Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Février 2022

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Communication d'informations n'intéressant pas la sûreté de l'État - Refus - Décision du Conseil d'État ordonnant le versement au dossier, hors contradictoire, des informations demandées - Rejet.

Le requérant avait demandé au ministre des finances la communication d'informations le concernant, autres que celles intéressant la sûreté de l'État, figurant dans le fichier STARTRAC. Cela lui fut refusé.

Si le tribunal administratif saisi avait ordonné de verser au dossier de l'instruction écrite, hors contradictoire, les informations litigieuses, le Conseil d'État a annulé ce jugement et, avant-dire droit, le 10 novembre 2021, ordonné au ministre de verser au dossier de l'instruction, dans le mois de sa décision, aux conditions précisées dans les motifs de la décision d'avant-dire droit et selon les modalités prévues à l'article R. 412-2-1 du CJA, le décret portant création du fichier STARTRAC ainsi que les informations relatives au requérant, n'intéressant pas la sûreté de l'État, figurant dans ce même fichier ou, si ces informations sont couvertes par un secret opposable au juge, tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant un éventuel refus.

Le ministre ayant communiqué le 10 décembre 2021 un mémoire, non versé au débat contradictoire, contenant le décret autorisant la création du fichier STARTRAC et les éléments relatifs à la situation du requérant, le Conseil d'État juge, d'une part, qu'il n'a relevé aucune illégalité dans ces documents et, d'autre part, rejeté les conclusions du requérant tendant à l'annulation du refus du ministre de lui communiquer les informations le concernant dans le fichier STARTRAC.

Difficile d'être plus laconique ; même si peut se comprendre une telle attitude eu égard aux éléments de la cause, elle n’en laisse pas moins un goût amer dans un cadre démocratique.

(2 février 2022, M. C., n° 444992)

 

2 - Sapeur-pompier professionnel - Poursuite d'activité au-delà de l'âge de la retraite - Autorisation estimée illégale - Retrait - Retrait au-delà de quatre mois - Irrégularité - Prétendue inexistence de la décision - Rejet - Suspension ordonnée - Annulation partielle.

Un sapeur-pompier professionnel affecté au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion a bénéficié, sur sa demande, d'un recul de limite d'âge par un arrêté du président du conseil d'administration du SDIS, le 10 mars 2017, puis, par un arrêté du 17 mars 2020, a été retiré l'arrêté du 10 mars 2017 et prononcée la radiation des cadres de l’intéressé à compter du 6 avril 2017.

Sur saisine de ce dernier, le juge des référés a, d'une part, suspendu l'exécution de l'arrêté du 17 mars 2020 et, d'autre part, enjoint au SDIS de La Réunion de procéder, à titre provisoire, à la réintégration du demandeur dans ses fonctions et au versement des traitements de celui-ci depuis janvier 2020.

Le SDIS de La Réunion s'est pourvu en cassation contre cette ordonnance.

En premier lieu, il est jugé que, outre la condition d'urgence,  était également remplie en l'espèce la condition tenant au doute sérieux sur la légalité de la décision contestée, nécessaire à l'obtention d'une mesure de suspension, car l'arrêté prolongeant l'activité de l'intéressé était bien évidemment créateur de droits et ne pouvait donc faire l'objet d'un retrait rétroactif que dans le délai de quatre mois (art. L. 242-1 CRPA) alors que la décision de retrait est intervenue trois ans après. Si le SDIS soutient qu'en réalité l'arrêté initial était un acte inexistant qui pouvait donc être retiré sans condition de délai, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il aurait été obtenu par fraude, par suite s'imposait le respect du délai précité.

En second lieu, l'ordonnance de référé est annulée en ce qu'elle enjoignait au SDIS de procéder, à titre provisoire, à la réintégration de l'agent dans ses fonctions et au versement de ses traitements depuis janvier 2020. En effet, l'arrêté primitif avait n'avait accordé un recul de la limite d'âge qu'au jusqu'au 5 décembre 2018 et l'agent n'avait sollicité aucune nouvelle prorogation depuis : son lien avec le SDIS de La Réunion était donc rompu à cette date. Ainsi, le juge des référés a prononcé une mesure que n'impliquait pas la suspension qu'il prononçait par la même décision.

L'ordonnance est annulée en tant qu'elle fait injonction.

(ord. réf. 3 février 2022, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion, n° 442354)

 

3 - Arrêté ministériel - Exemplaire de l'arrêté signé fourni au juge différant de la version publiée au Journal officiel - Annulation.

Dans un litige relatif à la contribution forfaitaire de l'État à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, les requérants faisaient valoir que l'arrêté attaqué n'avait pas été régulièrement signé. Le ministre des solidarités et de la santé ayant versé au dossier un exemplaire signé de l'arrêté attaqué, qui diffère de la version publiée au Journal officiel de la République française, il y a lieu à annulation dudit arrêté faute qu'il ait été dûment signé.

(4 février 2022, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 443125 et n° 448163 ;  Ville de Paris, n° 448125, jonction)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 12

 

4 - Consultation préalable obligatoire d'un organisme sur un projet de texte - Modifications postérieures posant des questions nouvelles - Obligation de consulter à nouveau cet organisme - Projet de décret relatif à la procédure de déconventionnement en urgence des professionnels de santé libéraux -  Rejet en l'absence de question nouvelle.

Application, ici négative en l'absence de questions nouvelles, du principe général de procédure administrative non contentieuse selon lequel « l'organisme dont une disposition législative ou réglementaire prévoit la consultation avant l'intervention d'un texte doit être mis à même d'exprimer son avis sur l'ensemble des questions soulevées par ce texte. Par suite, dans le cas où, après avoir recueilli son avis, l'autorité compétente pour prendre le texte envisage d'apporter à son projet des modifications qui posent des questions nouvelles, elle doit le consulter à nouveau. »

(11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V. n° 146

 

5 - Codification à droit constant – Codification par voie d’ordonnance de l’art. 38 de la Constitution – Amélioration de l’accessibilité et de l’intelligibilité des textes – Absence de caractère purement confirmatif des dispositions issues de la nouvelle rédaction – Recevabilité du recours contre ces dernières devant le juge de l’excès de pouvoir – Rejet.

Le Conseil d’État rejette la fin de non-recevoir opposée par le gouvernement à des recours dirigés contre les parties législative et réglementaire d’un code issues de la nouvelle rédaction que leur a donnée une ordonnance de l’art. 38 de la Constitution et tirée de ce que celle-ci n’aurait qu’un caractère purement confirmatif, ce qui exclut, classiquement, la possibilité de la contester par la voie d’un recours pour excès de pouvoir.

En effet, au cas de l’espèce, le gouvernement a été habilité à adopter à droit constant une nouvelle rédaction de la partie législative du CESEDA dans le but d'en améliorer l'accessibilité et l'intelligibilité dans le respect de la hiérarchie des normes et à procéder, conformément à l'habilitation qui lui a été donnée, aux modifications nécessaires pour assurer le respect, par les dispositions qu'il adopte, de la hiérarchie des normes.

Par suite de cette circonstance de droit nouvelle ces dispositions réécrites ne peuvent pas être regardées comme purement confirmatives des dispositions législatives antérieures. Il s’ensuit que les conclusions tendant à l'annulation des dispositions d'une telle ordonnance non ratifiée sont recevables devant le juge de l'excès de pouvoir, à qui il appartient, notamment, de se prononcer sur les moyens tirés de leur contrariété avec une norme supérieure, sans préjudice d'éventuelles questions prioritaires de constitutionnalité.

La partie réglementaire d'un code, prise en conséquence de l'adoption de la partie législative du code, ne peut, en principe, pas davantage être regardée comme purement confirmative des dispositions règlementaires antérieures.

(24 février 2022, Association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et autres, n° 450285 et n° 450288)

 

6 - Demande d’annulation des accords d’Évian (19 mars 1962) – Acte non détachable de la conduite des relations internationales – Acte de gouvernement - Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

La requérante demandait au juge administratif, non sans une certaine originalité, l’annulation des déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, dites « accords d'Evian ».  

Ces actes, intervenus dans le cadre de l'action conduite par le Gouvernement en vue de l'accès d'un nouvel État à l'indépendance, ne sont pas détachables de la conduite des relations internationales de la France et échappent, par suite, à la compétence de la juridiction administrative.

Au reste, leur approbation par référendum ne pouvait que pousser encore davantage à cette solution.

(24 février 2022, Association Le Grand Maghreb, n° 453671)

 

7 - Communication des documents préparatoires – Absence de droit à leur communication pendant l’élaboration de la décision qui fait suite à ces documents (art. L. 311-2 CRPA) – Non-contrariété à un droit ou une liberté que garantit la Constitution - Refus de transmission d’une QPC à cette fin.

Les demandeurs se sont vu refuser la communication du rapport relatif au retour d'expérience portant sur les modalités de pilotage et de gestion de l'épidémie de Covid-19. Ils soulèvent une QPC à l’encontre des dispositions de l’art. L. 311-2 du CRPA qui leur ont été opposées au soutien de la décision refusant la communication du document litigieux. Selon ce texte : « Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration ».

Selon le Conseil d’État, si l’art. 15 de la Déclaration de 1789 (« La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ») fonde bien le droit à la communication des documents administratifs, il est cependant loisible au législateur d'apporter à ce droit des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Tel est bien le cas ici où il s’agit d’assurer la sérénité du processus d'élaboration des décisions au sein de l'administration et donc de garantir le bon fonctionnement de cette dernière. De plus, cette solution, dictée par l’intérêt général, est limitée et temporaire.

Ceci justifie le refus de transmettre la QPC visant la disposition précitée du CRPA.

(24 février 2022, Société « Le Parisien libéré » et Mme B., n° 459086)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

8 - Publicité télévisée - Protection de l'enfance - Publicité pour des protections hygiéniques - Demande de mise en demeure des éditeurs des services de télévision - Refus du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Rejet.

La requérante demandait  l'annulation de la décision du 16 octobre 2019 par laquelle le Conseil supérieur de l'audiovisuel a rejeté sa demande de mettre en demeure les éditeurs des services de télévision concernés de respecter leurs obligations relatives à la protection de l'enfance et de la décision du 5 février 2020 rejetant son recours gracieux dirigé contre cette décision.

La requête est rejetée.

Après avoir relevé qu'était en cause un message publicitaire, d'une durée de trente secondes, se composant d'une succession d'images de jeunes femmes et de représentations suggérées ou métaphoriques du sexe féminin, le Conseil d'État juge que le CSA n'a pas fait une inexacte application de ses pouvoirs de mise en demeure en estimant que cette publicité ne portait pas atteinte à l'objectif de protection de l'enfance compte tenu de ce que les images litigieuses, si elles comportent des allusions directes à l'intimité du corps féminin, sont en rapport avec les produits d'hygiène dont la séquence fait la promotion et ne présentent aucun caractère licencieux ou pornographique.

S’il suffit que l’image soit en rapport avec l’objet de la publicité, certaines situations vont être intéressantes – sinon agréables – à observer.

(1er février 2022, Association Pornostop, n° 440154)

 

9 - Référé liberté – Élection présidentielle – Campagne audiovisuelle - Demande d’injonction à l’encontre de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) – Principe d’équité dans la programmation des temps de parole – Absence de démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion – Rejet.

(9 février 2022, M. B. et Union populaire et républicaine (UPR), n° 461000)

V. n° 57

 

10 - Attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte – Enchères principales en bandes 700 MHz – Modalités d’attribution de fréquences à des sociétés – Référé tendant à la suspension de décisions d’attributions de fréquences par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Demande d’injonction afin de reprendre la procédure d’attribution – Urgence non établie – Rejet.

La requérante critiquait des décisions de l’ARCEP, révélées par son communiqué de presse du 15 décembre 2021, d'attribuer à la société Orange et à la société Telco OI un total de 10 MHz de fréquences en bande 700 MHz chacune et de refuser de lui attribuer plus de 5 MHz de fréquences dans cette même bande, elle demandait leur annulation pour excès de pouvoir ainsi que celle du communiqué de presse lui-même et, dans l’attente, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, leur suspension par voie de référé.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence : d’abord, la société requérante s'est vu attribuer un bloc de fréquences de 5 MHz ; ensuite les autorisations d'utilisation de fréquences n'ont vocation à être délivrées par l'ARCEP que dans plusieurs semaines ; également,  les effets les plus significatifs ne sont susceptibles de se produire que progressivement, au fur et à mesure de la mise en service des installations et du déploiement des offres et services ; enfin, le Conseil d’État se prononcera au fond sur la requête en annulation avant la fin du mois de juin 2022.

(10 février 2022, Société Zeop Mobile, n° 460788)

 

Biens

 

11 - Délibération portant transfert de propriété d'un bien du domaine privé communal - Décision créatrice de droits même si elle est assortie d'une clause résolutoire - Erreur de droit - Refus d'indemnisation - Annulation partielle.

Après que le conseil municipal a décidé la vente à la requérante, à un certain prix, d'un terrain faisant partie de son domaine privé et alors que l'acte authentique de vente n'avait pas encore été accompli, la commune, se fondant sur une nouvelle estimation domaniale de la valeur au mètre carré de ce terrain, le portant de 86,45 euros à 220,50 euros et le prix de vente global de 201 600 euros à 514 206 euros, la société requérante a demandé le versement d'une indemnité du fait de l'abandon de son projet immobilier. Ces conclusions, d'abord jugées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, ont été rejetées en appel après annulation du jugement de première instance.

Le demande contenue dans le pourvoi est partiellement accueillie.

Le Conseil d'État donne raison à la requérante  en décidant que la délibération d'un conseil municipal portant  transfert de propriété de biens immobiliers relevant de son domaine privé moyennant des modalités déterminées, notamment de prix ou d'affectation future, crée des droits au profit de son bénéficiaire. A cet égard l'arrêt est annulé pour avoir estimé qu'il n'en allait pas ainsi en raison de ce que la délibération était assortie d'une condition résolutoire consistant dans une clause de retour des parcelles dans le patrimoine communal en cas de non-réalisation du projet.

C'était évidemment une erreur : la condition résolutoire, à la différence de la condition suspensive, confère au contrat dès sa signature sa perfection juridique et lui permet de déployer tous ses effets (cf. art. 1304, 1304-3 et 1304-7 C. civ. et J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, § 844 et suiv., p. 443 et s. ; C.E. 21 novembre 2011, Daniel X., n° 340319).

En revanche, l'action en responsabilité est rejetée, tant celle en responsabilité contractuelle puisqu'aucun contrat n'existe entre la société et la commune, que celle en responsabilité quasi-délictuelle car, la cession ayant été autorisée à un prix valable pendant une année et l'acte authentique n'ayant pas été accompli au terme de cette durée, le prix initial a alors cessé de produire effet. La nouvelle délibération fixant un autre prix n'est ainsi pas illégale de ce chef et ne méconnaît pas l'espérance légitime née de la délibération précédente.

(3 février 2022, Société anonyme HLM Immobilière Atlantic Aménagement, n° 438196)

 

Collectivités territoriales

 

12 - Personnes mineures isolées - Contribution forfaitaire de l'État à leur mise à l'abri - Principe fondamental « de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources » (art. 34 Const. 1958) - Principe de compensation financière des transferts de compétences (art. 72 Const. 1958) - Caractère non obligatoire de la convention prévue entre l'État et les départements - Absence de sanction à défaut de convention - Rejet.

Dans un litige relatif à la contribution forfaitaire de l'État à la mise à l'abri et à l'évaluation de la situation des personnes se déclarant mineures et privées de la protection de leur famille, les collectivités requérantes contestaient la légalité et la constitutionnalité du décret n° 2020-768 du 23 juin 2020 modifiant les modalités de cette contribution forfaitaire.

Ils invoquaient l'atteinte portée par ce décret d'abord au principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales, ensuite au principe de la compensation financière des transferts de compétences de l'État à ces collectivités.

Le juge rejette ces moyens.

Si le décret litigieux incite les collectivités territoriales à conclure à cet effet des conventions avec l'État, celles-ci ne sont point obligatoires et leur non signature n'entraîne pas de sanctions ; par ailleurs il n'y a nulle obligation de recourir à l'assistance des services de l'État. Enfin, au surplus ce décret ne modifie pas par lui-même les compétences qui leur sont dévolues.

Semblablement, s'il est exact qu'existe une dégradation continue des dépenses d'aide sociale supportées par les départements, il n'en résulte pas que le décret attaqué entraînerait pour eux une charge nouvelle telle qu'elle dénaturerait le principe de libre administration et celui de compensation financière des transferts de compétence.

(4 février 2022, Département de la Seine-Saint-Denis, n° 443125 et n° 448163 ;  Ville de Paris, n° 448125, jonction)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 3

 

13 - Polynésie française - Covid-19 - « Loi du pays » - Procédure - Théorie des circonstances exceptionnelles - Contenu des mesures - Rejet.

Les deux recours en annulation de deux « lois du pays » adoptées en Polynésie française tendant brevitatis causa aux mêmes fins, ils sont joints.

Leur auteur formule des moyens divers de légalité à l'encontre de ces textes. Ils sont tous rejetés.

Tout d'abord, le demandeur soulevait deux QPC.

La première, dirigée contre l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et tendait à faire dire que l'adverbe « manifestement » figurant dans ce texte à l'intérieur de la formule « L'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable, (...) » n'est pas défini et viole le droit au juge, celui au procès équitable, l'égalité des armes, etc. Le moyen est rejeté car il est toujours loisible de contester en justice le refus d'accorder certte aide.

La seconde, dirigée contre l'art. 76 de la loi organique du 27 février 2004 est manifestement  infondée, le Conseil constitutionnel ayant déjà - et à deux reprises - déclaré cet article conforme à la Constitution (décisions n° 2004-490 DC du 12 février 2004 et n° 2019-783 DC du 27 juin 2019).

Ensuite, sont rejetés les griefs de forme tirés de l'intervention prématurée de l'acte de promulgation de la « loi du pays » instaurant l'état d'urgence en Polynésie et le prolongeant en raison de « circonstances exceptionnelles », de l'irrégularité de la procédure suivie pour l'élaboration de la « loi de pays », l'exception d'illégalité invoquée de ce chef étant inopérante, l'utilisation ponctuelle au cours des débats d'une langue autre que le français n'a pas nui à la compréhension indispensable à un débat démocratique.

Sont également rejetés les griefs portant sur le fond des mesures contestées : l'obligation vaccinale établie pour certaines catégories de personnes exposées ou susceptibles d'en exposer d'autres, repose sur une définition précise de ces catégories, les dispositions prises sont proportionnées à la gravité de la situation au moment où elles ont été prises et à son évolution prévisible, le caractère illimité de la durée d'application de ces mesures est justifié par la nature même de l'épidémie, l'amende prévue en cas de non respect de l'obligation vaccinale par les personnes concernées, dans sa procédure comme dans sa fixation, ne porte atteinte à aucun des droits et libertés invoqués, enfin, last but not least, la majoration du ticket modérateur pour les personnes ne déférant pas à l'obligation vaccinale ne porte pas atteinte au droit de propriété sous réserve de respecter le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui garantit à tous la protection de la santé.

(11 février 2022, M. B., n° 456823 et n° 456824)

(14) V. aussi les intéressantes questions de droit posées par l'instauration d'une o14bligation vaccinale en Nouvelle-Calédonie sur le seul fondement d'une délibération du congrès de ce territoire, sans recours à une « loi du pays » car la santé publique n'est pas au nombre des matières entrant limitativement dans le domaine des « lois du pays »  : 11 février 2022, M. F. et autres, n° 457818.

 

15 - Autorisation de plaider - Action d’un contribuable en lieu et place d’une commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer – Conditions – Absence d’intérêt pour la commune et absence de chance de succès d’une telle action – Rejet.

(23 février 2022, M. E., n° 456170)

V. n° 37

 

Contrats

 

16 - Accord-cadre – Accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes – Obligation d’indications devant être contenues dans l’accord-cadre - Interprétation par la CJUE – Obligation d’indiquer la qualité et/ou la valeur estimée ainsi que la quantité et/ou valeur maximale des produits ou prestations à fournir – Rejet.

La collectivité de Saint-Martin a lancé une procédure d'appel d'offres ayant pour objet la passation d'un accord-cadre relatif à la mobilisation, l'orientation et l'accompagnement à l'insertion professionnelle et à l'organisation de formations pré-qualifiantes. Avisée de l'attribution du lot n° 2, « orientation et accompagnement à l'insertion professionnelle - Bilan de compétences », à une autre entreprise candidate, la société Formation accompagnement conseil (FAC) a demandé au juge des référés l'annulation de la procédure de passation pour l'attribution de ce lot.

Les requérantes  se pourvoient contre l'ordonnance annulant cette procédure.

Ce pourvoi posait à nouveau (cf. 28 janvier 2022, Communauté de communes Convergence Garonne, n° 456418 ; v. cette chronique, janvier 2022 n° 3) une délicate question de combinaison de textes.

En premier lieu, l’art. R. 2162-4 du code de la commande publique, dans sa rédaction applicable au litige, disposait : « Les accords-cadres peuvent être conclus :

1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ;

2° Soit avec seulement un minimum ou un maximum ;

3° Soit sans minimum ni maximum ». 

En second lieu, toutefois, la Cour de justice de l'Union européenne (17 juin 2021, Simonsen Weel A/S c/ Region Nordjylland og Region Syddanmark, aff. C-23/20), a, sans prévoir une application différée dans le temps de cette interprétation, jugé que les dispositions de la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics devaient être interprétées dans le sens, d’une part, que « l'avis de marché doit indiquer la quantité et/ou la valeur estimée ainsi qu'une quantité et/ou valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre et qu'une fois que cette limite aurait été atteinte, ledit accord-cadre aura épuisé ses effets » et, d’autre part, que « l'indication de la quantité ou de la valeur maximale des produits à fournir en vertu d'un accord-cadre peut figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans le cahier des charges ». 

Il suit de là que pour ceux des accords-cadres entrant dans le champ d’application de cette directive, l'avis publié à cet effet doit comporter la mention du montant maximal en valeur ou en quantité que prévoit le pouvoir adjudicateur, cette indication pouvant figurer indifféremment dans l'avis de marché ou dans les documents contractuels mentionnés dans l'avis de marché et librement accessibles à toutes les personnes intéressées.

Par ailleurs, répondant à un moyen de la société requérante, le Conseil d'État juge que s'agissant des marchés de services sociaux, il se déduit des dispositions de l'art. 76 de la directive précitée que la jurisprudence Simonsen Weel leur est applicable.

En l’espèce, le juge des référés précontractuels a souverainement jugé :

- d’une part, que l'absence dans l'avis d'appel à concurrence, de mention de la quantité ou valeur maximale des prestations à fournir en vertu de l'accord-cadre en litige, qui relève du champ de la directive du 26 février 2014, n'avait pas mis la société FAC à même de présenter une offre adaptée aux prestations maximales auxquelles elle pourrait être amenée à répondre,

- d'autre part,  sans inexactement qualifier les faits soumis à son appréciation, que ce manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence avait été de nature à léser la société FAC.

Cette dernière indication est importante car la décision du 28 janvier 2022 précitée laissait incertain le point de savoir si, pour l'application de cette jurisprudence de la CJUE, le juge administratif allait continuer à exiger, pour la formation du recours contentieux, que le requérant démontre avoir été lésé par le vice de procédure dénoncé dans la mesure où la CJUE n'évoque pas (et n'avait pas à le faire) la question de la lésion. La réponse est positive, du moins sous réserve que la CJUE ne décide pas que le maintien de cette dernière condition, purement nationale et jurisprudentielle, est intempestive.

(3 février 2022, Collectivité de Saint-Martin et société Fore Îles du Nord, n° 457233)

 

17 - Avis de droit - Covid-19 - Prorogation générale des délais (art. 2, ord. du 25 mars 2020) - Application au délai ouvert aux tiers contestant la validité d'un contrat.

(3 février 2022, Société Osiris Sécurité Run (OSR), n° 457527)

V. n° 27

 

18 - Contrat de partenariat - Maîtrise d'ouvrage - Partage des risques de l'opération - Responsabilité envers les tiers du fait de la présence de l'ouvrage - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Des dommages étant survenus à une propriété privée, son propriétaire les a imputés à l'implantation et au fonctionnement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire.

Par contrat de partenariat, Réseau Ferré de France, aux droits duquel est venue la société SNCF Réseau, a confié à la société Eiffage Rail Express la conception, la construction, le fonctionnement, l'entretien, la maintenance, le renouvellement et le financement de la ligne ferroviaire à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire entre Connerré et Cesson-Sévigné et des raccordements au réseau existant. 

Les demandes préalables à fins indemnitaires, adressées à l'État, à la société Réseau Ferré de France et à la société Eiffage Rail Express ayant été implicitement rejetées, la victime a saisi le tribunal administratif qui a condamné la société Eiffage Rail Express. Sur appel de celle-ci, la cour administrative d'appel, après avoir annulé ce jugement, a condamné la société SNCF Réseau (ex- société Réseau Ferré de France). Cette dernière se pourvoit.

Le Conseil d'État est à la cassation pour le double motif suivant.

Il résulte de l'art. 1er de la loi du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat que ceux-ci se caractérisent en premier lieu par le fait qu'ils ont pour effet de confier la maîtrise d'ouvrage des travaux à réaliser au titulaire de ce contrat, et, en second lieu par le partage des risques liés à cette opération entre ce titulaire et la personne publique qu'ils instituent.

Or la cour a jugé que la société SNCF Réseau devait être regardée comme seul maître de l'ouvrage constitué par la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire dès la date d'achèvement des travaux de construction des ouvrages et équipements que la société Eiffage Rail Express était chargée de réaliser et elle a donc dit qu'il incombait exclusivement à SNCF Réseau d'assumer la responsabilité des dommages résultant pour les tiers de la présence de l'ouvrage.

De là se déduit aisément l'erreur de droit commise du fait de s'être abstenue de prendre en considération le partage de risque prévu entre les cocontractants par le contrat de partenariat.

(8 février 2022, Société SNCF Réseau, n° 452985)

 

19 - Marché d'audit et d'assistance à maître d'ouvrage (AMO) pour la passation d'un marché d'assurance - Candidat à certains lots du marché invoquant le secret des affaires et un risque d'atteinte imminente à ce secret - Candidat demandant au juge des référés l'interdiction d'accès de l'AMO (dirigeant et employés) aux pièces déposées par les candidats et son exclusion de la procédure de consultation - Obligation de confidentialité s'imposant à l'AMO - Absence de risque d'une atteinte imminente - Annulation et rejet, sans renvoi.

Le centre hospitalier requérant a confié à la société ACAOP une mission d'audit et d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour la passation des marchés d'assurance. Dans ce cadre a été lancée une consultation. La Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), candidate à l'attribution des lots n°s 1 et 4, a demandé au juge des référés (art. R. 557-3 CJA), qu'il interdise l'accès du dirigeant et des préposés de la société ACAOP à l'ensemble des pièces déposées par les candidats et de les exclure de la consultation au motif de prévenir un risque d'atteinte imminente au secret des affaires.

Par ordonnance du 9 juin 2021, il a été décidé d'interdire par tout moyen l'accès de la société ACAOP à l'ensemble des documents déposés par les soumissionnaires et, dans l'attente, de suspendre l'analyse des offres.

Le Conseil d'État accueille le pourvoi contre cette ordonnance en estimant que pour apprécier l'existence réelle du risque invoqué, il convient de tenir compte de ce que la société ACAOP intervenant pour le compte d'une personne publique son dirigeant et son personnel sont tenus à une obligation contractuelle de confidentialité. En jugeant ne pas devoir tenir compte de cette exigence pour apprécier le risque d'une atteinte au secret des affaires, le juge des référés a commis une erreur de droit.

Statuant au fond (cf. art. L. 821-2 CJA), le Conseil d'État estime qu'en l'état de l'obligation de confidentialité, le risque d'atteinte au secret des affaires n'est pas établi sauf à la requérante, le cas advenant et si elle s'y croit fondée, à faire valoir notamment devant le juge du référé précontractuel tout manquement qu'elle aura relevé aux règles de publicité et de concurrence, tenant, le cas échéant, en une violation par le pouvoir adjudicateur du secret commercial ou de l'impartialité à laquelle celui-ci est tenu.

Cette dernière indication laisse poindre une certaine réticence du juge à rejeter le grief allégué.

(10 février 2022, CHU de Pointe-à-Pitre / Abymes, n° 456503)

 

20 - Commande publique - Marchés - Cas de dispense de jury - Extension des cas de dispense (décret du 30 mars 2021) - Exclusion de certains marchés globaux - Atteintes à l'impartialité, à l'intelligibilité de la norme et erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Le décret du 30 mars 2021 étend les cas dans lesquels le code de la commande publique prévoit une dispense de jury, ainsi des marchés globaux de conception-réalisation et des marchés globaux de performance relatifs à la réalisation d'ouvrages par les bailleurs sociaux et les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires, ainsi qu'aux marchés globaux de performance qui ne confient aucune mission de conception au titulaire.

Le requérant demande, en vain, l'annulation de l'art. 2 de ce décret, aucun de ces moyens n'étant retenu.

Ces dispositions ne sont ni dépourvues de clarté ni inintelligibles et ne font pas obstacle à la réalisation d'un avant-projet sommaire lorsqu'aucun jury n'est désigné par l'acheteur.

Pareillement, la circonstance que le décret attaqué dispense certains marchés du recours à un jury ne porte pas, par elle-même, atteinte aux objectifs décrits par l'art. 1er de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture d'autant que cette loi (cf. ses art. 3 et 5-1) impose le recours à un architecte par quiconque désire entreprendre des travaux soumis à une autorisation de construire et prévoit que les maîtres d'ouvrage publics et privés favorisent l'organisation de concours d'architecture pour la passation des marchés de maîtrise d'œuvre ayant pour objet la réalisation d'un ouvrage de bâtiment.

Enfin, la circonstance que l'institution d'un jury a notamment pour objet l'impartialité et la transparence des procédures au sein desquelles il est organisé n'implique pas que l'absence de jury, empêcherait automatiquement de garantir cette impartialité et cette transparence.

L'auteur du décret attaqué n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en édictant les nouveaux cas de dispense du jury en matière de commande publique.

(11 février 2022, Conseil national de l'ordre des architectes, n° 453111)

 

21 - Contrats de concession du service public de la distribution de l'énergie électrique entre des communes et EDF (devenue Électricité réseau distribution France (ERDF), puis Énedis) - Redevance annuelle en contrepartie des dépenses supportées par l'autorité concédante au bénéfice du service public concédé - Redevance comprenant deux parts, « R1 » (redevance de fonctionnement), et « R2 » (redevance d'investissement) -  Commune intention des parties - Transfert de la compétence de la distribution électrique à la métropole - Émission de titres exécutoires - Annulation - Arrêt annulant le jugement - Rejet.

Trois communes ont conclu des contrats de concession du service public de la distribution de l'énergie électrique avec EDF (devenue Électricité réseau distribution France (ERDF), puis Énedis). Le cahier des charges de ces concessions prévoient qu'en contrepartie des dépenses supportées par les communes concédantes au bénéfice du service public concédé, leur est versée par le concessionnaire une redevance annuelle divisée en deux parts : « R1 » pour le fonctionnement et « R2 » pour l'investissement.

Quelques années plus tard ces communes ont transféré leur compétence d'autorités organisatrices de la distribution d'électricité à la communauté urbaine de Nantes, devenue ensuite Nantes Métropole.

Cette dernière a émis des titres exécutoires pour valoir paiement, notamment, de la fraction « R2 » de la redevance annuelle ; ces titres, contestés en justice par la société Énedis, ont été annulés par le tribunal administratif pour le motif que cette fraction avait été calculée sans prendre en compte le montant des taxes communales sur la consommation finale d'électricité recouvrées sur le territoire des trois communes concernées. La requérante a été déchargée, dans cette mesure, du paiement des sommes mises à sa charge.

Sur appel de la métropole, la cour administrative d'appel a annulé le jugement et remis les sommes litigieuses à la charge de la société Énedis. Cette dernière se pourvoit et son pourvoi est rejeté.

Tout d'abord, le Conseil d'État estime que c'est sans erreur de droit et au bénéfice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour a pu juger, de la lecture des dispositions y relatives des cahiers des charges, que le produit net de la taxe communale sur la consommation finale d'électricité sur le territoire de la concession n'est imputé, à hauteur de 50 %, sur le montant de cette redevance, que s'il a fait l'objet de titres de recettes de l'autorité concédante, de sorte qu'en l'espèce, la taxe communale sur la consommation finale d'électricité ayant fait l'objet de titres de recettes émis par les trois communes concernées qui avaient perdu la qualité d'autorité concédante, le terme « T » de la part « R2 » de la redevance était nul.

Le Conseil d'État estime qu'en jugeant ainsi, la cour a :

- d'une part, correctement pris en compte la commune intention des parties puisque celles-ci, pour le calcul du montant de la redevance destinée à financer les dépenses d'investissement supportées par l'autorité concédante, ont entendu minorer le montant de la redevance en fonction du produit de la taxe sur les fournitures d'électricité effectivement perçu par cette autorité.

- d'autre part, régulièrement appliqué les dispositions de l'art. L. 5211-17 du CGCT, selon lesquelles, en cas de transfert de la compétence à un établissement public de coopération intercommunale, les contrats continuent d'être exécutés dans les conditions antérieures jusqu'à leur échéance. 

Seule est admise l'annulation de l'arrêt en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions d'appel incident d'Énedis.

(14 février 2022, Société Énedis, venant aux droits de ERDF, succédant à EDF, n° 440086)

 

22 - Marché de prestations de fauchage et de débroussaillage des dépendances des routes d'une métropole - Obligations du juge du référé précontractuel - Impossibilité d'apprécier la valeur ou le mérite des offres - Contrôle de la dénaturation des offres par le pouvoir adjudicateur entrant dans l'office du juge - Non-respect - Annulation de l'ordonnance de référé.

Une société évincée de l'attribution d'un marché de prestations de fauchage et de débroussaillage des dépendances des routes d'une métropole, a saisi le juge du référé précontractuel qui, sur le fondement de l'art. L. 551-1 CJA, a annulé la décision d'attribution du marché et enjoint à la métropole de reprendre dans un délai d'un mois la procédure au stade de l'examen des offres, sauf à ce qu'elle renonce à poursuivre celle-ci.

Pour annuler cette ordonnance, le Conseil d'État est conduit à rappeler - opportunément - deux règles qui doivent être combinées entre elles.

D'une part, les obligations s'imposant prima facie au juge de ce référé sont, positivement, de se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, et négativement, de ne pas se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. 

D'autre part, s'il est saisi d'un moyen ne ce sens, car ce n'est pas là un moyen pouvant être soulevé d'office, ce juge a l'obligation de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et qu’il n’a pas procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

Parce qu'en l'espèce, le juge de l'art. L. 551-1 CJA avait porté une appréciation sur la valeur des offres, son ordonnance est annulée.

(18 février 2022, Toulouse Métropole, n° 457578)

 

Droit du contentieux administratif

 

23 - Médecin - Sanction disciplinaire pour recours à des procédés de publicité - Moyen d'illégalité sérieux - Conséquences difficilement réparables - Sursis à l'exécution du jugement ordinal.

(2 février 2022, M. A., n° 459264)

V. n° 127

 

24 - Saisine de la juridiction administrative - Saisine au moyen de lettres recommandées électroniques - Obligation pour le juge d'en prendre connaissance - Irrecevabilité pour tardiveté de la saisine - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge tardive une requête figurant dans un envoi postal parvenu au greffe après expiration du délai de recours contentieux alors que ce courrier avait été précédé, dans le délai du recours, de l'envoi par l'intermédiaire d'un prestataire qualifié, de lettres recommandées électroniques destinées au greffe du tribunal qui n'a pas donné suite aux courriers électroniques l'informant que des lettres recommandées électroniques lui étaient adressées. En effet, il résulte des dispositions du I de l'art. 100 du code des postes et des communications électroniques, issu de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique que « L'envoi recommandé électronique est équivalent à l'envoi par lettre recommandée (...) », ce qui imposait au tribunal de procéder aux diligences nécessaires pour connaître le contenu de ces lettres recommandées électroniques.

(3 février 2022, M. B., n° 449473)

 

25 - Forfait post-stationnement - Preuve de la situation régulière du stationnement n'accompagnant pas la requête en première instance - Preuve au moyen d'une copie d'écran fournie pour la première fois en cassation - Irrecevabilité - Rejet.

Dans le cadre d'une action en contestation du forfait post-stationnement est irrecevable, car présentée pour la première fois en cassation, la preuve de la situation régulière du stationnement d'un véhicule consistant en la production d'une copie d'écran de l'application PayByPhone.

La solution peut sembler sévère mais il est des règles de procédure qu'on ne saurait ignorer ou ne pas respecter à peine de voir surgir, sous prétexte de bienveillance voire de « résilience », une cacophonie procédurale déplorable.

(3 février 2022, M. B., n° 450606)

(26) V. aussi, comparable au plan procédural, la décision jugeant irrecevable pour la première fois en cassation la présentation du moyen tendant à démontrer le caractère irrégulier de la décision « 48 SI » en matière de retraits de points du permis de conduire : 3 février 2022, Mme C., n° 450896.

 

27 - Avis de droit - Covid-19 - Prorogation générale des délais (art. 2, ord. du 25 mars 2020) - Application au délai ouvert aux tiers contestant la validité d'un contrat.

Interrogé par un tribunal administratif, le Conseil d'État rend l'avis que la prorogation générale des délais instituée par l'art. 2 de l'ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, rendu applicable aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif par l'article 15 de l'ordonnance n° 2020-305, du même jour, portant adaptation des règles applicables devant ces juridictions, est applicable au délai de deux mois, à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, dont disposent les tiers souhaitant contester la validité d'un contrat.

(3 février 2022, Société Osiris Sécurité Run (OSR), n° 457527)

 

28 - Avenant à une convention collective - Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire - Arrêté étendant un avenant à cette convention - Demande d'annulation - Avenant et arrêté n'ayant jamais produit d'effet - Intervention d'un nouvel avenant - Caducité de l'avenant litigieux - Non-lieu à statuer.

Il n'y a pas lieu pour le Conseil d'État de statuer sur le recours tendant à l'annulation d'un arrêté ministériel étendant un avenant à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire dès lors, d'une part, que ces arrêté et avenant n'ont jamais reçu application, et, d'autre part, que, depuis l'introduction du recours, un nouvel avenant a remplacé l'avenant litigieux.

(4 février 2022, Fédération CFDT des services, n° 453350)

 

29 - Rapporteur public - Ville de Paris partie au procès - Nomination subséquente de ce rapporteur comme chef de bureau de la Ville de Paris - Jugement irrégulier - Annulation.

Doit être annulé en raison de l'irrégularité qu'il comporte, le jugement rendu le 5 décembre 2019 après que le rapporteur public a conclu le 21 novembre 2019 dans un litige auquel la ville de Paris était partie, alors que, par arrêté municipal du 12 décembre 2019, il a été nommé chef de bureau du droit public général à la direction des affaires juridiques de la Ville de Paris.

(11 février 2022, Syndicat des copropriétaires du 117, boulevard de la Villette et du 2-4, square Jean-Falck à Paris, n° 438414)

 

30 - Demande d'expulsion d'occupants sans titre du domaine public - Procédure de référé de l'art. L. 521-3 CJA - Obligation de respecter une procédure contradictoire - Absence d'effet sur cette obligation des dispositions dérogatoires de l'art. 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 pour cause de Covid-19 - Annulation.

La société SNCF Réseau a, sur le fondement de l'art. L. 521-3 CJA, demandé l'expulsion de la requérante d'un emplacement qu'elle occuperait indûment. Le juge des référés a enjoint à cette dernière, notamment, de restituer les lieux.

Le Conseil d'État s'est trouvé devant une difficulté juridique née de la situation créée par l'épidémie de Covid-19. Pour y obvier, l'art. 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, applicable jusqu'à la cession de l'état d'urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020, dispose : « Outre les cas prévus à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, il peut être statué sans audience, par ordonnance motivée, sur les requêtes présentées en référé. Le juge des référés informe les parties de l'absence d'audience et fixe la date à partir de laquelle l'instruction sera close. (...) ». 

Parallèlement, le juge rappelle sa classique jurisprudence selon laquelle lorsque le juge des référés statue, sur le fondement de l'article L. 521-3 du CJA, donc dans le cadre d'une procédure de référé sans audience publique, sur une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il doit, eu égard au caractère quasi-irréversible de la mesure qu'il peut être conduit à prendre, aux effets de celle-ci sur la situation des personnes concernées et dès lors qu'il se prononce en dernier ressort, mettre les parties à même de présenter, au cours d'une audience publique, des observations orales à l'appui de leurs observations écrites.

Il suit de là que les dispositions précitées de l'art. 3 de l'ordonnance du 18 novembre 2020 n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet de permettre au juge des référés de déroger à l'obligation susrappelée lui imposant de statuer à l'issue d'une audience publique sur une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public présentée sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative.

Or, il ne résulte ni des mentions de l'ordonnance attaquée, ni d'aucune pièce du dossier que l'ordonnance attaquée aurait été rendue à l'issue d'une audience publique, la société requérante est donc fondée à en demander l'annulation.

(11 février 2022, SA Groupe TSF, n° 451969)

 

31 - Polynésie française - Juridiction du travail - Principe du double degré de juridiction - Principe général du droit - Principe inexistant - Rejet.

Saisi d'une question préjudicielle par la cour d'appel de Papeete, le Conseil d'État réitère une solution bien établie : il n'existe pas, en Polynésie tout comme en France continentale, de principe général du droit du double degré de juridiction (cf. 17 décembre 2003, Meyet et autres, AJDA 2004 p. 714, note J.-P. Markus). Il faut un texte exprès en ce sens car il n'existe pas sans texte (En ce sens, J.-C. Ricci, Contentieux administratif, HU Droit, 5è édit. 2016, § 482).

(11 février 2022, GIE Tahiti Tourisme, n° 457393)

 

32 - Code de l'aviation civile - Partie réglementaire - Régularisation de la consolidation de ce code - Rétablissement d'intitulés de subdivisions de ce code - Partie conforme désormais à la demande du requérant - Non-lieu à statuer.

Constatant qu'à la date de sa décision la partie réglementaire du code de l'aviation civile telle qu'elle figure sur le site internet Légifrance est en tout état de cause conforme à la demande présentée par le requérant au ministre des transports et que les éditions papier du code de l'aviation civile, dont il est allégué qu'elles seraient entachées d'erreur, sont épuisées et ne sont plus mises à disposition du public par les services de l'État sous quelque forme que ce soit, le Conseil d'État dit n'y avoir plus lieu de statuer sur la requête dont il était saisi à cet effet.

(17 février 2022, M. A., n° 440961)

 

33 - Référé mesures utiles (art. L. 521-3 CJA) – Communication d’éléments cartographiques et de plannings d’intervention - Mesures de régularisation ordonnées – Rejet.

Cette affaire est intéressante en ce qu’elle contient une analyse assez fine de la notion de « mesures utiles ». L’art. L. 521-3 du CJA  dispose que : « En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative. »

La requérante s’est vu concéder par un syndicat mixte ayant pour objet l’installation d’un réseau très haut débit, la conception, la construction et l'exploitation d'un tel réseau dans le département des Pyrénées-Atlantiques.

Ce syndicat, la société THD 64 et la société Énedis ont conclu une convention relative à l'utilisation des supports du réseau public de distribution d'électricité, notamment les poteaux du réseau aérien basse tension, pour le déploiement du réseau de communications électroniques dont la société THD 64 est la concessionnaire.

Des difficultés étant apparues entre Énedis et TDH 64, Énedis a saisi le juge du référé « mesures utiles » de plusieurs demandes dont trois ont été accueillies par ce juge.

La requérante se pourvoit contre cette ordonnance, elle est déboutée.

Le Conseil d’État donne raison au premier juge sur les deux points de son ordonnance.

En premier lieu, il a estimé qu’en ordonnant, d’une part, la communication d'informations cartographiques pour justifier de ceux des supports utilisés par elle dans l’ignorance où elle avait laissé Énedis à ce sujet et, d’autre part, celle des plannings hebdomadaires prévisionnels d'intervention sur le réseau de distribution d'électricité dont la transmission était prévue par la convention tripartite précitée, le juge des référés a pu regarder comme urgente une demande qui présentait réellement un caractère d’utilité.

En second lieu, le Conseil d’État approuve le premier juge d’avoir dit qu’était urgente et présentait un caractère d’utilité la demande d’Énedis tendant à la régularisation des supports irréguliers qui, méconnaissant plusieurs stipulations de la convention et, en dépit de plusieurs mises en demeure ainsi que d’une tentative, vaine, de conciliation, entraînaient un risque d'électrisation ou d'électrocution pour les personnes intervenant sur son réseau et étaient de nature à porter atteinte au bon fonctionnement ou à la continuité du service public de l'électricité.

(18 février 2022, Société THD 64, n° 457471)

 

34 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Contestation par la société liquidateur d’une société mise en liquidation judiciaire – Invitation adressée à la société liquidateur à produire un mémoire sous un mois – Désistement d’office pour non dépôt d’un mémoire dans le délai fixé – Erreur de droit – Cassation avec renvoi.

Dans le cadre d’un litige en contestation de la taxe foncière sur les propriétés bâties introduit par la société requérante, le juge a ordonné la production d’un mémoire dans le délai d’un mois et, passé ce délai, a prononcé le désistement d’office de la société.

En réalité, c’est la société liquidateur judiciaire de la société requérante, qui a introduit, en sa qualité de représentant légal de celle-ci, une requête émanant de la société Batipro. Le magistrat du tribunal administratif a invité la société liquidateur à produire un mémoire récapitulatif dans le délai d'un mois à peine de désistement d’office. Le 23 décembre 2020, un mémoire récapitulatif a été produit par la société Batipro. 

Une erreur de droit était ainsi commise par ce magistrat en donnant acte du désistement de la requête au motif que la société liquidateur n'avait pas déposé le mémoire récapitulatif qui lui avait été demandé et qu'il ne pouvait être tenu compte, à cet égard, du mémoire produit au nom de la société Batipro alors que cette requête avait été introduite par la société liquidateur non pas en son nom propre mais au nom de la société Batipro, dont elle était le liquidateur judiciaire. 

L’imbroglio sur l’identité du requérant rappelle fortement les constructions échevelées de Feydeau.

(18 février 2022, Société Batipro, n° 452838)

(35) V. aussi, mêmes affaire et solution : 18 février 2022, Société Batipro, n° 452837.

 

36 - Ordonnance de référé – Absence de visa de conclusions en défense – Irrégularité – Annulation.

L’absence de visa, dans une ordonnance comme d’ailleurs dans toute autre décision de justice, des conclusions en défense et l’absence de leur reprise dans la motivation, entachent l’ordonnance d’une irrégularité conduisant à son annulation.

(23 février 2022, Commune de Valence, n° 453449)

 

37 - Autorisation de plaider - Action d’un contribuable en lieu et place d’une commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer – Conditions – Absence d’intérêt pour la commune et absence de chance de succès d’une telle action – Rejet.

Rappel de ce que l’art. L. 2131-5 CGCT subordonne le droit reconnu à tout contribuable communal d’exercer une action en justice en lieu et place de la commune négligente de ses droits ou refusant de les exercer, à la nécessité que cette action présente un intérêt matériel suffisant pour cette dernière et qu’elle ait quelque chance de succès.

Tel n’est pas le cas de la demande d’autorisation de plaider afin de déposer une plainte et de se constituer partie civile pour des infractions d'abus de confiance et de détournement de fonds publics commis à l'occasion de la campagne des élections municipales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 et qui ont conduit à proclamer élus les membres de la liste conduite par M. D., réélu maire de cette commune, à raison de l'implication dans cette campagne de Mme C., directrice de son cabinet. 

En effet, les circonstances que Mme C. a organisé la tenue matérielle de certaines réunions de campagne électorale au moyen de sa messagerie professionnelle et d'un groupe de discussion sur l'application WhatsApp, donné ponctuellement des indications pour organiser le collage des affiches et la distribution de tracts, assisté le maire sortant lors de réunions de campagne ou encore rappelé les règles sanitaires interdisant les rassemblements ne sauraient être regardées comme constituant les infractions d'abus de confiance réprimé par l'article 314-1 du code pénal ou de détournement de fonds publics réprimé par l'article 432-15 du même code et comme ayant causé un préjudice financier à la commune.

Est ainsi confirmée la décision du tribunal administratif de refuser au demandeur l’autorisation de plaider qu’il sollicitait.

(23 février 2022, M. E., n° 456170)

 

38 - Condamnation d’une société à indemniser – Action de cette dernière tendant à être garantie de la condamnation par la société assistante du maître de l’ouvrage – Action n’ayant pas le caractère d’un appel – Renvoi de l’affaire au tribunal administratif.

La requérante a saisi le tribunal administratif afin que l’Établissement français du sang soit condamné à lui verser une certaine somme au titre de travaux que ce dernier lui avait sous-traités dans le cadre de la construction d’un laboratoire. Cependant, suite à une demande reconventionnelle formée par cet Établissement, le tribunal a condamné la demanderesse à lui verser une somme.

Elle a saisi le juge d’appel et demande désormais la condamnation de la société Amexia, assistante du maître de l'ouvrage, à la garantir d'une partie des condamnations qui ont été prononcées à son encontre. Le dossier ayant été renvoyé au Conseil d’État celui-ci juge qu’en réalité cette dernière demande n’a pas le caractère d’un appel et ressortit à la compétence de droit commun du tribunal administratif dans le ressort duquel a été exécuté le marché litigieux.

Il nous semble que le juge aurait dû qualifier cette demande comme étant nouvelle en appel et donc irrecevable en ce qu’elle contrevient au principe de l’effet automatiquement dévolutif de l’appel.

(23 février 2022, Société Établissements A. Cathelain et Compagnie, n° 459008)

 

39 - Production d’une note en délibéré après l’audience publique – Note non visée dans la minute du jugement – Irrégularité – Annulation avec renvoi.

Rappel que le juge saisi d’une note en délibéré a l’obligation de la viser dans la minute du jugement. En revanche, il n’a l’obligation de l’analyser et de rouvrir, le cas échéant, les débats que si elle contient des éléments qui ne peuvent être laissés sans effets.

(24 février 2022, M. et Mme A., M. et Mme C., n° 451427)

(40) V. aussi la solution identique retenue s’agissant non d’une note en délibéré mais d’un mémoire non visé : 25 février 2022, MM. D., H. et M., n° 446948.

(41) V. également, dans le cadre d’un recours en rectification d’erreur matérielle, relevant que n’est pas irrégulière une omission de viser et d’analyser un mémoire qui n’est pas susceptible, dans les circonstances de l’affaire, d’avoir exercé une influence sur le jugement de l’affaire : 25 février 2022, M. B., n° 449880.

 

42 - Note en délibéré par envoi électronique – Régime de la signature – Authentification de la signature devant être parvenue au greffe avant le prononcé de la décision – Absence en l’espèce – Note non visée dans le jugement – Absence d’irrégularité.

Dans le cadre d’une action en référé tendant à voir suspendue la décision d’un maire de ne pas s’opposer à la pose d’un pylône destiné à supporter des antennes de téléphonie, le juge rappelle le régime applicable aux notes en délibéré adressées par voie électronique.

Tout d’abord, l’utilisation de ce mode de communication est toujours possible.

Ensuite, cet envoi doit faire l’objet d’une authentification soit par voie de signature électronique soit, à défaut, par la production d’un document signé reproduisant le contenu de la note soit par l’apposition de la signature sur la copie imprimée du courrier électronique.

Enfin, dans ces différentes hypothèses la signature, électronique ou manuscrite, doit être parvenue au greffe avant le prononcé de la décision.

Ce n’était pas le cas en l’espèce et son auteur ne peut reprocher au juge de n’avoir pas visé cette note dans les visas ou la motivation de son ordonnance.

(24 février 2022, M. C., n° 450257)

 

43 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Recours destiné à réparer une omission matérielle – Mise en cause d’appréciations juridiques – Irrecevabilité.

Le juge est amené, une nouvelle fois, à rappeler que le recours en rectification d’erreur matérielle n’est destiné qu’à corriger ou réparer des omissions matérielles non à critiquer des appréciations d’ordre juridique, cas dans lequel ce recours est irrecevable.

(25 février 2022, Société Groupe Lépine, n° 453444)

 

44 - Référé suspension (art. L. 521-1 CJA) – Condition d’urgence – Appréciation à propos de la révision temporaire des règles dites « MA-RE » - Contexte d’urgence justifiant les mesures prises – Rejet de la demande pour défaut d’urgence dans la situation ainsi créée.

La requérante demandait la suspension de la décision du 20 janvier 2022 par laquelle la Commission de régulation de l’énergie (CRE), alertée en ce sens par le Réseau de transport d’électricité (RTE) a décidé de réviser temporairement les règles MA-RE (règles relatives à la programmation, au mécanisme d'ajustement et au dispositif de responsable d'équilibre), fixées en dernier lieu à compter du 1er septembre 2021, afin de mieux encadrer le cas où un responsable d'équilibre est défaillant.

La requérante invoquait l’urgence née de la situation très difficile engendrée pour elle par cette mesure.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence, le juge relevant qu’en réalité, si la diminution des délais de procédure et l'augmentation de la garantie exigible des responsables d'équilibre que comporte la décision de la CRE, a pu accentuer les difficultés rencontrées par la société pour faire face à ses engagements en sa qualité de responsable d'équilibre, il résulte de l'instruction et notamment des éléments avancés à l'audience par RTE, que pour l'heure, les autres responsables d'équilibre ont pu s'adapter aux nouvelles modalités ainsi définies, qui ne concernent pas la substance même des garanties exigées, et, surtout, que les difficultés dont fait état la société sont antérieures à la délibération contestée et se sont poursuivies depuis. Celles-ci trouvent notamment leur origine dans le dépassement récurrent de ses encours, qui n'a cessé de s'aggraver depuis le mois de décembre 2021. A cet égard, sous l'empire des règles MA-RE en vigueur avant l'intervention de la délibération litigieuse, la société E-Pango avait fait l'objet de deux mises en demeure de régulariser sa situation, les 6 décembre 2021 et 20 janvier 2022, et d'une première notification d'une mesure de résiliation de son contrat de participation, le 24 décembre 2021, non suivie d'effet. Par ailleurs, début février 2022, son encours était de plus de 8,3 millions d'euros, pour une garantie bancaire de 2,8 millions d'euros.

En outre, et en tout état de cause, demeure l’extrême tension sur les prix de l’électricité qui justifie de renforcer sans attendre les modalités du dispositif de sécurisation financière afin de prémunir la société RTE, en sa qualité de gestionnaire du réseau de transport d'électricité, des risques de faillite de certains responsables d'équilibre dans des conditions empêchant le recouvrement des coûts des écarts. Déjà, en décembre 2021 et janvier 2022 ont été mis en liquidation judiciaire ou placés en redressement judiciaire deux responsables d'équilibre, avec des risques financiers estimés à plusieurs dizaines de millions d'euros, sans qu'une négligence de RTE soit caractérisée.

L’intérêt public justifiait donc qu’une telle mesure – de durée provisoire et de portée limitée - fût prise.

(ord. réf. 24 février 2022, Société E-Pango, n° 461075)

 

45 - Référé-liberté – Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon - Demande au premier ministre de saisir les deux chambres du parlement en vue du vote d’une loi l’habilitant à adapter certaines dispositions du code général des collectivités territoriales et du code des transports – Risque prochain de caducité de la demande - Brièveté du délai rendant sans effet utile l’intervention du juge des référés – Rejet.

La collectivité requérante avait demandé, par délibération du 18 juin 2019, sur le fondement des dispositions organiques du CGCT (art. L.O. 6461-5 et art. L. 6461-6 et art. L.O. 6141-8), à être habilitée à adapter les dispositions législatives du code général des collectivités territoriales et du code des transports en matière de transport maritime de biens. Cette délibération a été publiée au Journal officiel le 11 avril 2020.

La collectivité requérante demande sur le fondement de l'article L. 521-2 CJA, qu’il soit enjoint au premier ministre de transmettre sans délai cette délibération à l'Assemblée nationale et au Sénat. Elle fait valoir l’urgence de cette transmission car, en raison du renouvellement de son conseil territorial lors de l'élection qui se tiendra les 20 et 27 mars 2022, comme prévu par le décret de convocation des électeurs du 31 décembre 2021, sa demande sera caduque le 28 février 2022 en vertu des dispositions du 1° du II de l'article L.O. 6461-5 précité du CGCT.

On observera que la collectivité n’a saisi le juge des référés du Conseil d’État que le 18 février 2022. Ce dernier relève qu’en raison du très bref délai de validité qui reste attaché à la demande, l'habilitation demandée, qui doit être donnée par la loi, n'est manifestement pas susceptible d'être adoptée en temps utile pour faire échec à cette caducité.

Il n’y a donc pas nécessité que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA dès lors qu’ils seraient ici dépourvus de toute utilité car sans efficacité.

(ord. réf. 24 février 2022, Collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, n° 461709)

 

46 - Forfait de post-stationnement - Majoration indue – Annulation par le juge – Demande d’annulation de cette ordonnance par la commune – Absence d’intérêt à agir – Rejet.

Nouveau rappel de ce que le produit de la majoration du forfait post-stationnement pour défaut de paiement de ce dernier étant affecté à l’État, une commune est sans intérêt – et partant, sans qualité - pour contester l’ordonnance annulant le titre exécutoire pour avoir paiement de la majoration de ce forfait.

(25 février 2022, Commune de Nancy, n° 437381)

 

47 - Contentieux fiscal – Litige en matière de TVA non déclarée et d’amendes consécutives – Procédure contradictoire non respectée – Omission de réponse à un moyen non inopérant – Annulation avec renvoi.

Dans le cadre d’un litige portant sur des soupçons de non déclaration partielle de TVA ayant entraîné un rehaussement d’imposition et sur les amendes infligées de ce chef, le Conseil d’État est conduit à annuler un arrêt d’appel pour deux motifs de procédure contentieuse.
D’une part, en retenant un moyen - tiré du caractère non rattachable aux prestations d'hébergement des prestations de fourniture de chaussures et vêtements de travail et de réservation de transports entre la France et le Portugal -, dont l'administration ne s'était prévalue ni en première instance ni en appel et qui, par conséquent, n’avait pas été débattu entre les parties, non invitées à présenter des observations sur ce point, la cour n’a pas respecté les exigences du caractère contradictoire de la procédure contentieuse.

D’autre part, alors que la demanderesse contestait l'inclusion, par l'administration fiscale, de redevances de marque dans l'assiette des versements à des tiers qu'elle aurait dû déclarer en application de l'article 240 du CGI et sur la base desquelles a été calculé le montant de l'amende qui lui a été infligée en application de l'article 1736 du même code, la cour s’est abstenue de répondre à ce moyen qui n’était pas inopérant.

La cassation était inévitable.

(24 février 2022, Société Magellan développement international devenue société M010, n° 446128)

 

48 - Demande en référé – Référé, juridiction du provisoire - Demande d’annulation de décisions administratives – Office du juge des référés – Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 511-1 CJA que la juridiction du référé est une juridiction du provisoire, par suite il n’entre pas dans l’office du juge des référés de statuer sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir des décrets du 7 août 2021, des 13 et 22 janvier 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

(ord. réf. 3 février 2022, M. B., n° 460932)

(49) V. aussi, toujours en matière de Covid-19, une identique solution : ord. réf. 17 février 2022, Mme A. et M. B., n° 461456.

 

50 - Demande en référé – Demande de prise de mesures dirigées contre des décisions modifiées antérieurement à la requête en référé – Demande sans objet – Irrecevabilité – Rejet.

Le requérant demandait en référé la prise d’un certain nombre de mesures du fait de dispositions contenues dans les art. 2-2, 2-3 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue du décret du 25 novembre 2021 et dans l'art. 24 de l'arrêté du 1er juin 2021 modifié, concernant le passe vaccinal et la prise en charge de tests.

Or ces dispositions ont été modifiées antérieurement à la saisine du juge des référés, la requête était sans objet dès sa formation. Elle est donc déclarée irrecevable par l’ordonnance ici présentée. En effet, ce n’est que dans le cas ou une requête perd son objet en cours d’instance qu’un non-lieu est prononcé (cf. ci-dessous, au n° 52).

(ord. réf. 4 février 2022, M. A., n° 460763)

(51) V. aussi, identiques et réitérant logiquement le motif d’irrecevabilité opposé à une requête sans objet dès son introduction : ord. réf. 4 février 2022, Société Sarl Ginkgo Développement, n° 460983 ; ord. réf. 4 février 2022, M. A., n° 461053.

(52) V. également, retenant le non-lieu comme motif du rejet de la requête, l’objet du recours ayant disparu en cours d’instance : ord. réf. 8 février 2022, M. B., n° 460872.

(53) V. encore, rejetant un second recours, après rejet du premier recours dirigé contre le même décret du 1er juin 2021 modifié (V. cette Chronique, décembre 2021, n° 188), motif pris de ce que le nouveau moyen faisant état de circonstances de fait postérieures à la date du décret querellé, il ne fait pas naître un doute sérieux quant à l’illégalité, la postériorité des faits étant sans incidence sur la légalité originaire du texte contesté : 10 février 2022, M. Messineo, n° 460926.

(54) V., rejetant une critique plus générale et plus développée du décret précité du 1er juin 2021, assortie d’une QPC : 11 février 2022, Association Cercle Droit et Liberté et autres, n° 450922 et n° 460923 ; Association Via – La Voie du Peuple, n° 460936 ; Collectif « Les navigants libres » représenté par M. AB., n° 461010 ; Association « Je ne suis pas un danger ! », n° 461095 ; Mme Julie Waldberg, n° 461146 ; M. Laurent Ozon et autres, n° 461285 et n° 461287.

(55) Et aussi, sur le même thème de l’illégalité des art. 2-1, 2-2, 2-3, 8, 11, 15, 27 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 modifié prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire dans la version qui leur a été donnée par le décret du 22 janvier 2022 et la demande de prescrire diverses mesures d'instruction en rapport avec cette requête, voir le rejet : ord. réf. 15 février 2022, Mme Kameneff, n° 461050 ou encore, sur un registre un peu différent : ord. réf. 15 février 2022, M. B., n° 461266 ; ord. réf. 17 février 2022, Association « Je ne suis pas un danger ! » et autres, n° 460283 ; ord. réf. 23 février 2022, M. Grégory Lévy, n° 461594 ; ord. réf. 23 février 2022, M. Guillaume Lempereur de Guerny, n° 461597.

 

56 - Appel d’une ordonnance de référé – Ordonnance suspendant les effets d’arrêtés préfectoraux – Mesure dont les effets ont pris fin – Appel à fin d’annulation de l’ordonnance – Non-lieu à statuer sur des conclusions d’appel dépourvues de tout effet utile.

Il n’y a pas lieu de statuer sur l’appel formé par la ministre de la transition écologique contre une ordonnance suspendant l’exécution d’arrêtés préfectoraux portant suspension d’agréments des deux sociétés requérantes dès lors que, au moment où statue le juge d’appel des référés les effets de la mesure ordonnée en première instance ont pris fin.

(ord. réf. 9 février 2022, Société Contrôle Technique Bouliac et société Contrôle Technique Cenon, n° 459466)

 

57 - Référé liberté – Élection présidentielle – Campagne audiovisuelle - Demande d’injonction à l’encontre de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) – Principe d’équité dans la programmation des temps de parole – Absence de démonstration d’une atteinte grave et manifestement illégale au principe du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion – Rejet.

Rappel de ce qu’il incombe au demandeur en référé liberté d’établir, outre l’urgence à statuer, l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. En l’espèce, où il était demandé qu’injonction soit adressée à l’ARCOM de mettre en demeure sous quarante-huit heures les éditeurs de radio et de télévision contrôlés dans le contexte de la campagne pour l'élection présidentielle 2022, d'une part, de se conformer au principe d'équité dans la programmation des temps d'antenne et de parole, d'autre part, de rétablir l'équité dans la programmation des temps d'antenne et de parole en compensant les atteintes constatées au détriment de M. B. et de l'UPR, le juge relève qu’en l’état des éléments imprécis, lacunaires et non détaillés, produits par les requérants, n’est pas rapportée l’existence d’une atteinte grave à une liberté fondamentale qui aurait été portée, par action ou par omission, par l’ARCOM.

La requête est rejetée.

(9 février 2022, M. B. et Union populaire et républicaine (UPR), n° 461000)

 

58 - Référé liberté – Double condition de la demande en référé liberté – Justification d’une décision du juge à bref délai – Atteinte à une liberté fondamentale insuffisante par elle-même à déclencher le bénéfice de mesures devant être prises sous quarante-huit heures- Rejet.

Dans un litige portant sur les mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques fixées par le décret et l’arrêté du 25 janvier 2022, le juge rappelle que l’admission au fond d’un référé liberté suppose la réunion de deux conditions, l’une et l’autre absolument indispensables : la justification de prendre une décision à bref délai et l’atteinte à une liberté fondamentale. En l’espèce, la requête est rejetée car n’est pas apportée la preuve de la nécessité pour les demandeurs d’obtenir – dans les circonstances de l’espèce - une décision du juge à très bref délai, peu important que puisse être en jeu une ou plusieurs libertés fondamentales. La solution serait là même en cas de situation inverse : urgence indubitablement établie mais absence de caractère fondamental de la liberté en cause.

(ord. réf. 17 février 2022, Collectif des maires anti-pesticides et Association « Agir pour l'environnement », n° 461263)

(59) V. aussi, explicitant encore la double condition mise à l’octroi du référé liberté : 24 février 2022, M. A., n° 461147.

(60) V. également, dans le même sens, rejetant pour défaut d’atteinte à une liberté fondamentale, le recours dirigé contre le décret interdisant tout déplacement entre Mayotte et l’Île Maurice sauf motif impérieux : ord. réf. 18 février 2022, M. B., n° 461542 et n° 461545 ; ord. réf. 23 février 2022, M. C. et Mme A., n° 461205.

 

61 - Attribution de fréquences à La Réunion et à Mayotte – Enchères principales en bandes 700 MHz – Modalités d’attribution de fréquences à des sociétés – Référé tendant à la suspension de décisions d’attributions de fréquences par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Demande d’injonction afin de reprendre la procédure d’attribution – Urgence non établie – Rejet.

(10 février 2022, Société Zeop Mobile, n° 460788)

V. n° 10

 

62 - Publicité des présentations de candidatures à l’élection présidentielle - Demande de suspension de la disposition législative instituant cette publicité – Incompétence manifeste de la juridiction administrative – Rejet.

Le requérant demandait en référé liberté que le Conseil d’État ordonne la suspension des dispositions de l'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la république au suffrage universel, en ce qu’il impose au Conseil constitutionnel, au fur et à mesure de la réception des présentations de candidats à cette élection, de les rendre publiques, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au bon fonctionnement de la démocratie. 

La requête est rejetée en raison de l’incompétence manifeste de la juridiction administrative pour connaître d’un recours en suspension d’une loi.

(ord. réf. 10 février 2022, M. A., n° 461144)

 

63 - Référé liberté – Invocation de l’impossibilité de déférer à une convocation devant un tribunal faute de vaccination contre le Covid-19 – Localisation du demandeur ne nécessitant pas un déplacement de longue durée – Défaut d’urgence – Rejet.

 Le requérant n'est pas vacciné contre le Covid-19. Il réside à Vichy et ne dispose pas de véhicule personnel. Il soutient que les dispositions du décret du 1er juin 2021 (9° du II de l'article 47-1) font obstacle à ce qu'il puisse se rendre en TER à une convocation le 11 février 2022 au pôle social du tribunal judiciaire de Moulins.

La condition d’urgence qui, rappelons-le, revêt un degré d’exigence particulier s’agissant ici d’une demande en référé liberté, est jugée n’être pas remplie car le passe vaccinal ne peut être exigé que pour les déplacements de longue distance, ce que n'est pas le trajet de Vichy à Moulins, quel que soit le mode de transport retenu.

Par suite, dès lors que les dispositions litigieuses ne sont pas applicables à la situation du requérant, qui pouvait se rendre à Moulins par le train depuis Vichy, fait défaut la condition d'urgence, d’où le rejet prononcé.

(ord. réf. 10 février 2022, M. B., n° 461148)

(64) V. aussi, rejetant pour défaut d’urgence une requête en suspension d’exécution d’une décision réduisant à quatre mois, au lieu de six, après la dernière injection, la durée de validité du passe sanitaire et la durée du certificat de rétablissement : ord ; réf. 11 février 2022, Cercle Droit et Liberté et autres, n° 461162 1272 ; et aussi : ord. réf. 17 février 2022, M. A., n° 461272 ; et encore : ord. réf. 21 février 2022, Cercle Droit et Liberté et autres, n° 462654 ; également : ord. réf. 23 février 2022, Syndicat Jeunes médecins, n° 461699 ; enfin : ord. réf. 24 février 2022, M. B., n° 461760.

 

65 - Covid-19 – Référé suspension – Décret du 1er juin 2021 modifié par celui du 22 janvier 2022 – Urgence non justifiée – Rejet.

Un recours en référé suspension dirigé contre le version - modifiée par le décret du 22 janvier 2022 - du décret du 1er juin 2021 portant mesures sanitaires face à l’épidémie de Covid-19 et qui se borne à invoquer que celui-ci porterait atteinte au droit au respect de la vie privée, constituerait une mesure discriminatoire entre vaccinés et non vaccinés et présenterait un caractère irréversible, doit être rejetée dès lors qu’il n’établit pas l’existence  d’une urgence à suspendre la décision querellée.

(21 février 2022, Association Via La Voie du Peuple, n° 461624)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

66 - Proposition de rectification - Insuffisance de motivation - Décision de retrait d'agrément valant directement motivation - Erreur de droit - Annulation.

Des contribuables avaient contesté la régularité d'une proposition de rectification remettant en cause une réduction d'impôt au motif que l'agrément donné à l'opération justifiant cette réduction avait été retiré. Ils estimaient non motivée cette proposition. La cour administrative d'appel a fait droit à cet argument en relevant que la proposition de rectification se bornait à faire état du retrait de l'agrément et à indiquer, en termes généraux, les motifs de ce retrait sans annexer cette décision de retrait ou en reproduire de façon suffisamment précise les motifs.

Sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d'État annule l'arrêt en relevant, à juste titre, qu'il résulte de l'art. 199 undecies C du CGI que le retrait d'agrément entraîne ipso facto la reprise de la réduction d'impôt accordée. En invoquant ce retrait l'administration fiscale a suffisamment motivé sa proposition de rectification.

(3 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 445235)

(67) V. aussi, identiques, sur recours de ce ministre, quatre décisions qui ne pouvaient être jointes s'agissant de contentieux fiscal : 3 février 2022, n° 445245 ; n° 445246 ; n° 445247 ; n° 445249.

 

68 - Cession de parts d'une société - Abattement de 100% sur la plus-value (art. 150-0 D ter CGI) - Conditions d'éligibilité à ce régime - Seuil maximal d'effectif, de chiffre d'affaires et de bilan - Champ d'application de la loi fiscale - Erreur de droit - Annulation.

L'art. L. 150-0 D ter du CGI soumet l'octroi du bénéfice de l'abattement de 100 % sur la plus-value de cession de titres de sociétés réalisée par leurs dirigeants à la condition que ces sociétés satisfassent aux conditions de seuils retenues pour la définition des petites et moyennes entreprises par le règlement (CE) du 12 janvier 2001.

Pour dire en l'espèce que les requérants devaient bénéficier de l'abattement de 100% la cour administrative d'appel a vérifié si les conditions de seuil maximal d'effectif, de chiffre d'affaire et de bilan prévues par le c) du 3° de l'article 150-0 D ter du CGI étaient remplies, en agrégeant les données d'une certaine société avec celles des sociétés qui lui sont liées et, à hauteur de leur participation dans son capital, avec celles qui sont pour elles des partenaires.

Or la cour devait tenir compte des sociétés qui détenaient, seules ou conjointement, au moins 25 % de son capital ou de ses droits de vote selon les modalités définies à l'art. 150-0 D ter du CGI lu à la lumière des travaux préparatoires de l'art. 29 de la loi de finances rectificative pour 2005 du 30 décembre 2005. En s'abstenant de le faire, elle a méconnu le champ d'application de la loi fiscale et, par suite, commis une erreur de droit.

L'arrêt d'appel est annulé en tant qu'il fait droit à la demande en décharge sollicitée par les contribuables.

(2 février 21022, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 438922)

 

69 - Taxe d'habitation - Demande de communication des rôles de cette imposition (art. L. 104 du LPF) - Non vérification de l'existence sur ces rôles des mentions prévues à l'art. 1658 CGI - Erreur de droit - Annulation.

L'organisme requérant avait demandé, en vain, la communication des rôles relatifs à la taxe d'habitation à laquelle il avait été assujetti (cf. art. L. 104 LPF) et invoquait aussi l'absence de mention des bases de liquidation.

Ayant rejeté ce dernier moyen comme inopérant, le tribunal administratif  n'a pas recherché si les autres mentions, prévues à l'art. 1658 du CGI, figuraient bien sur le rôle au motif que « le requérant ne soutient ni même n'allègue que le rôle litigieux serait dépourvu des mentions qui doivent y figurer ». Or l'OGEC avait expressément demandé au tribunal qu'il ordonne à l'administration d'établir devant lui que ces rôles « revêtent les mentions requises par la jurisprudence et par l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 et qui conditionnent leur régularité (...) ». Le jugement est annulé pour erreur de droit alors que nous aurions plutôt vu là une dénaturation.

(2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) École Sainte-Thérèse, n° 439574)

(70) V., identiques : 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Montalembert Les Maristes, n° 439578 ; 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) École et Collège Saint Nicolas, n° 439580 ; 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Émilie de Rodat, n° 439581.

(71) V. en revanche, dans un cadre juridique très différent de celui des arrêts précédents, rejetant la demande d'annulation d'un jugement refusant d'admettre la décharge d'imposition à la taxe d'habitation : 2 février 2022, Organisme de gestion de l'école catholique (OGEC) Saliège, n° 439577.

 

71 - Demande de restitution de retenues à la source - Tardiveté des conclusions - Irrecevabilité - Obligation du respect du contradictoire - Absence - Principe d'équivalence - Application aux modalités procédurales - Mise à l'écart du b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 du LPF - Annulation partielle.

La société Sofina demandait la restitution de la retenue à la source prélevée sur les dividendes qui lui ont été distribués de 2008 à 2011 par plusieurs sociétés françaises. Déboutée en première instance, celle-ci s'est vu opposer en appel, après renvoi par le Conseil d'État pour cassation, un non-lieu partiel et le rejet du surplus.

Cette décision est importante principalement sur deux points.

En premier lieu, la cour a jugé irrecevables les conclusions présentée contre les retenues à la source car postérieures à l'expiration du délai fixé par le b) de la seconde partie de l'article R. 196-1 LPF. Or le ministre des finances avait soulevé un motif d'irrecevabilité tiré du b) de la première partie de cet article. La cour, qui pouvait soulever d'office, comme elle l'a fait, un moyen d'ordre public était cependant tenue de rouvrir le débat contentieux afin d'assurer dans sa plénitude le respect du principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse. Faute de l'avoir fait son arrêt est cassé sur ce point.

En second lieu, pour faire écarter l'application en l'espèce du b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 LPF, la société Sofina invoquait notamment le principe européen d'équivalence. Celui-ci impose que les modalités procédurales de traitement de situations trouvant leur origine dans l'exercice d'une liberté garantie par le droit de l'Union ne soient pas moins favorables que celles concernant le traitement de situations purement internes. A défaut, il incombe à l'administration et, le cas échéant, au juge d'appliquer au contribuable non-résident des règles procédurales de nature à rétablir une équivalence de traitement. Ici, le b) de la seconde partie de l'art. R. 196-1 LPF prévoit pour les non-résidents fiscaux un délai de réclamation d'une durée inférieure à celle que prévoit, pour les nationaux, le b) de la première partie de cet article.  L'application des dispositions du b) de la seconde partie doit donc être écartée.

Toutefois, la requête est rejetée au fond.

(2 février 2022, Société Sofina, n° 441511)

 

72 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (art. 1380 CGI) - Évaluation de la valeur locative de locaux professionnels (art. 310 Q de l'annexe 2 au CGI) - Règles applicables au sous-groupe I : magasins et lieux de vente - Cas d'un mail desservant divers magasins - Cassation partielle.

Il est jugé, pour la première fois d'où l'importance de cette décision, que le mail se trouvant au sein d'un centre commercial et desservant plusieurs magasins doit être imposé, en matière de taxe foncière sur les propriétés bâties, dans la catégorie prépondérante, au regard de leurs surfaces, des magasins qu'il dessert.

Étant précisé d'une part, qu'est sans incidence ici la valeur locative du mail économiquement prise en compte dans le loyer de ces magasins, et, d'autre part, que, pour déterminer la catégorie de rattachement  du mail, doivent seules être retenues les superficies des locaux qu'il dessert non la propriété de ces locaux, ce qui constitue une erreur de droit.

Cette solution suppose un mail  constituant un ensemble bâti ; tel ne serait sans doute pas le cas d'un mail à ciel ouvert tel un patio ou un impluvium.

(2 février 2022, Société Les Portes de Claye, n° 443323)

(73) V. aussi, jugeant que constitue une erreur de droit la prise en considération, au regard de la taxe foncière sur les propriétés bâties, pour déterminer la catégorie de rattachement du mail en litige, le critère de la longueur du segment d'accès aux locaux desservis par ce mail car seules sont à retenir les surfaces de ces locaux : 2 février 2022, Société KC3, n° 443630.

Incontestablement ce critère de la surface a le grand mérite de la simplicité et d'une application possible à des situations de fait très diverses voire disparates.

 

74 - Convention fiscale franco-tunisienne - Notion de « résident d'un État contractant » (art. 3 de la convention) - Assujettissement à l'impôt dans l'État de domicile, de résidence ou rattaché par un lien personnel analogue - Indifférence de l'existence de revenus y trouvant leur source - Rejet.

D'une part, le paragraphe 1 de l'article 3 de la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie du 28 mai 1973 dispose : « Au sens de la présente Convention, l'expression « résident d'un État contractant »  désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature analogue ». D'autre part, le paragraphe 1 de l'article 11 de la même convention précise : « Les bénéfices d'une entreprise d'un État contractant ne sont imposables que dans cet État, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre État contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre État mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables audit établissement stable ».

La société TDA International qui a fait l'objet de retenues à la source - en raison des sommes qu'elle a versées, en paiement de prestations de service, aux sociétés BSC et CEGID Tunisie - en a demandé la décharge sur le fondement des dispositions précitées. Infirmant les premiers juges, la cour adminiustrative d'appel a, sur le fondement des stipulations précitées, accordé la décharge sollicitée d'où le pourvoi introduit par le ministre.

Interprétant les stipulations en cause, dont le but est d'éviter les doubles impositions, le Conseil d'État juge, d'abord, que les personnes qui ne sont pas soumises à l'impôt en cause par la loi de l'État concerné à raison de leur statut ou de leur activité ne peuvent être regardées comme assujetties au sens de ces stipulations. Ensuite, pour le cas des personnes qui ne sont assujetties que partiellement à l'impôt, il est jugé que la qualité de résident d'un État contractant est subordonnée à la seule condition que la personne qui s'en prévaut soit assujettie à l'impôt dans cet État en raison de son domicile, de sa résidence ou d'un lien personnel analogue et non en raison de la seule existence de revenus y trouvant leur source. 

Par suite, c'est sans erreur de qualification juridique que la cour a, en premier lieu, jugé souverainement et sans dénaturation, que les sociétés BSC et CEGID Tunisie n'étaient exonérées, en tant qu'entreprises dites « totalement exportatrices » qu'à raison de bénéfices provenant de l'exportation mais non de ceux susceptibles de provenir d'une activité réalisée en Tunisie. Semblablement c'est sans erreur de qualification qu'elle a ensuite déduit de ce qui précède qu'alors même qu'ainsi que le soutenait l'administration devant les juges du fond, les sociétés n'avaient pas réalisé de chiffre d'affaire sur le marché local pendant la période en litige, elles étaient soumises à l'impôt sur les sociétés en Tunisie à raison de leur activité.

Le pourvoi est, très logiquement, rejeté.

(2 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446664)

(75) V. aussi, la solution inverse adoptée dans le cas de la cession des droits détenus dans un « partnership » de droit américain et pour l'interprétation des dispositions des articles 7 et 13 de la convention fiscale entre les États-Unis et la France : 2 février 2022, M. et Mme B., n° 443154.

 

76 - Taxe d'enlèvement des ordures ménagères - Dépenses devant être prises en compte pour déterminer la somme des dépenses réellement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et d'autres déchets - Obligation d'y inclure la part des dépenses des services centraux afférentes à ce service public - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Commet une erreur de droit et encourt la cassation le jugement qui, pour établir la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l'article L. 2224-14 du CGCT et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu'elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe, ne retient, parmi les dépenses des services centraux de la commune, que celles de la direction de la propreté et de l'eau au motif que cette dernière est le seul service directement chargé de la collecte et le traitement des déchets ménagers et assimilés. Il lui incombait, au moyen de données extraites de la comptabilité analytique, de tenir compte également de celles des dépenses exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés par les autres directions ou services centraux de la collectivité.

(2 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 451434)

 

77 - Abus de droit (art. L. 64 LPF) - Notion et régime - Applicabilité aux actes de droit privé en dépit de leur opposabilité aux tiers - Répression des abus de droit en dehors du régime prévu à l'art. 64 LPF - Refus de transmission d'une QPC.

Bien qu'intervenant dans le cadre d'une procédure tendant à voir transmise une question prioritaire de constitutionnalité, cette décision intéresse davantage le droit fiscal.

L'art. 64 du LPF a pour objet de rendre inopposables à l'administration ceux des actes qui, de caractère fictif ou recherchant l'application littérale de la loi fiscale ne sont inspirés que par le seul souci d'éluder ou de modérer l'imposition.

La requérant invoquait au moyen de la QPC l'atteinte que porte à des droits et libertés que garantit la Constitution l'interprétation que donne le Conseil d'État de cet article L. 64.

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

Le juge apporte ici les importantes précisions suivantes :

1° la procédure de répression des abus de droit prévue à l'article L. 64 s'applique uniquement en cas de rectification notifiée par l'administration fiscale.

2° En dehors de cette hypothèse, le principe d'opposabilité, à l'administration comme aux autres personnes juridiques, des actes de droit privé non déclarés nuls par le juge judiciaire, ne saurait faire obstacle au droit qu'a l'administration d'y faire échec lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public en raison de l'existence d'un principe général du droit à la répression des abus de droit (cf. par ex., Section, 27 septembre 2006, Société Janfin, n° 260050).

3° Il découle de ce qui précède que l'administration fiscale, même en dehors du champ d'application de l'art. L. 64, peut écarter comme ne lui étant pas opposables certes ceux des actes du contribuable ayant un caractère fictif, mais peut également - en vertu du principe général du droit précité - écarter, comme dans le cas où l'art. 64 est applicable, les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles.

4° Cette interprétation de la loi fiscale par le juge ne méconnaît pas le principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que sont respectées les exigences permettant l'application différenciée d'une règle en fonction de la diversité des situations concrètes rencontrées.

5° Ainsi, l'art. 64 ne s'applique que si une procédure de rectification a été engagée par l'administration fiscale et le principe général du droit susénoncé qu'en dehors de ce cas. Cette dualité de traitement ne contrevient pas à l'égalité des contribuables, d'où il suit que les garanties apportées par la loi à l'art. L. 64 ne concernent que la situation où cette disposition est applicable non celle où est mis en oeuvre le principe général du droit susrappelé.

On peut admirer la subtilité du raisonnement et n'être point convaincu de son bien-fondé en regrettant qu'il aboutit de fait et en substance à une soumission universelle des situations visées à l'art. 64 soit sous la forme scripturaire du LPF soit à titre de principe. Est-on sûr d'être alors toujours fidèle à la volonté du législateur ?

 (4 février 2022, Société Hays France, n° 455278)

(78) V. aussi, rejetant un recours dirigé contre une application irrégulière de la procédure de répression d'un abus de droit au motif qu'en l'espèce l'administration n'a pas agi sur le fondement de l'art. L. 64 du LPF mais sur celui de l'art. 111 du CGI qui se borne à définir la notion de « revenus distribués » : 11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n°455794.

 

79 - Prestataire de services logistiques en ligne - Commerce d'or et de métaux précieux - Société intervenant dans des opérations d'achat d'or et de métaux précieux par une société britannique auprès de clients français - Qualification comme intermédiaire dans des opérations de cession d'or et de métaux précieux - Assujettissement à la taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux - Annulation - Rejet.

La société française Efilog a été qualifiée par l'administration fiscale, sur le fondement des dispositions combinées des art. 150 VK et 150 VM du CGI, comme exerçant une activité d'intermédiaire dans des opérations de cession d'or et de métaux précieux.

Cette société a contesté cette qualification.

Par un arrêt infirmatif la cour administrative d'appel annule la décision de l'administration. Pour cela elle décrit très précisément le montage en cause.

Quand des contribuables français souhaitant céder des métaux précieux prenaient contact à cette fin avec une société britannique, la société Efilog leur adressait, en exécution du contrat signé entre ces deux sociétés, un kit personnalisé destiné à contenir les objets en cause, que les particuliers retournaient ensuite à la société Efilog qui, après enregistrement et reconditionnement, envoyait les métaux précieux à un laboratoire situé au Royaume-Uni pour expertise et estimation. La société britannique fixait alors le prix qu'elle proposait et préparait des courriers à destination des vendeurs ayant choisi le paiement par virement et des chèques pour ceux ayant choisi ce mode de paiement, les envois étant effectués par une société comptable intervenant pour le compte de la société britannique. En cas de refus du prix proposé, le chèque était renvoyé par le vendeur particulier à la société Efilog qui le renvoyait à la société britannique, laquelle retournait directement la marchandise au vendeur.

La société Efilog ne procédait à aucune recherche de clients ou de mise en relation entre la société britannique et des clients potentiels ; elle n'intervenait ni sur l'objet, ni sur le prix de la transaction, son activité étant limitée à la réception et à la transmission des kits, à la réception des chèques retournés par les clients et, en cas de perte ou de dommage, à la réception des demandes d'indemnisation. De là la cour déduit que la société Efilog a été qualifiée à tort d'intermédiaire.

Sur pourvoi du ministre des finances, qu'il rejette, le Conseil d'État juge que la cour en jugeant ainsi n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis

(11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 446801). 

 

80 - Monuments historiques - Exonération des droits de mutation à titre gratuit - Conclusion d'une convention en vue de l'ouverture au public du monument - Paiement des droits pouvant être différée jusqu'à cette signature - Non respect du délai de six mois pour l'accomplissement de formalités - Portée - Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L'art. 795 A du CGI permet aux héritiers d'un monument historique de bénéficier de l'exonération des droits de succession (dits « de mutation à titre gratuit ») moyennant l'acceptation par les services de la culture de la conclusion d'une convention en prévoyant l'ouverture au public.

Le ministre des finances a refusé en l'espèce d'accorder cette exonération au motif que la déclaration de succession avait été déposée au-delà du délai de six mois prévu à l'article 641 du CGI. Le tribunal administratif, saisi par les héritiers, a annulé ce refus. Sur appel du ministre, la cour administrative d'appel a, acceptant la substitution de motif demandée par l'appelant, annulé le jugement et jugé légal le refus en se fondant sur ce moyen substitué tiré du défaut d'accomplissement de la formalité requise par l'article 281 bis de l'annexe III au CGI.

Sur pourvoi de l'un des héritiers, le Conseil d'État - confirmant une jurisprudence antérieure (11 décembre 2009, Ministre du Budget c/ Dor de Lastours et autres, n° 312515) - annule cet arrêt qu'entache une erreur de droit.

D'une part, il ne résulte pas de l'art. 641 du CGI que le dépôt de la déclaration  au-delà du délai qu'il fixe empêche l'octroi de l'exonération des droits de succession prévue à l'art. 795 A due ce code.

D'autre part, le non respect de la formalité prévue par l'art. 281 bis de l'annexe III au CGI est seulement de nature à priver le contribuable du bénéfice du différé de paiement des droits de mutation à titre gratuit jusqu'à ce qu'il soit statué sur sa demande mais en aucun cas il ne peut justifier légalement un refus d'accorder le bénéfice de l'exonération de droits prévu à l'art. 795 A.

Par ailleurs, l'administration n'est pas davantage fondée à opposer ici les dispositions de l'art. 1649 nonies du CGI selon lesquelles « toute demande d'agrément auquel (sic) est subordonnée l'application d'un régime fiscal particulier doit être déposée préalablement à la réalisation de l'opération qui la motive » ; en effet, il tombe sous le sens  que la demande de convention pour bénéficier de l'exonération prévue à l'art. 795 A ne saurait être regardée ni comme une demande d'agrément ni comme une demande en vue de la réalisation d'une « opération ».

(11 février 2022, M. Guy d'Espinay Saint-Luc, n° 454999)

(81) V. également, largement comparable au précédent et portant sur le même litige : 11 février 2022, Ministre de l'économie, des finances et de la relance c/ M. Guy d'Espinay Saint-Luc, n° 458465.

 

82 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cas des établissements industriels - Terrain d'enfouissement de déchets ultimes non dangereux - Alvéoles faisant corps avec le terrain - Exonération de la taxe - Conditions - Annulation du jugement avec renvoi.

La requérante demandait l'annulation du jugement ayant rejeté ses demandes tendant à la réduction de sa cotisation à la taxe foncière sur les propriétés bâties en raison des caractéristiques  du centre de tri et de valorisation des déchets et du centre de stockage de déchets ultimes non dangereux qu'elle exploite.

L'art. 1380 du CGI exonère de la taxe foncière sur les propriétés bâties : « (...) 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés à l'article 1381 1° et 2° ». Il s'agit donc de ceux des biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499 du CGI, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

En l'espèce, la requérante invoquait un moyen tiré de ce que les alvéoles de son centre d'enfouissement  devaient être exonérées de taxe foncière sur les propriétés bâties sur le fondement du 11° de l'article 1382 du CGI.

Balayant cet argument, le tribunal s'est uniquement fondé, pour justifier l'assujettissement de cette entreprise à la taxe susdite, sur ce qu'eu égard à sa superficie et à la capacité de stockage de l'ensemble dans lequel il s'inscrit, le terrain en question devait être regardé comme employé à un usage industriel au sens et pour l'application des dispositions du 5° de l'article 1381 de ce code, et, par suite, soumis à la taxe.

Ce jugeant, le tribunal s'est abstenu de vérifier si les alvéoles faisant corps avec ce terrain, d'une part, étaient spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel au sens de l'article 1499, et, d'autre part, étaient au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.

L'erreur de droit conduit à la cassation.

(11 février 2022, Société de Propreté et d'Environnement de Normandie (SPEN), n° 455020)

 

83 - Impôt sur le revenu et prélèvements sociaux - Revenus imposés comme revenus de capitaux mobiliers (art. 123 bis CGI) - Régime des sociétés mères et filiales (art. 145 et 216 CGI) - Appréciation du caractère privilégié d'un régime fiscal - Décision de gestion - Erreur de droit - Annulation partielle avec renvoi.

L'administration fiscale a décidé d'imposer dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers les bénéfices réalisés par la société de droit luxembourgeois, dont les contribuables requérants détenaient la totalité du capital.

Ceux-ci ayant contesté cette décision, la cour administrative d'appel, par arrêt infirmatif, a donné partiellement raison aux contribuables.

Ceux-ci se pourvoient contre la partie de l'arrêt qui leur est défavorable.

Pour apprécier l'éventuel caractère privilégié du régime fiscal auquel était soumise la société de droit luxembourgeois et répondre positivement à cette question, la cour a relevé qu'elle ne pouvait se prévaloir du régime des sociétés mères au motif que ce régime optionnel relèverait d'une décision de gestion. Or l'art. 238 A du CGI impose que l'appréciation du caractère privilégié du régime fiscal applicable se fasse au regard de l'impôt sur les bénéfices ou les revenus dont la personne aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France, lesquelles incluent le régime des sociétés mères défini aux articles 145 et 216 du CGI. Il incombait donc à la cour – ce qu’elle n’a pas fait - de déterminer si cette société aurait rempli les conditions pour bénéficier du régime des sociétés mères si elle avait été établie en France.

L'arrêt est cassé sur ce point.

(14 février 2022, M. et Mme B., n° 442061)

 

84 - Comptabilité publique - Étendue des obligations de contrôle s'imposant aux comptables publics - Interdiction pour le comptable d'apprécier la légalité des actes à l'origine des créances publiques - Sanctions de la Cour des comptes - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Deux comptables de l'Office français de l'immigration et de l'intégration constituées débitrices de sommes importantes par arrêts de la Cour des comptes se pourvoient contre ceux-ci.

Le Conseil d'État leur donne raison, ce qui lui fournit l'occasion de rappeler - une nouvelle fois, mais il faut croire que la rue Cambon est loin du Palais-Royal - que, pour déterminer la validité des créances qu'ils sont amenés à payer, les comptables publics doivent seulement apprécier si les pièces fournies présentent un caractère suffisant pour justifier la dépense engagée.

A cet égard, s'il leur appartient de vérifier si l'ensemble des pièces requises au titre de la nomenclature comptable applicable leur ont été fournies et si ces pièces sont, complètes et précises en soi, et cohérentes au regard de la catégorie, de la nature et de l'objet de la dépense ordonnancée, là s'arrêtent leurs obligations.

Certes, parce que les choses sont très imbriquées, ce contrôle peut conduire les comptables à porter une appréciation juridique sur les actes administratifs à l'origine de la créance et à les interpréter conformément à la réglementation, en revanche, ils n'ont pas le pouvoir de se faire juges de leur légalité. 

En l'espèce, les mises en débet des requérantes étaient irrégulières car fondées sur des reproches tirés du défaut de contrôle de la légalité des actes ordonnançant les paiements, contrôle qu’il leur est interdit d’effectuer.

(16 février 2022, Mme I. et Mme E. c/ Cour des comptes, n° 439427)

 

85 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Demande de réduction – Demande formée par voie d’exception d’illégalité – Erreur de droit – Annulation.

C’est par suite d’une erreur de droit qu’un tribunal administratif admet qu’un contribuable puisse demander une réduction de sa contribution à la taxe foncière sur les propriétés bâties au moyen d’une exception d’illégalité tirée des dispositions combinées des art. 1498 et 1504 du CGI dès lors qu’il résulte de l’art. 1518 F de ce code que «  Les décisions prises en application des articles 1504 et 1518 ter ne peuvent pas être contestées à l'occasion d'un litige relatif à la valeur locative d'une propriété bâtie ».

(18 février 2022, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 453443)

(86) V. aussi, en matière de contestation de l’évaluation de la taxe foncière sur les propriétés bâties :

- Rejetant l’argument tiré de ce que les installations frigorifiques utilisées par la requérante pour son activité avaient été démantelées en 2015, de sorte que cet établissement se trouvait privé, à compter de cette date, des importants moyens techniques dont il était auparavant pourvu et qu'il ne pouvait ainsi plus être regardé comme un établissement industriel au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 1499 du code général des impôts, le juge relevant que la société établissait seulement la mise à l'arrêt des installations frigorifiques destinées à l'expédition de la production, non la disparition de tout moyen technique industriel rendant l'immeuble disponible à une activité autre qu'industrielle : 18 février 2022, Société fromagerie Papillon, n° 449988.

- Rejetant le moyen tiré, en matière de taxe assujettissant un hôtel, de la présence de caractéristiques comparables à celles d’autres hôtels de la commune, de telles caractéristiques n’existant pas en l’espèce : 18 février 2022, Sociétés Modul et CM-CIC Lease, n° 451631.

 

87 - Bien immobilier acheté en une fois à un prix global – Revente par lot – Opération distincte pour chaque revente – Calcul de la taxe – Prise en compte de la valeur du terrain cédé gratuitement à la collectivité publique pour permettre la réalisation de l’opération immobilière – Annulation partielle avec renvoi dans cette mesure.

Il est jugé ici qu’il résulte des dispositions de l’art. 268 du CGI que, dans le cas de revente par lot d'un immeuble ou d'un terrain à bâtir acheté en une seule fois pour un prix global, chaque vente de lot constitue une opération distincte, à raison de laquelle le vendeur doit acquitter une taxe calculée sur la base de la différence entre, d'une part, le prix de vente de ce lot et, d'autre part, son prix de revient estimé en imputant à ce lot une fraction du prix d'achat global de l'immeuble ou du terrain.

Le juge indique aussi, d’une part, que le contribuable procède à cette imputation par la méthode de son choix, sous réserve du droit de vérification de l'administration et sous le contrôle du juge de l'impôt et, d’autre part, que ce texte ne s'oppose pas à ce que le contribuable impute sur le prix de revient de chacun des lots vendus une fraction du prix d'acquisition des terrains cédés gratuitement ou pour l'euro symbolique à une commune en vue de la réalisation d'aménagements de voirie, lorsque cette cession conditionne la réalisation de l'opération immobilière.

(18 février 2022, Société d'aménagement urbain et lotissement, n° 449811)

 

Droit public de l'économie

 

88 - Droit public de l'agriculture – « Plans de campagne » dans le secteur des fruits et légumes -- Soutien financier aux producteurs français de fruits et légumes frais - Requalification en aides d'État prohibées - Régularité du titre de recettes et de l'imputation de la charge du reboursement - Rejet.

L'Office national interprofessionnel des fruits, des légumes et de l'horticulture (ONIFLHOR), aux droits duquel est venu l'Établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a mis en place une aide financière aux producteurs français de fruits et légumes frais dans le cadre de « plans de campagne ». Cette aide a été qualifiée d'aide d'État  par une décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, confirmée par deux jugements du Tribunal de l'Union européenne du 27 décembre 2012. En conséquence, FranceAgriMer a émis un titre de recettes à l'encontre de trois SCEA ainsi que de la SCEA requérante.

Cette dernière a demandé l'annulation de ce titre pour des raisons de forme et pour des raisons de fond ; la requête ayant été rejetée, en première instance comme en appel, la société se pourvoit. Elle est déboutée.

Sur la forme, la régularité du titre de recettes était contestée à la fois pour insuffisance ou défaut de motivation et pour non respect du principe du contradictoire.

Ces moyens sont rejetés car, d'une part, les indications fournies par le titre lui-même constituaient une motivation suffisante (titre indiquant : « aides plans de campagne jugées incompatibles avec le droit communautaire », comportant adjonction d'une première fiche liquidative identifiant, après le visa de la décision de la Commission européenne du 28 janvier 2009, les aides concernées et d'une seconde détaillant pour chaque année les sommes en cause) et, d'autre part, que, contrairement à ce qui était allégué, la procédure suivie avait bien été contradictoire (courrier d'information, invitation à formuler des observations, organisation d'un entretien, échanges postérieurs de courriers, formation d'un recours gracieux).

Sur le fond, étaient contestés le bien-fondé de la récupération de l'aide et la mise de celle-ci à la charge de la requérante.

Tout d'abord, c'est à bon droit que la récupération des aides a été mise à la charge des producteurs car si les fonds destinés au paiement de ces aides ont d'abord été versés aux comités économiques agricoles, ces derniers les ont répartis entre producteurs auxquels le bénéfice final de l'aide a été ainsi transférée d'où la présomption que ceux-ci sont les bénéficiaires de l'aide.

Ensuite, la demanderesse contestait devoir assumer la charge du remboursement d'une aide qui a été en réalité versée à trois autres SCEA (La Bohémienne, Mas de Canaux et de Fabrègue). Ce moyen ne pouvait prospérer puisque  ces trois sociétés ont été radiées du registre du commerce et des sociétés à la suite de leur absorption par la SCEA Méditerranée, requérante. La cour a par ailleurs relevé qu'il n'était pas établi que cette dernière n'exercerait plus l'activité pour laquelle les aides litigieuses ont été versées.

C'est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que la société SCEA Méditerranée, qui a repris l'ensemble de l'actif et du passif des sociétés absorbées, était tenue à l'obligation de restitution des aides perçues par celles-ci. 

(3 février 2022, Société civile d'exploitation agricole Méditerranée, n° 437162)

 

Droit social et action sociale

 

89 - Salarié protégé - Licenciement pour faute - Régime juridique - Rejet.

La cour administrative d'appel ayant confirmé le jugement annulant l'autorisation donnée par l'inspection du travail de licencier l'un de ses employés  représentant syndical, pour faute, la société Chronopost se pourvoit en cassation.

La cour a estimé que le salarié, qui avait à plusieurs reprises travaillé en qualité de coursier, durant des périodes de suspension de son contrat de travail, auprès de la société Labo Express, pour assurer le transport médical urgent par route de produits sanguins labiles et de produits d'origine humaine vers des professionnels de santé, y assurait une mission qui différait de celle accomplie au profit de la société Chronopost, l'activité de ces deux sociétés ne se recouvrant pas et n'étant pas concurrentes. En outre, il n'était pas établi, comme le lui reprochait son employeur, que cet agent aurait fourni des informations confidentielles à la société Labo Express. Ainsi, le licenciement n'était pas justifié.

Le Conseil d'État estime que, en jugeant ainsi, outre qu'elle a répondu à l'argumentation de la demanderesse, la cour n'a pas inexactement qualifié les faits.

Surtout, cette affaire est l'occasion pour le juge de cassation de rappeler fermement qu'en raison des fonctions dont est investi un représentant du personnel, son licenciement pour faute - et donc l'autorisation de licenciement - ne peut intervenir que « si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Un agissement du salarié intervenu en-dehors de l'exécution de son contrat de travail ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat. »

Enfin, est rejeté car il est nouveau en cassation, le moyen selon lequel l'intéressé aurait également commis une faute en sollicitant, pour un motif mensonger, un congé pour enfant malade, en vue d'accomplir une de ses missions auprès de la société Labo Express.

(4 février 2022, Société Chronopost, n° 438412)

 

90 - Avenant à une convention collective - Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire - Arrêté étendant un avenant à cette convention - Demande d'annulation - Avenant et arrêté n'ayant jamais produit d'effet - Intervention d'un nouvel avenant - Caducité de l'avenant litigieux - Non-lieu à statuer.

(4 février 2022, Fédération CFDT des services, n° 453350)

V. n° 28

 

91 - Travailleurs salariés étrangers détachés en France - Obligation de vigilance s'imposant à l'entreprise ou à son prestataire de services - Procédure irrégulière de détachement - Unicité de faute pour défaut de déclaration préalable et de désignation d'un représentant en France - Rejet.

Des dispositions du code du travail subordonnent la possibilité, pour un employeur français, d'accueillir des salariés étrangers détachés à cet effet par un employeur établi hors de France - sous forme d'une obligation de vigilance -  à la souscription d'une déclaration préalable au détachement et à la désignation d'un représentant de l'entreprise sur le territoire national (cf. art. L.1262-1, L. 1262-2 et L. 1262-2-1,  L. 1262-4-1 c. trav.). A défaut de respecter ces deux obligations est encourue une amende dont le montant est multipliée par le nombre de salariés concernés par cette infraction.

Le Conseil d'État estime que ces textes, bien que l'obligation de vigilance qu'ils imposent se décompose en deux volets (déclaration préalable et désignation d'un représentant en France), ne constitue, pour le maître d'ouvrage ou le donneur d'ordre, qu'une seule obligation qui ne peut être sanctionée que par une seule amende.

C'est donc en vain que la ministre requérante demande l'annulation de l'arrêt d'appel qui en a ainsi jugé, celui-ci ne reposant pas sur une erreur de droit.

(11 février 2022, Ministre du travail, n° 440808)

 

92 - Infractions à la législation du travail - Sanctions applicables - Loi plus douce intervenue après les manquements et avant que le juge statue - Dispositions plus sévères inapplicables aux faits antérieurs - Étendue du pouvoir de sanction de l'administration - Effets de la nature de plein contentieux du litige - Caractère contradictoire de la procédure - Annulation.

La société requérante a fait l'objet d'amendes pour avoir plusieurs fois méconnu, pendant la période du 22 mai au 25 juin 2017, s'agissant de deux salariés, les dispositions régissant la durée quotidienne du travail, la durée hebdomadaire du travail, la durée quotidienne de repos minimal et le repos hebdomadaire.

Saisi par cette dernière d'une demande d'annulation ou de réduction des amendes infligées le tribunal administratif a réduit de 23 000 euros à 5 400 euros leur montant. Sur appel de la ministre du travail, défenderesse, la cour administrative d'appel a annulé le jugement en tant qu'il a réduit le montant des amendes.

La demanderesse se pourvoit et obtient gain de cause sur le principe.

Le juge de cassation rappelle tout d'abord que le juge administratif, statuant comme juge de plein contentieux sur une contestation portant sur une sanction que l'administration inflige à un administré, doit faire application, le cas échéant, d'une loi nouvelle plus douce entrée en vigueur entre la date à laquelle l'infraction a été commise et celle à laquelle il statue.

Ensuite, il est relevé une double évolution en sens inverse de la législation sur ce point.

D'une part, l'article 18 de la loi du 10 août 2018, qui est entré en vigueur postérieurement aux manquements de la société demanderesse, a ajouté à la possibilité de sanctionner un manquement de l'employeur par une amende, la possibilité, alternative, de prononcer à son encontre un simple avertissement, ce dernier constituant, par rapport à l'amende, une sanction plus douce.

D'autre part, et en sens contraire, l'article 95 de la loi du 5 septembre 2018, qui a modifié l'article L. 8115-3 du code du travail en rehaussant le montant maximal de l'amende encourue de 2000 à 4000 euros par travailleur concerné, est une disposition répressive plus sévère. Il ne peut donc pas, en vertu du principe susrappelé, être appliqué à des manquements commis avant son entrée en vigueur.

Il résulte de cet état de la législation que la société demanderesse ne pouvait se voir appliquer que les seules dispositions - plus douces - des articles L. 8115-1 et L. 8115-4 du code du travail, dans la version que leur a donnée la loi du 10 août 2018, à l'exclusion de celles - plus sévères - de l'art. L. 8115-3 de ce code, issues de la loi du 5 septembre 2018. 

C'est donc sans erreur de droit que la cour a estimé que le pouvoir de sanction de l'administration n'était pas limité au prononcé d'une seule amende par catégorie de manquements et par travailleur concerné mais pouvait, à la place, consister en l'infliction d'un avertissement.

Le Conseil d'État, en revanche, reproche à la cour, alors qu'elle statuait dans un litige de plein contentieux, ce qui lui imposait d'examiner tant les moyens tirés des vices propres de la décision de sanction que ceux mettant en cause le bien-fondé de cette décision litigieuse, d'avoir écarté comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 8115-5 du code du travail imposant le respect d'une procédure contradictoire préalablement au prononcé de la sanction, au motif que la procédure contradictoire organisée par les articles L. 8115-1 et suivants du code du travail se poursuivrait devant le juge de plein contentieux et qu'il n'appartiendrait à ce dernier de ne se prononcer que sur le bien-fondé et le montant de l'amende infligée.

L'erreur de droit ainsi commise conduit à la cassation de l'arrêt sur ce point.

(11 février 2022, Société Distribution Casino France, n° 448372)

 

93 - Revenu de solidarité active (RSA) - Appréciation des ressources de l'intéressé - Existence d'un placement financier - Modalité de prise en compte des revenus produits par ce placement - Erreur de droit - Annulation du jugement.

Dans le cadre de la détermination de l'ensemble des ressources dont dispose une personne candidate à l'attribution du RSA ou déjà bénéficiaire de cette aide, se posait la question de la prise en compte d'un capital placé et produisant des revenus que l'intéressée avait omis de déclarer.

La difficulté venait de ce que les intérêts de ce placement sont versés en une fois, en fin d'année. Le tribunal administratif avait estimé que, pour l'appréciation des ressources de l'intéressée, il convenait de répartir ces intérêts sur les quatre trimestres suivant leur perception. Cette solution, raisonnable parce que fondée sur la règle du prorata temporis, est annulée par le Conseil d'État selon qui ceux-ci doivent être intégralement pris en compte à cet effet, donc in globo, au titre des ressources du mois  de leur perception.

(11 février 2022, Mme P., n° 449400)

 

94 - Revenu de solidarité active (RSA) - Contrôle des déclarations des bénéficiaires du RSA - Qualité des contrôleurs - Annulation.

Rappel de ce qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 262-40 du code de l'action sociale et des familles et de celles de l'art. L. 114-9 du code de la sécurité sociale, d'une part, que les contrôles portant sur les déclarations des bénéficiaires du RSA ne peuvent être conduits que par des agents assermentés et agréés, chargés d'une telle mission par le directeur de la caisse d'allocations familiales assurant le service de cette prestation et, d'autre part, que l'agrément d'un agent établit ipso facto que celui-ci est affecté à un emploi comportant une mission de contrôle, dont il a été chargé par le directeur de la caisse d'allocations familiales qui l'emploie. 

C'est donc par suite d'une erreur de droit que le tribunal administratif, après avoir relevé que l'agent qui avait procédé à l'enquête à l'origine de la décision de récupération avait été agréé par une décision du directeur adjoint de la caisse nationale d'allocations familiales a jugé qu'il ne ressortait ni de la décision d'agrément ni d'aucune autre pièce des dossiers que le directeur général de la caisse d'allocations familiales de Paris aurait pris une décision lui confiant le soin de procéder à des vérifications et enquêtes administratives concernant l'attribution des prestations servies par les caisses.

(11 février 2022, Ville de Paris, n° 449621)

 

95 - Négociation et accords collectifs dans la fonction publique (ordonnance du 17 février 2021) - Principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail - Liberté contractuelle des syndicats de signer ou non un accord - Étendue en présence d'un comité de suivi - Prérogatives des syndicats représentatifs envers un accord collectif dont ils ne sont pas signataires - Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation de l'ordonnance n° 2021-174 du 17 février 2021 relative à la négociation et aux accords collectifs dans la fonction publique et elles invoquaient à cet effet trois moyens principaux.

En premier lieu, elles reprochaient à ce texte de méconnaître le principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail. Le moyen est rejeté car les mesures réglementaires susceptibles d'être incluses dans un accord collectif ont nécessairement fait l'objet d'une négociation avec les organisations syndicales représentatives préalablement à la conclusion de l'accord.

En deuxième lieu, il était soutenu que l'institution systématique d'un comité de suivi avait pour effet de porter atteinte à la liberté contractuelle des organisations syndicales de signer ou non un accord collectif. Le moyen est, lui aussi, rejeté car selon une interprétation bienveillante du Conseil d'État, ces dispositions (art. 8bis et 8ter de la loi du 13 juillet 1983), en prévoyant que seules les organisations signataires de l'accord débattent avec l'administration, au sein du comité de suivi, sur les modalités de mise en œuvre de cet accord, ne sauraient avoir pour objet ni pour effet d'exclure les organisations non signataires des négociations portant sur des questions qui excèdent le suivi de la mise en œuvre de l'accord et qui relèvent des domaines dans lesquels doivent être appelées à participer l'ensemble des organisations représentatives en vertu des articles 8 bis et 8 ter de la loi du 13 juillet 1983 ou d'autres dispositions législatives ou réglementaires. Contrairement à ce soutiennent les requérantes il n'est donc, par là, pas porté atteinte aux principes de liberté syndicale, de représentativité des organisations syndicales et de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail non plus qu'à l'art. 11 de la CEDH.

En troisième lieu, il n'est nullement porté atteinte, par l'ordonnance litigieuse, ainsi que l'a d'ailleurs jugé le Conseil constitutionnel (n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l'État - CGT et autres), au droit des organisations syndicales représentatives qui n'étaient pas signataires d'un accord collectif de prendre l'initiative de sa modification.

Sur ce point, les juges « sauvent » l'ordonnance en lui faisant dire que ces dispositions de l'ordonnance « ont pour objectif d'inciter à la conclusion de tels accords et d'assurer leur pérennité », ce qui est loin de constituer un raisonnement juridique.

(11 février 2022, Union fédérale des syndicats de l'État CGT (UFSE-CGT), Fédération CGT des services publics, Confédération générale du travail (CGT), Fédération syndicale unitaire (FSU) et Fédération de l'action sociale et de la santé, n° 451784)

 

Élections et financement de la vie politique

 

96 - Élections municipales et communautaires - Jugement rejetant la protestation contre les résultats électoraux - Régime de l'appel - Appel irrecevable - Irrecevabilité de l'intervention par voie de conséquence - Rejet.

Rappel d'une règle constante de la procédure contentieuse en matière électorale : si tout électeur, même s'il n'a pas été présent en première instance, est recevable à faire appel d'un jugement qui a annulé une élection ou qui en a modifié les résultats, seul l'auteur ou les auteurs de la protestation sont recevables à faire appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté la protestation. 

Par ailleurs, l'intervenant au soutien de la protestation alors que le délai pour former une protestation était écoulé, n'est pas recevable à faire appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté cette protestation.

Sa requête doit dès lors être rejetée comme irrecevable.

(10 février 2022, M. Q., Él. mun. et cnautaires de la commune des Abymes, n° 448723)

 

97 - Élections municipales - Élection d'un conseiller municipal radié des listes électorales - Jugement judiciaire s'imposant absolument au juge administratif - Conclusions reconventionnelles irrecevables en contentieux électoral - Rejet.

L'élection d'un candidat comme conseiller municipal alors qu'il a été radié de la liste électorale par décision du tribunal judiciaire est automatiquement annulée par le juge administratif, celui-ci se bornant à tirer les conséquences de cette radiation dont les effets s’imposent absolument à lui.

Rappel, à nouveau, que des conclusions reconventionnelles sont, par nature, irrecevables en contentieux électoral (V., par ex. : 9 décembre 1977, Élections municipales de Congis-sur-Thérouanne, Rec. Lebon p. 842 ; 23 septembre 1985, Élections municipales de Saint-André de La Réunion, Dr. adm. 1985 n ° 477 ; 29 décembre 2014, Élections municipales de Samaran, n° 381579).

(16 février 2022, M. A., Élections municipales de Soissons, n° 447424)

 

98 - Publicité des présentations de candidatures à l’élection présidentielle - Demande de suspension de la disposition législative instituant cette publicité – Incompétence manifeste de la juridiction administrative – Rejet.

(ord. réf. 10 février 2022, M. A., n° 461144)

V. n° 54

 

Environnement

 

99 - Objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre - Obligation de prise en compte de cet objectif - Hypothèses d'application de cette obligation - Cas excluant cette obligation - Annulation et rejet.

A la demande d'organisations de protection de l'environnement, le juge des référés, au visa de l'art. L. 554-12 du CJA, a suspendu l'exécution de l'arrêté du préfet de la Guyane portant autorisation environnementale en vue de l'exploitation d'une centrale électrique. Sa motivation reposait sur l'atteinte que cette autorisation porterait à l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 tel qu'il est fixé à l'article L. 100-4 du code de l'énergie.

Les auteurs des pourvois joints demandent à la fois l'annulation de cette ordonnance et le sursis à son exécution.

Pour annuler l'ordonnance attaquée (ce qui rend sans objet la demande de suspension), le Conseil d'État fait une importante distinction.

D'un côté, il est exact que les autorisations d'exploiter une installation de production d'électricité relevant l'article L. 311-5 du code de l'énergie et les autorisations environnementales lorsqu'elles tiennent lieu d'une telle autorisation (Cf. art. L. 181-3 du code de l'environnement) sont soumises au respect de l'objectif fixé par l'art. L. 100-4 précité du code de l'énergie.

D'un autre côté, en revanche, les autorisations environnementales qui ne tiennent pas lieu d'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité ne sont pas soumises au respect de cet objectif. 

Le juge des référés a commis une erreur de droit en jugeant de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'autorisation environnementale le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation de prise en compte des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre résultant de l'article L. 100-4 du code de l'énergie, alors que cette autorisation ne valait pas autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité au titre du code de l'énergie, laquelle avait été précédemment délivrée par un arrêté du 13 juin 2017.

L'annulation de l'ordonnance est prononcée.

(10 février 2022, Société EDF Production Électrique Insulaire, n° 445465 et n° 456314;  Ministre de la transition écologique, n° 455497 et n° 455500, jonction)

 

100 - Urbanisme opérationnel - Révision de la carte communale - Dossier de l'enquête publique - Dispense d'évaluation environnementale - Classement de parcelles en zone d'activités économiques - Rejet.

(16 février 2022, Association pour la sauvegarde et la salubrité de Faleyras Targon et environs (ASSFALTE), n° 437202)

V. n° 162

 

101 - Autorité environnementale et autorité chargée de l'examen au cas par cas - Respect des directives du 13 décembre 2011 et du 16 avril 2014 relatives aux évaluations environnementales de certains projets - Clarté et intelligibilité de la norme - Décisions de l'autorité compétente au cas par cas pour décider de recourir à une évaluation environnementale - Régularisation possible d'éléments procéduraux - Rejet.

La requérante demandait, en sus de la communication de certains documents et de la saisine préjudicielle de la CJUE sur deux questions, l'annulation du décret n° 2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l'autorité environnementale et à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas.

En bref, étaient en cause la distinction et son application concrète entre, d'une part, l'autorité chargée de l'examen au cas par cas de certains projets, qui est normalement le préfet de région, et d'autre part l'autorité environnementale.

Le Conseil d'État rejette le recours sans renvoi à la CJUE.

Les moyens de légalité externe ne nous retiendront pas.

Sur le fond, la requérante soulevait trois critiques.

En premier lieu, il était reproché au décret litigieux un manque de clarté et d'intelligibilité  tiré de ce que la distinction entre l'autorité en charge de l'examen au cas par cas et l'autorité environnementale chargée de rendre un avis sur un projet est floue et, surtout sur ce qu'une confusion naît  : 1°/ de ce que ces deux autorités peuvent intervenir sur un même projet, 2°/ de ce que l'autorité compétente pour l'examen au cas par cas est compétente pour décider si un projet doit être soumis à une évaluation environnementale, donc par l'autorité environnementale.

Il faut reconnaître que la critique n'est pas sans pertinence (pour une illustration, cf. dans la présente chronique, le n° 162). Le Conseil juge cependant qu'il n'y a pas, ici, méconnaissance du principe de clarté et d'intelligibilité de la norme dans la mesure où l'autorité chargée de l'examen au cas par cas est le plus souvent aisément identifiable et où les cas de conflits d'intérêts propre à cette autorité, lui imposant alors un transfert de l'examen, sont, eux aussi, facilement identifiables.

Reste que

« Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement

et les mots pour le dire arrivent aisément ». (N. Boileau)

et qu'ici, le défaut de maîtrise intellectuelle par les pouvoirs législatif et exécutif des réalités qu'ils sont censés régir, joint à la protection d'intérêts particuliers divers, aboutit à un édifice aux lignes absconses.

En deuxième lieu, le juge déduit tant des dispositions du droit de l'Union (directives du 27 juin 2001 et du 13 décembre 2011) telles qu'interprétées par la jurisprudence de la CJUE que de celles du droit interne (cf. art. R. 122-3 et R. 122-24-2 c. env.) que, contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, le décret attaqué ne méconnaît pas les objectifs de la directive de 2011 en prévoyant, dans de nombreux cas, que le préfet de région agit en qualité d'autorité chargée de l'examen au cas par cas afin de déterminer si un projet doit être soumis à évaluation environnementale, et alors même que ne seraient pas prévues de  dispositions excluant cette compétence lorsque celui-ci est par ailleurs compétent pour autoriser le projet concerné, sous réserve des situations de conflit d'intérêts, notamment s'il est chargé de l'élaboration du projet soumis à autorisation ou en assure la maîtrise d'ouvrage. On admirera ici davantage l’exercice d’acrobatie juridique que la légendaire clarté cartésienne du droit français.

Enfin, en troisième lieu, il est jugé que la faculté reconnue par le texte que puissent être régularisées les inexactitudes, les omissions ou les insuffisances d'une étude d'impact, comme il en va d'ailleurs pour les autres éléments de la procédure préalable aux autorisations administratives, est sans incidence sur la légalité du décret attaqué.

(16 février 2022, Association France nature environnement, n° 442607)

 

102 - Commissaires enquêteurs - Liste départementale d'aptitude - Établissement et présidence - QPC - Radiation de la liste - Constitutionnalité - Rejet.

Dans le cadre d'un appel contre un jugement rejetant sa demande, le requérant a saisi la cour administrative d'appel d'une QPC dirigée contre l'art. L. 123-4 du code de l'environnement, qu'elle a transmise au Conseil d'État.

Cette disposition est ainsi libellée : « Dans chaque département, une commission présidée par le président du tribunal administratif ou le conseiller qu'il délègue établit une liste d'aptitude des commissaires enquêteurs. Cette liste est rendue publique et fait l'objet d'au moins une révision annuelle. Peut être radié de cette liste tout commissaire enquêteur ayant manqué aux obligations définies à l'article L. 123-15 ».

Selon le requérant, la dernière phrase contreviendrait aux principes constitutionnels d'impartialité et d'indépendance (art. 16, Déclaration de 1789) comme à ceux de proportionnalité et d'invidualisation des peines (art. 8, Déclaration de 1789).

Les deux premiers griefs sont rejetés car, au contraire, la présidence de la commission par un magistrat constitue une garantie d'indépendance et d'impartialité ; quant à la composition de la commission, elle figure dans d’autres dispositions législatives et n'ouvre donc pas à une QPC. Par ailleurs, ces principes ne sont pas davantage mis en cause par la circonstance que ne serait pas instituée une séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement.

S'agissant des deux autres griefs, il ne saurait être soutenu, selon le juge, que la radiation de la liste des commissaires enquêteurs porterait atteinte aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines, étant, au contraire, fonction de la gravité du comportement, laquelle est appréciée individuellement par la commission et sous le contrôle du juge administratif.

(17 février 2022, M. F., n° 458542)

 

État-civil et nationalité

 

103 - Adjonction de nom – Nom porté par un ascendant au cinquième degré et des ascendantes au sixième degré - Intérêt légitime – Absence – Rejet.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui annule le refus du garde des sceaux d’autoriser une personne de changer son nom en celui d’Audirac-d'Aygalliers de la Rouvière dès lors que celui-ci a été porté par un ascendant du demandeur au cinquième degré et deux ascendantes au sixième degré, l’art. 61 du Code civil ne reconnaissant l’intérêt légitime d’une demande de changement de nom que pour éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré.

(24 février 2022, M. B., n° 448380)

 

Étrangers

 

104 - Ressortissant algérien - Certificat de résidence portant la mention « retraité » - Validité de dix ans - Renouvellement de plein droit - Condition de résidence hors de France - Rejet.

Rappelant qu'en vertu des stipulations de l'article 7 ter de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 le certificat de résidence portant la mention « retraité », valable dix ans, dont peuvent bénéficier les ressortissants algériens est renouvelé de plein droit à l'étranger, sous réserve que la résidence habituelle de l'intéressé se situe toujours hors de France et que chacun des séjours qu'il a effectués en France sous le couvert de ce titre n'a pas excédé une année, le  juge de cassation rejette le pourvoi du requérant contre l'ordonnance de référé le déboutant de sa demande tendant au renouvellement de ce titre de séjour sans qu’il doive établir sa résidence hors de France.

C'est en effet sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que n'étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision refusant le renouvellement du certificat de résidence « retraité » :

- d'une part  le moyen tiré de ce que ce certificat devait être renouvelé sans que puisse être opposée la condition de résidence hors de France,

- et, d'autre part, le moyen tiré de ce que le requérant, qui n'avait pas, pendant la durée de validité de son certificat, effectué de séjour excédant une année en France, n'y avait dès lors pas sa résidence habituelle et que la décision attaquée méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention EDH. 

(7 février 2022, M. D., n° 451318)

 

105 - Carte de résident - Demande de renouvellement - Obtention d'un récépissé provisoire - Recevabilité du référé tendant à la suspension du refus de renouveler le titre de séjour – Présomption d’urgence - Annulation.

Rappel de deux éléments importants en matière de renouvellement de titres de séjours délivrés aux étrangers.

En premier lieu,  la circonstance que le requérant a obtenu, à la suite d'une demande de titre de séjour, un récépissé provisoire ne prive pas d'objet sa demande de suspension du refus de renouveler son titre de séjour. 

En second lieu, commet une erreur de droit le juge du référé suspension qui, pour rejeter la demande de suspension du refus de renouveler le titre de séjour d'un ressortissant malien, motif pris de ce que le demandeur n'apportait aucune précision quant aux conséquences concrètes de la décision implicite de rejet de la demande de renouvellement de carte de séjour pluriannuelle dont il était titulaire, écarte irrégulièrement la présomption d'urgence attachée à un tel chef demande.

(18 février 2022, M. C., n° 457933)

 

106 - Ressortissant étranger mineur – Demande de protection internationale – Mineur non assisté de son représentant – Renvoi à l’OFPRA – Absence – Rejet.

Rappel de ce qu’en vertu des dispositions des art. L. 723-6, L. 733-5 et L. 741-3 di CESEDA, le mineur qui sollicite la protection internationale (demande d'asile et de reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, du bénéfice de la protection subsidiaire) doit être accompagné de son représentant notamment lors de l’entretien personnel. Il s’ensuit que lorsque l’entretien s’est déroulé en l’absence de ce représentant, pour des raisons qui ne peuvent pas être imputées à ce mineur, l’OFPRA ne peut rejeter sa demande qu’après avoir invité le représentant (ici le département de la Somme auquel a été confiée la tutelle sur le mineur par jugement du TGI d’Amiens) à assister le mineur.

Saisie d’un moyen en ce sens, la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est tenue – contrairement à ce que soutient l’OFPRA en l’espèce - de renvoyer à l’OFPRA l’examen de cette demande. Il n’en irait autrement que dans le cas où la CNDA serait en mesure de prendre immédiatement une décision accordant la demande de protection sollicitée.

Par ailleurs, la circonstance que l’intéressé est devenu majeur durant le cours de l’instance est sans effet sur l’irrégularité résultant du défaut d’accompagnement d’un individu qui était mineur au moment où cette irrégularité a été commise.

(24 février 2022, OFPRA, n° 449012)

(107) V. aussi, à propos du régime de l’entretien devant l’OFPRA, les précisions apportées sur l’office des juges de la CNDA dans le cas où l’entretien n’a pas donné lieu à un enregistrement sonore ou si l’enregistrement n’a pas été possible et que le demandeur n'a pas eu la possibilité de formuler des observations sur la transcription à l'issue de l'entretien : 24 février 2022, OFPRA, n° 453615.

(108) V. encore, jugeant, dans le cas où l’OFPRA doit être considéré comme s’étant dispensé de l’entretien personnel imposé par la loi et où le demandeur n’a pas reçu la convocation à cet entretien du fait d’un dysfonctionnement des services postaux et n’a donc pas pu s’y présenter, que c’est sans erreur de droit que la CNDA a annulé le refus d’octroi de l’asile par l’OFPRA et renvoyé devant lui l’examen de la demande d’asile dont il demeure saisi par l’effet de cette annulation : 24 février 2022, OFPRA, n° 453267 ; également : 24 février 2022, M. M., n° 453267.

 

109 - Demande d’octroi du statut de réfugié – Refus – Nouvelle demande en ce sens – Demande constituant une demande de réexamen même en cas de retour de l’étranger entre-temps dans son pays d’origine – Annulation.

Une demande tendant à l'octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire présentée par une personne après une première demande qui a fait l'objet d'une décision définitive de refus de l'OFPRA ou après qu'il a été mis fin, par une décision définitive, à la protection internationale que l'OFPRA lui avait antérieurement accordée, constitue non une nouvelle demande mais une demande de réexamen au sens des dispositions du CESEDA, alors même que l'intéressé est entre-temps rentré dans son pays d'origine.

Est donc prononcée l’annulation du jugement de la CNDA en sens contraire.

(24 février 2022, OFPRA, n° 453619)

 

110 - Avis de droit - Étudiants étrangers voulant séjourner en France – Étudiants non ressortissants de l’Union européenne – Régime applicable au regard des dispositions du CESEDA (art. R. 431-16 et L. 313-7) et de celles du droit de l’Union (directive du 11 mai 2016) – Étendue du contrôle du juge sur la réalité du motif du séjour pour études.

Sur le fondement de la procédure d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA), le Conseil d’État était saisi de trois importantes questions relatives au régime juridique applicable depuis le 1er mai 2021 au séjour en France – en qualité d’étudiants -, des personnes non ressortissantes de l’Union européenne.

Tout d’abord, le Conseil d’État dit pour droit que s'il est possible, pour le ressortissant d'un pays tiers, d'être admis en France et d'y séjourner pour y effectuer des études sur le fondement d'un visa de long séjour dans les mêmes conditions que le titulaire d'une carte de séjour (cf. art. L. 312-2 et L. 411-1 du CESEDA), en revanche, les dispositions relatives aux conditions de délivrance d'une carte de séjour portant la mention « étudiant » d'une durée inférieure ou égale à un an, telles que précisées par les articles L. 422-1 et suivants de ce code et les dispositions règlementaires prises pour leur application, ne sont pas pour autant applicables aux demandes présentées pour l'octroi d'un tel visa. 

Ensuite, s’agissant de la procédure de demande de délivrance de visa auprès des postes diplomatiques français à l’étranger, il est répondu qu’en l'absence de dispositions spécifiques figurant dans le CESEDA, une telle demande est notamment soumise aux instructions générales établies par le ministre chargé de l'immigration prévues par le décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions des chefs de mission diplomatique et des chefs de poste consulaire en matière de visas, en particulier son article 3, pris sur le fondement de l'article L. 311-1 de ce code. L'instruction applicable est, s'agissant des demandes de visas de long séjour en qualité d'étudiant mentionnés à l'article L. 312-2 du CESEDA, l'instruction ministérielle du 4 juillet 2019 relative aux demandes de visas de long séjour pour études dans le cadre de la directive (UE) 2016/801, cette instruction participant de la transposition de cette même directive.

Enfin, sur le point de savoir quel est le contrôle du juge sur la cohérence et le sérieux des études envisagées, dont le défaut peut révéler un détournement de la procédure de visa étudiant aux fins de mener un projet d'installation en France d'une autre nature, il est répondu que ce contrôle appartient à l’autorité administrative sous le contrôle, par le juge de l’excès de pouvoir, de la seule erreur manifeste d’appréciation.

(24 février 2022, M. A., n° 457798)

 

111 - Extradition – Inexécution du décret d’extradition pendant la procédure devant le Conseil d’État – Invocation de l’urgence – Rejet.

L’étranger qui entend contester le décret d’extradition le remettant aux autorités de l’État réclamant ne saurait saisir le juge du référé suspension, la condition d’urgence faisant toujours défaut en ce cas car le décret d’extradition n’est pas exécuté tant que le Conseil d’État n’a pas statué sur le recours dirigé contre ce décret.

(ord. réf. 24 février 2022, M. A., n° 461401)

 

Fonction publique et agents publics

 

112 - Brigadier-chef de police - Condamnation pénale - Impossibilité de reclassement dans un emploi afférent à son grade - Compétence liée - Radiation des cadres - Annulation.

Un brigadier-chef de police, condamné, pour actes de vol aggravé par effraction en réunion dans un local d'habitation, à une peine d'emprisonnement avec sursis assortie d'une peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer les fonctions de policier national par un arrêt devenu définitif, est radié des cadres par arrêté du ministre de l'intérieur.

Il a demandé et obtenu en référé la suspension de cette décision.

Le ministre se pourvoit.

Le Conseil d'État rappelle que dans le cas où l'agent public est condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, la fonction publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation.

Il suit de là qu'elle est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade, sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. En ce cas, l'autorité compétente est en situation de compétence liée.

C'est donc au prix d'une erreur de droit que le juge des référés du tribunal administratif a estimé, pour ordonner la suspension de la décision litigieuse, que le ministre de l'intérieur s'est estimé en compétence liée pour procéder à cette radiation sans rechercher les possibilités de reclasser l'agent dans un autre emploi, y compris par voie de détachement, ou de le suspendre en application de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983, sur les droits et obligations des fonctionnaires, en vue de l'engagement d'une procédure disciplinaire de révocation.

(ord. réf. 3 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 453159 et n° 453161)

 

113 - Sapeur-pompier professionnel – Autorisation de poursuite d'activité au-delà de l'âge de la retraite - Autorisation estimée illégale - Retrait - Retrait au-delà de quatre mois - Irrégularité - Prétendue inexistence - Rejet - Suspension ordonnée - Annulation partielle.

(3 février 2022, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de La Réunion, n° 442354)

V. n° 2

 

 

114 - Avis de droit - Fonction publique territoriale - Agent public non titulaire - Licenciement anticipé - Obligation de respecter un préavis sauf motif disciplinaire - Non respect du préavis se résolvant en une indemnisation.

Répondant à une question en ce sens, le Conseil d'État émet l'avis que l'agent non titulaire de la fonction publique territoriale recruté pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée ne peut être légalement licencié avant le terme de son contrat par l'autorité territoriale compétente qu'après un préavis, sauf si le licenciement est prononcé pour des motifs disciplinaires ou au cours ou à l'expiration d'une période d'essai. 

Toutefois, si le préavis n'a pas été respecté, la décision de licenciement n'encourt pas annulation totale, elle est seulement illégale en raison de son effet avant l'expiration du délai de préavis applicable, ce qui ouvre droit à l'agent à une indemnisation du préjudice résultant du non-respect du préavis.

On doit considérer, eu égard aux termes de la question qui l'invoque expressément, et compte tenu de la généralité de la réponse qui lui est donnée, que cet avis annonce l'abandon définitif de la solution contenue dans la décision du 14 mai 2007, Philémon Caussade, n° 273244.

(4 février 2022, Commune de Noisy-le-Grand, n° 457135)

 

115 - Logement par nécessité de service - Sous-officier de la gendarmerie nationale - Imputation de frais de chauffage collectif au gaz - Obligation d'individualiser les frais de chauffage collectif (art. L. 241-9 code de l'énergie) - Rejet.

Le ministre de l'intérieur se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif rejetant son appel contre le jugement annulant sa décision rejetant le recours gracieux d'un sous-officier de gendarmerie qui, logé par nécessité absolue de service, contestait le mode de calcul de sa quote-part de chauffage du chef de ce logement.

L'immeuble en cause bénéficiant d'un chauffage collectif au gaz, l'agent s'est vu notifier un avis de régularisation des charges d'occupation de son logement dans lequel les frais de chauffage étaient calculés au prorata de la surface habitable du logement occupé par l'intéressé et du nombre de jours de présence. Ce dernier a contesté cette manière de calculer ces frais en excipant des dispositions de l'art. L. 241-9 du code de l'énergie selon lesquelles :

« Tout immeuble collectif pourvu d'un chauffage commun doit comporter, quand la technique le permet, une installation permettant de déterminer la quantité de chaleur et d'eau chaude fournie à chaque local occupé à titre privatif.

Nonobstant toute disposition, convention ou usage contraires, les frais de chauffage et de fourniture d'eau chaude mis à la charge des occupants comprennent, en plus des frais fixes, le coût des quantités de chaleur calculées comme il est dit ci-dessus (...) ».

Les juges du fond ont donné raison au demandeur et sont confirmés par le Conseil d'État qui rejette le pourvoi en relevant qu'aucun texte ne dispense les casernements et leurs locaux annexes à fin de logement de l'obligation instituée par l'article précité.

(8 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 444780)

 

116 - Fonction publique de l'État - Enseignants des premier et second degrés - Mobilité - Décisions individuelles défavorables - Possibilité de recours administratif - Lignes directrices prévoyant l'assistance d'un représentant désigné par une organisation syndicale représentative - Illégalité - Suspension.

Le syndicat requérant se plaignait de ce que des lignes directrices du ministre de l'éducation rendues en matière de mobilité prévoient qu'en cas de mesures individuelles défavorables prises en cette matière les agents « peuvent choisir un représentant désigné par une organisation syndicale représentative de leur choix pour les assister.

L'organisation doit être représentative :

au niveau du comité technique ministériel de l'éducation nationale (...) pour une décision de mutation relevant de la compétence du ministre ;

au niveau du comité technique ministériel de l'éducation nationale ou du comité technique académique pour une décision de mutation relevant de la compétence des recteurs d'académie (...).

L'administration s'assurera que le fonctionnaire a choisi un représentant désigné par une organisation syndicale représentative et que celui-ci a bien été désigné par l'organisation syndicale représentative ».  Ce syndicat estimait que la limitation du droit de choisir un représentant parmi les seules organisations syndicales représentatives était illégale, contrevenant aux dispositions de l'art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 relative à la fonction publique de l'État.

Le juge des référés fait une distinction, peu convaincante, au sein de cet extrait des lignes directrices, entre la première partie du texte et la dernière.

La première partie n'est pas illégale car « Le caractère représentatif ou non d'un syndicat ne détermine pas la capacité du conseiller qu'il a désigné à assurer l'assistance d'un fonctionnaire dans l'exercice d'un recours administratif. » Ainsi, les dispositions de ce texte ne font pas obstacle à ce que le fonctionnaire désigne, pour l'exercice du recours contre une décision défavorable prise au titre de la mobilité, un représentant d'un syndicat non représentatif. De ce chef, il n'y a pas lieu à ordonner la suspension.

En revanche, au point 6 de son ordonnance, examinant la dernière partie de ce texte, qui confère à l'administration le pouvoir de contrôler que le représentant désigné appartient bien à un syndicat représentatif, le juge des référés décide qu'elle est illégale et que son exécution est, en conséquence, suspendue.

Il nous aurait paru plus simple de dire l'ensemble de ce texte illégal car il est peu plausible que sa première partie, dans l'intention de son auteur, sensible à des groupes de pression, ait voulu ce que le juge en déduit.

Ceci donne d'ailleurs lieu à une rédaction complexe de l'art. 1er de l'ordonnance  ainsi qu’on le vérifie ci-dessous :

« Article 1er : Compte tenu de l'interprétation, figurant au point 6, à laquelle il convient de procéder s'agissant des dispositions des lignes directrices émises par ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports le 25 octobre 2021 selon lesquelles les agents peuvent choisir un représentant désigné par une organisation syndicale représentative de leur choix pour les assister dans l'exercice d'un recours administratif contre une décision de mutation, seule l'exécution de la disposition qui prévoit que l'administration s'assure que le fonctionnaire a choisi un représentant désigné par une organisation syndicale représentative et que celui-ci a bien été désigné par l'organisation syndicale représentative, ensemble la décision implicite de rejet de la demande d'annulation présentée à ce titre le 9 novembre 2021, est suspendue. »

(ord. réf. 10 février 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie, n° 460761)

 

117 - Fonctionnaire territorial - Agent nommé sur un emploi unique - Annulation de la décision l'évinçant de cet emploi - Obligation de réintégration sur cet emploi, le cas échéant après retrait rétroactif de la désignation du successeur nommé - Possibilité d'une nouvelle décision d'éviction - Rejet.

Lorsque le juge administratif annule une décision ayant évincé un agent occupant un emploi unique - ainsi, en l'espèce, celui de directeur de l'agence du tourisme de la Corse -, l'intéressé bénéficie, en exécution de cette annulation, d'un droit à réintégration dans l'emploi unique dont il a été écarté. Si un autre agent a été nommé entre-temps pour le remplacer, il incombe à la collectivité concernée de retirer rétroactivement la nomination du successeur.

En revanche, il est possible à la collectivité employeur, après réintégration de l'agent, de mettre fin à ses fonctions par une nouvelle décision sans effet rétroactif, cette nouvelle décision fait alors obstacle à la réintégration dans les fonctions ressortissant de cet emploi unique.

C'est donc en vain que le successeur de l'agent irrégulièrement évincé critique l'arrêt d'appel qui l'a débouté de sa demande d'annulation du retrait rétroactif de sa propre nomination.

(14 février 2022, M. D. c/ collectivité de Corse, n° 431760)

 

118 - Rente viagère d'invalidité - Détermination du taux d'invalidité imputable à une infirmité - Accord sur un taux des experts consultés - Médecin se dédisant - Taux retenu conforme à celui préconisé originairement par ce dernier - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

La requérante, fonctionnaire territorial, a fait l'objet d'une constatation d'inaptitude absolue et définitive à exercer toutes fonctions à raison de diverses infirmités imputables au service. Mise à la retraite pour invalidité, elle a demandé que le taux de l'une des composantes de sa pension de retraire, la rente viagère d'invalidité, soit porté de 5% à 20%.

Pour rejeter sa demande alors que l'ensemble des avis rendus par les experts consultés, qui ont été soumis à la commission départementale de réforme, s'accordent sur le fait que la névrose à composante dépressive dont est atteinte la requérante, est intégralement imputable au service et entraine un taux d'invalidité de 20 %, le tribunal administratif a retenu le taux de 5%. Il s'est fondé pour cela sur ce que l'un des médecins qui avait proposé un taux de 20% dans son avis du 4 mars 2014 s'est dédit et, par un nouvel avis, du 20 mai 2016, a ramené sa proposition à 5%.

Le jugement est annulé pour dénaturation des pièces du dossier. Si l'on admet la solution au fond, il paraît cependant excessif d'apercevoir dans le jugement une dénaturation : une erreur sur l'exactitude matérielle des faits voire, à la limite, une erreur de droit ,nous aurait semblé une qualification plus exacte.

(17 février 2022, Mme D., n° 436733)

 

119 - Fonctionnaire de l'État – Calcul des droits à pension de retraite – Prise en compte du temps d’emploi dans une catégorie « active » - Fonctions exercées en détachement – Exercice effectif dans un emploi « actif » - Obligation de prise en compte – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L’art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite prévoit la possibilité d’une liquidation anticipée de la pension de retraite en cas d'accomplissement de quinze années de services dans des emplois classés dans la catégorie « active », ceci afin de tenir compte du risque particulier ou des fatigues exceptionnelles que présentent certains emplois.

La requérante, qui était alors agent de l'Office national interprofessionnel des céréales, a été admise au concours de recrutement des instituteurs le 25 octobre 1990. Elle a été détachée par arrêté du ministre de l'agriculture à partir de cette date et jusqu'au 1er septembre 1993, période de sa formation en tant qu'élève-institutrice, auprès du ministère de l'éducation nationale. Elle a ensuite été titularisée dans le corps des instituteurs le 1er septembre 1993. En 2007, elle a réussi le concours de professeur des écoles et a intégré ce corps.

Elle a alors demandé que soit prise en compte pour sa carrière, dans la catégorie « active », la date du 25 octobre 1990 qui est celle du début de son détachement en qualité d’élève-institutrice, et non celle du 1er septembre 1993, date de sa titularisation dans le corps.

Cela lui ayant été refusé, elle a saisi le juge administratif d’une demande d’annulation et d’une demande indemnitaire qui ont été rejetées en première instance.

Elle se pourvoit en cassation.

Son pourvoi est rejeté sur la question de l’indemnisation car, comme l’a relevé le tribunal administratif, elle n’avait pas formulé de demande préalable à l’administration ce qui a empêché la liaison du contentieux.

En revanche, le Conseil d’État donne raison sur la question de la légalité de la décision contestée.

En effet, sa demande de prise en compte de la date du 25 octobre 1990 comme point de départ du calcul de la durée des « services actifs » a été rejetée parce que l’emploi qu’elle occupait dans son corps d’origine, au moment de son détachement, ne relevait pas de la catégorie « active » et ne correspondait pas à des fonctions de même nature, alors même que les deux années accomplies en qualité d'élève institutrice comportaient l'exercice effectif de fonctions relevant de la catégorie « active ».

Cassant l’erreur de droit ainsi commise, le juge énonce que « les services accomplis par un fonctionnaire en détachement dans un emploi classé dans la catégorie active qui exerce effectivement des fonctions correspondant à cet emploi doivent être pris en compte au titre de cet article, quelles que soient les fonctions qu'il exerçait ou qu'il avait vocation à exercer dans son corps d'origine. ».

En raison d’une lecture particulièrement large de l’art. 24 précité la solution nous semble valoir aussi bien dans le cas où le détachement est suivi d’une titularisation que dans le cas où il n’est pas suivi d’une titularisation.

(23 février 2022, Mme E., n° 445290)

 

Libertés fondamentales

 

120 - Covid-19 - Avocats et auxiliaires de justice - Incidences pour l'exercice de leur profession de l'obligation de statut vaccinal - Professions ne bénéficiant pas de l'exception d'urgence - Rejet.

Bien que ne comportant pas des demandes strictement identiques, les deux requêtes sont jointes car toutes deux sont fondées sur l'art. L. 521-2 CJA, dirigées contre le décret du 22 janvier 2022 et justifiées par l'exercice de la profession d'avocat ou d'auxiliaire de justice avec des moyens très semblables.

En bref, est contesté le fait que l'exercice de ces professions ne figure pas parmi les exceptions à l'obligation de passe vaccinal fondées sur l'exception d'urgence celles-ci ne concernant qu'un motif impérieux d'ordre familial ou de santé.

Tout d'abord est rejetée la demande de transmission de QPC motif pris de ce que le Conseil constitutionnel, dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, a déclaré les dispositions en cause conformes à la Constitution et de ce qu’aucun changement de circonstances n'est survenu depuis cette décision qui justifierait une nouvelle saisine.

Il ajoute, ce qui peut se discuter qu'il en est ainsi « alors même que le Conseil constitutionnel ne s'est pas expressément prononcé sur le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable, dont il n'était pas saisi ». Cette dernière observation n'est-elle pas un fait nouveau ou une question nouvelle ?

Ensuite, est rejeté le moyen que les dispositions contestées font obstacle à l'exercice de leurs fonctions par les auxiliaires de justice non vaccinés et qu'elles empêchent tout citoyen non vacciné de se rendre à une convocation d'une autorité judiciaire ou administrative, ou à un rendez-vous chez un auxiliaire de justice.

Le rejet repose sur une pirouette : après avoir relevé que l'urgence ne peut être reconnue comme « faisant obstacle à l'obtention d'un justificatif de statut vaccinal » que lorsque la convocation ou le rendez-vous en cause a été fixé à un délai inférieur à celui nécessaire pour l'obtention d'un schéma vaccinal complet, le juge ajoute, ce qui est une vision irénique mais non vraisemblable des choses, « Il résulte des éléments produits postérieurement à l'audience que la Haute autorité de santé estime ce délai à 3 ou 4 semaines pour les vaccins à ARN messager. La personne qui dispose d'un délai supérieur pour se rendre à la convocation ou au rendez-vous en cause ne peut ainsi se prévaloir de cette exception d'urgence, dès lors qu'elle dispose du temps nécessaire, soit pour réaliser un schéma vaccinal complet, soit pour organiser son déplacement selon d'autres modalités ».  Est-ce à dire qu'en cas de délai d'une durée inférieure, les auxiliaires de justice doivent bénéficier de l'exception d'urgence ?

Il eût été plus simple et plus sain d'exciper de l'importance subsistante de la circulation du virus pour dire justifié le refus d'étendre l'exception d'urgence.

(ord. réf. 10 février 2022, Mme D., n° 460801 ;  M. C., n° 46101, jonction)

 

121 - Droit d’asile – Octroi de conditions d’accueil matérielles décentes (allocation pour demandeur d’asile) - Privation des mesures prévues par la loi en cas de refus d’accorder l’asile – Atteinte à une liberté fondamentale – Condition d’exercice des pouvoirs dévolus au juge par l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

Une ressortissante mauritanienne à qui l’asile a été définitivement refusé, sollicite pour son fils, né en mars 2021, l’octroi de l’asile ainsi que, en tant que de besoin, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil d’asile.

Elle conteste devant le Conseil d’État le rejet en première instance de sa requête en référé liberté. L’appel est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle les principes régissant le contentieux du refus d’octroi de la protection asilaire.

On sait que les demandeurs d’asile ont droit, pendant le temps d’instruction de leur demande, à une garantie d’octroi sous la forme de l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA).

Il est ici tout d’abord jugé – et rappelé – que la privation des conditions matérielles d'accueil décentes, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la demande d’asile, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile.

Ensuite, le juge du référé liberté ne peut faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du CJA en adressant une injonction à l'administration que dans le respect d’une double condition relative au comportement de l’administration :

1°/ une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile ;

2°/ des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation familiale.

Enfin, à supposer ces deux conditions réunies, les mesures que peut ordonner le juge des référés doivent s'apprécier au regard de la situation du demandeur d'asile et en tenant compte des moyens dont dispose l'administration ainsi que des diligences qu'elle a déjà accomplies.

En l’espèce, le premier juge n’a pas commis d’erreur de droit ou dans la qualification des faits en estimant n’y avoir en l’espèce une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 23 février 2022, Mme B., n° 461469)

 

Police

 

122 - Police sanitaire - Covid-19 - Autorisation limitée de la pratique de la danse - Rejet.

La requérante contestait la légalité des dispositions du 6° de l'article 35 du décret du 29 octobre 2020 relatif à l'épidémie de Covid 19 qui n'autorisent la pratique de la danse que dans certains établissements et pour certains publics. En particulier, elle relevait la différence de traitement  entre l'autorisation de cours de danse durant le temps d'éducation physique et sportive obligatoire dans les enceintes scolaires  et la prohibition de cette discipline dans les établissements recevant du public de type R d'enseignement artistique.

Il lui est répondu, au soutien du rejet de la requête, que la différence de traitement ainsi imposée par le premier ministre correspond « à une différence de situation tenant en particulier au lieu et au cadre d'exercice de l'activité comme aux garanties sanitaires susceptibles d'être mises en œuvre et contrôlées qui est en rapport avec l'objet de la mesure destinée à garantir la santé publique en limitant la propagation de l'épidémie de Covid 19 ». La motivation est en trompe-l'oeil : en quoi est-il démontré qu'il ne serait pas possible de s'assurer que s'agissant des lieux, des garanties sanitaires et des contrôles, ces derniers établissements satisfont aux exigences ?

Surtout, la démonstration, à l'inverse, que les établissements scolaires y satisfont par présomption, n'est guère faite ici.

(3 février 2022, Mme A., n° 447400)

 

123 - Police de la circulation - Infraction routière - Contestation - Régime de la consignation - Rejet.

Le propriétaire d'un véhicule s'est vu retirer quatre points de son capital de points pour infraction routière. Arguant de ce qu'il était bien le détenteur de la carte grise mais pas le conducteur du véhicule, il a formé devant l'officier du ministère public une requête en exonération de l'amende forfaitaire afférente à l'infraction relevée et a cependant acquitté quelques jours après le montant de l'amende forfaitaire minorée de 90 euros, comme il l'avait indiqué dans la lettre accompagnant sa requête.

Il a précisé, dans un courrier, procéder à ce règlement en qualité de titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule en infraction sans reconnaître en être le conducteur, et a affirmé avoir, par son versement de 90 euros, non pas payé l'amende mais la consignation du montant de l'amende forfaitaire imposée par l'article 529-10 du code de procédure pénale préalablement à la requête en exonération.

Le Conseil d'État, annulant la décision des premiers juges, décide que cette circonstance ne suffit pas à établir que le demandeur aurait procédé à la consignation du montant de l'amende d'autant que cette consignation ne pouvait être limitée au montant de l'amende forfaitaire minorée. Par suite, la réalité de l'infraction doit être regardée comme établie dans les conditions prévues à l'article L. 223-1 du code de la route.

C'est donc à tort que l’intéressé a demandé le rétablissement des points retirés.

(3 février 2022, Ministre de l'intérieur, n° 453319)

 

124 - Covid-19 - Urgence sanitaire - Interdiction de recevoir du public - Terrains de campage et de caravanage - Rejet.

Est rejeté le recours dirigé contre le décret du 20 mai 2020 complétant le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'il interdit aux terrains de campage et de caravanage de recevoir du public.

Il n'y a pas d'inégalité de traitement du fait que les hôtels et hébergements similaires peuvent recevoir du public, à l'exclusion des villages vacances, maisons familiales et auberges collectives. En effet, cette possibilité d'ouverture avait pour but de permettre la poursuite des activités professionnelles qui nécessitent des déplacements et ainsi la possibilité d'un hébergement sur place. Au regard de la nécessité de garantir la continuité de la vie de la Nation, les hôtels et hébergements similaires se trouvaient ainsi, par rapport à l'objet de la mesure, dans une situation différente de celle des campages qui ont une visée principalement touristique.

Encore une décision qui ne convaincra que les convaincus...

(17 février 2022, Société De Camp, n° 44082

 

125 - Police des manifestations sur la voie publique - Liberté d'expression et de communication - Cortège de véhicules convergeant vers Paris puis Bruxelles dit « Convoi de la liberté » - Manifestation non déclarée - Interdiction - Rejet.

Diverses organisations, en vue de protester contre un certain nombre de choses et d'obtenir certains résultats, ont prévu, sur le modèle retenu au Canada en vue du blocage de sa capitale, une manifestation de véhicules dite « convoi de la liberté » devant converger vers Paris puis vers Bruxelles. Cette manifestation, qui n'a pas été déclarée, contrairement aux dispositions du code de la sécurité intérieure régissant les manifestations sur la voie publique, a été interdite par arrêté du préfet de police de Paris.

De cet arrêté le requérant a demandé la suspension au moyen d'un référé liberté, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.

L'appel interjeté contre ce rejet est, à son tour, rejeté par le Conseil d'État, d'une part en raison de l'irrégularité rappelée plus haut et qui n'est pas corrigée par la déclaration préalable effectuée par le requérant au titre du groupe « Convoy France via Toulouse », faite seulement le 10 février à 13 heures 43, peu avant la saisine du juge des référés du tribunal administratif, d'autre part en raison de risques de troubles graves à l'ordre public susceptibles de survenir du fait de la volonté de blocage des voies et lieux symboliques de Paris, comme il s'en est produit au Canada.

Il s'ensuit qu'en dépit du caractère de libertés fondamentales, au sens de l'art. L. 521-2 CJA, de certaines des libertés invoquées par le requérant, la mesure critiquée ne porte pas à celles-ci une atteinte grave et manifestement illégale.

(ord. réf. 12 février 2022, M. C., n° 461417)

 

Professions réglementées

 

126 - Mandataires judiciaires à la protection des mineurs - Arrêté du 7 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales - Définition de référentiels susceptibles d'effets sur la profession - Explications intervenues à l'audience - Rejet dans cette mesure.

Les requérants se plaignaient de ce que l'arrêté du 7 décembre 2021 modifiant l'arrêté du 2 janvier 2009 relatif à la formation complémentaire préparant aux certificats nationaux de compétence de mandataire judiciaire à la protection des majeurs et de délégué aux prestations familiales définit des référentiels susceptibles de fonder les contrôles des services de l'État dont les mandataires judiciaires à la protection des majeurs font l'objet au titre de leur activité, et leur impose ainsi de nouvelles obligations, sans fondement textuel, et ce en partie en contradiction avec les obligations qui leur incombent.

Le juge des référés observe que les termes de l'arrêté litigieux « sont certes de nature à créer une ambiguïté que l'on ne peut que regretter, d'autant que dans une ordonnance n° 448698 du 12 février 2021, le juge des référés du Conseil d'État a déjà eu l'occasion de statuer sur une requête introduite par les représentants de la profession contre un guide ministériel relatif à leur activité en relevant des maladresses de formulation sur sa portée. Néanmoins, les échanges intervenus au cours de l'audience sur la présente demande ont confirmé que l'administration n'entendait pas donner à ces référentiels de portée autre que celle qui leur revient, ce à quoi il lui incombera de veiller strictement. »

C'est sous le bénéfice de la présomption d’une application effective de cet engagement que le référé est rejeté.

(ord. réf. 7 février 2022, Fédération nationale des mandataires judiciaires indépendants à la protection des majeurs et autres, n° 460373)

 

127 - Médecin - Sanction disciplinaire pour recours à des procédés de publicité - Moyen d'illégalité sérieux - Conséquences difficilement réparables - Sursis à l'exécution du jugement ordinal.

Pour ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision disciplinaire interdisant à un médecin, pour six mois, dont trois avec sursis, l'exercice de sa profession, le juge de cassation retient deux éléments.

En premier lieu, est admise l'existence de conséquences difficilement réparables même si, alors que l'intéressé exerce en France et au Royaume-Uni, ces conséquences ne concernent que la part française de ses activités.

En second lieu, il est relevé que le motif de la sanction (usage de procédés directs ou indirects de publicité) est tiré des dispositions de l'art. R. 4127-19 du code de la santé publique lesquelles sont incompatibles avec le droit de l'Union, est entaché d'erreur de droit.

(2 février 2022, M. A., n° 459264)

(128) V. aussi, rappelant que le Conseil d'État ne peut être saisi d'une décision juridictionnelle d'un conseil national d'ordre professionnel (ici l'ordre des médecins) que par voie de pourvoi en cassation, éventuellement assorti d'une demande qu'il soit sursis à l'exécution de la décision juridictiuonnelle contestée, mais non par la voie d'un référé suspension de l'art. L. 521-1 CJA : ord. réf. 2 février 2022, M. D., n° 460827.

 

129 - Conventions conclues entre professionnels de santé et caisses de sécurité sociale - Procédure de déconventionnement en urgence d'un professionnel de santé - Suspension temporaire d'une convention - Incertitude sur la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » - Rejet.

 (11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V. au n° 146

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

130 - Juge du référé-liberté - Soumission d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) - Absence d'urgence - Refus de transmission au Conseil d'État - Absence de moyen sérieux en cassation - Inopérance des griefs d'inconstitutionnalité - Rejet.

Le demandeur avait saisi le juge du référé liberté d'une QPC mais ce dernier, constatant l'absence d'urgence a décidé de ne pas la transmettre au Conseil d'État.

Il se pourvoit contre l'ordonnance de rejet, en vain.

Constatant qu'au soutien de son pourvoi le demandeur ne développe aucun moyen sérieux de cassation de nature à justifier l'admission du pourvoi, ceci a pour effet de rendre inopérants les griefs d'inconstitutionnalité et entraîne le rejet de la demande d'annulation du refus de transmission.

(ord. réf. 1er février 2022, M. C., n° 457121)

 

131 - Opposition au contrôle des agents de l'administration fiscale - Sanctions susceptibles d'être infligées - Article 1732 du CGI - Atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis - Question présentant un caractère sérieux - Transmission de la question ordonnée.

En cas d'opposition à un contrôle exercé par des agents de l'administration fiscale, l'art. 1732 du CGI prévoit l'infliction d'une amende fiscale de 100%, d'une amende correctionnelle de 25 000 euros et six mois d'emprisonnement en cas de récidive.

Le requérant soutenait la méconnaissance par ce lourd arsenal répressif du principe de nécessité et de celui de proportionnalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil d'État y aperçoit une question de caractère sérieux justifiant sa transmission.

(8 février 2022, M. F., n° 458277)

 

132 - QPC soulevée devant le juge administratif des référés - Rejet en première instance pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence - Non transmission de la question au Conseil d'État - Pourvoi contre l'ordonnance rendue pour l'un de ces motifs - Pouvoirs du Conseil d'État - Rejet.

Ainsi qu'il l'a déjà jugé le Conseil d'État rappelle  en premier lieu que le juge administratif des référés de première instance, saisi sur le fondement des art. L. 521-1, L. 521-2 ou L. 522-3 du CJA peut rejeter la demande de transmission d'une QPC soulevée devant lui pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence et décider, par suite, de ne pas transmettre cette question au Conseil d'État.

En second lieu, il rappelle également que, saisi d'un pourvoi dirigé contre l'ordonnance de référé rejetant la demande de transmission de la QPC, sur le fondement des articles L. 521-1 ou L. 522-3 du code de justice administrative, pour l'un des trois motifs susrappelés, le Conseil d'État peut, si une QPC est alors soulevée pour la première fois devant lui, rejeter le pourvoi qui lui est soumis et décider de ne pas transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

Toutefois, pour respecter les prescriptions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, sa décision  jugeant que l'ordonnance attaquée a pu, régulièrement et à bon droit, opposer, selon le cas, l'incompétence de la juridiction administrative, l'irrecevabilité de la demande ou le défaut d'urgence, doit elle-même être rendue dans le délai de trois mois prévu par cette disposition. 

(11 février 2022, Mme D., n° 458613)

 

133 - Bio-déchets – Tri et recyclage – Autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologiques – Subordination à l’instauration au niveau local de la généralisation du tri à la source des bio-déchets – Question de caractère sérieux – Transmission de la QPC.

Est transmise au Conseil constitutionnel en raison de son caractère sérieux la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l'article 72 de la Constitution que réalise l’art. L. 541-1 du code de l’environnement en ce qu’il subordonne l'autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologiques, de l'augmentation de capacités d'installations existantes ou de leur modification notable « au respect, par les collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale, de la généralisation du tri à la source des biodéchets » et en ce que cette disposition ne se borne pas à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de l'article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets.

(24 février 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage, Association pour la méthanisation des déchets et Association Amorce, n° 456190, n° 456272 et n° 456432)

 

134 - Communication des documents préparatoires – Absence de droit à leur communication pendant l’élaboration de la décision qui fait suite à ces documents (art. L. 311-2 CRPA) – Non-contrariété à un droit ou à une liberté que garantit la Constitution - Refus de transmission d’une QPC à cette fin.

(24 février 2022, Société « Le Parisien libéré » et Mme B., n° 459086)

V. n° 7

 

135 - Interdiction de l’usage du plastique pour le conditionnement des fruits et légumes frais – Invocation de la Charte de l’environnement au soutien d’une QPC – Caractère néfaste pour la santé des emballages de substitution au plastique – Rejet de la demande de transmission.

A l’appui d’un recours tendant à l'annulation du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le syndicat requérant a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité tirée de ce que le 16ème alinéa du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement dont le décret attaqué fait application, porte atteinte à divers droits et libertés que la Constitution garantit.

Le Conseil d’État rejette tous les moyens développés à l’appui de la demande de transmission de la QPC.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, l'obligation instaurée par le législateur à compter du 1er janvier 2022 ne méconnaît ni le préambule de la Charte de l'environnement ainsi que ses articles 1er, 2, 5 et 6, ni l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement. D’abord, le Préambule et les art. 5 et 6 de la Charte ne concernent pas des droits et libertés susceptibles d’être au fondement d’une QPC. Ensuite, les art. 1er et 2 de ce texte ne sont pas méconnus par la disposition litigieuse du fait que l’emballage en plastique accroîtrait la durée de vie des produits alors que l’utilisation d’autres emballages, moins protecteurs, augmenterait le gaspillage alimentaire. Enfin, l’objectif de lutte pour la protection de l’environnement justifie l’interdiction édictée.

Ensuite, ne présente pas un caractère sérieux le moyen selon lequel les nouvelles formes d’emballage pourraient avoir des conséquences néfastes sur la santé car d’une part, la mesure adoptée vise non la protection de la santé mais celle de l’environnement, d’autre part, n’est imposée aucune forme d’emballage de substitution.

Enfin, il n’est pas, ainsi, porté une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre mais bien en rapport avec l’objectif environnemental poursuivi. Au surplus, la prohibition n’est entrée en vigueur que vingt-deux mois après la décision l’instituant et elle n'est applicable ni aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus, ni aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac.

(28 février 2022, Syndicat Alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance), n° 458440)

(136) V. aussi, identique pour l’essentiel : 28 février 2022, Fédération française de la coopération fruitière, légumière et horticole (Felcoop), Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF), fédération Les producteurs de légumes de France (Légumes de France), Coordination rurale union nationale (La coordination rurale), Association Gouvernance économique des fruits et légumes (GEFeL), Association nationale des expéditeurs et exportateurs de fruits et légumes (ANEEFEL) et Chambre syndicale des importateurs français de fruits et légumes frais (CSIF), n° 459387.

 

137 - QPC dirigée contre des dispositions législatives déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel – QPC recevable seulement en cas de survenance postérieure d’un changement de circonstances – Absence en l’espèce – Refus de transmission.

Dans ces deux espèces est refusée la transmission de QPC en matière fiscale, la première relative aux dispositions du I de l’art. 1647 E du CGI concernant la cotisation de taxe professionnelle, la seconde aux dispositions du I de l’art. 1586 sexies du CGI concernant la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, car elles ont toutes deux été déclarées conformes à la Constitution par deux décisions du Conseil constitutionnel (n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 pour l’art. 1647 E et n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, pour l’art. 1586 sexies).

Seule la survenue d’un changement de circonstances postérieur à chacune de ces décisions, ce qui n’est pas le cas de ces espèces, aurait pu, si l’ensemble des conditions posées à l’art. 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel avaient été, en outre, réunies, aurait pu ouvrir à transmission de l’une et/ou l’autre QPC.

(28 février 2022, Société Ricoh France, n° 458922 ; 28 février 2022, Société Ricoh France, n° 458924, deux espèces)

 

Responsabilité

 

138 - Contamination par le virus de l'hépatite C - Contamination résultant d'une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang - Charge de l'indemnisation - Entrée en vigueur de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale - Existence, ou non, d'une action juridictionnelle en responsabilité - Annulation.

 Il résulte de l'art. L. 1221-14 du code de la santé publique, dans sa version issue des art. 67 et 72, respectivement des lois du 17 décembre 2008 et du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2009 et 2013, que, pour les actions juridictionnelles en responsabilité engagées à compter du 1er juin 2010 en raison d'une contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang, l'ONIAM, qui assure, au titre de la solidarité nationale, l'indemnisation des préjudices subis par les victimes, peut, ainsi que, le cas échéant, les tiers payeurs, exercer une action subrogatoire contre l'Établissement français du sang venu aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine, à la double condition que l'établissement de transfusion sanguine en cause ait été assuré et que sa couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou venue à expiration. 

S'agissant de celles des actions qui, dirigées contre l'Établissement français du sang,  étaient en cours au 1er juin 2010, l'ONIAM est substitué à cet établissement « dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ». Sous ces conditions, l'ONIAM répond à l'égard du tiers payeur ayant indemnisé la victime de l'ensemble des obligations qui incombaient initialement à l'Établissement français du sang.

A contrario, un tiers payeur n'est pas recevable à exercer une action subrogatoire à l'encontre de l'ONIAM, substitué à l'Établissement français du sang, si aucune action juridictionnelle n'était en cours au 1er juin 2010.

Doit donc être annulé pour erreur de droit l'arrêt d'appel qui juge cette condition remplie par une demande d'expertise alors que dans un tel contentieux  les tiers payeurs ne doivent pas être appelés en cause et alors, au surplus, que l'intéressée n'avait saisi le tribunal administratif d'une requête indemnitaire tendant à la réparation de préjudices subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C que le 16 novembre 2012. 

(1er février 2022, ONIAM, n° 439169)

 

139 - Responsabilité hospitalière - Demande de réparation de préjudices consécutifs à des infections nosocomiales - Notion d'infection nosocomiale - Erreur de droit - Cassation partielle.

Un patient qui a subi une colectomie impliquant la réalisation d'une colostomie, est victime, cinq jours après, d'une rétractation de sa colostomie qui a provoqué une péritonite aiguë généralisée nécessitant une nouvelle intervention en urgence et lui laissant de nombreuses séquelles. Le tribunal administratif a jugé que cette péritonite revêtait le caractère d'une infection nosocomiale et a mis à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) le versement à l'intéressé d'une certaine somme au titre de la solidarité nationale.

Sur appel de l'ONIAM, la cour administrative a jugé, infirmant le jugement de première instance, que la péritonite ne revêtait pas le caractère d'une infection nosocomiale au sens des dispositions de l'art. L. 1142-1-1 du code de la santé publique, car cette infection avait pour cause directe la rétractation de la colostomie réalisée cinq jours plus tôt, accident médical non fautif qui est au nombre des complications susceptibles de survenir lorsqu'une colostomie est réalisée sur un patient souffrant de la pathologie dont la victime était déjà atteinte avant son admission à l'hôpital. 

Le Conseil d'État casse l'arrêt sur ce point pour erreur de droit en décidant qu'une infection doit être regardée comme revêtant un caractère nosocomial du seul fait qu'elle survient lors de la prise en charge du patient au sein de l'établissement hospitalier, sans qu'il ait été contesté devant le juge du fond qu'elle n'était ni présente ni en incubation au début de celle-ci et qu'il était constant qu'elle n'avait pas d'autre origine que cette prise en charge. A cet égard, précise encore le juge de cassation, il n'y a pas lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, à savoir la rétraction de la colostomie, avait le caractère d'un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante.

Cette décision apporte une autre précision, en matière de preuve cette fois, dans le cas de perte du dossier médical ou d'éléments de celui-ci. Confirmant une ligne jurisprudentielle antérieure (20 février 2008, Mme X. et autre, n° 286505 ; 26 novembre 2012, Mme X., n° 354108), le Conseil d'État juge, d'une part, que cette perte de pièces n'est pas de nature à établir l'existence de manquements fautifs de l'établissement de santé dans la prise en charge du patient, d'autre part, que cette circonstance impose au juge saisi de tenir compte de ce que le dossier médical était incomplet, dans l'appréciation portée sur les éléments qui lui étaient soumis pour apprécier l'existence des fautes reprochées à l'établissement dans la prise en charge du patient.

(1er février 2022, M. B., n° 440852)

 

140 - Essais nucléaires français dans le Pacifique – Victimes de radiations ionisantes – Présomption de causalité entre les essais et une pathologie – Absence de cause étrangère – Rejet.

La ministre des armées contestait un jugement déclarant établie et non renversée la présomption de causalité entre des essais nucléaires souterrains et la pathologie dont un aide-moniteur de sports nautiques est décédé à l’âge de trente-neuf ans.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en relevant que la loi du 28 février 2017, d’une part,  a institué au profit du demandeur qui satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, le bénéfice d’une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie et, d’autre part, a décidé que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements. 

En l’espèce, où les essais nucléaires censés avoir joué un rôle causal dans la pathologie de la victime, étaient souterrains, la ministre défenderesse soutenait qu’ils ne pouvaient – à raison même de ce caractère souterrain - être la cause de la survenue de la maladie mortelle de la victime.

Confirmant les premiers juges, le Conseil d’État, estime que cette dernière bénéficie de la présomption légale de causalité du fait qu’elle a victime a séjourné dans des lieux et pendant une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 et que la pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. C’est pourquoi il rejette l’argument selon lequel les essais nucléaires souterrains présentent des risques de contamination bien plus limités que les essais atmosphériques et qu'en sa qualité d'aide-moniteur de sports nautiques, la victime n'exerçait pas de fonctions radiologiquement exposées justifiant la mise en œuvre de mesures de surveillance spécifiques. En effet, selon lui, ces affirmations ne démontrent pas que la pathologie dont l'intéressé est décédé à trente-neuf ans résultait exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires.

Autant dire que la présomption ne peut, à peu près jamais, être renversée, ce qui transforme la responsabilité prétendue en une obligation automatique et quasi inconditionnée d’assurance.

(23 février 2022, Ministre des armées n° 447408)

(141) V. aussi, confirmant la déduction précédente dans des situations de fait diverses : 23 février 2022, Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN), n° 449353 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449355 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449357 ; 23 février 2022, CIVEN, n° 449360.

 

Santé  publique

 

142 - Covid-19 - Obligation de passe sanitaire - Illégalité en raison du taux d'anticorps de l'intéressée - Absence d'atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

La requérante demandait la suspension de l'exécution des dispositions du décret du 1er juin 2021 issues du décret du 7 août 2021, en ce qu'elles ne réglementent pas la situation des personnes ayant une sérologie positive. Elle voit dans cette omission une atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale.

Le Conseil d'État estime peu convaincant le moyen tiré de ce que les risques liés à la vaccination et les contraintes tenant à l'application du passe sanitaire l'emporteraient sur les bénéfices individuels qu'elle pourrait en retirer, dès lors qu'elle présenterait un taux d'anticorps, mesuré par un test sérologique, qui assurerait son immunité.

Le recours est rejeté.

(2 février 2022, Mme Billy, n° 460956)

 

143 - Covid-19 – Maintien de l’obligation du port du masque en extérieur dans les écoles élémentaires – Mesure disproportionnée – Rejet.

C’est en vain que les requérants contestaient la légalité et demandaient la suspension d’exécution de la décision du premier ministre, annoncée en conférence de presse du 9 décembre 2021, de maintenir dans les écoles élémentaires l’obligation du port du masque dans les espaces extérieurs de celles-ci.

D’une part, la contamination est encore forte dans la classe d’âge de 0 à 9 ans (hospitalisations et admissions en soins critiques), d’autre part, le taux d’incidence demeure élevé pour ces derniers tandis que s’avère difficile le respect des règles de distanciation physique.

(15 février 2022, M. et Mme C., n° 461021)

(144) V. aussi, largement identique quant à l’argumentation et quant au rejet : 16 février 2022, Mme Donckof et autres, n° 461214.

 

145 - Prix des spécialités pharmaceutiques - Pouvoirs et obligations du Comité économique des produits de santé (CEPS) - Remise à la charge du titulaire des droits d'exploitation d'une spécialité - Respect du contradictoire sur demande - Fixation du prix de vente au public d'une spécialité - Prise en considération de l'amélioration du service médical rendu - Recours subsidiaire à une comparaison avec d'autres spécialités - Absence de spécialités à même visée thérapeutique - Conséquence - Annulations.

La requérante demandait l'annulation de la décision du Comité économique des produits de santé l'informant de la fixation du prix de référence de la spécialité Qizenday en vue du calcul de la remise à reverser aux URSSAF. La société ayant contesté cette décision par courriers et le CEPS n'y ayant pas donné suite, elle a constaté sur le site des URSSAF qu'avait été mise à sa charge, à leur égard, une remise d'un montant total de 177 570 543 euros. Elle demande au Conseil d'État, par deux requêtes (n° 446426 et n° 449580), l'annulation de la décision fixant le prix de référence et de celle établissant le montant de la remise.

Tout d'abord, il est jugé, sur le fondement de l'art. R. 163-33 du code de la sécurité sociale dans sa version alors applicable, que le CEPS doit, par tout moyen ayant date certaine, informer le titulaire des droits d'exploitation de la spécialité concernée lorsqu'il envisage de prendre une décision mettant à sa charge une remise. L'intéressé dispose ensuite d'un délai de huit jours pour présenter des observations écrites au comité et, le cas échéant, demander à être entendu par lui, cette audition étant en ce cas de droit.

Après cette procédure contradictoire, le CEPS communique par écrit au laboratoire titulaire des droits d'exploitation, ainsi qu'à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, le montant définitif de la remise qu'il a arrêté. Or en l'espèce, le CEPS n'a pas fait droit à la demande de la requérante, régulièrement formée, d'être auditionnée : privant ainsi cette dernière d'une garantie, le CEPS a ainsi rendu sa décision à l'issue d'une procédure irrégulière.

Ensuite, s'agissant de la décision fixant le prix de vente au public d'un médicament, le comité était tenu, à titre principal, d'apprécier l'amélioration du service médical rendu par le médicament et pouvait, à titre subsidiaire, se référer à des comparateurs économiquement pertinents au regard des connaissances médicales avérées. Le recours à cette comparaison n'est toutefois pas possible soit qu'il n'existe pas de médicaments à même visée thérapeutique permettant une comparaison soit lorsque le laboratoire fait état de l'existence de médicaments à même visée thérapeutique commercialisés en France, si ces derniers ne constituent pas des comparateurs pertinents à même visée thérapeutique que la spécialité pour laquelle une remise est envisagée.

Or en l'espèce, le CEPS, pour fixer le prix de référence de la spécialité Qizenday produite par la requérante, a retenu comme comparateur économique pertinent la spécialité Biotine du laboratoire Bayer, composée du même principe actif que la spécialité Qizenday et dont l'indication thérapeutique est dermatologique. Cependant la requérante proposait de retenir comme comparateur la spécialité Ocrevus qui est notamment indiquée dans le traitement des patients adultes atteints de sclérose en plaques primaire progressive qui est à même visée thérapeutique. Le comité n'a pas donné suite au courrier contenant cette proposition et il n'a pas davantage, devant le Conseil d'État, apporté d'éléments de nature à justifier des raisons qui l'auraient conduit à ne pas retenir la spécialité Ocrevus comme comparateur à même visée thérapeutique que la spécialité Qizenday. C'est, par suite, c’est illégalement qu'il a décidé, à la charge de la requérante, une remise fondée sur un comparateur prétendu pertinent, d'où l'annulation de sa décision.

(11 février 2022, Société MedDay Pharmaceuticals SA, n° 446426)

 

146 - Conventions conclues entre professionnels de santé et caisses de sécurité sociale - Procédure de déconventionnement en urgence d'un professionnel de santé - Suspension temporaire d'une convention - Incertitude sur la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » - Rejet.

Les relations entre professionnels de santé (médecins, infirmiers, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes...) et caisses d'assurance maladie sont régies par des conventions conclues entre ces dernières et les organisations représentatives de ces professionnels.

Lorsqu'est constaté un manquement de l'un d'eux aux obligations découlant d'une convention, la caisse d'assurance maladie dont il relève peut engager une procédure de déconventionnement qui peut revêtir deux formes : le déconventionnement de droit commun et le déconventionnement en urgence. Le premier cas concerne les cas de violation des engagements stipulés dans la convention et le second les cas de violation particulièrement grave de la convention  ou causant un préjudice financier à la caisse.

Les organisations requérantes demandaient l'annulation de l'article 1er du décret n° 2020-1465 du 27 novembre 2020 relatif à la procédure de déconventionnement en urgence des professionnels de santé libéraux. Le premier alinéa de ce texte dispose : « En cas de violation particulièrement grave des engagements conventionnels d'un professionnel de santé adhérant (à une convention), notamment dans les cas de nature à justifier, en présence d'un préjudice financier pour l'assurance maladie, le dépôt d'une plainte pénale en application du quatrième alinéa de l'article L. 114-9 [c'est-à-dire lorsqu'une fraude est constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret], le directeur de la caisse primaire d'assurance maladie du lieu d'exercice du professionnel de santé, alerté le cas échéant par le directeur de tout autre organisme local d'assurance maladie concerné, peut décider de suspendre les effets de la convention à son égard pour une durée qui ne peut excéder trois mois. »

En ce cas est organisée une procédure contradictoire entre le directeur de la caisse et le professionnel de santé concerné.

S'agissant du grief de légalité externe, le lecteur est renvoyé au n° 145.

Deux moyens étaient développés au soutien de l'affirmation de l'illégalité interne du décret litigieux.

En premier lieu, il était soutenu que la mesure étant une sanction, la procédure organisée par ce décret était entachée d'illégalité. Le moyen est rejeté car précisément, une suspension temporaire n'est pas une sanction mais une simple mesure administrative destinée à sauvegarder certains intérEn second lieu, est également rejetéve destinée à sauvegarder certains intér rejeté et le professionnel de santé concerné.tativeêts.

En second lieu, est également rejeté le grief selon lequel méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ou l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme la notion de « violation particulièrement grave des engagements conventionnels » mentionnée à l'article L. 162-15-1 du code de la sécurité sociale, dès lors que le décret attaqué la précise en renvoyant notamment aux cas de nature à justifier, en présence d'un préjudice financier pour l'assurance maladie, le dépôt d'une plainte pénale en application du quatrième alinéa de l'article L. 114-9 de ce code - c'est-à-dire lorsqu'une fraude est constatée pour un montant supérieur à un seuil fixé par décret -, les dispositions attaquées ne sont donc pas équivoques et sont suffisamment précises. 

(11 février 2022, Syndicat des médecins libéraux (SML), n° 449199 ;  Syndicat des biologistes (SDB), n° 449200 ; Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF), n° 449201 ; Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR), n° 449202; Fédération nationale des infirmiers (FNI), n° 449203; Confédération des syndicats médicaux français (CSMF), n° 449246)

V., sur un autre aspect, le n° 4

 

147 - Covid-19 - Haut conseil de la santé publique - Collège et commissions spécialisées - Avis - Conditions de fonctionnement - Consultation du conseil scientifique - Rejet.

Les requérants contestaient divers actes ou prises de position adoptés en matière de lutte contre l'épidémie de Covid-19. Tous les moyens sont rejetés, le Conseil d'État précisant ou rappelant, au fil de l'analyse, un certain nombre de points, l'essentiel se portant sur le Haut conseil de santé publique.

On en donne quelques-uns ci-après.

Tout d'abord il est rappelé que sont irrecevables les conclusions tendant à l'annulation d'avis du Haut conseil ainsi que d'un communiqué de presse du ministre de la santé ne contenant ni ne révélant une décision. Ces actes ne sont susceptibles d'être discutés au contentieux qu'à l'occasion de recours dirigés contre des décisions qui en découleraient ou s'y référeraient.

Ensuite, la circonstance que des avis du Haut conseil ont été préparés par des groupes de travail transversaux constitués selon l'article 16 du règlement intérieur, composés notamment d'experts associés et dont les travaux ont été soumis à l'approbation du président du Haut Conseil n'établit une consultation irrégulière dudit conseil.

Ne rend pas irréguliers les avis que ce conseil rend le fait qu'ils ne sont pas accompagnés d'une mention attestant du respect des règles de conflis d'intérêts ou d'impartialité par les personnes qui y ont pris part.

Enfin, s'agissant du conseil scientifique, si celui-ci rend périodiquement des avis sur les mesures propres à mettre un terme à la catastrophe sanitaire, il n'a pas à être saisi pour avis préalablement à l'édiction de chacune de ces mesures. 

(17 février 2022, Mme K. et autres, n° 441292)

 

Service public

 

148 - Ligue de football professionnel - Mission de service public administratif - Litige relatif à la commercialisation et à la redistribution des produits d'exploitation audiovisuelle des rencontres sportives - Activité n'entrant pas dans la mission de service public - Incompétence de l'ordre administratif de juridiction - Rejet.

Les requérantes avaient saisi le juge administratif de recours tendant à l'annulation  de la décision du 24 février 2021 par laquelle le conseil d'administration de la Ligue de football professionnel a adopté le guide de répartition des droits audiovisuels 2020/2021, ainsi que son annexe intitulée « Guide de répartition droits audiovisuels Ligue 1 saison 2020/2021 ».

Il est jugé que si la Ligue est une personne morale de droit privé qui s'est vu confier une mission de service public administratif consistant à gérer le football professionnel, notamment l'organisation et la règlementation des championnats de Ligue 1 et de Ligue 2, seuls les litiges relatifs aux actes et décisions pris par elle dans l'exercice d'une prérogative de puissance publique pour l'accomplissement de cette mission relèvent de la compétence de l'ordre administratif de juridiction. Tel n'est pas le cas d'un litige portant sur la commercialisation des droits d'exploitation audiovisuelle et qui concerne la redistribution des produits en résultant entre les sociétés sportives propriétaires de ces droits.

(3 février 2022, Société anonyme sportive professionnelle Amiens Sporting Club Football (Amiens SC), n° 451960 ; société anonyme sportive professionnelle Toulouse Football Club (TFC), n° 451965)

 

149 - Suppression du brevet d'études professionnelles - Conditions de certification en vue du baccalauréat professionnel - Décret irrégulièrement pris - Erreur manifeste d'appréciation quant au devenir professionnel des candidats - Atteintes au principe d'égalité entre candidats et au principe de sécurité juridique - Rétroactivité - Annulation sur ce dernier point et rejet du surplus.

Les requérantes, ressortissant du secteur des instituts de beauté, de la parfumerie, des cosmétiques et de l'esthétique corporelle, demandaient l'annulation du décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles.

Elles font valoir au soutien de leurs prétentions divers moyens, tous rejetés sauf un.

En premier lieu, elles soutiennent l'irrégularité de la procédure au terme de laquelle a été pris ce décret. Ce moyen ne pouvait prospérer dans la mesure où il était fondé sur les exigences en matière de création ou modification du régime des diplômes ou titres homologués alors que le décret attaqué n'a pas pour objet de déterminer les diplômes et les titres homologués attestant de la qualification requise pour exercer les professions, ni de créer, réviser ou supprimer des diplômes et titres à finalité professionnelle délivrés au nom de l'État relevant du champ professionnel des métiers dont les intérêts sont représentés par les organisations requérantes.

En deuxième lieu, ce texte n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il  aurait pour conséquence de priver les élèves ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel de la possibilité d'accéder aux métiers de l'esthétique, et en ce qu'il imposerait aux élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, de suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle.

En effet, s'agissant, d'abord, des élèves ayant renoncé ou échoué à l'examen du baccalauréat professionnel, il leur est loisible soit de se présenter à nouveau à cet examen, le cas échéant en conservant pendant une durée de cinq ans le bénéfice des notes supérieures à dix sur vingt qu'ils auraient obtenues, soit préparer le certificat d'aptitude professionnelle, soit se présenter directement au certificat d'aptitude professionnelle en qualité de candidat libre s'ils sont âgés de plus de dix-huit ans : ils peuvent donc ainsi accéder aux métiers de l'esthétique. S'agissant ensuite, des élèves âgés de moins de dix-huit ans ayant renoncé à présenter l'examen du baccalauréat professionnel, si le décret litigieux a pour effet de les contraindre à suivre une préparation spécifique d'une durée comprise entre une et deux années selon les cas avant de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle, il n'en résulte pas qu'eu égard aux objectifs poursuivis par ces dispositions, qui visent notamment à revaloriser le certificat d'aptitude professionnelle, les dispositions attaquées soient à ce titre entachées d'erreur manifeste d'appréciation.

En troisième lieu, en revanche, les requérantes sont fondées à soutenir que, publié au J.O. du 22 octobre 2020 et entrées en vigueur le 1er janvier 2021, les nouvelles dispositions, ainsi intervenues au milieu de l'année scolaire 2020-2021, privent les élèves scolarisés au titre de cette année- là en classes de seconde et de première professionnelles dans un établissement public local d'enseignement ou dans un établissement privé sous contrat, ainsi que ceux préparant le baccalauréat professionnel par la voie de l'apprentissage, de la possibilité de se présenter au certificat d'aptitude professionnelle correspondant à la spécialité du baccalauréat professionnel postulé ou relevant du même champ professionnel et les autorisant, le cas échéant, à exercer une activité réglementée, alors même que leur inscription dans ces classes ou dans ces formations au début de l'année scolaire en cours leur en ouvrait la possibilité. Sur ce poit, le décret est annulé pour comporter des dispositions contraires à l'art. L. 221-5 du CRPA.

(4 février 2022, Confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA) et autres, n° 448017)

 

150 - Autorité administrative indépendante - Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (HCERES) - Nomination du président du collège du HCERES - Irrégularités dans la procédure suivie - Absence - Situation administrative antérieure à la nomination comme président sans effet sur cette dernière - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité de la désignation du président du collège du HCERES par le président de la république. Leur recours est rejeté.

Les divers moyens de légalité externe n'ont pas convaincu le Conseil d'État :

- la circonstance que le décret présidentiel nommant le président du HCERES ait été pris deux jours avant celui du premier ministre désignant les membres de cet organisme n'entache pas ces décrets d'iilégalité, ceux-ci étant entrés en vigueur à la même date ;

- la ministre compétente pouvait faire un appel à candidatures en vue de pourvoir la fonction de président du HCERES, aucune disposition non plus qu'aucun principe n'y faisant obstacle;

- n'est pas davantage irrégulier le fait que le premier ministre ait publié le décret de désignation des membres de ce conseil plus d'un an après la fin du mandat des précédents membres de son collège en dépit de ce que  l'art. 5 de la loi du 20 janvier 2017 impartit de le faire au moins huit jours avant la fin des mandats précédents, ce délai n'étant pas prescrit à peine de nullité ;

- n'est pas, non plus, retenu le moyen de défaut d'impartialité de la décision litigieuse, fondé sur ce que deux membres de la commission ayant auditionné les candidats aux fonctions de président du collège du HCERES, l'une présidente d'université et présidente de la Coordination des universités de recherche intensive françaises et l'autre directeur général délégué à la science du CNRS, aient entretenu des relations avec la personne finalement retenue dès lors qu'il ne s'agissait point  de liens tenant à la vie personnelle ou aux activités professionnelles qui auraient été de nature à influer sur leur appréciation de sa candidature ; tout comme n'est pas retenue la circonstance que l'une de ces deux personnes faisait partie du collège de déontologie du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, qui avait recommandé de reprendre la procédure permettant de proposer au président de la république la nomination d'un membre du collège en tant que président du collège du HCERES, car cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie.

Pareillement est rejeté le principal grief touchant à la légalité interne et fondé sur le fait que la personne nommée était, jusqu'au jour de sa nomination, conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche au cabinet du président de la république, ce qui ne saurait faire obstacle à sa nomination en tant que président du collège du HCERES. 

Ces questions de soupçon de partialité ou de « petits arrangements entre amis » sont irritantes car elles interviennent constamment dans des nominations à ce genre de postes et elles sont aussi difficiles à étayer qu'à réfuter ce qui laisse au juge, en dépit des incertitudes, une très grande marge de manoeuvre, ses propres décisions suscitant à leur tour ce même malaise.

En réalité, et de façon plus profonde, ceci révèle un mal profond : l’administration contemporaine a perdu sa légitimité ancestrale et nombre de citoyens et de réseaux sont portés, d’abord, à regarder ce qu’il y a derrière le miroir, oubliant qu’il existe une présomption d’innocence des personnes et, pour l’administration d’un État démocratique, une présomption de conformité de ses décisions et de son action au droit.

(4 février 2022, M. AG. et autres, n° 448315)

 

151 - Diplôme national du baccalauréat - Modalité de prise en compte des notes de contrôle continu pour l'attribution de ce diplôme - Harmonisation des notes - Atteinte au principe de sécurité juridique - Atteinte à la liberté pédagogique de l'enseignant - Absence d'équité dans l'évaluation des connaissances des candidats - Rejet.

En raison de l'épidémie de Covid-19, l'État a été conduit à accentuer dans les conditions d'obtention du baccalauréat la part des notes de contrôle continu pour l'obtention de ce diplôme telle qu'elle résultait de l'arrêté du 16 juillet 2018 relatif aux modalités d'organisation du contrôle continu pour l'évaluation des enseignements dispensés dans les classes conduisant au baccalauréat général et au baccalauréat technologique. Puis, par l'arrêté du 27 juillet 2021 portant adaptations des modalités d'organisation du baccalauréat général et du baccalauréat technologique à compter de la session 2022, ce mécanisme est destiné à devenir pérenne faisant désormais de plus en plus du baccalauréat un simple diplôme de fin d'études et de moins en moins le premier diplôme de l'enseignement supérieur, augurant ainsi d'une sélection plus ou moins inéluctable pour l'accès à l'université.

Le syndicat requérant invoquait au soutien de sa demande d'annulation  de ce dernier arrêté plusieurs moyens, tous rejetés.

Désormais, la part du contrôle continu entrant pour 40% dans le calcul des points nécessaires à l'obtention du baccalauréat, une commission d'harmonisation des notes de contrôle continu est chargée de prendre connaissance de ces notes, de s'assurer de l'absence de discordance manifeste entre ces notes et de procéder, si nécessaire, à leur harmonisation.

Le Conseil d'État estime tout d'abord infondé le reproche d'atteinte à la sécurité juridique résultant des modifications apportées successivement au cours des trois dernières années au régime du baccalauréat par suite d'épidémie de Covid-19.

Il rejette également le moyen, pourtant non négligeable, d'atteinte à la liberté pédagogique et de dénaturation de la relation pédagogique entre les enseignants et leurs élèves ainsi qu’à l'objet de l'évaluation des élèves.

Enfin, ne prospère pas davantage aux yeux du juge l'argument tiré de ce que l'accroissement de la part du contrôle continu prise en compte dans la note finale du baccalauréat porte atteinte au respect des conditions d'équité dans l'évaluation des connaissances des candidats en vue de la délivrance d'un diplôme national. 

Heureusement persiste la manie de réformer sans cesse le baccalauréat qui, peut-être, conduira à revenir sur une situation qui n'aurait de justification qu'accompagnée d'une sélection pour l'accès à l'enseignement supérieur à moins que l'on ne veuille accroître encore davantage la distinction universités/grandes écoles.

(4 février 2022, Syndicat Action et Démocratie, n° 457051)

 

152 - Centre pénitentiaire de Nouméa - Exécution des décisions contenues dans des décisions de justice antérieures - Exécution partielle, injonction pour les décisions encore inexécutées - Injonction sous astreinte.

Cette décision est la poursuite d'un lamentable feuilleton dont le scenario est tragique.

L'état désastreux du centre pénitentiaire de Nouméa (les deux énumérations ci-dessous sont éloquentes) a conduit le juge administratif, aiguillonné par l'organisation ici encore requérante à rendre plusieurs décisions contraignant l'administration pénitentiaire à prendre, si l'on peut dire, « le taureau par les cornes » pour mettre un terme à une situation qui n'a que trop duré.

Le juge était saisi, sur le fondement des art. L. 911-4 et L. 911-5 en sa qualité de juge de l'exécution de décisions antérieures (ordonnance du 19 févier 2020, décisions n° 439372 du 19 octobre 2020 et n° 439333 du 18 novembre 2020).

Si le juge se dit satisfait des mesures d'hygiène prises dans le quartier du centre de détention pour hommes et de maison d'arrêt, notamment dans les cellules constituées d'agglomérats de conteneurs maritimes, de la possibilité donnée aux prisonniers de laver leur linge, de la mise aux normes des installations électriques, du remplacement des ventilateurs cassés ou défectueux, de la lutte contre les remontées d'égouts dans les promenades, de l'aménagement de salles d'attentes n'étant plus insalubres et  des parloirs, installation d'abris dans les cours de promenade, séparation des annexes sanitaires dans les cellules, luminosité des cellules, aménagement des abords des conteneurs utilisés comme cours de promenade, installation d'urinoirs dans les cours de promenade du centre de détention fermé, il relève également la persistance de points noirs (accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, prolifération des moustiques, remplacement des fenêtres défectueuses).

Concernant les points qui demeurent à faire, une astreinte de 1 000 euros par jour est prononcée à l'encontre de l'État s'il n'est pas justifié de leur exécution dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision. 

(11 février 2022, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 452354)

 

Sport

 

153 - Cycliste - Prise de substances prohibées - Condamnation initiale à quatre ans d'interdiction de participer à certaines manifestations sportives - Réduction de ce délai à deux ans par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) - Recours de la présidente de l'AFLD - Réduction irrégulière - Annulation et rétablissement de la durée de quatre ans.

Une personne licenciée de la Fédération française de cyclisme, a fait l'objet d'un contrôle anti dopage qui a révélé la présence de substances interdites dans le sang, ce qui a conduit cette fédération à prononcer à son encontre la sanction d'interdiction pendant quatre années de participer à certaines manifestations sportives.

Le collège de l'AFLD, saisi du dossier transmis par la Fédération française de cyclisme, a réduit à deux années la durée de la sanction. La présidente de l'AFLD a saisi le Conseil d'État de cette dernière décision.

Celui-ci estime que si la durée des interdictions prononcées pouvait être réduite, par une décision spécialement motivée, dès lors que les circonstances particulières de l'affaire le justifiaient au regard du principe de proportionnalité, sans que cette faculté soit limitée, il résulte de ce qu'après avoir relevé que le contrevenant avait utilisé des substances non spécifiées, sans autorisation d'usage thérapeutique ni raison médicale dument justifiée, et sans s'assurer de la composition du produit en cause, la commission des sanctions de l'AFLD ne pouvait légalement, pour décider la réduction de la durée des sanctions, retenir la « forte emprise » de l'entraîneur sur l'intéressé et sur l'ignorance dans laquelle ce dernier aurait été du caractère dopant des substances en cause, ce que l'instruction ne permettait pas d'établir, ainsi que sur le jeune âge du sportif et sur son absence d'éducation antidopage.

Le Conseil d'État rétablit la sanction dans sa durée initiale de quatre ans.

(7 février 2022,  Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, n° 447333)

(154) V. aussi, la solution inverse adoptée dans une affaire très voisine mais où le contrevenant avait fait état d'explications crédibles pouvant permettre de penser que sa prise de substances prohibées n'avait pas été intentionnelle : 7 février 2022,  Présidente de l'Agence française de lutte contre le dopage, n° 452029.

 

Travaux publics et expropriation

 

155 - Ouvrage public - Responsabilité du maître d'ouvrage envers les tiers du chef de l'ouvrage - Régime et exclusions - Caractère du préjudice en cas de dommage accidentel - Qualification inexacte des faits - Cassation avec renvoi.

Le requérant demandait réparation du préjudice causé au mur de sa propriété par un remblai adossé au droit de sa parcelle du fait de la construction, par une commune, d'une maison de santé. Il avait demandé au maire de la commune de prendre les dispositions nécessaires à l'effet de faire cesser cette situation. Les juges du fond ont rejeté le recours qu'il avait formé contre le rejet implicite de sa demande.

Le juge de cassation, accentuant fortement et éclaircissant une jurisprudence récente (10 avril 2019, Compagnie nationale du Rhône c/ EDF, n° 411961) décide :

1°/  Que le maître de l'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement. Il ne peut dégager sa responsabilité que s'il établit que ces dommages résultent de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure.

2°/ Que, dans l'hypothèse où le dommage n'est pas inhérent à l'existence même de l'ouvrage public ou à son fonctionnement et revêt ainsi un caractère accidentel, les tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice subi.

En l'espèce, la cause du  dommage dont se plaint le requérant réside dans la poussée exercée sur le muret de clôture de sa propriété par les terres remblayées par la commune pour la réalisation du parking de la maison de santé. Ce dommage résulte ainsi de l'absence de dispositif de soutènement des terres ainsi remblayées. Il n'est donc pas inhérent à l'existence même de la maison de santé et de son parking. Alors que le dommage ne présentait ainsi pas le caractère de dommage permanent et constituait, par conséquent, un dommage accidentel, la cour administrative d'appel, en ne retenant pas cette dernière qualification, a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

(8 février 2022, M. C., n° 453105)

(156) V. aussi, voisine, la décision rappelant que le régime de responsabilité sans faute à prouver du chef de dommages causés aux tiers par un ouvrage public ne s'applique pas dans le cas où les dommages sont imputés à l'absence d'un tel ouvrage : 11 février 2022, M. et Mme G., n° 449831.

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

157 - Délibération portant transfert de propriété d'un bien du domaine privé communal en vue de la construction de logements - Décision créatrice de droits même si elle est assortie d'une clause résolutoire - Erreur de droit - Refus d'indemnisation - Annulation partielle.

 (3 février 2022, Société anonyme HLM Immobilière Atlantic Aménagement, n° 438196)

V. n° 11

 

158 - Déclaration de travaux - Construction d'une station relais de téléphonie mobile - Décision tacite de non-opposition à travaux - Opposition postérieure du maire - Retrait impossible - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui rejette le recours en annulation d'un opérateur de téléphonie mobile dirigé contre l'opposition du maire à la réalisation des travaux d'édification d'une station relais de téléphonie mobile alors qu'était déjà née une décision tacite de non-opposition.

En effet, la société avait déposé une déclaration de travaux le 11 mars 2020, devant être regardée comme complète à la date du 28 avril 2020, à laquelle le maire a attesté la réception de pièces complémentaires.

L'ordonnance du 25 mars 2020 a prorogé les délais échus pendant la période d'urgence sanitaire laquelle s'est achevée le 8 mai 2020, date de la publication au Journal officiel du décret du 7 mai 2020 portant dérogation au principe de suspension des délais pendant la période d'urgence sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

Le délai de formation d'une décision tacite de non-opposition à travaux en matière de relais de téléphonie mobile a donc débuté le 9 mai 2020 et s'est achevé le 9 juin 2020, date où est née cette décision tacite.

Le maire ne pouvait pas, par sa décision du 19 juin 2020, s'opposer à la demande de la requérante puisque cela constituait le retrait d'une décision créatrice de droits alors que l'art. 222 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dispose que : « Á titre expérimental, par dérogation à l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme et jusqu'au 31 décembre 2022, les décisions d'urbanisme autorisant ou ne s'opposant pas à l'implantation d'antennes de radiotéléphonie mobile avec leurs systèmes d'accroche et leurs locaux et installations techniques ne peuvent pas être retirées. (...) ».

(7 mai 2022, Société Free Mobile, n° 445862)

 

159 - Permis de construire valant permis de démolir - Permis concernant un établissement recevant du public - Règles spécifiques d'aménagement interne - Obligation s'imposant au pétitionnaire - Absence de précision sur ce point dans le permis - Exigence d'une mention spéciale par le maire sur le permis délivré - Rejet.

De cette décision relative à un permis de construire valant permis de démolir en vue de l'édification d'un immeuble collectif, on retiendra surtout le point suivant.

L'aménagement intérieur de locaux constitutifs d'un établissement recevant du public, nécessite une autorisation spécifique au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation.

En aucun cas le permis de construire ne saurait valoir autorisation au sens de la disposition précitée.

C'est pourquoi, s'il est possible de délivrer un permis de construire alors que cet aménagement intérieur n'est pas connu lors du dépôt de la demande de permis de construire, le permis délivré doit mentionner expressément l'obligation de demander et d'obtenir une autorisation complémentaire avant l'ouverture au public, et ce alors même que le contenu du dossier de demande de permis de construire témoignerait de la connaissance, par le pétitionnaire, de cette obligation. 

(11 février 2022, Mme B. et autres, SCI Allayan, n° 448357)

 

160 - Permis de construire un complexe cinématographique - Demande d'annulation - Recours formé par une association - Intérêt à agir - Intérêt non reconnu - Qualification inexacte des faits - Annulation.

L'arrêt d'une cour administrative d'appel déniant à une association l'intérêt à agir contre le permis - délivré le 12 juillet 2016 - de construire un complexe cinématographique avec douze salles et 1 614 fauteuils, une salle polyvalente, un hall, deux commerces de restauration et des locaux d'exploitation, est annulé.

Le Conseil d'État aperçoit dans cet arrêt une inexacte qualification des faits dans la mesure où il résulte de l'article 2 de ses statuts - lesquels ont été déposées en préfecture le 8 octobre 2012 -  que l'association à pour objet de « défendre l'ensemble des éléments objectifs et subjectifs constituant le cadre de vie des habitants ainsi que la protection de l'environnement du bâti et du non bâti de Montluçon » et pour moyen d'action, en particulier, de « contester les opérations d'aménagement et les permis de construire autorisés sur le territoire de Montluçon et qu'elle considère portant atteinte à ses objectifs ».

Ainsi l'objet matériel de l'association et son champ d'action géographique, limité au territoire communal, sont nettement déterminés.

(11 février 2022, Association Un certain regard sur Montluçon, n° 449827)

 

161 - Permis de construire des éoliennes - Décision avant-dire droit ordonnant la prise et la communication de mesures de régularisation du permis - Défaut de communication de ces mesures à l'expiration du délai prescrit - Pouvoirs et devoir du juge saisi - Possibilité de contester les mesures prises après invitation du juge - Rejet.

L'histoire est longue, c'est une véritable saga... Qu'on en juge.

Huit arrêtés préfectoraux délivrent le 12 janvier 2012 des permis de construire pour l'implantation  d'éoliennes  et de deux postes de livraison à la société en nom collectif MSE La Tombelle.

Le recours dirigé contre ces décisions est rejeté par le tribunal administratif le 28 juin 2013. Sur appel de la demanderesse, la cour administrative d'appel annule le jugement et ces décisions, le 28 octobre 2014.

Sur pourvoi de la pétitionnaire, le Conseil d'État casse cet arrêt le 20 janvier 2016 et renvoie l'affaire devant la cour.

Celle-ci, le 13 mars 2018, a, à nouveau, annulé le jugement ainsi que les huit arrêtés litigieux.

Saisi de deux pourvois, l'un du ministre de la cohésion des territoires et l'autre de la société pétitionnaire, le Conseil d'État a, par une décision du 27 mai 2019, d'une part, annulé l'arrêt du 13 mars 2018 et d’autre part, a sursis à statuer sur la requête présentée par l'association « Eoliennes s'en naît trop » devant la cour administrative d'appel jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois ou de six mois en cas d'enquête publique, à compter de la notification de sa décision.

Devant régler le litige au fond puisqu'il était saisi pour la seconde fois d'un pourvoi dans la même affaire (cf. art. R. 821-2 CJA), le Conseil d'État rendit une décision avant-dire droit constatant que le vice retenu par la cour comme entachant les arrêtés préfectoraux était régularisable et prononça un sursis à statuer pour permettre la régularisation du vice de procédure entachant les arrêtés attaqués par la consultation de la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, dans les conditions définies aux art. R. 122-6 à R. 122-8 et R. 122-24 du code de l'environnement et en portant ce nouvel avis à la connaissance du public. Il indiquait encore dans cette décision que si cet avis différait substantiellement de celui qui avait été porté à la connaissance du public à l'occasion de l'enquête publique dont les permis de construire avaient fait l'objet, une enquête publique complémentaire devrait être organisée à titre de régularisation, selon les modalités prévues par les art. L. 123-14 et R. 123-23 du code de l'environnement.

Enfin, il accordait un délai de trois mois (ou de six mois en cas de nouvelle enquête publique), à compter de la notification de sa décision pour que lui soient notifiés les éléments de régularisation. 

En raison de la différence substantielle entre l'avis rendu primitivement et celui du 9 septembre 2019 donné par la mission régionale de l'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable territorialement compétente, une nouvelle enquête publique s'est tenue au cours du mois de mars 2021 et le préfet, par arrêtés du 23 juin 2021 qu'il a notifiés au Conseil d'État le 24 juin 2021, a délivré les permis de construire de régularisation à la société pétitionnaire.

La requérante demande l'annulation de ces permis, relevant en particulier qu'ils n'ont été transmis au Conseil d'État qu'après expiration du délai qu'il avait fixé.

C'est l'occasion pour le juge d'apporter trois précisions importantes et assez nouvelles.

Tout d'abord, lorsque le juge - sur le fondement de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme - fixe un certain délai pour la prise de mesures de régularisation et pour leur notification, il peut, d'une part statuer à tout moment sur la demande d'annulation du permis et, en particulier, y faire droit car les mesures de régularisation exigées ne lui ont pas été notifiées à la date d'expiration du délai qu'il avait fixé.

Ensuite, la seule expiration du délai ne suffit pas à rendre caduques ou irrégulières les mesures de notification, notamment le juge peut en tenir compte dans son appréciation de la légalité des permis attaqués devant lui. On reconnaît là une application de la jurisprudence, applicable aux décisions administratives, selon laquelle l'expiration d'un délai non sanctionné n'entache pas d'illégalité les décisions prises après l'expiration du délai.

Enfin, les requérants qui sont parties à l'instance ayant donné lieu à la décision avant-dire droit sont recevables à contester la légalité de la mesure de régularisation produite dans le cadre de cette instance, tant que le juge n'a pas statué au fond, sans condition de délai. 

Au fond, il est jugé que les permis de construire délivrés à titre de régularisation ont bien purgé le vice dont été entachés les permis primitifs et qu’il y a lieu de rejeter le pourvoi.

Dix ans et six jours après les décisions litigieuses justice est faite… Enfin « justice » il faut le dire vite car à ce rythme le mot justice paraît quelque peu usurpé.

(16 février 2022, Association « Eoliennes s'en naît trop », n° 420554)

 

162 - Urbanisme opérationnel - Révision de la carte communale - Dossier de l'enquête publique - Dispense d'évaluation environnementale - Classement de parcelles en zone d'activités économiques - Rejet.

Une commune ayant révisé sa carte communale et cette carte ayant été approuvée par le préfet, l'association requérante l’a contestée devant le juge administratif. Déboutée en première instance et en appel, elle se pourvoit en cassation, en vain, ses divers moyens étant rejetés.

Trois de ces moyens, d'importance variable retiennent l'attention.

Etait développée d'abord l'incomplétude du dossier soumis à l'enquête publique. Celui-ci, sur décision de l'autorité environnementale, ne comportant pas d'évaluation environnementale les demandeurs estimaient qu'il devait, en revanche comporter, conformément aux dispositions du 2° de l'art. R. 123-8 du code de l'environnement, « une note de présentation précisant les coordonnées du maître d'ouvrage ou du responsable du projet, plan ou programme, l'objet de l'enquête, les caractéristiques les plus importantes du projet, plan ou programme et présentant un résumé des principales raisons pour lesquelles, notamment du point de vue de l'environnement, le projet, plan ou programme soumis à enquête a été retenu ; (...) ». Or la cour administrative d'appel, approuvée par le Conseil d'État qui n'aperçoit dans son arrêt ni erreur de droit ni contrdiction de motifs, avait estimé que le dossier d'enquête n'était pas incomplet car il comportait une étude de « l'évaluation et incidences de la carte communale sur le site Natura 2000 du réseau hydrographique (...) », élaborée par un bureau d'étude indépendant et reprenant les différentes informations requises de la note de présentation. 

Ensuite, était discutée, sur le fondement de l'art. 3 de la directive 2001/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement, la légalité de la décision portant dispense d'évaluation environnementale. Deux moyens étaient soulevés : un défaut d'objectivité et un risque de conflit d'intérêts dans le chef de l'autorité chargée de procéder à l'examen du dossier au cas par cas et l'erreur d'appréciation des effets de la carte communale révisée sur le réseau hydrographique.

Le premier moyen est rejeté car il ne résulte d'aucune disposition de cette directive qu'elle interdit que l'autorité chargée de procéder à l'examen au cas par cas soit également l'autorité compétente pour se prononcer sur le plan ou programme, sous la réserve que cette autorité accomplisse les missions résultant de la directive de façon objective et ne se trouve pas dans une position donnant lieu à un conflit d'intérêts, notamment si l'autorité compétente est chargée de l'élaboration du plan ou du programme soumis à autorisation. Tel est le cas en l'espèce, ainsi que l'a jugé la cour, où la révision de la carte communale a été prescrite et instruite par la commune, le préfet n'intervenant que pour approuver, à la fin de la procédure, le document élaboré par la commune. Le second moyen ne prospère pas davantage car, au bénéfice de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour, après examen de l'étude précitée relative à « l'évaluation et incidences de la carte communale sur le site Natura 2000 du réseau hydrographique (...) », a constaté que celle-ci établissait, par une analyse détaillée de l'état des lieux et des incidences du projet, que le réseau hydrographique ne serait pas affecté de manière significative par la révision de la carte communale.

Enfin, le classement d'un espace en zone UA (zone d'activités économiques) ne révèle pas - ainsi que jugé par la cour - une erreur manifeste d'appréciation dès lors que cette zone, d'une superficie de cinq hectares, se trouve sur une friche ne comportant aucune exploitation agricole et qu'elle est situé près d'une zone U. Etant observé, au surplus que les zones naturelles et agricoles couvrent 93,9 % du territoire communal.

Le pourvoi est rejeté au terme d'une analyse serrée des faits pour une décision de cassation.

(16 février 2022, Association pour la sauvegarde et la salubrité de Faleyras Targon et environs (ASSFALTE), n° 437202)

 

163 - Non-opposition à une déclaration préalable – Recours contentieux contre cette décision - Régime de la notification du recours – Justification de l’accomplissement des formalités - Impossibilité de produire ces justifications pour la première fois en appel – Rejet.

Il résulte de l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme que l'auteur d'un recours contentieux contre une décision de non-opposition à déclaration préalable est tenu, à peine d'irrecevabilité de ce dernier, de notifier une copie du recours contentieux et, le cas échéant, du recours gracieux qui l'a précédé, ou un courrier reprenant intégralement l'exposé des faits et moyens ainsi que les conclusions de la demande, tant à l'auteur de l'acte ou de la décision qu'il attaque qu'à son bénéficiaire.

Il s’ensuit qu’un tel recours est irrecevable lorsque son auteur, après y avoir été invité par le juge ou en réponse à une fin de non-recevoir soulevée en défense, n'a pas justifié de l'accomplissement des formalités requises par cet article. Cette irrecevabilité étant d’ordre public, elle peut être opposée, au besoin d'office, par le juge.

La preuve du respect des formalités requises est en principe suffisamment faite par la production du certificat de dépôt de la lettre recommandée sauf s’il est soutenu devant le juge qu'elle aurait eu un contenu insuffisant au regard de l'obligation d'information qui pèse sur l'auteur du recours.

Cependant, lorsque cet auteur n'a pas justifié en première instance de l'accomplissement des formalités de notification requises alors qu'il a été mis à même de le faire, soit par une fin de non-recevoir opposée par le défendeur, soit par une invitation à régulariser adressée par le tribunal administratif, il n'est pas recevable à produire ces justifications pour la première fois en appel.

Faute d’avoir respecté ces exigences, le recours est rejeté.

(24 février 2022, M. D., n° 442835)

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