Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mai 2022

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Pouvoir d’instruction du premier ministre – Circulaire adressée à certaines autorités et leur prescrivant d’agir en matière d’environnement – Circulaire invitant les administrations à éviter de recourir au plastique – Application anticipée d’une mesure législative – Illégalité - Rejet.

Le premier ministre a, par une circulaire du 25 février 2020 relative aux engagements de l'État pour des services publics écoresponsables, indiqué aux ministres et secrétaires d'État et aux préfets de région que la démarche de l'État exemplaire devait désormais reposer sur un socle de vingt mesures présentées comme obligatoires ainsi que sur un dispositif de mobilisation des agents appelés à identifier et proposer d'autres mesures. Dans la liste des vingt engagements du socle obligatoire énumérés dans l'annexe de cette circulaire, la mesure n° 9 prévoit qu'à compter de juillet 2020, l'État s'engage à ne plus acheter de plastique à usage unique en vue d'une utilisation sur les lieux de travail et dans les événements qu'il organise.

C’est de cette mesure que la requérante demandait l’annulation en invoquant deux moyens au soutien de sa prétention.

En premier lieu, le premier ministre n’aurait pas été compétent pour prendre cette circulaire. Rejetant le moyen, le Conseil d’État n’aperçoit pas ici l’exercice d’un pouvoir réglementaire mais d’un pouvoir tiré de celles des dispositions de l’art. 21 de la Constitution en vertu desquelles « il dirige l'action du gouvernement ». De cette fonction constitutionnelle le juge déduit qu’il lui est toujours loisible « d'adresser aux membres du Gouvernement et aux administrations des instructions par voie de circulaire, leur prescrivant d'agir dans un sens déterminé ou d'adopter telle interprétation des lois et règlements en vigueur ». On aperçoit ici un mélange et une adaptation des arrêts Labonne et Jamart avec toutefois cette importante différence, d’une part, qu’il s’agit de mesures « obligatoires » selon les propres termes de la circulaire et qui ont effet très au-delà du cercle de leurs destinataires puisqu’elles affectent directement les professionnels du secteur et ce n’est pas la formule trompeuse selon laquelle le premier ministre « s’est borné à leur prescrire un certain nombre d'actions visant à améliorer le respect de l'environnement par les administrations de l'État, notamment en évitant de recourir à des produits en plastique à usage unique » qui change les choses car c’est bien d’un ordre qu’il s’agit en l’espèce et d’un ordre affectant l’ordonnancement juridique.

Faut-il lire cette décision comme créant deux pouvoirs du premier ministre au sein de l’art. 21 de la Constitution, celui, classique, d’exécution des lois et désigné expressément comme tel par ce texte et celui, nouveau, fondé sur le fait qu’il dirige l’action du gouvernement ? Étant au surplus indiqué que par « gouvernement » le juge entend ici toute la chaîne de commandement du pouvoir exécutif jusqu’aux préfets de région.

En second lieu, la fédération requérante invoquait également une autre illégalité : alors que la loi (art. L. 541-15-10 du code de l'environnement) avait d’ores et déjà fixé une date à partir de laquelle il était interdit à l'État d'acquérir des produits en plastique à usage unique, celle du 1er janvier 2022, la circulaire attaquée anticipe l’échéance au mois de juillet 2020.

Il y a là, semble-t-il deux difficultés.

La première est de savoir s’il appartenait au premier ministre de modifier la date prévue par le législateur alors que n’est invoquée nulle urgence ou circonstance exceptionnelle. Se posait ainsi sérieusement la question de la légalité de cette circulaire sur ce point.

La seconde résulte de ce que cette anticipation est plus qu’une entorse au principe de sécurité juridique, lequel impose (au moins depuis l’arrêt Lacroix) la prise de mesures transitoires pour « lisser » les effets de décisions administratives brutales. Les opérateurs concernés pourraient exiger l’indemnisation du préjudice causé par cette accélération des choses.

En revanche, en l’absence de règles communautaires applicables en l’espèce, ne saurait être invoqué le principe de confiance légitime.

(16 mai 2022, Fédération nationale de vente et services automatiques, n° 445265)

 

2 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

V. n° 27

 

3 - Décision ministérielle répartissant des quotas de pêche - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

La décision par laquelle la ministre chargée de la pêche maritime procède à la répartition de quotas de pêche ne présente pas de caractère réglementaire, dès lors sa contestation ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort.

(ord. réf. 18 mai 2022, Syndicat des moniteurs guides de pêche français, n° 463774)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

4 - Sites en ligne à contenu pornographique – Obligation pour tout service de communication au public en ligne d’en empêcher l’accès aux mineurs – Demande se heurtant à une décision implicite de rejet du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Mesures prises en réalité en ce sens – Rejet d’une demande devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

L’association requérante contestait la décision implicite de refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 pour assurer la protection des mineurs à l'égard des contenus accessibles sur huit sites internet.

Pour rejeter ce recours, le juge constate qu’il est devenu sans objet car en réalité il résulte de l’instruction que le président de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a, d'une part, mis en demeure les éditeurs de cinq des sites concernés de se mettre en conformité avec leur obligation, résultant de l'article 227-24 du code pénal, d'empêcher l'accès des mineurs à leur contenu, et, d'autre part, a demandé à l'éditeur des trois autres sites d'établir que le procédé technique mis en place répond effectivement à cette obligation tout en l'informant de la possibilité d'une mise en demeure si sa réponse n'était pas satisfaisante.Par suite, la demande de la requérante est devenue sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

(19 mai 2022, Association Civitas, n° 454178)

 

Biens

 

5 - Copropriété des immeubles bâtis – Notifications et mises en demeure par voie électronique – Obligation de l’accord exprès des propriétaires – Absence d’atteinte à divers principes ou libertés invoqués – Rejet.

Le recours contestait la légalité de l’art. 42-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâties, créé par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové et qui dispose que : « Les notifications et mises en demeure, sous réserve de l'accord exprès des copropriétaires, sont valablement faites par voie électronique. » Son annulation était recherchée. Cette demande est rejetée.

Dès lors que le recours à ce procédé est subordonné à l’accord exprès du propriétaire concerné et n’a donc pour lui aucun caractère obligatoire, il en résulte que ne peut être invoquée au soutien de la demande d’annulation l’atteinte au principe de sécurité juridique, à l'économie de conventions légalement conclues, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre. Pas davantage, en raison de cette liberté de consentir à ce mode de communication, il ne peut être sérieusement soutenu que le texte litigieux opérerait une discrimination mettant en cause le principe d’égalité entre les copropriétaires y ayant recours et ceux qui le refusent, entre les copropriétaires selon les ressources financières de la copropriété ou celles du copropriétaire ou selon l'accessibilité d'internet dans la zone géographique concernée.

(11 mai 2022, M. Prince, n° 448191)

 

6 - Domaine public maritime - Interdiction d'aménagement ou d'édification d'ouvrages - Exercice de l'action domaniale à l'encontre du propriétaire ou gardien - Notion de gardien - Rejet.

Propriétaire d'une villa aux pieds de laquelle se trouvent plusieurs installations situées sur le domaine public (plate-forme en béton dallée, trois bollards, un plongeoir et une rampe double d'escaliers), la société requérante a été invitée à les démolir et à remettre les lieux en leur état naturel.

Cette dernière, qui n'est ni propriétaire ni constructeur de ces biens, contestait sa qualité de gardien de ceux-ci et soutenait ne pas en avoir l'usage exclusif.

Le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir - sans erreur de droit ni de qualification des faits - jugé le contraire en retenant que la demanderesse avait la jouissance des installations en cause, situées en contrebas de sa propriété, que des panneaux interdisant l'accès aux piétons sont apposés à proximité du seul cheminement permettant au public d'y accéder, que l'ancien propriétaire de la villa avait, comme elle, demandé à occuper la dépendance sur laquelle elles sont construites, et qu'elle s'était elle-même acquittée d'indemnités pour occupation sans droit ni titre de cette dépendance.

C'est donc à bon droit que la requérante est tenue de remettre les lieux en leur état naturel.

(31 mai 2022, Société Mayer, n° 457886)

 

7 - Convention fiscale internationale (convention franco-chinoise du 30 mai 1984 en vue de prévenir les doubles impositions) - Fonction d'une telle convention - Office du juge dans l'application des stipulations claires de la convention - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige relatif à l'application d'une convention fiscale franco-chinoise en matière d'impôts sur les sociétés, le juge est amené à apporter un certain nombre de précisions ou d'éclaircissements.

I. - Tout d'abord, il est jugé, très classiquement car c'est une évidence, qu'une convention fiscale internationale destinée à éviter les doubles impositions ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Ensuite, et ceci découle directement de ce qui précède, il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie avant de déterminer si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

Enfin, et alors même qu'une telle convention n'a pas pour objet la répartition du pouvoir d'imposer entre les deux États qui y sont parties, il incombe au juge saisi de faire application des stipulations claires subordonnant l'imputation du crédit d'impôt forfaitaire qu'elles prévoient, à raison de l'impôt réputé perçu dans l'État où les revenus en cause trouvent leur source, à l'inclusion dans l'assiette de l'impôt sur les bénéfices dû en France du revenu en cause augmenté de cet impôt. 

 

II. - En conséquence c'est au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a cru pouvoir juger dans le cas de l'espèce que dès lors qu'aucune disposition législative de droit interne ne prévoyait l'inclusion de cet impôt forfaitaire dans l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France, la société requérante était en droit d'imputer sur cet impôt, calculé, en ce qui concerne les opérations en cause, sur le seul montant des intérêts de source chinoise perçus par elle, un crédit d'impôt égal au montant total de l'impôt réputé prélevé à la source sur ces intérêts.

La cassation est donc encourue.

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 461519)

 

Contrats

 

8 - Sous-concession d’un lot de plage – Mise en concurrence – Méthode d’évaluation des offres au regard des critères d’attribution – Étendue de la liberté de définition des éléments d’appréciation des offres – Obligation de cohérence avec les critères, leur portée et leur hiérarchisation – Utilisation de flèches de couleur et absence de note chiffrée – Office du juge du référé de l’art. L. 551-1 CJA – Annulation.

Une société, candidate infructueuse à l’attribution d’un lot de sous-concession de plage, a obtenu du juge des référés de l’art. L. 551-1 CJA l’annulation de la procédure de la mise en concurrence au stade de l’examen des offres. La commune organisatrice de la procédure d’attribution des lots se pourvoit en cassation.

Le pourvoi est accueilli.

Le juge de cassation rappelle sa ligne jurisprudentielle constante sur la large étendue du pouvoir détenu par l’autorité concédante pour définir la méthode d'évaluation des offres au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics comme dans son appréciation globale des offres.

Cette liberté lui permet, d’une part, de déterminer chacun des éléments d'appréciation qu’elle décide de prendre en compte pour réaliser son évaluation des offres, d’autre part, de fixer les modalités de leur combinaison.

Pour étendue et discrétionnaire qu’elle soit cette liberté n’est cependant pas sans limites.

Les deux plus importantes sont, l’une externe, l’autre interne à la volonté de l’autorité concédante.

En premier lieu, au plan externe, s’imposent à elle les principes fondamentaux du droit de la commande publique tels ceux d’égalité entre les concurrents et de transparences des procédures. La méthode d’évaluation retenue doit donc respecter et mettre en œuvre ces principes en particulier en ce que les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution doivent être en lien direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation.

En second lieu, au plan interne, l’autorité est soumise à une obligation de cohérence entre ses choix, d’une part, en ne prenant en compte que des éléments d’appréciation des offres qui sont en rapport direct avec les critères dont ils permettent l'évaluation, d’autre part, en s’abstenant de retenir des modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments qui seraient, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation car, dans l’un et l’autre de ces cas les modalités retenues pourraient conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

Toutefois, cette exigence de cohérence interne cède le pas au respect des principes du droit de la commande publique, d’où le juge tire ici cette conséquence que les limites à la liberté de l’autorité concédante découlant de l’obligation de respecter ces principes s’imposent alors même que l'autorité concédante, qui n'y est pas tenue, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode d'évaluation.

En l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif a estimé que la méthode d'évaluation de l'offre litigieuse, dans le cadre de laquelle l'appréciation de l'autorité concédante sur les différents critères d'attribution était matérialisée par des flèches de couleur, était irrégulière faute pour ces signes d'être convertis en note chiffrée, ce qui laissait « une trop grande part à l'arbitraire ».

En réalité, d’une part, chaque critère faisait l’objet d’une appréciation littérale accompagnée d’une flèche (une flèche verte orientée vers le haut pour la meilleure appréciation, une flèche rouge vers le bas pour la moins bonne, des flèches orange orientées en haut à droite ou en bas à droite pour les évaluations intermédiaires) et d’autre part, l’autorité concédante a classé les offres au regard de l'appréciation qu'elle avait portée sur chacun des critères. Cette façon de procéder, qui permettait de comparer et de classer tant les évaluations portées sur une même offre au titre de chaque critère que les différentes offres entre elles et qui n’était pas de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation, n’était pas entachée d'irrégularité.

Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit alors qu'il lui incombait seulement de rechercher si la méthode d'évaluation retenue n'était pas, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères ou à neutraliser la hiérarchisation qu'avait retenue l'autorité concédante.

(3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 459678 et n° 460724)

(9) V. aussi, à propos de l’attribution d’un autre lot sur la même plage, la décision, identique à celle rapportée ci-dessus, mais ajoutant ces précisions bien connues :

1° que le montant prévisionnel des redevances proposées par les candidats, alors même qu'il serait évalué pour partie par référence au chiffre d'affaires prévisionnel s'agissant des redevances variables, n'est pas dépourvu de tout lien avec le critère de la qualité et de la cohérence des offres sur le plan financier, dont il est un élément d'appréciation, et vise à apprécier non la valeur financière de l'offre mais la cohérence et la crédibilité de celle-ci au plan financier ;

2° qu’il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l'autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres ;

3° que le caractère éventuellement initialement irrégulier d’une offre ne fait pas obstacle à ce que la négociation la fasse évoluer et conduise à sa régularisation ;

4° qu’il incombe au juge des référés, comme faisant partie intégrante de son office, de vérifier que l'autorité concédante n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460089 ; 3 mai 2022, Société Le 10 Plage, n° 460155, jonction.

(10) V. également, identiques aux décisions jointes ci-dessus : 3 mai 2022, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 460090 ; Société Le Sporting Plage, n° 460154, jonction.

 

11 - Marché en cours d’exécution – Marché conclu avec un groupement sans personnalité juridique – Substitution à un ou plusieurs membres de ce groupement d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques – Obligation d’organiser une mise en concurrence – Avenant au marché – Incompétence du juge du référé contractuel sauf si l’avenant a été lui-même soumis aux règles de publicité et de concurrence – Annulation partielle de l’ordonnance rendue en référé contractuel avec différé d’exécution et infliction d’une pénalité (cf. art. L. 551-19 CJA).

La requérante a notamment demandé l’annulation – par voie de référé contractuel – du contrat conclu entre le Groupe hospitalier du sud de l'Ile-de-France (GHSIF) et la société Bureau européen d'assurance hospitalière (BEAH), le nouvel assureur se substituant à la Lloyd's Insurance Company, pour l'exécution des prestations d'assurance de responsabilité civile à compter du 1er janvier 2022 et des contrats ou avenants conclus entre le GHSIF et le BEAH ou la Lloyd's Insurance Company en ce qu'ils contiennent des augmentations tarifaires prohibées par le code de la commande publique.

Elle se pourvoit contre une ordonnance de référé jugeant qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur certains chefs de demande et rejetant le surplus.

A la suite d’un appel d’offres ouvert le Groupe hospitalier précité a conclu avec plusieurs sociétés d’assurance un contrat d’assurance responsabilité civile et risques annexes. Avant le terme de ce contrat, l’une des compagnies signataires de celui-ci l’a résilié pour sa part et le Groupe hospitalier a conclu avec BEAH un avenant substituant à cette compagnie une autre pour la période restant à courir du contrat initial.

La requérante demande en fait l’annulation de cet avenant et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État décide qu’il n'entre pas dans la compétence du juge du référé contractuel, telle que définie par l'article L. 551-13 du CJA, de statuer sur un avenant à un contrat sauf dans le cas où la conclusion d'un tel accord est soumise aux règles de publicité et de concurrence qui s'appliquent à la passation des contrats visés aux articles L. 551-1 et L. 551-5 du CJA.

Il juge ensuite, par combinaison des dispositions des art. L. 2194-1, R. 2142-19 à R. 2142-25, et R. 2194-5 à R. 2194-7 du code de la commande publique, que la substitution en cours d’exécution d’un marché public, au groupement d’opérateurs qui l’a signé, d’un ou plusieurs autres opérateurs économiques constitue en réalité une modification du titulaire du marché laquelle ne peut être réalisée régulièrement sans mise en concurrence que dans les cas limitativement énoncés à la disposition législative et aux dispositions réglementaires précitées. C’est donc par suite d’une erreur de droit que, pour rejeter le recours dont l’avait saisi la SHAM, le juge du référé contractuel a estimé que le changement d’un seul des membres du groupement sans modification du mandataire dudit groupement ne constituait pas une modification du titulaire du marché.

Jugeant l’affaire au fond (par application de l’art. L. 821-2 CJA) par suite de l’annulation prononcée de l’ordonnance, le juge de cassation estime, d’une part, que la sortie de l’une des sociétés du groupement  n'a pas eu lieu en application d'une clause de réexamen ou d'une option et qu'elle n'est pas intervenue à la suite d'une opération de restructuration de celle-ci et, d’autre part, que cette décision de retrait  en application d’une clause de résiliation stipulée au contrat constituait un événement qu’un acheteur diligent pouvait prévoir (cf. art. R. 2194-5 du CCP).

Il juge également que la requérante n'est pas recevable à contester devant le juge du référé contractuel cet avenant en tant qu'il a modifié le prix du marché d'assurances initial car cette augmentation du prix est inférieure à la fois au seuil de 215 000 euros hors taxes et à 10 % du montant total du marché. En revanche, elle est recevable à contester celles des stipulations de l’avenant procédant au remplacement de l’un des contractants, ces stipulations étant divisibles des autres dispositions de l’avenant, en tant qu’ont été méconnues par le Groupe hospitalier les obligations de publicité et de mise en concurrence.

Enfin, opérant une balance bien connue des lecteurs de cette Chronique, le Conseil d’État prononce une annulation différée  jusqu’au terme de la durée d’exécution du marché en raison du double inconvénient qui résulterait, au regard de l’intérêt général, de l’ouverture d’une période où le Groupe hospitalier ne verrait plus sa responsabilité couverte et du risque contentieux que ferait courir une annulation rétroactive sur les sinistres susceptibles d’être intervenus ou découverts durant ce laps de temps.

Compte-tenu du temps d’exécution du contrat restant encore, une pénalité financière – très légère – de 5000 euros est infligée au Groupe hospitalier.

(16 mai 2022, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 45940)

 

12 - Renouvellement du contrat – Restitution à la commune, par le précédent titulaire du contrat, des biens de retour matériels et immatériels – Retour normalement gratuit dans le patrimoine communal – Invocation du régime de la propriété littéraire et artistique – Marque déposée – Urgence ou utilité des mesures sollicitées par la commune – Annulation de l’ordonnance de référé et admission du recours.

La commune de Nîmes demande l’annulation de l’ordonnance de référé qui a rejeté sa demande tendant à voir ordonner à la société Culturespaces de procéder sans délai à la restitution des biens de retour de la concession portant sur l'exploitation touristique et culturelle des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne que constituent les biens matériels et immatériels liés à ce contrat, notamment les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux, le film relatif à la Maison carrée et les décors des Grands Jeux romains ou, à tout le moins, de restituer sans délai les communautés et contenus numériques liés aux pages des réseaux sociaux et les décors des Grands Jeux romains, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.

1 - Le juge commence par rappeler qu’en principe le juge administratif ne peut intervenir dans la gestion d'un service public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat. C’est le rappel de la bien connue jurisprudence Préfet de l’Eure.

Toutefois doit être réservé le cas où l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. Cette situation permet au juge du contrat de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d'urgence, le juge des référés peut, de même (cf. art. L. 521-3 CJA) ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

Il est précisé ici qu’au nombre des mesures susceptibles d’être prises à ce titre figure la restitution par le concessionnaire des biens de retour afin que soient assurés la continuité du service public et son fonctionnement correct.

2 – Dans le présent litige, la candidature de la société Culturespaces à qui avait été attribuée en 2012 pour prendre effet le 7 janvier 2013, une délégation de service public portant sur l'exploitation culturelle et touristique des monuments romains de la ville, impliquant la gestion des services d'accueil, l'animation culturelle, la communication et la valorisation des arènes de Nîmes, de la Maison carrée et de la tour Magne n’a pas été retenue lors de l’attribution d’une nouvelle concession avec même objet. Si le juge judiciaire a ordonné à cette société de suspendre toute action de destruction et de s'assurer de la conservation des biens matériels et immatériels susceptibles d'être qualifiés de biens de retour de la concession, le juge administratif des référés, au visa de l’art. L. 521-3 CJA, a rejeté la demande de la commune en vue que lui soient restitués lesdits biens. 

Pour estimer que les stipulations de la convention de délégation de service public étaient susceptibles de faire obstacle au retour gratuit à la personne publique de biens nécessaires au service public créés au cours de la délégation, il incombait au juge des référés de rechercher si les biens en cause étaient nécessaires au fonctionnement du service public puisqu’il est de  principe que si les parties au contrat de délégation peuvent décider la dévolution gratuite à la personne publique d'un bien qui ne serait pas nécessaire au fonctionnement du service public, elles ne peuvent en revanche jamais exclure qu'un bien nécessaire au fonctionnement du service public lui fasse retour gratuitement, or c’est ce qu’a jugé erronément le juge des référés. En effet, dans une concession de service public ou de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, dès leur réalisation ou leur acquisition à la personne publique.

Il s’ensuit nécessairement qu’au terme de la convention, les biens qui sont entrés dans la propriété de la personne publique et ont été amortis au cours de l'exécution du contrat font retour à celle-ci gratuitement, ce qui interdit que le contrat puisse, à l’arrivée de ce terme, faire obstacle au retour gratuit de ces biens à la personne publique. Il n’y a d’exception que dans le cas où une clause du contrat de concession permet à la personne publique, lorsque sont remplies les conditions qu'elle fixe, de faire reprendre par son cocontractant les biens qui ne seraient plus nécessaires au fonctionnement du service public.

4 – Statuant au fond, le Conseil d’État rejette la double critique sur la compétence juridictionnelle tenant d’une part à l’exception d’incompétence soulevée par la défenderesse, fondée d’une part sur la compétence exclusive du juge judiciaire en matière de litiges portant sur la propriété littéraire et artistique (art. L. 331-1 code de la propriété intellectuelle) et d’autre part sur le fait que l’office du juge des référés ne saurait s’étendre aux litiges en restitution de biens de retour. Sur le second point, l’arrêt avait déjà répondu et sur le premier point le juge rétorque que la restitution des éléments matériels et immatériels des différents supports s’effectue sans préjudice des éventuels droits de propriété intellectuelle relatifs à ces supports ou aux contenus hébergés par ces pages.

Puis, il ordonne la restitution gratuite à titre de biens de retour :

- du film visé à l'article 18 de la convention, à savoir un « nouveau film de la Maison Carrée » en raison de son caractère utile et urgent pour permettre le démarrage immédiat de la nouvelle concession ;

- des droits d'administration des pages des réseaux sociaux relatives aux monuments faisant l'objet du contrat qui sont nécessaires de façon urgente au fonctionnement du service public tel qu'institué par la commune de Nîmes, ce transfert devant s’effectuer dans le respect des obligations que le droit de l’Union attache à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel sans que ces obligations puissent constituer aucun obstacle à l’exercice du droit au retour ;

- des décors créés pour l’organisation de la manifestation dite des « Grands jeux romains » qui l'ont été spécialement pour cette occasion quand bien même, comme le soutient la société défenderess, ils ne seraient plus nécessaires au service public et sans que puisse être opposée à cette restitution la circonstance que l'appellation « Grands Jeux romains » serait protégée par une marque déposée par la société Culturespace, ces circonstances ne sauraient faire obstacle au retour de ces biens à la commune en raison de l’urgence ou de l’utilité qui s’y attache pour cette dernière.

En revanche, faute de précisions sur ceux-ci, est rejetée la demande de la commune en restitution d’autres biens.

Cette décision fait injonction d’opérer la restitution desdits bien sous quinzaine assortie, passé ce délai, d’une astreinte de 200 euros par jour de retard.

(16 mai 2022, Commune de Nîmes, n° 459904)

 

13 - Marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier – Marché attribué à un groupement solidaire – Absence de répartition des tâches, par le marché, entre les membres du groupement – Représentation mutuelle – Formulation, au contentieux, de conclusions divergentes – Attribution des sommes correspondant aux prestations de l’un des membres – Conséquence sur les obligations du maître de l’ouvrage envers les autres membres du groupement – Cassation.

Un groupement d’entreprises s’étant vu attribuer le marché de maîtrise d’œuvre de travaux de construction d’un centre hospitalier et le marché ne précisant pas la répartition des tâches entre les entreprises membres, se posait la question de savoir quelles règles doivent être suivies en ce cas pour le paiement des prestations fournies.

Ceci conduit le Conseil d’État à rappeler tout d’abord qu’en l’absence de répartition, par les stipulations du marché, des prestations relevant de chacune des entreprises membres du groupement solidaire créé pour l'exécution du marché, ces entreprises sont réputées se représenter mutuellement. Il suit de là que les conclusions qu’elles forment à fin de paiement desdites prestations doivent être regardées comme présentées au nom et pour le compte des membres du groupement ; ainsi, ces demandes peuvent tendre au paiement du solde global du marché. 

Ensuite, est envisagée l’hypothèse où, comme dans le cas de l’espèce, les membres du groupement présentent au juge des conclusions divergentes. En ce cas, tout membre du groupement peut demander le paiement, pour son propre compte, des prestations qu’il a effectuées y compris dans le silence du marché sur la répartition des tâches et cela sans qu’il y ait lieu de s’arrêter à la question de savoir si ce membre est mandataire ou non du groupement.

Enfin, se déduit de là cette conséquence que le maître de l’ouvrage qui a versé la somme correspondant à la prestation réalisée par le membre demandeur se trouve libéré de sa dette à du concurrence de son montant et cela à l’égard de tous les membres du groupement.

(19 mai 2022, Société Patriarche venant aux droits de la société BDM Architectes, n° 454367)

 

14 - Marché de travaux – Absence de projet de décompte final adressé au maître d’œuvre dans le délai de 45 jours à compter de la notification de réception des travaux – Décompte final établi d’office par le maître d’œuvre pouvant faire l’objet de réclamations dans les 45 jours de sa transmission y compris sur des postes absents de ce décompte – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Il résulte des dispositions de l’art. 13 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de travaux, dans sa rédaction approuvée par l'arrêté du 8 septembre 2009, applicable ici, que faute pour le titulaire du marché d’avoir adressé au maître d’œuvre un projet de décompte final dans les 45 jours de la notification de la réception des travaux, le maître d’œuvre établit d’office un décompte final que le titulaire du marché doit renvoyer, éventuellement assorti  des motifs de son refus, dans les 45 jours de sa réception.

La question qui se posait ici et qui d’ailleurs n’était pas nouvelle, était de savoir si le titulaire peut contester le décompte final définitif établi d’office par le maître d’œuvre sur des postes de rémunération ou d’indemnisation qui n’y sont pas mentionnés. La réponse est positive car les dispositions précitées du CCAG « n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de priver (le titulaire du marché) du droit de former, dans le délai de quarante-cinq jours suivant la transmission du décompte général du marché, une réclamation sur ce décompte général, quand bien même elle porterait sur un poste de rémunération ou d'indemnisation qui n'avait pas été mentionné dans le décompte final établi d'office par le maître d'œuvre ».

En somme le décompte établi d’office n’a pas un effet cristallisateur sur les prétentions du titulaire du marché et ne constitue ainsi pas un cas de déchéance des droits de ce dernier à réclamation.

(19 mai 2022, Sociétés Eiffage Route Nord Est, Eiffage Génie civil et Entreprise Jean Lefebvre Nord, n° 455134)

 

Droit du contentieux administratif

 

15 - Aide juridictionnelle – Retrait de l’aide pour requête abusive ou dilatoire - Exercice d’un pouvoir propre du juge – Retrait prononcé d’office ne constituant pas le relèvement d’un moyen d’ordre public – Rejet sur ce point – Annulation au fond.

Le litige portait, dans le cadre de la contestation d’un refus préfectoral de renouveler à un ressortissant algérien son certificat de résidence mention « retraité », sur les conditions de retrait de l’aide juridictionnelle primitivement accordée. Si, en définitive, le Conseil d’État donne raison au requérant sur ce dernier point, la décision vaut surtout par l’analyse qu’elle présente de la nature juridique du retrait d’une décision d’octroi du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

En l’espèce, la cour administrative d’appel avait jugé abusive la seconde des deux requêtes présentées par le demandeur et prononcé d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle conformément aux dispositions de l’art. 104 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique qui était alors applicable. Le requérant soutenait que la cour avait commis une irrégularité en ne lui communiquant pas préalablement l’existence d’un moyen relevé d’office. Cet argument est rejeté car le juge prononçant d’office le retrait total de l’aide juridictionnelle exerce un pouvoir propre dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et ne soulève donc pas un moyen d’ordre public. Il n’a pas à communiquer préalablement au demandeur ce relèvement d’office qui n’entre pas dans les prévisions de l’art. R. 611-7 du CJA.

(5 mai 2022, M. C., n° 455860)

 

16 - Autorisation de fusion absorption – Société requérante prétendant exercer une activité concurrente de celle de la société issue de la fusion – Absence d’activité après liquidation de la société requérante – Absence d’intérêt donnant qualité pour agir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté ministériel du 10 décembre 2020 autorisant la fusion par voie d'absorption de la société anonyme Bpifrance par sa filiale la société anonyme Bpifrance Financement et faisaient valoir, d’une part, que la société MEI Partners exerce dans son domaine une activité concurrente de celle de la société résultant de cette fusion et d’autre part qu'elle détient une créance sur l'État, au titre d'une « gestion d'affaires » consistant à réclamer par la voie contentieuse le reversement à l'État d'aides d'État qui auraient été indûment versées à BPi.

Le Conseil d’État juge la requête manifestement irrecevable et la rejette comme telle car il constate que la société MEI Partners est dépourvue de toute activité réelle au moins depuis le jour de sa mise en liquidation et que à  supposer même que des aides d'État aient été indûment versées à la BPi, l'opération de fusion autorisée par l'arrêté du 10 décembre 2020 serait dépourvue de toute incidence sur la créance que l'État détiendrait à ce titre sur l'établissement fusionné comme, à supposer qu'elle existe, la créance que détiendrait la société MEI Partners sur l'État.

Dès lors, ni cette société ni son liquidateur judiciaire ne justifient d'un intérêt leur donnant qualité à agir contre l'autorisation attaquée ou les décisions refusant d'abroger cette autorisation et de notifier à la Commission européenne les « apports d'actif » correspondants ou un plan de restructuration de la société Bpifrance. Il en va de même, par voie de conséquence, de M. A., qui se borne à faire valoir sa qualité d'actionnaire de la société MEI Partners et de la société Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux, d’où il prétend tirer sa vocation à succéder aux droits et obligations de la société MEI Partners. 

(11 mai 2022, Société MEI Partners, Me Jean-Marc Noël, liquidateur judiciaire de cette société, Société européenne Banque-Assurance européenne des droits fondamentaux et M. B. A., n° 442707)

 

17 - Motivation des jugements – Omission de réponse à moyen – Jugement insuffisamment motivé – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’habitation, une association sportive invoquait devant le juge un moyen tiré des dispositions du 2° du I de l'article 1407 du CGI et un moyen tiré de deux réponses ministérielles publiées au Journal officiel des débats de l'Assemblée nationale, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales. Le tribunal administratif a rejeté le recours en se fondant sur le premier de ces moyens sans répondre au second ni juger, par exemple, qu’il était irrecevable ou inopérant.

Le jugement est annulé à raison de l’insuffisance de sa motivation.

(11 mai 2022, Association sportive du Bas Rhône Languedoc, n° 449944)

 

18 - Harcèlement moral et harcèlement sexuel – Appel principal et appel incident – Autorité absolue de chose jugée au pénal – Annulation avec renvoi.

Inspectrice des douanes, la requérante a adressé au ministre des finances et des comptes publics une demande tendant notamment à la reconnaissance de deux accidents de service, à la reconnaissance de faits de harcèlement moral et de faits de harcèlement sexuel et à l'octroi de la protection fonctionnelle à raison de ces différents faits. Cette demande ayant été rejetée d’abord implicitement puis explicitement, elle a saisi le tribunal administratif  qui a condamné l'État à lui verser une indemnité en réparation du préjudice moral causé par le refus de protection à raison des faits de harcèlement sexuel, enjoint au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois et rejeté le surplus des conclusions dont il était saisi.

Saisie d’un appel principal de l’intéressée et d’un appel incident du ministre, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel principal de Mme B. contre ce jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions tendant à la reconnaissance des faits de harcèlement moral, à la réparation des préjudices liés à ce harcèlement, à la mise en œuvre de la protection fonctionnelle à raison de ces faits et la prise en charge intégrale de ses frais et honoraires de procédure ; elle a fait droit à l'appel incident du ministre de l'action et des comptes publics en annulant le jugement du tribunal administratif, à l'exception de son article 1er en tant qu'il avait annulé la décision refusant de reconnaître l'existence de deux accidents de service et de son article 3 faisant injonction au ministre de l'économie et des finances de saisir la commission de réforme dans un délai de deux mois. Mme B. se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

Le Conseil d’État annule tout d’abord l’arrêt en tant qu’il fait droit à l’appel incident du ministre car, on le sait, l’appel incident n’est recevable que s’il ne soumet pas au juge un litige distinct de celui dont l’appel principal l'a saisi. Or l’appel principal ne portait que sur le harcèlement moral non sur le harcèlement sexuel tandis que l’appel du ministre ne concernait que les faits de harcèlement sexuel. Comme ces deux sortes de harcèlement constituent des catégories juridiques distinctes, l’appel incident du ministre soulevait un litige distinct de celui sur lequel portait l’appel principal, il était ainsi irrecevable.

Le Conseil d’État annule ensuite l’arrêt d’appel en tant qu’il a rejeté l’appel principal de Mme B. car cette dernière invoque un arrêt définitif rendu au pénal par la cour d’appel de Paris qui a condamné le supérieur hiérarchique de la requérante à six mois de prison avec sursis pour des faits de harcèlement moral. Il est de principe que la chose jugée portant sur les faits constatés par une juridiction pénale s’impose absolument aux juridictions administratives et que le moyen tiré de la méconnaissance de l’autorité absolue ainsi attachée à ces décisions juridictionnelles est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'État, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'État.

Il s’ensuit que le dispositif de l’arrêt de la cour administrative d’appel doit être annulé en tant qu’il repose sur des constatations de fait directement contraires à celles retenues par la cour d’appel de Paris statuant avec plénitude de juridiction sur elles.

L’arrêt est ainsi annulé en totalité.

(12 mai 2022, Mme B., n° 442880)

 

19 - Mémoires produits dans l’instance – Passages injurieux, outrageants ou diffamatoires – Constatation de ce caractère – Suppression desdits passages ordonnés – Annulation de l’arrêt mais confirmation de sa solution.

L’art. L. 741-2 CJA, s’appropriant les dispositions des alinéas 3 à 5 de l’art. 41 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, permet au juge administratif d’ordonner la suppression « des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires » contenus dans les mémoires produits devant lui. L’exercice de cette faculté n’est pas très fréquent et la présente espèce fournit l’occasion d’une illustration.

(12 mai 2022, M. C., n° 448022)

 

20 - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Production régulière d’une note en délibéré – Note non visée par la Cour – Annulation et renvoi.

Est irrégulière et doit être annulée la décision de la CNDA qui ne vise pas une note en délibéré produite après l’audience et avant la lecture de la décision alors que cette note en télécopie comportant la signature de l’avocat a été déposée à la Cour et figure dans le dossier soumis au juge du fond.

(12 mai 2022, M. B., n° 452153)

 

21 - Procédure devant les juridictions administratives – Dispense de conclusions du rapporteur public par le code de justice administrative et par une disposition d’une ordonnance non ratifiée – Nature législative de la dispense – Rejet faute de QPC.

Dans un litige de droit fiscal, les contribuables requérants contestaient le caractère discrétionnaire du pouvoir reconnu en procédure administrative contentieuse au président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public de prononcer ses conclusions dans un litige donné. Ils critiquaient l’absence de tout critère objectif pour fonder cette dispense.

Ce pouvoir est prévu à titre permanent par les dispositions de l’art. L. 732-1 du CJA et, à titre temporaire et exceptionnel, par celles de l’art. 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, prise sur habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 à compter du 12 mars 2020 et jusqu’à la cessation de l’urgence sanitaire (qui aura lieu le 12 juillet 2020).

Renversant sa jurisprudence (20 octobre 1982, Société Chanel, n° 29501 ; 17 avril 1989, Sarl « Hostellerie du Grand Cerf, n° 58150), le Conseil d’État pose en postulat que si les règles de procédure administrative contentieuse relèvent de la compétence réglementaire dès lors qu'elles ne mettent en cause aucune des matières réservées au législateur par l'article 34 de la Constitution ou par d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle, tel n'est pas le cas des dispositions de l'article L. 7 du code de justice administrative prévoyant l'intervention du rapporteur public, lesquelles relèvent des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

Il s’ensuit, d’une part, que les dispositions de l’art. 8 précité de l’ordonnance du 25 mars 2020 ont-elles aussi nécessairement une nature législative en ce qu’elles dérogent expressément à l’art. L. 7 précité et d’autre part, que s’agissant d’invoquer l’atteinte portée à un droit constitutionnellement garanti, alors que le délai d’habilitation est expiré, les requérants devaient accompagner leur recours d’une QPC ainsi qu’il résulte de l’étrange jurisprudence du Conseil constitutionnel sur ce point.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 50

 

22 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

C’est sans abus que le président de chambre d’une cour administrative d’appel a, sur le fondement du dernier alinéa de l’art. R. 222-1 CJA, rejeté par voie d’ordonnance l’appel formé contre le jugement refusant d’annuler une délibération communale approuvant le plan local d’urbanisme et cela sans viser le mémoire déposé après la clôture de l’instruction alors même que celui-ci contenait des conclusions nouvelles.

Cette solution, nouvelle, est logique. Il est heureux que le juge n’ait pas estimé que ses effets sont disproportionnés au regard du droit de propriété en cause dans ce litige du fait du classement, par le PLU, en zone UE réservée aux équipements publics et d'intérêt collectif, de la parcelle dont le requérant est propriétaire…

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

 

23 - Covid-19 – Aide de l’État à l’attractivité des foires et salons français – Société non inscrite sur la liste des entreprises aidées – Référé-liberté – Engagement de l’État pris à l’audience – Défaut d’urgence compte tenu de cet engagement – Rejet sous réserve.

Dans le contexte de la crise sanitaire née de l’épidémie de Covid-19, un décret du premier ministre, auquel est annexée une liste des entreprisequi y sont éligibles, a institué une aide d’État pour leur participation aux foires et salons français.

La société requérante, absente de cette liste alors qu’elle organise des foires et salons et un événement de cette nature (« ADF et PCD et PLD Paris » devenu en 2022 « Paris Packaging Week »), a demandé – mais en vain - au premier ministre ainsi qu’au ministre de l’économie son inscription sur cette liste.  

Elle saisit le juge des référés sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA en vue qu’il enjoigne à l'État de modifier, sous sept jours, l'annexe du décret n° 2022-370 du 16 mars 2022 de façon à y inscrire le salon Paris Packaging Week organisé du 29 au 30 juin 2022 et, par voie de conséquence, celui organisé du 25 au 26 janvier 2023.

L’intérêt de cette affaire est d’illustrer parfaitement l’importante mutation que la procédure de référé fait subir à la procédure administrative contentieuse. C’est ce que démontre la façon dont ce litige a été traité.

Tout s’est en réalité noué au cours de l’audience durant laquelle le ministre défendeur a reconnu que la demanderesse remplissait bien les conditions d’éligibilité à l’aide instituée et pour être inscrite sur la liste des entreprises bénéficiaires. Le juge des référés a demandé au ministre de produire après l’audience un mémoire par lequel il s’engageait à procéder à cette inscription « dans les meilleurs délais » selon ses propres termes.

Prenant acte de cet engagement même s’il est pris sans date certaine, le juge des référés constate qu’à la date où il statue il n’y a plus d’urgence et rejette donc la requête dont il était saisi.

Toutefois, et pour donner pleine efficacité à sa décision, il est précisé dans l’ordonnance que « Cet engagement (du ministre de l’économie) devra cependant être traduit dans le droit aussi tôt que possible, la société requérante disposant en toute hypothèse de la possibilité de saisir à nouveau le juge des référés s'il n'en était pas ainsi ». 

Il faut saluer cette manière de procéder où l’élégance procédurale est jointe au réalisme pratique.

(16 mai 2022, Société Easyfairs Oriex, n° 463623)

 

24 - Condamnation de l’administration pénitentiaire à une obligation de faire sous astreinte – Distribution de kits et de trousses d’hygiène aux détenus – Prétendue inexécution de cette mesure – Demande de liquidation de l’astreinte – Rejet.

Par une décision du 24 décembre 2021 le Conseil d’État a condamné l’administration pénitentiaire à une astreinte de mille euros par jour de retard s’il n’était pas justifié, dans un délai d'un mois à compter de la notification de sa décision, de l'exécution des injonctions contenues dans l'ordonnance du 28 avril 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Melun relatives à la distribution de kits et de trousses d'hygiène aux détenus du centre pénitentiaire de Fresnes. Arguant de l’inexécution de la mesure ordonnée, la requérante a saisi le Conseil d’État d’une demande de liquidation d’astreinte.

La demande est rejetée car après diligences faites par la section du rapport et des études du Conseil d'État il est constaté qu’en date du 22 janvier 2022 l’administration s’est acquittée de cette obligation d’une part par l’affichage d’une note accessible aux lieux où circulent les détenus leur indiquant la possibilité d’obtenir une dotation supplémentaire à la distribution mensuelle de kits d’hygiène quelles que soient leurs ressources financières et d’autre part par une instruction de service en ce sens destinée aux personnels pénitentiaires.

La circonstance que ne sont pas mentionnés les motifs pour lesquels une demande de kit d'hygiène supplémentaire pourrait être refusée et que l'information n’a pas été effectuée par écrit en différentes langues étrangères ou oralement par le canal interne de la télévision, ne saurait constituer une inexécution de la mesure prescrite dès lors qu'il résulte de l'instruction que les modalités de distribution du formulaire permettent aux détenus de demander des précisions orales aux agents pénitentiaires pour garantir l'effectivité de la mesure. Ainsi n’est pas établie l’inexécution alléguée.

(19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 435622)

(25) V. aussi, avec même requérante, le rejet, d’une part, de son recours en annulation  contre les décisions implicites par lesquelles le directeur du centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly et le directeur de l'administration pénitentiaire ont refusé de l'informer de l'état d'avancement de l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Guyane du 23 février 2019 et de lui communiquer les documents en attestant ainsi que des bilans trimestriels de l'état d'avancement de son exécution, et d'autre part, de sa demande tendant à ce qu’injonction soit adressée aux directeurs saisis de faire droit à ses demandes, ou, à défaut, de procéder à leur réexamen sous astreinte : 19 mai 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons (SFOIP), n° 456201.

 

26 - Recours en révision – Décision prétendue rendue sur pièce fausse – Notion – Cas d’un avenant contractuel – Absence d’un tel caractère – Rejet.

La circonstance que dans le cadre d’une négociation contractuelle les autorités d'Aéroports de Paris auraient indiqué de façon inexacte à leurs interlocuteurs que le souhait d'organiser une nouvelle consultation avait été formulé par le conseil d'administration lui-même, inexactitude dont, au demeurant, l'existence n'a pas été établie par un avis rendu par la commission d'accès aux documents administratifs, n'aurait pas pour effet de faire regarder l'avenant au protocole conclu le 20 avril 2004 comme une pièce fausse au sens des dispositions de l'article R. 834-1 du CJA.

Par suite fait défaut l’existence de celui des trois cas d’ouverture du recours en révision invoqué en l’espèce, d’où le rejet du recours.

(19 mai 2022, Société JSC Investissement et autres, n° 458394)

 

27 - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Recours pour excès de pouvoir – Recours contre un acte non réglementaire – Rejet et renvoi de l’affaire au tribunal administratif de Paris.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé  contre la décision implicite de rejet par le premier ministre et par la secrétaire d'État qui lui est rattachée, chargée des personnes handicapées, de sa demande tendant à ce qu'ils mettent en œuvre, à l'encontre de l'exploitant du site internet de la Tour Eiffel, les pouvoirs qu'ils tiennent du décret du 24 juillet 2019 relatif à l'accessibilité aux personnes handicapées des services de communication au public en ligne, est dirigé contre une décision non réglementaire et ne peut donc être porté directement devant le Conseil d’État. Le dossier est renvoyé au tribunal administratif de Paris.

(19 mai 2022, Mme C., n° 458057)

 

28 - Jugement se prononçant sur une question préjudicielle – Délai d’appel – Expiration – Rejet.

L’appel interjeté le 15 juillet 2019 contre un jugement notifié le 18 mai 2019, statuant sur une question préjudicielle renvoyée par le juge judiciaire et comportant l’indication des délais de recours, est à juste titre rejeté comme entaché de forclusion le délai d’appel étant, en cette matière, de quinze jours.

(19 mai 2022, M. A., n° 445744)

 

29 - Requête contenant des moyens non assortis de précisions – Précisions apportées après expiration du délai d’appel - Requête rejetée comme manifestement irrecevable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Encourt cassation, au visa des dispositions combinées de l’art. R. 411-1 CJA et de l’art. R. 4126-11 du code de la santé publique, l’ordonnance rejetant comme manifestement irrecevable un appel formé contre un jugement de la chambre disciplinaire de première instance d'Ile-de-France de l'ordre des médecins alors que la requête contenait l'exposé de conclusions soumises au juge d'appel et qu’elle était assortie de moyens : la décision attaquée procéderait d'une inexacte appréciation des faits invoqués dans la plainte du conseil départemental de la ville de Paris de l'ordre des médecins ;  l'instruction de cette plainte serait entachée de partialité ; la sanction prononcée serait insuffisamment motivée s'agissant du manquement, lui étant reproché, relatif au caractère illusoire des procédés thérapeutiques mis en œuvre ; la sanction infligée devrait être plus modérée. 

Il en va ainsi alors même qu’au moment de leur dépôt ces moyens n'auraient pas été, à ce stade, assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et que le requérant n’a apporté des précisions à l'appui de certains de ces moyens qu’après expiration du délai d’appel. 

(20 mai 2020, M. B., n° 439568)

 

30 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

V. n° 115

 

31 - Recours excès de pouvoir – Intervention devant le tribunal administratif – Conditions pour interjeter appel – Obligation de le faire dans le délai d’appel – Absence de respect de ce délai – Forclusion – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que la personne qui, devant le tribunal administratif, est régulièrement intervenue soit à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, soit en défense à un tel recours, est recevable à interjeter appel du jugement rendu sur ce recours contrairement aux conclusions de son intervention lorsqu'elle aurait eu qualité soit pour introduire elle-même le recours, soit, à défaut d'intervention de sa part, pour former tierce opposition contre le jugement faisant droit au recours.

Il en résulte nécessairement que son mémoire en intervention présenté en soutien à l'appel doit être regardée comme constituant lui-même un appel, qui, pour être recevable, devait avoir été introduit dans les délais de recours contentieux.

C’est au prix d’une erreur de droit que la cour administrative d’appel a annulé la délibération d’urbanisme contestée par cet appel alors que, formé après expiration du délai d’appel, celui-ci était irrecevable car entaché de forclusion.

(24 mai 2022, M. B., n° 443699)

 

32 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

V. n° 69

 

33 - Référé liberté - Nécessité d'établir l'urgence à statuer - Atteinte éventuelle à une liberté fondamentale ne pouvant établir par elle-même cette urgence - Rejet.

Le requérant, avait demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif d'enjoindre au maire de la commune de Montreuil, par une ordonnance qui serait exécutoire dès son prononcé, d'inscrire à l'ordre du jour du conseil municipal du 30 mars 2022 la proposition de délibération qu'il a déposée sous le titre « Mise en œuvre d'une communication sans stéréotype de sexe et de l'utilisation de l'écriture épicène et inclusive » et de répondre aux questions orales déposées dans le cadre du code général des collectivités territoriales et du règlement intérieur du conseil municipal. Il invoquait au soutien de sa requête que la possibilité de présenter en conseil municipal une proposition de délibération et d'obtenir en séance publique des réponses à des questions d'actualité constituent des libertés fondamentales reconnues à un élu local que seule pourrait garantir une intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

Le juge relève une nouvelle fois que les conditions de formation d'une demande en référé liberté sont cumulatives, dont celle de l'urgence à statuer, et que cette urgence ne résulte pas ipso facto d'une atteinte à une liberté fondamentale.

(5 mai 2022, M. A., n° 463170)

 

34 - Référé de l'art. L. 521-3 - Irrecevabilité manifeste - Demande qu'injonction soit faite à un tribunal judiciaire - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé tendant à ce que le juge administratif fasse injonction à un tribunal judiciaire « de faire cesser la privation de son droit constitutionnel d'être représenté par un avocat et d'obtenir un procès équitable et impartial ». Il faut beaucoup d'aménité pour s'abstenir d'apercevoir dans cette démarche une requête abusive...

(9 mai 2022, M. B., n° 463095)

(35) V. aussi, tout aussi étrange que la précédente, la requête en référé liberté - évidemment rejetée - tendant à l'annulation de la décision du Conseil constitutionnel du 13 avril 2022, relative aux résultats du premier tour du scrutin de l'élection du président de la République et à la suspension les élections présidentielles de 2022 : 9 mai 2022, Mme B., n° 463369.

 

36 - Référé suspension - Professeur des universités - Personne porteuse d'un handicap - Demande de mutation prioritaire - Demande renvoyée au comité de sélection - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant - Rejet.

Le requérant, professeur des universités affecté à Rouen, a demandé au titre de son handicap, sa mutation prioritaire sur un emploi à pourvoir à l'université de Paris-Cité. Le conseil d'administration de cette université a renvoyé sa demande à l'examen du comité de sélection.

L'intéressé saisit le Conseil d'État d'une demande de suspension de cette décision.

Le recours est évidemment rejeté.

Tout d'abord, sa demande - contrairement à ce qu'il soutient - n'a pas été rejetée par l'université mais, ayant été adressée au conseil d'administration de celle-ci, elle a été transmise par ce dernier au comité de sélection. Ensuite, les problèmes psychiques invoqués par le requérant durent depuis plus de dix ans et cet état a été estimé consolidé désormais, ce qui exclut l'existence d'une urgence. Enfin, alors qu'il est seul concerné, le demandeur ne saurait prétendre, par son action, protéger les intérêts généraux des personnes en situation de handicap souhaitant bénéficier de la procédure de mutation prioritaire.

(10 mai 2022, M. A., n° 463730)

 

37 - Demande de faire injonction à un tribunal administratif - Compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort - Absence - Rejet.

Est manifestement irrecevable le référé liberté formé directement devant le Conseil d'État et tendant à ce que ce dernier enjoigne à un tribunal administratif diverses choses dans le cadre d'une instance pendante devant ce tribunal.

(13 mai 2022, M. D., n° 463799)

 

38 - Référé suspension - Litige porté au rôle d'une chambre du Conseil d'État dans les prochaines semaines - Absence d'urgence - Rejet.

Il n'y a pas lieu de faire droit à un référé tendant à la suspension de la décision du premier ministre de prolonger la réintroduction temporaire des contrôles à l'ensemble des frontières intérieures de la zone de Schengen du 1er mai 2022 au 31 octobre 2022, telle qu'elle a été révélée par la notification à la Commission effectuée en application de l'article 27 du règlement (UE) n° 2016/399 du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen).

En effet, dès lors que sur le rapport de la 10ème chambre de la section du contentieux, cette affaire va être inscrite prochainement au rôle en vue du jugement du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision litigieuse, il n'y a pas d'urgence à statuer.

(13 mai 2022, Association nationale d'assistance aux frontières pour les étrangers, n° 463851)

 

39 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

S'il résulte des dispositions de l'article R. 4222-4-2 du code du code de la santé publique que le Conseil d'État est compétent pour statuer, en premier et dernier ressort, sur les recours contentieux formés contre les décisions de refus d'inscription au tableau prononcées, sur recours administratif préalable obligatoire, par le Conseil national de l'ordre des pharmaciens saisi d'une décision de l'un des conseils régionaux de la section A ou de l'un des conseils centraux des sections B, C, D, E, G ou H, il s'en déduit que le Conseil d'État est également compétent pour statuer, dans les mêmes conditions, sur les décisions d'inscription au tableau de l'ordre, de retrait d'inscription, ou de radiation de ce tableau.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

(40) V. aussi, s'agissant d'un refus d'inscription au tableau de l'ordre des pharmaciens : 25 mai 2022, Mme A., n° 446477.

 

41 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) - Procédure disciplinaire - Déduction, à partir de propos tenus actuellement, de la preuve de la tenue de ces mêmes propos antérieurement - Manquement à l'office du juge par insuffisance de motivation - Annulation.

Le CNESER avait à connaître du cas d'un étudiant poursuivi disciplinairement par son université pour avoir tenu à l'encontre d'un enseignant des propos injurieux et menaçants.

Pour juger les faits établis et rejeter le recours de l'étudiant contre la mesure d'exclusion définitive de cette université, le CNESER a retenu qu'il avait donné une teneur injurieuse, insultante et diffamatoire aux courriels qu'il avait adressés aux juridictions de première instance et d'appel durant l'instruction de son affaire et qu'ainsi était prouvée la continuité du comportement reproché à l'intéressé.

Le Conseil d'Etat est à la cassation de cette décision car en déduisant d'un fait certain le contenu d'un fait incertain, le juge a manqué à son office. En effet, pour dire continu le comportement reproché il eût fallu que le CNESER, de quelque façon, s'assurât de la nature des propos initiaux pour lesquels l'étudiant a été poursuivi et sanctionné.

(30 mai 2022, M. B., n° 450374)

 

42 - Procédure contentieuse - Demande d'une production rapide d'éventuelles observations - Absence d'indication du délai imparti à cet effet - Atteinte au principe du caractère contradictoire - Annulation.

Porte atteinte à l'exigence de contradictoire le jugement de rejet d'une requête après que son auteur a été informé, suite au dépôt d'un mémoire en défense par l'administration, d'une part que : «  Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires dans les meilleurs délais » et d'autre part que  «  Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ». Ces indications ne permettaient pas au demandeur de connaître le délai dont il disposait pour produire ses observations en réplique et ne pouvait, non plus, les faire valoir oralement en l'absence d'audience.

(31 mai 2022, M. B., n° 453814)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Établissement sur la base des éléments déclarés par le contribuable – Droits excédant ceux résultant desdits éléments – Non-respect des droits de la défense – Annulation.

On retiendra surtout de cette décision l’opportun rappel de ce que le respect du principe général des droits de la défense exige, lorsqu'une imposition est, comme la taxe foncière sur les propriétés bâties, assise sur la base d'éléments qui doivent être déclarés par le redevable.  En effet, l'administration ne peut établir, à la charge du contribuable des droits excédant le montant de ceux qui résulteraient des éléments qu'il a déclarés qu'après l'avoir mis à même de présenter ses observations.

Faute du respect de cette règle élémentaire, l’imposition en litige est réduite à hauteur des éléments déclarés.

(11 mai 2022, SAS DA B., n° 439567)

 

44 - Réintégration erronée par le vérificateur de charges dans les résultats de la contribuable – Rejet pour impossibilité de distinguer la répartition des charges de l’avion dont la contribuable est propriétaire – Erreur de droit et méconnaissance par le juge de son office – Annulation.

Commet une erreur de droit et méconnaît son office la cour administrative d’appel  qui juge justifiée la réintégration par le vérificateur dans les résultats d’une EURL des charges liées à l’entretien et aux heures de vol de l’avion appartenant à cette entreprise en raison de l’impossibilité de distinguer entre les charges afférentes à l'entretien et à l'usage de l'avion relevant de l'activité de l'EURL et celles qui se rattachent aux déplacements personnels de M. A. B. alors qu’elle avait admis, sur justifications apportées par les requérants, que l'usage de l'avion avait présenté un caractère professionnel à hauteur de 48 heures de vol.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 446757)

 

45 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Exclusion de panneaux d’isolation thermique de la base d’imposition à cette taxe – Erreur de droit – Annulation.

La société requérante, qui exploite un établissement industriel de fabrication de fromages, a demandé au tribunal administratif la réduction des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie du fait de l'exclusion des panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties. 

Le Conseil d'État avait prononcé l'admission des conclusions du pourvoi, en tant que ce jugement statue sur l’exclusion desdits panneaux.

Par la présente décision est prononcée, pour erreur de droit, la cassation de ce jugement  à raison de ce que pour exclure les panneaux d'isolation thermique de la base d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés bâties il s’est fondé sur ce que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI doivent s'entendre de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante et fréquemment réitérée au Palais-Royal, que pour l’appréciation de la consistance des propriétés (cf. art. 1495 CGI et 324 B de son annexe III) qui entrent, en vertu de ses articles 1380 et 1381, dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, « il est tenu compte non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles, mais également des biens faisant corps avec eux.

Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application du 11° de l'article 1382 du même code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 ».

L'exclusion des panneaux solaires de la base d'imposition était donc irrégulière.

(11 mai 2022, Société Établissements L. Tessier, n° 450570)

 

46 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Immeubles étant la propriété d’un syndicat mixte – Exonération de la taxe sous conditions – Absence de satisfaction à ces conditions – Annulation du jugement et rejet de la requête.

En application des 1° et 9° de l’art. 1382 du CGI, les syndicats mixtes peuvent bénéficier de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des immeubles dont ils sont propriétaires à condition, d'une part, que ces immeubles soient affectés à un service public ou à un objet d'utilité générale et, d'autre part, qu'ils ne soient pas, pour leurs propriétaires, productifs de revenus, même symboliques. 

En l’espèce, l’immeuble litigieux  était mis à disposition d'un tiers exploitant dans le cadre d'un contrat prévoyant que cet exploitant reverse au syndicat une fraction des recettes ou des résultats de l'activité qu'il exerce dans cet immeuble, par suite cet immeuble doit être considéré comme productif de revenus au sens des dispositions du 1° de l'article 1382, sans que puisse faire échec à l’application de ce texte la circonstance que ce reversement puisse varier en fonction des résultats de l'exploitation. 

Doit donc être annulé pour erreur dans la qualification juridique des faits le jugement ayant estimé qu’en l’espèce le syndicat devait être exonéré de la taxe.

On peut ne pas être d'accord avec la solution retenue.

(12 mai 2022, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 443811)

 

47 - Contribuable travaillant en Arabie saoudite - Existence prétendue d’un foyer en France – Lieu habituel d’existence et centre de vie personnelle en France – Éléments retenus impuissants à opérer cette localisation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Alors que l’intéressé est employé par une société de construction en Arabie saoudite, la cour administrative d’appel, pour juger justifiée la position de l’administration selon laquelle il a son domicile fiscal en France, retient que celui-ci, divorcé, était propriétaire d'un appartement à Rennes, qu'il y disposait d'un logement dans lequel il séjournait lors de ses congés et qu'il versait une pension alimentaire à ses deux enfants mineurs qui résidaient en France. A l’évidence, ce raisonnement minimaliste n’établit en aucune façon l’existence que le contribuable habitait normalement en France et y avait le centre de sa vie personnelle. Il serait temps de réaliser que la détention d’un bien immobilier, même à usage d’habitation, sur le territoire français, n’établit point une « habitation normale » en France et que ce critère a fait son temps depuis sa mise à l’honneur en droit romain.

(11 mai 2022, M. A., n° 450692)

 

48 - Opérations de marchands de biens ou de lotisseurs portant sur des terrains à bâtir – Conditions d’assujettissement à la TVA sur la marge – Saisine et réponse de la CJUE – Conséquences sur le litige – Rejet.

Saisi par la requérante d’un recours dirigé contre l’arrêt d’appel ayant rejeté sa demande de restitution de TVA, le Conseil d’État, avant dire droit, a saisi la CJUE de questions préjudicielles (25 juin 2020, SAS Icade Promotion Logement, n° 416727). La présente décision statue au vu des réponses données par la Cour de Luxembourg (30 septembre 2021, aff. C-299-20).

En premier lieu, la CJUE a jugé que l'article 392 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 doit être interprété en ce sens qu'il permet d'appliquer le régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir aussi bien lorsque leur acquisition a été soumise à la TVA sans que l'assujetti qui les revend ait eu le droit de déduire cette taxe que lorsque leur acquisition n'a pas été soumise à la taxe sur la valeur ajoutée alors que le prix auquel l'assujetti-revendeur a acquis ces biens incorpore un montant de taxe sur la valeur ajoutée qui a été acquitté en amont par le vendeur initial.

Elle a cependant précisé qu’en dehors de ces cas, cette disposition ne s'applique pas à des opérations de livraison de terrains à bâtir dont l'acquisition initiale n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée.

En second lieu, la CJUE a estimé que ce même article 392 doit être interprété en ce sens :

1° qu'il exclut l'application du régime de taxation sur la marge à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains acquis non bâtis sont devenus, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, des terrains à bâtir,

2° qu'il n'exclut pas en revanche l'application de ce régime à des opérations de livraison de terrains à bâtir lorsque ces terrains ont fait l'objet, entre le moment de leur acquisition et celui de leur revente par l'assujetti, de modifications de leurs caractéristiques telles qu'une division en lots ou la réalisation de travaux d'aménagement permettant l'installation de réseaux desservant lesdits terrains, à l'instar, notamment, des réseaux de gaz ou d'électricité.

Le Conseil d’État tire de là deux conséquences principales.

Tout d’abord, il déduit de cette décision de la CJUE que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI sont incompatibles avec les dispositions de l'article 392 de la directive 2006/112/CE en tant qu'elles soumettent au régime de la TVA sur la marge les cessions de terrains à bâtir réalisées par des revendeurs assujettis, au profit des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation, lorsque l'acquisition initiale du terrain à bâtir par le revendeur n'a pas été soumise à la TVA, soit qu'elle se trouve en dehors de son champ d'application, soit qu'elle s'en trouve exonérée, et que le prix auquel le revendeur a acquis ces biens n'incorpore pas un montant de TVA qui a été acquitté en amont par le vendeur initial. Il s'ensuit que la cour administrative d'appel de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que ces dispositions étaient compatibles avec l'article 392 de cette directive.
Le juge ajoute toutefois qu’il résulte de la combinaison des dispositions du a) du paragraphe 1 de l'article 2 et du k) du paragraphe 1 de l'article 135 de la directive 2006/112/CE que toute livraison de terrains à bâtir réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel doit, en principe, être soumise à la TVA. Le régime de taxation sur la marge, prévu à l'article 392 de cette directive, constitue une dérogation au régime de droit commun de l'article 73 de la même directive en vertu duquel la TVA est calculée sur la totalité du prix de vente. Ainsi, dès lors que les dispositions combinées des 6° et 7° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI ne sont incompatibles avec la directive 2006/112/CE qu'en tant qu'elles soumettent les opérations en cause à une TVA calculée sur la marge et non à la TVA calculée sur le prix total, la société Icade Promotion ne peut utilement invoquer une telle incompatibilité pour demander la restitution de la TVA qu'elle a acquittée, qui a été calculée sur la seule marge. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué aux motifs retenus par la cour aux points 8 et 9 de l'arrêt attaqué.

Ensuite, le juge estime que la circonstance que la société Icade Promotion a procédé, dans le cadre de son activité de lotisseur, à des travaux de viabilisation des terrains préalablement à leur revente à des particuliers est par elle-même sans incidence sur l'application du régime de la TVA sur la marge prévue par les dispositions combinées du 6° de l'article 257 et de l'article 268 du CGI aux opérations de cession de terrains à bâtir qui entrent dans le champ de la taxe. Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, peut être substitué aux motifs retenus par la cour. Il s'ensuit que les moyens du pourvoi dirigés contre ces motifs de l'arrêt attaqué, tirés d'une dénaturation des pièces du dossier, d'une insuffisance de motivation et d'une erreur de droit ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

Enfin, sur un point particulier la présente décision étonne.

La société requérante invoquait une jurisprudence constante de la CJUE selon laquelle le principe de neutralité fiscale de la TVA s'oppose, d'une part, à ce que des livraisons de biens semblables, qui se trouvent en concurrence les uns avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ainsi que, d'autre part, à ce que les opérateurs économiques qui effectuent les mêmes opérations soient traités différemment en matière de perception de la TVA. Le Conseil d’État estime que la société Icade Promotion ne saurait utilement se prévaloir de ce principe au motif que les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant pouvaient être exonérées de taxe sauf option contraire en application du 1° du 5 de l'article 261 du CGI, dans sa rédaction en vigueur lors de la période d'imposition en litige, dès lors que, par cette disposition, le législateur a seulement entendu maintenir l'exonération dont bénéficiaient ces opérations avant l'entrée en vigueur de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, comme l'autorisaient les dispositions du b) du paragraphe 3 de l'article 28 de cette directive, désormais reprises à l'article 371 de la directive 2006/112/CE.

Et le Conseil d’État de conclure : « Ce motif, qui répond à un moyen invoqué devant les juges du fond et dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait, doit être substitué au motif retenu au point 10 de l'arrêt attaqué. Le moyen du pourvoi dirigé contre ce motif de l'arrêt attaqué, tiré d'une erreur de droit, ne peut, par conséquent, qu'être écarté. »

Sera-t-on étonné de nous voir dubitatif devant un tel raisonnement ? En quoi le maintien d’un privilège anti-concurrentiel est-il une justification ?

(12 mai 2022, Société Icade Promotion, n° 416727)

 

49 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Dispense dérogatoire de TVA en cas de cession d'une unité immobilière (art. 257bis CGI) - Conditions - Régime de régularisation de la TVA antérieurement due - Cas de dispense de régularisation - Cession ou acquisition initiale placée en dehors du champ d'application de la TVA - Impossibilité de se prévaloir de la dérogation (cf. art. 207, annexe II CGI) - Rejet après substitution d'un motif.

La société requérante a cédé le 30 juin 2009 un ensemble immobilier composé de bâtiments à usage de supermarché, d'une station-service et d'un parking qu'elle avait fait construire en 2004. L'administration fiscale a alors estimé qu'en application des dispositions du 1° du 1 du III de l'art. 207 de l'annexe II au CGI, cette société était tenue, en l'absence d'imposition à la TVA de la cession de cet ensemble immobilier, de régulariser la taxe antérieurement déduite ayant grevé les dépenses d'acquisition et de construction de cet ensemble.

Ayant saisi en vain les juridictions du fond en annulation des rappels de TVA auxquels elle a été assujettie, la requérante se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État considère que la dispense de TVA prévue par l'art. 257bis CGI lors de la transmission à titre onéreux ou à titre gratuit, ou sous forme d'apport à une société, d'une universalité totale ou partielle de biens s'applique à tout transfert d'un fonds de commerce ou d'une partie autonome d'une entreprise dès lors que le bénéficiaire du transfert a pour intention d'exploiter le fonds de commerce ou la partie d'entreprise ainsi transmis et non simplement de liquider immédiatement l'activité concernée.

Par ailleurs, il lui paraît résulter des dispositions de l'art. 207 de l'annexe II au CGI que la cession de l'ensemble immobilier litigieux étant intervenue plus de cinq ans après son achèvement, cette cession était ainsi placée hors du champ de la TVA (cf. 2 du 7° de l'art. 257 du CGI).

Il en résulte donc que cette opération ne pouvait être regardée comme dispensée de TVA en application de l'art. 257bis précité car une telle dispense ne peut bénéficier qu'à une opération soumise à cette même taxe.

La contribuable requérante ne pouvait pas, ainsi, bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions du 1° du 4 du III de l'art. 207 de l'annexe II CGI, qui permettent de ne pas procéder à la régularisation de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les dépenses d'acquisition en cas de cession d'un bien immobilier dispensée de TVA.

Le Conseil d'État substitue ainsi ce motif reposant sur des faits constants à celui, erroné, qu'avait retenu la cour administrative d'appel dans son arrêt dont il justifie cependant légalement le dispositif.

(31 mai 2022, Société Anciens établissements Georges Schiever et fils, n° 451379)

 

50 - Bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux (art. 123 bis CGI) – Régime d’imposition – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. 123bis du CGI que sont imposables les bénéfices réalisés à l’étranger par des résidents fiscaux à raison d’entités situées dans des États ou territoires où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, sur lesquelles ces résidents exercent un contrôle, même partagé, quelle que soit la forme juridique de ce contrôle et dès lors, quand il est quantifiable, qu’il est supérieur à 10 %.

Ces conditions étant réunies dans le cas de l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a rejeté le recours dont elle était saisie.

(12 mai 2022, M. A. et Mme A., n° 444994)

V. aussi pour un autre aspect de la décision le n° 21

 

51 - Société à responsabilité limitée (Sarl) – Déduction de charges considérée comme constituant un revenu distribué (art. 109, 1° et 2° du 1, CGI) – Revenu imposé dans les mains de l’associé et gérant de la société – Présomption de distribution en raison de la qualité de maître de l’affaire du contribuable – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

L’administration fiscale n’avait pas accepté la déduction de certaines charges invoquée par une Sarl et les a considérées comme des revenus distribués imposables entre les mains du contribuable en sa qualité de maître de l’affaire.

La cour administrative d’appel avait jugé que si les dispositions du 2° du 1 de l’art. 109 du CGI font obligation à l'administration, lorsqu'elle estime devoir imposer l'associé d'une société qui n'a pas accepté, même tacitement, le redressement de son imposition à l'impôt sur le revenu, d'apporter la preuve que celui-ci a eu la disposition des sommes ou valeurs qu'elle entend imposer à son nom à raison de revenus regardés comme distribués, l'administration est toutefois réputée apporter la preuve de l'appréhension effective des fonds lorsqu'elle établit que cet associé, en sa qualité de maître de l'affaire, était en mesure de prélever des sommes à son profit.

L’arrêt est cassé pour erreur de droit car, relève à bon droit le Conseil d’État, s'agissant d'une imposition fondée sur le 2° du 1 de l'article 109 du CGI, il incombait à la cour de rechercher si les revenus avaient effectivement été distribués au requérant, et non de le présumer en raison de la qualité de maître de l'affaire de ce dernier. 

(19 mai 2022, M. C., n° 446787)

 

52 - Loi du pays en Polynésie française – Loi du pays relative aux impôts et taxes - Imposition des plus-values de cessions immobilières – distinction entre cessions intervenant dans les cinq ans de l’acquisition et celles postérieures – Finalité d’intérêt général – Critère objectif – Absence de charge excessive ou de caractère confiscatoire – Rejet.

Dans le cadre d’un recours en annulation de l’acte dit « loi du pays » n° 2021-55 du 27 décembre 2021, pris par la Polynésie française, portant simplification et performance du système fiscal, en faveur de la solidarité et de l'emploi et notamment de son article LP 30, le Conseil d’État est amené, notamment, à se prononcer sur un des aspects essentiels de cette réforme fiscale.

Le nœud de la difficulté résidait dans l’art. LP 30 de ce texte qui porte de 20 à 50 % le taux d'imposition des plus-values de cessions de biens immobiliers lorsque la vente intervient dans les cinq premières années de détention de ces biens.

Tout d’abord, cette « loi » ne constituant pas un texte à caractère « économique ou social » au sens de la loi organique relative à la Polynésie française, mais un texte à caractère exclusivement fiscal, son adoption n’avait pas à être précédée de la consultation préalable du conseil économique, social, environnemental et culturel de la Polynésie française.

Ensuite, le passage d’un taux d’imposition de 20% à celui de 50% ne constitue pas une sanction punitive et ne relève donc pas des principes de proportionnalité et d’individualisation des peines fixés à l’art. 8 de la Déclaration de 1789.

Également, en retenant cette majoration pour les seules plus-values nées de la cession de biens immobiliers intervenue moins de cinq ans après leur acquisition, les auteurs du texte ont entendu retenir un critère objectif et rationnel, celui de lutter contre la spéculation foncière. D’une part son taux n’est pas confiscatoire puisqu’il porte sur la plus-value « nette » et d’autre part, la circonstance que toute cession intervenant moins de cinq ans après l’acquisition, sans distinguer selon le nombre d’années à l’intérieur de cette durée globale, n’entraîne pas une atteinte caractérisée au principe d’égalité devant les charges publiques.

Le recours est rejeté.

(19 mai 2022, Mme C., n° 460705)

(53) V. aussi, sur l’étendue et les motifs du contrôle exercé par le juge sur les « lois du pays » à propos de la loi portant réforme de la gouvernance de la protection sociale généralisée, dont il était en l’espèce prétendu qu’elle n’était pas non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : 19 mai 2022, M. A., n° 460991.

 

54 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Installations d’un port de plaisance sises sur le domaine public maritime – Détermination de leur valeur locative – Rejet.

Confirmant les jugements de première instance, le Conseil d’État juge – à propos de Port-Camargue - que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal administratif a estimé que la valeur locative au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle sont assujetties les installations des ports de plaisance situées sur le domaine public maritime doit être établie en fonction du seul nombre de postes d'amarrage du port, multiplié par un tarif déterminé selon la situation géographique du port de plaisance concerné et les services et équipements qu'il offre aux usagers. En revanche, il n’y a pas lieu, en raison de leur caractère inopérant, de tenir compte pour l’établissement de cette imposition de ce que certains postes d'amarrage ne seraient pas des propriétés bâties ou ne seraient pas une propriété publique.

La solution n’était pas évidente et elle est, au reste, discutable ; le juge lui-même a d'ailleurs recouru ici au biais des travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2012 (art. 37) pour aboutir à l’interprétation ci-dessus des art. 1380, 1400 et du III de l’art. 1501 du CGI.

(20 mai 2022, Commune du Grau-du-Roi, n° 437810)

 

55 - Transfert de parts sociales détenues dans une société civile professionnelle vers le patrimoine privé de l’un des associés cessant son activité de médecin – Détermination de la moins-value ou de la plus-value résultant de ce transfert – Critique de la méthode d’évaluation de la valorisation des parts retenue par le vérificateur - Question de fait susceptible d’effet sur la réponse à donner à une question de droit (art. L.59 A, II, LPF) – Non information sur la possibilité de saisir  la commission départementale des impôts directs – Annulation de l’arrêt d’appel sans renvoi.

L’un des associés d’un cabinet médical constitué sous forme d’une SCI cessant son activité de médecin, ses parts sociales dans cette dernière ont été transférées dans son patrimoine privé. Le vérificateur a, suite à un contrôle sur pièces, assujetti cet associé à un supplément d’impôt et de cotisations sociales.

Alors que le contribuable contestait la méthode utilisée pour apprécier la valorisation des parts en litige, le vérificateur, dans sa réponse aux observations du contribuable (la « ROC »), a rayé la mention pré-imprimée relative à la faculté de demander la saisine de la commission départementale des impôts directs.

Pour ce motif, dont il a jugé qu’il avait privé l’intéressé d’une garantie légale, le tribunal administratif avait prononcé au bénéfice du contribuable la décharge des cotisations d’impôt et des prélèvements sociaux corrélatifs. La cour administrative d’appel, sur appel du ministre des finances, a annulé ce jugement et rejeté la demande du contribuable.

Le Conseil d’État, sur pourvoi de ce dernier, casse cet arrêt motif pris de ce que la contestation de la méthode d’évaluation constituait une question de fait dont la réponse était susceptible de retentir sur une question de droit et qu’ainsi elle pouvait être posée à la commission départementale des impôts directs conformément au II de l’art. 59 du LPF. L’intempestive radiation par le vérificateur de la rubrique ad hoc sur la « ROC » a ainsi privé le contribuable du bénéfice de la garantie légale.

La cassation de l’arrêt d’appel remettant en vigueur le jugement de première instance prononçant la décharge, il n’y a pas lieu de renvoyer le litige à la cour.

(20 mai 2022, M. C., n° 441999)

 

56 - Convention fiscale franco-néo-zélandaise – Champ d’application – Commentaires du comité fiscal de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) – Redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande – Caractère indifférent du versement des redevances à un intermédiaire établi dans un État tiers – Obligation de se prononcer sur la qualité de bénéficiaire effectif – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La société Planet, qui exerce une activité de distribution de programmes sportifs à destination de clubs de fitness, a été assujettie à des rappels de retenue à la source à raison de sommes qualifiées de redevances versées aux sociétés Les Mills Belgium SPRL et Les Mills Euromed Limited, établies respectivement en Belgique et à Malte, en contrepartie de la sous-distribution de programmes collectifs de fitness élaborés par la société Les Mills International LTD, établie en Nouvelle-Zélande.

Le tribunal administratif a déchargé la requérante des sommes mises à sa charge, tandis que sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, la cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a rétabli les impositions.

Sur pourvoi de la contribuable, le Conseil d’État juge en premier lieu, qu’eu « égard à leur objet, et telles qu'elles sont éclairées par les commentaires formulés par le comité fiscal de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) sur l'article 12 de la convention-modèle établie par cette organisation publiés le 11 avril 1977, et ainsi d'ailleurs qu'il résulte des mêmes commentaires publiés respectivement les 23 octobre 1997, 28 janvier 2003 et 15 juillet 2014 et en dernier lieu le 21 novembre 2017, les stipulations du 2 de l'article 12 de la convention fiscale franco-néo-zélandaise sont applicables aux redevances de source française dont le bénéficiaire effectif réside en Nouvelle-Zélande, quand bien même elles auraient été versées à un intermédiaire établi dans un État tiers. » 

En second lieu, il reproche à la cour, alors qu’il lui incombait de se prononcer elle-même sur la qualité de bénéficiaire effective desdites sommes qui était celle de la société Planet, de s’être bornée, pour qualifier les sommes en cause de « redevances », à examiner la qualification des sommes versées par la société Planet à la société belge Les Mills Belgium SPRL en 2011 ainsi qu'à la société maltaise Les Mills Euromed Limited de 2012 à 2014, seulement au regard des stipulations de la convention fiscale franco-néo-zélandaise du 30 novembre 1979. 

(20 mai 2022, Société Planet, n° 444451)

 

57 - Durée maximum des vérifications comptables à fin fiscale – Durée fixée à trois mois – Durée portée à six mois en cas d’irrégularités graves affectant la valeur probante de la comptabilité – Calcul de cette durée – Prolongation supérieure à six mois du fait de l’examen de la comptabilité d’un tiers – Absence d’effet sur la régularité de la vérification – Rejet.

De cette décision dont l’objet est, pour l’essentiel, de statuer sur la remise en cause d’un crédit d’impôt recherche, sera retenue une question de procédure fiscale non contentieuse.

L’art. 52 du livre des procédures fiscales dispose en son I. que « Sous peine de nullité de l'imposition, la vérification sur place des livres ou documents comptables ne peut s'étendre sur une durée supérieure à trois mois (...) » ; en son II. il prévoit un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles ce délai de trois mois peut être porté à six mois au maximum, notamment dans le cas, prévu au 4° de ce II., où auraient été « commises de graves irrégularités privant de valeur probante la comptabilité ». 

En l’espèce, le contribuable invoquait la circonstance que la vérification sur place avait duré plus de six mois puisqu’elle avait débuté chez un tiers et que c’est sur la base des éléments qui y furent recueillis qu’a été ouverte la vérification de la comptabilité de la requérante. Ainsi, cette vérification serait frappée de nullité comme aussi les rectifications d’impôt consécutives.

Par une interprétation par trop latitudinaire du texte de l’art. L. 52 précité en faveur de l’administration fiscale, le Conseil d’État rejette le moyen d’irrégularité au motif que « (…) l'exploitation, à l'issue de la vérification de comptabilité d'un contribuable, d'éléments recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité d'un tiers est sans incidence pour apprécier, au regard des dispositions de l'article L. 52 du livre des procédures fiscales, la durée de la première de ces vérifications de comptabilité. »

(20 mai 2022, Société Trade Invest, n° 446817)

 

58 - Impôt sur le revenu et taxes assimilées, impôts sur les sociétés – Compétence territoriale du comptable public – Incompétence – Impossibilité d’obtenir décharge pour ce motif – Dispositions impératives de l’art. L. 206 LPF – Rejet.

Dans un litige né du recours au régime de la taxation d’office, le juge fait usage des dispositions peu connues de l’art. L. 206 du LPF selon lesquelles : « En ce qui concerne l'impôt sur le revenu et les taxes assimilées et l'impôt sur les sociétés, les contestations relatives au lieu d'imposition ne peuvent, en aucun cas, entraîner l'annulation de l'imposition. » et en fait application à l’espèce par substitution de motif à celui retenu dans l’arrêt d’appel attaqué.

(20 mai 2022, SCI Les Greniers de Sophie, n° 448794)

 

59 - Demande de décharge de l’obligation de payer des cotisations sociales corrélatives à des impositions – Opposition de la prescription – Application de l’art. 2251 du Code civil – Interprétation de la notion de volonté « sans équivoque » - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Des ressortissants français qui établissent leur domicile fiscal en Suisse demandent le remboursement des prélèvements sociaux consécutifs aux impositions qu’ils ont acquittées.

Ils se sont pourvus en cassation suite à l’échec des procédures antérieures.

Le débat juridique principal consistait, d’une part, à déterminer si, comme le soutenaient les demandeurs, l’action de l’administration en recouvrement de ces impositions était prescrite et d’autre part, si, comme le soutenait l’administration fiscale, le paiement spontané de leurs impôts par les contribuables valait renonciation au bénéfice de la prescription.

L’art. 2251 du Code civil dispose : « La renonciation à la prescription est expresse ou tacite. La renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription. »

Le paiement d’un impôt sans y être contraint par un acte particulier doit-il être considéré comme exprimant « sans équivoque » la volonté de renoncer à se prévaloir d’une prescription affectant l’impôt ?

La cour administrative d’appel l’a pensé : en effectuant un paiement volontaire et spontané les contribuables auraient manifesté sans équivoque leur renonciation à se prévaloir d’une prescription affectant l’objet du paiement.

La solution est heureusement cassée par les juges du Palais-Royal pour qui il résulte du second alinéa de l’art. 2251 précité qu’« un contribuable ne saurait être regardé comme ayant (tacitement) renoncé à la prescription du seul fait du règlement, en l'absence d'acte de poursuite, d'une imposition. » Cela d’autant plus qu’en l’espèce, il est relevé « que les intéressés avaient, le 24 décembre 2014, soit avant le paiement des sommes en litige, demandé la décharge de l'obligation de payer en se prévalant de la prescription et (…) que le paiement était intervenu aux fins d'obtenir la mainlevée des hypothèques prises par le comptable public sur des biens immobiliers dont ils étaient propriétaires, les privant par suite de la libre disponibilité de ces biens ».

(20 mai 2022, M. et Mme C., n° 449038)

 

60 - Société civile d’exploitation viticole (SCEV) – Cession par l’un des associés à la SCEV de l’usufruit temporaire de parts détenues par lui – Société non admise à la négociation sur un marché réglementé - Détermination de la valeur de cession de l’usufruit des parts sociales – Méthode d’évaluation par l’administration fiscale – Méthode non sérieusement contestée par les contribuables – Rejet.

La société civile requérante, constituée à parts égales entre deux époux, a reçu de Mme D. l’usufruit temporaire de ses parts divisées en deux fractions, l’une pour une durée d’usufruit de dix ans et l’autre pour une durée d’usufruit de dix-sept ans. L’administration fiscale a réévalué la valeur des cessions d'usufruit temporaire, réintégré en conséquence la différence dans l'actif net de la société et requalifié le montant de la cession des parts sociales de Mme D. en plus-values professionnelles. Ceci a conduit à une imposition supplémentaire de la SCEV à l’impôt sur les sociétés et de Mme D. à l’impôt sur le revenu.

Saisi par la société et par M. et Mme D., le tribunal administratif a partiellement fait droit aux demandes de décharge qu’ils ont présentées, confirmé par arrêt de la cour administrative d’appel.

Les demandeurs se pourvoient en cassation contre cet arrêt en tant qu’il rejette le surplus de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté.

Cette affaire posait la classique question de l’évaluation des parts sociales d’une société non admise à la négociation sur un marché réglementé.

La méthode d’évaluation retenue par le vérificateur a consisté à déterminer la valeur attendue de l'usufruit des parts de la SCEV en effectuant la moyenne arithmétique des valeurs obtenues à l'aide, d'une part, de la méthode de la valeur actualisée des flux de revenus futurs, en capitalisant le montant du dividende moyen distribué les trois années précédant la cession en litige, à partir d'un taux de rendement et d'un taux de croissance des dividendes sur la durée de l'usufruit, et d'autre part de la méthode de la valeur en pleine propriété des titres, l'usufruit étant déterminé à partir du taux de rendement des titres sur la durée de l'usufruit.

Au terme de cette analyse, il est apparu à la cour que la valeur de l'usufruit des titres en litige ainsi déterminée était supérieure de 69 % à la valeur déclarée par les contribuables s'agissant des titres démembrés durant une période de dix ans et de 114 % pour ceux portant sur une durée de dix-sept ans.

Le juge rejette en réalité pour deux motifs principaux le pourvoi.

En premier lieu, la méthode utilisée par le vérificateur n’est pas réellement contestée par les contribuables qui se bornent à cet égard à soutenir que la cour aurait commis une erreur de droit en refusant de soustraire des résultats distribués la rémunération versée à Mme D., associée exploitante de la SCEV, pour la détermination du dividende de référence utilisé pour calculer la valeur actualisée des flux de revenus futurs de l'usufruitier et la valeur de rendement de la pleine propriété des titres alors précisément que le dividende de référence a été calculé à partir des résultats distribués les trois années précédentes, lesquels correspondaient aux résultats comptables de la SCEV compte tenu de la pratique de distribution intégrale de ces derniers. Or, il ressort des pièces comptables figurant au dossier soumis aux juges du fond que les rémunérations versées par la SCEV à Mme D., ont été, au cours des exercices précédant la cession, déduites des résultats comptables. Il s’ensuit que cette déduction n’avait pas à être opérée une seconde fois.

En second lieu, c’est en vain que les contribuables ont proposé une méthode alternative d’évaluation de l’usufruit fondée sur le solde actualisé de la trésorerie disponible correspondant à la différence entre l'excédent brut d'exploitation et le besoin en fonds de roulement, les annuités d'autofinancement des investissements et la rémunération des associés. D’une part, les contribuables ne s’expliquaient pas sur le fait qu’ainsi la société entendait modifier pour l'avenir sa pratique antérieure constante de distribution de la totalité de ses bénéfices comptables. D’autre part, comme relevé par la cour, cette méthode se bornait à déterminer l'endettement financier de la SCEV et sa trésorerie disponible et ne permettait pas, par suite, de déterminer le montant des distributions prévisionnelles attendu par l'usufruitier.

Au reste, la méthode alternative proposée aboutissait, sur les quatre années antérieures, à retenir un montant de trésorerie disponible nettement inférieur au montant effectivement distribué au titre de ces mêmes années.

Est également confirmé le taux de majoration de l’impôt pour manquement délibéré retenu par l’administration et entériné par la cour. 

(20 mai 2022, Société civile Ambroise D. et M. et Mme D., n° 449385)

 

61 - Impôt sur le revenu et contribution sur les hauts revenus - Plus-value de cession de valeurs mobilières - Pénalités - Contestation par le redevable - Rejet en première instance de la demande sur ce point - Obligation pour le juge d'appel d'examiner une inexactitude éventuelle de la déclaration fiscale - Rejet.

Il avait été infligé au contribuable requérant une pénalité pour manquement délibéré à l'obligation de déclaration fiscale.

En première instance, le tribunal administratif avait définitivement rejeté la demande du contribuable tendant à la décharge de l'imposition supplémentaire résultant de la remise en cause du régime d'abattement auquel il prétendait avoir droit.

En appel, le ministre avait saisi la cour d'une demande de substitution de la pénalité de l'article 1758 A du CGI à la pénalité pour manquement délibéré retenue en première instance. La cour s'est alors prononcée sur la réalité de l'inexactitude dans la déclaration du contribuable invoquée par le ministre. Celui-ci contestait devant le juge de cassation ce réexamen et prétendait que le motif retenu par la cour était surabondant.

Donnant raison à la cour, le Conseil d'État juge qu'en dépit de ce que le jugement avait jugé définitivement ce point, il incombait à la cour, comme elle l'a fait, de se prononcer sur l'inexactitude invoquée pour justifier l'application de la pénalité de l'article 1758 A.

(25 mai 2022, M. C. Baron B., n° 447812)

 

62 - Abus de droit - Montage par emboîtement d'une succesion d'opérations - Montage permettant à des sociétés d'entrer dans les prévisions de dispositions du CGI dispensant de l'impôt sur les sociétés - Montage ne reposant sur aucune justification économique  - Montage devant être qualifié de prise en pension de titres - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits qu'une cour d'appel qualifie d'abus de droit - alors qu'aucune justification économique sérieuse n'en est donnée -  une succession d'opérations emboîtées les unes dans les autres entre des filiales et leur société mère ainsi qu'avec une société écran à seule fin qu'entrant ainsi dans les prévisions de dispositions du CGI puisse être obtenue une exonération de l'impôt sur les sociétés.

(31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453173)

(63) V. aussi, sur d'autres aspects de ce même litige : 31 mai 2022, Société Dassault Systèmes devenue société européenne (S.E.) Dassault Systèmes, n° 453175

 

64 - Plus-value de cession ou d'échanges de titres de sociétés - Régime du sursis d'imposition (art. 150-0 B CGI) - Sursis portant aussi sur la soulte - Condition - Absence en l'espèce - Annulation.

L'art. 150-0 B CGI prévoit un sursis d'imposition de la plus-value constatée lors de la cession ou de l'échange de titres pour permettre la réalisation de cette opération alors qu'en cas de paiement immédiat de l'impôt le redevable ne disposerait pas des liquidités nécessaires pour y procéder. Ce sursis d'imposition bénéficie à la totalité de la plus-value résultant d'une opération d'apport avec soulte lorsque le montant de celle-ci n'excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus en rémunération de l'apport.

Compte tenu de l'objet de ce sursis, lorsque la stipulation d'une soulte au profit de l'apporteur en complément de l'attribution de titres de la société bénéficiaire de l'apport n'a aucune autre finalité que de permettre à celui-ci d'appréhender, en franchise immédiate d'impôt, des liquidités détenues par cette société ou par celle dont les titres sont apportés, l'administration fiscale est fondée en ce cas à prétendre que, à l'encontre de l'objectif poursuivi par la loi fiscale, les parties à l'opération n'ont, en l'espèce, recherché que le bénéfice d'une application littérale des dispositions de l'article 150-0 B du CGI, dans le seul but d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'apporteur aurait normalement supportées. 

C'est à bon droit que ce comportement, contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, a été sanctionné sur le fondement de l'abus de droit (art. L. 64 LPF).

(31 mai 2022, ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455349 ;  M; et Mme C., n° 455807)

(65) V. aussi, sur ce mécanisme de sursis d'imposition et sur l'application du régime de répression des abus de droit : 31 mai 2022, M. B., n° 454288.

 

Droit public de l'économie

 

66 - Énergie électrique – Accès régulé à l’électricité nucléaire historique – Allocation exceptionnelle d’un volume additionnel d’électricité devant être cédé aux entreprises privées fournisseurs d’énergie électrique – Atteinte aux intérêts financiers d’EDF et de ses agents – Rejet.

L’importance de l’enjeu, l’atteinte aux intérêts de l’une des plus puissantes baronnies françaises, la qualité des requérants, le nombre et la diversité des intervenants à l’instance expliquent la reddition de cette ordonnance de référé en formation collégiale.

En bref, l’État a imposé à EDF de livrer une quantité supplémentaire d’électricité produite à partir de l’énergie nucléaire, en sus de celle que cet établissement est déjà tenu de livrer aux entreprises privées fournissant de l’énergie électrique aux consommateurs.

Il convient ici de rappeler que le code de l’énergie (cf. art. L. 336-1 et L. 336-2) prévoit que pour permettre l’exercice par le consommateur de sa liberté de choisir son fournisseur d'électricité tout en faisant bénéficier l'attractivité du territoire et l'ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français, est institué un accès régulé et limité à l'électricité nucléaire historique (ARENH) produite par des centrales nucléaires, pour une période transitoire. Cet accès, d’une part, est ouvert à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes et, d’autre part, est consenti à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l'utilisation des centrales nucléaires mentionnées à l’article L. 336-2 précité. 

Le décret litigieux du 11 mars 2022 et son arrêté d’application du même jour ont fixé les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) à 20 TWh en complément du volume global maximal fixé à 100 TWh par un précédent arrêté du 28 avril 2011.

Les requérants demandent, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l'exécution de ces deux textes tandis que l’un d’entre eux ne demande que la suspension de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022. Ces requêtes sont rejetées.

1 - À l’encontre de l’ensemble des deux textes attaqués étaient développés trois moyens.

Le premier d’entre eux consistait à invoquer l’atteinte grave et immédiate qui serait portée par les dispositions querellées aux intérêts propres des requérants et à ceux des personnes qu'ils défendent ou représentent, en leur qualité, soit d'organisations syndicales représentant les salariés d'Électricité de France (EDF), soit de conseils de surveillance de deux fonds communs de placement ouverts aux salariés et retraités d'EDF et investis en actions EDF, soit d'associations de défense des actionnaires salariés d'EDF. Le moyen est rejeté à la fois pour défaut d’argumentation au soutien de ces affirmations et pour défaut d’établissement en quoi la diminution du cours de l’action d’EDF aurait une incidence revêtant le caractère d’une atteinte grave et immédiate sur leur propre situation ou sur celle des actionnaires salariés d'EDF.

Le deuxième moyen porte sur l’atteinte qui serait portée par les mesures contestées à la situation d'EDF, ainsi qu'aux intérêts publics qui s'attachent à la pérennité de cette société et au financement de ses investissements à venir ; il est rejeté car aucun élément n’est apporté qui permettrait d’établir l'ampleur de l'atteinte portée par les mesures contestées au regard de l'ensemble de l'équilibre financier d’EDF même en faisant la part des autres facteurs pertinents, y compris l'indisponibilité d'une partie du parc de production d'électricité d'origine nucléaire et l'effet de la hausse des cours de l'électricité sur les recettes d'EDF sur le marché de gros.

Le troisième moyen, reposant sur ce que les mesures en cause méconnaîtraient le droit de l’Union pour non-notification à la Commission européenne et pour violation des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, est rejeté car il n’établit pas en quoi, s’il était fondé, il prouverait l’urgence à statuer en référé.

Au reste, le juge constate que les mesures prises sont justifiées par l’existence d'une forte hausse des prix sur le marché de gros de l'électricité qui est à l'origine d'importantes répercussions tant pour les particuliers que pour les professionnels, et qui a d'ailleurs conduit la Commission européenne à adopter plusieurs communications sur les mesures de réduction des coûts de l'énergie susceptibles d'être prises par les États membres. Les dispositions litigieuses s’inscrivent pleinement dans une stratégie de limitation des effets de cette importante hausse des prix et poursuivent une finalité d’intérêt général car cette limitation a un effet sur les coûts d'approvisionnement des fournisseurs qui en bénéficient, et indirectement sur les tarifs qu'ils sont en mesure de proposer aux clients finaux. Sans avoir d'effet direct en 2022 pour les clients éligibles aux tarifs réglementés, dont elle devrait cependant alléger le rattrapage tarifaire en 2023, elle devrait dès 2022 avoir des conséquences tarifaires pour les autres consommateurs d'électricité.

Faute d’urgence démontrée et alors qu’aucun doute sérieux ne pèse sur la légalité des mesures en litige, la demande en référé est rejetée.

2 – Concernant la demande spécifique de suspension des dispositions de l’art. 5 du décret du 11 mars 2022, formulée par les centres Leclerc (SIPLEC), elle est fondée sur ce que la différence entre le prix qu'elles fixent et le prix du marché de gros de l'électricité est de nature à caractériser une atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers.

Cependant, alors que la fourniture d'électricité ne représente qu'une part limitée de son activité, qui n'est au demeurant tournée que vers les sociétés de son groupe, la requérante n’établit pas l'ampleur de cette atteinte au regard de l'ensemble de son activité.

Au reste, le manque à gagner invoqué, calculé par rapport à la situation où ce prix de rachat n'aurait pas été plafonné, ne s'analyse que comme une limitation apportée à l'avantage que constituerait pour un fournisseur qui en bénéficie la livraison d'un volume additionnel d'ARENH au prix de 46,20 euros fixé par un autre arrêté du 11 mars 2022, alors qu'au surplus un fournisseur n'est pas tenu de solliciter l'attribution de cet avantage et que celui-ci a vocation, comme il a été dit ci-dessus, à être répercuté sur son client.

Par suite, l’absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts financiers de la requérante n’est pas susceptible de justifier l'urgence qu'elle invoque, d’où le rejet du référé. 

(ord. réf. form. coll. 5 mai 2022, Fédération Chimie Energie FCE-CFDT et autres, n° 462841 ; Conseil de surveillance du Fonds Commun de Placement d'entreprise (FCPE) Actions EDF et autres, n° 463190 ; Société d'importation Leclerc (SIPLEC), n° 463411)

(67) V. aussi, rejetant pour défaut d'urgence la demande, notamment, de suspension de l'exécution d'une part, du décret n° 2022-342 du 11 mars 2022 définissant les modalités spécifiques d'attribution d'un volume additionnel d'électricité pouvant être alloué en 2022, à titre exceptionnel, dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) et, d'autre part, de l'arrêté du 11 mars 2022 fixant le volume global maximal d'électricité devant être cédé par Électricité de France au titre de l'ARENH, pris en application de l'article L. 336-2 du code de l'énergie : 17 mai 2022, Syndicat CFE-CGC Énergies Tricastin Provence, syndicat CFE-CGC des fonctions centrales d'électricité de France (EDF), syndicat Force Ouvrière d'EDF/CNPE de Gravelines, syndicat Force Ouvrière des fonctions centrales d'EDF, syndicat CGT du site EDF Flamanville et syndicat des ingénieurs, cadres, techniciens et agents de maîtrise des services centraux fonctionnels EDF et des organismes sociaux, n° 463531.

 

 68 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Conseil en investissements financiers (CIF) – Courtier en assurance et en réassurance - Commission d’infractions diverses – Sanctions – Rejet.

L’AMF a sanctionné la société requérante et l’un de ses gérants, également requérant, pour manquements à leurs obligations professionnelles : en premier lieu, pour manquement à l'obligation d'agir avec la compétence, le soin et la diligence qui s'imposent au mieux des intérêts des clients pour avoir fait souscrire à des clients non professionnels un produit n'ayant pas reçu d'autorisation de commercialisation en France ; en deuxième lieu, du fait de la réception par la société de fonds autres que ceux destinés à rémunérer son activité de CIF ; en troisième lieu, pour n’avoir pas respecté l'obligation d'agir avec loyauté et d'exercer son activité avec la diligence qui s'impose au mieux des intérêts de ses clients du fait d’avoir conseillé à des clients de conclure des contrats de prêt avec un établissement non habilité à recevoir des fonds remboursables du public.

La commission des sanctions de l’AMF a prononcé à l'encontre de la société Traditia un avertissement et, à l'encontre du gérant poursuivi, un avertissement et une sanction pécuniaire de 50 000 euros. Elle a en outre ordonné la publication de sa décision sur le site internet de l'AMF et fixé à cinq ans la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.

Les sanctionnés demandent au Conseil d’État, en vain, l’annulation de ces mesures.

Pour rejeter le recours, le juge retient tout d’abord que la décision de sanction est, contrairement aux allégations des demandeurs, régulière car les contrôles réalisés par les agents de l’AMF – auxquels ne s’applique pas le principe des droits de la défense – se sont déroulés sans déloyauté dans des conditions garantissant qu'il ne soit pas porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense des personnes auxquelles des griefs sont ensuite notifiés.

Le juge retient ensuite que la décision attaquée est fondée en ce qui concerne les manquements relevés par l’AMF sans que l’absence éventuelle de préjudice pour les clients concernés atténue en quelque façon la méconnaissance par cette société de ses obligations professionnelles et leur particulière gravité et alors même que, pour l’une des catégories d’infractions, il est invoqué l’existence d’un seul cas.

Enfin, il est jugé que les diverses sanctions infligées, pécuniaires et autres, n’ont aucun caractère disproportionné.

(16 mai 2022, Société Traditia et M. P. Le Gouz de Saint-Seine, n° 452191)

 

Droit social et action sociale

 

69 - Aide sociale au logement – Retour du bénéficiaire à meilleure fortune – Recouvrement du montant de l’aide par le département – Demande de restitution de la somme recouvrée par le département – Refus – Compétence du juge judiciaire pour connaître du litige – Désignation directe par le Conseil d’État de la juridiction judiciaire compétence.

Une personne handicapée avait perçu d'un département une aide au logement qu’elle a remboursée sur demande de ce dernier lorsqu’elle s’est retrouvée à meilleure fortune conformément aux dispositions du code de l’action sociale et des familles.

La fille de la bénéficiaire, Mme G., a demandé au département de lui restituer cette somme, ce qui lui a été refusé. Elle a saisi la juridiction administrative d’un recours en annulation de ce refus.

Le Conseil d’État, se fondant sur l’art. L. 134-3 du code précité, juge que les juridictions judiciaires sont seules compétente pour connaître de ce litige. Par ailleurs, mettant en œuvre, s’agissant d’un contentieux relatif à l’admission à l’aide sociale,  les dispositions du premier alinéa de l'article 32 du décret du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, le Conseil d’État renvoie les parties directement devant le tribunal judiciaire de Versailles compte tenu des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale.

(2 mai 2022, M. G. tuteur de Mme G., n° 450154)

 

70 - Aide sociale à l’hébergement aux personnes âgées – Refus de cette aide par un département – Compétence juridictionnelle pour connaître du litige né de ce refus – Participation des bénéficiaires, dans la limite d’un plafond, aux frais de leur hébergement – Rejet.

Le litige est né de la décision d’un président de conseil départemental de refuser à une personne le bénéfice de l'aide sociale à l'hébergement aux personnes âgées. L’association requérante se pourvoit contre le jugement rejetant sa demande d’annulation de ce refus. Le pourvoi est rejeté.

Examinant les éléments du litige, le juge de cassation est amené à apporter deux précisions importantes sur le régime juridique de la contribution des bénéficiaires et de leurs débiteurs alimentaires aux frais engendrés par leur prise en charge.

En premier lieu est réglée une complexe question de compétence juridictionnelle née de l’imbrication des dispositions des art. L. 132-7, L. 134-1 et L. 134-3 du code de l’action sociale et des familles.

De première part, le juge administratif, du fait qu’il est compétent pour déterminer dans quelle mesure les frais d'hébergement dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes sont pris en charge par les collectivités publiques au titre de l'aide sociale, est nécessairement compétent pour fixer, au préalable, le montant de la participation aux dépenses laissée à la charge du bénéficiaire de l'aide sociale et, le cas échéant, de ses débiteurs alimentaires.

De seconde part, seul le juge judiciaire est compétent pour assigner à chacune des personnes tenues à l'obligation alimentaire le montant et la date d'exigibilité de leur participation à ces dépenses ou, le cas échéant, pour décharger le débiteur de tout ou partie de la dette alimentaire lorsque le créancier a manqué gravement à ses obligations envers celui-ci. Lorsque le juge judiciaire a, par une décision devenue définitive, statué avant que le juge administratif ne se prononce sur le montant de la participation des obligés alimentaires, ce dernier est lié par cette décision.

Pour la période antérieure à la date à laquelle la décision de l'autorité judiciaire contraint les obligés alimentaires à verser une participation, c’est au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, qu’il revient de s'assurer qu'il ne résulte pas manifestement des circonstances de fait existant à la date à laquelle il statue que la contribution postulée par le département n'a pas été ou ne sera pas versée spontanément par les obligés alimentaires.

En second lieu, devait être précisée la règle posée par les art. L. 132-3 et L. 132-4 du code précité selon laquelle les personnes âgées hébergées en établissement et prises en charge au titre de l'aide sociale doivent pouvoir disposer librement de 10 % de leurs ressources sans que la somme ainsi laissée à leur disposition ne puisse être inférieure à 1 % du montant annuel des prestations minimales de vieillesse. Le Conseil d’État estime que ces dispositions doivent être interprétées comme devant permettre à ces personnes de subvenir aux dépenses qui sont mises à leur charge par la loi et sont exclusives de tout choix de gestion ce qui implique nécessairement que la contribution de 90 % prévue à l'article L. 132-3 du code précité doit être appliquée sur une assiette de ressources diminuée de ces dépenses. 

Dès lors que le tribunal administratif a statué en ce sens le recours de l’association demanderesse est rejeté.

(12 mai 2022, Association tutélaire du Pas-de-Calais, n° 454403)

 

71 - Aide sociale aux personnes handicapées - Recouvrement de cette aide par un département - Personne handicapée revenue à meilleure fortune - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Transmission au tribunal judiciaire de Versailles (cf. art. 32, al. 1, décr. 27 février 2015).

 Le département des Yvelines a émis, le 20 juin 2014, un avis de sommes à payer en recouvrement du montant de l'aide sociale versée au titre des frais d'hébergement et d'entretien de Mme H. D., personne handicapée, entre le 27 septembre 2006 et le 31 décembre 2013, à la suite du retour à meilleure fortune de cette dernière.

Il a été demandé au département l'annulation de cette décision et à ce que cette somme soit restituée à l'intéressée.

Le président du conseil départemental des Yvelines a rejeté cette demande.

Saisi par l'intéressée, le tribunal administratif a annulé ce refus et enjoint au département de lui rembourser cette somme.

Le département des Yvelines conteste ce jugement devant le Conseil d'État.

Relevant d'office le moyen, celui-ci estime, d'une part, que la décision de refus litigieuse résultant de l'application de l'article L. 132-8 du code de l'action sociale et des familles elle ressortit à la compétence du juge judiciaire, et d'autre part, qu'est sans incidence sur cette compétence la circonstance que le dernier alinéa de l'article L. 344-5 du même code prévoit que les sommes versées au titre des frais d'hébergement et d'entretien des personnes handicapées « ne font pas l'objet d'un recouvrement à l'encontre du bénéficiaire lorsque celui-ci est revenu à meilleure fortune ».

Par application de l'article 32, al. 1, du décret du 27 février 2015 ainsi que des dispositions combinées de l'article L. 211-16 du code de l'organisation judiciaire, du tableau VIII-III annexé à ce code et du 9° de l'article R. 142-10 du code de la sécurité sociale, l'affaire est directement renvoyée au tribunal judiciaire de Versailles.

(2 mai 2022, Département des Yvelines, n° 450154)

 

Élections et financement de la vie politique

 

72 - Élection de conseillers départementaux – Différences entre les signatures de certains électeurs entre les deux tours – Annulation des votes litigieux – Office du juge de l’élection – Annulation hypothétique du nombre de voix de chaque binôme de candidats – Confirmation de l’annulation des résultats du second tour de scrutin et, par voie de conséquence et d’office, de ceux du premier tour.

La différence entre les paraphes ou signatures apposés sur le registre des émargements par les mêmes électeurs entre les deux tours de scrutin en vue de la désignation des conseillers départementaux dans le canton n° 4 d’Amiens conduit le juge à annuler six suffrages.

Il est donc procédé au calcul des résultats par retranchement hypothétique de ces suffrages à chacun des binômes en présence, d’où il résulte en l’espèce que ce nombre étant supérieur à l'écart de deux voix qui sépare le nombre de voix obtenues par ce binôme et celui d’un autre binôme, le second tour de scrutin dans cette circonscription électorale doit être annulé ce qui entraîne d’office l’annulation des opérations électorales du premier tour.

(19 mai 2022, M. B. et Mme I., Él. cantonales d’Amiens, n° 460491)

 

73 - Élections au conseil régional - Critique de la neutralité du président d'un bureau de vote - Demande de sanction pénale à son encontre - Incompétence - Annulation.

Parmi les demandes contenues dans sa protestation électorale tendant à l'annulation du scrutin s'étant déroulé en vue du renouvellement général du conseil régional de Bretagne, le protestataire demandait l'infliction d'une sanction pénale à l'encontre du président d'un bureau de vote.

Le rejet était d'évidence en raison de l'incompétence de l'ordre administratif de juridiction en matière pénale.

(31 mai 2022, M. B., Élections au conseil régional de Bretagne, n° 454309)

(74) V. aussi, sur ces mêmes élections, confirmant la sanction de dix-huit mois d'inéligibilité en l'absence de dépôt d'un compte campagne : 31 mai 2022, Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques c/ M. B., n° 459536.

 

Environnement

 

75 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

V. n° 126

 

76 - Programmation pluriannuelle de l’énergie – Énergie nucléaire – Prolongation de la durée d’exploitation de réacteurs nucléaires – Notion (décret du 21 avril 2020) – Légalité du rapport annexé à ce décret – Principe d’impartialité en matière environnementale (art. 6 directive du 27 juin 2001) – Rejet.

Bien que présentant des questions distinctes, les deux séries de requêtes jointes ici ont pour objet de contester la juridicité du décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie, la première en tant que ce texte décide la prolongation de l'exploitation des réacteurs nucléaires français au-delà de leur quatrième visite décennale, la seconde en demandant l’annulation de l’entier décret.

Les recours sont rejetés.

Sur la prolongation de la durée d’exploitation des réacteurs actuellement existants, le Conseil d’État relève  d’abord que si le rapport annexé au décret attaqué pose un principe général de mise à l'arrêt des réacteurs du parc nucléaire français à l'échéance de leur cinquième visite décennale, cette orientation n'a, par elle-même, ni pour objet ni pour effet d'autoriser la prolongation de l'exploitation des réacteurs en cause au-delà de leur quatrième visite décennale, une telle prolongation étant soumise à l'autorisation de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions prévues notamment au dernier alinéa de l'article L. 593-19 du code de l'environnement.

C’est pourquoi sont rejetés les moyens d'irrégularité et d'erreur de droit tirés de ce que cette orientation, fixée par le rapport annexé au décret attaqué, révèlerait un projet au sens de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui aurait dû faire l'objet, pour chacun des réacteurs concernés, d'une évaluation environnementale conforme aux exigences posées par la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, d'une évaluation d'incidences conforme aux exigences posées par la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages et d'une procédure d'information et de participation du public conforme aux exigences posées par la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

Le raisonnement tourne au sophisme car l’on voit mal pourquoi il serait besoin de prévoir une cinquième visite décennale si les réacteurs devaient avoir cessé de fonctionner à cette date et, mettre en avant la nécessité d’une autorisation - préalable à la prolongation - de l’Autorité de sûreté nucléaire : c’est faire bon marché de la réalité sociologique, politique et lobbyiste de prise des décisions de cette importance.

Ensuite il est jugé que c’est sans irrégularité que le rapport annexé au décret attaqué ne donne pas d'indications quant aux ressources publiques mobilisées pour le soutien à la filière nucléaire, contrairement à ce qui y est mentionné s'agissant des énergies renouvelables. Le juge estime qu’il ressort des pièces du dossier que ce rapport consacre un développement détaillé aux coûts de production de l'électricité nucléaire à la charge des exploitants et qu'à la différence du secteur des énergies renouvelables, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne prévoit pas d'affecter des ressources publiques à l'atteinte des objectifs qu'elle fixe en matière d'électricité nucléaire, leur financement relevant en principe de l'exploitant des centrales.
Egalement, le rapport annexé au décret attaqué n’est pas entaché d'une erreur de fait en ce qu'il indique que des investissements lourds seraient nécessaires pour permettre la poursuite de l'exploitation des réacteurs nucléaires au-delà de leur cinquième visite décennale parce que, selon le juge, une telle indication n'implique nullement que de tels investissements ne seront pas nécessaires à l'issue de la quatrième visite décennale de ces réacteurs. On a envie de se demander : « Et alors ? ».
Enfin, le rapport litigieux n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation du fait qu’il ignorerait les problèmes de sûreté que présente le parc nucléaire français actuellement car les textes prévoient (art. L. 593-20 à L. 593-23 et L. 593-1 c. env.) que l'autorité compétente peut, à tout moment, décider d'édicter des prescriptions, de suspendre le fonctionnement ou d'ordonner la mise à l'arrêt d'une installation nucléaire de base en cas de risque ou de menace pour certains intérêts.

Sur l’ensemble du décret, les critiques sur son défaut de complétude sont rejetées car les éléments pertinents figurent sur le site internet du ministère chargé de l’écologie et ce mode de publicité ne méconnaît pas l’exigence que ces éléments soient « fixés par décret ».

Semblablement, et contrairement à ce qui est soutenu, la procédure suivie et organisée en France en la matière n’est pas contraire aux prescriptions de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, du moins dans l’interprétation qui lui est donnée par la CJUE (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10), s'agissant du principe de séparation fonctionnelle et effective entre l'autorité publique compétente pour élaborer et adopter un plan ou un programme et l’autorité chargée de la consultation en matière environnementale.

Également, ne constituent des irrégularités ni la circonstance que les hypothèses de coûts financiers de certaines filières n’ont pas été notifiées à la Commission européenne car, à ce stade, ce ne sont que des prévisions, ni celle qu’en raison des critiques formulées par l’Autorité environnementale dans son avis le décret subséquent serait illégal, celui-ci ne faisant l’objet de la part du juge que d’un contrôle de la seule erreur manifeste d’appréciation, ni une prétendue obsolescence des scenarii macro-économiques sur lesquels s’appuie la programmation pluriannuelle de l’énergie du fait de la crise née de l’épidémie de Covid-19 car cette obsolescence n’est pas établie par les auteurs du recours n° 441382.

Enfin, le décret n’est entaché ni d’une erreur de droit ni d’une erreur manifeste d’appréciation en ce que le rapport qui lui est annexé prévoit, afin d'atteindre l'objectif de 50 % de la production d'électricité d'origine nucléaire d'ici 2035, de mettre à l'arrêt quatorze réacteurs nucléaires, dont ceux de la centrale de Fessenheim car il est précisé qu'il s'agit d'une orientation dont les modalités de mise en œuvre devront être décidées de concert avec la société Électricité de France. Par suite, ce passage du rapport n’empiète pas sur les prérogatives reconnues à l'exploitant par l'article L. 311-5-7 du code de l'énergie, le plan stratégique que cet article impose à ce dernier d'établir ayant précisément pour objet de traduire les orientations fixées dans la programmation pluriannuelle de l'énergie ; ce rapport  ne décide pas davantage la mise à l'arrêt des réacteurs en cause, une telle mise à l'arrêt ne pouvant être mise en œuvre que dans les conditions prévues par l'article L. 593-26 du code de l'environnement.

Ces questions sont irritantes et les réponses qui y sont données frustrantes tant il est clair que l’ensemble des techniques, modalités et organismes censés donner au public toute garantie d’impartialité et de fiabilité sont profondément entachés par l’entre-soi dominant au sein de l’appareil d’État avec des personnes de formation identique ou voisine, respirant le même « air » culturel, défendant le même système d’intérêts sur ce qui serait « bon pour la France ». Il est à craindre que quels que soient les éminents mérites des personnes, celles-ci finissent par pécher non par manque d’honnêteté mais du fait de leur aveuglement né du partage, sans distanciation et sans remises en cause, des connaissances et des savoirs devenus, hélas, des certitudes infrangibles or, il faut le rappeler, il n’y a pas de rapport entre la raison et la vérité ou encore, sur un tout autre plan, entre la Vernunft et la Verstand pour reprendre la célèbre distinction de Kant, systématisée par Hegel.

Pas davantage la cohérence de choix eux-mêmes rationnels n’est gage de quoi que ce soit.

(16 mai 2022, Associations Réseau « Sortir du nucléaire » et Greenpeace France, n° 441351 ; Association Fédération environnement durable et autres, n° 441382, jonction)

 

77 - Contrôle technique des véhicules motorisés à deux et trois roues et quadricycles à moteur – Fixation de la date d’entrée en vigueur de ce contrôle et prise de mesures transitoires – Notion de mesures alternatives de sécurité routière – Report de date d’entrée en vigueur méconnaissant l’obligation de transposition d’une directive européenne – Suspension du report de date ordonnée.

Les requérantes contestaient la légalité du décret du 9 août 2021 en tant qu’il repousse du 1er octobre 2022 au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L (véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur) et qu'il prévoit des dispositions transitoires et ils en demandaient donc l’immédiate suspension.

Il convient de rappeler que l’instauration de ce contrôle a un double but, de sécurité routière et de protection de la santé respiratoire et auditive des individus.

Le juge des référés du Conseil d’État donne satisfaction aux requérantes après avoir observé que le délai de transposition de la directive 2014/45 du 3 avril 2014 du Parlement européen et du Conseil relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques est expiré depuis le 20 mai 2017 et que la directive fixe une date d'application au 1er janvier 2022 et que l’intérêt qui s'attache à ce qu'il soit mis fin immédiatement à une atteinte aux droits conférés par l'ordre juridique de l'Union européenne est au nombre des intérêts publics qui doivent être pris en considération par le juge des référés dans le cadre de son office.

En l’espèce, il est relevé qu’à l’audience de référé le Gouvernement a annoncé son intention de ne pas appliquer ce texte y compris au 1er janvier 2023 alors qu’il a disposé, depuis le 1er janvier 2022, du temps nécessaire à la mise en place et à l’agrément des centres techniques de contrôle nécessaires. Par suite, d’une part, il y a urgence à statuer en tant que le décret contesté reporte au-delà du 1er octobre 2022, l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3 et, d’autre part, ce report lui-même, même si une notification a été adressée par le Gouvernement français à la Commission européenne, méconnaît l’obligation de transposer la directive précitée ce qui fait naître un doute sérieux sur la juridicité de ce report. 

En ordonnant la suspension du décret litigieux en tant qu’il reporte au-delà du 1er octobre 2022 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3, le juge des référés impose par là-même au pouvoir exécutif de décider cette entrée en vigueur à cette date du 1er octobre 2022.

(17 mai 2022, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 462679)

 

78 - Non-opposition à déclaration portant sur le rejet d'eaux pluviales - Opération ayant la nature de projet d'aménagement - Assiette du projet excédant dix hectares - Obligation impérative d'une évaluation environnementale - Absence - Suspension ordonnée de l'exécution de la non-opposition.

Le Conseil d'État ordonne que soit suspendue la non opposition à une déclaration de rejet d'eaux pluviales en raison des caractéristiques de l'opération qui constitue un projet d'aménagement sur un espace de plus de 19 hectares sur lequel sont prévues  la création de jardins destinés à accueillir 300 000 visiteurs par an et la construction de divers bâtiments, comprenant notamment un aquarium, une géode, un bâtiment administratif, un restaurant, un pavillon des vins, des équipements d'accueil et des sanitaires, ainsi que des voies d'accès et des terrassements sur l'ensemble du terrain d'assiette.

En effet, il résulte de la rubrique 39 b) de l'annexe à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que cette opération devait être soumise à une évaluation environnementale systématique, laquelle n'a pas eu lieu en l'espèce.

(25 mai 2022, Association France Nature Environnement Languedoc-Roussillon, n° 447898)

 

État-civil et nationalité

 

79 - Procédure de naturalisation – Non-déclaration de la situation matrimoniale du pétitionnaire – Caractère nécessairement frauduleux des déclarations souscrites à l’appui de la demande de naturalisation – Régularité du retrait rétroactif du décret de naturalisation – Rejet.

C’est sans illégalité qu’est rapporté un décret de naturalisation par le motif que son bénéficiaire n’a pas déclaré l’union matrimoniale qu’il contractait dans un pays étranger avec une ressortissante étrangère durant la procédure de naturalisation sans que la circonstance qu’il a lui-même avisé les services concernés de l’existence de cette union mais postérieurement à l’édiction du décret de naturalisation, ait d’incidence sur le caractère frauduleux de l’omission.

(12 mai 2022, M. B., n° 455913)

 

Étrangers

 

80 - Demande de titre de séjour – Demande formulée après expiration du délai pour le renouvellement du titre antérieur – Demande constituant une première demande d’un nouveau titre de séjour – Rejet.

Rappel de ce que le titulaire d’un titre de séjour qui doit en solliciter le renouvellement dans un certain délai et ne le fait qu’après expiration dudit délai doit être regardé non comme sollicitant un renouvellement de ce titre mais comme étant l‘auteur d’une première demande d’un nouveau titre de séjour.

(12 mai 2022, M. A., n° 461894)

 

Fonction publique et agents publics

 

81 - Nouvelle bonification indiciaire – Conditions d’attribution – Bonification liée non au corps ou au grade mais à l’emploi – Obligation d’abroger un texte illégal ab initio ou postérieurement à son édiction – Annulation.

Le recours portait sur le refus implicite du premier ministre d’abroger l'article 1er du décret n° 91-1067 du 14 octobre 1991 portant attribution de la nouvelle bonification indiciaire à certains personnels du ministère de l'équipement, du logement, des transports et de l'espace, en ce qu’il exclut du bénéfice de cette bonification des fonctionnaires en raison de leur appartenance à un corps.

Le Conseil d’État rappelle l’obligation résultant du principe devenu ensuite règle que l'autorité administrative compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date.

En l’espèce, le décret litigieux excluait du bénéfice de la bonification indiciaire qu’il instituait la catégorie des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement, devenue par la suite la catégorie des ingénieurs des ponts et chaussées et des fonctionnaires des corps techniques de l'équipement. Or la loi du 18 juillet 1991, créant cette bonification, rattache ladite bonification, dans le I de son art. 27, à « certains emplois comportant une responsabilité ou une technicité particulières (…) » sans aucune référence au corps d’appartenance ou au grade du fonctionnaire.

Le décret attaqué est donc entaché d’illégalité tout comme le refus primo-ministériel de l’abroger, d’où leurs annulations.

(5 mai 2022, M. B., n° 452347)

 

82 - Personnel des chambres de commerce et d’industrie (CCI) – Agent titulaire – Licenciement par suppression d’emploi – Indemnité proportionnelle à l’ancienneté - Années de fonction prises en compte pour le calcul de l’indemnité – Rejet.

La requérante, agent titulaire d’une chambre de commerce et d’industrie, a été licenciée par suppression de l’emploi qu’elle occupait. Elle a contesté le calcul du montant de l’indemnité versée pour son licenciement et calculée en proportion de ses années d’ancienneté.

Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a jugé que ne pouvaient être prises en compte au titre de l’ancienneté de services que les années accomplies dans des emplois définis à l'article 1er du statut du personnel des CCI annexé à l’arrêté du 25 juillet 1997, à savoir des emplois répondant à un besoin permanent, exercés pour une quotité de service d'au moins 50%, et sans que les intéressés exercent aucune autre activité professionnelle rémunérée ou non.

La cour a, en conséquence jugé que les années de service accomplies en tant qu'agent contractuel ou vacataire de droit public ne pouvaient être prises en compte que pour autant que l'intéressé avait occupé des emplois répondant cumulativement aux trois critères ci-dessus.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État faisant sien le raisonnement de la cour administrative d’appel.

(5 mai 2022, Mme A., n° 455181)

 

83 - Agents hospitaliers - Vaccination obligatoire contre le Covid-19 – Décision de suspendre de ses fonctions et de son traitement un agent non vacciné – Agent en congé pour maladie – Mesures ne pouvant prendre effet qu’au retour de l’agent dudit congé – Annulation.

Le contentieux des mesures prises envers les agents hospitaliers refusant d’être vaccinés contre le Covid-19 ou ne l’étant pas est devenu envahissant (cf. cette Chronique, Avril 2022, n° 146 et la vingtaine de décisions qui y sont recensées).

Il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que la suspension de ces agents de leurs fonctions ainsi que du traitement afférent est en principe légale et justifiée.

Cependant, lorsque l’agent est, au moment où elles sont prononcées, en congé pour maladie, maternité ou autre, ces mesures ne sont légales que si elles interviennent au retour de congé de l’agent.

En revanche, comme c’est le cas de la présente espèce, ces mesures sont illégales lorsqu’elles sont appliquées pendant la période de congé.

(ord. réf. 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459011)

(84) V. aussi, très semblables : 11 mai 2022, Centre hospitalier de l'agglomération montargoise, n° 459012 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 458892 ; 31 mai 2022, M. A., n° 459840 ; 31 mai 2022, Mme B., n° 460158.

(85) V. également diverses décisions en matière de suspension des fonctions d'agents hospitaliers pour non ou incomplète vaccination contre le Covid-19 : 31 mai, Mme B., n° 458261 ; Mme B., n° 458212 ; Mme A., n° 457984 ; Mme A., n° 457879 ; Mme B., n° 458892 ; Mme A., n° 459085 ; Mme A., n° 459305 ; Mme A., n° 459369.

 

86 - Obligation pour l’administration d’assurer la sécurité et la protection de la santé physique et morale de ses agents – Devoir de proposition d’aménagement ou de modification des conditions et/ou des postes de travail pour les agents concernés – Compétence exclusive du service de médecine préventive – Qualification inexacte des faits – Annulation et renvoi.

Est annulé pour avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce, le jugement d’un tribunal administratif qui, pour rejeter le recours de l’intéressé contre son employeur public pour n’avoir pas suivi les préconisations du médecin de travail à son égard, se fonde sur les constatations d’un infirmier  auteur d’une attestation de suivi alors que celles-ci, d’évidence, ne sauraient remettre en cause les propositions d'aménagements de poste de travail ou de conditions d'exercice des fonctions émises par le médecin conformément aux dispositions des art. 2-1, 11 et 24 du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive de la fonction publique territoriale.

Cette solution est la confirmation de la décision du 30 décembre 2011, Patrick Renard, n° 330959.

(12 mai 2022, M. B., n° 438121)

 

87 - Fixation du contingent d’heures de décharge d’activité attribuées à chaque syndicat professionnel – Agents employés par un syndicat mixte – Syndicat ne pouvant être affilié qu’à titre facultatif à un centre de gestion départemental – Obligation pour ce centre de gestion de calculer et répartir le contingent d’heures de décharge en tenant compte des syndicats mixtes qui lui sont affiliés même à titre facultatif – Rejet.

La solution retenue ici est la confirmation de celle adoptée par la cour administrative d’appel.

La circonstance que l’affiliation des syndicats mixtes composés exclusivement de  collectivités territoriales et de leurs établissements publics administratifs auprès des centres départementaux de gestion est purement facultative ne dispense pas un centre de gestion de tenir compte des agents des syndicats mixtes qui lui sont affiliés  - même s'ils le sont à titre facultatif - pour calculer la répartition de l’enveloppe globale du contingent d’heures de décharge de service entre les agents inscrits sur la liste électorale du comité technique placé auprès de lui.

(12 mai 2022, Syndicat CFDT Interco 67 et Fédération Interco CFDT, n° 442675)

 

88 - Enseignant de l’enseignement supérieur – Sanction disciplinaire – Comportement inapproprié envers des étudiants étrangers et des étudiantes – Suspension en référé – Annulation – Suspension ordonnée pour d’autres motifs – Rejet.

Un enseignant de l’école supérieure d’art de Nice fait l’objet, à titre de sanction disciplinaire pour comportements inappropriés tant à l’égard d’étudiants étrangers que d’étudiantes, d’une mesure de suspension de ses fonctions pour deux années, assortie d’un sursis d’une année. Sur requête de l’agent, le juge des référés a suspendu cette sanction en tant qu'elle lui interdit de percevoir une rémunération et d'acquérir des droits à l'avancement, aux congés et à la retraite.

Le ministre de la culture se pourvoit en cassation contre l’ordonnance de référé.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au double motif que le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en jugeant d’une part qu’était de nature à créer un doute sérieux la circonstance que la décision reposait sur des faits non établis et d’autre part que la sanction retenue était entachée d’une erreur d’appréciation.

Puis, réglant l’affaire au fond (par application de l'art. L. 821-2 CJA), le juge de cassation relève tout d’abord que la privation de traitement de l’intéressé est de nature à bouleverser ses conditions d’existence et constitue une situation d’urgence justifiant l’engagement d’une procédure de référé suspension. Il juge ensuite que crée un doute sérieux sur la légalité de la sanction la non-communication à l’agent de la totalité des procès-verbaux d'auditions des personnes entendues par l'inspection générale des affaires culturelles au cours de l’enquête visant les faits reprochés à l'intéressé sauf, le cas échéant, s’agissant de procès-verbaux dont la communication serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné.

Il est donc fait droit aux conclusions que l’agent sanctionné a présentées en première instance.

(ord. réf. 19 mai 2022, ministre de la culture, n° 448273)

 

89 - Accords collectifs dans la fonction publique – Modalités de négociation et de conclusion – Intervention du comité de suivi des mesures – Faculté de demande d’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord réservée aux syndicats signataires de l’accord – Illégalité – Annulation partielle.

Les requérantes demandaient l’annulation des articles 5, 8 et 10 du décret n° 2021-904 du 7 juillet 2021 relatif aux modalités de la négociation et de la conclusion des accords collectifs dans la fonction publique.

Tout d’abord, sont rejetées les demandes dirigées contre l’art. 5, cette disposition n’ayant ni pour objet ni pour effet d’attribuer au comité de suivi des pouvoirs excédant le seul suivi de la mise en œuvre de l’accord, et contre l’art. 10, ce dernier résultant des dispositions mêmes de l’art. 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et ces dispositions ayant été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (déc.n° 2021-956 QPC, 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État - CGT et autres).

Ensuite, et en revanche, est annulée la partie de l’art. 8 décidant que la faculté de demander l’ouverture d’une négociation en vue de la révision d’un accord est réservée aux seules organisations signataires de l’accord car cette condition ajoute à la loi.

(19 mai 2022, Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT), Fédération CGT des services publics, Confédération générale du travail (CGT), Fédération syndicale unitaire (FSU), Fédération CGT de l'action sociale et de la santé et Union syndicale Solidaires Fonction Publique, n° 456425)

 

90 - Intégration dans des corps de la fonction publique de l’État d’agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice – Abstention du premier ministre de prendre le décret d’application de la loi du 7 janvier 1983 et du décret du 3 mai 1988 – Inexécution d’une décision d’annulation rendue par le Conseil d’État et assortie d’une injonction – Absence de réponse du pouvoir exécutif à la section du rapport et des études du Conseil d’État – Demande de nouvelle injonction d’octroi d’une indemnité – Ouverture d’une procédure juridictionnelle pour inexécution d’une décision de justice (cf. art. L. 911-5 CJA) – Irrecevabilité.

« Tout çà pour çà ? », « Finir en eau de boudin » ou « Beaucoup de bruit pour rien (ou, pour les puristes Much ado about nothing) » pourraient être quelques-unes des épitaphes de cette désolante décision.

Par une décision du 13 février 2020, le Conseil d’État a annulé la décision implicite par laquelle le premier ministre a refusé de prendre le décret prévu à l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État et à l'article 8 du décret du 3 mai 1988 fixant les conditions d'intégration dans des corps de la fonction publique de l'État d'agents des collectivités territoriales affectés au service public de la justice et enjoint au premier ministre de prendre ce décret dans un délai de six mois à compter de la notification de sa décision.

C’était déjà remarquable d’insignifiance que de traiter avec tant de mansuétude un retard qui, selon les cas, durait depuis 37 ans et depuis 32 ans.

À une requérante qui l’a saisi en mai 2021 d’un recours en vue d’assurer l’exécution de sa propre décision, inexécutée depuis plus de neuf mois après l’expiration du délai imparti pour cette exécution, le Conseil d’État répond que par une ordonnance du 14 novembre 2021, donc elle-même intervenue plus de six mois après sa saisine, le gouvernement ayant, par le 37° du I de l’art. 3 de celle-ci, abrogé à compter du 1er mars 2022 les troisième à sixième alinéas de l'article 87 de la loi du 7 janvier 1983, il s’ensuit que le gouvernement ne dispose plus de base légale pour adopter le décret prévu par ce dernier article et, en application de celui-ci, par le décret du 3 mai 1988. 

D’évidence, la demande de la requérante n’était pas irrecevable au moment où elle a saisi le juge administratif, elle ne pouvait donc pas être déclarée irrecevable comme cela est décidé ici alors qu'il s'agit d'un contentieux de l'annulation non de la pleine juridiction.

Ainsi, demeure sans sanction aucune un comportement gouvernemental digne des gamineries d’une cour de récréation.

Encore une déception infligée au Huron par le Palais-Royal.

(19 mai 2022, Mme A., n° 457932)

 

91 - Enseignement supérieur - Concours de recrutement en qualité de professeur des universités – Contestation des résultats - Absence d’inscription de la requérante sur la liste des candidats à l’expiration de la date de clôture des inscriptions – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable le recours formé contre un concours de recrutement aux fonctions de professeur d’université par une personne qui, à la date de clôture des inscriptions à ce concours, n’y était pas candidate.

(18 mai 2022, Mme D., n° 433164)

(92) V. aussi : 19 mai 2022, Mme D., n° 444662.

 

93 - Enseignement supérieur - Nomination en qualité de professeur des écoles nationales supérieures d'architecture - Refus implicite - Annulation avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

Est annulé le refus implicite du président de la République de nommer le requérant dans le grade de professeur de 2ème classe des écoles nationales supérieures d'architecture alors :

- d'une part, qu'il remplissait les conditions prévues par l'article 47 du décret du 15 février 2018 et qu'il a été classé premier du concours organisé en 2020 pour le recrutement d'un professeur des écoles nationales supérieures d'architecture dans la discipline « Théories et pratiques de la conception architecturale et urbaine (TPCAU) » au sein de l'École nationale supérieure d'architecture de Saint-Etienne ;

- d'autre part, que contrairement à ce que soutiennent les ministres de la culture et de l'enseignement supérieur, le requérant n'a pas participé à la procédure de recrutement aux postes de professeur auxquels il a été candidat et n'a pas bénéficié d'informations qui lui auraient conféré des avantages sur les autres candidats ;

- enfin, que l'administration n'invoque aucun autre motif susceptible de faire obstacle à la nomination de l'intéressé.

Le président de la République avait donc compétence liée et devait procéder à la nomination de l'intréressé en qualité de professeur. Son refus implicite de le faire est annulé avec injonction de procéder à cette nomination au 1er septembre 2020.

(20 mai 2022, M. C., n° 457501)

 

94 - Fonctionnaire de police - Reconstitution de carrière - Rappels de traitements subséquents - Opposition de la prescription quadriennale - Rejet.

La demanderesse, fonctionnaire de police, a obtenu, par décision du 30 mai 2017, le bénéfice de l'avantage spécifique d'ancienneté au titre de ses différentes fonctions exercées depuis le 1er septembre 1997. En conséquence devaient lui être versés des rappels de traitement ; toutefois, le préfet délégué pour la défense et la sécurité de la zone Sud-Est a opposé la prescription quadriennale aux rappels de traitement qui devaient être versés à l'intéressée à la suite de la reconstitution de sa carrière ayant tenu compte de cet avantage.

Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif du rejet de sa requête tendant à l'annulation de l'opposition de la prescription quadriennale.

Pour rejeter le pourvoi, le juge retient que la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les créances dont se prévalait la demanderesse au titre des rémunérations supplémentaires résultant de l'octroi de l'avantage spécifique étaient susceptibles de se voir opposer la prescription quadriennale. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que les faits générateurs des créances détenues par la requérante au titre de cette reconstitution de sa carrière étaient constitués par les services qu'elle avait effectués et sur lesquels portait cette reconstitution de carrière. Enfin, c'est par une appréciation souveraine des faits dénuée de dénaturation que la cour a estimé que la requérante ne pouvait pas prétendre ignorer jusqu'en 2016 l'existence de ses créances sur l'État.

(25 mai 2022, Mme B., n° 438596)

(95) V. aussi, identique : 25 mai 2022, M. B., n° 438597.

 

96 - Enseignant de collège - Relation sentimentale avec une mineure - Révocation - Sanction hors de proportion avec les éléments figurant au dossier - Confirmation de l'arrêt d'appel - Rejet.

Une cour administrtative d'appel est approuvée par le Conseil d'Etat pour avoir jugé hors de proportion avec les éléments figurant au dossier de l'intéressé la sanction de la révocation dont il a fait l'objet.

Le Conseil d'Etat opère une balance entre les faits reprochés et le dossier global de l'enseignant.

D'une part, le juge retient qu'il est reproché à celui-ci d'avoir noué une relation sentimentale avec une de ses élèves de classe de troisième alors âgée de quinze ans et de l'avoir embrassée et caressée sur le bras. Il a été condamné pour ces faits, sous la qualification pénale délictuelle d'atteintes sexuelles sur mineure de quinze ans par personne ayant autorité, à une peine, homologuée par une ordonnance judiciaire dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité, d'emprisonnement de quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant dix-huit mois, non assortie de la peine complémentaire d'interdiction d'exercice d'une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

D'autre part, le juge relève également, dans une rédaction très circonstanciée, que c'est à bon droit que la cour a, pour juger disproportionnée la sanction de la révocation, considéré « la nature des agissements en cause, la procédure pénale choisie par le Procureur de la République, la qualification pénale retenue, le quantum de la peine d'emprisonnement infligée, l'absence de prononcé d'une peine complémentaire, le contexte dans lequel ces faits, isolés, ont été commis, la conscience de l'intéressé de l'anormalité de son comportement, l'absence de structure pathologique de sa personnalité et de manifestation perverse ou déviante constatée par l'expertise psychiatrique et sa manière de servir durant l'ensemble de sa carrière, également mise en évidence par la commission de recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'Etat ».

C'est donc sans dénaturation des pièces du dossier, erreur de droit ou de qualification qu'a éré rendu cet arrêt, ce qui conduit au rejet du pourvoi du ministre.

(30 mai 2022, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 449582)

 

97 - Praticien hospitalier - Suspension de ses fonctions - Utilisation des moyens du service pour ses propres activités - Détérioration du climat et perturbation du fonctionnement du service - Rejet.

La ministre de la santé n'a pas pris une décision illégale en suspendant de ses fonctions un praticien hospitalier motif pris de ce que l'utilisation par ce praticien de moyens du service pour ses activités personnelles a déclenché un conflit grave détériorant le climat du service et en perturbant le fonctionnement sans que puisse faire obstacle à la légalité de cette mesure les inconvénients en résultant pour les patients suivis par l'intéressé.

(31 mai 2022, M. B., n° 439415)

 

Libertés fondamentales

 

98 - Ressortissant syrien – Demande d’octroi de la protection subsidiaire – Refus d’octroi insuffisamment motivé – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile a refusé à un ressortissant syrien le bénéfice de la protection subsidiaire qu’il sollicitait à défaut d’obtenir celui de l’asile politique. L’intéressé saisit le Conseil d’État d’un pourvoi, ce dernier l’accueille positivement.

Pour ce juger, il relève que pour solliciter son admission au bénéfice de l'asile, le requérant soutenait craindre d'être persécuté en cas de retour dans son pays d'origine en raison de l'aide qu'il a apportée à des familles d'opposants syriens à Damas en les approvisionnant en gaz et de ce qu'arrêté lors d'une livraison, il aurait été placé en détention et aurait subi des mauvais traitements. Or la Cour, sans même se prononcer sur le degré de violence existant en Syrie, s’est bornée à rejeter cette demande au moyen d’une formule stéréotypée notant que ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites à l'audience ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués et de fonder les craintes énoncées au regard de l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La décision de rejet est annulée pour son insuffisance de motivation et le renvoi de l'affaire est ordonné devant cette Cour.

(3 mai 2022, M. B., n° 449396)

 

99 - Liberté de l’éducation – Droit de l’enfant à l’instruction – Enseignement dispensé dans la famille – Contrôle de la puissance publique – Soumission à une autorisation préalable – Institution d’un délai de huit jours pour la formation d’un recours administratif obligatoire préalable à la saisine d’une commission en cas de refus d’autorisation – Annulation sur ce dernier point et rejet du surplus.

Les requérants ainsi qu’une association intervenante demandaient la suspension de diverses dispositions des deux décrets du 15 février 2022 pris sur le fondement de l'article L. 131-5 du code de l'éducation, qui précisent les modalités de délivrance de l'autorisation de l'instruction dans la famille et les conditions dans lesquelles une décision de refus d'autorisation peut faire l'objet d'un recours administratif préalable obligatoire.

Sauf pour l’un d’entre eux, les moyens sont rejetés alors même qu’est établie ici l’urgence à statuer.

La limitation entre le 1er mars et le 31 mai de la période durant laquelle doit être adressée la demande d’autorisation préalable d’une instruction dans la famille ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’exigence d’un justificatif du domicile des personnes responsables de l’enfant n’est pas illégale, les personnes sans domicile fixe ou stable pouvant toujours solliciter une attestation de domicile auprès de services ou institutions à ce désignés.

Les obligations administratives et de renseignements instituées par ces décrets, spécifiquement pour les demandes de dérogation motivées par l’état de santé de l’enfant, par la pratique d’activités sportives ou artistiques incompatibles avec le fonctionnement normal d’un établissement d’enseignement, par la situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif ou en cas de harcèlement à l’école, et en particulier l’exigence de détention du baccalauréat pour enseigner à un enfant scolarisé en famille, ne comportent pas d’illégalités de nature à créer un doute sérieux.

Enfin sont rejetés divers moyens tenant à l’imprécision de certaines dispositions, à la brièveté de certains délais, à la composition de la commission de recours contre un refus d’autorisation.

Toutefois, le juge des référés estime que crée un doute sérieux quant à sa juridicité, l’art. D. 131-11-10 du code de l’éducation issu de l’un des décrets attaqués en ce qu’il prévoit que toute décision de refus d'instruction dans la famille peut être contestée dans un délai de huit jours à compter de sa notification écrite, ce délai étant jugé trop court et comme portant atteinte au droit à un recours effectif, sa suspension est ordonnée.

(ord. réf. 16 mai 2022, Association Union nationale pour l'Instruction et l'Épanouissement (UNIE), n° 463123 ; Association Les Enfants d’Abord, n° 463224 ; A. F. et autres, n° 463324)

 

100 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République – Transmission de deux QPC.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

V. n° 128

 

101 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

Statuant en formation collégiale en état de référé et après la tenue de deux audiences, le juge rejette la demande d’annulation de la décision d’une équipe médicale d’arrêter les traitements dont est l’objet une personne victime en janvier 2022 d’un traumatisme crânien ayant laissé des lésions cérébrales graves dont deux examens médicaux successifs, réalisés en mars et avril 2022, ont montré que la poursuite des soins constituerait une obstination déraisonnable.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

 

102 - Détenue – Exercice du droit de visite – Restriction, suppression ou limitation du droit de visite – Compétence du pouvoir de police du chef d’établissement pénitentiaire – Atteinte au respect de la vie privée et familiale – Nécessité de mesures adaptées et proportionnées – Demande d’exercice du droit de visite dans les conditions normales – Défaut d’urgence – Rejet.

Les requérants se plaignent des conditions fixées par la chef de l’établissement pénitentiaire où est détenue la requérante à l’exercice par son conjoint, M. C., de son droit de visite. Ils demandent au juge des référés qu'il enjoigne à la directrice du centre de détention de Bapaume de délivrer à M. C. un permis de visite dans un parloir sans dispositif de séparation.

Pour confirmer le rejet en première instance du référé liberté dont il était saisi, le juge relève l’absence d’urgence à statuer en raison de ce qu’il a été décidé que si les quatre premières visites qui devaient se dérouler dans un parloir comportant un hygiaphone ne donnaient lieu à aucun incident, cette restriction serait levée. En effet, deux visites ayant eu lieu les 23 et 30 avril 2022 et une autre étant prévue le 14 mai, le tout sans incident, la levée de la restriction est donc très proche.

(ord. réf. 17 mai 2022, M. C. et Mme A., n° 463681)

 

103 - Témoin de Jéhovah – Refus de toute transfusion sanguine – Volonté expresse connue des médecins de l’hôpital – Transfusion du minimum nécessaire à la survie du patient et proportionnée à son état – Absence d’atteinte à la liberté fondamentale d’un patient de donner son consentement à un traitement médical – Rejet.

Les requérants, au visa de l’art. L. 521-2 du CJA, ont demandé au juge des référés d'enjoindre à l'hôpital d'instruction des armées Sainte-Anne de Toulon de respecter la volonté de M. A. C., hospitalisé à la suite d’un traumatisme grave sur la voie publique, et de ne procéder en aucun cas à une transfusion sanguine contre son gré, conformément au respect du consentement libre et éclairé du malade, et de recourir en substitution aux traitements médicaux sans transfusion de sang, acceptés, eux, par le patient.

La requête contre l'irrespect de cette volonté par l'hôpital ayant été rejetée, ils ont saisi le Conseil d’État par voie d’appel.

Celui-ci les déboute au motif que si leur parent a bien reçu des doses de sang, contrairement aux indications données à l’équipe médicale et au contenu du document que la victime portait sur elle exprimant le refus de toute transfusion « même si le personnel soignant estime qu'une telle transfusion s'impose pour me sauver la vie », cette équipe a strictement limité les quantités transfusées et les facteurs de coagulation à ce qui était indispensable à la survie immédiate du malade. Ainsi, dès lors que le protocole suivi ne s’est écarté du choix du patient que dans la mesure strictement nécessaire et proportionnée à son état, il n’a pas été porté atteinte à la liberté fondamentale de consentement aux soins non plus qu’à d’autres libertés fondamentales garanties par la Charte européenne des droits fondamentaux, la convention EDH et la convention d’Oviedo du 4 avril 1997.

Reste que, au total, a été transfusée une personne qui s’y refusait absolument en raison de ses convictions religieuses. Qu’est devenue en ce cas la « fondamentalité » de la liberté invoquée par les requérants et reconnue par les textes comme par le juge ?

(ord. réf. 20 mai 2022, Consorts C., n° 463713)

 

104 - Ressortissants algériens - Titulaires d'un certificat de résidence « scientifique » - Epidémie de Covid-19 - Personnes non autorisées à entrer en France métropolitaine - Illégalité et annulation partielles.

Les requérants demandaient l'annulation de deux instructions du premier ministre, l'une relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'elle ne prévoit pas de dérogation pour les familles de ressortissants algériens « scientifiques chercheurs », l'autre en tant qu'elle maintient l'exclusion des familles des « scientifiques chercheurs » ressortissants algériens du dispositif de dérogations d'entrée sur le territoire français.

Le Conseil d'État rejette la plupart des moyens soulevés retenant cependant que la différence de traitement instituée par l'une des instructions attaquées entre les titulaires d'un visa de long séjour « passeport talent » qui peuvent entrer en France ainsi que leur conjoint et leurs enfants et ceux titulaires du certificat de résidence « scientifique »  prévu au f) de l'article 7 de l'accord franco-algérien de 1968 qui sont, eux, exclus du bénéfice de ce régime d'accès y compris les titulaires eux-mêmes.

(25 mai 2022, M. O. et autres, n° 450085 et n° 450542)

(105) V. aussi, rejetant le recours, comparable au précédent, de ressortissants algériens titulaires d'un certificat de résidence en leur qualité de médecins exerçant en France : 25 mai 2022, Mme K. et autres, n° 451247.

 

106 - Bénéficiaire, dans un autre pays de l'Union, du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire - Impossibilité de revendiquer en France des droits conférés par ce statut ou cette protection sauf en cas d'admission au séjour - Absence de demande de renouvellement du titre de séjour dans le pays d'octroi du statut ou de la protection - État de fait sans effet sur l'existence de ce statut ou de ladite protection - Situation différente en cas d'échec de démarches de renouvellement - Annulation de l'arrêt contraire.

L'étranger qui a obtenu dans un pays de l'Union le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire ne peut pas revendiquer en France de droits tirés de ce statut ou de cette protection quand ces droits lui sont assurés dans le pays en question sauf s'il a été admis au séjour en France.

Par ailleurs, la circonstance que cet étranger n'a pas sollicité le renouvellement de son titre de séjour dans l'État d'accueil est sans effet sur la revendication de droits en France sauf s'il est établi que cette protection ou ce bénéfice ne lui est plus assuré ou est devenu ineffectif ou que les démarches en vue du renouvellement de son titre au séjour ont échoué.

Enfin, la circonstance que le titre de séjour est expiré et le fait que l'intéressé a regagné pendant un certain temps son pays d'origine et de persécution n'établissent point sa renonciation à la protection accordée par l'État d'accueil.

(25 mai 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451863)

 

Police

 

107 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la ville de Paris – Contrariété à la convention EDH – Compétence pour demander l’encadrement des loyers – Étendue de la compétence du premier ministre – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif expérimental d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

La demande est rejetée en tous ses chefs, de légalité externe comme de légalité interne.

Sur le plan de la légalité externe, sont écartés deux moyens.

Le premier moyen est celui tiré de la non-consultation, préalablement au décret attaqué, de l’Autorité de la concurrence car ce texte institue non un régime nouveau au sens de l’art. L. 462-2 du code de commerce mais un régime expérimental, celui prévu par l’art. 140 précité de la loi du 23 novembre 2018.

Le second moyen est tiré de la non-consultation du Conseil national de l’habitat organisée par l’art. R* 361-2 du code de la construction et de l’habitation, cette consultation n’étant prévue que pour les mesures destinées à favoriser la mixité sociale or le décret litigieux, s’il peut contribuer à cet objectif, n’a pas cela pour objet.

Sur le plan de la légalité interne, il est d’abord jugé que la fixation, par le préfet, de « loyers de référence » dans les zones urbanisées caractérisées par un déséquilibre entre l’offre et la demande de logements situées à l’intérieur du périmètre d’application du dispositif d’encadrement des loyers ne porte pas une atteinte déraisonnable au droit de propriété eu égard à l’exigence d’intérêt général qui motive ce dispositif. Cela nous paraît cependant imposer de revoir toutes les évaluations et assiettes fiscales relatives aux biens ainsi limités dans leur rentabilité.

Pas davantage, le décret querellé ne saurait être considéré comme portant atteinte à la protection du droit de propriété en instituant une discrimination qui serait incompatible avec les dispositions de l’art. 14 de la Convention EDH et de l’art. 1er de son premier protocole additionnel du fait qu’il subordonne la mise en place du dispositif d’encadrement des loyers à une demande préalable émanant d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat ou d'une autre collectivité ayant cette compétence, cela en raison de la liberté que la loi confère à ces derniers pour exercer cette faculté de déclencher ce dispositif.

On aperçoit mal cependant en quoi le caractère facultatif du déclenchement de ce mécanisme a à voir avec l'éventuelle atteinte au droit de propriété ; celle-ci se réalise dès l'instauration de l'encadrement des loyers.

Également, si le premier ministre détient le pouvoir d’apprécier si le choix par une collectivité de retenir un certain périmètre pour l’application de l’encadrement des loyers est justifié, il ne lui appartient pas de décider si des territoires situés en dehors de celui de la collectivité demanderesse devraient également être assujettis à cet encadrement. C'est pourtant là une réelle difficulté juridique dans la mesure où est ainsi supprimée toute objectivité dans la détermination des zones concernées et il nous semblerait bien venu de décider que la légalité des périmètres proposés ainsi que de ceux retenus soit soumise à un contrôle « en tant que ne pas » (Assemblée,16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646).

Enfin, les données chiffrées sur le rapport entre le niveau moyen des loyers dans le parc social locatif et celui des loyers du parc locatif privé démontrent le bien-fondé du recours, pour la ville de Paris, à l’encadrement des loyers.

(10 mai 2022, Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI Paris) et Chambre nationale des propriétaires, n° 431495)

(108) V. aussi, très largement identiques et rejetant les recours : 10 mai 2022, Chambre des propriétaires du Grand Paris, n° 449603 et n° 454450, 2 espèces.

 

109 - Police économique et sociale – Encadrement des loyers sur le territoire de la métropole européenne de Lille – Respect des conditions posées par la loi – Rejet.

Les deux requêtes jointes tendaient, d’une part à l’annulation du rejet implicite de leurs demandes d’abrogation et d’autre part à l’annulation du décret n° 2020-41 du 22 janvier 2020 fixant le périmètre du territoire de la métropole européenne de Lille sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Les moyens développés au soutien de ces recours sont rejetés.

Le juge relève que contrairement à ce qui est soutenu, d’une part, le premier ministre a procédé, avant de prendre le décret litigieux, à la vérification du respect des conditions posées par l’art. 140 de la loi du 23 novembre 2018 sans se croire en situation de compétence liée et, d’autre part, il résulte bien des chiffres y relatifs un écart important, du simple au double, entre le montant moyen du loyer dans le parc locatif public et celui du loyer dans le parc locatif privé. Il est ainsi établi l’existence d’une situation entrant dans les prévisions du législateur pour l’instauration d’un régime d’encadrement des loyers. 

(10 mai 2022, Association chambre FNAIM de l'immobilier du Nord, n° 442698 ; Association UNPI Nord de France, n° 442699)

 

110 - Police économique et sociale – Obligation d’atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales – Exemption de l’obligation – Conditions – Annulation du décret refusant à une commune cette exemption.

La loi a prévu la possibilité, pour une commune, d’être exemptée à certaines conditions de l'obligation d'atteindre un certain pourcentage de logements locatifs sociaux parmi les résidences principales (art. L. 302-5 et suivants c. de la construction et de l’habitation). La commune requérante demande l’annulation du décret du 30 décembre 2019 fixant la liste des communes exemptées de cette obligation, en tant qu'elle n'est pas mentionnée dans ses annexes qui désignent, pour la période triennale 2019 – 2022, les communes concernées.

Pour être exemptées de leurs obligations en matière de logement social, les communes doivent être proposées comme éligibles à cette exemption par une décision de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) auquel elles appartiennent et doivent être ensuite retenues par le décret prévu par le premier alinéa de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation.

Il en résulte que l'absence de présentation par l'EPCI compétent fait obstacle à ce que la commune puisse être retenue par ce décret. Ceci appelant deux précisions juridiques importantes.

En premier lieu, si la commune doit remplir l'une au moins des trois conditions mentionnées au III de l'article L. 302-5 précité pour demander à être exemptée de l’obligation, cela n’impose pas à l’EPCI de proposer sa candidature à l’exemption, celui-ci pouvant refuser en se fondant sur divers critères (importance de la demande de logements locatifs sociaux sur son territoire, taux de logements sociaux de la commune, politique en matière de réalisation de logements sociaux et performances passées dans l'atteinte des objectifs).

En second lieu, si la délibération de l'EPCI, qu'elle accueille la demande d'une commune ou qu’elle la rejette, n’a que le caractère d’une mesure préparatoire insusceptible d’être discutée au contentieux, sa légalité peut néanmoins, en vertu d’une jurisprudence constante, être invoquée au soutien du recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret pris au titre de la période triennale pour laquelle l’exemption a été sollicitée par la commune.

En l’espèce, le Conseil d’État retient que le refus du conseil communautaire de la communauté d’agglomération Paris-Vallée de la Marne (devenue ensuite communauté d'agglomération de Marne la vallée - Val Maubuée) de proposer la commune requérante comme éligible à l’exemption est entaché d’illégalité car, d’une part, celle-ci satisfait bien à l’un au moins des critères prévus par la loi et d’autre part la communauté d’agglomération  ne fait état d’aucune circonstance justifiant que ne soit pas proposée à l’exemption la commune d’Emerainville. En effet, cette dernière soutenait sans être contredite que plus de la moitié du territoire urbanisé de la commune était soumis à une inconstructibilité résultant d'une zone A, B ou C du plan d'exposition au bruit de l'aérodrome de Lognes-Emerainville.

Le décret est donc illégal et son annulation est accompagnée d’une injonction à la communauté d’agglomération de réexaminer sous deux mois la demande de la commune d’Emerainville.

(10 mai 2022, Commune d’Emerainville, n° 439128)

 

111 - Police des événements sportifs – Service d’ordre assuré dans l’intérêt de l’organisateur d’une manifestation (art. L. 211-11 code de la sécurité intérieure) – Remboursement des dépenses afférentes à cette intervention – Charge des dépenses excédant les besoins normaux du maintien de l’ordre - Absence de signature de la convention sans effet sur la dette des organisateurs – Rejet.

L'article L. 211-11 du code de la sécurité intérieure dispose notamment :

« Les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif peuvent être tenus d'y assurer un service d'ordre lorsque leur objet ou leur importance le justifie.

Les personnes physiques ou morales pour le compte desquelles sont mis en place par les forces de police ou de gendarmerie des services d'ordre qui ne peuvent être rattachés aux obligations normales incombant à la puissance publique en matière de maintien de l'ordre sont tenues de rembourser à l'État les dépenses supplémentaires qu'il a supportées dans leur intérêt (...) ». 

L'association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre a reçu, à l’issue de l’organisation, en 2016, des épreuves du championnat du monde moto « Superbike » sur le circuit de Nevers Magny-Cours, une facture de la gendarmerie nationale relative au service d'ordre assuré lors de cette manifestation que l'association a refusé de payer et qui a fait l’objet d’une majoration. L'association a demandé en vain l’annulation de ce titre de perception au tribunal administratif et à la cour administrative d’appel ; elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté.

Il résulte des dispositions précitées du code de la sécurité intérieure qu’elles ne concernent que les services d'ordre assurés dans l'intérêt de l'organisateur d'une manifestation excèdant les besoins normaux de sécurité auxquels la collectivité est tenue de pourvoir dans l'intérêt général.

Le texte opère une distinction très claire entre, d’une part, les organisateurs de manifestations sportives, récréatives ou culturelles à but lucratif qui sont seuls susceptibles de se voir imposer par l'État la tenue d'un tel service d'ordre et qui ne peuvent être assujettis qu’au paiement de la part du coût d’intervention des forces de l’ordre excédant celui résultant de la satisfaction des besoins normaux de sécurité. et d’autre part toute personne physique ou morale pour le compte de laquelle un tel service d'ordre est assuré par les services de police ou de gendarmerie et qui est tenue de rembourser à l'État la totalité des dépenses correspondantes. 

Normalement, une convention doit être signée entre les services publics de maintien de l’ordre et les bénéficiaires de l’opération (art. 2 et 4 du décret du 5 mars 1997 relatif au remboursement de certaines dépenses supportées par les forces de police et de gendarmerie).

En l’espèce, il est tout d’abord jugé que c’est sans dénaturation et dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour a estimé justifié le déploiement des forces de l’ordre au vu de l'affluence telle qu'elle ressortait des articles de presse consacrés à cet événement et des chiffres de la billetterie ainsi qu’en raison du nombre de spectateurs de cette manifestation.

Ensuite, le titre de perception litigieux était régulier en la forme car il comportait toutes les mentions requises.

Enfin, l’absence de caractère lucratif de la manifestation comme l’absence de signature par l’association requérante de la convention proposée par le préfet de la Nièvre ne pouvaient pas faire obstacle à l’application des dispositions de l’art. L. 211-11 précitées.

(11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449370)

(112) V. aussi, identique : 11 mai 2022, Association Moto-Club de Nevers et de la Nièvre, n° 449371.

 

113 - Police de l’hygiène et de la sécurité – Réglementation des piscines privées ouvertes à l’usage public – Baignade artificielle – Application du régime des piscines – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les demandeurs contestaient la légalité d’un arrêté préfectoral interdisant l’accès du public à un lieu de baignade qu’ils exploitent jusqu’à la mise en conformité aux règles régissant les piscines.

Pour casser l’arrêt d’appel le Conseil d’État relève que celui-ci repose sur une inexacte qualification des faits en jugeant applicable en l’espèce la réglementation propre aux piscines privées ouvertes au public alors qu’il résulte du dossier que l’installation en cause est constituée d'une cuvette créée par terrassement, dont l'aménagement permet, par une membrane imperméable posée sur son fond, de maintenir captives les eaux souterraines de la nappe phréatique ; elle n’est donc pas une piscine – ce qui supposerait une alimentation en eau à partir d'un réseau de distribution publique (art. D. 1332-4, alinéa 2 du code de la santé publique) - mais une baignade artificielle à laquelle ne saurait être imposée la réglementation propre aux piscines.

(11 mai 2022, Société Marissol et Mme C., n° 438409)

 

114 - Associations et groupements de fait – Dissolution – Conditions – Atteinte aux libertés de réunion et d’association – Suspension du décret de dissolution.

Un décret du 30 mars 2022, du président de la République, a dissout l’organisation requérante sur le fondement du 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en retenant trois motifs.

Les requérants demandent la suspension du décret de dissolution.

Le Conseil d’État statuant en formation collégiale en état de référé suspend ledit décret aucun des motifs de dissolution ne lui semblant établi et l’urgence lui paraissant démontrée.

En premier lieu, le grief de mener des actions violentes est rejeté car il n’est pas établi que le groupement en cause ait été à l'origine d’appels à manifester ni que les agissements violents commis à l'occasion de ces manifestations aient été directement liés aux activités de ce groupement cela alors même que plusieurs de ses membres ont participé à ces manifestations. Par ailleurs, d’une part, les condamnations infligées à certains membres pour « violences volontaires », à raison des éléments les caractérisant, ne sauraient les faire regarder comme « violents » au sens et pour l’application de la disposition précitée, et d’autre part, l’instruction ne montre pas que les dégradations causées aux biens soient le fait dudit groupement.

En deuxième lieu, le positionnement idéologique de ce groupement ainsi que la phraséologie qu’il utilise, notamment sur les réseaux sociaux, tout comme sa participation à un festival dit « antifafest » dont il n’est pas l’organisateur, ne caractérisent pas une provocation à des agissements violents au sens du 1° de l'article L. 212-1 précité.

Enfin, en troisième lieu, s’il est certain que peut être reprochée à ce groupement la violence de ses propos – ainsi les publications sur les réseaux sociaux des photographies de tags « Mort aux nazis » sur les murs du local du groupement d'extrême-droite Terra Nostra, des commentaires « On va se venger », publié à la suite de l'incendie d'une mosquée, et « pour une bonne dissolution, une seule solution : vive la chaux vive », publié en référence aux dissolutions des groupements d'extrême-droite Unité radicale, Bloc identitaire et Génération identitaire, des formules « deux banques ont eu le bonjour du bloc anticapitaliste », figurant dans le compte-rendu d'une manifestation, et « c'est cela qui nous tient à cœur en tant qu'antifascistes : des ripostes collectives et multiples d'autodéfense populaire ». Il en est de même du recours au mot-clé " #feuauxprisons " ou du dessin d'un centre de rétention administrative en flammes intitulé « feu aux centres de rétention », à l'appui de publications dénonçant de supposées violences d'État – ceux-ci ne sauraient manifestement pas être regardés comme entrant dans les prévisions du texte précité.

(ord. réf. form. coll. 16 mai 2022, M. A. C. et groupement de fait Groupe Antifasciste Lyon et Environs (dit « la GALE »), n° 462954)

 

115 - Police de la sécurité – Police des immeubles en état de péril – Obligation d’exécuter des travaux – Exécution d’office – Immeuble détenu en indivision – Solidarité des propriétaires indivis – Émission d’un titre exécutoire à l’encontre d’un seul des deux propriétaires valant pour le tout – Méconnaissance du champ d’application de la loi – Annulation sur moyen soulevé d’office.

La commune requérante a mis en demeure deux frères, propriétaires indivis d’un immeuble en état de péril, d’exécuter les travaux propres à faire cesser cet état et, les travaux n’ayant pas été réalisés dans le délai imparti, les a fait exécuter d’office.

Un contentieux est né de la réclamation du remboursement des frais avancés par la commune au moyen de titres exécutoires adressés à l’un des deux frères.

La cour administrative d’appel a jugé que faute de l’existence d’une solidarité entre les deux frères débiteurs la commune ne pouvait pas légalement émettre les titres exécutoires litigieux à l'encontre de l’un d’eux seulement pour la totalité de la somme due par l'indivision qu'il formait avec son frère.

Sans s’arrêter aux moyens du pourvoi, le Conseil d’État soulève d’office, car il est d’ordre public, celui tiré de la méconnaissance par l’arrêt d’appel du champ d’application de la loi du fait que cette solidarité résulte des termes mêmes de l’art. L. 541-2-1 du code de la construction et de l’habitation.

(24 mai 2022, Commune de Coudekerque-Branche, n° 440499)

 

116 - Police sanitaire - Covid-19 - Limitation des effectifs admis dans des festivals de musique - Communiqué annonçant un acte réglementaire mais ayant un effet significatif sur les comportements des personnes - Acte faisant grief - Rejet au fond.

Saisi d'un recours en annulation du cadre de l'organisation des festivals pour l'année 2021, annoncé par la ministre de la culture dans son communiqué de presse du 18 février 2021, en tant qu'il prévoit d'interdire les festivals de plus de 5 000 personnes et impose la configuration assise, le Conseil d'État tranche d'abord une question de recevabilité.

Il juge en effet que « Si, en principe, l'annonce publique de l'intention du Gouvernement d'édicter un acte réglementaire ne constitue pas en elle-même un acte susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, il en va différemment lorsque cette annonce a pour objet, comme en l'espèce, d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles elle s'adresse pour leur permettre de se préparer au futur cadre juridique auquel elles seront soumises. » La solution est judicieuse et se distingue radicalement de la question du droit mou.

Ensuite, au fond, le juge estime que les mesures que contient ce communiqué ne sont pas entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

 Le recours est rejeté.

(25 mai 2022, Association Territoire de Musiques, l'association Hellfest Productions et la société Musilac, n° 451846)

 

117 - Police du permis de conduire - Émission d'amendes forfaitaires pour infractions au code de la route - Amendes non acquittées - Absence de preuve de la connaissance par l'intéressée des informations requises - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour estimer qu'une personne a bien reçu l'information requise par les articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route en matière de contravention, se borne à retenir que les infractions commises auraient donné lieu à l'émission d'amendes forfaitaires, sans constater que ces amendes n'avaient pas été payées et qu'ainsi n'était pas rapportée la preuve de l'existence de l'information.

(31 mai 2022, Mme B., n° 445132)

(118) V. aussi, sur la portée probante la mention certifiée par l'agent verbalisateur que le contrevenant a refusé d'apposer sa signature sur une page écran où figurent toutes les mentions nécessaires (31 mai 2022, ministre de l'intérieur, n° 45557) ou, sur la preuve de la réception par l'intéressé du procès-verbal, l'exécution de la composition pénale afférente à l'infraction litigieuse n'établissant pas la réception de l'information préalable requise par les textes (31 mai 2022, M. A., n° 45623) ou encore pour ce même défaut d'information (31 mai 2022, M. B., n° 456408).

 

Professions réglementées

 

119 - Masseurs-kinésithérapeutes – Étendue de la compétence du Conseil national de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes en matière d’études et de diplômes – Pouvoirs de l’ordre en cette matière – Annulation et injonction.

La requérante demandait l’annulation de deux décisions implicites du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes : le refus d'abroger l'avis du 13 juin 2018 relatif à la pratique par un kinésithérapeute de la « puncture kinésithérapique par aiguille sèche », dite « dry-needling » et le refus de reconnaître la formation qu'elle dispense en lien avec l'Association suisse de dry-needling.

Donnant raison à la requérante, le Conseil d’État retient deux moyens.

Tout d’abord, il résulte des art. L. 4321-2 et s. et R. 4321-122 et s. du code de la santé publique que si le Conseil national de l'ordre peut, au titre de sa compétence de reconnaissance d'une qualification, d'un titre ou d'un diplôme particulier, fixer aussi, de manière générale, les contenus ou les modalités de formation qu'il estime nécessaires pour que certaines qualifications, titres ou diplômes puissent figurer dans des documents, annuaires ou plaques professionnels, en revanche cet organisme ne tire ni de ces dispositions ni d'aucun autre texte ou principe la compétence pour déterminer les contenus des formations requises pour la pratique, par les masseurs-kinésithérapeutes, des différents actes professionnels de masso-kinésithérapie. Il s’ensuit qu’en estimant en l’espèce, pour rejeter la demande dont il était saisi, que « Seul le kinésithérapeute ayant validé un cursus de formation complémentaire à celui de sa formation initiale peut réaliser la puncture kinésithérapique par aiguille sèche (...) » et que « le contenu du cursus de formation nécessaire à la mise en œuvre de cette technique » est celui élaboré par le « collège de la masso-kinésithérapie », instance professionnelle n'ayant qu'une compétence de proposition en matière de formation continue des masseurs-kinésithérapeutes, le Conseil national de l'ordre a méconnu sa propre compétence.

Ensuite, pour refuser de reconnaître la formation délivrée par la requérante, le Conseil national s’est fondé sur ce que les diplômes qui la sanctionnent « ne sont pas précédés de la formation prévue par le « collège de la masso-kinésithérapie ». » Ce faisant il s’est livré à une inexacte application de la règle de droit dont il est chargé d’assurer le respect car il ne lui appartenait d'apprécier, au vu des pièces soumises par les demandeurs, que le contenu et les modalités de la formation que ces derniers lui soumettaient, en sollicitant le cas échéant de leur part tout élément complémentaire de nature à en éclairer certains aspects.

(10 mai 2022, Société française de dry-needling (SFDN), n° 439652 et n° 447474)

(120) V. aussi la solution identique mutatis mutandis d’annulation du refus par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de reconnaître le certificat interuniversitaire de kinésithérapie du sport délivré conjointement par l'université catholique de Louvain (Belgique) et l'université de Liège (Belgique) au titre de l'année universitaire 2015-2016 : 10 mai 2022, M. B., n° 441497.

 

121 - Pharmacien – Infliction d’une sanction non prévue par les textes applicables – Aggravation en appel sur le seul appel du contrevenant – Illégalités – Annulation.

Sur plaintes du médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du Bas-Rhin du service médical de la Caisse nationale d'assurance-maladie et du directeur de cette caisse, le requérant s’et vu infliger par la section des assurances sociales du conseil régional du Grand-Est de l'ordre des pharmaciens la sanction d'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Sur l’appel du demandeur, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a annulé cette décision au motif qu'elle n'était pas prévue par les dispositions de l'article R. 145-2 du code de la sécurité sociale et lui a infligé la sanction d'interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux, pour une durée de cinq ans.

Le pharmacien ainsi sanctionné se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève, sans le dire ici, qu’en vertu d’un principe général du droit disciplinaire, la juridiction disciplinaire d’appel saisie par le seul appel de la personne sanctionnée en première instance ne peut pas lui infliger une sanction plus lourde que celle retenue en première instance. C’est le cas ici où l’interdiction de servir des prestations aux assurés sociaux pendant cinq ans est plus lourde que celle lui interdisant, pour la même durée, de donner des soins aux assurés sociaux.

La décision querellée est annulée.

(10 mai 2022, M. B., n° 447369)

 

122 - Compétence du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Recours contre des décisions du conseil de l'ordre des pharmaciens refusant l'inscription au tableau de l'ordre - Compétence de ce juge pour connaître d'autres mesures en matière d'inscription ou de radiation - Exclusion de la compétence des autres juridictions administratives de droit commun - Annulation.

(25 mai 2022, M. A., n° 440639)

V. n° 39

 

123 - Huissiers de justice – Greffiers des tribunaux de commerce – Tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit – Tarifs réglementés des huissiers de justice et des greffiers de tribunaux de commerce – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient toutes l’annulation des articles 5 et 8 du décret du 28 février 2020 relatif aux tarifs réglementés applicables à certains professionnels du droit pris pour l'application du troisième alinéa de l'article L. 444-2 du code commerce qui ont, respectivement, modifié l'article R. 444-7 et inséré l'article R. 444-12-1 dans la partie réglementaire de ce code. Séparément une organisation d’huissiers et le conseil national des greffiers de tribunaux de commerce demandaient respectivement l’annulation d’arrêtés du 28 février2020 fixant les tarifs réglementés des huissiers et ceux des greffiers de tribunaux de commerce.

Sans grande surprise ces diverses demandes sont rejetées.

La consultation de l’Autorité de la concurrence n’a pas été entachée d’irrégularité du fait qu’après son avis et conformément à celui-ci le projet de décret a été modifié pour en tenir compte en vue du calcul de l'objectif de taux de résultat moyen à partir d’un taux de référence sans consultation de cette Autorité dès lors que cette modification ne posait pas de question nouvelle.

S‘agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-7 du code commerce, il est jugé que le premier ministre était compétent, sur délégation législative (art. L. 444-2 et L. 444-7 code précité), pour définir par décret en Conseil d'État les modalités de détermination de l'objectif de taux de résultat moyen sur la base duquel les tarifs sont fixés par arrêté conjoint des ministres de la justice et de l'économie et pour y préciser que l'objectif de taux de résultat moyen est déterminé à partir d'un taux de référence égal à 20 % auquel est appliqué un coefficient correcteur multiplicateur.

Par ailleurs le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les dispositions des art. L. 444-2 et L. 4444-7 du code de commerce en décidant que la rémunération raisonnable est déterminée globalement pour chaque profession en appliquant au chiffre d'affaires régulé un taux de résultat moyen de cette profession.  Il n’a pas non plus retenu des critères dépourvus de précision et d'objectivité en fixant un taux de référence de 20 % pour la détermination de l'objectif de taux de résultat moyen pour l'ensemble des professions réglementées concernées et en prévoyant la possibilité d'ajuster ce taux à la hausse dans la limite d'un multiple de 1,6, ce qui  tient compte des différences existant entre ces professions, notamment de la part du chiffre d'affaires régulé dans leur chiffre d'affaires total, des différences des taux de résultat entre elles, ainsi que de l'évolution du service rendu.

S’agissant de la critique de la juridicité de l’art. R. 444-12-1 du code de commerce, est rejeté le moyen tiré d’une prétendue violation des objectifs fixés par l'article L. 444-2 ainsi que de l'étendue de la compétence du pouvoir réglementaire, ce dernier ayant défini de  manière suffisamment précise les critères de détermination des majorations des émoluments pouvant être fixées dans les départements et collectivités d’outre-mer pour tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de chaque territoire et de celles qui en résultent pour les professionnels qui y sont installés, tout en fixant l'objectif de rapprocher le taux de résultat moyen de ces professionnels de l'objectif de taux de résultat moyen mentionné à l'article R. 444-7.

Enfin, s’agissant des arrêtés du 28 février 2020 relatif, l’un aux huissiers de justice, l’autre aux greffiers des tribunaux de commerce, sont rejetés le recours en ce qu’ils sont fondés sur une illégalité par voie de conséquence du fait de la prétendue irrégularité des articles 5 et 8 du décret attaqué dont ils font application puisque les recours dirigés contre ces dispositions sont eux-mêmes rejetés.

(16 mai 2022, Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442355 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442356 ; Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, n° 442357 ; Syndicat Union nationale des huissiers de justice, n° 442359 ; Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, n° 442577, jonction)

 

124 - Médecin - Interdiction d'exercice de la médecine - Obligation de suivre une formation - Atteinte grave et immédiate à la situation du requérant - Doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension temporaire d'exercer - Suspension ordonnée.

La formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins avait suspendu pour six mois le requérant de l'exercice de ses fonctions et l'avait obligé à suivre une formation en raison d'une connaissance faible du réseau régional d'accès à l'innovation thérapeutique.

Estimant, d'une part, que le motif retenu était d'une légalité douteuse car n'était pas démontrée l'existence d'une insuffisance professionnelle grave de nature à rendre dangereux l'exercice de la médecine par l'intéressé et, d'autre part, constatant l'atteinte grave ainsi portée à la situation du requérant, le juge des référés du Conseil d'État ordonne la suspension de l'exécution de la décision litigieuse.

(ord. réf. 24 mai 2022, M. A., n° 463888)

 

125 - Médecin - Signalement adressé à l'autorité judiciaire - Juge des enfants déjà saisi du dossier - Sanction disciplinaire pour violation du secret professionnel - Absenced'une telle violation - Annulation.

Ne commet pas de faute contre la déontologie professionnelle et fait à tort l'objet d'une sanction disciplinaire le médecin qui signale au juge des enfants le cas d'une mineure dont ce juge était déjà saisi.

(30 mai 2022, Mme A., n° 448646)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

126 - Article 7 de la Charte de l’environnement – Participation aux décisions publiques intéressant l’environnement – Art. L. 123-19-1 c. env. n’apportant pas de garanties légales suffisantes de fiabilité des avis exprimés – Rejet et refus de transmission de la QPC.

L’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement fixe le régime d’application du principe, prévu à l’art. 7 de la Charte de l’environnement, de participation du public à la prise de décisions intéressant l’environnement. La fédération requérante soutient à cet égard une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que le législateur, en édictant l'article L. 123-19-1 de ce code, a méconnu sa compétence en s'abstenant de définir des garanties légales suffisantes relatives à la fiabilité des avis exprimés au cours de la procédure de participation, pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement.

L’argument est rejeté par le Conseil d’État qui juge que le législateur a opéré une mise en œuvre effective de cet article 7 notamment s’agissant de l’information sur l’organisation de la consultation, des formes d’expression, électronique ou orale, des avis, de l’exigence d’une prise en compte des avis et suggestions du public au moyen de leur synthèse avant adoption éventuelle du projet de décision. Ainsi la loi ayant déterminé de manière suffisante les modalités permettant une participation effective du public pour assurer l'exigence constitutionnelle du principe de participation prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, il n’y a pas lieu à transmission de la QPC.

(5 mai 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

 

127 - Assistance médicale à la procréation – Personnes ayant changé de sexe à l’état-civil et disposant de la capacité de mener une grossesse - Exclusion du bénéfice de cette assistance – Transmission de la QPC.

Constitue une question nouvelle celle de savoir si ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant la loi l’exclusion, par l’art. L. 2141-2 du code de la santé publique, de l'accès à l'assistance médicale à la procréation des personnes ayant changé la mention de leur sexe à l'état civil mais disposant de la capacité de mener une grossesse.

(12 mai 2022, Groupe d'information et d'action sur les questions procréatives et sexuelles, n° 459000)

 

128 - Exercice public des cultes – Séparation des églises et de l’État – Loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la république – Transmission de deux QPC.

Le Conseil d’État était saisi de deux requêtes en QPC formées par les représentants de l’ensemble des églises chrétiennes qui se trouvent en France, l’une dirigée contre les art. 4, 4-1 et 4-2 de la loi du 2 janvier 1907 dans leur version issue de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 (recours n° 461800) et l’autre contre les art. 19-1 et 19-2 de la loi du 9 décembre 1905 dans la version que leur a donnée la loi du 24 août 2021 (recours n° 461803).

Il accueille les deux demandes comme « nouvelles », la première au regard des droits constitutionnels en cause et de l'étendue des obligations pesant désormais sur les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 et ayant des activités cultuelles ; la seconde au regard des droits constitutionnels en cause et compte tenu de la portée donnée à la déclaration de la qualité cultuelle.

(18 mai 2022, Union des associations diocésaines de France, Monseigneur É. de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, la Fédération protestante de France, l'Union nationale des associations cultuelles de l'Église protestante unie de France et l'Assemblée des évêques orthodoxes de France, n° 461800 ; mêmes requérants, n° 461803)

 

129 - Référé liberté - Demande de transmission par le Conseil d'État d'une QPC au Conseil constitutionnel - Litige en cours d'instruction devant un tribunal aministratif - Incompétence manifeste du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort - Rejet.

Est manifestement irrecevable la requête en référé liberté demandant au Conseil d'État qu'il transmette au Conseil constitutionnel sa question prioritaire de constitutionnalité concernant le dossier n° 2104607, en cours d'instruction devant le tribunal administratif de Melun, dès lors qu'un tel recours n'est pas au nombre de ceux dont il appartient au Conseil d'État de connaître en premier et dernier ressort (cf. art. R. 311-1 CJA).

(9 mai 2022, Mme B., n° 463358)

 

Responsabilité

 

130 - Responsabilité hospitalière – Accomplissement d’un acte médical – Obligation préalable au recueil du consentement du patient – Information sur les risques connus attachés à cet acte médical – Absence – Effets – Interruption d’une intervention – Appréciation des conséquences – Annulation.

M. A. B., souffrant de douleurs lombaires, a été opéré d'un rétrécissement du canal rachidien. Au cours de l'opération, une brèche de la dure-mère et un saignement épidural ont conduit le chirurgien à interrompre le geste opératoire et à renoncer ainsi à obtenir une libération canalaire totale. A la suite de cette opération, l’intéressé a souffert, malgré plusieurs interventions chirurgicales ultérieures, d'un déficit sensitif et moteur des membres inférieurs caractérisé par des douleurs et des limitations fonctionnelles importantes.

Il se pourvoit contre l’arrêt d’appel partiellement infirmatif en tant qu’il met diverses sommes à la charge de l’établissement hospitalier et qu'il rejette son appel incident.

Le Conseil d’État est à la cassation à la suite du raisonnement et des motifs suivants.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique que préalablement au recueil du consentement du patient à l'accomplissement d'un acte médical, doivent être portées à sa connaissance les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.

Ensuite, la cour ayant jugé que l’absence d’information préalable donnée au patient sur la possible survenance du syndrome dont il souffrait n'avait pas méconnu l'obligation d'information qui résulte des dispositions de l’art. L. 1111-2 précité car ce risque ne s'était, en l'espèce, réalisé que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales, elle a commis une erreur de droit. Il lui incombait de rechercher si le risque en question ne pouvait advenir, en toutes circonstances, que par l'effet d'un geste chirurgical contraire aux bonnes pratiques médicales et non dans le seul cas soumis à son examen. 

Enfin, la cour a jugé que la brèche de la dure-mère et l'hémorragie survenue au cours de l'opération, qui ne résultaient d'aucune erreur commise par le chirurgien, ne justifiaient pas qu'il interrompe son intervention. Elle en a déduit qu'en ne conduisant pas à son terme la décompression du « fourreau dural », le praticien avait commis une faute de nature à engager la responsabilité du service public hospitalier, qui était en lien direct, non avec le dommage subi par M. A. B., mais avec une perte de chance d'éviter ce dommage, qu’elle a estimée à 20 %. Le Conseil d’État censure ce raisonnement car la cour s’est fondée pour cela sur un rapport d'expertise dont il résultait que, dans les opérations du type de celle en litige et en cas de brèche de la dure-mère, le fait de ne pas mener à son terme la décompression canalaire entraînait, pour le patient, une moindre chance de rétablissement fonctionnel, donc de guérison par rapport à son état de santé avant l'opération, que l'expert estimait à 20 %. Le juge de cassation estime que la cour a commis, ce jugeant, une erreur de droit en rne echerchant pas si, après la survenue de l'incident opératoire de brèche de la dure-mère, la poursuite jusqu'à son terme et dans les règles de l'art de l'opération de libération canalaire aurait été de nature à éviter ce dommage, ou seulement susceptible de limiter la probabilité qu'il survienne et, dans cette dernière hypothèse, d'apprécier les chances qu'un tel dommage survienne malgré la poursuite de l'opération jusqu'à son terme et dans les règles de l'art.

(11 mai 2022, M. et Mme A. B., n° 439623)

 

131 - Responsabilité hospitalière - Produits et appareils de santé - Implantation d'un produit défectueux dans le corps d'un patient - Action récursoire - Responsabilité sans faute du producteur de ce produit (art. 1245 à 1245-17 du Code civil) - Responsabilité pour faute du producteur - Erreur de droit - Annulation.

Le Conseil d'État apporte d'utiles précisions en matière de responsabilité hospitalière du fait de l'implantation d'un produit ou appareil défectueux dans le corps d'un patient. Plus précisément, il rappelle que l'hôpital dispose de deux sortes d'action récursoire contre le producteur ou le fabricant du produit ou de l'appareil défectueux.

En premier lieu, par application du droit de l'Union transposé en droit interne par les articles 1245 à 1245-17 du Code civil, l'hôpital peut fonder son action récursoire sur la responsabilité sans faute du producteur ou fabricant, celle-ci se prescrivant par dix ans.

En second lieu, lorsque l'hôpital fonde son action récursoire sur la faute commise par le producteur ou fabricant, cette prescription décennale n'est pas opposable.

En l'espèce, l'arrêt d'appel est annulé pour n'avoir envisagé que le cas de la responsabilité sans faute résultant des dispositions précitées du Code civil sans rechercher si pouvait être relevée une faute du producteur.

(25 mai 2022, CHU de Rennes, n° 446692)

 

132 - Responsabilité hospitalière - Lésion accidentelle non fautive survenue au cours d'une intervention chirurgicale - Lésion n'étant pas la cause d'arrêts de travail d'une certaine durée - Conditions de prise en charge au titre de la solidarité nationale non remplies - Rejet.

Une cour administrative d'appel a annulé le jugement mettant à la charge de l'ONIAM l'indemnisation des préjudices subis par la victime requérante du fait d'une lésion survenue, sans faute, au cours d'une intervention chirurgicale.

La cour est approuvée par le Conseil d'État d'abord pour avoir jugé, sans erreur de droit et sans dénaturation, que la seule persistance des douleurs invalidantes qui avaient justifié l'opération, ainsi que les traitements médicamenteux que ces douleurs exigeaient, avaient à eux seuls justifié les arrêts de travail accordés à la victime.

Elle est également approuvée pour avoir déduit de l'appréciation précédente, sans erreur de droit et sans qualification inexacte des faits, que, alors même que la lésion d'un nerf aurait pu avoir, à elle seule, pour conséquence d'entraîner des arrêts de travail de la durée requise par les dispositions de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique, cet accident médical ne pouvait, en l'espèce, être regardé comme ayant entraîné des arrêts de travail au sens de ces dispositions et qu'ainsi ses conséquences ne remplissaient pas la condition de gravité requise pour une indemnisation au titre de la solidarité nationale.

(25 mai 2022, M. A., n° 453990)

 

133 - Agents embarqués à bord de navires de la Marine nationale - Exposition à l'amiante - Préjudice d'anxiété – Conditions de réparation – Indemnisation - Rejet.

Ces décisions confirment en tout point, s’agissant du préjudice d’anxiété, la partie de l’avis de droit rendu sur cette question par le Conseil d’État saisi par la cour administrative d’appel de Marseille dont il a été rendu compte dans cette Chronique (avril 2022, n° 181 sur 19 avril 2022, M. D., n° 457560).

Il convient de souligner la remarquable efficacité de la procédure d’avis de droit afin d’évacuer et d’accélérer les litiges, parfaitement illustrée par ce contentieux du préjudice d’anxiété consécutif à l’exposition à l’amiante des personnels embarqués à bord de navires de la Marine nationale.

(13 mai 2022, ministre des armées, n° 450501 ; n° 450503 ; n° 450504 ; n° 450505 ; n° 450966 ; n° 451322 ; n° 451325 ; n° 451333 ; n° 451345 ; n° 452876 ; n° 451877 ; n° 453377 ; n° 451379 ; n° 451380 ; n° 453818 ; n° 453819 ; n° 453842, 17 espèces)

 

134 - Responsabilité d'un centre hospitalier - Suicide de l'un de ses praticiens - Action en responsabilité de la veuve - Obligation de sécurité de résultat - Moyen devant être soulevé d'office - Absence - Rejet.

Dans le cadre d'un contentieux formé par l'épouse d'un praticien contre le centre hospitalier employeur de son mari, en raison du suicide de ce dernier, celle-ci reprochait à la cour administrative d'appel de n'avoir pas soulevé d'office la responsabilité de l'établissement au titre d'une « obligation de sécurité de résultat » qui aurait pesé sur lui. 

Le moyen est rejeté car nulle erreur de droit ne saurait être imputée à l'arrêt, aucune obligation de cette nature n'incombant, de ce chef, à la cour.

(31 mai 2022, Mme A., n° 436824)

 

135 - Fonctionnaire - Imputabilité d'une pathologie au service - Condition d'établissement - Régime légal (art. 34 loi du 11 janvier 1984) - Nécessité d'un lien seulement direct et non d'un lien direct et certain - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, recherchant l'éventuelle imputabilité au service de troubles divers d'hypersensibilité aux ondes électromagnétiques éprouvés par la requérante à la suite de son affectation dans un bureau situé à quelques mètres d'un émetteur de forte puissance, exige l'existence d'un lien direct et certain entre cette pathologie et la localisation de son emploi.

Selon le Conseil d'Etat, il résulte, en effet, des dispositions de l'art. 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat que cette imputabilité ne repose que sur l'existence d'un lien direct sans qu'il soit nécessaire de rechercher en outre si ce lien a un caractère certain.

(31 mai 2022, Mme B., n° 447677)

 

Santé  publique – Santé – Sécurité sociale

 

136 - Local jugé non impropre à l’habitation – Local de 13 m2 – Superficie supérieure au minimum réglementaire fixé par le règlement sanitaire départemental – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Le règlement sanitaire départemental de Paris fixe des superficies minimales en dessous desquelles les locaux concernés sont par nature impropres à l'habitation et ne peuvent donc être utilisés aux fins d'habitation. En ce cas, le préfet dispose du pouvoir de mettre en demeure le propriétaire de faire cesser l’occupation des locaux à fin d’habitation.

Saisie d’un appel du préfet dirigé contre le jugement ayant annulé son arrêté de mise en demeure afin de cessation d’habiter, la cour administrative d’appel a confirmé le jugement d’annulation de l'arrêté préfectoral en retenant que le local litigieux présente une surface totale au sol de 13 m2 et dispose d'un éclairage naturel suffisant.

L’arrêt d’appel est cassé sur pourvoi du ministre chargé de la santé.

Le Conseil d’État retient que la cour a inexactement qualifiés les faits en raison de la configuration particulière des lieux qui sont constitués de deux espaces d'environ quatre mètres de long chacun, situés dans l'alignement l'un de l'autre, le premier étant large d'un peu moins de deux mètres et le second étant large d'environ un mètre. Cette configuration, nonobstant les éléments positifs retenus par la cour, rend ces locaux impropres à l’habitation.

(11 mai 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 447135)

 

137 - Droit au respect de la vie – Traumatisme crânien - Lésions cérébrales graves - Obstination déraisonnable – Appréciation des circonstances propres à chaque patient - Arrêt de soins – Rejet.

(ord. réf. 16 mai 2022, M. D., n° 462044)

V. n° 101

 

Service public

 

138 - Communication de documents administratifs - Personne privée chargée d'une mission d'intérêt général - Notion de service public - Réitération des critères jurisprudentiels (décisions NARCY et A.P.R.E.I.) - Erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre de l'exécution de marchés publics la société requérante a demandé la communication de documents administratifs y afférents. Pour rejeter sa demande les premiers juges ont estimé que cette demande de communication n'était pas adressée à une personne privée disposant de prérogatives de puissance publique. Ils se fondaient ainsi sur la jurisprudence Narcy (Section 28 juin 1963, p. 401; AJDA 1964 p. 91, note A. de Laubadère).

Le jugement est annulé pour n'avoir pas recherché si la personne privée ne se trouvait pas dans l'hypothèse de l'arrêt A.P.R.E.I. (Section 22 février 2007, n° 264541) qui reconnaît l'existence d'une situation de gestion d'un service public par une personne privée dans le cas où eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une mission de service public alors même qu'elle ne disposerait pas de prérogatives de puissance publique.

Il est jugé en l'espèce, au visa des art. L. 2422-5 et L. 2422-10 du code de la commande publique, que le mandataire de maîtrise d'ouvrage d'une des personnes mentionnées à l'article L. 300-2 du code des relations entre le public et l'administration, qui agit en son nom et pour son compte, est tenu, en application de l'article L. 311-1 du même code, et tant que sa mission n'est pas achevée, de communiquer aux tiers les documents administratifs qu'il a produits ou reçus dans le cadre de l'exercice de son mandat, dans les conditions prévues par le livre III dudit code.

(25 mai 2022, Société Spie Batignolles Ile-de-France, n° 450003)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

139 - Permis de construire une antenne relais – Inscription dans le périmètre de visibilité d’un site remarquable – Avis de l’architecte des Bâtiments de France – Portée – Annulation de l’ordonnance de suspension - Suspension de la décision du maire ordonnée.

Le Conseil d’État décide, se fondant sur les dispositions des art. L. 621-32, L. 632-1 et L. 632-2-1 du code du patrimoine et sur celles des art. R. 424-1 et R. 424-3 du code de l’urbanisme, que, « si la délivrance d'une autorisation de construction d'une antenne relais dans le périmètre d'un site patrimonial remarquable est soumise à un avis de l'architecte des Bâtiments de France, cet avis n'est pas un avis conforme et que le silence gardé par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire une antenne relais dans un tel périmètre fait naître à l'issue du délai d'instruction un permis de construire tacite, alors même que l'avis a été assorti de prescriptions. » 

L’ordonnance de référé est annulée pour erreur de droit en tant qu’elle refuse de suspendre la décision implicite de rejet de la demande de délivrance d'un certificat au motif que le silence gardé par le maire de Villeneuve d'Ascq avait fait naître une décision de refus du permis, en raison des prescriptions émises par l'architecte des Bâtiments de France dans l'instruction de la demande.

Le Conseil d’État ordonne la suspension de la décision litigieuse.

On peut regretter une application des textes régissant la protection des sites et monuments remarquables beaucoup plus stricte pour les constructions de bâtiments que pour celles d’antennes relais même si sont pris en considération des motifs d’intérêt général de couverture du territoire par des réseaux de téléphonie mobile.

 (ord. réf. 3 mai 2022, Sociétés Bouygues Télécom et Cellnex, n° 453520)

 

140 - Plan local d’urbanisme – Recours en annulation de la délibération l’approuvant – Mémoire produit après la clôture de l’instruction et contenant des conclusions nouvelles – Absence d’obligation de les viser dans le jugement ou l’arrêt – Rejet.

(16 mai 2022, M. A., n° 442991)

V. n° 22

 

141 - Permis de construire – Disposition d’un plan local d’urbanisme instituant une faculté dérogatoire – Refus d’user de cette faculté – Étendue du contrôle du juge sur ce refus – Annulation.

Rappel de ce que lorsque l'autorité administrative, se prononçant sur une demande d'autorisation d'urbanisme, ne fait pas usage d'une faculté qui lui est ouverte par le règlement d'un plan local d'urbanisme d'accorder ou d'imposer l'application d'une règle particulière, dérogeant à une règle générale de ce règlement, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens au soutien de la contestation de la décision prise, de s'assurer que l'autorité administrative n'a pas, en ne faisant pas usage de cette faculté, commis d'erreur manifeste d'appréciation. Il s’agit donc d’un contrôle juridictionnel restreint.

En l’espèce, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, qui, au surplus, a dénaturé les pièces du dossier à elle soumis, c’est sans illégalité que la commune n’a pas exercé la faculté de dérogation au plan local d’urbanisme.

(12 mai 2022, Commune de Tassin la Demi-Lune, n° 453502)

 

142 - Permis de construire – Règles de prospect - Calcul de la distance entre deux immeubles – Existence de loggias – Point de départ du calcul de la distance – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour apprécier le respect des règles de prospect, calcule la distance séparant deux immeubles dont l’un comporte des loggias, non à partir de la façade de ce dernier mais à partir de la baie ouvrant sur la loggia, traitant ainsi l’espace entre cette baie et la façade comme s’il constituait un balcon.

(12 mai 2022, M. A. et autres, n° 453787)

 

143 - Permis de construire valant permis de démolir – Construction susceptible de porter atteinte aux lieux environnants – Pouvoir de l’autorité compétente – Appréciation de l’effet de la construction sur le site en cas de démolition suivie de reconstruction – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

Il résulte des dispositions des art. R. 111-1 et R. 111-27 du code de l’urbanisme que l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou à la conservation des perspectives monumentales.

En l’espèce, le maire de la commune a refusé de délivrer un permis de construire valant permis de démolir pour la construction d'un ensemble immobilier de cinquante logements, dont quinze logements sociaux, répartis en deux résidences indépendantes, avec cinquante-quatre places de stationnement sur deux niveaux de sous-sol. 

Le débat se portait sur le point de savoir comment déterminer, d’une part, l'existence d'une atteinte, et d’autre part, en conséquence, si celle-ci est de nature à fonder un refus de permis de construire ou l’instauration de prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis.

Très pédagogiquement, le juge détaille les deux phases de cette appréciation.

En premier lieu, l’autorité compétente doit examiner quelle est la qualité du site sur lequel la construction est projetée. En second lieu, il lui appartient d'évaluer l'effet que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Et le juge d’ajouter deux précisions très importantes à cette sorte de vade-mecum.

Tout d’abord, ces deux examens sont les seuls qui doivent être pratiqués, il est ainsi exclu que cette autorité se livre à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux susrappelés. 

Ensuite, dans le cas où la demande de permis de construire porte à la fois sur la construction et sur la démolition d'une construction existante, lorsque cette démolition est nécessaire à cette opération (cf. art. L. 451-1 c. urb.), l’autorité compétente doit évaluer l’effet sur le site, non de la seule démolition de la construction existante mais de son remplacement par la construction autorisée.

En l’espèce, l’ordonnance d’appel est annulée pour s’être fondée sur l’effet de la seule démolition en s’abstenant d’examiner celui-ci du fait du remplacement par de nouvelles constructions.

(12 mai 2022, Société civile de construction vente Léane, n° 453959)

 

144 - Permis de construire - Application du règlement du plan local d'urbanisme - Distance minimale à respecter entre la façade d'un immeuble et la limite séparative - Calcul - Erreur de droit - Annulation.

Le règlement du plan local d'urbanisme de la commune de Divonne-les-Bains dispose qu'à l'exception des débordements de toiture inférieurs ou égaux à un mètre, tout point de la façade, y compris au niveau de balcons en saillie, doit respecter une distance minimale par rapport à la limite séparative correspondant à la moitié de la hauteur de la façade, mesurée à l'égout du toit ou, dans le cas d'un mur pignon, au sommet de ce dernier, avec un minimum de quatre mètres.

Se fondant sur cette disposition, les premiers juges ont annulé le permis de construire attaqué devant eux pour non respect de ces prescriptions. La cour administrative d'appel a annulé le jugement et rejeté le recours au motif que l'ensemble de cette façade, hors débord de toiture, se trouvait à cinq mètres de la limite séparative, soit à une distance supérieure à la moitié de la hauteur totale de ce mur pignon, de neuf mètres.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d'État annule l'arrêt infirmatif pour erreur de droit en relevant, d'une part, que la façade sud-ouest de la construction autorisée, qui se situe pour l'essentiel à cinq mètres de la limite séparative, comporte, sous le débord de toiture d'un mètre, deux balcons en saillie de la même profondeur, qui se trouvent ainsi à quatre mètres de la projection verticale de cette limite et, d'autre part, que la cour a fait abstraction des balcons en saillie pour l'application de l'art. N7 du règlement du plan local d'urbanisme, alors que ce dernier n'en exclut pas la prise en compte, y compris s'ils se trouvent à l'aplomb d'un débord de toiture.

(25 mai 2022, MM. B. et autres, n° 455127)

 

145 - Urbanisme et aménagement commercial - Recours préalable obligatoire à la Commission nationale d'aménagement commercial - Date à laquelle doit se placer cette commission pour rendre son avis - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction administrative qui ne retient pas que, saisie d'un recours préalable obligatoire d'un projet d'aménagement commercial, la Commission nationale d'aménagement commercial est tenue de se prononcer sur celui-ci en l'état des circonstances de droit et de fait prévalant à la date de son avis

(30 mai 2022, Société supermarchés Match, n° 450230)

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