Webinaire de jurisprudence

La chronique de jurisprudence est animée par le Professeur Jean-Claude RICCI sous forme de webinaire trimestriel d’environ 1h30 avec des sessions à inscription gratuite (places limitées).

Ces rendez-vous offrent non seulement une analyse ciblée des décisions les plus marquantes mais aussi l’opportunité d’échanger directement avec le Professeur RICCI.

Chronique de jurisprudence

De 2018 à 2023, le Professeur Jean-Claude RICCI a tenu chaque mois une chronique de jurisprudence du Conseil d'État en sélectionnant les principales décisions, les classant par thème et les analysant.

Depuis 2025, le webinaire est également accompagné de brèves.

Vous pouvez consulter toutes ses chroniques et ses brèves depuis janvier 2018, effectuer des recherches parmi celles-ci et même revoir le dernier webinaire.

Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Avril 2022

Avril 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Procédure d’interdiction d’emprunt ou d’émission de titres – Procédure applicable aux organismes divers d’administration centrale (ODAC) – Incompétence négative – Absence de compétence liée – Annulation.

Des arrêtés pris par le ministre des finances et le secrétaire d’État au budget ont inscrit la société anonyme de gestion de stocks de sécurité (SAGESS) sur la liste des organismes divers d'administration centrale (ODAC) ayant interdiction de contracter auprès d'un établissement de crédit un emprunt dont le terme est supérieur à douze mois ou d'émettre un titre de créance dont le terme excède cette durée. La société concernée a demandé l’annulation de ces arrêtés ministériels en tant qu’ils l’ont inscrite sur cette liste, en vain en première instance, avec succès en appel.

Les ministres concernés se pourvoient ; ils sont déboutés.

Le Conseil d’État confirme d’abord l’arrêt d’appel en ce qu’il a relevé que les ministres défendeurs ont méconnu l’étendue de la compétence que leur confère l'article 12 de la loi du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 en reconnaissant eux-mêmes que les listes annexées aux arrêtés contestés – dont ils devaient être les auteurs - avaient été établies en s'en remettant exclusivement à l'appréciation de l'INSEE, renonçant ainsi par là à définir par eux-mêmes la liste des organismes français relevant de la catégorie des administrations publiques centrales soumis à l'interdiction de souscrire un emprunt d'une durée supérieure à douze mois ou d'émettre des titres de créance dont le terme excède cette durée.

Ensuite, rejetant le moyen développé par les demandeurs à la cassation sur ce point, le Conseil d’État juge qu’il ne résulte ni de l’art. 12 précité ni des termes du règlement du 21 mai 2013 relatif au système européen des comptes nationaux et régionaux de l'Union européenne et de ses annexes que ces ministres étaient en situation de compétence liée pour l’établissement de cette liste  alors qu’il leur incombait de porter une appréciation, notamment sur l'organisation, l'objet et l'origine des ressources des organismes concernés et en particulier sur le caractère non marchand de leur activité ainsi que sur le contrôle qu'exerce à leur égard l'administration publique.

(1er avril 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance et ministre délégué chargé des comptes publics, n° 4443924)

 

2 - Faculté pour une autorité publique de donner des instructions à ses subordonnés – Faculté discrétionnaire même sur invitation d’un tiers – Absence d’obligation de répondre à une telle demande – Refus opposé à celle- i ne pouvant pas être déféré au juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Le juge rappelle ici que s’il est loisible à toute autorité administrative (ici le président de la république et le premier ministre) d’adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire même sur saisine en ce sens de tiers.

Il en résulte, d’une part, qu’elle n’est pas tenue de répondre à une telle demande de tiers, et d’autre part, qu’un tel refus de répondre ne peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir. 

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA), n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 123

 

3 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

Les associations requérantes avaient déjà contesté le décret n° 2020-1370 du 10 novembre 2020 relatif à la légalisation des actes publics établis par une autorité étrangère sur le fondement d’une QPC dirigée contre le II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en tant qu’il exclut tout recours contre la décision de refus de légalisation.

Le Conseil constitutionnel, saisi par le Conseil d’État (cf. cette Chronique, décembre 2021 n° 211), a accueilli la QPC mais différé l’effet de l’annulation de la disposition litigieuse au 31 décembre 2022 (C.C. 18 février 2022, n° 2021-972 QPC) après avoir indiqué dans les motifs de sa décision que « la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité » (sic).

Le caractère platonique en l’espèce de cette décision a conduit les mêmes associations à opter pour une voie plus simple et – du moins le croyaient-elles - plus efficace à savoir l’invocation de l’inconventionnalité de la disposition législative servant de base au décret attaqué en ce qu’elle porte une atteinte excessive au droit à un procès équitable (cf. art 6 CEDH). Si le Conseil d’État accueille la requête pour les mêmes raisons que le Conseil constitutionnel, toutefois, comme ce dernier, il estime devoir repousser les effets de la sanction de cette inconventionnalité au 31 décembre 2022 car son application immédiate aurait des conséquences manifestement excessives. Seuls peuvent cependant se prévaloir de cette inconventionnalité les auteurs d’actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause.

On avoue mal percevoir en quoi pourraient consister, si elles existent, les conséquences « manifestement excessives » d’une application immédiate. Certes, on pourra objecter qu’il eût été mal venu pour le Conseil d’État de ne pas s’aligner sur la date fixée par le Conseil constitutionnel mais c’est oublier que :

« Quand sur une personne on prétend se régler,

C’est par les beaux côtés qu’il lui faut ressembler » (Molière, Les Femmes savantes, I,1)

Au reste, la Cour de Strasbourg pourrait fort bien ne pas avoir la même opinion que ces juridictions hexagonales sur l’application du droit à un recours juridictionnel effectif et à un procès équitable…

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

 

4 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, du contrôle, du recouvrement ou du contentieux des impôts et autres prévus au code général des impôts – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret et droit à la communication des documents administratifs – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

V. n° 74

 

5 - Procédure administrative non contentieuse – Examen par le comité technique de ce ministère de textes relatifs à l’organisation de directions du ministère de la culture – Séance tardive – Représentants du personnel quittant celle-ci – Consultation régulière car effective – Rejet.

En vue de l’examen de projets de textes du ministère de la culture relatifs aux missions et à l'organisation, respectivement, de la direction générale de la création artistique et de la direction générale des patrimoines et de l'architecture, les membres du comité technique de l'administration centrale du ministère de la culture ont été convoqués pour le 3 décembre 2020, afin de recueillir l'avis du comité technique sur ces projets. A l’issue de cette procédure de consultation ont été prises diverses décisions par arrêtés ministériels.

L’objet du présent recours est d’en obtenir l’annulation notamment sur le fondement du caractère irrégulier de la consultation.

Pour rejeter cette requête, le Conseil d’État relève que ces décisions ont été arrêtées à l'issue d'une large concertation préalable : 53 réunions de travail ont été tenues avec les représentants du personnel à partir de juin 2019 ; plus de la moitié des amendements proposés par les représentants du personnel ont été retenus par l'administration.

De plus, alors que la réunion du comité technique, initialement prévue le 25 novembre 2020, a été reportée d'une semaine à la demande des représentants du personnel et que l'ordre du jour de la réunion, transmis le 16 novembre 2020, prévoyait l'examen des différents textes au cours d'une seule journée, avant que ne soit envisagée, le 1er décembre, la prolongation de la séance pendant deux heures et demie, le 4 décembre au matin, pour le seul examen des textes relatifs à la direction générale des patrimoine et de l'architecture, dans ce qui se présentait comme un déroulé prévisionnel de la séance.

Le 3 décembre, la séance, qui a commencé à 9 heures, n'a pas permis d'examiner tous les projets de textes inscrits à l'ordre du jour, sur lesquels les représentants du personnel ont présenté 432 amendements.

Un important retard avait été pris à cause du recours à la visio-conférence du fait de l’épidémie de Covid-19 et des dysfonctionnements de celle-ci, lesquels ne sont pas imputables à l’administration.

Alors qu'il restait à examiner, à 22 heures 15, les projets de textes relatifs à la direction générale de la création artistique et à la direction générale des patrimoines, les représentants du personnel ont décidé de quitter la séance.

Ce départ, alors que l’examen des projets de textes concernant la direction générale de la création artistique et la direction générale des patrimoines et de l’architecture n’avait pas encore commencé et que, par conséquent, comme le relève le syndicat requérant, ses experts admis à participer au comité technique sur ces deux points de l’ordre du jour n’avaient pas été entendus, doit être regardé, dans les circonstances de l’espèce, comme exprimant leur refus de se prononcer sur les projets de texte restant à l’ordre du jour. 

Par application de la théorie de la formalité impossible, les syndicats requérants ne sauraient se plaindre du défaut d’une consultation à laquelle ils se sont en réalité eux-mêmes volontairement refusé.

(8 avril 2022, Union des syndicats des personnels des affaires culturelles CGT-Culture, n° 450289)

 

6 - Arrêté d’un président de conseil départemental – Doute sur son authenticité - Demande de copie certifiée conforme – Demande jugée sans utilité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi – Injonction d’effectuer cette communication.

La requérante, ayant de forts doutes à ce sujet, a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, d'enjoindre à un département de lui communiquer une copie de l'arrêté du président du conseil départemental, du 28 avril 2016, certifiée conforme à l'original. 

Le premier juge a estimé que cette demande ne présentait pas le caractère « utile » exigé par les dispositions précitées dès lors qu’il résulte des art. R. 113-10 et R. 113-11 du code des relations entre le public et l'administration qu’il est interdit à l'administration d'exiger des usagers la production de copies certifiées conformes pour les documents administratifs et que ceux-ci ne prévoient la délivrance de copies certifiées conformes que pour satisfaire à des demandes d'autorités étrangères.

L’ordonnance est annulée pour l’erreur de droit consistant à user de dispositions relatives à la simplification des démarches administratives, lesquelles n’étaient, à l’évidence, pas applicables à la demande en référé présentée par l'Union maritime de Mayotte (UMM) sur le fondement de l'article L. 521-3 précité.

Réglant l’affaire au fond, le Conseil d’État retient que l’UMM ait état de doutes sérieux sur l'authenticité de l'arrêté litigieux qui lui a été opposé pour justifier des tarifs applicables aux usagers du port pour une certaine période car cet acte, entaché d'irrégularités formelles, n'a fait l'objet ni d'une transmission au contrôle de légalité, ni d'une publication dans un bulletin officiel. Elle justifie sa demande par l'intention de demander la résiliation du contrat de concession du port de Longoni à la société MCG si l'arrêté tarifaire attaqué se révélait être un faux.

Le juge accède à la demande qui selon lui présente un caractère utile et urgent et ne fait pas obstacle à l'exécution d'une décision administrative, notant au passage que le département de Mayotte n'a fait valoir aucune observation dans la présente instance. 

(8 avril 2022, Union maritime de Mayotte (UMM), n° 455000)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Liste des dispositifs médicaux ayant obtenu le marquage « CE » et de ceux se l’étant vu refuser - Demande faite par une journaliste dans le cadre d’une enquête effectuée dans plusieurs pays – Refus de communication – Annulation partielle.

Les requérantes avaient demandé au Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE) et à la société GMED de leur communiquer la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont délivré le marquage « conformité européenne » (CE) ainsi que la liste des dispositifs médicaux auxquels ils ont refusé de l'accorder. Ces organismes ayant refusé de communiquer les listes demandées, elles ont saisi le tribunal administratif afin qu’il leur enjoigne de communiquer sans délai ces listes.

Si le tribunal a fait droit aux conclusions tendant à la communication de la liste des dispositifs médicaux ayant reçu le marquage « CE » et déjà mis sur le marché, il a en revanche rejeté le surplus de leur demande notamment en ce qu’elle portait sur la communication de la liste des dispositifs médicaux auxquels a été refusé l’octroi du marquage « CE ».

Les requérantes se pourvoient en cassation. Elles ne reçoivent qu’une satisfaction partielle. Il était invoqué trois sources normatives auxquelles le refus partiel de communication aurait porté atteinte.

S’agissant du code des relations du public avec l’administration, le juge rejette deux des trois moyens d’illégalité mais retient le troisième. Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ou de qualification des faits que les premiers juges ont estimé, d’une part, que les dispositions de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration protégeant le secret des affaires s'opposaient à la communication des informations demandées s'agissant de dispositifs médicaux non encore mis sur le marché et, d’autre part, qu’ils ont fait usage du critère de la mise sur le marché sans se limiter au seul espace national. En revanche, le tribunal ne pouvait invoquer le secret des affaires pour juger régulier le refus de communication à partir du moment où les dispositifs médicaux ont été mis sur le marché sans avoir obtenu le marquage « CE » en France mais l’ont obtenu d’un autre organisme certificateur de l’un des autres États membres de l’Union ou de l’Espace économique européen (EEE). Ce jugeant il a commis une erreur de droit : était donc communicable la liste des dispositifs mis sur le marché avec un marquage « CE » n’émanant pas de LNE ou de GMED.

S’agissant du droit de l’Union, sont rejetés les deux moyens y relatifs. D’abord la directive européenne du 8 juin 2016 sur la protection du secret des affaires est muette sur la communication des documents administratifs et elle n’institue pas les journalistes comme détenteurs légitimes d’informations portant atteinte à un tel secret, par suite c’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé qu’elle ne pouvait pas être invoquée. Ensuite, est rejeté comme nouveau en cassation le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. 11 de la Charte européenne des droits fondamentaux de l’UE.

S’agissant de la convention EDH, le tribunal est approuvé d’abord d’avoir jugé que l’art. 10 de ce texte peut être considéré comme instituant un droit d'accès à des informations détenues par une autorité publique lorsque l'accès à ces informations est déterminant pour l'exercice du droit à la liberté d'expression et, en particulier, à la liberté de recevoir et de communiquer des informations, selon la nature des informations demandées, de leur disponibilité, du but poursuivi par le demandeur et de son rôle dans la réception et la communication au public d'informations. Ensuite, le tribunal est approuvé pour avoir jugé que le refus de fournir les informations demandées constitue une ingérence dans l'exercice du droit à la liberté d'expression qui, pour être justifiée, doit être prévue par la loi, poursuivre un des buts légitimes mentionnés à cet article 10 et être strictement nécessaire et proportionnée.

Enfin, il est jugé que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des faits que le tribunal a considéré que le refus de communication de la liste de l'ensemble des dispositifs médicaux auxquels avait été délivré ou refusé le marquage « CE » opposé par le LNE et la société GMED à Mme B. constituait, pour ce qui concerne les dispositifs qui n'avaient pas été mis sur le marché, une ingérence nécessaire et proportionnée dans l'exercice du droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la convention EDH, en raison de ce que les risques que représenteraient pour la santé publique des dispositifs médicaux défaillants restent théoriques tant que ceux-ci n'ont pas été mis sur le marché. 

(8 avril 2022, Société éditrice du Monde et Mme B., n° 447701)

 

8 - Droit souple – Question-réponse en ligne sur le site de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Interprétation de la loi susceptible d’effets notables – Refus de retrait de cette question-réponse – Recevabilité du recours pour excès de pouvoir – Admission du recours et rejet au fond.

La CNIL a mis en ligne sur son site internet le 18 mars 2021, dans le cadre d’une série de 32 « questions - réponses sur les lignes directrices modificatives et la recommandation cookies et autres traceurs », une question-réponse n° 12 portant sur son interprétation des dispositions de l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Ce texte institue un droit à une information claire et complète de tout abonné ou utilisateur d'un service de communications électroniques.

Dans ce texte, la CNIL, à la question : « Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation sont-ils exemptés de consentement ? », répond ceci : « Non. Les traceurs utilisés pour la facturation des opérations d'affiliation n'entrent pas dans les exemptions de l'article 82 de la loi Informatique et Libertés, qui doivent être interprétées strictement. En effet, ces opérations n'ont pas pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique et ne sont pas strictement nécessaires à la fourniture d'un service de communication en ligne expressément demandé par l'utilisateur ». 

Les organisations requérantes ont demandé l’annulation de cette réponse.

L’intérêt principal de cette affaire réside dans le point de savoir si cette dernière est susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. En effet, si elle fait partie du vaste ensemble d’actes réunis sous le qualificatif de droit souple encore fallait-il déterminer si cette souplesse était si distendue que la réponse litigieuse pouvait être ignorée au contentieux ou, au contraire, si cette souplesse contient encore suffisamment de fermeté potentielle pour être, le cas échéant, retendue et, alors, en ce cas, intéresser le contentieux.

Pour juger recevable le recours dont il était saisi, le Conseil d’État a retenu que cette réponse, interprétant l’art. 82 précité de la loi du 6 janvier 1978 quant à la portée et au champ d'application des exemptions à l'obligation de consentement préalable au dépôt des traceurs de connexion, en ce qui concerne les opérations dites d'affiliation, était susceptible, eu égard à sa teneur, de produire des effets notables sur la situation des personnes qui se livrent à des opérations d'affiliation et des utilisateurs et abonnés de services électroniques.

Par suite, est rejetée la fin de non-recevoir opposée par la CNIL à la requête et admise la recevabilité de cette dernière.

Le recours est cependant rejeté au fond.

(8 avril 2022, Syndicat national du marketing à la performance (SNMP), n° 452668 ; Collectif des acteurs du marketing digital (CPA), n° 459026)

 

9 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État

– Transmission à la juridiction compétente.

Les décisions par lesquelles le garde des sceaux dissout une société  de notaires, supprime un office notarial et désigne, à titre provisoire puis à titre définitif, l'attributaire des minutes de l'office ainsi supprimé n'ont pas, par elles-mêmes, pour objet d'assurer l'organisation du service public notarial et sont, dès lors, dépourvues de caractère réglementaire.

Leur contestation par la voie du recours pour excès de pouvoir ne relève donc pas de la compétence du Conseil d'État en premier et dernier ressort mais de celle du tribunal administratif dans le ressort duquel est situé l’office ou le siège de la société.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

 

10 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

V. n° 124

 

11 - Premier ministre - Obligation d'assurer l'exécution des lois - Décret d'exécution devant être pris dans un délai raisonnable - Absence de respect de cette exigence en l'espèce - Annulation assortie d'une injonction sous astreinte.

Si le premier ministre est chargé de l'exécution des lois notamment par l'édiction, spontanée ou sur ordre de la loi, d'actes réglementaires, il ne dispose pas d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard puisqu'il doit agir dans un délai raisonnable.

En l'espèce, l'article 75 de la loi du 4 mars 2002 a prévu qu'un décret doit fixer les conditions de la soumission à une obligation de formation continue pour toute personne faisant un usage professionnel du titre d'ostéopathe ou de chiropracteur.

L'association requérante demande l'annulation du refus implicite du premier ministre d'accéder à la demande qu'elle avait formulée par lettre du 2 février 2021 de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de la loi du 4 mars 2002, pour les personnes faisant un usage professionnel du titre de chiropracteur uniquement.

Constatant que quelque complexe que puisse être éventuellement la rédaction de ce décret le délai raisonnable d'exécution de la loi est dépassé, le juge enjoint à l'intéressé de prendre ce décret sous six mois à peine de 500 euros par jour de retard.

(15 avril 2022, Association française de chiropraxie, n° 452905)

 

12 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

Est rejetée, en tant qu'elle est portée directement devant le juge des référés du Conseil d'État, la demande de suspension de l'arrêté du 2 février 2022 de la ministre de la mer établissant les modalités de répartition du quota de thon rouge (Thunnus thynnus) accordé à la France pour la zone « océan Atlantique à l'est de la longitude 45° O et Méditerranée » pour l'année 2022.

Cet arrêté ne revêtant pas un caractère réglementaire, ne relève pas de la compétence directe du Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort et cette incompétence s'applique aussi et par suite à la juridiction des référés exercée par le Coneil d’État.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

 

13 - Motivation des décisions administratives - Autorisation dérogatoire de redoubler l'année de PASS pour la seule année 2021-2022 - Compétence du président d'université - Refus d'autoriser le redoublement - Obligation de motivation - Annulation.

Le décret du 4 novembre 2019 pris pour l'application de l'art. 1er de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé qui a réformé l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, a prévu que, par dérogation, à titre exceptionnel et pour la seule année universitaire 2020-2021, les étudiants inscrits en PASS - qui, lorsqu'ils n'ont pas été admis en deuxième année des études de santé ne peuvent, en principe, pas redoubler en PASS - pourraient être autorisés par le président de l'université, sur proposition d'une commission d'examen des situations individuelles exceptionnelles dans le cadre de l'accès en deuxième année du premier cycle des formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique, être autorisés à s'inscrire une nouvelle fois à la rentrée universitaire 2021 dans l'une de ces formations. Naturellement le président de l'université peut opposer un refus à la demande de dérogation.

En l'espèce, le juge des référés avait estimé que la décision refusant à une étudiante l'autorisation de redoubler la première année des études de santé dans la filière PASS n'avait pas à être motivée. Le Conseil d'État annule l'ordonnance de référé pour erreur de droit. Ce refus de dérogation doit être motivé.

(27 avril 2022, Université Paris Cité, n° 457838)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

14 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Autorisation donnée à une société d’utiliser des fréquences radioélectriques pour la transmission de signaux entre satellites et postes fixes terriens situés chez les clients résidentiels – Décision susceptible d’affecter fournisseurs d’accès à internet à haut débit et utilisateurs finals – Obligation de consulter le public – Absence – Annulation.

La commission fédérale des communications des États-Unis d'Amérique (FCC) a autorisé la société SpaceX, dans le cadre du projet dénommé Starlink, à déployer 12000 satellites en position orbitale basse pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit.

En conséquence, l'ARCEP, a autorisé la société Starlink Internet Services Limited à utiliser des fréquences radioélectriques permettant de transmettre des signaux entre ces satellites et des stations terriennes fixes installées chez les clients résidentiels pour fournir des services fixes d'accès à internet à haut débit sur l'ensemble du territoire national.

Les requérantes considèrent que cette décision est illégale car elle aurait dû être précédée d’une consultation du public en vertu des dispositions du V de l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques qui rendent obligatoire pour l’ARCEP cette consultation avant qu’elle n'adopte des mesures ayant une incidence importante sur un marché ou affectant les intérêts des utilisateurs finals.

Entérinant cette analyse, le Conseil d’État estime que l’autorisation litigieuse est, en effet, susceptible d'avoir une incidence importante sur le marché de la fourniture d'accès à internet à haut débit et d'affecter les intérêts des utilisateurs finals.

En ne procédant pas à la consultation préalable du public, l'ARCEP a pris une décision irrégulière au regard du texte précité ; sa décision est annulée. 

(5 avril 2022, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 455321)

 

15 - Autorité de la concurrence – Ouverture d’une phase de « pré-notification » à la demande des parties à un projet de concentration – Élément de procédure de caractère préparatoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir contre un tel acte – Rejet.

Rappel, à nouveau, que « La décision de l'Autorité de la concurrence d'ouvrir, à la demande des parties à un projet de concentration, une (…) phase de « pré-notification » de l'opération susceptible de lui être notifiée ultérieurement en application de l'article L. 430-3 du code de commerce, constitue un élément de la procédure pouvant conduire l'Autorité à se prononcer sur l'opération de concentration en cause. Elle revêt, dès lors, un caractère purement préparatoire et n'est, par suite, et alors même qu'au cours de cette phase les agents chargés de l'instruction de l'affaire peuvent demander, sous peine des sanctions prévues à l'article L. 450-8 et au V de l'article L. 464-2 du code de commerce, la communication d'informations ou de documents auprès de tiers à l'opération, pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. »

(7 avril 2022, Société Iliad et société Free, n° 458272)

 

16 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Sanction pour non respect du quota de diffusion de documentaires - Notion de documentaires - Inexistence en l'espèce - Rejet.

Rejetant la requête dont il était saisi, le Conseil d'État approuve le CSA d'avoir jugé que différents programmes diffusés par la société requérante ne constituaient pas des documentaires en prenant en compte l'existence d'un point de vue d'auteur, la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et, le cas échéant, l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires.

C'est donc sans erreur de droit que le CSA a jugé que les documentaires diffusés par la requérante ont représenté non 72,45% du temps total de diffusion comme soutenu par l'intéressée mais 59,2%, et sans inexactitude ou excès qu'il a fixé à un certain montant la sanction infligée en conséquence.

(22 avril 2022, Société RMC Découverte, n° 449533)

 

17 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande de fixation par le CSA d'une règle applicable à la publication de sondages en période électorale - Incompétence du CSA - Rejet.

Le requérant sollicitait du CSA qu'il impose à tous les sondages réalisés en période électorale de comporter l'ensemble des candidats déclarés, classés par ordre alphabétique. La demande ayant été rejetée, le Conseil d'État est saisi sur renvoi du tribunal administratif primitivement saisi. Le recours est évidemment rejeté, le CSA ne tirant d'aucun texte ou principe la compétence pour fixer des règles applicables aux sondages d'opinion.

(22 avril 2022, M. B., n° 458050)

 

18 - Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Demande d'adresser des mises en demeure à certaines sociétés de programmes à raison de propos tenus à l'antenne - Refus implicite - Rejet.

Le requérant demandait l'annulation de la décision implicite du CSA refusant de mettre en demeure les sociétés nationales de programme Radio France et France Télévisions de se conformer à leurs obligations à la suite d'interventions sur leurs chaînes de Mmes G., F. et B.

Le recours est rejeté car les propos incriminés, tenus par ces personnes, n'ont pas méconnu les règles s'imposant aux journalistes et autres intervenants sur les ondes et les écrans, par suite, le CSA n'a pas lui-même enfreint ses obligations en rejetant la demande dont il était saisi.

Par ailleurs, ne saurait être invoquée, au soutien des prétentions du demandeur, la « Charte d'éthique professionnelle des journalistes », d'une part, car ce texte est sans valeur normative, et d'autre part, car il n'est pas au rang des dispositions dont le Conseil supérieur de l'audiovisuel ou, désormais, l'Autorité publique française de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, doit assurer le respect.

(22 avril 2022, M. E., n° 459057)

 

19 - Enregistrement de photos de personnes dans l'espace public - Utilisation, en certaines hypothèses, dans un dispositif de reconnaissance faciale - Existence d'une nécessité absolue à cet effet - Contrôle du procureur de la république - Dispositif proportionné - Justification par la lutte contre la criminalité publique - Absence de contrariété au droit de l'Union - Rejet.

L'association requérante demandait l'annulation du refus implicite du premier ministre d'abroger les alinéas 16 et 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, tel qu'explicité par un courrier du ministre de la justice, en tant que ces dispositions autorisent un traitement automatisé de données biométriques qui permet de révéler l'identité associée aux déplacements et aux activités de toute personne dont l'image est collectée par les autorités, notamment par le réseau de vidéosurveillance ou par des caméras embarquées, et qui, ce faisant, empêche tout anonymat dans l'espace public, ce qui contrevient aux dispositions de l'article 10 de la directive 2016/680, du 27 avril 2016, lues à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

Le recours est rejeté en chacune des deux branches relevant de la légalité interne.

En premier lieu, en ce qui concerne l'alinéa 16 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le Conseil d'État retient trois éléments.

Tout d'abord, il est jugé que l'enregistrement d'une photographie des personnes mises en cause comportant les données biométriques nécessaires à la mise en œuvre d'un dispositif de reconnaissance faciale a pour objet de permettre aux agents habilités à accéder à ce traitement et à procéder à ces opérations, d'identifier une personne à partir de l'image de son visage, grâce à une recherche automatisée, et, le cas échéant, d'exploiter les informations de la fiche correspondante, pour les finalités mentionnées à l'article 230-6 du code de procédure pénale. Cette identification à partir du visage d'une personne et le rapprochement avec les données enregistrées peut (sic) s'avérer absolument nécessaire à la recherche des auteurs d'infractions et à la prévention des atteintes à l'ordre public, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle. Par suite, l'enregistrement de telles données dans ce traitement répond à la condition de « nécessité absolue » posée par les dispositions de l'art. 10 de la directive précitée.

Ensuite, il est relevé que sont strictement délimités les cas de recueil de ces données.

Enfin, les données ainsi obtenues ne peuvent être utilisées par les services compétents qu'en cas de nécessité absolue ; leur usage faisant l'objet d'un suivi par un magistrat désigné à cet effet par le ministre de la justice et étant soumis au contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, laquelle peut s'assurer du respect des droits des personnes concernées.

Ainsi il n'est porté atteinte ni aux art. 7, 8 et 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne tel que les interprète la CJUE (cf. 6 octobre 2020, La Quadrature du Net et autres, aff. C-511/18, C-512/18 et C-520/18) ni non plus à leur lettre même qui admet des limitations à l'exercice de ces droits et libertés, pour autant que celles-ci soient prévues par la loi, qu'elles respectent le contenu essentiel de ces droits et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles soient nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d'autrui, ni, non plus, à l'art. 10 de la directive invoquée, ce qui dispense d'effectuer un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En second lieu, en ce qui concerne l'alinéa 59 de l'article R. 40-26 du code de procédure pénale, le juge rappelle l'inapplicabilité du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (RGPD), en vertu de son article 2,  aux traitements de données à caractère personnel effectués par les autorités compétentes à des fins de prévention et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière. 

De plus, il ne saurait être soutenu que portent atteinte à l'art. 9 du RGPD les dispositions de l'alinéa litigieux qui se bornent à mettre en oeuvre l'article 230-6 du code de procédure pénale.

(26 avril 2022, Association "la Quadrature du Net", n° 442364)

 

20 - Données personnelles - Traitement de telles données jugé non conforme au Règlement général sur la protection des données (RGPD) - Infliction d'une amende et injonction de mettre ce traitement en conformité avec le RGPD - Rejet.

La requérante a fait l'objet de la part de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d'une condamnation à une amende de 250 000 euros assortie d'une injonction de mettre ses traitements de données en conformité avec le RGPD sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de trois mois accordé pour ce faire. Elle demande l'annulation de ces deux mesures ; son recours est rejeté.

Le juge n'aperçoit pas d'irrégularités dans la procédure suivie par la formation restreinte de la CNIL dans ce dossier, contrairement à ce qui est soutenu.

Sur le fond, il considère avérés les manquements constatés par la CNIL notamment la circonstance que la vulnérabilité du système informatique à l'origine de la violation des données de près de 200 000 clients européens est la conséquence directe de l'absence de mise en œuvre par la société Optical Center d'un contrôle régulier sur les mesures techniques et organisationnelles prises par son sous-traitant chargé d'assurer la sécurité de son site web, aucun document produit par cette dernière ne permettant de justifier de la mise à jour régulière des différents composants logiciels du site. Ensuite, est pointé le manque de robustesse de la politique de mots de passe de la société eu égard aux catégories de données traitées qui incluent notamment le numéro de sécurité sociale de ses clients, ce qui a accru l'exposition de son système à un risque d'attaque informatique. Enfin, il est certain que la société a méconnu ses obligations en matière d'exercice des droits des personnes dont les données sont traitées.

Concernant le montant de la sanction infligée, celui-ci n'apparaît pas d'un montant disproportionné eu égard au chiffre d'affaires de 202 millions d'euros réalisé par la société contrevenante au cours de l'année de commission de l'infraction.

(26 avril 2022, Société Optical Center, n° 449284)

 

21 - Décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Décision portant définition du marché pertinent de fourniture en gros d'accès local en position déterminée - Décision désignant un opérateur comme exerçant une influence significative sur ce marché - Obligations imposées à cet opérateur à ce titre - Illégalité pour incomplétude - Annulation.

L'Arcep détient, en vertu des dispositions des art. L. 37-1, L. 38, L. 38-1 et L. 38-2 du code des postes et des communications électroniques, le pouvoir d'imposer certaines mesures aux opérateurs réputés exercer une influence significative sur un marché du secteur des communications électroniques.

Cette prérogative s'exerce en trois temps.

En premier lieu, l'ARCEP doit d'abord constater qu'un marché pertinent présente des caractéristiques susceptibles de justifier l'imposition d'obligations particulières, en prenant en considération les éventuelles barrières à l'entrée et l'évolution de la structure de ce marché vers une concurrence effective.

En deuxième lieu, l'ARCEP doit alors établir qu'il existe un ou plusieurs opérateurs bénéficiant d'une puissance significative sur ce marché.

En dernier lieu, l'ARCEP peut imposer à ces opérateurs, en vue d'établir une concurrence effective et durable sur ce marché, une ou plusieurs des obligations prévues aux articles L. 38 et L. 38-1 du code des postes et des communications électroniques.

Ces obligations, qui dérogent à la liberté d'entreprise, doivent être justifiées, adaptées et proportionnées au regard de la nature du problème concurrentiel identifié.

A cet effet, l'ARCEP a défini à partir de 2005 un cadre de régulation ayant pour objet de favoriser le développement de la concurrence sur le marché du haut débit fixe, en estimant que l'existence d'un fonctionnement concurrentiel sur le marché de gros était la condition nécessaire d'un fonctionnement satisfaisant sur les marchés de détail de l'accès à haut débit et très haut débit. Cet accès s'effectue au moyen de la boucle locale de cuivre ou d'une boucle locale optique, qui peut être dédiée à un abonné (BLOD) ou mutualisée entre abonnés (« fibre optique jusqu'à l'abonné » ou FttH), et qui permet de déployer la fibre optique depuis le nœud de raccordement jusqu'aux logements ou aux locaux à usage professionnel.

C'est dans ce cadre qu'ont été fixées les obligations imposées à Orange en tant qu'opérateur exerçant une influence significative sur le marché, celles-ci comprenant notamment celle de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à la boucle locale de cuivre, qui ne peut être raisonnablement dupliquée par les opérateurs tiers. Elles incluent également, depuis une décision de l'ARCEP du 14 décembre 2017, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès passif aux infrastructures de sa boucle locale optique mutualisée pour répondre aux besoins du marché des entreprises et de proposer aux autres opérateurs une offre de gros leur permettant de revendre sous leur propre marque ses offres de détail à destination des entreprises.

Par une décision du 15 décembre 2020 l'ARCEP a, d'une part, déclaré pertinent le marché de la fourniture en gros d'accès local en position déterminée, qui comprend les offres d'accès à la boucle locale de cuivre et aux boucles locales optiques des opérateurs de communications électroniques et, d'autre part, a désigné la société Orange comme étant l'opérateur exerçant une influence significative sur ce marché, elle lui a donc imposé un certain nombre d'obligations. 

En particulier, et c'est l'objet du litige, l'art. 18 de cette décision - dont la société requérante demande l'annulation - impose à Orange de faire droit, dans les zones très denses, aux demandes de raccordement de local à usage professionnel à son infrastructure de réseau FttH dans un délai raisonnable qui ne peut en principe excéder six mois à compter de la demande de raccordement. Il précise en outre qu’ « Orange n'est pas tenu de faire droit aux demandes de raccordement d'un local à usage professionnel lorsque celui-ci est situé :

- dans un immeuble faisant déjà l'objet d'une convention d'équipement en fibre optique signée avec un autre opérateur d'immeuble ou

- dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en poches de basse densité ou

 - dans un immeuble situé dans une zone arrière de point de mutualisation exploité par un autre opérateur d'immeuble en dehors des poches de basse densité, lorsque l'immeuble a moins de douze locaux et a vocation à être raccordé à ce point de mutualisation ».

Pour annuler cette disposition, le Conseil d'État, accueillant l'argumentation d'Orange, relève qu'aucun des postulats mentionnés par l'ARCEP dans les énonciations de la décision attaquée « n'est quantifié et que le seul élément qui serait susceptible de caractériser un frein au développement de la concurrence relevé par l'ARCEP est formulé en termes hypothétiques. (...) Il ressort des pièces du dossier, notamment du document soumis à la consultation publique le 11 juillet 2019, ainsi que des échanges intervenus au cours de la séance orale d'instruction qui s'est tenue le 16 mars 2022, qu'à la date de la décision attaquée, la part de marché nationale d'Orange sur le segment des accès à haute qualité des entreprises était inférieure à 40 % sur la boucle locale de cuivre et à 30 % sur la boucle locale optique dédiée, en nette diminution par rapport à 2017, et que ses parts de marché dans les zones très denses étaient inférieures à ses parts de marché nationales. »

Faute que l'ARCEP ait identifié sur les marchés considérés aucun obstacle au développement d'une concurrence effective qui serait susceptible de justifier les obligations litigieuses, il s'ensuit que, par sa décision querellée, il a violé les dispositions du code des postes et des communications électroniques mises en oeuvre.

(26 avril 2022, Société Orange, n° 449833)

 

22 - Transfert de données personnelles - Transfert de données des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers - Incompétence de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Absence de menace grave et immédiate sur les requérants - Rejet.

Était demandée l'annulation de la décision de la CNIL rejetant la demande de la Ligue des droits de l'homme tendant à ce que la Commission exerce en urgence son droit de contrôle et de sanction afin de suspendre ou d'interdire le transfert de données personnelles des chauffeurs Uber vers les États-Unis et tout pays tiers.

Le recours est rejeté.

C'est avec suffisamment de précision que la CNIL a justifié de son incompétence pour connaître de cette demande, qui relève de son homologue néerlandaise, incompétence qui ne saurait être mise entre parenthèses du fait que la CJUE a constaté que les États-Unis n'assurent pas un niveau adéquat de protection des données à caractère personnel transférées depuis l'Union vers des organisations établies dans ce pays, en raison des possibilités d'accès à ces données et d'utilisation de celles-ci par les autorités publiques américaines dans le cadre de programmes de surveillance fondés sur l'article 702 du « Foreign Intelligence Surveillance Act » (FISA) ou de l' « Executive order n° 12333 »

(26 avril 2022, Ligue des droits de l'homme et autres, n° 449845)

 

Biens

 

23 - Avis de droit - Association syndicale autorisée de propriétaires - Demande préfectorale de modification d'un acte pris par une telle association syndicale -Modification d'office - Délai - Acte soumis à l'obligation de transmission - Application de la jurisprudence Préfet de l'Eure.

Le Conseil d'État était saisi d'une demande d'avis de droit portant sur l'étendue et l'exercice du pouvoir de tutelle du préfet sur une association syndicale autorisée de propriétaires tel qu'il résulte des dispositions de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires et de son décret d'application du 3 mai 2006.

Pour l'essentiel, cette tutelle porte sur ceux des actes des associations syndicales soumis à l'obligation de transmission.

Tout d'abord, en cas de refus de l'association de donner suite à une demande de modification faite par le préfet, celui-ci dispose d'un délai de deux mois (parfois réduit à huit ou dix jours) pour lui demander d'opérer, dans les trente jours, cette modification pour des motifs de légalité ou d'opportunité. Puis, en cas de refus explicite de l'association d'effectuer cette modification ou de refus implicite, passé le délai de trente jours, le préfet prend cette décision dans les deux mois de ce refus, ce délai n'étant pas de caractère franc. S'il n'a pas pris de décision à l'expiration de ce délai - lequel ne peut être prorogé - il est réputé avoir renoncé à la modification.

Les actes devant être obligatoirement transmis au préfet ne peuvent recevoir exécution qu'une fois qu'ils ont été approuvés. Ceux des actes qui sont soumis à approbation ainsi que tous les autres actes, n'entrent en vigueur qu'une fois expiré le délai imparti au préfet pour en demander, le cas échéant, la modification ou, lorsque le préfet a demandé une telle modification, qu'une fois que celle-ci a été adoptée par l'association syndicale autorisée ou que le préfet y a procédé d'office ou qu'il y a finalement renoncé.

Le préfet ne peut pas, en raison des pouvoirs de tutelle dont il dispose à leur égard, demander au juge l'annulation d'un acte soumis à l'obligation de transmission. C'est l'application de la bien connue jurisprudence Préfet de l'Eure (30 mai 1913, n° 49241, Rec. Lebon p. 583 ; Sirey 1915.III. p. 9 note M. Hauriou).

En revanche, pour les actes de l'association syndicale non soumis à cette obligation, le préfet dispose du délai de droit commun du recours contentieux soit deux mois, délai faisant éventuellement suite à l’exercice d'un recours gracieux.

(19 avril 2022, M. et Mme D. et Catherine G., Association syndicale autorisée des propriétaires des rues Mirabeau et Sergent-Bobillot, n° 461061)

 

Collectivités territoriales

 

24 - Conseil régional – Règlement intérieur – Régime de l’exercice du droit d’amendement – Temps de parole d’un groupe épuisé – Amendement réputé défendu par ce groupe – Régularité – Annulation.

Le conseil régional d’Île-de-France a adopté dans son règlement intérieur la disposition suivante en son article 24 : « Quand le temps de parole d'un groupe est épuisé, l'amendement venant en discussion est réputé défendu ».

Le conseiller régional requérant en a demandé l’annulation, ce que lui a accordé l’arrêt d’appel infirmatif en jugeant que cette disposition portait une atteinte excessive au droit d’amendement.

Sur pourvoi de la région, le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit en retenant, d’une part, qu’aucune disposition non plus qu’aucun principe n’institue un droit d’amendement des élus locaux, et d’autre part, que l’ensemble du régime des amendements prévu au règlement intérieur de ce conseil régional en assure l’exercice effectif comme l’encadrement raisonnable.

On peut juger discutable l’affirmation que n’existe pas un droit d’amendement des élus locaux alors que les conseils des collectivités territoriales sont des assemblées délibérantes dotées d’un pouvoir plénier de décision dans leur ordre de compétence et que le droit d’amendement est naturellement inhérent aux membres de ces sortes d’organismes.

(14 avril 2022, M. François Damerval, n° 438429)

 

25 - Commune – Expression des élus - Obligation d’équité entre les espaces d’expression respectivement offerts à la majorité et à l’opposition – Obligation du caractère suffisant de l’espace ouvert à l’opposition – Annulation et rejet.

Le juge des référés du tribunal administratif avait, sur le fondement de l’art. L 521-1 du CJA, suspendu l’exécution d’une délibération du conseil municipal de la commune appelante pour avoir, par une modification de l’art. 32 de son règlement intérieur, réduit de moitié l'espace globalement réservé à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité municipale et réservé un espace aux élus de la majorité. Il a en particulier jugé qu’était, par-là, violé l’art. L. 2121-27-1 du CGCT.

Saisi par la commune, le juge des référés du Conseil d’État annule cette ordonnance en estimant que ce dernier article imposait seulement, d’une part, que l'espace réservé à l'expression des conseillers n'appartenant pas à la majorité municipale présente un caractère suffisant et soit équitablement réparti eu égard aux caractéristiques de la publication et, d'autre part, qu’il n’avait pas pour objet d'interdire qu'un espace soit attribué à l'expression des élus de la majorité, sous réserve que cette expression n'ait pas pour effet, notamment au regard de son étendue, de faire obstacle à l'expression des élus n'appartenant pas à la majorité.

Or il relève que le premier juge en décidant comme il l’a fait a commis une erreur de droit car il ne lui appartenait que de se prononcer sur le caractère suffisant et équitablement réparti, au regard des caractéristiques de la publication, de l'espace réservé à l'expression des élus de l'opposition.

(ord. réf. 15 avril 2022, Commune de Thouaré-sur-Loire, n° 448912)

(26) V. aussi la solution inverse adoptée sur le même sujet, dans un contexte de droit et de fait différent, par : 15 avril 2022, M. C. d'Hulst, Mme E. D., M. B. A. et Mme Amandine van Mullen c/ commune de Willems, n° 451097.

 

27 - Nouvelle-Calédonie - Conseil du dialogue social - Étendue du champ de sa saisine pour avis - Défense en justice des délibérations prises par le Congrès - Qualité à cet effet du président du gouvernement de Nouvelle-Calédonie - Rejet.

Sur pourvoi du gouvernement néo-calédonien, le Conseil d'État est amené à deux importantes précisions.

Tout d'abord, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a qualité pour défendre, au nom de la Nouvelle-Calédonie, devant les juridictions dans les instances mettant en cause la légalité des délibérations adoptées par le Congrès.

Ensuite, compte tenu de la compétence générale dévolue au conseil économique, social et environnemental de la Nouvelle-Calédonie, où siègent aussi des représentants des organisations professionnelles et des syndicats, le conseil du dialogue social n'est compétent pour émettre un avis que sur les textes ou leurs dispositions qui ont pour objet le travail, l'emploi, la formation professionnelle, la protection ou la prévoyance sociale applicables aux seuls salariés.

C'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que le conseil du dialogue social aurait dû être consulté sur le projet de délibération-cadre litigieux, alors que ce texte fixe les orientations d'une réforme globale de la protection sociale sans comporter de dispositions spécifiques aux seuls salariés.

(22 avril 20222, Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 445320)

 

Contrats

 

28 - Principes directeurs de la commande publique – Information exacte sur les critères de sélection des offres – Moment de cette information – Ajout de sous-critères, pondération et hiérarchisation – Obligations – Annulation.

Dans cette affaire où étaient en cause les conditions de sélection des offres dans le cadre de la construction de la nouvelle cité administrative de Toulouse, le juge fait deux rappels classiques.

1°/  « (…) pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire dès l'engagement de la procédure d'attribution. Le pouvoir adjudicateur est ainsi tenu d'informer dans les documents de consultation les candidats des critères de sélection des offres ainsi que de leur pondération ou hiérarchisation. S'il décide, pour mettre en œuvre ces critères de sélection des offres, de faire usage de sous-critères également pondérés ou hiérarchisés, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

En revanche, il n'est pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés. »

2°/ « (…) il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats. »

(1er avril 2022, Société Bourdarios, n° 458793 ; Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 458864, jonction)

 

29 - Comité consultatif de règlement amiable des différends – Compétence matérielle – Exclusion des actions en reprise des relations contractuelles – Saisine pour ce motif n’interrompant pas le délai de recours contentieux – Forclusion opposée à bon droit – Rejet.

A la suite de la résiliation du marché de maîtrise d'œuvre dont elle était titulaire, l’entreprise requérante a saisi le comité consultatif interrégional de règlement amiable des différends (CCIRA) d’une demande de reprise des relations contractuelles mais cet organisme, s’il peut être saisi des litiges relatifs à une résiliation n’a pas compétence pour ordonner la reprise des relations contractuelles. Il s’ensuit qu’outre le rejet de la demande ce mauvais aiguillage a entraîné la forclusion de la demande car, a jugé la cour administrative d’appel approuvée en cela par le Conseil d’État, le temps passé en vain devant la CCIRA ne conserve pas le délai de recours contentieux.

On peut comprendre l’étonnement de la demanderesse en un temps où l’on encense le recours au règlement amiable des litiges lequel devrait ipso facto, comme le recours gracieux ou le recours hiérarchique, conserver le délai du recours contentieux. Gageons qu’une évolution rendue évidente par le bon sens se produira sans trop tarder.

(12 avril 2022, Société Agence d'architecture Frédéric Nicolas, n° 452601)

 

30 - Marché de prestations intellectuelles - Décompte final - Solde du marché - Juridiction statuant ultra petita - Exigence d'un mémoire préalable en réclamation avant toute instance contentieuse - Absence - Rejet.

Le centre hospitalier de Cannes a conclu en 2002 avec la société Somerco un marché de prestations intellectuelles portant sur une mission d'ordonnancement, pilotage et coordination (OPC) d'un projet de restructuration complète d'un ensemble immobilier pour une rémunération globale et forfaitaire. Ce marché a fait l'objet d'un marché complémentaire ainsi que d'avenants. Par une décision du 2 mars 2009 il a été procédé à la résiliation des marchés aux torts exclusifs de la société Somerco.

Le litige s'est porté sur le décompte final, le centre hospitalier n'ayant pas admis le projet de décompte présenté par l'entrepreneur et lui ayant substitué ses propres décomptes généraux des marchés résiliés.

L'appel principal, formé par le centre hospitalier, portait sur la contestation d'une somme mise à sa charge par l'arrêt d'appel alors que la cour n'avait été saisie d'aucune demande en ce sens. L'arrêt est annulé sur ce point pour avoir statué au-delà des conclusions donc ultra petita.

La solution est logique et classique.

L'appel incident de la société Somerco portait sur la dénaturation des pièces du dossier qui aurait été commise par la cour en arrêtant les montants dus à celle-ci. Le pourvoi est rejeté car il résulte des dispositions combinées des articles 12.31, 12.32 et 40.1 du cahier des clauses administratives générales « prestations intellectuelles » (CCAG-PI), applicable aux marchés litigieux, que tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet, préalablement à toute instance contentieuse, d'un mémoire en réclamation de la part du titulaire du marché. Or la cour s'est fondée sur ce point sur le projet de décompte car les montants qui y étaient portés n'ont pas été contestés par la société Somerco dans son mémoire en réclamation.

La solution ici retenue est constante.

(21 avril 2022, Centre hospitalier de Cannes, Société Sommerco, n° 453914)

 

31 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

V. n° 178

 

Droit du contentieux administratif

 

32 - Obligation d’emploi de la langue française dans les décisions de justice (édit de Villers-Cotterêts, août 1539) – Possibilité d’une citation en langue étrangère assortie de sa traduction en français ou dont la teneur est explicitée en français – Absence – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 2 de la Constitution de 1958 et de l’article 111 de l’édit d’août 1539 dit édit de Villers-Cotterêts que tout jugement doit être rédigé en langue française.

Ce qui implique, d’une part, que les productions et mémoires des parties en langue étrangère doivent être accompagnées d’une traduction authentique en français cette version seule pouvant être soumise au débat contradictoire, et d’autre part, qu’un jugement n’est pas irrégulier lorsqu’il inclut la citation d'un texte en langue étrangère si cette citation est assortie soit de sa traduction en langue française, soit d'une explicitation de sa teneur en français.

En l’espèce, la cour administrative d'appel de Versailles s'est fondée sur les dispositions en langue anglaise de l'article 31 de la loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée applicable à l'Île de Man sans assortir sa citation d'une traduction en langue française ou d'une explicitation de sa teneur en français. L’arrêt est annulé.

Le lecteur appréciera sans doute de trouver ici le texte savoureux de l’art. 111 de l’édit précité :

« Et pour ce que telles choses sont souvent advenues sur l'intelligence des mots latins contenus esdits arrests, nous voulons d'oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploicts de justice, ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement. »

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

V. aussi, sur un autre aspect de la décision, le n° 70

 

33 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

V. n° 68

 

34 - Demandes d’asile et de l’octroi de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Annonce d’un mémoire complémentaire – Production dudit mémoire – Rejet pour non production du mémoire annoncé – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier et est en conséquence annulée la décision de la Cour nationale du droit d’asile qui rejette une demande d’octroi du statut de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire, pour défaut de production du mémoire complémentaire qui avait été annoncée alors que ce mémoire a été produit dans les délais légaux et comportait des moyens nouveaux qui n’étaient pas inopérants.

(5 avril 2022, M. A., n° 447324)

 

35 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

V. n° 177

 

36 - Refus d’entrer sur le territoire français opposé par un brigadier de police à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle – Décision individuelle – Tribunal administratif compétent pour connaître du recours contre cette décision – Lieu du siège de l’autorité qui a pris la décision attaquée – Renvoi au tribunal administratif de Montreuil.

Un ressortissant congolais s’étant vu refuser par un brigadier de police, à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle, l’autorisation de pénétrer sur le territoire français, celui-ci a saisi le juge administratif d’un recours contre cette décision.

Il s’agissait de déterminer le tribunal territorialement compétent pour connaître de ce litige.

La difficulté venait de ce que le CESEDA qualifie une telle décision de mesure individuelle et de ce que l’art. R. 312-8 du CJA détermine en ce cas le tribunal compétent par le lieu de résidence du destinataire de la mesure individuelle de police. Pour sortir de l’impasse le Conseil d’État use de l’article-balai qu’est l’art.  R. 312-1 du CJA dont la première phrase du premier alinéa est ainsi conçue : « Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ».

Par suite, la connaissance du litige est ici attribuée au tribunal administratif de Montreuil dont le ressort territorial comprend, en vertu des dispositions de l’art. R. 221-3 du CJA, l'emprise de l'aérodrome de Paris - Charles-de-Gaulle.

(5 avril 2022, M. B., n° 460466)

(37) V. aussi, identique, à propos du refus d’accès en France opposé à un ressortissant ivoirien et sur le même aéroport : 5 avril 2022, M. B., n° 460470.

 

38 - Décision de non-lieu à statuer en excès de pouvoir – Non-lieu tiré d’une autre décision – Impossibilité en l’absence de caractère irrévocable de cette dernière décision – Possibilité en cas de jonction des requêtes – Hypothèse de saisine du juge, à la fois, de conclusions à fin de retrait et à fin d’annulation d’une même décision – Non-lieu à statuer.

Dans un litige né de la contestation par une candidate non admise à un concours de recrutement d'un professeur des universités-praticien hospitalier, le juge est amené, car c’est un des aspects de cette affaire, à revisiter les conditions de prononcé d’un non-lieu à statuer par le juge de l’excès de pouvoir du fait de la disparition de l’objet du litige en cours d’instance.

En principe, il n’est pas possible à ce juge de déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable.

Cependant, lorsque les deux affaires relèvent de sa compétence, il est toujours loisible à ce juge, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de les joindre pour statuer par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations.

Cette solution a le grand avantage de permettre à toutes les parties concernées, en cas d'exercice d'une voie de recours, d’être mises en cause et celle à laquelle un non-lieu a été opposé, d’être mise à même de former, si elle le souhaite, un recours incident contre cette partie du dispositif du jugement. 

Par ailleurs, dans le cas où le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant à l'annulation d'une décision et de conclusions tendant à son retrait, si celui-ci statue par une même décision, il se prononce d’abord sur les conclusions à fin de retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière. 

C’est ce qui se produit en l’espèce s’agissant de la demande d’annulation de la décision du jury du concours de ne pas admettre la requérante.

(6 avril 2022, Mme I., n° 432065)

 

39 - Commune condamnée en première instance – Défaut d’exercice par le maire d’une compétence exercée au nom de l’État – Absence de qualité du maire pour interjeter appel – Ministre ne s’étant pas approprié ses conclusions – Irrecevabilité.

Le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, par une ordonnance du 28 octobre 2021, avait fait injonction au maire de la commune requérante et au recteur de l’académie de Mayotte de « faire le nécessaire (...) pour que soit assurée la scolarisation dans une école maternelle de la commune » du fils des requérants.

Ces derniers et des associations ont à nouveau saisi ce juge afin qu’en application des dispositions de l’art. L. 911-4 du CJA soit exécutée l’ordonnance précédente ; par une ordonnance du 20 janvier 2022, il a enjoint les mêmes destinataires de scolariser l’enfant dans les cinq jours sous astreinte de cent euros par jour de retard.

La commune saisit le Conseil d’État par voie d’appel.

Cet appel est jugé irrecevable car le Conseil d’État estime que l’ordonnance attaquée « ne porte pas (…) sur les seules modalités d'admission de l'enfant dans une classe de maternelle, mais sur son inscription sur la liste scolaire, qui relève des compétences du maire agissant (…) au nom de l'État ».

Seul un ministre, ou le premier d’entre eux, avait qualité pour interjeter appel par conclusions propres ou en s’appropriant celles de la commune.

L’appel formé par le maire l’a été par une personne dépourvue de qualité à cet égard et il est donc irrecevable et cela alors même que tant la première ordonnance que la seconde imposaient au maire de les exécuter.

(ord. réf. 4 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462087)

(40) V. aussi, identiques, six autres ordonnances : ord. réf. 5 avril 2022, Commune de Tsingoni, n° 462088 ; n° 462090 ; n° 462091 ; n° 462092 ; n° 462094 ; n° 462095.

 

41 - Covid-19 – Ordonnances du 18 novembre 2020 et ordonnance modificative du 13 mai 2020, portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif – Contestations de divers aspects de procédure devant l’ensemble des juridictions administratives – Critique de dispositions applicables à la Cour nationale du droit d’asile – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de dispositions contenues dans plusieurs ordonnances destinées à modifier le droit procédural administratif en raison de l’épidémie de Covid-19.

De très nombreux moyens étaient développés, tous rejetés :

- certains comme inopérants (ainsi celui tiré de la non consultation du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la loi du 23 mars 2020, art. 11, en dispensant),

- certains comme devant être écartés (la procédure administrative relève du règlement non de la loi ; les ordonnances ne sortent pas du champ fixé par la loi d’habilitation, par ex. la dispense de conclusions du rapporteur public, la possibilité de référé sans audience ou la signature des décisions collégiales par le seul président ; plusieurs dérogations sont à caractère exceptionnel et n’interdisent pas, lorsque c’est possible, l’utilisation des règles habituelles),

- d’autres comme relevant du domaine de la QPC (irrecevables car non présentées en l’espèce par un mémoire distinct, ainsi de la contestation du référé sans audience),

- d’autres car les dispositions critiquées opèrent en réalité une conciliation raisonnable entre des exigences contradictoires, ce qui les fait échapper au reproche d’atteinte à diverses convention ou charte européennes,

- d’autres encore car l’atteinte à la collégialité qui est dénoncée par les requêtes est temporaire, de champ limité et réservée aux cas exceptionnels.

Il en va de même des dispositions exceptionnelles régissant la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile.

(6 avril 2022, Association ELNA France et autres, n° 440715 ; Association GISTI et autre, n° 440806 ; Conseil national des barreaux, n° 440866 ; Syndicat de la juridiction administrative, n°441399 et n° 447578 et n° 447873) 

 

42 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

V. n° 138

 

43 - Gendarmerie nationale – Contestation d’un arrêté ministériel (armées) relatif au régime indemnitaire des artificiers – Gendarmes relevant du ministre de l’intérieur – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Rejet.

Des gendarmes ont demandé à la ministre des armées d'abroger l'arrêté du 5 février 2018 fixant, par armées et directions, le nombre d'artificiers militaires susceptibles de percevoir une indemnité mensuelle de déminage et de dépiégeage en tant qu’il n’inclut pas la gendarmerie parmi les entités pouvant bénéficier de cette indemnité.

Ils demandent l'annulation de la décision implicite de rejet de cette demande par la ministre des armées.

Leur recours est rejeté comme irrecevable car l’abrogation d’une décision administrative ne saurait être demandée que par une personne y ayant intérêt ce qui n’est pas le cas des gendarmes nationaux à l’égard d’une décision du ministre des armées puisque ces agents relèvent du ministre de l’intérieur.

(6 avril 2022, M. L. et autres, n° 457348)

 

44 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(13 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

45 - Recours contre une disposition d’une ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Ordonnance ratifiée en cours d’instance – Recours devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une disposition d’une ordonnance de l’art. 38 ratifiée par le législateur pendant le cours de l’instance rend sans objet ce recours et il n’y a donc plus lieu d’y statuer.

(13 avril 2022, M. Israël, n° 441050)

 

46 - Fonctionnaire des douanes mis à la retraite – Mise en cause de la responsabilité de l’État notamment en raison d’un défaut d’information sur ses droits à pension de retraite – Interprétation erronée de cette demande par la juridiction d’appel – Annulation.

Se méprend sur les écritures dont elle est saisie la cour administrative d’appel qui juge que l’appelant ne contestait pas ne pas remplir les conditions légales lui permettant de bénéficier d'un report de la limite d'âge alors que celui-ci soutenait dans ses conclusions d’appel que bien qu'ayant atteint la limite d'âge qui lui était applicable le 28 février 2015, il aurait pu bénéficier, en raison de sa situation familiale, d'un recul de cette limite d'âge en application de l'article 4 de la loi du 18 août 1936 concernant les mises à la retraite par ancienneté, ce qui lui aurait permis de détenir pendant six mois le neuvième échelon de son grade.

La pension de retraite eût été alors calculée sur le neuvième échelon de son grade et non, comme elle l’a été, sur le huitième.

(14 avril 2022, M. B., n° 442882)

 

47 - Procédure contentieuse – Mémoire présenté avant la clôture de l’instruction et contenant des conclusions subsidiaires – Mémoire non visé et conclusions non examinées – Annulation.

Doit être annulé le jugement qui, rejetant les conclusions principales d’un requérant, ne vise pas le mémoire qu’il a présenté avant la clôture de l’instruction et ne se prononce pas sur les conclusions subsidiaires qu’il contient.

(14 avril 2022, Société de l’abattoir de Tarbes, n° 443658)

 

48 - Avis d’audience – Communication à un avocat associé au sein de la structure à laquelle appartient l’avocat mandataire de la requérante – Procédure irrégulière – Annulation.

Doit être annulé le jugement rendu sur un dossier alors que l’avis d’audience y relatif a été adressé non à l’avocat mandataire de la société demanderesse mais à un autre avocat associé à ce dernier dans une « communauté de bureaux » sans qu’il soit établi que l’avocat mandataire aurait eu connaissance de cet avis et alors que la demanderesse n’a été ni présente ni représentée à l’audience.

(14 avril 2022, Société Bibko Système, n° 443691)

(49) V. aussi, adoptant la même solution à propos du même avocat mais dans un autre dossier : 14 avril 2022, M. C., n° 443693.

(50) V. également, comparable, s’agissant de l’omission de viser une note en délibéré : 14 avril 2022, M. et Mme D., n° 446116.

 

51 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Contradiction entre les motifs et le dispositif d’un arrêt d’appel – Rejet d’un recours en rectification – Erreur de droit – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt d’appel qui juge qu’une contradiction entre les motifs d’un arrêt et son dispositif ne peut présenter le caractère d'une erreur matérielle susceptible d'être corrigée par la voie d'un recours en rectification d’erreur matérielle.

(15 avril 2022, M. D., n° 450394)

(52) V. aussi, rejetant un recours en rectification d'erreur matérielle fondé sur ce qu'un président de chambre au Conseil d'État a informé l'avocat des requérants qu'une ordonnance était susceptible d'être prise sur le fondement des 1° à 4° de l'article R. 822-5 CJA sans attendre la production d'éventuels mémoires et sans renouveler cette information après une telle production : 25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870.

(53) V. également, rejetant un tel recours car est en cause non une erreur matérielle mais une appréciation juridique ou un motif surabondant : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449354 et n° 449356, deux espèces, ou encore un moyen inopérant auquel il n'a pas été répondu : 29 avril 2022, Société BNP Paribas, n° 449359.

 

54 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

En l'espèce, deux recours en annulation d'un permis de construire délivré au défendeur avaient été formés, l'un par une personne physique, l'autre par une association. Puis cette dernière s'est désistée de son recours contentieux, ce dont il lui a été donné acte. Cette association a alors formé une intervention volontaire en demande au soutien des conclusions de la demanderesse personne physique. Cette intervention a été rejetée en première instance ainsi que la demande d'annulation du permis de construire attaqué.

L'association a, seule, interjeté appel de ce jugement et la cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que le permis de construire.

Le pétitionnaire se pourvoit en cassation.

Deux questions de procédure se posaient.

La première était de savoir si, s'étant désistée, l'association pouvait néanmoins poursuivre l'instance.

La seconde était celle de l'intérêt à agir de l'association.

Sur le premier point, il n'y avait pas vraiment de difficulté. Réitérant une jurisprudence désormais bien établie et au rebours de sa jurisprudence antérieure, le Conseil d'État rappelle qu'un désistement dont la portée n'est pas précisée par le désistant n'est qu'un désistement d'instance non un désistement d'action. On sait que la différence est importante : alors que le désistement d'action interdit toute reprise de la même demande devant le juge ce qui entraînerait ipso facto son irrecevabilité, le désistement d'instance n'empêche pas une telle reprise. Ici le juge de cassation confirme que c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel en a jugé ainsi.

Sur le second point, l'arrêt est annulé en toutes ses conséquences. En effet, il résulte de l'art. 3 des statuts de l'association requérante qu'elle a pour objet « d'assurer la protection de la nature et de l'environnement de l'île de Noirmoutier, de sauvegarder sa flore, sa faune, ses réserves naturelles, en tenant compte du milieu dont elles dépendent, de veiller au bon équilibre des intérêts humains, sociaux, culturels, scientifiques, économiques, sanitaires et touristiques ». Or la cour a jugé que cette association aurait eu qualité, en vertu de cet article 3, pour introduire elle-même un recours et qu'elle était ainsi recevable à interjeter appel du jugement ayant rejeté la demande d'annulation du permis attaqué.

Il tombe sous le sens que cet objet statutaire ne comprend pas la faculté de former un recours en annulation d'un permis de construire portant sur une maison individuelle située sur un terrain supportant déjà une construction et lui-même inclus dans une zone déjà urbanisée de la commune. A défaut d'intérêt à agir, l'association ne pouvait ni saisir elle-même le tribunal aministratif d'une telle demande ni, non plus, intervenir aux côtés de la demanderesse. D'où il suit que, sans qualité pour agir en première instance elle n'avait pas davantage qualité pour interjeter appel. L'annulation du permis à la demande d'un requérant qui ne pouvait agir est donc elle-même annulée.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

 

55 - Référé suspension - Décision implicite de rejet d'abroger une disposition du décret du 11 décembre 2019 portant réforme de la procédure civile - Maintien en vigueur du régime de l'exécution provisoire (ancien art. 524 du code de procédure civile) - Rejet.

La société requérante demandait au juge administratif du référé, à la fois :

- qu'il ordonne la suspension de l'exécution de la décision implicite du premier ministre refusant d'abroger le décret du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile en tant qu'il maintient l'application de l'ancien article 524 du code de procédure civile aux instances engagées avant le 1er janvier 2020 sans prévoir expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés ;

- qu'il enjoigne au susdit d'édicter à titre provisoire, jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué au fond, un décret complétant celui du 11 décembre 2019 prévoyant expressément l'arrêt de l'exécution provisoire en cas d'impossibilité d'exécuter la condamnation sans céder des immobilisations au sens comptable ou souscrire un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'autres atteintes au droit de propriété de l'emprunteur que l'octroi de sûretés.

Le référé est rejeté au terme d'une argumentation embarrassée, le juge évoquant « le fonctionnement de l'autorité judiciaire », ce qui semble pencher vers une incompétence du juge aministratif saisi, puis constate l'absence d'urgence et poursuit enfin par la recherche d'un éventuel doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

En bref, le décret attaqué ayant décidé le maintien de l'application de l'ancien art. 524 du CPC à toutes les instances introduites avant le 1er janvier 2020, la société requérante - qui a été condamnée par le tribunal de commerce, sous régime d'exécution provisoire, à verser près de 51 000 000,00 d'euros à une autre société -, estime que cette mise en oeuvre immédiate du jugement de condamnation l'exposerait à se trouver dans une situation critique, elle en a demandé l'abrogation au premier ministre. Par son silence, ce dernier a refusé d'accéder à cette exigence.

Le juge des référés estime que la condition d'urgence n'est pas satisfaite car les éléments dont la société « fait état se rapportent au fonctionnement de l'autorité judiciaire à travers l'appréciation que le premier président de la cour d'appel, saisi au titre de l'article 524 du code procédure civile maintenu en vigueur, est susceptible de porter prochainement, à la lumière d'un rapport d'expertise qu'il a sollicité, sur sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire de la condamnation la concernant au regard des risques que fait peser sur sa pérennité la condamnation prononcée à son encontre par le premier juge. Ces circonstances ne sont pas au nombre de celles qui caractérisent une urgence justifiant que, sans attendre, le juge administratif suspende le refus d'abroger les dispositions réglementaires qui ont seulement eu pour effet de maintenir en vigueur aux instances en cours les dispositions de l'ancien art. 524 ».

Puis, alors que cela n'est pas nécessaire, il est passé à l'examen du doute sérieux sur la légalité du refus dont il est affirmé qu'il n'existe pas en l'espèce car il ne saurait être soutenu que « faute d'imposer le prononcé de l'arrêt de l'exécution provisoire d'une condamnation à caractère pécuniaire lorsqu'elle a pour effet d'entraîner la cession d'actifs stratégiques ou la souscription d'un emprunt à un taux particulièrement élevé ou assorti d'atteintes au droit de propriété autres que l'octroi de sûretés, (cette exécution provisoire) porte une atteinte disproportionnée au droit de propriété (...) ».

(14 avril 2022, SAS InnoVent, n° 462980)

 

56 - Référé liberté - Intéressé figurant sur une liste d'attente - Demande devant être traitée par rang d'antériorité - Invocation d'une atteinte à une liberté fondamentale - Diligences accomplies excluant une telle atteinte - Rejet.

L'intéressé, arrivé en France en novembre 2021, a demandé à être scolarisé. Suite à des tests pratiqués en janvier 2022, le centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés (CASNAV) a préconisé sa scolarisation dans une unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A).

Il a été avisé par courriel du 14 mars 2022 par les services compétents que sa demande sera traitée en fonction des places vacantes et de l'antériorité des demandes en attente.

Le juge des réfrés déduite de ces diligences accomplies qu’il en résulte que l'intéressé ne saurait soutenir que son défaut actuel de scolarisation doit être regardé comme portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 19 avril 2022, M. A., n° 462747)

 

57 - Contentieux fiscal - Vérification de comptabilité - Non communication de pièces - Pièces jugées ne pas constituer des pièces comptables - Erreur de qualification juridique des faits - Annulation.

Commet une erreur de qualification des faits conduisant à sa cassation l'arrêt d'appel jugeant qu'aucune des pièces sur lesquelles s'était fondée l'administration fiscale pour procéder aux rehaussements litigieux ne présentait le caractère de pièces comptables de l'entreprise vérifiée et que l'administration n'était, dès lors, pas tenue de soumettre ces pièces à un débat oral et contradictoire,  alors que plusieurs d'entre elles étaient des factures émises par les fournisseurs de la société requérante et constituaient donc des pièces comptables.

(21 avril 2022, Société Uranie International, n° 442599)

 

58 - Détenu – Demande de libération conditionnelle - Rapports remis au juge de l'application des peines - Contestation - Compétence exclusive de la juridiction judiciaire - Rejet.

Le requérant, détenu, a demandé sa libération conditionnelle et celle-ci lui a été refusée au vu de rapports émis par les agents pénitentiaires compétents et communiqués au juge de l'application des peines.

Il sollicite du juge administratif l'indemnisation par l'État du préjudice moral qu'il a subi de ce fait.

Le Conseil d'État estime - très logiquement - que la responsabilité de l'État à raison de l'avis du représentant de l'administration pénitentiaire mentionné à l'article 712-7 du code de procédure pénale et des rapports produits par le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) à destination du juge de l'application des peines dans le cadre et pour les besoins de l'instruction d'une demande de libération conditionnelle ne peut être mise en cause que devant le juge judiciaire.

En effet, une telle demande met en cause le fonctionnement du service public de la justice judiciaire (TC 27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/ État, n° 01420 ; cet arrêt est parfois, abusivement, dénommé « Préfet de la Guyane ») du fait d'actes intervenus au cours d'une procédure judiciaire. 

(22 avril 2022, M. C., n° 449084)

 

59 - Acte réglementaire - Arrêté ministériel fixant les quotas de thon rouge pouvant être pêché - Absence de caractère réglementaire - Incompétence du Conseil d'État pour en connaître en premier ressort - Rejet.

(ord. réf. 22 avril 2022, Syndicat professionnel des pêcheurs petits métiers d'Occitanie (SPMLR), n° 463043)

V. n° 12

 

60 - Recours en révision - Cas limitativement énumérés par l'art. R. 834-1 CJA - Cas de l'espèce n'en relevant pas - Rejet.

Les cas dans lesquels peut être introduit un recours en révision sont strictement et limitativement énumérés à l'art. R. 834-1 CJA. Dès lors, les requérants ne sauraient fonder un tel recours sur la circonstance que l'envoi d'un courrier les avisant, ainsi que leur conseil, de ce que l'admission de leur pourvoi était susceptible d'être refusée en application des dispositions de l'article R. 822-5 du CJA n'était pas suffisant pour répondre à l'exigence d'information préalable prévue par les dispositions de l'article R. 822-5-1 de ce code, dès lors que ce courrier leur a été communiqué préalablement à l'enregistrement de leur nouveau mémoire régularisé par un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et que ce courrier n'a pas été réitéré. 

(25 avril 2022, M. et Mme L., n° 456870)

 

61 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de droit ayant la nature de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

V. n° 161

 

62 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

V. n° 214

 

63 - Transfert d'un aérodrome envisagé puis délaissé - Conditions d'indemnisation des propriétaires riverains - Contestation - Demande d'ordonner une médiation - Rejet.

Le litige portait sur les conditions d'indemnisation des propriétaires riverains d'un aérodrome dont le transfert est annoncé puis abandonné, en raison du dommage en résultant du fait d'acquisition, d'amélioration, d'extension, etc. de logements consécutives à l'annonce du transfert puis frustrées par l'abandon dudit transfert.

Les requérants demandaient à titre principal l'organisation d'une médiation et à titre subsidiaire, l'annulation du décret du 19 avril 2021 portant création d'un dispositif d'aide à la revente aux propriétaires d'immeubles d'habitation riverains de certains aérodromes appartenant à l'État à la suite de l'abandon de leur transfert sur un autre site, ainsi que, par voie de conséquence, des arrêtés pris pour son application. Ils soulevaient également une QPC tirée de l'atteinte portée au principe d'égalité par les dispositions critiquées en ce qu'elles créent une différence de traitement entre propriétaires en fonction de la date d'acquisition, de reconstruction ou de réalisation des travaux sur leurs logements.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de demande.

L'un de ses rejets retient l'attention, il s'agit du rejet de la demande d'organiser une médiation car celui-ci est formulé sans aucune explication.

Rien n'éclaire sur les conditions, objectifs ou autres que doit revêtir une telle demande pour être accueillie et c'est dommage dans la mesure où il a été répété sur tous les tons que l'usage de solutions alternatives au procès devait être grandement favorisé au point même que l'on a eu l'impression de l'apparition d'un droit commun du traitement des litiges sous la forme des modes alternatifs de règlement des différends allant même jusqu'à la formation d'un acronyme (MARD) et d'une exception, la voie classique du contentieux juridictionnel.

Une contradiction nous semble ainsi exister entre le caractère discrétionnaire de l'exercice du pouvoir d'ordonner une médiation et le souci d'en développer fortement l'usage.

Si le législateur tient à cette réforme, il conviendrait d'en prendre les moyens, par exemple en décidant qu'une demande de médiation ne peut être refusée sauf pour un motif d'ordre public ou d'absence d'avantage eu égard aux circonstances de temps et de fait de l'espèce.

(26 avril 2022, Commune de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu, région Pays-de-la-Loire, département de Loire-Atlantique, Nantes Métropole, commune de Nantes, commune de Bouguenais et association « Le Collectif des Citoyens Exposés au Trafic Aérien » (COCETA), n° 457654)

 

64 - Délai du recours contentieux - Point de départ de ce délai - Publication - Publication équivalente à une parution au Journal officiel - Conditions - Publication faisant courir le délai de recours - Rejet.

Le recours des intéressés est rejeté pour cause de tardiveté de la saisine du juge administrative compte tenu du délai écoulé depuis la publication de l'instruction  réglementaire litigieuse.

Pour parvenir à ce résultat, le Conseil d'État relève qu'en principe l'absence d'obligation de publier un acte réglementaire dans un recueil autre que le Journal officiel, la publication dans un tel recueil n'est pas, en principe, de nature à faire courir le délai du recours contentieux sauf si le recueil dans lequel le texte est publié peut, eu égard à l'ampleur et aux modalités de sa diffusion, être regardé comme aisément consultable par toutes les personnes susceptibles d'avoir un intérêt leur donnant qualité pour contester la décision.

Or il constate qu'en l'espèce l'instruction attaquée du 19 septembre 2018 a été mise en ligne le 21 septembre 2018, dans son intégralité, sur le site internet du ministère de l'agriculture, dans la rubrique dédiée au Bulletin officiel de ce ministère, dans des conditions permettant un accès facile et garantissant sa fiabilité et sa date de publication. Enfin, il relève qu'eu égard à l'objet de cette circulaire, relative aux règles s'appliquant à la diffusion, à l'utilisation par les administrations et à la réutilisation par des tiers de données du système intégré de gestion et de contrôle d'aides relevant de la politique agricole commune, cette diffusion était de nature à assurer le respect des obligations de publication à l'égard des personnes ayant un intérêt leur donnant qualité pour la contester. Elle a ainsi fait valablement courir le délai de recours contentieux de deux mois, d'où il suit que la requête de M. et Mme D. d'Hautecloque, enregistrée le 20 février 2020 au tribunal administratif de Paris, était tardive et donc irrecevable. 

(29 avril 2022, M. et Mme D. d'Hautecloque, n° 440879)

 

65 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

V. n° 203

 

Droit fiscal et droit financier public

 

66 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation de la proportionnalité du produit de cette taxe par rapport aux dépenses engagées par la commune – Octroi à la commune de subventions métropolitaines en vue de l’équilibre du budget du traitement des déchets – Aide sans effet sur la détermination de la proportionnalité du taux de la taxe aux dépenses – Déduction obligatoire cependant du produit de la redevance spéciale au titre de la collecte des déchets non ménagers. Annulation partielle.

La société requérante contestait, par voie d’exception d’illégalité, la légalité de ses cotisations primitives de taxe d’enlèvement des ordures ménagères et invoquait au soutien de ses prétentions en cassation les deux moyens rejetés par le tribunal administratif.

En premier lieu, la commune où est située l’immeuble qu’elle possède a obtenu pendant six années consécutives une subvention de sa métropole vers son budget annexe retraçant les recettes et dépenses liées au traitement des déchets afin d'en assurer l'équilibre. La requérante soutenait que ces sommes devaient être déduites du montant des dépenses retenu pour apprécier la proportionnalité du produit de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères aux dépenses réellement exposées par la commune. Le moyen est rejeté, comme il l’avait été en première instance, car ces subventions ne constituent pas des recettes non fiscales au sens et pour l’application des dispositions de l’art. L. 2224-14 du CGCT combinées avec celles des art. L. 2331-2 et 2331-4 de ce code. Or seule des recettes non fiscales doivent être déduites pour apprécier la proportionnalité.

En second lieu cependant, et à l’inverse le jugement frappé de pourvoi est annulé en tant qu’il n’a pas inclus dans les recettes non fiscales le produit attendu de la redevance spéciale relative à l’enlèvement des déchets non ménagers.

(1er avril 2022, Société PF02, n° 444266)

(67) V. aussi, jugeant - au rebours des premiers juges dont le jugement est annulé - fondée l'exception d'illégalité soulevée par la société requérante à l'encontre de délibérations fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à un niveau que le juge considère comme manifestement disproportionné pour l'année 2014 : 22 avril 2022, Société Hyper 19, n° 454748.

 

68 - Procédure fiscale contentieuse - Taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères – Recours formé au nom de contribuables différents – Rejet en première instance – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a demandé pour elle-même et, en tant que sa mandataire, pour la société Bpifrance Financement, la décharge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères à laquelle elles ont été toutes deux assujetties, l’une pour 2016 et l’autre pour 2017 à raison des mêmes locaux situés à Cambrai. 

Les premiers juges ont fait droit à la fin de non-recevoir opposée par l’administration fiscale, sur le fondement de l’art. R. 197-1 LPF, à raison de ce que cet unique recours portait sur des impositions établies au nom de contribuables différents.

Le jugement est annulé pour erreur de droit car il n’a pas été recherché si les conclusions de cette demande présentaient entre elles un lien suffisant, auquel cas seulement elle eût été recevable.

(1er avril 2022, Société Clinique Saint Roch, n° 450320)

 

69 - Réintégration dans les bénéfices d’une société d’une somme portée au passif – Élément de passif injustifié – Société unipersonnelle dissoute – Associé unique disposant d’un droit propre sur une créance entrée dans son patrimoine du fait de la disparition de la société – Annulation partielle.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que, ainsi que l’affirme l’administration fiscale, constituent un élément de passif injustifié deux dettes inscrites au bilan de l’exercice d’une société car la liquidation anticipée de celle-ci a éteint ces dettes.

La cour s’est fondée pour aboutir à cette conclusion sur le fait qu'il ne résultait d'aucune disposition législative que la dissolution d'une société emportait de plein droit transfert de ses créances dans le patrimoine de ses associés, personnes physiques, et qu’en l’espèce la société n'établissait pas, en l'absence des formalités prescrites par l'article 1690 du code civil et de tout autre élément probant, la réalité d'un transfert de créances au profit de l'ancien associé unique, personne physique, de la société liquidée.

En réalité, il résulte des dispositions d’une part de l’art. L. 1844-5 du Code civil, et d’autre part de celles de l’art. L. 237-2 du code de commerce que l'ancien associé unique, personne physique, d'une société unipersonnelle dissoute et dont la liquidation a été clôturée peut se prévaloir d'un droit propre et personnel sur la créance dont il est devenu titulaire à la suite de la société.

(1er avril 2022, Société Erol Construction, n° 445634)

 

70 - Entreprise de jeu de poker en ligne – Demande de remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée – Conditions – Rejet.

Une entreprise de jeu de poker en ligne, basée sur l’Île de Man, afin de justifier de sa demande de remboursement de crédit de TVA, entend d'établir qu'elle réalise des prestations de services dans le champ d'application de la TVA en vertu de la législation locale.

A cet effet, elle soutient exercer une activité de prestations de services de marketing et de support au profit de la société Rational Entertainment Enterprises Limited (REEL), seule propriétaire et exploitante de licences de jeux, et elle a produit : 1° le contrat la liant avec cette société, 2° un certificat d'immatriculation à la TVA établi le 6 janvier 2011 portant mention du code d'activité 82990 « Autres activités de soutien aux entreprises », et 3° un courrier de l'administration fiscale de l'Île de Man du 18 décembre 2013 indiquant que l'activité de la société requérante consiste en la fourniture de services de marketing et d'autres services opérationnels de support aux sociétés du groupe Rational et qu'à ce titre, elle effectue des transactions taxables à la TVA en vertu de la législation fiscale locale, ainsi que des factures établies par ses soins et adressées à la société REEL. 

Pour rejeter sa demande, le juge relève d’abord, que les factures produites ne mentionnent pas de taux de TVA ni ne détaillent les types de prestations réalisées ; ensuite, que la société requérante ne facturait à la société REEL que des montants de taxe inférieurs à 0,31 % des prestations en cause.

De la sorte, doit être considérée comme exacte l’affirmation du ministre défendeur, que d’ailleurs la requérante ne conteste pas, selon laquelle ces montants de taxe établissent soit l'exonération intégrale de l'activité qu'elle exerçait dans le secteur des jeux d'argent et de hasard au titre de la période d'imposition en litige en vertu de la législation fiscale de l'Île de Man, soit l'exonération d'une part prépondérante des prestations fournies, laquelle aurait dû donner lieu à l'établissement d'un prorata de déduction.

En conséquence, le Conseil d’État décide que, faute d'éléments complémentaires que seule la société demanderesse était en mesure de fournir et alors que celle-ci ne conteste que le principe du refus de remboursement qui lui a été opposé, la condition prévue à l'article 242-0 Q de l'annexe II au CGI, tenant à ce que les services fournis par la société française à la demanderesse aient été utilisés pour des opérations taxables dans l'Île de Man, ne peut être regardée comme satisfaite.

Par suite, la demande de remboursement de TVA en litige est donc rejetée.

(1er avril 2022, Société Amaya Services Limited venant aux droits de la société Rational Services Limited, n° 450613)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 32

 

71 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Droit à déduction de la TVA - TVA grevant une opération taxable - Obligation de présenter les factures en attestant - Absence - Erreur de droit - Annulation et rejet au fond de la requête initiale.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que l'administration fiscale, en l'absence de factures en attestant le paiement et pour ce seul motif, ne pouvait pas légalement refuser d'imputer sur la taxe sur la valeur ajoutée due à raison de ses ventes de biens et services la taxe sur la valeur ajoutée qui avait grevé les achats de biens et services qui avait nécessairement été effectués pour les besoins de l’activité, au seul motif que le contribuable n'était pas en mesure de présenter les factures correspondantes. Ce jugeant, la cour n'a pas respecté les dispositions claires et impératives du 2. du II de l'art. 271 du CGI selon lesquelles " 2. La déduction ne peut pas être opérée si les redevables ne sont pas en possession soit desdites factures, soit de la déclaration d'importation sur laquelle ils sont désignés comme destinataires réels."

(22 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 455114)

 

72 - Crédit-bail avec option d’achat sur un bâtiment industriel – Acquisition de ce bâtiment – Faculté de contestation par le crédit-preneur de la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes auxquelles il a été assujetti – Annulation et rejet de la QPC.

La requérante, spécialisée dans la fabrication de machines agricoles et forestières, a acquis par levée d’option d’un crédit-bail un bâtiment à usage industriel pour lequel elle est assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes.

Elle a entendu contester le montant des sommes réclamées à ce titre mais le tribunal administratif, rejetant sa demande, lui a opposé que la valeur locative litigieuse du bien en cause était définitivement établie à l'issue de l'année 2012, année d'acquisition du bien par la société requérante, en l'absence de rectification intervenue à l'initiative de l'administration ou du crédit-bailleur. Il a donc exclu toute possibilité de réclamation du crédit-preneur pour les exercices non prescrits.

La société se pourvoit et, par mémoire distinct, soulève une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. 1499 0 A du CGI.

Cependant le Conseil d’État décide, praeter legem et avec grand bon sens, que si la valeur locative plancher à retenir en application de l'article 1499-0 A du code général des impôts est celle qui a été retenue pour l'imposition du crédit-bailleur au titre de l'année d'acquisition, cette valeur locative peut être contestée par le crédit-preneur ayant acquis les immobilisations industrielles, à l'occasion des impositions auxquelles il est assujetti au titre de chaque exercice non prescrit, dans les conditions de droit commun. 

Ainsi, est annulé le jugement en sens contraire et il n’y a plus lieu de statuer sur la QPC.

(5 avril 2022, Société Rousseau, n° 448710)

 

73 - Domaine viticole – Vérification de comptabilité – Reconstitution de stocks – Rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable – Faits non réellement établis – Rejet.

Après vérification de sa comptabilité, la société exploitante d’un domaine viticole a fait l’objet d’une reconstitution de stocks débouchant sur un rehaussement du chiffre d’affaires taxable et du bénéfice imposable assorti d’une amende fiscale.
Le tribunal administratif a fait droit à sa demande de décharge des différentes sommes mises à sa charge et ce jugement a été confirmé en appel. Le ministre des finances se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté en ses trois branches.

Tout d’abord, c’est sans dénaturation que la cour a jugé que la reconstitution de stocks opérée par le vérificateur ne permettait pas d'aboutir au constat d'une minoration de récoltes, dès lors que cette reconstitution faisait apparaître à la fois des manquants et des excédents, pour des volumes approximativement équivalents.
Ensuite, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé : 1° que l'absence de production, au cours du contrôle, du registre de cave ne permettait pas de caractériser une grave irrégularité dans la comptabilisation des stocks, dès lors que la société avait mis à la disposition du vérificateur les déclarations de récolte, les stocks fiscaux à la clôture et au début de chaque exercice ainsi que les déclarations récapitulatives mensuelles mentionnant les pertes, au surplus ces documents ont d'ailleurs été utilisés par le vérificateur dans sa reconstitution du stock théorique ; 2° que l'irrégularité de la comptabilisation des stocks ne pouvait résulter de l'absence de numéro de factures dans les ventes comptabilisées au grand livre, dès lors que le vérificateur avait lui-même estimé que les factures produites étaient exhaustives, le total de ces factures dépassant même le chiffre d'affaires déclaré.

Enfin, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation en jugeant que l'administration fiscale n'apportait pas la preuve qui lui incombait de ce que la comptabilisation des stocks et, partant, la comptabilité dans son ensemble, présentaient de graves irrégularités et étaient par suite dénuées de valeur probante. 

Belle occasion pour l’administration fiscale, si l’on ose dire, de mettre de l’eau dans son vin…

(6 avril 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446799)

 

74 - Agents intervenant dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts et autres prévus au CGI – Informations recueillies dans ce cadre – Bénéfice du secret (art. L. 103 LPF) – Champ d’application de l’opposabilité du secret – Co-débiteur solidaire du paiement de l’impôt – Héritiers – Exclusion de l’opposabilité du secret – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que c’est à bon droit que l’administration fiscale a opposé le secret institué par l’art. L. 103 du LPF aux requérants qui contestaient le refus de celle-ci de leur communiquer les déclarations et justificatifs fiscaux concernant l'encaissement des sommes versées au titre de contrats d'assurance vie souscrits par Mme L. G., les déclarations fiscales complémentaires et rectificatives émises, les justificatifs de prélèvement de 20 % sur les sommes perçues dépassant 152 500 euros, les attestations sur l'honneur établies par les bénéficiaires en application de l'article 990-I du code général des impôts et les justificatifs du versement des droits.

Le Conseil d’État censure pour erreur de droit cette solution car si ce secret a été institué par la disposition précitée en faveur des personnes appelées, à l'occasion de leurs fonctions ou attributions, à intervenir dans la détermination de l'assiette, le contrôle, le recouvrement ou le contentieux des impôts, droits, taxes et redevances prévus au code général des impôts pour toutes les informations recueillies à l'occasion de ces opérations, cette disposition n'est opposable ni au débiteur solidaire de l'impôt, dans la mesure où les pièces couvertes par le secret sont utiles à l'exercice de son droit de réclamation, dans la limite de la solidarité prononcée à son encontre, ni aux héritiers tenus au paiement d'une dette fiscale de la succession. Il en va ainsi des documents administratifs sur lesquels l'administration fiscale s'est fondée pour établir l'imposition mise à la charge de la succession, dans la mesure où ils sont utiles à l'exercice des droits des requérants, y compris lorsque plusieurs personnes sont intéressées par les mêmes documents, sous réserve, le cas échéant, de l'occultation des autres informations mettant en cause la vie privée de tiers qu'ils comporteraient. 

(8 avril 2022, MM. T., n° 450114)

 

75 - Pension versée en vue de l’entretien d’un enfant – Déductibilité des revenus soumis à l’impôt – Conditions – Distinction entre pension alimentaire et pension versée en raison d’une obligation d’entretien et d’éducation – Omission de réponse à moyen non inopérant - Annulation.

Le contribuable requérant avait déduit de son revenu imposable la pension versée à la mère de son enfant. L’administration fiscale a réduit le montant admis en déduction, rehaussé les impositions dues et infligé les pénalités y afférentes.

Sa demande d’annulation de ces diverses décisions ayant été rejetée en première instance et ce rejet confirmé par deux ordonnances rendues par le magistrat compétent de la cour administrative d’appel, le contribuable se pourvoit.

Si les choses sont claires pour une pension alimentaire, laquelle est ipso facto déductible du revenu imposable par l’effet des dispositions du 2° du II de l’art. 156 du CGI, en revanche cette possibilité de déduction est plus délicate à évaluer pour une pension versée en application de l’obligation d’entretien et d’éducation posée par les dispositions des art. 203 et 371-2 du Code civil, ce dernier texte disposant que « Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant ».

En l’espèce, le juge admet le principe de déductibilité de cette pension sous condition que le contribuable se prévale soit de ce que son montant a été fixé par un jugement soit, à défaut, de ce que, comme l’indique l’art. 371-2 précité, que ce montant est proportionné au regard de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant, compte tenu notamment de son âge.

Par ailleurs, car c’était un autre point en discussion dans cette affaire, le juge précise que les ressources à prendre en considération pour déterminer le caractère proportionné du montant de la pension sont les revenus avant déduction des pensions versées ou reçues.

En omettant de répondre au moyen tiré de cette dernière exigence, lequel n’est pas inopérant puisqu’en réalité il est complètement opérant et efficace, les ordonnances attaquées sont entachées d’irrégularité.

Si cette question n’est pas nouvelle et a déjà fait l’objet d’une décision allant dans le sens de la présente décision, cette dernière cependant est plus nette et de portée plus large.

(14 avril 2022, M. E., n° 436589)

 

76 - Taxes foncières – Taxe établie sur les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Biens dont le contribuable dispose au terme de la période d’imposition sans en disposer au début de celle-ci – Biens assujettis au 1er janvier – Rejet.

La solution retenue dans cette affaire peut surprendre.

L’art. 1415 du CGI dispose : « La taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties et la taxe d'habitation sont établies pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ». Le juge interprète cette disposition ainsi : « (…) La circonstance que la taxe foncière soit établie pour l'année entière d'après les faits existants au 1er janvier de l'année de l'imposition ne fait pas obstacle à ce que les biens dont le redevable disposait au terme de la période de référence sans en disposer au début de celle-ci soient intégrés dans cette assiette. »

Ainsi, en l’espèce est jugé erroné en droit l’arrêt d’appel qui relève que l'installation de traitement des eaux et le bâtiment de traitement n'étant passibles de la taxe foncière qu'à compter, respectivement, des 1er janvier 2010 et 1er janvier 2011, ces biens devaient être exclus de l'assiette de la cotisation foncière des entreprises au titre, respectivement de 2011 et de 2012, alors qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que la construction de ces biens a été achevée, respectivement, au mois de mai 2009 et le 25 juillet 2010.

(14 avril 2022, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 389812)

 

77 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Biens assujettis – Cas des biens faisant corps avec les biens assujettis – Exemption pour les biens relevant du 11° de l’art. 1382 du CGI – Annulation partielle.

Le litige portait sur l’assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, au titre du 11° de l’art. 1382 du CGI, de certains biens d’un établissement industriel de fabrication de roues pour véhicules automobiles.

Le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé que les sols techniques d’une telle entreprise, dès lors qu'ils constituent des ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation au sens du 1° de l'article 1381 du CGI, ne peuvent pas être exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 11° de l'article 1382.

En revanche, il censure l’erreur de droit commise par le tribunal en jugeant que les outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels mentionnés au 11° de l'article 1382 du CGI s'entendent de ceux qui participent directement à l'activité industrielle de l'établissement et sont dissociables des immeubles, et en rejetant cette qualification pour la chaufferie et pour l'adaptateur électrique. Il devait, en effet, pour l’application correcte de ce dernier texte, déterminer ceux de ces biens qui faisant partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation de l’établissement industriel en cause c'est-à-dire ceux de ces biens qui, tels la chaufferie ou l’adaptateur électrique litigieux, relèvent de cet établissement, qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans celui-ci et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

(15 avril 2022, Société Mefro Wheels France, n° 488898)

 

78 - Évaluation de la valeur d’un fonds de commerce – Provision pour dépréciation – Valeur inscrite au bilan comptable de l’exercice 2013 – Absence de comparaison avec la valeur de la société lors de sa création en 1994 – Refus – Erreur de droit – Annulation.

Les requérants ont contesté la décision de l’administration fiscale assujettissant cette société à une cotisation supplémentaire d’impôt sur les sociétés en raison de la remise en cause de la déduction d’une provision pour dépréciation de la valeur de son fonds de commerce.

La cour administrative, pour rejeter l’appel qu’ils avaient dirigé contre le jugement de rejet du tribunal administratif, a estimé que les intéressés ne justifiaient pas du bien-fondé de la provision litigieuse car le chiffre d'affaires et le bénéfice réalisés avant déduction de la provision étaient supérieurs à ceux des deux années précédentes.

Sur pourvoi des demandeurs, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas été comparé, comme cela était demandé, la valeur du fonds de commerce évalué, selon les modalités retenues lors de la création de la société en 1994, avec la valeur inscrite à l'actif du bilan comptable à la clôture de l'exercice 2013.

(14 avril 2022, Société MC Legal et Me Pellegrini, mandataire judiciaire de cette société, n° 443985)

 

79 - Doctrine administrative – Interprétation formelle de la loi fiscale (art. L. 80 A du LPF) – Interprétation inopposable lorsqu’est en cause un autre aspect de l’imposition – Substitution de motif – Rejet.

Par substitution de motif de pur droit, la requête de la SCI C., fondée sur l’interprétation formelle de la loi fiscale par l’administration (mécanisme de l’art. L. 80 A du LPF), est rejetée car elle est relative à l’interprétation des dispositions applicables au régime fiscal des sociétés immobilières pour le commerce et l'industrie  (SICOMI) issues de l'article 6 de l'ordonnance du 28 septembre 1967 alors que le présent litige est relatif à l’interprétation des dispositions de l'article 239 sexies du CGI applicables au crédit-preneur en cas de levée de l'option d'achat.

(15 avril 2022, Société civile immobilière C., n° 452251)

 

80 - Société civile gestionnaire de contrats de capitalisation – Absence d’option pour son assujettissement à l’impôt sur les sociétés – Associés soumis au régime du II de l’art. 238 bis K du CGI – Soumission à l’impôt sur le revenu par quote-part des revenus (art. 125-0 A CGI) – Annulation et rejet partiels.

Censurant sur ce point pour erreur de droit l’arrêt frappé de pourvoi, le Conseil d’État juge qu’une société n’ayant pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et l'ensemble de ses associés relevant du II de l'article 238 bis K du CGI, ceux-ci sont soumis à l'impôt sur le revenu à concurrence de leur quote-part des revenus de la société déterminés en application des dispositions de l'article 125-0 A du CGI sans qu'aient d'incidence à cet égard ni la répartition de ces revenus ni les modalités de calcul du résultat que la société était statutairement tenue de déterminer à seule fin d'information de ces mêmes associés.

(15 avril 2022, M. G., n° 454264)

(81) V. aussi, identiques pour l’essentiel : 15 avril 2022, M. et Mme H., n° 454265 ; 15 avril 2022, Héritiers de Mme A., n° 454266.

 

82 - Institut français du textile et de l’habillement – Centre technique industriel régi par le code de la recherche (art. L. 521-1 et suivants) – Soumission de son activité aux impôts commerciaux – Assujettissement à la taxe professionnelle – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L’organisme requérant a demandé la décharge de montants supplémentaires de taxe professionnelle à raison de deux établissements qu’il exploite à Troyes et à Mulhouse.

Il se pourvoit en Conseil d’État contre les arrêts confirmatifs ayant rejeté ses demandes.

Cet organisme est un centre technique industriel, régi par les dispositions des articles L. 521-1 et suivants du code de la recherche, qui est chargé de promouvoir le progrès des techniques et de participer à l'amélioration du rendement et à la garantie de la qualité dans l'industrie textile et de l'habillement.

Il réalise, dans cet objet, à la demande d'entreprises du secteur, des travaux de laboratoires et d'ateliers expérimentaux et participe à des enquêtes sur la normalisation ainsi qu'à l'établissement des règles de contrôle de la qualité des produits textiles.

L’administration fiscale a cru pouvoir estimer que cet organisme devait être assujetti aux impôts commerciaux sur la totalité de son activité.

L’arrêt de rejet – après avoir relevé que l'institut était investi d'une mission d'intérêt général et alors qu'il soutenait que l'activité en litige consistait en des actions collectives engagées dans l'intérêt de l'ensemble des professionnels du secteur - se fonde sur ce que cet institut a vocation à permettre aux professionnels du secteur du textile et de l'habillement de réduire leurs coûts, d'augmenter leurs recettes ou de faciliter l'exercice d'un des aspects de leur activité.

L’erreur de droit, ici censurée à bon droit, est assez évidente surtout que la cour n’a même pas recherché si, en agissant ainsi, l'institut venait en aide seulement à certaines entreprises qui en retiraient un avantage concurrentiel. 

(15 avril 2022, Institut français du textile et de l'habillement, n° 456205)

 

83 - Restructurations et créations d'entreprises - Sursis d'imposition des plus-values résultant d'opérations ne dégageant pas de liquidités - Apports de titres dont le produit de cession concourt à un réinvestissement de caractère économique - Cas de l'activité de loueur en meublé - Absence d'un tel caractère sauf cas particulier - Rejet.

Dans le souci de favoriser soit la restructuration soit la création soit le développement d'entreprises, la loi fiscale a prévu (art. 150-0 B CGI) un sursis automatique d'imposition sur les plus-values lorsqu'elles proviennent d'opérations ne dégageant pas de liquidités. Il en a été déduit que la cession de titres dont le produit fait l'objet d'un réinvesstissement économique est éligible à ce sursis.

En principe, l'activité de loueur en meublé ne revêt pas un tel caractère et ne peut prétendre au bénéfice de ce sursis sauf si le propriétaire accomplit son activité dans des conditions le conduisant à fournir une prestation d'hébergement ou si elle implique pour lui, alors qu'il en assure directement la gestion, la mise en œuvre d'importants moyens matériels et humains.

Ce n'était pas le cas en l'espèce ainsi que l'a jugé à bon droit la cour administrative d'appel.

(19 avril 2022, M. B., n° 442946)

 

84 - Redevance assise, en Île-de-France, sur la construction, la reconstruction ou l'agrandissement des locaux commerciaux et des locaux de stockage  - Notion de réserves attenantes à des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal - Cas en l'espèce - Rejet.

En région Île-de-France l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme alors en vigueur a institué une redevance perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement de locaux commerciaux et de locaux de stockage, le III de l'art. 231 ter du CGI définissant respectivement chacune de ces ceux catégories de locaux en ses 2° « (2° (...) les locaux commerciaux, (...) s'entendent des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés à la vente) » et 3° « ( (...) les locaux de stockage, (...) s'entendent des locaux ou aires couvertes destinés à l'entreposage de produits, de marchandises ou de biens et qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production) ».

La société requérante contestait le jugement estimant que les réserves litigieuses, d'une surface de 685 m², constituaient, au sens du 2° du III de l'article 231 ter du CGI, des réserves attenantes à des locaux où est exercée une activité de restauration, après avoir relevé que ces réserves, où sont entreposés des denrées et des matériels nécessaires à l'exploitation des restaurants, sont situées à quelques étages au-dessous de ceux-ci et reliées à eux par des ascenseurs et qu'elles se trouvent ainsi à proximité immédiate des salles de restauration et qu'ainsi ils entraient dans l'assiette de la redevance litigieuse.

Le Conseil d'État rejette le pourvoi dirigé contre ce jugement car il ne repose pas sur une qualification inexacte des faits de l'espèce.

(19 avril 2022, Société Unibail Rodamco Westfield, n° 443039)

 

85 - Revenus réalisés par une filiale étrangère d'une société française - Revenus réputés acquis par la société française (art. 209 B du CGI) - Absence d'incompatibilité entre cette disposition et le droit de l'Union - Rejet.

La requérante ayant fait l'objet de rehaussements d'impositions ainsi que de contributions y afférentes, après avoir contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, a saisi le Conseil d'État d'un pourvoi que celui-ci rejette, aucun des moyens présentés au soutien du pourvoi n'étant admis.

Parmi eux, l'un retient spécialement l'attention en ce qu'il portait sur l'incompatibilité des dispositions de l'art. 239 B du CGI avec le droit de l'Union.

La société soutenait que la cour administrative d'appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la société Rubis ne pouvait utilement se prévaloir, dans le cadre d'un litige mettant en cause sa filiale établie à l'île Maurice, de l'incompatibilité de l'article L. 209 B du CGI avec le principe de libre circulation des capitaux.

Elle reproche à cet arrêt - prétendument destiné à frapper les seules participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la filiale établie hors de France, notamment dans un pays tiers, et d'en déterminer les activités - d'avoir jugé cet article applicable quand bien même la société établie en France ne détiendrait ni la majorité du capital ni la majorité des droits de vote au sein de la filiale. Le Conseil d'État rétorque que cet article doit s'analyser avec le but poursuivi par le législateur au moyen de cette disposition : il s'agit de dissuader les entreprises passibles en France de l'impôt sur les sociétés de localiser, pour des raisons principalement fiscales, une partie de leurs bénéfices au travers de filiales, créées par elles ou par une de leurs filiales, dans des pays ou territoires à régime fiscal privilégié au sens de l'article 238 A du CGI.

La requérante reproche ensuite à cet article, de ce fait, sa contrariété avec le droit de l'Union tel qu'interprété par la la Cour de Justice.

En effet, la jurisprudence de la CJUE (13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, aff. C-35/11) opère une distinction quant à l'opposabilité des stipulations de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la libre circulation des capitaux.

En principe, lorsqu'est en cause la participation d'une société résidente d'un État membre dans une société établie dans un pays tiers, l'examen de l'objet de la législation nationale suffit pour apprécier si cette participation relève des stipulations de cet article 63. Il suit de là qu'une législation nationale ne s'appliquant pas exclusivement aux situations dans lesquelles la société mère exerce une influence décisive sur la société établie dans le pays tiers doit être appréciée au regard de ces stipulations. En ce cas, une société résidente d'un État membre peut, indépendamment de l'ampleur de la participation qu'elle détient dans la société distributrice de dividendes établie dans un pays tiers, se prévaloir de la liberté de circulation des capitaux afin de mettre en cause la légalité d'une telle réglementation.

Par exception, si l'objet d'une législation nationale ne lui donne vocation à s'appliquer qu'aux participations permettant d'exercer une influence certaine sur les décisions de la société établie dans le pays tiers et d'en déterminer les activités, les stipulations de l'article 63 du traité ne peuvent être utilement invoquées.

Tel est, selon le juge, le cas de l'espèce.

En retenant le critère de la détermination du pouvoir d'une société résidente de déterminer les activités de sa filiale établie dans un pays tiers, le juge lève la contrariété prétendue mais court le risque d'une interprétation très extensive de la jurisprudence de la CJUE que cette dernière pourrait ne pas entériner.

(25 avril 2022, Société Rubis, n° 439859)

 

86 - Taxe sur la valeur ajoutée - Compensations entre impositions - Limites - Rejet.

La société requérante se prévalait, à l'appui de ses conclusions à fin de décharge par voie de compensation entre les rappels litigieux de taxe sur la valeur ajoutée et l'excédent de taxe constaté par l'administration fiscale, des dispositions de l'art. L. 80 du livre des procédures fiscales permettant à l'administration d'effectuer toutes les compensations entre impôts et autres taxes. 

Le Conseil d'État pose ici tout d'abord une règle selon laquelle « En matière de taxe sur la valeur ajoutée, la compensation ne peut s'effectuer entre des impositions qui ne sont pas dues par le contribuable et des impositions qui avaient été initialement omises par l'administration que lorsque chacune de ces impositions est relative à la période couverte par un même avis de mise en recouvrement. »

Ensuite, il interprète l'art. L.80 LPF précité comme ne permettant pas à l'administration fiscale d'opérer des compensations en matière de taxe sur la valeur ajoutée.

Le régime de la compensation est, en matière fiscale, non seulement inique mais complètement anachronique. Il serait temps de constater que la société a évolué et que les moeurs du XIXè siècle ont fait leur temps.

(25 avril 202, Société SPI, n° 444616)

 

87 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

V. n° 175

 

Droit public de l'économie

 

88 - Concessions hydroélectriques – Regroupement – Fixation d’une nouvelle date d’échéance des concessions – Regroupement comprenant pour partie des concessions ayant déjà fait l’objet d’une dérogation de plein droit – Illégalité – Annulation.

La procédure de regroupement de concessions hydroélectriques formant une chaîne d'aménagements hydrauliquement liés et déjà accordées sur un cours d’eau pose un problème de flux des trésoreries disponibles pour chacune des concessions regroupées car en raison de leur échelonnement dans le temps elles se déroulent chacune selon sa chronologie propre. C’est pourquoi, le regroupement de concessions – qui implique nécessairement l’adoption d’une date d’échéance commune – consiste concomitamment à allonger la durée des concessions proches de l’échéance et à réduire la durée de celles dont la date d’échéance est la plus éloignée. Lorsque, parmi les concessions regroupées, figurent une ou plusieurs concessions ayant déjà fait l’objet d’une prorogation de plein droit dite aussi « en délais glissants » (cf. alinéa 3 de l’art. L. 521-16 c. énergie) il convient d’assurer la neutralité économique du regroupement. A cet effet doit être définie la date d'échéance théorique de cette (ou ces) concession(s).

Naturellement, la formule permettant de calculer cette date d'échéance théorique varie selon qu'est positive, négative ou nulle la variable « E » mentionnée à l'article R. 521-61 du code de l'énergie, qui correspond à la valeur actualisée nette des flux de trésorerie pendant la période de prorogation de la concession, augmentée des investissements de remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession et qui ont été réalisés après cette date.

En l’espèce, le litige portait sur le point de savoir quels flux de trésorerie doivent être pris en compte lorsque la variable « E » est nulle ou négative, la requérante soutenant sur ce point l’illégalité des dispositions de l’art. R. 521-61 du code précité.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que l’art. L. 521-16-1 (al. 4) du code précité dispose que seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période, à l'exclusion de ceux qui visent seulement à la remise en bon état des biens qui incombaient au concessionnaire à la date normale d'échéance de la concession, et qui ont été réalisés après cette date, doivent être pris en compte pour la détermination de la date commune d'échéance des concessions regroupées.

Cette disposition a pour but évident d'inciter le concessionnaire à poursuivre ses investissements pendant cette période, indépendamment du caractère excédentaire ou déficitaire de son exploitation.

Or le juge constate ensuite que l’art. R. 521-61 précité décide, lorsque la variable « E » est nulle ou négative, que doit être pris en compte pour le calcul de la date commune d'échéance des concessions regroupées l'ensemble des flux de trésorerie réalisés dans le cadre de la concession en « délais glissants ». Cette disposition méconnaît ainsi directement, en tenant compte de flux de trésorerie autres que ceux correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire pendant la période de « délais glissants », l’art. L. 521-16-1 dudit code pour l’application duquel elle a été prise alors que celui-ci énonce très clairement – comme indiqué plus haut - que dans l’hypothèse ici en cause seuls les flux de trésorerie correspondant aux investissements réalisés par le concessionnaire durant cette période doivent être pris en compte.

(12 avril 2022, Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), n° 434438)

 

89 - Président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics – Personne classée dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession – Appréciation dénuée d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Le président d’une société exerçant du lobbying auprès des pouvoirs publics s’est vu demander par sa banque - sur le fondement des dispositions des art. L. 561-2 et suivants du code monétaire et financier - un certain nombre de documents et d’informations en raison de ce que cette activité présente un risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme qui fait considérer l’intéressé comme « politiquement exposé ».

Estimant cette demande injustifiée, il a saisi l’Autorité de contrôle prudentiel (APC) aux fins qu’elle sanction ladite banque à raison de son comportement à son égard. Cette demande ayant été rejetée, il a saisi le Conseil d’État.

Celui-ci rejette le pourvoi en relevant que l’ACP n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en estimant que le classement du requérant, par sa banque, dans une catégorie de risque élevé de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme en raison de sa profession, et qu'en conséquence elle avait pu lui demander des informations de même nature que celles demandées aux personnes politiquement exposées. Le Conseil d’Etat juge que la décision de l’ACP n'était pas de nature à justifier l'ouverture d'une procédure de sanction à son encontre, cela alors même qu’il ne serait pas lui-même une « personne politiquement exposée ». 

On regrettera que le Conseil d’État n’exerce sur une telle décision qu’un contrôle réduit à la seule erreur manifeste d’appréciation alors qu’elle est d’une extrême gravité par ses conséquences possibles comme par la réprobation morale qu’elle comporte ainsi qu’en raison de l’atteinte envers la dignité des personnes qui la sous-tend.

Au surplus, il est certain qu’en raison des moyens et de la puissance de stockage de cette information il en demeurera trace ad perpetuam (rei memoriam) même si elle est infondée.

(15 avril 2022, M. D., n° 450459)

(90) V. aussi, rejetant un recours contre la décision du 9 mars 2021 par laquelle le collège de supervision de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a adressé une mise en garde à une société d’assurances, sur le fondement de l'article L. 612-30 du code monétaire et financier, à l'encontre de la poursuite de pratiques tenant à la communication d'informations inexactes ou imprécises concernant la solvabilité de la société d'assurance de droit danois Gefion Insurance et au renouvellement anticipé de contrats d'assurance souscrits auprès de cet assureur partenaire : 15 avril 2022, Société TCA Assurances, n° 452307.

 

Droit social et action sociale

 

91 - Représentativité syndicale dans le champ d’une convention collective – Personnel des offices publics de l’habitat (art. L. 421-1 et s. c. de la construct. et de l’habitat.) – Décision ministérielle définissant les audiences respectives des différents syndicats – Application des critères posés par le code du travail – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision de la ministre du travail du 6 février 2018 établissant la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat (IDCC n° 3220).

Concernant la compétence juridictionnelle, le Conseil d’État confirme implicitement le jugement du tribunal administratif primitivement saisi, mais à tort : le litige relève bien de la compétence de premier ressort de la cour administrative d’appel de Paris par application du 1° de l’art. R. 351-3 CJA.

Ensuite, au fond, les divers moyens soulevés sont rejetés.

Concernant la légalité externe de la décision contestée, celle-ci a bien été prise par un agent compétent en vertu de la délégation de signature dont il disposait et après consultation du Haut Conseil du dialogue social (HCDS), par ailleurs elle n’avait pas à être motivée.

Concernant la légalité interne, il est tout d’abord jugé qu’est inopérant le grief développé à l’encontre de la décision attaquée dès lors que la présomption de représentativité fixée par les I et III de l’art. 11 de la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail a, en vertu de ces dispositions, une durée de quatre années. Ensuite, la dernière mesure de représentativité ayant eu lieu le 4 décembre 2014, il ne saurait être reproché à la décision querellée, prise le 6 février 2018, de ne pas respecter la représentativité issue des élections, très postérieures à cette décision, du 6 décembre 2018.

Egalement, en regroupant les collèges comprenant les agents de maîtrise et assimilés ainsi que les cadres pour mesurer l'audience de la CFE-CGC la décision attaquée fait une correcte application des dispositions de l’art. L. 2122-7 du code du travail.

Enfin, la ministre défenderesse n’a pas commis d’erreur de droit en estimant, au vu des critères fixés par le code du travail, que l'UNSA OPH n'était pas au nombre des organisations syndicales représentatives dans le champ de la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat, et que, par suite, alors même qu'elle avait signé cette convention, elle n'avait pas à figurer dans la liste des organisations syndicales représentatives.

(6 avril 2022, Syndicat UNSA OPH et autres, n° 434612)

 

92 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Validation par le directeur régional des entreprises - Non satisfaction au critère de transparence financière – Non publicité des comptes – Rejet.

Un directeur régional des entreprises a validé le 16 septembre 2019 l'accord collectif signé le 23 août 2019 entre la société Imprimerie du Midi et les organisations syndicales FILPAC-CGT Midi Libre et FO relatif à la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi de cette société.

Le tribunal administratif a rejeté la demande du Syndicat Sud Industrie 34 et de M. B. La cour administrative d’appel a annulé ce jugement et la décision du directeur régional des entreprises.

Le Conseil d’État, saisi par un pourvoi en cassation fait siennes les solutions de la cour qui ne sont entachées ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification des faits.

La cour a estimé que l'administration, saisie d'une demande de validation d'un accord d'entreprise portant plan de sauvegarde de l'emploi doit vérifier, d’une part, que cet accord a été régulièrement signé pour le compte d'une ou de plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli au moins 50% des suffrages exprimés en faveur d'organisations reconnues représentatives lors du premier tour des dernières élections professionnelles au sein de l'entreprise et d’autre part que le ou les syndicats signataires satisfont aux critères de représentativité énoncés par l'article L. 2121-1 du code du travail, dont celui de transparence financière. C’est donc sans erreur de droit qu’elle a jugé irrégulière la validation par l’administration d’un PSE dès lors que l'une des organisations syndicales signataires, ayant obtenu 80% des suffrages lors du premier tour des élections professionnelles, ne satisfaisait pas, à la date de la signature de cet accord, au critère de transparence financière requis par les dispositions de l'article L. 2121-1 du code du travail, peu important que la représentativité de ce syndicat n'eût pas été contestée devant le juge judiciaire à l'occasion du contentieux des élections professionnelles.

La cour, pour juger non satisfait le critère de transparence financière, s’est d’abord fondée sur ce que le syndicat FILPAC-CGT Midi Libre n'avait publié sur son site internet, au titre du dernier exercice clos ayant précédé la signature de l'accord, ainsi que, d'ailleurs, des deux exercices l'ayant précédé, que ses bilans simplifiés, tandis que ses comptes de résultats simplifiés ainsi que le tableau annexe de ses ressources n'ont quant à eux fait l'objet d'aucune mesure de publicité. Elle s’est ensuite également fondée sur ce qu'il n'était pas soutenu qu'aurait été mise en œuvre une mesure de publicité équivalente.

C’est à juste titre qu’elle a jugé que l'accord ne pouvait pas, par suite, être légalement homologué par l'administration.

(6 avril 2022, Société Imprimerie du Midi, n° 444460 ; Syndicat Filpac-CGT Midi Libre, n° 444447 ; Ministre du travail, n° 444642)

 

93 - Licenciement d’un salarié protégé – Vérification administrative du caractère sérieux de la recherche d’un reclassement par l’employeur– Contrôle du juge – Contrôle global de cette vérification – Erreur portant sur un détail de cette approche globale – Erreur ne devant pas être retenue – Annulation.

L’une des tâches de l’inspection du travail lors du licenciement d’un salarié protégé consiste à s’assurer que l’employeur s’est bien livré à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié sur le territoire national ainsi que, lorsque le salarié l'a demandé, hors du territoire national. En l’espèce, la cour administrative d’appel avait annulé l’autorisation de licenciement au motif qu’elle comportait une erreur en ce qu’elle indiquait que l’intéressé n’avait pas souhaité recevoir des offres de reclassement à l’étranger.

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour ne devait pas s’arrêter à ce détail mais s’assurer que l’obligation légale de reclassement imposée à l’employeur avait bien été respectée en l’espèce tant en ce qui concerne un reclassement sur le territoire national que pour ce qui regarde un reclassement en dehors de ce territoire « sans s'arrêter sur une erreur susceptible d'émailler, dans le détail de la motivation de la décision attaquée, une des étapes intermédiaires de l'analyse portée sur ce point par l'autorité administrative ».

La solution est nouvelle et se discute car affirmer qu’un salarié n’a pas demandé un reclassement hors territoire national alors qu’il l’a demandé et prétendre que l’autorisation donnée sur cette base pourrait néanmoins ne pas être illégale est assez acrobatique.

(12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442338)

(94) Voir aussi, identiques et concernant la même société : 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442339 ; 12 avril 2022, Société Avenir Télécom et Me Douhaire, n° 442340.

(95) V. également, confirmant l’assouplissement du contrôle contentieux de la correcte application par l’administration du travail, de son obligation de vérifier, en cas de licenciement d’un salarié protégé, la recherche sérieuse par l’employeur (ici par l’administrateur judiciaire) de possibilités de reclassement de l’intéressé : 12 avril 2022, Société ACM, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la société BRM Mobilier, n° 443229, n° 443231 et n° 443232, trois espèces.

 

96 - Licenciement d'un salarié protégé - Dénonciation de faits susceptibles d'une qualification pénale - Licenciement à raison de cette dénonciation - Conditions de régularité - Absence - Annulation.

Un salarié membre du comité d'entreprise a signalé à diverses administrations et autres des faits commis par des salariés et des responsables de la société employeur susceptibles de recevoir une qualification pénale et notamment celle du délit d'abus de biens sociaux. Après que cette société a obtenu du ministre du travail l'autorisation administrative de licenciement et qu'il a été licencié, l'intéressé a saisi le juge administratif. La cour administrative d'appel a, par arrêt confirmatif, rejeté le recours dirigé contre l'autorisation de licenciement.

Il saisit le Conseil d'État d'un pourvoi contre cet arrêt.

Le coeur du débat se concentre sur les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail. Selon ce texte (cf. son 1er alinéa), le licenciement d'un salarié protégé pour dénonciation de faits pénalement répréhensibles n'est pas possible lorsque sont réunies les trois conditions suivantes : les faits dénoncés doivent être susceptibles d'être qualifiés crime ou délit, ils doivent avoir été connus dans l'exercice des fonctions et leur dénonciation doit avoir été faite de bonne foi.

En l'espèce, pour annuler l'arrêt déféré à sa censure, le juge de cassation relève qu'en jugeant que la dénonciation a porté sur des faits non étayés et qu'ainsi, même s'il a agi dans l'exercice de ses fonctions, le salarié n'en a pas moins commis une faute, la cour n'a pas correctement appliqué les dispositions de l'art. L. 1132-3-3 du code du travail, spécialement celles de son troisième alinéa.

(27 avril 2022, M. I., n° 437735)

 

97 - Revenu de solidarité active (RSA) – Fausse déclaration de revenus ou omission délibérée – Sanction par une amende administrative – Prescription de l’action – Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 262-52 du code de l’action sociale et des familles que la fausse déclaration ou l'omission délibérée de déclaration ayant abouti au versement indu du RSA est passible d'une amende administrative. Toutefois, le président du conseil départemental ne peut sanctionner par cette amende que des fausses déclarations ou des omissions délibérées de déclaration ayant abouti à un versement indu du RSA qui s'est poursuivi moins de deux ans avant la date à laquelle il prononce cette amende. 

Ici le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant légal le prononcé, par le président du conseil départemental, le 9 juillet 2019, d’une amende administrative à raison de perceptions indues du RSA au titre de périodes antérieures au 31 mars 2017.

(12 avril 2022, Mme B., n° 453056)

 

98 - Accord collectif de travail – Extension par arrêté ministériel – Refus – Accord incomplet devant être ultérieurement complété – Impossibilité – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation d’un arrêté interministériel portant extension d'un avenant à la convention collective nationale du golf, en tant qu'il exclut de cette extension les stipulations figurant à son article 9.10.2.

La demande est rejetée au motif qu’un ministre ne peut pas, sans méconnaître les pouvoirs qu'il tient de l’article L. 2261-25 du code du travail, étendre certaines clauses d'un accord collectif de travail sous réserve qu'elles soient complétées par un accord collectif ultérieur dont il n'est pas en mesure d'apprécier, comme il lui appartient pourtant de le faire avant de signer l'arrêté d'extension, la conformité avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur. 

En outre, s’il résulte du dernier alinéa de cet article L. 2261-25 que l'entrée en vigueur de clauses étendues peut être subordonnée à l'existence d'une convention d'entreprise prévoyant des stipulations complémentaires, il résulte des termes mêmes de l'article L. 6324-3 du code du travail qu'il n'appartient qu'à un accord collectif de branche étendu de définir la liste des certifications professionnelles éligibles à la reconversion ou à la promotion par alternance. Par suite c’est sans erreur de droit que le ministre concerné a estimé que le caractère incomplet de l'article 9.10.2 de l'avenant n° 75 du 24 janvier 2019 au regard de l'article L. 6324-3 du code du travail faisait obstacle à qu’il procède à son extension. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'éducation permanente, de la formation, de l'animation, de l'hébergement, du sport et du tourisme Force ouvrière (SNEPAT-FO) et fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 442247)

 

99 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Autorisation de licenciements de salariés protégés pour motif économique - Appréciation de leur légalité sur renvois préjudiciels - Situation économique appréciée au niveau de l'ensemble des sociétés du groupe oeuvrant dans le même secteur d'activité - Rejet.

Dans le cadre d'un PSE, l'inspection du travail a autorisé le licenciement de plusieurs salariés protégés motif pris de la nécessité de maintenir la compétitivité de l'entreprise requérante.

Sur renvoi préjudiciel de neuf jugements du juge judiciaire en appréciation de la légalité de ces autorisations, le tribunal administratif s'est fondé, pour porter cette appréciation, notamment s'agissant de la compétitivité, sur la situation économique de l'ensemble des sociétés du groupe intervenant dans le même secteur d'activité que la société en cause.

Cette façon de procéder, critiquée par le pourvoi, est approuvée par le juge de cassation et elle est d'ailleurs conforme à la jurisprudence de ce dernier en ce domaine.

C'est donc par une exacte appréciation des faits que le tribunal a constaté, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la société requérante détient de manière directe ou indirecte plusieurs filiales à 100 %, qu'elle a constitué des coentreprises - ou « joint-venture » - avec des tiers pour les besoins de ses activités et que la division « mousse souple » (polyuréthane) de ce groupe est organisée entre, d'une part, le pôle « Eurofoam » « construit autour d'une joint-venture détenue à 50 % par le groupe Recticel et à 50 % par le groupe Greiner », et d'autre part, le pôle « 100 % Recticel » « composé des sociétés historiques du groupe Recticel, détenues à 100 % par la société Recticel NV/SA », dont la société Recticel SAS, spécialisée dans la production de mousse souple.

C'est également sans erreur de droit que le tribunal en a déduit que la menace sur la compétitivité de l'entreprise Recticel SAS, invoquée par cette dernière pour justifier les licenciements litigieux, devait s'apprécier, au sein du groupe contrôlé par la société Recticel NV/SA, au niveau du secteur d'activité constitué du pôle « Eurofoam » et du pôle « 100% Recticel ».

C'est donc à bon droit que le tribunal administratif a jugé, en prenant en compte ce périmètre, que l'autorité administrative avait illégalement accordé les autorisations de licenciement sollicitées : la menace pour la compétitivité alléguée par la société Recticel SAS n'était pas établie au niveau du secteur d'activité en cause. 

(27 avril 2022, Société Recticel SAS, n°s 441784, 441786, 441788, 441789, 441790, 441792, 441793, 441794 et 441795)

 

100 - Pôle emploi - Extension d'un avenant à la convention collective nationale de cet établissement public administratif - Compétence du juge administratif pour connaître des recours dirigés contre l'arrêté ministériel portant extension - Rejet.

Le syndicat demandeur contestait la légalité de l'arrêté ministériel du 15 janvier 2020 par lequel la ministre du travail a étendu les stipulations de l'avenant du 18 septembre 2019 relatif à la révision de l'article 8.4 de la convention collective nationale de Pôle emploi, lequel a été agréé par un arrêté du 22 novembre 2019 de la ministre du travail et du ministre de l'action et des comptes publics.

Outre les questions de fond soulevées à cet égard et dont tous les moyens y relatifs sont rejetés, le Conseil d'État tranche implicitement mais nécessairement en faveur de la compétence du juge administratif pour connaître des litiges nés d'extensions de la convention collective nationale de Pôle emploi.

La solution, pour inédite qu'elle soit, est logique : si le personnel de Pôle emploi relève – ce qui n’est guère judicieux - du droit privé, cet organisme est un établissement public administratif et ses salariés sont chargés par la loi d'une mission de service public.

(27 avril 2022, Fédération Force ouvrière des employés et cadres, n° 440521)

 

101 - Revenu de solidarité active (RSA) - Revenus tirés d'une activité professionnelle – Produit d'une sous-location d'appartement - Conditions de prise en compte - Absence de bénéfice tiré de cette sous-location - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit, le jugement qui estime que doit être pris en compte pour le calcul des droits au revenu de solidarité active le sous-loyer que son bénéficiaire perçoit de la sous-location d'une partie du logement qu'il occupe lui-même en qualité de locataire, alors même que celui-ci fait valoir qu'il n'en retire aucun bénéfice, cette sous-location lui ayant seulement permis de faire face à ses charges locatives en y contribuant partiellement. Cette annulation entraîne subséquemment - sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de cassation dirigés à son encontre - celle du jugement qui estime fondée la contrainte délivrée par un organisme social en vue de la répétition de l'indu prétendument né de cette sous-location.

(12 avril 2022, M. L., n° 440736)

 

102 - Emploi d'un étranger non muni d'une autorisation d'exercer en France une activité salariée - Infraction réprimée au moyen d'une contribution spéciale forfaitaire - Obligation de s'assurer de la proportionnalité de la sanction en cas d'invocation des difficultés financières de l'entreprise - Absence - Annulation.

Pour avoir employé un étranger non muni de l'autorisation administrative d'exercer une activité salariée en France la société requérante est condamnée à près de vingt mille euros de contribution spéciale forfaitaire (17700,00 euros) et de frais de réacheminement de l'employé (2124,00 euros).

Celle-ci, reconnaissant l'infraction, invoquait des circonstances propres à l'espèce, notamment des difficultés financières en résultant. La cour administrative d'appel a refusé de les examiner. Le Conseil d'État est à la cassation car il incombait à la cour pour exercer son plein contrôle sur la proportionnalité de la sanction, d'examiner si, au regard de la nature et de la gravité des agissements, il n'était pas justifié, en dépit de l'exigence de répression effective des infractions, que la société soit, à titre exceptionnel, dispensée de cette sanction. 

Il faut regretter cette propension du juge, qui diffuse partout désormais, de tailler des croupières aux textes législatifs sous prétexte de proportionnalité et autres considérations semblables. Aucun traité international ou autre norme quelconque ne peut fonder la subversion de l'ordre démocratique selon lequel le peuple, directement ou par ses représentants, au rang desquels ne se trouve pas le juge, même constitutionnel, a seul le pouvoir de vouloir en son nom et de décider. Donner au juge un pouvoir de réformation des règles et tarifs fixés par le législateur est un attentat contre cet ordre que les citoyens peuvent seul juger socialement désirable. C'est ici le lieu de rappeler ce principe cardinal énoncé par Montesquieu et qui à ses yeux de magistrat avait vertu d'évidence : les juges n'ont que le pouvoir d'empêcher non celui de statuer. Il appartient au législateur de se prémunir contre ces basses manoeuvres de contournement et de grignotage du plus vilain effet.

(12 avril 2022, Sarl Majesty Pizza, n° 449684)

 

103 - Liberté syndicale - Accord de méthode sur les conditions de participation à une négociation collective - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

En vue de négociations collectives à venir au sein du grand hôpital de l'Est francilien, un accord de méthode a été conclu entre les organisations syndicales et la direction de cet hôpital sur les conditions de ces négociations. L'organisation requérante considère que sur trois points cet accord porte atteinte à la liberté syndicale dans la fonction publique. Sa demande en référé liberté est rejetée.

Le juge des référés du Conseil d'État estime qu'il n'est porté atteinte à cette liberté :

- ni par la stipulation de l'accord selon laquelle chaque organisation syndicale doit désigner les personnes habilitées à négocier parmi les agents en position d'activité au sein de l'hôpital car si elle ne permet pas la participation du secrétaire général actuel du syndicat requérant, qui est retraité, elle n'empêche pas ledit syndicat de désigner tel de ses membres en activité ;

- ni non plus par la stipulation de l'accord critiqué décidant que le nombre de représentants habilités à négocier par chaque organisation syndicale est au plus égal à la moitié des membres élus titulaires du comité technique d'établissement ;

- ni non plus, enfin, par l'engagement pris par les organisations syndicales signataires de l'accord de méthode de s'engager à ne pas communiquer sur les négociations pendant toute la durée de celles-ci, dans le but de contribuer à leur bon déroulement.

(ord. réf. 19 avril 2022, Syndicat Union fédérale autonome santé (UFAS) du grand hôpital de l'Est francilien, n° 462991)

 

104 - Conseiller prud'homme - Première élection - Obligation de formation dans un certain délai à l'exercice de sa fonction juridictionnelle - Circonstance d'un congé maladie ou d'un congé maternité sans effet sur la sanction pour non respect du délai - Démission d'office - Rejet.

L'art. L. 1442-1 du code du travail impose à tout conseiller prud'homme désigné pour la première fois de suivre, dans les quinze mois à compter du premier jour du deuxième mois suivant sa désignation, une formation à l'exercice de ses fonctions juridictionnelles, à défaut l'intéressé(e) est réputé démissionnaire d'office par le premier président de la cour d'appel.

Ce dernier, pour apprécier l'éventuel non respect de ce délai, ne peut pas tenir compte de circonstances, telles que le placement de l'intéressé en congé de maladie ou en congé de maternité, qui l'auraient mis dans l'impossibilité de remplir cette obligation dans le délai fixé. Par suite c'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'en prenant une telle décision le chef de cour se borne à qualifier juridiquement le manquement à l'obligation de formation initiale et à constater la violation des dispositions précitées du code du travail, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l'espèce.

Le pourvoi est rejeté.

(21 avril 2022, Mme H. K. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449255)

(105) V. aussi, solution identique : 21 avril 2022, Mme E. G. et Union des syndicats CGT de Paris, n° 449262.

 

106 - Revenu de solidarité active (RSA) - Travailleur indépendant - Demande de remise gracieuse d'un indu de RSA - Pouvoirs et devoirs du juge - Compassion jurisprudentielle - Annulation.

Cette décision constitue une nouvelle illustration, en matière de contentieux sociaux, de l'exercice compassionnel de la fonction juridictionnelle.

Réitérant un certain courant jurisprudentiel dans l'exercice de la juridiction gracieuse en matière de RSA (V. par ex. : 15 juin 2009, Département de la Manche, n° 320040 ; 17 novembre 2017, M. Rodriguez, n° 400606) le Conseil d'État rappelle en ces termes la conduite à tenir.

« Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de RSA, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise.

Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a manqué à ses obligations déclaratives, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des éléments dépourvus d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des éléments ainsi omis, de l'information reçue et notamment, le cas échéant, de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les éléments omis »

La décision précitée de 2017 précisait en outre que : « A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration. »

(26 avril 2022, Métropole de Lyon, n° 441370)

 

107 - Revenu de solidarité active (RSA) - Octroi subordonné à une recherche d'emploi ou d'insertion sociale - Pouvoirs du président du conseil départemental - Annulation.

Si toute personne bénéficiant du RSA est, en contrepartie du droit à l'allocation, tenue à des obligations en matière de recherche d'emploi ou d'insertion sociale ou professionnelle et si le président du conseil départemental est en droit de suspendre le versement du revenu de solidarité active, il ne peut ni réviser à titre rétroactif les droits au RSA d'un bénéficiaire au motif d'inaccomplissement des démarches prévues, ni fonder un refus d'ouverture de droits au RSA sur un tel motif, sauf à ce que le demandeur ait fait l'objet d'une décision préalable de suspension de ses droits et n'ait pas signé un projet personnalisé d'accès à l'emploi ou l'un des contrats prévus aux articles L. 262-35 et L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles. 

(26 avril 2022, M. Fino, n° 453176)

 

Élections et financement de la vie politique

 

108 - Élection des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires – Scrutin de liste à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne – Demande d’annulation partielle des opérations électorales – Conditions – Rejet.

La recevabilité d’une demande d’annulation partielle d’élections tendant à la désignation des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires dont l’élection a lieu dans le cadre d’un scrutin à un tour, à la représentation proportionnelle avec utilisation de la règle de la plus forte moyenne, est limitée à la satisfaction de l’une des quatre conditions suivantes en raison du caractère indivisible de l’attribution des sièges.

Les griefs au soutien de la protestation ne peuvent porter que sur l'inéligibilité d'un ou de plusieurs candidats ou bien sont susceptibles de conduire au prononcé de l'inéligibilité d'un ou de plusieurs élus, ou encore portent sur l'incompatibilité des fonctions d'un ou de plusieurs candidats avec le mandat de conseiller des Français de l'étranger ou de délégué consulaire, ou enfin permettent au juge de reconstituer avec certitude la répartition exacte des voix.

En l’espèce la demande en ce sens est rejetée faute de satisfaire à l’une des ces conditions limitativement énumérées.

(7 avril 2022, M. D. et M. H., n° 453234)

(109) Voir aussi, rejetant une protestation dirigée contre le déroulement électronique des opérations électorales dans la circonscription du Paraguay parce que l’absence du nom complet d’un candidat n’a pu tromper aucun électeur et parce que l’affirmation de l’impossibilité pour certains électeurs de voter faute que l’administration leur ait adressé un authentifiant n’est pas étayée : 7 avril 2022, M. F., n°454063.

(110) Voir également, rejetant une protestation électorale relative à l’élection de quatre conseillers à l'Assemblée des Français de l'étranger dans la circonscription de l'Afrique occidentale fondée sur ce que sur les 22 suffrages exprimés (sur 25 électeurs inscrits) un bulletin présentait une irrégularité dans la taille des caractères imprimés sur celui-ci, chaque électeur imprimant lui-même son bulletin à partir d’un fichier numérisé et cette légère différence ne constituant ni un signe de reconnaissance de la part d’un électeur, ni une modification du modèle du bulletin de vote produit par une liste, ni comme susceptible d'affecter la désignation de la liste en faveur de laquelle le bulletin incriminé a été utilisé, elle n'a donc pu porter atteinte ni au secret du vote ni à la sincérité du scrutin : 7 avril 2022, M. A., n° 459522.

(111) V. encore, rejetant le grief d'irrégularité de certains bulletins et rectifiant les résultats du scrutin pour la circonscription d'Europe centrale et orientale : 26 avril 2022, M. H., n° 459373 ; M. M., n° 460304.

 

112 - Élections au conseil départemental – Très faible taux de participation – Circonstance indifférente à la régularité de l’élection – Rejet.

Rappel de ce que la faiblesse insigne du taux de participation à des élections n’entache pas d’irrégularité ou d’illégalité les résultats du scrutin. Il n’en irait autrement que si cette faiblesse traduis ait une situation de crainte, de peur de représailles ou autre qui caractériserait une atteinte à la libre expression du suffrage.

Pour le reste c’est bien évidemment à leur conscience que les élus sont renvoyés pour déterminer si le ridicule arithmétique des conditions de leur élection les atteint ou leur est indifférent…

(12 avril 2022, Élections départementales de l’Aisne, canton de Laon-I, n° 459807)

 

113 - Élections municipales - Accusations injurieuses par tracts - Gravité de la mise en cause d'un candidat figurant sur une liste - Impossibilité d'une défense ou réponse utile - Faible écart des voix - Confirmation de l'annulation du second tour des élections.

Le Conseil d'État confirme la décision des premiers juges d'annuler le second tour d'élections municipales en jugeant qu'un tract injurieux mettant gravement en cause la moralité d'un des candidats figurant sur une liste, diffusé dans une soixantaine de boîtes à lettres au moins et largement commenté sur les réseaux sociaux, n'avait pu faire l'objet d'une défense utile même en prenant en considération le délai écoulé entre sa distribution et le second tour du scrutin, la circonstance que la liste concernée ait pu diffuser, dans ce délai, un tract condamnant ces accusations, sans les imputer à qui que ce soit, ou encore la circonstance que les candidats figurant sur la liste adverse auraient été étrangers à la diffusion du tract litigieux. En effet, le juge relève qu'aucun de ces éléments n'a pu notablement réduire les effets des imputations portées dans ce tract.

(14 avril 2022, Mme O., Él. mun. de Pugny-Chatenod, n° 446922)

 

114 - Élection présidentielle - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et du respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

V. n° 183

 

115 - Élection présidentielle - Demande d'annulation de la décision du Conseil constitutionnel arrêtant la liste des candidats à cette élection - Demande de suspension de cette élection - Demande d'assignation en justice des membres du Conseil constitutionnel - Demande de mise en place d'un comité de suspension confiée au groupement requérant - Incompétence manifeste du Conseil d'État - Rejet.

Avec un tel florilège de demandes adressées au juge des référés du Conseil d'État il n'y avait pas grand risque à en prédire l'échec. Un regret cependant, pour donner à la chose tout son prix si l'on peut dire : l'absence d'amende pour recours abusif.

(ord. réf. 7 avril 2022, Syndicat anti-fraude, anti-corruption, justice et Mme B., n° 462964)

(116) V. aussi, le rejet du recours eiusdem farinae tendant à voir le Conseil d'État suspendre l'exécution de la décision du 7 mars 2022 du Conseil constitutionnel portant liste officielle des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 et valider la candidature du requérant à cette élection : ord. réf. 7 avril 2022, M. B., n° 462967

(117) V. également, le rejet d'un recours en référé suspension par lequel il était demandé au juge ad hoc du Conseil d'État de procéder à l'invalidation de la candidature de M. A. par l'annulation de la décision n° 2022-187 PDR du 7 mars 2022 portant liste des candidats à l'élection à la présidence de la république de 2022 : ord. réf. 8 avril 2022, Association Le Peuple de France et M. D., n° 463024.

(118) V., assez pittoresque, le rejet, pour incompétence du Conseil d’État, de la demande d’annulation du second tour des élections présidentielles du 23 avril 2022 en même temps que de la demande de suspension de son titulaire actuel, des fonctions de président de la république à raison d’un état de santé incompatible avec ces fonctions : ord. réf. 22 avril 2022, Mme A., n° 463347.

 

119 - Élection présidentielle - Vote des Français de l'étranger - Impossibilité de voter à Shanghaï - Décision des autorités locales - Rejet.

Le requérant demandait la suspension d'exécution de la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, révélée par un communiqué publié sur le site internet de l'ambassade de France en Chine le 22 avril 2022, de ne pas ouvrir le bureau de vote de Shanghaï pour le second tour de l'élection présidentielle, le dimanche 24 avril 2022.

Pour rejeter ce recours, le juge des référés du Conseil d'État se fonde sur ce que les autorités chinoises de Shanghaï - sollicitées en ce sens par le consul général de France dans cette ville - ont réitéré, par oral, leur refus d'autoriser l'ouverture de bureaux de vote en vue du second tour des élections présidentielles à raison du strict confinement imposé pour lutter contre la propagation de l'épidémie de Covid-19.

S'instaure ainsi une règle implicite : ne peut être discutée au contentieux une décision prise par des autorités nationales étrangères conduisant à interdire l'accès à et/ou l'ouverture de bureaux de vote pour les Français résidant à l'étranger. Si l'on peut admettre une solution bien proche du régime de l'acte de gouvernement, il est regrettable que l'on ne songe pas à la contourner d'élégante façon en réinstaurant, surtout pour cette élection, le vote électronique qui a très bien fonctionné chaque fois où il a été appliqué.

Il ne faudrait pas croire que le cas ici en cause est isolé : ainsi, en Italie, tout Français atteint de Covid-19 n'a pu se rendre aux urnes lors de cette même élection présidentielle.

Il faut retenir que les bureaux de vote à l'étranger couvrent de vastes territoires concernant donc plusieurs centaines voire milliers de personnes.

Enfin, le délai d'établissement des procurations ne permet pas de couvrir les cas apparus dans les dernières semaines avant le scrutin.

(ord. réf. 23 avril 2022, M. A., n° 463437)

 

120 - Élections régionales - Compte de campagne - Absence de dépôt et de réponse à une mise en demeure de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques - Inéligibilité confirmée.

Saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, le Conseil d'État inflige à la tête de liste, en région Guadeloupe, une inéligibilité de dix-huit mois à compter de sa décision pour non dépôt du compte de campagne dans le délai imparti et non réponse à la mise en demeure adressée par la Commission.

Cette omission constitue, en effet, compte tenu de l'absence d'ambiguïté de la règle applicable et, en l'espèce, de l'absence de toute justification, un manquement caractérisé et délibéré à une obligation substantielle.

(29 avril 2022, Mme A., n° 459494)

(121) V. aussi, la solution identique retenue à propos de ces mêmes élections régionales à l'encontre d'un candidat tête de liste qui, pour justifier le non dépôt de son compte de campagne, invoque la maladie de sa mandataire financier et l'impossibilité pour lui d'accéder au compte bancaire ouvert à cet effet, le juge relevant le peu de preuve de cet état de fait et l'absence de réponse de sa part à la demande d'observations puis à la mise en demeure qui lui ont par la suite été adressées par la Commission : 29 avril 2022, M. D., n° 459495.

 

Environnement

 

122 - Études de dangers concernant les gares de triage – Demande d’annulation partielle de la note technique ministérielle en ce sens – Compétence de son auteur – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

L’association recherchait l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le point 2.1 de la note technique du 22 juin 2015 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie relative aux études de dangers remises en application de l'article L. 551-2 du code de l'environnement et au porter-à-connaissance concernant les gares de triage.

Le premier alinéa de l’art. L. 551-2 du code de l’environnement prévoit que : « Lorsque du fait du stationnement, chargement ou déchargement de véhicules ou d'engins de transport contenant des matières dangereuses, l'exploitation d'un ouvrage d'infrastructure routière, ferroviaire, portuaire ou de navigation intérieure ou d'une installation multimodale peut présenter de graves dangers pour la sécurité des populations, la salubrité et la santé publiques, directement ou par pollution du milieu, une étude de dangers est réalisée et fournie à l'autorité administrative compétente. Un décret en Conseil d'État précise selon les ouvrages d'infrastructure si cette étude est réalisée par le maître d'ouvrage, le gestionnaire de l'infrastructure, le propriétaire, l'exploitant ou l'opérateur lorsque ceux-ci sont différents. Cette étude est mise à jour au moins tous les cinq ans.(…) ». L’art. R. 551-1 de ce code dispose notamment que cette étude de dangers « En tant que de besoin, (…) donne lieu à une analyse de risques qui prend en compte la probabilité d'occurrence, la cinétique et la gravité des accidents potentiels, que leur cause soit interne ou externe, selon une méthodologie qu'elle explicite. Elle définit et justifie les mesures propres à réduire la probabilité et les effets de ces accidents. »

Sur le fondement de ce dernier texte un arrêté interministériel du 18 décembre 2009 énumère les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte pour les études de dangers des ouvrages d'infrastructures de transport où stationnent, sont chargés ou déchargés des véhicules ou des engins de transport contenant des matières dangereuses. Cet arrêté énonce notamment la liste minimale des phénomènes dangereux et des scenarii-types à prendre en compte.

La note technique litigieuse a pour objet de compléter cet arrêté en tant qu’elle définit les phénomènes dangereux à considérer et les probabilités d'occurrence à utiliser. Selon son point 2, objet du présent recours en annulation, suite à une étude relative à l'accidentologie sur les gares de triages européennes menée en 2013, énumère les dispositions que devront prendre en compte les prochaines études de dangers ou leurs révisions : la localisation des phénomènes dangereux (point 2.1) et leur probabilité (point 2.2). En particulier, le point 2.1 de la note précise que « dans les prochaines études de dangers ou leurs révisions, l'origine des phénomènes dangereux étudiés sera considérée comme limitée à la zone de formation et à la zone de débranchement pour les gares de triage à butte. En l'absence de butte de triage, seul le faisceau de la zone de formation des trains sera pris en compte. » En outre, elle indique que les zones « dites de réception et de départ » quand elles ne se confondent pas avec les zones de formation et de débranchement, « ne présentent pas une accidentologie spécifique justifiant leur prise en compte dans le cadre de la démarche de maîtrise des risques prévue par le code de l'environnement ».

Répondant à un premier argument de la demanderesse, le juge estime que si le législateur a prévu à l’art. L. 551-2 précité qu’un décret en Conseil d’État déterminera les catégories d'ouvrages concernés par l'étude de dangers dont elles prévoient la réalisation ainsi que la personne chargée de la réaliser, le ministre chargé des transports de matières dangereuses n’en est pas moins compétent pour préciser les critères techniques et méthodologiques à prendre en compte dans une telle étude, en les adaptant, le cas échéant, à chaque catégorie d'ouvrages concernée. En apportant, par le point 2.1 de la note contestée, les indications qu’elle contient, la ministre de l'écologie s'est bornée à préciser les critères techniques et méthodologiques applicables à cette catégorie d'ouvrage et n'a pris aucune disposition qui relèverait d'un décret en Conseil d'État en application des dispositions de l'article L. 551-2 du code de l'environnement. Le moyen développé sur ce point par l'association requérante est rejeté car la note n’a pas été prise par une autorité incompétente et ne contrevient pas, par ses dispositions, aux art. R. 551-1 et suivants du code précité.

Est également rejeté le second argument, tiré de la non publication de l'étude d'accidentologie, suite à l’accident survenu en gare de Sibelin en mars 2017, sur laquelle s'est fondée la ministre pour édicter les dispositions contestées car cela n’établit pas que le refus d’abroger les points litigieux de la note précitée serait entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

(5 avril 2022, Associations Contre le Train en zone Urbaine et pour le Respect de l'Environnement (FRACTURE), n° 452268)

 

123 - Demande de désignation d’une autorité indépendante chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports de l’Union (art. 3 règlement (UE) du 16 avril 2004) – Possibilité de désigner la direction d’un ministère – Obligation d’indépendance de cette autorité par rapport à toute organisation intervenant dans ce secteur d’activités – Absence en l’espèce – Annulation.

Les seize associations requérantes demandaient l’annulation du refus implicite opposé par le président de la république et le premier ministre à leur demande de désigner en tant qu’autorité responsable de la procédure des restrictions d’exploitation en vue de lutter contre les nuisances aéroportuaires une personne ou entité indépendante de tout organisme intervenant dans ce secteur au lieu de l’entité désignée en mars 2017.

Elles reprochaient aux intéressés d’avoir désigné à cet effet la direction générale de l'aviation civile qui ne leur apparaît pas présenter les garanties d’indépendance requises par le règlement européen du 16 avril 2004.

Pour accueillir ce moyen et dire irrégulière cette désignation, le Conseil d’État relève qu’en soi une telle désignation ne contrevient pas aux dispositions de ce règlement à condition que soit assurée « l'indépendance de cette autorité, notamment vis-à-vis de toute organisation qui interviendrait dans l'exploitation de l'aéroport, le transport aérien ou la fourniture de services de navigation aérienne, ou qui représenterait les intérêts de ces branches d'activités ainsi que ceux des riverains de l'aéroport. »

Il constate que cette condition fait défaut en l’espèce car « de telles garanties ne ressortent, s'agissant de la direction du transport aérien (sous-direction du développement durable) de la direction générale de l'aviation civile, ni des pièces du dossier ni du décret du 9 juillet 2008 portant organisation de l'administration centrale du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Au contraire, il résulte de l'article 6 de ce décret, que la tutelle de l'établissement public international Aéroport de Bâle-Mulhouse est assurée, pour la France, par cette direction. Par suite, la désignation de la direction du transport aérien comme autorité chargée de la procédure à suivre lors de l'adoption des restrictions d'exploitation méconnaît les dispositions de l'article 3 du règlement (UE) n° 598/2014 ».

Les décisions refusant d’abroger cette désignation sont irrégulières et injonction est faite au premier ministre de procéder sous six mois à la désignation d’une autorité présentant les garanties d’indépendance exigées par le droit de l’Union.

(5 avril 2022, Association « Union Française Contre les Nuisances des Aéronefs » (UFCNA) et autres, n° 454440)

Voir, pour un autre aspect de cette décision, le n° 2

 

124 - Autorisation de la réalisation d’un parc éolien en mer – Arrêté d’autorisation ne prévoyant pas la consultation d’un certain organisme – Consultation déjà prévue par un précédent arrêté toujours en vigueur – Absence d’illégalité – Rejet.

L’arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’un parc éolien en mer n’est pas illégal en ce qu’il n’a pas prévu la saisine du comité de gestion et de suivi du parc éolien préalablement à l'adoption du protocole de suivi et de transmission des mesures de surveillance et de contrôle, dès lors que l'obligation de le consulter a été prévue par un arrêté antérieur toujours en vigueur.

(13 avril 2022, Comité départemental des pêches maritimes et des élevages marins des Côtes d'Armor, n° 452820)

 

125 - Évaluation de l'incidence de certains projets sur l'environnement - Obligation d'impartialité - Séparation fonctionnelle entre autorité de décision ou autorisation et autorité ce consultation (art. 6 directive du 13 déc. 2011) - Autonomie réelle de l'entité donneuse d'avis - Cas où la compétence d'autorisation appartient au préft de département autre que le préfet de région - Annulation.

Rappel - une nouvelle fois - et cette obligation incessante pour le juge de se répéter a quelque chose d'agaçant,  qu'il se déduit des dispositions de l'art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, que l'autorité qui a rendu l'avis sur un projet de nature à affecter l'environnement doit disposer d'une autonomie réelle en particulier du fait qu'elle dispose de moyens administratifs et humains propres.

Tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, le projet (ici d'autorisation d'exploitation d'un parc éolien) a été instruit pour le compte du préfet de département par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, dès lors qu'au sein de cette dernière l'avis n'a pas été préparé par le service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

Doit ainsi être annulé pour dénaturation des faits de l'espèce l'arrêt confirmatif attaqué qui a rejeté le grief tiré de l'irrégularité de la consultation.

(13 avril 2022, M. et Mme A. c/ Préfet du Val-de-Loire et Sarl Val de Moines Énergies, n° 447406)

 

126 - Protection des oiseaux - Cas du grand cormoran ou Phalacrocorax carbo sinensis - Quotas préfectoraux des dérogations à l'interdiction de destruction - Absence d'atteinte à la directive « oiseaux sauvages » - Rejet.

La requérante demandait l'annulation de l'arrêté de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 27 août 2019 fixant les quotas départementaux dans les limites desquels des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans (Phalacrocorax carbo sinensis) pour la période 2019-2022.

Le Conseil d'État rejette tant les moyens de légalité externe (non examinés ici) que les moyens de légalité interne.

Concernant ces deniers, il estime en premier lieu qu'il n'est pas porté atteinte aux objectifs poursuivis par la directive européenne du 30 novembre 2009 relative à la conservation des oiseaux sauvages en raison de l'ensemble des exigences réglementaires encadrant les décisions portant quotas dérogatoires.

En deuxième lieu, l'arrêté litigieux se borne à fixer des plafonds de destructions modulables, sans pouvoir être dépassés, par les préfets en fonction des circonstances locales et lorsque n'y existe aucune autre solution satisfaisante.

En troisième lieu, s'il existe incontestablement un risque de confusion entre deux espèces de grands cormorans, le carbo sinensis et le carbo carbo, cette dernière espèce étant particulièrement vulnérable et protégée - aucune destruction n'étant autorisée -, l'arrêté attaqué a fixé, pour les trois départements où ces deux espèces coexistent, des quotas annuels de destruction très bas, la solution alternative des effarouchements y étant, en dépit de sa moindre efficacité supposée, privilégiée.

(21 avril 2022, Association One Voice, n° 435539)

(127) V. aussi, assez comparable, la solution de rejet de recours en annulation de l'arrêté interministériel du 23 octobre 2020 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) : 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448136 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448185 ; Association FERUS, n° 448210 et 21 avril 2022, Association One Voice, n° 448141 ;  Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), n° 448203 ; Association FERUS, n° 448214, deux espèces)

 

128 - Parc naturel régional - Charte du parc - Rapports avec une autorisation d'implantion ou d'exploitation d'une installation classée pour l'environnement - Obligation de cohérence avec les objectifs définis dans la charte du parc - Erreur ce droit - Annulation avec renvoi.

Dans la présente affaire le Conseil d'État réitère la solution qu'il avait retenue dans un arrêt de Section ayant jugé que l'activité d'extraction de matériaux étant susceptible de provoquer des nuisances environnementales et paysagères, une charte de parc naturel régional peut légalement comporter des mesures précises la concernant (Section 8 février 2012, Union des industries de carrières et matériaux de construction de Rhône-Alpes, n° 321219, Rec. Lebon p. 26).

En l'espèce, la solution antérieure est précisée, sa portée étendue ainsi que son champ d'application.

Il appartient à l'autorité administrative chargée d'autoriser l'implantation et/ou l'exploitation d'une installation classée pour l'environnement dans un parc naturel régional d'assurer la cohérence entre les objectifs de la charte du parc et la décision individuelle d'autorisation.

A cet effet, d'une part, la charte ne peut légalement ni imposer des obligations aux tiers, indépendamment de décisions administratives prises par les autorités publiques à leur égard ni subordonner légalement les demandes d'autorisations d'installations classées pour la protection de l'environnement à des obligations de procédure autres que celles prévues par les différentes législations en vigueur. D'autre part, cependant, le caractère général des orientations définies dans la charte peuvent être mises en oeuvre au moyen de règles de fond précises avec lesquelles les décisions des différentes autorités administratives compétentes doivent être cohérentes, sous réserve de ne pas méconnaître les règles résultant des législations particulières régissant les activités qu'elles concernent. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que l'arrêt d'appel a jugé inopérant le moyen tiré de ce que pour autoriser l'implantation d'éoliennes le préfet n'avait pas tenu compte de la charte d'un parc naturel régional alors qu'il lui incombait au contraire de vérifier si l'autorisation d'exploitation litigieuse était cohérente avec les orientations fixées par cette charte et ses documents annexes.

(21 avril 2022, Comité régional d'étude et de protection et de l'aménagement de la nature en Normandie et autres, n° 442953)

 

129 - Principe d'interdiction de perturbation intentionnelle des conditions de vie d'une espèce protégée dont l'état de conservation est défavorable (Cf. art. L. 411-1 du c. env.) - Cas de l'ours brun des Pyrénées - Mesures dérogatoires d'effarouchement - Conditions de légalité - Formes d'effarouchement légales et formes d'effarouchement illégales - Annulation partielle.

Les requérantes poursuivaient l'annulation de l'arrêté du 12 juin 2020 de la ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation relatif à la mise en place à titre expérimental de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux.

Le juge relève tout d'abord que, malgré diverses mesures, l'état de conservation de l'espèce « ours brun » n'a pas retrouvé un caractère favorable au sens de l'article 1er de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive « Habitats ».

Il constate ensuite que l'arrêté attaqué ayant pour objet de fixer, à titre expérimental jusqu'au 1er novembre 2020, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, a prévu en son art. 2 deux formes d'effarouchements après un certain nombre d'attaques de troupeaux par des ours réparties sur un laps de temps déterminé.

Il juge enfin que si la première forme d'effarouchement ou effarouchement simple (par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux) ne porte pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromet pas l'amélioration de l'état de l'espèce, il n'en va pas de même de la seconde forme dite effarouchement renforcé (par des tirs non létaux de toute arme à feu chargée de cartouches en caoutchouc ou de cartouches à double détonation) en l'absence de données scientifiques nouvelles témoignant que les dérogations susceptibles d'être accordées par le préfet ne portent pas atteinte au maintien des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle et ne compromettent pas l'amélioration de l'état de l'espèce.

En conséquence, la dérogation en faveur de cette seconde forme d’effarouchement est annulée.

(22 avril 2022, Association Ferus - Ours, loup, lynx et autres, n° 442676 : Association Sea Shepherd France, n° 442769, jonction)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Acquisition de la nationalité par mariage après déclaration - Opposition du gouvernement - Indignité - Liens avec le service de renseignement de la Tunisie - Rejet.

C'est sans illégalité que le premier ministre, pour s'opposer à l'acquisition de la nationalité par mariage sur déclaration de l'intéressé a retenu notamment les liens que celui-ci avait entretenus et continuait d'entretenir avec les services de renseignement de la Tunisie, ainsi qu'en attestaient ses nombreux contacts avec des autorités françaises et tunisiennes, en particulier l'hébergement, dans les locaux de l'association qu'il préside, d'un diplomate détaché du consulat de Tunisie à Paris.

(26 avril 2022, M. I., n° 449785)

 

Étrangers

 

131 - Refus de délivrance d'un titre de séjour mention « étudiant »,  assorti d'une OQTF - Condition de bourse non remplie - Absence de poursuite de scolarité en France depuis l'âge de seize ans - Attaches familiales en Tunisie - Rejet.

C'est sans erreur de droit ni de contradiction de motifs, sans insuffisance de motivation, sans inexactitude dans la qualification des faits ni dénaturation des faits qu'une cour administrative d'appel juge successivement :

1° qu'une étrangère titulaire d'une bourse de l'enseignement supérieur ne peut demander l'octroi de plein droit d'une carte avec la mention « étudiant », ceci étant réservé aux seuls « boursiers du gouvernement français » c'est-à-dire ceux bénéficiaires d'une bourse attribuée par le ministère des affaires étrangères ;

2° qu'elle ne peut pas davantage solliciter une dispense du visa de long séjour dès lors qu'elle n'a pas été scolarisée en France depuis l'âge de seize ans ;

3° que si la requérante a obtenu le baccalauréat, avec mention très bien, en France, où elle a reçu en septembre 2017 une bourse de l'enseignement supérieur ainsi qu'une bourse au mérite au titre de l'année 2017-2018, et suivait avec succès, à la date de la décision attaquée une scolarité en classes préparatoires scientifiques au lycée Masséna de Nice, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales et affectives en Tunisie, où elle a passé l'essentiel de sa vie, et où elle pourrait poursuivre ses études, et ne justifiait pas, à la date de la décision attaquée, de la présence en France de membres de sa famille, comme l'ont relevé les juges du fond, son frère, notamment, ne s'étant vu délivrer un récépissé de demande de carte de séjour que postérieurement à cette décision.

La solution est sévère mais la ligne de défense choisie n'autorisait guère une autre réponse.

(21 avril 2022, Mme A., n° 442200)

 

132 - Étranger titulaire d'une carte de résident - Bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) - Condition - Absence ici - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif jugeant que le titulaire d'une carte de résident en qualité d'ascendant à charge d'un ressortissant de nationalité française peut bénéficier du revenu de solidarité active alors même qu'il n'invoque aucun changement dans sa situation depuis la délivrance de ce titre.

En effet, le titulaire d'une telle carte est réputé entièrement pris en charge par son descendant et ne saurait dès lors, en principe, être regardé comme remplissant la condition de ressources nécessaire à l'octroi du RSA sauf dans le cas où, invoquant un changement dans sa situation à cet égard depuis la délivrance de ce titre de séjour, il justifie qu'il ne peut plus, du fait de ce changement, être regardé comme entièrement pris en charge par son descendant et à condition que compte tenu de l'ensemble des autres ressources du foyer il satisfasse à la condition d'éligibilité au RSA.

(26 avril 2022, Département de la Drôme, n° 449780)

 

133 - Libération des liens d'allégeance avec la France - Perte subséquente de la qualité de Français - Impossibilité de recouvrer la nationalité française sauf à solliciter la réintégration dans la nationalité française - Rejet.

La personne qui a perdu la qualité de français par suite de sa demande de libération des liens d'allégeance avec la France ne peut obtenir le retrait ou l'abrogation  du décret accordant cette libération sauf à démontrer qu'elle n'est pas l'auteur véritable de la demande de libération ou à s'engager dans la procédure de réintégration dans la nationalité française dans le respect des art. L. 24-1 et L. 24-2 du Code civil.

(26 avril 2022, Mme G., n° 454218)

 

Fonction publique et agents publics

 

134 - Procédure disciplinaire – Principe général du droit d’impossibilité d’aggravation d’une sanction dans le cadre de l’appel formé par le seul sanctionné – Notion d’aggravation – Violation de ce principe – Annulation.

Un universitaire a fait l’objet, de la part de la section disciplinaire de son université, d’une interdiction d'exercice des fonctions de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de cinq ans, avec privation de la moitié du traitement.

Sur appel du sanctionné, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire a annulé cette décision et infligé à l’appelant la sanction de l'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de trois ans, avec privation de la totalité du traitement. 

L’intéressé se pourvoit en cassation contre cette décision.

Le Conseil d’État relève d’office le moyen – car il est d’ordre public – tiré du principe général du droit disciplinaire de la fonction publique selon lequel une sanction infligée en première instance par une juridiction disciplinaire ne peut être aggravée par le juge d'appel, lorsqu'il n'est régulièrement saisi que du recours de la personne frappée par la sanction. Cette solution est classique (cf. 14 mars 1994, Patrick Yousri, n° 115915, Rec. Lebon, tables p. 1144-1166, à propos d’une sanction disciplinaire infligée à un architecte ; 17 juillet 2013, M. Dioum, Rec. Lebon p. 223, en matière universitaire).

La difficulté était de déterminer si le CNESER avait, ou non, aggravé la sanction prononcée en première instance puisqu’il avait, d’une part, réduit de cinq à trois ans la durée de l’interdiction d’exercice, d’autre part et au contraire, aggravé l’étendue du champ d’application de la sanction qu’il a étendu à l’enseignement en sus de la recherche et le quantum financier puisque la privation de traitement était passée de la moitié à la totalité de celui-ci.

L’art. L. 952-8 du code de l’éducation, qui énumère les sanctions applicables, énonce en son 5° « L'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche ou certaines d'entre elles dans l'établissement ou dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant cinq ans au maximum, avec privation de la moitié ou de la totalité du traitement ; (…) ».

Le juge de cassation considère que les sanctions reposent ainsi sur la combinaison de quatre éléments (nature et étendue des fonctions dont l'exercice est interdit, périmètre de l'interdiction d'exercice, durée de celle-ci et étendue de la privation de traitement), d’où il tire cette conséquence qu’une sanction doit être regardée comme aggravée lorsque l'un de ces éléments est aggravé et cela même dans le cas où l’un quelconque des autres éléments serait atténué.

La sanction infligée au requérant a donc été aggravée en appel alors qu’il était seul appelant, elle doit ainsi être annulée car elle contrevient au principe général du droit susénoncé.

(6 avril 2022, M. M., n° 438057)

 

135 - Procédure disciplinaire - Non respect du délai de convocation devant le conseil de discipline - Urgence présumée en raison de la gravité des effets d'une suspension temporaire des fonctions pour deux ans - Erreur de droit du juge des référés - Doute sérieux sur la légalité de la sanction attaquée - Suspension de la sanction ordonnée.

Le requérant a fait l'objet de la sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de ses fonctions de technicien de recherche et de formation au rectorat de l'académie de Poitiers, pour une durée de deux ans.

Il a contesté cette décision en vain devant le juge des référés du tribunal administratif. Son pourvoi est reçu par le Conseil d'État qui a annulé l'ordonnance qui lui était déférée.

D'une part, ce dernier a constaté l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée en ce qu'elle a été prise sans respect du délai de quinze jours prévu par la réglementation pour convoquer un agent devant le conseil de discipline.

D'autre part, la gravité des effets d'une suspension de fonctions durant deux années confère une présomption d'urgence à la demande de suspension.

La réunion des deux conditions nécessaires à cet effet conduit le juge à ordonner la suspension de la sanction litigieuse.

(22 avril 2022, M. B., n° 452906)

 

136 - Université – Recrutement sur un emploi de professeur – Procédure – Compétences respectives du comité de sélection et du conseil académique - Obligation pour ce dernier de motiver ses avis et interdiction de porter des appréciations d’ordre scientifique – Annulation.

Le recrutement des professeurs d’université, en dehors des disciplines comme le droit ou la médecine, où il existe un recrutement par un concours d’agrégation, et même pour le droit, dans les cas de recrutement hors concours d’agrégation, se déroule en trois temps : un examen et un classement des candidats retenus par le comité de sélection, l’avis du conseil académique et la décision du conseil d’université en formation restreinte aux agents d’un rang au moins égal à celui du poste à pourvoir.

En l’espèce, le Conseil d’État annule l’avis d’un conseil académique sur la candidature d’une maître de conférences sur un emploi de professeur des universités pour deux motifs principaux : il n’est pas suffisamment motivé en ce qu’il se borne à relever une « inadéquation entre la candidature et le profil du poste » sans indiquer aucunement les raisons de cette appréciation et il est entaché d’incompétence car il relève l’« insuffisance d'éléments sur les travaux de recherche » alors que, à la différence du comité de sélection, le conseil académique ne constitue pas un jury et qu’il ne lui revient donc pas d’apprécier les mérites scientifiques des candidats retenus par ce comité, surtout pour ne pas donner suite à l’avis motivé favorable du comité.

Encore une fois sévissent la complexité des procédures de recrutement dans l’enseignement supérieur dont les étapes successives ne font que traduire la défense de divers prés carrés et l’hypocrisie du fondement réel des décisions de recrutement à cause d’une opacité profonde habillée en une prétendue transparence. Compte tenu de l’évolution depuis un quart de siècle, ce mal va s’étendre encore davantage, les pouvoirs publics n’ayant de cesse que de se plier aux exigences de potentats universitaires plus soucieux de leur puissance que de la qualité des enseignants de l’enseignement supérieur.

(6 avril 2022, Mme D., n° 447899)

 

137 - Allocation temporaire d’invalidité – Conditions d’octroi – Situation de l’agent victime d’un accident de service occasionnant une invalidité permanente mais placé en congé maladie pour un autre motif – Droit à l’allocation – Erreur de droit – Annulation.

Victime d’un accident, reconnu imputable au service par la présidente d’un conseil départemental, une adjointe administrative a sollicité l’attribution d’une allocation temporaire d’invalidité. Cela lui a été refusé par décision du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, agissant en qualité de gestionnaire de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales ; le recours formé contre ce refus a été rejeté par le tribunal administratif. L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement pour erreur de droit.

Pour rejeter le recours, ce dernier s’était fondé sur ce que la requérante ne pouvait prétendre au versement de cette allocation au 15 mars 2017, date de consolidation des séquelles de l'accident de service, car elle n'avait pas repris ses fonctions en raison d'un syndrome de stress post-traumatique et de troubles dépressifs associés la conduisant à être placée en congé de longue maladie puis en congé de longue durée. Le tribunal a ensuite déduit, d’une part des articles L. 417-8 et L. 417-9 du code des communes, maintenus en vigueur et étendus à l'ensemble des agents concernés par la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale par le III de son article 119 et, d’autre part, de l'article 2 du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, que le fonctionnaire victime d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente au moins égale à 10 % ne peut bénéficier d'une telle allocation qu'à compter de la date à laquelle il reprend effectivement ses fonctions. 

Le Conseil d’État aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit car, précisément, il découle de ces dispositions que le fonctionnaire territorial qui justifie d'une invalidité permanente résultant d'un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d'un taux au moins égal à 10 % et qui ne peut reprendre ses fonctions en raison d'un placement en congé de maladie pour un autre motif a droit au versement de l'allocation temporaire d'invalidité à compter de la constatation officielle de la consolidation de sa blessure ou de son état de santé s'il formule une demande en ce sens dans l'année qui suit cette constatation. 

(6 avril 2022, Mme Q., n° 453847)

 

138 - Fonctionnaire nommé par décret du président de la république – Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État pour connaître des litiges relatifs au recrutement et à la discipline d’un tel agent – Recours ne tendant pas à l’une de ces fins – Renvoi au tribunal administratif.

Un militaire nommé par décret du président de la république a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de « retrait d'emploi par mise en non-activité » pour une durée de six mois à compter de la notification du décret à l'intéressé. Sa rémunération a, en conséquence, été réduite à 40% de sa solde tandis qu’une redevance d'occupation majorée a été mise à sa charge pour le logement qui lui avait été concédé.

Il saisit le Conseil d’État, normalement compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au recrutement et à la discipline des agents nommés par décret du président de la république (art. R. 311-1 CJA). Le Conseil d’État renvoie le requérant devant le tribunal administratif de Paris car sa requête est fondée sur que la sanction dont il a fait l’objet n'était pas exécutoire faute de lui avoir été régulièrement notifiée et sur la demande de condamnation de l'État à l'indemniser des préjudices qu'il a subis du fait de son exécution. De tels griefs n’entrent pas dans le champ d’application de la disposition dérogatoire – et donc appréciée restrictivement – précitée.

(6 avril 2022, M. B., n° 454768)

 

139 - Professeur des universités – Procédure de recrutement – Unicité du jury – Impartialité – Présence d’un professeur émérite d’une université étrangère – Utilisation de la visioconférence – Annulation d’une précédente procédure de recrutement – Conséquences devant en être tirées – Rejet.

Cette affaire constitue une nouvelle illustration des défectuosités inhérentes aux recrutement de professeurs dans l’enseignement supérieur du moins dans les disciplines où n’existe pas un véritable concours.

En l’espèce, le requérant – candidat sur un emploi de professeur de géographie à l’Université de Nice-Sophia-Antipolis - avait obtenu du Conseil d’État l’annulation d’une précédente procédure de recrutement le concernant et sa reprise au stade de l'examen, par le comité de sélection, des candidatures en vue de leur audition. La seconde procédure n’ayant pas débouché sur son recrutement, il a à nouveau saisi le Conseil d’État, cette fois sans succès car tous ses moyens sont rejetés.

Ici, le juge estime d’abord qu’aucune règle ni aucun principe n'impose que le comité de sélection, lorsqu'il se prononce sur les mérites des candidats en vue de leur audition, statue dans une composition identique pour tous les candidats. A cet égard, la seule circonstance qu'un membre du jury d'un examen ou d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de cet examen ou de ce concours. Autant dire que le principe d’unicité du jury se trouve ainsi bien malmené.

Ensuite, il est jugé que le principe d'impartialité, s’il faisait en l'espèce obstacle à ce que M. Fox, président du comité de sélection, et Mme N. participent de nouveau à l'examen de la candidature de M. E., compte tenu de la nature de leurs relations personnelles, il n'exigeait nullement que le conseil académique nomme un nouveau président ou modifie plus largement la composition du comité de sélection. Par suite la délibération du conseil académique fixant la composition de ce comité n’était pas irrégulière.

Également, il est jugé que l'annulation de la délibération précédente du comité de sélection n'impliquait pas, contrairement à ce que soutient M. E., que deux nouveaux rapporteurs soient chargés d'émettre un avis sur sa candidature. Ainsi, le comité de sélection a pu valablement délibérer au vu du rapport établi en 2017 et du nouveau rapport établi par le rapporteur désigné le 10 mai 2019 en remplacement de M. Fox. 

Enfin, seule une erreur manifeste d’appréciation – condition à peu près introuvable – pourrait être censurée s’agissant de l’inadéquation relevé par le jury entre le profil du candidat et celui du poste à pourvoir.

Ceci démontre qu’il est impossible d’imposer à une université, par voie juridique, qu’elle recrute le meilleur candidat. In fine elle obtient toujours gain de cause même si, le cas échéant, son choix devait être mauvais ou inadéquat et le juge reste impuissant.

(12 avril 2022, M. E., n° 433633)

 

140 - Agents publics à statut – Personnel des chambres de commerce et d’industrie – Licenciement pour suppression de poste – Procédure – Conditions de consultation de la commission paritaire – Exigence de reclassement – Rejet.

L’agent d’une chambre de commerce et d’industrie (CCI) sous contrat à durée indéterminée est licencié après que son emploi a été supprimé.

Se posaient deux questions.

En premier lieu, il est rappelé qu’en vertu d’un principe général du droit, commun au droit du travail et à celui de la fonction publique, s’impose à l’employeur, avant de pouvoir prononcer le licenciement d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, une obligation de chercher à reclasser l'intéressé.

En second lieu, le statut du personnel de ces chambres prévoit en cette hypothèse l’intervention d’une consultation de la commission paritaire régionale de la CCI de région. Le Conseil d’État juge que, d’une part, la consultation de cette commission ne peut avoir lieu, conformément à ces dispositions statutaires, qu’après l’entretien individuel préalable au licenciement et, d’autre part, qu’en revanche, il ne résulte d’aucun texte ou principe une obligation de consulter cette commission avant que l'assemblée générale de la CCI de région ne décide de supprimer un emploi.

C’est donc sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que la cour a jugé comme elle l’a fait : le pourvoi est rejeté.

(12 avril 2022, M. K., n° 450467)

 

141 - Désignation des représentants syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique territoriale – Application de la règle de la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne – Possibilité de listes incomplètes – Annulation – Admission partielle.

La répartition des sièges syndicaux au sein des commissions paritaires de la fonction publique est une source inépuisable de contentieux, obligeant le juge à rappeler sans cesse un certain nombre de solutions bien établies.

En premier lieu, c’est sans illégalité que l’art. 23 du décret du 17 avril 1989 dispose que les sièges de représentants syndicaux titulaires sont répartis entre les listes, en fonction des voix recueillies par chacune d'elles, à la proportionnelle à la plus forte moyenne conformément aux dispositions des art. 29 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et 9 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

En deuxième lieu, c’est sans illégalité que le décret attaqué dispose que cette règle de représentation proportionnelle doit s'apprécier au regard du nombre de sièges de représentants titulaires obtenus par chaque liste au sein de la composition de la commission, prise dans son ensemble, et non au sein de chacun des groupes hiérarchiques de la catégorie d'agents concernés.

En troisième lieu, les organisations syndicales ne sont pas tenues de présenter des listes complètes dans tous les groupes hiérarchiques de la commission paritaire.

Enfin, d’une part, le a) et la deuxième phrase du b) de l'article 23 du décret précité, pour garantir les droits des listes qui ne sont pas arrivées en tête lors des élections des représentants du personnel aux commissions administratives paritaires des collectivités territoriales, décident que ces listes doivent être assurées non seulement qu'elles obtiendront le nombre de sièges auxquels les résultats du scrutin leur donnent droit, mais encore qu'elles pourront obtenir ces sièges dans les groupes hiérarchiques pour lesquels elles avaient présenté des candidats, dans la mesure où le nombre des sièges qu'elles ont obtenus le leur permet. Cependant, d’autre part, ces mêmes dispositions ne sauraient conduire à ce que la répartition globale des sièges de représentants titulaires issue du scrutin proportionnel soit modifiée.

Application de ces principes est faite au cas de l’espèce où le juge répartit lui-même les sièges de titulaires et de suppléants au sein de la commission administrative paritaire des agents de catégorie C du centre de gestion de la fonction publique territoriale de la Meuse. 

(12 avril 2022, Syndicat CFDT Interco Meuse et Fédération Interco CFDT, n° 451408)

 

142 - Personnels de l’État affectés dans un établissement public administratif (EPA) – Déconcentration du pouvoir de les gérer au profit du directeur de l’établissement – Décision de déconcentration relevant d’un décret en Conseil d’État – Compétence du directeur pour la gestion des membres de ce corps affectés en dehors cet EPA – Rejet.

Un décret en Conseil d’État a prévu qu'à compter du 1er janvier 2022, les membres des corps d’agents techniques de l’environnement et de techniciens de l'environnement seront recrutés, nommés et gérés par le directeur de l'Office français de la biodiversité.

Le syndicat requérant demande l’annulation de la décision de rejet de sa demande d’abrogation des art. 5 et 11 du décret du 22 mai 2020.

Le recours est rejeté tout d’abord car il résulte de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires qu'une déconcentration de l'ensemble des actes de gestion des membres d'un corps de fonctionnaires de l'État affectés dans un établissement public administratif peut être décidée, par décret en Conseil d'État, au profit du directeur de cet établissement.

Le recours est rejeté ensuite parce que la faculté reconnue ci-dessus au pouvoir réglementaire peut s’étendre à la gestion des membres de ce corps affectés au sein de services de l'État ou dans d'autres établissements publics dès lors que cette mesure de déconcentration répond à des motifs de bonne gestion administrative et à la condition que ce directeur soit en mesure d'exercer cette mission. 

C’est donc sans illégalité que le décret attaqué a confié au directeur de l'Office français de la biodiversité non seulement la mission de recruter, nommer et gérer les membres du corps des agents techniques de l'environnement et de celui des techniciens de l'environnement qui sont affectés au sein de l'Office mais également les membres des mêmes corps qui ne sont pas affectés dans l’Office mais dans les établissements publics de parcs nationaux.

Il est jugé, ce qui peut sembler un peu limite, que ce transfert de gestion ne méconnaît pas, par lui-même, les principes de spécialité et d'autonomie des établissements publics. 

(12 avril 2022, Syndicat national de l'environnement FSU, n° 452471)

 

143 - Administration pénitentiaire - Note comportant des modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) – Invocation d’une directive européenne ne concernant que les congés annuels – Rejet.

Est rejetée la demande d’annulation d’une note de service de l’administration pénitentiaire relative aux modalités de réduction des jours d'aménagement et de réduction du temps de travail (ARTT) et des jours de congés compensateurs de sujétions particulières (COSP) en ce qu’elle serait contraire à l’art. 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail car cet article ne concerne que le seul régime des congés annuels.

(13 avril 2022, Mme A., n° 448144)

 

144 - Ministère des affaires étrangères – Conseiller de coopération culturelle à l’ambassade de France à Malte – Contrat à durée déterminée (CDD) – Licenciement – Demande réparation – Rejet.

Le requérant, recruté par CDD du 1er septembre 2017 au 31 août 2019 pour occuper les fonctions de conseiller culturel à l’ambassade de France à Malte, ayant été licencié le 7 décembre 2017, se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande d’indemnisation à raison d’un licenciement qu’il estime abusif.

Les divers moyens invoqués au soutien de sa requête sont rejetés.

Tout d’abord, le régime de son licenciement relève bien, comme jugé en appel, du champ du décret du 18 juin 1969 portant fixation du statut des agents contractuels de l'État et des établissements publics de l'État à caractère administratif, de nationalité française, en service à l'étranger et il résulte de l’art. 8 de ce texte que : « Le contrat n'est définitif qu'à l'expiration du stage probatoire ou de formation que l'intéressé peut être appelé à effectuer dès la conclusion de son contrat dans le pays où il se trouve au moment de son recrutement. Au cours et à l'expiration de cette période de stage l'engagement peut être résilié de part et d'autre sans condition ni préavis ».

Ensuite, s’agissant du décompte de la durée de ce stage, elle n’est fixée que par le seul contrat en dehors de tout autre texte ou principe ici applicable, soit une durée de trois mois à partir de la date de prise d’effet du contrat fixée souverainement et sans dénaturation par la cour administrative d’appel, au lundi 11 septembre 2017. 

Il ne résulte du décret de 1969 aucune obligation de motivation de la décision mettant fin au contrat, les dispositions de l’art. L. 211-2 du code des relations du public avec l’administration étant contrairement à ce que soutient le requérant, inapplicables en matière contractuelle.

Enfin, le motif retenu pour juger justifiée la décision de licenciement (parution en cours de stage d'un article de presse mettant gravement en cause le comportement personnel de M. F., dans l'exercice des responsabilités qui avaient été antérieurement les siennes au sein d'une organisation dont il avait été le président et de nature à nuire sérieusement à l’image de la France à Malte) l’a été sans dénaturation des faits qui ont été souverainement appréciés par la cour.

(15 avril 2022, M. F., n° 453230)

 

145 - Fonctionnaires de l'État et certains magistrats - Dispositions concernant la durée des séjours et le régime des congés propres à la Nouvelle-Calédonie, à la Polynésie française et à Wallis-et-Futuna - Régime différent de celui applicable dans les autres collectivités d'outre-mer - Différence de traitement non illégale - Rejet.

Le pouvoir réglementaire (décrets du 26 novembre 1996 et du 22 septembre 1998) a organisé un régime propre au séjour des agents de l'État affectés dans le groupe de territoires constitué des trois collectivités d'outre-mer situées dans le Pacifique (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna), tenant compte de l'éloignement et des sujétions particulières qui s'imposent à eux, en limitant la durée de leur affectation et en leur permettant, à leur retour, dont les frais de voyage sont pris en charge, de bénéficier de congés supplémentaires à l'issue de ce séjour, tout en laissant à leur charge les frais de voyage qu'ils exposeraient dans le cas où ils feraient le choix de s'absenter de ces territoires au cours de leur séjour, quelle que soit leur destination. 

La requérante, affectée à Wallis-et-Futuna contestait la différence de traitement entre celui qui lui est applicable et celui dont relèvent les autres agents de l'État exerçant leurs fonctions dans d'autres collectivités d'outre-mer ou sur le territoire européen de la France, en particulier l'application d'un régime particulier exclusif de celui du dispositif des « congés bonifiés ».

Pour rejeter le grief, le Conseil d'État se fonde sur ce qu'eu égard aux avantages que comporte ce régime particulier et alors d'ailleurs que ces agents bénéficient, en outre, d'une majoration de rémunération et d'une indemnité d'éloignement d'un montant tenant compte des sujétions pesant sur eux, la différence de traitement qui en résulte, qui est en rapport direct avec l'objet des normes qui l'établissent, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de la différence de situation. 

(21 avril 2022, Mme L., n° 443620)

 

146 - Cuisinier non vacciné employé dans un centre hospitalier - Agent exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier - Agent suspendu de ses fonctions - Absence de doute sérieux sur la légalité de la décision de suspension - Annulation de l'ordonnance de suspension sans renvoi.

Entache son ordonnance d'erreur de droit le juge des référés qui estime qu'existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision de suspension pour non soumission à l'obligation vaccinale d'un cuinier exerçant dans un bâtiment distinct et éloigné du centre hospitalier qui l'emploie.

(ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Roanne, n° 458231)

(147) V. aussi, largement analogue et émanant du même directeur d'hôpital, à propos de la suspension de ses fonctions d'une ouvrière principale de deuxième classe : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458238.

(148) V., très voisin : ord. réf. 22 avril 2022, CHU de Grenobles-Alpes, n° 459380.

(149) V. également, avec solution inverse, le rejet du pourvoi dirigé contre une ordonnance de suspension d'une agent hospitalier non vaccinée dès lors que celle-ci, sans être contredite sur ce point par le groupe hospitalier défendeur, soutenait être en congés annuels à la date de prise d'effet de la mesure de suspension dont elle a fait l'objet ; par ailleurs est jugée constituée une situation d'urgence en raison de la perte de revenus consécutive à la mesure de suspension : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458352.

(150) V. encore, les dix-neuf solutions, identiques à la précédente, retenues lorsque l'agent suspendu était en congé maladie au moment de l'instauration de l'obligation vaccinale, celle-ci ne pouvant prendre effet qu'à la cessation dudit congé : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458360 ou encore : ord. réf. 22 avril 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458361 ; n° 458363 ; n° 458364 ; n° 458366 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Lannion-Trestel, n° 459258 et n° 459263 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 459297 et n° 459298 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier intercommunal d'Aix-Pertuis, n° 459323, n° 459478, n° 459480, n° 459481, n° 459482, n° 459977 et n° 459980 ; ord. réf. 22 avril 2022, Centre hospitalier Théophile Roussel, n° 459793 et n° 460076 ; ord. réf. 22 avril 2022, Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, n° 459985.

 

151 - Prime d'attractivité versée à certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et à certains psychologues de l'éducation nationale - Institution d'une différence de traitement par différenciation du montant de la prime en fonction du grade de l'agent - Différence satisfaisant aux exigences jurisprudentielles - Rejet.

Est rejeté le recours de la fédération demanderesse dirigé contre les articles 4 et 5 du décret du 12 mars 2021 instituant une prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale et pour certains psychologues de l'éducation, ainsi que l'arrêté du 12 mars 2021 fixant le montant annuel de la prime d'attractivité pour certains personnels enseignants et d'éducation relevant du ministre chargé de l'éducation nationale ainsi que pour certains psychologues de l'éducation nationale.

Ces textes instituent des montants différents de cette prime, d'une part entre agents titulaires en fonction de leur grade et, d'autre part, entre ces derniers et les agents non titulaires.

Le juge rappelle, dans une formulation traditionnelle, que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier. 

Il réitère aussi sa doctrine selon laquelle ces principes peuvent être appliqués à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

Au cas de l'espèce, la différenciation du montant de la prime n'est pas illégale car elle est en rapport direct avec l'objet du texte, justifiée par la différence des situations des agents publics concerné. Elle n'est pas, non plus, manifestement disproportionnée au regard du motif qui la fonde, à savoir les difficultés chroniques du recrutement par concours des personnels enseignants et d'éducation et de psychologues scolaires, marqué notamment par un faible taux de candidatures, une moindre sélectivité et une augmentation du nombre de postes non pourvus.

Enfin, il ne contrevient pas davantage à la clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive du 28 juin 1999 et ne révèle pas davantage une erreur manifeste d'appréciation.

(27 avril 2022, Fédération des syndicats Sud Education, n° 452511)

 

Libertés fondamentales

 

152 - Extradition – Décret autorisant l’extradition d’un ressortissant serbe – Absence d’irrégularités – Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le décret autorisation l’extradition d’un ressortissant serbe condamné à cinq ans et trois mois de prison pour vol avec violences commis en réunion.

Le décret a bien été pris sur le rapport du garde des sceaux (cf. art. 696-18 c. proc. pén.), il comporte l’énoncé des considérations de droit et de fait exigé par l’art. L. 211-5 du code des relations du public avec l’administration, la demande d’extradition est rédigée en français conformément à la déclaration de la France annexée à la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 en application du 2 de son article 12.

Enfin, le requérant ne saurait soutenir que la communication des décisions de condamnation fondant la demande d’extradition n’était pas intégrale car cette circonstance résulte de l'existence de coauteurs des faits ayant été jugés par la même décision que le requérant ; ceci n'a pas privé les autorités françaises des éléments nécessaires à l'examen de la demande dont elles étaient saisies, notamment au regard des garanties prévues par l'article 6 de la convention EDH.

En l’absence de violation de la convention d’extradition précitée, la demande est rejetée.

(5 avril 2022, M. A., n° 458438)

 

153 - Transfert d’un détenu placé en détention provisoire – Nouveau lieu d’incarcération distant de 7000 km de sa famille – Mesure normalement excessive – Circonstances particulières justificatives – Légalité sous réserve d’une stricte limitation temporelle de la mesure – Rejet.

Un juge des libertés et de la détention a placé un individu en détention provisoire sous mandat de dépôt en Guadeloupe où il réside avec sa famille puis s’est dessaisi du dossier au profit de la juridiction interrégionale spécialisée de Fort-de-France. Ensuite, le garde des sceaux l’a affecté dans un centre de détention situé dans l’Allier.

Le juge administratif du référé liberté, saisi par l’intéressé, dans une ordonnance longuement et clairement motivée, rejette la demande d’annulation de cette dernière mesure.

Le juge reconnaît que déplacer une personne, pour les besoins d’une détention provisoire, à sept mille kilomètres de son lieu de vie habituel avec sa famille, dont ses quatre enfants, bouleverse « dans des conditions qui excèdent les restrictions inhérentes à la détention, le droit de M. B. de conserver des liens familiaux autres que ceux que permettent le téléphone et les moyens de télécommunication audiovisuelle ».

Cependant, le juge tient également compte des caractéristiques particulières que cette personne présente au regard du bon déroulement de l’enquête. Il relève à cet effet « que la mesure se trouve justifiée par la nécessité d'éloigner de la Guadeloupe, et même, comme l'a indiqué à l'audience la représentante du ministre de la justice, dans l'immédiat, de la Martinique, l'intéressé, mis en examen pour des faits qui sont déroulés du 15 novembre 2021 au 17 janvier 2022, afin de protéger le bon déroulement d'une enquête délicate et difficile impliquant de nombreuses personnes auxquelles il est reproché d'avoir agi de manière préméditée et coordonnée à l'échelle du département. Il n'est pas en effet sérieusement contesté que l'intéressé, connu des services de police comme un des leaders du gang dénommé « Sektion Kriminel », qui a déjà fait l'objet de deux condamnations pénales en 2016 et 2017, et d'un relevé d'incident en détention dès le 4 février 2022 à la maison d'arrêt de Basse-Terre pour détention non autorisée d'un téléphone portable, entretient des liens avec différents protagonistes de l'affaire en cours d'instruction et dispose, ainsi que l'a noté le juge des libertés et de la détention, dans son ordonnance du 21 janvier 2022, d'une capacité d'influence sur les milieux locaux ou de pression, même indirecte, sur les témoins et les victimes voire, comme la représentante du ministre l'a indiqué à l'audience, sur les familles des surveillants pénitentiaires. La mesure tend enfin à prévenir, pour les mêmes raisons, des troubles dans les établissements pénitentiaires à Basse-Terre ou Baie-Mahaut. »

Faisant la balance entre ces intérêts opposés, le juge admet au final la légalité du transfèrement sous réserve qu’ « il appartiendra au garde des sceaux, ministre de la justice, compte tenu de l'évolution de la situation, du déroulement de l'enquête, de sa durée, des places disponibles dans les établissements pénitentiaires susceptibles d'accueillir une personne placée en détention provisoire, et sans préjudice des demandes émanant de l'autorité judiciaire, de veiller, dès que possible, à un rapprochement géographique de M. B... de sa famille, même le cas échéant en métropole, (…) ».

(ord. réf. 6 avril 2022, M. B., n° 462556)

 

154 - Détenu – Refus du permis de visite opposé à son conjoint – Allégation de risque de fourniture ou de trafic de drogue – Mesure excessive – Illégalité – Annulation avec injonction de réexamen sous huit jours.

Après avoir rappelé que les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires, le Conseil d’État juge qu’affectant directement les liens d’un détenu avec sa famille, ces décisions doivent, notamment au regard de l’art. 8 (respect de la vie privée et familiale) de la CEDH, être nécessaires, adaptées et proportionnées au respect du bon ordre et de la sécurité de l’établissement pénitentiaire sans porter une atteinte excessive aux droits du détenu.

En l’espèce, l’interdiction faite, pour une durée indéterminée, à son compagnon de visiter la personne incarcérée et à ses enfants de voir leur mère est excessive alors même que selon l’administration pénitentiaire les multiples condamnations du demandeur pour des infractions liées au trafic de stupéfiants, dont la dernière date de 2017, ne permettent pas d'écarter un risque de trafic de stupéfiants à l'occasion de ses visites à sa compagne.

Il est enjoint à l’auteur de la mesure d’interdiction de réexaminer sous huit jours la demande d’octroi d’un permis de visite.

(ord. réf. 8 avril 2022, M. C., n° 462880)

 

155 - Entreprises en difficulté – Jugement arrêtant le plan de cession – Actionnaires sans pouvoir sur la procédure de cession des actifs – Faculté restreinte d’exercice d’un recours juridictionnel – Cas des actionnaires demeurant à l’étranger – Atteintes à plusieurs droits ou libertés - Rejet.

La requérante contestait le rejet implicite par le premier ministre de sa demande d'abrogation des art. R. 611-26-2 et R. 661-2 du code de commerce, du troisième alinéa de l'article 586 et de l'entier article 643 du code de procédure civile en ce qu’ils restreignent par trop le droit à un recours effectif des actionnaires en cas d’arrêt d’un plan de cession des actifs d’une entreprise en difficulté faisant l’objet d’une procédure préventive dite « prepack cession », en particulier le droit des actionnaires demeurant à l’étranger.

En bref, il est reproché à cet ensemble normatif, régissant la cession d’actifs d’entreprises en difficulté, d’une part, de tenir les actionnaires à l’écart de la procédure de cession alors qu’il s’agit d’une procédure préventive et non liquidative, d’autre part, de fixer à dix jours le délai de recours contentieux ce qui est manifestement trop bref car il n’est même pas tenu compte du délai de distance pour ceux des actionnaires résidant à l’étranger.

Le Conseil d’État rejette d’abord les griefs dirigés contre l’art. L. 611-7 du commerce motif pris de ce qu’il les avait déjà rejetés dans une précédente décision refusant de renvoyer une QPC posée sur ce point faute qu’une nouvelle QPC soit posée. Il estime ensuite que certaines des dispositions législatives ou réglementaires critiquées par la requérante n’ont pas été prises pour l’application de cet art. L. 611-7.

Enfin, il rejette deux autres moyens qui retiennent l’attention.

En premier lieu, la requérante soutenait que les dispositions de l'art. R. 661-2 du code de commerce sont illégales en ce qu’elles limitent à dix jours, à compter de la publication du jugement arrêtant ou rejetant le plan de cession au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales, sans que ce délai puisse être augmenté pour les actionnaires demeurant à l'étranger, le délai de la tierce opposition dite « tierce opposition – nullité » ouvert aux actionnaires d'entreprises en difficulté à l'encontre dudit jugement.

L’argument n’était pas sans portée et la motivation de son rejet par le juge est assez décevante. Selon lui, ce bref délai serait justifié par l’intérêt général qui s’attache à ce que des mesures rapides soient prises assorties d’une limitation stricte de leur délai de contestation. Pour faire bonne mesure, est également invoquée la publication immédiate sur internet du Bulletin officiel précité d’où il résulterait que ce bref délai « n'est pas susceptible de rendre un tel recours impossible (sic), ni même excessivement difficile (re-sic) pour les intéressés, y compris lorsque ceux-ci résident à l'étranger ».

En second lieu, le juge relève, en réponse à un autre argument de la demanderesse, que s’il est exact que l’art. R. 661-2 du code de commerce fixe à dix jours le délai d'exercice de la tierce opposition à l'encontre des jugements rendus en matière de difficultés des entreprises et si les art. 586, alinéa 3, et 643 du code de procédure civile, dont il résulte que ce délai n'est augmenté au profit des tiers demeurant à l'étranger que si le jugement contesté leur a été notifié, ces dispositions n'ont ni pour objet d'autoriser l'organisation de la cession partielle ou totale d'une entreprise en difficulté, ni de définir les conditions dans lesquelles un plan de cession, susceptible de porter atteinte aux intérêts des actionnaires, peut être préparé.

Il s’ensuit que les moyens tirés de ce que ces dispositions méconnaitraient le principe d'égalité, le droit de propriété, la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle et le principe de sécurité juridique au motif que le dispositif dit de « prepack cession » conduirait en cas de cession de l'entreprise en difficulté à priver de toute valeur les actions de cette entreprise, sans garantie pour les actionnaires que leurs intérêts soient préservés, doivent être écartés. 

(14 avril 2022, Société Aldini AG, n° 446819)

 

156 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

Les deux requérants demandaient l'annulation du I de l'article 47 du décret du 29 octobre 2020, qui interdit les rassemblements et réunions dans les lieux de culte à l'exception des cérémonies funéraires et limite à 30 personnes la participation à ces cérémonies. Cette interdiction est demeurée en vigueur jusqu'au 27 novembre 2020.

Après avoir rappelé le caractère fondamental de la liberté de culte et que celle-ci « ne se limite pas au droit de tout individu d'exprimer les convictions religieuses de son choix dans le respect de l'ordre public. Elle comporte également, parmi ses composantes essentielles, le droit de participer collectivement, sous la même réserve, à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte », le juge indique aussi la nécessité de concilier cette liberté avec l'objectif de protection de la santé.

Se fondant sur le caractère strictement proportionné des mesures critiquées et leur durée limitée à celle du risque épidémique, le Conseil d'État juge, d'une part qu'il n'est ainsi pas porté atteinte aux stipulations de l'art. 9 de la convention EDH, et d'autre part, que ces mesures, dans le contexte où elles sont intervenues, étaient nécessaires.

Enfin, relevant leur forte atténuation à compter du décret du 2 décembre 2020, le juge estime qu'il n'a pas été porté une atteinte disproportionnée à une liberté fondamentale.

On retrouve donc ici, tel un mantra, le raisonnement maintes fois répété du juge sans que ce psittacisme à l'égard de lui-même rende sa rhétorique plus convaincante.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

 

157 - Demandeur d'asile – Comportement erratique et dangereux - Octroi de la protection subsidiaire par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Un ressortissant de nationalité afghane, demandeur d'asile, s'est signalé depuis février 2018 par une série de comportements, attitudes et propos menaçants, ce qui a conduit l'OFPRA à lui refuser tant l'octroi de la qualité de réfugié que celui de la protection subsidaire.

La CNDA a estimé excusables ces attitudes et propos violents ou grossiers en raison de l'état mental du concerné et lui a accordé la protection subsidiaire.

L'OFPRA demande au Conseil d'État l'annulation de cette décision, ce qui lui est accordé au terme d'un exposé des faits qui laisse peu de place à la sollicitude.

Le Conseil d'État considère ici, et c'est un apport important de sa décision, que l'autorité administtrative, quelle que soit la fondamentalité du droit d'asile, ne peut ignorer qu'un individu constitue une menace grave pour l'ordre public de l'État d'accueil et cela en dépit de son état mental. Au demeurant cet état psychologique chaotique fait partie des éléments à prendre en compte pour apprécier la dangerosité de l'intéressé.

En octroyant à cette personne le bénéfice de la protection subsidiaire, la CNDA a inexactement qualifié les faits de l'espèce, d'où la cassation prononcée et le renvoi à cette dernière pour réexamen du dossier.

(22 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 455520)

(158) V. aussi, annulant la décision de la CNDA estimant que n'atteignaient pas un degré de gravité suffisant pour être qualifiés « crime grave de droit commun » au sens et pour l'application du c) du F de l'art. 1er  de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 et lui reconnaissant la qualité de réfugié, la participation directe et régulière, pendant deux ans, d'un engagé volontaire dans l'armée tchadienne, aux activités habituelles de son unité consistant à exiger des civils contrôlés la remise des biens de valeur qu'ils détenaient et à user de violences à l'encontre des personnes récalcitrantes, infractions assimilables à une pratique d'extorsion en bande organisée, réprimée en France de vingt ans de réclusion criminelle par l'article 312-6 du code pénal, peine portée à la réclusion criminelle à perpétuité en cas d'usage ou de menace d'une arme : 26 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 453613.

(159) V. encore, très largement comparable, annulant pour inexacte qualification juridique des faits  la décision de la CNDA reconnaissant la qualité de réfugié à un ressortissant sri-lankais dont il existe des raisons sérieuses de penser qu'il aurait pu prendre une part personnelle de responsabilité dans la commission d'agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies, au sens et pour l'application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : 29 avril 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 451365.

(160) V. enfin, jugeant, pour annuler une décision de la CNDA octroyant l'asile à un ancien policier afghan, la non vérification par celle-ci de la double condition suivante.

En premier lieu les opinions politiques susceptibles d'ouvrir droit à la protection internationale ne peuvent être regardées comme résultant de la seule appartenance à une institution de l'État que lorsque celle-ci subordonne l'accès des personnes à un emploi en son sein à une adhésion à de telles opinions, ou agit sur leur seul fondement, ou combat exclusivement tous ceux qui s'y opposent.

En second lieu, la qualité de réfugié est susceptible d'être reconnue à un demandeur qui craint avec raison de subir des actes de persécution en cas de retour dans son pays d'origine en raison de ses activités passées au sein d'une institution de l'État, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités nationales, lorsque, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce relatives à sa situation individuelle, notamment à la nature et au niveau des responsabilités qu'il y a exercées, aux activités auxquelles il a pris part, aux motivations personnelles qui l'ont amené à s'engager au sein de cette institution et à la perception que les acteurs des persécutions en cause sont susceptibles d'en avoir, un lien peut être établi entre ces persécutions et les opinions politiques que ces derniers lui attribuent personnellement : 29 avril 2022, M. A., n° 447581.

 

161 - Droit au logement opposable - Caractère prioritaire d'une demande de logement - Absence de caractère de liberté fondamentale - Rejet du référé liberté de l'art. L. 521-2 CJA.

Est rejetée une demande en référé liberté tendant à l'octroi d'un logement d'urgence car le droit au logement opposable ne constitue pas une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 25 avril 2022, Mme A., n° 463011)

 

162 - Fermeture d'un lieu de culte - Conciliation nécessaire entre respect des libertés et sauvegarde de l'ordre public - Motifs de police insuffisants à justifier cette mesure - Rejet.

Le Conseil d'État statuant en formation collégiale en état de référé, rejetant l'appel du ministre de l'intérieur, confirme l'annulation par le premier juge des référés de l'arrêté préfectoral du 14 mars 2022 prononçant la fermeture, pour une durée de six mois, de la mosquée « Al Farouk » de Pessac. 

Après avoir énoncé les conditions impératives de légalité de la fermeture d'un lieu de culte eu égard, d'une part au respect de la liberté fondamentale que constitue (en l'espèce) le droit de propriété et, d'autre part, au respect de la liberté fondamentale de culte, le Conseil rejette tous les moyens soutenus par le ministre défendeur appelant :

- S'il est prétendu, d'une part, que les imams intervenant ou étant intervenus à la mosquée de Pessac ont tenu dans le cadre de leurs prêches des propos de nature à encourager la haine et la violence à l'égard des non-musulmans ou des musulmans ne partageant pas leurs convictions, ce fait n'est pas établi par l'instruction, et, d'autre part, si dans une discussion, le 22 octobre 2021, un groupe de jeunes fidèles aurait justifié l'assassinat d'une personne, ces propos et les liens entre les personnes en cause et l'association gestionnaire du lieu de culte ne sont pas suffisamment établis pour en imputer la responsabilité à celle-ci.

- Si les publications régulières par l'association gestionnaire de la mosquée ou par son président, sur des sites internet ou des réseaux sociaux, des textes de tiers, aux thèses desquels ils se sont associés de manière évidente qui, adoptant une posture volontairement victimaire, rendent les institutions de la République, les responsables politiques, voire la société française dans son ensemble, responsables d'un prétendu climat d'islamophobie, incitent au repli identitaire et contestent le principe de laïcité et s'il résulte également de l'instruction que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a publié des messages, dans certaines de ses publications sur le réseau social Facebook, de soutien à des associations dissoutes ou à des organisations ou à des personnes promouvant un islam radical, « ces publications ne présentent pas, compte tenu de leur teneur et dans les circonstances de l'espèce, un caractère de provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination ».

- Si l'association gestionnaire du lieu de culte a diffusé sur son compte Facebook, les 9 et 12 mai 2021, un message appelant à la prière pour refouler les juifs de Jérusalem et une publication qualifiant Israël d'État terroriste, ayant suscité un commentaire qui présentait un caractère ouvertement antisémite et incitait à la violence, ces éléments, supprimés seulement en mars 2022, s'ils sont susceptibles de caractériser la diffusion, au sein de la mosquée de Pessac, d'idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes ou tendant à justifier ou à encourager cette haine ou cette violence, de nature le cas échéant à fonder une mesure de fermeture temporaire du lieu de culte en application de l'article 36-3 de la loi du 9 décembre 1905, ne permettent pas, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce et de leur caractère isolé au regard des nombreuses pièces produites, et alors au surplus que l'association « Rassemblement des Musulmans de Pessac » a pris, après l'engagement de la procédure de fermeture administrative, des mesures correctrices pour modérer les échanges sur ses réseaux sociaux, de caractériser un lien avec un risque de commission d'actes de terrorisme ou une apologie de tels actes au sens des dispositions de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.

S'ensuit donc l'annulation de la fermeture pour six mois de la mosquée en cause.

On observera le très grand libéralisme dont fait preuve ici le juge administratif - nonobstant l'accumulation des griefs et des faits reprochés par l'auteur de la mesure attaquée - libéralisme fondé non sur une appréciation globale des circonstances et des faits relevés mais sur leur découpage en vue d'une appréciation strictement individualisée de chaque cas « infractif ».

(ord. réf. form coll. 26 avril 2022, Ministre de l'intérieur, n° 462685)

 

Police

 

163 - Police des édifices insalubres à titre irrémédiable - Interdiction définitive d'habiter avec obligation de démolition - Détermination de la valeur du coût de reconstruction - Présomption irréfragable d'urgence en cas de reféré suspension de l'arrêté préfectoral d'insalubrité irrémédiable - Erreur de droit - Suspension ordonnée.

Les requérants, copropriétaires d'un immeuble déclaré insalubre à titre irrémédiable par arrêté préfectoral, ont demandé l'annulation et la suspension d'exécution dudit arrêté par lequel le préfet portait interdiction d'habiter et obligation de démolition.

Leur demande a été rejetée en première instance, d'où la saisine du Conseil d'État.

Celui-ci rappelle qu'en raison de la gravité des conséquences résultant de la démolition d’un bâtiment à usage d'habitation et actuellement occupé, la condition d'urgence doit être présumée lorsque le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet en demande la suspension.

Cette présomption d'urgence est à peu près irréfragable lorsque l'autorité administrative n'invoque aucune circonstance particulière faisant apparaître, soit que l'exécution de la mesure de démolition n'affecterait pas gravement la situation des copropriétaires, soit qu'un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure. Tel n'est pas le cas en l'espèce, où l'urgence doit être présumée établie.

En second lieu, constitue en l'espèce un moyen de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées celui tiré de ce que le coût de reconstruction tel qu’évalué par l'administration n'avait pas incorporé le coût de démolition de l'immeuble concerné. En jugeant le contraire le juge des référés a commis une erreur de droit. En effet, le coût des travaux nécessaires à la résorption de l'insalubrité du bâtiment est évalué à 2 686 827,92 euros et le coût de sa reconstruction, dans lequel doit être inclus le coût de sa démolition, est évalué à 2 991 233,31 euros.

Par suite, l'arrêté contesté est fondé sur une évaluation inexacte du coût de reconstruction de la partie de l'immeuble concernée ce qui est propre à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Les conditions posées par l'art. L. 521-1 CJA étant remplies, est ordonnée la suspension de cet arrêté et annulée l'ordonnance de rejet de la demande de suspension de cet arrêté.

(22 avril 2022, Société Drofer et autres, n° 451505)

 

Professions réglementées

 

164 - Vétérinaire – Poursuites devant la juridiction ordinale - Rejet en raison du caractère purement civil du litige – Erreur de droit – Annulation.

Une personne porte plainte devant l’ordre des vétérinaires contre un vétérinaire pour avoir administré à son chat un médicament à usage humain, qui n'était pas autorisé pour les animaux et ne pouvait être délivré que par les pharmaciens et dont, en outre, le prix n'était pas libre. Sa plainte est rejetée au motif qu'elle ne tendait qu’à l'engagement de la responsabilité civile professionnelle du vétérinaire.

Le Conseil d’État annule la décision de la chambre nationale de discipline de l'ordre des vétérinaires pour erreur de droit car les faits dénoncés sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations fixées au code de déontologie vétérinaire, matière qui ressortit à la compétence des juridictions ordinales. 

(6 avril 2022, Mme B., n° 433880)

 

165 - Médecin – Reconnaissance mutuelle des diplômes dans l’Union européenne – Reconnaissance par l’Espagne – Refus d’accorder une équivalence en France pour non-conformité de la spécialité médicale en cause – Contrariété à la jurisprudence de la CJUE - Erreur de droit – Annulation.

La requérante, de nationalité française, est titulaire du diplôme syrien de docteur en médecine reconnu en Espagne comme équivalent au titre espagnol de « Licenciada en medicina » par application des dispositions de la directive 2005/36 du 7 septembre 2005, elle ne dispose cependant pas du titre attestant sa qualification professionnelle de médecin-dermatologue en Espagne au sens de la même directive qui lui donnerait droit à une reconnaissance automatique de cette qualification en France.

Exerçant depuis janvier 2016 en qualité de dermatologue à Dubaï, elle a saisi le Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) d'une demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie sur le fondement du II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique.

Cette demande a été rejetée comme irrecevable par le chef du département concours, autorisation d'exercice, mobilité, développement professionnel du CNG au motif qu'elle ne justifiait pas de la reconnaissance par l'Espagne de ses qualifications professionnelles en qualité de dermatologue.

Son recours contre cette décision a été rejeté par un arrêt d’appel confirmatif. La cour administrative d'appel a jugé que l'administration était tenue de déclarer irrecevable la demande d'autorisation d'exercice de la médecine dans la spécialité dermatologie-vénérologie de Mme O. au motif que son diplôme de médecine ayant été reconnu par l'Espagne au titre de « Licenciada en medicina » et non au titre de la spécialité « Dermatologia médico-quirurgica y venereologia »  elle ne pouvait exercer en Espagne la spécialité de dermatologie, et par suite ne remplissait pas les conditions fixées par le II de l'article L. 4111-2 du code de la santé publique,

Toutefois, il résulte de la jurisprudence de la CJUE (cf. par ex. : 8 juillet 2021, BB contre Lietuvos Respublikos sveikatos apsaugos ministerija, aff. C-166/20) qu’en l’absence de titre de formation qualifiant un demandeur pour l’exercice d’une profession réglementée il incombe aux autorités nationales saisies de prendre en considération l'ensemble des diplômes, certificats et autres titres, ainsi que l'expérience pertinente de l'intéressé, en rapport avec cette profession, acquis tant dans l'État membre d'origine que dans l'État membre d'accueil, en procédant à une comparaison entre d'une part les compétences attestées par ces titres et cette expérience et, d'autre part, les connaissances et qualifications exigées par la législation nationale. 

Or le Conseil d’État estime que la requérante satisfaisait en l’espèce à ces conditions puisqu’elle « est titulaire d'une attestation de formation spécialisée (AFS) de dermatologie et vénéréologie (Université Claude Bernard- Lyon I), d'une attestation de formation spécialisée approfondie (AFSA) de dermatologie et vénéréologie (Université Montpellier I), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie esthétique, lasers dermatologiques et cosmétologie (Université de Franche-Comté), d'un diplôme universitaire de formation à la recherche clinique (Université Montpellier I), d'un diplôme universitaire de pathologie et thérapeutique chirurgicale du cuir chevelu (Université Pierre et Marie Curie, Paris VI), d'un diplôme interuniversitaire de dermatologie chirurgicale oncologique (Université Montpellier I) et a en outre effectué des stages pratiques dans des établissements de santé en France, notamment dans le service de dermatologie de l'Hôpital Lyon Sud et au sein du service de dermatologie de l'Hôpital Saint-Eloi, qui relève du centre hospitalier universitaire régional de Montpellier. »

L’arrêt déféré à la censure du juge de cassation est annulé.

(6 avril 2022, Mme O., n° 436218)

 

166 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Non-respect du délai de convocation à l’audience – Présence à l’audience – Annulation.

Doit être annulée la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des chirurgiens-dentistes car elle a été rendue au terme d’une procédure irrégulière en ce qu’il ne résulte ni des pièces de la procédure ni des termes de cette décision que les requérants auraient reçu une convocation à l'audience du 27 février 2020 quinze jours au moins avant cette date, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 4126-25 du code de la santé publique et cela alors même que M. B. a assisté à l'audience et a pu y présenter des observations.

La solution est logique car ce délai de quinzaine a été institué à la fois pour que l’intéressé se rende disponible et, surtout, pour qu’il puisse préparer utilement ses observations en vue de l’audience.

(6 avril 2022, M. B. et société B., n° 443359)

 

167 - Chirurgien-dentiste – Procédure disciplinaire – Motivation insuffisante des griefs fondant la sanction disciplinaire – Annulation.

Saisie par le médecin-conseil, chef du service médical de la région Rhône-Alpes, au titre de l'échelon local du service médical de la Loire, et la directrice de la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l'ordre des chirurgiens-dentistes a infligé au requérant la sanction de l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pour une durée de deux mois assortis du sursis et l'a condamné à verser la somme de 7 686,55 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire. Sur appel des demandeurs, la section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a porté l’interdiction de deux mois à six mois, assortis du sursis pour la période excédant trois mois et dont la partie ferme est à exécuter du 1er mars au 31 mai 2021, avec publication, et à 10 093,00 euros la somme à payer à la CPAM de la Loire.

Le praticien se pourvoit en cassation.

Pour casser la décision du conseil national, le Conseil d’État relève que sa section des assurances sociales s’est fondée pour sanctionner le requérant sur ce qu’il avait coté des actes qui n'étaient pas remboursables ainsi que des actes qui n'avaient pas été réalisés ou constatés ou des actes antidatés, qu'il avait pratiqué la double cotation d'un même acte dans trois dossiers et qu'il avait facturé des actes non conformes aux données acquises par la science et que, par suite, elle a jugé qu'il devait être condamné à verser la somme de 10 093,00 euros à la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire, cette somme étant justifiée par « de nombreuses anomalies [qui] remplissent une ou plusieurs des conditions mentionnées à l'article L. 145-2 CSS et constituent des abus d'honoraires ». Or, ce jugeant, elle n’a pas précisé, parmi les anomalies qu'elle avait relevées, celles qui étaient constitutives d'honoraires abusifs ni les modalités de calcul du montant de la sanction pécuniaire infligée.

Le Conseil d’État précise au passage ce que sont des honoraires abusifs : « (…) ceux qui sont réclamés pour un acte facturé sans n'avoir jamais été réalisé, pour un acte surcoté, pour un acte réalisé dans des conditions telles qu'alors même qu'il a été effectivement pratiqué, il équivaut à une absence de soins, ou encore ceux dont le montant est établi sans tact ni mesure. »

(6 avril 2022, M. C., n° 450279)

 

168 - Chirurgien-dentiste – Sanction disciplinaire – Faute au sens de l’art. L. 145-1 du code de la sécurité sociale – Erreur de droit sur un ensemble indivisible – Annulation totale.

Un chirurgien-dentiste est poursuivi disciplinairement pour n’avoir pas fourni, à plusieurs reprises, des radiographies en réponse aux demandes qui lui avaient été adressées dans le cadre de l'analyse de son activité par le service du contrôle médical départemental.

Le Conseil national de l’ordre (section des assurances sociales) a jugé que l'intéressé avait ainsi méconnu l'obligation, qui découle des dispositions de l'article R. 315-1-1 du code de la sécurité sociale, de communiquer au service du contrôle médical toutes les radiographies lui permettant de procéder à l'analyse prévue à l'article L. 315-1 du code de la sécurité sociale. Son attitude a été sanctionnée pour non-respect des dispositions de l’art. L. 145-1 du code précité.

Cette décision est cassée car ce dernier article ne concerne que des fautes commises par un praticien à l’occasion des soins qu’il délivre aux assurés sociaux non les relations du praticien avec les services administratifs de contrôle.

Comme la sanction infligée à l’intéressé reposait à la fois sur ces faits et sur d’autres, elle résulte d’un ensemble apprécié indivisément ce qui entraîne l’annulation de la décision attaquée dans son ensemble.

(12 avril 2022, M. E., n° 442638)

 

169 - Office notarial – Décision du garde des sceaux supprimant un office ou dissolvant une société de notaires – Désignation d’un nouvel attributaire – Actes non réglementaires – Compétence en première instance du tribunal administratif non du Conseil d’État – Transmission à la juridiction compétente.

(12 avril 2022, SCP Emma Lebrere-Montalban et autres, n° 459310 et n° 459311)

V. n° 9

 

170 - Société de pharmaciens biologistes - Recours à une publicité interdite - Sanction - Absence d'erreur dans la qualification des faits et d'erreur de droit - Rejet.

Saisie par des confrères pharmaciens, la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens a jugé que la requérante s'était rendue coupable d'une publicité interdite et a, en conséquence, prononcé contre la SELAS Gen-Bio la sanction de l'interdiction de pratiquer des examens de biologie médicale pendant une durée de 15 jours et contre ses deux co-responsables la sanction de l'interdiction d'exercer la pharmacie pendant une durée d'un mois, assortie d'un sursis de 15 jours. 

La SELAS se pourvoit ; son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d'État juge que l'instance disciplinaire a exactement qualifié les faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que constituait une publicité interdite (cf. art. L. 6222-8 c. santé pub.) la circonstance que quatre articles consacrés à la SELAS Gen-Bio avaient paru entre 2015 et 2016 dans la presse régionale destinée au grand public du territoire où cette société est implantée, que ces articles procédaient à une mise en valeur de la société ainsi que des pharmaciens biologistes qui la composaient, qu'ils soulignaient notamment, en termes élogieux, ses performances techniques ainsi que l'essor de son activité économique et qu'ils détaillaient ses implantations géographiques, sans se borner à une simple information du lecteur. Elle a également à bon droit relevé que si les pharmaciens poursuivis soutenaient ne pas avoir pris l'initiative de ces publications, cette circonstance n'était pas de nature à les exonérer de leur responsabilité, dès lors qu'il leur appartenait en toute hypothèse de veiller au respect de leurs obligations déontologiques et réglementaires. 

(15 avril 2022, Société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) Gen-Bio, n° 440308)

 

171 - Experts-comptables et commissaires aux comptes - Conditions d'organisation et de fonctionnement de la Compagnie nationale et des compagnies régionales des commissaires aux comptes - Décret du 2 juin 2020 - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation du décret du 2 juin 2020 relatif à la Compagnie nationale et aux compagnies régionales des commissaires aux comptes en particulier s'agissant des règles de composition.

Est d'abord écarté le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire, celui-ci ayant agi par délégation du législateur.

Ensuite, le pouvoir réglementaire n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en instituant au sein du conseil national deux collèges, celui des commissaires aux comptes exerçant une ou des missions de certification auprès d'entités d'intérêt public et celui des commissaires aux comptes n'exerçant pas de telles missions. En dépit du poids démographique limité des premiers dans l'ensemble de cette profession, la spécificité des enjeux les concernant et de leurs missions ainsi que leur poids économique justifiaient l'existence de deux catégories de commissaires aux comptes. Pas davantage une telle distinction ne porte d'atteinte disproportionnée au principe de représentativité ou à celui d'égalité.

La prétendue atteinte au principe de sécurité que réaliserait le décret contesté doit être écartée car les règles de l'organisation des élections tenues en septembre 2020 ont donné lieu à une concertation préalable et étaient connues avant même la publication du décret attaqué, dès l'entrée en vigueur de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

(21 avril 2022, Fédération des experts comptables et des commissaires aux comptes de France, n° 441690 ; M. H., n° 441720 ; M. E., n° 441722)

 

172 - Avocats - Prestation de « conseil en ressources humaines » - Exclusion des cabinets d'avocats de la prestation de « conseil en ressources humaines » - Atteinte au principe de libre concurrence - Annulation d'une instruction ministérielle.

Par une décision du 13 août 2020 la ministre du travail a rejeté le recours gracieux du Conseil national des barreaux tendant au retrait ou à la modification, de son instruction du 4 juin 2020 relative à la prestation de « conseil en ressources humaines » pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), afin de permettre aux cabinets d'avocats de pouvoir assurer la prestation de conseil en ressources humaines.

Le recours pour excès de pouvoir contre cette décision est accueilli par le Conseil d'État qui y voit une atteinte injustifiée au principe de libre concurrence car plusieurs des thématiques relatives au « conseil en ressources humaines » comportent une dimension juridique et les connaissances sur l'environnement institutionnel et l'expertise en matière de droit du travail sont des critères de contrôle de la qualité des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel. Au reste, de nombreux cabinets d'avocats disposent d'une expérience en matière de conseil et de gestion des ressources humaines en entreprise. Ainsi, en excluant par principe les cabinets d'avocats des prestataires auxquels les entreprises peuvent faire appel pour bénéficier de la prise en charge par l'État de la prestation « conseil en ressources humaines », l'instruction attaquée est entachée d'illégalité.

(26 avril 2022, Conseil national des barreaux, n° 453192)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

173 - Légalisation des actes publics pris par une autorité étrangère – Inconstitutionnalité de la base juridique du décret attaqué constatée par une QPC – Absence d’effets antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel – Atteinte au droit à un procès équitable – Annulation.

(7 avril 2022, GISTI et autre, n° 448296 ; Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 455519 ; GISTI et autres, n° 454144)

V. n° 3

 

174 - Droit fiscal - Rectification de déclarations fiscales sur invitation de l'administration - Absence de demande de rectification adressée par l'administration fiscale - Contribuables en situations différentes justifiant un traitement différencié - Refus de renvoi d'une QPC.

Au soutien de leurs prétentions à obtenir décharge de contributions fiscales supplémentaires, des contribuables ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité que la cour administrative d'appel a refusé de transmettre.

Les intéressés se pourvoient contre cet arrêt en tant, d'une part, qu'il refuse cette transmission et, d'autre part, qu'il rejette au fond leur appel dirigé contre le rejet de leur requête par le tribunal administratif.

La QPC était dirigée contre le a) du II de l'art. 1758 A du CGI, selon lequel la majoration de 10% frappant le retard ou le défaut de déclarations fiscales ainsi que les inexactitudes et omissions qui y sont relevées, n'est pas applicable : « a) En cas de régularisation spontanée ou lorsque le contribuable a corrigé sa déclaration dans un délai de trente jours à la suite d'une demande de l'administration (...) ». Les requérants faisaient valoir l'inconstitutionnalité du traitement inégalitaire entre les contribuables informés par l'administration et ceux ne l'étant pas, les premiers échappant à la majoration, les seconds y étant soumis. Rejetant, « comme de bien entendu » (cf. la célèbre valse d’Arletty et Michel Simon dans Circonstances atténuantes) ce raisonnement, le Conseil d'État refuse la transmission sollicitée motif pris de ce que les deux catégories de contribuables font l'objet à juste titre de traitements différenciés car justifiés par une différence de situation et en rapport direct avec l'objet de la loi (sic). 

On regrettera vivement le paralogisme au moyen duquel le Conseil d'État construit sa réponse. En effet, il n'y a initialement, au plan objectif, strictement aucune différence entre les deux catégories car il n'y a en réalité qu'une seule catégorie, celle des contribuables dont la déclaration est entachée de manquements.

L'apparition de deux catégories naît d'un processus purement subjectif et parfaitement arbitraire, à savoir la décision de l'administration fiscale de n'adresser une demande qu'à une partie seulement des contribuables ressortissant pourtant à cette unique catégorie.

C'est l'administration et elle seule, sans motivation explicite d'ailleurs sur le fait qu'elle a choisi de n'aviser que certains des contribuables, qui crée une différenciation. Dans ces conditions le juge est mal venu de dire cette dichotomie justifiée au regard de la loi, laquelle est bien évidemment complètement hors circuit en cette matière.

Au reste, le principe d'égalité exigerait à tout le moins que tous les contribuables fussent avertis par l'administration ou que la loi fixe avec précision le(s) critère(s) permettant à cette dernière d'instituer deux catégories au sein des déclarations défaillantes.

(22 avril 2022, M. A. et Mme C., n° 459103)

 

175 - Dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI - Amende forfaitaire pour non respect des obligations déclaratives prévues par l'art. 240, le 1 de l'art. 242 ter et l'art. 242 ter B du CGI - Intervention d'un changement des circonstances - Transmission d'une QPC.

Est transmise au Conseil constitutionnel la QPC tirée de ce que les dispositions du 1 du I de l'art. 1736 du CGI, instituant une amende forfaitaire de 50% pour non respect d'obligations déclaratives  prévues à l'art. 240, au 1 de l'article 242 ter et à l'article 242 ter B du CGI, portent atteinte au principe de proportionnalité des peines découlant de l'art. 8 de la Déclaration de 1789.

En effet,  si la décision n° 2012-267 QPC du 20 juillet 2012 a déclaré conformes à la Constitution les dispositions du 1 du I de l'article 1736 du CGI, l'intervention de ses décisions n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016, n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, n° 2017-667 QPC du 27 octobre 2017 et n° 2021-908 QPC du 26 mai 2021 sont susceptibles de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et d’avoir une incidence sur l’abrupte jurisprudence du 20 juillet 2012. 

(25 avril 2022, Société Lorraine services, n° 458429)

 

Responsabilité

 

176 - Décision du Conseil d’État en matière fiscale – Soumission de dividendes perçus par une société non résidente à une retenue à la source – Application du 2 de l’art. 119 bis CGI - Disposition jugée compatible avec le droit de l’Union – Décision postérieure de la CJUE affirmant l’existence d’une incompatibilité – Demande de réparation du préjudice subi par la société contribuable du fait d’une violation manifeste du droit de l’Union – Rejet par adoption des motifs de la juridiction d’appel.

La requérante, société de droit luxembourgeois, a demandé réparation à l’État du préjudice que lui a causé la décision du Conseil d'État n° 352209 du 29 octobre 2012 jugeant qu’elle était soumise à l’obligation, instituée par l’art. 119 bis CGI, d’une retenue à la source au taux de 15% sur les dividendes que lui ont versé deux sociétés de droit français.

Elle fonde sa réclamation pécuniaire sur la circonstance que, par une décision du 22 novembre 2018 (Sofina SA, aff. C-575/17), d’ailleurs rendue sur saisine du Conseil d’État, la CJUE a jugé que n’était pas compatible avec les articles 63 et 65 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) la réglementation d'un État membre assujettissant les dividendes distribués par une société résidente à une retenue à la source lorsqu'ils sont perçus par une société non-résidente, alors que, lorsqu'ils sont perçus par une société résidente, leur imposition selon le régime de droit commun de l'impôt sur les sociétés ne se réalise à la fin de l'exercice au cours duquel ils ont été perçus qu'à la condition que le résultat de cette société ait été bénéficiaire durant cet exercice.

La réclamation de la société Kermadec a été rejetée en première instance et la cour administrative d’appel, tout en relevant la contrariété de la décision du Conseil d’État à la jurisprudence européenne précitée de 2018, l’a également rejetée au fond.

Le Conseil d’État est saisi d’un pourvoi : celui-ci est, à son tour, rejeté.

Deux questions se posaient, une de procédure contentieuse, l’autre de fond.

Sur la procédure, il était objecté que ce litige devait être tranché non par le Conseil d’État mais directement par la CJUE elle-même, d’où la demande d’un renvoi préjudiciel. L’argumentation est rejetée en trois propositions.

D’abord, le droit de l’Union lui-même (cf. CJUE 30 septembre 2003, Gerhard Köbler c. Republik Österreich, aff. C-224/01) réserve au droit national la compétence exclusive pour désigner quelle est, dans son ordre juridique, la juridiction compétente pour connaître des litiges relatifs à la mise en jeu de la responsabilité de l’État à raison des dommages causés aux particuliers par une violation manifeste du droit de l'Union résultant du contenu d'une décision d'une juridiction nationale statuant en dernier ressort.

Ensuite, cette juridiction nationale doit respecter les principes fondamentaux garantissant l’impartialité de la justice, l’égalité des armes et le respect du contradictoire ; ceci est assuré en l’espèce car les membres de la formation de jugement du Conseil d'État qui a adopté la décision dont il est allégué qu'elle est entachée d'une violation manifeste du droit de l'Union européenne doivent s'abstenir de siéger dans l'instance qui doit statuer sur l'existence de cette violation. 

Enfin, et en tout état de cause, l’art. 267 du TFUE ne donne pas compétence à la Cour de Luxembourg pour appliquer les règles du droit de l'Union à une espèce déterminée, mais seulement pour se prononcer sur l'interprétation des traités et des actes pris par les institutions de l'Union. Dès lors, il ne saurait y avoir lieu à saisine de la CJUE à titre préjudiciel afin qu'elle apprécie elle-même le caractère manifeste de la méconnaissance alléguée du droit de l'Union par une décision du juge national.

Sur le fond, il convenait de vérifier qu’étaient réunies en l’espèce les conditions d’engagement de la responsabilité de l’État pour faute lourde résultant d’une violation manifeste du droit de l’Union par la décision d’une juridiction nationale statuant en dernier ressort. Le Conseil d’État confirme la réponse négative donnée à cette question par la cour administrative d’appel.

Là aussi l’argumentation est rejetée en ses trois branches.

D’abord, l’engagement de cette responsabilité pour violation manifeste du droit de l’Union suppose la commission d’une faute lourde dont l’existence doit être appréciée au jour où a été rendue la décision litigieuse soit le 29 octobre 2012.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu par la demanderesse, le seul fait que le Conseil d’État n’ait pas procédé à un renvoi préjudiciel à la Cour européenne à propos de la question posée par la société Kermadec ne saurait constituer en soi une faute ainsi qu’il résulte d’ailleurs de la jurisprudence de cette Cour (Köbler précité). Cette dernière estime en effet que si la décision de non renvoi ou l’abstention de renvoi d’une question préjudicielle est un des éléments que le juge national peut prendre en considération pour apprécier l’existence d’une responsabilité, cette décision ou cette abstention ne constitue pas une cause autonome susceptible, à elle seule, d’engager la responsabilité de la juridiction nationale.

Enfin, cette faute doit être manifeste et ce n’est pas le cas ici ainsi que l’a jugé la cour administrative d’appel. La décision du Conseil d’État, lorsqu’elle a été rendue, se situait dans le prolongements d’arrêts antérieurs de la Cour et, spécialement, de celui du 22 décembre 2008 (Belgique c/ Truck Center SA, aff. C-282/07)  où est expressément admise la conformité au droit communautaire d'une différence de traitement consistant en l'application de techniques d'imposition différentes selon le lieu d'établissement des sociétés bénéficiaires de capitaux, les sociétés non-résidentes étant assujetties à une retenue à la source tandis que les sociétés résidentes étaient imposées à l'impôt sur les sociétés.

D’une part, l’arrêt d’appel attaqué ne souffre d’aucune critique, d’autre part, en l’absence de doute raisonnable, il ne saurait y avoir lieu de saisir à titre préjudiciel la CJUE.

Reste qu’un principe élémentaire de justice, de bon sens et de droit naturel – au demeurant principe général du droit administratif - interdit de condamner quelqu’un à payer une somme qu’il ne doit pas et que ce principe est laissé ici lettre morte…

(1er avril 2022, Société Kermadec, n° 443882)

 

177 - Décision du juge pénal ordonnant des travaux de remise en état des lieux assortie d’une astreinte – Inexécution de la décision – Point de départ de l’obligation d’exécuter – Responsabilité pour faute engagée – Absence d’invocation de la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique - Rejet.

Une décision définitive du juge pénal a condamné une société italienne et des personnes physiques à remettre en état des lieux sur lesquels ils avaient illégalement effectué de travaux d'exhaussement et de coupe d'arbres sans autorisation sur plusieurs parcelles sur le territoire de la commune de Vallauris. Cette condamnation a été prononcée sous astreinte à défaut d’exécution dans un délai de six mois.

Une SCI a demandé réparation à la commune et à l’État du préjudice subi du fait de leur abstention à faire procéder d’office ou à procéder eux-mêmes à l’exécution de l’arrêt d’appel ordonnant ces mesures.

Par arrêt confirmatif la cour administrative d’appel a jugé qu’était engagée la responsabilité fautive de l’État. La ministre se pourvoit en vain car le Conseil d’État rejette son pourvoi.

En premier lieu, il est jugé que l’obligation d’exécuter la décision du juge pénal, en faisant procéder aux travaux nécessaires à la remise en état des lieux, prend effet à l’expiration du délai qu’il a fixé indépendamment du prononcé éventuel d’une astreinte. C’est sans erreur de droit que la cour a jugé que la liquidation de l'astreinte ne constituait ni un préalable ni une alternative à cette exécution d'office.

En second lieu, si l’autorité administrative peut se dispenser d’exécuter une décision de justice ce ne peut être que pour un motif tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou de la sécurité publique. Or en l’espèce n’était invoqué que le coût de la remise en état des lieux ce qui n’est pas un motif pertinent pour refuser d’exécuter une décision de justice. En jugeant que, par leur carence, les services de l’État avaient commis une faute engageant la responsabilité de ce dernier la cour n’a pas, non plus, commis d’erreur de droit.

(5 avril 2022, Ministre de la transition écologique, n° 447631)

 

178 - Contrat de travaux publics – Action en responsabilité – Prescription - Durée quinquennale en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant – Durée décennale en cas d’action du maître de l’ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous-traitants – Rejet.

Le département de la Vendée a été condamné par jugement d’un tribunal administratif à verser à une société une certaine somme correspondant à des surcoûts résultant de la réalisation de plans d'exécution et de notes de calcul dont cette société n'était pas contractuellement redevable et de la moitié des surcoûts générés par la modification du plan de construction initial. Le département, estimant que les manquements pour lesquels il avait été condamné étaient exclusivement imputables au groupement chargé de la maîtrise d'œuvre, après avoir vainement recherché la responsabilité du seul mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation solidaire des sociétés Plan 01 et Arest et de M. O., membres du groupement de maîtrise d'œuvre. Cette demande, rejetée en première instance, a été accueillie en appel.

La requérante, condamnée à rembourser le département, se pourvoit en cassation.

Le débat juridique se concentre, pour l’essentiel, sur le point de savoir si la créance du département était ou non prescrite au moment où celui-ci a entendu la répéter sur la requérante.

Or il existe, sur ce terrain de la responsabilité résultant de contrats de travaux publics, deux délais de prescription. Selon l’art. 2224 du Code civil la prescription est de cinq ans pour les actions personnelles ou mobilières et le Conseil d’État la juge applicable en cas d’action d’un constructeur contre un autre ou son sous-traitant. Selon l’art. 1792-4-3 de ce Code la prescription est de dix ans (la fameuse garantie décennale) pour les actions dirigées contre les constructeurs et leurs sous-traitants. Comme cette disposition figure dans une section du code civil relative aux devis et marchés et qu’elle est insérée dans un chapitre consacré aux contrats de louage d'ouvrage et d'industrie, le Conseil d’État la considère applicable aux actions en responsabilité dirigées par le maître de l'ouvrage contre les constructeurs ou leurs sous traitants. 

En l’espèce c’est donc à bon droit que la cour administrative d’appel a appliqué le délai décennal à une action en responsabilité intentée par le département de la Vendée en sa qualité de maître d’ouvrage et dirigée contre les constructeurs membres du groupement de maîtrise d’œuvre et cela – c’est un point très important de cette décision – « alors même (que l’action en responsabilité) ne concerne pas un désordre affectant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination ». 

Il s’agit d’un élargissement important du champ d’application de cette disposition qui s’aligne d’ailleurs sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation.

(12 avril 2022, Société Arest, n° 448946)

 

179 - Avis de droit - Action en responsabilité pour faute – Possibilité de demande d’injonction – Condition – Action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics – Condition identique de la demande d’injonction.

Des questions posées dans le cadre d’un avis de droit conduisent le Conseil d’État à un abandon jurisprudentiel bien venu car simplificateur.

Il s’agissait de savoir si la possibilité pour le juge administratif de mettre en œuvre ses pouvoirs d'injonction, en l'absence de toute conclusion aux fins d'indemnité, reconnue en matière de dommages d'ouvrages ou de travaux publics dans le cadre de la responsabilité sans faute, peut être étendue en matière de responsabilité pour faute, notamment dans le cas de la carence fautive d'une personne publique à exercer ses pouvoirs de police ou de son refus de se conformer aux obligations qui lui sont fixées par voie législative ou réglementaire.

Le Conseil d’État répond que la personne qui subit un dommage causé par un comportement fautif, d’une part, a droit à sa réparation et, d’autre part, en cas de persistance du comportement fautif produisant un dommage, peut saisir le juge de conclusions à fin d’injonction mais seulement si elle a formulé des conclusions à fins indemnitaires.

Il précise aussi, et c’est là l’innovation jurisprudentielle, que la solution est la même dans le cadre d'une action en responsabilité sans faute pour dommages de travaux publics.

On approuvera cette solution de simplicité.

(12 avril 2022, Société La Closerie, n° 458176)

 

180 - Responsabilité hospitalière - Séquelles du traitement de la fracture d'une cheville - Demande d'indemnisation de la perte de gains professionnels - Rejet - Annulation.

Employé dans une entreprise de transports, le requérant, qui a fait l'objet d'une prise en charge hospitalière pour le traitement d'une fracture de sa cheville gauche, en a conservé des séquelles dont il a demandé réparation au titre de l'indemnisation de ses pertes de gains professionnels. La cour administrative d'appel a rejeté ce chef de réparation motif pris de ce qu'il n'était pas définitivement inapte à toute activité professionnelle.

Le Conseil d'État casse cet arrêt en retenant que la cour, ce jugeant, n'avait pas indiqué les motifs pour lesquels elle estimait que, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie, le déficit fonctionnel permanent de l'intéressé ne devait pas être regardé, eu égard notamment à son âge, à son secteur d'activité et à son niveau de formation, comme la cause directe d'une perte de toute possibilité de retrouver un revenu professionnel, tant pour la période antérieure que pour la période postérieure à son arrêt.

En effet, la victime faisait valoir devant la juridiction d'appel qu'alors même que son déficit fonctionnel permanent avait été évalué à 15 % seulement, celui-ci, d'une part, s'accompagnait de limitations fonctionnelles importantes, en particulier d'une exclusion de la station debout prolongée ou de la station assise prolongée, du travail en hauteur, du travail avec utilisation d'échelle ou d'escabeau, des montées ou descentes d'escaliers répétées et de la marche prolongée ou en terrain instable, d'autre part, que ces contraintes l'avaient forcé à abandonner un projet de reconversion dans la restauration ou l'hôtellerie après son licenciement et qu'enfin, eu égard à son âge et à son niveau de qualification, elles l'avaient privé, et le privaient pour l'avenir, de toute chance réelle et sérieuse de retrouver un emploi.

Il appartiendra à la cour, si elle la maintient, de motiver plus sérieusement la solution de rejet d'indemnisation du préjudice professionnel.

(15 avril 2022, M. A., n° 446813)

 

181 - Avis de droit - Exposition à l'amiante - Délai(s) de prescription applicable (s) - Prescription quadriennale - Caractère continu et évolutif du préjudice d'anxiété ou caractère instantané - Causes d'interruption du délai de prescription.

La cour administrative d'appel de Marseille, usant de la procédure d'avis de droit régie par l'art. L. 113-1 du CJA, a posé au Conseil d'État un certain nombre de questions, d'une grande importance, sur le régime de la prescription des actions en responsabilité intentées du fait de l'exposition à l'amiante.

Trois groupes de questions étaient posés : le point de départ du délai de prescription, la prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété et l'éventuelle interruption de la prescription.

1 - Sur le point de départ du délai de prescription, la cour s'interrogeait d'abord sur le point de savoir s'il avait commencé à courir à compter de la date de publication de l'arrêté portant inscription de l'établissement dans lequel l'intéressé a travaillé sur la liste de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; ensuite, dans l'hypothèse où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA et lorsque l'intéressé a travaillé durant la période initiale et terminé son activité pendant la période de prolongation, s'il convient de prendre en compte la date de la publication de l'arrêté initial d'inscription ou celle de l'arrêté de prolongation ; enfin, en cas de réponses négatives, quelle date retenir.

 Le Conseil d'État répond tout d'abord que la créance de réparation dont dispose la victime naît à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ces préjudices ont été entièrement révélées, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés ; si le préjudice présente un caractère continu et évolutif la créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi. 

2 - Sur le deuxième point, relatif au préjudice d'anxiété dont peut se prévaloir tout salarié éligible à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA), le juge régulateur décide qu'il naît « de la conscience prise par celui-ci qu'il court le risque élevé de développer une pathologie grave, et par là-même d'une espérance de vie diminuée, à la suite de son exposition aux poussières d'amiante ».

Cette conscience est nécessairement acquise par la publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel : Le droit à réparation du préjudice d'anxiété est donc acquis à la date de publication de cet arrêté.

Dans la sous-hypothèse évoquée par la cour où l'établissement a fait l'objet de plusieurs arrêtés successifs étendant la période d'inscription ouvrant droit à l'ACAATA, la date à prendre en compte est la plus tardive des dates de publication d'un arrêté inscrivant l'établissement pour une période pendant laquelle le salarié y a travaillé.

Si l'exposition à l'amiante a cessé, la créance se rattache non à chacune des années au cours desquelles l'intéressé souffre de l'anxiété dont il demande réparation, mais à la seule année de publication de l'arrêté, lors de laquelle la durée et l'intensité de l'exposition sont entièrement révélées, de sorte que le préjudice peut être exactement mesuré. Par suite la totalité de ce chef de préjudice doit être rattachée à cette année, pour la computation du délai de prescription institué par l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968.

3 - Sur le troisième point, relatif à l'interruption de la prescription, la cour demandait au Conseil d'État si le cours de ce délai de prescription avait pu être interrompu par les recours formés soit à l'encontre de l'État, par des tiers tels que les ayants droit des salariés d'autres sociétés ayant donné lieu aux quatre décisions du Conseil d'État du 3 mars 2004, n° 241150, 241151, 241152, 241153 ou par des sociétés comme dans le cas de la décision du 9 novembre 2015, SAS Construction Mécanique de Normandie (CMN) n° 342468, soit à l'encontre de l'employeur, par les actions en reconnaissance de sa faute inexcusable formées devant les juridictions judiciaires, soit par la plainte pénale contre X déposée en 2006 par un salarié de l'établissement de Dunkerque de la société Normed et une association.

Le Conseil d'État regroupe en trois points sa réponse sur cette question en raison de la diversité des cas visés et des régimes juridiques y afférents.

En premier lieu, il est répondu que les recours formés à l'encontre de l'État par des tiers tels que d'autres salariés victimes, leurs ayants droit ou des sociétés exerçant une action en garantie fondée sur les droits d'autres salariés victimes ne peuvent être regardés comme relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, dont ils ne peuvent dès lors interrompre le délai de prescription en application de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968.

En deuxième lieu, il résulte de ces dernières dispositions qui subordonnent l'interruption du délai de prescription qu'elles prévoient en cas de recours juridictionnel à la mise en cause d'une collectivité publique, que les actions en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur formées devant les juridictions judiciaires ne peuvent pas non plus, en l'absence d'une telle mise en cause, interrompre le cours du délai de prescription de la créance éventuellement détenue sur l'État.

En troisième lieu, lorsque la victime d'un dommage causé par des agissements de nature à engager la responsabilité d'une collectivité publique dépose contre l'auteur de ces agissements une plainte avec constitution de partie civile, ou se porte partie civile afin d'obtenir des dommages et intérêts dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, l'action ainsi engagée présente, au sens des dispositions de l'article 2 précité de la loi du 31 décembre 1968, le caractère d'un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance.

En revanche, ne présentent un tel caractère ni une plainte pénale qui n'est pas déposée entre les mains d'un juge d'instruction et assortie d'une constitution de partie civile, ni l'engagement de l'action publique par le seul Parquet, ni l'exercice par le condamné ou par le ministère public des voies de recours contre les décisions auxquelles cette dernière action donne lieu en première instance et en appel. 

On saluera le remarquable effort de clarification et de simplification réalisé par cet avis davantage normatif qu'interprétatif mais fidèle à la ligne générale comme à l'esprit des textes applicables.

(19 avril 2022, M. D., n° 457560)

 

Santé publique - Santé - Sécurité sociale

 

182 - Spécialité pharmaceutique pouvant être délivrée sans prescription – Conditions – Traitement différent de deux spécialités étroitement comparables – Annulation.

Le laboratoire requérant produit un médicament (Nalgesic 300 mg, comprimé pelliculé) dont l’autorisation de mise sur le marché ne prévoit pas sa délivrance par un pharmacien sans sa prescription préalable par un médecin. Il a demandé de modifier l’autorisation de mise sur le marché sur ce point et proposé au ministre de la santé d'accorder à cette spécialité, pour son conditionnement en boîte de 10 comprimés, une exonération à la règlementation des substances vénéneuses dont elle relève en vue que, dans ce conditionnement, sa prescription médicale ne soit plus obligatoire mais facultative.

Cette double demande était notamment fondée sur ce qu’un autre médicament (Ibuprofène), étroitement comparable à celui en cause, bénéficiait lui de l’exonération.

L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a refusé de transmettre au ministre de la santé la proposition d’exonération sollicitée.

Le laboratoire saisit le Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’étrange argumentation de l’ANSM qui, pour justifier le refus de transmettre la demande du laboratoire requérant, prétend qu’en fait il y aurait lieu de revoir l’exonération de l’ibuprofène car celle-ci résulte d’arrêtés pris en 1994 et 2007. En effet, outre que le Nalgesic 300 mg fait l’objet d’une autorisation de mise sur le marché depuis 1976, le juge relève qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est d'ailleurs pas soutenu que ce réexamen serait engagé ni même véritablement envisagé. D’où il suit que le directeur général de l'ANSM ne pouvait, compte tenu du caractère étroitement comparable des deux spécialités, se fonder sur cette seule circonstance pour refuser de proposer l'exonération sollicitée. 

L’administration dispose de six mois pour réexaminer la demande du laboratoire requérant « de façon cohérente avec les spécialités étroitement comparables ».

(6 avril 2022, Société Laboratoire Sciencex, n° 449623)

 

183 - Covid-19 - Sortie de crise sanitaire - Suppression de l'obligation du port du masque et de respect de la distanciation dans les lieux publics - Circonstance d'une élection présidentielle - Circulaire ministérielle et addendum sanitaire à cet effet - Rejet.

Comme l'on pouvait s'y attendre, de même que l'instauration de mesures contraignantes pour faire face au Covid-19 avait soulevé une submersion contentieuse, de même la levée de ces mêmes mesures suscite à son tour une ire contentieuse. Ce qui confirme que « Tant de secousses ont accumulé dans notre vie publique des poisons dont s'intoxique notre vieille propension gauloise aux divisions et aux querelles » (Ch. de Gaulle, Discours de Bayeux, 16 juin 1946)

Les requérants entendaient obtenir, d'une part la suspension des mesures génértales liées à la sortie de la crise sanitaire, d'autre part, la traduction desdites mesures dans le cadre du déroulement de l'élection présidentielle.

On ne sera guère surpris du rejet de l'ensemble de ces demandes.

Tout d'abord, l'évolution de la situation sanitaire générale ne révèle pas une erreur manifeste d'appréciation dans les décisions relatives au port du masque et à la distanciation.

Ensuite, la circulaire et son addendum sanitaire en vue, proprement, de l'élection présidentielle sont des actes de droit souple sans caractère décisoire mais susceptibles d'avoir des incidences notables sur les électeurs se rendant aux urnes. Ils peuvent donc être déférés au juge de l'excès de pouvoir pour l'un des moyens susceptibles d'être relevés en ce cas (fixation d'une règle nouvelle entachée d'incompétence, interprétation du droit positif en méconnaissant le sens et la portée ou mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure). En l'espèce le juge ne relève rien de tel y compris dans les conseils de prudence donnés, la possibilité de conserver le port du masque dans l'enceinte du buteau de vote sauf à dévoiler son visage pour vérification d'identité, etc.

(ord. réf. 7 avril 2022, M. A. et M. B. n° 462909)

(184) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le protocole du ministre des solidarités et de la santé du 18 mars 2022 édicté dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et relatif aux établissements et services accueillant des personnes âgées et des personnes en situation de handicap en ce qu'il prévoit une obligation du port du masque en intérieur seulement pour les personnes âgées accueillies en établissement médico-social car ce protocole, ne constituant que des recommandations, n'institue pas d'obligation, il n'est pas une mesure pouvant être considérée comme n'étant pas manifestement nécessaire et proportionnée à l'objectif de santé publique en raison de l'évolution des taux d'incidence et d'hospitalisation chez les personnes âgées de plus de 70 ans  et, enfin, eu égard aux personnes et formes de pathologies en cause, de tels établissements sont dans une situation différente de celle des établissements médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap : ord. réf. 20 avril 2022, Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) et autres, n° 463012.

(185) V. également, le rejet d'un recours tendant à l'annulation de l'article 4 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui interdit tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence, en tant qu'il limite à une heure quotidienne et à un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile la dérogation prévue pour, soit l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit les besoins des animaux de compagnie : 26 avril 2022, M. F., n° 445861 ;  M. B., n° 445894.

(186) V. encore, rejetant un autre recours en annulation de ce même article 4 du décret du 29 octobre 2020 : 26 avril 2022, Mme A., n° 446079 ou celui dirigé contre le I de cet article 4 en tant qu'il ne comporte pas d'exception - à l'interdiction de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence - pour le ramassage du bois de chauffage, la cueillette de fruits sauvages ou de champignons, ou le jardinage en un lieu distinct du lieu de résidence : 26 avril 2022, M. C., n° 446386 et n° 449566.

(187) V. le rejet du recours dirigé contre le a) du 1° et le 9° de l'article 2 du décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 modifiant divers décrets prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire en ce qu'il réglemente les déplacements en dehors du domicile et l'accès aux établissements de type X et de type PA, interdisant notamment tout exercice d'activités physiques et sportives des mineurs dans les établissements sportifs couverts et toute pratique d'une telle activité, même en extérieur, entre 18 heures et 6 heures : 26 avril 2022, Mme F. et autres, n° 450015.

(188) V., rejetant la demande de transmission d'une QPC fondée sur l'inconstitutionnalité de l'art.  1er de la loi du 22 janvier 2022 renforçant les outils de la gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, en tant qu'il interdit l'accès à certains lieux, la pratique de certaines activités et certains déplacements effectués en transports publics interrégionaux aux personnes non détentrices d'un passe vaccinal aux fins de lutter contre l'épidémie de Covid-19 : 26 avril 2022, M. C., n° 460958.

(189) V., rejetant des recours dirigés contre la décision, contenue dans l'article 36 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 modifié par trois décrets successifs, imposant le port du masque aux enfants dès l'âge de 6 ans dans les établissements d'enseignement : 29 avril 2022, Mme N., n° 449527 ; Mme S., n° 449646 ; Mme I. et autres, n° 450660 ; M. C., représentant unique désigné et autres requérants, n° 450668.

(190) V., annulant partiellement la circulaire n° 6245/SG du Premier ministre du 22 février 2021 relative aux mesures frontalières mises en œuvre dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant que, par principe, elle impose qu'un refus soit systématiquement opposé aux demandes d'étrangers d'entrer en France en vue d'y célébrer leur mariage avec un Français car elle porte une atteinte disproportionnée au droit au mariage et au respect de la vie privée et familiale : 29 avril 2022, Mme L. et autres et association de soutien aux amoureux au ban public, n° 450885.

 

191 - Covid-19 - Réglementation de l'exercice de la liberté religieuse - Restriction aux seules cérémonies funéraires à 30 personnes - Mesures provisoires - Absence d'atteinte disproportionnée à cette liberté - Rejet.

(22 avril 2022, M. D. et M. E., n° 446393)

V. n° 156

 

192 - Classification commune des actes médicaux (CCAM) - Fixation de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes techniques figurant à la CCAM - Absence d'autorisation donnée à l'accomplissement d'actes ne relevant pas de la compétence des praticiens qui s'y livrent - Rejet.

Le Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie demandait l'annulation - après rejet implicite de sa demande d'abrogation - de la décision du collège des directeurs de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) rendant applicables aux chirurgiens-dentistes libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques par l'assurance maladie, les dispositions des livres I, II et III de la liste des actes et prestations pris en charge ou remboursés par l'assurance maladie prévue par les dispositions de l'article L. 162-1-7 du code de la sécurité sociale qui, jusqu'alors, s'appliquaient, en vertu de la décision du 11 mars 2005 du même collège des directeurs, aux seuls médecins libéraux et salariés, pour la prise en charge ou le remboursement de leurs actes techniques.

L'organisation requérante estimait notamment qu'en prenant la décision litigieuse, le collège des directeurs de l'UNCAM avait méconnu les dispositions des articles L. 4141-1 et L. 4161-1 du code de la santé publique, faute d'avoir expressément exclu de la prise en charge ou du remboursement par l'assurance maladie des actes réalisés par des chirurgiens-dentistes, ceux qui relèvent de la seule compétence des médecins. Il aurait ainsi permis à un praticien de l'art dentaire d'effectuer des actes figurant sur cette liste qui dépassent sa compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose.

Le moyen est rejeté car, explique le Conseil d'État, la décision litigieuse a pour seul objet de fixer une orientation relative aux inscriptions d'actes et prestations réalisés par les chirurgiens-dentistes, en vue de leur prise en charge ou de leur remboursement par l'assurance maladie telle que prévue par les art. L. 182-2-3 et L. 182-2-4 du code de la sécurité sociale.

(12 avril 2022, Conseil national professionnel de chirurgie maxillo-faciale et de stomatologie, n° 452963)

 

193 - Médicaments « particulièrement coûteux » - Notion et champ d'application - Indication d'un médicament restreinte aux troubles de l'érection - Refus d'inscription sur la liste des spécialités remboursables - Absence d'erreur manifeste d'appréciation – Rejet.

Le litige portait sur le refus ministériel d'inscrire parmi les spécialités remboursables deux spécialités produites par la société requérante destinées à lutter contre les troubles de l'érection en raison de l'impact que pourrait avoir l'admission au remboursement de celles-ci sur leur consommation, alors que les troubles de l'érection peuvent avoir des causes variées et que les traitements pharmacologiques sont déconseillés lorsque des facteurs psychologiques et relationnels en sont la cause prépondérante. En outre, ce refus d'inscription est fondé sur ce qu'une telle inscription est susceptible d'entraîner, compte tenu des conditions dans lesquelles ces spécialités sont prescrites, une augmentation sensible de leur consommation totale, en dehors d'une indication restreinte aux patients pour lesquels une atteinte organique grave est à l'origine des troubles de l'érection, et dès lors non justifiée au regard de leur utilité pour la santé publique.

A cet égard, le caractère particulièrement coûteux d'un médicament peut s'apprécier soit à partir de son prix unitaire soit à raison des dépenses globales qui sont ainsi engendrées.

Enfin, s'il existe une procédure permettant de subordonner le remboursement d'une spécialité, en fonction des indications dans lesquelles elle est prescrite, lorsqu'elle relève des « médicaments particulièrement coûteux », à une information du contrôle médical tant pour les médicaments particulièrement coûteux unitairement qu'au regard des dépenses globales représentées, il ne ressort pas en l'espèce que les ministres compétents auraient pu mettre utilement en œuvre cette faculté de telle sorte que l'inscription de ces spécialités ne serait plus susceptible d'entraîner des hausses de consommation ou des dépenses injustifiées pour l'assurance maladie au regard de leur utilité pour la santé publique.

Le recours est rejeté.

(26 avril 2022, Société Les Laboratoires Majorelle, n° 454942 et n° 454943)

 

194 - Référé liberté (art. L. 521-2 CJA) - Décision d'arrêt de traitements pour motif d'obstination déraisonnable - Mise en balance des éléments en présence - Rejet.

Statuant en formation collégiale - comme c'est souvent le cas dans ce contentieux - sur une situation médicale dramatique, le Conseil d'État confirme l'ordonnance rendue par le tribunal administratif rejetant la demande d'annulation de la décision de l'équipe médicale du service d'anesthésie et de réanimation d'un hôpital d'arrêter des traitements prodigués à l'épouse du premier requérant dénommé.

Appliquant une ratio decidendi désormais bien établie, le juge fait une balance entre, d'une part, les données objectives fournies par l'état actuel de la science au regard de l'état du patient concerné et de son évolution future à peu près certaine, et d'autre part, le respect de la vie qui constitue une liberté fondamentale au sens et pour l'application de l'art. L. 521-2 du CJA.

Ici, il constate que la poursuite des traitements dont l'arrêt a été décidé ne saurait améliorer les perspectives d'évolution de l'état de la patiente et, dès lors, apparaît inutile et comme résultant d'une obstination déraisonnable au sens de l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique. La demande d’annulation de la décision d’arrêt des soins est, en conséquence, rejetée.

(ord. réf. formation collégiale, 25 avril 2022, M. I. et autres, n° 462576)

 

Service public – Autorités administratives diverses

 

195 - Caisse des dépôts et consignations (CDC) – Réforme de la gouvernance de la Caisse (décr. 20 novembre 2019) – Absence de vices de légalité externe – Désignation des représentants du personnel au sein de la commission de surveillance – Pouvoirs attribués au directeur général de la Caisse – Surveillance et garantie de l’autorité législative – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret du 20 novembre 2019 portant réforme de la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations. Tous les moyens, de légalité externe comme de légalité interne, sont rejetés.

Concernant la légalité externe, il est jugé que cette réforme ne relevait pas des dispositions de l’art. 1, 1er alinéa, du code du travail qui ne prévoient de concertation préalable avec les organisations syndicales qu’en cas de réforme portant sur les relations individuelles et collectives du travail, ce qui n’est pas le cas de l’espèce où la réforme ayant été opérée par la loi le décret attaqué se borne à en fixer les conditions d’application ; au reste, les conditions et les modalités de la gouvernance de la Caisse ne relèvent pas du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle.

Pareillement, le décret litigieux ne saurait être contesté en sa légalité du chef qu’il n’a pas été soumis à l’avis préalable du Comité unique de la Caisse des dépôts et consignations (CUEP) alors que ce dernier avait donné son avis sur plusieurs projets de décrets qui in fine ont été réunis en un seul, celui du 20 novembre 2019, objet du litige.

Concernant la légalité interne du décret du 20 novembre 2019, trois chefs de critiques étaient développés par les requérantes.

En premier lieu, était contestée la désignation des membres représentant le personnel au sein de la commission de surveillance opérée par le décret. Cette critique, qui porte sur la méconnaissance par les dispositions en cause du principe constitutionnel de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises, du principe général de représentativité, le fait que le pouvoir réglementaire les aurait entachées d'erreur manifeste d'appréciation ou qu’elles seraient entachées d'incompétence négative revient à mettre en cause la loi elle-même ce qui ne peut être fait, devant le juge administratif, qu’au moyen d’une QPC.

En deuxième lieu, les requérantes jugeaient illégaux les pouvoirs conférés au directeur général de la Caisse. Brevitatis causa, la réforme transfère du premier ministre et du ministre de l’économie à ce directeur le pouvoir de désigner des directeurs délégués.

Sont rejetés les griefs selon lesquels ne serait pas prévue l’autorité compétente pour mettre fin aux fonctions de ces directeurs délégués alors que s’applique le bien connu principe du parallélisme des compétences (voir, par ex. : C.E. 1er février 2006, Touzard, n° 271676) même si le Conseil d’État ne le cite pas expressément ici tout en l’appliquant. Ainsi le premier ministre n’a pas commis d’erreur de droit en prévoyant explicitement cette compétence au profit du directeur général de la Caisse alors même que la loi est muette sur ce point. Pareillement, ce retrait de fonctions s’effectue, dans le silence du texte critiqué, selon les règles et principes applicables aux agents des différents corps auxquels appartiennent les personnes concernées. De même, la faculté de déléguer une partie de ses pouvoirs reconnue au directeur général ne contrevient à aucun principe général non plus qu’à aucune règle.

En troisième lieu, enfin, la CDC n’est pas « une administration centrale de par la loi ».

Concernant les moyens critiquant l’absence de surveillance et de garantie de l'autorité législative prévue à l’art. L. 518-2 du code monétaire et financier, ceux-ci ne sauraient prospérer puisque sur ce point le décret contesté se borne à reproduire des dispositions législatives.

(1er avril 2022, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n° 437773)

(196) V. aussi, à propos des refus du ministre du travail d’ouvrir une enquête de représentativité et de fixer la liste des organisations représentatives dans le périmètre du personnel navigant technique (PNT) des entreprises de transport aérien, l’arrêt décidant, d’une part, implicitement, que le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle normal sur ces décisions de refus et d’autre part que ce ministre est compétent, en application de l'article L. 2121-2 du code du travail, pour, s'il y a lieu, fixer la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans tout périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir : 6 avril 2022, Syndicat national des pilotes de ligne France ALPA, n° 439658.

 

197 - Exercice du droit de grève dans les services publics – Cas des autoroutes – Réglementation de l’exercice de la grève par directive ministérielle – Application de la jurisprudence Dehaene – Rejet.

Le syndicat demandait, au principal, l’annulation du refus implicite de retirer, à tout le moins d’abroger, la directive ministérielle du 26 septembre 1980 relative au service minimum à assurer en cas de grève, sur les autoroutes concédées.

Sans surprise la requête est rejetée à la suite d’un raisonnement droit venu de la solution retenue par le célèbre arrêt Dehaene (Assemblée 7 juillet 1950, Rec. Lebon p. 426) et constamment réitérée (par ex : Assemblée, 4 février 1966, Syndicat unifié des techniciens de la RTF, Rec. Lebon p. 81ou Assemblée, 12 avril 2013, Fédération Force Ouvrière Energie et Mines et autres, Rec. Lebon p. 94).

Tout d’abord, « En indiquant dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, que le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent, l'Assemblée Constituante a entendu inviter le législateur à opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue l'une des modalités et la sauvegarde de l'intérêt général, auquel elle peut être de nature à porter atteinte. »

Ensuite, la loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics, en vigueur lors de l’édiction de la directive ministérielle attaquée, ne constitue pas l'ensemble de la réglementation du droit de grève annoncée par la Constitution puisqu’elle ne régit l’exercice du droit de grève que sur deux points seulement. Aussi, faute qu’existe la complète législation annoncée par la Constitution et la reconnaissance du droit de grève ne pouvant avoir un caractère absolu ou illimité, c’est à l'autorité administrative responsable du bon fonctionnement d'un service public de fixer elle-même les conditions d’exercice de ce droit dans ce service. Dans le cas des services concédés, ce pouvoir appartient, sauf texte particulier, à l'autorité concédante, qui, s'agissant des concessions d'autoroutes, est l'État. 

Le cahier des charges de la concession d’autoroutes par l’État à Cofiroute, approuvé par décret, prévoit que le ministre chargé de la voirie nationale est compétent pour réglementer le service minimum sur les autoroutes en cas de grève.

Par la directive attaquée, son auteur a pu légalement et en demeurant dans le champ de sa compétence, définir les fonctions indispensables à la sécurité des personnes et des biens dont la continuité doit être assurée en période de grève, qui sont relatives aux interventions de sécurité, aux équipements de sécurité, à la surveillance de certains ouvrages, et aux informations et moyens nécessaires à ces tâches et au fonctionnement de ces équipements.

(5 avril 2022, Syndicat CGT de la société Cofiroute, n° 450313)

 

198 - Principe d’égalité – Application pouvant, à certaines conditions, être différenciée en fonction de la différence des situations – Limites – Prime accordée à une partie seulement de certaines catégories d’établissements scolaires – Exclusion des assistants d’éducation du bénéfice de cette prime – Absence de justification – Annulation.

C’est une solution contentieuse bien établie et de longue date que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

Le Conseil d’État précise ici que ces modalités de mise en œuvre différenciée du principe d'égalité sont applicables à l'édiction de normes régissant la situation d'agents publics qui, en raison de leur contenu, ne sont pas limitées à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires.

En l’espèce, a été créée au bénéfice de certains personnels affectés ou exerçant dans les écoles ou établissements relevant des programmes REP+ (Réseau d'éducation prioritaire renforcé) ou REP (Réseau d'éducation prioritaire) une prime destinée à prendre en compte les conditions difficiles d'exercice de leurs fonctions par ces personnels, à attirer des candidatures pour ces emplois et destinées à servir durablement dans ces écoles ou établissements, de façon à y améliorer la stabilité des équipes pédagogiques et de vie scolaire.Cette prime est ouverte à tous les personnels intervenant dans ces établissements, y compris aux contractuels sous CDD, mais pas aux assistants d'éducation.

Le Conseil d’État accueille le recours de la fédération requérante contre un traitement inégalitaire injustifié dans la mesure où ces agents sont soumis aux mêmes contraintes et charges que leurs autres collègues bénéficiaires de la prime. L’atteinte au principe d’égalité est jugée illégale car a été créée une différence de traitement sans rapport avec l'objet du texte qui institue cette indemnité.

L’application positive des limites aux atteintes au principe d’égalité est assez rare pour que soit saluée cette décision qui sera d’ailleurs publiée au Recueil Lebon

(12 avril 2022, Fédération Sud Education, n° 452547)

(199) V. en revanche, jugeant qu’est justifiée la différence de montant de la prime selon que la fonction est exercée en REP+ ou en REP : 12 avril 2022, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA) Education, n°456068, n° 456069 et n° 456072.

 

200 - Opérations de lutte contre l'incendie ou de secours - Participation de mineurs en qualité de sapeurs pompiers volontaires - Protection de l'intérêt supérieur de l'enfant - Principe général prohibant l'emploi et l'exposition de mineurs - Inexistence - Méconnaissance de dispositions européennes ou internationales - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension du refus implicite du premier ministre d'abroger les articles R. 723-6 et R. 723-10 du code de la sécurité intérieure en tant qu'ils permettent l'engagement et la participation à des opérations de lutte contre l'incendie ou de secours de mineurs âgés de moins de dix-huit ans et de plus de seize ans en qualité de sapeurs-pompiers volontaires et assortissait cette demande principale d'une d'action afin qu'injonction soit donné au susdit d'abroger les articles litigieux.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, contrairement à ce que soutient le syndicat demandeur, il n'existe pas de principe général qui interdirait l'emploi de personnes de moins de dix-huit ans exposées à des risques pour leur santé, leur sécurité, leur moralité ou à des travaux excédant leur force.

En deuxième lieu, ces dispositions ne portent pas atteinte à l'intérêt supérieur de l'enfant car, d'une part, l'engagement de mineurs âgés de plus de seize ans comme sapeurs-pompiers volontaires, susceptibles d'exercer les mêmes missions, potentiellement dangereuses, que les sapeurs-pompiers volontaires majeurs, repose sur le volontariat et le bénévolat et nécessite, outre le choix volontaire du mineur, le consentement écrit de son représentant légal et, d'autre part, cet engagement est subordonné à des conditions d'aptitude physique et médicale, certifiée par un médecin après examen de l'intéressé, enfin, les intéressés bénéficient, avant toute participation à une activité opérationnelle, d'une formation adaptée dispensée tout au long d'une période probatoire qui ne peut être inférieure à un an et leur engagement opérationnel se fait de manière progressive au fur et à mesure de l'acquisition des compétences indispensables à leur sécurité. 

En troisième lieu, les éléments qui précèdent expliquent et justifient que cet emploi de mineurs de seize à dix-huit ans pour l'exercice de fonctions les exposant à des risques certains ne contrevient pas aux dispositions des paragraphes 2 et 3 de l'art. 7 de la directive du 22 juin 1994 relative à la protection des jeunes au travail.

Enfin, s'agissant du moyen tiré de la méconnaissance d'autres engagements internationaux de la France, il est jugé que ceux-ci laissent une marge importante d'appréciation aux États et qu’étant dépourvus d'effet direct dans le chef des particuliers (sur cette notion, voir la décision fondatrice : Assemblée 11 avril 2012, GISTI et Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, Rec. Lebon p. 142), ils requièrent l'intervention d'actes complémentaires, ils ne peuvent donc être invoqués à l'appui de conclusions dirigés contre les dispositions attaquées : ainsi en va-t-il de l'article 7 relatif au droit des enfants et des adolescents à la protection de la charte sociale européenne révisée signée à Strasbourg le 3 mai 1996, de l'article 3 de la convention internationale du travail n° 138 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi, adoptée à Genève le 26 juin 1973, des articles 3 et 7 de la convention internationale du travail n° 182 concernant l'interdiction des pires formes de travail des enfants et l'action immédiate en vue de leur élimination, adoptée à Genève le 17 juin 1999.

(19 avril 2022, Syndicat Sud SDIS National, n° 451727)

 

201 - Enseignement supérieur - Compétence exclusive du conseil d'administration - Incompétence du président d'université pour statuer dans une matière non encore régie par le conseil d'administration - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel juge qu'au sein des universités le conseil d'administration, auquel il appartient de déterminer la politique de l'établissement, est compétent pour fixer, s'il y a lieu, les capacités d'accueil et les modalités de sélection pour l'accès à la première année du deuxième cycle, d'où il suit qu'en l'espèce, la décision du président de l'université prise le 27 juillet 2018, de refuser une inscription en master I alors que le conseil d'administration, seul compétent à cet effet, n'a délibéré que le 22 octobre 2018 sur la fixation de capacités d'accueil et de modalités de sélection pour l'accès à ce master I, est entachée d'incompétence. 

(27 avril 2022, Université Paris Cité venue aux droits de l'Université Paris V - Descartes, n° 450490)

 

Sport

 

202 - Fédération française de football (FFF) – Statuts – Cas non prévus – Décisions de relégation en National 2 et de montée en National 1 – Règlement des championnats de National 1 et de National 2 - Compétence du comité exécutif – Maintien à 18 de l’effectif du championnat de National 1 – Principe de sécurité juridique – Rejet.

Les recours joints, qui sont une conséquence de l’épidémie de Covid-19, tendent à faire juger entachées d’incompétence et d’illégalité les décisions prises par le comité exécutif de la FFF concernant les montée et descente en et du National 1 des clubs concernés alors que l’une des deux séries avait pu jouer tous les matches prévus et l’autre non et que les statuts et autres règlements applicables n’ont pas prévu une telle situation.

Le Conseil d’État estime que le comité exécutif de la Fédération tient de l’art. 18 des statuts le pouvoir de statuer sur « tous les problèmes présentant un intérêt supérieur pour le football et sur tous les cas non prévus par les statuts ou règlements » et ceci en dépit de ce que l'article 38 du règlement des championnats de National 1 et 2 2020-2021 dispose que les cas non prévus par ce règlement relèveront de l'appréciation de la commission d'organisation compétente car, en tout état de cause, l'article 3 des règlements généraux dispose que « le comité exécutif peut, en application de l'article 18 des statuts, prendre toute mesure modificative ou dérogatoire que dicterait l'intérêt supérieur du football ». Il suit de là qu’en l'absence de dispositions ayant prévu par avance des règles à suivre en matière de relégation et d'accession entre deux championnats lorsque des circonstances imprévues font obstacle à ce que l'un d'entre eux se poursuive jusqu'à son terme et donne lieu à un classement, tandis que l'autre a pu aller à son terme, et alors qu'un intérêt général s'attachait à une clarification des règles applicables, notamment pour adapter les modalités de comblement des vacances de places à ce contexte inédit, le comité exécutif était, contrairement à ce qui est soutenu, compétent pour prendre les mesures contestées.

Par suite nécessaire et liée, il appartenait au comité exécutif de déterminer les conséquences à en tirer pour résoudre les difficultés d'articulation découlant de cette situation imprévue, le cas échéant en dérogeant aux dispositions normalement applicables ou en les adaptant. Si le règlement des championnats de National 1 et de National 2 2020-2021 (art. 5 et 6) permettait de désigner 17 équipes pour participer au championnat de National 1, il ne faisait cependant pas obstacle à ce que le comité exécutif puisse légalement prendre des dispositions pour adapter les règles d'attribution des places vacantes afin de ne pas en rester à ce nombre d'équipes et, au contraire, s'il l'estimait souhaitable, d'atteindre le nombre qu'il fixe de 18 équipes qualifiées pour disputer le championnat. Ces dispositions n'imposaient pas davantage, pour combler les vacances dans la composition d'un championnat, de donner une priorité au repêchage des clubs classés en fin de tableau du championnat de National 1 de la saison 2019-2020 sur l'accession des clubs classés meilleurs deuxièmes à l'issue de cette même saison. De ce chef, la décision contestée ne méconnaît pas les dispositions des articles 5 et 6 de ce règlement.

De là aussi, cette conséquence que le juge ne peut exercer, en l’espèce, qu’un contrôle réduit à l’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne :

1° le maintien à 18 de l'effectif du championnat de National 1 et la définition à cet effet d’une règle de repêchage ou d'accession permettant de compenser la relégation de l'équipe classée dernière de ce championnat alors que le principe d'une « saison blanche » avait été retenu pour le championnat 2020-2021 de National 2,

2° le choix de ne pas repêcher l'équipe classée dernière du championnat de National 1, qui résultait de l'application de la règlementation et reflétait les résultats sportifs d'une saison parvenue à son terme,

3° le choix d'attribuer la dernière place vacante au meilleur deuxième du championnat de National 2 en se référant au dernier classement fondé sur le mérite sportif, soit celui de la saison 2019-2020, par une simple adaptation des règles applicables en vue de combler les places vacantes,

4° la décision de ne pas procéder, de façon dérogatoire, au repêchage d'un club classé en fin de tableau du championnat de National 1 au titre de la même saison.

Enfin, sont également rejetés deux autres griefs.

Tout d’abord, c’est sans atteinte illégale au principe d’égalité que la FFF a fondé ses décisions de relégation et de montée pour combler les places vacantes sur les performances de saisons différentes selon les championnats car cette différence est liée à une différence de situation dès lors qu'un seul des deux championnats concernés a donné lieu à un classement.

Ensuite, n’est pas non plus contraire au principe de sécurité juridique la décision du comité exécutif du 23 avril 2021 au motif qu’elle aurait entériné l'absence d'accession en National 1, ce qui laissait penser qu'aucune relégation en National 2 n'aurait lieu ; il ressort, en effet, des pièces du dossier que la décision en cause ne portait que sur les accessions sportives, sans prendre parti sur l'articulation entre les championnats de National 1 et National 2, et qu'en revanche, le choix d'appliquer les règles relatives aux vacances de places prévues par les règlements des championnats avait été opéré dès le 6 mai 2021.

(5 avril 2022, Association Lyon-La Duchère et société anonyme sportive professionnelle Lyon-La Duchère, n° 454918 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 454953, jonction)

 

203 - Sanction pour dopage - Recours du président de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Personne sanctionnée - Recours de plein contentieux - Possibilité de former une demande reconventionnelle en dépit du silence des textes à ce sujet - Rejet sur ce point.

Rejetant la fin de non-recevoir opposée par la requérante à une sportive convaincue de dopage et sanctionnée pour cela, le Conseil d'État rappelle à nouveau (cf. 6 avril 2016, M. Rosier, n° 374224) que dans les litiges relevant du contentieux de la pleine juridiction, ou plein contentieux, le silence des textes sur ce point ne peut être interprété comme excluant pour une personne sanctionnée, la faculté de présenter des conclusions reconventionnelles en vue d'obtenir l'annulation ou la réformation de la sanction prononcée à son encontre.

(26 avril 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 453347)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

204 - Sursis à une demande de permis de construire – Pétitionnaire bénéficiaire d’une promesse de vente d’un terrain sous condition d’obtention d’un permis de construire sur celui-ci – Constatation d’une urgence – Suspension du refus de permis de construire – Erreur de droit – Annulation.

Le maire de la commune requérante a opposé à une société de promotion immobilière un sursis à statuer sur sa demande de permis de construire. Sur saisine de cette société le juge des référés a suspendu l’arrêté opposant le sursis et ordonné le réexamen sous un mois de la demande de permis.

Réexaminant cette demande le maire l’a rejetée le 29 juin 2021 et le juge des référés a, par ordonnance du 27 août 2021, suspendu ce refus et ordonné, à nouveau, le réexamen, sous un mois, de la demande de permis en tenant compte des motifs de son ordonnance. Celle-ci reposait sur la circonstance que le promoteur avait conclu avec le propriétaire du terrain d'assiette une promesse de vente, consentie jusqu'au 20 octobre 2021, sous la condition suspensive de la délivrance dans le délai d'instruction d'un permis de construire valant permis de démolir pour la réalisation de l'opération projetée. Le juge en a donc déduit qu'en raison du refus opposé à sa demande, la société pétitionnaire risquait de devoir renoncer à l'acquisition du terrain et à son projet immobilier, en vue de la réalisation duquel elle avait engagé des frais, et qu'elle serait ainsi exposée à d'importantes pertes financières.

Saisi par la commune, le Conseil d’État casse cette ordonnance à raison de son erreur de droit. Il est constant, en effet, que le défaut de réalisation d’une promesse de vente sous condition suspensive stipulée dans l'intérêt exclusif de l'acquéreur ne rend pas caduque la promesse.

C’est donc par erreur de droit que pour juger qu’il y avait urgence à statuer, l’auteur de l’ordonnance attaquée s’est fondé sur ce que le refus litigieux faisait obstacle à l'acquisition du bien objet de la promesse de vente conclue le 13 mai 2020 et prorogée par un avenant du 23 juin 2021. En réalité, il lui incombait de rechercher si, comme le faisait valoir la commune d'Auribeau-sur-Siagne, la condition suspensive tenant à la délivrance d'un permis de construire n'avait pas été stipulée dans l'intérêt exclusif de la société pétitionnaire. 

(7 avril 2022, Commune d’Auribeau-sur-Siagne, n° 453667 et n° 456647)

 

205 - Décision d’occupation ou d’utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme – Recours contentieux – Règle de la cristallisation des moyens – Irrecevabilité de principe des moyens nouveaux – Exceptions – Annulation.

Dans le souci d’accélérer les procédures en matière d’urbanisme l’art. R. 600-5 du code de l’urbanisme décide – par dérogation au droit commun du procès administratif - que lorsqu’une juridiction a été saisie d’un recours en annulation ou en réformation d’une décision d'occupation ou d'utilisation du sol régie par le code de l’urbanisme, les moyens nouveaux sont irrecevables passé le délai de deux mois à compter de la communication du premier mémoire en défense.

En l’espèce, des particuliers avaient demandé l’annulation d’un permis de construire délivré en vue de la surélévation d’un immeuble et leur recours avait été rejeté par le tribunal administratif sur le fondement de son irrecevabilité tirée des dispositions de l’art. R. 600-5 c. urb.

Le juge de cassation, dans une importante décision, annule ce jugement aux termes de ce que l’on pourrait appeler la doctrine du Conseil d’État sur l’utilisation de l’art. R. 600-5 précité.

Après avoir rappelé le sens et la portée de ce texte, le juge de cassation énonce deux inflexions majeures à la rigueur de la règle de cristallisation des moyens.

En premier lieu, le président de la formation de jugement ou d’instruction peut fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens « s’il estime que les circonstances de l’affaire le justifient ». La formule est souple est large : ces moyens peuvent être de droit mais aussi, ce sera le cas le plus fréquent, de fait ; par ailleurs nous ignorons l’étendue du contrôle qui sera exercé sur ce pouvoir de « décristallisation » ou, plutôt, de « recristallisation », mais on peut penser qu’il sera réduit à celui de l’erreur manifeste d’appréciation, ce qui signerait sa nature discrétionnaire.

En second lieu, s’il est normalement facultatif l’exercice de ce pouvoir de « recristallisation » peut être rendu obligatoire pour la juridiction ; c’est le cas, selon une formulation bien connue,  lorsque le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire. Il est donc fait application ici de l’exception initialement instituée à raison du contenu de certaines notes en délibéré.

La solution doit être approuvée mais soulève une interrogation critique : pourquoi s’évertuer à faire prendre par le pouvoir réglementaire des textes de procédure « durs » comme le fait souvent le Conseil d’État, si c’est ensuite pour les « assouplir » au nom d’un certain réalisme contentieux ?

(8 avril 2022, M. et Mme M., n° 442700)

 

206 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Règlement évoquant « la plate-forme » d’une voie – Notion en l’absence de définition – Rejet.

Dans un litige en matière de permis de démolir en vue de la construction d’un immeuble collectif comportant 23 logements, était notamment en cause la disposition suivante du dernier alinéa de l’art. 3 du règlement d’un PLU : « (…) Aucune voie automobile ne doit avoir une plate-forme d'une largeur inférieure à 7 mètres ». Faute que les auteurs du plan aient défini cette notion de plate-forme d’une voie, le Conseil d’État s’essaie à une telle définition en jugeant que « la plate-forme d'une voie comprend, en l'absence de précisions contraires, la chaussée, sur laquelle circulent les véhicules, les accotements qui bordent la chaussée et qui peuvent, le cas échéant, accueillir des trottoirs, ainsi que d'éventuels terre-pleins. » Le choix d’une définition large n’est, bien évidemment, pas sans conséquence sur la portée et les effets de la disposition en cause. Cependant, ce décidant, le juge est parfaitement dans son office.

(8 avril 2022, M. K. et autres, n° 448183)

 

207 - Arrêté d’interruption de travaux en cours pour non-conformité à l’autorisation de construire – Obligation d’organiser une procédure contradictoire sauf urgence – Abstention d’apprécier l’urgence – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Si, en principe, la mesure de police que constitue un arrêté d’interruption de travaux pour non-conformité à l’autorisation de construire doit, à peine de nullité, être précédé d’une procédure contradictoire, c’est sous réserve de l’existence d’une urgence ou de circonstances exceptionnelles.

En l’espèce, où la commune invoquait expressément l’urgence, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en annulant l’arrêté litigieux au seul motif du défaut de contradictoire sans examen de l’existence ou non de l’urgence invoquée par la commune.

(13 avril 2022, Société les Roures, n° 448969)

 

208 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d’aménagement – Applicabilité à tous installations ou aménagements soumis à autorisation par une disposition du code de l’urbanisme – Cas de résidences mobiles de loisir implantées dans un camping – Absence de soumission à autorisation – Infraction pénale – Circonstance indifférente – Insuffisance de motivation – Annulation et renvoi.

L’art. L. 331-6 du code de l’urbanisme soumet au paiement de la taxe d'aménagement les installations ou aménagements de toute nature soumis à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme. En cas de constructions ou d'aménagements sans autorisation ou en infraction aux obligations résultant de l'autorisation de construire ou d'aménager, la date du fait générateur est celle du procès-verbal constatant l'achèvement des constructions ou des aménagements en cause.

Une personne ayant disposé des résidences mobiles de loisir sur un terrain de camping, a été, pour cela, reconnue pénalement responsable par arrêt d’une cour judiciaire d’appel pour installation sans autorisation.

Celle-ci a soutenu devant le tribunal administratif que l’installation de ce type d’habitat n'est soumise par le code de l'urbanisme à aucun régime d'autorisation et qu'en l'absence de procès-verbal constatant l'édification d'une construction sans une telle autorisation, la taxe d'aménagement était privée de fait générateur. Le tribunal a rejeté cette argumentation.

Le Conseil d’État, sur pourvoi dirigé contre ce jugement, l’annule car il incombait seulement au juge de rechercher si cette installation était soumise à un régime d'autorisation en vertu du code de l'urbanisme sans pouvoir se soustraire à cette exigence en invoquant une décision du juge pénal.

Voilà une belle illustration de l’indépendance des qualifications juridiques opérées par chaque ordre de juridiction.

(14 avril 2022, M. A., n° 422801)

 

209 - Fiscalité du droit de l'urbanisme - Taxe d'aménagement - Modification apportée au permis de construire - Droit à décharge - Délai de réclamation à compter du permis modificatif - Annulation.

Une société a obtenu un permis de construire modificatif qui avait pour objet une réduction du nombre d'emplacements de stationnement afférents à un ensemble immobilier.

Elle a donc demandé à l'administration, en vain, une réduction du montant de la taxe d'aménagement à laquelle elle avait été assujettie. Le tribunal administratif a rejeté sa requête comme entachée de forclusion, la saisine du juge ayant eu lieu le 3 février 2017 soit plus de deux ans (cf. art. L. 331-31 c. urb.) après l'émission du premier titre de perception, le 27 octobre 2014.

Le Conseil d'État annule pour erreur de droit cette solution car lorsque la modification apportée au permis de construire entraîne non pas un complément de taxe faisant l'objet d'un titre de perception émis dans le délai de douze mois à compter de la date de délivrance de ce nouveau permis conformément aux dispositions de l'article L. 331-24 du code de l'urbanisme, mais ouvre droit à une décharge, une réduction ou une restitution de taxe en application du 2° de l'article L. 331-30 de ce code, les réclamations sont recevables, s'agissant des seules modifications apportées au projet, jusqu'au 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de la délivrance du permis modificatif. 

En l'espèce, le permis modificatif a été délivré le 10 novembre 2015, le délai de saisine du juge expirait donc le 31 décembre 2017 et c'est donc à tort que le tribunal a opposé la forclusion à une saisine intervenue en février 2017.

(22 avril 2022, Société Le Malaza, n° 439459)

 

210 - Recours contre un permis de construire - Désistement - Désistement d'instance et non d'action - Effet sur l'introduction d'un nouveau recours - Cas de l'intervenant en première instance interjetant appel - Intérêt pour agir - Absence - Annulation et rejet.

(12 avril 2022, M. J., n° 451778)

V. n° 54

 

211 - Droit de préemption urbain - Parcelles grevées de baux à construction et comportant des constructions - Exercice de ce droit au moment de la levée des options - Transmission de la promesse de vente à l'autorité de préemption - Incompatibilité avec la constitution d'une réserve foncière ou la réalisation d'une opération d'aménagement - Annulation des ordonnances attaquées - Suspension en référé ayant pour effet d'empêcher le transfert de propriété, la prise de possession des biens préemptés au bénéfice de la collectivité publique et permettant aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

La commune requérante a décidé d'user de son droit de préemption urbain sur trois parcelles grevées de baux à construction et supportant des constructions, à l'occasion de la levée des options d'achat par les acquéreurs en vue d'une opération d'aménagement d'un « pôle d'excellence du nautisme ».

Les acquéreurs évincés ont obtenu par deux ordonnances de référé la suspension de l'arrêté de préemption en tant qu'il permet le transfert de propriété ou la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique titulaire du droit de préemption. 

La commune se pourvoit en Conseil d'État. Celui-ci annule ces ordonnances pour un pur motif de procédure, à savoir le non-respect du contradictoire après une malencontreuse mesure de réouverture (involontaire ?) de l'instruction.

Passant à l'examen du fond, le juge fait ici application d'une présomption d'urgence liée à toute décision de préemption au regard de ses effets sur l'acquéreur évincé dès lors que l'autorité de préemption n'invoque ou n'établit pas de circonstances particulières permettant d'écarter, au cas de l'espèce, la présomption d'urgence. Ce n'est pas le cas ici.

Concernant la seconde condition tenant à l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée, le Conseil d'État la juge satisfaite ici.

Il relève tout d'abord, ce qui n'allait pas de soi, que la circonstance qu'une parcelle soit grevée d'un bail à construction ne fait pas, par elle-même, obstacle à l'exercice du droit de préemption lorsqu'elle fait l'objet d'une aliénation soumise au droit de préemption car cette situation n'entre pas dans l'énumération limitative que fait l'art. L. 213-1 du code de l'urbanisme des exceptions à l'exercice du droit de préemption.

Il précise ensuite, en raison du mécanisme particulier du bail à construction, les conséquences s'attachant inéluctablement à une préemption exercée à l'occasion de la levée, par le preneur, de l'option stipulée au contrat d'un bail à construction. Or cette levée d'option a pour effet de lui permettre d'accepter la promesse de vente consentie par le bailleur sur les parcelles données à bail et de transmettre à l'autorité qui préempte ces parcelles la qualité de bailleur. De cette seconde conséquence, il s'ensuit que la commune qui préempte succède à l'acquéreur évincé dans les obligations attachées à cette qualité, au premier rang desquelles figure l'obligation d'exécuter la promesse de vente. 

C'est pourquoi existe bien ici un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision de préemption puisqu'en emportant obligation pour la commune de céder aux acquéreurs les parcelles visées par la déclaration d'intention d'aliéner cette préemption ne permet plus de satisfaire au motif de son intervention, à savoir la réalisation d'une opération d'aménagement.

Enfin, relevant que le juge du référé suspension, en ordonnant la suspension de la décision de préemption peut limiter les effets de sa décision soit au transfert de propriété soit à la prise de possession du bien préempté au bénéfice de la collectivité publique, le Conseil d'État décide qu'il n'y a pas lieu au cas de l'espèce, de limiter les effets de la suspension et qu'il convient donc de permettre aux propriétaires et aux acquéreurs évincés de mener la vente à son terme.

(19 avril 2022, Commune de Mandelieu-la-Napoule, n° 442150)

 

212 - Permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement - Application de l'art. L. 121-8 c. urb. - Distinction entre secteur déjà urbanisé et espace d'urbanisation diffuse - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'office requérant demandait l'annulation du jugement d'un tribunal administratif ayant annulé l'arrêté municipal qui lui avait accordé un permis d'aménager en vue de la création d'un lotissement comportant onze lots. 

Les premiers juges s'étaient fondés, pour prononcer cette annulation, sur les dispositions de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme dans la version que lui a donnée la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Ils ont considéré que le terrain d'assiette du projet étant inscrit dans un « compartiment » ne présentant pas une densité significative de constructions, il n'était pas situé dans un secteur déjà urbanisé au sens des dispositions du deuxième alinéa de l'article précité.

En jugeant ainsi ils ont commis une erreur de droit car ils n'ont pas fait application des critères retenus par ce texte pour distinguer les secteurs déjà urbanisés des espaces d'urbanisation diffuse.

(22 avril 2022, Office public de l'habitat des Pyrénées-Atlantiques, n° 450229)

 

213 - Plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSVM) - Conséquences du PSVM sur les travaux possibles sur les immeubles qui y sont situés - Installation d'un ascenseur - Evolution du texte du III de l'art. L. 313-1 c. urb. - Art. 3 du PSVM contraire à la loi - Annulation.

Leur immeuble étant situé dans le périmètre du PSMV de la commune de Versailles, les requérants, propriétaires d'un appartement en copropriété, se sont vu refuser, à la suite de la déclaration préalable de travaux, l'autorisation d'y installer un ascenseur en application de l'art. 3 du règlement de ce PSVM qui dispose en particulier : « La conservation de ces immeubles est impérative : par suite, tous travaux effectués sur un immeuble ne peuvent avoir pour but que la restitution de l'immeuble dans son état primitif ou dans un état antérieur connu compatible avec son état primitif ».

Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt d'appel infirmatif du jugement qui avait enjoint à la commune de Versailles de leur délivrer un certificat de non-opposition à cette déclaration préalable.

Le Conseil d'État annule l'arrêt contesté en relevant que si le III de l'art. L. 313-1 c. urb. disposait jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, que « (...) Le plan de sauvegarde et de mise en valeur peut (...) comporter l'indication des immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles : (...) dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales (...) », il résulte de ses travaux  préparatoires que si les PSVM peuvent identifier les immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales, cette dernière loi ne permet plus désormais d'en interdire toute modification de façon générale et absolue.

Il suit de là qu'en maintenant une telle interdiction générale et absolue les dispositions de l'art. 3 précitées du PSVM de la commune de Versailles sont contraires à la loi et que c'est par suite d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel a rendu l'arrêt frappé de pourvoi.

(26 avril 2022, M. et Mme B., n° 448894)

 

214 - Zone de tension entre offre et demande de logements - Logements vacants - Contentieux de la taxe annuelle sur les logements - Compétence juridictionnelle - Recours contre les retraits ou les refus de retraits d'autorisations de construire, de démolir ou d'aménager - Cas des recours contre les certificats de conformité - Compétences respectives de la cour administrative d'appel et du Conseil d'État.

Dans le souci d'accélérer le règlement du contentieux des permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou des permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une commune dans laquelle a été constatée une tension entre offre et demande de logements ayant conduit à l'institution d'une taxe annuelle sur les logements vacants, le code de justice administrative attribue au tribunal administratif le jugement en premier et dernier ressort de ces litiges.

Le Conseil d'État apporte à cet égard deux précisions.

Tout d'abord, la compétence du tribunal administratif s'étend aux recours dirigés contre les retraits ou les refus de retrait des autorisations accordées (réitération sur ce point de : Section, 5 mai 2017, M. Fiorentino, n° 391925).

Ensuite, cette compétence dérogatoire du tribunal administratif ne s'étend pas aux recours dirigés contre les certificats de conformité des travaux à l'autorisation délivrée ou les refus de retraits de ces certificats. En ce cas, qui est celui de l'espèce, l'appel est porté devant la cour administrative d'appel.

(26 avril 2022, SNC Immobilière Aire Saint-Michel, n° 452695)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Mars 2022

Mars 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Consultation préalable obligatoire d’un organisme – Choix d’une consultation directe du public – Décision subséquente de consulter l’organisme prévu – Irrégularités affectant la consultation ouverte – Absence d’effet sur la décision de l’administration – Rejet.

Lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA).

Toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)).

En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

V. n° 74 pour les autres aspects de cette décision

 

2 - « Tweets » du premier ministre et du ministre de l’intérieur – Messages ne révélant pas une décision – Simples rappels d’une obligation déjà existante – Rejet.

Le recours dirigé contre des « tweets » contenant prétendument l’obligation de recourir à un certain modèle d’attestation au titre du justificatif de déplacement hors du domicile par temps de Covid-19 est rejeté car ces messages se bornent à rappeler une obligation préexistante non à l’instituer.

(4 mars 2022, M. C., n° 445905)

(3) V. aussi la solution identique retenue s’agissant d’un recours contre le point 2 d’un communiqué du premier ministre du 20 mars 2021 : 4 mars 2022, M. C., n° 451312.

 

4 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Un communiqué de presse, du 20 juillet 2020, de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargée de l'industrie, a annoncé la mise en œuvre d’un dispositif dit « Pack rebond », destiné à favoriser l'implantation de sites industriels sur l'ensemble du territoire national, ajoutant ainsi 66 nouveaux sites aux 12 déjà retenus en janvier 2020.

Ces sites « clés en main » ont vocation à faciliter – par la purge préalable ou l’anticipation des autorisations administratives nécessaires – et à accélérer la réalisation des investissements industriels sur le territoire national grâce au raccourcissement des délais de réalisation des projets pour les investisseurs.

L'association requérante a demandé l'annulation du communiqué de presse et du dossier de presse annexé, en tant qu'ils se rattachent aux sites « clés en main »
Sa requête est jugée irrecevable car dirigée contre des documents qui ne constituent pas par eux-mêmes des décisions. En particulier, les travaux préparatoires qu’ils annoncent n'ont pas pour objet de déroger aux dispositions législatives et réglementaires gouvernant les autorisations régies par le code de l’environnement, ils ne comportent pas davantage de décision nouvelle ni de donnent instruction aux services concernés.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

 

5 - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires –Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de la décision du 25 mai 2020 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'abroger le dernier alinéa de l'article 6.1 du modèle de convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente au titre de l'article L. 201-13 du code rural et de la pêche maritime, figurant en annexe 2 à l'instruction technique n° DGAL/SDSPA/2019-642 du 30 octobre 2019.

Elles invoquaient divers moyens d’annulation dont aucun n’est examiné puisque le Conseil d’État relève d’office (ce qui est révélé par l’incise figurant au début du point 11 « sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les moyens de la requête ») le moyen tiré de l’incompétence du ministre de l’agriculture pour édicter par une instruction technique l’art. 6.1 querellé.

En effet, selon ce texte, « Sous réserve de l'application d'une procédure écrite spécifique garantissant l'égalité de traitement entre adhérents et non adhérents, le délégataire est autorisé à ne pas transmettre les certificats et attestations sanitaires à tout détenteur d'animaux dont le compte fait apparaître une dette, contractée au titre de l'exécution de la présente délégation, de plus de 6 mois et ayant fait l'objet d'au moins deux rappels. Il en informe le délégant. ».

Cette disposition permet donc à l'organisme délégataire compétent pour établir et expédier les attestations sanitaires à délivrance anticipée, alors que les conditions auxquelles la réglementation en vigueur subordonne la délivrance des attestations sollicitées sont remplies au regard de la qualification sanitaire des troupeaux d'appartenance ou de provenance des bovins, de refuser la délivrance de ces attestations au seul motif que le demandeur n'a pas réglé les redevances dues au titre d'attestations délivrées antérieurement.

Or aucun texte ou principe existant à la date de l’instruction technique ni non plus à la date de la présente décision ne confère au susdit ministre une telle compétence.

L’annulation est prononcée avec injonction d’abroger sous un mois le dernier alinéa de l’art. 6.1 litigieux.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

 

6 - Demande de communication de documents administratifs – Nombre considérable des documents visés – Effort disproportionné exigé de l’administration – Obligation en ce cas pour l’administré d’apporter la justification de sa demande – Rejet.

Il arrive que les administrés saisissent l’administration d’une demande de communication portant sur un nombre élevé de pièces et d’annexes exigeant d’elle un travail long et considérable, d’ampleur disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose.

En ce cas, et alors qu’un administré n’a pas, en principe, à justifier de son intérêt à cette communication, il lui incombe de faire connaître l’intérêt qui s’attache pour lui à ladite communication. Le juge fait ensuite la balance entre l’effort très important à fournir et l’intérêt du demandeur à ladite communication. Ce second aspect est, sans être nouveau, une accentuation et une précision d’une tendance jurisprudentielle née à partir des actions contentieuses célèbres d’un requérant quérulent (21 juillet 1989, Association SOS Défense et Sieur Bertin, n° 34954) et récemment ravivée (27 mars 2020, Association contre l’extension et les nuisances de l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry (ACENAS), n° 426623 ; voir cette Chronique mars 2020 n° 5).

(17 mars 2022, M. M., n° 449620)

 

7 - Demande de communication de documents administratifs – Communication ordonnée par le juge – Obligation d’y déférer sauf impossibilité matérielle – Destruction de ces documents – Obligation de reconstitution – Rejet.

Dans un litige opposant la société requérante à l’association Nos Amis Les Animaux, (NALA), le juge avait, en 2018, annulé le refus de communiquer à cette dernière une copie des registres d'entrée et de sortie des animaux ainsi que les registres de leur suivi sanitaire et de santé et fait injonction de procéder à cette communication dans les quatre mois.

En juillet 2020, saisi d’une demande d’exécution du jugement précédent, le tribunal a ordonné son exécution dans les deux mois sous astreinte quotidienne sauf à justifier de leur destruction ou de leur versement en archives.

La société a formé un pourvoi contre ce dernier jugement au motif que les documents en cause avaient été détruits en janvier 2019 et produisait à l’appui de cette affirmation une attestation de son gérant.

Dans une décision dont la rigueur doit être complètement approuvée, le Conseil d’État juge que les personnes et entités tenues à la communication, d’autant quand celle-ci est ordonnée par le juge, ont l’obligation de faire toutes diligences pour y satisfaire, cela alors même que la réglementation ne leur imposerait plus, à cette date, de les conserver. Si - comme c’était le cas de l’espèce - elles ont procédé à une destruction après la notification du jugement, elles sont tenues d'accomplir toutes les diligences nécessaires pour les reconstituer, sous réserve d'une charge de travail manifestement disproportionnée, sans préjudice de l'engagement de leur responsabilité.

Ici, le Conseil d’État approuve les premiers juges d’avoir estimé, sans erreur de droit, que la requérante ne justifiait ni de l'exécution du jugement ni de la destruction des documents demandés.

La solution est tout à fait justifiée : il serait trop facile aux organismes concernés de se défaire de l’obligation de communication en invoquant la prétendue destruction des pièces demandées.

(17 mars 2022, Société Solution Antoine Beaufour, n° 452034)

 

8 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation - Annulation du refus et injonction d’abroger l’arrêté attaqué.

L’étude d’huissiers requérante demandait l’annulation du refus d’abroger l’arrêté du garde des sceaux portant approbation d’une modification du règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice en matière de calcul des indemnités kilométriques dues aux huissiers du chef de leurs déplacements à fin d’instrumenter. Elle considérait cet arrêté comme étant illégal du fait qu’il porte approbation d’une décision modificative du règlement intérieur elle-même contraire aux dispositions de l’art. 75-3 du décret du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers.

Accueillant le moyen, le Conseil d’État relève qu’aucune disposition n’attribue compétence aux auteurs du règlement intérieur pour déroger aux mesures prises par le ministre sur le fondement de l'article 75-3 du décret du 29 février 1956. La délibération litigieuse est donc illégale et cela alors même que le ministre aurait eu compétence pour modifier sur le fondement de cet article 75-3 les dispositions de l'arrêté antérieur du 4 août 2004. L’arrêté d’approbation est, par de voie de conséquence, lui-même illégal.

Le refus de l’abroger est annulé assorti d’une injonction au ministre de procéder sous deux mois à son abrogation.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

9 - Éducation nationale – Affectation des collégiens dans les lycées - Arrêté autorisant la création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel (Affelnet Lycée) – Arrêté ne définissant pas les règles d’affectation des collégiens dans les lycées – Griefs inopérants – Rejet.

Les parents d’une collégienne demandent l’annulation, à tout le moins la modification de l'arrêté ministériel (éducation nationale) du 17 juillet 2017 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Affelnet Lycée ».

Ils soulèvent divers griefs d’irrégularité ou d’illégalité à l’encontre de cette décision.

Toutefois, les requérants se méprennent sur la nature et la portée de ce texte qui n’a pas pour objet d’organiser lui-même ce traitement automatisé au moyen d’algorithmes mais seulement d’en autoriser la création.

C’est pourquoi les griefs développés à son encontre sont inopérants car ils visent une décision critérisant et organisant le régime et les règles d’affectation des collégiens dans des lycées alors que tel n’est pas l’objet de l’arrêté litigieux.

Le recours est rejeté.

(4 mars 2022, M. et Mme D., n° 451932)

 

10 - Covid-19 – Aide exceptionnelle en faveur de services de radio aux recettes publicitaires affectées par l’épidémie – Différence de traitement avec le sort réservé à certains éditeurs de service de radio associatifs – Différence en rapport direct avec l’objet de l’aide – Rejet.

Le décret du 10 avril 2021 a créé un dispositif de soutien à la diffusion hertzienne terrestre de services de télévision à vocation locale et de radio ayant été affectés par la propagation de l'épidémie de Covid-19.

Il exclut du champ d’application du bénéfice de l’aide les éditeurs associatifs accomplissant une mission de communication sociale de proximité, entendue comme le fait de favoriser les échanges entre les groupes sociaux et culturels, l'expression des différents courants socioculturels, le soutien au développement local, la protection de l'environnement ou la lutte contre l'exclusion qui ont bénéficié, au titre de l'exercice comptable 2019, de la subvention d'exploitation prévue à l'article 5 du décret du 25 août 2006 pris pour l'application de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret précité en tant qu’il n’ouvre pas droit, pour certaines catégories d’éditeurs de service de radio, au bénéfice de l’aide qu’il institue.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe tiré de la prétendue non-communication à la Commission européenne du décret attaqué car il manque en fait, le juge rejette également le moyen de légalité interne reposant sur la violation du principe d’égalité en raison de la différence de traitement opérée selon les services de radio concernés.

Pour cela, il relève la différence objective de situation entre, d’une part, les services de radio dont les recettes, notamment publicitaires, ont été particulièrement affectées par la crise économique liée à l'épidémie de Covid-19, pour lesquels le décret litigieux a prévu la prise en charge ponctuelle d'une partie de leurs coûts de diffusion et, d’autre part, les éditeurs des services de radio associatifs susmentionnés, ceux-ci tirant la majorité de leurs ressources de subventions publiques et la perte de leurs ressources publicitaires liée à l'épidémie de Covid-19 n'étant susceptible d'affecter directement qu'une part plafonnée à 20 % de leur chiffre d'affaires total, contre 80 % à 100 % du chiffre d'affaires des éditeurs de services éligibles au dispositif. En outre, ces éditeurs non éligibles à l’aide pouvaient bénéficier de dispositifs de soutien qui leur étaient propres, notamment par l'adaptation du mode de calcul et du calendrier de versement des aides du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER).

La différence de traitement critiquée est ainsi en rapport direct avec l’objet de l’aide exceptionnelle créée par le décret attaqué.

(9 mars 2022, Syndicat national des radios libres et Confédération nationale des radios associatives, n° 452767)

 

Biens – Culture – Patrimoine

 

11 - Monuments historiques – Demande de radiation d’une inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques – Refus – Procédure régulière – Erreur de droit – Annulation.

Les requérantes avaient demandé au préfet de région la radiation de l'inscription de la « Butte des Zouaves », lieu de mémoire, à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques. Cela leur ayant été refusé, elles avaient obtenu en première instance et en appel l’annulation du rejet préfectoral, la cour administrative d’appel relevant en particulier que la décision de refus de radier devait être précédée d’une consultation de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture réunie en formation plénière, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans ce raisonnement, d’où l’annulation de l’arrêt, car seule la décision d'inscrire ou de radier un immeuble au titre des monuments historiques suppose nécessairement l'intervention de la commission régionale du patrimoine et de l'architecture. En revanche, la décision refusant de faire droit à une demande de radiation n’a pas à faire l’objet d’une telle consultation qui n’est d’ailleurs exigée par aucun texte et notamment pas par l'article R. 621-59 du code du patrimoine, lequel se borne à prévoir la consultation de cette commission en cas de décision de radiation. 

(7 mars 2022, Ministre de la culture, n° 449328)

 

12 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

Un litige s’étant élevé sur la détermination du redevable de la taxe sur les propriétés foncières bâties entre, d’une part, une métropole propriétaire du terrain d’assiette et une société privée titulaire d’un bail emphytéotique sur ledit terrain, le Conseil d’État, qui statue ici pour la seconde fois en cassation, signe d’une certaine difficulté, est conduit à une analyse de la situation de droit complexe née de cette situation.

Deux précisions importantes apportées par cette décision doivent être retenues.

En premier lieu, la solution est sur ce point bien connue et constante : « Dans le cadre d'une délégation de service public ou d'une concession de travaux mettant à la charge du cocontractant les investissements correspondant à la création ou à l'acquisition des biens nécessaires au fonctionnement du service public, l'ensemble de ces biens, meubles ou immeubles, appartient, dans le silence de la convention, à la personne publique dès leur réalisation ou leur acquisition. Lorsque des ouvrages nécessaires au fonctionnement du service public, et ainsi constitutifs d'aménagements indispensables à l'exécution des missions de ce service, sont établis sur la propriété d'une personne publique, ils relèvent de ce fait du régime de la domanialité publique. La faculté offerte aux parties au contrat d'en disposer autrement ne peut s'exercer, en ce qui concerne les droits réels dont peut bénéficier le cocontractant sur le domaine public d'une collectivité territoriale, que selon les modalités et dans les limites définies aux articles L. 1311-2 à L. 1311-8 du code général des collectivités territoriales, entrés en vigueur le 1er juillet 2006, et à condition que la nature et l'usage des droits consentis ne soient pas susceptibles d'affecter la continuité du service public. »

Or, en l’espèce, le tribunal administratif, appliquant les règles de droit civil régissant les contrats de bail, s'est fondé sur ce que le contrat en cause n'attribuait pas au bailleur, avant la fin du contrat, la propriété des constructions et aménagements réalisés par le preneur pour décider que la société SMA Environnement était propriétaire des constructions réalisées en cours d'exécution du bail emphytéotique administratif et donc redevable de la taxe litigieuse sur les constructions édifiées. En réalité, ce jugement reposait sur une erreur de droit car il s'agissait de biens établis sur le domaine public dont il n'était pas contesté qu'ils étaient nécessaires au fonctionnement du service public et par suite propriété, non de la société preneuse mais de la personne publique délégante.

En second lieu, il résulte des articles 1402 et 1403 du CGI que les mutations cadastrales consécutives aux mutations de propriété sont faites à la diligence des propriétaires intéressés. Seule leur publication au fichier immobilier fait produire ses effets à la mutation. Il suit de là que tant que la mutation cadastrale n'a pas été faite, l'ancien propriétaire continue à être imposé au rôle, et lui ou ses héritiers naturels peuvent être contraints au paiement de la taxe foncière, sauf leur recours contre le nouveau propriétaire.

Ainsi donc, pour qu’une mutation de propriété soit opposable à l’administration fiscale, s’agissant de déterminer le redevable légal de la taxe foncière, il faut qu’elle ait été publiée au fichier immobilier. 

Or le bail emphytéotique administratif objet du litige n'ayant pas été publié au fichier immobilier il s’ensuit que la qualité d'emphytéote de la société SMA Environnement ne permet pas de la regarder comme la redevable légale de la taxe foncière.

C’est donc à tort que cette dernière a été assujettie à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison des constructions qu'elle a réalisées sur le terrain faisant l'objet du bail emphytéotique administratif.  

En revanche, la communauté d'agglomération Agglopole Provence, aux droits de laquelle est venue la métropole d'Aix-Marseille-Provence, étant propriétaire, au 1er janvier des années d'imposition en litige, des constructions réalisées par la société SMA Environnement, elle doit être désignée redevable légale des impositions en litige.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(13) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

 

14 - Bail commercial sur le domaine privé communal – Exploitation d’un camping – Rétablissement postérieur de la domanialité publique sur ce bien – Demande d’expulsion de l’occupant – Rejet du référé pour contestation sérieuse (art. L. 521-3 CJA) – Annulation.

La société requérante exploite un camping sur un terrain communal autrefois dépendance du domaine public mais déclassé le 8 février 2019 et devenu domaine privé antérieurement à la conclusion du bail avec cette société, le 1er septembre 2019.

Le conseil municipal a délibéré le 22 septembre 2020 l’abrogation de sa précédente délibération du 8 février 2019 portant déclassement d’une parcelle du domaine public et, par suite, a, par décision du 17 décembre 2020, constaté l’extinction du bail commercial à effet du 1er janvier 2021.

Devant le refus du preneur de quitter les lieux la commune a saisi le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA.

Celui-ci a constaté l’existence d’une contestation sérieuse résultant de ce que la société, d’une part, avait demandé au tribunal administratif l'annulation de la délibération du 22 septembre 2020, d'autre part, soutenait que le bail commercial avait été conclu à une date où le camping municipal était situé sur le domaine privé, la délibération litigieuse du 22 septembre 2020 n'ayant pu modifier cette situation juridique. Il a, en conséquence, rejeté la demande en référé présentée par la commune.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi contre l’ordonnance de référé, annule celle-ci au motif qu’« En statuant ainsi, sans se prononcer sur le bien-fondé de l'argumentation soulevée devant elle, laquelle n'était au surplus pas dirigée contre la décision par laquelle la commune avait mis fin au titre d'occupation dont était titulaire la société, le juge des référés (…) a commis une erreur de droit. »

(11 mars 2022, Société Domaine du Pierrageais, n° 452006)

 

15 - Dépendance du domaine public – Installation d’un fonds de commerce (restaurant) interdite sur cette dépendance – Illégalité dans le cas de l’espèce – Indivisibilité de la clause illégale avec le reste de la convention d’occupation du domaine public – Refus d’annuler – Rejet.

Une convention d’occupation précaire d’une dépendance du domaine public autorise les requérants à y installer un commerce de restaurant. La convention interdit la création d’aucun fonds de commerce sur cette dépendance.

Les requérants saisissent le juge administratif aux fins de voir annuler soit la convention soit la clause litigieuse. En effet, il résulte de l’art. L. 2124-32-1 du CGCT issu des dispositions de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises et applicables à la convention en litige conclue après l'entrée en vigueur de cette loi qu’est reconnu aux occupants d'une dépendance du domaine public, lorsque celle-ci ne se trouve pas sur le domaine public naturel, le droit d'exploiter un fonds de commerce sur cette dépendance pendant la durée du titre d'occupation à la condition qu'ils disposent d'une clientèle propre distincte des usagers du domaine public. 

Ils se pourvoient contre l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a jugé que si la clause litigieuse était bien illégale, elle formait cependant un ensemble indivisible avec les autres stipulations de la convention d’occupation ; or  la méconnaissance par cette clause des dispositions de l'article L. 2124-32-1 du CGCT ne pouvait pas constituer, à elle seule, un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation de la convention en son entier ou de cette seule clause indivisible du reste de la convention.

La solution est approuvée par le juge de cassation qui n’y aperçoit aucune erreur de droit.

(11 mars 2022, M. L. et M. B., n° 453440)

 

16 - Domaine privé communal – Présence d’une statue de la Vierge Marie – Refus de l’enlever ayant le caractère d’une décision administrative – Compétence du juge administratif – Érection de la statue postérieure à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 1905 – Statue n’entrant pas dans l’une des exceptions prévues par la loi (art. 28) – Obligation d’enlèvement – Rejet.

La commune requérante demandait la cassation de l’arrêt d’appel annulant le refus du maire de déplacer une statue de la Vierge Marie située au sommet du Mont Chatel (Ain) sur une parcelle dépendant du domaine privé de la commune car établie en violation des dispositions de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État.

Son recours est rejeté.

Le juge règle en premier lieu deux points de procédure.

Tout d’abord, la commune a commis une erreur procédurale en ne reprenant pas explicitement en appel la fin de non-recevoir qu’elle avait soulevée en première instance mais qui n’avait pas été examinée par le tribunal administratif celui-ci ayant opposé l’exception de connaissance acquise à la demande des requérants dirigée contre le refus opposé par la commune. Elle ne peut donc reprocher à la cour de n’avoir pas examiné un moyen qu’elle n’avait pas repris devant elle.

Ensuite, la commune ne peut pas soutenir la compétence de la juridiction judiciaire pour connaître de ce litige en se fondant sur la domanialité privée de la parcelle d’implantation de la statue car les requérants contestaient une décision administrative laquelle ressortit à la compétence du juge administratif.

Cette solution peut se discuter dès lors que l’arrêt n’indique pas si cette décision est détachable ou non de la gestion de cette dépendance du domaine privé, ce n’est que dans le premier cas que serait justifiée la compétence du juge administratif.

Sur le fond, le juge confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé, positivement, que l’art. 28 de la loi de 1905 interdit d’élever des monuments religieux sur les emplacements publics, et, négativement, que cette statue n’entre dans aucune des exceptions prévues par ce même article 28.

Même si depuis plusieurs siècles c’est là un lieu de pèlerinage constant et traditionnel, la statue ne constitue pas en soi un édifice servant au culte, ce qui aurait complètement changé la donne.

Également, il est rappelé que l’interdiction édictée par la loi de 1905 s’applique indifféremment au domaine privé et au domaine public des personnes publiques.

Enfin, le Conseil d’État rejette l’argument de la commune selon lequel elle n’est pas l’auteur ni le financeur de la statue – ce sont des particuliers - qui ne lui appartiendrait pas et donc ne saurait être destinataire de l’injonction de déplacement ; en effet, la statue étant située sur un sol qui lui appartient la commune en est propriétaire par application des dispositions des art. 552 et 555 du code civil,

Il ne reste plus à la commune, si elle tient à conserver la statue in situ, qu’à vendre aux particuliers intéressés la portion de parcelle nécessaire à son maintien ou encore à conclure un bail emphytéotique comportant construction d’un édifice du culte que surmonterait ensuite ladite statue peut-être encore plus haut que précédemment : « Quo non ascendam ? ».

Devise du surintendant Fouquet qui serait ici parfaitement en situation.

(11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d'Alvey, n° 4540706 et n° 456932)

 

17 - Biens culturels ne constituant pas des « trésors nationaux » - Exportation définitive ou temporaire – Relèvement des seuils de recours obligatoire à un certificat administratif attestant de l’absence de caractère de « trésor national » - Absence de non-respect du droit de l’Union – Mesure d’intérêt général – Rejet.

La requérante contestait la juridicité de l’art. 5 du décret du 28 décembre 2020 relatif au régime de circulation des biens culturels en ce qu’il modifie l’annexe 1 du code du patrimoine en rehaussant les seuils applicables à certaines catégories de biens.

Si les biens entrant dans la catégorie des « trésors nationaux » sont exclus d’exportation sauf renonciation par l’État à leur acquisition (V. Ph. TOSI, La notion française de trésor national, thèse Aix-Marseille, 2016), il n’en va pas de même des autres biens culturels.

Toutefois, au-delà d’un certain seuil de leur valeur déclarée la réglementation exige que cette exportation soit précédée d’un certificat administratif attestant que le bien n’est pas un trésor national.

L’objet du décret attaqué était de relever le seuil à partir duquel est exigé ce certificat.

La requérante fait d’abord valoir que ce relèvement ne serait pas conforme au règlement (CE) n° 116/2009 du Conseil du 18 décembre 2008 concernant l'exportation de biens culturels qui définit les seuils d'ancienneté et de valeur à partir desquels un bien culturel doit faire l'objet d'une licence d'exportation préalablement à sa sortie du territoire de l'Union européenne.

Le Conseil rejette cet argument, d’une part car aucune disposition de ce règlement ne fait obligation aux États-membres de fixer des seuils identiques à ceux du règlement pour la délivrance du certificat en cause, et d’autre part car l’art. 5 du décret attaqué est sans incidence sur les conditions dans lesquelles un bien illégalement exporté peut faire l'objet d'un retour, qui sont fixées par les articles L. 112-1 et suivants du code du patrimoine ainsi que par les dispositions réglementaires prises pour leur application, lesquels transposent la directive 2014/60/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à la restitution de biens culturels ayant quitté illicitement le territoire d'un État membre. Il suit de là que la SPPEF ne peut utilement invoquer la méconnaissance ni des termes ni des objectifs de cette directive.

La requérante invoque aussi le risque de sous-estimation des œuvres, le relèvement des seuils facilitant la fraude à l’exportation. Le moyen est rejeté d’abord car les trésors nationaux ont une valeur très supérieure à ces seuils et il n’y a donc pas de risque de voir exporter de véritables trésors nationaux, ensuite car il reste la sanction pénale de telles fraudes qui est assortie d’une procédure de retour des œuvres.

Le détournement de pouvoir allégué n’est pas, lui non plus, retenu.

(17 mars 2022, Association Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France-Sites et Monuments (SPPEF), n° 454057)

 

18 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

V. n° 22

 

19 - Domaine public – Personne privée titulaire d’une servitude de droit privé sur ce domaine – Servitude consistant en un droit d’implanter des ouvrages – Installation d’un réseau de chauffage urbain – Assimilation d’une telle servitude à une autorisation d’occupation du domaine public – Obligation pour son titulaire de déplacer à ses frais les installations existant sur la partie de terrain grevé de la servitude – Légalité des titres exécutoires émis pour valoir remboursement des frais engagés par le propriétaire du domaine pour le déplacement des installations – Erreur de droit de l’arrêt contraire – Annulation.

Cette décision est importante en ce que, pour la première fois, elle assimile complètement le titulaire d'une servitude de droit privé maintenue après son incorporation dans le domaine public, au titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages. Le Conseil d’État enfonce encore d’ailleurs un peu plus le clou en relevant que la circonstance que le titulaire de la servitude n’est pas soumis au paiement d’une redevance au titre de ces ouvrages est sans incidence sur son assimilation à un titulaire d’autorisation d’occupation domaniale.

En l’espèce, une société disposait d’une servitude sur la voirie publique expressément maintenue après incorporation de cette voirie dans le domaine public. A ce titre, elle y a placé les installations d’un réseau de chauffage urbain.

La collectivité publique a, par la suite, décidé d’implanter sur cette voie une ligne de tramway en site propre ce qui nécessitait le déplacement, sous forme d’un dévoiement, des ouvrages de chauffage. Ayant effectué elle-même les travaux de déplacement du réseau, la collectivité a émis un titre exécutoire à l’encontre de la société titulaire de la servitude pour mise à sa charge des frais qu’elle avait acquittés.

Elle se fondait pour cela sur une assimilation du titulaire d’une servitude de droit privé sur le domaine public au titulaire d’une autorisation d’occupation dudit domaine.

L’enjeu juridique et financier (le coût du déplacement du réseau de chauffage excède sept millions d’euros) était très important.

Classiquement, en effet, le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation du domaine public, doit supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine. Nul doute que la seconde condition était satisfaite en l’espèce car la création d’une ligne de tramway sur une voie publique constitue bien une réalisation conforme à la destination de cette dépendance domaniale. Le respect de la première condition est, lui, plus discutable : en quoi la réalisation de la ligne de tramway est-elle bien entreprise dans l’intérêt du domaine occupé ? Existe-t-il ici un intérêt objectivement et a priori attaché à la voie conduisant comme par une conséquence nécessaire et liée à la création d’une ligne de tramway ? Cela peut, au moins, se discuter.

Mais qu’en est-il d’une servitude de droit privé quant à la charge du coût de déplacement d’installations s’y trouvant ?

Saisi par la société d’un recours contre la légalité du titre exécutoire, le tribunal administratif a annulé le titre exécutoire. La cour administrative d’appel a rejeté l’appel contre ce jugement dont l’avait saisie le département défendeur, relevant en particulier que la société titulaire de la servitude, à la différence d’un occupant domanial, n’acquittait aucune redevance au titre de la servitude.

Cassant cet arrêt le Conseil d’État décide que : « Le titulaire d'une servitude de droit privé permettant l'implantation d'ouvrages sur le terrain d'une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n'acquitterait pas de redevance à ce titre. » D’où cette conséquence, selon cette étrange doctrine, qu’il doit supporter les frais de déplacement des installations lorsque celui-ci répond aux deux conditions susmentionnées (travaux réalisés dans l’intérêt du domaine et conformes à la destination de ce dernier). Voilà une bien étrange conception de la servitude notion et catégorie juridique que seul régit le Code civil, notamment en ses art. 697 et suivants.

Il y a là la manifestation d’une certaine crispation et d’un impérialisme autour d’une vision passablement « vintage » de la protection des situations immobilières de droit privé comme de droit public.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

Pour un autre aspect de cette décision, voir n° 53

 

Contrats

 

20 - Accord-cadre portant sur des prestations de service de formation professionnelle – Phase d’analyse des offres – Rejet d’une offre estimée anormalement basse – Annulation de l’ensemble de la procédure – Erreur de droit – Annulation partielle - Absence de renvoi, plus rien ne restant à juger.

Dans le cadre de la conclusion de certains lots d’un accord-cadre portant sur des prestations de services de formation professionnelle au bénéfice des personnes à la recherche d'un emploi, Pôle emploi, au stade de l’analyse des offres, a rejeté l’offre présentée par l’une des sociétés candidates comme étant anormalement basse. Sur recours de la société évincée, fondé sur l’art. L. 551-1 CJA, le juge des référés du tribunal administratif, après avoir constaté le non-lieu à statuer sur l’un des lots litigieux, a annulé la décision de Pôle emploi rejetant les offres de l’intéressée et portant sur les autres lots.

Pôle emploi se pourvoit en vue d’obtenir la cassation de cette ordonnance.

Le pourvoi est partiellement rejeté car, sans être contestée sur ce point, l’ordonnance attaquée a estimé que les prix proposés par la société évincée n'étaient pas manifestement sous-évalués et de nature à compromettre l'exécution des marchés et qu'en conséquence Pôle Emploi avait commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant d'écarter les offres présentées par cette société au motif de leur caractère anormalement bas et qu'il avait ainsi méconnu le principe d'égalité entre les candidats.

En revanche, dès lors que ce manquement ne se rapportait qu’à la seule phase d’examen des offres, le premier juge ne pouvait pas annuler l’ensemble de la procédure, ordonnant à Pôle emploi, s’il entendait la poursuivre, de reprendre la procédure en son entier.

Comme la société évincée requérante n’a demandé en première instance que l'annulation de la procédure au stade de la sélection des offres, aucune question ne restant à juger, le juge de cassation n’use pas ici de son pouvoir de statuer au fond.

Il appartient donc désormais à Pôle emploi, s’il entend poursuivre la conclusion du marché, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres.

(ord. réf. 2 mars 2022, Pôle emploi, n° 458019)

 

21 - Procédure de concession d’aérodrome – Ordonnance avant-dire enjoignant l’État de différer la signature de ce contrat – Annulation de la décision d’attribution de la concession – Rejet.

La Chambre de commerce, d'industrie, des services et des métiers (CCISM) de Polynésie française a demandé au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-24 CJA, d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de la concession de l'aérodrome de Tahiti-Faa'a dans la limite de 20 jours, d'autre part, d'enjoindre à l'État de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de l'offre du groupement dont elle était mandataire et les caractéristiques et avantages relatifs de l'offre retenue et enfin, à titre principal, d'annuler la décision d'attribution de la concession et la décision du 15 septembre 2021 rejetant l'offre du groupement et, à titre subsidiaire, d'annuler l'ensemble de la procédure de passation de la concession. 

Le juge saisi a rendu deux ordonnances : par la première (8 octobre 2021), il a fait injonction à l’État, avant-dire droit, de différer pendant vingt jours la signature du contrat de concession de l'aérodrome et rejeté les demandes de communication de la CCISM. ; par la seconde (28 octobre 2021), il a annulé la décision attribuant la concession de l’aérodrome au groupement Société Egis Airport Operation - Caisse des dépôts et consignations.

La ministre de la transition écologique et le groupement se pourvoient, en vain.

Le Conseil d’État rejette l’argument de procédure fondé sur le non-respect du principe du contraire et des droits de la défense car le juge des référés, s’il s’est fondé, pour prononcer l’annulation du contrat de concession, sur l'irrégularité de l'offre du groupement attributaire, moyen soulevé par la CCISM dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2021, soit quelques heures seulement avant l'audience, il a, à l'issue de l'audience, différée la clôture de l'instruction jusqu'au 26 octobre et d’ailleurs, un mémoire en défense présenté pour l'État a été enregistré le 26 octobre 2021, avant donc cette clôture.

Sur le fond, le juge de cassation approuve le premier juge d’avoir retenu, d’une part, pour annuler l’attribution du contrat de concession, la circonstance que, contrairement aux exigences du guide de constitution de l’offre, l’offre retenue ne comportait pas l’identité des cocontractants constructeurs et qu’ainsi, irrégulière au regard des indications données dans le document de la consultation, elle devait être écartée, et, d’autre part, le fait que cette irrégularité était de nature à avoir lésé la CCISM demanderesse.

(2 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 458354 ; Société Egis Airport Operation et Caisse des dépôts et consignations, n° 458356)

 

22 - Création par une commune d’un musée de la photographie – Musée d’abord exploité en régie directe - Contrats postérieurs entre la commune et une association en vue de la gestion du musée – Association mise en redressement judiciaire – Questions préjudicielles du juge judiciaire sur la nature de ces conventions et sur le statut des biens exposés ou constituant le fonds d’œuvres – Qualification de certains contrats comme marchés public et d’autres comme contrats d’objectifs assortis de subvention – Indétermination de la nature des biens – Annulation.

La commune de Toulouse a créé un musée de la photographie (dit Galerie du Château d’eau) qu’elle a géré et exploité d’abord en régie directe avant d’en confier la gestion à l'association pour la Photographie au Château d'eau (PACE). Lorsque cette dernière a été mise en redressement judiciaire s’est posée, devant le juge judiciaire, la double question de la nature juridique des conventions successives conclues entre la commune et l’association et, par voie de conséquence, de celle du statut juridique de ces biens.

Interrogé par ce juge au moyen de questions préjudicielles, le tribunal administratif a estimé qu’une partie des conventions, les premières, constituaient des marchés publics, et les secondes ainsi que l'ensemble contractuel conclu à compter de 2013, de conventions d'objectifs et de moyens assorties de subventions. Étrangement, il a estimé ne pas pouvoir répondre à la question de savoir qu’elle était la nature, publique ou privée, des biens en litige. C’est oublier que la juridiction saisie d’une question préjudicielle exerce un office pleinement juridictionnel et qu’elle est donc tenue d’y répondre, sauf hypothèses de saisine irrégulière ou d’incompétence de la juridiction saisie.

La commune, qui avait soutenu devant le tribunal administratif que les conventions qu’elle avait conclues avec l'association étaient des délégations de service public et que les fonds photographique et documentaire constitués par l'association dans le cadre de ces conventions constituaient des biens de retour, donc lui appartenant, se pourvoit en Conseil d’État.

Après avoir rappelé, d’une part, les définitions respectives des marchés publics (dans le code des marchés publics de l’époque puis dans celui de la commande publique) et des conventions de délégation de service public (dans le CGCT et le code de la commande publique), et, d’autre part, que les subventions ne sauraient constituer des contrats de commande publique (en ce sens les remarquables observations de C. Blanchon, in Recherche sur la subvention : contribution à l’étude du don en droit public, Thèse Aix 2017, LGDJ 2019, Préf. F. Linditch), le Conseil d’État juge être en présence d’une délégation non d’un marché en se fondant sur le célébrissime et toujours discuté critère de la part d’aléa que doit comporter un tel contrat (depuis, notamment : 15 avril 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ commune de Lambesc, n° 168325, à propos de la notion de rémunération « substantiellement assurée par les résultats de l'exploitation »).

Cet aléa se retrouve ici, estime le juge, en dépit des soutiens financiers significatifs et quantitativement importants apportés par la commune de Toulouse à son cocontractant. La preuve en est que l’association se trouve en redressement judiciaire, l’aléa économique lié à son contrat ayant joué en sa défaveur.

Ici, l’argument est un peu court : la déconfiture peut n’être pas la conséquence objective d’aléas mais, par exemple, d’une mauvaise gestion laquelle n’est pas un aléa objectif mais purement subjectif donc non inhérent à la structure même du contrat tel que configurée par la volonté commune des parties.

Concernant le statut des biens, il est directement commandé par la solution précédente : ce sont des biens de retour qui font donc partie du patrimoine de la commune dès l’origine du contrat sauf stipulation contraire explicite – inexistante ici – du contrat. Ils sont donc de nature publique et doivent être appréciés comme tels pour le dénouement de la procédure de redressement judiciaire.

En revanche, l’on sait que les biens de reprise n’entrent dans le patrimoine de la collectivité publique, en cas d’exercice de sa faculté d’acquisition, qu’à l’expiration du contrat.

(24 mars 2022, Commune de Toulouse, n° 449826)

 

23 - Attribution d’un lot de sous-concession de travaux et de service public balnéaire – Exploitation d’un lot de plage – Exclusion de la procédure de passation d’un contrat de concession – Motifs – Dénomination de la société attributaire comportant un risque grave de confusion avec une autre entreprise candidate – Erreur de droit – Annulation de l’ordonnance de référé pour un autre motif et annulation de la procédure de passation du lot litigieux au stade de l'examen des offres.

Le litige concernait l’attribution d’un lot de la sous-concession de la plage de Pampelonne rendue célèbre pour être une zone inépuisable de contentieux depuis plus d’un demi-siècle (cf. Assemblée 29 mars 1968, Société anonyme du lotissement de la plage de Pampelonne, n° 59004, Rec. Lebon p. 211 ; AJDA 1968 p. 335).

La commune de Ramatuelle, concessionnaire de la plage, avait lancé une procédure qui a conduit à l’attribution d’un lot de la sous-concession de plage à la société EPI. Le juge des référés du tribunal administratif, statuant au visa de l’art. L. 551-1 du CJA, a considéré que la dénomination sociale de la société EPI, attributaire pressentie du contrat de sous-concession en litige, créait un « grave risque de confusion » avec la société détenant l'hôtel du même nom, actionnaire unique de la société EPI plage de Pampelonne, également candidate, eu égard à la forte notoriété de cet établissement, d'ailleurs titulaire de la marque « EPI Plage ».

Il a, en conséquence, jugé que la commune concédante aurait dû exclure la société EPI de la procédure de passation ou, à tout le moins, solliciter ses observations sur le fondement de l'article L. 3123-11 du code de la commande publique et que s’étant abstenue de le faire elle a entaché d’illégalité la décision d’attribution du lot litigieux.

Le juge de cassation censure pour erreur de droit cette ordonnance car le choix par un opérateur économique d'une dénomination sociale ne saurait, au seul motif que celle-ci est susceptible d'induire un risque de confusion avec une autre société également candidate à l'attribution de la sous-concession en litige, justifier son exclusion sur le fondement des dispositions de l'article L. 3123-8 du code de la commande publique. Le juge des référés a ainsi commis une erreur de droit.

Toutefois, la procédure d’attribution de ce lot est annulée au stade de l’examen des offres puisque la candidature retenue ne respectait pas la stipulation du cahier des charges techniques exigeant qu’une surface minimum de 60 % soit allouée à la location de bains de soleil alors qu’il ressortait du plan de masse soumis par la société EPI dans son offre que cette surface n’y était que de 41%.

La commune était tenue d’écarter l’offre de cette dernière. 

(24 mars 2022, Société EPI et MM. Frédéric F. et Paul C., n° 457733 ; Commune de Ramatuelle, n° 457735)

(24) V. aussi, à propos de la sous-concession irrégulière d’un autre lot de cette même plage pour incomplétude grave des documents remis à l’appui de sa candidature par une société attributaire de ce lot et dont l’irrégularité rend insusceptible de permettre la poursuite de l’exécution du contrat : 28 mars 2022, Commune de Ramatuelle, n° 454341 ; Société Tropezina Beach Development, n° 454896.

 

25 - Marché de travaux – Réserves lors de la réception des travaux – Réserves non levées dans le délai imparti – Exécution des travaux à la demande du maître de l’ouvrage aux frais et risques du titulaire y compris après établissement du décompte général – Réserves non levées à la réception devant être portées par le maître de l’ouvrage, chiffrées ou non chiffrées, sur le décompte, à peine de déchéance du droit à en être indemnisé – Réserves non chiffrées portées au décompte empêchant le caractère définitif du décompte sur les seuls éléments de ce dernier y relatifs – Réserves portées chiffrées au décompte sans réclamation du titulaire emportant caractère définitif du décompte – Annulation.

Cette décision revêt, par les précisions qu’elle apporte à la jurisprudence existante, une importance théorique et pratique certaine au regard du régime des réserves en matière de marchés publics de travaux.

La commune requérante, qui avait confié le lot n° 1 « démolition - gros œuvre » du marché de réaménagement d'une grange en bibliothèque à Sainte-Flaive-des-Loups, a fait l’objet de la part de la société attributaire de ce lot d’une double demande qui a été portée au contentieux : arrêter à une certaine somme le montant du décompte général et définitif de ce lot et verser à cette entreprise le solde du décompte assorti d’intérêts moratoires et capitalisés.

Le tribunal administratif a condamné la commune à payer le solde du marché avec intérêts et capitalisation de ceux-ci et rejeté le surplus des demandes des parties. Ce jugement a été confirmé par l’arrêt rejetant l’appel de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

Le Conseil d’État tranche deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il résultait d’une stipulation du cahier des clauses administratives générales alors applicable aux marchés de travaux que le maître de l'ouvrage peut faire exécuter aux frais et risques du titulaire les travaux ayant fait l'objet de réserves lors de la réception qui n'ont pas été levées dans le délai imparti au titulaire pour ce faire.

Le Conseil d’État juge qu’il ne résulte pas de là que le maître de l’ouvrage serait tenu de faire assurer ces travaux avant l’établissement du décompte général, ce qui était alors assez discuté.

En second lieu, et surtout, était en cause le régime juridique des réserves émises lors de la réception des travaux. Ceci conduit le juge à quatre rappels ou précisions.

1°/ Les réserves peuvent être chiffrées ou non chiffrées.

2°/ Lorsque les réserves émises à la réception, qu’elles aient été chiffrées ou non, n’ont pas été levées au moment de l’établissement du décompte, elles doivent impérativement y être reprises car à défaut le maître de l’ouvrage serait déchu de son droit à indemnisation du fait que le caractère définitif du décompte est en principe insurmontable.

3°/ Lorsque les réserves non chiffrées ont été portées au décompte celui-ci ne devient définitif qu’en ce qui concerne ceux de ses éléments non affectés par les réserves.

4°/ Lorsque le maître de l’ouvrage chiffre le montant de ces réserves dans le décompte sans réclamation du titulaire de ce chef, le décompte devient définitif dans sa totalité.

Naturellement, en ce cas les sommes correspondant à ces réserves sont déduites du solde des sommes dues au titulaire si celui-ci n'a pas exécuté les travaux permettant la levée des réserves. 

En l’espèce l’arrêt d’appel est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a estimé que malgré l'inscription dans le décompte général et définitif d'une somme correspondant aux travaux ayant fait l'objet de réserves non levées, la commune maître d'ouvrage ne pouvait se prévaloir d'une créance correspondant à cette somme à l'encontre du titulaire au motif que ces travaux n'avaient pas été réalisés.

Cette clarification jurisprudentielle vient heureusement compléter une solution relativement récente (6 mai 2019, Société ICADE promotion c/ CHU de Reims, n° 420765 ; V. cette Chronique, mai 2019 n° 19) jugeant que le caractère définitif du décompte ne fait pas obstacle à la recevabilité de conclusions d'appel en garantie du maître d'ouvrage contre le titulaire du marché, sauf s'il est établi que le maître d'ouvrage avait eu connaissance de l'existence du litige avant qu'il n'établisse le décompte général du marché et qu'il n'a pas assorti le décompte d'une réserve, même non chiffrée, concernant ce litige.

(28 mars 2022, Commune de Saine-Flaive-des-Loups, n° 450477)

 

Droit du contentieux administratif

 

26 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Compétence en premier ressort de la cour administrative d’appel – Litige en réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Compétence de cette cour.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice prétendument subi du fait du concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

La décision est intéressante même si elle résout la difficulté par la solution implicite qu’elle contient.

Si les textes confient à la cour administrative d’appel la compétence de premier et dernier ressort pour connaître du contentieux né de la délivrance ou du refus de délivrance d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, ils sont muets sur la juridiction administrative compétente pour connaître du recours à fins indemnitaires en vue d’obtenir réparation du préjudice causé par une autorisation d’exploitation illégalement accordée comme c’était le cas en l’espèce, ou par le refus illégal de délivrer cette autorisation.

On sera pleinement d’accord avec le Conseil d’État pour confier à cette même juridiction, dans un louable souci de simplification, et le contentieux de la légalité de ces autorisations d’urbanisme et celui de plein contentieux né directement de l’irrégularité desdites autorisations ou de leur refus.

(2 mars 2022, Commune de Saint-Affrique, n° 440079)

 

27 - Mémoire comportant des conclusions indemnitaires nouvelles – Absence de mesure de clôture de l’instruction - Mémoire parvenu au greffe de la juridiction avant l’audience – Conclusions non visées et sans réponse – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige relatif à la fixation du taux d’invalidité permanente partielle des séquelles résultant d’une maladie professionnelle, un tribunal administratif, destinataire près de deux semaines avant l’audience et en l’absence d’ordonnance de clôture de l’instruction, d’un nouveau mémoire de l’intéressé contenant des prétentions indemnitaires nouvelles, omet de le viser et d’y répondre.

Cette irrégularité étant irrémissible, le jugement est annulé.

(3 mars 2022, M. C., n° 439613)

 

28 - Jugement – Signatures devant être portées sur la minute d’un jugement – Absence de l’une d’elles – Annulation.

 L’article R. 741-7 du CJA disposant que la minute du jugement rendu par un tribunal administratif doit être signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, il s’ensuit que l’absence de la signature du rapporteur ayant siégé dans la formation collégiale qui a rendu le jugement constituant l’omission d’une formalité substantielle en raison de l’objectif poursuivi par cette disposition, entraîne l’annulation du jugement.

(3 mars 2022, Société Bégédis, n° 442760)

 

29 - Communiqué de presse et dossier de presse émanant de ministres – Annonce de l’implantation de nouveaux sites industriels sur le territoire national – Documents ne comportant en eux-mêmes aucune décision – Actes non susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

(3 mars 2022, Association « Notre affaire à tous », n° 444569)

V. n° 4

 

30 - Excès de pouvoir  - Existence d’une pluralité de moyens pouvant justifier une annulation – Choix du moyen le plus adéquat à la résolution du litige – Existence concomitante d’une demande d’injonction – Demande prioritaire dans l’examen des moyens idoines – Demande d’injonction constituant la demande principale – Hiérarchisation des moyens en fonction de la cause juridique – Obligation pour le juge de la respecter – Rejet des moyens au soutien de la demande principale mais existence d’un moyen retenu au soutien de la demande subsidiaire – Conséquences sur l’office du juge – Effets en cas d’appel – Rejet.

Réitération d’une importante jurisprudence de formulation complexe mais logique (Section 21 décembre 2018, Société Eden, n° 409678 ; V. cette Chronique, décembre 2018 n° 89)

« (…) lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2. De même, lorsque le requérant choisit de hiérarchiser, avant l'expiration du délai de recours, les prétentions qu'il soumet au juge de l'excès de pouvoir en fonction de la cause juridique sur laquelle reposent, à titre principal, ses conclusions à fin d'annulation, il incombe au juge de l'excès de pouvoir de statuer en respectant cette hiérarchisation, c'est-à-dire en examinant prioritairement les moyens qui se rattachent à la cause juridique correspondant à la demande principale du requérant. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée : statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à relever appel en tant que le jugement n'a pas fait droit à sa demande principale. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à la demande principale. »

(7 mars 2022, Mme A., n° 438147)

 

31 - Annulation d’une résolution du conseil d’administration de l’Office national des forêts (ONF) – Ouverture d’une procédure contradictoire sur la date de prise d’effet de l’annulation – Absence de motifs de report – Effets de l’annulation non différés avec portée rétroactive.

Le Conseil d’État, par une décision du 2 juillet 2021, a annulé pour motif d’incompétence une résolution du conseil d’administration de l’ONF puis sursis à statuer sur la détermination de la date d’effet de cette annulation, rouvrant ainsi le débat contentieux sur cet aspect.

Tout d’abord, le juge refuse de donner acte à l’un des requérants de son désistement puisque par le premier arrêt il avait été statué sur ses conclusions.

Ensuite,  le Conseil d’État, par la présente décision, juge, d’une part, que l'annulation rétroactive de la réglementation litigieuse n’emporterait pas des conséquences manifestement excessives au regard des situations qui ont pu se constituer lorsqu'elle était en vigueur, notamment par l'effet des contrats de vente conclus sur les lots de bois d'œuvre de chêne acquis auprès de l'ONF et, d’autre part, que si la réglementation annulée poursuit une finalité d'intérêt général de préservation de la filière de transformation du bois de chêne, l'ONF et la Fédération nationale du bois soutenant en défense qu'elle devra être remplacée par une réglementation de portée équivalente, ne sont pas apportés en l’espèce des éléments permettant d’établir que l’effet rétroactif attaché à cette annulation entraînerait des conséquences manifestement excessives pour l’intérêt général. 

Enfin, il considère qu’eu égard aux inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation de la résolution attaquée, il n'y a lieu ni de différer les effets de cette annulation ni d'en réputer définitifs les effets passés. 

(9 mars 2022, Syndicat de la filière bois et autres, n° 427483)

 

32 - Avocats ressortissants d’un État membre de l’Union européenne – Représentation de leurs clients devant le Conseil d’État et la Cour de cassation – Régime fixé aux art.  2 et 3 du décret du 16 février 2021 – Rejet.

Le groupement requérant contestait les art. 2 et 3 du décret du 16 février 2021 organisant la représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation par les professionnels ressortissants des États membres de l'Union européenne (UE) ou parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE) autres que la France et modifiant le décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 relatif aux conditions d'accès à la profession d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Ces dispositions font obligation aux avocats de l’UE et de l’EEE - afin de pouvoir assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation sur le fondement de l'autorisation délivrée par le garde des sceaux, ministre de la justice -, d’une part, d’avoir élu domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation auquel les actes de la procédure sont valablement notifiés, d’autre part, de joindre à leur constitution un document attestant l'existence d'une convention avec l'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation autorisant l'élection de domicile pour l'instance considérée. 

Selon le groupement requérant, ces dispositions méconnaîtraient, d’une part, les libertés d’établissement et de prestation de services, d’autre part, le principe d’égalité.

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, l’obligation pour un avocat d’élire domicile chez un avocat aux Conseils n’a pas été jugée contraire au droit de l’Union, notamment à l'article 5 de la directive 77/249/CEE du 22 mars 1977 tendant à faciliter l'exercice effectif de la libre prestation de services par les avocats (en ce sens : CJCE 10 juillet 1991, Commission des Communautés européennes contre République française, aff. C-294/89).

Semblablement, l’obligation pour cet avocat d’obtenir une autorisation délivrée par le garde des sceaux au vu des documents attestant de son identité, de sa nationalité et de son titre professionnel et de ceux permettant de vérifier qu'il est habilité dans l'État où il est établi à représenter les parties devant les juridictions suprêmes, juges de cassation de cet État, et qu'il y consacre à titre habituel une part substantielle de son activité, n’est imposée qu’en vue de garantir l'objectif de bonne administration de la justice. Elle ne contrevient pas aux dispositions de l'article 3 de la directive 98/5/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 1998 prévoyant la possibilité d'imposer à l'avocat voulant exercer dans un État membre autre que celui où il a acquis sa qualification professionnelle de s'inscrire auprès de l'autorité compétente de cet État membre.

Ainsi, l’art. 3 du décret attaqué, en subordonnant la représentation en justice devant les juridictions de cassation par un avocat ressortissant d'un État membre de l'Union ou partie à l'accord sur l'EEE autre que la France à l'obtention préalable d'une autorisation du ministre de la justice et à l'obligation de conclure une convention prévoyant l'élection de domicile auprès d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, ne méconnaît ni la liberté d'établissement ni la liberté de prestation de services, l’une et l’autre garanties par le droit de l'Union.

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu par le groupement requérant, les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte au principe d’égalité.

D’abord, il ne saurait être soutenu qu'en permettant au ministre de la justice, de suspendre provisoirement l'autorisation d'exercer l'activité d'assistance et de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation accordée à un professionnel d'un autre État européen que la France, lorsque l'urgence le justifie et que l'une ou plusieurs des conditions permettant cet exercice ne sont plus remplies, il serait porté atteinte au principe d'égalité dans la mesure où aucun texte ne prévoit la possibilité d'une telle mesure de suspension à l'égard d'un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. En effet, les professionnels autorisés à représenter les parties devant les juridictions suprêmes françaises sous leur titre professionnel d'origine ne sont pas dans la même situation que les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation auxquels une telle autorisation n'a pas à être délivrée.

Ensuite, il ne saurait davantage être soutenu que dès lors que pour assister ou représenter un client devant le Conseil d’État ou la Cour de cassation, sous leur titre professionnel d'origine, les ressortissants d'un État membre de l’UE ou partie à l'accord sur l'EEE doivent justifier que, dans le pays où ils sont établis, ils sont habilités à représenter les parties devant la ou les juridictions de cassation et y consacrent une part substantielle de leur activité, ils ne sont pas dans la même situation que les avocats exerçant en France qui ne peuvent justifier d'une telle expérience devant une juridiction de cassation.

Ces questions ne sont pas nouvelles et se posent parfois à l’intérieur de l’espace juridictionnel français s’agissant de la distinction, souvent critiquée, entre les avocats aux Conseils et ceux de barreaux.

(7 mars 2022, Groupement européen d'intérêt économique Alphalex avocats, n° 451753)

 

33 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Juge retenant un document non soumis au débat contradictoire – Annulation.

Dans un litige en décharge de taxe d’enlèvement des ordures ménagères, le juge s’était fondé, pour rejeter la requête, sur le contenu du budget primitif de la commune pour l’année considérée.

Cependant, ce document n’avait pas été versé aux débats et n’avait par conséquent pas fait l’objet d’une discussion contradictoire entre les parties.

Le juge de cassation prononce bien évidemment l’annulation de ce jugement rendu dans des conditions irrégulières.

(11 mars 2022, SCI Noisy-le-Sec, n° 453571)

 

34 - Contributions à la taxe sur le foncier bâti et sur le foncier non bâti – Contestation du jugement du tribunal administratif – Contestation ayant le caractère d’un appel devant être porté devant la cour administrative d’appel non devant le Conseil d’État – Renvoi à la cour.

Une commune réclame réparation à l’État de la faute commise par les services fiscaux en raison de l'insuffisant assujettissement du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et de la société civile Synchrotron Soleil aux taxes foncières sur les propriétés bâties et non bâties au titre de plusieurs années. Le tribunal ayant donné raison à la commune, le ministre des finances a contesté ce jugement que la cour de Versailles a renvoyé au Conseil d’État estimant que cette affaire relevait des cas où le tribunal administratif statue en premier et en dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA).

Le Conseil d’État considère que ce recours constitue un appel en raison de ce que le litige n’entre matériellement pas dans les exceptions prévues au 4° de l’art. R. 811-1 CJA ni non plus, en raison du montant de l’indemnité réclamée (près d’1,5 million d’euros), dans un cas prévu au 8° de cet article.

Le dossier est renvoyé à la cour de Versailles.

(11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saint-Aubin, n° 460641)

(35) V. aussi, identique : 11 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance c/ Commune de Saclay, n° 460623)

 

36 - Intérêt donnant qualité pour agir – Buralistes contestant le régime de TVA applicable aux débits de tabacs situés dans un terminal ferroviaire à l’instar de ceux situés dans un port ou un aéroport – Absence d’intérêt direct et certain – Rejet.

La confédération syndicale demanderesse poursuivait l’annulation des paragraphes 10 et suivants des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFIP) du 22 juillet 2021 en tant qu'ils interprètent la loi comme incluant les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles (situé à la sortie du tunnel sous la Manche) dans le champ du bénéfice du régime suspensif de paiement de la TVA prévu pour les ports et aéroports.

En effet, pour justifier de sa recevabilité à former un recours pour excès de pouvoir contre les commentaires qu'elle conteste, la confédération requérante se prévaut seulement de la différence de traitement qu'ils institueraient, dans l'accès au régime suspensif de TVA, entre les comptoirs de vente installés dans le terminal ferroviaire de Coquelles et les gérants de débit de tabac établis à proximité, au détriment de ces derniers, alors que ses statuts lui donnent pour objet la défense des intérêts de la profession des gérants de débits de tabacs et des chambres syndicales qui en sont membres. Elle ne justifie ainsi pas d'un intérêt direct et certain lui donnant qualité pour agir. 

(11 mars 2022, Confédération nationale des buralistes de France, n° 456321)

 

37 - Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – Exercice de fonctions disciplinaires – Obligation de viser les conclusions et moyens des parties – Obligation pour le juge d’appel qui en modifie le dispositif d’annuler le jugement – Annulation.

Le CNESER, dispose, entre autres, de compétences disciplinaires et il statue en ce cas comme juridiction administrative relevant du Conseil d’État par la voie de la cassation.

En l’espèce, il avait relaxé des poursuites disciplinaires dont elle avait fait l’objet en première instance de la part de la commission disciplinaire de son université, une maître de conférences. Toutefois, dans sa décision, le CNESER n’avait ni visé les conclusions et moyens de la requérante ni, non plus, procédé à leur analyse dans ses motifs, ce qui entraîne son annulation.

De plus, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, le CNESER, qui avait modifié le dispositif du jugement qui lui était soumis, s’est abstenu de l’annuler, d’où un second motif de cassation.

On remarquera au passage ce rappel bienvenu car souvent oublié que « le juge d'appel, statuant au titre de l'effet dévolutif de l'appel, n'est pas juge de la décision de première instance (…) ». En effet, le double degré de juridiction impose un nouvel examen de l’affaire non un examen du jugement. Au contraire, on peut bien dire du pourvoi en cassation que, d’une certaine manière, en se limitant aux seules pièces du dossier, il juge l’arrêt non l’affaire.

(14 mars 2022, Université de Strasbourg, n° 438191)

(38) V. aussi, jugeant que le CNESER a dénaturé les pièces du dossier à lui soumis en jugeant que l’enseignant déféré devant lui n’avait pas commis les faits de harcèlement sexuel qui lui étaient reprochés, qualifiant ainsi inexactement les faits en litige : 14 mars 2022, Université Lumière Lyon 2, n° 446009.

 

39 - Bulletin officiel de la sécurité sociale – Commentaires administratifs y figurant – Rubrique « frais professionnels » - Commentaires susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation pour excès de pouvoir du chapitre 9 et des paragraphes 2120 à 2250 des commentaires publiés le 31 mars 2021 au Bulletin officiel de la sécurité sociale sous la référence « Frais professionnels » ainsi que leur annexe.

Le recours est rejeté en ses différents moyens.

D’une part, les dispositions attaquées ne méconnaissent ni le sens ni la portée de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale ni ne leur apportent une modification entachée d'incompétence en ce qu'elles indiquent, comme le juge également la Cour de cassation, que, pour appliquer la déduction forfaitaire spécifique, l'employeur doit disposer des justificatifs démontrant que le salarié bénéficiaire supporte effectivement des frais professionnels, la seule appartenance à l'une des professions y ouvrant droit ne suffisant pas à elle seule. 

D’autre part, il ne saurait être sérieusement soutenu :

- ni que l’art. 81 du CGI, qui ouvre le bénéfice d'une exonération de plein droit pour la seule détermination de l'impôt sur le revenu des professions qu'il vise, institue une présomption d'utilisation des frais professionnels de ces professions conforme à leur destination faisant obstacle à ce que des justificatifs du caractère effectif de l'exposition de tels frais soient requis pour la détermination des cotisations sociales dues,

- ni que l’exigence de justification du caractère effectif des frais professionnels serait susceptible de porter atteinte à la liberté de la presse ou au secret des sources protégé par la loi du 29 juillet 1881. 

Toutefois, l’intérêt principal de cette décision réside en ce que c’est la première fois, semble-t-il, que le recours pour excès de pouvoir est admis contre les commentaires administratifs figurant au Bulletin officiel de la sécurité sociale.

Cette solution est d’ailleurs logique.

(14 mars 2022, Alliance de la presse d'information générale, Syndicat des éditeurs de la presse magazine et Fédération nationale de la presse d'information spécialisée, n° 453073)

 

40 - Recours en référé liberté – Interdiction temporaire de circulation de véhicules sur un passage à niveau – Réalisation de travaux – Arrêté municipal d’interdiction argué d’insuffisance de motivation – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

L’insuffisance de motivation d’un arrêté municipal de police, à la supposer établie, n’ouvre pas la voie du référé liberté car, en soi, cette circonstance n’établit pas l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 11 mars 2022, SAS Société Carrefour Supply Chain et autres, n° 461751)

 

41 - Amende pour requête abusive (art. R. 741-12 CJA) – Absence d’urgence déjà opposée à une première requête en référé liberté – Réitération en l’absence de fait nouveau – Requérant professionnel du droit – Rejet.

C’est sans inexactitude dans sa qualification des faits à lui soumis qu’un juge des référés condamne un requérant à une amende pour recours abusif en relevant que l’intéressé, professionnel du droit, après avoir formé un premier référé liberté rejeté pour défaut d’urgence, en forme un second, également dépourvu d’urgence et en l’absence de tout fait nouveau postérieur au premier rejet.

Il est bon de rappeler que le référé est une procédure juridictionnelle non un exutoire.

(23 mars 2022, M. B., n° 450713)

 

42 - Frais exposés et non compris dans les dépens (art. L. 761-1 CJA) – Attribution – Autorisation délivrée par le maire au nom de l’État – Mise à la charge du requérant débouté d’une somme au titre de l’art. L. 761-1 CJA au profit de la commune – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La société requérante avait demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA, la suspension du rejet par le maire de Senlisse de sa demande d’autorisation de travaux (cf. L. 111-8 code de la construction et de l’habitation) en vue de la création d'une salle de réception au château de la Cour Senlisse.

Déboutée, la société a été condamnée, par l’art. 2 de l’ordonnance de référé, sur le fondement de l’art. L. 761-1 CJA, à verser une certaine somme à la commune.

Elle saisit le Conseil d’État d’un pourvoi dirigé contre cet art. 2.

Le pourvoi est admis en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ordonnant le versement d’une somme à la commune alors que le maire n’a pas agi en l’espèce comme organe de la commune mais exercé une compétence en tant qu’autorité de l’État.

(24 mars 2022, Société Senlisse Evénements, n° 456225)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

Est entaché d’irrégularité le jugement qui, statuant sur un litige en détermination de la valeur locative cadastrale d’un ensemble immobilier pour la fixation de la taxe foncière sur les propriétés bâties, omet de répondre au moyen qui n’était pas inopérant contestant cette détermination car effectuée sur la base d’une division en trois lots de cet ensemble immobilier alors que n’y est exercée qu’une seule activité de vente de pneumatiques.

La solution est constante et va de soi.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

 

44 - Covid-19 – Adaptation de certaines règles de la procédure administrative contentieuse – Dispense de conclusions du rapporteur public – Absence de motivation – Rejet.

Si l'article 8 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif dispose que, durant la période comprise entre le 12 mars 2020 et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, « le président de la formation de jugement peut dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, d'exposer à l'audience des conclusions sur une requête », il ne résulte ni de ces dispositions ni d'aucun principe que cette décision doit être motivée.

(28 mars 2022, Mme A., n° 442854)

 

45 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances subrogée aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

V. n° 139

 

46 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

V. n° 91

 

47 - Délai d’appel – Notification du jugement par lettre recommandé – Point du départ du délai - Date de retrait du pli postal – Arrêt de rejet – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Dénature les pièces du dossier l’ordonnance rejetant un appel au motif que le jugement appelé avait été notifié un 18 octobre alors qu’il résulte de ces pièces que la destinataire de cette notification, absente de chez elle le 18 octobre, avait retiré le pli la contenant le 19 octobre ainsi qu’en atteste l’opérateur postal.

(30 mars 2022, Mme B., n° 442313)

(48) V. aussi, sur le même thème de la computation du délai de recours, le rejet d’un pourvoi en cassation pour cause de tardiveté en dépit de la prorogation des délais contentieux consécutive à la pandémie de Covid-19 (décret du 25 mars 2020), le pourvoi ayant été formé le 11 septembre 2020 alors que le délai pour le former expirait le 24 août 2020 : 30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019.

 

49 - Concours de la force publique – Délai de constitution d’une faute pour abstention de fournir ce concours – Rejet.

C’est sans erreur de droit – contrairement à ce que soutient le ministre demandeur au pourvoi - qu’un tribunal administratif juge que la responsabilité fautive de l’État est engagée en raison de son refus d’accorder le concours de la force publique au terme du délai de deux mois suivant la demande d’octroi de ce concours, conformément aux dispositions des art. L. 412-1 et R. 153-1 du code des procédures civiles d'exécution.

(30 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 444019)

 

50 - Référé suspension – Condition d’urgence – Office du juge dans l’appréciation de cette condition – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation et rejet.

Dans un litige relatif à la suspension d’un agent hospitalier de ses fonctions, il est reproché au juge des référés de n’avoir retenu, pour apprécier l’urgence à suspendre la décision attaquée, que les seuls effets de cette décision sur le sort de l’intéressé  sans examiner l’autre aspect de cette question d’urgence constitué par l’argument du centre hospitalier selon lequel la réintégration de l'intéressé était de nature à causer des troubles dans le bon fonctionnement de l'établissement justifiant l'exécution de cette même décision.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’analyse faite par le juge des référés une erreur de droit et une insuffisance de motivation, d’où la cassation, ici prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Centre hospitalier de Valence, n° 449277)

 

51 - Appel d’un jugement – Demande de sursis à l’exécution de ce jugement – Demande pouvant être fondée sur les dispositions générales de l’art. R. 811-17 du CJA même dans le cas où elles pourraient l’être sur celles, particulières, de l’art. R. 811-15 du CJA – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance rejetant une demande de sursis à l’exécution d’un jugement frappé d’appel au motif que cette demande, présentée sur le fondement de l'art. R. 811-17 du CJA, entrait dans le champ d'application de l'article R. 811-15 de ce code alors que la partie qui s’y croit fondée peut présenter au juge d'appel des conclusions à fin de sursis à exécution d'un jugement ayant annulé une décision administrative en invoquant les dispositions générales de l'article R. 811-17 du CJA, y compris dans le cas où de telles conclusions pourraient être fondées sur les dispositions particulières de l'art. R. 811-15 de ce code.

(30 mars 2022, CHU de la Martinique, n° 450520)

 

52 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Erreur sur la date fixant le point de départ des intérêts d’une somme – Recours recevable et fondé – Rectification en conséquence.

Le Conseil d’État juge recevable et fondé un recours en rectification d’erreur matérielle reposant sur la circonstance que si dans le dispositif de sa décision le juge fait mention de la date du 21 décembre 2020 comme point de départ du calcul des intérêts au taux légal assortissant une condamnation pécuniaire, le point 10 des motifs de cette décision mentionne la date du 21 décembre 2010.

Le dispositif est rectifié en conséquence.

(30 mars 2022, M. et Mme B., n° 454906)

 

53 - Condition d’opposabilité des voies et délais de recours contre une décision administrative – Obligation de les mentionner dans la notification de la décision administrative – Application de la règle du délai raisonnable en cas de défaut de mention de ces indications – Règle applicable aux titres exécutoires – Règle applicable à la saisine d’un ordre juridictionnel incompétent pour connaître du fond du litige – Rejet.

Dans cette affaire, importante pour la solution qu’elle contient en droit domanial (voir par ailleurs), était posée une intéressante question de délai de recours contentieux.

Le département défendeur opposait une fin de non-recevoir à la demande d’annulation d’un titre exécutoire qu’il avait émis le 19 septembre 2011 au motif qu’elle était tardive.

En l’espèce, le titre exécutoire litigieux ne précisait pas les voies et délais de recours dont disposait à son encontre la société destinataire. Cette omission empêchait le délai de recours de courir.

Toutefois, on le sait, pour échapper au risque d’un délai infini de recours, le Conseil d’État a fixé de façon prétorienne une limite à la durée possible du recours en ce cas, celui-ci est généralement d’un an (C.E. Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n° 387763), mais il peut, en certains cas, être plus long (ainsi est-il de trois ans s’agissant des recours dirigés contre des décrets portant libération des liens d’allégeance avec la France : 29 novembre 2019, X., n°411145, n° 426372, n° 429248, 3 espèces). La forclusion ne peut, en principe, pas être opposée à un recours contre une décision ne comportant pas mention des voies et délais de recours s’il est formé dans l’année qui suit sa réception par son destinataire. Cette solution jurisprudentielle a été étendue aux recours contre des titres exécutoires (16 avril 2019, Communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines, n° 422004).

En l’espèce, en raison de mentions jugées ambigües portées sur le titre exécutoire, sa récipiendaire l’a contesté devant les juridictions de l’ordre judiciaire jusqu’à ce qu’un terme définitif soit porté à cette affaire par un arrêt rendu le 29 mars 2017 par la Cour de cassation confirmant l’incompétence de l’ordre judiciaire pour en connaître.

Par suite, le département soutenait que la juridiction administrative avait été saisie trop tardivement.

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge administratif de cassation rejette cette argumentation car la règle du délai raisonnable s’applique aussi en cas de saisine, comme en l’espèce, d’un ordre juridictionnel incompétent.

Il suffit donc, pour échapper à toute forclusion, d’une part que, dans le délai d’un an, une juridiction, même incompétente, ait été saisie et d’autre part, que le juge administratif ait été saisi au plus tard dans les deux mois de la décision judiciaire irrévocable se déclarant incompétente soit, ici, avant le 29 juin 2017.

(31 mars 2022, Département du Val-d’Oise, n° 453904)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

54 - Demande de décharge ou de réduction d’impôt - Compensation à l’initiative de l’administration fiscale – Régime – Annulation avec renvoi.

Le litige portait sur les conditions d’application de l’art. L. 203 du LPF selon lequel : « Lorsqu'un contribuable demande la décharge ou la réduction d'une imposition quelconque, l'administration peut, à tout moment de la procédure et malgré l'expiration des délais de prescription, effectuer ou demander la compensation dans la limite de l'imposition contestée, entre les dégrèvements reconnus justifiés et les insuffisances ou omissions de toute nature constatées dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande. »

Le Conseil d’État déduit de ce texte, d’une part, la faculté pour l‘administration fiscale d’effectuer ou de demander au juge la compensation sans mener au préalable une procédure de rectification ou de taxation d'office, et notamment sans adresser la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 du LPF ou la notification mentionnée à son article L. 76, d’autre part, l’obligation pour cette administration de respecter les garanties prévues en matière d'engagement et de conduite d'un tel contrôle en faveur du contribuable vérifié.

Est donc cassé l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui avait rejeté, à tort, comme inopérant le moyen soulevé par le contribuable que l'administration fiscale aurait effectué au cours de l'instruction de la réclamation contentieuse un rapprochement critique des déclarations du contribuable et des éléments de sa comptabilité sans respecter les garanties du contribuable vérifié.

(2 mars 2022, M. N., n° 442722)

 

55 - Transformation de locaux commerciaux en bureaux ou non – Notions de « locaux commerciaux » et de « locaux à usage de bureaux » - Activité de généalogiste successoral – Assujettissement à la redevance instituée par l’art. L. 520-1 c. urb. -Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Une société civile immobilière obtient un permis de construire afin de transformer des locaux commerciaux en locaux à usage de bureaux. Après achèvement des travaux, elle est assujettie à la redevance prévue à l’art. L. 520-1 du code de l’urbanisme en raison du changement de destination des lieux.

Elle fait valoir qu’en réalité et contrairement aux termes de sa demande de permis de construire, les locaux n’avaient pas changé de destination et qu’ainsi la redevance n’était pas due.

Pour rejeter cette prétention les premiers juges, se fondant sur la demande de permis et sur la consistance physique des locaux au terme des travaux, ont estimé que la contribuable ne rapportait pas la preuve de l’absence de changement de destination de ces locaux en particulier s’agissant de l’installation future d’une activité de généalogiste successoral.

Or la contribuable requérante soutenait que la notice de sécurité pour les établissements recevant du public figurant dans le dossier de demande du permis de construire établissait que la moitié des locaux serait accessible au public, que l'activité de généalogiste successoral était, comme la précédente, de nature commerciale et que le bail commercial conclu avec le futur occupant mentionnait la réception de clientèle dans les locaux.

Le Conseil d’État annule le jugement attaqué pour erreur de droit en ce qu’il n’a pas recherché si l'activité de généalogiste successoral impliquait, dans tout ou partie des locaux en litige, l'accueil d'une clientèle pour la réalisation de prestations commerciales.

(3 mars 2022, SCI Apler, n° 435318)

 

56 - Cession, par les usufruitiers, de parts sociales démembrées – Charge de l’imposition au titre de la plus-value dégagée lors de la cession - Prise en considération de faits ou actes postérieurs à la cession – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Par acte notarié du 28 octobre 2008, un couple de parents fait donation à ses trois enfants d’actions d’une société qu’il détient, pour l’essentiel en usufruit. Cette cession est suivie de deux autres, les 6 janvier et 5 février 2009.

Puis, par un pacte du 15 novembre 2008, les donateurs et les donataires ont convenu qu'en cas de cession intégrale par M. et Mme A. de leurs actions de la société Viveris, leurs fils cèderaient simultanément la nue-propriété des actions données, le prix devant être remployé par ces derniers dans une société civile immobilière à constituer avec leurs parents.

L’administration fiscale a prétendu imposer les parents à l’impôt sur les revenus, à titre supplémentaire, assorti des contributions sociales y relatives, à raison, d'une part, de revenus de capitaux mobiliers dégagés lors de la cession du 6 janvier 2009, et, d'autre part, de plus-values de cession de droits sociaux nées lors l'opération du 5 février 2009.

La demande d’annulation de ces décisions fiscales a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d’appel a estimé que la fraction des gains tirés du rachat des actions en vue de leur distribution à des salariés de la société Viveris serait imposée entre les mains des requérants selon le régime applicable aux plus-values de l'article 150-0 A du CGI et qu’il y avait lieu de rejeter le surplus de leur requête d'appel.

Les intéressés se pourvoient.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure en raison des deux erreurs de droit sur lesquelles il repose et qui tournent toutes deux autour de l’oubli que les effets fiscaux d’une cession de titres sont immédiats, complets et définitifs.

Auparavant le juge de cassation rappelle que si l'imposition de la plus-value constatée à la suite des opérations par lesquelles l'usufruitier et le nu-propriétaire de parts sociales dont la propriété est démembrée procèdent ensemble à la cession de ces parts sociales, se répartit entre l'usufruit et la nue-propriété selon la valeur respective de chacun de ces droits, en revanche, lorsque les parties ont décidé, par les clauses contractuelles en vigueur à la date de la cession - comme c’était le cas en l’espèce -, que le droit d'usufruit serait, à la suite de la cession, reporté sur le prix issu de celle-ci, la plus-value est alors intégralement imposée entre les mains de l'usufruitier. Lorsque les parties ont décidé que le prix de cession sera nécessairement remployé dans l'acquisition d'autres titres dont les revenus reviennent à l'usufruitier, la plus-value réalisée n'est imposable qu'au nom du nu-propriétaire.

En premier lieu, la cour ne pouvait pas juger que les requérants n'établissaient pas que le reste de la somme perçue par leurs fils aurait fait l'objet d'un remploi dans la société civile immobilière à créer, de sorte que ces derniers n'avaient pas satisfait à l'obligation leur incombant en vertu du pacte susmentionné, en se fondant pour cela sur des circonstances postérieures au fait générateur que constituait la cession.

En second lieu, la cour ne pouvait pas se fonder sur le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société Viveris du 24 décembre 2008 aux termes duquel l'adoption des résolutions autorisant les rachats de titres valait, pour les actionnaires de titres dont la propriété était démembrée, « mandat irrévocable à l'usufruitier par le nu-propriétaire de percevoir seul le prix de base et l'éventuel complément de prix » car ce procès-verbal ne pouvait avoir eu pour objet ou pour effet de modifier les droits respectifs que l'acte de donation partage du 28 octobre 2008 ou le pacte du 15 novembre 2008 conféraient aux usufruitiers et aux nus propriétaires sur les titres en litige.

(3 mars 2022, M. et Mme A., n° 437247)

 

57 - Travaux de reconstruction – Notion au sens de l’art. 31 du CGI – Travaux affectant le gros œuvre et d’une ampleur suffisante – Absence – Annulation.

Ayant fait l’objet de redressements fiscaux pour avoir entrepris dans un bien immobilier comprenant un ancien hôtel-restaurant et une maison de gardien, des travaux qualifiés fiscalement de « reconstruction » et donc non déductibles des revenus fonciers, la requérante se pourvoit contre l’arrêt d’appel confirmant le rejet de son recours en première instance.

De l’énumération des charges de la propriété déductibles du revenu imposable qu’il comprend l’art. 31 (cf. le I, 1°, b/) du CGI en exclut expressément ceux constituant des travaux de reconstruction.

En l’espèce, l’administration fiscale, confirmée en cela par les juges du fond, avait estimé que la contribuable avait réalisé des travaux dont l’ensemble constituait une reconstruction. Elle estimait tout d’abord que la transformation de l'ancien hôtel-restaurant et de la maison de gardien en studios et chambres meublés avait conduit à une redistribution importante de l'espace intérieur de ces locaux ainsi qu'à la création de surfaces de logement supplémentaires, quand bien même la surface habitable de l'ensemble n'avait pas été substantiellement augmentée. Elle relevait également que les travaux de démolition, de dépose des planchers de bois remplacés par des planchers en béton, ceux de couverture, de démolition et de reconstruction de cloisons intérieures, ainsi que le percement d'ouvertures, avaient affecté de manière significative le gros œuvre et n'étaient pas dissociables des travaux de rénovation et d'amélioration des locaux simultanément entrepris. 

Il s’agissait donc d’une reconstruction au sens et pour l’application de l’art. 31 précité et non, comme le soutenait la demanderesse, des travaux d'entretien, de réparation ou encore d'amélioration.

Le Conseil d’État est à la cassation car il juge que les travaux en litige n'ayant pas affecté de manière importante le gros œuvre et n'étant pas d'une ampleur suffisante pour être qualifiés de travaux de reconstruction, la cour, en jugeant le contraire, a dénaturé les pièces du dossier et inexactement qualifié les faits de l’espèce.

On peut trouver cette décision sévère à l’égard de la juridiction d’appel compte-tenu des éléments de fait susrappelés.

(3 mars 2022, Mme B., n° 443135)

(58) V. aussi, très semblable, apercevant une dénaturation des faits et une inexacte qualification de ceux-ci, dès lors que le gros œuvre n’a pas été affecté de manière importante, dans un arrêt qui juge que constituent une reconstruction et un agrandissement des travaux de ravalement de la façade, de remplacement des huisseries extérieures, de modification partielle de la toiture et d'isolation des cloisons existantes ainsi que des travaux d'installation électrique, d'alimentation en eau et de plomberie réalisés au rez-de-chaussée du bâtiment et qui étaient indissociables de ceux entrepris pour la transformation du grenier en surface habitable : 3 mars 2022, M. et Mme B., n° 447962.

 

59 - Revenus des capitaux mobiliers – Manœuvres frauduleuses (art. 1729 CGI) – Imposition supplémentaire et pénalités – Absence d’agissements en ce sens – Recherche d’office par le juge d’une intention délibérée d’éluder l’impôt – Réduction de la pénalité.

La requérante, salariée et associée d’une société exploitant un commerce de boulangerie-pâtisserie dont elle possède 10% des parts, a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt assorti d’une pénalité de 80% pour manœuvres frauduleuses. Elle a contesté en vain ces décisions en première instance et en appel, d’où son pourvoi.

Le Conseil d’État estime qu’il n’est pas établi que l’intéressée ait participé à la mise en place d'un système de fraude consistant en l'effacement des données des caisses enregistreuses de plusieurs boulangeries dont celle l’employant car les juges du fond n’ont pas relevé de sa part d'agissements destinés à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle qui lui soient personnellement imputables.

Il rejette également la demande de substitution de motif faite par le ministre des finances car elle supposerait l’appréciation d’éléments de fait au stade de la cassation.

En revanche, il recherche d’office si, sur la base des éléments de fait relevés par l’administration fiscale lors de son contrôle, n’est pas établie l’intention délibérée de la contribuable d’éluder le paiement de l’impôt. Estimant qu’elle ne pouvait pas ignorer les manœuvres frauduleuses mises en place au sein de la société, il ramène de 80% à 40% la majoration d’impôt qui lui a été infligée.

(7 mars 2022, Mme Galipienso, n° 449087)

 

60 - Impôts sur les sociétés - Demande de report en arrière d’une partie de déficit d’un exercice clos (art. 220 quinquies du CGI) – Refus partiel – Refus justifié – Rejet.

La société requérante avait sollicité le remboursement d'une créance née du report en arrière d'une partie du déficit constaté au titre de l'exercice 2010 sur les bénéfices de l'exercice clos en 2007, à hauteur de 566 480 euros et elle se fondait pour cela sur les dispositions de l’art. 220 quinquies du CGI dont le I. est ainsi libellé : « I. Par dérogation aux dispositions du troisième alinéa du I de l'article 209, le déficit constaté au titre d'un exercice ouvert à compter du 1er janvier 1984 par une entreprise soumise à l'impôt sur les sociétés peut, sur option, être considéré comme une charge déductible du bénéfice de l'antépénultième exercice et, le cas échéant, de celui de l'avant-dernier exercice puis de celui de l'exercice précédent, dans la limite de la fraction non distribuée de ces bénéfices et à l'exclusion des bénéfices (...) qui ont donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts (...) ». 

Ainsi donc, il résulte de ces dispositions que les entreprises peuvent imputer le déficit d'un exercice sur les bénéfices réalisés lors de l'un des trois exercices précédents, sous réserve que le montant ainsi imputé n'excède pas la fraction non distribuée de ces bénéfices, déduction faite des bénéfices ayant donné lieu à un impôt payé au moyen de crédits d'impôts.

Cette dernière condition empêche ainsi – comme cela a été jugé en première instance et en appel - l'imputation d'un tel déficit sur les bénéfices pour lesquels l'impôt sur les sociétés a été acquitté au moyen de l'excédent de crédit d'impôt mentionné à l'article 199 ter B du CGI. 

Le pourvoi est logiquement rejeté.

(10 mars 2022, SAS Technocer, n° 443690)

 

61 - Taxe sur la valeur ajoutée – Demande de compensation par l’administration entre une non-soumission à la TVA et une remise en cause du droit à déduction de TVA – Défaut de constatation de l’insuffisance de taxation pouvant être relevé antérieurement à la réclamation de la contribuable – Annulation.

Dans un litige en matière de TVA due par un organisme de construction et de location de logements, l’administration fiscale a demandé en cours d’instance que les impositions en litige soient maintenues par substitution de dispositions du code général des impôts à la base légale initialement retenue pour les fonder. Elle soutenait notamment que l'absence de soumission à la TVA des cessions de terrains à bâtir litigieuses, fût-ce au bénéfice de la seule interprétation administrative de la loi, faisait obstacle à ce que la société requérante puisse bénéficier de l'imputation de la TVA ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement des terrains à bâtir. 

Pour rejeter cette argumentation et donc cette demande, le juge observe qu’en réalité celle-ci tend à compenser la non-soumission à la TVA des opérations de cession de terrains par la remise en cause du droit à déduction de la TVA ayant grevé des opérations distinctes d'achats de biens et services. Cette demande ne s’analyse donc pas en une classique demande de substitution de base légale mais en une demande de compensation.

Or celle-ci ne peut qu’être rejetée en raison de la chronologie des faits de l’espèce.

Il résulte de l'instruction, notamment d'une proposition de rectification adressée le 18 décembre 2009 par l'administration à la société, qu’elle disposait, avant l'introduction par la contribuable de sa réclamation, de l'ensemble des éléments propres à lui permettre de remettre en cause l'imputation de la taxe ayant grevé les travaux de viabilisation et d'aménagement.

Par suite, l'insuffisance de taxation en cause ne saurait être regardée comme ayant été « constatée dans l'assiette ou le calcul de l'imposition au cours de l'instruction de la demande » au sens de l'article L. 203 du livre des procédures fiscales.

La demande de compensation ne peut, dès lors, qu'être rejetée et le jugement contesté, annulé.

(11 mars 2022, SA Habitat des Hauts-de-France venue aux droits de la SA Habitat 62/59, n° 448818)

 

62 - Bail emphytéotique sur le domaine public d’une métropole – Bail consenti à une société – Détermination du redevable de la taxe foncière sur les propriétés bâties – Application combinée du droit de la domanialité publique et du droit commun des mutations cadastrales – Annulation.

(11 mars 2022, Société SMA Environnement, n° 449460)

(63) V. aussi, très semblable : 11 mars 2022, Syndicat mixte départemental de valorisation et de traitement des déchets ménagers du Puy-de-Dôme (VALTOM), n° 449770.

V. n° 13

 

64 - Société – Acte anormal de gestion – Cession de parts - Appauvrissement sans contrepartie – Absence – Annulation sans renvoi (recours à l’art. R. 821-2 CJA).

Pour le calcul de l’impôt sur les sociétés les art. 38 et 209 du CGI excluent que puissent être déduites du revenu imposable les opérations qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale en ce qu’elles aboutissent à un appauvrissement de l’entreprise à des fins étrangères à son intérêt. En cas de cession d’un élément d’actif, tels des titres, est refusée la prise en compte de la perte résultant de cessions à un prix significativement inférieur à la valeur vénale retenue par l’entreprise cédante sauf si est rapportée la preuve de l’impossibilité de ne pas réaliser cette cession ou qu’elle y trouve une contrepartie.

En l’espèce, l’administration avait estimé que constituait un acte anormal de gestion et donc comme une libéralité la cession par une entreprise à un particulier – à un prix significativement inférieur à leur valeur vénale à cette date - d’actions d’une société filiale en exécution d’un engagement antérieur de cession.

Déboutée en première instance et en appel, la requérante se pourvoit.

Pour confirmer la position de l’administration fiscale, la cour administrative d’appel avait écarté l'argumentation de la société prétendant s'être trouvée contrainte de céder les titres en litige à ce prix en exécution d'un engagement de cession qu'elle avait contracté à l'égard de M. G. au motif que cette circonstance ne constituait pas une contrainte qui lui était extérieure et que la promesse de vente ne mentionnait aucun engagement de ce dernier en contrepartie du sien.

Le Conseil d’État annule cet arrêt car la cour a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si, à la date du 14 mars 2009, en consentant une promesse de vente d’actions à un prix irrévocablement fixé et alors même que cette promesse n'était pas subordonnée au respect d'engagements pris par ce dernier, la société Alone et Co avait agi conformément à son intérêt, compte tenu des avantages résultant de l'implication complémentaire qu'elle pouvait attendre, du fait de l'option d'achat qu'elle lui attribuait, de ce cadre dirigeant de la société dont elle détenait les titres.

Statuant au fond, le Conseil d’État rejette d’abord le moyen tiré de ce que M. G. ne fût pas salarié de la société Alone et Co car ceci n'était pas de nature à faire obstacle à ce que cette société trouvât, eu égard aux conséquences qu'elle pouvait en attendre sur la valorisation de sa participation dans la société filiale, un intérêt propre à inciter l'intéressé au développement de cette société dont il était, comme il a été dit, le directeur commercial.

Il vérifie ensuite l’éventuelle existence d’un intérêt de l’entreprise requérante à cette cession et le trouve dans les compétences de M. G. et son expérience commerciale dans la vente de préparations culinaires auprès de restaurants, segment d'activité sur lequel la société filiale avait axé son développement, et cela était de nature à permettre à M. G., par son implication particulière, d'obtenir un accroissement important du chiffre d'affaires de cette société et, par suite, de la valeur de ses titres.

Enfin, le juge, fait litière  de l’argument selon lequel la promesse de vente en litige ouvrait à M. G. la possibilité d'exercer son droit d'option à tout moment pendant une période de cinq ans et n'était pas subordonnée à des engagements de sa part, en relevant d’abord, que le prix de 1 euro qu'elle fixait pouvait être regardé comme proche de la valeur vénale des titres à la date à laquelle elle a été consentie et, ensuite, que les perspectives de croissance de l'activité de la société ne présentaient aucun caractère certain, de sorte que cette promesse était de nature à avoir, à l'égard de M. G. un réel effet incitatif.

(11 mars 2022, Société Alone et Co, n° 453016)

 

65 - Taxe d’aménagement (cf. art. L. 331-6 c. urb.) – Permis de construire délivré à plusieurs personnes – Redevable(s) de la taxe – L’un quelconque des bénéficiaires ou chacun pour sa propre fraction – Rejet.

Dans une décision antérieure (19 juin 2019, Ministre de la cohésion des territoires et de la mer, n° 413967) le Conseil d’État avait déjà jugé qu’en cas de permis de construire délivré à plusieurs personnes physiques ou morales pour la construction de bâtiments dont le terrain d'assiette doit faire l'objet d'une division en propriété ou en jouissance avant l'achèvement des travaux, les redevables de la taxe d'aménagement dont ce permis est le fait générateur sont les titulaires de celui-ci, chacun d'entre eux étant redevable de l'intégralité de la taxe due à raison de l'opération de construction autorisée.

Il avait donc également jugé, en conséquence, que l'administration compétente peut soit mettre cette taxe à la charge de l'un quelconque des bénéficiaires du permis, soit à la charge de chacun d’eux sans que le montant cumulé des différents titres de perception émis excède celui de la taxe due.

Il avait censuré pour erreur de droit le jugement décidant impossible la mise de la taxe à la charge d’un seul de ces bénéficiaires.

Il réitère cette solution dans la présente affaire où un autre tribunal avait commis semblable erreur en jugeant que reposait sur une erreur manifeste d’appréciation la décision de l’administration fiscale de ne faire porter la charge de la taxe d’aménagement que sur une seule personne alors qu’en l’espèce le terrain avait fait l'objet d'une division avant la demande de permis de construire et que l'administration disposait de la répartition des surfaces de plancher entre les bénéficiaires.

Cette seconde solution, étendant la précédente, ne nous paraît point judicieuse si ce n’est de faciliter la tâche de l’administration laissant ensuite aux différents bénéficiaires la charge de se débrouiller – ou pas – entre eux.

C’est là une prime à une certaine paresse administrative.

Après tout, le juge administratif, qui est au service de tous, n’est pas tenu de favoriser à peu près systématiquement le confort de l’administration alors qu’elle dispose de moyens et d’agents rémunérés à l’effet d’exercer complètement et correctement ses tâches.

(17 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 453610)

 

66 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Détermination par l’administration de la valeur locative cadastrale – Évaluation en trois lots distincts – Contestation en raison des caractéristiques de l’immeuble et de l’existence d’une unique activité – Omission de réponse à moyen non inopérant – Annulation.

(28 mars 2022, Société Fortunio II, n° 438905)

V. n° 43

 

67 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Appréciation du caractère manifestement disproportionné du produit de la taxe – Termes de comparaison – Prise en compte des seuls produits et dépenses relatifs aux ordures ménagères – Absence - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La solution est classique en matière d’appréciation du caractère manifestement disproportionné, ou non, du montant de la taxe sur les ordures ménagères eu égard aux dépenses qui sont consacrées à cet important service public.

Le contentieux est abondant, signe soit d’une mauvaise acceptation de cette charge fiscale soit d’une mauvaise pédagogie sur les conditions de sa fixation.

La requérante ayant été déboutée de sa demande de décharge de la cotisation de taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à sa charge par le syndicat intercommunal de collecte de traitement des ordures ménagères au titre de l'année 2015 à raison de locaux situés à Lons-le-Saunier, saisit le Conseil d’État.

Celui-ci censure l’erreur de droit sur laquelle repose le jugement frappé de pourvoi.

Pour établir que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'était pas manifestement disproportionné, le tribunal administratif a comparé les recettes globales du syndicat à ses dépenses globales qui comprenaient donc, les unes et les autres, les ordures ménagères et celles non ménagères. Il lui incombait de ne comparer que les recettes et les dépenses afférentes aux seules ordures ménagères puisque c’était uniquement sur cette catégorie que portait le litige dont il était saisi.

Le Conseil d’État rappelle que les premiers juges pouvaient procéder à cette comparaison au besoin au moyen d'un supplément d'instruction s'ils estimaient non probants les éléments produits par la société sur ce point. 

(28 mars 2022, Société L'Immobilière Groupe Casino, n° 442878)

 

68 - Société soumise à l’impôt sur les sociétés – Sommes créditées au compte courant d’un associé – Sommes considérées être à la disposition de cet associé et devant imposées comme telles – Règle applicable même en cas d’erreur comptable sauf preuve contraire pertinente – Rejet.

Pour habituelle qu’elle soit la solution est assez impitoyable.

Dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé sont à la disposition de cet associé, alors même que l'inscription résulterait d'une erreur comptable involontaire, et ont donc, même dans une telle hypothèse, le caractère de revenus distribués, imposables entre les mains de cet associé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en vertu du 2º du 1 de l'article 109 du CGI.

Pour échapper à cette rigoureuse interprétation, l'associé doit faire la preuve du contraire en démontrant soit qu'il n'a pas pu avoir la disposition de ces sommes soit que ces sommes ne correspondent pas à la mise à sa disposition d'un revenu.

(28 mars 2022, M. C., n° 444025)

 

69 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Évaluation de la valeur locative attribuée à un immeuble - Recours à la méthode par comparaison – Impossibilité de comparer avec un local type détruit ou entièrement restructuré – Situation devant exister antérieurement au 1er janvier de l’année d’imposition – Annulation sans renvoi (décision rendue au fond).

L’une des deux méthodes d’évaluation de la valeur locative d’un immeuble pour l’application des taxes foncières est celle dite « par comparaison », résultant des dispositions de l’art. 1415 du CGI. Elle consiste à comparer l’immeuble à évaluer avec un local type similaire situé dans la commune ou, à défaut, situé dans une commune présentant, du point de vue économique, une situation analogue à celle de la commune en cause.

En l’espèce, où l’un des éléments à évaluer était un cinéma, pour pratiquer cette comparaison l’administration fiscale avait retenu un local à usage de cinéma qui avait lui-même été évalué par comparaison avec un local type constitué par un cinéma détruit en 2011-2012, alors qu’il s’agissait de fixer la taxe foncière sur les propriétés bâties au 1er janvier des années 2015 et 2016. En admettant pour régulier ce curieux raisonnement, le tribunal administratif a commis une erreur de droit, d’où son annulation., sans renvoi par application de l’art. L 821-2 CJA

Nous sommes ainsi rassurés : il n’existe pas encore de locaux fantômes ayant une valeur foncière malgré l’exubérante inventivité de Bercy pour alimenter « la pompe à phynances » chère au Père Ubu.

(30 mars 2022, SNC Beaugrenelle Patrimoine, n° 444837)

 

70 - Produit de la cession à titre onéreux d’un même usufruit temporaire – Personne imposable – Imposition dans la catégorie des revenus à laquelle se rattache le revenu ou bénéfice procuré – Imposition en l’espèce aux bénéfices industriels et commerciaux – Rejet.

Le 1° du 5 de l'art. 13 du CGI décide que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un même usufruit temporaire ou, si elle est supérieure, la valeur vénale de cet usufruit temporaire est imposable au nom du cédant, personne physique ou société ou groupement, dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé.

Dans cette affaire, le Conseil d’État interprète ce texte, pour la première fois semble-t-il, non seulement – cela va de soi -  à la cession à titre onéreux, par le propriétaire d'un bien ou droit, d'un usufruit portant sur celui-ci mais encore, ce qui est beaucoup moins évident même au visa des articles 617 et 619 du Code civil, à la première cession à titre onéreux, par son titulaire, d'un usufruit préconstitué, dans le cas où le cessionnaire bénéficie du droit d'usufruit pour une période qui n'est pas exclusivement déterminée par la durée de la vie humaine. 

C’est donc au prix d’une erreur de droit, selon le Conseil d’État, que la cour administrative d’appel a cru pouvoir juger qu’en l’espèce l’apport fait à une société par la contribuable, pour une durée contractuellement fixée à trente ans, de l'usufruit dont celle-ci était titulaire à titre viager sur les parts d’une autre société n'avait pas la nature d'une cession d'usufruit temporaire, au sens et pour l'application des dispositions précitées du CGI.

Toutefois cette solution suppose admises des prémisses discutables.

(31 mars 2022, Mme C., n° 458518)

 

71 - Taxe sur les encaissements des entreprises du numérique (art. 299 CGI) – Services taxables (art. 299 bis CGI) – Localisation en France – Détermination de cette localisation – Rejets et annulations partiels.

La société requérante demandait l’annulation du rejet implicite par le ministre des finances de sa demande d’abrogation de plusieurs paragraphes des commentaires administratifs parus au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) – impôts en 2020 et 2021.

Ces commentaires ont notamment pour objet d’expliciter des dispositions contenues aux art. 299 et 299 bis du CGI, spécialement ce dernier texte, lesquels créent une taxe sur les services numériques et en organisent le régime juridique en particulier s’agissant de déterminer la notion de « localisation en France » de l’activité taxable ainsi que l’assiette des encaissements taxables.

En premier lieu, sont jugées irrecevables celles des demandes dirigées contre la version des 23 et 30 mars 2020 de ces paragraphes puisqu’une nouvelle version leur a été substituée le 8 avril 2021 rendant ces demandes sans objet. Il convient ici de rappeler qu’il n’en est ainsi que dans le contentieux de la légalité, en revanche, un éventuel recours en responsabilité fondé sur l’existence de préjudices causés du chef et au temps des dispositions remplacées serait recevable et, le cas échéant, fondé.

En deuxième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 170 de ces commentaires en ce qu’il restreint le bénéfice de l'exclusion des services taxables aux seuls jeux proposant des interactions minimes entre les joueurs ou ayant pour principale fonctionnalité le jeu en solitaire, indépendamment du contenu numérique qu'ils proposent, car ce faisant ces commentaires ajoutent à la loi qu’ils ont prétendument pour objet d’expliciter.

En troisième lieu, est jugé entaché d’incompétence le § 80 de ces commentaires en ce qu’il indique que les services proposés par une société à une autre société du même groupe ne peuvent bénéficier de l'exclusion du champ d'application de la taxe lorsque ce service est fourni à l'ensemble des entreprises alors qu’il découle clairement des dispositions du dernier alinéa du 2° du II de l'art. 299 du CGI que sont exclues des services taxables l'ensemble des prestations de services fournies entre entreprises appartenant à un même groupe, sans qu'ait d'incidence à ce égard la circonstance que ces prestations soient rendues dans le cadre d'un service taxable proposé également à des tiers. Comme au cas précédent ces commentaires ajoutent illégalement à la loi.

En quatrième lieu, est rejeté le recours en tant qu’il est dirigé contre le § 30 desdits commentaires administratifs qui se bornent à préciser que les informations figurant dans le compte client d'un utilisateur, notamment celles relatives à son domicile habituel, peuvent, sans être à elles seules suffisantes pour établir avec certitude la présence de cet utilisateur en France, être mobilisées dans le cadre d'un faisceau d'indices pour déterminer sa localisation. Ce faisant, ces commentaires se bornent à mettre en œuvre les dispositions du 2° du II de l'article 299 bis du CGI selon lesquelles la localisation d'un utilisateur est une donnée objective pouvant être appréciée par tout moyen.

En cinquième lieu, le juge procède à une distinction s’agissant de l’appréciation de la légalité du § 140 des commentaires administratifs.

D’une part, il estime que le 4ème alinéa de ce paragraphe ne méconnaît pas la loi qu’il a pour objet d’éclairer, spécialement le 3° du I de l’art. 299 bis précité, dès lors qu’il n’intervient que pour expliciter le régime fiscal applicable lorsqu'un exploitant d'une place de marché impose aux acheteurs d'avoir recours aux offres de transport des biens qu'il propose, en leur facturant des frais de livraison dont le montant varie en fonction de la solution de livraison retenue et, en particulier, en précisant que cette prestation obligatoire de transport ne peut être regardée comme indépendante de l'accès à l'interface numérique elle-même ou de son utilisation. Cette interprétation est, au reste, conforme aux dispositions du I de l’art. 257 ter CGI, à propos des opérations distinctes et indépendantes taxables à la TVA.

D’autre part, les 5ème, 6ème et 7ème alinéas de ce même paragraphe sont jugés entachés d’incompétence en ce que, ajoutant à la loi, celui-ci décide (au lieu d’éclairer) que ne peuvent, en aucun cas, être considérées comme indépendantes de l'accès ou de l'utilisation de l'interface les prestations dont l'acquisition permet de bénéficier de fonctionnalités additionnelles ou améliorées, ou encore d'avantages commerciaux et qu'en particulier, lorsqu'un exploitant d'une place de marché propose aux vendeurs des services logistiques revêtant un caractère optionnel et en concurrence avec d'autres entreprises, mais qui leur permettent de bénéficier de conditions tarifaires plus avantageuses dans l'utilisation de cette place de marché, ces prestations ne sont pas, sur le plan économique, indépendantes de l'accès à la place de marché ou de son utilisation. Cette opinion est évidemment en contradiction avec les dispositions législatives précitées selon lesquelles la simple existence d'une offre promotionnelle conjointe ne saurait caractériser, à elle seule, l'existence de prestations associées ou indispensables.

Enfin, en dernier lieu, concernant les §§ 110 et 150 des commentaires administratifs,  le juge rejette tout d’abord le recours dirigé contre le dernier alinéa du § 110 et les deux premiers alinéas du § 150 en tant qu’ils se bornent à énoncer que lorsqu'une offre commerciale propose à un prix forfaitaire une prestation indissociable comportant une composante taxable et une composante non taxable même si celle-ci revêt un caractère accessoire les dispositions du 3° du I de l'article 299 bis ne font pas obstacle à ce que l'ensemble des sommes versées soit intégrée à la base de calcul de l'assiette de la taxe.

En revanche, le troisième alinéa du paragraphe 150 est jugé entaché d’incompétence car en énonçant que lorsque l'exploitant d'une place de marche commercialise, pour un prix forfaitaire, une offre donnant, pendant une période déterminée, accès à un service de fourniture de contenus numériques ainsi qu'un accès privilégié à la place de marché, cette offre ne peut être artificiellement décomposée, il ajoute aux dispositions de l’art. 257 ter du CGI selon lesquelles l'existence d'une offre commerciale conjointe ne saurait faire obstacle, à elle seule, à ce que les prestations qu'elle rassemble puissent être considérées comme indépendantes.

Le Conseil d’État enjoint au ministre des finances de procéder sous deux mois à l’abrogation de ceux des commentaires administratifs qui sont annulés par la présente décision.

(31 mars 2022, Société par actions simplifiée unipersonnelle Amazon Online France, n° 461058)

 

72 - Redevance d’archéologie préventive (art. L. 524-2 c. du patrimoine) – Note de la direction générale d’un ministère relative à l’impact d’une jurisprudence sur la taxe d’aménagement (art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.) – Rejet d’une QPC – Rejet de la requête.

La requérante demandait l’annulation de « précisions » contenues dans une note d’une direction générale du ministère du logement et de l'habitat durable et relatives, d’une part, à la taxe d'aménagement, et, d’autre part, à la redevance d'archéologie préventive. En même temps elle soulevait une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la contrariété, aux droits et libertés constitutionnellement garantis, de la jurisprudence du Conseil d’État interprétant les art. L. 331-6 et L. 331-10 c. urb.

Le juge refuse de transmettre la QPC et rejette la requête au fond.

L’art. L. 524-2 du code du patrimoine institue une redevance dite d’archéologie préventive calculée dans les conditions prévues aux art. L. 331-10 à L. 331-13 c. urb.

Ces derniers distinguent parmi les opérations concernées, entre autres, deux situations, celle de la reconstruction et celle de l’agrandissement.

Pour le Conseil d’État est une reconstruction « une opération comportant la construction de nouveaux bâtiments à la suite de la démolition totale des bâtiments existants » tandis que l’agrandissement est « une opération ayant pour conséquence une augmentation nette de la surface d'un bâtiment préexistant ».

La différence entre ces deux catégories d’opérations est importante en raison des effets qu’y attache la jurisprudence du Conseil d’État. En cas de reconstruction, la taxe d'aménagement est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu d'en déduire la surface supprimée y compris lorsque l'opération consiste en la reconstruction après destruction totale d'une partie divisible de bâtiments existants. Au contraire, en cas d’agrandissement, la taxe d'aménagement est assise sur la surface créée, déduction faite, le cas échéant, de la surface supprimée.

Cette dualité de traitement de ces deux sortes d’opérations retentit donc directement sur la redevance d’archéologie préventive qui est l’objet du litige.

La requérante développe au soutien de la QPC deux arguments principaux. Tout d’abord, les articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb., tels qu'interprétés par la jurisprudence du Conseil d’État, instituent une différence de traitement contraire au principe d'égalité devant la loi fiscale entre, les redevables de la taxe d'aménagement à raison d'opérations d'agrandissement ceux redevables de cette taxe due à raison d'opérations de reconstruction avec destruction totale des bâtiments existants ou d'une partie divisible d'entre eux. Ensuite, une seconde inconstitutionnalité est relevée en ce que la distinction entre la reconstruction où la taxe est assise sur la totalité de la surface de la construction nouvelle, sans qu'il y ait lieu de déduire la surface détruite et l’agrandissement où la taxe est calculée sous déduction de la surface détruite porte atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques.

Ces moyens sont rejetés selon un raisonnement bien connu : les règles d’assiette de cette imposition sont définies selon « des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec son objet », il y aurait une différence de nature entre les deux catégories d’opérations. Au reste, selon un mantra bien rodé « la loi (…) s'est bornée à régler de manière différente des situations différentes, cette différence de traitement étant en rapport avec l'objet de la loi ».

Exit la QPC, place à l’examen de la requête au fond.

Son rejet coule de source : celles des dispositions de la note dont l’annulation était demandée ne méconnaissent pas, contrairement à ce que soutient la demanderesse, les dispositions des articles L. 331-6 et L. 331-10 c. urb. ni celles des art. L. 331-6 et L. 331-10 de ce code qu'elles commentent ni non plus celles des art. L. 524-2 et L. 524-7 du code du patrimoine qu’elles ont également pour objet de commenter.

Ces rejets successifs fondés sur l’existence de situations, d’objectifs et autres différents justifiant l’adoption de solutions différentes sont agaçants en raison de leur légèreté. Il ne suffit pas de constater qu’une reconstruction est différente d’un agrandissement encore que ce dernier, suppose dans tous les cas, comme la reconstruction, une construction, il faut encore montrer comment et pourquoi la logique de l’institution d’une redevance d’archéologie préventive serait atteinte dans sa substance même comme dans sa finalité en l’absence de ce traitement différencié. Faute quoi, d’une part, toute différence en soi, même minime même artificielle même peccamineuse, suffirait à justifier des inégalités de traitement, d’autre part, l’invocation de l’existence de situations différentes tournerait à la simple figure de style sans consistance et donc impuissante à convaincre dans une matière aussi délicate et conflictuelle que le droit fiscal.

(31 mars 2022, Société civile immobilière Aix Lesseps Tübingen, n° 460168)

 

73 - Fonds communs de placements à risque (FCPR) – Répartition d’actifs entre porteurs de parts – Soumission de la fraction imposable au régime des plus-values à long terme – Condition de délai des apports en capital – Commentaires administratifs ajoutant à la loi – Annulation.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre de l'économie, des finances et de la relance de sa demande tendant à l'abrogation de la dernière phrase du paragraphe n° 120 des commentaires administratifs publiés le 11 mars 2013 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts relatifs au régime fiscal des fonds communs de placement à risque (FPCR).

Elle estimait illégale l’exigence posée par ces commentaires que le bénéfice du régime des plus-values à long terme ne pouvait être accordé à un porteur de parts non souscripteur initial de ces parts qu’à la condition qu’il ait acquis ses parts depuis au moins deux ans à la date de la répartition des parts.

Le Conseil d’État reçoit l’argument car le paragraphe litigieux, en ce disposant, ajoute à la loi qu’il prétend commenter.

En effet, il résulte des dispositions combinées du IX de l’art. L. 214-28 du code monétaire et financier sur la distribution de fractions d’actifs par un FCPR et du 2° du 5 de l’art. 38 du CGI, que lors de la répartition d’actifs entre ses porteurs de parts par un FCPR, que ceux-ci les aient souscrites à l’émission ou qu’ils les aient acquises postérieurement, la fraction imposable de cette répartition est soumise pour sa totalité au régime des plus-values à long terme, à condition que les apports en capital aient été effectués deux ans au moins avant la répartition. 

La requérante est par suite fondée à demander l’annulation de la décision implicite de refus d’abroger ledit paragraphe, le ministre se voyant accorder un délai de deux mois pour procéder à cette abrogation.

 (31 mars 2022, Société Financière Investissement Azur, n° 461406)

 

Droit public de l'économie

 

74 - Acquisition de logements neufs ou en l’état futur d’achèvement - Acquisition bénéficiant d’une réduction d’impôt – Plafonnement des frais et commissions facturés par les professionnels de l'intermédiation commerciale – Légalité – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2019-1426 du 20 décembre 2019 pris pour l'application du X bis de l'article 199 novovicies du CGI et relatif au plafonnement des frais et commissions des intermédiaires intervenant lors d'une acquisition de logement bénéficiant de la réduction d'impôt prévue à cet article.

A défaut de respecter ce plafonnement, les professionnels encourent une amende administrative.

Tous les moyens invoqués, de forme comme de fond, sont rejetés.

Tout d’abord, l’on sait que lorsque l’administration doit procéder à la consultation préalable d’un organisme elle peut toujours lui substituer une consultation du public par le moyen d’un site internet dite « consultation ouverte » (art. L. 132-1 CRPA) ; toutefois, après avoir fait choix d’une consultation ouverte, elle peut décider de recourir à la consultation de l’organisme prévu (ici le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI)). En ce second cas, le requérant ne peut soulever devant le juge de l’excès de pouvoir les irrégularités affectant éventuellement la consultation ouverte pour contester la légalité de la décision prise à la suite de cette dernière consultation.

Ensuite, les dispositions litigieuses qui se bornent à faire application du X bis de l'article 199 novovicies CGI, en tant qu’elles plafonnent les frais de commercialisation versés aux intermédiaires pour la vente de logements éligibles à la réduction d'impôt, limitant ainsi la liberté de ces intermédiaires de fixer les tarifs de leurs prestations, entrent bien, contrairement à ce qui était soutenu, dans les prévisions de l’art. 15 de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car elles constituent une exigence à laquelle l'exercice de l'activité d'intermédiaire commercial en matière immobilière en France est subordonné au sens et pour l’application du § 7 de l’art. 4 de cette directive.

Elles ne comportent aucune discrimination ni à raison de la localisation des intermédiaires ni à raison de leur nationalité.

Elles sont commandées par le souci de moraliser les prix des transactions et d’éviter les montants abusifs des ventes, en violation de l’art. 199 novovicies précité.

Enfin, dans la mesure où le plafonnement ne s’applique qu’aux frais de commercialisation, qu’à l’acquisition de certains types de logement seulement et que dans certaines zones géographiques, ne sont critiquables ni le recours au pouvoir réglementaire pour prendre la disposition querellée, ni le montant du plafond retenu par le décret attaqué, ni la prétendue atteinte au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou au principe de l’obligation d’édicter des mesures transitoires dans un souci de sécurité juridique.

(2 mars 2022, Fédération nationale de l’immobilier (FNAIM), n° 438805 ; Association française de l’immobilier locatif (AFIL), n° 438996 ; Syndicat ANACOFI-Immobilier (ANACOFI-IMMO), n° 439013, jonction)

 

75 - Locaux professionnels – Centres commerciaux - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Application d’un coefficient de localisation au terme d’une comparaison entre deux grands centres commerciaux urbains – Absence d’erreur de droit ou d’inexactitude dans la qualification des faits – Rejet.

Une société de location d’espaces dans des centres commerciaux a demandé, et obtenu du juge la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2017 et 2018 à raison de locaux situés à Marseille, dans les 15e et 16e arrondissements.

Le ministre soutenait que la magistrate déléguée avait commis une erreur de droit et inexactement qualifié les faits de l’espèce à raison de la démarche suivie pour aboutir à sa décision.

Celle-ci, appliquant pleinement les dispositions régissant la matière, issues de l'article 34 de la loi de finances rectificative n° 2010-1658 du 29 décembre 2010, dans la rédaction que lui a donnée la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015, a retenu l’existence d’une différence entre les locaux-types d’un centre commercial situé à « La Valentine », dans le 11e arrondissement, et ces mêmes locaux considérés dans le centre commercial objet du litige, dit « Grand Littoral ». Elle a relevé que les locaux situés dans ce dernier subissaient un taux de vacance élevé, que les tarifs au mètre carré appliqués aux locaux-types, dans la cadre de la révision de la valeur locative des locaux professionnels, étaient supérieurs de 25 % pour les boutiques et de près de 70 % pour les moyennes surfaces à ceux appliqués au centre commercial à évaluer. En outre, la société requérante faisait valoir que le centre commercial en litige est situé au cœur d'un quartier d'habitat social au taux de chômage élevé, ce qui n'est pas le cas du centre commercial « La Valentine ». 

Le recours du ministre est ainsi rejeté.

(2 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 451239)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Locaux appartenant à une société fromagère – Locaux mis à disposition d’une autre société fromagère – Absence d’exonération de la taxe – Rejet.

Une société coopérative de fabrication de fromage mettait ses locaux à disposition d’une autre société fromagère et entendait bénéficier de l’exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties instituée par le b du 6° de l'article 1382 du CGI pour les bâtiments affectés à un usage agricole par les sociétés coopératives agricoles. Or, en l’espèce, la société occupante réalisait, pour son compte, une activité de transformation du lait.

L’exonération a été à bon droit refusée car cette disposition n’est pas applicable à une société coopérative agricole qui loue ou met à la disposition d'une personne tierce des bâtiments, quand bien même les opérations réalisées au sein de ces bâtiments le seraient à partir des seuls produits issus de cultures ou d'élevages des membres de la société coopérative agricole.

En d’autres termes, l’exonération ne joue que dans le cas où une société coopérative agricole occupe ses bâtiments pour y exercer sa propre activité agricole.

(10 mars 2022, Société coopérative « Les Fruitières de Savoie », n° 438828)

(77) V. aussi, assez voisin : 10 mars 2022, Société coopérative agricole (SCA) Cave de l'Ormarine, n° 449226.

 

78 - Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement (art. L. 121-22 c. de l’énergie) – Conditions – Exclusion du bénéfice du remboursement en l’absence d’engagement du fournisseur d’énergie sur l’origine et le mode de production de l’énergie facturée – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus implicite opposé par la Commission de régulation de l’énergie (CRE) à sa demande de remboursement partiel de la CSPE qu’elle a acquittée au titre de l’énergie acquise par elle pour les besoins d’un site qu’elle exploite.

Le recours est rejeté au prix d’une lecture très étroite des dispositions de l’art. L. 121-22 du code de l’énergie  selon lesquelles, notamment : « Les consommateurs finals d'électricité acquérant de l'électricité produite à partir d'une source d'énergie renouvelable (...) dans un État membre de l'Union européenne peuvent demander le remboursement d'une part de la contribution acquittée en application de l'article L. 121-10 pour cette électricité lorsqu'ils en garantissent l'origine (...) ». Le Conseil d’État considère qu’en l’absence de cette garantie d’origine, le remboursement ne saurait avoir lieu même si, comme dans le cas de l’espèce, le consommateur final – et alors que l’électricité est un bien fongible – démontre qu'il a acquis et utilisé des garanties d'origine attestant de la production d'électricité à partir de sources renouvelables dans un autre État membre de l'Union européenne (situées en Finlande, en Slovénie et en Suède) pour des quantités équivalentes.

Il n’est pas certain que la CJUE reprendrait à son compte une interprétation aussi restrictive des termes et exigences de l’art. 15 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

(2 mars 2022, Société Bellevue Distribution, n° 443883)

 

79 - Organisation de producteurs (règlement communautaire du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles) – Organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Reconnaissance d’une SICA (société d’intérêt collectif agricole) en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière – Illégalité pour violation du droit de l’Union – Rejets partiels et renvois préjudiciels.

La requérante demande l’annulation de l'arrêté du 20 décembre 2019 portant reconnaissance de la société d'intérêt collectif agricole (SICA) des betteraviers d'Etrépagny en qualité d'organisation de producteurs dans le secteur du sucre pour la betterave sucrière. Elle invoque à cet effet divers moyens de légalité interne (ceux de légalité externe, sans grand intérêt, n’étant pas étudiés ici), tous organisés autour de l’idée que cette reconnaissance ne respecte pas le droit de l’Union tel qu’il ressort notamment des art. 152, 153 et 154 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Le Conseil d’État rejette tout d’abord le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions du c) du 1 de l'article 154 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013.

D’une part, la SICA des betteraviers d'Etrépagny a conclu avec la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) une convention d'externalisation d'activités par laquelle la CGB s'engage à mettre à disposition de la SICA « au minimum un (emploi) demi-équivalent temps plein », respectant ainsi les exigences minimales posées par l'article D. 551-55 du code rural et de la pêche maritime. D’autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'externalisation prévue se ferait dans des conditions ne permettant pas à l'organisation de producteurs de conserver le contrôle de l'activité externalisée et que le ministre aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en estimant que la SICA disposait de moyens suffisants pour exécuter correctement ses activités.

Il rejette également le moyen tiré de ce que, à supposer même que les conditions de reconnaissance d'une organisation de producteurs soient satisfaites en l’espèce, l'arrêté de reconnaissance attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions prohibant les pratiques anti-concurrentielles figurant aux articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.

La requérante invoquait au soutien de ce moyen deux motifs.

1°/ la présence au sein de la SICA de membres non producteurs tels que la CGB Eure, la CGB Ile-de-France et la société Naples Investissement créerait un risque d'entente et d'échange illicite d'informations au-delà du périmètre de l'organisation de producteurs.

2°/ la seule exemption à la règle prévue par les statuts de la SICA imposant à des adhérents de lui apporter la totalité de leur production n’est prévue qu’en faveur des volumes déjà engagés auprès d'une coopérative sucrière, cette règle conduisant ainsi à favoriser ces coopératives, au détriment de sociétés telles que la requérante elle-même. 

Enfin, le Conseil d’État renvoie à la CJUE trois questions préjudicielles :

- La règle énoncée par le b) du 1 de l'article 153 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, selon laquelle les statuts d'une organisation de producteurs exigent de ses membres de « n'être membres que d'une seule organisation de producteurs pour un produit donné de l'exploitation », doit-elle être interprétée comme valant uniquement pour les membres producteurs ?

Pour s'assurer du respect du principe prévu par le c) du 2 de l'article 153 du règlement (UE) n°1308/2013, selon lequel les producteurs membres d'une organisation de producteurs doivent contrôler, de façon démocratique, leur organisation et les décisions prises par cette dernière : 

- y a-t-il lieu, pour apprécier l'indépendance des membres de l'organisation, de tenir compte exclusivement de la détention de leur capital par une même personne physique ou morale, ou également d'autres liens tels que, pour des membres non-producteurs, l'affiliation à une même confédération syndicale, ou, pour des membres producteurs, l'exercice de responsabilités de direction au sein d'une telle confédération ?
- suffit-il, pour conclure à la réalité du contrôle exercé sur l'organisation par ses membres producteurs, que ces derniers disposent de la majorité des voix, ou convient-il d'examiner si, compte tenu de la répartition des voix entre membres réellement indépendants, la part de voix d'un ou plusieurs membres non-producteurs les met en mesure, même sans majorité, de contrôler les décisions prises par l'organisation ? 

(10 mars 2022, Société Saint-Louis Sucre, n° 439178)

 

80 - Droit public de l’agriculture - Convention-cadre relative à l'exécution de tâches déléguées pour les espèces animales de rente – Convention conclue entre les représentants de l'État dans les départements ou la région et les organismes à vocation sanitaire délégataires – Modèle de convention-cadre établi par instruction ministérielle – Incompétence du ministre de l’agriculture – Moyen soulevé d’office – Annulation.

(10 mars 2022, Association des utilisateurs et distributeurs de l'agrochimie européenne, Coordination rurale union nationale, groupement agricole d'exploitation en commun (GAEC) de la Sapinière et GAEC de Kerguissec, n° 441954)

V. n° 5

 

Droit social et action sociale

 

81 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Accord collectif relatif à un PSE - Signature par une personne n’ayant pas reçu mandat à cet effet – Défaut de conclusion régulière de l’accord - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’a été irrégulièrement signé un accord collectif relatif à un plan de sauvegarde de l’emploi dès lors que, du côté de l’employeur, est intervenue à l’acte la directrice générale adjointe en charge des ressources humaines et de l'éthique et que cette dernière ne disposait pas d'un mandat exprès donné par les entreprises de l'unité économique et sociale (UES) Pierre Fabre pour signer un tel accord.

Est donc exigée praeter legem (cf. les termes de l’art. L. 2231-1 c. trav.) l’existence d’un mandat exprès préalable des entreprises membres de l'UES.

Ce défaut de mandat peut ainsi être soulevé devant le juge de l’excès de pouvoir saisi d’un recours dirigé contre la décision administrative validant le PSE.

(2 mars 2022, Ministre du travail, n° 438136 ; Société Pierre Fabre Santé Information, n° 438200)

 

82 - Salarié protégé – Autorisation administrative de licenciement – Étendue du contrôle exercé par l’inspecteur du travail – Prise en compte du contrat de travail et des conventions collectives lui étant applicables – Obligation de recherche sérieuse de reclassement – Absence de contrôle sur le reclassement externe – Rejet.

En l’espèce, la société exerçant la fonction de mandataire liquidateur d’une autre société avait sollicité et obtenu de l’inspection du travail l’autorisation administrative de licencier trois salariés protégés en leur qualité de représentants du personnel.

Leur recours contre ces décisions administratives ayant été rejeté en première instance comme en appel, ils se pourvoient.

L’essentiel du litige se concentrait sur l’étendue des obligations s’imposant à l’inspection du travail lors de son contrôle du licenciement de salariés protégés.

C’est sur ce point que l’arrêt apporte d’intéressantes précisions.

Le Conseil d’État rappelle que l’objectif de ce contrôle est de s’assurer que le licenciement n’est pas motivé par les fonctions de représentation des salariés et de défense de leurs intérêts exercées par les personnes licenciées. C’est pourquoi l’autorisation administrative de licenciement est un préalable obligatoire à tout licenciement d’un salarié protégé.

Pour cette raison, il incombe tout d’abord à l’inspection du travail de s’assurer de la régularité du fond et de la forme du licenciement en se fondant, d’une part sur le contrat de travail lui-même et d’autre part, sur les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.

Il incombe également à l’autorité administrative de vérifier le sérieux qui a présidé à l’obligation de reclassement en s’appuyant à la fois sur les exigences légales en la matière et, le cas échéant, sur celles de nature conventionnelle (contrat de travail et conventions collectives). Cette exigence comporte à titre principal l’effective recherche par l’employeur des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

En revanche, le juge fixe une limite importante aux obligations mises à la charge de l’administration du travail : il n’appartient pas à cette dernière de vérifier le respect par l'employeur de son obligation de reclassement externe. 

(2 mars 2022, Mme J., n° 442578 ; M. S., n° 442579 ; M. C., n° 442582, jonction)

 

83 - Médecine du travail – Régime propre aux industries électriques et gazières – Pouvoirs dévolus aux médecin-conseils desdites industries – Défaut d’urgence – Rejet de la demande de référé suspension.

Un arrêté ministériel du 27 décembre 2021, modificatif d’un arrêté du 13 septembre 2011, dispose que lorsqu'un médecin-conseil du régime spécial des industries électriques et gazières considère qu'un arrêt de travail n'est pas fondé, il en informe l'employeur qui notifie à l'agent une décision conforme à cet avis. L'agent peut présenter une contestation d'ordre médical contre la décision de l'employeur devant une commission médicale de recours amiable nationale.

La fédération requérante saisit le juge des référés pour en obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

La requérante fait valoir, d’une part, que le caractère national de la commission médicale de recours amiable est dissuasif pour les agents concernés, d’autre part et surtout, qu’il est ainsi porté une atteinte grave et immédiate aux droits et intérêts des agents des industries électriques et gazières dans la mesure où le médecin-conseil peut remettre en cause un arrêt de travail délivré par le médecin traitant de l'agent en imposant à ce dernier de reprendre son travail dans les vingt-quatre heures.

Au vu du débat tenu à l’audience, le juge relève en premier lieu que ce mécanisme ne sera mis en place qu’après accord des parties sur le règlement intérieur de la commission médicale de recours amiable, lequel est toujours en concertation entre elles.

Il indique également que l’examen au fond de la requête en annulation assortissant la demande de suspension aura lieu avant l’été 2022. De là se déduit l’absence d’urgence.

(ord. réf. 3 mars 2022, Fédération nationale des syndicats salariés des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT), n° 461592)

 

84 - Réponse à une question préjudicielle - Établissement d’enseignement privé agricole sous contrat d’association – Enseignant délégué du personnel – Condition de rémunération des heures consacrées à cette fonction – Absence de rémunération par l’État – Obligation incombant à l’établissement employeur – Rejet.

La cour de Poitiers a renvoyé au juge administratif des questions préjudicielles sur le régime applicable à un enseignant d’un établissement privé sous contrat exerçant en qualité de délégué du personnel en ce qui concerne l’imputation ou non des heures consacrées à ces fonctions sur sa dotation horaire globale et la charge de leur rémunération.

Les réponses données par le tribunal administratif n’ayant pas satisfait l’association gestionnaire de cet établissement, celle-ci se pourvoit, en vain.

Le Conseil d’État confirme entièrement la réponse des premiers juges donnée sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire.

Tout d’abord, les heures de dotation accordées aux établissements privés sous contrat d'association, donnant lieu à rémunération par l'État des contractuels agents publics, sont réservées à l'accomplissement par ces derniers d'une obligation de service sous forme d'un service d'enseignement exercé dans les conditions prévues par le contrat d'association, mais des heures de décharges d'activité peuvent être déduites des horaires correspondant à cette obligation de service, dans la mesure où elles correspondent soit à des dispositions applicables aux personnels de l'enseignement public, soit à la possibilité de bénéficier d'autorisations d'absence dans les conditions prévues à l'article R. 813-76 du code rural et de la pêche maritime s’agissant des établissements d’enseignement agricole.

Ensuite, il résulte de ce qui précède que les fonctions de délégué du personnel exercées par l’enseignant d’un établissement privé sont distinctes de celles de délégué syndical, or aucune disposition légale ou réglementaire ne prévoit le principe d'une telle décharge s'agissant des personnels de l'enseignement public. Il s’ensuit que c’est à tort que l’École des Établières a décompté la décharge de service accordée à l’intéressé de la dotation horaire globale qui lui a été accordée pour l'exercice de ses mandats de délégation du personnel.

D’où il suit que la charge de la rémunération de ces heures incombe non à l’État mais à l’établissement.

Enfin, l’École des Établières, tiers au contrat public qui lie l’enseignant à l'État, n'a pu modifier unilatéralement un tel contrat. Elle a toutefois influé irrégulièrement sur son exécution.

(10 mars 2022, Association familiale de gestion de l'établissement privé d'enseignement agricole sous contrat d'association Les Etablières, n° 441913)

 

85 - Règlement intérieur d’une entreprise – Interdiction de la consommation d’alcool – Conditions de restriction des droits des salariés – Prévention des risques professionnels – Existence de risques élevés compte tenu des activités exercées – Annulation.

Dans son règlement intérieur, une entreprise de construction d’automobiles interdit aux employés de son établissement de Sandouville, l’introduction, la distribution et la consommation de boissons alcoolisées. Le directeur régional du travail a imposé la modification de la disposition du règlement intérieur comportant cette prohibition.

L’entreprise a demandé l’annulation de cette décision. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté son recours pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État rappelle qu’il faut ici mettre en balance, d’une part le respect des droits et libertés des salariés et d’autre part l’obligation légale imposée à l’employeur de protéger leur santé et leur sécurité.

Pour casser l’arrêt déféré à sa censure, le Conseil d’État procède en deux temps.

Tout d’abord, il rappelle que l’obligation de sécurité s’impose sans qu’il y ait lieu d’établir l’existence antérieure d’accidents ou l’existence particulière d’un risque.

Ensuite, le juge impose à l’employeur de justifier en quoi l’interdiction édictée répond à des réalités ou à des nécessités objectives.

En l’espèce, il est relevé, pour dire légale la disposition litigieuse du règlement intérieur, « qu'à la date de la décision attaquée, l'établissement de Sandouville de la société Renault employait 2 262 salariés, dont 1 500 utilisaient des machines et outils de carrosserie-montage et utilisaient ou manipulaient des produits chimiques dans le cadre d'activités d'emboutissage, de tôlerie, de peinture, de montage et de contrôle de la qualité par la réalisation de tests. (…) 167 étaient employés à la maintenance des équipements industriels et d'exploitation, 189 à la logistique, 140 à l'assistance technique et (…) moins de 10 % des salariés occupaient des fonctions tertiaires. (…) l'ensemble des salariés étaient appelés à se déplacer régulièrement sur l'ensemble du site et à partager les mêmes locaux. Eu égard, dans ces conditions, aux risques de sécurité auxquels étaient exposés l'ensemble des salariés du site à raison des activités qui y étaient exercées et à l'obligation pesant sur l'employeur de mettre en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 du code du travail au titre de son obligation de sécurité sur le fondement des principes généraux de prévention fixés à l'article L. 4121-2 de ce code, l'administration a porté sur les faits une inexacte appréciation en estimant que les dispositions du règlement intérieur de l'établissement interdisant d'y introduire, distribuer ou consommer des boissons alcoolisées n'étaient pas justifiées par la nature des tâches à accomplir et proportionnées au but recherché. »

La solution doit être pleinement approuvée dans son fondement juridique comme dans son appréhension des faits.

(14 mars 2022, Société Renault, n° 434343)

 

86 - Licenciement d’un salarié sur avis médical d’inaptitude pour danger immédiat – Annulation par l’inspecteur du travail de l’avis et du licenciement – Non-respect prétendu du contradictoire – Rejet.

L’intéressé, ingénieur marketing industriel et « reporting group » à temps partiel, a été licencié par son entreprise à la suite d’un avis médical d'inaptitude pour danger immédiat prononcé par le médecin de travail. Sur recours du salarié l’inspecteur du travail a annulé cet avis et, par suite, le licenciement.

Sur appel de l’entreprise, la décision de double annulation prise par l’inspecteur du travail est annulée.

Le motif retenu est que cette décision est intervenue au terme d'une procédure irrégulière car l’entreprise a été privée de la garantie d'une procédure contradictoire dès lors que l'inspecteur du travail ne l'avait informée ni de la mesure qu'il envisageait de prendre ni des motifs sur lesquels elle reposerait.

Pour annuler cet arrêt à la demande du salarié, le juge de cassation estime que la cour a commis une erreur de droit en jugeant comme elle l’a fait dès lors qu’elle avait elle-même jugé que l’inspecteur avait fait connaître à l’entreprise l'existence du recours formé par le salarié à l'encontre de l'avis du médecin du travail, lui avait communiqué les pièces produites et l'avait invitée à présenter ses observations.

On demeure surpris qu’un texte, fût-il législatif (art. L. 4624-1 c. trav.), puisse reconnaître à un agent public tel un inspecteur du travail, le pouvoir d’annuler une décision médicale même sous le bénéfice d’une motivation et encore qu’il s’agisse d’un avis, dans la mesure où il existe un délit d’exercice illégal de la médecine (cf. art. L. 4161-1 c. santé publ.).

Ce n’est pas l’obligation faite à l’inspecteur ou à l’employeur qui passe outre cet avis médical de motiver sa décision qui est de nature à changer quoi que ce soit à leur incompétence certaine en cette matière. En réalité, le législateur a confondu deux choses : la nature strictement médicale de l’avis et ses effets sociaux ; il a fait basculer la sentence médicale du côté du seul droit du travail, la faisant ainsi tomber sous la puissance souveraine de l’inspecteur du travail. Cette confusion et sa conséquence procèdent d’un parti-pris idéologique.

(15 mars 2022, M. B., n° 442272)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élection présidentielle – Mémento à l’usage des candidats à cette élection établi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Lignes directrices – Absence de motivation – Élection ne ressortissant pas de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision de la CNCCFP adoptant un « mémento à l'usage du candidat à l'élection présidentielle et de son mandataire » au motif qu'il y est indiqué que les prêts ou avances remboursables accordés par des personnes physiques sont prohibés par le troisième alinéa du II de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Les deux moyens développés au soutien de cette requête sont rejetés.

En premier lieu, contrairement à ce qui est soutenu, ce mémorandum ne constitue pas une décision mais des lignes directrices lesquelles ne sont pas soumises à une obligation de motivation.

En second lieu, ne sauraient non plus être invoquées, car inopérantes ici, les dispositions de l’art. 3 du premier protocole additionnel à la Convention EDH, celles-ci ne concernant que des élections en vue du « choix du corps législatif » ce que, d’évidence, n’est pas l’élection présidentielle.

(9 mars 2022, M. A., n° 460212)

 

88 - Élection présidentielle – Limitation du droit de recours des électeurs contre cette élection – Commentaires du Conseil constitutionnel – Décret du 22 décembre 2016 – Rejet.

Dans la présente affaire étaient demandées :

1° l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le président de la république sur la demande du requérant tendant à l'abrogation des termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret n° 2001-213 du 8 mars 2001 dans sa version issue du décret n° 2016-1819 du 22 décembre 2016 ;

2° l’annulation des commentaires mis en ligne sur le site Internet du Conseil constitutionnel intitulés « Qui peut exercer un recours contre les opérations électorales ? » en tant qu'ils font état d'une limitation du droit au recours des électeurs aux seules opérations de vote le jour de l'élection présidentielle ;

3° l’injonction au président de la république d'abroger les termes « de vote » figurant au premier alinéa de l'article 30 du décret précité du 8 mars 2001.

A l’énoncé de ces demandes on ne sera guère surpris de leur rejet par le juge administratif.

Ce dernier relève que la disposition du décret litigieux selon laquelle « tout électeur a le droit de contester la régularité des opérations de vote en faisant porter au procès-verbal mention de sa réclamation » n’a bien évidemment ni pour objet ni pour effet d’empêcher le Conseil constitutionnel d’exercer en cette matière électorale les compétences qui lui sont dévolues tant par l’art. 58 de la Constitution que par les dispositions organiques de l’ordonnance du 7 novembre 1958 (art. 46, 48, 49 et 50) et par celles du III de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel.

Par suite, ne saurait être sérieusement soutenue la méconnaissance par les dispositions critiquées des normes et principes invoqués par le requérant.

(25 mars 2022, M. B., n° 461992)

 

Environnement

 

89 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

V. n° 117

 

90 - Déchets – Déchets se trouvant sur une installation classée pour la protection de l’environnement - Police spéciale des déchets appartenant au préfet (art. L. 541-1 et s. c. env.) – Étendue des pouvoirs du préfet – Rejet.

Les sociétés demanderesses ont été mises en demeure, sous astreinte, par arrêtés préfectoraux, d’évacuer ou de stocker sur place dans les conditions qu’ils fixent, des déchets irrégulièrement déversés par elles sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement. Elles se pourvoient en cassation contre l’arrêt confirmatif de rejet de leurs demandes.

Le pourvoi est rejeté en ses trois branches.

En premier lieu, alors même que ces déchets se trouvaient sur un terrain relevant du régime des installations classées pour l’environnement, les mesures et mises en demeure prises par le préfet relèvent non de la police des installations classées mais d’une autre police spéciale, la police des déchets. Il était donc bien compétent pour prendre les décisions attaquées.

En deuxième lieu, se posait la question de la charge des obligations et donc, corrélativement, des manquements à celles-ci dans la mesure où ces déchets étaient apportés par les deux sociétés requérantes sur un terrain où ils ont été mélangés à d’autres et à de la terre et alors qu’il y avait sur place un détenteur du site à qui incombait la responsabilité des déchets. Appliquant les dispositions très claires des deuxième et troisième alinéas de l’art. L. 541-2 c. env. (selon lesquels :

« Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers.

Tout producteur ou détenteur de déchets s'assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge »), le juge retient que les requérantes ne pouvaient être exonérées de leurs obligations, notamment en s'assurant que la société KLV Terrassement, exploitante d’une installation de déchets inertes, était autorisée à prendre en charge leurs déchets, dont ceux non inertes, et qu’elles devaient supporter les conséquences des manquements constatés aux prescriptions du code de l'environnement.

Enfin, était contestée la solution alternative proposée par le préfet aux contrevenantes : gestion collective des déchets sur le site de l’installation classée ou bien évacuation et gestion par les deux sociétés des déchets non inertes à due proportion de ceux qu'elles avaient chacune apporté sur le site. Le juge de cassation confirme les juges du fond qui ont estimé cette alternative non illégale puisqu’il incombe au préfet de prendre « toute mesure appropriée ».

(7 mars 2022, Société Est Environnement et société Arches Démolition, n° 438611)

 

91 - Installation classée pour les activités de transit, tri, regroupement ou préparation de déchets non-dangereux – Arrêté de suppression de cette installation – Obligation de consigner des sommes pour coût d’évacuation des déchets – Émission de titres exécutoires – Rejet du référé suspension – Annulation.

La société requérante, exploitante depuis 1996 d’une installation classée pour activité de « transit, de regroupement, tri ou préparation en vue de la réutilisation de déchets non dangereux », outre un arrêté de suppression de cette installation, a fait l’objet, sur le fondement de l'article L. 171-8 du code de l'environnement, de deux titres exécutoires d’un montant total de 1,5 million d’euros qu’elle a contestés par un recours en annulation et par un référé en suspension de leur exécution.

La requête en référé a été rejetée en première instance par le double motif qu’elle était manifestement sans objet et que la situation d’urgence invoquée par la demanderesse lui était imputable.

L’ordonnance de rejet est cassée en ses deux motifs.

En premier lieu, le juge des référés a commis une première erreur de droit en se fondant, pour estimer que la requête était sans objet, sur l'effet automatiquement suspensif de l'opposition à un titre exécutoire énoncée à l'article 117 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, alors que, précisément, l'opposition à l'état exécutoire faisant suite à une mesure de consignation ordonnée par l'autorité administrative en application de l'article L. 171-8 du code de l'environnement n'a pas de caractère suspensif. 

En second lieu, le juge a commis une seconde erreur de droit en jugeant que la condition d’urgence n’était pas remplie en l’espèce car cette situation d’urgence était liée à la propre imprudence de la requérante car son activité portait une atteinte réitérée aux intérêts protégés par l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Or il incombait à la juridiction des référés de vérifier, ce qu’elle n’a pas fait, si l'exécution de l'arrêté en cause, dont la légalité était contestée, portait atteinte de façon suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la société demanderesse.

(29 mars 2022, Société Bennes 30, n° 459496)

 

92 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

Les requérants contestaient l’arrêté préfectoral délivrant à une société une autorisation unique pour la réalisation d'un parc éolien ; ayant été débouté en première instance et en appel ils forment un pourvoi en cassation qui est également rejeté.

Des divers moyens invoqués, l’un retient plus particulièrement l’attention. Il est tiré de l’existence du règlement départemental de la voirie du Morbihan, relatif à l'implantation d'éoliennes en bordure de la voie publique dont une disposition n’aurait pas été respectée par le préfet lors de la délivrance de l’autorisation unique.

Il convient de rappeler qu’en vertu de l'article 2 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable à l'autorisation unique contestée, une telle autorisation « tient lieu des permis, autorisation, approbation ou dérogation » prévus par divers textes. Se posait donc une question de hiérarchie des normes entre le règlement départemental de voirie et l’autorisation unique que le juge tranche en faveur de l’autorisation en décidant que ce règlement de voirie n'est pas opposable à cette autorisation dès lors que les dispositions de celui-ci n’appellent « l'intervention d'aucune décision administrative dont l'autorisation unique aurait été susceptible de tenir lieu ».

On peut trouver cette argumentation par trop laconique.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

 

93 - Création d’un parc éolien – Autorisation dérogatoire de détruire ou d’altérer les habitats de reproduction ou de repos de spécimens d’espèces animales protégées – Conditions de dérogation – Absence – Annulation.

Des requérants ont obtenu en appel l’annulation d’un arrêté préfectoral portant autorisation délivrée à la société pétitionnaire de dérogation aux interdictions relatives aux espèces de faune sauvage protégées, dans le cadre de la réalisation de son parc éolien.

La ministre de la transition écologique et la société bénéficiaire de la dérogation se pourvoient. Elles sont déboutées.

Le Conseil d’État rappelle, dans sa formulation habituelle, le régime des conditions d’octroi d’autorisations dérogatoires de projets d’aménagement ou de construction au regard de la protection des espèces animales et végétales :

« (…) un projet d'aménagement ou de construction d'une personne publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces animales ou végétales protégées et de leurs habitats ne peut être autorisé, à titre dérogatoire, que s'il répond, par sa nature et compte tenu des intérêts économique et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur. »

L’existence de cet intérêt public majeur étant acquise, le juge précise encore que « le projet ne peut cependant être autorisé, eu égard aux atteintes portées aux espèces protégées appréciées en tenant compte des mesures de réduction et de compensation prévues, que si, d'une part, il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et, d'autre part, cette dérogation ne nuit pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. »

Le cumul de ces conditions rend donc très difficile la légalité de ces dérogations.

En l’espèce, le juge de cassation reprend à son compte l’analyse faite par la cour administrative d’appel ainsi que la conséquence qu’elle en a tirée.

Relevant que seraient affectées quatre espèces de reptiles, une espèce d'amphibien, soixante-dix espèces d'oiseaux dont neuf à fort enjeu de conservation et que le bénéfice apporté par l’implantation d’éoliennes serait somme toute assez restreint, le projet est, sans surprise, jugé comme ne répondant pas à une raison impérative d'intérêt public majeur.

D’où s’ensuit le rejet des pourvois.

(10 mars 2022, Ministre de la transition écologique, n° 439784 ; Société Parc éolien des Avants-Monts, n° 439786)

 

94 - Autorisation préfectorale d’exploitation d’éoliennes – Sursis à statuer en vue de régularisation – Sursis ordonné sans examen d’un moyen soulevé – Irrégularité – Annulation.

Dans un litige né de l’autorisation d’exploiter quatre éoliennes et deux postes de transformation dont les requérantes demandaient l’annulation, celles-ci ont, notamment soulevé le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les articles L. 181-13 et L. 511-1 du code de l'environnement en raison de l'atteinte qu'il portait à la préservation de l'avifaune, des paysages et du patrimoine culturel. Sans répondre à ce moyen, la cour administrative d’appel a, sur le fondement de l’art. L. 181-18 de ce code, ordonné le sursis à statuer sur la requête dont elle était saisie dans l'attente de la production, par le préfet, d'une autorisation modificative en vue d'obtenir un avis de l'autorité environnementale permettant de régulariser son arrêté querellé. 

Le Conseil d’État lit l’art. L. 181-18 précité comme imposant au juge administratif, avant de prendre la décision de surseoir à statuer, d’une part, qu’il constate préalablement qu'aucun des autres moyens présentés devant lui n'est fondé et n'est susceptible d'être régularisé et d’autre part, qu’il indique dans sa décision de sursis pour quels motifs ces moyens doivent être écartés. 

Faute d’avoir procédé ainsi, l’arrêt est annulé et l’affaire renvoyée à la cour qui l’a rendu.

(10 mars 2022, Association Chazelle-l'Echo Environnement et autres, n° 448766)

 

95 - Désignation de l’exploitant d’un parc d’éoliennes en mer – Autorisations d’exploiter une installation de production d’électricité en mer – Refus implicites d’abrogation de ces décisions – Rejet.

Les trois recours sont joints car dirigés contre la décision implicite de rejet, par la ministre de l’écologie, de demandes tendant à l'abrogation, d’une part, de décisions du 6 avril 2012 désignant l'exploitant du parc éolien, respectivement, au large de Courseulles-sur-Mer, de Saint-Nazaire et de Fécamp, et d’autre part, des décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter une installation de production d'électricité sur le domaine public maritime au large de chacune des trois communes précitées.

Les recours dirigés contre l’attribution de divers lots à la société Éolien Maritime France sont rejetés car, dit le juge, les statuts des requérantes qui visent à la protection de l’environnement ne leur confèrent pas un intérêt leur donnant qualité pour agir contre le refus d’abrogation des décisions du 6 avril 2012 car celles-ci ont pour seul objet, au terme d’un appel d’offres, de retenir une candidature pour l'exploitation d'une installation de production d'électricité. Cette désignation est suivie de l'autorisation administrative d'exploiter une installation de production d'électricité, prévue par l'article L. 311-1 du code de l'énergie, délivrée au candidat retenu, laquelle désigne le titulaire de cette autorisation et fixe le mode de production et la capacité autorisée ainsi que le lieu d'implantation de l'installation. 

Sur ce point, les requêtes sont donc irrecevables.

Les recours dirigés contre les décisions du 18 avril 2012 autorisant la société Éolien Maritime France à exploiter trois parcs éoliens offshore sont rejetées car cette autorisation crée des droits pour son bénéficiaire.

Or, contrairement à ce qui est soutenu en l’espèce, d’une part le cahier des charges de l’appel d’offres n’impose pas une condition de stabilité de l’actionnariat composant la société bénéficiaire et, d’autre part, il ne résulte d’aucun élément du dossier ni que le maintien de la participation de la société Dong Energy dans le capital de la société Éolien Maritime France constituerait une condition de l'autorisation délivrée à la société Éolien Maritime France, ni que la modification du capital de la société titulaire était soumise à une autorisation. 

C’est donc à tort que les requérants demandent l’annulation du refus d’abroger les décisions litigieuses.

(21 mars 2022, Association Libre Horizon et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 457678 ; Association pour la protection du site et de l'environnement de Sainte-Marguerite (PROSIMAR) et groupement des résidents pour la sauvegarde environnementale de la Baule (GRSB), n° 451683 ; Association de protection du site des Petites-Dalles et société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 451684, jonction)

 

Étrangers

 

97 - Contestation d’une mesure d’éloignement assortie d’un placement en rétention – Régime contentieux (art. L. 512-1, III du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, CESEDA) – Contestation d’un arrêté d’expulsion ou d’une autre mesure prise pour l’exécution d’une mesure d’éloignement et/ou de placement en rétention – Régime contentieux distinct du précédent – Inapplicabilité du régime de jugement par ordonnance de l’art. R. 222-1 CJA – Obligation de statuer en formation collégiale – Annulation.

Cette décision illustre parfaitement l’excessive complexité et la quasi-illisibilité d’ensemble du régime contentieux de divers recours susceptibles d’être formés par un ressortissant étranger en fonction des mesures négatives diverses pouvant être prises à son égard.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées du III de l'article L. 512-1 du CESEDA qu’en cas de placement en rétention en application de l'article L. 551-1 de ce code, l'étranger concerné peut demander au président du tribunal administratif l'annulation de l'obligation de quitter le territoire français, de la décision refusant un délai de départ volontaire, de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant, dans un délai de quarante-huit heures à compter de leur notification, lorsque ces décisions sont notifiées avec la décision de placement en rétention. En ce cas le juge saisi statue au plus tard quatre-vingt-seize heures à compter de l'expiration du délai de recours, avec dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Ensuite, cette procédure spéciale est jugée applicable aux recours relatifs à toutes les sortes de décisions qui y sont mentionnées et cela, d’une part, quelle que soit la mesure d'éloignement en vue de l'exécution de laquelle le placement en rétention a été pris, et d’autre part, quand bien même aucun recours n’aurait été formé contre cette dernière mesure.

Enfin, s’agissant des arrêtés d’expulsion comme des mesures en vue de leur exécution, cette procédure spéciale n’est pas applicable, d’où il suit que dans le cas où l’étranger fait l'objet d'un arrêté d'expulsion, alors même qu’il est maintenu en rétention et que l'arrêté d'expulsion n'a pas été contesté, le recours en annulation dirigé contre une décision fixant le pays de renvoi de l’étranger faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion ne peut être examiné que par une formation collégiale du tribunal administratif, sauf utilisation par le juge de la faculté de statuer par voie d’ordonnance conformément aux dispositions de l’art. R. 222-1 du CJA. En outre, ne joue pas ici la dispense de conclusions du rapporteur public à l’audience.

Comme le moyen tiré de ce qu’il ne pouvait pas être statué – comme en l’espèce – par une formation juridictionnelle irrégulièrement composée, puisque unipersonnelle et non collégiale, est d’ordre public, il peut être relevé d’office par le juge de cassation car il n’implique pas d’appréciation sur les pièces du dossier soumis aux juges du fond.

(22 mars 2022, M. B., n° 446639)

 

98 - Demandeur d’asile – Expulsion de son lieu d’hébergement – Autorité compétente pour la décider – Motifs – Rejet.

Cette décision comporte deux précisions nouvelles sur le régime d’expulsion d’un demandeur d’asile du logement qu’il occupe dans un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile.

Tout d’abord, par déduction des articles L. 552-15 et L. 551-16 du CESEDA combinés avec l’art. L. 521-3 du CJA, le juge estime que le préfet ou le gestionnaire du lieu d'hébergement est compétent pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile de toute personne commettant des manquements graves au règlement du lieu d'hébergement, y compris les demandeurs d'asile en attente de la détermination de l'État responsable de l'examen de leur demande d'asile ou de leur transfert effectif vers celui-ci.

Ensuite, pour déterminer l’existence de manquements graves, le juge retient, cette fois non par déduction de textes combinés mais du fait « de l'économie générale et des termes des dispositions précitées » la circonstance pour un demandeur d'asile de se maintenir dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile alors qu'il ne bénéficie plus des conditions matérielles d'accueil et qu'en conséquence, il a été mis fin à son hébergement.

Est donc annulée l’ordonnance qui avait rejeté la demande préfectorale d’expulsion pour absence de manquement grave en l’espèce.

(ord. réf. 22 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 450047)

 

99 - Brexit – Situation des ressortissants britanniques en France au regard du droit au séjour – Régime fixé par le décret du 19 novembre 2020 – Rejet.

Les deux recours joints demandaient notamment l’annulation, assortie d’une injonction, de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le Premier ministre sur une demande tendant à l'abrogation du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020.

Ce décret, pris à la suite du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique, régit l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni.

Le recours est rejeté en ses trois moyens.

En premier lieu, les requérantes soutenaient que l'accord du 17 octobre 2019 sur le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et d’Euratom, sur le fondement duquel a été pris le décret attaqué, priverait les ressortissants britanniques de la citoyenneté européenne, et serait ainsi contraire aux principes et obligations communautaires invoqués par elles. Le moyen est rejeté car le décret litigieux se borne à fixer les modalités du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. En réalité, cette perte ce citoyenneté européenne est la conséquence non de cet accord mais de son entrée en vigueur ainsi qu’il résulte nécessairement des dispositions du § 2 de l’art. 50 du traité sur l’Union européenne.

En deuxième lieu, c’est à tort que les requérantes soutiennent que le décret attaqué aurait méconnu les stipulations des articles 15 et 18 de l'accord de retrait en prévoyant la délivrance d'un titre de séjour d'une durée de dix ans alors qu’il résulte de ces stipulations qu'un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » est délivré de plein droit aux ressortissants britanniques remplissant les conditions qu'il énumère, et que ce titre de séjour est renouvelé de plein droit sauf si la présence du demandeur constitue une menace pour l'ordre public.

Enfin, en troisième lieu, les demanderesses soutiennent que les dispositions du décret litigieux limitant à dix ans la validité du titre de séjour portant la mention « Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE » créent une discrimination entre les ressortissants britanniques titulaires de ce titre et les autres étrangers titulaires des titres ouvrant droit, aux termes de l'article L. 426-4 du CESEDA, à l'obtention d'une carte de résident permanent à durée indéterminée. L’argument, qui peut sembler assez fort, est cependant rejeté motif pris de ce que le principe de non-discrimination en raison de la nationalité énoncé à l'article 12 de l'accord de retrait ne concerne que les situations relevant du champ d'application de l'accord et le principe identique énoncé à l'article 18 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi qu'à l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne concerne que les situations relevant du champ d'application du traité.

Ces principes ne s’appliquent donc qu’en cas de discriminations entre un ressortissant britannique par rapport à un ressortissant d'un État membre ou entre un ressortissant d'un État membre par rapport au ressortissant d'un autre État membre. Ils ne sauraient être invoqués en cas d’éventuelles différences de traitement entre les ressortissants britanniques et ceux des pays tiers.

(22 mars 2022, Mme A., n° 453326 ; Association EUBritizens, n° 456678, jonction)

 

Fonction publique et agents publics

 

100 - Enseignement supérieur – Maître de conférences – Défaut d’autorisation de cumul d’une activité accessoire avec l’exercice d’une fonction publique – Sanction – Réformation partielle du quantum de la sanction.

Maître de conférences, le requérant avait fait l’objet d’une double sanction de la part de son université (interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans et privation de la moitié de son traitement) pour avoir exercé une activité extérieure sans avoir sollicité auprès de son université l’autorisation requise par les textes.

Condamné par la section disciplinaire de l’université à une interdiction d’exercer des fonctions de recherche dans tout établissement d'enseignement supérieur pendant deux ans avec privation de la moitié de son traitement, il a interjeté appel de cette décision devant le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER), statuant en matière disciplinaire. Celui-ci a prononcé la relaxe de l’intéressé.

Sur pourvoi de l’université, le Conseil d’État a annulé le jugement du CNESER et renvoyé le dossier devant lui. Le CNESER a confirmé la décision de relaxe.

L’université s’étant à nouveau pourvue contre ce jugement, le Conseil d’État devait juger au fond et définitivement.

Il juge tout d’abord que le CNESER a commis une erreur de droit en décidant la relaxe du requérant au motif que l'université ayant signé plusieurs contrats en vertu desquels l’intéressé devait participer à des activités de recherche avec des établissements d'enseignement et des entreprises, elle devait être réputée l’avoir tacitement autorisé à cumuler ses activités d'enseignement auprès de l'école de management Audencia de Nantes et de l'école supérieure de commerce (ESC) de Rennes avec son activité principale de maître de conférences à l'université. Selon le Conseil d’État il n’aurait pu y avoir autorisation tacite de cumul d’activités que si l’agent avait formé une demande écrite et motivée en ce sens. A défaut a bien été commise une faute disciplinaire sans qu’ait d’incidence la circonstance que l'université était informée de la participation de l’agent, d'une part, à un programme de recherche résultant d'une convention conclue entre une société qui n’était qu’une filiale de valorisation créée par cette université et l'école Audencia de Nantes, et d'autre part, à une mission confiée par cette même université à l'école supérieure de commerce de Rennes dans le cadre d'un programme de recherches conduit par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. 

Il juge ensuite excessive la sanction d’interdiction d’exercer durant deux années car, relève-t-il non sans une certaine contradiction, que si l’agent « s'est abstenu de demander l'autorisation de cumuler son activité avec ses activités d'enseignement au sein de l'ESC de Rennes et de l'école Audencia de Nantes, lesquelles se sont déroulées pendant plusieurs années, pour une quotité horaire conséquente, excédant d'ailleurs pour l'une celle d'un emploi à temps plein, et des rémunérations très élevées, alors même qu'il avait par le passé sollicité une autorisation de cumul pour une activité accessoire d'enseignement très ponctuelle. Toutefois, il résulte également de l'instruction que durant la même période, l'université d'Aix-Marseille a bénéficié des liens entretenus par M. I. avec ces deux écoles, qu'elle ne pouvait, par suite, totalement ignorer et qu'elle a ainsi noué plusieurs partenariats avec ces écoles. Dans ces conditions, il y a lieu de réformer la sanction prononcée à l'égard de M. I... par la commission disciplinaire de première instance en ramenant la sanction d'interdiction d'exercer toute fonction de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur à une période d'un an assortie de la privation de la moitié du traitement. »

En somme, pour le juge, la connaissance certaine par l’université – et ce pendant plusieurs années – de l’existence d’une activité menée par un de ses enseignants à l’extérieur de l’université et le fait qu’elle en ait tiré un certain bénéfice, si elle peut avoir un effet sur le quantum de la sanction infligée, ne saurait donner naissance à une autorisation tacite de cumul d’activités, laquelle présuppose une demande écrite expresse de l’agent.

Au reste, cette règle d’autorisation de cumul nous semble plutôt discutable, d’une part, parce qu’elle inverse indûment la charge de la preuve : c’est à l’administration d’établir que, du fait, de l’exercice d’une activité accessoire, il est – éventuellement - porté atteinte à la qualité du service ou à son fonctionnement, et d’autre part, il est bien connu que les autorisations et, surtout, les refus d’autorisation de cumul sont loin de satisfaire toujours – ni même souvent -  aux motifs en vue du respect desquels cette procédure a été instituée.

(2 mars 2022, Université d’Aix-Marseille, n° 432959)

(101) V. aussi, confirmant le bien-fondé de l’annulation par le CNESER de la sanction d‘interdiction, pendant un an, faite à un maître de conférences par le conseil de discipline de son université, d'accéder à une classe, un grade ou un corps supérieur, faute de preuve suffisante en ce sens et en dépit du régime probatoire particulier des faits de harcèlement moral allégués à son encontre : 2 mars 2022, Université de Poitiers, n° 444556.

 

102 - Covid- 19 - Examens et concours d’accès à la fonction publique – Instauration de règles dérogatoires – Obligation de respecter l’égalité entre les candidats – Dérogations devant être strictement nécessaires à raison de l’épidémie – Rejet.

L'ordonnance du 27 mars 2020 relative à l'organisation des examens et concours pendant la crise sanitaire née de l'épidémie de Covid-19 permet en son article 5, en cas de besoin et par dérogation, l’organisation des examens et concours d’accès à la fonction publique sans la présence physique des candidats ou de tout ou partie des membres du jury ou de l'instance de sélection, lors de toute étape de la procédure de sélection. 

Candidat malheureux à un concours de recrutement en vue de l’accès à la magistrature, le requérant demandait l’annulation de cette disposition.

Le recours est rejeté en tous ses moyens, de forme comme de fond, articulés autour de l’idée générale que l’ordonnance ne pouvait traiter de la même manière les recrutements dans la magistrature et ceux dans la fonction publique « de droit commun ».

Sur la forme, était critiquée, d’une part, l’absence de recours à la loi organique s’agissant du recrutement de magistrats de l’ordre judiciaire et d’autre part l’absence du contreseing du garde des sceaux sur l’ordonnance litigieuse, en qualité de « ministre responsable ». Ces deux moyens ne pouvaient prospérer car la mesure adoptée ne touche point au statut de la magistrature et d’autre part n’entrait point dans les compétences dévolues au garde des sceaux.

Sur le fond, tout d’abord, l’expression « fonction publique » dont use l’ordonnance doit s’entendre, à raison de la généralité de ses termes, comme s’appliquant également à l’accès aux fonctions de magistrat.

Ensuite, contrairement à ce que soutient le requérant, la dispense de présence physique ne viole pas l’égalité entre les candidats car elle ne les expose pas à être traités différemment les uns des autres.

Également, les dispositions critiquées, d’une part, sont motivées par le souci d'assurer la continuité des recrutements et promotions, dans le respect de l'égalité de traitement entre les candidats et, d’autre part, ne peuvent être mises en œuvre que dans la mesure où elles sont nécessaires pour faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation. Elles ne sauraient donc de ce fait être arguées d’illégalité.

Enfin, le recours est dirigé contre une ordonnance de l’art. 38 non ratifiée mais pour laquelle est expiré le délai d’habilitation, c’est pourquoi, en vertu d’une jurisprudence – parfaitement incongrue - du Conseil constitutionnel, la critique reposant sur l’atteinte que cette ordonnance porterait à des droits ou libertés constitutionnellement garantis (principe d'égal accès aux emplois publics garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et incompétence négative du législateur affectant de tels droits ou libertés) ne peut être conduite qu’au travers d’une QPC.

Faute qu’ait été respecté cette exigence procédurale, les griefs articulés de ce chef sont irrecevables.

(2 mars 2022, M. F., n° 439830)

 

103 - Covid-19 – Agent hospitalier non vacciné – Suspension de ses fonctions – Doute sérieux sur la légalité de cette mesure – Suspension de celle-ci – Annulation.

Une agent affectée à la cuisine centrale d’un hôpital ayant refusé de satisfaire à l’obligation vaccinale, a été suspendue de ses fonctions et de son traitement jusqu’à ce qu’elle satisfasse à cette obligation légale (cf. art. 12 de la loi du 5 août 2021) et elle a saisi le juge du référé suspension qui, estimant douteuse la légalité de cette décision, l’a suspendue au motif que l’intéressée travaille dans la cantine du CHU de Saint-Etienne dont les locaux sont situés à distance des autres locaux de cet établissement de santé.

Sur pourvoi du CHU, le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de l’erreur de droit sur laquelle elle repose dès lors que l’obligation vaccinale susmentionnée concerne les personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, ce qui exclut que puisse être pris en considération pour dispenser de cette obligation légale l'emplacement des locaux en question ou la circonstance que l’agent ait ou non des activités de soins ou encore qu’il soit ou non en contact avec des personnes malades ou des professionnels de santé.

(2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 458237)

(104) V., identique : 2 mars 2022, CHU de Saint-Etienne, n° 459274.

(105) V. aussi, très comparable, concernant un contrôleur principal affecté à la trésorerie hospitalière Nord-Drôme : 2 mars 2022, Ministre des solidarités et de la santé, n° 459589 ; Ministre de l’économie et des finances, n° 459790.

(106) V. également, jugeant que la suspension d’activité et de traitement assortissant l’absence de vaccination d’une infirmière exerçant dans un établissement de santé et actuellement en congé maladie, ne peut être appliquée qu’au retour de celle-ci, à la fin de son congé pour maladie et que c’est donc sans erreur de droit que le premier juge a notamment sursis à l’application de la décision litigieuse jusqu’au retour de l’intéressée : 2 mars 2022, Groupe hospitalier Bretagne Sud, n° 458353.

 

107 - Directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) – Procédure disciplinaire – Procédure contradictoire – Obligation de communication de l’ensemble des pièces sauf celles pouvant porter de graves préjudices aux témoins – Communication incomplète – Illégalité – Annulation.

Nouveau rappel que : « Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public ou porte sur des faits qui, s'ils sont établis, sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire ou de justifier que soit prise une mesure en considération de la personne d'un tel agent, le rapport établi à l'issue de cette enquête, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, sauf si la communication de ces procès-verbaux est de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. »

Application à l’espèce où le juge des référés avait écarté, pour rejeter la requête en référé suspension, le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'irrégularité du fait que le requérant n'avait pu avoir communication de l'intégralité des pièces de son dossier.

La requête est cependant rejetée faute que le demandeur ait établi l’existence d’une urgence à statuer.

(7 mars 2022, M. B., n° 453339)

 

108 - Magistrature – Candidat à une intégration directe dans le corps judiciaire – Avis défavorable de la commission d’avancement – Étendue et limite de son pouvoir d’appréciation – Incapacité à justifier du motif du refus – Annulation avec injonction de prendre une nouvelle décision sous deux mois.

Le requérant, ancien avocat, a sollicité son intégration directe dans la magistrature. Et cela lui a été refusé suite à un avis défavorable de la commission d’avancement.

On sait qu’en principe – et c’est là un fréquent motif de rejet des recours dirigés contre des refus d’intégration directe – d’une part, il n’existe aucun droit des candidats à se voir accorder une intégration directe, et, d’autre part, la commission d'avancement dispose d'un large pouvoir dans l'appréciation de l'aptitude de candidats à exercer les fonctions de magistrat. Pourtant, ici, la décision de refus opposée par le garde des sceaux est annulée. Le fait est assez rare pour être relevé.

Le Conseil d’État, pour parvenir à ce résultat, utilise une technique classique : quelle que soit l’étendue du pouvoir discrétionnaire d’une personne ou d’un organisme public encore faut-il que sa décision soit compréhensible au regard des éléments de fait de l’espèce. Ce n’était pas le cas ici ainsi qu’on va en juger.

Le candidat, décrit le Conseil d’État, « né en 1967, est titulaire d'une maîtrise et d'un diplôme d'études approfondies de droit public de l'université de Nancy, a passé le certificat d'aptitude à la profession d'avocat en 1996 et exerce depuis 1997 la profession d'avocat, d'abord au sein d'un cabinet spécialisé en procédure civile à Thionville, puis dans un cabinet généraliste à Metz, avant d'exercer pour son propre compte depuis 2006, à Metz, en particulier en droit commercial et en droit de la famille. Sa candidature à l'intégration dans la magistrature a reçu, le 2 avril 2019, un avis « favorable » du procureur général et de la première présidente de la cour d'appel de Metz, sous réserve d'approfondir sa réflexion sur des questions relatives au statut de la magistrature et aux évolutions de l'organisation judiciaire prévues par la loi du 23 mars 2019 de réforme de la justice, ainsi qu'un avis « très favorable » du président du tribunal de grande instance de Metz et du procureur de la République près ce tribunal ainsi qu'une dizaine d'attestations très favorables de magistrats en fonction et d'anciens magistrats ou de fonctionnaires l'ayant connu dans l'exercice de leurs fonctions. »

Or, face à cela, il n’a pas été possible malgré la mesure d'instruction diligentée par la 6ème chambre de la section du contentieux, tendant à la production des motifs qui ont fondé l'avis défavorable de la commission d'avancement sur la demande d'intégration directe puisqu’« aucun élément de nature à justifier cet avis n'a été produit par le garde des sceaux, ministre de la justice ».

Appliquant la solution inaugurée par l’arrêt Barel (Assemblée, 28 mai 1954, RDP 1954 p. 509-538, concl. Maxime Letourneur, note Marcel Waline) et complétée notamment par l’arrêt Jules Vicat-Blanc (21 décembre 1960, D. 1961 p. 421, note René Chapus), le Conseil d’État annule « faute de justification » la décision de refus d’intégration directe. Il ne dit pas que l’intéressé doit être intégré mais seulement que le juge n’a pas été mis en mesure de comprendre pourquoi un refus lui a été opposé.

La commission d’avancement dispose de deux mois pour, après réexamen du dossier de l’intéressé, prendre une nouvelle décision sur sa demande d’intégration directe.

(10 mars 2022, M. A., n° 444812)

 

109 - Instruction ministérielle – Instruction fixant la mesure du temps de travail effectif des agents – Recours à un mode de calcul forfaitaire – Disposition de nature statutaire – Exigence d’un décret en Conseil d’État – Incompétence du ministre – Annulation.

Une instruction ministérielle dite « instruction générale harmonisée relative au temps de travail des agents titulaires de la direction générale des finances publiques (DGFIP) », dispose dans sa mise à jour d’octobre 2019 (en son point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er) que, pour les agents couverts par le régime des horaires variables et effectuant une mission hors du service pour une journée ou plus, cette mission est comptabilisée forfaitairement sur la base d'1/5ème de la durée hebdomadaire de travail, ou à hauteur d'un 1/10ème de la durée hebdomadaire lorsque la mission est inférieure ou égale à une demi-journée.

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette disposition ainsi que contre le document édité par la DGFIP et intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité » daté de décembre 2019, en tant qu'il reprend la teneur du point 1.2.3.2. de la section 2 du chapitre 1er de cette instruction concernant le décompte du temps de travail des agents en mission, le Conseil d’État procède à l’annulation directe du premier de ces textes et à l’annulation par voie de conséquence du second.

Il juge, en effet, que ce décompte du temps de travail par adoption d’une méthode forfaitaire, non prévue par le statut, suppose une modification de celui-ci qui relève d’un décret en Conseil d’État, d’où se déduit l’évidente incompétence du ministre pour la décider lui-même par l’instruction contestée.

Sont donc annulés l’instruction querellée et le document intitulé « questions / réponses nouveau réseau de proximité ».

(14 mars 2022, M. D., n° 438315)

(110) V. aussi, en présence du même requérant et à propos de cette même instruction ministérielle dans sa version d’août 2019, en tant que le paragraphe 3 de la section 3 du chapitre 1 de la 2ème partie du titre I de celle-ci prévoit qu'un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité, y compris pour un fonctionnaire qui cesse définitivement son activité au sein de l'administration tout en conservant, à la date de cessation de cette activité, des congés payés annuels non pris.

Ce texte est jugé illégal car il reprend les dispositions de l’art. 5 du décret du 26 octobre 1984 lequel est contraire au droit de l’Union en matière de conséquences découlant de la fin de la relation de travail tel que ce droit est interprété par la jurisprudence de la CJUE (6 novembre 2018, Stadt Wuppertal, aff. C-569/16 ; Volker Willmeroth, aff. C- 570/16 ; Kreuziger, aff. C-619/16).

La disposition litigieuse est annulée : 14 mars 2022, M. D., n° 441041.

 

111 - Pension de retraite – Nombre de trimestres de cotisation validés – Règle de « l’arrondi » (art. R. 26 c. pensions civiles et militaires de retraite) – Règle applicable au calcul de la durée des services non à celui de la durée d’assurance – Annulation.

L’art. 26 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit que, pour la détermination du nombre de trimestres retenus pour le calcul des droits à pension de retraite, lorsque s’est écoulée une durée d’au moins 45 jours, cette période est décomptée comme un trimestre entier.

Toutefois le Conseil d’État précise ici que cette règle d’arrondi ne s’applique qu’à la durée des services accomplis pour laquelle le reliquat de 45 jours au moins vaut trimestre travaillé non à la durée de cotisation pour laquelle 45 jours ne valent qu’un demi-trimestre.

(14 mars 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 449792)

 

112 - Pensions militaires d’invalidité – Prise en compte d’infirmités étrangères au service – Conditions – Effets – Cas d’infirmités multiples – Annulation.

L’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ouvre droit à pension en cas d'aggravation, par le fait ou à l'occasion du service, d'infirmités étrangères au service. Selon l'art. L. 4 du même code : « Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. (…) ».

Pour cela, le même article fixe notamment les règles suivantes :

1° seules ont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 % ;

2° lorsque l'infirmité résulte exclusivement de maladie, elle n’ouvre droit à pension que si le degré d'invalidité qu'elle entraîne atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples ;

3°, enfin, en cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions qui viennent d’être indiquées.

Le requérant, radié des cadres de la marine nationale en 2011, s'est vu reconnaître par un jugement du tribunal des pensions militaires de Marseille, rendu en 2015 et devenu définitif, un droit à pension militaire d'invalidité pour l'infirmité « trouble anxio-dépressif » au taux de 30 % à compter du 8 janvier 2002. Puis, par un jugement du 9 mai 2019, ce tribunal a également reconnu à l'intéressé un droit à pension au titre des infirmités « syndrome d'apnée du sommeil », « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque » et « édenture ».

Sur appel du ministre des armées, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement et rejeté les demandes de M. K. : celui-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt seulement en tant qu’il lui a dénié le droit à pension pour l'infirmité « hypertension artérielle avec retentissement cardiaque ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, pour rejeter la demande de l’intéressé au titre de l’« hypertension artérielle avec retentissement cardiaque », a considéré, au vu de l’expertise qu’elle avait ordonnée, que le taux d'invalidité entraîné par cette affection, étrangère au service mais aggravée par le seul fait du service, était de 15 %, dont 10 % seulement du fait du service. Elle en a donc conclu que, n'atteignant pas le degré d'invalidité de 30 % exigé par les dispositions de l’art. 4 précité, cette affection ne pouvait pas ouvrir droit à pension. 

Elle n’a pu parvenir à cette solution qu’en ne retenant pas l'existence de l'affection de « trouble anxio-dépressif » retenant sans doute qu’une pension d'invalidité avait déjà été allouée à l'intéressé à ce titre.

C’est là précisément que gît l’erreur de droit : la cour devait apprécier, pour déterminer le droit au bénéfice d'une pension au titre de l'aggravation de l'hypertension artérielle, si cette dernière combinée avec le « trouble anxio-dépressif » ne constituait pas une situation d’infirmités multiples au sens et pour l’application de l’art. L. 4 précité.

Statuant au fond par l’effet de l’art. L. 821-2 CJA, le Conseil d’État, appliquant les règles de calcul énoncées à l’art. L. 9 du code des pensions militaires d’invalidité, juge que le requérant est fondé à demander l'attribution d'une pension au taux de 45 %, taux qui se substitue au taux de 30 %, à compter du 26 novembre 2008, date de réception de sa demande.

(22 mars 2022, M. K., n° 442509)

 

113 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

V. n° 136

 

114 - Suspension d’un conseiller référendaire à la Cour des comptes – Mesure sans caractère disciplinaire – Soupçon de commission de faits d’exhibition sexuelle dans le bureau de l’intéressé – Mesure conservatoire dans l’intérêt du service - Absence d’exigence de soumission de la mesure de suspension à une obligation de motivation comme à une procédure contradictoire – Rejet.

Le requérant soupçonné, avec grande vraisemblance, de s’être rendu coupable du fait d’exhibition sexuelle dans son bureau, a été suspendu de ses fonctions de référendaire à la Cour des comptes par un décret du président de la république pris sur proposition du premier président de la Cour des comptes. Il demande l’annulation de cette mesure de suspension, arguant de divers griefs à l’encontre de sa juridicité, tous rejetés.

La mesure en question, prise sur le fondement des dispositions de l’art. L. 124-10 du code des juridictions financières, contrairement à ce que soutient le requérant, ne constitue pas une mesure disciplinaire, - laquelle aurait nécessité la communication de son dossier à l’intéressé, une motivation de la décision et une procédure contradictoire -, mais une mesure conservatoire prise dans l’intérêt du service, à la fois s’agissant de son fonctionnement interne et de son image extérieure compte tenu du retentissement  de ces faits et des fonctions exercées par la personne suspendue. Il faut et il suffit pour qu’une telle décision soit prise légalement que soit rapportée l’existence vraisemblable de faits graves, éléments que le Conseil d’État juge réunis en l’espèce.

(21 mars 2022, M. Naïl Bouricha, n° 452722)

 

115 - Fonction publique territoriale – Convention de prestations de services avec une collectivité territoriale – Conclusion postérieure d’un contrat à durée déterminée – Refus d’une intégration sur la base d’un contrat à durée indéterminée – Refus de considérer la collectivité comme l’employeur du requérant – Cassation.

Le requérant a conclu le 13 septembre 1995 avec la commune (devenue collectivité territoriale d'outre-mer) de Saint-Barthélemy une convention de prestations de services consistant en des prestations de conseil et de rédaction juridiques ainsi que de gestion des contentieux. Cette convention, plusieurs fois renouvelée, a été remplacée en octobre 2006 par un contrat à durée déterminée de trois ans (2006-2009), sur le fondement de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984, contrat renouvelé une fois (2009-2012), puis par un courrier du 10 juillet 2012, le président de la collectivité de Saint-Barthélemy a informé l’intéressé que le contrat arrivant à échéance le 30 novembre 2012 ne serait pas renouvelé, la collectivité lui reprochant des retards et absences injustifiées ainsi qu'un manque de rigueur dans le suivi des dossiers.

L’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande : 1° d’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par la collectivité territoriale sur sa demande du 26 décembre 2016 tendant à sa réintégration sur la base d'un contrat à durée indéterminée, 2° d’injonction au président de cette collectivité de lui proposer un contrat à durée indéterminée et 3° de condamnation à l'indemniser du préjudice subi du fait de son éviction.

Le tribunal a condamné la collectivité à verser à M. A. une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'absence de proposition d'un contrat à durée indéterminée et rejeté le surplus de sa demande. La cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par M. A. contre ce jugement en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à sa demande et, sur l'appel incident de la collectivité, a annulé ce jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi, et a rejeté la demande d'indemnisation de M. A.

Celui-ci se pourvoit et obtient gain de cause.

Le Conseil d’État, pour se prononcer sur ce litige, se fonde sur les dispositions, d’une part, de l'art.15 de la loi du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique et, d’autre part, de l’art. 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique.

Le juge interprète ces textes – qui ont pour objet principal la résorption de la précarité dans la fonction publique - comme imposant au juge administratif, lorsqu’il est saisi d’une demande invoquant ces dispositions, de vérifier si en dépit de l'existence de contrats antérieurs conclus sous la forme de conventions de prestations de services, l'agent peut être regardé comme ayant accompli la durée nécessaire de services publics effectifs auprès de la même personne publique en qualité d'agent de celle-ci. Et le Conseil d’État énumère quelques-uns des indices permettant cette détermination par la méthode bien connue en plusieurs matières dite du faisceau d’indices.

En l’espèce, il est relevé que « M. A. exerçait de fait, sous l'autorité directe (du) maire de la commune puis président de la collectivité territoriale, les fonctions de responsable du service juridique de la collectivité. Il travaillait avec les moyens de cette collectivité et disposait d'un bureau personnel à l'hôtel de ville. Il a assuré la représentation de cette collectivité au sein de plusieurs commissions administratives et instances consultatives et recevait les convocations à des réunions, commissions et séances du conseil municipal, adressées par le maire. Il a au demeurant continué à exercer les mêmes fonctions dans les mêmes conditions lorsqu'il est devenu agent de la collectivité sous contrat à durée déterminée signé le 17 octobre 2006. Il percevait une rémunération mensuelle forfaitaire en qualité de prestataire et a perçu ensuite une rémunération équivalente lorsqu'il est devenu agent contractuel en 2006, ses frais professionnels ayant toujours été directement pris en charge par la commune. Il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, comme l'allègue la collectivité, M. A. aurait eu d'autres clients lorsqu'il travaillait pour le compte de celle-ci sous le statut de prestataire. Par ailleurs, la circonstance que M. A. aurait proposé ou a accepté le recours au statut de prestataire en 1995 est sans incidence, dès lors qu'il convient de qualifier le contrat au regard de la consistance réelle du lien qui a uni les parties tout au long de ces années ».

Fort de cette analyse, le Conseil d’État ne peut guère que constater l’inexacte qualification de ces faits dont la cour administrative d’appel a entaché son arrêt en jugeant que les éléments du dossier « ne permettaient pas de regarder la collectivité de Saint-Barthélemy comme étant en réalité l'employeur de M. A. lorsqu'ils étaient liés par une convention de prestations de services ». 

L’arrêt est cassé avec renvoi.

(30 mars 2022, M. A., n° 440051)

 

116 - Agent non titulaire devenu titulaire – Montant minimum de la rémunération après titularisation – Montant ne pouvant être inférieur à 70% de la rémunération perçue avant titularisation – Incidence sur le reclassement indiciaire – Cas des agents en régime de temps de travail partiel – Rejet.

Dans le souci de garantir une rémunération minimale aux agents titularisés dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État, les textes (I de l'article 7 du décret du 23 décembre 2006 relatif aux règles du classement d'échelon consécutif à la nomination dans certains corps de catégorie A de la fonction publique de l'État et art. 1er de l'arrêté du 29 juin 2007 fixant le pourcentage et les éléments de rémunération pris en compte pour le maintien partiel de la rémunération de certains agents non titulaires accédant à un corps soumis aux dispositions du décret précité) ont prévu qu'à quotité de travail inchangée, le traitement brut effectivement perçu par un agent postérieurement à sa titularisation ne peut être inférieur à 70 % de la rémunération moyenne mensuelle brute effectivement perçue par l’agent avant cette titularisation, calculée sur la base des six meilleures rémunérations mensuelles perçues au cours de la période de douze mois précédant sa titularisation.

Cette règle impose donc à l’autorité de titularisation de reclasser l’agent à des indices (brut et majoré) tels qu’ils lui assurent une rémunération au moins égale à 70% de sa rémunération antérieure à sa titularisation déterminée comme indiqué ci-dessus.

En l’espèce, une ingénieure de l'agriculture et de l'environnement stagiaire bénéficiait d'un temps de travail partiel de 6/7èmes dans le dernier poste qu'elle occupait avant sa titularisation et a continué après cette titularisation à travailler selon la même quotité de temps. Elle a été reclassée aux indices brut 611 et majoré 513, ce qui ne lui permettait de ne percevoir que 65% de sa rémunération antérieure au lieu des 70% fixés par la réglementation.

Le ministre de l’agriculture employeur s’est pourvu en cassation contre l’arrêt d’appel qui a considéré que, dans le cas particulier des agents travaillant à temps partiel, l’échelon de reclassement devait être déterminé à partir de la rémunération que ces agents auraient dû percevoir s'ils avaient exercé leurs fonctions à plein temps avant titularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi, l’arrêt étant dépourvu de l’erreur de droit invoquée par le ministre demandeur au pourvoi.

(30 mars 2022, Ministre de l’agriculture et de l’alimentation, n° 441191)

 

Hiérarchie des normes

 

117 - Autorisation préfectorale de création d’un parc éolien – Régime de l’autorisation unique (cf. art. 2 de l’ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement) – Règlement départemental de voirie relatif à l’implantation d’éoliennes – Document inopposable à une autorisation unique même s’il tient lieu d’une autorisation d’urbanisme – Rejet.

(7 mars 2022, M. B. et autres, n° 440245)

V. n° 92

 

118 - Décret du 8 avril 2020 attribuant aux préfets un pouvoir de dérogation – Pouvoir limité à certaines matières et ne concernant que des dispositions non réglementaires – Dérogations justifiées par les circonstances locales, soumises aux normes supérieures et motivées par l’intérêt général – Rejet.

Les diverses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 attribuant aux préfets de région et de département, ainsi qu’aux représentants de l'État dans les collectivités d'outre-mer, le pouvoir de déroger en certaines matières et pour certains motifs à des « normes arrêtées par l’administration ».

Les moyens de légalité interne (ceux de légalité externe ne devant pas retenir l’attention) sont tous rejetés.

En premier lieu, le juge relève que la formule citée plus haut ne désigne que des actes administratifs non réglementaires, ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ses destinataires ne peuvent déroger ni aux actes réglementaires ni, a fortiori, aux normes d’un rang supérieur.

En second lieu, ce pouvoir de dérogation : 1° ne peut être exercé qu'afin d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; 2° ne peut concerner que certaines matières limitativement énumérées ; 3° doit être justifié par un motif d’intérêt général ; 4° doit être motivé par la prise en compte de circonstances locales le justifiant ; 5°, enfin, ne saurait affecter ni les intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni de façon disproportionnée les objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

Enfin, la circonstance que le décret attaqué n'énumère pas les normes susceptibles de faire l'objet d'une dérogation, ni ne détaille les motifs d'intérêt général ou les circonstances locales susceptibles de justifier les dérogations accordées sur son fondement n'est pas de nature à caractériser une méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme ni à le faire considérer comme entaché d'incompétence négative ni, non plus, de porter atteinte au principe de sécurité juridique. Il n’est pas davantage entaché d'erreur manifeste d'appréciation, faute d'encadrer suffisamment le pouvoir de dérogation reconnu aux préfets. 

(21 mars 2022, Les amis de la Terre France, Notre affaire à tous, Wild et Legal et Maïouri Nature Guyane, n° 440871 ; Union fédérale des consommateurs (UFC) - Que choisir, n° 441069, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

119 - Étranger demandeur d’asile – Homonymie – Demande considérée comme une demande de réexamen – Erreur des services – Obligation pour l’intéressé de recommencer ses démarches – Rejet.

L’intéressé s'est présenté en préfecture en novembre 2021 et y a déposé une demande d'asile. En raison d'une homonymie, la préfecture a requalifié sa demande en demande de réexamen d'une précédente demande d'asile et l'a transmise comme telle à l'OFPRA.

L’OFPRA, en janvier 2022, a renvoyé le formulaire de demande de réexamen au demandeur en lui indiquant qu'aucune décision le concernant n'avait été prise sur une précédente demande d'asile, qu'il ne pouvait donc présenter une demande de réexamen et qu'il lui appartenait de faire enregistrer une demande d'asile.

Le requérant faisait valoir qu'il incombait à l'OFPRA de corriger l'erreur commise par les services de la préfecture, d'instruire sa demande et d'en informer le préfet pour qu'il lui délivre une attestation. Le premier juge a rejeté la demande en référé liberté.

Le recours est à nouveau rejeté en appel au motif que l'OFPRA ne peut examiner une demande d'asile qui n'a pas été préalablement enregistrée comme telle en préfecture et qu’il appartient, en conséquence, à l’intéressé, de faire enregistrer une demande d'asile, en complétant un formulaire plus détaillé que celui qu'il avait soumis à l'appui de la demande de réexamen.

C’est pourquoi, il ne saurait être soutenu qu’il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. 

La solution n’est pas très satisfaisante au regard des exigences de bienveillance s’imposant en cas de faute de l’administration.

Ce rejet ne préjuge évidemment pas du droit de l’intéressé à obtenir réparation du préjudice éventuellement causé par ce dysfonctionnement administratif qui ne lui est en rien imputable.

(8 mars 2022, M. B., n° 461453)

 

120 - Liberté d’association – Associations recevant des subventions publiques – Obligation de souscription d’un contrat d’engagement républicain – Atteinte à la liberté d’association – Absence et défaut d’urgence – Rejet.

Onze associations contestaient en référé, et en demandait la suspension d’exécution, le décret du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État. Elles estiment que ces dispositions ont un effet dissuasif sur les demandes de subventions créant un risque de disparition rapide compte tenu, d'une part, de l'importance de ces aides pour leur fonctionnement et le financement de leurs activités qui présentent en outre un caractère d'intérêt général et, d'autre part, d'un manque de trésorerie.

Le juge des référés n’aperçoit pas dans ce texte d’atteinte à la liberté d’association, ainsi que l’a d’ailleurs également jugé le Conseil constitutionnel, ni non plus une diminution significative des subventions accordées depuis son entrée en vigueur le 2 janvier 2022.

Faute d’urgence établie le référé suspension est rejeté.

(ord. réf. 4 mars 2022, Ligue des droits de l'Homme et autres, n° 462048)

 

121 - Réfugié – Reconnaissance de plein droit de la qualité de réfugié - Prise en charge par un organe des Nations Unies – Prise en charge d’un palestinien par l’UNRWA – Inapplicabilité en ce cas de la convention de Genève de 1951 (cf. article 1er, section A, paragraphe 2, premier alinéa) – Interprétation d’une disposition du droit de l’Union en cas de cessation de la prise en charge d’un réfugié par un organe des Nations Unies (art. 12, § 1, a), seconde phrase de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 reprise à l’identique à l’ art. 12, § 1, sous a), de la directive 2011/95/UE du 13 décembre 2011) – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Dans une délicate affaire de demande de l’attribution de la qualité de réfugié à un Palestinien ne relevant pas ou plus de la protection de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), la Cour nationale du droit d’asile a estimé que cette personne devait se voir reconnaître de plein droit la qualité de réfugié en France. L’OFPRA, par un pourvoi en cassation, demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État décide, la réponse étant indispensable à la solution du litige, de renvoyer les questions préjudicielles suivantes à la Cour de Luxembourg :

« 1° Indépendamment des dispositions du droit national autorisant, sous certaines conditions, le séjour d'un étranger en raison de son état de santé et le protégeant, le cas échéant, d'une mesure d'éloignement, les dispositions de l'article 12, paragraphe 1, sous a), de la directive 2011/95/UE doivent-elles être interprétées en ce sens qu'un réfugié palestinien malade qui, après avoir eu effectivement recours à la protection ou à l'assistance de l'UNRWA, quitte l'État ou le territoire situé dans la zone d'intervention de cet organisme dans lequel il avait sa résidence habituelle au motif qu'il ne peut y avoir un accès suffisant aux soins et traitements que son état de santé nécessite et que ce défaut de prise en charge entraîne un risque réel pour sa vie ou son intégrité physique, peut être regardé comme se trouvant dans un état personnel d'insécurité grave et dans une situation où l'UNRWA est dans l'impossibilité de lui assurer des conditions de vie conformes à la mission lui incombant ?

2° Dans l'affirmative, quels critères - tenant par exemple à la gravité de la maladie ou à la nature des soins nécessaires - permettent d'identifier une telle situation ? »

(22 mars 2022, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) c/ Cour nationale du droit d’asile, n° 449551)

 

122 - Perte du statut de réfugié – Absence d’effet sur la qualité de réfugié – Mesure d’éloignement à l’encontre d’un réfugié – Existence d’une présomption en faveur de ce dernier – Obligation d’un examen particulièrement approfondi et exigeant de la situation personnelle de l’intéressé – Annulation.

Le statut de réfugié est particulièrement protecteur en raison des motifs d’octroi de ce régime juridique. C’est pourquoi, même lorsque le bénéfice de ce statut est supprimé, dans les conditions et pour les raisons figurant à l’art. L. 711-6 du CESEDA et sous les limites prévues par l'article 33 § 1 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l'article 14 § 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011, l’intéressé conserve néanmoins la qualité de réfugié.

Par suite, lorsque l’administration décide de prononcer à l’encontre de celui-ci une mesure d’éloignement, deux exigences s’imposent.

D’une part, il appartient à l’intéressé qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la CEDH ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

D’autre part, il incombe à l’administration ainsi qu’au juge administratif éventuellement saisi, en raison même de la qualité de réfugié de l’intéressé, « élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités (…) », de vérifier « au terme d'un examen approfondi de sa situation personnelle prenant particulièrement en compte cette qualité, (…) l'absence de risque pour l'intéressé de subir un traitement prohibé par les stipulations précitées dans le pays de destination ». 

En l’espèce, est jugé entaché d’erreur de droit l’arrêt de la cour administrative d’appel qui, pour rejeter la contestation par l’intéressé de la mesure d’éloignement le visant, se borne à relever qu’il ne faisait état, tant en première instance qu'en appel, d'aucun élément de nature à établir la réalité et l'actualité des risques encourus, alors qu’elle devait s’assurer que « l'administration avait procédé, à la date de la décision d'éloignement en litige, à un examen approfondi de sa situation, prenant particulièrement en compte cette qualité (de réfugié), au regard de l'existence de risques de traitement prohibé par ces stipulations à son retour en Russie ». 

(28 mars 2022, M. M., n° 450618)

 

123 - Extradition – Appréciation de la gravité de l’infraction justifiant la remise d’une personne aux autorités d’un État – Prise en compte de circonstances aggravantes prévues en droit français non dans celui de l’État requérant l’extradition – Conditions de légalité – Rejet.

Dans une décision très importante – assez défavorable aux personnes dont l’extradition est demandée -, le Conseil d’État reconnaît au premier ministre le pouvoir de retenir, pour des faits de vol sous la menace d’une arme, une qualification criminelle permettant l’extradition de son auteur alors même, d’une part, que les autorités requérantes (Arménie) n'ont pas retenu cette circonstance aggravante, mais celle, distincte, inexistante en droit français, de « vol à grande échelle ». et, d’autre part, que la circonstance que les faits incriminés ont été commis sous la menace d'une arme, n'est mentionnée ni dans la qualification pénale retenue par l'État requérant, ni dans la demande d'extradition elle-même, car cette circonstance ressort de l'exposé des faits figurant dans le mandat d'arrêt pour l'exécution duquel l'extradition est demandée, conformément aux stipulations du 2. de l’art. 12 de convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957, exposé qui est joint à cette demande.

On savait le Conseil d’État peu enclin au formalisme : il est ici montré que ce n’est rien de le dire.

(22 mars 2022, M. A., n° 456003)

 

Police

 

124 - Permis de conduire – Constatation de son invalidité – Irrégularités – Rejet.

C’est sans dénaturation des pièces du dossier et au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation qu’un tribunal administratif annule une décision « 48 SI » constatant l’invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul en retenant deux éléments.

Premièrement, le recours de l’intéressé contre cette décision n’est pas tardif car, comme relevé par le tribunal, celle-ci a été envoyée et reçue, le 10 août 2015, à une adresse située dans une commune qui n'était plus celle de l'intéressé et aucune pièce du dossier n'établissait la date à laquelle celui-ci en avait eu connaissance.

Secondement, la signature figurant sur l'avis de réception du pli distribué le 10 août 2015 n'était pas, selon l'intéressé, la sienne d’où il suit que c’est sans erreur, en l’absence de preuve contraire, que le tribunal a jugé que ce dernier n'avait pas réceptionné le pli.

On demeure cependant surpris que le Conseil d’État indique qu’« aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer sa nouvelle adresse à l'administration en cas de changement d'adresse ». En effet, il est obligatoire de porter sur la carte grise du véhicule la nouvelle adresse dans le mois qui suit le changement d’adresse ou de résidence (cf. art. R. 322-7 du code de la route).

(23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 453357)

 

125 - Habilitation d’un intermédiaire à demander le certificat d’immatriculation d’un véhicule à moteur – Retrait – Sanction disproportionnée – Dénaturation des pièces du dossier – Application, en référé, de l’art. L. 821-2 CJA – Annulation et rejet.

La société requérante demandait la suspension de l'exécution de la décision du 17 mai 2021 par laquelle la préfète du Val-de-Marne a retiré l'habilitation l'autorisant à intervenir sur le système d'immatriculation des véhicules. Le juge des référés du tribunal administratif ayant accueilli favorablement sa demande, le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Pour retirer l’habilitation dont bénéficiait la requérante, l’administration s’est fondée sur une sélection des dossiers d'immatriculation traités par l'organisme habilité. Or pour juger disproportionnée la mesure de retrait, le juge des référés a retenu que les manquements relevés par l'administration portaient toutefois sur une très faible proportion des dossiers traités par la société groupe PHD. De la sorte, ce nombre de manquements n’a aucun caractère exhaustif n’étant obtenu que sur la base d’un petit nombre de recensions

C’est pourquoi le Conseil d’État estime que, ce jugeant, les pièces du dossier ont été dénaturées puisqu’il tombe sous le sens que la proportion des manquements relevés par rapport au nombre total de dossiers traités par cet organisme n'était pas de nature à caractériser l'ampleur de ces manquements.

Utilisant, ce qui est assez rare en matière de référé, la faculté qui lui est ouverte de statuer au fond sans renvoyer (art. L. 821-2 CJA), le Conseil d’État rejette la demande de suspension, aucun des deux moyens invoqués (décision reposant sur des faits matériellement inexacts et présentant un caractère disproportionné), n’étant de nature à créer un doute sérieux quant la légalité de la décision de retrait contestée.

(ord. réf. 23 mars 2022, Ministre de l’intérieur, n° 455021

 

Professions réglementées

 

126 - Médecin – Juridiction ordinale statuant en matière disciplinaire – Appelant réputé s’être désisté d’office (art. R. 611-8-1 CJA) – Dans les circonstances de l’espèce, usage abusif de son pouvoir par la juridiction – Annulation.

L’art. R. 811-6-1 du code de justice administrative permet au président de la formation de jugement en appel de demander à une partie de reprendre dans un mémoire récapitulatif les conclusions et moyens présentés en première instance qu'elle entend maintenir ; celui-ci peut en outre fixer un délai, qui ne peut être inférieur à un mois, à l'issue duquel, à défaut d'avoir produit le mémoire récapitulatif, la partie est réputée s'être désistée de sa requête ou de ses conclusions incidentes. 

En l’espèce, l’appelant, médecin sanctionné en première instance d’une peine d’interdiction d’exercer d’une durée d’une année dont six mois avec sursis, avait été réputé s’être désisté d’office, son mémoire récapitulatif étant parvenu à la juridiction le lendemain de l’expiration du délai qui lui avait été imparti pour le produire.

« Dans les circonstances particulières de l’espèce », le juge de cassation considère abusif l’usage fait des dispositions précitées et il doit être approuvé. En effet, la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins était saisie depuis le 22 avril 2014 de l'appel formé par le requérant et celui-ci avait produit entre 2015 et 2019 cinq mémoires, en réponse tant aux mémoires du défendeur que des mesures d'instruction diligentées par la juridiction qui a mené une instruction pendant près de 7 ans.

La solution retenue doit, dans ces conditions concrètes de déroulement de l’instance, être approuvée.

(2 mars 2022, M. K., n° 453800)

 

127 - Orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes – Absence de compétence exclusive pour délivrer des orthèses de série – Remboursement par l’assurance maladie subordonné à la délivrance de ces éléments par les professionnels habilités – Annulation partielle et injonction.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de la décision implicite du ministre de la santé rejetant sa demande d'abrogation de l'article 1er de l'arrêté du 3 décembre 2015 relatif à la délivrance des orthèses de série par les orthoprothésistes, les podo-orthésistes et les orthopédistes-orthésistes ainsi que l’annulation de la décision par laquelle le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) a rejeté sa demande d'abrogation du « moratoire » en vertu duquel les caisses d'assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels ne remplissant pas les conditions légales auxquelles cette délivrance est subordonnée, ainsi que ce « moratoire ».

Le Conseil d’État rejette le premier chef de demande car il ne résulte d’aucun texte ou principe que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes disposeraient d'une compétence exclusive pour la délivrance des orthèses de série.

Il accueille favorablement le second chef de demande car les orthèses de série, doivent, pour être prises en charge par l'assurance maladie, être délivrées dans le respect des dispositions de la liste des produits et prestations mentionnée à l'article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonnent leur remboursement à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités. Or il est constant que les caisses d’assurance maladie remboursent les orthèses de série délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer, en particulier par des prestataires de services et distributeurs de matériels mentionnés à l'article L. 5232-3 du code de la santé publique ne disposant pas de personnel habilité à le faire. Le directeur général de la Caisse nationale d’assurance maladie a édicté une décision illégale en rejetant la demande du syndicat requérant tendant à ce qu'il prenne toutes mesures ou décisions de nature à faire cesser de telles pratiques. C’est pourquoi, outre l’annulation est prononcée une injonction à son endroit de prendre toute mesure ou décision de nature à faire cesser, dans un délai de quatre mois à compter de la décision, les remboursements des prothèses délivrées par des professionnels n'étant pas habilités à les délivrer.

(14 mars 2022, Syndicat national de l'orthopédie française (SNOF), n° 446506 et n° 466510)

 

128 - Chirurgien-dentiste – Praticien ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire en première instance – Appel interjeté seulement sur le quantum de la sanction et par le médecin-conseil demandeur – Office du juge d’appel – Annulation avec renvoi.

Un chirurgien-dentiste est condamné en première instance par la chambre disciplinaire régionale de son ordre d’une interdiction d’exercer sa profession pendant deux mois assortis d’un sursis d’un mois.

Le médecin-conseil qui avait saisi la juridiction ordinale de la plainte ayant conduit à cette sanction interjette seul appel et pour insuffisance du quantum de la peine.

En appel, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des chirurgiens-dentistes a tout d’abord estimé qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les faits reprochés au praticien car celui-ci n'avait pas fait appel, cet appel n’ayant été formé que par le médecin-conseil, chef de service de l'échelon local du service médical d'Île-de-France, lequel ne contestait que l’insuffisance du quantum de la sanction infligée en première instance.

Ensuite, et pour l’unique motif de contester le quantum de la sanction infligée en première instance, elle a jugé qu'eu égard à la nature des faits reprochés, la sanction d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste lui ayant été infligée en première instance devait être portée de deux mois dont un avec sursis à deux ans, dont un an assorti du sursis. 

Cassant ce raisonnement, le Conseil d’État rappelle ainsi l’office du juge d’appel ordinal statuant en matière disciplinaire : « (il lui appartient), dès lors qu'(il) est valablement saisi(e) d'une requête d'appel formée contre la décision d'une chambre disciplinaire de première instance ayant infligé à un chirurgien-dentiste une sanction disciplinaire, de statuer, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, tant sur le bien-fondé des fautes qui sont reprochées au chirurgien-dentiste que sur le choix, le cas échéant, d'une sanction, sauf à ce qu'un moyen de régularité présenté par cette requête puisse être accueilli et la conduise à annuler la décision contestée et à évoquer l'affaire. Il en va ainsi y compris lorsque seul l'auteur de la plainte a formé appel en vue de l'aggravation de la sanction prononcée en première instance. »

(15 mars 2022, M. C., n° 440006)

 

129 - Règlement intérieur de la chambre nationale des huissiers de justice – Fixation du régime d’indemnisation des frais kilométriques de déplacement des huissiers pour l’accomplissement de leur ministère – Réglementation approuvée par arrêté ministériel mais contraire aux dispositions d’un décret – Incompétence de la chambre nationale – Illégalité du refus ministériel d’abroger l’arrêté d’approbation et injonction de l’abroger.

(21 mars 2022, Société Évidence, n° 437072)

V. n° 8

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Opération de concentration (art. L. 430-3, L. 430-4 et L. 430-7-1 c. commerce) – Autorité de la concurrence – Fusion entre opérateurs de télévision – Ouverture par l’Autorité de la concurrence d’une phase de « pré-notification » - Mesure préparatoire – Irrecevabilité subséquente de la QPC soulevée à l’encontre de dispositions du code commerce (art. L. 450-8 et V de l’art. L. 464-2) – Refus de transmission.

Les requérantes contestaient la décision de l’Autorité de la concurrence d’ouvrir, dans le cadre d’un projet de fusion des activités de TF1 et de Métropole Télévision, une phase dite de « pré-notification » conformément aux points 191 à 200 des lignes directrices arrêtées par cette Autorité sur le fondement de dispositions de l’art. L. 430-3 du code de commerce.

Elles estimaient que portent atteinte à des droits ou libertés constitutionnellement garanties les dispositions de l’art. L. 450-8 et du V de l’art. L. 464-2 du code de commerce en ce qu’elles assortissent de sanctions la non communication aux agents chargés de l'instruction de l'affaire des informations ou documents qu’ils sollicitent auprès de tiers à l'opération de fusion dans le cadre de la procédure de « pré-notification ».

La demande de transmission de la QPC est refusée car la procédure de « pré-notification » ne constitue qu’une mesure purement préparatoire, donc insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Par suite, la QPC adossée à ce recours irrecevable est elle-même irrecevable

(1er mars 2022, Société Free et société Iliad, n° 458272 et n° 459347)

 

131 - Continuité écologique des cours d’eau (2° du I de l’art. L. 214-17 c. env.) – Dispense de respecter cette continuité accordée à tous les moulins à eau fondés en titre ou bénéficiant d’une autorisation d’exploitation (loi du 24 février 2017, art. L. 214-18-1 c. env.) – Absence de distinction entre ces moulins selon leur conformité ou non avec la règle de continuité écologique – Question de caractère sérieux – Transmission au Conseil constitutionnel.

Le 2° du I de l’art. L. 214-17 du code de l’environnement impose aux moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l'électricité, régulièrement installés sur les cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux, le respect d’obligations en vue d’assurer la continuité écologique des cours d’eau sur lesquels ils sont installés.

La loi du 24 février 2017, dont est issu l’art. L. 214-18-1 du code de l’environnement a exonéré tous les moulins à eau qui, à la date de publication de cette loi, sont fondés en titre ou disposent d’une autorisation d’exploitation, de l’obligation de respecter la continuité écologique des cours d’eau.

Les associations requérantes invoquent à l’encontre de ce dernier texte une QPC tirée de ce qu’il méconnaît les art. 1er à 4 de la Charte de l’environnement ainsi que le principe d’égalité devant la loi dans la mesure où il octroie cette exonération à tous les moulins sans en limiter le bénéfice aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet.

Jugée présenter un caractère sérieux, la QPC est transmise.

(8 mars 2022, Associations France Nature Environnement, Eau et Rivières de Bretagne, Sources et Rivières du Limousin, Association nationale pour la protection des Eaux et Rivières - Truites, Ombres, Saumons, n° 459292)

 

132 - Abandon de certaines catégories de terrains par leurs propriétaires à la commune d’assiette – Absence d’imposition due pour ces terrains à compter de leur abandon – Caractère obligatoire pour la commune de l’acceptation de l’abandon (art. 1401 CGI) – Inconstitutionnalité soutenue au moyen d’une QPC – Transmission de celle-ci.

L’art. 1401 du CGI permet aux contribuables désireux de s'affranchir de l'imposition à laquelle les terres vaines et vagues, les landes et bruyères et les terrains habituellement inondés ou dévastés par les eaux doivent être soumis, à la condition qu’ils renoncent à ces propriétés au profit de la commune dans laquelle elles sont situées.

Il suffit que la déclaration détaillée de cet abandon perpétuel soit faite par écrit, à la mairie de la commune, par le propriétaire ou par un mandataire.

Les cotisations d’impôt sont supportées par la commune à compter des rôles d’imposition établis postérieurement à l'abandon.

C’est un cas original d’acquisition forcée de biens immobiliers.

La Ville de Nice soulève une QPC à l’encontre de cette disposition en arguant de ce qu’en ne soumettant cet abandon à aucune condition d’acceptation par la commune, elle contrevient notamment au principe de libre administration des collectivités territoriales même si cette procédure d’abandon unilatéral de terrains ne concerne strictement que ceux limitativement énumérés à l’art. 1401 précité du CGI.

(18 mars 2022, Commune de Nice, n° 454827)

 

133 - Autorité administrative – Compétence pour constater des infractions ou manquements à des obligations légales - Pouvoir d’en ordonner le respect et d’en sanctionner la violation – Atteinte au principe de la séparation des pouvoirs – QPC – Refus de sa transmission.

Invitée par le service compétent à cesser certaines pratiques commerciales trompeuses, la société requérante a, au soutien de sa demande d’annulation de la mesure, soulevé une QPC.

Celle-ci est fondée sur ce que le pouvoir reconnu à une autorité purement administrative, ici le directeur départemental de la protection des populations, de constater des manquements ou des infractions à des dispositions légales (art. L. 511-5 et L. 521-1 code de la consommation), d’en enjoindre la cessation et d’infliger des sanctions violerait notamment le principe de la séparation des pouvoirs.

L’argument ne pouvait être un seul instant retenu, il est rejeté par le Conseil d’État qui rappelle que ni ce dernier principe ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle, « ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission, dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ».

La transmission de la QPC n’aura donc pas lieu.

(28 mars 2022, Société Yutaka France-Japon Management, n° 451014)

 

Responsabilité

 

134 - Fonctionnaire territorial – Accident de service – Existence ou non d’un lien de causalité directe entre une faute de la commune et le dommage subi par la victime – Lien déclaré inexistant – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Un agent technique territorial qui assurait des travaux d’élagage est victime d’un accident et réclame réparation du préjudice subi.

La cour administrative d’appel, statuant sur le préjudice lié au déficit fonctionnel permanent, a, d’une part, reconnu l’existence d’une faute de la commune pour n’avoir pas fait bénéficier l’agent d’une formation adéquate en matière d’élagage, d’autre part, dénié l’existence d’un lien causal direct et certain entre ce manquement et le préjudice. Elle s’est, pour cela, fondée sur ce que le sapiteur psychiatre avait conclu à l'existence d'un syndrome de Ganser construit autour de l'accident dans une perspective de reconnaissance.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt pour qualification inexacte des faits car « il ressortait tant du rapport de la sapiteure neurologue que de celui de l'expert désigné par le tribunal administratif, d'une part, que le syndrome de Ganser était distinct du syndrome post-commotionnel dont souffrait M. C., qui associait céphalées, instabilité, fragilité cognitive et labilité émotionnelle et, d'autre part, que ce dernier syndrome, qui était à l'origine d'une difficulté dans son intégration socio-familiale, entraînait un déficit fonctionnel permanent évalué à 15 %. ».

(7 mars 2022, M. C., n° 441313)

 

135 - Droit à un délai raisonnable de jugement - Durée excessive d’une procédure contentieuse – Responsabilité de l’État – Rejet.

Le demandeur recherchait la responsabilité de l’État à raison de la durée qu’il estimait excessive d’une procédure devant la juridiction administrative et qui, depuis l’introduction de sa requête en première instance jusqu’à la reddition de la décision de cassation, s’est déroulée sur sept ans et trois mois.

Il avait saisi le Conseil d’État d’un recours dirigé contre le rejet implicite, par le ministre de la justice, de sa demande d’indemnisation du chef de cette durée.

Au terme d’une analyse très précise des faits le Conseil d’État rejette la requête en ces termes : « Il résulte de l’instruction que les procédures devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel ont duré respectivement deux ans et dix mois et deux ans et près de quatre mois et que la décision du Conseil d’État, statuant au contentieux, est intervenue le 21 juin 2021, soit sept ans et trois mois après l'introduction de la demande de M. D. Il résulte également de l'instruction que le comportement de M. D. durant l'instruction de sa demande et de sa requête d'appel a contribué à l'allongement de la durée de ces procédures, dès lors qu'en première instance, il n'a produit son mémoire en réplique que deux ans après l'introduction de sa demande et qu'en appel, il a sollicité et obtenu un délai supplémentaire de six mois pour produire un nouveau mémoire. De plus, il résulte de l'instruction que le litige introduit par M. D. présentait un certain degré de difficulté, dès lors qu'à l'appui de sa demande d'annulation de l'arrêté du 14 août 2013 mettant fin à la concession de logement dont il bénéficiait, il soutenait devant les juges du fond que la délibération du 28 juin 2013 du conseil d'administration du SDIS du Rhône (mettant fin à sa concession de logement) était entachée d'illégalité au motif, d'une part, que les biens cédés appartenaient au domaine public du SDIS du Rhône et, d'autre part, à supposer que ces biens fassent partie du domaine privé du SDIS, que leur cession à un prix inférieur à leur valeur n'était pas justifiée par un motif d'intérêt général et ne comportait pas des contreparties suffisantes. Il s'ensuit que, dans les circonstances de l'espèce, ni la durée de deux ans et dix mois, devant le tribunal administratif, ni celle de près de deux ans et quatre mois, devant la cour administrative d'appel, n'apparaissent excessives, et qu'en outre, la durée globale de la procédure de près de sept ans et trois mois, laquelle doit se calculer à compter de la date de saisine du tribunal administratif et non, comme le soutient M. D..., à compter de l'introduction de son recours gracieux, ne présente pas non plus de caractère excessif. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que son droit à un délai raisonnable de jugement aurait été méconnu et à demander, pour ce motif, la réparation des préjudices qu'il invoque. »

(14 mars 2022, M. D., n° 458257)

 

136 - Principes généraux du droit administratif de la responsabilité – Responsabilité du fait d’une décision irrégulière – Incidence de l’irrégularité – Absence d’incidence au cas où la décision régulière de l’autorité compétente eût été la même – Rejet.

Le Conseil d’État fait application d’une jurisprudence bien établie dans le cadre d’un recours formé par une directrice d’école primaire afin d’obtenir réparation du préjudice que lui aurait causé l’irrégularité de la décision lui retirant son emploi ainsi que celle des actes de gestion de sa fin de carrière.

Le juge rappelle – avec son réalisme habituel – qu’en vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public a normalement droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait d'une mesure illégalement prise, au plan procédural, à son encontre. Toutefois, s’il apparaît, au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, que l’autorité compétente, en l’absence de cette irrégularité, aurait pris la même décision, il n’y a pas lieu à réparation puisque le préjudice allégué n’est pas la conséquence directe de l’illégalité.

Cette solution, ici intervenue en droit de la fonction publique, joue en toute matière.

(15 mars 2022, Ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, n° 440354)

 

137 - Société d’avocats aux conseils – Responsabilité pour faute – Défaut de pourvoi en cassation contre deux arrêts – Absence de faute – Rejet.

Subrogée dans les droits de ses clients, la compagnie d’assurances requérante recherchait la responsabilité d’une société d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation pour n’avoir pas formé trois pourvois en cassation contre trois arrêts d’une cour d’appel. Il s’agissait, d’une part, d’un arrêt relatif à une pharmacie et, d’autre part, de deux arrêts relatifs à M. et Mme C., co-associés gérants de cette pharmacie ès qualités.

Pour dire n’y avoir lieu à faute et donc à responsabilité, le Conseil d’État retient qu’il y a bien eu échange de correspondances entre la société d’avocats et l’avocat de la pharmacie ainsi que de M. et Mme C., au sujet de trois pourvois et du montant des honoraires y relatifs, mais qu’il ressort des pièces du dossier que l’avocat de la société Allianz, tout en acceptant le montant desdits honoraires et chargé la société d’introduire le pourvoi contre l’arrêt déjà communiqué relatif à la pharmacie, n’a joint à cet envoi que les seules pièces afférentes à cet arrêt sans joindre aucun document ou autre relatif aux deux autres arrêts, qui concernaient les co-associés gérants de la pharmacie, M. et Mme C.

Par suite, le juge considère que, saisie d’un seul arrêt, la société d’avocats n’a commis aucune faute en n’introduisant le pourvoi que contre celui-ci à l’exclusion des autres arrêts.

La solution est surprenante car il tombe sous le sens que, recevant des honoraires d’un montant fixée par elle pour trois pourvois, la société d’avocats n’ait pas, à tout le moins, avisé ses clients de la distorsion entre ce montant et l’introduction d’un seul pourvoi. Il n’eût point été incongru d’apercevoir une faute dans ce défaut d’alerte de ses clients sur une incohérence manifeste quand bien même la société a fait parvenir son projet de mémoire à l’avocat des clients pour observations avant son dépôt, d’où il ressortait l’existence d’un seul pourvoi.

Reste pendante l’éventuelle recherche de la responsabilité de ce dernier avocat.

(15 mars 2022, Société Allianz IARD, n° 440753)

 

138 - Réparation des dommages imputés par un détenu aux conditions de sa détention – Conditions – Description circonstanciée et plausible de ces conditions par l’intéressé – Commencement de preuve – Renversement de la charge de la preuve – Absence de réponse - Annulation.

Une personne qui a été détenue durant trois mois environ dans un centre pénitentiaire a demandé en vain au tribunal administratif la réparation des préjudices qu’elle a subis du fait de conditions de détention indignes.

Elle se pourvoit.

Après avoir rappelé qu’en principe il incombe à celui qui demande réparation d’établir, outre l’existence de préjudices, le fait qu’ils ont pour cause des fautes commises par une personne publique, le juge rend une solution très innovante en jugeant, ici, que la description faite par le demandeur de ses conditions de détention est suffisamment crédible et précise pour constituer un commencement de preuve de leur caractère indigne.

Il en tire cette conséquence - qui équivaut quasiment à un renversement de la charge de la preuve – que c'est alors à l'administration d'apporter des éléments permettant de réfuter les allégations du demandeur. Le jugement de rejet de la demande est ainsi entaché d’erreur de droit et annulé, cela d’autant plus que l'administration n'avait pas produit de mémoire en défense et n'avait donc fourni aucun élément de nature à réfuter les allégations précisément détaillées du demandeur.

Si le ministre défendeur soutient détenir des éléments de nature à permettre la réfutation de ces faits et allégations, le Conseil d’État le renvoie à les développer devant la juridiction à laquelle l’affaire sera à nouveau soumise.

(21 mars 2022, M. F., n° 443986)

 

139 - Travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste d’aérodrome – Aéronef endommagé pendant la réalisation des travaux – Société d’assurances de l’aérodrome également subrogée à la fois aux droits de l’aérodrome, son assuré, et, par transaction aux droits de la compagnie aérienne propriétaire de l’aéronef – Action en responsabilité contractuelle des constructeurs envers le concessionnaire de l’aérodrome – Action en responsabilité extracontractuelle des constructeurs envers la victime du dommage – Difficultés sérieuses – Renvoi au Tribunal des conflits.

Pendant que se déroulaient sur l’aérodrome de Toulouse Blagnac, des travaux de rénovation du balisage lumineux des approches d’une piste de cet aérodrome, un accident est survenu à un aéronef ayant heurté une balise temporaire sur la piste. L’assureur de la Société Aéroport de Toulouse Blagnac, subrogé dans les droits de son assuré, a recherché, d’une part, la responsabilité contractuelle des entreprises de construction sur le fondement du contrat de maîtrise d’œuvre qu’elles avaient conclu avec la société Aéroport de Toulouse Blagnac et, d’autre part, leur responsabilité extracontractuelle envers la compagnie propriétaire de l’aéronef.

Il convient ici de préciser que l’assureur avait conclu une transaction avec cette dernière et l’a dédommagée de son préjudice.

Alors que le tribunal administratif était entré en voie de condamnation des constructeurs, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement au motif que la demande dont il était saisi avait été portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

Les sociétés d’assurance et d’aéroport se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’État aperçoit dans ces deux questions de responsabilité (contractuelle à l'égard du concessionnaire de l'aérodrome et extracontractuelle à l'égard de la victime du dommage) une difficulté sérieuse dont il décide de renvoyer l’examen au Tribunal des conflits pour déterminer l’ordre de juridiction compétent pour connaître de chacune de ces actions en responsabilité.

(28 mars 2022, Société Allianz Global Corporate et Specialty et société Aéroport Toulouse Blagnac, n° 449860)

 

140 - Exposition à l’amiante pendant une durée assez longue – Impossibilité de s’y soustraire – Existence d’un préjudice d’anxiété – Conditions du droit à indemnisation – Cas d’agents de la marine nationale – Rejet.

Une nouvelle fois se trouve en cause l’amiante et ses graves effets sur la santé de ceux qui y ont été exposés.

C’est l’occasion pour le juge de revenir sur le préjudice d’anxiété et le régime de sa réparation.

Dans cette affaire, un agent de la Marine nationale s’est trouvé exposé durant sa carrière au risque d'inhaler des poussières d'amiante lors de ses affectations à bord de bâtiments de la Marine nationale car, d’abord, sur ces navires construits jusqu'à la fin des années quatre-vingts, l'amiante était utilisée de façon courante comme isolant pour calorifuger tant les tuyauteries que certaines parois et certains équipements de bord ; ensuite, ces matériaux d'amiante avaient tendance à se déliter du fait des contraintes physiques leur étant imposées, de la chaleur, du vieillissement du calorifugeage, ou de travaux d'entretien en mer ou au bassin.

La cour administrative d’appel en avait conclu « qu'en conséquence, les marins servant sur les bâtiments de la Marine nationale, qui ont vécu et travaillé dans un espace souvent confiné, étaient susceptibles d'avoir été exposés à l'inhalation de poussières d'amiante ». Par suite, elle a jugé que l’intéressé ayant été exposé de manière intensive, sans protection particulière, lors de ses affectations à bord de navires de la Marine nationale, à l'inhalation de poussières d'amiante pendant une durée totale d'environ huit ans et quatre mois, il avait ainsi été exposé à un risque élevé de développer une pathologie grave de nature à engendrer un préjudice d'anxiété indemnisable, alors même que ses fonctions de commis aux vivres n'étaient pas de nature, par elles-mêmes, à l'exposer à un tel risque. Il pouvait donc légitimement craindre de voir son espérance de vie diminuer du fait du manquement de son employeur à ses obligations de sécurité et avait ainsi droit à réparation de ce préjudice d’anxiété sans qu’il soit exigé de lui qu'il produise des preuves de manifestations pathologiques de son anxiété.

La ministre des armées se pourvoit en cassation : elle est déboutée.

Le Conseil d’État, dans une formulation de principe, décide que l’agent public, faisant état d'éléments personnels et circonstanciés de nature à établir une exposition effective aux poussières d'amiante susceptible de provoquer pour lui un risque élevé de développer une pathologie grave et de voir, par là même, son espérance de vie diminuée, peut obtenir réparation du préjudice moral tenant à l'anxiété de voir ce risque se réaliser. Il n’a pas pour cela à apporter la preuve de manifestations de troubles psychologiques engendrés par la conscience de ce risque élevé de développer une pathologie grave : il lui suffit d’établir que l'éventualité de la réalisation de ce risque est suffisamment élevée et que ses effets sont suffisamment graves. 

Tel est le cas des agents publics exposés durant plusieurs années, à raison de leurs fonctions, à intervenir ou à évoluer dans un environnement de matériaux et d’installations contenant de l’amiante, les conduisant ainsi à en inhaler les poussières s’en dégageant.

Tel est particulièrement le cas des marins de la Marine nationale « qui, sans intervenir directement sur des matériaux amiantés, établissent avoir, pendant une durée significativement longue, exercé leurs fonctions et vécu, de nuit comme de jour, dans un espace clos et confiné comportant des matériaux composés d'amiante, sans pouvoir, en raison de l'état de ces matériaux et des conditions de ventilation des locaux, échapper au risque de respirer une quantité importante de poussières d'amiante ». 

Cette présomption – puisque c’est en réalité ce qu’elle est – de préjudice d’anxiété joue même à l’égard des personnes bénéficiant par ailleurs du dispositif d'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité (loi du 29 décembre 2015), lequel vise à compenser un risque élevé de baisse d'espérance de vie des personnels ayant été effectivement exposés à l'amiante, l’éligibilité à ce dispositif justifiant de ce seul fait d'un préjudice d'anxiété lié à leur exposition à l'amiante. 

Par suite, la ministre ne saurait demander l’annulation de l’arrêt querellé qui ne comporte ni erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier.

Il faut relever la modicité de la somme de 5000 euros allouée en réparation du préjudice d’anxiété.

(28 mars 2022, Ministre des armées, n° 453378)

 

141 - Responsabilité hospitalière – Responsabilité pour faute – Détermination du montant dû par un centre hospitalier à une caisse de sécurité sociale à raison de ses débours nés du versement d’une pension d’invalidité – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

À la suite d’une faute commise par un centre hospitalier, une caisse de sécurité sociale, amenée à verser une pension d’invalidité à la victime de cette faute, en a réclamé le remboursement à ce centre hospitalier.

Pour calculer le montant dû à la caisse, la cour administrative d’appel s’est bornée aà retenir l'intégralité du montant des arrérages et du capital versés par la caisse primaire et à y appliquer le taux de perte de chance qu'elle avait préalablement établi commettant ainsi une erreur de droit.

En effet, il lui incombait de déterminer d’abord le montant des préjudices subis par la victime du fait de ses pertes de revenus et de l'incidence professionnelle de l'incapacité, puis de fixer, dans la limite de ce montant et en tenant compte du coefficient de perte de chance, la part de la pension d'invalidité qui devait être mise à la charge du centre hospitalier.

La cassation est prononcée sans renvoi, le juge réglant l’affaire au fond.

(30 mars 2022, Caisse primaire d'assurance maladie de la Côte d'Opale, n° 446822)

 

Santé publique

 

142 - Covid-19 – Apparition du variant omicron – Perte de nécessité du passe vaccinal – Demande de suspension d’une disposition du décret du 1er juin 2021 modifié – Rejet en l’état de la situation sanitaire.

Se fondant sur l’inutilité du passe vaccinal en raison de l’évolution des données sanitaires nationales, les requérants demandaient la suspension de l'exécution du I de l'article 47-1 du décret n° 2021-669 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans la version qui lui a été donnée par le a) du 5° de l'article 1er du décret n° 2022-51 du 22 janvier 2022.

Pour rejeter la requête, le juge du référé suspension retient notamment qu’à la date à laquelle il statue et en dépit d’un net ralentissement de l’épidémie, la circulation virale demeure toujours importante puisqu’au « 20 février 2022, le taux d'incidence était de 832, 80 000 nouveaux cas ayant été en moyenne relevés par jour pour la semaine du 14 au 20 février 2022. Par ailleurs, 69% des admissions à l'hôpital sont dues au Covid-19 ainsi que 79% des admissions en soins critiques à l'hôpital, l'admission en hospitalisation conventionnelle approchant le nombre de patients atteint lors des pics des trois premières vagues épidémiques et dépassant ceux de la quatrième vague. Au niveau national, plus de la moitié de la capacité hospitalière est dédiée au traitement de patients atteints du Covid-19, l'activité hospitalière hors traitement épidémique étant de 20% inférieure à la moyenne d'avant la crise sanitaire. »

(ord. réf. 1er mars 2022, M. G. et autres, association française des espaces de loisirs indoor (SPACE) et association ADELICO, n° 461686)

(143) V. aussi, dans le même sens, ajoutant cette précision que les modifications incessantes de la définition du schéma vaccinal complet sont sans incidence sur la légalité des dispositions critiquées : ord. réf. 11 mars 2022, M. E., n° 461570.

 

144 - Personnes françaises handicapées – Accueil de ces personnes dans des établissements belges – Invitation à signer des conventions avec une Agence régionale de santé (ARS) – Demande de suspension – Rejet.

9 000 personnes handicapées de nationalité françaises sont hébergées dans des établissements belges, sur financement de l'assurance maladie française en raison, pour la plupart d’entre elles, du manque de capacités d'accueil en France, à proximité des familles.

Le gouvernement français a décidé de développer de nouvelles capacités d'accueil en France en vue de rapprocher les personnes handicapées de leurs familles et a annoncé un moratoire concernant la création de nouvelles places d'accueil pour les Français en Belgique. Enfin, il a proposé la signature d’une convention avec les établissements belges accueillant des Français, en vue de garantir la qualité de la prise en charge et de l'accompagnement de ces personnes.

L’association requérante, au moyen d’un référé liberté, poursuit l’annulation de l’ordonnance qui a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de la décision du le directeur général de l’ARS des Hauts-de-France l'invitant à signer sans délai deux conventions fixant, pour l'une la capacité maximale d'accueil de ressortissants français atteints de handicap et, pour l'autre, les garanties exigées de l'établissement en termes de qualité de prise en charge et d'accompagnement des personnes.

Le courrier indique que, faute de signature, le Centre national de financement des soins à l'étranger cesserait de financer les forfaits des personnes accueillies, qui seraient alors susceptibles d'être réorientées vers d'autres établissements.

Pour rejeter la demande de suspension, le juge des référés du Conseil d’État statuant par voie d’appel relève qu’il a été précisé à l’audience de référé que le refus par l'association de signer les deux projets de convention n'entraînerait aucune interruption du financement par l'assurance maladie de la prise en charge et de l'accompagnement des personnes handicapées hébergées aujourd'hui dans l'établissement.

Il relève également que si l’association requérante prétend qu’en cas d’impossibilité d’accueillir de nouveaux Français handicapés sa situation économique serait gravement bouleversée en raison de ce qu’est en cours de construction un bâtiment permettant d’accueillir 29 personnes supplémentaires, cependant elle ne fournit pas de documents comptables pertinents ni n’explique pourquoi ce bâtiment ne pourrait pas servir à l’accueil d’autres publics.

Enfin, les autorités françaises ne disposent en rien du pouvoir de retirer unilatéralement de l'établissement les personnes accueillies. Si le départ d'une personne handicapée de l'établissement peut être envisagé ce ne peut être qu’en raison de la nécessité de recueillir le consentement des principaux intéressés.

(ord. réf. 11 mars 2022, Association Etoile filante, n° 461750)

(145) V. aussi, même solution : ord. réf. 11 mars 2022, Association Étoile filante, n° 461752.

 

146 - Covid-19 – Décret du 29 octobre 2020 – Port obligatoire du masque pour les enfants à partir de six ans dans les établissements d’enseignement – Rejet.

Les recours joints tendaient à contester l’obligation du port de masques pour les enfants dès l’âge de six ans au sein des établissements d’enseignement.

Ils sont tous rejetés, certains pour tardiveté, d’autres pour absence de précisions en permettant l’examen, ceux retenus sont dirigés contre le décret du 29 octobre 2020.

Ce rejet ne surprendra pas l’observateur familier des solutions du juge administratif en cette matière : la mesure est justifiée par l’état de circulation du virus, elle n’est pas disproportionnée au regard de la menace à laquelle elle entend obvier et ne porte pas une atteinte excessive aux droits et libertés qu’elle peut affecter.

(4 mars 2022, M. S., n° 446394 ; M. X. d’Abbadie d’Arrast, n° 446431 ; M. T. G. et M. B., n° 446907 ; M. F.J.B., n° 447212 ; Association Victimes coronavirus covid-19 France (AVCCF / Stop covid-19) et autre, n° 448209 ; M. I., n° 449472 ; M. AA., n° 449499 ; M. O., n° 449672 ; Mme P. épouse L., n° 450666 ; M. D.B., n° 451245 ; M. M., n° 453406)

(147) V. aussi, très comparable s’agissant de l’interdiction, par le I de l’art. 4 du décret du 29 octobre 2020, de tout déplacement de personne hors de son lieu de résidence à l'exception des déplacements qu'il mentionne : 4 mars 2022, M. A., n° 447451.

 

148 - Covid-19 – Certificat de rétablissement – Condition d’octroi non prévue – Inopérance du moyen - Proportionnalité de la mesure – Absence d’atteinte à l’égalité – Rejet.

Les requêtes jointes contestaient que le décret du 1er juin 2021, plusieurs fois modifié ou remanié, notamment dans la version qui lui a été donnée par le décret du 7 juin 2021, ne prévoit pas qu'un certificat de rétablissement puisse être délivré sur présentation d'un document mentionnant un résultat positif à un test sérologique attestant de la présence d'anticorps contre le virus SARS-CoV2. 

Le moyen est inopérant car depuis l’édiction de ce dernier texte s’appliquent désormais les dispositions postérieures du règlement (UE) du 14 juin 2021 du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour la délivrance, la vérification et l'acceptation de certificats Covid-19 interopérables de vaccination, de test et de rétablissement afin de faciliter la libre circulation pendant la pandémie de Covid-19.

Ensuite, en décidant de ne pas permettre l'accès à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels, aux personnes rétablies d'une contamination au SARS-CoV2 justifiant seulement d'un résultat positif à un test sérologique, le gouvernement n’a pas pris, eu égard en particulier, aux avis du comité scientifique (du 3 mai 2021) et de la Haute autorité de santé (17 juin 2021), une mesure disproportionnée.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté atteinte au principe d’égalité dès lors que des mesures différentes sont prises envers des personnes se trouvant objectivement en des situations différentes au regard de la finalité des mesures en cause.

(14 mars 2022, Mme D., n° 454794 ; Mme R., n° 455239, jonction)

 

149 - Covid-19 – Exercice de l’activité de libraire – Restrictions – Activité de cueillette dans la nature pour les besoins d’un commerce de restauration – Absence de restriction possible – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation des art. 4 et 37 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Elle contestait l’art. 37 de ce décret en ce qu’il l’empêcherait d’exercer son activité de libraire, la réduisant à la seule livraison ou au seul retrait de commandes. Son recours est rejeté par les moyens habituels et répétitifs : l’évolution de la situation, la circulation du virus, le caractère non-disproportionné des mesures prohibitives, etc.

La requérante contestait également l’art. 4 dudit décret en ce que ses dispositions lui interdisaient les déplacements, au-delà de la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre, pour cueillir des produits récoltés dans la nature et destinés à l'exercice de son activité de restauration, et de vente à emporter.  Sur ce point le recours est rejeté car il n’est pas fondé : une telle interdiction n’existe pas car sont autorisés par le 1° de cet art. 4 les déplacements à destination ou en provenance du lieu d'exercice d'une activité professionnelle. 

(17 mars 2022, Société Le Poirier-au-Loup, n° 445882)

 

150 - Covid-19 – Régime des autotests scolaires (protocole sanitaire du 25 janvier 2022) – Modification postérieure à l’introduction du référé liberté – Modification sans effet sur l’objet de la requête – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Est rejeté le référé liberté dirigé contre le protocole sanitaire appliqué en école maternelle ou élémentaire, collèges et lycées à partir du 25 janvier 2022 contraignant les enfants scolarisés à effectuer trois autotests à J+0, J+2 et J+4 dès que l'un de leurs camarades de classe était testé positif à la Covid-19. 

Même si postérieurement à l'introduction de la requête, un nouveau protocole sanitaire, introduit le 11 février 2022, impose aux enfants d'effectuer un autotest seulement au deuxième jour après le contact avec la personne testée positive à la Covid-19, et non plus le jour même et le quatrième jour, cette circonstance n'est cependant pas de nature à priver la requête de son objet. 

Cependant, n’est pas apportée la démonstration qu’il serait porté, par-là, atteinte à une liberté fondamentale au sens et pour l’application par le juge administratif du référé liberté des pouvoirs qu’il tient de l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 7 mars 2022, M. A., n° 460830)

 

151 - Covid-19 – Institution du passe sanitaire – Document n’étant plus ni nécessaire ni proportionné – Non-démonstration de l’existence d’une situation d’urgence ou d’une atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Le recours contre le maintien du passe sanitaire doit être rejeté car n’est pas rapportée la preuve de l’existence d’une situation d’urgence, le référé tendant à faire juger que l’institution d’un passe sanitaire ne serait plus nécessaire ni proportionnée tout en portant atteinte à diverses libertés fondamentales.

(ord. réf. 10 mars 2022, Association Je ne suis pas un danger, n° 461969)

(152) V. aussi, assez voisin en substance, en tant qu’est rejetée la demande qu’il soit fait injonction au premier ministre de produire aux débats l'ensemble des éléments à sa disposition permettant d'établir ou tout du moins de corroborer que le passe vaccinal et le passe sanitaire présentent un caractère nécessaire pour la protection de la santé publique dans l'ensemble des établissements scolaires concernés ; le juge n’a aperçu dans cette requête aucun moyen de nature à faire naître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des dispositions contestées : ord. réf. 11 mars 2022, Mme Vogley épouse Castan, n° 462041.

(153) V. encore, rejetant la contestation du passe vaccinal et du passe sanitaire reposant sur divers motifs car aucun des moyen invoqués n’est de nature à faire douter de la légalité de la décision attaquée (art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans leur rédaction issue notamment des décrets des 22 janvier et 14 février 2022) : ord. réf. 11 mars 2022, M. Pierre Boileau, n° 462047.

(154) V. également, rejetant pour défaut d’urgence un référé tendant à la suspension du refus d’abroger l'article 2 du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 en ce qu’il affecterait le déplacement des gens du voyage : ord. réf. 16 mars 2022, Union défense active des forains et association France liberté voyage, n° 462146.

 

155 - Chute mortelle d’un patient dans un hôpital – Absence de défaut de surveillance – Existence d’une faute du service hospitalier pour défaut de recherche du placement de la victime dans un établissement psychiatrique – Erreur dans l’identification de la modalité de prise en charge – Erreur de droit - Annulation.

Un patient, âgé de 90 ans, admis dans un centre hospitalier et faisant l’objet d’un diagnostic de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel, est décédé des suites d'une chute du balcon de la chambre voisine de celle qu'il occupait au sein du service de gériatrie de cet établissement.

La cour administrative d’appel, tout en constatant l’absence de défaut de surveillance de la part de l’hôpital, relève l’existence d’une faute de sa part. En effet, le service hospitalier où la victime avait été admise n'étant pas adapté à sa prise en charge, l’hôpital, qui avait effectué vainement des recherches en vue d'une admission en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), a commis une faute en n’effectuant pas des démarches en vue de son admission en soins psychiatriques dès lors qu’il ne démontrait pas que l'admission en soins psychiatriques de personnes âgées atteintes de démence n'était pas justifiée en l’espèce.

Le Conseil d’État casse cet arrêt pour erreur de droit car la cour n’a pas recherché « si la pathologie de désorientation spatiale avec syndrome confusionnel dont souffrait M. B. relevait effectivement, en l'espèce, d'une telle prise en charge sanitaire ».

(30 mars 2022, Hospices civils de Lyon (HCL) et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 438048)

 

Service public

 

156 - Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Répartition et conditions de désignation des membres – Collège des salariés – Représentation des artisans et des professions libérales – Représentation des syndicats agricoles – Rejets.

Diverses organisations professionnelles contestent le sort fait par le décret du 24 mars 2021 à leur représentation parmi les diverses catégories de membres du CESE. Leurs requêtes, jointes, sont rejetées.

En ne distinguant pas, dans le collège des salariés, entre salariés du secteur privé et fonctionnaires ou agents publics, le décret litigieux ne méconnaît aucune règle ou principe qui imposerait une telle distinction et il n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation.

Ne saurait être contestée la répartition de ces sièges entre syndicats agricoles au motif qu’elle porterait atteinte au principe d'égalité car n'aurait pas été suivie à cette fin une méthode identique à celle retenue pour répartir les sièges des représentants des salariés entre leurs organisations syndicales.

De plus, si, pour répartir les sièges entre les neuf représentants des syndicats d’exploitants agricoles le décret attaqué devait tenir compte de leurs résultats aux élections professionnelles, il n'était pas tenu, contrairement à ce que soutient la Confédération paysanne, de les répartir selon la règle de la représentation proportionnelle.

Pareillement, dès lors que le pouvoir règlementaire s'estimait en mesure d'apprécier la représentativité des organisations professionnelles appelées à désigner des représentants des professions libérales au CESE, et alors même qu'aucun arrêté de représentativité des organisations professionnelles pour les professions libérales n'aurait été pris, il n'a en tout état de cause pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne diligentant pas, avant de désigner ces organisations, une enquête de représentativité.

En regroupant les représentants des artisans et des professions libérales, qui présentent des caractéristiques communes et peuvent le cas échéant être représentés par les mêmes organisations professionnelles, le décret attaqué, qui n'a supprimé aucune de ces deux catégories, n'a pas méconnu les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 29 décembre 1958, qui fixe les catégories de membres composant le CESE, et n'a pas commis non plus d'erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, dès lors qu’il ne restait plus qu’un seul siège à pourvoir dans la catégorie « professions libérales » on ne saurait dire illégal le choix fait par le décret de désigner la Chambre nationale des professions libérales plutôt que l'Union nationale des professions libérales, l’une et l’autre étant également représentatives de ces professions et alors que n’est démontrée aucune erreur manifeste d’appréciation.

(14 mars 2022, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 452870 ; Union des entreprises de proximité (U2P), n° 452948 ; Confédération paysanne, n° 456822)

 

157 - Usager du service public – Adresse de domicile déclarée par lui – Adresse lui étant opposable - Obligation d’indiquer tout changement de domicile – Notion de déclaration de changement de domicile – Absence – Rejet.

L’usager des services publics indique à ceux-ci l’adresse de son domicile afin qu’y soient adressées les correspondances qu’ils lui destinent.

Cette déclaration d’adresse est faite sous la propre et exclusive responsabilité de son auteur. Cette exigence s’étend également à tout changement de l’adresse connue par ces services.

Toutefois, ne peut être considérée comme informant d’un changement de domicile que la communication qui en comporte expressément la mention.

Ainsi, la circonstance qu’une personne connue sous une unique adresse dans une commune indique travailler dans un autre département ne constitue pas une déclaration de changement de domicile et toute notification, transmission ou autre à cette adresse est valable et opposable à son destinataire avec les conséquences de droit qu’elle emporte.

(30 mars 2022, M. A., n° 454429)

 

Sport

 

158 - Dopage – Cycliste – Sanction encourue de quatre ans de diverses interdictions – Sanction ramenée à deux ans – Annulation – Rétablissement d’interdictions d’une durée de quatre années.

Une cycliste professionnelle, par ailleurs chargée de la section sport-études dans un lycée et alors vice-présidente de l'association française des coureurs cyclistes, a été contrôlée positive à une substance interdite.

La peine encourue est un ensemble d’interdictions d’une durée de quatre années. Toutefois, la commission des sanctions de l’AFLD a retenu que, selon les dires de l’intéressée, d’une part, elle ne se serait injectée qu’une seule dose, d’autre part, son geste aurait été commandé par la volonté de retrouver la confiance de son entraîneur sportif et d’obtenir le renouvellement de son contrat avec l'équipe Dolticini-Van Eyck pour des raisons purement sportives sans avoir à se soumettre aux pratiques humiliantes de son entraîneur, constitutives, selon elle, de harcèlement sexuel. La commission des sanctions de l’AFLD a donc réduit cet ensemble d’interdictions à deux années.

Sur recours de la présidente de l’AFLD, le Conseil d’État rétablit la durée de quatre ans d’interdiction prévue par les textes en relevant d’abord que selon les spécialistes, il n’y avait pas eu une seule injection mais au moins deux espacées de quelques jours, ensuite que l’intéressée n'a pas été écartée de l'équipe lorsqu'elle a cessé d'envoyer les photographies demandées par le directeur sportif de son équipe et a continué à être engagée sur plusieurs courses avec cette équipe et, enfin et peut-être surtout, que la commission des sanctions de l’AFLD s’était prononcée sur la seule base des affirmations de l’intéressée «  sans au demeurant avoir fait usage des pouvoirs d'instruction qu'elle tient des articles L. 232-93 et L. 232-94 du code du sport ».

(22 mars 2022, Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), n° 450363)

 

Travaux publics et expropriation

 

159 - Demande d’autorisation d’occupation temporaire en vue de la réalisation de travaux publics – Loi du 29 décembre 1892 – Délivrance de l’autorisation d’occupation temporaire impossible pour le préfet – Identique impossibilité pour le juge statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA – Erreur de droit – Annulation.

La requérante a sollicité du juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, à titre principal, l’autorisation d’occuper immédiatement, pour une durée de cinq mois, en vertu de la loi de 1892, la partie non bâtie d'une parcelle située à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), afin d'y installer le matériel, les machines et les matériaux nécessaires à la réalisation de sondages préalables aux opérations de construction de l'ouvrage d'entonnement OA7054, de procéder auxdits sondages et, à la fin de l'occupation, de remettre les lieux dans leur état d'origine.

Cette demande a été rejetée en raison de ce que, eu égard aux caractéristiques du terrain, l'article 2 de loi du 29 décembre 1892 faisait obstacle à ce que le préfet puisse délivrer l'autorisation demandée et qu'il en allait de même, par voie de conséquence, du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit car la circonstance que le préfet n'était pas compétent pour délivrer l'autorisation sollicitée n'était pas à elle seule de nature à faire regarder la demande comme irrecevable ou mal fondée, d’autant qu’elle n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence de l’ordre administratif de juridiction. 

(8 mars 2022, Société du Grand Paris, n° 450162)

 

160 - Réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC) – Expropriation de parcelles situées dans le périmètre de la future ZAC - Avis rendu par le préfet de région sur ce projet – Insuffisance alléguée de l’étude d’impact – Appréciation sommaire des dépenses – Office du juge se prononçant sur le caractère d’utilité publique d’une opération conduisant à expropriation – Rejet.

La communauté de communes du Pays de Gex a créé sur le territoire d’une commune membre la ZAC « Ferney-Genève Innovation » et approuvé le dossier de création de la ZAC dont la réalisation a été confiée à la société publique locale (SPL) Territoire d'innovation par un traité de concession du 27 mars 2014.

Par un arrêté du 22 juillet 2016, le préfet de l'Ain, après enquêtes, a déclaré d'utilité publique les acquisitions des parcelles nécessaires au projet de création de la ZAC et valant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme de la commune. La commission d'enquête ayant émis un avis défavorable sur l'emprise du projet, ceci a conduit à une nouvelle enquête parcellaire à l'issue de laquelle, par un arrêté du 10 avril 2018, le préfet a déclaré cessibles au profit de la SPL Territoire d'innovation les parcelles nécessaires à la réalisation de la ZAC.

Par deux jugements du 9 octobre 2019, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes, d'une part, de la société Financière Ferney et autres, d'autre part, de l'association Église Évangélique de Crossroads, propriétaires de parcelles incluses dans le périmètre du projet déclaré d'utilité publique, tendant à l'annulation, respectivement, de l'arrêté du 22 juillet 2016 et de l'arrêté du 10 avril 2018. L'association Église Évangélique de Crossroads et la société Financière Ferney et autres se pourvoient en cassation contre les arrêts du 12 novembre 2020 par lesquels la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté leurs appels formés contre ces jugements.

Les pourvois sont joints.

L’arrêt attaqué ne faisant pas apparaître que le rapporteur public a été entendu à l’audience de jugement de ces deux requêtes, la preuve de la régularité de la procédure suivie n’est pas rapportée et les arrêts sont annulés.

Le Conseil d’État statue directement au fond sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Tous les moyens soulevés sont rejetés.

Est d’abord rappelée, pour être appliquée à l’espèce, la solution jurisprudentielle selon laquelle l'illégalité frappant la délibération créant une ZAC ne saurait être utilement invoquée, par la voie de l'exception, à l'encontre de la contestation de la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'aménagement de cette zone. 

Ensuite, s’agissant de la garantie d’indépendance de l’autorité émettrice de l’avis sur l’évaluation environnementale, qu’impose la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, le juge la considère comme respectée en l’espèce dès lors, d’une part, que l’avis a été rendu par le préfet de la région Rhône-Alpes, préfet du Rhône, en qualité d'autorité environnementale, préparé et formalisé par les services de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) de Rhône-Alpes et, d’autre part, que la déclaration d'utilité publique été prise par le préfet de l'Ain, après avoir été instruite par les services de la direction des relations avec les collectivités locales de la préfecture de l'Ain. Il est ainsi satisfait aux exigences de l’art. 6 de cette directive telle qu’interprétée par la jurisprudence de la CJUE.

Également, il est jugé que l’étude d’impact réalisée en 2015 et présentée dans le cadre du dossier de déclaration d'utilité publique était complète et suffisamment précise sur les incidences et les mesures environnementales au regard des caractéristiques d'ensemble du projet de ZAC telles qu'elles étaient connues à la date de l'enquête publique, y compris les modalités envisagées pour la création d'un réseau de chauffage. 

Encore, est rappelée la limite de l’exigence de précision requise de ce que les textes nomment eux-mêmes « appréciation sommaire des dépenses » figurant dans le dossier d’enquête publique, d’où le rejet du grief d’incomplétude et d’imprécision formulé sur ce point. Pas davantage n’est frappé du même défaut le rapport de la commission d’enquête.

Enfin, et c’était là l’aspect le plus important de cette affaire, le juge (qui n’est plus de cassation ici mais du fond par l’effet du recours à l’art. L. 821-2 CJA) entre dans une analyse minutieuse de ce qu’est l’office du juge lorsqu'il se prononce sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers.

Celui-ci, ainsi saisi, doit obligatoirement examiner si l’opération répond à une finalité d'intérêt général, si l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation et si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.

Il doit ensuite, mais seulement s'il est saisi d'un moyen en ce sens, s'assurer, au titre du contrôle sur la nécessité de l'expropriation, que l'inclusion d'une parcelle déterminée dans le périmètre d'expropriation n'est pas sans rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique.

Application de cette méthodologie du contrôle de l’utilité publique est alors effectuée dans la suite de la décision :

1° Le projet de création de la ZAC « répond à l'objectif d'intérêt général de rééquilibrage des programmes de logements et d'activités entre la commune suisse du Grand-Saconnex et la commune de Ferney-Voltaire, en favorisant la mixité sociale et le développement économique par la création de logements sociaux et de nouveaux espaces à vocation d'activités et en contribuant à la limitation des trajets domicile-travail ».

2° Si les requérants font valoir qu'ils avaient sur les parcelles dont ils sont propriétaires un projet d'aménagement foncier compatible avec les documents d'urbanisme et présentant de fortes convergences avec les objectifs poursuivis par la ZAC, ce qui rendait inutile l’expropriation, ce projet privé ne permettait pas d'atteindre des objectifs équivalents à ceux poursuivis à travers l'opération d'aménagement déclarée d'utilité publique. Par suite, l'inclusion de leurs parcelles dans le périmètre d'expropriation n’est pas, contrairement à ce qui est soutenu,  sans rapport avec cette opération. 

3° Les diverses atteintes (aux espèces animales, à l’activité agricole, à un lieu de culte existant) ont été prévues et assorties de mesures tendant à les réduire et, en tout hypothèse, ne sont pas excessives eu égard à l’intérêt général qui s’attache à ce projet.

(22 mars 2022, Association Église Évangélique de Crossroads, n° 448610 ; Sociétés Financière Ferney, Investissements Fonciers et Participations (IFP) et Ferjac et autres, n° 448619)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

161 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Réparation du dommage causé par l’illégalité de l’octroi d’une telle autorisation – Rejet.

Dans un litige en vue de l’annulation d’un permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale, la victime du préjudice subi du fait de cette illégalité et causé par le concurrent illégalement autorisé, en a réclamé réparation.

L’action à fins indemnitaires a été rejetée par la cour administrative d’appel au double motif, d’une part, que les divers préjudices allégués comme devant être réparés étaient sans lien direct et certain avec l’illégalité de l’autorisation d’exploitation commerciale, et, d’autre part, que cette délivrance ne faisait pas obstacle, vu les circonstances de droit de l’espèce, à ce que la société demanderesse continue sa propre exploitation.

Le juge de cassation, au bénéfice du pouvoir souverain d’appréciation de la cour, rejette le pourvoi.

(2 mars 2022, Société Steso et M. J., n° 443276)

 

162 - Projet de plan local d’urbanisme (PLU) – Définition des modalités de la concertation – Décision de tenir la concertation jusqu’à ce que soit arrêté le PLU – Condition et régime de l’illégalité d’une reprise de la procédure d’élaboration sans nouvelle concertation - Bande des cent mètres - Projet de construction de logements – Illégalité alors même que cette bande est entourée de parcelles construites – Annulation partielle.

L’association requérante demandait, à la fois pour des motifs de procédure et pour des motifs de fond, l’annulation d’une délibération municipale approuvant le PLU de la commune. Parmi ceux-ci deux méritent attention, l’un étant rejeté et l’autre admis.

Au plan procédural, le juge rappelle que la commune qui a adopté une délibération définissant les modalités de la concertation en prévoyant que celle-ci doit avoir lieu jusqu'à l'arrêt du projet de plan local d'urbanisme, ne peut pas reprendre la procédure d'élaboration et arrêter un nouveau projet sans le soumettre à une nouvelle concertation. Toutefois, appliquant une jurisprudence désormais classique, il est précisé qu’un tel vice n'est de nature à entacher d'irrégularité la procédure d'élaboration du projet que si ce vice a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la délibération approuvant le projet ou s'il a privé le public d'une garantie. Tel n’était pas le cas en l’espèce, comme cela a été jugé en appel et contrairement à ce que soutenait la requérante,

Sur le fond, le PLU prévoyait, s’agissant de l'orientation d'aménagement et de programmation du front de mer, la réalisation sur un secteur qui inclut la bande littorale des cent mètres, dans un espace dénué de construction même s'il est entouré de manière plus ou moins proche de parcelles construites, d'un ensemble immobilier de 320 logements répartis dans des immeubles de deux à quatre étages, pour une surface de plancher de 30 000 m². Sans surprise, cette solution d’urbanisme est déclarée irrégulière et l’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier pour avoir jugé que cette partie du projet n’entraînait pas une densification significative des espaces dans lesquels il devait s'insérer…

(7 mars 2022, Association Cucq Trepied Stella 2020, n° 443804)

 

163 - Permis de construire – Régularité de l’omission de réponse à certains moyens - Existence d’une servitude de « cour commune » – Absence d’opposabilité de plein droit à une demande de permis de construire – Rejet.

De cette longue décision qui intéresse autant le droit de l’urbanisme que le droit du contentieux administratif seront seulement retenus deux points.

En premier lieu, il est rappelé, au plan procédural, que ne commet pas d’irrégularité le juge qui, quoique tenu, lorsqu’il rejette un recours pour excès de pouvoir contre un acte administratif rendu en matière d’urbanisme, de répondre à l'ensemble des moyens soulevés par le requérant, omet de répondre à un moyen qui est soit inopérant soit non assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé soit assorti d'éléments insusceptibles de venir à son soutien. 

Ces trois situations se rencontrent dans cette décision.

En second lieu, il est également rappelé que si l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire ou d'une déclaration préalable, doit apprécier la légalité du projet en tenant compte des effets qu'attachent l'article L. 471-1 du code de l'urbanisme ou, le cas échéant, les prescriptions particulières légalement édictées que comporte un plan local d'urbanisme, à l'existence d'une servitude de « cour commune » sur le terrain d'assiette du projet ou un terrain voisin, une telle servitude n'est pas, par elle-même, opposable à la demande d'autorisation contrairement à ce qui était soutenu en l’espèce.

(17 mars 2022, Syndicat des copropriétaires du 26, rue d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447456 ; Syndicat des copropriétaires du 7, allée d'Orléans à Neuilly-sur-Seine, n° 447536, jonction)

 

164 - Directive territoriale d'aménagement des bassins miniers nord-lorrains (décret du 2 août 2005) – Intervention postérieure de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement – Appréciation actuelle de la juridicité de cette directive – Principe d’inconstructibilité dans les zones d’aléas dites d’affaissements progressifs ou principe de constructions conditionnées en dehors de ces zones par le plan de prévention des risques – Demande d’abrogation du décret de 2005 – Rejet.

La commune requérante demande l’annulation du refus implicite du premier ministre d’abroger le décret du 2 août 2005 portant approbation de la directive territoriale d'aménagement (DTA) des bassins miniers nord-lorrains en tant qu'il en approuve les orientations relatives à la constructibilité dans le bassin ferrifère.

Le litige soulevait la question du moment où le juge doit se placer pour apprécier la juridicité du décret critiqué. Celui-ci a été pris en 2005 pour porter approbation d’une DTA, notamment en ce que celle-ci, dans cette importante zone ex-minière, a prévu soit l’interdiction de construire sur les zones d’affaissements progressifs soit, dans les autres zones, une construction fortement contrainte en application du plan de prévention des risques. A l’époque où ce décret a été pris s’appliquaient les dispositions de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme. Puis, l’art. 13 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement a substitué aux DTA les directives territoriales d'aménagement et de développement durables. Cependant, le III de cet article 13 décide que les DTA antérieures à la publication de la loi de 2010 conservent ceux de leurs effets résultant de la version antérieure à la loi de 2010 et de l'art. L. 111-1-1 du code de l'urbanisme précité. Il était prévu également soit qu’elles puissent être modifiées en vue d’y intégrer les dispositions relatives aux nouvelles directives territoriales d'aménagement soit qu'elles soient supprimées par décret en Conseil d’État. 

Ensuite, l’art. 1er de l'ordonnance du 17 juin 2020 relative à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicable aux documents d'urbanisme a supprimé, à compter de l'entrée en vigueur de cette modification, le 1er avril 2021, l'exigence de compatibilité des schémas de cohérence territoriale, ainsi que le cas échéant des plans locaux d'urbanisme, des documents en tenant lieu et des cartes communales, avec les directives territoriales d'aménagement.

Des dispositions applicables en la matière au jour où il statue le juge déduit le rejet de la requête.

Tout d’abord, en interdisant ou limitant strictement les possibilités de construire, comme indiqué plus, haut, la DTA ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'art. L. 111-1-1 du code de l’urbanisme.

Ensuite, la juridicité de cette DTA ne saurait être critiquée ni en ce qu’elle classerait la commune requérante comme commune significativement concernée par les zones d'aléas miniers, ni en fixant les règles d'inconstructibilité découlant de ce classement, lesquels résultent en l'espèce du plan de prévention des risques miniers du secteur de Jarny approuvé par arrêté préfectoral du 26 mars 2013. L’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou le caractère disproportionné des mesures restrictives en raison de la circonstance qu’aucun affaissement de terrain n’a eu lieu depuis plus de vingt ans ne sauraient être invoqués à l’encontre de cette DTA qui n’en est pas à l’origine.

Enfin, ce dernier élément, de fait, ne prive pas d’objet les dispositions de la DTA attaquée.

(21 mars 2022, Commune de Jarny, n° 439835)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2022

Février 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication d'informations n'intéressant pas la sûreté de l'État - Refus - Décision du Conseil d'État ordonnant le versement au dossier, hors contradictoire, des informations demandées - Rejet.

Le requérant avait demandé au ministre des finances la communication d'informations le concernant, autres que celles intéressant la sûreté de l'État, figurant dans le fichier STARTRAC. Cela lui fut refusé.

Si le tribunal administratif saisi avait ordonné de verser au dossier de l'instruction écrite, hors contradictoire, les informations litigieuses, le Conseil d'État a annulé ce jugement et, avant-dire droit, le 10 novembre 2021, ordonné au ministre de verser au dossier de l'instruction, dans le mois de sa décision, aux conditions précisées dans les motifs de la décision d'avant-dire droit et selon les modalités prévues à l'article R. 412-2-1 du CJA, le décret portant création du fichier STARTRAC ainsi que les informations relatives au requérant, n'intéressant pas la sûreté de l'État, figurant dans ce même fichier ou, si ces informations sont couvertes par un secret opposable au juge, tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant un éventuel refus.

Le ministre ayant communiqué le 10 décembre 2021 un mémoire, non versé au débat contradictoire, contenant le décret autorisant la création du fichier STARTRAC et les éléments relatifs à la situation du requérant, le Conseil d'État juge, d'une part, qu'il n'a relevé aucune illégalité dans ces documents et, d'autre part, rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation du refus du ministre de lui communiquer les informations le concernant dans le fichier STARTRAC.

Difficile d'être plus laconique ; même si peut se comprendre une telle attitude eu égard aux éléments de la cause, elle n’en laisse pas moins un goût amer dans un cadre démocratique.

(2 février 2022, M. C., n° 444992)

 

2 - Sapeur-pompier professionnel - Poursuite d'activité au-delà de l'âge de la retraite - Autorisation estimée illégale - Retrait - Retrait au-delà de quatre mois - Irrégularité - Prétendue inexistence de la décision - Rejet - Suspension ordonnée - Annulation partielle.

Un sapeur-pompier professionnel affecté au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion a bénéficié, sur sa demande, d'un recul de limite d'âge par un arrêté du président du conseil d'administration du SDIS, le 10 mars 2017, puis, par un arrêté du 17 mars 2020, a été retiré l'arrêté du 10 mars 2017 et prononcée la radiation des cadres de l’intéressé à compter du 6 avril 2017.

Sur saisine de ce dernier, le juge des référés a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 17 mars 2020 et, d'autre part, enjoint au SDIS de La Réunion de procéder, à titre provisoire, à la réintégration du demandeur dans ses fonctions et au versement des traitements de celui-ci depuis janvier 2020.

Le SDIS de La Réunion s'est pourvu en cassation contre cette ordonnance.

En premier lieu, il est jugé que, outre la condition d'urgence,  était également remplie en l'espèce la condition tenant au doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, nécessaire à l'obtention d'une mesure de suspension, car l'arrêté prolongeant l'activité de l'intéressé était bien évidemment créateur de droits et ne pouvait donc faire l'objet d'un retrait rétroactif que dans le délai de quatre mois (art. L. 242-1 CRPA) alors que la décision de retrait est intervenue trois ans après. Si le SDIS soutient qu'en réalité l'arrêté initial était un acte inexistant qui pouvait donc être retiré sans condition de délai, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été obtenu par fraude, par suite s'imposait le respect du délai précité.

En second lieu, l'ordonnance de référé est annulée en ce qu'elle enjoignait au SDIS de procéder, à titre provisoire, à la réintégration de l'agent dans ses fonctions et au versement de ses traitements depuis janvier 2020. En effet, l'arrêté primitif avait n'avait accordé un recul de la limite d'âge qu'au jusqu'au 5 décembre 2018 et l'agent n'avait sollicité aucune nouvelle prorogation depuis : son lien avec le SDIS de La Réunion était donc rompu à cette date. Ainsi, le juge des référés a prononcé une mesure que n'impliquait pas la suspension qu'il prononçait par la même décision.

L'ordonnance est annulée en tant qu'elle fait injonction.

(ord. réf. 3 février 2022, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion, n° 442354)

 

3 - Arrêté ministériel - Exemplaire de l'arrêté signé fourni au juge différant de la version publiée au Journal officiel - Annulation.

Dans un litige relatif à la contribution forfaitaire de l'État à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, les requérants faisaient valoir que l'arrêté attaqué n'avait pas été régulièrement signé. Le ministre des solidarités et de la santé ayant versé au dossier un exemplaire signé de l'arrêté attaqué, qui diffère de la version publiée au Journal officiel de la République française, il y a lieu à annulation dudit arrêté faute qu'il ait été dûment signé.

(4 février 2022, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 443125 et n° 448163 ;  Ville de Paris, n° 448125, jonction)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 12

 

4 - Consultation préalable obligatoire d'un organisme sur un projet de texte - Modifications postérieures posant des questions nouvelles - Obligation de consulter à nouveau cet organisme - Projet de décret relatif à la procédure de déconventionnement en urgence des professionnels de santé libéraux -  Rejet en l'absence de question nouvelle.

Application, ici négative en l'absence de questions nouvelles, du principe général de procédure administrative non contentieuse selon lequel « l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'un texte doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par ce texte. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre le texte envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau. »

(11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V. n° 146

 

5 - Codification à droit constant – Codification par voie d’ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Amélioration de l’accessibilité et de l’intelligibilité des textes – Absence de caractère purement confirmatif des dispositions issues de la nouvelle rédaction – Recevabilité du recours contre ces dernières devant le juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Le Conseil d’État rejette la fin de non-recevoir opposée par le gouvernement à des recours dirigés contre les parties législative et réglementaire d’un code issues de la nouvelle rédaction que leur a donnée une ordonnance de l’art. 38 de la Constitution et tirée de ce que celle-ci n’aurait qu’un caractère purement confirmatif, ce qui exclut, classiquement, la possibilité de la contester par la voie d’un recours pour excès de pouvoir.

En effet, au cas de l’espèce, le gouvernement a été habilité à adopter à droit constant une nouvelle rédaction de la partie législative du CESEDA dans le but d'en améliorer l'accessibilité et l'intelligibilité dans le respect de la hiérarchie des normes et à procéder, conformément à l'habilitation qui lui a été donnée, aux modifications nécessaires pour assurer le respect, par les dispositions qu'il adopte, de la hiérarchie des normes.

Par suite de cette circonstance de droit nouvelle ces dispositions réécrites ne peuvent pas être regardées comme purement confirmatives des dispositions législatives antérieures. Il s’ensuit que les conclusions tendant à l'annulation des dispositions d'une telle ordonnance non ratifiée sont recevables devant le juge de l'excès de pouvoir, à qui il appartient, notamment, de se prononcer sur les moyens tirés de leur contrariété avec une norme supérieure, sans préjudice d'éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité.

La partie réglementaire d'un code, prise en conséquence de l'adoption de la partie législative du code, ne peut, en principe, pas davantage être regardée comme purement confirmative des dispositions règlementaires antérieures.

(24 février 2022, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et autres, n° 450285 et n° 450288)

 

6 - Demande d’annulation des accords d’Évian (19 mars 1962) – Acte non détachable de la conduite des relations internationales – Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

La requérante demandait au juge administratif, non sans une certaine originalité, l’annulation des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites « accords d'Evian ».  

Ces actes, intervenus dans le cadre de l'action conduite par le Gouvernement en vue de l'accès d'un nouvel État à l'indépendance, ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France et échappent, par suite, à la compétence de la juridiction administrative.

Au reste, leur approbation par référendum ne pouvait que pousser encore davantage à cette solution.

(24 février 2022, Association Le Grand Maghreb, n° 453671)

 

7 - Communication des documents préparatoires – Absence de droit à leur communication pendant l’élaboration de la décision qui fait suite à ces documents (art. L. 311-2 CRPA) – Non-contrariété à un droit ou une liberté que garantit la Constitution - Refus de transmission d’une QPC à cette fin.

Les demandeurs se sont vu refuser la communication du rapport relatif au retour d'expérience portant sur les modalités de pilotage et de gestion de l'épidémie de Covid-19. Ils soulèvent une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 311-2 du CRPA qui leur ont été opposées au soutien de la décision refusant la communication du document litigieux. Selon ce texte : « Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ».

Selon le Conseil d’État, si l’art. 15 de la Déclaration de 1789 (« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ») fonde bien le droit à la communication des documents administratifs, il est cependant loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Tel est bien le cas ici où il s’agit d’assurer la sérénité du processus d'élaboration des décisions au sein de l'administration et donc de garantir le bon fonctionnement de cette dernière. De plus, cette solution, dictée par l’intérêt général, est limitée et temporaire.

Ceci justifie le refus de transmettre la QPC visant la disposition précitée du CRPA.

(24 février 2022, Société « Le Parisien libéré » et Mme B., n° 459086)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

8 - Publicité télévisée - Protection de l'enfance - Publicité pour des protections hygiéniques - Demande de mise en demeure des éditeurs des services de télévision - Refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Rejet.

La requérante demandait  l'annulation de la décision du 16 octobre 2019 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté sa demande de mettre en demeure les éditeurs des services de télévision concernés de respecter leurs obligations relatives à la protection de l'enfance et de la décision du 5 février 2020 rejetant son recours gracieux dirigé contre cette décision.

La requête est rejetée.

Après avoir relevé qu'était en cause un message publicitaire, d'une durée de trente secondes, se composant d'une succession d'images de jeunes femmes et de représentations suggérées ou métaphoriques du sexe féminin, le Conseil d'État juge que le CSA n'a pas fait une inexacte application de ses pouvoirs de mise en demeure en estimant que cette publicité ne portait pas atteinte à l'objectif de protection de l'enfance compte tenu de ce que les images litigieuses, si elles comportent des allusions directes à l'intimité du corps féminin, sont en rapport avec les produits d'hygiène dont la séquence fait la promotion et ne présentent aucun caractère licencieux ou pornographique.

S’il suffit que l’image soit en rapport avec l’objet de la publicité, certaines situations vont être intéressantes – sinon agréables – à observer.

(1er février 2022, Association Pornostop, n° 440154)

 

9 - Référé liberté – Élection présidentielle – Campagne audiovisuelle - Demande d’injonction à l’encontre de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) – Principe d’équité dans la programmation des temps de parole – Absence de démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion – Rejet.

(9 février 2022, M. B. et Union populaire et républicaine (UPR), n° 461000)

V. n° 57

 

10 - Attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte – Enchères principales en bandes 700 MHz – Modalités d’attribution de fréquences à des sociétés – Référé tendant à la suspension de décisions d’attributions de fréquences par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Demande d’injonction afin de reprendre la procédure d’attribution – Urgence non établie – Rejet.

La requérante critiquait des décisions de l’ARCEP, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021, d'attribuer à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz chacune et de refuser de lui attribuer plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, elle demandait leur annulation pour excès de pouvoir ainsi que celle du communiqué de presse lui-même et, dans l’attente, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, leur suspension par voie de référé.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence : d’abord, la société requérante s'est vu attribuer un bloc de fréquences de 5 MHz ; ensuite les autorisations d'utilisation de fréquences n'ont vocation à être délivrées par l'ARCEP que dans plusieurs semaines ; également,  les effets les plus significatifs ne sont susceptibles de se produire que progressivement, au fur et à mesure de la mise en service des installations et du déploiement des offres et services ; enfin, le Conseil d’État se prononcera au fond sur la requête en annulation avant la fin du mois de juin 2022.

(10 février 2022, Société Zeop Mobile, n° 460788)

 

Biens

 

11 - Délibération portant transfert de propriété d'un bien du domaine privé communal - Décision créatrice de droits même si elle est assortie d'une clause résolutoire - Erreur de droit - Refus d'indemnisation - Annulation partielle.

Après que le conseil municipal a décidé la vente à la requérante, à un certain prix, d'un terrain faisant partie de son domaine privé et alors que l'acte authentique de vente n'avait pas encore été accompli, la commune, se fondant sur une nouvelle estimation domaniale de la valeur au mètre carré de ce terrain, le portant de 86,45 euros à 220,50 euros et le prix de vente global de 201 600 euros à 514 206 euros, la société requérante a demandé le versement d'une indemnité du fait de l'abandon de son projet immobilier. Ces conclusions, d'abord jugées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, ont été rejetées en appel après annulation du jugement de première instance.

Le demande contenue dans le pourvoi est partiellement accueillie.

Le Conseil d'État donne raison à la requérante  en décidant que la délibération d'un conseil municipal portant  transfert de propriété de biens immobiliers relevant de son domaine privé moyennant des modalités déterminées, notamment de prix ou d'affectation future, crée des droits au profit de son bénéficiaire. A cet égard l'arrêt est annulé pour avoir estimé qu'il n'en allait pas ainsi en raison de ce que la délibération était assortie d'une condition résolutoire consistant dans une clause de retour des parcelles dans le patrimoine communal en cas de non-réalisation du projet.

C'était évidemment une erreur : la condition résolutoire, à la différence de la condition suspensive, confère au contrat dès sa signature sa perfection juridique et lui permet de déployer tous ses effets (cf. art. 1304, 1304-3 et 1304-7 C. civ. et J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, § 844 et suiv., p. 443 et s. ; C.E. 21 novembre 2011, Daniel X., n° 340319).

En revanche, l'action en responsabilité est rejetée, tant celle en responsabilité contractuelle puisqu'aucun contrat n'existe entre la société et la commune, que celle en responsabilité quasi-délictuelle car, la cession ayant été autorisée à un prix valable pendant une année et l'acte authentique n'ayant pas été accompli au terme de cette durée, le prix initial a alors cessé de produire effet. La nouvelle délibération fixant un autre prix n'est ainsi pas illégale de ce chef et ne méconnaît pas l'espérance légitime née de la délibération précédente.

(3 février 2022, Société anonyme HLM Immobilière Atlantic Aménagement, n° 438196)

 

Collectivités territoriales

 

12 - Personnes mineures isolées - Contribution forfaitaire de l'État à leur mise à l'abri - Principe fondamental « de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources » (art. 34 Const. 1958) - Principe de compensation financière des transferts de compétences (art. 72 Const. 1958) - Caractère non obligatoire de la convention prévue entre l'État et les départements - Absence de sanction à défaut de convention - Rejet.

Dans un litige relatif à la contribution forfaitaire de l'État à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, les collectivités requérantes contestaient la légalité et la constitutionnalité du décret n° 2020-768 du 23 juin 2020 modifiant les modalités de cette contribution forfaitaire.

Ils invoquaient l'atteinte portée par ce décret d'abord au principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, ensuite au principe de la compensation financière des transferts de compétences de l'État à ces collectivités.

Le juge rejette ces moyens.

Si le décret litigieux incite les collectivités territoriales à conclure à cet effet des conventions avec l'État, celles-ci ne sont point obligatoires et leur non signature n'entraîne pas de sanctions ; par ailleurs il n'y a nulle obligation de recourir à l'assistance des services de l'État. Enfin, au surplus ce décret ne modifie pas par lui-même les compétences qui leur sont dévolues.

Semblablement, s'il est exact qu'existe une dégradation continue des dépenses d'aide sociale supportées par les départements, il n'en résulte pas que le décret attaqué entraînerait pour eux une charge nouvelle telle qu'elle dénaturerait le principe de libre administration et celui de compensation financière des transferts de compétence.

(4 février 2022, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 443125 et n° 448163 ;  Ville de Paris, n° 448125, jonction)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 3

 

13 - Polynésie française - Covid-19 - « Loi du pays » - Procédure - Théorie des circonstances exceptionnelles - Contenu des mesures - Rejet.

Les deux recours en annulation de deux « lois du pays » adoptées en Polynésie française tendant brevitatis causa aux mêmes fins, ils sont joints.

Leur auteur formule des moyens divers de légalité à l'encontre de ces textes. Ils sont tous rejetés.

Tout d'abord, le demandeur soulevait deux QPC.

La première, dirigée contre l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et tendait à faire dire que l'adverbe « manifestement » figurant dans ce texte à l'intérieur de la formule « L'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable, (...) » n'est pas défini et viole le droit au juge, celui au procès équitable, l'égalité des armes, etc. Le moyen est rejeté car il est toujours loisible de contester en justice le refus d'accorder certte aide.

La seconde, dirigée contre l'art. 76 de la loi organique du 27 février 2004 est manifestement  infondée, le Conseil constitutionnel ayant déjà - et à deux reprises - déclaré cet article conforme à la Constitution (décisions n° 2004-490 DC du 12 février 2004 et n° 2019-783 DC du 27 juin 2019).

Ensuite, sont rejetés les griefs de forme tirés de l'intervention prématurée de l'acte de promulgation de la « loi du pays » instaurant l'état d'urgence en Polynésie et le prolongeant en raison de « circonstances exceptionnelles », de l'irrégularité de la procédure suivie pour l'élaboration de la « loi de pays », l'exception d'illégalité invoquée de ce chef étant inopérante, l'utilisation ponctuelle au cours des débats d'une langue autre que le français n'a pas nui à la compréhension indispensable à un débat démocratique.

Sont également rejetés les griefs portant sur le fond des mesures contestées : l'obligation vaccinale établie pour certaines catégories de personnes exposées ou susceptibles d'en exposer d'autres, repose sur une définition précise de ces catégories, les dispositions prises sont proportionnées à la gravité de la situation au moment où elles ont été prises et à son évolution prévisible, le caractère illimité de la durée d'application de ces mesures est justifié par la nature même de l'épidémie, l'amende prévue en cas de non respect de l'obligation vaccinale par les personnes concernées, dans sa procédure comme dans sa fixation, ne porte atteinte à aucun des droits et libertés invoqués, enfin, last but not least, la majoration du ticket modérateur pour les personnes ne déférant pas à l'obligation vaccinale ne porte pas atteinte au droit de propriété sous réserve de respecter le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui garantit à tous la protection de la santé.

(11 février 2022, M. B., n° 456823 et n° 456824)

(14) V. aussi les intéressantes questions de droit posées par l'instauration d'une o14bligation vaccinale en Nouvelle-Calédonie sur le seul fondement d'une délibération du congrès de ce territoire, sans recours à une « loi du pays » car la santé publique n'est pas au nombre des matières entrant limitativement dans le domaine des « lois du pays »  : 11 février 2022, M. F. et autres, n° 457818.

 

15 - Autorisation de plaider - Action d’un contribuable en lieu et place d’une commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer – Conditions – Absence d’intérêt pour la commune et absence de chance de succès d’une telle action – Rejet.

(23 février 2022, M. E., n° 456170)

V. n° 37

 

Contrats

 

16 - Accord-cadre – Accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes – Obligation d’indications devant être contenues dans l’accord-cadre - Interprétation par la CJUE – Obligation d’indiquer la qualité et/ou la valeur estimée ainsi que la quantité et/ou valeur maximale des produits ou prestations à fournir – Rejet.

La collectivité de Saint-Martin a lancé une procédure d'appel d'offres ayant pour objet la passation d'un accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes. Avisée de l'attribution du lot n° 2, « orientation et accompagnement à l'insertion professionnelle - Bilan de compétences », à une autre entreprise candidate, la société Formation accompagnement conseil (FAC) a demandé au juge des référés l'annulation de la procédure de passation pour l'attribution de ce lot.

Les requérantes  se pourvoient contre l'ordonnance annulant cette procédure.

Ce pourvoi posait à nouveau (cf. 28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, n° 456418 ; v. cette chronique, janvier 2022 n° 3) une délicate question de combinaison de textes.

En premier lieu, l’art. R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au litige, disposait : « Les accords-cadres peuvent être conclus :

1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ;

2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ;

3° Soit sans minimum ni maximum ». 

En second lieu, toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark, aff. C-23/20), a, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, jugé que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics devaient être interprétées dans le sens, d’une part, que « l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets » et, d’autre part, que « l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ». 

Il suit de là que pour ceux des accords-cadres entrant dans le champ d’application de cette directive, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées.

Par ailleurs, répondant à un moyen de la société requérante, le Conseil d'État juge que s'agissant des marchés de services sociaux, il se déduit des dispositions de l'art. 76 de la directive précitée que la jurisprudence Simonsen Weel leur est applicable.

En l’espèce, le juge des référés précontractuels a souverainement jugé :

- d’une part, que l'absence dans l'avis d'appel à concurrence, de mention de la quantité ou valeur maximale des prestations à fournir en vertu de l'accord-cadre en litige, qui relève du champ de la directive du 26 février 2014, n'avait pas mis la société FAC à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre,

- d'autre part,  sans inexactement qualifier les faits soumis à son appréciation, que ce manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence avait été de nature à léser la société FAC.

Cette dernière indication est importante car la décision du 28 janvier 2022 précitée laissait incertain le point de savoir si, pour l'application de cette jurisprudence de la CJUE, le juge administratif allait continuer à exiger, pour la formation du recours contentieux, que le requérant démontre avoir été lésé par le vice de procédure dénoncé dans la mesure où la CJUE n'évoque pas (et n'avait pas à le faire) la question de la lésion. La réponse est positive, du moins sous réserve que la CJUE ne décide pas que le maintien de cette dernière condition, purement nationale et jurisprudentielle, est intempestive.

(3 février 2022, Collectivité de Saint-Martin et société Fore Îles du Nord, n° 457233)

 

17 - Avis de droit - Covid-19 - Prorogation générale des délais (art. 2, ord. du 25 mars 2020) - Application au délai ouvert aux tiers contestant la validité d'un contrat.

(3 février 2022, Société Osiris Sécurité Run (OSR), n° 457527)

V. n° 27

 

18 - Contrat de partenariat - Maîtrise d'ouvrage - Partage des risques de l'opération - Responsabilité envers les tiers du fait de la présence de l'ouvrage - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Des dommages étant survenus à une propriété privée, son propriétaire les a imputés à l'implantation et au fonctionnement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire.

Par contrat de partenariat, Réseau Ferré de France, aux droits duquel est venue la société SNCF Réseau, a confié à la société Eiffage Rail Express la conception, la construction, le fonctionnement, l'entretien, la maintenance, le renouvellement et le financement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire entre Connerré et Cesson-Sévigné et des raccordements au réseau existant. 

Les demandes préalables à fins indemnitaires, adressées à l'État, à la société Réseau Ferré de France et à la société Eiffage Rail Express ayant été implicitement rejetées, la victime a saisi le tribunal administratif qui a condamné la société Eiffage Rail Express. Sur appel de celle-ci, la cour administrative d'appel, après avoir annulé ce jugement, a condamné la société SNCF Réseau (ex- société Réseau Ferré de France). Cette dernière se pourvoit.

Le Conseil d'État est à la cassation pour le double motif suivant.

Il résulte de l'art. 1er de la loi du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat que ceux-ci se caractérisent en premier lieu par le fait qu'ils ont pour effet de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, et, en second lieu par le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique qu'ils instituent.

Or la cour a jugé que la société SNCF Réseau devait être regardée comme seul maître de l'ouvrage constitué par la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire dès la date d'achèvement des travaux de construction des ouvrages et équipements que la société Eiffage Rail Express était chargée de réaliser et elle a donc dit qu'il incombait exclusivement à SNCF Réseau d'assumer la responsabilité des dommages résultant pour les tiers de la présence de l'ouvrage.

De là se déduit aisément l'erreur de droit commise du fait de s'être abstenue de prendre en considération le partage de risque prévu entre les cocontractants par le contrat de partenariat.

(8 février 2022, Société SNCF Réseau, n° 452985)

 

19 - Marché d'audit et d'assistance à maître d'ouvrage (AMO) pour la passation d'un marché d'assurance - Candidat à certains lots du marché invoquant le secret des affaires et un risque d'atteinte imminente à ce secret - Candidat demandant au juge des référés l'interdiction d'accès de l'AMO (dirigeant et employés) aux pièces déposées par les candidats et son exclusion de la procédure de consultation - Obligation de confidentialité s'imposant à l'AMO - Absence de risque d'une atteinte imminente - Annulation et rejet, sans renvoi.

Le centre hospitalier requérant a confié à la société ACAOP une mission d'audit et d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation des marchés d'assurance. Dans ce cadre a été lancée une consultation. La Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), candidate à l'attribution des lots n°s 1 et 4, a demandé au juge des référés (art. R. 557-3 CJA), qu'il interdise l'accès du dirigeant et des préposés de la société ACAOP à l'ensemble des pièces déposées par les candidats et de les exclure de la consultation au motif de prévenir un risque d'atteinte imminente au secret des affaires.

Par ordonnance du 9 juin 2021, il a été décidé d'interdire par tout moyen l'accès de la société ACAOP à l'ensemble des documents déposés par les soumissionnaires et, dans l'attente, de suspendre l'analyse des offres.

Le Conseil d'État accueille le pourvoi contre cette ordonnance en estimant que pour apprécier l'existence réelle du risque invoqué, il convient de tenir compte de ce que la société ACAOP intervenant pour le compte d'une personne publique son dirigeant et son personnel sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité. En jugeant ne pas devoir tenir compte de cette exigence pour apprécier le risque d'une atteinte au secret des affaires, le juge des référés a commis une erreur de droit.

Statuant au fond (cf. art. L. 821-2 CJA), le Conseil d'État estime qu'en l'état de l'obligation de confidentialité, le risque d'atteinte au secret des affaires n'est pas établi sauf à la requérante, le cas advenant et si elle s'y croit fondée, à faire valoir notamment devant le juge du référé précontractuel tout manquement qu'elle aura relevé aux règles de publicité et de concurrence, tenant, le cas échéant, en une violation par le pouvoir adjudicateur du secret commercial ou de l'impartialité à laquelle celui-ci est tenu.

Cette dernière indication laisse poindre une certaine réticence du juge à rejeter le grief allégué.

(10 février 2022, CHU de Pointe-à-Pitre / Abymes, n° 456503)

 

20 - Commande publique - Marchés - Cas de dispense de jury - Extension des cas de dispense (décret du 30 mars 2021) - Exclusion de certains marchés globaux - Atteintes à l'impartialité, à l'intelligibilité de la norme et erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Le décret du 30 mars 2021 étend les cas dans lesquels le code de la commande publique prévoit une dispense de jury, ainsi des marchés globaux de conception-réalisation et des marchés globaux de performance relatifs à la réalisation d'ouvrages par les bailleurs sociaux et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, ainsi qu'aux marchés globaux de performance qui ne confient aucune mission de conception au titulaire.

Le requérant demande, en vain, l'annulation de l'art. 2 de ce décret, aucun de ces moyens n'étant retenu.

Ces dispositions ne sont ni dépourvues de clarté ni inintelligibles et ne font pas obstacle à la réalisation d'un avant-projet sommaire lorsqu'aucun jury n'est désigné par l'acheteur.

Pareillement, la circonstance que le décret attaqué dispense certains marchés du recours à un jury ne porte pas, par elle-même, atteinte aux objectifs décrits par l'art. 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture d'autant que cette loi (cf. ses art. 3 et 5-1) impose le recours à un architecte par quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire et prévoit que les maîtres d'ouvrage publics et privés favorisent l'organisation de concours d'architecture pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre ayant pour objet la réalisation d'un ouvrage de bâtiment.

Enfin, la circonstance que l'institution d'un jury a notamment pour objet l'impartialité et la transparence des procédures au sein desquelles il est organisé n'implique pas que l'absence de jury, empêcherait automatiquement de garantir cette impartialité et cette transparence.

L'auteur du décret attaqué n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en édictant les nouveaux cas de dispense du jury en matière de commande publique.

(11 février 2022, Conseil national de l'ordre des architectes, n° 453111)

 

21 - Contrats de concession du service public de la distribution de l'énergie électrique entre des communes et EDF (devenue Électricité réseau distribution France (ERDF), puis Énedis) - Redevance annuelle en contrepartie des dépenses supportées par l'autorité concédante au bénéfice du service public concédé - Redevance comprenant deux parts, « R1 » (redevance de fonctionnement), et « R2 » (redevance d'investissement) -  Commune intention des parties - Transfert de la compétence de la distribution électrique à la métropole - Émission de titres exécutoires - Annulation - Arrêt annulant le jugement - Rejet.

Trois communes ont conclu des contrats de concession du service public de la distribution de l'énergie électrique avec EDF (devenue Électricité réseau distribution France (ERDF), puis Énedis). Le cahier des charges de ces concessions prévoient qu'en contrepartie des dépenses supportées par les communes concédantes au bénéfice du service public concédé, leur est versée par le concessionnaire une redevance annuelle divisée en deux parts : « R1 » pour le fonctionnement et « R2 » pour l'investissement.

Quelques années plus tard ces communes ont transféré leur compétence d'autorités organisatrices de la distribution d'électricité à la communauté urbaine de Nantes, devenue ensuite Nantes Métropole.

Cette dernière a émis des titres exécutoires pour valoir paiement, notamment, de la fraction « R2 » de la redevance annuelle ; ces titres, contestés en justice par la société Énedis, ont été annulés par le tribunal administratif pour le motif que cette fraction avait été calculée sans prendre en compte le montant des taxes communales sur la consommation finale d'électricité recouvrées sur le territoire des trois communes concernées. La requérante a été déchargée, dans cette mesure, du paiement des sommes mises à sa charge.

Sur appel de la métropole, la cour administrative d'appel a annulé le jugement et remis les sommes litigieuses à la charge de la société Énedis. Cette dernière se pourvoit et son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le Conseil d'État estime que c'est sans erreur de droit et au bénéfice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour a pu juger, de la lecture des dispositions y relatives des cahiers des charges, que le produit net de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité sur le territoire de la concession n'est imputé, à hauteur de 50 %, sur le montant de cette redevance, que s'il a fait l'objet de titres de recettes de l'autorité concédante, de sorte qu'en l'espèce, la taxe communale sur la consommation finale d'électricité ayant fait l'objet de titres de recettes émis par les trois communes concernées qui avaient perdu la qualité d'autorité concédante, le terme « T » de la part « R2 » de la redevance était nul.

Le Conseil d'État estime qu'en jugeant ainsi, la cour a :

- d'une part, correctement pris en compte la commune intention des parties puisque celles-ci, pour le calcul du montant de la redevance destinée à financer les dépenses d'investissement supportées par l'autorité concédante, ont entendu minorer le montant de la redevance en fonction du produit de la taxe sur les fournitures d'électricité effectivement perçu par cette autorité.

- d'autre part, régulièrement appliqué les dispositions de l'art. L. 5211-17 du CGCT, selon lesquelles, en cas de transfert de la compétence à un établissement public de coopération intercommunale, les contrats continuent d'être exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance. 

Seule est admise l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions d'appel incident d'Énedis.

(14 février 2022, Société Énedis, venant aux droits de ERDF, succédant à EDF, n° 440086)

 

22 - Marché de prestations de fauchage et de débroussaillage des dépendances des routes d'une métropole - Obligations du juge du référé précontractuel - Impossibilité d'apprécier la valeur ou le mérite des offres - Contrôle de la dénaturation des offres par le pouvoir adjudicateur entrant dans l'office du juge - Non-respect - Annulation de l'ordonnance de référé.

Une société évincée de l'attribution d'un marché de prestations de fauchage et de débroussaillage des dépendances des routes d'une métropole, a saisi le juge du référé précontractuel qui, sur le fondement de l'art. L. 551-1 CJA, a annulé la décision d'attribution du marché et enjoint à la métropole de reprendre dans un délai d'un mois la procédure au stade de l'examen des offres, sauf à ce qu'elle renonce à poursuivre celle-ci.

Pour annuler cette ordonnance, le Conseil d'État est conduit à rappeler - opportunément - deux règles qui doivent être combinées entre elles.

D'une part, les obligations s'imposant prima facie au juge de ce référé sont, positivement, de se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, et négativement, de ne pas se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. 

D'autre part, s'il est saisi d'un moyen ne ce sens, car ce n'est pas là un moyen pouvant être soulevé d'office, ce juge a l'obligation de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et qu’il n’a pas procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

Parce qu'en l'espèce, le juge de l'art. L. 551-1 CJA avait porté une appréciation sur la valeur des offres, son ordonnance est annulée.

(18 février 2022, Toulouse Métropole, n° 457578)

 

Droit du contentieux administratif

 

23 - Médecin - Sanction disciplinaire pour recours à des procédés de publicité - Moyen d'illégalité sérieux - Conséquences difficilement réparables - Sursis à l'exécution du jugement ordinal.

(2 février 2022, M. A., n° 459264)

V. n° 127

 

24 - Saisine de la juridiction administrative - Saisine au moyen de lettres recommandées électroniques - Obligation pour le juge d'en prendre connaissance - Irrecevabilité pour tardiveté de la saisine - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge tardive une requête figurant dans un envoi postal parvenu au greffe après expiration du délai de recours contentieux alors que ce courrier avait été précédé, dans le délai du recours, de l'envoi par l'intermédiaire d'un prestataire qualifié, de lettres recommandées électroniques destinées au greffe du tribunal qui n'a pas donné suite aux courriers électroniques l'informant que des lettres recommandées électroniques lui étaient adressées. En effet, il résulte des dispositions du I de l'art. 100 du code des postes et des communications électroniques, issu de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique que « L'envoi recommandé électronique est équivalent à l'envoi par lettre recommandée (...) », ce qui imposait au tribunal de procéder aux diligences nécessaires pour connaître le contenu de ces lettres recommandées électroniques.

(3 février 2022, M. B., n° 449473)

 

25 - Forfait post-stationnement - Preuve de la situation régulière du stationnement n'accompagnant pas la requête en première instance - Preuve au moyen d'une copie d'écran fournie pour la première fois en cassation - Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d'une action en contestation du forfait post-stationnement est irrecevable, car présentée pour la première fois en cassation, la preuve de la situation régulière du stationnement d'un véhicule consistant en la production d'une copie d'écran de l'application PayByPhone.

La solution peut sembler sévère mais il est des règles de procédure qu'on ne saurait ignorer ou ne pas respecter à peine de voir surgir, sous prétexte de bienveillance voire de « résilience », une cacophonie procédurale déplorable.

(3 février 2022, M. B., n° 450606)

(26) V. aussi, comparable au plan procédural, la décision jugeant irrecevable pour la première fois en cassation la présentation du moyen tendant à démontrer le caractère irrégulier de la décision « 48 SI » en matière de retraits de points du permis de conduire : 3 février 2022, Mme C., n° 450896.

 

27 - Avis de droit - Covid-19 - Prorogation générale des délais (art. 2, ord. du 25 mars 2020) - Application au délai ouvert aux tiers contestant la validité d'un contrat.

Interrogé par un tribunal administratif, le Conseil d'État rend l'avis que la prorogation générale des délais instituée par l'art. 2 de l'ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, rendu applicable aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif par l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305, du même jour, portant adaptation des règles applicables devant ces juridictions, est applicable au délai de deux mois, à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, dont disposent les tiers souhaitant contester la validité d'un contrat.

(3 février 2022, Société Osiris Sécurité Run (OSR), n° 457527)

 

28 - Avenant à une convention collective - Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire - Arrêté étendant un avenant à cette convention - Demande d'annulation - Avenant et arrêté n'ayant jamais produit d'effet - Intervention d'un nouvel avenant - Caducité de l'avenant litigieux - Non-lieu à statuer.

Il n'y a pas lieu pour le Conseil d'État de statuer sur le recours tendant à l'annulation d'un arrêté ministériel étendant un avenant à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire dès lors, d'une part, que ces arrêté et avenant n'ont jamais reçu application, et, d'autre part, que, depuis l'introduction du recours, un nouvel avenant a remplacé l'avenant litigieux.

(4 février 2022, Fédération CFDT des services, n° 453350)

 

29 - Rapporteur public - Ville de Paris partie au procès - Nomination subséquente de ce rapporteur comme chef de bureau de la Ville de Paris - Jugement irrégulier - Annulation.

Doit être annulé en raison de l'irrégularité qu'il comporte, le jugement rendu le 5 décembre 2019 après que le rapporteur public a conclu le 21 novembre 2019 dans un litige auquel la ville de Paris était partie, alors que, par arrêté municipal du 12 décembre 2019, il a été nommé chef de bureau du droit public général à la direction des affaires juridiques de la Ville de Paris.

(11 février 2022, Syndicat des copropriétaires du 117, boulevard de la Villette et du 2-4, square Jean-Falck à Paris, n° 438414)

 

30 - Demande d'expulsion d'occupants sans titre du domaine public - Procédure de référé de l'art. L. 521-3 CJA - Obligation de respecter une procédure contradictoire - Absence d'effet sur cette obligation des dispositions dérogatoires de l'art. 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 pour cause de Covid-19 - Annulation.

La société SNCF Réseau a, sur le fondement de l'art. L. 521-3 CJA, demandé l'expulsion de la requérante d'un emplacement qu'elle occuperait indûment. Le juge des référés a enjoint à cette dernière, notamment, de restituer les lieux.

Le Conseil d'État s'est trouvé devant une difficulté juridique née de la situation créée par l'épidémie de Covid-19. Pour y obvier, l'art. 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, applicable jusqu'à la cession de l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020, dispose : « Outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. (...) ». 

Parallèlement, le juge rappelle sa classique jurisprudence selon laquelle lorsque le juge des référés statue, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, donc dans le cadre d'une procédure de référé sans audience publique, sur une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Il suit de là que les dispositions précitées de l'art. 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre au juge des référés de déroger à l'obligation susrappelée lui imposant de statuer à l'issue d'une audience publique sur une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public présentée sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.

Or, il ne résulte ni des mentions de l'ordonnance attaquée, ni d'aucune pièce du dossier que l'ordonnance attaquée aurait été rendue à l'issue d'une audience publique, la société requérante est donc fondée à en demander l'annulation.

(11 février 2022, SA Groupe TSF, n° 451969)

 

31 - Polynésie française - Juridiction du travail - Principe du double degré de juridiction - Principe général du droit - Principe inexistant - Rejet.

Saisi d'une question préjudicielle par la cour d'appel de Papeete, le Conseil d'État réitère une solution bien établie : il n'existe pas, en Polynésie tout comme en France continentale, de principe général du droit du double degré de juridiction (cf. 17 décembre 2003, Meyet et autres, AJDA 2004 p. 714, note J.-P. Markus). Il faut un texte exprès en ce sens car il n'existe pas sans texte (En ce sens, J.-C. Ricci, Contentieux administratif, HU Droit, 5è édit. 2016, § 482).

(11 février 2022, GIE Tahiti Tourisme, n° 457393)

 

32 - Code de l'aviation civile - Partie réglementaire - Régularisation de la consolidation de ce code - Rétablissement d'intitulés de subdivisions de ce code - Partie conforme désormais à la demande du requérant - Non-lieu à statuer.

Constatant qu'à la date de sa décision la partie réglementaire du code de l'aviation civile telle qu'elle figure sur le site internet Légifrance est en tout état de cause conforme à la demande présentée par le requérant au ministre des transports et que les éditions papier du code de l'aviation civile, dont il est allégué qu'elles seraient entachées d'erreur, sont épuisées et ne sont plus mises à disposition du public par les services de l'État sous quelque forme que ce soit, le Conseil d'État dit n'y avoir plus lieu de statuer sur la requête dont il était saisi à cet effet.

(17 février 2022, M. A., n° 440961)

 

33 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Communication d’éléments cartographiques et de plannings d’intervention - Mesures de régularisation ordonnées – Rejet.

Cette affaire est intéressante en ce qu’elle contient une analyse assez fine de la notion de « mesures utiles ». L’art. L. 521-3 du CJA  dispose que : « En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. »

La requérante s’est vu concéder par un syndicat mixte ayant pour objet l’installation d’un réseau très haut débit, la conception, la construction et l'exploitation d'un tel réseau dans le département des Pyrénées-Atlantiques.

Ce syndicat, la société THD 64 et la société Énedis ont conclu une convention relative à l'utilisation des supports du réseau public de distribution d'électricité, notamment les poteaux du réseau aérien basse tension, pour le déploiement du réseau de communications électroniques dont la société THD 64 est la concessionnaire.

Des difficultés étant apparues entre Énedis et TDH 64, Énedis a saisi le juge du référé « mesures utiles » de plusieurs demandes dont trois ont été accueillies par ce juge.

La requérante se pourvoit contre cette ordonnance, elle est déboutée.

Le Conseil d’État donne raison au premier juge sur les deux points de son ordonnance.

En premier lieu, il a estimé qu’en ordonnant, d’une part, la communication d'informations cartographiques pour justifier de ceux des supports utilisés par elle dans l’ignorance où elle avait laissé Énedis à ce sujet et, d’autre part, celle des plannings hebdomadaires prévisionnels d'intervention sur le réseau de distribution d'électricité dont la transmission était prévue par la convention tripartite précitée, le juge des référés a pu regarder comme urgente une demande qui présentait réellement un caractère d’utilité.

En second lieu, le Conseil d’État approuve le premier juge d’avoir dit qu’était urgente et présentait un caractère d’utilité la demande d’Énedis tendant à la régularisation des supports irréguliers qui, méconnaissant plusieurs stipulations de la convention et, en dépit de plusieurs mises en demeure ainsi que d’une tentative, vaine, de conciliation, entraînaient un risque d'électrisation ou d'électrocution pour les personnes intervenant sur son réseau et étaient de nature à porter atteinte au bon fonctionnement ou à la continuité du service public de l'électricité.

(18 février 2022, Société THD 64, n° 457471)

 

34 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Contestation par la société liquidateur d’une société mise en liquidation judiciaire – Invitation adressée à la société liquidateur à produire un mémoire sous un mois – Désistement d’office pour non dépôt d’un mémoire dans le délai fixé – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Dans le cadre d’un litige en contestation de la taxe foncière sur les propriétés bâties introduit par la société requérante, le juge a ordonné la production d’un mémoire dans le délai d’un mois et, passé ce délai, a prononcé le désistement d’office de la société.

En réalité, c’est la société liquidateur judiciaire de la société requérante, qui a introduit, en sa qualité de représentant légal de celle-ci, une requête émanant de la société Batipro. Le magistrat du tribunal administratif a invité la société liquidateur à produire un mémoire récapitulatif dans le délai d'un mois à peine de désistement d’office. Le 23 décembre 2020, un mémoire récapitulatif a été produit par la société Batipro. 

Une erreur de droit était ainsi commise par ce magistrat en donnant acte du désistement de la requête au motif que la société liquidateur n'avait pas déposé le mémoire récapitulatif qui lui avait été demandé et qu'il ne pouvait être tenu compte, à cet égard, du mémoire produit au nom de la société Batipro alors que cette requête avait été introduite par la société liquidateur non pas en son nom propre mais au nom de la société Batipro, dont elle était le liquidateur judiciaire. 

L’imbroglio sur l’identité du requérant rappelle fortement les constructions échevelées de Feydeau.

(18 février 2022, Société Batipro, n° 452838)

(35) V. aussi, mêmes affaire et solution : 18 février 2022, Société Batipro, n° 452837.

 

36 - Ordonnance de référé – Absence de visa de conclusions en défense – Irrégularité – Annulation.

L’absence de visa, dans une ordonnance comme d’ailleurs dans toute autre décision de justice, des conclusions en défense et l’absence de leur reprise dans la motivation, entachent l’ordonnance d’une irrégularité conduisant à son annulation.

(23 février 2022, Commune de Valence, n° 453449)

 

37 - Autorisation de plaider - Action d’un contribuable en lieu et place d’une commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer – Conditions – Absence d’intérêt pour la commune et absence de chance de succès d’une telle action – Rejet.

Rappel de ce que l’art. L. 2131-5 CGCT subordonne le droit reconnu à tout contribuable communal d’exercer une action en justice en lieu et place de la commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer, à la nécessité que cette action présente un intérêt matériel suffisant pour cette dernière et qu’elle ait quelque chance de succès.

Tel n’est pas le cas de la demande d’autorisation de plaider afin de déposer une plainte et de se constituer partie civile pour des infractions d'abus de confiance et de détournement de fonds publics commis à l'occasion de la campagne des élections municipales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 et qui ont conduit à proclamer élus les membres de la liste conduite par M. D., réélu maire de cette commune, à raison de l'implication dans cette campagne de Mme C., directrice de son cabinet. 

En effet, les circonstances que Mme C. a organisé la tenue matérielle de certaines réunions de campagne électorale au moyen de sa messagerie professionnelle et d'un groupe de discussion sur l'application WhatsApp, donné ponctuellement des indications pour organiser le collage des affiches et la distribution de tracts, assisté le maire sortant lors de réunions de campagne ou encore rappelé les règles sanitaires interdisant les rassemblements ne sauraient être regardées comme constituant les infractions d'abus de confiance réprimé par l'article 314-1 du code pénal ou de détournement de fonds publics réprimé par l'article 432-15 du même code et comme ayant causé un préjudice financier à la commune.

Est ainsi confirmée la décision du tribunal administratif de refuser au demandeur l’autorisation de plaider qu’il sollicitait.

(23 février 2022, M. E., n° 456170)

 

38 - Condamnation d’une société à indemniser – Action de cette dernière tendant à être garantie de la condamnation par la société assistante du maître de l’ouvrage – Action n’ayant pas le caractère d’un appel – Renvoi de l’affaire au tribunal administratif.

La requérante a saisi le tribunal administratif afin que l’Établissement français du sang soit condamné à lui verser une certaine somme au titre de travaux que ce dernier lui avait sous-traités dans le cadre de la construction d’un laboratoire. Cependant, suite à une demande reconventionnelle formée par cet Établissement, le tribunal a condamné la demanderesse à lui verser une somme.

Elle a saisi le juge d’appel et demande désormais la condamnation de la société Amexia, assistante du maître de l'ouvrage, à la garantir d'une partie des condamnations qui ont été prononcées à son encontre. Le dossier ayant été renvoyé au Conseil d’État celui-ci juge qu’en réalité cette dernière demande n’a pas le caractère d’un appel et ressortit à la compétence de droit commun du tribunal administratif dans le ressort duquel a été exécuté le marché litigieux.

Il nous semble que le juge aurait dû qualifier cette demande comme étant nouvelle en appel et donc irrecevable en ce qu’elle contrevient au principe de l’effet automatiquement dévolutif de l’appel.

(23 février 2022, Société Établissements A. Cathelain et Compagnie, n° 459008)

 

39 - Production d’une note en délibéré après l’audience publique – Note non visée dans la minute du jugement – Irrégularité – Annulation avec renvoi.

Rappel que le juge saisi d’une note en délibéré a l’obligation de la viser dans la minute du jugement. En revanche, il n’a l’obligation de l’analyser et de rouvrir, le cas échéant, les débats que si elle contient des éléments qui ne peuvent être laissés sans effets.

(24 février 2022, M. et Mme A., M. et Mme C., n° 451427)

(40) V. aussi la solution identique retenue s’agissant non d’une note en délibéré mais d’un mémoire non visé : 25 février 2022, MM. D., H. et M., n° 446948.

(41) V. également, dans le cadre d’un recours en rectification d’erreur matérielle, relevant que n’est pas irrégulière une omission de viser et d’analyser un mémoire qui n’est pas susceptible, dans les circonstances de l’affaire, d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire : 25 février 2022, M. B., n° 449880.

 

42 - Note en délibéré par envoi électronique – Régime de la signature – Authentification de la signature devant être parvenue au greffe avant le prononcé de la décision – Absence en l’espèce – Note non visée dans le jugement – Absence d’irrégularité.

Dans le cadre d’une action en référé tendant à voir suspendue la décision d’un maire de ne pas s’opposer à la pose d’un pylône destiné à supporter des antennes de téléphonie, le juge rappelle le régime applicable aux notes en délibéré adressées par voie électronique.

Tout d’abord, l’utilisation de ce mode de communication est toujours possible.

Ensuite, cet envoi doit faire l’objet d’une authentification soit par voie de signature électronique soit, à défaut, par la production d’un document signé reproduisant le contenu de la note soit par l’apposition de la signature sur la copie imprimée du courrier électronique.

Enfin, dans ces différentes hypothèses la signature, électronique ou manuscrite, doit être parvenue au greffe avant le prononcé de la décision.

Ce n’était pas le cas en l’espèce et son auteur ne peut reprocher au juge de n’avoir pas visé cette note dans les visas ou la motivation de son ordonnance.

(24 février 2022, M. C., n° 450257)

 

43 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Recours destiné à réparer une omission matérielle – Mise en cause d’appréciations juridiques – Irrecevabilité.

Le juge est amené, une nouvelle fois, à rappeler que le recours en rectification d’erreur matérielle n’est destiné qu’à corriger ou réparer des omissions matérielles non à critiquer des appréciations d’ordre juridique, cas dans lequel ce recours est irrecevable.

(25 février 2022, Société Groupe Lépine, n° 453444)

 

44 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Condition d’urgence – Appréciation à propos de la révision temporaire des règles dites « MA-RE » - Contexte d’urgence justifiant les mesures prises – Rejet de la demande pour défaut d’urgence dans la situation ainsi créée.

La requérante demandait la suspension de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle la Commission de régulation de l’énergie (CRE), alertée en ce sens par le Réseau de transport d’électricité (RTE) a décidé de réviser temporairement les règles MA-RE (règles relatives à la programmation, au mécanisme d'ajustement et au dispositif de responsable d'équilibre), fixées en dernier lieu à compter du 1er septembre 2021, afin de mieux encadrer le cas où un responsable d'équilibre est défaillant.

La requérante invoquait l’urgence née de la situation très difficile engendrée pour elle par cette mesure.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence, le juge relevant qu’en réalité, si la diminution des délais de procédure et l'augmentation de la garantie exigible des responsables d'équilibre que comporte la décision de la CRE, a pu accentuer les difficultés rencontrées par la société pour faire face à ses engagements en sa qualité de responsable d'équilibre, il résulte de l'instruction et notamment des éléments avancés à l'audience par RTE, que pour l'heure, les autres responsables d'équilibre ont pu s'adapter aux nouvelles modalités ainsi définies, qui ne concernent pas la substance même des garanties exigées, et, surtout, que les difficultés dont fait état la société sont antérieures à la délibération contestée et se sont poursuivies depuis. Celles-ci trouvent notamment leur origine dans le dépassement récurrent de ses encours, qui n'a cessé de s'aggraver depuis le mois de décembre 2021. A cet égard, sous l'empire des règles MA-RE en vigueur avant l'intervention de la délibération litigieuse, la société E-Pango avait fait l'objet de deux mises en demeure de régulariser sa situation, les 6 décembre 2021 et 20 janvier 2022, et d'une première notification d'une mesure de résiliation de son contrat de participation, le 24 décembre 2021, non suivie d'effet. Par ailleurs, début février 2022, son encours était de plus de 8,3 millions d'euros, pour une garantie bancaire de 2,8 millions d'euros.

En outre, et en tout état de cause, demeure l’extrême tension sur les prix de l’électricité qui justifie de renforcer sans attendre les modalités du dispositif de sécurisation financière afin de prémunir la société RTE, en sa qualité de gestionnaire du réseau de transport d'électricité, des risques de faillite de certains responsables d'équilibre dans des conditions empêchant le recouvrement des coûts des écarts. Déjà, en décembre 2021 et janvier 2022 ont été mis en liquidation judiciaire ou placés en redressement judiciaire deux responsables d'équilibre, avec des risques financiers estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros, sans qu'une négligence de RTE soit caractérisée.

L’intérêt public justifiait donc qu’une telle mesure – de durée provisoire et de portée limitée - fût prise.

(ord. réf. 24 février 2022, Société E-Pango, n° 461075)

 

45 - Référé-liberté – Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon - Demande au premier ministre de saisir les deux chambres du parlement en vue du vote d’une loi l’habilitant à adapter certaines dispositions du code général des collectivités territoriales et du code des transports – Risque prochain de caducité de la demande - Brièveté du délai rendant sans effet utile l’intervention du juge des référés – Rejet.

La collectivité requérante avait demandé, par délibération du 18 juin 2019, sur le fondement des dispositions organiques du CGCT (art. L.O. 6461-5 et art. L. 6461-6 et art. L.O. 6141-8), à être habilitée à adapter les dispositions législatives du code général des collectivités territoriales et du code des transports en matière de transport maritime de biens. Cette délibération a été publiée au Journal officiel le 11 avril 2020.

La collectivité requérante demande sur le fondement de l'article L. 521-2 CJA, qu’il soit enjoint au premier ministre de transmettre sans délai cette délibération à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle fait valoir l’urgence de cette transmission car, en raison du renouvellement de son conseil territorial lors de l'élection qui se tiendra les 20 et 27 mars 2022, comme prévu par le décret de convocation des électeurs du 31 décembre 2021, sa demande sera caduque le 28 février 2022 en vertu des dispositions du 1° du II de l'article L.O. 6461-5 précité du CGCT.

On observera que la collectivité n’a saisi le juge des référés du Conseil d’État que le 18 février 2022. Ce dernier relève qu’en raison du très bref délai de validité qui reste attaché à la demande, l'habilitation demandée, qui doit être donnée par la loi, n'est manifestement pas susceptible d'être adoptée en temps utile pour faire échec à cette caducité.

Il n’y a donc pas nécessité que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA dès lors qu’ils seraient ici dépourvus de toute utilité car sans efficacité.

(ord. réf. 24 février 2022, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 461709)

 

46 - Forfait de post-stationnement - Majoration indue – Annulation par le juge – Demande d’annulation de cette ordonnance par la commune – Absence d’intérêt à agir – Rejet.

Nouveau rappel de ce que le produit de la majoration du forfait post-stationnement pour défaut de paiement de ce dernier étant affecté à l’État, une commune est sans intérêt – et partant, sans qualité - pour contester l’ordonnance annulant le titre exécutoire pour avoir paiement de la majoration de ce forfait.

(25 février 2022, Commune de Nancy, n° 437381)

 

47 - Contentieux fiscal – Litige en matière de TVA non déclarée et d’amendes consécutives – Procédure contradictoire non respectée – Omission de réponse à un moyen non inopérant – Annulation avec renvoi.

Dans le cadre d’un litige portant sur des soupçons de non déclaration partielle de TVA ayant entraîné un rehaussement d’imposition et sur les amendes infligées de ce chef, le Conseil d’État est conduit à annuler un arrêt d’appel pour deux motifs de procédure contentieuse.
D’une part, en retenant un moyen - tiré du caractère non rattachable aux prestations d'hébergement des prestations de fourniture de chaussures et vêtements de travail et de réservation de transports entre la France et le Portugal -, dont l'administration ne s'était prévalue ni en première instance ni en appel et qui, par conséquent, n’avait pas été débattu entre les parties, non invitées à présenter des observations sur ce point, la cour n’a pas respecté les exigences du caractère contradictoire de la procédure contentieuse.

D’autre part, alors que la demanderesse contestait l'inclusion, par l'administration fiscale, de redevances de marque dans l'assiette des versements à des tiers qu'elle aurait dû déclarer en application de l'article 240 du CGI et sur la base desquelles a été calculé le montant de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1736 du même code, la cour s’est abstenue de répondre à ce moyen qui n’était pas inopérant.

La cassation était inévitable.

(24 février 2022, Société Magellan développement international devenue société M010, n° 446128)

 

48 - Demande en référé – Référé, juridiction du provisoire - Demande d’annulation de décisions administratives – Office du juge des référés – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 511-1 CJA que la juridiction du référé est une juridiction du provisoire, par suite il n’entre pas dans l’office du juge des référés de statuer sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir des décrets du 7 août 2021, des 13 et 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

(ord. réf. 3 février 2022, M. B., n° 460932)

(49) V. aussi, toujours en matière de Covid-19, une identique solution : ord. réf. 17 février 2022, Mme A. et M. B., n° 461456.

 

50 - Demande en référé – Demande de prise de mesures dirigées contre des décisions modifiées antérieurement à la requête en référé – Demande sans objet – Irrecevabilité – Rejet.

Le requérant demandait en référé la prise d’un certain nombre de mesures du fait de dispositions contenues dans les art. 2-2, 2-3 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 25 novembre 2021 et dans l'art. 24 de l'arrêté du 1er juin 2021 modifié, concernant le passe vaccinal et la prise en charge de tests.

Or ces dispositions ont été modifiées antérieurement à la saisine du juge des référés, la requête était sans objet dès sa formation. Elle est donc déclarée irrecevable par l’ordonnance ici présentée. En effet, ce n’est que dans le cas ou une requête perd son objet en cours d’instance qu’un non-lieu est prononcé (cf. ci-dessous, au n° 52).

(ord. réf. 4 février 2022, M. A., n° 460763)

(51) V. aussi, identiques et réitérant logiquement le motif d’irrecevabilité opposé à une requête sans objet dès son introduction : ord. réf. 4 février 2022, Société Sarl Ginkgo Développement, n° 460983 ; ord. réf. 4 février 2022, M. A., n° 461053.

(52) V. également, retenant le non-lieu comme motif du rejet de la requête, l’objet du recours ayant disparu en cours d’instance : ord. réf. 8 février 2022, M. B., n° 460872.

(53) V. encore, rejetant un second recours, après rejet du premier recours dirigé contre le même décret du 1er juin 2021 modifié (V. cette Chronique, décembre 2021, n° 188), motif pris de ce que le nouveau moyen faisant état de circonstances de fait postérieures à la date du décret querellé, il ne fait pas naître un doute sérieux quant à l’illégalité, la postériorité des faits étant sans incidence sur la légalité originaire du texte contesté : 10 février 2022, M. Messineo, n° 460926.

(54) V., rejetant une critique plus générale et plus développée du décret précité du 1er juin 2021, assortie d’une QPC : 11 février 2022, Association Cercle Droit et Liberté et autres, n° 450922 et n° 460923 ; Association Via – La Voie du Peuple, n° 460936 ; Collectif « Les navigants libres » représenté par M. AB., n° 461010 ; Association « Je ne suis pas un danger ! », n° 461095 ; Mme Julie Waldberg, n° 461146 ; M. Laurent Ozon et autres, n° 461285 et n° 461287.

(55) Et aussi, sur le même thème de l’illégalité des art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans la version qui leur a été donnée par le décret du 22 janvier 2022 et la demande de prescrire diverses mesures d'instruction en rapport avec cette requête, voir le rejet : ord. réf. 15 février 2022, Mme Kameneff, n° 461050 ou encore, sur un registre un peu différent : ord. réf. 15 février 2022, M. B., n° 461266 ; ord. réf. 17 février 2022, Association « Je ne suis pas un danger ! » et autres, n° 460283 ; ord. réf. 23 février 2022, M. Grégory Lévy, n° 461594 ; ord. réf. 23 février 2022, M. Guillaume Lempereur de Guerny, n° 461597.

 

56 - Appel d’une ordonnance de référé – Ordonnance suspendant les effets d’arrêtés préfectoraux – Mesure dont les effets ont pris fin – Appel à fin d’annulation de l’ordonnance – Non-lieu à statuer sur des conclusions d’appel dépourvues de tout effet utile.

Il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel formé par la ministre de la transition écologique contre une ordonnance suspendant l’exécution d’arrêtés préfectoraux portant suspension d’agréments des deux sociétés requérantes dès lors que, au moment où statue le juge d’appel des référés les effets de la mesure ordonnée en première instance ont pris fin.

(ord. réf. 9 février 2022, Société Contrôle Technique Bouliac et société Contrôle Technique Cenon, n° 459466)

 

57 - Référé liberté – Élection présidentielle – Campagne audiovisuelle - Demande d’injonction à l’encontre de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) – Principe d’équité dans la programmation des temps de parole – Absence de démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale au principe du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion – Rejet.

Rappel de ce qu’il incombe au demandeur en référé liberté d’établir, outre l’urgence à statuer, l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En l’espèce, où il était demandé qu’injonction soit adressée à l’ARCOM de mettre en demeure sous quarante-huit heures les éditeurs de radio et de télévision contrôlés dans le contexte de la campagne pour l'élection présidentielle 2022, d'une part, de se conformer au principe d'équité dans la programmation des temps d'antenne et de parole, d'autre part, de rétablir l'équité dans la programmation des temps d'antenne et de parole en compensant les atteintes constatées au détriment de M. B. et de l'UPR, le juge relève qu’en l’état des éléments imprécis, lacunaires et non détaillés, produits par les requérants, n’est pas rapportée l’existence d’une atteinte grave à une liberté fondamentale qui aurait été portée, par action ou par omission, par l’ARCOM.

La requête est rejetée.

(9 février 2022, M. B. et Union populaire et républicaine (UPR), n° 461000)

 

58 - Référé liberté – Double condition de la demande en référé liberté – Justification d’une décision du juge à bref délai – Atteinte à une liberté fondamentale insuffisante par elle-même à déclencher le bénéfice de mesures devant être prises sous quarante-huit heures- Rejet.

Dans un litige portant sur les mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques fixées par le décret et l’arrêté du 25 janvier 2022, le juge rappelle que l’admission au fond d’un référé liberté suppose la réunion de deux conditions, l’une et l’autre absolument indispensables : la justification de prendre une décision à bref délai et l’atteinte à une liberté fondamentale. En l’espèce, la requête est rejetée car n’est pas apportée la preuve de la nécessité pour les demandeurs d’obtenir – dans les circonstances de l’espèce - une décision du juge à très bref délai, peu important que puisse être en jeu une ou plusieurs libertés fondamentales. La solution serait là même en cas de situation inverse : urgence indubitablement établie mais absence de caractère fondamental de la liberté en cause.

(ord. réf. 17 février 2022, Collectif des maires anti-pesticides et Association « Agir pour l'environnement », n° 461263)

(59) V. aussi, explicitant encore la double condition mise à l’octroi du référé liberté : 24 février 2022, M. A., n° 461147.

(60) V. également, dans le même sens, rejetant pour défaut d’atteinte à une liberté fondamentale, le recours dirigé contre le décret interdisant tout déplacement entre Mayotte et l’Île Maurice sauf motif impérieux : ord. réf. 18 février 2022, M. B., n° 461542 et n° 461545 ; ord. réf. 23 février 2022, M. C. et Mme A., n° 461205.

 

61 - Attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte – Enchères principales en bandes 700 MHz – Modalités d’attribution de fréquences à des sociétés – Référé tendant à la suspension de décisions d’attributions de fréquences par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Demande d’injonction afin de reprendre la procédure d’attribution – Urgence non établie – Rejet.

(10 février 2022, Société Zeop Mobile, n° 460788)

V. n° 10

 

62 - Publicité des présentations de candidatures à l’élection présidentielle - Demande de suspension de la disposition législative instituant cette publicité – Incompétence manifeste de la juridiction administrative – Rejet.

Le requérant demandait en référé liberté que le Conseil d’État ordonne la suspension des dispositions de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel, en ce qu’il impose au Conseil constitutionnel, au fur et à mesure de la réception des présentations de candidats à cette élection, de les rendre publiques, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au bon fonctionnement de la démocratie. 

La requête est rejetée en raison de l’incompétence manifeste de la juridiction administrative pour connaître d’un recours en suspension d’une loi.

(ord. réf. 10 février 2022, M. A., n° 461144)

 

63 - Référé liberté – Invocation de l’impossibilité de déférer à une convocation devant un tribunal faute de vaccination contre le Covid-19 – Localisation du demandeur ne nécessitant pas un déplacement de longue durée – Défaut d’urgence – Rejet.

 Le requérant n'est pas vacciné contre le Covid-19. Il réside à Vichy et ne dispose pas de véhicule personnel. Il soutient que les dispositions du décret du 1er juin 2021 (9° du II de l'article 47-1) font obstacle à ce qu'il puisse se rendre en TER à une convocation le 11 février 2022 au pôle social du tribunal judiciaire de Moulins.

La condition d’urgence qui, rappelons-le, revêt un degré d’exigence particulier s’agissant ici d’une demande en référé liberté, est jugée n’être pas remplie car le passe vaccinal ne peut être exigé que pour les déplacements de longue distance, ce que n'est pas le trajet de Vichy à Moulins, quel que soit le mode de transport retenu.

Par suite, dès lors que les dispositions litigieuses ne sont pas applicables à la situation du requérant, qui pouvait se rendre à Moulins par le train depuis Vichy, fait défaut la condition d'urgence, d’où le rejet prononcé.

(ord. réf. 10 février 2022, M. B., n° 461148)

(64) V. aussi, rejetant pour défaut d’urgence une requête en suspension d’exécution d’une décision réduisant à quatre mois, au lieu de six, après la dernière injection, la durée de validité du passe sanitaire et la durée du certificat de rétablissement : ord ; réf. 11 février 2022, Cercle Droit et Liberté et autres, n° 461162 1272 ; et aussi : ord. réf. 17 février 2022, M. A., n° 461272 ; et encore : ord. réf. 21 février 2022, Cercle Droit et Liberté et autres, n° 462654 ; également : ord. réf. 23 février 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 461699 ; enfin : ord. réf. 24 février 2022, M. B., n° 461760.

 

65 - Covid-19 – Référé suspension – Décret du 1er juin 2021 modifié par celui du 22 janvier 2022 – Urgence non justifiée – Rejet.

Un recours en référé suspension dirigé contre le version - modifiée par le décret du 22 janvier 2022 - du décret du 1er juin 2021 portant mesures sanitaires face à l’épidémie de Covid-19 et qui se borne à invoquer que celui-ci porterait atteinte au droit au respect de la vie privée, constituerait une mesure discriminatoire entre vaccinés et non vaccinés et présenterait un caractère irréversible, doit être rejetée dès lors qu’il n’établit pas l’existence  d’une urgence à suspendre la décision querellée.

(21 février 2022, Association Via La Voie du Peuple, n° 461624)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

66 - Proposition de rectification - Insuffisance de motivation - Décision de retrait d'agrément valant directement motivation - Erreur de droit - Annulation.

Des contribuables avaient contesté la régularité d'une proposition de rectification remettant en cause une réduction d'impôt au motif que l'agrément donné à l'opération justifiant cette réduction avait été retiré. Ils estimaient non motivée cette proposition. La cour administrative d'appel a fait droit à cet argument en relevant que la proposition de rectification se bornait à faire état du retrait de l'agrément et à indiquer, en termes généraux, les motifs de ce retrait sans annexer cette décision de retrait ou en reproduire de façon suffisamment précise les motifs.

Sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d'État annule l'arrêt en relevant, à juste titre, qu'il résulte de l'art. 199 undecies C du CGI que le retrait d'agrément entraîne ipso facto la reprise de la réduction d'impôt accordée. En invoquant ce retrait l'administration fiscale a suffisamment motivé sa proposition de rectification.

(3 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 445235)

(67) V. aussi, identiques, sur recours de ce ministre, quatre décisions qui ne pouvaient être jointes s'agissant de contentieux fiscal : 3 février 2022, n° 445245 ; n° 445246 ; n° 445247 ; n° 445249.

 

68 - Cession de parts d'une société - Abattement de 100% sur la plus-value (art. 150-0 D ter CGI) - Conditions d'éligibilité à ce régime - Seuil maximal d'effectif, de chiffre d'affaires et de bilan - Champ d'application de la loi fiscale - Erreur de droit - Annulation.

L'art. L. 150-0 D ter du CGI soumet l'octroi du bénéfice de l'abattement de 100 % sur la plus-value de cession de titres de sociétés réalisée par leurs dirigeants à la condition que ces sociétés satisfassent aux conditions de seuils retenues pour la définition des petites et moyennes entreprises par le règlement (CE) du 12 janvier 2001.

Pour dire en l'espèce que les requérants devaient bénéficier de l'abattement de 100% la cour administrative d'appel a vérifié si les conditions de seuil maximal d'effectif, de chiffre d'affaire et de bilan prévues par le c) du 3° de l'article 150-0 D ter du CGI étaient remplies, en agrégeant les données d'une certaine société avec celles des sociétés qui lui sont liées et, à hauteur de leur participation dans son capital, avec celles qui sont pour elles des partenaires.

Or la cour devait tenir compte des sociétés qui détenaient, seules ou conjointement, au moins 25 % de son capital ou de ses droits de vote selon les modalités définies à l'art. 150-0 D ter du CGI lu à la lumière des travaux préparatoires de l'art. 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 du 30 décembre 2005. En s'abstenant de le faire, elle a méconnu le champ d'application de la loi fiscale et, par suite, commis une erreur de droit.

L'arrêt d'appel est annulé en tant qu'il fait droit à la demande en décharge sollicitée par les contribuables.

(2 février 21022, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 438922)

 

69 - Taxe d'habitation - Demande de communication des rôles de cette imposition (art. L. 104 du LPF) - Non vérification de l'existence sur ces rôles des mentions prévues à l'art. 1658 CGI - Erreur de droit - Annulation.

L'organisme requérant avait demandé, en vain, la communication des rôles relatifs à la taxe d'habitation à laquelle il avait été assujetti (cf. art. L. 104 LPF) et invoquait aussi l'absence de mention des bases de liquidation.

Ayant rejeté ce dernier moyen comme inopérant, le tribunal administratif  n'a pas recherché si les autres mentions, prévues à l'art. 1658 du CGI, figuraient bien sur le rôle au motif que « le requérant ne soutient ni même n'allègue que le rôle litigieux serait dépourvu des mentions qui doivent y figurer ». Or l'OGEC avait expressément demandé au tribunal qu'il ordonne à l'administration d'établir devant lui que ces rôles « revêtent les mentions requises par la jurisprudence et par l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 et qui conditionnent leur régularité (...) ». Le jugement est annulé pour erreur de droit alors que nous aurions plutôt vu là une dénaturation.

(2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) École Sainte-Thérèse, n° 439574)

(70) V., identiques : 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Montalembert Les Maristes, n° 439578 ; 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) École et Collège Saint Nicolas, n° 439580 ; 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Émilie de Rodat, n° 439581.

(71) V. en revanche, dans un cadre juridique très différent de celui des arrêts précédents, rejetant la demande d'annulation d'un jugement refusant d'admettre la décharge d'imposition à la taxe d'habitation : 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Saliège, n° 439577.

 

71 - Demande de restitution de retenues à la source - Tardiveté des conclusions - Irrecevabilité - Obligation du respect du contradictoire - Absence - Principe d'équivalence - Application aux modalités procédurales - Mise à l'écart du b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 du LPF - Annulation partielle.

La société Sofina demandait la restitution de la retenue à la source prélevée sur les dividendes qui lui ont été distribués de 2008 à 2011 par plusieurs sociétés françaises. Déboutée en première instance, celle-ci s'est vu opposer en appel, après renvoi par le Conseil d'État pour cassation, un non-lieu partiel et le rejet du surplus.

Cette décision est importante principalement sur deux points.

En premier lieu, la cour a jugé irrecevables les conclusions présentée contre les retenues à la source car postérieures à l'expiration du délai fixé par le b) de la seconde partie de l'article R. 196-1 LPF. Or le ministre des finances avait soulevé un motif d'irrecevabilité tiré du b) de la première partie de cet article. La cour, qui pouvait soulever d'office, comme elle l'a fait, un moyen d'ordre public était cependant tenue de rouvrir le débat contentieux afin d'assurer dans sa plénitude le respect du principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse. Faute de l'avoir fait son arrêt est cassé sur ce point.

En second lieu, pour faire écarter l'application en l'espèce du b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 LPF, la société Sofina invoquait notamment le principe européen d'équivalence. Celui-ci impose que les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l'exercice d'une liberté garantie par le droit de l'Union ne soient pas moins favorables que celles concernant le traitement de situations purement internes. A défaut, il incombe à l'administration et, le cas échéant, au juge d'appliquer au contribuable non-résident des règles procédurales de nature à rétablir une équivalence de traitement. Ici, le b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 LPF prévoit pour les non-résidents fiscaux un délai de réclamation d'une durée inférieure à celle que prévoit, pour les nationaux, le b) de la première partie de cet article.  L'application des dispositions du b) de la seconde partie doit donc être écartée.

Toutefois, la requête est rejetée au fond.

(2 février 2022, Société Sofina, n° 441511)

 

72 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (art. 1380 CGI) - Évaluation de la valeur locative de locaux professionnels (art. 310 Q de l'annexe 2 au CGI) - Règles applicables au sous-groupe I : magasins et lieux de vente - Cas d'un mail desservant divers magasins - Cassation partielle.

Il est jugé, pour la première fois d'où l'importance de cette décision, que le mail se trouvant au sein d'un centre commercial et desservant plusieurs magasins doit être imposé, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, dans la catégorie prépondérante, au regard de leurs surfaces, des magasins qu'il dessert.

Étant précisé d'une part, qu'est sans incidence ici la valeur locative du mail économiquement prise en compte dans le loyer de ces magasins, et, d'autre part, que, pour déterminer la catégorie de rattachement  du mail, doivent seules être retenues les superficies des locaux qu'il dessert non la propriété de ces locaux, ce qui constitue une erreur de droit.

Cette solution suppose un mail  constituant un ensemble bâti ; tel ne serait sans doute pas le cas d'un mail à ciel ouvert tel un patio ou un impluvium.

(2 février 2022, Société Les Portes de Claye, n° 443323)

(73) V. aussi, jugeant que constitue une erreur de droit la prise en considération, au regard de la taxe foncière sur les propriétés bâties, pour déterminer la catégorie de rattachement du mail en litige, le critère de la longueur du segment d'accès aux locaux desservis par ce mail car seules sont à retenir les surfaces de ces locaux : 2 février 2022, Société KC3, n° 443630.

Incontestablement ce critère de la surface a le grand mérite de la simplicité et d'une application possible à des situations de fait très diverses voire disparates.

 

74 - Convention fiscale franco-tunisienne - Notion de « résident d'un État contractant » (art. 3 de la convention) - Assujettissement à l'impôt dans l'État de domicile, de résidence ou rattaché par un lien personnel analogue - Indifférence de l'existence de revenus y trouvant leur source - Rejet.

D'une part, le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie du 28 mai 1973 dispose : « Au sens de la présente Convention, l'expression « résident d'un État contractant »  désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue ». D'autre part, le paragraphe 1 de l'article 11 de la même convention précise : « Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ».

La société TDA International qui a fait l'objet de retenues à la source - en raison des sommes qu'elle a versées, en paiement de prestations de service, aux sociétés BSC et CEGID Tunisie - en a demandé la décharge sur le fondement des dispositions précitées. Infirmant les premiers juges, la cour adminiustrative d'appel a, sur le fondement des stipulations précitées, accordé la décharge sollicitée d'où le pourvoi introduit par le ministre.

Interprétant les stipulations en cause, dont le but est d'éviter les doubles impositions, le Conseil d'État juge, d'abord, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'État concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. Ensuite, pour le cas des personnes qui ne sont assujetties que partiellement à l'impôt, il est jugé que la qualité de résident d'un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s'en prévaut soit assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence ou d'un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source. 

Par suite, c'est sans erreur de qualification juridique que la cour a, en premier lieu, jugé souverainement et sans dénaturation, que les sociétés BSC et CEGID Tunisie n'étaient exonérées, en tant qu'entreprises dites « totalement exportatrices » qu'à raison de bénéfices provenant de l'exportation mais non de ceux susceptibles de provenir d'une activité réalisée en Tunisie. Semblablement c'est sans erreur de qualification qu'elle a ensuite déduit de ce qui précède qu'alors même qu'ainsi que le soutenait l'administration devant les juges du fond, les sociétés n'avaient pas réalisé de chiffre d'affaire sur le marché local pendant la période en litige, elles étaient soumises à l'impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de leur activité.

Le pourvoi est, très logiquement, rejeté.

(2 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446664)

(75) V. aussi, la solution inverse adoptée dans le cas de la cession des droits détenus dans un « partnership » de droit américain et pour l'interprétation des dispositions des articles 7 et 13 de la convention fiscale entre les États-Unis et la France : 2 février 2022, M. et Mme B., n° 443154.

 

76 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Dépenses devant être prises en compte pour déterminer la somme des dépenses réellement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et d'autres déchets - Obligation d'y inclure la part des dépenses des services centraux afférentes à ce service public - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit et encourt la cassation le jugement qui, pour établir la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du CGCT et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu'elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe, ne retient, parmi les dépenses des services centraux de la commune, que celles de la direction de la propreté et de l'eau au motif que cette dernière est le seul service directement chargé de la collecte et le traitement des déchets ménagers et assimilés. Il lui incombait, au moyen de données extraites de la comptabilité analytique, de tenir compte également de celles des dépenses exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés par les autres directions ou services centraux de la collectivité.

(2 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 451434)

 

77 - Abus de droit (art. L. 64 LPF) - Notion et régime - Applicabilité aux actes de droit privé en dépit de leur opposabilité aux tiers - Répression des abus de droit en dehors du régime prévu à l'art. 64 LPF - Refus de transmission d'une QPC.

Bien qu'intervenant dans le cadre d'une procédure tendant à voir transmise une question prioritaire de constitutionnalité, cette décision intéresse davantage le droit fiscal.

L'art. 64 du LPF a pour objet de rendre inopposables à l'administration ceux des actes qui, de caractère fictif ou recherchant l'application littérale de la loi fiscale ne sont inspirés que par le seul souci d'éluder ou de modérer l'imposition.

La requérant invoquait au moyen de la QPC l'atteinte que porte à des droits et libertés que garantit la Constitution l'interprétation que donne le Conseil d'État de cet article L. 64.

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

Le juge apporte ici les importantes précisions suivantes :

1° la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 s'applique uniquement en cas de rectification notifiée par l'administration fiscale.

2° En dehors de cette hypothèse, le principe d'opposabilité, à l'administration comme aux autres personnes juridiques, des actes de droit privé non déclarés nuls par le juge judiciaire, ne saurait faire obstacle au droit qu'a l'administration d'y faire échec lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public en raison de l'existence d'un principe général du droit à la répression des abus de droit (cf. par ex., Section, 27 septembre 2006, Société Janfin, n° 260050).

3° Il découle de ce qui précède que l'administration fiscale, même en dehors du champ d'application de l'art. L. 64, peut écarter comme ne lui étant pas opposables certes ceux des actes du contribuable ayant un caractère fictif, mais peut également - en vertu du principe général du droit précité - écarter, comme dans le cas où l'art. 64 est applicable, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

4° Cette interprétation de la loi fiscale par le juge ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que sont respectées les exigences permettant l'application différenciée d'une règle en fonction de la diversité des situations concrètes rencontrées.

5° Ainsi, l'art. 64 ne s'applique que si une procédure de rectification a été engagée par l'administration fiscale et le principe général du droit susénoncé qu'en dehors de ce cas. Cette dualité de traitement ne contrevient pas à l'égalité des contribuables, d'où il suit que les garanties apportées par la loi à l'art. L. 64 ne concernent que la situation où cette disposition est applicable non celle où est mis en oeuvre le principe général du droit susrappelé.

On peut admirer la subtilité du raisonnement et n'être point convaincu de son bien-fondé en regrettant qu'il aboutit de fait et en substance à une soumission universelle des situations visées à l'art. 64 soit sous la forme scripturaire du LPF soit à titre de principe. Est-on sûr d'être alors toujours fidèle à la volonté du législateur ?

 (4 février 2022, Société Hays France, n° 455278)

(78) V. aussi, rejetant un recours dirigé contre une application irrégulière de la procédure de répression d'un abus de droit au motif qu'en l'espèce l'administration n'a pas agi sur le fondement de l'art. L. 64 du LPF mais sur celui de l'art. 111 du CGI qui se borne à définir la notion de « revenus distribués » : 11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n°455794.

 

79 - Prestataire de services logistiques en ligne - Commerce d'or et de métaux précieux - Société intervenant dans des opérations d'achat d'or et de métaux précieux par une société britannique auprès de clients français - Qualification comme intermédiaire dans des opérations de cession d'or et de métaux précieux - Assujettissement à la taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux - Annulation - Rejet.

La société française Efilog a été qualifiée par l'administration fiscale, sur le fondement des dispositions combinées des art. 150 VK et 150 VM du CGI, comme exerçant une activité d'intermédiaire dans des opérations de cession d'or et de métaux précieux.

Cette société a contesté cette qualification.

Par un arrêt infirmatif la cour administrative d'appel annule la décision de l'administration. Pour cela elle décrit très précisément le montage en cause.

Quand des contribuables français souhaitant céder des métaux précieux prenaient contact à cette fin avec une société britannique, la société Efilog leur adressait, en exécution du contrat signé entre ces deux sociétés, un kit personnalisé destiné à contenir les objets en cause, que les particuliers retournaient ensuite à la société Efilog qui, après enregistrement et reconditionnement, envoyait les métaux précieux à un laboratoire situé au Royaume-Uni pour expertise et estimation. La société britannique fixait alors le prix qu'elle proposait et préparait des courriers à destination des vendeurs ayant choisi le paiement par virement et des chèques pour ceux ayant choisi ce mode de paiement, les envois étant effectués par une société comptable intervenant pour le compte de la société britannique. En cas de refus du prix proposé, le chèque était renvoyé par le vendeur particulier à la société Efilog qui le renvoyait à la société britannique, laquelle retournait directement la marchandise au vendeur.

La société Efilog ne procédait à aucune recherche de clients ou de mise en relation entre la société britannique et des clients potentiels ; elle n'intervenait ni sur l'objet, ni sur le prix de la transaction, son activité étant limitée à la réception et à la transmission des kits, à la réception des chèques retournés par les clients et, en cas de perte ou de dommage, à la réception des demandes d'indemnisation. De là la cour déduit que la société Efilog a été qualifiée à tort d'intermédiaire.

Sur pourvoi du ministre des finances, qu'il rejette, le Conseil d'État juge que la cour en jugeant ainsi n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis

(11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446801). 

 

80 - Monuments historiques - Exonération des droits de mutation à titre gratuit - Conclusion d'une convention en vue de l'ouverture au public du monument - Paiement des droits pouvant être différée jusqu'à cette signature - Non respect du délai de six mois pour l'accomplissement de formalités - Portée - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L'art. 795 A du CGI permet aux héritiers d'un monument historique de bénéficier de l'exonération des droits de succession (dits « de mutation à titre gratuit ») moyennant l'acceptation par les services de la culture de la conclusion d'une convention en prévoyant l'ouverture au public.

Le ministre des finances a refusé en l'espèce d'accorder cette exonération au motif que la déclaration de succession avait été déposée au-delà du délai de six mois prévu à l'article 641 du CGI. Le tribunal administratif, saisi par les héritiers, a annulé ce refus. Sur appel du ministre, la cour administrative d'appel a, acceptant la substitution de motif demandée par l'appelant, annulé le jugement et jugé légal le refus en se fondant sur ce moyen substitué tiré du défaut d'accomplissement de la formalité requise par l'article 281 bis de l'annexe III au CGI.

Sur pourvoi de l'un des héritiers, le Conseil d'État - confirmant une jurisprudence antérieure (11 décembre 2009, Ministre du Budget c/ Dor de Lastours et autres, n° 312515) - annule cet arrêt qu'entache une erreur de droit.

D'une part, il ne résulte pas de l'art. 641 du CGI que le dépôt de la déclaration  au-delà du délai qu'il fixe empêche l'octroi de l'exonération des droits de succession prévue à l'art. 795 A due ce code.

D'autre part, le non respect de la formalité prévue par l'art. 281 bis de l'annexe III au CGI est seulement de nature à priver le contribuable du bénéfice du différé de paiement des droits de mutation à titre gratuit jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande mais en aucun cas il ne peut justifier légalement un refus d'accorder le bénéfice de l'exonération de droits prévu à l'art. 795 A.

Par ailleurs, l'administration n'est pas davantage fondée à opposer ici les dispositions de l'art. 1649 nonies du CGI selon lesquelles « toute demande d'agrément auquel (sic) est subordonnée l'application d'un régime fiscal particulier doit être déposée préalablement à la réalisation de l'opération qui la motive » ; en effet, il tombe sous le sens  que la demande de convention pour bénéficier de l'exonération prévue à l'art. 795 A ne saurait être regardée ni comme une demande d'agrément ni comme une demande en vue de la réalisation d'une « opération ».

(11 février 2022, M. Guy d'Espinay Saint-Luc, n° 454999)

(81) V. également, largement comparable au précédent et portant sur le même litige : 11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ M. Guy d'Espinay Saint-Luc, n° 458465.

 

82 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas des établissements industriels - Terrain d'enfouissement de déchets ultimes non dangereux - Alvéoles faisant corps avec le terrain - Exonération de la taxe - Conditions - Annulation du jugement avec renvoi.

La requérante demandait l'annulation du jugement ayant rejeté ses demandes tendant à la réduction de sa cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties en raison des caractéristiques  du centre de tri et de valorisation des déchets et du centre de stockage de déchets ultimes non dangereux qu'elle exploite.

L'art. 1380 du CGI exonère de la taxe foncière sur les propriétés bâties : « (...) 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés à l'article 1381 1° et 2° ». Il s'agit donc de ceux des biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499 du CGI, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

En l'espèce, la requérante invoquait un moyen tiré de ce que les alvéoles de son centre d'enfouissement  devaient être exonérées de taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 11° de l'article 1382 du CGI.

Balayant cet argument, le tribunal s'est uniquement fondé, pour justifier l'assujettissement de cette entreprise à la taxe susdite, sur ce qu'eu égard à sa superficie et à la capacité de stockage de l'ensemble dans lequel il s'inscrit, le terrain en question devait être regardé comme employé à un usage industriel au sens et pour l'application des dispositions du 5° de l'article 1381 de ce code, et, par suite, soumis à la taxe.

Ce jugeant, le tribunal s'est abstenu de vérifier si les alvéoles faisant corps avec ce terrain, d'une part, étaient spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel au sens de l'article 1499, et, d'autre part, étaient au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

L'erreur de droit conduit à la cassation.

(11 février 2022, Société de Propreté et d'Environnement de Normandie (SPEN), n° 455020)

 

83 - Impôt sur le revenu et prélèvements sociaux - Revenus imposés comme revenus de capitaux mobiliers (art. 123 bis CGI) - Régime des sociétés mères et filiales (art. 145 et 216 CGI) - Appréciation du caractère privilégié d'un régime fiscal - Décision de gestion - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

L'administration fiscale a décidé d'imposer dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers les bénéfices réalisés par la société de droit luxembourgeois, dont les contribuables requérants détenaient la totalité du capital.

Ceux-ci ayant contesté cette décision, la cour administrative d'appel, par arrêt infirmatif, a donné partiellement raison aux contribuables.

Ceux-ci se pourvoient contre la partie de l'arrêt qui leur est défavorable.

Pour apprécier l'éventuel caractère privilégié du régime fiscal auquel était soumise la société de droit luxembourgeois et répondre positivement à cette question, la cour a relevé qu'elle ne pouvait se prévaloir du régime des sociétés mères au motif que ce régime optionnel relèverait d'une décision de gestion. Or l'art. 238 A du CGI impose que l'appréciation du caractère privilégié du régime fiscal applicable se fasse au regard de l'impôt sur les bénéfices ou les revenus dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, lesquelles incluent le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du CGI. Il incombait donc à la cour – ce qu’elle n’a pas fait - de déterminer si cette société aurait rempli les conditions pour bénéficier du régime des sociétés mères si elle avait été établie en France.

L'arrêt est cassé sur ce point.

(14 février 2022, M. et Mme B., n° 442061)

 

84 - Comptabilité publique - Étendue des obligations de contrôle s'imposant aux comptables publics - Interdiction pour le comptable d'apprécier la légalité des actes à l'origine des créances publiques - Sanctions de la Cour des comptes - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Deux comptables de l'Office français de l'immigration et de l'intégration constituées débitrices de sommes importantes par arrêts de la Cour des comptes se pourvoient contre ceux-ci.

Le Conseil d'État leur donne raison, ce qui lui fournit l'occasion de rappeler - une nouvelle fois, mais il faut croire que la rue Cambon est loin du Palais-Royal - que, pour déterminer la validité des créances qu'ils sont amenés à payer, les comptables publics doivent seulement apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée.

A cet égard, s'il leur appartient de vérifier si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et si ces pièces sont, complètes et précises en soi, et cohérentes au regard de la catégorie, de la nature et de l'objet de la dépense ordonnancée, là s'arrêtent leurs obligations.

Certes, parce que les choses sont très imbriquées, ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et à les interpréter conformément à la réglementation, en revanche, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. 

En l'espèce, les mises en débet des requérantes étaient irrégulières car fondées sur des reproches tirés du défaut de contrôle de la légalité des actes ordonnançant les paiements, contrôle qu’il leur est interdit d’effectuer.

(16 février 2022, Mme I. et Mme E. c/ Cour des comptes, n° 439427)

 

85 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Demande de réduction – Demande formée par voie d’exception d’illégalité – Erreur de droit – Annulation.

C’est par suite d’une erreur de droit qu’un tribunal administratif admet qu’un contribuable puisse demander une réduction de sa contribution à la taxe foncière sur les propriétés bâties au moyen d’une exception d’illégalité tirée des dispositions combinées des art. 1498 et 1504 du CGI dès lors qu’il résulte de l’art. 1518 F de ce code que «  Les décisions prises en application des articles 1504 et 1518 ter ne peuvent pas être contestées à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie ».

(18 février 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 453443)

(86) V. aussi, en matière de contestation de l’évaluation de la taxe foncière sur les propriétés bâties :

- Rejetant l’argument tiré de ce que les installations frigorifiques utilisées par la requérante pour son activité avaient été démantelées en 2015, de sorte que cet établissement se trouvait privé, à compter de cette date, des importants moyens techniques dont il était auparavant pourvu et qu'il ne pouvait ainsi plus être regardé comme un établissement industriel au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 1499 du code général des impôts, le juge relevant que la société établissait seulement la mise à l'arrêt des installations frigorifiques destinées à l'expédition de la production, non la disparition de tout moyen technique industriel rendant l'immeuble disponible à une activité autre qu'industrielle : 18 février 2022, Société fromagerie Papillon, n° 449988.

- Rejetant le moyen tiré, en matière de taxe assujettissant un hôtel, de la présence de caractéristiques comparables à celles d’autres hôtels de la commune, de telles caractéristiques n’existant pas en l’espèce : 18 février 2022, Sociétés Modul et CM-CIC Lease, n° 451631.

 

87 - Bien immobilier acheté en une fois à un prix global – Revente par lot – Opération distincte pour chaque revente – Calcul de la taxe – Prise en compte de la valeur du terrain cédé gratuitement à la collectivité publique pour permettre la réalisation de l’opération immobilière – Annulation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Il est jugé ici qu’il résulte des dispositions de l’art. 268 du CGI que, dans le cas de revente par lot d'un immeuble ou d'un terrain à bâtir acheté en une seule fois pour un prix global, chaque vente de lot constitue une opération distincte, à raison de laquelle le vendeur doit acquitter une taxe calculée sur la base de la différence entre, d'une part, le prix de vente de ce lot et, d'autre part, son prix de revient estimé en imputant à ce lot une fraction du prix d'achat global de l'immeuble ou du terrain.

Le juge indique aussi, d’une part, que le contribuable procède à cette imputation par la méthode de son choix, sous réserve du droit de vérification de l'administration et sous le contrôle du juge de l'impôt et, d’autre part, que ce texte ne s'oppose pas à ce que le contribuable impute sur le prix de revient de chacun des lots vendus une fraction du prix d'acquisition des terrains cédés gratuitement ou pour l'euro symbolique à une commune en vue de la réalisation d'aménagements de voirie, lorsque cette cession conditionne la réalisation de l'opération immobilière.

(18 février 2022, Société d'aménagement urbain et lotissement, n° 449811)

 

Droit public de l'économie

 

88 - Droit public de l'agriculture – « Plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes -- Soutien financier aux producteurs français de fruits et légumes frais - Requalification en aides d'État prohibées - Régularité du titre de recettes et de l'imputation de la charge du reboursement - Rejet.

L'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l'Établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a mis en place une aide financière aux producteurs français de fruits et légumes frais dans le cadre de « plans de campagne ». Cette aide a été qualifiée d'aide d'État  par une décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, confirmée par deux jugements du Tribunal de l'Union européenne du 27 décembre 2012. En conséquence, FranceAgriMer a émis un titre de recettes à l'encontre de trois SCEA ainsi que de la SCEA requérante.

Cette dernière a demandé l'annulation de ce titre pour des raisons de forme et pour des raisons de fond ; la requête ayant été rejetée, en première instance comme en appel, la société se pourvoit. Elle est déboutée.

Sur la forme, la régularité du titre de recettes était contestée à la fois pour insuffisance ou défaut de motivation et pour non respect du principe du contradictoire.

Ces moyens sont rejetés car, d'une part, les indications fournies par le titre lui-même constituaient une motivation suffisante (titre indiquant : « aides plans de campagne jugées incompatibles avec le droit communautaire », comportant adjonction d'une première fiche liquidative identifiant, après le visa de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, les aides concernées et d'une seconde détaillant pour chaque année les sommes en cause) et, d'autre part, que, contrairement à ce qui était allégué, la procédure suivie avait bien été contradictoire (courrier d'information, invitation à formuler des observations, organisation d'un entretien, échanges postérieurs de courriers, formation d'un recours gracieux).

Sur le fond, étaient contestés le bien-fondé de la récupération de l'aide et la mise de celle-ci à la charge de la requérante.

Tout d'abord, c'est à bon droit que la récupération des aides a été mise à la charge des producteurs car si les fonds destinés au paiement de ces aides ont d'abord été versés aux comités économiques agricoles, ces derniers les ont répartis entre producteurs auxquels le bénéfice final de l'aide a été ainsi transférée d'où la présomption que ceux-ci sont les bénéficiaires de l'aide.

Ensuite, la demanderesse contestait devoir assumer la charge du remboursement d'une aide qui a été en réalité versée à trois autres SCEA (La Bohémienne, Mas de Canaux et de Fabrègue). Ce moyen ne pouvait prospérer puisque  ces trois sociétés ont été radiées du registre du commerce et des sociétés à la suite de leur absorption par la SCEA Méditerranée, requérante. La cour a par ailleurs relevé qu'il n'était pas établi que cette dernière n'exercerait plus l'activité pour laquelle les aides litigieuses ont été versées.

C'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que la société SCEA Méditerranée, qui a repris l'ensemble de l'actif et du passif des sociétés absorbées, était tenue à l'obligation de restitution des aides perçues par celles-ci. 

(3 février 2022, Société civile d'exploitation agricole Méditerranée, n° 437162)

 

Droit social et action sociale

 

89 - Salarié protégé - Licenciement pour faute - Régime juridique - Rejet.

La cour administrative d'appel ayant confirmé le jugement annulant l'autorisation donnée par l'inspection du travail de licencier l'un de ses employés  représentant syndical, pour faute, la société Chronopost se pourvoit en cassation.

La cour a estimé que le salarié, qui avait à plusieurs reprises travaillé en qualité de coursier, durant des périodes de suspension de son contrat de travail, auprès de la société Labo Express, pour assurer le transport médical urgent par route de produits sanguins labiles et de produits d'origine humaine vers des professionnels de santé, y assurait une mission qui différait de celle accomplie au profit de la société Chronopost, l'activité de ces deux sociétés ne se recouvrant pas et n'étant pas concurrentes. En outre, il n'était pas établi, comme le lui reprochait son employeur, que cet agent aurait fourni des informations confidentielles à la société Labo Express. Ainsi, le licenciement n'était pas justifié.

Le Conseil d'État estime que, en jugeant ainsi, outre qu'elle a répondu à l'argumentation de la demanderesse, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits.

Surtout, cette affaire est l'occasion pour le juge de cassation de rappeler fermement qu'en raison des fonctions dont est investi un représentant du personnel, son licenciement pour faute - et donc l'autorisation de licenciement - ne peut intervenir que « si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. »

Enfin, est rejeté car il est nouveau en cassation, le moyen selon lequel l'intéressé aurait également commis une faute en sollicitant, pour un motif mensonger, un congé pour enfant malade, en vue d'accomplir une de ses missions auprès de la société Labo Express.

(4 février 2022, Société Chronopost, n° 438412)

 

90 - Avenant à une convention collective - Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire - Arrêté étendant un avenant à cette convention - Demande d'annulation - Avenant et arrêté n'ayant jamais produit d'effet - Intervention d'un nouvel avenant - Caducité de l'avenant litigieux - Non-lieu à statuer.

(4 février 2022, Fédération CFDT des services, n° 453350)

V. n° 28

 

91 - Travailleurs salariés étrangers détachés en France - Obligation de vigilance s'imposant à l'entreprise ou à son prestataire de services - Procédure irrégulière de détachement - Unicité de faute pour défaut de déclaration préalable et de désignation d'un représentant en France - Rejet.

Des dispositions du code du travail subordonnent la possibilité, pour un employeur français, d'accueillir des salariés étrangers détachés à cet effet par un employeur établi hors de France - sous forme d'une obligation de vigilance -  à la souscription d'une déclaration préalable au détachement et à la désignation d'un représentant de l'entreprise sur le territoire national (cf. art. L.1262-1, L. 1262-2 et L. 1262-2-1,  L. 1262-4-1 c. trav.). A défaut de respecter ces deux obligations est encourue une amende dont le montant est multipliée par le nombre de salariés concernés par cette infraction.

Le Conseil d'État estime que ces textes, bien que l'obligation de vigilance qu'ils imposent se décompose en deux volets (déclaration préalable et désignation d'un représentant en France), ne constitue, pour le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre, qu'une seule obligation qui ne peut être sanctionée que par une seule amende.

C'est donc en vain que la ministre requérante demande l'annulation de l'arrêt d'appel qui en a ainsi jugé, celui-ci ne reposant pas sur une erreur de droit.

(11 février 2022, Ministre du travail, n° 440808)

 

92 - Infractions à la législation du travail - Sanctions applicables - Loi plus douce intervenue après les manquements et avant que le juge statue - Dispositions plus sévères inapplicables aux faits antérieurs - Étendue du pouvoir de sanction de l'administration - Effets de la nature de plein contentieux du litige - Caractère contradictoire de la procédure - Annulation.

La société requérante a fait l'objet d'amendes pour avoir plusieurs fois méconnu, pendant la période du 22 mai au 25 juin 2017, s'agissant de deux salariés, les dispositions régissant la durée quotidienne du travail, la durée hebdomadaire du travail, la durée quotidienne de repos minimal et le repos hebdomadaire.

Saisi par cette dernière d'une demande d'annulation ou de réduction des amendes infligées le tribunal administratif a réduit de 23 000 euros à 5 400 euros leur montant. Sur appel de la ministre du travail, défenderesse, la cour administrative d'appel a annulé le jugement en tant qu'il a réduit le montant des amendes.

La demanderesse se pourvoit et obtient gain de cause sur le principe.

Le juge de cassation rappelle tout d'abord que le juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, doit faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.

Ensuite, il est relevé une double évolution en sens inverse de la législation sur ce point.

D'une part, l'article 18 de la loi du 10 août 2018, qui est entré en vigueur postérieurement aux manquements de la société demanderesse, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement, ce dernier constituant, par rapport à l'amende, une sanction plus douce.

D'autre part, et en sens contraire, l'article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui a modifié l'article L. 8115-3 du code du travail en rehaussant le montant maximal de l'amende encourue de 2000 à 4000 euros par travailleur concerné, est une disposition répressive plus sévère. Il ne peut donc pas, en vertu du principe susrappelé, être appliqué à des manquements commis avant son entrée en vigueur.

Il résulte de cet état de la législation que la société demanderesse ne pouvait se voir appliquer que les seules dispositions - plus douces - des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, dans la version que leur a donnée la loi du 10 août 2018, à l'exclusion de celles - plus sévères - de l'art. L. 8115-3 de ce code, issues de la loi du 5 septembre 2018. 

C'est donc sans erreur de droit que la cour a estimé que le pouvoir de sanction de l'administration n'était pas limité au prononcé d'une seule amende par catégorie de manquements et par travailleur concerné mais pouvait, à la place, consister en l'infliction d'un avertissement.

Le Conseil d'État, en revanche, reproche à la cour, alors qu'elle statuait dans un litige de plein contentieux, ce qui lui imposait d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision litigieuse, d'avoir écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail imposant le respect d'une procédure contradictoire préalablement au prononcé de la sanction, au motif que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du code du travail se poursuivrait devant le juge de plein contentieux et qu'il n'appartiendrait à ce dernier de ne se prononcer que sur le bien-fondé et le montant de l'amende infligée.

L'erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation de l'arrêt sur ce point.

(11 février 2022, Société Distribution Casino France, n° 448372)

 

93 - Revenu de solidarité active (RSA) - Appréciation des ressources de l'intéressé - Existence d'un placement financier - Modalité de prise en compte des revenus produits par ce placement - Erreur de droit - Annulation du jugement.

Dans le cadre de la détermination de l'ensemble des ressources dont dispose une personne candidate à l'attribution du RSA ou déjà bénéficiaire de cette aide, se posait la question de la prise en compte d'un capital placé et produisant des revenus que l'intéressée avait omis de déclarer.

La difficulté venait de ce que les intérêts de ce placement sont versés en une fois, en fin d'année. Le tribunal administratif avait estimé que, pour l'appréciation des ressources de l'intéressée, il convenait de répartir ces intérêts sur les quatre trimestres suivant leur perception. Cette solution, raisonnable parce que fondée sur la règle du prorata temporis, est annulée par le Conseil d'État selon qui ceux-ci doivent être intégralement pris en compte à cet effet, donc in globo, au titre des ressources du mois  de leur perception.

(11 février 2022, Mme P., n° 449400)

 

94 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des déclarations des bénéficiaires du RSA - Qualité des contrôleurs - Annulation.

Rappel de ce qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 262-40 du code de l'action sociale et des familles et de celles de l'art. L. 114-9 du code de la sécurité sociale, d'une part, que les contrôles portant sur les déclarations des bénéficiaires du RSA ne peuvent être conduits que par des agents assermentés et agréés, chargés d'une telle mission par le directeur de la caisse d'allocations familiales assurant le service de cette prestation et, d'autre part, que l'agrément d'un agent établit ipso facto que celui-ci est affecté à un emploi comportant une mission de contrôle, dont il a été chargé par le directeur de la caisse d'allocations familiales qui l'emploie. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que le tribunal administratif, après avoir relevé que l'agent qui avait procédé à l'enquête à l'origine de la décision de récupération avait été agréé par une décision du directeur adjoint de la caisse nationale d'allocations familiales a jugé qu'il ne ressortait ni de la décision d'agrément ni d'aucune autre pièce des dossiers que le directeur général de la caisse d'allocations familiales de Paris aurait pris une décision lui confiant le soin de procéder à des vérifications et enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations servies par les caisses.

(11 février 2022, Ville de Paris, n° 449621)

 

95 - Négociation et accords collectifs dans la fonction publique (ordonnance du 17 février 2021) - Principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail - Liberté contractuelle des syndicats de signer ou non un accord - Étendue en présence d'un comité de suivi - Prérogatives des syndicats représentatifs envers un accord collectif dont ils ne sont pas signataires - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation de l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique et elles invoquaient à cet effet trois moyens principaux.

En premier lieu, elles reprochaient à ce texte de méconnaître le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Le moyen est rejeté car les mesures réglementaires susceptibles d'être incluses dans un accord collectif ont nécessairement fait l'objet d'une négociation avec les organisations syndicales représentatives préalablement à la conclusion de l'accord.

En deuxième lieu, il était soutenu que l'institution systématique d'un comité de suivi avait pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle des organisations syndicales de signer ou non un accord collectif. Le moyen est, lui aussi, rejeté car selon une interprétation bienveillante du Conseil d'État, ces dispositions (art. 8bis et 8ter de la loi du 13 juillet 1983), en prévoyant que seules les organisations signataires de l'accord débattent avec l'administration, au sein du comité de suivi, sur les modalités de mise en œuvre de cet accord, ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d'exclure les organisations non signataires des négociations portant sur des questions qui excèdent le suivi de la mise en œuvre de l'accord et qui relèvent des domaines dans lesquels doivent être appelées à participer l'ensemble des organisations représentatives en vertu des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires. Contrairement à ce soutiennent les requérantes il n'est donc, par là, pas porté atteinte aux principes de liberté syndicale, de représentativité des organisations syndicales et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail non plus qu'à l'art. 11 de la CEDH.

En troisième lieu, il n'est nullement porté atteinte, par l'ordonnance litigieuse, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil constitutionnel (n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État - CGT et autres), au droit des organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification.

Sur ce point, les juges « sauvent » l'ordonnance en lui faisant dire que ces dispositions de l'ordonnance « ont pour objectif d'inciter à la conclusion de tels accords et d'assurer leur pérennité », ce qui est loin de constituer un raisonnement juridique.

(11 février 2022, Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT), Fédération CGT des services publics, Confédération générale du travail (CGT), Fédération syndicale unitaire (FSU) et Fédération de l'action sociale et de la santé, n° 451784)

 

Élections et financement de la vie politique

 

96 - Élections municipales et communautaires - Jugement rejetant la protestation contre les résultats électoraux - Régime de l'appel - Appel irrecevable - Irrecevabilité de l'intervention par voie de conséquence - Rejet.

Rappel d'une règle constante de la procédure contentieuse en matière électorale : si tout électeur, même s'il n'a pas été présent en première instance, est recevable à faire appel d'un jugement qui a annulé une élection ou qui en a modifié les résultats, seul l'auteur ou les auteurs de la protestation sont recevables à faire appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté la protestation. 

Par ailleurs, l'intervenant au soutien de la protestation alors que le délai pour former une protestation était écoulé, n'est pas recevable à faire appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté cette protestation.

Sa requête doit dès lors être rejetée comme irrecevable.

(10 février 2022, M. Q., Él. mun. et cnautaires de la commune des Abymes, n° 448723)

 

97 - Élections municipales - Élection d'un conseiller municipal radié des listes électorales - Jugement judiciaire s'imposant absolument au juge administratif - Conclusions reconventionnelles irrecevables en contentieux électoral - Rejet.

L'élection d'un candidat comme conseiller municipal alors qu'il a été radié de la liste électorale par décision du tribunal judiciaire est automatiquement annulée par le juge administratif, celui-ci se bornant à tirer les conséquences de cette radiation dont les effets s’imposent absolument à lui.

Rappel, à nouveau, que des conclusions reconventionnelles sont, par nature, irrecevables en contentieux électoral (V., par ex. : 9 décembre 1977, Élections municipales de Congis-sur-Thérouanne, Rec. Lebon p. 842 ; 23 septembre 1985, Élections municipales de Saint-André de La Réunion, Dr. adm. 1985 n ° 477 ; 29 décembre 2014, Élections municipales de Samaran, n° 381579).

(16 février 2022, M. A., Élections municipales de Soissons, n° 447424)

 

98 - Publicité des présentations de candidatures à l’élection présidentielle - Demande de suspension de la disposition législative instituant cette publicité – Incompétence manifeste de la juridiction administrative – Rejet.

(ord. réf. 10 février 2022, M. A., n° 461144)

V. n° 54

 

Environnement

 

99 - Objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre - Obligation de prise en compte de cet objectif - Hypothèses d'application de cette obligation - Cas excluant cette obligation - Annulation et rejet.

A la demande d'organisations de protection de l'environnement, le juge des référés, au visa de l'art. L. 554-12 du CJA, a suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet de la Guyane portant autorisation environnementale en vue de l'exploitation d'une centrale électrique. Sa motivation reposait sur l'atteinte que cette autorisation porterait à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 tel qu'il est fixé à l'article L. 100-4 du code de l'énergie.

Les auteurs des pourvois joints demandent à la fois l'annulation de cette ordonnance et le sursis à son exécution.

Pour annuler l'ordonnance attaquée (ce qui rend sans objet la demande de suspension), le Conseil d'État fait une importante distinction.

D'un côté, il est exact que les autorisations d'exploiter une installation de production d'électricité relevant l'article L. 311-5 du code de l'énergie et les autorisations environnementales lorsqu'elles tiennent lieu d'une telle autorisation (Cf. art. L. 181-3 du code de l'environnement) sont soumises au respect de l'objectif fixé par l'art. L. 100-4 précité du code de l'énergie.

D'un autre côté, en revanche, les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité ne sont pas soumises au respect de cet objectif. 

Le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'autorisation environnementale le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, alors que cette autorisation ne valait pas autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité au titre du code de l'énergie, laquelle avait été précédemment délivrée par un arrêté du 13 juin 2017.

L'annulation de l'ordonnance est prononcée.

(10 février 2022, Société EDF Production Électrique Insulaire, n° 445465 et n° 456314;  Ministre de la transition écologique, n° 455497 et n° 455500, jonction)

 

100 - Urbanisme opérationnel - Révision de la carte communale - Dossier de l'enquête publique - Dispense d'évaluation environnementale - Classement de parcelles en zone d'activités économiques - Rejet.

(16 février 2022, Association pour la sauvegarde et la salubrité de Faleyras Targon et environs (ASSFALTE), n° 437202)

V. n° 162

 

101 - Autorité environnementale et autorité chargée de l'examen au cas par cas - Respect des directives du 13 décembre 2011 et du 16 avril 2014 relatives aux évaluations environnementales de certains projets - Clarté et intelligibilité de la norme - Décisions de l'autorité compétente au cas par cas pour décider de recourir à une évaluation environnementale - Régularisation possible d'éléments procéduraux - Rejet.

La requérante demandait, en sus de la communication de certains documents et de la saisine préjudicielle de la CJUE sur deux questions, l'annulation du décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l'autorité environnementale et à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas.

En bref, étaient en cause la distinction et son application concrète entre, d'une part, l'autorité chargée de l'examen au cas par cas de certains projets, qui est normalement le préfet de région, et d'autre part l'autorité environnementale.

Le Conseil d'État rejette le recours sans renvoi à la CJUE.

Les moyens de légalité externe ne nous retiendront pas.

Sur le fond, la requérante soulevait trois critiques.

En premier lieu, il était reproché au décret litigieux un manque de clarté et d'intelligibilité  tiré de ce que la distinction entre l'autorité en charge de l'examen au cas par cas et l'autorité environnementale chargée de rendre un avis sur un projet est floue et, surtout sur ce qu'une confusion naît  : 1°/ de ce que ces deux autorités peuvent intervenir sur un même projet, 2°/ de ce que l'autorité compétente pour l'examen au cas par cas est compétente pour décider si un projet doit être soumis à une évaluation environnementale, donc par l'autorité environnementale.

Il faut reconnaître que la critique n'est pas sans pertinence (pour une illustration, cf. dans la présente chronique, le n° 162). Le Conseil juge cependant qu'il n'y a pas, ici, méconnaissance du principe de clarté et d'intelligibilité de la norme dans la mesure où l'autorité chargée de l'examen au cas par cas est le plus souvent aisément identifiable et où les cas de conflits d'intérêts propre à cette autorité, lui imposant alors un transfert de l'examen, sont, eux aussi, facilement identifiables.

Reste que

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement

et les mots pour le dire arrivent aisément ». (N. Boileau)

et qu'ici, le défaut de maîtrise intellectuelle par les pouvoirs législatif et exécutif des réalités qu'ils sont censés régir, joint à la protection d'intérêts particuliers divers, aboutit à un édifice aux lignes absconses.

En deuxième lieu, le juge déduit tant des dispositions du droit de l'Union (directives du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011) telles qu'interprétées par la jurisprudence de la CJUE que de celles du droit interne (cf. art. R. 122-3 et R. 122-24-2 c. env.) que, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, le décret attaqué ne méconnaît pas les objectifs de la directive de 2011 en prévoyant, dans de nombreux cas, que le préfet de région agit en qualité d'autorité chargée de l'examen au cas par cas afin de déterminer si un projet doit être soumis à évaluation environnementale, et alors même que ne seraient pas prévues de  dispositions excluant cette compétence lorsque celui-ci est par ailleurs compétent pour autoriser le projet concerné, sous réserve des situations de conflit d'intérêts, notamment s'il est chargé de l'élaboration du projet soumis à autorisation ou en assure la maîtrise d'ouvrage. On admirera ici davantage l’exercice d’acrobatie juridique que la légendaire clarté cartésienne du droit français.

Enfin, en troisième lieu, il est jugé que la faculté reconnue par le texte que puissent être régularisées les inexactitudes, les omissions ou les insuffisances d'une étude d'impact, comme il en va d'ailleurs pour les autres éléments de la procédure préalable aux autorisations administratives, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.

(16 février 2022, Association France nature environnement, n° 442607)

 

102 - Commissaires enquêteurs - Liste départementale d'aptitude - Établissement et présidence - QPC - Radiation de la liste - Constitutionnalité - Rejet.

Dans le cadre d'un appel contre un jugement rejetant sa demande, le requérant a saisi la cour administrative d'appel d'une QPC dirigée contre l'art. L. 123-4 du code de l'environnement, qu'elle a transmise au Conseil d'État.

Cette disposition est ainsi libellée : « Dans chaque département, une commission présidée par le président du tribunal administratif ou le conseiller qu'il délègue établit une liste d'aptitude des commissaires enquêteurs. Cette liste est rendue publique et fait l'objet d'au moins une révision annuelle. Peut être radié de cette liste tout commissaire enquêteur ayant manqué aux obligations définies à l'article L. 123-15 ».

Selon le requérant, la dernière phrase contreviendrait aux principes constitutionnels d'impartialité et d'indépendance (art. 16, Déclaration de 1789) comme à ceux de proportionnalité et d'invidualisation des peines (art. 8, Déclaration de 1789).

Les deux premiers griefs sont rejetés car, au contraire, la présidence de la commission par un magistrat constitue une garantie d'indépendance et d'impartialité ; quant à la composition de la commission, elle figure dans d’autres dispositions législatives et n'ouvre donc pas à une QPC. Par ailleurs, ces principes ne sont pas davantage mis en cause par la circonstance que ne serait pas instituée une séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement.

S'agissant des deux autres griefs, il ne saurait être soutenu, selon le juge, que la radiation de la liste des commissaires enquêteurs porterait atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, étant, au contraire, fonction de la gravité du comportement, laquelle est appréciée individuellement par la commission et sous le contrôle du juge administratif.

(17 février 2022, M. F., n° 458542)

 

État-civil et nationalité

 

103 - Adjonction de nom – Nom porté par un ascendant au cinquième degré et des ascendantes au sixième degré - Intérêt légitime – Absence – Rejet.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui annule le refus du garde des sceaux d’autoriser une personne de changer son nom en celui d’Audirac-d'Aygalliers de la Rouvière dès lors que celui-ci a été porté par un ascendant du demandeur au cinquième degré et deux ascendantes au sixième degré, l’art. 61 du Code civil ne reconnaissant l’intérêt légitime d’une demande de changement de nom que pour éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré.

(24 février 2022, M. B., n° 448380)

 

Étrangers

 

104 - Ressortissant algérien - Certificat de résidence portant la mention « retraité » - Validité de dix ans - Renouvellement de plein droit - Condition de résidence hors de France - Rejet.

Rappelant qu'en vertu des stipulations de l'article 7 ter de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 le certificat de résidence portant la mention « retraité », valable dix ans, dont peuvent bénéficier les ressortissants algériens est renouvelé de plein droit à l'étranger, sous réserve que la résidence habituelle de l'intéressé se situe toujours hors de France et que chacun des séjours qu'il a effectués en France sous le couvert de ce titre n'a pas excédé une année, le  juge de cassation rejette le pourvoi du requérant contre l'ordonnance de référé le déboutant de sa demande tendant au renouvellement de ce titre de séjour sans qu’il doive établir sa résidence hors de France.

C'est en effet sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que n'étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision refusant le renouvellement du certificat de résidence « retraité » :

- d'une part  le moyen tiré de ce que ce certificat devait être renouvelé sans que puisse être opposée la condition de résidence hors de France,

- et, d'autre part, le moyen tiré de ce que le requérant, qui n'avait pas, pendant la durée de validité de son certificat, effectué de séjour excédant une année en France, n'y avait dès lors pas sa résidence habituelle et que la décision attaquée méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention EDH. 

(7 février 2022, M. D., n° 451318)

 

105 - Carte de résident - Demande de renouvellement - Obtention d'un récépissé provisoire - Recevabilité du référé tendant à la suspension du refus de renouveler le titre de séjour – Présomption d’urgence - Annulation.

Rappel de deux éléments importants en matière de renouvellement de titres de séjours délivrés aux étrangers.

En premier lieu,  la circonstance que le requérant a obtenu, à la suite d'une demande de titre de séjour, un récépissé provisoire ne prive pas d'objet sa demande de suspension du refus de renouveler son titre de séjour. 

En second lieu, commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, pour rejeter la demande de suspension du refus de renouveler le titre de séjour d'un ressortissant malien, motif pris de ce que le demandeur n'apportait aucune précision quant aux conséquences concrètes de la décision implicite de rejet de la demande de renouvellement de carte de séjour pluriannuelle dont il était titulaire, écarte irrégulièrement la présomption d'urgence attachée à un tel chef demande.

(18 février 2022, M. C., n° 457933)

 

106 - Ressortissant étranger mineur – Demande de protection internationale – Mineur non assisté de son représentant – Renvoi à l’OFPRA – Absence – Rejet.

Rappel de ce qu’en vertu des dispositions des art. L. 723-6, L. 733-5 et L. 741-3 di CESEDA, le mineur qui sollicite la protection internationale (demande d'asile et de reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire) doit être accompagné de son représentant notamment lors de l’entretien personnel. Il s’ensuit que lorsque l’entretien s’est déroulé en l’absence de ce représentant, pour des raisons qui ne peuvent pas être imputées à ce mineur, l’OFPRA ne peut rejeter sa demande qu’après avoir invité le représentant (ici le département de la Somme auquel a été confiée la tutelle sur le mineur par jugement du TGI d’Amiens) à assister le mineur.

Saisie d’un moyen en ce sens, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est tenue – contrairement à ce que soutient l’OFPRA en l’espèce - de renvoyer à l’OFPRA l’examen de cette demande. Il n’en irait autrement que dans le cas où la CNDA serait en mesure de prendre immédiatement une décision accordant la demande de protection sollicitée.

Par ailleurs, la circonstance que l’intéressé est devenu majeur durant le cours de l’instance est sans effet sur l’irrégularité résultant du défaut d’accompagnement d’un individu qui était mineur au moment où cette irrégularité a été commise.

(24 février 2022, OFPRA, n° 449012)

(107) V. aussi, à propos du régime de l’entretien devant l’OFPRA, les précisions apportées sur l’office des juges de la CNDA dans le cas où l’entretien n’a pas donné lieu à un enregistrement sonore ou si l’enregistrement n’a pas été possible et que le demandeur n'a pas eu la possibilité de formuler des observations sur la transcription à l'issue de l'entretien : 24 février 2022, OFPRA, n° 453615.

(108) V. encore, jugeant, dans le cas où l’OFPRA doit être considéré comme s’étant dispensé de l’entretien personnel imposé par la loi et où le demandeur n’a pas reçu la convocation à cet entretien du fait d’un dysfonctionnement des services postaux et n’a donc pas pu s’y présenter, que c’est sans erreur de droit que la CNDA a annulé le refus d’octroi de l’asile par l’OFPRA et renvoyé devant lui l’examen de la demande d’asile dont il demeure saisi par l’effet de cette annulation : 24 février 2022, OFPRA, n° 453267 ; également : 24 février 2022, M. M., n° 453267.

 

109 - Demande d’octroi du statut de réfugié – Refus – Nouvelle demande en ce sens – Demande constituant une demande de réexamen même en cas de retour de l’étranger entre-temps dans son pays d’origine – Annulation.

Une demande tendant à l'octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire présentée par une personne après une première demande qui a fait l'objet d'une décision définitive de refus de l'OFPRA ou après qu'il a été mis fin, par une décision définitive, à la protection internationale que l'OFPRA lui avait antérieurement accordée, constitue non une nouvelle demande mais une demande de réexamen au sens des dispositions du CESEDA, alors même que l'intéressé est entre-temps rentré dans son pays d'origine.

Est donc prononcée l’annulation du jugement de la CNDA en sens contraire.

(24 février 2022, OFPRA, n° 453619)

 

110 - Avis de droit - Étudiants étrangers voulant séjourner en France – Étudiants non ressortissants de l’Union européenne – Régime applicable au regard des dispositions du CESEDA (art. R. 431-16 et L. 313-7) et de celles du droit de l’Union (directive du 11 mai 2016) – Étendue du contrôle du juge sur la réalité du motif du séjour pour études.

Sur le fondement de la procédure d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA), le Conseil d’État était saisi de trois importantes questions relatives au régime juridique applicable depuis le 1er mai 2021 au séjour en France – en qualité d’étudiants -, des personnes non ressortissantes de l’Union européenne.

Tout d’abord, le Conseil d’État dit pour droit que s'il est possible, pour le ressortissant d'un pays tiers, d'être admis en France et d'y séjourner pour y effectuer des études sur le fondement d'un visa de long séjour dans les mêmes conditions que le titulaire d'une carte de séjour (cf. art. L. 312-2 et L. 411-1 du CESEDA), en revanche, les dispositions relatives aux conditions de délivrance d'une carte de séjour portant la mention « étudiant » d'une durée inférieure ou égale à un an, telles que précisées par les articles L. 422-1 et suivants de ce code et les dispositions règlementaires prises pour leur application, ne sont pas pour autant applicables aux demandes présentées pour l'octroi d'un tel visa. 

Ensuite, s’agissant de la procédure de demande de délivrance de visa auprès des postes diplomatiques français à l’étranger, il est répondu qu’en l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le CESEDA, une telle demande est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 312-2 du CESEDA, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, cette instruction participant de la transposition de cette même directive.

Enfin, sur le point de savoir quel est le contrôle du juge sur la cohérence et le sérieux des études envisagées, dont le défaut peut révéler un détournement de la procédure de visa étudiant aux fins de mener un projet d'installation en France d'une autre nature, il est répondu que ce contrôle appartient à l’autorité administrative sous le contrôle, par le juge de l’excès de pouvoir, de la seule erreur manifeste d’appréciation.

(24 février 2022, M. A., n° 457798)

 

111 - Extradition – Inexécution du décret d’extradition pendant la procédure devant le Conseil d’État – Invocation de l’urgence – Rejet.

L’étranger qui entend contester le décret d’extradition le remettant aux autorités de l’État réclamant ne saurait saisir le juge du référé suspension, la condition d’urgence faisant toujours défaut en ce cas car le décret d’extradition n’est pas exécuté tant que le Conseil d’État n’a pas statué sur le recours dirigé contre ce décret.

(ord. réf. 24 février 2022, M. A., n° 461401)

 

Fonction publique et agents publics

 

112 - Brigadier-chef de police - Condamnation pénale - Impossibilité de reclassement dans un emploi afférent à son grade - Compétence liée - Radiation des cadres - Annulation.

Un brigadier-chef de police, condamné, pour actes de vol aggravé par effraction en réunion dans un local d'habitation, à une peine d'emprisonnement avec sursis assortie d'une peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer les fonctions de policier national par un arrêt devenu définitif, est radié des cadres par arrêté du ministre de l'intérieur.

Il a demandé et obtenu en référé la suspension de cette décision.

Le ministre se pourvoit.

Le Conseil d'État rappelle que dans le cas où l'agent public est condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, la fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation.

Il suit de là qu'elle est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade, sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. En ce cas, l'autorité compétente est en situation de compétence liée.

C'est donc au prix d'une erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif a estimé, pour ordonner la suspension de la décision litigieuse, que le ministre de l'intérieur s'est estimé en compétence liée pour procéder à cette radiation sans rechercher les possibilités de reclasser l'agent dans un autre emploi, y compris par voie de détachement, ou de le suspendre en application de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, sur les droits et obligations des fonctionnaires, en vue de l'engagement d'une procédure disciplinaire de révocation.

(ord. réf. 3 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 453159 et n° 453161)

 

113 - Sapeur-pompier professionnel – Autorisation de poursuite d'activité au-delà de l'âge de la retraite - Autorisation estimée illégale - Retrait - Retrait au-delà de quatre mois - Irrégularité - Prétendue inexistence - Rejet - Suspension ordonnée - Annulation partielle.

(3 février 2022, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion, n° 442354)

V. n° 2

 

 

114 - Avis de droit - Fonction publique territoriale - Agent public non titulaire - Licenciement anticipé - Obligation de respecter un préavis sauf motif disciplinaire - Non respect du préavis se résolvant en une indemnisation.

Répondant à une question en ce sens, le Conseil d'État émet l'avis que l'agent non titulaire de la fonction publique territoriale recruté pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée ne peut être légalement licencié avant le terme de son contrat par l'autorité territoriale compétente qu'après un préavis, sauf si le licenciement est prononcé pour des motifs disciplinaires ou au cours ou à l'expiration d'une période d'essai. 

Toutefois, si le préavis n'a pas été respecté, la décision de licenciement n'encourt pas annulation totale, elle est seulement illégale en raison de son effet avant l'expiration du délai de préavis applicable, ce qui ouvre droit à l'agent à une indemnisation du préjudice résultant du non-respect du préavis.

On doit considérer, eu égard aux termes de la question qui l'invoque expressément, et compte tenu de la généralité de la réponse qui lui est donnée, que cet avis annonce l'abandon définitif de la solution contenue dans la décision du 14 mai 2007, Philémon Caussade, n° 273244.

(4 février 2022, Commune de Noisy-le-Grand, n° 457135)

 

115 - Logement par nécessité de service - Sous-officier de la gendarmerie nationale - Imputation de frais de chauffage collectif au gaz - Obligation d'individualiser les frais de chauffage collectif (art. L. 241-9 code de l'énergie) - Rejet.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif rejetant son appel contre le jugement annulant sa décision rejetant le recours gracieux d'un sous-officier de gendarmerie qui, logé par nécessité absolue de service, contestait le mode de calcul de sa quote-part de chauffage du chef de ce logement.

L'immeuble en cause bénéficiant d'un chauffage collectif au gaz, l'agent s'est vu notifier un avis de régularisation des charges d'occupation de son logement dans lequel les frais de chauffage étaient calculés au prorata de la surface habitable du logement occupé par l'intéressé et du nombre de jours de présence. Ce dernier a contesté cette manière de calculer ces frais en excipant des dispositions de l'art. L. 241-9 du code de l'énergie selon lesquelles :

« Tout immeuble collectif pourvu d'un chauffage commun doit comporter, quand la technique le permet, une installation permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif.

Nonobstant toute disposition, convention ou usage contraires, les frais de chauffage et de fourniture d'eau chaude mis à la charge des occupants comprennent, en plus des frais fixes, le coût des quantités de chaleur calculées comme il est dit ci-dessus (...) ».

Les juges du fond ont donné raison au demandeur et sont confirmés par le Conseil d'État qui rejette le pourvoi en relevant qu'aucun texte ne dispense les casernements et leurs locaux annexes à fin de logement de l'obligation instituée par l'article précité.

(8 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 444780)

 

116 - Fonction publique de l'État - Enseignants des premier et second degrés - Mobilité - Décisions individuelles défavorables - Possibilité de recours administratif - Lignes directrices prévoyant l'assistance d'un représentant désigné par une organisation syndicale représentative - Illégalité - Suspension.

Le syndicat requérant se plaignait de ce que des lignes directrices du ministre de l'éducation rendues en matière de mobilité prévoient qu'en cas de mesures individuelles défavorables prises en cette matière les agents « peuvent choisir un représentant désigné par une organisation syndicale représentative de leur choix pour les assister.

L'organisation doit être représentative :

au niveau du comité technique ministériel de l'éducation nationale (...) pour une décision de mutation relevant de la compétence du ministre ;

au niveau du comité technique ministériel de l'éducation nationale ou du comité technique académique pour une décision de mutation relevant de la compétence des recteurs d'académie (...).

L'administration s'assurera que le fonctionnaire a choisi un représentant désigné par une organisation syndicale représentative et que celui-ci a bien été désigné par l'organisation syndicale représentative ».  Ce syndicat estimait que la limitation du droit de choisir un représentant parmi les seules organisations syndicales représentatives était illégale, contrevenant aux dispositions de l'art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'État.

Le juge des référés fait une distinction, peu convaincante, au sein de cet extrait des lignes directrices, entre la première partie du texte et la dernière.

La première partie n'est pas illégale car « Le caractère représentatif ou non d'un syndicat ne détermine pas la capacité du conseiller qu'il a désigné à assurer l'assistance d'un fonctionnaire dans l'exercice d'un recours administratif. » Ainsi, les dispositions de ce texte ne font pas obstacle à ce que le fonctionnaire désigne, pour l'exercice du recours contre une décision défavorable prise au titre de la mobilité, un représentant d'un syndicat non représentatif. De ce chef, il n'y a pas lieu à ordonner la suspension.

En revanche, au point 6 de son ordonnance, examinant la dernière partie de ce texte, qui confère à l'administration le pouvoir de contrôler que le représentant désigné appartient bien à un syndicat représentatif, le juge des référés décide qu'elle est illégale et que son exécution est, en conséquence, suspendue.

Il nous aurait paru plus simple de dire l'ensemble de ce texte illégal car il est peu plausible que sa première partie, dans l'intention de son auteur, sensible à des groupes de pression, ait voulu ce que le juge en déduit.

Ceci donne d'ailleurs lieu à une rédaction complexe de l'art. 1er de l'ordonnance  ainsi qu’on le vérifie ci-dessous :

« Article 1er : Compte tenu de l'interprétation, figurant au point 6, à laquelle il convient de procéder s'agissant des dispositions des lignes directrices émises par ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports le 25 octobre 2021 selon lesquelles les agents peuvent choisir un représentant désigné par une organisation syndicale représentative de leur choix pour les assister dans l'exercice d'un recours administratif contre une décision de mutation, seule l'exécution de la disposition qui prévoit que l'administration s'assure que le fonctionnaire a choisi un représentant désigné par une organisation syndicale représentative et que celui-ci a bien été désigné par l'organisation syndicale représentative, ensemble la décision implicite de rejet de la demande d'annulation présentée à ce titre le 9 novembre 2021, est suspendue. »

(ord. réf. 10 février 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460761)

 

117 - Fonctionnaire territorial - Agent nommé sur un emploi unique - Annulation de la décision l'évinçant de cet emploi - Obligation de réintégration sur cet emploi, le cas échéant après retrait rétroactif de la désignation du successeur nommé - Possibilité d'une nouvelle décision d'éviction - Rejet.

Lorsque le juge administratif annule une décision ayant évincé un agent occupant un emploi unique - ainsi, en l'espèce, celui de directeur de l'agence du tourisme de la Corse -, l'intéressé bénéficie, en exécution de cette annulation, d'un droit à réintégration dans l'emploi unique dont il a été écarté. Si un autre agent a été nommé entre-temps pour le remplacer, il incombe à la collectivité concernée de retirer rétroactivement la nomination du successeur.

En revanche, il est possible à la collectivité employeur, après réintégration de l'agent, de mettre fin à ses fonctions par une nouvelle décision sans effet rétroactif, cette nouvelle décision fait alors obstacle à la réintégration dans les fonctions ressortissant de cet emploi unique.

C'est donc en vain que le successeur de l'agent irrégulièrement évincé critique l'arrêt d'appel qui l'a débouté de sa demande d'annulation du retrait rétroactif de sa propre nomination.

(14 février 2022, M. D. c/ collectivité de Corse, n° 431760)

 

118 - Rente viagère d'invalidité - Détermination du taux d'invalidité imputable à une infirmité - Accord sur un taux des experts consultés - Médecin se dédisant - Taux retenu conforme à celui préconisé originairement par ce dernier - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante, fonctionnaire territorial, a fait l'objet d'une constatation d'inaptitude absolue et définitive à exercer toutes fonctions à raison de diverses infirmités imputables au service. Mise à la retraite pour invalidité, elle a demandé que le taux de l'une des composantes de sa pension de retraire, la rente viagère d'invalidité, soit porté de 5% à 20%.

Pour rejeter sa demande alors que l'ensemble des avis rendus par les experts consultés, qui ont été soumis à la commission départementale de réforme, s'accordent sur le fait que la névrose à composante dépressive dont est atteinte la requérante, est intégralement imputable au service et entraine un taux d'invalidité de 20 %, le tribunal administratif a retenu le taux de 5%. Il s'est fondé pour cela sur ce que l'un des médecins qui avait proposé un taux de 20% dans son avis du 4 mars 2014 s'est dédit et, par un nouvel avis, du 20 mai 2016, a ramené sa proposition à 5%.

Le jugement est annulé pour dénaturation des pièces du dossier. Si l'on admet la solution au fond, il paraît cependant excessif d'apercevoir dans le jugement une dénaturation : une erreur sur l'exactitude matérielle des faits voire, à la limite, une erreur de droit ,nous aurait semblé une qualification plus exacte.

(17 février 2022, Mme D., n° 436733)

 

119 - Fonctionnaire de l'État – Calcul des droits à pension de retraite – Prise en compte du temps d’emploi dans une catégorie « active » - Fonctions exercées en détachement – Exercice effectif dans un emploi « actif » - Obligation de prise en compte – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L’art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit la possibilité d’une liquidation anticipée de la pension de retraite en cas d'accomplissement de quinze années de services dans des emplois classés dans la catégorie « active », ceci afin de tenir compte du risque particulier ou des fatigues exceptionnelles que présentent certains emplois.

La requérante, qui était alors agent de l'Office national interprofessionnel des céréales, a été admise au concours de recrutement des instituteurs le 25 octobre 1990. Elle a été détachée par arrêté du ministre de l'agriculture à partir de cette date et jusqu'au 1er septembre 1993, période de sa formation en tant qu'élève-institutrice, auprès du ministère de l'éducation nationale. Elle a ensuite été titularisée dans le corps des instituteurs le 1er septembre 1993. En 2007, elle a réussi le concours de professeur des écoles et a intégré ce corps.

Elle a alors demandé que soit prise en compte pour sa carrière, dans la catégorie « active », la date du 25 octobre 1990 qui est celle du début de son détachement en qualité d’élève-institutrice, et non celle du 1er septembre 1993, date de sa titularisation dans le corps.

Cela lui ayant été refusé, elle a saisi le juge administratif d’une demande d’annulation et d’une demande indemnitaire qui ont été rejetées en première instance.

Elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté sur la question de l’indemnisation car, comme l’a relevé le tribunal administratif, elle n’avait pas formulé de demande préalable à l’administration ce qui a empêché la liaison du contentieux.

En revanche, le Conseil d’État donne raison sur la question de la légalité de la décision contestée.

En effet, sa demande de prise en compte de la date du 25 octobre 1990 comme point de départ du calcul de la durée des « services actifs » a été rejetée parce que l’emploi qu’elle occupait dans son corps d’origine, au moment de son détachement, ne relevait pas de la catégorie « active » et ne correspondait pas à des fonctions de même nature, alors même que les deux années accomplies en qualité d'élève institutrice comportaient l'exercice effectif de fonctions relevant de la catégorie « active ».

Cassant l’erreur de droit ainsi commise, le juge énonce que « les services accomplis par un fonctionnaire en détachement dans un emploi classé dans la catégorie active qui exerce effectivement des fonctions correspondant à cet emploi doivent être pris en compte au titre de cet article, quelles que soient les fonctions qu'il exerçait ou qu'il avait vocation à exercer dans son corps d'origine. ».

En raison d’une lecture particulièrement large de l’art. 24 précité la solution nous semble valoir aussi bien dans le cas où le détachement est suivi d’une titularisation que dans le cas où il n’est pas suivi d’une titularisation.

(23 février 2022, Mme E., n° 445290)

 

Libertés fondamentales

 

120 - Covid-19 - Avocats et auxiliaires de justice - Incidences pour l'exercice de leur profession de l'obligation de statut vaccinal - Professions ne bénéficiant pas de l'exception d'urgence - Rejet.

Bien que ne comportant pas des demandes strictement identiques, les deux requêtes sont jointes car toutes deux sont fondées sur l'art. L. 521-2 CJA, dirigées contre le décret du 22 janvier 2022 et justifiées par l'exercice de la profession d'avocat ou d'auxiliaire de justice avec des moyens très semblables.

En bref, est contesté le fait que l'exercice de ces professions ne figure pas parmi les exceptions à l'obligation de passe vaccinal fondées sur l'exception d'urgence celles-ci ne concernant qu'un motif impérieux d'ordre familial ou de santé.

Tout d'abord est rejetée la demande de transmission de QPC motif pris de ce que le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, a déclaré les dispositions en cause conformes à la Constitution et de ce qu’aucun changement de circonstances n'est survenu depuis cette décision qui justifierait une nouvelle saisine.

Il ajoute, ce qui peut se discuter qu'il en est ainsi « alors même que le Conseil constitutionnel ne s'est pas expressément prononcé sur le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable, dont il n'était pas saisi ». Cette dernière observation n'est-elle pas un fait nouveau ou une question nouvelle ?

Ensuite, est rejeté le moyen que les dispositions contestées font obstacle à l'exercice de leurs fonctions par les auxiliaires de justice non vaccinés et qu'elles empêchent tout citoyen non vacciné de se rendre à une convocation d'une autorité judiciaire ou administrative, ou à un rendez-vous chez un auxiliaire de justice.

Le rejet repose sur une pirouette : après avoir relevé que l'urgence ne peut être reconnue comme « faisant obstacle à l'obtention d'un justificatif de statut vaccinal » que lorsque la convocation ou le rendez-vous en cause a été fixé à un délai inférieur à celui nécessaire pour l'obtention d'un schéma vaccinal complet, le juge ajoute, ce qui est une vision irénique mais non vraisemblable des choses, « Il résulte des éléments produits postérieurement à l'audience que la Haute autorité de santé estime ce délai à 3 ou 4 semaines pour les vaccins à ARN messager. La personne qui dispose d'un délai supérieur pour se rendre à la convocation ou au rendez-vous en cause ne peut ainsi se prévaloir de cette exception d'urgence, dès lors qu'elle dispose du temps nécessaire, soit pour réaliser un schéma vaccinal complet, soit pour organiser son déplacement selon d'autres modalités ».  Est-ce à dire qu'en cas de délai d'une durée inférieure, les auxiliaires de justice doivent bénéficier de l'exception d'urgence ?

Il eût été plus simple et plus sain d'exciper de l'importance subsistante de la circulation du virus pour dire justifié le refus d'étendre l'exception d'urgence.

(ord. réf. 10 février 2022, Mme D., n° 460801 ;  M. C., n° 46101, jonction)

 

121 - Droit d’asile – Octroi de conditions d’accueil matérielles décentes (allocation pour demandeur d’asile) - Privation des mesures prévues par la loi en cas de refus d’accorder l’asile – Atteinte à une liberté fondamentale – Condition d’exercice des pouvoirs dévolus au juge par l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

Une ressortissante mauritanienne à qui l’asile a été définitivement refusé, sollicite pour son fils, né en mars 2021, l’octroi de l’asile ainsi que, en tant que de besoin, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil d’asile.

Elle conteste devant le Conseil d’État le rejet en première instance de sa requête en référé liberté. L’appel est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle les principes régissant le contentieux du refus d’octroi de la protection asilaire.

On sait que les demandeurs d’asile ont droit, pendant le temps d’instruction de leur demande, à une garantie d’octroi sous la forme de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA).

Il est ici tout d’abord jugé – et rappelé – que la privation des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d’asile, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile.

Ensuite, le juge du référé liberté ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA en adressant une injonction à l'administration que dans le respect d’une double condition relative au comportement de l’administration :

1°/ une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile ;

2°/ des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale.

Enfin, à supposer ces deux conditions réunies, les mesures que peut ordonner le juge des référés doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration ainsi que des diligences qu'elle a déjà accomplies.

En l’espèce, le premier juge n’a pas commis d’erreur de droit ou dans la qualification des faits en estimant n’y avoir en l’espèce une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 23 février 2022, Mme B., n° 461469)

 

Police

 

122 - Police sanitaire - Covid-19 - Autorisation limitée de la pratique de la danse - Rejet.

La requérante contestait la légalité des dispositions du 6° de l'article 35 du décret du 29 octobre 2020 relatif à l'épidémie de Covid 19 qui n'autorisent la pratique de la danse que dans certains établissements et pour certains publics. En particulier, elle relevait la différence de traitement  entre l'autorisation de cours de danse durant le temps d'éducation physique et sportive obligatoire dans les enceintes scolaires  et la prohibition de cette discipline dans les établissements recevant du public de type R d'enseignement artistique.

Il lui est répondu, au soutien du rejet de la requête, que la différence de traitement ainsi imposée par le premier ministre correspond « à une différence de situation tenant en particulier au lieu et au cadre d'exercice de l'activité comme aux garanties sanitaires susceptibles d'être mises en œuvre et contrôlées qui est en rapport avec l'objet de la mesure destinée à garantir la santé publique en limitant la propagation de l'épidémie de Covid 19 ». La motivation est en trompe-l'oeil : en quoi est-il démontré qu'il ne serait pas possible de s'assurer que s'agissant des lieux, des garanties sanitaires et des contrôles, ces derniers établissements satisfont aux exigences ?

Surtout, la démonstration, à l'inverse, que les établissements scolaires y satisfont par présomption, n'est guère faite ici.

(3 février 2022, Mme A., n° 447400)

 

123 - Police de la circulation - Infraction routière - Contestation - Régime de la consignation - Rejet.

Le propriétaire d'un véhicule s'est vu retirer quatre points de son capital de points pour infraction routière. Arguant de ce qu'il était bien le détenteur de la carte grise mais pas le conducteur du véhicule, il a formé devant l'officier du ministère public une requête en exonération de l'amende forfaitaire afférente à l'infraction relevée et a cependant acquitté quelques jours après le montant de l'amende forfaitaire minorée de 90 euros, comme il l'avait indiqué dans la lettre accompagnant sa requête.

Il a précisé, dans un courrier, procéder à ce règlement en qualité de titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule en infraction sans reconnaître en être le conducteur, et a affirmé avoir, par son versement de 90 euros, non pas payé l'amende mais la consignation du montant de l'amende forfaitaire imposée par l'article 529-10 du code de procédure pénale préalablement à la requête en exonération.

Le Conseil d'État, annulant la décision des premiers juges, décide que cette circonstance ne suffit pas à établir que le demandeur aurait procédé à la consignation du montant de l'amende d'autant que cette consignation ne pouvait être limitée au montant de l'amende forfaitaire minorée. Par suite, la réalité de l'infraction doit être regardée comme établie dans les conditions prévues à l'article L. 223-1 du code de la route.

C'est donc à tort que l’intéressé a demandé le rétablissement des points retirés.

(3 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 453319)

 

124 - Covid-19 - Urgence sanitaire - Interdiction de recevoir du public - Terrains de campage et de caravanage - Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le décret du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'il interdit aux terrains de campage et de caravanage de recevoir du public.

Il n'y a pas d'inégalité de traitement du fait que les hôtels et hébergements similaires peuvent recevoir du public, à l'exclusion des villages vacances, maisons familiales et auberges collectives. En effet, cette possibilité d'ouverture avait pour but de permettre la poursuite des activités professionnelles qui nécessitent des déplacements et ainsi la possibilité d'un hébergement sur place. Au regard de la nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation, les hôtels et hébergements similaires se trouvaient ainsi, par rapport à l'objet de la mesure, dans une situation différente de celle des campages qui ont une visée principalement touristique.

Encore une décision qui ne convaincra que les convaincus...

(17 février 2022, Société De Camp, n° 44082

 

125 - Police des manifestations sur la voie publique - Liberté d'expression et de communication - Cortège de véhicules convergeant vers Paris puis Bruxelles dit « Convoi de la liberté » - Manifestation non déclarée - Interdiction - Rejet.

Diverses organisations, en vue de protester contre un certain nombre de choses et d'obtenir certains résultats, ont prévu, sur le modèle retenu au Canada en vue du blocage de sa capitale, une manifestation de véhicules dite « convoi de la liberté » devant converger vers Paris puis vers Bruxelles. Cette manifestation, qui n'a pas été déclarée, contrairement aux dispositions du code de la sécurité intérieure régissant les manifestations sur la voie publique, a été interdite par arrêté du préfet de police de Paris.

De cet arrêté le requérant a demandé la suspension au moyen d'un référé liberté, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.

L'appel interjeté contre ce rejet est, à son tour, rejeté par le Conseil d'État, d'une part en raison de l'irrégularité rappelée plus haut et qui n'est pas corrigée par la déclaration préalable effectuée par le requérant au titre du groupe « Convoy France via Toulouse », faite seulement le 10 février à 13 heures 43, peu avant la saisine du juge des référés du tribunal administratif, d'autre part en raison de risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de survenir du fait de la volonté de blocage des voies et lieux symboliques de Paris, comme il s'en est produit au Canada.

Il s'ensuit qu'en dépit du caractère de libertés fondamentales, au sens de l'art. L. 521-2 CJA, de certaines des libertés invoquées par le requérant, la mesure critiquée ne porte pas à celles-ci une atteinte grave et manifestement illégale.

(ord. réf. 12 février 2022, M. C., n° 461417)

 

Professions réglementées

 

126 - Mandataires judiciaires à la protection des mineurs - Arrêté du 7 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales - Définition de référentiels susceptibles d'effets sur la profession - Explications intervenues à l'audience - Rejet dans cette mesure.

Les requérants se plaignaient de ce que l'arrêté du 7 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales définit des référentiels susceptibles de fonder les contrôles des services de l'État dont les mandataires judiciaires à la protection des majeurs font l'objet au titre de leur activité, et leur impose ainsi de nouvelles obligations, sans fondement textuel, et ce en partie en contradiction avec les obligations qui leur incombent.

Le juge des référés observe que les termes de l'arrêté litigieux « sont certes de nature à créer une ambiguïté que l'on ne peut que regretter, d'autant que dans une ordonnance n° 448698 du 12 février 2021, le juge des référés du Conseil d'État a déjà eu l'occasion de statuer sur une requête introduite par les représentants de la profession contre un guide ministériel relatif à leur activité en relevant des maladresses de formulation sur sa portée. Néanmoins, les échanges intervenus au cours de l'audience sur la présente demande ont confirmé que l'administration n'entendait pas donner à ces référentiels de portée autre que celle qui leur revient, ce à quoi il lui incombera de veiller strictement. »

C'est sous le bénéfice de la présomption d’une application effective de cet engagement que le référé est rejeté.

(ord. réf. 7 février 2022, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et autres, n° 460373)

 

127 - Médecin - Sanction disciplinaire pour recours à des procédés de publicité - Moyen d'illégalité sérieux - Conséquences difficilement réparables - Sursis à l'exécution du jugement ordinal.

Pour ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision disciplinaire interdisant à un médecin, pour six mois, dont trois avec sursis, l'exercice de sa profession, le juge de cassation retient deux éléments.

En premier lieu, est admise l'existence de conséquences difficilement réparables même si, alors que l'intéressé exerce en France et au Royaume-Uni, ces conséquences ne concernent que la part française de ses activités.

En second lieu, il est relevé que le motif de la sanction (usage de procédés directs ou indirects de publicité) est tiré des dispositions de l'art. R. 4127-19 du code de la santé publique lesquelles sont incompatibles avec le droit de l'Union, est entaché d'erreur de droit.

(2 février 2022, M. A., n° 459264)

(128) V. aussi, rappelant que le Conseil d'État ne peut être saisi d'une décision juridictionnelle d'un conseil national d'ordre professionnel (ici l'ordre des médecins) que par voie de pourvoi en cassation, éventuellement assorti d'une demande qu'il soit sursis à l'exécution de la décision juridictiuonnelle contestée, mais non par la voie d'un référé suspension de l'art. L. 521-1 CJA : ord. réf. 2 février 2022, M. D., n° 460827.

 

129 - Conventions conclues entre professionnels de santé et caisses de sécurité sociale - Procédure de déconventionnement en urgence d'un professionnel de santé - Suspension temporaire d'une convention - Incertitude sur la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » - Rejet.

 (11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V. au n° 146

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Juge du référé-liberté - Soumission d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - Absence d'urgence - Refus de transmission au Conseil d'État - Absence de moyen sérieux en cassation - Inopérance des griefs d'inconstitutionnalité - Rejet.

Le demandeur avait saisi le juge du référé liberté d'une QPC mais ce dernier, constatant l'absence d'urgence a décidé de ne pas la transmettre au Conseil d'État.

Il se pourvoit contre l'ordonnance de rejet, en vain.

Constatant qu'au soutien de son pourvoi le demandeur ne développe aucun moyen sérieux de cassation de nature à justifier l'admission du pourvoi, ceci a pour effet de rendre inopérants les griefs d'inconstitutionnalité et entraîne le rejet de la demande d'annulation du refus de transmission.

(ord. réf. 1er février 2022, M. C., n° 457121)

 

131 - Opposition au contrôle des agents de l'administration fiscale - Sanctions susceptibles d'être infligées - Article 1732 du CGI - Atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis - Question présentant un caractère sérieux - Transmission de la question ordonnée.

En cas d'opposition à un contrôle exercé par des agents de l'administration fiscale, l'art. 1732 du CGI prévoit l'infliction d'une amende fiscale de 100%, d'une amende correctionnelle de 25 000 euros et six mois d'emprisonnement en cas de récidive.

Le requérant soutenait la méconnaissance par ce lourd arsenal répressif du principe de nécessité et de celui de proportionnalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d'État y aperçoit une question de caractère sérieux justifiant sa transmission.

(8 février 2022, M. F., n° 458277)

 

132 - QPC soulevée devant le juge administratif des référés - Rejet en première instance pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence - Non transmission de la question au Conseil d'État - Pourvoi contre l'ordonnance rendue pour l'un de ces motifs - Pouvoirs du Conseil d'État - Rejet.

Ainsi qu'il l'a déjà jugé le Conseil d'État rappelle  en premier lieu que le juge administratif des référés de première instance, saisi sur le fondement des art. L. 521-1, L. 521-2 ou L. 522-3 du CJA peut rejeter la demande de transmission d'une QPC soulevée devant lui pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence et décider, par suite, de ne pas transmettre cette question au Conseil d'État.

En second lieu, il rappelle également que, saisi d'un pourvoi dirigé contre l'ordonnance de référé rejetant la demande de transmission de la QPC, sur le fondement des articles L. 521-1 ou L. 522-3 du code de justice administrative, pour l'un des trois motifs susrappelés, le Conseil d'État peut, si une QPC est alors soulevée pour la première fois devant lui, rejeter le pourvoi qui lui est soumis et décider de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Toutefois, pour respecter les prescriptions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, sa décision  jugeant que l'ordonnance attaquée a pu, régulièrement et à bon droit, opposer, selon le cas, l'incompétence de la juridiction administrative, l'irrecevabilité de la demande ou le défaut d'urgence, doit elle-même être rendue dans le délai de trois mois prévu par cette disposition. 

(11 février 2022, Mme D., n° 458613)

 

133 - Bio-déchets – Tri et recyclage – Autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologiques – Subordination à l’instauration au niveau local de la généralisation du tri à la source des bio-déchets – Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Est transmise au Conseil constitutionnel en raison de son caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution que réalise l’art. L. 541-1 du code de l’environnement en ce qu’il subordonne l'autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologiques, de l'augmentation de capacités d'installations existantes ou de leur modification notable « au respect, par les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, de la généralisation du tri à la source des biodéchets » et en ce que cette disposition ne se borne pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de l'article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets.

(24 février 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage, Association pour la méthanisation des déchets et Association Amorce, n° 456190, n° 456272 et n° 456432)

 

134 - Communication des documents préparatoires – Absence de droit à leur communication pendant l’élaboration de la décision qui fait suite à ces documents (art. L. 311-2 CRPA) – Non-contrariété à un droit ou à une liberté que garantit la Constitution - Refus de transmission d’une QPC à cette fin.

(24 février 2022, Société « Le Parisien libéré » et Mme B., n° 459086)

V. n° 7

 

135 - Interdiction de l’usage du plastique pour le conditionnement des fruits et légumes frais – Invocation de la Charte de l’environnement au soutien d’une QPC – Caractère néfaste pour la santé des emballages de substitution au plastique – Rejet de la demande de transmission.

A l’appui d’un recours tendant à l'annulation du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le syndicat requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que le 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement dont le décret attaqué fait application, porte atteinte à divers droits et libertés que la Constitution garantit.

Le Conseil d’État rejette tous les moyens développés à l’appui de la demande de transmission de la QPC.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, l'obligation instaurée par le législateur à compter du 1er janvier 2022 ne méconnaît ni le préambule de la Charte de l'environnement ainsi que ses articles 1er, 2, 5 et 6, ni l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement. D’abord, le Préambule et les art. 5 et 6 de la Charte ne concernent pas des droits et libertés susceptibles d’être au fondement d’une QPC. Ensuite, les art. 1er et 2 de ce texte ne sont pas méconnus par la disposition litigieuse du fait que l’emballage en plastique accroîtrait la durée de vie des produits alors que l’utilisation d’autres emballages, moins protecteurs, augmenterait le gaspillage alimentaire. Enfin, l’objectif de lutte pour la protection de l’environnement justifie l’interdiction édictée.

Ensuite, ne présente pas un caractère sérieux le moyen selon lequel les nouvelles formes d’emballage pourraient avoir des conséquences néfastes sur la santé car d’une part, la mesure adoptée vise non la protection de la santé mais celle de l’environnement, d’autre part, n’est imposée aucune forme d’emballage de substitution.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre mais bien en rapport avec l’objectif environnemental poursuivi. Au surplus, la prohibition n’est entrée en vigueur que vingt-deux mois après la décision l’instituant et elle n'est applicable ni aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus, ni aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac.

(28 février 2022, Syndicat Alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance), n° 458440)

(136) V. aussi, identique pour l’essentiel : 28 février 2022, Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), fédération Les producteurs de légumes de France (Légumes de France), Coordination rurale union nationale (La coordination rurale), Association Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFeL), Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes (ANEEFEL) et Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes frais (CSIF), n° 459387.

 

137 - QPC dirigée contre des dispositions législatives déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel – QPC recevable seulement en cas de survenance postérieure d’un changement de circonstances – Absence en l’espèce – Refus de transmission.

Dans ces deux espèces est refusée la transmission de QPC en matière fiscale, la première relative aux dispositions du I de l’art. 1647 E du CGI concernant la cotisation de taxe professionnelle, la seconde aux dispositions du I de l’art. 1586 sexies du CGI concernant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, car elles ont toutes deux été déclarées conformes à la Constitution par deux décisions du Conseil constitutionnel (n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 pour l’art. 1647 E et n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, pour l’art. 1586 sexies).

Seule la survenue d’un changement de circonstances postérieur à chacune de ces décisions, ce qui n’est pas le cas de ces espèces, aurait pu, si l’ensemble des conditions posées à l’art. 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel avaient été, en outre, réunies, aurait pu ouvrir à transmission de l’une et/ou l’autre QPC.

(28 février 2022, Société Ricoh France, n° 458922 ; 28 février 2022, Société Ricoh France, n° 458924, deux espèces)

 

Responsabilité

 

138 - Contamination par le virus de l'hépatite C - Contamination résultant d'une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang - Charge de l'indemnisation - Entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale - Existence, ou non, d'une action juridictionnelle en responsabilité - Annulation.

 Il résulte de l'art. L. 1221-14 du code de la santé publique, dans sa version issue des art. 67 et 72, respectivement des lois du 17 décembre 2008 et du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2009 et 2013, que, pour les actions juridictionnelles en responsabilité engagées à compter du 1er juin 2010 en raison d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang, l'ONIAM, qui assure, au titre de la solidarité nationale, l'indemnisation des préjudices subis par les victimes, peut, ainsi que, le cas échéant, les tiers payeurs, exercer une action subrogatoire contre l'Établissement français du sang venu aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine, à la double condition que l'établissement de transfusion sanguine en cause ait été assuré et que sa couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou venue à expiration. 

S'agissant de celles des actions qui, dirigées contre l'Établissement français du sang,  étaient en cours au 1er juin 2010, l'ONIAM est substitué à cet établissement « dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ». Sous ces conditions, l'ONIAM répond à l'égard du tiers payeur ayant indemnisé la victime de l'ensemble des obligations qui incombaient initialement à l'Établissement français du sang.

A contrario, un tiers payeur n'est pas recevable à exercer une action subrogatoire à l'encontre de l'ONIAM, substitué à l'Établissement français du sang, si aucune action juridictionnelle n'était en cours au 1er juin 2010.

Doit donc être annulé pour erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge cette condition remplie par une demande d'expertise alors que dans un tel contentieux  les tiers payeurs ne doivent pas être appelés en cause et alors, au surplus, que l'intéressée n'avait saisi le tribunal administratif d'une requête indemnitaire tendant à la réparation de préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C que le 16 novembre 2012. 

(1er février 2022, ONIAM, n° 439169)

 

139 - Responsabilité hospitalière - Demande de réparation de préjudices consécutifs à des infections nosocomiales - Notion d'infection nosocomiale - Erreur de droit - Cassation partielle.

Un patient qui a subi une colectomie impliquant la réalisation d'une colostomie, est victime, cinq jours après, d'une rétractation de sa colostomie qui a provoqué une péritonite aiguë généralisée nécessitant une nouvelle intervention en urgence et lui laissant de nombreuses séquelles. Le tribunal administratif a jugé que cette péritonite revêtait le caractère d'une infection nosocomiale et a mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) le versement à l'intéressé d'une certaine somme au titre de la solidarité nationale.

Sur appel de l'ONIAM, la cour administrative a jugé, infirmant le jugement de première instance, que la péritonite ne revêtait pas le caractère d'une infection nosocomiale au sens des dispositions de l'art. L. 1142-1-1 du code de la santé publique, car cette infection avait pour cause directe la rétractation de la colostomie réalisée cinq jours plus tôt, accident médical non fautif qui est au nombre des complications susceptibles de survenir lorsqu'une colostomie est réalisée sur un patient souffrant de la pathologie dont la victime était déjà atteinte avant son admission à l'hôpital. 

Le Conseil d'État casse l'arrêt sur ce point pour erreur de droit en décidant qu'une infection doit être regardée comme revêtant un caractère nosocomial du seul fait qu'elle survient lors de la prise en charge du patient au sein de l'établissement hospitalier, sans qu'il ait été contesté devant le juge du fond qu'elle n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu'il était constant qu'elle n'avait pas d'autre origine que cette prise en charge. A cet égard, précise encore le juge de cassation, il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d'un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante.

Cette décision apporte une autre précision, en matière de preuve cette fois, dans le cas de perte du dossier médical ou d'éléments de celui-ci. Confirmant une ligne jurisprudentielle antérieure (20 février 2008, Mme X. et autre, n° 286505 ; 26 novembre 2012, Mme X., n° 354108), le Conseil d'État juge, d'une part, que cette perte de pièces n'est pas de nature à établir l'existence de manquements fautifs de l'établissement de santé dans la prise en charge du patient, d'autre part, que cette circonstance impose au juge saisi de tenir compte de ce que le dossier médical était incomplet, dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui étaient soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

(1er février 2022, M. B., n° 440852)

 

140 - Essais nucléaires français dans le Pacifique – Victimes de radiations ionisantes – Présomption de causalité entre les essais et une pathologie – Absence de cause étrangère – Rejet.

La ministre des armées contestait un jugement déclarant établie et non renversée la présomption de causalité entre des essais nucléaires souterrains et la pathologie dont un aide-moniteur de sports nautiques est décédé à l’âge de trente-neuf ans.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en relevant que la loi du 28 février 2017, d’une part,  a institué au profit du demandeur qui satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, le bénéfice d’une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie et, d’autre part, a décidé que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements. 

En l’espèce, où les essais nucléaires censés avoir joué un rôle causal dans la pathologie de la victime, étaient souterrains, la ministre défenderesse soutenait qu’ils ne pouvaient – à raison même de ce caractère souterrain - être la cause de la survenue de la maladie mortelle de la victime.

Confirmant les premiers juges, le Conseil d’État, estime que cette dernière bénéficie de la présomption légale de causalité du fait qu’elle a victime a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 et que la pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. C’est pourquoi il rejette l’argument selon lequel les essais nucléaires souterrains présentent des risques de contamination bien plus limités que les essais atmosphériques et qu'en sa qualité d'aide-moniteur de sports nautiques, la victime n'exerçait pas de fonctions radiologiquement exposées justifiant la mise en œuvre de mesures de surveillance spécifiques. En effet, selon lui, ces affirmations ne démontrent pas que la pathologie dont l'intéressé est décédé à trente-neuf ans résultait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires.

Autant dire que la présomption ne peut, à peu près jamais, être renversée, ce qui transforme la responsabilité prétendue en une obligation automatique et quasi inconditionnée d’assurance.

(23 février 2022, Ministre des armées n° 447408)

(141) V. aussi, confirmant la déduction précédente dans des situations de fait diverses : 23 février 2022, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 449353 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449355 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449357 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449360.

 

Santé  publique

 

142 - Covid-19 - Obligation de passe sanitaire - Illégalité en raison du taux d'anticorps de l'intéressée - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

La requérante demandait la suspension de l'exécution des dispositions du décret du 1er juin 2021 issues du décret du 7 août 2021, en ce qu'elles ne réglementent pas la situation des personnes ayant une sérologie positive. Elle voit dans cette omission une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale.

Le Conseil d'État estime peu convaincant le moyen tiré de ce que les risques liés à la vaccination et les contraintes tenant à l'application du passe sanitaire l'emporteraient sur les bénéfices individuels qu'elle pourrait en retirer, dès lors qu'elle présenterait un taux d'anticorps, mesuré par un test sérologique, qui assurerait son immunité.

Le recours est rejeté.

(2 février 2022, Mme Billy, n° 460956)

 

143 - Covid-19 – Maintien de l’obligation du port du masque en extérieur dans les écoles élémentaires – Mesure disproportionnée – Rejet.

C’est en vain que les requérants contestaient la légalité et demandaient la suspension d’exécution de la décision du premier ministre, annoncée en conférence de presse du 9 décembre 2021, de maintenir dans les écoles élémentaires l’obligation du port du masque dans les espaces extérieurs de celles-ci.

D’une part, la contamination est encore forte dans la classe d’âge de 0 à 9 ans (hospitalisations et admissions en soins critiques), d’autre part, le taux d’incidence demeure élevé pour ces derniers tandis que s’avère difficile le respect des règles de distanciation physique.

(15 février 2022, M. et Mme C., n° 461021)

(144) V. aussi, largement identique quant à l’argumentation et quant au rejet : 16 février 2022, Mme Donckof et autres, n° 461214.

 

145 - Prix des spécialités pharmaceutiques - Pouvoirs et obligations du Comité économique des produits de santé (CEPS) - Remise à la charge du titulaire des droits d'exploitation d'une spécialité - Respect du contradictoire sur demande - Fixation du prix de vente au public d'une spécialité - Prise en considération de l'amélioration du service médical rendu - Recours subsidiaire à une comparaison avec d'autres spécialités - Absence de spécialités à même visée thérapeutique - Conséquence - Annulations.

La requérante demandait l'annulation de la décision du Comité économique des produits de santé l'informant de la fixation du prix de référence de la spécialité Qizenday en vue du calcul de la remise à reverser aux URSSAF. La société ayant contesté cette décision par courriers et le CEPS n'y ayant pas donné suite, elle a constaté sur le site des URSSAF qu'avait été mise à sa charge, à leur égard, une remise d'un montant total de 177 570 543 euros. Elle demande au Conseil d'État, par deux requêtes (n° 446426 et n° 449580), l'annulation de la décision fixant le prix de référence et de celle établissant le montant de la remise.

Tout d'abord, il est jugé, sur le fondement de l'art. R. 163-33 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable, que le CEPS doit, par tout moyen ayant date certaine, informer le titulaire des droits d'exploitation de la spécialité concernée lorsqu'il envisage de prendre une décision mettant à sa charge une remise. L'intéressé dispose ensuite d'un délai de huit jours pour présenter des observations écrites au comité et, le cas échéant, demander à être entendu par lui, cette audition étant en ce cas de droit.

Après cette procédure contradictoire, le CEPS communique par écrit au laboratoire titulaire des droits d'exploitation, ainsi qu'à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, le montant définitif de la remise qu'il a arrêté. Or en l'espèce, le CEPS n'a pas fait droit à la demande de la requérante, régulièrement formée, d'être auditionnée : privant ainsi cette dernière d'une garantie, le CEPS a ainsi rendu sa décision à l'issue d'une procédure irrégulière.

Ensuite, s'agissant de la décision fixant le prix de vente au public d'un médicament, le comité était tenu, à titre principal, d'apprécier l'amélioration du service médical rendu par le médicament et pouvait, à titre subsidiaire, se référer à des comparateurs économiquement pertinents au regard des connaissances médicales avérées. Le recours à cette comparaison n'est toutefois pas possible soit qu'il n'existe pas de médicaments à même visée thérapeutique permettant une comparaison soit lorsque le laboratoire fait état de l'existence de médicaments à même visée thérapeutique commercialisés en France, si ces derniers ne constituent pas des comparateurs pertinents à même visée thérapeutique que la spécialité pour laquelle une remise est envisagée.

Or en l'espèce, le CEPS, pour fixer le prix de référence de la spécialité Qizenday produite par la requérante, a retenu comme comparateur économique pertinent la spécialité Biotine du laboratoire Bayer, composée du même principe actif que la spécialité Qizenday et dont l'indication thérapeutique est dermatologique. Cependant la requérante proposait de retenir comme comparateur la spécialité Ocrevus qui est notamment indiquée dans le traitement des patients adultes atteints de sclérose en plaques primaire progressive qui est à même visée thérapeutique. Le comité n'a pas donné suite au courrier contenant cette proposition et il n'a pas davantage, devant le Conseil d'État, apporté d'éléments de nature à justifier des raisons qui l'auraient conduit à ne pas retenir la spécialité Ocrevus comme comparateur à même visée thérapeutique que la spécialité Qizenday. C'est, par suite, c’est illégalement qu'il a décidé, à la charge de la requérante, une remise fondée sur un comparateur prétendu pertinent, d'où l'annulation de sa décision.

(11 février 2022, Société MedDay Pharmaceuticals SA, n° 446426)

 

146 - Conventions conclues entre professionnels de santé et caisses de sécurité sociale - Procédure de déconventionnement en urgence d'un professionnel de santé - Suspension temporaire d'une convention - Incertitude sur la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » - Rejet.

Les relations entre professionnels de santé (médecins, infirmiers, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes...) et caisses d'assurance maladie sont régies par des conventions conclues entre ces dernières et les organisations représentatives de ces professionnels.

Lorsqu'est constaté un manquement de l'un d'eux aux obligations découlant d'une convention, la caisse d'assurance maladie dont il relève peut engager une procédure de déconventionnement qui peut revêtir deux formes : le déconventionnement de droit commun et le déconventionnement en urgence. Le premier cas concerne les cas de violation des engagements stipulés dans la convention et le second les cas de violation particulièrement grave de la convention  ou causant un préjudice financier à la caisse.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation de l'article 1er du décret n° 2020-1465 du 27 novembre 2020 relatif à la procédure de déconventionnement en urgence des professionnels de santé libéraux. Le premier alinéa de ce texte dispose : « En cas de violation particulièrement grave des engagements conventionnels d'un professionnel de santé adhérant (à une convention), notamment dans les cas de nature à justifier, en présence d'un préjudice financier pour l'assurance maladie, le dépôt d'une plainte pénale en application du quatrième alinéa de l'article L. 114-9 [c'est-à-dire lorsqu'une fraude est constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret], le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie du lieu d'exercice du professionnel de santé, alerté le cas échéant par le directeur de tout autre organisme local d'assurance maladie concerné, peut décider de suspendre les effets de la convention à son égard pour une durée qui ne peut excéder trois mois. »

En ce cas est organisée une procédure contradictoire entre le directeur de la caisse et le professionnel de santé concerné.

S'agissant du grief de légalité externe, le lecteur est renvoyé au n° 145.

Deux moyens étaient développés au soutien de l'affirmation de l'illégalité interne du décret litigieux.

En premier lieu, il était soutenu que la mesure étant une sanction, la procédure organisée par ce décret était entachée d'illégalité. Le moyen est rejeté car précisément, une suspension temporaire n'est pas une sanction mais une simple mesure administrative destinée à sauvegarder certains intérEn second lieu, est également rejetéve destinée à sauvegarder certains intér rejeté et le professionnel de santé concerné.tativeêts.

En second lieu, est également rejeté le grief selon lequel méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ou l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » mentionnée à l'article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que le décret attaqué la précise en renvoyant notamment aux cas de nature à justifier, en présence d'un préjudice financier pour l'assurance maladie, le dépôt d'une plainte pénale en application du quatrième alinéa de l'article L. 114-9 de ce code - c'est-à-dire lorsqu'une fraude est constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret -, les dispositions attaquées ne sont donc pas équivoques et sont suffisamment précises. 

(11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V., sur un autre aspect, le n° 4

 

147 - Covid-19 - Haut conseil de la santé publique - Collège et commissions spécialisées - Avis - Conditions de fonctionnement - Consultation du conseil scientifique - Rejet.

Les requérants contestaient divers actes ou prises de position adoptés en matière de lutte contre l'épidémie de Covid-19. Tous les moyens sont rejetés, le Conseil d'État précisant ou rappelant, au fil de l'analyse, un certain nombre de points, l'essentiel se portant sur le Haut conseil de santé publique.

On en donne quelques-uns ci-après.

Tout d'abord il est rappelé que sont irrecevables les conclusions tendant à l'annulation d'avis du Haut conseil ainsi que d'un communiqué de presse du ministre de la santé ne contenant ni ne révélant une décision. Ces actes ne sont susceptibles d'être discutés au contentieux qu'à l'occasion de recours dirigés contre des décisions qui en découleraient ou s'y référeraient.

Ensuite, la circonstance que des avis du Haut conseil ont été préparés par des groupes de travail transversaux constitués selon l'article 16 du règlement intérieur, composés notamment d'experts associés et dont les travaux ont été soumis à l'approbation du président du Haut Conseil n'établit une consultation irrégulière dudit conseil.

Ne rend pas irréguliers les avis que ce conseil rend le fait qu'ils ne sont pas accompagnés d'une mention attestant du respect des règles de conflis d'intérêts ou d'impartialité par les personnes qui y ont pris part.

Enfin, s'agissant du conseil scientifique, si celui-ci rend périodiquement des avis sur les mesures propres à mettre un terme à la catastrophe sanitaire, il n'a pas à être saisi pour avis préalablement à l'édiction de chacune de ces mesures. 

(17 février 2022, Mme K. et autres, n° 441292)

 

Service public

 

148 - Ligue de football professionnel - Mission de service public administratif - Litige relatif à la commercialisation et à la redistribution des produits d'exploitation audiovisuelle des rencontres sportives - Activité n'entrant pas dans la mission de service public - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Rejet.

Les requérantes avaient saisi le juge administratif de recours tendant à l'annulation  de la décision du 24 février 2021 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a adopté le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021, ainsi que son annexe intitulée « Guide de répartition droits audiovisuels Ligue 1 saison 2020/2021 ».

Il est jugé que si la Ligue est une personne morale de droit privé qui s'est vu confier une mission de service public administratif consistant à gérer le football professionnel, notamment l'organisation et la règlementation des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, seuls les litiges relatifs aux actes et décisions pris par elle dans l'exercice d'une prérogative de puissance publique pour l'accomplissement de cette mission relèvent de la compétence de l'ordre administratif de juridiction. Tel n'est pas le cas d'un litige portant sur la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle et qui concerne la redistribution des produits en résultant entre les sociétés sportives propriétaires de ces droits.

(3 février 2022, Société anonyme sportive professionnelle Amiens Sporting Club Football (Amiens SC), n° 451960 ; société anonyme sportive professionnelle Toulouse Football Club (TFC), n° 451965)

 

149 - Suppression du brevet d'études professionnelles - Conditions de certification en vue du baccalauréat professionnel - Décret irrégulièrement pris - Erreur manifeste d'appréciation quant au devenir professionnel des candidats - Atteintes au principe d'égalité entre candidats et au principe de sécurité juridique - Rétroactivité - Annulation sur ce dernier point et rejet du surplus.

Les requérantes, ressortissant du secteur des instituts de beauté, de la parfumerie, des cosmétiques et de l'esthétique corporelle, demandaient l'annulation du décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles.

Elles font valoir au soutien de leurs prétentions divers moyens, tous rejetés sauf un.

En premier lieu, elles soutiennent l'irrégularité de la procédure au terme de laquelle a été pris ce décret. Ce moyen ne pouvait prospérer dans la mesure où il était fondé sur les exigences en matière de création ou modification du régime des diplômes ou titres homologués alors que le décret attaqué n'a pas pour objet de déterminer les diplômes et les titres homologués attestant de la qualification requise pour exercer les professions, ni de créer, réviser ou supprimer des diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'État relevant du champ professionnel des métiers dont les intérêts sont représentés par les organisations requérantes.

En deuxième lieu, ce texte n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il  aurait pour conséquence de priver les élèves ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel de la possibilité d'accéder aux métiers de l'esthétique, et en ce qu'il imposerait aux élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, de suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle.

En effet, s'agissant, d'abord, des élèves ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel, il leur est loisible soit de se présenter à nouveau à cet examen, le cas échéant en conservant pendant une durée de cinq ans le bénéfice des notes supérieures à dix sur vingt qu'ils auraient obtenues, soit préparer le certificat d'aptitude professionnelle, soit se présenter directement au certificat d'aptitude professionnelle en qualité de candidat libre s'ils sont âgés de plus de dix-huit ans : ils peuvent donc ainsi accéder aux métiers de l'esthétique. S'agissant ensuite, des élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, si le décret litigieux a pour effet de les contraindre à suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle, il n'en résulte pas qu'eu égard aux objectifs poursuivis par ces dispositions, qui visent notamment à revaloriser le certificat d'aptitude professionnelle, les dispositions attaquées soient à ce titre entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

En troisième lieu, en revanche, les requérantes sont fondées à soutenir que, publié au J.O. du 22 octobre 2020 et entrées en vigueur le 1er janvier 2021, les nouvelles dispositions, ainsi intervenues au milieu de l'année scolaire 2020-2021, privent les élèves scolarisés au titre de cette année- là en classes de seconde et de première professionnelles dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé sous contrat, ainsi que ceux préparant le baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage, de la possibilité de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle correspondant à la spécialité du baccalauréat professionnel postulé ou relevant du même champ professionnel et les autorisant, le cas échéant, à exercer une activité réglementée, alors même que leur inscription dans ces classes ou dans ces formations au début de l'année scolaire en cours leur en ouvrait la possibilité. Sur ce poit, le décret est annulé pour comporter des dispositions contraires à l'art. L. 221-5 du CRPA.

(4 février 2022, Confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA) et autres, n° 448017)

 

150 - Autorité administrative indépendante - Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) - Nomination du président du collège du HCERES - Irrégularités dans la procédure suivie - Absence - Situation administrative antérieure à la nomination comme président sans effet sur cette dernière - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité de la désignation du président du collège du HCERES par le président de la république. Leur recours est rejeté.

Les divers moyens de légalité externe n'ont pas convaincu le Conseil d'État :

- la circonstance que le décret présidentiel nommant le président du HCERES ait été pris deux jours avant celui du premier ministre désignant les membres de cet organisme n'entache pas ces décrets d'iilégalité, ceux-ci étant entrés en vigueur à la même date ;

- la ministre compétente pouvait faire un appel à candidatures en vue de pourvoir la fonction de président du HCERES, aucune disposition non plus qu'aucun principe n'y faisant obstacle;

- n'est pas davantage irrégulier le fait que le premier ministre ait publié le décret de désignation des membres de ce conseil plus d'un an après la fin du mandat des précédents membres de son collège en dépit de ce que  l'art. 5 de la loi du 20 janvier 2017 impartit de le faire au moins huit jours avant la fin des mandats précédents, ce délai n'étant pas prescrit à peine de nullité ;

- n'est pas, non plus, retenu le moyen de défaut d'impartialité de la décision litigieuse, fondé sur ce que deux membres de la commission ayant auditionné les candidats aux fonctions de président du collège du HCERES, l'une présidente d'université et présidente de la Coordination des universités de recherche intensive françaises et l'autre directeur général délégué à la science du CNRS, aient entretenu des relations avec la personne finalement retenue dès lors qu'il ne s'agissait point  de liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui auraient été de nature à influer sur leur appréciation de sa candidature ; tout comme n'est pas retenue la circonstance que l'une de ces deux personnes faisait partie du collège de déontologie du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui avait recommandé de reprendre la procédure permettant de proposer au président de la république la nomination d'un membre du collège en tant que président du collège du HCERES, car cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie.

Pareillement est rejeté le principal grief touchant à la légalité interne et fondé sur le fait que la personne nommée était, jusqu'au jour de sa nomination, conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche au cabinet du président de la république, ce qui ne saurait faire obstacle à sa nomination en tant que président du collège du HCERES. 

Ces questions de soupçon de partialité ou de « petits arrangements entre amis » sont irritantes car elles interviennent constamment dans des nominations à ce genre de postes et elles sont aussi difficiles à étayer qu'à réfuter ce qui laisse au juge, en dépit des incertitudes, une très grande marge de manoeuvre, ses propres décisions suscitant à leur tour ce même malaise.

En réalité, et de façon plus profonde, ceci révèle un mal profond : l’administration contemporaine a perdu sa légitimité ancestrale et nombre de citoyens et de réseaux sont portés, d’abord, à regarder ce qu’il y a derrière le miroir, oubliant qu’il existe une présomption d’innocence des personnes et, pour l’administration d’un État démocratique, une présomption de conformité de ses décisions et de son action au droit.

(4 février 2022, M. AG. et autres, n° 448315)

 

151 - Diplôme national du baccalauréat - Modalité de prise en compte des notes de contrôle continu pour l'attribution de ce diplôme - Harmonisation des notes - Atteinte au principe de sécurité juridique - Atteinte à la liberté pédagogique de l'enseignant - Absence d'équité dans l'évaluation des connaissances des candidats - Rejet.

En raison de l'épidémie de Covid-19, l'État a été conduit à accentuer dans les conditions d'obtention du baccalauréat la part des notes de contrôle continu pour l'obtention de ce diplôme telle qu'elle résultait de l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et au baccalauréat technologique. Puis, par l'arrêté du 27 juillet 2021 portant adaptations des modalités d'organisation du baccalauréat général et du baccalauréat technologique à compter de la session 2022, ce mécanisme est destiné à devenir pérenne faisant désormais de plus en plus du baccalauréat un simple diplôme de fin d'études et de moins en moins le premier diplôme de l'enseignement supérieur, augurant ainsi d'une sélection plus ou moins inéluctable pour l'accès à l'université.

Le syndicat requérant invoquait au soutien de sa demande d'annulation  de ce dernier arrêté plusieurs moyens, tous rejetés.

Désormais, la part du contrôle continu entrant pour 40% dans le calcul des points nécessaires à l'obtention du baccalauréat, une commission d'harmonisation des notes de contrôle continu est chargée de prendre connaissance de ces notes, de s'assurer de l'absence de discordance manifeste entre ces notes et de procéder, si nécessaire, à leur harmonisation.

Le Conseil d'État estime tout d'abord infondé le reproche d'atteinte à la sécurité juridique résultant des modifications apportées successivement au cours des trois dernières années au régime du baccalauréat par suite d'épidémie de Covid-19.

Il rejette également le moyen, pourtant non négligeable, d'atteinte à la liberté pédagogique et de dénaturation de la relation pédagogique entre les enseignants et leurs élèves ainsi qu’à l'objet de l'évaluation des élèves.

Enfin, ne prospère pas davantage aux yeux du juge l'argument tiré de ce que l'accroissement de la part du contrôle continu prise en compte dans la note finale du baccalauréat porte atteinte au respect des conditions d'équité dans l'évaluation des connaissances des candidats en vue de la délivrance d'un diplôme national. 

Heureusement persiste la manie de réformer sans cesse le baccalauréat qui, peut-être, conduira à revenir sur une situation qui n'aurait de justification qu'accompagnée d'une sélection pour l'accès à l'enseignement supérieur à moins que l'on ne veuille accroître encore davantage la distinction universités/grandes écoles.

(4 février 2022, Syndicat Action et Démocratie, n° 457051)

 

152 - Centre pénitentiaire de Nouméa - Exécution des décisions contenues dans des décisions de justice antérieures - Exécution partielle, injonction pour les décisions encore inexécutées - Injonction sous astreinte.

Cette décision est la poursuite d'un lamentable feuilleton dont le scenario est tragique.

L'état désastreux du centre pénitentiaire de Nouméa (les deux énumérations ci-dessous sont éloquentes) a conduit le juge administratif, aiguillonné par l'organisation ici encore requérante à rendre plusieurs décisions contraignant l'administration pénitentiaire à prendre, si l'on peut dire, « le taureau par les cornes » pour mettre un terme à une situation qui n'a que trop duré.

Le juge était saisi, sur le fondement des art. L. 911-4 et L. 911-5 en sa qualité de juge de l'exécution de décisions antérieures (ordonnance du 19 févier 2020, décisions n° 439372 du 19 octobre 2020 et n° 439333 du 18 novembre 2020).

Si le juge se dit satisfait des mesures d'hygiène prises dans le quartier du centre de détention pour hommes et de maison d'arrêt, notamment dans les cellules constituées d'agglomérats de conteneurs maritimes, de la possibilité donnée aux prisonniers de laver leur linge, de la mise aux normes des installations électriques, du remplacement des ventilateurs cassés ou défectueux, de la lutte contre les remontées d'égouts dans les promenades, de l'aménagement de salles d'attentes n'étant plus insalubres et  des parloirs, installation d'abris dans les cours de promenade, séparation des annexes sanitaires dans les cellules, luminosité des cellules, aménagement des abords des conteneurs utilisés comme cours de promenade, installation d'urinoirs dans les cours de promenade du centre de détention fermé, il relève également la persistance de points noirs (accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, prolifération des moustiques, remplacement des fenêtres défectueuses).

Concernant les points qui demeurent à faire, une astreinte de 1 000 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'État s'il n'est pas justifié de leur exécution dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. 

(11 février 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 452354)

 

Sport

 

153 - Cycliste - Prise de substances prohibées - Condamnation initiale à quatre ans d'interdiction de participer à certaines manifestations sportives - Réduction de ce délai à deux ans par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Recours de la présidente de l'AFLD - Réduction irrégulière - Annulation et rétablissement de la durée de quatre ans.

Une personne licenciée de la Fédération française de cyclisme, a fait l'objet d'un contrôle anti dopage qui a révélé la présence de substances interdites dans le sang, ce qui a conduit cette fédération à prononcer à son encontre la sanction d'interdiction pendant quatre années de participer à certaines manifestations sportives.

Le collège de l'AFLD, saisi du dossier transmis par la Fédération française de cyclisme, a réduit à deux années la durée de la sanction. La présidente de l'AFLD a saisi le Conseil d'État de cette dernière décision.

Celui-ci estime que si la durée des interdictions prononcées pouvait être réduite, par une décision spécialement motivée, dès lors que les circonstances particulières de l'affaire le justifiaient au regard du principe de proportionnalité, sans que cette faculté soit limitée, il résulte de ce qu'après avoir relevé que le contrevenant avait utilisé des substances non spécifiées, sans autorisation d'usage thérapeutique ni raison médicale dument justifiée, et sans s'assurer de la composition du produit en cause, la commission des sanctions de l'AFLD ne pouvait légalement, pour décider la réduction de la durée des sanctions, retenir la « forte emprise » de l'entraîneur sur l'intéressé et sur l'ignorance dans laquelle ce dernier aurait été du caractère dopant des substances en cause, ce que l'instruction ne permettait pas d'établir, ainsi que sur le jeune âge du sportif et sur son absence d'éducation antidopage.

Le Conseil d'État rétablit la sanction dans sa durée initiale de quatre ans.

(7 février 2022,  Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, n° 447333)

(154) V. aussi, la solution inverse adoptée dans une affaire très voisine mais où le contrevenant avait fait état d'explications crédibles pouvant permettre de penser que sa prise de substances prohibées n'avait pas été intentionnelle : 7 février 2022,  Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, n° 452029.

 

Travaux publics et expropriation

 

155 - Ouvrage public - Responsabilité du maître d'ouvrage envers les tiers du chef de l'ouvrage - Régime et exclusions - Caractère du préjudice en cas de dommage accidentel - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Le requérant demandait réparation du préjudice causé au mur de sa propriété par un remblai adossé au droit de sa parcelle du fait de la construction, par une commune, d'une maison de santé. Il avait demandé au maire de la commune de prendre les dispositions nécessaires à l'effet de faire cesser cette situation. Les juges du fond ont rejeté le recours qu'il avait formé contre le rejet implicite de sa demande.

Le juge de cassation, accentuant fortement et éclaircissant une jurisprudence récente (10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône c/ EDF, n° 411961) décide :

1°/  Que le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

2°/ Que, dans l'hypothèse où le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et revêt ainsi un caractère accidentel, les tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi.

En l'espèce, la cause du  dommage dont se plaint le requérant réside dans la poussée exercée sur le muret de clôture de sa propriété par les terres remblayées par la commune pour la réalisation du parking de la maison de santé. Ce dommage résulte ainsi de l'absence de dispositif de soutènement des terres ainsi remblayées. Il n'est donc pas inhérent à l'existence même de la maison de santé et de son parking. Alors que le dommage ne présentait ainsi pas le caractère de dommage permanent et constituait, par conséquent, un dommage accidentel, la cour administrative d'appel, en ne retenant pas cette dernière qualification, a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

(8 février 2022, M. C., n° 453105)

(156) V. aussi, voisine, la décision rappelant que le régime de responsabilité sans faute à prouver du chef de dommages causés aux tiers par un ouvrage public ne s'applique pas dans le cas où les dommages sont imputés à l'absence d'un tel ouvrage : 11 février 2022, M. et Mme G., n° 449831.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

157 - Délibération portant transfert de propriété d'un bien du domaine privé communal en vue de la construction de logements - Décision créatrice de droits même si elle est assortie d'une clause résolutoire - Erreur de droit - Refus d'indemnisation - Annulation partielle.

 (3 février 2022, Société anonyme HLM Immobilière Atlantic Aménagement, n° 438196)

V. n° 11

 

158 - Déclaration de travaux - Construction d'une station relais de téléphonie mobile - Décision tacite de non-opposition à travaux - Opposition postérieure du maire - Retrait impossible - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui rejette le recours en annulation d'un opérateur de téléphonie mobile dirigé contre l'opposition du maire à la réalisation des travaux d'édification d'une station relais de téléphonie mobile alors qu'était déjà née une décision tacite de non-opposition.

En effet, la société avait déposé une déclaration de travaux le 11 mars 2020, devant être regardée comme complète à la date du 28 avril 2020, à laquelle le maire a attesté la réception de pièces complémentaires.

L'ordonnance du 25 mars 2020 a prorogé les délais échus pendant la période d'urgence sanitaire laquelle s'est achevée le 8 mai 2020, date de la publication au Journal officiel du décret du 7 mai 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

Le délai de formation d'une décision tacite de non-opposition à travaux en matière de relais de téléphonie mobile a donc débuté le 9 mai 2020 et s'est achevé le 9 juin 2020, date où est née cette décision tacite.

Le maire ne pouvait pas, par sa décision du 19 juin 2020, s'opposer à la demande de la requérante puisque cela constituait le retrait d'une décision créatrice de droits alors que l'art. 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dispose que : « Á titre expérimental, par dérogation à l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme et jusqu'au 31 décembre 2022, les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques ne peuvent pas être retirées. (...) ».

(7 mai 2022, Société Free Mobile, n° 445862)

 

159 - Permis de construire valant permis de démolir - Permis concernant un établissement recevant du public - Règles spécifiques d'aménagement interne - Obligation s'imposant au pétitionnaire - Absence de précision sur ce point dans le permis - Exigence d'une mention spéciale par le maire sur le permis délivré - Rejet.

De cette décision relative à un permis de construire valant permis de démolir en vue de l'édification d'un immeuble collectif, on retiendra surtout le point suivant.

L'aménagement intérieur de locaux constitutifs d'un établissement recevant du public, nécessite une autorisation spécifique au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation.

En aucun cas le permis de construire ne saurait valoir autorisation au sens de la disposition précitée.

C'est pourquoi, s'il est possible de délivrer un permis de construire alors que cet aménagement intérieur n'est pas connu lors du dépôt de la demande de permis de construire, le permis délivré doit mentionner expressément l'obligation de demander et d'obtenir une autorisation complémentaire avant l'ouverture au public, et ce alors même que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignerait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation. 

(11 février 2022, Mme B. et autres, SCI Allayan, n° 448357)

 

160 - Permis de construire un complexe cinématographique - Demande d'annulation - Recours formé par une association - Intérêt à agir - Intérêt non reconnu - Qualification inexacte des faits - Annulation.

L'arrêt d'une cour administrative d'appel déniant à une association l'intérêt à agir contre le permis - délivré le 12 juillet 2016 - de construire un complexe cinématographique avec douze salles et 1 614 fauteuils, une salle polyvalente, un hall, deux commerces de restauration et des locaux d'exploitation, est annulé.

Le Conseil d'État aperçoit dans cet arrêt une inexacte qualification des faits dans la mesure où il résulte de l'article 2 de ses statuts - lesquels ont été déposées en préfecture le 8 octobre 2012 -  que l'association à pour objet de « défendre l'ensemble des éléments objectifs et subjectifs constituant le cadre de vie des habitants ainsi que la protection de l'environnement du bâti et du non bâti de Montluçon » et pour moyen d'action, en particulier, de « contester les opérations d'aménagement et les permis de construire autorisés sur le territoire de Montluçon et qu'elle considère portant atteinte à ses objectifs ».

Ainsi l'objet matériel de l'association et son champ d'action géographique, limité au territoire communal, sont nettement déterminés.

(11 février 2022, Association Un certain regard sur Montluçon, n° 449827)

 

161 - Permis de construire des éoliennes - Décision avant-dire droit ordonnant la prise et la communication de mesures de régularisation du permis - Défaut de communication de ces mesures à l'expiration du délai prescrit - Pouvoirs et devoir du juge saisi - Possibilité de contester les mesures prises après invitation du juge - Rejet.

L'histoire est longue, c'est une véritable saga... Qu'on en juge.

Huit arrêtés préfectoraux délivrent le 12 janvier 2012 des permis de construire pour l'implantation  d'éoliennes  et de deux postes de livraison à la société en nom collectif MSE La Tombelle.

Le recours dirigé contre ces décisions est rejeté par le tribunal administratif le 28 juin 2013. Sur appel de la demanderesse, la cour administrative d'appel annule le jugement et ces décisions, le 28 octobre 2014.

Sur pourvoi de la pétitionnaire, le Conseil d'État casse cet arrêt le 20 janvier 2016 et renvoie l'affaire devant la cour.

Celle-ci, le 13 mars 2018, a, à nouveau, annulé le jugement ainsi que les huit arrêtés litigieux.

Saisi de deux pourvois, l'un du ministre de la cohésion des territoires et l'autre de la société pétitionnaire, le Conseil d'État a, par une décision du 27 mai 2019, d'une part, annulé l'arrêt du 13 mars 2018 et d’autre part, a sursis à statuer sur la requête présentée par l'association « Eoliennes s'en naît trop » devant la cour administrative d'appel jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois ou de six mois en cas d'enquête publique, à compter de la notification de sa décision.

Devant régler le litige au fond puisqu'il était saisi pour la seconde fois d'un pourvoi dans la même affaire (cf. art. R. 821-2 CJA), le Conseil d'État rendit une décision avant-dire droit constatant que le vice retenu par la cour comme entachant les arrêtés préfectoraux était régularisable et prononça un sursis à statuer pour permettre la régularisation du vice de procédure entachant les arrêtés attaqués par la consultation de la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, dans les conditions définies aux art. R. 122-6 à R. 122-8 et R. 122-24 du code de l'environnement et en portant ce nouvel avis à la connaissance du public. Il indiquait encore dans cette décision que si cet avis différait substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont les permis de construire avaient fait l'objet, une enquête publique complémentaire devrait être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les art. L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement.

Enfin, il accordait un délai de trois mois (ou de six mois en cas de nouvelle enquête publique), à compter de la notification de sa décision pour que lui soient notifiés les éléments de régularisation. 

En raison de la différence substantielle entre l'avis rendu primitivement et celui du 9 septembre 2019 donné par la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, une nouvelle enquête publique s'est tenue au cours du mois de mars 2021 et le préfet, par arrêtés du 23 juin 2021 qu'il a notifiés au Conseil d'État le 24 juin 2021, a délivré les permis de construire de régularisation à la société pétitionnaire.

La requérante demande l'annulation de ces permis, relevant en particulier qu'ils n'ont été transmis au Conseil d'État qu'après expiration du délai qu'il avait fixé.

C'est l'occasion pour le juge d'apporter trois précisions importantes et assez nouvelles.

Tout d'abord, lorsque le juge - sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme - fixe un certain délai pour la prise de mesures de régularisation et pour leur notification, il peut, d'une part statuer à tout moment sur la demande d'annulation du permis et, en particulier, y faire droit car les mesures de régularisation exigées ne lui ont pas été notifiées à la date d'expiration du délai qu'il avait fixé.

Ensuite, la seule expiration du délai ne suffit pas à rendre caduques ou irrégulières les mesures de notification, notamment le juge peut en tenir compte dans son appréciation de la légalité des permis attaqués devant lui. On reconnaît là une application de la jurisprudence, applicable aux décisions administratives, selon laquelle l'expiration d'un délai non sanctionné n'entache pas d'illégalité les décisions prises après l'expiration du délai.

Enfin, les requérants qui sont parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant-dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai. 

Au fond, il est jugé que les permis de construire délivrés à titre de régularisation ont bien purgé le vice dont été entachés les permis primitifs et qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Dix ans et six jours après les décisions litigieuses justice est faite… Enfin « justice » il faut le dire vite car à ce rythme le mot justice paraît quelque peu usurpé.

(16 février 2022, Association « Eoliennes s'en naît trop », n° 420554)

 

162 - Urbanisme opérationnel - Révision de la carte communale - Dossier de l'enquête publique - Dispense d'évaluation environnementale - Classement de parcelles en zone d'activités économiques - Rejet.

Une commune ayant révisé sa carte communale et cette carte ayant été approuvée par le préfet, l'association requérante l’a contestée devant le juge administratif. Déboutée en première instance et en appel, elle se pourvoit en cassation, en vain, ses divers moyens étant rejetés.

Trois de ces moyens, d'importance variable retiennent l'attention.

Etait développée d'abord l'incomplétude du dossier soumis à l'enquête publique. Celui-ci, sur décision de l'autorité environnementale, ne comportant pas d'évaluation environnementale les demandeurs estimaient qu'il devait, en revanche comporter, conformément aux dispositions du 2° de l'art. R. 123-8 du code de l'environnement, « une note de présentation précisant les coordonnées du maître d'ouvrage ou du responsable du projet, plan ou programme, l'objet de l'enquête, les caractéristiques les plus importantes du projet, plan ou programme et présentant un résumé des principales raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de l'environnement, le projet, plan ou programme soumis à enquête a été retenu ; (...) ». Or la cour administrative d'appel, approuvée par le Conseil d'État qui n'aperçoit dans son arrêt ni erreur de droit ni contrdiction de motifs, avait estimé que le dossier d'enquête n'était pas incomplet car il comportait une étude de « l'évaluation et incidences de la carte communale sur le site Natura 2000 du réseau hydrographique (...) », élaborée par un bureau d'étude indépendant et reprenant les différentes informations requises de la note de présentation. 

Ensuite, était discutée, sur le fondement de l'art. 3 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, la légalité de la décision portant dispense d'évaluation environnementale. Deux moyens étaient soulevés : un défaut d'objectivité et un risque de conflit d'intérêts dans le chef de l'autorité chargée de procéder à l'examen du dossier au cas par cas et l'erreur d'appréciation des effets de la carte communale révisée sur le réseau hydrographique.

Le premier moyen est rejeté car il ne résulte d'aucune disposition de cette directive qu'elle interdit que l'autorité chargée de procéder à l'examen au cas par cas soit également l'autorité compétente pour se prononcer sur le plan ou programme, sous la réserve que cette autorité accomplisse les missions résultant de la directive de façon objective et ne se trouve pas dans une position donnant lieu à un conflit d'intérêts, notamment si l'autorité compétente est chargée de l'élaboration du plan ou du programme soumis à autorisation. Tel est le cas en l'espèce, ainsi que l'a jugé la cour, où la révision de la carte communale a été prescrite et instruite par la commune, le préfet n'intervenant que pour approuver, à la fin de la procédure, le document élaboré par la commune. Le second moyen ne prospère pas davantage car, au bénéfice de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour, après examen de l'étude précitée relative à « l'évaluation et incidences de la carte communale sur le site Natura 2000 du réseau hydrographique (...) », a constaté que celle-ci établissait, par une analyse détaillée de l'état des lieux et des incidences du projet, que le réseau hydrographique ne serait pas affecté de manière significative par la révision de la carte communale.

Enfin, le classement d'un espace en zone UA (zone d'activités économiques) ne révèle pas - ainsi que jugé par la cour - une erreur manifeste d'appréciation dès lors que cette zone, d'une superficie de cinq hectares, se trouve sur une friche ne comportant aucune exploitation agricole et qu'elle est situé près d'une zone U. Etant observé, au surplus que les zones naturelles et agricoles couvrent 93,9 % du territoire communal.

Le pourvoi est rejeté au terme d'une analyse serrée des faits pour une décision de cassation.

(16 février 2022, Association pour la sauvegarde et la salubrité de Faleyras Targon et environs (ASSFALTE), n° 437202)

 

163 - Non-opposition à une déclaration préalable – Recours contentieux contre cette décision - Régime de la notification du recours – Justification de l’accomplissement des formalités - Impossibilité de produire ces justifications pour la première fois en appel – Rejet.

Il résulte de l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme que l'auteur d'un recours contentieux contre une décision de non-opposition à déclaration préalable est tenu, à peine d'irrecevabilité de ce dernier, de notifier une copie du recours contentieux et, le cas échéant, du recours gracieux qui l'a précédé, ou un courrier reprenant intégralement l'exposé des faits et moyens ainsi que les conclusions de la demande, tant à l'auteur de l'acte ou de la décision qu'il attaque qu'à son bénéficiaire.

Il s’ensuit qu’un tel recours est irrecevable lorsque son auteur, après y avoir été invité par le juge ou en réponse à une fin de non-recevoir soulevée en défense, n'a pas justifié de l'accomplissement des formalités requises par cet article. Cette irrecevabilité étant d’ordre public, elle peut être opposée, au besoin d'office, par le juge.

La preuve du respect des formalités requises est en principe suffisamment faite par la production du certificat de dépôt de la lettre recommandée sauf s’il est soutenu devant le juge qu'elle aurait eu un contenu insuffisant au regard de l'obligation d'information qui pèse sur l'auteur du recours.

Cependant, lorsque cet auteur n'a pas justifié en première instance de l'accomplissement des formalités de notification requises alors qu'il a été mis à même de le faire, soit par une fin de non-recevoir opposée par le défendeur, soit par une invitation à régulariser adressée par le tribunal administratif, il n'est pas recevable à produire ces justifications pour la première fois en appel.

Faute d’avoir respecté ces exigences, le recours est rejeté.

(24 février 2022, M. D., n° 442835)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Janvier 2022

Janvier 2022 

(La relative brièveté de cette Chronique résulte du faible nombre d'arrêts publiés)

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Décision du président de l’Assemblée nationale nommant un membre du Conseil constitutionnel – Incompétence manifeste de l’ordre administratif de juridiction – Rejet du référé.

Doit être rejeté selon la procédure de l’art. L. 522-3 du CJA, comme porté devant une juridiction manifestement incompétente pour en connaître, le référé liberté tendant à la suspension de la décision par laquelle le président de l’Assemblée nationale nomme, en application des dispositions de l’art. 56 de la Constitution, un membre du Conseil constitutionnel

(ord. réf. 21 janvier 2022, M. A., n° 460456)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

2 - Site internet - Politique relative aux « cookies » - Non-respect des obligations s’imposant aux responsables de sites internet – Sanction – Compétence à cet effet de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Rejet.

Une nouvelle fois, c’est le comportement déplorable de Google qui est sur la sellette et motive l’importante décision ici rapportée.

Suite à un contrôle en ligne effectué le 16 mars 2020 sur le site « google.fr », il a été constaté des manquements aux obligations s’imposant aux responsables de sites en matière de « cookies », certains de ces manquements persistant le 10 septembre 2020 après engagement d’une procédure de sanction et alors que les sociétés requérantes ont mis à jour leur système le 17 août 2020.

En conséquence, une sanction a été infligée, respectivement de 60 millions et de 40 millions d’euros, par la formation restreinte de la CNIL assortie d’une obligation de se mettre en conformité avec la loi sous astreinte de cent mille euros par jour de retard et de la publication de ces décisions avec anonymisation deux ans plus tard.

Les requérantes demandent l’annulation de ces décisions ; leurs recours est rejeté.

Quatre points sont successivement examinés par le juge dont le premier est très important, justifiant la publication de la décision au Recueil Lebon : la compétence de la formation restreinte de la CNIL, la régularité de la procédure suivie, l’existence de manquements aux obligations en matière de « cookies » et le caractère proportionné des sanctions infligées.

C’est le débat sur la compétence de la formation restreinte de la CNIL pour édicter les sanctions qui retient, au principal, l’attention.

 I. - Les requérantes soutenaient – en s’appuyant sur les dispositions de l’art. 56 du règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016 (RGPD) -  que s’agissant d’un traitement transfrontalier la seule autorité compétente pour constater et, éventuellement sanctionner, un manquement en la matière est l'autorité nationale de contrôle de l'établissement du responsable du traitement, c'est-à-dire en l'espèce l'autorité irlandaise, laquelle serait compétente pour agir en tant qu'autorité de contrôle chef de file pour un tel traitement transfrontalier. Par suite, la CNIL et en particulier sa formation restreinte, n’était pas compétente pour prendre les décisions dont l’annulation est, en conséquence, demandée. Il est vrai que selon, d’une part, le paragraphe 1 de l'article 55 du RGPD « Chaque autorité de contrôle est compétente pour exercer les missions et les pouvoirs dont elle est investie conformément au présent règlement sur le territoire de l'État membre dont elle relève » et, d’autre part, le paragraphe 1 de l'article 56 du même règlement « Sans préjudice de l'article 55, l'autorité de contrôle de l'établissement principal ou de l'établissement unique du responsable du traitement ou du sous-traitant est compétente pour agir en tant qu'autorité de contrôle chef de file concernant le traitement transfrontalier effectué par ce responsable du traitement ou ce sous-traitant, conformément à la procédure prévue à l'article 60 ».

Bien que ces dispositions soient en elles-mêmes très claires, le Conseil d’État, pour rejeter l’argumentation qui en est tirée, se fonde sur les dispositions de l'article 15 bis de la directive du 12 juillet 2002, qui est relatif aux sanctions applicables aux violations des objectifs de cette directive telles que ces dispositions sont interprétées par la jurisprudence constante de la CJUE (1er octobre 2019, Bundesverband der Verbraucherzentralen und Verbraucherverbände Verbraucherzentrale Bundesverband eV/Planet49 GmbH, aff. C-673/17 ;  15 juin 2021, Facebook Ireland Ltd e.a., aff. C-645/19). Or il résulte de cette jurisprudence que si les conditions de recueil du consentement de l'utilisateur prévues par le RGPD du 27 avril 2016 sont applicables aux opérations de lecture et d'écriture dans le terminal d'un utilisateur, il n'a pas été prévu l'application du mécanisme dit du « guichet unique » aux traitements transfrontaliers, défini à l'article 56 de ce règlement, pour les mesures de mise en œuvre et de contrôle de la directive précitée du 12 juillet 2002, qui relèvent de la compétence des autorités nationales de contrôle en vertu de l'article 15 bis précité de cette directive.

Le Conseil d’État en tire donc cette conséquence que, pour ce qui concerne le contrôle des opérations d'accès et d'inscription d'informations dans les terminaux des utilisateurs en France d'un service de communications électroniques, même procédant d'un traitement transfrontalier, les mesures de contrôle de l'application des dispositions ayant transposé les objectifs de la directive de 2002 précitée relèvent de la compétence conférée à la CNIL par la loi du 6 janvier 1978.

En effet, en premier lieu, le paragraphe 3 de l'article 5 de la directive de 2002 dispose que : « Les États membres garantissent que le stockage d'informations, ou l'obtention de l'accès à des informations déjà stockées, dans l'équipement terminal d'un abonné ou d'un utilisateur n'est permis qu'à condition que l'abonné ou l'utilisateur ait donné son accord, après avoir reçu (…) une information claire et complète, entre autres sur les finalités du traitement. Cette disposition ne fait pas obstacle à un stockage ou à un accès technique visant exclusivement à effectuer la transmission d'une communication par la voie d'un réseau de communications électroniques, ou strictement nécessaires au fournisseur pour la fourniture d'un service de la société de l'information expressément demandé par l'abonné ou l'utilisateur. ». Et, en second lieu, l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui a procédé à la transposition dudit paragraphe 3 de l'article 5 de la directive de 2002, dispose : « Tout abonné ou utilisateur d'un service de communications électroniques doit être informé de manière claire et complète, sauf s'il l'a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant :

1° De la finalité de toute action tendant à accéder, par voie de transmission électronique, à des informations déjà stockées dans son équipement terminal de communications électroniques, ou à inscrire des informations dans cet équipement ;

2° Des moyens dont il dispose pour s'y opposer.

Ces accès ou inscriptions ne peuvent avoir lieu qu'à condition que l'abonné ou la personne utilisatrice ait exprimé, après avoir reçu cette information, son consentement qui peut résulter de paramètres appropriés de son dispositif de connexion ou de tout autre dispositif placé sous son contrôle.

Ces dispositions ne sont pas applicables si l'accès aux informations stockées dans l'équipement terminal de l'utilisateur ou l'inscription d'informations dans l'équipement terminal de l'utilisateur :

1° Soit, a pour finalité exclusive de permettre ou faciliter la communication par voie électronique ; 2° Soit, est strictement nécessaire à la fourniture d'un service de communication en ligne à la demande expresse de l'utilisateur ».

 

Par suite, la décision attaquée de la CNIL n’ayant entendu assurer le respect que des seules obligations résultant de l'article 82 de la loi du 6 janvier 1978 transposant les exigences du paragraphe 3 de l'article 5 de la directive de 2002, les sociétés requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la formation restreinte de la CNIL n'aurait pas été compétente, qu'elle aurait fait une inexacte application des dispositions litigieuses et commis une erreur d'appréciation en considérant que sa compétence excluait l'application du mécanisme dit du « guichet unique ».

La solution, peut-être formulée avec un certain embarras que traduit une rédaction longue et complexe, est cependant très logique et l’on doute fortement qu’elle puisse ne pas être entièrement approuvée par la Cour de Luxembourg.

 

II. – Ensuite, c’est sans difficulté qu’est écarté le moyen tiré du caractère irrégulier du déroulement de la procédure de sanction en ce que la formation restreinte de la CNIL aurait méconnu les droits de la défense et les exigences de la contradiction, en l'absence de mise en demeure préalable et de prise en compte de la coopération que les contrevenantes auraient apportée au cours de la procédure. L’analyse des divers échanges, écrits et oraux, intervenus au cours de l’examen de cette affaire, y compris l’intervention du rapport rédigé par le rapporteur et les réponses qui y ont été données, conduisent à écarter le moyen d’autant plus que le prononcé d'une sanction n'est pas subordonné à l'intervention préalable d'une mise en demeure du responsable de traitement ou de son sous-traitant par le président de la CNIL.

 

III. – Également, les manquements aux obligations pesant sur les responsables de sites internet en matière de « cookies » ne sont guère discutables et certains d’entre eux subsistaient encore après la mise à jour du 17 août 2020 consécutive à l’engagement de la procédure de sanction. A cet égard, les points 16 à 18 de cette décision sont particulièrement éloquents et illustratifs.

 

IV. – Enfin, le lecteur ne sera pas étonné d’apprendre que le juge a retenu le caractère proportionné à la fois de la sanction financière et des mesures correctrices décidées par la CNIL. Rappelons que le moteur de recherche de Google représente en France une part de marché supérieure à 90% et 47 millions d’utilisateurs environ. On imagine sans peine que les recettes publicitaires engrangées du fait des cookies intempestifs, injustifiés et, parfois, dont la présence est cachée à l’utilisateur, rendent même très modérées les sommes infligées à titre de sanction à une entreprise dont le bénéfice net était de 74 milliards de dollars en 2021 (un peu plus de 65 milliards d’euros).

(28 janvier 2022, Sociétés Google LLC et Google Ireland Limited, n° 449209)

 

Contrats

 

3 - Marché public conclu sous la forme d’un accord-cadre – Marché de collecte, tri et valorisation de déchets – Obligation d’indications devant être contenues dans l’avis de marché ou l’accord-cadre - Interprétation par la CJUE – Obligation d’indiquer la qualité et/ou la valeur estimée ainsi que la quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir – Jurisprudence d’effet immédiat – Application au cas de l’espèce – Rejet.

La communauté de communes Convergence Garonne a -  par des avis d'appel public à la concurrence publiés au Bulletin officiel des annonces de marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne - engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un marché sous forme d'accord-cadre ayant pour objet la « collecte en porte-en-porte et en apport volontaire, tri et valorisation des déchets », ces prestations étant décomposées en deux lots dont le n° 1 est relatif à la collecte des déchets ménagers et assimilés en porte-en-porte.

La société Coved, classée deuxième s'agissant du lot n° 1, a été informée du rejet de son offre et de l'attribution de l'accord-cadre à une autre société. Elle a saisi le juge des référés précontractuels sur le fondement de l'article L. 551-1 du CJA d’une demande d’annulation des décisions relatives à la procédure de passation de ce lot n° 1.

La communauté de communes se pourvoit en cassation contre l'ordonnance de référé annulant la procédure d'attribution du lot n° 1.

Ce pourvoi posait une délicate question de combinaison de textes.

En premier lieu, l’art. R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au litige, disposait : « Les accords-cadres peuvent être conclus :

1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ;

2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ;

3° Soit sans minimum ni maximum ». 

En second lieu, toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark, aff.C-23/20), a, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, jugé que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics devaient être interprétées dans le sens, d’une part, que « l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets » et, d’autre part, que « l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ». 

Il suit de là que pour ceux des marchés entrant dans le champ d’application de cette directive, tout appel à concurrence relatif à un tel marché destiné à être passé sous la forme d'un accord-cadre, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées.

En l’espèce, le juge des référés précontractuels a souverainement, d’une part, jugé que ni l'avis de marché, ni le cahier des clauses techniques particulières, ni aucune autre pièce du marché ne mentionnait la quantité ou la valeur maximale des produits à fournir dans le cadre du lot n° 1 de l'accord-cadre en litige, et, d'autre part, estimé qu'en l'espèce, l'absence de cette information n'avait pas mis la société Coved à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre. Ce jugeant, il n'a pas inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation en annulant la procédure de passation du lot en litige. 

(28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, n° 456418)

 

Droit du contentieux administratif

 

4 - Référé liberté – Demande de retrait ou d’interdiction de fresques à caractère pornographique et sexiste affichées au sein de structures hospitalières - Condition d’urgence – Absence en l’espèce – Rejet.

Est rejetée pour défaut d’urgence la demande des associations requérantes tendant à voir le juge du référé liberté ordonner au premier ministre et au ministre de la santé dans les quarante-huit heures, en premier lieu, de prendre des mesures contraignantes et de portée nationale à l'attention de tous les directeurs de centres hospitaliers visant à interdire, et le cas échéant retirer, l'ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste affichées au sein de leurs services, en deuxième lieu, d'évaluer les conséquences néfastes qu'ont pu avoir ces fresques pour les usagers et personnels et de prendre toutes mesures propres à réparer les éventuels dommages causés par ces fresques et, en dernier lieu, de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les professionnels soient sensibilisés aux violences sexistes.

(ord. réf. 17 janvier 2022, Associations « Osez le féminisme ! » et « Les Effronté-e-s », n° 460166)

 

5 - Demande en référé suspension – Obligation d’une requête distincte en annulation – Absence – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Rappel de ce que les dispositions de l’article L. 521-1 du CJA imposent à l’auteur d’une demande en référé suspension d’accompagner celle-ci d’une requête en annulation de la décision dont est demandée la suspension. A défaut, la requête en référé est manifestement irrecevable et doit être rejetée selon la procédure expédiente de l’art. L. 522-3 du CJA.

(ord. réf. 21 janvier 2021, M. A., n° 460595)

 

6 - Établissement du tableau d’avancement au grade de président du corps des magistrats des tribunaux et cours administratifs - Recours contre des délibérations du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA) rendues en cette matière - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Rejet.

Statuant sur un recours en annulation de délibérations du CSTACAA n’ayant pas inscrit le requérant respectivement au tableau d'avancement principal au grade de président du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et au tableau d'avancement complémentaire à ce même grade, le Conseil d’État, confirmant un tendance jurisprudentielle, juge implicitement être compétent en premier et dernier ressort pour connaître d’un tel recours.

(24 janvier 2022, M. P., n° 445786)

 

7 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Admission du recours - Conséquences - Déclaration comme "non avenue" de la décision entachée d'erreur.

Le litige portait sur un recours en rectification d'erreur matérielle d'une ordonnance d'un président de chambre de la section du contentieux du Conseil d'État refusant d'admettre un pourvoi en cassation.

L'intéressée, après saisine du Conseil d'État, avait déposé une demande d'aide juridictionnelle devant la section spécialisée pour les affaires relevant du tribunal administratif du bureau d'aide juridictionnelle établi près le tribunal judiciaire de Pontoise. Or celui-ci, tenu de la transmettre au bureau d'aide juridictionnelle du Conseil d'État, ne l'avait pas fait.

Le juge saisi d'un pourvoi était donc tenu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision sur la demande d'aide et cela alors même qu'il n'avait pas été avisé de l'existence de la demande d'aide juridictionnelle. L'ordonnance refusant l'admission du pourvoi, entachée d'erreur matérielle, est déclarée "non avenue" et non pas "annulée".

(31 janvier 2022, Mme O., n° 454992)

 

8 - Référé suspension - Incompétence manifeste du juge administrtatif - Rejet.

Le juge des référés du Conseil d'État se déclare "manifestement incompétent" pour connaître de conclusions tendant, sur le fondement de l'art. L. 521-1 CJA, à la suspension d'exécution de dispositions législatives. Le référé suspension ne peut concerner que des décisions administratives.

Il eut été plus logique d'opposer non l'incompétence du juge saisi mais l'irrecevabilité du recours dont il était saisi.

(25 janvier 2022, M. B., n° 460713)

 

9 - Arrêté ministériel portant extension d’un accord de branche relatif à la tenue d’élections professionnelles – Élections ayant eu lieu – Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

(24 janvier 2022, Fédération CFE-CGC Énergies, n° 430294)

V. n° 12

 

 

Droit fiscal et droit financier public

 

 

10 - Abus de droit (art. L. 64 LPF) – Notion – Existence en l’espèce – Conséquences sur la procédure et le régime d’imposition – Rejet.

Dans le cadre du contrôle d’une opération de rachat d’un groupe d’édition par une autre société, l’administration fiscale a aperçu un abus de droit dans le montage de l’opération et imposé, en conséquence, dans une certaine catégorie d’impositions, les gains réalisés.

La cour administrative d’appel a confirmé l’existence d’un abus de droit et requalifié la catégorie dont relevait l’imposition litigieuse. Les requérants se pourvoient en cassation contre cet arrêt. Ils sont déboutés.

En premier lieu, le juge de cassation rejette deux moyens tirés d’irrégularités de l’arrêt attaqué et de la procédure d’imposition. 

Tout d’abord, ayant constaté l’erreur de catégorie d’imposition retenue par l’administration fiscale la cour pouvait relever d’office  ce moyen qui est d’ordre public puisqu’il concerne le champ d’application de la loi ; parallèlement, l’administration fiscale, qui peut  à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée, pouvait, informée de ce relèvement d’office, demander au juge de l'impôt de procéder à une substitution de base légale en assujettissant les intéressés non au titre de la plus-value de cession de valeurs mobilières comme elle l’avait initialement estimée, mais à celui de l'imposition des traitements et salaires. 

Ensuite, contrairement à ce que soutenaient les requérants, c’est sans qualifier inexactement les faits de l’espèce que la cour a jugé qu’en l’absence de toute substance, la société créée entre membres de la famille des demandeurs ne constituait qu’une interposition présentant un caractère artificiel dans le but d'éluder le paiement de l'impôt dont le contribuable aurait été redevable s'il avait cédé lui-même à la société acquéreuse les titres qu'il détenait. Par suite, la cour n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que l'apport de ces titres à une société de droit belge n'aurait pas conduit à modifier la charge fiscale personnelle du demandeur.

En deuxième lieu, confirmant la cour administrative d’appel, le Conseil d’État juge qu’en l’espèce a été commis un abus de droit. L’art. L. 64 du LPF autorise l’administration à écarter - comme lui étant inopposables - ceux actes passés par le contribuable qui n’ont qu’un caractère fictif ou qui ne sont inspirés que par le souci d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que, sans ces actes, le contribuable aurait normalement supportées. Ici le contribuable a acquis, lors de l’opération de rachat sus-rappelée, des actions qu’il a revendues à une société de droit belge constituée entre lui-même, son épouse et ses enfants. Ladite société a, quatre ans plus tard, cédé ses actions à une société filiale de celle ayant acquis originairement les parts. Le contribuable a prétendu bénéficier de l'exonération totale d'imposition, instituée par l'article 192 du code belge de l'impôt sur les revenus, en faveur des plus-values de cession de participations détenues par des sociétés holdings belges.

L’administration, confirmée par le juge, a considéré que la société créée entre le contribuable et les membres de sa famille n’avait eu aucune consistance économique et qu’elle n’avait été interposée dans l’opération d’abord de cession puis de revente que dans un but exclusivement fiscal : échapper à l’imposition que, sans cette interposition le contribuable aurait normalement été conduit à payer au titre du régime des plus-values de cession.

En troisième lieu, enfin, c’est à bon droit que la cour a jugé, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, que la souscription initiale des actions visait à associer le requérant à raison de ses fonctions dirigeantes au sein du groupe cédant, au partage de la plus-value dégagée lors de la cession ultérieure du groupe, et que le gain, dans les conditions dans lesquelles il a été réalisé, résultant de la cession de ses titres, se rattachait aux fonctions exercées au sein de ce groupe. Dès lors qu’il s’agissait là d'un revenu acquis en contrepartie des fonctions de cadre dirigeant, ce gain ne pouvait être regardé comme un gain en capital taxable dans la catégorie des plus-values mais constituait un complément de rémunération, imposable au barème de l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI.

(28 janvier 2022, M. et Mme H., n° 433965)

 

Droit public de l’économie

 

11 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un hypermarché – Avis favorable de la commission départementale  d’aménagement commercial et défavorable de la commission nationale – Refus du  permis – Recours du maire contre l’avis défavorable et du pétitionnaire contre le refus du permis – Avis constituant un acte préparatoire à la décision sur la demande de permis de construire – Distinction entre les effets de l’avis sur le permis de construire et ceux sur l’autorisation d’exploitation commerciale - Cassation sur le fond sans renvoi – Renvoi partiel du pourvoi sous forme de tierce opposition.

Complexité du droit de l’urbanisme commercial, déroute d’une simplification mal ficelée, subtilités par trop stupéfiantes du contentieux administratif. On n’en finirait plus d’énumérer les habituelles critiques adressées au contentieux de l’urbanisme commercial.

La présente espèce en constitue une belle et édifiante illustration.

Une commission départementale d'aménagement commercial émet le 12 juillet 2018 un avis favorable à la demande d’un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un hypermarché. Sur recours de sociétés concurrentes, la Commission nationale d'aménagement commercial rend un avis défavorable sur ce projet le 8 novembre 2018.

La société pétitionnaire ayant modifié son projet initial, le 28 janvier 2019, la commission départementale d'aménagement commercial donne un avis favorable à ce projet modifié mais la Commission nationale, sur recours d’une société de distribution, rend à nouveau un avis défavorable le 4 avril 2019. En conséquence, le maire de la commune a refusé de délivrer le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

La cour administrative d’appel, statuant en cette matière en premier ressort, a été saisie par la commune d’un recours en annulation de l'avis du 4 avril 2019, et par la société d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté municipal portant refus du permis de construire. Elle a annulé l’avis défavorable de la commission nationale et l’arrêté municipal de refus du permis, enjoignant au maire de statuer à nouveau sur la demande de la société, après nouvel examen du projet par la Commission nationale, celui-ci devant intervenir dans les quatre mois suivant la notification de son arrêt.

Les sociétés qui avaient initialement saisi la commission nationale se pourvoient contre cet arrêt.

Le juge de cassation apporte les précisions suivantes.

En premier lieu, il est rappelé que l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial ou celui de la Commission nationale d'aménagement commercial, qu’il soit favorable ou défavorable, n’est qu’un acte préparatoire à la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Seule cette dernière décision est susceptible de recours contentieux.

En deuxième lieu, il en découle donc cette conséquence très étrange qu'alors même qu'un permis de construire tenant lieu d'autorisation d'exploitation commerciale ne peut être légalement délivré par le maire que sur avis favorable de la commission départementale ou de la commission nationale d'aménagement commercial et qu'ainsi cet avis lie le maire s'agissant de l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée, la commune d'implantation du projet n'est pas recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir de cet avis car il n’a que le caractère d'acte préparatoire à la décision prise sur la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.

En troisième lieu cependant, la commune est recevable à contester, par la voie d'un recours pour excès de pouvoir, la décision qu'elle prend sur cette demande en tant seulement qu'elle se prononce sur l'autorisation d'exploitation commerciale sollicitée, pour autant qu'elle justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir. 

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation de l’arrêt contesté devant lui par le pourvoi.

Statuant au fond et donc sans renvoi, ce dernier juge que les sociétés qui avaient contesté devant la Commission nationale d'aménagement commercial l'avis favorable délivré par la commission départementale d'aménagement commercial, n'ont été ni mises en cause, ainsi qu'elles auraient dû l'être, ni représentées dans l'instance tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mai 2019 portant refus de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale. Ces sociétés ne sont ainsi pas recevables à former un pourvoi en cassation contre l'arrêt en tant qu'il est relatif à la légalité de cet arrêté.

Cependant, l'arrêt étant toutefois susceptible de préjudicier à leurs droits, leurs conclusions doivent, dans cette mesure, être regardées comme une requête en tierce opposition qu'il convient de renvoyer à la cour administrative d'appel. 

Le marathon se poursuit, espérons que les coureurs ne sont pas, déjà, à bout de souffle…

(24 janvier 2022, Société Année distribution et autres, n° 440164)

 

Droit social et action sociale

 

12 - Arrêté ministériel portant extension d’un accord de branche relatif à la tenue d’élections professionnelles – Élections ayant eu lieu – Requête devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

La requérante demandait l’annulation de l'arrêté interministériel du 19 février 2019 portant extension de l'accord de branche du 7 septembre 2018 relatif aux élections professionnelles dans la branche des industries électriques et gazières.

Des organisations syndicales et d’employeurs ont conclu un accord fixant la date des élections professionnelles pour les entreprises de la branche, la date de clôture du premier tour des élections des représentants du personnel au comité social et économique dans les entreprises de la branche étant fixée au 14 novembre 2019.

Cependant, l’art. 2 de cet accord prévoyait que les sociétés nouvellement créées depuis le 23 septembre 2017, qui ont mis en place pour la première fois le CSE (comité social et économique) avant la date commune prévue à l’article 1er, ne sont pas obligées de réorganiser des élections à cette date.

Il a été procédé à l’extension de cet accord par l’arrêté interministériel précité qui est la décision attaquée.

Le recours fait l’objet d’une décision de non-lieu car ses conclusions sont devenues sans objet du fait de la tenue des élections à la date précitée.

(24 janvier 2022, Fédération CFE-CGC Énergies, n° 430294)

 

13 - Salarié protégé - Réintégration après annulation de l'autorisation de licenciement - Point de départ du délai de protection de six mois - Cas du salarié réintégré mais dans un autre emploi par suite d'un transfert - Erreur de droit - Annulation.

Le code du travail (art. L. 2422-2) prévoit qu'en cas d'annulation de la décision autorisant le licenciement d'un salarié protégé celui-ci est réintégré dans son emploi et dans son mandat électif lorsque l'instance au sein de laquelle il siège n'a pas été renouvelée. En cas contraire, il bénéficie de la protection dont il disposait avant son licenciement, pendant six mois à compter de sa reprise effective du travail dans l'entreprise.

En l'espèce, le salarié avait été transféré dans une autre entreprise lors de sa réintégration. Se posait la double question du maintien ou non de sa protection et, en cas de réponse positive, du point de départ du délai de protection de six mois.

Il est jugé que la protection est maintenue pendant six mois à compter de sa prise de fonction effective dans l'entreprise de transfert.

(24 janvier 2022, M. P., n° 443356)

 

14 - Normes supplétives - Dénonciation partielle  d'une convention collective par une des fédérations signataires - Création d'un vide juridique - Accord de substitution frappé d'opposition majoritaire - Existence d'une recommandation patronale - Agrément ministériel à cette recommandation - Renvoi préjudiciel au juge judiciaire - Rejet.

Une des fédérations d'établissements hospitaliers qui en étaient originairement signataires a partiellement dénoncé la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951. L'accord de substitution qui avait été envisagé ayant été frappé d'opposition majoritaire, il avait été réputé non écrit en vertu de l'article L. 2231-9 du code du travail.

Devant le vide juridique ainsi créé, la ministre de la santé a agréé une recommandation patronale émise le 4 septembre 2012 par la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés à but non lucratif (FEHAP).

La demande d'annulation de cet arrêté d'agrément par la Fédération CGT Santé et action sociale ayant été rejetée par jugement du tribunal administratif du 23 décembre 2014, puis ce rejet ayant été annulé en appel par arrêt du  31 mai 2017, le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi, a, par sa décision du 28 décembre 2018, annulé l'arrêt d'appel, sursis à statuer sur l'appel de la fédération CGT Santé et action sociale contre le jugement du tribunal administratif jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de la validité de la recommandation patronale émise par la FEHAP le 4 septembre 2012. 

Le tribunal judiciaire a, le 24 mai 2021, jugé que la recommandation patronale du 4 septembre 2012 ne pouvait valablement suppléer à l'absence d'un accord collectif, dès lors que sa négociation était en cours. La Cour de cassation, par arrêt du 10 novembre 2021 a partiellement cassé ce jugement  et  décidé qu'en ce qu'elle était destinée à prévoir au profit de tous les salariés des entreprises adhérentes de la FEHAP, quelle que soit leur date d'engagement, le maintien des avantages conventionnels à la suite de la dénonciation partielle de la convention collective de 1951 et qu'elle n'avait vocation à entrer en vigueur qu'après son agrément par la ministre des affaires sociales, et postérieurement à l'expiration du délai pendant lequel la fédération patronale devait tenter loyalement la négociation d'un accord de substitution, l'adoption de la recommandation patronale de la FEHAP du 4 septembre 2012 ne constituait pas un manquement au principe de loyauté, peu important que son contenu soit similaire à celui d'un accord de substitution négocié le 12 novembre 2012 et ayant fait l'objet ultérieurement d'une opposition syndicale majoritaire.

Tirant les conséquences de cet arrêt, le Conseil d'État juge :

- Tout d'abord, que "ni la circonstance que la recommandation patronale du 4 septembre 2012 ait suppléé à l'absence d'un accord collectif, alors même que sa négociation était en cours, ni l'opposition syndicale majoritaire à l'accord de substitution du 12 novembre 2012, de contenu similaire à cette recommandation patronale, ne faisaient obstacle, au motif que ces circonstances auraient affecté sa validité, à ce que la ministre des affaires sociales et de la santé agrée cette recommandation patronale".

- Ensuite, que, de même que dans le cas où la convention ou l'accord collectif satisfait à la condition de validité, le ministre chargé de l'action sociale n'est pas pour autant tenu d'accorder l'agrément car il conserve un pouvoir d'appréciation qui lui permet de s'opposer à l'agrément sollicité pour des motifs d'intérêt général, de même en va-t-il dans le cas où un agrément est donné à une recommandation patronale.

Le juge de l'excès de pouvoir exerçant un contrôle entier sur l'appréciation portée par la ministre, est constatée ici l'absence de toute erreur manifeste d'appréciation dans la décision d'agréer qui a été prise alors même que la recommandation patronale était de contenu similaire à celui d'un accord de substitution frappé d'opposition majoritaire, cette situation ne constituant pas en l'espèce un motif d'intérêt général s'opposant à ce qu'elle lui accorde son agrément.

(31 janvier 2022, Fédération CGT Santé et action sociale, n° 412849)

 

15 - Plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) résultant d'un accord collectif - Licenciements collectifs pour motif économique - Obligations s'imposant à l'administration - Rejet.

La fédération syndicale requérante demandait l'annulation d'une décision de la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France validant l'accord collectif fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de l'union économique et sociale (UES) Happychic constituée des sociétés Happychic, Brice, BZB, Jules, Happychic services, Happychic logistique, Happychic production international, Gentle Factory et Happychic stores.

Elle estimait en particulier que la procédure suivie était irrégulière du fait que l'administration n'avait enjoint à l'employeur de ne communiquer à l'expert-comptable mandaté par le comité d'entreprise qu'une partie des documents mentionnés par la demande d'injonction formulée par le comité d'entreprise.

Le Conseil d'État retient que l'esprit général des textes ici applicables est d'assurer une information des organes intéressés (comité d'entreprise et expert-comptable) leur permettant de se déterminer en toute connaissance de cause ; de là se déduit que la communication des pièces ne doit pas nécessairement être complète mais qu'en revanche elle doit être suffisante.

D'où la solution, assez classique, retenue en l'espèce.

D'une part, les dispositions pertinentes du code du travail (L. 1233-24-1 et L. 1233-57-5, R. 1233-3-4 et R. 1233-3-5) n'imposent pas à l'administration de faire droit à toute demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de communiquer des pièces au comité d'entreprise ou à l'expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique.

D'autre part, en revanche, sous le contrôle du juge, il lui incombe impérativement de vérifier que le comité d'entreprise, et le cas échéant, l'expert-comptable qu'il a désigné, ont été mis à même de rendre leurs avis en toute connaissance de cause.

Relevant que la cour administrative d'appel, au bénéfice de son pouvoir souverain d'appréciation, avait appliqué les principes susindiqués, le juge de cassation rejette le pourvoi dont il était saisi.

(31 janvier 2022, Fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, n° 435888)

 

Élections et financement de la vie politique

 

16 - Élections municipales, communautaires et d’arrondissement – Établissement frauduleux de procurations – Utilisation par le juge administratif d’éléments provenant d’une instruction pénale – Écart des voix justifiant le rejet de la demande d’annulation des opérations dans un des secteurs électoraux – Manœuvres frauduleuses par réticence – Inéligibilité – Conséquences.

Des candidats à des élections municipales, communautaires et d’arrondissement demandent l’annulation d’opérations électorales du fait de manœuvres frauduleuses auxquelles se seraient livrés certains de leurs adversaires dans l’établissement de procurations.

En droit, deux questions étaient soulevées en forme d’objections, toutes deux rejetées par le juge.

Tout d’abord, pour étayer leur argumentation les demandeurs entendaient utiliser notamment un rapport de police judiciaire dont les défendeurs soutenaient, d’une part, qu’en tant qu’élément d’une instruction pénale il ne pouvait être utilisé dans un procès administratif, et d’autre part, que ce rapport aurait été irrégulièrement obtenu par les demandeurs. Le Conseil d’État rejette cette défense.

Ensuite, les défendeurs invoquaient l’inconstitutionnalité des dispositions de l’art. L. 118-4 du code électoral qui permettent notamment au juge de l'élection de déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Ils soulevaient donc une QPC à l’encontre de ces dispositions : celle-ci est, bien évidemment, rejeté.

En fait, il s’agissait d’apprécier la réalité de l’existence des manœuvres alléguées et, éventuellement, d’en tirer les conséquences.

Tout d’abord, les faits frauduleux sont jugés établis.

Cependant, en raison de l’écart des voix entre les listes, le nombre présumé et plausible de procurations frauduleuses ne permet pas d’annuler le scrutin, ce qui confirme la solution retenue par le tribunal administratif.

En revanche, par application du texte précité, les élus aux conseils municipal, communautaire ou d’arrondissement, impliqués dans cette fraude, sont frappés d’une inéligibilité que le juge fixe à un an, ce qui nous semble, bien clément en l’état des circonstances relevées par le rapport de la police judiciaire et des constatations du juge.

Leurs élections respectives sont invalidées et il est procédé au remplacement de chacun(e) par le suivant de liste.

(11 janvier 2021, M. AN. Et autres, n° 451509)

 

Environnement

 

17 - Lutte contre le gaspillage – Promotion d’une économie circulaire – Interdiction de vente des fruits et légumes non transformés sous emballage partiellement ou totalement en plastique – Date d’entrée en vigueur trop proche - Dispositions législatives – Rejet.

L’association requérante demandait la suspension d’exécution du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Elle invoquait deux moyens au soutien de sa requête : d’abord, l’obligation pour ses membres de supporter le coût de la mise en œuvre de cette interdiction ainsi que le risque de voir leurs produits déréférencés lorsqu'aucune alternative aux emballages plastiques ne sera disponible, et le caractère tardif de la publication du décret contesté, le caractère inefficace des mesures transitoires qu'il prévoit et l'absence d'urgence de son entrée en vigueur. 

Le recours est rejeté d’abord parce que les conséquences financières induites découlent directement de l’art. 77 de la loi du 20 février 2020 non du décret attaqué et parce que la requérante n’apporte pas d’éléments permettant de chiffrer celle de ces conséquences directement imputables au seul décret contesté. Il est également rejeté car la date d’entrée en vigueur de la prohibition a été fixée par la loi et non par le décret litigieux ; elle était donc connue des intéressés depuis le 20 février 2020.

(ord. réf. 5 janvier 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais, n° 459809)

 

Étrangers

 

18 - Arrêté préfectoral décidant le transfert d’un étranger aux autorités italiennes – Jugement annulant cet arrêté, ordonnant  l’enregistrement de la demande d’asile et la délivrance d’une attestation de demande d’asile – Ordonnance de référé constatant une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile pour incomplète exécution du jugement par les services préfectoraux – Injonction en ce sens – Intervention d’un arrêt d’appel sursoyant à l’exécution du jugement – Demande de mettre fin aux mesures décidées par l’ordonnance précitée – Rejet – Annulation.

Un arrêté préfectoral du 10 août 2021 décide le transfert d’un étranger aux autorités italiennes. Cet arrêté est annulé par un jugement du 16 août 2021 qui ordonne l’enregistrement de la demande d’asile de l’intéressé et la délivrance d’une attestation de demande d’asile (ADA). Le juge des référés, saisi d’un référé liberté fondé sur ce que si les services préfectoraux avaient délivré le 19 octobre 2021, en exécution du jugement du 16 août 2021, une attestation de demande d'asile en procédure normale, ils s’étaient abstenus de délivrer également au requérant le formulaire de demande d'asile ainsi que les informations liées à la procédure de demande d'asile permettant de solliciter l'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a, le 24 novembre 2021,  estimé qu’il avait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile. Il a donc enjoint aux services préfectoraux de délivrer au demandeur le formulaire de demande d'asile dans un délai de 48h suivant la notification de l'ordonnance sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Le 25 novembre 2021 est rendu un arrêt d’appel sursoyant à l’exécution du jugement du 16 août 2021. La préfecture a, par suite, demandé, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 521-4 du CJA, qu’il soit mis fin aux mesures décidées par l’ordonnance rendue la veille de cet arrêt. Cette requête ayant été rejetée, le ministre de l’intérieur se pourvoit.

Le Conseil d’État juge que, faute d’une reconnaissance de la compétence des autorités françaises pour traiter de la demande d’asile en l’état des pièces et attestations fournies, l’arrêté du 10 août 2021 était redevenu exécutoire suite à l’arrêt d’appel ordonnant qu’il soit sursis à l’exécution du jugement du 16 août 2021.

L’intervention de cet arrêt constitue ainsi bien un élément nouveau au sens et pour l’application de l’art. L. 521-4 du CJA, ce qui entraine la reprise par les autorités italiennes de la procédure asilaire et donc, nécessairement, la cessation des mesures ordonnées en référé le 24 novembre 2021 ainsi que le soutient le ministre de l’intérieur.

(ord. réf. 6 janvier 2022, Ministre de l’intérieur, n° 459750)

 

19 - Demandeur d’asile – Décision de transfert vers l’État responsable de l’examen de la demande – Procédure contentieuse spéciale instituée par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) – Procédure exclusive – Impossibilité d’utiliser l’une des procédures d’urgence régies par le titre V du CJA – Rejet.

Dans le cas où un étranger demandeur d’asile en France fait l'objet d'une décision de transfert vers un autre État estimé responsable de l'examen de sa demande d'asile, il dispose, pour la contester, d’une voie contentieuse spéciale régie par le I de l'article L. 572-5 du CESEDA. Cette procédure, est exclusive de toute autre, en particulier des procédures d’urgence régies par le titre V du CJA, elle en présente d'ailleurs les mêmes garanties.

Ainsi, le recours fondé, comme en l’espèce, sur l’art. L.521-1 (référé suspension), est irrecevable.

(ord. réf. 12 janvier 2022, M. B., n° 460231)

 

20 - Octroi du statut de réfugié – Décision mettant fin à ce statut – Absence d’effet sur la qualité de réfugié de celui remplissant les conditions pour l’être – Conditions de régularité de la décision mettant fin au statut de réfugié – Rejet.

Rappel, solennel et ferme, d’une part des effets de la décision de mettre fin au statut de réfugié, et d’autre part, des conditions auxquelles est subordonnée la régularité de cette décision.

En premier lieu, il est rappelé que, en vertu des dispositions de l’art. L. 711-6 du CESEDA, la possibilité de mettre fin au statut de réfugié est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié dès lors qu'il en remplit les conditions.

En second lieu et surtout, il résulte du 2° de cet article que cette décision est subordonnée à deux conditions cumulatives.

Tout d’abord, l'OFPRA et, en cas de recours, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), doivent s’assurer que l'intéressé a fait l'objet d'une condamnation soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement.

Ensuite, ils doivent apprécier si sa présence sur le territoire français est de nature à constituer, à la date de leur décision, « une menace grave pour la société » au sens des dispositions de cet article.

Commentant cette dernière condition, le juge précise que la gravité de cette menace se mesure en ce qu’elle est de nature à affecter un intérêt fondamental de la société, compte tenu des infractions pénales commises – « lesquelles ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision refusant le statut de réfugié ou y mettant fin » - et des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, mais aussi du temps qui s'est écoulé et de l'ensemble du comportement de l'intéressé depuis la commission des infractions ainsi que de toutes les circonstances pertinentes à la date à laquelle ils statuent. 

En l’espèce, il est jugé que l’OFPRA n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile jugeant que ne constitue pas « une menace grave pour la société » un ressortissant russe d'origine arménienne, âgé de 54 ans à la date de la décision attaquée, entré en France en 2005, y ayant fait l'objet de huit condamnations à des peines allant de 300 euros d'amende à 10 mois d'emprisonnement pour des faits commis entre 2006 et 2009 portant, d'une part, sur le vol de divers produits dans des magasins, dont trois téléphones portables, du parfum, deux cordons d'alimentation et du matériel de bricolage et, d'autre part, sur l'usage d'une fausse plaque d'immatriculation, puis y ayant obtenu le statut de réfugié le 26 février 2009, condamné par la suite à trois ans d'emprisonnement pour le vol d'un ordinateur et de bijoux avec circonstances aggravantes et en récidive, puis à des peines de quinze jours, un mois et trois mois d'emprisonnement pour des faits commis entre 2010 et 2013 d'usage d'un faux document, de recels de biens provenant d'un délit et de détention non autorisée de stupéfiants, puis a encore été condamné, d'une part, à 450 euros d'amende pour des faits de conduite sans assurance et sans permis commis en 2018 et, d'autre part, à six mois d'emprisonnement dont quatre avec sursis pour des faits analogues et de conduite sous l'emprise de stupéfiants commis en 2020. 

Selon le juge de cassation, la CNDA n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant ainsi, à la date de sa décision, le 28 janvier 2021, que l’intéressé ne constituait pas une menace grave pour la société, de nature à justifier que le statut de réfugié dont il bénéficiait soit révoqué, en se fondant pour cela sur l'ancienneté et la nature des infractions commises jusqu'en 2013, ainsi que sur la nature et la gravité limitée des délits commis en 2018 et 2020, aucune de ces infractions ne portant sur des atteintes aux personnes, ne traduisant un comportement agressif ou violent à l'égard des tiers ou ne révélant une particulière dangerosité de l'intéressé.

Il s’agit là d’une interprétation très bienveillante de la disposition législative en cause, dont seraient peut-être surpris les parlementaires qui l’ont adoptée.

(28 janvier 2022, OFPRA, n° 451105)

 

Fonction publique et agents publics

 

21 - Indemnité spécifique de service – Régime des corps et emplois techniques du ministère de la transition écologique - Création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) dans la fonction publique de l'État (décret du 20 mai 2014) – Demande de suspension d’une disposition du décret du 16 décembre 2021 tirant les conséquences de l'application du RIFSEEP à des corps techniques du ministère de la transition écologique – Rejet.

Le décret du 20 mai 2014 a créé un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP) dans la fonction publique de l'État, ce dispositif devant se substituer aux divers régimes existants en la matière dans les différents corps de certains ministères. Il renvoyait à des arrêtés ministériels le soin de fixer, pour chaque corps, le nombre de groupes de fonctions et les montants minima et maxima de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise. C’est ainsi que des arrêtés du 5 novembre 2021 ont rendu ces dispositions applicables, à compter du 1er janvier 2021, à certains corps techniques du ministère de la transition écologique, dont les corps des ingénieurs des travaux publics de l'État, des techniciens supérieurs du développement durable, des dessinateurs de l'équipement et des experts techniques des services techniques. 

L’art. 2 du décret du 16 décembre 2021, tirant les conséquences de cette application, à compter du 1er janvier 2021, du RIFSEEP à des corps techniques du ministère de la transition écologique auxquels avait été jusqu'ici maintenu un régime indemnitaire propre (issu de l’art. 1er du décret du 25 août 2003 relatif à l'indemnité spécifique de service allouée aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts et aux fonctionnaires des corps techniques de l'équipement),  est venu préciser que l'année 2020 constitue la dernière année d'acquisition de droit à cette indemnité et définir les modalités de versement de la part d'indemnité correspondante à compter de l'année 2022. La fédération requérante demande, sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, la suspension de l'exécution de cet article 2 en tant qu'il dispose que « l'année 2020 constitue la dernière acquisition du droit à l'indemnité spécifique de service ».

La requête aux fins de suspension est rejetée car, d’une part, aucun élément n’est apporté par la demanderesse permettant d'apprécier l'ampleur des atteintes à la situation financière des agents du seul fait du report du versement de cette indemnité à compter de l'année 2022 et donc l’existence d’une urgence propre à permettre l’intervention du juge des référés et, d’autre part, les autres arguments, tirés de l’absence d’une « note de gestion » accompagnant la disposition attaquée et permettant d’éclairer les agents et de ce que la disposition finalement retenue contredirait des échanges antérieurs qui auraient eu lieu avec le ministère compétent, ne résultent pas du texte critiqué.

(ord. réf. 24 janvier 2022, Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services - Force ouvrière (FEETS - FO), n° 460238)

 

22 - Covid-19 - Tenue de réunions syndicales et régime des absences pour motif syndical dans l'éducation nationale - Réponse publiée à la rubrique "FAQ" du site internet du ministère de l'éducation - Rejet.

La fédération syndicale requérante demandait la suspension de l'exécution de la réponse, publiée dans une version du 6 janvier 2022 de la rubrique « foire aux questions » du site internet du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, apportée à la question : « quelles sont les recommandations concernant la tenue des réunions syndicales et les absences pour motif syndical ? ».

La fédération invoquait une atteinte grave et immédiate aux intérêts syndicaux qu'elle représente et à la liberté syndicale dans l'éducation nationale ainsi que l'existence de décisions de refus d'absence qui seraient déjà intervenues sur le fondement de cette réponse, en Gironde, dans l'Hérault et dans les Hautes-Alpes pour des raisons liées à la crise sanitaire et du report à une date ultérieure d'une session de formation syndicale prévue les 17 et 18 janvier en raison de refus opposés à des professeurs des écoles.

Constatant le défaut d'urgence d'une demande fondée au surplus sur des considérations très générales et des faits peu circonstanciés, le juge rejette la demande de suspension.

 (27 janvier 2022, Fédération Sud Education, n° 460778)

 

23 - Pension militaire d'invalidité - Absence du bénéfice d'une présomption légale d'imputabilité au service - Exigence de preuve - Limites - Rejet.

Rappel, d'une part, de ce que l'agent public qui sollicite l'octroi d'une pension d'invalidité (ici militaire mais la solution serait identique pour une demande de pension civile) doit, faute de se trouver dans un cas où existe une présomption légale d'imputabilité au service, rapporter la preuve d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque.

Rappel, d'autre part, de ce que cette preuve ne saurait résulter de la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ni d'une hypothèse médicale, ni d'une vraisemblance, ni d'une probabilité, aussi forte soit-elle, ni des conditions générales de service partagées par l'ensemble des militaires servant dans la même unité et soumis de ce fait à des contraintes et des sujétions identiques. 

(31 janvier 2022, M. D., n° 437228)

 

24 - Professeur agrégé du second degré - Demande de reprise intégrale d'ancienneté après démission de la fonction de la fonction publique et réussite, à nouveau, au concours d'agrégation - Refus - Invocation de l'illégalité du décret fondant le refus - Décision rejetant la demande d'abrogation du décret - Rejet.

Une professeur agrégée du second degré, placée au 8ème échelon de son grade, démissionne de la fonction publique plusieurs années après son admission au concours pour s'installer comme notaire. Puis, ayant à nouveau réussi le concours d'agrégation, elle a été nommée en qualité de professeur agrégé au premier échelon donc sans que lui ait été conservée son ancienneté antérieure. Elle a demandé au premier ministre, tout comme la fédération requérante, l'abrogation du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d'administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l'ancienneté du personnel nommé dans l'un des corps de fonctionnaires de l'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale, en tant qu'il ne prévoit pas de disposition permettant à un enseignant titulaire qui a accompli à ce titre des services d'enseignement dans l'enseignement public ou dans l'enseignement privé et qui a démissionné de la fonction publique, de bénéficier de la reprise intégrale de son ancienneté au titre de ces services d'enseignement lorsque l'intéressé est de nouveau nommé comme titulaire dans un corps d'enseignement.

Les recours, joints, sont rejetés au motif que le décret ne concerne que les agents qui ont conservé la qualité de fonctionnaire jusqu'à la date de leur nomination dans un des corps concernés et point ceux qui, à cette date, ne disposaient plus de la qualité de fonctionnaire du fait de leur démission de la fonction publique. 

En outre, cette différence de traitement, qui n'est pas contraire au principe d'égalité car elle concerne des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes, ne contrevient pas davantage à l'art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH (règle du respect des biens) ni non plus à une espérance légitime puisque la reprise d'une ancienneté de services n'est prévue par aucun texte.

(24 janvier 2022, Mme P., n° 438801 ; Fédération SGEN-CFDT, n° 445465, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

25 - Liberté de la presse – Préservation du pluralisme de la presse – Aide exceptionnelle accordée aux seules publications de presse à caractère d'information politique et générale – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Rejet.

Cette décision est encore une conséquence de la mise en redressement judiciaire de la société Presstalis provoquant un séisme juridique et financier dans le monde de la presse.

Un décret n° 2020-1384 du 13 novembre 2020 a créé, à la fois du fait de la défaillance de Presstalis et de la survenance de l’épidémie de Covid-19, une aide exceptionnelle au bénéfice des éditeurs de la presse à caractère d'information politique et générale. 

La société requérante demande son annulation en invoquant un moyen de forme et un moyen de fond.

Sur la forme, il était reproché à l’auteur du décret de n’avoir pas fait précéder l’édiction de ce texte d’une consultation de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Le moyen est rejeté car cette consultation préalable n’est obligatoire que pour les décisions à caractère réglementaire, ce qui n’est pas le cas du décret litigieux, lequel n’est pas de nature générale et impersonnelle.

Sur le fond, était reproché la violation du principe d’égalité en ce que l’aide en cause était réservée aux seules publications de presse à caractère d'information politique et générale. Le moyen est rejeté en l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans la mesure où cette aide, liée aux pertes de créances qu’ils ont subies, est destinée à maintenir via les éditeurs le pluralisme de la presse et où, on le sait, le principe d’égalité n’interdit pas, à certaines conditions, le traitement différencié de situations eles-mêmes objectivement différentes.

(28 janvier 2022, Société Les Editions Croque Futur, n° 448592)

(26) V. aussi, identique : 28 janvier 2022, Société Coop’Mag, n° 452592)

 

27 - Covid-19 – Entrée de ressortissants français sur le territoire national – Conditions pour ceux ne disposant pas d’un justificatif de statut vaccinal et provenant de certains pays - Caractère limitatif des motifs invoqués - Annulation très partielle.

L’art. 23-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifié cinq fois, régit les déplacements de toute personne de plus de douze ans à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l'une des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution.

Le requérant en demandait l’annulation :

- d’abord en tant que ces dispositions subordonnent l'entrée des ressortissants français sur le territoire national : 1° à la présentation d'un certificat de vaccination ou d'un examen de dépistage, 2° lorsqu'ils sont en provenance d'un pays classé en zone rouge ou orange et qu'ils ne sont pas vaccinés, à la justification d'un motif impérieux, ainsi qu'à une déclaration sur l'honneur de s'engager à accepter un test de dépistage et à respecter un isolement prophylactique à l'arrivée sur le territoire national ;  

- ensuite, 3° en tant qu’elles imposent aux ressortissants nationaux qui ne sont pas vaccinés et souhaitent quitter le territoire français à destination d'un pays classé en zone orange et rouge de justifier d'un motif impérieux. 

Rejetant les autres demandes d’annulation car les dispositions visées, eu égard à leur nature comme à leur objectif, ne sont pas illégales, le juge ne retient que la demande d’annulation des dispositions de l’art. 23-1 qui imposent à toutes les personnes en provenance des zones classées orange et rouge, ne disposant pas d'un justificatif de statut vaccinal, de justifier d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, d'un motif de santé relevant de l'urgence ou d'un motif professionnel ne pouvant être différé. En effet, cette exigence est susceptible, s'agissant des ressortissants français, de faire durablement obstacle à l'exercice du droit fondamental de rejoindre le territoire national dont tout Français dispose, sans que le bénéfice sanitaire d'une telle mesure soit manifestement de nature à justifier l'atteinte qui est ainsi portée à ce droit.

Ceci est la conséquence directe du droit fondamental, reconnu par le juge, qu’a tout Français de rejoindre le territoire national sauf nécessité impérieuse pour la sauvegarde de l'ordre public, notamment pour prévenir, de façon temporaire, un péril grave et imminent.

De là résulte que le juge considère que les restrictions de toute nature mises à l'embarquement de Français depuis l'étranger dans un moyen de transport à destination de la France, en vue de préserver la situation sanitaire sur le territoire national, ne peuvent être légalement prises que si le bénéfice, pour la protection de la santé publique, excède manifestement l'atteinte ainsi portée au droit fondamental en cause et ne sauraient avoir pour effet de faire durablement obstacle au retour d'un Français sur le territoire national, sans préjudice de la possibilité, pour l'autorité administrative compétente, une fois la personne entrée sur le territoire national, de prendre à son égard les mesures que la situation sanitaire justifierait.

(28 janvier 2022, M. J., n° 454927)

 

28 - Covid-19 – Obligation vaccinale imposée à diverses catégories de professionnels oeuvrant dans des institutions hospitalières, médico-sociales, de santé ou de retraite – Conséquences du non-respect de cette obligation – Rejet.

Par voie de QPC était contestée la constitutionnalité pour cause d’atteintes à des droits ou libertés fondamentaux constitutionnellement garantis, d’une part de l’art. 12 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, d’autre part de l’art. 14 de ce texte. Le premier de ces articles rend obligatoire la vaccination contre le Covid-19 pour les personnels de certaines institutions hospitalières, sanitaires, sociales, médico-sociales, de retraite, etc. Le second définit la sanction du non-respect de cette obligation vaccinale.

Le recours est bien évidemment rejeté.

L’art. 12 ne méconnaît aucun droit constitutionnel dans la mesure où il ne porte pas atteinte au principe d’égalité tel qu’entendu par la jurisprudence ainsi que – en raison des conditions et des motifs de son institution - au droit à la protection de la santé, à l'inviolabilité du corps humain et au droit à la dignité de la personne humaine.

L’art. 14 ne porte pas atteinte au droit de travailler et d’obtenir un emploi prévu au cinquième alinéa du Préambule de 1946, notamment car il ne prévoit pas, pour les personnes concernées, la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions, mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu'à ce que l'agent produise les justificatifs requis.

(28 janvier 2022, Mme G. c/ Centre hospitalier d’Arpajon, n° 457879)

(29) V. également, mais soulevant d’inédites questions procédurales : 28 janvier 2022, Mme F. c/ Centre hospitalier d’Arpajon, n° 457987.

V. aussi sur l’aspect procédural, le n° 43

(30) V., identique, avec rejet sur les mêmes dispositions : 28 janvier 2022, Mme D. c/ Centre hospitalier d’Arpajon, n° 458212.

(31) V., toujours dirigé contre le même centre hospitalier, le recours rejeté par : 28 janvier 2022, Mme D. c/ Centre hospitalier d’Arpajon, n° 458267.

(32) V. aussi, très semblable, rejetant la contestation des mêmes articles de la loi du 5 août 2021 : 28 janvier 2022, M. C. c/ Centre hospitalier de Cholet, n° 457043.

(33) V. encore, semblable, avec identique rejet : 28 janvier 2022, Mme B. c/ établissement public de santé Erasme, n° 458102.

 

34 - Site internet - Politique relative aux « cookies » - Non-respect des obligations s’imposant aux responsables de sites internet – Sanction – Compétence à cet effet de la formation restreinte de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Rejet.

(28 janvier 2022, Sociétés Google LLC et Google Ireland Limited, n° 449209)

V. n° 2

 

Police

 

35 - Police sanitaire – Covid-19 – Port obligatoire du masque à l’extérieur – Mesure justifiée en l’état des données scientifiques et épidémiologiques – Nécessité de leur caractère strictement proportionné aux circonstances de lieu – Légalité – Rejet.

Le requérant demandait, par voie de référé liberté, la suspension de l'exécution de la décision du premier ministre – contenue dans sa conférence de presse du 27 décembre 2021 - de donner instruction aux représentants de l'État territorialement compétents de mettre en œuvre l'obligation du port du masque en extérieur prévue au II de l'article 1er du décret du 1er juin 2021, pour faire face à la déferlante de contaminations liées à la prédominance en France du variant Omicron du Covid-19.

Il soutient, en premier lieu, qu'il n'est pas établi que le port du masque en plein air en toute circonstance soit nécessaire en l'état actuel des connaissances scientifiques et du taux de vaccination de la population et, en second lieu, que les conditions d'application de cette obligation ne sont pas suffisamment encadrées.

Le recours est rejeté en formation collégiale, signe de l’importance attachée par le juge au contenu de la requête dont il était saisi.

Cette décision se situe dans un mouvement plus général des juridictions administratives tendant à resserrer le contrôle qu’elles exercent sur les mesures prises en matière de protection contre un virus devenu fortement contagieux mais plus faiblement dangereux.

Les juges relèvent, tout d’abord, que les données scientifiques actuelles, relativement au mode de contamination par le Covid-19 au moyen d’aérosols formés de gouttelettes projetées par les corps humains, ne faisaient pas apparaître l’inutilité du port du masque du moins lorsque la situation locale effectivement constatée le justifie. Cette formulation manifeste une vision plus restrictive de la liberté dont disposent les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte sanitaire.

Ensuite, et c’est cela qui est le plus nouveau et le plus important dans cette décision, rappel est fait – puisqu’il ne s’agit de rien moins que d’apprécier la légalité d’une mesure de police – que les mesures générales ou individuelles réglementant la circulation des personnes pour limiter la propagation de l'épidémie « doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. »

Et, allant plus loin, les juges précisent, sur un ton un tantinet menaçant, combien est encadrée l’action des pouvoirs publics en ce domaine : « Par suite, des dispositions rendant obligatoire le port du masque en extérieur doivent être justifiées par la situation épidémiologique constatée sur le territoire concerné. Elles ne peuvent être proportionnées que si elles sont limitées aux lieux et aux heures de forte circulation de population ne permettant pas d'assurer la distanciation physique et aux lieux où les personnes peuvent se regrouper, tels que les marchés, les rassemblements sur la voie publique ou les centres-villes commerçants, les périodes horaires devant être appropriées aux risques identifiés. Le préfet, lorsqu'il détermine, pour ces motifs, les lieux et les horaires de port obligatoire du masque en plein air, est en droit de délimiter des zones suffisamment larges pour que la règle soit compréhensible et son application cohérente. » 

Si le recours est en définitive rejeté c’est parce que, dans le cas de l’espèce, le premier ministre s’est borné à donner instruction aux préfets pour prendre, sous le contrôle du juge, les mesures appropriées dans le respect des principes susénoncés ; il n’a ainsi porté atteinte à aucune liberté fondamentale.

(ord. réf. 11 janvier 2021, M. E., n° 460002)

(36) V. aussi, voisin, jugeant légale la disposition d'un arrêté préfectoral imposant le port du masque à toutes les personnes âgées de 11 ans ou plus sur le territoire des communes de Lyon et Villeurbanne, de 6 heures à 2 heures du matin en raison du mode de transmission par aérosol du virus du Covid-19, de la situation préoccupante de la situation du département du Rhône à la date de l'arrêté litigieux et des effets de la densité de population tant sur les déplacements quotidiens que sur la fréquentation des commerces et des administrations : ord. réf. 27 janvier 2022, M. C. et Mme D., n° 460459.

 

37 - Police sanitaire – Covid-19 – Vaccination facultative des enfants de 5 à 11 ans – Absence possible de prescription médicale préalable – Obligation de l’accord d’un seul des parents – Rejet.

La requérante entendait obtenir la suspension de l'arrêté du 22 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ainsi qu’une injonction de réexamen de deux des modalités d’application de l’arrêté. Elle soutenait qu’en permettant que les enfants de 5 à 11 ans soient vaccinés par des infirmiers sans prescription médicale préalable et qu’en ne soumettant cette vaccination qu’à l'accord d'un seul des parents l’arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale à l'intérêt supérieur des enfants, à leur sécurité et à leur vie privée et familiale.

Sa demande est rejetée car, d’une part, les infirmiers ne peuvent procéder à l’administration de la forme pédiatrique du vaccin Pfizer-BioN’Tech que sur prescription médicale et d’autre part, la possibilité que l’accord parental à la vaccination puisse n’être donné que par un seul des parents ne résulte pas de l’arrêté attaqué mais des dispositions des art. 372 et suivants du Code civil.

(ord. réf. 4 janvier 2022, Mme A., n° 459823)

 

38 - Police sanitaire - Mesures concernant les élèves des écoles maternelles et primaires, des collèges et des lycées - Demandes d'injonctions diverses à adresser au premier ministre et au ministre de l'éducation - Rejet.

Le juge du référé liberté était saisi de demandes d'injonctions envers le premier ministre et le ministre de l'éducation  tendant à voir modifier le protocole sanitaire dans les établissements scolaires en imposant : 1) la commande immédiate et la distribution de capteurs de CO2 pour chaque classe d'école maternelle, d'école primaire, de collège et de lycée de France ; 2) la suspension de toute activité sans masque en intérieur ; 3) les dépistages itératifs en milieu scolaire consistant pour les écoles primaires en deux tests salivaires hebdomadaires ; 4) la réalisation d'un test RT-PCR ou antigénique pour rompre l'isolement des cas contacts ; 5) la réalisation d'un test RT-PCR à J+0 pour les mineurs cas contacts.

Le lecteur ne sera sans doute pas surpris de lire que ces diverses demandes d'injonction sont rejetées après que le juge des référés a examiné chacune d'elles.

(ord. réf. 27 janvier 2022, Mme J. épouse B. et autres, n° 460594)

 

39 - Covid-19 - Maintien de la fermeture des discothèques et établissements de nuit (de type P « salles de danse » ) - Différence de traitement par rapport salles de jeux ou les lieux d'exercice de sports collectifs - Rejet.

De ce jugement rejetant un recours dirigé contre un décret maintenant la fermeture des établissements de type P, « salles de danse », tels les discothèques ou établissements de nuit, on retiendra la pauvreté de la motivation en réponse au moyen tiré de ce que ces établissements sont traités inégalitairement par rapport aux salles de jeux ou aux lieux d'exercice de sports collectifs.

En effet, il est simplement répondu que ces derniers « se trouvent dans une situation différente de celle des salles de danse » (sic) ce qui peine à convaincre du bien-fondé de la solution adoptée sur ce point. On aurait tendance à considérer, à l'instar de la requérante, « que la mesure contestée (est) incohérente ».

(31 janvier 2022, Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), n° 441800)

(40) V. aussi, à propos des établissements de type P (« salles de danse »), le rejet d'un recours invoquant successivement l'incompétence du premier ministre pour prendre le décret du 10 juillet 2020, prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans les territoires sortis de l'état d'urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé, l'atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi et le principe de légalité des délits et des peines, etc. : 31 janvier 2022, Société Nénuphar, n° 442036.

 

Professions réglementées

 

41 - Médecin – Suspension temporaire du droit d’exercer la médecine – Rejet du référé introduit en première instance – Absence d’élément nouveau apporté en appel -Rejet.

Le requérant, gynécologue-obstétricien, le docteur Bennis, demandait en appel au juge du référé liberté, l’annulation de l’ordonnance du premier juge rejetant sa demande de suspension d’exécution de la décision du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) Nouvelle-Aquitaine suspendant immédiatement son droit d'exercer la médecine, pour une durée de cinq mois, à raison de pratiques exposant ses patientes à des risques graves.

Pour rejeter l’appel, le juge des référés du Conseil d’État relève que le requérant n’apporte en appel aucun élément nouveau susceptible d’infirmer l’appréciation des faits retenue en première instance. Or, à ce stade, il avait été tout d’abord jugé que les moyens tirés de l'insuffisante motivation de la décision contestée ainsi que de la méconnaissance du respect des droits de la défense n'étaient pas de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du requérant d'exercer sa profession et à la liberté des patients de choisir leur médecin. Il avait, ensuite, été jugé qu'eu égard aux graves incidents qui se sont produits lors d'actes médicaux pratiqués par le docteur Bennis au cours de l'année 2021, il ne résultait pas de l'instruction que le directeur général de l’ARS, en prenant la mesure conservatoire contestée, aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du requérant d'exercer sa profession. Enfin, dès lors que la mesure de suspension a été prise en vue de garantir la sécurité des patients, le fait que le directeur général de l’ARS ait exercé, avant sa nomination, les fonctions de directeur de la stratégie du groupe auquel appartient la clinique dans laquelle exerce le docteur Bennis, n'était pas de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales.

(25 janvier 2022, M. Salim Bennis, n° 460430)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

42 - Demande de renvoi d’une QPC – Question identique déjà renvoyée au Conseil constitutionnel – Refus de réitération de la question dans le cadre d’un contentieux pendant devant ce Conseil – Rejet.

La demande des trois fédérations requérantes tendait à voir saisi le Conseil constitutionnel d’une QPC portant sur la constitutionnalité du troisième alinéa de l'article L. 421-5, de l'article L. 426-3 et des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 426-5 du code de l'environnement, or ces textes ont déjà fait l’objet d’un renvoi à ce Conseil par voie de QPC par une décision du Conseil d’État, du 15 octobre 2021, Fédération nationale des chasseurs, n° 454722, il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu dans la présente espèce de renvoyer au Conseil constitutionnel l’identique question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les fédérations départementales des Landes, du Gers et du Gard (cf. art. R. 771-18 du CJA).

(19 janvier 2022, Fédération départementale des chasseurs des Landes, n° 455054 ; Fédération départementale des chasseurs du Gers, n° 455246 ; Fédération départementale des chasseurs du Gard, n° 457751, jonction)

 

43 - Covid-19 – Obligation vaccinale imposée à diverses catégories de professionnels œuvrant dans des institutions hospitalières, médico-sociales, de santé ou de retraite – Conséquences du non-respect de cette obligation – QPC soulevée devant le juge des référés en première instance ou en cassation – Régime procédural – Rejet du pourvoi et refus de transmission de la QPC.

L’intérêt principal de cette décision ne tient pas au problème de fond qu'elle tranche mais à une très intéressante question de procédure née de la combinaison des textes régissant la QPC et de ceux gouvernant les référés administratifs urgents.

Deux situations peuvent se présenter.

La première situation est celle où la QPC est soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance, sur le fondement des art. L.521-1, L521-2 ou L. 522-3 CJA. Ce juge des référés peut rejeter la demande qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence et décider, ainsi, de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État.

La seconde situation est celle où le Conseil d'État est saisi d'un pourvoi dirigé contre une ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif a rejeté, sur le fondement des art. L.521-1 ou L. 522-3 du CJA, la demande qui lui était soumise, pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence. En ce cas, le Conseil d'État, juge de cassation peut, si une QPC est alors soulevée pour la première fois devant lui, rejeter le pourvoi qui lui est soumis et décider de ne pas transmettre la QPC, en jugeant, dans le délai de trois mois prévu par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, que l'ordonnance attaquée a pu, régulièrement et à bon droit, opposer, selon le cas, l'incompétence de la juridiction administrative, l'irrecevabilité de la demande ou le défaut d'urgence. 

En l’espèce, aucun des moyens soulevés n’a pu convaincre le juge d’admettre le pourvoi en cassation ou de transmettre la QPC.

(28 janvier 2022, Mme F., n° 457987)

(44) V. aussi, identique : 28 janvier 2022, Mme J., n° 457988.

 

45 - QPC - Décision de justice refusant de transmettre une QPC - Contrôle du Conseil d'État sur le bien-fondé de la décision - Annulation - Transmission de la QPC.

Saisi d'un pourvoi contre un jugement refusant, en référé suspension, de transmettre une QPC, le Conseil d'État, confirmant pleinement une tendance jurisprudentielle (V. notamment : 30 décembre 2011, Mme X., n° 350412 ; 30 décembre 2014, Mme X., n° 382830), contrôle le bien-fondé de ce refus. Estimant en l'espèce que la question soulevée présente un caractère sérieux, il annule sur ce point l'ordonnance et, sursoyant à statuer, renvoie la question au Conseil constitutionnel.

(ord. réf. 31 janvier 2022, Association Le Sphinx, n° 455122)

 

46 - Application contrainte du régime forestier à des parcelles – Atteintes au droit de propriété et au principe de libre administration des collectivités territoriales – QPC – Refus de transmission.

Les communes requérantes soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 214-3 du code forestier en tant qu’il permet au ministre chargé des forêts, contre le gré des propriétaires concernés, d’assujettir les parcelles dont ils sont propriétaires au régime forestier.

Ce régime emportant transfert à l'ONF, pour les bois et forêts concernés, de la gestion des coupes et des ventes, de l'affectation des parcelles ou de leur défrichement, les collectivités requérantes estimaient – non sans quelque vraisemblance – qu’il porte atteinte au droit de propriété et à leur pouvoir de libre administration, libertés que garantit la Constitution ; elles demandaient donc que soit transmise la question de leur conformité à la Constitution.

Pour rejeter la demande de transmission, le Conseil d’État, sans réellement convaincre malgré un solide numéro d’équilibriste, invoque deux arguments.

Selon le premier argument, les collectivités locales propriétaires conserveraient un pouvoir de décision et de contractualisation sur leur domaine forestier, pourraient s’opposer au document d'aménagement qui définit les programmes d'action envisagés pour la gestion des bois et forêts et conserveraient un rôle déterminant dans la programmation des coupes, le choix des quantités mises en vente et la façon dont les coupes sont mises à disposition de l'ONF ou, lorsque leur produit est vendu après façonnage, dans le choix de leurs modalités d'exploitation en régie par la collectivité ou par l'intermédiaire d'entrepreneurs qu'elle choisit, la collectivité étant associée aux opérations de vente, dont le produit lui est reversé. Enfin, les collectivités propriétaires conservent la faculté de vendre librement leurs bois et forêts soumis au régime forestier, dès lors qu'une sortie du régime forestier n'est pas envisagée.

Selon le second argument, l’existence d’un régime forestier poursuit l'objectif d'intérêt général d'assurer, d'une part, la cohérence de la politique forestière nationale, la mise en valeur de la forêt et de ses produits dans des conditions économiques satisfaisantes et, d'autre part, la prise en compte des bassins d'approvisionnement des industries du bois.

Reste qu’au total, on ne retrouve guère les droits souverains attachés à la qualité de propriétaire et la libre administration tourne in fine à la farce : l’atteinte qui leur est portée n’est pas de nature à justifier la transmission de la QPC. Le poète a raison, ces libertés s’effondrent comme des arbres morts :

« Oh! quel farouche bruit font dans le crépuscule,

Les chênes qu’on abat pour le bûcher d’Hercule!

Les chevaux de la mort se mettent à hennir,

Et sont joyeux, car l’âge éclatant va finir; » (V. Hugo, Le tombeau de Théophile Gautier, Hauteville-house, 2 nov. 1872, Jour des Morts).

(28 janvier 2022, Commune d’Audenge et commune du Teich, n° 458196)

 

Responsabilité

 

47 - Responsabilité pour faute - Illégalité fautive - Refus de visa par le contrôleur budgétaire - Intérêt à agir du ministre qu'en tant qu'une faute de l'État est en cause - Rejet.

Un agent contractuel de l'Agence régionale de santé publique de la région PACA (ARS PACA) demandait la réparation des préjudices qu'elle aurait subis du fait du non renouvellement de son contrat par l'ARS PACA auprès de laquelle elle avait été détachée.

Le ministre se pourvoit contre l'arrêt infirmatif condamnant solidairement l'État et l'ARS PACA à lui verser une certaine somme en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison du non-renouvellement de son contrat.

Le pourvoi soulevait deux questions principales.

En premier lieu, l'intérêt du ministre à se pourvoir était discuté. En effet, la cour administrative d'appel avait condamné solidairement l'État et l'ARS PACA à raison, pour le premier, de l'illégalité fautive dont est entaché le refus de visa de la contrôleuse budgétaire régionale et, pour la seconde, de l'illégalité fautive dont est entachée la décision du directeur général de l'ARS de ne pas renouveler le contrat. Elle estimait que chacune de ces fautes avait contribué à causer, dans leur globalité, le préjudice financier, le préjudice tiré de la minoration des droits à pension, et le préjudice moral dont se prévalait l'appelante.

C'est pourquoi l'intérêt du ministre à se pourvoir est limité, par la présente décision, à la contestation de la partie de l'arrêt d'appel jugeant que le refus de visa de la contrôleuse budgétaire régionale est entaché d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'État et qui condamne l'État à indemniser les préjudices qui résulteraient directement de ce refus de visa. Le pourvoi est donc rejeté en tant que le ministre soutient, sans y avoir aucun intérêt à le faire, que l'arrêt qu'il attaque est entaché d'erreur de droit et d'inexacte qualification juridique des faits en ce qu'il juge que le non-renouvellement du contrat de la requérante constitue une illégalité fautive susceptible d'engager la responsabilité de l'État, dès lors que cette faute n'a pas conduit à la condamnation de l'État à indemniser cette dernière mais seulement à la condamnation de l'ARS PACA.

En second lieu, examinant l'application de la règle de droit, le juge de cassation considère que c'est sans erreur de droit que la cour a jugé, d'abord, qu'une illégalité affectant un visa du contrôleur budgétaire ou un refus de visa opposé par le contrôleur budgétaire est constitutive d'une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'État et, ensuite, que le refus de visa opposé par la contrôleuse budgétaire régionale au projet d'avenant visant à renouveler le contrat liant la requérante et l'ARS PACA était de nature, en raison de son illégalité fautive, à engager la responsabilité de l'État.

(24 janvier 2022, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 434470)

 

Santé publique

 

48 - Lutte contre l’épidémie de Covid-19 – Obligation d’aviser le public des effets secondaires des vaccins anti-Covid – Obligation de faire cesser les entraves à la prescription de médicaments anti-Covid – Rejet.

Doit être  rejetée en ses deux moyens la requête tendant d’une part, à ce que le public soit avisé des effets graves qu’auraient les vaccins anti-Covid alors que l’injection de 123 552 600 doses (au 30 décembre 2021) n’a produit que des effets secondaires majoritairement attendus et non graves et, d’autre part, à ce que soient autorisés des médicaments anti-Covid comme préconisé par un urologue à la retraite dans un entretien avec le magazine Capital, ce qui n’est manifestement pas une indication médicale suffisante.

(ord. réf. 13 janvier 2022, M. B., n° 460253)

 

49 - Enfants de plus de douze ans déclarés cas contact et non complètement vaccinés – Autorisation de se rendre en classe sur présentation d’un test antigénique à J+0 négatif - Demande subsidiaire, à défaut, de mise en place d’un enseignement à distance – Rejet.

Depuis le 3 janvier 2022, un protocole sanitaire prévoit, d’une part, un isolement de sept jours pour les élèves de douze ans et plus sans vaccination ou avec une vaccination incomplète lorsqu'ils sont contacts à risque d'une personne testée positive au Covid-19 et, d’autre part, pour les élèves de moins de douze ans qui sont également contact à risque, la possibilité de rester en classe s'ils subissent un test négatif immédiat, à J+2 et J+4, les autotests étant admis à partir du 14 janvier 2022.

La requérante demandait à titre principal, que soit prise une  mesure provisoire et transitoire autorisant pendant une durée d'au minimum huit semaines les élèves de douze ans qui seront déclarés cas contact à risque et ne seront pas vaccinés ou de manière incomplète à pouvoir se rendre en classe en présentant un test négatif ; elle demandait également, à titre subsidiaire, qu’injonction soit faite au ministre de l'éducation nationale de mettre en place un enseignement à distance quotidien pour ces élèves. 

Relevant que la vaccination a été ouverte à l'ensemble des enfants à compter du 23 décembre 2021 et que la durée pour obtenir une vaccination complète a été réduite à trois semaines, le juge des référés estime que tous les enfants atteignant l'âge de douze ans sont donc dorénavant susceptibles de disposer d'un schéma vaccinal complet ; même si tel n'est pas encore le cas pour certains enfants venant juste d'avoir douze ans, compte tenu des délais d'obtention des rendez-vous de vaccination, cette situation a vocation à disparaître de manière rapide.

Il s’ensuit l’absence d’atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'éducation qui aurait été portée par l’instauration du protocole litigieux, d’où le rejet du référé.

(ord. réf. 19 janvier 2022, Mme Janura, n° 460331)

 

50 - Substances ou préparations classées comme vénéneuses (L. 5132-8 c. santé pub.) - Cannabis (plante, résine et produits dérivés) – Autorisation en dessous d’une certaine teneur – Interdiction concernant les fleurs et feuilles même d’une teneur respectant ce seuil – Absence de nocivité démontrée justifiant cette interdiction – Illégalité – Suspension de certaines des dispositions contestées – Rejet du surplus.

L’art. R. 5132-86 du code de la santé publique pris pour l’application de l’art. L. 5132-8 de ce code, interdit la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition ou l'emploi du cannabis, de sa plante et de sa résine, des produits qui en contiennent ou de ceux qui sont obtenus à partir du cannabis, de sa plante ou de sa résine. Toutefois, il peut être dérogé à cette prohibition générale pour celles des variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes et pour ceux des produits contenant de telles variétés.

Un arrêté ministériel du 30 décembre 2021, pris sur le fondement de ces dispositions, décide, d’une part, en son I., que sont autorisées la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale des seules variétés de cannabis sativa L. dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol n'est pas supérieure à 0,30 % et qui sont inscrites au catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles ou au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées en France et, d’autre part, en son II., que sont interdites la vente aux consommateurs de fleurs ou de feuilles brutes sous toutes leurs formes, seules ou en mélange avec d'autres ingrédients, leur détention par les consommateurs et leur consommation, même lorsque celles-ci ont une teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), substance classée comme stupéfiante, inférieure au seuil de 0,30 %.

Les requérants arguent de l’illégalité de cet arrêté en tant qu’il estime en son I. comme non stupéfiants les produits dont la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol  (THC) est inférieure à 0,30% et, en son II. que sont stupéfiantes les fleurs et feuilles dont la teneur en THC est également inférieure à 0,30 %.

Le juge des référés, statuant, selon les requêtes, en référé liberté ou en référé suspension, distincts ou combinés, estime qu’existe un doute sérieux sur la légalité de la disposition litigieuse car il ne résulte pas de l'instruction, à la date de l’ordonnance, que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n'est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d'interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation, alors que  cette teneur est précisément celle retenue par l'arrêté contesté lui-même, au I de son article 1er, pour caractériser les plantes autorisées à la culture, l'importation, l'exportation et l'utilisation industrielle et commerciale.

Par ailleurs, il n’est pas non plus établi qu'il ne serait pas possible de mobiliser les moyens permettant de contrôler cette teneur, alors que des moyens de contrôle sont détaillés, pour l'ensemble de la plante, à l'annexe de l'arrêté, afin de distinguer les feuilles et fleurs de chanvre qui, en raison de leur très faible teneur en THC, pourraient être regardées comme dépourvues de propriétés stupéfiantes.

La suspension est ordonnée mais seulement pour ce qui est des dispositions du II. litigieux, en revanche, elle ne l’est pas pour les autres dispositions de l’arrêté relatif à d’autres pratiques comme le bouturage, dont l’interdiction ne satisfait pas à la condition d’urgence.

(ord. réf. 24 janvier 2022, Union des professionnels du CBD, n° 460055 et n° 460375 ; Société Slow et société Studio LR, n° 460290 ; Société Weedstock, société Comptoir du chanvre, société Buddha Farm's et société Zentitude, n° 460300 ; Société Gree Leaf Company, n° 460326 ; Société Mister Flower Avenue Niel, société Mister Flower Levallois, société Mister Flower CBD et société FD Holding Investissement, n° 460334 ; Société Shyw, n° 460370, jonction)

 

Service public

 

51 - Enseignement supérieur – Covid-19 - Organisation d’examens en présentiel – Risque épidémique élevé – Demande de suspension – Rejet.

Le requérant, dont l’action en référé liberté a été rejetée en première instance, demande au Conseil d’État de suspendre l'organisation en présentiel des examens du premier semestre du centre de préparation aux concours de la haute fonction publique de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne prévus à compter du 3 janvier 2022 ou, à défaut, d'enjoindre à l'université d'organiser ces examens à distance ou, à titre encore subsidiaire, de réexaminer les modalités d'organisation de ces examens. 

Le juge des référés du Palais-Royal rejette la demande, prenant acte de ce que la tranche de population concernée par ces examens est vaccinée à plus de 90%, et de ce que l’université impose le port du masque pendant toute la durée des épreuves, met à la disposition des étudiants des produits hydro-alcooliques et leur permettra de composer dans des conditions assurant le respect des règles de distanciation. 

(ord. réf. 2 janvier 2022, M. B., n° 460051 et n° 460052)

 

52 - Scolarisation d’un mineur étranger isolé – Mineur ayant dépassé l’âge de seize ans – Circonstance indifférente à la possibilité de bénéficier d’une formation – Doute sur l’âge du mineur – Absence de pouvoir lié du recteur dans l’appréciation de cet âge – Rejet.

Une personne de nationalité camerounaise, se présentant comme mineur isolé, se voit refuser, par le département de Paris, l’accès à l’aide sociale à l’enfance pour cause de doute sur son âge ainsi que, sur décision implicite du rectorat de Paris, le bénéfice d’une formation.

Les juges du fond ayant fait droit à cette dernière demande, le ministre de l’éducation nationale se pourvoit, invoquant deux moyens qui sont rejetés.

En premier lieu, la scolarité n’étant obligatoire que jusqu’à seize ans, pour les Français comme pour les étrangers (L. 31-1 code de l’éducation dans sa version alors en vigueur), le ministre estimait qu’à supposer même que l’intéressé ait eu l’âge qu’il prétendait avoir, soit seize ans révolus, il n’existait plus pour lui d’obligation de scolarisation. Contre toute attente, confirmant les juges du fond, le Conseil d’État juge « que la circonstance qu'un enfant ait dépassé l'âge de l'instruction obligatoire ne fait pa obstacle à ce qu'il puisse bénéficier d'une formation adaptée à ses aptitudes et besoins particuliers ». Ce qui est discutable ici ce n’est pas tant qu’un tel mineur soit susceptible de bénéficier d’une formation c’est que cette dernière puisse être une obligation pour l’administration saisie d’une telle demande. La volonté du législateur paraît ici bien malmenée.

En second lieu, est rejeté le moyen tiré de l’existence d’un doute sur l’âge réel de l’intéressé car le recteur s’est cru lié par l’avis du service de l'aide sociale à l'enfance du département de Paris alors qu'il n'est pas tenu par cette appréciation et qu'il lui incombe d'apprécier lui-même la situation de l'intéressé à la date de sa décision, au vu des éléments en sa possession, tels la décision du service de l'aide sociale à l'enfance et d'éventuels éléments postérieurs.

(24 janvier 2022, Ministre de l’éducation nationale, n° 432718)

 

Urbanisme

 

53 - Urbanisme commercial – Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la création d'un hypermarché – Avis favorable de la commission départementale  d’aménagement commercial et défavorable de la commission nationale – Refus du  permis – Recours du maire contre l’avis défavorable et du pétitionnaire contre le refus du permis – Avis constituant un acte préparatoire à la décision sur la demande de permis de construire – Distinction entre les effets de l’avis sur le permis de construire et ceux sur l’autorisation d’exploitation commerciale - Cassation sur le fond sans renvoi – Renvoi partiel du pourvoi sous forme de tierce opposition.

(24 janvier 2022, Société Année distribution et autres, n° 440164)

V. n° 11

 

54 - Permis de construire - Plan local d'urbanisme (PLU) applicable - Adoption d'un PLU postérieurement à l'octroi du permis - Inapplicabilité à la construction déjà autorisée - Absence d'effet sur un permis modificatif postérieur à l'adoption du PLU - Annulation avec renvoi.

Rappel de ce qu'un permis de construire délivré le 31 juillet 2017 ne saurait être soumis aux prescriptions contenues dans un PLU entré en vigueur le 2 août 2017, soit une fois transmis au contrôle de légalité et affiché en mairie. La circonstance de la délivrance d'un permis de construire modificatif le 14 décembre 2017 est sans incidence sur le droit applicable lors de la délivrance du permis de construire initial.

On assiste ici au triomphe de la sécurité juridique et des droits subjectifs de l'administré.

(31 janvier 2022, Société Amétis, n° 439978)

 

55 - Permis de construire - Lotissement - Permis tacite délivré dans le délai quinquennal - Impossibilité d'exercer le pouvoir de surseoir à statuer - Annulation.

Un tribunal administratif annule un permis de construire tacite délivré dans un lotissement autorisant la construction d'une maison individuelle et d'une piscine. Il se fonde pour cela sur ce que le maire aurait entaché sa décision d'illégalité en n'opposant pas, le 5 janvier 2019, soit moins de cinq ans après sa décision de non opposition à la déclaration préalable de lotissement, un sursis à statuer à la demande de permis de construire présentée sur une parcelle du lotissement ainsi autorisé, au motif que le projet litigieux était de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d'urbanisme et de l'habitat de la métropole de Lyon. 

Ce jugeant, le tribunal a commis une erreur de droit car l'art. L. 442-14 du code de l'urbanisme dispose : « Lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date » . Il suit de là que l'autorité compétente ne peut légalement surseoir à statuer, sur le fondement de l'article L. 424-1 du même code, sur une demande de permis de construire présentée dans les cinq ans suivant une décision de non-opposition à la déclaration préalable de lotissement au motif que la réalisation du projet de construction serait de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme. 

Il faut approuver cette saine application du principe de sécurité juridique.

(31 janvier 2022, M. I., n° 449496)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2021

Décembre 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non-contentieuse

 

1 - Aide au programme de financement des entreprises - Établissement producteur récoltant de champagne - Refus de l’aide par l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) - Régime de l'acte créateur de droits sous condition - Absence de retrait - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Erreur de droit - Annulation et renvoi.

(9 décembre 2021, FranceAgriMer, n° 433968)

V. n° 100

 

2 - Agent public - Interdiction d'accès à un local - Mesure d'ordre intérieur - Erreur de droit - Mesure faisant grief - Annulation avec renvoi.

En principe est irrecevable le recours formé par un agent public contre une mesure d'ordre intérieur sauf si elle constitue ou révèle une discrimination ou une sanction. Ainsi en va-t-il de celle qui, tout en modifiant son affectation ou les tâches qu'il a à accomplir, ne porte pas atteinte aux droits et prérogatives qu'il tient de son statut ou de l'exercice de ses droits et libertés fondamentaux, ni n'emporte perte de responsabilités ou de rémunération.

En l'espèce, l'interdiction faite par un supérieur hiérarchique à un agent ayant la qualité de responsable syndicale d'accéder à des locaux syndicaux et sa demande de lui remettre la clef du local syndical ainsi que celle du panneau d'affichage syndical porte atteinte à l'exercice de la liberté syndicale qui est au nombre des droits et libertés fondamentaux. Elle n'a donc pas la nature d'une mesure d'ordre intérieur mais celle d'une décision susceptible de recours.

C'est au prix d'une erreur de droit que la cour administrative d'appel, se fondant sur ce que l'intéressée était en congé au mois d'août, a jugé que cette dernière n'avait ainsi plus vocation à accéder à ces locaux et que la mesure ne lui faisait pas grief.

(10 décembre 2021, Mme H., n° 440458)

 

3 - Acte du président de la République chargeant une personne d'une mission de réflexion sur la colonisation et la guerre d'Algérie - Demande d'annulation de cette décision et du rapport remis - Irrecevabilité, acte insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation, d'une part, de la mission de réflexion confiée par le président de la république à l'historien Benjamin Stora sur la mémoire de la colonisation et la guerre d'Algérie, d'autre part, du rapport établi à l'issue cde cette mission.

Les requêtes sont jugées irrecevables faute que ces deux actes, en l'absence de tout caractère décisoire,  puissent faire l'objet d'un  recours pour excès de pouvoir.

(14 décembre 2021, M. O. et association Générations Harkis, n° 442932 ; M. U., n° 448772)

 

4 - Ministre confiant à l'un de ses services l'exercice d'une mission à lui dévolue - Saisine de l'inspection générale de la justice par le garde des sceaux - Mission d'inspection sur une enquête menée par le parquet national financier - Recours pour excès de pouvoir - Irrecevabilité - Rejet.

Le recours formé par un syndicat contre une lettre par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a saisi l'inspection générale de la justice sur le fondement de l'article 2 du décret du 5 décembre 2016 portant création de l'inspection générale de la justice, d'une mission d'inspection du parquet national financier concernant le déroulement d'une enquête préliminaire qu'il a engagée est irrecevable.

En effet, la mesure confiant à un service ministériel l'accomplissement d'une de ses missions statutaires ne saurait faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(15 décembre 2021, Syndicat de la magistrature, n° 442130)

(5) V. aussi, sur le même sujet, identique sur le point ci-dessus et précisant en outre que, si, en principe, un simple communiqué de presse n'est pas en lui-même susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, le communiqué litigieux, en ce qu'il rend publique l'appréciation selon laquelle trois magistrats nommément désignés sont susceptibles d'avoir commis des « manquements au devoir de diligence, de rigueur et de loyauté » et qu'ils sont, pour ce motif, visés par une enquête administrative, est de nature à produire des effets notables, notamment sur les conditions d'exercice de leurs fonctions par les intéressés qui seraient, à ce titre, recevables à en demander l'annulation : 15 décembre 2021, Association de défense des libertés constitutionnelles et Syndicat unité magistrats SNM FO, n° 44759

 

6 - Appel à candidatures en vue de la labellisation de structures tierces dans le cadre d'essais industriels - Appel lancé par l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) - Candidature non retenue - Recours contre cette décision - Rejet car décision sans effet juridique - Erreur de droit - Annulation et renvoi.

Commet une erreur de droit l'arrêt qui juge qu'est dépourvue d'effet juridique et ne peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir en raison de sa nature d'acte préparatoire, le courrier de l'AP-HP faisant savoir à la requérante que sa candidature, adressée dans le cadre d'un appel à candidatures en vue de la labellisation au titre des structures tierces à la convention unique dans le cadre des essais industriels, n'avait pas été retenue.

En effet, il résulte d'une note de l'AP-HP publiée sur son site internet en même temps que l'appel à candidatures, d'une part, que seules les structures labellisées seront habilitées à recevoir des contreparties négociées avec les promoteurs des recherches sur la personne humaine en application des dispositions précitées, pour les recherches impliquant l'AP-HP et, d'autre part, que cette labellisation est un préalable nécessaire à la conclusion d'une convention unique portant sur des recherches impliquant la personne humaine se déroulant à l'AP-HP.

Il s’agissait donc bien en l’espèce d’une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

(23 décembre 2021, Association Alliance pour la recherche en cancérologie (APREC), n° 449254)

 

7 - Agent détaché pour dix-huit mois dans les fonctions d'inspecteur des finances - Décret mettant fin à ces fonctions avant l'expiration du délai de détachement - Absence de motivation (cf. art. L. 211-2 du CRPA) - Illégalité - Annulation.

Doit être annulé pour illégalité résultant de son défaut de motivation au sens et pour l'application des dispositions des art. L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations du public avec l'administration (CRPA), le décret du président de la république mettant fin au détachement du requérant pour dix-huit mois dans les fonctions d'inspecteur des finances de 1ère classe. En effet, dès lors que le courrier lui notifiant cette décision ne comportait l'énoncé d'aucune considération de droit et de fait susceptible d'en constituer le fondement, ni les éléments portés à la connaissance de l'intéressé au cours de la procédure contradictoire précédant cette décision ni l'avis de la commission administrative paritaire n'ont pu tenir lieu de la motivation exigée par la loi. 

Par cette solution protectrice des droits de l'intéressé, le Conseil d'État accroît l'importance de l'exigence de motivation et durcit la sanction de son non respect.

(17 décembre 2021, M. Louis-Philippe Carrier, n° 451384)

 

8 - Communication de documents – Refus – Organisme n’exerçant pas une mission de service public – Incompétence de la juridiction administrative – Irrecevabilité.

Le litige né du refus de communiquer un document, opposé par un organisme qui n’est pas chargé d’une mission de service public, ne relève pas de la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

(24 décembre 2021, M. E., n° 444711)

 

9 - Communication de documents administratifs – Communication du registre de contention et d’isolement d’un centre hospitalier au titre d’une année donnée – Documents soumis aux règles du code des relations du public avec l’administration – Rejet.

Le registre de contention et d’hospitalisation tenu par les centres hospitaliers psychiatriques constitue un document administratif dont la communication sur demande d’un administré est obligatoire dès lors qu’elle ne procède pas de façon répétitive ou qu’elle n’a pas pour effet de perturber le service ou de lui imposer une charge excessive.

(29 décembre 2021, Centre hospitalier de Montperrin, n° 451946)

(10) V. aussi, même solution : 29 décembre 2021, Centre hospitalier Édouard Toulouse, n° 451943.

(11) V. en revanche, jugeant justifié le refus de communication de ce document dès lors que le jugement ordonnant sa communication avait estimé que la nécessité d'occulter les mentions des noms des patients et des soignants n'était pas établie, alors que le centre hospitalier avait produit des documents relatifs aux manifestations organisées par l'association requérante devant certains établissements et à sa dénonciation de « violations de droits de l'homme », « d'actes de maltraitance » et de « traitements inhumains et dégradants » : 29 décembre 2021, CHU de Saint-Etienne, n° 442960

 

12 - Recours en responsabilité dirigé contre une personne publique – Délai – Condition d’opposabilité – Décision explicite et décision implicite – Formation d’un recours gracieux – Régime du délai de recours contentieux – Application stricte des dispositions du code des relations du public avec l’administration (CRPA) – Annulation de l’ordonnance.

En annulant l’ordonnance rejetant comme tardive une requête en indemnisation du chef du préjudice subi par le demandeur par suite de la mise en fourrière de son véhicule, le Conseil d’État envoie un message très clair aux juges du fond : ceux-ci doivent appliquer les dispositions du CRPA aussi strictement que possible chaque fois qu’il y va de l’intérêt du justiciable.

Le juge du Palais-Royal donne deux séries de précisions en matière de délai du recours à fins indemnitaire introduit du chef de la responsabilité de la puissance publique.

En premier lieu, il résulte de dispositions combinées du CRPA (art. L. 110-1, L. 112-3 et L. 112-6) et du CJA (art. R. 421-1 et R. 421-5) que le délai pour présenter un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné, soit dans la notification de la décision rejetant la réclamation indemnitaire préalablement adressée à l'administration si cette décision est expresse, soit dans l'accusé de réception de la réclamation l'ayant fait naître, si elle est implicite.

En second lieu, lorsque le demandeur forme, avant l'expiration de ce délai, un recours gracieux contre une décision ayant rejeté une demande indemnitaire en mentionnant les voies et délais dans lesquels pouvait être introduite une action indemnitaire et ayant, ainsi, fait courir le délai de recours contentieux, le délai de recours pour former une action indemnitaire, interrompu par le recours gracieux, ne recommence à courir qu'à compter, soit de la notification d'une nouvelle décision expresse de refus mentionnant les voies et délais d'un recours indemnitaire, soit, en cas de silence de l'administration, à compter de la naissance de la décision implicite qui en résulte, à la condition que l'accusé de réception du recours gracieux ait mentionné la date à laquelle cette décision implicite était susceptible de naître, ainsi que les voies et délais de recours qui lui seraient applicables. 

Les requérants sont ainsi complètement protégés contre tout risque d’ignorance ou d’incertitude quant aux délais en cause.

(27 décembre 2021, M. D., n° 432032)

 

13 - Procédure administrative non contentieuse – Vice affectant le fonctionnement d’une commission de réforme de la fonction publique hospitalière – Influence sur le sens de l’avis rendu – Absence – Nécessité de la présence d’un spécialiste de la pathologie en cause – Absence suppléée par plusieurs certificats médicaux émanés d’un tel spécialiste – Absence de privation d’une garantie – Rejet.

La jurisprudence décide qu’un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de cette décision ou s'il a privé les intéressés d'une garantie.

La requérante se plaignait que la commission de réforme de la fonction publique hospitalière compétente pour examiner son cas ne comportait pas la présence d’un médecin spécialiste en psychiatrie lors de la réunion au cours de laquelle cette commission a examiné sa situation et elle reprochait à la cour administrative d’appel d’avoir jugé que cette absence ne l’avait cependant pas privée d’une garantie dès lors que la commission disposait de plusieurs certificats médicaux rédigés par des médecins psychiatres ainsi que d'un rapport d'expertise récent établi par un psychiatre ayant examiné Mme D.

Le Conseil d’État, au bénéfice de l’appréciation souveraine des faits appartenant à la cour et en l’absence de toute dénaturation, approuve, à très juste titre selon nous, la solution retenue.

(27 décembre 2021, Mme D., n° 439296)

 

14 - Procédure administrative non contentieuse – Sanction pour infraction au code du travail (emploi d’un étranger non autorisé à travailler en France) - Griefs devant être communiqués au contrevenant et dans un délai raisonnable – Obligation inexistante dans les textes – Principe général du droit du respect des droits de la défense – Annulation dans la limite des conclusions.

L’art. L. 8251-1 du code de travail interdit l’emploi d’un travailleur étranger en France s’il n’y pas été autorisé. L’employeur contrevenant doit acquitter une « contribution spéciale ».

Une cour administrative d’appel juge que ni les articles L. 8253-1 et suivants du code du travail, ni l'article L. 8271-17 du même code ne prévoient expressément que le procès-verbal constatant l'infraction aux dispositions de l'article L. 8251-1 relatif à l'emploi d'un étranger non autorisé à travailler en France, et fondant le versement de la contribution spéciale, soit communiqué au contrevenant : l’Office français de l’intégration et de l’immigration n'était donc pas tenu d'informer M. A. de son droit de demander la communication du procès-verbal d'infraction sur la base duquel les manquements avaient été établis.

L’arrêt est cassé au motif, évident, que cette communication s’imposait - en vertu du principe général du respect des droits de la défense - avec indications d’une précision suffisante des griefs reprochés, octroi d’un délai raisonnable pour permettre une éventuelle défense avant le prononcé de la sanction.

(30 décembre 2021, M. A., n° 437653)

 

15 - Audiovisuel – « Chronologie des médias » - Habilitation donnée au gouvernement pour fixer par décret une nouvelle « chronologie des médias » - Habilitation ne constituant pas une obligation – Rejet.

Le droit de l’Union a prévu une contribution financière de la part des fournisseurs de services de médias à la production d'oeuvres européennes, notamment par l'investissement direct dans des contenus et par la contribution à des fonds nationaux. L’art. 36 de la loi française du 3 décembre 2020 a, à cet effet, autorisé le gouvernement à prendre par ordonnance de l’art. 38 des dispositions permettant de soumettre les éditeurs de services de médias audiovisuels à la demande par abonnement établis à l'étranger à la contribution financière au développement de la production d'œuvres cinématographiques et audiovisuelles, européennes ou d'expression originale française, mentionnée au 6° de l'article 33 et au 3° de l'article 33-2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Selon le I de l'article 28 de l'ordonnance du 21 décembre 2020 : « Les organisations professionnelles et les éditeurs de services mentionnés à l'article L. 234-1 du code du cinéma et de l'image animée concluent un nouvel accord professionnel sur les délais applicables aux différents modes d'exploitation des œuvres cinématographiques prévus aux articles L. 232-1 et L. 233-1 de ce code.

A défaut d'un nouvel accord rendu obligatoire dans un délai, fixé par décret, qui ne peut être supérieur à six mois à compter de la publication de la présente ordonnance, les délais au terme desquels une œuvre cinématographique peut être mise à la disposition du public par un éditeur de services de médias audiovisuels à la demande ou diffusé par un éditeur de services de télévision sont fixés par décret en Conseil d'État.

Ces délais s'appliquent jusqu'à l'entrée en vigueur d'un accord professionnel rendu obligatoire (...) ".

L’article 1er du décret du 26 janvier 2021 fixe la date d’expiration du délai prévu à l'article 28 de l'ordonnance précitée pour la conclusion d'un nouvel accord relatif aux délais applicables aux différents modes d'exploitation des œuvres cinématographiques au 31 mars 2021.

La société demanderesse sollicite l’annulation de l’art. 28 de l’ordonnance et de l’art. 1er du décret précité.

Des divers moyens soulevés, il faut retenir le rejet de l’un d’entre eux, particulièrement topique du régime des actes de l’administration.

Contrairement à ce que soutenait la requérante, le Conseil d’État juge que les dispositions de l'article 36 de la loi du 3 décembre 2020, éclairées par ses travaux préparatoires, que le législateur n’a entendu habiliter le Gouvernement qu’à prendre, par ordonnance, des dispositions ayant seulement pour but de susciter une nouvelle négociation d'un accord portant sur la « chronologie des médias ». Par suite, si les dispositions litigieuses de l'article 28 de l'ordonnance du 21 décembre 2020 permettent au Gouvernement de fixer par décret en Conseil d'État une nouvelle « chronologie des médias » à partir d'une date fixée par décret, sous réserve qu'aucun nouvel accord professionnel n'ait été rendu obligatoire à cette date, elles doivent être regardées comme ne comportant, en revanche, aucune obligation pour le Gouvernement de fixer par décret en Conseil d'État une nouvelle « chronologie des médias » si aucun nouvel accord professionnel n'est signé et rendu obligatoire à cette même date. Il s’agit d’une habilitation non d’une obligation de décision.

La nuance pourra paraître subtile aux utilisateurs concernés et le recours du juge à l’analyse des travaux préparatoires illustre bien le peu de clarté du mécanisme normatif ainsi agencé.

(27 décembre 2021, Société Canal Plus, n° 450083 ; Société Canal Plus, n° 450644, deux espèces)

 

16 - Normalisation – Normes ISO – Caractère obligatoire de celles-ci subordonné à leur gratuité – Contrôle et évaluation des matériaux et produits contenant de l’amiante – Certification des compétences des évaluateurs – Absence de gratuité de l’accès à la norme - Illégalité – Annulation.

La ministre de la transition écologique ne pouvait pas exiger – pour la certification de la satisfaction, par certains corps ou organismes, aux critères de certification des compétences des personnes physiques opérateurs de repérages, d'évaluation périodique de l'état de conservation des matériaux et produits contenant de l'amiante, et d'examen visuel après travaux dans les immeubles bâti – que ceux-ci soient soumis obligatoirement à une accréditation qui est faite sur la base d'une norme d'accréditation homologuée en vigueur, laquelle est, en l'espèce, la norme NF EN ISO/CEI 17024, car cette accréditation a pour effet de rendre obligatoire l'application de cette norme, alors qu'une norme, en vertu des dispositions de l’art. 17 du décret du 16 juin 2009 relatif à la normalisation, ne peut être rendue d'application obligatoire si elle n'est pas gratuitement accessible.

Tel est le cas en l’espèce où cette cette norme n'est pas gratuitement accessible sur le site internet de l'Association française de normalisation.

(30 décembre 2021, Association « Les diagnostiqueurs indépendants », n° 436420)

 

17 - Demande d’inscription d’un dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables – Article L. 165-1 code de la sécurité sociale – Décision implicite de rejet puis décision explicite de rejet – Irrégularité procédurale – Absence – Illégalité par voie de conséquence – Absence – Rejet.

Doit être rejeté le recours dirigé contre une décision explicite, intervenue après une décision implicite, rejetant une demande d’inscription d’un dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables, conformément aux dispositions de l’article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. En effet, la décision explicite succédant à une décision implicite de même sens se substitue ipso facto à elle. Il suit de là que ne peuvent être invoquées contre cette décision explicite ni la circonstance qu’elle n’aurait pas été précédée d’un avis de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et de technologie de santé, ni qu’elle serait illégale par voie de conséquence de l’illégalité e la décision implicite.

(30 décembre 2021, Sociétés Giskit B.V et Goodlife Pharma, n° 446479)

 

Audiovisuel, informatique, fichiers et technologies numériques – Intelligence artificielle

 

18 - Élection présidentielle de 2022 - Demande d'injonction envers le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réglementation des sondages - Temps de parole des candidats déclarés - Exclusion des personnes n'ayant pas publiquement déclaré leur candidature - Rejet.

Une personne ayant fait connaître sa décision de se porter candidate à l'élection présidentielle du printemps 2022 saisit le juge du référé de l'art. L. 521-2  du CJA du refus que lui a opposé le CSA de modifier sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, afin d'y préciser les règles d'élaboration des sondages d'opinion susceptibles d'être pris en compte pour apprécier le caractère équitable des temps d'intervention des candidats au regard de leur représentativité. Dans l'attente du jugement au fond du rejet implicite de cette demande, il saisit le juge des référés du Conseil d’État afin qu'il enjoigne au CSA de prendre une délibération fixant provisoirement de telles règles et d'assurer provisoirement un temps minimal, de quinze minutes par semaine, d'expression de tous les candidats publiquement déclarés à la prochaine élection présidentielle dans les médias se trouvant sous son contrôle et ce à des heures de grande audience.

Le recours est rejeté pour défaut d'urgence, condition sine qua non de l'usage du référé liberté, alors que le scrutin dont s'agit aura lieu dans quatre mois.

Ce litige a donné lieu à une précédente décision du juge des référés statuant sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-3 CJA (25 novembre 2021, M. A., n° 458424; cf. cette Chronique, novembre 2021, n° 105)

(ord. réf. 9 décembre 2021, M. A., n° 459010)

(19) V. aussi, dans le même sens : ord. réf. 22 décembre 2021, M. B., n° 459602.

 

20 - Contrat d'itinérance conclu entre deux sociétés de téléphone - Décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) de ne pas demander une modification de l'avenant du 19 février 2020 au contrat d'itinérance entre les sociétés Free Mobile et Orange prolongeant son exécution pendant deux ans - Condition d'exercice par  l'ARCEP de son pouvoir de demander la modification d'une convention de partage de réseaux entre opérateurs - Exigence seulement de compatibilité entre accord d'itinérance et objectifs de la régulation - Rejet.

Les requérantes demandaient, au principal, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision, rendue publique par un communiqué de presse publié le 23 octobre 2020, par laquelle l'ARCEP a renoncé à demander une modification de l'avenant du 19 février 2020 au contrat d'itinérance entre les sociétés Free Mobile et Orange prolongeant son exécution pendant deux ans et, d'autre part, qu'injonction soit faite à l'ARCEP de modifier, en application de l'article L. 34-8-1-1 du code des postes et des communications électroniques, le 9ème avenant au contrat d'itinérance passé entre les sociétés Free Mobile et Orange en précisant les conditions de son extinction définitive dans un délai maximum de trois mois à compter de la décision à intervenir.

Les requêtes sont rejetées. Délaissant les moyens de légalité externe nous n'évoquons ici que ceux de légalité interne.

Tout d'abord, le juge procède à trois constatations ou rappels :

1°/ l'effet utile d'un recours dirigé contre la décision de l'ARCEP de ne pas demander la modification d'une convention de partage des réseaux radioélectriques ouverts au public ne peut guère consister qu'en la prescription d'office par le juge (cf. art. L. 911-1 CJA), pour l'ARCEP, de procéder au réexamen de cette convention en vue de demander, le cas échéant, de telles modifications ;

2°/ L'appréciation de la légalité de cette décision doit être faite au jour de la décision du juge sur ce point ;

3°/ enfin, dans le cas où la convention n'est plus en vigueur à cette date, le litige dont est saisi le juge est devenu sans objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.

Ensuite, il est jugé que la faculté pour l'ARCEP de demander la modification d'une convention de partage de réseaux entre opérateurs est limitée à deux cas selon que l'ARCEP estime cette modification nécessaire soit à la réalisation des objectifs mentionnés à l'article L. 32-1 du code des postes et communications électroniques soit au respect des engagements souscrits au titre des autorisations d'utilisation de fréquences radioélectriques par les opérateurs parties à la convention. 

Enfin, la seule circonstance que les conditions initiales ne seraient plus réunies, n'impose pas que l'ARCEP intervienne en application des dispositions de l'article L. 34-8-1-1 dudit code pour demander qu'il soit mis fin à l'accord d'itinérance, dès lors que les conditions de cet accord sont par ailleurs compatibles avec la réalisation des objectifs de la régulation.

(15 décembre 2021, Société Bouygues Télécom, n° 448067 ; Société française du radiotéléphone (SFR), n° 448101, jonction)

 

21 - Traitement de données à caractère personnel – Traitement dit « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASP) – QPC – Rejet – Légalité externe – Rejet – Finalités du traitement – Enregistrement des données – Données diverses – Durée de conservation – Accès et communication – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation pour excès de pouvoir le décret du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Enquêtes administratives liées à la sécurité publique » (EASP).

En bref, ces dispositions, essentiellement les articles L. 114-1, L. 114-2 et L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure, prévoient que peuvent être précédés d'enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n'est pas incompatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées ou avec l'attribution des titres demandés, les décisions administratives de recrutement, d'affectation, de titularisation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation, prévues par des dispositions législatives ou réglementaires, concernant certains emplois sensibles, relevant notamment du domaine de la sécurité, de la défense et des jeux, paris et courses, l'accès à des zones protégées en raison de l'activité qui s'y exerce, l'utilisation de matériels ou produits présentant un caractère dangereux, la délivrance, le renouvellement ou le retrait de titres et d'autorisations de séjour, l'octroi ou le maintien de la protection internationale, ainsi que les décisions de recrutement et d'affectation concernant les emplois en lien direct avec la sécurité des personnes et des biens au sein de certaines entreprises de transport. Une telle enquête, portant sur le point de savoir si le comportement ou les agissements de la personne sont de nature à porter atteinte à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'État, est menée préalablement à la délivrance d'une autorisation d'accès à certains établissements et installations sensibles dans le cadre des grands événements exposés, par leur ampleur ou leurs circonstances particulières, à un risque exceptionnel de menace terroriste désignés par décret. Il en va de même en cas d'enquête portant sur la conduite et le loyalisme du demandeur en matière de déclarations de nationalité, de décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, de toute demande de naturalisation ou de réintégration. 

La QPC soulevée à l’encontre de ces dispositions ainsi que les autres moyens développés à l’encontre du décret attaqué sont rejetés.

Les griefs tenant à la légalité externe (incompétence du pouvoir réglementaire pour prendre ce texte, consultation irrégulière du Conseil d’État et défaut d’analyse d’impact) ne sont pas retenus.

Les moyens de légalité interne, plus substantiels, retiennent davantage l’attention du juge (et du commentateur) même s’ils sont finalement, à leur tour, rejetés.

Ainsi en va-t-il notamment des moyens relatifs à la finalité des traitements en cause, qu’il s’agisse de la détermination de ces finalités ou de leur légitimité ; des moyens relatifs aux données susceptibles d’être enregistrées tant pour ce qui regarde les personnes concernées du chef de ces données que pour ce qui concerne la collecte de données sensibles ; des moyens concernant le repérage et les données des activités menées au sein de personnes morales ou de groupements, sur mes réseaux sociaux ; ou encore de ceux relatifs aux données de santé, portant sur des antécédents judiciaires, concernant des « facteurs familiaux, sociaux et économiques », des « facteurs de fragilité », des « comportements et habitudes de vie », des « déplacements » ainsi que des « pratiques sportives ».

Dans tous les cas cités, il apparaît au juge que les éléments recherchés ou susceptibles de l’être sont légitimes, clairement délimités et entourés de garanties propres à assurer la sauvegarde des droits et libertés en cause.

Reste qu’il nous semble que ce n’est pas tant le régime juridique applicable à chacun de ces éléments (encore que…) qui constitue le plus gros danger mais la diversité et l’étendue des connaissances ainsi engrangées et cela alors même que chacune d’elles le serait dans des conditions irréprochables. Nul n’ignore les faiblesses humaines, l’existence d’intérêts malsains et multiples, les capacités de corruption, le degré de pénétration des systèmes les mieux protégés, et, pour finir, que « tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » (Montesquieu) parfois avec une parfaite bonne foi qui a nom ici, étant donné l’ampleur du savoir ainsi acquis, « dangereuse naïveté ».

(24 décembre 2021, Ligue des droits de l'homme et Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 447513 ; Confédération générale du travail et autres, n° 447973 ; Association La Quadrature du Net, n° 448059 ; Conseil national des barreaux, n° 449299 ; Collectivité de Corse et autres, n° 449461, jonction)

(22) V. aussi, assez semblable au précédent mutatis mutandis, avec mêmes requérants, s’agissant du décret du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Prévention des atteintes à la sécurité publique » (PASP) contre lequel le recours est rejeté : 24 décembre 2021, Ligue des droits de l'homme et Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 447515 ; Confédération générale du travail et autres, n° 444969 ; Association La Quadrature du Net, n° 448048 ; Conseil national des barreaux, n° 449300 ; Collectivité de Corse et autres, n° 449468, jonction.

(23) V. encore, le rejet des recours formés par les requérants précédents contre le décret n° 2020-1512 du 2 décembre 2020 modifiant les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel dénommé « Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique » (GIPASP) : 24 décembre 2021, Ligue des droits de l'homme et Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 447518 ; Confédération générale du travail et autres, n° 444971 ; Association La Quadrature du Net, n° 448051 ; Conseil national des barreaux, n° 449301 ; Collectivité de Corse et autres, n° 449469, jonction.

Au terme de l’analyse de ces trois séries de recours rejetés, force est de conclure que quand c’est trop, c’est trop quelles que puissent être la pureté des intentions et la légitimité du but poursuivi. Encore une fois, cette masse quantitative d’atteintes finit par colorer en très sombre la qualité de la démocratie.

(24) V. ni comparable ni voisin mais concernant des thématiques assez semblables et révélant des craintes de même nature : 30 décembre 2021, Quadrature du Net, Franciliens.Net et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs, n° 428028

 

25 - Service radiophonique – Obligation relative au respect de la part des recettes de publicité ou de parrainage par rapport au chiffre d’affaires d’une association éditrice d’un service radiophonique – Interprétation de la convention conclue avec le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Clause contractuelle se référant aux dispositions de l’art. 80 de la loi du 30 septembre 1986 – Incidence sur le mode de calcul du pourcentage maximum autorisé pour la part de recettes – Rejet.

Saisi par le syndicat requérant, le Conseil d’État a, par une décision du 6 mai 2021, sursis à statuer sur celles de ses conclusions tendant à l'annulation de la décision par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a refusé de mettre en demeure l'association Radio Color, éditrice du service radiophonique Vosges-FM, de respecter son obligation relative à la part de ses ressources provenant de la publicité ou du parrainage. Un délai de deux mois a été imparti au CSA par cette même décision et à l'association Radio Color pour produire tous éléments relatifs au respect par cette dernière de la limite des 20% des ressources provenant de la publicité ou du parrainage, fixée à l’article 3-3 de la convention conclue le 22 novembre 2017 entre le CSA et l'association Radio-Color.

La présente décision concerne donc cet aspect seulement du litige.

Pour dire que c’est à bon droit que le CSA a estimé que l’association radiophonique en cause avait respecté son engagement contractuel, le Conseil d’État relève que la convention a fait choix de se référer à la règle posée à l’art. 80 de la loi du 30 septembre 1986.

Il s’ensuit que pour calculer le pourcentage maximum de 20% du chiffre d'affaires total pouvant provenir de la publicité ou du parrainage, doit être retenu le rapport entre, d'une part, l'ensemble des ressources tirées de la diffusion de messages publicitaires ou de parrainage à l'antenne du service Vosges-FM et, d'autre part, l'ensemble des produits d'exploitation que l'association Radio-Color tire de l'activité radiophonique de ce même service.

En revanche, contrairement à ce que soutient le syndicat requérant, l’art. 3-3 précité n'a entendu tenir compte, ni au numérateur, ni au dénominateur de cette fraction, des ressources de l'association provenant de « conseils en communication » ou de vente d'espaces publicitaires sur le site de la station Vosges FM, lesquelles ne revêtent pas, pour l'application des stipulations de la convention, le caractère de produits tirés de l'activité radiophonique du service Vosges-FM.

(27 décembre 2021, Syndicat des radios indépendantes (SIRTI), n° 435540)

 

26 - Audiovisuel – « Chronologie des médias » - Habilitation donnée au gouvernement pour fixer par décret une nouvelle « chronologie des médias » - Habilitation ne constituant pas une obligation – Rejet.

(27 décembre 2021, Société Canal Plus, n° 450083 ; Société Canal Plus, n° 450644)

V. n° 15

 

Biens

 

27 - Occupation du domaine public par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique - Redevances dues à une communauté urbaine - Plafonnement - Mode de calcul - Erreur de droit partielle et annulation sur ce point.

La société Enedis a obtenu en première instance et en appel l'annulation de titres exécutoires émis par une communauté urbaine au titre de la redevance d'occupation provisoire de son domaine public.

La communauté urbaine se pourvoit.

Tout d'abord, est censurée l'erreur de droit commise par la cour qui, pour dire irréguliers les titres exécutoires litigieux, s'est fondée sur ce que la communauté qui les avait émis n'était pas habilitée à mettre en œuvre le régime prévu à l'article L. 2333-84 du CGCT alors qu'à la date à laquelle des délibérations qui ont institué et fixé le montant de ces redevances à la charge des opérateurs de transport et de distribution d'électricité en contrepartie, respectivement, de l'occupation du domaine public routier par leurs ouvrages et de l'occupation provisoire de ce domaine par les chantiers de travaux qu'ils réalisent, la communauté urbaine exerçait, sur le territoire de ses communes membres, la compétence relative à la voirie lui avait été transférée en pleine propriété. 

Ensuite, il résulte des dispositions de l'art. R. 2333-106 du CGCT que lorsqu'une partie du domaine public d'une commune est mise à la disposition d'un établissement public de coopération intercommunale, l'un comme l'autre fixent le montant des redevances dues à raison de l'occupation, par les ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'énergie électrique, des dépendances domaniales dont ils sont gestionnaires, dans les limites du plafond communal global prévu par l'article R. 2333-105 du même code, réparti au prorata de l'occupation par ces réseaux de leurs domaines publics respectifs.

Lorsque, comme en l'espèce, un établissement public de coopération intercommunale est devenu propriétaire de dépendances du domaine public par l'effet d'un transfert de compétences ces mêmes dispositions s'appliquent. De ce fait, en cas d'occupation par ces ouvrages à la fois du domaine public d'une communauté urbaine et de celui de ses communes membres, les tarifs de la redevance instituée par la communauté urbaine doivent être fixés dans la limite, pour chacune des communes, d'une fraction du plafond communal global, calculée au prorata de la longueur des réseaux installés sur ce domaine public par rapport à la longueur totale des réseaux installés sur le territoire de la commune concernée. Il en va de même pour les tarifs de la redevance due à raison de l'occupation provisoire de ce domaine public pour les besoins de chantiers de travaux sur des ouvrages du réseau public de distribution d'électricité.

Les délibérations litigieuses méconnaissent cette règle du plafonnement  et sont illégales dans cette mesure.

La société demanderesse est donc seulement fondée à demander l'annulation des titres litigieux en tant qu'ils ont mis à sa charge des sommes excédant le montant déterminé par application de cette règle.

(10 décembre 2021, Communauté urbaine Creusot-Montceau, n° 445108)

 

28 - Copropriété des immeubles bâtis – Transfert d’un lot ou partie de lot – Établissement par le syndic d’un état daté des sommes dues ou à recevoir – Fixation d’un plafond des frais et honoraires dus – Légalité – Rejet.

Le b) de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis dispose que les honoraires et frais perçus par le syndic en contrepartie de l'établissement de l'état daté lors du transfert e propriété d’un lot ou d’une partie de lot, imputables au seul copropriétaire concerné, ne peuvent excéder un montant fixé par décret. Le décret du 17 mars 1967, pris pour l’application de la loi précitée, impose au syndic, avant tout transfert de propriété d'un lot ou d'une fraction de lot, d'adresser au notaire chargé de recevoir l'acte, un état daté indiquant, pour chaque lot considéré, les sommes restant dues au syndicat par le copropriétaire cédant, celles dont le syndicat pourrait être débiteur vis-à-vis de lui et celles qui incomberont au nouveau copropriétaire.

L'article 1er du décret du 21 février 2020, dont l'annulation pour excès de pouvoir est demandée, fixe à 380 euros TTC ce montant maximum. 

Les différents moyens soulevés sont rejetés et d’abord la demande de transmission d’une QPC car le plafonnement du montant des honoraires et frais, compte tenu de l’intérêt général qui y est attaché, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, ne méconnaît pas le principe de l'égalité devant les charges publiques et n’affecte pas la liberté d’entreprendre.

Ensuite, les dispositions litigieuses ne portent pas atteinte à la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur qui vise à créer un véritable marché intérieur des services en interdisant ou en encadrant les restrictions à la liberté d'établissement et à la libre circulation des services entre les États membres, étant en outre observé que l'article 3 de la loi du 2 janvier 1970 soumettant l'exercice de l'activité de syndic à la détention d'une carte professionnelle, cette activité relève des matières couvertes par l'article 5 du titre II de la directive du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles. Ainsi, la Chambre FNAIM du Grand Paris ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 16 de la directive du 12 décembre 2006 à l'appui de son recours dès lors que, en vertu du § 6 de l'article 17 de la directive du 12 décembre 2006, l'article 16 de cette directive ne s'applique pas « aux matières couvertes par le titre II de la directive (du 7 septembre 2005) ainsi qu'aux exigences en vigueur dans l'État membre où le service est fourni, qui réservent une activité à une profession particulière ». 

Le tarif litigieux de 380 euros ne saurait être regardé comme une restriction contraire à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services garanties respectivement par les articles 49 et 56 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

Enfin, le décret attaqué, au regard de l’objectif poursuivi, ne contrevient pas à l’art. 10-I de la loi de 1965 sur la copropriété des immeubles bâtis en l’absence d’atteintes disproportionnées tant à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie qu’à l’objectif de protection des consommateurs ou au principe d’égalité devant les charges publiques.

La solution retenue est d’autant plus justifiée que les moyens informatiques contemporains, notamment les logiciels ad hoc, permettent avec une très grande facilité et rapidité, à peu de frais, l’établissement de tels états. 

(29 décembre 2021, Chambre FNAIM du Grand Paris, n° 441005)

 

29 - Traitement en vue du développement d’un algorithme - Réalisation d'évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative - Élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels – Absence d’irrégularité – Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation du décret du 27 mars 2020 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DataJust ». Celui-ci autorise le garde des sceaux, à mettre en œuvre, pour une durée de deux ans, un traitement ayant pour finalité : « le développement d'un algorithme devant servir à :

1° La réalisation d'évaluations rétrospectives et prospectives des politiques publiques en matière de responsabilité civile ou administrative ;

2° L'élaboration d'un référentiel indicatif d'indemnisation des préjudices corporels ;

3° L'information des parties et l'aide à l'évaluation du montant de l'indemnisation à laquelle les victimes peuvent prétendre afin de favoriser un règlement amiable des litiges ;

4° L'information ou la documentation des juges appelés à statuer sur des demandes d'indemnisation des préjudices corporels. ».

Les données permettant la confection de cet algorithme sont extraites des décisions de justice rendues en appel entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2019 par les juridictions administratives et les formations civiles des juridictions judiciaires dans les seuls contentieux portant sur l'indemnisation des préjudices corporels.

Dans la mesure où ces données feront l’objet d’une pseudonymisation, le droit d'information et le droit d'opposition des personnes dont les données sont collectées ne s'appliqueront pas. 

Le recours invoquait de nombreux moyens qui sont tous rejetés avec, parfois, une légèreté ou une désinvolture traduisant un grand optimisme de la part du juge sur les vertus attendues de cet instrument. Par exemple, lorsque celui-ci justifie certaines entorses au motif que ce n’est qu’une expérimentation devant durer seulement deux ans, oubliant qu’au terme de cette période ce sont bien des conclusions définitives qui seront tirées : si au stade présent il ne s’agit que de recueillir des éléments forcément rétrospectifs, c’est pour en tirer, selon les propres termes de l’art. 1er de ce décret, « des évaluations prospectives », donc pour orienter de manière décisive l’action des gouvernants en direction des citoyens.

Le juge ne trouve rien à redire aux finalités assignées au traitement devant permettre la construction de l’algorithme : elles sont déterminées et explicites, ne portent pas atteinte aux principes de l'individualisation et de la réparation intégrale des préjudices, elles ne sont pas inutiles en dépit de l'existence d'autres outils ayant la même finalité et elles ne sont pas davantage biaisés faute pour le traitement de prendre en compte les indemnités amiables ainsi que l'évolution du droit car il ne s’agit que d’une expérimentation d’une durée de deux ans.

Semblablement, ne souffrent pas davantage la critique les données collectées : elles respectent les principes de minimisation et d'exactitude des données y compris celles relatives à la santé des personnes concernées ; les restrictions apportées aux droits des personnes dont les données sont traitées, notamment s’agissant de leur consentement au recueil de ces données, de leurs droits d’information, d’opposition, d’accès, de rectification et de limitation ne sont pas excessives dès lors que s’y attache un intérêt public et que leurs résultats sont rendus publiquement disponibles ; enfin, compte tenu de la restriction des personnes destinataires de ces données et des obligations pesant sur les responsables en matière de respect des règles de sécurité des données, il n’y a pas lieu non plus, de ces chefs, d’apercevoir une quelconque irrégularité.

On regrettera que la première vraie décision du Conseil d’État sur cette matière innovante n’ait pas donné lieu à une rédaction davantage doctrinale.

(30 décembre 2021, Société B. Avocat Victimes et Préjudices et M. B., n° 440376 ; M. M. et autres, n° 440976 ; Mme A. et autres, n° 442327 ; Association La Quadrature du Net, n° 442361 ; Association APF France handicap et autres, n° 442935)

 

Contrats

 

30 - Modèle d'accord-cadre entre EDF et les fournisseurs et acheteurs d'énergie électrique (art. L. 336-5 code de l'énergie) - Crise sanitaire - Définition de la force majeure par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Baisse de la consommation et du prix de gros de l'énergie électrique - Refus d'EDF de mettre en oeuvre la clause de force majeure figurant à l'art. 13 du modèle d'accord-cadre – Annulation.

Par suite des effets délétères du confinement imposé durant la première vague de l'épidémie de Covid-19, au printemps 2020, la consommation d'électricité a fortement chuté ainsi que le prix de gros de celle-ci qui est descendu bien en dessous du montant de 42 euros par MWh H.T. fixé par l'arrêté du 17 mars 2011.

Plusieurs fournisseurs d'électricité, considérant la situation ainsi créée comme constitutive d'un « événement de force majeure » au sens de l'art. 10 du modèle d'accord-cadre annexé à l'arrêté du 12 mars 2019 (qui dispose : « La force majeure désigne un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rendant impossible l'exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables (...) »), ont demandé l'application de l'art. 13 des accords-cadres conclus par chacun d'eux.

Selon cet article : en premier lieu, « L'exécution de l'accord-cadre pourra être suspendue, dans les cas de défaillance et suivant les modalités indiquées ci-après : (...) - en cas de survenance d'un événement de force majeure, défini à l'article 10 de l'accord-cadre (3) » ; en second lieu, dans cette hypothèse, « la suspension prend effet dès la survenance de l'événement de force majeure et entraîne de plein droit l'interruption de la cession annuelle d'électricité et de garanties de capacité ». 

Par sa délibération du 26 mars 2020 portant communication sur les mesures en faveur des fournisseurs prenant en compte des effets de la crise sanitaire sur les marchés d'électricité et de gaz naturel, la CRE, dans la partie intitulée « Evolution du cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) » :

1°/ a constaté le désaccord entre les fournisseurs alternatifs d'électricité et la société EDF;

2°/ a donné son interprétation des dispositions précitées de l'article 10 en estimant que la « force majeure ne trouverait à s'appliquer que si l'acheteur parvenait à démontrer que sa situation économique rendait totalement impossible l'exécution de l'obligation de paiement de l'ARENH » ;

3°/ a conclu qu' « en conséquence, la CRE ne transmettra pas à Réseau de transport d'électricité (RTE) une évolution des volumes d'ARENH livrés par EDF aux fournisseurs concernés liée à une demande d'activation de la clause de force majeure ». 

La société requérante, qui a conclu un accord-cadre sur l'ARENH avec la société EDF et à qui cette dernière a refusé la mise en œuvre de la clause de force majeure par une décision du 23 mars 2020, demande, d'une part, l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération précitée du 26 mars 2020 pour méconnaissance des articles 10 et 13 de cet accord et, d'autre part, qu'il soit enjoint à la CRE de reprendre une délibération dans un délai de deux semaines sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

Le Conseil d'État, confirmant une tendance jurisprudentielle désormais bien établie, juge tout d'abord que  les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l'exercice des missions dont elles sont investies peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir de la part de tout requérant justifiant d'un intérêt direct et certain à leur annulation, lorsqu'ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d'influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s'adressent. On aura observé que la ligne de partage avec un recours de plein contentieux est ici très ténue.

Il suit donc de là la recevabilité du recours introduit par la société demanderesse contrairement à la fin de non-recevoir opposée par la CRE.

Ensuite, au fond, le Conseil d'État reproche à la CRE d'avoir donné de la force majeure  une définition fondée sur l'impossibilité totale pour l'acheteur d'exécuter l'obligation de paiement de l'ARENH alors que les stipulations de l'article 10 de l'accord-cadre subordonnaient uniquement le bénéfice de cette clause à la condition qu'un événement extérieur, irrésistible et imprévisible rende impossible l'exécution des obligations des parties dans des conditions économiques raisonnables. Allant ainsi au-delà de l'exigence contractuelle, la CRE a commis une erreur de droit qui entraîne l'annulation de la partie litigieuse de sa délibération querellée. 

La question demeure de savoir si la censure ainsi prononcée s'attache au fait que la CRE n'a pas retenu la définition contractuelle sur la base de laquelle ont été fondées les obligations respectives des contractants ou au fait que la définition qu'elle a retenue s'éloigne de celle, assez constante, retenue en droit positif et dans la jurisprudence, tant civile qu'administrative

(10 décembre 2021, Société Hydroption, n° 439944)

 

31 - Délégation de service public (DGSP) - Entreprise candidate sur un des lots - Envoi de deux courriers - Commune ayant retenu le seul second courrier - Rejet de la candidature pour incomplétude du dossier - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Dans le cadre d'une procédure d'attribution de lots d'une délégation de service public, la requérante a adressé deux courriers, le premier le 11 mai 2021, par lequel elle présentait sa candidature, le second le 16 mai, qui comportait une copie de sa licence d'exploitation IV. Appliquant l'art. R. 2151-6 du code de la commande publique (selon lequel « Le soumissionnaire transmet son offre en une seule fois. Si plusieurs offres sont successivement transmises par un même soumissionnaire, seule est ouverte la dernière offre reçue par l'acheteur dans le délai fixé pour la remise des offres. »), la commission de délégation de service public a déclaré cette candidature incomplète en ne retenant que le second envoi reçu.

L'ordonnance attaquée est annulée car, pour rejeter le référé dont il était saisi, son auteur, d'une part, a estimé que la requérante n'était pas fondée à soutenir que la commune ne pouvait rejeter sa candidature comme incomplète sans consulter la copie de sauvegarde qu'elle avait également déposé et, d'autre part, a omis de répondre aux autres moyens de la requête.

Le Conseil d'État annule l'ordonnance car les dispositions réglementaires invoquées au soutien du rejet de la candidature litigieuse ne sont pas applicables à une DGSP et, surtout, l'autorité concédante ne pouvait se dispenser de constater que la seconde transmission ne comportait qu'un document et ne pouvait être raisonnablement regardée comme se substituant au dossier de candidature transmis antérieurement. C'est donc à tort qu'elle a rejeté pour incomplétude la candidature de la requérante.

Il est enjoint à la commune de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures en tenant compte de la candidature que la société TDS lui a transmise le 11 mai 2021. 

(20 décembre 2021, Société TDS, n° 454801)

 

Droit du contentieux administratif

 

32 - Classement de parcelles - Demande de révision et de décharge de taxe foncière sur les propriétés non bâties - Refus ayant des effets autres que fiscaux - Acte détachable du mécanisme d'imposition - Contestation relevant du contentieux de l'excès de pouvoir - Rejet partiel et annulation.

(6 décembre 2021, M. B., n° 438209)

V. n° 70

 

33 - Salarié protégé - Licenciement - Refus d'autorisation - Irrecevabilité du recours contre cette décision - Décision purement confirmative - Erreur de droit et de qualification juridique des faits - Annulation et renvoi.

(8 décembre 2021, Société Café de Flore, n° 433754)

V. n° 110

 

34 - Compétence de premier ressort des cours administratives d'appel - Décision de la Commission nationale d'aménagement commercial sur la caducité d'une autorisation d'exploitation commerciale - Décision prise dans le cadre de l'art. L. 752-17 du code de commerce - Compétence de premier ressort des cours administrative d'appel - Renvoi à une cour.

Le Conseil d'État juge que pour l'application de l'art. R. 311-3 du CJA relatif à la compétence de premier ressort des cours administratives d'appel, la décision de la Commission nationale d'aménagement commercial se prononçant sur la caducité d'une autorisation d'exploitation commerciale doit être considérée comme prise en application de l'article L. 752-17 du code de commerce et donc comme relevant en premier ressort, non du Conseil d'État mais des cours administratives d'appel. D'où le renvoi ici ordonné à la cour de Bordeaux.

(8 décembre 2021, Société Nobladis, n° 438150)

(35) V. aussi, rappelant que si en application de l'article L. 752-20 du code de commerce, les décisions que la Commission nationale d'urbanisme commercial prend doivent être motivées, cette obligation n'implique pas que la Commission soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables : 13 décembre 2021, Société Juin Saint Hubert et autres, n° 437794.

 

36 - Commission nationale du débat public - Absence de caractère réglementaire des décisions prises sur le fondement L. 121-9 du code de l'environnement - Compétence de premier ressort pour connaître de ce contentieux relevant du tribunal administratif - Renvoi à cette juridiction.

La requérante demandait l'annulation de la décision du 2 septembre 2020 par laquelle la Commission nationale du débat public a décidé d'organiser une concertation préalable sur le projet d'aménagement à deux fois trois voies de l'autoroute A 46 Sud et du nœud de Manissieux. Elle a saisi à cet effet le Conseil d'État.

L'article L. 121-9 du code de l'environnement qui confie à la Commission nationale du débat public le soin de déterminer les modalités de participation du public au processus de décision concernant des projets, plans ou programmes en fonction de leur incidence territoriale ne confère pas aux décisions prises à ce titre un caractère réglementaire, d'où il suit que les recours dirigés contre de telles décisions doivent être portés d'abord devant un tribunal administratif, non devant le Conseil d'État statuant en premier et dernier ressort. Renvoi de l'affaire est donc ordonné en l'espèce vers un tribunal administratif.

(8 décembre 2021, Fédération régionale des associations contre le train en zone urbaine et pour le respect de l'environnement (FRACTURE), n° 446947)

 

37 - Référé suspension - Preuve de l'urgence à statuer - Absence - Différence de traitement entre les fonctions exercées et celles espérées - Rejet.

Un praticien hospitalier demande en référé la suspension de l'exécution du décret du Président de la République du 6 septembre 2021 en tant que ce décret ne l'a pas nommé professeur des universités - praticien hospitalier.

La demande est rejetée faute d'urgence, le juge des référés ayant relevé que le demandeur a, depuis, retrouvé un emploi, et que la différence entre le traitement qu'il percevrait en tant que professeur des universités et celui qu'il perçoit du fait de ses fonctions actuelles de gynécologue-obstétricien dans un centre hospitalier ne crée pas une situation d'urgence.

(8 décembre 2021, M. A., n° 458307)

 

38 - Jugement rendu sans référence à l'art.  R. 222-13 du CJA - Dispense de conclusions du rapporteur public - Absence d'indications sur la minute du jugement de la qualité du « président-rapporteur », de l'existence d'un délibéré, des noms des autres magistrats ayant statué - Jugement irrégulier - Cassation  avec renvoi.

Encourt la cassation pour avoir été rendu dans des conditions manifestement irrégulières le jugement qui indique, dans l'en-tête de sa minute, qu'il a été rendu par la deuxième chambre du tribunal au rapport de M. A. en qualité de « président-rapporteur » et, dans ses visas, que le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions par le président de la « formation de jugement » alors que cette minute ne mentionne pas les dispositions de l'article R. 222-13 et la circonstance que M. A. aurait statué en qualité de magistrat désigné pour leur application, qu'elle n'indique pas davantage, après le dispositif, si elle a été délibérée ou non après l'audience publique et quels sont, le cas échéant, les noms des deux autres magistrats ayant statué. En cet état,  ce jugement est impuissant à faire par lui-même la preuve de sa régularité. 

(9 décembre 2021, Société Auchan Hypermarché, n° 442883)

(39) V. aussi, décidément... : 9 décembre 2021, Société Ceetrus France, n° 442888.

 

40 - Réduction de la quantité maximale de plastique autorisée dans les gobelets à usage unique - Interdiction de fabrication et de commercialisation - Impossibilité de trouver à bref délai une solution alternative - Arrêt complet de l'activité de certaines entreprises - Urgence - Rejet.

Les requérantes demandait la suspension de l'exécution de l'arrêté du 24 septembre 2021 relatif à la teneur maximale en plastique autorisée dans les gobelets en plastique à usage unique en tant, d'une part, qu'il s'applique à des gobelets vendus préremplis de boisson et dans lesquels l'utilisation du plastique à plus de 15 pour cent est nécessaire pour contenir et conserver les boissons jusqu'à leur consommation et d'autre part, qu'il prévoit une interdiction, au 1er janvier 2022, de la mise à disposition de gobelets vendus préremplis de boissons et dans lesquels l'utilisation du plastique à plus de 15 pour cent est nécessaire pour contenir et conserver les boissons jusqu'à leur consommation.

Pour rejeter la requête pour défaut d'urgence, le juge des référés relève que contrairement aux affirmations des demanderesses celles-ci n'ont pas disposé du bref délai de six mois pour s'adapter à la nouvelle réglementation puisque le principe de cette interdiction a été fixé par une directive du 5 juin 2019 que met en oeuvre le décret du 24 décembre 2019. L'arrêté litigieux a été soumis à la Commission le 26 avril 2021 : les parties, affirmant avoir besoin de six à huit mois pour opérer leur reconversion, ont bien disposé d'un tel délai entre fin avril 2021 et le 1er janvier 2022. Par ailleurs, la préférence alléguée des consommateurs pour une présentation en gobelets plutôt qu'en bouteilles ou autres conditionnements n'établit pas la preuve d'une absence d'attitude de ces derniers lorsque n'existera plus la possibilité du choix d'un autre contenant.

(ord. réf. 9 décembre 2021, Société Solinest et Coopérative Arla Foods, n° 458970)

 

41 - Procédure d'appel - Moyen présenté pour la première fois en cause d'appel - Moyen non communiqué au défendeur - Irrégularité - Annulation.

Est irrégulier et doit être cassé l'arrêt d'une cour administrative d'appel  qui, pour annuler une décision d'un président de conseil départemental, retient un moyen présenté par le syndicat requérant et non communiqué au département défendeur.

(14 décembre 2021, Département de la Guadeloupe, n° 434601)

 

42 - Droit au logement opposable - Liquidation d'une astreinte - Refus pour cause de satisfaction de l'État à ses obligations - Méconnaissance du dispositif d'un jugement - Erreur de droit - Annulation.

Encourt cassation l'ordonnance d'un président de section du tribunal administratif de Paris refusant de liquider une astreinte prononcée par ce tribunal motif pris de ce que le demandeur n'aurait pas donné suite en juillet 2015 à une proposition de logement qui lui avait été adressée et que l'État devait en conséquence être regardé comme ayant, à cette date, rempli ses obligations. Or cette ordonnance méconnaît les termes mêmes du dispositif du jugement du 24 avril 2018 qui reconnaît, à cette date, l'existence d'une obligation de relogement incombant à l'État.

(14 décembre 2021, M. B., n° 434607)

(43) V. aussi, relevant une dénaturation des pièces du dossier par le jugement qui rejette des conclusions indemnitaires au motif que l'intéressée n'établissait pas que le logement dans lequel elle a résidé à compter de son expulsion, le 1er septembre 2014, jusqu'à son relogement par l'État le 1er juillet 2018, n'était pas adapté à ses capacités financières et à ses besoins, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que le loyer mensuel du logement de celle-ci s'élevait à 1 300 euros et ses ressources mensuelles à 2 355 euros et que celle-ci devait également s'acquitter des frais de scolarisation de son fils handicapé dans un établissement spécialisé à hauteur de 12 000 euros par an : 15 décembre 21021, Mme C., n° 445630.

 

44 - Recours pour excès de pouvoir - Recours dirigé contre une décision du CSA - Second recours ayant même - Objet - Donné acte d'un désistement sur le premier recours faute de dépôt d'un mémoire dans les trois mois de l'enregistrement de la requête introductive d'instance - Introduction du second recours pour excès de pouvoir avant le donné acte du désistement - Irrecevabilité.

Par un premier recours pour excès de pouvoir, formé le 22 septembre 2020, le syndicat requérant a demandé l'annulation de la décision du CSA du 22 juillet 2020 nommant la présidente de France Télévisions. Il devait produire dans les trois mois le mémoire complémentaire annoncé. En l'absence de dépôt dudit mémoire dans le délai prévu il a été donné acte au syndicat demandeur, le 15 février 2021, de son désistement.

Entretemps, le 14 janvier 2021, le syndicat avait saisi le juge d'un second recours pour excès de pouvoir ayant même objet et tendant à la même fin que le premier recours. Ce second recours était irrecevable pour cause de forclusion, la formation du premier recours n'ayant pas conservé ou prorogé le délai imparti.

(14 décembre 2021, Syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel-CFE-CGC, n° 448673)

(45) V. aussi, annulant une ordonnance donnant acte d'un désistement pour non production dans les trois du mémoire complémentaire annoncé en raison de ce que la demande d'aide juridictionnelle a interrompu le délai de trois : 14 décembre 2021, M. B., n° 452677.

 

46 - Recours excès de pouvoir - Autorité des jugements d'annulation rendus pour excès de pouvoir - Autorité absolue - Effet erga omnes - Erreur de droit - Annulation.

Rappel d'une solution constante, universelle et bien connue qu'a oubliée ici une cour administrative d'appel : un jugement prononçant l'annulation pour excès de pouvoir d'un acte administratif est revêtu de l'autorité absolue de chose jugée même à l'égard de ceux qui n'étaient ni parties, ni représentés dans l'instance qui a donné lieu à cette annulation.

(15 décembre 2021, Mme F., n° 436897)

 

47 - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités - Compétence du juge administratif pour connaître d'un acte à portée générale susceptible d'affecter l'organisation du service public - Compétence du juge judiciaire pour connaître de dispositions relatives à l'organisation interne d'entités comportant pour partie des salariés soumis au régime des conventions collectives - Renvoi préjudiciel au Tribunal des conflits.

La requérante demandait l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de la société nationale SNCF a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du b) du § 2 des « dispositions diverses » de l'instruction RH00677 du 16 mars 2017 portant dispositions complémentaires à l'accord d'entreprise sur l'organisation du temps de travail du 14 juin 2016. Le Conseil d'État renvoie au Tribunal des conflits le soin de juger ce qu'il estime constituer une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse.

En effet, d'une part, les dispositions litigieuses sont susceptibles de relever de la compétence du juge administratif car elles résultent d'un acte unilatéral de portée générale, pouvant affecter l'organisation du service public, dans la mesure où, fixant des règles de décompte des repos des agents absents, elles peuvent avoir une incidence sur l'accomplissement des missions de service public et sur la continuité du service. D'autre part, cependant, elles sont également susceptibles de relever de la compétence du juge judiciaire puisque désormais elles s'appliquent à l'ensemble des salariés du groupe ferroviaire, une partie d'entre eux relevant d'un statut particulier,

l'autre partie étant constituée de salariés placés sous le régime des conventions collectives et donc assujettis au code du travail, les dispositions litigieuses pouvant en ce second cas être regardées comme portant pour l'essentiel sur l'organisation interne des entités du groupe public ferroviaire et comme ayant pour objet la détermination des conditions de travail et les garanties sociales de ses salariés.

(15 décembre 2021, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - SUD Rail, n° 441711)

 

48 - Syndicat et union de syndicats - Intérêt à agir - Action en réparation du préjudice causé par une faute commise par l'administration - Atteinte aux intérêts collectif défendus par un syndicat ou une union de syndicats - Absence de préjudice moral propre - Circonstance indifférente à l'exercice d'une action contentieuse - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Un syndicat ou une union de syndicats est recevable à agir en réparation du préjudice causé par une faute de l'administration affectant l'un des intérêts collectifs que la loi lui donne pour objet de défendre, sans avoir à établir, en outre, l'existence d'un préjudice moral qui lui serait propre.

(15 décembre 2021, Confédération générale du travail (CGT), n° 443511)

 

49 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Refus d'admission d'un pourvoi en cassation - Information en ce sens devant être donnée à l'avocat - Absence de pièce du dossier attestant de l'accomplissement de cette formalité - Recours admis - Rejet au fond.

Le pourvoi était dirigé contre une ordonnance de référé rejetant la demande de la requérante. Le juge des référés du Conseil d'État a refusé, sur le fondement du 3° de l'art. R. 822-5 CJA, d'admettre le pourvoi et si l'un des visas de cette ordonnance de rejet mentionne que l'avocat de la société requérante a été informé de ce que la décision du Conseil d'État était susceptible d'être prise en application de l'article R. 822-5 de ce code, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que cette formalité ait été accomplie. 

Comme cette omission n'est pas insusceptible d'avoir exercé une influence sur le sens de la décision et n'est pas imputable à la demanderesse au pourvoi, le recours en rectification d'erreur matérielle est admis en son principe.

Au fond, le pourvoi est rejeté.

(23 novembre 2021, Société le Parc Bourbon, n° 454171)

 

50 - Renvoi préjudiciel à l'autorité judiciaire - Sursis à statuer du juge administratif - Obligation de ne statuer qu'après expiration du délai de pourvoi en cassation - Non-respect de cette exigence - Cassation avec renvoi.

Dans un litige en opposition à contrainte délivrée par une caisse d'allocations familiales en vue du recouvrement d'un indu correspondant aux primes exceptionnelles de fin d'année versées en 2013 et 2014, se posait une question de nationalité du demandeur, laquelle relève de la compétence du juge judiciaire.

Si le tribunal administratif avait saisi le juge judiciaire d'une question préjudicielle et sursis à statuer jusqu'à réception de sa réponse, il avait statué avant que ne soit expiré le délai du pourvoi en cassation contre cette dernière. C'est pourquoi le Conseil d'État est à la cassation du jugement querellé devant lui.

(23 décembre 2021, M. D., n° 447138)

 

51 - Urgence et recours administratif préalable obligatoire (RAPO) - Faculté pour le juge des référés de statuer nonobstant l'absence de réponse au RAPO - Intervention d'une décision, implicite ou explicite, sur RAPO durant l'instance de cassation - Pourvoi devenant sans objet.

Un rappel et une innovation (prévisible) caractérisent la présente décision intervenant dans une matière (recours d'un militaire) où le contentieux ne peut être lié qu'après formation d'un RAPO.

Tout d'abord, il est toujours possible de saisir le juge des référés urgents, si la situation le justifie, même lorsque les recours contentieux, en raison de la matière sur laquelle ils portent, doivent être précédés d'un RAPO. Il suffit que le demandeur rapporte la preuve au juge des référés de l'existence d'un tel recours.

Ensuite, lorsque la décision, implicite ou explicite, prise à la suite du RAPO intervient durant le cours de l'instance en cassation contre l'ordonnance de référé, celle-ci  se substituant à la décision initiale sur laquelle s'est prononcée le juge des référés, les conclusions formées au soutien du pourvoi deviennent sans objet

(17 décembre 2021, M. H., n° 453344)

 

52 - Décision implicite de rejet - Formation d'un référé tendant à sa suspension - Pourvoi en cassation contre l'ordonnance de suspension - Intervention d'une décision expresse en exécution de l'ordonnance - Circonstance ne rendant pas sans objet le pourvoi.

L'intérêt de cette affaire, qui débouche sur l'annulation d'une ordonnance de référé suspension parce que non justifiée par l'urgence, vient de ce qu'est retenue la persistance d'un intérêt au pourvoi en cassation en dépit de l'exécution de l'ordonnance frappée ce pourvoi.

Un gendarme mobile a contesté la légalité du changement de subdivision territoriale dont il a été l'objet, confirmé par le rejet implicite du recours administratif préalable obligatoire formé devant la commission des recours des militaires et obtenu la suspension de cette mesure en raison de l'urgence. Le ministre a formé un pourvoi contre cette ordonnance.

L'administration ayant ensuite pris une décision explicite de rejet dudit recours, cette circonstance n'a pas eu pour effet de rendre sans objet le pourvoi du ministre.

(17 décembre 2021, Ministre de l'intérieur, n° 453927)

 

53 - Exclusion temporaire d'un lycéen - Référé suspension porté directement au Conseil d'État - Incompétence de ce dernier pour en connaître en premier et dernier ressort - Rejet pour irrecevabilité manifeste.

Rappel de ce que le juge des référés du Conseil d'État ne peut connaître directement que de demandes dont le principal ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État. Par suite est irrecevable la requête saisissant directement le Conseil d'État d'une demande de suspension de la décision d'un proviseur de lycée prononçant l'exclusion temporaire d'un élève de cet établissement, un tel litige relevant de la procédure de droit commun.

(15 décembre 2021, M. A., n° 459220)

 

54 - Urbanisme commercial - Décision de la Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Moyen relevé d'office - Moyen n'étant pas d'ordre public - Irrégularité - Annulation.

Entache son arrêt d'irrégularité et d'erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge qu'est illégale une décision de la CNAC car celle-ci n'avait pas été en mesure de porter une appréciation globale sur l'ensemble de l'opération en cause alors que l'auteur du recours n'avait pas soulevé un tel moyen et que celui-ci, qui n'est pas d'ordre public, ne pouvait être relevé d'office par la cour.

(21 décembre 2021, Société PHB Distribution, n° 435223)

 

55 - Recours pour excès de pouvoir - Moyen relevant d'une autre cause juridique que celle sur laquelle repose la requête introduite dans le délai de recours - Moyen soulevé hors délai - Irrecevabilité - Rejet.

Réitération d'un pont-aux-ânes du droit du contentieux administratif (cf. Section,  20 février 1953, Société Intercopie, Rec. Lebon p. 88 ; et, surtout, Assemblée, 15 juillet 1954, Société des aciéries et forges de Saint-François, Rec. Leb. p. 482).

L'invocation, après expiration du délai de recours contentieux contre une décision administrative, de moyen(s) reposant sur une autre cause juridique que celle invoquée dans le délai de recours entache d'irrecevabilité sur ce point le recours.

(21 décembre 2021, Mme E., n° 442023)

 

56 - Minute d’une décision de justice – Signature du président – Absence – Annulation.

Est entachée de nullité la décision de justice dont la minute ne comporte pas la signature du président de la formation de jugement qui l’a rendue.

(21 décembre 2021, M. A., n° 451230)

 

57 - Demande de révision de pension – Délai dans lequel a eu lieu la présentation à l’administration de cette demande – Question non relative à la recevabilité de la requête mais à son bien-fondé - Impossibilité de rejet pour irrecevabilité manifeste – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, pour dire qu’une requête en révision de pension est manifestement irrecevable car présentée après expiration du délai de recours, se fonde sur le fait qu’elle a été formée plus d’un an après la notification de la décision initiale de concession de la pension. En effet, s’agissant des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État, la question de savoir si une demande de révision de pension a été présentée à l'administration dans le délai imparti par les dispositions de l'article 40 du décret du 5 octobre 2004 est relative non à la recevabilité de la requête soumise à la juridiction administrative – comme cela a été jugé erronément par les premiers juges - mais à son bien-fondé. Ainsi ne pouvait lui être opposée l’irrecevabilité manifeste sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du CJA.

(29 décembre 2021, M. Gillet, n° 450589)

 

58 - Circulaire du garde des sceaux relative à la lutte contre la fraude fiscale – Contribuable déchargé des impositions et pénalités litigieuses par arrêt définitif – Absence d’intérêt lui donnant qualité pour agir – Non-transmission de la QPC – Rejet.

(27 décembre 2021, M. D., n° 457564)

V. n° 88

 

59 - Inaptitude d’un fonctionnaire – Appréciation portée sur cette inaptitude par l’autorité administrative – Étendue du contrôle du juge – Contrôle normal – Rejet.

Le maire d’une commune admet à la retraite l’un des agents municipaux pour invalidité en raison d’une inaptitude définitive et absolue à l'exercice de ses fonctions. Sur recours de ce dernier, la décision du maire est annulée par un jugement confirmé en appel et contre lequel se pourvoit la commune.

L’intérêt de cette décision vient de ce que le juge de cassation, pour rejeter le pourvoi par confirmation de l’arrêt d’appel, exerce non plus un contrôle réduit à l’erreur manifeste d’appréciation mais un contrôle normal sur les décisions relatives à l’inaptitude à l’exercice de ses fonctions par un agent public prétendue définitive par l’autorité administrative.

Ici, il est relevé que, en dépit des avis contraires de la commission de réforme des fonctionnaires des collectivités territoriales, du comité médical départemental et de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités territoriales, le médecin désigné en exécution du jugement du tribunal administratif a conclu dans son rapport d'expertise du 16 novembre 2016 qu'il résultait des pièces médicales du dossier que l'état de santé de l’intéressé, tel qu'il devait être constaté au 18 janvier 2016, était exempt de pathologie et ne le rendait pas inapte à l'exercice de ses fonctions ou de tout autre poste de travail. Parmi les pièces médicales examinées par cet expert et fondant sa conclusion, qui n'avaient pas été communiquées à la commune avant l'adoption de l'arrêté municipal contesté, figurent notamment les rapports et certificats établis, à l'époque de la séance de la commission de réforme, par le médecin traitant de l’agent, le 22 septembre 2014, ainsi que par deux médecins spécialistes, le 20 octobre 2014 et le 28 octobre 2014. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé, sur le fondement des constatations non contredites résultant de ces rapport, pièces et renseignements, par un arrêt qui est suffisamment motivé, que le maire de Saint-Lubin-des-Joncherets avait commis une erreur d'appréciation en estimant que cet agent présentait, au 18 janvier 2016, une inaptitude définitive et absolue à l'exercice de ses fonctions.

(29 décembre 2021, Commune de Saint-Lubin-des-Joncherets, n° 437489)

 

60 - Aide juridictionnelle – Rétribution de l’avocat prêtant son concours au bénéficiaire de l’aide – Détermination hors taxe de la part contributive de l’État – Rejet.

Une avocate qui a prêté son concours à deux demandeuses auxquelles a été reconnue la qualité de réfugiées par la Cour nationale du droit d’asile, conteste la somme qui lui a été allouée par cette juridiction car elle l’estime inférieure à la part contributive de l'État après paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Son action est rejetée.

Il résulte des art. 27 et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, des art. 16 et 21 du règlement-type annexé au décret du 10 octobre 1996 portant règlement type relatif aux règles de gestion financière et comptable des fonds versés par l'État aux caisses des règlements pécuniaires des avocats pour les missions d'aide juridictionnelle et pour l'aide à l'intervention de l'avocat ainsi que de l’art. 256 A du CGI que si le montant de la rétribution due à l'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, qui est versée pour le compte de l'État par la caisse des règlements pécuniaires des avocats, prend en compte la situation fiscale de l'avocat au regard des dispositions législatives et réglementaires relatives à la taxe sur la valeur ajoutée (dispense de TVA lorsque le chiffre d’affaires réalisés l’année civile précédente n’excède pas 42 900 euros), le montant de l'unité de valeur de référence pour la détermination de la part contributive de l'État au financement des missions d'aide juridictionnelle accomplies par les avocats est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée.

Par suite, les dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, en ce qu'elles prévoient que la somme que le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou qui perd son procès, et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, à payer à l'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, partielle ou totale, ne saurait être inférieure à la part contributive de l'État, doivent s'entendre comme faisant référence au montant de la part contributive de l'État tel qu'il est exprimé hors taxe sur la valeur ajoutée. 

(29 décembre 2021, Maître R., n° 441597)

 

61 - Cessation d’activité d’un avocat – Cessation connue du greffe d’une cour administrative d’appel – Défaut d’information d’une des parties – Annulation de l’arrêt rendu dans ces conditions.

Doit être annulé l’arrêt d’une cour d’appel qui après que le greffe de la cour a connu la cessation d’activité de l’avocat choisi par la commune requérante, omet de l’en informer la mettant ainsi dans l’impossibilité de bénéficier de l’assistance d’un avocat.

(29 décembre 2021, Commune de Raizeux, n° 442930)

 

62 - Demande d’annulation partielle d’un acte – Dispositions indivisibles – Irrecevabilité des conclusions en annulation partielle – Rejet.

Rappel d’une solution classique et d’évidence : les conclusions à fin d’annulation partielle d’un acte dont les dispositions sont indivisibles sont irrecevables car leur admission conduirait immanquablement le juge à statuer ultra petita.

(29 décembre 2021, M. A., n° 453677)

 

63 - Ordonnance rejetant des conclusions à fin de sursis à exécution d’une décision juridictionnelle frappée d’appel – Rejet prononcé sans instruction contradictoire ni audience – Obligation de viser l’art. R. 222-1 du CJA – Absence – Cassation avec renvoi.

Encourt la cassation l’ordonnance rejetant des conclusions à fin de sursis à exécution d’une décision juridictionnelle frappée d’appel, sans instruction contradictoire, ni audience en omettant de viser l’art. R. 222-1 du CJA ainsi que l’impose l’art. R. 742-2 de ce code.

(30 décembre 2021, Société Textilot, n° 433155)

 

64 - Conclusions en intervention – Conclusions possibles seulement aux côtés du demandeur ou à ceux du défendeur – Absence de production par le défendeur – Intervention irrecevable – Rejet.

Dans un litige opposant les requérantes à la ministre de l’écologie, cette dernière, malgré une mise en demeure, n’a pas produit de conclusions. La Fédération nationale des chasseurs a prétendu intervenir dans l’instance.

La règle constante du droit du contentieux administratif, à la différence de la solution retenue en procédure civile, interdit à l’intervenant de prendre une position propre ; il doit se rallier soit aux conclusions du demandeur soit à celles du défendeur. En l’espèce, la fédération demanderesse en intervention entendait se ranger aux côtés de la ministre mais celle-ci n’ayant pas produit à l’instance, son intervention n’est pas recevable.

(30 décembre 2021, Ligue pour la protection des oiseaux et l'association humanité et biodiversité, n° 434244)

 

65 - Forfait post-stationnement – Ordonnance déchargeant une automobiliste de l’obligation d’acquitter la majoration du forfait post-stationnement – Produit de la majoration affecté à l’État – Commune sans intérêt pour contester l’ordonnance – Irrecevabilité – Rejet.

Une commune n’a pas d’intérêt pour agir en annulation d’une ordonnance déchargeant une automobiliste de l’obligation d’acquitter la majoration du forfait post-stationnement puisque ce produit est affecté à l’État. Partant, sa demande, irrecevable, ne peut qu’être rejetée.

(30 décembre 2021, Commune de Nancy, n° 438038)

 

66 - Production d’un nouveau mémoire en cours d‘instance – Mémoire n’exposant pas de moyens nouveaux – Omission de le viser sans conséquence – Exception si les pièces accompagnant un tel mémoire apportent des précisions sur les biens objet de la demande – Irrégularité à défaut – Annulation.

Si en principe l’omission de viser un mémoire qui ne contient pas de moyens nouveaux par rapport au précédent mémoire n’est pas sanctionnée, il en va différemment lorsque, comme au cas de l’espèce où, dans le cadre d’un litige en matière de taxe foncière, ce nouveau mémoire était accompagné de plusieurs pièces dont certaines apportaient des précisions sur le détail des locaux concernés par la demande de dégrèvement. Or, la demande a été rejetée au motif qu'elle n'était assortie d'aucune précision permettant de connaître le détail des locaux concernés. 

L’absence de visa de ce mémoire constitue une irrégularité entrainant son annulation.

(30 décembre 2021, M. B., n° 440580)

 

67 - Litige se déroulant en Polynésie française – Compétence d’appel de la cour administrative de Paris – Impossibilité de déplacement pour cause de crise sanitaire – Refus de la demande de report d’audience – Rejet.

Dans un litige en contestation d’un permis de travaux immobiliers pour la construction d'un immeuble de 15 logements délivré en Polynésie française, porté devant la cour administrative d’appel de Paris, le conseil des requérants a fait part à la cour de l'impossibilité, pour lui comme pour ses clients, d'assister à l'audience en l’absence de vols commerciaux entre la Polynésie française et la métropole du fait de la crise sanitaire. Il a, en conséquence, demandé les 12 et 19 mai 2020, que l'audience soit reportée. Il a renouvelé cette demande le 24 mai 2020 après avoir pris connaissance des conclusions du rapporteur public dans le sens d’un rejet de la requête de ses clients.

Cette demande ayant été rejetée, l'affaire a été examinée lors de l'audience du 26 mai 2020, à laquelle ni les requérants, ni les défendeurs n'étaient présents ou représentés. Ils se pourvoient en cassation.

Le pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État estime que c’est sans irrégularité que la cour a refusé de reporter l’audience.

D’abord, les requérants ne se trouvaient pas dans l'incapacité de se faire représenter utilement par un autre conseil en métropole. Ensuite, aucun élément nouveau auquel ils n'auraient pu répondre n'est intervenu postérieurement à la production des mémoires en défense en décembre 2019. Également, ils ont sollicité et obtenu, avant la lecture de l'arrêt de la cour, le texte des conclusions du rapporteur public leur permettant de produire utilement une note en délibéré. Enfin, il est constant qu'ils se sont bornés à solliciter un report de l'audience et non sa tenue par un moyen de télécommunication audiovisuelle ou sonore, dans les conditions prévues à l'article 7 de l'ordonnance du 25 mars 2020.

Ainsi, les intéressés ne justifiant pas de motifs exceptionnels tirés des exigences du débat contradictoire qui imposaient que l'examen de ce litige soit reporté à une audience ultérieure, ne sont pas fondés à soutenir qu'en refusant de reporter l'audience du 26 mai 2020, la cour administrative d'appel de Paris aurait entaché son arrêt d'irrégularité.

(30 décembre 2021, M. M. et autres, n° 443886)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

68 - Sociétés de personnes (art. 8 du CGI) - Perception de rémunérations et avantages occultes (c de l'art. 111 du CGI) - Associés résidant à l'étranger - Obligation de pratiquer la retenue à la source - Obligation s'imposant à l'organisme payeur non à celui ayant procuré l'avantage occulte - Annulation partielle.

Une Sarl a cédé des biens immobiliers à un prix minoré sans justification, ce qui constitue un acte anormal de gestion procurant à son bénéficiaire un avantage occulte dans les termes du c de l'art. 111 du CGI.

Etant une société de personnes la Sarl relevait du régime de l'art. 8 du CGI, il s'ensuit, par application de l'art. 119 bis du CGI, qu'elle était tenue d'opérer une retenue à la source du montant correspondant à cet avantage occulte consenti au profit des associés de la société bénéficiaire résidant à l'étranger.

Toutefois - et c'est ce qui motive la cassation partielle prononcée - la cour administrative d'appel devait soulever d'office le moyen tiré de ce que seule la société « payeur » était soumise à l'exigence de retenue à la source non celle ayant procuré ledit avantage.

En effet, la détermination de l'identité du redevable de l'impôt constitue un moyen d'ordre public.

(6 décembre 2021, Société Profin Développement et Gestion, n° 429308)

 

69 - Libre circulation des capitaux - Imposition d'un contribuable étranger à raison de ses revenus de source française - Traitement fiscal devant être équivalent à celui auquel est soumis un contribuable résident de France - Rejet.

On retiendra essentiellement de cette importante décision l'obligation faite à l'administration fiscale d'assurer un traitement équivalent entre contribuables français et contribuables étrangers percevant des revenus de source française, ce qui semble marquer le terme d'une évolution commencée depuis plus de trente ans tant par le juge civil que par le juge administratif.

En bref, un établissement public coréen, le  National Pension Service (NPS), qui est une caisse de retraite en charge du régime général d'assurance vieillesse coréen, contestait son assujettissement au taux de 15% appliqué à la retenue à la source sur les dividendes des sociétés françaises qu'il avait perçus car il y voyait un traitement défavorable par rapport à celui d'organismes français de retraite.

Tout en rejetant au fond une argumentation qu'il estime erronée, le juge rappelle fermement le droit des contribuables non-résidents à un traitement fiscal équivalent à celui auquel, à raison des mêmes revenus, sont soumis les résidents fiscaux français placés dans une situation comparable.

Il s'ensuit que dans le cas où le contribuable non-résident aurait été effectivement traité de manière défavorable, il appartient à l'administration fiscale comme au juge de l'impôt, de dégrever l'imposition en litige dans la mesure nécessaire au rétablissement d'une équivalence de traitement. 

(6 décembre 2021, National Pension Service, n° 433301)

 

70 - Classement de parcelles - Demande de révision et de décharge de taxe foncière sur les propriétés non bâties - Refus ayant des effets autres que fiscaux - Acte détachable du mécanisme d'imposition - Contestation relevant du contentieux de l'excès de pouvoir - Rejet partiel et annulation.

Le litige soulevait une question originale : de quel contentieux relève la demande d'annulation de la décision d'un directeur des services fiscaux en tant qu'elle a des incidences non fiscales ?

Le demandeur se plaignait de ce qu'en refusant  - pour la détermination de la taxe foncière sur les propriétés non bâties - de réviser le classement de parcelles lui appartenant, la décision du directeur des services fiscaux  lui causait préjudice au regard de ses droits à retraite et de l'octroi possible d'aides européennes.

Le Conseil d'État juge qu'en raison d'effets notables non fiscaux, cette décision de refus est détachable de la procédure d'imposition et peut donc être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir. En revanche, le juge de l'impôt, juge de plein contentieux, demeure compétent pour connaître des litiges relatifs à la procédure d'imposition à la taxe foncière sur les propriétés non bâties.

(6 décembre 2021, M. B., n° 438209)

 

71 - Office de greffe de tribunal de commerce - Suppression d'une juridiction par modification des ressorts de tribunaux - Allocation d'une indemnité - Régime d'imposition - Rejet.

L'office de greffe dont elle était titulaire ayant été supprimé par suite de la modification des ressorts territoriaux de tribunaux de commerce, l'intéressée a reçu une indemnité à propos de laquelle s'est élevé un contentieux.

La requérante contestait à la fois son assujettissement au régime des plus-values professionnelles et le refus de l'admettre au bénéfice d'une exonération. Elle est déboutée.

Tout d'abord, l'indemnité versée en cas de suppression d'un office de greffier de tribunal de commerce étant destinée à compenser la perte d'un élément d'actif, cette somme relève du régime d'imposition des plus-values professionnelles.

Ensuite, cette somme ne pouvait bénéficier, contrairement aux prétentions de la demanderesse, de l'exonération instituée à l'article 238 quindecies du CGI en cas de transmission d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité, puisqu'en l'espèce il ne s'agissait point d'une « transmission » mais d'une suppression et cela alors même que cette indemnité serait versée par les greffiers des tribunaux de commerce ayant repris les activités de l'office supprimé (cf. art. R.743-172 du code de commerce). 

(6 décembre 2021, Mme A., n° 438617)

 

72 - Mise en demeure de payer la taxe d'aménagement et une redevance d'archéologie préventive - Demande d'annulation des titres exécutoires - Prescription des titres - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'un tribunal administratif juge que le délai dont dispose l'administration pour exercer son droit de reprise est interrompu, notamment, à la date à laquelle le pli contenant un titre de perception émis sur le fondement de l'article L. 331-24 du code de l'urbanisme en vue du recouvrement de la taxe d'aménagement a été présenté à l'adresse du contribuable.

Par suite, c'est à bon droit qu'elle a jugé que le délai de reprise de l'administration institué par l'art. L. 331-21 c. urb. était prescrit en l'espèce.

(6 décembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 438975)

(73) V. aussi, à propos de ces mêmes taxe et redevance pour omission de réponse à moyen : 6 décembre 2021, Société Barca Investissements, n° 439700.

(74) V. encore, annulant un jugement où a été jugé régulier le refus par l'administration de communiquer à l'intéressé, sur sa demande et préalablement à l'émission des titres de perception litigieux, le procès-verbal de constat d'infraction pour construction sans permis, motif pris de ce que cette pièce était couverte par le secret de l'enquête et de l'instruction en vertu des dispositions de l'art. 11 du code de procédure pénale (CPP). Cette solution est entachée d'erreur de droit, les dispositions des art. L. 331-6, L. 33120 et L. 331-22 du code de l'urbanisme entrant dans les exceptions énoncées à l'alinéa 2 de l'art. 11 du CPP : 10 décembre 2021, M. J., n° 431472.

 

75 - Société mère - Groupe fiscalement intégré - Intégration de charges financières (art. 223 B, 7è alinéa CGI) - Régime en cas d'acquisition d'une société devant être intégrée au groupe - Acquisition par une(des) personne(s) contrôlant la société cessionnaire (art. L. 233-3 c. com) - Concert d'actionnaires - Charge de la preuve - Annulation partielle.

Clarifiant une matière complexe, le Conseil d'État décide qu' « Il résulte des dispositions du septième alinéa de l'article 223 B du code général des impôts que l'administration est fondée à réintégrer dans les résultats de la société mère d'un groupe fiscalement intégré une fraction des charges financières du groupe, lorsqu'une société est acquise en vue d'être intégrée par une société du groupe auprès d'une ou de plusieurs personnes qui contrôlent la société cessionnaire. Ces dispositions sont applicables, compte tenu de ce que l'existence d'un tel contrôle s'apprécie par référence aux critères définies par l'article L 233-3 du code de commerce, non seulement dans l'hypothèse d'une identité entre le ou les actionnaires de la société cédée et le ou les actionnaires exerçant le contrôle de la société cessionnaire mais également dans le cas où l'actionnaire qui contrôlait la société cédée exerce, de concert avec d'autres actionnaires, le contrôle de la société cessionnaire. Il appartient à l'administration d'établir l'existence d'une action de concert puis de vérifier si tout ou partie des personnes agissant de concert déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale. »

(6 décembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439650)

 

76 - Aérodrome - Assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties - Choix entre méthode d'appréciation directe et méthode comptable - Méconnaissance de l'office du juge - Annulation avec renvoi.

De cette décision - qui se prononce sur les conditions d'assujettissement de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques à la taxe foncière sur les propriétés bâties et sur son mode de détermination -, on retiendra qu'est annulé pour manquement à son office le jugement du tribunal administratif qui établit les valeurs locatives d'après la méthode comptable au motif que les éléments produits en réponse au supplément d'instruction ne le mettaient pas à même de procéder valablement à la détermination de la valeur locative de l'aéroport de Rennes-Saint-Jacques selon la méthode d'appréciation directe alors même qu'il avait relevé, par des motifs que ne contestait d'ailleurs aucune des parties, que seule la méthode d'appréciation directe était applicable pour apprécier la valeur locative de l'aéroport.

(9 décembre 2021, Société d'exploitation des aéroports de Rennes et Dinard (SEARD), n° 438692)

 

77 - Exploitation d'un parc aquatique par une commune en régie directe - Assujettissement à la TVA - Conditions - Absence d'exercice sous un régime juridique propre aux organismes de droit public - Cas dérogatoire des services à caractère sportif rendus par des personnes morales de droit public - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La commune requérante exploite en régie directe un complexe aquatique et s'est acquittée à ce titre, spontanément, des droits de taxe sur la valeur ajoutée dont elle demande le remboursement pour deux années.

Elle saisit le juge de cassation après avoir obtenu gain de cause en première instance et avoir été déboutée en appel.

Le Conseil d'État relève en premier lieu que la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les circonstances, invoquées par la commune, que le complexe aquatique litigieux est exploité en régie, qu'elle y affecte des agents municipaux et qu'elle pratique des tarifs modérés et modulés en fonction du public, de telle sorte que son exploitation est déficitaire, ne sont pas de nature à faire regarder l'activité en cause, en l'absence, notamment, d'obligation légale de l'accomplir, comme exercée dans le cadre du régime juridique propre aux organismes de droit public. Cette dernière condition est posée par les art. 13 et 132 (point 1) de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA tels que les interprète la Cour de Luxembourg (cf. 29 octobre 2015, Saudaçor, aff. C-174/14).

Cependant le Conseil d'État relève également, d'office semble-t-il, que, par  l'art. 256 B du CGI la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le paragraphe 2 de l'article 13 de la directive précitée, de regarder comme des activités effectuées en tant qu'autorité publique les services à caractère sportif rendus par les personnes morales de droit public. Or la CJUE a dit pour droit sur ce point précis (cf. 21 février 2013, Mesto Zamberk, aff. C-18/12) que l'accès à un parc aquatique proposant à la fois l'exercice d'activités sportives, mais également d'autres types d'activités de détente ou de repos, peut constituer une prestation de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport, pour autant que l'élément prédominant est la possibilité d'y exercer des activités sportives. Cette appréciation d'ensemble résulte notamment des caractéristiques objectives du parc : différents types d'infrastructures proposés, leur aménagement, leur nombre et leur importance par rapport à la globalité du parc. S'agissant, en particulier, des espaces aquatiques, doivent être pris en considération le fait que ceux-ci se prêtent à une pratique de la natation de nature sportive, sont divisés en lignes d'eau, sont équipés de plots et sont d'une profondeur et d'une dimension adéquates, ou s'ils sont, au contraire, aménagés de sorte qu'ils se prêtent essentiellement à un usage ludique.

De ce chef, le Conseil d'État reproche à la cour de n'avoir pas recherché si, en l'espèce,  l'exploitation de ce complexe constitue l'activité d'un service sportif au sens de l'article 256 B précité, interprété à la lumière des dispositions de l'article 132, paragraphe 1, sous m) de la directive précitée, et de s'être bornée  à relever que la commune requérante n'exerçant pas l'activité d'exploitation de son complexe aquatique dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public, cette activité n'entre par conséquent pas dans le champ des dispositions de l'article 256 B du CGI.

(9 décembre 2021, Commune de Nyons, n° 439617)

 

79 - Procédure fiscale non contentieuse - Proposition de rectification des déclarations fiscales - Exigences de motivation et de précision (art. L. 57 et R. 57-1 LPF) - Non-respect - Rejet.

On saluera la fermeté dont fait preuve ici le Palais-Royal s'agissant des exigences s'imposant à l'auteur d'un projet de rectification des déclarations du contribuable.  D'une part, il résulte des art. L. 57 et R. 57-1 du livre des procédures fiscales (LPF) qu'il incombe à l'administration d'indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées, d'autre part, l'administration satisfait cette obligation si elle se réfère aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse aux observations du contribuable, consécutive à un autre contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.

En l'espèce, rejetant le pourvoi du ministre, le Conseil d'État approuve la cour administrative d'appel d'avoir elle aussi rejeté ces prétentions par les motifs que la proposition de rectification litigieuse ne précisait pas elle-même les modalités de détermination des bases rectifiées, ni la nature des charges dont la déduction des bénéfices de la Sarl avait été remise en cause et ne renvoyait pas expressément à la proposition de rectification adressée à la société contenant ces informations, n'était pas suffisamment motivée, alors même qu'elle faisait référence, sans autre précision, à des rehaussements du bénéfice imposable de la Sarl et qu'elle avait été notifiée le même jour que la proposition de rectification adressée à cette société, dont le contribuable était le mandataire.

(9 décembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440607)

 

80 - Administration fiscale - Responsabilité pour faute du chef d'une évolution de la jurisprudence du Conseil d'État - Conséquences en matière de réparation - Admission de principe et rejet en l'espèce.

(10 décembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 437412)

V. n° 222

 

81 - Crédit d'impôt recherche - Rejet de certaines dépenses engagées - Détermination de la part en accroissement du crédit d'impôt recherche par rapport à la moyenne des deux années précédentes - Exercices prescrits - Rectification du montant des dépenses éligibles - Erreur de droit - Annulation sur ce seul point.

La société requérante a fait l'objet d'une rectification de l'assiette de son droit à crédit impôt recherche du fait de son activité de bureau d'études et d'améliorations techniques dans le domaine de la construction automobile. Elle a contesté les rehaussements d'impôt consécutifs.

Devant le juge de cassation, outre le point de savoir si la proposition de rectification et la réponse du service aux observations du contribuables étaient suffisamment motivées, ce qui ne faisait pas vraiment difficulté, se posait la question, plus délicate, de la détermination au titre de l'année 2007, pour l'application du b. de l'art. 244 quater B du CGI, de la part en accroissement du crédit d'impôt recherche, égale à 40 % de l'excédent des dépenses de recherche exposées au cours de l'année par rapport à la moyenne des dépenses de même nature des deux années précédentes. C'est l'apport principal de cette importante décision.

La cour administrative d'appel avait jugé que la circonstance d'une rectification du montant des dépenses éligibles au titre de l'année 2007 n'imposait pas l’obligation pour l'administration de corriger dans la même mesure le montant des dépenses éligibles au titre des années 2005 et 2006 pour la détermination de la part en accroissement du crédit d'impôt recherche au titre de l'année 2007. Le Conseil d'État aperçoit dans cette analyse une erreur de droit. Selon lui, pour déterminer le montant de la part en accroissement du crédit d'impôt recherche, égale à 40 % de l'excédent des dépenses de recherche exposées au cours de l'année par rapport à la moyenne des dépenses de même nature des deux années précédentes, il convient de retenir le montant des dépenses des années antérieures tel qu'il aurait dû normalement être calculé par l'entreprise. Il suit de là que l'administration qui rectifie le montant des dépenses éligibles doit corriger la moyenne des dépenses exposées les deux années précédentes dans la même mesure, et cela alors même que ces années seraient prescrites et que l'erreur sur le montant de ces dépenses serait imputable à l'entreprise. 

La cassation et le renvoi sont prononcés dans cette mesure.

(10 décembre 2021, Société Bertrandt France, n° 438902)

 

82 - Livraison de terrains à bâtir par une personne physique - Assujettissement à la TVA - Condition - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge que l'activité de livraison de terrains à bâtir par une personne physique n'est pas assujettie à la TVA en l'absence de mise en œuvre de moyens commerciaux du type de ceux qui sont utilisés par les professionnels de la vente immobilière, et quels qu'aient été les travaux de viabilisation réalisés. En effet, accueillant le pourvoi du ministre le Conseil d'État estime, au contraire, que cette activité, menée par une personne physique, est assujettie à la TVA « lorsqu'elle procède, non de la simple gestion d'un patrimoine privé, mais de démarches actives de commercialisation foncière, telles que la réalisation de travaux de viabilisation ou la mise en œuvre de moyens de commercialisation de type professionnel, similaires à celles déployées par un producteur, un commerçant ou un prestataire de services, et qu'elle permet ainsi de regarder cette personne comme ayant exercé une activité économique ».

(14 décembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 441861)

 

83 - Taxe sur la valeur ajoutée en Polynésie française - Contrat de collaboration entre deux praticiens libéraux - Mise à disposition d'un local, d'équipements et de matériel - Rétrocession d'une partie des honoraires - Absence d'exonération de TVA - Rejet.

Le Conseil d'État est saisi du pourvoi formé par un chirurgien-dentiste contre le rejet par les juridictions du fond de sa demande de remboursement de TVA.

L'art. 340-1 du code des impôts de Polynésie française exonère de TVA les locations de locaux équipés à usage professionnel.

Or le requérant a conclu avec une consoeur un « contrat de collaboration » aux termes duquel, notamment, tout en étant autorisé à développer sa propre patientèle, cette dernière accepte de soigner les patients qui lui sont présentés par le requérant. Une telle clause n'entre pas dans les prévisions du texte précité, alors même que ce contrat prévoit l'utilisation des locaux et du matériel du cabinet.

Le pourvoi est rejeté.

(13 décembre 2021, M. O., n° 431151)

 

84 - Impôt sur les sociétés - Avoir fiscal à raison de dividendes versés par des sociétés ayant leur siège dans d'autres États membres de l'Union européenne - Preuve de la nature de dividendes des produits distribués - Obligation pour le redevable de produire le taux d'imposition effectivement appliqué dans les autres États membres -  Réserve du caractère  pratiquement impossible ou excessivement difficile d'apporter la preuve du paiement de l'impôt par les filiales établies dans les autres États membres - Rejet et accueil partiels du pourvoi.

Le litige portait sur une demande, de la part de la banque requérante, de restitution partielle de l'impôt sur les sociétés acquittée par sa société mère, à raison de dividendes qui lui avaient été versés par des sociétés ayant leur siège dans d'autres États membres de l'Union européenne. Ce litige a nécessité un renvoi préjudiciel à la CJUE. Le Conseil d'État se prononce au reçu des réponses aux questions posées.

En premier lieu, s'agissant des sommes versées par diverses sociétés, c'est sans erreur de droit que l'arrêt frappé de pourvoi a jugé que faute d'établir que les produits distribués ont la nature de dividendes alloués en vertu d'une décision régulière des organes compétents de cette société, la requérante ne pouvait se prévaloir du bénéfice de l'avoir fiscal.

En second lieu, s'agissant  des sommes versées par une autre société, le Conseil d'État annule l'arrêt auquel il reproche d'avoir jugé que les éléments apportés par la société requérante ne permettaient pas d'établir le montant de l'impôt effectivement acquitté par cette société, alors qu'il lui incombait de rechercher si la société requérante pouvait être regardée comme apportant les premiers éléments de vraisemblance quant au caractère pratiquement impossible ou excessivement difficile de la preuve de l'impôt effectivement payé par la société qui a versé les sommes litigieuses et, le cas échéant, d'examiner les éléments en sens contraire avancés par l'administration fiscale. Ce faisant, elle a méconnu les règles de dévolution de la charge de preuve mentionnée et commis une erreur de droit. 

(21 décembre 2021, Société HSBC Bank PLC Paris Branch, n° 432725)

 

85 - Outre-mer - Demande de permis de construire, à titre de logements sociaux, portant sur des bâtiments collectifs ou sur des ensembles de logements individuels – Demande devant être considérée comme portant sur un ensemble immobilier – Applicabilité de l’art. 199 undecies C du CGI – Réduction d’impôt subordonnée à un agrément fiscal – Seuil de deux millions d’euros non atteint – Rejet.

Cette décision réitère la solution adoptée dans une affaire jugée en novembre 2021 concernant le même requérant (V. cette Chronique, novembre 2021, n° 62)

(21 décembre 2021, M. C., n° 449458)

 

86 - Pluralité d’occupants de locaux – Locaux ayant fait l’objet d’une visite domiciliaire de l’administration fiscale – Emport de pièces et documents par celle-ci – Obligation de restitution aux différents occupants – Présence jusque-là inconnue de l’administration de la présence d’un autre occupant – Sort des impositions de ce contribuable – Rejet.

Si, dans l'hypothèse d'une pluralité d'occupants de locaux ayant fait l'objet d'une visite domiciliaire, l'administration a l’obligation de restituer à chacun de ces occupants les pièces et documents lui appartenant qu'elle a saisis dans le cadre de cette visite, cette obligation ne s’étend qu'à l'égard des occupants dont elle connaissait l'existence à la date de la visite. Alors même que l'exploitation de documents saisis révèle ultérieurement qu'un contribuable occupait des locaux sans que l'administration en eût connaissance, cette circonstance ne saurait entraîner la décharge des impositions contestées par ce contribuable au seul motif que ces documents ne lui auraient pas été restitués dans les délais prescrits par le V de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales.

Solution très latitudinaire en faveur de l’administration alors que n’est ni alléguée ni établie l’existence d’une dissimulation volontaire de cette présence qui aurait justifié une solution peu respectueuse des droits et libertés.

(24 décembre 2021, M. M., n° 438338 ; Société Intérim B. SP ZOO, n° 438344)

 

87 - Actes de médecine ou de chirurgie esthétique – Exonération de TVA en cas d’intérêt thérapeutique – Assujettissement à la TVA en l’absence de finalité thérapeutique – Commentaires administratifs litigieux conformes au CGI et compatibles avec le droit de l’Union – Rejet.

Le syndicat requérant poursuivait l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie a rejeté sa demande tendant à l'abrogation du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 17 juin 2020 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts, relatifs à l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée pour les actes de chirurgie esthétique.

Sans surprise, le recours est rejeté.

Si les actes de médecine et de chirurgie présentant pour le patient un intérêt thérapeutique sont exonérés de TVA par application, d’une part, du 1° du 4 de l’art. 261 du CGI, d’autre part, des directives du 17 mai 177 (c) du 1° du A de l’art. 13) et du 28 novembre 2006 (c) du § 1 de l’art. 132) telles qu’interprétées par la Cour de Luxembourg, en revanche, il est logique, comme le soulignent les commentaires querellés par le recours, que lorsque ces actes n’ont pas une telle finalité thérapeutique ils soient assujettis à la TVA.

(27 décembre 2021, Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), n° 453928)

 

88 - Circulaire du garde des sceaux relative à la lutte contre la fraude fiscale – Contribuable déchargé des impositions et pénalités litigieuses par arrêt définitif – Absence d’intérêt lui donnant qualité pour agir – Non-transmission de la QPC – Rejet.

Le contribuable qui a obtenu du juge administratif, par un arrêt d’appel confirmé par le Conseil d’État, la décharge totale des impositions et pénalités mises à sa charge, n’a plus d’intérêt lui donnant qualité pour agir en contestation de la légalité d’une circulaire du garde des sceaux applicable à sa situation fiscale non plus que pour introduire une QPC dirigée contre l’atteinte que portent les art. 1729 et 1741 du CGI, commentés par cette circulaire, à des droits ou libertés garantis par la Constitution.

(27 décembre 2021, M. D., n° 457564)

 

89 - Pacte civil de solidarité (pacs) – Partenaires d’un pacs – Solidarité en matière d’impôt - Représentation mutuelle dans les instances relatives aux dettes fiscales – Rejet.

Il résulte des dispositions combinées de l’art. 6 du CGI et de l’art. R. 411-5 du CJA que les partenaires d'un pacs ont toujours la qualité de codébiteurs solidaires de l'impôt sur le revenu.

Il suit de là que, dans les instances relatives à leur dette fiscale, ils sont réputés se représenter mutuellement.

C’est donc sans erreur de droit qu’en l’espèce une cour administrative d’appel a jugé que les dispositions de l'article R. 411-5 du CJA relatives aux requêtes collectives n'étaient pas applicables à leur requête devant le tribunal administratif. Celui-ci a donc régulièrement communiqué le mémoire en défense de l'administration fiscale et l'avis d'audience à un seul des deux membres du pacs sans l'aviser préalablement qu'il était considéré comme représentant unique.

(28 décembre 2021, MM. D. et A., n° 447510)

 

90 - Bail à construction – Prix consistant en une remise gratuite d’immeubles en fin de bail – Valeur des immeubles constituant un revenu foncier – Confusion des qualités de bailleur et de preneur en cours de bail – Situation constituant une résiliation anticipée du bail – Nature de revenu foncier de la remise gratuite des biens – Rejet.

Des dispositions combinées des articles 33 bis et 33 ter du CGI il résulte que dans le cas où le prix d'un bail à construction consiste, en tout ou en partie, dans la remise gratuite d'immeubles en fin de bail, la valeur de ces derniers, calculée d'après leur prix de revient, constitue un revenu foncier perçu par le bailleur à la fin du bail.

Dans le cas où, du fait de plusieurs actes concomitants cédant au même acquéreur, avant le terme du bail, les biens et droits respectifs du bailleur et du preneur, la réunion des qualités de bailleur et de preneur en la même personne, a les mêmes effets au regard de la loi fiscale que la résiliation anticipée du bail impliquant la remise des constructions au bailleur et par suite l'application à son égard des dispositions des articles 33 bis et 33 ter du code général des impôts. Cette conséquence n’est en rien affectée par le fait qu’au regard des règles du droit civil cette confusion constitue une cause d'extinction des obligations issues du bail.

La solution, qui pourrait surprendre, est logique.

(29 décembre 2021, M. L., n° 438856)

 

91 - Taxe sur les salaires – Exonération en faveur des établissements d’enseignement supérieur – Qualité d’établissement d’enseignement supérieur – Absence à défaut d’agrément des formations qui y sont dispensées – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que l’association requérante ne saurait se prévaloir du bénéfice de l’exonération de la taxe sur les salaires instituée par le 1. de l’art. 231 du CGI en faveur des établissements d’enseignement supérieur dès lors que l’organisme qu’elle gère n’en est pas un car, dispensant des enseignements de kinésithérapie et d’odontologie, il n’a pas sollicité l’agrément de ses formations prévu à l’art. L. 731-6-1 du code de l’éducation.

(29 décembre 2021, Association Centre libre d'enseignement supérieur international (CLESI), n° 438997)

(92) V. aussi, à propos du même organisme, s’agissant du refus de lui accorder la décharge de la cotisation foncière des entreprises : 29 décembre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 439408, n°439411 et n° 439413.

 

93 - Impôt sur les sociétés – Déduction des charges financières d’un prêt intragroupe – Appréciation de la pertinence du taux d’intérêt consenti à l’entreprise emprunteuse – Comparaison avec les taux pratiqués par les organismes financiers dans des conditions analogues – Prise en compte de la prise de risque – Erreurs de droit – Cassation avec renvoi.

La société requérante, qui appartient à un groupe mondial spécialisé dans la fabrication d'outillage, a demandé en vain, à l’administration et au juge, la restitution partielle d’impositions primitives et de contributions sociales en raison de ce qu’elle estimait déductibles certaines charges financières, notamment les frais et charges financiers résultant d’un emprunt intragroupe souscrit par elle auprès de sa société mère pour un taux de 6%. Le débat contentieux s’est fixé, à titre principal, sur le montant de ce taux d’intérêt. Toute la question étant de savoir s’il est manifestement exagéré au regard de ce que l'entreprise emprunteuse aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants dans des conditions analogues.

Le Conseil d’État juge que ce taux s'entend du taux que de tels établissements ou organismes auraient été susceptibles, compte tenu de ses caractéristiques propres, notamment de son profil de risque, de lui consentir pour un prêt présentant les mêmes caractéristiques dans des conditions de pleine concurrence. Le profil de risque doit en principe, pour l'application de ces dispositions, être apprécié au regard de la situation économique et financière consolidée de l'entreprise emprunteuse et de ses filiales.

Le Conseil d’État a en outre précisé que l'entreprise emprunteuse, à qui incombe la charge de justifier du taux qu'elle aurait pu obtenir d'établissements ou d'organismes financiers indépendants pour un prêt consenti dans des conditions analogues, a la faculté d'apporter cette preuve par tout moyen. 

L’arrêt de la cour est cassé du chef de non-respect de ce schéma d’analyse et d’appréciation.

(29 décembre 2021, Société Apex Tool Group, n° 441357)

 

94 - Contribution sociale sur les revenus d'activité et sur les revenus de remplacement – Activité non salariée exercée occasionnellement – Assujettissement à cette contribution – Rejet sur ce point.

A l’occasion d’un litige relatif au statut fiscal de la somme provenant de l’exercice d’un arbitrage dans l’un des dossiers concernant Bernard Tapie, se posait la question de savoir si cette somme devait être assujettie aux contributions sociales alors d’une part qu’elle procédait d’une activité non salariée et d’autre part qu’elle constituait un revenu accessoire.

Au visa de dispositions du code de la sécurité sociale (art. L. 136-1, L. 136-2 et L. 136-3) et du CGI (I de l’art. 1600-0 F), le Conseil d’État juge que les revenus tirés d'une activité non salariée sont assujettis à la contribution sociale sur les revenus d'activité dès lors que cette activité est exercée à titre professionnel, et cela sans considérer si elle est exercée à titre accessoire ou non.

(30 décembre 2021, M. et Mme E., n° 437774)

 

95 - Contribuable déclaré, par jugement d’un TGI, solidairement responsable du paiement d’un impôt fraudé – Jugement constituant un « événement » au sens de l’art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales (LPF) – Action en justice déclarée à tort irrecevable – Annulation.

Par jugement du tribunal de grande instance de Marseille en date du 15 janvier 2018, l’intéressé, sur le fondement de l'article L. 267 du LPF, avait été déclaré solidairement responsable du paiement d’un impôt fraudé (TVA) qui avait été réclamé à une société Capindus.

Il avait présenté une réclamation préalable au directeur des services fiscaux qui l’avait rejetée le 15 mars 2019 et il avait saisi le juge administratif.

La cour administrative d’appel a jugé irrecevable la réclamation préalable présentée à l’administration fiscale par le requérant et donc rejeté son appel car il n'avait pas encore été personnellement mis en demeure par l'administration fiscale d'acquitter les impositions en cause à la date à laquelle a été rejetée sa réclamation.

Or le jugement du 15 janvier 2018, assorti d’ailleurs de l’exécution provisoire et qui lui avait été signifié, l’avait déclaré solidairement responsable du paiement des droits et pénalités des rappels de taxe sur la valeur ajoutée réclamés à la société Capindus. Déclaré solidaire en paiement de l’impôt fraudé, le requérant était dès cet instant devenu débiteur solidaire de l'impôt, situation qui constitue un « événement » au sens et pour l’application de la première phrase du c) du premier alinéa de l’art. R. 196-1 du LPF qui déclare recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle : « De la réalisation de l’événement qui motive la réclamation ». En l’espèce c’est bien le jugement du TGI qui constitue l’événement.

Le rejet pour irrecevabilité est annulé pour erreur de droit.

(30 décembre 2021, M. C., n° 442804)

 

96 - Imposition des revenus fonciers – Location du droit de chasse – Simples participations à des parties amicales de chasse – Absence d’assujettissement à l’impôt sur le revenu – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans l’arrêt qui juge fondé l’assujettissement de la requérante à l’imposition sur les revenus fonciers à raison de la mise à disposition de son droit de chasse.

En effet, le juge considère que « Ne peut constituer une location du droit de chasse, au sens des dispositions de l'article 29 du (CGI…), l'autorisation donnée par le propriétaire à des tiers de chasser sur son territoire à l'occasion de parties de chasse qu'il organise lui-même. » Tel était bien le cas en l’espèce où les contributions de chasseurs pour participation, au cours des années 2014 et 2015, à « huit parties amicales de chasse » selon les propres termes de l’arrêt d’appel, s’étaient élevées à 27 105,00 euros.

(24 décembre 2021, Mme C., n° 446266)

 

Droit public de l'économie

 

97 - Encadrement des loyers - Absence d'intervention de l'arrêté préfectoral mettant en oeuvre la loi établissant le dispositif expérimental d'encadrement des loyers - Défaut d'urgence - Absence d'atteinte aux droits des propriétaires - Rejet.

Une requête en référé a pour objet d'obtenir la suspension du décret du 2 septembre 2021 fixant le périmètre du territoire de la métropole Bordeaux Métropole sur lequel est mis en place le dispositif d'encadrement des loyers prévu à l'article 140 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique.

Cette requête est rejetée, d'une part, pour défaut d'urgence car elle est dirigée contre un décret qui se borne à délimiter un périmètre d'application d'une disposition législative sans fixer lui-même le loyer de référence, lequel résultera d'un arrêté préfectoral qui n'a pas encore été pris, et d'autre part du fait que l'exécution dudit décret ne saurait, par elle-même, affecter directement et immédiatement les intérêts des propriétaires.

(ord. réf. 1er décembre 2021, Association UNPI 33, n° 458158)

(98) V., identique au précédent : ord. réf. 1er décembre 2021, Association UNPI 34, n° 458160.

(99) V. aussi, relatif aux mêmes textes, le rejet de recours - après prise de l'arrêté préfectoral manquant dans les deux espèces précédentes - pour absence de fourniture au juge d'éléments précis permettant d'apprécier l'ampleur des atteintes alléguées aux droits des propriétaires : 1er décembre 2021, Association UNPI 69, n° 458159 ; 1er décembre 2021, Chambre des Propriétaires du Grand Paris, n° 458778.

 

100 - Aide au programme de financement des entreprises - Établissement producteur récoltant de champagne - Refus de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) - Régime de l'acte créateur de droits sous condition - Absence de retrait - Décision non soumise à l'obligation de motivation - Erreur de droit - Annulation et renvoi.

L'établissement public FranceAgriMer a accordé à une société producteur récoltant de champagne, le 25 août 2014, une aide financière dans le cadre du  programme d'aide national au secteur vitivinicole pour les exercices financiers 2014 à 2018. Cette décision précisait divers éléments :  déroulement de la procédure d'instruction de la demande ; conditions de délivrance d'un accusé de réception, sans engagement financier, valant autorisation de commencer les travaux ; ensuite, décision d'octroi de l'aide, précisant les dépenses éligibles, le montant de l'aide et les obligations du bénéficiaire ;  enfin, sur demande de paiement présentée par ce dernier, assortie des éléments permettant de vérification de la réalisation des actions prévues conformément aux conditions posées, et après contrôle de cette réalisation par FranceAgriMer, prise d'une décision de versement de l'aide. 

Cet acte de FranceAgriMer avait incontestablement la nature d'une décision créatrice de droits et cela alors même que ces droits étaient subordonnés au respect de diverses conditions et à la présentation, dans un délai de deux mois après la date limite de réalisation des travaux, d'une demande de paiement assortie des justificatifs permettant de vérifier ce respect.

Prenant motif de ce que la date de commencement des travaux fixée par cette décision n'avait pas été respectée, FranceAgriMer a, le 9 octobre 2015, refusé de verser l'aide.

Le Conseil d'État, contrairement à la cour administrative d'appel, analyse ce refus non comme un retrait de la décision d'accorder une aide mais comme tirant les conséquences du constat que n'avait pas été respectée au moins l'une des conditions mises au versement de l'aide. Par suite, et en dépit du caractère créateur de droits de la décision initiale, la décision de refus du 25 août 2015 n'était pas soumise à la procédure contradictoire prévue et régie par l'art. 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

L'arrêt querellé est annulé pour être entaché de deux erreurs de droit en l'absence de caractère de retrait de la décision litigieuse et en l'absence de la procédure contradictoire nécessaire en ce cas.

(9 décembre 2021, FranceAgriMer, n° 433968)

 

101 - Question préjudicielle - Extension d'accords de l'interprofession des vins du Val de Loire - Faussement éventuel du jeu de la concurrence - Absence.

Par cette décision, le Conseil d'État statuait sur un renvoi préjudiciel du juge judiciaire d'une exception d'illégalité sur le point de savoir si les accords interprofessionnels conclus par l'interprofession des vins du Val de Loire, au regard de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne faussent le jeu de la concurrence entre viticulteurs et négociants vinificateurs pour les mêmes prestations de vente au détail.

Il est jugé qu'il résulte des stipulations de l'accord interprofessionnel de l'interprofession des vins du Val de Loire-InterLoire pour la période du 1er août 2014 au 31 juillet 2017 que durant l’application de celui-ci une cotisation volontaire obligatoire était due en totalité par le producteur en cas de vente directe aux consommateurs, ainsi qu'en cas de vente du producteur à des négociants situés en dehors de l'aire de production du ressort de l'association InterLoire et qu'en cas de vente du producteur à un négociant situé dans cette aire de production, la cotisation volontaire obligatoire était due par moitié par le producteur et par moitié par le négociant jusqu'au 31 décembre 2015 puis, à partir du 1er janvier 2016, en totalité par le négociant.

De là il résulte que le fait générateur de la cotisation volontaire obligatoire est, quel que soit le mode de distribution des vins, la première sortie des vins de la propriété et que les cotisations sont assises sur les volumes effectivement sortis de l'entrepôt suspensif de droits d'accises, de sorte que tous les vins d'appellation d'origine produits dans l'aire de production ou à partir de l'aire de production du ressort de l'association InterLoire sont soumis à cette cotisation.

Par ailleurs il n'est pas contesté que le producteur et le négociant vinificateur qui supportent la cotisation volontaire obligatoire, au demeurant de montants minimes, sont en droit de la répercuter sur leur prix de vente aux consommateurs ou aux autres négociants.

Le Conseil d’État en conclut, répondant directement à la question préjudicielle, que les accords et l'avenant contestés ne sauraient donc être considérés comme appliquant, à l'égard des viticulteurs et des négociants vinificateurs, des conditions inégales à des prestations équivalentes.

Les accords et l'avenant en cause ne méconnaissent donc pas l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(9 décembre 2021, Interprofession des vins du Val de Loire (InterLoire), n° 447422)

 

102 - Covid-19 – Fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par l’épidémie – Limitation du plafond de la subvention – Aide accordée par société et non par établissement – Rejet.

Est rejetée la demande de la requérante tendant à l’annulation du décret n° 2020-1328 du 2 novembre 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation en tant qu’il limite l’octroi de l’aide de dix mille euros qu’il institue aux seules sociétés et non à chacun de leurs établissements. En effet, ni l’art. 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées ni aucun principe supérieur n’imposait au pouvoir réglementaire de procéder autrement dès lors que l’aide instituée n’est destinée qu’à des personnes physiques ou morales de droit privé touchées économiquement par l’épidémie non à des entités, tels les établissements, qui ne sont pas des personnes morales.

Le rejet est opéré au terme d’un raisonnement qui peut laisser dubitatif, satisfaisant davantage une logique d’économie de deniers publics qu’une logique de solidarité face à une situation exceptionnelle.

(21 décembre 2021, Société Cresmar, n° 451081)

 

103 - Redevances aéroportuaires – Homologation de leur tarif par l’Autorité de régulation des transports (ART) – Appréciation par l’ART de l’évolution « mesurée » des tarifs et de la « juste rémunération des capitaux investis » - Inexistence d’un plafond, même implicite, d’évolution tarifaire – Hausse de tarifs non accompagnée d’une hausse du niveau des services proposés aux usagers – Rejet.

La requérante contestait la décision de l'Autorité de régulation des transports du 22 décembre 2020 refusant l'homologation des tarifs des redevances aéroportuaires applicables aux aérodromes de Lyon-Bron et de Lyon-Saint Exupéry à compter du 1er avril 2021. Elle invoquait au soutien de sa prétention trois moyens principaux, tous rejetés.

En premier lieu, la requérante s’est méprise sur les critères que l’ART doit retenir en vue de prendre sa décision relative à l’homologation. Celle-ci doit veiller à la fois à une évolution modérée des tarifs afin de protéger les usagers contre des hausses excessives et à ce que l’exploitant reçoive une juste rémunération des capitaux investis.

Ensuite, la circonstance que l’ART ait refusé des hausses de 8,2%, de 9% et de 4,9% et qu’elle ait accepté des hausses de 3% et de 3,1% ne prouve pas l’existence d’un plafond d’évolution tarifaire limité à 3%.

Enfin, les hausses tarifaires proposées par l’exploitant n’étaient pas accompagnées d’une hausse du niveau de service proposé ou rendu aux usagers.

(28 décembre 2021, Société Aéroports de Lyon, n° 450025)

 

104 - Obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat – Répression des pratiques commerciales déloyales envers les consommateurs – Interdiction de la publicité poursuivant en droit interne un but de pluralisme des médias non de protection des consommateurs – Absence d’entrave à l’accès au marché français – Rejet.

La requérante demandait l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Premier ministre sur sa demande, reçue le 23 avril 2019, tendant à l'abrogation des deux derniers alinéas de l'article 8 du décret du 27 mars 1992 pris pour l'application des articles 27 et 33 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de télé-achat.

Elle soutenait d’abord la méconnaissance par ces dispositions de la directive du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur. Ce moyen est rejeté car, relève le Conseil d’État, la finalité poursuivie par l'interdiction de publicité que prévoient les dispositions du décret du 27 mars 1992 dont l'abrogation était demandée par la société Lidl était, dès l'origine, non de protéger le consommateur mais de contribuer à la sauvegarde du pluralisme des médias et, en particulier, à l'équilibre économique et à l'indépendance de la radio et de la presse écrite, en leur réservant une part des recettes tirées de la publicité pour certaines opérations de promotion commerciale dans la grande distribution, ainsi que l'établit notamment la circonstance que cette interdiction ne couvre qu'une partie du territoire national et ne concerne que certains modes de publicité. Cette finalité n’a pas, depuis lors, changé. Il s’ensuit qu’est inopérant le moyen tiré de la contrariété du décret à la directive alors que l’un et l’autre n’ont pas le même objet.

Ensuite, la société requérante faisait valoir qu’en limitant la possibilité pour les annonceurs établis dans un autre État membre de l’Union que la France de bénéficier de prestations de diffusion de publicité télévisée, le décret attaqué était de nature à constituer une entrave à leur accès au marché français. Le moyen est rejeté car, d’une part, le but poursuivi, - à savoir la préservation du pluralisme des médias -, est au nombre des raisons impérieuses d'intérêt général de nature à justifier des restrictions à la libre prestation de services et d’autre part, les dispositions litigieuses étant applicables à l'ensemble des éditeurs de services, sans distinction, notamment, de leur nationalité, le refus d'abrogation du décret attaqué ne méconnaît pas le principe de non-discrimination. 

(29 décembre 2021, Société Lidl, n° 433808)

 

105 - Autorité de régulation – Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Réglementation des relations contractuelles entre gestionnaires et utilisateurs du réseau – Approbation des contrats conclus en conséquence – Exercice d’un pouvoir réglementaire conféré par la loi – Rejet.

La requérante demandait l’annulation pour incompétence de délibérations de la Commission de régulation de l'énergie portant, d’une part, pour celle du 24 octobre 2019, orientations sur le modèle de contrat Gestionnaire de Réseau de Distribution - Fournisseurs commun à tous les gestionnaires de réseaux de distribution d'électricité et, d’autre part, pour celle du 25 juin 2020, approbation du modèle de contrat d'accès aux réseaux publics de distribution d'Enedis pour les points de connexion en contrat unique.

En préalable de l’examen des différents moyens soulevés, et c’est là l’intérêt principal de cette décision, le Conseil d’État précise deux points très importants et très étroitement liés entre eux.

Il juge tout d’abord qu’il résulte des dispositions du 3° de l'article L. 134-1 du code de l'énergie, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité dont elles sont issues, « que le législateur a entendu confier à la Commission de régulation de l'énergie le soin de définir les règles relatives à l'organisation des relations contractuelles entre gestionnaires et utilisateurs du réseau afin de garantir le droit d'accès de ces derniers aux réseaux de transport et de distribution. »

Il juge ensuite que les dispositions du 6° de l'article L. 134-3 et celles de l'article L. 111-92-1 du même code, issues de la loi du 30 décembre 2017, « lui donnent, en outre, compétence pour approuver les modèles de contrats d'accès aux réseaux de distribution d'électricité conclus entre chacun des gestionnaires de réseaux publics de distribution et les fournisseurs. »
Il en déduit qu’en définissant un ensemble de règles, notamment en ce qui concerne la garantie financière à la charge du fournisseur, sous la forme d'un modèle de contrat relatif à l'accès au réseau public de distribution pour les points de connexion en contrat unique, la CRE a exercé la compétence réglementaire dont elle dispose en application des dispositions précitées du 3° de l'article L. 134-1 du code de l'énergie.

(29 décembre 2021, Société Joul, n° 437594 et n° 443328)

 

106 - Droit public de l’agriculture – Contrôle des structures des exploitations agricoles – Autorisation préfectorale d’exploitation de terres agricoles – Contestation – Appréciation de l’intérêt à agir contre cette autorisation – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt qui, pour dire que les requérants ne justifiaient pas d'un intérêt leur donnant qualité pour agir contre l'autorisation préfectorale délivrée en mars 2015 à une société civile d'exploitation agricole (SCEA) d’exploiter de nouvelles terres agricoles, a retenu d’une part que les requérants n'avaient pas déposé de candidature concurrente, d’autre part qu'ils n'avaient pas contesté l'autorisation délivrée à une autre candidate personne physique en février 2015, et, enfin, qu'ils ne pouvaient utilement se prévaloir, en raison du principe de l'indépendance de la législation du contrôle des structures des exploitations agricoles et de celle des baux ruraux, de ce que la validation de leur congé était toujours pendante devant le tribunal paritaire des baux ruraux.

En effet, le preneur en place justifie d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre l'autorisation donnée à un autre exploitant d'exploiter les parcelles qu'il loue, même s'il ne s'est pas porté candidat pour obtenir l'autorisation d'exploiter ces terres en application des dispositions des articles L. 331-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime.

Pour l'application de cette règle, le preneur auquel il a été donné congé mais dont la contestation du congé est pendante devant le juge compétent doit être regardé comme ayant le même intérêt pour agir contre une autorisation d'exploiter donnée à un nouvel exploitant.

(29 décembre 2021, M. L. et GAEC de la Frête, n° 438492)

 

107 - Régime des appellations contrôlées en matière viti-vinicoles – Appellation Chablis - Délimitations de l’aire de production de l’appellation et de l’aire de proximité immédiate de l’appellation – Prépondérance des facteurs naturels dans le premier cas, des facteurs humains dans le second - Annulation et rejet partiels.

Le requérant demandait l’annulation la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande du 29 novembre 2019 d'abrogation du décret du 2 décembre 2011 homologuant le cahier des charges de l'AOC Chablis, à tout le moins en tant que ce cahier des charges ne mentionne pas la commune d'Étaule au nombre des communes composant l'aire de proximité immédiate de l'appellation.

Il est jugé, en premier lieu, que l'aire de proximité immédiate du vin de Chablis dans laquelle peuvent avoir lieu les opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage des vins, est composée de 482 communes réparties sur quatre départements, dont certaines se situent à plus de 200 kilomètres de l'aire géographique de production, et a été délimitée en fonction d'usages de vinification existant dans l'aire de production de l'appellation dite de repli, c'est-à-dire l'appellation la plus générale à laquelle les vins de l'AOC Chablis peuvent prétendre, en l'espèce celle de l'AOC Coteaux bourguignons. Le choix d'une telle aire de proximité immédiate n'est pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les facteurs naturels et humains propres à l'AOC Chablis. Le décret attaqué, qui résulte de ce choix, est donc entaché d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit en tant qu'il prévoit une aire de proximité immédiate comprenant 482 communes.

Il est jugé, en second lieu, - dès lors qu’il n’est démontré ni que des usages de vinification de longue date étaient établis dans la commune d'Étaule, ni que le requérant pratiquait de longue date la vinification des raisins récoltés -, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que des facteurs humains suffisants justifieraient l'inclusion de la commune d'Étaule à titre pérenne dans l'aire de proximité immédiate. Par ailleurs, si le requérant soutient que la délimitation de l'aire de proximité immédiate n'est pas en rapport avec les facteurs naturels de l'appellation, sans d'ailleurs le démontrer, son argumentation est inopérante dès lors que, sauf cas particuliers, lorsque sont en cause les opérations de vinification, d'élaboration et d'élevage, les facteurs humains sont prépondérants pour déterminer l'aire de proximité immédiate, les facteurs naturels étant quant à eux prépondérants pour la délimitation de l'aire de production.

Dès lors, le moyen tiré de ce que les auteurs du décret attaqué auraient commis une erreur manifeste d'appréciation en n'incluant pas la commune d'Étaule dans l'aire de proximité immédiate de l'AOC Chablis doit être écarté.

(29 décembre 2021, M. F., n° 439869)

 

108 - Logement social – Contrôle des organismes de logement social par l’Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) – Régime des sanctions – Procédure contradictoire – Communication de rapports - Portée – Rejet.

Le code de la construction et de l’habitation confie à l’ANCOLS un pouvoir de proposition de sanction en cas de manquements aux dispositions législatives et réglementaires applicables, d'irrégularité dans l'emploi des fonds de la participation à l'effort de construction ou des subventions, prêts ou avantages consentis par l'État ou par ses établissements publics et par les collectivités territoriales ou leurs établissements publics, de faute grave de gestion, de carence dans la réalisation de l'objet social ou de non-respect des conditions d'agrément constatés. C’est dans ce cadre que, sur proposition de l’ANCOLS, le ministre chargé du logement a prononcé la sanction de la révocation à l’encontre du directeur général de l'office public de l'habitat (OPH) de Saint-Claude. Un contentieux s’en est suivi portant principalement sur la régularité de la procédure de sanction suivie en l’espèce.

Pour résoudre cette question, le Conseil d’État rappelle qu’il résulte tant des textes que du principe des droits de la défense que l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer au ministre chargé du logement et, le cas échéant, au ministre chargé des collectivités territoriales, de prononcer une sanction contre un organisme qu'elle a contrôlé ou contre l'un de ses dirigeants ou membres de son conseil d'administration, de son conseil de surveillance ou de son directoire qu'après que, s'agissant d'une sanction visant un organisme, le conseil de surveillance, le conseil d'administration ou l'organe délibérant de cet organisme, ou, s'agissant d'une sanction visant une personne physique, cette personne elle-même, après avoir été informée des griefs formulés à son encontre, ait été mis(e) en mesure de présenter utilement ses observations avant que le conseil d'administration de l'agence ne délibère sur la sanction proposée au ministre compétent.

Le premier alinéa de l'article L. 342-9 du code de la construction et de l'habitation prévoit à cet effet que : « Le rapport provisoire est communiqué à la personne concernée, au président ou au dirigeant de l'organisme concerné, qui est mis en mesure de présenter ses observations dans le délai d'un mois ». Toutefois, l'agence n'étant pas tenue, au titre de cette communication du rapport provisoire, d'indiquer à l'organisme contrôlé, ou à la personne physique mise en cause, ceux des constats pour lesquels elle envisage, le cas échéant, de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction, il lui incombe dans un tel cas, pour assurer le respect des exigences textuelles et du principe ci-dessus rappelé, d'assurer spécifiquement l'information de l'organisme ou de la personne mise en cause sur ce point.

Sur la forme que peut revêtir cette information, le Conseil d’État fait montre de souplesse : cette dernière peut notamment résulter de la transmission à l'organisme contrôlé ou à la personne mise en cause, dans des conditions lui permettant d'y répondre utilement, de la décision par laquelle le comité du contrôle et des suites de l'ANCOLS, mentionné à l'article R. 342-6 du code de la construction et de l'habitation, après avoir été saisi du rapport définitif de contrôle, indique au conseil d'administration de l'agence ceux des griefs figurant dans ce rapport pour lesquels il lui demande de proposer aux ministres compétents de prononcer une sanction.

Une telle transmission n'est toutefois de nature à assurer le respect des droits de la défense qu'à la condition que la proposition de sanction transmise par l'agence aux ministres compétents ne se fonde pas sur d'autres griefs que ceux retenus par le comité du contrôle et des suites.

En outre, en sus des exigences sus-rappelées liées aux droits de la défense, l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer une sanction aux ministres compétents à l'égard d'un organisme contrôlé qu'après que le conseil de surveillance, le conseil d'administration ou l'organe délibérant de cet organisme a été mis en mesure de présenter, en disposant à cette fin d'un délai de quatre mois, ses observations sur le rapport définitif de contrôle.

En revanche, aucune disposition ni aucun principe n'impose à l'ANCOLS, en sus des exigences liées aux droits de la défense, de notifier ce même rapport définitif à une personne physique, dirigeant ou membre d'un conseil d'administration, d'un conseil de surveillance ou d'un directoire d'organisme contrôlé, à l'encontre duquel elle envisage de proposer une sanction, ni de mettre cette personne en mesure de présenter des observations sur le rapport définitif avant de proposer une sanction aux ministres compétents. 

C’est donc à tort que le requérant, en l’espèce, soutenait qu'il aurait dû se voir communiquer le rapport définitif.

(29 décembre 2021, M. C., n° 443269)

 

Droit social et action sociale

 

109 - Salarié protégé - Licenciement pour inaptitude physique - Refus d'autoriser le licenciement - Annulation par la ministre du travail - Non-respect des obligations s'imposant à elle - Annulation avec renvoi.

Il incombe au ministre saisi d'un recours hiérarchique contre le refus de l'inspection du travail d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé et décidant d'annuler ce refus, d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que ce motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail, est illégal. 

Par suite, commet une erreur de droit l'arrêt d'appel confirmatif qui juge que la ministre du travail n'était pas tenue de mentionner les raisons pour lesquelles elle estimait ne pas devoir retenir chacun des motifs sur lesquels s'était fondée l'inspectrice du travail pour rejeter la demande d'autorisation de licenciement de M. B. et par suite annuler sa décision alors que ce refus était fondé sur ce que la réalité de l'inaptitude physique de M. B. à son poste de travail n'était pas démontrée, que l'employeur n'avait pas apporté la preuve de l'impossibilité du reclassement de l'intéressé et qu'il existait un lien entre les mandats exercés par le salarié protégé et la demande d'autorisation de licenciement, et en développant son argumentation au soutien de chacun de ces motifs.

(8 décembre 2021, M. B., n° 428118)

 

110 - Salarié protégé - Licenciement - Refus d'autorisation - Irrecevabilité du recours contre cette décision - Décision purement confirmative - Erreur de droit et de qualification juridique des faits - Annulation et renvoi.

Dans le cadre d'une procédure de licenciement d'un salarié protégé, la requérante avait saisi pour la troisième fois l'autorité administrative en vue d'en obtenir l'autorisation de le licencier. Cette demande ayant été à nouveau rejetée, la société a formé un nouveau recours contentieux qui a été jugé irrecevable par la cour administrative d'appel motif pris de ce que cette décision de refus était purement confirmative de la précédente ayant le même objet.

Sur pourvoi, le Conseil d'État annule l'arrêt pour erreur de droit et erreur dans la qualification juridique des faits car il ressort des pièces du dossier que cette troisième demande, qui avait certes le même objet que la précédente, reposait sur une cause juridique distincte dès lors que l'employeur n'invoquait plus, au soutien de sa demande d'autorisation, que deux des griefs initiaux.

On peut comprendre que la cour n'ait pas aperçu un tel distinguo.

(8 décembre 2021, Société Café de Flore, n° 433754)

(111) V. aussi, annulant, car entaché d'erreur de droit, l'arrêt décidant qu'en cas de discordance entre les termes d'un exploit d'huissier et des témoignages de salariés sur le comportement reproché à un salarié protégé qui a motivé la décision de le licencier, il y avait lieu de le faire profiter du doute sur sa réelle participation à des incidents électoraux.

En effet, il résulte des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers que les constatations de ces derniers font foi jusqu'à preuve contraire : 8 décembre 2021, Société Compagnie française d'entretien (COFREM) et société Aquanet services, n° 439631.

 

112 - Salarié protégé - Autorisation de licenciement - Faits reprochés justifiant le licenciement - Rejet.

Saisi d'un second pourvoi dans ce litige de droit du travail, le Conseil d'État avait notamment à apprécier la qualification donnée aux faits par la cour administrative d'appel. Il approuve son raisonnement selon lequel les faits reprochés revêtent un caractère suffisant de gravité pour justifier le licenciement de ce salarié protégé. En effet, le requérant a tenu, dans les locaux de l'entreprise, à proximité de la salle de convivialité où se trouvait un autre salarié, le 11 septembre 2012, des propos injurieux à l'encontre du secrétaire du comité d'entreprise et de son trésorier auquel il avait, en outre, adressé des menaces de mort. Il a refusé de façon répétée de respecter les consignes de sécurité fixées par le règlement intérieur de l'entreprise en s'abstenant d'emprunter le portique de l'entrée réservée aux piétons pour pénétrer sur le site de production et revendiquant en outre ces manquements. 

(13 décembre 2021, M. A., n° 437134)

 

113 - Fixation du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) - Demande d'homologation - Obligation s'imposant à l'administration - Cas d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire - Entreprise appartenant à un groupe.

Par cette décision, s'appuyant principalement sur les dispositions du II de l'art. L. 1233-58, et sur celles des art. L. 1233-61 et 1233-62 du code du travail, le Conseil d'État renforce sensiblement l'exigence d'un contrôle étendu de l'administration du travail lorsqu'elle est saisie d'une demande d'homologation d'un PSE par une entreprise en liquidation ou en redressement judiciaire et qui fait partie d'un groupe implanté sur le territoire français. Cette jurisprudence confirme une tendance lourde du juge administratif à accentuer le contrôle in concreto sur les PSE.

Cette administration doit vérifier, dans le cas des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, que l'établissement du PSE  par l'administrateur, le liquidateur ou l'employeur n'est pas insuffisant au regard des seuls moyens dont dispose l'entreprise notamment en qu'il est réellement de nature à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité.

Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, l'employeur, seul débiteur de l'obligation de reclassement, doit avoir procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles sur le territoire national pour un reclassement dans les autres entreprises du groupe. Pour l'ensemble des postes de reclassement ainsi identifiés, l'employeur doit avoir indiqué dans le plan leur nombre, leur nature et leur localisation.

Il faut cependant critiquer l'emploi de la formule inadéquate « seul débiteur de l'obligation de reclassement » à propos de l'employeur : les « obligations » imposées par la loi sont bien obligatoires pour l'employeur, elles ne sont pas pour autant des « obligations » au sens technique du terme qui désigne des engagements librement consentis alors qu'en l'espèce ne se rencontrent que des décisions unilatérales, qu'il s'agisse de la loi ou du règlement.

(8 décembre 2021, M. F., n° 435919 ; M. P. et autres, n° 435923 ; M. AY., n° 435924 ; M. BU., n° 435925 ; M. BO., n° 435926 ; M. BW., n° 435927 ; M. J., n° 435929 ; M. AM., n° 435930, jonction)

 

114 - Mesures relatives au régime d'assurance-chômage - Décret du 30 mars 2021 pris à la suite de l'échec des négociations entre représentants de salariés et d'employeurs au sujet de l'assurance-chômage - Document de cadrage non mis à jour - Compatibilité avec les objectifs du document de cadrage - Calcul du salaire journalier de référence -  Absence d'atteinte au droit à un revenu de remplacement - Caractère dégressif de l'aide au retour à l'emploi (ARE) - Différé d'indemnisation - Modulation de la cotisation des employeurs à l'assurance chômage - Rejet.

Cette décision s'inscrit dans un long processus contentieux né de la réforme de l'assurance chômage issue de l'art. 57 de la loi du 5 septembre 2018 relative à la liberté de choisir son avenir professionnel.

Plusieurs dispositions du décret du 26 juillet 2019 - qui a été pris en lieu et place de la négociation collective infructueuse - ont fait l'objet d'annulations par le Conseil d'État (cf. cette Chronique, novembre 2020, n° 95, à propos de : 25 novembre 2020, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 434920 ;  Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du futur (Plastalliance), n° 434921 ;  Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 434931 ; Union inter-secteurs papiers cartons pour le dialogue et l'ingénierie sociale et la fédération de la plasturgie et des composites, n° 434943 ;  Union des entreprises de transport et de logistique et autres, n° 434944 ; Confédération générale du travail et Union syndicale Solidaires, n° 434960).

Le présent contentieux est relatif au décret du 30 mars 2021 insérant dans le décret du 26 juillet 2019 de nouvelles dispositions relatives notamment au calcul du salaire journalier de référence et à la modulation du taux de contribution des entreprises à l'assurance chômage en fonction de leur taux de séparation. Puis, par un décret du 8 juin 2021, le premier ministre a modifié les dispositions du décret du 26 juillet 2019 relatives à la prise en compte, pour la détermination du salaire journalier de référence, de certaines périodes de suspension du contrat de travail ou de rémunération réduite.

Le 22 juin 2021, le juge des référés du Conseil d'État a suspendu l'exécution de la date d'entrée en vigueur, fixée au 1er juillet 2021 par le décret du 30 mars 2021, des dispositions de ce décret relatives à la détermination du salaire journalier de référence.

Par un décret du 29 juin 2021, le premier ministre a abrogé les dispositions du décret du 30 mars 2021 relatives à cette date d'entrée en vigueur, prévu qu'une nouvelle date d'entrée en vigueur serait fixée par un décret en Conseil d'État et précisé que les dispositions relatives au salaire journalier de référence de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage demeureraient applicables jusqu'au 30 septembre 2021.

Les huit requêtes ci-dessous visées tendent à l'annulation pour excès de pouvoir des décrets du 30 mars 2021, du 8 juin 2021 et du 29 juin 2021.

Elles sont rejetées.

Aucune des critiques tenant à leur légalité externe n'a convaincu le juge et pas davantage celles portant sur leur légalité interne. En particulier, celles critiquant  la compatibilité des dispositions litigieuses avec les objectifs du document de cadrage, la fixation du salaire journalier de référence (qui ne méconnaît ni les règles figurant aux art. L. 5422-2 et L. 5422-3 c. trav., ni le caractère « assurantiel » de ce régime, ni le principe d'égalité ni celui de non discrimination), l'atteinte prétendument portée au droit à un revenu de remplacement, etc.

(15 décembre 2021, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 452209 ; Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 452783 ;  Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 452796; Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC) et autres, n°452831 ; Confédération générale du travail - Force ouvrière, n° 452836 ; Confédération française démocratique du travail, n° 452842 ; Union des entreprises de transport et de logistique (TLF), n° 453181 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), n° 455121)

 

115 - Avis de droit – Licenciement d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité au comité social et économique – Nombre de salariés de l’entreprise – Procédure à suivre.

Répondant à une demande d’avis de droit, le Conseil d’État, se fondant sur les dispositions des art. L. 2311-2, L. 2312-1, L. 2312-4, L. 2421-3 et R. 2421-8 du code du travail, dit pour droit :

 D’une part, que dans les entreprises comptant entre onze et quarante-neuf salariés, le comité social et économique n'a pas à être consulté sur le projet de licenciement d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité du comité social et économique, sauf si une telle consultation a été prévue par un accord collectif conclu en application de l'article L. 2312-4 du code du travail.

D’autre part, que dans les entreprises comptant au moins cinquante salariés, une telle consultation est requise dans tous les cas.

(29 décembre 2021, Mme L., n° 453069)

 

116 - Droit à prestations familiales – Droit au revenu de solidarité active (RSA) – Cas d’enfants mineurs d’un réfugié mineur qui sont à la charge d’ascendants – Rejet.

Il se déduit de diverses dispositions du code de l’action sociale et des familles (L. 262-4 et L. 262-5) et du code de la sécurité sociale (L. 512-2 et D. 512-2), par construction logique tirée de leur ligne générale, que lorsqu’ils sont à la charge effective de leurs ascendants au premier degré, les enfants mineurs d’un réfugié lui-même mineur sont éligibles aux prestations sociales et, par suite, doivent être pris en compte dans la détermination des droits au RSA.

(30 décembre 2021, Département de l’Oise, n° 446929)

 

117 - Licenciement d’un salarié protégé – Refus d’autorisation opposé par l’inspection du travail puis par le ministre – Office du juge saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de ces refus – Méconnaissance – Annulation.

Méconnaît son office de juge de l’excès de pouvoir, la cour administrative d’appel qui, appelée à se prononcer sur la légalité du refus d’accorder une autorisation administrative du licenciement d’un salarié protégé, alors qu’il lui appartenait seulement de se prononcer sur la régularité de cette décision - fondée sur ce que le non-respect par le salarié  de la clause du contrat de travail du requérant exigeant la possession d'un véhicule personnel ne caractérisait pas en l'espèce un trouble objectif au fonctionnement de l'entreprise -, relève le caractère « non pertinents » des motifs avancés par le salarié pour refuser d’acquérir un nouveau véhicule.

(30 décembre 2021, M. C., n° 436058)

 

118 - Maladies professionnelles – Pathologies liées à une infection par le virus du Covid-19 – Restriction jugée trop importante du champ d’application – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation tantôt  intégrale tantôt celle seulement des articles 1er et 2 du décret n° 2020-1131 du 14 septembre 2020 relatif à la reconnaissance en maladies professionnelles des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 en tant que la désignation des maladies des tableaux n° 100 et 60 ne comprend que les affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-Cov2 ayant nécessité une oxygénothérapie ou toute forme d'assistance ventilatoire ou ayant entraîné la mort et en tant que la liste limitative des travaux ne prend pas en compte l'ensemble des catégories de salariés confrontés de façon habituelle à du public.

Les différents recours, joints, sont rejetés.

Le décret attaqué a modifié, d'une part les tableaux des maladies professionnelles annexés au livre IV du code de la sécurité sociale, pour y insérer un tableau n° 100 intitulé « Affections respiratoires aiguës liées à une infection au SARS-COV2 » et, d'autre part, les tableaux de l'annexe II au livre VII du code rural et de la pêche maritime pour y insérer un tableau n° 60 ayant le même intitulé.

Il prévoit également, par dérogation, que le directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie peut, en application du 3° de l'article L. 221-3-1 du code de la sécurité sociale, confier à un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles l'instruction de l'ensemble des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2 et comprenant : « 1° Un médecin-conseil relevant du service du contrôle médical de la Caisse nationale de l'assurance maladie ou de la direction du contrôle médical et de l'organisation des soins de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ou d'une des caisses locales, ou un médecin-conseil retraité ;

2° Un professeur des universités-praticien hospitalier ou un praticien hospitalier particulièrement qualifié en matière de pathologie professionnelle, réanimation ou infectiologie, en activité ou retraité, ou un médecin du travail, en activité ou retraité, remplissant les conditions prévues à l'article L. 4623-1 du code du travail, nommé pour quatre ans et inscrit sur une liste établie par arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé. (...) ».

Les requérants faisaient porter leurs critiques sur deux points principaux.

En premier lieu, étaient querellées la désignation de la maladie et la liste des travaux. Le juge rejette les moyens développés à ce titre après avoir rappelé que les conditions (cf. art. L. 461-1 c. séc. soc.) qui définissent la manière dont sont contractées les maladies et qui sont susceptibles de figurer, à ce titre, dans les tableaux désignant les maladies présumées d'origine professionnelle, ne peuvent légalement porter que sur le délai maximum de constatation d'une maladie, la durée d'exposition ou la liste limitative des travaux à même de provoquer une maladie et que ces conditions ne sauraient méconnaître le principe de présomption d'imputabilité posé par le deuxième alinéa de l’article L. 461-1 et par l'article L. 461-2 du même code.

D’abord, il ne ressort pas des pièces du dossier que le décret attaqué aurait inexactement apprécié les données scientifiques alors disponibles en retenant, pour désigner les maladies présumées d'origine professionnelle qu'il a définies, les seules affections respiratoires aiguës causées par une infection au SARS-CoV2, et en les caractérisant par le recours qu'elles ont nécessité à une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance ventilatoire, attestée par des comptes rendus médicaux, ou le décès qu'elles ont entraîné.

Ensuite, a été utilisé un critère objectif, conforme à l’art. L. 461-1 c. séc. soc., quand pour déterminer les travaux susceptibles de provoquer une maladie causée par une infection au SARS-CoV2, le décret litigieux a retenu les activités dont les conditions d'exercice impliquent un contact avec des personnes déjà infectées ou plus particulièrement exposées à la maladie. 

Encore, ce texte n’établit pas une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard des différences de situation existant entre les différents professionnels. Par ailleurs, il n’interdit nullement aux victimes soumises aux dispositions de l'article L. 461-1 précité et ne remplissant pas les conditions prévues par les tableaux n° 100 et 60 d'obtenir la reconnaissance d'une maladie professionnelle par la caisse primaire d'assurance maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. 

Enfin, il est rappelé qu’aux termes des art. L. 3131-1 et L. 3131-10 du code de la santé publique, les professionnels de santé, y compris bénévoles, amenés à exercer leur activité auprès des patients ou des personnes exposées à une catastrophe, une urgence ou une menace sanitaire grave, dans des conditions d'exercice exceptionnelles décidées par le ministre chargé de la santé en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, bénéficient des dispositions de l'article L. 3133-6 du même code, c’est-à-dire la réparation intégrale du préjudice subi.

En second lieu, s’agissant de la désignation d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, ni le rôle dévolu au directeur général de la Caisse nationale de l'assurance maladie pour organiser, de façon dérogatoire, l'examen des demandes de reconnaissance de maladie professionnelle liées à une contamination au SARS-CoV2, ni la modification dans la composition de ce comité pour l’exercice de cette compétence ne comportent d’erreurs manifestes d’appréciation, ne remettent en cause le principe de confiance légitime, ne méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme, le principe de sécurité juridique, non plus, en tout état de cause, que le principe de confiance légitime.

(30 décembre 2021, Association Coronavictimes et Association Comité anti-amiante Jussieu, n° 444500 ; Association nationale des victimes de l'amiante, n° 446453 ; Fédération nationale Sud santé sociaux, n°446455 ; Union interfédérale des agents de la fonction Force ouvrière et autres, n° 446459 ; Fédération CFDT Santé-Sociaux et autres, n° 446462, jonction)

(119) V. aussi, à propos de la circulaire du 18 décembre 2020 relative à la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 dans la fonction publique de l'État, le rejet du recours : 30 décembre 2021, Union syndicale Solidaires fonction publique, n° 449905.

(120) V. également, les recours dirigés contre l'instruction DGOS/RH3/2021/5 du 6 janvier 2021 du ministre de la santé et des solidarités relative à la reconnaissance des pathologies liées à une infection au SARS-CoV2 dans la fonction publique hospitalière : 30 décembre 2021, Fédération nationale Sud santé sociaux, n° 449913 ; Fédération des personnels des services publics et des services de santé Force Ouvrière et M. C., n° 450447, jonction.

 

Élections et financement de la vie politique

 

121 - Élections municipales - Règlement direct de menues dépenses - Conditions - Absence - Rejet du compte - Inéligibilité - Rejet.

Si, par dérogation à la formalité substantielle que constitue l'obligation de recourir à un mandataire pour toute dépense effectuée en vue de sa campagne, le règlement direct de menues dépenses par le candidat peut être admis, ce n'est qu'à la double condition que leur montant, en prenant en compte non seulement les dépenses intervenues après la désignation du mandataire financier mais aussi celles qui ont été réglées avant cette désignation et qui n'auraient pas fait l'objet d'un remboursement par le mandataire, soit faible par rapport au total des dépenses du compte de campagne et qu'il soit négligeable au regard du plafond de dépenses autorisées fixé par l'article L. 52-11 du code électoral.

En l'espèce, le montant de ces dépenses a constitué 51,9 % du montant total des dépenses de campagne du requérant et 14,6 % du plafond des dépenses électorales autorisées dans la circonscription de Dieppe. C'est sans erreur de droit que son compte a été rejeté.

La sanction de six mois d'inéligibilité infligée en première instance est justifiée.

(1er décembre 2021, M. C., Élections municipales de Dieppe, n° 450985)

(122) V. aussi, confirmant entièrement

1 - le jugement de première instance sur le caractère infractif du comportement et sur la durée de l’inéligibilité : 28 décembre 2021, M. C., Élections municipales de Gennevilliers, n° 448519 ; 30 décembre 2021, M. C., Élections municipales de Sainte Rose, n° 453352 ; 30 décembre 2021, M. A., Élections municipales de La Seyne-sur-Mer, n° 453053 et 30 décembre 2021, M. B., Élections municipales de La Seyne-sur-Mer, n° 452161 ; 30 décembre 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Canet-en-Roussillon, n° 448692 ; sur cette dernière commune voir aussi l’affaire n° 448694, rapportée dans la liste figurant au n° 135 .

2 - la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques rejetant un compte de campagne : 28 décembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villefranche-de-Rouergue, n° 448932 ou encore : 30 décembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Avignon, n° 452048.

(123) V. également,

1 - Relevant que la modestie des irrégularités affectant le compte ce campagne, si elle le rend ipso facto irrégulier, ne justifie nullement la sanction d'inéligibilité de 18 mois infligée en première instance ; elle est ramenée à six mois par le juge d'appel : 9 décembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune Bordeaux, n° 451567.

2 - Tenant compte de ce que le dépôt tardif du compte de campagne était en réalité expliqué par la perte par les services postaux du pli que le candidat avait adressé à la Commission dans les délais et de l'affirmation du candidat - non contredite - de l'absence de réception de la mise en demeure de régulariser l'absence de dépôt de son compte qui lui aurait été adressée par la Commission, d’où le prononcé l'annulation de l'inéligibilité pour douze mois infligée en première instance : 17 décembre 2021, M. A., El. min. et cnautaires de la commune du Havre, n° 451850.

3 – Confirmant l’inéligibilité de deux mois du candidat pour dépôt tardif du compte en dépit de la force majeure tirée de l'impossibilité matérielle, avant l'expiration du délai, d'accéder au compte bancaire dédié au financement de sa campagne du fait de la modification tardive de ce compte par la banque domiciliataire postérieurement au changement de son mandataire financier ; cette circonstance, quoique regrettable puisqu'elle ne lui a pas permis de disposer de compte bancaire pour l'encaissement et le paiement de sa campagne, ne constitue pas une impossibilité matérielle d'établir le compte de campagne, par ailleurs excédentaire, dont il résulte de l'instruction qu'il n’en a confié l'établissement à un expert-comptable qu'à la fin du mois d'août 2020, soit après l'expiration du délai précité : 30 décembre 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Antibes, n° 448472.

(124) V. encore,

1 – Annulant un jugement ayant déclaré l’intéressé inéligible et démissionnaire d’office motif pris, d’une part, de ce que celui-ci, postérieurement à la décision de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, a communiqué au tribunal administratif son compte de campagne visé par un membre de l'ordre des experts-comptables sans que ce compte ne comporte d'irrégularités ni ne présente de différences notables avec celui qui avait été soumis préalablement à ladite Commission et, d’autre part, du faible montant des recettes et des dépenses du compte, qui s'établissent respectivement à 9 100 euros et à 6 627 euros, ainsi qu’au caractère non délibéré du manquement en cause : 30 décembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villeneuve-lès-Maguelone, n° 451816.

On lira aussi, assez voisin en substance : 30 décembre 2021, M. A., Élections municipales de Perpignan, n° 450415.

2 - Ramenant de dix-huit mois à neuf mois la sanction de l’inéligibilité compte tenu que ce n’est pas frauduleusement que le dépôt du compte de campagne n’a pas été effectué avant l’expiration du délai légal : 21 décembre 2021, Mme A., Élections municipales de Sada, n° 453600.

3 - Plus discutable ou, en tout cas, manifestant un traitement par trop inégalitaire, est la décision d’appel qui ramène de trois ans à un an la période d’inéligibilité pour un candidat qui n’a pas déposé son compte dans les délais prescrits, ne l’a pas fait présenter par un expert-comptable et qui a prétendu n’avoir eu ni recettes ni dépenses alors que chacun de ces deux postes s’élève à plus de vingt mille euros : 21 décembre 2021, M. A., Élections municipales de Tsingoni, n° 454008.

Une observation identique peut être faite à propos d’une décision ramenant de 30 mois à 24 mois la durée de l’inéligibilité consécutive au non-respect de diverses règles régissant la tenue et la présentation du compte de campagne. Il convient de relever car le fait est très rare, que le Conseil d’État décide que ce délai d’inéligibilité commencera à courir à compter de la présente décision : 30 décembre 2021, M. C., Élections municipales de Sainte Rose, n° 453393.

4 – Jugeant que c’est à bon droit qu’a été rejeté un compte de campagne dès lors que le candidat a directement payé une somme de 740 euros, soit 12,8% du montant total des dépenses déclarées dans son compte de campagne, lesquelles s'élèvent à 5 738 euros, et 3,9% du plafond des dépenses applicable à l'élection, soit 18 745 euros, ces montants n’étant ni faibles au regard du total des dépenses de campagne de M. C., ni négligeables au regard du plafond des dépenses : 30 décembre 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune du Thor, n° 453921.

Solution comparable à la précédente mais avec des plafonds plus élevés, respectivement à 59% et à 8% : 30 décembre 2021, M. D., Élections municipales d’Avignon, n° 450823.

5 – Confirmant le rejet d’un compte de campagne, la démission d’office et l’inéligibilité d’une année prononcés à l’égard d’un candidat qui « a manqué tant à l'obligation de présenter son compte de campagne par un expert-comptable qu'à celle imposée à son mandataire financier d'ouvrir un compte de dépôt unique retraçant la totalité de ses opérations financières (, qui …) s'est abstenu de procéder aux régularisations demandées par la CNCCFP et n'a jamais sérieusement justifié de l'impossibilité de respecter les dispositions qui s'imposaient à lui » : 30 décembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montmagny, n° 453532.

Dans le même sens, avec inéligibilité de six mois : 30 décembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Arnouville, n° 448536.

 

125 - Élections des conseillers des Français de l’étranger des 29 et 30 mai 2021 – Protestations en vue de l’annulation des élections – Rejets.

Un contentieux assez nourri s’est développé du chef des opérations électorales qui se sont tenues le 30 mai 2021 en vue de l'élection des conseillers des Français de l'étranger.

Les requêtes, fondées sur des moyens divers, sont toutes rejetées.

On se borne à recenser certaines d’entre elles pour les lecteurs intressésromieu :

30 décembre 2021, Circonscription du Portugal, n° 453463 ; 

30 décembre 2021, 2ème circonscription du Brésil, n° 453506 ;

30 décembre 2021, Ensemble des circonscriptions où au moins un siège était à pourvoir, n° 453524 ;

30 décembre 2021, Circonscription Cameroun-Guinée équatoriale, n° 453430 ;

30 décembre 2021, Circonscription de Tunisie-Libye, n° 453397 ;

30 décembre 2021, Circonscription Maurice-Seychelles, n° 453656.   

 

126 - Référendum en Nouvelle-Calédonie - Troisième consultation sur l'accession de ce territoire à l'indépendance - Demande de report du scrutin - Situation sanitaire - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

Les requérants sollicitaient, par un référé liberté, la suspension de l'organisation du troisième référendum en vue de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à l'indépendance prévu le 12 décembre 2021. Le recours est rejeté, le juge estimant qu’aucune atteinte n'a été portée à une liberté fondamentale.

La situation sanitaire existant sur l'archipel n'est pas telle qu'elle empêche ou rende difficile le déroulement de la campagne ou celle du scrutin prévu, d'autant que cette situation est en voie d'amélioration et que des mesures de protection des électeurs ont été prises.

L'existence de règles coutumières de deuil des victimes décédées du Covid-19, dont le déroulement coïnciderait avec la période électorale ne caractériserait pas l'atteinte à une liberté fondamentale en dépit de l'organisation de grandes cérémonies traditionnelles et de l'instauration d'une période de recueillement.

La circonstance que des électeurs seraient empêchés de s'inscrire dans des bureaux de vote délocalisés à Nouméa du fait de l'épidémie comporte en réalité suffisamment de correctifs et de palliatifs pour leur permettre d'exercer leur droit de vote sans qu'il soit porté atteinte à une liberté fondamentale.

Semblablement, ne saurait être invoquée la proximité de ce référendum avec les élections présidentielles d'avril 2022.

(ord. réf. 7 décembre 2021, Mme D. et autres, n° 459131)

 

127 - Élections régionales - Présentation des bulletins d'une liste - Irrégularité - Absence de nullité desdits bulletins - Rejet.

Ne sont pas nuls par eux-mêmes les bulletins de vote d'une liste qui, bien que ne reprenant pas l'intitulé de cette liste, reprennent les nom et prénom du candidat désigné tête de liste régionale et ceux de chacun des candidats composant cette liste, répartis par section départementale et dans l'ordre de présentation de la liste, et précisent le nom des partis politiques nationaux soutenant cette même liste.

(10 décembre 2021, Mme G., Élections au conseil régional de Normandie, n° 454363)

(128) V. aussi, à propos des conditions d'éligibilité aux élections régionales, jugeant que la double condition exigée pour l'éligibilité (inscription sur une liste électorale ou preuve de devoir y être et assujettissement à l'une des contributions directes au 1er janvier de l'année de l'élection), est satisfaite par une personne qui est assujettie à la taxe d'habitation dans une ville de la région sans que puisse y faire obstacle  la circonstance qu'elle n'allègue pas avoir son domicile dans cette région ou qu'elle ne produit aucun élément de nature à établir qu'elle occuperait effectivement le logement au titre duquel elle était redevable de la taxe d'habitation : 20 décembre 2021, Mme I. et autres, Élections au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 454289 ;  M. U. et autres, Élections au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 454312 ; Mme G., Élections au conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, n° 454339.

(129) V., rappelant à propos d’élections régionales, mais la solution vaut pour toutes espèces d’élections, qu’est – classiquement - irrecevable la protestation électorale qui se borne à contester les résultats d’un tour de scrutin sans solliciter la modification de son résultat : 22 décembre 2021, M. F., Élections au conseil régional de Normandie, n° 454376.

(130) V. également, rejetant l’ensemble des griefs contenus dans une protestation tendant à l’annulation d’élections régionales : 27 décembre 2021, M. J., Élections au conseil régional des Hauts-de-France, n° 454335.

 

131 - Élections municipales - Entrepreneur de services municipaux - Inéligibilité - Circonstances de fait indifférentes à cette qualification et à sa sanction - Annulation.

Une délicate question de droit en matière d'inéligibilité est ici tranchée.

En vertu des dispositions du 6° de l'art. de l'art. L. 231 du code électoral, les entrepreneurs de services municipaux ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois. Une double question se posait.

La première, classique, était celle de la détermination de « l'entrepreneur de services municipaux ». En l'espèce, l'intéressé jouait un rôle prépondérant dans une entreprise ayant conclu avec la commune en 2011 une convention en vue d'assurer le déneigement de la commune, qui a été renouvelée le 24 septembre 2018 puis dénoncée par l'intéressé le 8 janvier 2020. Il suit de là que cette société participait à cette date au service municipal d'entretien de la voirie et cela moins de six mois avant la date du premier tour de l'élection contesté : l'intéressé avait bien la qualité d'entrepreneur d'un service municipal.

La seconde question était la plus difficile.

Pour sa défense, le défendeur invoquait la double circonstance que cette société n'avait plus fourni de prestation à la commune depuis plus de six mois et qu'en toute hypothèse une seule facture d'un montant de 486 euros avait été émise au titre de cette convention en 2019.

Dura lex sed lex : l'intéressé n'en tombe pas moins sous le coup de la prohibition légale et était donc inéligible à la date à laquelle il a été élu.

On pourra ne pas trouver trop amène cette solution…

(21 décembre 2021, M. D. G. et M. B. G., Élections municipales de Villequier-Aumont, n° 445969).

 

132 - Élections municipales et communautaires – Procurations régulières non acheminées en temps utile – Absence de manœuvre – Adjonction hypothétique de suffrages aux résultats des candidats battus – Liste arrivée en tête ne pouvant plus être proclamée élue – Annulation du jugement et des deux tours de scrutin.

Cette décision se signale à l’attention par le motif de l’annulation des deux tours de scrutin qu’elle prononce et, par voie de conséquence, du jugement de première instance qui avait rejeté la protestation dont il était saisi.

Les procurations, régulièrement établies par cinq électeurs, n’étaient pas parvenues en temps utile pour pouvoir être utilisées le jour du vote. Le juge a donc hypothétiquement ajouté ces voix à celles obtenues par les candidats battus. Il en résulte que l’une de ces listes aurait quatre voix de plus que celle arrivée en tête : l’élection ne peut qu’être annulée.

(27 décembre 2021, M. O., Él. mun. et cnautaires de la commune de L’Etang-Salé, n° 450347 ; M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de L’Etang-Salé, n° 450779 ; M. Q. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de L’Etang-Salé, n° 450782, jonction)

(133) V. aussi, sur le contentieux des procurations électorales : 30 décembre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Dugny, n° 450740.

 

134 - Élections municipales et communautaires – Irrégularités diverses – Faussement des résultats du scrutin – Faible écart de voix – Confirmation de l’annulation des résultats.

L’édition d’un bulletin municipal dressant en termes flatteurs un bilan élogieux du mandat du maire sortant, une cérémonie des vœux très orientée en faveur du maire sortant et critique à l’égard de la municipalité précédente, l’utilisation à cet effet des ressources de la commune et alors que deux voix seulement séparent le nombre de suffrages recueillis par la liste proclamée victorieuse et la majorité absolue des suffrages exprimés, sont de nature à avoir faussé les résultats du scrutin, d’où la confirmation de son annulation en première instance.

(30 décembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune du Lamentin, n° 449874)

 

135 - Élections municipales et communautaires – Protestation comportant des griefs divers et multiples – Rejets.

On signale ces décisions aux lecteurs bien qu’elles ne revêtent pas, en droit ou même en fait, d’importance particulière car elles sont très illustratives de la panoplie des moyens le plus souvent développés au soutien de protestations électorales.

(30 décembre 2021, M. K., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Annecy, n° 450359 ;

30 décembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fresnes, n° 451385 ;

30 décembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Garges-lès-Gonesse, n° 451087 ;

30 décembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Sarcelles, n° 450845 ;

30 décembre 2021, M. G., Élections municipales de la commune de Colombes, n° 450810 ;

30 décembre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fontenay-le-Comte, n° 450527 ;

30 décembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Aubière, n° 450099 ;

30 décembre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Anse-Bertrand, n° 445556 ;

30 décembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Canet-en-Roussillon, n° 448694 ;

30 décembre 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Annemasse, n° 449172)

 

136 - Élections municipales et communautaires – Absence de mention sur les bulletins de la nationalité portugaise de l’un des candidats – Émargements ne garantissant pas l’authenticité du vote – Confirmation de l’annulation de l’élection – Rejet.

Deux motifs, retenus par les premiers juges pour prononcer l’annulation d’opérations électorales, sont repris par le juge d’appel.

En premier lieu, est relevée l’omission de porter sur les bulletins la mention de la nationalité portugaise de l’un des candidats, sans que la circonstance qu’il occupait la 35ème place sur une liste de 49 candidats puisse faire échec à la nullité ainsi constatée.

En second lieu, trente des émargements du second tour (le tribunal administratif en avait, lui, relevé cinquante) ont été jugés dépourvus d’authenticité car ils présentaient des différences manifestes par rapport à ceux du premier tour. Ce chiffre excède notablement l’écart de cinq voix qui sépare les deux listes en présence au second tour.

(30 décembre 2021, M. AA., Él. mun. et cnautaires de la commune de Neuilly-sur-Marne, n° 449430)

 

137 - Élections municipales et communautaires – Rejet du compte de campagne d’une candidate élue – Démission d’office – Remplacement par une élue déclarant ne pas vouloir siéger au conseil municipal – Erreur de droit – Désignation d’une autre élue – Annulation sur ce point.

Lorsque, par suite du rejet de son compte de campagne, une candidate est déclarée inéligible et, par conséquent, démissionnaire d’office, elle ne peut être remplacée par une élue qui a déclaré ne pas vouloir siéger au conseil municipal. Il incombe en ce cas au juge saisi de désigner une autre élue en remplacement.

(30 décembre 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Sainte-Maxime, n° 451110)

 

138 - Élections municipales et communautaires – Déroulement de la campagne – Publication d’apparence satirique contenant des allégations virulentes – Extrême difficulté d’y apporter une réponse utile – Altération de la sincérité du scrutin – Annulation des élections confirmée en appel.

La mise en cause, dans une publication prétendument satirique créée pour la période électorale, au moyen d’imputations injurieuses et diffamatoires mettant en cause la probité d’un candidat de manière particulièrement grave en des termes excédant les limites de ce qui peut être toléré dans le cadre de la polémique électorale, aggravée, d’une part, par la large diffusion donnée à cette publication et, d’autre part, par la très grande difficulté à y apporter une réponse utile est de nature à avoir altéré la sincérité du scrutin.

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont prononcé l’annulation des deux tours de scrutin.

(30 décembre 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Carros, n° 451036)

 

139 - Élections municipales et communautaires – Absence d’inscription sur les listes électorales - Absence d’inscription sur le rôle des contributions directes au 1er janvier de l’année de l’élection – Inéligibilité – Rejet.

Est irrecevable la protestation tendant à l’annulation d’opérations électorales formée par une personne qui, non inscrite au rôle des contributions directes au 1er janvier de l’année de l’élection, n’était donc ni éligible ni électrice.

Confirmation du jugement et rejet de l’appel.

(30 décembre 2021, Mme H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Clapiers, n°445649)

 

140 - Élections municipales et communautaires – Différences dans les émargements entre les deux tours de scrutin – Nombre d’irrégularités excédant l’écart des voix – Confirmation de l’annulation des élections.

Ne retenant qu’un seul des trois motifs pour lesquels les premiers juges avaient annulé les opérations électorales du 28 juin 2020 dans cette commune, le Conseil d’État confirme l’annulation prononcée en première instance motif pris de ce que vingt émargements étaient irréguliers alors que l’écart entre les deux listes arrivées en tête n’était que de huit voix.

(30 décembre 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Capesterre-de-Marie-Galante, n° 446863)

 

Environnement

 

141 - Pêche à l'anguille de moins de douze centimètres - Pêche professionnelle - Quotas de pêche excessifs - Espèce en voie de disparition - Défaut d'urgence - Rejet.

La requérante demandait la suspension d'arrêtés du 21 octobre 2021, l'un de la ministre de la transition écologique relatif à l'encadrement de la pêche de l'anguille de moins de 12 centimètres par les pêcheurs professionnels en eau douce pour la campagne 2021-2022, l'autre, de la ministre de la mer, portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguilles européennes (Anguilla anguilla) de moins de 12 centimètres pour la campagne de pêche 2021-2022. Elle argüe de ce que les quotas de quantité d'anguilles pouvant être pêchées sont excessifs, d'une part, eu égard notamment à l'objectif d'intérêt public de restauration de l'anguille européenne, qui est une espèce en danger d'extinction, ainsi qu'aux intérêts de protection et de conservation de l'anguille et des milieux humides qu'elle défend et, d'autre part, car ces arrêtés méconnaissent le règlement européen du 18 septembre 2007 instituant des mesures de reconstitution du stock d'anguilles européennes ainsi que le plan de gestion de l'anguille adopté par la France sur son fondement.

Ils invoquent aussi l'atteinte au principe de précaution et l'irrégularité affectant la consultation publique à laquelle ont été soumis les arrêtés contestés du fait de la méconnaissance de l'article L. 120-1 du code de l'environnement résultant d'une mauvaise et/ou d'une non connaissance par le public de certaines informations.

Le recours est cependant rejeté pour défaut d'urgence car il n'est pas plus possible de faire la part, au sein des causes de mortalité de l'anguille européenne, de ce qui relève de la pêche autorisée par le Gouvernement français des autres causes de mortalité anthropique, comme la dégradation des habitats, l'impact d'espèces invasives, le braconnage ou encore les prélèvements effectués dans les autres pays européens. Il résulte en revanche de l'instruction que la réduction demandée des quotas de pêche à l'anguille comme l'interdiction de toute pêche en eau douce serait de nature à porter gravement atteinte à l'équilibre économique des 505 entreprises de pêche professionnelle concernées, la pêche à la civelle représentant 30% à 60% de leur chiffre d'affaires annuel.

Enfin, le nombre de droits de pêche professionnels « civelle » pour les entreprises de la façade Atlantique a été divisé par deux depuis l'approbation par la Commission européenne en 2010 du plan de gestion de l'anguille présenté par la France.

(ord. réf. 7 décembre 2021, Association Défense des milieux aquatiques, n° 458329)

 

142 - Installation de stockage des déchets - Déchets non fermentescibles peu évolutifs et non dangereux - Rejets dans les eaux souterraines - Rejet des lixiviats - Condition - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit et n'est pas entaché d'insuffisance de motivation, l'arrêt d'une cour d'appel qui juge qu'il résulte de la combinaison de l'art. 1er de l'arrêté du 10 juillet 1990 du ministre chargé des installations classées relatif à l'interdiction des rejets de certaines substances dans les eaux souterraines en provenance d'installations classées pour l'environnement et de l'art. 35 de l'arrêté ministériel du 9 septembre 1997 relatif aux décharges existantes et aux nouvelles installations de stockage de déchets ménagers et assimilés :

- d'une part, que si les lixiviats issus des installations de stockage des déchets peuvent être rejetés dans le milieu naturel lorsqu'ils respectent les valeurs fixées à l'article 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997, ce n'est qu'à la condition que, lorsqu'ils comportent des substances relevant de l'annexe à l'arrêté du 10 juillet 1990, ils ne soient pas rejetés dans les eaux souterraines ;

- d'autre part, que cette condition s'applique à l'ensemble des lixiviats contenant certaines substances en provenance des installations classées, sans distinction entre les différents types d'installations les ayant émis et donc sans distinction entre les exploitants.

Il en va ainsi lorsque, comme en l'espèce, les lixiviats, traités par la technique de l'osmose inverse, qui permet le respect des valeurs fixées à l'article 36 de l'arrêté du 9 septembre 1997, sont rejetés dans les eaux souterraines. Par suite, ainsi que jugé par l'arrêt d'appel, l'arrêté préfectoral querellé était tenu d'interdire le rejet des lixiviats dans les eaux souterraines.

(15 décembre 2021, Société Gurdebeke, n° 436516)

 

143 - Pollution atmosphérique - Surveillance - Édiction de dispositions réglementaires relatives à la pollution atmosphérique par l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (ACNUSA) - Incompétence - Formulation par l'ACNUSA de recommandations sur les particules ultrafines et sur le carbone - Compétence - Absence d'impérativité - Annulation sur le premier point et rejet sur le second.

L'ACNUSA dispose, notamment, de prérogatives réglementaires en matière de nuisances sonores et d'un pouvoir de recommandation s'agissant de la pollution atmosphérique.

La requérante contestait, d'une part des décisions prises par l'ACNUSA et d'autre part des recommandations, toutes concernant la pollution atmosphérique. Si, sur le premier point, l'ACNUSA n'avait pas compétence pour prendre des décisions et voit celles-ci annulées, en revanche, elle disposait d'un pouvoir de recommandation qui, n'ayant aucun caractère impératif, ne donne pas ouverture à une action en annulation.

(15 décembre 2021, Union des aéroports français et francophones associés, n° 446909)

 

144 - Conservation des oiseaux sauvages – Directive du 30 novembre 2009 – Tourterelle des bois – Arrêté en autorisant la chasse - Méconnaissance des objectifs de la directive – Annulation de l’arrêté ministériel (écologie) du 30 août 2019.

Non sans marquer son agacement devant l’attitude de la ministre défenderesse qui s’est abstenue de produire dans l’instance malgré une mise en demeure de le faire, le Conseil d’État juge que l’arrêté du 30 août 2019 - autorisant la chasse de la tourterelle des bois sur l'ensemble du territoire métropolitain pendant la saison 2019-2020, fixant un quota maximal de prélèvements limité à 18 000 spécimens et organisant un suivi des prélèvements, notamment par l'enregistrement de tout prélèvement en temps réel et par la fourniture d'une aile de l'oiseau prélevé sur un échantillon d'au moins 5 % des prélèvements – a été pris en violation des dispositions de l’art. 2 et du I de l’art. 7 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages.

L’arrêté est annulé.

(30 décembre 2021, Ligue pour la protection des oiseaux et Association humanité et biodiversité, n° 434244)

V. aussi, pour un autre aspect, le n° 64

(145) V. aussi, identique : 30 décembre 2021, Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), n° 443460 ; Association One Voice, n° 443556.

 

146 - Création d’une liaison à statut autoroutier entre Machilly et Thonon-les-Bains – Étude d’impact – Autres exigences – Régularité - Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 24 décembre 2019 déclarant d'utilité publique les travaux de création d'une liaison à 2 fois 2 voies entre Machilly et Thonon-les-Bains, dans le département de la Haute-Savoie, conférant le statut autoroutier à la liaison nouvellement créée et portant mise en compatibilité des documents d'urbanisme des communes de Machilly, Bons-en-Chablais, Ballaison, Brenthonne, Fessy, Lully, Perrignier, Allinges, Margencel et Thonon-les-Bains.

Ils invoquaient de nombreux moyens, tous rejetés, le principal portant sur la critique de plusieurs aspects de l’étude d’impact.

S’agissant de l’étude d’impact, le Conseil d’État estime qu’elle n’est pas critiquable en ce qui concerne le périmètre qui lui a été assigné, la prétendue obsolescence des données de cette étude, la description du projet, la description de l’environnement, l’analyse des facteurs entrant dans le champ de l'évaluation environnementale, l’analyse des ressources naturelles, du climat, des solutions de substitution, la prise en compte de la séquence « éviter-réduire-compenser », la description des méthodes d'identification et d'évaluation des incidences notables sur l'environnement, la protection contre les nuisances sonores ou encore l’évaluation socio-économiques.

Pas davantage ne sont retenues les critiques portant sur la méconnaissance de la Charte de l’environnement ou des engagements internationaux de la France, sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, sur la compatibilité avec le SDAGE 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée, sur la méconnaissance du principe de prévention et des dispositions relatives à la réduction, à l'évitement et à la compensation des effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine.

Au total, l’utilité publique du projet est jugée certaine et le recours est ainsi rejeté.

(30 décembre 2021, Ville de Genève et ville de Carouge, n° 438686 ; Association de concertation et de proposition pour l'aménagement et les transports et autres, n° 439077 ; Europe Ecologie Les Verts - région Savoie (EELV - rS) et autres, n° 439020 ; Association Action Abandon Autoroute Chablais et autres, n° 439079 ; Association Union des fédérations Rhône-Alpes de protection de la nature et autres, n° 439173)

 

État-civil et nationalité

 

147 - Demande d'acquisition de la nationalité française - Condamné ayant fait l'objet d'une réhabilitation - Condamnation correctionnelle postérieure - Moyen nouveau en cassation - Rejet.

Le ministre de l'intérieur excipait de ce que l'art. 21-27 du Code civil fait obstacle à l'acquisition de la nationalité française par les personnes ayant fait l'objet de certaines condamnations pénales pour justifier son rejet de la demande d'acquisition de la nationalité française par l'intéressé.

La cour administrative d'appel, approuvée par le Conseil d'État, a écarté l'application de cette disposition, au motif que le demandeur devait être regardé comme bénéficiant de la réhabilitation légale au titre de sa condamnation par jugement du 24 novembre 2000 du tribunal correctionnel d'Aix-en-Provence, alors même que celle-ci continuait de figurer au bulletin n° 2 extrait de son casier judiciaire.

Le ministre défendeur soulevait devant le juge de cassation un autre moyen, tiré de ce que le sursis dont était assortie la condamnation a été révoqué et produisait à l'appui de son pourvoi des éléments faisant état d'une autre condamnation correctionnelle en novembre 2006. Ce moyen est rejeté pour une raison de procédure : il est nouveau en cassation.

On regrettera une solution qui complique les choses : le ministre, auquel il a été enjoint en appel de réexaminer la demande de naturalisation de l'intéressé, lui opposera vraisemblablement la condamnation postérieure pour refuser la naturalisation.

Ce dernier, fort d'une victoire à la Pyrrhus, se retrouvera alors Gros-Jean comme devant.

Il eût été plus judicieux de relever que le moyen soulevé pour la première fois en cassation était d'ordre public et, ainsi, de l'admettre comme bien fondé et de nature à justifier la décision contestée.

(21 décembre 2021, Ministre de l'intérieur, n° 447231)

 

Étrangers

 

148 - Demande d'asile - Commission d'un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil - Motif justifiant le refus de la protection statutaire - Mobile politique - Circonstance indifférente au regard du refus de la protection - Qualification d'actes comme crimes graves de droit commun - Rejet.

Dans cette importante décision, qui portait à nouveau sur un différend entre l'OFPRA et la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), l'OFPRA demandait l'annulation de la décision de la CNDA octroyant la qualité de réfugié à un ressortissant du Kazakhstan après que l'OFPRA la lui a refusée.

Le Conseil d'État donne raison en droit et en fait à l'OFPRA.

En droit, le juge de cassation estime que lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser qu'un demandeur d'asile a commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil, les stipulations du b) de l'article 1 F de la convention de Genève sur les réfugiés (1949), permettent de lui refuser le bénéfice de la protection.

Il estime également que la circonstance que les poursuites dont il a pu faire l'objet à raison de cet acte criminel reposent sur un mobile politique.

En fait, le Conseil d'État aperçoit, comme l'OFPRA, un crime grave de droit commun dans des faits de détournement de fonds, d'escroquerie ou de corruption qui revêtent une grande ampleur. La lecture du parcours criminel de l'intéressé (V. sur cet aspect le point 4 de la décision) est, en effet, assez édifiante et l'on peut s'interroger sur le sérieux de l'analyse contraire faite par la CNDA.

(8 décembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447044)

 

149 - Demande d'asile ou de protection subsidiaire - Invocation par le demandeur de l'exercice actuel d'activités ne correspondant pas à des convictions exprimées dans son pays - Refus de la Cour natioale du droit d'asile (CNDA) - Erreur de droit - Annulation.

Par cette décision, plus généreuse que logique, il est jugé que c'est au prix d'une erreur de droit que la CNDA a estimé qu'un étranger ne pouvait pas, pour justifier de sa demande d'asile ou de protection, invoquer ses activités actuelles dès lors que celles-ci ne prolongent ou ne poursuivent pas des opinions, comportements ou autres qu'il aurait eus dans son pays d'origine.

(21 décembre 2021, M. J., n° 445688)

 

150 - Schéma national des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés (art. L. 551-1 à L. 551-6, ex-L. 744-2 CESEDA) – Fixation, pour chaque région, de la part des demandeurs d’asile pouvant y résider – Exclusion des collectivités d’outre-mer de cette répartition – Absence de rapport proportionnel entre nombre de demandes et nombre de places accordées – Absence de fixation, pour chaque région, des types de places d’hébergement – Annulations partielles.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation des articles 1er et 2 de l'arrêté du 7 janvier 2021 et celle de l'article 1er de l'arrêté du 7 avril 2021 pris en application de l'article L. 744-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu les art. L. 551-1 à L. 551-6 dudit code.

Ils reprochaient à ces dispositions qui organisent, dans le cadre du Schéma national des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés, la répartition des demandeurs d’asile entre chaque région, un certain nombre d’illégalités dont certaines seulement sont retenues par le juge de l’excès de pouvoir.

Il est successivement relevé que :

- si « le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile doit fixer, tous les deux ans, la part des demandeurs d'asile devant résider dans chaque région, il ne résulte d'aucun texte que le ministre chargé de l'asile devrait programmer la répartition entre régions des places d'hébergement destinées à l'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés sur une période de deux ans »,

- qu’aucune disposition n’autorise le ministre à exclure les collectivités d'outre-mer de la répartition des places d'hébergement pour demandeurs d'asile et réfugiés, d’où l’illégalité de cette exclusion,

- que le ministre n’a nullement l’obligation de répartir les places d'hébergement destinées aux demandeurs d'asile entre régions proportionnellement au nombre de demandes d'asile présentées dans chaque région,

- que le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile n’a pour objet que de répartir les demandeurs d'asile et les places d'hébergement entre régions, non de définir pour chaque région les types de places d'hébergement créées,

- qu’enfin, les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’art. 2 de l’arrêté du 7 janvier 2021 est entaché d'erreur de droit en tant que s’il appartient à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de décider l'orientation des demandeurs d'asile vers une autre région que celle dans laquelle ils ont déposé leur demande d'asile lorsque la part des demandeurs d'asile résidant dans cette région excède la part fixée par le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile et les capacités d'accueil de cette région, ce schéma doit fixer la part des demandeurs d'asile accueillis dans chaque région, or cet article, désormais abrogé, a fixé la part des demandeurs d'asile orientés depuis la région Ile-de-France vers chacune des autres régions métropolitaines et non la répartition des demandeurs d'asile entre chaque région.

L’annulation est prononcée sur les deux points relevés ci-dessus.

(21 décembre 2021, Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et autres, n° 450551)

 

151 - Demande d’extradition – Infractions pénales l’ayant motivée – Infractions punissables en France si commises en France –

Dans le cadre d’un recours contestant la légalité du décret autorisant l’extradition du requérant vers les États-Unis, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que la Convention EDH n’est pas invocable dans le cadre des relations avec cet État.

Ensuite, répondant à un argument en ce sens, le juge précise que les infractions reprochées, qui motivent la demande américaine d’extradition, relèveraient, si elles avaient été commises en France, du droit français : est donc rejeté le moyen tiré de ce qu’en l’espèce, elles relèvent de ce dernier droit alors qu’elles n’ont pas été commises en France.

Enfin, les infractions visées par la procédure d’extradition - complot en vue de fournir une aide matérielle au Hezbollah, tentative de fournir une aide matérielle au Hezbollah et complot en vue de violer la loi sur les pouvoirs économiques d'urgence internationaux - ne sauraient constituer par leur nature des infractions politiques, lesquelles, on le sait, sont exclues du champ d’application de cette procédure

(21 décembre 2021, M. C., n° 454114)

 

152 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Date d’appréciation de la légalité d’une décision portant OQTF – Date de son édiction – Rejet.

C’est à tort que le ministre de l’intérieur soutient que les dispositions de l’art. L. 511-1 du CESEDA, en prévoyant que dans certains cas, comme celui de l'espèce, la décision obligeant à quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour, ont une incidence sur la date à laquelle est appréciée la légalité de chacune des décisions.

En effet, la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français s'apprécie à la date de son édiction ainsi que l’a jugé à bon droit l’arrêt d’appel.

(28 décembre 2021, Ministre de l’intérieur, n° 444008)

 

153 - Étranger bénéficiaire d’une carte de séjour temporaire en raison de son état de santé – Refus de renouvellement de ce titre – Annulation – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Le 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que la carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale est délivrée de plein droit « À l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. »

Une cour administrative d’appel avait, dans son arrêt confirmatif, après avoir considéré que l'état de santé de l'intéressé nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, annulé le refus préfectoral de renouveler la carte de séjour temporaire dont bénéficiait un ressortissant bangladais au double motif qu'il n'était pas contesté que l'accès aux soins et la qualité de service des soins au Bangladesh n'était pas « comparable aux standards européens » et que le requérant serait confronté, dans son pays d'origine, à une aggravation de sa pathologie en raison de la pollution atmosphérique.

L’arrêt est cassé pour les erreurs de droit qu’il contient, le Conseil d’État estimant que la cour « devait seulement s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès (…), » et qu’elle «  n'avait pas à rechercher si les soins dans le pays d'origine étaient équivalents à ceux offerts en France ou en Europe, et pas davantage à prendre en compte des facteurs étrangers à ces critères, tels que la pollution atmosphérique. »

Il n’est pas interdit de penser que la solution est assez sévère.

(30 décembre 2021, Ministre de l’intérieur, n° 449917)

 

154 - Aide médicale de l’État et soins vitaux et urgents – Aide possible pour les étrangers en situation irrégulière – Aide impossible pour les étrangers en situation régulière – Annulation.

Le juge déduit de dispositions du code de la sécurité sociale, de celui de l’action sociale et des familles et de  celui de l’entrée et du séjour des étrangers, que seuls les étrangers en situation irrégulière sont susceptibles de bénéficier de l'aide médicale de l'État lorsqu'ils résident de manière ininterrompue depuis plus de trois mois sur le territoire ou de la prise en charge des soins urgents et vitaux lorsqu'ils ne bénéficient pas de l'aide médicale de l'État, notamment au motif qu'ils ne résident pas en France de manière ininterrompue depuis plus de trois mois. 

En revanche, l'accès à la prise en charge des frais d'assurance maladie mentionnée à l'article L. 160-1 du code de la sécurité sociale est conditionné à une double condition de régularité et de stabilité du séjour. 

Il s’ensuit que la prise en charge des soins urgents et vitaux, de même d'ailleurs que l'aide médicale de l'État, ne sauraient, eu égard aux conditions fixées par le législateur à leur octroi, être accordées à un étranger qui, alors même que la régularité de son séjour n'est pas attestée par l'un des titres figurant à l'article 1er de l'arrêté du 10 mai 2017 pris en application du II de l'article R. 111-3 du code de la sécurité sociale, est en situation régulière au regard de la législation sur le séjour des étrangers en France.

On a vu plus juste et plus cohérent.

Rappelons que « l’étranger » est ici la personne non ressortissante de l'Union européenne, d'un État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse.

(30 décembre 2021, CPAM du Bas-Rhin, n° 448688)

(155) V. aussi, voisins ou semblables : 30 décembre 2021, CPAM du Bas-Rhin, n° 448689, n° 448690 et n° 48869, trois espèces ; 30 décembre 2021, CPAM du Bas-Rhin, n° 448693 ; 30 décembre 2021, CPAM du Bas-Rhin, n° 448695 ; 30 décembre 2021, CPAM du Bas-Rhin, n° 448697.

 

Fonction publique et agents publics

 

156 - Agent public hospitalier - Ingénieur affecté à la direction des services numériques - Services situés dans un bâtiment distinct à accès réservé - Représentant syndical - Suspension de fonctions en l'absence de certificat de vaccination ou de contre-indication à celle-ci - Légalité - Rejet.

Le requérant, qui exerce les fonctions d'ingénieur en chef au sein de la direction des services numériques de l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille et qui est représentant syndical, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés de première instance a rejeté sa demande tendant à lui permettre d’exercer ses fonctions sans satisfaire à l’obligation de vaccination contre la Covid-19  prévue par les dispositions du 1° du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 pour certains personnels en milieu hospitalier sauf à présenter une contre-indication à cette vaccination.

La direction des services numériques occupe un bâtiment se situant au sein d'un établissement de santé, à proximité immédiate de l'unité de psychiatrique, ce qui justifie la suspension de cet agent de ses fonctions jusqu'à la production d'un certificat vaccinal ou de contre-indication sans que puisse faire échec à cette obligation, d'une part, la circonstance que ce bâtiment soit réservé exclusivement à ces services et que l'accès en soit réservé aux agents qui y sont affectés et, d'autre part, l'application immédiate de cette mesure, sans limitation de durée et sans qu'elle ait été précédée d'un entretien préalable. 

(ord. réf. 3 décembre 2021, M. B., n° 458635)

 

157 - Ingénieur de l'agriculture et de l'environnement - Agent de l'Office national des forêts (ONF) - Prise en compte de l'ancienneté de l'agent - Détermination de son éventuelle qualité d'agent public - Établissement public industriel et commercial (EPIC) exerçant des missions de service public administratif - Erreur de droit - Annulation et renvoi sur ce point.

La requérante, employée par l'ONF sous contrat de droit privé du 15 février 1996 au 31 décembre 2006, puis, à compter du 1er janvier 2007, par un contrat de droit public, a été reclassée par un arrêté du ministre de l'agriculture dans le corps des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement, à la suite de sa réussite au concours réservé aux agents non titulaires pour l'accès à ce corps. Cet arrêté était accompagné d'une « notification de situation administrative » L'intéressée a demandé, en vain, en première instance, l'annulation partielle de l'arrêté et de la décision du même jour précisant son ancienneté, ces décisions la reclassant au 4ème échelon de son grade avec une ancienneté au 22 août 2013 et fixant le montant de son traitement à l'indice brut 574. Sur appel de l'intéressée, la cour administrative d'appel a annulé l'arrêté du ministre et la notification administrative en ce qu'ils fixent à l’indice brut 574 le traitement personnel de la requérante.

Le Conseil d'État est saisi de deux pourvois, celui de Mme A. en tant que l'arrêt a rejeté ses conclusions dirigées contre le reclassement professionnel auquel a procédé l'arrêté querellé, celui du ministre de l'agriculture en tant que cet arrêt a réformé le jugement et annulé les diverses décisions ministérielles.

On retiendra des diverses questions résolues dans la présente décision surtout celle relative aux conséquences du caractère hybride de l'ONF, EPIC qualifié tel par la loi et amené à exercer des missions de service public administratif.

On sait, d'une part, que sont ipso facto des agents de droit public  ceux qui travaillent dans le cadre ou pour le compte d'un service public administratif (Cf. pour la décision de principe : TC 25 mars 1996, Berkani, au recueil Lebon p. 535) et, d'autre part, que l'ONF, bien qu'étant un EPIC par détermination légale (art. L. 221-1 code forestier), assure aussi des missions de service public administratif du fait de la mise en oeuvre de prérogatives de puissance publique (Cf. TC 9 juin 1986, Commune de Kintzheim c/ ONF, n° 2428). Il s'agissait donc de déterminer si la requérante, avant qu'elle ne soit placée sous contrat de droit public puis ne devienne fonctionnaire, n'était pas déjà un agent public.

C'est sur ce point, principalement, que l'arrêt d'appel est cassé : la cour s'est bornée, au prix d'une erreur de droit, à examiner les missions des services où Mme A. a successivement été affectée, avant de relever qu'il n'était pas établi que ses fonctions particulières portaient à titre principal sur des missions ressortissant des prérogatives de puissance publique de l'ONF, alors que la circonstance qu'une partie de ses missions la faisait participer aux missions de service public administratif de l'office suffisait à la faire regarder comme exerçant en qualité d'agent public. 

(9 décembre 2021, Mme A., n° 432608 ; Ministre de l'agriculture, n° 432686, jonction)

 

158 - Agents non titulaires - Recrutement sur le fondement de l'art. 3 de la loi du 26 janvier 1984 - Transformation de contrats à duré déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI) en fonction de la durée des services effectifs déjà accomplis - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour refuser à l'intéressée le bénéfice des dispositions de l'art 21 de la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, lui oppose  le fait qu'elle n'a pas été recrutée sur le fondement des quatrième, cinquième ou sixième alinéas de l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 alors qu'elle remplit la condition de durée de services publics effectifs, accomplis auprès de la même collectivité ou du même établissement public, au moins égale à six années au cours des huit années précédant la publication de la loi de 2012.

(9 décembre 2021, Mme C., n° 436802)

 

159 - Fonctionnaire - Accident imputable au service - Demande indemnitaire de la victime, de son épouse et de ses enfants - Rejet pour tardiveté - Annulation avec renvoi.

(10 décembre 2021, M. Abel Mora et autres, n° 440845)

V. n° 223

 

160 - Militaire titulaire d'une pension d'invalidité - Accident survenu au cours d'une mission temporaire à l'étranger - Rejet d'une demande de révision de la pension - Absence de participation à une mission effectuée à l'étranger au titre d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui, pour rejeter le recours d'un militaire contre le refus de réviser la pension d'invalidité qui lui a été octroyée par suite d'un accident survenu en mission à Djibouti, se fonde sur ce que celui-ci ne participait pas à une mission effectuée à l'étranger au titre d'unités françaises ou alliées ou de forces internationales conformément aux obligations et engagements internationaux de la France alors que la présence militaire française à Djibouti résultait de la mise en œuvre du protocole provisoire du 27 juin 1977 fixant les conditions de stationnement des forces françaises conclu entre la France et la République de Djibouti et constituait une mission opérationnelle au sens du a) de l'article D. 1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre et que les infirmités résultant de blessures reçues par suite d'accidents entre le début et la fin de cette mission étaient en conséquence susceptibles d'ouvrir droit à pension, en vertu du 4°) de l'article L. 2 du même code, au bénéfice des militaires qui y participaient.

(10 décembre 2021, M. I., n° 445111)

 

161 - Fonctionnaires et agents publics - Nouvelle bonification indiciaire - Exclusion des agents contractuels de son bénéfice - Situations différentes - Légalité.

Le législateur ne méconnaît pas le principe d'égalité en décidant l'attribution, au bénéfice de certains fonctionnaires, d'une bonification indiciaire destinée à tenir compte, pour leur rémunération, de la particularité de certaines fonctions, sans en étendre le bénéfice aux agents contractuels car ces derniers sont placés dans une situation différente de celle des fonctionnaires notamment pour ce qui concerne la détermination des éléments de leur rémunération. 

La QPC fondée sur ce grief ne sera pas transmise

(10 décembre 2021, Fédération SGEN-CFDT, n° 451287)

 

162 - Procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique (décr. du 31 déc. 2019) - Atteinte aux prérogatives syndicales - Impossibilité d'assister les fonctionnaires en matière de rupture conventionnelle - Annulation.

Les organisations syndicales demandaient l'annulation de diverses dispositions du décret n° 2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique en ce qu'elles privent, d'une part, les organisations syndicales non représentatives et d'autre part, celles n'ayant pas d'élu au comité technique ministériel ou au comité social, de la possibilité d'assister les fonctionnaires de l'État en matière de rupture conventionnelle.

Les recours sont admis en raison de ce que le Conseil constitutionnel a jugé (n° 2020-860 QPC, 15 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur et autre), que le dixième alinéa du paragraphe I de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, en tant qu'il réserve aux organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un conseiller aux fins d'assister le fonctionnaire durant la procédure de rupture conventionnelle, établit une différence de traitement entre ces organisations et les organisations syndicales non représentatives sans rapport avec l'objet de la loi, méconnaît le principe d'égalité devant la loi et est, par suite, contraire à la Constitution. 

Il suit de là par une conséquence nécessaire et liée que les deux premiers syndicats requérants sont fondés à demander  l'annulation de l'ensemble des dispositions qui ont été prises pour l'application du dixième alinéa du paragraphe I de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel : les dispositions du premier alinéa de l'article 3 du décret du 31 décembre 2019 en tant qu'elles prévoient que le conseiller du fonctionnaire au cours du ou des entretiens de la procédure de rupture conventionnelle est désigné par une organisation syndicale représentative et seulement en tant que ces dispositions s'appliquent aux fonctionnaires mentionnés à l'article 2 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État ; le 2ème alinéa de l'article 3 du décret du 31 décembre 2019 en tant qu'il définit comme représentatives au sens du I de l'article 72 de la loi du 6 août 2019 les organisations syndicales disposant d'au moins un siège, selon le cas, au comité social d'administration ministériel, de réseau ou de proximité ; les dispositions du 1° de l'article 24 du décret du 31 décembre 2019.

Par suite, il n'y a pas lieu, en raison de ce qui précède, de statuer sur la requête de la Fédération autonome de l'éducation nationale, devenue sans objet.

(13 décembre 2021, Syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur (SAGES), n° 439031 ; Syndicat national des collèges et des lycées (SNCL), n° 43921 ; Fédération autonome de l'éducation nationale (FAEN), n° 439217)

 

163 - Reconversion d'un agent public - Risque déontologique - Avis négatif de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique - Absence d'inexactitude matérielle et de qualification juridique erronée des faits - Rejet.

Ne commet pas d'erreur dans la qualification juridique des faits ni dans l'appréciation de leur matérialité la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique relative à un projet de reconversion professionnelle qui le juge incompatible avec des fonctions antérieurement exercées au cabinet de la ministre chargée de l'industrie.

L'intéressé,  qui avait été recruté au cabinet de la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, chargée de l'industrie en qualité de « conseiller politique et élus locaux » et avait également exercé les fonctions de chef de cabinet du 7 décembre 2020 au mois de mai 2021, a fait saisir cette Haute autorité au sujet de la compatibilité entre ces dernières fonctions et son projet de reconversion professionnelle consistant à rejoindre la société anonyme Soitec en qualité de « conseiller à la stratégie régionale et géopolitique ». La réponse donnée étant négative, il a saisi le juge des référés du Conseil d'État d'une demande de suspension de la délibération litigieuse.

Cette demande est rejetée car la Haute autorité est approuvée  d'avoir fondé cette incompatibilité :

1°/ sur le fait que la société Soitec, spécialisée dans la conception et la production de matériaux semi-conducteurs, a des liens étroits avec les pouvoirs publics et bénéficie d'importants financements publics en sa qualité de l'un des six chefs de file industriels du plan Nano 2022, mis en place dans le cadre du projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) électronique et du contrat de la filière électronique, ainsi que dans le cadre du plan de Relance, et qu'elle avait été en relation pour différents projets avec le cabinet de la ministre chargée de l'industrie pendant la période durant laquelle le requérant en était membre ;

2°/ sur la circonstance qu'en tant que conseiller politique et élus locaux puis chef de cabinet, l'intéressé avait été en position de connaître de l'ensemble des sujets évoqués et d'influer sur les décisions prises dans ces domaines ;

3°/ sur ce que la déclaration d'intérêts modificative de la ministre déléguée en date du juin 2021 mentionnait que M. A. était son concubin.

(ord. réf. 13 décembre 2021, M. A., n° 459115)

 

164 - Agent hospitalier sous contrats à durée déterminée - Demande d'allocation d'aide au retour à l'emploi - Absence de perte involontaire d'emploi - Refus de renouvellement du contrat ne pouvant être assimilé à une perte involontaire d'emploi - Preuve non rapportée de la communication à l'intéressée de l'intention de renouveler son contrat - Cassation de l'ordonnance de référé et suspension de la décision attaquée ordonnée.

Rappel de ce que l'agent qui refuse le renouvellement de son contrat de travail ne peut être regardé comme involontairement privé d'emploi, à moins que ce refus soit fondé sur un motif légitime. Toutefois, il incombe à l'administration de rapporter la preuve qu'elle a bien avisé la personne intéressée de son intention de renouveler son contrat.

En l'absence de cette preuve, comme en l'espèce, le juge du référé suspension a l'obligation, lorsque cela lui est demandé, d'ordonner la suspension du refus de faire droit à sa demande de versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

(14 décembre 2021, Mme D., n° 447453)

 

165 - Pension militaire d'invalidité - Recours contentieux en la matière - Interruption de la prescription pour l'infirmité imputable au service et pour tous les préjudices qui y sont liés - Absence d'effets de la circonstance que certains de ces préjudices ne sont pas réparés par la pension octroyée - Erreur de droit de l'arrêt contraire - Annulation avec renvoi.

Cette décision est très importante en raison du champ qu’elle ouvre désormais à la réparation de certains préjudices liés à l'infirmité qui est la cause de l'octroi d'une pension d'invalidité mais ne sont pas réparés par elle.

Le requérant, qui a servi pendant trente ans dans l'armée de l'air, a été exposé au bruit des réacteurs d'avions gros porteurs dans le cadre de ses fonctions ce qui lui a causé une hypoacousie bilatérale de perception, pour laquelle il s'est vu reconnaître le bénéfice d'une pension militaire d'invalidité au taux de 10 % puis de 25 % et enfin de 100%. Il a demandé au ministre de la défense, par un courrier du 22 février 2016, l'indemnisation des préjudices non réparés par cette pension. Sa demande ayant été implicitement rejetée d'abord par le ministre puis par la commission des recours des militaires, il a saisi en vain les juges administratifs de première instance et d'appel.

Il se pourvoit.

Dans une rédaction de principe, le Conseil d'État donne raison au requérant en jugeant qu’ « En instituant la pension militaire d'invalidité, le législateur a entendu déterminer forfaitairement la réparation à laquelle les militaires victimes d'un accident de service peuvent prétendre, au titre de l'atteinte qu'ils ont subie dans leur intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe à l'État de les garantir contre les risques qu'ils courent dans l'exercice de leur mission. Toutefois, si le titulaire d'une pension a subi, du fait de l'infirmité imputable au service, d'autres préjudices que ceux que cette prestation a pour objet de réparer, il peut prétendre à une indemnité complémentaire égale au montant de ces préjudices. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre l'État, dans le cas notamment où l'accident serait imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité. »

Cette solution rejoint celle adoptée en matière de pension civile par l'arrêt d'Assemblée du 4 juillet 2003, Mme Moya-Caville (Rec. Lebon p. 323) dans la version jurisprudentielle plus restreinte qui lui a été donnée par : 16 décembre 2013, Centre hospitalier de Royan, n° 353798.

(17 décembre 2021, M. K., n° 448614)

 

166 - Agent public - Habilitation au secret défense - Habilitation cessant au licenciement de l'intéressé - Impossibilité d'en conserver le bénéfice dans l'exercice d'un autre emploi - Erreur de droit - Cassation sans renvoi, le juge de cassation statuant au fond.

Un ingénieur se voit retirer l'habilitation "secret défense" ; il demande l'annulation et la suspension de l'arrêté lui retirant cette habilitation. Le juge des référés ayant suspendu la décision de retrait au motif que, en dépit du licenciement dont il avait fait l'objet postérieurement à ce retrait, la demande de suspension n'avait pas perdu son objet dès lors que cette décision l'empêche de postuler à des emplois équivalents. La ministre des armées se pourvoit en cassation.

Le Conseil d'État accueille le pourvoi en relevant, pour la première fois semble-t-il, qu' « une décision d'habilitation est délivrée pour l'exercice de fonctions déterminées ou l'occupation d'un poste déterminé, (...) elle cesse en conséquence lorsque l'intéressé est licencié, et (...) elle ne saurait, par suite, autoriser l'accès à des informations ou supports classifiés pour l'exercice d'un autre emploi (...) ».

(17 décembre 2021, Ministre des armées, n° 454392)

 

167 - Agent public stagiaire – Refus de titularisation en fin de stage – Forme et motif – « Mesure prise en considération de la personne » – Manière de servir à la fois défectueuse et constituant au moins en partie une faute disciplinaire – Régime – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce que l’agent public stagiaire se trouve dans une situation probatoire et provisoire. Par suite, la décision refusant de le titulariser en fin de stage, qui ne peut être fondée que sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur son aptitude à exercer les fonctions auxquelles il peut être appelé et, de manière générale, sur sa manière de servir, entre dans la catégorie juridique des « mesures prises en considération de la personne ».

Ce n’est donc que si les faits retenus caractérisent des insuffisances dans l'exercice des fonctions et dans la manière de servir de l'intéressé que l'autorité compétente peut prendre une décision de refus de titularisation qui n'est soumise qu'aux formes et procédures expressément prévues par les lois et règlements. En revanche, lorsque ces mêmes faits ou manière sont, en tout ou en partie, également susceptibles de caractériser des fautes disciplinaires, ils ne font pas obstacle à ce que l'autorité compétente prenne légalement une décision de refus de titularisation, pourvu, en ce cas, que l'intéressé ait été alors mis à même de faire valoir ses observations. 

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour juger irrégulière la procédure suivie en l’espèce, se fonde sur ce que ne serait pas mentionnée explicitement, dans le courrier adressé à l’intéressée, la faculté de présenter ses observations avant l'intervention de la décision de l'administration alors que celui-ci faisait part à sa destinataire de son intention de ne pas procéder à sa titularisation à l'issue de son stage, en l'informant de la possibilité d'accéder à son dossier et de se faire assister par le conseil de son choix.

(21 décembre 2021, Établissement public territorial Grand Paris Seine Ouest, n° 451412)

 

168 - Fonctionnaires des corps du service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE devenu DGSE) – Inapplicabilité du statut général des fonctionnaires – Réglementation du temps de travail et du compte épargne-temps – Absence d’illégalité – Rejet.

Un fonctionnaire de la DGSE ne saurait invoquer l’illégalité d’un arrêté ministériel réglementant le temps de travail et le compte épargne-temps pour la catégorie d’agents à laquelle il appartient pour non-respect des dispositions du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État dès lors que l'article 2 de la loi du 3 février 1953, dans la version qui lui a été donnée par la loi du 12 mars 2012 relative à l'accès à l'emploi titulaire et à l'amélioration des conditions d'emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, soustrait les agents du service de documentation extérieure et de contre-espionnage (DGSE)  à l’application du statut général de la fonction publique.

(21 décembre 2021, M. D., n° 454834)

 

169 - Fonctionnaire communale – Dénonciation de harcèlement par voie électronique publique – Respect des obligations déontologiques s’imposant à l’agent – Office du juge – Cassation.

Se prétendant victime de harcèlement, une fonctionnaire municipale s’en plaint au moyen d’un courrier électronique diffusé notamment à certains élus municipaux et elle fait l’objet d’un blâme pour manquement à son obligation de réserve.

La cour administrative d’appel ayant, sur appel de la commune, annulé sur ce point le jugement d’annulation de cette sanction, l’intéressée se pourvoit.

Après avoir posé l’exigence de conciliation entre la dénonciation du harcèlement dont est victime un agent public et l’obligation de réserve s’imposant à tout agent public, le Conseil d’État rappelle en ces termes ce qu’implique l’office du juge chargé du contentieux né de cette situation : « il lui appartient, pour apprécier l'existence d'un manquement à l'obligation de réserve et, le cas échéant, pour déterminer si la sanction est justifiée et proportionnée, de prendre en compte les agissements de l'administration dont le fonctionnaire s'estime victime ainsi que les conditions dans lesquelles ce dernier a dénoncé les faits, au regard notamment de la teneur des propos (…), de leurs destinataires et des démarches qu'il aurait préalablement accomplies pour alerter sur sa situation. »

(29 décembre 2021, Mme C., n° 433838)

 

170 - Recrutement d’un professeur des universités – Comité de sélection procédant par visio-conférence en raison de la situation sanitaire – Extinction de la caméra lors de l’audition d’un candidat – Irrégularité – Annulation de la délibération de ce comité de sélection et annulations par voie de conséquence.

Le comité de sélection d’une université siégeant par visio-conférence pour cause d’épidémie en vue du recrutement d’un professeur des universités a, au début de l’audition de l’un d’entre eux, éteint la caméra de sorte que, sur l'écran de son ordinateur, n'étaient affichées que des vignettes noires comportant uniquement les initiales des noms et prénoms des membres du comité de sélection, et que ceux-ci, à la demande expresse de l'intéressé, ont rouvert leur caméra durant la phase d'échanges ayant suivi son exposé.

Cette audition s’étant donc déroulée sans que « la transmission de la voix et de l'image » des membres du comité de sélection ait eu lieu « en temps simultané, réel et continu », n’a ainsi pas permis au candidat de pouvoir identifier à tout moment l'ensemble des membres du comité de sélection et de s'assurer de leur participation effective à l'audition. Alors même qu'il n'a pas apporté au procès-verbal de son audition de mentions relatives aux conditions de son déroulement, l’intéressé est fondé à soutenir que la délibération du comité de sélection adoptée à l'issue de cette audition, est intervenue au terme d'une procédure irrégulière, qui l'a privé d'une garantie, et à en demander l'annulation, ainsi que, par voie de conséquence, celles de la délibération du conseil d'administration de l'université siégeant en formation restreinte et du décret du 23 octobre 2020 en tant qu'il nomme un professeur des universités dans la spécialité « mécanique, génie mécanique, génie civil » à l'université d'Orléans.

(29 décembre 2021, M. J., n° 446541)

 

171 - Magistrature – Nomination dans un nouveau grade – Invocation de la situation familiale – Limites – Rejet.

 Une magistrate qui se plaignait de n’avoir pas été retenue en vue d’une nomination en qualité de vice-présidente placée auprès du premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, invoque notamment sa situation familiale pour se dire mieux placée que la personne retenue.

Il lui est répondu que « la situation familiale, si elle doit être prise en compte par l'autorité de nomination dans toute la mesure compatible avec le bon fonctionnement du service et les particularités de l'organisation judiciaire, ne crée pas, par elle-même, un droit à être nommé sur place pour y occuper un poste en avancement. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision attaquée serait intervenue sans qu'ait été prise en compte la situation familiale de l'intéressée. Par suite, l'auteur de la décision attaquée n'a pas méconnu le droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale. »

(30 décembre 2021, Mme D. épouse C., n°441258)

 

172 - Recrutement par mutation d’une fonctionnaire territoriale – Retrait de ce recrutement après information de sa situation pénale – Illégalité – Annulation de l’arrêt contraire.

La décision rapportée ici est surprenante.

La requérante rédactrice territoriale en chef exerçant les fonctions de gestionnaire des finances municipales de la commune de Verneuil-sur-Seine, a postulé auprès de la commune de Linas afin d'occuper, par voie de mutation, le poste vacant de responsable des finances de cette commune. Après entretien avec l’intéressée, la commune de Linas lui a fait connaître par un courrier du 14 décembre 2011 son accord pour la recruter. Le maire de Verneuil-sur-Seine a donné son accord à cette mutation à compter du 1er février 2012. Entretemps, Mme B., qui avait fait l'objet, le 30 décembre 2011, d'une citation à comparaître, a été condamnée le 9 janvier 2012 à une peine de prison avec sursis pour abus de confiance commis dans l'exercice de précédentes fonctions auprès du comité des œuvres sociales de la commune de Lucé, sans inscription de cette condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire. Le 10 février 2012, la commune de Linas a fait savoir au maire de Verneuil-sur-Seine et à Mme B. qu'en considération de cette condamnation, elle ne souhaitait plus donner suite à la procédure de son recrutement.

Ayant saisi en vain les juges du premier degré et d’appel d’une demande d’indemnisation du préjudice causé par l’illégalité du retrait de la décision la recrutant, Mme B. se pourvoit.

Le Conseil d’État, cassant l’arrêt d’appel déféré à sa censure, lui donne raison en ces termes : « (…) aucune disposition législative ou réglementaire ne faisant obligation à un fonctionnaire d'informer la collectivité publique auprès de laquelle il postule dans le cadre d'une procédure de mutation de l'existence d'une enquête pénale le mettant en cause, il ne peut être regardé comme ayant commis une fraude en n'en faisant pas état. »

La décision est très critiquable car, d’une part, il s’agissait de recruter cette candidate à la mutation pour l’exercice de fonctions identiques à celles dans le cadre desquelles elle avait commis le délit d’abus de confiance, d’autre part, en cas de nouvelle « faute » de cette dernière, la commune de Linas eût été, sans hésitation, condamnée à indemniser d’éventuelles victimes motif pris de ce qu’elle n’a pas suffisamment protégé le service et ses usagers de la turpitude du fonctionnaire qu’elle a été pourtant contrainte de recruter.

(30 décembre 2021, Mme B., n° 441863)

 

173 - Exercice de fonctions syndicales par un agent public – Liberté d’action et d’expression – Obligation concomitante de respecter l’encadrement de l’exercice du droit syndical dans la fonction publique – Absence de faute disciplinaire – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Classique rappel de la nécessaire conciliation entre la liberté dont doit disposer un agent public représentant syndical afin d’assurer la défense des intérêts dont il a la charge et le respect qu’il doit à l’encadrement de cette liberté notamment en matière de déontologie, de bon fonctionnement du service et de respect des règles de sécurité.

Cependant si cette ligne générale d’analyse est bien connue, son application concrète souffre de subjectivité, inévitable au demeurant comme en témoigne la présente décision.

Un représentant syndical de La Poste fait l’objet de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de quinze jours pour quatre motifs : prise de parole de façon intempestive et collective sans autorisation pendant les heures de service et en perturbant l'exploitation des centres de tri dans lesquels il n’était pas affecté, refus d'obtempérer aux injonctions des directeurs de ces centres, non-respect des consignes de sécurité d'un espace sécurisé et méconnaissance des règles d'exercice du droit syndical à La Poste.

La cour administrative d’appel, par un arrêt infirmatif, a estimé illégale la sanction infligée au motif que l'agent intervenant à titre syndical dans un établissement où il n'est pas affecté ne peut être regardé comme accomplissant une tâche liée à ses fonctions ni, partant, recevoir d'instruction hiérarchique, ainsi l'intéressé ne pouvait dès lors être sanctionné en raison de la méconnaissance des consignes données par la hiérarchie des centres de tri en cause.

Le Conseil d’État a une tout autre appréciation des faits de l’espèce et juge que la cour a commis une erreur de droit en s’abstenant de rechercher si les consignes en cause relevaient d'obligations de sécurité et de la nécessité d'assurer le bon fonctionnement du service, dont les directeurs des centres de tri sont responsables.

(30 décembre 2021, Société La Poste, n° 445128)

 

174 - Agent public contractuel – Licenciement – Obligation de reclassement même en cas d’impossibilité de réemploi de l’agent contractuel recruté sur la base d’un contrat à durée indéterminée – Méconnaissance du champ d’application du texte – Annulation.

Dans cette importante décision, le Conseil d’État énonce que les textes fondent une obligation de reclassement  en cas de licenciement d'un agent contractuel fondé sur l'un des motifs énumérés aux 1° à 4° de l'article 45-3 du décret du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’État, et que c’est en vertu d'un principe général du droit qu'une telle obligation s'impose également à l'administration en cas d'impossibilité de réemploi d'un agent contractuel recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée.

Par suite, lorsqu'un agent contractuel de l'État a bénéficié de l'un des congés mentionnés à l'article 32 du décret du 17 janvier 1986, l'autorité administrative doit, à l'issue de ce congé et sous réserve qu'il soit physiquement apte, qu'il remplisse toujours les conditions requises et, s'agissant des congés mentionnés aux articles 20, 22 et 23 du même décret, qu'il en ait formulé la demande selon les modalités prévues à l'article 24 de ce décret, affecter l'agent sur l'emploi qu'il occupait antérieurement, dès lors que les nécessités du service n'y font pas obstacle et, en particulier, que cet emploi n'a pas été supprimé dans le cadre d'une modification de l'organisation du service et n'a pas été pourvu par un fonctionnaire. A défaut, il revient à l'administration de le nommer par priorité sur un emploi similaire, vacant à la date à laquelle le congé a pris fin, assorti d'une rémunération équivalente, sous réserve là encore que les nécessités du service n'y fassent pas obstacle. Lorsqu'un tel réemploi est impossible, il appartient à l'administration de procéder au licenciement de l'agent en application du 5° de l'article 45-3 précité, sous réserve, s'agissant d'un agent recruté en vertu d'un contrat à durée indéterminée, de chercher à le reclasser en lui proposant un emploi de niveau équivalent ou, à défaut d'un tel emploi et si l'intéressé le demande, tout autre emploi, sans que l'agent puisse, dans le cadre de cette procédure de reclassement, bénéficier de la priorité prévue à l'article 32. 

En jugeant qu’un agent a, par une décision du 24 janvier 2019, été illégalement privé du droit à être réemployé par priorité sur un emploi similaire à celui qu'il occupait avant son départ en congé pour convenances personnelles, en application de l'article 32 du décret du 17 janvier 1986, la cour administrative d’appel, alors que la demande de réemploi de cet agent à l'issue de son congé a fait l'objet d'une décision de rejet en 2015, devenue définitive, et qu'il ne bénéficiait d'aucun droit à être réemployé par priorité sur le poste de « chargé de traitement image et son » devenu vacant en 2018, a méconnu le champ d'application de l'article 32 du décret du 17 janvier 1986 et entaché son arrêt d'erreur de droit.

On notera que le motif d’annulation a été soulevé d’office, le non-respect du champ d’application d’un texte étant un moyen d’ordre public, ce que traduit la mention finale du point 4 de la décision « sans qu’il soit besoin d’examiner les moyens du pourvoi ».

(30 décembre 2021, Centre national d'art et de culture Georges Pompidou, n° 448641)

 

Hiérarchie des normes

 

175 - Limitation de la durée hebdomadaire du temps de travail - Aménagement du temps de travail - Directive du 4 novembre 2003, art. 6 - Application au personnel de la gendarmerie – Défaut ou insuffisance de transposition de la directive en droit interne – Office du juge en ce cas - Invocation de l’exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée et de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation – Exigences inhérentes à la hiérarchie des normes – Sauvegarde des exigences constitutionnelles ne bénéficiant pas en droit de l’Union d’une protection équivalente à celle existant en droit interne – Possibilité, en ce cas, de laisser inappliquée une norme du droit de l’Union ou son interprétation jurisprudentielle – Existence de l’exigence constitutionnelle invoquée – Vérification du non dépassement des exigences de la directive par l’organisation actuelle de la gendarmerie départementale – Rejet.

La CJUE a dit pour droit, dans une décision de grande chambre (15 juillet 2021, B. K. contre Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo), aff. C-742/19) qui a fait l’objet d’appréciations critiques de la part de plusieurs États membres de l’Union, que l’art. 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, était applicable aux décisions des États membres relatives à l'organisation de leurs forces armées. Les personnels composant ces dernières ne sauraient, en tant que tels et de plano, échapper au champ d'application du droit de l'Union. Elle n’a admis d’exceptions à cette applicabilité de principe que, d’une part, pour les activités des militaires intervenant dans le cadre d'une opération militaire, celles de leur formation initiale, d'un entraînement opérationnel, ainsi que celles qui présentent un lien d'interdépendance avec des opérations militaires et pour lesquelles l'application de la directive se ferait au détriment du bon accomplissement de ces opérations, et, d’autre part, pour les activités qui ne se prêtent pas à un système de rotation des effectifs, eu égard aux hautes qualifications des militaires en question ou à leurs tâches extrêmement sensibles, ainsi que celles qui sont exécutées dans le cadre d'événements exceptionnels.

Le requérant, sous-officier de gendarmerie affecté dans la gendarmerie départementale, demandait l’annulation du refus du ministre de l’intérieur de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'application à la gendarmerie des dispositions précitées de la directive du 4 novembre 2003, limitant la durée hebdomadaire du temps de travail.

Le Conseil d’État, siégeant dans la plus solennelle de ses formations contentieuses, saisit l’occasion de ce litige pour rendre une décision qui, si elle se situe pleinement dans la lignée de plusieurs devancières sur le sujet, n’en demeure pas moins très importante par la réaffirmation nette qu’elle contient du maintien de la souveraineté française en dépit du développement considérable et du renforcement exponentiel de l’intégration des États membres de l’Union à celle-ci.

L’argumentation et la solution à laquelle elle conduit sont d’autant plus remarquables qu’à vrai dire elles ne s’imposaient pas pour résoudre le litige : il aurait suffi au Conseil d’État de relever que c’est sans illégalité que le ministre défendeur a refusé d’appliquer l’art. 6 de la directive de 2003 au cas de l’espèce puisque de iure l’organisation de la gendarmerie départementale respecte la limitation du temps de travail et l’aménagement de celui-ci tels que prévus par ladite directive et de facto aucune violation de celle-ci n’est établie.

Des raisons fondamentales justifient que le Conseil d’État ait choisi de « croiser le fer » avec l’interprétation donnée par la CJUE tant de l’art. 4 § 2 du TUE que de l’art. 6 de la directive.

En premier lieu, cette interprétation n’est pas très raisonnable ni logique en tant qu’elle soumet, par principe, les militaires au droit commun pur et simple en ce qui concerne l’organisation et le décompte du temps de travail.

En deuxième lieu, la France, comme le Royaume-Uni, est investie de fonctions singulières et très spécifiques dans le domaine militaire et celui des relations internationales (détentrice de l’arme nucléaire, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, présence sur de nombreux théâtres d’opérations, etc.). La CJUE ne pouvait donc pas raisonnablement banaliser à ce point l’éminence du particularisme de la présence et de l’action militaires françaises en Europe et dans le monde.

En troisième lieu, et ceci découle directement de cela, le peu de réalisme de la solution jurisprudentielle consistant en une application universelle et sans trop de nuances d’une directive sur le temps hebdomadaire à des militaires, a déterminé les juges du Palais-Royal à rappeler à Don Quichotte (du Luxembourg) combien il est dangereux de s’approcher trop près des moulins.

A sa manière bien à lui, ferme, feutrée mais tenace, le Conseil d’État fait largement sienne (en particulier sur l’Identitätskontrolle) la réaction, plus fracassante mais aussi plus puissamment motivée, du BundesVerfassungsGericht allemand à travers ses décisions So lange… (en dernier lieu, 5 mai 2020, Peter Gauweiler et alii à propos du « quantitative easing » qui a d’ailleurs valu à l’Allemagne le déclenchement d’une procédure à son encontre pour infraction aux traités de l’Union), même si, en théorie du moins, il n’adopte pas le mécanisme du contrôle ultra vires développé par la Cour de Karlsruhe à partir de ses décisions du 12 octobre 1993, sur le traité de Maastricht (BVerfG., Maastricht, 2 BvR 2134/92 et 2 BvR 2159/92, Rec. BVerfGE, 89), du 30 juin 2009 sur le traité de Lisbonne (BVerfG., Lisbonne, 2 BvE 2/08, Rec. BVerfGE, 123) et du 6 juillet 2010 (BVerfG., Honeywell, 2 BvR 2661/06, Rec. BVerfGE, 126).

Ramenée à son épure, la présente décision du Conseil d’État, relève que l’art. 6 de la directive du 4 novembre 2003 a été jugé applicable au personnel de la gendarmerie par le juge de l’Union et que le ministre défendeur a expressément refusé la transposition de la directive aux personnels, tel le requérant, de statut militaire.

Elle décrit longuement quel est l’office du juge en ce cas.

D’une part, est réaffirmée la primauté du droit de l’Union et de son interprétation par la CJUE, d’autre part, réserve est faite de l’hypothèse où est invoquée, comme en l’espèce, une exigence constitutionnelle s’opposant à l’application de la directive.

Ici le ministre défendeur – entendons l’État lui-même – se prévalait de l’exigence constitutionnelle de nécessaire libre disposition de la force armée et de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation laquelle ne fait que traduire la double finalité inscrite dans la Constitution, celle de l’indépendance de la Nation et celle de l’intégrité du territoire. Pour assurer le respect des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes, le Conseil d’État vérifie si les exigences constitutionnelles bénéficient ou non en droit de l’Union d’une protection équivalente à celle existant en droit interne. Ce n’est qu’en cas de réponse négative qu’il est possible de laisser inappliquée une norme du droit de l’Union ou son interprétation jurisprudentielle.

Tel est bien le cas en l’espèce.

Toutefois, encore convient-il de vérifier l’existence du dépassement des exigences de la directive par l’organisation actuelle de la gendarmerie départementale. Ce n’est pas le cas : le décompte horaire reste dans la « fourchette » imposée par la directive litigieuse.

Le conflit entre normes n’aura pas lieu et le recours est rejeté.

Pour autant, si les fleurets sont ici mouchetés, la CJUE n’aura pas manqué de sentir le vent du boulet.

(Assemblée 17 décembre 2021, M. Q., n° 437125)

(176) V. aussi, sur cette question, pour les personnels relevant de l’administration pénitentiaire : 29 décembre 2021, M. B., n° 449742.

 

177 - Gardien de la paix – Secrétaire général d’un syndicat – Mise en ligne d’un tract mettant gravement en cause sa hiérarchie et deux autorités – Révocation – Suspension ordonnée – Rejet.

Ne commet ni insuffisance de motivation ni erreur de droit ni dénaturation le juge des référés ordonnant la suspension de la révocation par mesure disciplinaire prononcée par le ministre de l’intérieur contre un gardien de la paix à la suite de la mise en ligne sur le site internet de ce syndicat, ainsi que sur ses comptes facebook et twitter, le 8 janvier 2020, d'un tract mettant gravement en cause le directeur général de la police nationale, ainsi que le ministre de l'intérieur et le directeur de cabinet du président de la République.

D’une part, le juge des référés a constaté que l’agent révoqué ne disposait pas d’autres ressources de nature à lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille ce qui caractérisait une situation d’urgence.

D’autre part, ce juge a estimé qu'il ressortait de l'ensemble des circonstances de fait que le moyen tiré de la disproportion de la sanction par rapport aux faits reprochés à l’intéressé était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision.

A cet égard, contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, le juge des référés doit être regardé, eu égard à l'échelle des sanctions applicables, comme ayant implicitement procédé à la vérification que toutes les sanctions moins sévères que la sanction prononcée n'auraient pas été, en raison de leur insuffisance, hors de proportion avec les fautes commises, n'a, dès lors, pas commis d'erreur de droit et a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. 

(ord. réf. 30 décembre 2021, Ministre de l’intérieur, n° 425095)

 

Libertés fondamentales

 

178 - Référé liberté - Détenu(e) ayant changé de sexe - Demande de transfert d'urgence d'une prison d'hommes vers une prison de femmes - Conditions de détention aménagées - Défaut d'urgence - Rejet.

Une personne détenue dans une prison pour hommes qui a, entretemps, changé de sexe, demande à être transférée d'urgence dans une prison pour femmes. Le premier juge des référés ayant rejeté sa demande, le Conseil d'État est saisi : il rend un arrêt confirmatif de la décision attaquée.

Pour dénier l'existence d'une urgence en l'espèce en dépit d'une situation singulière, le juge d'appel retient d'abord que si le principe d'un transfert a été accepté par l'administration pénitentiaire, il lui faut un certain temps pour trouver un lieu de détention adapté au profil criminel de l'intéressé(e) qui a été condamné(e) à une peine de 21 ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime, terrorisme et participation à une bande armée destinée à troubler la sûreté de l'État.

Ensuite, il est relevé que cette personne, ayant toujours les attributs anatomiques d'un homme, a été placée avec son consentement en cellule d'isolement pour sa protection, que sa prise en charge est respectueuse de sa dignité et de son identité sexuelle : possibilité de s'habiller avec des vêtements féminins dans sa cellule et d'acheter des produits cosmétiques, dispense de fouille par palpation, possibilité d'aller en promenade sans croiser des détenus, distribution des repas devant la porte de la cellule.

Comme, au surplus, l'instruction n'a pas révélé que l'état de santé mentale actuel de cette personne serait gravement affecté par ses conditions de détention dans l'attente d'un transfert dans un établissement adapté à son changement de sexe et à son profil pénal, l'urgence n'est pas établie.

(ord. réf. 9 décembre 2021, Mme A., n° 458871)

 

Police

 

179 - Police sanitaire - Covid-19 - Justificatif de statut vaccinal contre la Covid-19 imposé aux personnes de plus de 17 ans accédant au territoire de la Nouvelle-Calédonie en provenance du territoire national - Rejet.

La requête tendait à voir suspendue l'exécution des dispositions du décret du 17 septembre 2021 modifiant le IV de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'elles imposent aux personnes âgées de plus de 17 ans de présenter un justificatif de leur statut vaccinal pour se déplacer à destination de la Nouvelle-Calédonie en provenance du reste du territoire national. 

La demande est - comme attendu - rejetée au fond en raison de la fragilité de la situation sanitaire de ce territoire. En la forme, la mesure entrait dans la compétence du premier ministre du fait des dispositions de l'art. 1er de la loi du 31 mai 2021 et elle pouvait être prise sans consultation préalable du gouvernement de Nouvelle-Calédonie car elle n'a pas pour objet de modifier le cadre juridique résultant de la loi précitée mais seulement de le mettre en œuvre en définissant, parmi les mesures que le premier ministre est habilité à prendre, celles qu'appelle, y compris pour la seule Nouvelle-Calédonie, la lutte contre la propagation de l'épidémie.

(ord. réf. 1er décembre 2021, Mme D. et autres, Association Ensemble pour la planète, n° 458557)

(180) V. aussi, rejetant pour défaut de justification de l'urgence la demande de suspension de l'exécution des dispositions du 4° de l'article 1er du décret n° 2021-1471 du 10 novembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire et du 5° du II de l'article 36 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 en ce que ces dispositions imposent le port du masque de protection aux enfants : 9 décembre 2021, Association "Les ami(e)s de Lucas et Saïd", n° 458398.

(181) Voir le rejet de recours en suspension dirigés contre les dispositions du décret n° 2021-1521 du 25 novembre 2021 : ord. réf. 14 décembre 2021, Association Via - La Voie du Peuple, n° 458876 ; Association Le cercle droit et liberté et autres, n° 458955 ;  Mme AF. et autres, n° 458965 ; Association de défense de la santé publique et de l'environnement (ADSPE) et autre, n° 459037 ;  Association Victimes du Coronavirus - victimes Covid-19 France, n° 459053 ; Association Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques, n° 459124.

(182) V. également, rejetant le recours dirigé contre « la discrimination illégale entre les ressortissants français désirant se rendre en métropole depuis la Guadeloupe et ceux en provenance de l'étranger » du fait des dispositions de l'art. 23-2 du décret du 1er juin 2021 précité, d'une part parce que cette décision est contenue dans une loi pour les Français résidant à l'étranger et, d'autre part, car le taux de couverture vaccinale est en Guyane très inférieur au taux moyen vaccinal : ord. réf. 9 décembre 2021, M. A., n° 459084.

(183) V., rejetant la demande, plus originale, de lever le secret de la défense nationale afin que soient déclassifiées des informations relatives à la la décision annoncée le 7 décembre 2021 prévoyant dans les écoles primaires l'obligation du port du masque en extérieur, l'obligation du port du masque en extérieur et en intérieur pour les activités sportives et la distanciation pour la prise des repas en évitant le croisement des classes, alors que les mesures critiquées, eu égard au contexte sanitaire, sont nécessaires, adaptées et proportionnées à leur objectif de sauvegarde de la santé publique : ord. réf. 16 décembre 2021, Mme A., n° 459222.

(184) V. encore, rejetant  l'argument selon lequel l'obligation vaccinale imposée aux professionnels de santé par l'article 12 de la loi du 5 août 2021 porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit de la requérante au respect de son intégrité physique, celle-ci se bornant à faire valoir, pour contester la proportionnalité de cette obligation au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, que les risques liés à la vaccination l'emporteraient sur les bénéfices individuels qu'elle pourrait en retirer, dès lors qu'elle présenterait un taux d'anticorps, mesuré par un test sérologique, qui assurerait de son immunité, cette argumentation ne justifie pas d'une atteinte grave et manifestement illégale que porteraient à une liberté fondamentale les dispositions réglementaires contestées du décret du 7 août 2021 modifant celui du 1er juin 2021 : ord. réf. 17 décembre 2021, Mme A., n° 458386 ou ord. réf. 17 décembre 2021, Mme B., n° 459293 ou ord. réf. 24 décembre 2021, Mme U. épouse K. et autres, n° 456196 ou 24 décembre 2021, Mme A., n° 459713 ou 29 décembre 2021, M. B., n° 459740 ; ou encore à propos de l’absence de réglementation en matière vaccinale, par le décret du 7 août 2021, de l’ensemble de la population ayant une sérologie positive : ord. réf. 14 décembre 2021, M. A., n° 458338

(185) V., rejetant la demande de suspension du décret n° 2021-1521 du 25 novembre 2021 en tant que le b) du 1° de l'article 1er modifie le a) du 2° de l'article 2-2 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, car ne comportant que des allégations générales et peu circonstanciées n'établissant pas l'existence d'une urgence : ord. réf. 17 décembre 2021, M. B., n° 458850 ; voir également : ord. réf. 24 décembre 2021, Mme A., n° 459179 ; ord. réf. 24 décembre 2021, Mme B. et autres, n° 459181 ; ord. réf. 24 décembre 2021, formation politique « Les patriotes », n° 459195.

(186) V., rejetant la demande de suspension de l'exécution de l'arrêté ministériel (santé)  du 14 octobre 2021 en tant qu'il prévoit que les examens de dépistage et les tests de détection du SARS-CoV-2 réalisés par les personnes majeures non-vaccinées contre le SARS-CoV-2 ne sont pas pris en charge par l'assurance maladie, sauf cas particuliers, l'existence d'une différence objective de situation entre personnes vaccinées et personnes non-vaccinées au regard de l'objet de la mesure ne saurait être sérieusement discutée : ord. réf. 17 décembre 2021, M. B., n° 458923 ; ord. réf. 17 décembre 2021, M. B., n° 459308.

(187) V., rejetant la demande de suspension d'exécution du décret n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, en ce qu'il impose, pour la délivrance du passe sanitaire aux personnes vaccinées par le vaccin Sinopharm, une dose complémentaire d'un vaccin à ARN messager, le moyen de l'erreur manifeste d'appréciation sur laquelle reposerait cette mesure n'étant pas sérieux : ord. réf. 17 décembre 2021, M. A., n° 459092. 

(188) V., rejetant le recours dirigé par un syndicat de discothèques et autres lieux de loisirs contre le refus de suspendre l’exécution du décret du 7 décembre 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 en tant qu’il rend obligatoire la fermeture des établissements de type P : ord. réf. 21 décembre 2021, Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs, n° 459352 ; v. aussi, sur ce même décret, le rejet du recours dirigé contre lui et fondé sur l’obligation qu’il institue du port d’un masque de protection, pour les élèves des écoles élémentaires, dans les espaces extérieurs de ces établissements : ord. réf. 24 décembre 2021, M. Messineo, n° 459471.

(189) V., rejetant le recours de professionnels de haute montagne faisant valoir l’illégalité du 11° du II de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 excluant de son champ d'application les déplacements nécessaires à l'activité des professionnels de haute montagne alors qu'il leur est indispensable d'emprunter les remontées mécaniques dans le cadre de leur activité professionnelle et soutenant que l'obligation de se prêter à un test toutes les 24 heures n'est pas matériellement possible en haute montagne, si bien qu'ils se trouvent dans l'obligation de se faire vacciner pour pouvoir continuer à exercer leur activité professionnelle, alors au demeurant que le respect des gestes barrières serait selon eux suffisant pour éviter la propagation du virus : ord. réf. 22 décembre 2021, M. E. et autres, n° 459553.

(190) V., rejetant la demande d’enjoindre au ministre des solidarités et de la santé et à la caisse nationale d'assurance maladie d'abroger les instructions visant à placer à l'isolement obligatoire les « cas contact » d'une personne contaminée par le nouveau variant Omicron de la Covid-19 : ord. réf. 24 décembre 2021, Association Ligue de défense pour les libertés politiques et naturelles, n° 459542 

(191) V., rejetant pour défaut d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le référé liberté tendant à voir suspendue l’application de l'arrêté du 14 octobre 2021 par lequel le ministre de la santé a modifié l'arrêté du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire afin de mettre fin, sauf dans certains cas, qu'il énumère, à la dérogation au principe du paiement des tests de dépistage du virus de la Covid-19 : ord. réf. 24 décembre 2021, M. A., n° 459655.

Également, rejetant la demande de suspension de l'exécution de l'article 1er du décret n° 2021-1521 du 25 novembre 2021 en ce qu'il modifie l'article 1, I de l'article 47-1 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021, afin de permettre la libre circulation des citoyens résidant en Corse et ayant choisi de procéder à des tests de dépistage virologique, quelques soient le jour et l'heure de la semaine : ord. réf. 24 décembre 2021, M. D. et Mme B., n° 459663

(192) V., rejetant la demande de suspension du décret du premier ministre imposant aux personnes de plus de 65 ans justifiant d'un schéma vaccinal complet de recevoir une troisième dose pour que leur schéma vaccinal reste reconnu comme complet à compter du 15 décembre 2021 : 24 décembre 2021, M. B., n° 459754

(193) V., rejetant le recours de Français de l’étranger tendant à l’annulation de dispositions de décrets des 16 et 29 octobre 2020 et des 30 janvier et 11 mars 2021 en tant qu’elles imposent, pour leur venue en France, d’une part, une obligation de justification par un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé et, d’autre part, une obligation de présenter à l'embarquement le résultat d'un test réalisé moins de 72 heures avant et ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 : 28 décembre 2021, M. B., n° 449558 ;  Union des Français de l’étranger, n° 449828 ; Mme F., n° 450824, jonction.

(194) V., entre autres exemples de rejet, à propos de l’obligation du port du masque en certains lieux ou pour l’exercice de certaines activités : ord. réf. 28 décembre 2021, M. A., n° 444851.

(195) V., le rejet – sans surprise - des originales demandes d'abroger la loi (sic) n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : 29 décembre 2021, M. A., n° 457020 ; 29 décembre 2021, Mme A., n° 457021.

 

196 - Police des manifestations sportives - Réglementation du déplacement de supporters lors de rencontres sportives - Risques forts de troubles sérieux - Mesures d'interdiction ne portant pas d'atteinte grave et manifestement illégale à diverses libertés fondamentales - Rejet.

Dans la perspective de la rencontre devant opposer, à Lens, le samedi 4 décembre 2021 à 21 heures, les équipes du Paris Saint-Germain (PSG) et du Racing Club de Lens (RCL), le préfet du Pas-de-Calais a, le 19 novembre 2021, pris un arrêté dont l'article 1er interdit, du 4 décembre 2021 à six heures jusqu'au 5 décembre 2021 à six heures, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club parisien ou se comportant comme tel d'accéder au stade Bollaert-Delelis de Lens et à ses abords et de circuler ou de stationner sur la voie publique dans le périmètre qu'il définit. 

Le recours contre cette mesure ayant été rejeté, la requérante interjette appel.

Elle est déboutée.

Le juge retient l'existence d'antécédents de violences lors de recontres impliquant le RCL, les informations selon lesquelles le niveau de risques de troubles graves pour cette rencontre du 4 décembre 2021 est assez élevé et la circonstance de forte mobilisation des effectifs de police tant au regard de la situation des migrants dans la région côtière de Calais et des Hauts-de-France, qu'en raison d'événements particuliers tels les marchés de Noël et la traditionnelle fête de la Sainte-Barbe pour en déduire que l'arrêté querellé n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté d'association, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression.

(ord. réf. 4 décembre 2021, Association nationale des supporters, n° 459088 et n° 459130)

 

197 - Police sanitaire - Loi du pays du 23 août 2021 instituant et sanctionnant l'obligation vaccinale pour certaines personnes - Majoration du ticket modérateur à charge pour les personnes non vaccinées - Poursuite d'un objectif justifié - Obligation de respecter ce faisant la garantie constitutionnelle d'une protection de la santé pour tous - Absence de limitation dans le temps justifiée en fonction de l'arrivée de nouvelles vagues - Rejet.

Ne pouvant, dans le cadre de cette Chronique commenter ici cette décision en ses nombreux points de droit, on se permet d'y renvoyer le lecteur.

(10 décembre 2021, Mme W. épouse CO. et autres, n° 456004 ; M. BP. et autres, n° 456447 ; Syndicat des agents publics de Polynésie, n° 456714 ;  M. DM., n° 456879 ;  M. AD., n° 456886 ; Mme BT., n° 456888 ; Syndicat Rassemblement des travailleurs Amuitahira'a Rave Ohipa no Porinetia et autre, n° 456930 ; Mme DM. et autres, n° 456935 ; Mme FH. et autres, n° 456955 ; M. AE., n°  456978; Fédération Nationale de l'Enseignement, de la Culture et de la Formation Professionnelle - Force Ouvrière Polynésie française et autre, n° 457001, jonction)

 

198 - Police du stationnement - Forfait de stationnement - Contestation, ou non, de l'avis de paiement - Situation sans effet sur le droit de l'intéressé à contester le titre exécutoire - Annulation.

Encore une fois, l'institution d'un mécanisme juridique qui se voulait simplificateur, en matière de forfait post-stationnement, tourne à la déconfiture car il est en définitive trop complexe. Belle leçon d'humilité pour le législateur et illustration supplémentaire d'un vaudeville.

Le juge rappelle, une nouvelle fois, que si les dispositions de l'art. L. 2333-87 du CGCT obligent en principe le redevable d'un forfait de post-stationnement qui entend contester le bien-fondé de la somme mise à sa charge de saisir l'autorité administrative d'un recours administratif préalable dirigé contre l'avis de paiement et, en cas de rejet de ce recours, d'introduire une requête contre cette décision de rejet devant la commission du contentieux du stationnement payant, il n'en demeure pas moins qu'en cas d'absence de paiement de sa part dans les trois mois et d'émission, en conséquence, d'un titre exécutoire portant sur le montant du forfait de post-stationnement augmenté de la majoration due à l'État, il lui est loisible de contester ce titre exécutoire devant la commission du contentieux du stationnement payant, qu'il ait ou non engagé un recours administratif contre l'avis de paiement et contesté au contentieux le rejet de son recours.

C'est pourquoi, alors même qu'il résulte des dispositions de l'art. R. 2333-120-35 du CGCT que le redevable qui saisit la commission du contentieux du stationnement payant d'une requête contre un titre exécutoire n'est pas recevable à exciper de l'illégalité de l'avis de paiement du forfait de post-stationnement auquel ce titre exécutoire s'est substitué, ces mêmes dispositions ne font pas obstacle à ce que l'intéressé conteste, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

(14 décembre 2021, Mme B., n° 439395)

(199) V. aussi, identique en tous points : 14 décembre 2021, Mme B., n° 439515.

(200) V. également : 14 décembre 2021, M. A., n° 447040.

(201) V. encore, témoignant du caractère intarissable de ce contentieux dont on a voulu pourtant, par son organisation, réduire notablement le volume… et rappelant une fois de plus que l'intéressé peut toujours contester, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration : 30 décembre 2021, Mme A., n° 445337.

 

202 - Police spéciale - Réglementation des substances psychotropes, des stupéfiants et des plantes, substances et préparations classées comme vénéneuses (art. L. 5132-8 du code de la santé publique) – Droit de mourir dans la dignité – QPC – Refus de transmission.

(21 décembre 2021, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement », n° 456926)

V. n° 220

 

203 - Police des cercles de jeux et des casinos – Agrément comme employé de jeux puis membre du comité de direction d’un casino, enfin directeur responsable de casino – Conditions de moralité et de probité – Condamnation non portée spontanément à la connaissance des autorités – Retrait des agréments antérieurs – Annulation en appel – Absence de qualification inexacte des faits - Rejet.

Une personne titulaire de deux agréments ministériels, l’un en qualité d’employé de jeux, délivré en 2004, l’autre de membre du comité de direction d’un casino délivré en 2010, fait l’objet d’une condamnation pénale à trois ans d’emprisonnement pour des faits d’agression sexuelle sur mineur, cette condamnation est devenue définitive en 2013. Lors d’une demande d’agrément en qualité de directeur responsable de casino, en 2015, il porte spontanément à la connaissance du ministre de l’intérieur, détenteur de la police spéciale des cercles de jeux et des casinos, l’existence de cette condamnation. Le ministre rejette sa demande d’agrément et lui retire les deux autres agréments dont il est titulaire.

Le tribunal de Lyon, sur recours de l’intéressé, ayant annulé ces trois décisions et cette annulation ayant été confirmée en appel, le ministre se pourvoit.

Son pourvoi est rejeté.

En effet, le juge de cassation relève que le ministre défendeur, pour retirer les agréments en qualités d'employé de jeux et de membre du comité de direction d'un casino, a retenu que l’intéressé, tant lors de ses demandes d'agrément, en 2004 et 2010, que postérieurement à sa condamnation par l'arrêt du 15 novembre 2012, avait volontairement dissimulé à l'administration les faits d'agression sexuelle dont il s'était rendu coupable en 2003. Or cette absence de déclaration spontanée ne méconnaissait pas les exigences résultant de dispositions du code de la sécurité intérieure et ne pouvait, par suite, légalement justifier à elle seule le retrait des deux agréments qui lui avaient été délivrés car aucune disposition n'imposait la communication à l'administration des faits en cause. Pour ce qui est de la dissimulation reprochée au moment où la condamnation était intervenue, aucun texte ni aucun principe n'imposaient non plus qu'il la fasse connaître à l'administration. C’est donc sans qualifier inexactement les faits que la cour a jugé comme elle l’a fait.

(29 décembre 2021, Ministre de l’intérieur, n° 445560)

 

204 - Police du classement des armes – Police spéciale de la pêche sous-marine – Classement des arbalètes de pêche sous-marine au titre de la législation sur les armes – Refus – Rejet.

En refusant de classer les arbalètes de pêche sous-marine comme armes de la catégorie C comme de la catégorie D, le ministre de l’intérieur n’a pas entaché sa décision d’irrégularité.

En effet, les arbalètes de pêche sous-marine sont destinées à la pratique de la pêche sous-marine et propulsent une flèche permettant la capture d'animaux marins en utilisant la force de câbles élastiques tendus par l'utilisateur ou celle d'un gaz comprimé par la seule force de l'utilisateur mais ne possédant pas de « canon » elles ne peuvent être classées en catégorie C alors même que, comme le soutient la fédération requérante, l'énergie qu'elles communiquent à leur projectile serait supérieure ou égale à 20 joules.

Ce dernier élément justifie, à son tour, que le ministre ait refusé de classer ces arbalètes, par une exacte application des dispositions du h) du 2° du IV de l’article R. 311-2 du code de la sécurité intérieure, en catégorie D.

Aucun des autres moyens n’est, non plus, retenu.

(29 décembre 2021, Fédération nautique de pêche sportive en apnée (FNPSA), n° 449769)

 

205 - Police des aérodromes non créés par l’État – Autorisation administrative de création – Abrogation – Étendue du contrôle du juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Saisi d’une demande d’annulation de l’arrêté ministériel portant fermeture de l’aérodrome de Sallanches Mont Blanc, le Conseil d’État juge implicitement mais nécessairement que le juge de l’excès de pouvoir exerce désormais un contrôle plein et entier, donc de type « normal », sur les motifs des décisions portant abrogation de l’agrément donné à la création d’un aérodrome par toute personne autre que l’État.

En l’espèce, le juge saisi vérifie que cet aérodrome n’était ouvert que pour un usage restreint aux ULM et hélicoptères, que la commune de Sallanches avait engagé la fermeture de l'aérodrome afin de pouvoir réaménager le site des Ilettes en confortant son caractère d'espace naturel sensible et qu’enfin les services qu’il pouvait rendre peuvent être assurés par d’autres aérodromes voisins.

On peut penser que ce contrôle normal sera également exercé sur les décisions agréant l’ouverture d’un tel aérodrome.

(30 décembre 2021, Conseil national des fédérations aéronautiques et sportives et autres, n° 445598)

 

206 - Police des épizooties – Infection de l’avifaune par un virus de l’influenza aviaire – Claustration des volailles d’élevage – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient la suspension d’arrêtés ministériels  du 17 septembre 2021, du 29 septembre 2021, du 4 novembre 2021 et de l’instruction technique du 18 novembre 2021 pris par le ministre de l’agriculture afin de lutter contre le risque épizootique en raison de l'infection de l'avifaune par un virus de l'influenza aviaire hautement pathogène, prescrivant les mesures de biosécurité applicables par les opérateurs et les professionnels liés aux animaux dans les établissements détenant des volailles ou des oiseaux captifs dans le cadre de la prévention des maladies animales transmissibles aux animaux ou aux êtres humains, définissant les zones à risque de diffusion du virus de l'influenza aviaire et fixant les conditions de mise à l'abri de volailles en élevage commercial.

C’est surtout cette dernière mesure, notamment la claustration, qui était critiquée par les requérantes, celles-ci faisant valoir sa lourdeur, son coût considérable et son inutilité puisque l’épizootie était également apparue dans des élevages pratiquant la claustration des volailles.

Tout en reconnaissant la gravité des conséquences résultant de ces décisions, le juge des référés rejette les requêtes dont il est saisi tant en raison d’un risque sanitaire particulièrement grave et urgent, de données scientifiques allant également en ce sens et compte tenu que ces affaires seraient examinées au fond avant la fin du premier trimestre 2022.

(ord. réf. 24 décembre 2021, Confédération paysanne, Fédération des syndicats agricoles MODEF des Landes, Mouvement inter-régional des AMAP (MIRAMAP), Association nationale pour une aviculture fermière indépendante et citoyenne (ANAFIC), Association Bio'consom'acteurs, Association Collectif sauve qui poule, Association Agir pour l'environnement et Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB), n° 459214, n° 459215, n° 459216 ;  Confédération paysanne, Fédération des syndicats agricoles MODEF des Landes et Association nationale pour une aviculture fermière indépendante et citoyenne (ANAFIC), n° 459217)

 

Professions réglementées

 

207 - Pharmacien salarié – Litige prudhommal – Production de pièces en violation du secret médical - Irrégularité sauf cas particulier – Cassation avec renvoi.

Dans un litige opposant une pharmacienne d’officine à son employée, pharmacienne salariée, le conseil de prud’hommes ayant été saisi par cette dernière, celle-ci a produit devant lui à l’appui de son recours, des copies d'ordonnances et de feuilles de soins de certains clients de l'officine. L’employeur a saisi la chambre de discipline de première instance du conseil central de l’ordre des pharmaciens pour violation du secret professionnel. La salariée a interjeté appel devant la chambre de discipline du conseil national de l’ordre de la décision lui infligeant trois semaines de suspension temporaire d’exercice. Le conseil national a estimé que la production, devant le conseil de prud'hommes, de documents nominatifs couverts par le secret médical ne méconnaissait pas l'obligation de secret dès lors que ces documents avaient été anonymisés en cours d'instance devant le conseil de prud'hommes et que leur divulgation s'était opérée dans le cadre d'une instance judiciaire, à l'égard de personnes elles-mêmes soumises au secret professionnel.

Saisi par l’employeur, le Conseil d’État casse cette décision pour erreur de droit motif pris de ce que la circonstance que des documents soient produits dans le cadre d'une instance judiciaire n'a pas, par elle-même, pour effet de soustraire la partie qui les divulgue au respect du secret médical ; il incombait donc à la chambre de discipline de rechercher si cette absence d'anonymisation de pièces couvertes par le secret médical était, dans le cadre de l'instance en cause, strictement nécessaire à la défense de ses droits par l'intéressée. Faute d’avoir procédé à cette recherche, la chambre de discipline voit sa décision cassée et renvoyée.

On pourra trouver, dans les circonstances de l’espèce, un peu sévère la solution retenue.

(27 décembre 2021, Mme A., n° 433620)

 

208 - Actes de médecine ou de chirurgie esthétique – Exonération de TVA en cas d’intérêt thérapeutique – Assujettissement à la TVA en l’absence de finalité thérapeutique – Commentaires administratifs litigieux conformes au CGI et compatibles avec le droit de l’Union – Rejet.

(27 décembre 2021, Syndicat national de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique (SNCPRE), n° 453928)

V. n° 87

 

209 - Ordre des pharmaciens – Délai d’appel devant la chambre de discipline du conseil national de l’ordre des pharmaciens – Absence de caractère franc – Rejet.

De la combinaison des articles R. 4234-15 et R. 4234-26 du code de la santé publique avec les articles 641 et 642 du code de procédure civile auxquels il est renvoyé par les premiers d’entre eux, il résulte que le délai d’appel devant la chambre de discipline du conseil national de l’ordre, qui est d’un mois, ne constitue pas un délai franc.

Pourquoi cette matière est-elle aussi compliquée et en forme de traquenard alors qu’il suffirait d’uniformiser tous les délais applicables devant une juridiction administrative lorsqu’il s’agit d’affaires relevant du droit commun procédural ?

(29 décembre 2021, M. H., n° 439826)

 

210 - Infirmiers de bloc opératoire – Compétence exclusive pour l’accomplissement de certains actes – Entrée en vigueur immédiate annulée – Mesures transitoires – Intervention de plusieurs textes – Annulations partielles.

Cette décision illustre la pénurie durable et sérieuse d’infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État. Le pouvoir exécutif a été conduit à la création progressive d’abord de facto puis de iure d’une catégorie d’infirmiers diplômés d’État, simples si l’on peut dire, autorisés à exercer en bloc opératoire pour l’accomplissement de certains actes.

L'article 1er du décret du 27 janvier 2015 relatif aux actes infirmiers de la compétence exclusive des infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État confère aux infirmiers de bloc opératoires diplômés d'État une compétence exclusive pour accomplir les actes mentionnés aux 1° et 2° de l’article R. 4311-11-1 du code de la santé publique.

Le Conseil d’État, saisi de recours, a estimé irrégulière l’entrée en vigueur immédiate de ce texte et l’a différée au 31 décembre 2017 s’agissant des actes d'aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration prévus au b) du 1° de l’art. R. 4311-11-1 du code de la santé publique. En conséquence, des mesures transitoires ont été adoptées : d’une part, l’entrée en vigueur du b) précité a été différée au 1er juillet 2019 puis au 1er janvier 2020 pour les infirmiers en bloc opératoire, d’autre part, les infirmiers diplômés d'État exerçant une fonction d'infirmier de bloc opératoire et apportant dans ce cadre de manière régulière une aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration au cours d'interventions chirurgicales depuis un an au moins en équivalent temps plein à la date du 30 juin 2019 ont été autorisés – sous certaines conditions - à continuer cette activité, à titre temporaire, au plus tard jusqu'au 31 décembre 2021, sous réserve de leur inscription avant le 31 octobre 2019 à une épreuve de vérification des connaissances professionnelles, l'autorité administrative compétente pouvant leur délivrer une autorisation permanente d'accomplir ces actes au vu de l'avis de la commission régionale chargée de faire passer cette épreuve.

Les organisations requérantes demandent, chacune, l’annulation de certains des actes figurant dans cette succession de décisions (décret du 28 juin 2019 et arrêté du 31 juillet 2019 ; décret du 29 janvier 2021 ; rejet implicite de la demande tendant à l'édiction et à la publication de nouvelles mesures transitoires autorisant, en l'absence d'un nombre suffisant d'infirmiers de bloc opératoire diplômés d'État, les infirmiers diplômés d'État qui les accomplissaient auparavant à continuer de réaliser les actes mentionnés au a) du 1° et au 2° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique). Leurs diverses requêtes sont jointes.

Concernant le décret du 28 juin 2019, il est jugé d’abord que ses dispositions ne portent atteinte ni au principe d’égalité s’agissant de l’organisation et du fonctionnement de la commission régionale chargée de vérifier les connaissances professionnelles des candidats et qu’elles ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. Ensuite, en revanche, le décret est annulé en tant que le dispositif transitoire qu'il crée ne comporte pas de dispositions relatives aux actes mentionnés au a) du 1° et au 2° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique.

Concernant l’arrêté du 31 juillet 2019, celui-ci n’est pas entaché d’illégalité par voie de conséquence de l’annulation partielle du décret du 28 juin 2019 contrairement à ce qui est soutenu car il a pour seul objet de fixer les modalités de l'épreuve de vérification des connaissances devant une commission, les renseignements contenus dans le dossier de demande d'inscription à cette épreuve et le contenu de la formation complémentaire qui peut être prescrite au candidat.

Concernant le décret du 29 janvier 2021, celui-ci est tout d’abord jugé ne porter atteinte ni au respect du principe d’égalité, ni à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme (sous réserve de la correction d’une légère erreur matérielle), ni, non plus au principe de non-rétroactivité car il ne dispose que pour l’avenir. Ensuite, en revanche, comme pour le décret du 28 juin 2019, à la date à laquelle il a été pris, le décret du 29 janvier 2021 est irrégulier, en tant qu'il se borne à prévoir un dispositif transitoire limité aux seuls actes d'aide à l'exposition, à l'hémostase et à l'aspiration réalisés au cours d'opérations chirurgicales, méconnaissant ainsi le principe de sécurité juridique; il est donc annulé en tant qu'il ne comporte pas de dispositions relatives aux actes mentionnés au a) du 1° et au 2° de l'article R. 4311-11-1 du code de la santé publique. 

Une injonction est adressée en ce sens.

(30 décembre 2021, Union des chirurgiens de France (UCDF) et Syndicat Le BLOC, n° 434004, n° 434932, n° 450338 et n° 457322 ; Fédération des médecins de France, Syndicat des médecins libéraux, Syndicat des médecins d'Aix et sa Région et M. B., n° 450866 ; Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) et Fédération de l'hospitalisation privée - médecine, chirurgie, obstétrique (FHP-MCO), n° 451277, jonction)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

211 - Actes publics établis par une autorité étrangère - Légalisation - Absence de prise en considération de l'urgence - Absence de recours contre les refus de légalisation - Transmission de la QPC.

Le Conseil d'État transmet une QPC fondée sur ce que les dispositions du II de l'article 16 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, relatives à la légalisation des actes publics des autorités étrangères, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ce qu'elles ne prévoient ni de dérogations en cas d'urgence ni de voie de recours contre les décisions de refus de légalisation.

(3 décembre 2021, Association des avocats pour la défense des droits des étrangers et autre, n° 448305 et n° 445519; GISTI et autres, n° 454144, jonction)

 

212 - Concession de mine - Conditions de la prolongation de droit - Absence de prise en compte de l'environnement - Transmission de la QPC.

Dans le cadre d'une demande d'annulation de quatre décrets par lesquels le premier ministre a accordé à la Compagnie Minière de Boulanger la prolongation, sur une superficie réduite, des concessions de mines de métaux précieux n° 32, n° 6, n° 86 et n° 651 situées sur une partie du territoire de la commune de Roura (Guyane), l'association requérante soulève une QPC tirée de ce que les dispositions du code minier relatives aux demandes de prolongation de concession minière décident que cette prolongation est de plein droit à la seule condition que les gisements sur lesquels elles portent soient encore exploités sans aucunement prévoir la vérification d'atteintes, par une telle prolongation, à l'environnement, en violation des art. 1er, 2 et 3 de la Charte de l'environnement.

Le Conseil d'État transmet la question car elle est de caractère sérieux.

(3 décembre 2021, Association France Nature Environnement, n° 456524, n° 456525, n° 456528 et n° 456529)

 

213 - Stupéfiants - Délit d'usage illicite de stupéfiants - Infractions relatives au trafic des stupéfiants - Renvoi par la loi à la compétence réglementaire - Question de caractère sérieux - Transmission de la QPC.

Présente un caractère sérieux la question de la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis, spécialement le principe de légalité des délits et des peines, de l'art. L. 5132-7 du code de la santé publique en tant qu'il renvoie au pouvoir réglementaire la définition du champ d'application du délit d'usage illicite de stupéfiants et des infractions relatives au trafic de stupéfiants.

(8 décembre 2021, M. A. et Association « Groupe de recherche et d'études cliniques sur les cannabinoïdes », n° 456556)

 

214 - Fonctionnaires et agents publics - Nouvelle bonification indiciaire - Exclusion des agents contractuels de son bénéfice - Situations différentes - Légalité - Non-transmission d'une QPC.

(10 décembre 2021, Fédération SGEN-CFDT, n° 451287)

V. n° 161

 

215 - Exonération d'impôt sur la plus-value de cession de la résidence principale en France - Contribuable fixant son domicile fiscal hors de France - Obligation de cession avant le 31 décembre de l'année suivant celle du transfert du domicile fiscal - Différence de traitement non contraire au principe d'égalité devant la loi et les charges publiques - Non-transmission de la QPC.

Le requérant soulevait une QPC fondée sur l'atteinte au principe d'égalité devant la loi et devant les charges publiques qui résulterait du 1 du I de l'art. 244 bis A du CGI en ce que, pour pouvoir bénéficier de l'exonération de taxation de la plus-value en cas de cession de sa résidence principale, située en France, il impose au contribuable transférant son domicile fiscal hors de France, d'effectuer cette cession avant le 31 décembre de l'année suivant celle au cours de laquelle a lieu le transfert. Cette limite temporelle n'existe pas pour les contribuables résidents et le demandeur y voyait, à juste titre nous semble-t-il, une atteinte à diverses modalités du principe d'égalité. Le Conseil d'État le déboute en utilisant son « mantra » habituel : la différence de traitement est en rapport avec la différence des situations elle-même appréciée au regard de l'objet de la loi.

On aperçoit mal en quoi l'enfermement dans un délai strict et préfix de l'opération de cession immobilière entretient un quelconque rapport logique avec l'absence de résidence en France sauf à instaurer une présomption de non confiance en celui qui use de sa liberté de quitter l'hexagone et à manifester une volonté de le « punir » fiscalement. C'est là une réaction qui ne peut guère convaincre le bon sens commun et la loyauté attendue de l'État envers ses ressortissants.

(10 décembre 2021, M. H., n° 456728)

(216) V. aussi, avec mêmes solution, sur la QPC et le recours pour excès de pouvoir : 10 décembre 2021, M. et Mme J., n° 457349.

 

217 - Taxe sur la valeur ajoutée - Directive de 2006 instaurant un système commun de TVA - Exonération de certaines activités d'enseignement - Inapplication aux értablissements dispensant des cours de soutien - Conformité à la directive précitée - Refus de transmission de la QPC.

La requérante contestait le refus d'étendre aux organismes de soutien scolaire le bénéfice de l'exonération de TVA dont bénéficient notamment, d'une part, les établissements d'enseignement et d'autre part, les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire. Elle soulève une QPC pour atteintes à l'égalité devant la loi et à l'égalité devant les charges publiques à l'appui de son recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus d'abroger  divers paragraphes et commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts, par lesquels le ministre des finances a fait connaître son interprétation des dispositions du 4° du 4 de l'article 261 du CGI, relatives, notamment, à l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons de biens et prestations de services se rapportant à l'enseignement scolaire et universitaire.

La demande de transmission est rejetée car l'activité en cause n'entre pas dans les exonérations de TVA énoncées par la directive de 2006 sur le système commun de TVA et le législateur, en les reprenant à son compte, s'est borné à transposer sur ce point les dispositions inconditionnelles et précises de cette directive telles qu'interprétées par la jurisprudence européenne (v. par ex. : CJUE 14 juin 2007, Stichting Regionaal Opleidingen Centrum Noord-Kennemerland/West-Friesland (Horizon College), aff. C-434/05 et Werner Haderer, aff. C-445/05 ; 14 mars 2019, A et G Fahrschul-Akademie GmbH, aff. C-449/17, à propos de l'enseignement de la conduite automobile) et cela sans qu'il soit porté atteinte à l'identité constitutionnelle de la France.

(10 décembre 2021, SNC MCC Axes, n° 457050)

 

218 - Suppression progressive de la taxe d'habitation - Compensation de la perte de recettes par les communes et leurs groupements - Maintien de l'égalité du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties avec celui de la taxe d'habitation - Instauration à cet effet d'un coefficient correcteur (IV de l'art. 16, loi de finances du 28 décembre 2019) - Atteintes à des droits et liberté constitutionnellement garantis - Transmission d'une QPC.

Soulève une question de caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, celle de savoir si les dispositions du IV de l'article 16 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, en tant qu’elles instaurent un coefficient correcteur afin de maintenir l’égalité du produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties avec celui de la taxe d’habitation, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'égalité devant la loi fiscale garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789 et à la libre administration des collectivités territoriales garantie par l'article 72 de la Constitution.

(14 décembre 2021, Commune de La Trinité, n° 456741)

 

219 - Élections aux conseils régionaux - Délai de dix jours pour saisir le juge - Délai trop bref - Atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif - QPC - Rejet.

Est refusée la transmission d'une QPC fondée sur l'inconstitutionnalité des dispositions de l'art. L. 361 du code électoral au motif que le délai de saisine du juge qu'il fixe à dix jours méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif, d'autant que le Conseil d'État n'est enfermé dans aucun délai pour statuer sur une telle protestation.

Le Conseil d'État juge ce délai comme n'étant pas d'une brièveté excessive s'agissant de contentieux électoral, d'autant que le juge doit lui-même statuer dans un délai raisonnable. De la sorte n'est portée aucune atteinte au droit à recours juridictionnel effectif.

(17 décembre 2021, M. B., n° 457114)

 

220 - Réglementation des substances psychotropes, des stupéfiants et des plantes, substances et préparations classées comme vénéneuses (art. L. 5132-8 du code de la santé publique) – Police spéciale - Droit de mourir dans la dignité – QPC – Refus de transmission.

La requérante, à l’appui, d’une part, d’un recours tendant à l’annulation du refus implicite du premier ministre et du ministre de la santé d’abroger deux arrêtés fixant respectivement la liste des substances psychotropes et la liste des substances classées comme stupéfiants et d’autre part, d’une demande d’injonction aux fins de prévoir une exception « permettant à chacun de pouvoir mettre fin à ses jours consciemment, librement et dans la dignité », soulève une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre, au principal, des dispositions de l’art. L. 5132-8 du code de la santé publique.

Sa transmission est refusée d’abord parce que la question de la constitutionnalité de cet article est sans incidence sur la légalité des arrêtés querellés, elle est donc irrelevante ; ensuite, les dispositions de cet article participent du régime de police spéciale instauré par le législateur en vue de réglementer les opérations relatives aux substances présentant des risques directs ou indirects pour la santé publique. Elles ont, ainsi, de même que les dispositions réglementaires prises pour leur application dont l'association requérante conteste le refus d'abrogation, un tout autre objet que la reconnaissance ou l'exercice d'un « droit à mourir dans la dignité » tel que revendiqué par cette association.

(21 décembre 2021, Association « DIGNITAS - Vivre dignement - Mourir dignement », n° 456926)

 

221 - Article L. 470-2 du code de commerce – Exécution cumulative des sanctions administratives prononcées contre un même auteur pour des manquements en concours – Disproportion des sanctions par rapport aux faits – Principe de nécessité des délits et des peines – Transmission de la QPC.

Présente un caractère sérieux et est transmise au Conseil constitutionnel la question de savoir si l’art. L. 470-2 du code de commerce, en permettant le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits en cas de manquements en concours de nature identique, ne porte pas atteinte au principe de nécessité des délits et des peines.

(29 décembre 2021, Société Eurelec Trading, n° 457203)

 

Responsabilité

 

222 - Administration fiscale - Responsabilité pour faute du chef d'une évolution de la jurisprudence du Conseil d'État - Conséquences en matière de réparation - Admission de principe et rejet en l'espèce.

Les requérants demandaient la condamnation de l'État à la somme de 1 200 118,87 euros en réparation de préjudices qu'ils estimaient avoir subis du fait de la faute commise par l'administration fiscale dans le cadre d'une procédure d'imposition suivie à leur encontre et celle de 25 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la méconnaissance de leur droit à un délai raisonnable de jugement.

Rejetée en première instance, leur demande a été très partiellement admise en appel.

Le ministre avait soutenu en appel qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à l'administration, la contrariété de la procédure d'abus de droit menée à l'encontre des contribuables avec les dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales n'étant apparue qu'après la décision du Conseil d'État n° 330940 du 30 décembre 2011 qui a clarifié les critères permettant d'identifier un abus de droit en cas de donation-partage de titres suivie de leur cession. La cour a implicitement mais nécessairement écarté ce moyen en retenant que l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'État avait été révélée par la décision du Conseil d'État n° 353822 du 9 avril 2014 prononçant la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels les demandeurs avaient été à tort assujettis au titre de l'année 2003. Elle avait alloué aux requérants une certaine somme en réparation du préjudice financier résultant du coût du financement nécessaire au paiement de ces impôts supplémentaires.

Se fondant sur les dispositions des art. L. 207 et L. 208 du livre des procédures fiscales, le juge de cassation pose avec une particulière netteté, proche d'une décision de principe, « qu'en cas de dégrèvement prononcé à la suite d'une réclamation portant sur l'assiette ou le calcul de l'impôt, le contribuable a droit à la perception des intérêts moratoires assis sur les impositions dégrevées, qui ont pour objet de tenir compte de la durée pendant laquelle le contribuable a été privé des sommes correspondantes, en compensant en particulier les effets de l'indisponibilité de celles-ci et les coûts de substitution que l'intéressé a été contraint d'exposer. Il peut également, le cas échéant, demander la réparation des préjudices causés par une faute de l'administration fiscale ne résultant pas du seul paiement de l'impôt, notamment ceux résultant des conséquences matérielles des décisions prises par l'administration ou des troubles causés dans ses conditions d'existence. »

En l'espèce, le préjudice réparé par la cour étant déjà couvert par les intérêts moratoires alloués lors de la restitution de l'impôt, celle-ci a commis une erreur de droit en décidant à nouveau sa réparation. L'État ne peut donc pas être condamné à nouveau à réparer ce préjudice.

(10 décembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 437412)

 

223 - Fonctionnaire - Accident imputable au service - Demande indemnitaire de la victime, de son épouse et de ses enfants - Rejet pour tardiveté - Annulation avec renvoi.

Dans un litige en réparation des préjudices subis par diverses personnes du fait d'un accident survenu à un agent public sur le lieu de son travail et donc imputable au service, le Conseil d'État, juge de cassation, tranche deux points de droit.

Tout d'abord, il est jugé que le litige entre l'administration et les membres de la famille d'un fonctionnaire aux fins de réparation des préjudices propres, qu'ils estiment avoir subis du fait de l'accident de service de leur conjoint, père ou mère, ne saurait être regardé comme un litige entre l'administration et l'un de ses agents au sens et pour l'application de l'article L. 112-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il convient en ce cas de faire application des dispositions de l'art. L. 112-6 selon lesquelles « Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation. (...) ». Ainsi, en l'espèce, l'accident étant survenu le 5 mars 2003, l'action indemnitaire introduite le 26 avril 2017 est irrecevable pour cause de tardiveté en tant qu'elle émane de la victime, recevable s'agissant des autres membres de la famille.

Cette mansuétude semble bien latitudinaire.

Ensuite, il est jugé qu'une requête à fins indemnitaires émanant de plusieurs requérants est recevable si les conclusions qu'elle comporte présentent entre elles un lien suffisant. Il en résulte que la circonstance que de telles conclusions soient soumises à des conditions de recevabilité différentes n'est pas de nature à faire obstacle à l'examen, dans une même instance, de leur recevabilité respective. 

En jugeant le contraire la juridiction d'appel a commis une erreur de droit.

Là encore la bienveillance supplante la logique contentieuse.

(10 décembre 2021, M. Abel Mora et autres, n° 440845)

 

224 - Perte fonctionnelle d'un oeil au cours d'une intervention chirurgicale - Affirmation par l'arrêt d'appel de l'existence d'un faible risque de survenue d'une cécité - Reconnaissance d'une faute en lien direct avec le préjudice subi - Affirmation que cette faute n'a eu pour effet que la perte de chance de se soustraire à la survenue du préjudice - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit la juridiction d'appel qui, à la fois, juge qu'un CHU a commis une faute en recourant à une technique pouvant provoquer une cécité alors que ce n’aurait pas été le cas d'une autre technique opératoire, que cette faute est en lien direct avec le préjudice subi mais qu'elle n'est à l'origine que d'une perte de chance de se soustraire à la survenue du dommage, alors qu'il résultait de ses propres constatations que, sans la faute commise dans le choix de l'indication thérapeutique, le patient n'aurait pas perdu l'usage de l'œil gauche.

A notre sens il s'agit plutôt d'une contradiction ou d'une incohérence de motifs appelant de toute façon la censure.

(14 décembre 2021, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 440589)

 

225 - Infection nosocomiale - Notion et régime - Article L. 1142-1 du code de la santé publique - Méconnaissance - Annulation.

Statuant sur une action en réparation de dommages imputés à une infection nosocomiale, une cour administrative d'appel se méprend sur le sens et la portée des dispositions des I et II de l'art. L. 1142-1 du code de la santé publique.   En effet, après avoir estimé que les dommages subis par la victime, s'ils n'avaient pas occasionné une invalidité permanente supérieure à 25 %, avaient néanmoins le caractère de gravité mentionné au II de l'article L. 1142-1 CSP mais qu'ils ne constituaient pas pour autant, selon les experts, une cause étrangère à l'infection par un staphylocoque doré contractée par la victime et devaient donc être regardés comme trouvant leur cause dans l'intervention chirurgicale subie par le patient, elle a, cependant, écartant la responsabilité de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris où a eu lieu l’intervention dommageable, mis en jeu celle de l'ONIAM. 

(15 décembre 2021, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 437846)

 

226 - Infection nosocomiale - Expertise médicale - Expertise entachée d'irrégularité pour non respect du contradictoire - Limites d'utilisation de cette expertise - Annulation avec renvoi.

Dans un litige en responsabilité médicale lors du traitement d'une patiente atteinte d'un diabète de type 1 compliqué de néphropathie et de neuropathie diabétique, est désigné un expert dont les conclusions de son rapport n'ont pas été soumises à la discussion contradictoire des parties.

Le Conseil d'État, confirmant une jurisprudence récente, rappelle l'utilisation qui peut être faite d'un tel rapport défectueux. Les éléments de ce rapport, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, peuvent être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier. 

Ce n'était pas le cas ici où les juges du fond se sont fondés sur les conclusions médicales du rapport qui étaient pourtant contestées par les parties, d'où l'annulation prononcée avec renvoi.

(15 décembre 2021, M. B., n° 443959)

 

227 - Responsabilité hospitalière - Contrat d'assurance couvrant cette responsabilité au titre des risques mentionnés à l'art. 1142-2 du code de la santé publique - Connaissance du fait dommageable - Délai et notion - Rejet sur ce point.

Rappel, dans le cadre d'un litige consécutif aux graves lésions cérébrales survenues lors d'un accouchement dans un centre hospitalier, que les contrats d'assurance conclus par les établissements publics de santé aux fins de les garantir des actions mettant en cause leur responsabilité au titre des risques mentionnés à l'article L. 1142-2 du code de la santé publique couvrent les sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat ou pendant une période subséquente d'une durée minimale de cinq ans, à l'exception des sinistres dont le fait dommageable était connu de l'établissement de santé à la date de la souscription du contrat.

Pour l'application de cette dernière règle, résultant du sixième alinéa de l'article L. 251-2 du code des assurances, un fait dommageable subi par un patient doit être regardé comme connu de l'établissement de santé à une certaine date si, à cette date, sont connus de ce dernier non seulement l'existence du dommage subi par le patient mais aussi celle d'un fait de nature à engager la responsabilité de l'établissement à raison de ce dommage. 

(15 décembre 2021, Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 444541 ; M. F. et Mme K., n° 444594, jonction)

 

228 - Responsabilité médicale – Prescription décennale – Consolidation du dommage – Notion - Date d’appréciation – Rejet.

Selon l’art. L. 1142-28 du code de la santé publique : « Les actions tendant à mettre en cause la responsabilité des professionnels de santé ou des établissements de santé publics ou privés à l'occasion d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage ». 

Dans la présente espèce se posait la question de la détermination de ce qu’il convient d’entendre par l’expression « consolidation du dommage ».

Il est ici jugé que l’état de santé de la victime d’un dommage corporel doit être considéré comme consolidé à la date à laquelle peuvent être évaluées et réparées les diverses composantes de ce préjudice corporel alors même que la situation personnelle de la victime ainsi que les conditions et coûts exacts de prise en charge ne sont pas stabilisés à cette date.

Le délai de la prescription décennale institué à l’art. L. 1142-28 précité commence donc à courir à compter de cette date.

(27 décembre 2021, M. D. et Société Allianz IARD, n° 432768 ; CPAM de la Sarthe, n° 432792, jonction)

 

229 - Responsabilité hospitalière – Faute de l’établissement dans la prise en charge de la victime – Dommage commis à la victime par un tiers – Montant de la réparation et partage de responsabilités, indépendance de ces questions – Obligation de réparation strictement intégrale du préjudice – Annulation et sursis à statuer partiels.

Il faut surtout retenir des diverses questions tranchées par cette décision, celle – car elle est assez innovante - concernant la fixation du montant de la réparation due par un établissement de santé dont la faute a causé un préjudice à un patient victime d’un accident causé par un tiers. Le juge pose les règles suivantes.

En premier lieu, et c’est là le principe, lorsque la faute commise par un établissement public de santé dans la prise en charge de la victime d'un accident commis par un tiers engage sa responsabilité à l'égard de cette victime, la réparation qui incombe à l'établissement de santé est indépendante du partage de responsabilité susceptible d'être prononcé par la juridiction saisie d'un litige indemnitaire opposant la victime et le tiers auteur de l'accident.

En deuxième lieu, et c’est là une conséquence majeure du principe qui vient d’être rappelé, si la juridiction saisie a condamné le tiers à indemniser la victime de tout ou partie de ses dommages corporels, cette somme n'a pas à être déduite du montant que l'hôpital doit verser à la victime en réparation de la faute du service public hospitalier.

En troisième lieu, enfin, le principe de réparation de tout le préjudice mais rien que du préjudice, impose au juge de diminuer la somme mise à la charge de l'hôpital dans la mesure requise pour éviter que le cumul de cette somme et des indemnités que la victime a pu obtenir devant d'autres juridictions excède le montant total des préjudices ayant résulté, pour elle, de l'accident et des conditions de sa prise en charge par l'hôpital.

(27 décembre 2021, Mme G. et autres, n° 435632)

 

230 - Faute personnelle de l’agent public – Notion – Évaluation du préjudice subi par la collectivité – Absence d’erreur de droit ou de qualification juridique des faits – Rejet.

Des secrétaires de la maire d’une commune, chargées de répondre aux courriers électroniques qu’elle reçoit, découvrent trois vidéos pornographiques dans laquelle apparaît la maire et alertent son directeur de cabinet qui reçoit l’ordre immédiat de mettre à pied les deux secrétaires avec forte réduction de leur traitement, celui-ci passant de 2100 à 1200 euros. Cette suspension va durer du 12 novembre 2012 jusqu’aux 5 et 15 mai 2014.

Les intéressées ont saisi le juge administratif de diverses demandes de suspension par voie de référé et au fond qui ont été accordées.

La commune, au moment du changement de maire, estimant que les sommes mises à sa charge de ce fait trouvaient leur origine dans une faute personnelle détachable du service commise par la maire sortante, a émis un avis de sommes à payer d’un montant de près de 74 000 euros (indemnisation des secrétaires, honoraires d’avocats, frais divers).

La requérante a obtenu du tribunal administratif décharge de l’obligation de payer à concurrence de 20 976 euros, le reste demeurant à sa charge. Elle se pourvoit en cassation, son pourvoi est rejeté. La commune forme un pourvoi incident qui est admis au fond.

Le juge devait d’abord se prononcer sur l’existence en l’espèce d’une faute personnelle détachable des fonctions de maire. Il procède en deux temps, donnant une définition générique de la faute personnelle puis l’appliquant à l’espèce.

Selon le Conseil d’État, « Présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions de maire des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. »

En l’espèce, comme relevé par les juges du fond, les faits reprochés au maire révélaient bien des préoccupations d'ordre privé et présentaient par suite le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice des fonctions de l'intéressée comme maire de la commune de Villepinte.

Le juge devait ensuite se prononcer sur le quantum du préjudice.

Il estime, contrairement à la cour, et il a raison, qu’aucune faute de service n’existe qui pourrait venir en déduction de la charge de la réparation incombant au maire, celle-ci doit donc couvrir les entiers débours de la commune du fait de ses décisions illégales. Est donc réintégrée dans le montant des sommes dues par l’ancienne élue celle de 20 976 euros qui en avait été retranchée à tort par la cour.

La bagatelle filmée coûtera donc à l’ancienne premier magistrat de la cité de Villepinte 73 894 euros. C’est bien connu : le vedettariat a un prix !

(29 décembre 2021, Mme Nelly Roland, n° 434906)

 

Santé  publique

 

231 - Inscription d’une spécialité sur la « liste en sus » (art. L. 162-22-7 c. séc. soc.) – Refus – Pertinence des comparateurs retenus – Intérêt pour la santé publique – Rejet.

La société requérante demande l’annulation de la décision interministérielle refusant d'inscrire sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale, dite « liste en sus », la spécialité « Tecentriq 1200 mg (atezolizumab) (solution à diluer pour perfusion) » dans son extension d'indication en première ligne de traitement des patients adultes atteints d'un cancer bronchique à petites cellules (CBPC) au stade étendu, en association au carboplatine et à l'étoposid.

En principe, l'inscription de certaines spécialités sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale permet leur prise en charge par les régimes obligatoires d'assurance maladie en sus des prestations d'hospitalisation prises en charge dans le cadre de forfaits de séjour et de soins établis par groupe homogène de malades, afin de favoriser l'accès aux traitements innovants et coûteux.

C’est pourquoi il a été prévu qu'une spécialité peut être inscrite sur la liste mentionnée à l'article L. 162-22-7 précité en dépit d'une amélioration mineure du service médical rendu (ASMR) si l'indication considérée présente un intérêt de santé publique et en l'absence de comparateur pertinent.

Est également prévue l'inscription d'une spécialité sur cette liste en dépit d'une ASMR mineure ou absente lorsque ses comparateurs pertinents sont déjà inscrits sur la liste afin que les différences pouvant exister dans les conditions d'inscription de spécialités directement substituables, compte tenu de leur place dans la stratégie thérapeutique, ne soient pas manifestement disproportionnées au regard des motifs susceptibles de les justifier.

La société requérante soutient que ces dispositions font obstacle à l'inscription d'une spécialité dont le comparateur pertinent n'est pas susceptible d'être inscrit. Le juge rejette cet argument car cette spécialité peut être inscrite dès lors qu’elle présente une amélioration du service médical rendu au moins de niveau modéré.

Elle soutient également que ces dispositions méconnaissent l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la norme, ce que réfute le juge, estimant que la notion de comparateur pertinent est bien précisée au II de l'article R. 162-37-3 du même code.

Enfin, répondant au moyen tiré, par la voie de l'exception, de l'illégalité des dispositions du 3° du I de l'article R. 162-37-2 du code de la sécurité sociale, il est jugé  qu’il résulte de l’art. R. 162-37-3 précité que les ministres peuvent apprécier l'amélioration du service médical rendu de la spécialité en s'appuyant sur une comparaison avec tous les comparateurs pertinents, au regard des connaissances médicales avérées, que sont les médicaments, les produits, les actes et les prestations, qu'ils soient utilisés isolément ou constituent un traitement composite, et sans que la circonstance qu'un tel traitement ne soit pas susceptible d'être inscrit sur la « liste en sus » fasse obstacle à ce qu'il soit identifié comme un comparateur pertinent.

Concernant le choix des comparateurs pertinents, les ministres n'ont entaché leur décision d'aucune illégalité ni ne l'ont insuffisamment motivée en tenant compte, pour fonder leur appréciation, des mêmes comparateurs cliniquement pertinents que ceux retenus par la commission de la transparence. Ils n’ont pas, non plus, commis d’erreur manifeste d’appréciation en retenant, comme comparateurs pertinents du protocole faisant appel à Tecentriq, qui comporte d'abord une phase d'induction l'associant avec une chimiothérapie combinant carboplastine et étoposide puis une phase d'entretien avec Tecentriq seul, les protocoles de chimiothérapie seuls retenus comme comparateurs cliniquement pertinents par la commission de la transparence, qui font appel à une combinaison des médicaments génériques à base de cisplatine, de carboplatine ou d'étoposide, alors même qu'aucun de ces protocoles ne comporte de phase d'entretien après la phase d'induction.

Il s’ensuit que la décision n’est pas entachée d’illégalité puisque, d’une part, la spécialité Tecentriq présentait une amélioration du service médical rendu mineure et, d’autre part, les comparateurs pertinents retenus ne figuraient pas eux-mêmes sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 du code de la sécurité sociale.

Enfin, la société requérante ne peut pas soutenir qu’est irrégulier l'autre motif de la décision attaquée, par lequel les ministres ont écarté l’existence d’un intérêt de santé publique, dès lors que, comme indiqué plus haut, la spécialité Tecentriq disposait de comparateurs pertinents car l’existence d'un intérêt de santé publique n'est de nature à permettre l'inscription d'une spécialité sur la liste prévue à l'article L. 162-22-7 précité qu'en l'absence de comparateur pertinent.

(30 décembre 2021, Société Roche, n° 448464)

(232) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision implicite rejetant une demande, présentée le 4 décembre 2019, d'inscrire la spécialité MEPSEVII 2 mg/ml, solution à diluer pour perfusion, sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités publiques mentionnée à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, ainsi que la décision de rejet de son recours tendant au réexamen de cette décision et à l'inscription de la spécialité litigieuse : 30 décembre 2021, SAS Ultragenyx France, n° 449368.

 

233 - Produit de santé – Institution d’un prix maximal de vente aux établissements de santé – Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Le Conseil d’État était saisi d’un recours dirigé contre le décret n° 2020-1437 du 24 novembre 2020 relatif aux modalités de fixation du prix maximal de vente d'un produit de santé aux établissements de santé.

Examinant le moyen tiré de la contrariété de ce texte au droit de l’Union, spécialement à l'article 4 de la directive 89/105/CEE, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie, le juge opère un renvoi préjudiciel à la CJUE. Ce renvoi pose la question de savoir  « l’art. 4 doit être interprété en ce sens que la notion de " blocage des prix de tous les médicaments ou de certaines catégories de médicaments" s'applique à une mesure dont la finalité est de contrôler les prix des médicaments mais qui concerne uniquement certains médicaments pris individuellement, et n'a pas vocation à s'appliquer à tous les médicaments, ni même à certaines catégories d'entre eux et alors que les garanties que cet article attache à l'existence d'une mesure de blocage telle qu'il la définit apparaissent, pour une telle mesure, dépourvues de portée ou d'objet. »

(30 décembre 2021, Syndicat Les Entreprises du médicament, n° 449049)

(234) V. aussi, le rejet du recours du même syndicat tendant à voir annuler la décision de rejet implicite de sa demande d'abrogation des dispositions du a) du 11° de l'article 1er du décret n° 2020-1090 du 25 août 2020 portant diverses mesures relatives à la prise en charge des produits de santé en tant qu'elles modifient le I de l'article R. 163-5 du code de la sécurité sociale pour introduire un renvoi « à l'article L. 5123-2 du code de la santé publique ».  Cette modification a pour objet de décider que les motifs de refus énoncés à l'article R. 163-5 du code de la sécurité sociale pour l'inscription des spécialités sur la liste établie en vue de leur prise en charge ou leur remboursement par les caisses d'assurance maladie lorsqu'elles sont dispensées en officine, peuvent s'appliquer, notamment, à l'inscription sur la liste établie par le ministre chargé de la santé et le ministre chargé de la sécurité sociale des produits agréés, sur le fondement de l'article L. 5123-2 du code de la santé publique, pour l'achat, la fourniture, la prise en charge et l'utilisation des spécialités pharmaceutiques par les collectivités publiques : 30 décembre 2021, Syndicat Les Entreprises du médicament, n° 450193

 

Service public

 

235 - Ingénieur de l'agriculture et de l'environnement - Agent de l'Office national des forêts (ONF) - Prise en compte de l'ancienneté de l'agent - Détermination de son éventuelle qualité d'agent public - Établissement public industriel et commercial (EPIC) exerçant des missions de service public administratif - Erreur de droit - Annulation et renvoi sur ce point.

(8 décembre 2021, Mme A., n° 432608 ;  Ministre de l'agriculture, n° 432686, jonction)

V. n° 157

 

236 - Enseignement supérieur - Diplômes nationaux - Système européen d'unités d'enseignement capitalisables et transférables (crédits-ECTS) - Hypothèse de changement d'établissement avec poursuite des études antérieures - Licence - Régime applicable - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Tirant toutes les conséquences du principe de capitalisation appliqué dans le cadre du système européen de crédits (dits crédits-ECTS), il est jugé ici, à propos d'une étudiante en licence de psychologie, que l'étudiant qui change d'établissement pour poursuivre son cursus dans une même formation, conserve définitivement le bénéfice de ceux des crédits qui lui ont été délivrés dans l'établissement d'origine et ne doit donc valider que le nombre de crédits qui lui manque pour l'obtention de son diplôme.

La même solution s'applique aux crédits acquis au titre des semestres précédents par un étudiant ajourné qui poursuit son cursus dans une même formation et dans le même établissement, y compris dans le cas où cet établissement modifie entretemps le programme pédagogique de ce cursus ainsi que les crédits-ECTS attribués à chaque composante des unités d'enseignement qui le constituent.

(8 décembre 2021, Mme O., n° 434541)

 

237 - Avis de droit - Enseignement supérieur - Diplôme de master - Possibilité de parcours-types de formation différents pour un master accrédité au titre d'un domaine et d'une mention donnés - Parcours types pouvant concerner la seule seconde année de master - Faculté d'accès en seconde année d'un parcours-type ouverte à tout étudiant ayant obtenu sa première année de master sauf répartition différenciée dès la première année.

Saisi du recours d'un étudiant s'étant vu refuser l'admission en deuxième année de Master mention « psychopathologie clinique psychanalytique’, parcours « psychologies et psychopathologies cliniques », le tribunal administratif de Lyon, usant de la procédure du rescrit instituée à l'art. L. 113-1 du CJA, sous le nom d' « avis de droit », a soumis plusieurs questions au Conseil d'État.

Pour techniques qu'elles paraissent ces interrogations sont récurrentes dans le Landerneau universitaire et traduisent le mal-être français en matière de sélection/non-sélection dans l'accès aux études supérieures ou au cours de celles-ci. Se tenant à un entre-deux délicat, les juges du Palais-Royal décident ceci en se fondant uniquement sur des textes de droit interne sans aucune référence aux textes européens (formant le "processus de Bologne") qui sont pourtant la cause exclusive de l’existence du mécanisme en cause.

D'une part, les établissements d'enseignement supérieur peuvent instituer, pour un même master accrédité, des parcours-types de formation différents qui conduisent cependant dans tous les cas à la délivrance du même diplôme de master, relevant du même domaine et comportant la même mention. 

D'autre part, les parcours-types peuvent, le cas échéant, ne concerner que la seconde année du master. En principe, dans ce cas, tout étudiant ayant réussi la première année de formation de ce master accède de droit aux différents parcours-types existant en seconde année. Il en va en particulier ainsi lorsqu'un seul l'un des parcours-types de deuxième année de ce master est de nature à permettre aux étudiants diplômés de satisfaire les conditions pour être autorisés à faire usage d'un titre professionnel.

Toutefois, il en va différemment lorsque l'admission des étudiants en première année d'un master dépend des capacités d'accueil de l'établissement et est alors subordonnée au succès à un concours ou à l'examen du dossier du candidat et qu'il a d'ores et déjà été procédé à une répartition, entre les deux parcours-types, des étudiants autorisés à suivre la formation de ce master. 

(8 décembre 2021, M. C., n° 449272)

 

238 - Enseignement supérieur - Procédure de recrutement des enseignants - Pouvoirs du comité de sélection et du conseil académique - Motif erroné d'interruption de la procédure - Annulation et injonction de la reprendre si le recrutement initialement envisagé est retenu.

Le juge décide, et c'est là l'apport principal de la décision, qu'il est  toujours possible au conseil académique d'une université, s'il relève l'existence d'une irrégularité de nature à entacher la délibération par laquelle le comité de sélection arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient, le plaçant ainsi dans l'impossibilité de proposer le nom du candidat sélectionné ou, le cas échéant, une liste de candidats classés par ordre de préférence, de décider de ne pas donner suite à une procédure de recrutement d'un enseignant-chercheur.

En revanche, en l'espèce, la suspension décidée l'a été à tort dans la mesure où elle est fondée sur ce que la décision du comité de sélection pourrait être suspectée d'être fondée sur une discrimination en fonction de l'âge alors qu'il ressortait du courrier électronique litigieux que le comité de sélection s'était fondé à titre principal sur l'insuffisance de l'investissement du candidat dans des responsabilités pédagogiques et administratives, et que ni ce motif, ni, à la supposer établie, l'orientation générale du comité de sélection consistant à privilégier le recrutement de jeunes enseignants-chercheurs, n'étaient de nature à faire présumer l'existence d'une discrimination. La décision de suspension est annulée.

Il est fait injonction à l'université, si elle désire poursuivre l'opération de recrutement, de reprendre sous deux mois la procédure interrompue et au stade où elle l'a été.

(8 décembre 2021, M. D., n° 436191)

 

239 - Enseignement supérieur – Création à titre expérimental d’une « université de Paris » composée de deux seulement des universités parisiennes – Risque de confusion et d’erreur – Erreur manifeste d’appréciation dans le choix de la dénomination – Annulation sur ce point.

Le décret du 20 mars 2019 portant création de l'université de Paris et approbation de ses statuts est annulé en tant qu'il confère à l'établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel expérimental qu'il crée la dénomination « université de Paris ». Celle-ci, qui reprend la dénomination de l'université créée à Paris au XIIème siècle et de l'université fondée en 1896 pour regrouper, notamment, la faculté des sciences, la faculté des lettres, la faculté de droit et la faculté de médecine et qui a subsisté jusqu'à la loi du 12 novembre 1968, est de nature, alors qu’elle ne comporte fusion que de deux seulement des universités parisiennes, à induire en erreur les étudiants, les partenaires français et étrangers des universités parisiennes et plus généralement le grand public, cette dénomination laissant entendre que ce nouvel établissement est l'unique successeur de l'ancienne université de Paris et, en outre, qu'il est la seule université pluridisciplinaire.

(29 décembre 2021, Université Paris-II Panthéon-Assas, n° 434489)

 

240 - Nomination du Directeur de l'Institut d'études politiques de Paris - Désignation concomitante comme administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) - Référé suspension - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts du requérant - Défaut d'urgence - Rejet de la demande de suspension.

Le requérant sollicitait la suspension de l'exécution de la décision du président de la république nommant M. Mathias Vicherat, directeur de Sciences-Po Paris et  de celle de la ministre de l'enseignement supérieur le nommant subséquemment administrateur de la FNSP. Ayant obtenu une voix lors des scrutins de désignation,  il invoquait au soutien du recours à la procédure d'urgence que constitue le référé suspension, l'atteinte grave et immédiate à sa réputation et à sa situation professionnelle puisqu'il est définitivement privé d'accéder au poste de directeur de Sciences-Po ainsi que le trouble à l'intérêt public pouvant résulter de l'annulation de ces désignations lorsque le juge statuera au fond. Aucun de ces éléments ne permet de constater l'atteinte invoquée et, par suite, l'urgence qu'il y aurait à statuer.

(ord. réf. 15 décembre 2021, M. Olivier Faron, n° 458964)

(241) V. aussi, identique : ord. réf. 15 décembre 2021, M. Olivier Faron, n° 459236.

 

242 - Service public de l’aide à personne et de l’aide médicale urgente – Interventions successives d’un SDIS (service de départemental d’incendie et de secours), du SAMU (service d’aide médicale urgente) et d’une SMUR (structure mobile d’urgence et de réanimation) – Détermination de la prise en charge des frais – Régime.

Cette décision s’inscrit dans un contexte récurrent de controverses sur la détermination de la charge des frais engendrés par une opération de secours à personne et d’aide médicale.

Dans de très nombreuses situations, l’intervention des secours débute par la venue du SDIS sur les lieux puis, selon l’état des personnes, celle du SAMU voire d’une SMUR.

L’imbrication de ces diverses étapes rend malaisé de savoir qui, en définitive, doit payer les coûts liés à ces actions. Par exemple, lorsqu’un SDIS, estimant être parvenu aux limites de sa compétence technique dans tel cas, fait appel à une SMUR vers laquelle la victime est transportée, le coût du transport, souvent très élevé lorsqu’il s’effectue par hélicoptère, est-il à la charge du premier ou du second intervenant ?

La complexité croît lorsque l’on passe de deux à trois structures d’intervention et cela d’autant plus que sont cumulativement applicables en ces cas les dispositions du code de la santé publique, de celui de la sécurité intérieure ainsi que du code général des collectivités territoriales, dont on imagine sans peine qu’ils poursuivent, chacun, des finalités et comportent en conséquence des objectifs assez différents.

Le Conseil d’État est déjà intervenu à plusieurs reprises pour fixer les règles du jeu (v., par ex., dans la jurisprudence récente, 18 mars 2020, SDIS des Alpes-Maritimes c/ CHU de Nice, n° 425990) sans que le contentieux diminue…

Cette décision est donc l’occasion de préciser à nouveau les règles applicables telles que les détermine la jurisprudence.

En premier lieu, il résulte des dispositions combinées des art. 1424-2 et 1424-42 du CGCT, L. 742-11 du code de la sécurité intérieure, L. 6311-1, L. 6311-2, R. 6311-1, R. 6311-2, R. 6312-15 et D. 6124-12 du code de la santé publique que les SDIS ne doivent supporter la charge que des seules interventions qui se rattachent directement aux missions de service public définies à l'article L. 1424-2 du CGCT, au nombre desquelles figurent celles qui relèvent des secours d'urgence aux personnes victimes d'accidents, de sinistres ou de catastrophes, y compris l'évacuation de ces personnes.

Lorsque les interventions des SDIS ne relèvent pas directement de l'exercice de leurs missions de service public elles peuvent donner lieu à une participation aux frais de celles des personnes qui en sont bénéficiaires, dont ces services déterminent eux-mêmes les conditions.

En deuxième lieu, s’agissant des services d’aide médicale urgente, les dispositions susrappelées font obligation, d’une part aux SDIS,  d’assurer aux malades, blessés et parturientes, en quelque endroit qu'ils se trouvent, les soins d'urgence appropriés à leur état et d’autre part, à cette fin, au centre de réception et de régulation des appels, dit « centre 15 », installé dans ces services, de déterminer et déclencher, dans le délai le plus rapide, la réponse la mieux adaptée à la nature des appels, le cas échéant en organisant un transport sanitaire d'urgence faisant appel à une entreprise privée de transport sanitaire ou, au besoin, aux SDIS.

Les interventions qui, dans ce cadre, ne relèvent pas de l'article L. 1424-2 du CGCT, sont effectuées par les SDIS à la demande du centre 15, lorsque celui-ci constate le défaut de disponibilité des transporteurs sanitaires privés, font l'objet d'une prise en charge financière par l'établissement de santé siège des services d'aide médicale d'urgence, dans des conditions fixées par une convention conclue entre le SDIS et l'établissement de santé et selon des modalités fixées par arrêté conjoint du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la sécurité sociale. Il importe ici de distinguer cette convention de celle que prévoit l'article D. 6124-12 du code de la santé publique en cas de mise à disposition de certains moyens.

Il suit de là que dans le cas de l’espèce, c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé :

- d’une part,  que les dispositions des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 1424-42 du CGCT doivent dans ces conditions être regardées comme régissant l'ensemble des conditions de prise en charge financière par les établissements de santé d'interventions effectuées par les SDIS à la demande du centre de réception et de régulation des appels lorsque ces interventions ne sont pas au nombre des missions de service public définies à l'article L. 1424-2 de ce code auxquelles ces établissements publics sont tenus de procéder et dont ils supportent la charge ;

- d’autre part, qu’il convient de déduire de ce qui précède que les SDIS ne peuvent demander, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article L. 1424-42 du même code, une participation aux frais, dans les conditions déterminées par délibération de leur seul conseil d'administration, aux établissements de santé, sièges des services d'aide médicale d'urgence.

Il reste à espérer que ces clarifications opportunes contribueront à réduire sinon à tarir un contentieux irritant par sa persistance et par sa motivation.

(30 décembre 2021, CHU de Bordeaux, n° 443335)

 

Sport

 

243 - Police des manifestations sportives - Réglementation du déplacement de supporters lors de rencontres sportives - Risques forts de troubles sérieux - Mesures d'interdiction ne portant pas d'atteinte grave et manifestement illégale à diverses libertés fondamentales - Rejet.

(ord. réf. 4 décembre 2021, Association nationale des supporters, n° 459088 et n° 459130)

V. n° 196

 

Urbanisme

 

244 - Liste des obligations financières mises à la charge des bénéficiaires d'autorisations de construire - Caractère limitatif (art. L. 332-6 et L. 332-6-1 c. urb.) - Dispositions d'ordre public - Accord amiable contraire frappé de nullité - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge possible la cession à titre gratuit à une commune, par le bénéficiaire d'une autorisation de construire, d'une parcelle en vue de la réalisation de travaux dès lors qu'elle repose non sur les dispositions du e) du 2° de l'art. L. 332-6-1 du code de l'urbanisme - dispositions déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel (cf. n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010) -, mais sur un accord amiable.

En effet, l'énumération figurant aux art. L. 332-6 et L. 332-6-1  c. urb. est strictement limitative et d'ordre public, d'où il suit que toute stipulation contractuelle y dérogeant est entachée de nullité.

(8 décembre 2021, Société Zohra, n° 435492)

 

245 - Permis de construire - Intérêt à agir contre ce permis - Voisins immédiats - Atteinte à l'intimité - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits de l'espèce le magistrat qui dénie l'existence d'un intérêt à agir contre un permis de construire au bénéfice de requérants qui sont voisins immédiats de la construction et font état des nuisances sonores inhérentes au projet consistant à démolir une grange pour y construire une maison d'habitation et de ce que cette construction entraînerait, pour eux, « une importante perte d'intimité » en tant, notamment, que les futurs occupants auraient une vue directe sur leurs propres habitations.

(8 décembre 2021, M. E. et autres, n° 441893)

 

246 - Mise en demeure de payer la taxe d'aménagement et une redevance d'archéologie préventive - Demande d'annulation des titres exécutoires - Prescription des titres - Rejet.

L’administration fiscale, se fondant sur les dispositions des art. L. 331-21 et L. 331-24 du code de l’urbanisme, a émis les 5 et 6 décembre 2016, deux titres de perception pour avoir paiement de la taxe d'aménagement due par une société, puis, à défaut de leur règlement elle l’a, par courrier du 16 février 2017, mise en demeure de payer les première et deuxième échéances de cette taxe.

La société a formé le 9 mars 2017un recours auprès de la direction régionale des finances publiques afin d'obtenir la décharge de ces impositions et, ayant essuyé un refus, a saisi le tribunal administratif qui a annulé les titres de perception émis les 5 et 6 décembre 2016, les mises en demeure de payer du 16 février 2017 ainsi que la décision implicite rejetant la réclamation préalable formée par la société le 9 mars 2017 et a déchargé cette dernière, notamment, de l'obligation de payer la somme mise à sa charge au titre de la taxe d'aménagement. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit en cassation, dans cette mesure, contre ce jugement.

Il résulte des dispositions de l'article L. 331-21 du code de l'urbanisme, et en l'absence de toute autre disposition applicable, que le délai dont dispose l'administration pour exercer son droit de reprise est interrompu, notamment, à la date à laquelle le pli contenant un titre de perception émis sur le fondement de l'article L. 331-24 du même code en vue du recouvrement de la taxe d'aménagement a été présenté à l'adresse du contribuable.

En l’espèce, c’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la société contribuable était fondée à invoquer le bénéfice de la prescription du délai de reprise prévu par l'article L. 331-21 du code de l'urbanisme qui s'est achevé en l'espèce le 31 décembre 2016, au motif qu'elle n'avait reçu les titres de perception émis les 5 et 6 décembre 2016 que le 12 janvier 2017, alors qu'il ne ressortait d'aucune pièce versée au dossier de première instance que la date de cette réception du pli contenant ces titres n'aurait pas été celle de sa première présentation à l'adresse de la société.

(6 décembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 438975)

(247) V. aussi, à propos de ces mêmes taxe et redevance pour omission de réponse à moyen : 6 décembre 2021, Société Barca Investissements, n° 439700.

(248) V. encore, concernant également ces mêmes taxes et redevances, annulant un jugement estimant régulier le refus par l'administration de communiquer à l'intéressé, sur sa demande et préalablement à l'émission des titres de perception litigieux, le procès-verbal de constat d'infraction pour construction sans permis, motif pris de ce que cette pièce était couverte par le secret de l'enquête et de l'instruction en vertu des dispositions de l'art. 11 du code de procédure pénale. Cette solution est entachée d'erreur de droit, les dispositions des art. L. 331-6, L. 331-20 et L. 331-22 du code de l'urbanisme entrant dans les exceptions énoncées à l'alinéa 2 de l'art. 11 du CPP : 10 décembre 2021, M. J., n° 431472.

 

249 - Plan d'urbanisme - Réglementation en matière de logements (art. L. 123-2 c. urb.) - Objectif de mixité sociale - Résidence services (code de la construction et del'habitation) - Notion - Rejet.

Des personnes physiques et des personnes morales qui ont demandé en vain en première instance et en appel,  l'annulation d'un arrêté municipal délivrant un permis de construire un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et une « résidence services seniors », se pourvoient en arguant de la violation par cette décision de dispositions du code d'urbanisme et du plan local d'urbanisme.

L'essentiel du débat portait sur la qualification juridique de l'opération.

D'une part, concernant la maison de retraite, il n'était pas douteux que celle-ci entre dans la catégorie des « constructions nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif » pour laquelle l'art. R. 123-9 c. urb. prévoit que des règles particulières peuvent être applicables à leurs constructions et à leurs installations. 

D'autre part, s'agissant de la résidence pour seniors, il était soutenu que les dispositions prétendument non respectées concernaient principalement la réglementation relative aux logements.

Précisément, la nature de « logements » d'une résidence pour seniors pouvait être discutée et d'ailleurs la cour administrative d'appel y avait vu des « hébergements », donc non assujettis aux règles prévues pour les logements.

Le Conseil d'État confirme l'absence d'erreur de droit dans cette analyse en se fondant sur plusieurs dispositions du code de la construction et de l'habitation  (notamment les art. L. 631-13, L. 631-15, L. 631-16 et D. 631-27) qui définissent un résidence services comme celle permettant « à ses occupants de bénéficier de services spécifiques non individualisables, précisés dans le contrat de location notamment lorsque le gérant de ces services est également le bailleur, et qui sont l'accueil personnalisé et permanent des résidents et de leurs visiteurs, la mise à disposition d'un personnel spécifique attaché à la résidence, le cas échéant complétée par des moyens techniques, permettant d'assurer une veille continue quant à la sécurité des personnes et à la surveillance des biens, et le libre accès aux espaces de convivialité et aux jardins aménagés. Les occupants peuvent en outre souscrire des services spécifiques individualisables auprès de prestataires. »

En l'espèce, le permis de construire a été accordé pour une résidence services seniors de 15 appartements T2, dont les 8 de l'étage sont transformables en une unité de vie de 16 lits rattachés à l'EHPAD mitoyen et ainsi, uniquement destinée à des personnes âgées, cette résidence assurera donc des services communs destinés à répondre aux besoins de cette catégorie de population.

Une telle résidence relève ainsi, comme jugé en appel,  d'une vocation d'hébergement et non de logement au sens des dispositions du plan local d'urbanisme, alors même que la cour  a pris appui, pour opérer cette qualification, sur les dispositions d'un arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme postérieur à l'édiction du plan local d'urbanisme de la commune. 

(13 décembre 2021, M. et Mme O. et autres, n° 443815 ; SCI Les Prés Briard et autres, jonction)

 

250 - Permis de construire - Appréciation de l'intérêt à agir - Affichage en mairie - Invocation d'une « circonstance particulière » justifiant une appréciation de l'intérêt à agir à une autre date que celle de l'affichage du permis en mairie - Requérant ayant acquis le terrain voisin postérieurement à la délivrance du permis - Recours irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

Est irrecevable le recours dirigé contre un permis de construire introduit par un requérant qui n’est devenu propriétaire d'un terrain voisin de celui servant d'assiette à la construction autorisée qu'après la délivrance dudit permis, régulièrement affiché en mairie, sans que puisse constituer une »circonstance particulière » au sens et pour l'application de l'art. L. 600-1-3 c. urb. l'allégation que le recours ne tendait qu'à préserver les intérêts de son auteur et à permettre de mener à son terme son propre projet.

(13 décembre 2021, Société Ocean's Dream Resort, n° 450241)

 

251 - Permis de construire - Recours d'un voisin - Qualité donnant intérêt à agir - Procédure judiciaire de désenclavement - Tracé de la servitude incompatible avec le projet de construction - Condition de vicinalité jugée non satisfaite - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

En refusant de reconnaître dans la situation du requérant l'existence d'éléments suffisant à justifier de son intérêt pour agir en qualité de voisin immédiat d'un projet de construction, un tribunal administratif a inexactement qualifié les faits de l'espèce car le requérant démontrait avoir engagé une procédure judiciaire de désenclavement de sa parcelle, immédiatement voisine de celle du projet, et que la construction projetée nuirait à la réalisation du tracé de la servitude envisagée à cette fin, lequel était contraint par la configuration du terrain.

(23 décembre 2021, M. B., n° 448001 et n° 448422)

 

252 - Permis de construire - Communes en tension entre offre et demande de logements - Dispositions contentieuses dérogatoires et donc de droit étroit - Tribunal administratif statuant en premier et dernier ressort - Exceptions - Renvoi à la cour administrative d'appel.

Afin d'accélérer le jugement des contentieux d'urbanisme nés dans la commune où existe une tension forte entre offre et demande de logements, l'art. R. 811-1 du CJA a prévu que le tribunal administratif statue en ce domaine en premier et dernier ressort sous réserve d'un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État.

Parce que cette disposition déroge au droit commun instituant une voie d'appel en cour administrative d'appel contre les jugements des tribunaux administratifs, elle est d'interprétation stricte.

La dérogation ne s'applique, juge dans cette affaire - importante pour ce motif - le Conseil d'État, « ni aux jugements statuant sur des recours formés contre des refus d'autorisation, ni aux jugements statuant sur des recours formés contre des décisions de sursis à statuer. »

Le litige est renvoyé à la cour administrative d'appel.

(15 décembre 2021, Commune de Venelles, n° 451285)

 

253 - Contentieux de l'urbanisme - Application de l'art. L. 600-5-2 c. urb. et litige d'appel - Obligation pour le premier juge de transmettre au juge d'appel  le recours pour excès de pouvoir dirigé contre  le permis modificatif faisant suite à un jugement d'annulation - Renvoi du litige à la cour administrative d'appel.

Lorsque le juge d'appel est saisi d'un appel contre un jugement d'un tribunal administratif ayant annulé un permis de construire en retenant l'existence d'un ou plusieurs vices entachant sa légalité et qu'un permis modificatif visant à la régularisation de ces vices a été pris, seul le juge d'appel est compétent pour connaître de sa contestation dès lors que ce permis lui a été communiqué ainsi qu'aux parties.

Par suite, si un recours pour excès de pouvoir a été formé contre ce permis devant le tribunal administratif, il incombe à ce dernier de le transmettre (cf. art. R. 351-3 et, le cas échéant, R. 345-2 CJA), à la cour administrative d'appel saisie de l'appel contre le jugement relatif au permis initial. 

Cette jurisprudence innovante et simplificatrice doit être saluée même si l'art. L. 600-5-2 du code de l'urbanisme, qui se voulait simplificateur lui aussi, a trompé manifestement les espoirs mis en lui par ses auteurs.

(15 décembre 2021, SCCV Viridis République, n° 453316)

 

254 - Permis de construire et permis de construire modificatif - Incomplétude, imprécisions ou inexactitudes entachant les documents exigés pour la demande de permis de construire - Situation de nature à fausser l'appréciation portée sur la demande par l'autorité administrative - Erreur de droit - Annulation du refus d'annuler le permis.

Rappel de ce que la circonstance qu'un dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions des articles R. 431-4 à R. 431-12 du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En l'espèce, où les documents comportaient des indications contradictoires sur l'abattage de trente-huit arbres et leur remplacement par vingt-six autres ainsi que des éléments d'impossibilité quant à l'emplacement de certains d'entre-eux, l'autorité administrative n'a pas été mise en mesure de porter, en connaissance de cause, son appréciation sur le respect des dispositions des articles UC 13.4 et UC 13.5 du règlement du plan local d'urbanisme imposant, d'une part, le remplacement de la totalité des arbres abattus et, d'autre part, qu'un minimum de 50 % de la surface au sol de la parcelle soient traités en espaces verts.

En jugeant le contraire, la cour administrative d'appel a dénaturé les pièces du dossier : son arrêt est cassé en vue que soit correctement repris ce dossier.

(23 décembre 2021, M. X. et autres c/ Commune du Mesnil-Esnard, n° 448360)

 

255 - Urbanisme et aménagement commercial – Permis de construire valant autorisation d’exploitation commerciale – Étendue du pouvoir d’injonction du juge administratif – Annulation partielle.

Il faut retenir notamment de cette décision qui aborde plusieurs points de l’intarissable et nourri contentieux de l’urbanisme commercial, le rappel qu’en cas d’annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale, le juge administratif peut, en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial sans que puisse faire échec à ce pouvoir d’injonction la circonstance que cette commission est chargée par l'article R. 752-36 du code de commerce d'instruire les recours dont elle est saisie.

(22 décembre 2021, Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 442095 ; Société Rukim, n° 442969, jonction)

 

256 - Permis de construire un parc éolien – Annulation contentieuse – Demande de permis de construire devant être soumise à enquête publique – Silence gardé par l’administration – Délai de naissance d’un refus tacite – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Il se déduit des dispositions des articles L. 421-19 et R. 421-18 du code de l’urbanisme que le silence gardé par l'administration, après l'annulation d’un permis de construire par un tribunal administratif, sur la demande relative au permis de construire, soumis à une enquête publique au titre du décret du 23 avril 1985, fait naître un refus tacite à l'expiration du délai de cinq mois fixé par l'article R. 421-18 du code de l'urbanisme.

En effet, lorsqu'il résulte des dispositions législatives ou réglementaires applicables que le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande d'autorisation ou sur une déclaration pouvant donner lieu à une opposition de la part de l'administration fait naître, à l'expiration du délai imparti à l'administration pour statuer, une décision implicite de rejet, le silence gardé par l'administration, à nouveau saisie de la demande par voie de conséquence du retrait ou de l'annulation de l'autorisation, fait naître une décision implicite de rejet à l'expiration du délai prévu par les dispositions applicables, à compter de la notification de l'annulation au pétitionnaire.

Toutefois, si l'intéressé confirme sa demande dans ce délai, un nouveau délai, de même durée, court à compter de cette confirmation, au terme duquel naît une décision implicite de rejet si l'administration ne s'est pas prononcée dans ce nouveau délai.  

On peut trouver que, par suite des textes tels qu’ils sont, les méandres du raisonnement sont un peu complexes.

(30 décembre 2021, M. I., n° 430603)

 

257 - Urbanisme et aménagement commercial – Compétence exceptionnelle de premier ressort des cours administratives d’appel – Régime transitoire – Effets et régime - Rejet.

« Il résulte de ces dispositions (art. L. 752-1 du code de commerce et L. 425-4 du code de l’urbanisme) que les cours administratives d'appel ne sont, par exception, compétentes pour statuer en premier et dernier ressort sur un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un permis de construire, aussi bien en tant qu'il vaut autorisation de construire qu'en tant qu'il vaut autorisation d'exploitation commerciale, que si ce permis tient lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Si, en raison de la situation transitoire créée par l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, un projet a fait l'objet d'une décision d'une commission départementale d'aménagement commercial ou de la Commission nationale d'aménagement commercial avant le 15 février 2015 et d'un permis de construire délivré, au vu de cette décision, après le 14 février 2015, seule la décision de la commission départementale ou de la Commission nationale d'aménagement commercial est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir en tant qu'acte valant autorisation d'exploitation commerciale. En effet, l'autorisation d'exploitation commerciale ayant déjà été accordée, le permis de construire ne peut alors faire l'objet d'un recours qu'en tant qu'il vaut autorisation de construire. »

(30 décembre 2021, Société Marc’h Gili, n° 431129)

 

258 - Permis de construire une résidence intergénérationnelle – Insertion du projet dans une ZAC – Appréciation de la compatibilité du projet avec une orientation d’aménagement et de programmation prévoyant la création d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) – Prise en compte des éléments concrets et non théoriques du projet – Erreur de droit et qualification inexacte des faits – Annulation.

Des voisins du projet de construction d’une résidence intergénérationnelle pour jeunes adultes et personnes âgées implantée dans une ZAC, ont demandé l'annulation pour excès de pouvoir du permis de construire délivré à cet effet par le maire de la commune de Lavérune à la société Kalithys ainsi que de la décision rejetant leur recours gracieux.

Ce permis et ce rejet ont été annulés par le tribunal administratif. La commune et la société se pourvoient.

Le plan local d'urbanisme a défini, dans le périmètre de cette ZAC où est implanté le projet querellé, une orientation d'aménagement et de programmation comportant notamment la réalisation d'« équipements publics (notamment EHPAD) », tandis que le plan de composition de l'orientation d'aménagement et de programmation identifie les environs du terrain d'assiette du projet en litige comme devant accueillir un « équipement public ». 

Le tribunal administratif a jugé que ce projet contrariait la réalisation des objectifs poursuivis par cette orientation et qu’il était donc incompatible avec cette dernière car, au regard des dispositions de l'article R. 151-28 du code de l'urbanisme, il ne relevait pas de la même sous-destination de construction, prévue par cette orientation, « équipements d'intérêts collectifs et services publics, qu'un EHPAD. D’évidence, il incombait au juge du fond de rechercher non pas en termes théoriques et abstraits mais au regard des caractéristiques concrètes du projet ainsi que des termes de l'orientation d'aménagement et de programmation, si ce dernier contrariait la réalisation des objectifs poursuivis par cette orientation. L’erreur de droit est patente.

Au reste, le projet litigieux crée une résidence intergénérationnelle de quatre-vingt-dix-neuf logements, dont soixante-deux ont vocation à accueillir des personnes âgées, qui inclut des espaces collectifs et dont la gestion sera confiée à une association spécialisée dans la gestion de résidences pour personnes âgés et qui est autorisée à fournir des services d'aide à domicile, notamment aux personnes âgées. Tous ces éléments permettent la compatibilité du projet avec l'orientation d'aménagement et de programmation de la ZAC qui poursuivait notamment un objectif de développement d'une offre de logements adaptée aux personnes âgées en situation de dépendance : en l’ignorant, le tribunal administratif a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

(30 décembre 2021, Commune de Lavérune et société Kalithys, n° 446763 et n° 446766)

 

259 - Autorisation d’urbanisme – Mise à la charge du bénéficiaire du coût des équipements propres à son projet – Équipements excédant notablement les besoins du projet – Coût ne pouvant, même partiellement, être mis à la charge du bénéficiaire de l’autorisation – Erreur de qualification juridique des faits – Annulation.

L’art. L. 332-6 du code de l’urbanisme permet de mettre à la charge des bénéficiaires d’autorisations de construire le coût des équipements publics propres (sur cette notion, cf. art. L. 332-15 de ce code) au projet. En revanche, lorsque des équipements excèdent, par leurs caractéristiques et leurs dimensions, les seuls besoins constatés et simultanés d'un ou, le cas échéant, plusieurs projets de construction et ne peuvent, par suite, être regardés comme des « équipements propres » au sens de l'article L. 332-15 précité, leur coût ne peut être, même pour partie, supporté par le titulaire de l'autorisation. Il en va de même pour les équipements que la collectivité publique prévoit, notamment dans le document d'urbanisme, d'affecter à des besoins excédant ceux du projet de construction.

En l’espèce, est cassé l’arrêt d’appel qui avait considéré comme constituant un équipement propre car construite dans le but de desservir les seules constructions autorisées par le permis de construire, la voie réalisée par la société Ranchère alors que celle-ci dessert une route départementale et préfigure, par son tracé comme par ses caractéristiques en termes de largeur et d'aménagements, une « voie primaire structurante », prévue dans le projet d'aménagement et de développement durable du plan local d'urbanisme pour permettre, une fois prolongée au sud, d'établir la liaison entre deux routes départementales.

La cour a donné des faits de l’espèce une qualification juridique erronée.

(30 décembre 2021, Société Ranchère, n° 438832)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2021

Novembre 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non-contentieuse

 

1 - Militaire - Demande de remboursement d’indu et menace de retrait de l’indu sur la solde d’un militaire – Recours administratif préalable obligatoire -– Décision susceptible d’un recours de plein contentieux – Non-notification d’une décision expresse de rejet – Absence d’effet - Annulation et rejet.

La lettre par laquelle l'administration informe un militaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, cette somme sera retenue sur sa solde, est une décision susceptible de faire l'objet d'un recours de plein contentieux dont le délai de formation est de deux mois nonobstant l'absence de notification d'une décision expresse de rejet du recours administratif préalable obligatoire contre cette décision.

D’où l’erreur de droit commise par la cour administrative d’appel qui en avait conclu que le délai de recours contentieux n’avait pas commencé à courir.

(10 novembre 2021, Ministre des armées, n° 451462)

 

2 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

V. n° 9

 

3 - Communication des documents administratifs - Registre de contention et d'isolement et Rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement dans un centre hospitalier – Documents communicables – Rejet.

L’établissement requérant demandait l’annulation du jugement ordonnant, à la demande de l’association « Commission des citoyens pour les droits de l’homme » (CCDH), la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2017 et du rapport annuel établi pour cette même année.

Le pourvoi est rejeté en raison de ce que, contrairement à ce qui était soutenu par l’établissement défendeur,  les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, qui prévoient, d'une part, que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et, d'autre part, que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles du code des relations entre le public et l'administration régissant le droit d'accès aux documents administratifs telles qu’énoncées aux art. L. 311-1, L. 311-5, L. 311-6 et L. 311-7 de ce code. Simplement, doivent être occultés avant communication les noms des patients et des soignants figurant, le cas échéant, dans l’un ou l’autre de ces deux documents.

(18 novembre 2021, Centre hospitalier Sainte-Marie de Privas, n° 442348)

 

4 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Clôture d'une plainte - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

C'est sans erreur manifeste d'appréciation que la CNIL « a clôturé la plainte dont elle était saisie par les requérantes en se fondant notamment sur les échanges intervenus entre ces dernières et le docteur K. et sur une conversation téléphonique que ses services ont eue avec celui-ci. Il ressortait de ces éléments, d'une part, que ce médecin estimait que le dossier médical de la mère des requérantes, par ailleurs saisi dans le cadre d'une procédure pénale qui a donné lieu à un classement sans suite en l'absence de lien de causalité avéré entre un acte médical dispensé à l'intéressée et son décès, ne contenait pas de données à caractère personnel qui permettraient aux requérantes de faire valoir leurs droits ou de connaître les causes de ce décès, d'autre part, que ce professionnel de santé a cessé d'être le médecin traitant de la mère des requérantes plus d'un an avant son décès et, enfin, que le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Drôme, que le docteur K. a consulté pour avis, lui a indiqué que le secret médical faisait obstacle à la communication du dossier médical demandé.

Dans ces conditions, eu égard à ses pouvoirs d'instruction et aux diligences qu'elle a accomplies, et alors au surplus que la demande d'accès formulée par les requérantes ne visait pas à l'organisation et au règlement de la succession de la défunte, dont il n'est pas allégué qu'elle aurait établi de son vivant des directives sur la communication de ses données à caractère personnel (...) ».

(18 novembre 2021, Mmes I., J. et H., n° 448729)

 

5 - Circulaire du ministre de l'intérieur - Acte pris en qualité de chef de service - Acte de nature réglementaire - Inapplicabilité de dispositions du code des relations du public avec l'administration (CRPA) - Rejet.

Le requérant contestait la légalité d'une circulaire du 27 juillet 2015 par laquelle le ministre de l'intérieur a précisé les différentes modalités de mise en œuvre des changements de subdivision d'arme vers la gendarmerie départementale des gradés et gendarmes servant dans la gendarmerie mobile. 

Il invoquait en particulier le non respect des dispositions du CRPA réputant abrogées les instructions et circulaires qui n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret et en particulier l'article R. 312-7 de ce code prévoyant, d'une part, que les instructions ou circulaires qui n'ont pas été publiées sur l'un des supports prévus à cet effet ne sont pas applicables et que leurs auteurs ne peuvent s'en prévaloir à l'égard des administrés et d'autre part, qu'à défaut de publication dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées.

Toutefois, et c'est là un apport important de cette décision, ces dispositions ne sont pas applicables aux circulaires qui comportent des dispositions à caractère réglementaire.

Or la circulaire litigieuse a été prise par le ministre en sa qualité de chef de service et revêt un caractère réglementaire.

Enfin, pour faire bonne mesure, le Conseil d’État relève qu'en réalité la circulaire attaquée a été publiée, dans le délai prévu, sur le site internet relevant du Premier ministre mentionné à l'article R. 312-8 du CRPA.

Le recours est rejeté.

(25 novembre 2012, M. G., n° 450258)

 

Audiovisuel, informatique, fichiers et technologies numériques

 

6 - Création d’une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision – Autorisation sous réserve donnée par l'Autorité de la concurrence – Critiques sur l’appréciation erronée par cette Autorité de divers éléments (définition du marché pertinent, analyse concurrentielle, marché de distribution de services de télévision, commercialisation de données, insuffisance des engagements pris) – Rejet.

Les requérantes demandaient, pour l’essentiel, l’annulation de la décision du 12 août 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à la création d'une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision. Laissant de côté les moyens de légalité externe, peu utiles ici, c’est l’examen des moyens de légalité interne qui retient l’attention.

Ceux-ci sont très nombreux (la décision comporte près de 60 000 caractères : plus de vingt pages d’un précis Dalloz ou Thémis…) et sont tous rejetés. Ils se regroupent ainsi : l’existence d’une « entreprise commune », la délimitation des marchés pertinents, l’analyse concurrentielle et les engagements pris.

En premier lieu, étaient soulevées les questions de savoir si la création de Salto - nom de l’entité née du rapprochement des trois sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision -, en tant qu’entreprise commune constituait une concentration au sens du II de l’art. L. 430-1 du code commerce et si l’Autorité de la concurrence avait correctement exercé son contrôle. La réponse est positive à la première question, le Conseil d’État estimant que Salto dispose des moyens nécessaires à l’exercice d’activités et au fonctionnement autonomes. Sur la seconde question, il est répondu en deux temps : 1° l’Autorité de la concurrence était tenue ici, d’une part, de délimiter les marchés pertinents, ce qui englobe les produits ou services offerts par l'entreprise résultant de la concentration et ceux d'autres entreprises, et considérés comme suffisamment substituables principalement du point de vue de la demande pour exercer sur elle une pression concurrentielle significative, et d’autre part, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération sur ces marchés ainsi que d’apprécier si ces effets étaient de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte. 2° Cependant cette Autorité n’avait pas pour autant à analyser les effets de cette opération au regard des règles générales du droit de la concurrence et d’ailleurs une telle analyse ne s’imposait ni au regard des stipulations de l’art. 101 du TFUE ni à celui des art. L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce.

En deuxième lieu, s’agissant d’apprécier la correcte analyse par l’Autorité des marchés pertinents, le Conseil d’État était saisi de deux moyens.

Le premier moyen portait sur les marchés aval de la distribution de services de télévision, marchés sur lesquels se rencontrent distributeurs de services de télévision et téléspectateurs. Les quatre arguments développés par les requérantes sont rejetés : il n’y avait pas lieu pour l’Autorité de la concurrence de retenir une segmentation plus fine, ni non plus le marché de la distribution au détail de la télévision gratuite étant observé que la Commission européenne ayant renvoyé l’examen de ce dossier à l’Autorité de la concurrence cette dernière pouvait donc ne pas respecter complètement la pratique suivie en cette matière par la Commission ; cette Autorité n’avait pas davantage à segmenter le marché de la distribution de la télévision payante en fonction de la plateforme de distribution des chaînes, et à distinguer un marché spécifique de la distribution de télévision payante par l'intermédiaire d'Internet, en diffusion dite « over-the-top » (OTT). Ni non plus à délimiter un marché de la fourniture agrégée de contenus linéaires et non linéaires et de services associés audiovisuels en raison de la perméabilité croissante entre la télévision linéaire et non linéaire.

Le second moyen concernait les marchés relatifs à l'activité de commercialisation de données : il reprochait à l’Autorité de la concurrence d’avoir laissé ouverte la question de savoir si l'activité de Salto relative à la commercialisation de données de consommation de ses contenus audiovisuels devait être analysée dans le cadre d'un marché global des services de vente de données ou dans le cadre d'un marché spécifique de la commercialisation de données relatives à la consommation audiovisuelle. Toutefois, c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité a fait ce choix dans la mesure où il lui était apparu que les conclusions de l'analyse concurrentielle demeuraient inchangées que l'on retienne l'un ou l'autre solution. 

En troisième lieu, sont rejetés les arguments tendant à démontrer la défectuosité de l’analyse concurrentielle effectuée par l’Autorité de la concurrence.

Cette dernière n’avait ni à analyser la contribution de l'opération au progrès économique dès lors que la première phase d'examen de l'opération l’avait conduite à constater l'absence d'atteinte à la concurrence sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties, et à autoriser l'opération sans engager un examen approfondi.

Elle n’a pas, non plus commis d’erreur de droit dans la prise en compte du périmètre de l'activité de Salto et dans l’appréciation de son évolution prévisible, en relevant que l’actuelle réglementation relative à la chronologie des media était suffisante, en estimant que les marchés de l'acquisition des droits sportifs et des films de cinéma – dits œuvres originales en français - récents n'étaient pas affectés par l'opération et, enfin, en considérant que n’avait pas à être remise en cause l’affirmation selon laquelle Salto – notamment compte tenu de ses moyens financiers - ne prévoyait pas « l'exploitation de contenus sportifs dont la consommation se fait davantage en direct, i.e. via le linéaire et non via un service de SvoD ».

Sont pareillement rejetés les argumentaires relatifs : 1° au non-examen des effets verticaux découlant de la position forte des sociétés mères de Salto, en amont, sur le marché de l'acquisition de droits sportifs, et de la présence de Salto, en aval, sur le marché de la distribution de services de télévision ; 2° à l’absence d’exigence de précisions de la part de Salto concernant la commercialisation des données.

En quatrième lieu, s’agissant des engagements, le Conseil d’État juge très logiquement :

« 28. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. Les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche

29. S'il est soutenu que les engagements pris par les sociétés mères sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés au motif qu'ils seraient uniquement comportementaux et que des engagements structurels auraient été plus efficaces, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il appartient seulement à l'Autorité de la concurrence, pour apprécier si un engagement est pertinent et suffisant, de rechercher s'il est de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et à maintenir ainsi une concurrence suffisante, et s'il est suffisamment certain et mesurable. » Appliquant cette méthode d’analyse aux requêtes dont il était saisi le juge note qu’il en est bien ainsi concernant les engagements pris au titre 1° de la prévention des risques de coordination, 2° de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'acquisition des droits de diffusion – qu’il s’agisse des achats couplés entre droits linéaires et droits non linéaires par les mères, des achats par Salto de droits non linéaires auprès des sociétés mères ou de la levée des clauses de « holdback » et de l'exercice d'un droit de préemption et de priorité -, 3° de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'édition et de la commercialisation des chaines de télévision ou 4° de la prévention des effets congloméraux sur le marché de la distribution de services de télévision payante linéaire.

(8 novembre 2021, Société Free, n° 435984 ; Société Iliad, n° 439527)

 

7 - Fichier STARTRAC (ministère des finances) – Communication des informations relatives au demandeur – Compétence de la formation spécialisée du Conseil d’État – Absence pour les données n’intéressant pas la sûreté de l’État – Compétence des juridictions de droit commun – Office du juge saisi d'un recours relatif aux données recueillies dans un fichier non publié qui n'intéressent pas la sûreté de l'État – Arrêt avant-dire droit ordonnant le versement au dossier cde l’instruction écrite du décret portant création du fichier STARTRAC.

M. B. avait demandé au tribunal administratif, d’une part, d'annuler la décision, révélée par un courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de l'économie et des finances a refusé de lui communiquer les informations le concernant figurant dans le fichier STARTRAC, et d’autre part, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations ou, à titre subsidiaire, celles d'entre elles qui ne concerneraient pas la sûreté de l'État ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à leur communication au juge, hors procédure contradictoire. Par une ordonnance du 25 janvier 2016, la présidente du tribunal administratif a transmis la demande de M. B. à la formation spécialisée du Conseil d’État en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.

Le Conseil d’État a rejeté la requête en tant qu’elle concernerait, le cas échéant, des données intéressant la sûreté de l’État, et renvoyé au tribunal administratif celles des conclusions de cette requête qui n’intéresseraient pas la sûreté de l’État.

Le tribunal administratif a annulé la décision du ministre de l'économie et des finances refusant de communiquer à M. B. les informations autres que celles intéressant la sûreté de l'État le concernant dans le fichier STARTRAC, et lui a enjoint de les communiquer à M. B. dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Sur appel du ministre, la cour administrative d’appel, avant dire droit, a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et ordonné au ministre de verser au dossier de l'instruction écrite, hors contradictoire, les informations litigieuses, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois, l’un, émané de M. B., qui demande l’annulation de cet arrêt et qu’il soit fait droit à sa demande de première instance, l’autre, du ministre, qui sollicite l’annulation de ce même arrêt.

La décision est intéressante par les indications qu’elle contient sur deux points.

En premier lieu, le juge rappelle que la formation spécialisée du Conseil d’État statuant au contentieux n'est compétente, en ce qui concerne les litiges relatifs à l'accès indirect aux données recueillies dans le fichier STARTRAC, que pour celles de ces données qui intéressent la sûreté de l'État. Le tribunal administratif et la cour administrative d'appel restent compétents en première instance et en appel pour connaître des litiges relatifs à l'accès indirect aux données recueillies dans ce même fichier n'intéressant pas la sûreté de l'État. Il faut saluer cet effort de strict cantonnement du champ d’application d’une procédure fortement dérogatoire à la procédure contentieuse de droit commun.

En second lieu, un véritable modus operandi est donné par le Conseil d’État s’agissant de l'office du juge lorsqu’il est saisi – comme en l’espèce - d'un recours relatif aux données recueillies dans un fichier non publié qui n'intéressent pas la sûreté de l'État. Le juge y indique : « Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire et dans la limite des secrets qui lui sont opposables, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, le juge rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité, soit que les données à caractère personnel soient inexactes, incomplètes ou périmées, soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses. Il s'ensuit, dans pareil cas, que doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification. »

(10 novembre 2021, M. B., n° 444992 ; ministre de l’économie et des finances, n° 444998)

(8) V. aussi, largement comparable : 10 novembre 2021, ministre de l’économie et des finances, n° 444997.

 

9 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

La demande en référé tendant à voir suspendue l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence de procéder à l'instruction du dossier « Projet d'acquisition par Bouygues de Métropole Télévision », révélée par l'envoi qui leur a été fait du questionnaire « Test de marché - distributeurs de contenus audiovisuels » ainsi que de tout autre questionnaire qu'elle serait susceptible d'adresser dans le cadre de cette instruction ne constituant, en sa qualité de phase de « pré-notification » qu’un élément d’une procédure d’ensemble, revêt ainsi le caractère d’une mesure préparatoire laquelle ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ni, non plus, par voie de conséquence, d’un référé suspension.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

 

Biens

 

10 - Propriété privée – Propriété supportant un pylône électrique, surplombée par trois lignes électriques – Demande d’enlèvement – Servitude conventionnelle constituée avec l’accord des précédents propriétaires – Absence de publication de la servitude au livre foncier des départements alsaço-mosellans – Inopposabilité de la servitude – Annulation et renvoi.

La loi du 1er juin 1924 portant introduction de la législation civile dans les départements d’Alsace et de Moselle ayant fait partie de l’empire allemand de 1871 à 1918, dispose en son art. 38 : « Sont inscrits au livre foncier, aux fins d'opposabilité aux tiers, les droits suivants : (...) b) (...) les servitudes foncières établies par le fait de l'homme (...) » ; tandis que l’art. 38-1 de cette loi apporte cette précision que : « Dès le dépôt de la requête en inscription et sous réserve de leur inscription, les droits et restrictions visés à l'article 38 (...) sont opposables aux tiers qui ont des droits sur les immeubles et qui les ont fait inscrire régulièrement ».

Il se déduit de ces dispositions que, dans les départements d’Alsace-Moselle, les servitudes résultant des conventions régies par l’art. 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, alors même qu'elles ne sont que la concrétisation d’une servitude légale instituée par cette loi, constituent des « servitudes foncières établies par le fait de l'homme » au sens de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924. En conséquence, ces servitudes doivent être publiées au livre foncier pour pouvoir être opposées aux tiers qui ont des droits sur l'immeuble concerné, en particulier les nouveaux propriétaires de celui-ci.

C’est donc à la suite d’une erreur de droit que l’arrêt attaqué a jugé les servitudes en cause opposables aux intéressés alors même qu’elles n’avaient pas été publiées au livre foncier.

(5 novembre 2021, M. et Mme L., n° 441067)

 

11 - Société propriétaire d'un terrain classé par la suite en zone inconstructible par une carte communale - Demande d'indemnisation - Conditions d'appréciation de l'existence d'un préjudice - Erreur de droit - Annulation.

Une société se plaint de ce que les auteurs d'une carte communale, en classant le terrain dont elle est propriétaire en zone inconstructible, en ont réduit la valeur vénale. Pour rejeter sa prétention la cour administrative d'appel reproche à la requérante de ne pas justifier avoir supporté une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par les auteurs de la carte communale.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit cet arrêt. En effet, il incombait seulement à la cour de rechercher si et dans quelle mesure, au regard des possibilités de construction préexistantes à l'entrée en vigueur de la carte communale dont se prévalait la société, compte tenu de la caducité du plan d'occupation des sols au 1er janvier 2016 et de la règle de surface minimale de constructibilité qu'il prévoyait, le classement de la parcelle litigieuse en zone inconstructible par la carte communale avait eu pour effet d'en réduire la valeur vénale.

(19 novembre 2021, Société Le Coin du Feu, n° 442689)

(12) V. aussi, sur un autre aspect du litige : 19 novembre 2021, Société Le Coin du Feu, n° 442688.

 

Collectivités territoriales

 

13 - Nouvelle-Calédonie – Troisième référendum en vue de l’accession de ce territoire à la souveraineté – Conditions de la consultation du gouvernement néo-calédonien – Expédition des affaires courantes - Absence de président élu du gouvernement – Circonstance n’entachant pas d’irrégularité le décret subséquemment pris – Rejet.

Divers textes, dont les accords de Nouméa constitutionnalisés et la loi organique du 19 mars 1999, ont prévu l’organisation d’un référendum sur l’accession de ce territoire ultra-marin à la « pleine (sic) souveraineté » et, en cas d’échec d’icelui, l’organisation, à certaines conditions, d’un deuxième puis d’un troisième référendum. Après l’échec du deuxième référendum il a été décidé d’en organiser un troisième pour lequel, comme pour les précédents, étaient nécessaires la consultation du gouvernement et celle du congrès de Nouvelle-Calédonie.

Le décret du 22 juin 2021, pris en vue du troisième référendum, l’a été après consultation d’un gouvernement n’avait pas encore désigné son président, d’où un recours pour contester la régularité de cette consultation. Le Conseil d’État estime que l’absence d’entrée en fonction de ce gouvernement n’entachait pas sa consultation et rejette de ce chef le recours.

La solution est bien surprenante.

En vue d’assurer la continuité de l’action publique et pour en éviter toute solution, il est recouru, en cas de besoin, spécialement en cas de gouvernement démissionnaire, à la théorie de l’expédition des affaires courantes (Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Rec. p. 210 ; Sir. 1952.3.49, concl. J. Delvolvé) dont le Conseil d’État donne une interprétation très large, estimant, par exemple, de façon assez surprenante, qu’un gouvernement démissionnaire pouvait proposait au chef de l’État l’organisation du référendum constituant créant l’élection directe du président de la république au suffrage universel. Ici la situation n’est pas la même cependant. Le Conseil d’État aurait pu exiger que fût consulté le gouvernement formé antérieurement aux élections, celui-ci, en effet, expédiant les affaires courantes, demeurait en fonctions jusqu’à la constitution du gouvernement suivant. Ce n’est cependant pas ce que le Conseil d’État a fait en l’espèce, il a jugé régulière la consultation d’un gouvernement incomplet et pas faiblement incomplet mais carrément étêté puisque sans chef et donc incapable de fonctionner.

La solution est très critiquable.

(10 novembre 2021, M. M., n° 456139)

 

Contrats

 

14 - Marché sur procédure adaptée – Huissiers candidats à un marché portant sur la phase amiable pour le recouvrement des créances prises en charge par les comptables de la direction générale des finances publiques d’un département – Candidats évincés – Recours contre l’attribution du marché et demande de réparations - Invocation du non-respect du code de commerce – Rejet.

La candidature d’une société d’huissiers à l’attribution d’un marché portant sur la phase amiable pour le recouvrement des créances prises en charge par les comptables de la direction générale des finances publiques d’un département n’ayant pas été retenue celle-ci a demandé l’annulation de la procédure d’attribution à une autre société d’huissiers ainsi qu’une indemnisation du chef d’avoir été irrégulièrement évincé. La juridiction d’appel, après annulation du jugement de rejet de la réclamation indemnitaire, a alloué une certaine somme à la société d’huissiers requérante. Le ministre des finances se pourvoit et obtient gain de cause.

Pour juger irrégulière l’attribution du marché litigieuse et accueillir, en conséquence, en partie, la demande indemnitaire, la cour administrative d’appel avait jugé que la procédure suivie pour cette attribution n’avait pas été régulière. En effet, n’avait pas été respectée l’obligation d’immatriculation au registre (prévue par les dispositions combinées de l’art. L. 123-9 et de l’art. L. 251-8 du code de commerce) d’une société ayant adhéré au GIE attributaire du marché litigieux. L’arrêt est cassé pour erreur de droit en tant qu’il a fait droit à la demande indemnitaire dont il était saisi car il résulte des termes mêmes de l’art. 123-9 que : « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre. (...) ». Il suit de là que l’administration pouvait retenir la candidature du GIE dès lors que le défaut d’immatriculation au registre ne lui était pas opposable.

(5 novembre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 44625)

 

15 - Convention de financement et de réalisation d’un tronçon de ligne ferroviaire à grande vitesse – Suspension des versements au titre de cette convention par plusieurs collectivités territoriales – Procédure de recouvrement des sommes dues – Notion de résolution amiable d’un différend – Compétence des collectivités publiques pour s’engager – Invocation d’un défaut de cause à la conclusion de la convention puis de sa disparition en cours d’exécution – Vices du consentement allégués – Rejet.

En vue de la réalisation et du financement du tronçon central Tours-Bordeaux de la ligne ferroviaire à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, a été conclue une convention quadripartite entre l’État, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, Réseau ferré de France et diverses collectivités territoriales des communautés d’agglomération. Aux termes de cette convention, était prévu le financement par ces dernières du tronçon central. Par la suite, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) requérants ont suspendu leurs versements, conduisant SNCF Réseau, après une tentative amiable, à saisir le juge administratif du litige. Le tribunal administratif, confirmé par la juridiction d’appel, a, par trois jugements, condamné ces EPCI à verser certaines sommes à la demanderesse.

Trois communautés d’agglomération se pourvoient contre ces jugements et arrêts. Leurs pourvois sont rejetés.

Quatre moyens étaient développés au soutien des pourvois.

En premier lieu, il était soutenu que la demande en justice de SNCF Réseau était irrecevable car la convention prévoyait que le juge ne pouvait être saisi qu’à défaut d’accord amiable et que tel n’était pas le cas en l’espèce. L’argument est rejeté car, avant de saisir le juge, le directeur du projet avait indiqué aux intéressées leur non règlement de plusieurs appels de fonds, les avait invitées à régulariser leur situation et précisé qu’à défaut de l’avoir fait avant une certaine date une procédure juridictionnelle serait engagée.

En deuxième lieu, les collectivités excipaient de la nullité de la convention litigieuse en raison de leur incompétence pour la conclure. Confirmant les juges du fond, le Conseil d’État estime que les avantages susceptibles d’être retirés par ces collectivités du fait de la réalisation de ce tronçon ferroviaire (accessibilité et attractivité accrues des territoires, contribution à leur développement économique) entraient pleinement dans le champ de compétence des signataires.

En troisième lieu, les EPCI invoquaient la théorie de la cause à la fois en raison de l’absence de cause lors de la signature de la convention litigieuse et du fait de sa disparition en cours d’exécution de la convention.

Cette argumentation témoigne de la vigueur de la cause dans le contrat administratif (cf. L’excellente thèse de F. Lombard, La cause dans le contrat administratif, Dalloz, Nouv. Biblio. des thèses, 2008) en dépit de la disparition du mot (sinon de la chose) depuis la réforme du droit civil des obligations de février 2016 ; la mention du Code civil dans les visas de cette décision ne manque d’ailleurs pas de sel sur ce point. Confirmant l’arrêt d’appel, il est jugé que l’engagement pris par les collectivités en signant la convention trouvait sa cause dans la réalisation de ce seul tronçon Tours-Bordeaux de la ligne Sud-Europe-Atlantique.

Par ailleurs, parce que la cause de l’engagement de ces collectivités se trouvait seulement dans la réalisation dudit tronçon, celles-ci ne sauraient soutenir que l’abandon de la branche France-Espagne aurait provoqué la disparition de la cause dans le cours de l’exécution du contrat.

En dernier lieu, enfin, est rejeté le moyen tiré d’un vice du consentement des collectivités à la convention par suite d’une erreur car la signature de la convention par l'ensemble des signataires pressentis n'avait pas constitué un élément déterminant de leur consentement, et ni la convention ni le protocole ne comportaient d'engagement à leur égard de réaliser la branche Bordeaux-Espagne : ainsi la cour n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que les collectivités n'avaient été induites en erreur ni sur l'étendue des obligations de leurs cocontractants ni sur l'objet de la convention de financement.

(9 novembre 2021, Communauté d’agglomération du Pays Basque, n° 438388 ; Communauté d’agglomération du Grand Montauban, n° 438389 ; Communauté d’agglomération « Mont-de-Marsan Agglomération », n° 438408, jonction)

 

16 - Marché public de travaux – Recherche de la responsabilité quasi-délictuelle de participants à l’opération – Condition – Annulation.

On retiendra en particulier de cette décision le rappel d’une solution bien établie selon laquelle le titulaire d’un marché de travaux publics, s’il peut rechercher la responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage ou d’autres participants à l’opération auxquels il est lié par contrat, peut aussi rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à cette opération avec lesquels il n’est lié par aucun contrat de droit privé.

(10 novembre 2021, Société Entreprise Jean Spada, n° 448580)

 

17 - Marchés publics de travaux – Cahier des clauses administratives générales (CCAG) – Mise en demeure de remettre le décompte général et définitif du marché – Existence de nombreuses et substantielles réserves – Mise en demeure prématurée – Erreur de droit – Annulation.

Une cour d’appel avait jugé qu’en raison de réserves nombreuses et substantielles émises par le pouvoir adjudicateur, la mise en demeure à lui adressée d’établir le décompte général et définitif afférent à un lot d’un marché public de travaux dont la requérante était titulaire, était prématurée. Ainsi, c’était à bon droit que la commune avait sursis à l’établissement du décompte.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit car il résulte des dispositions du CCAG (art. 41.3, 41.5 et 41.6, art. 50.1.1, art. 13.3.1, 13.3.2 et 13.4.2), en vigueur en 2009, qu’une mise en demeure - quelle que soit l’importance des réserves émises -  ne peut être dite prématurée que dans l’un des trois cas suivants : la mise en demeure intervient avant l'expiration du délai de quarante jours stipulé à l’art. 13.4.2 ou si la remise au maître d'œuvre du projet de décompte final par le titulaire, qui constitue le point de départ de ce délai, est elle-même intervenue avant la notification de la décision de réception des travaux prononcée en application des articles 41.3 ou 41.6 ou avant la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux dans le cas d'une réception prononcée en application de l'article 41.5. 

Aucun de ces trois cas ne se présentait en l'espèce, d'où la cassation prononcée.

(10 novembre 2021, Société Soludec France (ex-société Soludec, n° 449395)

 

18 - Convention de concession de stationnement urbain – Résiliation anticipée pour motif d’intérêt général – Indemnisation – Stipulations contractuelles fixant le calcul des droits à indemnisation – Application sous réserve de disproportion manifeste entre le montant de l’indemnité et l’étendue du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La ville de Sète a résilié par anticipation pour motif d’intérêt général la convention de concession de stationnement urbain la liant à une société. Le litige portait sur le calcul de l’indemnisation due au concessionnaire. Le contrat de concession avait fixé les éléments de calcul de cette indemnisation en cas de résiliation anticipée pour motif d’intérêt général mais les parties n’étaient pas d’accord entre elles sur leur application, d’où un contentieux parvenu jusqu’au Conseil d’État.

Celui-ci rappelle que la légalité des dispositions contractuelles fixant les droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général est subordonnée à l’absence, au détriment de la personne publique, d’une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi.

Par ailleurs l’essentiel de l’indemnisation portant sur la partie non amortie des biens de retour, elle est soumise, dans le cas des contrats de concession, aux règles suivantes. Soit l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, l’indemnité due au concessionnaire est en ce cas égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Soit la durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est alors égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

Si la stipulation du contrat de concession prévoyant l’indemnisation due en cas de résiliation anticipée dans l’intérêt général elle peut déroger à ces principes, c’est sous réserve que l'indemnité mise à la charge de la personne publique ne puisse, en toute hypothèse, excéder le montant calculé selon l’une des deux modalités ci-dessus.

En outre, il est évidemment exclu qu'une telle dérogation, permettant de ne pas indemniser ou de n'indemniser que partiellement les biens de retour non amortis, puisse être prévue par le contrat lorsque le concessionnaire est une personne publique.

En l’espèce, l’arrêt d’appel est censuré pour avoir jugé, au prix d’une erreur de droit, que la circonstance que le montant de la part de l'indemnité versée au titre du capital restant dû, tel qu'il résultait de l'application des clauses du contrat, serait supérieur à la valeur non amortie des biens de retour n'était pas de nature, à elle seule, à faire obstacle à l'application de l'article 43 de la convention, alors qu’au titre de son office il lui incombait de vérifier – et au besoin de les écarter - que les stipulations contractuelles permettaient d'assurer au concessionnaire l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans les conditions qui viennent d’être rappelées.

(10 novembre 2021, Commune de Sète, n° 449985)

 

19 - Marché à bons de commande - Lot portant sur certains travaux d'entretien et de démolition - Incendie survenu sur un monument historique en cours de travaux - Conditions de la subrogation de l'assureur - Notion d'entretien normal de l'ouvrage endommagé - Effet d'un engagement conjoint et solidaire - Abattement pour vétusté en cas de responsabilité contractuelle ou décennale - Rejet.

Cette décision aborde, parfois en innovant, plusieurs questions fréquentes du droit de la responsabilité contractuelle.

La ville de Reims a attribué à un groupement d'entreprises solidaires le lot n° 1 d'un marché à bons de commande ayant pour objet la réalisation " de travaux d'entretien et travaux de démolition sur le patrimoine autre que scolaire et sportif ". En exécution de ce marché, la société Astier Victor est intervenue le 18 avril 2012 pour effectuer des travaux de zinguerie sur le toit de la basilique Sainte-Clotilde, nécessitant l'usage d'un chalumeau. Une heure après le début des travaux, un incendie s'est déclaré au niveau de la toiture où intervenait l'entreprise Astier Victor, avant de se propager aux dômes nord de la basilique. Un contentieux s'en est suivi.

Le tribunal administratif a condamné, d'une part, solidairement les sociétés Gayet, Vitoux et Astier Victor, membres du groupement d'entreprises solidaires attributaires du lot n° 1, à verser à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), assureur de la ville de Reims, en sa qualité de subrogée dans les droits de cette collectivité, une certaine somme en réparation des préjudices subis du fait de cet incendie, d'autre part, la société Astier Victor à garantir la société Gayet et la société Vitoux de la totalité de cette condamnation.

La cour administrative d'appel a rejeté les requêtes des sociétés Astier Victor, Vitoux, Groupama Grand Est, assureur de la société Vitoux, et Gayet tendant à l'annulation de ce jugement et la requête de la société Astier Victor tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution.

Un pourvoi principal est formé par les sociétés Vitoux et Groupama, et un pourvoi provoqué, par la société Gayet.

En premier lieu, était soulevé un moyen tiré de ce que la société SMACL n'avait pas produit la police d'assurance en exécution de laquelle elle a indemnisé la ville de Reims alors qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 121-12 du code des assurances que l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par ces dispositions législatives doit justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré. En outre, l'assureur n'est fondé à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de son assuré que si l'indemnité a été versée en exécution d'un contrat d'assurance. Ainsi donc, la SMACL n'aurait pas été fondée à exercer  son droit de subrogation à son assurée.

La cour a jugé qu'à défaut de production de la police d'assurance en exécution de laquelle la SMACL a indemnisé la ville de Reims, les éléments concernant cette police et notamment les événements garantis ainsi que les modalités d'indemnisation en cas de sinistre ont été mentionnés dans le rapport d'expertise établi le 10 février 2014 par le cabinet Eurexo, à la demande de la SMACL. La cour en a déduit que la SMACL avait satisfait à l'obligation lui incombant. Ceci est approuvé par le Conseil d’État car la cour pouvait, sans erreur de droit, se fonder sur l'ensemble des éléments du dossier pour vérifier que l'indemnité avait bien été versée en exécution du contrat d'assurance.

En deuxième lieu, l'entreprise intervenue sur le toit de la basilique soutenait, pour tenter d'échapper à sa responsabilité, que la ville de Reims, propriétaire de l'édifice, ne l'avait pas entretenu normalement et que la présence de branchages, fientes d'oiseaux et poussières sur la surface des dômes de la cathédrale avait pu constituer un terrain propice au développement de l'incendie. L'argument est, à bon droit selon le Conseil d’État, rejeté par la cour car cette présence était habituelle sur ce type de monuments, elle était donc visible et prévisible pour l'entreprise chargée des travaux de zinguerie sur la toiture, ce qui exonérait la ville de toute responsabilité.

En troisième lieu, la cour est approuvée d'avoir jugé qu'en l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui se sont engagées conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction s'obligent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais également à réparer le préjudice subi par le maître de l'ouvrage du fait de manquements dans l'exécution de leurs obligations contractuelles. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu'il n'a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux. C'est sans erreur de droit qu'en conséquence elle a condamné les trois entreprises à indemniser la SMACL solidairement à raison du sinistre engageant la responsabilité de leur groupement, alors même que les pièces contractuelles faisaient état d'une répartition géographique et matérielle des tâches au sein de ce groupement.

Enfin, en quatrième lieu, se posait la question de savoir si la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus lors de travaux sur ce bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres. Le Conseil d’État répond que, saisi d'une demande en ce sens, il incombe au juge de rechercher si, eu égard aux circonstances de l'espèce, les travaux de reprise sont de nature à apporter une plus-value à l'ouvrage, compte tenu de la nature et des caractéristiques de l'ouvrage ainsi que de l'usage qui en est fait. En l'espèce, c'est sans erreur de droit que la cour a pris en considération le caractère historique du bâtiment pour apprécier s'il y avait lieu d'appliquer un coefficient de vétusté au montant de l'indemnité due au titre des travaux de réfection de la toiture de la basilique Saint-Clothilde.

Le rejet du pourvoi principal entraîne mécaniquement, celui du pourvoi provoqué.

(25 novembre 2021, Sociétés Vitoux et Groupama Nord Est, Société Gayet, n° 442977)

 

20 - Acte d'engagement - Construction par une commune d'une école maternelle et primaire - Action en responsabilité contractuelle contre la maîtrise d'oeuvre - Prescription de l'action (art. 2224 c. civ.) - Droit transitoire - Rejet.

Suite à des malfaçons dans la réalisation de certains travaux de construction d'une école maternelle et primaire, la commune maître de l'ouvrage, après mise en demeure du 26 juillet 2007, a ordonné à une société titulaire du lot n° 3, par acte d'engagement du 31 mai 2006, d'effectuer les travaux de reprise permettant d'assurer l'étanchéité de la toiture du bâtiment en construction. Par suite du refus de cette société d'exécuter les travaux demandés, le maître d'ouvrage a engagé la procédure de mise en régie partielle, confié la réalisation des travaux conservatoires à une autre société et a saisi le juge des référés en vue que soit diligentée une expertise à fin de constatation des désordres. L'expertise a été ordonnée le 21 mai 2008 et le rapport définitif d'expertise a été remis le 3 mars 2011. Le tribunal administratif a procédé à un certain nombre de condamnations pécuniaires de la maîtrise d'oeuvre et de la société titulaire du lot n° 3 au titre des désordres ainsi qu'au titre des honoraires et frais d'expertise. La cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les appels incident et provoqués de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

La cour a estimé que l'action contentieuse de la commune tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle des constructeurs était prescrite en raison des dispositions de l'art. 2224 du Code civil résultant de la loi du 17 juillet 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Selon ce texte : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Elle a en effet jugé que cette action était soumise à une prescription de cinq ans et que si elle avait été interrompue par la demande de la commune adressée au juge des référés afin qu'il ordonne une expertise, elle avait recommencé à courir à compter de l'ordonnance décidant cette mesure et n'avait pas été suspendue pendant la durée des opérations d'expertise. 

Le Conseil d’État approuve la solution. Il juge que, dans sa version antérieure à la loi du 17 juillet 2008, applicable aux faits de l'espèce, l'art. 2224 du Code civil disposant que : « Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir », il s'ensuit que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise n'interrompt le délai de prescription que pendant la durée de l'instance à laquelle il est mis fin par l'ordonnance désignant l'expert. Ainsi, en jugeant que l'interruption de la prescription de l'action de la commune de Mouvaux résultant de la demande qu'elle avait adressée au juge des référés d'ordonner une expertise avait pris fin le 21 mai 2008, date à laquelle le juge a ordonné l'expertise, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

Par ailleurs, il résulte des dispositions transitoires de l'art. 26 de la loi du 17 juillet 2008 que la suspension qu'elle institue du délai de prescription jusqu'à l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée, ne s'applique qu'aux mesures d'instruction, telles les expertises, ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi qui l'a instituée. Par suite, en jugeant que ces dispositions n'étaient pas applicables à l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille le 21 mai 2008, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas non plus commis d'erreur de droit. 

(25 novembre 2021, Commune de Mouvaux, n° 449575)

 

21 - Attribution d'un contrat de concession de services - Saisine du juge du référé précontractuel - Utilisation de documents couverts par le secret des affaires - Absence d'effets sur la régularité de l'ordonnance de référé - Rejet.

Saisi par une société concurrente, le juge du référé précontractuel a annulé la procédure de passation du contrat de concession de services pour l'exploitation du terminal « multivrac » du Grand port maritime du Havre. La société requérante, bénéficiaire dudit contrat, se pourvoit en cassation.

Parmi les moyens soulevés, l'un retient particulièrement l'attention. Il est fondé sur ce que l'ordonnance de référé annulant l'ensemble de la procédure de conclusion du contrat serait irrégulière en raison de ce qu'elle est fondée sur des pièces communiquées par la société demanderesse en première instance en violation du secret des affaires.

Le Conseil d’État rejette le grief car, dès lors que les pièces en question ont pu être discutées au contradictoire des parties, l'existence d'un secret n'entache l'ordonnance attaquée ni d'irrégularité ni d'erreur de droit. La solution peut sembler audacieuse mais elle tente une balance équitable entre respect du secret et droit au juge.

(25 novembre 2021, Société Lorany Conseils, n° 449643)

 

22 - Appel d'offres ouvert - Accord-cadre sur bons de commande pour la création d'un réseau régional à très haut débit - Candidature évincée - Principe d'impartialité de l'administration active - Méconnaissance - Vice d'une particulière gravité - Annulation du contrat - Indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat - Rejet.

Un recours a été formé par une société évincée de la procédure de conclusion d'un marché entre la collectivité de Corse et une autre société portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse. Elle demandait au tribunal administratif l'annulation du marché, la condamnation de la collectivité de Corse à réparer les préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, l'allocation d'une somme de 8000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre, majorés des intérêts au taux légal.

Cette demande, rejetée en première instance, ayant été accueillie en appel, la collectivité publique se pourvoit.

Le point central du litige était constitué par l'application à l'espèce du principe d'impartialité de l'administration active.

Le juge d'appel a relevé que le règlement de consultation du marché avait désigné comme « technicien en charge du dossier », une personne chargée notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats. Or celle-ci a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société attributaire du marché immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l'attribution du marché. En outre, le procès-verbal d'ouverture des plis mentionne que les plis ont été remis à cette personne « en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ».

La cour a également relevé que si elle n'était pas l'un des cadres dirigeants de la société attributaire du marché, cette personne occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de cette société et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché.

Elle en a déduit qu'eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à celle-ci au sein de la société attributaire puis au sein des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu'elle n'a pas signé le rapport d'analyse des offres, sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société précitée et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse.

Entérinant cette analyse, le Conseil d’État juge qu'elle n'est entachée ni de qualification inexacte des faits ni d'erreur de droit.

Par ailleurs, c'est à bon droit qu'elle a en conséquence jugé que cette méconnaissance du principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.

Par ailleurs, s'agissant de l'indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat, l'arrêt est confirmé en cassation. Compte tenu que la société évincée était la seule concurrente de la société attributaire, que l'écart des notes attribuées à l'une et à l'autre n'est pas très important et eu égard aux qualités concurrentielles de son offre, la société évincée avait des chances sérieuses d'obtenir le marché, d'où son droit à être indemnisée de son éviction de la procédure.

(25 novembre 2021, Collectivité de Corse, n° 454466)

 

Droit du contentieux administratif

 

23 - Référé suspension – Réforme concernant un examen professionnel – Défaut d’urgence révélé par la mise en balance des intérêts – Rejet.

Les requérantes demandaient par voie de référé la suspension de l’exécution du décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles, en ce qu'il supprime, pour les élèves inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, la possibilité de candidater au diplôme du certificat d'aptitude professionnelle.

Pour rejeter la requête le juge des référés retient le défaut d’urgence, l’une des deux conditions indispensables pour le succès d’un recours en référé suspension. Pour cela, il procède à une « mise en balance de l'ensemble des intérêts » en présence.

D’un côté, il est exact que le décret litigieux supprime la possibilité pour les élèves préparant le baccalauréat professionnel de candidater au certificat d'aptitude professionnelle, ce qui a pour effet d'interdire aux élèves actuellement inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel de participer à la session 2022 du certificat d'aptitude professionnelle. Or il y a urgence, d’une part, car la clôture des inscriptions à la session 2022 du certificat d'aptitude professionnelle, doit intervenir à brève échéance, entre mi-novembre et mi-décembre 2021 selon les académies et, d’autre part,  car les élèves actuellement inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, qui s'étaient engagés dans le cycle de préparation au baccalauréat avant la publication du décret, en comptant sur la possibilité d'obtenir également le certificat d'aptitude professionnelle pour s'orienter, le cas échéant, vers une formation en alternance ne pourront plus le faire. 

Mais, d’un autre côté, si la suspension demandée était accordée cela entraînerait une réorganisation de la formation des élèves engagés dans le cycle de préparation au baccalauréat professionnel, pour les préparer également aux examens du certificat d'aptitude professionnelle et organiser les évaluations certificatives requises, alors que l'entrée en vigueur du décret contesté le 1er janvier 2021 a d'ores et déjà conduit à réformer les programmes de préparation au baccalauréat professionnel. Les inconvénients qui résulteraient de cette solution pour le bon déroulement de l'année en cours et de l'intérêt général qui s'attache à la continuité des enseignements dispensés à l'ensemble des élèves actuellement en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, conduisent à considérer non remplie la condition d’urgence au terme d’une « mise en balance des intérêts ».

La solution est limite mais tient compte d’éléments de fait contradictoires.

(ord. réf. 2 novembre 2021, Confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA) et autres, n° 457559)

 

24 - Principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Assignation à résidence - Communication de l’unique mémoire en défense du préfet le jour de la clôture de l’instruction – Refus de tenir compte du mémoire en réplique et absence de réouverture de l’instruction – Annulation.

Ne respecte pas le caractère contradictoire de la procédure contentieuse et doit en conséquence être annulée la partie d’un arrêt de cour administrative d’appel relative à une demande d’annulation d’une décision d’assignation à résidence dès lors que la cour ayant fixé la clôture de l’instruction au 6 mai 2019 à 12 heures, l'unique mémoire en défense du préfet, enregistré au greffe de la cour le 3 mai 2019, ayant été communiqué au requérant le jour même de la clôture et mis à sa disposition le lendemain, elle a statué au vu de ce mémoire en défense sans que l'instruction ait été rouverte et en refusant de tenir compte du mémoire en réplique du requérant, alors qu'il comportait des éléments nouveaux.

(4 novembre 2021, M. B., n° 443138)

 

25 - Forclusion – Recours enregistré plus de deux mois après notification de la décision attaquée – Erreur de fait sur la date – Annulation.

Doit être annulé pour erreur de fait l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile qui rejette comme tardif un recours dirigé contre une décision de l’OFPRA du 10 janvier 2020 et enregistré au greffe de la cour le 20 mai 2020 alors qu’en réalité l’OFPRA a pris sa décision le 26 février 2020 et l’a notifiée à l’intéressée le 15 mai 2020.

(4 novembre 2021, Mme C., n° 445466)

 

26 - Recours contre un permis de construire – Cas où l’appel est porté devant la cour administrative d’appel – Exception de l’art. R. 811-1-1 CJA inapplicable en l’espèce – Renvoi de l’appel à la cour.

Si l’art. R. 811-1-1 du CJA décide que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort « sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application, à l'exception des permis afférents aux opérations d'urbanisme et d'aménagement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l'article R. 311-2 », c’est la voie d’appel de droit commun qui doit  être utilisée en cas de recours – comme en l’espèce – contre un jugement relatif à un projet portant sur l'extension et la surélévation d'une maison à usage d'habitation afin de permettre au pétitionnaire d'y loger avec sa famille, et qu'aucun nouveau logement n'est créé.

Renvoi à la cour est ordonné.

(4 novembre 2021, M. et Mme F., n° 450169)

 

27 - Référé de l’art. L. 521-3 CJA – Projet de concentration entre deux chaînes de télévision - Injonction à l’Autorité de la concurrence – Référé tendant non à la communication de pièces en vue de former un recours mais à voir engager un débat sur la compétence d’une autorité administrative – Rejet.

Les sociétés requérant demandaient au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de leur communiquer, dans un délai de quarante-huit heures, la décision par laquelle elle a admis sa compétence pour instruire le projet de concentration entre les groupes TF1 et M6 ou, le cas échéant, la décision par laquelle la Commission européenne aurait décliné sa propre compétence en sa faveur ou, à tout le moins, l'exposé des raisons de droit et de fait justifiant qu'elle s'estime compétente pour connaître de cette opération de concentration.

Les requérantes justifient leurs demandes en référé par le fait qu'elles entendent engager un recours devant le Conseil d’État afin de contester la compétence de l'Autorité de la concurrence pour autoriser cette opération.

Il ressort des termes mêmes de leur demande que les requérantes recherchent, par ce référé de l’art. L. 523-1 CJA, non la communication de pièces nécessaires à la formation d’un recours contentieux mais en réalité l’ouverture devant le juge des référés d’un débat sur la compétence de l’Autorité de la concurrence, débat et communication de pièces qui, d’évidence, ne peuvent relever que de la juridiction saisie d’un recours au fond.

(5 novembre 2021, Société Free et société Iliad, n° 457924)

 

28 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

V. n° 135

 

29 - Intérêt pour agir en matière de retenue à la source – Responsable du paiement de la retenue à la source – Personne non établie en France effectuant les paiements sur le montant desquels est assise la retenue à la source - Rejet.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453022)

V n° 63

 

30 - Action en reconnaissance de droits formée par une association de consommateurs – Pétition transmise à une autorité incompétente – Non-transmission à l’autorité compétente – Naissance d’une décision implicite de rejet ou non – Interruption ou non des délais de prescription et de forclusion applicables – Avis de droit.

Cette décision est importante en ce qu’elle précise et clarifie certains aspects du régime contentieux des actions en reconnaissance de droits.

En l’espèce, la cour administrative d’appel de Nancy était saisie d’un appel du ministre des finances dirigé contre un jugement qui avait fait droit à la demande d’une association locale de consommateurs tendant à ce que le droit de bénéficier, sur leur demande, de la décharge du montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à leur charge au titre de l'année 2018 soit reconnu aux contribuables de la métropole du Grand Nancy. La cour pose deux questions principales.

Tout d’abord il convenait de savoir si, lorsque la pétition a été présentée à une autorité administrative incompétente et quand celle-ci ne l’a pas transmise à l’autorité compétente, il peut naître cependant une décision implicite de rejet qui, permettant de lier le contentieux, rend recevable l’action en reconnaissance de droits.

La réponse est évidemment positive car l’action en reconnaissance de droits a la nature d'une réclamation, au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration et, par suite, d'une demande, au sens de l'article L. 114-2 du même code. Comme il n’existe sur ce point aucune disposition dérogatoire, c’est le droit commun qui doit être appliqué : l’autorité saisie incompétemment doit transmettre la pétition à celle qui est compétente et cette dernière est réputée l'avoir rejetée au terme d'un silence de quatre mois gardé par elle à compter de la saisine de l'autorité incompétente, y compris dans l'hypothèse où l'autorité incompétente a notifié au demandeur, avant le terme de ce délai, une décision de rejet motivée. Cette décision implicite de rejet est de nature à lier le contentieux et à rendre recevable la saisine du juge administratif par l'auteur de l'action en reconnaissance de droits.

Ensuite, il était demandé en cas de réponse positive à la première question – ce qui est le cas -, si, dans ces conditions, cette demande adressée à une autorité incompétente est susceptible d'interrompre (cf. art. L. 77-12-2 du CJA) les délais de prescription et de forclusion opposables aux personnes susceptibles de se prévaloir des droits dont la reconnaissance est demandée et, en particulier, d'interrompre les délais de réclamation et de recours prévus par le livre des procédures fiscales.

Le Conseil d’État apporte une réponse claire et très simplificatrice fort bien venue : lorsqu'une demande en reconnaissance de droits est introduite par l'envoi d'une réclamation préalable à une autorité administrative incompétente, les délais de prescription et de forclusion opposables aux personnes susceptibles de se prévaloir des droits dont la reconnaissance est demandée, et ce y compris les délais de réclamation et recours prévus par le livre des procédures fiscales, sont interrompus à la date de cette réclamation.

En adoptant une position doublement libérale, le juge est dans la droite lignée de l’intention du législateur lorsqu’il a créé cette voie de droit, au demeurant trop peu utilisée semble-t-il.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 454125)

 

31 - Pourvoi en cassation sans le ministère d’un avocat aux Conseils - Formation d’un second pourvoi par le ministère d’un tel avocat - Ordonnance refusant d’admettre le premier pourvoi pour défaut de ministère d’avocat – Recours en rectification d’erreur matérielle contre cette ordonnance – Irrecevabilité.

Le requérant avait formé le 10 février 2021 un pourvoi en cassation sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État alors que la décision attaquée mentionnait le caractère obligatoire d’un tel avocat. Le 1er mars 2021 il forme un second pourvoi avec constitution d’avocat. Le 16 avril 2021 est rendue une ordonnance refusant d’admettre le premier pourvoi pour défaut de constitution d’avocat.

Le requérant saisit alors le Conseil d’État d’un recours en rectification d’erreur matérielle qui ne pouvait qu’être rejeté pour irrecevabilité, le second pourvoi, régulier, n’a ni pour objet ni pour effet de régulariser le premier qui était présenté de manière défectueuse.

(18 novembre 2021, M. C., n° 452723)

 

32 - Compétence juridictionnelle - Interprétation d'un acte réglementaire par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) - Action en réparation du préjudice causé par cette interprétation - Compétence du juge administratif - Litige portant sur le montant de diverses cotisations sociales - Compétence judiciaire - Rejet.

Le Conseil d’État adopte ici une solution complexe et obscure.

La requérante avait demandé la réparation du préjudice que lui aurait causé l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) du fait de l'interprétation illégale donnée par elle, notamment dans sa lettre collective n° 2004-46 du 2 mars 2004, de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. Le tribunal administratif puis le juge unique d'appel ont rejeté ce recours pour saisine d'un ordre de juridction incompétent.

Le Conseil, tout d'abord, accueille le pourvoi contre l'arrêt d'appel : Les actes par lesquels l'ACOSS indique l'interprétation qu'il convient de retenir des dispositions législatives et réglementaires relatives aux cotisations et contributions dont les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales et les caisses générales de sécurité sociale assurent le recouvrement ont la nature d'actes administratifs. Le contentieux de la responsabilité du fait des préjudices causés par cette interprétation relève par nature de la juridiction administrative, alors même que les contentieux individuels auxquels donne lieu le recouvrement des cotisations et contributions mentionnés à l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire en application de l'article L. 142-8 du même code.

Ensuite, le Conseil d’État, constatant que la demanderesse ne sollicite que la réparation du préjudice correspondant au montant de diverses cotisations sociales qu'elle a indûment acquittées en conséquence de l'illégalité de l'interprétation que l'agence a donnée de l'arrêté du 20 décembre 2002, juge que ces conclusions ayant le même objet que des conclusions tendant à la contestation du montant de ces cotisations, elles ne relèvent, par suite de l'existence d'une voie de recours devant les juridictions de l'ordre judiciaire (art. L. 142-8, c. séc. soc.) en vue du règlement d'un tel litige, que de ces juridictions, ce qui s'oppose à ce qu'elle engage une action mettant en cause la responsabilité de l'ACOSS en raison de l'illégalité de l'interprétation donnée par celle-ci des dispositions dont il lui a été fait application.

Autrement dit, le juge administratif eût été compétent soit saisi d'un recours direct en annulation d'une interprétation erronée donnée par l'ACOSS soit saisi d'un recours en réparation portant sur des préjudices autres que celui portant sur le seul montant des cotisations litigieuses.

(19 novembre 2021, Société Guisnel, n° 440236)

(33) V. aussi, avec mêmes solution et requérante : 19 novembre 2021, Société Guisnel, n° 440237.

 

34 - Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Établissement de la liste des pays sûrs - Office du juge  de l'excès de pouvoir -  Demande principale en annulation - Conclusions subsidiaire à fin d'abrogation - Conclusions renvoyées à la Section du contentieux - Conditions et régime juridique de l'abrogation directe d'une décision par le juge de l'excès de pouvoir - Rejet.

L'affaire est d'importance mais la portée de la solution adoptée par le juge est incertaine.

En bref, sous d'importantes limites du moins présentées comme telles, le Conseil d’État se reconnaît le pouvoir de procéder lui-même, directement, à l'abrogation d'une décision administrative réglementaire. Hauriou se fût, sans doute, étranglé à la lecture de cette affirmation, lui qui s'émut si vivement de la décision du Tribunal des conflits Association syndicale du canal de Gignac (9 décembre 1899, Sir. 1900.3.49, note M. Hauriou). Reconnaissons que, ramenée à son épure, la solution présentement rapportée a de quoi étonner passablement.

L'OFPRA, par délibération du 5 novembre 2019, a fixé la liste des pays d'origine sûrs et cette liste a été contestée par diverses organisations qui en ont sollicité l'annulation  par conclusions principales (2 juillet 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141 ; Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour (Ardhis) et autres, n° 437142 ;  Association Forum Réfugiés-Cosi, n° 437365; V. sur ce point, cette chronique juillet-août 2021 n° 152). En cours d'instance, par conclusions subsidiaires, les requérantes ont demandé l'abrogation de cette liste en tant qu'y figuraient l'Arménie, la Géorgie et le Sénégal.

Le Conseil d’État a, en premier lieu, par la décision précitée, s'agissant du maintien sur la liste du Bénin, du Sénégal et du Ghana, annulé cette délibération. Puis, concernant les conclusions subsidiaires à fin d'abrogation, les 2ème et 7ème chambres réunies, après s'être prononcées sur les conclusions principales, ont, faisant application des dispositions du premier alinéa de l'art. R. 122-17 du CJA, renvoyé leur jugement à la Section du contentieux en formation de jugement.

La présente espèce concerne donc ce dernier point.

Disons tout d'abord, qu'est rejetée la partie de la demande d'abrogation portant sur le Sénégal puisque le caractère illégal de son maintien sur la liste avait déjà été affirmé et jugé dans la décision du 2 juillet 2021, et que la demande d'abrogation relative à l'Inde est jugée irrecevable car présentée après rejet, par la décision précitée du 2 juillet 2021, des conclusions principales ayant le même objet.

Avant de procéder à l'examen du cas de l'Arménie et de la Géorgie, et c'est là l'intérêt majeur de cette affaire, la Section analyse ce qu'est l'office du juge de l'excès de pouvoir saisi de conclusions subsidiaires en abrogation d'une décision de l'Administration.

Ceci s'effectue en trois étapes.

D'abord, c'est un rappel : le juge de l'excès de pouvoir se place au jour où il a été pris pour apprécier la légalité d'un acte réglementaire dont l'annulation lui est demandée ; c'est un principe constant et bien connu qui a été singulièrement obscurci ces dernières années par une succession de décisions qui, pour des motifs divers, dont le souci d'une pleine efficacité du recours pour excès de pouvoir, se sont placées au jour où le juge statuait pour apprécier cette légalité. Ce qui a pour effet de brouiller la distinction entre l'excès de pouvoir et la pleine juridiction puisque, on le sait, le juge du plein contentieux se place au moment où il statue pour apprécier le cadre juridique et la situation qu'il a à juger.

Ensuite, après avoir indiqué, comme une évidence semble-t-il, que le juge de l'excès de pouvoir peut-être saisi à la fois de conclusions principales à fin d'annulation d'une décision et de conclusions à titre subsidiaire à fin d'abrogation de celle-ci, énonce les conditions auxquelles est subordonnée la recevabilité des conclusions en abrogation.

C'est le troisième temps de la démonstration.

1) Il ne peut s'agir que de conclusions subsidiaires,

2) Les conclusions principales doivent être recevables,

3) L'illégalité doit résulter d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait survenu postérieurement à l'édiction de la décision,

4) Le juge statue toujours d'abord sur les conclusions principales en se plaçant à la date de la décision qu'elles attaquent et ce n'est que s'il ne fait pas droit à celles-ci qu'il se prononce sur les conclusions subsidiaires en se plaçant cette fois à la date à laquelle il statue et en usant, le cas échéant, de son pouvoir de modulation.

Une question surgit car la décision n'est pas claire sur ce point : faut-il que le changement (dans les circonstances de droit et/ou de fait) qui fonde les conclusions en abrogation se produise nécessairement après la saisine du juge au moyen des conclusions principales ou suffit-il qu'il existe fût-ce avant même la saisine du juge ?

Il semble que selon la réponse à cette question deux opinions peuvent être émises envers la décision présentement commentée.

L'exigence d'un changement survenu en cours d'instruction ramène cette innovation à un niveau certes assez technique : afin de ne pas provoquer une nouvelle instance dont l'issue peut être décidée dès maintenant, il n'y aurait pas grand mal et même, nous dit-on, un certain bien, à permettre au juge de prononcer l'abrogation de l'élément litigieux. La solution serait expédiente : elle demeure cependant très osée.

En revanche, si, pour que le juge exerce un pouvoir d'abrogation, le moment où est perçu le changement dans les circonstances de fait ou de droit est indifférent et, en particulier, peut exister avant même la saisine du juge, alors là c'est une tout autre affaire. En effet, d'une part, il serait porté atteinte à la séparation des pouvoirs dont l'article 16 de la Déclaration de 1789 décide que, sans elle,  il n'y a plus de garantie des droits, d'autre part, serait ruinée la distinction de l'administration active et de l'administration contentieuse si chère à Laferrière et, bien sûr, il n'y aurait plus de raison de distinguer entre excès de pouvoir et pleine juridiction. Cela ferait beaucoup et même trop au regard du bénéfice qui en est retiré.

Et, devant l'extravagance de la solution, on hésite entre paraphraser Boileau se désolant de la dégradation du génie de Corneille («Après Agésilas, hélas, mais après ELENA (Attila), holà ») ou citer Hauriou (« Nous disons que c'est grave parce qu'on nous change notre État », note précitée).

(Section, 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141)

 

35 - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Demande au juge administratif des référés de "contraindre un premier président de cour jdiciaire d'appel de désigner un avocat commis d'office - Irrecvabilité manifeste - Rejet.

Doit être rejetée comme manifestement irrecevable - car portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître - la demande en référé devant le juge administratif tendant à le voir « contraindre » un premier président de cour judiciaire d'appel à lui désigner un avocat commis d'office.

(ord. réf. 16 novembre 2021, Mme A., n° 458178)

 

36 - Non-opposition à déclaration préalable en vue de la division d'un terrain en deux lots - Permis de construire deux villas - Défaut d'intérêt pour agir des requérants en excès de pouvoir - Rejet de recours comme manifestement irrecevables - Absence d'invitation à régulariser - Annulation.

Doivent être annulées les ordonnances rejetant pour défaut d'intérêt à agir de leurs auteurs, les recours en excès de pouvoir qu'ils ont dirigés contre une non opposition à déclaration de division d'un terrain en deux lots et contre l'octroi de permis de construire deux villas dès lors que l'affirmation du caractère manifestement irrecevable de ces recours n'a pas été précédée ni d'une invitation à régulariser leur demande en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, ni d'une indication sur les conséquences susceptibles de s'attacher à l'absence de régularisation dans le délai imparti.

(9 novembre 2021, M. I. et Mme C., n° 448423 et n° 448425)

 

37 - Désignation d'experts par la juridiction administrative - Ordonnance aux experts de remettre en l'état leur rapport et de passer outre à une extension de leur mission par une précédente ordonnance - Régularité en cas de carence d'une des parties - Contestation de l'ordonnance possible seulement devant les juges du fond - Rejet.

C'est sans erreur de droit que la présidente d'une cour administrative d'appel déclare manifestement irrecevable l'appel formé contre l'ordonnance par laquelle le magistrat du tribunal administratif chargé des expertises a, sur le fondement des dispositions de l'art. R. 621-7-1 CJA, demandé aux experts de remettre leur rapport final en l'état du fait de la carence d'une des parties à l'expertise, le recours contre cette décision relevant de la seule compétence des juges du fond.

(19 novembre 2021, Société Implenia Regiobau GmbH, n° 451962)

 

38 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Omission de statuer sur un chef de demande - Recours recevable.

Dans le cadre d'un recours formé par les requérants le Conseil d’État a liquidé l'astreinte prononcée à l'encontre de l'État par ses précédentes décisions des 31 mars 2017 et 24 octobre 2018 mais omis de statuer sur les conclusions qu'ils avaient présentées au titre de l'art. L. 761-1 CJA. Le recours en rectification d'erreur matérielle qu'ils présentent est donc recevable : une somme de 1250 euros leur est allouée de ce chef.

(22 novembre 2021, M. C. et Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, n° 453315)

(39) V. aussi, sur des cas d'irrecevabilité du recours en rectification d'erreur matérielle : 30 novembre 2021, Mme D., n° 447074 ; 30 novembre 2021, M. et Mme D., n° 447077 ; 30 novembre 2021, SCI du Vallon, n° 447079 ;  30 novembre 2021, M. et Mme F., n° 447081.

 

40 - Exécution des décisions de la justice administrative (art. L. 911-4, R. 921-5 et R. 921-6 CJA) - Office du juge ordonnant l'exécution - Renonciation expresse du demandeur au bénéfice d'une partie des mesures d'exécution - Rejet.

Un fonctionnaire territorial demande l'exécution d'un jugement rendu en sa faveur ordonnant au SIVOM employeur, d'une part, de reconnaître l'imputabilité au service de son affection, de lui accorder un congé de longue durée ou un congé de longue maladie et de le placer en disponibilité d'office à compter du 1er juillet 2012 et, d'autre part, lui enjoignant de placer rétroactivement l'intéressé dans une position statutaire régulière d'activité et de procéder à la régularisation de ses droits à rémunération, à avancement et à pension.

Il a saisi la cour administrative d'appel, après que celle-ci a confirmé le jugement, d'un recours tendant à ce que soit assurée l'exécution de ces décisions de justice. Le SIVOM se pourvoit contre l'arrêt confirmatif de la cour.

Répondant à un argument en ce sens, le Conseil d’État dispose, dans une rédaction de principe, d'une part, que le juge de l'exécution doit prescrire les mesures qu'implique nécessairement la décision dont l'exécution lui est demandée par la partie intéressée, alors même que ces mesures ne figuraient pas expressément dans la demande présentée au président de la juridiction ou dans les mémoires produits après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, et d'autre part, qu'il n'en va autrement que lorsque la partie qui a saisi la juridiction d'une demande d'exécution a indiqué, sans équivoque, qu'elle renonçait au bénéfice d'une partie de ces mesures.

Il semble donc que l'office du juge en tant qu'il peut étendre au maximum le champ des mesures d'exécution soit d'ordre public tandis que ces mesures, instituées dans le seul intérêt de la partie qui les sollicite, peuvent se voir, à volonté, restreintes par celui-ci.

(25 novembre 2021, SIVOM de l'Est Gessien, n° 447105)

 

41 - Mesures anti-Covid - Intérêt donnant qualité pour agir - Absence - Rejet.

D'évidence, une association dont les statuts lui donnent pour objet d' « informer les citoyens sur le fonctionnement de l'exécutif et sa composition ; Analyser les décisions de l'exécutif et ses pratiques ; Contrôler les projets de loi ainsi que les décrets et arrêtés émanant du gouvernement », ne tire pas de là un intérêt lui donnant qualité pour demander au juge des référés la suspension de l'exécution du I du 6° de l'article 1er du décret n° 2021-1471 du 10 novembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, aux termes duquel « Les salles de danse, relevant du type P défini par le règlement pris en application de l'article R. 143-12 du code de la construction et de l'habitation, peuvent accueillir du public ».

(ord. réf. 25 novembre 2021, Association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE), n° 458383)

 

42 - Vente de fruits et légumes - Interdiction des emballages en plastique - Mesure entrant en vigueur au 1er janvier 2022 - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts en cause - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension d'exécution du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Sa demande en référé est rejetée pour défaut d'urgence.

Tout d'abord, le décret litigieux a été pris en application du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 77 de la loi du 20 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire de sorte qu'il n'y ajoute rien au plan de l'interdiction, se bornant en particulier à établir la liste des fruits et légumes frais non soumis à l'obligation législative en raison du risque de détérioration lors de la vente en vrac et à définir le calendrier de mise en œuvre du dispositif.

Ensuite, au soutien de l'invocation du préjudice découlant de l'interdiction d'exposer à la vente, à compter du 1er janvier 2022, les fruits et légumes frais non transformés conditionnés sous emballages composés pour tout ou partie de matière plastique, en ce que les entreprises fabriquant de tels emballages seraient privées de tout un pan de leur activité dans des conditions nuisant à leur situation financière et menaçant leur pérennité, le syndicat requérant n'apporte aucun élément permettant d'apprécier, d'une part, l'impact pour les entreprises qu'il représente de l'application du décret contesté, au-delà de ce qui résulte directement de la loi elle-même, et d'autre part, en tout état de cause, la gravité des atteintes invoquées pour ce secteur d'activité.

Enfin, d'une part, outre l'exemption prévue par la loi pour les fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme et autres, le II de l'article D. 541-334 du code de l'environnement, issu du décret attaqué, fixe une liste de plusieurs fruits et légumes, y compris de consommation courante, pour lesquels, en raison d'un risque de détérioration à la vente en vrac, une exemption est prévue jusqu'à des dates s'étalant entre le 30 juin 2023 et le 30 juin 2026 et d'autre part, le III de ce même article prévoit des dispositions transitoires sur plusieurs mois pour permettre l'écoulement des stocks d'emballage.

Le recours est rejeté faute pour l'organisation requérante de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des entreprises qu'elle représente.

(ord. réf. 25 novembre 2021, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 458441)

 

43 - Arrêté limitant le remboursement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la Covid-19 - Requête précédente en ce sens rejetée - Requête actuelle ne comportant aucun moyen nouveau - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Était demandée la suspension de l'arrêté ministériel limitant le remboursement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la Covid-19. Le requérant avait déjà saisi le juge des référés d'une requête en ce sens qui avait été rejetée. La présente requête ne comporte aucun moyen nouveau par rapport à la précédente. Elle est manifestement irrecevable. Le recours est rejeté

(25 novembre 2021, M. A., n° 458525)

 

44 - Juridiction des référés - Conditions d'accès - Obligation vaccinale des personnels de santé ne travaillant pas dans des locaux de soins - Rejet.

Les requérants, excipant de ce que s'ils travaillent dans des locaux accessoires d'établissements de santé (trésorerie, bâtiment universitaire, buanderie), contestent leur soumission à l'obligation vaccinale instituée, pour les personnels de santé, par l'article 49-2 du décret du 1er juin 2021, issu du 8° de l'article 1er du décret du 7 août 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

En tant qu'est demandée la prescription par le juge des référés de toutes mesures utiles pour faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale à leurs libertés fondamentales résultant de ces mesures, la requête est rejetée car elle n'entre pas dans les matières qui relèvent de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

En tant qu'ils demandent qu'une injonction soit faite au premier ministre de modifier les dispositions de l'article 49-2 du décret précité, pour préciser que les établissements distincts dans lesquels exercent les personnes n'étant jamais au contact des patients ne sont pas au nombre des locaux mentionnés au 4° du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, les requérants se bornent à des allégations générales dépourvues des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Elles sont rejetées.

Ce second motif de rejet nous semble juridiquement un peu « court ».

(25 novembre 2021, Mme B. et autres, n° 457734)

 

45 - Ordonnance de référé - Infliction d'une amende pour recours abusif - Erreur de qualification juridique - Absence de caractère abusif - Annulation.

Commet une erreur de qualification juridique le juge des référés qui, saisi le 26 octobre 2021 d'une requête relative à un titre de séjour expirant le 24 novembre 2021, estime celle-ci abusive et inflige une amende de deux mille euros à son auteur.

En revanche, il lui aurait été loisible de rejeter la requête pour défaut d'urgence si le requérant n'établissait pas la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées par le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

(30 novembre 2021, M. B., n° 458523)

 

46 - Rapport d'expertise - Obligation de soumission au contradictoire des parties - Non-respect - Invocation pour la première fois en cause d'appel - Recevabilité - Annulation avec renvoi.

La requérante poursuivait la réparation de préjudices causés par le décès de son époux lors de sa prise en charge par un centre hospitalier.

Après avoir été déboutée en première instance et en appel, elle s'est pourvue en cassation.

Était en jeu l'invocation de l'exigence de caractère contradictoire du rapport d'expertise.

Tout d'abord, cette exigence n'est pas discutable surtout s'agissant de constatations expertales de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige.

En l'espèce, il était soutenu que ce contradictoire n'avait pas été respecté car la requérante n'avait pas eu communication de clichés d'imagerie médicale utilisés par l'expert, clichés qui étaient absents du dossier médical qui lui avait été remis. Or il ressortait des termes mêmes du rapport de l'expert que celui-ci s'était fondé de manière déterminante sur ces clichés et de l'arrêt lui-même que la cour s''est fondée à titre exclusif sur les conclusions du rapport d'expertise.

Ensuite, un second point était soulevé par le centre hospitalier défendeur : le moyen tiré du défaut de contradictoire ayant été soulevé pour la première fois en appel, la cour l'avait donc jugé irrecevable. Le Conseil d’État, innovant grandement sur ce point, a estimé que ce moyen « n'était pas irrecevable devant la cour administrative d'appel, alors même qu'il était présenté pour la première fois en appel et que Mme L. aurait été en mesure de le soulever devant le tribunal administratif ». Ce jugeant, se trouve abandonnée une jurisprudence ancienne (15 février 1957, Ministre des travaux publics, n° 99033 au Recueil Lebon p. 995) et bien établie car constamment confirmée depuis.

Même si cette solution profite ici à la demanderesse, on n'aperçoit guère le bénéfice qui peut être tiré en général de la renonciation au principe de l'immutabilité du litige en appel, fragilisant un peu plus le rôle de l'appel en procédure administrative. Comme, d'évidence, il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public, force est de constater une fois de plus la subjectivisation croissante du contentieux administratif de la légalité.

(30 novembre 2021, Mme L., n° 430492)

 

47 - Juge des référés - Modification à tout moment de mesures ordonnées en référé (L. 521-4 CJA) - Demande d'exécution des décisions du juge des référés - Obligation pour le demandeur de rapporter la preuve de l'inexécution des mesures ordonnées - Rejet.

Les organisations requérantes avaient obtenu du juge du référé liberté du tribunal administratif de Nantes diverses mesures afin qu'il soit mis fin à certaines conditions de détention manifestement attentatoires aux libertés fondamentales des détenus au sein du centre pénitentiaire de Ploemeur. Sur appel du garde des sceaux, le juge des référés du Conseil d’État avait annulé une partie de ces mesures et confirmé le surplus.

Se fondant sur les dispositions de l'art. L. 521-4 CJA (« Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin »), les requérants demandent qu'il soit fait injonction à l'administration d'assurer l'exécution des mesures d'injonction déjà ordonnées et demeurées inexécutées, d'assortir d'astreinte ces mesures et d'organiser un suivi de l'exécution des injonctions prononcées.

Contre toute attente, la requête est rejetée, le juge des référés faisant application du principe constant de procédure en vertu duquel la charge de la preuve incombe au demandeur en soumettant au juge des référés, en l'absence de tout commencement de preuve,  « tout élément de nature à démontrer l'absence d'exécution totale ou partielle de la décision du premier juge. Il appartient alors à l'administration, si elle entend contester le défaut d'exécution, de produire tout élément en sens contraire. Le juge se prononce alors au vu de l'instruction.» On peut regretter que le juge du référé de l'art. L. 521-4 CJA n'ait pas confié en urgence une mesure d'instruction de visite des lieux, ce qui aurait satisfait et le régime de la preuve et le principe du contradictoire assuré durant cette visite sans que soient atteintes ni la nature spécifique des pouvoirs du juge des référés ni la célérité consubstantielle à cette procédure.

(29 novembre 2021, Section française de l'Observatoire international des prisons et Ordre des avocats au barreau de Nantes, n° 458355)

 

48 - Responsabilité hospitalière - Accident survenu à la naissance d'un enfant – Impossibilité d’être scolarisé et d’exercer une activité professionnelle –Détermination du calcul et des modalités de l’indemnisation – Annulation très partielle.

Outre le motif principal, tenant au droit de la responsabilité médicale, de cette décision, il convient d'indiquer qu'elle contient une solution de procédure contentieuse qui a pu et peut encore faire difficulté. Pour implicite qu'elle soit elle est à relever.

Il y est jugé en effet qu'en cas de second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur le fond alors même qu'il serait saisi d'un arrêt ou d'un jugement rendu avant dire droit (réitération de : 11 avril 2008, Reniers, n° 291677).

(30 novembre 2021, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 440443)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 165

 

49 - Audience publique à l'issue de laquelle sera lue une décision en fin du délibéré - Obligation d'informer les parties de ce choix procédural pour éventuelle production d'une note en délibéré - Absence de cette information - Annulation.

Statue dans des conditions irrégulières la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale qui, ayant décidé que la décision sera lue le jour même de l'audience, à l'issue du délibéré, n'en a pas informé les parties, au plus tard lors de l'audience publique, les privant de la faculté de produire, si elles le jugent utile, une note en délibéré.

(30 novembre 2021, Comité mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes, n° 443842)

 

50 - Cour nationale du droit d'asile - Octroi du bénéfice de l'aide juridictionnelle - Rejet du recours le même jour - Irrégularité - Cassation.

Par un courrier en date du 29 mai 2020, le vice-président du bureau de l'aide juridictionnelle près la Cour nationale du droit d'asile a informé la requérante de sa décision du 27 mai 2020 lui accordant le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale et a désigné un avocat aux fins de la représenter. Par une ordonnance prise le même jour, la présidente de la Cour nationale du droit d'asile a rejeté la requête de Mme B. au motif que celle-ci ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA.

Il est manifeste que cette décision a été rendue dans des conditions irrégulières car l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et n'avait d'ailleurs, et pour cause, pas été mis en demeure de le faire avant une certaine date, ce qui portait atteinte à la fois au droit au respect des droits de la défense et à l'octroi du bénéfice de l'aide juridictionnelle.

(30 novembre 2021, Mme B., n° 444737)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

51 - Exploitation d’une carrière – Établissement industriel – Éléments assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties – Cassation partielle avec renvoi.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société requérante, l’administration fiscale a, suite à la mise en œuvre de la méthode comptable prévue à l’art. 1499 CGI, notifié à celle-ci des cotisations supplémentaires au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties dues pour l’exploitation d’une carrière.

Sa demande de décharge de cette imposition ayant été rejetée par le tribunal administratif, l’intéressée se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État admet partiellement la demande dont il est saisi.

Le débat portait sur ceux des frais et celles des dépenses susceptibles de venir en déduction de l’assiette de la taxe litigieuse.

Le Conseil d’État juge que si les frais d'extraction des couches dites stériles exposés en cours d'exploitation de la carrière afin de maintenir le gisement dans un état tel que l'exploitation normale de la carrière puisse continuer constituent des charges d'exploitation, les frais de préparation du terrain en vue de l'exploitation du gisement, dès lors qu'ils sont nécessaires à la mise en état d'exploitation de la carrière, doivent être inclus dans le coût d'acquisition de celle-ci.

Par ailleurs, il résulte du règlement de l'Autorité des normes comptables du 2 octobre 2014 relatif à la comptabilisation des terrains de carrière et des redevances de fortage, homologué par arrêté du 26 décembre 2014, que les matériaux à extraire d'un terrain de carrières répondent à la définition non plus d'une immobilisation mais d'un stock, et doivent désormais être distingués du terrain de carrière résiduel, qui constitue seul une immobilisation corporelle. Il s’ensuit que les coûts encourus pour mettre à découvert le gisement et accéder aux matériaux à extraire sont un élément du coût de production des matériaux extraits et non une dépense immobilisable.

Il a confirmé le jugement querellé en ce que, d’une part, il a jugé que la contribuable ne démontrait ni même n'alléguait – pour les faire échapper à la taxe - que les espaces verts constitués par les zones engazonnées seraient affectés à une utilisation distincte de son activité industrielle, et d’autre part, que les enrobés avaient été pris à bon droit en compte dans la valeur locative de l'établissement car ils ne pouvaient pas être ôtés des chaussées auxquelles ils ont été appliqués sans être détruits, qu'ils concouraient à l'exploitation du site industriel, et que la circonstance que la société devra les détruire à l'expiration du bail ne saurait suffire, par elle-même, à exclure leur prise en compte au titre des immobilisations par nature.

On peut trouver sévère la solution retenue sur ce dernier point.

(5 novembre 2021, Société Yves Le Pape et Fils K. J., n° 431576)

(52) V. aussi, du même jour et avec même requérante, portant sur divers éléments déductibles ou non (garage à véhicules, bâtiment de stockage des pièces, frais de découverte) : 5 novembre 2021, Société Yves Le Pape et Fils K. J., n° 431579.

 

53 - Impôt sur les sociétés – Déclaration de moins-value – Inexactitudes relevées – Modalités de décompte des intérêts de retard – Rejet.

Dans cette importante décision, il est jugé qu’en cas d’inexactitudes ou d’omissions dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt, le décompte des intérêts de retard est arrêté au dernier jour du mois de la première proposition de rectification régulière notifiant au contribuable le supplément d'impôt en résultant, dont l'absence d'acquittement dans le délai légal a causé un préjudice au Trésor public et déclenché le décompte de ces intérêts (confirmation de : Assemblée, 12 avril 2002, Société anonyme financière Labeyrie, n° 239693).

Dans le cas où, comme en l’espèce, il a d’abord été procédé à une première proposition de rectification remettant en cause le montant du déficit déclaré par une société au titre d'un exercice mais ne conduisant à l'établissement d'aucun supplément d'impôt au titre de cet exercice eu égard à la situation de l'entreprise qui demeure déficitaire, puis, ensuite, à une autre proposition de rectification qui tire, au titre d'un exercice ultérieur, les conséquences de la réduction du déficit reportable sur le premier exercice bénéficiaire de l'entreprise, seule cette seconde proposition de rectification peut être regardée comme étant celle emportant arrêt du décompte des intérêts de retard en application du 4 du IV de l'article 1727 du CGI.

Par ailleurs, dans le cas de filiales fiscalement intégrées à un groupe et malgré le fait que les rectifications apportées à leurs résultats constituent les éléments d’une unique ensemble procédural, les propositions de rectification notifiées aux filiales intégrées au titre d'une période caractérisée par un résultat d'ensemble qui demeure déficitaire ne peuvent pas être regardées, pour l'application du 4 du IV de l'article 1727 du CGI, comme déterminant le terme du décompte des intérêts de retard mis à la charge de la société tête de groupe au titre d'une période ultérieure comprenant son premier exercice bénéficiaire.

(5 novembre 2021, Société Elior Group, n° 431747)

 

54 - Impôt sur les dividendes des sociétés non-résidentes – Retenue à la source (2 de l’art. 119 bis CGI) – Impossibilité en cas de situation déficitaire – Appréciation de l’existence d’une telle situation – Annulation avec renvoi.

La jurisprudence de la CJUE (22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA, aff. C-575/17), condamnant la solution retenue par le Conseil d’État (Plén. fiscale, 9 mai 2012, Société GBL Energy, n°s 342221 et 342222), a jugé que  la différence, existant en France, de technique d'imposition des dividendes entre les sociétés non-résidentes, qui sont imposées immédiatement et définitivement lors de leur perception par une retenue à la source, et les sociétés résidentes, qui sont imposées en fonction du résultat net bénéficiaire ou déficitaire enregistré, procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires. Elle a donc considéré que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective.

Le Conseil d’État interprète cette décision, d’une part, - il ne pouvait à vrai dire faire moins – comme obligeant à restituer à l’intéressée le montant de la retenue à la source opérée sur les dividendes qu’elle a versés, et d’autre part, comme imposant à cette dernière de rapporter la preuve du caractère déficitaire des exercices concernés.

Ici, faute que, selon le juge, cette preuve soit rapportée, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en prononçant la restitution des retenues à la source, d’où la cassation.

Toutefois, il convient de prendre garde qu’il n’est pas possible pour le juge national, comme le Conseil d’État semble avoir annoncé dans cette décision vouloir le faire, d’apprécier la notion de résultat déficitaire par rapport au droit national sous prétexte d’égalité avec le sort réservé aux sociétés françaises jugées déficitaires. En effet, c’est le droit européen seul qui doit trouver application en l’espèce et il appartient au législateur national de corriger, le cas échéant, la conception française du résultat déficitaire non d’imposer ses choix unilatéraux dans le cadre transnational.

(5 novembre 2021, Société Filux, n° 433212)

 

55 - Marques et brevets de produits parapharmaceutiques – Concession du droit d’exploiter une licence de marques et brevets – Absence de contrepartie d’un service rendu – Caractère indissociable de cette concession de licence des actes d’exploitation, protection, renouvellement et autres de cette concession – Qualification inexacte des faits et erreur de droit subséquente – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Une cour administrative d’appel avait approuvé la décision de l’administration fiscale, fondée sur le I de l’art. 155 A CGI, qui considérait comme un service rendu l’activité afférente au contrat de licence exclusive d’exploitation de marques et brevets de produits parapharmaceutiques exercée par les requérants et rémunérée sous la forme de redevances versées par la société qui avait acquis le contrat d’exploitation. L’administration et le juge considéraient, en effet, que la société de droit britannique acquéreuse des marques et brevets litigieux n’avait aucune activité réelle et que les décisions relatives à l'entretien des marques et brevets étaient prises par Mme O. qui devait, dès lors, être regardée comme réalisant les prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets et, par suite, comme relevant du régime institué par la disposition précitée du CGI.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution, à juste titre, une erreur de droit et une erreur de qualification des faits par le double motif : 1° que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d'exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent pas être regardées comme la contrepartie d'un service rendu au sens et pour l'application de l'article 155 A du CGI ; 2°  que « l'entretien, le renouvellement, l'extension des marques et brevets et, plus généralement, l'accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets ».

(5 novembre 2021, M. et Mme O., n° 433367)

 

56 - Société de fabrication de produits pharmaceutiques - Taxe professionnelle – Dépassement du plafond des aides « de minimis » - Plafond résultant d’un règlement européen – Silence de la législation interne – Application directe du règlement européen par l’administration– Rejet.

Rappel de ce que l’administration fiscale tient de son pouvoir de rectification l’obligation d'assurer le respect du plafond des aides de minimis résultant des règles du droit de l'Union européenne directement applicables au litige (règlement n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 relatif aux aides de minimis) même en l’absence de mention de ce plafond dans la législation interne.

(5 novembre 2021, Société Laboratoires Gilbert, n° 434036)

 

57 - Opération de restructuration d’entreprises - Institution d’un sursis automatique d’imposition – Réalisation de plus-values sans liquidités – Nécessité d’un réinvestissement concomitant – Caractère péremptoire de l’absence d’investissement – Remise en cause du sursis – Abus de droit – Rejet.

Il ressort des dispositions de l'article 150-0 B du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu favoriser et rendre plus aisées les restructurations d'entreprises par création nette ou par développement, en instituant un sursis automatique d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités.

En l’espèce, l’apport par un contribuable des titres d'une société à une autre qu'il contrôle, suivi de leur cession immédiate par cette dernière, répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur tel qu’il résulte des débats parlementaires lors du vote de la loi de finances pour 2000 d’où cet article est issu, du moins sous la condition impérative que le produit de la cession de titres ait fait l’objet, de la part de cette société, dans un délai bref, d’un réinvestissement à caractère économique. Lorsque les titres ainsi apportés par un contribuable le sont à plusieurs entreprises qu'il contrôle, le but de chaque opération d'apport doit être apprécié distinctement.

Faute d’un réinvestissement à caractère économique, cette opération de cession s’analyse, sauf preuve contraire, comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

(5 novembre 2021, M. G., n° 437996)

 

58 - Avis à tiers détenteur – Annulation contentieuse – Caractère rétroactif de l’annulation - Effet interruptif de prescription – Absence – Annulation.

Rappel que l'annulation contentieuse d'un avis à tiers détenteur a pour conséquence qu'il est réputé n'avoir jamais existé et fait, dès lors, obstacle à ce que lui soit attaché un effet interruptif de prescription, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance. 

(15 novembre 2021, Mme C., n° 430655)

(59) V. aussi, dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, sur le caractère irrégulier d'avis à tiers détenteurs émis : (22 novembre 2021, Mme C. épouse A., n° 449067) ou sur la prescription des sommes faisant l'objet de tels avis (22 novembre 2021, M. N., n° 441820).

 

60 - Changement d’adresse d’une société commerciale – Accomplissement des formalités auprès du registre du commerce (art. L. 123-9 et R. 123-53 du code de commerce) et du centre de formalités des entreprises – Inopposabilité à l’administration fiscale – Rejet.

La notification par l’administration fiscale d'une proposition de rectification à une société doit être effectuée, non pas à l'adresse de son siège social, mais à la dernière adresse communiquée par elle à cette administration. Il suit de là qu’une société contribuable ne saurait exciper de ce qu’elle a procédé régulièrement aux formalités devant accompagner un changement de siège social tant auprès des services du registre du commerce conformément aux art. L. 123-9 et R. 123-53 du code de commerce qu’auprès du centre des formalités des entreprises pour justifier n’avoir pas reçu la lettre recommandée avec accusé de réception qui lui avait été adressée par l’administration fiscale à la dernière adresse connue de celle-ci.

Une interprétation plus souple des dispositions de l’art. 57 du livre des procédures fiscales n’aurait pas été de trop d’autant que, précisément, l’information donnée au centre des formalités des entreprises a aussi une visée fiscale.

(15 novembre 2021, Société Repass Chic Management, n° 443190)

 

61 - Réduction d’impôt – Dispositif « Scellier » - Logements neufs répondant à certaines conditions – Niveau de performance énergétique – Cas des acquisitions de biens en l’état futur d’achèvement – Indice de performance à prendre en considération – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Le législateur (dispositif dit Scellier, art. 199 septvicies du CGI) a prévu pour les contribuables domiciliés en France une réduction d’impôt à un taux de 13% pour l’acquisition, dans un immeuble locatif, de logements neufs ou en l’état futur d‘achèvement sous condition, notamment, qu’ils disposent d’un certain niveau de performance énergétique. L’indice pris en considération est soit celui conforme aux prescriptions de l'article L. 111-9 du code de la construction et de l'habitation soit, lorsque l’acquisition concerne un logement ayant fait l'objet d'un dépôt de demande de permis de construire du 1er janvier au 31 décembre 2011 et acquis ou construit en 2012, s'ils justifient des conditions de performance énergétique globale fixées par le I de l'article 46 AZA octies de l'annexe III au CGI.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les logements acquis en vente en l'état futur d'achèvement en 2012 et qui ont fait l'objet du dépôt d'un permis de construire antérieurement au 1er janvier 2012 doivent, pour ouvrir droit à la réduction d'impôt sur le revenu prévue par l'article 199 septvicies du CGI au taux de 13 %, nécessairement bénéficier du label « bâtiment basse consommation BBC 2005 ».

(15 novembre 2021, M. et Mme F., n° 448231)

 

62 - Outre-mer - Demande de permis de construire, à titre de logements sociaux, portant sur des bâtiments collectifs ou sur des ensembles de logements individuels – Demande devant être considérée comme portant sur un ensemble immobilier – Applicabilité de l’art. 199 undecies C du CGI – Réduction d’impôt  subordonnée à un agrément fiscal – Seuil de deux millions d’euros non atteint – Rejet.

En l’espèce, un contribuable a bénéficié, au titre de l'année 2011, de la réduction d'impôt sur le revenu prévue par l'article 199 undecies C du CGI à raison d'un investissement consistant en la réalisation de logements sociaux en Martinique par la société civile immobilière (SCI) Kampech'8, dont il était associé à hauteur de 15 %. Cette réduction d’impôt ayant été remise en cause par l’administration fiscale, le contribuable a obtenu de la cour administrative d’appel décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu.

Le ministre demandeur poursuit l’annulation de cet arrêt en tant qu’il a jugé éligible au dispositif fiscal régissant la construction de logements sociaux outre-mer, une opération portant sur un ensemble immobilier (art. 199 undecies C du CGI). Son pourvoi est rejeté.

Selon la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, d’une part, la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies C du CGI pour les investissements réalisés outre-mer dans le secteur du logement est subordonnée à l’obtention de l'agrément préalable du ministre chargé du budget lorsque leur montant excède deux millions d'euros et, d’autre part, que, eu égard à l'objet et aux critères de délivrance de cet agrément, le seuil de deux millions d'euros doit être apprécié, non pas au regard des souscriptions au capital des sociétés, mais au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d'actions de sociétés ont été réalisées.

Pour l'application de ces dispositions, les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l'objet d'une même demande de permis de construire constituent un programme immobilier, à concurrence de ceux donnant lieu à réduction d'impôt sur le revenu au sens et pour l'application de l'article 199 undecies C du code général des impôts.

Avant d’examiner, et de rejeter, les deux moyens invoqués par le ministre au soutien de son pourvoi, le juge décide – et c’est en réalité l’apport principal de cette décision – que les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l’objet d’une unique demande de permis de construire doivent être considérés, pour l’application des dispositions de l’art. 199 undecies C du CGI comme étant un « programme immobilier ».

En premier lieu le ministre soutenait qu’excédant le seuil de deux millions d'euros, l’opération devait être soumise à son agrément. Le juge approuve la cour d’avoir dit que ce programme n’était pas soumis à agrément car si les huit maisons à bâtir avaient fait l'objet d'un unique permis de construire et si leur coût total s'élevait à 2 606 400 euros, il n'était pas contesté que deux de ces maisons n'étaient pas éligibles à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies C précité, de sorte que le montant global du programme d'investissement immobilier placé sous ce régime ne s'élevait qu'à 1 954 800 euros, soit un montant inférieur au seuil de deux millions d'euros au-delà duquel cet article subordonne son bénéfice à la délivrance d'un agrément préalable du ministre chargé du budget. 

En second lieu, le ministre soutenait que la cour avait commis une erreur de droit en jugeant que les époux G. pouvaient prétendre au bénéfice de la réduction d'impôt qu'ils sollicitaient alors même que, ainsi qu'elle l'avait relevé, la SCI Kampech'8 n'était pas titulaire d'un permis de construire à la date du fait générateur de cette réduction, intervenu en 2011. Le Conseil d’État répond qu’il ne résulte d’aucune disposition applicable ici l’existence d’une telle exigence d'antériorité chronologique.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 452952)

 

63 - Intérêt pour agir en matière de retenue à la source – Responsable du paiement de la retenue à la source – Personne non établie en France effectuant les paiements sur le montant desquels est assise la retenue à la source - Rejet.

Une société, concessionnaire de l’exploitation et de la gestion du port de plaisance de Vauban à Antibes, perçoit des redevances pour l’utilisation temporaire de postes à quai inoccupés. L’administration fiscale a estimé que les sommes versées par la société de gestion du Port Vauban à dix-neuf sociétés étrangères disposant chacune de la jouissance d'un poste à quai, en contrepartie de l'occupation temporaire de ces postes par des usagers de passage, constituaient la rémunération de prestations de services rendues par elles en France et devaient par suite être soumises à la retenue à la source prévue par l'article 182 B du CGI. L’une de ces sociétés, la société Palomata, basée au Luxembourg, a demandé au juge la décharge partielle de la retenue à la source imposée à la société de gestion du Port Vauban. Le tribunal administratif ayant fait droit à cette demande, sur appel du ministre des finances la cour administrative d’appel a jugé que la société Palomata était fondée à soutenir que l'article 182 B du CGI méconnaissait le principe de la libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'il ne permettait pas la déduction de l'assiette de la retenue à la source des frais professionnels supportés par le fournisseur établi à l'étranger de la prestation rendue en France et directement liés à cette prestation de service ; elle a en conséquence ordonné à cette société de justifier, par tous moyens, du montant de ces frais au titre des années en litige notamment des frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban, qui sont directement liés à l'activité de sous-location du poste à quai et réservé. 

Le ministre se pourvoit, en vain, contre cet arrêt.

Le Conseil d’État juge, à juste titre, par application d’une « jurisprudence constante des juridictions de l'ordre judiciaire que le responsable du paiement est fondé à en demander la restitution au bénéficiaire des revenus. »

 Il en résulte que « Tant le responsable du paiement de la retenue à la source à laquelle donnent lieu les paiements effectués par une personne établie en France en rémunération de prestations rendues en France par une personne qui n'y est pas établie que cette personne, bénéficiaire de ces revenus, sont recevables à contester cette retenue devant le juge de l'impôt. La circonstance que la retenue à la source n'ait pas été spontanément opérée lors du versement des revenus et que, par suite, ces derniers n'ont pas été amputés de son montant est sans incidence sur la recevabilité du bénéficiaire des revenus à la contester dès lors que, dans une telle hypothèse, en premier lieu, la retenue est établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue non pratiquée spontanément, en deuxième lieu, cette retenue est imputable sur l'impôt sur le revenu ou sur l'impôt sur les sociétés éventuellement dû en France par le bénéficiaire des revenus en application, respectivement, du 3ème alinéa du II de l'article 182 B et de l'article 219 quinquies du CGI. »

Cette solution est particulièrement illustrative - à travers la notion de « responsable du paiement » - de la profonde unité du droit des obligations que celles-ci soient civiles ou administratives (en ce sens, voir : J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Université, 2018, 1ère édition, pp. 1-38, §§ 1- 44).

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453022)

 

64 - Conventions fiscales bilatérales en vue d’éviter les doubles impositions – Doctrine fiscale excluant l’imputation de l’impôt étranger au titre de la plus-value de cession de titres en cas d’absence d’imposition effective en France – Méconnaissance des textes applicables – Irrégularité – Annulation.

Afin d’éviter de doubles impositions sont intervenues des conventions fiscales bilatérales destinées à organiser un mécanisme en ce sens. La requérante demande au juge, - après qu’elle en a sollicité, en vain, l’abrogation par le ministre des finances -  l’annulation des paragraphes n° 180 et n° 190 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts, par lesquels le ministre des finances a fait connaître son interprétation des règles d'imputation, sur l'impôt sur les sociétés acquitté en France, de l'impôt prélevé à l'étranger sur le produit de cessions de titres de participation.

Selon la requérante, ces commentaires méconnaîtraient, à titre principal, les a et b du 1 de l'article 220 du CGI et, à titre subsidiaire, les stipulations des conventions fiscales signées avec l'Autriche, Bahreïn, le Chili, la Colombie, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, l'Espagne, le Gabon, Hong-Kong, l'Inde, Israël, le Japon, le Luxembourg, Malte, Oman, le Qatar et la Suède.

Le Conseil d’État accueille le recours en ce que ces commentaires se méprennent sur le sens des dispositions du a quinquies du I de l’art. 219 du CGI combinées avec celles des conventions fiscales qu’ils sont censés expliciter.

En effet, tout d’abord, selon l’art. 219, au a quinquies du I, la réintégration de la quote-part de frais et charges égale à 12 % du montant brut des plus-values de cession est subordonnée à la réalisation par l'entreprise d'une plus-value nette au cours de l'exercice de cession. Il suit de là que cette disposition a pour objet de soumettre à cet impôt, à un taux réduit, les plus-values de cession de titres de participation ; en revanche, contrairement à ce que soutient le ministre défendeur, elle n’a pas pour objet de neutraliser de manière forfaitaire la déduction de frais exposés pour l'acquisition ou la conservation d'un revenu afférent à une opération exonérée. 

Ensuite, des conventions fiscales bilatérales attribuent concurremment le pouvoir de taxer les plus-values de cession de titres de participation à la France, en qualité d'État de résidence du cédant, et à l'État dans lequel se situe la société dont les titres sont cédés et elles prévoient une élimination de la double imposition correspondante par voie d'imputation de l'impôt prélevé à l'étranger sur l'impôt sur les sociétés acquitté en France au titre de la même opération, dans la limite du montant de l'impôt français correspondant à ces revenus.

Par suite, c’est erronément que ces commentaires retiennent que « en l'absence d'imposition effective [en France] de la plus-value réalisée, aucune imputation de l'impôt étranger éventuellement acquitté au titre de la plus-value réalisée ne peut être effectuée dès lors qu'aucune double imposition ne peut être constatée. »

(15 novembre 2021, Société anonyme L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés Georges Claude, n° 454105)

 

65 - Charte des droits et obligations du contribuable vérifié – Droit pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur puis l’interlocuteur départemental ou régional – Garantie substantielle – Non-respect – Caractère irrégulier de l’examen de la situation personnelle du contribuable – Rejet.

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié prévoit qu’en cas de difficultés rencontrées au cours ou du fait de la vérification, le contribuable peut s’adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, ensuite, à l'interlocuteur départemental ou régional.

En l’espèce, le contribuable avait demandé dans un courrier à rencontrer le supérieur hiérarchique en y faisant état de difficultés rencontrées au cours du contrôle. Aucune suite n’ayant été donnée à ce courrier, la cour administrative d’appel avait jugé que le contribuable avait été privé d’une garantie essentielle ce qui entachait d’illégalité la vérification et ses suites.

Elle est approuvée par le Conseil d’État qui rejette le pourvoi du ministre.

(17 novembre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 445981)

 

66 - Investissement productif neuf dans les départements d'outre-mer - Réduction d'impôt - Conditions d'octroi - Soumission aux dispositions combinées des articles 199 undecies B et 217, III undecies du CGI - Annulation.

L'art.  199 undecies B du CGI prévoit, au bénéfice des entreprises exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34 du CGI, une réduction d'impôt sous condition d'investissements productifs dans les départements d'outre-mer. Il prévoit, renvoyant sur ce point au III de l'art. 217 undecies du CGI, que « Pour ouvrir droit à réduction et par dérogation aux dispositions du 1, les investissements mentionnés au I doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget (...) lorsqu'ils sont réalisés dans les secteurs des transports (...) ».

En l'espèce, la cour administrative d'appel avait jugé que les dispositions du III de l'article 217 undecies ne permettaient pas de justifier un refus d'agrément en se fondant sur d'autres conditions que celles qu'elles prévoient, alors même que l'investissement ne répondrait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'article 199 undecies B.

Le Conseil d’État censure l'arrêt déféré pour erreur de droit : l'administration fiscale doit, pour s'assurer de l'éligibilité d'un contribuable au bénéfice de la réduction d'impôt, vérifier qu'il satisfait à la fois aux conditions de fond énoncées au I de l'art. 199 undecies B et, en vertu du II de ce même article, aux conditions requises pour l'obtention de l'agrément.

Il faut regretter l'obscurité de ces dispositions combinées dont l'interprétation est loin d'être évidente.

(19 novembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440755)

(67) V., identique : 19 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 442768.

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination par comparaison - Conditions - Application à l'espèce - Annulation partielle.

L'article 1498 CGI prévoit la possibilité que la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties soit déterminée par comparaison.

En l'espèce, était discutée la valeur locative par mètre carré arrêtée par l'administration fiscale concernant un hypermarché situé dans la périphérie immédiate de Bordeaux, à Bègles. La requérante avait proposé trois établissementblissements de comparaison et l'administration une. Ecartant trois de ces termes de comparaison en raison des différences entre la situation litigieuse et celles des termes de comparaison, le Conseil d’État retient l'une des propositions de la requérante en relevant que cet hypermarché « est situé en périphérie de l'agglomération de Toulouse, dans une aire urbaine présentant une situation économique analogue à celle dans laquelle est située la commune de Bègles. La taille de la population des deux métropoles est par ailleurs similaire. Ce terme de comparaison présente en outre des caractéristiques propres similaires à celles de l'établissement à évaluer, en particulier une surface équivalente, la présence d'importants espaces de stationnement et de «drive» ainsi que l'inclusion au sein d'une galerie marchande d'égale importance, comportant respectivement environ 120 et 150 commerces. En outre, il ressort du procès-verbal des évaluations foncières que, contrairement à ce que soutient le ministre, ce local de référence a été régulièrement évalué à partir du loyer du bail dont il faisait l'objet au 1er janvier 1970 ».

La valeur locative est ramenée de 15,24 euros/m2 à 13,87 euros pour une superficie d'environ douze mille mètres carrés.

(22 novembre 2021, SAS Société Carrefour Hypermarchés, n° 437180)

 

69 - Taxe professionnelle due par une chambre de commerce et d'industrie (CCI) pour l'exploitation d'un aéroport - Bases de calcul - Bien transféré de l'État à une collectivité territoriale puis de celle-ci à une CCI - Transfert ne constituant pas un apport - Événement sans incidence sur la prise en compte de la seule valeur d'origine des installations aéroportuaires - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel jugeant que la valeur locative des immobilisations inscrites dans le cadre de la concession aéroportuaire au bilan de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse devait être calculée en fonction de leur valeur d'origine et non de leur valeur nette comptable au 31 décembre 2004.

En effet, il résulte tant des dispositions combinées des art. 1467, 1499 et 1500 du CGI que de celles de l'art. 324 AE de son annexe III et de l'art. 621-8 du plan comptable général (ex-art. 393-1) que, pour la détermination de l'assiette de la taxe professionnelle, le prix de revient des installations aéroportuaires remises par l'État puis, à compter de 2004, par la collectivité territoriale de Corse à la CCI de Bastia et de la Haute-Corse, à l'actif du bilan de laquelle les immobilisations devaient être inscrites, et que celle-ci exploite dans le cadre de la concession sans en être devenue propriétaire, est la valeur d'origine sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces biens ont été transférés par l'État à la collectivité territoriale de Corse, ce transfert ne pouvant être regardé comme un apport au sens des dispositions de l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI. 

(29 novembre 2021, Chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, n° 450267)

 

70 - Contrats d'option - Prime versée lors de l'acquisition du contrat d'option - Prime ayant sa contrepartie - Avantage constituant un actif financier - Absence du caractère de charge déductible - Possibilité d'amortissement comptable de l'actif et de contitution de provisions - Exercice de l'option - Régime - Refus du bénéfice de la compensation - Rejet - Annulation sans renvoi, règlement de l'affaire au fond.

Une banque avait demandé - et en partie obtenu - une décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de la contribution sociale y relative. Le ministre demandeur forme un pourvoi qui est le second en l'espèce, ce qui conduit le Conseil d’État à statuer sans renvoi.

La banque avait provisionné comme charge déductible de ses marges bénéficiaires latentes la prime qu'elle avait acquittée pour l'acquisition de contrats d'option.

Le Conseil d’État, censurant l'arrêt d'appel sur ce point, juge que la prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a pour objet d'attribuer à l'acheteur le droit exclusif d'exercer l'option qui lui permettra d'obtenir l'avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l'instrument financier sous-jacent. En conséquence, la prime rémunère, pour le vendeur du contrat d'option, l'abandon irrévocable du même droit. Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l'acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d'un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée.

Relevant l'absence de règles comptables en disposant autrement, le juge considère que cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement. Il peut aussi, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions.

Ensuite, s'agissant des effets attachés à l'exercice de l'option, le juge envisage deux situations : soit l'option est exercée et la valeur résiduelle de la prime d'acquisition constitue, dans le cas d'une option d'achat, un élément du prix d'acquisition de l'actif sous-jacent, et vient, dans le cas d'une option de vente, en déduction du prix de cession, soit l'option n'est pas exercée à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle. 

Par ailleurs, la banque avait demandé le bénéfice de la compensation entre les rehaussements dont elle a fait l'objet par la surimposition qui résulterait pour elle de son abstention à déduire, au titre de l'exercice clos en 2010, le montant des primes d'option acquittées au cours de cet exercice mais cela lui est refusé en raison de ce que les primes d'option acquittées au cours de l'exercice 2010 - comme indiqué plus haut - ne constituaient pas des charges déductibles du résultat de cet exercice.

(29 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 450732)

 

71 - Activité de sous-concession de brevets - Utilisation et exploitation de brevets de l'Institut Pasteur moyennant redevances - Assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - Conditions - Régime - Rejet - Annulation sans renvoi, second pourvoi.

La société requérante exerce une activité de sous-concession de brevets dont elle a acquis le droit d'usage et d'exploitation auprès de l'Institut Pasteur, moyennant le paiement de redevances. L'administration fiscale l'a assujettie à des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2010 et 2011. Estimant qu'elle n'était pas soumise à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la société a formé devant le tribunal administratif, au titre des années 2010 et 2011, une demande tendant à la décharge tant des cotisations primitives que des cotisations supplémentaires ainsi que de la taxe additionnelle à cette cotisation. Le recours a été rejeté par le tribunal administratif et en appel. Puis, après cassation de l'arrêt d'appel, la cour, à nouveau saisie, a rejeté la demande de la société. Celle-ci se pourvoit contre ce second arrêt.

Se posaient, brevitatis causa, deux questions principales : Les revenus tirés de la concession d'un brevet sont-ils assujettis à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ? Quelle est, en cas de réponse positive à cette première question, l'assiette de cette cotisation ?

Sur le premier point, le Conseil d’État décide que les revenus tirés de la concession d'un brevet sont le fruit d'une activité professionnelle au sens des dispositions de l'art. 1447 du CGI si le concédant met en œuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou s'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et est rémunéré, en tout ou partie, en fonction de cette dernière.

Il casse pour erreur de droit l'arrêt déféré en ce qu'il a jugé qu'il résultait de ce que la société avait engagé, chaque année, des honoraires d'avocats et de conseils en propriété intellectuelle afin d'entretenir la valeur économique de ses brevets qu'elle mettait en œuvre de manière régulière et effective des moyens matériels et humains pour son activité de concession. Or, la cour, ce jugeant, n'a pas recherché, comme il lui incombait, si la société ne se bornait pas, en engageant ces dépenses, à gérer son patrimoine en préservant la valeur de ses brevets mais devait être réellement regardée comme mettant en œuvre des moyens matériels et humains pour assurer leur exploitation économique.

Quant à l'assiette de la cotisation, l'art. 1586 sexies du CGI fixe la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce sont les normes comptables en vigueur lors de l'année d'imposition concernée et dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause qui permettent de déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories. 

Il suit de là que sont rejetées les demandes de la société tendant à ce que soient prises en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, d'une part le montant d'une indemnité trannsactionnelle versée à l'Institut Pasteur, laquelle constitue une charge de gestion exceptionnelle et, d'autre part, les redevances pour brevet versées à cet institut, l'une et les autres n'entrant pas dans la liste limitative énoncée à l'art. 1586 sexies précité.

(29 novembre 2021, SASU Bio-Rad France Holding, venant aux droits de la société Bio-Rad Innovations, n° 451521)

 

72 - Acte anormal de gestion - Remboursement des frais de transport, hôtellerie et restauration du président d'un club sportif entre sa résidence (Londres) et le siège du club ou le lieu des compétitions - Déplacements devant avoir des conséquences positives pour le club - Absence - Remise en cause des déductions de ces frais - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Le club requérant avait déduit de son revenu les charges des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés par son président exécutif - domicilié près de Londres en raison de ses activités professionnelles - pour ses déplacements vers Lorient et d'autres villes françaises, en lien avec les matchs du club, sa vie administrative et financière et ses partenariats.

L'administration fiscale y a vu un acte anormal de gestion dans la mesure où elle n'apercevait pas en quoi ces déplacements concernaient l'activité du club. La cour d'appel, dans son arrêt confirmatif, a donné raison à l'administration en l'absence de « répercussions positives attendues pour le club » du fait de ces déplacements.

Le Conseil d’État annule heureusement cette solution, reprochant à la cour de n'avoir pas recherché si les déplacements en cause intervenaient pour les besoins de l'exercice par l'intéressé de ses fonctions pour se rendre au lieu du siège de l'entreprise dont il était à la la fois le propriétaire, le président et le responsable de sa gestion ou s'ils avaient la nature de déplacements personnels de celui-ci.

(29 novembre 2021, SAS Lorient Football Développement Promotion, n° 452705)

 

Droit public de l'économie

 

73 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

V. n° 9

 

74 - Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Qualité de partie de l'État dans certains litiges portant sur des demandes de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l'État par le président de la CNAC - Dispense du ministère d'avocat dans le contentieux né de tels permis - Pouvoir d'injonction du juge envers la CNAC - Effets contentieux de l'avis défavorable de la CNAC - Annulation sans renvoi et injonctions.

L'urbanisme commercial est une matière sensible mettant en jeu des intérêts, y compris généraux, parfois contradictoires, ce qui explique une législation fluctuante et complexe reflétant bien l'inconfort d'un législateur lui-même peu assuré de la pertinence de ses prescriptions. Cette décision le montre bien, où l'on voit le juge obligé de se livrer à une reconstruction du droit applicable.

La société Les Cluses du Marais a sollicité, le 25 octobre 2017, l'octroi d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la réalisation d'un supermarché de 2 600 mètres carrés sur le territoire de la commune de Châtillon-sur-Cluses. A la suite de l'avis favorable donné à ce projet, le 20 décembre 2017, par la commission départementale d'aménagement commercial, plusieurs sociétés concurrentes, dont la requérante, ont saisi la CNAC, qui a émis un avis défavorable sur ce projet le 26 avril 2018, à la suite de quoi, le maire de la commune a, par arrêté du 4 juillet 2018, rejeté la demande dont il avait été saisi.

La cour administrative d'appel, saisie par la société Les Cluses du Marais, a, d'une part, annulé l'arrêté refusant la délivrance du permis sollicité et, d'autre part, enjoint à la CNAC de rendre un avis favorable au projet et au maire de réexaminer la demande dont il demeurait saisi par l'effet de l'annulation de son précédent arrêté.

La société Taninges distribution et la CNAC se pourvoient contre cet arrêt.

Ceci conduit le juge de cassation à rendre une importante décision qui a le mérite de clarifier un certain nombre de points relativement à la procédure administrative, non contentieuse comme contentieuse, régissant ce genre de dossiers.

Tout d'abord, répondant à une critique des pourvois, le juge indique qu'il découle tant de l'art. L. 425-4 du code de l'urbanisme que des art. L. 752-17 et R. 751-8 du code de commerce que l'État a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale.

Ensuite, répondant là ausi à une critique qui pouvait sembler assez forte, le Conseil d’État relève, d'une part que, en dépit de ce que le secrétariat de la CNAC est assuré par les services du ministre chargé du commerce, il est constant que la Commission n'est pas soumise au pouvoir hiérarchique des ministres, qui n'ont pas le pouvoir de réformer ses avis et décisions et qu'ainsi il n'est pas anormal que le code de commerce ait prévu que son président a qualité pour représenter l'État devant les juridictions administratives dans ces litiges. Il peut donc, par suite logique, signer les recours et mémoires présentés devant le Conseil d’État au nom de l'État nonobstant les dispositions contraires du second alinéa de l'article R. 432-4 CJA. Présentés au nom de l'État, de tels recours et mémoires sont dispensés du ministère d'avocat au Conseil d’État (cf. art. R. 432-4, al. 1, CJA).

Également, il résulte des art. L. 911-1 et L. 911-2 CJA que « le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial » sans que puisse y faire obstacle la circonstance que cette Commission soit chargée d'instruire les recours dont elle est saisie (cf. art. R. 752-36 c. com.). On peut trouver surprenante cette dernière solution.

Enfin, et ceci limite assez la portée de ce qui précède, l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable de la CNAC n'implique, pour elle, qu'une obligation de réexamen du projet sauf dans le cas où les motifs de l'annulation retenus par le juge administratif impliquent nécessairement la délivrance par elle d'un avis favorable. 

(22 novembre 2021, Société Taninges distribution, n° 441118 ; Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 442107, jonction)

 

75 - Droit public de l'agriculture - Structures foncières agricoles - Autorisation préalable d'agrandissement d'une surface agricole - Nouvelle superficie excédant le seuil fixé au schéma directeur départemental des structures - Notion d'agrandissement - Portée de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole - Rejet.

Il résulte des dispositions du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime que sont soumises à autorisation préalable les agrandissements d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur départemental des structures.

En l'espèce, l'associé-exploitant d'une société civile d'exploitation agricole n'ayant pas sollicité l'autorisation prévue par la disposition précitée, a été mis demeure de régulariser sa situation puis, l'intéressé n'y ayant pas déféré, il lui a été enjoint de cesser l'exploitation des terres concernées et infligé une sanction pécuniaire de 78 223 euros.

Le Conseil d’État rejette les deux arguments principaux développés par le requérant : le premier portant sur la notion juridique d'agrandissement au sens et pour l'application de l'art. précité et le second sur les effets de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006.

Le Conseil d’État estime tout d'abord que la disposition litigieuse s'applique lorsque l'agrandissement de la surface agricole résulte d'un rachat, par une personne physique, de parts d'une société à objet agricole, si cette personne participe effectivement aux travaux et doit, par suite, être regardée comme mettant en valeur les surfaces exploitées par cette société.

Interprétant, ensuite, de manière singulièrement restrictive les dispositions de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, le Conseil d’État juge, sans autrement s'expliquer, que si celle-ci a retiré de la liste des opérations soumises à autorisation certaines modifications dans la répartition des parts ou actions des sociétés à objet agricole, elle ne saurait cependant avoir eu pour effet, contrairement à ce que soutient le demandeur, d'exempter d'autorisation celles des opérations d'extension qui se traduiraient par une modification dans la répartition des parts ou actions des sociétés à objet agricole.

(30 novembre 2021, M. I., n° 439742)

 

Droit social et action sociale

 

76 - Engagement dans un parcours de sortie de la prostitution - Décision préfectorale de refus - Office du juge saisi d'un recours en annulation de ce rejet - Erreur de droit - Annulation.

La requérante s'est vu refuser par le préfet l'autorisation  d'engagement dans un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle qu'elle sollicitait. Après rejet de son recours en première instance elle saisit le Conseil d’État qui annule le rejet de sa requête.

Il estime que les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant fondé le refus opposé par le préfet à la demanderesse car, au moment où elle demandait  l'autorisation d'engagement dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, elle n'avait pas encore arrêté de se prostituer et n'avait pas déposé de plainte à raison d'infractions portant sur la traite des êtres humains ou le proxénétisme, d'où ils en ont déduit l'absence de réalité de l'engagement de la personne.

Le Conseil d’État juge, au contraire, que la juridiction saisie doit examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, tout comme il incombe au préfet, lorsqu'il se prononce sur la demande initiale d'engagement dans le parcours au vu de l'instruction et de l'avis de l'association agréée et de l'avis de la commission compétente, de prendre sa décision en considération des mêmes éléments et de vérifier la réalité de l'engagement de la personne à sortir de la prostitution. Lorsqu'il se prononce sur une demande de renouvellement, il tient compte du respect de ses engagements par la personne accompagnée ainsi que des difficultés rencontrées, au vu desquels la commission, après avoir examiné la mise en œuvre des actions menées au bénéfice de la personne, a rendu son avis.

(19 novembre 2021, Mme C., n° 440802)

 

77 - Observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation - Désignation par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département d'un membre pour siéger à cet observatoire - Appréciation de la représentativité - Critère de l'audience - Critère de l'activité dans le département - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

L'article L. 2234-4 du code du travail prévoit l'existence d'un observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation dans chaque département ; cet organisme a pour objet de favoriser et d'encourager le développement du dialogue social et la négociation collective au sein des entreprises de moins de cinquante salariés du département. Il est notamment composé, dans la limite de six organisations par département,  de « membres, salariés et employeurs ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département et par les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel et multiprofessionnel » (cf. art. L. 2234-5 c. trav.). Les critères de représentativité sont le respect des valeurs républicaines, l'indépendance, la transparence financière, l'ancienneté dans le champ professionnel et géographique concerné, l'audience, l'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience, et, enfin, les effectifs d'adhérents et les cotisations (cf. art. L. 2121-1 c. trav.).

Selon le juge, l'autorité administrative, qui doit tenir compte de l'audience, déterminée en fonction des résultats aux élections professionnelles, n'a pas à retenir les différents seuils d'audience auxquels le 5° de l'article L. 2121-1 c. trav. se réfère selon les niveaux de négociation car ils sont, dans ce cadre, sans objet et inapplicables.

C'est donc sans erreur de droit qu'en l'espèce la cour administrative d'appel s'est abstenue de se référer à ces seuils d'audience. En revanche, elle a inexactement qualifié les faits en jugeant que l'organisation syndicale requérante ne satisfaisait pas à la condition de représentativité posée à l'article L. 2234-5 précité pour pouvoir désigner un représentant au sein de l'observatoire précité.

(19 novembre 2021, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 443858)

 

78 - Revenu de solidarité active (RSA) - Demande d'allocation de ce revenu en qualité d'ascendant à charge d'un citoyen de l'Union européenne - Fille de nationalité française - Rejet.

La demanderesse ne peut se prévaloir de la qualité d'ascendante d'une ressortissante de l'Union européenne de nationalité française pour obtenir le bénéfice du revenu de solidarité active, les dispositions de l'art. L. 121-1 (reprises depuis à l'art. L. 233-1) du CESEDA qu'elle invoque ne s'appliquant qu'à des personnes accueillies en France par des ressortissants de l'Union exerçant eux-mêmes leur droit au séjour, non à celles accueillies par des Français.

(19 novembre 2021, Mme H., n° 448443)

 

79 - Avis de droit - Indu de revenu de solidarité active (RSA) - Amende administrative pour omission de déclaration ou fausse déclaration d'éléments ayant entraîné l'indu de RSA - Soumission ou non à l'obligation préalable d'un recours administratif préalable au recours contentieux - Absence.

Si l'art. L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles subordonne toute réclamation contentieuse dirigée contre une décision relative au RSA à l'exercice préalable d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental, cette disposition n'est pas applicable au recours dirigé contre la décision de ce même agent infligeant l'amende administrative pour fausse déclaration ou omission délibérée de déclaration ayant abouti au versement indu du RSA, cette dernière étant régie par les dispositions, spécifiques à cette amende, de l'art. L. 246-52 dudit code.

(19 novembre 2021, Mme C., n° 454699)

 

80 - Organisations professionnelles d'employeurs - Appréciation de leur représentativité - Critère de l'activité et de l'expérience - Influence retenue d'une organisation professionnelle s'exerçant seulement sur une partie des activités relevant de la convention collective en cause - Rejet.

Pour déterminer la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs, le 5° du I de l'article L. 2151-1 du code du travail retient notamment un critère tiré de l'expérience qui prend en compte à titre prioritaire l'activité et l'expérience. Or la requérante soutenait qu'avait été retenue à ce titre comme représentative une fédération professionnelle dont l'influence ne portait que pour une part seulement des activités relevant du champ de la convention collective concernée. L'argument est rejeté, le Conseil d'État estimant que l'appréciation de cette influence doit se faire globalement avec l'ancienneté de l'organisation et son audience. L'exercice d'une partie seulement des activités entrant dans le champ de la convention collective n'empêche l'intéressée de satisfaire au critère susrappelé.

(22 novembre 2021, Fédération française des services à la personne, n° 431275)

(81) V. aussi, jugeant notamment que le vote des agents publics aux institutions représentatives du personnel dans les établissements de l'enseignement privé non lucratif couverts par la convention collective nationale ne peuvent pas être retenus pour déterminer la représentativité des organisations syndicales dès lors que cette convention ne régit que les relations entre les employeurs relevant de son champ et leurs salariés de droit privé : 22 novembre 2021, Ministre du travail, n° 431431.

(82) V. également, s'agissant de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale du personnel des centres équestres : 22 novembre 2021, Fédération française d'équitation, n° 431927.

(83) V. encore, à propos de la fixation de la liste des organisations représentatives dans la convention collective nationale de l'enseignement agricole privé : 22 novembre 2021, Syndicat national de l'enseignement privé CFE-CGC (SYNEP CFE-CGC), Syndicat national de l'enseignement privé initial (SNEIP-CGT) et Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT (FERC-CGT), n° 433536.

 

84 - Licenciement d'un salarié protégé - Avis favorable de l'inspection du travail - Annulation par le juge d'appel pour non-recherche de la gravité de la faute reprochée - Office du juge - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'inspection du travail avait donné un avis favorable au projet de licenciement d'un salarié protégé (conseiller prudhomal) du requérant. La cour administrative d'appel, par un arrêt infirmatif, avait annulé cette autorisation motif pris de ce qu'il ne résultait pas des pièces du dossier que l'inspecteur du travail avait recherché si le licenciement était justifié par une « faute grave » ainsi que l'exigent les stipulations de l'article 33 de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit car il était de l'office du juge saisi d'un tel grief de se prononcer lui-même, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, y compris, le cas échéant, celles fixées dans la convention collective qui lui était applicable, sur le bien-fondé de l'appréciation de l'autorité administrative selon laquelle les faits reprochés étaient de nature à justifier le projet de licenciement. 

(24 novembre 2021, Institut Avenir Provence, n° 432331)

 

85 - Licenciement d'une salariée - Refus d'autorisation opposé par l'inspection du travail confirmé par le ministre - Faits justificatifs du licenciement jugés comme « apparaissant » prescrits - Insuffisance de motivation - Annulation avec renvoi.

Une autorisation de licenciement est refusée en raison de ce que les faits invoqués pour le justifier sont prescrits. L'employeur conteste la réalité de la prescription. Une cour administrative d'appel rejette l'appel en raison de ce que les faits « apparaissaient » prescrits. Une motivation dubitative ne constitue pas une motivation : l'arrêt est très logiquement cassé pour n'avoir pas mis le juge de cassation en mesure d'exercer son office.

(24 novembre 2021, Association « Coordination des œuvres sociales et médicales» (COSEM), n° 433075)

 

86 - Droit au logement - Reconnaissance d'une personne comme prioritaire au logement - Refus du logement proposé - Condition d'exercice du pouvoir d'injonction du juge - Rejet.

Rappel de ce que lorsqu'un demandeur reconnu par une commission de médiation comme prioritaire et devant être logé ou relogé en urgence refuse un logement qui lui est proposé, le juge administratif, saisi par lui d'un recours tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement (cf. art. L. 441-2-3-1, c. de la construct. et habitat.), ne peut adresser une injonction à l'administration que si l'offre qu'il a rejetée n'était pas adaptée à ses besoins et capacités tels que reconnus par la commission ou si, bien que cette offre soit adaptée, il fait état d'un motif impérieux de nature à justifier son refus.

En ce cas, l'administration doit être regardée comme étant déliée de son obligation de lui proposer un logement conforme aux préconisations de la décision de la commission de médiation.

(30 novembre 2021, Mme B., n° 436148)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élections municipales et communautaires - Compte de campagne – Dépôt tardif – Conditions d’envoi de ce compte – Caractère non probant – Inéligibilité confirmée – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de fait que le tribunal administratif, après avoir constaté le dépôt tardif du compte de campagne du requérant et en l’absence de valeur probante des éléments qu’il apporte pour tenter de démontrer l’existence d’un dépôt de ce compte suivi de son envoi dans le temps légal, a sanctionné l’irrégularité ainsi commise par une inéligibilité de trois mois.

(4 novembre 2021, M. E., n° 453522)

(88) V., avec solutions comparables : 9 novembre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allonnes, n° 448318 ou, pour une inéligibilité de six mois : 18 novembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Ajaccio, n° 451971 ou encore : 22 novembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune du Beausset, n° 453026.

(89) V aussi, confirmant une inéligibilité pour dix-huit mois, alors que le compte de campagne a été visé par un expert-comptable mais qu’il a été déposé tardivement et n’était pas accompagné des justificatifs des recettes et des dépenses : 10 novembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Besançon, n° 450388.

(90) Comparer avec la décision qui, tout en relevant l’importance du montant des dépenses en cause dans un compte déposé hors délai, constate le caractère non délibéré du manquement et annule la partie d’un jugement prononçant l’inéligibilité de l’intéressé : 9 novembre 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Asnières-sur-Seine, n° 448221 ou encore avec celle jugeant que si le compte de campagne doit en l’espèce être rejeté, le montant faible du déficit (moins de 2500 euros) permet de dispenser l’intéressée de l’inéligibilité : 16 novembre 2021, Mme F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-François, n° 451512 ; v. aussi, assez semblable en substance : 16 novembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Morne-à-l’Eau, n° 451514.

(91) Voir, confirmant par la sanction de l’inéligibilité entraînant une démission d’office du candidat dont le mandataire financier figure sur sa liste électorale en violation de l’art. L. 52-6 du code électoral : 10 novembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Goussainville, n° 451001 ; Mme L., Él. mun. et cnautaires de la commune de Goussainville, n° 451039.

(92) Voir également, censurant sur ce point le jugement de première instance, la décision proclamant l'inéligibilité d'une candidate administratrice de la société d'économie mixte de la commune, laquelle est une entreprise de services municipaux, bien qu'elle soit la seule des quatre administrateurs qui ne soit pas un représentant de la commune car à ce titre elle est la seule à pouvoir voter sans devoir se déporter sur les dossiers relatifs à des contrats ou des marchés concernant la commune, d'où le rôle prépondérant qu'elle joue au sein du conseil d'administration de cette société : 22 novembre 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montreuil-sous-Bois, n° 448743.

 

93 - Élections des conseillers régionaux – Conclusions dirigées contre un premier tour de scrutin sans résultat – Irrecevabilité – Possibilité d’exciper d’éventuelles irrégularités entachant ce tour au soutien d’une protestation dirigée contre le second tour – Rejet.

Tout d’abord, le juge rappelle qu’est irrecevable une protestation dirigée contre un premier tour de scrutin à l’issue duquel aucun résultat n’a été proclamé même si celui-ci a conduit à l’élimination de la liste du candidat requérant. En revanche, il est loisible d’invoquer des irrégularités qui auraient entaché ce premier tour au soutien d’un recours dirigé contre le second tour des opérations électorales.

Ensuite, s’agissant du second tour, le protestataire soulève des moyens qui soit ne sont pas assortis d’éléments permettant d’en apprécier le bien-fondé, soit n’ont pas altéré la sincérité du scrutin comme la composition incomplète de bureaux de vote ou l’ouverture tardive de certains d’entre eux, le taux élevé d’abstentions n’étant pas différent des autres circonscriptions métropolitaines ou ultra-marines.

(4 novembre 2021, M. G., Élections de conseillers régionaux de Guadeloupe, n° 454069)

(94) V. aussi, pour une application à des élections régionales de cette règle d'irrecevabilité d'une protestation dirigée contre un premier tour à l'issue duquel n'a été proclamé aucun élu et sur son extension aux conclusions dirigées contre la décision de la commission départementale de recensement des votes relative à la validité des bulletins de vote ainsi que contre le refus du préfet d'invalider certains suffrages, qui ne sont, en tout état de cause, pas détachables des opérations électorales : 22 novembre 2021, M. C., Élections des conseillers régionaux de la région Normandie, n° 453941.

 

95 - Élections municipales et communautaires – Protestataire ayant annoncé la production ultérieure d’un mémoire complémentaire – Expiration du délai d’un mois – Désistement d’office.

En contentieux électoral, le protestataire qui n’a pas produit avant l’expiration du délai d’un mois (art. R. 611-22 et R. 611-23 c. électoral) le mémoire complémentaire qu’il avait annoncé, est réputé s’être désisté de sa requête.

(10 novembre 2021, M. K., Él. mun. et cnautaires de la commune de Soisy-sous-Montmorency, n° 448589)

 

96 - Élections municipales et communautaires – Griefs tirés d’irrégularités diverses – Décès d’un responsable de liste entre les deux tours – Inéligibilité de certains agents du conseil régional – Fonctions ne figurant pas dans l’énumération du 8° de l’art. L. 231 du code électoral – Rejet.

Cette décision, d’ailleurs rendue en chambres réunies, situation peu fréquente en contentieux électoral, est intéressante à un double titre par-delà les habituels griefs, tous rejetés, tenant aux incidents ayant émaillé la campagne électorale.

En premier lieu, dans le silence du code électoral sur ce point, le Conseil d’État juge qu’en cas de décès d’un responsable de liste entre les deux tours de scrutin, le deuxième de cette liste doit être considéré comme lui succédant pour l'accomplissement des opérations de candidature du second tour.

En second lieu, était contestée l’éligibilité d’un candidat en sa qualité d’agent employé par le conseil régional ; les fonctions qu’il occupe ne figurent pas dans l’énumération du 8° de l’art. L. 231 du code électoral (selon lequel « Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : (...) 8° Les personnes exerçant, au sein du conseil régional (...), les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l'assemblée ou du président du conseil exécutif (...) »). Le Conseil d’État, fidèle à sa jurisprudence habituelle, considère cette énumération comme non limitative et recherche si la réalité des fonctions exercées ne confère pas à leur titulaire des responsabilités équivalentes à celles exercées par les personnes mentionnées par ces dispositions. En l’espèce, il constate que ce n’est pas le cas car, ainsi que jugé par le tribunal administratif, l’intéressé occupait, par contrat, un poste de directeur de projet au sein de la direction de la communication et de la marque de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, correspondant au grade d'administrateur. Chargé en particulier de développer les relations avec les institutions et la presse nationales et d'assurer la promotion de la marque « Région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur », il exerçait des fonctions d'expertise stratégique en matière de communication auprès de la directrice de la communication et de la marque, sans mission d'encadrement de personnel, et ne disposait d'aucune délégation de signature ni d'aucun pouvoir de décision.

(8 novembre 2021, Mme T., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allauch, n° 450970 ; Mme Robineau- Chailan, Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allauch, n° 451000)

(97) V. aussi, pour un florilège des moyens développés en contentieux électoral : 22 novembre 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villetaneuse, n° 448292 ou : 22 novembre 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villemomble, n° 450484 ou également : M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondy, n° 450598.

 

98 - Élections municipales et communautaires – Délai dans lequel doit statuer le tribunal administratif - Irrégularités de certains suffrages exprimés - Élément nouveau de polémique électorale - Soutien sur les réseaux sociaux - Confirmation de l'annulation des deux tours du scrutin.

Le tribunal administratif saisi d'un recours dirigé contre les résultats d'une élection qui s'est déroulée lors du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, doit surseoir à statuer jusqu'à la réception des décisions de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à compter de laquelle il dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer. En l'espèce, les décisions de cette commission ayant été notifiées au tribunal administratif le 9 décembre 2020, celui-ci n'a pas jugé hors délai en se prononçant le 12 février 2021 sur le recours dont il était saisi, soit moins de trois mois après que la commission lui a notifié sa décision.

Le juge d'appel estime irréguliers un certain nombre de suffrages, outre une partie de ceux déjà relevés en première instance et confirmés en appel, en raison des différences significatives et systématiques entre les signatures portées lors du premier et du second tours du scrutin. Cela le conduit à déduire hypothétiquement de chaque liste seize suffrages.

Enfin, des accusations graves ont été portées contre la maire sortante pour prise illégale d'intérêts au moyen de divers instruments de diffusion reprenant, en le tronquant et en le truquant, une partie d'un article de presse ; celles-ci ont été portées trop tardivement à la connaissance des électeurs pour permettre à la maire de répliquer utilement et entachent la sincérité du scrutin. Par ailleurs, on ne saurait soutenir que cette irrégularité aurait été «compensée» par les publications appelant sur les réseaux sociaux à voter pour la maire sortante notamment de la part d'un célèbre joueur de football évoluant au PSG (avant, peut-être, de devenir madrilène ?) et d'une bien connue influenceuse.

C'est donc sans erreur que le tribunal administratif a annulé les opérations électorales des 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Bondy.

(22 novembre 2021, M. A. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondy, n° 450598)

 

99 - Élections municipales -  Fraude électorale - Personnes sanctionnables - Inéligibilité pour fraude - Dossier communiqué au procureur de la république - Rejet.

Des élections municipales sont arguées de fraude en ce qui concerne les conditions de recueil de 118 procurations ainsi que de constatation de l'identité des mandants.

Le Conseil d’État décide, et c'est là l'intérêt principal de la décision, que la faculté pour le juge de l'élection de déclarer inéligibiles, d'office le cas échéant, les candidats ayant personnellement accompli des manœuvres frauduleuses ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin litigieux, s'applique aux candidats qui,  « informés de l'existence ou de la préparation de telles manœuvres, se sont abstenus de prendre toute mesure utile en vue de les prévenir ou d'y mettre fin ». La solution pourrait sembler donner une extension très large à la notion d'auteur d'une fraude, elle est pourtant très logique et particulièrement bienvenue dans une matière où la moralité des comportements est une composante de la légalité s'agissant d'une opération consubstantielle à l'idée de démocratie.

(10 novembre 2021, M. K., Élections municipales d'Arue, n° 450401)

 

100 - Élection des adjoints - Communes de plus de mille habitants - Obligation d'une liste alternée par sexe - Caractère unisexué des deux dernières candidatures - Irrégularité - Rejet.

Dans les communes de plus de mille habitants les adjoints sont élus au scrutin de liste à partir d'une liste composée alternativement d'un homme et d'une femme. En l'espèce, où neuf adjoints devaient être élus, la liste comportait, pour les deux derniers postes d'adjoints à pourvoir, deux candidats de même sexe. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont annulé l'élection de l'ensemble de la liste.

(19 novembre 2021, Élection des adjoints de la commune de Chennevières-sur-Marne, n° 451305)

 

101 - Élections municipales et communautaires – Crise sanitaire - Faible taux de participation - Autres griefs - Rejet.

Rappel, une énième fois, que ne sauraient être annulées des opérations électorales motif pris de ce qu'en raison de leur déroulement pendant la crise sanitaire de Covid-19, le taux d'abstention y aurait été très élevé : d'une part la loi n'impose pas un taux minimum de participation, d'autre part, il n'est pas établi que ce taux aurait porté atteinte à la sincérité du scrutin. Au reste, un recours contentieux est possible, le cas échéant, contre les résultats obtenus. Les autres griefs (attribution de salles pour des réunions électorales, affiches électorales dégradées, nombre d'assesseurs pouvant être désignés, absence irrégulière de bulletins ou mauvaise disposition de ceux-ci) sont rejetés comme non établis ou impuissants à affecter la sincérité du scrutin.

(18 novembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Mireval, n° 445197)

(102) V., semblable sur ce point : 19 novembre 2021, Mme F.,  Él. mun. et cnautaires de la commune d'Aimargues, n° 445632.

 

103 - Élection du maire et de ses adjoints - Caractère définitif de l'élection, contestée,  d'un adjoint - Rejet.

L'appel dirigé contre le jugement rejetant la protestation d'un conseiller municipal contre l'élection du troisième adjoint au maire est irrecevable dès lors que cette élection a acquis un caractère définitif.

(19 novembre 2021, M. H., Élection d'un adjoint au maire de la commune de Verchin, n° 446482)

 

104 - Élection des adjoints - Ordre de leur présentation sur la liste - Obligation de les proclamer élus dans cet ordre - Notion de contentieux électoral - Compétence du Conseil d’État par connexité - Déféré préfectoral - Délai de saisine du juge par ce déféré - Versions successives du tableau du conseil municipal - Inexistence des actes administratifs - Annulation très partielle, rejet pour l'essentiel.

La décision ici rapportée est très riche par le nombre et la diversité des questions soulevées.

Le préfet de la Loire-Atlantique avait demandé au tribunal administratif de Nantes de rectifier les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 mai 2020 en vue de l'élection des adjoints au maire de la commune de La Haye-Fouassière, de proclamer élus les adjoints au maire dans l'ordre de leur présentation sur la liste «Ensemble, vivons La Haye-Fouassière» ou d'enjoindre au conseil municipal de procéder à une nouvelle élection, de déclarer inexistante la seconde version de la proclamation des résultats des opérations électorales du 28 mai 2020, transmise le 11 juin, d'annuler pour excès de pouvoir les trois versions du tableau du conseil municipal, transmises respectivement les 29 mai, 5 juin et 11 juin 2020 ou, à titre subsidiaire, de déclarer inexistante la version transmise le 11 juin et d'enjoindre au maire d'établir un nouveau tableau du conseil municipal tenant compte de la rectification de l'ordre des adjoints et classant les autres conseillers municipaux selon l'ordre prescrit par l'article L. 2121-1 du code général des collectivités territoriales. Toutes ces demandes ont été rejetées en première instance ; le préfet déférant interjette appel, ce dernier est, pour l'essentiel, rejeté.

À l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune, les vingt-sept sièges de conseillers municipaux ont été pourvus. Le 28 mai 2020, les conseillers municipaux se sont réunis afin de procéder à l'installation du conseil municipal. Après l'élection du maire, la séance s'est poursuivie par la fixation du nombre d'adjoints au maire suivie de leur élection. Puis, par courriel du 29 mai, le maire a transmis à la préfecture de la Loire-Atlantique le procès-verbal de l'élection du maire et des adjoints, auquel était annexée la feuille de proclamation des résultats ainsi que le tableau du conseil municipal, il est alors apparu, d'une part, que les adjoints au maire ne figuraient pas selon leur ordre de présentation sur la liste soumise au vote des conseillers municipaux ni sur la feuille de proclamation annexée au procès-verbal ni sur le tableau du conseil municipal, d'autre part que les conseillers municipaux autres que les adjoints au maire n'étaient pas classés sur le tableau du conseil municipal par priorité d'âge, à nombre de voix égal. Par courriel du 5 juin 2020, le maire a adressé à la préfecture une deuxième version du tableau du conseil municipal, datée du 28 mai, dans laquelle les conseillers municipaux autres que les adjoints au maire étaient classés, à nombre de voix égal, par priorité d'âge. Enfin par courriel du 11 juin 2020, le maire a transmis à la préfecture, d'une part, le procès-verbal de l'élection, auquel était annexée une seconde version de la feuille de proclamation des résultats, datée du 28 mai, faisant figurer les adjoints au maire dans le même ordre que celui de la liste soumise au vote des conseillers municipaux, d'autre part, une troisième version du tableau du conseil municipal, également datée du 28 mai, faisant figurer les adjoints au maire dans cet ordre et les autres conseillers municipaux par priorité d'âge, à nombre de voix égal.

Une première question se posait dans la mesure où, manifestement, le préfet avait suivi dans cette affaire la procédure ordinaire du contentieux électoral alors que l'établissement du tableau du conseil municipal est distinct des opérations électorales et de la proclamation des résultats de ces opérations, d'où il résulte que le litige relatif à ce tableau n'a pas le caractère d'un litige en matière électorale et ne relève donc pas de la compétence d'appel du Conseil d'État. Toutefois, en raison de la connexité existant entre le déféré préfectoral et l'appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif concernant l'élection du maire et des adjoints, le Conseil d’État accepte de statuer sur le litige portant sur les trois versions successives du tableau.

En deuxième lieu, le préfet disposait de quinze jours à compter de la réception du procès-verbal des opérations électorales pour saisir le juge, y compris en cas de transmission, comme ici, par voie électronique (solution nouvelle et qui n'allait pas de soi). Or, alors que ce délai expirait le 15 juin 2020 à vingt-quatre heures, le déféré contre les deux premières versions du tableau n'a été enregistré au greffe du tribunal administratif que le 17 juillet 2020. Le déféré était tardif mais, comme on va le voir, seulement en tant qu'il tendait à l'annulation de la proclamation des résultats de l'élection des adjoints au maire. 

En troisième lieu, dès lors que le code électoral interdit à toute autre personne que la juridiction administrative saisie de rectifier les résultats de l'élection du maire et des adjoints tels qu'ils ont été transcrits au procès-verbal signé des membres du bureau de vote, le maire ne pouvait pas, comme il l'a fait en l'espèce, « apporter la moindre rectification à l'annexe au procès-verbal des opérations électorales ». C'est pourquoi le préfet requérant estimait cet acte inexistant mais le Conseil d’État refuse cette qualification d'acte nul et de nul effet car, relève-t-il, « la modification à laquelle il a pourtant été procédé en l'espèce n'a pas altéré le résultat des opérations électorales mais a uniquement visé à faire apparaître les adjoints dans l'ordre prescrit par l'article L. 2121-1 du CGCT ». C'est donc sans erreur que le tribunal administratif a rejeté sur ce point le déféré préfectoral.

En quatrième lieu, puisque la critique du contenu du tableau du conseil municipal ne relève pas du contentieux électoral c'est le délai de recours de droit commun qui doit être appliqué, soit deux mois. Ce délai a été respecté par le déféré préfectoral et c'est à tort que le tribunal l'a rejeté sur ce point en se fondant sur sa tardiveté. Passant à l'examen des première et deuxièm versions dudit tableau, le juge constate le non-respect des prescriptions législatives (cf. le II de l'art. L. 2121-1 CGCT) et déclare le préfet fondé à en demander l'annulation pour excès de pouvoir. Puis, s'agissant de la troisième version du tableau, du 11 juin 2020, même à la supposer antidatée comme le soutient le préfet, cette circonstance ne saurait la faire regarder comme inexistante en raison de son objet qui était de respecter les prescriptions légales. Le préfet est seulement fondé à en demander l'annulation que dans la mesure où ce tableau a entendu produire effet entre le 28 mai et le 11 juin 2020.

Maigre consolation du représentant de l'État dans le département...

(22 novembre 2021, Préfet de la Loire-Atlantique, Élection des adjoints au maire de la commune de La Haye-Fouassière, n° 445758)

 

105 - Élection présidentielle de 2022 - Demande d'injonction envers le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réglementation des sondages - Temps de parole des candidats déclarés - Incompétence du juge du référé de l'art. L. 521-3 CJA - Rejet.

Une personne ayant fait connaître sa décision de se porter candidate à l'élection présidentielle du printemps 2022 saisit le juge du référé de l'art. L. 521-3 du refus que lui a opposé le CSA de modifier sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, afin d'y préciser les règles d'élaboration des sondages d'opinion susceptibles d'être pris en compte pour apprécier le caractère équitable des temps d'intervention des candidats au regard de leur représentativité. Dans l'attente du jugement au fond du rejet implicite de cette demande, il saisit le juge des référés du Conseil d’État afin qu'il enjoigne au CSA de prendre une délibération fixant provisoirement de telles règles et d'assurer provisoirement un temps minimal de quinze minutes par semaine d'expression de tous les candidats publiquement déclarés à la prochaine élection présidentielle dans les médias se trouvant sous son contrôle à des heures de grande audience.

Le recours est rejeté pour irrecevabilité, le référé de l'art. L. 521-3 ne pouvant produire d'effets qui ne seraient pas produits par les référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA.

(25 novembre 2021, M. A., n ° 458424)

 

Environnement

 

106 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

V. n° 135

 

107 - Création d'une centrale à cycle combiné gaz dans le cadre du « pacte électrique breton » conclu entre plusieurs organismes publics – Autorisation préfectorale en vue de cette création – Demande d’annulation – Rejet.

Les requérantes contestaient la décision d’un préfet autorisant, au terme d’un appel d’offres, une société à construire une centrale à cycle combiné gaz. Deux des moyens soulevés ont donné lieu à d’importantes réponses du Conseil d’État.

En premier lieu, était reproché le non-respect, par l’étude d’impact réalisée en vue de cette opération, du 5° de l’art. R. 122-5 du code de l’environnement, selon lequel l’étude d’impact présente « Une esquisse des principales solutions de substitution examinées par le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l'environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu ». Le moyen est rejeté car une telle étude « peut légalement s'abstenir de présenter des solutions qui ont été écartées en amont et qui n'ont, par conséquent, pas été envisagées par le maître d'ouvrage ».

En second lieu, le juge de cassation  réserve au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond la question de savoir si, conformément aux dispositions de l’art. L. 181-27 du code de l’environnement, la société pétitionnaire dispose des capacités techniques et financières lui permettant « de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 (c. env.) et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 (c. env.) lors de la cessation d'activité ». 

(15 novembre 2021, Association Force 5 et autres, n° 432819)

(108) V. aussi, assez comparable et avec rejet de la requête : 15 novembre 2021, Association Force 5, n° 434742.

 

109 - Directive européenne instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable – Transposition dans le code rural et de la pêche maritime – Absence alléguée de prise des mesures d’application – Aires de captage d’eau potable – Utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000 visés à l'article L. 414-1 du code de l'environnement – Rejet et annulation partiels avec injonction d’édicter des mesures d’application sous six mois.

L’association demandait l’annulation pour excès de pouvoir du rejet implicite de sa demande de prendre les mesures d'application des 2° et 3° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime intervenus en transposition des articles 11 et 12 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

S’agissant de l'interdiction ou de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les zones de captage de l'eau potable destinée à la consommation humaine mentionnées au 1° de l'article R. 212-4 du code de l'environnement, la requête est rejetée car soit au titre de la règlementation applicable aux aires d'alimentation des captages d'eau potable prévue par le code de l'environnement et le code rural et de la pêche maritime, soit au titre de la réglementation applicable aux prélèvements d'eau destinée à la consommation humaine prévue par le code de l'environnement et le code de la santé publique, l'autorité administrative, en fonction des caractéristiques de la zone de captage et des activités humaines susceptibles de s'y exercer, peut interdire ou encadrer, dans les conditions fixés par ces réglementations spéciales, l'usage de toute substance, y compris de produits phytopharmaceutiques afin de garantir la qualité des eaux prélevées destinées à la consommation humaine. Ces réglementations mettent donc bien en œuvre les dispositions du 2° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, conformément aux exigences posées par la directive du 21 octobre 2009 précitée.

S’agissant, en revanche, de l'interdiction ou de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000 visés à l'article L. 414-1 du code de l'environnement, le Conseil d’État juge que le pouvoir réglementaire n’a pas adopté les mesures qu'il était tenu de prendre pour l'application des dispositions du 3° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne ces sites. Le recours est accueilli sur ce point et injonction est faite d’édicter sous six mois les mesures d’application de ce dernier texte.

(15 novembre 2021, Association France Nature Environnement, n° 437613)

 

110 - Référé suspension - Contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et des quadricycles - Directive européenne fixant au 1er janvier 2022 l'instauration d'un contrôle technique de certains véhicules - Non-respect par un décret - Existence prévue d'alternative - Absence d'urgence - Rejet.

Il était demandé la suspension d'exécution du décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et qu'il prévoit des dispositions transitoires alors qu'une directive fixe au 1er janvier 2022 la date d'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur.

La requête est rejetée au prix d'une motivation embarrassée et peu convaincante. Il n'y aurait pas urgence à statuer, d'une part, car la directive invoquée n'instaurerait pas une obligation univoque mais ouvrirait la faculté aux États membres de ne pas imposer d'obligation de contrôle technique aux véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3 lorsqu'ils ont mis en place et notifié à la Commission européenne des mesures alternatives de sécurité routière en tenant compte des statistiques pertinentes de sécurité routière et, d'autre part, compte tenu de ce que le recours en annulation de ce même décret pour ce même motif viendra à l'audience dans le courant du premier semestre 2022.

(ord. réf. 16 novembre 2021, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris Sans Voiture, n° 457399)

 

111 - Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) - Classement des terrains - Objet - Régime et conditions du classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Suite à d'importantes inondations, un préfet abroge le PPRI existant et prescrit l'élaboration d'un nouveau plan. Celui-ci classant des parcelles appartenant à la requérante en zone rouge R1, cette dernière saisit la justice administrative et in fine se pourvoit en cassation contre l'arrêt d'appel confirmatif du rejet de son recours en première instance.

Le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence antérieure (cf. 6 avril 2016, Commune d'Alès et autres, n° 386000), déduit de dispositions du code de l'environnement (art. L. 562-1 et R. 562-3) « que le classement de terrains par un plan de prévention des risques d'inondation a pour objet de déterminer, en fonction de la nature et de l'intensité du risque auquel ces terrains sont exposés, les interdictions et prescriptions nécessaires, à titre préventif, notamment pour ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ».

Il suit de là, selon lui, que le plan doit être arrêté après un examen in concreto et non théorique des éléments de fait (existence et état des ouvrages de protection, altimétrie des terrains inclus dans ou exclus du PPRI, classement en fonction du degré de risque...).

En l'espèce, la société requérante faisait valoir l'exhaussement, par remblaiement, des terrains classés en zone rouge R1 et donc la modification subséquente de leur altimétrie, pour prétendre ce classement illégal. La cour a jugé que le préfet pouvait, lors de l'établissement du nouveau PPRI, s'abstenir de tenir compte de la modification de l'altimétrie de terrains résultant d'une opération de remblaiement au motif que celle-ci avait eu lieu dans des conditions estimées irrégulières et présentait, à ce seul titre, un caractère précaire dans l'attente d'une éventuelle régularisation dont la cour n'excluait d'ailleurs pas la possibilité.

Ce jugeant elle a commis une erreur de droit, l'altimétrie des terrains devant être éventuellement classés à risque devant s'apprécier à la date à laquelle le PPRI est établi.

(24 novembre 2021, Société «Les quatre chemins», n° 436071)

 

112 - Notion de « déchets » - Droit de l'Union - Code de l'environnement - Cas du stockage de pneumatiques usagés - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

Il résulte tant des dispositions de l'article 3 de la directive n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets que de celles de l'art. L. 541-1-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de cette directive, que sont des déchets les biens dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention de se défaire.

En jugeant que des pneumatiques ne pouvaient pas être regardés comme des déchets s'ils n'avaient pas été recherchés comme tels dans le processus de production dont ils sont issus, une cour administrative d'appel commet une erreur de droit.

(24 novembre 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 437105)

 

État-civil et nationalité

 

113 - Action en changement de nom – Nom illustre au plan national – Absence – Motif affectif ne caractérisant pas un intérêt légitime – Nom en voie d’extinction en ligne directe comme en ligne collatérale – Absence d’erreur de droit – Rejet.

L’intéressé, qui s’était vu refuser par le garde des sceaux l’autorisation de changer de nom a saisi le juge administratif en annulation dudit refus qui, tant en première instance qu’en appel lui a donné gain de cause. Le garde des sceaux, débouté en son appel, se pourvoit.

La cour administrative d’appel avait admis les trois motifs invoqués par le demandeur au soutien de sa requête en changement de nom : ce nom est porté par sa mère, il a un caractère illustre et enfin cette demande repose sur un motif affectif.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’arrêt querellé devant lui deux erreurs dans la qualification des faits.

D’une part, c’est à tort que la cour a retenu le motif tiré du caractère illustre de ce nom au plan national même s’il a été porté sous l'Ancien régime par des descendants de familles royales et des membres de la cour et par Jacques-François de Menou, baron de Bussay, président de l'assemblée constituante en mars 1790, général en chef de l'armée d'Orient en 1800 et dont le nom est gravé sur un pilier de l'Arc de Triomphe et en dépit du caractère éminent des fonctions occupées par certains membres de cette famille.

D’autre part, la cour a fait droit, à tort, au motif affectif invoqué par le requérant en raison de son projet de reprendre la gestion d'un domaine familial dont ses parents sont propriétaires et qui appartenait à son grand-père maternel.

En revanche, faisant application du deuxième alinéa de l’art. 61 du code civil (« La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré »), il approuve la cour d’avoir examiné, à partir de la descendance en ligne directe et en ligne collatérale issue de cet ascendant du demandeur au quatrième degré, si le nom est en voie d'extinction et d’avoir, pour ce motif également, jugé illégal le refus opposé par le garde des sceaux.

La demande d’annulation de l’arrêt par le garde des sceaux est rejetée, ce dernier motif suffisant à en justifier le dispositif.

(9 novembre 2021, M. Q., n° 448719)

(114) V. aussi, rejetant une opposition à autorisation de changement de nom, la décision qui estime, d’une part, qu’est légitime la demande de relèvement d’un nom en voie d’extinction porté par un ascendant ou collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré, et d’autre part, que ce risque d’extinction s’apprécie au sein d’une même famille sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’existent des porteurs du nom revendiqué qui sont susceptibles de le transmettre : 9 novembre 2021, M. de J. et autres, n° 450752.

 

Étrangers

 

115 - Réfugiés – Convention de Genève et art. L. 711-6 CESEDA - Office de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Étendue différente de cet office selon que la CNDA est saisie d’un recours contre une décision mettant fin à ce statut sans remise en cause de cette qualité par l’OFPRA ou qu’elle est saisie d’une demande de l’OFPRA tendant à la remise en cause de cette qualité – Rejet.

Le requérant, de nationalité russe et d'origine tchétchène, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2009. Par suite de sa condamnation, en 2013, pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme commis dans le département de la Sarthe, en Turquie et en Russie, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), se fondant sur le 2° de l'article L. 711-6 du CESEDA, a, par une décision du 30 mai 2018, mis fin à son statut de réfugié en raison de ce qu’il avait été condamné en dernier ressort en France pour un délit constituant un acte de terrorisme et que sa présence en France constituait une menace grave pour la société. Saisie par l’intéressé, la Cour nationale du droit d'asile a dénié à l'intéressé la qualité de réfugié en application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève et a annulé, par une décision du 6 février 2020, la décision du 30 mai 2018 de l'OFPRA, d’où le pourvoi.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État apporte une précision d’où il fait découler une distinction qui a des effets importants sur l’office de la CNDA.

Tout d’abord, le juge précise que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711-6 du CESEDA, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié.

Ensuite se déduisent de là deux situations.

Première situation : la CNDA est saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé. En cette hypothèse, la CNDA n’a pas à vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA.

Seconde hypothèse :  Dans le cadre d'un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d'un demandeur d'asile, la cour est saisie par l'OFPRA, en cours d'instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé. En ce cas s’impose à elle l’obligation de vérifier qu’il remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA.

(9 novembre 2021, M. K., n° 439891)

 

116 - Demandeur d’asile – Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Annonce du dépôt d’un mémoire complémentaire – Recours insusceptible de remettre en cause la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Rejet du recours sans attendre la réception des observations complémentaires annoncées – Rejet.

Lorsqu’un demandeur d'asile qui conteste une décision de l'OFPRA devant la Cour nationale du droit d'asile annonce dans son recours son intention de produire des observations complémentaires, la cour, tenue de statuer dans les délais prévus à l'article L. 731-2 du CESEDA sur les recours dont elle est saisie, peut, après avoir mis en mesure le requérant de prendre connaissance des pièces du dossier et après examen de l'affaire par un rapporteur, rejeter le recours par ordonnance sur le fondement du 5° de l'article R. 733-4 du CESEDA s'il ne présente aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'OFPRA, sans attendre la production des observations annoncées ni avoir imparti au requérant de le produire dans un délai déterminé et attendu l'expiration de ce délai.

(10 novembre 2021, Mme G., n° 447265)

(117) Voir, identiques : 10 novembre 2021, M. E., n° 447279 ; 10 novembre 2021, M. M., n° 447293 ; Mme I., n° 447309 ; M. G., n° 447310.

 

118 - Réfugié syrien – Demande d’asile – Refus de l’OFPRA pour agissements contraires aux buts des Nations Unies – Octroi de l’asile par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) non entaché de qualification inexacte des faits – Rejet.

Voilà une affaire délicate malaisée à juger.

L’OFPRA, sur le fondement de l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), avait refusé à un ressortissant syrien l’asile qu’il sollicitait. La CNDA annule ce refus ; l’OFPRA se pourvoit et son pourvoi est rejeté.

En bref, il était reproché à l’intéressé, qui est médecin, d’avoir perpétré des actes de torture sur des détenus ou sur des personnes hospitalisées.

La Cour a estimé que celui-ci, eu égard aux activités exclusivement médicales auxquelles il s'était livré, à l'absence de participation, même indirecte, aux actes de torture perpétrés par les services du régime syrien dans les établissements où il a été affecté et dont il a pu être témoin, et à l'incapacité dans laquelle il se trouvait de faire obstacle à ces agissements répréhensibles, quand bien même il a gravi les échelons de la police syrienne jusqu'à en être promu colonel en 2012, ne pouvait pas être exclu du bénéfice de l’asile sur le fondement des dispositions du c) de la section F de l'article 1er de la convention de Genève qui excluent l’octroi de l’asile aux individus personnellement impliqués dans des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Le Conseil d’État estime cette décision suffisamment motivée après une analyse serrée des faits quant au comportement de l’intéressé notamment dans l’exercice de ses fonctions dans le cadre d’une prison et d’un hôpital.

Il a, à la suite de la Cour, relevé, d’une part, que le demandeur d’asile « exerçait exclusivement des fonctions administratives et médicales et n'entretenait pas de lien avec les forces de sécurité, que, s'il a été témoin d'agissements répréhensibles de cette nature, il ne résultait pas de l'instruction qu'il aurait pu être en capacité d'y faire obstacle, au-delà de la réprobation qu'il a exprimée et de demandes tendant à ce que ces exactions cessent au sein de l'hôpital, et, enfin, qu'il a demandé que des sanctions disciplinaires soient prises contre des personnels de l'hôpital ayant insulté ou maltraité des patients, lesquels ont finalement été mutés » et, d’autre part, que « sunnite originaire de la ville rebelle de Deraa, M. F. a fait l'objet à plusieurs reprises de soupçons et de mises en garde de la part de responsables de la sécurité et a dû fuir la Syrie dès le mois d'août 2012, alors qu'il venait d'être promu colonel. »

On mesure aisément combien délicats à juger sont ces sortes de dossiers.

(10 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447059)

(119) V. aussi, très semblable et concernant également un individu de nationalité russe et d’origine tchétchène : 18 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 444991.

 

120 - Réfugié – Décision de l’OFPRA mettant fin à son statut - Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Qualification juridique inexacte des faits – Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits au plan juridique l’arrêt de la CNDA qui, annulant la décision de l’OFPRA mettant fin au statut de réfugié jusque-là reconnu à un individu, estime que la présence en France de ce dernier ne constitue pas, à la date de sa décision, une menace grave pour la société française, au sens du 2° de l'article L. 711-6 du CESEDA alors qu’il a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour des faits de vol avec violences et de violences en réunion à l'encontre de deux personnes qu'il a agressées à leur domicile, délit qui est puni de dix ans de prison, que l’un de ses trois frères a été condamné pour des actes de terrorisme, qu’il s’est lui-même fait remarquer, lors de sa détention, entre juin 2012 et novembre 2015, par une pratique rigoriste de l'islam et par sa proximité avec plusieurs détenus condamnés pour des actes de terrorisme, qu’il a aussi été soupçonné de participer au recrutement de codétenus pour le « djihad » et qu’après sa sortie de prison, il a poursuivi ses relations avec des personnes appartenant à des groupements « djihadistes ». Par ailleurs, il ne saurait se prévaloir de ce qu'il a suivi une formation, consulté un médecin psychiatre et commencé à indemniser ses victimes car ces actions répondaient aux obligations de sa mise à l'épreuve de deux ans décidée par le juge pénal pour lui permettre de bénéficier d'un sursis d'un an sur sa peine de prison. 

(18 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 441397)

 

Fonction publique et agents publics

 

121 - Ressortissant indien se prévalant d’avoir été recruté par les services français du renseignement – Demande indemnitaire couvrant rémunérations dues et préjudices subis – Inexistence d’un emploi permanent occupé par ce ressortissant – Erreur de droit – Rejet et annulation sans renvoi.

L’affaire était assez mystérieuse, bien dans le style des romans d’espionnage en forme de poker menteur.

Un ressortissant indien, naturalisé français, affirme avoir été employé par les services français du renseignement pendant sept années et réclame de ce chef une indemnité couvrant les rémunérations qu’il estime lui être dues ainsi que la réparation des dommages qu’il a subi du fait de son refus de poursuivre ces missions.

Ayant essuyé une décision de refus de la part du ministre de l’intérieur, il saisit la justice administrative, en vain, d’où son pourvoi. Ce dernier est rejeté.

Tout d’abord, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’arrêt d’appel en ce qu’il contient une erreur de droit dans la mesure où, pour rejeter l’appel dont elle était saisie, la cour a estimé que le requérant n’occupait pas du fait de ses fonctions prétendues un emploi budgétairement ouvert dans un service considéré, inséré dans une chaîne hiérarchique déterminée et comportant des attributions stables et déterminées, il ne pouvait donc pas être considéré comme occupant un emploi permanent. L’arrêt est annulé car aucun texte ni aucun principe ne fixe de telles exigences, un emploi permanent de la fonction publique pouvant être pourvu par un agent contractuel soit lorsqu'il implique un service à temps incomplet, soit dans les cas limitativement prévus à l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984. Le caractère permanent d'un emploi doit donc s'apprécier – contrairement à ce qu’a jugé la cour - au regard de la nature du besoin auquel répond cet emploi.

Ensuite, le juge de cassation réglant l’affaire au fond, rejette le recours par le double motif, d’une part, que s’il est certain que l’intéressé a perçu des rétributions pour fourniture « de renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits » (cf. loi du 21 janvier 1995), celui-ci se prévaut d’un contrat conclu avec les services du renseignement sans apporter la preuve de son existence et contredisant son affirmation de première instance selon laquelle il n’aurait pas passé de contrat, et d’autre part, qu’il n’établit pas le bien-fondé de ses allégations relatives aux préjudices qu’il aurait subis.

(5 novembre 2021, M. G., n° 443810)

 

122 - Militaire radié des contrôles à l’expiration du contrat d’engagement – Ordre de reversement d’un trop-perçu – Absence de forclusion en raison de l’obligation de mobilité – Annulation sans renvoi.

Radié des contrôles à l’expiration de son contrat d’engagement, un militaire fait l’objet, au titre de la répétition de l’indu, d’un ordre de reversement du trop-perçu de certaines sommes. L’ordre de reversement ayant été envoyé à l’ancienne adresse de ce militaire, ce dernier prétend échapper à son obligation de paiement en invoquant la prescription biennale de la créance de l’État. La cour administrative d’appel, infirmant très partiellement le jugement de première instance, a déchargé entièrement l’intéressé de l’obligation de payer.

La ministre des armées se pourvoit.

Le Conseil d’État rappelle que les anciens militaires de carrière sont soumis, à certaines conditions, à une obligation de disponibilité constituant la « réserve militaire » ; au rang des obligations en découlant figure la nécessité pour l’ancien militaire d'avertir l'autorité militaire de tout changement dans sa situation personnelle susceptible d'affecter l'accomplissement de cette obligation, ainsi en va-t-il d’un changement d’adresse (art. R. 4231-3 code de la défense) et cela alors même qu’il n’aurait pas reçu, en violation des dispositions de l’art. R. 4231-1 du code de la défense, la notification écrite indiquant « la durée de sa disponibilité, les sujétions qui en découlent ainsi que, le cas échéant, son unité et son lieu d'affectation ». Par suite, la créance n’était pas prescrite contrairement à ce qui avait été jugé en appel.

Juridiquement impeccable la solution – le litige portant sur neuf mille euros environ – est un peu sévère au regard du manquement du créancier à une obligation stricte de notification.

(5 novembre 2021, Ministre des armées, n° 448092)

 

123 - Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Comité technique – Compétences consultatives respectives – Personnel de l’administration centrale et des trois services à compétence nationale de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – Rejet.

Rappel de ce qu’il résulte, d’une part, des art. 34, 35 et 36 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'État et, d’autre part, de l’art. 47 du décret du 28 mai 1982 pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 11 janvier 1984, qu'une question ou un projet de disposition ne doit être soumis à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail que si le comité technique ne doit pas lui-même être consulté sur la question ou le projet de disposition en cause. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne doit ainsi être saisi que d'une question ou projet de disposition concernant exclusivement la santé, la sécurité ou les conditions de travail. En revanche, lorsqu'une question ou un projet de disposition concerne ces matières et l'une des matières énumérées à l'article 34 du décret du 15 février 2011, seul le comité technique doit être obligatoirement consulté.

En l’espèce, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n’avait pas à être consulté sur une note de service relative au temps de travail question qui relève de la compétence du comité technique. De ce chef le recours est rejeté.

(10 novembre 2021, Syndicat Solidaires CCRF et SCL, n° 445353)

 

124 - Poste vacant dans une administration – Administration décidant de pourvoir un poste vacant par affectation après réintégration – Existence de prérequis mentionnés dans l’avis de vacance - Obligations s’imposant à l’administration dans l’examen des candidatures – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les prérequis définis dans l'avis de vacance d’un poste conditionnent l'admissibilité des candidatures individuelles en vue de leur classement selon les seuls critères prévus par le quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, sans pouvoir, eux-mêmes, donner lieu à aucun classement des candidatures par l'administration.

En effet, lorsque, comme en l’espèce, l’administration a fait le choix de pourvoir un poste vacant par la voie de l’affectation après réintégration, elle a l’obligation de comparer l'ensemble des candidatures dont elle est saisie, au titre des mutations comme des affectations après réintégration, en fonction, d'une part, de l'intérêt du service, d'autre part, si celle-ci est invoquée, de la situation de famille des intéressés appréciée, pour ce qui concerne les agents qui demandent leur mutation, compte tenu des priorités fixées par les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984. 

(10 novembre 2021, Mme E., n° 447693 ; ministre de l’éducation nationale, n° 447897, jonction)

 

125 - Militaire – Bonification du cinquième du temps de service – Conditions – Conditions non réunies – Rejet et annulation.

Les art. L. 12 et R. 25-1 du code des pensions civiles militaires de retraite prévoient, au profit des militaires, la bonification du cinquième du temps des services militaires effectivement accomplis, dans la limite d’un plafond de vingt trimestres.

Le Conseil d’État rappelle que ces dispositions, en prenant pour base de calcul de la bonification une durée de « services militaires effectifs », entendent en exclure, d’une part, les services accomplis à titre civil et d’autre part, tous les congés ne figurant pas parmi ceux limitativement énumérés à l’art. 12 précité.

(10 novembre 2021, Mme A., n° 449124)

(126) V. aussi, même solution mutatis mutandis s’agissant d’appliquer le coefficient de minoration en cas d’insuffisance de la durée totale de cotisation pour la retraite (art. L. 14, code des pensions civiles et militaires) calculée sur la durée des seuls « services militaires effectifs » y compris les congés limitativement énumérés à l’art. 12 dudit code : 10 novembre 2021, Mme B., n° 449574.

 

127 - Concours interne d’accès à l’ÉNA – Allégation de diverses irrégularités dans le déroulement des épreuves comme dans la notation – Rejet.

La requérante, qui a obtenu la note de cinq sur vingt à l’épreuve de grand oral, demande l’annulation de cette note, de la délibération du jury sur laquelle son nom ne figure pas au titre des admis, du rejet de son recours gracieux et l’octroi d’indemnités au titre de divers préjudices. Sans surprise aucune, le recours est rejeté.

Le recours contre la note n’était pas recevable car celle-ci n’est pas détachable de la décision finale du jury dressant la liste de ceux des candidats admis.

Les vices de forme qui auraient entaché la délibération litigieuse manquent en fait.

Concernant l’obligation du port du masque, d’une part, celle-ci s’imposait aux candidats au concours d’entrée à l’ÉNA en vertu de l’art. 35 du décret du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l'épidémie de Covid, d’autre part, la circonstance que cette obligation n’ait été effective qu’à partir du 27 octobre, pour regrettable qu’elle soit, n’a pas entraîné une rupture de l’égalité entre les candidats.

Enfin, la requérante n’établit pas son allégation selon laquelle la note obtenue au grand oral serait le résultat d’une discrimination à raison de son origine et de sa double nationalité.

(15 novembre 2021, Mme I., n° 453244)

 

128 - Fonctionnaire placé en congé spécial - Retrait de cette autorisation - Absence d'atteinte grave et immédiate aux intérêts de la requérante - Annulation de la suspension ordonnée en première instance.

La directrice générale des services d'une commune avait été admise, sur sa demande, au bénéfice d'un congé spécial par arrêté du 15 avril 2020 ; lors du changement de municipalité consécutif aux élections de 2020, le nouveau maire, par arrêté du 28 juillet 2020, a retiré le précédent arrêté et réintégré l'intéressée dans ses fonctions antérieures.

Sur saisine de cette dernière, le juge des référés a suspendu ce dernier arrêté et enjoint à la commune de Vals-près-le-Puy d'exécuter dans toutes ses conséquences l'arrêté du 15 avril 2020, remis en vigueur par cette ordonnance.

La commune se pourvoit contre cette ordonnance de référé suspension.

Le Conseil d’État considère que le retrait du bénéfice du congé spécial, qui entraînait ipso facto la réintégration de l'intéressée dans ses fonctions, ne portait pas atteinte à sa situation financière ni non plus à ses conditions d'existence dont, d'ailleurs, il n'était nullement soutenu qu'elles auraient été bouleversées par ce retrait. Par suite, c'est au prix d'une dénaturation des faits que l'ordonnance attaquée a suspendu l'arrêté municipal portant retrait du bénéfice du congé spécial ; le recours de la commune est donc accueilli.

(22 novembre 2021, Commune de Vals-près-le-Puy, n° 444484)

 

129 - Fonction publique territoriale - Principe de parité avec la fonction publique d'État - Maintien intégral de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux fonctionnaires placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie - Situation jugée n'être pas plus favorable que celle faite aux fonctionnaires d'État - Erreur de droit - Annulation sans renvoi.

La communauté d'agglomération Ardenne Métropole ayant décidé le maintien du versement intégral de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux fonctionnaires placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie, le préfet des Ardennes a déféré cette délibération à la censure du juge au motif qu'elle ne respecte pas le principe de parité institué par la loi entre les agents des deux fonctions publiques, territoriale et d'État (cf. art. 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale). Selon ce principe, « Le régime indemnitaire fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et les conseils d'administration des établissements publics locaux pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'État exerçant des fonctions équivalentes ».

Si le tribunal administratif a annulé la délibération attaquée, la cour administrative d'appel, après annulation du jugement, a rejeté le recours du préfet, jugeant que les dispositions litigieuses n'étaient pas plus favorables que celles applicables en cette matière à la fonction publique d'État.

L'arrêt est cassé sans renvoi - le Conseil d’État jugeant l'affaire au fond - en raison de l'erreur de droit sur laquelle il repose du fait des dispositions directement contraires à cette solution figurant à l'art. 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

(22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448769)

(130) V., mêmes solutions s'agissant de délibérations identiques du conseil municipal de la commune de Charleville-Mézières (22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448779)  et du centre communal d'action sociale de cette commune (22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448807).

 

131 - Professeurs des universités - Régime des mutations - Profils des postes à pourvoir - Demande de mutation au titre du rapprochement des conjoints - Délibération irrégulière du conseil académique car non suivie de celle du comité de sélection - Décision insuffisamment motivée - Annulation de cette délibération, de celle du comité de sélection, et du décret portant nominations de professeurs sur les postes litigieux - Injonction.

Le requérant, candidat au titre de la mutation pour rapprochement de conjoints, sur des postes vacants d'une université demandait l'annulation de plusieurs décisions liées les unes aux autres. S'agissant de fonctionnaires nommés par décret du président de la république, le litige relevait de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

Celui-ci donne raison, pour l'essentiel, au requérant.

S'agissant de la délibération du conseil académique du 24 avril 2019, celle-ci est entachée d'irrégularité substantielle puisque ce n'est qu'après rejet de la demande de mutation par ce conseil que le comité de sélection peut examiner cette candidature avec les autres candidatures aux mêmes postes. En l'espèce, c'est l'inverse qui s'est produit : le comité de sélection a retenu le 9 avril la candidature de l'intéressé alors que le refus de mutation qui lui a été opposé par le conseil académique résulte d'une délibération qui ne s'est tenue que le 29 avril 2019. De plus, la motivation par ce conseil de son rejet de la mutation sur les trois postes à pourvoir est manifestement insuffisante.

S'agissant des délibérations subséquentes du comité de sélection dont le requérant n'a eu connaissance que le 4 juillet 2019, elles sont illégales par voie de conséquence ; ceci entraîne également l'annulation du décret du 15 janvier 2020 procédant aux nominations de professeurs sur les trois postes à pourvoir.

Enfin, injonction est adressée au conseil académique de se prononcer à nouveau, sous trois mois, sur les candidatures présentées sur chacun des trois postes litigieux.

(23 novembre 2021, M. D., n° 432576)

 

132 - Enseignants vacataires des universités - Contrats à durée déterminée - Absence de licenciement en cas de non-renouvellement d'un contrat arrivé à terme - Rejet.

Rappel de ce que les relations de travail entre les agents chargés d'enseignement et les universités ne peuvent être regardés que comme des contrats à durée déterminée. Par suite, c'est sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a analysé la décision par laquelle le président de l'université a mis fin aux fonctions d'enseignement de la requérante comme une décision de non-renouvellement de son dernier contrat de travail à durée déterminée en qualité de chargée d'enseignement et non comme une mesure de licenciement d'un agent bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée. 

(23 novembre 2021, Mme B., n° 438880)

 

133 - Fonctionnaires de l'Union européenne - Notion "d'entrée au service" au sens du statut des fonctionnaires de l'Union - Affectation initiale ou retour dans cette fonction après une interruption - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Le Conseil d’État, saisi d'un pourvoi contre un jugement du tribunal administratif de Strasbourg, a posé à la CJUE, afin de statuer sur ce pourvoi, la question préjudicielle de savoir si le bénéfice des dispositions du 1. de l'article 11 de l'annexe VIII du règlement fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le statut applicable aux autres agents, est réservé aux seuls fonctionnaires et agents contractuels affectés pour la première fois au sein d'une administration nationale après avoir été employés en qualité de fonctionnaire, agent contractuel ou agent temporaire dans une institution de l'Union européenne, ou s'il est ouvert également aux fonctionnaires et agents contractuels retournant au service d'une administration nationale après avoir exercé des fonctions dans une institution de l'Union européenne et avoir été, pendant cette période, placés en disponibilité ou congé pour convenances personnelles ?

Le tribunal administratif avait estimé ces dispositions applicables seulement dans le cas de l'affectation initiale de l'agent au sein d'une administration.

Suite à la réponse de la Cour (CJUE 4 février 2021, X. c/ contre Ministre de la Transition écologique et solidaire et Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-903/19) selon laquelle cette notion d'« entrée au service » a été jugée comme s'appliquant aussi bien en cas d'affectation initiale qu'en cas de retour de l'agent ayant exercé des fonctions dans le cadre d'une mise en disponibilité ou d'un congé pour convenances personnelles, le Conseil d’État annule le jugement pour erreur de droit et lui renvoie l'affaire.

(24 novembre 2021, M. D., n° 405548)

 

134 - Fonctionnaires du ministère du travail - Notes de service du ministre du travail instaurant une priorité d'accès ou une réservation d'accès à certains postes - Non-respect du principe d'égal accès aux emplois publics - Dispositions indivisibles - Annulation intégrale.

Des notes de service de la ministre du travail du 20 juillet et du 3 août 2017 relatives aux mutations prévoient que certains postes vacants sont ouverts en priorité aux candidatures infrarégionales et réservent l'accès à certains postes d'agents de contrôle de la législation du travail aux membres du corps de l'inspection du travail. 

Celles-ci instaurent pour certains postes une « priorité » de mutation, dite « infrarégionale », à caractère subsidiaire, en faveur des agents qui sont affectés sur un poste situé dans les départements relevant de la même région par rapport aux agents affectés dans des postes situés à l'extérieur à la région qui ne peuvent se prévaloir d'aucune des priorités prévues par le quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984. Cette « priorité » ainsi instituée a pour effet que les candidatures des agents affectés dans des postes situés à l'extérieur de la région en cause ne seront examinées en commission administrative paritaire que pour la prise en compte éventuelle de motifs prioritaires. 

Les syndicats requérants sont ainsi fondés à soutenir que ces notes de service, faisant obstacle à ce que des agents affectés dans des postes situés à l'extérieur des régions en cause et ne pouvant se prévaloir d'aucune des priorités prévus par ce quatrième  alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1964 puissent utilement présenter leurs candidatures en vue d'une mutation sur ceux des postes de ces régions faisant l'objet d'une «priorité» infrarégionale, ont été édictées en méconnaissance du principe d'égal accès aux emplois publics.

Ces dispositions n'étant pas divisibles des autres dispositions de ces notes de service, est prononcée l'annulation intégrale desdites notes.

(24 novembre 2021, Syndicat national solidaire, unitaire et démocratique (Sud-travail affaires sociales) et autres, n° 437958)

 

Hiérarchie des normes

 

135 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

Voilà encore une décision-fleuve (près de 40 000 caractères !). Mais où est donc passée la légendaire imperatoria brevitas du Conseil d’État ?

L’affaire n’était pas banale et le demeure tournant à l’imbroglio. Elle concerne tout autant le droit de l’environnement, la hiérarchie des normes et le dialogue des juges.

A l’origine se trouve une décision du Conseil d’État du 7 février 2020 (Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 388649) qui a :

- en premier lieu, annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande tendant, d'une part, à l'abrogation du a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement et, d'autre part, à ce qu'il prononce un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides,

- en deuxième lieu, enjoint au premier ministre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision, de modifier le a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement, en fixant par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps,

- en troisième lieu, enjoint aux autorités compétentes d'identifier, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la cette décision, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles des variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir et d'apprécier, s'agissant des variétés ainsi identifiées, s'il y a lieu de faire application des dispositions du 2 de l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 et des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l'environnement,

- en quatrième lieu, enjoint, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations formulées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dans son avis du 26 novembre 2019, en matière d'évaluation des risques liés aux VRTH, ou de prendre toute autre mesure équivalente de nature à répondre aux observations de l'agence sur les lacunes des données actuellement disponibles,

- en cinquième lieu, enjoint au Premier ministre de mettre en œuvre la procédure prévue par le 2 de l'article 16 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002, pour être autorisé à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagénèse utilisées en France.

Les organisations demanderesses ont saisi le Conseil d’État d’une requête en mesures d’exécution et d’astreinte car celui-ci avait donné un délai de six mois pour que soit assurée l’exécution des diverses injonctions prononcées le 7 février 2020 et ce délai est expiré depuis plus d’un an sans que les exécutions ordonnées aient eu lieu. Certes le gouvernement a produit devant le Conseil d’État un projet de décret censé avoir cet effet mais il est patent que faute que ce décret ait été pris, les injonctions sont restées lettre morte. Celui-ci note : « Il y aurait donc lieu, pour le Conseil d’État, dans son rôle de juge de l'exécution, de constater l'absence d'exécution de son injonction et de prononcer, le cas échéant, contre l'État une astreinte jusqu'à ce que ladite injonction ait reçu exécution. ».

On aura remarqué l’emploi du conditionnel qui peut sembler étrange dans ce contexte. S’il en est ainsi c’est qu’un grain de sable a grippé la machine. Le projet de décret dont il a été jugé qu’il ne satisfaisait pas à l’obligation d’exécution en raison de sa nature de simple « projet » a été notifié à la Commission européenne, notification obligatoire pour une réglementation technique. Celle-ci, au vu notamment d’un rapport préliminaire du 19 mai 2020 de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), dans lequel celle-ci conclut que les processus et les mécanismes de réparation qui sont déclenchés par l'agent mutagène se produisent au niveau cellulaire et que, dès lors, il n'y a pas de différence dans la manière dont cet agent affecte l'ADN, qu'il soit appliqué in vivo ou in vitro, et qu'il est attendu que le type de mutations induites par un agent mutagène donné soit identique, qu'il soit appliqué in vivo ou in vitro, a rendu un avis circonstancié indiquant notamment que la distinction opérée par le Conseil d’État entre la mutagénèse in vivo et la mutagénèse in vitro n'est étayée ni par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 25 juillet 2018 (Confédération paysanne et alii, aff. C-528/16), ni par la législation de l'Union européenne, ni par les avancées scientifiques de ces techniques. Selon cet avis circonstancié, en effet, il n'y aurait pas de distinction entre les deux techniques, mais un continuum dans les modifications génomiques causées par la mutagénèse aléatoire in vivo et in vitro, ainsi que dans la régénération des plantes qui en résulte.

En conséquence, la Commission, estimant que l'ensemble de la mutagénèse aléatoire devrait être regardée comme une même technique de modification génétique au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, en déduit que le projet de décret mentionné susmentionné méconnaîtrait, d'une part, cette directive en ce qu'il inclut la mutagénèse aléatoire in vitro dans le champ de la réglementation des organismes génétiquement modifiés, d'autre part, l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 en ce qu'il aboutirait au retrait du catalogue commun de variétés remplissant pourtant les conditions pour y figurer et, enfin, la libre circulation des marchandises en ce qu'il conduirait à interdire la commercialisation, en France, de variétés autorisées dans d'autres États membres. Si le Gouvernement français devait adopter, en l'état, ce projet de décret, la Commission indique qu’elle pourrait engager une procédure en constatation de manquement conformément à l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

S’ensuit donc une contradiction assez frontale, d’une part, entre les données scientifiques sur lesquelles se sont fondés, respectivement, le gouvernement français pour élaborer le projet de décret précité et la Commission européenne pour rendre l’avis circonstancié susévoqué et d’autre part, entre le projet français de décret et l’avis européen. Ce que résume très bien le Conseil d’État lorsqu’il écrit : « Il se déduit de ce qui précède que, pour déterminer les techniques de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, au sens de l'arrêt de la Cour de justice du 25 juillet 2018, deux approches s'opposent. Selon une première approche, qui est celle de la Commission européenne et de l'EFSA, il convient, à cette fin, de ne prendre en compte que le processus par lequel le matériel génétique est modifié tandis que, selon une seconde approche, qui a été celle retenue par le Conseil d’État dans sa décision du 7 février 2020, il convient de prendre en compte l'ensemble des incidences sur l'organisme du procédé utilisé dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter la santé humaine ou l'environnement, que ces incidences proviennent de l'agent mutagène ou de la méthode de reconstitution de la plante, le cas échéant, employée. »

Parvenu à ce stade, le lecteur doit se souvenir que tout ce qui précède n’est pas en réalité l’objet du litige mais conditionne absolument la solution à donner au litige, à savoir la sanction du non-respect par le gouvernement français d’injonctions à lui adressées par le Conseil d’État.

On comprend aisément que cela passe par un renvoi à la CJUE de deux questions préjudicielles.

Si le Conseil formule et adresse ces questions et demande à la Cour de justice de statuer selon la procédure d’urgence ou, à défaut, en classant prioritairement ce litige par rapport aux autres litiges actuellement soumis à la Cour, il n’en décide pas moins, en l’état du dossier, de condamner l’État, d’une part, à une astreinte de 100 000 euros par semestre de retard s'il ne justifie pas avoir, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, adopté un plan d'action définissant les mesures retenues en vue d'évaluer les risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides pour la santé humaine et le milieu aquatique, en exécution de l'injonction mentionnée à l'article 4 de la décision du 7 février 2020, et d’autre part à une astreinte de 500 euros par jour de retard (ce qui fait 91 000 euros par semestre) s'il ne justifie pas avoir, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, exécuté l'injonction mentionnée à l'article 5 de la décision du 7 février 2020.

Par un enchaînement diabolique, digne du Woody Allen de « Match Point », ou, plutôt, par une inattendue mutagénèse, un simple litige d’inexécution d’injonction prend des proportions considérables du fait de l’imbrication normative entre droit interne et droit de l’Union

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

 

Libertés fondamentales

 

136 - Ressortissant palestinien – Assignation à résidence – Obligation de présentation quadri-journalière à la gendarmerie – Atteinte excessive à la liberté d’aller et venir – Annulation.

En l’absence de tout élément particulier avancé à l’appui de cette mesure, la cour administrative d’appel ne pouvait pas considérer comme régulier l’arrêté préfectoral imposant au requérant, assigné à résidence, de se présenter quatre fois par jour, à 9 heures 15, 11 heures 45, 15 heures 15 et 17 heures 45, à la brigade de gendarmerie, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, alors qu’il porte une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir.

(4 novembre 2021, M. C., n° 439405)

 

137 - Ressortissant camerounais - Père d'un enfant de mère française - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Naissance postérieure de l'enfant - Obligation de réexamen de la situation de l'intéressé - Absence - Annulation.

Un ressortissant camerounais faisant l'objet d'une OQTF tente de s'y opposer en invoquant sa qualité de père d'un enfant de mère française. Le recours est rejeté car l'enfant n'est pas encore né.

Après la naissance de ce dernier, le 24 juillet 2021, il incombait au préfet de procéder à un réexamen de la situation du père au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant du requérant et au droit de celui-ci à une vie familiale normale sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l'intéressé soit connu sous différentes identités, ait été interpellé pour des faits de détention, acquisition et transport non autorisé de stupéfiants ou soit connu au fichier automatisé des empreintes digitales, dès lors qu'aucune poursuite pénale n'a été engagée à son encontre à la suite des diverses interpellations dont il a fait l'objet. Faute de ce réexamen  existe une atteinte aux libertés susénoncées et celles-ci sont constitutives de l'urgence, ce qui justifie que soit suspendu l'arrêté préfectoral emportant OQTF adressé au requérant.

L'ordonnance de rejet du 15 octobre 2021 est annulée.

(ord. réf. 19 novembre 2021, M. C., n° 458056)

 

138 - Référé liberté - Personnes gardées à vue - Protection de leur vie et de leur santé - Propreté des locaux de garde à vue - «Kits d'hygiène» - Protection contre l'épidémie de Covid-19 - Injonction au ministre de l'intérieur de prendre d'urgence des mesures d'information des intéressés.

La requérante demandait au juge du référé liberté, suite aux recommandations de la  contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dans un rapport publié au Journal officiel, d'ordonner au ministre de l'intérieur la prise d'un certain  nombre de mesures de nature à protéger la dignité des personnes en garde à vue ainsi que leur santé et leur hygiène.

Deux des trois séries de mesures sollicitées sont accordées en raison de l'urgence découlant de l'atteinte à la dignité des personnes gardées à vue. Il est enjoint à ce ministre : d'une part, de prendre les dispositions utiles pour que les «kits d'hygiène» soient disponibles et systématiquement proposés aux personnes gardées à vue, d'autre part, de prendre les mesures permettant d'informer les personnes gardées à vue des possibilités qui leur sont offertes en matière de protection contre les risques découlant de l'épidémie de Covid-19.

En revanche, il n'est pas possible au juge du référé liberté d'ordonner qu'à très bref délai il soit mis fin à des dysfonctionnements structurels affectant la propreté des locaux de garde à vue.

C'est le rappel, à nouveau, que l'urgence de l'art. L. 521-2 CJA (référé liberté) n'est pas celle de l'art. L. 521-1 (référé suspension), elle suppose et une urgence à statuer et une possibilité d'exécution urgente, quasi-immédiate, de ce qui est ordonné.

(ord. réf. 22 novembre 2021, Association des avocats pénalistes, n° 456924)

 

139 - Référé suspension - Défaut d'urgence, le juge étant saisi plus de deux mois après la mise en oeuvre de la décision contestée -  Rejet.

Alors que les décisions du jury de passage de l'Ecole polytechnique fixant le classement final des élèves de la promotion 2018 et les admissions dans les services publics et, notamment, les admissions dans le corps des mines et son admission dans le corps des ingénieurs de l'armement, ont été prises le 20 mai 2021, la requérante saisit le juge du référé de diverses demandes de suspension le 9 novembre 2021. La scolarité à l'École ayant débuté depuis plus de deux mois, elle ne saurait invoquer l'urgence à suspendre ces décisions ; son recours est rejeté sans qu'il y ait lieu pour le juge de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées.

(22 novembre 2021, Mme A., n° 458302)

 

140 - Liberté de culte - Fermeture d'un lieu de culte - Conditions et régime juridique - Prévention d'actes de terrorisme - Éléments de fait de nature à justifier une telle fermeture - Rejet.

L'association requérante demandait au juge du référé liberté l'annulation de l'ordonnance refusant de suspendre l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet de la Sarthe a prononcé, sur le fondement de l'art. L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la fermeture pour une durée de six mois du lieu de culte Mosquée d'Allonnes, situé à Allonnes.

Réuni en formation collégiale de référé, le Conseil, statuant par voie d'appel, donne une extension importante au champ d'application des dispositions de cet article qui pourrait prêter à critique si elle n'était pas justifiée par un souci de réalisme et d'efficacité dans la lutte pour la protection des personnes contre une menace terroriste multiforme et omniprésente.

Selon ce texte tel que l'a interprété le Conseil constitutionnel lors de son examen, la mesure de fermeture d'un lieu de culte ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et à condition que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent soit constituent une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, soit provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou en font l'apologie. 

Toute la difficulté de cette affaire consistait à relever les éléments de fait établissant, le cas échéant, l'existence de tels actes. C'est la raison principale de la réunion, ici, en formation collégiale pour statuer en état de référé.

Posant le cadre juridique de la détermination des éléments pouvant être retenus comme manifestant des signes de menace, les juges écrivent :

« 4. La provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, à la commission d'actes de terrorisme ou à l'apologie de tels actes peut, outre des propos tenus au sein du lieu de culte, résulter des propos exprimés, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par les responsables de l'association chargée de la gestion de ce lieu ou par les personnes en charge du culte qui y officient ainsi que des propos émanant de tiers et diffusés dans les médias ou sur les réseaux sociaux relevant de la responsabilité de cette association ou de ces personnes en charge du culte.
5. Peut également révéler la diffusion, au sein du lieu de culte, (l'existence de tels comportements) (...), notamment, la fréquentation du lieu de culte par des tiers prônant ces idées ou théories, l'engagement en faveur de telles idées ou théories des responsables de l'association chargée de la gestion de ce lieu et des personnes en charge du culte qui y officient ou la présence, sur le lieu de culte ou dans des lieux contrôlés par l'association gestionnaire ou les officiants du culte, d'ouvrages ou de supports en faveur de ces idées ou théories. »

Appliquant ces principes au cas de l'espèce, la juridiction des référés estime justifiée la mesure de fermeture provisoire de ce lieu de culte du fait d'éléments figurant dans les notes blanches précises et circonstanciées des services de renseignements, soumises au débat contradictoire d'où il résulte, d'une part, que (X et Y) ont lors de prêches, fait l'apologie du «djihad» par les armes et tenu des propos haineux à l'encontre des «mécréants», d'autre part, que certains des dirigeants des associations gestionnaires du lieu de culte, de leurs membres actifs et des personnes nommément désignées, ont légitimé les attentats terroristes commis en France, notamment celui du 16 octobre 2020 ayant causé la mort de M. B. et celui du 23 avril 2021 contre le commissariat de Rambouillet, enfin, que certaines de ces personnes ont mis en œuvre un prosélytisme radical envers des jeunes fréquentant le lieu de culte. Si l'association requérante produit notamment de nombreuses attestations de personnes se présentant comme des fidèles de ce lieu de culte, qui certifient ne jamais avoir entendu de tels propos, et de collègues et connaissances de M. A. témoignant de ses qualités professionnelles et humaines, ces attestations, rédigées pour la plupart en termes généraux, ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments précis et concordants relevés par le préfet, qui établissent la diffusion, au sein de la mosquée d'Allonnes, d'idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme au sens de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.

(ord. réf., form. coll., 29 novembre 2021, Association Al Qalam, n° 458385)

 

Police

 

141 - Police sanitaire – Certificat de vaccination ou de non-contamination par la Covid-19 (passe sanitaire) – Agents publics territoriaux - Note de service le rendant obligatoire – Champ d’application excessif – Atteinte aux libertés fondamentales – Rejet.

Le syndicat requérant, par voie de référé liberté, demandait l’annulation d’une note de service du directeur général des services de la région Occitanie imposant à certaines catégories de personnes dans certaines circonstances la présentation d'un certificat de non contamination par la Covid-19 (passe sanitaire) dans les services généraux de la collectivité. Le requérant faisait valoir qu’en imposant cette exigence à des agents qui n'interviennent pas nécessairement et à tout moment dans des espaces et aux heures accessibles à un public soumis à la présentation d'un passe sanitaire, la note de service étend cette mesure qui porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux des agents au-delà de son champ d'application légal et réglementaire, sans que cela soit au demeurant nécessaire ni proportionné. 

Pour rejeter la requête, le juge des référés retient, d’une part, que cette note ne s’applique, s’agissant des agents de musées, qu’à ceux dont les « missions les amènent à être en contact régulier avec le public » et, s’agissant des agents des services protocole et accueil de la DRPP, qu’à ceux qui interviennent sur les lieux de manifestation et, d’autre part, que cette obligation ne s’applique pas à ceux des agents qui, exerçant des fonctions purement administratives, ne sont pas en contact avec le public. Enfin, l’absence d’un planning général recensant pour chaque agent les moments et activités de la journée où, en contact avec du public, il est soumis à l’obligation du passe et ceux, autres, où il en est dispensé, à supposer la chose réalisable, ne révèle pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, étant observé, au surplus, que les agents concernés ne disposant pas d'un passe sanitaire peuvent voir leurs conditions de travail aménagées.

(ord. réf. 2 novembre 2021, Syndicat SUD collectivité territoriale région Occitanie, n° 457346)

 

142 - Stationnement payant – Forfait de post-stationnement – Absence de recours administratif préalable obligatoire – Moyen n’étant pas d’ordre public – Rejet.

En matière de litige relatif au forfait post-stationnement, le moyen tiré de ce que l’automobiliste requérant n’a pas formé de recours administratif préalable obligatoire avant de saisir la commission n’est pas d’ordre public. Le juge saisi n’avait donc pas l’obligation de le soulever d’office et, présenté pour la première fois par la commune devant le juge de cassation, ce moyen y est irrecevable.

(10 novembre 2021, Commune de Strasbourg, n° 435646)

 

143 - Parc national de la Guadeloupe – Pouvoir de police spéciale du directeur du parc – Mesures de protection de la faune et de la flore – Interdiction ou réduction de certaines pratiques sportives – Absence de caractère de sanction – Annulation et rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de la décision du directeur du parc national de la Guadeloupe par laquelle il a abrogé un précédent arrêté qui l’avait autorisée à pratiquer des activités commerciales de kayak et de randonnée palmée ainsi qu'une activité de découverte par bouée tractée sur le site des îlets Pigeon à Bouillante, classé en cœur du parc national et l’a remplacé par un arrêté n'autorisant la location de kayaks et la pratique de randonnée palmée qu'à une fréquence plus restreinte que celle précédemment autorisée et en supprimant l'autorisation de pratiquer l'activité de bouée tractée en raison de  plusieurs infractions commises par la société Caraïbes Pirates relevées au cours de l'année 2016 par les agents du Parc. En réalité la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce en voyant dans cette décision une sanction car dans le cœur du parc national de la Guadeloupe, le directeur du parc dispose d'un pouvoir de police spéciale pour autoriser et réglementer les activités commerciales nouvelles ou les changements de localisation ou d'exercice d'activités existantes, dans le but d'assurer le développement de la faune et de la flore et de préserver le caractère du parc national.  Or une mesure de police ne constitue pas par elle-même une sanction.

(15 novembre 2021, Société Caraïbes Pirates, n° 435662)

 

144 - Police sanitaire - Covid-19 - Restrictions à la circulation des personnes entre La Réunion et le reste du territoire national - Absence de doute sérieux sur la légalité du décret attaqué - Rejet.

Était contesté par voie de référé suspension, le I de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 29 septembre 2021 en tant qu'il fixe les conditions de voyage des personnes non-vaccinées entre la France et la Réunion. 

La demande de suspension est rejetée sans que soit recherchée l'existence d'une urgence dès lors qu'il n'y a pas de doute sérieux quant à la juridicité de la disposition contestée. En effet, les dispositions de l'art. L. 3131-12 du code de la santé publique ne sont pas imprécises contrairement à ce qui est soutenu, l'état sanitaire dans l'île de La Réunion de mi-juillet à mi-octobre 2021 puis à nouveau à compter de novembre 2021 justifiait des mesures restrictives. Celles-ci, nécessaires, adaptées et proportionnées, ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté individuelle et, même, au «principe de fraternité». Au reste, ces dispositions ne concernent que les personnes ne justifiant pas d'une complète vaccination qui sont donc, au regard du risque de contamination, dans une situation identique à celle des personnes complètement vaccinées.

(ord. réf. 16 novembre 2021, M. D. et autres, n° 457686)

(145) V. aussi la solution identique mutatis mutandis concernant la requête de parents d'élèves contestant la même disposition assortie de l'inconstitutionnalité alléguée de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 en tant qu'il prévoit la possibilité de vacciner un mineur avec l'accord d'un seul des parents ainsi que l'éviction des seuls élèves non vaccinés : ord. réf. 16 novembre 2021, Mme V. épouse E. et autres, n° 457687.

(146) V. également, jugeant que n'est pas illégal le refus du premier ministre de suspendre  l'obligation vaccinale pesant sur les professionnels de santé compte tenu de ce que cette obligation vise à éviter la propagation du virus, qu'elle ne porte pas d'atteintes excessives aux droits et aux libertés et de l'accélération de la circulation du virus dans toute la France à partir du début du mois de novembre 2021, d'où le rejet du référé suspension et du référé liberté introduits : ord. réf. 16 novembre 2021, M. J. et autres, n° 458085 et n°458087.

(147) V. encore, estimant que des tests sérologiques établissant un niveau d'immunité suffisant, en particulier en cas de rétablissement depuis plus de six mois, n'établissent pas que l'assurance apportée sur l'immunité contre la Covid-19 par les résultats de test sérologique qu'elle invoque seraient équivalents à ceux d'un test RT-PCR ou d'un test antigénique négatif de moins de six mois : 17 novembre 2021, Mme A., n° 458216.

(148) V. enfin, le rejet du recours fondé sur ce que le maintien par le décret du 10 novembre 2021 du champ d'application géographique et matériel de l'usage du passe sanitaire ne serait plus justifié en raison de l'amélioration de la situation sanitaire et de la bonne couverture vaccinale, le juge retenant la nécessité de maintenir la vigilance sanitaire : ord. réf. 18 novembre 2021, M. B. et Association française des espaces de loisirs indoor, n° 458393.

 

149 - Covid-19 - Motif impérieux d'entrée sur le territoire national - Mariage - Inexécution d'une précédente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État - Engagement pris à l'audience - Non lieu à statuer à fin d'astreinte.

Par plusieurs ordonnances,  du 9 avril 2021 (V. cette Chronique, avril 2021, n°  47 et n° 145) et du 17 juin 2021  (V. cette Chronique, juin 2021, n° 48), le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l'exécution d'une circulaire du premier ministre en tant qu'elle interdisait l'enregistrement et l'instruction de demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français, et d'autre part en tant qu'elle n'autorisait pas l'entrée sur le territoire du titulaire d'un tel visa lorsqu'était invoqué le mariage comme motif (ordonnance du 9 avril), puis ce même juge  a enjoint au premier ministre de modifier la circulaire du 19 mai 2021 pour y indiquer que le mariage en France constitue un motif impérieux permettant le franchissement des frontières, et pour indiquer que le visa délivré dans ce cas peut, si les circonstances et conditions de délivrance sont remplies, être de court ou de long séjour (ordonnance du 17 juin).

Constatant l'ineffectivité de ces injonctions, la requérante dans ces diverses affaires a demandé le prononcé d'une astreinte.

Le juge relève qu'il résulte des échanges entre les parties au cours de l'audience de référé l'engagement pris par le ministre de l'intérieur de donner instruction aux postes consulaires, lorsque le motif impérieux d'entrée sur le territoire national invoqué est le mariage, de procéder à l'instruction de la demande de visa correspondante en vue de la délivrance d'un visa de court ou de long séjour selon que les circonstances et conditions en sont réunies, et de publier sans délai sur le site internet du ministère de l'intérieur cette nouvelle information. Par suite, il décide qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'astreinte.

L'inertie du ministre de l'intérieur n'a pas coûté cher à l'État.

(ord. réf. 19 novembre 2021, Association de soutien aux amoureux au ban public, n° 457726)

 

150 - Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) - Classement des terrains - Objet - Régime et conditions du classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

(24 novembre 2021, Société "Les quatre chemins", n° 436071)

V. n° 111

 

151 - Police des bâtiments en péril - Edifice menaçant ruine - Ordonnance désignant un expert et fixant sa mission - Régime de la communication de cette ordonnance - Tierce opposition - Absence d'appel en cause d'un syndicat de copropriétaires - Pourvoi en cassation requalifié en tierce opposition - Renvoi à la cour administrative d'appel.

La commune d'Aubervilliers a obtenu du juge administratif des référés la désignation d'un expert aux fins d'examiner l'état d'un immeuble et de déterminer, le cas échéant, les mesures à mettre en œuvre.

Le syndicat des copropriétaires de cet immeuble a formé tierce opposition à cette ordonnance dont il a demandé l'annulation à son auteur ; celui-ci l'a annulée en la déclarant nulle et non avenue et a rejeté la demande de la commune.

Cette seconde ordonnance a été annulée par une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles.

Le syndicat des copropriétaires requérant demande au Conseil d’État d'annuler cette dernière ordonnance et de rejeter l'appel de la commune.

Pour répondre à ces demandes, le Conseil d’État est conduit à une longue et complexe analyse de la combinaison du régime de la tierce opposition, d'une part  avec celui issu des dispositions de l'art. L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation sur lesquelles la commune se fonde pour solliciter la mesure d'expertise et d'autre part, avec le principe du caractère contradictoire de l'expertise.

En premier lieu, le Conseil d’État indique que s'il peut mettre en cause le propriétaire du bâtiment et les autres défendeurs éventuels avant de rendre son ordonnance, le juge des référés n'en a toutefois pas l'obligation.

En deuxième lieu, il résulte de ces dispositions, au contraire, d'une part, que le juge des référés a l'obligation de notifier immédiatement à ces personnes l'ordonnance par laquelle il nomme un expert et fixe sa mission puisque l'expertise doit avoir lieu en présence de ces défendeurs et, d'autre part,  s'il rejette la demande du maire et que la commune fait appel de son ordonnance devant le juge des référés de la cour administrative d'appel, que ce dernier n'est pas non plus tenu de mettre en cause le propriétaire du bâtiment et les autres défendeurs éventuels avant de rendre son ordonnance, y compris dans le cas où ceux-ci auraient été mis en cause en première instance. Toutefois, comme au cas précédent, s'il désigne un expert, il a l'obligation de leur notifier l'ordonnance de désignation. 

En troisième lieu, dans le cas où le juge des référés du tribunal administratif fait droit à la demande d'expertise présentée par le maire, le principe du caractère contradictoire de la procédure lui impose, saisi, soit par la voie de l'appel, soit par celle de la tierce opposition, d'une contestation de l'ordonnance ayant ordonné l'expertise, de mettre en cause la commune avant de statuer. Il n'est en revanche pas tenu de mettre en cause les autres personnes auxquelles avait, le cas échéant, été notifiée l'ordonnance ayant nommé l'expert.

Cependant, il a l'obligation de leur notifier son ordonnance lorsque, ressaisi de la demande de la commune, il rejette cette demande ou modifie la mission de l'expert.
Enfin, en quatrième lieu, dans le cas où la commune fait appel d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif ayant, à la demande d'un tiers-opposant, déclaré nulle et non avenue une précédente ordonnance de nomination d'un expert à la demande du maire, le principe du caractère contradictoire de la procédure impose au juge des référés statuant en appel d'appeler à l'instance ce tiers-opposant. Naturellement, comme aux cas précédents, dans cette hypothèse, il n'est pas tenu de mettre en cause les autres personnes auxquelles avait, le cas échéant, été notifiée l'ordonnance ayant nommé l'expert, mais il lui appartient là encore, s'il désigne un expert, de leur notifier son ordonnance. 

Voilà une architecture procédurale bien complexe...

(30 novembre 2021, Syndicat des copropriétaires du 65 avenue de La République à Aubervilliers, n° 439491

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

152 - Covid-19 –Loi du 31 mai 2021 - Pouvoir réglementaire autorisé à porter atteinte au droit absolu d'entrée et de séjour des Français sur le territoire national – Atteintes à divers autres droits et libertés constitutionnels – Atteintes disproportionnées – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant soulevait une QPC à propos des dispositions du 1° du A du II de l'article 1er  de la loi du 31 mai 2021, en tant qu'elles permettent au pouvoir réglementaire de prendre, sur leur fondement, des mesures applicables aux ressortissants français, portent atteinte à leur droit général et absolu d'entrée et de séjour sur le territoire national, rattachable à la liberté d'aller et venir garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à leur droit de mener une vie familiale normale consacré par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qu'elles sont entachées d'incompétence négative et méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales en ne prévoyant pas de limites temporelles aux mesures qu'elles instituent ainsi qu’une atteinte au principe d'égalité entre les citoyens français selon le pays dans lequel ils se trouvent.

La demande de transmission est rejetée.

Le motif principal de ce refus repose sur une erreur d’interprétation du requérant : le premier ministre n’est pas autorisé par ce texte à faire durablement obstacle au droit fondamental de tout  Français de rejoindre le territoire national, mais se voit seulement attribuer la faculté d'imposer, pour une période limitée, les restrictions d'accès qui se révéleraient indispensables pour préserver la situation sanitaire, et à la condition que le bénéfice de telles mesures pour la protection de la santé publique excède manifestement l'atteinte ainsi portée à ce droit. Il s’ensuit que contrairement à l’argumentation du requérant qui fonde sur ce moyen l’essentiel de son recours,  que ces dispositions ne peuvent donc pas être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à exiger des ressortissants français la présentation d'un résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la Covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19 que s'il prévoit, pour ce qui les concerne, des dérogations à ces obligations, notamment dans l'hypothèse où, au vu des conditions dans le pays de résidence ou de la situation des personnes en cause, celles-ci ne seraient pas à même de les respecter et se trouveraient ainsi privées durablement de leur droit de rejoindre le territoire national. 

(8 novembre 2021, M. N., n° 454927)

 

153 - Droit à la communication des documents administratifs – Limitation tenant à la vie privée et à la protection des personnes – Restrictions imposées par la loi en cas de signalement d’un enfant au service d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger et aux services d’aide sociale à l’enfance – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant contestait la constitutionnalité des dispositions de l’art. L. 226-9 du code de l’action sociale et des familles et de celles des 1° et 3° de l’art. L. 311-6 du code des relations du public avec l’administration en ce qu’elles font obstacle à la communication, aux parents d'un enfant dont la situation a été signalée au service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger et aux services de l'aide sociale à l'enfance, des informations leur permettant de se défendre et, en particulier, de l'identité de l'auteur du signalement.

Pour refuser la transmission sollicitée, le Conseil d’État relève tout d’abord la légitimité du but poursuivi par ces dispositions restrictives qui est de permettre une dénonciation sans crainte de représailles et, ensuite, la possibilité pour les parents s’estimant victimes de mauvaise foi ou de dénonciation calomnieuse d’en poursuivre leur auteur devant les juridictions répressives ou civiles et d’obtenir de ces juridictions, le cas échéant, réparation de ces agissements fautifs.

Il n’y a pas, dans ce mécanisme, d’atteinte disproportionnée à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit justifiant la transmission de la QPC. On peut ne pas trouver cette réponse très convaincante.

(8 novembre 2021, M. H., n° 455421)

 

154 - Question prioritaire de constitutionnalité – Attribution de la charge des frais de procédure – Incompétence du juge de la QPC – Compétence du juge saisi du litige ayant donné lieu à QPC – Irrecevabilité.

Rappel de ce que la décision statuant seulement sur le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ne peut se prononcer sur les conclusions présentées au titre des frais de procédure, lesquelles doivent être portées seulement devant le juge saisi du litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée et sont irrecevables devant le juge de saisi de la seule QPC.

(16 novembre 2021, Société Aéroport de Tahiti, n° 452646)

 

155 - Covid-19 - QPC dirigée contre des dispositions législatives portant atteinte au droit à recours effectif ou au principe Nulla poena... - Absence - Rejet.

(19 novembre 2021, M. A., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, n° 457360)

V. n° 172

 

156 - Installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants - Art. L. 541-30-2 du code de l'environnement - Obligation de réceptionner certains déchets - Régime de facturation du traitement des déchets - Absence d'indemnisation du chef des préjudices résultant sur les contrats conclus de l'obligation de réception desdits déchets - Transmission de la QPC.

Dans le cadre d'un recours en annulation du décret du 29 juin 2021 relatif à la priorité d'accès aux installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants et de l'arrêté du 29 juin 2021 pris pour l'application de l'article L. 541-30-2 du code de l'environnement, la fédération requérante demande au Conseil d’État la transmission d'une QPC fondée sur l'atteinte portée par l'article législatif précité à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.

Selon ce texte les propriétaires d'installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants ont l'obligation de réceptionner certains déchets avec cette double particularité qu'un régime uniforme de facturation du traitement des déchets est imposé et qu'aucune indemnisation des préjudices résultant sur les contrats conclus de l'obligation de réception desdits déchets n'est possible.

La question lui paraissant revêtir un caractère sérieux, le Conseil d’État la transmet.

(26 janvier 2021, Fédération nationale des activités de dépollution, n° 456187)

 

Responsabilité

 

157 - Assurance dommages-ouvrage – Déclaration de sinistre – Délai de soixante jours imparti à l’assureur pour y répondre – Non-respect de ce délai - Inopposabilité de principe de la prescription biennale – Prescription cependant opposable en cas d’inaction de l’assuré dans les deux années suivant l’expiration du délai de soixante jours – Annulation et renvoi.

Cette décision fournit un bel exemple de dialogue des juges au travers de l’interprétation des dispositions de l’art. L. 242-1 du code des assurances selon lesquelles, saisi d’une déclaration de sinistre par un assuré auprès de son assureur dommages-ouvrage, l’assureur doit prendre position dans les soixante jours sur la mise en jeu de la garantie (Cass. civ., 3ème, 26 novembre 2003, SCI du Golf c/ société Axa assurances venue aux droits de la société UAP, n° 01-12.469), faute de quoi ce dernier est déchu du droit de se prévaloir de la prescription biennale (cf. art. L. 114-1 de ce code et).

En l’espèce, une communauté d’agglomération avait notifié aux sociétés requérantes la mise en jeu de l’obligation résultant pour elles de la réparation des désordres affectant la station d'épuration dont cette communauté avait la charge. Les assureurs n’ayant pas répondu dans le délai de soixante jours, la communauté réclamait, outre la condamnation au principal, l’allocation des intérêts courant pour la période considérée.

Toutefois, si les assureurs étaient légalement déchus du droit d’opposer la prescription biennale, une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (3è chambre, 20 juin 2012, époux X. c/ société Bouygues immobilier, n° 11-14.969) décide que « l'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur dommages-ouvrage qui n'a pas répondu à une déclaration de sinistre dans le délai de soixante jours de l'article L. 242-1 du code des assurances (est) soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du même code dont le délai commence à courir à l'issue du délai précité (…) ». C’est cette solution qu’adopte à son tour ici le Conseil d’État dans des termes semblables en substance : « (…) la seule circonstance que l'assureur n'ait pas respecté ce délai (de 60 jours) ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse ensuite opposer la prescription biennale dans le cas où l'action du maître de l'ouvrage n'a pas été engagée dans le délai de deux ans à compter de l'expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre. »

Semblablement, sur le point de savoir si le délai de 60 jours doit se comprendre comme celui dans lequel l’assureur doit avoir adressé sa réponse à l’assuré ou comme celui dans lequel l’assuré doit avoir reçu la réponse de son assureur, le juge du Palais-Royal rejoint celui du Quai de l’Horloge : comme lui (Cass. 3è civile, 18 février 2004, Commune de Lyon c/ Compagnie AGF, n° 02-17.976), il estime que l’envoi doit avoir été effectué au plus tard le soixantième jour ou le premier jour ouvrable qui suit si ce dernier est un jour férié (ce qui était le cas dans l’espèce jugée par la Cour de cassation).

(5 novembre 2021, Sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, n° 443368)

 

158 - Divagation de bovins sur la voie publique – Dommage causé à un véhicule – Carence dans l’exercice municipal des pouvoirs de police – Responsabilité de la commune – Annulation.

Commet une erreur dans la qualification des faits de l’espèce, le jugement qui, pour rejeter la demande de réparation du dommage causé à un véhicule par un bovin divagant sur la voie publique, se fonde sur ce que le maire de la commune n'avait commis aucune carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police, aux seuls motif que la commune ne comporte ni éleveur ni troupeau sur son territoire et qu'elle a aménagé en 2010 un lieu de dépôt pour le bétail divagant, sans s’assurer que ce dépôt avait été effectivement utilisé ou que d'autres mesures avaient été prise pour obvier au danger provoqué par la divagation d'animaux sur les voies de circulation de la commune, et alors qu'à la même époque, trois accidents de la circulation ont été provoqués, en quinze jours, par la divagation d'animaux sur la voie publique.

(10 novembre 2021, M. A., n° 439350)

 

159 - Suicide d’un détenu en prison – État dépressif initial ayant disparu depuis plusieurs années – Défaut de surveillance ou de vigilance carcérale – Absence – Faute de l’hôpital – Absence – Rejet.

Divers membres de la famille d’un détenu réclament à l’État (administration pénitentiaire) et à un centre hospitalier la réparation du préjudice moral qu’ils ont subi du fait de son suicide survenu dans la cellule de la prison où il purgeait une peine de quinze ans de réclusion criminelle pour meurtre

La demande est rejetée par le Conseil d’État qui confirme ainsi l’arrêt d’appel.

S’agissant de la maison d’arrêt, l’action en responsabilité est rejetée car si le détenu a présenté au début de son incarcération un état dépressif et a fait une tentative de suicide par pendaison, en août 2011, il a fait l’objet ensuite d’un traitement et de soins appropriés et, pendant plusieurs années, il n’a plus donné de signes suicidaires ; son suicide revêt donc le caractère d’un événement imprévisible exonérant le service pénitentiaire de sa responsabilité.

S’agissant du centre hospitalier, la prise en charge médicale, psychiatrique et psychologique a été immédiate et n’a pas permis de déceler une tendance suicidaire ; en outre, la circonstance que le centre hospitalier n’ait pas avisé l’administration pénitentiaire de la tentative de suicide survenue en janvier 2011 n’a pas constitué une faute.

Sur le premier point, on comparera mutatis mutandis cette solution relative à la force majeure avec celle retenue dans une décision récente très discutable (Cf. cette Chronique, octobre 2021, n° 156 : 4 octobre 2021, Société sportive professionnelle Olympique de Marseille, n° 440428).

Sur le second point, on peut ne pas partager la conviction du juge.

(10 novembre 2021, Mme I. épouse G. et autres, n° 448105)

 

160 - Marché de travaux publics – Recherche de la responsabilité quasi-délictuelle de participants à l’opération – Condition – Annulation.

(10 novembre 2021, Société Entreprise Jean Spada, n° 448580)

V. n° 16

 

161 - Militaire – Imputabilité au service d’une pathologie – Juridiction se bornant à retenir l’absence de liens entre cette pathologie et l’ambiance du service – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui, pour écarter l’imputabilité au service d’une pathologie dont se plaint une militaire, se fonde sur ce que l'ambiance dégradée au sein de l'unité dans laquelle était affectée la requérante ne visait pas spécifiquement celle-ci, qu'une sanction adoptée à son encontre ne présentait pas de caractère vexatoire et que les justificatifs d'absence qui lui étaient demandés ne caractérisaient aucune volonté de lui nuire personnellement, sans rechercher, ce qui était pourtant l’essentiel, l'existence d'un lien direct entre cette pathologie et l'exercice des fonctions de l'intéressée.

(10 novembre 2021, Mme D., n° 448135)

 

162 - Saisie et mise en fourrière d’un hélicoptère français en Espagne sur commission rogatoire de juges français – Recours en responsabilité pour faute et sans faute dirigé contre l’État – Incompétence des juridictions de l’ordre administratif – Rejet.

Les requérants réclamaient à l’État un peu plus de trois millions d’euros du chef de dommages résultant de l’exercice défectueux, en Espagne, d’une commission rogatoire internationale ordonnée par des juges français dans le cadre d’une affaire de trafic et d’importation de stupéfiants, ayant abouti à la saisie et à la mise en fourrière d’un hélicoptère. Était en particulier reproché le comportement défaillant du magistrat de liaison en fonction à l'ambassade de France en Espagne pour avoir assuré un suivi insuffisant de la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille.

L’action en responsabilité était fondée à la fois sur l’existence d’une faute et sur celle d’un cas de responsabilité non fondée sur la preuve de l’existence d’une faute.

L’une et l’autre sont, comme il était aisément prévisible, rejetées au motif que se rattachant d’évidence à une opération de police judiciaire, elles relevaient de la seule compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Seule eût pu donner ouverture à la compétence du juge administrative l’invocation comme cause du dommage de l’irrégularité entachant l’incorporation en droit interne français de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur dans l'ordre interne en vertu d'un décret du 23 juillet 1967 (cf. Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique, Rec. Leb. p. 257) : ce n’était pas le cas ici.

(15 novembre 2021, M. D. et société Aéronord, n° 443978) 

 

163 - Illégalité fautive – Refus illégal d’autoriser une opération de lotissement – Appréciation du lien direct entre l’illégalité et le préjudice invoqué – Appréciation du caractère certain du préjudice – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Un maire ayant illégalement refusé d’autoriser une opération de lotissement, la société propriétaire du terrain d’assiette de ce projet, réclame réparation du préjudice causé par ce refus irrégulier.

Son action est rejetée par la cour administrative d’appel pour défaut de caractère direct et certain du préjudice allégué. La société se pourvoit.

Le Conseil d’État juge que si, en  principe, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à sa réalisation revêt un caractère éventuel et n’ouvre pas droit à réparation, la circonstance que le requérant justifie de circonstances particulières, peut permettre de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain et d’en demander la réparation à hauteur de la certitude acquise.

En l’espèce, le juge de cassation aperçoit une erreur de droit dans l’arrêt d’appel dans la mesure où la cour, pour juger dépourvu de caractère direct et certain le préjudice né de la perte du prix de cession de son terrain par la requérante, n’a pas recherché, si l’autorisation de lotir avait été délivrée le 15 février 2007, quelle eût été la probabilité, compte tenu des règles d’urbanisme alors applicables, de l'octroi des permis de construire objet de la condition suspensive de la vente du terrain litigieux dans le protocole d'accord du 2 mai 2007. Alors que, au lieu de cela, elle s’est bornée à relever, d'une part, la signature, le 2 mai 2007, entre la société et un promoteur d'un protocole d'accord par lequel ce dernier s'engageait à acquérir le terrain litigieux au prix de 640 000 euros à condition que les neuf parcelles obtiennent un « permis » et que « tous les recours soient épuisés » et, d'autre part, l'absence d'autres démarches entreprises par la société, ce qui ne suffisait pas, selon elle, à caractériser le lien direct et certain entre la faute résultant de l’illégalité et le dommage.

(18 novembre 2021, Société le Trou d’Houillet, n° 437821)

 

164 - Victime d'un dommage corporel - Nécessité de l'assistance d'une tierce personne - Calcul de l'indemnité allouée - Caractère futur de l'assistance à domicile d'une tierce personne - Office du juge - Méconnaissance - Annulation avec renvoi dans la mesure de l'annulation prononcée.

Annulant en partie l'arrêt dont il était saisi, le Conseil d’État décrit très complètement l'office du juge administratif indemnisant la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne.

Le juge aborde deux séries de questions.

La première concerne la détermination du montant de la réparation à allouer.

A cet égard, l'office du juge doit le conduire à déterminer d'abord l'étendue des besoins d'aide de la victime ainsi que les dépenses nécessaires pour y pourvoir.

Il doit fixer, ensuite, le montant de l'indemnité à allouer par la personne publique responsable du dommage, en tenant compte des prestations dont, le cas échéant, la victime bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. A ce stade, il appartient au juge, lorsqu'il résulte de l'instruction que la victime bénéficie de telles prestations, de les déduire d'office de l'indemnité mise à la charge de la personne publique, en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour en déterminer le montant.

Enfin, lorsque la personne publique n'est tenue de ne réparer qu'une fraction du dommage corporel, la déduction évoquée ci-dessus ne doit toutefois être opérée que dans la mesure requise pour éviter que le cumul des prestations et de l'indemnité versée excède les dépenses nécessaires aux besoins d'aide par tierce personne, évaluées comme indiqué plus haut.

La seconde série de questions concerne l'hypothèse où le juge, saisi de conclusions tendant, pour une période à venir, à l'indemnisation de frais futurs d'assistance à domicile par tierce personne, n'est pas en mesure de déterminer, lorsqu'il se prononce, si la victime sera effectivement logée à domicile, ou hébergée dans une institution spécialisée dans laquelle ces frais ne seront pas exposés. En cette occurrence il appartient au juge d'accorder une rente couvrant les frais d'assistance par tierce personne à domicile, en précisant le mode de calcul de cette rente, dont le montant doit dépendre du temps passé à domicile. 

(30 novembre 2021, Mme C. et Union départementale des associations familiales (UDAF) de l'Essonne, n° 438391)

 

165 - Responsabilité hospitalière - Accident survenu à un enfant jeune – Impossibilité d’être scolarisé – Impossibilité d’exercer une activité professionnelle – Réparation – Détermination du calcul et des modalités de l’indemnisation – Annulation très partielle.

Il résulte des conditions de sa naissance dans un centre hospitalier et des graves séquelles qui en ont résulté qu’un enfant n’a pu, dès son jeune âge, être scolarisé et qu’il ne peut davantage exercer une quelconque activité professionnelle. Se posait en l’espèce d’importantes questions de réparation et de distinction des préjudices subis et à venir. Cette affaire est assez semblable à celle rapportée dans cette chronique (Juillet-août 2019 n° 126 : 24 juillet 2019, Mme Depecker, tutrice légale de son fils majeur, n° 408624) à laquelle on se permet pour le surplus de renvoyer le lecteur. Cette décision constituait un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt du 28 avril 1978, Borras (n° 4225, Rec. T. p. 941-943-945).

Toutefois, la présente affaire permet d'ajouter une précision notable à la solution de 2019.

La fixation d'un montant de la rente égal au salaire médian doit être effectuée déduction faite des revenus perçus par l'intéressé au titre de son activité salariée dans un établissement spécialisé et d'éventuels revenus, prestations ou pensions de retraite ; c'est d'ailleurs là le motif de la cassation très partielle prononcée en l'espèce.

(30 novembre 2021, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 440443)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n°  48

 

166 - Indemnisation d'un préjudice par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale - Refus - Dommage sans probabilité faible de survenue - Seuil de 5% - Absence d'erreur de qualification juridique - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de qualification juridique la cour administrative d'appel qui juge que ne relève pas du régime de réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale un préjudice, tel celui de l'espèce (accident vasculaire cérébral post-opératoire immédiat chez un patient atteint d'une sténose carotidienne), dont le risque de survenue  est de l'ordre de 5%.

(30 novembre 2021, M. E., n° 443922)

 

Santé publique

 

167 - Covid-19 – Obligation vaccinale imposée aux personnels soignants – Demandes en référé de suspension d’exécution d’un décret et d’une loi, et de prise d’un nouveau décret – Rejet.

La requérante, médecin libéral, demande au juge du référé liberté, notamment, d’ordonner la suspension d’exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021, pris en application des articles 12 et suivants de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, ainsi que de la loi elle-même.

Elle demande également que soit levée l’obligation vaccinale des soignants eu égard à l’évolution favorable du taux de couverture vaccinale de la population française, que les soignants non vaccinés puissent exercer sous réserve de tests de dépistage, qu’ils soient, d’une part, indemnisés pour perte de travail et rémunérés par Pôle emploi à hauteur de leur revenu initial,  et, d'autre part qu'ils soient indemnisés par les contrats d'assurance et de prévoyance au titre de la perte de leur travail et de leurs revenus, qu’enfin il soit ordonné au gouvernement de garantir une prise en charge financière pour toute formation ou tentative de reconversion professionnelle.

A l’énoncé du contenu d’une telle requête, laquelle nous semble constituer un abus de l’utilisation du droit à recours, il est clair qu’elle ne pouvait qu’être rejetée et qu’il n’y a même pas lieu de dire au lecteur pourquoi.

(ord. réf. 5 novembre 2021, Mme B., n° 457445)

(168) V. aussi, rejetant une demande en référé liberté dirigée contre l'annexe II du décret du 1er juin 2021 dans la version que lui a donné le décret du 7 août 2021 tendant à ce qu'injonction soit adressée au premier ministre d'élargir les cas de contre-indications médicales prévues par ces dispositions : ord. réf. 24 novembre 2021, M. L. et autres, n° 457935.

(169) V. également, réitérant la solution donnée le mois précédent à un recours identique (ord. réf. 27 octobre 2021, Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 457060. V. cette Chronique, octobre 2021 n° 83), le rejet d’un référé tendant à la suspension de l'exécution du décret n° 2021-951 du 16 juillet 2021 fixant le cadre applicable des dispositions du code du travail en matière de prévention des risques biologiques dans le cadre de la pandémie de SARS-CoV-2 : ord. réf. 8 novembre 2021, Syndicat national travail, emploi, formation professionnelle CGT (SNTEFP-CGT), n° 457429.

 

170 - Covid-19 - Suspension totale de la vente en ligne de certaines spécialités pharmaceutiques - Durée - Durée excessive après une certaine date - Annulation partielle.

L'article 6 de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa rédaction issue de cet arrêté puis des arrêtés des 14 et 23 avril et du 11 mai 2020, a suspendu la vente par internet des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène et d'acide acétylsalicylique (aspirine) et de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique.

Les requérants demandaient l'annulation de cette disposition pour excès de pouvoir.

Tout d'abord, le juge relève que, contrairement à ce qui était soutenu dans la requête, le ministre de la santé était compétent, sur le fondement  de l'art. L. 3131-16 du code de la santé, pour prendre une mesure encadrant les conditions de dispensation d'une spécialité pharmaceutique en officine et par internet, afin d'éviter un risque de mésusage et une tension sur son approvisionnement.

Ensuite, il estime que pour la période courant du 23 mars au 11 mai 2020, la décision de suspension totale de la vente en ligne des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène ou d'aspirine et des spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique satisfaisait à la condition de nécessité comme de caractère proportionné en raison du risque de surconsommation de médicaments, d'aggravation de l'infection et d'automédication.

Enfin, en revanche, pour la période au-delà du 11 mai 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, le ministre défendeur n''apporte aucun élément de nature à justifier de la nécessité de maintenir les mesures prises par l'arrêté du 23 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire alors, d'une part, que les risques ayant initialement justifié les mesures prises s'étaient atténués et, d'autre part, que la levée progressive des mesures de confinement strict par le décret du 11 mai 2020 rendaient plus aisé l'accès physique aux professionnels de santé.

Par suite, les dispositions contestées n'étaient plus nécessaires ni proportionnées, et étaient par suite illégales, à compter du 12 mai 2020.

(19 novembre 2021, M. L. G. et Association française des pharmacies en ligne (AFPEL), n° 440721)

 

171 - Référé liberté - Institution d'un passe sanitaire dans l'ïle de La Réunion - Atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Rejet.

Les requérants demandaient, en premier lieu, à titre principal, la suspension de l'exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, la réalisation de tests pour toutes les personnes détenant un «laissez-passer sanitaire», et la prise en charge de tous les tests par l'assurance maladie, en troisième lieu, de prendre toutes les mesures nécessaires à la lutte contre l'épidémie s'agissant des maladies chroniques, en quatrième lieu, de suspendre l'obligation vaccinale pour toute personne ou, à défaut, pour les sapeurs-pompiers et pour les personnes qui y sont soumises n'étant pas en contact direct avec du public et, en dernier lieu, de prendre toute mesure visant à prévenir les conflits d'intérêt dans les facultés de médecine.

La demande est rejetée car elle se limite à des allégations d'ordre général selon lesquelles, d'une part, le passe sanitaire constitue en réalité une obligation de présenter un «laissez-passer» pour accéder à de nombreux lieux de la vie quotidienne, et ce sur l'ensemble du territoire de La Réunion, et, d'autre part, il serait porté atteinte à de nombreuses libertés fondamentales. De ce fait, n'est pas établie l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les requérants et, par suite, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 17 novembre 2021, M. T. et autres, n° 458259)

 

172 - Covid-19 - QPC dirigée contre des dispositions législatives portant atteinte au droit à recours effectif ou au principe Nulla poena... - Absence - Rejet.

Ne saurait donner lieu à ouverture à QPC l'allégation que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 3136-1 du code de la santé publique et du VIII de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, porteraient atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ou qu'elles méconnaîtraient par elles-mêmes les dispositions de l'article 7 de la même Déclaration, qui garantissent le droit de n'être accusé, arrêté et détenu que dans les cas déterminés par la loi.

En effet, les mesures pouvant être prescrites sur le fondement de ces dispositions, outre qu'elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, peuvent faire l'objet, sur le fondement du IV de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, outre des recours de droit commun, des recours en urgence prévus par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du CJA.

(19 novembre 2021, M. A., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, n° 457360)

 

173 - Juridiction des référés - Conditions d'accès - Covid-19 - Obligation vaccinale des personnels de santé ne travaillant pas dans des locaux de soins - Rejet.

 (25 novembre 2021, Mme B. et autres, n° 457734)

V. n° 44

 

174 - Classification commune des actes médicaux - Cotations de l'arthroscanner du membre supérieur et de l'arthroscanner du membre inférieur - Rémunération insuffisante de certains actes - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la santé et par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) sur leurs demandes tendant à l'abrogation des dispositions de la classification commune des actes médicaux fixant la cotation de l'arthroscanner du membre supérieur et de l'arthroscanner du membre inférieur.

Leur requête est rejetée en tous ses chefs.

Le moyen tiré de la contrariété de la classification des actes d'arthroscanner du membre inférieur et du membre supérieur avec les dispositions prévues par les articles L. 182-2-4 et R. 162-52 du code de la sécurité sociale est écarté car cette classification ne résulte pas d'une orientation délibérée par le conseil de l'UNCAM.

Pas davantage les requérants ne sont fondés à soutenir que la rémunération associée à l'arthroscanner du membre supérieur serait inférieure à celle associée à l'arthrographie de l'épaule alors que cette dernière constitue un acte moins complexe que la première et que la classification commune des actes médicaux serait de ce fait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, de la même manière, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la rémunération associée à l'arthroscanner du membre inférieur serait inférieure à celle de l'arthrographie du genou, alors que cette dernière constitue un acte moins complexe que la première, et que la classification commune des actes médicaux serait de ce fait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. 

(30 novembre 2021, M. Pierre C. et autres, n° 448575)

 

Service public

 

175 - Service public de la justice judiciaire - Organisation judiciaire - Regroupement du jugement de certains litiges devant un seul tribunal judiciaire du département - Objectif constitutionnel de bonne administration de la justice - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité du décret du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire, pris en application des articles 95 et 103 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en tant que son art. 3 permet de spécialiser, au sein d'un département, un seul tribunal judiciaire pour juger certaines affaires civiles et pénales.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève, d'une part, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel (déc. décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), que le législateur a entendu regrouper certaines catégories de litiges très techniques, exigeant des compétences particulières, au sein d'un nombre restreint de tribunaux satisfaisant ainsi à l'objectif constitutionnel de bonne administration de la justice, et d'autre part, que le pouvoir réglementaire, eu égard à la technicité des matières civiles et pénales ainsi regroupées et à leurs faibles volumes représentant respectivement moins de 10 % du contentieux des tribunaux judiciaires pour les affaires civiles et moins de 4 % pour les affaires pénales, n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation en prenant ces dispositions.

(24 novembre 2021, Conseil national des barreaux et association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer, n° 435698)

(176) V. aussi, en partie voisin et comparable : 24 novembre 2021, Ordre des avocats au barreau de Lille, n° 438491.

 

Urbanisme

 

177 - Permis de construire – Demande d’un permis de construire – Rejet pour absence de justification par les requérants de la notification de leur recours imposée par l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme – Absence d’invitation à régulariser la requête – Annulation.

Commet une erreur de droit le magistrat qui rejette pour irrecevabilité un recours tendant à l’annulation d’un permis de construire au motif que leurs auteurs ne justifiaient pas avoir notifié leur recours contentieux au bénéficiaire du permis conformément aux dispositions de l’art. R. 600-1 c. urb. alors qu’il n’a pas invité les requérants, préalablement au rejet de leur action, à régulariser le défaut de notification.

(9 novembre 2021, Association Timone Noyau Villageois et autres, n° 447271)

 

178 - Déclaration préalable de division parcellaire en vue de construire – Absence d’opposition du maire – Ordonnance rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette non-opposition – Contestation ayant le caractère d’un appel – Incompétence du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

Le recours dirigé contre l’ordonnance du président d’une chambre d’un tribunal administratif rejetant la demande d’annulation d’une non-opposition à une division parcellaire en vue de construire, a le caractère d’un appel et non d’un recours formé dans une matière où les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA). C’est donc à tort que le Conseil d’État a été saisi, le dossier est transmis à la cour administrative d’appel dont relève ce tribunal.

(9 novembre 2021, M. F. et Mme B., n° 448424)

 

179 - Permis de construire – Absence de permis modificatif - Invitation à régulariser une irrégularité partielle du permis – Conséquences sur les moyens susceptibles d’être développés – Absence de notification au juge d’une mesure de régularisation – Obligation d’annulation – Contestation possible d’un refus de régularisation par une autre procédure – Rejet.

Cette affaire donne l’occasion au juge d’apporter d’importantes précisions sur les effets contentieux d’une demande de permis de modificatif qu’il a suggérée afin de régulariser une irrégularité entachant le permis (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.).

Lorsque, saisi d’une demande d’annulation d’un permis de construire, le juge constate que le(s) motif(s) d’irrégularité qu’il retient peu(ven)t être régularisé(s), il peut inviter le pétitionnaire du permis à demander la régularisation de cette situation en déposant un permis modificatif et à l’obtenir avant l’expiration d’un terme qu’il fixe.

En premier lieu, à compter de ce jugement, seuls peuvent être invoqués devant ce juge, le cas échéant, des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée. Les parties peuvent donc contester la légalité d'un permis de régularisation par des moyens propres et au motif qu'il ne permet pas de régulariser le permis initial.

En deuxième lieu, ce qui était le cas de l’espèce, lorsque aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée  à l’expiration du délai qu’il avait fixé, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse.

Enfin, il n’est pas possible de contester devant lui la légalité de l’éventuel refus opposé à la demande de régularisation présentée par le pétitionnaire. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.

C’est donc sans erreur de droit qu’ici le tribunal administratif a jugé illégal le permis de construire délivré le 26 juin 2015 à la SCCV Lucien Viseur dès lors qu'aucun permis de construire modificatif n'avait été produit auprès de lui dans le délai imparti par son premier jugement et cela sans se prononcer sur la légalité du refus du maire de délivrer le permis modificatif sollicité.

(9 novembre 2021, Société civile de construction vente Lucien Viseur, n° 440028)

 

180 - Permis de construire – Notion de vice régularisable – Limite – Dénaturation du projet de construction – Absence – Annulation.

Rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé sur le fondement des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. Seule la dénaturation du projet d’origine ferait obstacle à une régularisation, de sorte que, allant sans doute au-delà de la lettre de la loi mais fidèle à l’inspiration du législateur, le juge a construit un véritable droit à la régularisation.

(10 novembre 2021, Commune de Val d’Isère, n° 439966)

 

181 - Outre-mer - Demande de permis de construire, à titre de logements sociaux, portant sur des bâtiments collectifs ou sur des ensembles de logements individuels – Demande devant être considérée comme portant sur un ensemble immobilier – Applicabilité de l’art. 199 undecies C CGI – Réduction d’impôt – Réduction d’impôt subordonnée à un agrément fiscal – Seuil de deux millions d’euros non atteint – Rejet.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 452952)

V. n° 62

 

182 - Acte obtenu par fraude – Notion de fraude – Déclaration préalable de travaux au lieu d’une demande de permis de construire – Date incertaine ou non démontrée de construction du bien objet de la déclaration de travaux – Fraude non établie – Annulation avec renvoi.

Un particulier avait déposé une déclaration préalable de travaux en vue de la réhabilitation d’un hangar à usage agricole. Sur recours d’une association, le tribunal administratif a annulé l’arrêté de non-opposition du maire à cette déclaration. La cour administrative d’appel a, à son tour, annulé le refus implicite du maire de retirer l’arrêté de non-opposition et enjoint au maire de le retirer rétroactivement sous trois mois.

Le pétitionnaire se pourvoit en cassation contre cet arrêt en ce qu’il se fonde sur la fraude qu’il aurait commise en se bornant à une déclaration préalable de travaux au lieu de solliciter un permis de construire car il ne justifiait pas que la construction existante, qui a été édifiée sans autorisation, l'aurait été antérieurement à la loi du 15 juin 1943 imposant la délivrance d'un permis de construire et qu’ainsi elle n'entrait pas dans le champ de l'obligation de permis de construire instituée par cette loi reprise pour l'essentiel par l'ordonnance du 27 octobre 1945 relative au permis de construire.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit cet arrêt – et il a bien raison – en rappelant que « la fraude est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier que le demandeur a eu l'intention de tromper l'administration pour obtenir une décision indue. » Ce n’était manifestement pas le cas ici. L’absence de justification, qui n’a rien de caché ou de mensonger, ne saurait constituer l’élément intentionnel d’un acte de fraude.

(18 novembre 2021, M. A., n° 442887)

 

183 - Permis de construire - Reconstruction de bâtiments existants - Notion - Directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes - Annulation avec renvoi.

La directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes prévoit que, dans les espaces urbanisés sensibles, l'extension de l'urbanisation est « strictement limitée aux seules parcelles interstitielles du tissu urbain, ou « dents creuses » des îlots bâtis, ainsi qu'à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments existants ».

Un jugement avait estimé, sur saisine par déféré préfectoral, que l'arrêté municipal accordant un permis de construire une résidence de six logements était illégal car le projet autorisé visait à l'édification d'une résidence après démolition d'une construction préexistante sur la parcelle et que ce projet ne pouvait, eu égard aux différences qu'il comportait dans sa conception et ses caractéristiques par rapport au bâtiment démoli, être regardé comme la reconstruction d'un bâtiment existant au sens des dispositions de la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes. Le Conseil d’État annule pour erreur de droit ce jugement car, selon lui, « les dispositions de la directive territoriale d'aménagement doivent être regardées comme permettant l'extension de l'urbanisation sur les parcelles ainsi désignées (...). La « reconstruction » ainsi permise sous cette réserve s'entend donc d'une construction après démolition du bâtiment préexistant sur la parcelle.»

Toutefois, comme le tribunal, le juge de cassation rappelle que les dispositions que le tribunal a opposées au permis de construire en litige avaient pour objet de préciser les modalités d'application des dispositions particulières au littoral qui sont les seules à être directement applicables à une autorisation d'urbanisme en application du 2° de l'article L. 172-2 du code de l'urbanisme. 

(19 novembre 2021, Commune de Théoule-sur-Mer, n° 435153 ; Société MFT Théoule IV, n° 435157, jonction)

 

184 - Extension d'une construction existante en vue d'en conserver l'unité architecturale - Prescription d'un plan d'urbanisme - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Dénature les pièces du dossier l'arrêt d'une cour administrative d'appel jugeant que le prrojet autorisé ne constitue pas l'extension d'une construction existante en vue d'en conserver l'unité architecturale au sens d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme, alors que le permis de construire modificatif attaqué permet de prolonger sur environ 1,20 m, avec le même bardage en bois, la couverture du mur de façade nord du premier étage de la grange appartenant aux pétitionnaires, jusqu'au mur mitoyen de l'habitation de l'appelant et que ces travaux de clôture du mur s'inscrivent dans le volume préexistant du bâtiment.

(19 novembre 2021, M. et Mme G., n° 445509)

 

185 - Non-opposition à déclaration préalable en vue de la division d'un terrain en deux lots - Permis de construire deux villas - Défaut d'intérêt pour agir des requérants en excès de pouvoir - Rejet de recours comme manifestement irrecevables - Absence d'invitation à régulariser - Annulation.

(9 novembre 2021, M. I. et Mme C., n° 448423 et n° 448425)

V. n° 36

 

186 - Commissions départementales d'aménagement commercial - Composition - Présence de personnalités qualifiées désignées par les chambres de commerce et d'industrie et par les chambres de métiers et de l'artisanat - Incompatibilité de dispositions législatives avec le droit de l'Union - Illégalité du décret pris pour l'application de ces dispositions - Annulation.

Après renvoi préjudiciel à la CJUE (du 15 juillet 2020) et réponse de cette dernière (15 juillet 2021, aff. C-325/20), le Conseil d’État, qui était saisi d'un recours en annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d'aménagement commercial et aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale, admet partiellement le recours dont l'avait saisi le requérant.

La CJUE a jugé que « l'article 14, point 6, de la directive 2006/123/CE du Parlement et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale prévoyant la présence, au sein d'une instance collégiale compétente pour émettre un avis sur l'octroi d'une autorisation d'exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique de la zone de chalandise pertinente, et ce même si ces personnalités ne prennent pas part au vote sur la demande d'autorisation et se bornent à présenter la situation de ce tissu économique ainsi que l'impact du projet concerné sur ce dernier, pour autant que les concurrents actuels ou potentiels du demandeur participent à la désignation desdites personnalités ».

Par suite, les dispositions ajoutées à l'art. L. 751-2 du code de commerce, issues de la loi du 23 novembre 2018, sont incompatibles avec le droit de l'Union, ce qui entraîne l'illégalité et l'annulation des dispositions du décret attaqué du 17 avril 2019 faisant application de ces dispositions.

(22 novembre 2021, Conseil national des centres commerciaux, n° 431724)

 

187 - Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Qualité de partie de l'État dans certains litiges portant sur des demandes de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l'État par le président de la CNAC - Dispense du ministère d'avocat dans le contentieux né de tels permis - Pouvoir d'injonction du juge envers la CNAC - Effets contentieux de l'avis défavorable de la CNAC - Annulation sans renvoi et injonctions.

 (22 novembre 2021, Société Taninges distribution, n° 441118 ; Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 442107)

V. n° 74

 

188 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Projet d'aménagement et de développement durables (PADD) - Fixation d'une zone comme agricole (zone "A") - Conditions et limites - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Dénaturation des pièces et des faits - Annulation avec renvoi.

Le tribunal administratif avait annulé une délibération municipale approuvant un PLU au motif qu'il classe certaines parcelles en zone agricole ou zone "A". Ce jugement ayant été annulé sur ce point en appel, les demandeurs se pourvoient en cassation.

Toute la question était de déterminer ce qu'il convient d'entendre par "zone agricole" au sens et pour l'application des art. L. 151-5 et L. 151-9, R. 151-22 et R. 151-23 du code de l'urbanisme. Interprétant ces textes, le Conseil d’État estime qu'il en résulte qu'une telle zone « a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables, un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Il importe peu à cet égard que la parcelle en cause soit actuellement une terre agricole ou, à l'inverse, qu'elle soit en partie urbanisée ou non car seul est déterminant le "potentiel".

En l'espèce, l'arrêt d'appel est annulé pour avoir jugé que le classement en zone "A" n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation car les auteurs du PLU ont entendu préserver les ressources agricoles de la commune et rechercher un équilibre entre le développement résidentiel et le maintien du « caractère rural » du hameau, situé au cœur d'une vaste plaine agricole de bonne valeur agronomique et facilement exploitable, alors que le secteur ainsi classé, situé à environ un kilomètre du centre-bourg, comporte une trentaine d'habitations et présente un caractère urbanisé, et qu'il n'est pas établi par des pièces du dossier que ce classement permet d'assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de cette commune.

(24 novembre 2021, M. et Mme I., n° 435178)

 

189 - Délivrance d'un certificat d'urbanisme - Cristallisation pendant dix-huit mois du droit applicable à la date du certificat - Annulation du refus opposé à une demande d'autorisation fondée sur ce certificat - Absence d'effets sur le droit applicable - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Les demandes d'autorisation de construire ou les déclarations préalables déposées dans les dix-huit mois de l'obtention d'un certificat d'urbanisme sont régies par le droit en vigueur au jour de la délivrance de ce certificat (art. L. 410-1 c. urb.) à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique (cf. 18 décembre 2017, M. et Mme B. c/ commune de Lambres-lez-Douai, n° 380438), et, en cas d'annulation du refus de délivrer un certificat d'urbanisme, la demande doit tout de même être examinée au regard des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date de ce certificat, l'administration demeurant saisie de cette demande après l'annulation du refus de l'accorder.

Cependant, se posait en l'espèce la question de savoir si cette règle est également applicable lorsque le bénéfice d'un permis de construire tacite est subordonné à la condition que le pétitionnaire ait confirmé sa demande.

La cour administrative d'appel avait répondu par la négative : faute d'avoir demandé la prorogation du certificat d'urbanisme, la société pétitionnaire ne pouvait bénéficier du maintien des règles d'urbanisme applicables à cette date, alors même qu'il n'était pas contesté que celle-ci avait déposé sa demande initiale dans le délai de dix-huit mois lui permettant de bénéficier du maintien des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date de ce certificat. Le Conseil d’État, très logiquement, annule l'arrêt pour erreur de droit sur ce point en jugeant que la règle sus-rappelée joue alors même que le demandeur n'est susceptible de bénéficier d'un permis tacite qu'à la condition d'avoir confirmé sa demande. 

(24 novembre 2021, Société Dai Muraille, n° 437375)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2021

Octobre 2021

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Haute autorité de santé (HAS) - Recommandations de bonnes pratiques - Traitement de la bronchiolite aigüe chez le nourrisson de moins de douze mois - Absence de recommandation à la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en ambulatoire - Vices de légalité externe - Défaut d’impartialité - Absence - Erreur manifeste d'appréciation - Absence - Rejet.

La fédération requérante demandait au Conseil d’État, par des moyens de forme et par des moyens de fond, l'annulation d'une décision du 6 novembre 2019 du collège de la Haute Autorité de santé portant adoption de la recommandation de bonne pratique intitulée « Prise en charge du premier épisode de la bronchiolite aiguë chez le nourrisson de moins de 12 mois », en ce qu'elle indique de ne pas recommander, pour cette prise en charge, en l'absence de données, la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en ambulatoire.

Le juge rejette tout d'abord les critiques tenant à la légalité externe de cet acte. Retenons celle relative au principe d'impartialité. La requérante estimait que le professeur de médecine présidant le groupe de travail créé en vue de préparer la recommandation en cause devait signaler dans sa déclaration d'intérêts sa publication de plusieurs articles scientifiques portant sur la bronchiolite aiguë du nourrisson. Pour rejeter le moyen, le Conseil d’État retient, d'une part, que in abstracto, cette circonstance ne s'opposait, par elle-même, ni à ce que ce professeur prenne part à ce groupe de travail, ni à ce qu'il le préside, dans le respect des principes de l'expertise sanitaire et du principe d'impartialité qui s'impose à tous les organes administratifs, d'autre part, in concreto, il n'est pas soutenu que la teneur de ces publications aurait été de nature à affecter l'impartialité de l'intéressé, qu’elles auraient été réalisées pour des organismes publics ou privés ni qu'elles auraient été soutenues financièrement par des entreprises privées.

Concernant la légalité interne de cette recommandation, le juge relève qu'eu égard à la documentation dont elle disposait, à son contenu et à sa tendance majoritaire et en l'absence de toute preuve contraire de ceux-ci la HAS n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en prenant la recommandation critiquée par le recours.

(6 octobre 2021, Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs, n° 437622)

 

2 - Cour nationale du droit d’asile – Création d’un poste d’agent de prévention à temps plein – Mesure d’ordre intérieur – Irrecevabilité d’un recours contre une telle mesure – Rejet.

Rappel d’une jurisprudence ancienne, constante et éprouvée : les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Telles sont les mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, n'emportent pasde perte de responsabilités ou de rémunération et ne révèlent ni une discrimination ni une sanction.

Les recours formés contre de telles décisions – dites aussi « mesures d’organisation interne du service » - sont irrecevables.

(13 octobre 2021, Syndicat indépendant du personnel du Conseil d'État et de la Cour nationale du droit d'asile (SIPCE), n° 433128)

 

3 - Enseignement supérieur – Recrutement d’un professeur – Conseil académique retenant un profil de poste d’enseignant-chercheur ouvert au recrutement – Acte préparatoire – Acte ne pouvant pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Le Conseil d’État estime que « La délibération par laquelle le conseil académique se prononce sur le profil d'un poste d'enseignant-chercheur ouvert au recrutement présente le caractère d'acte préparatoire et n'est, dès lors, pas susceptible de faire l'objet de recours pour excès de pouvoir. »

Cette solution peut se discuter en raison du caractère détachable de la définition du profil de poste par rapport au reste de la procédure de recrutement ; il nous semble qu’elle revêt un caractère suffisamment autonome pour constituer un acte pouvant être déféré au juge dans la mesure où, traduisant une appréciation d’ensemble sur les besoins d’un établissement universitaire, elle n’est pas, d’abord, tournée vers les candidats à venir mais, au contraire, vers l’institution prise dans sa globalité.

(13 octobre 2021, M. C., n° 434658 et n° 438428)

 

4 - Demande de communication de documents administratifs – Documents relatifs à la gestion du domaine privé – Application du droit à communication – Substitution irrégulière des motifs par le juge – Annulation du jugement - Appréciation de la régularité des motifs de non-communication à la date où le juge statue – Annulation partielle du refus.

Cette affaire est un épisode du flop retentissant de la célèbre « écotaxe » sur les poids lourds, dite encore affaire Écomouv’.

Suite à la résiliation du contrat de partenariat conclu entre l’État et la société Écomouv’ en vue de la mise en œuvre de la mort-née écotaxe, la société requérante, qui avait passé un contrat avec Écomouv’ pour le développement des boitiers ou badges embarqués à bord des véhicules et destinés aux abonnés, contrat lui aussi résilié, a été contrainte de céder au service des domaines les équipements qu’elle avait développés. Dans le cadre d’un contentieux indemnitaire qu’elle a engagé contre l’État la requérante a demandé à la direction de l'immobilier de l'État (DIE) de lui communiquer un grand nombre de documents destinés en particulier à établir le prix de cession par cette Direction des équipements électroniques standards et de leurs accessoires associés. La DIE a refusé, conduisant la société Axxès à saisir le juge administratif. Le tribunal, pour rejeter la requête, a fait droit à une demande de substitution de motifs de la part de la DIE fondée sur ce que les documents dont la communication était demandée auraient été de nature à révéler des éléments financiers et stratégiques, relatifs à l'activité concurrentielle des sociétés du secteur du télépéage, protégés par le secret industriel ou commercial.

La société Axxès saisit le Conseil d’État.

Celui-ci, annule le jugement au motif que le juge a accordé la substitution de motifs demandée sans rechercher si les mentions en cause étaient susceptibles de faire l'objet d'une occultation ou d'une disjonction.

Examinant l’affaire au fond, le Conseil d’État reprend l’analyse des deux autres moyens opposés par le ministre défendeur à la société requérante.

En premier lieu, celui-ci invoquait l’absence de caractère communicable de documents relatifs à la gestion du domaine privé de l'Etat. L’argument est évidemment rejeté puisque l’art. L. 300-3 du code des relations du public avec l’administration déclare applicables aux actes de gestion du domaine privé de l’État les dispositions de l’art. L. 300-2 du même code, lesquelles posent le principe du droit à communication. Or les cessions de biens du domaine privé de l’État constituent d’évidence des actes de gestion de celui-ci.

En second lieu, était invoqué le secret des affaires pour s’opposer à la communication des pièces demandées. Le Conseil d’État décide que le ministre défendeur ne pouvait légalement opposer un refus à la demande de la société Axxès de se voir communiquer les documents relatifs à la procédure de publicité et de mise en concurrence mise en œuvre par l'État au titre du projet « écotaxe » qu'en ce qui concerne les documents ayant déjà fait l'objet d'une diffusion publique et, s'agissant des autres documents, que pour les seules mentions révélant l'identité des cessionnaires.

L'annulation de la décision attaquée est prononcée dans la mesure où le refus opposé à la société Axxès excède les limites ci-dessus ; elle est assortie d’une injonction au ministre d’effectuer la communication dans le mois de la reddition de la présente décision.

(14 octobre 2021, Société Axxès, n° 437004)

 

5 - Théorie de l’acte inverse – Nomination d’administrateurs provisoires d’un laboratoire par un président d’université – Nomination n’emportant pas par elle-même l’abrogation de la nomination du directeur de ce laboratoire – Erreur de droit – Annulation.

Un président d’université a désigné deux administrateurs provisoires du laboratoire d'ingénierie et de sciences des matériaux de cette université et leur a attribué délégation de signature. Un professeur d’université membre de ce laboratoire a demandé l’annulation de cet arrêté. Pour accueillir cette requête la cour administrative d’appel avait jugé que cet arrêté avait eu implicitement mais nécessairement pour effet d'abroger la décision qui avait nommé le directeur de ce laboratoire.

Le Conseil d’État, appliquant strictement la théorie, elle-même restrictive, de l’acte inverse, casse cet arrêt, jugé entaché d’erreur de droit, motif pris de ce que « la désignation d'un ou de plusieurs administrateurs provisoires d'un organisme n'emporte, par elle-même, que la suspension des prérogatives de ses organes dirigeants transférées aux administrateurs provisoires. »

On peut juger excessif un distinguo non seulement subtil mais en réalité introuvable : que reste-t-il à un directeur de laboratoire dont les fonctions sont exercées par d’autres auxquels a été, en outre, transférée la délégation de signature dont il disposait ? Rien, ce qui est très peu et se distingue mal d’une abrogation de l’acte de nomination.

(13 octobre 2021, M. C., n° 433156)

 

6 - Acte réglementaire – Refus de prendre un tel acte – Refus de nature réglementaire – Impossibilité de lui appliquer l’obligation de motivation instituée à l’art. L. 211-2 CRPA – Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du refus du premier ministre d’accéder à leur demande de mettre en place des registres nationaux, déclinés à l'échelle régionale et départementale, pour les malformations congénitales et les cancers. Elles invoquaient comme moyen de légalité externe l’absence de motivation du refus.

Rappelant une jurisprudence classique selon laquelle le refus de prendre une décision réglementaire constitue lui-même une décision réglementaire, le juge rappelle qu’il ne saurait être fait grief à un tel refus de n’être pas motivé, les dispositions de l’art. L. 211-2 du CRPA ne s’appliquant qu’à des décisions individuelles appartenant à certaines catégories.

(18 octobre 2021, Commission de recherche et d'informations indépendantes pour la création de registres de santé et autres, n° 444885)

 

7 - Actions de formation financées sur fonds publics – Rejet par le préfet de certaines dépenses – Respect du principe du contradictoire – Obligation d’un recours administratif préalable – Conséquence sur la décision administrative – Annulation de l’arrêt d’appel puis du jugement de première instance.

Un litige s’étant élevé entre un organisme de formation professionnelle et un préfet au sujet d’actions prétendument facturées mais non effectuées, le Conseil d’État rappelle un principe et une règle bien connues de la procédure administrative non contentieuse.

Tout d’abord, le principe du contradictoire, qui domine cette procédure tout comme la procédure contentieuse proprement dite, impose non seulement que l’intéressé dispose d’un délai suffisant pour présenter ses observations mais encore que – contrairement à ce qui a été jugé en appel - lui soient remises toutes les pièces qu’il réclame.

Ensuite, l’obligation faite à un requérant potentiel en excès de pouvoir de saisir l’auteur de la décision litigieuse d’un recours préalable a pour effet que la décision rendue après l’exercice de ce recours préalable se substitue entièrement à la décision antérieure qui, de ce fait, a disparu de l’ordonnancement juridique.

(20 octobre 2021, Association Centre de formation pour adultes (CFPA) IMB Formation, n° 438193)

 

8 - Suppression de la profession d’avoué près les cours d’appels – Obligations en matière de retraite devant être réglées par convention entre diverses caisses - Intervention d’un décret prévu par une loi en cas d’absence de conventionnement (loi du 25 janvier 2011, art. 43) – Refus implicite de prendre le décret - Délai raisonnable de prise d’un acte réglementaire dépassé – Injonction au premier ministre de prendre une telle décision.

La loi du 25 janvier 2011 qui a supprimé la profession d’avoué près les cours d’appel a prévu que les diverses caisses concernées par cette modification (CAVOM, Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales et Caisse nationale des barreaux français) devaient convenir entre elles des transferts financiers résultant de cette opération. L’art. 43 de la loi dispose qu’à défaut de convention entre ces caisses le pouvoir réglementaire devait intervenir par décret. Constatant l’absence d’accord sur une convention, la caisse requérante a demandé au premier ministre de prendre ce décret.

La caisse saisit le Conseil d’État aux fins d’annulation du refus implicite du premier ministre d’édicter un tel décret, résultant du silence gardé par celui-ci sur sa demande.

Le Conseil d’État rappelle d’abord en des termes classiques sa position de principe concernant l’exercice du pouvoir réglementaire : « L'exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit, mais aussi l'obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu'implique nécessairement l'application de la loi, hors le cas où le respect des engagements internationaux de la France y ferait obstacle. ».

Puis il relève qu’il n’y a pas eu conventionnement et pas de perspective, depuis 2014, qu’en intervienne un. Le premier ministre doit obligatoirement intervenir car il ne dispose ici d’aucun pouvoir de libre appréciation. Or son abstention d’agir s’est prolongée au-delà du délai raisonnable. Elle est illégale. Il est fait injonction de prendre, sous neuf mois, le décret prévu par la loi.

(20 octobre 2021, Caisse d'assurance vieillesse des officiers ministériels, des officiers publics et des compagnies judiciaires (CAVOM), n° 445502 et n° 447488)

 

9 - Artistes-auteurs – Affiliation au régime général de sécurité sociale – Composition du conseil d’administration de chaque organisme agréé de gestion collective – Fixation par la loi – Décret intervenant dans cette composition – Incompétence du ministre de la culture – Annulation.

Les différentes catégories de membres que doit comporter le conseil d’administration des organismes agréés de gestion collective de la sécurité sociale des artistes-auteurs étant entièrement fixées par l’art. L. 382-1 du code de la sécurité sociale, l’art. 2 du décret du 28 août 2020 relatif à la nature des activités et des revenus des artistes-auteurs et à la composition du conseil d'administration de tout organisme agréé prévu à l'article R. 382-2 du code de la sécurité sociale  est donc illégal en tant qu’il prévoit, d’une part, que siègent avec voix délibérative au sein du conseil d'administration de tout organisme agréé prévu à l'article R. 382-2 « trois représentants des tiers habilités mentionnés au premier alinéa de l'article R. 382-19 » et, d’autre part, que ces personnes sont désignées par le ministre chargé de la culture. 

(20 octobre 2021, Comité pluridisciplinaire des artistes auteurs, n° 445648)

 

10 - Refus d’abroger des dispositions réglementaires – Introduction d’un recours contentieux contre le refus – Abrogation postérieure à l’introduction du recours mais reprise en substance des dispositions abrogées – Recours contentieux ne perdant pas son objet – Rejet.

Rappel d’un principe constant (depuis, Section, 5 octobre 2007, Ordre des avocats du barreau d'Evreux, n° 282321, JCP, G, 2007.IV.2983, abandonnant, 24 janvier 2007, GISTI, n° 243976, Recueil Lebon p. 17) : si l’abrogation de dispositions réglementaires postérieurement à l’introduction d’un recours contentieux dirigé contre la décision administrative refusant leur abrogation rend normalement sans objet ce recours, il n’en va pas de même lorsque l’administration reprend, dans un nouveau règlement, les dispositions qu'elle abroge, sans les modifier ou en ne leur apportant que des modifications de pure forme.

(21 octobre 2021, Union nationale des syndicats autonomes des agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (UNSA-CCRF), n° 434825)

 

11 - Produits phytopharmaceutiques – Compétence pour ordonner des mesures concernant l’utilisation de ces produits - Compétence interministérielle – Note émanant du seul ministre de l’agriculture – Incompétence – Annulation.

Un arrêté du ministre de l’agriculture a prévu les distances minimales de sécurité à respecter pour protéger les personnes se trouvant à proximité des zones de traitement au moyen de produits phytopharmaceutiques lorsque l’autorisation de mise sur le marché d’un tel produit ne fixe pas elle-même cette distance minimale.

Les art. L. 253-7 et R. 253-45 du code rural et de la pêche maritime confient aux ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation la compétence pour prendre ensemble les mesures d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant l'utilisation et la détention des produits phytopharmaceutiques mentionnés à l'article L. 253-1 du même code.

L’arrêté litigieux n’ayant été pris que par le seul ministre de l’agriculture, il est entaché d’incompétence et doit être annulé.

(22 octobre 2021, Association Générations Futures, n° 442620)

(12) V. aussi, sur ce même thème des distances de sécurité en cas d’utilisation de produits phytopharmaceutiques avec des éléments communs avec la décision précédente : 22 octobre 2021, Association Générations Futures et autres, n° 440210.

 

13 - Commission nationale d’aménagement commercial – Décisions devant être motivées – Limites de l’obligation de motivation – Rejet.

(25 octobre 2021, Société Ingka Centre Fleury, n° 434695)

V. n° 79

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

14 - Conventions et traités internationaux - Dispositions invocables ou non - Distinction entre dispositions d'effet direct et dispositions sans effet direct - Régime de l'exception d'inconventionnalité - Traités européens - Régime de l'invalidité d'actes de l'Union au regard du droit de l'Union - Compétence du juge national pour rejeter une action ou une exception en invalidité mais non pour l'admettre - Rejet.

 (6 octobre 2021, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 446302 et n° 446494 ; Mme D. et autres, n° 446643 ; M. O. et autres, n° 452518, n° 452520, n° 452522 et n° 452524)

V. n° 140

 

15 - Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) – Commission des sanctions – Tenue d’une audience par visio-conférence le 2 novembre 2020 – Absence de demande en ce sens de l’intéressée – Irrégularité – Annulation.

La requérante a fait l’objet de diverses mesures de sanction à la suite d’un contrôle antidopage réalisé à l’occasion d’une manifestation de crossfit. Elle demande l’annulation de celles-ci en tirant argument notamment de l’irrégularité entachant la tenue de l’audience sous forme de visio-conférence alors qu’elle n’avait pas demandé qu’elle se déroule sous cette forme.

Le Conseil d’État accueille sa requête rejetant tous les moyens de défense soulevés par l’AFLD.

Tout d’abord, est rejeté le moyen tiré de ce que les art. 1er et 2 de l’ordonnance du 6 novembre 2014, selon lesquels, respectivement « Les autorités publiques et administratives indépendantes peuvent décider de recourir aux formes de délibérations collégiales à distance prévues par la présente ordonnance, dans des conditions et selon des modalités précisées par ces autorités et conformément aux règles qui les régissent » et, « Sous réserve de la préservation, le cas échéant, du secret du vote, le président du collège d'une autorité mentionnée à l'article 1er peut décider qu'une délibération sera organisée au moyen d'une conférence téléphonique ou audiovisuelle ». En effet, ces dispositions, si elles visent les délibérations des membres des instances collégiales des autorités publiques et administratives indépendantes, ne sont pas applicables aux audiences qui sont tenues par la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage pour entendre les observations des personnes poursuivies devant elle.

Est également rejeté le moyen tiré des dispositions de l’art. 15-2 du règlement intérieur de la commission des sanctions de l'Agence permettant au président de cette commission de « décider, en cas d'urgence ou de nécessité absolue, que la séance de la commission se tiendra en utilisant un moyen de communication audiovisuelle permettant de s'assurer de l'identité des participants et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des débats » car ces dispositions ne pouvaient que préciser et non contredire les dispositions de l’art. R. 232-12 (devenu R. 232-95-1) du code du sport selon lesquelles une audience ne peut être tenue sous forme audio-visuelle que sur demande des personnes poursuivies devant cette commission.

Enfin, n’est pas, non plus, retenu le moyen tiré de l’existence de circonstances exceptionnelles dues à la situation sanitaire à la date du 2 novembre 2020 qui n’auraient pas permis la tenue d’une audience sous sa forme normale ; l’invocation des ordonnances du 27 mars 2020 et du 2 décembre 2020 est inopérante, la première ordonnance n’étant plus en vigueur à cette date et la seconde n’étant pas encore, alors, entrée en vigueur.

(6 octobre 2021, Mme C., n° 447436)

 

16 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Refus de classer des programmes dans une catégorie d’œuvres audiovisuelles – Refus de classement comme « documentaires » - Décision faisant grief - Décision non soumises à l’obligation de motivation – Absence d’irrégularité de la décision refusant le classement d’œuvres comme « documentaires » - Rejet.

Une société éditrice d’un service de télévision demande au Conseil d’État d’annuler les trois séries de décisions du CSA ayant refusé de classer 37 programmes de cette société comme documentaires.

Le Conseil d’État rejette la requête.

La convention conclue entre le CSA et cette société prévoyait en son art. 3-1-1 que « les documentaires (diffusés par cette société) représentent annuellement au moins 75 % du temps total de diffusion et portent sur une grande variété de sujets ».

Le CSA, a estimé, respectivement dans ses décisions du 11 juillet 2018, du 17 juin 2019 et du 20 mai 2020 que n’étaient pas des documentaires et qu’en conséquence ils ne respectaient pas les engagements de la convention, les programmes :

1°/ « Billy l'exterminateur : le B. », « Cabanes perchées », « Vintage mecanic », « Alaska : De l'or sous la mer », « Aquamen », « Americars », « Lagoon master », « Traqueur de bolides », « Boat masters », « Ultime garage », « Casse-cash », « B. à l'instinct primaire », « Bamazon », « Mecanic brothers », « La fièvre du ginseng » et « The grand tour » ;

2°/ « Americars, pièces détachées », « Avions à la casse », « Voitures à la casse », « 60 jours en prison », « Flipping bangers, voitures à tout prix », « Pawnshop : une histoire de famille », « B. à l'instinct primaire », « Classic car rescue », « Chat sauvage avec Rich », « Tueurs nés avec Tom », « Maraudeur avec Marty », « Sang sur la neige avec Rich », « Pris sur le fait avec Tom », « Piège fatal avec Eustache » et « Intrus mortel avec Tom » ;

3°/ « Last stop garage », « B. à la civilisation », « Cabane fever », « Off road garage », « Troc en stock » et « Les Brown, génération Alaska ».

Contrairement à ce que soutenait le CSA, il est évident que de telles décisions font grief et peuvent donc faire l’objet de recours pour excès de pouvoir. En revanche, elles n’ont pas à être motivées, n’entrant dans aucune des catégories de décisions, limitativement énumérées, qui doivent être obligatoirement motivées.

Le Conseil d’État approuve le CSA :

- d’une part, d’avoir retenu comme critère de la qualité de « documentaire », l'existence d'un point de vue d'auteur, la présence d'un apport de connaissances pour le spectateur, la présentation de faits ou de situations qui préexistent à la réalisation de l'émission, l'absence - sans interdire toute reconstitution - de mises en scène artificielles et, le cas échéant, l'obtention du soutien du Centre national du cinéma et de l'image animée au titre des œuvres documentaires,

- d’autre part, d’avoir à bon droit refusé cette qualification aux programmes litigieux qui « soit invitent à suivre une ou plusieurs personnes dans l'exercice de leur profession ou de leur passion tels que l'orpaillage, la réparation de véhicules de collection, la réalisation de cabanes ou de piscines ou l'extermination d'animaux nuisibles, soit s'attachent à des protagonistes en situation d'aventure, de voyage ou de survie (…). », que, par suite, en utilisant des procédés narratifs et de mise en image caractéristiques du divertissement ils « ne procèdent pas d'une intention d'enrichir les connaissances du téléspectateur, faute d'apporter, de manière substantielle et continue, des données informatives sur leurs sujets (…) » et qu’enfin « ils mettent en scène la réalité de manière artificielle, en recherchant la dramatisation, les effets de surprise et l'exacerbation des émotions. »

A quand un documentaire sur le contentieux de l’audiovisuel ?

(29 octobre 2021, Société RMC Découverte, n° 424065, n° 433701 et n° 442205)

 

Biens

 

17 - Dépendance du domaine public départemental - Bien sorti de ce domaine public - Qualification comme bien appartenant au domaine privé par délibération du conseil général – Bien appartenant, par suite d’une cession, au domaine privé d’une commune – Non vérification de l’existence d’une mesure expresse de déclassement – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, pour juger qu’une dépendance du domaine public départemental fait désormais partie du domaine privé d’une commune, se fonde sur sa désaffectation et sur sa cession par le département à la commune par acte notarié ainsi que sur les termes d’un rapport fait au conseil général sur sa qualification comme dépendance du domaine privé, sans rechercher si elle avait fait l’objet d’une mesure expresse de déclassement du domaine public.

En effet, seul un déclassement exprès peut faire sortir une dépendance du domaine public (art. L. 2141-1 CGPPP) alors que, on le sait, l’inverse n’est pas vrai : un bien n’a pas besoin d’avoir fait l’objet d’une décision formelle de classement pour intégrer le domaine public (cf. art. L. 2111-3 CGPPP selon lequel tout acte de classement « n'a d'autre effet que de constater l'appartenance de ce bien au domaine public »)

(22 octobre 2021, Commune de Saint-Martin-de-Londres, n° 443040)

 

18 - Expropriation – Légalité de l’arrêté de cessibilité – Appréciation du caractère d’utilité publique d’une opération nécessitant une expropriation – Appréciation in concreto – Création d’une liaison douce pour piétons et cyclistes – Rejet.

Les demandeurs poursuivaient l’annulation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet de leur demande d’annulation d’un arrêté préfectoral de cessibilité dans le cadre d’une expropriation.

Deux questions principales se posaient.

Tout d’abord, l’arrêté de cessibilité était prétendu illégal en ce qu’en l’espèce n’était pas joint à cet arrêté un document d’arpentage établi antérieurement à celui-ci. Pour le juge, si ce document est une garantie pour les intéressés et si son absence constitue une irrégularité, les textes n’imposent cependant pas que le procès-verbal d’arpentage soit joint à l’arrêté de cessibilité reçu par les propriétaires de la parcelle concernée, si, comme en l’espèce, les annexes de cet arrêté « établies d'après un document d'arpentage, délimitent avec précision la fraction expropriée de la parcelle dans sa superficie et indiquent les désignations cadastrales de cette parcelle, ainsi que sa nature, sa contenance et sa situation. »

Ensuite, était soulevée la question de l’utilité publique de l’opération d’expropriation. Pour apercevoir ici ce caractère le juge de cassation, à l’instar des juges du fond, relève, d’une part que la réalisation d’une liaison douce vers le centre-ville pour piétons et cyclistes dont de nombreux élèves d’un groupe scolaire, en prolongement d’un chemin piétonnier existant, était très utile et ne pouvait se faire ailleurs, et, d’autre part, que cela ne causait pas une grande gêne aux propriétaires dans la mesure où n’est détaché qu’un terrain de 188 m2 sur une parcelle d’une superficie de 1700 m2 situé sur une zone en friche de cette parcelle supportant actuellement un mur effondré.

(28 octobre 2021, M. et Mme E., n° 434676)

 

Collectivités territoriales

 

19 - Nouvelle-Calédonie – Épidémie de Covid-19 - Répartition des compétences entre le territoire et l’État – Loi du 23 mars 2020 et loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie – Réitération de la chose jugée par le Conseil constitutionnel – Rejet.

Les requérants contestaient la conformité de l’art. 3 de la loi du 23 mars 2020 dite d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 à la loi organique de 1999 régissant la répartition des compétences entre l’État et la Nouvelle-Calédonie, en ce qu’il permet au gouvernement, par ordonnance de l’art. 38 de la Constitution, de prendre « les mesures d'adaptation destinées à adapter le dispositif de l'état d'urgence sanitaire dans les collectivités régies par l'article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie, dans le respect des compétences de ces collectivités. »

Selon eux, l’art. L. 3841-2 du code de la santé publique étendant à ce territoire notamment les dispositions de l’art. L. 3131-16 dudit code serait contraire aux règles de répartition des compétences fixées aux articles 76 et 77 de la Constitution et 21 et 22 de la loi organique du 19 mars 1999 en ce qu’il permettrait un empiètement de l’État sur la compétence sanitaire dévolue à la Nouvelle-Calédonie. 

Le Conseil d’État, dans cette décision, reprend expressis verbis la solution et la réponse du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-869 QPC du 4 décembre 2020. Ce dernier avait jugé que «  si elles poursuivent un objectif de protection de la santé publique, ces mesures exceptionnelles, temporaires et limitées à la mesure strictement nécessaire pour répondre à une catastrophe sanitaire et à ses conséquences, se rattachent à la garantie des libertés publiques et ne relèvent donc pas de la compétence de la Nouvelle-Calédonie » et que « en étendant à la Nouvelle-Calédonie les mesures prévues par l'article L. 3131-16 du code de la santé publique permettant au ministre chargé de la santé ou au haut-commissaire de prescrire ou d'adapter, dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, " toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé ", autre que celles prévues à l'article L. 3131-15, pour mettre fin à la catastrophe sanitaire, le législateur n'a visé que les mesures qui, parce qu'elles concernent l'ordre public ou les garanties des libertés publiques, relèvent de la compétence de l'État. Cette extension est donc sans incidence sur les compétences de la Nouvelle-Calédonie en matière de santé ».

Le recours est rejeté.

(14 octobre 2021, M. AD. et autres, n° 440741)

(20) V. aussi, sur le même thème et assez comparable en substance : 14 octobre 2021, M. AD. et autres, n° 441059.

 

Contentieux administratif

 

21 - Zones de tension entre l'offre et la demande de logements - Recours contre un refus implicite d'accorder un permis de construire - Appel du jugement porté devant la cour administrative d'appel - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif ne s'appliquant pas en l'espèce - Renvoi à la cour.

Rappel de ce que si l'art. R. 811-1 CJA dispose que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022, dirigés contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes où existe une zone de tension particulièrement vive entre l'offre et la demande de logements, il ne s'applique  qu'aux jugements statuant sur des recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager et non, comme au cas de l'espèce, aux jugements statuant sur des recours formés contre des refus d'autorisation.

L'affaire est donc renvoyée du Conseil d’État à la cour administrative d'appel.

(5 octobre 2021, M. A., n° 449606)

 

22 - Contentieux des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale - Possibilité de dispenser le rapporteur public, sur sa demande, de prononcer des conclusions (art. R. 732-1-1 CJA) - Obligation de porter cette dispense à la connaissance des parties avant la tenue de l'audience - Mutisme de l'avis d'audience sur ce point - Justiciable ainsi privé d'une garantie - Procédure irrégulière - Annulation avec renvoi.

Si le CJA permet au juge statuant seul de dispenser le rapporteur public du prononcé de conclusions dans le contentieux des prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale, c'est sous la condition expresse que les parties doivent être avisées avant l'audience de cette décision de dispense. En l'absence de cette communication, la procédure est irrégulière et le jugement annulé.

(6 octobre 2021, Département du Pas-de-Calais, n° 443197)

 

23 - Arrêté délivrant un permis de construire - Requête en référé suspension de ce permis - Rejet pour défaut de diligence à saisir le juge - Date de cristallisation des moyens (L. 600-3 c. urb.) - Irrecevabilité de conclusions à fin de référé suspension déposées après cette date - Annulation de l'ordonnance de référé et rejet de la demande.

Le juge des référés ayant rejeté leur demande tendant à la suspension d'un permis de construire délivré par le maire de Nogent-sur-Marne, les demandeurs se pourvoient en Conseil d’État.

C'est l'occasion pour le juge de préciser sur deux points le régime contentieux des requêtes en référé suspension.

En premier lieu, le juge des référés du tribunal administratif avait rejeté la demande de référé suspension motif pris de ce que les demandeurs n'avaient pas fait diligence pour le saisir puisqu'un délai de plusieurs mois s'était écoulé depuis l'enregistrement de leur recours en excès de pouvoir dirigé contre le permis de construire. Cette motivation est annulée car elle est, en soi, insuffisante et ici d'autant plus que les demandeurs au référé avaient fait valoir que la préparation du chantier avait commencé et que le début des travaux était imminent.

On remarquera que le juge de première instance, ce jugeant, a fait échec, comme cela lui était possible en cas de circonstances particulières, au principe selon lequel la condition d'urgence est supposée remplie en cas de référé suspension dirigé contre un permis de construire en raison du caractère largement irréversible de la construction d'un bâtiment. Cependant, cet arrêt le démontre, le juge a une appréciation très restrictive de la notion de « circonstances particulières ».

En second lieu, en dépit de cette annulation, le pourvoi est rejeté car le principe de cristallisation des moyens (cf. art. L. 600-3, 1er alinéa, c. urb.) qui a pour effet de rendre irrecevable tout moyen présenté après l'expiration  d'un délai de deux mois  à compter de l'enregistrement du recours au fond, rend également irrecevable à l'expiration de ce même délai toute demande tendant à voir ordonner la suspension de l'exécution du permis de construire.

(6 octobre 2021, Mme H. et autres, n° 445733)

(24) V. aussi, identiques au précédent et concernant deux autres permis mais délivrés dans la même commune : 6 octobre 2021, Mme C. et M. E., n° 445735 ; 6 octobre 2021, Mme C. et M. D, n° 445737.

 

25 - Pôle emploi - Radiation du compte employeur - Absence du caractère de sanction - Recouvrement des contributions dues par certains employeurs - Fonction de recouvrement assurée pour le compte de l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage en vue du versement de prestations aux travailleurs privés d'emploi - Compétence exclusive du juge judiciaire - Rejet.

Pôle emploi assure pour le compte de l'organisme gestionnaire du régime d'assurance chômage le recouvrement des contributions dues par les employeurs des salariés engagés à titre temporaire relevant des professions de la production cinématographique, de l'audiovisuel ou du spectacle.

Les décisions de radiation du compte employeur que Pôle emploi prend à l'égard d'une entreprise se présentant comme employeur de tels salariés ne revêtent pas, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, le caractère d'une sanction à l'égard de cet employeur mais lui ferment la voie du versement des contributions à l'assurance chômage au titre du régime dont ces salariés relèvent.

De telles décisions se rattachent ainsi à la mission que Pôle emploi exerce en qualité d'organisme chargé du recouvrement pour le compte de l'organisme gestionnaire de l'assurance chômage en vue du versement des prestations auxquelles ont droit les travailleurs privés d'emploi.

Or, il résulte des dispositions de la loi du 13 février 2008 relative à la réforme de l'organisation du service public de l'emploi dont sont issus les art. L. 5312-1 et suivants du code du travail relatifs à Pôle emploi, ainsi que des travaux préparatoires à celle-ci, que le législateur a souhaité que la réforme consistant à substituer Pôle emploi à l'Agence nationale pour l'emploi (ANPE) et aux associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (Assedic), reste sans incidence sur le régime juridique des prestations et sur la juridiction compétente pour connaître du droit aux prestations, notamment sur la compétence de la juridiction judiciaire s'agissant des prestations servies au titre du régime d'assurance chômage. C'est pourquoi le litige dont s'agit, relatif à la radiation du compte employeur tenu par Pôle emploi, relève exclusivement de la compétence du juge judiciaire.

(6 octobre 2021, Sociétés SMARTFR et La Nouvelle Aventure, n° 450379)

 

26 - Avis d’audience – Information erronée sur la dispense de conclusions du rapporteur public dans l’application SAGACE – Conclusions ayant été réellement prononcées à l’audience – Requérant privé d’une garantie en n’ayant pas pu prendre connaissance du sens de ces conclusions – Procédure irrégulière – Annulation.

Encourt la cassation l’arrêt résultant d’une audience au cours de laquelle le rapporteur public a prononcé des conclusions alors que l’application SAGACE indiquait qu’il n’y aurait pas de conclusions, le rapporteur public en étant dispensé, alors, au surplus, qu’une demande d'indemnisation des préjudices subis à l'occasion d'une opération d'urbanisme ne peut, en tout état de cause, faire l'objet d'une dispense de conclusions.

(8 octobre 2021, Me F. Blanc, liquidateur de la Sarl ARECIM, n° 437046)

 

27 - Référé-suspension – Urgence prétendument établie du fait du refus d’une direction départementale des finances publiques d’exécuter deux ordonnances de référé – Situation irrégulière ne caractérisant pas une situation d’urgence – Rejet.

La requérante, qui exploite une activité de football en salle, a, d’une part, été conduite à cesser son activité du fait de l’épidémie de Covid-19 et d’autre part reçu pendant un certain temps des aides publiques versées par le fonds de solidarité créé à cette fin. Elle demande la suspension, en référé, de l’exécution de la décision implicite du premier ministre et du ministre de l'économie, des finances et de la relance refusant d'abroger les articles 3-19, 3-22, 3-24, 3-26 et 3-27 du décret n° 2020-371 du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de Covid-19 et aux mesures prises pour limiter cette propagation. Au soutien de sa requête la requérante développe l’argumentation selon laquelle les dispositions dont la suspension d’exécution est demandée ont pour effet d’exclure du bénéfice du fonds de solidarité, sans égard pour la durée de la fermeture administrative et donc de manière définitive, les entreprises qui ont fait l'objet d'un arrêté préfectoral de fermeture administrative sur le fondement du troisième alinéa de l'article 29 du décret du 16 octobre 2020 ou du troisième alinéa de l'article 29 du décret du 29 octobre 2020. 

De ce fait, elle allègue la forte dégradation de sa situation financière, en particulier du fait que l’administration a refusé, par deux fois, d’exécuter deux ordonnances du juge des référés du tribunal administratif ordonnant que soit suspendue l'exécution de la décision rejetant une demande d'aide pour le mois d'avril 2021.

Le juge des référés considère que si l’administration doit exécuter ces ordonnances, le « défaut d'exécution de ces deux ordonnances, alors que l'administration y est pourtant tenue, n'est pas, dans les circonstances de l'espèce, de nature à justifier l'intervention du juge des référés du Conseil d’État saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative du refus d'abroger les dispositions fondant le refus d'aide financière dont l'exécution a été suspendue par le tribunal administratif. »

Il faut comprendre par-là, tout d’abord, que l’action dont a été saisi le juge des référés du Conseil d’État repose sur un tout autre fondement que celui sur lequel a statué le juge des référés du premier degré. En ce dernier cas il s’agissait d’obtenir la suspension de l’exécution d’une mesure individuelle refusant l’allocation d’une aide financière alors que le Conseil d’État était saisi d’une demande de suspendre des dispositions de nature réglementaire dont, au demeurant, il n’est même pas certain qu’elles soient à l’origine de la situation financière de la requérante.

Ensuite, dans la mesure où, d’une certaine façon le référé en Conseil d’État tendait à voir exécutées les deux ordonnances jusque-là laissées lettre morte par l’administration des finances, la voie du référé n’était pas appropriée car il existe une voie de droit permettant d’obtenir l’exécution des décisions de justice que l’administration s’obstine à ne point exécuter, c’est celle régie par les dispositions des art. L. 911-1 et L. 911-3 à L. 911-7 du CJA.

(4 octobre 2021, Société NT, n°456570)

 

28 - Contrat d’amodiation – Recours contre une mesure d’exécution du contrat – Recours d’un tiers au contrat – Demande de suspension du contrat – Refus – Erreur de droit – Cassation de l’ordonnance avec renvoi.

(12 octobre 2021, Commune du Lavandou, n° 446457)

V. n° 48

 

29 - Frais de justice – Frais exposés devant le juge administratif en conséquence d’une faute de l’administration – Prise en compte dans l’évaluation du préjudice subi du chef de cette faute – Frais exposés par une personne partie à l’instance – Frais réparés nécessairement et intégralement par la décision du juge prise sur le fondement de l’art. L. 761-1 CJA.

L’intérêt de cette décision, relative à un litige en responsabilité du fait de décisions illégales prises par une commune, vient de l’aspect procédural qu’elle comporte.

Le juge y rappelle que si les frais de justice exposés devant le juge administratif du chef d’une action en responsabilité pour faute d’une personne publique dont ils sont la conséquence directe sont susceptibles d’être pris en compte dans l’évaluation du préjudice à réparer c’est sous l’expresse condition que le demandeur n’ait pas été partie à l’instance en cause. En effet, s’il y est partie, ces frais sont nécessairement et intégralement inclus dans la décision prise au titre de l’art. L. 761-1 du CJA.

(15 octobre 2021, Société 2AB, n° 436725 et commune de Pézenas, n° 436746)

 

30 - Autorisations, notamment, de construire et d’exploiter des éoliennes – Demande de suspension des arrêtés préfectoraux d’autorisation – Application des dispositions de l’art. L. 612-5-2 CJA – Désistement d’office – Erreur de droit pour application anticipée – Annulation avec renvoi.

Des requérants sollicitaient la suspension et l’annulation d’arrêtés préfectoraux autorisant la construction et l'exploitation de huit éoliennes et de trois postes de livraison. Le juge des référés d’une cour administrative d’appel avait rejeté la demande de suspension au motif qu'aucun des moyens soulevés n'était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ces arrêtés et il avait informé les parties, en application des dispositions de l'art. R. 612-5-2 CJA, qu'à défaut de confirmer dans le délai d'un mois le maintien de leurs conclusions à fin d'annulation de ces arrêtés, ils seraient réputés s'en être désistés. Puis, par ordonnance du 6 décembre 2019, il avait donné acte aux requérants de leur désistement.
Cette ordonnance est contestée devant le Conseil d’État et elle est annulée car, la demande des intéressés ayant été enregistrée au greffe de la cour (qui, ici, statue en premier ressort) le 5 février 2018, le décret du 17 juillet 2018, dont sont issues les dispositions de l’art. R. 612-5-2 CJA régissant le désistement d’office de la requête principale en cas de rejet d'une demande de suspension présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 CJA pour absence de moyen propre à créer un doute sur la légalité de la décision attaquée, n’était pas encore applicable à cette date et ne pouvait être opposé aux intéressés.

(4 octobre 2021, Association Plein Ciel en Thiérache et Porcien et autres, n° 438256)

 

31 - Permis de construire – Recours en référé suspension – Présomption d’urgence – Renversement de la présomption par le délai séparant le recours en annulation du permis du recours en référé – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, pour rejeter pour défaut d’urgence un tel recours dirigé contre un permis de construire, se fonde sur le délai de plusieurs mois qui s’est écoulé entre le dépôt du recours en annulation du permis de construire et celui du recours en référé suspension ; ce seul élément n’est pas suffisant pour renverser la présomption d’urgence prévue à l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme. Cela d’autant plus, au demeurant, que les requérants faisaient valoir que la préparation du chantier avait commencé et que le début des travaux était imminent.

(20 octobre 2021, M. A. et autres, n° 445731)

 

32 - Référé-suspension – Référé dirigé contre une « loi du pays » en Nouvelle-Calédonie - Régime contentieux – Irrecevabilité en principe – Exceptions – Rejet pour absence de doute sérieux sur la légalité.

Le juge des référés de l’art. L. 521-1 CJA, était saisi par 81 requérants d’une demande de suspension, d’une part de l’exécution de l’acte de promulgation d’une « loi du pays » du 23 août 2021, d’autre part de la « loi du pays » elle-même. Celle-ci a prévu la vaccination obligatoire, en Nouvelle-Calédonie, de certaines catégories de personnes dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire liée à la Covid-19. 

C’est surtout la question de la recevabilité de ces demandes qui constitue l’apport principal de cette ordonnance.

En principe, en dehors de l’hypothèse de l’art. 176 de la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, qui prévoit que la légalité d’une « loi du pays » puisse être contestée par voie de recours direct dans le mois qui suit sa publication (art. 178, loi organ.) et que sa promulgation doit intervenir dans les dix jours de l’expiration de ce délai d’un mois, une telle loi ne peut être contestée que par voie d’exception.

De ce qu’aucun recours contre une « loi du pays » n'est recevable en dehors de l’hypothèse précédente, il découle que n’est pas davantage recevable la saisine du juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, dès lors qu’un tel référé n’est lui-même recevable qu’en cas d'introduction d'une demande d'annulation, d’autant que, en ce cas, non encore promulguée, la « loi du pays » ne peut de ce fait être susceptible de créer une situation d'urgence au sens de l’art. L. 521-1 du CJA, faute d'être entrée en vigueur.

Cependant, le juge des référés rappelle tout d’abord qu’en revanche un référé-supension peut être dirigé contre l’acte de promulgation d’une « loi du pays » même si son irrégularité est sans incidence sur la légalité de dispositions de la « loi du pays »

Ensuite, et surtout, le juge indique qu’il « en va différemment quand l'acte dit " loi du pays " a été prématurément promulgué, que cette promulgation intervienne avant l'expiration du délai d'un mois prévu au premier alinéa de l'article 178 de la loi organique ou, si le Conseil d'Etat a été saisi, avant l'expiration du délai de trois mois prévu au I de l'article 177. » Il s’ensuit alors une situation un peu complexe.

1°/ En cas de promulgation prématurée, saisi d'un recours dirigé seulement contre l'acte de promulgation, si le Conseil d'Etat prononce l'annulation de cet acte, la « loi du pays » cesse d'être exécutoire et la publication qui a été faite de la « loi du pays » promulguée vaut publication pour information, ouvrant le délai de recours par voie d'action prévu par les dispositions de l'article 176 de la loi organique.
2°/ Si, en cas de promulgation prématurée, le Conseil d'Etat est simultanément saisi de conclusions dirigées contre l'acte de promulgation et contre la « loi du pays " promulguée et s'il annule l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la « loi du pays » est alors regardé comme un recours tendant à déclarer non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique, la délibération adoptée par l'assemblée de la Polynésie française.

S'il rejette les conclusions dirigées contre l'acte de promulgation, le recours dirigé contre la « loi du pays » présente le caractère d'un recours en annulation.
Il suit de là que dans ces deux hypothèses, l'introduction devant le juge des référés d'une demande de suspension demeure recevable dans les limites ci-dessus rappelées à l'encontre d'un acte de promulgation, et l'est également à l'encontre d'une « loi du pays » ainsi promulguée si les conditions posées par l'article L. 521-1 CJA sont réunies.

C’était la seconde de ces hypothèses qui se trouvait réalisée en l’espèce : la demande de suspension était donc recevable mais les demandes sont rejetées en l’absence de doute sérieux sur la légalité de la « loi du pays » attaquée.

(ord. réf. 12 octobre 2021, Mme A. et autres, n° 456936)

 

33 - Référé-suspension – Article 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives – Possibilité de statuer sans audience, par ordonnance motivée – Exigence tenant au respect du contradictoire – Absence d’information complète des parties – Annulation.

Si l’art. 3 de l’ordonnance du 18 novembre 2020, pour tenir compte de l’épidémie de Covid-19, permet au juge administratif de statuer sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé, c’est à la condition que les parties soient informées de l'absence d'audience et de la date à partir de laquelle l'instruction sera close.

Faute que les visas de l’ordonnance attaquée ou quelque autre pièce de procédure porte mention que ces informations ont été données, l’ordonnance est annulée.

(ord. réf. 20 octobre 2021, Mme K. et autres, n° 447756)

 

34 - Référé-liberté – Saisine du Conseil d’État en appel – Demande de prise en charge par l’État des frais d’expertise engagés par l’association requérante en première instance – Irrecevabilité – Demande ressortissant du membre du tribunal qui a ordonné l’expertise – Rejet.

Suite à un incendie survenu dans un centre de rétention, l’association demanderesse, qui a interjeté appel du rejet de son référé-liberté en première instance, demande, outre l’annulation de ce rejet, l’attribution des frais d’expertise qu’elle a engagés, à la charge de l’État.

Sa requête est rejetée de ce dernier chef car il résulte des dispositions de l’art. R. 761-5 du CJA que la contestation de l’ordonnance fixant les frais d’expertise mis à la charge de l’une des parties doit être portée « devant la juridiction à laquelle appartient l'auteur de l'ordonnance ».  En l’espèce, l’action, qui relevait du tribunal administratif de Pau, est irrecevable en tant qu’elle est portée devant le Conseil d’État.

(ord. réf. 21 octobre 2021, Association Avocats pour la défense des étrangers, n° 457179)

 

35 - Juridiction administrative spécialisée – Décision disciplinaire du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) – CNESER saisi d’une demande de sursis à exécution – Obligations en découlant - Non-respect – Annulation.

Un étudiant de l’IEP de Paris est sanctionné d’une exclusion de deux années par la section disciplinaire de cet établissement pour avoir commis des faits constitutifs d'une violation de l'article 3 du règlement de la vie étudiante de l’IEP.

Il demande au CNESER le prononcé d’un sursis à l’exécution de cette décision et, ceci lui étant refusé, se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État relève que si le CNESER a analysé dans les motifs de sa décision l'ensemble des moyens soulevés devant lui par le requérant pour contester la régularité et le bien-fondé de la décision attaquée, il s'est borné en revanche, ensuite, à indiquer qu'aucun des moyens tirés de l’irrégularité de la décision de première instance n'était sérieux et de nature à en justifier l'annulation ou la réformation, sans se prononcer expressément sur les moyens portant sur son bien-fondé.

La décision du CNESER est entachée d'irrégularité, ce qui entraîne son annulation avec renvoi de l’affaire à celui-ci. 

(25 octobre 2021, M. D., n° 449286)

 

36 - Référé-liberté – Scolarisation d’une élève handicapée – Absence d’urgence à statuer sous 48 h en l’état d’une situation imputable aux requérants – Rejet.

Il n’y a pas d’urgence à statuer sous 48 heures en vue que soit ordonnée la scolarisation d’une élève handicapée alors que ses parents ont refusé de donner suite à la proposition qui leur a été faite par l'administration de l'accueillir dans une classe ULIS dans une commune voisine, en leur laissant le choix entre deux établissements, l'administration ayant sans réponse de leur part désigné l'établissement de La Longueville et y ayant organisé l'accompagnement nécessaire et qu’ils ne justifient pas de l'inadaptation alléguée de cet établissement au handicap de leur fille. Par-là, ils se sont ainsi eux-mêmes placés, en maintenant leur intention de scolariser leur fille en milieu ordinaire dans l'école de leur commune, dans la situation de déscolarisation qu'ils imputent aux services de l'État. D’autant qu’au surplus, ils ne justifient pas que cet établissement ne serait pas adapté à la situation de leur fille ou qu’elle se heurterait à d'autres obstacles, qu'ils soient juridiques ou pratiques.

(ord. réf. 11 octobre 2021, Mme E. et M. D., n° 456727)

 

37 - Demande de visa d’entrée sur le territoire français – Refus – Recours en référé porté directement devant le Conseil d’État – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

De ce que les litiges relatifs au rejet des demandes de visa d'entrée sur le territoire français relevant des autorités consulaires ressortissent à la compétence du tribunal administratif de Nantes (art. R. 312-18 CJA), il s’ensuit qu’est manifestement irrecevable, la saisine directe du Conseil d’État par voie de référé-suspension dirigé contre un tel refus de visa dès lors que le Conseil d’État n’est pas compétent en premier et dernier ressort pour connaître du litige principal.

(ord. réf. 18 octobre 2021, M. B., n° 457448)

 

38 - Droit fiscal - Vérification de comptabilité – Évaluation de titres d’une société non cotés en bourse – Modes d’évaluation – Choix de la méthode d’évaluation patrimoniale ou mathématique – Contradiction de motifs – Annulation.

Cette décision est relative à l’application d’une méthode d’évaluation de titres d’une société non cotée en bourse afin d’apprécier si leur cession a été réalisée à un prix jugé, par l’administration fiscale, inférieur à celui de leur valeur réelle.

Le juge de cassation aperçoit une contradiction de motifs dans l’arrêt d’appel en ce que, d’une part, la cour a approuvé l’administration fiscale d’avoir retenu comme unique méthode d'évaluation des titres en litige, la méthode d'évaluation dite patrimoniale ou mathématique, et écarté tous les facteurs de décote dont se prévalait la société Crédit Agricole et, d’autre part, elle a jugé que l’écart entre la valeur déclarée de ces titres et la valeur fixée par l’administration n’étant que de 14,1%, celui-ci n’était pas significatif car « toute évaluation de titres non cotés en bourse comporte un aléa, tenant au choix de la ou des méthodes d'évaluation prises en compte et aux multiples correctifs qu'il est possible de retenir ».

On avoue être dubitatif sur l’existence réelle d’une contradiction.

(26 octobre 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 426462)

 

39 - Demande de rétablissement des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile – Litige ne portant pas sur la reconnaissance d’une qualité ou l’attribution d’un avantage attaché à une qualité – Compétence du tribunal dans le ressort duquel a son siège l'autorité de décision – Renvoi à ce tribunal.

La requérante recherchait le rétablissement des conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile qui, après lui avoir été accordées puis suspendues lui ont été finalement refusées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). Le Conseil d’État estime que ce litige n’est pas relatif à la reconnaissance d'une qualité ou à l'attribution d'un avantage attaché à une qualité au sens des dispositions de l'article R. 312-6 du CJA. Il relève donc de la compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel a son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris les décisions attaquées, c’est-à-dire ici celui d’Amiens puisqu’en l’espèce les décisions litigieuses ont été prises par la direction territoriale de l'OFII située à Amiens.

Le jugement de ce litige est ainsi renvoyé au tribunal administratif d'Amiens.

(28 octobre 2021, Mme C., n° 452857)

 

40 - Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG) – Organisme privé chargé d’une mission de service public – Ordre de virement à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) – Décision ne comportant pas exercice de prérogatives de puissance publique ou organisation du service public – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

Les requérants contestaient la légalité de la décision par laquelle, en application du II de l’art. 14 de la loi du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021, le directeur et le directeur comptable de la caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (CAMIEG) ont viré une somme de 175 millions d’euros à la CNAM.

La requête est rejetée pour incompétence du juge saisi car si la CAMIEG est un organisme privé, doté de la personnalité morale, chargé d’une mission de service public et disposant à ce titre de prérogatives de puissance publique, la décision de virement dont il s’agit ne mettant pas en œuvre l’exercice de telles prérogatives ni ne comportant organisation du service public, il s’ensuit que le contentieux né de ce virement ne relève pas de l’ordre administratif de juridiction mais du juge judiciaire.

Cette incompétence emporte ipso facto le rejet de la demande de transmission d’une QPC.

(29 octobre 2021, Fédération nationale des mines et de l'énergie CGT (FNME-CGT) et autres, n° 454015)

 

41 - Droit au logement opposable – Injonction d’un tribunal au préfet d’assurer le logement – Inexécution de cette ordonnance – Compétence de la juridiction ayant délivré injonction, non du Conseil d’État – Renvoi à ce tribunal.

Application au cas de l’espèce, des dispositions de l’art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation : en cas d’inexécution par le préfet de l’injonction sous astreinte de reloger un demandeur au titre du droit au logement social, ce dernier ne peut saisir que le juge ayant ordonné son relogement afin qu'il constate l'inexécution de cette injonction et liquide l'astreinte dont elle était assortie.

(29 octobre 2021, Mme C., n° 453660)

(42) V. aussi, même solution : 29 octobre 2021, M. C., n° 453661.

(43) V. également, rappelant que le Conseil d’État n’est pas compétent pour connaître en premier et dernier ressort de la requête tendant à ce qu’il soit enjoint à un préfet d’exécuter la décision d’une commission de médiation reconnaissant comme prioritaire une demande de logement : 29 octobre 2021, Mme D., n° 452966 ou encore : 29 octobre 2021, Mme C., n° 451091.

(44) V. encore la même solution retenue s’agissant d’un recours contre le rejet par une commission de médiation de la demande de reconnaître une personne comme prioritaire pour être logée d’urgence : 29 octobre 2021, M. A., n° 450141.

 

45 - Référé suspension – Refus d’attribuer un logement social – Attribution de ce logement à une autre personne – Décision entièrement exécutée – Demande de suspension devenue sans objet – Annulation et rejet.

Rappel d’une règle classique : l’exécution d’une décision rend sans objet le référé tendant à la suspension de celle-ci.

En l’espèce, une requérante, à laquelle avait été refusée l’attribution d’un logement social, avait demandé et obtenu la suspension de l’exécution de ce refus. Cependant, ce logement avait été entretemps attribué à un autre candidat qui en était devenu locataire, la demande de référé suspension était devenue sans objet. C’est donc par suite d’une erreur de droit que le juge du tribunal administratif avait ordonné la suspension du refus.

L’ordonnance est annulée.

(29 octobre 2021, Société 13 Habitat, n° 451471)

 

46 - Tribunal administratif – Compétence de premier et dernier ressort – Action indemnitaire (exception de l’art. R. 811-1, 8° CJA) – Demande de prise en charge de frais de déplacements professionnels - Demande n’entrant pas dans l’exception précitée – Compétence d’appel de la cour administrative d’appel – Renvoi du dossier à cette juridiction.

Un praticien hospitalier a demandé en première instance la condamnation d’un centre hospitalier à prendre à sa charge ses frais de déplacements professionnels. Il s’est pourvu en Conseil d’État contre le jugement rejetant sa requête.

Si le 8° de l’art. R. 811-1 du CJA prévoit bien que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur toute action à fin indemnitaire n’excédant pas un certain plafond, la demande de remboursement de frais de déplacements professionnels ne constitue pas une « demande indemnitaire » au sens de ce texte.

Le jugement querellé relevait donc d’un appel porté devant la cour administrative d’appel à laquelle le dossier est renvoyé.

(29 octobre 2021, M. B., n° 442261)

 

Contrats

 

47 - Marchés de travaux publics – Retard dans la livraison d’un lot – Préjudice financier subi par un participant du fait de ce retard - Retard imputable à un autre participant – Absence de lien contractuel entre ces deux participants – Action en responsabilité quasi-délictuelle – Action fondée sur des stipulations du contrat conclu par ce second participant – Régularité – Cassation de l’arrêt rejetant l’action quasi-délictuelle.

(11 octobre 2021, Société coopérative métropolitaine d'entreprise générale (CMEG), n° 438872)

V. n° 157

 

48 - Contrat d’amodiation – Recours contre une mesure d’exécution du contrat – Recours d’un tiers au contrat – Demande de suspension du contrat – Refus – Erreur de droit – Cassation de l’ordonnance avec renvoi.

Commet une erreur de droit le juge des référés qui, pour rejeter le recours d’une commune contre un contrat d’amodiation pris en exécution d’une convention de concession d’exploitation d’ouvrages d’un port de plaisance, relève que s’agissant d’une mesure d’exécution d’un contrat autre que sa résiliation, le juge des référés pouvait seulement rechercher si cette mesure était intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité, le contrat d'amodiation ne pouvant faire l'objet ni d'une annulation ni, a fortiori, de la suspension demandée par la commune. 

Ce jugeant, alors que la commune demanderesse  était un tiers au contrat d'amodiation en litige et que sa demande tendait en réalité à la mise en œuvre de la possibilité ouverte à tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses de former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat et d'assortir ce recours d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de ce dernier sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le juge des référés a commis une erreur de droit. 

(12 octobre 2021, Commune du Lavandou, n° 446457)

 

49 - Marché de prestations intellectuelles – Mandat de maîtrise d’ouvrage – Résiliation – Projet de décompte de résiliation – Rejet de ce projet – Inapplicabilité du cahier des charges – Erreur de droit – Obligation d’établir un décompte de résiliation – Annulation.

La communauté d'agglomération Amiens Métropole a conclu avec la société requérante, dans le cadre de la réalisation de la première ligne de tramways, un marché de mandat de maîtrise d’ouvrage en vue d'assurer le suivi administratif, financier et technique des études et de la réalisation de cette ligne de tramway. Celui-ci comportait cinq phases. A l’issue de la première phase, consistant en la finalisation des études préalables et à la désignation de la maîtrise d'œuvre, la communauté d’agglomération a informé la requérante qu’elle arrêtait sa mission et qu’elle n’engageait pas les phases suivantes du marché.

La société requérante a présenté un décompte de résiliation faisant apparaître un solde positif de 540 662,63 euros hors taxes intégrant des prestations demandées par le maître d'ouvrage et non prévues au contrat ainsi que des dépenses ayant résulté de la résiliation du marché. Ce décompte a été rejeté par la collectivité publique et les recours contentieux dirigés contre ce refus ont été, à leur tour, rejetés.

Un pourvoi est formé.

Le juge de cassation rappelle qu’aux termes des dispositions du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles la décision d'arrêter l'exécution des prestations et de résilier le marché n'ouvre aucun droit au titulaire à être indemnisé des dépenses engagées pour des prestations qui n'auraient pas été fournies à l'acheteur ou des dépenses et préjudices liés à la résiliation du marché ; il n’en irait autrement qu’en cas de stipulation contraire du marché.

Cependant, le Conseil d’État considère qu’il résulte, au cas d’espèce, des stipulations des art. 34.1 et 34.2 de ce CCAG qu’une décision de résiliation, survenue dans les circonstances susrelatées, doit faire l’objet d’un décompte de résiliation. Par suite, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que l’art. 34.2 du CCAG n'était pas applicable dès lors que la communauté d'agglomération avait décidé de mettre fin à l'exécution des travaux à l'issue de la première phase. Cette dernière circonstance est sans effet sur l’obligation contractuelle du décompte.

L’affaire est renvoyée à la cour.

(25 octobre 2021, Société Egis Rail, n° 446498)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

50 - Régime fiscal des transferts de bénéfices - Nature juridique de tels transferts - Nature de revenu distribué - Cas où le bénéficiaire des transferts a son siège hors de France - Application de la retenue à la source - Conditions d'établissement par l'administration fiscale d'une majoration des prix d'achat ou d'une minoration des prix de vente facturés entre entreprises opérant ces transferts - Prise en compte du rôle fonctionnel concret joué par l'une des entités en cause - Application des Principes de l'OCDE à ces transferts - Annulation.

La société requérante a fait l'objet de propositions de rectification par l'administration fiscale du fait que cette dernière a remis en cause les prix auxquels la société avait facturé ses produits aux sociétés distributrices du groupe SKF à l'étranger et a soumis à la retenue à la source prévue par l'article 119 bis 2° du CGI les sommes correspondant au transfert indirect de bénéfices.

La société SKS a demandé et obtenu du tribunal administratif la décharge des impositions supplémentaires auxquelles elle a été assujettie ainsi que des pénalités les assortissant. La cour administrative d'appel, sur appel du ministre, a annulé ce jugement et remis ces sommes à la charge de la société. Celle-ci se pourvoit.

Le Conseil d’État estime tout d'abord qu'il résulte notamment des art. 109, 110 et 108 à 117bis du CGI, qu'en cas de présomption de transfert de bénéfices, le montant transféré doit être considéré comme un revenu distribué, et comme tel soumis à la retenue à la source dès lors que son bénéficiaire a son siège hors de France. 

Il juge ensuite que pour établir cette présomption de transfert il faut que l'administration démontre que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs, ou supérieurs, à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance. Cette démonstration rapportée, l'administration est fondée à la réintégrer dans les résultats de l'entreprise française.

Le Conseil d’État, en troisième lieu, fait expressément, sur ce point, la réserve du cas où l'entreprise en cause justifie que cet avantage a eu pour elle des contreparties au moins équivalentes.

Dans l'hypothèse où l'administration fiscale n'a pas effectué une telle comparaison, d'une part, elle ne saurait se prévaloir d'une présomption de transferts de bénéfices et d'autre part, si elle entend néanmoins démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant - ou en les payant à un prix excessif -, il lui incombe d'établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu. Pour établir cet écart il lui est loisible, comme le préconisent les Principes de l'OCDE applicables aux prix de transfert à l'intention des entreprises multinationales et des administrations publiques, de se fonder sur la comparaison d'un ratio financier pertinent de l'une ou l'autre entreprise : ainsi elle obtiendra, éventuellement, le différentiel entre les prix afférents à des entreprises liées et ceux concernant des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire sans lien de dépendance. Dans ce cas, cependant, l'administration doit avoir égard au fait que ce différentiel peut ne pas constituer un avantage dépourvu de contrepartie susceptible d'être réintégré dans les résultats de cette entreprise s'il est justifié par les risques que celle-ci a vocation à assumer et qui affectent sa rentabilité. Pour cela, elle doit établir, d'une part, qu'elle avait, du fait des fonctions qu'elle exerçait au sein du groupe, vocation à assumer ces risques, et d'autre part, que l'écart entre les ratios financiers constatés et ceux d'entreprises similaires exploitées normalement s'explique par la réalisation de ces risques. 

En l'espèce, le Conseil d’État approuve la cour d'avoir jugé qu'aucune critique n'étant adressée à la méthodologie de l'administration, celle-ci devait être considérée comme ayant  établi une présomption de transfert de bénéfices pour les transactions en cause, à hauteur de la différence entre le montant constaté des recettes et celui qui aurait résulté de l'application du taux de marge nette moyen du panel d'entreprises comparables. 

Cependant, le Conseil d’État est à la cassation pour deux raisons.

En premier lieu, l’arrêt n’a pas répondu à l'argumentation de la société SKF qui, pour justifier l'écart relevé par l'administration fiscale, invoquait la circonstance qu'elle exerçait un rôle fonctionnel plus important que celui d'une simple unité de production au sein du groupe SKF, ce qui lui donnait vocation à assumer un risque de développement et un risque commercial et que ce risque avait affecté, pour les années en litige, son bénéfice d'exploitation. En effet, en premier lieu, la cour ne pouvait pas - sans commettre d'erreur de droit -  se fonder, pour juger que la société RKS n'avait pas vocation à assumer des pertes économiques liées à l'exploitation de son activité, sur le seul motif que cette société n'avait pas le statut « d'entrepreneur principal » au sein du groupe SKF; il lui incombait  de rechercher si sa position fonctionnelle au sein du groupe lui donnait vocation à supporter les risques spécifiques qu'elle invoquait, à savoir, d'une part, des risques stratégiques liés au choix de développer de nouveaux produits, et, d'autre part, des risques opérationnels liés à l'efficacité des processus de production.

En second lieu, alors qu'elle était saisie de l'argumentation de SKF justifiant la baisse de marge sur les deux exercices en cause, par le fait qu'elle avait subi les conséquences d'un risque stratégique lié à son choix de réorienter son unique activité vers le secteur de l'éolien, la cour ne pouvait pas répondre, pour juger que le taux de marge négatif de la société RKS ne résultait pas de la réalisation d'un risque que celle-ci avait vocation à assumer, retenir que le résultat consolidé du groupe SKF, toutes activités confondues, se situait dans le même temps entre 6 et 14%, que les achats de matières premières de la société avaient été stables et que ses ventes n'avaient pas subi de baisse en volume sauf en ce qui concerne les éoliennes.

En effet, ce raisonnement ne répond pas à l'argumentation dont elle était saisie, il est donc entaché d'insuffisance de motivation.

L'arrêt querellé est annulé avec renvoi à la cour qui l'a rendu.

(4 octobre 2021, Société RKS, n° 443130)

(51) V. aussi, identique : 4 octobre 2021, Société par actions simplifiée (SAS) SKF Holding France, n° 443133.

 

52 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Exception d'illégalité dirigée contre l'acte pris pour l'application d'un acte réglementaire ou dont celui-ci est la base légale - Régime applicable lorsque l'illégalité a cessé à la date à laquelle le juge doit se placer pour statuer - Mise à l'écart de l'exception - Application aux exceptions d'illégalité visant les actes réglementaires servant de base à une décision individuelle d'imposition - Annulation sur ce point.

Un tribunal administratif, saisi par un contribuable, lui avait donné raison, jugeant qu'à la date à laquelle l'assemblée délibérante d'une communauté d'agglomération avait fixé le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères pour l'année 2016, les dispositions alors applicables de l'article 1520 du CGI ne permettaient de couvrir que la collecte et le traitement des seules ordures ménagères et décidant, en conséquence, que le taux ainsi fixé était entaché d'illégalité en ce qu'il aboutissait à une disproportion manifeste entre le produit de cette imposition et les dépenses exposées par la communauté d'agglomération pour l'enlèvement et le traitement des ordures ménagères non couvertes par des recettes non fiscales.

Pour annuler partiellement ce jugement pour erreur de droit, le Conseil d’État lui reproche de n'avoir pas vérifié si cette illégalité subsistait à la date du fait générateur de l'imposition, eu égard au périmètre des dépenses pouvant être couvertes par le produit de cette taxe à compter du 1er janvier 2016. 

A cette occasion, le juge étend le champ d'application d'une règle bien établie en matière d'exception d'illégalité au domaine des impôts. On sait que lorsque l'illégalité d'un acte règlementaire a cessé, du fait d'un changement de circonstances, à la date à laquelle le juge doit se placer pour apprécier la légalité d'un acte pris pour son application ou dont il constitue la base légale, le juge, saisi d'une exception d'illégalité de cet acte réglementaire soulevée à l'appui de la contestation de ce second acte, doit l'écarter. Précisément, dans la présente affaire, il est jugé que cette règle est applicable lorsque le juge de l'impôt est saisi, au soutien d'une contestation du bien-fondé de l'impôt, d'une exception d'illégalité de l'acte réglementaire sur la base duquel a été prise une décision individuelle d'imposition, il lui appartient de l'écarter lorsque cet acte réglementaire est, par l'effet d'un changement de circonstances, devenu légal à la date du fait générateur de l'imposition. 

Il convient de préciser, dans le silence du juge sur ce point, que ce changement de circonstances peut être de droit ou de fait.

(4 octobre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ S.A. Ceetrus France, n° 448651)

(53) V. aussi, identiques en tous points : (4 octobre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ S.A.S. Établissements Darty et Fils, n° 448820 ; 4 octobre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ S.A. Mercialys, n° 448822 ; 4 octobre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ S.A.S. L'Immobilière Groupe Casino France, n° 448850)

 

54 - Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - Assujettissement - Établissement d'enseignement supérieur - Exonération - Conditions d'exonération - Conditions non satisfaites - Annulation.

Pour juger que c'est à tort que l'association requérante a été assujettie à des rappels de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ainsi qu'à des pénalités, la cour administrative d'appel avait considéré que les services rendus par l'association requérante n'étaient pas offerts en concurrence avec le secteur commercial en se fondant sur la forme juridique des organismes fournissant des prestations similaires dans la même zone d'attraction géographique.

En effet, les dispositions des art. 206 (1bis), 1447 et 1586 ter  du CGI exonèrent  les associations  de la cotisation foncière des entreprises et décident que la détermination des redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises se fait par rapport à ceux redevables de la cotisation foncière des entreprises ; ainsi, les associations sont exonérées de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dès lors que leur gestion présente un caractère désintéressé et que la part de leurs activités non lucratives est prépondérante.

Le Conseil d’État reproche à la cour de n'avoir pas recherché si, eu égard aux conditions dans lesquelles elles exercent leur propre activité, ces entités devaient être regardées comme des entreprises commerciales et d'avoir ainsi commis une erreur de droit. 

(4 octobre 2021, Association de gestion du groupe ESC Chambéry Savoie, n° 453368)

 

55 - QPC - Questions diverses à propos de la QPC - Compensation entre dettes et créances fiscales - Impossibilité - "Principe" de non-compensation rendant inapplicables en la matière les dispositions de l'art. 1290 du Code civil - Refus de compensation et absence de voies d'exécution contre les personnes publiques - Expropriation de fait - Annulation et rejet.

Les requérants avaient demandé au juge que soient compensées leurs dettes fiscales avec les créances qu'ils détiennent sur l'Etat, compensation refusée par l'administration fiscale. Parallèlement, ils ont sollicité la transmission d'une QPC à propos de l'art. 1289 du Code civil.

Le Conseil d’État était saisi d'un second pourvoi dans cette affaire, il devait donc statuer au fond comme une juridiction d'appel.

Il est d'abord amené à apporter deux précisions au sujet de la procédure contentieuse en matière de QPC. Selon la première, la juridiction saisie d'une QPC peut régulièrement refuser de transmettre la QPC dont elle est saisie et statuer au fond sur la demande. Selon la seconde précision, il est indiqué qu'en l'espèce, les requérants n'ont pas contesté le refus du tribunal administratif de transmettre leur QPC mais ont soulevé à nouveau une QPC en cause d'appel, fondée sur le même grief qu'en première instance, cette seconde QPC était irrecevable. Elle ne peut donc être renvoyée au Conseil constitutionnel.

Le Conseil d’État est ensuite amené à se prononcer sur la demande de compensation pour la rejeter en vertu du "principe" (sic) de non-compensations des créances publiques. Nul ne sait en quoi est-ce là un "principe" ni d'où il est tiré.

Les motifs (pas la source !) invoqués au soutien de l'existence de ce principe sont aussi peu convaincants que possible et carrément controuvés.  Il s'agirait d'appliquer le principe d'insaisissabilité des biens et deniers publics (CAA Paris, 25 avril 2013, Sarl AY, 12PA03838) et celui de l'impossibilité de voies d'exécution contre les personnes publiques (cf. R. Odent, Cours de contentieux administratif, Les cours de droit,1980-1981, p. 1601). Ces arguments ne sont guère acceptables : assimiler la compensation à une "saisie" est assez comique et vouloir protéger le créancier public des autres créanciers en concours avec lui est assez cocasse vu que l'Etat est le plus privilégié des créanciers privilégiés, de facto il n'est jamais en concours avec les autres créanciers.

La situation est d'autant plus intolérable que l'administration peut toujours, librement, opposer la compensation aux personnes privées (jurisprudence constante au moins depuis : Section, 4 juillet 1930, Société l'Oxylithe, p. 693, sol. implicite), qu’en matière de marchés publics elle peut être opposée aussi bien par le cocontractant public que par le cocontractant privé selon une jurisprudence établie sans texte (depuis : 27 novembre 1935, Piketty, p. 1108), enfin, c'est un principe classique qu'en droit fiscal l'administration peut toujours opposer la compensation (par ex. : 10 janvier 1890, Syndicat des marais du littoral, concl. J. Valabrègue, p. 6, solution réitérée par 6 janvier 1965, Sieur B., req. 36433 ; 5 janvier 1994, Auguste X., D. 1994. 497, note V. Haïm) et que confirme l'art. L. 203 du Livre des procédures fiscales.

(7 octobre 2021, M. et Mme A., n° 427999)

 

56 - Impôt sur le revenu - Exonération de cet impôt pour certaines plus-values - Plus-values réalisées lors de la première cession d’un logement autre que la résidence principale - Condition de remploi pour l’acquisition d’une résidence principale - Commentaire administratif entaché d’illégalité - Absence - QPC - Rejet.

Cette affaire étant identique à celle déjà rapportée dans notre Chronique de juillet-août 2021, au n° 70 (15 juillet 2021, M. B., n° 453490), on se permet d’y renvoyer le lecteur.

(12 octobre 2021, Mme B., n° 454641)

 

57 - TVA applicable aux cessions de terrains à bâtir – Nécessité d’un terrain nu et ne comportant pas de constructions même vouées à la démolition – Erreur de droit et annulation pour deux des trois communes concernées - Opération de lotissement comportant une cession gratuite de terrain à la commune – Inclusion de la valeur du terrain dans la détermination du prix de revient en vue de l’établissement de l’assiette de la TVA – Rejet.

Une société ayant la qualité de marchand de biens s’est vu appliquer des rappels de TVA concernant des cessions de terrains à bâtir dans trois communes. Les juges du fond annulent les rehaussements de TVA ; le ministre se pourvoit.

Pour deux des communes le pourvoi est admis au fond car en vertu d’une jurisprudence bien établie et souvent rappelée le régime particulier de TVA applicable aux livraisons de terrains à bâtir ne peut s’appliquer qu’à des terrains nus ; ainsi, des terrains comportant des constructions, quel qu’en soit l’état, même destinées à une démolition complète, ne sont pas des « terrains à bâtir » au sens et pour l’application du régime de TVA caractérisant les terrains à bâtir. C’est par suite d’erreur de droit que la cour administrative d’appel, dans son arrêt confirmatif, avait jugé le contraire.

En revanche, le ministre succombe s’agissant de la troisième commune. La société, pour pouvoir réaliser un lotissement, avait été obligée de céder gratuitement à la commune une certaine portion de terrain. Pour établir le prix de revient des terrains viabilisés afin de le déduire du prix de vente et d’obtenir ainsi la marge servant à calculer le montant de la TVA due, la société a affecté le prix de revient de chaque lot du lotissement d’une quote-part de la valeur du terrain cédé gratuitement. Ici, le juge de cassation confirme les juges du fond qui ont jugé régulière cette façon de procéder et rejette le recours du ministre.

(13 octobre 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 433745)

 

58 - Taxe sur les surfaces commerciales – Assujettissement à la taxe de tout établissement entendu comme unité locale – Notion d’unité locale – Cas en l’espèce – Rejet.

La loi du 13 juillet 1972 (art. 3) a institué une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse 400 mètres carrés des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. Le décret du 26 janvier 1995, pris pour l’application de la loi de 1972, précise que par le mot « établissement » utilisé par la loi il convient d’entendre l'unité locale où s'exerce tout ou partie de l'activité d'une entreprise. « Lorsque plusieurs locaux d'une même entreprise sont groupés en un même lieu comportant une adresse unique ou sont assujettis à une même taxe professionnelle, ils constituent un seul établissement. »

En l’espèce, la société demanderesse exploite un commerce « Super U », un commerce « U culture » et une station-service pour lesquels elle a été assujettie à la taxe sur les surfaces commerciales au motif que ces trois entités constituaient une unité locale. Elle conteste cet assujettissement en faisant valoir que deux d’entre elles, situées dans un même centre commercial, étaient situées, l’une en rez-de-chaussée et l’autre au deuxième étage, que ces différents commerces faisaient l’objet d’une imposition séparée au titre de la cotisation foncière des entreprises et que les locaux avaient des adresses distinctes.

Confirmant le jugement attaqué, et en dépit des objections non dépourvues de pertinence soulevées par la requérante, le Conseil d’État juge qu’il s’agit bien d’une unité locale au sens des dispositions précitées car ce sont des locaux d'une même entreprise formant un ensemble géographiquement cohérent pour l'exercice de tout ou partie de l'activité de cette entreprise, 

(13 octobre 2021, Société Sagadis, n° 434111)

 

59 - Droit de reprise de l’administration fiscale – Taxe d’aménagement – Extension de la durée du droit de reprise – Loi nouvelle muette sur la date de son entrée en vigueur – Application immédiate aux délais en cours pour leur partie restant à courir – Erreur de droit – Annulation et rejet.

Une société de construction avait demandé – notamment - l’annulation de titres exécutoires pour le recouvrement de la taxe d'aménagement due au titre d’un permis de construire qui lui avait été délivré. Le jugement de première instance a fait droit à sa demande. La ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales se pourvoit contre ce jugement.

Était en jeu l’allongement du délai d’exercice d’un droit par l’administration fiscale du fait d’une loi nouvelle.

Il résultait de l’art. L. 331-21 du code de l’urbanisme, issu de l’art. 28 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2010, qu’était alors créé au profit de l’administration fiscale un droit de reprise en matière de taxe d’aménagement, dont la durée a été fixée jusqu'au 31 décembre de la troisième année qui suit celle de la délivrance de l'autorisation de construire ou d'aménager qui sert d’assiette à cette taxe.

Puis, l'article 56 de la loi de finances rectificative du 29 décembre 2015 a modifié l’art. L. 331-21 précité et étendu le droit de reprise de l'administration en matière de taxe d'aménagement jusqu'au 31 décembre de la quatrième année qui suit celle de la délivrance de l'autorisation de construire ou d'aménager. Cette loi est entrée en vigueur le 30 décembre 2015.

Compte tenu de l’allongement de la durée du droit de reprise, la loi nouvelle s’appliquait aux autorisations délivrées à compter du 1er janvier 2012, puisqu’à cette date le délai du droit de reprise expirait le 31 décembre de la troisième année suivant la délivrance du permis ou de l’autorisation d’urbanisme soit le 31 décembre 2015.

En l’espèce, les travaux sur lesquels était assise la taxe d’aménagement ont été autorisés par un permis de construire délivré le 2 octobre 2012 c’est-à-dire sous l’empire de la version initiale de l’art. L. 331-21 du code de l’urbanisme, soit d’un délai expirant le 31 décembre 2015.

Le tribunal a jugé que les titres de perception litigieux, émis le 28 juin 2016, étaient prescrits puisque postérieurs au 31 décembre 2015.

Le Conseil d’État ne l’a pas jugé ainsi et censure l’erreur de droit car si le délai initial expirait bien le 31 décembre 2015, cette dernière date était postérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 30 décembre 2015.

Or la jurisprudence décide – et le Conseil d’État le rappelle ici – que l’allongement du délai de prescription d’un droit par une loi nouvelle qui ne comporte pas de disposition spécifique relative à son entrée en vigueur, a pour effet que le délai nouveau est immédiatement applicable aux délais en cours, compte tenu du délai déjà écoulé. Le droit de reprise de la taxe d’aménager du fait d’un permis de construire délivré le 2 octobre 2012 n’a donc été prescrit qu’à compter du 31 décembre 2016.

Encore une fois, est en jeu la rétroactivité de la loi dans des conditions peu satisfaisantes et il est regrettable que les défendeurs n’aient invoqué les principes de confiance légitime et de sécurité juridique pour la première fois que devant le Conseil d’État alors qu’ils ne les avaient pas soulevés en première instance où ils étaient demandeurs.

(13 octobre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 434551)

 

60 - Revenus du patrimoine - Revenus distribués – Revenus ayant normalement la nature de revenus des capitaux mobiliers – Assujettissement à divers prélèvements sociaux – Caractère de revenus d’activité des revenus provenant d’une société d’exercice libéral – Régime particulier des prélèvements sociaux – Erreur de droit – Annulation partielle.

Il résulte des dispositions combinées, d’une part, des art. L. 131-6, L. 136-3 et L. 136-7 du code de la sécurité sociale et, d’autre part, des art. 109 et 110 du code général des impôts que les revenus distribués ont en principe le caractère de revenus des capitaux mobiliers passibles de la contribution sociale sur les revenus du patrimoine mais que les revenus provenant d'une société d'exercice libéral, telle la pharmacie exploitée sous forme de Selarl comme au cas de l’espèce, doivent être regardés, pour leur assujettissement aux prélèvements sociaux, comme des revenus d'activité pour leur fraction excédant 10 % du capital social et des primes d'émission ainsi que des sommes versées en compte courant.

Il suit de là que la fraction entrant ainsi dans le champ des contributions portant sur les revenus d'activité ne saurait être soumise à celles assises sur les revenus du patrimoine. 

Or la cour administrative d’appel avait jugé – au prix d’une erreur de droit - que l'administration fiscale avait pu légalement assujettir les demandeurs aux prélèvements sociaux applicables aux revenus du patrimoine à raison de la fraction excédant le seuil de 10 % mentionné ci-dessus des revenus réputés distribués, taxés entre leurs mains à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, au motif qu'ils n'établissaient pas que ces revenus auraient été soumis à la contribution sur les revenus d'activité. 

(20 octobre 2021, M. et Mme A., n° 440375)

 

61 - Impôt sur le revenus et contributions sociales - Apport en titres de société – Valeur des titres délibérément majorée par rapport à leur valeur vénale – Appauvrissement de la société bénéficiaire de l’apport au profit de l’apporteur – Libéralité – Absence – Erreur de droit – Annulation.

L’administration fiscale avait considéré que la circonstance que des apporteurs de titres en avaient délibérément majoré la valeur par rapport à leur valeur vénale constituait pour la société bénéficiaire de l’apport un appauvrissement au profit de l’apporteur qui devait donc être considéré comme ayant reçu une libéralité. Elle avait, en conséquence, assujetti les intéressés à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales assorties de pénalités.

Leur recours ayant été rejeté en appel où la cour avait entièrement repris à son compte le raisonnement de l’administration fiscale, les requérants se pourvoient.

Le Conseil d’État leur donne raison en annulant l’arrêt déféré à sa censure car la cour ne pouvait pas retenir pour seul motif à la qualification de l’opération comme constituant une libéralité taxable entre les mains de l’apporteur, l’attribution aux titres apportés d’une valeur d'apport supérieure à la valeur réelle des actifs apportés.

La solution ne peut qu’être approuvée dès lors qu’aucun autre élément n’est fourni par l’administration ou établi par la cour pour démontrer l’existence d’une libéralité.

(20 octobre 2021, M. et Mme C., n° 445685)

 

62 - Taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux – Notion de « surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux »  - Surfaces contribuant directement à l’activité de ces locaux – Cas des aires de dépôt de bus, des surfaces de stationnement réservées aux véhicules personnels de leurs chauffeurs – Exclusion des dépendances immédiates et indissociables des aires de stationnement – Annulation.

Aux termes de l'article 231 ter du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux années d'imposition en litige : « I.- Une taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux, les locaux de stockage et les surfaces de stationnement annexées à ces catégories de locaux est perçue, dans les limites territoriales de la région d'Ile-de-France, composée de Paris et des départements de l'Essonne, des Hauts-de-Seine, de la Seine-et-Marne, de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, du Val-d'Oise et des Yvelines.

(…)

III.- La taxe est due : (…) 4° Pour les surfaces de stationnement, qui s'entendent des locaux ou aires, couvertes ou non couvertes annexées aux locaux mentionnés aux 1° à 3° (locaux à usage de bureaux, locaux commerciaux et locaux de stockage), destinés au stationnement des véhicules, qui ne sont pas intégrés topographiquement à un établissement de production. »

La société requérante soutenait, en vain en première instance et en appel, avoir été assujettie à tort à cette taxe pour une partie des surfaces de stationnement. Elle se pourvoit.

Le Conseil d’État analyse le texte de cet article comme incluant dans le champ d'application de la taxe les surfaces de stationnement annexées à des locaux à usage de bureaux, à des locaux commerciaux ou à des locaux de stockage, sous réserve qu'ils ne soient pas topographiquement intégrés à un établissement de production.

Pour déterminer si les surfaces de stationnement doivent être regardées comme annexées à l'une des catégories de locaux ainsi énumérées, il y a lieu de rechercher, selon le juge, « si leur utilisation contribue directement à l'activité qui y est déployée ». Faisant application de ce critère aux trois catégories de surfaces litigieuses que la requérante estimait ne devoir point être considérées comme des surfaces de stationnement assujetties à ladite taxe, le Conseil d’État donne raison à la requérante. La cour a commis une erreur de droit.

Tout d’abord, la cour a estimé que l’administration avait pu à bon droit assujettir à la taxe les aires de dépôt de bus et les surfaces de stationnement réservés aux véhicules personnels de leurs chauffeurs aménagées au sein de l'ensemble immobilier et s’est fondée pour cela sur ce qu'elles étaient destinées au stationnement de véhicules et intégrées à un groupement topographique homogène comprenant des locaux à usage de bureaux mais elle n’a pas recherché si l'utilisation de ces surfaces contribuait directement à l'activité déployée dans des locaux relevant de l'une des catégories visées aux 1° à 3° de l'article 231 ter du CGI.

Ensuite, pas davantage ne pouvaient être assujetties à la taxe les dépendances immédiates et indissociables des aires de stationnement, telles les voies de circulation internes desservant les emplacements de stationnement.

(20 octobre 2021, Société Transports du Val d'Oise, n° 448562)

(63) V. aussi, dans cette affaire, une autre décision relative à l’irrecevabilité de la requête : 20 octobre 2021, Société Transports du Val d'Oise, n° 448563.

 

64 - Détention de titres sous condition d’un engagement de conservation – Condition sans effet sur la nature dues titres – Application de l’art. 150-0 D du CGI – Détermination du prix moyen de chaque titre – Erreur de droit – Annulation.

A l’occasion de la cession d’une partie des titres qu’elle possédait, une contribuable a fait l’objet d’un rehaussement d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales du fait de la plus-value dégagée lors de cette cession.

Il convenait donc de déterminer le mode de calcul de la plus-value et, pour cela, établir en premier lieu le prix d’acquisition de ces titres, sachant que les uns étaient détenus en pleine propriété et les autres en nue-propriété. Par ailleurs, une partie des titres restant en possession de la contribuable après cette cession était constituée de titres soumis à un engagement de conservation.

Les requérants proposaient que la valeur des titres cédés soit calculée sur la base du prix moyen pondéré d'acquisition de l'ensemble des titres que la contribuable détenait en pleine propriété à la date de la cession, ce qui aboutissait à ce que soit prononcé le dégrèvement des impositions supplémentaires mises à leur charge.

La cour administrative d’appel, infirmant le jugement accordant décharge des impositions et cotisations sociales, a jugé, suivant en cela la position de l’administration fiscale, que l’art. 150-0 D du CGI, en disposant au 3. que « En cas de cession d'un ou plusieurs titres appartenant à une série de titres de même nature acquis pour des prix différents, le prix d'acquisition à retenir est la valeur moyenne pondérée d'acquisition de ces titres » n’était pas applicable en l’espèce, les titres à cession libre et ceux soumis à une obligation de conservation n’étant pas de même nature.

Le Conseil d’État annule cette motivation pour erreur de droit car « Pour l'application de ces dispositions, la circonstance que le détenteur de titres ait souscrit un engagement de conservation est par elle-même sans incidence sur la nature des titres concernés. »

(20 octobre 2021, M. et Mme D., n° 449292)

 

65 - Cotisation sur la valeur ajoutée de l’entreprise – Inclusion dans cette valeur ajoutée d’un abandon par l’État d’une fraction non remboursée d’une avance consentie à Airbus Opérations – Abandon jugé constituer une subvention d’exploitation – Erreur de droit – Abandon pouvant être une contrepartie ayant le caractère d’une subvention d’investissement – Annulation.

L’État, dans le cadre d’un protocole d’accord du 29 décembre 1998, avait accordé un soutien financier à la société Airbus Opérations sous la forme d'une avance remboursable de 2,11 milliards de francs (321 667 426 euros), destinée à financer, selon l'article 2.1 de ce protocole, « le développement, l'étude de l'industrialisation et l'outillage pour la réalisation des prototypes des programmes d'avions Airbus A340-500 et A340-600 ». Le remboursement de l’avance devait s’effectuer par fraction au moment de la livraison de chaque appareil de cette gamme. Toutefois, l’arrêt du programme a été décidé de façon anticipée en novembre 2011 alors que 133 appareils, sur les 404 qui avaient été prévus, avaient été livrés.

Le solde de l’avance demeurant à rembourser, soit 215 500 000 euros environ, a fait l’objet de la part de l’État d’un abandon de créance. Airbus Opérations, dans ses écritures comptables, a placé cette somme dans la catégorie « produit exceptionnel ».

L’administration fiscale a considéré que l'abandon de créances constituait une subvention d'exploitation et qu’elle devait, par suite, être incluse dans le calcul de la valeur ajoutée en vue de l'établissement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.

Sa réclamation par voie gracieuse ayant été rejetée, la société a saisi, en vain, les juges du fond.

Elle se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui, pour dire fondée la position de l’administration fiscale, a retenu que la réalisation de travaux de développement et de recherche en matière aéronautique, que l'avance avait pour objet de financer, constituait une activité courante et ordinaire de la société Airbus Opérations, que cette avance était remboursable sur les produits d'exploitation tirés de la vente des appareils de la gamme A340-500 et A340-600 et que l'abandon au profit de la société de son solde non encore remboursé en cas d'échec du programme était corrélé aux dépenses réalisées pour le financement de celui-ci. Cette solution n’était dépourvue ni de logique ni de pertinence.

Le Conseil d’État annule cependant l’arrêt en reprochant à la cour de n’avoir pas recherché si « comme il était soutenu devant elle, la fraction non remboursée de cette avance avait eu pour contrepartie la création ou l'acquisition d'éléments de son actif immobilisé ou le financement d'activités de long terme et avait par suite le caractère d'une " subvention d'investissement " ».

On peut trouver discutable cette légitimation a posteriori de l’abandon de créance qui s’apparente bien en une aide d’État pure et simple dans la mesure où l’avance était bien remboursable au regard d’un certain objet et pas d’un autre et qu’il ne saurait être question de modifier cet objet au gré des évolutions et fluctuations techniques ou autres du marché de l’aéronautique.

(20 octobre 2021, Société Airbus Opérations, n° 450268)

 

66 - Délai de reprise de l’administration fiscale – Délai dérogatoire de deux ans (art. L. 169, livre des proc. fisc., LPF) – Inapplicabilité en l’espèce – Erreur de droit – Annulation.

Une cour administrative d’appel avait estimé, confirmant les premiers juges, que le droit de reprise de l’administration applicable en matière d’erreurs ou d’omissions n’était pas, en l’espèce, celui prenant fin au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due que prévoit le premier alinéa de l’art. L. 169 LPF mais celui, dérogatoire, s’achevant la seconde année, prévu au deuxième alinéa de ce texte.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit.

En l’espèce était en cause la cession d’un fonds de commerce de pharmacie. Il résulte de la disposition précitée que le délai dérogatoire prenant fin au 31 décembre de la seconde année n’est applicable qu’aux « revenus imposables selon un régime réel dans les catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des bénéfices non commerciaux et des bénéfices agricoles ainsi que pour les revenus imposables à l'impôt sur les sociétés des entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, et des sociétés à responsabilité limitée, des exploitations agricoles à responsabilité limitée et des sociétés d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont l'associé unique est une personne physique » et à condition que le « le contribuable (soit) adhérent d'un centre de gestion agréé ou d'une association agréée, pour les périodes au titre desquelles le service des impôts des entreprises a reçu une copie du compte rendu de mission prévu aux articles 1649 quater E et 1649 quater H du code général des impôts. ».

En revanche, contrairement à ce qu’a jugé la juridiction d’appel, ces dispositions « ne trouvaient à s'appliquer, en ce qui concerne les entreprises soumises au régime fiscal des sociétés de personnes et dont les bénéfices sont taxables entre les mains de leurs associés à concurrence de leur quote-part, que pour les rectifications procédant d'une remise en cause du montant des bénéfices de la société. ». En cette dernière hypothèse, l'administration disposait, pour procéder aux rectifications de l'impôt dû par l'associé qui ne procèdent pas d'une telle remise en cause, du délai de droit commun (art. L. 169 LPF, al. 1er) courant donc jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition était due.

(20 octobre 2021, M. et Mme C., n° 451666)

 

67 - Titres détenus depuis plus de huit ans – Cession – Plus-value – Bénéfice du report d’imposition – Exigence d’un seuil de réinvestissement égal à 50% du montant net de la plus-value – Abattements pour durée de détention – Erreur de droit – Annulation sans renvoi, affaire réglée au fond.

Commet une erreur de droit la juridiction qui, pour juger que des contribuables sont fondés à demander le bénéfice du report d'imposition (cf. art 150-0 D bis du CGI)  à raison de la cession de titres qu'ils détenaient depuis plus de 8 ans, se fonde  sur ce que le seuil de réinvestissement auquel ces dispositions subordonnaient leur bénéfice était égal à 50 % du montant de la plus-value, net de prélèvements sociaux, calculé après application des abattements pour durée de détention prévus à l'article 150-0 D bis du même code.

En effet, les abattements pour durée de détention s’ils permettent de déterminer la fraction de la plus-value devant être soumise à l’impôt sur le revenu sont sans incidence pour l’application de l’art. 150-0 D bis du CGI.

Par conséquent, il convient de réintégrer le montant des abattements pour durée de détention afin de calculer le respect du seuil de réinvestissement de 50%. En l’espèce, le seuil de 50%, après application de ce principe, cesse d’être atteint contrairement à ce qui a été jugé.

D’où la cassation le juge décidant, par application de l’art. L. 821-2 du CJA, de régler l’affaire au fond.

(20 octobre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453860)

 

68 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Prélèvement destiné seulement à couvrir les dépenses réellement exposées par la commune ou par un EPCI – Possibilité d’y inclure la quote-part des dépenses de fonctionnement du service public de collecte et de traitement de ces ordures – Conditions – Annulation.

Se posait ici la question de savoir si – pour la détermination du montant global de la taxe sur les ordures ménagères - une commune peut inclure dans le calcul des dépenses de fonctionnement induites pour elle par la collecte et le traitement des ordures ménagères, les dépenses représentatives de la quote-part d'activité du service public assurant cette collecte et ce traitement parmi l’ensemble des dépenses de fonctionnement des différents services de la collectivité.

La réponse est positive à condition que les dépenses en cause correspondent à une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité et que cette quote-part soit calculée au moyen d'une comptabilité analytique permettant, par différentes clés de répartition, d'identifier avec suffisamment de précision les dépenses qui, parmi celles liées à l'administration générale de la commune, peuvent être regardées comme ayant été directement exposées pour le seul service public de collecte et de traitement des déchets ménagers ainsi que des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales.

En l’espèce, si l’arrêt d’appel est annulé c’est pour avoir estimé que ces conditions n’étaient pas satisfaites alors que le Conseil d’État considère que ce jugeant la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

(22 octobre 2021, Association des contribuables actifs du lyonnais (CANOL), n° 434900)

(69) V. aussi, illustrant le caractère proliférant du contentieux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères : 22 octobre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 450128.

 

70 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Application à des réacteurs de centrales nucléaires – Centrales mises à l’arrêt forcé – Demande d’EDF d’être dispensée de taxe à raison de ceux-ci – Erreur de droit pour avoir accordé cette dispense – Annulation.

La société Électricité de France a demandé au juge administratif une réduction de sa cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties à raison de la mise à l’arrêt durant plusieurs mois de deux réacteurs d’une centrale nucléaire sur demande de l’Autorité de sûreté nucléaire.

Si le tribunal administratif a accordé la réduction de taxe sollicitée, le Conseil d’État a vu dans ce jugement une erreur de droit conduisant à l’annulation du jugement sans renvoi, le juge de cassation se prononçant lui-même au fond.

Le Conseil d’État rappelle que le I de l’art. 1389 du CGI subordonnant le dégrèvement de la taxe foncière sur les propriétés bâties à la condition, notamment, que l'inexploitation de l'immeuble à usage industriel utilisé par le contribuable lui-même soit indépendante de sa volonté, il s’ensuit  que des circonstances inhérentes à l'immeuble lui-même, tenant en particulier à des défauts dont il se trouverait affecté et, par conséquent, à des décisions administratives faisant obstacle à son exploitation prises en raison de ces défauts ne sauraient suffire à caractériser le caractère contraint de l'inexploitation. 

La conclusion est, dès lors, prévisible, le tribunal administratif, en jugeant que l'inexploitation prolongée des réacteurs d’une centrale nucléaire avait été indépendante de la volonté de son propriétaire car cette inexploitation résultait d'une demande formulée par l'Autorité de sûreté nucléaire dans un cadre préventif et que les tests et mesures effectués n'étaient pas prévus par la règlementation en vigueur, a commis une erreur de droit.

(22 octobre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 442449)

 

71 - Droit fiscal - Vérification de comptabilité – Évaluation de titres d’une société non cotés en bourse – Modes d’évaluation – Choix de la méthode d’évaluation patrimoniale ou mathématique – Contradiction de motifs – Annulation.

(26 octobre 2021, Ministre de l’action et des coptes publics, n° 426462)

V. n° 38

 

71 - Procédure fiscale – Taxes et autres droits prévus à l’art. L. 332-6-1, 1° du code de l’urbanisme – Obligation d’émission d’un titre de recette suivi d’un avis d’imposition (art. L. 255 A, Livre des proc. fisc., LPF) – Application à la taxe départementale des espaces naturels sensibles – Absence – Annulation.

Comme les autres impôts taxes et autres participations énumérées à l’art. L. 332-6-1, 1° du code de l’urbanisme, la taxe départementale des espaces naturels sensibles est soumise à un certain formalisme qui comporte, d’abord, l’émission d’un titre individuel de recette, puis, un avis d’imposition. Ce dernier, qui est distinct du titre de recette, informe le contribuable du montant de l'imposition mis à sa charge par le titre de recette.

C’est donc de façon irrégulière que le tribunal administratif n’a pas répondu au moyen, qui n’était pas inopérant en l’espèce, tiré de ce que l'administration n'avait pas établi l'existence de titres de recette prévus par l'article L. 255 A du LPF.

En conséquence, la société requérante est déchargée de l’obligation de payer les suppléments de taxe départementale sur les espaces naturels sensibles mis à sa charge par les avis d'imposition litigieux. 

(26 octobre 2021, Société La Crête du Berger, n° 430511)

 

72 - Taxe sur les surfaces commerciales – Réduction du taux de la taxe – Professions dont l’exercice requiert des superficies anormalement élevées – Surfaces affectées à la vente de marchandises éligibles – Confusion avec l’exercice à titre exclusif d’une telle vente – Erreur de droit – Annulation.

Le décret du 26 janvier 1995 a prévu une réduction du taux de la taxe sur les surfaces commerciales pour la part de superficie affectée exclusivement à la vente de matériaux exigeant une superficie de vente anormalement élevée.

Dans la présente affaire, pour rejeter la demande d’octroi du bénéfice de ce taux minoré à une entreprise vendant, notamment, des matériaux de construction, les premiers juges avaient estimé qu'elle ne pouvait pas être regardée comme exerçant, à titre exclusif, une activité de vente de matériaux de construction. Ce jugeant, le tribunal a commis une erreur de droit, le A de l’art. 3 du décret précité n’exigeant pas que l’entreprise exerce à titre exclusif l’activité de vente de marchandises éligibles à ce taux mais seulement de calculer, dans la superficie commerciale totale, celle consacrée à la vente desdites marchandises.

(26 octobre 2021, Société Comasud, n° 434755)

 

Droit public de l'économie

 

73 - Société de gestion de fonds d'investissement - Retrait d'agrément par l'Autorité des marchés financiers (AMF) - Obligation de détenir des fonds propres en actifs liquides - Non-respect de l'obligation - Rejet.

La société requérante, gestionnaire de fonds d'investissement, s'est vu retirer par l'AMF l'agrément d'exercice qui lui avait été accordé et sans lequel elle ne peut exercer son activité. Elle recherchait devant le Conseil d’État l'annulation de cette décision ainsi que celle du recours gracieux formé contre celle-ci.

Des deux griefs sur lesquels repose ce retrait, c'est surtout le second qui retient l'attention. L'AMF estimait que cette société ne démontrait pas disposer de fonds propres réglementaires placés en actifs liquides ou rapidement réalisables en liquide.

Si la société disposait par ailleurs de créances détenues sur des fonds dont elle assurait la gestion, ces créances ne pouvaient présenter un caractère de liquidité suffisant tant que les fonds n'auraient pas mené à terme la cession de leurs participations.

Également, la société requérante n'a pas démontré qu'elle disposait d'un montant de 325 000 euros de créances sur les fonds qu'elle gérait correspondant à des actifs réalisables à court terme.

Enfin, la société requérante n'ayant communiqué, ni avant que le collège de l'AMF ne statue, ni à l'appui de son recours gracieux, aucun engagement ferme concernant la participation d'investisseurs à l'augmentation de son capital, elle n'établit pas que des investisseurs auraient été susceptibles de souscrire à une augmentation de capital permettant de garantir la réalisation imminente d'un apport de capitaux.

D'où il suit qu'elle n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision querellée de l'AMF.

(4 octobre 2021, Société de gestion des fonds d'investissement de Bretagne, n° 437893 et n° 439490)

 

74 - Subventions publiques - Subvention à une personne publique - Réfaction - Régime juridique - Soumission à discussion contradictoire - Absence de délai pour opérer la réfaction - Annulation.

Une agence de l'eau entend opérer une réfaction sur une subvention qu'elle a allouée à une communauté d'agglomération motif pris de ce que celle-ci n'a pas respecté les conditions auxquelles était subordonné l'octroi de cette subvention. Sur recours de la communauté d'agglomération les juges du fond annulent la décision de réfaction car celle-ci a été prise sans respecter la procédure contradictoire prévue par l'art. L. 122-1 du code des relations du public avec l'administration.

Saisi d'un pourvoi contre cette solution, le Conseil d’État annule l'arrêt d'appel pour dénaturation.

L'arrêt est intéressant d'abord en ce qu'il rappelle une jurisprudence bien établie sur le régime de la subvention publique et en particulier sur son retrait, partiel ou total. Une décision de subvention, si elle constitue, à l'évidence, une décision créatrice de droit,  est toujours prise sous condition que son bénéficiaire respecte les engagements qu'il a pris à cet égard ou les conditions  auxquelles est subordonné le versement de la subvention. A défaut, le subventionneur peut retirer la subvention en réclamant son remboursement pour le passé ou en arrêtant son versement pour le futur.

Ensuite, le juge apporte une précision surprenante à savoir qu'en cas de non respect des conditions d'octroi de la subvention « (sa) réfaction (...) peut intervenir sans condition de délai ». La solution interroge. On eût imaginé qu'une telle mesure fût enfermée dans un certain délai, quitte à fixer le point de départ de ce délai au jour de la découverte, par l'autorité qui a subventionné, du non rerspect des conditions. La formulation surprend par sa brutalité et il faut espérer qu'il ne s'agisse là que d'une malfaçon rédactionnelle.

Enfin, examinant les faits de l'espèce, le juge de cassation constate qu'il ressort des pièces du dossier que l'agence de l'eau requérante avait bien mis la communauté d'agglomération en état de connaître le reproche qui lui était fait, le risque de réfaction de la subvention, et donc de préparer utilement un débat contradictoire.

Dès lors que ces éléments ressortaient directement des pièces du dossier soumis aux juges du fond il s'ensuit que ces derniers n'ont pu annuler la décision litigieuse pour non respect du principe du contradictoire que par suite d'une dénaturation de ces pièces.

(4 octobre 2021, Agence de l'eau Rhône Méditerranée et Corse, n° 438695)

 

75 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Sanctions - Conseiller en investissements financiers ne pouvant fournir un service de placement non garanti - Cas en l'espèce - Faits ne figurant pas dans la notification des griefs mais se rattachant à eux - Communication défectueuse sur les risques du produit proposé - Défaut de coopération avec la mission de contrôle de l'AMF - Sanctions non disproportionnées - Rejet.

Les requérants demandent l'annulation de la décision par laquelle la commission des sanctions de l'AMF a prononcé à l'encontre de la société Cérès Finance une sanction pécuniaire et une interdiction d'exercer la profession de conseiller en investissements financiers d'une durée de cinq ans, et celle par laquelle elle a prononcé à l'encontre de M. B. une sanction pécuniaire et une interdiction d'exercer la profession de conseiller en investissements financiers d'une durée de cinq ans et, enfin, la décision ordonnant la publication des décisions précitées sur le site Internet de l'AMF et fixé à cinq ans à compter de la date de la décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.

La requête est annulée.

D'abord, il est patent que l'infraction reprochée a été réellement commise : il résulte des dispositions combinées des art. L. 321-1, L. 541-1 et L. 541-8-1 du code monétaire et financier que les conseillers en investissements financiers ne peuvent pas, à titre professionnel, se livrer, comme en l'espèce, à la fourniture d'un service de placement non garanti.

Ensuite, les requérants ont manqué à leur obligation de délivrer à leurs éventuels clients une information exacte, claire et non trompeuse. En effet, leur communication ne mettait l'accent que sur l'objectif de rendement du placement proposé sans alerter sur les risques liés à ce type d'investissements, même si ceux-ci étaient indiqués sur d'autres documents commerciaux.

Enfin, les requérants ont également manqué à l'obligation qui leur est faite d'apporter leur concours avec diligence et loyauté en particulier dans le cadre de l'instruction menée par la mission de contrôle de l'AMF (cf. art. 143-3 du règlement général de l'AMF).

De tout ceci, le juge conclut que les sanctions pécuniaires, professionnelles et de publicité, infligées aux requérants ne sont disproportionnées ni au regard de la gravité et de la persistance des manquements dont ils sont les auteurs ni au regard de leurs facultés financières.

 (4 octobre 2021, M. B. et Société Cérès Finance, n° 442569)

 

76 - Aide d’État - Notion et régime - Établissements d'enseignement supérieur habilités à percevoir le solde de la taxe d'apprentissage - Absence de caractère d'aide d’État en l'espèce - Rejet.

La société requérante qui est spécialisé dans l'enseignement, notamment supérieur, à des fins lucratives, demandait l'annulation de refus implicites opposés par le premier ministre à ses demandes  de notifier à la Commission européenne, comme constituant une aide d’État, le dispositif par lequel les catégories d'établissements énumérées à l'article L. 6241-5 du code du travail sont habilitées à percevoir le solde de la taxe d'apprentissage correspondant aux dépenses mentionnées au 1° de l'article L. 6241-4 du même code.

La question était doublement délicate. D'un côté se posait un problème de répartition des compétences entre les organes de l'Union et le juge national français et, de l'autre côté, la comparaison avec le traitement dont bénéficient en la matière les écoles rattachées aux chambres de commerce et d'industrie pouvait faire difficulté.

Sur le premier point, le Conseil d’État rappelle tout d'abord la finalité et décrit le mécanisme des aides d’État.

Il appartient au Gouvernement, soit spontanément soit sur demande d'un intéressé, en application du paragraphe 1 de l'art. 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de notifier à la Commission les projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Il suit de là que la décision du premier ministre ou d'un ministre refusant de notifier à la Commission « se rattache à l'exercice par le Gouvernement d'un pouvoir qu'il détient seul aux fins d'assurer l'application du droit de l'Union et le respect des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes ».

Parallèlement, une telle décision de refus, que le texte la fondant ait une nature réglementaire ou une nature législative, peut être contestée par voie de recours pour excès de pouvoir.

Enfin, prenant toute la mesure de cette dualité de compétences, le Conseil d’État, dans une formulation de principe, juge que s'il « ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l'Union européenne, si une aide de la nature de celles mentionnées à l'article 107 précité est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché intérieur, il incombe, en revanche, au juge administratif, saisi d'un tel recours pour excès de pouvoir, de déterminer si le texte dont la notification est demandée est relatif à une aide d’État dont la Commission doit être informée. »

Sur le second point, le juge estime n'être pas en présence, dans le cas d'espèce, d'une aide d’État c'est-à-dire d'une mesure réunissant, à la fois, les quatre conditions suivantes : existence d'une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État, cette intervention devant présenter, en sus, cumulativement les trois traits suivants, être susceptible d'affecter les échanges entre les États membres, accorder un avantage sélectif à son bénéficiaire et faussant ou susceptible de fausser la concurrence. Ce dernier se révèle par le fait que la mesure en cause constitue un avantage pour certaines entreprises par rapport à d'autres se trouvant, au regard de l'objectif poursuivi par ce régime, dans une situation factuelle et juridique comparable.

Appliquant ici cette grille d'analyse, le Conseil d’État rejette la qualification d'aide d’État aussi bien en comparant la situation des établissements de la requérante avec les établissements d'enseignement secondaire et supérieur publics ou privés sans but lucratif qu'avec - ce qui était le point central de l'argumentation de la société requérante - les établissements d'enseignement consulaires, constitués et financés par les chambres de commerce. Bien que le Conseil d’État insiste lourdement sur la comparaison avec cette seconde catégorie d'établissements (cf. point 8), il faut avouer, lorsque l'on en connaît le fonctionnement concret, que sa démonstration se fait moins convaincante.

Au reste, le versement de la taxe d'apprentissage se révèle très discriminant selon que l'établissement bénéficiaire est consulaire ou non.

(6 octobre 2021, Société Galileo Global Education France, n° 439011, n° 439017, n° 439019, n° 439021)

 

77 - Hypermarché – Extension de superficie – Commission nationale d’aménagement commercial – Commission se prononçant sur un projet d’extension ne nécessitant pas de permis de construire – Acte ayant non la nature d’un avis mais celui d’une décision – Acte faisant grief – Possibilité d’intenter un recours pour excès de pouvoir – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui rejette comme irrecevable le recours dirigé contre l’acte par lequel la commission nationale d’aménagement commercial se prononce sur le projet d’extension de la superficie d’un hypermarché ne nécessitant pas de permis de construire au motif que cet acte est purement préparatoire et que, ne faisant pas grief, il ne peut pas faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

En effet, cet acte est, au contraire, une décision et peut donc faire l’objet d’un tel recours.

(13 octobre 2021, Société Auchan Supermarché, n° 442849)

 

78 - Accord triennal applicable aux professionnels en vin de la région Bourgogne – Refus ministériel d’étendre l’article 13 de cet accord – Légalité – Rejet.

Le Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) a adopté un accord applicable aux professionnels produisant et commercialisant des vins de la région Bourgogne viticole bénéficiant d'une appellation d'origine protégée et il en a demandé l’extension. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé de procéder à l'extension de son article 13 relatif à l'habillage et au conditionnement des vins de Bourgogne. Un arrêté ministériel a, ensuite, procédé à l’extension sollicitée sauf pour l’article 13 précité.

Le ministre de l’agriculture a implicitement, du fait de son silence, rejeté le recours gracieux tendant à voir également étendu cet article.

Le BIVB demande au Conseil d’État l’annulation de l’arrêté et du rejet implicite du recours gracieux.

Le cadre juridique est rappelé par le juge : l'utilisation, pour les produits de la vigne bénéficiant d'une appellation d'origine protégée ou d'une indication géographique protégée, d'une référence au nom d'une unité géographique plus grande que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique ne peut être rendue obligatoire que par les cahiers des charges de ces produits.

Le ministre, pour refuser l’extension des stipulations de l’art. 13 litigieux, s’est fondé sur ce que l'accord interprofessionnel avait prévu que la mention  Vin de Bourgogne ou Grand Vin de Bourgogne devait figurer sur tous les habillages principaux des bouteilles et autres conditionnements des vins de Bourgogne, selon les mentions prévues aux cahiers des charges des AOP, alors que les stipulations litigieuses allaient « au-delà de ce que prévoit le cahier des charges » et qu'elles n'étaient, dès lors, pas compatibles avec les dispositions du droit de l'Union.

Jugeant un tel motif au nombre de ceux justifiant la décision attaquée et estimant que s’il s’était fondé uniquement sur celui-ci le ministre aurait pris la même décision, le juge rejette le recours dont il était saisi.

(22 octobre 2021, Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, n° 441653)

 

79 - Commission nationale d’aménagement commercial – Décisions devant être motivées – Limites de l’obligation de motivation – Rejet.

Les péripéties d’une demande d’autorisation d’implantation d’un centre commercial de près de 50 000 m2 dans la proche banlieue de Caen conduisent le Conseil d’État, saisi pour la seconde fois dans le cadre de ce litige, à apporter une précision importante qui ne ressort pas d’évidence des textes applicables (spécialement les articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce).

Le juge estime que les décisions que prend la Commission nationale d'aménagement commercial sont au nombre de celles qui doivent être motivées « eu égard à la nature, à la composition et aux attributions » de cette commission (formule identique à celle utilisée dans l’arrêt d’Assemblée du 27 novembre 1970, Agence maritime Marseille-Frêt, Recueil Lebon p. 704 ; RDP 1971 p. 987, concl. M. Gentot).

Cependant est ajoutée la précision que « cette obligation n'implique pas que la Commission soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables. » Il ne semble pas certain que cette restriction soit pleinement conforme à l’intention du législateur.

(25 octobre 2021, Société Ingka Centre Fleury, n° 434695)

 

80 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Pouvoirs de police administrative – Décision de suspension temporaire d’une activité d’émission de monnaie électronique – Tickets ne constituant pas une monnaie électronique – Société agréée en tant qu’émetteur de monnaie électronique – Sanction rendue publique – Rejet.

La requérante est une société agréée par l’ACPR en tant qu’établissement émetteur de monnaie électronique. Apprenant que le cautionnement apporté à cette société par un assureur pour protéger les fonds de ses clients collectés en contrepartie de l'émission de monnaie électronique avait cessé et constatant que l’établissement se trouvait dans une situation financière très dégradée, l’ACPR l’a informé qu’elle suspendait l’autorisation qui lui avait été donnée d’émettre de la monnaie électronique et qu’elle portait cette décision à la connaissance du public.

La société saisit le Conseil d’État d’un recours en référé suspension de ces décisions ; ses deux moyens sont rejetés.

La société prétendait que les dispositions de l’art. L. 526-32 du code monétaire et financier ne lui étaient pas applicables, le « ticket premium » qu’elle commercialise n’étant pas une monnaie électronique. La juge décrit d’abord le mécanisme en cause par lequel la requérante propose à ses clients d'acheter, par tout moyen habituel, dans un point de vente de son réseau, essentiellement composé de buralistes, un support ou ticket qui comporte un code PIN qu'elle émet et auquel est associé une ligne de valeur monétaire qui peut être consommée en ligne auprès des sites marchands, notamment de jeux et paris en ligne, acceptant ce mode de paiement. 

Puis, assez embarrassée par le moyen soulevé, la juge des référés recourt à une sorte ce faisceau d’éléments : Certes les fonds des clients ne sont pas collectés directement par la société Wari Pay mais ils le sont pour son compte et lui sont reversés par ses distributeurs dans le cadre d'un réseau de distribution mandaté à cet effet. Pareillement, la société doit rembourser aux sites marchands le montant des tickets consommés et aux utilisateurs ceux non consommés, qui valent créance sur elle. Enfin, il est relevé que « dans ces conditions et eu égard aux caractéristiques du ticket de paiement litigieux, telles qu'elles ressortent des écritures et des échanges à l'audience », il n’y a pas de doute sur la légalité de la décision attaquée.

Le second moyen reposait sur le caractère disproportionné de la décision de publier la sanction, il est rejeté au vu des éléments de fait de la cause.

(ord. réf. 22 octobre 2021, Société Wari Pay, n° 456973)

 

Droit social et action sociale

 

81 - Établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées - Epidémie de Covid-19 - Prime exceptionnelle exonérée de charges instituée par la loi du 25 avril 2020 - Prime établie notamment au profit des salariés particulièrement mobilisés pendant l'état d'urgence sanitaire, dont ceux des établissements privés de santé ou des établissements sociaux et médico-sociaux - Financement de ces primes par l'assurance maladie - Absence de couverture des éléments de rémunérations supplémentaires susceptibles d'être versées à leurs salariés  par les sociétés prestataires de ces établissements - Rejet du recours.

La requérante est une société prestataire de services  pour des établissements et services accueillant des personnes âgées. La loi du 25 avril 2020, prenant en compte les efforts considérables demandés aux personnels des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, a décidé l'octroi de financements supplémentaires par l'assurance maladie pour le versement d'une prime exceptionnelle à ces personnels.

La requérante demandait l'annulation du décret n° 2020-681 du 5 juin 2020 modifiant les modalités particulières de financement applicables aux établissements susmentionnés ainsi que de l'instruction ministérielle prise pour son application, en tant qu'ils ne prévoient pas que les financements complémentaires prévus à titre exceptionnel en 2020 au titre de l'article R. 314-163 du code de l'action sociale et des familles puissent couvrir des éléments de rémunération supplémentaires des prestataires auxquels sont susceptibles de faire appel les établissements mentionnés à l'article L. 314-2 de ce code, afin de permettre à ces prestataires de verser une prime aux membres de leur personnel mobilisés au sein de ces établissements pendant la pandémie de Covid-19.

La requête est, sans surprise, rejetée.

En effet, les établissements concernés par l'octroi de cette prime exceptionnelle à leurs personnels sont financés par un forfait global relatif aux soins comprenant des financements complémentaires qui ne peuvent couvrir que des charges limitativement énumérées, dont les dépenses relatives à « des actions mises en œuvre dans le cadre de la prévention et de la gestion des situations sanitaires exceptionnelles ».

De ce que les décisions attaquées ont pour seul objet d'organiser le financement dans ces établissements, par l'utilisation des financements complémentaires qu'ils peuvent recevoir de l'assurance maladie, de la prime exceptionnelle instituée par le législateur, il résulte que la société requérante ne saurait donc s'en prévaloir. Le silence des textes à son endroit, sur ce point, ne lui fait pas grief, ce qui rend irrecevable sa demande d'annulation du décret et de l'instruction.

(6 octobre 2021, Société Restalliance, n° 442536 et n° 442537)

 

82 - Référé suspension – Régime d’assurance chômage – Fixation de la date d’entrée en vigueur de nouvelles dispositions – Demande de suspension du décret du 29 septembre 2021 – Erreur manifeste d’appréciation – Absence – Rejet.

Par ces requêtes, que le juge des référés a jointes, les organisations requérantes demandaient la suspension d’exécution de la date d’entrée en vigueur de certaines dispositions du décret du 29 septembre 2021 déjà entrées en vigueur le 1er octobre 2021.

Selon l'article L. 5422-20 du code du travail, les mesures d'application des dispositions de ce code relatives au régime d'assurance chômage font l'objet d'accords conclus entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés qui doivent ensuite être agréés.  Préalablement à la négociation de ces accords et après concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel, le premier ministre transmet à celles-ci un document de cadrage qui précise les objectifs de la négociation en ce qui concerne la trajectoire financière et, le cas échéant, les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage. L'agrément du premier ministre à l'accord est subordonné, d'une part, à sa conformité aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur et, d'autre part, à sa compatibilité avec la trajectoire financière et, le cas échéant, les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage définis dans le document de cadrage.

Le premier ministre peut demander aux partenaires sociaux de prendre les mesures nécessaires pour corriger un écart significatif entre la trajectoire financière du régime d'assurance chômage et la trajectoire prévue, ou celle que décide le législateur, en modifiant l'accord précédemment agréé. Lorsqu'aucun accord remplissant les conditions du second alinéa de l'article L. 5422-22 n'est conclu, le premier ministre peut mettre fin à l'agrément de l'accord qu'il avait demandé aux organisations concernées de modifier. Les mesures d'application des dispositions législatives régissant l'assurance chômage sont alors déterminées par décret en Conseil d'Etat.

En l’espèce, après que le premier ministre a communiqué le 25 septembre 2018 aux partenaires sociaux ce document de cadrage et que les négociations ont échoué, celui-ci a, par le décret du 26 juillet 2019, abrogé les arrêtés portant agrément de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage, de ses textes associés et de ses avenants et fixé, en conséquence, les mesures d'application des dispositions législatives régissant l'assurance chômage. 

Le Conseil d’État, dans sa décision du 25 novembre 2020 (Voir cette Chronique, novembre 2020, n° 95), a annulé les dispositions du règlement d'assurance chômage annexé au décret du 26 juillet 2019 relatives au salaire journalier de référence, au motif que ses modalités de calcul portaient atteinte au principe d'égalité, ainsi que celles relatives à la modulation de la contribution des employeurs à l'assurance chômage, au motif de l'illégalité de la subdélégation à un arrêté ministériel de la définition d'éléments déterminants du dispositif. Tirant les conséquences de cette décision, le décret du 28 décembre 2020 a abrogé les dispositions du règlement d'assurance chômage relatives aux différés d'indemnisation et aux règles de cohérence entre les régimes, liées aux dispositions annulées, puis, le décret du 30 mars 2021 a rétabli, en les amendant, les dispositions relatives au salaire journalier de référence, aux différés d'indemnisation, à la modulation de la contribution des employeurs ainsi qu'à la coordination entre les régimes. L’entrée en vigueur de ce texte a été fixée pour l’ensemble des dispositions, sauf celles relatives à la contribution à l'assurance chômage, au 1er juillet 2021, les règles correspondantes issues de la convention d'assurance chômage du 14 avril 2017 étant prorogées jusqu'au 30 juin 2021.

Par une ordonnance du 22 juin 2021, le juge des référés du Conseil d'Etat, a prononcé la suspension de l'exécution des dispositions relatives à l'entrée en vigueur au 1er juillet 2021 des modalités nouvelles de calcul du salaire journalier de référence et de celles qui en sont indivisibles concernant la durée et les différés d'indemnisation, ceci a conduit le premier ministre, par décret du 29 juin 2021, à maintenir en vigueur jusqu'au 30 septembre 2021 l'application des dispositions de la convention d'assurance chômage du 14 avril 2017 relatives au calcul de la durée d'indemnisation du salaire journalier de référence et des différés d'indemnisation, à modifier certaines des dispositions du décret du 26 juillet 2019 précité et, enfin, à décider qu’un certain nombre de dispositions des art. 9, 11, 12, 13, 21, 23 et 65 du règlement d'assurance chômage annexé au décret du 26 juillet 2019 ainsi que les dispositions correspondantes de l'annexe I, du chapitre 2 de l'annexe II, de l'annexe III et du chapitre 1er de l'annexe IX à ce même règlement seront applicables « à une date fixée par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle ».

C’est dans ces conditions, dont la narration qui précède a montré la complexité déroutante, que les organisations professionnelles susnommées ont saisi le juge du référé suspension du Conseil d’État d’une demande de suspension du décret du 29 septembre 2021 fixant la date d'entrée en vigueur de certaines dispositions du régime d'assurance chômage. 

Quatre moyens principaux étaient soulevés, ils sont tous rejetés.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas retenus les moyens tirés de l'irrégularité des consultations opérées : d’une part,  aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que l'avis rendu par la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle en la matière soit subordonné à la transmission, par le Gouvernement, d'une étude d'impact ou d'éléments relatifs à la trajectoire financière ou aux buts poursuivis et, d’autre part, il résulte de la copie de la minute de la section sociale du Conseil d'Etat que le texte publié ne contient pas de dispositions qui différeraient à la fois du projet soumis au Conseil d'Etat et du texte adopté par ce dernier.

En deuxième lieu, n’est pas, non plus, retenu le moyen tiré de la caducité du document de cadrage. Les mesures qu’adopte le premier ministre, à défaut d’accord entre les partenaires sociaux, doivent rester compatibles avec les objectifs impartis aux partenaires sociaux pour cette négociation et avec la trajectoire initialement fixée. De plus, le document de cadrage communiqué le 25 septembre 2018, ne saurait être regardé comme frappé de caducité du fait du temps qui s’est écoulé entre la date de sa transmission et la date du décret contesté et du fait, aussi, des changements résultant de la crise sanitaire qui n'a pas permis d'atteindre les niveaux de croissance économique et de baisse du nombre de chômeurs indemnisés prévus annuellement dans le document de cadrage. En effet, il ne résulte pas de l’instruction que les objectifs de la négociation en ce qui concerne la trajectoire financière et les objectifs d'évolution des règles du régime d'assurance chômage contenus dans le document de cadrage adressé aux organisations intéressées le 25 septembre 2018 soient devenus caducs.

Ensuite, n’est pas jugé pertinent le moyen selon lequel le décret attaqué méconnaîtrait l’ordonnance de référé du 22 juin 2021 en ce qu’il n’aurait pas respecté son caractère exécutoire. Il convient de rappeler que cette ordonnance prononce la suspension de l'exécution des dispositions du décret du 30 mars 2021 « en tant seulement qu'il fixe dès le 1er juillet la date d'entrée en vigueur des dispositions relatives à la détermination du salaire journalier de référence » et celles qui en sont indivisibles, ainsi le juge des référés du Conseil d'Etat a estimé, qu' « il ne résulte pas de l'instruction d'éléments suffisants permettant de considérer que les conditions du marché du travail sont à ce jour réunies pour atteindre l'objectif d'intérêt général poursuivi », intérêt que l’ordonnance identifie comme étant celui de « stabilité de l'emploi ». Ainsi, cette ordonnance, qui ne comportait d'ailleurs aucune injonction, n'a pas eu pour objet de priver le gouvernement du pouvoir de fixer, le cas échéant, avant même que le Conseil d'État, statuant au contentieux, se prononce sur la légalité du décret du 30 mars 2021, une nouvelle date d'entrée en vigueur des modalités de calcul du salaire journalier de référence après avoir pris en compte notamment l'évolution des conditions du marché du travail.

Enfin, ne prospère pas davantage l’invocation de l’erreur manifeste d’appréciation que comporterait la fixation de l'entrée en vigueur des modalités de calcul nouvelles du salaire journalier de référence. D’une part, s’agissant des demandeurs d’emploi, les droits à l'allocation de retour à l'emploi ouverts immédiatement à compter du 1er octobre 2021 seront calculés en neutralisant les périodes d'inactivité et en prolongeant la période d'affiliation du nombre de mois affectés par des restrictions sanitaires de telle sorte que l'effet des nouvelles règles se fera sentir à une date à laquelle les périodes de référence des intéressés ne contiendront plus aucune période liée à la crise sanitaire à neutraliser. D’autre part, s’agissant des entreprises, la période d'observation d'un an est entrée en vigueur dès le 1er juillet 2021 de telle sorte qu'au terme de ce délai, les entreprises concernées verseront, à compter du 1er septembre 2022, une contribution calculée en fonction du taux de séparation effectivement constaté sur la période par rapport au taux médian de leur secteur d'activité. Au reste, au vu des différents éléments fournis par la ministre du travail et en dépit du désaccord entre les parties sur l'analyse ou l'interprétation de certaines données, il ne résulte pas de l'instruction que la tendance générale du marché de l'emploi constituerait, à ce jour, un obstacle à la poursuite de la réforme. 
(ord. réf. 22 octobre 2021, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 457300 ; Confédération générale du travail (CGT) et autre, n° 457313 ; Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO), n° 457321 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE - CGC), n° 457337 ; Fédération nationale des guides interprètes et conférenciers (FNGIC) et autres, n° 457343 ; Confédération française démocratique du travail (CFDT) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), n° 457345)

 

83 - Prévention des risques biologiques – Covid-19 – Cadre applicable fixé par le décret du 16 juillet 2021 – Non-conformité prétendues à des directives européennes - Demande de suspension – Rejet.

Était demandée la suspension de l’exécution du décret n° 2021-951 du 16 juillet 2021 fixant le cadre applicable des dispositions du code du travail en matière de prévention des risques biologiques dans le cadre de la pandémie de SARS-CoV-2 en ce qu’il contreviendrait aux dispositions de la directive 94/33/CE du Conseil du 22 juin 1994, de la directive 2000/54/CE du Parlement et du Conseil du 18 septembre 2000 et de la directive (UE) 2020/739 de la Commission du 3 juin 2020 qui ajoute le coronavirus SARS-CoV-2, classé dans le groupe 3 de la classification figurant à l'article 2 de la directive 2000/54.

La requête est rejetée.

La première série de moyens est dirigée contre le non-respect de la directive 2000/54. Aucun de ces moyens n’a convaincu le juge, ni celui fondé sur la méconnaissance des articles 1er, 2 et 18 de la directive relatifs à l'objet de la prévention des risques biologiques et à la classification des agents biologiques, ni celui selon lequel l'évaluation des risques mentionnée au 2° de l'art. 2 du décret contesté ne respecterait pas les exigences de la directive alors que cette évaluation est celle prévue aux art. R. 4423-1 à R. 4423-4 du code du travail, qui, précisément, transposent l'art. 3 de la directive 2000/54, pas davantage n’est retenu le non-respect des dispositions combinées des articles 4, 11 et 14 de la directive, qu’il s’agisse de la liste des travailleurs exposés, du suivi médical individuel, des mesures de réduction des risques, des mesures d'information en cas d'accident ou d'incident, ou encore du niveau de protection des travailleurs.

Concernant la directive 94/33, un moyen est soulevé, il repose sur la méconnaissance prétendue de l’art. 7 de la directive 94/33 relative à la protection des jeunes au travail. Il est rejeté motif pris de ce que « Compte tenu du caractère pandémique du coronavirus SARS-CoV-2 auquel est exposée l'ensemble de la population, désormais largement vaccinée, y compris les jeunes de moins de dix-huit ans, l'activité professionnelle des jeunes travailleurs au sein des établissements dont la nature de l'activité habituelle ne relève pas du régime de droit commun de prévention des risques biologiques, ne saurait être regardée comme une affectation à des travaux qui impliquent une exposition nocive aux agents biologiques de groupe 3 au sens de l'article 7 de la directive 94/33. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article 7 n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'article 4 du décret contesté. » 

(ord. réf. 27 octobre 2021, Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 457060)

 

Élections et financement de la vie politique

 

 

Comme un long dimanche de fiançailles…

 

L’épidémie de Covid-19, en provoquant un allongement d’une à quinze semaines (15 mars – 28 juin) de l’intervalle de temps séparant les deux tours de scrutin pour les élections municipales et communautaires tenues en 2020 a son effet sur l’étalement dans le temps de ce contentieux électoral en dépit des efforts des juges pour statuer dans des délais aussi raisonnables que possible.

 

 

 

84 - Élections municipales et communautaires - Griefs divers - Rejet.

Comme dans notre Chronique du mois de septembre 2021 (Voir le n° 52), est proposée ici la lecture de décisions rendues en matière électorale où sont présents de nombreux griefs assez représentatifs de ce type de contentieux comme de l'exercice par le juge de son contrôle et de son office.

(1er octobre 2021, M. M.-E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Béziers, n° 448993)

(85) V. aussi : 5 octobre 2021, Mme G. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Moret-Loing-et-Orvanne, n° 450786.

(86) V. également : 8 octobre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Grand-Bourg, n° 445479.

(87) V. encore : 22 octobre 2021, M. J., Él. mun. et cnautaires de la commune de Réguisheim, n° 446902.

(88) V. enfin : 25 octobre 2021, M. AN. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Chennevières-sur-Marne, n° 451546.

 

89 - Élections municipales et communautaires - Déclarations de candidature - Absence ou contrefaçon de signatures manuscrites - Irrégularité - Altération de la sincérité du scrutin - Annulation du jugement et des élections.

Après avoir constaté qu'en violation notamment des dispositions des art. L. 264 et L. 265 du code électoral, à l'occasion des élections tenues dans cette commune, il a été constaté que la mention manuscrite figurant sur plusieurs déclarations de candidature des membres d'une liste a été écrite d'une même main et non pas personnellement par chacun des candidats, que cette mention est manquante sur l'une des déclarations, que plusieurs membres de cette liste attestent ne pas avoir rempli de déclaration de candidature et que, lors de son passage au bureau de vote n° 8, une personne, qui figurait sur ladite liste, a indiqué ne pas avoir souhaité y figurer, le Conseil d’État juge irrégulières les conditions de constitution de cette liste. 

Ensuite, il convenait de vérifier si cette manoeuvre, dans les circonstances de fait de l'espèce, a altéré la sincérité du scrutin. La réponse est positive  en raison du nombre de suffrages obtenu au premier tour de scrutin par cette liste, soit 140 voix, qui était supérieur à l'écart de 24 voix séparant la liste conduite par le protestataire du seuil de 10 % des suffrages exprimés permettant à cette dernière liste de se présenter au second tour de scrutin.

En conséquence, et contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, cette manœuvre ayant été de nature à fausser le résultat des élections municipales et communautaires dans cette commune, ces élections sont annulées.

(1er octobre 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Savigny-sur-Orge, n° 450756 et n° 453838)

 

90 - Élections municipales et communautaires - Compte de campagne - Élections tenues en 2020 - Délai ouvert à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) pour saisir le juge administratif - Absence de forclusion - Rejet.

Le requérant contestait le jugement qui avait rejeté son recours fondé sur ce que le tribunal administratif aurait été saisi par la CNCCFP après expiration du délai légal. Confirmant la solution des premiers juges, le Conseil d’État rappelle en ces termes la computation de ce délai du fait de la loi du 23 mars 2020 dite d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 :

« pour le renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires ayant eu lieu en 2020, dans le cas où l'élection n'a pas été acquise au premier tour et a fait l'objet de contestations devant le juge, qu'il s'agisse des listes de candidats présents seulement au premier tour ou aux deux tours, le délai imparti par l'article L. 52-15 du code électoral à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques pour saisir le juge de l'élection était de trois mois à compter du 11 septembre 2020. »

Ce délai, présentant le caractère d'un délai franc, a expiré le 12 décembre 2020. Ce jour étant un samedi, il a été prorogé jusqu'au lundi 14 décembre 2020. La CNCCFP ayant saisi le juge le 11 décembre 2020, c'est à bon droit que celui-ci a jugé cette requête recevable.

(1er octobre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Savigny-sur-Orge, n° 450771)

 

91 - Compte de campagne – Saisine de la juridiction administrative par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Appréciation de la gravité du(des) manquement(s) reproché(s) – Non présentation du compte de campagne par un expert-comptable – Manquement délibéré en l’état d’un rappel de la CNCCFP – Rejet.

Son compte de campagne ayant été rejeté par la CNCCFP et ce rejet ayant été confirmé par le tribunal administratif qui lui a infligé une inéligibilité d’une durée de six mois, le requérant saisit le Conseil d’État. Le juge d’appel rejette son recours.

Rappelant l’assouplissement des règles d’examen des irrégularités en matière de compte de campagne introduite par la loi du 2 décembre 2019 (art. L. 118-3 du code électoral) hormis le cas de fraude, le Conseil d’État juge fondés en l’espèce le rejet du compte et l’infliction d’une inéligibilité pour six mois.

Il retient le manquement d’une particulière gravité qui a consisté à ne pas faire présenter son compte par un membre de l’ordre des experts-comptables et comptables agréés, ce qui viole une règle légale de caractère substantiel, à quoi s’ajoute le caractère délibéré du manquement dès lors que la CNCCFP avait expressément rappelé à l’intéressé, dans le cadre de la procédure contradictoire, l’obligation impérative d’une telle présentation.

(7 octobre 2021, M. C., Élections municipales de Longjumeau, n° 450317)

(92) V. aussi, très semblables : 7 octobre 2021, Mme D., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Evry-Courcouronnes, n° 452360 ou encore, s’agissant d’un compte non présenté par un expert-comptable ou un comptable agréé, non régularisé, constitué de pièces disparates et incomplètes, irrégularités entraînant le rejet du compte et l’infliction d’une inéligibilité d’une année : 20 octobre 2021, M. D., Élections municipales de Lifou, n° 451221 ou, plus fort, l’absence pure et simple de dépôt du compte de campagne assortie d’une inéligibilité de six mois : 20 octobre 2021, Mme C., Él. mun. et cnautaires de Monteraut-Fault-Yonne, n° 451436.

(93) V. encore : 7 octobre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Narbonne, n° 453008.

(94) V. également, une décision assez semblable aux précédentes, sauf en ce que le Conseil d’État ramène de 18 mois à 6 mois la durée de l’inéligibilité : 7 octobre 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Epinay-sous-Sénart, n° 452403.

(95) Voir : 13 octobre 2021, Mme C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bollène, n° 450489.

(96) Voir, jugeant déposé hors délai un compte de campagne « régularisé » par un expert-comptable et déposé le 25 août alors que la date limite était celle du 18 juillet et qu’à cette date n’avait été déposé qu’un document incomplet qui ne pouvait pas être assimilé à un compte de campagne au sens de la loi : 13 octobre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Fresnes, n° 451057.

(97) Voir, à l’inverse, estimant que si l’absence de dépôt du compte de campagne dans le délai légal constitue bien un manquement d’une particulière gravité, la double circonstance de très faibles dépenses (2000,00 euros environ) et de l’absence de caractère délibéré de l’omission en cause, le délai d’inéligibilité, fixé à dix-huit par le tribunal doit être ramené à six mois par le Conseil d’État juge d’appel : 13 octobre 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Lunéville, n° 448760.

 

98 - Élections municipales – Bulletins comportant plus de noms que de candidats à élire – Mauvaise orthographe du nom de l’un des candidats d’une liste – Erreur simplement matérielle sans incidence – Prise en compte de ces bulletins pour les autres candidats – Non prise en compte pour le calcul des suffrages exprimés – Confusion – Faible écart des voix d’élus – Confirmation de l’annulation des opérations électorales – Rejet.

Lors du dépouillement d’un scrutin municipal sept bulletins, sur lequel le nom de l’un des candidats comportait une erreur orthographique par rapport à celui figurant sur la déclaration de candidature en préfecture, ont été annulés en ce qui concerne ce candidat, retenus comme valides pour les autres candidats y figurant mais non pris en compte pour le calcul des suffrages exprimés.

Le juge constate que l’erreur matérielle d’orthographe avait été sans incidence sur la sincérité du scrutin, l’intéressé étant bien inscrit sur la liste électorale et aucun risque de confusion ou d’homonymie n’existant.

Ensuite, l’imbroglio né du traitement contradictoire des bulletins litigieux, au nombre de sept, et alors que plusieurs candidats ont été proclamés élus avec un nombre de suffrages, compris entre 113 et 115, qui ne dépasse pas la majorité absolue une fois réintégrés les sept bulletins invalidés à tort, conduit à juger altérée la sincérité du scrutin.

L’annulation des deux tours de scrutin prononcée en première instance est confirmée.

(13 octobre 2021, Mme AE., Élections municipales de Cons-la-Grandville, n° 445838)

 

99 - Élections municipales et communautaires - Élément nouveau de polémique électorale – Courriel de l’ancien maire aux 58 agents municipaux de la commune – Courriel envoyé le 13 mars à 16h51, le scrutin se tenant le 15 mars - Faible écart des voix – Altération de la sincérité du scrutin - Annulation du jugement contraire.

Est jugé comme ayant été de nature à altérer la sincérité du scrutin l’envoi par le maire sortant qui ne se représentait pas, le vendredi 13 mars à 16h51, à cinquante-huit agents municipaux, sur leur messagerie professionnelle, d’un courriel dans lequel il remettait en cause l'intérêt que portaient les membres d’une liste de candidats aux élections municipales à leurs conditions de travail et incitait les agents à voter en faveur d’une autre liste.

Le caractère d’élément nouveau de polémique électorale, la tardiveté de sa présentation et le faible écart de voix entre les listes conduisent le Conseil d’État, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance, à annuler le scrutin qui s’est tenu le 15 mars 2021 dans cette commune.

(13 octobre 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villerupt, n° 448534)

(100) V. aussi, confirmant le jugement annulant des opérations électorales, la décision qui vise l’apparition tardive et sans possibilité de répliquer de deux éléments nouveaux de polémique électoral conduisant à mettre en doute la probité de la tête d’une liste : 13 octobre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Mèze, n° 450996.

 

101 - Élections municipales – Irrégularités diverses alléguées – Courriers ne constituant pas une campagne de promotion publicitaire – Mais courriers de nature à altérer la sincérité du scrutin concernant l’attribution d’un siège – Rejet.

On retiendra de cette longue et importante décision, d’ailleurs rendue en chambres réunies, ce qui n’est pas si fréquent en contentieux électoral, le point suivant.

Le tribunal administratif et le Conseil d’État étaient, notamment, saisis du grief fondé sur ce qu’un courrier avait été adressé le 9 juin 2021 par la présidente de l'office public de l'habitat de la collectivité de Corse aux 174 locataires de la résidence Saint-Antoine à Bastia, annonçant de nouveaux travaux permettant une rénovation intégrale de leurs logements qui débuteraient à la fin de l'année 2021 et sur ce que dans un second courrier, du 15 juin 2021, elle a présenté à l'ensemble des locataires de l'office, dont plus de 2 000 résident à Bastia, les réalisations qu'elle avait accomplies depuis sa prise de fonctions ainsi que ses projets. Les protestataires estimaient que ces courriers constituaient une campagne de promotion publicitaire des réalisations d'une collectivité au sens des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral, donc prohibée.

Les juges estiment, d’une part, qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une promotion publicitaire prohibée par l’art. L. 52-1, mais, d’autre part, que dans les circonstances de fait de cette espèce, ces courriers ont été de nature à altérer la sincérité du scrutin en ce qui concerne l'attribution du 43ème siège de conseiller en raison de ce qu’il aurait suffi à une certaine liste, sur les 13 629 suffrages exprimés au second tour, d’obtenir 50 voix de plus (soit 0,0037%) pour se voir attribuer le siège dévolu à une autre liste le soir du scrutin.

Est donc confirmée l’annulation de l’attribution de ce siège.

On peut trouver cette solution passablement subtile mais il est vrai qu’elle concerne des habitués du prétoire du juge administratif en matière de contentieux électoral…

(14 octobre 2021, M. AL. et autres, Élections municipales de Bastia, n° 450396 ; M. BK., Élections municipales de Bastia, n° 450419)

 

102 - Élections municipales et communautaires – Émargements irréguliers – Retranchement du nombre des voix de la liste arrivée en tête – Écart de six voix en sa faveur – Annulation du jugement ayant annulé le second tour de scrutin.

Voilà encore une affaire qui constitue un florilège des moyens qu’invoquent des protestataires au soutien de leurs demandes d’annulation de scrutins.

Le tribunal administratif avait relevé l’irrégularité de dix signatures portées sur la liste d’émargement et, en conséquence, annulé les opérations électorales puisque le retranchement de celles-ci du nombre de voix obtenu par la liste arrivée en tête ne permettait plus à cette liste d’avoir la majorité absolue des suffrages exprimés.

Procédant à une analyse minutieuse des faits, le Conseil d’État ne retient comme suspects que deux émargements. Par suite, la liste arrivée en tête représentait toujours la majorité absolue des suffrages exprimés. Le jugement est annulé, les innombrables autres moyens des protestataires étant tous rejetés.

(4 octobre 2021, M. J. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Paul-de-Vence, n° 446953)

 

103 - Élections municipales et métropolitaines – Pressions sur les électeurs – Faible écart des voix – Interventions de nature à fausser les résultats du scrutin – Confirmation de l’annulation prononcée en première instance – Rejet.

Le juge d’appel confirme l’annulation prononcée par le tribunal administratif des deux tours de scrutin tenus dans une commune en vue de l’élection de conseillers municipaux et métropolitains en raison de pressions sur les électeurs de nature à fausser les résultats du scrutin compte tenu du faible écart des voix. En effet, d’une part, des partisans d’une liste se sont rassemblés à l'entrée et aux abords de deux bureaux de vote en interpellant les électeurs afin de les inciter à voter pour cette liste, nécessitant dans un cas l'intervention de la police municipale, et, d’autre part, une manifestation publique de soutien pour cette liste a même eu lieu à l'intérieur d'un bureau de vote.

C’est bien connu, « Quand les bornes sont franchies il n’y a plus de limites. »

(20 octobre 2021, M. D., Él. mun et métropolitaines de la commune de Givors, n° 450297)

 

104 - Élections municipales et communautaires – Rejet du compte de campagne et inéligibilité – Caractère minime des dépenses non comptabilisées – Absence de manœuvre frauduleuse – Annulation du jugement.

Avec sagesse le Conseil d’État annule le jugement de première instance qui, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 52-12 du code électoral, a prononcé une inéligibilité d’une année à l’encontre d’une candidate qui n’avait pas intégré dans son compte de campagne (dont le total s’élevait à 28 952 euros) des dépenses (location d’un minibus pour un déplacement entre les lieux de deux manifestations à l’intérieur de la commune et achat de 50 petites bouteilles d’eau) pour un total de 78 euros.

En l’absence de manœuvre, la modicité de la somme omise ne justifiait ni le rejet du compte ni la sanction de l’inéligibilité.

(20 octobre 2021, Mme G., Él. mun. et cnautaires de la commune de Romans-sur-Isère, n° 450393 ; M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Romans-sur-Isère, n° 450591)

(105) V. aussi, la décision validant le rejet d’un compte de campagne où les paiements effectués hors mandataire financier représentaient les deux tiers du montant total des dépenses déclarées et confirmant le prononcé d’une inéligibilité d’une année : 20 octobre 2021, M. F., Élections municipales de Bussy-Saint-Georges, n° 451155.

 

106 - Élections municipales et communautaires – Période d’épidémie de Covid-19 – Conclusion d’une convention de partenariat entre une association présidée par une tête de liste et des commerces alimentaires - Distribution de colis alimentaires dans les quartiers éloignés du centre – Absence d’utilisation à des fins de propagande électorale – Confirmation du jugement de rejet.

Dans le contexte d’une grave épidémie, la conclusion d’une convention de partenariat entre une association présidée par une tête de liste aux élections à venir et des commerces alimentaires en vue de la distribution de produits de première nécessité tels que pain, fruits et légumes, n’a pas revêtu la forme d’une opération de promotion publicitaire ni, non plus, celle de dons ou libéralités en vue d’influencer les électeurs.

Le juge d’appel, en conséquence, confirme le jugement de première instance rejetant la demande d’annulation des opérations électorales.

(20 octobre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Louis, n° 452053)

 

107 - Élections municipales – Distribution de « paniers gourmands » - Distribution à des personnes absentes du « repas des anciens » - Distribution habituelle et au prix analogue aux précédentes distributions – Absence d’altération de la sincérité du scrutin – Annulation du jugement en sens contraire.

Contrairement à ce qui avait été estimé par le tribunal administratif pour prononcer l’annulation de l’élection du requérant, le Conseil d’État considère comme n’ayant pas altéré la sincérité du scrutin la circonstance que, comme les années précédentes, dans les mêmes conditions et à un prix voisin, aient été distribués entre le 8 et le 21 février 2020, pour un montant de 438 euros, douze « paniers gourmands » à trois employés municipaux et neuf personnes âgées de plus de 71 ans qui n’avaient pas pu prendre part au « repas des anciens » du 19 janvier 2020.

C’est à tort que les premiers juges ont, pour ce seul motif, annulé l’élection du protestataire.

(20 octobre 2021, M. D., Élections municipales de Thorame-Basse, n° 445771)

 

108 - Élections municipales et communautaires -  Demande du protestataire de communication de documents avant l’expiration du délai de recours contentieux en vue d’établir ses griefs - Irrecevabilité des griefs formulés après expiration du délai de recours contentieux – Rejet.

On pourra trouver sévère la solution, confirmative du jugement de première instance, qui déclare irrecevables des griefs formulés après l’expiration du délai de recours contentieux alors même que leur auteur, en vue d’établir ces moyens, a sollicité la communication de documents administratifs avant l’expiration de ce même délai.

Cette position, qui peut s’autoriser d’un souci de célérité du contentieux électoral, nous paraît précisément aggravée du fait de la brièveté du délai de cinq jours ouvert pour saisir le juge.

(22 octobre 2021, Mme H., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Aubusson, n° 445872).

 

109 - Élections régionales – Second tour - Utilisation de machines à voter – Acheminement défectueux des professions de foi et des bulletins de vote – Rejet.

Saisi de plusieurs recours dirigés contre le déroulement du scrutin en vue de l’élection des membres du conseil régional des Pays de Loire, le Conseil d’ans letat, qui est juge en premier et dernier ressort du contentieux de ces élections, rejette les deux griefs des protestataires.

En premier lieu est rejeté le moyen tiré de ce que l’utilisation de machines à voter aurait altéré la sincérité du scrutin du bureau de vote n° 84 de la commune du Mans car il n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En second lieu, est écarté le moyen tiré de ce qu’un nombre significatif d’électeurs n’aurait pas reçu les documents électoraux (circulaire et bulletins de chacune des listes) car, tout d’abord, ce dysfonctionnement, à le supposer établi, aurait affecté de façon semblable toutes les listes en présence, ensuite parce que l’écart entre les listes figurant au second tour a été très important et, enfin, du fait que la première liste non qualifiée à ce second tour a obtenu moins de 3% des suffrages exprimés.

(26 octobre 2021, Mme K., Élection des membres du conseil régional des Pays de la Loire, n° 454007 ; M. N., n° 454038 ; Mme M., n° 454081 ; MM. Bernard, Jean-Paul et Jean-Pierre Cureau, n° 454626 ; M. S., n° 454369 ; Mme Cécile S., n° 454370 ; M. G., n° 454623 ; M. M., n° 455037)

 

110 - Élections municipales – Erreur sur le nombre de conseillers municipaux à élire – Bulletins comportant plus de noms que de sièges à pourvoir – Condition de validité – Rejet.

Le nombre de conseillers municipaux d’une commune est déterminé par le chiffre de sa population. Pour calculer ce chiffre, précise cette décision et c’est ce qui fait son importance, il faut prendre en compte la seule population municipale à la dernière valeur authentifiée par l'Institut national de la statistique et des études économiques avant l’élection, à l'exclusion de la population dite « comptée à part » (cf. art. L. 2151-1 CGCT). La population totale d’une commune est constituée par l’addition de la population authentifiée par l’INSEE et de la population « comptée à part ».

En l’espèce, la population totale de la commune était de 506 habitants et la population authentifiée de 498. Se fondant par erreur sur le premier de ces chiffres, il avait été considéré que devaient être élus quinze conseillers alors que ce chiffre était en réalité de onze au vu de la population authentifiée.

72 bulletins comportaient quinze noms pour un effectif maximum de onze conseillers à élire. Le requérant en demandait l’annulation.

Le juge rappelle qu’en ce cas c’est l’ordre de classement des candidats sur le bulletin qui doit être retenu ; ici il convenait donc de ne tenir compte que des onze premiers noms figurant sur chaque bulletin peu important que ces noms ne soient pas numérotés dès lors qu’ils étaient disposés sur une seule colonne.

L’appel contre le jugement est rejeté.

(28 octobre 2021, M. AK., Élections municipales d’Abbécourt, n° 446038)

 

111 - Élections municipales et communautaires – Candidat au second tour se présentant en mairie hors délai pour y déposer les documents électoraux – Non présentation du compte de campagne par un expert-comptable – Rejet des requêtes.

Le requérant appelant contestait deux jugements rendus en première instance.

Tout d’abord, il estimait qu’était une manœuvre de nature à altérer le scrutin du second tour des élections municipales et communautaires la circonstance que la commission de propagande ait refusé de transmettre aux électeurs ses documents de campagne. Le Conseil d’État rejette la critique en raison de ce que l’appelant s’était présenté en mairie après expiration de l’heure limite fixée pour le dépôt des candidatures sans disposer des bulletins de vote et de la circulaire devant être adressés aux électeurs. Sa protestation contre le jugement ayant annulé les opérations électorales est donc rejetée.

Ensuite, n’ayant pas fait présenter son compte de campagne par un expert-comptable et n'ayant pas ouvert de compte bancaire pour recevoir les recettes et régler les dépenses afférentes à sa campagne électorale au motif, inexact, qu’il se serait heurté à des refus de la part des banques sollicitées pour l'ouverture d'un compte bancaire, alors pourtant qu'il a comptabilisé au titre de ses recettes plusieurs chèques de donateurs, il ne saurait se plaindre de la sanction d’inéligibilité de dix-huit mois infligée en première instance.

(29 octobre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villiers-le-Bel, n° 451457)

 

112 - Élections des conseillers de Paris et des conseillers d’arrondissement – Propagande prohibée – Avantage prohibé – Absence – Rejet.

Est confirmé le rejet, en première instance, des moyens soulevés par le protestataire à l’appui de son recours en annulation d’opérations électorales organisées en vue de l’élection des conseillers de Paris et des conseillers du 5ème arrondissement.

La diffusion, au demeurant habituelle, de numéros du « Journal du 5eme arrondissement », qui ne sont pas des documents de propagande électorale, n’a pas revêtu, au profit de Mme C., le caractère d’avantages en nature prohibés.

Pas davantage ne peut être tenue pour une opération de propagande électorale la mise à disposition de masques de protection par la Ville de Paris et la région Île-de-France tout comme le contenu d’une brochure de la caisse des écoles du 5ème arrondissement diffusée en octobre 2019.

Enfin, l’utilisation du fichier des parents d’élèves des écoles de l’arrondissement pour les informer le 5 mai 2020 des mesures sanitaires mises en place pour garantir la protection des élèves à quelques jours de la réouverture des écoles, ne saurait constituer un avantage en nature consenti au profit à la maire sortante de l’arrondissement.

(29 octobre 2021, M. B., Élections au conseil de Paris, n° 450886)

 

113 - Élections municipales et communautaires – Élément nouveau de polémique électorale – Termes d’une grande gravité excédant les limites de la polémique électorale – Impossibilité d’y répondre utilement – Faible écart des voix – Annulation du scrutin confirmée.

Confirmant l’annulation du scrutin prononcée par les premiers juges, le Conseil d’État relève « qu'au cours des journées des jeudi 25 et vendredi 26 juin, des tracts mettant gravement en cause la probité du maire sortant, ont été largement diffusés et ont en outre été repris dans la journée du vendredi 26 juin ainsi que le samedi 27 juin sur les comptes Facebook de deux associations de soutien à la liste conduite par M. D. La diffusion de tels éléments dont les termes excédaient les limites de la polémique électorale et, à un moment de la campagne où, compte tenu de leur nouveauté et de leur gravité, il n'était plus possible d'y répondre utilement, a été constitutive d'une manœuvre qui, eu égard au très faible écart de voix à l'issue du scrutin, a été de nature à en altérer la sincérité ».

L’appel est rejeté.

(29 octobre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Martin-du-Tertre, n° 446828)

 

114 - Élections municipales et communautaires – Appel incident – Voie de droit inexistante en contentieux électoral – Irrecevabilité – Rejet.

L’appel incident n’étant pas ouvert en contentieux électoral il est donc irrecevable. Comme, en outre, l’appel incident est normalement formé après expiration du délai d’appel et que l’appel incident doit être requalifié ici d’appel ordinaire, il est entaché de forclusion.

(22 octobre 2021, M. T., Él. mun. et cnautaires de la commune de Mainvilliers, n° 450655)

 

Environnement

 

115 - Conventions et traités internationaux - Dispositions invocables ou non - Distinction entre dispositions d'effet direct et dispositions sans effet direct -  Régime de l'exception d'inconventionnalité - Traités européens - Régime de l'invalidité  d'actes de l'Union au regard du droit de l'Union - Compétence du juge national pour rejeter une action ou une exception en invalidité mais non pour l'admettre - Rejet.

 (6 octobre 2021, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 446302 et n° 446494 ; Mme D. et autres, n° 446643 ; M. O. et autres, n° 452518, n° 452520, n° 452522 et n° 452524)

V. n° 140

 

116 - Chasse – Tenderies aux grives et aux merles noirs – Capture de l’alouette des champs au moyen de matoles ou de pantes - Capture des vanneaux et pluviers dorés – Arrêtés reprenant des dispositions d’arrêtés antérieurs annulés par le juge – Arrêtés pris sur le fondement d’actes réglementaires illégaux – Suspension ordonnée.

Cette décision est un nouvel épisode d’un feuilleton répétitif et agaçant.

Les deux requérantes demandaient la suspension de huit arrêtés ministériels du 12 octobre 2021 autorisant, dans divers départements, la chasse par tenderies aux grives et aux merles noirs, la capture de l’alouette des champs au moyen de matoles ou de pantes ainsi que la capture des vanneaux et pluviers dorés.

Ces arrêtés reprennent à l’identique, pour la campagne de chasse 2021-2022, les dispositions contenues dans les arrêtés antérieurs ouvrant les campagnes des années précédentes. Or ces arrêtés ont été annulés par le Conseil d’Etat pour contrariété aux dispositions des articles 8 et 9 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (directive « Oiseaux »). En effet, ils usaient d’une dérogation permise par ce texte sans en respecter les conditions en se bornant à invoquer le caractère traditionnel des méthodes de chasse ainsi autorisées.

Il est jugé ici, la condition d’urgence étant, à l’évidence, satisfaite, que « Si la ministre de la transition écologique soutient que les arrêtés litigieux, par leur motivation, ne se borneraient pas à invoquer l'usage traditionnel des modes et moyens de chasse mais détaillerait les motifs qui conduisent à regarder les quotas de prélèvement retenus comme répondant aux exigences posées par l'article 9 de la directive, le moyen tiré de ce que ces arrêtés auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires illégales est de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur sa légalité. »

Il serait temps que l’État, pris en la personne d’une ministre qui a – apparemment - charge de l’environnement cesse, si l’on ose l’expression, de jouer au chat et à la souris avec les associations protectrices des oiseaux, sous l’œil d’un Conseil d’État donnant dans ce énième épisode de « Titi et Grosminet » toujours raison à Titi, le petit canari : où la réalité rejoint la fiction…

(ord. réf. 25 octobre 2021, Association One Voice, n° 457535, n° 457536, n° 457538, n° 457542, n° 457545, n° 457547, n° 457549, n° 457551 ; Ligue pour la protection des oiseaux, n° 452540, n° 457543, n° 457546, n° 457550, n° 457553, n° 457572, n° 457573)

 

117 - Autorisation d’implantation d’éoliennes et d’un poste de livraison – Préfet auteur de l’avis en qualité d’autorité environnementale et autorité compétente pour délivrer permis de construire et autorisation – Absence d’autonomie et d’indépendance objective – Erreur de droit – Annulation.

Il est bien connu que la directive du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement a pour finalité de garantir qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'étude d'impact des projets, publics ou privés, susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant qu’une autre ne statue sur une demande d'autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences. Spécialement, s’agissant de l’art. 6 de cette directive, ici en cause, une interprétation restrictive – et au demeurant justifiée – en est donnée par la CJUE (Pour la décision de principe, voir : 20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10).

La cour administrative d’appel avait, d’une part, relevé que le préfet de région était à la fois l'auteur de l'avis rendu le 4 avril 2013 en qualité d'autorité environnementale et l'autorité compétente qui a délivré les permis et autorisation attaqués et que l'avis ainsi émis par le préfet de région n'avait pas été rendu par une autorité disposant d'une autonomie effective dans des conditions garantissant son objectivité, et, d’autre part, estimé que l'avis résultait d'une analyse précise, critique et indépendante du dossier et qu'il mettait en exergue aussi bien les lacunes que les qualités du dossier.

Le Conseil d’État casse l’arrêt  en jugeant : « En en déduisant que, dans les circonstances de l'espèce, l'avis, versé au dossier d'enquête publique, qui avait pourtant été rendu dans des conditions qui méconnaissaient les exigences de la directive, avait permis une bonne information de l'ensemble des personnes intéressées par l'opération et que son irrégularité n'avait pas été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision de l'autorité administrative, la cour a commis une erreur de droit. »

Il nous semblerait plus juste d’apercevoir dans cette rédaction de l’arrêt d’appel et dans cette présentation du fait et du droit une véritable contradiction de motifs car la directive ayant pour objet la correcte information de la population, il ne saurait être dit, en même temps et sous le même rapport, qu’il y a non-respect des exigences propres à assurer une correcte information et cependant qu’il y a eu une correcte information.

(28 octobre 2021, Commune de Pellevoisin et autres, n° 442828)

(118) V. aussi, appliquant également l’art. 6 de la directive précitée telle qu’interprétée par la Cour de Luxembourg et annulant le refus implicite opposé à la demande de l’association requérante en tant seulement qu'il la rejette en vue de l'adoption de toute mesure réglementaire pour soumettre à évaluation environnementale les plans d'exposition au bruit concernant les aérodromes qui ne sont pas mentionnés au I de l'article 1609 quatervicies A du CGI avec injonction de soumettre ces plans à une telle évaluation sous quatre mois : 28 octobre 2021, Association de défense contre les nuisances aériennes, n° 447123. 

 

État-civil et nationalité

 

119 - Déchéance de la nationalité française (art. 25 et 25-1 Code civil) - Commission d'actes de terrorisme - Condamnation par le juge pénal pour financement d'une entreprise de terrorisme et appartenance à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme - Motivation suffisante - Sanction non disproportionnée - Absence d'atteinte disproportionnée à la vie privée - Rejet.

Le décret infligeant la sanction de la déchéance de la nationalité française à un individu condamné définitivement par le juge pénal pour terrorisme (participation à une entreprise de financement du terrorisme et à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes terroristes) n'est pas illégal - en dépit du fait qu’il ait été pris  plus de quinze ans après les faits - dès lors, 1°, qu'il est suffisamment motivé au regard des dispositions de l'art. 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française, 2°, que, eu égard à la gravité des faits, il n'est pas disproportionné et, enfin, 3°, qu'il ne porte pas, non plus, une atteinte disproportionnée à sa vie privée.

(6 octobre 2021, M. A., n° 446945)

 

120 - Réfugiés – Demande d’extrait d’acte de naissance – Refus de l’Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Saisine du tribunal administratif - Transmission de la demande au Conseil d’État – Incompétence – Compétence des juridictions de l’ordre judiciaire – Rejet.

Le requérant avait attaqué devant le tribunal administratif le refus de l’OFPRA de lui délivrer un extrait d’acte de naissance, le président du tribunal a transmis la requête au Conseil d’État.

Celui-ci la rejette au visa de l’art. 2 du décret du 6 mai 2017 relatif à l'état civil selon lequel : « Les personnes habilitées auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à exercer les fonctions d'officier de l'état civil sont, dans le cadre de ces activités, placées sous le contrôle du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Paris ».

Il juge logiquement que l’activité de l’OFPRA, s’agissant de la délivrance de certificats tenant lieu d’actes d’état civil, est placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, d’où il résulte que les litiges y relatifs ressortissent à la compétence des juridictions judiciaires. 

Portée devant une juridiction incompétente pour en connaître le présent recours est rejeté.

(28 octobre 2021, M. H., n° 453810)

 

Étrangers

 

121 - Demandeur d’asile – Convocation au siège de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) – Demande de prise en charge du transport en vue de se rendre au lieu de la convocation – Rejet.

On retiendra parmi les motifs de rejet d’un référé liberté, tous approuvés par le Conseil d’État, qu’aucune disposition législative ou règlementaire n'impose à l'Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de prendre en charge le déplacement pour se rendre au siège de l'OFPRA des personnes qui ne bénéficient pas des conditions matérielles d'accueil.

(5 octobre 2021, M. A., n° 457186)

 

122 - Syrien demandeur d’asile en France – Personne ayant obtenu la protection subsidiaire en Espagne – Octroi de la protection subsidiaire en France – Absence de vérification du sort de la décision espagnole – Erreur de droit – Annulation.

Un ressortissant syrien qui a obtenu la protection subsidiaire en Espagne, demande l’octroi de cette protection en France motif pris de ce qu’il se serait désisté de sa demande auprès des autorités espagnoles ; cette protection, refusée par l’OFPRA qui l’a jugée irrecevable d’autant que l’Espagne est un État membre de l’Union, est cependant accordée par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). La décision de cette dernière est attaquée par l’OFPRA et elle est annulée par le Conseil d’État. Celui-ci reproche à la cour de ne s’être pas prononcée sur l’irrecevabilité opposée à cette demande par l’OFPRA en n’examinant pas, comme elle y était pourtant tenue, si l'intéressé bénéficiait de la protection subsidiaire en Espagne ou si cette dernière n'était pas effective. Il lui incombait donc de vérifier la réalité du désistement allégué de cette dernière protection. 

(14 octobre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 444469)

 

123 - Reconnaissance de la qualité de réfugié – Demande de révision pour fraude – Computation du délai de révision – Erreur de droit – Annulation.

Le juge de cassation rappelle que quel que soit le service chargé, au sein de l'OFPRA, de constater une fraude, d'engager une procédure de fin de protection et d'exercer un recours en révision devant la Cour nationale du droit d’asile, ces actions sont exercées au nom de l'Office. Par suite, cette Cour commet une erreur de droit en jugeant que la computation du délai dans lequel devait être introduit un recours en révision avait commencé à courir à la date à laquelle la division des affaires juridiques européennes et internationales de l’OFPRA avait reçu le courriel  de la préfecture, au motif que cette division était « le seul service de l'Office compétent pour caractériser une fraude ».

(20 octobre 2021, M. B. c/ Cour nationale du droit d’asile, n° 439097)

 

124 - Ressortissant afghan - Demande d’asile – Transfert aux autorités allemandes saisies précédemment de cette demande – Obligation pour le préfet de s’assurer de l’absence de risque de renvoi en Afghanistan – Présomption de défaillances systémiques en Allemagne – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond, art. L. 821-2 CJA)

Un ressortissant afghan demande l’asile politique en France après l’avoir demandé en Allemagne ainsi que l’avait révélé la consultation du fichier « Eurodac ». Le préfet, appliquant les dispositions de l’art. 18.1 d) du règlement européen du 26 juin 2013, a décidé, avec l’accord des autorités allemandes, le transfert de ce ressortissant vers l’Allemagne. Sur recours de ce dernier, une cour administrative d’appel annule l’arrêté de transfert en se fondant sur ce que le préfet n’avait pas vérifié auprès des autorités allemandes que l'intéressé ne courrait aucun risque de renvoi en Afghanistan. Ce jugeant, elle appliquait les dispositions du 2 de l’art. 3 du règlement européen précité qui régissent l’hypothèse de défaillances systémiques dans la procédure d’asile en Allemagne.

L’arrêt est cassé au motif, évident, que la cour ne développe aucune raison sérieuse de croire qu’existent en Allemagne des risques de défaillances systémiques en cette matière et aussi en raison de ce que l’intéressé lui-même ne faisait état d'aucun élément particulier susceptible d'établir qu'il serait soumis en Allemagne à des traitements inhumains ou dégradants.

Usant de la procédure de l’art. L. 821-2 du CJA, le juge de cassation se prononce lui-même au fond.

(20 octobre 2021, M. A., n° 443306)

 

125 - Mesure d’éloignement d’étrangers – Obligation de quitter le territoire français – Atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale (art. 8 Convention EDH) – Annulation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce, l’arrêt qui juge que ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale, prévue à l’art. 8 de la Convention EDH, la décision d’éloignement du territoire français (OQTF) d’un couple et de leur fille alors que cette dernière, sourde-muette comme ses parents,  a fait l'objet d'une violente agression à l'arme blanche en Ukraine en 2016, à l’âge de 15 ans, agression à la suite de laquelle la protection subsidiaire lui a d'ailleurs été octroyée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile. En effet, si elle a engagé une formation en France, où elle bénéficie également d'un suivi social et psychologique, cette fille souffrait, à la date de la décision attaquée, de séquelles psychologiques résultant de ces événements, que la présence de ses parents permettait seule d'atténuer.

Statuant au fond (cf. art. L. 821-2 CJA), le juge de cassation fait injonction au préfet de réexaminer la demande de l'intéressée tendant à la délivrance d'un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la présente décision.

(25 octobre 2021, Mme A. épouse D. et M. D., n° 446527)

 

126 - Étranger demandeur d’un titre de séjour – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) – Mainlevée d’une rétention administrative – Absence d’effet sur l’arrêté portant OQTF – Atteinte au droit à une vie privée et familiale normale – Suspension de l’arrêté attaqué ordonnée.

Le juge du référé liberté était saisi en appel du recours d’un ressortissant comorien dirigé contre un arrêté préfectoral portant OQTF et sollicitant également que lui soit délivré un récépissé portant la mention « vie privée et familiale » et l'autorisant à travailler.

Sur la motivation, le jugement du tribunal administratif est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a rejeté la requête en se fondant sur le motif que le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Mamoudzou avait prononcé le 16 septembre 2021, postérieurement à la saisine du juge des référés du tribunal administratif, la mainlevée de la rétention administrative dont M. D. faisait l'objet par un arrêté préfectoral du 15 septembre 2021.

Cette mainlevée est par elle-même sans effet sur le caractère exécutoire de l'arrêté d'éloignement du même jour, seul objet de la demande de suspension sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA. Il est, par ailleurs, constant que cet arrêté n'avait pas été rapporté à la date de l'ordonnance attaquée.

Au reste, si cette ordonnance se réfère à la « pratique administrative constante » consistant en ce que le préfet renonce à la mise à exécution de la mesure d'éloignement dès lors que l'autorité judiciaire prononce la mainlevée de la mesure de rétention administrative, cette circonstance, à la supposer même établie, est sans effet sur le caractère exécutoire de l'arrêté en litige.

Sur le fond, le juge des référés du Conseil d’État estime que, dans les circonstances de l’espèce, l’arrêté litigieux porte une atteinte grave et manifestement illégale au doit du demandeur de mener une vie privée et familiale normale, qui constitue une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 CJA, alors qu’il est père de six enfants qu’il a eus de son épouse, laquelle dispose d’un titre de séjour en raison d’un enfant qu’elle a eu, né d’un père français, entre le 3ème et le 4ème enfant nés du requérant, qu’il a une vie commune continue avec cette dernière depuis douze années et participe à l’entretien de ces enfants, notamment à leurs frais de scolarité.

(ord. réf. 19 octobre 2021, M. D., n° 456948)

 

127 - Demande de visa d’entrée sur le territoire français – Refus – Recours en référé porté directement devant le Conseil d’État – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

(ord. réf. 18 octobre 2021, M. B., n° 457448)

V. n° 37

 

128 - Étranger père d’un enfant français – Algérien - Refus de renouvellement du certificat de résidence « vie privée et familiale » - Absence de soumission à la commission du titre de séjour - Accord franco-algérien du 27 décembre 1968 – Non-examen de son article 6 – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel infirmatif jugeant que le préfet a pu à bon droit refuser le renouvellement du certificat de résidence que lui demandait un ressortissant algérien père d’un enfant français sans avoir à saisir la commission du titre de séjour, alors qu’il lui incombait de rechercher si, à raison de sa nationalité, l’intéressé remplissait effectivement, ou non, les conditions de l’art. 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.

(28 octobre 2021, M. L., n° 441708)

 

Fonction publique et agents publics

 

129 - Fonctionnaire de La Poste - Carrière active - Départ en retraite anticipée pour invalidité - Absence de droit au bénéfice de l'allocation spéciale de fin de carrière (ASFC) - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (règlement de l'affaire au fond).

Pour tenir compte de ce que les fonctionnaires de La Poste ayant eu une carrière dite "active" partent plus tôt à la retraite et, de ce fait, ne bénéficient pas d'une retraite à taux plein, il leur est allouée lors de ce départ une allocation spéciale de fin de carrière (ASFC).

Toutefois, lorsque le départ à la retraite d'un agent ayant eu une carrière active est motivé par une invalidité, il ne donne pas lieu au versement de cette allocation spéciale.

Un agent a contesté, avec succès, devant un tribunal administratif, dont le jugement a été confirmé en appel, ce non-versement.

La Poste s'est pourvue et le Conseil d’État lui donne raison en relevant que la différence de traitement qui résulte, pour des agents ayant accompli des services relevant de la catégorie active, selon le motif et les conditions de départ à la retraite, est en rapport direct avec l'objet de la mesure et qu'elle est ainsi légale contrairement à ce qu'avait jugé l'arrêt d'appel confirmatif.

Usant de la procédure de l'art. L. 821-2 du CJA, le juge de cassation, après annulation de l'arrêt critiqué, se prononce au fond et donc sans renvoyer à la cour. 

(6 octobre 2021, Société La Poste, n° 437642)

 

130 - Personnel des chambres de commerce et d’industrie – Suppression de poste – Indemnité de départ - Régimes différents d’indemnisation selon la situation de l’agent au regard de la pension de retraite – Différence poursuivant un objet légitime non disproportionnée – Rejet.

Le requérant, agent d’une chambre de commerce et d’industrie, est licencié par suite de la suppression de son poste. Il conteste l’application qui lui a été faite des dispositions de l’art. 35-2 du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie. Selon ce texte, en cas de licenciement par suppression de poste il est distingué selon que l’agent licencié peut ou non bénéficier du versement d'une pension de retraite à taux plein du régime général de la sécurité sociale.

Dans le premier cas, il n’a droit qu’à l'allocation de fin de carrière, dont le montant ne peut excéder quatre mois de rémunération mensuelle indiciaire brute. Dans le second cas, il a droit à l'indemnité de licenciement pour suppression d'emploi, dont le montant est d'au moins un mois de rémunération par année d'ancienneté.

Le requérant estime cette distinction contraire aux dispositions de l’art. 1er de la loi du 27 mai 2008, portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, transposant la directive du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Selon ce texte, en matière de travail et d'emploi, une différence de traitement liée à l'âge n'est légale que si elle répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée. 

Pour juger que la disposition litigieuse du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie ne contrevient pas aux exigences de la loi et de la directive, le Conseil d’État recherche la raison de l’existence d’une dualité de régime d’indemnisation en cas de licenciement par suite de suppression d’emploi.

Cette distinction est incontestablement liée à l’âge, puisque pour obtenir une pension de retraite à taux plein du régime général de la sécurité sociale il faut nécessairement avoir atteint l’âge d’ouverture du droit à pension de retraite.

Cependant, cette distinction poursuit un objectif légitime dans la mesure où il est justifié que l’allocation de l'indemnité de licenciement pour suppression d'emploi ne soit pas versée à des agents disposant d’une retraite à taux plein et qui n’ont, par suite, pas vocation à rester sur le marché du travail, en revanche, en l’absence du bénéfice d’une retraite à taux plein, il n’est pas illégitime que cette allocation, plus généreusement calculée, soit alors versée.

Outre sa légitimité, cette solution, selon le juge, n’institue pas, entre les deux catégories d’agents concernées, une différence de traitement trop disproportionnée même s’il est exact que les pensionnés à taux plein peuvent encore, le cas échéant, continuer à cotiser auprès de régimes complémentaires de retraite.

On peut trouver quelque peu laborieuse cette défense et illustration de l’art. 35-2 du statut des personnels administratifs des chambres de commerce et d’industrie.

(11 octobre 2021, M. B., n° 440078)

 

131 - Pension de retraite des fonctionnaires – Années de services dans un emploi de catégorie active – Cas du fonctionnaire détaché sur un emploi de catégorie active alors que l’emploi occupé dans le corps d’origine n’entre pas dans cette catégorie – Prise en compte de l’exercice effectif des fonctions – Cassation sans renvoi, le Conseil d’État statuant au fond.

Les emplois de la fonction publique présentant un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles sont dits de « catégorie active » ; ils permettent une liquidation anticipée de la pension en cas d'accomplissement de quinze années de services dans lesdits emplois.

L’intéressée relevait une erreur dans le calcul de sa durée de services, estimée à moins de quinze années par le service gestionnaire car celui-ci refusait de prendre en compte deux années d’activité comme accomplies en catégorie active. Selon lui, ces deux années ont été accomplies en détachement sur un emploi qui a comporté l’exercice effectif d’une activité relevant de la catégorie active mais elles ne pouvaient être prises en compte à ce titre car son emploi dans son corps d'origine ne relevait pas de la catégorie active et ne correspondait pas à des fonctions de même nature. Le tribunal administratif a été du même avis.

Sur pourvoi le jugement est cassé au visa des art. L. 24 et L. 73 du code des pensions civiles et militaires de retraite car « les services accomplis par un fonctionnaire en détachement dans un emploi classé dans la catégorie active qui exerce effectivement des fonctions correspondant à cet emploi doivent être pris en compte au titre de cet article (24), quelles que soient les fonctions qu'il exerçait ou qu'il avait vocation à exercer dans son corps d'origine. »

La solution ainsi adoptée possède toutes les vertus de l’équité et de la logique.

(11 octobre 2021, Mme A., n°443879)

 

132 - Fonctionnaire suspendu – Expiration d’un délai de quatre mois sans intervention d’une décision de l’autorité disciplinaire – Réintégration sauf poursuites pénales – Notion – Hypothèse d’un appel contre un jugement correctionnel – Existence de poursuites pénales - Affectation provisoire possible – Absence de créance non sérieusement contestable – Rejet.

Le demandeur, conseiller principal d’éducation stagiaire, a été condamné par un jugement correctionnel à vingt mois d'emprisonnement pour des faits d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans ; il a interjeté appel de ce jugement. Le rectorat l’a suspendu temporairement de ses fonctions puis, au bout de quatre mois, il a prolongé la mesure de suspension et réduit de moitié son traitement.

Le demandeur a saisi le juge administratif d’un référé provision aux fins de se voir allouer une certaine somme.

Les premiers juges ont rejeté cette demande et le requérant se pourvoit.

Son pourvoi est, sans grande surprise, rejeté.

La question principale était de savoir si la créance prétendue du requérant sur l’État était bien, comme l’exige l’art. R. 541-1 du CJA qui régit le référé provision « non sérieusement contestable ».

L’art. 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dispose notamment : 

« (…) Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois.

Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation.

(...) Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ».

Ces règles ont été déclarées applicables aux fonctionnaires stagiaires par le décret du 7 octobre 1994 fixant les dispositions communes applicables aux stagiaires de l'État et de ses établissements publics.

En l’espèce, l’agent condamné par le juge correctionnel a interjeté appel de sa condamnation. Il se trouve donc dans la situation de l’agent déjà suspendu pendant quatre mois et dont la suspension est prolongée. Or selon le texte précité il doit être rétabli dans ses fonctions en l’absence de poursuites pénales.

L’intéressé se trouvait-il dans ce cas ? La réponse est négative en raison des termes de l’art. 6 du code de procédure pénale dont le premier alinéa dispose : « L'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu, la prescription, l'amnistie, l'abrogation de la loi pénale et la chose jugée ». Certes, en l’espèce la chose a été jugée mais en l’état de l’appel intervenu à la demande du requérant, ce texte ne s’applique pas.

L’intéressé se trouve donc dans la seconde hypothèse : à l’expiration de la suspension de quatre mois il faisait encore l’objet de poursuites pénales au sens de la loi de 1983. L’autorité rectorale, d’une part, pouvait opérer une retenue sur son traitement à partir du premier jour du cinquième mois de suspension et cette retenue ne pouvait excéder la moitié du traitement, d’autre part, pouvait refuser une affectation ou un détachement temporaire en l’état des faits reprochés et des fonctions exercées.

Dès lors la créance du requérant n’était pas « non sérieusement contestable » et son recours en référé provision ne pouvait qu’être rejeté.

(12 octobre 2021, M. B., n° 443903)

 

133 - Cour nationale du droit d’asile – Création d’un poste d’agent de prévention à temps plein – Mesure d’ordre intérieur – Irrecevabilité d’un recours contre une telle mesure – Rejet.

(13 octobre 2021, Syndicat indépendant du personnel du Conseil d'État et de la Cour nationale du droit d'asile (SIPCE), n° 433128)

V. n° 2

 

134 - Pension de retraite à taux plein – Demande d’autorisation de cumul avec des revenus perçus au titre des fonctions de secrétaire d’une fédération sportive nationale (art. L. 86, I, 3° du code des pensions civiles et militaires de retraite) – Refus – Rejet.

Retraitée à taux plein de la fonction publique d’État, la requérante a demandé à bénéficier des dispositions législatives (art. L. 86, I, 3° du code des pensions civiles et militaires de retraite) permettant le cumul de cette pension avec les revenus tirés de l’exercice des fonctions de secrétaire fédérale d’une fédération sportive nationale. Cela lui a été refusé et ce refus a été confirmé par jugement du tribunal administratif.

L’intéressée se pourvoit.

La disposition de l’art. 86 invoquée au soutien du pourvoi est ainsi libellée :

« I. - Par dérogation aux dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 84 et de l'article L. 85, les revenus perçus à l'occasion de l'exercice des activités suivantes peuvent être entièrement cumulés avec la pension : (...)

Participation (...) à des instances consultatives ou délibératives réunies en vertu d'un texte législatif ou règlementaire. »

Pour rejeter le recours et confirmer la solution des premiers juges, le Conseil d’État retient qu’il résulte de ce texte que seuls les revenus perçus au titre de la participation aux instances consultatives et délibérantes créées par un texte législatif ou réglementaire peuvent être entièrement cumulés avec une pension servie en application du code des pensions civiles et militaires de retraite. Or en l’espèce, « la seule circonstance que le cadre juridique des fédérations sportives soit défini par la loi, que celle-ci leur confie une mission de service public et que l'obtention de l'agrément délivré par le ministre des sports soit subordonné notamment à la condition que leurs statuts comportent un certain nombre de dispositions obligatoires relatives notamment au fonctionnement de leurs instances dirigeantes ne saurait faire regarder celles-ci comme étant réunies en vertu d'un texte législatif ou réglementaire au sens des dispositions du 3° du I de l'article L. 86 (précité) ».

La solution semble sévère à la fois au regard de la lettre du texte que, surtout, de son esprit.

(13 octobre 2021, Mme F., n° 438803)

 

135 - Pension de réversion d’un fonctionnaire – Conjoint ayant contracté, en vertu de son statut personnel résultant d’une loi étrangère, un second mariage avant le décès de sa précédente épouse – Droit à pension suspendu – Possibilité de recouvrer ce droit à la cessation du second mariage – Rejet.

Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif de Marseille d’avoir jugé que le conjoint – titulaire d’une pension de réversion - qui, en vertu de la loi étrangère qui lui est applicable, contracte un second mariage avant le décès de sa précédente épouse, doit voir suspendu son droit à pension de réversion. Il peut cependant le recouvrer en cas de cessation du second mariage.

(13 octobre 2021, M. O., n° 441390)

 

136 - Fonction publique hospitalière – Révocation d’un agent – Procédure disciplinaire – Communication de l’avis émis par le conseil de discipline postérieurement à la décision infligeant une sanction – Absence d’irrégularité – Rejet.

Le requérant, fonctionnaire hospitalier, qui a fait l’objet de la très grave sanction de la révocation contestait la régularité de la procédure suivie en ce que l’autorité investie du pouvoir disciplinaire ne lui avait communiqué l’avis de la commission de discipline qu’après qu’a été prise la décision de sanction.

Le Conseil d’État estime que le défaut de communication de cet avis avant le prononcé de la décision de sanction n’entache pas la légalité de cette dernière.

On peut ne pas être d’accord avec cette solution.

(15 octobre 2021, M. F., n° 444511)

 

137 - Accès à divers emplois supérieurs de l’État – Accès aux fonctions de magistrats au Conseil d’État et la Cour des comptes – Ordonnance du 2 juin 2021 – Questions prioritaires de constitutionnalité – Rejet de la plupart d’entre elles sauf deux.

Les organisations requérantes, composées de membres des juridictions administratives et comptables, avaient saisi le Conseil d’État de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité dirigées contre des dispositions de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'Etat prise sur le fondement de l'habilitation prévue par les dispositions de l'article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et prolongée par celles de l'article 14 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19. 

A l‘occasion de l’examen de ces requêtes qui ont été jointes bien que ne comportant qu’en partie des demandes identiques, le Conseil d’État est amené à préciser un certain nombre de points importants.

 

Sur l’atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité, le grief est rejeté.

Tout d’abord, et l’on pouvait d’ailleurs s’en douter depuis longtemps, la circonstance que les dispositions critiquées de l’ordonnance du 2 juin 2021 (7° de l'article 7 de l'ordonnance, du 13° de l'article 7 en tant qu'il crée les articles L. 133-12-1 et L. 133-12-2 du code de justice administrative, du a) du 1° de l'article 8 et du 2° de l'article 8 en tant qu'il crée l'article L. 112-3-1 du code des juridictions financières) mettent fin au recrutement direct des auditeurs parmi les anciens élèves de l'École nationale d'administration selon les règles propres au classement des élèves de cette école ne porte pas, par elle-même, atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité, indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles, consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789. 

Ensuite, ne porte pas davantage atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité le fait que les nominations des auditeurs soient faites par le vice-président du Conseil d'Etat ou par le premier président de la Cour des comptes. Ces nominations ont lieu après avis de comités consultatifs sur l'aptitude des candidats à exercer les fonctions d'auditeur et, durant l'exercice de leurs fonctions, les auditeurs sont soumis aux mêmes droits, garanties et obligations que les membres du Conseil d'État ou de la Cour des comptes, dont l'ensemble des règles qui régissent l'exercice de fonctions juridictionnelles et le respect des principes déontologiques propres à l'exercice des fonctions de membre du Conseil d'Etat ou de la Cour des comptes. 

 

Sur la liste des personnes susceptibles d'être nommées en qualité de maître des requêtes en service extraordinaire par le vice-président du Conseil d'État pour exercer les fonctions dévolues aux maîtres des requêtes, il est jugé que le 11° de l’art. 7 de l’ordonnance attaquée ne porte pas atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution car, d’une part, ces recrutements n’ont lieu que pour une durée qui est limitée et qui ne peut excéder quatre années, et, d’autre part, les personnes nommées sont soumises aux mêmes droits, garanties et obligations que les autres membres du Conseil d'État, dont l'ensemble des règles qui régissent l'exercice de fonctions juridictionnelles et le respect des principes déontologiques propres à l'exercice des fonctions de membre du Conseil d'État. De plus, l’ordonnance renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les conditions de leur application, au nombre desquelles figurent les règles présidant à la reprise, par ces personnes, d'une activité professionnelle lorsque leurs fonctions au Conseil d'État prennent fin.

 

S’agissant de l’obligation de mobilité, considérée ici par le Conseil d’État comme ne s’appliquant qu’à l’avancement des magistrats administratifs, elle ne porte pas atteinte au principe que les fonctions juridictionnelles sont, normalement, exercées par des personnes qui entendent y consacrer leur vie professionnelle. Elle n’est pas, non plus, contraire, par elle-même, aux principes d'indépendance et d'impartialité dans l'exercice des fonctions juridictionnelles, au principe d'égalité devant la loi qui n'impose pas de prendre en compte les différences de situation pouvant exister entre les magistrats tenus d'effectuer une mobilité et découlant de leur situation familiale ou du lieu d'exercice de leurs fonctions.

Enfin, pas davantage ne porte atteinte au principe d'indépendance la mobilité instaurée par les dispositions critiquées du code des juridictions financières.

 

S’agissant de la création d’une voie particulière d'accès aux fonctions de maître des requêtes en service extraordinaire au Conseil d'Etat et de conseiller référendaire en service extraordinaire à la Cour des comptes dans le cadre d'une procédure de sélection relevant de l'Institut national du service public, les griefs ne sont pas, non plus, retenus car celle-ci est très encadrée (fixation du nombre de recrutements, spécificité des modalités d’intégration, renvoi à un décret du soin de fixer la composition du jury de sélection des candidats à cette voie de recrutement) et présente toutes garanties.

(12 octobre 2021, Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'Ecole nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), 455150, jonction)

V. aussi, pour les QPC renvoyées, le n° 153

 

138 - Fonctionnaire territorial – État anxio-dépressif – Détermination de l’éventuelle imputabilité au service de cet état – Erreur de droit – Annulation.

Un fonctionnaire se plaint de ce que les conditions dans lesquelles a été appréciée sa manière de servir sont à l’origine de son état dépressif et a sollicité du syndicat mixte la reconnaissance de son état comme imputable au service.

La cour administrative d’appel a retenu deux éléments pour dire cette situation imputable au service : 1°) l'intéressé, qui ne présentait pas d'état anxio-dépressif antérieur, a vu sa manière de servir contestée à la suite du changement de président et de directrice du syndicat mixte employeur au début de l'année 2012, d’où une situation professionnelle très tendue qui a pu, dans les circonstances de l'espèce, être à l'origine d'une pathologie anxio-dépressive ; 2°) il résulte de nombreux avis médicaux l’existence d’un lien direct et certain entre l’activité professionnelle de l’intéressé le syndrome anxio-dépressif dont il est atteint.

Saisi d’un pourvoi du syndicat mixte dirigé contre cet arrêt le Conseil d’État rappelle d’abord le modus operandi ordinaire dans ces sortes de litiges ; il se décline en deux propositions.

En principe, doit être considérée comme imputable au service une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause.

Par exception, l’imputabilité n’a pas lieu si un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

En l’espèce, le Conseil d’État relève une erreur de droit dans l’appréciation positive par la cour de l’existence d’une imputabilité au service. En effet, ce jugeant, elle n’a pas tenu compte de ce que le syndicat mixte affirmait que l’agent avait adopté dès le changement de président et de directrice du syndicat une attitude systématique d'opposition. Or, il incombait à la cour de rechercher si ce comportement était avéré et s'il était la cause déterminante de la dégradation des conditions d'exercice professionnel de l’intéressé susceptible de constituer dès lors un fait personnel de nature à détacher la survenance de la maladie du service.

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation.

(22 octobre 2021, Syndicat mixte, n° 437254)

 

139 - Fonctionnaire territorial – Mise en disponibilité pour convenances personnelles – Demande de réintégration – Absence d’emploi vacant de son grade – Maintien en disponibilité – Proposition postérieure d’emplois – Choix de l’un d’entre – Demande de réparation du chef de préjudices subis du fait d’une réintégration tardive – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

Cette affaire est l’illustration d’une situation classique née de la difficulté pour un agent public bénéficiaire d’une mise en disponibilité pour convenances personnelles de réintégrer un emploi correspondant à son grade.

En l’espèce, l’intéressé avait sollicité sa réintégration le 11 avril 2012 pour prendre effet au 1er octobre 2012. Après lui avoir répondu qu’aucun emploi de son grade n’était vacant, il lui a été proposé, d’avril 2013 à novembre 2014, sept postes, l’intéressé a manifesté son intérêt pour trois d’entre eux et a été réintégré le 5 janvier 2015. Il a saisi le juge administratif d’une demande de réparation des préjudices financier et moral subis du fait de sa réintégration tardive à l'issue de sa période de disponibilité et du retard dans le versement de l'allocation d'aide au retour à l'emploi.

Sa requête est rejetée en première instance et en appel.

Sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel.

Sont d’abord rappelées les exigences s’imposant à l’administration saisie d’une demande de réintégration : le fonctionnaire mis en disponibilité pour convenances personnelles a droit, sous réserve de la vacance d'un emploi correspondant à son grade, à obtenir sa réintégration à l'issue de la période de disponibilité. Si le délai dans lequel doit intervenir cette réintégration n’est pas fixé par les textes, celui-ci doit être raisonnable en fonction des vacances d'emplois qui se produisent. Si la collectivité concernée constate n’être pas en mesure de proposer un emploi correspondant à son grade à la date de la demande de réintégration, elle doit saisir, sauf réintégration possible à bref délai, le Centre national de la fonction publique territoriale ou le centre de gestion local afin qu'il lui propose tout emploi vacant correspondant à son grade.

En l’espèce, l’arrêt d’appel est annulé pour dénaturation des pièces du dossier et pour erreur de droit.

Dénaturation d’abord car la cour, alors que douze emplois ont été déclarés vacants entre le 1er octobre 2012, date pour laquelle l'intéressé avait demandé sa réintégration, et la première proposition de poste qui lui a été faite, le 8 avril 2013, a jugé qu’il n’y avait eu aucun dépassement de la durée raisonnable du délai pour procéder à la réintégration.

Erreur de droit ensuite car la cour n’a aperçu aucune faute envers l’intéressé dans le fait que la collectivité employeur n’a pas saisi le centre de gestion alors qu'elle considérait ne pas être en mesure de lui proposer un poste correspondant à son grade à la date de réintégration demandée ou de procéder à sa réintégration à bref délai après cette date.

(22 octobre 2021, M. B., n° 442162)

 

Hiérarchie des normes

 

140 - Conventions et traités internationaux - Dispositions invocables ou non - Distinction entre dispositions d'effet direct et dispositions sans effet direct - Régime de l'exception d'inconventionnalité - Traités européens - Régime de l'invalidité d'actes de l'Union au regard du droit de l'Union - Compétence du juge national pour rejeter une action ou une exception en invalidité mais non pour l'admettre - Rejet.

Les requérants invoquaient, notamment, à l'encontre de diverses décisions (arrêté du 30 décembre 2019 de la secrétaire d’État auprès du ministre de l'économie et des finances, puis décisions de l'ARCEP, prises sur le fondement de cet arrêté du 31 mars et du 20 octobre 2020 ainsi que du 12 novembre 2020) intervenues pour définir les modalités et conditions d'attributions des autorisations d'utlisation de fréquences sur la bande 3,5 GHz.

Selon eux, l'arrêté du 30 décembre 2019, d'une part,  a été pris pour la transposition de l'art. 54 de la directive du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen, alors que cet article est invalide pour contrariété au droit de l'Union et, d'autre part, l'art. L. 32-1 du code des postes et communications électroniques, dont l'arrêté litigieux fait application, est contraire à l'art. 6 de la convention d'Aarhus (25 juin 1998) sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement.

Sur le premier point, le Conseil d’État rappelle le mécanisme existant en cas d'invocation de l'invalidité d'un acte de l'Union au droit de l'Union. Le juge national est compétent pour rejeter l'action ou l'exception en invalidité d'un acte de l'Union fondée sur sa contrariété au droit de l'Union. En revanche, seules les juridictions de l'Union sont compétentes pour constater l'invalidité d'un tel acte. Toutefois, comme les particuliers, personnes physiques ou personnes morales, ne peuvent pas saisir le juge de l'Union d'une action en invalidité de l'acte, il leur incombe de saisir d'une exception d'invalidité, donc à titre incident, le juge de l'Union ou le juge national qui pourra, le cas échéant adresser une question préjudicielle à la CJUE.

Sur le second point, on sait que l'invocation par les requérants de stipulations d'un traité international est impérativement subordonnée à ce que ces stipulations soient d'effet direct. Celles ne produisant pas un tel effet ne peuvent être invoquées devant le juge.

Le Conseil d’État, depuis une fondamentale décision (Assemblée, 11 avril 2012, Groupe d'information et de soutien des immigrés et Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement, n° 322326, Rec. p. 142), examine si la stipulation en cause est d'effet direct,  c'est-à-dire que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elle n'a pas pour objet exclusif de régir les relations entre États et ne requiert l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers. A défaut, la stipulation n'a pas d'effet direct, étant rappelé, comme dans la décision de 2012 précitée, que « L'absence de tels effets ne saurait être déduite de la seule circonstance que la stipulation désigne les États parties comme sujets de l'obligation qu'elle définit. »

Ici, il est jugé qu'est d'effet direct le a) du § 1er de l'art. 6 de la Convention d'Aarhus lu en combinaison avec l'annexe I à cette convention mais non le b) de ce même paragraphe. Par suite, il ne saurait être soutenu que l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques serait incompatible avec ces dernières stipulations.

(6 octobre 2021, Associations Pour Rassembler, Informer et Agir contre les Risques liés aux Technologies ElectroMagnétiques (PRIARTEM) et Agir pour l'environnement, n° 446302 et n° 446494 ; Mme D. et autres, n° 446643 ; M. O. et autres, n° 452518, n° 452520, n° 452522 et n° 452524)

 

Libertés fondamentales

 

141 - Association dispensatrice de formation professionnelle – Organisme soumis à l’enregistrement de son activité – Annulation de cet enregistrement – Conditions – Absence en l’espèce – Annulation.

Les organismes qui réalisent des prestations de formation professionnelle continue (cf. art. L. 6313-1, code du travail) doivent souscrire une déclaration préalable d'activité comportant diverses informations portées à la connaissance de l'administration et que celle-ci enregistre. Toutefois, il n’y a pas lieu à enregistrement en l'absence de conformité des prestations envisagées ou des conditions de leur réalisation aux dispositions législatives régissant de telles prestations, ou en l'absence de production des pièces justificatives. Il en va de même si l’organisme de formation exerce une activité illicite ; en ce cas il ne saurait relever de la formation professionnelle continue au sens de l'article L. 6313-1 du code du travail, ni par suite donner lieu à enregistrement lorsque ce caractère illicite ressort de la déclaration souscrite par l’organisme de formation.

S’il apparaît par la suite, après que l’enregistrement d’activité a eu lieu, une absence de conformité des prestations réalisées, des conditions de leur réalisation ou du fonctionnement de l'organisme de formation aux dispositions régissant cette activité, l'enregistrement de la déclaration d'activité peut être annulé par l'autorité administrative, pour l'avenir.

Il s’agit là d’une mesure de police qui ne fait pas obstacle par elle-même au dépôt, sans délai, d'une nouvelle déclaration et à un nouvel enregistrement.

L’enregistrement de la déclaration d’activité est créateur de droits, sauf en cas de fraude, il ne peut donc être annulé, au-delà d'un délai de quatre mois (art. L. 6351-4 c. travail), que pour un motif reposant sur une circonstance postérieure à l'enregistrement ou que l'administration n'était pas en mesure de retenir à cette date au vu de la déclaration préalable. 

C’est donc par suite d’une erreur de droit qu’en l’espèce une cour administrative d’appel a jugé que l’annulation par le préfet d’un enregistrement d’activité pouvait être fondée sur ce que, au vu du contenu des supports pédagogiques, la formation délivrée n'entrait pas dans le champ de la formation professionnelle continue. En effet, dès lors que l'activité faisant l'objet de la formation n'était pas illicite et que l'association requérante faisait valoir que le contenu de la formation dispensée et les supports utilisés étaient restés inchangés depuis leur création, la décision attaquée d’annulation de l’enregistrement, portait atteinte aux droits acquis de la requérante.

La cour ne pouvait donc pas retenir un tel motif comme justifiant légalement l'annulation par le préfet de l'enregistrement de la déclaration d'activité de l'association requérante, sans rechercher si ce motif n'était pas de nature à remettre en cause les droits que l'association tenait de cet enregistrement. 

(20 octobre 2021, Association Institut de reiki, n° 440377)

 

Police

 

142 - Taxis - Décret prohibant la « maraude électronique » - Annulation par le Conseil d’État pour contrariété à une directive de l'Union - Arrêt de la CJUE jugeant hors du champ de la directive le comportement litigieux - Conséquences à tirer de cet arrêt - Obligation d'intervention du pouvoir réglementaire - Rejet.

Un décret du premier ministre avait sanctionné d'une amende pour contravention de la cinquième classe la pratique dite de « maraude électronique » qui consiste pour un taxi à informer un client, avant réservation, à la fois de la localisation et de la disponibilité d'un véhicule quand il est situé sur la voie ouverte à la circulation publique sans que son propriétaire ou son exploitant soit titulaire d'une autorisation de stationnement. Le Conseil d’État, jugeant que cette disposition constituait une « règle technique » au sens du droit de l'Union européenne, l'a annulée pour n'avoir pas été soumise préalablement à son édiction à la procédure d'information de la Commission européenne prévue par la directive du 22 juin 1998.

En conséquence, le décret du 6 avril 2017 a excepté du champ d'application de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, le fait de « maraude électronique ».

Cependant, la CJUE (20 décembre 2017, Asociación Profesional Elite Taxi contre Uber Systems Spain SL, aff. C-434/15), statuant en grande chambre, a jugé, contrairement à la solution retenue par le Conseil d’État, que s'agissant d'un tel service d'intermédiation, il doit être considéré comme relevant de la qualification de « service dans le domaine des transports » et, par conséquent, comme exclu du champ d'application de la directive du 9 septembre 2015, qui remplace celle du 22 juin 1998.

La fédération requérante a saisi le Conseil d’État d'un recours tendant principalement à l'annulation du refus implicite du premier ministre de prendre un nouveau décret sanctionnant la pratique illicite de la « maraude électronique », en application du 1° du III de l'article L. 3120-2 du code des transports, et de l'indemniser des préjudices subis. Elle estime, en effet, que, par suite de l'arrêt précité de la CJUE, il incombait nécessairement au premier ministre de rétablir la disposition de l'article R. 3124-11 du code des transports punissant de l'amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe le fait de contrevenir à l'interdiction de la maraude électronique. Elle considère, d'une part, que cette interdiction ne serait pas effective si elle ne s'accompagnait pas d'une telle sanction, d'autre part, que l'absence d'intervention du pouvoir réglementaire pour sanctionner l'usage illicite de la maraude électronique était fautive et enfin qu'elle lui avait causé un préjudice moral.

Le recours est rejeté au double motif :

1°/ que le pouvoir réglementaire n'était pas tenu d'adopter un tel décret, l'entrée en vigueur de cette interdiction n'étant pas manifestement impossible en l'absence de telles dispositions règlementaires ;

2°/ que cette abstention n'a pas pour effet de priver la loi d'effectivité car la méconnaissance de la réglementation applicable à la profession par le conducteur d'un véhicule de transport public particulier de personnes est soumise, de manière générale, aux sanctions administratives prévues par l'article L. 3124-11 du code des transports. 

On avouera ne pas bien comprendre comment l'abstention d'instituer la sanction pénale d'une interdiction législative est, en quelque sorte, « compensée » par l'existence d'une sanction administrative.

(4 octobre 2021, Fédération française des taxis de province, n° 439249)

 

143 - Police du renseignement – Contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat – Questions préjudicielles à la CJUE – Inopérance de certains moyens – Droit au recours effectif – Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2015-1211 du 1er octobre 2015 relatif au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat.

Le Conseil d’État a écarté tous les moyens dont il était saisi sauf ceux tirés de la méconnaissance du droit de l’Union pour lesquels il a posé trois questions préjudicielles à la CJUE. Celle-ci a répondu par un arrêt de grande chambre du 6 octobre 2020, La Quadrature du Net, French Data Network, Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs et Igwan.net, aff. C-511-18, C-512-18 et C-520-18.

Vidant le litige, le Conseil d’État se prononce sur trois points.

Tout d’abord, il juge inopérants les moyens fondés sur la contrariété d’une disposition législative (L. 811-4, L. 851-1 à L. 851-4 et L. 854-1 du code de la sécurité intérieure) au droit de l’Union lorsque l’acte réglementaire déféré à la censure du juge n’a pas été pris pour l’application de cette disposition législative ou ne trouve pas en celle-ci sa base légale. C’est là le rappel d’une solution classique et bien établie. Or, en l’espèce, les dispositions critiquées ont été prises par un décret les insérant dans le code de justice administrative, au Titre VII, dans un chapitre III bis relatif au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat et afin de préciser les dispositions législatives du code sur ce point. Il en va de même de la critique fondée sur l’absence de contrôle de l'exploitation des données collectées par les services de renseignement sur le fondement du livre VIII du code de la sécurité intérieure ainsi que de l’absence de contrôle de la conservation et de l'exploitation des données qui leur sont transmises par des services étrangers, dans la mesure où il est allégué que cela violerait le droit de l’Union alors, au contraire, que ces dispositions sont expressément exceptées de ce droit par l'article 1er, paragraphe 3 de la directive du 12 juillet 2002.

Ensuite, sont rejetés les griefs dirigés contre le non-respect par les dispositions du décret attaqué du droit au recours effectif garanti par l’art. 47 de la Charte des droits fondamentaux. Pour rejeter cette argumentation, le Conseil d’État s’appuie sur la portée donnée à ce texte par la jurisprudence de la CJUE (4 juin 2013, ZZ c./ Secretary of State for the Home Department, aff. C-300-11). Il suit de là, selon lui, que ni en ce qu’elles régissent les conditions de la saisine de la formation spécialisée du Conseil d’État, ni en ce qu’elles déterminent les conditions dans lesquelles celle-ci doit remplir son office, les dispositions législatives en cause ne sont contraires au droit de l’Union.

Les recours joints sont rejetés.

(14 octobre 2021, Association La Quadrature du Net et autres, n° 394925)

 

144 - Police des immeubles insalubres – Arrêté préfectoral d’interdiction d’occupation d’un immeuble inoccupé et libre de location – Fixation des travaux à réaliser pour en permettre la réoccupation – Immeuble devenu sécurisé et ne constituant pas un danger pour la santé ou la sécurité des voisins – Effets sur les mesures prescrites – Annulation des mesures par le juge – Erreur de droit – Annulation.

L’art. 1331-28 du code de la santé publique, dispose en son II, qu’un arrêté préfectoral peut interdire l’habitation d’un immeuble ou d’un logement inoccupé et libre de location s’il ne constitue pas un danger pour la santé et la sécurité et préconiser les travaux à réaliser pour que puisse être levée cette interdiction. Toutefois, tant que ce bien n’est pas, après cet arrêté, remis en location ou à disposition pour être occupé, le propriétaire n’est pas tenu de faire effectuer les travaux préconisés. En revanche, ces travaux doivent précéder toute remise du bien en location ou à disposition sauf pour le préfet à lever l’interdiction qu’il a édictée.

En l’espèce, des propriétaires contestaient l’arrêté préfectoral déclarant un immeuble en état d’insalubrité remédiable et prescrivant la réalisation sous quatre mois des mesures propres à remédier à cette situation. Le tribunal, saisi par les propriétaires, a rejeté leur demande tandis que la cour administrative d’appel, annulant ce jugement, a annulé l’arrêté préfectoral litigieux.

La ministre de la santé se pourvoit.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit  car le juge saisi d’un recours contre un tel arrêté, s’il doit vérifier, à la date où il se prononce, que l'immeuble ou le logement, qui ne constitue pas un danger pour la santé et la sécurité du voisinage, est inoccupé et libre de location, et s’il peut, le cas échéant, décider que soit différée l'échéance fixée dans l'arrêté d'insalubrité pour prendre les mesures nécessaires à l'occupation de l'immeuble ou du logement, ne peut, en revanche, décider, pour ce motif, l'annulation des mesures fixées dans cet arrêté.

(29 octobre 2021, M. C. et Mme C., n° 443163)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

145 - ndemnisation des victimes d'essais nucléaires français - Élargissement par la loi du 28 décembre 2018 de la possibilité, pour l'administration, de combattre la présomption de causalité instituée par la loi du 5 janvier 2010 modifiée - Loi du 17 juin 2020 donnant une portée rétroactive au b du 2° du I de l'art. 232 de la loi de 2018 - Question présentant un caractère sérieux - Transmission d’une QPC.

Présente un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de la conformité à la garantie des droits découlant de l'art. 16 de la Déclaration de 1789, de l'art. 57 de la loi du 17 juin 2020 en tant qu'il prive rétroactivement les victimes des essais nucléaires et leurs ayants-droit ayant déposé leur demande d'indemnisation avant l'entrée en vigueur de la loi du 28 décembre 2018 de l'application des conditions d'indemnisation plus favorables prévues par le I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017.

(5 octobre 2021, Mme B. veuve A., n° 451407)

 

146 - Régime de la négociation et des accords collectifs dans la fonction publique (ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021) - Dénonciation des accords conclus subordonnée à la représentativité syndicale - Risques liés à l'évolution de cette représentativité - Atteinte à la liberté syndicale - Transmission d'une QPC.

Le Conseil d’État était saisi de trois QPC dirigées contre diverses dispositions de l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique. S'il rejette deux d'entre elles, il retient la troisième qui est tirée de l'inconstitutionnalité du III de l'article 8 octies de la loi du 13 juillet 1983 dans la version qui lui a été donnée par l'ordonnance précitée.

Est jugée présenter un caractère sérieux la critique des organisations requérantes à l'encontre de cette disposition en tant qu'elle conditionne la dénonciation des accords conclus à des conditions de représentativité et en limitent la faculté aux seules organisations signataires car, notamment en cas de modification de la représentativité des organisations syndicales à l'issue d'un nouveau cycle électoral, cette disposition peut conduire à priver les organisations représentatives non signataires de toute possibilité de dénonciation de ces accords, portant ainsi atteinte à la liberté syndicale. Ce moyen est jugé sérieux en tant qu'il repose sur les principes énoncés au sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

(5 octobre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État CGT et autres, n° 451784)

 

147 - Permis de construire affecté d’un vice régularisable (art. L. 600-5-1 c. urb.) – Obligation pour le juge d’inviter à régulariser – Absence d’obligation parallèle pour le juge en cas de demande d’annulation d’un refus de permis de construire – Atteinte au principe d’égalité devant la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif – QPC sur ces fondements - Situations différentes – Possibilité de soumettre à tout moment une nouvelle demande de permis et d’en attaquer le refus – Rejet.

Le Conseil d’État refuse de transmettre une QPC tirée de ce que porte atteinte au principe d’égalité devant la justice comme au droit à un recours juridictionnel le fait que l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme s’il oblige le juge saisi d’un recours contre l’octroi d’un permis de construire affecté d’un vice régularisable à inviter son bénéficiaire à en rechercher la régularisation, ne prévoit en revanche pas une telle obligation pour le juge saisi d’un recours en annulation d’un refus de permis de construire.

Outre qu’il s’agit de deux situations dissemblables et que l’on voit mal comment régulariser un refus de permis, le juge rappelle aussi qu’il est loisible à tout moment à l’intéressé de former une demande de permis et de rechercher ensuite, le cas échéant, l’annulation de son refus.

(7 octobre 2021, M. A., n°451827)

 

148 - Police spéciale des substances vénéneuses – Défaut d’encadrement du pouvoir réglementaire y relatif par le législateur – Atteinte à la liberté d’entreprendre – Question présentant un caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la question de savoir si les dispositions des art.  L. 5132-1, L. 5132-7 et L. 5132-8 du code de la santé publique portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire, par le classement des plantes, substances ou préparations dans les catégories des substances stupéfiantes ou psychotropes ou par leur inscription sur les listes I et II figurant à l’art. L. 5132-6 précité, sans l'encadrer, la définition du champ d'application de la police spéciale des substances vénéneuses qui lui confère par ailleurs des pouvoirs étendus, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes la liberté d'entreprendre.

(8 octobre 2021, Association française des producteurs de cannabinoïdes, n° 455024)

 

149 - QPC - Régime transitoire des plans d’occupation des sols (POS) en vue de leur transformation en plans d’urbanisme (PLU) – Maintien en vigueur des dispositions relatives aux anciens POS – Dispositions combinées des art. L. 123-1 et L. 174-4 c. urb.) - Traitement différent des propriétés foncières en matière de superficie minimale des terrains constructibles – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission de la QPC.

(11 octobre 2021, M. B., n° 451628)

V. n° 186

 

150 - Cession à titre onéreux de certains titres ou valeurs ou d’une fiducie – Imposition des gains nets – Soumission à l’impôt sur le revenu – Absence de prise en compte des facultés contributives des contribuables – Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Est jugée sérieuse et transmise au Conseil constitutionnel, la question de l’atteinte portée aux droits et libertés, en particulier au principe d’égalité devant l’impôt,  que garantit la Constitution, par les dispositions du I de l’art. L.150-0 A du CGI en tant que, pour l’imposition à l’impôt sur le revenu des gains nets tirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement, par personne interposée ou par l'intermédiaire d'une fiducie, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, il n’est pas tenu compte des facultés contributives des contribuables ainsi assujettis.

(13 octobre 2021, M. et Mme D., n° 452773)

 

151 - Dégâts causés aux cultures et récoltes agricoles par le grand gibier – Réparation mise à la charge des fédérations départementales de chasseurs - Atteintes au principe d’égalité – Question présentant un caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Est jugée présenter un caractère sérieux et est transmise au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que diverses dispositions du code de l’environnement font reposer sur les fédérations départementales de chasseurs la charge de la réparation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles.

(15 octobre 2021, Fédération nationale des chasseurs, n° 454722)

 

152 - Mineur ayant obtenu la nationalité française – Reconnaissance frauduleuse de paternité – Éloignement du parent étranger par refus du séjour ou obligation de quitter le territoire français (OQTF) – QPC dépourvue de caractère sérieux – Refus de transmission.

La requérante se plaignait de l’atteinte porté à de nombreux droits et libertés que la Constitution garantit par les dispositions du CESEDA, telles qu’interprétées par le Conseil d’État, régissant les refus de séjour et les OQTF.  En particulier elle reproche à ces dispositions de ne pas faire obstacle à l'éloignement du parent étranger qui exerce seul l'autorité et la garde de son enfant mineur ayant obtenu la nationalité française à raison d'une reconnaissance de paternité frauduleuse et ce, alors même que l'enfant serait toujours légalement détenteur de cette nationalité en l'absence de décision judiciaire définitive la lui retirant, et serait donc appelé, sauf à être abandonné, à suivre son parent étranger, revenant ainsi à éloigner du territoire un ressortissant français.

Visiblement quelque peu agacé, le Conseil d’État rejette la demande de transmission de la QPC qui est dépourvue de caractère sérieux car, fait-il sèchement et fermement remarquer, « Aucun des principes constitutionnels invoqués ne fait obstacle, par principe, à ce que l'autorité administrative, même en l'absence de texte l'y autorisant expressément, puisse rejeter une demande entachée de fraude à la loi ou refuser, pour l'application de dispositions de droit public, de tirer les conséquences d'un acte de droit privé opposable aux tiers entaché de fraude à la loi. »

(15 octobre 2021, Mme G., n° 454706)

 

153 - Accès à divers emplois supérieurs de l’État – Accès aux fonctions de magistrats au Conseil d’État et la Cour des comptes – Ordonnance du 2 juin 2021 – Questions prioritaires de constitutionnalité – Rejet de la plupart d’entre elles sauf deux.

Les organisations requérantes avaient saisi le Conseil d’État de plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité dirigées contre des dispositions de l’ordonnance n° 2021-702 du 2 juin 2021 portant réforme de l'encadrement supérieur de la fonction publique de l'Etat. 

Si la plupart de ces questions n’ont pas été jugées devoir être transmises au Conseil constitutionnel, ce n’est pas le cas de deux d’entre elles.

En premier lieu, est jugée nouvelle et de caractère sérieux la question de savoir si l’art. 6 de l’ordonnance précitée ne porte pas atteinte au principe d'indépendance, de valeur constitutionnelle, applicable aux membres de services d'inspection générale (cf. art. 15 et 16, Déclaration de 1789), dont la mise en œuvre relèverait des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l'Etat, en vertu de l'art. 34 de la Constitution, alors même que le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de faire application des articles 15 et 16 de la Déclaration de 1789.

En second lieu, sont jugés devant également être transmis les moyens selon lesquels les dispositions introduites par le 13° de l'article 7 de l'ordonnance et le 16° de son article 8, en ce qu'elles prévoient une composition paritaire des commissions d'intégration (des auditeurs au grade des maîtres des requêtes au Conseil d’État et des auditeurs au grade de conseiller référendaire à la Cour des coptes) sans désigner leur président ni fixer les règles de départage des voix de leurs membres, seraient entachées d'une incompétence négative de nature à priver de garanties légales les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, notamment les principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles. 

(12 octobre 2021, Union syndicale des magistrats administratifs (USMA), n° 454719 ; Syndicat de la juridiction administrative, n° 454775 ; Association des anciens élèves de l'École nationale d'administration (AAEENA) et autres, n° 455105 ; Association des magistrats de la Cour des comptes (AMCC), 455150, jonction)

V. aussi, pour les questions non renvoyées, le n° 138

 

154 - Arrêté préfectoral ordonnant le prélèvement de sangliers sur une propriété privée - Application de l’art. L. 425-5-1 du code de l’environnement – Atteinte à la liberté de conscience – Transmission de la QPC.

Le Conseil d’État était saisi, sur renvoi d’un tribunal administratif, d’une QPC portant sur le point de savoir si l’art. L. 425-5-1 du code de l’environnement n’est pas contraire à un droit ou une liberté que garantit la Constitution en tant qu’il porterait atteinte à la séparation des pouvoirs, au droit à un recours juridictionnel effectif, à l’art. 2 de la Charte de l’environnement et à la liberté de conscience.

Selon ce texte « Lorsque le détenteur du droit de chasse d'un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l'indemnisation mentionnée à l'article L. 426-1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l'article L. 421-5.

Lorsque l'équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de ce territoire, le représentant de l'Etat dans le département, sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs ou de la chambre départementale ou interdépartementale d'agriculture, après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage réunie dans sa formation spécialisée pour l'indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d'animaux à prélever dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée au premier alinéa. »

Pour juger de caractère sérieux la question ainsi posée, le Conseil d’État retient principalement, parmi les quatre droits ou libertés invoqués au soutien de la requête, la liberté de conscience.

Voilà une « belle » QPC.

(27 octobre 2021, Société civile immobilière du Mesnil (SCIAM), n° 455017)

 

155 - Bail rural – Résiliation – Nécessité d’une autorisation administrative préalable – Absence de détermination légale des conditions d’octroi ou de refus de l’autorisation – Incompétence négative du législateur affectant le droit de propriété et la liberté contractuelle – Jurisprudence constante obviant ce silence – Refus de transmission de la QPC.

La solution qui suit, refusant la transmission d’une QPC, est quelque peu acrobatique.

Les requérants contestaient la conformité à la Constitution d’une incompétence négative de la loi de nature à affecter le droit de propriété et la liberté contractuelle. Selon eux, la disposition du code rural et de la pêche maritime (art. L. 411-32) obligeant le propriétaire d’un bien donné à bail rural qui désire le résilier à obtenir une autorisation administrative à cet effet est entachée d’incompétence négative en ce qu’elle ne prévoit pas les conditions d’octroi ou de refus par l’administration de cette autorisation. Ils soutenaient que de cette incomplétude de la loi découlait directement l’atteinte au droit et à la liberté susindiqués. L’argumentation ne manquait pas d’une certaine logique.

Pour refuser la transmission de la QPC, le Conseil d’État relève qu’ « Il résulte d'une jurisprudence constante qu'il appartient à cette autorité, saisie d'une demande d'autorisation de résiliation d'un bail sur le fondement de ces dispositions, de s'assurer, sous le contrôle du juge administratif, d'une part, que la parcelle en cause peut, au regard de la règlementation en vigueur et des caractéristiques du projet, faire l'objet de la modification de destination souhaitée par le bailleur et, d'autre part, que la résiliation ne porte pas une atteinte excessive à la situation du preneur. »

Dès lors que le juge s’est chargé de combler le vide légal, celui-ci n’existe plus et la QPC n’a pas lieu d’être. Voilà une curieuse conception de la hiérarchie des normes surtout dans un système juridique où, dit-on, la règle du précédent n’a pas cours…

(29 octobre 2021, M. O. et autres, n° 452187)

 

Responsabilité

 

156 - Indisponibilité d'un équipement - Préjudice né de cette indisponibilité - Action en réparation du dommage ainsi causé - Constatation de l'existence d'une situation de force majeure - Rejet de la demande indemnitaire - Qualification inexacte des faits - Cassation sans renvoi (seconde cassation).

La société demanderesse a sollicité l'indemnisation par la ville de Marseille du préjudice subi du fait de l'indisponibilité du stade Vélodrome le 16 août 2009. Sa demande a été rejetée en première instance et en appel et à nouveau par ces deux juridictions après une première cassation. Le Conseil d’État est donc ici saisi d'un second pourvoi.

Les faits étaient assez simples.

La commune de Marseille et l'Olympique de Marseille avait conclu, pour la période 1er juillet 2009 - 30 juin 2011, une convention de mise à disposition du stade Vélodrome pour l'organisation et la tenue des rencontres de football programmées du club de l'Olympique de Marseille.

Parallèlement, la commune de Marseille a également conclu avec la société Live Nation France une convention de mise à disposition de ce même stade pour la période du 15 au 21 juillet 2009 en vue de l'organisation d'un concert. Or le 16 juillet 2009, au cours des opérations de montage de la scène de ce concert, la structure métallique de celle-ci s'est effondrée, occasionnant le décès de deux personnes.

De ce fait, le match de football devant opposer, le 16 août 2009, l'Olympique de Marseille et le Lille Olympique Sporting Club (LOSC) n'a pu avoir lieu au stade Vélodrome, mais s'est tenu au stade de la Mosson à Montpellier. C'est pourquoi la société requérante a demandé à la commune de Marseille de lui verser une certaine somme en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de cette indisponibilité du stade Vélodrome.

Pour rejeter les prétentions de l'Olympique de Marseille, les juges du fond ont, à deux reprises, considéré que l'effondrement de la structure scénique et l'accident mortel qui s'en est suivi n'avaient pas pour origine une faute de la commune de Marseille, laquelle était étrangère à l'opération de montage de cette structure, et résultaient de faits qui étaient extérieurs à cette commune et avaient le caractère d'un événement indépendant de sa volonté, qu'elle était impuissante à prévenir et empêcher. En bref, il s'agissait d'un classique événement de force majeure, exonératoire de la responsabilité contractuelle.

Statuant au fond, le Conseil d’État annule ce raisonnement et donc l'arrêt déféré à sa censure car « alors que l'indisponibilité du stade, bien qu'elle résulte de fautes commises par la société Live Nation France et les sous-traitants de cette dernière dans le montage de la structure scénique, n'aurait pu survenir sans la décision initiale de la commune de Marseille de mettre le stade Vélodrome à disposition de cette société pour l'organisation d'un concert, la cour a inexactement qualifié les faits soumis à son appréciation. »

Cette censure se comprend mal et pour deux raisons.

En premier lieu, aucune faute contractuelle n'était reprochée à la commune de Marseille dans la mesure où le contrat de mise à disposition du stade Vélodrome la liant à l'Olympique de Marseille n'excluait point toute faculté pour ladite commune de mettre ce stade à disposition d'autres usagers durant les périodes où il n'est pas nécessaire à l'OM (pour ses matches ou préparations ou autres). D'ailleurs la décision du Conseil d’État n'évoque nullement la présence d'une telle faute à l'origine du préjudice subi.

En second lieu, l'événement en cause présente bien les troits traits cumulatifs nécessaires à l'existence d'une situation de force majeure contrairement à ce que juge le Conseil d’État car il est inexact de dire qu’ici fait défaut la condition d’extériorité. Écrire que du seul fait qu’elle a conclu un contrat avec une société, la Ville est indéfiniment responsable envers les tiers à ce contrat des dommages résultant de la seule faute de son cocontractant défie autant le bon sens que l’équité. Surtout, il se déduit du raisonnement retenu, implicitement mais nécessairement, qu’il sera à peu près impossible désormais d’apercevoir dans de telles circonstances une situation de force majeure. Avec une telle conséquence, la cause est entendue…

C'est pourquoi il est incompréhensible que le juge ait pu être en cette espèce à la cassation.

Puisque le concert cause du dommage devait être celui de Madonna, on se consolera en écoutant son célèbre Borderline.

(4 octobre 2021, Société sportive professionnelle Olympique de Marseille, n° 440428)

 

157 - Marchés de travaux publics – Retard dans la livraison d’un lot – Préjudice financier subi par un participant du fait de ce retard - Retard imputable à un autre participant – Absence de lien contractuel entre ces deux participants – Action en responsabilité quasi-délictuelle – Action fondée sur des stipulations du contrat conclu par ce second participant – Régularité – Cassation de l’arrêt rejetant l’action quasi-délictuelle.

La société requérante participait à la réalisation du lot « gros oeuvre » dans le cadre d’un marché public de travaux pour la construction du pôle éducatif et familial Molière du lotissement Courbet au Havre. Elle avait achevé sa prestation avec huit semaines de retard et en imputait la cause à la société Belliard, qui était chargée du lot « charpente » dont la réalisation avait pris du retard.

Considérant que, de ce fait, elle avait subi un préjudice financier, la société requérante a recherché la responsabilité de cette dernière en vue qu’elle répare ledit préjudice. Les juges, de premier degré et d’appel, ont rejeté son action indemnitaire.

En particulier la cour administrative d’appel a jugé que ne pouvait pas être recherchée par la demanderesse la responsabilité quasi-délictuelle de la société Belliard car, d’une part, à la fois, elle n’était liée à elle par aucun contrat et était tiers au marché conclu par la société Belliard et, d’autre part, elle n'établissait ni même n'alléguait que ces retards auraient été, compte tenu des circonstances particulières, constitutifs d'une violation des règles de l'art.

Le Conseil d’État aperçoit, à juste titre nous semble-t-il, une erreur de droit dans ce raisonnement. En effet, comme l’écrit le juge administratif suprême dans une formulation de principe : « Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage. »

La solution nous paraît d’autant plus justifiée qu’elle repose au fond sur l’idée d’unicité d’une opération et évite de « saucissonner » les questions contentieuses qu’elle peut soulever entre divers juges et entre divers régimes juridiques.

(11 octobre 2021, Société coopérative métropolitaine d'entreprise générale (CMEG), n° 438872)

 

158 - Responsabilité hospitalière et médicale – Réparation d’un accident médical au titre de la solidarité nationale – Exclusion de ce régime en cas d’acte fautif ou du défaut d’un produit de santé – Hypothèse où la faute, sans être la cause de l’accident médical, a réduit pour la victime la chance d’y échapper ou de se soustraire à ses conséquences – Régime jurisprudentiel – Annulation.

Lors d’une greffe hépatique les médecins du CHU de Bordeaux s’aperçoivent en cours d’implantation que le patient est atteint d’une adénopathie cancéreuse et renoncent à implanter le greffon qui était prévu, provenant du centre hospitalier du Havre ; après quelques heures, une implantation peut être réalisée avec un greffon provenant du centre hospitalier de Cholet. Le patient conserve de cette opération de lourdes séquelles neurologiques.

Un litige complexe naît en vue de la détermination du régime d’indemnisation du préjudice subi et le Conseil d’État trouve là l’occasion d’une importante décision qui aura d’ailleurs l’honneur d’une publication au Recueil Lebon.

On sait que le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique ne soumet la réparation par l'ONIAM d'un accident médical au titre de la solidarité nationale que si celui-ci ne résulte pas directement soit d’un acte fautif d'un professionnel de santé ou d'un établissement, service ou organisme mentionné au I du même article, soit d’un défaut d'un produit de santé. Sur ce point le texte est clair : le recours à la solidarité nationale suppose l’absence de faute ou de défectuosité.

Mais qu’en est-il lorsque, comme en l’espèce, une faute est commise qui, à la fois, n’est pas la cause directe de l’accident mais fait cependant perdre à la victime une chance d'y échapper ou de se soustraire à ses conséquences ?

Le Conseil d’État adopte en ce cas une solution équilibrée et d’équité : la victime « a droit à la réparation intégrale de son dommage au titre de la solidarité nationale, mais l'indemnité due par l'ONIAM doit être réduite du montant de l'indemnité mise à la charge du professionnel, de l'établissement, du service ou de l'organisme responsable de la perte de chance, laquelle est égale à une fraction des dommages, fixée à raison de l'ampleur de la chance perdue. »

Si donc l’acte fautif n'est pas la cause directe de l'accident, le juge saisi doit rechercher, le cas échéant d'office, si le dommage subi présente le caractère d'anormalité et de gravité requis par les dispositions du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique et doit, par suite, faire l'objet d'une réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale. Dans le cas d'une réponse positive à cette question, si la faute reprochée au professionnel de santé ou à l'établissement, service ou organisme mentionné au I de l'article L.1142-1 du code de la santé publique a fait perdre à la victime une chance d'éviter l'accident médical non fautif ou de se soustraire à ses conséquences, il appartient au juge, tout en prononçant le droit de la victime à la réparation intégrale de son préjudice, de réduire l'indemnité due par l'ONIAM du montant qu'il met alors, à ce titre, à la charge du responsable de cette perte de chance.

(15 octobre 2021, Agence de la biomédecine, n° 431291 ; M. et Mme K., n° 431347)

 

159 - Exercice du pouvoir de police – Police de la circulation – Arrêté portant interdiction de la circulation de véhicules à moteur sur une voie de la commune – Débit de tabacs situé dans cette voie et retenu comme le plus proche du centre pénitentiaire voisin (décret du 28 juin 2010, art. 45, 47 et 49) – Perte du monopole d’approvisionnement du centre – Réclamation et dommages-intérêts – Annulation du refus d’abroger l’arrêté municipal d’interdiction de circulation des véhicules à moteur sur cette voie – Refus d’indemniser – Erreur de droit – Annulation.

Le maire d’une commune interdit, par un arrêté du 28 février 2013, la circulation des véhicules à moteur sur une voie communale au bord de laquelle est situé un débit de tabacs, « Le Reinitas », qui est « rattaché » au centre pénitentiaire voisin dont il est le plus proche, ce qui lui confère le monopole des achats de tabacs pour ce centre. Du fait de cette interdiction de circulation, un détour étant nécessaire pour s’y rendre, il a perdu son « rattachement » au centre pénitentiaire et donc la clientèle captive (au double sens du mot) qui en résultait.

Le gérant de ce commerce a demandé au maire l’abrogation de l’arrêté d’interdiction et la réparation du préjudice déjà subi. Le tribunal administratif a donné satisfaction au requérant en ordonnant sous astreinte l’abrogation de l’arrêté litigieux et en lui allouant l’indemnité qu’il réclamait. Sur appel de la commune la cour administrative d’appel a, pour l’essentiel, confirmé l’annulation du refus d’abrogation mais annulé l’indemnisation accordée en première instance.

Le débitant de tabacs se pourvoit contre cette partie de l’arrêt d’appel.

Le Conseil d’État lui donne raison.

La cour avait rejeté la demande indemnitaire du requérant au motif que les limitations apportées à la circulation sur le chemin de Saint-Vaast, où se trouve le débit de tabacs, par l'arrêté du 28 février 2013, n'étaient pas la cause du préjudice commercial subi par l'intéressé, son commerce de tabac ayant, à cette date, déjà cessé de remplir les conditions prévues par le décret du 28 juin 2010 pour être le débit de tabac le plus proche du centre pénitentiaire d'Annœullin par l'effet d'un arrêté municipal antérieur du 14 octobre 2004, lequel avait interdit le chemin de Saint-Vaast à la circulation des véhicules à moteur autres que les engins agricoles.

Ce jugeant la cour a commis une erreur de droit car il résulte des dispositions des art. 45, 47 et 49 du décret du 28 juin 2010 que le calcul de la distance entre l'entrée principale d'un établissement pénitentiaire revendeur et celle de son débit de tabacs de rattachement est celle de l'itinéraire le plus court incluant toutes les voie de circulation, y compris les voies accessibles uniquement aux piétons ou celles qui, bien que privées, sont ouvertes au public pendant la journée.

Le Conseil d’État en déduit qu'un tel itinéraire, « qui n'a pas nécessairement à être celui qui sera effectivement emprunté mais a pour seul objet de désigner le débit de rattachement, peut comporter une succession de voies réservées à des modes de circulation différents et qu'il n'y a notamment lieu de tenir compte, pour le déterminer, ni de la durée des déplacements le long de ses voies ni de la circonstance qu'il serait, en raison de la nécessité de recourir à un mode de transport sécurisé, impropre au transport effectif du tabac. »

Or, pour juger que l’arrêté du 14 octobre 2004 interdisant, sur le chemin de Saint-Vaast, la circulation des véhicules à moteur autres que les engins agricoles, avait déjà fait perdre au débit de tabac « Le Reinitas » son caractère de débit le plus proche du centre pénitentiaire d'Annœullin, la cour administrative d'appel s'est notamment fondée sur la nécessité d'utiliser un véhicule pour aller chercher le tabac, compte tenu des quantités en cause et des risques que présente le transport de ce type de produit. Elle a donc commis une erreur de droit en en inférant le calcul de la distance entre le centre pénitentiaire et le débit de tabacs.

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation.

(15 octobre 2021, M. D., n° 436386)

 

160 - Dommages survenus à des randonneurs – Dommages survenue lors de la traversée d’une parcelle occupée par des bovins – Responsabilité de l’éleveur - Société d’assurances condamnée à les indemniser – Dommages survenus sur un chemin figurant au plan départemental des itinéraires de promenade et randonnées (art. L. 361-1 c. env.) - Refus d‘une condamnation solidaire du département et d’une communauté de communes – Rejet.

Des randonneurs circulant sur un sentier de randonnée sont blessés par des bovins se trouvant sur une parcelle traversée par ce chemin. La compagnie d’assurances requérante a demandé, en vain, sa condamnation solidaire avec le département et une communauté de communes dans la mesure où le département établit, après avis des communes intéressées, un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, plan dont faisait partie le sentier où s’est produit le dommage. 

Elle se pourvoit et se trouve déboutée, le Conseil d’État approuvant la solution et la motivation de l’arrêt d’appel.

Tout d’abord, les conventions prévues par l’art. L. 361-1 du code de l’environnement ne sont signées qu’entre le département et les propriétaires.

Ensuite, il résulte des dispositions, alors en vigueur, de l’art. 1385 du Code civil (« Le propriétaire d'un animal, ou celui qui s'en sert, pendant qu'il est à son usage, est responsable du dommage que l'animal a causé, soit que l'animal fût sous sa garde, soit qu'il fût égaré ou échappé. ») que les exploitants des parcelles supportant ces chemins ne sont pas dégagés de leur responsabilité civile en tant que gardiens d'animaux ayant causé des accidents à des randonneurs fréquentant ces chemins.

Enfin, c’est sans erreur sur la qualification des faits que la cour a jugé que l'absence de conclusion de la convention prévue par l'article L. 361-1 du code de l'environnement préalablement à l'inscription d'un chemin au plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée et à l'aménagement et l'ouverture au public de ce chemin, n'était pas la cause directe et certaine de l'accident survenu sur ce chemin, qui n'est directement imputable qu'au comportement des bovins dont le gardien était l’assuré de la société requérante. 

(25 octobre 2021, Société Groupama Rhône-Alpes Auvergne, n° 442949)

 

161 - Dommages causés par un ouvrage public à ses usagers - Défaut d’entretien normal – Responsabilité du maître de l’ouvrage – Fait d’un tiers – Circonstance non exonératoire – Annulation.

La demanderesse sollicitait réparation des conséquences dommageables d’un accident automobile survenu du fait de la remontée d’une borne escamotable installée sur la voirie publique au moment où son véhicule circulait au-dessus de cette borne.

Elle a recherché la responsabilité in solidum de la commune, de la communauté d’agglomération et de l’assureur. Sa demande ayant été rejetée par le tribunal administratif, son appel a été transmis par la cour administrative d’appel au Conseil d’État, ainsi saisi d’un pourvoi.

Le juge cassation aperçoit une erreur de droit dans le jugement attaqué en ce qu’il a écarté la responsabilité de la collectivité publique au motif que la borne avait été mise en mouvement du fait d’une erreur imputable à un tiers, tout en constatant, dans le même temps, que cette collectivité était bien maître de la borne à l’origine des dommages et que la victime était bien usager de celle-ci.

Dès lors, en effet, que la commune ne rapportait pas la preuve ou un faisceau d’indices montrant qu’elle entretenait normalement l’ouvrage au moment où s’est produit le dommage, elle ne pouvait pas invoquer le fait d'un tiers pour s'exonérer de tout ou partie de cette responsabilité. 

(25 octobre 2021, Mme B., n°446976)

 

162 - Accident de service – Pompier (militaire) – Réparation forfaitaire par la pension militaire d’invalidité – Préjudices excédant le forfait - Réparation – Régime – Annulation de l’arrêt d’appel et du jugement.

Alors qu’il revenait d’un hôpital où il avait acheminé un blessé, un sapeur-pompier de Paris – lequel est sous statut militaire - est victime de graves brûlures après avoir été aspergé, par un de ses collègues, d’un produit désinfectant. S’ensuit un contentieux au parcours sinueux du fait de l’action en réparation.

La commission d'indemnisation des victimes d'infractions a ordonné au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) de verser à la victime une certaine somme en réparation de ses préjudices.

Par un premier jugement (22 mai 2014), devenu définitif, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté la demande du FGTI tendant à la condamnation de l'État à lui rembourser cette somme, puis, par un second jugement (20 avril 2017), ce tribunal a condamné la Ville de Paris à verser au FGTI une somme au titre des préjudices subis par la victime et non réparés par sa pension militaire d'invalidité, ainsi qu'une indemnité égale à la différence, si elle était positive, entre la somme de 55 993,80 euros et le montant de la pension effectivement versée.

La cour administrative d'appel de Versailles a annulé le premier jugement du tribunal administratif et déclaré nul et non avenu le second jugement, renvoyé l'affaire à ce tribunal et rejeté les conclusions présentées par le FGTI par voie d’appel incident.

L’arrêt de la cour est annulé en ce qu’il a jugé que l’accident n'était pas survenu à l'occasion de l'exercice de missions d'assistance et de secours en urgence dans une commune de la petite couronne ou dans la Ville de Paris, dénaturant ainsi les faits de l’espèce puisque cet accident est survenu alors que le véhicule transportant les sapeurs-pompiers revenait de l’hôpital où avait été déposé le piéton blessé à Montrouge.

Procédant à l’examen du jugement que cet arrêt avait annulé, le Conseil d’État rappelle tout d’abord que la pension militaire d’invalidité a pour objet de réparer forfaitairement les militaires victimes d’accident de service.

Toutefois, ce nonobstant, si la victime se prévaut de préjudices que ne répare pas le forfait de pension elle peut réclamer un complément d’indemnisation, la jurisprudence Mme Moya-Caville (Assemblée, 4 juillet 2003, n° 211106), qui concerne les fonctionnaires civils, ayant été étendue aux militaires, notamment par les décisions du 1er juillet 2005 (Brugnot, n° 258208) et du 7 octobre 2013 (Hamblin, n° 337851).

Ensuite, la victime peut engager une action de droit commun contre l'État en vue de la réparation intégrale de l'ensemble du dommage notamment si l'accident est imputable à une faute de nature à engager sa responsabilité.

Enfin, en l’espèce, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris étant à la disposition du préfet de police de Paris dans le cadre de sa compétence pour assurer l'organisation et le fonctionnement du service public de secours et de défense contre l'incendie dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, il s’ensuit que la réparation des accidents de services subis par ces pompiers dans l’exercice de leurs fonctions ou dans le cadre du service incombe à l’État pour ceux des préjudices que ne couvre pas le forfait de pension. Pareillement, peut être recherchée la réparation intégrale du préjudice subi lorsqu’est en cause une faute de nature à engager la responsabilité de l’État.

C’est à tort que le jugement attaqué a condamné la Ville de Paris à indemniser le FGTI du montant des préjudices non couverts par le forfait de pension et c’est à bon droit que la ministre requérante demande sa mise hors de cause en sa qualité d’employeur de la victime.

(25 octobre 2021, Ministre des armées, n° 449175)

 

163 - Dommage résultant de plusieurs fautes – Fautes commises par des personnes différentes – Action de la victime – Faculté de choix – Action dirigée contre l’une d’elles seulement ou contre toutes solidairement – Rejet.

Rappel d’une règle procédurale classique et d’ailleurs commune aux droits administratif et civil de la responsabilité quasi-délictuelle.

« Lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. »

(29 octobre 2021, Mme C., n° 441310)

 

Santé  

 

164 - Haute autorité de santé (HAS) - Recommandations de bonnes pratiques - Traitement de la bronchiolite aigüe chez le nourrisson de moins de douze mois - Absence de recommandation à la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique en ambulatoire - Vices de légalité externe - Défaut d’impartialité - Absence - Erreur manifeste d'appréciation - Absence - Rejet.

(6 octobre 2021, Fédération française des masseurs kinésithérapeutes rééducateurs, n° 437622)

V. n° 1

 

Covid-19 : Le virus court encore… le contentieux aussi…

 

165 - Covid-19 – Obligation vaccinale des professionnels de santé – Opticiens – Effets indésirables des vaccins - Atteintes à divers droits ou libertés – Rejet.

Par voie de référé liberté était demandée la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 1er du décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, en tant qu'elles concernent la vaccination obligatoire de certains professionnels de santé, notamment les opticiens.

Deux séries de moyens étaient soulevés, ils sont, sans aucune surprise, rejetés.

En premier lieu étaient contestées l’efficacité et l’innocuité des vaccins contre le Covid-19. Le Conseil d’État relève que ces critiques ne sont pas appuyées sur une démonstration et qu’elles ne remettent pas en cause le bien-fondé et le caractère non manifestement disproportionné de l'instauration par le législateur d'une obligation vaccinale pour certaines professions spécifiques à raison des conditions de leur exposition à une contamination du fait des personnes qu'elles côtoient, dont sont de surcroît exemptées les personnes présentant des contre-indications médicales reconnues.

En second lieu sont rejetés les griefs d’atteintes à divers droits ou libertés fondamentaux car ils sont formulés en allégations générales et très peu développées.

(ord. réf. 8 octobre 2021, M. B. et société Optique du Centre, n° 456947)

(166) Sur la vaccination obligatoire de certains professionnels et les risques encourus en cas de non-vaccination, voir, à propos d’un sapeur-pompier et d’une professionnelle de santé, le rejet contenu dans : ord. réf. 13 octobre 2021, M. A. et Mme B., n° 456692 ; Mme B., n° 456694

(167) V. aussi, rejetant  un référé-liberté dirigé contre ce même décret du 7 août 2021 en tant qu’il porterait une atteinte excessive à la liberté d'aller et venir et à la liberté de circulation en ce qu'il conditionne l'utilisation des services de transport à la présentation d'un passe sanitaire alors, d’une part, que la propagation du Covid-19 est en recul constant, et, d’autre part, que les vaccins administrés n'empêchent pas la contamination et la transmission du virus et, enfin, du fait que le décret contesté instaurerait une discrimination entre les personnes vaccinées et les personnes non vaccinées : ord. réf. 8 octobre 2021, M. A., n° 457120 ou encore : ord. réf. 8 octobre 2021, M. B., n° 457155 ou encore, rejetant la requête d’un établissement de restauration dirigée contre l’obligation de passe sanitaire et d’un contrôle à l’entrée de celui-ci : ord. réf. 12 octobre 2021, Société YS Group, n° 456917 et n° 456918 ; également, rejetant le recours contre l’obligation du passe sanitaire pour les enfants de 12 ans et plus, qui les empêcherait de se livrer à des activités récréatives propres à leur âge : ord. réf. 15 octobre 2021, Mme A., n° 456360.

(168) V. également, le rejet de la demande en référé faite au juge administratif d’abroger (sic) la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : ord. réf. 8 octobre 2021, Mme B., n° 457150 ou de la demande en référé tendant à la suspension (sic) de cette même loi du 5 août 2021 : ord. réf. 22 octobre 2021, Mme A., n° 457577.

(169) V. encore, le rejet pour défaut d’urgence d’une requête en vue que soit ordonnée – au premier ministre, au ministre des solidarités et de la santé, et à l'Agence nationale de sécurité du médicament - la suspension, sous astreinte de cent mille euros par jour de retard (!), l'autorisation de mise sur le marché des « vaccins » à ARN-m des laboratoires Pfizer et Moderna à compter du quinzième jour ouvrable suivant cette notification à venir : ord. réf. 8 octobre 2021, M. C., n° 457253.

(170) Voir, rejetant, comme ne remplissant aucune des deux conditions nécessaires à son admission, un recours en référé suspension en vue, notamment, de la suspension d’exécution du « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires » pour l'année scolaire 2021-2022, publié le 28 juillet 2021 en tant qu'il prévoit l'obligation de port du masque dans les écoles et autres établissements de type " R " pour les enfants âgés de six à dix ans : ord. réf. 11 octobre 2021, Mme D. et autres, n° 457065.

(171) Également, jugeant que la condition d’urgence n’est pas remplie dans le cadre d’un référé suspension en vue que soit ordonnée la suspension de l'exécution de la note de service SG/SRH/SDDPRS/2021-702 de la secrétaire générale du ministère de l'agriculture et de l'alimentation en date du 21 septembre 2021 définissant le régime de télétravail applicable à compter du 4 octobre 2021 : ord. réf. 14 octobre 2021, M. B., n° 457235.

(172) Encore, rejetant, sans examen de la condition d’urgence, le référé tendant à la suspension des dispositions insérées par le a) du 8° de l'article 1er du décret n° 2021-1268 du 29 septembre 2021 à l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire qui étendent aux personnes âgées d'au moins douze ans et deux mois l'obligation de présentation de documents pour l'accueil dans divers établissements, lieux, services et événements, dite « passe sanitaire » : ord. réf. 20 octobre 2021, M. A., n° 457367.

 

173 - Covid-19 – Obligation de vaccination ou d’un certificat de contre-indication à la vaccination – Non-respect de ces exigences – Agent public hospitalier suspendu de ses fonctions sans traitement – Absence d’atteinte à une liberté fondamentale – Rejet.

Le requérant demandait la suspension, en référé-liberté, de la mesure de suspension de ses fonctions sans traitement dont il a fait l’objet de la part du directeur délégué du centre hospitalier qui l’emploie, jusqu’à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Le rejet de sa requête en première instance le conduit à saisir le Conseil d’État.

Son recours est, évidemment, rejeté.

L’auteure de l’ordonnance rappelle tout d’abord que : « La décision, fût-elle illégale, suspendant un agent public n'est pas, par son seul objet, de nature à porter atteinte à une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, même lorsqu'elle est assortie de l'interruption du versement de la rémunération. Toutefois, les motifs sur lesquels se fonde cette décision peuvent, dans certains cas, révéler une telle atteinte. » 

Elle examine ensuite le grief d’atteinte aux libertés fondamentales pour le rejeter.

Les vaccins autorisés contre le Covid-19 ne sont pas des médicaments expérimentaux alors même qu’ils ont fait l’objet d’une autorisation conditionnelle de mise sur le marché et ils ne portent donc pas atteinte au droit à l'intégrité physique, à la dignité de la personne humaine, au droit à la sécurité et à la vie et au droit de disposer de son corps garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que par la Convention d'Oviedo du 4 avril 1997 pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine.

Si tout vaccin constitue une ingérence dans la vie privée au sens et pour l’application de la Convention EDH, en l’espèce il est justifié tant pour le bénéfice de la personne vaccinée que pour celui de la communauté nationale tout entière.

L’obligation vaccinale particulière pour les professionnels de santé ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la dignité de la personne humaine invoqué par le requérant au regard de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi qu’aux deux pactes des Nations-Unies (droits civils et politiques et droits économiques, sociaux et culturels).

Enfin, la circonstance que les personnes présentant un certificat médical de contre-indication vaccinale ne sont pas susceptibles de faire l'objet de la mesure de suspension prévue par l'article 14 de la loi du 5 août 2021 ne peut conduire, en tout état de cause, le juge des référés à ordonner des mesures sur le fondement de l'article L. 521-2 précité. 

(ord. réf. 18 octobre 2021, M. A., n° 457213)

(174) V. aussi, identique et concernant le même centre hospitalier : ord. réf. 18 octobre 2021, Mme B. épouse A., n° 457216.

(175) Voir aussi, le rejet du recours en référé d’un aide-soignant hospitalier pour le motif ci-dessus, avec cette particularité ici que l’intéressé bénéficiait d’une décharge totale d’activité en sa qualité de représentant syndical dès lors que le local syndical est situé dans l’enceinte du centre hospitalier dans lequel il est employé : ord. réf. 20 octobre 2021, M. A., n° 457101.

(176) Pareillement, du rejet d’un référé liberté dirigé contre deux notes des 20 et 25 août 2021, de la directrice générale des services de la commune de Nanterre informant les agents affectés dans les établissements de la petite enfance de la commune qu'ils entrent dans le champ de l'obligation vaccinale contre le Covid-19 :  ord. réf. 25 octobre 2021, Syndicat Interco CFDT des Hauts-de-Seine, n° 457230.

(177) Semblables à la précédente ordonnance mutatis mutandis : ord. réf. 25 octobre 2021, Syndicat Action et Démocratie, n° 457294 ; ord. réf. 25 octobre 2021, Syndicat Action et Démocratie, n° 457357.

 

 

Service public

 

178 - Réseau d’assainissement collectif - Redevance d’assainissement - Tarif des services publics – Tarifs différents pour un même service rendu à des catégories diverses d’usagers – Conditions de légalité – Rejet.

Le Conseil d’État statue sur un pourvoi dirigé contre le jugement d’un tribunal administratif saisi d’une question préjudicielle par un tribunal d’instance sur l’appréciation de la légalité de délibérations municipales instituant un montant différencié de la redevance d’assainissement collectif mise à la charge de différents usagers.

Confirmant pour l’essentiel le jugement critiqué, le juge de cassation rappelle dans une formulation de principe que « La fixation de tarifs différents applicables, pour un même service rendu, à diverses catégories d'usagers d'un service public implique, à moins qu'elle ne soit la conséquence nécessaire d'une loi, soit qu'il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu'une nécessité d'intérêt général en rapport avec les conditions d'exploitation du service commande cette mesure. »

Solution qui confirme mot pour mot notamment celle retenue par : 26 juillet 1996, Association Narbonne Libertés 89 et autre (Recueil Lebon, tables, p. 754 et 969).

(22 octobre 2021, Mme AE. et autres, n° 436256)

 

Sport

 

179 - Ligue de football professionnel – Personne privée chargée d’une mission de service public – Compétence du juge administratif – Actions ne constituant pas une prérogative de puissance publique pour l’accomplissement de la mission de service public – Incompétence – Rejet.

La société requérante a saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation de la  décision du conseil d'administration de la Ligue de football professionnel adoptant le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021 en tant qu'elle ne prévoit pas l'application de l'aide variable additionnelle aux clubs relégués en Ligue 2 à l'issue de la saison 2018/2019 et en tant qu'elle rejette sa demande tendant à bénéficier de l'aide à la relégation additionnelle triplée pour sa deuxième année de relégation en 2020/2021.

Le Conseil d’État rejette le recours pour incompétence de la juridiction saisie.

En effet, si la Ligue de football professionnel, personne morale de droit privé chargée de la gestion du football professionnel, est à ce titre investie d'une mission de service public administratif, et si les actes et décisions pris par elle dans ce cadre ressortissent à la compétence de la juridiction administrative, il n’en va pas ainsi lorsque, comme au cas de l’espèce, ces actes et décisions ne constituent pas l'exercice d'une prérogative de puissance publique.

(28 octobre 2021, Société En Avant Guingamp, n° 445699)

 

180 - Gymnastique rythmique – Règlement – Absence de prise en compte de la pratique masculine – Discrimination – Rejet.

L’association demanderesse recherchait l’annulation de la décision implicite née du silence gardé par la Fédération française de gymnastique (FFG) sur sa demande tendant à la modification du règlement technique de la gymnastique rythmique en vue de l'ouverture aux athlètes masculins de l'ensemble des niveaux de compétitions, dont celles correspondant à la catégorie " Elite ", et de la création d'une catégorie sportive dédiée à la pratique masculine de cette discipline.

Le recours est rejeté d’abord parce le principe d’égalité n’oblige pas à traiter différemment  des personnes se trouvant dans des situations différentes, ensuite, parce qu’à supposer qu’il soit établi que lors de la sélection des sportifs en vue de compétitions, les responsables excluent systématiquement les hommes, ceci n’a pas pour effet d’entacher d’illégalité le règlement litigieux et enfin car les dispositions du second alinéa de l’art. 1er de la Constitution (selon lesquelles : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales. ») ne peuvent pas être utilement invoquées pour contester l'absence de catégorie dédiée à la pratique masculine de la gymnastique rythmique ainsi que les conditions réglementaires de participation aux différents niveaux de compétition. 

En conséquence, « contrairement à ce qui est soutenu, le règlement technique de la gymnastique rythmique, en ce qu'il ne distingue pas selon le sexe des gymnastes et ne prévoit pas de dispositions spécifiques à la pratique masculine, ne porte, par lui-même, pas d'atteinte au principe d'égalité ni au libre accès à l'activité sportive en cause. »

(28 octobre 2021, Association de défense de l'égalité hommes-femmes en gymnastique rythmique (GR-ADE), n° 445703)

(181) V. aussi, voisin : 28 octobre 2021, Association de défense de l'égalité hommes-femmes en gymnastique rythmique (GR-ADE), n° 445705.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

182 - Permis de construire - Intérêt de voisins à agir - Absence de productions des défendeurs en cours d'instance - Motif sérieux suffisant à justifier la suspension prononcée - Irrégularité d'un autre moyen sans effet sur la demande d'annulation de l'ordonnance – Rejet.

Un permis de construire ayant été suspendu, son bénéficiaire demande l'annulation de l'ordonnance rendue sur référé suspension.

En premier lieu, le juge des référés a estimé que les requérants qui l'ont saisi avaient intérêt à agir dans la mesure où ils sont voisins de la construction projetée et susceptibles d'en subir les effets. Comme cet intérêt à agir n'a pas été contesté par les défendeurs en première instance - et pour cause car ils n'ont pas produit à cette instance -, il est donc établi.

En deuxième lieu, le Conseil d’État relève l'absence de toute production de la part des défendeurs ainsi que de la part du maire auteur de la délivrance du permis suspendu. Il estime qu'en ce cas : « il appartient au juge des référés d'apprécier le bien-fondé des moyens présentés devant lui et susceptibles de créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision en tenant compte des faits exposés par le requérant à la lumière des pièces du dossier. » En d'autres termes, il ne saurait y avoir de critique de l’absence de débat contradictoire dès lors que la partie défenderesse s'est volontairement soustraite au débat. Ce sont donc seulement les pièces et productions des demandeurs qui seront prises en considération.

En troisième lieu, enfin, pour suspendre l'arrêté octroyant le permis, le juge des référés avait retenu deux motifs : l'incompétence du maire pour délivrer un permis de construire car cette compétence aurait été transférée à la communauté d'agglomération et la violation, par ce permis, de plusieurs dispositions du règlement national d'urbanisme (RNU).

Le premier motif est censuré par le juge de cassation pour erreur de droit : en réalité n'a été transférée à la communauté d'agglomération que la compétence pour instruire les permis de construire non celle de la délivrance du permis qui demeure entre les mains du maire. Toutefois cette erreur est sans incidence sur le sort de l'ordonnance, le second moyen sur lequel elle repose étant fondé et justifiant la solution retenue.

(4 octobre 2021, M. D., n° 441505)

 

183 - Permis de construire valant permis de démolir - Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) - Plan local d'urbanisme - Obligation de compatibilité avec les objectifs du SDRIF - Examen du respect de cette compatibilité - Absence d'erreur de droit ou de qualification juridique des faits - Rejet.

A l'occasion d'un litige né du refus d'une commune de délivrer un permis de construire valant permis de démolir en vue de la construction de deux immeubles de 65 logements collectifs, dont 20 logements sociaux, après démolition totale de l'existant, le Conseil d’État apporte un certain nombre de précisions en particulier celles relatives à la circonstance que le cadre juridique du litige est celui du schéma directeur de la région d'Ile-de-France et d'un PLU dont certaines dispositions sont postérieures à l'entrée en vigueur de ce schéma.

Des dispositions législatives spéciales propres au SDRIF (L. 123-1 et suiv. du code de l'urbanisme), il résulte qu'au sein de cette région, les schémas de cohérence territoriale et, en leur absence, les plans locaux d'urbanisme, les documents en tenant lieu et les cartes communales sont soumis à une obligation de compatibilité avec le schéma directeur de cette région.

S'agissant d'apprécier cette compatibilité, le Conseil d’État estime que le juge administratif doit rechercher la non-contrariété des dispositions du SCoT, du PLU ou de tout autre document en tenant lieu avec les objectifs et les orientations d'aménagement et de développement fixés par le schéma, compte tenu du degré de précision des orientations adoptées par celui-ci. Il s'agit d'une appréciation globale qui doit être effectuée à l'échelon territorial le plus pertinent au regard du cadre du litige dont le juge est saisi, c'est pourquoi celui-ci n'a pas à rechercher l'adéquation du plan à chaque orientation ou objectif particulier.

Compte-tenu, ici, des dispositions  réglementaires relatives au SDRIF (décret du 27 décembre 2013), notamment de ses « orientations réglementaires » et de la « carte de destination générale des différentes parties du territoire », notamment celles fixant un objectif d'augmentation minimale de 10 % de la densité humaine et de la densité des espaces d'habitats à l'horizon 2030, à l'échelle communale, dans les « espaces urbanisés à optimiser » qui couvrent notamment le territoire de la commune de Montmorency,  il n'en résulte aucune obligation d'accroître les surfaces bâties de la commune mais seulement d'adopter, au travers des documents d'urbanisme locaux, des dispositions autorisant la densification, dans les proportions indiquées, à l'horizon 2030.

De là le Conseil d’État estime que c'est sans erreur de droit ni de qualification des faits que la cour, dont l'arrêt lui est déféré, a jugé en premier lieu que la réduction très sensible des possibilités de construction sur le territoire de la commune n'était justifiée ni par la densité de population de la commune, plus faible que celle des communes avoisinantes, ni par l'atteinte alléguée des objectifs de densification fixés en 2012 par le plan alors en vigueur de 900 logements pour la période de 2012 à 2022, dont 650 auraient déjà fait l'objet de permis de construire et jugé en second lieu que, contrairement à ce que soutenait la commune, les objectifs du schéma directeur de la région d'Île-de-France ne pourraient être respectés par la seule délivrance de permis de construire dans les « dents creuses » du territoire, celle-ci ne pouvant suffire à compenser la réduction manifeste de la constructibilité sur la majeure partie du territoire communal résultant des dispositions nouvelles du plan local d'urbanisme. 

De la même manière, le nombre et l'emplacement de places de stationnement ont été illégalement fixés dans le cadre d'un PLU qui contrevient lui-même irrégulièrement aux objectifs du SDRIF.

Enfin, c'est également sans erreur et sans dénaturation, dans le cadre de son pouvoir d'appréciation, que la cour a retenu que le projet refusé ne compromettait ni la qualité des lieux environnants ni les dispositions de l'article U1/11 du règlement du PLU qui, ayant le même objet que l'article R. 111-27, posent des exigences qui ne sont pas moindres et trouvent à s'appliquer, dès lors, d'une part, que si les deux bâtiments à démolir présentent les caractéristiques architecturales de maisons bourgeoises construites à la fin du XIXème siècle, il en existe de nombreuses autres dans la commune, aucune protection particulière n'ayant été fixée à la date du refus attaqué, et que, d'autre part, le projet revêt une grande qualité architecturale et prévoit une insertion dans un environnement de parc arboré, sans qu'il soit établi que l'emprise au sol des constructions envisagées ou les toitures seraient de nature à porter une atteinte visuelle à un espace vert situé à proximité ou à un espace boisé classé inclus dans le terrain d'assiette qui sera conservé. 

(6 octobre 2021, Commune de Montmorency, n° 441847)

 

184 - Construction sans permis ou en méconnaissance des prescriptions légales ou ayant subi des modifications irrégulières postérieurement à l'obtention du permis - Projet de nouveaux travaux - Obligations s'imposant au pétitionnaire - Obligations s'imposant à l'autorité compétente pour délivrer le permis - Régularisation impossible d'une demande de permis ne portant pas sur l'ensemble des travaux projetés - Rejet.

Un tribunal administratif, sur demande des voisins immédiats du projet, annule le permis de construire délivré à la société requérante en vue d'accroître la surface de plancher d'un appartement, de la réalisation de divers travaux de toiture, de façade et de la création de places de stationnement. Il avait estimé illégale la délivrance du permis car le pétitionnaire, qui voulait réhabiliter et agrandir une construction ayant fait l'objet d'un permis le 15 mai 1962, n'avait pas, dans sa nouvelle demande de permis, déposée en 2017, inclus l'ensemble des éléments de la construction qui avaient eu ou allaient avoir pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement autorisé par le permis de construire délivré en 1962. Or le tribunal a relevé que le garage accolé à la maison n'avait pas été autorisé par le permis de construire initial, que la toiture de la maison, initialement prévue en terrasse, avait été transformée en une toiture à pans inclinés et que les ouvertures de la façade nord du bâtiment avaient été modifiées.

Les premiers juges en ont donc déduit à juste titre que la décision du maire de non opposition du 18 mars 2014 ne pouvait être regardée comme ayant eu pour effet d'autoriser l'implantation du garage et d'autoriser les transformations de la toiture et des ouvertures de la façade nord dès lors que le dossier de déclaration de travaux ne portait que sur la réhabilitation projetée du garage et de la toiture, sans comporter aucun élément relatif aux travaux antérieurs dont ils étaient issus, et comprenait seulement des plans et photographies de l'existant, n'incluant d'ailleurs pas de plan de la façade nord.

Certes, les dispositions des art. L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme permettent, à certaines conditions, au juge saisi de conclusions à fin d'annulation de certaines autorisations d'urbanisme n'affectant qu'une partie du projet, d'inviter la partie concernée à solliciter la régularisation du vice affectant ladite autorisation ou ne procéder qu'à une annulation partielle. Toutefois, et c'est l'intérêt principal de la décision rapportée, lorsque l'autorité administrative, saisie d'une demande ne portant pas sur l'ensemble des éléments qui devaient lui être soumis, a illégalement accordé l'autorisation de construire qui lui était demandée au lieu de refuser de la délivrer et de se borner à inviter le pétitionnaire à présenter une nouvelle demande portant sur l'ensemble des éléments ayant modifié ou modifiant la construction par rapport à ce qui avait été initialement autorisé, cette illégalité ne peut être regardée comme un vice susceptible de faire l'objet d'une mesure de régularisation au titre de l'un des deux articles précités.

Ainsi sont clairement identifiées les obligations respectives du pétitionnaire et de l'autorité administrative en cette occurrence.

Le pétitionnaire qui envisage de faire de nouveaux travaux sur une construction édifiée sans permis ou non conforme au permis obtenu, doit présenter une demande d'autorisation d'urbanisme portant sur l'ensemble du bâtiment.

L'autorité administrative saisie d'une demande ne satisfaisant pas à cette exigence, doit inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble des éléments devant être soumis à son autorisation et cette invitation, qui a pour seul objet d'informer le pétitionnaire de la procédure à suivre s'il entend poursuivre son projet, n'a pas à précéder le refus que l'administration doit opposer à une demande portant sur les seuls nouveaux travaux envisagés. Faute de respecter ces conditions l'autorisation est illégale sans possibilité de régularisation.

(6 octobre 2021, Société Marésias, n° 442182)

 

185 - Permis de construire affecté d’un vice régularisable (art. L. 600-5-1 c. urb.) – Obligation pour le juge d’inviter à régulariser – Absence d’obligation parallèle pour le juge en cas de demande d’annulation d’un refus de permis de construire – Atteinte au principe d’égalité devant la justice et au droit à un recours juridictionnel effectif – QPC sur ces fondements - Situations différentes – Possibilité de soumettre à tout moment une nouvelle demande de permis et d’en attaquer le refus – Rejet.

(7 octobre 2021, M. A., n° 451827)

V. n° 147

 

186 - QPC - Régime transitoire des plans d’occupation des sols (POS) en vue de leur transformation en plans d’urbanisme (PLU) – Maintien vigueur des dispositions relatives aux anciens POS – Dispositions combinées des art. L. 123-1 et L. 174-4 c. urb.) - Traitement différent des propriétés foncières en matière de superficie minimale des terrains constructibles – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission de la QPC.

Le pétitionnaire d’un permis de construire s’est vu refuser le permis qu’il sollicitait en vue de la construction de deux maisons jumelées, attenantes par un garage au motif de l’insuffisance de superficie de la parcelle devant servir d’assiette à cette construction.

Il saisit le juge d’une demande de transmission d’une QPC fondée sur ce que les dispositions combinées des art. L. 174-4 et L. 123-1 du code de l'urbanisme, dans la version immédiatement antérieure à la loi du 13 décembre 2000, méconnaissent, d’une part, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789, en ce qu'elles établissent une différence de traitement manifestement injustifiée entre les pétitionnaires selon que leur commune est régie par un plan d'occupation des sols ou par un plan local d'urbanisme, et d’autre part, les dispositions de l'article 34 de la Constitution et des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, en n'encadrant pas ou en ne limitant pas la faculté de fixer des règles relatives à la superficie minimale des terrains constructibles. 

Le Conseil d’État motive ainsi son refus de transmettre cette QPC.

En premier lieu, cette situation de droit ne porte pas atteinte à l’art. 6 de la Déclaration de 1789 car le législateur a voulu, à titre transitoire, soumettre les POS au régime juridique des PLU, tout en maintenant en vigueur les dispositions relatives à leur contenu. Le traitement différent des propriétés foncières pouvant en résulter au regard de la règle relative à la surface minimale des terrains constructibles, pendant la période transitoire durant laquelle les POS ont été maintenus en vigueur afin d'être transformés en PLU ou en PLU intercommunaux (PLUi), traduit le souci du législateur d’une rénovation en douceur du cadre juridique en cause, dans un délai raisonnable qui tienne compte des contraintes inhérentes à l'élaboration d'un plan local d'urbanisme et sans que les communes concernées ne se trouvent dans l'obligation de faire, durant cette attente, application du seul règlement national d'urbanisme. Cette différence de traitement est donc en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'a établie. Elle n’est pas critiquable.

En second lieu, cette situation ne porte pas davantage atteinte à l’art. 2 de cette Déclaration car l’incompétence négative du législateur n’est pas, en soi et à elle seule, au nombre des cas d’ouverture à QPC.

Enfin, ne peut être invoquée l’atteinte portée au droit de propriété tel que le protège l’art. 17 de la Déclaration de 1789 car le maintien provisoire de la différence susindiquée entre les propriétés foncières ne constitue pas une privation du droit de propriété.

La transmission de cette QPC et donc refusée.

(11 octobre 2021, M. B., n° 451628)

 

187 - Permis de construire – Demande d’annulation – Intérêt à agir – Requête rejetée car manifestement irrecevable – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance qui, pour rejeter une demande d’annulation d’un permis de construire au motif que le requérant n’a pas intérêt à agir en l’espèce, la qualifie comme « manifestement irrecevable ».

Or, aux termes de l’art. R. 222-1 CJA, ne peut être ainsi qualifiée qu’une requête dont soit l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte soit dont la régularisation ne peut intervenir que jusqu'à l'expiration du délai de recours, si ce délai est expiré, soit qui a donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation, est expiré.

Ici, le juge devait, d’une part, inviter le requérant a lui apporter les précisions permettant d’apprécier la recevabilité de sa demande au regard des exigences de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme et, d’autre part, avoir assorti cette invitation de l’information des conséquences qu'emporterait un défaut de régularisation dans le délai imparti (cf. art. R. 612-1 CJA).

(14 octobre 2021, M. G., n° 441415)

(188) V. aussi, sur l’appréciation de l’intérêt à agir : 20 octobre 2021, Association Préservons l'environnement montpelliérain (PEM), n° 442424 ; Société IF Ecopole, n° 442429 ; Société Ode à la mer H1, n°s 444522, 444523 et 444524.

 

189 - Décision unique accordant un permis de construire et un permis de démolir – Actes distincts et divisibles – Annulation de la décision entière, seul le permis de construire étant argué d’illégalité – Erreur de droit – Annulation partielle.

La solution retenue ici est classique (V. par exemple cette Chronique, Février 2018 n° 105 : 21 février 2018, SCI La Villa Mimosas, n° 401043).

 S’il est possible à l’autorité compétente de délivrer par un acte unique un permis de construire et un permis de démolir cela n’en fait pas une décision unique ou, a fortiori, indivisible. Cet acte comporte en ce cas deux décisions distinctes et autonomes quant à l’appréciation de leur légalité.

Il s’ensuit que commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, ayant constaté l’illégalité du seul permis de construire, procède à l’annulation des deux permis que contenait la décision.

Est donc prononcée l’annulation partielle du jugement en tant qu’il concerne le permis de démolir.

(18 octobre 2021, Société Plurimmo, n° 449506)

 

190 - Recours contre un permis de construire – Obligation de notification du recours au titulaire de l’autorisation – Cas d’une société bénéficiaire du permis – Notification à son siège social – Absence de notification à l’adresse mentionnée sur l’affichage du permis sur le terrain – But d’information satisfait – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt contraire.

L’article R.600-1 du code de l’urbanisme impose à tout auteur d’un recours en annulation d’un permis de construire d’en aviser, dans un certain délai et sous une certaine forme, l’auteur de la décision de permis et son bénéficiaire.

En l’espèce, où le permis avait été délivré à une société, les auteurs du recours avaient notifié celui-ci non à l’adresse de la société mentionnée sur l’affichage du permis sur le terrain mais à celle de son siège social.

La cour administrative d’appel avait jugé irrecevable le recours en annulation dès lors que sa notification n’avait pas été régulièrement accompli à l’adresse mentionnée sur l’affichage du permis sur le terrain.

La solution est condamnée pour erreur de droit par le Conseil d’État - qui doit être approuvé pour cette solution -, juge que le but poursuivi par l’obligation de notification est un but de sécurité juridique, destiné à permettre au bénéficiaire d'une autorisation d'urbanisme, ainsi qu'à l'auteur de cette décision, d'être informés à bref délai de l'existence d'un recours gracieux ou contentieux dirigé contre elle. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’avait jugé la cour, la notification peut également être regardée comme régulièrement accomplie lorsque, s'agissant d'une société, elle lui est adressée à son siège social.

(20 octobre 2021, M. et Mme N. et autres, n° 444581)

 

191 - Permis de construire – Recours en référé suspension – Présomption d’urgence – Renversement de la présomption par le délai séparant le recours en annulation du permis du recours en référé – Erreur de droit – Annulation.

(20 octobre 2021, M. A. et autres, n° 445731)

V. n° 31

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2021

Septembre 2021

 

Actes et décisions - Documents administratifs - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Silence de l'autorité administrative gardé pendant deux mois valant acceptation - Exceptions - Nécessité éventuelle d'une étude d'impact - Autorisation d'extension d'une exploitation agricole - Installation classée pour la protection de l'environnement - Rejet.

La société demanderesse, exploitante d'un élevage de 500 vaches laitières, bénéficiait d'une autorisation au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. Projetant une modification des conditions d'exploitation pour parvenir à un total de 880 vaches, elle a porté ce projet à la connaissance du préfet avant sa mise en œuvre et a déposé à cette fin un dossier comportant les éléments d'appréciation prévus à l'article R. 515-54 du code de l'environnement.

En ce cas, la législation prévoit deux possibilités :

1° Soit le préfet considère que le regroupement projeté est de nature à entraîner une modification substantielle de l'installation autorisée, il invite alors l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'autorisation qui doit faire l'objet de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1 dudit code.

2° Soit le préfet estime qu'il n'y a pas lieu à modification substantielle et il lui appartient de prendre un arrêté complémentaire afin de modifier les prescriptions de l'autorisation existante et, le cas échéant, de fixer les prescriptions additionnelles rendues nécessaires par les modifications apportées.

Le Conseil d’État estime, dans la présente décision, que, dans son ensemble, quel que soit le terme de l'alternative concerné, cette procédure doit être regardée comme constituant une demande de modification des conditions d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement au sens de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 codifié à l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il suit de là que dès lors qu'elle est susceptible de rendre nécessaire le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation devant faire l'objet de l'étude d'impact préalable prévue à l'article L. 122-1 du code de l'environnement, la demande en cause relève des exceptions à l'application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative vaut décision d'acceptation. 

En jugeant ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit, d'où le rejet du pourvoi.

(23 septembre 2021, Société civile d'exploitation agricole Côte de la Justice, n° 437748)

 

2 - Circulaire du garde des sceaux - Circulaire prise pour la mise en oeuvre des dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice, relatives aux peines - Légalité - Absence s'agissant des instructions relatives à certaines peines - Présence pour les autres dispositions - Annulation partielle.

Le syndicat requérant demandait l'annulation de divers points de la circulaire du garde des sceaux du 20 mai 2020 portant mise en oeuvre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice dans sa partie relative aux peines.

Rejetant la fin de non-recevoir du ministre défendeur, le Conseil d'État, appliquant une jurisprudence désormais classique et bien établie en dépit de tout ce qu'elle a de discutable, constate que ce document a pour objet d'adresser aux magistrats du ministère public ainsi qu'aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires des instructions générales pour la mise en œuvre des dispositions de la loi du 23 mars 2019 relatives aux peines, et qu'il porte notamment, s'agissant des magistrats du ministère public, sur l'application des articles 132-19 du code pénal et 723-15 du code de procédure pénale. Comme les éléments qu'il comporte sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que ses destinataires, en particulier les personnes poursuivies ou condamnées, il s'ensuit que doit être écartée la fin de non-recevoir du garde de sceaux opposée à cette requête. 

Ensuite, il retient comme fondé le grief d'illégalité tiré de ce que les instructions de la circulaire qui concernent les peines d'emprisonnement de moins d'un mois et les peines d'emprisonnement ou reliquats de peines anciens et de faible quantum sont relatives à l'exécution de condamnations passées en force de chose jugée : elles ne peuvent donc pas être rattachées aux dispositions nouvelles de l'article 132-19 du code pénal relatif au prononcé des peines, issues de la loi du 23 mars 2019, et méconnaissent, par voie de conséquence, le principe d'exécution de la sentence posée à l'article 707-1 du code de procédure pénale.

Enfin, les autres griefs sont rejetés.

Il en va ainsi de l'instruction donnée aux magistrats du parquet de mettre en œuvre les pouvoirs de réquisition qu'ils tiennent de l'article 712-4 du code pénal afin de saisir le juge de l'application des peines des modalités d'exécution des peines concernées, celle-ci n'est, en effet, pas entachée d'incompétence ni ne méconnaît l'autorité de chose jugée et l'article 707 du code de procédure pénale. Il en va pareillement de la disposition de la circulaire selon laquelle, restant dans les limites de sa compétence, son auteur adresse une instruction générale aux magistrats du parquet sollicités en ce sens par le juge d'application des peines qui, en vertu de l'article R. 131-29 du code pénal, « s'assure de l'exécution du travail d'intérêt général soit par lui-même, soit par l'intermédiaire d'un agent de probation ». 

(23 septembre 2021, Syndicat unité magistrat SNM-FO, n° 441255)

 

3 - Note de la secrétaire générale du ministère de la justice - Précisions sur le report de congés au titre de l'année 2020 - Absence de caractère décisoire - Inapplicabilité de l'art. L. 212-1 du code des relations du public et de l'administration (CRPA) - Rejet.

La note du 24 décembre 2020 du ministre de la justice relative au report de jours de congés non pris au titre de l'année 2020, signée par la secrétaire générale du ministère de la justice, n'a pas la nature d'une décision, par suite, le syndicat requérant ne saurait en soutenir l'irrégularité au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du CRPA, relatives à la signature des décisions et aux mentions concernant leur auteur.

(27 septembre 2021, Union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse (UNS CGT-PJJ), n° 448985)

V. aussi sur le fond, le n° 58

 

4 - Aide aux jeunes agriculteurs à l'occasion de leur première installation - Conditions de l'aide - Instruction définissant les activités à retenir pour la détermination du revenu disponible agricole - Fiche annexée à cette instruction - Définition du niveau maximum de marge brute - Incompétence du ministre de l'agriculture pour édicter une telle condition - Annulation.

Cherchant à définir la notion et la détermination du « revenu disponible agricole » qu'est susceptible de dégager une nouvelle installation agricole par un jeune agriculteur afin d'en vérifier la viabilité à moyen terme, viabilité qui permet d'attribuer une aide publique, le ministre de l'agriculture a pris une instruction à cette fin.

Il y indique dans une fiche technique n° 1 jointe à cette instruction que « pour les activités de diversification situées dans le prolongement de l'exploitation, les marges brutes de ces activités ne doivent pas représenter plus de 50 % du total des marges brutes de l'exploitation, alors même que ces activités font partie des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ». Constatant que le ministre ne tient ici d'aucun texte, et notamment pas de l'art. L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, le pouvoir réglementaire qui lui permettrait d'édicter une telle condition. Entaché d'incompétence ce point est annulé.

(28 septembre 2021, Confédération paysanne, n° 436696)

V. aussi, pour un autre aspect de la décision, le n° 38

 

5 - Requête en annulation - Demande au juge de « constater » l'irrégularité d'une procédure administrative non contentieuse - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel de ce qu'« il n'entre pas dans l'office du juge administratif, saisi d'une requête au fond, de " constater l'irrégularité " d'une procédure administrative ».

De telles conclusions sont irrecevables et sont donc rejetées.

(30 septembre 2021, M. et Mme A., n° 448006)

 

6 - Certificats d’économie d’énergie (CEE) – Manquements d’une société à ses obligations en la matière – Sanctions – Société mise en redressement judiciaire – Mise en demeure de la société en vue de l’acquisition de CEE « classiques » au lieu de ceux « précarité » qu’elle détenait – Incompétence du ministre – Annulation.

Une société dont l’activité consiste en la maîtrise de la consommation énergétique et la valorisation de certificats d'économies d'énergie (CEE) n’ayant pas respecté ses engagements, fait l’objet de sanctions de la part du ministre de l’énergie. Cette dernière a, sur le fondement du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, annulé des CEE dits " classiques " correspondant à un volume de 48 137 600 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac). Cette sanction, non contestée dans le délai de recours contentieux, est devenue définitive. Toutefois, la société Proecowatt ayant été placée en redressement judiciaire puis un plan de redressement ayant été adopté, la sanction édictée le 27 novembre 2017 n'avait fait l'objet d'aucune exécution lorsque, au terme de la procédure de redressement, ayant constaté que la société Proecowatt ne possédait plus que des CEE dits " précarité " correspondant à un volume de 630 968 kWh cumac, le ministre chargé de l'énergie a mis en demeure la société, par lettre du 15 novembre 2018, d'acquérir dans le délai d'un mois des CEE dits " classiques " permettant de garantir l'exécution de la sanction prononcée le 27 novembre 2017 et l'a informée que, passé ce délai, cette sanction pourrait être convertie en une sanction pécuniaire maximale égale à 0,030 euro par kWh cumac manquant. Enfin, par une décision du 2 août 2019, sa mise en demeure étant restée sans effet, la ministre de la transition écologique et solidaire a, pour assurer l'exécution de la sanction du 27 novembre 2017, annulé des certificats dits " précarité " d'un volume de 630 968 kWh cumac détenus par la société et mis à sa charge une pénalité financière d'un montant de 1 425 198 euros. La société Proecowatt demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État accueille le recours en raison de ce que cette décision a été prise par une autorité incompétente à cet effet du moins avant que la loi du 22 août 2021 n’introduise dans le code l’énergie l’art. L. 222-3-1. En effet, si la ministre pouvait infliger, aux conditions habituelles, une sanction à la société requérante pour ses manquements, elle ne pouvait pas, en revanche, légalement lui imposer des mesures d'exécution distinctes de celles prévues par la sanction prononcée. Cette possibilité, qui lui est désormais ouverte par l’art. L. 222-3-1 précité depuis la loi du 22 août 2021, n’existait pas à la date du 2 août 2019 où a été prise la décision attaquée.

Or, en l’espèce, constatant que la société requérante ne possédait pas des CEE « classiques » mais des CEE dits  « précarité » alors que la sanction infligée ne pouvait porter que sur des CEE « classiques », le ministre a imaginé un subterfuge consistant à imposer à la société l'annulation de certificats d'économies d'énergie dits « précarité » d'un volume de 630 968 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) détenus à cette date par la société requérante et à lui infliger en sus une pénalité financière d'un montant de 1 425 198 euros correspondant au solde de certificats d'économies d'énergie dits « classiques » dont l'annulation ne pouvait donner lieu à conversion. Aucun texte ne donnant compétence à ce ministre pour procéder ainsi, sa décision est annulée.

(7 octobre 2021, Société Proecowatt, n° 435121)

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Traitement de données à caractère personnel fondé sur la constatation automatique de certaines infractions au code de la route - Arrêté portant extension à toutes les infractions non routières assorties d'une amende forfaitaire sur relevé automatique - Légalité sauf sur un point - Annulation très partielle.

Les orgnisations requérantes contestaient la juridicité de l'arrêté du 14 avril 2020 modifiant l'arrêté du 13 octobre 2004 portant création du système de contrôle automatisé. Par ce dernier arrêté a été créé un traitement de données à caractère personnel dont les finalités étaient de constater, au moyen d'appareils de contrôle automatique homologués, certaines infractions au code de la route, d'identifier les conducteurs des véhicules concernés et de procéder aux opérations relatives aux avis de contravention correspondants, notamment le recouvrement des amendes. L'arrêté querellé porte extension de ce mécanisme à l'ensemble des infractions non routières faisant l'objet d'une amende forfaitaire relevées au moyen d'appareils électroniques permettant l'établissement d'un procès-verbal électronique. C'est notamment le cas des amendes sanctionnant la consommation de produits stupéfiants. 

Le Conseil d'État rejette tous les griefs articulés à l'encontre de ce texte sauf un.

Tout d'abord, contrairement à ce qui était soutenu devant lui, il n'est pas exact que l'extension, par l'arrêté attaqué, du champ d'application de l'arrêté de 2004 ne repose sur aucune nécessité du fait de l'existence d'un traitement relatif aux antécédents judiciaires qui permettrait déjà d'atteindre les mêmes finalités. En effet, il résulte de l'article 230-6 du code de procédure pénale que ce traitement a pour objet de faciliter le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs d'infractions à la loi pénale constitutives de crimes, délits ou contraventions de la cinquième classe. Il poursuit ainsi des finalités distinctes de celles assignées au système de contrôle automatisé, qui vise pour sa part à faciliter la gestion des constats d'infractions et à procéder au recouvrement des amendes forfaitaires relevant essentiellement, en vertu de l'article R. 48-1 du même code, des contraventions des quatre premières classes. On doit reconnaître qu'il est discutable d'affirmer que la poursuite par des moyens automatiques identiques d’infractions différentes retentit directement et par elle-même sur la nature desdits moyens.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de ce que les durées maximales de conservation des données en cause, variables selon la nature de l'infraction, ne sont pas contraires aux exigences du 5° de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978, selon lequel les données à caractère personnel doivent être « conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ». Selon le juge, d'une part, s'agissant de la durée de dix ans du délai prévu pour la conservation des données relatives aux délits et aux contraventions routières, l'arrêté attaqué se borne à reprendre des dispositions antérieures et présente à cet égard le caractère d'une décision confirmative dont la légalité ne peut être discutée dans le cadre de la présente instance, et d'autre part, pour les autres durées, celles-ci ne présentent pas un caractère excessif.

Également, n'est pas retenue la critique selon laquelle seraient illégales les conditions d'accès au système de contrôle automatisé en ce qu'elles constituent une ingérence excessive dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la CEDH, dès lors qu'y auraient accès, dans des conditions insuffisamment déterminées, d'une part, certaines personnes privées et, d'autre part, l'ensemble des personnels du Centre national de traitement et de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions. Au contraire, le juge estime proportionnées les accès de ces agents à ce traitement, qu'il s'agisse des organismes mettant des véhicules à disposition de leurs collaborateurs ou clients et ayant signé une convention avec le Centre national de traitement ou des personnels de ce Centre.

Sur un point cependant le recours prospère. L'art. 2, dernier alinéa, de l'arrêté attaqué est jugé illégal en ce qu'il « ne prévoit pas la possibilité pour les personnes mises en cause dans une procédure classée sans suite de demander au procureur de la République l'effacement des données les concernant du fichier " système de contrôle automatisé " pour les infractions non routières, seules en cause (ici) ».

(24 septembre 2021, Association Médecins du Monde, n° 441317)

 

Biens

 

8 - Domaine public fluvial – Contravention de grande voirie – Attribution de la charge des condamnations – Conditions non remplies – Rejet.

Une contravention de grande voirie a été établie par Voies navigables de France à l’encontre de prétendus propriétaires d’un bateau en infraction.

Pour dire injustifiée cette contravention en tant qu’infligée à tort, la cour administrative d’appel avait retenu que les intéressés avaient vendu leur bateau par acte du 23 septembre 2015, antérieurement à l’établissement, le 26 février 2016, du procès-verbal de contravention de grande voirie et cela alors même que les formalités prescrites par les dispositions de l'article L. 4121-2 du code des transport, lesquelles incombent à l'acquéreur, n'avaient pas été accomplies. Par suite, les vendeurs, qui avaient au demeurant effectué toutes démarches, y compris contentieuses, pour que les acquéreurs les accomplissent, ne pouvaient plus être regardés, à la date du procès-verbal, comme les personnes ayant commis l'infraction de stationnement sans autorisation, ni comme les personnes pour le compte desquelles cette infraction a été commise, ni comme les personnes ayant la garde du bateau, moyen de la commission de la contravention.

Il est en effet de jurisprudence constante, au moins depuis 1998 (27 février 1998, Ministre de l'équipement, des transports et du logement c/ Entreprise SOGEBA, req. n° 169359) que « la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est, soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention ».

La solution est entérinée par le Conseil d’État qui rejette le pourvoi de Voies navigables de France.

(13 septembre 2021, Voies navigables de France, n° 450097)

(9) V. aussi, sur cette affaire, à propos de la résolution du litige né de la majoration de 100% : 13 septembre 2021, Mme C. et M. B., n° 443019.

 

10 - Location d'un bien public à une personne privée - Loyer inférieur à la valeur locative - Condition de régularité de la location - Application des principes de l'arrêt Commune de Fougerolles - Rejet.

Le Conseil d'État était saisi d'un pourvoi dirigé contre un arrêt annulant la décision d'un président de centre communal d'action sociale de louer des locaux professionnels à un kinésithérapeute à un prix nettement inférieur à leur valeur locative. La cour administrative d'appel avait transposé, en matière de location d'un bien public, les principes posés par la jurisprudence en matière de vente (Section, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, Rec. p. 391) et relevé l'absence de motif d'intérêt général comme de contreparties suffisantes, pouvant motiver le prix du loyer, en particulier l'absence d'offre insuffisante de soins en matière de kinésithérapie.

Le juge de cassation approuve l'argumentation ainsi retenue.

(28 septembre 2021, Centre communal d'action sociale de Pauillac, n° 431625)

 

11 - Cession par une commune de terrains bâtis dans le cadre d’un bail emphytéotique – Cession à un prix inférieur à la valeur vénale des biens – Justifications à apporter – Absence – Rejet.

(13 septembre 2021, Commune de Dourdan, n° 439653 ; Société Dourdan Vacances, n° 439675)

V. n° 12

 

Collectivités territoriales

 

12 - Cession par une commune de terrains bâtis dans le cadre d’un bail emphytéotique – Cession à un prix inférieur à la valeur vénale des biens – Justifications à apporter – Absence – Rejet.

Une commune a conclu avec une société un bail emphytéotique d’une durée de soixante années, à compter du 1er janvier 1962, portant sur un ensemble de terrains en vue de la construction et de l’exploitation d’un village de vacances. Sur proposition de la société, le conseil municipal a approuvé la vente à cette dernière de ces terrains et constructions au prix d’un million d’euros, l’estimation du service des domaines – qui ne portait que sur la valeur des seuls terrains nus - étant de 994 000 euros.

Saisie sur renvoi après cassation, la cour administrative d’appel a estimé très inférieure à la valeur vénale du bâti la somme de six mille euros représentant la différence en plus entre l’estimation domaniale et le prix de vente, sans que cela soit justifié par un motif d’intérêt général.

Sur pourvois de la commune et de la société d’exploitation du village vacances, le Conseil d’État confirme l’arrêt d’appel et, s’agissant d’un second pourvoi, statue définitivement au fond.

Le Conseil d’État rappelle le régime jurisprudentiel des cessions immobilières par des collectivités publiques tel qu’il résulte d’une importante décision de Section (3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, Rec. 391) : « La cession par une commune d'un bien immobilier à des personnes privées pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. »

En l’espèce, il est relevé que la somme de six mille euros retenue pour prix de la cession de l’ensemble du bâti nécessitait une justification dans la note explicative de synthèse qui avait été adressée aux conseillers municipaux avant la délibération sur cette opération de cession. Or cette note, si elle indiquait que le bail emphytéotique conclu avec la société Dourdan-Vacances était d'une durée de soixante ans à compter du 1er janvier 1962 et précisait qu'à l'expiration du contrat, le bâti devait revenir en pleine propriété à la commune, elle ne comportait aucun élément permettant d'apprécier la valeur de la renonciation. Cette absence est d’autant plus à relever que l’avis du service des domaines ne comportait aucun élément à cet égard puisqu’il se limitait à évaluer les terrains d'assiette.

Les élus ont donc été mis dans l’impossibilité d’apprécier si la différence entre le prix envisagé et l'évaluation fournie par le service des domaines pouvait être regardée comme représentative de l'indemnité due à la commune pour sa renonciation au droit d'accession et, par suite, si la commune pouvait être regardée comme n'ayant pas cédé un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur. 

(13 septembre 2021, Commune de Dourdan, n° 439653 ; Société Dourdan Vacances, n° 439675)

 

Contentieux administratif

 

13 - Requête en référé suspension et QPC - Défaut de préjudice grave et immédiat - Défaut d'urgence - Irrecevabilité de la demande de transmission de la QPC - Rejet.

La fédération requérante demandait, à la fois, que soit suspendue l'exécution du décret du 29 juin 2021 relatif à la priorité d'accès aux installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performantes ainsi que l'arrêté du même jour et que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité.

Le juge des référés jugeant que la demande de référé suspension étant formulée en termes trop généraux pour permettre de caractériser l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les membres de la fédération requérante, celle-ci doit être rejetée. Par suite, est rejetée également la demande de transmission de la QPC : la solution est classique et normale puisque la QPC se greffe sur une demande principale qui, ici, est rejetée. Ce qui est remarquable en l'espèce c'est que l'ordonnance ne dit rien de cette conséquence, la QPC étant ainsi rejetée implicitement.

(ord. réf. 10 septembre 2021, Fédération Nationale des Activités de Dépollution, n° 456188)

 

14 - Référé suspension - Condition d'urgence - Établissement de l'urgence - Nécessité d'en apporter la démonstration ou la preuve - Absence en l'espèce - Rejet.

La demande de référé suspension est soumise, notamment, à l'existence d'une urgence à statuer. Cette urgence doit être expressément établie par l'auteur de la requête en référé. Celui-ci ne saurait se borner, comme en l'espèce, à soutenir que « l'urgence n'est pas douteuse du fait de l'entrée en vigueur des dispositions critiquées ».

(ord. réf. 17 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456576)

(15) V. aussi, identiques : ord. réf. 21 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456650 et Mme A. et autres, n° 456652.

(16) V. encore, précisant également que l'urgence, au sens de l'art. L. 521-2 CJA, s'apprécie comme justifiant de statuer sous 48 heures. L'entrée en vigueur d'un texte n'établit pas de cette urgence-là quand bien même serait avérée l'atteinte à une liberté fondamentale : 17 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456577.

 

17 - Dispositions d'une ordonnance de l'art. 38 - Art. 16 déclaré inconstitutionnel par voie de QPC - Effets de cette déclaration sur les autres moyens développés, devant le Conseil d’État, contre cette ordonnance, par voie d'action. Appréciation de la portée rétroactive des annulations prononcées.

Le Conseil d’État avait été saisi d'un recours dirigé contre divers articles de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et contre des dispositions de la circulaire de présentation de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 26 mars 2020. Les requérants avaient soulevé, d'une part une question prioritaire de constitutionnalité, et d'autre part divers griefs d'illégalité.

Sur renvoi du Conseil d’État des articles 4, 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance, l'art. 16 a été déclaré inconstitutionnel. A la suite de cette décision (C. C., 15 janvier 2021, n° 2020872 QPC), le Conseil d’État avait, d'une part, prononcé l'annulation des autres dispositions de l'ordonnance et accordé un délai d'un mois aux parties pour formuler leurs observations sur le point de savoir si l'annulation rétroactive de ces dispositions serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'elles ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand elles étaient en vigueur et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

La présente décision a pour objet de régler définitivement ce qui reste du litige.

Le juge estime que, s'agissant des articles 5, 16 et 17, la rétroactivité du prononcé de leur annulation aurait des conséquences manifestement excessives en raison de la remise en cause des décisions et des mesures ayant été prises sur leur fondement ainsi que des objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions. Il décide donc d'en limiter les effets dans le temps et, compte tenu de ce que les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance ne sont plus applicables, de prévoir que les effets de ces dispositions, jusqu'à la présente annulation s'agissant des articles 5 et 17, doivent être regardés comme définitifs.

S'agissant de l'art. 4, la déclaration d'illégalité est faite avec effet rétroactif, ce dernier caractère n'emportant pas des effets excessifs.

(23 septembre 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Conseil national des barreaux, Ordre des avocats au barreau de Paris et association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 440037 ; M. A., n° 440165)

 

18 - Ordonnance de donné acte d'un désistement - Appel de cette ordonnance - Office du juge d'appel - Erreur de droit - Annulation.

Le juge d'appel saisi de la contestation d'une ordonnance donnant acte au requérant de son désistement faute d'avoir répondu dans le délai fixé par le juge doit, conformément à une jurisprudence désormais bien établie,  vérifier que l'intéressé a reçu la demande  de confirmation du maintien de ses conclusions (art. R. 612-5-1 CJA), que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile. Enfin, ces conditions étant réunies, il incombe au juge d'appel d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1 précité. En se bornant à ne vérifier que ce dernier point et en omettant l'examen des autres, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, d'où l'annulation de son arrêt.

(27 septembre 2021, M. A., n° 438009)

(19) V. aussi, dans le même sens : 30 septembre 2021, M. A., n° 443763.

 

20 - Procédure contentieuse - Refus de tenir compte d'un mémoire pour dépôt tardif - Tardiveté prétendue contredite par l'accusé de réception d'une application télématique - Décision irrégulière - Annulation.

Doit être annulé pour avoir été rendu dans des conditions irrégulières, l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile qui refuse de tenir compte de l'unique mémoire déposé dans le cadre d'un procès par l'OFPRA car il aurait été produit après la date de clôture de l'instruction alors qu'il résulte de l'accusé de réception de l'application "CNDém@t " qu'il a été déposé deux jours avant l’expiration de cette date.

(27 septembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 440190)

 

21 - Propriétaires voisins - Recours en tierce opposition contre un jugement annulant un refus de permis de construire - Conditions de recevabilité d'un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Conditions non réunies en l'espèce - Rejet.

Ne commet ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits et n'enfreint pas les exigences du procès équitable, l'arrêt d'appel qui rejette l'action en tierce opposition contre un jugement annulant le refus d'un permis de construire  car, d'une part l'annulation d'un tel refus ne valant pas octroi du permis et d'autre part, les motifs de ce jugement, alors même que, s'agissant de ceux de ces motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif d'annulation, l'autorité absolue de la chose jugée fait obstacle à ce qu'en l'absence de changement de circonstance de droit ou de fait, l'administration fonde un nouveau refus sur l'un d'entre eux, ne valant pas davantage par eux-mêmes octroi d'un tel permis, il s'ensuit que ce jugement ne préjudicie pas directement aux droits des demandeurs au pourvoi, seule hypothèse donnant ouverture à une action en tierce opposition.

(29 septembre 2021, EARL Grand Fossé et autres, n° 438525)

V. pour un autre aspect de la décision, le n° 82

 

22 - Délai du recours contentieux - Délai franc - Computation en cas de jour férié - Prétendue tardiveté - Absence - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge d'une cour administrative d'appel qui rejette pour tardiveté un appel, introduit le 11 mai 2018, dirigé contre un jugement notifié le 9 mars 2018. En effet, le délai a commencé à courir le 10 mars (neutralisation du dies a quo, soit le 9 mars) et s'est achevé le 11 mai à minuit (non le 10, dies ad quem, qui était un jour férié). L’appel n’était donc point tardif.

(29 septembre 2021, Ministre des armées, n° 447332)

(23) V., comparable, la décision du Conseil d’État annulant le rejet d'un recours contentieux pour cause de tardiveté alors que du fait de l'épidémie de Covid-19, la date à l'expiration de laquelle était constituée en l'espèce une décision implicite de rejet a été reportée au 24 juin 2020 par l'effet des dispositions prorogatrices de délais contenues à l'art. 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ; le délai de recours expirait donc, en l'espèce, le 24 octobre 2020 inclus et la requête, enregistrée au greffe le 22 octobre, n'était donc pas entachée de forclusion : 29 septembre 2021, M. B., n° 447987.

 

24 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Qualité de partie en première instance nécessaire pour se pourvoir – Absence en la matière s’agissant d’une communauté d’agglomération – Faculté n’appartenant qu’aux seuls services de l’État – Rejet pour irrecevabilité.

(7 octobre 2021, Communauté d’agglomération Grand Lac, n° 438203)

V. au n° 37

 

Contrats

 

25 - Accord-cadre - Procédure négociée - Offre adressée par voie électronique reçue hors délai - Rejet de l'offre pour tardiveté - Offre déposée en temps utile - Fonctionnement correct du matériel de l'expéditeur - Irrégularité - Rejet.

La RATP recherchait l'annulation de l'ordonnance de référé par laquelle a été annulée sa décision de rejeter pour tardiveté une offre faite par voie électronique hors délai dans le cadre d'un appel d'offres ouvert en vue d'un accord-cadre.

Le pourvoi est rejeté car la société auteur de l'offre a établi, d'une part, avoir adressé son envoi en temps utile, et, d'autre part, l'absence de tout dysfonctionnement de son appareil, d'autant que la RATP n'a pu démontrer le bon fonctionnement de sa propre plateforme.

En outre, la RATP ne saurait reprocher au juge du référé précontractuel de n'avoir pas tenu compte, dans son appréciation d'une éventuelle négligence de la société, de l'absence de dépôt par cette société d'une copie de sauvegarde des documents transmis, dès lors que la transmission d'une copie de sauvegarde des documents eux-mêmes transmis par voie électronique est une simple faculté ouverte aux candidats et soumissionnaires en application de l'article R. 2132-11 du code de la commande publique, et que l'absence d'un tel dépôt n'était pas à elle seule de nature à établir l'existence d'une négligence de la société.

La solution doit être approuvée.

(23 septembre 2021, RATP, n° 449250)

 

26 - Marché public - Mémoire de réclamation - Conditions de forme et de contenu - Condition non remplie par le renvoi à un document antérieur - Rejet.

Rappel et même amplification d'une exigence de forme que l'on peut juger excessive.

Le juge déduit des dispositions du 1.1 de l'art. 50 du CCAG Travaux qui fixent les conditions de forme et le contenu du mémoire en réclamation (énoncé d'un différend, exposition précise et détaillée des chefs de la contestation, montants des sommes réclamées, motifs de ces demandes dont les bases de calcul) que celui-ci doit figurer soit dans le mémoire lui-même soit dans un document annexé à ce mémoire. Il ne saurait en revanche, figurer dans un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre auquel le mémoire de réclamation se bornerait à renvoyer sans le joindre à nouveau à ce mémoire.

(27 septembre 2021, Société Amica, n° 442455)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

27 - Impôt sur le revenu global – Plus-value réalisée lors de la cession d’actions d’une société américaine – Acquisition et cession effectuées en dollars américains – Calcul de la plus ou de la moins-value – Conversion en euros – Rejet.

L’art. 150-0-A, I, 1 du CGI soumet à l’impôt sur le revenu les gains réalisés à l’occasion des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières.

Ici la question posée était de savoir comment calculer le gain net imposable s’agissant d’actions acquises puis vendues à des prix exprimés en dollars américains.

Les requérants prétendaient que ce gain devait être calculé par la conversion en euros, au jour de la cession, de la différence entre les prix, en dollars américains, d’achat et de vente et contestaient la solution retenue par la cour administrative d’appel. Celle-ci, pour constater le gain net, a converti en euros respectivement, les prix d’achat en dollars américains, au jour de l’acquisition, et celui de cession en dollars américains au jour de la vente et calculé la différence entre les deux prix exprimés en euros.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État approuvant la solution, très logique, retenue par la cour compte tenu de la nécessaire intégration des taux de change.

(13 septembre 2021, M. B. et Mme F., n° 443914)

 

28 - Taxe d’habitation – Abattement pour assistants familiaux et maternels – Nécessité de produire le planning journalier des gardes d’enfants – Erreur de droit – Annulation.

Les assistants maternels et familiaux peuvent demander le bénéfice d’un abattement de la taxe d’habitation à raison de la nécessité où ils sont de disposer dans leur habitation d’un espace pour les enfants dont ils assurent la garde et l’entretien. Le Conseil d’État juge, contrairement au tribunal administratif, que la production par l’intéressée des bulletins de salaires et des contrats de travail ne suffisait pas et que c’est à juste titre que l’administration fiscale lui a demandé la fourniture des plannings journaliers retraçant le nombre d'enfants gardés et la durée de garde journalière de chacun d'eux afin que l’abattement de taxe d’habitation soit calculé au prorata.

Pour logique que soit cette exigence, elle cadre mal, d'une part, avec la modestie des sommes en jeu et, d'autre part, avec les conséquences paperassières qu'elle engendre pour des personnes dont les compétences en sont bien éloignées. Il conviendrait de se souvenir que les formalités administratives ne doivent point être conçues dans le seul souci du confort des agents publics.

(13 septembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 445544)

 

29 - Imposition des bénéfices des sociétés – Convention de fusion avec effet rétroactif – Conséquences sur le régime fiscal applicable – Interprétation ministérielle de la loi fiscale – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du 24 février 2021 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a refusé d'abroger les paragraphes 80, 90 et 110 des commentaires administratifs publiés le 3 octobre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts par lesquels il a fait connaître son interprétation de la loi fiscale en ce qui concerne les conséquences à tirer, en matière d'imposition des bénéfices des sociétés, des clauses des conventions de fusion prévoyant une date d'effet rétroactif.

Il se déduit du 2. de l’art. 38 du CGI qu'un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l'entreprise, telle qu'elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par l'entreprise. Si parmi ces opérations figurent des contrats conclus avec des tiers dans le cadre d'une gestion commerciale normale, les conséquences de ces contrats pour l'entreprise, qu'il s'agisse des droits et des obligations résultant de leurs stipulations ou des profits et des charges entraînés par leur exécution, doivent donc être reprises dans le bilan établi à la date de clôture de la période au cours de laquelle les contrats ont été conclus.

Il suit de là, lorsqu'un effet rétroactif est attaché à ces contrats par la volonté des parties ou par la loi civile ou commerciale, que les conséquences de cette rétroactivité doivent affecter les résultats de l'exercice au cours duquel de pareils contrats ont été effectivement conclus.

En cas de conclusion d’un contrat de  fusion de deux sociétés, avec effet rétroactif de la fusion à une date antérieure à celle à laquelle la convention de fusion a été définitivement conclue, rien ne s'oppose à ce que soient prises en compte toutes les conséquences de la fusion, pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante, dans le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel la convention a été définitivement conclue.

Cependant, conformément à l’interprétation ministérielle contestée par la requérante, les effets de la fusion, qui ne saurait exercer une influence sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents de chacune des deux sociétés concernées, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par celles-ci au cours de ces exercices, ne sauraient remonter à une date antérieure à la plus récente des dates d'ouverture des exercices des deux sociétés au cours desquels la convention a définitivement été conclue.

Le recours est, très logiquement, rejeté.

(13 septembre 2021, Société Adis, n° 451564)

 

30 - Plan comptable général – Modification par l’Autorité des normes comptables (ANC) – Conditions d’amortissement des fonds commerciaux des petites entreprises (art. L. 123-16 code de commerce) – Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi par le tribunal administratif d’Orléans de la question suivante : à la suite de la modification des dispositions du plan comptable général par le règlement du 23 novembre 2015 pris par l'Autorité des normes comptables, l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts doit-il être interprété comme autorisant, en application du principe de connexion fiscalo-comptable, les petites entreprises, définies à l'article L. 123-16 du code de commerce, à amortir tous leurs fonds commerciaux sur dix ans sans avoir à justifier de l'irréversibilité de leur dépréciation ?

Il est répondu que si, en effet, les dispositions du cinquième alinéa de l'article 214-3 du plan comptable général permettent à une petite entreprise au sens de l'article L. 123-16 du code de commerce d'amortir sur 10 ans l'ensemble des fonds commerciaux inscrits à l'actif de son bilan, ces mêmes dispositions ne subordonnent pas l'exercice de l'option qu'elles prévoient à la condition, prévue par la loi fiscale, que les effets bénéfiques sur l'exploitation du fonds commercial dont il s'agit prennent fin à une date déterminée.

Il suit de là qu’en raison de l'incompatibilité de cette règle comptable avec la règle législative, propre à la détermination de l'assiette de l'impôt, selon laquelle (art. 39 CGI) un élément d'actif incorporel identifiable, y compris un fonds de commerce, ne peut donner lieu à une dotation à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée, une petite entreprise qui met en œuvre l'option prévue à l'article 214-3 du plan comptable général ne saurait en conséquence s'en prévaloir pour la détermination de son résultat fiscal. 

(Avis, 8 septembre 2021, SELARL Pharmacie de Bracieux, n° 453458)

 

31 - Ordre de reversement d'une aide d'urgence - Conditions et délai de contestation - Décision initiale devenue définitive constatant une créance publique et la liquidant - Possibilité de contester néanmoins l'ordre de reversement dans le délai du recours contentieux - Irrecevabilité du recours dirigé contre un ordre de reversement se bornant à réitérer la décision initiale - Annulation et rejet.

Un marin pêcheur, qui avait obtenu une aide d'urgence pour son navire, s'est vu réclamer quelques mois plus tard, par une décision préfectorale du 20 novembre 2008, le remboursement du montant de cette aide après que son navire a été détruit. Il a fait l'objet d'un ordre de reversement émis par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) le 2 décembre 2008, puis, après plusieurs relances, cet ordre de reversement a été réitéré par un titre exécutoire émis le 27 mars 2015 par l'Agence de services et de paiement qui a succédé au CNASEA.

Deux pourvois sont formés contre l'arrêt fondés notamment sur la forclusion : l'intéressé n'aurait pas pu saisir le juge d'un recours contre le titre de mars 2015 alors que le délai de recours contre la décision préfectorale du 20 novembre 2008 ou contre l'ordre de reversement du 2 décembre 2008 était manifestement expiré.

Le Conseil d’État, comme le juge d'appel, rejette l'argumentation en indiquant, pour la première fois avec cette netteté dans la formulation, que « Le destinataire d'un ordre de versement est recevable à contester, à l'appui de son recours contre cet ordre de versement, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive ».

Toutefois, en l'espèce, le juge relève que le titre de mars 2015, qui porte comme date d'émission celle du 2 décembre 2008, se borne à rappeler le montant dû figurant dans l'ordre de reversement du 2 décembre 2008 ; n'emportant par lui-même aucune décision nouvelle, le titre de 2015 n'a pu rouvrir le délai de recours contentieux. Les conclusions du demandeur étaient donc irrecevables contrairement à ce qu'a jugé la juridiction d'appel.

(28 septembre 2021, Ministre de l'agriculture, n° 437650 ; Agence de services et de paiement, n° 437683)

 

32 - Aménagement de combles - Qualification refusée de travaux d'agrandissement - Juridiction d'appel prenant en considération la hauteur des combles avant travaux - Erreur de droit - Annulation.

Le litige portait sur la prise en compte, dans les revenus fonciers, des frais occasionnés aux demandeurs par la réalisation de travaux sur un ensemble immobilier dont ils sont propriétaires.

Dans ce cadre, la cour administrative d'appel avait jugé que n'étaient pas des travaux d'agrandissement ceux relatifs à l'aménagement des combles motif pris de ce qu'ils avaient déjà une hauteur de 1,80 mètre avant les travaux et qu'ils étaient dès cette date habitables.

Le Conseil d’État annule ce raisonnement en exigeant que la cour vérifie, outre cette hauteur, si, avant les travaux, « les combles étaient (...) pourvus d'aménagements les rendant habitables ».

On apercevrait ici plutôt une erreur de fait qu'une erreur de droit...

(28 septembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439145)

 

33 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Déductibilité de la TVA acquittée sur des dépenses antérieures à l'opération - Nécessité d'un lien direct et immédiat entre une opération en amont et une ou plusieurs opérations en aval - Absence en l'espèce - Annulation.

A l'occasion d'une opération de cession des parts d'une société à une société tierce, la Sarl Saint-Exupéry Holding a été contrainte d'exposer des frais d'avocat et d'instance à l'occasion d'un litige l'opposant à la société acquérante. Elle entendait déduire de la TVA applicable à cette opération de cession celle ayant grevé les frais de procès et d'honoraires.

Le ministre demandeur à la cassation se pourvoit contre l'arrêt d'appel qui a donné gain de cause à la holding.

Pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État relève que c'est par suite d'une erreur de droit que la cour a admis la déductibilité de la TVA. En effet, elle a jugé que l'opération en cause avait un caractère patrimonial et qu'il était établi que la TVA ayant grevé les frais de procédure n'avait pas été incorporé au prix de cession. Or une opération purement patrimoniale n'entrant pas dans le champ d'application de la TVA, il ne saurait exister, comme l'exigent les textes et la jurisprudence communautaires, de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction : dès lors il ne pouvait être question de déductibilité.

(28 septembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440987)

 

34 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Acquisition de biens immobiliers à usage d’habitation avec faculté de rachat par le vendeur – Nature juridique d’une telle vente - Livraison de bien lors de la vente – Réalisation d’une condition résolutoire lors du rachat – Qualification de livraison de bien en ce second cas – Erreurs de droit et de qualification juridique des faits – Cassation sans renvoi (affaire réglée au fond, art. L. 821-2 CJA).

Une société immobilière propose aux personnes en surendettement de leur acheter leur bien à usage d’habitation, à un prix inférieur à sa valeur vénale, avec faculté pour elles de le racheter dans les dix-huit mois en cas de retour à meilleure fortune, celles-ci continuant à occuper leur bien, à verser un loyer et pouvant racheter leur bien à un prix supérieur de 13% au prix de vente.

La société s’est acquittée du montant de la TVA calculé sur la différence entre le prix d’achat et le prix de vente de chaque bien, puis elle a sollicité le remboursement, avec intérêts moratoires, de la TVA. Après refus de l’administration fiscale, la société a saisi, en vain, le tribunal administratif, avec succès la cour administrative d’appel. Le ministre chargé des finances se pourvoit contre cet arrêt et en obtient la cassation.

Appliquant les dispositions des art. 1659, 1660, 1661 et 1664 du Code civil, le Conseil d’État relève que si, lors de la cession initiale du bien à la société, l’opération constitue une livraison de bien, par conséquent exonérée de TVA (cf. art. 256, 2° du 5 de l’art.  261 et 1° de l’art. 261 C du CGI), en revanche il n’en va pas de même lors du rachat du bien par le vendeur initial, cette opération constituant non une livraison de bien mais la mise en œuvre d’une condition résolutoire ayant pour effet de remettre les parties dans le même et semble état que celui dans lequel elles étaient avant la vente. C’est donc par suite d’une erreur de droit et d’une erreur sur la qualification juridique des faits que la cour administrative d’appel avait estimé exonérée de TVA l’opération de rachat.

(7 octobre 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 430136)

 

35 - Plus-value d’apport – Régime du sursis d’imposition (art. L. 150-0 B CGI) – Vente de parts sociales reçues en contrepartie d’apport – Plus-value de cession – Bénéfice du taux optionnel d’imposition à 19% (2bis de l’art. 200 A CGI) - Refus – Application du taux de 24% (cf. A du IV de l’art. 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013) – Erreur de droit mais rejet par substitution de motif.

Si, finalement, les auteurs du pourvoi succombent pour une question de délai d’exercice d’une activité, le principe posé dans cette décision demeure et il est d’une importance pratique certaine.

Le e du 2 bis de l'article 200 A du CGI prévoit qu’en cas d'exercice par le contribuable d'une fonction dirigeante ou d'une activité salariée au sein d’une société, dont les titres ou droits sont cédés, pendant une période de cinq ans précédant la cession la plus-value de cession de parts sociales bénéficie d’un taux d’imposition de 19%.

Ce taux est déclaré applicable par le Conseil d’État « aux gains nets de cession mentionnés à l'article 150-0 A du même code, réalisés au titre de l'année 2012, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ces gains soient issus de la vente ou du rachat de titres reçus à l'occasion d'opérations ayant relevé de l'article 150-0 B du même code ». C’est là l’apport principal de la décision.

Toutefois, comme c’était le cas des requérants dans la présente espèce, faute de satisfaction de cette condition de durée des fonctions, est alors applicable le taux d’imposition de 24% prévu au IV de l'article 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

(7 octobre 2021, M. et Mme C., n° 433954)

(36) V. aussi, voisine quant à l’exigence de durée minimale d’exercice d’activité pour pouvoir bénéficier d’une exonération fiscale de plus-value, la décision qui approuve  une cour administrative d’appel d’avoir jugé  que la remise en cause de l'exonération de la plus-value que le requérant avait réalisée en 2007 ne procédait pas directement du rehaussement des résultats de la société, imposable entre les mains de celui-ci en sa qualité d'associé de la société soumise au régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8 CGI, mais de l'utilisation, par l'administration fiscale, pour apprécier si la condition de seuils à laquelle était subordonnée l'exonération de plus-value dont se prévalait à titre personnel le requérant sur le fondement de l'article 151 septies du même code était satisfaite, d'informations sur le montant du chiffre d'affaires de la SNC recueillies lors de la vérification de la comptabilité de cette dernière. Par suite, l'irrégularité de la procédure d'imposition menée à l'encontre de la SNC, qui résultait de l'absence de réponse donnée à sa demande de saisine de l'interlocuteur départemental, n'était pas de nature à rendre illégale, au regard de la garantie des droits consacrée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, l'utilisation des éléments comptables recueillis par l'administration fiscale au cours des opérations de contrôle menées à l'égard de cette société et pris en compte pour remettre en cause l'avantage fiscal dont se prévalait le requérant.

Voilà une solution de faible moralité que n’excuse pas le comportement similaire ou comparable du contribuable ; il n’existe pas, pour la puissance publique, un principe d’égalité dans le recours à la turpitude. Elle ne saurait, tel un nouveau Mascarille, s’écrier :

« Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde,

Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,

Votre oeil en tapinois me dérobe mon coeur,

Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur »

(7 octobre 2021, M. et Mme X., n° 434805)

 

37 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Qualité de partie en première instance nécessaire pour se pourvoir – Absence en la matière s’agissant d’une communauté d’agglomération – Faculté n’appartenant qu’aux seuls services de l’État – Rejet.

Une société ayant obtenu du tribunal administratif la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle avait été assujettie, la communauté d’agglomération dans le périmètre de laquelle est situé l’immeuble de cette société servant d’assiette à la taxe, se pourvoit contre le jugement.

Le Conseil d’État rappelle que seuls peuvent se pourvoir en cette matière les services de l'État car ce sont eux qui établissent, liquident et recouvrent, pour le compte de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale qui en est le bénéficiaire légal, cet impôt local qu’est la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

Le pourvoi de la communauté d’agglomération est donc déclaré irrecevable.

(7 octobre 2021, Communauté d’agglomération Grand Lac, n° 438203)

 

Droit public économique

 

38 - Aide à la première installation de jeunes agriculteurs - Conditions de l'aide - Instruction définissant les activités à retenir pour l'établissement du revenu disponible agricole - Fiche annexée à cette instruction - Définition des « activités agricoles » - Définition ne restreignant pas ces activités aux seules activités de première transformation - Absence d'illégalité - Rejet sur ce point.

Le code rural et de la pêche maritime a prévu l'octroi d'une aide d'État pour favoriser la première installation de jeunes agriculteurs. Les dispositions combinées des art. D. 343-3 et L. 311-1 de ce code, en même temps qu'elles esquissent une définition des « activités » agricoles, renvoyaient au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le revenu disponible agricole sur une certaine période afin de vérifier la viabilité de cette première installation.

A cette fin, le ministre de l'agriculture a pris une instruction, du 9 avril 2015, accompagnée de fiches techniques.

Le syndicat requérant estimait que ces documents restreignaient illégalement la notion d'activités agricoles à celles de première transformation, excluant donc les autres stades de transformation et ne satisfaisant pas ainsi aux dispositions, réglementaire et législative, précitées.

Le moyen est rejeté car il manque en droit et en fait. Le Conseil constate au contraire que c'est explicitement que l'instruction et sa fiche technique n° 1 ont prévu la faculté,  pour les jeunes agriculteurs, d'exercer « les activités de diversification situées dans le prolongement de l'exploitation, ce qui n'exclut pas, notamment, des activités de panification, de biscuiterie et de pâtisserie, afin de définir les conditions de détermination du revenu disponible agricole dont l'évolution prévisionnelle pendant les quatre premières années d'activité du demandeur constitue l'un des éléments pris en compte par l'administration pour apprécier la viabilité du projet d'installation présenté et statuer sur la demande d'aide à l'installation ».

De ce chef, le recours est rejeté

(28 septembre 2021, Confédération paysanne, n° 436696)

V. un autre aspect de cette décision au n° 4

 

39 - Gestion de la trésorerie de l'État - Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) - Obligation de dépôt des disponibilités de certains organismes sur le compte du Trésor - Organismes privés chargés d'une mission de service public - Notion de mission de service public et notion de service public - Ordonnance ne sortant point du champ de l'habilitation législative - Droit au respect des biens et à la protection de la propriété - Absence d'atteinte excessive - Rejet.

L'affaire était délicate.

La situation peu reluisante des finances publiques françaises a conduit l'État à un tour de passe-passe. Voulant éviter d'émettre de la dette pour faire face à ses engagements financiers, l'État a cherché par tous les moyens à se procurer de la trésorerie à peu de frais en contraignant toutes sortes d'organismes publics et privés à déposer leurs disponibilités sur un compte du Trésor sans aucune possibilité pour ceux-ci d'être rémunérés pour cette mise à disposition « gracieuse » forcée.

C’est dans ces conditions que le Fonds de garantie des dépôts et de résolution a saisi le Conseil d’État d'un recours nécessairement voué à l'échec étant donné l'importance de l'enjeu... (« filtrer le moustique et laisser passer le chameau... », aurait rappelé Jean Rivero).

Le requérant est une personne morale de droit privé, créée par la loi, qui  gère et met en oeuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution.

Il faut laisser de côté les moyens, assez faibles, de légalité externe soulevés par le FGDR, pour se consacrer à l'examen du fond qui consiste à critiquer la légalité de l'art. 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 relative à la centralisation des disponibilités de certains organismes du Trésor.

Celui-ci insère dans l'article L. 312-4 du code monétaire et financier un paragraphe II bis ainsi libellé : « A l'exception des fonds issus de dons, legs ou libéralités, les disponibilités du fonds de garantie des dépôts et de résolution sont déposées au Trésor et ne donnent lieu à aucune rémunération ». 

Partant de là le Fonds requérant développe une double argumentation : d'une part ce texte méconnaîtrait le champ de l'habilitation législative (A) et d'autre part, il violerait le premier protocole additionnel à la Convention EDH (B).

 

A/ Concernant l'habilitation, le Conseil d’État rappelle d'abord les critères permettant de savoir si une personne privée est chargée d'une mission de service public ou chargée d'un service public en réitérant une jurisprudence bien connue d'où se détachent les arrêts Narcy et APREI. Du premier, le juge retient qu'« une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ». Du second, il déduit qu'« une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ». On aura relevé cependant - du moins en apparence - une importante différence : l'arrêt Narcy, au moyen de ses critères cumulatifs, sert à déterminer l'existence d'un service public géré par une personne privée tandis que l'arrêt APREI ne sert qu'à déterminer si une personne privée accomplit une mission de service public. On aura compris qu'il ne s'agit pas du tout là de deux branches d'une alternative mais de deux situations différentes, exercer une mission de service public (c'est-à-dire l'une des missions d'un service public qui en comporte plusieurs) ne revient pas à assurer la gestion de l'ensemble d'un service public.

Ensuite, le Conseil d’État examine dans quel cas de ces deux figures se trouve le Fonds requérant pour en conclure qu'il exerce une mission de service public après avoir dit qu'il exerce une mission d'intérêt général et alors que sont satisfaits tous les critères de l'arrêt Narcy. C'est confus et brouillon, presque un galimatias.

Qu'on en juge (c'est nous qui avons mis certains passages en caractères gras) :

« 7.  D'une part, il ressort des pièces du dossier, que le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, personne morale de droit privé, qui a pour mission, en vertu de l'article L. 312-4 du code monétaire et financier, de gérer et de mettre en œuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution, assure une mission d'intérêt général. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 312-10 du même code que son règlement intérieur et les règles d'emplois de ses fonds sont homologués par arrêté du ministre chargé de l'économie, qu'il est soumis au contrôle de l'inspection générale des finances, que les délibérations par lesquelles son conseil de surveillance arrête le taux ou le montant des contributions appelées auprès de ses adhérents ainsi que la répartition des contributions selon leur nature sont prises sur avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et qu'un censeur d'État, désigné par le ministre chargé de l'économie, participe, sans voix délibérative, aux travaux du conseil de surveillance, l'article L. 312-13 du code monétaire et financier prévoyant, en outre, la possibilité pour le ministre, le gouverneur de la Banque de France, le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ainsi que pour le président de l'Autorité des marchés financiers ou leurs représentants d'être entendus, à leur demande, par le conseil de surveillance et le directoire. L'article L. 312-16 dispose également qu'il appartient au ministre chargé de l'économie de préciser par arrêtés, entre autres, les conditions, délais et modalités de mise en œuvre de la garantie des dépôts, le plafond d'indemnisation par adhérent et par déposant ou encore les modalités de désignation des membres du conseil de surveillance ainsi que la durée de leur mandat. Il s'ensuit que le Fonds doit être regardé comme placé sous le contrôle de l'État. Enfin, le Fonds est doté, pour l'exercice de sa mission d'intérêt général, de prérogatives de puissance publique dès lors que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les sociétés de financement mentionnées au II de l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, agréés en France, ainsi que les compagnies financières holding et holding mixtes ayant leur siège en France, les entreprises de marché autorisées à fournir les services d'investissement mentionnées aux 8 et 9 de l'article L. 321-1 de ce code sont tenus d'adhérer au fonds, qu'il peut, en application de l'article L. 312-7 du même code, lever des contributions exceptionnelles et que, pour l'exercice de sa mission d'indemnisation, le Fonds a, sur le fondement de l'article L. 312-15 de ce code, accès aux informations nécessaires détenues par ses adhérents, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et son collège de supervision ou son collège de résolution, y compris celles couvertes par le secret professionnel.
8. Compte tenu de tout ce qui précède, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration en étant doté, à cette fin, de prérogatives de puissance publique, exerce une mission de service public ».

On a bien lu : Le FGDR exerce une mission de service public alors que l'on attendait qu'il fût, au terme de ce qu'en dit le juge, déclaré chargé d'un service public.

Les disponibilités du Fonds de garantie des dépôts et de résolution sont considérées par le juge comme étant majoritairement issues de ressources prévues par la loi en dépit de ce que l'art. L. 312-10 du code monétaire et financier confie au seul conseil de surveillance du Fonds la compétence pour fixer le taux ou le montant des contributions appelées auprès des adhérents du Fonds ainsi que leur répartition selon leur nature.

De là la conclusion en forme de rejet de ce premier moyen : on ne saurait soutenir que l'auteur de l'art. 1er de l'ordonnance attaquée a excédé le champ de l'habilitation législative (cf. art. 58 de la loi du 17 juin 2020) puisque le Fonds est un organisme privé, établi par la loi, chargé d'une mission de service public et dont les disponibilités sont bien majoritairement issues de ressources prévues par la loi, au sens des dispositions de l'article 58 de la loi du 17 juin 2020.

Circulez, il n'y a rien à voir...Le massacre des notions gestion de service public, de mission de service public, de mission d’intérêt général, etc. n’intéresse personne.

 

B/ Concernant la Convention EDH, on ne sera guère surpris de lire que le juge ne voit ici aucune atteinte à son premier protocole additionnel. L'État est aux abois (crise sanitaire, endettement considérable récurrent) et s'emparer des liquidités du Fonds, qui cependant n'en perd pas la libre disposition (sic, sauf s'il en a besoin quand le Trésor ne les a plus...), « ne porte pas une atteinte excessive au droit du requérant au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ». La messe est dite. Ite missa est.

(28 septembre 2021, Fonds de garantie des dépôts et de résolution, n° 447625)

 

40 - Police des contrats d’assurance-vie en déshérence – Exercice d’un contrôle par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Cas d’une mutuelle – Obligations pesant sur elle de ce chef – Manquements avérés et d’une gravité certaine – Sanctions – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Voilà une affaire exemplaire.

La loi du 17 décembre 2007 a prévu que les organismes, telles les compagnies d’assurances ou les mutuelles notamment, ont l’obligation de rechercher les bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés afin de prévenir la non-exécution des engagements, pris à l'égard des assurés, dont le fait générateur est le décès. Cette obligation concerne ceux des contrats « dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine » (art. L. 111-1, I, 1°, b du code de la mutualité).

A la suite d’un contrôle diligenté par l’ACPR, et compte tenu des manquements à ces exigences, il a été infligé à la mutuelle – composée pour l’essentiel des « petites catégories de personnel des PTT » - un blâme, une sanction pécuniaire de 500 000 euros et la publication de cette décision au registre de l'Autorité. C’est de ces décisions de sanction que la mutuelle demandait l’annulation.

Sans surprise le recours est rejeté. 

Tout d’abord, la mutuelle faisait valoir que le contrat TUT’LR qu’elle commercialise auprès de ses 400.000 adhérents (PTT et Orange) est un contrat mixte de prévoyance qui n'est pas au nombre des contrats soumis aux obligations susrappelées. L’argument est infondé car il ressort clairement de la lecture des dispositions en cause du code de la mutualité (notamment les art. L. 223-10, dernier alinéa et L. 223-10-2) que les obligations qu'elles prescrivent doivent être mises en œuvre pour tout contrat d'assurance comportant des engagements dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, y compris ceux comprenant également d'autres garanties, notamment au titre de la prévoyance, et ceci quelle que soit l'importance respective des différentes garanties offertes au sein du même contrat.

Dès lors que, comme en l’espèce où le contrat TUT'LR comporte des garanties décès permettant aux ayants droit, en cas de décès de l'assuré pendant la durée de vie du contrat, de bénéficier d'un capital, un tel contrat constitue indubitablement un engagement dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, au sens du b du 1° du I de l'article L. 111-1 du code de la mutualité précité. Cette conséquence n’est affectée ni par le fait que le contrat TUT'LR est dépourvu de finalité d'épargne, ni par la circonstance que son souscripteur peut, à chaque échéance annuelle, décider d'y mettre un terme, ni, non plus, de ce que les fonds investis sont perdus dans l'hypothèse où le risque garanti ne se réalise pas. C’est donc sans erreur de droit que la commission des sanctions de l’ACPR a estimé que Tutélaire était tenue, au titre de son contrat TUT'LR, de procéder systématiquement à des recherches sur le décès éventuel de ses assurés et, le cas échéant, de rechercher leurs ayants-droit. 

La mutuelle faisait également valoir qu’était méconnu en l’espèce le principe de légalité des délits et des peines. L’argument peine à convaincre dès lors que ce principe, appliqué en dehors de la matière pénale, ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l'institution dont elle relève. Tel est le cas ici où la mutuelle ne pouvait se méprendre sur la portée de ses obligations en matière de contrats d'assurance sur la vie non réclamés. Elle ne saurait donc invoquer une prétendue violation de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ou de l'article 7 de la Convention EDH.

Ensuite, concernant les manquements reprochés à Tutélaire, ils sont avérés et indiscutables aussi bien en ce qui concerne le grief tiré de l'absence de recherche exhaustive et systématique du décès potentiel des assurés que pour ce qui regarde le grief tiré de l'absence de recherche permettant l'identification des bénéficiaires des contrats TUT'L. Ce sont plusieurs milliers de dossiers que la mutuelle n’a pas traités du tout ou de manière très insuffisante.

C’est pourquoi le juge rejette toute l’argumentation tendant à dire excessives ou disproportionnées les différentes sanctions infligées à ladite mutuelle.

(7 octobre 2021, Société mutualiste Tutélaire, n° 438374)

 

Droit social et action sociale

 

41 - Personne résidant fiscalement au Luxembourg - Titulaire de pensions de retraite françaises - Assujettissement à des contributions sociales - Conditions d'assujettissement à ou d'exonération de ces contributions - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge qu'un retraité percevant des pensions de retraite de source française ne doit pas être assujetti à la contribution additionnelle au prélèvement social ainsi qu'à la contribution pour le remboursement de la dette sociale. En effet, celles-ci, contrairement à ce que juge la cour, ont pour objet d'assurer la couverture des prestations de maladie, de maternité et de paternité ou assimilées pour lesquelles l'article 30 du règlement communautaire du 29 avril 2004 prévoit une dérogation au principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale. 

(28 septembre 2021, M. D., n° 432579)

 

42 - Revalorisation du SMIC - Circulaire - Principe de solidarité et organismes sociaux - Portée du droit de l'Union en cette matière - Critère de distinction ne concernant que le droit de la concurrence - Rejet.

Après avoir rejeté la demande du requérant tendant à ce que soit ordonnée une médiation (art. L. 114-1 CJA), le juge rejette au fond sa demande d'annulation du paragraphe 2.2 de la circulaire du 22 décembre 2020 de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) intitulée « revalorisation du SMIC au 1er janvier 2021 et incidences en matière de législation vieillesse ». Le requérant reprochait à ce texte de ne pas imposer à la sécurité sociale l'application, qui lui incomberait de plein droit, du principe de solidarité, lequel résulterait du droit de l'Union.

Le Conseil d’État rejette ce moyen en rappelant que le droit de l'Union laisse les États libres d'organiser comme ils l'entendent leurs systèmes nationaux de sécurité sociale. Simplement, la prise en compte de l'application, ou non, du principe de solidarité par le droit de l'Union ne sert qu'à distinguer les entreprises des activités non soumises au droit de la concurrence. L'argument peine à convaincre : les organismes de sécurité sociale sans solidarité sont-ils encore des organismes de sécurité sociale ? Ou, pour le dire autrement, qu'est-ce qui distingue, au point de vue du régime de concurrence, une entreprise d'un organisme de sécurité sociale n'appliquant pas le principe de solidarité ? Il y a là un mystère.

(29 septembre 2021, M. B., n° 448647)

 

43 - Institution d'une contribution exceptionnelle des organismes complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 - Inconstitutionnalité - Absence - Inconventionnalité - Absence - Rejet.

La société requérante contestait la constitutionnalité et l'inconventionnalité de la « contribution exceptionnelle des organismes complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 » figurant à la page 20 de l'édition 2021 du « guide pratique » relatif à la taxe de solidarité additionnelle publié par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Île-de-France, ainsi que la décision implicite par laquelle le directeur général de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de ces énonciations.

Sa requête est rejetée en ses deux chefs de critiques.

La requérante soutenait que les énonciations litigieuses réitèrent des dispositions législatives (art. 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021) elles-mêmes contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ainsi qu'à l'article 14 de la CEDH et à l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Selon elle, l'inconstitutionnalité aurait reposé sur le fait que ces dispositions instituent un mécanisme méconnaissant le principe d'égalité devant la loi fiscale et le principe d'égalité devant les charges publiques entre, d'une part, les mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises régies par le code des assurances et organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers admis à opérer en France au titre de la libre prestation de service et, d'autre part, les autres contribuables. Le Conseil d’État rejette l'argument au motif qu'il est loisible au législateur de ne faire peser que sur une catégorie seulement de contribuables la charge d'une imposition pourvu qu'il n'en résulte pas une différence injustifiée de traitement. C'est bien le cas en l'espèce, d'où le rejet. Pas davantage le législateur n'a porté atteinte, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, à des situations légalement acquises.

Selon la requérante l'inconventionnalité de la mesure attaquée reposerait sur sa contrariété à l'art. 14 de la Convention et à l'art. 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. Le Conseil d’État réfute l'argumentation car, selon le premier de ces textes, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue n'est discriminatoire que si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi. Or ce reproche ne peut être adressé aux mesures attaquées. Par ailleurs, le premier protocole n'est pas davantage méconnu car le prélèvement ainsi institué est dépourvu de tout caractère rétroactif et ne porte pas une atteinte excessive au droit des organismes visés au respect de leurs biens.

On demeure dubitatif sur l'éventuelle acceptation, par la Cour EDH, de cette dernière partie du raisonnement du juge.

(29 septembre 2021, Société Quatrem, n° 451491)

 

44 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Incompétence alléguée de l’inspection du travail pour se prononcer - Existence ou non d’une faute – Conditions et régime de la réparation en cas de faute ayant causé un dommage – Erreur de droit – Annulation avec renvoi à la cour.

L’employé d’un abattoir municipal géré en régie directe par une commune fait l’objet d’une décision de licenciement pour inaptitude physique ; l’intéressé étant un salarié protégé, l’inspection du travail était obligatoirement appelée à autoriser, ou non, un tel licenciement. Elle s’y est refusé au motif que l’administration du travail n’était pas compétente pour se prononcer sur le licenciement d’un agent d’une régie municipale.

La cour administrative d’appel a jugé illégal le refus de l’inspection du travail de se prononcer mais a rejeté la demande de réparation du préjudice allégué par l’agent licencié car celui-ci ne rapporte pas la preuve qu’il aurait pu être reclassé.

Le Conseil d’État saisit cette affaire pour rappeler la marche à suivre tant pour l’auteur du licenciement que pour l’inspection du travail et, par suite, pour le juge éventuellement saisi.

Tout d’abord, le refus illégal de se prononcer sur une demande d'autorisation de licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du salarié s’il est résulté directement de ce refus un préjudice certain pour le salarié. Saisi d’une demande de réparation de ce chef, il appartient au juge saisi de rechercher si une décision d'autorisation de licenciement aurait pu légalement être prise. 

Ensuite, lorsque la demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il incombe à l’inspection du travail de vérifier si l’employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. En conséquence, le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

Enfin, en l’espèce, l’arrêt est cassé pour erreur de droit en ce que la cour n’a pas recherché si l'autorité administrative aurait pu légalement, si elle n'avait pas illégalement refusé de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement, autoriser ou rejeter la demande d'autorisation qui lui était soumise, en vérifiant notamment si l'employeur avait sérieusement recherché si l'intéressé pouvait être reclassé.

(7 octobre 2021, M. A., n° 430899)

 

45 - Convention collective – Arrêté ministériel étendant partiellement un avenant – Exclusion d’une partie de l’art. 1er du champ de l’extension – Extension sous réserve de l’art. 3, dernier alinéa de cet avenant – Effets de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective – Articulation hiérarchique nouvelle des conventions de branche et des accords d’entreprise – Pouvoirs du ministre du travail en matière d’extension d’avenants – Illégalité – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation d’un arrêté de la ministre du travail du 5 juin 2019 portant extension de l'avenant n° 67 du 31 mai 2018 à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (n° 2216), en tant qu'il exclut de l'extension les 2ème et 3ème alinéas de l'article 1er de cet avenant et étend sous réserve le dernier alinéa de son article 3.

Dans cette importante décision, le Conseil d’État retrace l’évolution survenue en matière de hiérarchisation des dispositions figurant respectivement dans des accords collectifs de branche et dans des accords d’entreprise du fait de l’intervention l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

Avant cette ordonnance, c’est à la branche, par voie d'accord collectif s'imposant à tout accord d'entreprise, qu’il revenait de fixer un salaire minimum conventionnel pour chaque niveau hiérarchique de la grille de classification des emplois prévue par la convention collective, auquel la rémunération effectivement perçue par les salariés de la branche ne pouvait être inférieure. En particulier, les conventions de branche pouvaient déterminer, d'une part, le montant de ce salaire minimum conventionnel, et, d'autre part, les éléments de rémunération à prendre en compte pour s'assurer que la rémunération effective des salariés atteigne au moins le niveau du salaire minimum conventionnel correspondant à leur niveau hiérarchique. A défaut de stipulations conventionnelles expresses sur les éléments de rémunération des salariés à prendre en compte pour procéder à cette comparaison, il convenait de retenir, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le salaire de base et les compléments de salaire constituant une contrepartie directe à l'exécution de la prestation de travail par les salariés. 

Depuis l’entrée en vigueur de cette ordonnance du 22 septembre 2017, l’articulation entre les conventions de branche et les accords d'entreprise a été modifiée par rapport au droit antérieurement applicable.

Tout d’abord, la convention de branche peut définir les garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, auxquelles un accord d'entreprise ne peut déroger que s'il prévoit des garanties au moins équivalentes.

Ensuite, si la convention de branche peut, y compris indépendamment de la définition des garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, prévoir l'existence de primes, ainsi que leur montant, les stipulations d'un accord d'entreprise en cette matière prévalent sur celles de la convention de branche, qu'elles soient ou non plus favorables, sauf, le cas échéant, en ce qui concerne les primes pour travaux dangereux ou insalubres pour lesquelles la convention de branche, lorsqu'elle le stipule expressément, s'impose aux accords d'entreprise qui ne peuvent que prévoir des garanties au moins équivalentes.

Enfin, en raison du silence, dans la nouvelle rédaction notamment des art. L. 2253-1, 2253-2 et 2253-3 du code du travail  concernant la définition de la notion de salaires minima hiérarchiques, la convention de branche peut désormais, d'une part, définir les salaires minima hiérarchiques et, le cas échéant à ce titre prévoir qu'ils valent soit pour les seuls salaires de base des salariés, soit pour leurs rémunérations effectives résultant de leur salaires de base et de certains compléments de salaire, d'autre part, en fixer le montant par niveau hiérarchique. Dans le cas où la convention de branche stipule que les salaires minima hiérarchiques s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de compléments de salaire qu'elle identifie, elle ne fait pas obstacle à ce que le montant de ces minima soit atteint dans une entreprise par des modalités de rémunération différentes de celles qu'elle mentionne, un accord d'entreprise pouvant réduire ou supprimer les compléments de salaire qu'elle mentionne au titre de ces minima, dès lors toutefois que sont prévus d'autres éléments de rémunération permettant aux salariés de l'entreprise de percevoir une rémunération effective au moins égale au montant des salaires minima hiérarchiques fixé par la convention. 

Il suit de là que la ministre du travail, par l’arrêté querellé, a commis une erreur de droit en décidant :

-        d’une part, d’exclure de l’extension de l’avenant auquel procédait son arrêté, les stipulations des deuxième et troisième alinéas de l'article 1er de l'avenant, qui prévoient que les salaires minima hiérarchiques qui prévalent, sauf garanties au moins équivalentes, sur les accords d'entreprise, correspondent à une garantie annuelle de rémunération incluant un salaire de base et certains compléments de salaire, au motif que les salaires minima hiérarchiques entrant dans le champ de l'article L. 2253-1 du code du travail et qui s'imposent aux accords d'entreprise ne peuvent se rapporter qu'à un salaire de base ;

-        et, d’autre part, que le dernier alinéa de l'article 3 de l'avenant, qui stipule que le salaire minimum mensuel garanti pour les cadres à temps complet dont le temps de travail est décompté dans le cadre d'un forfait annuel en jours inférieur à 216 jours ne peut être inférieur au salaire minimum mensuel garanti fixé à l'article 2 de l'avenant, est étendu sous réserve de l'application de l'article L. 2253-3 du code du travail, ce dont il s'infère que la référence à l'article 2 devait s'entendre comme ne visant que les montants des salaires de base qui y sont mentionnés.

Or il résulte de ce qui a été dit plus haut quant aux salaires minima hiérarchiques pour lesquels la convention de branche peut retenir, comme au cas d'espèce, qu'ils s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de certains compléments de salaire, qu'en procédant à cette exclusion et à cette réserve, au motif que les salaires minima hiérarchiques ne s'appliquent qu'aux salaires de base, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit. 

(7 octobre 2021, Fédération des syndicats CFTC Commerce, Services et Force de vente (CFTC CSFV), n° 433053 ;   Fédération CFDT des services (FS CFDT), n° 433233 ; Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des services annexes Force ouvrière (FGTA-FO) , n° 433251 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres AGRO (CFE-CGC AGRO), 433463 ; Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), n° 433473 ; Fédération CGT des Personnels du Commerce, de la Distribution et des Services (Fédération CGT du commerce et des services), n° 433534)

 

Élections et financement de la vie politique

 

46 - Élections municipales et communautaires - Irrégularités multiples - Annulation du scrutin par les premiers juges - Annulation du jugement.

Cette décision est surprenante en ce que le Conseil d’État désavoue le tribunal administratif qui avait sanctionné l'existence de nombreuses irrégularités par l'annulation des deux tours de scrutin s'étant tenus dans cette commune. Cela est d'autant plus gênant que le juge d'appel ne conteste point l'existence des irrégularités relevées en première instance ni, non plus, le faible écart des voix entre les listes en présence. Même en faisant la part de la subjectivité dans l'appréciation in concreto par le juge d'irrégularités prétendues, en l'espèce cela est allé très (trop ?) loin.

On se borne, en premier lieu, à énumérer les griefs non contestés.

Le Conseil d’État examine d'abord les griefs qui ont déterminé le tribunal administratif à annuler les opérations électorales.

Le recours, par la liste du maire sortant, à un procédé de publicité commerciale interdit par le code électoral ayant consisté à mettre en avant, moyennant paiement, deux vidéos publiées sur la page du réseau social « Facebook » de cette liste et ayant fait l'objet, respectivement de 7700 vues et de 2700 vues ne saurait être retenu au motif qu'est ignoré quels étaient ces chiffres au moment du vote.

Le tournage de vidéos dans une salle de la mairie n'aurait pas créé de confusion dans l'esprit des électeurs entre action municipale et propagande électorale.

La circonstance que l'une des vidéos ait fait l'objet d'un partage sur le site officiel du comité des fêtes de la commune aurait été sans influence sur l'issue du scrutin. Au total, le cumul de ces irrégularités, en dépit du faible écart des voix, n'a pas altéré la sincérité du scrutin.

Après annulation du jugement, le Conseil d’État examine les autres griefs. Voici quelques-uns entre-eux.

L'utilisation par la liste du maire sortant, sur ses affiches, des trois couleurs du drapeau national n'entretenait pas de confusion avec l'emblème national.

Certains tracts distribués par cette liste, critiqués par ses adversaires pour leur caractère mensonger, ne comportaient point d'éléments nouveaux de polémique électorale.

La liste en question n'a pas indûment utilisé les moyens de la commune et les agents municipaux au service de sa propagande électorale en faisant réaliser par l'association du comité des fêtes une distribution d'œufs de Pâques, en annonçant de nouvelles actions en matière de stationnement lors d'une réunion publique à peine plus d'une semaine avant le second tour du scrutin, en procédant tardivement à la mise en place de la vidéo-protection, en faisant participer des agents municipaux à sa campagne électorale, dont l'épouse du maire sortant qui exerce les fonctions de directrice générale des services, en utilisant la communication institutionnelle de la commune entre les deux tours de scrutin pour faire la promotion des actions menées dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, en ayant recours à la photothèque de la commune et enfin en laissant diffuser un entretien du président du comité des fêtes la soutenant. En particulier, la distribution d'oeufs de Pâques n'était pas liée à la campagne électorale et la réunion publique du 20 juin 2020 qui portait sur le stationnement, avait été organisée à la suite d'une demande des habitants.

Pas davantage ne peut être retenu le fait que les présidents suppléants de différents bureaux de vote aient été désignés, non parmi les membres du conseil municipal dans l'ordre du tableau mais parmi les candidats non élus de la liste « Bondoufle l'Enjeu », en méconnaissance de l'article R. 43 du code électoral.

Le maintien de l'affichage des voeux du maire pour l'année 2020 jusqu'au second tour des élections, en juin, ne saurait être regardée, à elle seule, comme ayant méconnu l'article L. 52-8 du code électoral. 

Enfin, le requérant n'a pas excédé ses fonctions de maire en assurant une permanence et en étant présent sur les marchés durant la période électorale pour assurer la distribution de masques fournis par la région.

 Visiblement, le Conseil d’État n'avait pas envie que ces élections-là fussent annulées.

« Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ».

(15 septembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondoufle, n° 450600 et n° 450614)

 

47 - Élections municipales et communautaires - Dons prohibés (art. L. 52-8 c. élect.) - Tentative d'influencer le vote (art. L. 106 c. élect.) - Compte de campagne - Inéligibilité - Rejet.

Dans une décision bienveillante, le Conseil d’État confirme en appel le jugement rejetant le recours électoral fondé sur divers moyens soit parce que l'irrégularité alléguée n'existe pas (ainsi de l'art. L. 52-8 c. élect. s'agissant de relancer économiquement des activités commerciales mises à mal par l'épidémie de Covid-19) soit parce que le grief n'est pas suffisamment établi (ainsi de procurations qui auraient été obtenues par dons, promesses ou autres en violation de l'art. 106 c. élect.) soit parce que l'irrégularité n'est pas d'une gravité suffisante (cas du compte de campagne dont le montant demeure, en toute hypothèse, très inférieur au maximum légal) soit, encore, parce que l'irrégularité est bien présente mais absoute au regard de l'écart entre les voix obtenues par les listes en présence (ainsi de l'art. L. 52-8 c. élect. s’agissant du partenariat entre la commune et une association proposant une consultation ophtalmologique et une paire de lunettes aux plus de 60 ans).

(29 septembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montereau-Fault-Yonne, n° 451189)

 

48 - Élections municipales et communautaires - Recours dirigé contre le premier tour de scrutin formé après la tenue du second tour - Recours ayant conservé son objet - Irrecevabilité d'une demande tendant à l'annulation d'un tour de scrutin à l'issue duquel aucun élu n'a été proclamé et qui ne sollicite la proclamation de l'élection d'aucun candidat.

La décision présentement rapportée rappelle deux règles de la procédure contentieuse en matière électorale.

En premier lieu, et contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif dont le jugement est annulé, la protestation que le requérant avait présentée devant le tribunal administratif et qui demandait l'annulation de suffrages exprimés lors du premier tour n'a pas perdu son objet en cours d'instance alors même qu'elle a été formée après la tenue du second tour de scrutin. C'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que la demande dont ils étaient saisis était devenue sans objet et ont constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande.

En second lieu, il est rappelé que sont irrecevables des conclusions dirigées contre un tour de scrutin à l'issue duquel aucun candidat n'a été proclamé élu et qui ne sollicitent pas la proclamation d'un élu au titre de ce tour de scrutin.

Cette irrecevabilité nous paraît être d'ordre public.

(29 septembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune du Tampon, n° 451851)

(49) V. aussi, à propos de ces mêmes élections, le rejet du recours tendant à voir annulées les opérations électorales des deux tours de scrutin et prononcée l'inéligibilité d'un candidat élu : 29 septembre 2021, Mme E., Él. mun. et cnautaires de la commune du Tampon, n° 451853.

 

50 - Élections municipales et communautaires - Dépôt tardif du compte de campagne - Inéligibilité proclamée - Désignation d'un autre candidat comme élu - Rejet.

Le juge d'appel confirme le jugement de première instance en ce que, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, il a déclaré inéligible pour six mois le requérant en raison du dépôt tardif de son compte de campagne et il a proclamé élu à sa place un autre candidat.

(30 septembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Crépy-en-Valois, n° 449925)

(51) V. aussi, comparable et faisant négativement application des dispositions nouvelles de l'art. L. 118-3 c. élect. issues de la loi du 2 décembre 2019 : 30 septembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Châlons-en-Champagne, n° 452978.

 

52 - Élections municipales et communautaires - Invocations de nombreuses et diverses irrégularités - Rejet.

La lecture de cette longue décision donnera au lecteur un véritable panorama de la diversité et du foisonnement des griefs en contentieux électoral.

Ils sont tous rejetés en l'espèce tant en première instance qu'en appel.

(29 septembre 2021, M. Q., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Pierre, n° 448954 ; M. A. et Mme F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Pierre, n° 448973)

 

Environnement

 

53 - Pollution de l'air - Contrôle technique des véhicules à deux et trois roues - Suspension - Demande de suspension de la mesure de suspension - Défaut d'urgence - Rejet.

Est rejetée la demande de suspension de l'arrêté ministériel du 12 août 2021 qui suspend l'application du décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues car les dispositions de ce dernier ne doivent entrer en vigueur, selon la date d'immatriculation de ces véhicules, que le 1er janvier 2022 ou le 1er janvier 2023.

Ainsi fait défaut la condition d'urgence

(ord. réf. 10 septembre 2021, Association Respire, n° 456134)

 

54 - Certificats d’économie d’énergie (CEE) – Manquements d’une société à ses obligations en la matière – Sanctions – Société mise en redressement judiciaire – Mise en demeure de la société en vue de l’acquisition des CEE « classiques » au lieu de ceux « précarité » qu’elle détenait – Incompétence du ministre – Annulation.

(7 octobre 2021, Société Proecowatt, n° 435121)

V. n° 6

(55) V. aussi, à propos d’un litige né de la mise en œuvre défectueuse des certificats d’économie d’énergie mais soulevant des questions différentes de celles de la décision précédente : 7 octobre 2021, Société Alpha Europe Energy, n° 436706.

 

Étrangers

 

56 - Étrangère mineure non accompagnée - Refus de prise en charge opposé par un département pour défaut de minorité - Demande de désignation, par le procureur de la république, d'un administrateur ad hoc - Refus pour défaut de minorité - Refus du préfet d'enregistrer une demande d'asile en tant que mineure - Rejet.

Opérant une substitution de motif, le juge du référé liberté du Conseil d'État, rejette la demande d'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés d'un tribunal administratif a rejeté la requête d'une ressortissante ivoirienne se disant mineure et tendant à ce que soit ordonné au préfet l'enregistrement de sa demande d'asile et donné avis au procureur de la république pour qu'il lui désigne un mandataire ad hoc.

En effet, s'il résulte des dispositions, notamment, de l'art. L. 521-9 du CESEDA,  que si le préfet doit enregistrer, sur la base des éléments dont il dispose, la demande d'asile d'un mineur non accompagné se présentant, sans représentant légal, dans ses services et, concomitamment, doit aviser immédiatement le procureur de la République pour qu'il désigne sans délai un administrateur ad hoc afin que, dès cette désignation effectuée, soit complété l'enregistrement de la demande d'asile, en revanche, dès lors que le procureur refuse d'opérer cette désignation au motif que le demandeur n'est pas mineur, le préfet est tenu de refuser de compléter l'enregistrement de la demande d'asile en tant que mineur.

Si l'intéressée peut contester le refus du procureur devant le juge judiciaire ou saisir le préfet d'une demande d'asile en tant que majeure, en l'espèce le préfet était tenu d'opposer un refus. En cet état de compétence liée, ce refus de compléter l'enregistrement de la demande d'asile ne saurait, en lui-même, constituer une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile.

(ord. réf. 27 septembre 2021, Mme B., n° 456388)

 

Fonction publique et agents publics

 

57 - École nationale de la magistrature – Recrutement sur titre – Condition d’âge minimal – Discrimination non contraire à la Constitution – Discrimination contraire au droit de l’Union – Annulation.

Il est possible, en vertu des dispositions de l’art. 18-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative à la magistrature, dans la version qui lui a été donnée par la loi organique du 25 février 1992, d’accéder directement sur titres à l’École nationale de la magistrature, les conditions à remplir étant fixées, en vertu de ce texte, par un décret. Le décret du 24 mai 1972 impose un âge minimum de 31 ans et un âge maximum de 40 ans pour pouvoir prétendre au bénéfice de cette voie d’accès. La requérante, qui satisfait par ailleurs aux autres conditions exigées, n’a pas atteint l’âge minimal de 31 ans et a demandé au garde des sceaux d’abroger le premier alinéa de l’art. 33 du décret de 1972 qui impose cette condition d’âge minimal.

Ayant essuyé un refus, elle sollicite, par voie de QPC, que soit déclarée contraire à la Constitution, à raison de son caractère discriminatoire prohibé, l’art. 18-2 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 et, par un recours pour excès de pouvoir, que soit déclaré illégal, pour le même motif de discrimination prohibée, l’art. 33 du décret litigieux.

Son recours est rejeté sur le premier point, le Conseil d’État étant forcé de relever que la loi organique du 25 février 1992 a été examinée par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision 92-305 DC du 21 février 1992, n’y a rien trouvé à redire au plan de la légalité constitutionnelle. De plus, il est estimé ici que l’allégation de changement de circonstances tiré du droit de l’Union est formulée en termes trop généraux pour donner ouverture à un renvoi de QPC afin d'interroger à nouveau le Conseil constitutionnel. Sur la motivation de ce second aspect du refus de renvoyer la QPC, on peut être dubitatif mais, d’une part, le C.C. est si imprévisible… et, d’autre part, puisqu’il savait donner raison à la requérante en la seconde branche de son argumentation, le Conseil d’État a jugé plus élégant et expédient de se charger lui-même d’apporter la solution.

En effet, sur le second point de son argumentation, la requérante obtient gain de cause. La limitation de l’âge d’accès au recrutement sur titres constitue incontestablement une discrimination qui doit être considérée comme prohibée dès lors que l’art. 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne combiné avec les dispositions des art. 2, 4 et 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail transposée, n’admettent les discriminations professionnelles fondées sur l’âge que si ces différences répondent à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée » et « lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (...) ». 

Or, en la présente affaire, le juge relève que le garde des sceaux n’a pas été capable de justifier son refus d’abroger la disposition incriminée par l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante ni, non plus, de démontrer en quoi l'instauration d'une telle condition serait nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi, eu égard aux titres et aux conditions d'expérience professionnelle requis aux termes de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 pour prétendre au recrutement sur titres en tant qu'auditeur de justice.

Le garde des sceaux a trois mois pour procéder à l’abrogation de l’art. 33 du décret de 1972 précité, faute de quoi l’astreinte sera de 500 euros par jour de retard à exécuter la chose jugée.

L’intéressée peut aussi, au reste, solliciter la réparation du préjudice fautif qu’elle a subi du fait, d’une part, d’un texte illégal et d’autre part, du refus illégal d’y mettre un terme.

(8 septembre 2021, Mme B., n° 453471)

 

58 - Accident - Conditions d'imputabilité au service - Entretien annuel d'évaluation - Syndrome anxio-dépressif à l’issue de cet entretien - Absence d'imputabilité à l'entretien d'évaluation à défaut de caractère soudain et violent - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Un arrêt d'appel juge que le syndrome anxio-dépressif dont souffre une fonctionnaire est directement imputable à son entretien annuel d'évaluation avec sa chef de service. Le Conseil d’État annule cet arrêt motif pris de ce qu'il ne suffisait pas à la cour de relever que des certificats médicaux établissaient que cet entretien est la cause du choc ressenti par l'agent et du syndrome qui en est résulté pour en déduire qu'ils étaient imputables à cet entretien et donc au service. Il appartenait aux juges du fond de vérifier si la chef de service avait tenu des propos ou adopté un comportement qui auraient excédé l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique.

Un entretien d'évaluation, acte prévisible et normal, ne saurait par lui-même être cause d'un tel effet.

(27 septembre 2021, Ministre des armées, n° 440983)

 

59 - Fonction publique - Alimentation du compte épargne-temps - Jours de congé - Notion de jours de congés - Cas des jours de repos pris en contrepartie de la RTT - Absence - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une note du garde des sceaux expose qu'il résulte des dispositions du décret du 29 avril 2002 portant création d'un compte épargne-temps dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature, que le nombre de 20 jours de congés devant, au minimum, avoir été pris dans l'année pour ouvrir droit à l'alimentation du compte épargne-temps s'apprécie uniquement au regard des jours de congés annuels ainsi que, le cas échéant, des jours de congés supplémentaires dits « de fractionnement » mentionnés au deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984, sans que puissent être pris en compte les jours de repos institués en contrepartie de la réduction du temps de travail, qui ne sont pas des jours de congés.

(27 septembre 2021, Union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse, n° 448985)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 3

 

60 - Procédure disciplinaire - Professeur d'université et praticienne hospitalière - Contrôle de la régularité de la procédure suivie - Invocation de la partialité des auteurs d'un rapport d'inspection - Rapport figurant au dossier soumis au contradictoire - Rejet.

La requérante, professeur des universités et praticienne hospitalière, qui a fait l'objet d'une sanction, pour divers motifs, par la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale, conteste celle-ci.

Son recours est rejeté.

Des divers griefs invoqués et tous rejetés, le rejet de l'un d'eux doit retenir l'attention.

La requérante soutenait que la décision de la juridiction disciplinaire était entachée d'irrégularité car les auteurs du rapport de la mission d'inspection IGAS-IGAENR diligentée par les ministres auraient manqué au principe d'impartialité. Pour rejeter ce moyen le juge retient que ce rapport ayant constitué une pièce du dossier d'instruction et ayant été soumis à la discussion contradictoire, il a constitué, comme tout autre, un élément apprécié par la juridiction saisie. Il appartenait donc à l'intéressée d'en démontrer, au cours du débat contentieux, l'irrégularité pour défaut d'impartialité.

(29 septembre 2021, Mme B., n° 432628)

 

61 - Pension de réversion – Séparation de corps – Remariage – Demande de reversement de l’indu de pension – Légalité au fond – Irrégularité en la forme – Rejet et annulation.

Suite à un contrôle, la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités publiques) informe la requérante qu’elle a indûment perçu une pension de réversion en deux périodes totalisant un peu plus de 23 années.

Sur le fond, le juge donne raison à l’administration (Caisse des dépôts) : il résulte des art. 299 et 303 du Code civil que la séparation de corps ne met pas fin au mariage car si elle met fin à la cohabitation elle maintient d’ailleurs le devoir de secours. La requérante n’est pas fondée à invoquer une différence de traitement entre les veuves divorcées ou ayant cessé de vivre en concubinage et les veuves séparées de corps, différence qu’elle estime, à tort, contraire tant à l’art. 14 de la Convention EDH qu’à l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette Convention.

Sur la forme, la Caisse était tenue de motiver son retrait de la décision de versement d'une pension de réversion au conjoint survivant ou divorcé d'un fonctionnaire civil à compter de la date à laquelle il a contracté un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire d’une part car il s’agit d’une décision retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits et, d’autre part, car il s’agit d’une décision qui ne concerne pas les relations entre l’administration et ses agents, lesquelles sont dispensées de motivation, mais les relations entre l’administration et la veuve ou l’épouse séparée de corps d’un agent public. 

Sur ce point, la décision litigieuse est annulée.

(7 octobre 2021, Mme A., n° 435488)

 

Libertés fondamentales

 

62 - Liberté de l’enseignement – Établissement d’enseignement privé sous contrat simple – Refus de contracter – Motifs ne se limitant pas aux conditions posées aux articles L. 442-12, L. 442-13 et L. 442-14 du code l’éducation – Cassation avec renvoi.

Une école primaire privée entendant se placer sous le régime du contrat simple s’était vu refuser par le préfet la conclusion d’un tel contrat. Ce refus a été annulé en première instance et cette annulation a été confirmée en appel au motif que les articles L. 442-12, L. 442-13 et L. 442-14 du code de l’éducation énumérant limitativement les conditions à satisfaire pour la conclusion d’un contrat simple et la demanderesse y satisfaisant, le préfet avait illégalement opposé un refus.

Cassant l’arrêt d’appel, le Conseil d’État juge que si les conditions figurant aux articles précités sont bien les seules pouvant être examinées par l’administration ainsi que l’ont jugé les juges du fond, l'administration peut, également, prendre en considération dans son appréciation, la capacité de l'établissement à respecter le principe du droit à l'éducation et à garantir l'acquisition des normes minimales de connaissances, en vertu des exigences posées par les articles L. 111-1 et L. 131-1-1 de ce code.

Et le juge de cassation de préciser que l’administration peut, à ce titre, tenir compte de l'existence d'une mise en demeure adressée par l'État au directeur de cet établissement, en application de l'article L. 442-2 du même code, à la suite des contrôles que les autorités académiques doivent mener sur les établissements d'enseignement privés demeurés hors-contrat et portant, notamment, sur le respect de telles normes minimales de connaissances et sur l'accès au droit à l'éducation.

La cour a donc commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’existence au dossier d’une telle mise en demeure comme motif du refus préfectoral de contracter.

Il faut donc dire, en dépit de la dénégation du Conseil d’État sur ce point, que l’énumération des art. L. 442-12 à L. 442-14 inclus du code l’éducation n’est pas limitative…

(3 septembre 2021, Association École Hanned-Acces, n° 439008)

 

63 - Ressortissants afghans bénéficiant de la protection subsidiaire - Demande de réunification de leurs familles - Invocation de l'urgence à décider - Situation exceptionnelle - Absence de carence des services diplomatiques français - Rejet.

Statuant en formation collégiale comme elle l'avait déjà fait à propos de dossiers relatifs à des ressortissants afghans, la formation collégiale des référés du Conseil d’État rejette la demande de deux ressortissants tendant à ce que soit suspendu le refus implicite des ministres concernés de prendre les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction de leurs demandes de réunification familiale et à ce que soit ordonné l'enregistrement et l'instruction sans délai de leurs demandes  de visas au titre de leur droit à la réunification de leur famille afin que puissent les rejoindre en France, où ils bénéficient déjà de la protection subsidiaire prévue par la Convention de Genève de 1949, leurs épouses et enfants respectifs. Ils invoquent la lenteur actuelle et persistante depuis plusieurs années des procédures d'examen et d'octroi de ces visas du fait de la fermeture des postes diplomatiques de Kaboul (Afghanistan) et d'Islamabad (Pakistan) et de l'éloignement des postes désormais compétents territorialement de New Dehli et de Téhéran ainsi que des difficultés liées tant à l'épidémie de Covid-19 qu'à la situation chaotique de l'Afghanistan.

Ils demandent au juge des référés qu'il ordonne à la France la prise de mesures administratives complémentaires exceptionnelles et d'urgence afin d'accélérer la procédure d'instruction des visas en cause.

Pour rejeter les moyens soulevés à l'appui de la requête, tirés de la méconnaissance de l'obligation de statuer dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et du principe de continuité du service public, le juge retient qu'au moment où il se prononce n'existe pas de doute sérieux sur la légalité du refus de prendre les mesures sollicitées par les requérants car le ministre de l'intérieur a pris l'engagement, après l'audience, d'une part, d'autoriser tout poste consulaire saisi à cet effet par des demandeurs afghans, nonobstant sa compétence territoriale, à les faire bénéficier de la dérogation prévue par l'article 1er du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions en matière de visas qui autorise tout chef de poste consulaire à « délivrer des visas aux étrangers justifiant de motifs imprévisibles et impérieux qui ne leur ont pas permis de déposer leur demande dans la circonscription consulaire où ils résident habituellement » et, d'autre part, la prise de mesures prochaines pour mieux dimensionner les moyens humains, matériels et immobiliers, en lien avec les postes concernés et en fonction de l'évolution sécuritaire.

Il se déduit de là que les précisions ministérielles unilatéralement apportées et les engagements unilatéralement pris l'ont été en dehors du débat contradictoire.

(ord. réf., form. coll., 8 septembre 2021, M. A. et M. C., n° 455751)

 

Police

 

64 - Police sanitaire – Covid-19 – Mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire (décrets des 1er juin et 10 août 2021) – Inconstitutionnalité (QPC) et illégalité – Rejet.

Les requérants contestaient la constitutionnalité, au moyen d’une QPC, et la légalité de textes législatif et réglementaires disposant en matière de gestion administrative de la sortie de crise sanitaire.

La demande de renvoi d’une QPC est rejetée car elle est dirigée contre le D du paragraphe II de l’art. 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, alors que le décret attaqué a été, lui, pris pour l’application des dispositions du 2° du A du II de la loi du 31 mai 2021. La disposition législative critiquée n’est donc pas applicable au litige frappé d'une QPC.

Ensuite, le recours en illégalité dirigé contre le décret litigieux est également rejeté en tant que n’a été instaurée par les textes ni obligation de soin ni obligation de vaccination. Sur ce point l’ordonnance est discutable car empêcher l’exercice d’activités sociales diverses ou l’exercice d’une profession pour défaut de vaccination ou de soin n’est guère différent dans ses effets pratiques de l’instauration d’une obligation vaccinale ou de soin.

(ord. réf. 1er septembre 2021, Association « Le Cercle droit et liberté » et autres, n° 455532 et n° 455533)

 

65 - Police sanitaire - Covid-19 - Référé suspension - Demande de suspension des décrets primo-ministériels pris sur le fondement de diverses dispositions législatives - Référé liberté - Invocation d'atteintes à diverses libertés - Absence d'identification des dispositions réglementaires litigieuses - Rejet.

La requérante demandait au juge des référés qu'il ordonne la suspension de tous les décrets - pris par le premier ministre dans l'intérêt de la santé publique afin de lutter contre l'épidémie de Covid-19 -, sur le fondement des art. 1, 3, 4 et 11 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, sur ceux des articles 4, 12 à 21, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, sur celui de l'alinéa 3 du I de l'article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

La demanderesse soutenait que l'obligation générale de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par voie de Covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant le Covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par le Covid-19 pour emprunter certains transports en commun et accéder à certains lieux, établissements, services ou événements ainsi que l'obligation faite aux seuls personnels des services de santé d'être vaccinés contre le Covid-19, porteraient atteinte à divers droits et libertés. En particulier, seraient ainsi affectés le principe de précaution, faute pour ces obligations d'avoir été précédées d'études indépendantes, le droit constitutionnel à la protection de la santé, le principe d'égalité entre les citoyens, selon qu'ils peuvent ou non présenter ce justificatif et entre les salariés selon qu'ils doivent ou non être vaccinés, la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de manifestation de ses opinions ainsi que le droit au respect de la vie privée, notamment en raison de la conservation de données de santé dans des systèmes d'information.

La requête est rejetée, le juge n'y trouvant ni un moyen sérieux d'illégalité, ceci pour répondre à la demande en référé suspension, ni une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, ceci pour répondre à la demande de référé liberté. 

L’absence de réalisation de l’une des conditions du référé-liberté dispense le juge d'examiner la condition d'urgence.

Le recours est rejeté au visa de l'art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 1er septembre 2021, Mme Brigitte Thivenin, n° 455637)

 

66 - Police sanitaire - Covid-19 - Obligation vaccinale des soignants - Atteinte à divers principes fondamentaux - Argumentation de caractère très général et non développée - Rejet.

La requérante, infirmière libérale de son état, soutenait par voie de référé liberté que le décret n° 2021-1089 du 7 août 2021 en tant qu'il prescrit les mesures générales relatives à l'obligation vaccinale des soignants et autres professionnels de santé porte une atteinte grave et manifestement illégale à l'article 2 de la charte de l'Union européenne, au principe de précaution, au principe de l'interdiction de toute discrimination résultant de la Déclaration des droits de 1789 et de l'article 2 du traité de l'Union européenne, à l'égalité des citoyens devant la loi et aux dispositions du règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016. 

Jugeant ces critiques, d'une part, formulées en termes très généraux et, d'autre part, dépourvues d'argumentation, le Conseil d’État estime non démontrée l'existence d'une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées et rejette la requête selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA en raison de son irrecevabilité manifeste.

(ord. réf. 10 septembre 2021, Mme B., n° 456233)

(67) V. aussi, voisine, la solution identique donnée à une requête en référé liberté tendant à ce qu'il soit mis au harcèlement électromagnétique dont le requérant ferait l'objet sans apporter aucune précision sur l'origine et les manifestations du harcèlement allégué : ord. réf. 15 septembre 2021, M. A., n° 456197.

 

68 - Police sanitaire - Covid-19 - Arrêté préfectoral subordonnant à la présentation du passe sanitaire l'accès aux centres commerciaux d'une certaine superficie - Conditions de légalité de la mesure - Conditions satisfaites en l'espèce - Rejet.

Cette ordonnance rendue en formation collégiale - le fait est notable compte tenu de son objet -, est un nouvel épisode de la célèbre saga « Covid-19 ».

Les requérants contestaient la légalité d'un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes subordonnant à la présentation du passe sanitaire l'accès aux six centres commerciaux du département d'une surface commerciale utile de plus de 20 000 m².

Le recours est, sans surprise, rejeté.

Le juge relève tout d'abord que la loi du 31 mai 2021 et son décret d'exécution du 1er juin 2021 qui garantissent l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi que, le cas échéant, aux moyens de transport, n'imposent pas d'assurer cette garantie au regard de ceux de ces biens ou services se trouvant dans l'enceinte des grands magasins et centres commerciaux dans lesquels est exigé le passe sanitaire. Toutefois, le préfet doit s'assurer de l'existence, à proximité des centres commerciaux d'accès restreint, de commerces où les personnes démunies de passe sanitaire peuvent accéder à des biens et services de première nécessité, en particulier alimentaires et de santé. Il doit, à cette fin, apprécier, d'une part, la réalité des moyens de transports disponibles pour parvenir à ces commerces, et d'autre part, qu'ils sont situés à une distance raisonnable des centres à accès restreint.

En outre, ces personnes doivent être autorisées à accéder aux lieux de soins situés à l'intérieur des centres commerciaux lorsque ne peut être établi un accès différencié entre porteurs et non porteurs du passe sanitaire. Enfin, le préfet doit veiller à ce que ces derniers puissent accéder aux moyens de transport situés dans des centres commerciaux où est exigée la présentation du passe, en instituant des accès différenciés.

Ensuite, ces préalables posés, le juge examine les moyens de la requête en référé liberté pour les rejeter.

Le préfet n'était pas tenu, comme indiqué ci-dessus, de prévoir un accès aux centres commerciaux soumis au passe sanitaire pour permettre aux personnes sans passe d'y accéder aux biens et services de première première nécessité proposés.

De plus, il existe bien à proximité de chacun des six centres concernés dans le département des Alpes-Maritimes un nombre suffisant de commerces proposant ces biens et services.

Enfin, la mesure ainsi adoptée est adéquate à l'évolution du taux d'incidence et du taux de positivité même si l'un et l'autre, ainsi que le chiffre des hospitalisations, sont en baisse dans ce département et elle n'affecte pas le principe d'égalité au regard de personnes situées dans des conditions différentes par rapport à la lutte contre un fléau sanitaire.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Mme B. et autres, n° 456391)

 

69 - Réunion publique d'information sur la modification d'un plan local d'urbanisme - Exigence d'un passe sanitaire pour l'accès à la salle de réunion - Illégalité - Rejet.

 La commune requérante demandait au Conseil d’État, ici juge d'appel des référés, l'annulation de l'ordonnance du 10 septembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles lui a enjoint de permettre l'accès à une réunion publique d'information sur la modification du plan local d'urbanisme organisée dans la salle des fêtes de la commune sans que soit exigée la présentation du passe sanitaire.

L'appel est rejeté car après avoir  relevé que le respect des conditions d'hygiène et de distanciation définies dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 était de nature à assurer une protection suffisante de la santé publique, le premier juge a à bon droit décidé que cette réunion ne constitue pas une activité culturelle, sportive, ludique ou festive au sens et pour l'application des dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, issu du décret du 7 août 2021. Ainsi, l'accès à cette réunion ne pouvait pas être subordonné à la présentation d'un passe sanitaire sur le fondement des dispositions résultant de la loi du 5 août 2021 et du décret du 7 août 2021, quand bien même la réunion devait se tenir dans une salle relevant de la catégorie des établissements recevant du public de type L.

Aucune autre disposition n'investissant, par ailleurs, le maire du pouvoir d'exiger la présentation d'un tel document pour accéder à cette réunion, la décision attaquée était bien irrégulière.

On relèvera que la réunion se tenait le 13 septembre et que, saisi d'un appel contre une ordonnance rendue le 10 septembre, le juge des référés du Conseil d’État a rendu sa propre ordonnance le 13 septembre étant observé que les 11 et 12 septembre étaient un samedi et un dimanche. Cette célérité, dont beaucoup doutaient lors de la réforme du 30 juin 2000, est devenue banale, raison de plus pour la saluer.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Commune de Savigny-sur-Orge, n° 456578)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

70 - Portée effective d’une disposition législative donnée par une interprétation jurisprudentielle – Possibilité de former une QPC à son égard – Impossibilité lorsque la jurisprudence contestée ne porte pas sur l’interprétation des dispositions législatives en cause – Rejet de la demande de renvoi.

S’il est possible à un requérant, dans le cadre d’une action fondée sur une question prioritaire de constitutionnalité, de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, c’est à la condition que le litige porte réellement sur une telle interprétation.

En l’espèce, la jurisprudence constante du Conseil d’État selon laquelle, à l'exception des moyens d'ordre public ou de ceux relatifs à la régularité de la procédure, les moyens qui n'ont pas été invoqués devant la commission départementale d'aménagement foncier ne peuvent, à peine d'irrecevabilité, être présentés pour la première fois devant le juge administratif à l'appui d'une demande d'annulation de la décision de cette commission, n'a pas pour objet d'interpréter les dispositions des articles L. 121-7 et L. 121-10 du code rural et de la pêche maritime mais, simplement, de les appliquer. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

(16 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 451257)

 

71 - Contrôle routier impliquant l’interception de véhicules – Diffusion au moyen d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de tout message ou autre susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire au contrôle – Interdiction – Absence de limitation et de précision des motifs de cette interdiction – Admission de la QPC.

Il est jugé que soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen, relevé par la société requérante, tiré de ce que les dispositions des art. L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route, pour l’application des art. L. 234-9 ou L. 235-2 de ce code ou pour l’application de dispositions du code de procédure pénale, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté de communication entre utilisateurs d'un même service électronique d'aide à la conduite en ce que, d'une part, la possibilité de leur interdire d'échanger des informations susceptibles de leur permettre de se soustraire à un contrôle de police s'étend à des motifs et est soumise à des conditions, notamment de durée et de couverture géographique, qui ne seraient pas suffisamment limités et en ce que, d'autre part, la possibilité de leur interdire, en dehors du réseau routier national, l'échange de toute information, y compris celles ne portant pas sur l'existence d'un contrôle de police, ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi. Ce moyen est renvoyé au juge de la QPC.

(16 septembre 2021, Société Coyote System, n° 453763)

 

72 - Organismes de formation professionnelle - Absence de preuve de la réalité des actions de formation financées notamment sur fonds publics - Obligation de restitution des sommes indûment perçues - Obligation ne constituant pas une sanction - Absence d'atteinte au droit des contrats - Invocation impossible au soutien d'une QPC de l’incompétence négative du législateur hors du champ des droits et libertés - Rejet.

Les organismes de formation professionnelle reçoivent, pour l'exercice de leurs actions de formation, à la fois des fonds publics (État, collectivités territoriales, Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi, opérateurs de compétences) et des fonds versés par les employeurs. Un contrôle est exercé sur la réalité de l'accomplissement de ces activités de formation.

La société requérante, soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, se plaignait de ce que les dispositions du code de travail qui régissent les conditions et les effets de ces contrôles, d'une part, instituent des sanctions disproportionnées en cas de manquement, violant ainsi le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, d'autre part portent atteinte à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des contrats légalement conclus, enfin, au cas d'espèce, révèlent une incompétence négative du législateur.

Cette demande est très logiquement rejetée en tous ses chefs de demande.

D'abord, ne saurait être qualifié de « sanction » le fait pour une autorité publique d'exiger le remboursement de versements indus tant pour ce qui concerne les aides publiques à une opération qui n'a pas eu lieu que pour ce qui regarde les sommes versées par les employeurs.

Ensuite, ne sauraient être invoqués les principes du droit contractuel (liberté contractuelle et respect de l'économie initiale du contrat) à l'encontre de dispositions législatives qui loin d'y porter atteinte en assurent en réalité le respect en tirant les conséquences du non-respect d'engagements de nature contractuelle.

Enfin, il est à nouveau rappelé que l'incompétence négative du législateur ne peut pas, en soi, constituer un cas d'ouverture à QPC si elle n'affecte pas directement un droit ou une liberté constitutionnellement garantie.

(22 septembre 2021, Société « Institut de formation à distance », n° 449602)

 

73 - Fonctionnaires - Accidents et maladies professionnelles - Présomption d'imputabilité au service - Régime différent en cas d'incapacité temporaire et en cas d'incapacité permanente - Absence d'inconstitutionnalité - Refus de transmission de la QPC.

Dans cadre d'un litige l'opposant à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), la requérante faisait valoir notamment  l'inconstitutionnalité du I de l'art. 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire pour violation du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il réserve la présomption d'imputabilité au service de certains accidents et maladies professionnelles aux seuls cas d'incapacité temporaire du fonctionnaire, à l'exclusion de son incapacité permanente. 

L'argument n'apparaît pas sans valeur mais il est rejeté par le Conseil d’État.

Celui-ci, pour refuser la transmission, considère que sont placés dans une situation différente de celle des fonctionnaires frappés d'une incapacité temporaire ceux des fonctionnaires atteints d'une incapacité permanente, dont les conséquences sont prises en charge au moyen de dispositifs d'indemnisation adaptés au caractère durable de ses effets et qui ne sont pas à la charge directe de chaque employeur mais mutualisés entre les employeurs publics au sein des régimes spéciaux de retraites. C'est pourquoi la différence de traitement qui en résulte est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

Cette manière de traiter la QPC pose un réel problème : jusqu'où peut aller le juge a quo pour apprécier le caractère sérieux d'une question ? A partir de quand, l'ampleur et les caractéristiques de son analyse se substituent au rôle et à la compétence exclusifs du juge de la QPC ?

La présente affaire constitue un bon exemple de cette difficulté.

(23 septembre 2021, Mme B., n° 451317)

 

74 - Institution d'une contribution exceptionnelle des organismes de complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 - Inconstitutionnalité - Absence - Rejet.

(29 septembre 2021, Société Quatrem, n° 451491)

V. n° 43

 

Responsabilité

 

75 - Vaccination obligatoire contre l'hépatite B - Troubles attribués à cette vaccination - Absence de lien de causalité scientifiquement établi - Omission de vérifier l'absence de toute probabilité d'existence d'un tel lien - Erreur de droit - Annulation.

Une personne, militaire de son état, est soumise, entre 1994 et 1995, à l'obligation d'être vaccinée contre le virus de l'hépatite B.

Ayant souffert de divers troubles quelques mois après avoir été vaccinée, elle s'est vu attribuer une pension militaire d'invalidité à partir de 2001.

Le ministre de la défense lui ayant refusé la réparation des préjudices non indemnisés par cette pension, l'intéressé se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif jugeant que n'est pas établi un lien de causalité entre les troubles dont il se plaint et l'administration d'un vaccin contenant des adjuvants aluminiques. La cour avait fondé sa décision de rejet sur les travaux de l'Académie nationale de médecine, du Haut conseil de santé publique, de l'Académie nationale de pharmacie et de l'Organisation mondiale de la santé consacrés aux liens susceptibles d'exister entre l'administration de vaccins contenant des adjuvants aluminiques et le développement de différents symptômes constitués de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, de fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs, symptômes dont le requérant se plaignait.

Pour accueillir le pourvoi et annuler cet arrêt, le Conseil d’État retient, dans une formulation qui n'est pas loin d'être celle d'une décision de principe en la matière, qu' « il appartenait à la cour, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration d'adjuvants aluminiques et les différents symptômes attribués à la myofasciite à macrophages était ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe

Puis, le juge de cassation délivre un véritable mode d'emploi de la conduite à tenir par la cour en cette hypothèse : soit il était résulté de cet examen, en l'état des connaissances scientifiques, l'absence de toute probabilité d'existence d'un lien de causalité, la cour devait en ce cas rejeter la demande dont elle était saisie, soit, à défaut d'une exclusion totale de probabilité, la cour, examinant les circonstances, ne pouvait alors retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations et les symptômes que si ceux-ci étaient apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.

En réalité, le Conseil d’État introduit ici une présomption, peu réfragable, de lien de causalité.

(29 septembre 2021, M. D., n° 435323)

(76) V., pour une solution identique en matière de vaccinations obligatoires à raison d'activités professionnelles (ici, à la fois, contre le virus de l'hépatie B et contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) : 29 septembre 2021, Mme B., n° 437875.

 

77 - Police de l'ordre public - Attroupements et rassemblements - Actes commis à force ouverte ou par violence - Régime de réparation et charge de la réparation - Distinction entre un blocage routier, donc prémédité, et les violences qui en ont résulté, non préméditées - Rejet.

L'art. L. 211-110 du code de la sécurité intérieure disposait à l'époque des faits litigieux : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».

Dans le cadre d'un mouvement national de protestation contre un projet de texte législatif des manifestants ont bloqué un carrefour giratoire situé à proximité d'une sortie d'autoroute et causé des dégâts aux biens de la société requérante, exploitante du réseau autoroutier. Elle a demandé réparation à l'État des préjudices qu'elle avait subis, ce qui lui a été refusé par une décision implicite dont elle a recherché, en vain, l'annulation par un tribunal administratif puis, avec succès, par la cour administrative d'appel.

Le ministre compétent se pourvoit contre cet arrêt. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État approuve les juges du fond d'avoir estimé, d'une part, que les dégradations dont la société d'autoroutes demande réparation résultent d'actes commis à force ouverte ou par violence et sont constitutives de délits et, d'autre part, que si le blocage routier et ses conséquences ont pu présenter un caractère organisé et prémédité, les dégradations qui ont été commises ne l'ont pas été par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre ce délit, et qu'ainsi ces faits étaient de nature à engager la responsabilité sans faute de l'État sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10.

(29 septembre 2021, Ministre de l'intérieur, n° 449761)

 

78 - Responsabilité hospitalière - Hospitalisation psychiatrique - Agression d'un malade par un autre - Existence éventuelle d'une faute de la part de l'établissement de soins - Appréciation en l'espèce - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Un patient hospitalisé dans un établissement de santé mentale agresse violemment, le 22 novembre 2009, un autre patient de cet établissement qui demeurera, du fait de cette agression et jusqu'à sa mort huit ans plus tard, dans un état végétatif.

L'établissement public de santé mentale se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif qui l'a condamné à indemniser le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie.

Tout le débat se concentrait sur le point de savoir si l'établissement avait, ou non, par défaut de surveillance, commis une faute ayant joué un rôle causal dans la survenance de l'agression. Le Conseil d’État, statuant au fond après une première cassation (art. L. 821-2 CJA), retient une solution directement contraire à celles qu'avaient retenue les juridictions du fond.

Dans une formulation de principe, le juge cassation fixe, au point 3 de sa décision, le cadre juridique dans lequel doit s'inscrire l'analyse du juge saisi d'un tel litige : « Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait

Appliquant cette grille d'analyse au cas de l'espèce, le juge indique, en premier lieu quel a été le raisonnement de la juridiction d'appel et, en second lieu, en quoi il lui paraît qu'il repose sur une qualification inexacte des faits.

La cour avait retenu une faute dans l'organisation du service hospitalier en se fondant sur deux faits. 1° l'auteur de l'agression était connu pour son agressivité et sa violence, plusieurs actes commis par lui au cours des sept derniers mois en attestant ; 2° le rapport de l'expert commis par les juges avait relevé que les pathologies respectives dont souffraient l'agresseur et sa victime présentaient une incompatibilité spécifique devant immanquablement se révéler s'ils se trouvaient en présence l'un de l'autre.

Le Conseil d’État reproche à la cour de s'être fondée sur ces seuls éléments pour y apercevoir l'existence d'une faute de l'établissement. Il a une autre opinion sur l'appréciation des faits le conduisant à dénier l'existence d'une faute et il retient, pour aboutir à cette conclusion, deux faits.

1° le comportement de l'agresseur s'était stabilisé depuis plus de deux mois au moment de l'agression et il avait bénéficié de permissions de sortie qui n'avaient donné lieu à aucun incident ; 2° il avait été décidé de ne pas le confiner dans sa chambre mais de lui laisser une certaine autonomie de mouvement après administration d'un traitement ad hoc et mise en observation dont l'application et la surveillance étaient, selon le juge, d'autant plus aisées s'agissant d'un établissement de petite taille dans lequel le personnel pouvait très vite intervenir.

De là se déduit l'absence de faute.

On peut disputer à l'infini de ces deux appréciations des faits où demeure une grande part de subjectivité. Cependant, dans la mesure où était connue l'existence d'une incompatibilité majeure entre les maladies dont souffraient les deux protagonistes, il eût peut-être été plus sage, soit d'empêcher tout contact soit d'éloigner systématiquement l'un de l'autre, ce que la petite taille de l'établissement, dont le Conseil d’État fait un atout, permettait difficilement.

(29 septembre 2021, Établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole, n° 432627)

 

Service public

 

79 - Gestion de la trésorerie de l'État - Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) - Organismes privés chargés d'une mission de service public - Notion de mission de service public et notion de service public - Rejet.

(28 septembre 2021, Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), n° 447625)

V. n° 39

 

Urbanisme

 

80 - Demande de permis de construire - Silence de l'administration - Servitude d'urbanisme non inscrite en annexe d'un plan local d'urbanisme - Silence valant acceptation - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l'arrêt qui annule le refus de délivrance d'un permis de construire sur un immeuble dont les façades et le toit sont inscrits au titre des monuments historiques au motif que cette servitude d'urbanisme ne figurant pas en annexe du plan local d'urbanisme, le silence de plus de trois mois du maire sur la demande de permis valait permis de construire tacite.

En effet, si une servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols, telle la servitude pesant sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, n'est pas, en principe, opposable à une demande d'autorisation d'occupation des sols lorsqu'elle n'est pas annexée à un plan local d'urbanisme, il en va différemment lorsque le propriétaire d'un immeuble classé ou inscrit aux monuments historiques s'est vu notifier cette inscription en application de l'article R. 621-8 du code du patrimoine. En ce cas, cette servitude lui est opposable alors même qu'elle ne serait pas annexée au plan local d'urbanisme et toute demande de permis de construire, de démolir ou d'aménager portant sur cet immeuble relève en conséquence, conformément à l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme, de la procédure dérogatoire prévue pour ces demandes par les dispositions précitées de l'article L. 621-27 du code du patrimoine, d'où il résulte que le silence gardé par l'administration à l'issue du délai d'instruction fait naître une décision implicite de rejet de la demande.

Au cas de l'espèce, le classement par un arrêté du 15 novembre 1927 (!!!) avait été notifié au propriétaire, d'où il suit que le pétitionnaire ne saurait se prévaloir de ce que le silence, gardé pendant plus de cinq mois, aurait valu octroi d'un permis de construire tacite.

Encore eût-il fallu, nous semble-t-il, car le propriétaire requérant n’est probablement celui qui a reçu notification de l’arrêté de classement près de 95 ans avant la saisine du juge, établir que ce dernier avait incontestablement connaissance de cet acte, par exemple car il était retranscrit dans l’acte notarié d’acquisition, de donation ou de succession de l’immeuble litigieux.

(23 septembre 2021, Société La Place Gambetta, n° 432650)

 

81 - Permis de construire initial et permis modificatif - Accès à la propriété par une voie privée ouverte à tous les propriétaires riverains - Voie accessible aux services de lutte contre l'incendie - Accès alternatif autorisé par le permis modificatif - Erreur de droit et double dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Le permis de construire initial d'une maison d'habitation individuelle d'une superficie de 664,89 m2 avait été annulé par le tribunal administratif pour le double motif, d'une part, que les pétitionnaires, qui prétendaient pouvoir utiliser une voie privée pour l'accès à leur parcelle n'invoquaient aucun titre créant une servitude ou un quelconque droit de passage sur cette voie de desserte et d'autre part, que l'état de ladite allée privée ne permettait pas l'accès des vehicules de lutte contre l'incendie.

Le permis de construire modificatif, qui faisait suite à l'acquisition par les pétitionnaires de parcelles de terrain supplémentaires, est également annulé par le tribunal par le motif que, vu l'importance de la construction projetée, l'accès alternatif proposé par le permis de régularisation accordé méconnaissait les conditions posées par le règlement du PLU.

Le jugement est annulé en ses deux branches.

Concernant le permis initial, le tribunal a, d'abord, commis une erreur de droit en ce qu'il n'a pas tiré la conséquence que les demandeurs tenaient directement de leur qualité de propriétaires riverains de la voie privée le droit d'y accéder et d'en user. Il a, ensuite, dénaturé les pièces du dossier en jugeant ladite voie inaccessible aux véhicules de secours alors que figuraient au dossier de demande permis, d'une part des photographies attestant que l'état de l'allée en cause ne fait pas obstacle à l'accès des services de lutte contre l'incendie au terrain d'assiette du projet et, d'autre part, l'avis favorable émis par le service de lutte contre l'incendie et la protection civile de la préfecture de police.

Concernant le permis modificatif, le tribunal - se fondant exclusivement sur la superficie de la construction projetée - a omis de prendre en considération, pour apprécier la pertinence de la création d'un accès piétonnier et d'un accès pour véhicules, le fait qu'il ne s'agissait néanmoins que d'un seul logement, commettant ainsi une seconde dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis.

(23 septembre 2021, M. et Mme A. H., n° 435616)

 

82 - Révision d'un POS portant plan d'urbanisme - Irréglarités affectant la consultation - Invocation au soutien d'un recours dirigé contre la délibération approuvant le PLU - Nature de servitudes d'urbanisme des zones ZPPAUP - Absence d'effet sur l'appréciation de la légalité d'un PLU - Rejet.

Les requérants contestaient par de nombreux moyens de forme et de fond la légalité de la délibération du conseil municipal de la commune de Pertuis approuvant la révision du POS mis en forme de PLU.

On retiendra surtout deux aspects de la décision du Conseil d’État dont le premier est une reprise d'une importante jurisprudence antérieure.

Tout d'abord, réitérant le revirement de jurisprudence constitué par une décision relativement récente (Section 5 mai 2017, Commune de Saint-Bon-Tarentaise, n° 388902) le Conseil d’État rappelle que s'il est loisible à tout requérant de contester la légalité de la délibération fixant les modalités de la concertation en vue de l'adoption ou de la révision d'un PLU, il ne lui est plus possible, depuis cette décision, d'invoquer cette illégalité au soutien d'un recours dirigé contre la délibération approuvant le PLU, ce qui était le cas en l'espèce.

Ensuite, de façon plus innovante, est précisée l'imbrication normative et hiérarchique du PLU avec l'institution d'une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP).

Le juge de cassation approuve la cour administrative d'appel d'avoir jugé, d'une part, que les dispositions d'une ZPPAUP ne sont pas au nombre des règles par rapport auxquelles s'apprécie la légalité d'un plan d'urbanisme, et d'autre part, que ces dispositions sont, en revanche, opposables aux autorisations d'urbanisme délivrées sous l'empire dudit PLU.

Ceci ne manquera pas de soulever de délicats problèmes de hiérarchie des normes et de cohérence juridique car au final il y a bien interposition des dispositions du ZPPAUP entre le PLU et l'autorisation d'urbanisme sollicitée.

Ce qui soulève une question difficile : y a-t-il vraiment une grande différence pour le pétitionnaire entre voir sa demande directement soumise au respect de la réglementation au titre de la ZPPAUP ou par le biais de dispositions du PLU prises dans le respect des règles que comporte la ZPPAUP ?

D'un autre côté il n'est pas illégitime de considérer que l'empilement normatif au-dessus du PLU est déjà suffisamment consistant pour ne pas en rajouter une couche.

(24 septembre 2021, Mme B. et autres, n° 444673)

 

83 - Propriétaires voisins - Recours en tierce opposition contre un jugement annulant un refus de permis de construire - Conditions de recevabilité d'un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Conditions non réunies en l'espèce - Rejet de ce chef - Refus d'un permis de construire pour des motifs censurés par le juge - Impossibilité d'un nouveau refus fondé sur l'un des motifs censurés.

Rappel de ce que si l'administration qui a refusé un permis de construire pour des motifs censurés par le juge demeure saisie de la demande de permis et peut, à ce titre, le refuser à nouveau pour un motif différent de ceux censurés, en revanche elle ne peut le refuser en se fondant sur l'un des motifs censurés en raison de l'autorité absolue qui s'attache à la chose jugée par une annulation sur recours pour excès de pouvoir.

 (29 septembre 2021, EARL Grand Fossé et autres, n° 438525)

V. pour un autre aspect de la décision, le n° 21

 

 

84 - Réunion publique d'information sur la modification d'un plan local d'urbanisme - Exigence d'un pass sanitaire pour l'accès à la salle de réunion - Illégalité - Rejet.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Commune de Savigny-sur-Orge, n° 456578)

V. n° 69

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet-Août 2021

Juillet-Août 2021

 

Actes et décisions - Documents administratifs - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Existence d’une supposée règle non écrite appliquée par les juridictions administratives – Demande au garde des sceaux d’y mettre fin et d’en annuler certains effets – Existence de cette règle non établie – Silence du garde des sceaux n’ayant, par suite, pas le caractère d’une décision déférable au juge – Requête abusive – Condamnation à amende et rejet.

Les requérants prétendaient que diverses décisions rendues par des juridictions administratives statuant en référé révéleraient l'existence d'une supposée règle non écrite selon laquelle ces juges des référés se soustrairaient à leurs obligations dans le cadre du contrôle des aides d'État prévu par les articles 107 et 108 du TFUE, notamment en ne faisant pas usage de leurs pouvoirs d'instruction, en cas de méconnaissance, par les autorités étatiques, de l'interdiction instituée par le paragraphe 3 de l'article 108. Ils avaient demandé au garde des sceaux de mettre fin à cette « règle » et d’en annuler certains des effets. Ils contestent devant le Conseil d’État le rejet implicite de leurs demandes résultant du silence gardé par le ministre.

Constatant l’inexistence de la « règle » prétendue, le Conseil d’État juge qu’en conséquence l’absence de réponse du garde des sceaux n’est pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours.

Passablement agacés par cette démarche d’une habituée de son prétoire, les juges lui infligent cinq mille euros d’amende pour avoir introduit une requête abusive.

(1er juillet 2021, Société MEI Partners, de Me A., en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société, n° 441150)

 

2 - Actes de droit souple - Haute autorité de santé - Recommandations de bonne pratique du 12 juillet 2017 relative au syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement - Refus d’abrogation - Recours pour excès de pouvoir dirigé directement contre ce refus dans le délai du recours contentieux - Exception d’illégalité dirigée contre ce refus - Rejet.

139 requérants demandent l’annulation de la décision de la Haute autorité de santé refusant d’abroger la recommandation de bonne pratique du 12 juillet 2017 émise par le collège de celle-ci, relative au « syndrome du bébé secoué ou traumatisme crânien non accidentel par secouement » et actualisant une précédente recommandation émise le 8 juin 2011.

Le recours est rejeté.

 

Le juge rappelle tout d’abord les limites des actes de droit souple notamment en matière de santé où toute recommandation de bonne pratique « pas davantage qu'elle ne dispense le professionnel de santé de rechercher pour chaque patient la prise en charge qui lui paraît la plus appropriée, ne saurait faire obstacle à la discussion du bien-fondé des diagnostics établis sur sa base dans le cadre des procédures applicables à chaque cas particulier, notamment devant le juge pénal ». On ne saurait mieux décrire l’incomplétude claudicante de ces « actes ».

Puis s’agissant du recours pour excès de pouvoir dirigé contre la recommandation en cause, le juge réitère sa jurisprudence aussi constante désormais que discutable, selon laquelle il est possible - dans le cadre d’un recours direct pour excès de pouvoir ou d’une action en exception d’illégalité contestant le refus d'abroger une recommandation de bonne pratique de la Haute autorité de santé -, d’invoquer la légalité de son contenu, la compétence de la Haute autorité pour la prendre et l'existence d'un détournement de pouvoir. Il n'est en revanche pas possible de critiquer par voie d’exception d’illégalité ses conditions d'édiction, ses vices de forme et de procédure. Cela n’est en effet possible que dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la recommandation elle-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.

(7 juillet 2021, M. H.C. et autres, n° 438712)

 

3 - Retrait d'une pension de réversion à l'époux d'une fonctionnaire décédée - Contestation non relative aux relations entre l'administration et ses agents - Obligation de motivation - Décision n'étant pas prise en situation de compétence liée - Rejet.

Ayant constaté que le conjoint survivant d'une fonctionnaire prédécédée avait continué à percevoir une pension de réversion après s'être remarié, le ministre de l'action et des comptes publics a retiré la décision de versement de cette pension à compter de la date du remariage, le 9 avril 2004.

Cette décision, d'une part, en ce qu'elle entre dans la catégorie de celles qui retirent ou abrogent une décision créatrice de droits et, d'autre part, en ce qu'elle ne peut être regardée comme créant un litige entre l'administration et l'un de ses agents, doit être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et précédée d'une procédure contradictoire (art. L. 121-1 CRPA). 

Ensuite, pour procéder au retrait d'une pension de réversion, l'autorité administrative est conduite à porter une appréciation sur les faits de l'espèce en particulier pour apprécier si son bénéficiaire a contracté un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire, c'est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a considéré que l'autorité administrative ne se trouvait pas en situation de compétence liée pour prendre la décision en litige et en en déduisant que les moyens présentés devant lui à l'encontre de cette décision n'étaient pas inopérants. 

(1er juillet 2021, ministre de l'action des comptes publics, n° 430834)

 

4 - Office national des forêts (ONF) - Vente de bois de chêne - Décision établissant un formulaire d'engagement - Application à des ventes non réalisées par l'ONF - Atteintes à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie - Incompétence - Annulation.

Avant l'examen du litige au fond, le Conseil d’État a tranché une question de compétence dans la lignée de la jurisprudence édifiée sur ce point par le Tribunal des conflits : si l'ONF tient de la loi la qualité d' établissement public national à caractère industriel et commercial et si, de ce fait, les litiges nés de ses activités relèvent normalement de la compétence de la juridiction judiciaire, il en va autrement des litiges portant sur celles des activités de l'ONF qui, telles la réglementation, la police ou le contrôle, ressortissent par leur nature de prérogatives de puissance publique. En l'espèce, le juge administratif est donc bien compétent puisqu'il s'agit de l'exercice par l'office de son pouvoir réglementaire.

Une résolution du conseil d'administration de l'ONF modifiant le formulaire d'engagement approuvé par une précédente résolution relative à l'accès aux ventes publiques de chêne par appel d'offres et par adjudication impose à tout acheteur de ce bois ne disposant pas du « label transformation UE » une série d'engagements dont celui d'alimenter la filière de transformation située dans l'Union européenne avec les bois d'œuvre de chêne issus des lots qu'il aura acquis. Le non-respect de cet engagement, dont le contrôle doit être assuré par un organisme indépendant, peut entraîner l'exclusion de l'acheteur des ventes de bois de chêne de l'ONF pour une durée allant jusqu'à cinq ans.

Les requérants contestaient le fait que l'application de cette résolution concerne non seulement les lots de bois achetés dans le cadre d'une vente par l'ONF mais également l'ensemble de l'approvisionnement en bois d'œuvre de chêne par tout intéressé, quelle que soit son origine ou la date de son acquisition, y compris celui qui n'est pas issu d'une vente de l'ONF.

Si l'ONF est habilité par les dispositions du code forestier à subordonner le droit de se porter acquéreur des lots de bois qu'il met en vente à des engagements portant sur l'usage de ces lots (cf. art. L. 121-2-1, code forestier), cette habilitation ne saurait lui permettre de porter atteinte à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie des acquéreurs de bois en leur imposant des contraintes portant non seulement sur le bois de chêne acquis auprès de l'office, mais affectant aussi l'ensemble des activités d'acquisition, de cession ou d'échange de bois de chêne et à celles des entreprises avec lesquelles il entretient des liens commerciaux. 

Excédant les limites de la compétence réglementaire dévolue par la loi à l'Office, sa décision est entachée d'incompétence.

(2 juillet 2021, Syndicat de la filière bois et autres, n° 423720)

(5) V. aussi, avec même solution : 2 juillet 2021, Syndicat de la Filière bois et autres, n° 427483.

 

6 - Agence nationale de l'habitat (ANH) - Abrogation par décret de la consultation obligatoire d'une commission locale de l'habitat - Caractère obligatoire de cette consultation maintenu par le règlement intérieur de l'ANH - Décision de retrait et de reversement d'une subvention - Absence de consultation de la commission - Omission d'une formalité constituant une garantie - Illégalité - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une cour administrative d'appel annule une décision de retrait et de remboursement d'une subvention car elle n'avait pas été précédée de la consultation de la commission locale de l'habitat dont la caractère obligatoire, supprimée par un décret du 5 mai 2017, a été maintenu postérieurement par le règlement intérieur de l'ANH.

(2 juillet 2021, M. A., n° 434447)

 

7 - Secret défense - Archives classifiées – Sauf exception, documents communicables de plein droit après 50 ou 100 ans - Illégalité de la subordination de leur communication à leur déclassification préalable - Annulation de ce chef.

Est illégale l'instruction générale interministérielle qui subordonne à leur déclassification préalable la communication des archives classées secret défense alors que le code du patrimoine (art. L. 213-2) n'exige pas cette déclassification dès lors, d'une part, que s'est écoulé un délai de 50 ou de cent ans, selon l'archive concernée, et d'autre part, que la demande de communication ne porte pas sur les documents relatifs aux armes de destruction massive lesquels ne sont jamais communicables.

(2 juillet 2021, Association des archivistes français et autres, n° 444865, n° 448763)

 

8 - Acte réglementaire - Refus d'abroger un tel acte - Nature juridique - Régime contentieux - Rejet.

Rappels, d'abord, que le refus d'abroger un acte réglementaire a lui-même une nature réglementaire, ensuite que le juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions à fin d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire se place à la date de sa décision pour apprécier les règles applicables.

(5 juillet 2021, Association La Quadrature du Net et autres, n° 433539)

V. n° 20

 

9 - Documents de portée générale - Document intitulé « GT éditeurs » - Document sans effets notables sur les éditeurs de logiciels - Acte ne faisant pas grief - Irrecevabilité - Rejet.

Il est jugé qu'un document, établi par un ministère, qui correspond à une impression du support visuel diffusé au sein d'un groupe de travail consacré à la présentation de la procédure d'évaluation des logiciels du nouveau diagnostic de performance énergétique des logements et bâtiments institué par la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique et qui se borne à donner aux éditeurs de logiciels des informations pratiques pour faire valider leurs logiciels sans comporter d'effet notable sur leurs droits, ne constitue pas un document de portée générale à effet notable ou une ligne directrice ou présentant un caractère impératif.

Le recours formé à son encontre est irrecevable.

(5 juillet 2021, Société Tekimmo, n° 453401)

(10) V. aussi l'ordonnance de référé rejetant la demande de suspension de l'exécution de deux arrêtés relatifs aux méthodes et procédures applicables au diagnostic de performance énergétique et aux logiciels l'établissant ainsi qu'au diagnostic de performance énergétique pour les bâtiments ou parties de bâtiments à usage d'habitation en France métropolitaine, devant entrer en vigueur le 1er juillet 2021, le moyen d'atteinte à la sécurité juridique développé à leur encontre ne soulevant pas de doute sérieux : 5 juillet 2021, Association LDI, n° 453621.

(11) V. également, sur recours notamment de la société Tekimmo précitée, l'annulation d'un arrêté interministériel du 2 juillet 2018 (avec effet différé au 1er janvier 2022) définissant les critères de certification des opérateurs de diagnostic technique et des organismes de formation et d'accréditation des organismes de certification en tant qu'il rend d'application obligatoire les normes NF EN ISO/CEI 17024 et NF EN ISO/CEI 17065 sans qu'elles soient gratuitement accessibles, en violation des dispositions du décret du 16 juin 2009 dont l'art. 17 dispose notamment que « (...) Les normes rendues d'application obligatoire sont consultables gratuitement sur le site internet de l'Association française de normalisation ».

D'où il suit que la gratuité d'accès est une condition du caractère obligatoire de l'application de ces normes : 7 juillet 2021, Société Tekimmo, n° 423261 ; Syndicat du retrait et du traitement de l'amiante et des autres polluants, n° 423897 ; Association nationale de défense des victimes de l'amiante, n° 423951 ; Confédération des organismes indépendants tierce partie de prévention, de contrôle et d'inspection, n° 426347.

 

12 - Administration fiscale - Acte de délégation de signature - Auto-affirmation qu’il a été affiché dans les locaux du service - Présomption ne pouvant être renversée que par la production d’éléments significatifs - Erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre d’un litige l’opposant à l’administration fiscale suite à une vérification de comptabilité, un contribuable invoque le caractère irrégulier de la décision prise à son encontre car elle a été signée par un agent ayant reçu une délégation de signature, dont l’art. 2 de cette décision indiquait qu’elle serait affichée dans les locaux du service comptable du service des impôts des entreprises de Bobigny et alors que le contribuable contestait la réalité de cet affichage. La cour administrative d’appel a accueilli ce moyen.

Le Conseil d’État voit dans ce raisonnement une erreur de droit car l’intéressé s’est borné à contester l’existence de cet affichage sans assortir ses allégations d'aucun élément de nature à renverser la présomption d’affichage résultant de l’art. 2 de l’acte de délégation de signature.

La solution surprend car elle opère, subrepticement, un renversement de la charge de la preuve : d’une part, elle crée de toutes pièces une présomption d’affichage fondée sur le seul libellé d’un acte administratif, et d’autre part, elle exige du contribuable non pas un simple commencement de preuve mais bel et bien la preuve d’un non-affichage, lequel n’aurait guère pu résulter que d’un constat d’huissier effectué dans les locaux mêmes du service public, pour autant qu’ils se trouvent dans une partie accessible au public et également à l’huissier.

La solution ne peut être approuvée car elle autorise - et légitime - bien des dérives.

(16 juillet 2021, ministre de l’action et des comptes publics, n° 440013)

 

13 - Norme AFNOR - Norme faussement présentée comme élaborée de manière consensuelle - Illégalité - Annulation - Incidence sur le pouvoir ministériel de définir une norme - Annulation avec modulation dans le temps.

Le directeur de l’AFNOR a homologué, par une décision du 28 novembre 2018, la norme révisée NF X 31-620 « Qualité du sol - Prestations de services relatives aux sites et sols pollués » alors que celle-ci n’avait pas fait l’objet de l’élaboration consensuelle prévue par les dispositions de l’art. 1er décret du 16 juin 2009. Compte tenu du caractère substantiel des points de désaccords exprimés lors de la séance orale d’instruction qu’a menée l’une de ses chambres, le Conseil d’État annule la décision en raison de l’erreur manifeste d'appréciation commise par son auteur en estimant que le projet de norme révisée avait été élaboré de manière consensuelle.

Les ministres compétents ont, par un arrêté du 19 décembre 2018, rendu obligatoire les parties 1 et 5 de la norme NF X31-6 dont le juge a prononcé l’annulation comme indiqué ci-dessus ; par suite, cet arrêté est annulé par voie de conséquence. 

Ce qui fait l’importance de cette décision vient de ce que le juge reconnaît que si les ministres pouvaient définir par leur arrêté la norme prévue aux articles L. 556-1 et L. 556-2 du code de l'environnement en reprenant, le cas échéant, le contenu d'un projet de norme préparé par l'AFNOR même n'ayant pas fait l'objet d'un consensus, ils se sont ici « bornés (…) à rendre obligatoire, les parties 1 et 5 de la norme NF X31-620 auxquelles leur arrêté renvoie », l’annulation par voie de conséquence était inévitable. Elle a lieu, ici, avec effet différé au 1er mars 2022.

(21 juillet 2021, Union des consultants et ingénieurs en environnement et autres, n° 428347)

 

14 - Refus d'autoriser un licenciement - Retrait du rejet implicite du recours contre ce refus - Licenciement d'un salarié protégé par motif économique - Respect de la procédure contradictoire - Absence - Annulation.

Le retrait de la décision implicite par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté le recours hiérarchique formé contre la décision de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser le licenciement d'un salarié protégé est soumis à une procédure contradictoire impliquant l'invitation de l'intéressé à présenter ses observations sur le projet de retrait, la décision implicite étant créatrice de droits pour le salarié.

(30 juillet 2021, M. B., n° 429342)

 

 15 - Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Élaboration de "lignes directrices" - Lignes ne fixant pas de norme à caractère général - Irrégularité - Absence - Rejet.

L'édiction par l'ARCEP de « lignes directrices relatives à la tarification de l'accès aux réseaux à très haut débit en fibre optique déployés par l'initiative publique » n'ayant pour seul objet que de guider l'action des collectivités territoriales et de leurs groupements en exposant une méthode d'élaboration des niveaux tarifaires pouvant être proposés aux opérateurs commerciaux, ne fixent pas, contrairement à ce que soutient la société requérante, de norme à caractère général s'imposant aux collectivités territoriales.

(30 juillet 2021, Société Coriolis Télécom, n° 437847)

 

16 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) - Mise en garde contre un possible manquement adressé à une société de télévision - Absence de caractère de décision faisant grief - Irrecevabilité du recours introduit - Rejet.

Le président du CSA a adressé à la société requérante une « mise en garde » contre un possible manquement de celle-ci à ses obligations conventionnelles envers le CSA et, sur recours gracieux de cette dernière, a maintenu sa position en mettant la société « fermement en garde ».

Celle-ci saisit le Conseil d’État qui rejette son recours pour irrecevabilité, les courriers critiqués se bornant à rappeler la nécessité pour cette société de se conformer aux obligations contenues dans la convention qui la lie au CSA, ne constituent ni une mise en demeure au sens et pour l'application de l'art. 42 de la loi du 30 septembre 1986, ni un acte de droit souple susceptible de produire des effets notables ou d'influer de manière significative sur les comportements de la  société et ne produisent par eux-mêmes aucun effet de droit. Il ne s'agit donc pas de décisions faisant grief, d'où l'irrecevabilité opposée au recours.

(30 juillet 2021, Société Diversité TV France, n° 447256)

 

17 - Avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – Avis défavorable sur une proposition de nomination d’un magistrat exerçant à titre temporaire – Absence de caractère de sanction – Avis non soumis à une procédure contradictoire ou à une obligation de motivation – Rejet.

L’avis défavorable donné par le CSM sur une proposition de nomination d'un magistrat exerçant à titre temporaire ne constitue pas une sanction. Dès lors, il n’a pas à être précédé d'une procédure contradictoire, ni non plus à être motivé car un tel avis, d’une part, n'est pas au nombre des décisions individuelles refusant un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes remplissant les conditions légales pour l'obtenir qui doivent être motivées et, d’autre part, ne relève d’aucun texte ou principe emportant obligation de le motiver.

(3 août 2021, M. D., n° 429389)

 

18 - Demande de compléter un décret – Refus implicite du premier ministre – Nature législative de l’ajout demandé – Rejet.

Le requérant avait saisi le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus implicite du premier ministre d’ajouter au texte actuel du 3° de l’art. R. 742-1 du code de commerce un cas de déchéance de plein droit des fonctions de greffier de tribunal de commerce à l’instar de ce qui est prévu pour les magistrats de tribunal de commerce. La requête est rejetée car un tel ajout relève de la compétence législative et l’on ne saurait reprocher au premier ministre un refus opposé à une demande ne relevant manifestement pas de sa compétence.

(3 août 2021, M. C., n° 434928)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

19 - Télévision hertzienne - Notion d' « heures de grande écoute » -  Avenant à une convention avec une société éditrice d'un service de télévision - Définition manifestement erronée - Annulation.

Par un avenant à la convention le liant à RMC Découverte, le CSA a modifié les plages horaires considérées comme heures de grande écoute pour cette chaîne, les faisant passer de 15h à 23h tous les jours jusque-là à 8h30-10h30 et 18h-minuit tous les jours.

La requérante estimait illégale cette  grille appliquée à RMC Découverte.

Le Conseil d’État admet le raisonnement de la demanderesse nonobstant l'obstacle que constitue en la matière le contrôle réduit du juge sur une telle décision car il relève que l'institution d'heures de grande écoute a pour objet de déterminer des plages horaires à l'intérieur desquelles doit être assuré le respect des obligations de programmation d'œuvres audiovisuelles européennes et d'œuvres d'expression originale française. Or, en l'espèce, la nouvelle définition retenue a pour effet de comporter, pour un quart de cette durée globale, une audience moyenne significativement plus faible que l'audience moyenne quotidienne. Est ainsi jugée manifestement erronée l'application faite par le CSA de l'art. 27 de la loi du 30 septembre 1986 et de l'art. 14 du décret du 17 janvier 1990, aucun des moyens de défense du CSA n'ayant convaincu les juges.

(2 juillet 2021, Société Télévision Française 1 (TF 1), n° 429121)

 

20 - Données à caractère personnel - Traitement automatisé – « Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet » - Légalité pour partie et renvoi préjudiciel à la CJUE pour le surplus.

Les demanderesses sollicitaient l'annulation de la décision implicite du premier ministre rejetant leur demande tendant à l'abrogation du décret n° 2010-236 du 5 mars 2010 relatif au traitement automatisé des données à caractère personnel autorisé par l'article L. 331-29 du code de la propriété intellectuelle dénommé « Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet ». Ce décret a été pris pour l'application des art. L. 331-21, L. 331-29 et L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle qui visent à protéger le droit d'auteur et les droits voisins attachés aux œuvres ou objets utilisés à des fins de reproduction, de représentation, de mise à disposition ou de communication dans le cadre de services de communication au public en ligne lorsqu'est requis l'accord de l'auteur pour cette diffusion.

Un système de recommandations puis de mises en demeure et pouvant déboucher sur des poursuites devant la juridiction judiciaire a été organisé sous l'égide de la commission de protection des droits de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Est d'abord rejetée l'exception d'inconstitutionnalité de l'art. L. 331-21 du code précité car la déclaration d'inconstitutionnalité opérée par le Conseil constitutionnel (décis. n° 2020-841 QPC du 20 mai 2020) ne concerne que les alinéas 3 et 4 de cet article alors que le décret querellé a été pris sur le fondement du cinquième alinéa de ce texte. Dès lors les requérantes ne peuvent soutenir qu'il serait privé de base légale.

Ensuite, s'agissant du droit de l'Union, il est tout d'abord relevé que la jurisprudence de la CJUE (6 octobre 2020, Association La Quadrature du Net et autres, aff. C-511/18, C-512/18, C-520/18) juge possible, sans délai particulier, la conservation des données relatives à l'identité civile des utilisateurs de moyens de communications électroniques, aux fins de recherche, de détection et de poursuite des infractions pénales en général. Il est ensuite considéré qu'il résulte de décisions de la CJUE (21 décembre 2016, Tele2 Sverige AB c/ Post-och telestyrelsen, aff.  C-203/15 et Secretary of State for the Home Department c/ Tom Watson et autres, aff. C-698/15 ; et, surtout, 2 mars 2021, H.K. / Prokuratuur, aff. C-746/18) que celle-ci impose l'obligation d'un contrôle préalable de l'accès des autorités nationales aux données de connexion par une juridiction ou une autorité administrative indépendante.

Constatant que la Hadopi a adressé 827 791 recommandations pour la seule année 2019 et que l'exigence d'un contrôle préalable comme celui exigé par la CJUE risque de paralyser ce mécanisme, le Conseil d’État renvoie à la Cour de justice les questions préjudicielles en ce sens.

(5 juillet 2021, Association La Quadrature du Net et autres, n° 433539)

V. aussi n° 20

 

21 - Données à caractère personnel - Communication de données demandée par une personne héritière de son père - Données détenues par des établissements bancaires situés en Suisse - Plaintes de l'héritière clôturées par la CNIL - Rejet.

La requérante, héritière de son père, avait porté plainte devant la CNIL contre des établissements bancaires situés en Suisse se refusant à lui communiquer des données personnelles relatives à son père et aux comptes supposément détenus par lui dans ces établissements.

La CNIL a clôturé ces plaintes et il est demandé au juge d'annuler cette clôture.

Le recours est rejeté.

En premier lieu, comme l'a relevé la CNIL, les banques dont s'agit exercent leur activité en Suisse pays qui est en dehors du champ territorial d'application de la loi Informatique et Libertés alors même que celles-ci seraient des filiales d'un groupe dont la société mère se trouve en France.

En second lieu, comme l'a également relevé la CNIL, les données en litige ne résultent pas d'un traitement lié à une offre de biens ou services dont la requérante aurait fait elle-même l'objet en sa qualité d'héritière de son père. Elles ne pouvaient dès lors entrer dans le champ du Règlement général sur la protection des données (RGPD).

C'est sans erreur de droit qu'un refus a été opposé par la CNIL à ces demandes.

(5 juillet 2021, Mme B.-C., n° 447088)

 

Biens

 

22 - Sculpture placée sur une tombe - Nature juridique - Classement au titre des monuments historiques - Interprétation de l'article 518 du Code civil - Régime juridique applicable - Rejet.

Il s'agit d'une affaire à rebondissements à propos d'une sculpture de Constantin Brancusi, dénommée « Le Baiser », édifiée en 1911 à la demande de son fiancé sur la tombe de Tania Rachevskaïa, après le suicide de cette dernière.

La cour administrative d'appel de Paris avait jugé (le 11 décembre 2020) que cette pièce n'était pas un immeuble par nature et qu'elle pouvait être détachée de la tombe mais, saisi par le ministre compétent, le Conseil d’État avait, par sa décision n° 447968 du 31 mars 2021 (Voir cette Chronique, mars 2021, n° 16 et n° 35), suspendu l'exécution de cet arrêt.

La présente affaire est l'épilogue d'une saga artistico-financière débutant par le refus du ministre de la culture de délivrer le certificat demandé en vue de l'exportation de cette œuvre.

L'art. 518 du Code civil énonçant que : « Les fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature », le Conseil d’État en déduit que « la seule circonstance qu'un élément incorporé à un immeuble n'ait pas été conçu à cette fin et qu'il puisse en être dissocié sans qu'il soit porté atteinte à l'intégrité de cet élément lui-même ou à celle de l'immeuble n'est pas de nature à faire obstacle au caractère d'immeuble par nature de l'ensemble, qui doit être apprécié globalement. »

Par suite, la cour a commis une erreur de droit en se fondant pour dénier le caractère immobilier par nature de la sculpture sur la double circonstance qu'elle n'avait pas été créée à cette fin par Constantin Brancusi et qu'il n'était pas établi qu'elle ne pouvait en être descellée sans porter atteinte à son intégrité, ni à celle du monument funéraire. Inversant la proposition, le Conseil d’État reproche à la cour de n'avoir pas recherché « si ce monument avait été conçu comme un tout indivisible incorporant ce groupe sculpté ». L'argument n'est pas convaincant car raisonner ainsi supposerait que l'objet fût immeuble par destination, destination résultant de la volonté de l'artiste comme de la famille de la défunte. En posant un caractère immobilier par nature, donc objectif, le Conseil d’État se condamne à ne pas tenir compte de l'élément subjectif constitué par cette volonté...

D'autres aspects très importants sont abordés dans cette décision dont celui de la classification comme monument historique et celui de l'atteinte portée au droit de propriété.

Un siècle après, l'Amour est toujours aussi brûlant mais pas pour les mêmes personnes...

(2 juillet 2021, Société Duhamel Fine Art, n° 447967)

 

23 - Usinier fondé en titre – Détermination de la consistance légale du droit d’usage du titre – Mode de calcul – Erreur de droit à ne pas tenir compte d’une expertise – Annulation avec renvoi.

La société propriétaire d’un moulin édifié sur les bords de la Creuse, après avoir été reconnue fondée en titre pour l’exploiter, a souhaité moderniser son installation et a sollicité la fixation de sa consistance légale, c’est-à-dire la puissance maximale théorique qu’elle peut tirer de l’exploitation de son installation.

L’administration ayant fixé cette puissance à 66,24 kilowatts, la société, jugeant ce chiffre erroné, a saisi les juges du fond qui l’ont déboutée en première instance et en appel.

Sur pourvoi, le Conseil d’État casse l’arrêt d’appel au motif, dont il faut souligner l’importance ici, qu’« un droit fondé en titre conserve, en principe, la consistance légale qui était la sienne à l'origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Elle correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut, en théorie, disposer. S'il résulte des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie (…), que les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions du livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique " du code de l'énergie, leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5 (…), c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ».

Alors que les juges s’en sont tenus aux données fournies par un document établi en 1879 et gravement lacunaire sur plusieurs points, la société se prévalait devant eux d’une expertise faisant application des éléments de calcul retenus par le Conseil d’État : pour n’en avoir pas tenu compte la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit.

(3 août 2021, Société Hydro Energie Muyle France, n° 431392)

 

Collectivités territoriales

 

24 - Conseil municipal - Délibérations - Obligation d'un vote par projet d'acte soumis au conseil municipal - Vote unique sur plusieurs délibérations à objet commun unique - Régularité - Rejet.

Si, en principe, il se déduit des dispositions de l'art. L. 2121-20 du CGCT que le conseil municipal doit se prononcer par vote ou par assentiment sur chacun des objets sur lesquels il est appelé à décider, n'est toutefois pas irrégulière la délibération qui se prononce en un vote unique sur cinq projets ayant un objet unique et commun, ici l'octroi de la protection fonctionnelle à la maire en fonctions et à ses quatre derniers prédécesseurs dans le cadre d'un même litige.

(5 juillet 2021, M. D., n° 433537)

 

25 - Syndicat intercommunal - Désignation en son sein de membres titulaires et de membres suppléants à sa commission d’appel d’offres - Déférés préfectoraux - Statuts respectifs des deux catégories de membres - Égalité totale - Rejet.

Confirmant la solution retenue en première instance, le Conseil d’État rejette les déférés préfectoraux dirigés contre l’élection par le comité syndical du syndicat intercommunal d'assainissement de Cogolin-Gassin des membres suppléants de la commission d'appel d'offres des marchés publics du syndicat ainsi que de la commission de concessions du syndicat.

Il considère qu’il résulte des dispositions, respectivement, de l’art. L. 1411-5 et de l’art. L. 5211-7 du CGCT, que, lorsqu'il est prévu qu'une commune soit représentée au sein du comité syndical d'un syndicat de communes dont elle est membre à la fois par des délégués titulaires et par des délégués suppléants, ces délégués titulaires et suppléants sont élus dans les mêmes conditions au comité syndical et, lorsqu'ils sont appelés à y siéger, participent de la même façon, avec une voix également délibérative, à ses délibérations. Par suite, les délégués suppléants au comité syndical sont éligibles, en qualité de membres de l'assemblée délibérante élus en son sein, pour être désignés en qualité de membres titulaires ou suppléants tant de la commission d'appel d'offres que de la commission de délégation de service public.

(12 juillet 2021, préfet du Var, n° 448741 et n° 448742)

(26) V. aussi, comparable dans une certaine mesure : 13 juillet 2021, M. H., n° 448662.

 

27 - Syndicat mixte - Désignation des membres du bureau du comité syndical (président et vice-présidents) - Crise sanitaire - Dérogation législative à la règle du quorum - Absence d’effet sur les conditions particulières de majorité requises pour l’obtention d’une majorité absolue qualifiée - Rejet.

C’est sans erreur de droit que les premiers juges, appliquant les statuts d’un syndicat mixte, ont jugé que si la loi du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire, qui a introduit des modalités dérogatoires aux conditions générales de quorum applicables aux réunions des organes délibérants des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics, elle n’a eu ni pour objet ni pour effet de déroger aux conditions particulières de majorité requises pour certaines de leurs délibérations.

Dès lors, la loi précitée ne faisait point obstacle - contrairement à ce que soutiennent les demandeurs appelants - à l’application des statuts du syndicat qui imposent, pour l’élection du président et des vice-présidents, l'obtention d'une majorité absolue de suffrages déterminée par rapport au nombre de membres du comité, quel que soit le nombre de membres présents lors du vote et indépendamment du nombre de voix détenues éventuellement par chacun d'eux,

L’appel est rejeté.

(16 juillet 2021, M. N. et autres, n° 451002)

 

28 - Permis de construire modificatif - Refus du maire - Saisine du préfet sur le fondement de l’art. L. 2131-6 du CGCT - Interprétation de cette saisine comme un recours hiérarchique - Rejet - Erreur de droit- Annulation.

(22 juillet 2021, Société civile de construction vente Grenadines, n° 436105)

V. n° 248

 

29 - Collectivités territoriales - Indemnités de fonction des conseillers municipaux - Majoration ne bénéficiant qu’aux élus des communes de métropole - Principe d’égalité - Question présentant un caractère sérieux - Transmission de la QPC.

(26 juillet 2021, Commune du Port, n° 452813)

V. n° 215

 

Contentieux administratif

 

30 - Intervention – Délégation de signature irrégulière – Circonstance sans effet sur la solution du litige – Moyen inopérant – Rejet.

Est inopérant le moyen tiré de ce que l’intervention présentée au nom de l’État au cours d’un procès l’a été par une personne sans délégation de signature régulière, cette intervention  étant sans effet sur l’issue du litige.

(1er juillet 2021, Société MEI Partners, de Me A., en sa qualité de liquidateur judiciaire de cette société, n° 441150)

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 1

 

31 - Juridiction ordinale - Principe d'impartialité - Composition irrégulière de la formation de jugement - Office du juge d'appel - Obligation d'examen d'office - Compétence du juge de cassation en vue de voir censurer l'éventuelle erreur de droit du juge d'appel qui ne procède pas à cet examen - Annulation.

Rappel valable pour toutes les juridictions - et pas seulement celles ordinales - que le juge d'appel a l'obligation de s'assurer, alors même que cette question n'est pas discutée devant lui, que la juridiction dont la décision est contestée a siégé dans une composition conforme aux dispositions législatives ou réglementaires qui déterminent cette composition ainsi qu'aux principes qui gouvernent la mise en œuvre de ces dispositions. Par conséquent, l'auteur d'un pourvoi en cassation peut faire valoir que le juge d'appel aurait commis une erreur de droit en ne soulevant pas d'office, au vu des pièces du dossier, le moyen tiré de ce que la juridiction de première instance aurait siégé en méconnaissance des dispositions fixant sa composition. 

(1er juillet 2021, M. C., n°432358)

 

32 - Référé – Question prioritaire de constitutionnalité - Défaut d'urgence - Non-lieu à statuer sur le renvoi de la QPC - Rejet.

Cette ordonnance de référé suspension vient rappeler que si le juge des référés peut être saisi d'une QPC, il n'est tenu de la transmettre, les conditions du renvoi au Conseil constitutionnel étant supposées remplies, qu'à la condition qu'en outre il ait été lui-même valablement saisi du référé, tel n'est pas le cas lorsque, comme en l'espèce, il estime non satisfaite la condition d'urgence indispensable à la recevabilité d'un référé suspension.

Par suite, il prononce le non-lieu à statuer sur le renvoi de la QPC.

(1er juillet 2021, Mme B., n° 453470)

 

33 - Principe d'impartialité de la fonction de juger - Juge du référé suspension ayant auparavant siégé comme président du conseil discipline se prononçant sur le cas du requérant - Atteinte au principe d'impartialité - Annulation.

La circonstance que l'auteur de l'ordonnance prononçant la suspension d'un arrêté municipal infligeant une sanction à un agent de la commune présidait le conseil de discipline qui s'est prononcé sur le cas de celui-ci  dans le cadre de la procédure disciplinaire ayant abouti à la sanction suspendue, contrevient au principe d'impartialité qui commandait que ce magistrat ne statue pas sur cette demande de suspension. 

La demande d'annulation formulée par la commune est admise.

(5 juillet 2021, Commune de Bussy-Saint-Georges, n° 440566)

(34) V. aussi sur un autre aspect du litige : 5 juillet 2021, Commune de Bussy-Saint-Georges, n° 442625.

 

35 - Référé liberté - Liberté syndicale - Suspension du site internet d'un syndicat d'agents d'un département - Maintien d'un certain nombre de fonctionnalités - Atteinte à une liberté fondamentale non constitutive par elle-même d'une situation d'urgence - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension de la décision, prise en vertu des dispositions du point 7.5  de la charte d'utilisation des ressources des systèmes d'information annexée au règlement intérieur du département du Nord, par laquelle le directeur général des services du département du Nord, après un premier avertissement adressé au syndicat SUD des personnels du département du Nord et eu égard à la portée politique du document intitulé « élections départementales : les agentes du Conseil Départemental alertent », publié le 23 juin 2021, par le syndicat sur l'intranet syndical en vue du second tour des élections départementales du 27 juin, a suspendu pour une durée de quinze jours « les publications », y compris antérieures, du syndicat, sur cet intranet, accompagné d'une copie à l'écran de la décision de suspension sur la seule page restée ouverte. 

Relevant que celle-ci comportait des indications suffisantes pour maintenir un lien constant entre le syndicat et les salariés via la fonction « carnet d'adresses » et que la direction des ressources humaines a pris au cours de l'audience, ce qui a été fait, l'engagement d'afficher les coordonnées des représentants du syndicat SUD sur la page restée ouverte de l'intranet du syndicat, le juge des référés rejette la demande de référé , rappelant que les deux conditions  : 1° d'atteinte à une liberté fondamentale, réalisée en l'espèce, et 2° d'urgence (absente en l'espèce du fait des mesures rappelées ci-dessus) sont distinctes et que la non réalisation de l'une d'elles empêche l'exercice par le juge du référé liberté des pouvoirs qu'il tient, à ces conditions, de l'art. L. 521-2 du CJA.

(5 juillet 2021, Syndicat SUD des personnels du département du Nord, n° 451062)

 

36 - Astreinte - Liquidation - Renonciation à la liquidation - Absence d'empêchement à cette liquidation - Rejet.

La renonciation par le justiciable appelé à en bénéficier à la liquidation de l'astreinte prononcée à son profit est sans effet, dès lors que les conditions en sont réunies, sur le pouvoir du juge de procéder à cette liquidation en vertu de son pouvoir prore de décision.

(6 juillet 2021, Mme A., n° 441440)

 

37 - Référé suspension - Nécessité d’une requête distincte en annulation - Absence - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Rappel de l’absolue nécessité qu’une demande de référé suspension soit, à peine d’irrecevabilité manifeste, accompagnée d’une requête distincte en annulation de la décision dont la suspension est demandée.

(5 juillet 2021, M. B., n° 454141)

 

38 - Référé suspension - Décision résultant du silence gardé par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) - Protection des mineurs contre l’accessibilité des contenus pornographiques de sites internet - Notion d’urgence - Rejet.

L’association requérante demandait par voie de référé, notamment, la suspension de l'exécution de la décision implicite née du silence gardé par le CSA sur la demande qui lui a été faite le 11 janvier 2021 d'user des pouvoirs qu'il tient de l'article 23 de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 pour assurer la protection des mineurs à l'égard des contenus pornographiques accessibles sur divers sites internet.

Pour rejeter la requête il est avancé que la législation en cause, adoptée depuis moins d'un an, qui entend remédier à une situation qui persiste depuis de nombreuses années en confiant au CSA des prérogatives nouvelles, imposant notamment une appréciation des mesures susceptibles d'être utilement imposées pour empêcher l'accès des mineurs aux contenus en cause, l'association requérante n'établit pas, eu égard à l'appréciation concrète, objective et globale de l'urgence, l'existence d'une situation d'urgence telle que l'exécution de la décision qu'elle conteste devrait être suspendue sans attendre le jugement de sa requête au fond.

(ord. réf. 9 juillet 2021, Association Civitas, n° 454179)

 

39 - Fonction publique - Recrutement des professeurs d’université dans les sciences juridiques et politiques - Protocole d’accord sur une nouvelle procédure de recrutement - Attente d’un décret en ce sens - Recours sans utilité en tant qu’il est dirigé contre le protocole - Rejet du référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA).

Doit être rejeté le recours en référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) dirigé contre le contenu d’un protocole d’accord conclu entre la ministre des universités et les présidents de section du 1er groupe du Conseil national des universités dès lors que la procédure de recrutement de professeurs d’université dans les disciplines juridiques envisagée par ce protocole, sans effet juridique immédiat, doit faire l’objet d’un décret non encore publié. Le référé « mesures utiles » est rejeté car il est, en l’état, sans utilité.

(ord. réf. 13 juillet 2021, M. B., n° 454257)

 

40 - Recours en rectification d’erreur matérielle - Conditions d’admission - Erreur purement matérielle - Absence d’appréciation d’ordre juridique - Erreur susceptible d’avoir eu une incidence sur une décision de justice - Admission.

Dans un litige en demande d’extension d’expertise à des personnes autres que celles initialement appelées dans l’instance, le Conseil d’État reconnaît l’existence d’une erreur matérielle. Alors que la société requérante sollicitait l'extension d’une expertise, d'une part, à la société Axa France Iard en sa qualité d'assureur de la société ECB, et d'autre part, à la SATC ainsi qu'à la société Socotec construction, le juge avait cru que l’extension d’expertise sollicitée concernait la société Axa France Iard en qualité d'assureur des trois sociétés ECB, SATC et Socotec construction.

Le recours en rectification d’erreur matérielle satisfaisant aux conditions de son admission, il est donc admis.

(19 juillet 2021, Société mutuelle d'assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), n° 449607)

(41) V. aussi, rejetant un recours en rectification d’erreur matérielle pour défaut de satisfaction des conditions de celui-ci : 19 juillet 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune de Sainte-Anne, n° 452821

 

42 - Arbitrage international - Recours devant le Conseil d’État - Étendue du contrôle exercé - Licéité de la convention d’arbitrage - Contrôle de la régularité de la sentence arbitrale - Conformité de la sentence à l’ordre public - Condition d’attribution de l’exequatur à la sentence arbitrale - Rejet.

Cette décision semble être l’épilogue d’une longue saga contentieuse au centre de laquelle se trouvent la société Fosmax (TC, 11 avril 2016, Société Fosmax LNG, n° 4043 ; C.E. Assemblée, Société Fosmax LNG, n° 388806 ; Rec. Lebon p. 466) et la compétence contentieuse en matière d’arbitrage international (TC, 17 mai 2010, Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) c/ Fondation Letten F. Saugstad, n° 3754 ; rec. Lebon p. 580), cette dernière décision ayant quelque peu secoué le Landerneau des spécialistes du droit de l’arbitrage.

En l’espèce, la société requérante demandait au Conseil d’État d'annuler la sentence arbitrale rendue à Paris le 13 février 2015 par le tribunal arbitral composé sous l'égide de la Chambre de commerce internationale en tant qu’il a condamné le groupement d'entreprises STS, composé des sociétés TCM FR, Tecnimont et Saipem, à payer une certaine somme à la société Fosmax et cette dernière à payer au groupement une certaine somme et qu’il a rejeté le surplus des demandes.

S’agissant de l’étendue du contrôle exercé par le Conseil d’État sur les sentences arbitrales rendues en France dans les litiges nés de l'exécution ou de la rupture d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécutés sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, le juge apporte, selon les cas, quatre précisions ou rappels d’importance.

En premier lieu, il incombe au Conseil d’État, au besoin même d’office, de s'assurer, de la licéité de la convention d'arbitrage, qu'il s'agisse d'une clause compromissoire ou d'un compromis d’arbitrage.

En deuxième lieu, ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d'une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d'autre part, de ce qu'elle est contraire à l'ordre public.

En troisième lieu, le contrôle de la régularité de la procédure suivie s’entend, en l'absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, de la vérification par le juge que le tribunal arbitral était compétent pour statuer sur le litige, qu'il était régulièrement composé, notamment au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, qu'il a statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, qu’il a respecté le principe du caractère contradictoire de la procédure ou qu'il a motivé sa sentence.

En quatrième lieu, le contrôle de la non contrariété à l’ordre public d’une sentence arbitrale consiste à vérifier si elle a fait application d'un contrat dont l'objet est illicite ou entaché d'un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, si elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l'interdiction de consentir des libéralités, d'aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l'intérêt général au cours de l'exécution du contrat, ou si elle méconnaît les règles d'ordre public du droit de l'Union européenne.

Au terme de l’application de ces divers contrôles le Conseil d’État, en l’espèce, rejette le pourvoi dont il était saisi.

(20 juillet 2021, Société Fosmax, n° 443342)

 

43 - Permis de construire modificatif - Refus du maire - Saisine du préfet sur le fondement de l’art. L. 2131-6 du CGCT - Interprétation de cette saisine comme un recours hiérarchique - Rejet - Erreur de droit - Annulation.

(22 juillet 2021, Société civile de construction vente Grenadines, n° 436105)

V. n° 248

 

44 - Plan de sauvegarde et de mise en valeur de Versailles (PSMV) - Disposition de ce plan (art. 3) interdisant la modification des immeubles ou parties d'immeubles identifiés comme étant à conserver - Rejet de la demande d’autorisation de créer un ascenseur extérieur - Décision reposant sur une pluralité de motifs - Absence de motif surabondant - Effet de la cassation sur la décision juridictionnelle déférée - Annulation.

Lorsqu’une décision administrative déférée au juge de cassation statuant en excès de pouvoir repose sur une pluralité de motifs, le motif sur lequel se prononce le juge de cassation ne peut pas être tenu pour surabondant. Il s’ensuit que l’annulation de ce motif en cassation conduit à l’entière annulation de la décision juridictionnelle déférée au juge de cassation.

 (22 juillet 2021, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 9, place Hoche à Versailles, n° 438247)

V. aussi à propos d’un autre aspect de cette décision le n° 249

 

45 - Référé liberté - Possibilité d'emploi de mineurs de seize à dix-huit ans comme sapeurs-pompiers volontaires - Décret du 28 novembre 2003 - Refus d'abrogation - Défaut d'urgence - Rejet.

Le Syndicat requérant a demandé, en vain, au premier ministre, l'abrogation des articles R. 723-6 et R. 723-10 du code de sécurité intérieure en tant qu'ils permettent l'engagement et la participation à des opérations d'incendie ou de secours de mineurs de seize à dix-huit ans en qualité de sapeurs-pompiers volontaires.

Il saisit le juge du référé liberté d'une requête qui ne pouvait qu'être rejetée.

D'une part, en sollicitant une mesure de suspension à durée indéterminée, le syndicat voulait en réalité obtenir du juge l'abrogation qui lui avait été refusée, abrogation qu'il n'est pas au pouvoir du juge du provisoire d'accorder. 

D'autre part, les dispositions contestées du code précité y ayant été insérées par le décret du 28 novembre 2003, celles-ci existent donc depuis plus de dix-sept, le défaut d'urgence est ainsi patent.

(28 juillet 2021, Syndicat Sud SDIS National, n° 454875)

 

46 - Jugement - Mémoire en défense non visé - Absence de réponses au moyen de défense qu'il contient - Irrégularité - Annulation.

Encourt annulation le jugement, rendu en matière de contestation d'un retrait de points du permis de conduire, qui ne vise pas le mémoire en défense du ministre de l'intérieur en précisant que ce dernier n'a pas produit de mémoire et qui, par conséquent, ne répond pas au moyen qui y est soulevé par le ministre défendeur.

(30 juillet 2021, Ministre de l'intérieur, n° 439258)

 

47 - Demandes d'asile - Enregistrement - Droit de l'Union - Obligation de résultat non satisfaite - Condamnation de l'État sous astreinte.

Le Conseil d’État constate que le ministre de l'intérieur, tenu d'exécuter sa décision du 31 juillet 2019 (n° 410347), n'a pas produit les éléments permettant d'établir qu'en moyenne un délai de dix jours est respecté entre la présentation et l'enregistrement des demandes d'asile en Île-de-France. Il s'agit là, pour lui, du chef notamment du droit de l'Union (art. 6 et 17 de la directive du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale) transposé par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, d'une obligation de résultat.

En conséquence, le Conseil d’État prononce contre l'État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution complète en Île-de-France dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de 500 euros par jour de retard jusqu'à la date à laquelle la décision du 31 juillet 2019 aura reçu une complète exécution. 

(30 juillet 2021, Association " La Cimade ", n° 447339)

 

48 - Compétence matérielle du juge administratif – Recours pour excès de pouvoir contre une note du Garde des sceaux établissant une liste d’aptitude complémentaire de recrutement au choix dans le corps des directeurs de services de greffe - Compétence directe du Conseil d’État – Absence – Renvoi au tribunal administratif de Paris.

Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre une note du Garde des sceaux établissant une liste d’aptitude complémentaire de recrutement au choix dans le corps des directeurs de services de greffe ne relève pas de la compétence du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort mais de celle du tribunal administratif de Paris.

(3 août 2021, Syndicat national CGT des chancelleries et services judiciaires, n° 443816)

 

49 - Décret fixant la composition du gouvernement – Nomination du Garde des sceaux Acte de gouvernement – Incompétence du Conseil d’État et, par suite, de la juridiction administrative pour connaître de rapports d’ordre constitutionnel – Rejet.

Le recours dirigé contre le décret présidentiel fixant la composition du gouvernement, en tant qu’il nomme M. Dupond-Moretti en qualité de Garde des sceaux, est rejeté en raison de l’incompétence du Conseil d’État pour connaître des rapports d’ordre constitutionnel entre le président de la République, le premier ministre et le gouvernement. L’ajout, ensuite, qu’ainsi c’est l’ensemble de la juridiction administrative qui est incompétente pour en connaître suggère qu’il s’agit d’un acte de gouvernement.

(3 août 2021, M. C., n° 443899)

 

50 - Concession de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux – Demande d’extension d’une telle concession – Refus - Litige relatif à un titre minier – Incompétence du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort (R. 311-1 CJA) – Compétence du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve l’établissement ou l’exploitation à l’origine du litige (art. R. 312-10 CJA).

Le refus de l’autorité administrative, ici implicite, d’étendre une concession de mines est relatif à une législation régissant les activités professionnelles, et notamment industrielles, au sens de l'article R. 312-10 du CJA et relève donc, non du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort, mais du tribunal administratif dans le ressort duquel se trouve soit le siège de l'établissement, soit l'exploitation dont l'activité est à l'origine du litige, soit le lieu d'exercice de la profession.

Il est ici renvoyé au tribunal administratif de Poitiers.

(4 août 2021, Société BridgeOil, n° 439252)

 

51 - Refus d’autorisation d’implantation d’éoliennes et de postes de livraison – Notion d’ensemble immobilier unique – Absence en l’espèce – Acte indivisible – Absence – Cassation sans renvoi (seconde cassation).

Le litige portait sur le refus d’autoriser l’implantation de dix-sept éoliennes et de sept postes de livraison, refus confirmé par les juges de première instance et d’appel. Après cassation, la cour de renvoi a refusé de donner acte à la société Parc éolien de l'Aire de son désistement partiel de ses demandes tendant à l'annulation des permis de construire s'agissant de douze de ces dix-sept éoliennes au motif que l’ensemble de l’opération immobilière avait fait l’objet d’une instruction unique  et constituait ainsi une opération indivisible or, c’est un principe constant du contentieux administratif que sont irrecevables les demandes d’annulation partielle d’actes indivisibles quels que soient les moyens invoqués contre la décision attaquée. L’appel avait donc été rejeté.

Saisi d’un second pourvoi en cassation, le Conseil d’État casse l’arrêt car il ne s’agissait pas en l’espèce d’une opération indivisible dès lors que du fait de l’existence de bâtiments distincts les uns des autres, fonctionnant chacun de manière autonome, ce n’était point un « ensemble immobilier unique » au sens des dispositions de l’art. L. 421-6 du code de l’urbanisme même s’ils ont une fonctionnalité identique et devaient faire l’objet d’un seul permis de construire.

C’est à tort que la cour a refusé de donner acte à la requérante de son désistement partiel et d’examiner sa contestation du refus de lui accorder le permis de construire cinq éoliennes.

Toutefois, au fond, le recours est rejeté en raison de l’obstacle massif constitué par les éoliennes dans cette zone de contournement obligatoire pour la navigation aérienne à vue, civile et militaire, ainsi que l’avait jugé le tribunal administratif.

(6 août 2021, Société Parc éolien de l’Aire, n° 432947)

 

Contrats

 

52 - Marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage - Marché pouvant comporter la rédaction d’actes juridiques - Faculté réservée aux personnes titulaires d’une licence en droit ou disposant de compétences appropriées (art. 54 loi du 31 décembre 1971) - Recours du Conseil national des barreaux (CNB) - Qualité de tiers - Absence de lien direct entre le marché litigieux et une éventuelle lésion des intérêts dont il a la charge - Annulation.

Si le CNB tient de la loi du 31 décembre 1971 qualité pour agir en justice en vue notamment d'assurer le respect de l'obligation de recourir à un professionnel du droit pour donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé pour autrui et si sa qualité de tiers à un contrat - comme en l’espèce - lui permet  de former devant le juge administratif du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles, c’est sous réserve de satisfaire à la condition d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou par ses clauses.

Tel n’est pas le cas en l’espèce car « la seule attribution, par une collectivité territoriale, d'un marché à un opérateur économique déterminé ne saurait être regardée comme susceptible de léser de façon suffisamment directe et certaine les intérêts collectifs dont le Conseil national des barreaux a la charge, alors même que le marché confie à cet opérateur une mission pouvant comporter la rédaction d'actes juridiques susceptibles d'entrer dans le champ des dispositions de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 ».

C’est au prix d’une erreur de droit que les juges du premier et du second degrés ont jugé le contraire.

(20 juillet 2021, Société Espélia, n°443346)

 

53 - Marchés conclus en Nouvelle-Calédonie - Régime applicable - Délai minimal à respecter entre la date d’information des candidats évincés et celle de la conclusion du contrat - Absence sauf pour les contrats de l’État ou de ses établissements publics - Rejet.

Le code de la commande publique (art. R. 2182-1) n’a prévu l’application en Nouvelle-Calédonie, d’un délai minimal de onze jours entre la date d'envoi de l’information des candidats évincés et la date de signature du marché par l'acheteur que pour les seuls marchés conclus par l’État ou ses établissements publics.

Il suit de là qu’aucun texte ou principe n’impose à une collectivité néo-calédonienne qui attribue un marché l'obligation de respecter un délai entre l'information des candidats évincés du rejet de leur offre et la date de conclusion du contrat. 

C’est sans erreur de droit que le premier juge a, par son ordonnance, rejeté l’argument contraire de la société requérante.

 (27 juillet 2021, Société Franck Tagawa, n° 450556)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

54 - Petites et moyennes entreprises – Imposition au régime réel - Crédit d’impôt pour certains investissements réalisés en Corse (art. 244 quater E du CGI) – Régime de l’amortissement dégressif – Application – Erreur de droit – Annulation.

Une structure métallique supportant des panneaux photovoltaïques en guise de toiture est fixée au sol par des plots en béton de 1 m3 qui sont reliés entre eux par des semelles ferraillées et elle est destinée à permettre l'utilisation en tant que hangar agricole de l'espace qu'elle délimite. Sa durée normale d’utilisation n’est pas inférieure à quinze ans. La cour administrative d’appel avait jugé que ces divers éléments étant matériellement indissociables, l'ensemble de l'installation ouvrait droit au régime de l'amortissement dégressif et au crédit d'impôt au titre d'un investissement en Corse. Le Conseil d’État, excipant de ce qu’existe en l’espèce une utilisation différente, en termes d'exploitation, des éléments en cause, aperçoit dans ce raisonnement une erreur de droit.

Il faut avouer que la logique de l’arrêt d’appel est plus convaincante que celle de la décision de cassation.

(1er juillet 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 434309)

(55) V. aussi, semblables et relatifs à la même société : 1er juillet 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 434310, n° 434312 et n° 434313, trois espèces.

 

56 - Bénéfices non commerciaux – Sommes portées au crédit du compte courant d’une SCI – Sommes prétendues être des remboursements d’un prêt – Prêt de forme irrégulière – Remboursement ne pouvant pas être considéré comme un revenu – Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui rejette l’argumentation de contribuables soutenant que des sommes prélevées sur le compte courant de la SCI à leur profit étaient une avance constitutive d’un prêt et ont effectivement donné lieu à remboursement. En effet « la circonstance qu'un prêt n'ait pas été régulièrement consenti n'est pas à elle seule suffisante pour écarter l'existence d'un prêt, que le remboursement d'une somme fait obstacle à ce que celle-ci soit qualifiée de revenu et qu'enfin, il convenait de rechercher si les sommes portées au crédit du compte en cause pouvaient être regardées comme procédant au remboursement d'une partie des sommes en litige. »

(1er juillet 2021, M. et Mme A., n° 436465)

 

57 - Loi Malraux – Restauration des centres de ville anciens – Travaux équivalents à une reconstruction – Absence - Gros-œuvre non substantiellement affecté – Qualification inexacte des faits – Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits qui lui sont soumis la cour administrative d’appel qui qualifie de « travaux de reconstruction » alors qu’ils n’ont pas affecté de manière importante le gros-œuvre, la réfection de la toiture de l'immeuble, la reprise partielle de la charpente, le remplacement des plafonds en plâtre, la restauration des parquets, la réfection des dallages et des réseaux, sur chacun des quatre niveaux et qu’ils sont, en outre, dissociables de ceux ayant conduit à l'augmentation de la surface habitable au rez-de-chaussée.

(1er juillet 2021, M. et Mme A. n° 436551)

 

58 - Charges admises en déduction des dividendes de source étrangère soumis à une retenue à la source dans un pays étranger - Charges déduites également de l'assiette de l'impôt sur les sociétés du en France - Absence d'atteinte au principe de libre circulation des capitaux - Rejet

Il résulte de l'arrêt de la CJUE du 25 février 2021 (Société Générale, aff. C-403/19) que la circonstance qu'un droit national décide que les charges venant en déduction du montant des dividendes de source étrangère soumis à une retenue à la source sont également déduites pour la détermination de l'assiette de l'impôt sur les sociétés dû en France, ne méconnaissent pas le principe fondamental de la libre circulation des capitaux.

(5 juillet 2021, Société Générale Asset Management (SGAM) Banque, n° 399952)

(59) V. aussi, sur cet aspect précis, le point 10 de : 5 juillet 2021, Société Crédit industriel et commercial (CIC), n° 409716.

(60) V. encore, s’agissant des conventions fiscales franco-luxembourgeoise, franco-allemande, franco-belge, franco-suisse, franco-portugaise, franco-britannique, franco-brésilienne, franco-néerlandaise, franco-australienne, franco-coréenne, franco-néo-zélandaise, franco-norvégienne, franco-italienne, franco-suédoise, franco-autrichienne, franco-américaine, franco-japonaise et franco-espagnole : 5 juillet 2021, Société BNP Paribas, n°414463.

 

61 - Charge déductible du montant du revenu perçu - Convention de prêt au moyen de titres d'une société avec reversement immédiat de dividendes de cette société majorée d'intérêts - Reversement constituant une charge - Rejet.

La société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine aux droits de laquelle est venue la société requérante avait conclu avec la banque britannique Goldman Sachs International des conventions de prêts/emprunts de titres à court terme d'une société italienne, le Crédit d'Alsace-Lorraine étant tenu de reverser immédiatement à cette banque une somme, majorée d'intérêts, correspondant au montant brut des dividendes attachés aux titres empruntés, déduction faite de la retenue à la source acquittée en Italie.  Il est jugé que ces conventions de reversement immédiat constituaient une condition de la conservation des titres de la société italienne par la société Crédit Industriel d'Alsace-Lorraine et que ce reversement était directement lié à la perception de ces dividendes. C'est donc sans erreur sur la qualification des faits que la cour administrative d'appel a jugé ce reversement comme constituant une charge déductible du montant du revenu perçu. 

(5 juillet 2021, Société Crédit industriel et commercial (CIC), n° 409716)

 

62 - Contentieux fiscal - Délai d'appel ouvert à l'administration fiscale - Option pour la signification ou le délai de quatre mois - Facultés reconnues aux contribuables après expiration du délai de deux mois - Absence d'atteintes à divers droits ou principes - Rejet.

L'article R. 200-18 du livre des procédures fiscales ouvre au contribuable, s'agissant du délai d'appel ouvert à l'administration fiscale contre le jugement du tribunal administratif,  une option entre faire signifier ce jugement à cette dernière qui disposera, à compter de cette signification (dont le coût est d'environ 26 euros), de deux mois pour interjeter appel ou bien ne rien faire, l'administration disposant alors de quatre mois pour former cet appel avec cette précision invraisemblable que ce délai court à compter  de la notification de ce jugement au directeur du service de l'administration des impôts, sans qu'il y ait lieu de rechercher à quelle date le jugement lui a été transmis. Le juge explique traditionnellement ce traitement étrange « par les nécessités du fonctionnement de l'administration (fiscale) », ce qui ne veut strictement rien dire surtout par rapport aux administrations non fiscales et par rapport aux simples particuliers parfaitement démunis face à la machine de Bercy.

Il paraît, le juge dixit, que cette discrimination entre justiciables ne porte « atteinte ni au principe constitutionnel d'égalité devant la justice et d'égalité devant la loi, ni aux stipulations de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni, en tout état de cause, aux stipulations des articles 20 et 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ».

Célébrons un Requiem pour le décès du principe de l'égalité des armes.

(5 juillet 2021, Société Crédit industriel et commercial (CIC), n° 409716)

 

63 - Pension alimentaire versée en cas de divorce, en numéraire ou en nature - Application du quotient familial - Caractère imposable de la pension - Détermination du parent ayant la charge principale des enfants - Rejet.

Cette décision vient préciser le régime fiscal applicable aux pensions alimentaires pour enfants à charge versées en cas de divorce et qui donne lieu à un contentieux d'une certaine importance quantitative.

Tout d'abord, il découle des dispositions combinées des art. 79 du CGI et 373-2-2 du Code civil, d'une part, que les pensions alimentaires versées pour enfants mineurs ne faisant pas l'objet d'une garde alternée sont incluses dans les bases de l'impôt sur le revenu dû par le parent qui en bénéficie au titre de l'année au cours de laquelle celui-ci les a perçues, quelle que soit la répartition du quotient familial entre les deux parents et d'autre part, qu'en cas de garde alternée les pensions alimentaires versées pour un enfant mineur pris en compte pour la détermination du quotient familial de chacun d'eux ne sont pas imposables entre les mains de celui qui les reçoit.

Ensuite, il résulte de l'art. 193 du CGI que, pour l'attribution des parts supplémentaires de quotient familial pour enfant à charge prévue à l'article 194 du CGI, le versement ou la perception d'une pension alimentaire, qu'elle prenne la forme d'une somme d'argent ou d'une prestation en nature, ne doit pas, en vertu de l'article 193 ter du même code, être pris en compte pour apprécier la charge d'entretien qui est assumée par chaque parent sauf pour l'un d'eux à rapporter la preuve que la charge principale d'entretien des enfants est supportée par l'autre parent.

En l'espèce, cette preuve n'est pas jugée être rapportée du fait de la simple allégation du versement par le père de pensions alimentaires réglées en nature par celui-ci en exécution des décisions judiciaires.

(5 juillet 2021, Mme A., n° 434517)

 

64 - Cotisation foncière des entreprises (CFE) - Bases d’imposition - Immobilisations exclues - Prise en compte dans l’assiette de la cotisation de divers éléments - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

La requérante estimait que diverses immobilisations de l’entreprise qu’elle exploite devaient être exclues des bases de l’imposition au titre de la cotisation foncière des entreprises. Elle demandait l’annulation de l’arrêt d’appel en ce qu’il a de contraire à ses prétentions.

Le Conseil d’État lui donne raison. Il relève d’abord, l’insuffisante motivation de l’arrêt s’agissant de l’exclusion de cuves de stockage de l’assiette de la CFE dans la mesure où il n’est pas répondu au moyen tiré de ce que leur capacité de stockage n'excédait pas le volume de 100 mètres cube.

Ensuite, il déduit des art. 1380, 1381, 1382, 1467 et 1495 du CGI ainsi que de l’art. 324 B de son annexe III que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que le réseau informatique, le système de sécurité-incendie, le système de traitement de l'air et les murs anti-bruit ne pouvaient être exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties et que leur valeur locative devait par suite être incluse dans l'assiette de la cotisation foncière des entreprises due par la société requérante, et en se fondant pour cela sur le seul motif que ces immobilisations étaient indissociables des bâtiments pour lesquels elles étaient conçues et auxquels elles s'incorporaient. 

(9 juillet 2021, Société VOA Verrerie d'Albi, n° 427551)

 

65 - Virement d’une somme entre deux sociétés civiles immobilières - Qualification juridique - Absence de preuve du caractère d’avance en compte courant - Charge de la preuve en cas de redressements consécutifs à une rectification contradictoire non acceptée par le contribuable - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Doit être cassé et renvoyé à la cour qui l’a rendu l’arrêt jugeant que le virement d’une somme d’argent entre deux SCI doit être considéré comme un revenu foncier dès lors que la contribuable ne justifie pas que ce virement a la nature d’une avance en compte courant alors qu’en l’état de redressements opérés par l’administration fiscale suite à une rectification contradictoire non acceptée par le contribuable, la charge de la preuve incombe non à ce dernier mais à l’administration fiscale.

(9 juillet 2021, M. et Mme A., n° 443373)

 

66 - TVA - Facture initiale - Facture rectificative - Note d’avoir - Régime juridique - Application et récupération de la TVA - Rejet.

Le point 5 du I. de l’art. 289 du CGI disposait à l’époque des faits litigieux « 5. Tout document ou message qui modifie la facture initiale, émise en application de cet article ou de l'article 289 bis, et qui fait référence à la facture initiale de façon spécifique et non équivoque est assimilé à une facture. Il doit comporter l'ensemble des mentions prévues au II. ».

L’art. 242 nonies A de l'annexe II au CGI énumère ces mentions.

Dans l’espèce en cause, la requérante, qui exerçait une activité de fabrication et vente de produits d'emballages alimentaires, sollicitait en décembre 2012 un remboursement de crédit de TVA suite à l'émission de deux notes d'avoir établies le même jour pour des opérations réalisées en 2008 ; elle contestait le refus opposé à sa demande par l’administration fiscale.

Confirmant le bien-fondé de la position du fisc, le Conseil d’État apporte deux importantes précisions, assez novatrices présentées sous cette forme.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l'art. 289 précité que la modification d'une facture initiale, qu'elle prenne la forme d'une facture rectificative ou d'une note d'avoir, est assimilée à une nouvelle facture devant comporter les mentions énumérées à l'article 242 nonies A de l'annexe II au CGI.

Ensuite, l’existence d’omissions ou d’erreurs entachant une facture rectificative ou une note d'avoir ne fait pas obstacle au droit à la récupération de la TVA sur le fondement du 1 de l'article 272 du CGI en cas d'opération annulée, résiliée, définitivement impayée ou de rabais postérieur à l'opération facturée lorsque les pièces produites par le redevable permettent d'établir le bien-fondé de sa demande.

(12 juillet 2021, Société Linpac Packaging Provence, n° 433977)

 

67 - Acquisition à un prix préférentiel - Avantage accordé à un dirigeant ou à un salarié - Avantage imposable comme traitement ou salaire - Caractéristique sans effet sur la nature des gains réalisés en cas d’exercice de l’option ou de cession - Rejet.

Il est fréquent qu’un dirigeant ou un salarié se voie offrir la possibilité d’acquérir, à raison de cette qualité, à un prix préférentiel par rapport leur valeur réelle au jour de leur acquisition, des options d'achat d'actions ou des bons de souscription d'actions. Cette pratique peut révéler l'existence d'un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur ; cet avantage, dès lors qu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié, a le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, il est donc imposable au titre de l'année d'acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires (cf. art. 79 et 82 CGI).

Le caractère préférentiel de ce prix est en revanche sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l'exercice de ces options ou bons, lors de la cession des titres ainsi acquis ou lors de la cession des bons.
Lors de la levée postérieure d’une option d'achat d'actions ou en cas d'exercice d'un bon de souscription d'action, la différence entre la valeur réelle de ces actions à la date de levée de cette option ou de l’exercice d’un bon et leur prix d'achat majoré, le cas échéant, du montant acquitté pour acquérir cette option ou  pour exercer le bon, ainsi que de l'avantage ayant été éventuellement imposé comme indiqué ci-dessus, constitue un gain, réalisé par lui dès la levée de cette option qui, lorsqu'il trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, est un avantage en argent, au sens de l'article 82 du CGI, imposable dans la catégorie des traitements et salaires (cf. art. 79 et 82 du CGI).

Lorsque l'action est cédée dans des délais tels que sa valeur réelle n'a pas évolué depuis la levée de l'option, l'administration est fondée à imposer l'intégralité de l'écart entre le prix de cession et le prix d'achat majoré précité dans la catégorie des traitements et salaires.

(13 juillet 2021, M. B., n° 428506)

(68) V. aussi, voisin mutatis mutandis : 13 juillet 2021, M. B., n° 435452.

(69) V. encore, appliquant la réserve énoncée dans l’affaire n° 428506 ci-dessus selon laquelle la qualification de gain en capital imposable selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières doit, en particulier, être écartée lorsque l'intéressé a bénéficié d'un mécanisme lui garantissant, dès l'origine ou ultérieurement, le prix de cession de bons de souscription d’actions dans des conditions constituant une contrepartie de l'exercice de ses fonctions de dirigeant ou de salarié : 13 juillet 2021, M. et Mme B., n° 437498.

 

70 - Impôt sur le revenu - Exonération de cet impôt pour certaines plus-values - Plus-values réalisées lors de la première cession d’un logement autre que la résidence principale - Condition de remploi pour l’acquisition d’une résidence principale - Commentaire administratif entaché d’illégalité - Absence - QPC - Rejet.

Le 1° bis du II de l'article 150 U du CGI, prévoit l'exonération d'impôt sur le revenu des plus-values résultant de la première cession d'un logement autre que la résidence principale à concurrence de la fraction de la somme résultant de cette cession à la double condition, d’une part, que cette somme soit remployée par le contribuable dans les vingt-quatre mois à l'acquisition ou la construction de son habitation principale, et d’autre part, que le cédant n'ait pas été propriétaire de sa résidence principale, directement ou par personne interposée, au cours des quatre années précédant la cession.

Un commentaire administratif (§ n° 40 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts du 23 septembre 2013 sous la référence BOI-RFPI-PVI-10-40-30) est venu préciser : « De même, la détention d'un droit démembré ou d'un droit indivis sur un immeuble d'habitation affecté à la résidence principale du cédant est de nature à priver le contribuable du bénéfice de l'exonération ».

Le requérant soulève une QPC, qui est rejetée, à l’encontre du 1° bis du II de l'article 150 U du CGI tel qu’interprété par la jurisprudence du Conseil d’État , motif pris de ce que cette disposition méconnaîtrait les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en tant qu'elles excluent du bénéfice de l'exonération de la plus-value réalisée au titre de la cession d'un immeuble à usage d'habitation autre que la résidence principale les contribuables qui ont détenu l'usufruit de leur résidence principale au cours des quatre années précédant cette cession. Le Conseil d’État estime que la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux en raison de l’objectif poursuivi par le législateur qui est de favoriser l'investissement dans l'acquisition d'une résidence principale et d’en réserver le bénéfice aux contribuables qui ne détiennent aucun droit réel immobilier sur le bien qu'ils ont élu pour domicile. Or, en excluant du bénéfice de l'exonération de cette plus-value les contribuables qui ont détenu un usufruit sur leur résidence principale au cours des quatre années précédant cette cession, le législateur s’est fondé sur l’existence d’une différence de situation entre deux catégories contribuables correspondant à une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. 

Le requérant demande également l’annulation pour excès de pouvoir du § 40 des commentaires administratifs précités au motif qu’en précisant que la détention par le contribuable « (…) d'un droit démembré ou d'un droit indivis sur un immeuble d'habitation affecté à la résidence principale du cédant est de nature à priver le contribuable du bénéfice de l'exonération » son auteur aurait ajouté illégalement aux dispositions de l’art. précité du CGI et contredit les objectifs poursuivis par le législateur.

Les moyens sont rejetés car ce paragraphe se borne à expliciter, sans y ajouter et sans les contredire, les dispositions législatives en cause.

(15 juillet 2021, M. B., n° 453490)

 

71 - Impôt sur le revenu - Sommes facturées à une S.A.R.L. française par une société de droit suisse - Qualification irrégulière de ces sommes - Imposition dans la catégorie des bénéfices non commerciaux - Exercice en France d’une activité non commerciale occulte d'assistance administrative et de gestion - Infliction de la pénalité prévue au c) de l'article 1728 du même code - Admission partielle des conclusions du contribuable - Rejet.

Une s.a.r.l., exerçant l’activité de construction immobilière, établie en France, dont M. B., domicilié en Suisse, est associé et gérant minoritaire, s’est vu facturer au cours de l'année 2011, par une société de droit suisse, Algiluc, qui détient 99,8% de son capital, des sommes dont l’administration fiscale a estimé qu’elles avaient en réalité rémunéré des prestations d'assistance administrative et de gestion rendues par M. B. par ailleurs administrateur de la société Algiluc et détenteur, avec des membres de sa famille, de son capital.

Elle a donc, par application du II de l'article 155 A du CGI, imposé les sommes en cause entre les mains de M. B. dans la catégorie des bénéfices non commerciaux et, estimant qu'il avait exercé en France une activité non commerciale occulte d'assistance administrative et de gestion, l'a assujetti à la pénalité prévue au c) de l'article 1728 du même code.

Le ministre se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel qui a prononcé une décharge partielle des impositions en litige, correspondant à une réduction d'assiette de 10% résultant de la taxation des rémunérations en litige dans la catégorie des traitements et salaires, ainsi que la décharge de la pénalité pour activité occulte.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi et approuve en tous points le raisonnement de la cour administrative d’appel.

Tout d’abord, c’est sans erreur de droit et en vertu de son pouvoir souverain d’appréciation non entaché de dénaturation des faits, que la cour a jugé que les sommes en litige étaient taxables dans la catégorie des traitements et salaires car dès lors qu'à supposer que les prestations effectuées par M. B. excédaient les actes de gestion courante de la s.a.r.l., elles ne pouvaient, eu égard à leur nature et aux conditions de leur fourniture, être regardées comme caractérisant l'exercice d'une activité libérale distincte des fonctions de gérant. 

Ensuite, la cour n'a pas davantage entaché son arrêt d'erreur de droit et d'erreur de qualification juridique des faits en jugeant que les conditions de mise en oeuvre de la pénalité pour activité occulte prévue par les dispositions du c) de l'article 1728 du code général des impôts n'étaient pas réunies en l’espèce.

(15 juillet 2021, ministre de l’action et des comptes publics, n° 433578)

 

72 - Édition d’ouvrages scolaires - Soumission à la TVA réduite applicable aux livres - Notion de livre - Qualification inexacte des faits - Annulation.

La société requérante, éditrice en ligne et par voie d'impression d'ouvrages destinés aux enseignants d'école maternelle et de cours élémentaire, a sollicité, par voie de rescrit puis par une réclamation contentieuse, l'application du taux réduit de taxe sur la valeur ajoutée aux ouvrages qu'elle édite, et en conséquence, le remboursement d'un montant de 18 379 euros de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012.

Son action dirigée contre le refus de lui accorder cette restitution ayant été rejetée, elle se pourvoit en cassation et obtient gain de cause.

L’art. 278 bis, 6°, du CGI a ramené de 7% à 5,5% le taux de la TVA applicable aux « Livres » or la requérante avait été soumise au taux de 7% : elle demandait donc le remboursement de la différence entre le montant de TVA qu’elle a acquitté et celui qu’elle estimait lui être applicable

La cour administrative d’appel a considéré que les ouvrages produits par cette société, composés d’une sélection de photographies prises durant une année scolaire, présentée de manière chronologique, et des textes rédigés par les enseignants, commentant les activités pédagogiques proposées aux élèves des classes concernées, ne pouvaient être considérés comme des « livres » au sens et pour l’application de la disposition fiscale précitée.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution une erreur de qualification des faits car les ouvrages en question sont bien des « livres » au sens de la directive européenne du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, pour l’application de laquelle a été pris l’art. 278 bis du CGI et selon laquelle sont des « livres » les « ouvrages qui constituent des ensembles homogènes comportant un apport intellectuel ». En effet, le juge de cassation considère - et doit en être approuvé - « que le travail de l'auteur consistant à sélectionner, parmi les activités réalisées au cours de l'année scolaire, celles présentées dans l'ouvrage, à rédiger les commentaires présentant ces activités, à choisir les illustrations des réalisations des élèves auxquelles elles avaient donné lieu et à organiser l'ensemble suivant la progression des apprentissages durant l'année (suffit) à caractériser un apport intellectuel ».

La société est donc fondée à se prévaloir du taux de TVA de 5,5% au lieu de celui de 7% qui lui a été appliqué et à réclamer restitution du trop-versé.

(16 juillet 2021, Société Des images et des mots, n° 437681)

 

73 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Immeuble propriété d’une SCI - Invocation de la doctrine fiscale (art. L. 80 A LPF) - Conditions - Absence - Erreur de droit - Annulation et rejet.

La requérante entendait se prévaloir, pour obtenir la décharge des cotisations supplémentaires de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie en 2016 et 2017 à raison d'un immeuble dont elle est propriétaire, de la doctrine administrative contenue dans les paragraphes 490 et 500 des commentaires administratifs publiés entre le 10 décembre 2012 et le 6 septembre 2017 au bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-IF-TFB-20-10-10-30.

Selon ces commentaires sont compris parmi les locaux « passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties qui ne sont ni des locaux d'habitation ou servant à l'exercice soit d'une activité salariée à domicile, soit d'une activité professionnelle non commerciale au sens du 1 de l'article 92 du CGI, ni des établissements industriels » et relevant à ce titre de la méthode d'évaluation de l'article 1498 du code général des impôts « les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières, lesquelles ne peuvent pas être considérées comme exerçant une véritable profession ».  

Entérinant cette argumentation, les premiers juges avaient accordé la décharge sollicitée.

Sur pourvoi du ministre le Conseil d’État casse ce jugement pour erreur de droit car, en ce qu'ils indiquent que les locaux appartenant à des sociétés civiles immobilières sont évalués selon la méthode de l'article 1498 du CGI, sans exclure l'hypothèse dans laquelle la personne qui prend ces locaux en location y exerce une activité industrielle, les commentaires dont se prévalait la société Fanlene Chambray donnent une interprétation non du seul article 1498 mais des dispositions combinées des articles 1498 et 1500 de ce code. Ainsi, la modification du second de ces deux articles à laquelle a procédé le législateur par la loi de finances du 29 décembre 2015 en précisant que les bâtiments industriels sont évalués « Selon les règles prévues à l'article 1499, lorsqu'ils figurent à l'actif du bilan d'une entreprise qui a pour principale activité la location de ces biens industriels » a eu pour effet de rendre caduque, à compter de son entrée en vigueur, l'interprétation de ses dispositions antérieurement donnée par l'administration fiscale, sur laquelle celle-ci est d'ailleurs revenue dans la version des commentaires qu'elle a ultérieurement mise en ligne. 

(16 juillet 2021, ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 443984)

 

74 - Impôt sur le revenu - Traitements et salaires - Exercice du droit de communication - Demande adressée par l’administration fiscale à l’autorité judiciaire - Informations résultant d’une enquête préliminaire conclue par un classement sans suite - Possibilité d’être utilisées par les enquêteurs du fisc - Réponse négative entachée d’erreur de droit - Annulation.

L’intéressé a bénéficié d’options de souscription d’actions d’une société dont il a été le P-D G puis le président du conseil d’administration. Lors d’une vérification de sa situation personnelle, l’administration a exercé son droit de communication auprès du juge judiciaire, une première fois en juillet 2019 et une seconde fois en juin 2020. Elle a fini par obtenir certaines informations du chef de l’enquête préliminaire qui avait été ouverte par le Parquet à la suite d'une plainte pour opposition à fonctions déposée par les services fiscaux à l’encontre de la société.

L’administration a utilisé les données ainsi recueillies pour estimer imposables les gains résultant de levées d’option assorties de pénalités.

Toutefois, l’enquête préliminaire s’étant terminée par un classement sans suite, se posait la question de la régularité de l’imposition et des pénalités.

En effet, le droit de communication avait été exercé sur le fondement de l’art. 82 C et de l’art. L. 101 du livre des procédures fiscales (LPF).

Selon l’art. 82 C : « A l'occasion de toute instance devant les juridictions civiles ou criminelles, le ministère public peut communiquer les dossiers à l'administration des finances » et selon l’art. 101 : « L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manoeuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, qu'il s'agisse d'une instance civile ou commerciale ou d'une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu ».

Se fondant essentiellement sur ce dernier texte, la cour administrative d’appel a jugé que les éléments utilisés par l’administration fiscale n’avaient pas pu lui être régulièrement communiqués puisqu’ils avaient été recueillis non pas dans le cadre « d’une information criminelle ou correctionnelle même terminée par un non-lieu » mais dans celui d’une enquête préliminaire classée sans suite.

Pour casser cette solution, qui s’autorisait d’une logique assez évidente, le Conseil d’État se livre à un exercice assez acrobatique, relevant « que si le législateur n'a mentionné (…) que les informations criminelles ou correctionnelles, il ne saurait être regardé, compte tenu de l'évolution des règles de procédure pénale depuis l'adoption de ces dispositions (en 1926), comme ayant entendu permettre l'exclusion du champ du droit de communication de l'administration fiscale les éléments recueillis dans le cadre d'une enquête préliminaire, alors même qu'elle aurait fait l'objet d'un classement sans suite. »

En d’autres termes, les articles litigieux du LPF doivent être lus non pour ce qu’ils contiennent mais pour ce qu’ils devraient contenir - mais ne contiennent pas - car ils ont été édictés en 1926 et que beaucoup d’eau a depuis passé sous le pont fiscal. C’est là une façon cavalière de traiter le législateur qui peut avoir mille raisons de ne pas avoir étendu aux enquêtes préliminaires classées sans suite les dispositions, déjà exorbitantes en soi, figurant aux art. L. 82 C et L. 101 du LPF.

La solution semble plutôt illustrer un « réflexe » de rapacité fiscale et cela de maladroite façon.

(16 juillet 2021, M. B., n° 448500)

 

75 - Impôt sur le revenu - Examen contradictoire de la situation fiscale personnelle - Société de personnes n’ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux - Imposition des bénéfices réalisés - Rejet.

Le Conseil d’État, confirmant l’arrêt d’appel dont il était saisi, rappelle et précise deux points intéressants.

Tout d’abord, il résulte directement de l’art. L. 57 du LPF qu'après achèvement de la procédure de rectification contradictoire, l'administration n'est tenue de porter à la connaissance du contribuable les modifications apportées aux rehaussements que si ces modifications résultent de la prise en compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure non ceux résultant d’autres éléments.

Ensuite, il est également rappelé que les bénéfices réalisés par une société de personnes qui n'a pas opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés, qui sont ainsi réputés avoir personnellement réalisé une part de ces bénéfices. Les bases d'imposition de chaque associé doivent être déterminées par référence à une répartition des résultats sociaux présumée faite conformément au pacte social, sauf dans le cas où un acte ou une convention passé avant la clôture de l'exercice a pour effet de conférer aux associés des droits dans les bénéfices sociaux différents de ceux qui résulteraient de la seule application du pacte social, auquel cas les bases d'imposition des associés doivent correspondre à cette nouvelle répartition des résultats sociaux.

Cependant, en l’espèce, le juge ajoute cette précision importante qui n’allait pas de soi selon laquelle l'annulation d'un tel acte ou d'une telle convention postérieurement aux années d'imposition ne peut affecter la règle fixée par les dispositions des articles 8 et 12 du CGI en vertu de laquelle sont seuls redevables de l'impôt dû sur les résultats de l'exercice les associés présents dans la société à la clôture de l'exercice. Il en découle que les impositions supplémentaires résultant des rehaussements apportés par l'administration fiscale aux bénéfices imposables de la société sont réparties entre les associés au prorata de leurs droits sociaux ainsi déterminés. Ainsi, ce qui est très surprenant, est dénié tout effet rétroactif aux annulation prononcées - comme c’est le cas ici - par le juge judiciaire. Les dispositions des art. 8 et 12 précités ne sont pas d’une rigueur telle qu’elles empêchaient toute autre interprétation. Le demandeur eût été sans doute bien inspiré de soulever une QPC tirée de l’impossibilité d’appliquer dans sa plénitude la chose jugée.

(20 juillet 2021, M. A., n° 434029 et n° 434030)

 

76 - Dividendes distribués à une personne morale - Impôt sur les sociétés soumis à une retenue à la source - Condition d’exonération - Détention de 25% au moins du capital de la personne qui distribue les dividendes - Détention durant au moins deux ans ininterrompus - Absence - Rejet.

Le 2 de l'article 119 bis du CGI soumet à une retenue à la source les revenus distribués par des personnes morales françaises à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Toutefois, l’art. 119ter exonère de cette retenue la personne morale qui assure le paiement de ces revenus, qu'elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qui, notamment, détient de façon ininterrompue depuis deux ans ou plus, 25 % au moins du capital de la personne morale qui distribue les dividendes.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier qu’une cour administrative d’appel juge qu’une société de droit belge, qui avait transféré la pleine propriété des titres de sa filiale à une fondation de droit néerlandais, ainsi que les droits de vote qui leur sont attachés, a par là-même interrompu le délai de détention de deux ans permettant de bénéficier de l'exonération de la retenue à la source prévue par l'article 119ter du CGI et cela alors même que cette société serait demeurée le bénéficiaire effectif des dividendes.

(20 juillet 2021, Société nouvelle d'affinage des métaux (SNAM), n° 435635)

 

77 - Profits de construction - Absence de mise en demeure de l'administration fiscale d'avoir à souscrire les déclarations y afférentes - Mise en oeuvre de la procédure d'évaluation d'office des bénéfices ainsi réalisés - Régularité - Erreur de droit - Annulation.

Doit être annulé pour erreur de droit l'arrêt déclarant régulière l'utilisation par l'administration fiscale de la procédure d'évaluation d'office pour non déclaration des profits de construction réalisés par le contribuable dans le cadre de l'imposition sur les bénéfices industriels et commerciaux, alors que celle-ci n'avait pas mis l'intéressé en demeure de souscrire ladite déclaration et alors que, d'une part, il établissait que les actes de cession de ces immeubles avaient fait l'objet d'actes notariés portés à la connaissance de l'administration fiscale et que, d'autre part, son notaire avait souscrit, en son nom, des déclarations de plus-values de particuliers sur les cessions d'immeubles.

(29 juillet 2021, M. B., n° 438214)

 

78 - Comptabilité publique – Obligations du comptable public en vue du paiement - Condamnation du comptable à indemniser une commune – Détermination de l’existence d’un manquement du comptable et de l’existence subséquente d’un préjudice financier pour la personne publique – Absence – Erreur de droit – Cassation.

Rappel de ce que le juge des comptes doit, pour estimer que le comptable a méconnu les obligations qui lui incombent, en premier lieu, rechercher si celui-ci a exigé la production de pièces justificatives du paiement (par ex. une délibération d’un conseil municipal instituant la dépense) et, en second lieu, déterminer si ce manquement a causé un préjudice financier à l'organisme public concerné et en évaluer l'ampleur. Pour ce faire, il lui incombe, d’une part, d’établir l’existence d’un lien de causalité entre le préjudice et le manquement, à la date où ce dernier a été commis et, d'autre part, d’apprécier l'existence et le montant du préjudice à la date à laquelle il statue en prenant en compte, le cas échéant, des éléments postérieurs au manquement.

En l’espèce, il était reproché à la comptable d’avoir payé des heures supplémentaires votées par la délibération d’un conseil municipal alors que celle-ci ne fixe pas la liste des emplois, au sein de la commune, dont les missions impliquent la réalisation effective d'heures supplémentaires. Par suite, elle aurait payé ces heures sans disposer de la pièce justificative prévue par la nomenclature.

Si le Conseil d’État confirme le bien-fondé du raisonnement des juridictions financières (CRC et Cour des comptes) sur ce point, il annule, avec un réalisme et un souci d’équité louables, la mise en débet du comptable en l’absence de préjudice financier subi par la commune.

En effet, la délibération précitée fondait juridiquement la dépense – contrairement à ce qu’ont jugé les juridictions des comptes – car, d’une part, elle « arrêtait le principe du versement de l'indemnité horaire pour travaux supplémentaires aux agents de la commune éligibles à cette indemnité en application de l'article 2 du décret du 14 janvier 2002, d'autre part, qu'il était constant, au regard des décomptes individuels produits, que cette indemnité avait été versée aux agents de la commune dont les missions impliquaient la réalisation effective d'heures supplémentaires et que le service avait été fait (…) ».

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation.

(3 août 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 436208)

 

Droit public économique

 

79 - Covid-19 - Contrats de voyages à forfait et autres prestations inexécutés - Ordonnance du 25 mars 2020 - Conditions de remboursement ou de constitution d'un avoir - Compatibilité avec le droit de l'Union - Renvoi d'une question préjudicielle.

Les organisations requérantes contestaient la compatibilité avec le droit de l'Union de l'ordonnance du 25 mars 2020 en tant qu'elle fixe le régime de remboursement ou de constitution d'un avoir de la part des voyagistes n'ayant pas pu, du fait de l'épidémie de Covid-19, assurer les prestations contractuellement convenues avec leurs clients.

Cette ordonnance - comme divers documents postérieurs allant dans le même sens (publication du 31 mars 2020 de la direction de l'information légale et administrative intitulée « Coronavirus : quels droits en cas d'annulation de vos vacances », publiée sur le site internet « service-public.fr » ;  « Foire aux questions » du 7 avril 2020 de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes intitulée «  Nouvelles règles de remboursement dans le secteur du tourisme » ; la lettre du 9 avril 2020 de la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'action et des comptes publics, publiées sur le site internet du ministre de l'économie et des finances) - dispose que, lorsqu'un contrat de vente de voyages et de séjours a fait l'objet d'une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, « l'organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l'intégralité des paiements effectués, un avoir », d'un montant égal à celui de l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition est formulée au plus tard dans un délai de trois mois à compter de la notification de la résolution du contrat. Elle est valable pendant une durée de dix-huit mois. Ce n'est qu'à l'issue de ce délai de dix-huit mois et à défaut d'acceptation, par le client, de la prestation identique ou équivalente à celle que prévoyait le contrat résolu et qui lui a été proposée, que le professionnel sera tenu de le rembourser de l'intégralité des paiements effectués.

Cette solution a été adoptée par les pouvoirs publics afin de ne pas obérer gravement les finances des 7000 voyagistes français car, d'une part, ils sont appelés à rembourser un nombre très élevé et inconnu jusqu'alors d'annulations, et, d'autre part, ils n'ont aucune rentrée d'argent pour des prestations nouvelles du fait de la pandémie.

Cependant, les organisations requérantes estiment cette solution contraire aux dispositions de la directive européenne du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, spécialement ses articles 4 et 12 qui prévoient :

- qu'en cas de résiliation d'un contrat de voyage à forfait, le voyageur a droit au remboursement de l'intégralité des paiements effectués au titre du forfait moins, le cas échéant, des frais de résiliation appropriés, dans un délai de quatorze jours suivant la résiliation du contrat. 

- que « les États membres s'abstiennent de maintenir ou d'introduire, dans leur droit national, des dispositions s'écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des voyageurs. »

Le Conseil d’État renvoie à la Cour de justice trois questions préjudicielles.

(1er juillet 2021, Union fédérale des consommateurs - Que choisir et Confédération consommation logement cadre de vie, n° 441663)

 

80 - Structures agricoles - Schéma directeur départemental des structures agricoles - Régime d'autorisation d'exploitation de terres - Seuil de 70 hectares - Obligation d'obtenir une autorisation - Calcul de la superficie exploitée - Cas de personnes associées - Rejet.

Le schéma directeur départemental des structures agricoles de la Sarthe prévoit l'obligation d'obtenir une autorisation préfectorale d'exploiter lorsqu'un agrandissement porte la superficie totale des terres exploitées au-delà de 70 hectares.

Les requérants, associés dans le cadre d'une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) d'une superficie de 237 hectares, se sont vus refuser l'autorisation d'exploiter 96 hectares supplémentaires. Ils ont donc décidé d'exploiter, chacun, 48 hectares afin de ne pas franchir ensemble le seuil de 70 hectares. Le préfet les a mis en demeure de déposer, sous un mois, une autorisation d'exploiter car il a estimé que le seuil déclenchant l'obligation d'obtenir une autorisation devait être calculé non par exploitant mais par exploitation dès lors qu'il s'agit de deux associés d'une société à objet agricole participant effectivement aux travaux nécessaires à cette exploitation.

Déboutés en première instance et en appel, les intéressés se sont pourvus en cassation mais le Conseil d’État, inaugurant une jurisprudence assez nouvelle, confirmative des décisions attaquées, rejette le pourvoi en retenant l'appréciation de la superficie de terres agrandies par exploitation et non par exploitant associé.

(2 juillet 2021, Xavier et Laurent C., n° 432801)

(81) V. aussi, dans le même dossier, l'annulation de l'arrêt d'appel qui a refusé de tenir compte de ce que les intéressés ont, à la suite de la mise en demeure du préfet, spontanément régularisé leur situation, pour fixer le niveau des sanctions infligées par la commission des recours dont la saisine constitue un préalable obligatoire à tout recours contentieux : 2 juillet 2021, Xavier et Laurent C., n° 432802.

 

82 - Mentions portées sur les étiquettes de bouteilles de vin - Utilisation du nom d’une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique - Réglementation européenne - Marge de manœuvre de la réglementation nationale - Sanction pour manquement - Avertissement - Légalité - Rejet.

La requérante contestait l’avertissement dont elle avait été l’objet de la part de la direction régionale de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur pour n’avoir pas obtempéré à l’injonction qui lui avait été faite de retirer de l'étiquetage de ses vins d'appellation d'origine protégée (AOP) « Côtes de Provence » toute mention faisant référence aux unités géographiques Grimaud et Coteaux du golfe de Saint-Tropez

Elle contestait la réglementation en cause, résultant de l’art. 5 du décret du 4 mai 2012, comme portant atteinte au droit de propriété protégé par les art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 et 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH.

Le Conseil d’État considère que la réglementation européenne (notamment l’art. 67 du règlement du 14 juillet 2009 fixant certaines modalités d'application du règlement 479/2008 en ce qui concerne les appellations d'origine protégées et les indications géographiques protégées, les mentions traditionnelles, l'étiquetage et la présentation de certains produits du secteur vitivinicole) loin de s’opposer à l’existence d’une réglementation nationale en la matière, habilite spécifiquement les États membres à adopter des règles concernant l'utilisation des noms d'unités géographiques plus petites que l'aire de l'appellation ou de l'indication de référence, à condition toutefois que l'aire de l'unité géographique en question soit précisément délimitée, indépendamment de la faculté, prévue à l'article 70, paragraphe 1, de ce règlement, d'introduire dans les cahiers des charges des appellations d'origine protégées (AOP) et des indications géographiques protégées (IGP) des conditions d'utilisation des mentions facultatives d'étiquetage des vins plus restrictives que celles prévues par les articles 61, 62 et 64 à 67 du même règlement. 

Il relève en outre que les objectifs poursuivis par ce décret tendent à la protection de la concurrence et à celle du consommateur et ne s’opposent pas à la commercialisation des vins en cause en conformité avec les cahiers des charges qui leur sont applicables, cahiers dont, au surplus, la requérante peut demander la modification pour qu’y soient incluses les aires plus petites que celles des AOP et IGP. Il s’ensuit l’absence d’atteinte au droit de propriété comme aux dispositions du code de la propriété intellectuelle invoqués par la requérante.

Par suite, cette dernière n’est pas fondée à contester la sanction de l’avertissement dont elle a fait l’objet en tant qu'il lui enjoint de retirer de l'étiquetage de ses vins AOP « Côtes de Provence » les marques faisant référence aux unités géographiques Grimaud et Coteaux du golfe de Saint-Tropez, sanction qui, dans les circonstances de l’espèce, ne revêt pas un caractère disproportionné.

(12 juillet 2021, Société par actions simplifiée (SAS) Les coteaux du golfe de Saint-Tropez, n° 433867)

(83) V. aussi, identique, à propos des marques « Cuvée du golfe de Saint-Tropez » et « Le grimaudin » : 12 juillet 2021, Société coopérative agricole (SCV) Les vignerons de Grimaud, n° 433869.

 

84 - Interdiction de la dénomination « sirop d’érable pur » - Protection du consommateur - Absence de définition française ou européenne - Référence à la dénomination canadienne - Rejet.

Le préfet des Pyrénées-Atlantiques a enjoint à la requérante de remplacer, sur les étiquettes apposées sur les conditionnements de sirop d’érable qu’elle commercialise ainsi que sur son site internet, la dénomination « sirop d’érable pur » par celle de « sirop d’érable ».

La société se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel annulant le jugement qui lui avait donné gain de cause.

Le Conseil d’État, confirmant cet arrêt, déboute la demanderesse. Il constate l’absence de définition du sirop d’érable tant dans la législation française que dans la réglementation européenne puis, se tournant vers le droit canadien, le Canada étant la référence mondiale de ce produit, il y constate la seule utilisation de la mention « sirop d’érable » sans autre précision. Cette indication se suffisant à elle-même, c’est sans erreur de qualification que la cour a rejeté l’appel de la société. Au surplus, l’adjonction de l’adjectif « pur » est de nature à induire en erreur le consommateur auquel elle n’apporte rien.

(20 juillet 2021, Société Famille A., n° 434910)

 

85 - Code monétaire et financier - Incompétence négative du législateur en raison de l’imprécision de certains termes ou expressions utilisés par les art. L. 511-31 et L. 512-56 du code monétaire - QPC - Rejet.

(20 juillet 2021, Société Crédit mutuel Arkéa, n° 451308)

V. n° 213

 

86 - Fonds d’investissement alternatif - Tutelle de l’Autorité des marchés financiers (AMF) - Obligation déclarative - Absence - Infraction - Sanction justifiée et non disproportionnée - Rejet.

La société Invest Securities, requérante, exerce l’activité de prestataire de services d'investissements assurant un service de réception, transmission et exécution d'ordres pour le compte de tiers, le conseil en investissement et le placement non garanti. Elle a conclu en 2015 une convention avec la société de droit anglais Viagefi 6 Limited spécialisée dans l'acquisition et la revente de biens immobiliers avec réserve de droit d'usage et d'habitation. Cette dernière est enregistrée auprès de la Financial Conduct Authority du Royaume-Uni comme fonds d'investissement alternatif. Par la convention précitée elle s’est vue confier une mission de placement des actions de la société requérante auprès de souscripteurs.

L'AMF a informé le public que la commercialisation de parts du fonds Viagefi 6 Limited n'était pas autorisée en France, faute d'avoir fait l'objet d'une notification préalable auprès de ses services, conformément à l'article L. 214-24-1 du code des marchés financiers.

Après contrôle du respect éventuel de ses obligations professionnelles par Invest Securities, la commission spécialisée n° 2 du collège de l'AMF lui a notifié des griefs tirés de ce que, en méconnaissance des dispositions des articles L. 533-1 et L. 533-11 du code monétaire et financier et de l'article 314-3 du règlement général de l'AMF, elle aurait, en bref, manqué à son obligation d'agir de manière professionnelle avec le soin qui s'impose afin de favoriser l'intégrité du marché et de servir au mieux les intérêts de ses clients, en ne procédant pas aux vérifications nécessaires préalablement à la commercialisation du fonds et en exécutant des ordres de souscription sur un titre non autorisé à la commercialisation en France.

Par la décision attaquée du 2 juillet 2019, la commission des sanctions a prononcé à son encontre un blâme et une sanction pécuniaire de 90 000 euros, et ordonné la publication de sa décision sur son site Internet de manière non anonyme pendant cinq ans.

C’est de ces décisions que la requérante demande l’annulation.

Son recours est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 214-24-1 du code précité, pris pour la mise en oeuvre en droit interne des objectifs définis par la directive européenne du 8 juin 2011 sur les gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs, sont des fonds d'investissement alternatifs (FIA) les fonds qui :

« 1° Lèvent des capitaux auprès d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, dans l'intérêt de ces investisseurs, conformément à une politique d'investissement que ces FIA ou leurs sociétés de gestion définissent ;

2° Ne sont pas des OPCVM ».

De cette définition telle que précisée en ses critères par l’AMF, il résulte que la demanderesse constitue bien un fonds d’investissement alternatif dont la commercialisation en France, faute d'avoir fait l'objet de la notification prévue par les dispositions de l'article L. 214-24-1 du code monétaire et financier, n'était pas autorisée.

C’est à bon droit qu’une sanction lui a été infligée.

Saisi de la contestation du quantum de la sanction, le Conseil d’ État estime celle-ci non disproportionnée tant au regard de la faute commise qu’à celui des revenus tirés de son activité par la requérante.

(21 juillet 2021, Société Invest Securities, n° 433480)

(87) V. aussi, confirmant la solution précédente à propos d’une personne physique apporteur d’affaires : 21 juillet 2021, M. B., n° 433624 ou d’une société apporteur d’affaires : 21 juillet 2021, Société A. Conseil, n° 434283

 

Droit social et action sociale

 

88 - Conventions collectives – Fusion de leurs champs d’application – Obligation que les branches fusionnées présentent des conditions sociales et économiques analogues – Cas de deux conventions en matière d’habitat social – Intérêt général s’attachant à la fusion des branches – Légalité – Rejet.

La fédération requérante demandait l’annulation, d’une part, de l'arrêté de la ministre du travail portant fusion des champs conventionnels en ce qu'il procède au rattachement de la convention collective du personnel des sociétés coopératives d'HLM à la convention collective nationale du personnel des offices publics de l'habitat et, d’autre part, du rejet implicite de son recours gracieux contre cet arrêté.

La demande est rejetée.

En premier lieu, il existe bien des « conditions sociales et économiques analogues » entre les deux branches dont cet arrêté opère la fusion : 1°/ elles exercent des activités dans les champs de la construction et de la gestion de logements locatifs sociaux, de la gestion de copropriétés et des prestations de services liées, de l'accession sociale à la propriété, même si certaines de ces activités ne sont pas développées dans chacune des branches dans des proportions identiques ; 2°/ les métiers auxquels ces organismes ont recours présentent des similitudes : personnels commerciaux, agents de gestion locative, personnels d'entretien et de gardiennage.

A l’inverse, la différence des régimes juridiques entre les sociétés anonymes à forme coopérative et les offices publics de l'habitat, établissements publics à caractère industriel et commercial, les différences de rémunération et de conditions de travail entre des salariés pouvant être soumis à des statuts différents selon la branche dont ils relèvent ou les différences de situation financière des sociétés coopératives d'HLM et des offices publics de l'habitat ne sont pas de nature à établir que la ministre chargée du travail aurait fait une inexacte application de la loi en retenant que la branche du personnel des offices publics de l'habitat présente des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche du personnel des sociétés coopératives d'HLM. 

En second lieu, conformément à l’art. L. 2261-32 du code du travail, le juge vérifie l’existence dans cette opération de fusion d’un intérêt général à la restructuration des branches concernées.

Cette fusion est donc régulière alors même que la branche des entreprises sociales de l'habitat présenterait également des conditions sociales et économiques analogues à celles de la branche rattachée. La loi requiert l’existence de conditions analogues entre les branches fusionnées non que soient fusionnées toutes celles présentant entre elles des analogies.

(1er juillet 2021, Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, n° 430964)

(89) V. aussi, également importante, la décision comparable, rejetant le recours dirigé contre l'arrêté ministériel du 1er août 2019 portant fusion de champs conventionnels, prononçant la fusion de plusieurs branches, en particulier en se fondant sur les dispositions du 1° du I de l'article L. 2261-32 relatives aux branches comptant moins de 5 000 salariés, la fusion de la branche des personnels PACT et ARIM [centres pour la protection, l'amélioration et la conservation de l'habitat et associations pour la restauration immobilière] avec celle des organismes gestionnaires de foyers et services pour jeunes travailleurs : 1er juillet 2021, Fédération nationale des salariés de la construction et du bois CFDT, n° 435510.

 

90 - Revenu de solidarité active (RSA) - Détermination de son montant - Revenus à prendre en compte - Exclusion de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé - Exclusion de la prestation de compensation du handicap - Cas où cette dernière prestation est versée en dédommagement en tant qu'aidant familial - Circonstance indifférente - Erreur de droit - Annulation.

Est entaché d'erreur de droit, au regard des dispositions du 6° de l'art. R. 262-11 du code de l'action sociale et des familles, le jugement qui estime que doit être prise en compte, pour la détermination du montant du RSA, la prestation de compensation du handicap versée à un aidant familial en complément de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé.

(7 juillet 2021, Mme B., n° 433191)

 

91 - Assistante maternelle - Retrait d'agrément par le président du conseil départemental - Légalité au regard des motifs retenus - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit l'arrêt d'appel qui, pour dire régulier le retrait par un département de l'agrément d'une femme en qualité d'assistante maternelle, se fonde uniquement sur l'existence d'une perquisition administrative visant son compagnon alors que celle-ci n'a pas été portée spontanément à la connaissance de l'administration et qu'il résulte du dossier que l'intéressée disposait d'un agrément depuis dix ans sans avoir jamais fait l'objet d'observations sur son comportement personnel ou ses aptitudes professionnelles et que les garanties de sécurité, de santé ou d'épanouissement des enfants accueillis apportées par les conditions d'accueil des enfants qui lui étaient confiés n'avaient jamais été mises en cause.

(7 juillet 2021, Mme B., n° 440582)

 

92 - Salarié protégé - Licenciement pour motif économique - Plan de sauvegarde de l’emploi - Décision du mandataire liquidateur - Décision de l’inspection du travail autorisant le licenciement - Étendue du contrôle du juge administratif

Dans le cadre du contentieux d’une autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé à l’occasion de la liquidation d’une entreprise (ici une clinique), le Conseil d’État apporte une certaine clarté lorsque ce licenciement intervient dans contexte d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) du fait de la combinaison pas toujours aisée de dispositions du code de commerce (art. L. 641-4) et de celles du code du travail (spécialement les art L. 1233-4, L. 1233-58, L.1233-24-1 à 1233-24-4, L. 1233-57-1 à 1233-57-20, L. 1233-61 et L. 6321-1).

Tout d’abord, l’appréciation, par l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique d'un salarié protégé, du respect par l'employeur ou le liquidateur judiciaire de son obligation en matière de reclassement, doit porter sur le point de savoir s’il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

Ensuite, lorsque le licenciement projeté est inclus dans un licenciement collectif qui, d’une part, requiert l'élaboration d'un plan de sauvegarde de l'emploi, lequel comprend, en application de l'article L. 1233-61 du code du travail, un plan de reclassement, et d’autre part, est adopté par un document unilatéral, l'autorité administrative, si elle doit s'assurer de l'existence, à la date à laquelle elle statue sur cette demande, d'une décision d'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi, à défaut de laquelle l'autorisation de licenciement ne peut légalement être accordée, ne peut ni apprécier la validité du plan de sauvegarde de l'emploi ni, plus généralement, procéder aux contrôles mentionnés à l'article L. 1233-57-3 du code du travail qui n'incombent qu'au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi compétemment saisi de la demande d'homologation du plan. Il ne lui appartient pas davantage, dans cette hypothèse, de remettre en cause le périmètre du groupe de reclassement qui a été déterminé par le plan de sauvegarde de l'emploi pour apprécier s'il a été procédé à une recherche sérieuse de reclassement du salarié protégé. 

Compte tenu de ces importantes restrictions, en jugeant que le liquidateur judiciaire de la société A. avait manqué à son obligation de recherche sérieuse de reclassement de l’intéressée aux motifs que la société B. devait être regardée, à ce titre, comme faisant partie du même groupe que la société A., compte tenu de la persistance de liens étroits avec celle-ci et de son organisation, ses activités et son lieu d'exploitation, et que la recherche de reclassement interne n'avait pas été étendue à la société B., alors que le périmètre du reclassement interne arrêté dans le document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de la société A. homologué par l'autorité administrative n'incluait pas la société B., la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

(22 juillet 2021, SCP Becheret-Thierry-Senechal-Gorrias, n° 427004)

(93) V. aussi, dans un registre assez voisin, la décision relative à des licenciements consécutifs à l’adoption unilatérale d’un PSE en dehors de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, qui rappelle qu'un PSE doit identifier l'ensemble des postes disponibles pour un reclassement interne, peu important qu'ils soient, le cas échéant, d'une durée limitée et qui juge qu’en l’espèce ni la circonstance que le plan ait limité l'identification des possibilités de reclassement interne aux besoins en personnel d'une durée d'au moins trois mois, ni celle qu'il prévoie une période d'adaptation au terme de laquelle l'employeur ou le salarié pourront décider de ne pas donner suite au reclassement, ne sont de nature à l'entacher d'insuffisance, compte tenu des autres mesures qu'il comporte tendant à favoriser le reclassement des salariés, notamment la mise en place d'une antenne emploi, les aides financières individuelles à la formation, les aides financières à la recherche d'emploi et à la mobilité géographique, les aides à la création d'entreprises : 22 juillet 2021,  Société Nouvelle France Ouest Imprim (SNFOI), n° 434362. 

 

94 - Revenu de solidarité active (RSA) - Décision ordonnant le remboursement d’indus - Omission de déclarer certaines sommes - Réitération de l’omission - Refus de remise gracieuse de la dette - Ignorance de bonne foi de l’obligation de déclaration -Absence de fausse déclaration - Annulation.

Un couple de bénéficiaires du RSA ayant omis de déclarer les sommes perçues au titre de la prestation de compensation du handicap en tant qu'aidants familiaux de leur fils majeur vivant à leur foyer, le département de l’Oise a réclamé le remboursement des indus et rejeté la demande de M. C. tendant à la remise gracieuse de sa dette.

Saisi du rejet par le tribunal administratif du recours dirigé contre ce refus, le Conseil d’État juge que « si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration ».

Par suite, le département et le tribunal ne pouvaient, sans dénaturer les pièces du dossier, retenir la mauvaise foi du requérant.

Le jugement est annulé.

(22 juillet 2021, M. C., n° 442026)

 

Élections

 

95 - Élections municipales – Existence avérée d’une campagne de promotion publicitaire – Violation de l’art. L. 52-1 du code électoral – Demande d’infliction d’une amende - Absence d’altération à la sincérité du scrutin en raison d’un important écart des voix – Rejet.

Plusieurs des griefs formulés sont rejetés sans difficultés, l’un d’entre eux retient l’attention particulière du juge d'appel mais ne prospère pas au final.  Le bulletin d’informations municipales de janvier 2020 comportait, d'une part, un éditorial du maire sortant encourageant les lecteurs à soutenir la candidature au poste de maire de la première adjointe et d'autre part, un encart de quatre pages retraçant les principales réalisations communales au cours des trois mandats du maire sortant avec, à plusieurs reprises, la mention du nom de l'adjointe précitée.

Le juge considère qu’une telle publication, alors même qu'elle a été éditée à la seule initiative du maire sortant et, pour ce qui est de l'encart, sur ses deniers personnels, présente cependant le caractère d'une campagne de promotion publicitaire au sens des dispositions de l'article L. 52-1 du code électoral et, dès lors que sa distribution a été réalisée aux frais de la commune, un avantage consenti par la municipalité en méconnaissance des dispositions de l'article L. 52-8 du même code.

Toutefois, il est jugé que quelque regrettable que soit cette irrégularité, elle n’a pas été de nature, au regard de l'écart de voix important, de plus de 12% des suffrages exprimés, séparant le premier candidat non élu du dernier élu, à altérer la sincérité du scrutin et elle ne pouvait pas être regardée comme constitutive d'une fraude au sens de l'article L. 117-1 du code électoral : il n'y a pas lieu de communiquer le dossier au procureur de la République aux fins d’infliction d’une amende ainsi que l’ont décidé les premiers juges.

(1er juillet 2021, MM. G. et E., Élections municipales de Joux, n° 445368)

 

96 - Élections municipales et communautaires – Contestation du jugement d’annulation d’élus municipaux et d’un élu communautaire – Recours distinct en QPC dirigé contre l’art. L. 228 c. élect. – Rejet.

Au soutien d’une requête tendant à voir le juge d’appel annuler un jugement invalidant l’élection de conseillers municipaux et d’un conseiller communautaire, les protestataires soulèvent l’inconstitutionnalité de l’alinéa 3 de l’art. L. 228 du code électoral selon lequel : « Toutefois, dans les communes de plus de 500 habitants, le nombre des conseillers qui ne résident pas dans la commune au moment de l'élection ne peut excéder le quart des membres du conseil. »

La demande est rejetée, en premier lieu, car les dispositions contestées n'instituent aucune inéligibilité à l'encontre des électeurs qui souhaitent se présenter à l'élection au mandat de conseiller municipal mais qui ne résident pas dans la commune. Elles fixent seulement un plafond de conseillers municipaux qui ne résident pas dans la commune, aux fins de garantir aux habitants de celle-ci, une représentation prépondérante au sein du conseil municipal. La circonstance que les conseillers municipaux qui ne résident pas dans la commune doivent renoncer au bénéfice de leur élection en application de cette règle de plafonnement n'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à leur droit de se présenter à l'élection. 

La demande est rejetée, ensuite, car ces dispositions ne portent pas atteinte au principe d’égalité du fait qu’elles n’ont pas prévu d'exception à la règle de plafonnement instituée par les dispositions contestées au bénéfice des conseillers municipaux qui résident dans une commune membre de la même intercommunalité que celle dans laquelle ils sont élus, dès lors d'une part, que ces élus sont dans une situation différente de celle des conseillers qui résident dans la commune ou qui, résidant dans des communes éloignées, y effectuent des séjours fréquents et réguliers et que, d'autre part, le conseil municipal est compétent dans les matières qui ne sont pas dévolues à l'intercommunalité.

(1er juillet 2021, M. D. et autres, Él. mun. et cnautaires de la communauté de communes de Cœur de l’Avesnois, n° 445552)

 

97 - Élections municipales et communautaires – Compte de campagne – Remise tardive et non certifié – Saisine du juge administratif par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) – Confirmation de l’annulation de l’élection et de la proclamation d’inéligibilité – Rejet.

C’est à bon droit qu’un tribunal administratif, saisi à cet effet par la CNCCFP, annule l’élection d’un candidat à un conseil municipal et le sanctionne d’une inéligibilité pendant dix-huit mois pour n’avoir remis, sans réelles justifications, que très tardivement son compte de campagne et sans le faire certifier.

Il y a là un manquement caractérisé à une règle substantielle qui, dans les circonstances de l’espèce, se révèle d’une particulière gravité.

(1er juillet 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Pamandzi, n° 450747)

(98) V. aussi, comparables, la confirmation de jugements déclarant démissionnaire d’office une conseillère municipale et assortissant cette décision d’une inéligibilité de douze mois pour avoir déposé tardivement un compte de campagne présentant en outre un solde déficitaire : 1er juillet 2021, Mme C., Élections municipales de Saint-Fons, n° 450960 ; égalt : 28 juillet 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de Saint-Denis, n° 450431.

(99) V. encore, confirmant une inéligibilité de six mois : 28 juillet 2021, M. A., Élections municipales de Sanary-sur-Mer, n° 451387 ; 28 juillet 2021, M. C., Élections municipales de Carqueiranne, n° 452323 ou de neuf mois : 27 juillet 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires d’Haubourdin, n° 451084, ou une inéligibilité de douze mois : 27 juillet 2021, M. B., Élections municipales de La Trinité, n° 452379 ; aussi : 28 juillet 2021, M. A., Élections municipales de La Teste-de-Buch, n° 451047.

 

100 - Élections municipales – Déféré préfectoral - Bulletins de vote susceptibles de deux lectures différentes - Invalidité des bulletins concernés - Rejet du déféré et confirmation du jugement.

Le tribunal administratif avait invalidé neuf bulletins de vote qu'il estimait ne pouvant compter dans le résultat du scrutin, ce qui a entraîné l'annulation de l'élection d'un des candidats et la proclamation d'une autre.

Saisi d'un déféré préfectoral tendant à l'annulation de ce jugement, le Conseil d’État le rejette et confirme donc la solution retenue par les premiers juges. Il relève en effet que lors du second tour des élections municipales neuf bulletins ont été déclarés nuls par le bureau de vote car ils comportaient plus de noms que de personnes à élire et que le choix de l'électeur ne pouvait être déterminé avec certitude.

Les neufs bulletins litigieux comportaient davantage de noms que de sièges à pourvoir, sans indication d'ordre et sans numéro et les électeurs n'ayant rayé aucun nom ni porté aucune annotation, la disposition des noms sur les bulletins se prêtait tout à la fois à une lecture colonne par colonne ou à une lecture ligne par ligne. L'ordre des noms à retenir différant selon les deux lectures possibles, les bulletins litigieux ne permettaient pas, en l'absence notamment de numérotation des noms, de connaître avec certitude les trois noms que les électeurs avaient entendu désigner. L'annulation de ces bulletins s'imposait donc.

(1er juillet 2021, préfet de Meurthe-et-Moselle, Élections municipales de Moivrons, n° 445538)

 

101 - Élections municipales et communautaires – Grief autonome - Absence - Propagande électorale - Don prohibé - Faible taux de participation - Rejet.

Est rejetée la protestation dirigée contre le jugement rejetant une demande d’annulation des opérations électorales s’étant tenues dans la commune.

Il ne saurait être reproché aux premiers juges de n’avoir pas répondu à l’un des griefs dont ils étaient saisis, fondé sur le faible écart des voix, car ce grief n’était qu’un élément d'appréciation de l'incidence des irrégularités que le protestataire avait invoquées concernant la sincérité du scrutin, non un grief autonome appelant, en conséquence, une réponse spécifique de la part du juge saisi.

La diffusion, le 5 mars 2020, d'un court reportage consacré au maire sortant et à nouveau candidat sur une chaîne de télévision publique dans le cadre d'un journal télévisé ne peut être regardée comme constituant un élément, prohibé par l’art. L. 52-1 du code électoral, de propagande ou de publicité électorale. 

La circonstance que le maire sortant ait annoncé ne pas vouloir appliquer la règle du service fait en opérant des retenues sur traitement des agents municipaux grévistes pour protester contre la réforme des retraites alors en cours n’imposait nullement que fussent retracées dans son compte de campagne la somme correspondante.

Enfin, le faible taux de participation électorale lié à une catastrophe épidémique est sans incidence sur la régularité des opérations électorales.

(9 juillet 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires du Lamentin, n° 445538)

(102) V. aussi, assez comparable mutatis mutandis y compris dans la solution adoptée : 9 juillet 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Maurepas, n° 448863.

(103) V. égalt, en sens inverse, annulant un jugement confirmant le rejet par CNCCFP d'un compte de campagne pour don prohibé et prononçant une inéligibilité, celui-ci n'étant pas irrégulier en réalité : 28 juillet 2021, M. C., Élections municipales de Cabriès, n° 450776.

 

104 - Élections municipales et communautaires - Annulation en première instance pour quatre griefs dont un seul est retenu en appel - Fraude de nature à altérer la sincérité du scrutin - Confirmation de l’annulation assortie de l’inéligibilité - Non-communication des mémoires en défense et des pièces jointes - Possibilité de les consulter au greffe - Régularité - Rejet.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord une règle constante du contentieux électoral : le juge de l'élection n'est pas tenu de communiquer les mémoires en défense, non plus que les autres mémoires ultérieurement enregistrés, ou de procéder à la communication des pièces jointes aux saisines. Il lui appartient seulement, une fois ces pièces enregistrées par son greffe, de les tenir à la disposition des parties de sorte que celles-ci puissent, si elles l'estiment utile, en prendre connaissance.

Ensuite, examinant les faits, le Conseil d’État estime non fondés trois des quatre griefs retenus en première instance et juge le quatrième grief (attestation frauduleuse de nature à altérer la sincérité du scrutin) suffisant pour justifier et l’annulation de l’élection et la sanction d’inéligibilité en conséquence de la fraude commise.

(16 juillet 2021, M. U., Él. mun. et cnautaires de la commune de Courtenay, n° 445802)

 

105 - Élections municipales - Compte de campagne - Rejet par la CNCCFP - Inéligibilité - Application de la loi nouvelle plus douce - Rejet.

Jusqu’à la loi du 2 décembre 2019, le non-dépôt d’un compte de campagne ou la présentation d’un compte de campagne entaché de fraude ou comportant un dépassement du plafond autorisé de dépenses électorales entraînait automatiquement une inéligibilité d’une année. A partir de l’entrée en vigueur de cette loi (30 juin 2000), le législateur a supprimé le caractère automatique de cette sanction la faisant désormais dépendre de la volonté du juge qui doit, d’une part, se fonder sur l’existence d’un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales et, d’autre part, prenant en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce, apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré. 

En l’espèce, les premiers juges avaient, à tort, appliqué la loi ancienne et infligé une inéligibilité d’une année. Le jugement est annulé mais, appliquant la loi nouvelle, le Conseil d’État prononce une inéligibilité de neuf mois.

(16 juillet 2021, Mme B., Élections municipales de Villeparisis, n° 451616)

(106) V. aussi pour une solution identique en substance : 16 juillet 2021, M. A., n° 451935

(107) V. également, annulant le jugement déféré à la censure du Conseil d’État avec constatation de l’absence de manquement d’une particulière gravité dans l’établissement et la présentation du compte de campagne : 16 juillet 2021, M. B., Élections municipales de Mions, n° 451526 ou encore : 27 juillet 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bruay-sur-l’Escaut, n° 450919 ; 27 juillet 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Hautmont, n° 450991.

(108) V. encore : 22 juillet 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Roche-la-Molière, n° 450500 ou, aussi : 22 juillet 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Auch, n°450567 ; 27 juillet 2021, M. A. Él. mun. et cnautaires de la commune de Rochefort, n° 451311 ; 28 juillet 2021, Mme A., Élections municipales de la commune d'Ambarès-et-Lagrave, n° 450139.

 

109 - Élection du maire - Déféré du préfet - Inversion des résultats par le tribunal administratif - Rejet.

Le requérant a été déclaré élu maire de la commune au troisième tour de scrutin alors que, dès le premier tour, le conseil municipal comprenant dix membres, sept d’entre eux se sont abstenus et trois ont accordé leurs suffrages à Mme A., la majorité absolue étant de deux. Cette dernière, alors même qu’elle n’était pas candidate, devait être proclamée élue, aucune disposition non plus qu’aucun texte n'imposant à un conseiller municipal de faire acte de candidature pour être élu maire C’est à bon droit que les premiers juges ont accueilli le déféré préfectoral en ce sens.

(9 juillet 2021, M. N., Élection du maire de Fresnes-sur-Apance, n° 449223)

 

110 - Élections municipales et communautaires – Contestation du jugement d’annulation d’opérations électorales - Griefs jugés insuffisants en appel - Annulation du jugement et confirmation du résultat des élections.

Prenant le contrepied du jugement qui avait annulé les élections dans cette commune, le juge d’appel estime insuffisants, en dépit du faible écart des voix entre les listes, les deux griefs retenus par les premiers juges : l’excès d’un bulletin par rapport au chiffre inscrit sur le procès-verbal, qui se résout en retranchant une voix à chaque liste, et le malencontreux bref commentaire sur Facebook qu’a cru devoir faire en faveur de la maire sortante le directeur général des services qui, pour regrettable qu’il soit, n’a pu altérer la sincérité du scrutin.

Ces divergences d’attitude des juges révèlent l’incompressible part de subjectivité que comporte l’analyse de certains griefs développés au soutien de recours en matière électorale.

(13 juillet 2021, Mme W. et autres, Él. mun. et cnautaires de Lanton, n° 446812)

 

111 - Élections municipales - Bulletins décomptés comme nuls - Bulletins de présentation non conforme au modèle déposé en sous-préfecture - Bulletins de remplacement en urgence - Irrégularité non constitutive d’une manœuvre - Grief présenté hors délai - Rejet.

Le Conseil d’État confirme en tous points le jugement de rejet rendu en première instance.

Rappel, tout d’abord, de l’irrecevabilité de l’intervention d’une commune dans un contentieux électoral dès lors qu’elle ne justifie pas d’un intérêt à y intervenir.

Rappel, ensuite, que l’absence de jonction au procès-verbal d’un bureau de vote des bulletins déclarés nuls, en violation de l’art. 66 du code électoral, contraint le juge de l’élection à un calcul hypothétique même en l’absence de toute manœuvre.

Enfin, c’était là le point le plus important du litige, à la suite d'une erreur matérielle dans la conception initiale de leur maquette et dans leur impression, les bulletins de vote d’une liste adressés par voie postale au domicile des électeurs contenaient un ordre de présentation des candidats modifié par rapport à celui de la liste déposée en sous-préfecture en ce qu'ils omettaient le nom d'une des candidates en ne faisant apparaître ni son nom ni son prénom ni son rang dans la liste.

Des bulletins corrigés de cette liste, imprimés en urgence, ont toutefois pu être substitués aux bulletins erronés dans le matériel électoral disponible dans les bureaux de vote à l'ouverture du scrutin du 15 mars 2020.

A l'issue du scrutin, 521 bulletins ont été comptés comme nuls, dont 156 sont des bulletins incomplets de la liste précitée et dont 83 n'ont pas été conservés, les procès-verbaux de cinq bureaux de vote ne contenant en annexe que des enveloppes vides qui n'ont pas été systématiquement annotées du motif de nullité des bulletins qu'elles contenaient.

Le juge d’appel considère, comme son homologue du premier degré, que si en principe sont nuls les bulletins utilisés par les électeurs lorsqu'ils comportent une modification de la liste des candidats par rapport à celle qui a été déposée à la préfecture ou à la sous-préfecture, il n'en va pas de même si la modification ne résulte pas d'une manoeuvre et que les électeurs ont pu émettre, au moyen de ces bulletins irrégulièrement modifiés, un vote contenant une désignation suffisante de la liste en faveur de laquelle ils ont entendu se prononcer. Tel était le cas en l’espèce et c’est donc à bon droit que le tribunal administratif a ajouté 156 voix aux suffrages exprimés et aux suffrages obtenus par la liste en cause.

(13 juillet 2021, M. I. et autres, Élections municipales d’Istres, n° 448642 ; M. Y., n° 448678 ; Commune d’Istres, n° 448679)

 

112 - Élections municipales et communautaires – Pouvoirs conférés au responsable de liste entre les deux tours de scrutin (art. L. 264 et L. 265 c. élect.) - Atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions et de participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation - QPC - Rejet.

Les requérants contestaient, au travers d’une QPC, la constitutionnalité des dispositions des art. L. 264 et L. 265 du code électoral en ce qu’elles permettent à la personne responsable de liste, entre les deux tours de scrutin, de décider seule, le cas échéant, de fusionner cette liste avec une des autres listes remplissant les conditions pour se présenter au second tour, de choisir la liste avec laquelle cette fusion est opérée et, enfin, de choisir les membres de la liste initiale dont la candidature est maintenue sur la nouvelle liste, le cas échéant en excluant certaines sensibilités politiques représentées sur la liste d'origine. Ils estimaient que, ainsi, il était porté atteinte aux exigences de pluralisme des courants d'idées et d'opinions et de participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation qui découlent des articles 3 et 4 de la Constitution.

Pour rejeter ce grief et donc la QPC, le Conseil d’État juge que par les « dispositions contestées qui prévoient que, d'une part, chaque candidat confie au responsable de liste, par mandat signé, le soin de faire ou de faire faire toutes déclarations et démarches utiles à l'enregistrement de la liste, pour le premier et le second tour et que, d'autre part, le choix de la liste sur laquelle les candidats ayant figuré sur une même liste au premier tour peuvent figurer au second tour est notifié à la préfecture ou à la sous-préfecture par la personne ayant eu la qualité de responsable de la liste constituée par ces candidats au premier tour, le législateur a entendu confier au seul responsable de liste la capacité, entre les deux tours de scrutin, de choisir de fusionner la liste dont il est à la tête avec une ou plusieurs autres listes présentes au second tour afin de constituer une liste unique. Ces prérogatives ainsi confiées à la seule personne responsable de liste n'emportent par elles-mêmes aucune atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions ou à la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation. »

Si l’on peut comprendre la solution expédiente retenue par le législateur, il convient de souligner la ténuité de son caractère démocratique.

Au reste, c’est la logique de l’existence d’un second tour que d’arracher des mains des électeurs les votes qu’ils ont émis pour confier aux seuls états-majors de partis le pouvoir de s’en servir par une transmutation de la démocratie en oligarchie.

(13 juillet 2021, M. E. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune d’Ivry-sur-Seine, n° 450358)

(113) V. aussi, enfonçant encore un peu plus le clou et prononçant l’annulation de l’ensemble des opérations électorales pour défaut de notification au sous-préfet, par le responsable de liste, de la liste retenue pour le second tour: 20 juillet 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Cholet, n° 449688

 

114 - Élections municipales et communautaires - Invocation d’irrégularités diverses - Contestation de la présentation des comptes de campagne - Demande de proclamation d’inéligibilité - Rejet.

On lira dans cette longue décision le rejet par le juge électoral du premier degré et d’appel des nombreux griefs soulevés ainsi que, conséquemment, celui de la demande de déclaration d’inéligibilité de candidats.

(20 juillet 2021, M. L. et Mme U., Él. mun. et cnautaires de la commune de Lille, n° 451268 ; M. A. et autres, n° 451349)

 

115 - Élections municipales - Épidémie - Faible taux de participation au scrutin - Document d’émargement - Régularité - Mention irrégulière de procurations sur la liste d’émargement - Écart des voix - Rejet.

Le Conseil d’État rejette l’appel dirigé contre le rejet, en première instance, de la protestation du demandeur : l’existence d’une situation épidémique qui a provoqué une baisse du taux de participation aux élections n’a pas altéré la sincérité du scrutin, l’affirmation de l’existence d’un document d’émargement irrégulier dans le bureau de vote n° 2 manque en fait et, enfin, la circonstance d’irrégularités affectant le report de sept procurations sur la liste d’émargement a été sans incidence sur le résultat du scrutin compte tenu de l’écart des voix entre les listes en présence.

(9 juillet 2021, M. D., Élections municipales de Saint-Romain-de-Jalionas, n° 445437)

 

116 - Élections municipales - Nécessité de griefs ayant une incidence sur la sincérité ou sur la régularité du scrutin - Absence - Rejet.

Confirmant la solution de rejet retenue par les premiers juges, le Conseil d’État rejette tous les griefs qui, même établis, n’ont pu avoir une influence sur la sincérité du scrutin ou sur sa régularité.

Tels sont : l’annonce, lors de la cérémonie des vœux, par le maire sortant, de sa candidature aux prochaines élections ; le fait, en l’absence de toute manipulation irrégulière, que les clés de l’urne aient été détenues, l’une par le maire, président du bureau de vote et l’autre par l’un de ses adjoints, assesseur dudit bureau ; la participation au scrutin d’une personne non inscrite sur la liste électorale, dès lors qu’une voix a été retranchée du nombre de suffrages exprimés au premier tour ainsi que du nombre total de suffrages qui se sont portés sur le seul candidat élu au premier tour ; des propos regrettables contenus dans un commentaire sur les réseaux sociaux, sans incidence sur  les résultats du scrutin ; des critiques envers les candidats d’une liste figurant sur un « flyer » distribué l’avant-veille du scrutin mais n’excédant pas les limites de la polémique électorale ; le retrait par une candidate des bulletins à son nom ne saurait constituer une manœuvre en vue de fausser la sincérité  du scrutin ; la vérification de l’identité d’un électeur après et non avant la sortie de l’isoloir, pour irrégulière qu’elle soit, n’a pu constituer une fraude ou une manœuvre dès lors qu’elle a eu lieu avant le dépôt de l’enveloppe dans l’urne, etc.

(9 juillet 2021, M. L. et autres, Él. mun. de Tramolé, n° 445767)

 

117 - Élections municipales et communautaires - Effets de la crise sanitaire sur la sincérité du scrutin - Irrégularités entachant le déroulement de la campagne - Invocation d’inéligibilité et incompatibilité - Rejet.

Le Conseil d’État confirme dans cette décision le rejet en première instance de la protestation du requérant De nombreux griefs étaient développés dont aucun n’a convaincu le juge.

Tout d’abord, l’état sanitaire, moyen classique invoqué à l’encontre de la régularité du premier tour du scrutin municipal de 2020, n’a pas altéré la sincérité de celui-ci.

Ensuite, diverses critiques étaient dirigées - en vain - contre le déroulement de la campagne électorale : une cérémonie des vœux adressés au monde économique, comme les années précédentes, et aux mêmes coût et conditions ; la publication, dans le magazine de la ville de Chartres, d’articles portant sur des sujets recoupant des thèmes de la campagne électorale, présentés comme articles d’information ne comportant pas d’éléments de polémique électorale ; la réutilisation de photographies dans des éléments de propagande électorale ; des publications et des incitations à voter pour une liste figurant sur Facebook, etc. n’ont pas porté atteinte à la sincérité du scrutin.

Enfin, sont rejetés le grief d’inéligibilité dirigé contre un candidat placé en septième position sur une liste et fondé sur sa qualité de directeur général de la gendarmerie nationale jusqu'en octobre 2019 ainsi que celui d’incompatibilité à raison de sa qualité de négociatrice immobilière exercée au sein de l’office public d’habitat de Chartres, concernant une candidate placée en trentième position sur cette liste.

(9 juillet 2021, M P., Él. mun et cnautaires de la ville de Chartres, n° 449217)

 

118 - Syndicat mixte - Désignation des membres du bureau du comité syndical (président et vice-présidents) - Crise sanitaire - Dérogation législative à la règle du quorum - Absence d’effet sur les conditions particulières de majorité requises pour l’obtention d’une majorité absolue qualifiée - Rejet.

(16 juillet 2021, M. N. et autres, n° 451002)

V. n° 27

 

119 - Compte de campagne non présenté par un membre de l’ordre des experts-comptables - Compte présentant de graves irrégularités - Élu déclaré inéligible - Obligation pour la juridiction proclamant l’inéligibilité d’un élu de le déclarer démissionnaire d’office - Absence - Méconnaissance du principe général de procédure applicable même sans texte d’obligation d’épuisement du pouvoir juridictionnel - Annulation et proclamation de la démission d’office.

Il résulte des dispositions combinées des art. L. 118-3 et L. 270 du code électoral que l’élection du candidat proclamé élu, déclaré ensuite inéligible par le juge, doit être annulée. Lorsque cette élection n'a pas été contestée, l’élu doit être déclaré démissionnaire d'office et le candidat suivant, non encore élu, de la liste dont il était membre, doit être déclaré élu.

Le tribunal qui, après avoir constaté l’inéligibilité d’un élu s’abstient de le déclarer démissionnaire d’office n’épuise pas son pouvoir juridictionnel, en violation du principe général de procédure applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui fait obligation au juge administratif d'épuiser son pouvoir juridictionnel, sauf obstacle particulier.

(19 juillet 2021, Préfet du Nord, n° 450792)

 

120 - Élections municipales et communautaires - Conseillers non-résidents dans la commune - Règle du plafonnement (art. L. 228 c. électoral) - Cas des personnes non-résidentes effectuant des séjours fréquents et réguliers dans une commune pour l’exercice de leur activité professionnelle - xsNon-soumission au plafonnement institué par l’art. L. 228 c. élect. - Annulation.

L’art. L. 228 du code électoral dispose notamment que : « Nul ne peut être élu conseiller municipal s'il n'est âgé de dix-huit ans révolus.

Sont éligibles au conseil municipal tous les électeurs de la commune et les citoyens inscrits au rôle des contributions directes ou justifiant qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection.

Toutefois, dans les communes de plus de 500 habitants, le nombre des conseillers qui ne résident pas dans la commune au moment de l'élection ne peut excéder le quart des membres du conseil.

Dans les communes de 500 habitants au plus, ce nombre ne peut excéder quatre pour les conseils municipaux comportant sept membres et cinq pour les conseils municipaux comportant onze membres.

Si les chiffres visés ci-dessus sont dépassés, la préférence est déterminée suivant les règles posées à l'article R 121-11 du code des communes ". 

Le tribunal administratif, se fondant sur ces dispositions, a annulé l'élection d’un candidat en qualité de conseiller municipal et communautaire et celle d’un autre candidat en qualité de conseiller communautaire.

Sur appels de ces derniers, le Conseil d’État annule ce jugement au motif que les conseillers qui n'ont pas dans la commune leur résidence principale mais qui y effectuent des séjours fréquents et réguliers, notamment dans la journée pour l'exercice de leur activité professionnelle, doivent être regardés comme des résidents de la commune pour l'application des troisième et quatrième alinéas de l'article L. 228 du code électoral. Ils ne sont, par suite, pas soumis à la règle de plafonnement instituée par ces dispositions pour les conseillers qui ne résident pas dans la commune.

La solution s’autorise d’un certain bon sens mais celui-ci se concilie mal avec des textes assez clairs pour ne pas prêter à interprétation.

(20 juillet 2021, M. Sébastien U., Él. mun. et cnautaires d’Avesnes-sur-Helpe, él. à la cnauté de communes de Cœur de l’Avesnois, n° 4455552)

 

121 - Élections municipales - Inscription irrégulière d’un candidat sur une liste - Irrégularité constitutive d’une manœuvre - Très faible écart des voix - Confirmation de l’annulation des opérations électorales en première instance - Rejet.

Le juge d’appel confirme le jugement ayant annulé les opérations électorales s’étant déroulées dans une commune au motif que le membre d’une liste placé en neuvième position sur celle-ci l’a été irrégulièrement faute d’être inscrit au rôle des contributions directes de la commune et à la suite de manœuvres ayant d’autant plus altéré la sincérité du scrutin que l’intéressé jouissait d’une grande notoriété en raison d’activités professionnelles et associatives (maître-nageur et dirigeant sportif), que sa présence sur la liste a été l’un des thèmes débattus durant la campagne et qu’un écart de seulement deux voix séparait les listes en présence.

(16 juillet 2021, M. B.M., Él. mun. de Belleville-sur-Loire, n° 445801)

 

122 - Élections municipales et communautaires - Captation de votes par tout procédé - Infraction pénale (art. 106 code pénal) - Incompétence du juge administratif - examen des éléments constitutifs de l’infraction par ce juge en vue de la détermination de l’existence éventuelle de pressions sur les électeurs de nature à altérer la sincérité du scrutin - Confirmation du rejet de la protestation.

L’art. 106 du code pénal punit toutes sortes de comportements, actes ou autres de nature à faire pression sur les électeurs.

Dans la présente affaire, le juge administratif indique qu’il ne saurait, évidemment, faire application de ce texte qui ne relève pas de sa compétence mais précise en revanche que, recherchant si des pressions ont été exercése sur des électeurs et ont pu altérer la sincérité du scrutin, il lui est loisible d’effectuer cette recherche en retenant des éléments figurant dans cette disposition de nature pénale.

(22 juillet 2021, Mme C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Dourdan, n° 449614)

 

123 - Élections municipales et communautaires - Distribution de colis alimentaires durant l’épidémie de Covid-19 - Distributions effectuées par des candidats aux élections - Absence d’appartenance ou d’activités caritatives habituelles - Comportement de nature à affecter la libre détermination de certains électeurs - Écart des voix important - Absence d’effet sur la sincérité du scrutin et sur ses résultats - Rejet.

Le juge relève qu’une tête de liste et plusieurs co-listiers ont, avec des membres d'associations, participé à de nombreuses reprises, pendant la période d'avril à juin 2020, à des distributions de colis alimentaires dans différents quartiers de la commune alors qu'ils n'étaient pas habituellement engagés dans ces associations caritatives ou investis dans ce type d'actions.

Il estime que si ces distributions visaient à apporter aux personnes les plus démunies une aide pour faire face aux difficultés suscitées par l'épidémie de Covid-19 et le confinement qui a été ordonné au printemps 2020 pour lutter contre elle, il n’en reste pas moins que ces distributions, répétées et mises en valeur sur le compte Facebook de la personne tête de liste  ainsi que dans la presse, doivent être regardées comme étant intervenues en vue des élections et comme ayant pu affecter la libre détermination de certains électeurs.

 Cependant, conformément à sa jurisprudence, le Conseil d’État considère que, eu égard à l'écart de voix séparant la liste conduite par ce candidat des autres listes, il ne résulte pas de l'instruction que ces dons ont été, en l'espèce, de nature à altérer la sincérité du scrutin et à en vicier les résultats.

La solution peut toutefois être discutée car l’écart des voix peut avoir été lui-même une conséquence de ces distributions irrégulières de colis et, du coup, le recours à la justification par l’écart des voix se retourne un peu contre le raisonnement du juge.

(22 juillet 2021, M. A. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Corbeil-Essonnes, n° 450129)

 

124 - Élections municipales et communautaires - Doutes sur l’authenticité de signatures portées sur les listes d’émargement - Retranchement hypothétique de voix - Nombre de voix retranchées excédant l’écart entre les listes - Confirmation de l’annulation des opérations électorales.

Application d’une solution jurisprudentielle classique : lorsque par retranchement hypothétique du nombre des suffrages correspondants à des émargements dont l’authenticité est douteuse, la soustraction ainsi opérée excède l’écart des voix entre deux listes, il y a lieu d’annuler les opérations électorales.

(22 juillet 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Noyon, n° 450421)

 

125 - Élections municipales et communautaires - Inscriptions à caractère injurieux et diffamatoires apposées dans la nuit précédant le scrutin - Altération de la sincérité du scrutin - Altération non compensée par d'autres irrégularités supposées existantes - Confirmation de l’annulation des opérations électorales.

Le juge d'appel confirme le jugement rendu par le tribunal administratif motif pris du grand nombre d'inscriptions injurieuses et diffamatoires envers une tête de liste et son directeur de cabinet apposées la veille du scrutin : compte tenu du faible écart de voix entre les listes, ces actes ont altéré la sincérité du scrutin sans que cela puisse être compensé par des irrégularités - à les supposer existantes - qu'aurait commises la liste ainsi injuriée et diffamée. Il y a donc lieu de prononcer l'annulation des opérations électorales.

(27 juillet 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune d'Halluin, n° 450995)

 

126 - Élections municipales - Rejet du compte de campagne - Candidate déclarée démissionnaire d'office et inéligible - Première candidate suivante de la liste déclarée élue - Démission de cette dernière - Irrégularité - Rejet.

L'intéressée, dont le compte de campagne a été jugé irrégulier pour cause de dépôt tardif, a été déclarée démissionnaire d'office et frappée d'une inéligibilité pour un an tandis que sa suivante de liste était proclamée élue.

L'appel est rejeté sur les deux premiers points : la démission d'office et l'inéligibilité ont été décidées à bon droit. Il était irrecevable sur le troisième point car, d'un part, la démission d'office de Mme B. n'était pas effective à la date à laquelle Mme A. a fait acte de démission de son mandat et d'autre part, cette démission a été adressée non au maire de la commune, ce qui est la seule procédure normale, mais au greffe du tribunal administratif.

(28 juillet 2021, Mme B., Élections municipales du Haillan, n° 450142)

 

127 - Élections municipales - Bulletins de vote d'une liste de format inférieur à celui réglementaire - Différence de taille entre les bulletins de deux listes - Enveloppes plus épaisses pour une liste du fait de cette différence - Signe de reconnaissance - Rejet.

Confirmation du rejet en première instance d'une protestation en vue d'obtenir l'annulation d'élections notamment du fait que les bulletins de la liste B étaient d'un format 148 x 210 mm, inférieur à celui prescrit par l'article R. 30 du code électoral (210 x 297 mm) pour les listes comportant, comme en l'espèce, plus de trente-et-un noms, alors que ceux utilisés par la liste A respectaient ces mêmes prescription car il ne résulte pas de l'instruction que le choix de ce format révèle une manoeuvre ni que, en raison de la moindre épaisseur des enveloppes dans lesquelles ils étaient glissés, les bulletins de la liste conduite B auraient pu être aisément identifiés lors des opérations de vote. 

(30 juillet 2021, M. A., Élections municipales de Lannemezan, n° 445676)

 

128 - Élections municipales - Griefs divers tenant au déroulement de la campagne - Griefs tirés du déroulement du scrutin - Rejet.

Confirmant le jugement des premiers juges, le Conseil d’État rejette la protestation dirigée contre les résultats des élections tenues dans cette commune. Aucun des griefs n'est retenu comme de nature à conduire à l'annulation des élections, aussi bien ceux tirés du déroulement de la campagne électorale (dénigrement des qualités de chef d'entreprise d'une tête de liste, versement à une date inopportune de subventions municipales, confusion alléguée entre le site internet d'une liste et celui de la commune) que celui tiré du déroulement du scrutin (interpellations d'électeurs à proximité d'un bureau de vote par les soutiens d'une liste)

(30 juillet 2021, M. D., Élections municipales de Pithiviers, n° 445985)

 

129 - Élections municipales et communautaires - Griefs multiples (campagne, procurations, émargements, accès au bureau de vote) - Rejet.

Aucun des griefs articulés au soutien de la protestation dont il était saisi n'a convaincu le juge d'appel.

Les éventuelles irrégularités affectant des procurations ne sont pas établies, la privation irrégulière de vote pour cinq électeurs donne lieu à attribution hypothétique de cinq voix à la liste battue, un suffrage a été irrégulièrement émis, il n'est pas établi de différences significatives dans les signatures portées sur la liste des émargements ; enfin, l'affirmation que l'accès au bureau de vote aurait été empêché pour huit électeurs n'est pas corroborée par les indications du procès-verbal.

(30 juillet 2021, M. C., Él. mun. et cnautaires de la commune de Lodève, n° 446408)

 

130 - Élections municipales et communautaires - Irrégularités diverses - Référencement commercial irrégulier du site internet d'une liste de candidats - Disposition irrégulière des isoloirs - Annulation du second tour des élections - Effet sur le premier tour - Rejet.

La double irrégularité du référencement commercial du site internet d'une liste et de la disposition des isoloirs de plusieurs bureaux de vote, dépourvus de rideaux conformément aux instructions ministérielles pour cause d'épidémie, mais placés face aux électeurs et aux membres du bureau de vote, couplée au faible écart des voix, conduit à l'annulation des élections ainsi que l'ont jugé les magistrats du tribunal administratif.

L'annulation du second tour entraîne, par voie de conséquence, celle du premier tour alors même que cette dernière annulation n'était pas demandée par les protestataires.

(30 juillet 2021, M. AD. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Boucau, n° 446731)

 

131 - Élections municipales complémentaires (démissions d'une partie des élus) - Proclamation de quatre élus dont deux n'avaient pas recueilli plus du quart des électeurs inscrits - Correction illégale par le maire de cette irrégularité - Absence d'incidence sur les résultats du premier tour - Rejet.

Le point principal de cette affaire résidait dans ce qu'au soir du premier tour, alors qu'étaient proclamés élus quatre candidats, le maire, s'apercevant que deux d'entre eux ne satisfaisaient pas à l'exigence que, pour être élu au premier tour il faut avoir recueilli un nombre de voix égal ou supérieur au quart des électeurs inscrits, a, d'office, rectifié ces résultats.

Les premiers juges, après avoir annulé l'élection des deux élus en cause, ont estimé que l'erreur ayant été illégalement mais immédiatement corrigée, ceci était resté sans incidence sur les opérations électorales.

Le juge d'appel leur donne raison et doit être approuvé.

(30 juillet 2021, M. A., Élections municipales complémentaires de Sains, n° 448042)

 

132 - Élections municipales et communautaires – Absence de qualité d’électeur dans la commune – Absence d’inscriptions au rôle des contributions directes de la commune – Obligation de rapporter une preuve tirée de pièces ayant date certaine – Absence – Inéligibilité – Annulation.

Seules peuvent être élues à un conseil municipal les personnes électrices de la commune ou inscrites au 1er janvier de l’année de l’élection au rôle des contributions directes de cette commune. A défaut, il leur appartient de rapporter la preuve, au moyen de pièces ayant date certaine, qu’elles devaient être inscrites à ce rôle à la date ci-dessus.

En l’espèce, les deux candidats dont l’éligibilité était contestée avaient produit deux contrats de location de locaux à usage d'habitation conclus le 31 août 2019, des factures d'électricité et deux attestations établies le 28 janvier 2020 en application du c) de l'article R. 228 du code électoral par le directeur départemental des finances publiques, selon lesquelles les documents présentés permettaient aux intéressés d'être inscrits au rôle de l'année 2020 des impôts directs locaux dans la commune. C’est sur ces éléments que le tribunal administratif s’était fondé pour rejeter le grief d’inéligibilité dont il était saisi.

Cependant, le Conseil d’État annule ce jugement motif pris de ce qu’il ne résulte pas de l'instruction que les baux sous seing privé aient été soumis à la formalité de l'enregistrement. Par suite, ces documents n'ont pas acquis date certaine.

Il n’est donc pas établi qu’à la date du 1er janvier 2020, les intéressés remplissaient les conditions pour être inscrits au rôle des contributions directes de la commune de Mauléon-Licharre, ils étaient donc inéligibles. 

Le jugement est annulé.

(2 août 2021, M. N. et autres, Él. mun. et cnautaires de Mauléon-Licharre, n° 446762)

 

133 - Élections municipales et communautaires - Chargée de mission d'évaluation et de contrôle des associations et organismes extérieurs – Qualité de chef de service (8° de l’art. L. 231 c. élect.) – Absence – Annulation.

Le tribunal administratif avait annulé l’élection d’une candidate au motif qu’exerçant les fonctions de chargée de mission d'évaluation et de contrôle des associations et organismes extérieurs, elle devait être considérée comme ayant la qualité de chef de service au sens et pour l’application des dispositions du 8° de l’art. L. 231 du code électoral qui frappe d’inéligibilité les personnes disposant, dans la commune où elles sont candidates, de ces fonctions ou les ayant exercé depuis moins de six mois.  Toutefois, le Conseil d’État, relevant que si l’intéressée « est directement rattachée au directeur général des services de la communauté d'agglomération du Grand Périgueux et assiste en tant que de besoin aux instances de direction et de coordination, elle n'exerce aucune fonction d'encadrement, n'entretient des rapports de proximité avec les élus que dans le cadre de la préparation des séances de l'organe délibérant de la communauté d'agglomération, et ne dispose d'aucun pouvoir propre de décision, notamment en matière d'attributions des subventions, dont elle assure seulement le suivi administratif et le contrôle de l'utilisation »,  en déduit qu’elle ne tombe pas sous le coup des dispositions du 8° de l’art. L. 231 précité.

Le jugement est annulé en ce qu’il prononce l’éligibilité.

(2 août 2021, Mme P. et autre, Él. mun. et cnautaires de Boulazac Isle Manoire, n° 448530)

 

134 - Élections municipales et communautaires – Distribution massive de masques et de notices avec photographie d’un candidat – Faible écart des voix – Confirmation de l’annulation du scrutin.

Comme l’a jugé le tribunal administratif, la distribution de 15 000 masques en lots de 2, 4 et 10, la circonstance que sur les 4000 notices d'utilisation imprimées, 800 comportaient la photographie de M. D., le nombre d'électeurs ainsi susceptibles d'avoir reçu des masques associés à l'image de ce candidat, l'importance que présentait pour la population, à cette période, une distribution de masques et le retentissement favorable qui en a nécessairement découlé sur l'image de M. D., lequel a régulièrement communiqué sur les opérations menées par l'association qu’il présidait, constituent, au regard des dispositions de l’art. L. 52-8 du code électoral,  une  irrégularité de nature, compte tenu de l'écart de 161 voix séparant les deux listes arrivées en tête du second tour, à avoir altéré la sincérité du scrutin, sans que la circonstance que l’autre tête de liste ait lui-même procédé à la distribution de 1 000 masques, en sa qualité de candidat et en intégrant les dépenses correspondantes dans son compte de campagne, ne soit de nature à remettre en cause cette appréciation. 

C’est donc à bon droit que les premiers juges ont annulé les opérations électorales.

(18 août 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Trappes, n° 449592)

(135) V. aussi, sur ce litige, l’annulation par le Conseil d’État, du jugement confirmant le rejet, par la CNCCFP, du compte de campagne de M. D., la modicité des sommes en jeu et le non-dépassement du plafond légal ne justifiant pas cette sanction : 18 août 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Trappes, n° 449593.

 

Environnement

 

136 - Parc éolien - Arrêt d'appel enjoignant le dépôt d'une demande d'autorisation environnementale - Sursis à l'exécution de cet arrêt ordonné - Régime applicable aux installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent autorisées avant l'entrée en vigueur du décret du 23 août 2011 - Annulation.

Encourt annulation l'arrêt d'appel qui juge - au prix d'une erreur de droit - que les installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent autorisées avant l'entrée en vigueur du décret du 23 août 2011 modifiant la nomenclature des installations classées, qui a soumis à autorisation au titre de l'article L. 511-2 du code de l'environnement notamment celles comprenant au moins un aérogénérateur dont le mât a une hauteur supérieure ou égale à 50 mètres, sont néanmoins soumises à ce décret dès lors que le permis de les construire  a été annulé postérieurement à la date d'entrée en vigueur de ce décret.

En effet, contrairement à ce qu'a jugé la cour, il résulte des dispositions combinées des art. L. 553-1 et L. 511-2 du code de l'environnement que les installations ayant fait l'objet d'une demande de permis de construire en cours à la date d'entrée en vigueur du décret du 23 août 2011 et pour lesquelles l'arrêté d'ouverture d'enquête publique a été pris avant cette date sont regardées comme étant autorisées au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, au bénéfice du régime d'antériorité créé par la loi du 12 juillet 2010, leur exploitation étant, à compter de la date de délivrance du permis de construire, soumise à cette législation.

(1er juillet 2021, Société Énergie renouvelable du Languedoc, n° 433449 ; Association pour la protection des paysages et ressources de l'Escandorgue et du Lodévois (APPREL) et Association Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) de l'Hérault, 438811)

 

137 - Déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers - Agrément de filières de ces déchets - Arrêté et cahier des charges y relatifs - Actes à effets directs et significatifs sur l'environnement - Obligation d'une consultation préalable du public (art. L. 123-19-1 c. env.) - Absence - Annulation à effet différé.

Doivent être annulés pour avoir été pris au terme d'une procédure irrégulière l'arrêté du 20 août 2018 relatif à la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des déchets diffus spécifiques (DDS) ménagers, pour le cas des catégories 3 à 10 de produits chimiques désignés à l'article R. 543-228 du code de l'environnement, ainsi que le cahier des charges qui y est annexé.

Ces actes ayant un effet direct et significatif sur l'environnement devaient être précédés, en application des dispositions de l'art. 123-19-1 du code de l'environnement, de la consultation préalable du public. En l'absence de respect de cette formalité, ils ont été irrégulièrement pris.

Leur annulation est prononcée avec effet différé au 1er janvier 2022.

(7 juillet 2021, Société EcoDDS, n° 425116)

 

138 - Autorisation d'implantation d'éoliennes - Obligation d'impartialité dans la délivrance de l'autorisation - Séparation entre autorité donnant son avis sur le projet et autorité autorisant le projet - Condition non remplie lorsque les deux actes résultent d'une instruction conduite par un unique service, fût-ce l'Autorité environnementale - Erreur de droit - Annulation.

Rappel, une nouvelle fois, de l'exigence posée par l'art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, telle au surplus qu'interprétée par la Cour de justice (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10) selon laquelle l'évaluation environnementale de tout projet susceptible d'avoir des effets notables sur l'environnement, lorsqu'elle est assurée par une entité ou autorité publique,  doit reposer sur une séparation fonctionnelle stricte entre l'autorité qui détient le pouvoir de décision par approbation du projet et celle qui doit donner un avis objectif sur ce projet.

Il suit de là qu'en cas de séparation effective de ces prérogatives entre deux autorités publiques (par ex., comme en l'espèce, entre un préfet de région et un préfet de département), la condition d'indépendance garante de l'objectivité d'examen n'est cependant pas remplie lorsque l'une et l'autre reposent sur une instruction unique menée par un même service administratif.

C'était le cas en l'espèce, d'où l'erreur de droit de la cour administrative d'appel qui avait jugée régulière la procédure suivie.

(7 juillet 2021, Association " Plus belle notre Verzée " et autres, n° 436301)

(139) V. aussi, identique : 7 juillet 2021, M. D., n° 436361.

(140) V. également, précisant qu'en cas de vice de procédure entachant l'avis de l'autorité environnementale qui a été soumis au public, notamment dans le cadre d'une enquête publique, préalablement à l'adoption de la décision attaquée, il appartient au juge, saisi de conclusions en ce sens, de surseoir à statuer en vue de la régularisation de l'avis, en précisant les règles selon lesquelles le public devra être informé et, le cas échéant, mis à même de présenter des observations et des propositions, une fois le nouvel avis émis et en fonction de son contenu : 7 juillet 2021, Société Parc éolien du Bois Désiré, n° 436641.

 

141 - Interdiction de substances néonicotinoïdes (II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime) - Communication de la liste à la Commission européenne - Abstention de la Commission de prendre des mesures d’urgence - Droit pour l’État de prendre des mesures d’urgence provisoires jusqu’à l’adoption de mesures communautaires - Absence d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Les requérantes poursuivaient l’annulation du décret n° 2018-675 du 30 juillet 2018 relatif à la définition des substances actives de la famille des néonicotinoïdes présentes dans les produits phytopharmaceutiques. Le Conseil d’État a sursis a statué dans l’attente des réponses de la CJUE aux questions préjudicielles qu’il lui a adressées. La Cour de justice a répondu dans une décision du 8 octobre 2020 (Union des industries de la protection des plantes contre Premier ministre et alii, aff. C-514/19).

Le II de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime (issu de de l’art. 5 de la loi du 8 août 2016) a interdit à compter du 1er septembre 2018 l'utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant une ou des substances actives de la famille des néonicotinoïdes et de semences traitées avec ces produits sous réserve de dérogations pouvant être accordées jusqu’au 1er juillet 2020.

Les autorités françaises ont notifié à la Commission européenne le 2 février 2017 un projet de décret énumérant les substances actives visées par l'interdiction susénoncée, étant relevé que cette notification constituait la procédure d’information prévue à l’art. 5, al.4, de la directive 2015/1535 du 9 septembre 2015 et non la mise en œuvre du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques. Or la Commission, dans sa réponse du 3 août 2017 à cette notification s’est fondée sur ce dernier règlement.

Par son arrêt avant dire droit du 28 juin 2019, le Conseil d’État a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si, dans un tel cas, alors que la Commission n’a pu se méprendre sur le fondement retenu pour la décision notifiée, la notification en cause peut être regardée comme ayant été présentée au titre de la procédure prévue aux articles 69 et 71 de ce règlement et de prendre, le cas échéant, des mesures d'instruction supplémentaires ou des mesures répondant tant aux exigences de cette réglementation qu'aux préoccupations exprimées par cet État membre.

La Cour de justice, par son arrêt du 8 octobre 2020 en réponse aux questions posées par le Conseil d’État, a considéré :

1° que la communication, opérée au titre de l'article 5 de la directive du 9  septembre 2015, d'une mesure nationale interdisant l'usage de certaines substances actives relevant de ce règlement doit être considérée comme constituant une information officielle de la nécessité de prendre des mesures d'urgence, au sens de l'article 71, paragraphe 1, du règlement du 21 octobre 2009, lorsque cette communication comporte une présentation claire des éléments attestant, d'une part, que ces substances actives sont susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et, d'autre part, que ce risque ne peut être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, des mesures prises par l'État membre concerné ;

2° que la Commission européenne a omis de demander à cet État membre s'il y a lieu de considérer que ladite communication constitue une information officielle au titre de l'article 71, paragraphe 1, du même règlement.

Elle a jugé, en outre, que les règlements d'exécution 2018/783, 2018/784 et 2018/785 de la Commission, relatifs aux conditions d'approbation des substances actives imidaclopride, clothianidine et thiaméthoxame, ne peuvent pas être considérés comme des mesures arrêtées par la Commission européenne sur le fondement de l'article 71, paragraphe 1, du règlement du 21 octobre 2009 en réponse à la communication à laquelle ont procédé, le 2 février 2017, les autorités françaises.

Or il est constant qu’il résulte des dispositions des articles 69 et 71 du règlement du 21 octobre 2009 que si, à la suite de l'information officielle d'un État membre de la nécessité de prendre des mesures d'urgence visant à interdire l'utilisation d'un produit ou d'une substance active, la Commission européenne s'abstient de prendre de telles mesures, l'État membre peut prendre des mesures conservatoires provisoires jusqu'à l'adoption de mesures communautaires. 

En conséquence, le Conseil d’État juge que la notification, le 2 février 2017, du projet de décret d'interdiction des cinq substances de la famille des néonicotinoïdes comportait une présentation suffisamment claire des éléments de nature à attester que ces substances étaient susceptibles de constituer un risque grave pour la santé humaine ou animale ou pour l'environnement et que ce risque ne pouvait être maîtrisé de façon satisfaisante sans l'adoption, en urgence, de telles mesures d'interdiction. Par suite, comme la Commission européenne, dans sa réponse du 3 août 2017, n'a pas demandé aux autorités françaises s'il y avait lieu de considérer que cette communication constituait une information officielle au titre des mêmes dispositions, il s’ensuit, d’une part, que la notification du 2 février 2017 doit être regardée comme constituant l'information officielle de la Commission européenne au titre de l'article 71, paragraphe 1, du règlement précité du 21 octobre 2009 et, d’autre part, par voie de conséquence, que contrairement à ce qui est soutenu par les diverses organisations requérantes,  Le décret attaqué doit être regardé comme constituant la mesure conservatoire provisoire prise par les autorités françaises sur le fondement de l'article 71, paragraphe 1, du même règlement à la suite de cette information officielle, jusqu'à l'adoption de mesures communautaires.

Faute d’apporter des éléments probants de nature à démontrer comme non fondées scientifiquement les mesures prises par ce décret et compte tenu de sa régularité au regard du droit de l’Union européenne, les requérantes sont déboutées. 

(12 juillet 2021, Union des industries de la protection des plantes, n° 424617 ; Union des industries de la protection des plantes, n° 424621 ; Association générale des producteurs de maïs, n° 424625 ; Confédération générale des planteurs de betteraves, n° 424632 ; Fédération nationale des producteurs de fruits, n° 424633)

(142) V. aussi, la décision jugeant que, d’une part, le  II de l'article L. 253-8 visé dans la décision précédente ne permettait aux ministres compétents d'accorder la dérogation sollicitée par la requérante que jusqu'au 1er juillet 2020 et que, d’autre part, qu’il résulte des dispositions combinées du II de l'article L. 253-8, dans leur rédaction issue de la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières, et de l'article L. 253-8-3 du même code, issu de la même loi, que les nouvelles possibilités de dérogation par arrêté interministériel qu'elles prévoient jusqu'au 1er juillet 2023 ne visent que les cultures de betteraves sucrières. Dès lors, la requête de l'Association générale des producteurs de maïs tendant à l'annulation du refus de dérogation en vue d'autoriser temporairement l'utilisation du produit phytopharmaceutique Sonido contenant la substance active thiaclopride sur les semences de maïs, laquelle ne peut plus donner lieu à aucune mesure d'exécution de la part des ministres concernés, est devenue sans objet : 12 juillet 2021, Association générale des producteurs de maïs, n° 427387.

(143) V. également, confirmative des solutions précédentes, la décision jugeant notamment :

1° irrégulier l’art. 1er du décret n° 2019-1500 du 27 déc. 2019 qui, tout en décidant que les chartes d’engagements des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques doivent obligatoirement intégrer des modalités d’information des résidents ou des personnes présentes au sens du règlement européen 284/2013, rend cependant facultative l’inclusion des modalités d’information préalable à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques  alors, précisément, que l’information des personnes habitant, ou présentes, à proximité des zones susceptibles d’être ainsi traitées constitue, avec d’autres, une mesure pertinente et efficace de gestion des risques liés à l’usage vicinal des substances phytopharmaceutiques ; cette disposition est irrégulière en tant qu’elle ne prévoit pas d’imposer que les chartes en cause prévoient des modalités d’information préalables  à l’utilisation desdites substances ;

2° irrégulier l’arrêté du 27 déc. 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en ce qu’il a prévu des distances minimales incompressibles de sécurité insuffisantes   (5, 10 ou 20 mètres selon les produits) en cas d’épandage des produits phytopharmaceutiques dont la cancérogénicité, la mutagénicité ou la toxicité pour la reproduction est avérée (cas du CMR1A) ou présumée (cas du CMR1B) (cf. règlement (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008) pour la santé des habitants ou des personnes présentes même s’agissant de substances ne figurant à l’art. 14-2 inséré dans l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le  marché des produits phytopharmaceutiques et à leurs adjuvants ce qui constitue une violation du principe de précaution : 26 juillet 2021, Collectif des maires anti-pesticides, n° 437815 ; Comité de recherche et d'information indépendant sur le génie génétique (CRIIGEN), n° 438085 ; Association Agir pour l’environnement, n° 438343 ; Chambre départementale d’agriculture de la Vienne, n° 438444 ; Coordination rurale Union nationale, n° 438445 ;  Association Générations futures et autres, n° 439100 ; Association Générations futures et autres, n° 439127 ;  Commune de Tremblay-en-France et autres, n° 439189 ; M. C. et autres, n° 441240 ; M. A. et autres, n° 443223.

(144) V. également la décision annulant la disposition d’un arrêté ministériel en tant qu'elle ne prévoit aucune mesure de protection de la santé des personnes travaillant à proximité immédiate de la parcelle traitée par un aéronef télépiloté : 26 juillet 2021, Association Santé Environnement Combe de Savoie et autres, n° 439902.

 

145 - Parcelles plantées en carottes - Prélèvements révélant la présence dans le sol de la substance active « 1,3-dichloropropène » - Établissement de procès-verbaux - Procès-verbaux de destruction des carottes - Référé suspension - Rejet.

Des prélèvements effectués par la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) de la direction générale de l'alimentation du ministère de l'agriculture et de l'alimentation révèlent la présence dans le sol de parcelles plantées en carottes, de la substance active « 1,3-dichloropropène », utilisée pour lutter contre les nématodes à kystes, vers parasites infestant particulièrement les carottes cultivées en sols sablonneux, substance dont l'utilisation n'est plus autorisée en France depuis 2018. En conséquence sont établis divers procès-verbaux dont ceux ordonnant la destruction des carottes en cause.

Les requérants demandent la suspension de l'exécution des cinq procès-verbaux de destruction des semis de carottes dressés par la BNEVP le 22 septembre 2020 jusqu'à ce qu'il soit statué, au fond, sur leurs demandes d'annulation de ces décisions. Leurs requêtes ayant été rejetées ils saisissent le juge de cassation.

Ce dernier, confirmant l’ordonnance du premier juge, rejette la demande de référé suspension.

Aucun des moyens développés devant lui n’emporte sa conviction : c’est sans erreur de droit qu’il a été jugé que n'était pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées le moyen tiré de ce que, en l'absence d'un arrêté ministériel d'application, les dispositions de l'article L. 250-6 du code rural et de la pêche maritime qui autorisent le prélèvement d'échantillons de sol étaient manifestement insusceptibles de recevoir application ; semblablement, s’agissant d’une mesure de police, celle-ci n’avait ni à être précédée d'une procédure contradictoire portant sur la totalité des mesures que l'administration était susceptible d'adopter ni à comporter une motivation explicite sur le danger que le produit en cause était susceptible de présenter pour la santé publique, la sécurité des consommateurs ou l'environnement ; enfin, pas davantage ne peut être retenue l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation dans la décision ordonnant la destruction des récoltes.

(13 juillet 2021, M. A., n° 448238 ; M. C., n° 448239 ; SCEA de la Quenaudière, n° 448241 ; EARL Neel, n° 448242 ; SCEA de la Bergerie, n° 448243)

 

146 - Aérodrome - Nuisances sonores - Autorisation dérogatoire d’atterrissage de nuit - Absence de limitation du nombre d’autorisations dérogatoires - Absence d’indication des motifs d’intérêt général justifiant l’octroi de ces dérogations - Violation du principe de non-régression - Annulation.

Un arrêté du 25 avril 2002 impose des restrictions d'exploitation de l'aérodrome de Beauvais-Tillé, notamment l’interdiction pour tout aéronef d'atterrir ou de décoller entre 0 heure et 5 heures, et pour les avions les plus bruyants d'atterrir ou décoller entre 22 heures et 7 heures du matin.

Un arrêté du 26 décembre 2019 a prévu que le ministre chargé de l'aviation civile peut, au cas par cas, autoriser des dérogations à cette interdiction d'atterrissage nocturne, dans les conditions qu'il fixe.

Les requérantes demandent l'annulation de l'article 1er de cet arrêté en ce qu’il porterait atteinte au principe de non-régression, énoncé au 9° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui impose une amélioration constante de la protection de l’environnement, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.

Accueillant le recours, le Conseil d’État juge que l’art. 1er de l’arrêté litigieux, d’une part, ne limite pas le nombre de ces autorisations dérogatoires et d’autre part, n’énonce pas les motifs d'intérêt général qui pourraient le cas échéant les justifier.

Il est donc irrégulier et annulé.

(9 juillet 2021, Association de Défense de l'Environnement des Riverains de l'aéroport de Beauvais-Tillé et autres, n° 439195)

 

147 - Qualité de l’air – Concentrations excessives en dioxyde d’azote et en particules fines – Valeurs limites fixées par une directive de l’Union – Décisions du Conseil d’État (10 juillet 2010, n° 428409 et 12 juillet 2017, n° 394254) ordonnant à l’État la prise de mesures efficaces contre ces dépassements – Nouvelle constatation d’inefficacité – Condamnation à astreinte définitive – Produit de l’astreinte réparti en plusieurs personnes publiques et privées œuvrant dans la lutte contre la pollution atmosphérique.

A deux reprises, en 2010 et 2017, le Conseil d’État avait fait injonction à l’État de réduire significativement la pollution de l’air en respectant les valeurs limites que fixe la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe. Saisi à nouveau du problème, le Conseil d’État ne peut que constater que, pour l’essentiel, l’objectif fixé n’a pas été atteint, loin s’en faut, d’autant que c’est à une obligation de résultat qu’est soumis l’État en cette matière. Il ne s’agit pas de faire état d’efforts, de mises en œuvre de moyens, d’avancées législatives et/ou réglementaires comme, pour l’essentiel, le fait encore ici l’État, mais il convient d’obtenir des résultats. D’où la condamnation à dix millions d’euros au titre de la liquidation provisoire de l’astreinte prononcée par sa décision précitée du 10 juillet 2010. Cette somme ne pouvant pas, à peine d’inconséquence, être versée à l’État ni, non plus, intégralement à la requérante, le juge en effectue judicieusement une répartition entre différentes personnes publiques suffisamment autonomes de l’État et diverses personnes privées, dont la requérante, œuvrant dans le champ de la lutte contre la pollution de l’air.

Dix millions d’euros c’est beaucoup comme symbole mais c’est peu au regard de l’effort à fournir pour remplir l’obligation de résultat.

On regrettera que le Conseil d’État n’ait pas décidé d’affecter ce montant, fixé il y a onze ans, d’un taux d’intérêt couvrant le prix du temps qui a passé, ce « Temps perdu » à la recherche duquel il faut maintenant s’atteler…

(4 août 2021, Association Les amis de la Terre France, n° 428409)

 

État-civil et nationalité

 

148 - Référé liberté - Projet de mariage entre un ressortissant français et une ressortissante algérienne - Publication des bans - Reports successifs de la date du mariage - Refus de délivrance d’un visa d’entrée en France en vue de la célébration du mariage - Existence en l’espèce, à titre exceptionnel, d’une urgence - Atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale - Annulation.

Les requérants ont un projet de mariage concrétisé par la publication des bans en février 2021. Celui-ci a été différé à plusieurs reprises du fait du refus de l’autorité consulaire de délivrer à la future épouse, de nationalité algérienne, un visa d’entrée en France pour la célébration de son mariage.

En principe, un refus de visa d’entrée en France ne constitue pas, sauf circonstances exceptionnelles, une situation d’urgence justifiant l’intervention du juge du référé liberté. Toutefois, au cas d’espèce, il est relevé que les intéressés, se connaissant depuis 2006, se sont fiancés en janvier 2020 et que la cérémonie de mariage a été reportée du fait de l’épidémie de Covid-19 et du refus du visa d’entrée en France de la future épouse, la condition d’urgence est satisfaite.

Ensuite, en raison du caractère sérieux du projet marital, en dépit d’affirmations contraires du ministre de l’intérieur, résultant, entre autres, de l’audition de Mme D. par l'officier de l'état civil du consulat général d'Alger en prévision de sa future union à la demande de la mairie de Lille avant la publication du mariage le 11 février 2021, le refus persistant de visa porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de se marier et de mener une vie familiale normale.

En conséquence est annulée l’ordonnance de référé du premier juge rejetant la demande des intéressés.

(ord. réf. 9 juillet 2021, M. D. et Mme B., n° 454174)

 

149 - Chasse aux oiseaux – Vanneaux huppés et pluviers dorés – Arrêtés autorisant la « tenderie aux vanneaux » dans le département des Ardennes – Violation de la directive « oiseaux » du 30 novembre 2009 – Méconnaissance des objectifs de la directive – Annulation des arrêtés.

Se prononçant sur des arrêtés portant, en matière de chasse aux vanneaux huppés et aux pluviers dorés, dérogation à la directive « oiseaux » en autorisant la « tenderie aux vanneaux » - technique de capture de ces oiseaux au moyen de filets à nappes fixés à terre -, le Conseil d’État rappelle, d’une part, qu’ils sont soumis à une obligation de motivation et que la seule invocation de l’inexistence d’une autre solution possible n’est pas jugée satisfaisante par la jurisprudence de la CJUE (CJUE 17 mars 2021, One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux contre Ministre de la Transition écologique et solidaire, aff. C-900/19), interrogée sur ce point par le Conseil d’État, et d’autre part que l’objectif de préservation des méthodes traditionnelles de chasse ne saurait constituer à lui seul un motif pertinent et suffisant de dérogation.

Les arrêtés querellés ne satisfaisant à aucune de ces deux conditions cumulatives, sont annulés.

(6 août 2021, Ligue française pour la Protection des Oiseaux, n° 425435 ; Association One Voice, n° 425540 et n° 426515 ; Association One Voice, n° 434456 ; v. aussi, du même jour : Association One Voice, n° 443739)

(150) V. aussi, les solutions identiques retenue pour la chasse à l’alouette des champs au moyen de pantes et, le cas échéant, de matoles, autorisée dans quatre départements du Sud-Ouest : 6 août 2021, Association One Voice, n° 425464, n° 425473, n° 425495, n° 425503, 4 espèces jointes ; 6 août 2021, Association One Voice, n° 434375, n° 434400, n° 434459, n° 434460, 4 espèces jointes ; 6 août 2021, Association One Voice, n° 443736, n° 443745, n° 743746, n° 743748, 4 espèces jointes ; Ligue française pour la Protection des Oiseaux, n° 444588, n° 444589, n° 444590 et n° 444591, 4 espèces jointes.

(151) V. également, identique s’agissant de l’autorisation de la chasse au moyen de la tenderie aux grives dans le département des Ardennes : 6 août 2021, Association One Voice, n° 425549 ainsi que, dans ce même département, de l’autorisation de la tenderie aux grives ou aux merles noirs : 6 août 2021, Association One Voice, n° 434461 et, du même jour, Association One Voice, n° 443742.

 

Étrangers

 

152 - Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Etablissement de la liste des pays sûrs - Étendue du contrôle du juge - Annulation partielle.

Les requérantes demandaient l'annulation de la délibération du 5 novembre 2019 par laquelle l'OFPRA a décidé de ne pas modifier la liste des pays d'origine sûrs fixée par une précédente délibération et l'abrogation du maintien sur cette liste de l'Arménie, de la Géorgie et du Sénégal.

Les moyens de légalité externe (composition irrégulière, non-respect des règles de quorum et de majorité, information insuffisante des membres du conseil d'administration de l'OFPRA lors de la délibération litigieuse, sources d'informations insuffisamment diversifiées, examen particulier de chaque pays) rejetés, le Conseil d’État examine ceux de légalité interne.

Concernant le cas des pays désignés par les requérantes, le Conseil d’État relève que le Bénin a été suspendu de cette liste en septembre 2020, que c'est à tort que le Sénégal et le Ghana ont été maintenus sur la liste au regard du critère - introduit par la loi du 18 septembre 2018 - d'interdiction de la prise en compte de l'orientation sexuelle tout comme la Géorgie, alors qu'aucune erreur d'appréciation n'est constatée s'agissant du maintien de l'Albanie, de l'Arménie (en dépit du conflit du Haut-Karabagh) et du Kosovo, avec des réserves pour ce dernier pays, sur ladite liste.

La délibération attaquée est annulée au regard du maintien sur la liste qu'elle a arrêtée du Bénin, du Ghana et du Sénégal.

(2 juillet 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141 ; Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour (Ardhis) et autres, n° 437142 ;  Association Forum Réfugiés-Cosi, n° 437365)

 

153 - Demande de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d’octroi de la protection subsidiaire - Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Contrôle du juge de cassation sur la qualification des faits par cette Cour - Rejet.

Le requérant, ressortissant afghan appartenant à l’ethnie hazâra, conteste en cassation le refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmé par la CNDA, de lui accorder le bénéfice de la qualité de réfugié ainsi que celui de la protection subsidiaire.

Il invoque au soutien de son pourvoi des moyens de procédure et des moyens relatifs au fond. Ils sont rejetés.

Au plan procédural, le Conseil d’État juge d’abord que dès lors que son avocat avait été avisé de la tenue de celle-ci et était présent à l’audience relative à la récusation de l’un des juges de la CNDA, la circonstance que le demandeur n’y ait pas été convoqué n’entache pas d’irrégularité celle-ci.

Il estime ensuite que la participation à la grande formation de la CNDA chargée d'examiner son recours d’une magistrate responsable du centre de recherche et documentation de la CNDA lors de l'élaboration d'une note d'information intitulée « Problématique de la PS c) - Analyse de la notion de violence aveugle – Méthodologie », diffusée aux membres de la grande formation de jugement ainsi qu'au sein de la Cour et qui donnait des éléments d'éclairage général sur des questions de droit, dont certaines n'étaient pas dénuées de lien avec celles sur lesquelles la Cour pourrait être amenée à se prononcer pour statuer sur la demande de protection présentée par M. B., n'était pas, par elle-même, susceptible de faire obstacle à ce qu'elle siège au sein de la cette demande.

Enfin, l’absence d'un membre de la formation de jugement saisie initialement du recours lorsque la grande formation de la Cour s’est prononcée sur ce recours n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la composition de celle-ci.

Au fond et s’agissant d’apprécier le climat, le risque et le degré de violence existant dans les parties de l’Afghanistan d’où le requérant provient, à travers lesquelles il doit transiter et dans sa destination finale, le juge de cassation est compétent pour apprécier la régularité de l’appréciation de la qualification des faits opérée par la CNDA.

Celle-ci détient un pouvoir souverain d’appréciation sous réserve de dénaturation.

(9 juillet 2021, M. B., n° 448707)

 

154 - Référé liberté - Demandeurs d’asile - Rejet par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) puis par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Bénéfice d’un logement d’urgence - Signification d’un ordre de quitter le territoire français (OQTF) - Fin du droit à un hébergement d’urgence - Absence d’atteinte à une liberté fondamentale faute d’existence de circonstances exceptionnelles - Rejet.

Statuant en appel de référés liberté rejetés par le premier juge, le Conseil d’État confirme à des ressortissants géorgiens (req. n° 453716, n° 453721, n° 453723), kosovars (req. n° 453717, n° 453722) et albanais (req. n° 453718, n° 453719, n° 453720, n° 453725, n° 453726), la légalité de l’ordonnance rejetant leur recours en maintien d’hébergement d’urgence alors que leur demande d’asile a été rejetée par l’OFPRA,  rejet confirmé par la CNDA dès lors que, d’une part, sous le coup d’une OQTF, ils n’ont pas sollicité le bénéfice d’aides au retour, et, d’autre part, qu’ils n’invoquent pas au soutien de leurs demandes en référé de circonstances exceptionnelles justifiant l’existence d’une atteinte à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 5 juillet 2021, Mme et M. A., n° 453716 ; Mme et M. C., n° 453717 ; Mme B. et M. A., n° 453718 ; Mme et M. C., n° 453719 ; Mme et M. B., n° 453720 ; Mme B. et M. C., n° 453721 ; Mme B. et M. C, n° 453722 ; Mme C. et M. B., n° 453723 ; Mme A. et M. B., n° 453725 ; Mme B., n° 453726)

 

155 - Étranger faisant l’objet d’un ordre de quitter le territoire français (OQTF) - Mise en rétention dans l’attente de l’exécution de l’OQTF - Référé liberté à l’encontre de la mesure de rétention - Irrecevabilité au-delà de quarante-huit heures - Poursuite d’exécution de l’OQTF malgré la demande d’asile - Rejet.

Un ressortissant étranger faisant l’objet d’une OQTF et ayant engagé une procédure de reconnaissance de sa qualité de réfugié use du référé liberté pour demander la suspension de l’arrêté portant OQTF.

Sa requête est doublement rejetée.

Tout d’abord, l’étranger faisant l’objet d’une OQTF peut être placé en rétention administrative dans l’attente que puisse être exécutée la mesure d’éloignement du territoire français ; toutefois, cette rétention, au-delà de 48 heures, doit être autorisée par un juge des libertés et de la détention, c’est-à-dire par un juge judiciaire. Est donc irrecevable devant le juge administratif la demande en référé dirigée contre une rétention qui a déjà duré plus de 48 heures.

Ensuite, ne saurait constituer une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile justifiant qu’en soit ordonnée la suspension la circonstance que nonobstant sa demande de se voir reconnaître la qualité de réfugié soit poursuivie la procédure d’OQTF puisque, en toute hypothèse, son expulsion est suspendue tant que l’OFPRA ne s’est pas prononcé sur son cas et, le cas échéant, tant que la CNDA éventuellement saisie n’a pas statué.

(ord. réf. 9 juillet 2021, M. Ashry, n° 453670)

 

156 - OQTF - Délai de quinze jours pour former un recours en annulation de cet OQTF - Caractère franc de ce délai.

Répondant à une demande d'avis d'un tribunal administratif, le Conseil d’État juge que le délai de quinze jours prévu au I bis de l'art. L. 512-1 du CESEDA, devenu l'art. L. 614-5 du même code, dans lequel l'étranger qui a fait l'objet d'un arrêté portant OQTF peut contester devant le juge administratif la légalité de cet arrêté est un délai franc car, sauf texte contraire, les délais de recours devant les juridictions administratives sont, en principe, des délais francs, leur premier jour (dies a quo) étant le lendemain du jour de leur déclenchement et leur dernier jour (dies ad quem) étant le lendemain du jour de leur échéance.  Les recours doivent donc être enregistrés au greffe de la juridiction avant l'expiration du délai.  Lorsque le délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il y a lieu, par application des règles définies à l'article 642 du code de procédure civile, d'admettre la recevabilité d'une demande présentée le premier jour ouvrable suivant.

(30 juillet 2021, M. A., n° 452878)

 

Fonction publique et agents publics

 

157 - Rémunération indûment versée - Répétition de l'indu - Délai - Causes d'interruption de la prescription - Annulation.

Cette décision est importante par les précisions qu'elle apporte et qui mettent un point définitif à des solutions jusque-là incertaines.

En premier lieu, il est jugé qu'en cas de versement d'une rémunération indue à l'un de ses agents, la personne publique, se fondant sur les dispositions de l'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000, dans sa rédaction issue de l'article 94 de la loi du 28 décembre 2011 portant loi de finances rectificative pour 2011, peut la répéter dans un délai de deux ans à compter du premier jour du mois suivant celui de sa date de mise en paiement sans que puisse y faire obstacle la circonstance que la décision créatrice de droits qui en constitue le fondement ne peut plus être retirée. 

En second lieu, conformément aux principes qu'illustrent les art. 2241 et 2242 du code civil et qui sont applicables aux relations entre les administrations publiques et leurs agents, le délai biennal de prescription peut être interrompu ou suspendu par l'une quelconque des causes d'interruption et de suspension figurant au titre XX du livre III du code civil. Ainsi en va-t-il de l'exercice par un agent public d'un recours juridictionnel, lequel interrompt le délai de prescription, quel qu'en soit l'auteur, et jusqu'à l'extinction de l'instance.

En l'espèce, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, d'une part, en jugeant que la prescription biennale (cf. art. 37-1, loi du 12 avril 2000) applicable aux créances afférentes aux trop-perçus de rémunération de l'agent, ne pouvait avoir été interrompue par le recours contentieux formé par l'intéressée tendant à l'annulation des titres de perception émis par l'administration en vue du recouvrement de ces créances, et d'autre part, en déduisant de cette affirmation qu'aucune régularisation des titres de perception annulés n'était possible.

(1er juillet 2021, Ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 434665)

 

158 - Litige en matière de pension militaire d’invalidité – Matière relevant du plein contentieux - Possibilité d’apprécier, sur demande du requérant, la régularité de la décision litigieuse - Exercice du recours administratif préalable obligatoire - Effets.

Répondant à une demande d’avis portant sur le point de savoir si, lorsqu'il a à trancher un litige en matière de pensions militaires d'invalidité, il appartient au juge administratif, en sa qualité de juge de plein contentieux, d'apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens, la régularité de la décision en litige, le Conseil d’État donne une réponse qui va au-delà de la question posée.

Tout d’abord, en sa qualité de juge de plein contentieux, le juge saisi d’un litige en matière de pension militaire d’invalidité doit, d’une part, se prononcer en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, et, d’autre part, le cas échéant, apprécier, s'il est saisi de moyens en ce sens ou au vu de moyens d'ordre public, la régularité de la décision en litige.

Ensuite, il résulte tant de l’art. 51 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 que de son décret d’application du 29 décembre 2018 instituant une commission de recours de l'invalidité chargée d'examiner les recours administratifs préalables obligatoires formés à l'encontre des décisions individuelles en matière de pensions militaires d'invalidité, que les décisions prises sur le recours administratif préalable obligatoire se substituent aux décisions initiales et sont seules susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux comme indiqué au point précédent. Cette substitution ne fait toutefois pas obstacle à ce que soient invoqués à leur encontre des moyens tirés de la méconnaissance de règles de procédure applicables aux décisions initiales qui, ne constituant pas uniquement des vices propres à ces décisions, sont susceptibles d'affecter la régularité des décisions soumises au juge.

(Avis, 9 juillet 2021, M. B., n° 451980)

 

159 - Fonctionnaire territorial - Suppression d’emploi - Recherche d’un emploi de reclassement - Annulation par le juge de l’excès de pouvoir - Pouvoirs et office du juge en ce cas - Injonction.

La requérante, rédactrice territoriale, occupait depuis 2013 un emploi de chargée de mission auprès du directeur des services techniques de la commune de Montmagny. Cet emploi ayant été supprimé à compter du 14 juillet 2014, l’intéressée a été maintenue en surnombre et celle-ci a demandé au juge d'annuler cette délibération et cet arrêté et d'enjoindre à la commune de Montmagny de la réintégrer rétroactivement au 14 juillet 2014 dans un emploi correspondant à son grade. Si le premier juge a rejeté ces demandes, celles-ci ont été accueillies en cause d’appel car la cour a considéré que la commune avait manqué à son obligation de recherche des possibilités de reclassement du fonctionnaire.

C’est contre cet arrêt que la commune s’est pourvue en cassation.

Le Conseil d’État annule l’arrêt car lorsque le juge administratif annule pour excès de pouvoir la décision par laquelle l'autorité territoriale a maintenu un fonctionnaire en surnombre en raison de la suppression de l'emploi qu'il occupait, il lui incombe en principe seulement d'ordonner à l'autorité territoriale, sur le fondement de l’art. L. 911-2 CJA, de rechercher s'il est possible de le reclasser sur un emploi vacant correspondant à son grade dans son cadre d'emplois ou, avec son accord, dans un autre cadre d'emplois.

Toutefois, dans le cas où et seulement en ce cas, il résulte de l'instruction qu'il existe, à la date à laquelle le juge statue, un emploi sur lequel le fonctionnaire peut être reclassé, compte tenu de son grade et des nécessités du service, le juge saisit du litige enjoint à l'autorité territoriale, cette fois sur le fondement de l'article L. 911-1 CJA, de proposer au fonctionnaire cet emploi.

Statuant au fond en raison d’une seconde cassation, le Conseil d’État enjoint à la commune de Montmagny de rechercher s'il est possible de reclasser Mme A. sur un emploi vacant correspondant à son grade dans son cadre d'emplois ou, avec son accord, dans un autre cadre d'emplois, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

(12 juillet 2021, Mme A., n° 442606)

 

160 - Agents non statutaires des collectivités territoriales - Agents involontairement privés d'emploi ou ayant signé une rupture conventionnelle ou dont le contrat de travail a été rompu d'un commun accord - État de chômage se prolongeant en dépit d'une recherche active d'emploi - Droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi - Rejet.

Le juge, rejetant le pourvoi de la commune, déduit de dispositions du code du travail (art. L. 5421-1, L. 5422-20 et L. 5422-21) que les agents non statutaires des collectivités territoriales (comme aussi d'ailleurs ceux des établissements publics administratifs autres que ceux de l'État et ceux des groupements d'intérêt public) qui ont quitté volontairement l'emploi qu'ils y occupaient et dont le chômage se prolonge en dépit des efforts de recherche d'emploi, ont droit, aux conditions légales, à l'allocation d'aide au retour à l'emploi (art. 46 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage).

(5 juillet 2021, Commune de Colmar, n° 429191)

 

161 - Agent public local contractuel (CDI) - Contrat d’« assistant d’élus » - Licenciement - Demande de diverses indemnisations - Détermination de sa position statutaire par le juge - Absence - Manquement à l’office du juge - Erreur de droit - Annulation.

Suite à son licenciement, un agent public contractuel communal, a demandé l’annulation de cette décision, sa réintégration ainsi que diverses indemnités.

Il se pourvoit en cassation contre l’arrêt d’appel en tant qu'il rejette ses demandes indemnitaires au titre de l'illégalité de son licenciement et au titre des congés payés dont il a été privé.

Le pourvoi est partiellement admis et l’un de ses motifs est un rappel significatif de l’office du juge dans le contentieux indemnitaire des fonctionnaires et agents publics. En l’espèce, la cour s’était bornée à relever que les fonctions exercées par le demandeur n'avaient pas pour effet de le soumettre aux dispositions du décret du 16 décembre 1987 relatif aux collaborateurs de cabinet et que l'intéressé ne pouvait pas être regardé comme ayant occupé un emploi de rédacteur territorial. Elle a ensuite réglé le litige sans aucunement procéder, comme il lui incombait, à la détermination de sa position statutaire manquant ainsi à son office et commettant par suite une erreur de droit s’agissant de fixer ses droits indemnitaires.

(13 juillet 2021, M. A., n° 438286)

 

162 - Fonctionnaire - Pathologie - Imputabilité au service - Existence d’un état antérieur - Effet sur l’imputabilité - Nécessité d’une résorption intégrale de cet état au moment de l’apparition de la pathologie - Annulation.

Rappel d’une règle constante.

L’existence d'un état pathologique antérieur ne permet d'écarter l'imputabilité au service de l'état postérieur d'un agent que lorsqu'il apparaît que cet état détermine à lui seul l'incapacité professionnelle de l'intéressé.

En conséquence entache d’erreur de droit son arrêt la cour qui ne recherche pas, pour déterminer si la pathologie actuelle d’un agent est exclusivement imputable à l'évolution de son état de santé antérieur, si les séquelles d’un accident survenu le 13 mars 2013 avaient été entièrement résorbées au 2 novembre 2015, date à partir de laquelle cet agent entendait voir reconnaître l'imputabilité au service des congés maladie.

(13 juillet 2021, M. B., n° 441274)

 

163 - Égalité des chances - Accès à certaines écoles et à certains organismes de formation des fonctionnaires - Organisation d’un concours externe spécial - Sélection sur critères sociaux - QPC dirigée contre l’ordonnance du 3 mars 2021 organisant cette procédure - Rejet.

La requérante, - à l’appui de sa demande d’annulation pour excès de pouvoir de  l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public, du décret n° 2021-239 du 3 mars 2021 instituant des modalités d'accès à certaines écoles de service public et relatif aux cycles de formation y préparant, des arrêtés du président du Centre national de la fonction publique du 8 mars 2021 portant ouverture de concours pour les administrateurs territoriaux et du 1er avril 2021 fixant le nombre de postes ouverts aux concours pour le recrutement des administrateurs territoriaux, de l'arrêté de la ministre de la transformation et de la fonction publiques du 25 mars 2021 autorisant l'ouverture du concours externe, du deuxième concours externe, du concours externe spécial, du concours interne et du troisième concours d'entrée à l'Ecole nationale d'administration pour l'année 2021 et des arrêtés du ministre des solidarités et de la santé du 8 avril 2021 portant ouverture des concours d'admission aux cycles de formation des élèves directeurs d'hôpital et des élèves directeurs d'établissement sanitaire, social et médico-social, - demande au Conseil d’État de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'ordonnance n° 2021-238 du 3 mars 2021 favorisant l'égalité des chances pour l'accès à certaines écoles de service public. 

La requérante soutient que l'ordonnance précitée méconnaît le principe d'égal accès aux emplois publics énoncé à l'article 6 de la Déclaration de 1789, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 1er de la Constitution et l'étendue de la compétence du législateur, en tant que les dispositions de ses articles 1er à 4 instaurent une voie d'accès spécifique à des écoles de service public qui n'est justifiée ni par les mérites des candidats, ni par les besoins du service public et qui repose sur des critères sociaux insuffisamment définis.

Tout d’abord, le Conseil d’État rappelle la nécessité de combiner ici deux principes : d’une part, celui selon lequel le législateur peut régler de façon différente des situations différentes et, ce faisant, de déroger à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit, et d’autre part, celui selon lequel si, dans les nominations de fonctionnaires, il ne doit être tenu compte que de la capacité, des vertus et des talents, peuvent cependant être fixées des règles de recrutement destinées à permettre l'appréciation des aptitudes et des qualités des candidats à l'entrée dans une école de formation ou dans un corps de fonctionnaires selon des modalités différenciées pour tenir compte tant de la variété des mérites à prendre en considération que de celle des besoins du service public. 

Par ailleurs, le juge relève qu’aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'interdit au législateur de prendre des mesures propres à venir en aide à des catégories de personnes défavorisées dès lors que les différences de traitement qui en résultent répondent à des fins d'intérêt général qu'il appartient au législateur d'apprécier.

Ensuite, constatant la volonté politique d'accroître la diversité des profils des personnes constituant la fonction publique, le Conseil d’État relève que le dispositif envisagé et mis en place par le texte litigieux et ses textes d’application consistant, d’une part, en un concours externe spécial régi par les mêmes conditions de diplôme, comportant le même programme et les mêmes épreuves, faisant l'objet du même jury que le concours externe et ne pouvant représenter une proportion supérieure à 15% des recrutements opérés par la voie du concours externe, et d’autre part, ouvert aux personnes qui suivent ou ont suivi un cycle de formation préparant à ce concours, repose sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec l'objet qui leur est assigné. Enfin, la volonté de diversifier les profils des personnes recrutées dans la fonction publique repose sur un motif d'intérêt général. Le renvoi par le législateur à un décret en Conseil d’État du soin de déterminer ces critères sociaux, n’est pas davantage critiquable.

Est donc refusé le renvoi de la QPC.

(13 juillet 2021, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 452060)

 

164 - Garanties accordées aux fonctionnaires chargés d’une activité syndicale - Activité syndicale représentant au moins 70% d’un service à temps plein - Mise à disposition ou décharge d’activité - Décompte de la quotité minimale - Différence de traitement - QPC - Différence en rapport avec son objet - Rejet.

(13 juillet 2021, Syndicat national Solidaires finances publiques, n° 452072)

V. n° 210

 

165 - Agent public territorial - Éducateur territorial de jeunes enfants - Licenciement pour insuffisance professionnelle - Erreur d’appréciation - Rejet.

Le président de la communauté de communes requérante a procédé au licenciement pour insuffisance professionnelle d’une agent public titulaire dans le cadre d’emploi des éducateurs territoriaux de jeunes enfants, en se fondant  notamment sur un rapport d'analyse des risques psychosociaux effectué par un cabinet extérieur et sur les plaintes déposées par de nombreux agents placés sous l'autorité de l’intéressée, sur l'incapacité de cette dernière à développer des relations de travail adéquates avec ses collègues, cette « insuffisance managériale » étant susceptible de compromettre le bon fonctionnement du service.

La cour administrative d’appel avait annulé ce licenciement car même si les difficultés relationnelles avec certains agents étaient établies, elles ne pouvaient suffire à caractériser l'inaptitude de l'intéressée à exercer l'ensemble des fonctions correspondant au grade qu'elle détient dans le cadre d'emplois, relevant de la catégorie B, des éducateurs territoriaux de jeunes enfants, lesquelles ne sont, pour l'essentiel, pas des fonctions d'encadrement et elle en avait déduit que le licenciement était entaché d’une erreur d’appréciation.

Elle est confirmée par le Conseil d’État qui, exerçant ici un contrôle de qualification juridique des faits d’insuffisance professionnelle d’un agent public, rejette le pourvoi en rappelant que le licenciement pour insuffisance professionnelle d'un agent public ne peut être fondé que sur des éléments révélant l'inaptitude de l'agent à exercer normalement les fonctions pour lesquelles il a été engagé, s'agissant d'un agent contractuel, ou correspondant à son grade, s'agissant d'un fonctionnaire, et non sur une carence ponctuelle dans l'exercice de ces fonctions. 

(20 juillet 2021, Communauté de communes Val de Charente, n° 441096)

(166) V. aussi la décision jugeant entaché d’erreur de droit l’arrêt annulant un licenciement pour inaptitude professionnelle car, devant le conseil de discipline, les témoins cités par l'administration, respectivement le secrétaire général et le directeur des ressources humaines de la préfecture au sein de laquelle l’intéressé était affecté, ont été appelés simultanément et ont témoigné en présence l'un de l'autre, en méconnaissance des dispositions de l'article 5 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'État. Le Conseil d’État reproche à l’arrêt de n’avoir pas recherché si, en l'espèce, cette méconnaissance avait, eu égard aux fonctions exercées par les témoins, à l'origine de leur citation et à la teneur de leurs propos, effectivement privé l'intéressé de la garantie qui s'attache à la sincérité des témoignages. : 20 juillet 2021, Ministre de l’intérieur, n° 445843 et n° 445845.

 

167 - Militaire - Tenue de propos excessifs à l’égard de cadres militaires et autres autorités publiques - Sanction disciplinaire - Membre d’une association nationale professionnelle de militaires - Qualité sans effet sur la légalité de la sanction - Rejet.

Un militaire qui a été sanctionné disciplinairement à raison de propos tenus sur des sites internet tant à l’encontre de cadres de l’armée que d’autorités publiques, argue de ce qu’il appartient à une association nationale professionnelle de militaires pour soutenir l’illégalité de la sanction infligée.

Son recours est rejeté car même si « les membres des associations professionnelles nationales de militaires peuvent exprimer des positions publiques sur les questions relevant de la condition militaire, les propos qu'ils tiennent publiquement ne sauraient excéder les limites que les militaires doivent respecter en raison de la réserve à laquelle ils sont tenus à l'égard des autorités publiques. En particulier, la circonstance qu'il soit membre d'une association professionnelle nationale de militaires ne saurait permettre à un militaire de tenir des propos diffamatoires ou outranciers à l'égard de cadres de l'armée ou des appréciations sur l'action d'autres autorités publiques. »

(20 juillet 2021, M. B., n° 444784)

 

168 - Agent public territorial - Nouvelle affectation - Invocation d'un harcèlement moral - Notion - Application en l'espèce - Rejet.

L'intéressée se plaignait d'être victime d'un harcèlement de la part de la commune qui l'employait. Le Conseil d’État rappelle sa grille d'analyse de l'existence éventuelle d'un tel harcèlement : " Pour être qualifiés de harcèlement moral, (des) agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral."

En l'espèce, c'est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel, dont l'arrêt était frappé de pourvoi dans la présente affaire, a notamment relevé, pour rejeter l'appel dont elle était saisie que l'exercice par l'intéressée des missions de secrétaire comptable résultaient d'une réorganisation de la direction des affaires culturelles décidée dans l'intérêt du service, que cette nouvelle affectation correspondait à son grade et que sa notation avait alors régulièrement augmenté. Le pourvoi est rejeté.

(28 juillet 2021, Mme B., n° 436810)

 

169 - Concours - Concours d'agrégation des professeurs des facultés de droit - Principe d'impartialité - Régime de la preuve - Preuve non rapportée - Rejet.

Le requérant contestait par de nombreux moyens l'organisation, le fonctionnement et les décisions d’un jury d'agrégation de droit privé et de sciences criminelles portant recrutement de professeurs de l'enseignement supérieur ainsi que divers actes subséquents. Ils sont tous rejetés. L'un d'eux portait sur la violation en l'espèce du principe d'impartialité des jurys.

Sur ce point, le Conseil d’État rappelle sa jurisprudence selon laquelle : " La seule circonstance qu'un membre du jury d'un concours connaisse un candidat ne suffit pas à justifier qu'il s'abstienne de participer aux délibérations de ce concours. Le respect du principe d'impartialité fait en revanche obstacle à ce qu'un membre du jury d'un concours puisse régulièrement siéger dans ce jury s'il a, avec l'un des candidats, des liens dont l'intensité est de nature à influer sur son appréciation. "

Cette position balancée tente de faire tenir un égal poids à la possibilité de contester et à la sauvegarde des décisions de jury trop aisément critiquées par les candidats malheureux. Toutefois, la mise en œuvre de cette ligne d'analyse concrète est très délicate et tourne généralement à la confusion du requérant. D'abord, en elle-même, la preuve est le plus souvent très difficile à rapporter. Ensuite, selon la nature des liens « intenses » allégués, il est des modes de preuve ou des natures de preuve impossibles à utiliser sauf pour le contestant à disposer de moyens quasiment policiers d'investigation.

D'un côté l'on voit mal comment le juge pourrait faire autrement que d'examiner les preuves rapportées, d'un autre côté la situation n'est pas très satisfaisante ; quant à attendre la sagesse et la moralité des hommes disposant de pouvoirs sur leurs semblables, il n'est pas douteux que si elles existaient cela se saurait depuis longtemps. (cf. Montesquieu : « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser », De l’Esprit des lois, Livre XI, chap. IV)

(30 juillet 2021, M. B., n° 430066)

 

Hiérarchie des normes

 

170 - Ordonnance de l’article 38 de la Constitution – Recours contre une telle ordonnance après expiration du délai d’habilitation mais en l’absence de ratification et fondé sur la violation d’un droit ou d’une liberté que garantit la Constitution – Compétence exclusive du Conseil constitutionnel par voie de QPC – Recours invoquant aussi la violation de dispositions internationales ou du droit de l’Union – Compétence du juge administratif – Applications en l’espèce.

Retour sur un – désormais – grand classique de la hiérarchie des normes du à une innovation jurisprudentielle née de l’imagination débridée du Conseil constitutionnel : la compétence exclusive du Conseil constitutionnel pour connaître des QPC dirigées contre des ordonnances non encore ratifiées mais pour lesquelles le délai d’habilitation est expiré et qu’est invoquée à leur encontre une violation des droits et libertés que garantit la Constitution.

Dans cette décision, le juge administratif rappelle à plusieurs reprises que sont irrecevables devant lui les recours tendant à le faire juge de dispositions ordonnancielles non ratifiées mais à délai d’habilitation expiré argüées d’inconstitutionnalité pour atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution dès lors que ces recours ne revêtent pas la forme et les conditions d’une QPC.

En revanche, les exceptions d’inconventionnalité ou de violation du droit de l’Union assortissant lesdits recours relèvent de la compétence du juge administratif saisi.

Tel est le cas, en l’espèce, de l’art. 2 de l’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation de règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière pénale.

(4 août 2021, Syndicat des avocats de France et autres, n° 447916 ; M. A., n° 448388 ; Association des avocats pénalistes et autres, n° 448962)

 

Libertés fondamentales

 

171 - Office national des forêts (ONF) - Vente de bois de chêne - Décision établissant un formulaire d'engagement - Application à des ventes non réalisées par l'ONF - Atteintes à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie - Incompétence - Annulation.

(2 juillet 2021, Syndicat de la filière bois et autres, n° 423720)

V. n° 4

 

172 - Liberté d'association - Dissolution d'une association - Critique du régime légal - Absence d'atteinte au principe d'égalité - Absence d'incompétence négative du législateur - Décision fondée - Rejet.

La requérante contestait la juridicité du décret présidentiel la dissolvant et soulevait, entre autres, une question prioritaire de constitutionnalité. La demande est rejetée.

L'art. L. 212-1, 6°, du code de la sécurité intérieure ne porte pas atteinte au principe d'égalité du fait qu'il traite différemment des associations de la loi de 1901, lesquelles ne connaissent que la procédure de dissolution, d'une part, les associations ou groupements de fait ayant pour objet le soutien à des associations sportives, et d'autre part les lieux de culte, en cas de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, puisque celles-ci font l'objet de mesures graduées, respectivement, de suspension ou de fermeture temporaire. Les réalités ne sont pas les mêmes.

Ce même article n'est pas entaché d'incompétence négative du fait qu'il ne précise pas à partir de combien d'agissements la dissolution est encourue car, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, cette mesure doit être adaptée, nécessaire et proportionnée aux faits reprochés.

Enfin, les faits recueillis et figurant au dossier de l'instruction attestent du bien-fondé de la mesure de dissolution qui, ainsi, ne saurait être jugée irrégulière.

(2 juillet 2021, Association "Génération identitaire", n° 451741)

 

173 - Référé liberté - Liberté syndicale - Autorisation d'absence - Participation à un congrès national et à une réunion régionale - Refus - Défaut de justification - Atteinte grave et manifestement illégale - Injonction au garde des sceaux de délivrer les autorisations demandées.

Annulant l'ordonnance du premier juge, statuant en référé liberté le Conseil d’État juge que le refus opposé par le garde des sceaux à un syndicaliste d'autoriser son absence afin de lui permettre de participer au congrès national du syndicat pénitentiaire des surveillants non-gradés et aux réunions du conseil syndical régional porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté syndicale au regard des arguments destinés à appuyer ce refus, aucun d'eux n'apparaissant sérieusement fondé ou de nature à le justifier.

Injonction est faite au garde des sceaux de délivrer d'urgence cette autorisation.

Il est à observer que le juge d'appel a été saisi les 25 et 30 juin et que cette ordonnance est rendue le 2 juillet pour des réunions devant se tenir les 5, 7 et 9 juillet.

(2 juillet 2021, M. A., n° 453961)

 

174 - Référé liberté - Liberté syndicale - Suspension du site internet d'un syndicat d'agents d'un département - Maintien d'un certain nombre de fonctionnalités - Atteinte à une liberté fondamentale non constitutive par elle-même d'une situation d'urgence - Rejet.

(5 juillet 2021, Syndicat SUD des personnels du département du Nord, n° 451062)

V. n° 35

 

175 - Référé liberté - Covid-19 - Institution d'un passe sanitaire - Document ou application contenant des données révélatrices de la vie privée et de la santé - Suspension du dispositif refusée - Rejet.

La requérante demandait notamment la suspension d'exécution du dispositif de « passe sanitaire », numérique ou papier, mis en place par les pouvoirs publics dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, en tant, d'une part, que ce dispositif exige le traitement dans le code en deux dimensions de données relatives à l'état civil et, d'autre part, que ce dispositif permet le traitement dans le code en deux dimensions de données de santé.

Elle invoque la possibilité qui aurait pu être retenue, d'inscrire sur les téléphones mobiles, grâce à un traitement national, un certificat ne contenant pour qualifier l'état de santé de la personne qu'un feu rouge ou un feu vert, parfaitement respectueux de la vie privée.

Le recours est rejeté.

D'abord le principe de minimisation des données a été respecté en l'espèce autant qu'il pouvait l'être dans la mesure où il faut bien s'assurer de l'identité de la personne présentant le passe et la CNIL y a d'ailleurs donné un avis favorable.

Ensuite, le risque de détournement et de lecture des données par un tiers doté d'un logiciel malveillant apparaît très limité.

Enfin, a correctement été apprécié l'impact que pouvait avoir sur les libertés le traitement TousAntiCovid.

(6 juillet 2021, Association La Quadrature du Net, n° 453505)

 

176 - Référé liberté - Police sanitaire - Non-reconnaissance d'un vaccin autorisé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) - Licéité - Empêchement, pour ce motif, au retour d'un Français en France - Illégalité - Rejet.

Un Français résidant aux Émirats Arabes Unis (EAU), qui a été vacciné contre le Covid-19 au moyen du vaccin Sinopharm, lequel, reconnu par l'OMS, ne l'est pas par l'Union européenne (Agence européenne du médicament) demande au juge du référé liberté d'ordonner à la fois la suspension de l'exécution du décret du 1er juin 2021 en tant qu'il réserve la délivrance d'un justificatif de statut vaccinal aux seules personnes ayant reçu l'injection d'un vaccin ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence européenne du médicament et non à celles ayant reçu l'injection du vaccin Sinopharm et l'abrogation de ce texte par le premier ministre.

Le juge des référés déboute l'intéressé de sa demande au motif que le vaccin Sinopharm n'a pas fait l'objet, de la part de l'Agence européenne du médicament, des contrôles effectués pour ceux des vaccins autorisés par elle. De plus, il n'existe pas pour le vaccin Sinopharm de données suffisantes sur son aptitude à être efficace contre les variants du virus Covid-19, dont le variant delta qui est à l'origine d'une forte recrudescence des contaminations en Asie du Sud-Est et au Maghreb.

Ensuite, le juge répond au moyen du requérant tiré de ce que cette attitude porte atteinte de façon disproportionnée à sa liberté d'aller et venir et à sa vie privée et familiale dès lors que l'absence de vaccin adéquat le contraint à justifier pour entrer en France d'un test PCR ou antigénique négatif et d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé. Il rappelle fermement dans une formulation déjà plusieurs fois utilisée qu' « Il ne peut être porté atteinte au droit fondamental qu'a tout Français de rejoindre le territoire national qu'en cas de nécessité impérieuse pour la sauvegarde de l'ordre public, notamment pour prévenir, de façon temporaire, un péril grave et imminent. Les restrictions de toute nature opposées à un Français qui souhaite se déplacer depuis l'étranger à destination de la France, en vue de préserver la situation sanitaire sur le territoire national, ne peuvent être légalement prises que si le bénéfice pour la protection de la santé publique excède manifestement l'atteinte ainsi portée au droit fondamental en cause. Elles ne sauraient, en tout état de cause, avoir pour effet de faire durablement obstacle au retour d'un Français sur le territoire national, sans préjudice de la possibilité, pour l'autorité administrative compétente, une fois la personne entrée sur le territoire national, de prendre les mesures que la situation sanitaire justifie, comme, le cas échéant, des mesures de quarantaine. » 

Il constate que si le ministre de la santé souscrit à cette doctrine, le décret contesté contredit dans sa lettre cette attitude tout comme le site internet de l'ambassade de France aux Émirats Arabes Unis. Par ailleurs, si une circulaire du Premier ministre du 19 mai 2021 exonère les Français, leurs enfants et leurs conjoints de l’obligation de justifier de tout motif pour entrer sur le territoire national, il ne résulte pas de l'instruction que les mentions illégales et contraires du décret sur ce point soient privées par cette circulaire de tout effet sur les Français de l'étranger.

Ainsi, du fait du droit ainsi reconnu à tout Français de retourner chez lui (peut-être « plein d'usage et raison » comme dit le poète) sous la seule contrainte d'un test et d'une semaine d'isolement prophylactique, l'atteinte portée à la liberté fondamentale d'aller et de venir ne revêt pas un caractère manifestement illégal justifiant l'intervention du juge du référé liberté et conduit au rejet de la requête.

(ord. réf. 6 juillet 2021, M. A., n° 453559)

 

177 - Référé liberté – Rapatriements de ressortissants afghans aux fins de réunification familiale – Évacuations en urgence depuis l’aéroport de Kaboul – Accords de Doha (29 février 2020) – Incompétence de la juridiction administrative pour connaître de demandes dont l’objet n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France – Obtention de visas non nécessaire pour prétendre aux évacuations vers la France – Rejet.

Cette ordonnance de référé, rendue au titre des dispositions de l’art. L. 521-2 CJA, traduit juridiquement la terrible situation d’Afghans agglutinés sur l’aéroport de Kaboul et autour de celui-ci, fuyant la menace meurtrière et cruelle des talibans.

Saisi le 20 août depuis Kaboul dans l’état chaotique que l’on devine, le juge des référés a statué en formation collégiale, signe du caractère très sensible de l’enjeu politique et juridique du litige, et cela en moins de cinq jours. Si besoin était, cela légitime encore un peu plus l’introduction massive des référés devant le juge administratif à partir de la loi du 30 juin 2000, spécialement celle du référé-liberté.

L’enjeu des recours présentés par ces ressortissants afghans était d’obtenir d’être évacués, avec épouse et enfants, vers la France. Pour ce faire trois demandes étaient adressées, deux d’entre elles sont rejetées pour incompétence du juge saisi en raison de la nature d’actes de gouvernement des décisions prises ou à prendre par les autorités françaises, la troisième a été considérée sans objet du fait de l’assouplissement considérable des formalités administratives ordinairement exigées pour l’accès au territoire français en raison de l’état de fait régnant actuellement dans cette partie du monde.

En premier lieu, les intéressés demandaient que le dispositif de rapatriement d’Afghans vers la France soit complété et à ce que des rapatriements soient ordonnés par le juge des référés à l’État français. En application des accords de Doha (29 février 2020) prévoyant le retrait des troupes américaines d’Afghanistan au plus tard le 31 août 2021, l’aéroport international de Kaboul était sécurisé par celles-ci, la France pouvant évacuer par avion 500 personnes par jour à raison de deux vols de 250 personnes. L’organisation de ces rapatriements se faisant sous l’égide de plusieurs pays, le Conseil d’État a donc considéré, par une formule qui définit l’une des deux catégories d’actes de gouvernement, que « L'organisation de telles opérations d'évacuation à partir d'un territoire étranger et de rapatriement vers la France n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ». Il est donc incompétent pour en connaître et, par suite, pour donner des ordres d’évacuation aux autorités françaises même s’agissant de personnes relevant du régime protecteur institué par les art. L. 561-2 et L. 561-5 du CESEDA en faveur des réfugiés. La solution, triste sans doute, n’était cependant guère évitable.

En second lieu, la même réponse est faite à la demande, qui se recoupe partiellement avec la précédente, qu'il soit enjoint aux autorités françaises à Kaboul de faire en sorte que les conjoints et enfants des ressortissants afghans titulaires du droit à réunification familiale qui parviennent aux abords de l'aéroport de Kaboul puissent y accéder. Là encore, c’est la nature juridique des opérations matérielles d’évacuation qui fait obstacle à la compétence du juge.

Enfin, s’agissant de la demande de délivrance de visas ou de toute autre mesure équivalente aux demandeurs et à leurs familles en vue d’une réunification familiale, elle est jugée sans objet. Il résulte des débats à l’audience qu’en raison de la fermeture du poste consulaire de Kaboul la délivrance de visas pour les Afghans relève désormais des postes de Téhéran et de New Dehli ce qui a conduit les responsables français présents à Kaboul à décider que la détention d'un visa d'entrée en France n'est pas requise pour prétendre au bénéficie des évacuations vers la France. Les personnes présentes à l'intérieur de la zone dédiée à la France dans l'enceinte de l'aéroport de Kaboul et éligibles à la réunification familiale, qu'elles soient ou non munies d'un visa, ont ainsi vocation à être prises en charge par les moyens militaires français, dans la mesure de leur disponibilité, en vue d'un transfert vers le territoire national, tant que la situation locale permet la poursuite de ces opérations. Par suite, la demande est devenue sans objet.

Cette décision montre tout à la fois la force et les limites des solutions juridiques.

(ord. réf., formation collégiale, 25 août 2021, M. G., n° 455744 ; MM. B. et C., leurs épouses et leurs enfants mineurs, n° 455745 ; M. J., n° 455746)

 

Police

 

178 - Prévention des risques naturels –Élaboration du projet de plan de prévention des risques naturels prévisibles « littoraux » (PPRL) du Pays d'Olonne - Modalités d'association des collectivités territoriales et de leurs groupements à l'élaboration du plan - Concertation avec le public - Concertation jugée suffisante par la cour administrative d'appel - Nature et options essentielles du projet de plan communiquées à un stade non trop tardif - Rejet.

Est rejeté le pourvoi de la commune des Sables d'Olonne contre l'arrêt qui a jugé que, dans le cadre de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels prévisibles « littoraux » (PPRL) du Pays d'Olonne, d'une part, la consultation du public avait été correctement assurée, d'autre part, les collectivités territoriales et leurs groupements avaient été suffisamment associés à celle-ci et qu'enfin, la circonstance que la nature et les options essentielles du projet de plan aient été connues un peu plus tard n'a pas empêché le public de faire utilement connaître ses observations.

(1er juillet 2021, Commune des Sables d'Olonne, n° 436132)

 

179 - Rencontres sportives - Match de football opposant le Football Club de Nantes à En avant Guingamp - Incidents divers antérieurs - Mobilisation policière du 14 juillet - Rejet de la demande en référé.

Était demandée la suspension de l’exécution de l'arrêté du préfet de la Loire-Atlantique du 12 juillet 2021 réglementant le déplacement des supporters du Football Club de Nantes à Pornic lors de la rencontre du 14 juillet 2021 opposant le Football Club de Nantes à En avant Guingamp et, à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de cet arrêté en tant qu'il s'applique hors du stade de Pornic.

Le premier juge avait, le 13 juillet, rejeté ces demandes. L’ordonnance est, sans grande surprise, confirmée en appel par le juge du Conseil d’État.

Celui-ci retient l’existence de vives tensions entre certains supporters du Football Club de Nantes et l'équipe dirigeante de ce club avec l'organisation d'une expédition ayant entraîné l'agression de certains salariés du club ; la réunion de sécurité tenue le 9 juillet 2021 pour ce match amical, ayant décidé, sur le fondement d'informations recueillies par les renseignements territoriaux, que ce match, auquel doivent assister des membres de la famille du président du club nantais, se tiendrait hors la présence du public compte tenu de la configuration du stade et, enfin, la mobilisation particulière des forces de l'ordre le 14 juillet, jour de la fête nationale, qui est le jour choisi pour tenir cette rencontre.

La mesure, comme déjà jugé en première instance, ne peut ainsi pas être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir, à la liberté de réunion et à la liberté d'expression.

(ord. réf. 14 juillet 2021, Association nationale des supporters, n° 454527)

 

180 - Règlement municipal de police - Interdiction de stationnement de plus de deux chiens sur la voie publique - Interdiction aux groupes de plus de trois personnes d’émettre des sons audibles par les passants - Prohibition générale et absolue - Illégalité - Annulation.

Le maire de Saint-Etienne, faisant usage des compétences qui lui sont dévolues par le code général des collectivités territoriales, a pris le 15 octobre 2015 un arrêté portant « code de la tranquillité publique » dont l’art. 1er dispose :

« Sont interdites du 16 octobre 2015 au 15 janvier 2016, sauf autorisation spéciale, toute occupation abusive et prolongée des rues et autres dépendances domaniales visées à l'article 5, accompagnées ou non de sollicitations à l'égard des passants, lorsqu'elles sont de nature à entraver la libre circulation des personnes, ou bien de porter atteinte à la tranquillité, au bon ordre et à l'hygiène publics. Sont notamment considérés comme des comportements troublant l'ordre public la station assise ou allongée lorsqu'elle constitue une entrave à la circulation des piétons ou une utilisation des équipements collectifs de nature à empêcher ou troubler un usage partagé, le regroupement de plus de deux chiens effectuant une ou plusieurs stations couchées sur la voie publique, les regroupements de plus de trois personnes sur la voie publique occasionnant une gêne immédiate aux usagers par la diffusion de musique audible par les passants ou par l'émission d'éclats de voix. (…) »

Contrairement au juge d’appel qui avait jugé que cet article se bornait à rappeler les pouvoirs généraux du maire en matière d'atteinte à la tranquillité publique ou au bon ordre, le Conseil d’État estime qu’en prohibant « comme étant de nature à porter par soi-même atteinte à l'ordre public le seul fait de laisser plus de deux chiens stationner, même temporairement, sur la voie publique, ainsi que, de manière générale, le fait pour un groupe de plus de trois personnes d'émettre des bruits de conversation et de musique " audibles par les passants ", sans en préciser la durée ni l'intensité, les mesures ainsi édictées par l'arrêté litigieux pour une durée de trois mois, sans aucune limitation de plage horaire et tous les jours de la semaine, dans un vaste périmètre géographique correspondant à l'ensemble du centre-ville de la commune, doivent être regardées, alors même que la commune de Saint-Etienne invoque une augmentation de la délinquance et des incivilités dans son centre-ville, comme portant, du fait du caractère général et absolu des interdictions ainsi prononcées, une atteinte à la liberté personnelle, en particulier à la liberté d'aller et venir, qui est disproportionnée au regard de l'objectif de sauvegarde de l'ordre public poursuivi. »

Il est jugé que si cet article 1er comporte également le rappel de principes généraux relatifs aux pouvoirs de police du maire concernant l'occupation de l'espace public et l'usage des voies publiques, ces dispositions doivent, en l'espèce, être regardées comme n'étant pas divisibles des interdictions susmentionnées.

Par suite l’association requérante est fondée à demander l'annulation des dispositions de l'ensemble de l'article 1er de l'arrêté attaqué.

(16 juillet 2021, Association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n° 434254)

(181) V. aussi, identique : 16 juillet 2021, Association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n° 434256

 

182 - Police sanitaire - Institution d’un passe sanitaire - Annonce contenue dans une allocution présidentielle - Annonce non suivie d’une décision à la date de l’ordonnance de référé - Défaut d’urgence - Rejet.

Doit être rejetée pour défaut d’urgence, le référé liberté dirigé contre l’annonce, par le président de la république, lors de son allocution télévisée du 12 juillet 2021, de la prochaine mise en place obligatoire d'un « passe sanitaire » pour l'accès à certains lieux publics alors que, à la date à laquelle se prononce le juge des référés, cette annonce ne s'est encore traduite par aucun acte réglementaire, ni aucune disposition législative rendant possible une telle mesure, seuls à même de produire des effets juridiques. La condition d’urgence faisant défaut, la demande est rejetée.

(ord. réf. 15 juillet 2021, M. B., n° 454501)

(183) V. aussi : ord. réf. 19 juillet 2021, Fédération nationale des cinémas français et autres, n° 434530

(184) V. également : ord. réf. 19 juillet 2021, Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) et autres, n° 454643

(185) V. encore : ord. réf., 19 juillet 2021, Association France Festivals et autres, n° 454730 ou ord. réf., 27 juillet 2021, M. B., n° 454833 ou ord. réf., 27 juillet 2021, M. B., n° 454852.

(186) V., rejetant le recours d’une femme enceinte se disant discriminée et contrainte à abandonner toute vie sociale : 19 juillet 2021, Mme A., n° 454731

(187) V., rejetant, en l'absence d'atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante combinée à l'évolution de la situation, un recours en référé suspension dirigé contre le décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire : ord. réf. 27 juillet 2021, Mme A., n° 454793 ; égalmt : ord. réf., 29 juillet 2021, Association Victimes Coronavirus Covid-19 France et M. B., n° 454871 ; ord. réf., 29 juillet 2021, Mme D. et autres, n° 454892.

Solution identique s'agissant d'un référé dirigé contre le décret du 19 juillet 2021 en tant qu'il a étendu le passe sanitaire à de nombreux lieux : ord. réf., 28 juillet 2021, Mme A., n° 454873 et 30 juillet 2021, n° 455064 ou ord. réf., 28 juillet 2021, Mme D. et autres, n° 454885 ou ord. réf., 28 juillet 2021, M. C. et Mme D., n° 454886 ou en tant qu'il porterait atteinte à plusieurs libertés fondamentales : 30 juillet 2021, Association DataRating, n° 454907.

(188) Il n'y a pas davantage d'urgence au sens de l'art. L. 521-1 CJA ainsi qu'au sens de l'art. L. 521-2 CJA  à suspendre l'exécution, principalement de l'art. 23 du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, modifié, l'obligation dans laquelle se trouverait un ressortissant français résidant en Grande-Bretagne, de présenter un justificatif de son statut vaccinal ou du résultat d'un test de dépistage alors que l'organisation de son prochain voyage en France le contraint à prendre des dispositions pour un test de dépistage, et que plusieurs ressortissants français se trouvent empêchés d'entrer en France à cause des dispositions critiquées. Le requérant ne démontre pas en quoi ces mesures porteraient une atteinte grave et immédiate à sa situation ni l'urgence à les suspendre : ord. réf., 29 juillet 2021, M. B., n° 454936 ou, très voisin : 21 juillet 2021, Mme A. B., n° 454384 et 30 juillet 2021, n° 455060.

 

189 - Police sanitaire - Publication sur un site gouvernemental - Interdiction, pour motif sanitaire, de la pratique du vélo - Violation d'un décret - Annulation.

La décision de publier sur un site gouvernemental l'indication selon laquelle il était interdit aux adultes, même seuls, de pratiquer le vélo pour les loisirs, est annulée en tant qu'elle s'appliquait aux déplacements pourtant autorisés par l'article 3 du décret du 23 mars 2020.

(29 juillet 2021, M. A., n° 440159)

 

190 - Police des risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public - Autorisation dans ces établissements d’équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables - Application des normes contestées aux équipements disposant du « marquage CE » - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

Un arrêté ministériel (intérieur) du 10 mai 2019, modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public, a autorisé, sous certaines conditions de sécurité, l'emploi dans ces établissements d'équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables.

Le syndicat requérant demande l'annulation des dispositions du nouveau paragraphe 3 inséré par l’arrêté du 10 mai 2019 à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980, à l'exception des dispositions figurant au a) et au c) de ce paragraphe.

Si le juge rejette le recours en tant que l’acte attaqué introduit des normes de sécurité, en revanche, il renvoie à la CJUE les questions préjudicielles découlant de ce que l’application de ces normes aux équipements utilisant des frigorigènes inflammables disposant du « marquage CE » est limitée aux seuls équipements « hermétiquement scellés ».

En effet, le syndicat requérant juge cette restriction contraire au droit de l’Union car elle instaure des exigences supplémentaires aux machines, équipements électriques ou équipements sous pression disposant déjà du « marquage CE » et donc nécessairement conformes aux exigences des trois directives communautaires en cause.

(16 juillet 2021, Syndicat Uniclima, n° 435581)

 

191 - Police du stationnement - Forfait post-stationnement - Paiement immédiat de la redevance - Justificatif de paiement incomplet ou comportant des renseignements erronés - Valeur probatoire en l’absence fraude -Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la commission du contentieux du stationnement payant qui, pour décharger une automobiliste de l'obligation de payer le forfait de post-stationnement mis à sa charge par la commune de Strasbourg, juge que, bien qu'elle n'ait pas saisi correctement le numéro de la plaque d'immatriculation de son véhicule dans le dispositif permettant l'émission de son justificatif de stationnement, elle apportait néanmoins la preuve qu'elle s'était acquittée de la redevance due pour le stationnement de son véhicule, cela d’autant plus que la commune n'avait ni établi ni même allégué que cette erreur aurait résulté d'une fraude.

(16 juillet 2021, Commune de Strasbourg, n° 435621)

 

192 - Police de la salubrité et de l’insalubrité - Insalubrité irrémédiable - Condition et effets - Évaluation du coût de reconstruction de l’immeuble en état d’insalubrité irrémédiable - Refus de transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande de renvoi d’une QPC, qu’il rejette, reposant sur l’atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par le quatrième alinéa de l'article L. 1331-26 du code de la santé publique, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1566 du 15 décembre 2005 relative à la lutte contre l'habitat insalubre ou dangereux. 

La disposition litigieuse est ainsi conçue : « L'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction ».

La décision est intéressante en ce que, interprétant la seconde branche de l’alternative, elle inclut dans le montant de la reconstruction le coût de démolition de l’immeuble et ce contrairement à la réponse ministérielle à une question parlementaire publiée le 5 décembre 2007 au Journal officiel.

(16 juillet 2021, Mme B., n° 450188)

 

193 - Police du maintien de l'ordre public - Police des manifestations - Schéma national du maintien de l'ordre - Traitement différencié des journalistes professionnels et des autres journalistes - Rejet.

Le requérant contestait diverses dispositions du schéma national du maintien de l'ordre, figurant en annexe d'une circulaire du ministre de l’intérieur du 16 septembre 2020, qui a pour objet de définir le cadre d'exercice du maintien de l'ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, permettant ainsi de fixer une doctrine commune pour l'ensemble des forces de l'ordre. 

Déjà saisi par plusieurs organisations dont des syndicats de journalistes, le Conseil d’État (voir cette Chronique, juin 2021, n° 122), avait annulé plusieurs des points de ce schéma et rejeté divers autres chefs de demande.

Dans la présente espèce, saisi d'un recours en annulation des points 2.2.2. et 2.2.4., le Conseil réitère sa jurisprudence précédente. Le point 2.2.2. n'est pas illégal en tant qu'il instaure un traitement différent par les forces de l'ordre des journalistes professionnels qui, de ce fait, sont titulaires d'une « carte de presse » et les autres journalistes qui n'en sont pas titulaires alors même que l'exercice de la profession de journaliste n'est pas subordonnée à la détention de cette carte. Les dispositions contenues au point 2.2.4. du schéma litigieux ayant déjà été annulées dans le décision précitée du 10 juin 2021 (req. n° 444849, 445063, 445355 et 445365), la demande de M. B. est, sur ce second point, devenue sans objet.

(29 juillet 2021, M. B., n° 445174)

 

194 - Police des accidents et fléaux calamiteux – Risque prévisible d'effondrement et d'affaissement de terrain dû à une cavité souterraine - Fermeture définitive d’une exploitation de camping – Prise d’une mesure suffisante de police – Absence régulière de mise en œuvre d’une procédure d’expropriation ou d’acquisition amiable – Possibilité d’engager la responsabilité sans faute à prouver de la personne publique – Rejet.

La société propriétaire d’un terrain qu’elle exploite à fins de camping a été informée de l’existence d’un risque naturel majeur résultant de la présence d’une cavité souterraine et d’une forte probabilité d’effondrement avec de graves risques pour les vies humaines.

Le code de l’environnement prévoit en ce cas la possibilité d’ouvrir une procédure d’expropriation ou une procédure d’acquisition amiable du terrain. C’est cette seconde solution qui lui a été proposée par la sous-préfète de l’arrondissement et que la société a acceptée.

Toutefois, par la suite, sa demande d’acquisition amiable ou d’expropriation ayant été rejetée implicitement du fait du silence gardée sur elle, la société a saisi, en vain, les juges administratifs de première instance et d’appel.

Sur pourvoi, le Conseil d’État approuve la solution retenue. En effet, les solutions prévues par le code de l’environnement ne sont que facultatives en particulier lorsqu’une mesure de police (ici la fermeture du camping) est suffisante pour permettre de protéger la population ou d’éviter son exposition au risque.

Il ne reste, selon le juge, qu’une possibilité à la société, qui demeure propriétaire du terrain litigieux, c’est d’actionner la commune en responsabilité sans faute à condition de satisfaire à la double condition de réparabilité en ce cas : l’existence d’un aléa excédant celui auquel il était raisonnable de s’attendre lors de la mise en exploitation d’un camping dûment autorisé par le pouvoir de police et l’existence d’un préjudice grave et spécial.

Doit cependant se discuter le point de savoir si la commune n’a pas engagé sa responsabilité pour faute en délivrant une autorisation d’exploitation sur un tel terrain sans s’assurer que cela était possible ; si l’on répond qu’elle ne pouvait pas savoir, il en va de même pour l’exploitant.

La solution nous semble très dure : pourquoi pas le recours automatique à l’acquisition amiable ou à l’expropriation d’autant que l’engagement sub-préfectoral d’une acquisition amiable a sans doute pesé lourd dans la décision d’acceptation par la société de la mesure de fermeture de son activité ?

(4 août 2021, Société Le Cro Magnon, n° 431287)

 

195 - Police de la circulation – Infraction routière justifiant un retrait de points du permis de conduire – Titulaire jugé pénalement coupable de l’infraction mais dispensé de peine – Interprétation stricte de la loi pénale – Dispense ne pouvant pas constituer une condamnation – Retrait illégal de points – Annulation de l’ordonnance du premier juge.

Rappel de ce que la déclaration, par le juge pénal, que le titulaire d'un permis de conduire est coupable d'une infraction justifiant un retrait de points de son permis mais le dispense de peine ne saurait être assimilée à une condamnation au sens de l'article L. 223-1 du code de la route et ne peut par suite établir par elle-même la réalité d'une infraction de nature à fonder un retrait de points.

(6 août 2021, M. B., n° 445514)

 

Professions réglementées

 

196 - Juridiction ordinale - Principe d'impartialité - Composition irrégulière de la formation de jugement - Office du juge d'appel - Obligation d'examen d'office - Compétence du juge de cassation pour censurer l'éventuelle erreur de droit du juge d'appel s’étant abstenu de cet examen - Annulation.

(1er juillet 2021, M. C., n°432358)

V. n° 31

 

197 - Chirurgiens-dentistes, masseurs-kinésithérapeutes et infirmiers - Décret du 2 novembre 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé et arrêtés subséquents - Autorisation d'accès partiel  en cas de reconnaissance automatique de qualifications professionnelles - Réponse de la CJUE sur renvoi préjudiciel - Compatibilité avec le droit de l'Union - Rejet de diverses demandes d'annulation pour inconventionnalité ainsi que du surplus des requêtes.

Les recours tendaient à l'annulation d'un décret n° 2017-1520 du 2 novembre 2017 relatif à la reconnaissance des qualifications professionnelles dans le domaine de la santé ainsi que de plusieurs arrêtés de la ministre des solidarités et de la santé pris en exécution de ce décret en tant qu'ils décidaient et organisaient la possibilité d'un accès partiel à l'une des professions auxquelles s'applique le mécanisme de la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles prévu par les dispositions du chapitre III du titre III de la directive du 7 septembre 2005.

Le Conseil d’État avait posé une question préjudicielle à la CJUE à laquelle celle-ci a répondu dans son arrêt du 25 février 2021 (Les chirurgiens-dentistes de France e. a., aff. C-940/19) ; il tire ici les conséquences de ce dernier.

La Cour ayant dit pour droit que le 6 de l'article 4 septies de la directive du 7 septembre 2005, telle que modifiée par la directive du 20 novembre 2013, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une législation admettant la possibilité d'un accès partiel à l'une des professions relevant du mécanisme de la reconnaissance automatique des qualifications professionnelles prévu par les dispositions du chapitre III du titre III de cette directive, le Conseil d’État rejette les demandes d'annulation dirigées contre le décret attaqué ainsi que contre les arrêtés subséquents.

Les autres griefs sont également rejetés.

(2 juillet 2021, Confédération nationale des syndicats dentaires, devenue Les Chirurgiens-Dentistes de France, n° 419964 ; Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, n°s 417078, 417937, 418010, 418013 ; Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, n° 417963 ; Conseil national de l'ordre des infirmiers, n° 419746, jonction)

 

198 - Avocats aux conseils - Arrêté ministériel créant quatre nouveaux offices - Création justifiée - Rejet.

L’association requérant demandait l’annulation de l'arrêté du 22 mars 2019 du garde des sceaux, ministre de la justice, pris après avis de l'Autorité de la concurrence, portant création de quatre offices d'avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle invoquait notamment l’accès récent de plusieurs avocats par intégration ou reprise d’offices existants, l’absence de justification de cette création en l’état d’une stagnation et puis d’une baisse de l’activité de la Cour de cassation ainsi que les disparités de chiffre d’affaires selon les offices.

La requête est rejetée aux motifs que ces créations améliorent le service rendu aux justiciables, que la baisse d’activité de la Cour de cassation est compensée par la hausse de celle du Conseil d’État et, enfin, que les chiffres d’affaires de ces offices permettent une rémunération moyenne nette qui demeure élevée.

(21 juillet 2021, Association des jeunes avocats aux conseils, n° 434750)

 

199 - Médecin - Juridiction disciplinaire - Procédure - Absence de production d’un nombre suffisant de copies de la requête - Régime juridique - Annulation.

Réitération d’une solution jurisprudentielle déjà plusieurs fois adoptée en matière de contentieux ordinal.

Si le président de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins peut, par ordonnance, rejeter une requête pour défaut de production du nombre de copies requises par l'article R. 4126-11 du code de la santé publique, sans avoir à en demander la régularisation préalable, lorsque l'obligation de cette formalité a été mentionnée dans la notification de la décision attaquée, en revanche, lorsque la notification de la décision attaquée se borne à rappeler les dispositions de l'article R. 4126-11 du code de la santé publique, lesquelles ne permettent pas d'identifier aisément le nombre de copies requises, et n'indiquent pas le nombre de copies devant être produites en l'espèce, le rejet ne peut intervenir qu’après une mise en demeure, restée infructueuse, de régulariser précisant ce nombre.

Faute de cette demande préalable de régularisation en l’espèce, l’ordonnance de rejet est entachée d’irrégularité.

(22 juillet 2021, M. E., n° 448066)

(200) V. aussi, voisin : 30 juillet 2021, M. C., n°452281.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

201 - Produits phytopharmaceutiques – Utilisation relevant de la seule police spéciale étatique – Incompétence du maire pour intervenir même en cas de carence de l’État – Absence d’atteinte au droit à la santé – Absence de méconnaissance des art. 1er, 2, 3 et 5 de la Charte de l’environnement – Refus de renvoyer la QPC.

La requérante demandait le renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC dirigée contre la jurisprudence du Conseil d’État selon laquelle constitue une police spéciale de l’État, exclusive de toute police municipale, la police de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques alors même qu’une décision juridictionnelle aurait constaté la carence de l’autorité compétente de l’État dans l’exercice de ses pouvoirs de police spéciale, motif pris de ce qu’ « il incombe à cette autorité de prendre les mesures qu'implique l'exécution de cette décision, dans le délai qu'elle impartit ».

Nous voilà bien avancés…

Gageons que cette jurisprudence très discutable aura beaucoup de mal à convaincre le juge pénal national comme les juges de Bruxelles et de Strasbourg.

(1er juillet 2021, Commune d’Epinay-sur-Seine, n° 451362)

 

202 - Honoraires de postulation d'avocats - Libre fixation de principe (loi du 6 août 2015) - Maintien d'une tarification en Alsace-Moselle - Différence justifiant le renvoi d'une QPC.

Donne lieu au renvoi d'une QPC parce qu'elle est nouvelle et présente un caractère sérieux la question de savoir si la différence résultant de ce que les honoraires de postulation des avocats sont libres sauf dans les trois départements alsaço-mosellans ne porte pas atteinte au principe d'égalité.

(5 juillet 2021, M. C., n° 451174)

 

203 - Covid-19 - Mesures d'urgence en matière d'activité partielle (ordonnance du 27 mars 2020, art. 2, modifiée) - Possibilité offerte à certains employeur publics - Exclusion de ceux d'entre eux dont les ressources sont majoritairement constituées de subventions - Différence de traitement en rapport avec l'objet du dispositif d'urgence - Rejet.

Il n'y a pas à lieu de renvoyer la QPC tirée par le requérant de la différence de traitement instaurée, du fait de l'épidémie de Covid-19,  en matière de placement des salariés en activité partielle selon qu'ils sont salariés d'EPIC de l'État ou des collectivités territoriales, de groupements d'intérêt public, des sociétés d'économie mixte à capital public majoritaire et de sociétés publiques locales exerçant à titre principal une activité industrielle et commerciale dont le produit constitue la part majoritaire de leurs ressources ou qu'ils sont salariés d'une entité, tel un établissement public de coopération culturelle à caractère industriel et commercial dont les ressources sont majoritairement constituées de subventions. 

Le Conseil d’État juge, en effet, que cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet du dispositif d'urgence instauré par l'ordonnance, pour un temps limité et sous condition, pour les établissements qui n'ont pas adhéré volontairement au régime d'assurance chômage, de remboursement à celui-ci des sommes mises à sa charge, objet qui vise à prévenir et limiter le risque de cessations d'activité et de ruptures de contrats de travail, moins important pour des établissements qui ne sont pas financés majoritairement par le produit de leur activité industrielle et commerciale que pour les autres.

Le grief d'inconstitutionnalité fondé sur la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi ne présente donc pas en l'espèce le caractère sérieux qui aurait justifié le renvoi d'une QPC.

(7 juillet 2020, Établissement public de coopération culturelle Opéra de Rouen Normandie, n° 451752)

 

204 - Entreprise de transport aérien ou maritime - Obligation de réacheminement des étrangers non ressortissants de l’UE auxquels est refusée l’entrée sur le territoire français - Amende sanctionnant le non-respect de cette obligation - QPC portant sur la conformité à la Constitution de l'article L. 213-4 (devenu L. 333-3) et du 1° de l'article L. 625-7 (devenu L. 821-10) du CESEDA - Question jugée de caractère sérieux - Renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

En application des dispositions de l’art. L. 333-3 (ex- L. 213-4) du CESEDA, toute entreprise de transport aérien ou maritime a l’obligation de ramener sans délai, à la requête des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière, au point où il a commencé à utiliser le moyen de transport de cette entreprise, ou, en cas d'impossibilité, dans l'État qui a délivré le document de voyage avec lequel il a voyagé ou en tout autre lieu où il peut être admis, l’étranger dont l’entrée en France a été refusée.

Le non-respect par l’entreprise de transport de l’obligation qui lui incombe de ce fait est puni d’une amende pouvant atteindre 30 000 euros.

La société requérante ayant fait l’objet d’une amende sur le fondement de ces dispositions (art. L. 625-7, 1°, devenu L. 821-10 CESEDA), en fait plaider l’inconstitutionnalité, par la voie d’une QPC, pour atteinte aux droits garantis par l’art. 12 de la Déclaration de 1789 ainsi qu’au principe d'égalité devant les charges publiques. Le Conseil d’État apercevant dans cette exception une question présentant un caractère sérieux, la renvoie au Conseil constitutionnel.

(9 juillet 2021, Société Air France, n° 450480)

 

205 - Cession à titre onéreux de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres et autres - Régime d’imposition des gains nets retirés d’une telle cession -  3 de l'article 150-0 A et 3° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du CGI - Application aux plus-values de cessions de titres à l'intérieur du groupe familial réalisées, respectivement, avant et après le 1er janvier 2014 - Méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques - Atteinte à une situation légalement acquise par le contribuable - Atteinte à l’égalité devant les charges publiques - Refus de renvoyer une QPC.

Les requérants soulevaient une QPC à l’encontre des dispositions du 3 de l’art. 150-0 A et du 3° du B du 1 quater de l'article 150-0 D du CGI, applicables aux plus-values de cessions de titres à l'intérieur du groupe familial réalisées, respectivement, avant et après le 1er janvier 2014.

Ils invoquaient trois motifs au soutien de leur QPC.

Tout d’abord les dispositions contestées méconnaitraient le principe d'égalité devant les charges publiques protégé par l'article 13 de la Déclaration de 1789, dès lors qu'elles ne prévoient aucun abattement d'assiette afin de tenir compte de la durée de détention des titres, ni aucun mécanisme de prise en compte de l'érosion monétaire, en cas de remise en cause de l'avantage fiscal du fait du non-respect par le cessionnaire de la condition de conservation des titres pendant cinq ans et de la taxation de la plus-value selon les règles de droit commun au titre de l'année de leur revente.

Ensuite, les dispositions litigieuses, en prévoyant que, dans le cas où l'avantage fiscal initialement octroyé est remis en cause, l'impôt est établi suivant les règles de liquidation en vigueur à la date de la revente à un tiers, qui ne sont pas nécessairement identiques aux règles en vigueur à la date de la réalisation de la plus-value, porteraient atteinte à une situation légalement acquise par le contribuable. 

Enfin, ces dispositions méconnaitraient l'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles subordonnent le maintien du régime de faveur octroyé au cédant à une condition dont le respect dépend du comportement du seul cessionnaire. 

Aucun de ces moyens, dont plusieurs ne sont pas négligeables, ne convainc pourtant le juge qui refuse le renvoi de la QPC.

(15 juillet 2021, M. et Mme B., n° 453371)

 

206 - Impôt sur le revenu - Exonération de cet impôt pour certaines plus-values - Plus-values réalisées lors de la première cession d’un logement autre que la résidence principale - Condition de remploi pour l’acquisition d’une résidence principale - Commentaire administratif entaché d’illégalité - Absence - QPC - Rejet.

(15 juillet 2021, M. B., n° 453490)

V. n° 70

 

207 - Zones rurales - Offre de soins déficitaire - Mission de service public de permanence des soins ambulatoires (art. L. 6314-1 c. santé pub.) - Mission de service public de permanence des soins des établissements de santé (art. L. 6112-1 c. santé pub.) - Exonération fiscale des rémunérations versées aux médecins libéraux au titre de la première mission, non de la seconde - Interprétation stricte de la loi fiscale - Absence d’atteinte à l’égalité devant la loi fiscale et à l’égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

 (13 juillet 2021, Mme E., n° 449689 et n° 449690 ; M. A., n° 449693 ; M. C., n° 449696) V. n° 226

 

208 - Élections municipales et communautaires – Pouvoirs conférés au responsable de liste entre les deux tours de scrutin (art. L. 264 et L. 265 c. élect.) - Atteinte au pluralisme des courants d'idées et d'opinions et de participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation - QPC - Rejet.

(13 juillet 2021, M. E. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune d’Ivry-sur-Seine, n° 450358)

V. n° 112

 

209 - Égalité des chances - Accès à certaines écoles et à certains organismes de formation des fonctionnaires - Organisation d’un concours externe spécial - Sélection sur critères sociaux - QPC dirigée contre l’ordonnance du 3 mars 2021 en ce sens - Rejet.

(13 juillet 2021, Association pour l'égal accès aux emplois publics et la défense de la méritocratie républicaine, n° 452060)

V. n° 163

 

210 - Garanties accordées aux fonctionnaires chargés d’une activité syndicale - Activité syndicale devant représenter au moins 70% d’un service à temps plein - Mise à disposition ou décharge d’activité - Décompte de la quotité minimale - Différence de traitement - QPC - Différence en rapport avec son objet - Rejet.

La loi du 13 juillet 1983 institue des garanties applicables aux agents publics qui, pour l'exercice d'une activité syndicale, sont mis à disposition d'une organisation syndicale ou bénéficient d'une décharge d'activité de services et qui consacrent à l'activité syndicale une quotité de leur temps de travail au moins égale à 70 % d'un service à temps plein.

Pour la détermination de cette quotité minimale ne sont pas pris en compte les autres moyens de compensation existants tels, notamment, les crédits d'heures et les autorisations spéciales d'absence.

Le syndicat requérant, estimant cette différence de traitement inconstitutionnelle, sollicite du Conseil d’État le renvoi d’une QPC.

Cela lui est refusé au double motif, d’une part, que cette quotité de 70% peut être atteinte soit par l’une des deux modalités prévues par la loi soit par combinaison des deux, et d’autre part, que les garanties prévues par la loi concernent des agents « justifiant d'un engagement syndical inscrit dans la durée », ce qui n’est pas le cas de ceux bénéficiant d’un crédit d’heures ou d’une autorisation spéciale d’absence.

La différence de traitement trouve ainsi sa justification dans l’objet même poursuivi par les garanties légales. Elle ne porte donc pas atteinte au principe constitutionnel d’égalité ni n’institue une discrimination inconstitutionnelle.

La QPC n’est pas renvoyée.

(13 juillet 2021, Syndicat national Solidaires finances publiques, n° 452072)

 

211 - Police de la salubrité et de l’insalubrité - Insalubrité irrémédiable - Condition et effets - Évaluation du coût de reconstruction de l’immeuble en état d’insalubrité irrémédiable - Refus de transmission d’une QPC.

(16 juillet 2021, Mme B., n° 450188)

V. n° 112

 

212 - I de l’art. 1737 CGI - Sanctions du travestissement ou de la dissimulation de l’identité ou de l’adresse de fournisseurs ou de clients - Acceptation consciente d’une identité fictive ou d’un prête-nom - Renvoi d’une QPC.

La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I de l’art. 1737 CGI est renvoyée au Conseil constitutionnel. Le Conseil d’État estime qu’elles présentent un caractère nouveau et sérieux du fait que, destinées à sanctionner le fait de travestir ou dissimuler l'identité ou l'adresse de ses fournisseurs ou de ses clients, les éléments d'identification mentionnés aux articles 289 et 289 B du CGI et aux textes pris pour l'application de ces articles ou de sciemment accepter l'utilisation d'une identité fictive ou d'un prête-nom, elles méconnaîtraient les principes de nécessité des délits et des peines, de proportionnalité des peines et de non cumul des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789, qu’elles porteraient atteinte au droit de propriété garanti par son article 2 et méconnaîtraient également le principe de la présomption d'innocence consacré par son article 9.

(19 juillet 2021, Société Décor Habitat 77, n° 453359)

 

213 - Code monétaire et financier - Incompétence négative du législateur en raison de l’imprécision de certains termes ou expressions utilisés par les art. L. 511-31 et L. 512-56 du code monétaire - Demande de renvoi d’une QPC - Rejet.

Le conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit mutuel (CNCM) a adopté une décision de caractère général relative au renforcement de la cohésion du Groupe Crédit mutuel, fondée sur diverses dispositions législatives du code monétaire et financier.

La société requérante conteste au moyen d’une QPC la constitutionnalité des deux premières phrases du deuxième alinéa de l'article L. 511-31 et celle du dernier alinéa de l'article L. 512-56 du code monétaire et financier car elles seraient entachées d'une incompétence négative affectant la liberté d'entreprendre, le droit de propriété et la liberté contractuelle des affiliés du réseau Crédit mutuel. En effet, par l'imprécision des termes « cohésion », « bon fonctionnement » et « toutes mesures nécessaires » employés à ces articles, le législateur aurait laissé aux organes centraux en général et à la CNCM en particulier, une latitude excessive dans l'appréciation des mesures à adopter et des motifs susceptibles de les justifier, dans des conditions portant atteinte aux droits et libertés invoqués. 

Pour refuser de renvoyer cette QPC, le Conseil d’État rappelle que, par diverses dispositions du code précité (en particulier L. 511-20, L. 511-30, L. 511-31 et L. 511-32), le législateur a cherché à garantir la stabilité du système financier et la protection des déposants, sociétaires et investisseurs. A cette fin, il a notamment permis la surveillance prudentielle des établissements de crédit appartenant à des groupes bancaires mutualistes et coopératifs sur une base consolidée, et a confié ainsi aux organes centraux, dont la CNCM, les pouvoirs nécessaires pour garantir à tout instant la liquidité et la solvabilité de leur groupe. C’est donc sans incompétence négative qu’il a doté la CNCM des pouvoirs d'organisation et de gestion sur les caisses qu'elle représente et sur les fédérations régionales auxquelles elles sont tenues d'adhérer.

Ceci est certain et guère discutable mais ne répond pas vraiment à la requérante sur le point de savoir si les trois termes ou expressions critiquées sont, ou non, entachés d’une certaine indétermination.

(20 juillet 2021, Société Crédit mutuel Arkéa, n° 451308)

 

214 - QPC soulevée devant la Cour de cassation - Absence d’examen ou de renvoi de cette question à l’expiration du délai organique de trois mois - Saisine du Conseil d’État afin de transmettre ou de faire transmettre cette question au Conseil constitutionnel - Incompétence manifeste de la juridiction administrative - Rejet.

Le Conseil d’État déclare que la juridiction administrative est incompétente pour transmettre au Conseil constitutionnel une QPC soumise à la Cour de cassation et que celle-ci tarderait à lui transmettre.

Visiblement, il y a des évidences qui ne le sont pas pour tout le monde…

(21 juillet 2021, M. B., n° 454694)

 

215 - Collectivités territoriales - Indemnités de fonction des conseillers municipaux - Majoration ne bénéficiant qu’aux élus des communes de métropole - Principe d’égalité - Question présentant un caractère sérieux - Transmission de la QPC.

Renvoi au Constitutionnel de la QPC tirée de ce que le 5° de l'article L. 2123-22 du CGCT porterait atteinte au  principe d’égalité (cf. art. 1 et 6 de la Déclaration de 1789 et 1 de la Constitution) en tant qu'il institue une majoration d'indemnités qui ne bénéficie qu'aux élus des communes de métropole, seules éligibles à la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, à l'exclusion des élus des communes d'outre-mer, lesquelles sont éligibles à la dotation d'aménagement des communes d'outre-mer.

(26 juillet 2021, Commune du Port, n° 452813)

 

216 - Demande de retrait de parcelles du territoire d’une association communale de chasse agréée (ACCA) – Opposition, totale ou partielle, du président d’une fédération départementale des chasseurs – Article L. 422-18 c. env. imposant une condition d’ancienneté d’existence – Renvoi de la QPC.

Il est jugé que présente un caractère sérieux la question de l‘atteinte portée par le dernier alinéa de l’art. L. 422-18 du code de l’environnement, notamment au principe constitutionnel d’égalité et au droit constitutionnel de propriété, en tant qu’il prévoit que seules peuvent se retirer d'une ACCA déjà existante, à condition de remplir les conditions posées à l'article L. 422-10, « les associations de propriétaires ayant une existence reconnue lors de la création de l'association ».

(4 août 2021, Association de chasse des propriétaires libres, n° 452327)

 

Santé publique

 

217 - Médicament - Identification comme générique d'une spécialité de référence - Identification par l'autorisation de mise sur le marché (AMM) en qualité de générique - Inscription sur le répertoire des génériques - Compétence liée du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé - Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient l'annulation de l'article 1er du décret n° 2019-1192 du 19 novembre 2019 relatif au répertoire des génériques, au registre des groupes hybrides et à la suppression du fonds de lutte contre le tabac.

Leur demande est rejetée.

Tout d'abord, de ce que l'identification d'un médicament comme générique d'une spécialité de référence en vue de son inscription au répertoire des groupes génériques se fait à la suite de la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché de ce médicament, il résulte que l'inscription d'un tel médicament sur le répertoire des génériques se borne en réalité à tirer les conséquences de son AMM comme générique. Il suit de là que, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ne dispose d'aucune latitude pour apprécier si une spécialité, dès lors qu'elle a fait l'objet d'une AMM en qualité de générique, peut être identifiée comme générique en vue de son inscription au répertoire des génériques. Il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué priverait le directeur général précité d'une marge d'appréciation dont il n'a, en réalité, jamais disposé.

Ensuite, si les requérantes soutiennent que la substitution d'une spécialité générique à une spécialité de référence peut, en dépit de leurs similitudes, présenter des risques pour le patient, ceux-ci peuvent être précisés dans la décision d'identification du médicament générique sans faire obstacle à ce que le générique soit identifié comme tel.

Enfin, il ne saurait être soutenu que le décret attaqué, en créant un lien entre la délivrance de l'autorisation de mise sur le marché en qualité de générique, qui relève du droit de l'Union européenne, et l'inscription d'une spécialité au répertoire des génériques, qui n'en relève pas, aurait pour effet de faire illégalement relever cette inscription du droit de l'Union européenne ou de priver les autorités nationales d'un pouvoir de police administrative au profit de l'autorité délivrant l'autorisation de mise sur le marché. En effet, le texte litigieux ne dispense nullement l'Agence précitée de ses obligations de pharmaco-vigilance

(7 juillet 2021, Société Janssen Cilag France et la société Johnson et Johnson, n° 437803)

(218) V. aussi, admettant le recours et ajoutant cette précision que les spécialités autorisées en tant que spécialités hybrides au terme de la procédure prévue au 2° de l'article R. 5121-28 du code de la santé publique ne peuvent pas être identifiées comme spécialités génériques de leur spécialité de référence : 7 juillet 2021, Société Laboratoire Glaxosmithkline, n° 440747

(219) V. également, à propos de l'annulation du refus d'inscription d'une spécialité pharmaceutique sur la liste des spécialités remboursables par les caisses de sécurité sociale en raison des défaillances affectant la méthode de comparaison avec des médicaments à même visée thérapeutique : 7 juillet 2021, Sociétés Centre spécialités pharmaceutiques et Proveca Pharma Limited, n° 440246.

 

220 - Études de santé  - Suppression du numerus clausus (loi du 24 juillet 2019) - Fixation du nombre d'étudiants en première année commune aux études de santé (PACES) pouvant poursuivre en deuxième année de ces formations - Arrêté interministériel du 25 janvier 2021 fixant le nombre d'étudiants de PACES autorisés à poursuivre leurs études en médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique à la rentrée universitaire 2021-2022 - Suspension sur référé - Nouvel arrêté du 5 mai 2021 répartissant les places en deuxième année- Erreur manifeste d’appréciation - Effets de l’annulation différés au  30 septembre 2021 - Injonctions diverses.

Cette importante décision est relative aux conditions d’application des dispositions de la loi du 24 juillet 2019 relative à l'organisation et à la transformation du système de santé et de celles du décret du 4 novembre 2019 relatif à l'accès aux formations de médecine, de pharmacie, d'odontologie et de maïeutique.

Des arrêtés interministériels sont intervenus pour fixer le nombre d’étudiants de première année admis à passer en deuxième année, étant rappelé que l’étude d’impact accompagnant la loi de 2019 faisait état de ce que la mise en oeuvre de l'article 1er de cette loi devrait se traduire, durant l'année de transition (2021-2022), par une augmentation temporaire, de l'ordre de 20%, du nombre de places offertes en deuxième année des études de santé.

Cette proportion n’a pas été respectée par la plupart des universités et la répartition des postes offerts aux différentes cohortes de candidats, selon qu’ils sont issus du parcours accès santé spécifique (PASS), inscrits en licence accès santé (LAS) ou titulaires d'un titre ou d'un diplôme d'État d'auxiliaire médical, n’a pas, non plus, été respectée et cela dans des proportions élevées.

Le recours était fondé sur l’erreur manifeste d’appréciation sur laquelle reposerait l’arrêté ministériel attaqué du 5 mai 2021.

Le Conseil d’État, ce que laissait deviner la décision de son juge des référés suspendant l’exécution dudit arrêté, l’annule pour erreur manifeste d’appréciation mais diffère les effets de cette annulation au 30 septembre 2021 en raison des effets dévastateurs d’une application rétroactive immédiate de sa décision d’annulation.

Toutefois, le juge impartit aux universités concernées - sans vraiment employer le mot injonction qu’est pourtant, sur ce point, sa décision - :

- d'une part, de prendre à bref délai de nouvelles délibérations accroissant, au moins pour atteindre ce taux d'augmentation de 20%, les capacités d'accueil en deuxième année du premier cycle des études de santé - accroissement, au bénéfice des seuls étudiants issus de LAS et de PASS, qu'il leur est loisible de répartir entre les filières de médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique –

- d'autre part, que les places nouvellement créées soient attribuées par elle, par ordre de mérite, aux étudiants de LAS et de PASS figurant sur les listes complémentaires établies conformément aux dispositions de l'article R. 631-1-2 du code de l'éducation et, en tant que de besoin, que les jurys d'admission en deuxième année délibèrent à nouveau afin de compléter les listes principales d'admission et, le cas échéant, les listes complémentaires. 

Implacable de logique et exemplaire est cette décision qui opère une balance judicieuse entre la sécurité juridique et le respect du droit.

(8 juillet 2021, Association PASS LAS 21 et autres, n° 452731)

(221) V. aussi, identiques, concernant le recours dirigé contre la délibération du 30 mars 2021 du conseil d'administration de l'université Claude Bernard Lyon-I : 12 juillet 2021, Association PASS LAS LYON 21, n° 453064 et celui dirigé contre la délibération du 15 mars 2021 du conseil d'administration de l'université de Bordeaux : 12 juillet 2021, Association PASS LAS 21 Bordeaux, n° 453249.

 

222 - Zones rurales - Offre de soins déficitaire - Mission de service public de permanence des soins ambulatoires (art. L. 6314-1 c. santé pub.) - Mission de service public de permanence des soins des établissements de santé (art. L. 6112-1 c. santé pub.) - Exonération fiscale des rémunérations versées aux médecins libéraux au titre de la première mission, non de la seconde - Interprétation stricte de la loi fiscale - Absence d’atteinte à l’égalité devant la loi fiscale et à l’égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

 (13 juillet 2021, Mme E., n° 449689 et n° 449690 ; M. A., n° 449693 ; M. C., n° 449696) V. n° 226

 

223 - Responsabilité médicale - Article L. 1142-1 c. santé pub. - Condition d'anormalité du préjudice - Portée - Faible probabilité de survenance du dommage - Condition remplie - Annulation partielle.

Rappel de ce que « La condition d'anormalité du dommage prévue par les dispositions de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique doit toujours être regardée comme remplie lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, mais que la survenance du dommage présentait une probabilité faible. »

(30 juillet 2021, Mme C., n° 438787)

 

Service public

 

224 - Service public universitaire - Études de santé  - Suppression du numerus clausus (loi du 24 juillet 2019) - Fixation du nombre d'étudiants en première année commune aux études de santé (PACES) pouvant poursuivre en deuxième année de ces formations - Arrêté interministériel du 25 janvier 2021 fixant le nombre d'étudiants de PACES autorisés à poursuivre leurs études en médecine, odontologie, pharmacie et maïeutique à la rentrée universitaire 2021-2022 - Suspension sur référé - Nouvel arrêté du 5 mai 2021 répartissant les places en deuxième année- Erreur manifeste d’appréciation - Effets de l’annulation différés au  30 septembre 2021 - Injonctions diverses.

(8 juillet 2021, Association PASS LAS 21 et autres, n° 452731)

V. n° 220

 

225 - Service public postal - Modalités d’organisation du service postal en temps de pandémie - Note du 20 avril 2020 - Demande d’annulation et d’injonction - Rejet.

La fédération syndicale requérante demandait, à la fois, l’annulation d’une note de La Poste relative aux modalités temporaires d'organisation à la distribution, livraison dans les agences ColiPostes, les plateformes de préparation et de distribution du courrier et les plateformes de distribution du courrier à compter du 11 mai 2020 dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 et l’adresse d’une injonction à La Poste tendant à ce que soient rétablies, sous astreinte et dans un certain délai, toutes les organisations du travail qui découlaient des accords collectifs applicables antérieurement à l'intervention de la décision attaquée.

Son recours est, sans surprise, rejeté.

De ce que ces mesures ont pris fin depuis lors, il résulte que la demande d’abrogation de cette note est dépourvue d’objet mais non, en revanche, la demande d’annulation puisqu’elle a reçu application.

Tout d’abord, la note attaquée, d’une part, relève non de la gestion des personnels fonctionnaires de La Poste mais seulement de l’organisation du service et, d’autre part, en ce qu’elle émane d’une société anonyme chargée d'un service public industriel et commercial, dans le cadre du pouvoir d'organisation du service n’est ni soumise au droit commun de l’édiction des décisions administratives (identification et signature de son auteur,  obligation de publication de la note) ni soumise au régime des accords collectifs conclus en application de la loi du 2 juillet 1990 relative à la Poste.

Ensuite, prise pour obvier aux risques et aux effets de la pandémie, la note litigieuse relevait du régime d’exception institué par l'article 13 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période. Elle n’avait donc à être précédée ni de la consultation prévue à l'article 28 du décret du 7 septembre 2011 relatif aux comités techniques de La Poste ni de la concertation prévue l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 relative à La Poste.

(9 juillet 2021, Fédération syndicaliste Force Ouvrière de la communication, n° 440851)

 

226 - Zones rurales - Offre de soins déficitaire - Mission de service public de permanence des soins ambulatoires (art. L. 6314-1 c. santé pub.) - Mission de service public de permanence des soins des établissements de santé (art. L. 6112-1 c. santé pub.) - Exonération fiscale des rémunérations versées aux médecins libéraux au titre de la première mission, non de la seconde - Interprétation stricte de la loi fiscale - Absence d’atteinte à l’égalité devant la loi fiscale et à l’égalité devant les charges publiques - Rejet de la QPC.

Dans le but de lutter contre le déficit de couverture médicale de certaines zones rurales, le législateur a prévu - au titre de la mission de service public de permanence des soins ambulatoires instituée à cet effet par l’art. L. 6314-1 c. santé pub. - l’exonération de l’impôt sur le revenu à raison des rémunérations perçues par les médecins libéraux et leurs remplaçants (art. 151 ter du CGI) dans les zones rurales identifiées par le schéma régional d'organisation des soins comme présentant une offre de soins de ville déficitaire.

Les requérants contestaient l’exclusion du bénéfice de cette exonération fiscale pour les rémunérations perçues, dans ces mêmes zones, au titre de la mission de service public de permanence des soins des établissements de santé prévue et organisée par l’art. L. 6112-1 c. santé pub. 

Ils se pourvoient en cassation d’arrêts ayant rejeté leur prétention à voir étendu à cette seconde mission de service public le bénéfice de l’exonération fiscale précitée et ils soulèvent une QPC fondée sur ce que cette dualité de régime fiscal pour deux missions de service public de même nature porte atteinte tant au principe d’égalité devant les charges publiques qu’à celui d’égalité devant la loi fiscale.

La demande de renvoi de la QPC est rejetée par le Conseil d’État qui, d’une part, se fonde sur les travaux préparatoires de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux dont sont issues les dispositions contestées, et d’autre part, relève que seuls les médecins participant à la mission de service public de la permanence des soins qui leur incombe en qualité de médecins libéraux peuvent faire l’objet de réquisitions par l’État.

Il en conclut qu’en n’exonérant pas de l’impôt sur le revenu les rémunérations perçues au titre de cette seconde mission de service public, le législateur, dont les dispositions sont d’interprétation stricte, s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objectif poursuivi. Ainsi, la différence de traitement qui en résulte n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

(13 juillet 2021, Mme E., n° 449689 et n° 449690 ; M. A., n° 449693 ; M. C., n° 449696)

(227) V. aussi, dans le même sens : 22 juillet 2021, M. A., n° 449683.

 

228 - Véhicules de transport passif de personnes handicapées - Soutien partiel de la tête - Interdiction de cumul de la prise en charge de ces véhicules avec celle d’un appareil de soutien partiel de la tête - Cas des poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés à ce transport passif - Silence d’un arrêté interministériel sur l’existence d’une prise en charge - Erreur manifeste d’appréciation - Annulation d’une phrase divisible du reste de l’article attaqué.

La société requérante conteste sur plusieurs point la légalité de l'arrêté interministériel du 10 mars 2020 modifiant  les modalités de prise en charge des véhicules destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Ses moyens sont rejetés sauf sur un point.

Cet arrêté interdit que la prise en charge d'un véhicule de transport passif pour personne handicapée de seize ans et plus soit cumulée avec celle d'un appareil de soutien partiel de la tête.

Cependant, il résulte de l'avis de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé, rendu le 11 février 2020, que les ministres signataires de l’arrêté litigieux ont décidé de suivre, que certaines situations imposent, y compris pour les personnes handicapées âgées de seize ans et plus, un dispositif de maintien de la tête, ce dernier conditionnant le service attendu du véhicule.

La commission en concluait que la présence d'un dispositif de maintien de la tête devait, dans ce cas, faire partie des caractéristiques propres du véhicule. Cependant, il ressort des pièces du dossier que, si ces véhicules comportent habituellement un tel dispositif, les spécifications techniques des poussettes, fauteuils roulants à pousser et châssis roulants destinés au transport passif des personnes handicapées inscrits au titre IV de la liste des produits et prestations prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale ne l'imposent pas.

La société requérante est ainsi fondée à soutenir qu'en s'abstenant de prévoir les modalités de prise en charge d'un dispositif de soutien de la tête pour les véhicules, poussettes et fauteuils à pousser destinés aux personnes handicapées âgées de seize ans et plus, les auteurs de l'arrêté attaqué ont commis une erreur manifeste d'appréciation et à demander, pour ce motif, l'annulation de la seule dernière phrase, divisible, de l'article 1er de l'arrêté qu'ils attaquent.

(22 juillet 2021, Société Innov'SA, n° 440212)

 

229 - Covid-19 - Décret du 19 juillet 2021 - Extension du champ d’application de l’obligation de présenter, en certains lieux, le résultat d’un test ou un document justificatif - Sanction par l’interdiction d’accès - Rejet.

La publication du décret du 19 juillet 2021 étendant à divers lieux, recevant ou rassemblant du public, l’obligation de présenter :

- soit le résultat d'un test ou examen de dépistage réalisé moins de 48 heures avant l'accès à l'établissement, au lieu ou à l'évènement et permettant la détection de la protéine N du SARS-CoV-2 ;

- soit un justificatif du statut vaccinal ;

- soit un certificat de rétablissement ;

n’a pas manqué de susciter une certaine ire contentieuse de divers milieux professionnels ou groupes de pensée.

Les référés sont tous rejetés aux motifs, notamment, de l’état des données scientifiques, de la virulente transmissibilité du variant Delta, du caractère proportionné des exigences en cause

(ord. réf. 26 juillet 2021, Société des auteurs et compositeurs dramatiques et autres, n° 454792 et Fédération nationale des cinémas français et autres, n° 454818 ;

ord. réf. 26 juillet 2021, M. B., Fédération nationale des entreprises des activités physiques de loisirs (ACTIVE-FNEAPL) et autres, n° 454754 ;

ord. réf. 26 juillet 2021, Le Cercle Droit et liberté et autres, n° 454832)

(230) V. aussi le rejet, pour défaut d'urgence, d'une requête en référé liberté dirigé contre ce décret : ord. réf. 27 juillet 2021, M. A., n° 454803.

(231) V. également, rejetant le recours à la fois en raison du caractère très général des allégations d’atteinte illégale à des libertés fondamentales et du fait de la modification par la loi du 25 juillet 2021 de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire : ord. réf. 2 août 2021, Association Via La Voie du Peuple, n° 454848.

(232) V. encore, rejetant un recours invoquant le traitement différencié des Français et des autres ressortissants étrangers désirant quitter la Guadeloupe pour se rentre en France métropolitaine alors que celui-ci repose sur le droit fondamental qu'a tout Français de rejoindre le territoire national : ord. réf. 2 août 2021, M. A., n° 455069.

 

233 - Covid-19 – Demande d’instauration de l’obligation du port du masque dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux – Pouvoir propre des responsables d’établissements – Absence d’atteinte grave à une liberté fondamentale – Rejet.

Le syndicat requérant demandait, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, la prise d’une décision nationale rendant obligatoire le port du masque dans les services et établissements de santé, sociaux et médico-sociaux et dans les établissements de santé des armées pour toutes les personnes présentes dans ces établissements, y compris lorsqu'elles sont détentrices du « passe sanitaire », en faisant valoir, notamment, le risque de contamination qu'elles peuvent continuer de faire courir aux tiers, accru par la prévalence du variant Delta, la nécessité d'une vigilance particulière dans ces établissements compte tenu de la fragilité des personnes qui y sont soignées, et le fait que le décret du 1er juin 2021 prévoit que la détention d'un « passe sanitaire » ne dispense pas du port du masque dans les transports publics de longue distance.

Était donc critiquée la décision du pouvoir réglementaire de laisser aux responsables de ces établissements le pouvoir de décider du port ou non du masque. Le juge des référés n’aperçoit pas dans cette mesure la création d’un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, portant une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à la vie.

La demande en référé est rejetée.

(ord. réf. 24 août 2021, Syndicat Jeunes Médecins, n° 455442)

 

Sport

 

234 - Fédération française de football (FFF) – Décision du comité exécutif de reléguer en National 2 le club classé dernier du championnat de National 1 et de faire accéder en National 1 le club classé meilleur deuxième à l'issue de la saison précédente – Saison sportive tronquée pour cause d’épidémie – Conditions d’application/adaptation du règlement à une situation non prévue – Large pouvoir des fédérations sportives délégataires – Contrôle réduit du juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Cette décision prend place dans la longue série des recours formés du chef des décisions que les fédérations sportives nationales ont été amenées à prendre quant au classement des différentes équipes concernées par un arrêt brusque de la saison sportive tronquant ainsi les résultats exploitables. Au surplus, le silence des textes statutaires au regard d’une situation inédite ont contraint les organes intéressés à des solutions expédientes et un peu bricolées. Le juge administratif estime, dans sa sagesse, que ceci justifie le très large pouvoir qui doit être reconnu à cette occasion aux responsables fédéraux sous le contrôle par le juge de l’erreur manifeste d’appréciation.

Un nombre différent de matches joués selon les équipes, l’obligation, tantôt de retenir les seuls résultats d’une année sportive, tantôt de deux années, etc. justifient la compétence du comité exécutif de la FFF pour prendre les décisions litigieuses et le pouvoir pour ce dernier de décider de conserver le chiffre de 18 équipes en compétition plutôt que de réduire ce chiffre à 17.

Les recours sont, sans grande surprise, rejetés.

(ord. réf. 2 août 2021, Association Lyon - La Duchère et société anonyme sportive professionnelle de Lyon - La Duchère, n° 454914 ; Association Le Puy Foot 43 Auvergne, n° 454952)

 

235 - Décisions de la Ligue de football professionnel et de la commission de contrôle des clubs professionnels de sa direction nationale du contrôle de gestion - Compétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort – Absence – Rejet sans transmission à la juridiction compétente.

Ne relève manifestement pas de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État le recours dirigé contre plusieurs décisions de la Ligue de football professionnel et de la commission de contrôle des clubs professionnels de sa direction nationale du contrôle de gestion. Il est donc rejeté avec rappel que le juge des référés qui entend décliner la compétence de la juridiction rejette les conclusions dont il est saisi par voie d'ordonnance sans qu'il ait à les transmettre à la juridiction compétente.

(ord. réf. 11 août 2021, M. D., n° 455352)

(236) V. aussi, identique : ord. réf. 11 août 2021, M. D., n° 455414.

 

Travaux publics et expropriation

 

237 - Déclaration d’utilité publique et urgente de travaux de contournement nord de Montpellier - Mises en conformité de PLU et de POS communaux approuvées par le préfet - Irrégularité d’un avis environnemental donné par un organisme sans autonomie réelle par rapport au préfet prescripteur - Régularisation - Conditions et effets - Sursis à statuer pour trois ou neuf mois à fin de régularisation.

La commune de Grabels s’est pourvue en cassation contre l’arrêt d’appel rejetant sa demande d’annulation d’un arrêté préfectoral, d’une part en ce qu’il déclare d’'utilité publique et urgents les acquisitions et les travaux nécessaires à la réalisation du projet de Liaison Intercantonale d'Evitement Nord (LIEN), entre l'A 750 à Bel Air et la route départementale au nord de Saint-Gely-du-Fesc et, d’autre part, en ce qu’il  approuve la mise en compatibilité avec ledit projet des plans d'occupation des sols des communes de Combaillaux, Saint-Clément de Rivière et Saint-Gély-du-Fesc et des plans locaux d'urbanisme des communes de Grabels et de Les Matelles. 

Tout d’abord, le juge de cassation - réitérant une jurisprudence déjà fermement établie et dont on comprend mal qu’elle ait tant de difficulté à imprégner les mœurs administratives (par ex. : 20 septembre 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire c/ Association « Sauvons le paradis » et autres, n° 428274, Rec. Tables ; 5 février 2020, Association « Des évêques aux cordeliers » et autres, n° 425451, Rec. Tables) - relève que de tous les moyens soulevés par la commune un seul est fondé et doit être retenu : celui tiré de ce que l’arrêté litigieux a été pris par le préfet de région en qualité de préfet du département au vu d’un avis rendu par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), service placé sous son autorité hiérarchique et ne disposant donc pas, à son égard, d'une autonomie réelle lui permettant de rendre un avis environnemental dans des conditions répondant aux exigences de l’art. 6 de la directive européenne du 13 décembre 2011 telles qu’elles résultent de la décision de la CJUE rendue à propos de l’art. 6 de la directive du 27 juin 2001 dont le contenu est identique à celui de l’article précité de la directive de 2011 (20 octobre 2011, Department of the Environment for Northern Ireland contre Seaport (NI) Ltd et autres, aff. C-474/10).

En l’espèce, le préfet de région ne pouvait pas, du fait de sa position hiérarchique envers la DREAL, prendre l’arrêté déclarant d’utilité publique le projet litigieux, en sa qualité de préfet du département où se trouve le lieu d'implantation dudit projet.

Non seulement l’arrêté attaqué est très logiquement déclaré illégal mais le juge de cassation, qui intervient ici pour la seconde fois en cette qualité dans la même affaire, décide que le moyen ainsi retenu, présenté pour la première fois devant le Conseil d’État, est opérant dès lors que ce dernier statue ici en vue du règlement au fond du litige et donc avec les pouvoirs d’un juge d’appel. 

Ensuite, et en l’état de ce que ce moyen est le seul fondant l’annulation de l’arrêté préfectoral, le juge, constatant qu’il est régularisable, non sans audace ni originalité, décide :

1° de surseoir à statuer  jusqu’à ce que la mission régionale d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable de la région sur le territoire de laquelle le projet doit être réalisé ait rendu son avis car il considère qu’il « ne ressort pas des pièces du dossier que cette formation ne constituerait pas une entité administrative de l'État séparée de l'autorité compétente pour prendre l'arrêté attaqué, disposant d'une autonomie réelle la mettant en mesure de donner un avis objectif sur le projet qui lui est soumis dans le cadre de sa mission d'autorité environnementale » ;

2° de distinguer deux durées possibles de ce sursis à statuer ; celle-ci étant de trois mois si l'avis de l'autorité environnementale donné par la mission régionale précitée ne diffère pas substantiellement de celui qui a été porté à la connaissance du public, l'information du public sur le nouvel avis de l'autorité environnementale devant prendre la forme d'une publication sur internet (cf. art. R. 122-23 c. environnement) ; cette durée du sursis serait portée à neuf mois si l'avis précité diffère substantiellement de celui qui a été porté à la connaissance du public, pour permettre l’organisation de consultations complémentaires dans le cadre desquelles seront soumis au public, outre l'avis recueilli à titre de régularisation, tous autres éléments de nature à régulariser d'éventuels vices révélés par ce nouvel avis. 

La décision, qui n’est pas sans précédents (Section, 22 décembre 2017, Commune de Sempy c/ M. Merlot, n° 395963, Rec. Lebon. p. 380 ; 27 septembre 2018, Association "Danger de tempête sur le patrimoine rural » et autres, n° 420119, Rec. Leb. p. 340) y compris en dehors du droit de l’environnement (pour un exemple : 27 mai 2019, Ministre de la cohésion des territoires et Société MSE La Tombelle, n°s 420554, 420575, Rec. Tables), frappe par son caractère de décision non de nature juridictionnelle mais de nature directement et pleinement administrative, rendant obsolète la question de savoir si le juge administratif est bien un juge qui gouverne tant la réponse est évidente et qui justifie au-delà de tout ce qui pourrait être imaginé l’aphorisme fameux du Président Henrion de Pansey (1742-1829) selon lequel « Juger l’administration c’est encore administrer ».

Nul doute que, selon les canons de la Cour EDH, une telle décision sent le soufre…

(9 juillet 2021, Commune de Grabels, n° 437634)

 

238 - Liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle Express – Procédure d’expropriation – Application de la théorie de l’opération complexe - Rejet.

Le litige opposait la commune requérante à l’État via le décret du 14 février 2019 autorisant la société Gestionnaire d'infrastructure CDG Express à prendre possession immédiate de certaines propriétés privées nécessaires à l'exécution des travaux de réalisation de la liaison ferroviaire Charles-de-Gaulle Express et via l’arrêté préfectoral portant cessibilité et transfert de gestion au profit de l'État des parcelles situées sur le territoire de cette commune et nécessaires à la réalisation  de la liaison précitée.

Par delà les contestations portant sur divers points, toutes rejetées, la décision est importante par la manière dont elle met en œuvre en l’espèce la théorie contentieuse de l’opération complexe.

Tout d’abord, il est jugé que l'arrêté de cessibilité, l'acte déclaratif d'utilité publique sur le fondement duquel il a été pris et la ou les prorogations dont cet acte a éventuellement fait l'objet constituent les éléments d'une même opération complexe. C’est l’application d’une jurisprudence bien établie.

Ensuite, il résulte de cette qualification - et c’est même là tout son intérêt - qu’à l'appui de conclusions dirigées contre l'arrêté de cessibilité, un requérant peut utilement se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'acte déclaratif d'utilité publique ou de l'acte le prorogeant.

Enfin, ce qui est nouveau c’est que cette faculté reconnue au requérant subsiste quand bien même celui-ci aurait vu son recours en excès de pouvoir contre la déclaration d'utilité publique ou l'acte la prorogeant, être rejeté. Ainsi, celle-ci peut être contestée deux fois : par voie d’action dans le délai ordinaire de recours contentieux, par voie d’exception, au moyen de la théorie de l’opération complexe pourvu que celle-ci soit exercée dans les deux mois du dernier acte de cette opération.

Pour une fois, le juge a fait primer le respect du principe, objectif, de juridicité sur celui, subjectif, de sécurité juridique.

(4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, n° 429800 et n° 431949

 

Urbanisme

 

239 - Refus de permis de construire - Hauteur maximale de 9 mètres - Léger dépassement - Invocation du caractère d'adaptation mineure rendue nécessaire par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes - Confirmation de la légalité du refus du permis en appel - Examen insuffisant du caractère d'adaptation mineure - Erreur de droit - Annulation.

Un permis est refusé car la hauteur maximale des constructions envisagées est de 9,20 mètres alors que le règlement du plan local d'urbanisme fixe un maximum de 9 mètres. Or il n'existe à cette règle de hauteur aucune dérogation possible « à l'exception des adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes » (art. 123-1-9 c. urb.)

 Pour confirmer le refus du permis et donc rejeter l'appel la cour administrative d'appel a jugé que la simple circonstance que le terrain soit en pente ne justifiait pas une adaptation mineure aux dispositions du PLU.

Le juge de cassation censure l'erreur de droit ainsi commise car la cour ne pouvait pas se borner à cette argumentation alors que la pétitionnaire faisait valoir, pour justifier ce dépassement de la hauteur maximale, que le terrain d'assiette du projet se caractérisait à la fois par sa déclivité et par la proximité immédiate du château de Laval, identifié par le PLU comme un élément remarquable du patrimoine paysager et architectural, et que les adaptations intégrées au projet visaient à tenir compte de la première, tout en harmonisant la construction projetée avec le second, s'agissant notamment des toitures. La cour, saisie d'une telle argumentation, déjà présentée en première instance, devait apprécier l'existence, ou non, en l'espèce, d'adaptations mineures au regard de ces deux paramètres (déclivité et existence d'un élément remarquable).

Faute d'avoir procédé à cette analyse son arrêt encourt la cassation.

(1er juillet 2021, Mme C., n° 439121)

 

240 - Obligation de réalisation de logements sociaux - Objectif triennal non respecté - Invocation de raisons objectives - Contrôle du juge - Absence de raison objective au non-respect du quota de logements sociaux - Annulation.

Les communes, particulièrement celles d'Île-de-France, se voient imposer la réalisation d'un certain nombre de logements sociaux par période triennale. Si à l'expiration d'une période triennale l'objectif fixé n'est pas atteint le préfet peut prononcer la carence de la commune. Il appartient alors à la commission chargée de l'examen du respect des obligations de réalisation de logements sociaux d'apprécier les conditions dans lesquelles peut être échelonné sur la période triennale suivante le rattrapage du retard en logements sociaux ; la commission peut aussi constater l'existence de raisons objectives n'ayant pas permis à la commune d'atteindre l'objectif fixé et proposer un aménagement de l'effort imposé.

Le préfet ayant constaté le non-respect du plan triennal, a fixé à 756 le nombre de logements sociaux non réalisés par la commune de Neuilly-sur-Seine. La commune a saisi, en vain, le tribunal administratif, avec un certain succès la cour administrative d'appel.

Le Conseil d’État est saisi par la ministre compétente et il lui donne raison en son pourvoi. Pour ce faire, et c'est là un apport important de la décision, il exerce un contrôle plein et entier sur le non-respect de l'objectif triennal fixé ainsi que sur l'éventuelle existence des raisons objectives justifiant ce retard.

La commune invoquait précisément comme raisons objectives à la non réalisation de la prévision triennale, d'une part, la rareté du foncier disponible et, d'autre part, le coût anormalement élevé de celui-ci. L'argument est rejeté par le juge de cassation, après annulation de l'arrêt d'appel, au motif qu'en réalité la commune ne s'est pas donnée les moyens d'atteindre l'objectif fixé. En particulier, elle n'a ni modifié ou révisé son plan local d'urbanisme, ni prévu des emplacements réservés à cet effet, ni imposé un certain pourcentage de réalisation de logements sociaux dans les programmes immobiliers qu'elle a autorisés. Au fond, elle n'a pas de véritable programme local de l'habitat.

Son appel est ainsi rejeté.

(2 juillet 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, Commune de Neuilly-sur-Seine, n° 433733)

 

241 - Permis de construire - Contestation - Permis assorti d'une réserve technique de rétrocession à une métropole d'un terrain devant servir d'assiette à la création d'un chemin piétonnier - Recours fondé sur le non-respect du règlement du PLU concernant l'implantation des constructions - Rejet du recours en raison de la réserve technique - Absence d'examen de la légalité de la rétrocession contestée par le requérant - Jugement insuffisamment motivé - Annulation.

Un syndicat de copropriétaires conteste le permis de construire délivré par une métropole en vue de la construction d'un immeuble de vingt-quatre logements. Ce permis est assorti d'une réserve technique relative à la rétrocession à la métropole d'une partie de la parcelle, d'une superficie de 164 m², aux fins de la création d'un cheminement piétonnier ouvert à la circulation du public. Le requérant faisait valoir l'illégalité de cette rétrocession et qu'en conséquence n'était pas respectée la règle du PLU relative à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives. Le tribunal a rejeté l'argument au motif que cette règle n'était pas applicable en raison de l'effet obligatoire attaché aux prescriptions d'un permis de construire, ce qui est exact mais, ce jugeant, il n'avait pas examiné la question de la légalité de cette rétrocession. Or le moyen n'était pas inopérant au regard de l'objet du litige.

Le Conseil d’État annule donc cette omission de réponse à moyen.

(5 juillet 2021, Syndicat de la copropriété " Les Terrasses de l'Aqueduc ", n° 437849)

 

242 - Permis de construire une serre de production agricole - Refus pour absence de précision sur le raccordement de la construction projetée au réseau d'eau potable - Annulation en raison de la non-nécessité d'un tel raccordement - Erreur de droit au regard des dispositions du règlement du POS - Annulation de l'arrêt contraire.

Le maire de la commune requérante avait refusé le permis de construire une serre de production agricole car la demande ne comportait pas de précisions sur les modalités de raccordement de la construction projetée au réseau d'eau potable. Saisis par le pétitionnaire, les juges du fond ont annulé ce refus et enjoint le maire de délivrer l'autorisation de construire.

La commune se pourvoit et le Conseil d’État lui donne raison.

Il s'appuie pour cela sur les dispositions du règlement du POS qui exigent un raccordement au réseau public d'eau potable et qui ne fait pas figurer les serres de production agricole au rang des constructions dérogatoires.

En réalité, il aurait fallu contester la légalité de cette disposition du POS car il ne paraît guère raisonnable en ces temps d'écologisme triomphant d'exiger qu'une serre soit alimentée en eau potable.

(7 juillet 2021, Commune de Valergues, n° 433868)

 

243 - Permis de construire - Permis accordé sans respect des prescriptions de l'art. L. 422-6 c. urb. - Illégalité - Rejet.

L'art. L. 422-6 du code de l'urbanisme dispose que : " En cas d'annulation par voie juridictionnelle ou d'abrogation d'une carte communale, d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu, ou de constatation de leur illégalité par la juridiction administrative ou l'autorité compétente et lorsque cette décision n'a pas pour effet de remettre en vigueur un document d'urbanisme antérieur, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale recueille l'avis conforme du préfet sur les demandes de permis ou les déclarations préalables postérieures à cette annulation, à cette abrogation ou à cette constatation ". 

En l'espèce, le plan local d'urbanisme approuvé par le conseil municipal d'Ajaccio le 21 mai 2013 avait été annulé par un jugement devenu définitif du tribunal administratif de Bastia. Ce plan concernait en particulier la parcelle d'assiette d'un projet de construction faisant l'objet d'une demande de permis de construire. L'annulation du PLU a remis en vigueur le POS antérieur et la commune a engagé la procédure de révision de ce POS. Toutefois, cette dernière n'étant pas achevée le 26 mars 2017 le POS remis en vigueur est, de ce fait, devenu caduc. Le maire ne pouvait plus délivrer un permis de construire qu'en suivant la procédure prévue à l'art. L. 442-6 précité qui comporte le recueil de l'avis conforme du préfet.

Faute d'avoir opéré ainsi, le maire a entaché le permis litigieux d'illégalité et c'est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif l'a annulé.

(7 juillet 2021, M. A. et Mme C., n° 435493)

 

244 - Référé de l’art. L. 554-1 CJA - Permis de construire - Zone littorale - Dispositions spéciales du droit de l’urbanisme - Prise en compte des dispositions suffisamment précises du schéma de cohérence territoriale - Demande de sursis à l’exécution d’un arrêt d’appel - Rejet.

Sur le fondement des dispositions de l’art. L. 554-1 CJA, un préfet obtient la suspension de l’exécution d’un permis de construire, ce jugement ayant été confirmé en appel, la commune de délivrance de ce permis se pourvoit en cassation contre cet arrêt et en demande également le sursis d’exécution. Cette demande est rejetée car le juge relève que, en zone littorale, du fait des règles particulières d’urbanisme qui y sont applicables (cf. art. L. 121-8 c. urb.), notamment celle imposant que l’extension de l’urbanisation ne puisse se réaliser qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants, il incombe à l’autorité administrative chargée de se prononcer sur une demande de permis de construire de tenir compte, à la fois, de la conformité du projet à celles des  dispositions du code de l’urbanisme qui lui sont applicables ainsi qu’à celles des dispositions suffisamment précises du schéma de cohérence territoriale (SCoT) qui déterminent les critères d’identification des villages, agglomérations et autres secteurs déjà urbanisés et qui définissent leur localisation, à la concomitante condition que ces dispositions soient compatibles avec les dispositions législatives précitées spécifiques au littoral.

Ainsi, l’ordonnance attaquée, dont le sursis à l’exécution était demandé, n’a pas commis d’erreur de droit en relevant que le projet de construction litigieux était, à la fois, contraire aux dispositions de l’art. L. 121-8 précité et, en tenant compte de ce qu’il résultait des dispositions du SCoT – jugées implicitement mais nécessairement précisés par la cour et conformes avec ledit art. L. 121-8 – que celui-ci ne retenait pas le lieu-dit où se situait le terrain d'assiette de ce projet parmi les agglomérations, villages et autres secteurs urbanisés. 

La demande de sursis à l’exécution de cette ordonnance est donc rejetée.

(9 juillet 2021, Commune de Landéda, n° 445118)

 

245 - Avis de droit (art. L. 113-1 cja) - Champ d’application du sursis à statuer de l’art. L. 153-11 c. urb. - Cas des installations classées pour l’environnement - Régime de l’autorisation unique.

Le Conseil d’État était interrogé pour l’essentiel sur  la question de savoir si le régime du sursis à statuer tel que fixé par les dispositions de l'article L. 153-11 du code de l'urbanisme à propos de l'élaboration d'un plan local d'urbanisme était applicable aux demandes d'autorisation concernant des constructions, installations ou opérations autres que celles régies par le livre IV du code de l'urbanisme, notamment s’agissant d’une demande d'autorisation portant sur un projet soumis à la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement.

La réponse donnée dans cet important avis de droit tient en trois propositions qui clarifient une situation très complexe née de l’imbrication de textes édictés par un législateur frappé d’impuissance intellectuelle à dominer la matière qu’il entend régir.

Il faut savoir gré au juge de dégager une thérapeutique permettant de soigner la schizophrénie du législateur.

1°/ En principe, le sursis à statuer ne peut être opposé, en cas d'élaboration d'un plan local d'urbanisme, qu'aux demandes d'autorisations relevant du livre IV du code de l'urbanisme, auxquelles renvoie expressément l'article L. 153-11 du même code. Il n'est donc pas possible d'opposer un sursis à statuer sur le fondement de ce texte  à une demande d'autorisation environnementale, laquelle n'est pas régie par le livre IV du code de l'urbanisme.Cependant, lorsque l’exercice de l'activité qui est l’objet de cette autorisation suppose également la délivrance d'un permis de construire, l'autorité compétente pourra, sur le fondement dudit article, opposer un sursis à statuer sur la demande de permis de construire si le projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan local d'urbanisme.

2°/ Si les autorisations environnementales uniques délivrées sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014 valaient permis de construire, ces autorisations étaient néanmoins soumises à une liste limitative de dispositions du code de l'urbanisme énumérées à l'article 4 de l'ordonnance, parmi lesquelles ne figuraient pas les dispositions permettant d'opposer un sursis à statuer. Dès lors, même si ces autorisations étaient tenues, en application de l'article L. 421-6 du code de l'urbanisme, de respecter les règles du plan local d'urbanisme, il n'était pas possible, au stade de la demande d'autorisation environnementale unique, d'opposer un sursis à statuer en raison de l'élaboration d'un plan local d'urbanisme.

3°/ Dans le cas des projets d’implantation d’éoliennes terrestres, objet du litige dont était saisie la cour interrogatrice, deux situations doivent être distinguées.

a/ Ceux de ces projets autorisés sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014 obéissent aux règles régissant les autorisations environnementales uniques énoncées au 2°/.

b/ Ceux autorisés depuis l'ordonnance du 26 janvier 2017 sont soumis à autorisation environnementale mais dispensés de permis de construire en vertu de l'article R. 425-29-2 du code de l'urbanisme tout en devant respecter les règles d'urbanisme qui leur sont applicables. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation environnementale, faute de disposition particulière en ce sens et dès lors que ces projets ne donnent pas lieu à une autorisation régie par le livre IV du code de l'urbanisme, ne peut opposer un sursis à statuer en raison de l'élaboration d'un document d'urbanisme.

D’où un risque d’incohérence que le juge tente de réduire en posant que l’établissement public de coopération intercommunale ou la commune qui a arrêté un projet de plan local d'urbanisme, pourra assurer la cohérence entre le projet d'éoliennes et le document d'urbanisme en cours d'élaboration grâce à l'obligation, posée à l'article L. 515-47 du code de l'environnement, de recueillir l'avis favorable de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme ou du conseil municipal de la commune concernée, avant toute implantation d'éoliennes qui apparaîtrait incompatible avec le voisinage des zones habitées.

Une fois de plus l’incapacité du législateur à édifier des structurations juridiques harmonieuses, cohérentes et stables contraint le juge à refaire son travail.

(9 juillet 2021, Société les Pâtis Longs, n° 450859)

 

246 - Plan d’urbanisme - Annulation partielle par le juge - Remise en vigueur des dispositions du PLU ou du POS antérieur non contraires à  l’autorité de chose jugée - Obligation d’élaborer de nouvelles dispositions en exécution et dans le respect de la chose jugée - Obligation de mettre en œuvre, selon les cas, la procédure de révision, de modification ou de modification simplifiée du PLU - Possibilité de se fonder sur certains actes de procédure accomplis pour l’adoption des dispositions censurées par le juge – Annulation.

Le plan d’urbanisme de la commune requérante en cassation ayant été partiellement annulé, se posait la question des conditions d’exécution de la chose jugée. Les premiers juges, confirmés en appel, avaient estimé irrégulier le classement de deux parcelles sur lesquelles une société exerçait une activité de stationnement collectif de bateaux car situées dans une zone ne permettant plus l’exercice de cette activité.

En premier lieu, le Conseil d’État juge, conformément aux dispositions de l’art. L. 153-7 du code de l’urbanisme, d’une part, que l’annulation partielle, au contentieux, d’un plan d’urbanisme, oblige la collectivité territoriale à élaborer, en exécution et dans les limites de la chose jugée, de nouvelles dispositions se substituant à celles qui ont été annulées et, d’autre part, que cette obligation subsiste alors même que l'annulation aurait eu pour effet de remettre en vigueur, en application des dispositions de l'art. L. 600-12 c. urb. ou de l’art.  L. 174-6 dudit code, des dispositions d'un plan local d'urbanisme ou, pour une durée maximale de vingt-quatre mois, des dispositions d'un plan d'occupation des sols qui ne méconnaîtraient pas l'autorité de la chose jugée par ce même jugement d'annulation.

En second lieu, et contrairement à ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État adopte une solution très innovante en permettant à la collectivité, ainsi tenue - pour assurer la pleine exécution de la chose jugée - de mettre en œuvre, selon les cas, une procédure de révision, de modification ou de modification simplifiée du PLU, de se fonder sur certains actes accomplis pour l’adoption des dispositions censurées par le juge.

 (16 juillet 2021, Commune de La Londe-les-Maures, n° 437562)

 

247 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Procédure de modification simplifiée du plan – Conditions et limites – Autorisation d’un site multisports mécaniques – Autorisation incompatible avec la vocation d’une zone ou d’un secteur du PLU – Qualification inexacte des faits Annulation.

Dans une zone Ny de son PLU sur laquelle sont interdits les sports mécaniques, une commune décide de recourir à la procédure de modification simplifiée du plan afin d’y autoriser la création d’un site multisports mécaniques, notamment une piste de moto-cross et une piste de BMX.

Le requérant a obtenu en première instance l’annulation de la délibération litigieuse tandis que la cour administrative d’appel a annulé ce jugement motif pris de ce que la modification, par la délibération litigieuse, du règlement de la zone Ny pour autoriser les aménagements et installations liés à l'exercice des sports mécaniques, pouvait être regardée comme la rectification d'une erreur matérielle à laquelle il était loisible, pour la commune, de procéder en recourant à la procédure simplifiée.

Le juge de cassation, se fondant notamment sur les dispositions des art. L. 123-1 et suivants du code de l’urbanisme, casse l’arrêt, estimant que la cour a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

En effet, il considère que si la procédure de modification simplifiée est justifiée quand elle vise à rectifier une erreur matérielle, afin de corriger une malfaçon rédactionnelle ou cartographique portant sur l'intitulé, la délimitation ou la règlementation d'une parcelle, d'un secteur ou d'une zone ou le choix d'un zonage, dès lors que cette malfaçon conduit à une contradiction évidente avec les intentions des auteurs du PLU, telles qu'elles ressortent des différents documents constitutifs de ce plan, et notamment du rapport de présentation, des orientations d'aménagement ou du projet d'aménagement et de développement durable, en revanche son utilisation est irrégulière car elle a « pour objet d’autoriser une nouvelle activité incompatible avec la vocation d'une zone ou d'un secteur définis par le plan local d'urbanisme ».

C’était précisément le cas en l’espèce, d’où la cassation.

(21 juillet 2021, M. A., n° 434130)

 

248 - Permis de construire modificatif - Refus du maire - Saisine du préfet sur le fondement de l’art. L. 2131-6 du CGCT - Interprétation de cette saisine comme un recours hiérarchique - Rejet - Erreur de droit - Annulation.

La société requérante, dont une demande de permis modificatif a été refusée par un maire, a saisi le préfet d'un « recours hiérarchique pour annulation » de l'arrêté du maire, auquel le préfet a répondu par deux courriers successifs en lui indiquant, d’abord, les voies et délais d'un recours gracieux ou contentieux contre cet arrêté puis, que le délai d'un déféré préfectoral au tribunal administratif exercé en application de l'article L. 2131-6 du CGCT dans le cadre du contrôle de légalité était expiré depuis un mois environ.

Son recours, dirigé contre l’arrêté municipal rejetant la demande de permis modificatif ayant été rejeté en première instance et en appel, la SCI se pourvoit et le juge de cassation annule l’arrêt d’appel.

Le Conseil d’État rappelle qu’il résulte de la combinaison des art. L. 2131-2 et 3, L. 2131-6 et L 2131-8 du CGCT qu’une personne qui s'estime lésée par un acte d'une autorité communale relevant du contrôle de légalité du représentant de l'État dans le département peut saisir ce dernier en vue qu'il le défère au tribunal administratif. Cette saisine n'ayant pas pour effet de priver cette personne de la faculté d'exercer un recours direct contre cet acte, le refus du préfet de déférer celui-ci au tribunal administratif ne constitue pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. En revanche, si elle a été formée dans le délai du recours contentieux ouvert contre cet acte, la demande ainsi présentée au préfet a pour effet de proroger ce délai jusqu'à l'intervention de la décision explicite ou implicite par laquelle le préfet se prononce sur ladite demande. 

En jugeant l’action dont la société l’a saisie, entachée de forclusion, la juridiction administrative a privé d’effet utile la saisine du préfet et s'est méprise sur la portée qu'il convenait de reconnaître au courrier du 29 juillet 2016 que lui a adressé la SCI requérante. En effet, il résulte de ses termes mêmes que cette dernière se présentait bien comme une demande de réformation du refus du maire de délivrer un permis modificatif à raison de l’illégalité de ce refus portant sur un acte soumis à l’obligation de transmission au préfet par application des dispositions du 6° de l’art L. 2131-2 du CGCT.

(22 juillet 2021, Société civile de construction vente Grenadines, n° 436105)

 

249 - Plan de sauvegarde et de mise en valeur de Versailles (PSMV) - Disposition de ce plan (art. 3) - Interdiction de la modification des immeubles ou parties d'immeubles identifiés comme étant à conserver - Rejet de la demande d’autorisation de créer un ascenseur extérieur - Violation de l’art. L. 313-1 du code de l’urbanisme - Erreur de droit - Annulation partielle de l’arrêt d’appel.

Le syndicat demandeur poursuivait l’annulation de l’arrêté municipal refusant de lui délivrer le permis de construire un ascenseur à structure métallique dans la cour de cet immeuble. Débouté en première instance et en appel, le syndicat se pourvoit.

L’arrêt est partiellement annulé en cassation.

L’art. 3 du règlement du PSVM de Versailles interdit la modification des immeubles ou parties d'immeubles identifiés comme étant à conserver et n’autorise, en conséquence, que la seule réalisation, sur ces immeubles, de travaux en vue de la restitution dans leur état primitif ou dans un état antérieur connu compatible avec leur état primitif. C’est sur cette disposition que se sont appuyés le maire pour refuser de délivrer un permis de construire cet ascenseur dans la cour de l’immeuble des requérants et les juges du fond pour rejeter le recours de ces derniers contre ce refus.

Le Conseil d’État relève qu’il résulte du III de l’art. L. 313-1 du code de l’urbanisme dans la version qui lui a été donnée par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains « que si les plans de sauvegarde et de mise en valeur peuvent identifier les immeubles ou parties intérieures ou extérieures d'immeubles dont la démolition, l'enlèvement ou l'altération sont interdits et dont la modification est soumise à des conditions spéciales, ils ne peuvent désormais en interdire toute modification de façon générale et absolue. »

En jugeant que les dispositions litigieuses de l’art. 3 du règlement du PSVM ne méconnaissaient l’art. L. 313-1 c. urb., la cour a commis une erreur de droit.

(22 juillet 2021, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 9, place Hoche à Versailles, n° 438247)

V. aussi à propos d’un autre aspect de cette décision le n° 44

 

250 - Déclaration de travaux - Ouverture d’un portail permettant l’accès à une propriété - Opposition - Existence de deux voies d’accès - Dispositions d’un plan local d’urbanisme (PLU) réglementant les conditions d’accès à une propriété en cas de pluralité de voies d’accès - Légalité - Erreur de droit - Annulation de l’arrêt contraire.

Contrairement à ce qui a été jugé en appel, c’est sans illégalité qu’un maire fait opposition à une déclaration de travaux relative à la création d’un portail pour permettre l’accès à une propriété privée à partir d’une voie départementale alors qu’elle possède déjà un accès sur une voie communale dès lors que le règlement du PLU dispose en son art. UB 3.1 « lorsque le terrain est desservi par plusieurs voies, l'accès automobile sera situé sur celle de ces voies qui présenterait une gêne ou un risque moindre pour la circulation des différents usagers de la voirie (…) le nombre d'accès automobile aux voies sera limité au minimum indispensable ».

L’arrêt d’appel est cassé pour erreur de droit.

(22 juillet 2021, Commune de Croissy-sur-Seine, n° 442334)

 

251 - Permis de construire – Irrégularité - Obligation s'imposant au juge saisi sur le fondement des articles L. 600-5 et L. 600-5-1 c. urb. - Modification remettant en cause la conception générale de l'immeuble insuffisante à justifier l'annulation du permis de construire - Nécessité d'établir un changement dans la nature même de l'immeuble - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, fondé sur les dispositions des art. L. 600-5 et L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, estime impossible la délivrance d'un permis modificatif car il serait nécessaire d'apporter au projet des modifications qui remettraient en cause sa conception générale alors qu'il ne devait rechercher que si la mesure de régularisation impliquerait d'apporter au projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. Par cette interprétation très large de la possibilité de régularisation, qui n'est pas nouvelle, le Conseil d’État manifeste le souci, maintes fois exprimé par lui, d'un droit de l'urbanisme davantage correcteur que sanctionnateur, attaché autant que faire se peut à sauvegarder plutôt qu'à anéantir.

(29 juillet 2021, Société Erilia, n° 439704)

 

252 - Plan local d'urbanisme - Prescriptions du PLU emportant interdiction de construire sur la plupart des parcelles classées en zone U - Annulation pour illégalité - Obligation d'apprécier la cohérence entre cette interdiction et le parti d'urbanisme adopté par la collectivité - Absence - Annulation.

Doit être annulé l'arrêt qui, pour dire illégales les dispositions d'un PLU relatives aux zones U, se borne à relever qu'elles ont pour effet d'interdire la plupart des constructions nouvelles sur les terrains non construits et qu'un plan local d'urbanisme ne peut légalement fixer de règle générale ayant pour effet d'interdire la plupart des constructions nouvelles sur des terrains classés en zone U sans que cette inconstructibilité ne soit justifiée par un motif prévu par la loi. En effet, il résulte de la loi que le PLU doit traduire le parti d'urbanisme adopté par la collectivité et que le juge doit seulement contrôler la cohérence entre ce dernier et les dispositions du PLU les mettant en oeuvre. En l'espèce, le choix retenu résultait de la volonté des élus de « recentrer l'urbanisation ».

Faute d'avoir exercé ce contrôle de cohérence, la cour a commis une erreur de droit, d'où la cassation avec renvoi qui est prononcée.

(30 juillet 2021, Commune des Avenières Veyrins-Thuellin, n° 437709)

 

253 - Déclaration préalable de travaux - Création d'une déchetterie - Proximité d'un camping - Urgence à exécuter les travaux - Travaux n'apparaissant pas difficilement réversibles - Nuisances de caractère éventuel - Rejet.

Le juge de première instance avait rejeté la demande de référé suspension dirigée contre la non opposition d'un maire à une déclaration préalable de travaux en vue de la création d'une déchetterie par une communauté d'agglomération à proximité d’un terrain de camping, par le triple motif qu'existait un intérêt public commandant une réalisation rapide des travaux, que ceux-ci étaient assez circonscrits et non difficilement réversibles et qu'enfin les nuisances alléguées ne sont qu'éventuelles.

L'ordonnance est confirmée en cassation, entraînant, par suite, le rejet du pourvoi.

(ord. réf., 30 juillet 2021, M.  A. et société Camping le Moulin, n° 448356)

 

254 - Permis de construire – Absence de raccordement au réseau d’eau ou de desserte autonome en eau autorisée – Présomption d’urgence (art. L. 600-3 c. urb.) retenue – Annulation du jugement et suspension du permis de construire ordonnée.

C’est par suite d’une dénaturation que le premier juge a estimé qu’une construction sans raccordement au réseau d’eau ou sans desserte autonome autorisée ne contrevenait pas aux dispositions de l’art. A4 du règlement du plan d’urbanisme communal. Comme par ailleurs aucun motif ne permet en l’espèce d’écarter la présomption d’urgence instituée à l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme, la suspension du permis de construire est, sans surprise, ordonnée.

(ord. réf. 3 août 2021, M. E., n° 448466)

 

255 - Refus de délivrer un permis de construire – Permis portant sur la reconstruction à l’identique du toit d’une bergerie – Refus fondé sur une incohérence dans le dossier du pétitionnaire – Invocation du second alinéa de l’art. L. 111-3 c. urb. – Refus – Erreur de droit – Annulation.

Un permis de construire portant notamment sur la reconstruction à l’identique du toit d’une bergerie est refusé motif pris d’une incohérence dans le dossier de demande de permis. La cour administrative d’appel juge que le pétitionnaire ne pouvait utilement se prévaloir devant elle des dispositions du second alinéa de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme dès lors que ni sa demande de permis de construire ni l'arrêté refusant d'y faire droit ne visait ces dispositions.

Le Conseil d’État rappelle que le dispositif imaginé par ce texte a pour objet de permettre la restauration de bâtiments anciens caractéristiques des traditions architecturales et cultures locales laissés à l'abandon mais dont demeure l'essentiel des murs porteurs dès lors que le projet respecte les principales caractéristiques du bâtiment en cause et à condition que les documents d'urbanisme applicables ne fassent pas obstacle aux travaux envisagés.

Interprétant généreusement ce texte qui, en réalité, ne dit que ce vient d’être indiqué, le Conseil d’État juge que « le pétitionnaire peut, à l'appui de sa contestation devant le juge de l'excès de pouvoir du refus opposé à sa demande de permis de construire, faire valoir que son projet répond aux conditions fixées par le second alinéa de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme, y compris s'il n'en a pas invoqué le bénéfice dans sa demande présentée à l'autorité administrative ».

Par suite, la cour a commis une erreur de droit, son arrêt est cassé et cette cassation étant la seconde dans cette affaire, le Conseil d’État statue au fond, définitivement, comme juge d’appel.

Constatant que l’intéressé satisfait aux conditions du second alinéa de l’art. L. 111-3 c. urb., il fait injonction de lui délivrer sous trois mois le permis sollicité.

(4 août 2021, M. B., n° 433761)

Lire la suite
Chronique Chronique

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juin 2021

Juin 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Réponses des ministres à des questions écrites des parlementaires – Publication non exhaustive de ces réponses – QPC – Réponses non susceptibles de recours contentieux – Réponses non publiées sur un site internet dédié – Irrecevabilité.

Les requérants contestaient tout d’abord la constitutionnalité de l’absence de publication intégrale des réponses ministérielles à des questions de parlementaires, seules une partie d’entre elles l’étant, en invoquant la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi et la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence.

Le premier de ces moyens n’est pas invocable au soutien d’une QPC et le second voit sa recevabilité subordonnée à ce que cette incompétence négative affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Ensuite, ils invoquaient les dispositions du CRPA qui rendent opposables les réponses publiées sur un site dédié. Le Conseil d’État rappelle d’abord que les réponses faites par les ministres aux questions écrites des parlementaires ne constituent pas, en règle générale, des actes susceptibles de faire l'objet d'un recours contentieux ; il précise en outre que les réponses litigieuses ne figurant pas sur ce site dédié, les requêtes ne sont pas davantage recevables.

(2 juin 2021, A. et autres, n° 450329 ; M. J., n° 450631 ; M. F., n° 451114 ; M. G., n° 451157)

 

2 - Procédure administrative non contentieuse – Comité technique ministériel de l’éducation nationale – Absence de vote unanimement défavorable – Non nécessité d’une seconde délibération – Rejet.

La présente affaire portait, pour l’essentiel, sur l’illégalité – pour atteinte au principe d’égalité - qui aurait résulté de ce que le décret du 20 décembre 2019 a intégré l'apprentissage dans les missions des agents contractuels du niveau de la catégorie A des groupements d'établissements exerçant en formation continue des adultes. 

Rejetant le recours au fond, le Conseil d’État est amené à apporter une importante précision de procédure non contentieuse.

En l’espèce, le comité technique ministériel de l'éducation nationale avait été consulté sur le projet de décret attaqué. Lors du vote, cinq membres du comité se sont abstenus de voter sur ce projet. Les requérants soutenaient qu’il aurait dû être fait application de la règle exigeant une deuxième délibération. Le moyen est rejeté car il fallait pour cela que le vote fût unanimement défavorable : tel n’est pas le cas en l’espèce du fait de l’existence d’abstentions.

(16 juin 2021, M. C., n° 439076)

 

3 - Principe d’impartialité de l’administration active – Champ d’application – Cas du pôle national des certificats d’économies d’énergie – Séparation des fonctions d’instruction des fonctions de sanction – Rejet.

Dans un litige portant sur les sanctions applicables en cas de manquements, par un fournisseur d’énergies, à ses obligations d’économies d’énergie et sur leur régime juridique, le juge se prononce sur l’application du principe d’impartialité en ce cas.

Le juge rappelle tout d’abord que le principe d'impartialité est un principe général du droit s'imposant à tous les organismes administratifs.

Ensuite, il indique que ce principe n'implique pas qu'il soit procédé à une séparation des fonctions d'instruction et de sanction au sein du pôle national des certificats d'économies d'énergie, qui est un service à compétence nationale placé sous l'autorité du ministre chargé de l'énergie, au nom duquel sont prononcées les décisions sanctionnant les infractions relatives aux CEE, sans d'ailleurs faire intervenir aucun organe à caractère collégial.

Par suite le grief développé sur ce point est rejeté.

(17 juin 2021, Société Butagaz, n° 434363)

 

4 - Arrêté portant restructuration de services – Arrêté renvoyant à une annexe qui n’existe pas – Absence de définition du périmètre de la restructuration – Illégalité – Annulation.

Doit être annulé l’arrêté interministériel du 28 juillet 2020 qui, pris pour l’application de l’art. 1er du décret du 23 décembre 2019, renvoie pour la définition du périmètre d’une restructuration de services, à une annexe qui n’existe pas rendant ainsi impossible la mise en œuvre de cette restructuration.

(23 juin 2021, Syndicat CGT du centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cérema) et syndicat Fédération de l'équipement, de l'environnement, des transports et des services Force ouvrière (Feets-FO), n° 444964 et n° 447896)

 

5 - Recommandations du directeur général de la santé – Politique de vaccination contre le Covid-19 – Message du directeur adressé aux personnels de santé – Compétence – Rejet.

Le directeur général de la santé, d’une part, tient des dispositions de l’art. L. 3111-1 du code de la santé publique la compétence pour émettre les recommandations nécessaires à la mise en oeuvre de la politique de vaccination contre le Covid-19 et, d’autre part, peut, pour prendre cette décision, se fonder sur un avis du collège de la Haute Autorité de santé qu’il a lui-même sollicité.

(ord. réf. 23 juin 2021, M. C., n° 453498)

 

6 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Refus de mettre en demeure ou de sanctionner – Obligation de motivation – Absence.

Rappel de ce que la décision du CSA refusant d’adresser une mise en demeure ou d’infliger une sanction, n’entre pas au nombre des décisions soumises à l’obligation de motivation soit en vertu de l’art. L. 211-2 du CRPA soit en vertu de la loi du 30 septembre 1986 ou de toute autre loi.

(28 juin 2021, Syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel CFE-CGC, n° 441572)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Données personnelles – Mise en ligne de nominations dans la fonction publique – Mention faisant apparaître la qualité d’handicapé de l’intéressé – Mention ne constituant pas une donnée relative à la santé de cette personne – Obligation de retirer cette information après expiration du délai de recours contre la décision de nomination – Annulation.

Une personne nommée fonctionnaire a demandé que soit retiré du site où figure l’acte de sa nomination, le visa du décret appliqué en l’espèce en ce qu’il permet de révéler sa condition d’handicapé, cela en violation de l’interdiction de divulguer des données personnelles. L’administration ayant refusé de supprimer certaines des mentions dont le retrait lui avait été demandé, le tribunal administratif a été saisi mais a rejeté la demande tandis que la cour administrative d’appel, pour confirmer ce rejet, a estimé n’être pas en présence de données personnelles.

Sur pourvoi, le Conseil d’État annule cet arrêt motif pris de ce que « la seule publication sur un site internet de données à caractère personnel suffit à (…)  rendre applicables (les règles relatives à un traitement de données à caractère personnel par voie informatique) ».

Ensuite, eu égard aux exigences de publicité des nominations dans la fonction publique et à la préservation du droit au recours des tiers, la publication sur un site internet de telles données est-elle ipso facto irrégulière ? Le Conseil d’État répond négativement au prix d’une pirouette en relevant que la seule mention que l’intéressé avait été nommé au terme d’une procédure à laquelle s’appliquait un décret du 25 août 1995 relatif au recrutement des travailleurs handicapés dans la fonction publique n’avait pas pour effet de révéler publiquement une donnée relative à la santé de cette personne. On se demande qu’est-ce qu’il y a de plus à savoir alors que l’on sait déjà qu’il y a handicap et qu’ainsi tout est dit.

Enfin, opérant son habituel balancement entre intérêt public et intérêt privé, le juge estime toutefois que cette indication ne doit être maintenue que le temps nécessaire à la formation d’éventuels recours contentieux de tiers. Passé ce délai, la publication de cet élément doit cesser ; ce délai étant expiré à la date de la présente décision son maintien est illégal et il est ordonné à l’administration de mettre un terme sous trois mois à cette publication.

Et voilà comment une mention de données personnelles figurant sur le site d’un ministère, illégale depuis la mi-septembre 2015, aura été maintenue au moins jusqu’à la mi-juin 2021 sinon jusqu’à la mi-septembre 2021. Qui a parlé d’annulation platonique ? Ou alors faudra-t-il recourir à l’allocation d’une somme d’argent en réparation de la faute ?

(10 juin 2021, M. A.-C., n° 431875)

 

8 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Rejet fautif d’une candidature en vue de l'exploitation du service de radiodiffusion sonore par voie hertzienne – Conditions de l’indemnisation – Caractère direct et certain du préjudice – Calcul sur la seule durée initiale de la convention – Indemnisation de la perte de recettes commerciales - Évaluation du montant de ces recettes – Annulation sur ce dernier point.

La requérante demandait réparation du préjudice causé par son éviction irrégulière d’un appel à candidatures organisé par le CSA en vue de l’attribution d'une autorisation d'usage d'une fréquence hertzienne pour la diffusion d'un service radiophonique par voie hertzienne terrestre en mode analogique.

Dans sa réponse le Conseil d’État utilise un schéma très semblable à celui adopté en cas d’éviction irrégulière d’une procédure de commande publique.

Il incombe au juge, d’abord, de déterminer si cette éviction a causé à la demanderesse un dommage en lien direct avec le caractère fautif de l’éviction.

En cas de réponse positive, le juge doit vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter l'appel à candidatures.

En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité.

Dans le cas contraire, il a droit en principe et au minimum au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. En outre, il convient de rechercher si ce candidat avait des chances sérieuses d'obtenir l'autorisation attribuée à un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant alors, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de son offre.

Cependant, en pareille hypothèse,  l'indemnisation du manque à gagner ne revêt un caractère certain qu'en tant qu'il porte sur la période d'utilisation initiale de l'autorisation d'usage de la fréquence hertzienne et non sur les périodes ultérieures, les reconductions ne revêtant qu’un caractère éventuel sans que puisse faire échec à ce principe l’invocation par  le candidat irrégulièrement évincé de ce qu'il aurait, au terme de la période d'autorisation sur laquelle porte l'éviction irrégulière, rempli les conditions pour bénéficier, en application de l'article 28-1 de la loi du 30 septembre 1986 cité ci-dessus, d'une reconduction hors appel à candidatures.

Enfin, l'indemnité due au titre du manque à gagner à une entreprise irrégulièrement évincée d'un appel à candidatures qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter ne constitue pas la contrepartie de la perte d'un élément d'actif mais est destinée à compenser une perte de recettes commerciales et doit, en conséquence, être regardée comme un profit de l'exercice au cours duquel elle a été allouée et soumise, à ce titre, à l'impôt sur les sociétés. Ce dernier doit donc être inclus dans le calcul du manque à gagner du candidat évincé : son résultat d'exploitation doit donc, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, être évalué avant déduction de l'impôt sur les sociétés.

(16 juin 2021, Société Media Bonheur, n° 422535)

 

9 - Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – Refus de mettre en demeure ou de sanctionner – Obligation de motivation – Absence.

(28 juin 2021, Syndicat national des personnels de la communication et de l'audiovisuel CFE-CGC, n° 441572) V. n° 6

 

Biens

 

10 - Concession de logement – Sapeur-pompier – Délibération mettant fin à cette concession – Bien faisant partie du domaine privé – Détermination de la valeur vénale – Cession à un prix très inférieur à cette valeur – Légalité dans les circonstances de l’espèce - Rejet.

Le président du conseil d’administration d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) met fin à une concession de logement dont bénéficiait un sapeur-pompier en exécution d’une délibération dudit conseil cédant l’ensemble des biens immobiliers du SDIS dans lequel se trouvaient des logements de sapeurs-pompiers.

Tout d’abord, il ne fait pas de doute que ces biens font partie, au moment de leur cession, du domaine privé du SDIS car, distincts de ceux affectés au service d’incendie et de secours, et servant exclusivement au logement d’agents, ils n’étaient pas affectés à un service public ainsi que l’a correctement jugé la cour.

Ensuite, ces biens devaient être vendus à leur valeur vénale sauf à démontrer qu’un prix plus bas est justifié en l’espèce et par l’intérêt général et par une contrepartie. Dans cette affaire, les biens sont cédés à une valeur inférieure de 30% à l’estimation de France Domaines. Le SDIS donne pour justification à ce prix bas, d’une part, qu’il n’a pas, eu égard au principe de spécialité qui le régit, vocation à gérer des logements, d’autre part, le fait qu’il a obtenu des organismes de logement social acquéreurs l'engagement que les sapeurs-pompiers professionnels pourront, s'ils le souhaitent, être maintenus dans les lieux. Le Conseil d’État approuve la cour d’avoir relevé l’existence d’un intérêt général ainsi que d’une contrepartie pour dire régulier le prix de cession retenu.

Le pourvoi en cassation du syndicat est déclaré irrecevable car, simple intervenant en appel et n’ayant pas eu, à défaut d’intervention, qualité pour former tierce-opposition, il n’y avait pas la qualité de partie.

Le pourvoi du demandeur est rejeté.

(21 juin 2021, M. B. et Syndicat Sud-solidaires des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et sociaux du service départemental d'incendie et de secours du Rhône, n° 434384)

 

11 - Occupation temporaire du domaine public routier – Implantation d’ouvrages par les exploitants des réseaux de communications électroniques – Compétence pour établir les redevances d’occupation – Erreur de droit – Annulation.

La cour administrative d’appel avait jugé que l’institution par la ville de Montpellier d’une redevance pour occupation temporaire du domaine public communal par un opérateur de télécommunications était irrégulière au regard des dispositions de l’art. L. 113-4 du code de la voirie routière et de celles des art. L. 46 et L. 47 du code des postes et des communications électroniques. Par suite, cette commune ne pouvait légalement émettre les titres exécutoires en litige pour le recouvrement de cette redevance sur le fondement de cette délibération entachée d'illégalité.

Le Conseil d’État casse cet arrêt en relevant, d’une part, que les art. L. 45-9 et L. 47 du code des postes et communications électroniques  ont pour objet de réglementer respectivement le droit de passage et la permission de voirie nécessaires à l'implantation des ouvrages par les exploitants des réseaux de communications électroniques et aux travaux correspondants qui doivent être effectués conformément aux règlements de voirie, - notamment aux dispositions de l'article L. 115-1 du code de la voirie routière -, et de prévoir le principe du paiement d'une redevance due au titre de l'occupation permanente du domaine public routier par ces ouvrages, tandis que, d'autre part, les articles R. 20-45, R. 20-51 et R. 20-52 du même code, auxquels renvoie l'article L. 47, ne font référence qu'à ce même droit de passage et, à ce titre, ne mentionnent que les artères et les fourreaux, occupés ou non.

Ainsi donc, en l'absence de dispositions particulières applicables à l'occupation provisoire du domaine public routier par les chantiers de travaux des exploitants des réseaux de communications électroniques, la cour, en statuant comme elle l'a fait, a méconnu le champ d'application des art. 45-9 et 47 précités du code des postes et communications électroniques ainsi que celui de l’art. L. 115-1 du code de la voirie routière et commis ainsi une erreur de droit.

Rappelons que le moyen tiré du champ d’application de la loi étant d’ordre public, il peut être relevé d’office par le juge.

Dès lors, l’arrêt doit être annulé, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi.

(25 juin 2021, Montpellier Méditerranée Métropole, n° 441933)

 

12 - Contravention de grande voirie – Amarrage non conforme et dégâts causés aux ouvrages d’un port – Cour administrative d’appel annulant d’office un jugement ayant omis de statuer sur l’action domaniale – Propriétaire du domaine absent de la procédure d’appel – Annulation irrégulière – Annulation.

Le propriétaire d’un bateau fait l’objet d’un procès-verbal de contravention de grande voirie ; à la suite de celui-ci, il est condamné par le tribunal administratif au paiement d'une amende de 800 euros en raison de la non-conformité du mode d'amarrage de son voilier avec les dispositions du règlement portuaire, de l'absence de déclaration des dégâts causés aux ouvrages du port et du défaut de gardiennage de son bateau. Il interjette appel : l’arrêt d’appel a, d’une part, annulé le jugement en tant qu’il avait omis de se prononcer sur l’action domaniale et, d’autre part, condamné l’appelant à relever la chaîne de mouillage et à retirer la chaîne et les cadenas reliant la poupe de son navire au ponton du port dans un délai d'un mois à compter de la notification l'arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Un pourvoi en cassation est formé et il est accueilli car le Conseil d’État que la cour, qui n’était saisie que du seul appel du requérant contre le jugement ayant prononcé à son encontre une amende au titre de l'action publique, et la ministre de la transition écologique s’étant abstenue d’interjeter appel, ne pouvait se prononcer, à l’égard d’un jugement devenu définitif avant qu’elle ne statue, que sur le point en litige qui avait motivé l’appel. Par-là elle a méconnu son office en estimant que les premiers juges, en ne se prononçant pas sur l’action domaniale n’avaient pas épuisé leur compétence.

(25 juin 2021, M. A., n° 442539)

 

Collectivités territoriales

 

13 - Ports maritimes – Décret prévoyant la présence dans des organes portuaires délibératifs de deux représentants, l’un du préfet, l’autre du directeur régional des finances publiques – Libre administration des collectivités territoriales – Absence d’atteinte – Rejet.

L’art. L. 5314-12 du code des transports fixe les catégories de personnes devant obligatoirement être représentées au sein du conseil portuaire d'un port maritime.

Les requérants contestaient, pour le port maritime de Mayotte, la légalité du décret du 28 avril 2020, en ce que son art. 2 prévoit la présence ou la représentation du préfet et du directeur régional des finances publiques, d’une part, au conseil portuaire et, d’autre part, à la commission financière du port de Mayotte. Ils estimaient qu’il était ainsi porté atteinte, par la présence de quatre représentants d’autorités déconcentrées de l’État, au principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

L’argument est rejeté par le Conseil d’État lequel juge que ces dispositions législatives ne font « pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire, s'agissant d'un organisme consultatif dont les travaux ne lient pas l'autorité gestionnaire du port, puisse, outre la répartition des sièges entre les différentes catégories de membres désignées par le législateur, prévoir la participation d'autres personnes y compris des représentants de l'Etat. Eu égard au rôle et aux compétences du conseil portuaire, la seule participation de deux représentants de l'Etat au conseil portuaire du port maritime de Mayotte exploité par le département, même avec voix délibérative, ne porte pas par elle-même atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Il en va de même de leur présence, avec simple voix consultative, au sein de la commission financière constituée au sein du conseil portuaire afin de rendre un avis sur les objets économiques, financiers et techniques relevant de ce conseil. »

Cette solution, peu respectueuse de l’autonomie locale et de la compétence du législateur en ce qu’elle remet en cause l’équilibre arithmétique qu’il avait entendu établir, ne surprendra pas l’habitué de la jurisprudence du Conseil d’État, traditionnellement hostile à l’autonomie locale.

(11 juin 2021, Société Mayotte Channel Gateway et autres, n° 441499)

 

14 - Contrat comportant occupation d’une dépendance du domaine public de l’État français – Dépendance se trouvant sur le territoire d’un autre État – Contrat comportant indication de l’application du droit local – Impossibilité de déroger à la compétence d’ordre public du juge administratif français – Rejet.

Une société italienne avait conclu avec l’Académie de France à Rome (Villa Médicis) une convention portant concession du service de cafétéria et de restauration de cet établissement public administratif. Mécontente des prestations fournies et invoquant diverses irrégularités, l’Académie de France a, après mise en demeure infructueuse, résilié unilatéralement le contrat. Les juridictions italiennes, dont la Cour de cassation, s’étant déclarées incompétentes pour connaître du litige né de cette décision, la requérante s’est tournée, en vain, vers les juridictions administratives françaises qui ont rejeté la demande d’annulation de la résiliation, celle tendant à la reprise des relations contractuelles et mis à sa charge une indemnisation de 84 850 euros.

Le pourvoi est lui aussi rejeté en dépit de ce que la convention de concession comportait une clause stipulant expressément qu’elle était régie par la loi italienne et de ce que le bien immobilier est lui-même situé en Italie.

Tout d’abord, la Villa Médicis constitue une dépendance du domaine public immobilier de l’État français dès lors que, antérieurement au 1er juillet 2006 (date d’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques), elle était déjà affectée à un service public culturel et spécialement aménagée à cette fin.

Ensuite, les litiges en cette matière relèvent de la compétence exclusive des juridictions administratives.

Enfin, ne peut être opposée à cette compétence qui est d’ordre public et donc indérogeable la circonstance d’une clause contractuelle irrégulière en ce qu’elle est contraire à une compétence d’ordre public.

L’arrêt querellé est confirmé en tous ses chefs.

(25 juin 2021, Société Mezzi et Fonderia, n° 438023)

 

Contentieux administratif

 

15 - Universités – Enseignant laissé sans service statutaire – Ordre de reversement – Service prétendument non fait durant 51 mois – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation avec renvoi.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la juridiction qui juge qu’une université n’était pas au courant de la situation administrative de l’intéressé avant 2011 alors que figure au dossier un courrier de ce dernier du 27 août 2007 indiquant à l’université qu’ayant cessé ses fonctions dans une autre entité de l’université il était en attente d’un service d’enseignement au sein de celle-ci.

(1er juin 2021, M. C., n° 429699)

 

16 - Étudiant – Fraude à un examen – Sanction disciplinaire – Exclusion d’une année – Sanction non disproportionnée – Rejet.

Un étudiant sanctionné disciplinairement pour fraude à un examen de master I ne peut soutenir qu’est entaché d’irrégularité un procès-verbal non daté ni signé par tous les surveillants de l’épreuve dès lors, d’une part, que le requérant a été surpris en possession d'un téléphone portable affichant le corrigé d'une épreuve de la même matière donnée à l'occasion d'une année précédente et, d’autre part, que le procès-verbal constatant la fraude a été annexé au procès-verbal de déroulement de l'épreuve, lequel est daté du jour de l'examen, et qu’il a été signé par le président, professeur responsable de la surveillance de l'épreuve, et par la surveillante qui a constaté les faits reprochés au requérant.

Il résulte de ces faits que le grief de fraude est établi.

Également, la circonstance que la surveillante de l'examen n'ait pas été entendue par la commission n'est pas de nature, alors même qu'il résulte de l'instruction que son témoignage écrit a pu être très largement discuté, à caractériser une atteinte aux droits de la défense.

Enfin, l’université n’a pas infligé une sanction disproportionnée au regard des faits de l’espèce en édictant la sanction de l’exclusion de l’université pour une année.

(1er juin 2021, M. D., n° 431716)

 

17 - Procédure contentieuse – Communication de pièces – Communication à une seule des trois parties – Arrêt entaché d’irrégularité – Annulation avec renvoi.

Est entaché d’irrégularité et annulé l’arrêt d’appel qui, relatif à trois parties, le requérant ayant demandé leur condamnation solidaire, a été rendu alors que les pièces de la procédure d’appel n’ont été communiquées qu’à la première d’entre elles.

(8 juin 2021, Centre hospitalier d'Avignon, Centre hospitalier du pays d'Apt et Groupement de coopération sanitaire Apt-Avignon, n° 434425)

 

18 - Demande de confirmation expresse du maintien des conclusions – Désistement d’office à l’expiration du délai fixé sans réponse à la demande de confirmation – Appel de l’ordonnance constatant le désistement d’office – Office du juge d’appel en ce cas – Annulation.

Lorsque le juge saisi éprouve un doute sur l’intérêt que présente une requête pour son auteur, il adresse à ce dernier une invitation à confirmer expressément, dans un certain délai, les conclusions dont il l’a saisi, faute de réponse à l’expiration de ce délai est prise une ordonnance constatant le désistement du demandeur de l’ensemble de ses conclusions (art. L. 612-5-1 CJA).

La présente décision confirme une solution bien établie s’agissant de l’office du juge d’appel saisi d’un recours contre l’ordonnance prenant acte du désistement. Celui-ci ne peut se borner à rejeter l’appel au motif que ne sauraient être discutés devant lui les motifs ayant conduit à la prise de l’ordonnance constatant le désistement. Au contraire, le Conseil d’État rappelle le vade-mecum s’imposant en ce cas au juge d’appel de l’ordonnance. « Il incombe au juge d'appel, saisi de moyens en ce sens, de vérifier que l'intéressé a reçu la demande mentionnée par les dispositions de l'article R. 612-5-1 du code de justice administrative, que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai et que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile et d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1. »

Faute d’avoir suivi ce « protocole », l’ordonnance attaquée est entachée d’erreur de droit et annulée avec renvoi à la cour.

(9 juin 2021, M. et Mme B., n° 435780)

(19) Voir aussi pour une solution identique : 9 juin 2021, Société New Bar Hôtel de Ville, n° 435782.

 

20 - Marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’accompagnement juridique – Recours d’un concurrent évincé – Demande de résiliation du contrat en première instance puis d’annulation du contrat en appel – Absence de caractère de demande nouvelle en appel – Irrecevabilité opposée à tort – Annulation.

Un marché confiant une mission d'assistance à maîtrise d'ouvrage et d'accompagnement juridique pour la construction et la gestion d'un crématorium est conclu entre une commune et une société de conseil juridique. Un avocat évincé demande en première instance la résiliation du contrat. Débouté, il saisit le juge d’appel d’une demande d’annulation de ce contrat. Son appel est rejeté car il s’agit là de conclusions nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.

Sur pourvoi de l’intéressé l’arrêt est cassé au terme d’une motivation dont il faut souligner la relative nouveauté et, d’une certaine façon, l’audace.

Le Conseil d’État relève que les conclusions de première instance en résiliation du contrat « devaient être regardées (…) comme contestant la validité du contrat », ce qui permettait au juge du contrat, au besoin même d’office, de prononcer l’annulation du contrat.

Pour parvenir à ce résultat, le juge de cassation rappelle l’une de ses formulations de principe en matière de recours des tiers contre un contrat administratif : « Saisi d'un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses par un tiers justifiant que la passation de ce contrat l'a lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine, il appartient au juge du contrat, en présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. » Ceci explique et justifie qu’une demande d’annulation du contrat en appel alors qu’était demandée en première instance sa résiliation, ne peut se voir opposer l’exception de demande nouvelle en appel dont on sait qu’elle conduit à l’irrecevabilité d’une telle demande.

(9 juin 2021, Me A., n° 438054 ; Conseil national des barreaux, n° 438047)

 

21 - Prise en charge d’un mineur au titre de l’aide sociale – Mineur devenu majeur en cours d’instance – Moyen devant être relevé d’office – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, saisi d’une requête émanée d’un mineur demandant sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, statue sans relever d’office que celui-ci est devenu majeur au cours de l’instance.

(16 juin 2021, M. A., n° 435374)

 

22 - Annulation par le juge administratif de dispositions du règlement d’assurance chômage annexé à un décret – Arrêté ministériel pris en application des dispositions annulées – Annulation par voie de conséquence.

Les requérants demandent, et obtiennent, l’annulation par voie de conséquence d’un arrêté ministériel du 27 novembre 2019 relatif aux secteurs d'activité et aux employeurs entrant dans le champ d'application du bonus-malus, pris pour l’application des articles 50-3 et 50-10 du règlement d'assurance chômage annexé au décret du 26 juillet 2019 qu’une décision du Conseil d’État (25 novembre 2020, Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 434920) a annulés avec effet à compter du 1er janvier 2021.

Application d’une jurisprudence classique.

(16 juin 2021, Union des entreprises de transport et de logistique (TLF), n° 438234)

 

23 - Recours administratif préalable obligatoire (RAPO) – Recours formé prématurément – Autorité administrative n’ayant pas encore statué sur la demande – Absence d’irrecevabilité de principe – Annulation du jugement et renvoi au tribunal administratif.

Lorsque la formation d’un recours administratif préalable obligatoire a lieu avant que l’autorité administrative ne se soit prononcée sur la demande dont elle avait été saisie par celui qui forme le RAPO il n’y a pas lieu pour le juge saisi d’opposer, par principe, l’irrecevabilité au recours contentieux introduit ensuite si à la date à laquelle il statue, est intervenue une décision, expresse ou implicite, se prononçant sur le recours administratif. Les conclusions développées devant lui contre la décision initiale doivent être considérées, formellement, comme tendant à l'annulation de la décision née de l'exercice du recours administratif préalable qui s'y est substituée. 

Cette solution, comparable mutatis mutandis à celle permettant de tenir pour valide la saisine du juge alors que la décision attaquée, qui n’existait pas encore lors de cette saisine, existe bien le jour où il statue, est particulièrement bien venue.

(16 juin 2021, Mme B.-D., n° 440064)

 

24 - Plan local d’urbanisme – Classement de deux parcelles en zone agricole – Annulation par le tribunal administratif de leur classement– Appel ne portant que sur le classement de l’une des deux parcelles – Cour administrative d’appel statuant sur les deux parcelles – Ultra petita – Annulation dans cette mesure.

(16 juin 2021, Commune de La Clusaz, n° 442505) V. n° 146

 

25 - Désistement d’instance et désistement d’action – Caractère de principe du désistement d’instance – Caractère d’exception du désistement d’action – Annulation.

En raison des effets moindres d’un désistement d’instance que d’un désistement d’action, en principe un désistement n’est que d’instance. Il n’en va autrement que dans le cas où il est manifeste que le demandeur a entendu former un désistement d’action, ce qui lui ferme définitivement la porte pour toute action ultérieure de ce chef de demande.

En l’espèce, le juge avait donné acte à l’intéressé de son désistement d’instance et de son désistement d’action, se méprenant sur la portée des écritures dont il était saisi. Cette erreur de droit conduit à l’annulation de l’ordonnance sans renvoi, plus rien ne restant à juger.

(16 juin 2021, M. A., n° 450383)

 

26 - Recours en matière de pension – Recours introduit par l’héritier de la défunte – Défunte n’ayant pas, de son vivant, sollicité le bénéfice de certaines majorations – Absence de droit de l’héritier à engager de son propre chef une telle action – Rejet.

Le fils d’une pensionnée militaire d’invalidité décédée n’a pas qualité pour agir en réclamation de majorations de pension dès lors que, de son vivant, sa mère n’a pas sollicité ces majorations. Il ne saurait invoquer la circonstance que la créance pécuniaire de sa mère faisant partie du patrimoine de cette dernière elle lui est transmise par voie successorale car cette créance n’existait pas au décès faute d’une quelconque demande en ce sens de sa mère.

La transmission porte sur la créance déjà détenue à la date du décès non sur le droit à faire exister cette créance postérieurement au décès.

(16 juin 2021, M. C., n° 437685)

 

27 - Audience – Absence d’envoi de l’avis d’audience – Absence de la requérante ou de son conseil à l’audience – Annulation.

Doit être annulé le jugement rendu à la suite d’une audience qui n’a pas été précédée de l’envoi, sous une forme quelconque accoutumée, de l’avis d’audience, entraînant l’absence de la demanderesse et de son conseil lors de ladite audience.

(16 juin 2021, Mme B., n° 440995)

(28) V. aussi, dans le cas où la juridiction affirme, au prix d’une dénaturation des faits de l’espèce, que si le requérant n’avait pas été personnellement convoqué à l’audience son mandataire avait, lui, valablement reçu notification de la date de l’audience, alors que le requérant a été destinataire de plusieurs avis d’audience : 17 juin 2021, M. B., n° 432410.

 

29 - Rédaction des jugements – Obligation de viser les pièces et les mémoires produits y compris après l’audience – Omission de visa – Annulation.

Encourt annulation l’arrêt rendu en omettant de viser un mémoire produit après la clôture de l’instruction et avant que le juge ne rende sa décision.

(16 juin 2021, Société Rungis Stocks et autres, n° 441799)

 

30 - Qualité pour agir – Intérêt pour agir – Contestation du régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel – Absence de qualité/intérêt pour agir – Rejet.

Les requérants demandaient au juge – ce qui n’est pas banal – de déclarer inexistante une décision du 16 mars 2001 de la secrétaire d'État au budget, relative au régime indemnitaire des membres du Conseil constitutionnel.

Le juge rejette ces requêtes au motif, d’abord, s’agissant des personnes physiques, que les qualités de citoyens français, de contribuables nationaux et de justiciables ne sont pas de nature à leur donner intérêt pour demander l'annulation ou l'abrogation de la décision litigieuse.

Il en va de même de la qualité d’avocat, dès lors que, dans l’un et l’autre cas, la décision querellée n'a aucun effet sur la situation et les droits des justiciables, ni sur les droits et les conditions d'exercice de la profession d'avocat. 

Il rejette ensuite la requête de la personne morale motif pris de ce que l’objet social de celle-ci (« la recherche, la rédaction, la publication et la diffusion de travaux et d'analyses en matière économique, sociale, juridique, fiscale et comptable ») ne lui confère aucun intérêt lui donnant qualité pour agir.

(16 juin 2021, M. D. et M. C. et Institut de recherches économiques et fiscales, n° 445150 et n° 449149)

 

31 - Saisine du juge à fins indemnitaires – Absence de demande préalable en ce sens à la puissance publique – Formation postérieure d’une telle demande en vue de régularisation – Silence de l’administration valant décision implicite liant le contentieux pour tous les dommages découlant du même fait générateur même ceux non repris dans la demande préalable – Pouvoir des chefs de juridiction de réparer les erreurs matérielles contenues dans les jugements et arrêts – Annulation partielle.

Cette décision se signale à l’attention par la solution innovante qu’elle contient.

La jurisprudence était fixée depuis longtemps en ce sens que l’introduction, par un requérant, d’un contentieux indemnitaire à une date où il n'a présenté aucune demande en ce sens devant l'administration n’entraînait pas ipso facto l’irrecevabilité du recours si le requérant a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration ; il est classiquement jugé que le silence gardé par celle-ci, intervenu avant que le juge de première instance ne statue, fait naître une décision implicite de rejet qui lie le contentieux.

Ce qui est par contre plus nouveau c’est de considérer que la demande indemnitaire est recevable, que le requérant ait ou non présenté des conclusions additionnelles explicites contre cette décision, et alors même que le mémoire en défense de l'administration aurait opposé à titre principal l'irrecevabilité faute de décision préalable, cette dernière circonstance faisant seulement obstacle à ce que la décision liant le contentieux naisse de ce mémoire lui-même. De plus, si dans la saisine prématurée du juge, comme en l’espèce, étaient invoqués cinq chefs de préjudice alors que la demande postérieure n’en comporte que trois, le contentieux est lié pour l’ensemble des dommages issus d’un même fait générateur.

Par ailleurs, le président d’une juridiction ou de la section du contentieux peut toujours, par ordonnance prise sur le fondement de l’art . R. 741-11 CJA, rectifier une erreur matérielle dépourvue de toute incidence sur le raisonnement adopté par la juridiction, par exemple le fait de prendre en compte, en tant que base annuelle, un montant calculé sur une base seulement mensuelle.

(21 juin 2021, Commune de Montigny-lès-Metz, n° 437744 et n° 437745 ; M. B., n° 437781)

 

32 - Incompétence territoriale du tribunal administratif – Obligation d’invoquer ce moyen avant la clôture de l’instruction – Invocation devant le juge de cassation – Inopérance – Rejet.

Dans un litige en suspension d’une sanction disciplinaire, le garde des sceaux soulève en cassation le moyen tiré de l’incompétence territoriale du juge qui a rendu l’ordonnance de première instance attaquée. Ce moyen ne peut être retenu à ce stade de la procédure en raison des dispositions de l’art. R. 312-2 CJA selon lesquelles : «  Lorsqu'il n'a pas été fait application de la procédure de renvoi prévue à l'article R. 351-3 et que le moyen tiré de l'incompétence territoriale du tribunal administratif n'a pas été invoqué par les parties avant la clôture de l'instruction de première instance, ce moyen ne peut plus être ultérieurement soulevé par les parties ou relevé d'office par le juge d'appel ou de cassation ».

On s’étonnera que le juge rejette le moyen en raison de son caractère inopérant alors qu’il eût été, nous semble-t-il, plus correct de le rejeter pour irrecevabilité.

(24 juin 2021, M. B., n° 448417)

 

33 - Arrêt avant dire droit – Arrêt définitif pris sur son fondement – Annulation intégrale de l’avant dire droit – Annulation subséquente de l’arrêt définitif.

L’annulation d’un arrêt rendu avant dire droit à fin de régularisation d’un permis de construire entraîne, par voie de conséquence, celle de l’arrêt au fond rendu sur la base de l’arrêt avant dire droit.

(25 juin 2021, MM. A. et société La Savane, n° 437823)

 

34 - Recours en révision – Fraude en matière de protection internationale des réfugiés – Régime procédural et contentieux – Annulation.

Rappel de ce qu’un recours en révision pour fraude ne peut être admis que si deux conditions sont réunies :

1°/ il convient en premier lieu d’établir que la protection internationale a été obtenue sur la foi de fausses déclarations ou de fausses pièces soumises dans l'intention d'induire la cour nationale du droit d’asile en erreur ;

2°/ en second lieu, il doit être établi que ces éléments frauduleux ont eu une influence directe et déterminante sur l'appréciation de la réalité du besoin de protection tel qu'il a été reconnu dans la décision octroyant la protection internationale à l'intéressé.

(25 juin 2021, M. C., n° 442617)

(35) V. aussi, du même jour et identique : 25 juin 2021, M. B., n° 442618.

 

36 - Action en justice des personnes morales – Qualité pour agir – Cas d’un syndicat professionnel – Demande d’annulation d’une décision individuelle – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Rappel d’un principe constant de procédure contentieuse.

Si une organisation syndicale est recevable à intervenir, le cas échéant, à l'appui d'une demande d'annulation d'une décision individuelle présentée devant le juge administratif par l'agent intéressé, elle n'a, en revanche, pas qualité pour solliciter une telle annulation. Les conclusions ainsi présentées sont entachées d'une irrecevabilité manifeste.

(29 juin 2021, Syndicat CGT des personnels civils du service de la modernisation et de la qualité de la direction générale de l'armement du ministère des armées, n° 445264) V. aussi le n° 116 pour l’analyse de la requête au fond

 

37 - Contravention de grande voirie – Amarrage non conforme et dégâts causés aux ouvrages d’un port – Cour administrative d’appel annulant d’office un jugement ayant omis de statuer sur l’action domaniale – Propriétaire du domaine absent de la procédure d’appel – Annulation irrégulière – Annulation.

(25 juin 2021, M. A., n° 442539) V. n° 12

 

38 - Syndicat professionnel intervenant en appel – Absence de qualité de partie à l’instance d’appel – Pourvoi en cassation irrecevable – Rejet.

Le pourvoi en cassation d’un syndicat professionnel est déclaré irrecevable car, simple intervenant en appel et n’ayant pas eu, à défaut d’intervention, qualité pour former tierce-opposition, il n’y avait pas la qualité de partie.

Le pourvoi du demandeur est rejeté.

(21 juin 2021, M. B. et Syndicat Sud-solidaires des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et sociaux du service départemental d'incendie et de secours du Rhône, n° 434384) V. aussi sur le fond de cette affaire le n° 10

 

Contrats

 

39 - Marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage et d’accompagnement juridique – Recours d’un concurrent évincé – Demande de résiliation du contrat en première instance puis d’annulation en appel – Absence de caractère de demande nouvelle en appel – Irrecevabilité opposée à tort – Annulation.

(9 juin 2021, Me A., n° 438054 ; Conseil national des barreaux, n° 438047) V. n° 20

 

40 - Contrat administratif – Contrat conclu entre une commune et des entreprises pour le retrait et la destruction des véhicules abandonnés dans les parcs à fourrière de la commune – Absence de prix – Contrat ne pouvant être un marché public - Cocontractant rémunéré par le produit recueilli des pièces des véhicules – Contrat constituant une concession de service – Erreur de droit – Passation irrégulière – Annulation.

La ville de Paris a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la conclusion de deux conventions de retrait et de destruction des véhicules abandonnés en fourrière. Deux entreprises dont les offres ont été rejetées ont demandé au juge des référés l’annulation de cette procédure en tant, pour la première, qu’elle porte sur l’attribution n° 1 et, pour la seconde, sur les lots n° 1 et n° 2. Le juge saisi a fait droit à ces deux demandes.

La ville de Paris se pourvoit contre ces ordonnances.

Le Conseil d’État soulève d’office la question de la qualification juridique du contrat litigieux. Dès lors que celui-ci ne comporte pas de prix ni même de rémunération directe ni non plus un mécanisme de compensation en cas de pertes financières, ce contrat ne saurait constituer un marché public au regard des art. L. 2 et L. 1121-1 du code de la commande publique (CCP).

Par suite, il constitue un contrat de concession de service car les cocontractants se rémunèrent sur la récupération de ce qui peut l’être de ces véhicules.

Pour annuler la procédure de passation le juge des référés a méconnu le champ d’application de la loi car il s’est fondé sur des articles du CCP (art. L. 2124-1, L. 2131-1 et R. 2131-16) qui ne sont applicables qu’aux marchés publics.

Le droit de la concession étant donc applicable, s’imposait à la ville de Paris une critérisation (art. L. 3124-4, L. 3124-5 et R. 3124-4 du CCP) or celle-ci était inexistante en l’espèce. Un tel manquement ayant été susceptible de léser les requérantes la procédure est annulée sans invitation à la ville de la reprendre.

(9 juin 2021, Ville de Paris, n° 448948 et n° 448949)

 

41 - Contrat de concession de services pour l’exploitation d’un terminal maritime – Annulation de la procédure de passation par le juge des référés – Violation du secret des affaires – Pièces soumises au débat contradictoire – Absence d’erreur de droit – Rejet.

Deux candidats évincés d’une procédure d'attribution du contrat de concession de services pour l'exploitation du terminal " multivrac " du Grand port maritime du Havre demandent et obtiennent l’annulation, par le juge des référés, de la procédure de passation en litige.

La société attributaire se pourvoit contre l’ordonnance de référé. Son recours est rejeté.

Plusieurs moyens étaient soulevés au soutien du pourvoi ; ils sont tous rejetés mais l’un d’eux doit retenir l’attention.

La demanderesse au pourvoi soutenait, d’une part, que le juge s’était fondé à tort sur des pièces communiquées par l’une des candidates évincées en violation du secret des affaires et, d’autre part, que, dans le cadre d'une éventuelle nouvelle procédure de passation, à brève échéance, de la concession en litige, la divulgation d'informations confidentielles contenues dans le rapport d'analyse des offres était susceptible de porter atteinte à l'égalité entre les candidats.

Sur le premier chef d’argumentation, le juge répond un peu prestement que ce faisant, le juge des référés n’a commis aucune irrégularité procédurale ni, non plus, entaché son ordonnance d’erreur de droit dès lors que ces pièces ont été soumises au débat contradictoire entre les parties. Cela fait un peu court comme motivation.

Sur le second chef, il est répondu que cela regarderait, le cas échéant, la nouvelle procédure mais est sans incidence sur celle faisant l’objet du présent pourvoi. Reste que du fait de l’annulation prononcée en première instance et confirmée en cassation, une nouvelle procédure ne manquerait pas de faire difficulté sur ce point avec le risque d’un blocage si à l’annulation de la première s’ajoute l’impossibilité d’en organiser une seconde. Par contrecoup invoquer le sort de cette dernière à l’occasion de l’examen de la première procédure n’était pas si inopérant ou irrelevant que cela.

(9 juin 2021, Société Lorany Conseils, n° 449643)

 

42 - Contrat d’accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA – Manquements d’ERDF (devenu ENEDIS) à ses obligations contractuelles – Sanctions – Contrôle du juge sur les décisions de sanction prises par la Commission de régulation de l'énergie (CoRDIS) – Rejet et annulation partiels.

Une société de parc éolien était en litige avec ERDF/ENEDIS notamment sur le régime contractuel des indisponibilités d’accès au réseau et sur les responsabilités en découlant.

La société avait saisi le comité de règlement des différends et des sanctions de la CoRDIS pour méconnaissance par ce dernier de ses obligations contractuelles.

Le comité avait retenu l’existence de fautes contractuelles de la part d’ERDF/ENEDIS. Il avait pris en conséquence deux décisions, les 25 novembre 2015 et le 11 juin 2018.

Par la première, la CoRDIS, avait, d’une part,  donné à ERDF/ENEDIS un délai de six mois à compter de la notification de sa décision, pour transmettre au parc éolien un nouveau contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité permettant d'assurer une totale transparence dans l'application des régimes de responsabilité en cas d'interruption du réseau et, d’autre part, ordonné de lui communiquer dans le même délai le nouveau projet de contrat d'accès au réseau public de distribution d'électricité en injection HTA, ce contrat ayant vocation à s'appliquer à l'ensemble des opérateurs. 

Par la seconde décision, constatant qu’ERDF/ENEDIS n’avait pas pleinement satisfait à sa décision du 25 novembre 2015, la CoRDIS lui a infligé une sanction pécuniaire de trois millions d’euros.

ENEDIS saisit le Conseil d’État d’un recours contre cette pénalité.

Le juge, opérant une analyse très fine des données de fait et de droit de l’affaire, admet certaines parties du raisonnement de la CoRDIS (saisine régulière de celle-ci ; fixation des délais d’exécution de ses décisions ; date de comptabilisation des indisponibilités figurant dans le bilan à communiquer aux producteurs ; portée de l’obligation d’établir un nouveau contrat ; manquement à l’obligation de transparence s’agissant des clauses relatives aux durées maximales d'indisponibilité du réseau, à leur comptabilisation et à l'information des producteurs ; manquement d’ENEDIS à son obligation de transparence concernant le contenu et la fréquence du bilan des indisponibilités du réseau)   et en rejette d’autres (rejet de la date d’entrée en vigueur des nouveaux contrats ; non-respect par ENEDIS  du délai imparti par la CoRDIS par la décision du 25 novembre 2015 pour se conformer à celle-ci ; interprétation inexacte des clauses relatives à l'exécution des travaux de maintenance et de renouvellement ainsi que de celles relatives à la comptabilisation de l'ensemble des indisponibilités faisant l'objet d'une indemnisation par Enedis au titre de ses obligations de résultat, ni leur mention dans le bilan communiqué aux producteurs ; avoir aperçu un manquement d’ENEDIS dans le fait, qu’éventuellement, pourrait prendre fin unilatéralement son engagement d’une obligation de résultat en matière d’indisponibilité programmée ; pareillement concernant le régime de responsabilité spécifique aux parties ; manquement à l’obligation de transparence pour ce qui regarde le tableau traduisant la distinction entre les indisponibilités consécutives à une intervention de la société RTE, les indisponibilités liées aux interventions de la société Enedis pour renouvellement, renforcement ou extension d'ouvrage d'un poste source et, enfin, toutes les autres indisponibilités pour travaux) pour aboutir à ramener la sanction pécuniaire de trois millions à cinq cent mille euros.

(18 juin 2021, Société ENEDIS, n° 422616)

(43) V. aussi, très importante et voisine, en matière d’étendue du contrôle du juge administratif sur les sanctions infligées par la CoRDIS dans le cas particulier de la manipulation du marché de gros du gaz naturel, mais dont la longueur et la technicité ne permettent pas de la rapporter ici, la décision suivante : 18 juin 2021, Société Vitol, n° 425988.

 

44 - Compétence contentieuse en matière précontractuelle, contractuelle ou quasi-contractuelle – Lieu d’exécution du contrat – Dérogation aux règles de compétence territoriale par accord entre les parties – Accord devant figurer dans le contrat primitif ou un avenant – Dérogation antérieure à tout contrat ou avenant – Annulation.

Après que le premier alinéa de l’art. R. 312-11 du CJA a fixé les règles de détermination de la compétence territoriale du juge administratif en matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle, le second alinéa prévoit qu’il peut être dérogé à ces règles par accord des parties figurant dans le contrat primitif ou dans un avenant, pourvu, en ce second cas, qu’il ait été conclu avant la naissance du litige.

En l’espèce, le tribunal administratif, pour décliner sa compétence, s’était fondé sur les stipulations du projet de cahier des charges de la concession, reprises dans les avis de concession, qui prévoyaient que les contestations qui s'élèveraient entre les parties au sujet du contrat seraient portées devant le tribunal administratif de Paris.

Ce jugeant il commettait une évidente erreur de droit, seule pouvant produire effet une clause figurant dans un contrat ou un avenant existant et non celle incluse dans un simple projet de contrat ou d’avenant même reprise dans un avis de concession.

(18 juin 2021, Société Eiffage, n° 450283)

 

45 - Concession de service public – Référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA) – Pouvoirs du juge du référé contractuel – Vérification du respect des seules règles de publicité et de mise en concurrence – Rejet.

Le litige portait sur les irrégularités qui auraient entaché la procédure de passation de la concession de service public de gestion, d'exploitation et de développement de l'aéroport d'Annecy-Meythet. Le juge des référés avait, au visa de l’art. L. 551-1 CJA, annulé cette procédure au stade de l'ouverture de la négociation.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance pour dénaturation des faits et pièces du dossier et reprend donc l’analyse de tous les griefs formulés par la demanderesse de première instance : il rejette le référé.

Il est intéressant de relever que le juge rappelle les limites de l’office du juge du référé précontractuel de l’art. L. 551-1 CJA. Celui-ci n’a été institué que pour connaître d’éventuels manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics et des conventions de délégation de service public. Il s’ensuit qu’il ne peut examiner que les seuls moyens invoquant ces manquements. Toute autre moyen est irrecevable dans le cadre de cette procédure comme, par exemple, en l’espèce, le moyen tiré du non-respect du délai de transmission au conseil départemental des documents nécessaires à cet effet.

(18 juin 2021, Société Edeis, n° 450869 ; Société Vinci airports, n° 450871)

 

46 - Marché public de mise à disposition publique d’une flotte de vélos et de mobilier urbain d’informations ou de messages publicitaires – Partie de la rémunération de l’entrepreneur assurée par un intéressement en raison du niveau de qualité du service assuré – Silence du CCAP sur l’inclusion ou non de la TVA dans le montant de l’intéressement – Réponse positive – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit la juridiction qui, dans le silence des dispositions contractuelles sur ce point, juge que la mention d’un prix sans autre précision, signifie qu’il est stipulé toutes taxes comprises, la TVA n’étant pas un accessoire du prix mais un élément de celui-ci.

Ce jugeant, elle n’a pas non plus commis d’erreur de droit en faisant application de cette règle en matière contractuelle, ni porté atteinte à la commune intention des parties ni au principe de cohérence des stipulations contractuelles entre elles.

(29 juin 2021, Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information, n° 442506)

 

Covid-19

 

47 - Fermeture des restaurants pour cause d’épidémie – Demande de réouverture ou de prise en charge par l’État des marges bénéficiaires perdues durant le temps de fermeture ou des surcharges financières occasionnées par la transformation en livraisons de plats cuisinés – Griefs divers – Rejet.

Comme cela était très prévisible, le Conseil d’État rejette les 41 requêtes dont l’avaient saisi des restaurateurs qui, au soutien de demandes d’indemnisation d’activités interdites et/ou de prises en charges d’activités permises du fait de l’épidémie de Covid-19, invoquaient de nombreux griefs à l’encontre des divers textes (arrêté et décrets), les uns touchant à leur légalité externe et les autres à leur légalité interne.

En particulier ne sont pas retenus : le moyen d’atteinte à l'objectif à valeur constitutionnelle de prévisibilité et d'intelligibilité de la loi et aux principes de légalité des délits et des peines, de droit à la liberté et à la sûreté ainsi que de sécurité juridique, la variabilité extrême et l’incohérence ou la succession des textes (masques, déplacements) n’étant que le résultat de l’évolution de la pandémie et des connaissances scientifiques à son égard; pas davantage ne sont retenues les atteintes alléguées au droit de propriété, à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre, au droit au respect de la vie privée et familiale ainsi que le caractère disproportionné des dispositions attaquées au regard des risques sanitaires et de la disparité des situations locales.

En bref, les mesures prises devaient l’être et elles n’étaient point évitables ou disproportionnées.

(17 juin 2021, Société ASPEO, n° 440330 et 40 autres requêtes, jonction)

 

48 - Mariage en France avec un étranger – Épidémie de Covid-19 - Restrictions des déplacements – Mariage constituant un motif impérieux de déplacement en France - Obligation de délivrance d’un visa à cette fin – Injonctions au premier ministre et au ministre de l’intérieur.

Saisi à nouveau, cette fois par un référé liberté, par des particuliers et une association de ce sujet, le le juge des référés du Conseil d’État, qui,  par une ordonnance du 9 avril 2021 (V. cette Chronique, avril 2021 n° 47 et n° 145), avait, sur le fondement de l'article L. 521-1 du CJA, 1°/ suspendu la circulaire du Premier ministre du 22 février 2021 en tant qu'elle ne permettait pas l'instruction de demandes de visas en vue d'un mariage, 2°/ ordonné au Premier ministre de prendre des dispositions réglementaires strictement proportionnées aux risques sanitaires, et, 3°/, aux services consulaires d'enregistrer les demandes de visa, à cette fin, est conduit, après constat de difficultés persistantes pour les intéressés malgré la prise d’une circulaire le 19 mai 2021, à exercer avec une certaine fermeté son pouvoir d’injonction.

Il enjoint donc, d’abord au premier ministre, de modifier la circulaire du 19 mai 2021 afin d'y indiquer que le mariage en France constitue un motif impérieux permettant en principe la délivrance d'un visa, qui peut être selon les circonstances et si les conditions de délivrance en sont remplies, de long ou de court séjour.

Il enjoint ensuite au ministre de l’intérieur, d’une part, de modifier l'attestation de déplacement international afin que la possibilité de solliciter un visa de court ou de long séjour en vue d'un mariage y soit expressément mentionnée et, d’autre part, d'informer les postes diplomatiques et consulaires que la délivrance d'un visa de court ou de long séjour en vue d'un mariage ne peut être subordonnée à la délivrance d'une autorisation de sortie et de retour de l'État de résidence du demandeur.

(ord. réf. 17 juin 2021, Mme F. et autres et Association de soutien aux amoureux au ban public, n° 453113)

 

49 - Enseignement – Mesures sanitaires dans les écoles pour cause d’épidémie – Décret du 1er mai 2021 – Demande de suspension – Rejet.

Les requérants demandaient, d’une part, la suspension de l'exécution de l'article 36 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 dans sa rédaction issue du décret n° 2021-541 du 1er mai 2021 ainsi que celle du guide relatif au fonctionnement des écoles et établissements scolaires dans le contexte Covid-19 pour l'année scolaire dans sa version de février 2021, et, d’autre part, qu’il soit fait injonction  au premier ministre de prendre un nouveau décret modifiant l'article 36 du décret du 29 octobre 2020, dans un délai de 24 heures à compter de l'ordonnance à intervenir, de diligenter une étude d'impact officielle, de prévoir : 1° des conditions de dérogation au port du masque pour les enfants, 2° les conséquences d'un refus du port du masque pour les enfants notamment à l'école primaire, 3° une date de fin de cette obligation généralisée, sous astreinte de 50 euros par jours de retard.

Sera-t-on surpris d’apprendre le rejet de cette requête ?

Tout d’abord le guide dont il s’agit, en tant qu’il décrit le protocole sanitaire, n’a pas le caractère d’une décision mais rassemble des règles de bonne conduite et fournit des recommandations, il, n’est donc pas entaché d’incompétence du fait de son auteur alors même qu’il est susceptible de produire notamment vis-à-vis des enfants scolarisés et des parents d'élèves des effets notables sur leurs droits ou leur situation. Ensuite, ce guide, en tant qu’il porte obligation du port du masque, ne donne pas aux médecins de l'éducation nationale ou à l'administration scolaire un pouvoir d'appréciation des certificats médicaux

Quant à l’art. 36 critiqué, compte tenu des indicatifs sanitaires connus et qu’il n’interprète pas erronément et au regard des mesures qu’il édicte il n’a ni inexactement apprécié la situation ni adopté des mesures qui ne seraient ni adaptées ni proportionnées aux données recueillies.

(ord. réf. 1er juin 2021, M. A. et autres, n° 452487)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

50 - Contrôles fiscaux visant une société et ses associés – Caractère distinct des deux procédures – Conséquences et limites – Rejet.

Le Conseil d’État, statuant sur un arrêt rendu en matière de contrôle fiscal portant à la fois sur une société et sur ses associés souffle le chaud et le froid en jouant sur le caractère distinct et pourtant pas si autonomes des deux procédures en cause.

D’une part, parce que ces procédures sont distinctes, l’administration fiscale peut parfaitement demander aux associés, chacun en leur qualité de contribuables, la production de leur comptabilité personnelle (notamment des comptes courants d’associé) alors même qu’elle aurait pu le faire dans le cadre du contrôle de la société ou alors même qu’elle l’aurait fait ou encore alors même qu’elle serait déjà en sa possession…

D’autre part, parce que cette distinction a ses limites lorsqu’il y va des intérêts du fisc, l’administration peut parfaitement utiliser dans le cadre de l'examen de la situation fiscale personnelle d'un contribuable, des informations obtenues dans le cadre de la vérification de comptabilité de la société dont il est associé. Il suffit pour cela que soient respectées les exigences de forme requises distinctement pour l’une et l’autre entités contrôlées (société d’une part, associés d’autre part).

(4 juin 2021, M. et Mme B., n° 430897)

 

51 - Outre-Mer – Réduction d’impôt sur le revenu – Investissements productifs neufs – Investissement par une entreprise – Condition – Absence – Erreur de droit – Annulation et rejet.

L’art. 199 undecies B CGI a prévu, au bénéfice des contribuables domiciliés en France, la possibilité d’une réduction d’impôt sur le revenu à raison d’investissements neufs productifs réalisés outre-mer. En l’espèce, une personne avait réalisé un tel investissement et l’avait mis, par contrat de location, à la disposition d’une entreprise. Infirmant, pour erreur de droit, la solution retenue en appel, le Conseil d’État juge que le bénéfice de la réduction, en ce cas, ne peut être accordé que s’il s’agit d’une opération de location à titre commercial, les revenus en résultant constituant des bénéfices industriels et commerciaux.

(4 juin 2021, Mme A., n° 434207)

 

52 - Impôt sur les sociétés – Opposition à contrôle fiscal – Infliction d’une amende de 100% des revenus distribués – Notion de revenus distribués – Absence en l’espèce – Rejet du pourvoi sur le premier point et cassation sur le second point.

Une société qui a des activités en France et en Grande-Bretagne mais dont le siège est dans ce dernier pays, est condamnée, à raison de son inertie, à répondre aux demandes de l’administration fiscale, à une amende égale à 100% des revenus distribués son attitude étant considérée comme une opposition à contrôle fiscal.

Une première question était de savoir si le comportement de fait de la société pouvait être considéré comme une opposition à contrôle fiscal ainsi que le soutenait le ministre. Au vu d’un certain nombre d’éléments la cour administrative d’appel a répondu positivement et, sous le bénéfice du pouvoir souverain des juges du fond, elle est approuvée par le Conseil d’État.

La seconde question portait sur l’annulation par la cour de l’amende de 100%, celle-ci estimant que les sommes non déclarées en France n'avaient pas été désinvesties et que la circonstance que le bénéfice reconstitué par l'administration fiscale au titre de l'exploitation française soit supérieur au bénéfice global déclaré par la société étrangère et imposé dans son Etat de résidence ne révélait pas, à elle seule, l'existence d'une distribution. Elle jugeait qu’il en allait d’autant plus ainsi qu’il est constant que le bénéfice global déclaré à l'étranger comprenait l'intégralité des produits de l'exploitation française et que cette société exerçait également une autre activité non imputable à cet établissement génératrice, par suite, de charges distinctes. Approuvant cette analyse, selon laquelle la société avait déclaré l'intégralité de ses revenus de source française à l'administration britannique et les bénéfices en découlant y avaient été imposés d’où il résultait qu'aucune distribution n'avait eu lieu, le juge de cassation rejette le pourvoi du ministre car le montant de l’amende est égal à la somme des revenus distribués, lesquels sont ici inexistants.

(4 juin 2021, Société Artelim, n° 437988 et Ministre de l’action et des comptes publics, n° 438028)

 

53 - Avis à tiers détenteur en vue du recouvrement de cotisations de taxe foncière – Avis notifiés postérieurement à la clôture de la liquidation judiciaire du commerce du contribuable – Loi du 26 janvier 1985 dans sa rédaction antérieure à celle de la loi du 26 juillet 2005 – Absence d’obligation de soumission de ces créances à la déclaration de créances – Rejet.

C’est à bon droit qu’un jugement décide que, antérieurement à la rédaction que la loi du 26 juillet 2005 a donné de ce texte, les créances de taxe foncière sur les propriétés bâties n’étaient pas soumises à l’obligation de déclaration de créances instituée par l'article 50 de la loi du 25 janvier 1985 repris à l'article L. 621-43 du code de commerce.

Par suite c’est à tort que le contribuable se prévaut de la non-notification au mandataire liquidateur des cinq avis à tiers détenteur émis en vue de recouvrer des cotisations de taxe foncière, pour demander décharge de leur paiement et mainlevée de ces avis.

(9 juin 2021, M. A., n° 429919)

 

54 - Activité de marchand de biens - TVA acquittée lors de l’acquisition d’un immeuble – Conditions de déduction de la TVA – Immeuble mis provisoirement en location – Déduction en cas de revente seulement et d’exercice d’une option (5° bis de l’art. 260 CGI) – Rejet.

Lorsqu'un immeuble achevé depuis plus de cinq ans est acquis en vue de sa revente, ce qui est souverainement jugé en l’espèce, la taxe sur la valeur ajoutée ayant éventuellement grevé le prix d'acquisition n'est pas déductible sauf exercice, au moment de la revente, de l'option prévue au 5° bis de l'article 260 du CGI.

Par suite, la taxe acquittée lors de l'acquisition du bien n'est pas déductible avant l’expiration de ce délai quinquennal, quand bien même l'immeuble donnerait lieu, dans l'attente de sa revente, à des opérations de location soumises à la TVA car  il n’existe pas « de lien direct et immédiat entre l'achat de l'immeuble et l'activité intercalaire de location ».

(9 juin 2021, Société Le Cap, n° 429498)

 

55 - Acquisition de terrains à bâtir en vue de leur revente – Calcul dérogatoire de TVA – Conditions – Absence – Annulation avec renvoi.

Le juge rappelle, une nouvelle fois, qu’il se déduit de la combinaison, d’une part, des dispositions de l’art. 392 de la directive 2006/112/CE du 20 novembre 2006 relative au système commun de TVA, et d’autre part, de celles de l’art. 268 du CGI prises pour la transposition de la directive précitée, que les règles de calcul dérogatoires de TVA qu’elles instituent ne s’appliquent qu’aux cessions de terrains à bâtir en vue de leur revente et non à celles des cessions portant sur des terrains déjà bâtis au moment de leur acquisition.

(9 juin 2021, Société F. B. Immoblier, n° 432224)

 

56 - Outre-mer – Investissements productifs neufs (art. 199 undecies B du CGI) – Contribuables domiciliés en France – Réduction d’impôt sur le revenu – Acquisition d’une benne à ordures supplémentaire – Exigence du cahier des charges d’un marché public – Refus d’agrément - Erreur de droit du ministre – Confirmation du jugement de première instance et rejet.

L’acquisition, par une entreprise titulaire d’un marché public de collecte sélective des déchets ménagers et assimilés dont le cahier des charges prévoit l’obligation de disposer d’une benne à transport d’ordures supplémentaire pour le cas où le véhicule détenu tomberait en panne, réalise un « investissement productif neuf » au sens et pour l’application de l‘art. 199 undecies B du CGI.

Elle a donc droit au bénéfice de la réduction d’impôt sur le revenu que ce texte institue, nonobstant la circonstance que l’administration fiscale considère qu'un tel équipement, dont l'utilisation est aléatoire et non continue, ne saurait, par principe, être regardé comme un investissement productif affecté à l'activité de l'entreprise.

(10 juin 2021, Société Figuères Services, n° 443838)

 

57 - Impôt sur les sociétés – Impôt mis à la charge d’une société et de son unique associé – Dégrèvement des suppléments d’impôt accordé à la société – Absence d’effet sur les suppléments d’impôt mis à la charge de l’associé – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur la cour administrative d’appel qui juge que les dégrèvements accordés par l’administration fiscale à une société à raison des suppléments d’impôt sur les sociétés auxquels elle avait été assujettie valent également ipso facto dégrèvements de ces mêmes suppléments imposés à l’unique associé de cette société.

(17 juin 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 431769)

 

58 - Impôts sur les sociétés – Société d’édition et de distribution de logiciels professionnels – Imputation sur l’impôt dû en France des retenues à la source prélevées dans certains États – Conventions fiscales franco-brésilienne, franco-espagnole, franco-marocaine et franco-thaïlandaise – Distinction de deux sortes d’activités exercées par la contribuable – Une seule relevant du régime du crédit d’impôt – Rejet.

La société requérante se pourvoit en cassation d’un arrêt confirmatif ne retenant que partiellement l’octroi du bénéfice de crédits d’impôt payés à l’étranger en vertu de conventions fiscales internationales.

Cette société édite et distribue des logiciels professionnels. Sa filiale exerce deux activités de ce chef : elle concède à ses clients un droit d'utilisation des progiciels professionnels qu'elle conçoit et elle leur propose par ailleurs d'en assurer la maintenance.

La cour avait relevé que cette filiale ne concède à ses clients aucun autre droit de propriété intellectuelle attaché à sa qualité d'auteur des progiciels, ni ne leur transfère des connaissances techniques en dehors de la documentation portant sur l'utilisation des produits qu'elle fournit et de l'accompagnement qu'elle assure pour favoriser leur mise en oeuvre. La cour en avait déduit que les prestations de maintenance qu’assure cette société n’emportent pas transfert de procédés secrets ni d'un savoir-faire au sens et pour l’application des conventions fiscales franco-brésilienne, franco-espagnole et franco-thaïlandaises. Par ailleurs, ces prestations ne pouvaient pas être considérées au regard de la convention fiscale franco-marocaine comme ayant pour objet la fourniture d’études techniques ou économiques.

Enfin, ayant constaté être en présence de deux prestations distinctes de la part de la filiale, des prestations d'assistance technique fournies dans le cadre de l'activité de maintenance et la concession du droit d'usage opéré par les contrats de licence, faisant chacune l’objet de facturations séparées et, enfin, que l’une est obligatoire et l’autre facultative, la cour a, sans erreur de droit ni de qualification juridique, pu juger que les rémunérations perçues en contrepartie des prestations de maintenance et celle reçues en contrepartie des cessions de licences de logiciels devaient être distinguées pour l'application des stipulations conventionnelles, les premières étant exclues des dispositions conventionnelles en cause relative au crédit d’impôt, les secondes relevant de ce régime.

Le recours est rejeté ainsi que celui du ministre.

(18 juin 2021, Société Sopra Steria Group et ministre de l’action et des comptes publics, n° 433315)

(59) V. aussi, du même jour et relativement à la même société, la décision selon laquelle ne commet pas d’erreur de droit la cour qui, ayant souverainement constaté  que les attestations dont se prévalait la requérante ne permettaient pas d'établir avec une précision suffisante que des retenues à la source avaient été appliquées au Maroc, a jugé que l'administration fiscale avait pu valablement exiger la production par la société d'une attestation des services fiscaux marocains certifiant de l'acquittement de ces retenues à la source, alors même que ni la convention fiscale franco-marocaine ni la loi n'imposent expressément de fournir un tel justificatif : 18 juin 2021, Société Sopra Steria Group, n° 433323.

(60) V. également, du même jour et avec même requérante, la seconde partie de la décision (points 8 et suiv.) jugeant que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui refuse à une société le bénéfice d’un crédit d’impôt recherche en se fondant, notamment, sur la circonstance qu'elle avait répercuté intégralement aux donneurs d'ordre la charge financière liée à ces opérations de recherche. La cour devait seulement s’assurer que les cocontractants de la société Sopra Steria Group ne lui avaient pas confié la réalisation d'opérations de recherche dont le coût aurait constitué, pour ces entreprises, des dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche, la cour, en s’abstenant d’opérer cette vérification, a commis une erreur de droit : 18 juin 2021, Société Sopra Steria Group, n° 433319.

 

61 - Bénéfices non commerciaux réalisés par une société de personnes – Placement en liquidation – Établissement des comptes définitifs du liquidateur – Détermination du bénéfice imposable – Rejet.

Il est jugé que, par parallélisme avec le régime fiscal applicable en cas de dissolution de sociétés (art. 1844-8 Code civil), une société soumise au régime fiscal des sociétés de personnes exerçant une activité relevant des bénéfices non commerciaux qui est placée en liquidation ne doit déposer la déclaration prévue par l'article 202 du code général des impôts en cas de cessation d'exercice d'une profession non commerciale que lorsque les comptes définitifs du liquidateur ont été approuvés dans les conditions prévues par la loi.

Il suit de là que les associés d'une telle société ne sont pas fondés à se prévaloir, pour la détermination du montant des bénéfices imposables entre leurs mains, de la méthode de calcul prescrite par les dispositions du 1 de l'article 202 du CGI avant l'approbation des comptes définitifs du liquidateur. 

(25 juin 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 440982)

 

62 - Locaux professionnels – Établissement de leur valeur locative – Cas d’un EHPAD – Assujettissement aux dispositions de l’art. 1498 CGI – Rejet.

Ne commet pas d’erreur de droit le tribunal qui :

1°/ juge que l'administration n'est pas tenue de mettre le contribuable à même de présenter des observations lorsque, estimant que des locaux dont la valeur locative avait été déterminée selon une autre méthode relèvent du champ de l'article 1498 de ce code, elle procède, sans modifier les éléments déclarés par le contribuable, à une nouvelle évaluation de ceux-ci.

2°/ estime, que les biens taxables, locaux occupés par un EHPAD, maison de retraite, devaient être regardés, non comme des locaux d'habitation, mais comme des locaux professionnels au sens de l'article 1498 du CGI.

(25 juin 2021, Office public d’habitation Aube Immobilier, n° 441377)

 

Droit public économique

 

63 - Messagerie de presse – Plan de redressement de deux entreprises de messagerie dans le cadre d’un plan de cession – Contestation de la compétence de l’ARCEP pour affecter à un autre prestataire les sommes provenant d’une contribution exceptionnelle imposée aux éditeurs de presse – Absence d’incompétence de l’ARCEP – Rejet.

Cette affaire n’est que l’un des divers rebondissements contentieux de l’affaire Presstalis. Cette dernière ainsi que les Messageries lyonnaises de presse, titulaires du service national de messagerie de presse ont été mises en redressement judiciaire. Craignant pour l’avenir du service public de la distribution de la presse, corollaire indispensable de plusieurs libertés publiques, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP) a créé, par une décision du 26 février 2018, une contribution exceptionnelle des éditeurs pour le financement des mesures de redressement du système collectif de distribution de la presse.

Par une décision du 19 juin 2020, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) a modifié la décision de 2018 : c’est la décision attaquée dans le cadre de la présente affaire en tant que l’ARCEP n’avait pas compétence pour la prendre.

Le Conseil d’État rejette l’argument.

Si le juge admet les prémisses du raisonnement des requérantes, il ne les suit pas dans leur conclusion.

Tout d’abord, il est exact, comme soutenu dans le recours, que le législateur, s’il a conféré à l'ARCEP des missions de régulation de la distribution de la presse qui étaient précédemment assurées par le CSMP et l'Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), il ne l'a pas dotée du pouvoir, mis en oeuvre par ces institutions dans la décision du 20 février 2018, de faire contribuer financièrement les éditeurs au redressement des messageries de presse. Il est donc bien certain que l'ARCEP n'est compétente ni pour instituer une telle contribution, ni pour en modifier l'économie.

Ensuite, par la décision contestée, l’ARCEP s'est simplement bornée à modifier la décision instituant la contribution exceptionnelle dans la seule mesure nécessaire à son maintien au profit de l'activité de distribution de presse assurée jusqu'alors par Presstalis et objet du plan de cession analysé dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire. Cette décision n’avait donc pour objet que de transférer à un repreneur éventuel de Presstalis, afin de donner une solidité financière plus grande à celui-ci dans l’intérêt des entreprises de presse, le produit de la contribution exceptionnelle instituée en 2018 sans en modifier ni le taux, ni la durée, ni un autre élément de son régime. Ce faisant, l’ARCEP n’a donc pas excédé ses compétences

 (11 juin 2021, Société Coopérative des Editeurs Libres et Indépendants et autres, n° 442464 ; Société Marie Claire Album et autres, n° 442775 ; Société financière de loisirs, n° 446924)

 

64 - Structures agricoles – Demande d’exploitation de terres sans qualité de propriétaire – Exigences procédurales – Rejet.

Dans une décision frappée au coin du bon sens et du souci d’être pratique et efficient, le Conseil d’État juge que « S'il résulte (…) de l'article R. 331-4 du code rural et de la pêche maritime que, lorsque la demande d'autorisation d'exploitation agricole émane d'une personne qui n'est pas propriétaire des parcelles en cause, cette personne doit en principe avoir informé elle-même le propriétaire de sa candidature, l'absence dans le dossier de demande de la pièce établissant qu'il a procédé à cette information n'est pas par elle-même de nature à entacher sa demande d'irrégularité, dès lors que le propriétaire a été effectivement informé de sa candidature, y compris, le cas échéant, par l'administration au cours de l'instruction du dossier, dans des conditions lui permettant de présenter, en temps utile, ses observations écrites. Lorsque la demande est soumise à la commission départementale d'orientation de l'agriculture, l'information du propriétaire doit lui permettre de présenter utilement ses observations préalablement à la réunion de cette commission. A défaut d'avoir été assurée par le demandeur lui-même, cette information peut résulter de la lettre recommandée que l'administration adresse au propriétaire pour l'informer de l'examen de cette candidature par la commission, conformément aux dispositions de l'article R. 331-5 du même code. »

(16 juin 2021, M. C. et autres, n° 437587)

 

Droit social et action sociale

 

65 - Allocation de logement sociale – Art. R. 532-8 code de la sécurité sociale – Examen de sa légalité et de sa constitutionnalité - Renvoi préjudiciel du juge judiciaire – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Illégalité.

Comme il l’avait déjà jugé à propos de ce même article s’agissant de l’allocation de rentrée scolaire, le Conseil d’État, saisi sur renvoi préjudiciel du juge judiciaire, le juge également illégal s’agissant de l’allocation de logement sociale en raison de ce que ses dispositions peuvent ainsi conduire à ce que des foyers disposant de ressources identiques et inférieures au plafond au moment où le droit est ouvert soient traités de façon différente, certains d'entre eux, soumis à l'évaluation forfaitaire de leurs revenus, se trouvant privés du bénéfice de l'allocation.

(4 juin 2021, M. A., n° 442240)

 

66 - Renvoi préjudiciel - Autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé – Motif économique invoqué – Niveau d’appréciation du motif – Cas d’un groupe – Possibilité pour un groupe d’être détenu par une personne physique – Défaut de réalité du motif économique invoqué – Rejet.

Un salarié protégé ayant fait l’objet d’un licenciement pour motif économique conteste devant le juge judiciaire la réalité du motif retenu par l’administration. La cour de Chambéry renvoie au juge administratif la question préjudicielle de savoir si, comme le soutenait le demandeur, l'inspecteur du travail avait inexactement apprécié le motif économique de son licenciement, en se fondant sur la situation économique de l'ensemble des sociétés intervenant dans le même secteur d'activité que la société Papeterie du Léman dans le périmètre du seul groupe PVL Holdings, alors que la société Papeterie du Léman relève, en réalité, d'un groupe plus étendu, détenu par M. B. et comportant notamment plusieurs sociétés produisant également du papier à cigarette.

La société requérante demande au Conseil d’État de dire régulière la décision d’autorisation donnée par l’inspecteur du travail.

Répondant à la fois au renvoi préjudiciel par le juge judiciaire et au pourvoi, le Conseil d’État procède en deux temps.

En premier lieu, et cet aspect de la décision est important, se fondant notamment sur l’art. L. 233-3 du code de commerce, le juge de cassation décide qu’une personne physique doit, au même titre qu'une personne morale, être considérée comme en contrôlant une autre dès lors qu'elle remplit les conditions visées à cet article, y compris sous l'empire de la rédaction de cet article antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 3 décembre 2015 portant transposition de la directive du 22 octobre 2013 modifiant celle de 2004. Par suite, doivent être prises en compte pour l’appréciation de la situation économique d’une entreprise, toutes les entreprises placées sous le contrôle d'une même personne physique ou morale, quel que soit le lieu d'implantation de leur siège.

En deuxième lieu, alors que l’inspecteur du travail s’est fondé, pour donner son autorisation, sur la situation économique de la société Papeteries des Vosges (PDV) et sur celle de la société PDL, ces deux sociétés relevant d'un même secteur d'activité constitué par la production et la commercialisation de papier fin, notamment de papier à cigarette, et appartenant l'une et l'autre au groupe PVL Holdings, le salarié licencié fait valoir que la société PVL Holdings, dont la société PDL et la société PDV sont des filiales, est détenue par deux sociétés américaines appartenant à M. B., lequel détient en outre directement ou indirectement plusieurs autres sociétés dont les activités sont proches de celles de la société PDL, parmi lesquelles les sociétés du groupe Republic Technologies International (RTI), groupe quil comprend non seulement la société Republic Technologies France (RTF) dont le siège est à Perpignan, mais aussi la société Altesse en Autriche et la société Productos tecnologicos catalanes (PTC) en Espagne. Le salarié en déduit que le périmètre d'appréciation du motif économique de son licenciement est constitué par l'ensemble des entreprises relevant du même secteur d'activité que la société PDL et se trouvant sous le contrôle de M. B., qui peut être considéré comme exerçant le contrôle effectif sur ces sociétés au sens de l'article L. 2331-1 du code du travail, y compris celles du groupe Republic Technologies International. Le Conseil d’État relève que face à cette argumentation circonstanciée la société demanderesse au pourvoi s'est bornée à soutenir qu'un groupe ne pouvait être détenu par une personne physique, argument ne pouvant être retenu, et n'a pas produit d'élément concret relatif aux entreprises détenues par M. B. alors qu'elle était nécessairement en mesure de produire de telles informations.

D’où la conclusion du Conseil d’État, classique en matière de preuve (au moins depuis l’arrêt Barel, 1954) : le salarié est fondé à dire non établi le motif économique retenu pour autoriser son licenciement.

(14 juin 2021, Société Papeteries du Léman, n° 417940)

(67) V. aussi, confirmant l’annulation d’un licenciement reposant sur les seuls éléments relatifs à la situation économique d’une entité économique autonome au sein d’un groupe : 14 juin 2021, Société René Graf, n° 438431

 

68 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Recours contre la décision l’homologuant ou le validant – Ordre d’examen des moyens par le juge – Cas d’un recours contre « une nouvelle décision suffisamment motivée » d’homologation ou de validation – Moyens alors invocables – Moyens tirés de vices propres – Substitution de motif - Rejet.

Cette importante décision conduit à revisiter complètement le contentieux administratif de l’homologation ou validation d’un PSE (art. L. 1235-10, 1235-11 et 1235-16 c. trav.). Elle précise le régime contentieux applicable, d’une part, à la contestation de la décision administrative homologuant ou validant un PSE, et, d’autre part, au recours dirigé contre « la nouvelle décision suffisamment motivée » prise pour la régularisation de la décision antérieure.

Sur le premier point et pour autant que l’entreprise faisant l’objet d’un PSE ne soit pas en redressement ou en liquidation judiciaire, il convient pour le juge administratif saisi de tenir compte de ce que le législateur attache à l'annulation d'un PSE, des effets qui diffèrent selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée.

D’où le canevas suivant à respecter par le juge saisi d'une requête dirigée contre une décision d'homologation ou de validation d'un PSE.

1°/ Si cette requête soulève plusieurs moyens, il a l’obligation de commencer par se prononcer, s'il est soulevé devant lui, sur le moyen tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, même lorsqu'un autre moyen est de nature à fonder l'annulation de la décision administrative, compte tenu des conséquences particulières qui, en application de l'article L. 1235-11 c. trav., sont susceptibles d'en découler pour les salariés.

2°/ Le juge administratif doit se prononcer ensuite sur les autres moyens éventuellement présentés à l'appui des conclusions aux fins d'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, en réservant, à ce stade, celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative. En effet, l'article L. 1235-16 c. trav. prévoit désormais que l'annulation d'une telle décision administrative, pour un autre motif que celui tiré de l'absence ou de l'insuffisance du plan, est susceptible d'avoir des conséquences différentes selon que cette annulation est fondée sur un moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen.

3°/ Lorsqu'aucun de ces moyens n'est fondé, le juge administratif doit se prononcer, lorsqu'il est soulevé, sur le moyen tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative. 
Sur le second point, lorsque, après l'annulation par le juge administratif d'une première décision de validation ou d'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi d'une entreprise en raison d'une insuffisance de motivation, l'autorité administrative prend « la nouvelle décision suffisamment motivée » (cf. art. L. 1235-16 c. trav.), cette nouvelle décision, qui intervient sans que l'administration procède à une nouvelle instruction de la demande, et au vu des circonstances de fait et de droit existant à la date d'édiction de la première décision, a pour seul objet de régulariser le vice d'insuffisance de motivation entachant cette précédente décision. En conséquence, les seuls moyens susceptibles d'être invoqués devant le juge administratif à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette seconde décision sont ceux critiquant ses vices propres. 

Substituant ici ce motif à celui, erroné, retenu par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État rejette le pourvoi.

(14 juin 2021, M. A. et autres, n° 48459)

 

69 - Office public de l’habitat – Manquement à ses obligations – Contrôle de l'Agence nationale de contrôle du logement social (ANCOLS) – Procédure à suivre en cas de sanction – Respect des droits de la défense – Annulation.

En cas de manquements à ses obligations par un organisme de logement social, l’ANCOLS dispose du pouvoir d’ordonner la rectification des irrégularités ainsi que de proposer au ministre leur sanction.

La procédure de sanction est évidemment soumise au respect des droits de la défense et donc de tout ce que celui-ci implique : connaissance des reproches, sanctions encourues, délai raisonnable pour répondre, etc.

Il suit de là que l'ANCOLS ne peut régulièrement proposer au ministre de prononcer une sanction contre un organisme qu'elle a contrôlé qu'après que l'organe délibérant de cet organisme a été mis en mesure de présenter ses observations sur le rapport de contrôle établi par l'agence, en ayant été informé de ceux des constats du rapport pour lesquels l'agence envisage de proposer une sanction.

Bien que les art. L. 342-9, R. 342-13 et R. 342-14 du code de la construction et de l’habitation ne le prévoient pas, il incombe à l’Agence, après qu’elle a été saisie du rapport de contrôle définitif, de ne proposer une sanction au ministre que si elle se fonde sur les seuls griefs retenus dans ce rapport par le Comité du contrôle et ses suites. Il suit de là qu’est satisfaite l’exigence de respect des droits de la défense dès lors que l’Agence communique préalablement à l’organisme contrôlé d'une part le rapport définitif de contrôle et, d'autre part, la décision prise au vu de ce rapport par le comité du contrôle et des suites de l'ANCOLS. En revanche, elle n’est pas tenue à peine de nullité de la procédure de sanction, de lui communiquer la délibération par laquelle elle propose aux ministres compétents de prononcer une sanction. 

(16 juin 2021, Office public de l'habitat (OPH) Drôme aménagement habitat, n° 432682 et n° 436311, jonction)

(70) V. aussi, largement comparable : 16 juin 2021, Office public de l'habitat du Territoire de Belfort, n° 435315.

 

71 - Chômeur – Allocation d’aide au retour à l’emploi – Condition d’octroi – Actes répétés de recherche d’emploi – Absence – Refus d’ouvrir un droit à l’allocation – Erreur de droit – Annulation.

Retenant une solution très logique, le Conseil d’État juge que si l'existence d'actes positifs et répétés accomplis en vue de retrouver un emploi est une condition mise au maintien de l'allocation d'aide au retour à l'emploi, elle ne saurait conditionner l'ouverture du droit à cette allocation. Il est évident que l’on ne saurait exiger pour l’ouverture d’un droit un comportement ou des attitudes qui ne sont requises que pour son maintien.

(16 juin 2021, Mme C., n° 437800)

 

72 - Régime d’assurance accidents du travail et maladies professionnelles des non-salariés agricoles – Affiliation à des régimes de sécurité sociale différents – Principe d’égalité – Portée – Exception d’illégalité rejetée.

Le Conseil d’État était saisi de la question préjudicielle renvoyée par le tribunal judiciaire de Caen portant sur la légalité de l'article D. 752-26 du code rural et de la pêche maritime en tant qu’il fixe à 30 % le taux d'incapacité permanente ouvrant droit au bénéfice d'une rente pour un chef d'exploitation ou d'entreprise agricole victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle alors que, selon l’art. R. 434-1 du code de la sécurité sociale (auquel il est renvoyé par l’art. L. 751-8 du code rural et de la pêche maritime), dans le cas d’un salarié agricole, une rente de même nature peut lui être accordée dès que le taux d’incapacité est d’au moins 10%.

Le demandeur voyait dans cette différence de traitement une atteinte injustifiée au principe d’égalité.

Le Conseil d’État commence par un rappel classique de son appréciation de la portée qu’il convient de donner au principe d’égalité, lequel « ne s'oppose pas à ce que des personnes affiliées à des régimes de sécurité sociale différents, lesquels forment chacun un ensemble dont les dispositions ne peuvent être envisagées isolément, soient soumises à des règles différentes en ce qui concerne la détermination du taux à partir duquel un assuré peut solliciter le bénéfice d'une rente en raison d'une incapacité permanente consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle. »

Le juge relève ensuite « qu'un salarié agricole et un chef d'exploitation ou d'entreprise agricole ne contribuent pas selon les mêmes modalités au financement de la branche couvrant leur risque, la rente versée à un salarié en cas d'incapacité permanente partielle étant notamment financée par une cotisation patronale assise sur ses revenus et celle versée à un non-salarié par une cotisation forfaitaire. »

Il en conclut que ces deux catégories de travailleurs relèvent ainsi de régimes de sécurité sociale distincts, bien que gérés l'un et l'autre par la Mutualité sociale agricole et que la différence de traitement critiquée ne porte pas atteinte au principe d’égalité.

Aussi il est répondu au juge judiciaire que l’exception d’illégalité soulevée devant lui n’est pas fondée.

(16 juin 2021, M. B. c/ Mutualité sociale agricole des Côtes normandes, n° 442201).

 

Élections

 

73 - Élections municipales – Réclamation au préfet mettant en cause la régularité du vote par procuration de deux électeurs – Réclamation ayant le caractère d’une protestation de l’art. R. 119 c. électoral – Conséquences – Annulation du second tour des élections.

En premier lieu, doit être considérée comme une protestation au sens et pour l’application de l’art. R. 119 du code électoral la réclamation adressée par une électrice au préfet mettant en cause la régularité du vote par procuration de deux électeurs lors des opérations électorales du second tour des élections municipales, le28 juin 2020. En effet, cette réclamation contenait un grief précis alors même qu'elle ne comportait pas de conclusions expresses tendant à l'annulation des opérations électorales ou à la réformation des résultats et qu'elle ne mentionnait pas le nom de ces deux électeurs. C’est à tort que le premier juge l’a rejetée comme manifestement irrecevable.

En deuxième lieu, lors du second tour des élections municipales deux mandataires ont été autorisés à voter pour le compte de deux mandants sur la seule foi de la présentation des récépissés. Or les procurations correspondantes n'avaient pas été reçues en mairie le jour du scrutin. Dès lors, et alors même que la circonstance que les deux électeurs ayant donné procuration aient été admis à voter ne résulte pas d'une manoeuvre, ces deux votes doivent être regardés comme irréguliers. 

En conséquence, en retranchant deux voix du nombre total de voix obtenues par chaque candidat il s’ensuit que trois candidats ont obtenu chacun 63 voix et que parmi eux l’un est le plus jeune, il ne peut donc pas, en vertu de la règle de séniorité, être proclamé élu et les deux sièges à pourvoir ne peuvent, avec certitude, être attribué à l’un quelconque des candidats, ce qui conduit à l’annulation du second tour des élections.

(1er juin 2021, Mme D., Élections municipales de Longueville, n° 443238)

 

74 - Élections municipales et communautaires – Invocation de diverses irrégularités – Absence de preuve certaine – Rejet.

Cette décision vient opportunément rappeler l’étendue de l’exigence de preuve en contentieux électoral : si celle-ci peut résulter d’un faisceau concordant d’éléments, elle ne saurait être déduite de plusieurs allégations, chacune non établie.

En l’espèce, étaient invoqués la mise à disposition gratuite de véhicules, des éléments de promotion publicitaire, la composition de la commission de contrôle des listes électorales, l’irrégularité de procurations ainsi que des votes par procuration, une seule irrégularité étant établie sur les 151 alléguées. Par suite, est rejetée la prétendue inéligibilité d’un candidat qui résulterait prétendument de ces éléments attestant d’irrégularités qu’aurait commises ce dernier.

(7 juin 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bouéni, n° 446694)

 

75 - Élections municipales et communautaires – Vote en période d’épidémie – Nombre élevé d’abstentions – Atteinte à la sincérité du scrutin – Rejet.

Une fois de plus le juge était saisi de l’atteinte à la sincérité du scrutin qui aurait été portée par le nombre élevé d’abstentions dans une commune du fait de l’organisation du scrutin en pleine période pandémique. Et une fois de plus ce grief est rejeté.

(7 juin 2021, M. M., Él. mun. et cnautaires de la commune de Conflans-Sainte-Honorine, n° 448929)

 

76 - Élections municipales et communautaires – Déclaration d’un agent communal sous pseudonyme – Annulation du scrutin en première instance – Griefs divers – Rejet et annulation du jugement du tribunal administratif annulant les opérations électorales.

L’affaire est peu banale qui a conduit les juges bordelais à annuler le scrutin s’étant déroulé le 15 mars 2020 dans une commune de Gironde. Il convient de laisser la parole au Conseil d’État lui-même : « Il résulte de l'instruction que M. E. B., agent de la commune de Saint-Ciers-sur Gironde et soutien déclaré de la liste conduite par M. D., a posté, sous le pseudonyme " Deadpool All-Air ", un commentaire sur sa page Facebook affirmant : " Et dire que ce matin j'ai forcé une personne pour aller voter et mettre un bulletin Pierre D., sinon c'était 50/50 mdrrrrrr. (…). la présence, dans le fil incomplet des commentaires figurant sur la page Facebook, de la phrase " Non pas du tout c'est vrai... ", émanant également de M. B., (…) ". Le juge d’appel estime qu’il n’y avait pas là matière suffisante pour annuler le scrutin car, d’une part, la première déclaration « n’est corroborée par aucun autre élément matériel permettant d'identifier la personne qui aurait subi les pressions, ni par des mentions portées au procès-verbal ou par des témoignages », et, d’autre part, la seconde déclaration ne peut être regardée comme une confirmation de ses déclarations antérieures. Le jugement est annulé de ce chef.

Toutefois, saisi par l’effet dévolutif de l’appel, le Conseil d’État devait se prononcer sur ceux des griefs de première instance que les juges du tribunal administratif n’avaient pas eu à examiner. Aucun d’eux n’est retenu : ni la circonstance que la tête de liste aurait refusé de siéger comme président ou comme assesseur dans l’un des deux bureaux de vote de la commune, ni celle selon laquelle il se serait tenu à l’extérieur à proximité des bureaux de vote et alors qu’il ne s’y est livré à aucune action de propagande électorale, ni l’importance de l’abstention liée à l’épidémie de Covid-19.

Enfin, ne peut être examiné un grief (nationalité étrangère d’un candidat non mentionnée sur les bulletins) formulée après expiration du délai de recours contentieux.

(9 juin 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Ciers-sur-Gironde, n° 448929)

 

77 - Élections municipales et communautaires – Actions de propagande électorale – Absence – Utilisation abusive d’un logo et d’une photo – Absence – Polémique électorale nouvelle abusive – Absence – Épidémie – Rejet.

Le juge d’appel, comme celui de première instance, rejette tous les griefs dont il est saisi : absence de caractère électoral d’une manifestation festive et informative ouverte à tous, organisée par une association créée par 7 des 29 colistiers d’une même liste ; absence, dans les circonstances de fait de l’espèce, de caractère abusif de l’usage du logo de la communauté de communes ainsi que d’une photo d’une maison des entrepreneurs de cette même communauté ; absence d’élément nouveau de polémique électorale contenu dans un tract diffusé le 13 mars.

Enfin, l’argument tiré de l’organisation du scrutin en temps de pandémie n’avait aucune chance de prospérer.

(9 juin 2021, Mme C. et M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Eloy-les-Mines, n° 445689)

 

78 - Élections municipales – Griefs divers – Inapplicabilité de l’art. L. 118-4 du code électoral aux élections municipales – Rejet.

Le requérant a obtenu en première instance, dans le cadre d’une requête collective, l’annulation de l’élection du maire et des adjoints de la commune mais point la déclaration de leur inéligibilité d’où son appel. Celui-ci est rejeté.

Ce rejet est fondé, et c’est ce qui fait l’importance de la décision, sur ce que les dispositions de l’art. L. 118-4 du code électoral combinées avec celles des art. L. 2122-4 et L. 2122-13 du CGCT, invoquées par le demandeur appelant pour fonder sa requête en déclaration d’inéligibilité, ne sont pas applicables à l’élection du maire et des adjoints à l’encontre de laquelle ne peuvent être invoquées des manœuvres frauduleuses susceptibles d’avoir altéré la sincérité de cette élection. On peut le regretter.

Par ailleurs on trouve aussi invoqués plusieurs griefs habituels (utilisation de fonctions associatives à des fins électorales, affichages irréguliers, élément nouveau de polémique électorale, dons prohibés et situation sanitaire) tous rejetés, en général pour insuffisance de preuve ou absence de gravité.

(9 juin 2021, M. B., Élections municipales de Saint-Pierre-du-Vauvray, n° 445754)

 

79 - Élections municipales et communautaires – Électeurs empêchés de voter – Acheminement tardif des procurations par la poste en raison de l’épidémie – Annulation du scrutin en première instance – Rejet de l’appel.

Est rejeté l’appel dirigé contre le jugement qui, au vu de l’empêchement d’électeurs de voter par suite de dysfonctionnements du service postal dans l’acheminement des procurations pourtant dressées en temps utile, a prononcé l’annulation des opérations électorales tenues les 15 mars et 28 juin 2020 en vue de la désignation, d’une part, de conseillers municipaux et, d’autre part, de conseillers communautaires.

(9 juin 2021, M. C. et autres, n° 446606)

 

80 - Élections municipales et communautaires – Obligation de tenir un compte de campagne – Sanction du non-respect de cette obligation – Loi du 2 décembre 2019 (art. L. 118-3 c. électoral) – Loi punitive plus douce – Inéligibilité non prononcée – Annulation partielle.

Dans le souci de moraliser la vie publique et spécialement dans ses aspects politiques, a été prévu un plafonnement des dépenses électorales encadré par l’exigence pour tout candidat ayant obtenu au moins 1% des suffrages de tenir un compte de campagne et par le contrôle exercé sur ces comptes par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques. Le non-respect de cette obligation de dépôt est sanctionné par l’inéligibilité du candidat et l’annulation, le cas échéant, de son élection. Jusqu’à la loi du 2 décembre 2019, la sanction était automatique : dès le constat opéré l’inéligibilité devait être prononcée. Cette loi est venue assouplir la rigueur initiale : il incombe désormais au juge de l'élection de ne prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il doit, pour cela, apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré. 

En l’espèce, la loi nouvelle, entrée en vigueur le 30 juin 2020, est intervenue après les élections municipales des 15 mars et 28 juin 2020 mais avant que le juge ne statue, soit, ici, le 9 juin 2021. Il s’ensuit qu’étant une loi punitive plus douce elle est applicable aux faits non encore jugés à la date de son entrée en vigueur. Or la loi nouvelle a, comme déjà indiqué, substitué à une punition automatique une punition conditionnelle. Il convenait donc dans cette affaire de ne pas faire une application automatique de l’inéligibilité et de l’annulation de l’élection.

Il suit de là qu’en infligeant à l’intéressé la peine automatique de l’inéligibilité assortie de l’annulation de son élection, le premier juge a commis une erreur de droit qui doit être annulée ainsi que la proclamation de deux élus, au conseil municipal et au conseil communautaire.

(9 juin 2021, MM. Saint B. et J., n° 447336 et M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Apatou, n° 449019).

(81) V. aussi, très intéressante, la décision qui retient une solution inverse de la précédente lorsque le non-dépôt des comptes de campagne est accompagné de manquements caractérisés à des règles substantielles régissant le financement des campagnes électorales : 9 juin 2021, M. C., n° 449279.

(82) V. également, maintenant l’inéligibilité pour un an prononcée en première instance pour défaut de présentation des comptes de campagne et non certification par un expert-comptable : 11 juin 2021, M. D., n° 448285.

 

83 - Élections municipales – Égalité des voix – Application de la règle de séniorité – Annulation et confirmation partielles du jugement de première instance.

Constatant, sur déféré électoral du préfet, que deux candidats ont été proclamés élus sans avoir obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, le juge annule leur élection et relevant que pour l’attribution d’un siège deux candidats avaient obtenu un nombre égal des voix, le juge applique la règle (ou principe ?) de séniorité : le plus âgé, né en 1955, est élu contre son concurrent né en 1964.

En revanche, il annule le jugement en tant qu’il a annulé l’ensemble des opérations électorales.

(10 juin 2021, Préfet du Jura, Élections municipales de Crans, n° 442226)

(84) V. aussi, identique à la précédente sur le premier point, la décision : 10 juin 2021, Préfet du Jura, Élections municipales de Miéry, n° 442227.

 

85 - Élections municipales et communautaires – Inéligibilité d’un candidat – Griefs divers relatifs à la campagne électorale et aux dépenses électorales – Rejet.

Si l’on laisse de côté les griefs tenant, d’une part, à des reproches de propagande électorale et, d’autre part, à des dépenses électorales en partie irrégulières, qui sont habituels et rejetés faute d’avoir été réellement établis, l’aspect principal de cette décision tient à la façon dont le juge d’appel, confirmant sur ce point les premiers juges, rejette le grief d’inéligibilité.

Selon les protestataires, un candidat, M. H., qui a été élu conseiller municipal sur la liste conduite par M. M. lors du scrutin du 15 mars 2020, avait exercé les fonctions de directeur du cabinet de ce dernier, maire d'Alès, entre la première élection de ce dernier comme maire, en juin 1995, et 2013, devait être déclaré inéligible.

En 2013, lors de la création de la communauté d'agglomération "Alès Agglomération", établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, M. H. avait été nommé, en qualité d'agent contractuel, directeur général des services de la communauté d'agglomération ainsi que directeur général des services de la commune d'Alès à titre accessoire. A la suite de la fusion d'Alès Agglomération avec trois autres communautés de communes, en 2017, M. H. a conservé ses fonctions de directeur général des services de la communauté d'agglomération et continué d'exercer en outre, à temps très partiel, celles de directeur général des services de la commune d'Alès.

Il a démissionné de ses fonctions de directeur général des services d'Alès Agglomération à compter du 1er septembre 2019, jour de la nomination de son successeur.

Il a ensuite démissionné de ses fonctions de directeur général des services de la commune d'Alès le 29 février 2020. S'il a exercé, après le 1er septembre 2019, toujours en qualité d'agent contractuel, les fonctions de directeur du cabinet du président d'Alès Agglomération, il a mis fin à ces fonctions le 29 février 2020. 

Les protestataires font valoir qu’en dépit de sa démission des fonctions de directeur général des services d'Alès Agglomération, il a en réalité continué à exercer, après le 1er septembre 2019, des fonctions équivalentes, participant à des réunions de l'assemblée délibérante de l'agglomération ainsi qu’à de nombreuses réunions administratives, réunions de chantier et événements officiels de promotion de l'action de la communauté d'agglomération.

Pour rejeter ces arguments, le Conseil d’État retient que M. H. n’ayant reçu aucune délégation de signature et son successeur, qui disposait, lui, de cette délégation, ayant effectivement exercé les fonctions devenues les siennes, il s’ensuit que M. H. n’entre dans aucune des inéligibilités prévues par le 8° de l'article L. 231 du code électoral.

Le rejet repose sur une démonstration qui peine à convaincre en s’arc-boutant sur la lettre d’un texte sans respecter son esprit : l’influence de l’intéressé aux yeux de ses concitoyens n’a sans doute connu aucun affaiblissement après sa démission en raison du contexte dans lequel elle est intervenue.

(10 juin 2021, M. Q., n° 448172 ; M. L., n° 448364, jonction)

 

86 - Élection d’adjoints au maire – Adjoints de quartier – Conditions de l’élection – Respect – Rejet du déféré préfectoral.

Confirmant le jugement du tribunal administratif et rejetant en conséquence le déféré du préfet, le Conseil d’État décide qu’en vertu des dispositions du CGCT : 1°/ les communes d'au moins 20 000 habitants peuvent disposer d'adjoints de quartier, dont la création et le nombre sont décidés librement par le conseil municipal dans le respect de plafonds qu'elles fixent. 2°/ les adjoints sont élus au scrutin de liste, la liste étant composée alternativement d'un candidat de chaque sexe. 3°/ Si le maire et les adjoints doivent être élus lors de la première réunion du conseil municipal suivant le renouvellement général des conseils municipaux, aucune disposition n'impose que la création et l'élection d'adjoints de quartier interviennent au cours de cette séance, ni, si c'est le cas, que l'élection des adjoints et des adjoints de quartier ait lieu sur une liste unique contrairement à ce que soutenait le préfet. 

(11 juin 2021, Préfet des Hauts-de-Seine, n° 448537)

 

87 - Élections municipales – Entrepreneur de services municipaux – Inéligibilité (art. L. 231, 6° du c. élect.) – Absence de cette qualité – Rejet.

Le protestataire demandait en appel l’annulation du jugement rejetant sa protestation fondée sur l’inéligibilité d’un candidat dont il estimait qu’il était un entrepreneur de services municipaux. Le rejet est confirmé en appel : l’intéressé, avait participé douze ans plus tôt, en qualité de maire de la commune, à la création d'une association dénommée « Groupement des employeurs agricoles (GEA) de Chalvignac », dont cette commune est membre, et il ne résulte pas de l'instruction que celui-ci, qui n'est pas membre du bureau de l'association et qui n’est pas adhérent au GEA, ait joué dans les six mois précédents un rôle prédominant au sein de cette association, y compris par l'entremise de son épouse, adhérente de l'association, alors que cette affirmation n’est pas établie par ailleurs.

L’appelant n’est pas fondé à contester le jugement qu’il a frappé d’appel.

(14 juin 2021, M. C., Élections municipales de Chalvignac, n° 445374)

(88) V. aussi, jugeant que doit être considéré comme entrepreneur d’un service municipal et donc inéligible le président de l’association syndicale libre de Port-Grimaud II à laquelle - ainsi qu’à une SCI - a été concédé l'établissement et l'exploitation du port de plaisance Port-Grimaud II pour une durée de quarante-trois ans, dès lors qu’il représente l'association, dirige et anime le comité de gestion et fait exécuter les décisions prises par les assemblées générales ou le syndicat, jouant ainsi, au sein de l'association, un rôle prédominant. Il est à cet égard indifférent que l’association soit sans but lucratif et que son président y exerce ses fonctions à titre bénévole : 21 juin 2021, M. D., n° 445346.

 

89 - Élections municipales et communautaires – Taille des affiches – Liberté des organes de presse de soutenir un candidat ou une liste – Bénéfice d’une publicité gratuite – Critique d’une candidate au moyen du réseau Facebook – Effets de la crise sanitaire - Rejet.

La protestataire soulevait une batterie classique d’arguments qui n’a pas réussi à convaincre le juge soit que l’irrégularité invoquée n’ait point été établie soit qu’elle ait été mineure soit, enfin, qu’elle n’ait pas pu porter atteinte à la sincérité du scrutin.

(14 juin 2021, Mme B., Él. mun. et cnautaires de Sury-aux-Bois, n° 445953)

 

90 - Élections municipales et communautaires – Procurations irrégulièrement établies – Rejet.

Le tribunal administratif, ayant constaté l’établissement irrégulier de 12 procurations sur 35 par un officier de police lui-même candidat aux élections dans la commune, a déduit hypothétiquement douze voix du total des voix obtenues par chaque candidat, ce qui a entrainé l’annulation de l’élection de quatre candidats. Dix de ces procurations ayant été utilisées au second tour des élections, il a été procédé à l’annulation de l’élection de trois candidats au second tour.

La protestation des candidats écartés est, sans surprise, rejetée en appel.

(14 juin 2021, M. V. et autres, Él. mun. et cnautaires de Laroquebrou, n° 446549)

 

91 - Élections municipales et communautaires – Élément nouveau de polémique électorale – Impossibilité d’y répliquer - Faible écart des voix – Confirmation de l’annulation des opérations électorales – Rejet.

La diffusion d’un tract les 26 et 27 juin, à la veille d’un scrutin fixé au 28 juin,  critiquant la gestion de la crise sanitaire par le maire sortant a, dans les circonstances particulières de la pandémie, et alors, d’une part que sept voix seulement séparaient les candidats en présence et que la personne visée n’a pu disposer du temps minimum nécessaire pour y répondre, a été de nature à altérer la sincérité du scrutin ainsi que l’a jugé le tribunal administratif en prononçant à bon droit l’annulation de celui-ci

(15 juin 2021, M. C., n° 447177)

 

92 - Élections municipales – Annulation – Grief retenu ayant été formulé hors délai – Divers autres griefs allégués – Annulation et rejet pour le surplus.

Le tribunal administratif avait annulé les opérations électorales du 28 juin 2020 en retenant un grief contenu dans un mémoire enregistré à son greffe le 9 juillet soit après expiration du délai de cinq jours, ouvert pour saisir le juge électoral. Le jugement est annulé.

Les autres griefs, classiques et non établis ou sans gravité suffisante, y compris l’inévitable importance du taux d’abstention lié à une épidémie, sont rejetés.

(17 juin 2021, M. E., Élections municipales de Saint-Laurent-le-Minier, n° 445413)

 

93 - Élections municipales et communautaires – Inéligibilité d’un candidat – Directeur général adjoint d’un office public de l’habitat (OPH) – Rejet.

C’est sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que le directeur général adjoint d’un OPH dont l’activité s’exerce sur l’ensemble du territoire d’une région est inéligible aux fonctions de conseiller municipal d’une commune non-membre de la communauté d’agglomération à laquelle est rattaché cet OPH.

(25 juin 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Guitera-les-Bains, n° 443667)

 

94 - Élections municipales et communautaires – Diffusion tardive de tracts – Éléments nouveaux de polémique électorale – Impossibilité de répondre en temps utile – Faible écart des voix - Rejet.

Cette décision confirme le jugement annulant des opérations électorales suite à la diffusion tardive de tracts contenant pour partie des éléments nouveaux de polémique électorale auxquels il ne pouvait être répondu en temps utile et compte tenu du faible écart des voix.

L’appel est donc rejeté.

(25 juin 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Astier, n° 443667)

 

95 - Élections municipales et communautaires – Propagande électorale dans le délai de vacuité électorale – Absence - Rejet.

La protestation est rejetée en tant qu’elle invoque plusieurs actes, comportements ou événements censés constituer des actes de promotion de la municipalité sortante intervenus durant le semestre de vacuité légale en matière électorale, aucun d’eux, supposé existant, n’ayant de gravité suffisante ou caractérisée.

(25 juin 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de l’Haÿ-les-Roses, n° 447672)

 

96 - Élections municipales – Inéligibilité – Fonctions ne figurant pas au 8° de l’art. L. 231 c. élect. – Recours à la notion de responsabilités équivalentes – Rejet.

L’affaire, relative au grief d’inéligibilité, est intéressante car elle porte sur la question de savoir si et comment apprécier l’éventuelle existence d’une telle inéligibilité lorsque le poste occupé par l’intéressé ne figure pas dans l’énumération - que donne le 8° de l’art. L. 231 du code électoral - des fonctions emportant inéligibilité. La question, en elle-même, signifie d’ailleurs que la liste n’est pas limitative alors que s’agissant d’une restriction au droit d’être élu, elle aurait pu être entendue comme étant strictement exhaustive. Toutefois, la diversité des fonctions susceptibles d’être occupées est telle que ce n’eut point été une solution raisonnable. C’est pourquoi le juge en ce cas recourt à l’examen de l’exercice par leur titulaire, en l’espèce, de responsabilités équivalentes à celles exercées par les personnes mentionnées par le 8° précité.

Ici, l’élu était, selon la description du Conseil d’État, « chef de pôle, responsable de l'agence routière départementale de Cambrai qui assure l'intégralité des travaux d'entretien et d'exploitation des routes départementales de son périmètre. Titulaire du grade d'ingénieur principal, il était placé sous l'autorité directe du directeur de la voirie. En sa qualité de responsable, il planifiait les interventions des centres d'entretien routier, participait au plan pluriannuel d'investissement en matière de matériels d'exploitation, organisait l'achat ou la location des matériaux et était susceptible de superviser entre 50 et 80 agents. » Il s’en déduit aisément que ses fonctions doivent être regardées comme étant équivalentes à celles d'un chef de service au sens du 8° de l'article L. 231 du code électoral.

Il était donc inéligible ainsi que jugé en première instance.

(17 juin 2021, M. A. et autres, n° 445034)

 

Environnement

 

97 - Autorisation environnementale – Éoliennes – Juge ordonnant avant dire droit la régularisation d’une décision irrégulière (art. L. 181-18 c. environnt) – Conclusions possibles du demandeur – Non-lieu à statuer.

Rappel de ce que le pouvoir que reconnaît au juge, sursoyant à statuer à cet effet, l’art. L. 181-18 du code de l’environnement d’ordonner avant dire droit que soit prise dans un certain délai une décision modificative d’une autorisation environnementale entachée d’un vice régularisable peut être exercé pour la première fois en appel.

Rappel aussi, par ailleurs, que, en présence d’un tel sursis à statuer en vue de la prise d’une décision de régularisation, le demandeur, s’il peut contester le jugement ou l’arrêt ordonnant la régularisation soit en tant qu’il a rejeté comme non fondés les moyens dirigés contre l’autorisation environnementale soit en tant qu’il a ordonné cette régularisation, doit se voir opposer un non-lieu à statuer à compter de la délivrance de l’autorisation modificative.

La solution est la même, on le sait, en cas d’octroi d’un permis de construire ou d’aménager de régularisation.

(14 juin 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 4347160)

 

100 - Permis d’aménager une voie publique – Abattage d’arbres – Permis valant dérogation ou non à l’interdiction d’abattre des arbres – Permis supposant une dérogation préalable – Avis de droit.

Le Conseil d’État était sollicité pour donner son avis sur le point de savoir si, dans le cas du permis d’aménager une voie publique impliquant l’abattage d’arbres, ce permis vaut par lui-même dérogation à l’interdiction d’abattre des arbres, édictée à l’art. L. 350-3 du code de l’environnement, ou s’il suppose l’existence, préalable et distincte, d’une telle dérogation, notamment lorsque l’autorité compétente pour accorder la dérogation n’est pas celle qui délivre le permis d’aménager.

La réponse était attendue tout d’abord pour d’évidentes raisons pratiques car une telle situation se présente fréquemment. Ensuite, cette réponse a une incidence directe sur le statut juridique du permis d’aménager, en particulier sa place au sein de la hiérarchie des normes.

Le juge rappelle tout d’abord l’économie générale de l’art. L. 350-3 du code de l’environnement qui repose sur une interdiction de principe d’abattre des arbres assortie d’une possibilité de dérogation (pour un motif sanitaire, mécanique ou esthétique ou en vue d’un projet de construction) laquelle ne peut cependant être accordée qu’en présence de mesures compensatoires locales.

Ensuite, il déduit de la combinaison des dispositions applicables à la matière (outre l’art. précité, les art. L. 421-6, R. 111-26 et R. 111-27 c. urb.) confrontées aux indications qui précèdent que l’octroi d’un permis d’aménager (comme aussi d’un permis de construire ou en cas de non-opposition à déclaration préalable) portant sur un projet de construction impliquant l'atteinte à ou l'abattage d'un ou plusieurs arbres composant une allée ou un alignement le long d'une voie de communication, le permis d’aménager vaut octroi de la dérogation prévue à l'article L. 350-3 précité sous condition qu’existent des mesures de compensation appropriées et suffisantes à la charge du pétitionnaire ou du maître d'ouvrage.

Il incombe tant à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation qu’au juge de l'excès de pouvoir éventuellement saisi, de s’assurer, d’une part, de la nécessité de l'abattage ou de l'atteinte portée aux arbres pour les besoins du projet de construction et, d’autre part, de l'existence de mesures de compensation appropriées et suffisantes. 

(21 juin 2021, Association La Nature en Ville et collectif Les Citoyens Affranchis, n° 446662)

 

Étrangers

 

101 - Référé suspension – Condition d’urgence – Étranger atteint de pathologies graves – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation de l’ordonnance.

Dénature les pièces du dossier l’ordonnance de référé suspendant l’exécution d’un arrêté portant transfert d’un étranger vers un autre pays de l’Union (Portugal) au motif qu’il est atteint de pathologies graves constitutives d’une situation d’urgence alors que les pièces du dossier n’établissent ni que ce transfert risquerait d’aggraver son état de santé ni qu’il ne pourrait pas recevoir dans le pays de destination les soins nécessaires à son état.

(2 juin 2021, Ministre de l’intérieur, n° 446582)

 

102 - Réfugié – Personne s’étant rendu coupable d’infractions pénales – Condamnation – Appréciation de la menace représentée par lui pour la France – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Un ressortissant afghan auquel a été reconnue la qualité de réfugié en 2010, a été condamné en 2013 à quatre ans d’emprisonnement pour aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger en France ou dans un État partie à la convention de Schengen, en bande organisée, et pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement, ainsi, à titre complémentaire, qu'à une interdiction du territoire français pour une durée de dix ans.

L’OFPRA a mis fin à son statut de réfugié en novembre 2018 par le motif que sa présence en France constituait une menace grave pour la société.

Sur recours de l’intéressé, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a annulé cette mesure et rétabli le demandeur dans son statut de réfugié.

Sur pourvoi de l’OFPRA, le Conseil d’État annule la décision de la CNDA.

Le juge de cassation commence par relever, d’une part, que « les infractions pénales commises par un réfugié ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une décision mettant fin au statut de réfugié », et d’autre part, que la décision de la CNDA était fondée sur ce que le requérant ne constituait pas une menace grave pour la société, dès lors qu'il avait apparemment eu un comportement exemplaire en détention, comme en attestait le fait qu'il avait bénéficié de dix-sept mois de remise de peine sur quarante-huit, qu'il n'existait pas d'éléments laissant supposer qu'il continuait d'entretenir des liens avec ses anciens complices, qu'il ne s'était pas fait défavorablement remarquer depuis sa libération en janvier 2015, qu'il vivait désormais avec son épouse, dont il avait eu un enfant, et qu'il avait démontré une stabilité professionnelle et affective et une volonté avérée d'intégration au sein de la société française. 

Puis, il indique les éléments devant être pris en considération en une telle occurrence : examen de la gravité de la menace que constitue la présence de l'intéressé en France en tenant compte, parmi d'autres éléments, de la nature des infractions commises, des atteintes aux intérêts fondamentaux de la société auxquels la réitération de ces infractions exposerait celle-ci et du risque d'une telle réitération.  Le juge rappelle, dans une formule très nette, que : « La seule circonstance qu'un réfugié, condamné pour des faits qui, lorsqu'ils ont été commis, établissaient que sa présence constituait une menace grave pour la société, se soit abstenu, postérieurement à sa libération, de tout comportement répréhensible, n'implique pas, par elle-même, du moins avant l'expiration d'un certain délai, et en l'absence de tout autre élément positif significatif en ce sens, que cette menace ait disparue ». 

Appliquant ces directives au cas de l’espèce, le juge de cassation conclut avec une particulière sévérité, donnant raison à l’OFPRA et annulant la décision de la CNDA, que « S'il a affirmé avoir cessé tout lien avec les membres de son réseau et n'a pas attiré l'attention des autorités depuis sa libération, ces circonstances, non plus que sa situation familiale, le fait qu'il exerce une activité professionnelle en tant qu'intérimaire et son apprentissage de la langue française, ne permettent de tenir pour acquis que sa présence en France ne constituait plus, à la date de la décision attaquée, une menace grave pour la société française ».

(10 juin 2021, M. A., n° 440383)

 

103 - Covid-19 - Instruction du premier ministre – Interruption de la délivrance de visas et des autorisations d’entrée sur le territoire français – Durée d’interruption portant une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale - Annulation.

L’instruction primo-ministérielle du 29 décembre 2020, par laquelle les autorités compétentes ont été invitées à opposer des refus d'entrée à toutes les personnes étrangères, sauf dérogations limitativement énumérées, alors que la procédure de délivrance des visas et d'entrée sur le territoire français des familles des ressortissants étrangers bénéficiaires du regroupement familial et de la réunification familiale était interrompue depuis plus de neuf mois, a porté une  atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et à la vie familiale normale des intéressés.

Toutefois, cette instruction ayant été abrogée et remplacée par celle du 25 janvier 2021 qui autorise les ressortissants de pays tiers titulaires d'un visa de long séjour délivré au titre du regroupement familial ou de la réunification familiale à entrer sur le territoire français, ce motif permettant également l'instruction de leur demande de visa, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte présentées par les requérants sont rejetées car devenues sans objet.

(29 juin 2021, Cimade, service oecuménique d'entraide et autres, n° 447872 ; Association des avocats pour la défense du droit des étrangers, n° 447890, jonction)

 

Fonction publique et agents publics

 

104 - Ancien élève de l’École polytechnique – Ingénieur des ponts et chaussées puis des ponts, eaux et forêts – Mise en disponibilité pour création d’entreprise -Radiation des cadres – Demande de remboursement des frais de scolarité – Prescription de l’art. 2224 C. civil – Annulation sur ce point du décret attaqué.

Il faut surtout retenir de cette décision l’application, par le juge, de la prescription instituée par l’article 2224 du Code civil, à l’obligation de remboursement des frais de scolarité pour ceux des élèves de l’École polytechnique n’accomplissant pas, à l’issue de leur scolarité, la durée minimale de services effectifs auprès de l’État.

(4 juin 2021, M. B., n° 436100)

 

105 - Agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM) – Agent contractuel – Agent titulaire de contrats à durée déterminée – Nouveau contrat – Modification substantielle – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi.

Qualifie inexactement les faits le jugement qui estime qu’un nouveau contrat à durée déterminée offrant une baisse mensuelle de rémunération de 250 euros ne constitue pas une modification substantielle du contrat précédent. Par suite, c’est à tort qu’il a refusé de considérer la demanderesse comme involontairement privée d’emploi au sens et pour l’application des art. L. 5422-1 et L. 5424-1 du code du travail.

(9 juin 2021, Mme B., n° 425463)

 

106 - Fonctionnaire – Épuisement des droits à congé de maladie – Inaptitude à la reprise des fonctions antérieurement exercées – Reclassement ou mise en disponibilité d’office – Rejet.

Il résulte de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions relatives à la fonction publique territoriale (art. 57, 72, 82) et des décrets du 30 septembre 1985 (art. 1er) et du 30 juillet 1987 (art. 4), combinés, que le fonctionnaire qui, à l'issue de ses droits statutaires à congé de maladie, est reconnu inapte à la reprise des fonctions qu'il occupait antérieurement, l'autorité hiérarchique ne peut placer cet agent en disponibilité d'office, sans l'avoir préalablement invité à présenter, s'il le souhaite, une demande de reclassement.

La mise en disponibilité d'office peut ensuite être prononcée soit en l'absence d'une telle demande, soit si cette dernière ne peut être immédiatement satisfaite. 

La demande d’annulation de l’arrêt d’appel présentée par la commune est rejetée.

(9 juin 2021, Commune de Portet-sur-Garonne, n° 436935)

 

107 - Agent du centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique) –Demande de versement d’une indemnité et de remboursement de frais de mission – Affectation permanente et sans limitation de durée – Absence de droit au remboursement de frais de transport ou au paiement d'indemnités de mission – Absence de droit à une indemnité de fidélisation en secteur difficile – Rejet.

La question objet de la présente décision et de plusieurs autres fournit un contentieux nourri (cf. cette Chronique, mai 2021, n° 123).

Un fonctionnaire de police en poste à la direction interrégionale de la police judiciaire de Lille, a été affecté, à sa demande, au centre de coopération policière et douanière de Tournai (Belgique), créé en vertu d'un accord de coopération transfrontalière en matière policière et douanière passé entre les gouvernements français et belge. Il y exerce, sous l'autorité de sa hiérarchie française, des missions de lutte contre l'immigration irrégulière et la délinquance transfrontalière. Il a sollicité, d’une part, le remboursement de ses frais de transport ou le paiement d'indemnités de mission et, d’autre part, le versement de l’indemnité de fidélisation en secteur difficile susceptible d’être attribuée aux fonctionnaires actifs de la police nationale.

Un refus lui ayant été opposé, il a saisi, en vain, la juridiction administrative et se pourvoit en cassation. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a estimé :

1°/ que son affectation à Tournai étant permanente et sans limitation de durée, les trajets quotidiens effectués par le demandeur entre ce lieu et celui de son domicile ne pouvaient pas être considérés comme des déplacements temporaires au sens et pour l’application du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'État, sans que fasse obstacle à cette conséquence la circonstance que l'administration considérait que la résidence administrative de l'intéressé restait à Lille et qu'elle lui avait établi des ordres de mission mensuels pour exercer ses fonctions à Tournai.

2°/ qu’en raison de son affectation à Tournai, le requérant ne pouvait pas être regardé, pour l’application de l’art. 2 du décret du 15 décembre 1999 portant attribution d'une indemnité de fidélisation en secteur difficile aux fonctionnaires actifs de la police nationale, comme exerçant ses attributions dans la circonscription de sécurité publique de Lille et cela en dépit de ce que la zone d'intervention du centre de coordination comporte, aux termes de l'accord intergouvernemental précité, les cinq départements de l'Aisne, des Ardennes, du Nord, de la Meuse et de la Meurthe-et Moselle.

La solution est particulière rude sur ce dernier point.

(14 juin 2021, M. A., n° 439063)

(108) V. aussi, les solutions identiques retenues dans les décisions suivantes du 14 juin 2021 toujours à propos des mêmes lieux d’affectation : M. A., n° 439064 ; Mme A., n° 439065 ; M. B., n° 439066 ; M. A., n° 439067 ; M. A., n° 439068 ; M. B., n° 439069 ; M. A., n° 439070 ; Mme A., n° 439071 ; M. B., n° 439072 ; M. A., n° 439073.

 

109 - Comité ministériel unique d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail placé auprès des ministres chargés de la santé, de la jeunesse, de la vie associative, des solidarités, de la cohésion sociale, de la ville et des sports – Personnel des agences régionales de santé (ARS) – Personnel non représenté au sein du Comité précité – Agences ne constituant pas des services déconcentrés et disposant d’une représentation propre – Rejet.

Le syndicat requérant demandait au Conseil d’État de juger illégal l’arrêté interministériel du 8 mars 2019 fixant la liste des organisations syndicales habilitées à désigner des représentants au sein du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel unique placé auprès des ministres chargés des affaires sociales, de la santé, de la jeunesse et des sports, pour n’avoir pas donné de représentation au sein de ce comité aux personnels des ARS. 

En réalité ce comité unique est seulement compétent pour connaître des questions relevant de ses attributions concernant l'ensemble des services centraux et déconcentrés placés sous l'autorité exclusive ou conjointe de ces ministres et, le cas échéant, les questions communes aux établissements publics relevant de ces départements ministériels figurant sur une liste fixée par arrêté des ministres intéressés. Or les ARS ne sont pas des services déconcentrés, leurs personnels ne relèvent donc pas de ce comité unique et il existe une organisation particulière aux ARS sous la forme du comité national de concertation de ces agences dont les attributions, fixées par l'article L. 1432-11 du code de la santé publique, sont identiques à celles d'un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

C’est pourquoi c’est sans illégalité que les voix obtenues aux élections aux comités de ces agences n'ont pas à être prises en compte pour la mise en oeuvre des dispositions combinées de l'article 42 du décret du 28 mai 1982, relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, et de l'article 5 du décret du 29 mai 2018 créant un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ministériel unique placé auprès des ministres chargés des affaires sociales, de la santé, de la jeunesse et des sports.

(14 juin 2021, Syndicat national des personnels des affaires sanitaires et sociales - Force ouvrière (SNPASS-FO), n° 431645)

 

110 - Fonction publique – Organisation et fonctionnement des services publics – Compétences respectives des comités techniques et des comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail – Possibilité pour les salariés de faire appel à un expert agréé en cas de « projet important » – Notion – Absence en l’espèce – Rejet.

Les syndicats requérants contestaient la légalité de la fusion du SIP (service des impôts des particuliers) de Dijon Sud et Amendes et du SIP de Dijon Nord en raison de l’irrégularité de la procédure suivie.

Alors qu’avait été demandée la désignation d’un expert agréé du fait que cette fusion constituait un « projet important » au sens des dispositions du 2° de l’art. 55 du décret du 28 mai 1982, l’administration avait procédé à cette opération le 17 décembre 2019 sans qu’une réponse à la demande d’expert ait été donnée puisque celle-ci, négative, ne le sera que le lendemain.

Le Conseil d’État tente de donner une définition de la notion de « projet important » ; c’est la suivante : « tout projet qui affecte de manière déterminante les conditions de santé, de sécurité ou de travail d'un nombre significatif d'agents, le critère du nombre de salariés ne déterminant toutefois pas, à lui seul, l'importance du projet. »

Ensuite, il en déduit que l’opération litigieuse ne constitue pas un tel projet : cette fusion n'a pas modifié la résidence administrative des agents relevant désormais du SIP de Dijon et Amendes, dont au demeurant le lieu de travail est maintenu dans le même immeuble que celui dans lequel étaient installés le SIP de Dijon Sud et Amendes et le SIP de Dijon Nord ; elle n'a pas entraîné, à la date de l'arrêté attaqué, de changement important dans les missions exercées par les agents et la sectorisation géographique des services et elle n’a affecté que la situation d'un agent, conformément à ses souhaits. Enfin, si les syndicats requérants font valoir que cinq emplois ont été supprimés au sein du nouveau SIP de Dijon et Amendes au titre des années 2020 et 2021, il n'est pas établi que ces suppressions étaient la conséquence du projet de fusion des SIP décidé par l'arrêté attaqué. 

Le recours est rejeté.

(14 juin 2021, Syndicat Solidaires Finances Publiques et autres, n° 438874)

 

111 - Agent public contractuel – Contrat à durée déterminée – Non renouvellement ou proposition d’un contrat substantiellement différent – Justification par l’intérêt du service – Absence – Illégalité – Annulation.

Rappel de ce qu’un agent public recruté par un contrat à durée déterminée ne bénéficie ni d'un droit au renouvellement de son contrat ni, à plus forte raison, d'un droit au maintien de ses clauses, si l'administration envisage de procéder à son renouvellement.

Cependant, l’une ou l’autre de ces deux hypothèses est entachée d’illégalité si elle n’est pas fondée sur l'intérêt du service.

Saisi d’une réclamation fondée sur un tel moyen qu’il estime fondé, il appartient au juge d’accorder une indemnité versée pour solde de tout compte en prenant en considération la nature et la gravité de l'illégalité, l'ancienneté de l'intéressé, sa rémunération antérieure, et les troubles dans ses conditions d'existence. 

(17 juin 2021, M. A., n° 438528)

 

112 - Agent public contractuel – Demande de protection fonctionnelle – Acte interruptif de la prescription – Demande non justifiée – Rejet.

La requérante a demandé l’annulation du refus du maire de lui accorder la protection fonctionnelle et la réparation du préjudice causé par ce refus. Elle se pourvoit en cassation contre l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête.

Le Conseil d’État reçoit l’action de l’intéressée en tant que c’est à tort que la cour administrative d’appel a jugé que l’action qu’elle a engagée contre deux agents municipaux n’était pas de nature à avoir interrompu la prescription de la créance qu’elle prétendait avoir sur la commune car elle n’était pas relative à cette créance. C’était là une erreur de droit car cette action pénale portait bien sur le fait générateur, l'existence et le montant de la créance que la requérante estime détenir sur la commune au titre de la protection fonctionnelle qui lui est due du fait de la dénonciation calomnieuse dont elle a fait l'objet de la part de ces deux agents en mars 2005. 

Cependant, au fond, le juge de cassation donne raison à la cour de son rejet de l’action introduite car, d’une part, sans dénaturer les faits, elle a constaté que la demanderesse ne justifiait pas avoir été exposée à des menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages justifiant le bénéfice de la protection fonctionnelle lors de sa reprise d’activité en décembre 2013, et d’autre part, celle-ci n'a jamais sollicité la protection du service à cette époque.

(21 juin 2021, Mme A., n° 437641)

 

113 - Fonction publique territoriale – Aménagement et réduction du temps de travail – Mise en place d’un cycle annuel de travail – Obligations s’imposant et facultés reconnues aux collectivités territoriales – Rejet.

Le Conseil d’État déduit des dispositions des articles 1er respectivement du décret du 12 juillet 2001, pris pour l'application de l'article 7-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique territoriale, et du décret du 25 août 2000 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature, qu’une collectivité territoriale qui met en place un cycle de travail annuel à l'intérieur duquel sont définis les horaires de travail des agents de l'un de ses services a une obligation assez limitée.

Elle doit seulement respecter les durées maximales et minimales du temps de travail et de repos figurant aux articles 1er et 3 du décret du 25 août 2000 précité.

En revanche, et la solution peut surprendre, la collectivité n'est pas tenue de définir, de manière uniforme, à l'intérieur de ces limites, le temps de travail de l'ensemble des agents du service, ni même de ceux qui exercent les mêmes fonctions.

Elle peut donc, par suite, élaborer, dans le cadre des cycles de travail ainsi définis, des plannings individuels mensuels fixant les horaires des agents ou déterminer des bornes quotidiennes et hebdomadaires entre lesquelles les horaires de chaque agent sont susceptibles de varier. 

Le recours est rejeté en tant qu’il présumait irrégulière cette manière de procéder, admise ici par le juge.

(21 juin 2021, Syndicat CGT des ouvriers et employés de la ville de Saint-Martin-d'Hères et du CCAS et Mme A., n° 437768)

 

114 - Gendarme – Commandant d’un pôle judiciaire de la gendarmerie – Sanction assortie d’un sursis à exécution de douze mois – Délai de sursis expiré – Recours en annulation de la sanction – Non-lieu à statuer – Rejet.

Doit être rejeté comme étant devenu sans objet, le recours d’un fonctionnaire de gendarmerie dirigé contre une sanction de 20 jours d’arrêt avec dispense d’exécution assortie d’un sursis de douze mois, dès lors que durant ce délai le requérant n’a pas fait l’objet d’une sanction égale ou supérieure à celle encourue, laquelle n’a pas été exécutée et a été effacée de son dossier individuel.

(23 juin 2021, M. A., n° 447863)

 

115 - Agent hospitalier – Syndrome anxio-dépressif – Imputabilité au service – Qualification inexacte des faits – Annulation et renvoi.

Si, en principe, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, il en va différemment lorsqu’un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance conduit à détacher du service la survenance ou l'aggravation de la maladie.

En l’espèce, qualifie inexactement les faits la juridiction qui juge que le syndrome anxio-dépressif dont souffre la requérante est imputable au service du fait  du lien direct existant entre le changement d'affectation imposé à l'intéressée en juillet 2013, en raison de la réorganisation du service dans lequel elle exerçait depuis 2002, et l'aggravation de son état de santé à la même époque, alors qu’il résulte du dossier soumis à la juridiction et notamment du rapport d'expertise médicale établi à la demande de la commission de réforme et de l'examen réalisé par le médecin du travail, que l'intéressée, qui faisait l'objet d'un suivi psychiatrique depuis 1998 et connaissait des périodes répétées de fortes angoisses et d'épuisement psycho-affectif, présentait, au moment où sa maladie s'est aggravée, les signes d'une très grande fragilité psychique, qui s'était manifestée à plusieurs reprises lors d'événements sans rapport avec les modalités selon lesquelles s'était opéré son changement d'affectation. 

(28 juin 2021, Mme A., n° 440136)

 

116 - Indemnité de tâche de contrôle en usine – Ouvriers de l’État – Prime non versée en cas de congés maladie, maternité et accidents de travail – Différence par rapport aux fonctionnaires – Rejet.

N’est pas irrégulier le refus  implicite né du silence gardé par la ministre des armées à la suite de la demande préalable du syndicat requérant, le 28 mars 2019, tendant à ce qu'elle rétablisse le versement de l'indemnité de tâche de contrôle en usine lors des périodes de congés de maladie des ouvriers de l'État et à ce qu'elle ajoute cette indemnité à la liste de celles figurant à l'article 7 du décret du 24 février 1972 relatif aux congés en cas de maladie, de maternité et d'accidents de travail dont peuvent bénéficier certains personnels ouvriers de l'État mensualisés.

En effet, d’une part, le texte invoqué au soutien de cette demande (1° du I de l’art. 1er du décret du 26 août 2010 relatif au régime de maintien des primes et indemnités des agents publics de l'Etat et des magistrats de l'ordre judiciaire dans certaines situations de congés) n’est pas applicable aux ouvriers de l’État, et, d’autre part, le grief tenant à la  différence de traitement tiré de ce que les fonctionnaires bénéficient de cette prime durant ces congés n’est pas contraire au principe d’égalité « s’agissant d'agents publics relevant de corps, cadres d'emploi ou même, comme en l'espèce, de statuts différents, leur rémunération ne peut être appréciée que globalement. » Au surplus, les fonctionnaires ne sont pas éligibles à cette prime et, enfin, parce que le versement de l'indemnité en litige est lié à l'exercice effectif des fonctions, la circonstance que le montant de cette indemnité n'est pas pris en compte pour le calcul de la rémunération maintenue durant le congé de maternité et le congé de maladie en cas de grossesse pathologique n'est pas de nature à constituer, par elle-même, une méconnaissance du principe d'égalité entre les femmes et les hommes.

(29 juin 2021, Syndicat CGT des personnels civils du service de la modernisation et de la qualité de la direction générale de l'armement du ministère des armées, n° 445264) V. aussi le n° 36 au sujet de la qualité pour agir du syndicat requérant

 

117 - Agents publics des chambres de commerce – Repreneur privé d’une activité exercée par une chambre de commerce – Régime indemnitaire – Rejet.

Les syndicats requérants demandaient l’annulation du décret n° 2019-867 du 21 août 2019 relatif aux modalités de traitement des agents publics refusant l'engagement proposé par le repreneur d'une activité exercée par leur chambre de commerce et d'industrie d'affectation.

Aucun des nombreux moyens développés au soutien de leurs requêtes n’est retenu par le Conseil d’État.

Le premier ministre était compétent pour prendre ce décret nonobstant la compétence de droit commun de la commission paritaire prévue à l’art. 1er de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers car la loi du 22 mai 2019, en insérant un art. L. 712-11-1 dans le code de commerce a entendu déroger sur ce point à la loi de 1952.

Le Conseil d’État n’avait pas à être consulté avant la prise de ce décret qui n’est qu’un décret simple et en l’absence de dispositions prévoyant expressément cette consultation.

Le premier ministre pouvait, comme il l’a fait, fixer le mode de calcul de l'indemnité de rupture du contrat de ces agents conformément au régime d'indemnisation des licenciements pour refus de mutation géographique, la mutation géographique au sein d'une chambre ayant en commun avec le transfert au repreneur des activités d'une chambre de ne pas entraîner la suppression du poste de l'agent concerné et de donner à cet agent la possibilité de poursuivre son activité professionnelle.

Le principe général du droit relatif aux obligations de reclassement interne est inapplicable ici, le législateur (art. L. 712-11-1 du code préc.) ayant entendu y déroger.

Pas davantage ne peuvent être invoqués :

- ni le droit au respect des biens (art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH),

- ni le fait que l'indemnité de rupture étant calculée de manière proportionnelle à l'ancienneté ne saurait la faire regarder comme n'assurant pas l'indemnisation de la perte du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie par l'agent refusant son transfert au repreneur de tout ou partie de l'activité de la chambre de commerce et d'industrie qui l'emploie pour l'exercice de cette activité,

- ni le principe de sécurité juridique car en tout état de cause, en cas de reprise de l'activité par un tiers, l'agent ne peut continuer d'être employé par cette chambre et ne peut, en conséquence, bénéficier du dispositif prévu par le VI de l'article 40 de la loi du 22 mai 2019 et se voir proposer, par sa chambre, un contrat de travail de droit privé.

Par suite, le syndicat CFE-CGC réseaux consulaires n'est pas fondé à soutenir que l'entrée en vigueur immédiate du décret attaqué priverait les agents publics des chambres de commerce et d'industrie de la possibilité de bénéficier du dispositif prévu par le VI de l'article 40 de la loi du 22 mai 2019.

(29 juin 2021, Syndicat CFE-CGC réseaux consulaires, n° 435466 ; Syndicat national des chambres de commerce et de l'industrie - CFDT, n° 435483 ; Syndicat CGT du personnel des chambres de commerce et d'industrie de Paris et d'Ile-de-France, n° 435486, jonction)

 

Libertés fondamentales

 

118 - Référé liberté – Réunions électorales en plein air – Limitation à cinquante personnes pour cause de Covid-19 – Atteinte à plusieurs libertés fondamentales – Rejet.

Le juge du référé liberté du Conseil d’État était saisi d’une demande de suspension du 9° du III de l'article 3 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 en ce qu'il limite à 50 personnes les réunions électorales organisées en plein air hors des établissements recevant du public ainsi que d’une demande d’injonction au premier ministre de modifier ce texte sous huit jours

Dans une ordonnance de rejet un peu embarrassée, il est répondu que certes cette limitation porte atteinte à plusieurs libertés fondamentales surtout en période électorale mais elle doit être appréciée à la lumière des exigences sanitaires. La demande de suspension « aggraverait donc la contrainte sur la liberté d'organiser des manifestations par les partis politiques et ne serait donc aucunement de nature à préserver les libertés fondamentales objets de restrictions au regard de la crise sanitaire ».

La circonstance que d’autres rassemblements plus nombreux sont autorisés est justifiée par des considérations propres à chacun d’eux. Enfin, est rejeté l’argument, assez fort pourtant, selon lequel les petites formations politiques n’ont pas les moyens, à la différence des grandes, d’organiser des réunions dans des établissements recevant du public où cette limitation à 50 n’existe pas : selon le juge ce n’est pas le texte litigieux qui crée cette distorsion.

Réponse très discutable car s’agissant des deux termes de comparaison, le décret du 20 octobre 2020 constitue bien l’un de ces deux termes.

(11 juin 2021, Mme A. et association " La France insoumise ", n° 453236)

 

119 - Référé liberté – Pose de plots empêchant l’accès et la sortie de caravanes – Gens du voyage – Droit d’accès à la voie publique – Droit de propriété – Exigences de sécurité routière invoquée – Rejet.

Le maire de la commune avait fait poser trois plots en béton, disposés en quinconce sur un chemin communal, à l’entrée de la propriété de deux personnes, gens du voyage, dont les caravanes leur servant d’habitation ainsi qu’à leurs enfants, ne pouvaient ainsi ni sortir de la propriété ni y être introduites, leur tractage étant rendu ainsi impossible. Le maire invoquait les nécessités de la sécurité publique qui imposaient de lutter contre la circulation des camions sur ce chemin communal.

Le juge des référés du Conseil d’État, saisi d’un appel contre les ordonnances de première instance enjoignant le maire de retirer les plots, rejette cet appel, confirmant la solution du premier juge.

Le libre accès des riverains à la voie publique constitue un accessoire du droit de propriété lequel a le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, par suite, la privation de tout accès à la voie publique est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

Les propriétaires concernés n’ont pas d’autre domicile familial que leurs caravanes soit qu’ils séjournent sur leur propriété soit qu’ils se déplacent, ce qu’ils font fréquemment, l’impossibilité d’accéder librement à leur propriété constitue une situation d’urgence.

Enfin, le juge ne retient pas le motif, allégué par le maire, de sécurité de la circulation sur une voie communale alors que la commune ne justifie pas qu'elle n'aurait pas pu recourir à un autre dispositif pour interdire la circulation des poids lourds les plus gros porteurs sur le chemin communal tout en préservant le passage des caravanes.

(7 juin 2021, Commune de Mougins, n° 452849)

 

Police

 

120 - Forfait de post-stationnement – Titre exécutoire substitué à l’avis de paiement – Inopérance du moyen dirigé contre l’avis de paiement – Erreur de droit – Annulation.

Le juge est encore une fois appelé à indiquer au magistrat désigné par le président de la commission du contentieux du stationnement payant qu’il commet une erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de l'absence d'obligation de payer la somme réclamée par l'administration était inopérant, au motif qu'il mettait en cause la légalité de l'avis de paiement auquel le titre exécutoire s'était substitué. Il résulte des dispositions combinées des art. L. 2333-87 et R. 2333-120-35 du CGCT que l'intéressé peut contester, dans le cadre d'un litige dirigé contre le titre exécutoire, l'obligation de payer la somme réclamée par l'administration.

Démonstration confirmée de ce que les lois simplificatrices, surtout en matière contentieuse, compliquent.

(8 juin 2021, M. A., n° 436444)

(121) V. aussi, identique : 8 juin 2021, M. B., n° 437380.

 

122 - Schéma national de maintien de l’ordre – Document de portée générale à effets possiblement notables sur les individus – Condition des journalistes au sein des manifestations – QPC sur des dispositions du code de la sécurité intérieure – Recours à la technique de l’encerclement – Annulations diverses et rejet pour le surplus.

Une circulaire du ministre de l’intérieur du 16 septembre 2020 comporte en annexe le schéma national du maintien de l'ordre qui a pour objet de définir le cadre d'exercice du maintien de l'ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national, permettant ainsi de fixer une doctrine commune pour l'ensemble des forces de l'ordre. Certaines dispositions de ce schéma sont, pour l’essentiel, critiquées par les différentes requêtes jointes.

Tout d’abord se posait une question de recevabilité dans la mesure où les recours étaient dirigés contre un document de portée générale émanant d’autorités publiques. Le juge estimant qu’il était susceptible d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation des organisateurs de manifestations, des manifestants, des journalistes, des observateurs et de tiers, le recours pour excès de pouvoir dirigé contre celui-ci était recevable.

Ensuite le juge rappelle très clairement le cadre d’exercice des pouvoirs de police en présence d’une liberté reconnue. Ainsi, il est rappelé que si la matière des libertés publiques (ici de manifester, d’opinion et de communication) relève de la loi, d’une part, les autorités de police sont compétentes pour en régler l’usage concret en cas de risques d’atteintes à l’ordre public, et d’autre part, le ministre de l’intérieur tient de sa qualité de chef de service (reconnue par l’arrêt Jamart en 1936) la compétence pour prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous son autorité, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service.

Plusieurs dispositions de ce document étaient critiquées directement ou indirectement. Les unes sont rejetées et les autres admises.

Au chapitre des rejets autres que de procédure, il faut retenir celui de la critique faite au ministre de l’intérieur de n’avoir pas prévu le cas des observateurs alors qu’il n’était pas tenu à une obligation d’exhaustivité, celui aussi du moyen tiré de ce que la possibilité d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d'une manifestation, plus précises ou complètes que celles directement rendues publiques, peut être réservée à certains journalistes seulement, décision qui n'affecte pas, par elle-même, les règles concernant la liberté d'expression et de communication. Semblablement l’instauration (au point 2 .2.2. du schéma) d’une accréditation des journalistes titulaires de la carte de journaliste professionnel, et alors même que la possession de cette carte n’est pas requise pour l’exercice de la profession de journaliste, n’introduit pas une différence illégale par rapport aux journalistes non détenteurs de cette carte. Enfin, la QPC dirigée contre divers articles du code de la sécurité intérieure servant de fondement au point 3.1.4 du schéma litigieux est rejetée car aucune de ces dispositions n’est applicable au litige.

En revanche, nombreuses sont les annulations prononcées :

Celle du point 2.2.1. du schéma qui permet aux journalistes de porter des équipements de protection, dès lors que leur identification est confirmée et que leur comportement est exempt de toute infraction ou provocation, mesure qui est jugée, d’une part, comme rédigée dans des termes au demeurant ambigus et imprécis, et d’autre part, comme ne relevant pas de la compétence du ministre de l'intérieur en sa qualité de chef de service, en tant qu’elle édicte des règles à l'égard des journalistes, non plus d'ailleurs qu'à l'égard de toute personne participant ou assistant à une manifestation.

Celle du point 2.2.2. selon laquelle est ouverte à certains journalistes la possibilité d'obtenir des forces de l'ordre, en temps réel, des informations supplémentaires relatives au déroulement d'une manifestation, plus précises ou complètes que celles directement rendues publiques, dans la mesure où l’utilisation de la notion de journalistes « accrédités auprès des autorités », sans préciser la portée, les conditions et les modalités d'une telle « accréditation » est susceptible, faute de précision, de permettre un choix discrétionnaire des journalistes accrédités parmi tous ceux titulaires de la carte de presse en faisant la demande, de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et à la liberté de communication.

Celle du point 2.2.4 en ce qu’elle décide que « le délit constitué par le fait de se maintenir dans un attroupement après sommation ne comporte aucune exception, y compris au profit des journalistes ou de membres d'associations » et qui enjoint aux journalistes et aux observateurs indépendants d'obtempérer aux injonctions des forces de l'ordre en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser. En effet, selon le juge, les journalistes peuvent ainsi continuer d'exercer librement leur mission lors de la dispersion d'un attroupement sans être tenus de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les manifestants et ne font pas obstacle à l'action des forces de l'ordre. Il en va de même pour les observateurs indépendants.

Celle du point 3.1.4. qui permet le recours à la technique de l’encerclement en tant qu’elle n’encadre pas précisément les cas dans lesquels elle peut être mise en œuvre, notamment pour en vérifier le caractère adapté, nécessaire et proportionné aux circonstances.

(10 juin 2021, Syndicat national des journalistes et Ligue des droits de l'homme, n° 44849 ; Confédération générale du travail et le Syndicat national des journalistes CGT, n° 445063 ; Union syndicale Solidaires et autres, n° 445355 ; M. A., n° 445365, jonction)

 

123 - Libertés fondamentales – Possibilité d’instauration de boxes vitrés dans les salles d’audience des juridictions judiciaires – Illégalité – Rejet.

Le Conseil d’État, après décision du Tribunal des conflits estimant que cette question relève de la compétence des juridictions administratives, examine au fond une requête dirigée contre la possibilité, à l’égard de certains prévenus, d’installer dans les salles d’audience des juridictions judiciaires des boxes vitrés.

Aucun des moyens soulevés au soutien de leur illégalité et donc à l’annulation du refus du garde des sceaux d’abroger l'arrêté du 18 août 2016 en ce qu'il concerne l'installation de boxes sécurisés vitrés n’est retenu : le ministre de la justice avait bien compétence pour prendre une telle décision sur le fondement des art. L. 1332-1 et R. 1332-1 du code de la défense ; les dispositions combinées du 4è alinéa du III de l’article préliminaire du code de procédure pénale et de l’art. 318 de ce code ne font pas obstacle à la prise de mesures de contraintes justifiées tant par la sécurité des personnes présentes à l’audience que par les risques susceptibles d’être engendrés par la personne du prévenu ; les mesures en question n’ayant nullement pour effet d’instaurer une présomption de culpabilité et sont décidées sous le contrôle du juge judiciaire compétent ne contreviennent ni à l’art. 9 de la Déclaration de 1789 ni à l’art. 5 de la directive du 9 mars 2016 portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre de procédures pénales ; le placement en box sécurisé ne constitue pas un traitement inhumain ou dégradant qui contreviendrait à l’art. 3 de la Convention EDH ni non plus une atteinte au droit à un procès équitable comma aux droits de la défense tels que garantis à l’art. 6 de cette Convention ; pas davantage cette mesure n’apparaît entachée d’une erreur manifeste d’appréciation.

(21 juin 2021, Syndicat des avocats de France, n° 418694)

 

124 - Chasse – Chasse à la glu – Autorisation – Dérogation à l’interdiction posée par une directive – Condition de dérogation à son interdiction – Motivation insuffisante – Annulation.

Les associations requérantes avaient saisi le Conseil d’État de recours tendant à l'annulation pour excès de pouvoir d’arrêtés de septembre 2018 du ministre de la transition écologique et solidaire, relatifs à l'emploi des gluaux pour la capture des grives et des merles noirs destinés à servir d'appelants, respectivement, dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes-Maritimes, des Bouches-du-Rhône, de Vaucluse et du Var, pour la campagne 2018-2019. Le juge avait sursis à statuer sur ces requêtes jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée à titre préjudiciel sur les questions qu’il estimait devoir lui poser. La Cour de justice ayant rendu son arrêt le 17 mars 2021 (aff. C-900/19), le Conseil d’État statue au fond.

Tout l’enjeu juridique était de déterminer l’étendue et les conditions du pouvoir de dérogation nationale à l’interdiction d’utiliser des gluaux pour immobiliser les oiseaux dits appelants destinés à attirer les espèces à chasser. La CJUE dit pour droit, d’une part, que cette dérogation devait être motivée scientifiquement et pertinemment et, d’autre part, que la seule indication de l’inexistence d’une autre solution possible ne saurait constituer à elle seule la motivation exigée.

Le Conseil d’État en tire très logiquement cette conclusion qu’en l’état, le droit national, en se bornant à soutenir, sans plus, l’absence d’autres solutions techniques possibles et à invoquer une pratique traditionnelle, contrevient aux dispositions du § 1 de l’art. 8 combinées avec celles de l’art. 9, de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux, en ce qu’il ne motive pas réellement la dérogation qu’il institue en faveur de la pose de gluaux.

Les intéressés et le ministre n’ayant pas davantage, au reçu de l’arrêt de la CJUE, motivé la solution retenue, il s’ensuit que doivent être annulés les arrêtés attaqués.

(28 juin 2021, Associations One Voice et Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 425519)

(125) V. aussi, identiques les espèces jointes : 28 juin 2021, Association One Voice, n° 434365, 434367, 434368, 434369 et 434374 ; Ligue française pour la protection des oiseaux, n° 435737, 435738, 435739, 435741 et 435742.

(126) V. également, identique mais en sens inverse en ce qu’est confirmé le refus ministériel d’autoriser la chasse avec emploi de gluaux : 28 juin 2021, Fédération nationale des chasseurs et Fédération régionale des chasseurs de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, n° 443849.

 

127 - Réfugié – Permis de conduire étranger – Échange d’un permis syrien contre un permis français - Certificat d’authenticité non obtenu par la voie diplomatique – Refus – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le tribunal administratif qui, saisi par un syrien ayant obtenu en France le statut de réfugié et demandant l’échange de son permis de conduire syrien avec un permis français, estime sans valeur le certificat d’authenticité dudit permis au motif qu’il n’a pas été obtenu par la voie diplomatique. Il incombait à la juridiction de rechercher si les documents présentés offraient des garanties suffisantes d’authenticité.

La solution est parfaitement justifiée car il est assez illusoire, nous semble-t-il, d’attendre du régime syrien qu’il authentifie lui-même le permis de conduire d’un homme qui l’a fui au point d’être reconnu réfugié…

(28 juin 2021, M. B., n° 432847)

 

Professions réglementées

 

128 - Masseur-kinésithérapeute – Poursuites disciplinaires – Prise en compte d’un contrat de droit privé – Allégation de méconnaissance d’une obligation déontologique pour non-respect d’un contrat de droit privé – Rejet.

Le Conseil d’État approuve la juridiction disciplinaire de l’ordre des masseurs-kinésithérapeutes d’avoir, pour apprécier l’éventuel manquement d’un praticien à ses obligations déontologiques, retenu le non-respect par celui-ci d’une clause d’un contrat de droit privé, en l’espèce un contrat de collaboration le liant à un confrère.

Le juge de cassation indique cet examen possible si, à la date du manquement allégué, cette clause n’est ni résiliée, ni annulée par une décision de justice ni entachée d’une illégalité susceptible d’être relevée d’office.

(16 juin 2021, Mme D., n° 437366)

 

129 - Médecin – Décision sur l’aptitude d’un médecin à exercer – Décision de nature administrative et non juridictionnelle – Obligation de motivation non de discussion d’arguments – Rejet.

Dans une affaire de suspension temporaire d’exercice d’un médecin à raison du danger présenté pour ses patients par son éloignement de la médecine générale et dans l’attente qu’il ait reçu une formation, se posait la question de la qualification juridique de la décision du conseil national de l’ordre. En effet, le requérant se plaignait du non-respect de principes s’appliquant à une procédure juridictionnelle. Le Conseil d’État rappelle opportunément que la décision prise au terme de l’examen de l’aptitude d’un praticien à exercer ses fonctions n’a pas une nature disciplinaire et qu’elle constitue une décision administrative, donc sans caractère juridictionnel : si elle est soumise à l’obligation de motivation, elle n’a pas à répondre aux arguments du demandeur.

(23 juin 2021, M. E., n° 433605)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Cour des comptes – Membre se trouvant dans une situation de conflit d’intérêt – Cas du procureur général près la Cour – Principe d’impartialité - Silence de la loi sur son obligation de déport – QPC – Rejet.

Le requérant demandait le renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC à propos de l’art. L. 120-12 du code des juridictions financières qui, en ne prévoyant pas pour le procureur général près la Cour des comptes, l’obligation de se déporter en se faisant substituer lorsqu’il est susceptible de se trouver en conflit d’intérêt, serait contraire au principe d’impartialité et à celui d'indépendance des juridictions garantis par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

Sans surprise, le Conseil d’État refuse le renvoi de cette QPC : le silence de la loi ne constitue bien évidemment pas une dispense pour le procureur général de respecter le principe d’impartialité, lequel s’impose, même sans texte, à lui.

(7 juin 2021, M. A., n° 447398)

 

131 - QPC imaginaire – Contestation de la constitutionnalité d’un décret non d’une loi – Invocation d’impossibilité de QPC – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

La loi du 13 juillet 1972 a institué, en son article 3, une taxe sur les surfaces commerciales assise sur la surface de vente des magasins de commerce de détail, dès lors qu'elle dépasse quatre cents mètres carrés dans ceux des établissements ouverts à partir du 1er janvier 1960 quelle que soit la forme juridique de l'entreprise qui les exploite. Elle a aussi prévu que les établissements redevables de la taxe sur les surfaces commerciales bénéficieraient de la réduction de taux prévue par la loi à raison des surfaces qu'ils affectent à titre exclusif à une activité consistant à vendre des marchandises mentionnées dans une liste à laquelle elle renvoie.

La société requérante soutenait que les dispositions du A de l'article 3 du décret du 26 janvier 1995, pris pour l’exécution de la loi précitée, en posant une condition selon laquelle seule la vente à titre exclusif de certaines marchandises peut permettre aux professions nécessitant des surfaces anormalement élevées de bénéficier d'une réduction de 30 % du taux de la taxe, créaient une différence de traitement injustifiée entre les contribuables qui se livraient exclusivement à la vente des marchandises éligibles et ceux qui vendaient à titre quasi exclusif ou à titre principal ces mêmes marchandises, violant ainsi le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques, garanti par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

L’ordonnance attaquée a rejeté ce moyen d’inconstitutionnalité au motif qu’il revenait à contester la constitutionnalité des dispositions du dix-septième alinéa de l'article 3 de la loi de 13 juillet 1972 et que par suite, il ne pouvait être utilement soulevé que par le biais d'une question prioritaire de constitutionnalité. Ce jugeant, l’ordonnance querellée a commis, selon le Conseil d’État, une erreur de droit car le critère critiqué par la demanderesse figurait bien dans le décret attaqué non dans la loi.

Après cette cassation l’affaire est renvoyée au tribunal administratif.

(9 juin 2021, Société Lapeyre, n° 436285)

(132) V. aussi, sur les conditions et la portée de l’assujettissement à la taxe sur les surfaces commerciales : 16 juin 2021, Société Castorama France, n° 436240.

 

133 - Art. L. 1453-4 code du travail – Institution d’un « défenseur syndical » – Conditions de présentation et de désignation – Atteinte au principe d’égalité devant la loi – Question de caractère sérieux justifiant le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

Présente un caractère sérieux qui justifie son renvoi au Conseil constitutionnel la QPC de savoir si l’art. 1453-4 du code du travail qui institue un « défenseur syndical » et en fixe les conditions de présentation et de désignation ne porte pas atteinte en particulier au principe d'égalité devant la loi.

(9 juin 2021, Confédération nationale des travailleurs solidarité ouvrière, n° 450861)

 

134 - Art. 35 et 39-1 du code de procédure pénale – Transmission, par les magistrats du parquet ou du parquet général, d’informations sur des procédures judiciaires en cours - Atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis pour insuffisance d’encadrement de la procédure de transmission - Question de caractère sérieux justifiant le renvoi de la QPC au Conseil constitutionnel.

Présente un caractère sérieux qui justifie son renvoi au Conseil constitutionnel la QPC de savoir si les art. 35 et 39-1 du code de procédure pénale qui instituent à la charge des magistrats du parquet et du parquet général une obligation de transmission d'informations sur des procédures judiciaires en cours à l'attention du ministre de la justice, à leur initiative ou sur demande de ce dernier, ne portent pas atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

(9 juin 2021, Confédération nationale des travailleurs solidarité ouvrière, n° 450861)

 

Responsabilité

 

135 - ONIAM - Réparation du préjudice résultant d’une incapacité permanente de travail (art. L. 431-1 c. trav.) – Rente accident du travail - Réparation sur une base exclusivement forfaitaire (art. L. 431-4 c. trav.) – Postes de préjudices ainsi réparés – Imputation d’arrérages de la rente accident sur l’indemnisation du déficit fonctionnel – Impossibilité – Absence d’erreur de droit – Rejet.

Rappel de ce qu’en vertu des dispositions combinées des art. L. 431-1 et L. 431-4 du code du travail, la rente d'accident du travail doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident, c'est-à-dire ses pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, et ne saurait être imputée sur un poste de préjudice personnel. Il suit de là que l’ONIAM n’est pas fondé à demander que le montant de l'indemnité due au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle subis par la victime s'impute également sur la part des arrérages à échoir au titre de la rente d'accident du travail qui lui a été allouée.

(14 juin 2021, ONIAM, n° 436108)

 

136 - Saisine du juge à fins indemnitaires – Absence de demande préalable en ce sens à la puissance publique – Formation postérieure d’une telle demande en vue de régularisation – Silence de l’administration valant décision implicite liant le contentieux pour tous les dommages découlant du même fait générateur même ceux non repris dans la demande préalable – Pouvoir des chefs de juridiction de réparer les erreurs matérielles contenues dans les jugements et arrêts – Annulation partielle.

(21 juin 2021, Commune de Montigny-lès-Metz, n° 437744 et n° 437745 ; M. B., n° 437781) V. n° 31

 

137 - Responsabilité pour faute – Délivrance d’une autorisation de lotir – Risque connu de submersion marine – Fautes de la commune et de l’État – Indemnisation du refus subséquent de délivrer un permis de construire – Rejet.

Une autorisation de lotir est délivrée le 6 mars 2007 sur le territoire d’une commune riveraine de la mer. Le 2 février 2009 un couple acquiert le lot n° 10 du lotissement et dépose un permis de construire ; la tempête Xynthia étant survenue dans la nuit du 27 au 28 février 2010, le permis est refusé le 20 décembre 2010 en raison du risque de submersion.

Les intéressés réclament, et obtiennent, réparation du préjudice découlant de l’autorisation de lotir qu’ils estiment fautive. La cour administrative d’appel accorde cette indemnisation en la mettant à la charge solidaire, d’une part, de l’État pour sous-évaluation du risque de submersion ayant faussé l’appréciation du maire et l’ayant dissuadé de classer ce secteur en zone inconstructible, d’autre part, de la commune, dûment informée depuis plusieurs années du risque très grave de submersion marine et de crue combinées existant dans la zone de l’estuaire du Lay.

État et commune se pourvoient en cassation, en vain, le Conseil d’État confirmant en tous points l’arrêt d’appel.

Tout d’abord, les indications fournies aux acquéreurs, qui ne sont pas des professionnels de l’immobilier, lors de la signature de l’acte notarié, n’étaient pas de nature à les éclairer sur la gravité du risque couru, aucune faute ne saurait leur être reprochée.

Ensuite, la cour a correctement motivé son arrêt en jugeant que des fautes avaient été commises par les deux personnes publiques et qu’elles étaient en lien direct de causalité avec le dommage subi par les intéressés.

(14 juin 2021, Commune de la Faute-sur-Mer, n° 433393 ; Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 433464)

 

Santé 

 

138 - Produit de santé – Larmes artificielles – Fixation de leur prix par le comité économique des produits de santé – Termes de comparaison erronés – Comparaison devant être effectuée entre produits de même classe thérapeutique – Annulation.

La requérante est jugée fondée à soutenir qu’est irrégulière la décision du Comité économique des produits de santé se bornant à faire état du prix inférieur des spécialités à base de ciclosporine, mentionnées comme étant à même visée thérapeutique, que les larmes artificielles produites par la société Teofarma, alors qu'il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier, notamment pas de l'avis émis par la commission inscrivant les « Larmes artificielles Martinet » sur la liste des médicaments remboursables, que ces spécialités aient pu être envisagées comme un comparateur pertinent et alors que la société Teofarma s'était en revanche prévalue du prix plus élevé d'une spécialité à base, comme la sienne, de chlorure de sodium, qu'elle estimait relever de la même classe thérapeutique.

Injonction est faite au Comité de se prononcer à nouveau sur ce prix sous deux mois.

(16 juin 2021, Société Teofarma, n° 436561)

 

Service public

 

139 - Traitement des demandes de communication des décisions de justice – Note du garde des sceaux susceptible de produire des effets notables – Distinction et traitement de trois catégories de demandes de communication – Absence d’illégalité – Rejet.

La requérante recherchait l’annulation de la note du garde des sceaux du 19 décembre 2018, publiée au JO du 31 décembre 2018, relative à la communication de décisions judiciaires civiles et pénales aux tiers à l'instance, ainsi que de ses annexes.

Rejetant la fin de non-recevoir du ministre, le juge aperçoit dans cette note un document de portée générale susceptible d’avoir des effets notables sur certaines personnes.

La circulaire envisage trois hypothèses de communication des décisions de justice. Aucune d’elles ne mérite la critique du juge qui rejette ainsi le recours dont il était saisi.

S’agissant des décisions de justice communicables aux tiers, l’absence de référence de la note aux textes applicables est sans effet sur sa légalité tout comme l’absence de traitement différencié selon les demandeurs de communications. Enfin, cette note se borne à rappeler la règlementation existante sans y ajouter.

S’agissant de la procédure de communication des décisions de justice aux tiers, l’obligation imposée que soient identifiés tant le demandeur de la communication que la partie figurant dans la décision ne servent qu’à identifier le document afin de le trouver et ne porte point atteinte à la vie privée de la personne concernée, tout comme n’est pas irrégulière la recommandation, en certaines matières (diffamation, décisions prises en chambre du conseil), de ne pas effectuer une communication complète de la décision  qui porterait atteinte à la vie privée.

S’agissant du traitement des demandes de masse, c’est sans illégalité que l’auteur de la note rappelle de s’abstenir de telles communication qui visent non à connaître des décisions mais la jurisprudence de la juridiction en certains domaines. En effet, elle ferait peser sur la juridiction une charge disproportionnée notamment du fait de l’anonymisation.

Le recours est rejeté.

(21 juin 2021, Société Forseti, n° 428321)

 

Travaux publics - Expropriation                

 

140 - Création d’une liaison entre routes départementales – Expropriation – Propos publics du commissaire-enquêteur – Parti pris – Vice de procédure – Rejet.

C’est sans erreur de droit et usant de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’une cour d’appel juge que constitue un vice de procédure ayant privé le public d’une garantie, le fait que, dans la cadre d’une procédure d’expropriation, le commissaire enquêteur désigné pour donner son avis sur le projet litigieux s'était exprimé dans le principal journal local, au lendemain de l'ouverture de l'enquête publique, et avait répondu à la question de savoir si le projet lui paraissait viable qu'il ne voyait pas d'anomalie à l'utilité publique du prolongement et que, sauf à découvrir « une énormité », il pensait que le projet « irait à son terme ». A cet égard, est indifférente la circonstance que les conclusions du commissaire-enquêteur rendues au terme de l'enquête publique étaient complètes et motivées. 

(28 juin 2021, Département des Alpes-Maritimes, n° 434150 ; Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 434327 ; Commune de Grasse, n° 434409)

 

Urbanisme - Aménagement du territoire

 

141 - Permis de construire – Demande de permis entaché de fraude – Acquisition d’un terrain mitoyen par voie successorale postérieurement à la délivrance du permis de construire – Date d’appréciation de l’intérêt à agir – Rejet.

Une personne devient propriétaire par voie successorale, le 1er août 2017, d’un terrain contigu à un autre sur lequel a déjà été délivré un permis de construire le 8 juin 2017. Elle entend contester ce permis pour divers motifs.

Se pose une première question : celle de la date à laquelle doit être apprécié l’intérêt à agir de cette nouvelle propriétaire. Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir estimé qu’existaient en l’espèce des circonstances particulières justifiant de se placer non à la date d'affichage de la demande de permis de construire mais à la date d'introduction de son recours.

Ensuite, le Conseil d’État approuve les juges du fond d’avoir relevé que le permis de construire portant sur un terrain enclavé accessible par un passage situé sur la propriété de la demanderesse, celle-ci dispose bien d’un intérêt à agir contre le permis à l’origine de l’octroi d’un droit de passage.

Enfin, confirmant le jugement annulant le permis de construire, le Conseil d’État estime entachée de fraude la demande de permis, celle-ci faisant état, dans le plan de masse, de l’existence d’un droit de passage permanent pour permettre l’accès à la voie publique alors que le compromis de vente n’accordait qu’un droit de passage temporaire expirant le 30 juin 2020.

(8 juin 2021, Mme A. et M. D., n° 437788)

 

142 - Plan local d’urbanisme – Emprise au sol des constructions urbaines – Dispositions dérogatoires en faveur des équipements d'intérêt collectif et des services publics – Construction d’une maison d’assistantes maternelles et d’un logement – Construction pouvant bénéficier de la dérogation – Erreur de droit – Annulation.

Alors que le règlement d’un PLU communal prévoit une dérogation aux règles générales d’emprise au sol des constructions dans les zones urbaines en faveur des équipements d’intérêt collectif et de services publics, commet une erreur de droit le jugement estimant que la construction d’une maison d’assistantes maternelles et d’un logement n’entre pas dans cette catégorie dérogatoire en raison de ce que la surface de plancher de l'ensemble de la construction destinée à l'habitation était majoritaire par rapport à celle destinée à l'accueil d'une crèche, alors que cette dernière circonstance est sans effet sur l’aspect intérêt collectif ou service public de cette construction.

(11 juin 2021, Commune de Neuilly-Plaisance, n° 432457)

 

143 - Condition d’autorisation d’urbanisation en zone littorale – Travaux et implantations dérogatoires – Antenne-relais de téléphonie mobile et ses accessoires – Soumission au principe d’urbanisation en continuité – Avis rendu en ce sens.

Le Conseil d’État répond ici à une demande d’avis de droit sur le point de savoir si, dans les communes littorales, les infrastructures de téléphonie mobile sont constitutives d'une extension de l'urbanisation soumise au principe de continuité posé par les dispositions de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige.

La réponse est positive car d’une part, il résulte des dispositions combinées des art. L. 121-8 et L. 121-10 du code de l’urbanisme que dans les communes littorales s’applique, sauf dérogations limitativement énumérées, le principe d’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants et, d’autre part, que les installations d’antennes de téléphonie mobile ne figurent pas au nombre des constructions susceptibles de bénéficier d’une telle dérogation.

(11 juin 2021, Mme D. et M. C., n° 449840)

 

144 - Règlement d’un PLU – Création d’un cône de vue ou d’un secteur à caractéristiques particulières – Conditions de légalité – Contrôle du juge – Erreur de droit – Annulation et renvoi.

S’il est loisible à une commune d’instituer dans le règlement de son PLU un cône de vue ou un secteur à caractéristiques particulières (cf. art. L. 151-19 et L 151-23 c. urb.), c’est sous une double limite.

En premier lieu, la délimitation et les prescriptions de ce cône ou de ce secteur ne peuvent avoir d’effet ou de portée que dans la limite de ce qui est couvert par le PLU.

En second lieu, lorsque cette institution est assortie de l’interdiction de toute construction, il incombe au juge saisi, en cas de contentieux, de rechercher si la création d’une zone non aedificandi était l’unique moyen juridique de parvenir au résultat recherché.

Faute de cette recherche, le juge commettrait une erreur de droit en se bornant à avaliser ce choix. C’est le cas en l’espèce.

(14 juin 2021, Société des Sables, n° 439453)

 

145 - Commandant de zone terre – Compétence pour autoriser une construction visée par l’art. L. 5112-2 du code de la défense – Impossibilité de confier cette compétence à l'établissement du service d'infrastructure de la défense – Annulation.

Si le commandant de zone terre tient des dispositions de l’art. L. 5112-2 du code de la défense la qualité pour représenter le ministre de la défense auprès des services déconcentrés de l'Etat et des collectivités territoriales pour les questions d'urbanisme, dans les limites de la zone terre, et pour donner son accord, au nom de ce ministre, à une construction, telle que celle en litige, soumise à l'autorisation de ce dernier, il ne peut confier l’exercice de cette compétence à l'établissement du service d'infrastructure de la défense, qui assure seulement l'instruction des dossiers sur les questions d'urbanisme intéressant le ministère de la défense et, le cas échéant, pour assurer, à la demande du commandant de zone, sa représentation auprès des services déconcentrés de l'Etat et des collectivités territoriales.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit pour avoir jugé cette délégation régulière dans la présente affaire.

(16 juin 2021, Société Almo, n° 436143)

 

146 - Plan local d’urbanisme – Classement de deux parcelles en zone agricole – Annulation par le tribunal administratif de leur classement – Appel ne portant que sur le classement de l’une des deux parcelles – Cour administrative d’appel statuant sur les deux parcelles – Ultra petita – Annulation dans cette mesure.

Alors que le juge de première instance avait annulé le classement de deux parcelles, section A et section B, en zone agricole, la commune n’avait interjeté appel que sur la seule annulation du classement de la parcelle de la section A.

Par suite, en statuant sur le classement des sections A et B, la cour a statué ultra petita car au-delà des conclusions dont elle était saisie.

Son arrêt est annulé en tant qu’il porte sur le classement de la section B.

(16 juin 2021, Commune de La Clusaz, n° 442505)

 

147 - Permis de construire un supermarché – Projet nécessitant une étude d’impact (art. L. 122-2 c. env.) – Existence antérieure d’une étude environnementale sur la zone d’implantation de ce supermarché – Nécessité d’une étude par projet – Erreur de droit – Annulation sur ce point.

Le juge des référés du tribunal administratif, saisi d’une demande de suspension du permis de construire un supermarché pour absence d’étude d’impact, avait rejeté la requête de ce chef motif pris de ce que la zone Uy où devait être implanté le projet de construction avait déjà fait l’objet antérieurement d’une étude environnementale. Le juge de cassation annule pour erreur de droit cette ordonnance car il résulte de la logique de l’art. L. 122-2 du code de l’environnement que celui-ci requiert une étude d’impact par projet surtout lorsque, comme en l’espèce, l’aire de stationnement ouverte au public devait comporter 122 places au lieu de 50 maximum prévu à la rubrique 41 du tableau annexé audit article ; l’étude environnementale précédente ne saurait donc dans ces circonstances en tenir lieu.

Toutefois, statuant au fond après cette cassation, le Conseil d’État relève que le préfet de région ayant dispensé le projet en cause d'évaluation environnementale, dispense qui a été suivie de la délivrance d’un permis de construire modificatif, fait donc désormais défaut la condition d’application de l'article L. 122-2 du code de l'environnement.

La demande de suspension est à nouveau rejetée.

(ord. réf. 24 juin 2021, Sociétés Mottin et July, n° 442316)

 

148 - Référé suspension - Plan local d’urbanisme (PLU) – Permis de construire méconnaissant l’une de ses dispositions – Impossibilité pour le juge de l’urgence d’inviter à régulariser en application de l’art. L. 600-5 c. urb. – Erreur de droit – Annulation sur ce point.

Commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, constatant la méconnaissance par un permis de construire d’une disposition du PLU et estimant ce vice régularisable par application de l’art. L. 600-5 c. urb. car en sa qualité de juge de l’urgence il ne saurait user de pouvoirs que le code de l’urbanisme n’accorde qu’au juge du fond

(24 juin 2021, M. et Mme A., n° 450048)

Lire la suite