejet.

Le juge des référés de l'art. L. 521-4 CJA rejette la demande de suspension de l'exécution  de la délibération de la HATVP contenant un avis d'incompatibilité à propos de l'exercice des fonctions de directeur d'activités au sein de la société Alliaserv ESNA avec les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années dans les services de la commune de Cenon.

Pour ce faire, il relève, pour l'essentiel, tout d'abord, qu'un contrat de performance énergétique chauffage, ventilation, climatisation, d'une durée de 6 ans et 8 mois, a été attribué le 21 avril 2021 par la commune de Cenon au groupement dont la société Alliaserv ESNA est le mandataire ainsi que le marché global de performance pour la construction d'un centre aqualudique, d'une durée totale de 138 mois, confié par la commune le 1er mars 2021 à un groupement dont la société Baudin Chateauneuf est le mandataire et dont la société Alliaserv ESNA est l'un des co-traitants.

Il relève ensuite que ces deux contrats ont fait l'objet de procédures de passation pilotées par la direction du patrimoine dont le requérant était à l'époque le directeur. Le juge précise que si ce dernier fait valoir qu'il ne disposait pas de délégation de signature pour conclure ces marchés, qu'il n'a pas participé avec voix délibérative au jury du concours, qu'aucun document écrit n'atteste qu'il a formalisé un avis à l'une quelconque des étapes du choix et que la commune bénéficiait dans les deux cas d'une assistance à maîtrise d'ouvrage, il n'en reste pas moins que les fonctions qu'il exerçait l'ont effectivement conduit à participer à de nombreuses étapes du processus d'analyse, de négociation et de sélection dans chacun des deux marchés.

Par suite, le moyen tiré de ce que la HATVP aurait inexactement appliqué les dispositions pénales en cause et commis une erreur dans l'appréciation du risque que les éléments constitutifs de l'infraction réprimée à l'article 432-13 du code pénal puissent être réunis, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

(ord. réf. 14 juin 2022, M. A., n° 464441)

 

Environnement

 

116 - Implantation d'éoliennes - Refus d'autorisation - Annulation par le juge administratif - Formation de tierces oppositions - Régime applicable - Rejet pour l'essentiel.

Diverses interventions n'ayant pas été admises par les premiers juges, cela donne l'occasion au Conseil d'État, outre l'examen des moyens de fond, de rappeler les principes qui gouvernent la tierce opposition en procédure administrative.

Tout d'abord, la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue en défense à un recours pour excès de pouvoir est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision ».

Ensuite, la circonstance qu'une association justifie, eu égard à son objet social, d'un intérêt pour agir contre une décision administrative ne lui donne pas, de ce seul fait, qualité pour former tierce opposition au jugement par lequel un tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation, y compris lorsque le tribunal administratif a assorti son jugement d'une injonction tendant à la délivrance de cette autorisation, dès lors que l'autorisation ainsi délivrée peut être contestée par des tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement. Cette association n'est donc pas recevable à relever appel d'un tel jugement alors même qu'elle est intervenue en défense devant le tribunal administratif. Il en va de même de toute personne qui justifierait d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette décision administrative, dès lors que le jugement par lequel le tribunal administratif a annulé la décision refusant cette autorisation ne préjudicie pas à ses droits.

Également, celui dont l'intervention en défense n'a pas été admise par le tribunal administratif, s'il peut former appel contre le jugement en tant qu'il n'a pas admis son intervention, n'est en revanche pas recevable à contester le jugement en tant qu'il statue sur les refus de permis de construire contestés par la société demanderesse, dès lors qu'il ne justifie pas qu'il aurait eu qualité pour former tierce opposition à l'encontre de ce jugement.

Enfin, lorsque le juge administratif annule un refus d'autoriser une installation classée pour la protection de l'environnement et accorde lui-même l'autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions, la voie de la tierce opposition est ouverte contre cette décision aux tiers qui justifieraient d'un intérêt suffisant pour demander l'annulation de la décision administrative d'autorisation, sans qu'ils aient à justifier d'un droit lésé. Le tiers peut invoquer tout moyen à l'appui de sa tierce opposition.

A cet égard, pour pouvoir contester une décision prise au titre de la police des installations classées, les tiers doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

(1er juin 2022, Association Apache et autres, n° 441176 ; M. B., n° 441181 ; Commune de Richelieu, n° 481183, jonction)

(117) V. aussi, sur le régime de l'intervention dans le procès administratif : 14 juin 2022, Société Vilogia, n° 449416.

 

118 - Protection d'espèces d'oiseaux menacées - Connaissances scientifiques lacunaires à leur égard - Souci d'améliorer ces connaissances - Absence d'autorisation directe de prélèvements par le décret attaqué - Rejet.

L'association requérante, bien connue du juge administratif, poursuivait l'annulation du décret n° 2020-1092 du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative et demandait à la ministre de la transition écologique, à titre principal, de désinscrire la barge à queue noire, le courlis cendré, le grand-tétras et la tourterelle des bois de l'arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée et de les inscrire sur la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire prévue par l'arrêté du 29 octobre 2009 et, à titre subsidiaire, de prendre sur le fondement de l'article R. 424-14 du code de l'environnement des arrêtés suspendant la chasse de la barge à queue noire, du courlis cendré, du grand-tétras et de la tourterelle des bois.

Le Conseil d'État rejette le recours.

La chasse des espèces en cause est autorisée sur le territoire européen de la France et dans sa zone maritime. Le juge précise, se fondant notamment sur les dispositions des art. L. 425-16 et L. 425-17 du code de l'environnement, que si leur chasse, si elle n'est pas interdite, doit néanmoins être réglementée de manière à ce que le nombre maximal d'oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de ces espèces dans leur aire de distribution.

De là se déduit la juridicité du décret attaqué dans la mesure où son auteur, en l'état de connaissances scientifiques lacunaires sur ces oiseaux, vise à recueillir des données permettant d'améliorer ces connaissances scientifiques.

De plus, si ces espèces sont en mauvais état, ce n'est pas le décret litigieux qui est susceptibles d'aggraver cette situation mais les éventuels arrêtés pris sur sa base en tant qu'ils autoriseraient des prélèvements. C'est donc au ministre de la chasse qui reviendra, dans ses arrêtés, de satisfaire à l'exigence d'une régulation équilibrée de chaque espèce du point de vue écologique.

Par suite, d'une part c'est contre de tels arrêtés que devraient, le cas échéant, être dirigés les recours de la demanderesse, d'autre part, et pour le même motif, ne sauraient être retenue à l'encontre dudit décret l'atteinte aux principes de précaution et de conciliation (cf. art. L. 110-1 et L. 110-2 c. env. et art. 6 Charte de l'environnement).

(1er juin 2022, Association One Voice, n° 445616)

(119) V. aussi le rejet du recours de cette association dirigé contre le décret du 27 août 2020 relatif à la gestion adaptative des espèces, qui précise notamment la nature des informations recueillies par les chasseurs lors des prélèvements de spécimens d'espèces soumises à gestion adaptative et les modalités de leur transmission en application de l'article L. 425-20 du code de l'environnement : 1er juin 2022, Association One Voice, n° 445728.

(120) V. encore, rejetant un recours en suspension de l'exécution d'un arrêté ministériel en tant qu'il classe le renard roux sur la liste des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges : 7 juin 2022, Association Oiseaux-Nature, n° 464088.

(121) V. également, annulant  le refus du ministre chargé de la chasse de prendre un arrêté suspendant la chasse au grand tétras, espèce en mauvais état de conservation, ce refus ne respectant pas l'obligation qui résulte des objectifs de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages au motif, rédigé ici en termes de principe, que : « S'il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi l'ensemble des mesures qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent et si le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait en principe être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en œuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations, le refus de prendre une mesure déterminée est illégal dans l'hypothèse où l'édiction de cette mesure se révèle nécessaire au respect des obligations qui s'imposent aux autorités compétentes et où l'abstention de la prendre fait obstacle à ce qu'elles puissent être respectées ». : 1er juin 2022, Associations France Nature Environnement Midi-Pyrénées, France Nature Environnement Hautes-Pyrénées, Nature en Occitanie, Nature Comminges, France Nature Environnement, Comité écologique ariégeois et Groupe ornithologique du Roussillon, n° 453232

 

122 - Police de l'eau - Cours d'eau - Débit minimal nécessaire à la continuité écologique sur la Mayenne - Exploitation de microcentrales hydroélectriques - Répartitition des débits attribués - Rejet.

Était contesté un arrêté préfectoral fixant  la répartition des débits des deux microcentrales hydroélectriques installées sur le seuil de la Richardière, sur la Mayenne. Après avoir vu rejeter son action en première instance puis en appel, la société requérante a saisi le juge de cassation en invoquant deux moyens, l'un et l'autre rejetés.

En premier lieu, la requérante jugeait illégale la fixation de l'ordre de priorité dans la répartition des débits autorisés entre la microcentrale qu'elle exploite et celle de la Société hydraulique d'études et de mission d'assistance (SHEMA). Pour rejeter ce moyen le juge relève, comme la cour administrative d'appel, que cette répartition évolue en fonction du débit moyen de la Mayenne et que pour reconnaître à la SHEMA une priorité d'attribution de débit le préfet a pu légalement retenir qu'à la différence de l'ouvrage de cette dernière celui de la requérante n'était pas équipé de turbines ichtyophiles ni de passes à anguilles.

En second lieu, il est jugé, confirmant l'arrêt d'appel, que si les dispositions du code de l'environnement relatives à la police de l'eau imposent de prendre en compte les droits des tiers ainsi que les droits et usages antérieurement établis, elles ne sauraient ni conduire l'autorité administrative à porter atteinte à la règle du débit minimal nécessaire pour garantir la continuité écologique, qui participe de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont le respect est prescrit par l'article L. 211-1 du code de l'environnement ni imposer, contrairement à ce que soutient le pourvoi, qu'un ordre de priorité soit fixé sur le fondement d'une antériorité d'exploitation. Le pourvoi est rejeté.

(22 juin 2022, Société de Lauture, n° 441187)

 

123 - Énergie nucléaire - Autorisation de mise en service d'une installation nucléaire de base (Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés) - Défaut d'intérêt à agir - Délai de mise en service - Non respect - Conséquences - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 28 juillet 2020 autorisant la mise en service de l'installation nucléaire de base n° 173, dénommée Installation de conditionnement et d'entreposage de déchets activés, exploitée par EDF sur le site du Bugey, dans la commune de Saint-Vulbas (Ain).

Tout d'abord, pour rejeter le recours des collectivités publiques genevoises, le Conseil d'État se fonde sur leur défaut d'intérêt intérêt direct et certain leur donnant qualité pour demander l'annulation de la décision attaquée. Il considère en effet « que l'installation litigieuse a pour objet de conditionner et d'entreposer des déchets activés produits dans le cadre, d'une part, du programme de démantèlement des centrales nucléaires dites " de première génération " et de la centrale de Creys-Malville, et, d'autre part, de l'exploitation, de la maintenance et d'éventuelles modifications des centrales nucléaires à eau pressurisée, dans l'attente de leur stockage définitif prévu par la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Il en résulte également que cette installation n'a vocation ni à produire de l'énergie, ni à fabriquer ou enrichir des combustibles nucléaires. Les collectivités requérantes sont situées à une soixantaine de kilomètres du site d'implantation de l'installation litigieuse et en amont du Rhône. »

Compte tenu de l'objet de l'activité ainsi exercée, des caractéristiques de l'installation et de leur éloignement du site, la République et Canton de Genève et la ville de Genève ne démontrent pas avoir un intérêt à agir.

Ensuite, concernant la procédure suivie et les critiques qui lui sont adressées par les autres requérants que ceux déclarés dépourvus d'intérêt à agir, le Conseil d'État indique que le décret du 2 novembre 2007 autorisant la création d'une installation nucléaire de base, y compris une installation dont la demande d'autorisation de création a été instruite selon les procédures prévues par le décret du 11 décembre 1963, fixe notamment le délai dans lequel cette installation doit être mise en service. Contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe qu'une nouvelle autorisation serait requise en cas de dépassement de ce délai, un tel dépassement ayant uniquement pour effet d'ouvrir la possibilité de mettre fin à l'autorisation de l'installation, après avis de l'Autorité de sûreté nucléaire.

(22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 444945)

(124) V. aussi, assez voisin et également de rejet, la décision : 22 juin 2022, République et Canton de Genève, ville de Genève et autres, n° 451998.

Ces deux décisions soulèvent une importante question de principe qui est de savoir jusqu'à quel point il est légitime de faire prévaloir le seul le droit national (ici le droit français) du lieu d'application d'une décision de l'administration lorsque ses effets peuvent se produire, pour l'essentiel, tant en durée qu'en étendue et en gravité, sur le territoire d'un autre État. La souveraineté territoriale trouve ici, comme en bien d'autres matières environnementales, des limites ou des remises en cause sérieuses. La transnationalité des effets ou des risques n'est guère compatible avec la souveraineté de l'État et ce n'est pas l'existence d'un droit et - corrélativement - d'une obligation de réparer qui peut fonder la juste cause du droit de décider solitairement.

 

125 - Projet dénommé « Grand Paris » - Procédure d'évaluation des investissements publics (loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012 et décret du 23 décembre 2013) - Contre-expertise - Cas de recours à cette procédure - Contre-expertise non versée au dossier d'enquête - Conséquences - Rejet.

Le décret du 23 décembre 2013 relatif à la procédure d'évaluation des investissements publics pris en application de la loi de programmation des finances publiques du 31 décembre 2012, institue en certaines hypothèses une obligation de réaliser une contre-expertise indépendante en fonction de la part  du montant du financement d'un projet prise en charge par celles des personnes publiques mentionnées au II de l'art. 1er de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris lorsque ce financement atteint au moins 100 000 000 euros hors taxe et représente au moins 5 % du montant total hors taxe du projet d'investissement.

La présente espèce soulevait deux questions distinctes : celle des hypothèses concernées par la détermination de ce seuil et celle des conséquences du non versement de la contre-expertise au dossier de l'enquête publique.

Sur le premier point, le Conseil d'État interprète les dispositions précitées comme rendant obligatoire le recours à une contre-expertise non seulement pour un projet dont le montant de financement public dépasse les seuils qui y sont fixés, mais aussi, en cas de modification d'un projet déjà autorisé, soit lorsque la modification entraîne un dépassement des seuils de financement public prévus par cette disposition, soit lorsque la modification apportée porte elle-même sur des montants supérieurs à ces seuils.

Sur le second point, plus spécifique à l'espèce, il est jugé qu'alors même que le projet a déjà fait l'objet d'une contre-expertise, les modifications qui lui ont été ensuites apportées requéraient à nouveau une contre-expertise qui, précisément, n'a pas été déposée au dossier de l'enquête publique ainsi d'ailleurs que l'avis du secrétaire général pour l'investissement. Toutefois, il est jugé que l'analyse socio-économique qui figurait dans le dossier d'enquête indiquait clairement les différentes évolutions par rapport aux projections faites initialement et tenait compte des observations faites dans le cadre de la contre-expertise et par le secrétaire général pour l'investissement et y répondait. Dans ces conditions, l'absence de la contre-expertise et de l'avis du secrétaire général pour l'investissement dans le dossier d'enquête n'a pas été de nature à nuire à l'information du public ni à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

Certes, c'est là l'application d'une jurisprudence simplificatrice selon laquelle les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une enquête publique ne sont susceptibles de vicier la procédure, et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise à l'issue de cette enquête publique, que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. On doit cependant regretter que des textes prévoient l'obligation de respecter des formes et procédures dont le juge décide ensuite que leurs omissions ou imperfections ne seront sanctionnées que de temps à autre. Il serait plus conforme à la démocratie de laisser au seul législateur le pouvoir de distinguer entre les formalités qu’il requiert à peine de nullité et celles dont le non respect est pour lui moins ou pas peccamineux. Ce serait plus conforme au respect du à la hiérarchie des normes que de laisser le juge, comme c’est le cas aujourd’hui, faire son marché au sein de la règle légale.

(22 juin 2022, Association France Nature Environnement Ile-de-France et autres, n° 450701)

 

État-civil et nationalité

 

126 - Personne déclarée « Mort pour la France » - Décès survenu en Algérie le 15 août 1956 - Demande de versement d'une pension de réversion (loi de finances pour 2011) - Demanderesse se prévalant d'un jugement rendu à titre rétroactif – Absence de l’État français en tant que partie à ce jugement - Absence d'opposabilité de celui-ci - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit l'arrêt d'appel estimant que le jugement du tribunal de Cherchell (Algérie), du 8 octobre 2006, authentifiant le mariage de la requérante avec un homme « mort pour la France » le 15 août 1956 et ordonnant son inscription à l'état-civil à titre rétroactif, rendu sans que l'État français n'ait été appelé à l'instance, n'était pas opposable à celui-ci et ne constituait qu'un élément de preuve susceptible d'être retenu par le juge pour apprécier si la date du mariage était établie de façon certaine. Le pourvoi est rejeté.

(14 juin 2022, Mme C., n° 455292)

 

127 - Actes d'état civil étrangers - Obligation de légalisation - Force probante d'un acte légalisé - Irrégularité de la légalisation - Effets - Avis de droit.

Le Conseil d'État a été saisi selon la procédure de l'art. L. 113-1 CJA de deux demandes d'avis de droit relatives à la légalisation des actes d'état civil étrangers et au régime juridique de ces actes.

Le Conseil  rappelle à titre liminaire que le régime de  la légalisation des actes publics étrangers destinés à être produits en France a été d'abord soumis à l'ordonnance d'août 1681 jusqu'à son abrogation par l'ordonnance du 21 avril 2006 relative à la partie législative du code général de la propriété des personnes publiques, puis, de cette date jusqu'à la loi du 23 mars 2019, par la coutume internationale reconnue par une jurisprudence établie du juge judiciaire.

L'absence de voie de recours possible contre les refus de légalisation a conduit le Conseil constitutionnel à déclarer contraires à la Constitution les dispositions des 1er et 3è alinéas du II de l'article 16 de la loi de 2019, tout comme le Conseil d'État a annulé le décret du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère pris en exécution de ces dispositions législatives déclarées inconstitutionnelles, l'un et l'autre juges ayant repoussé au 31 décembre 2022 les effets de ces annulations.

Les dispositions de la loi de 2019, qui se sont substituées à compter de leur entrée en vigueur comme fondement de l'exigence de légalisation à la coutume internationale, demeurent donc applicables jusqu'au 31 décembre 2022. C'est sur leur base que sont posées les questions auxquelles répond le présent avis de droit.
En premier lieu, il résulte de là l'existence d'une présomption légale selon laquelle dans l'acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, puisque la présomption ainsi instituée n'est qu'une présomption simple, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. 

En deuxième lieu, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. D'où il suit qu'en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
En troisième lieu, enfin, dès lors que l'acte d'état civil étranger soumis à l'obligation de légalisation et produit à titre de preuve devant l'autorité administrative ou devant le juge présente des garanties suffisantes d'authenticité, l'absence ou l'irrégularité de sa légalisation ne fait pas obstacle à ce que puissent être prises en considération les énonciations qu'il contient.

Revenant aux cas des espèces qui sont à l'origine de sa saisine pour avis, le Conseil d'État indique que l'autorité administrative saisie d'une demande d'admission au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du CESEDA, doit fonder sa réponse, sous le contrôle du juge, au vu de tous les éléments disponibles, dont les évaluations des services départementaux et les mesures d'assistance éducative prononcées, le cas échéant, par le juge judiciaire, sans exclure, au motif qu'ils ne seraient pas légalisés dans les formes requises, les actes d'état civil étrangers justifiant de l'identité et de l'âge du demandeur.

(21 juin 2022, M.B., n° 457494 ; M. C., n° 458031, deux espèces, jonction)

 

128 - Nationalité française - Déchéance - Sanction dépourvue de caractère disproportionné - Rejet.

N'est pas entaché d'illégalité le décret prononçant la déchéance de la nationalité française d'un individu aux motifs qu'il a été condamné à une peine de six ans de prison assortie d'une période de sûreté de la moitié pour des faits qualifiés de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme et qu'il ressort des constatations de fait auxquelles a procédé le juge pénal qu'il a rejoint en Syrie un groupe djihadiste affilié à Al-Qaida dont il adoptait l'idéologie djihadiste, a suivi un entraînement au maniement des armes, possédé une arme automatique et été en contact avec des combattants djihadistes sur zone.

Au regard de ces éléments, la mesure attaquée ne revêt point un caractère disproportionné.

(22 juin 2022, M. B., n° 455395)

 

129 - Attribution de la nationalité française - Fraude par omission de déclaration - Retrait d'un décret accordant cette nationalité - Article 27-2 du Code civil - Rejet.

N'est pas illégale la décision du premier ministre de rapporter un décret de naturalisation fondée sur ce que son bénéficiaire, pendant l'instruction de sa demande de naturalisation, a contracté mariage en Tunisie, où elle réside habituellement, avec une ressortissante tunisienne sans porter à la connaissance des services instruisant sa demande de naturalisation, comme il s'y était engagé en déposant cette demande, la survenue de ce mariage, lequel a constitué un changement de sa situation familiale. L'intéressé doit ainsi être regardé comme ayant volontairement dissimulé sa situation familiale.

Par suite, en rapportant sa naturalisation dans le délai de deux ans à compter de la découverte de la fraude, le premier ministre n'a pas fait une inexacte application des dispositions de l'article 27-2 du code civil. 

(22 juin 2022, M. C., n° 457369)

 

130 - Nationalité française - Demande d'acquisition par mariage - Personne non assimilée à la communauté française - Refus - Rejet.

C'est sans illégalité au regard des dispositions de l'art. 21-4 du Code civil que pour refuser à une personne l'acquisition de la nationalité française par mariage le premier ministre s'est fondé sur ce que l'intéressé ne pouvait être regardé comme assimilé à la communauté française dès lors qu'il adopte un mode de vie caractérisé par une soumission des femmes qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes, ainsi qu'il résulte notamment des propos qu'il a tenus au cours des entretiens menés par les agents du consulat général de France à Alger chargés de l'instruction de son dossier.

(22 juin 2022, M. B., n° 459548)

 

131 - Actes de l’état civil – Mention du nom de chacun des deux parents – Régime d’espacement des deux noms – Circulaires imposant l’existence seulement d’un espace – Interprétation exacte de la loi – Rejet.

La loi (art. 311-21 C. civ.) ayant prévu que les deux parents puissent donner à leurs enfants leurs deux noms de famille « accolés dans l'ordre choisi par eux », il s’ensuit que les circulaires du 25 octobre 2011 relative à la modification des modalités d'indication des « doubles noms » et du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l'état civil relatifs à la naissance et à la filiation, en tant qu'elles imposent qu'un simple espace sépare les deux noms des parents qui souhaitent procéder à leur accolement pour leurs enfants en application de l'art. 311-21 du code civil ne fixent pas une règle nouvelle mais donnent de la loi une exacte interprétation : elles ne sont donc pas entachées d’incompétence.

Pas davantage, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’en n’autorisant pas que l'accolement des deux parties des noms dévolus puisse se faire par tous les signes d'adjonction communément admis en langue française, ces circulaires porteraient atteinte au droit à la vie privée garanti par l'article 8 de la Convention EDH, méconnaîtraient l'art. 2 de la Constitution et l'art. 111 de l'ordonnance d'août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts.

(21 juin 2022, M. E. et autres, n° 456840)

 

Étrangers

 

132 - Étranger mineur entré irrégulièrement en France - Étranger devenu majeur - Obligation de solliciter un titre de séjour - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) possible seulement en ce cas - Octroi d'une carte de séjour temporaire « salarié » ou « travailleur temporaire » sans effet sur l'obligation de solliciter un titre de séjour - Rejet.

L'étranger entré irrégulièrement en France alors qu'il était mineur a l'obligation, lorsqu'il est devenu majeur, de solliciter un titre de séjour dans les deux mois suivant l'accession à l'âge de dix-huit ans.

D'une part, ne saurait faire obstacle ou échec à cette obligation la circonstance qu'il ait été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qu'il puisse éventuellement se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié » ou « travailleur temporaire », dans les conditions prévues à l'article L. 313-15 du CESEDA.

D'autre part, et en revanche, il ne peut faire l'objet d'une OQTF que s'il s'est abstenu de solliciter un titre pendant cette période.

Enfin, si l'autorité préfectorale doit, avant de prendre une décision portant obligation de quitter le territoire français, mettre l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permettre, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne, ne commet pas d'erreur de droit la juridiction qui, pour écarter le moyen pris de ce qu'en l'espèce le préfet aurait méconnu le droit de l'intéressé d'être entendu, faute pour lui d'avoir bénéficié de l'assistance d'un interprète lors de la notification de la décision contestée, relève qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que cette assistance lui aurait été nécessaire dès lors qu'il avait lui-même déclaré savoir lire et comprendre le français lors de la notification de l'arrêté.

(1er juin 2022, M. A., n° 441736)

 

133 - Demande de titre de séjour - Importance de cet acte pour le séjour et l'éventuel emploi d'un étranger - Nécessité d'une fixation du rendez-vous en préfecture dans un délai raisonnable - Dysfonctionnement constaté de la procédure de formalités préalables en ligne - Possibilité de saisir le juge du référé (L. 521-3 CJA) - Pouvoir du juge - Rejet - Infliction d'une amende pour recours abusif - Annulation.

Cette décision traduit une fois de plus le mouvement jurisprudentiel d'accentuation de la pression exercée sur l'administration des étrangers dans un souci du traitement raisonnable des dossiers.

En l'espèce, il est jugé que doit être fixée dans un délai raisonnable la date du rendez-vous en préfecture pour l'étranger candidat à l'obtention d'un titre de séjour car ce dernier est très important pour son séjour et, le cas échéant, pour travailler.

Lorsque cette démarche doit être précédée de formalités devant être effectuées en ligne et qu'il est établi un dysfonctionnement du système télématique en cause, l'étranger peut saisir le juge du référé mesures utiles afin qu'il enjoigne au préfet de fixer, dans un délai que le juge détermine, la date du rendez-vous. A cet effet, ce juge doit tenir compte de la situation concrète de l'intéressé ainsi que de son comportement et des données concrètes du dossier.

En l'espèce, le juge des référés est approuvé d'avoir apprécié qu'il n'y avait pas urgence à statuer en mai 2021 sur ce litige dès lors que le demandeur a fait l'objet, le 8 novembre 2017, d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français à laquelle il n'a pas déféré.

En revanche, est annulée la décision du juge d'infliger à l'intéressé une amende pour requête abusive car celle-ci est fondée sur la circonstance que l'intéressé avait antérieurement déjà présenté la même demande, qui avait été rejetée par ordonnance du 29 mars 2021 pour les mêmes motifs. Or, relève le Conseil d'État, eu égard à l'objet même de sa demande M. A. pouvait considérer que l'écoulement du temps était de nature à davantage caractériser la situation d'urgence qu'il invoquait, sa requête a donc inexactement été qualifiée d'abusive. 

La solution est très « bienveillante »…

(9 juin 2022, M. A., n° 453391)

(134) V. aussi, largement fondée sur les mêmes principes de raisonnement, l'importante décision (d'ailleurs promise à une publication au Recueil Lebon) par laquelle le Conseil d'État juge - dans un litige relatif à des demandes afghanes de visas pour réunification familiale (V. sur ce point : Assemblée, 2 décembre 1994, Agyepong, Rec. p. 523 ; 10 juin 2011, Mulenda Zangela, Rec. p. 290) - que si aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fixe de délai déterminé dans lequel l'autorité consulaire serait tenue de recevoir l'étranger désireux d'obtenir un visa au titre de la réunification familiale, toutefois, en raison de l'importance pour les intéressés d'obtenir un tel titre « il incombe à l'autorité consulaire saisie d'une demande de visa au titre de la réunification familiale, accompagnée des justificatifs d'identité et des preuves des liens familiaux des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire, de convoquer ces personnes afin de procéder, notamment, aux relevés de leurs empreintes digitales, puis à l'enregistrement de leurs demandes dans un délai raisonnable. » Ce qui confirme une jurisprudence antérieure (10 juin 2020, M. Bhiri, Rec. T. p.780 et 918).

Au terme d'une analyse très fouillée et précise de l'ensemble des mesures prises par les autorités françaises tant nationales que dans les postes consulaires d'Islamabad, de Téhéran et de New-Delhi, le juge déclare que la requête dont il est saisi est devenue sans objet et qu'il n'y a donc plus lieu d'y statuer : 9 juin 2022, M. T. et Mme A. et autres, n° 455754.

(135) V. encore, dans la même lignée, assez audacieux même s'il débouche sur un rejet, l'arrêt jugeant, à propos de demandes de visas pour l'épouse et les huit enfants mineurs d'un réfugié afghan, que lorsque l'autorité consulaire, saisie d'une demande de visa pour réunification familiale, s'abstient de convoquer le demandeur pendant deux mois, naît une décision implicite de refus de convoquer, dont il peut être demandé l'annulation et, le cas échéant, la suspension de l'exécution sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA : 9 juin 2022, M. B., n° 457934.

(136) V. également, identique au précédent mutatis mutandis : 9 juin 2022, M. A., n°457936

(137) V. enfin, rejetant pour défaut d'urgence la demande de suspension de l'absence de rendez-vous en dépit de l'impossibilité alléguée par la requérante d'y parvenir en se connectant au site internet de la préfecture : ord. réf. 22 juin 2022, Mme B., n° 461563.

 

138 - Demande de titre de séjour refusée sur le fondement d'un texte - Demande adressée au juge du référé suspension de lui délivrer ce titre sur la base d'une autre disposition - Obligation de saisir l'administration en vue de sa régularisation - Décision échappant à l'office du juge du référé liberté - Rejet.

L'étrangère qui s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour en application du 1° de l'art. R. 431-5 du CESEDA et dont le recours dirigé contre ce refus est rejeté par le juge, ne saurait demander à celui-ci, en faisant valoir qu'elle remplit les conditions pour se voir délivrer un titre de séjour sur d'autres fondements, d'enjoindre au préfet de police de Paris de lui délivrer un récépissé de renouvellement de titre de séjour dans un délai de 48 heures à compter de la décision à intervenir car une telle demande n'entre pas dans l'office du juge du référé liberté, l'intéressée n'ayant pas, préalablement, présenté à l'administration une demande de régularisation.

(ord. réf. 20 juin 2022, Mme A., n° 464258)

 

139 - Séjour des étrangers - Décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou prolongeant la durée de cette interdiction - Procédure contentieuse - Extension à cette matière des dispositions de l'art. L. 614-5 du CESEDA.

Un tribunal administratif a interrogé le Conseil d'État sur la question de savoir si les recours formés contre les décisions portant prolongation d'une interdiction de retour sur le territoire français prises à l'encontre d'un étranger en application de l'article L. 612-11 du CESEDA doivent être présentés, instruits et jugés selon les modalités prévues aux articles L. 614-5 du CESEDA et R. 776-13-1 et suivants du CJA ?

Adoptant une démarche particulièrement constructive, le juge déduit de diverses dispositions du CESEDA et de l'art. R. 776-3 du CJA que la procédure contentieuse applicable à la contestation d'une décision d'interdiction de retour sur le territoire français relève du régime applicable à la contestation de la décision portant obligation de quitter le territoire français qu'elle accompagne ou, lorsque la décision d'interdiction de retour est prise postérieurement à celle-ci, et en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, de la procédure prévue par l'article L. 614-5 du CESEDA. 

Il estime également qu'il résulte de l'économie générale de ces mêmes dispositions que la procédure prévue par l'article L. 614-5 est également applicable, en l'absence d'assignation à résidence ou de placement en rétention, à la contestation des décisions prolongeant les interdictions de retour, prises en application de l'article L. 612-11 du CESEDA. 

Voilà une bien utile clarification qui montre, une fois de plus, l'invraisemblable fatras rassemblé dans l'illisible CESEDA.

(Avis, 9 juin 2022, M. B., n° 462143)

 

140 - Étranger - Mesure d'éloignement - Préfet de département compétent pour la prendre - Choix du lieu de résidence ou de celui de l'interpellation ou du fondement retenu pour prononcer l'OQTF - Cas d'une mesure d'éloignement fondée sur le rejet définitif d'une demande de protection internationale - Avis de droit.

Saisi d'une demande d'avis (cf. art. L. 113-1 CJA) en ce sens, le Conseil d'État apporte les précisions suivantes concernant la détermination du préfet de département compétent dans diverses situations de prononcé d'une obligation de quitter le terrtoire français (OQTF).

Tout d'abord et à titre principal, le préfet territorialement compétent pour édicter la décision portant obligation de quitter le territoire français est celui qui constate l'irrégularité de la situation au regard du séjour de l'étranger concerné. De ce chef, il est indifférent que cette mesure soit liée à une décision refusant à ce dernier un titre de séjour ou son renouvellement, au refus de reconnaissance de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire, ou encore au fait que l'étranger se trouve dans un autre des cas énumérés à l'article L. 611-1 CESEDA.

Ensuite, en toute hypothèse, le préfet du département où se trouve le lieu de résidence ou de domiciliation de l'étranger est toujours compétent à cet effet.

Enfin, dans le cas où l'irrégularité de la situation de l'étranger a été constatée dans un autre département, le préfet de ce département est également compétent. Il peut donc exister en ce cas une dualité d'autorités compétentes.

Ceci clarifie de façon très opportune et avec grande simplcité des situations confuses dont le nombre est assez élevé.

(13 juin 2022, M. B., n° 459555)

 

Fonction publique et agents publics - Agents des services publics

 

141 - Professeur de l'enseignement supérieur - Exercice, sans autorisation, d'activités privées et publiques lucratives en sus de ses obligations de service - Manquements divers dans l'exercice de ses fonctions administratives et pédagogiques au sein de son université - Sanction fondée et proportionnée - Rejet.

Le Conseil d'État, statuant en premier et dernier ressort s'agissant d'un litige relatif à un fonctionnaire nommé par décret du président de la république, juge fondée et proportionnée la sanction de suspension de six mois de ses fonctions sans privation de son traitement, prise par un président d'université à l'encontre d'un professeur de son université pour l'exercice, sans autorisation, en sus de ses obligations professionnelles, d'activités privées (dans une entreprise) et publiques (dans une autre université) lucratives, ce qui a eu pour conséquence des dysfonctionnements sérieux sur l'accomplissement des activités pédagogiques et administratives dont l'intéressé avait la charge dans sa propre université.

(1er juin 2022, M. B., n° 458362)

 

142 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

V. n° 173

 

143 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) – Demande d’indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

V. n° 178

 

144 - SNCF - Agents faisant l'objet de mesures de suspension à titre conservatoire - Engagement d'une procédure disciplinaire - Dispositions du code du travail applicables sauf  dispositions propres au statut du personnel de la SNCF ayant le même objet - Absence en l'espèce - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant, salarié protégé de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, a fait l'objet de la part de la ministre du travail, d'une autorisation de licenciement qu'il a contestée en vain en première instance et en appel, d'où son pourvoi.

Il résulte de l'art. L. 2111-1 du code du travail que les dispositions du livre Ier et du livre IV de la deuxième partie de ce code  - relatives notamment aux syndicats professionnels, au délégué syndical ou au représentant de section syndicale, ainsi qu'à leur protection - s'appliquent au personnel des entreprises publiques soumises à un statut règlementaire, tel que le personnel de la SNCF, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

La question se posait donc de savoir si, en l'espèce, l'on se trouvait - ou non - en présence de dispositions particulières dérogeant au code du travail.

Les dispositions du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel prévoient pour les agents faisant l'objet d'une mesure de suspension à titre conservatoire, qui s'apparente à une mesure de mise à pied sans suspension du salaire, suivie de l'engagement d'une procédure disciplinaire, des règles particulières comportant notamment en fin de procédure l'intervention du conseil de discipline.

Cependant, aucune de ces règles ne fixe de délai pour la saisine de l'inspecteur du travail lorsque, s'agissant d'un salarié protégé, sa radiation ou son licenciement est envisagé.

Par suite, ces dispositions du statut ne peuvent être interprétées comme ayant fixé une règle particulière dérogeant à celles du code du travail figurant au deuxième alinéa de l'article R. 2421-6 du code du travail, dont il résulte que la demande de licenciement doit être adressée dans les huit jours à compter de la consultation du conseil de discipline, au cas où un agent de la SNCF ayant la qualité de représentant d'une section syndicale est susceptible d'être radié à l'issue d'une période de suspension conservatoire.

Ainsi les juges du fond ont commis une erreur de droit en jugeant que les dispositions de l'article R. 2421-6 précité ne s'appliquaient pas aux agents de la SCNF ayant la qualité de salarié protégé, dès lors qu'aucune disposition législative ne le prévoit et qu'elles ne sont pas plus favorables que celles résultant de leur statut, en particulier, en ce qui concerne la procédure disciplinaire. 

L'arrêt d'appel confirmatif est cassé.

(20 juin 2022, M. A., n° 435266)

 

145 - Classes préparatoires - Professeur de chaire supérieure - Service statutaire - Décision réduisant le nombre des heures supplémentaires - Compétence de l'auteur de la mesure et légalité de celle-ci - Erreur de droit - Annulation.

Le proviseur d'un lycée tire de cette qualité la compétence pour fixer et, le cas échéant, modifier le service d'enseignement assuré dans sa discipline par la requérante, dans le respect de son statut de professeure de chaire supérieure.

Est légale la décision par laquelle le proviseur a retiré à l'intéressée les enseignements magistraux qu'assurait celle-ci dans la classe 2PSI « étoile » en physique et sciences de l'ingénieur et lui a attribué, toujours en classe préparatoire, des enseignements en première année de physique et sciences de l'ingénieur. Par cette décision, il n'a ni « modifié la chaire » sur laquelle l'intéressée avait été affectée, ni incompétemment modifié son affectation, alors qu'il s'est borné à lui attribuer un nouveau service d'enseignement dans sa discipline. Il en va ainsi alors même que la décision querellée a eu pour effet de réduire les heures d'enseignement accomplies par la demanderesse au-delà de ses obligations statutaires et ainsi sa rémunération effective.

La décision contraire rendue par la cour administrative d'appel est annulée.

(20 juin 2022, Mme A., n° 440778)

 

146 - Fonction publique - Tableau d'avancement d'enseignants - Critères de classement - Tableau établi en application d'une note de service - Incompétence d'un recteur d’académie pour fixer des règles de nature statutaire - Ajout illégal à un décret - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Annulation.

(21 juin 2022, M. B., n° 443455)

V. n° 8

 

147 - Modalités d'accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant  - Ordonnance du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances - Contrôle contentieux des ordonnances non ratifiées passé le délai d'habilitation - Recherche de la diversification des profils des élèves admis à suivre un cycle préparatoire - Conditions de ressources - Condition de résidence dans un quartier prioritaire - Discrimination - Rejets.

I - La requérante soutenait l'illégalité de divers textes réglementaires (ordonnance de l'article 38, décret et arrêtés) en tant qu'ils établissent pour des publics défavorisés des règles d'accès dérogatoires à certaines écoles de service public. Elle entendait dénoncer un recrutement non au mérite et aux qualités mais fondé sur la condition sociale ou sur celle de résidence dans certains quartiers.

Cette critique est rejetée encore qu'elle soulève de réelles questions fondamentales comme l’érection du darwinisme en norme légale ou encore le caractère non nécessaire d'un haut niveau en matière de fonction publique supérieure ce que démontre a contrario le fait que de telles solutions ne sont pas retenues pour la délivrance du diplôme de médecin ou l'admission au corps de ballet de l'Opéra de Paris, fonctions souffrant guère l’à peu-près ou l’amateurisme.

Ainsi sont donc rejetés les moyens tirés de l'atteinte portée aux principes d'égalité et d'égal accès aux emplois publics, ou également du fait des critères retenus pour l'attribution de bourses de l'enseignement supérieur ou pour l'accès facilité à ces filières notamment en raison de la résidence dans un quartier prioritaire de la politique de la ville, une zone de revitalisation rurale ou une collectivité située outre-mer, ces critères ne servant qu'à départager des candidats en cas d'égalité de mérite.

Les mêmes objections sont également rejetées quand elles sont formulées à l'encontre des conditions d'accès aux cycles de formation.

II - La décision se signale aussi par ce qu'elle précise à propos des recours dirigés contre les dispositions non ratifiées d'une ordonnance de l'art. 38.

Après avoir rappelé les conséquences résultant de la jurisprudence récente et incongrue du Conseil constitutionnel admettant que des QPC soient posées à l'encontre de telles ordonnances lorsqu'elles sont fondées sur la violation d'un droit ou d'une liberté constitutionnellement garanti, le Conseil d'État ajoute ceci qui n'est pas nouveau mais dont la ferme réitération n'est pas innocente : Nonobstant cette jurisprudence, le juge administratif peut annuler l'ordonnance dont il est saisi par voie d'action ou peut écarter son application au litige dont il est saisi, si elle est illégale pour d'autres motifs, y compris du fait de sa contrariété avec d'autres règles de valeur constitutionnelle que les droits et libertés que la Constitution garantit. A ce titre, le requérant a le choix des moyens qu'il entend soulever, en particulier lorsque des principes voisins peuvent trouver leur source dans la Constitution, dans des engagements internationaux ou dans des principes généraux du droit. 

A bon entendeur, salut.

(20 juin 2022, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 451852 et n° 452060)

 

148 - Auditeur de justice stagiaire - Refus de titularisation en fin de stage - Déclaration d'inaptitude à l'exercice des fonctions judiciaires - Mesure prise en considération de la personne sans caractère disciplinaire - Absence de droit de l'intéressée à faire valoir ses observations - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Rejet.

La requérante demandait notamment l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part de la décision du jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice de la promotion 2018 la déclarant inapte à l'exercice des fonctions judiciaires et d'autre part, de l'arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d'auditrice de justice.

Il faut retenir surtout de cette décision de rejet, parmi les nombreux moyens qui y sont examinés, le rappel par le juge du régime juridique des refus de titularisation en fin de stage dans la fonction publique.

Tout d'abord, la situation de l'agent public stagiaire est probatoire et provisoire.

Ensuite, il découle de cela qu'alors même que la décision de ne pas le titulariser en fin de stage est fondée sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de façon générale, sur sa manière de servir, et se trouve ainsi prise en considération de sa personne, elle n'est pas - sauf à revêtir le caractère d'une mesure disciplinaire - au nombre des mesures qui ne peuvent légalement intervenir sans que l'intéressé ait été mis à même de faire valoir ses observations ou de prendre connaissance de son dossier.

Enfin, cette décision n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et les règlements.

Les mêmes règles et principes s'appliquent à la décision par laquelle le jury de classement décide, sur le fondement de l'article 21 de l'ordonnance du 22 décembre 1958, d'écarter de l'accès aux fonctions judiciaires un auditeur de justice en raison de son inaptitude à ces fonctions.

(22 juin 2022, Mme E., n° 444254 et n° 444260)

(149) V. aussi, voisine - en ce qu’elle porte sur un refus de titularisation et un licenciement - quoique comportant en outre d’autres aspects, notamment de procédure contentieuse, la décision : 24 juin 2022, M. B., n° 438227.

(150) V. également, concernant le rejet d’un pourvoi dirigé contre un arrêt rejetant la demande d’annulation du refus de titulariser la requérante dans le corps des maîtres de conférences des établissements d'enseignement supérieur publics relevant du ministère de l'agriculture après prolongation d’une année de son année de stage et fondé sur ce que malgré des éléments favorables, la stagiaire n'était pas dénuée de défaillances en matière pédagogique : 29 juin 2022, Mme C., n° 439974.

 

151 - Praticiens hospitaliers et internes - Fixation du temps de travail par demi-journées - Indétermination de la durée d'une demi-journée - Établissement à titre prévisionnel d'un tableau de service nominatif mensuel - Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande tendant à l'adoption d'une réglementation imposant le décompte horaire du temps de travail des internes et des praticiens hospitaliers et instituant une sanction en cas de méconnaissance par les établissements publics de santé des règles relatives à la limitation de ce temps de travail.

En réalité, les textes régissant le temps de travail des praticiens hospitaliers fixent leurs obligations de service hebdomadaires à dix demi-journées lorsqu'ils exercent à temps plein, sans que leur durée de travail ne puisse excéder quarante-huit heures par semaine, cette durée étant calculée en moyenne sur une période de quatre mois. De façon similaire, les textes régissant la durée de service des internes la fixent à dix demi-journées, dont huit demi-journées de stage et une demi-journée de temps de formation hors stage, qui ne peuvent excéder quarante-huit heures par période de sept jours, calculées en moyenne sur le trimestre, ainsi qu'une demi-journée de temps personnel de consolidation des connaissances et des compétences, qui n'est pas décomptée comme du temps de travail effectif.

Or aucune disposition du code de la santé publique ne définit la durée d'une demi-journée, notamment en termes de nombre d'heures qu'elle comporte.

Pour rejeter le recours et contourner la difficulté ainsi créée, le Conseil d'État recourt à un tour de passe-passe.

Il relève d'abord que, pour organiser et suivre l'accomplissement des obligations de service des praticiens hospitaliers et des internes, l'établissement qui les emploie, d'une part, conformément aux dispositions des articles R. 6153-2-2 et R. 6153-2-3 du code de la santé publique, établit à titre prévisionnel un tableau de service nominatif mensuel comportant leurs périodes de travail et, d'autre part, leur transmet un récapitulatif tous les quatre mois, pour les praticiens hospitaliers, et tous les trois mois, pour les internes.

Ensuite - car pour autant de tels tableaux ne résolvent pas la difficulté que l'on vient de signaler - le Conseil d'État considère que les dispositions précitées « impliquent également nécessairement que les établissements publics de santé se dotent, en complément des tableaux de services prévisionnels et récapitulatifs qu'ils établissent, d'un dispositif fiable, objectif et accessible permettant de décompter, selon des modalités qu'il leur appartient de définir dans leur règlement intérieur, outre le nombre de demi-journées, le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque agent, afin de s'assurer que la durée de son temps de travail effectif ne dépasse pas le plafond réglementaire de quarante-huit heures hebdomadaires, calculées en moyenne sur une période de quatre mois pour les praticiens hospitaliers et de trois mois pour les internes. » Cette façon de raisonner ne répond pas à la question car une fois décompté le nombre total d'heures effectuées afin de vérifier le non dépassement du plafond européen de 48 heures hebdomadaires on ne sera pas plus avancé quant à la détermination du nombre de demi-journées effectuées ou devant l'être. Quant au nébuleux renvoi à « des modalités qu'il appartient (aux hôpitaux) de définir dans leur règlement intérieur » il introduit le risque, illégal et incohérent, d'une fixation en nombre d'heures de la durée d'une demi-journée propre à chaque structure hospitalière compétente. Ce n'est guère pensable.

Il eût été plus judicieux que le juge fixe, comme il sait très bien le faire, une durée raisonnable de la demi-journée, quatre heures par exemple, à charge pour le pouvoir réglementaire ou législatif, sorti de sa torpeur normative sur le sujet et n'étant pas, éventuellement, d'accord, d'en fixer par la suite une autre.

(22 juin 2022, Syndicat des jeunes médecins, n° 446917)

(152) V. aussi, largement comparable un autre rejet sur le même sujet par une décision où l'on peut lire - ce qui est inexact - que l'organisation « requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant de fixer la valeur horaire d'une demi-journée, les dispositions attaquées exposeraient les internes à des inégalités de traitement. » : 22 juin 2022, Intersyndicale nationale des internes, n° 446944.

(153) V. également, comportant même rejet et même affirmation erronée : 22 juin 2022, Association Action praticiens hôpital, n° 447003.

 

154 - Agent public - Plongeuse à la cuisine d'un ministre - Suspension de ses fonctions - Demande de protection fonctionnelle - Refus de cette protection annulé - Contestation du ministre rejetée.

Une personne exerçant les fonctions de plongeuse dans la cuisine du cabinet d'un ministre est suspendue de ses fonctions pour quatre mois et essuie un refus du ministre de lui accorder la protection fonctionnelle à raison de faits de harcèlement moral et de violences à caractère sexiste et sexuel.

Saisi par l'intéressée, le juge du référé a suspendu l'exécution de cette décision de refus en estimant que l'intéressée avait été victime de tels faits et qu'elle n'avait pas commis de faute personnelle.

Le ministre se pourvoit contre l'ordonnance de suspension.

Son recours est rejeté en ses deux chefs.

En premier lieu, le juge des référés ayant fait droit aux conclusions tendant à la suspension de la décision implicite refusant d'accorder la protection fonctionnelle,  le ministre de l'éducation nationale n'est évidemment pas recevable à contester l'ordonnance en tant qu'elle a omis de statuer sur les mêmes conclusions de l'intéressée dirigées contre la même décision de refus, prise cette fois explicitement.

En second lieu, en jugeant comme il l'a fait à propos de la victime, le juge des référés n'a pas dénaturé les pièces du dossier.

(22 juin 2022, ministre de l'éducation nationale..., n° 458141 et n° 458152)

 

155 - Concours national d’agrégation des professeurs de droit (droit privé et sciences criminelles 2020-2021) – Contestation de la nomination du président du jury, de certains membres du jury, des résultats d’admission, des nominations et des affectations des impétrants – Invocation d’irrégularités multiples – Rejet.

Par cette décision, longue en raison du nombre et de la diversité des moyens articulés à l’encontre des décisions contestées, est rejeté le recours d’un candidat, par ailleurs défaillant à la dernière épreuve de « spécialité » devant être préparée en loge.

Le lecteur intéressé se reportera au texte de cette décision dont les développements ne peuvent être traités dans le cadre de cette Chronique mais qui soulève nombre de questions récurrentes dont plusieurs ne sont pas négligeables.

(15 juin 2022, M. H., n°446348)

 

156 - Fonctionnaire invoquant des faits de harcèlement moral – Régime d’établissement de ces faits – Absence d’obligation d’établir la preuve des faits – Faits permettant la naissance d’une présomption d’existence du harcèlement – Erreur de droit – Annulation.

Un ouvrier professionnel des établissements d'enseignement de la fonction publique d'État détaché auprès du département du Var en qualité d'adjoint technique territorial principal de 2ème classe au collège « Les Eucalyptus » d'Ollioules a demandé en vain aux juges de premier degré et d’appel l’indemnisation du préjudice subi du fait d'un harcèlement moral dont il s'estimait victime ainsi qu'au titre d'un dysfonctionnement des services résultant d'un manquement à l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des agents.

La cour administrative d’appel, dans son arrêt confirmatif, avait rejeté les demandes du requérant motif pris de ce qu’il n'établissait pas avoir été victime d'une situation de harcèlement moral.

Ce dernier se pourvoit et c’est l’occasion pour le juge de cassation d’indiquer à nouveau le régime juridique d’établissement des faits de harcèlement moral, matière délicate s’il en est.

L’exigence attachée à l’établissement des faits dénoncés comme étant de harcèlement moral est ainsi rappelée : « Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. » 

Il est reproché à la cour d’avoir en réalité exigé du demandeur qu’il rapporte la preuve des faits dénoncés alors « qu'il lui appartenait seulement, en vertu des règles d'administration de la preuve (…), d'apporter des éléments de fait de nature à faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ».

L’erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation avec renvoi de l’arrêt déféré à la censure du Conseil d’État.

(24 juin 2022, M. B., n° 444568)

 

157 - Institution de comités sociaux d’administration au sein de certains ministères -  Critique pour illégalité – Demande de référé suspension non accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir – Irrecevabilité manifeste – Rejet (art. L. 522-3 CJA).

Rappel et sanction de la règle élémentaire de procédure qu’une requête en référé suspension doit, à peine d’irrecevabilité insurmontable, être accompagnée d’une requête en annulation pour excès de pouvoir de la décision dont la suspension est demandée.

(27 juin 2022, Syndicat professionnel Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés (UATS-UNSA), n° 465275)

 

Hiérarchie des normes

 

158 - Polynésie française – Dispositions du code l’éducation (art. R. 914-57 et R. 914-58) – Applicabilité ou non dans ce territoire – Portée et place hiérarchique de la loi du 17 juillet 1986 et de la loi organique du 27 février 2004 (art. 7 et 14) – Répartition des compétences entre l’État et le territoire de Polynésie française – Cas des agents publics - Détermination de la qualité d’agents publics – Art. 9 de la loi du 17 juillet 1986 inconciliable avec le principe de compétence exclusive de l’État en cette matière – Disposition abrogée par la loi organique – Exclusivité de la compétence d’État en matière d’agents publics.

La cour d’appel de Papeete a été saisie de demandes de requalification en contrats à durée indéterminée de contrats d’engagement des requérantes qui ont exercé les fonctions de maître délégué au sein d'établissements scolaires en Polynésie française en exécution de plusieurs contrats à durée déterminée conclus avec le vice-recteur de la Polynésie française.

Elle a relevé que ces contrats, qui portent visa des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation, rendus applicables en Polynésie française, avaient été conclus sous une forme différente et pour un motif autre que ceux limitativement énumérés par le code du travail polynésien pour autoriser le recours au contrat à durée déterminée. 

Elle a donc sursis à statuer et renvoyé au Conseil d’État la question préjudicielle portant sur la légalité, au regard de la loi du 17 juillet 1986 et des articles 7 et 14 de la loi organique statutaire du 27 février 2004, des articles R. 914-57 et R. 914-58 du code de l'éducation en tant qu'ils s'appliquent en Polynésie française en vertu de l'article R. 973-1 du même code.

Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, la « fonction publique civile et militaire de l'État » et le « statut des autres agents publics de l'État » sont au nombre des matières pour lesquelles les autorités de l'État sont compétentes. Il résulte, en outre, de l'article 7 de la même loi organique, dans sa rédaction antérieure à la loi organique du 5 juillet 2019 portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, applicable aux contrats en litige, que les dispositions législatives et réglementaires relatives aux « statuts des agents publics de l'État » sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière. Or le Conseil d’État relève que si l’art. 31 de cette loi organique permet aux autorités de Polynésie de participer à l’exercice des compétences que l’État  conserve en matière législative et réglementaire, le régime des agents publics de l’État ne figure pas dans les matières limitativement énumérées dans lesquelles peut s’opérer cette participation.

Ensuite, l'article 1er de la loi du 17 juillet 1986 relative aux principes généraux du droit du travail et à l'organisation et au fonctionnement de l'inspection du travail et des tribunaux du travail en Polynésie française dispose : « La présente loi est applicable dans le territoire de la Polynésie française (...).

Elle s'applique à tous les salariés exerçant leur activité dans le territoire.

Elle s'applique également à toute personne physique ou morale qui emploie lesdits salariés.

Sauf dispositions contraires de la présente loi, elle ne s'applique pas aux personnes relevant d'un statut de droit public (...) ».

Comme cette dernière réserve, relative aux personnes relevant d'un statut de droit public, ne vise que les agents régis par le titre premier du statut général des fonctionnaires de l'État et des collectivités territoriales, il s'ensuit que les agents contractuels de l'État et de ses établissements publics administratifs employés en Polynésie français étaient régis par les dispositions de la loi du 17 juillet 1986, avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 8 de la loi du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française, qui prévoit désormais que « les agents non titulaires de l'État régis par le droit privé sont placés sous un régime de droit public à compter du 1er juillet 2021 lorsqu'ils travaillent pour le compte d'un service public administratif en Polynésie française ». 

Enfin, en vertu de la jurisprudence dite Berkani (TC 25 mars 1996, n° 03000, Rec. Lebon p. 535), sauf dispositions législatives contraires, ont la qualité d'agents publics tous les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'une personne publique gérant un service public administratif, quel que soit leur emploi.

Il suit donc de là cette première conséquence que la loi du 17 juillet 1986, en soumettant de tels personnels en Polynésie française à ses dispositions, n'a pas eu pour effet de les priver de leur qualité d'agent public.

Il suit également de là cette seconde conséquence que les dispositions de l’art. 9 de la loi du 17 juillet 1986, en renvoyant à une délibération de l’assemblée de la Polynésie française la fixation des cas et des conditions dans lesquels un contrat de travail peut être conclu à durée déterminée lorsque ce contrat est conclu entre un agent public et l'État, sont inconciliables avec le principe de la compétence exclusive de l'État pour fixer le statut de ses agents publics, qui découle de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004. 

Ces dispositions doivent donc être considérées comme ayant été abrogées par l’art. 196 de la loi organique qui a abrogé toutes les dispositions contraires à cette loi organique.

(27 juin 2022, Mme A. et Mme E., n° 452552)

 

 

Libertés fondamentales

 

159 - Formations de santé - Institution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

La fédération requérante demandait l'annulation du décret n° 2020-553 du 11 mai 2020 relatif à l'expérimentation des modalités permettant le renforcement des échanges entre les formations de santé, la mise en place d'enseignements communs et l'accès à la formation par la recherche. Elle invoquait des moyens de légalité externe qui ne nous retiendrons pas et des moyens de légalité interne tournant pour l'essentiel autour de la liberté d'enseignement.

Ils sont tous rejetés.

Pour dire que le décret attaqué ne porte pas atteinte à la liberté de l'enseignement, le juge retient que ce dispositif de conventionnement, s'il réserve aux universités l'initiative d'une telle expérimentation, ne porte cependant pas atteinte au caractère propre des établissements privés et ne les empêche pas de créer, de gérer ou de financer de tels établissements. Les dispositions de ce décret n'ont en outre pas pour effet d'interdire à ces établissements de délivrer des formations.

Semblablement, pour rejeter le grief d'atteinte à la liberté d'entreprendre, au principe de libre concurrence ainsi qu'à la liberté contractuelle, il est indiqué que le décret litigieux ne crée aucune obligation pour les établissements d'enseignement supérieur privés délivrant des formations dans le domaine de la santé de faire partie d'une expérimentation ni de conclure, par voie de conséquence, une convention dans ce cadre, qu'il n'a pas, non plus, pour objet ou pour effet de limiter le nombre d'établissements pouvant conclure une telle convention ou de restreindre le droit des établissements non parties à une expérimentation d'organiser des formations dans le cadre des lois et règlements en vigueur. Enfin, doit être relevé le fait que l'accord des établissements associés à une expérimentation est requis préalablement à la transmission d'un projet d'expérimentation aux ministres compétents aux fins d'autorisation.

Également, il ne saurait être soutenu l'instauration d'une inégalité entre étudiants selon que leur établissement aura ou non conclu une convention d'expérimentation car le décret attaqué n'établit par lui-même aucune atteinte au principe de l'égal accès dans l'enseignement supérieur ou à une formation professionnelle.

Ici, la motivation du juge peine à convaincre dans la mesure où le décret attaqué n'instaurant pour les universités aucune obligation de conventionner avec des établissements privés, l'absence éventuelle de conventionnement est bien une conséquence directe, nécessaire et liée de la liberté que ce décret laisse sur ce point aux universités et la différence entre étudiants selon que l'établissement privé dont il relève a ou n'a pas été invité à conventionner en est aussi la résultante directe.

Encore, peut laisser dubitatif l'argument selon lequel bien que la possibilité d'expérimentation ait été prévue par la loi du 24 juillet 2019 également pour les formations paramédicales et que ces dernières ne soient pas envisagées par le décret litigieux cela n'emporte pas méconnaissance de ladite loi parce que cette différence serait en rapport direct avec l'objectif d'expérimentation sans être manifestement disproportionnée.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

 

160 - Droit d'asile - Exclusion du statut de réfugié - Régime de la convention de Genève du 28 juillet 1951 (a), b) et c) du F de l'article 1er) - Office du juge - Cas du « crime grave » à mobile politique (cf. le b) précité) - Appréciation - Rejet.

Les a), b) et c) du F de l'article 1er de la convention de Genève prévoient l'exclusion du bénéfice du statut de réfugié lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité dans les crimes ou les agissements qu'il mentionne peut être imputée personnellement au demandeur d'asile.

En ce cas, il entre dans l'office de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de rechercher si les éléments de fait résultant de l'instruction sont de nature à fonder de sérieuses raisons de penser que le demandeur a été personnellement impliqué dans de tels crimes ou agissements. 

S'agissant du cas spécifique visé par le b) de ce texte, qui a pour objet d'exclure de cette protection l'auteur d'un crime grave dont il est allégué qu'il ne présente pas le caractère de crime de droit commun mais qu'il a été commis dans un but politique, le demandeur d'asile ne peut être exclu du bénéfice du statut de réfugié si le caractère politique de l'acte qu'il a commis prédomine sur le caractère de droit commun.

En ce cas, il incombe à la CNDA de déterminer s'il existe un lien direct entre l'acte commis et le but politique poursuivi et de mesurer l'adéquation et la proportionnalité entre cet acte et ce but, au regard notamment des moyens employés, de l'exercice ou non d'une violence anormale et indiscriminée et de la nature et du nombre des victimes.

Même si elle peut s'autoriser de précédents jurisprudentiels (v., par ex. : 4 décembre 2017, OFPRA, n° 403454, sur le point de savoir si l'intéressé avait une responsabilité personnelle et consciente dans les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité commis au Rwanda entre le 7 avril et le 17 juillet 1994) - moins explicites toutefois que la présente décision - cette dernière est assez spectaculaire par l'ampleur qu'elle donne à l'interprétation unilatérale, même si elle est de bon sens, de l'une des conventions internationales parmi les plus invoquées devant les juridictions françaises et dont il est à regretter qu’elle ne soit pas dotée d’une juridiction ad hoc au moins pour son interprétation.

(21 juin 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447538)

 

Police

 

161 - Autorisation, dans l'intérêt de la défense et de la sécurité nationale, de la connexion des terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile - Mesure de police - Intérêt pour agir contre cette mesure - Qualité de concurrent insuffisante - Annulation.

Le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu, à la demande de la société concurrente Orange, l'exécution des décisions du 1er juillet 2021 du Premier ministre autorisant SRR à exploiter des matériels de l'équipementier Huawei permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau 5G sur le territoire de La Réunion (cf. art. L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques). Saisi de recours formés par les sociétés SRR et SFR, bénéficiaires de l'autorisation, et par le premier ministre, Le Conseil d'État annule l'ordonnance attaquée pour erreur de droit.

Il relève que la société Orange, qui se prévaut de sa qualité de concurrent de SRR sur le marché de la téléphonie mobile à la Réunion, ne justifie pas de ce fait d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation des autorisations accordées à ce dernier, sa demande est donc irrecevable. 

(9 juin 2022, Sociétés SRR et SFR, n° 460203 ; Premier ministre, n° 460207)

 

162 - Amende infligé à un transporteur aérien - Débarquement  en France d'une passagère dépourvue de document de voyage - Pouvoir et devoirs du juge saisi – Étendue du contrôle exercé par le juge de cassation - Rejet.

L'art. L. 6421-2 du code des transports institue une amende à la charge des transporteurs aériens qui débarquent sur le territoiore français des passagers dépourvus de documents de voyage.

En l'espèce, où était en cause la compagnie Air France, le Conseil d'État clarifie sur trois points ce dispositif devenu une source non négligeable de contentieux.

En premier lieu, le juge saisi d'un recours de pleine juridiction contre la décision administrative infligeant une amende à une entreprise de transport doit, d'une part, statuer sur le bien-fondé de cette pénalité et, d'autre part, s'il y a lieu, peut réduire le montant de l'amende infligée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de l'espèce. 

En deuxième lieu, ce juge exerce, sous réserve de dénaturation, un pouvoir souverain de constatation et d'appréciation de l'irrégularité qu'il est reproché au transporteur de ne pas avoir décelée.

En troisième lieu enfin, le juge de cassation exerce un contrôle de qualification juridique sur le caractère manifeste des irrégularités dont l'absence de détection constitue un manquement du transporteur à ses obligations de contrôle de nature à justifier le prononcé d'une amende. En revanche, ce juge ne saurait remettre en cause l'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des manquements constatés et des circonstances de l'espèce, appréciation qui est laissée au pouvoir des juges du fond sauf si la solution retenue est hors de proportion.

(21 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 448996)

(163) V. aussi, à propos d'amendes infligées à Air France pour méconnaissance de son obligation de réacheminement résultant alors de l'article L. 625-7 du CESEDA et jugeant que constitue une circonstance exonératoire l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord, alors qu'il n'incombe pas au transporteur de pourvoir à la surveillance de l'intéressé et qu'il ne lui appartient pas d'exercer sur lui une contrainte : 21 juin 2022, Société Air France, n° 450480 ; ministre de l'intérieur, n° 451363.

 

164 - Règlement relatif à certaines tenues de bain dans les piscines municipales - Régles d'organisation et de fonctionnement d'un service public - Respect des principes de neutralité et d'égalité de traitement des usagers - Possibilité d'adaptations justifiées pour motifs religieux sans remise en cause de la neutralité du service  - Autorisation du port du « burkini » - Différence de traitement injustifiée et caractère trop fortement dérogatoire - Rejet.

La présente ordonnance de référé, rendue dans un contexte fortement médiatisé et controversé, l'a été en formation collégiale, signe, à la fois, du souci du juge d'en asseoir la légitimité et d'en solenniser le caractère pédagogique.

Le conseil municipal de Grenoble avait adopté le 16 mai 2022 un nouveau règlement intérieur des quatre piscines municipales dont la commune est gestionnaire dont l'art. 10 de ce règlement, pour le dire vite, y autorisait le port du « burkini ».

Le préfet de l'Isère avait saisi le juges des référés d'un recours contre cette délibération et s'était fondé pour cela sur les dispositions du premier alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales. Il convient de rappeler ici que lorsqu'il est dirigé contre un acte de nature à compromettre l'exercice d'une liberté publique ou individuelle, ou à porter gravement atteinte aux principes de laïcité et de neutralité des services publics, ce référé est traité comme le référé liberté de l'art. L. 521-2 du CJA, en particulier concernant le délai de 48 heures imparti au juge pour statuer.

Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu ladite délibération par ordonnance du 25 mai 2022 dont la commune interjette appel.

Le raisonnement débouchant sur le rejet de l'appel dirigé contre cette ordonnance est organisé en trois temps.

1°/ En premier lieu, est posé le principe bien connu que le gestionnaire d'un service public est tenu, lorsqu'il définit ou redéfinit les règles d'organisation et de fonctionnement d'un service public, de veiller au respect de la neutralité du service et notamment de l'égalité de traitement des usagers.

2°/ En second lieu, le juge admet cependant que « pour satisfaire à l'intérêt général qui s'attache à ce que le plus grand nombre d'usagers puisse accéder effectivement au service public », il est loisible  de prendre en considération, au-delà des dispositions légales et réglementaires qui s'imposent à lui, certaines spécificités du public concerné, et si les principes de laïcité et de neutralité du service public ne font pas obstacle, par eux-mêmes, à ce que ces spécificités correspondent à des convictions religieuses. Ce n'est là qu'une faculté, les intéressés ne disposant d'aucun droit à ce qu'il soit tenu compte de leurs convictions.

3°/ Enfin, en troisième lieu, il ne peut s'agir que d'adaptations qui ne peuvent en aucun cas porter atteinte à l'ordre public ou nuire au bon fonctionnement du service, notamment en ce que, par leur caractère fortement dérogatoire par rapport aux règles de droit commun et sans réelle justification, elles rendraient plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation ou se traduiraient par une rupture caractérisée de l'égalité de traitement des usagers, et donc méconnaîtraient l'obligation de neutralité du service public. 

 

La cause était dès lors entendue : en ne satisfaisant pas à la condition positive exposée au 2°/ et en se situant, en droit comme en fait, dans le cadre de la prohibition édictée au 3°/, la délibération litigieuse ne pouvait qu'être annulée.

(ord. réf. formation collégiale, 21 juin 2022, Commune de Grenoble, n° 464648)

 

165 - Police des mines et carrières - Autorisation d'exploitation au vu notamment des capacités financières de la société pétitionnaire - Substitutiton de deux financeurs à deux autres figurant dans le dossier de consultation du public - Substitution sans effet sur l'information suffisante du public - Absence d'irrégularité - Annulation pour erreur de droit.

Est entaché d'erreur de droit l'arrêt d'une cour administrttive d'appel qui, pour juger irrégulière la procédure d'attribution d'un permis de recherche exclusif à une société s'appuie sur l'insuffisance de l'information financière donnée lors de la consultation du public du fait qu'après celle-ci deux financeurs du projet avaient été substitués à deux autres figurant dans le dossier de consultation.

Dès lors que cette substitution n'altérait pas les capacités financières de la société attributaire du permis exclusif elle n'a pas eu pour effet, contrairement à ce qu'a jugé la cour, d'entaché d'irrégularité la procédure d'information.

(22 juin 2022, Commune de Couflens et autres, n° 442746)

 

166 - Autorisation de port d'arme - Demande d'autorisation par un maire menacé de mort - Refus - Contrôle restreint du juge - Rejet.

Le maire du Plessis-Robinson avait sollicité l'autorisation du port d'une arme à raison de menaces de mort proférées à son encontre et il avait attaqué en vain devant le juge administratif du fond le refus opposé par le ministre de l'intérieur.

Son pourvoi en cassation est rejeté par le double motif que le juge administratif n'exerce sur les refus d'autorisation de port d'armes qu'un contrôle restreint à l'erreur manifeste d'appréciation et que les juges du fond disposent en la matière d'un pouvoir souverain  d'appréciation des faits, sous réserve de dénaturation.

(22 juin 2022, M. A., n° 450398)

 

167 - Police de la sécurité dans les ports - Refus de délivrer l'agrément individuel pour effectuer des visites de sûreté portuaire - Refus résultant de la consultation d'un fichier - Absence de preuve de la consultation régulière du fichier et par une personne habilité - Circonstance sans effet  sur la régularité du refus d'agrément - Annulation.

Le demandeur s'est vu refuser par le préfet la délivrance de l'agrément individuel nécessaire pour effectuer des visites de sûreté portuaire au motif que la consultation du traitement des antécédents judiciaires effectuée à l'occasion de l'enquête administrative préalable à la délivrance de l'agrément révélait de sa part des faits récents justifiant un refus d'agrément.

Il a saisi la juridiction administrative qui, tant en première instance qu'en appel, a estimé que, faute pour le ministre de l'intérieur d'apporter la preuve, qui lui incombait, de ce que la consultation du traitement des antécédents judiciaires l'avait été par un agent individuellement désigné et spécialement habilité à cette fin, la décision attaquée devait être regardée comme entachée d'un vice de procédure. 

Le Conseil d'État, faisant litière de ce raisonnement, juge dès lors que le code des transports prévoit la possibilité que certains traitements automatisés de données à caractère personnel soient consultés au cours de l'enquête conduite par l'administration dans le cadre de ses pouvoirs de police, préalablement à la délivrance d'un agrément individuel, la circonstance que l'agent ayant procédé à cette consultation n'aurait pas été individuellement désigné et régulièrement habilité à cette fin, si elle est susceptible de donner lieu aux procédures de contrôle de l'accès à ces traitements, n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la décision prise sur la demande d'agrément. 

Encore une fois, est-ce bien le rôle du juge administratif de discriminer entre les violations des exigences de forme prévues par la loi celles méritant sanction et celles n'étant que des peccadilles ? Sur quoi se fonde-t-on pour décider que le législateur a voulu fonder une hiérarchie des violations dont l'existence ne ressort nullement du texte qu'il a adopté, surtout dans une matière aussi pernicieuse, insinuante et délétère pour les libertés ? Surtout, enfin, d’où se déduirait, si cette hiérarchie des violations  existait, la compétence du juge pour y mettre bon ordre ?

(22 juin 2022, ministre de l'intérieur, n° 452969)

 

Professions réglementées

 

168 - Médecin spécialiste en psychiatrie – Suspension du droit d’exercer – Insuffisance professionnelle – Obligation de suivre une formation adaptée – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni d’appréciation que le Conseil national de l’ordre des médecins – estimant que les lacunes professionnelles de M. C. étaient constitutives d'une insuffisance professionnelle rendant dangereux l'exercice de sa profession - a pris à l’encontre de celui-ci une mesure de suspension temporaire du droit d'exercer pendant un an avec obligation de suivre une formation adaptée pendant la durée de la mesure en se fondant pour cela sur un rapport d’expertise qu’il avait ordonné et qui relevait  que ce praticien présentait des insuffisances en matière de connaissances dans le domaine de la psychiatrie de l'adulte, notamment des lacunes dans l'élaboration de diagnostics, la prescription de psychotropes ou l'énonciation de bilans complémentaires nécessaires dans la surveillance de traitements et qu'en outre, il n'avait pas actualisé ses connaissances depuis plusieurs années, malgré l'obligation de développement professionnel continu. 

A cet égard, il importe peu qu'aucune plainte n'ait, antérieurement à la décision contetée, été déposée à son encontre.

(15 juin 2022, M. C., n° 454846)

 

169 - Chirurgiens-dentistes – Procédure disciplinaire – Procédure d’un confrère contre un autre jugée abusive par l’instance ordinale – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes qui juge que la procédure intentée par un confrère contre un autre revêtait un caractère abusif alors que, pour justifier les manquements disciplinaires qu'elle reprochait à son confrère, l’intéressée faisait valoir, d’une part, mettre en cause l'extraction par ce praticien d'une dent saine et en indiquant de quelle dent il s'agissait, de sorte que sa requête n'était pas totalement dépourvue de précision, et d'autre part, que sa plainte n'était pas motivée par une intention de nuire à ce confrère.

(29 juin 2022, Mme A., n° 442685)

 

170 - Médecin – Interdiction de toute publicité et communication commerciale par voie électronique – Sanction – Incompatibilité de dispositions prohibitives du code de la santé publique avec celles du droit de l’Union (art. 56 TFUE) – Annulation.

Statuant sur une sanction disciplinaire infligée par un conseil départemental de l’ordre des médecins à l’un de ses membres pour avoir contrevenu aux dispositions des art. R. 4126-19 et R. 4127-19 du code de la santé publique prohibant de manière générale et absolue toute publicité et toute communication commerciale par voie électronique, le Conseil d’État rappelle à nouveau l’incompatibilité de ces dispositions avec les stipulations de l'article 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, telles qu'interprétées par la CJUE (4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff.C-339/15). La sanction est annulée.

(29 juin 2022, M. A., n° 458711)

 

171 - Médecin - Section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des médecins statuant en matière disciplinaire - Délai de prescription - Absence d'indication  sur ceux des actes atteints ou non par la prescription - Insuffisance de motivation empêchant l'exercice de son pouvoir de contrôle par le juge de cassation - Annulation.

(14 juin 2022, Mme B., n° 451480)

V. n° 31

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

172 - TVA - Obligation d'établir mensuellement un état récapitulatif - Sanction du non respect de cette obligation - Invocation des principes de proportionnalité et d'individualisation des peines - Demande de transmission d'une QPC - Existence d'un contrôle de proportionnalité exercé par les juges du fond - Rejet.

Les textes instituent, en matière de TVA frappant les échanges intracommunautaires, une obligation pour les entreprises d'établir un état récapitulatif des clients auxquels elles ont fourni des services pour lesquels le preneur est redevable de la taxe dans un autre État membre de la Communauté européenne. Le non respect de cette obligation est puni par l'art. 1788 A du CGI d'une amende de 750 euros portée à 1500 euros à défaut de production de la déclaration dans les trente jours d'une mise en demeure. La requérante soulevait une QPC  à l'encontre de cette disposition en arguant que par son caractère automatique et forfaitaire elle porte atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines puisqu'elle est infligée tous les mois et indépendamment de l'existence de droits éludés et de la valeur des biens ou services échangés.

Le Conseil d'État refuse cette transmission par le motif  que « le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le contribuable ».

On ne peut qu'être étonné que l'auto-institution par un juge d'une compétence à statuer en proportionnalité ait pour effet de supprimer la possibilité d'un recours en QPC surtout qu'à notre connaissance, les opinions des différents juges - qui ne sont que des opinions - sur la proportionnalité peuvent être disparates à souhait risquant ainsi de faire éclater l'unicité d'interprétation de la norme constitutionnelle.

En outre, qu'est-ce une sanction qui, à la fois, peut être plus lourde que le préjudice subi et frapper une absence de droits éludés ? Du fétichisme ou du racket ?

(1er juin 2022, Société Perferencement, n° 459099)

 

173 - Fonction publique et agents de l'État - Principe d'égalité - Réservation aux seuls syndicats représentatifs du droit d'assister un agent de l'État exerçant un recours administratif à l'encontre de décisions défavorables - Question non nouvelle mais de caractère sérieux - Transmission d'une QPC.

Le syndicat demandeur posait une QPC tirée de l'inconstitutionnalité des dispositions de l'article 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État en ce qu'elles réserveraient aux seules organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un représentant aux fins d'assister un agent de l'État dans l'exercice d'un recours administratif contre les décisions individuelles défavorables prises à son encontre en matière de promotion interne, d'avancement de grade et de mutations. Le Conseil d'État juge que si la question n'est pas nouvelle - lui-même s'est prononcé sur le sujet dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte réglementaire contenant en substance la même disposition - elle revêt un caractère sérieux justifiant sa transmission.

(1er juin 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460759)

 

174 - Fonction publique territoriale - Résorption de l'emploi précaire - Changement de régime législatif - Atteintes aux principes constitutionnels de la libre administration des collectivités territoriales et de la liberté contractuelle -  Transmission d'un QPC pouvant « être regardée comme nouvelle ».

(1er juin 2022, Commune de Bonneuil-sur-Marne, n° 462193 ;  Commune de Fontenay-sous-Bois, n° 462194 ;  Commune d'Ivry-sur-Seine, n° 462195 ; Commune de Vitry-sur-Seine, n° 462196)

V. n° 17

 

175 - Implantation d'éoliennes - Allégation d'inconstitutionnalité de la distance de 500 mètres devant les séparer des habitations - Conseil constitutionnel s'étant déjà prononcé sur cette question  - Invocation d'un changement dans les circonstances - Changement insuffisant pour justifier une nouvelle saisine de ce Conseil - Rejet.

Les requérants soulevait une question prioritaire de constitutionnalité à l'encontre des dispositions du dernier alinéa de l'art. L. 515-44 du code de l'environnement en ce qu'elles fixent à 500 mètres la distance d'éloignement imposée entre les installations d’éoliennes et les constructions à usage d'habitation en arguant de ce que si le Conseil constitutionnel a déjà déclaré cette disposition conforme à la Constitution (13 août 2015, Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, n° 2015-718 DC), un changement de circonstances est survenu postérieurement à cette décision du fait d'une évolution de la taille et de la puissance des éoliennes.

Le Conseil d'État, avec une grande avarice de démonstration comme d’analyse des moyens, se borne, pour refuser la transmission de la QPC, à dire que les évolutions invoqués par les requérants « ne sont pas telles qu'elles caractériseraient un changement dans les circonstances de fait justifiant que le Conseil constitutionnel soit à nouveau saisi de la constitutionnalité de ces dispositions ». Ce qui, d'évidence, ne répond pas à l'argumentation dont le juge était saisi.

(9 juin 2022, Commune de Courcival et autres, n° 460644)

 

176 - Déduction de la TVA déjà acquittée - Défaut de mention de la taxe exigible sur la déclaration prévue à cet effet -  Amende forfaitaire et automatique - Atteinte au principe de proportionnalité des peines - Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Le moyen tiré de ce que les dispositions du paragraphe n° 90 des commentaires administratifs publiés le 16 juin 2021 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-CF-INF-20-20 réitérant les dispositions du premier alinéa du 4 de l'article 1788 A du GI, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment, du fait de l'absence de plafonnement du montant de l'amende, au principe de proportionnalité des peines, soulève une question présentant un caractère sérieux, justifiant ainsi la transmission de la QPC qui le contient.

(14 juin 2022, Société Igdal, n° 462398)

 

Responsabilité

 

177 - Prescription des actions personnelles ou mobilières en responsabilité - Art. 2224 du Code civil - Point de départ de la prescription - Date de manifestation du dommage et non date de la connaissance de sa cause - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui fixe, en violation des dispositions de l’art. 2224 du Code civil, le point de départ de la prescription non au jour de la manifestation du dommage mais à celui de l'identification de l'origine des désordres et des responsables de ces désordres.

(10 juin 2022, Socié Otéis, n° 450675)

 

178 - Agent d'une chambre de commerce et d'industrie (CCI) - Indemnisation du préjudice subi du fait de l'absence de cotisation de la CCI employeur - Caractère éventuel du préjudice et prescription quadriennale - Erreurs de droit - Annulation.

Un agent d’une CCI reproche à cette chambre, son employeur, de n'avoir pas cotisé à la tranche T2 du régime de retraite complémentaire de l'ARRCO et demande réparation du préjudice subi de ce fait. La cour administrative d'appel a, d'une part, jugé que le régime d'assurance vieillesse reposant sur l'aléa d'un départ à la retraite et que M. D. n'ayant pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite, le préjudice qui résulte de la minoration de la pension complémentaire qui lui serait servie présente un caractère éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation, et d'autre part, que, dès lors qu'avaient été publiés les textes règlementaires obligeant son employeur, ainsi qu'il l'a fait pour la période du 1er janvier 2011 au 31 août 2015, à racheter les droits d'affiliés au régime complémentaire AGIRC-ARRCO de ses employés, il appartenait à M. D., s'il s'y croyait fondé, d'en demander le bénéfice au titre des services d'enseignant titulaire qu'il avait accomplis du 1er mars 2006 au 31 décembre 2010. L'arrêt est cassé en ses deux chefs pour erreurs de droit.

En premier lieu, il incombait à la cour de rechercher si des circonstances particulières, telle que l'âge de l'agent, permettaient de regarder le préjudice invoqué comme suffisamment certain.

En second lieu, la cour n'a pas, non plus, recherché si le requérant ne pouvait pas être regardé comme ayant légitimement ignoré l'existence de sa créance, au sens de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1968.

(10 juin 2022, M. D., n° 452733)

(179) V. aussi, concernant un identique litige avec la même CCI, confirmant le second point de l'analyse de la décision précédente : 10 juin 2022, M. D. , n° 452737.

 

180 - Dépose d'éléments d'un opéra contenant de l'amiante - Travaux de dépollution - Demande, en qualité de subrogée, de remboursement des fonds avancés par la commune, et des réparations versées par son assureur - Rejet.

C'est sans erreur de qualification des faits qu'une cour d'appel rejette le recours de l'assureur de la commune de Lyon et de son opéra, motif pris, d'une part, de ce que la ville de Lyon avait connaissance de la présence d'amiante dans les cinq portes coupe-feu dont elle a demandé à une société, par un bon de commande émis le 9 décembre 2008, de procéder à la dépose, l'évacuation en décharge et le remplacement, et qu'elle ne s'était pas assurée que cette société ou la société à laquelle cette dernière sous-traitait l'exécution de la prestation disposait du certificat de qualification exigé par l'arrêté du 22 février 2007 définissant les conditions de certification des entreprises réalisant des travaux de retrait ou de confinement de matériaux contenant de l'amiante, et d'autre part, de ce que le préjudice dont la ville demandait réparation du fait de la pollution du site survenue à la suite de l'exécution de cette prestation lui était exclusivement imputable, alors même que la société et sa sous-traitante étaient informées de la présence d'amiante dans les portes et qu'elles ne disposaient pas du certificat de qualification requis.

On peut trouver la solution excessive en ce qu'elle n'opère pas a minima un partage de responsabilité.

(10 juin 2022, Société Axa France Iard, n° 453977)

 

181 - Acquisition d'un hôtel - Exercice du droit de préemption urbain suivi d'une renonciation -  Dommages résultant de décisions légales - Responsabilité sans faute à prouver engagée - Moyen d'ordre public devant être soulevé d'office - Absence - Cassation sans renvoi, le juge statuant au fond.

Sur déclaration d'intention d'aliéner en vue de l'acquisition d'un hôtel faite par la requérante, la commune a fait part de sa volonté d'exercer son droit de préemption puis, un an plus tard, a renoncé à cette acquisition forcée.

Le bien ayant subi divers dégâts et déprédations, la société requérante a réclamé réparation à la commune pour faute. La cour de Nancy a rejeté cette demande sans se prononcer sur l'éventuelle existence d'une responsabilité sans faute à prouver, moyen qui est d'ordre public.

Elle doit donc être considérée comme ayant rejeté également mais implicitement ce chef de responsabilité, or comme sont ici réunies, selon le Conseil d'État, les conditions de déclenchement de ce régime de responsabilité (décisions légales, préjudice grave, de caractère spécial et excédant les aléas ou sujétions que doivent normalement supporter des vendeurs de terrains situés en zone urbaine couverte par le droit de préemption), la cassation est prononcée.

Statuant au fond, le juge, après avoir décidé que la faute de la victime (ici le défaut d'un gardiennage des lieux) ne pouvait pas empêcher le jeu de la réparation sans faute à prouver, il attribue une indemnisation déduction faite de la part du rôle causal joué par la faute de la victime dans la réalisation puis dans l'ampleur du dommage.

(13 juin 2022, Société Immotour, n° 437160)

 

182 - Harcèlement et fautes l'accompagnant - Demande d'indemnisation - Demande également de réparation de la responsabilité sans faute - Omission de réponse à moyen - Insuffisance de motivation - Annulation.

L’intéressée, assistante territoriale d'enseignement artistique employée par la commune de Loos, recherchait sur deux terrains la responsabilité de cette commune.

Sur le fondement de la responsabilité pour faute, elle sollicitait la réparation des préjudices découlant du harcèlement moral dont elle soutenait avoir été victime et des fautes qu'elle soutenait avoir été commises par la commune de Loos dans l'organisation du service et à raison du manquement à son obligation de protection de la santé de ses agents.

Sur le fondement de la responsabilité sans faute à prouver, elle demandait la réparation du préjudice résultant des souffrances physiques et morales liées à la pathologie dont elle souffrait.

La cour administrative d'appel ne s'est pas prononcée sur sur ce second chef de demande de réparation du préjudice. Son arrêt est annulé car l'omission de réponse à un moyen qui n’était pas inopérant a entaché celui-ci d'insuffisance de motivation.

(16 juin 2022, Mme A., n° 443367)

 

183 - Autorisation administrative de licenciement - Autorisation irrégulière - Mise en jeu de la responsabilité pour faute de l'État - Faute de la victime venant atténuer cette responsabilité - Étendue de l'obligation de réparer - Rejet partiel.

Le licenciement d'un salarié protégé ne pouvant intervenir que sur autorisation de l'autorité administrative, il en résulte que l'illégalité de cette autorisation constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique à l'égard de l'employeur, pour autant qu'il en soit résulté pour celui-ci un préjudice direct et certain. 
Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de l'État en ce cas, il y a lieu de tenir compte, le cas échéant, de la faute également commise par l'employeur en sollicitant la délivrance d'une telle autorisation.

En l'espèce, la cour administrative d'appel est approuvée pour avoir opéré un partage de responsabilité du fait des fautes respectives commises, d'une part,  par l'employeur en adressant la lettre de convocation à l'entretien préalable sans qu'elle comporte la mention de la possibilité, pour l'intéressé, de se faire assister par un conseiller du salarié lors de son entretien préalable alors que cette société ne comportait pas d'institution représentative du personnel et d'autre part, par l'autorité administrative qui a délivré une autorisation de licenciement sur la base d'une procédure irrégulière.

En revanche, la cour devait également, ce qu'elle n'a pas fait, appliquer ce même partage de responsabilité, entre les deux parties perdantes, l'employeur et l'État,  à la somme allouée au demandeur au titre de l'art. L. 761-1 CJA.

(20 juin 2022, Société Henri Berruer, venant aux droits de la société Benichou Legrain Berruer, n° 438885)

 

184 - Responsabilité de l'administration fiscale dans l'établissement et le recouvrement de l'impôt - Notion de préjudice - Exclusion du paiement de l'impôt - Annulation.

Le Conseil d'État rappelle opportunément qu'en principe l'État est responsable de toute faute commise lors de l'exécution d'opérations se rattachant aux procédures d'établissement et de recouvrement de l'impôt envers un contribuable ou toute autre personne s'il existe entre cette faute et le préjudice un lien direct de causalité.

Précisant les préjudices susceptibles d'être, ou non, réparés, le juge indique, positivement, que peuvent être réparées les conséquences matérielles des décisions prises par l'administration et, le cas échéant, des troubles dans les conditions d'existence dont le contribuable justifie.

Négativement, il considère que ne sont pas recevables des conclusions indemnitaires qui n'invoquent que le préjudice résultant du paiement de l'imposition car ces conclusions ont le même objet que l'action tendant à la décharge de cette imposition que le contribuable a introduite ou aurait pu introduire sur le fondement des règles prévues par le livre des procédures fiscales.

En l'espèce est annulé l'arrêt qui, pour juger la requérante non recevable à rechercher la responsabilité de l'État du chef du préjudice dont elle demandait réparation, a relevé que la demande d'agrément présentée par son mandataire tendait à obtenir à son profit une réduction d'impôt de même montant sur le fondement des dispositions de l'article 199 undecies B du CGI, ce dont elle a déduit que la demande indemnitaire présentée par la société requérante avait en réalité le même objet qu'une demande tendant à la réduction d'une imposition et qu'elle devait, par voie de conséquence, être rejetée comme irrecevable faute d'avoir été présentée dans les formes et délais prévus par les articles L. 190 et suivants du livre des procédures fiscales. Ce jugeant la cour a commis une erreur de droit car  la réduction d'impôt qu'établissent  les dispositions de l'article 199 undecies B du CGI n'est instituée qu'en faveur des contribuables qui réalisent un investissement productif neuf outre-mer, à l'exclusion, le cas échéant, de l'entreprise locataire chargée de l'exploiter, laquelle ne bénéficie qu'indirectement de cette réduction d'impôt sous la forme d'une diminution du loyer et du prix de cession du bien que sont tenus de consentir les investisseurs.

Dès lors la cour ne pouvait dire irrecevable une demande indemnitaire au motif qu'elle avait le même objet qu'une demande tendant à l'octroi de l'avantage fiscal prévu par l'article 199 undecies B du CGI, alors que l'action engagée par l'entreprise ayant la disposition du bien produit tendait, non à l'octroi d'une indemnité équivalant à une réduction d'impôt, mais à la réparation d'un préjudice distinct, de caractère économique et financier, tenant à l'absence de rétrocession, pour assurer le financement des travaux, d'une fraction de la réduction d'impôt dont aurait bénéficié l'investisseur si l'agrément sollicité lui avait été délivré conformément à la loi.

(23 juin 2022, Société l'Île, n° 445213)

 

185 - Action en réparation d’un dommage – Prescription en référé (art. R. 532-1 CJA, rééré instruction ou mesures utiles) d’une expertise en vue de déterminer les causes du sinistre – Extension de l’expertise aux préjudices de l’ensemble des parties et intervenantes – Rejet d’une demande d’intervention volontaire et de mise en cause dans les opérations d’expertise – Appel incident - Tardiveté de conclusions et délai de distance – Personnes susceptibles d’être rendues communes à une expertise – Réformation et annulation partielles de l’ordonnance de référé rendue en appel.

(décis. sur réf. 28 juin 2022, Sociétés VTG France VTG Rail Europe GmbH, VTG Rail Logistics France et VTG Deutschland GmbH, n° 460571)

V. n° 54

 

Santé  publique

 

186 - Maladies à déclaration obligatoire - Statut n'existant pas pour le syndrome hémolytique et urémique (SHU-Typique) - Contrôle du juge - Rejet.

Saisi au moyen d'un référé liberté de demandes d'injonctions à la ministre de la santé, d'une part, de consulter le Haut conseil de la santé publique en vue d'ajouter le syndrome hémolytique et urémique à la liste des maladies à déclaration obligatoire puis, à la suite de cet avis, de l'y ajouter, et d'autre part, de prendre, dans l'attente, toutes les mesures réglementaires appropriées propres à assurer une intervention urgente locale, nationale ou internationale, pour tout cas de syndrome hémolytique et urémique identifié.

Si le recours est rejeté, notamment car fait défaut ici la satisfaction de la condition d'urgence particulière au référé liberté, la décision est intéressante en ce que le juge y affirme que l'extension de la liste des maladies à déclaration obligatoire peut être demandée à l'autorité administrative compétente et qu'un refus de sa part peut être contesté devant la juridiction administrative par la voie d'une requête en annulation assortie, le cas échéant, d'une demande de suspension.

(ord. réf. 8 juin 2022, , n° 464243)

 

187 - Enfants présentant un trouble du neuro-développement - Diagnostic en vue d'un parcours de bilan et d'intervention précoce - Prise en charge par l'assurance-maladie - Conclusion d'un contrat conforme à un contrat type entre les psychologues et les structures organisatrices de ces bilan et intervention - Obligation de respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles édictées par la Haute autorité de santé (HAS) - Rejet.

Les différentes requêtes,  contestant chacune la juridicité de l'arrêté du 10 mars 2021 relatif à la définition de l'expertise spécifique des psychologues mentionnée à l'article R. 2135-2 du code de la santé publique, ont été jointes.

Outre des moyens de légalité externe, d'ailleurs rejetés, les demandes soulevaient des moyens de légalité interne, également rejetés.

L'exception d'illégalité opposée à l'arrêté litigieux du fait qu'il serait pris pour l'application de l'art. R. 2135-2, point III, lequel serait illégal, ne saurait prospérer. En effet, alors que  cette dernière disposition se borne à fixer les prestations qui, lorsqu'elles sont réalisées dans le cadre d'un parcours de bilan et d'intervention précoce pour les troubles du neuro-développement par des psychologues ayant conclu un contrat avec une plateforme de coordination et d'orientation, peuvent être prises en charge par l'assurance maladie, l'arrêté attaqué, lui, fixe les conditions mises à l'usage professionnel du titre de psychologue par le I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social. Cet arrêté n'a donc pas été pris en exécution ou pour l'application du III de l'art. R. 2135-2 précité.

Ensuite, les dispositions contestées ne portent atteinte ni à la liberté des psychologues de mettre en œuvre d'autres types d'expertise que ceux mentionnés dans cet arrêté et aux patients d'y recourir, ni à l'égalité entre les patients, ceux bénéficiant de prestations prises en charge dans le cadre d'une plateforme de coordination et d'orientation se trouvant en tout état de cause dans une situation différente de ceux qui n'en bénéficient pas.

Enfin, il n'est pas démontré que les recommandations de bonnes pratiques préconisées par la HAS seraient manifestement incomplètes, inexactes ou obsolètes. Et l'arrêté attaqué, en prévoyant que les interventions et programmes que le psychologue met en œuvre doivent, pour être pris en charge, respecter les recommandations de bonnes pratiques professionnelles établies par la Haute Autorité de santé, propres à chaque trouble du neuro-développement, et en s'y référant pour définir l'expertise spécifique que ce psychologue doit détenir, n'a pas méconnu la portée des recommandations de bonnes pratiques de la Haute Autorité de santé et n'est entaché, ni d'erreur manifeste d'appréciation, ni de détournement de pouvoir.

Étrange durcissement du droit « mou ».

(13 juin 2022, Association des psychologues freudiens, n° 452333 ;  M. E. et autres, n° 453254 ; Association Collège des psychologues de l'Arisse, n° 453328 ; Syndicat CGT-APAJH33, n° 453329,  jonction)

 

188 - Médicaments - Autorisation de mise sur le marché (AMM) - Réglementation européenne - Nouvelle demande d'AAM ou modification d'une AMM existante - Médicament n'apportant aucune amélioration du service médical rendu (ASMR) -  Notion et régime - Annulation partielle.

Les requérantes demandaient, notamment, d'abord l'annulation de deux arrêtés du 1er juillet 2021, le premier modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l'usage des collectivités et divers services publics et le second  modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux, en tant qu'ils étendent la prise en charge de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable sous plaquettes thermoformées (B30), à l'indication de la réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé,

Elles demandaient ensuite l'annulation :

- en premier lieu, de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable, ainsi que la décision rejetant leur recours gracieux,

- en second lieu, de la décision implicite de l'ANSM rejetant leur demande du 2 août 2021 d'abrogation de la décision du 27 novembre 2020 portant modification de l'autorisation de mise sur le marché de la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg, comprimé sécable.

Dans ce litige, où était une nouvelle fois en cause les choix des autorités de santé publique et de celles de sécurité sociale d'autoriser, ou non, la mise sur marché de médicaments et, au sein des médicaments autorisés, à fixer le taux de remboursement de ces spécialités dans un souci de maîtrise des dépenses de santé, le Conseil d'État est conduit, répondant de manière très partiellement favorable aux demandes dont il était saisi, à une longue exposition du régime général applicable où se combinent dispositions du droit de l'Union et dispositions de droit interne.

En l'espèce, il concède seulement aux requérantes l'annulation de l'arrêté du 1er juillet 2021 inscrivant la spécialité Baclofène Zentiva 10 mg sur la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables figurant à L. 162-17 du code de la sécurité sociale.

(13 juin 2022, SAS Ethypharm et SAS Laboratoires Etypharm, n° 456303, n° 459188, n° 459191)

 

189 - Médicament - Radiation de médicaments de la liste « en sus » (art. L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale) - Absence d'atteinte grave et immédiate à la situation de la requérante et des patients - Défaut d'urgence - Rejet de la demande de suspension de la mesure de radiation.

Les ministres chargés de la santé et du budget ont modifié la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dite liste « en sus », radiant de cette liste les spécialités pharmaceutiques « DIFICLIR » fabriquées par la requérante.

Cette dernière saisit le juge d'un référé tendant à la suspension de cette décision. Elle soutient que la prise en charge directe de leur coût par les établissements de santé a des répercussions immédiates sur leur prescription par les médecins hospitaliers ce qui crée une modification de sa situation et porte préjudice à l'intérêt des patients de voir leurs besoins médicaux suffisamment couverts. 

Pour rejeter la requête en référé, le juge relève d'abord que la décision de radier ces spécialités de la liste « en sus » ne fait pas obstacle à leur prise en charge dans le cadre du tarif des prestations facturées par les établissements de santé.

Il constate ensuite que les montants remboursés au titre de la liste « en sus » pour la spécialité DIFICLIR ont été intégrés dans les tarifs d'hospitalisation associés aux « groupes homogènes » consommateurs de cette spécialité. Vainement, à cet égard, la société Tillots Pharma France fait valoir que cette réintégration ne compense pas l'intégralité du coût du traitement, qu'elle a déjà enregistré des refus de vente depuis le 1er mars 2022 et que ces spécialités représentent près de 30% de son chiffre d'affaires. En effet, ces divers éléments ne permettent pas, en l'état de l'instruction, d'établir que la décision contestée serait de nature à porter une atteinte grave et immédiate, d'une part, à la situation financière de la requérante et, d'autre part, à la mise de ces spécialités à disposition aux patients qui en auraient besoin.

Ainsi, en l'absence de l'urgence requise par les dispositions de l'art. L. 521-1 CJA, il n'y a pas lieu d'ordonner la suspension sollicitée.

(15 juin 2022, Société Tillotts Pharma France, n° 464329)

 

190 - Vaccination anti-Covid-19 – Liste limitative des contre-indications à cette vaccination – Compétence du pouvoir réglementaire – Conformité de la liste aux données acquises de la science – Absence d’atteintes à des dispositions constitutionnelles ou conventionnelles – Rejet.

La requérante contestait par divers moyens de légalité interne – outre des moyens de légalité externe de peu de portée - le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu’il prévoit les cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19.

Ils sont, comme c’était prévisible, tous rejetés.

Tout d’abord le pouvoir réglementaire était bien compétent sur délégation du législateur pour établir, au titre des conditions de vaccination des personnes soumises à l'obligation de vaccination, une liste limitative de contre-indications médicales faisant obstacle à leur vaccination. 

Ensuite, le pouvoir réglementaire, en fixant la liste - contestée par le recours - des contre-indications médicales à la vaccination contre la maladie Covid-19 reconnues en l'état des connaissances scientifiques et sans la laisser à l'appréciation individuelle de chaque médecin, n’a pas méconnu l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le 11ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et par les dispositions des art. L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique. 

Enfin, le décret attaqué ne méconnaît pas davantage l’art. 8 de la Convention EDH en tant qu’il garantit le droit à l’intégrité physique qui fait partie du droit au respect de la vie privée d’autant que la requérante ne démontre pas en quoi le contenu de la liste limitative des contre-indications à la vaccination des personnes soumises à cette obligation serait de nature à instaurer un rapport qui ne serait pas suffisamment favorable entre d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale.

(24 juin 2022, Mme B., n° 457396)

 

191 – Covid-19 – Obligation vaccinale des professionnels de santé – Suspension des agents non vaccinés – Exigences posées par la loi non par le décret attaqué – Loi non contraire à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales – Rejet.

Les requérantes demandaient, d’une part, que soit suspendue l’exécution de toutes les dispositions relatives à l'obligation vaccinale des professionnels chargés d'assurer les services d'urgence sur le territoire français contenues dans le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, et, d’autre part, qu’il soit fait injonction à l'Etat de prendre toutes mesures utiles afin de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée au droit à la vie des usagers du système de santé français et d'assurer la réouverture et la continuité des services d'urgence. 

Leur critique portait sur le fait que ce texte, en instaurant la vaccination obligatoire des personnels des services de santé et le principe de la suspension des agents publics qui ne justifient pas avoir satisfait à cette obligation vaccinale, méconnaît le droit des patients compte tenu de la situation actuelle des services d’urgence et des établissements de santé.

Leur requête est rejetée tout d’abord parce que, comme le relève le juge des référés, les exigences en cause ne résulte pas du décret attaqué mais de la loi du 5 août 2021, en ses art. 12 et 14. Elle est rejetée ensuite parce que les dispositions de cette loi relatives à l’obligation vaccinale des professionnels de santé et à leur suspension d’exercer en cas de refus ne sont manifestement pas incompatibles avec les stipulations de l'article 8 de la convention EDH et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Il suit de là que le décret pris en application de cette loi  ne peut être considéré comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales que les associations requérantes invoquent.

(ord. réf. 30 juin 2022, Association Je ne suis pas un danger et Association de défense de la santé publique et de l'environnement (ADSPE), n° 465040)

 

 

Service public

 

192 - École normale supérieure de Lyon (ENS lyon) - Règlement intérieur - Annulations successives des différentes versions de ce règlement adoptées par le conseil d'administration - Situation grave - Arrêté ministériel (enseignement supérieur) portant règlement intérieur - Compétence du ministre - Rejet.

Les versions successives du règlement intérieur de l'ENS Lyon ayant été, chacune, annulées, la ministre chargée de l'enseignement supérieur a établi ce règlement par arrêté.

Les requérants demandaient l'annulation de cet arrêté en relevant que l'on ne se trouvait pas, en l'espèce, dans l'hypothèse prévue, à titre transitoire, par l'art. 17 du décret du 12 décembre 2013 qui permet au ministre d'arrêter le règlement intérieur si celui-ci n'est pas adopté dans les trois mois de l'installation du nouveau conseil d'administration.

Le Conseil d'État juge que cet établissement étant sans règlement intérieur depuis  plusieurs années, le ministre était habilité par l'art. L. 719-8 du code de l'éducation  à arrêter lui-même cet acte du fait d'une « difficulté grave dans le fonctionnement des organes statutaires » de l'ENS Lyon sans qu'y fasse obstacle l'expiration du délai de trois mois prévu par le décret précité.

En réalité, l'exercice de ce pouvoir s'autorise directement du principe de continuité du service public.

(1er juin 2022, M. D. et Mme A., n° 440370)

(193) V. aussi, rejetant - au visa de l'art. L. 719-8 du code de l'éducation (difficultés graves dans le fonctionnement d'organes universiataires)  - le recours dirigé contre un arrêté du 13 janvier 2021, par lequel la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a fixé les modalités permettant de compléter, à titre provisoire, la composition du conseil d'administration de la communauté d'universités et établissements (COMUE) « Université de Lyon » jusqu'à l'organisation d'élections conformément à ses statuts, dans leur rédaction issue du décret du 30 décembre 2020. Cet arrêté prévoyait l'organisation par le recteur de la région académique Auvergne-Rhône-Alpes d'un tirage au sort des représentants des collèges des enseignants-chercheurs, enseignants et chercheurs, des autres personnels et des usagers parmi les élus titulaires des collèges correspondants au sein des conseils d'administration des établissements membres de la COMUE en exercice à la date de publication dudit arrêté. Il fixe également, à titre provisoire, la liste des entreprises et associations représentées au conseil d'administration de la COMUE. Cet arrêté a été modifié par un arrêté du 28 janvier 2021, par lequel la ministre en a modifié l'article 2 afin de prévoir que, pour l'université Lyon-II, participent au tirage au sort, pour les mêmes collèges, les élus titulaires de son conseil d'administration en exercice à la date du tirage au sort : 1er juin 2022, M. B. et Association Démocratie et transparence à l'université de Lyon, n° 451043.

 

194 - Formations de santé - Intitution à titre expérimental d'échanges entre les formations dispensées entre universités et établissements d'enseignement privés - Mise en place d'enseignements communs - Atteintes à la liberté de l'enseignement, à la liberté contractuelle, au principe d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et à la formation professionnelle - Rejet.

(1er juin 2022, Fédération nationale de l'enseignement privé (FNEP), n° 441760)

V. n° 159

 

195 - Enseignement en classe préparatoire - Durée hebdomadaire de service - Notion de classe - Décret du 25 mai 1950 - Rejet.

Le litige portait sur le point de savoir si la durée hebdomadaire de service pour un professeur de classe préparatoire est de huit heures comme le prétendait le requérant ou de dix heures comme le soutenait l'administration. Le Conseil d'État, confirmant l'arrêt d'appel infirmatif, interprète les dispositions de l'art. 6 du décret du 25 mai 1950  portant règlement d'administration publique pour la fixation des maxima de service hebdomadaire du personnel enseignant des établissements d'enseignement du second degré comme signifiant que le terme « classe » doit être regardé comme faisant référence aux groupes d'élèves respectifs auxquels le professeur dispense son enseignement de manière habituelle pendant l'année scolaire, et non à l'effectif total de la division dont ces groupes sont issus. En l'espèce, où l'enseignant exerçait devant trois groupes de 17, 14 et 15 élèves, ceux-ci constituaient trois classes et non une seule cmposée de 46 élèves comme l'affirmait le demandeur. Son service hebdomadaire était bien de dix heures.

(1er juin 2022, M. B., n° 452644)

 

196 - École maternelle - Classe de très petite section - Condition d'inscription d'enfants - Refus de la commune - Rejet.

Des parents d'élèves ont obtenu en référé la suspension du refus d'une commune de scolariser en école maternelle, dans une classe de très petite section, des enfants âgés  de moins de trois ans.

La commune se pourvoit en cassation.

Les trois ordonnances de référé sont cassées pour omission de répondre à un moyen soulevé par la commune et qui n'est pas inopérant.

Celle-ci soutenait qu'en l'absence de projet éducatif propre à l'accueil des enfants n'ayant pas atteint l'âge de l'obligation scolaire, de locaux et de matériels adaptés, elle ne pouvait pas accueillir dans de bonnes conditions en classe de très petite section de maternelle les enfants âgés de moins de trois ans.

Le Conseil d'État juge tout d'abord, fixant par là une norme générale classique, que les dispositions des art. L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation « qui n'instituent pas un droit pour les enfants âgés de moins de trois ans à l'issue de l'année civile où a lieu la rentrée scolaire, qui ne sont pas soumis à l'obligation scolaire, à être accueillis dans les écoles et classes maternelles, impliquent que lorsque cet accueil peut être organisé, il le soit en priorité dans les écoles et classes maternelles situées dans un environnement social défavorisé et dans la limite des places disponibles. Saisi d'une demande d'admission dans une classe ou une école maternelle d'un enfant de moins de trois ans non soumis à l'obligation scolaire, il appartient au maire de se prononcer conformément aux dispositions (...) des articles L. 113-1 et D. 113-1 du code de l'éducation, en prenant en considération la situation particulière de l'école ou de la classe en cause, le cas échéant en lien avec les services de l'éducation nationale. Il ne peut en revanche refuser une telle admission sur le fondement de considérations de principe portant sur la scolarisation des enfants de moins de trois ans qu'il n'est pas compétent pour édicter. »

Le Conseil d'État relève ensuite qu'est fondée en droit l'invocation par la commune de l'absence de projet éducatif relatif à l'accueil des enfants non encore soumis à l'obligation scolaire et de l'insuffisance des moyens humains et matériels nécessaires à l'accueil de ces très jeunes enfants, alors même que de tels enfants étaient, au cours des années scolaires précédentes, accueillis au sein des classes de petite et moyenne sections de l'école maternelle en cause.

(1er juin 2022, Commune de Pluneret, n° 456625 ; n° 456626 ; n° 456627)

Voir aussi, pour un autre aspect de ce litige, le n° 26

 

197 - Diplômes nationaux - Compétence pour les délivrer réservée aux seuls établissements accrédités à cet effet - Obligation d'obtenir une certification par un organisme externe non accrédité en vue de l'obtention d'un diplôme national - Illégalité des décret et arrêté attaqués - Annulation intégrale des dispositions indivisibles.

Un décret et un arrêté  du 3 avril 2020 imposent aux candidats au brevet de technicien supérieur et au diplôme universitaire de technologie d'obtenir en langue anglaise une certification délivrée par un organisme extérieur. Ce document est pris en compte pour la délivrance des diplômes précités qui, étant des diplômes nationaux, ne peuvent être délivrés qu'au vu des résultats du contrôle des connaissances et des aptitudes appréciées par des établissements accrédités à cet effet. Par définition, les organismes extérieurs visés par les textes litigieux n'appartiennent pas à cette catégorie.

En conséquence, ces établissements, en subordonnant l'obtention des diplômes nationaux à la présentation par les candidats d'une certification, qui fait l'objet d'une évaluation externe par des organismes non accrédités, méconnaissent les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'éducation.

Ces dispositions étant indivisibles des autres dispositions de ce décret et de cet arrêté, l'annulation ainsi prononcée emporte l'annulation de l'ensemble des dispositions du décret et de l'arrêté du 3 avril 2020, sauf, s'agissant de ce dernier, pour celles de ses dispositions concernant la licence professionnelle.

(7 juin 2022, Association des chercheurs et enseignants didacticiens des langues étrangères et autres, n° 441056 ; Fédération des langues régionales germaniques de France et autres, n° 441903 ;  Association Urgéncia Diversitat Biolingüistica, n° 447981)

 

198 - Enseignement privé - Forfait d'externat - Injonction en référé de verser à titre provisoire une certaine somme - Décision n'ayant pas en tous points les effets de l'exécution d'un jugement d'annulation - Rejet.

Les collectivités publiques concernées ont l'obligation de verser aux établissements d'enseignement privé ayant conclu un contrat d'association à l'enseignement public un forfait d'externat calculé selon les règles fixées par des textes généraux.

La région requérante a refusé à un établissement sous contrat le versement du forfait d'externat pour l'année 2019-2020 et le juge des référés a suspendu l'exécution de ce refus en même temps qu'il a ordonné la convocation, sous un mois, de l'organe délibérant de la région pour réexamen de la mesure de refus. La commission permanente a refusé d'adopter une délibération allouant le forfait d'externat. Le juge des référés a suspendu cette délibération de refus et fait injonction à la région de verser, à titre provisoire, le montant du forfait d'externat.

La région se pourvoit contre cette ordonnance d'injonction dont elle demande l'annulation au motif que la mesure ordonnée aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision alors que la juridiction de référé est une juridiction du provisoire.

Pour rejeter cette argumentation, le juge du Conseil d'État décide que si, en effet, les mesures prescrites en référé doivent présenter un caractère provisoire, ce qui interdit au juge des référés de prononcer l'annulation d'une décision administrative ou d'ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision, tel n'est pas le cas en l'espèce. Notamment, l'injonction à titre provisoire de verser le montant d'un forfait d'externat n'a pas des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par la région de la décision par laquelle le juge de l'excès de pouvoir viendrait, le cas échéant, à prononcer l'annulation de la décision de refus litigieuse, la somme versée à titre provisoire n'étant pas acquise définitivement à l'association bénéficiaire.

C'est donc sans erreur de droit que le juge des référés de première instance a décidé comme il l'a fait.

(16 juin 2022, Région Hauts-de-France, n° 454824)

 

Travaux publics et expropriation

 

199 - Expropriation en urgence - Octroi d'une indemnité d'expropriation provisionnelle - Indemnité à parfaire mais définitive en son montant actuel - Traitement fiscal - Rattachement à l'exercice au cours duquel a été perçue l'indemnité – Erreur de droit - Annulation.

La société requérante, exploitante d'un bar discothèque, a été expropriée selon la procédure d'urgence pour la réalisation du dédoublement de l'autoroute A9. Le juge de l'expropriation lui a accordé une indemnité d'expropriation provisionnelle afin de permettre à l'expropriant de prendre immédiatement possession des lieux.

Au plan fiscal, la cour administrative d'appel, se fondant sur le caractère « provisionnel » et donc incomplet de l'indemnité d'expropriation, a estimé que son monta           nt ne pouvait pas être rattaché à l'année de perception de la provision.

L'arrêt est cassé pour erreur de droit car quoique provisionnel le montant alloué est définitif pour cette partie, il ne pourra in fine qu'être confirmé ou augmenté. La provision devait donc être rattachée à l'exercice fiscal au cours duquel elle a été encaissée par la contribuable.

(3juin 2022, Société D3P, n° 452708)

(200) V. aussi, mêmes solutions pour la même opération d'expropriation : 3 juin 2022, Société KRCS, n° 452710 ; 3 juin 2022, SCI Alpha, n° 452711 ; Société Agora Paradise, n° 452714.

 

201 - Expropriation -  Annulation de l'arrêté de cessibilité pour illégalité de la déclaration d'utilité publique - Action en restitution de l'ensemble immobilier exproprié - Travaux de démolition entrepris par le bénéficiaire de l'expropriation - Suspension immédiate de ces travaux ordonnée en référé - Suspension confirmée sous réserve d'intervention d'une décision au fond du Conseil d'État, ou du juge de l'expropriation ou d'un nouvel arrêté de cessibilité.

Dans le cadre de l'importante opération d'aménagement « Euromed », dans sa phase « Euromed 2 », l'établissement public administratif (EPA) porteur du projet consistant en la création d'une ZAC, a obtenu l'expropriation et payé l'indemnité d'expropriation relatives à des parcelles qui étaient propriété de la SCI « Les marchés méditerranéens ». Cette dernière a obtenu du juge administratif l'annulation de l'arrêté de cessibilité en raison de l'illégalité de la déclaration d'utilité publique et, conséquemment, la suspension immédiate des travaux de démolition entrepris par l'EPA sur ses parcelles jusqu'à ce que le juge de l'expropriation se soit prononcé ou, si elle est plus précoce, jusqu'à l'intervention d'un nouvel arrêté de cessibilité portant sur les parcelles en cause. L'intéressée a, parallèlement, saisi le juge de l'expropriation en application de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux fins d'annulation de l'ordonnance d'expropriation et de restitution de cet ensemble immobilier. 

L'établissement demandeur interjette appel de l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel.

Il fait valoir en premier lieu le défaut d'urgence particulière au référé liberté car, d'une part, les immeubles en cause ont fait l'objet de travaux les rendant impropres à ce qu'ils soient rendus à leur usage originel d'abattoir et, d'autre part, l'interruption des travaux entraîne des surcoûts importants et empêche l'alimentation en électricité de logements dont la construction est bientôt terminée.

Ce moyen est évidemment rejeté, d‘abord parce que le demandeur n'établit pas l'inexistence d'un autre moyen de raccordement au réseau électrique et, ensuite et surtout, parce que le caractère restituable de biens expropriés ne dépend pas du maintien de leur usage antérieur d'abattoirs. Au reste, il est relevé en l'espèce une atteinte minime, voire inexistante, au gros œuvre et donc l'absence d'obstacle à leur restitution à l'ancien propriétaire.

L'EPA appelant invoquait ensuite l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale et le moyen est rejeté d'originale façon par le juge des référés du Conseil d'État. Celui-ci considère que la poursuite, postérieurement à la décision privant l'ordonnance d'expropriation de sa base légale, de travaux de démolition des bâtiments implantés sur les parcelles en cause, est de nature à rendre irréversible l'appropriation des parcelles en cause, au regard des travaux réalisés et de leur état au moment où le juge de l'expropriation saisi statuera, et à priver de son effet utile le recours de la SCI tendant à obtenir la restitution des biens expropriés devant le juge de l'expropriation. Ainsi il serait contrevenu au droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction, protégé par la Constitution et par la Convention EDH, droit qui constitue une liberté fondamentale et qui n'est pas lié à la certitude d'une issue favorable pour le requérant mais suppose que ce recours puisse empêcher l'exécution de mesures dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, telles que l'atteinte aux biens.

Enfin, l'établissement public s'étant pourvu en cassation contre l'ordonnance rendue par la cour administrative d'appel et ayant demandé le sursis à son exécution, le sursis ou l'annulation de l'arrêt attaqué rendrait inapplicables, avec effet immédiat, les dispositions précitées de l'article L. 223-2 du code de l'expropriation. C'est pourquoi, qu'il sera « immédiatement mis fin à la suspension des travaux en cause si le Conseil d'État, statuant au contentieux, annule ou sursoit à l'exécution de l'arrêt du 22 février 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé l'arrêté de cessibilité du 27 février 2017 ou si le juge de l'expropriation se prononce ou si est adopté un nouvel arrêté de cessibilité portant sur ces parcelles. »

(ord. réf.  17 juin 2022, Établissement public administratif Euroméditerranée, n° 463341)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

202 - Lotissement - Lotissement comportant des habitations individuelles et des habitations collectives - Arrêté municipal modifiant le cahier des charges du lotissement - Calcul de la majorité nécessaire pour demander ou accepter une modification dudit cahier - Interprétation de l'art. L. 442-10 c. urb. - Rejet.

Le recours contestait l'arrêté municipal approuvant la modification de l'art. 1er  du cahier des charges d'un lotissement.

L'art. L. 442-10 du code de l'urbanisme subordonne à la satisfaction de l'une des deux conditions suivantes la juridicité de la modification du cahier des charges d'un lotissement :

- soit une demande émanant de la moitié des propriétaires détenant ensemble les deux tiers au moins de la superficie d'un lotissement

- soit une demande émanant des deux tiers des propriétaires détenant au moins la moitié de cette superficie.

Le débat s'est porté sur la détermination et le calcul de cette majorité dans la mesure où le lotissement en cause comprenait  trois catégories de lots :  des lots comportant des maisons individuelles, des lots supportant des constructions détenues en copropriété et des lots affectés à d'autres usages que l'habitation.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir jugé qu'il convenait en ce cas, d'une part, de compter pour une unité l'avis exprimé par chaque propriétaire individuel, quel que soit le nombre des lots qu'il possède, et par chaque copropriété, regardée comme un seul propriétaire, et d'autre part, de ne retenir pour le calcul des superficies du lotissement détenues par ces propriétaires, que celles des lots destinés à la construction, qu'il s'agisse ou non de lots destinés à la construction d'habitations, à l'exclusion des surfaces des lots affectés à d'autres usages.

(1er juin 2022, Société Le Flocon, n° 443808)

 

203 - Déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots - Lotissement - Demande de permis de construire - Absence de cession du lot concerné - Impossibilité de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 c. urb. - Rejet de la demande de prononcer le non-lieu.

Une société a adressé au maire de Bormes-les-Mimosas une déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots, en vue de construire sur l'un d'eux, l'autre supportant déjà une villa. Le maire, par son arrêté du 28 avril 2015, ne s'est pas opposé à cette déclaration préalable.

Elle a ensuite sollicité un permis de construire en se prévalant du bénéfice des dispositions de l'art. L. 442-14 du code l'urbanisme selon lesquelles, notamment : « Le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues dans un délai de cinq ans suivant: 1° la date de non-opposition à cette déclaration, lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable (...) ». 

Cependant, cette société, qui entendait conserver la propriété de l'ensemble de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait le permis litigieux pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée, n'avait pas procédé, à la date de la demande du permis de construire, à la cession dont aurait résulté la division.

Il lui était par suite, en l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, impossible de se prévaloir du bénéfice de l'art. L. 442-14 du code de l'urbanisme précité, puisque son projet de construction ne pouvait en relever.

C'est pourquoi, d'une part, cette société ne peut opposer aux requérants le non-lieu à statuer et, d'autre part, commet une erreur de droit l'arrêt d'appel jugeant que la règle posée à l'article L. 442-14 s'appliquait à l'arrêté litigieux, pour en déduire que sa légalité devait être appréciée au regard des règles du plan local d'urbanisme approuvé le 28 mars 2011 et non de celles du plan approuvé le 17 décembre 2015.

(13 juin 2022, M. et Mme B., n° 452457)

 

204 - Permis de construire une surface de vente valant autorisation d'exploitation commerciale - Annulation par une cour administrative d'appel - Défaut de consommation économe de l'espace - Atteinte à la qualité environnementale et à l'objectif de développement durable - Absence d'erreur de droit - Rejet.

C'est sans erreur de droit que pour annuler un arrêté de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, une cour administrative d'appel  relève que le projet méconnaît, d'une part, au regard du critère de consommation économe de l'espace, l'objectif d'aménagement du territoire, et d'autre part, au regard du critère de qualité environnementale du projet, l'objectif de développement durable.

 (14 juin 2022, Société Caroline, n° 443560)

 

205 - Permis de construire et permis modificatif - Extension d'une maison individuelle - Plan local d'urbanisme - Demande d'annulation des permis fondée sur une règle de prospect figurant au PLU - Ordonnnce litigieuse ne se prononçant pas sur le respect cette règle - Insuffisance de motivation - Annulation.

Encourt annulation l'ordonnance d'appel confirmant le rejet d'une demande d'annulation de permis de construire en se fondant sur ce que le cinquième alinéa du futur article UC 7 du PLU n'était pas applicable aux extensions de constructions existantes alors que les demandeurs invoquaient au soutien de leurs conclusions à fin d'annulation les dispositions du septième alinéa de cet article dont ils estimaient qu'elles avaient été méconnues en l'espèce.

Le Conseil d'État fonde son annulation sur ce que « l'auteur de l'ordonnance attaquée a insuffisamment motivé sa décision » ; il nous semblerait plus adéquat d'y apercevoir la sanction d'une omission de réponse à moyen.

(17 juin 2022, M. E. et Mme B., n° 455945)

 

206 - Permis de construire obtenu par fraude - Intérêt pour agir en annulation du refus d'abroger ce permis - Délai de recours contentieux - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État confirme sa jurisprudence antérieure selon laquelle un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un permis obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin.

Le juge ajoute ici cette importante précision qu'en ce cas le délai du recours contentieux ouvert pour saisir la juridiction court dès la naissance de cette décision implicite, sans que l'absence d'accusé de réception de sa demande y fasse obstacle. 

(22 juin 2022, Société Corim et associés, n° 443625 ;  Commune de Juvignac, n° 443633)

 

207 - Permis de construire - Projet prévoyant l'abattage d'arbres sans en justifier - Illégalité régularisable - Absence de bouleversement de l'économie du projet - Rejet.

C'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation qu'un tribunal administratif juge que le permis de construire 38 logements et un parc de stationnement en sous-sol est illégal en tant qu'il autorise un projet de construction ne pouvant, sans qu'il en soit justifié, être réalisé sans l'abattage de l'ensemble des arbres de haute tige préexistants sur son terrain d'assiette et qu'une telle illégalité est susceptible de régularisation, dès lors qu'elle n'apporterait pas un bouleversement tel à l'économie générale du projet qu'elle en modifierait la nature, une telle régularisation n'impliquant qu'une diminution de l'ampleur du projet.

(22 juin 2022, Commune de Neuilly-Plaisance, n° 456477; Société HLM France Seqens, n° 456489 ; Mme K. et autres, n° 456858)

 

208 - Permis de construire – Détermination du nombre de places de stationnement imposé par les textes – Jugement retenant un article du plan local d’urbanisme (PLU) – Article inopposable en raison d’une disposition du code de l’urbanisme – Annulation.

Un tribunal administratif annule partiellement un permis de construire pour nombre insuffisant de places de stationnement car en raison de la distance mesurée entre la station de tramway la plus proche et la parcelle en litige étaient applicables les dispositions du deuxième alinéa de l'art. L. 151-35 du code de l'urbanisme. Ceci l’a conduit à écarter partiellement les dispositions de l'art. AU1 12 du règlement du plan local d'urbanisme en ce qu'elles avaient de contraire à la règle de l'art. L. 151-35, qui s'impose nonobstant toute disposition d'un PLU, limitant la réalisation lors de la construction de logements sociaux de plus d’une demi-place de stationnement par logement.

Ce jugeant, le tribunal n’a ainsi pas tenu compte – alors qu’il devait au besoin le relever même d’office s’agissant du champ d’application du texte invoqué devant lui – de ce que l'art. L. 151-36 du code de l'urbanisme limite cette exigibilité, pour les logements à usage d'habitation autres que ceux mentionnées aux 1° à 3° de l'art. L. 151-34 et situés dans le même périmètre, à une aire de stationnement par logement au maximum, nonobstant toute disposition du PLU. Par suite, en s'abstenant de faire application de ces dispositions pour la partie restante du projet comprenant des logements non sociaux, qui avaient pour effet de rendre l'art. AUI 12 du règlement du PLU inopposable à l'ensemble du projet, le tribunal administratif, à qui il appartenait de vérifier, le cas échéant d'office, que les dispositions invoquées devant lui étaient applicables au litige, a commis une erreur de droit. 

(22 juin 2022, Société Hélénis, n° 456445)

 

209 - Permis de construire modificatif – Demande d’annulation – Jugement impartissant la prise d’un permis modificatif de régularisation – Nouveau permis modificatif contesté au contentieux – Rejet du recours contre ce nouveau permis – Annulation du jugement en appel – Régime contentieux des recours dirigés contre un jugement recourant à l’art. L. 600-5-1 c. urb. et contre un jugement mettant fin à l’instance – Erreur de droit – Annulation.

La technique de la régularisation en matière de permis de construire, de démolir ou d’aménager, censée simplifier et accélérer la gestion du contentieux de l’urbanisme, vire parfois à une belle complexité ainsi qu’on en juge dans la présente affaire. Certes, le Conseil d’État s’emploie à exposer très pédagogiquement la marche à suivre mais il n’en reste pas moins que le chemin est très chaotique, assez proche d’Indiana Jones à la poursuite du permis disparu ou du Mystère de la chambre (jaune) de régularisation.

Un permis de construire ayant été délivré pour la réalisation d'une maison individuelle avec garage, le maire a d’abord ordonné l'interruption des travaux pour non-conformité de  « l'implantation altitudinale » du bâtiment audit permis, puis il a délivré un permis de construire modificatif autorisant l'augmentation de la surface de plancher sans modification de l'emprise au sol, la modification des façades, la rectification du dessin du terrain naturel et l'implantation du dispositif d'assainissement non collectif.

Des propriétaires voisins  ont demandé l’annulation de ce permis modificatif.

Le tribunal administratif a tout d’abord, par un premier jugement, sursis à statuer en application de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, en impartissant un délai de quatre mois aux pétitionnaires ainsi qu'à la commune pour justifier de la délivrance d'un nouveau permis modificatif permettant d'assurer la conformité du projet à l'obligation de consulter l'architecte des bâtiments de France.

Ce permis modificatif nouveau a été délivré le 20 décembre 2018 et versé à l'instruction. Il a été attaqué par les mêmes demandeurs que précédemment.

Par un second jugement,  le tribunal a constaté que le vice relevé dans son premier jugement avait été régularisé et a rejeté les conclusions à fin d’annulation dont il était saisi.

Saisie, d’une part, par les requérants déboutés d’un recours contre les deux jugements du tribunal administratif et d’autre part d’un appel incident formé par les pétititonnaires contre le premier jugement, la cour administrative d'appel a annulé les deux jugements, les deux arrêtés municipaux des 21 septembre 2015 (délivrant le premier permis modificatif)  et 20 décembre 2018 (délivrant le second permis modificatif), ainsi que le rejet du recours gracieux des requérants.

Les pétitionnaires se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord, ce qui est sa jurisprudence désormais constante quoique pas très ancienne lorsqu'un tribunal administratif a décidé de surseoir à statuer sur une demande d’annulation (ici d’un permis de construire) en faisant usage de son pouvoir d’inviter l'administration à régulariser le vice relevé.

En ce cas, l'auteur du recours formé contre ce jugement avant dire droit peut contester le jugement aussi bien en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme qu’en tant qu'il a fait application des dispositions de l'article L. 600-5-1. En revanche, dès l’instant de la délivrance du permis modificatif de régularisation, les conclusions de celui-ci dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme sont privées d'objet.

Le Conseil d’État indique ensuite que, lorsqu’après délivrance du permis modificatif, le juge qui constate la conformité de ce permis modificatif à son propre jugement avant dire droit, met fin à l’instance par un second jugement, l'auteur d'un recours contre ce jugement peut contester aussi bien la légalité du permis de construire modificatif, en invoquant des moyens propres, que le permis initial en soutenant qu’il n'était pas régularisable contrairement à ce qu’a jugé le jugement avant dire droit.

Enfin, abordant plus spécifiquement le cas de l’espèce, le juge de cassation tire des dispositions de l'article R. 600-5 du code de l'urbanisme cette conséquence que, tant à l'appui d'un recours contre un jugement avant dire droit recourant à l'article L. 600-5-1 du code de l'urbanisme qu'à l'appui d'un recours contre le jugement mettant fin à l'instance, les parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux à l'appui de leurs conclusions, passé un délai de deux mois à compter de la communication aux parties, faite selon un dispositif permettant d'en attester la date de réception, du premier mémoire en défense présenté dans l'instance par  l'un quelconque des défendeurs.

Par ailleurs, la circonstance que le délai de recours puisse ne pas être expiré, notamment compte tenu des dispositions de l'article R. 811-6 du CJA prévoyant que le délai d'appel contre un jugement avant dire droit court jusqu'à l'expiration du délai d'appel contre le jugement qui règle définitivement le fond du litige, ou même que ce jugement ne soit pas encore intervenu, est sans incidence à cet égard.

Or en l’espèce, la cour avait retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article UD 7 du règlement du plan local d'urbanisme pour annuler le permis de construire délivré le 21 septembre 2015 et, par voie de conséquence, le permis modificatif délivré le 20 décembre 2018, en accueillant ce moyen elle a commis une erreur de droit.

(24 juin 2022, M. A. et Mme G., n° 456348)

 

210 - Permis de construire – Méconnaissance d’une disposition du plan de prévention des risques naturels prévisibles d'inondation de la basse vallée du Var – Absence d’aire de refuge – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (seconde cassation).

Un tribunal administratif annule l’arrêté municipal accordant à la requérante un permis de construire en vue de l'édification de deux immeubles de quarante logements, dont seize logements locatifs sociaux, et un commerce, après démolition des constructions existantes. Puis, après cassation de ce jugement, ce tribunal annule à nouveau le permis de construire pour méconnaissance de l'art. 1.1.2 du plan de prévention des risques naturels d'inondation applicable à la commune.

Le plan applicable à cette commune définit une zone bleue comme « zone de risque d'autorisations sous prescription », subdivisée en 6 zones (B1 à B6) en fonction de l'intensité de l'aléa. Il définit ensuite une zone rouge, subdivisée en 4 zones (R0 à R3), comme une zone de « risque d'interdiction » dans laquelle les occupations et utilisations du sol sont très limitées et soumises au respect de prescriptions particulières. Enfin, l'article 1.1.2 du plan, dans sa partie relative aux dispositions particulières et aux règles de construction applicables en zone R3, s'agissant des aires de plein air à vocation sportive, de loisirs ou d'espaces verts, précise que « les projets devront inclure une aire de refuge qui devra s'implanter au-dessus de la cote d'implantation du présent article ». 

S’appuyant sur cette dernière disposition, le tribunal administratif a jugé que ce projet méconnaissait l'obligation posée par celle-ci en raison de l'absence de création d'une aire de refuge dans le cadre de l'aménagement des jardins prévus dans la zone rouge R3.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette motivation une erreur de droit  car, selon lui, le juge devait rechercher si les parties du projet situées en zone bleue, attenantes aux espaces extérieurs situées en zone rouge, ne présentaient pas des caractéristiques, au regard notamment de leur accessibilité, leur permettant de tenir lieu de l'aire de refuge exigée.

La solution semble davantage dictée par le souci de « sauver » un projet de constructions que par le respect des prescriptions du plan de prévention du risque d’inondation. Elle fait bon marché des conditions de survenue de crues dans cette région géographique et orographique soumise à un régime méditerranéen caractérisé par l’intensité et la soudaineté des catastrophes pluviométriques.

(24 juin 2022, Société La Maison familiale de Provence, n° 453543)

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