Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Septembre 2021

 

Actes et décisions - Documents administratifs - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Silence de l'autorité administrative gardé pendant deux mois valant acceptation - Exceptions - Nécessité éventuelle d'une étude d'impact - Autorisation d'extension d'une exploitation agricole - Installation classée pour la protection de l'environnement - Rejet.

La société demanderesse, exploitante d'un élevage de 500 vaches laitières, bénéficiait d'une autorisation au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. Projetant une modification des conditions d'exploitation pour parvenir à un total de 880 vaches, elle a porté ce projet à la connaissance du préfet avant sa mise en œuvre et a déposé à cette fin un dossier comportant les éléments d'appréciation prévus à l'article R. 515-54 du code de l'environnement.

En ce cas, la législation prévoit deux possibilités :

1° Soit le préfet considère que le regroupement projeté est de nature à entraîner une modification substantielle de l'installation autorisée, il invite alors l'exploitant à déposer une nouvelle demande d'autorisation qui doit faire l'objet de l'étude d'impact prévue à l'article L. 122-1 dudit code.

2° Soit le préfet estime qu'il n'y a pas lieu à modification substantielle et il lui appartient de prendre un arrêté complémentaire afin de modifier les prescriptions de l'autorisation existante et, le cas échéant, de fixer les prescriptions additionnelles rendues nécessaires par les modifications apportées.

Le Conseil d’État estime, dans la présente décision, que, dans son ensemble, quel que soit le terme de l'alternative concerné, cette procédure doit être regardée comme constituant une demande de modification des conditions d'exploitation d'une installation classée pour la protection de l'environnement au sens de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 codifié à l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration. Il suit de là que dès lors qu'elle est susceptible de rendre nécessaire le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation devant faire l'objet de l'étude d'impact préalable prévue à l'article L. 122-1 du code de l'environnement, la demande en cause relève des exceptions à l'application du principe selon lequel le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative vaut décision d'acceptation. 

En jugeant ainsi, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit, d'où le rejet du pourvoi.

(23 septembre 2021, Société civile d'exploitation agricole Côte de la Justice, n° 437748)

 

2 - Circulaire du garde des sceaux - Circulaire prise pour la mise en oeuvre des dispositions de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice, relatives aux peines - Légalité - Absence s'agissant des instructions relatives à certaines peines - Présence pour les autres dispositions - Annulation partielle.

Le syndicat requérant demandait l'annulation de divers points de la circulaire du garde des sceaux du 20 mai 2020 portant mise en oeuvre de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de réforme pour la justice dans sa partie relative aux peines.

Rejetant la fin de non-recevoir du ministre défendeur, le Conseil d'État, appliquant une jurisprudence désormais classique et bien établie en dépit de tout ce qu'elle a de discutable, constate que ce document a pour objet d'adresser aux magistrats du ministère public ainsi qu'aux directeurs interrégionaux des services pénitentiaires des instructions générales pour la mise en œuvre des dispositions de la loi du 23 mars 2019 relatives aux peines, et qu'il porte notamment, s'agissant des magistrats du ministère public, sur l'application des articles 132-19 du code pénal et 723-15 du code de procédure pénale. Comme les éléments qu'il comporte sont susceptibles d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que ses destinataires, en particulier les personnes poursuivies ou condamnées, il s'ensuit que doit être écartée la fin de non-recevoir du garde de sceaux opposée à cette requête. 

Ensuite, il retient comme fondé le grief d'illégalité tiré de ce que les instructions de la circulaire qui concernent les peines d'emprisonnement de moins d'un mois et les peines d'emprisonnement ou reliquats de peines anciens et de faible quantum sont relatives à l'exécution de condamnations passées en force de chose jugée : elles ne peuvent donc pas être rattachées aux dispositions nouvelles de l'article 132-19 du code pénal relatif au prononcé des peines, issues de la loi du 23 mars 2019, et méconnaissent, par voie de conséquence, le principe d'exécution de la sentence posée à l'article 707-1 du code de procédure pénale.

Enfin, les autres griefs sont rejetés.

Il en va ainsi de l'instruction donnée aux magistrats du parquet de mettre en œuvre les pouvoirs de réquisition qu'ils tiennent de l'article 712-4 du code pénal afin de saisir le juge de l'application des peines des modalités d'exécution des peines concernées, celle-ci n'est, en effet, pas entachée d'incompétence ni ne méconnaît l'autorité de chose jugée et l'article 707 du code de procédure pénale. Il en va pareillement de la disposition de la circulaire selon laquelle, restant dans les limites de sa compétence, son auteur adresse une instruction générale aux magistrats du parquet sollicités en ce sens par le juge d'application des peines qui, en vertu de l'article R. 131-29 du code pénal, « s'assure de l'exécution du travail d'intérêt général soit par lui-même, soit par l'intermédiaire d'un agent de probation ». 

(23 septembre 2021, Syndicat unité magistrat SNM-FO, n° 441255)

 

3 - Note de la secrétaire générale du ministère de la justice - Précisions sur le report de congés au titre de l'année 2020 - Absence de caractère décisoire - Inapplicabilité de l'art. L. 212-1 du code des relations du public et de l'administration (CRPA) - Rejet.

La note du 24 décembre 2020 du ministre de la justice relative au report de jours de congés non pris au titre de l'année 2020, signée par la secrétaire générale du ministère de la justice, n'a pas la nature d'une décision, par suite, le syndicat requérant ne saurait en soutenir l'irrégularité au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du CRPA, relatives à la signature des décisions et aux mentions concernant leur auteur.

(27 septembre 2021, Union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse (UNS CGT-PJJ), n° 448985)

V. aussi sur le fond, le n° 58

 

4 - Aide aux jeunes agriculteurs à l'occasion de leur première installation - Conditions de l'aide - Instruction définissant les activités à retenir pour la détermination du revenu disponible agricole - Fiche annexée à cette instruction - Définition du niveau maximum de marge brute - Incompétence du ministre de l'agriculture pour édicter une telle condition - Annulation.

Cherchant à définir la notion et la détermination du « revenu disponible agricole » qu'est susceptible de dégager une nouvelle installation agricole par un jeune agriculteur afin d'en vérifier la viabilité à moyen terme, viabilité qui permet d'attribuer une aide publique, le ministre de l'agriculture a pris une instruction à cette fin.

Il y indique dans une fiche technique n° 1 jointe à cette instruction que « pour les activités de diversification situées dans le prolongement de l'exploitation, les marges brutes de ces activités ne doivent pas représenter plus de 50 % du total des marges brutes de l'exploitation, alors même que ces activités font partie des activités agricoles au sens de l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime ». Constatant que le ministre ne tient ici d'aucun texte, et notamment pas de l'art. L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime, le pouvoir réglementaire qui lui permettrait d'édicter une telle condition. Entaché d'incompétence ce point est annulé.

(28 septembre 2021, Confédération paysanne, n° 436696)

V. aussi, pour un autre aspect de la décision, le n° 38

 

5 - Requête en annulation - Demande au juge de « constater » l'irrégularité d'une procédure administrative non contentieuse - Irrecevabilité - Rejet.

Rappel de ce qu'« il n'entre pas dans l'office du juge administratif, saisi d'une requête au fond, de " constater l'irrégularité " d'une procédure administrative ».

De telles conclusions sont irrecevables et sont donc rejetées.

(30 septembre 2021, M. et Mme A., n° 448006)

 

6 - Certificats d’économie d’énergie (CEE) – Manquements d’une société à ses obligations en la matière – Sanctions – Société mise en redressement judiciaire – Mise en demeure de la société en vue de l’acquisition de CEE « classiques » au lieu de ceux « précarité » qu’elle détenait – Incompétence du ministre – Annulation.

Une société dont l’activité consiste en la maîtrise de la consommation énergétique et la valorisation de certificats d'économies d'énergie (CEE) n’ayant pas respecté ses engagements, fait l’objet de sanctions de la part du ministre de l’énergie. Cette dernière a, sur le fondement du 3° de l'article L. 222-2 du code de l'énergie, annulé des CEE dits " classiques " correspondant à un volume de 48 137 600 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac). Cette sanction, non contestée dans le délai de recours contentieux, est devenue définitive. Toutefois, la société Proecowatt ayant été placée en redressement judiciaire puis un plan de redressement ayant été adopté, la sanction édictée le 27 novembre 2017 n'avait fait l'objet d'aucune exécution lorsque, au terme de la procédure de redressement, ayant constaté que la société Proecowatt ne possédait plus que des CEE dits " précarité " correspondant à un volume de 630 968 kWh cumac, le ministre chargé de l'énergie a mis en demeure la société, par lettre du 15 novembre 2018, d'acquérir dans le délai d'un mois des CEE dits " classiques " permettant de garantir l'exécution de la sanction prononcée le 27 novembre 2017 et l'a informée que, passé ce délai, cette sanction pourrait être convertie en une sanction pécuniaire maximale égale à 0,030 euro par kWh cumac manquant. Enfin, par une décision du 2 août 2019, sa mise en demeure étant restée sans effet, la ministre de la transition écologique et solidaire a, pour assurer l'exécution de la sanction du 27 novembre 2017, annulé des certificats dits " précarité " d'un volume de 630 968 kWh cumac détenus par la société et mis à sa charge une pénalité financière d'un montant de 1 425 198 euros. La société Proecowatt demande l’annulation de cette décision.

Le Conseil d’État accueille le recours en raison de ce que cette décision a été prise par une autorité incompétente à cet effet du moins avant que la loi du 22 août 2021 n’introduise dans le code l’énergie l’art. L. 222-3-1. En effet, si la ministre pouvait infliger, aux conditions habituelles, une sanction à la société requérante pour ses manquements, elle ne pouvait pas, en revanche, légalement lui imposer des mesures d'exécution distinctes de celles prévues par la sanction prononcée. Cette possibilité, qui lui est désormais ouverte par l’art. L. 222-3-1 précité depuis la loi du 22 août 2021, n’existait pas à la date du 2 août 2019 où a été prise la décision attaquée.

Or, en l’espèce, constatant que la société requérante ne possédait pas des CEE « classiques » mais des CEE dits  « précarité » alors que la sanction infligée ne pouvait porter que sur des CEE « classiques », le ministre a imaginé un subterfuge consistant à imposer à la société l'annulation de certificats d'économies d'énergie dits « précarité » d'un volume de 630 968 kilowattheures cumulés actualisés (kWh cumac) détenus à cette date par la société requérante et à lui infliger en sus une pénalité financière d'un montant de 1 425 198 euros correspondant au solde de certificats d'économies d'énergie dits « classiques » dont l'annulation ne pouvait donner lieu à conversion. Aucun texte ne donnant compétence à ce ministre pour procéder ainsi, sa décision est annulée.

(7 octobre 2021, Société Proecowatt, n° 435121)

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques

 

7 - Traitement de données à caractère personnel fondé sur la constatation automatique de certaines infractions au code de la route - Arrêté portant extension à toutes les infractions non routières assorties d'une amende forfaitaire sur relevé automatique - Légalité sauf sur un point - Annulation très partielle.

Les orgnisations requérantes contestaient la juridicité de l'arrêté du 14 avril 2020 modifiant l'arrêté du 13 octobre 2004 portant création du système de contrôle automatisé. Par ce dernier arrêté a été créé un traitement de données à caractère personnel dont les finalités étaient de constater, au moyen d'appareils de contrôle automatique homologués, certaines infractions au code de la route, d'identifier les conducteurs des véhicules concernés et de procéder aux opérations relatives aux avis de contravention correspondants, notamment le recouvrement des amendes. L'arrêté querellé porte extension de ce mécanisme à l'ensemble des infractions non routières faisant l'objet d'une amende forfaitaire relevées au moyen d'appareils électroniques permettant l'établissement d'un procès-verbal électronique. C'est notamment le cas des amendes sanctionnant la consommation de produits stupéfiants. 

Le Conseil d'État rejette tous les griefs articulés à l'encontre de ce texte sauf un.

Tout d'abord, contrairement à ce qui était soutenu devant lui, il n'est pas exact que l'extension, par l'arrêté attaqué, du champ d'application de l'arrêté de 2004 ne repose sur aucune nécessité du fait de l'existence d'un traitement relatif aux antécédents judiciaires qui permettrait déjà d'atteindre les mêmes finalités. En effet, il résulte de l'article 230-6 du code de procédure pénale que ce traitement a pour objet de faciliter le rassemblement des preuves et la recherche des auteurs d'infractions à la loi pénale constitutives de crimes, délits ou contraventions de la cinquième classe. Il poursuit ainsi des finalités distinctes de celles assignées au système de contrôle automatisé, qui vise pour sa part à faciliter la gestion des constats d'infractions et à procéder au recouvrement des amendes forfaitaires relevant essentiellement, en vertu de l'article R. 48-1 du même code, des contraventions des quatre premières classes. On doit reconnaître qu'il est discutable d'affirmer que la poursuite par des moyens automatiques identiques d’infractions différentes retentit directement et par elle-même sur la nature desdits moyens.

Ensuite, est rejeté le moyen tiré de ce que les durées maximales de conservation des données en cause, variables selon la nature de l'infraction, ne sont pas contraires aux exigences du 5° de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978, selon lequel les données à caractère personnel doivent être « conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées ». Selon le juge, d'une part, s'agissant de la durée de dix ans du délai prévu pour la conservation des données relatives aux délits et aux contraventions routières, l'arrêté attaqué se borne à reprendre des dispositions antérieures et présente à cet égard le caractère d'une décision confirmative dont la légalité ne peut être discutée dans le cadre de la présente instance, et d'autre part, pour les autres durées, celles-ci ne présentent pas un caractère excessif.

Également, n'est pas retenue la critique selon laquelle seraient illégales les conditions d'accès au système de contrôle automatisé en ce qu'elles constituent une ingérence excessive dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la CEDH, dès lors qu'y auraient accès, dans des conditions insuffisamment déterminées, d'une part, certaines personnes privées et, d'autre part, l'ensemble des personnels du Centre national de traitement et de l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions. Au contraire, le juge estime proportionnées les accès de ces agents à ce traitement, qu'il s'agisse des organismes mettant des véhicules à disposition de leurs collaborateurs ou clients et ayant signé une convention avec le Centre national de traitement ou des personnels de ce Centre.

Sur un point cependant le recours prospère. L'art. 2, dernier alinéa, de l'arrêté attaqué est jugé illégal en ce qu'il « ne prévoit pas la possibilité pour les personnes mises en cause dans une procédure classée sans suite de demander au procureur de la République l'effacement des données les concernant du fichier " système de contrôle automatisé " pour les infractions non routières, seules en cause (ici) ».

(24 septembre 2021, Association Médecins du Monde, n° 441317)

 

Biens

 

8 - Domaine public fluvial – Contravention de grande voirie – Attribution de la charge des condamnations – Conditions non remplies – Rejet.

Une contravention de grande voirie a été établie par Voies navigables de France à l’encontre de prétendus propriétaires d’un bateau en infraction.

Pour dire injustifiée cette contravention en tant qu’infligée à tort, la cour administrative d’appel avait retenu que les intéressés avaient vendu leur bateau par acte du 23 septembre 2015, antérieurement à l’établissement, le 26 février 2016, du procès-verbal de contravention de grande voirie et cela alors même que les formalités prescrites par les dispositions de l'article L. 4121-2 du code des transport, lesquelles incombent à l'acquéreur, n'avaient pas été accomplies. Par suite, les vendeurs, qui avaient au demeurant effectué toutes démarches, y compris contentieuses, pour que les acquéreurs les accomplissent, ne pouvaient plus être regardés, à la date du procès-verbal, comme les personnes ayant commis l'infraction de stationnement sans autorisation, ni comme les personnes pour le compte desquelles cette infraction a été commise, ni comme les personnes ayant la garde du bateau, moyen de la commission de la contravention.

Il est en effet de jurisprudence constante, au moins depuis 1998 (27 février 1998, Ministre de l'équipement, des transports et du logement c/ Entreprise SOGEBA, req. n° 169359) que « la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est, soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention ».

La solution est entérinée par le Conseil d’État qui rejette le pourvoi de Voies navigables de France.

(13 septembre 2021, Voies navigables de France, n° 450097)

(9) V. aussi, sur cette affaire, à propos de la résolution du litige né de la majoration de 100% : 13 septembre 2021, Mme C. et M. B., n° 443019.

 

10 - Location d'un bien public à une personne privée - Loyer inférieur à la valeur locative - Condition de régularité de la location - Application des principes de l'arrêt Commune de Fougerolles - Rejet.

Le Conseil d'État était saisi d'un pourvoi dirigé contre un arrêt annulant la décision d'un président de centre communal d'action sociale de louer des locaux professionnels à un kinésithérapeute à un prix nettement inférieur à leur valeur locative. La cour administrative d'appel avait transposé, en matière de location d'un bien public, les principes posés par la jurisprudence en matière de vente (Section, 3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, Rec. p. 391) et relevé l'absence de motif d'intérêt général comme de contreparties suffisantes, pouvant motiver le prix du loyer, en particulier l'absence d'offre insuffisante de soins en matière de kinésithérapie.

Le juge de cassation approuve l'argumentation ainsi retenue.

(28 septembre 2021, Centre communal d'action sociale de Pauillac, n° 431625)

 

11 - Cession par une commune de terrains bâtis dans le cadre d’un bail emphytéotique – Cession à un prix inférieur à la valeur vénale des biens – Justifications à apporter – Absence – Rejet.

(13 septembre 2021, Commune de Dourdan, n° 439653 ; Société Dourdan Vacances, n° 439675)

V. n° 12

 

Collectivités territoriales

 

12 - Cession par une commune de terrains bâtis dans le cadre d’un bail emphytéotique – Cession à un prix inférieur à la valeur vénale des biens – Justifications à apporter – Absence – Rejet.

Une commune a conclu avec une société un bail emphytéotique d’une durée de soixante années, à compter du 1er janvier 1962, portant sur un ensemble de terrains en vue de la construction et de l’exploitation d’un village de vacances. Sur proposition de la société, le conseil municipal a approuvé la vente à cette dernière de ces terrains et constructions au prix d’un million d’euros, l’estimation du service des domaines – qui ne portait que sur la valeur des seuls terrains nus - étant de 994 000 euros.

Saisie sur renvoi après cassation, la cour administrative d’appel a estimé très inférieure à la valeur vénale du bâti la somme de six mille euros représentant la différence en plus entre l’estimation domaniale et le prix de vente, sans que cela soit justifié par un motif d’intérêt général.

Sur pourvois de la commune et de la société d’exploitation du village vacances, le Conseil d’État confirme l’arrêt d’appel et, s’agissant d’un second pourvoi, statue définitivement au fond.

Le Conseil d’État rappelle le régime jurisprudentiel des cessions immobilières par des collectivités publiques tel qu’il résulte d’une importante décision de Section (3 novembre 1997, Commune de Fougerolles, Rec. 391) : « La cession par une commune d'un bien immobilier à des personnes privées pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général et comporte des contreparties suffisantes. »

En l’espèce, il est relevé que la somme de six mille euros retenue pour prix de la cession de l’ensemble du bâti nécessitait une justification dans la note explicative de synthèse qui avait été adressée aux conseillers municipaux avant la délibération sur cette opération de cession. Or cette note, si elle indiquait que le bail emphytéotique conclu avec la société Dourdan-Vacances était d'une durée de soixante ans à compter du 1er janvier 1962 et précisait qu'à l'expiration du contrat, le bâti devait revenir en pleine propriété à la commune, elle ne comportait aucun élément permettant d'apprécier la valeur de la renonciation. Cette absence est d’autant plus à relever que l’avis du service des domaines ne comportait aucun élément à cet égard puisqu’il se limitait à évaluer les terrains d'assiette.

Les élus ont donc été mis dans l’impossibilité d’apprécier si la différence entre le prix envisagé et l'évaluation fournie par le service des domaines pouvait être regardée comme représentative de l'indemnité due à la commune pour sa renonciation au droit d'accession et, par suite, si la commune pouvait être regardée comme n'ayant pas cédé un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur. 

(13 septembre 2021, Commune de Dourdan, n° 439653 ; Société Dourdan Vacances, n° 439675)

 

Contentieux administratif

 

13 - Requête en référé suspension et QPC - Défaut de préjudice grave et immédiat - Défaut d'urgence - Irrecevabilité de la demande de transmission de la QPC - Rejet.

La fédération requérante demandait, à la fois, que soit suspendue l'exécution du décret du 29 juin 2021 relatif à la priorité d'accès aux installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performantes ainsi que l'arrêté du même jour et que soit transmise une question prioritaire de constitutionnalité.

Le juge des référés jugeant que la demande de référé suspension étant formulée en termes trop généraux pour permettre de caractériser l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les membres de la fédération requérante, celle-ci doit être rejetée. Par suite, est rejetée également la demande de transmission de la QPC : la solution est classique et normale puisque la QPC se greffe sur une demande principale qui, ici, est rejetée. Ce qui est remarquable en l'espèce c'est que l'ordonnance ne dit rien de cette conséquence, la QPC étant ainsi rejetée implicitement.

(ord. réf. 10 septembre 2021, Fédération Nationale des Activités de Dépollution, n° 456188)

 

14 - Référé suspension - Condition d'urgence - Établissement de l'urgence - Nécessité d'en apporter la démonstration ou la preuve - Absence en l'espèce - Rejet.

La demande de référé suspension est soumise, notamment, à l'existence d'une urgence à statuer. Cette urgence doit être expressément établie par l'auteur de la requête en référé. Celui-ci ne saurait se borner, comme en l'espèce, à soutenir que « l'urgence n'est pas douteuse du fait de l'entrée en vigueur des dispositions critiquées ».

(ord. réf. 17 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456576)

(15) V. aussi, identiques : ord. réf. 21 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456650 et Mme A. et autres, n° 456652.

(16) V. encore, précisant également que l'urgence, au sens de l'art. L. 521-2 CJA, s'apprécie comme justifiant de statuer sous 48 heures. L'entrée en vigueur d'un texte n'établit pas de cette urgence-là quand bien même serait avérée l'atteinte à une liberté fondamentale : 17 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 456577.

 

17 - Dispositions d'une ordonnance de l'art. 38 - Art. 16 déclaré inconstitutionnel par voie de QPC - Effets de cette déclaration sur les autres moyens développés, devant le Conseil d’État, contre cette ordonnance, par voie d'action. Appréciation de la portée rétroactive des annulations prononcées.

Le Conseil d’État avait été saisi d'un recours dirigé contre divers articles de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19, et contre des dispositions de la circulaire de présentation de la garde des sceaux, ministre de la justice, du 26 mars 2020. Les requérants avaient soulevé, d'une part une question prioritaire de constitutionnalité, et d'autre part divers griefs d'illégalité.

Sur renvoi du Conseil d’État des articles 4, 5, 15, 16 et 17 de l'ordonnance, l'art. 16 a été déclaré inconstitutionnel. A la suite de cette décision (C. C., 15 janvier 2021, n° 2020872 QPC), le Conseil d’État avait, d'une part, prononcé l'annulation des autres dispositions de l'ordonnance et accordé un délai d'un mois aux parties pour formuler leurs observations sur le point de savoir si l'annulation rétroactive de ces dispositions serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison des effets qu'elles ont produits et des situations qui ont pu se constituer quand elles étaient en vigueur et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la requête.

La présente décision a pour objet de régler définitivement ce qui reste du litige.

Le juge estime que, s'agissant des articles 5, 16 et 17, la rétroactivité du prononcé de leur annulation aurait des conséquences manifestement excessives en raison de la remise en cause des décisions et des mesures ayant été prises sur leur fondement ainsi que des objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions. Il décide donc d'en limiter les effets dans le temps et, compte tenu de ce que les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance ne sont plus applicables, de prévoir que les effets de ces dispositions, jusqu'à la présente annulation s'agissant des articles 5 et 17, doivent être regardés comme définitifs.

S'agissant de l'art. 4, la déclaration d'illégalité est faite avec effet rétroactif, ce dernier caractère n'emportant pas des effets excessifs.

(23 septembre 2021, Ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, Conseil national des barreaux, Ordre des avocats au barreau de Paris et association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, n° 440037 ; M. A., n° 440165)

 

18 - Ordonnance de donné acte d'un désistement - Appel de cette ordonnance - Office du juge d'appel - Erreur de droit - Annulation.

Le juge d'appel saisi de la contestation d'une ordonnance donnant acte au requérant de son désistement faute d'avoir répondu dans le délai fixé par le juge doit, conformément à une jurisprudence désormais bien établie,  vérifier que l'intéressé a reçu la demande  de confirmation du maintien de ses conclusions (art. R. 612-5-1 CJA), que cette demande fixait un délai d'au moins un mois au requérant pour répondre et l'informait des conséquences d'un défaut de réponse dans ce délai, que le requérant s'est abstenu de répondre en temps utile. Enfin, ces conditions étant réunies, il incombe au juge d'appel d'apprécier si le premier juge, dans les circonstances de l'affaire, a fait une juste application des dispositions de l'article R. 612-5-1 précité. En se bornant à ne vérifier que ce dernier point et en omettant l'examen des autres, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit, d'où l'annulation de son arrêt.

(27 septembre 2021, M. A., n° 438009)

(19) V. aussi, dans le même sens : 30 septembre 2021, M. A., n° 443763.

 

20 - Procédure contentieuse - Refus de tenir compte d'un mémoire pour dépôt tardif - Tardiveté prétendue contredite par l'accusé de réception d'une application télématique - Décision irrégulière - Annulation.

Doit être annulé pour avoir été rendu dans des conditions irrégulières, l'arrêt de la Cour nationale du droit d'asile qui refuse de tenir compte de l'unique mémoire déposé dans le cadre d'un procès par l'OFPRA car il aurait été produit après la date de clôture de l'instruction alors qu'il résulte de l'accusé de réception de l'application "CNDém@t " qu'il a été déposé deux jours avant l’expiration de cette date.

(27 septembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides, n° 440190)

 

21 - Propriétaires voisins - Recours en tierce opposition contre un jugement annulant un refus de permis de construire - Conditions de recevabilité d'un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Conditions non réunies en l'espèce - Rejet.

Ne commet ni erreur de droit, ni erreur de qualification juridique des faits et n'enfreint pas les exigences du procès équitable, l'arrêt d'appel qui rejette l'action en tierce opposition contre un jugement annulant le refus d'un permis de construire  car, d'une part l'annulation d'un tel refus ne valant pas octroi du permis et d'autre part, les motifs de ce jugement, alors même que, s'agissant de ceux de ces motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif d'annulation, l'autorité absolue de la chose jugée fait obstacle à ce qu'en l'absence de changement de circonstance de droit ou de fait, l'administration fonde un nouveau refus sur l'un d'entre eux, ne valant pas davantage par eux-mêmes octroi d'un tel permis, il s'ensuit que ce jugement ne préjudicie pas directement aux droits des demandeurs au pourvoi, seule hypothèse donnant ouverture à une action en tierce opposition.

(29 septembre 2021, EARL Grand Fossé et autres, n° 438525)

V. pour un autre aspect de la décision, le n° 82

 

22 - Délai du recours contentieux - Délai franc - Computation en cas de jour férié - Prétendue tardiveté - Absence - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le juge d'une cour administrative d'appel qui rejette pour tardiveté un appel, introduit le 11 mai 2018, dirigé contre un jugement notifié le 9 mars 2018. En effet, le délai a commencé à courir le 10 mars (neutralisation du dies a quo, soit le 9 mars) et s'est achevé le 11 mai à minuit (non le 10, dies ad quem, qui était un jour férié). L’appel n’était donc point tardif.

(29 septembre 2021, Ministre des armées, n° 447332)

(23) V., comparable, la décision du Conseil d’État annulant le rejet d'un recours contentieux pour cause de tardiveté alors que du fait de l'épidémie de Covid-19, la date à l'expiration de laquelle était constituée en l'espèce une décision implicite de rejet a été reportée au 24 juin 2020 par l'effet des dispositions prorogatrices de délais contenues à l'art. 6 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ; le délai de recours expirait donc, en l'espèce, le 24 octobre 2020 inclus et la requête, enregistrée au greffe le 22 octobre, n'était donc pas entachée de forclusion : 29 septembre 2021, M. B., n° 447987.

 

24 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Qualité de partie en première instance nécessaire pour se pourvoir – Absence en la matière s’agissant d’une communauté d’agglomération – Faculté n’appartenant qu’aux seuls services de l’État – Rejet pour irrecevabilité.

(7 octobre 2021, Communauté d’agglomération Grand Lac, n° 438203)

V. au n° 37

 

Contrats

 

25 - Accord-cadre - Procédure négociée - Offre adressée par voie électronique reçue hors délai - Rejet de l'offre pour tardiveté - Offre déposée en temps utile - Fonctionnement correct du matériel de l'expéditeur - Irrégularité - Rejet.

La RATP recherchait l'annulation de l'ordonnance de référé par laquelle a été annulée sa décision de rejeter pour tardiveté une offre faite par voie électronique hors délai dans le cadre d'un appel d'offres ouvert en vue d'un accord-cadre.

Le pourvoi est rejeté car la société auteur de l'offre a établi, d'une part, avoir adressé son envoi en temps utile, et, d'autre part, l'absence de tout dysfonctionnement de son appareil, d'autant que la RATP n'a pu démontrer le bon fonctionnement de sa propre plateforme.

En outre, la RATP ne saurait reprocher au juge du référé précontractuel de n'avoir pas tenu compte, dans son appréciation d'une éventuelle négligence de la société, de l'absence de dépôt par cette société d'une copie de sauvegarde des documents transmis, dès lors que la transmission d'une copie de sauvegarde des documents eux-mêmes transmis par voie électronique est une simple faculté ouverte aux candidats et soumissionnaires en application de l'article R. 2132-11 du code de la commande publique, et que l'absence d'un tel dépôt n'était pas à elle seule de nature à établir l'existence d'une négligence de la société.

La solution doit être approuvée.

(23 septembre 2021, RATP, n° 449250)

 

26 - Marché public - Mémoire de réclamation - Conditions de forme et de contenu - Condition non remplie par le renvoi à un document antérieur - Rejet.

Rappel et même amplification d'une exigence de forme que l'on peut juger excessive.

Le juge déduit des dispositions du 1.1 de l'art. 50 du CCAG Travaux qui fixent les conditions de forme et le contenu du mémoire en réclamation (énoncé d'un différend, exposition précise et détaillée des chefs de la contestation, montants des sommes réclamées, motifs de ces demandes dont les bases de calcul) que celui-ci doit figurer soit dans le mémoire lui-même soit dans un document annexé à ce mémoire. Il ne saurait en revanche, figurer dans un document antérieurement transmis au représentant du pouvoir adjudicateur ou au maître d'œuvre auquel le mémoire de réclamation se bornerait à renvoyer sans le joindre à nouveau à ce mémoire.

(27 septembre 2021, Société Amica, n° 442455)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

27 - Impôt sur le revenu global – Plus-value réalisée lors de la cession d’actions d’une société américaine – Acquisition et cession effectuées en dollars américains – Calcul de la plus ou de la moins-value – Conversion en euros – Rejet.

L’art. 150-0-A, I, 1 du CGI soumet à l’impôt sur le revenu les gains réalisés à l’occasion des cessions à titre onéreux de valeurs mobilières.

Ici la question posée était de savoir comment calculer le gain net imposable s’agissant d’actions acquises puis vendues à des prix exprimés en dollars américains.

Les requérants prétendaient que ce gain devait être calculé par la conversion en euros, au jour de la cession, de la différence entre les prix, en dollars américains, d’achat et de vente et contestaient la solution retenue par la cour administrative d’appel. Celle-ci, pour constater le gain net, a converti en euros respectivement, les prix d’achat en dollars américains, au jour de l’acquisition, et celui de cession en dollars américains au jour de la vente et calculé la différence entre les deux prix exprimés en euros.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État approuvant la solution, très logique, retenue par la cour compte tenu de la nécessaire intégration des taux de change.

(13 septembre 2021, M. B. et Mme F., n° 443914)

 

28 - Taxe d’habitation – Abattement pour assistants familiaux et maternels – Nécessité de produire le planning journalier des gardes d’enfants – Erreur de droit – Annulation.

Les assistants maternels et familiaux peuvent demander le bénéfice d’un abattement de la taxe d’habitation à raison de la nécessité où ils sont de disposer dans leur habitation d’un espace pour les enfants dont ils assurent la garde et l’entretien. Le Conseil d’État juge, contrairement au tribunal administratif, que la production par l’intéressée des bulletins de salaires et des contrats de travail ne suffisait pas et que c’est à juste titre que l’administration fiscale lui a demandé la fourniture des plannings journaliers retraçant le nombre d'enfants gardés et la durée de garde journalière de chacun d'eux afin que l’abattement de taxe d’habitation soit calculé au prorata.

Pour logique que soit cette exigence, elle cadre mal, d'une part, avec la modestie des sommes en jeu et, d'autre part, avec les conséquences paperassières qu'elle engendre pour des personnes dont les compétences en sont bien éloignées. Il conviendrait de se souvenir que les formalités administratives ne doivent point être conçues dans le seul souci du confort des agents publics.

(13 septembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 445544)

 

29 - Imposition des bénéfices des sociétés – Convention de fusion avec effet rétroactif – Conséquences sur le régime fiscal applicable – Interprétation ministérielle de la loi fiscale – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du 24 février 2021 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a refusé d'abroger les paragraphes 80, 90 et 110 des commentaires administratifs publiés le 3 octobre 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts par lesquels il a fait connaître son interprétation de la loi fiscale en ce qui concerne les conséquences à tirer, en matière d'imposition des bénéfices des sociétés, des clauses des conventions de fusion prévoyant une date d'effet rétroactif.

Il se déduit du 2. de l’art. 38 du CGI qu'un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l'entreprise, telle qu'elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par l'entreprise. Si parmi ces opérations figurent des contrats conclus avec des tiers dans le cadre d'une gestion commerciale normale, les conséquences de ces contrats pour l'entreprise, qu'il s'agisse des droits et des obligations résultant de leurs stipulations ou des profits et des charges entraînés par leur exécution, doivent donc être reprises dans le bilan établi à la date de clôture de la période au cours de laquelle les contrats ont été conclus.

Il suit de là, lorsqu'un effet rétroactif est attaché à ces contrats par la volonté des parties ou par la loi civile ou commerciale, que les conséquences de cette rétroactivité doivent affecter les résultats de l'exercice au cours duquel de pareils contrats ont été effectivement conclus.

En cas de conclusion d’un contrat de  fusion de deux sociétés, avec effet rétroactif de la fusion à une date antérieure à celle à laquelle la convention de fusion a été définitivement conclue, rien ne s'oppose à ce que soient prises en compte toutes les conséquences de la fusion, pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante, dans le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel la convention a été définitivement conclue.

Cependant, conformément à l’interprétation ministérielle contestée par la requérante, les effets de la fusion, qui ne saurait exercer une influence sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents de chacune des deux sociétés concernées, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par celles-ci au cours de ces exercices, ne sauraient remonter à une date antérieure à la plus récente des dates d'ouverture des exercices des deux sociétés au cours desquels la convention a définitivement été conclue.

Le recours est, très logiquement, rejeté.

(13 septembre 2021, Société Adis, n° 451564)

 

30 - Plan comptable général – Modification par l’Autorité des normes comptables (ANC) – Conditions d’amortissement des fonds commerciaux des petites entreprises (art. L. 123-16 code de commerce) – Avis de droit.

Le Conseil d’État était saisi par le tribunal administratif d’Orléans de la question suivante : à la suite de la modification des dispositions du plan comptable général par le règlement du 23 novembre 2015 pris par l'Autorité des normes comptables, l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts doit-il être interprété comme autorisant, en application du principe de connexion fiscalo-comptable, les petites entreprises, définies à l'article L. 123-16 du code de commerce, à amortir tous leurs fonds commerciaux sur dix ans sans avoir à justifier de l'irréversibilité de leur dépréciation ?

Il est répondu que si, en effet, les dispositions du cinquième alinéa de l'article 214-3 du plan comptable général permettent à une petite entreprise au sens de l'article L. 123-16 du code de commerce d'amortir sur 10 ans l'ensemble des fonds commerciaux inscrits à l'actif de son bilan, ces mêmes dispositions ne subordonnent pas l'exercice de l'option qu'elles prévoient à la condition, prévue par la loi fiscale, que les effets bénéfiques sur l'exploitation du fonds commercial dont il s'agit prennent fin à une date déterminée.

Il suit de là qu’en raison de l'incompatibilité de cette règle comptable avec la règle législative, propre à la détermination de l'assiette de l'impôt, selon laquelle (art. 39 CGI) un élément d'actif incorporel identifiable, y compris un fonds de commerce, ne peut donner lieu à une dotation à un compte d'amortissement que s'il est normalement prévisible, lors de sa création ou de son acquisition par l'entreprise, que ses effets bénéfiques sur l'exploitation prendront fin à une date déterminée, une petite entreprise qui met en œuvre l'option prévue à l'article 214-3 du plan comptable général ne saurait en conséquence s'en prévaloir pour la détermination de son résultat fiscal. 

(Avis, 8 septembre 2021, SELARL Pharmacie de Bracieux, n° 453458)

 

31 - Ordre de reversement d'une aide d'urgence - Conditions et délai de contestation - Décision initiale devenue définitive constatant une créance publique et la liquidant - Possibilité de contester néanmoins l'ordre de reversement dans le délai du recours contentieux - Irrecevabilité du recours dirigé contre un ordre de reversement se bornant à réitérer la décision initiale - Annulation et rejet.

Un marin pêcheur, qui avait obtenu une aide d'urgence pour son navire, s'est vu réclamer quelques mois plus tard, par une décision préfectorale du 20 novembre 2008, le remboursement du montant de cette aide après que son navire a été détruit. Il a fait l'objet d'un ordre de reversement émis par le Centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) le 2 décembre 2008, puis, après plusieurs relances, cet ordre de reversement a été réitéré par un titre exécutoire émis le 27 mars 2015 par l'Agence de services et de paiement qui a succédé au CNASEA.

Deux pourvois sont formés contre l'arrêt fondés notamment sur la forclusion : l'intéressé n'aurait pas pu saisir le juge d'un recours contre le titre de mars 2015 alors que le délai de recours contre la décision préfectorale du 20 novembre 2008 ou contre l'ordre de reversement du 2 décembre 2008 était manifestement expiré.

Le Conseil d’État, comme le juge d'appel, rejette l'argumentation en indiquant, pour la première fois avec cette netteté dans la formulation, que « Le destinataire d'un ordre de versement est recevable à contester, à l'appui de son recours contre cet ordre de versement, et dans un délai de deux mois suivant la notification de ce dernier, le bien-fondé de la créance correspondante, alors même que la décision initiale constatant et liquidant cette créance est devenue définitive ».

Toutefois, en l'espèce, le juge relève que le titre de mars 2015, qui porte comme date d'émission celle du 2 décembre 2008, se borne à rappeler le montant dû figurant dans l'ordre de reversement du 2 décembre 2008 ; n'emportant par lui-même aucune décision nouvelle, le titre de 2015 n'a pu rouvrir le délai de recours contentieux. Les conclusions du demandeur étaient donc irrecevables contrairement à ce qu'a jugé la juridiction d'appel.

(28 septembre 2021, Ministre de l'agriculture, n° 437650 ; Agence de services et de paiement, n° 437683)

 

32 - Aménagement de combles - Qualification refusée de travaux d'agrandissement - Juridiction d'appel prenant en considération la hauteur des combles avant travaux - Erreur de droit - Annulation.

Le litige portait sur la prise en compte, dans les revenus fonciers, des frais occasionnés aux demandeurs par la réalisation de travaux sur un ensemble immobilier dont ils sont propriétaires.

Dans ce cadre, la cour administrative d'appel avait jugé que n'étaient pas des travaux d'agrandissement ceux relatifs à l'aménagement des combles motif pris de ce qu'ils avaient déjà une hauteur de 1,80 mètre avant les travaux et qu'ils étaient dès cette date habitables.

Le Conseil d’État annule ce raisonnement en exigeant que la cour vérifie, outre cette hauteur, si, avant les travaux, « les combles étaient (...) pourvus d'aménagements les rendant habitables ».

On apercevrait ici plutôt une erreur de fait qu'une erreur de droit...

(28 septembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 439145)

 

33 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) - Déductibilité de la TVA acquittée sur des dépenses antérieures à l'opération - Nécessité d'un lien direct et immédiat entre une opération en amont et une ou plusieurs opérations en aval - Absence en l'espèce - Annulation.

A l'occasion d'une opération de cession des parts d'une société à une société tierce, la Sarl Saint-Exupéry Holding a été contrainte d'exposer des frais d'avocat et d'instance à l'occasion d'un litige l'opposant à la société acquérante. Elle entendait déduire de la TVA applicable à cette opération de cession celle ayant grevé les frais de procès et d'honoraires.

Le ministre demandeur à la cassation se pourvoit contre l'arrêt d'appel qui a donné gain de cause à la holding.

Pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État relève que c'est par suite d'une erreur de droit que la cour a admis la déductibilité de la TVA. En effet, elle a jugé que l'opération en cause avait un caractère patrimonial et qu'il était établi que la TVA ayant grevé les frais de procédure n'avait pas été incorporé au prix de cession. Or une opération purement patrimoniale n'entrant pas dans le champ d'application de la TVA, il ne saurait exister, comme l'exigent les textes et la jurisprudence communautaires, de lien direct et immédiat entre une opération particulière en amont et une ou plusieurs opérations en aval ouvrant droit à déduction : dès lors il ne pouvait être question de déductibilité.

(28 septembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440987)

 

34 - Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Acquisition de biens immobiliers à usage d’habitation avec faculté de rachat par le vendeur – Nature juridique d’une telle vente - Livraison de bien lors de la vente – Réalisation d’une condition résolutoire lors du rachat – Qualification de livraison de bien en ce second cas – Erreurs de droit et de qualification juridique des faits – Cassation sans renvoi (affaire réglée au fond, art. L. 821-2 CJA).

Une société immobilière propose aux personnes en surendettement de leur acheter leur bien à usage d’habitation, à un prix inférieur à sa valeur vénale, avec faculté pour elles de le racheter dans les dix-huit mois en cas de retour à meilleure fortune, celles-ci continuant à occuper leur bien, à verser un loyer et pouvant racheter leur bien à un prix supérieur de 13% au prix de vente.

La société s’est acquittée du montant de la TVA calculé sur la différence entre le prix d’achat et le prix de vente de chaque bien, puis elle a sollicité le remboursement, avec intérêts moratoires, de la TVA. Après refus de l’administration fiscale, la société a saisi, en vain, le tribunal administratif, avec succès la cour administrative d’appel. Le ministre chargé des finances se pourvoit contre cet arrêt et en obtient la cassation.

Appliquant les dispositions des art. 1659, 1660, 1661 et 1664 du Code civil, le Conseil d’État relève que si, lors de la cession initiale du bien à la société, l’opération constitue une livraison de bien, par conséquent exonérée de TVA (cf. art. 256, 2° du 5 de l’art.  261 et 1° de l’art. 261 C du CGI), en revanche il n’en va pas de même lors du rachat du bien par le vendeur initial, cette opération constituant non une livraison de bien mais la mise en œuvre d’une condition résolutoire ayant pour effet de remettre les parties dans le même et semble état que celui dans lequel elles étaient avant la vente. C’est donc par suite d’une erreur de droit et d’une erreur sur la qualification juridique des faits que la cour administrative d’appel avait estimé exonérée de TVA l’opération de rachat.

(7 octobre 2021, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 430136)

 

35 - Plus-value d’apport – Régime du sursis d’imposition (art. L. 150-0 B CGI) – Vente de parts sociales reçues en contrepartie d’apport – Plus-value de cession – Bénéfice du taux optionnel d’imposition à 19% (2bis de l’art. 200 A CGI) - Refus – Application du taux de 24% (cf. A du IV de l’art. 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013) – Erreur de droit mais rejet par substitution de motif.

Si, finalement, les auteurs du pourvoi succombent pour une question de délai d’exercice d’une activité, le principe posé dans cette décision demeure et il est d’une importance pratique certaine.

Le e du 2 bis de l'article 200 A du CGI prévoit qu’en cas d'exercice par le contribuable d'une fonction dirigeante ou d'une activité salariée au sein d’une société, dont les titres ou droits sont cédés, pendant une période de cinq ans précédant la cession la plus-value de cession de parts sociales bénéficie d’un taux d’imposition de 19%.

Ce taux est déclaré applicable par le Conseil d’État « aux gains nets de cession mentionnés à l'article 150-0 A du même code, réalisés au titre de l'année 2012, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que ces gains soient issus de la vente ou du rachat de titres reçus à l'occasion d'opérations ayant relevé de l'article 150-0 B du même code ». C’est là l’apport principal de la décision.

Toutefois, comme c’était le cas des requérants dans la présente espèce, faute de satisfaction de cette condition de durée des fonctions, est alors applicable le taux d’imposition de 24% prévu au IV de l'article 10 de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013.

(7 octobre 2021, M. et Mme C., n° 433954)

(36) V. aussi, voisine quant à l’exigence de durée minimale d’exercice d’activité pour pouvoir bénéficier d’une exonération fiscale de plus-value, la décision qui approuve  une cour administrative d’appel d’avoir jugé  que la remise en cause de l'exonération de la plus-value que le requérant avait réalisée en 2007 ne procédait pas directement du rehaussement des résultats de la société, imposable entre les mains de celui-ci en sa qualité d'associé de la société soumise au régime des sociétés de personnes prévu à l'article 8 CGI, mais de l'utilisation, par l'administration fiscale, pour apprécier si la condition de seuils à laquelle était subordonnée l'exonération de plus-value dont se prévalait à titre personnel le requérant sur le fondement de l'article 151 septies du même code était satisfaite, d'informations sur le montant du chiffre d'affaires de la SNC recueillies lors de la vérification de la comptabilité de cette dernière. Par suite, l'irrégularité de la procédure d'imposition menée à l'encontre de la SNC, qui résultait de l'absence de réponse donnée à sa demande de saisine de l'interlocuteur départemental, n'était pas de nature à rendre illégale, au regard de la garantie des droits consacrée par l'article 16 de la Déclaration de 1789, l'utilisation des éléments comptables recueillis par l'administration fiscale au cours des opérations de contrôle menées à l'égard de cette société et pris en compte pour remettre en cause l'avantage fiscal dont se prévalait le requérant.

Voilà une solution de faible moralité que n’excuse pas le comportement similaire ou comparable du contribuable ; il n’existe pas, pour la puissance publique, un principe d’égalité dans le recours à la turpitude. Elle ne saurait, tel un nouveau Mascarille, s’écrier :

« Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde,

Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,

Votre oeil en tapinois me dérobe mon coeur,

Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur »

(7 octobre 2021, M. et Mme X., n° 434805)

 

37 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Qualité de partie en première instance nécessaire pour se pourvoir – Absence en la matière s’agissant d’une communauté d’agglomération – Faculté n’appartenant qu’aux seuls services de l’État – Rejet.

Une société ayant obtenu du tribunal administratif la décharge des cotisations de taxe d'enlèvement des ordures ménagères auxquelles elle avait été assujettie, la communauté d’agglomération dans le périmètre de laquelle est situé l’immeuble de cette société servant d’assiette à la taxe, se pourvoit contre le jugement.

Le Conseil d’État rappelle que seuls peuvent se pourvoir en cette matière les services de l'État car ce sont eux qui établissent, liquident et recouvrent, pour le compte de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale qui en est le bénéficiaire légal, cet impôt local qu’est la taxe d’enlèvement des ordures ménagères.

Le pourvoi de la communauté d’agglomération est donc déclaré irrecevable.

(7 octobre 2021, Communauté d’agglomération Grand Lac, n° 438203)

 

Droit public économique

 

38 - Aide à la première installation de jeunes agriculteurs - Conditions de l'aide - Instruction définissant les activités à retenir pour l'établissement du revenu disponible agricole - Fiche annexée à cette instruction - Définition des « activités agricoles » - Définition ne restreignant pas ces activités aux seules activités de première transformation - Absence d'illégalité - Rejet sur ce point.

Le code rural et de la pêche maritime a prévu l'octroi d'une aide d'État pour favoriser la première installation de jeunes agriculteurs. Les dispositions combinées des art. D. 343-3 et L. 311-1 de ce code, en même temps qu'elles esquissent une définition des « activités » agricoles, renvoyaient au pouvoir réglementaire le soin de déterminer le revenu disponible agricole sur une certaine période afin de vérifier la viabilité de cette première installation.

A cette fin, le ministre de l'agriculture a pris une instruction, du 9 avril 2015, accompagnée de fiches techniques.

Le syndicat requérant estimait que ces documents restreignaient illégalement la notion d'activités agricoles à celles de première transformation, excluant donc les autres stades de transformation et ne satisfaisant pas ainsi aux dispositions, réglementaire et législative, précitées.

Le moyen est rejeté car il manque en droit et en fait. Le Conseil constate au contraire que c'est explicitement que l'instruction et sa fiche technique n° 1 ont prévu la faculté,  pour les jeunes agriculteurs, d'exercer « les activités de diversification situées dans le prolongement de l'exploitation, ce qui n'exclut pas, notamment, des activités de panification, de biscuiterie et de pâtisserie, afin de définir les conditions de détermination du revenu disponible agricole dont l'évolution prévisionnelle pendant les quatre premières années d'activité du demandeur constitue l'un des éléments pris en compte par l'administration pour apprécier la viabilité du projet d'installation présenté et statuer sur la demande d'aide à l'installation ».

De ce chef, le recours est rejeté

(28 septembre 2021, Confédération paysanne, n° 436696)

V. un autre aspect de cette décision au n° 4

 

39 - Gestion de la trésorerie de l'État - Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) - Obligation de dépôt des disponibilités de certains organismes sur le compte du Trésor - Organismes privés chargés d'une mission de service public - Notion de mission de service public et notion de service public - Ordonnance ne sortant point du champ de l'habilitation législative - Droit au respect des biens et à la protection de la propriété - Absence d'atteinte excessive - Rejet.

L'affaire était délicate.

La situation peu reluisante des finances publiques françaises a conduit l'État à un tour de passe-passe. Voulant éviter d'émettre de la dette pour faire face à ses engagements financiers, l'État a cherché par tous les moyens à se procurer de la trésorerie à peu de frais en contraignant toutes sortes d'organismes publics et privés à déposer leurs disponibilités sur un compte du Trésor sans aucune possibilité pour ceux-ci d'être rémunérés pour cette mise à disposition « gracieuse » forcée.

C’est dans ces conditions que le Fonds de garantie des dépôts et de résolution a saisi le Conseil d’État d'un recours nécessairement voué à l'échec étant donné l'importance de l'enjeu... (« filtrer le moustique et laisser passer le chameau... », aurait rappelé Jean Rivero).

Le requérant est une personne morale de droit privé, créée par la loi, qui  gère et met en oeuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution.

Il faut laisser de côté les moyens, assez faibles, de légalité externe soulevés par le FGDR, pour se consacrer à l'examen du fond qui consiste à critiquer la légalité de l'art. 1er de l'ordonnance du 2 décembre 2020 relative à la centralisation des disponibilités de certains organismes du Trésor.

Celui-ci insère dans l'article L. 312-4 du code monétaire et financier un paragraphe II bis ainsi libellé : « A l'exception des fonds issus de dons, legs ou libéralités, les disponibilités du fonds de garantie des dépôts et de résolution sont déposées au Trésor et ne donnent lieu à aucune rémunération ». 

Partant de là le Fonds requérant développe une double argumentation : d'une part ce texte méconnaîtrait le champ de l'habilitation législative (A) et d'autre part, il violerait le premier protocole additionnel à la Convention EDH (B).

 

A/ Concernant l'habilitation, le Conseil d’État rappelle d'abord les critères permettant de savoir si une personne privée est chargée d'une mission de service public ou chargée d'un service public en réitérant une jurisprudence bien connue d'où se détachent les arrêts Narcy et APREI. Du premier, le juge retient qu'« une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ». Du second, il déduit qu'« une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ». On aura relevé cependant - du moins en apparence - une importante différence : l'arrêt Narcy, au moyen de ses critères cumulatifs, sert à déterminer l'existence d'un service public géré par une personne privée tandis que l'arrêt APREI ne sert qu'à déterminer si une personne privée accomplit une mission de service public. On aura compris qu'il ne s'agit pas du tout là de deux branches d'une alternative mais de deux situations différentes, exercer une mission de service public (c'est-à-dire l'une des missions d'un service public qui en comporte plusieurs) ne revient pas à assurer la gestion de l'ensemble d'un service public.

Ensuite, le Conseil d’État examine dans quel cas de ces deux figures se trouve le Fonds requérant pour en conclure qu'il exerce une mission de service public après avoir dit qu'il exerce une mission d'intérêt général et alors que sont satisfaits tous les critères de l'arrêt Narcy. C'est confus et brouillon, presque un galimatias.

Qu'on en juge (c'est nous qui avons mis certains passages en caractères gras) :

« 7.  D'une part, il ressort des pièces du dossier, que le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, personne morale de droit privé, qui a pour mission, en vertu de l'article L. 312-4 du code monétaire et financier, de gérer et de mettre en œuvre le mécanisme de garantie des dépôts et le dispositif de financement de la résolution, assure une mission d'intérêt général. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 312-10 du même code que son règlement intérieur et les règles d'emplois de ses fonds sont homologués par arrêté du ministre chargé de l'économie, qu'il est soumis au contrôle de l'inspection générale des finances, que les délibérations par lesquelles son conseil de surveillance arrête le taux ou le montant des contributions appelées auprès de ses adhérents ainsi que la répartition des contributions selon leur nature sont prises sur avis conforme de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et qu'un censeur d'État, désigné par le ministre chargé de l'économie, participe, sans voix délibérative, aux travaux du conseil de surveillance, l'article L. 312-13 du code monétaire et financier prévoyant, en outre, la possibilité pour le ministre, le gouverneur de la Banque de France, le président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ainsi que pour le président de l'Autorité des marchés financiers ou leurs représentants d'être entendus, à leur demande, par le conseil de surveillance et le directoire. L'article L. 312-16 dispose également qu'il appartient au ministre chargé de l'économie de préciser par arrêtés, entre autres, les conditions, délais et modalités de mise en œuvre de la garantie des dépôts, le plafond d'indemnisation par adhérent et par déposant ou encore les modalités de désignation des membres du conseil de surveillance ainsi que la durée de leur mandat. Il s'ensuit que le Fonds doit être regardé comme placé sous le contrôle de l'État. Enfin, le Fonds est doté, pour l'exercice de sa mission d'intérêt général, de prérogatives de puissance publique dès lors que les établissements de crédit, les entreprises d'investissement et les sociétés de financement mentionnées au II de l'article L. 511-1 du code monétaire et financier, agréés en France, ainsi que les compagnies financières holding et holding mixtes ayant leur siège en France, les entreprises de marché autorisées à fournir les services d'investissement mentionnées aux 8 et 9 de l'article L. 321-1 de ce code sont tenus d'adhérer au fonds, qu'il peut, en application de l'article L. 312-7 du même code, lever des contributions exceptionnelles et que, pour l'exercice de sa mission d'indemnisation, le Fonds a, sur le fondement de l'article L. 312-15 de ce code, accès aux informations nécessaires détenues par ses adhérents, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et son collège de supervision ou son collège de résolution, y compris celles couvertes par le secret professionnel.
8. Compte tenu de tout ce qui précède, le Fonds de garantie des dépôts et de résolution, qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration en étant doté, à cette fin, de prérogatives de puissance publique, exerce une mission de service public ».

On a bien lu : Le FGDR exerce une mission de service public alors que l'on attendait qu'il fût, au terme de ce qu'en dit le juge, déclaré chargé d'un service public.

Les disponibilités du Fonds de garantie des dépôts et de résolution sont considérées par le juge comme étant majoritairement issues de ressources prévues par la loi en dépit de ce que l'art. L. 312-10 du code monétaire et financier confie au seul conseil de surveillance du Fonds la compétence pour fixer le taux ou le montant des contributions appelées auprès des adhérents du Fonds ainsi que leur répartition selon leur nature.

De là la conclusion en forme de rejet de ce premier moyen : on ne saurait soutenir que l'auteur de l'art. 1er de l'ordonnance attaquée a excédé le champ de l'habilitation législative (cf. art. 58 de la loi du 17 juin 2020) puisque le Fonds est un organisme privé, établi par la loi, chargé d'une mission de service public et dont les disponibilités sont bien majoritairement issues de ressources prévues par la loi, au sens des dispositions de l'article 58 de la loi du 17 juin 2020.

Circulez, il n'y a rien à voir...Le massacre des notions gestion de service public, de mission de service public, de mission d’intérêt général, etc. n’intéresse personne.

 

B/ Concernant la Convention EDH, on ne sera guère surpris de lire que le juge ne voit ici aucune atteinte à son premier protocole additionnel. L'État est aux abois (crise sanitaire, endettement considérable récurrent) et s'emparer des liquidités du Fonds, qui cependant n'en perd pas la libre disposition (sic, sauf s'il en a besoin quand le Trésor ne les a plus...), « ne porte pas une atteinte excessive au droit du requérant au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ». La messe est dite. Ite missa est.

(28 septembre 2021, Fonds de garantie des dépôts et de résolution, n° 447625)

 

40 - Police des contrats d’assurance-vie en déshérence – Exercice d’un contrôle par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Cas d’une mutuelle – Obligations pesant sur elle de ce chef – Manquements avérés et d’une gravité certaine – Sanctions – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Voilà une affaire exemplaire.

La loi du 17 décembre 2007 a prévu que les organismes, telles les compagnies d’assurances ou les mutuelles notamment, ont l’obligation de rechercher les bénéficiaires des contrats d'assurance sur la vie non réclamés afin de prévenir la non-exécution des engagements, pris à l'égard des assurés, dont le fait générateur est le décès. Cette obligation concerne ceux des contrats « dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine » (art. L. 111-1, I, 1°, b du code de la mutualité).

A la suite d’un contrôle diligenté par l’ACPR, et compte tenu des manquements à ces exigences, il a été infligé à la mutuelle – composée pour l’essentiel des « petites catégories de personnel des PTT » - un blâme, une sanction pécuniaire de 500 000 euros et la publication de cette décision au registre de l'Autorité. C’est de ces décisions de sanction que la mutuelle demandait l’annulation.

Sans surprise le recours est rejeté. 

Tout d’abord, la mutuelle faisait valoir que le contrat TUT’LR qu’elle commercialise auprès de ses 400.000 adhérents (PTT et Orange) est un contrat mixte de prévoyance qui n'est pas au nombre des contrats soumis aux obligations susrappelées. L’argument est infondé car il ressort clairement de la lecture des dispositions en cause du code de la mutualité (notamment les art. L. 223-10, dernier alinéa et L. 223-10-2) que les obligations qu'elles prescrivent doivent être mises en œuvre pour tout contrat d'assurance comportant des engagements dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, y compris ceux comprenant également d'autres garanties, notamment au titre de la prévoyance, et ceci quelle que soit l'importance respective des différentes garanties offertes au sein du même contrat.

Dès lors que, comme en l’espèce où le contrat TUT'LR comporte des garanties décès permettant aux ayants droit, en cas de décès de l'assuré pendant la durée de vie du contrat, de bénéficier d'un capital, un tel contrat constitue indubitablement un engagement dont l'exécution dépend de la durée de la vie humaine, au sens du b du 1° du I de l'article L. 111-1 du code de la mutualité précité. Cette conséquence n’est affectée ni par le fait que le contrat TUT'LR est dépourvu de finalité d'épargne, ni par la circonstance que son souscripteur peut, à chaque échéance annuelle, décider d'y mettre un terme, ni, non plus, de ce que les fonds investis sont perdus dans l'hypothèse où le risque garanti ne se réalise pas. C’est donc sans erreur de droit que la commission des sanctions de l’ACPR a estimé que Tutélaire était tenue, au titre de son contrat TUT'LR, de procéder systématiquement à des recherches sur le décès éventuel de ses assurés et, le cas échéant, de rechercher leurs ayants-droit. 

La mutuelle faisait également valoir qu’était méconnu en l’espèce le principe de légalité des délits et des peines. L’argument peine à convaincre dès lors que ce principe, appliqué en dehors de la matière pénale, ne fait pas obstacle à ce que les infractions soient définies par référence aux obligations auxquelles est soumise une personne en raison de l'activité qu'elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l'institution dont elle relève. Tel est le cas ici où la mutuelle ne pouvait se méprendre sur la portée de ses obligations en matière de contrats d'assurance sur la vie non réclamés. Elle ne saurait donc invoquer une prétendue violation de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ou de l'article 7 de la Convention EDH.

Ensuite, concernant les manquements reprochés à Tutélaire, ils sont avérés et indiscutables aussi bien en ce qui concerne le grief tiré de l'absence de recherche exhaustive et systématique du décès potentiel des assurés que pour ce qui regarde le grief tiré de l'absence de recherche permettant l'identification des bénéficiaires des contrats TUT'L. Ce sont plusieurs milliers de dossiers que la mutuelle n’a pas traités du tout ou de manière très insuffisante.

C’est pourquoi le juge rejette toute l’argumentation tendant à dire excessives ou disproportionnées les différentes sanctions infligées à ladite mutuelle.

(7 octobre 2021, Société mutualiste Tutélaire, n° 438374)

 

Droit social et action sociale

 

41 - Personne résidant fiscalement au Luxembourg - Titulaire de pensions de retraite françaises - Assujettissement à des contributions sociales - Conditions d'assujettissement à ou d'exonération de ces contributions - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d'appel qui juge qu'un retraité percevant des pensions de retraite de source française ne doit pas être assujetti à la contribution additionnelle au prélèvement social ainsi qu'à la contribution pour le remboursement de la dette sociale. En effet, celles-ci, contrairement à ce que juge la cour, ont pour objet d'assurer la couverture des prestations de maladie, de maternité et de paternité ou assimilées pour lesquelles l'article 30 du règlement communautaire du 29 avril 2004 prévoit une dérogation au principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale. 

(28 septembre 2021, M. D., n° 432579)

 

42 - Revalorisation du SMIC - Circulaire - Principe de solidarité et organismes sociaux - Portée du droit de l'Union en cette matière - Critère de distinction ne concernant que le droit de la concurrence - Rejet.

Après avoir rejeté la demande du requérant tendant à ce que soit ordonnée une médiation (art. L. 114-1 CJA), le juge rejette au fond sa demande d'annulation du paragraphe 2.2 de la circulaire du 22 décembre 2020 de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) intitulée « revalorisation du SMIC au 1er janvier 2021 et incidences en matière de législation vieillesse ». Le requérant reprochait à ce texte de ne pas imposer à la sécurité sociale l'application, qui lui incomberait de plein droit, du principe de solidarité, lequel résulterait du droit de l'Union.

Le Conseil d’État rejette ce moyen en rappelant que le droit de l'Union laisse les États libres d'organiser comme ils l'entendent leurs systèmes nationaux de sécurité sociale. Simplement, la prise en compte de l'application, ou non, du principe de solidarité par le droit de l'Union ne sert qu'à distinguer les entreprises des activités non soumises au droit de la concurrence. L'argument peine à convaincre : les organismes de sécurité sociale sans solidarité sont-ils encore des organismes de sécurité sociale ? Ou, pour le dire autrement, qu'est-ce qui distingue, au point de vue du régime de concurrence, une entreprise d'un organisme de sécurité sociale n'appliquant pas le principe de solidarité ? Il y a là un mystère.

(29 septembre 2021, M. B., n° 448647)

 

43 - Institution d'une contribution exceptionnelle des organismes complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 - Inconstitutionnalité - Absence - Inconventionnalité - Absence - Rejet.

La société requérante contestait la constitutionnalité et l'inconventionnalité de la « contribution exceptionnelle des organismes complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 » figurant à la page 20 de l'édition 2021 du « guide pratique » relatif à la taxe de solidarité additionnelle publié par l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) d'Île-de-France, ainsi que la décision implicite par laquelle le directeur général de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de ces énonciations.

Sa requête est rejetée en ses deux chefs de critiques.

La requérante soutenait que les énonciations litigieuses réitèrent des dispositions législatives (art. 3 et 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021) elles-mêmes contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution ainsi qu'à l'article 14 de la CEDH et à l'article 1er de son premier protocole additionnel.

Selon elle, l'inconstitutionnalité aurait reposé sur le fait que ces dispositions instituent un mécanisme méconnaissant le principe d'égalité devant la loi fiscale et le principe d'égalité devant les charges publiques entre, d'une part, les mutuelles, institutions de prévoyance, entreprises régies par le code des assurances et organismes d'assurance maladie complémentaire étrangers admis à opérer en France au titre de la libre prestation de service et, d'autre part, les autres contribuables. Le Conseil d’État rejette l'argument au motif qu'il est loisible au législateur de ne faire peser que sur une catégorie seulement de contribuables la charge d'une imposition pourvu qu'il n'en résulte pas une différence injustifiée de traitement. C'est bien le cas en l'espèce, d'où le rejet. Pas davantage le législateur n'a porté atteinte, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, à des situations légalement acquises.

Selon la requérante l'inconventionnalité de la mesure attaquée reposerait sur sa contrariété à l'art. 14 de la Convention et à l'art. 1er du premier protocole additionnel à cette Convention. Le Conseil d’État réfute l'argumentation car, selon le premier de ces textes, une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue n'est discriminatoire que si elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire si elle ne poursuit pas un objectif d'utilité publique ou si elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi. Or ce reproche ne peut être adressé aux mesures attaquées. Par ailleurs, le premier protocole n'est pas davantage méconnu car le prélèvement ainsi institué est dépourvu de tout caractère rétroactif et ne porte pas une atteinte excessive au droit des organismes visés au respect de leurs biens.

On demeure dubitatif sur l'éventuelle acceptation, par la Cour EDH, de cette dernière partie du raisonnement du juge.

(29 septembre 2021, Société Quatrem, n° 451491)

 

44 - Licenciement d’un salarié protégé pour inaptitude physique – Incompétence alléguée de l’inspection du travail pour se prononcer - Existence ou non d’une faute – Conditions et régime de la réparation en cas de faute ayant causé un dommage – Erreur de droit – Annulation avec renvoi à la cour.

L’employé d’un abattoir municipal géré en régie directe par une commune fait l’objet d’une décision de licenciement pour inaptitude physique ; l’intéressé étant un salarié protégé, l’inspection du travail était obligatoirement appelée à autoriser, ou non, un tel licenciement. Elle s’y est refusé au motif que l’administration du travail n’était pas compétente pour se prononcer sur le licenciement d’un agent d’une régie municipale.

La cour administrative d’appel a jugé illégal le refus de l’inspection du travail de se prononcer mais a rejeté la demande de réparation du préjudice allégué par l’agent licencié car celui-ci ne rapporte pas la preuve qu’il aurait pu être reclassé.

Le Conseil d’État saisit cette affaire pour rappeler la marche à suivre tant pour l’auteur du licenciement que pour l’inspection du travail et, par suite, pour le juge éventuellement saisi.

Tout d’abord, le refus illégal de se prononcer sur une demande d'autorisation de licenciement constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'État à l'égard du salarié s’il est résulté directement de ce refus un préjudice certain pour le salarié. Saisi d’une demande de réparation de ce chef, il appartient au juge saisi de rechercher si une décision d'autorisation de licenciement aurait pu légalement être prise. 

Ensuite, lorsque la demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il incombe à l’inspection du travail de vérifier si l’employeur a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail. En conséquence, le licenciement ne peut être autorisé que dans le cas où l'employeur n'a pu reclasser le salarié dans un emploi approprié à ses capacités au terme d'une recherche sérieuse, menée tant au sein de l'entreprise que dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel.

Enfin, en l’espèce, l’arrêt est cassé pour erreur de droit en ce que la cour n’a pas recherché si l'autorité administrative aurait pu légalement, si elle n'avait pas illégalement refusé de se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement, autoriser ou rejeter la demande d'autorisation qui lui était soumise, en vérifiant notamment si l'employeur avait sérieusement recherché si l'intéressé pouvait être reclassé.

(7 octobre 2021, M. A., n° 430899)

 

45 - Convention collective – Arrêté ministériel étendant partiellement un avenant – Exclusion d’une partie de l’art. 1er du champ de l’extension – Extension sous réserve de l’art. 3, dernier alinéa de cet avenant – Effets de l’ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective – Articulation hiérarchique nouvelle des conventions de branche et des accords d’entreprise – Pouvoirs du ministre du travail en matière d’extension d’avenants – Illégalité – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation d’un arrêté de la ministre du travail du 5 juin 2019 portant extension de l'avenant n° 67 du 31 mai 2018 à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (n° 2216), en tant qu'il exclut de l'extension les 2ème et 3ème alinéas de l'article 1er de cet avenant et étend sous réserve le dernier alinéa de son article 3.

Dans cette importante décision, le Conseil d’État retrace l’évolution survenue en matière de hiérarchisation des dispositions figurant respectivement dans des accords collectifs de branche et dans des accords d’entreprise du fait de l’intervention l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.

Avant cette ordonnance, c’est à la branche, par voie d'accord collectif s'imposant à tout accord d'entreprise, qu’il revenait de fixer un salaire minimum conventionnel pour chaque niveau hiérarchique de la grille de classification des emplois prévue par la convention collective, auquel la rémunération effectivement perçue par les salariés de la branche ne pouvait être inférieure. En particulier, les conventions de branche pouvaient déterminer, d'une part, le montant de ce salaire minimum conventionnel, et, d'autre part, les éléments de rémunération à prendre en compte pour s'assurer que la rémunération effective des salariés atteigne au moins le niveau du salaire minimum conventionnel correspondant à leur niveau hiérarchique. A défaut de stipulations conventionnelles expresses sur les éléments de rémunération des salariés à prendre en compte pour procéder à cette comparaison, il convenait de retenir, en vertu d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, le salaire de base et les compléments de salaire constituant une contrepartie directe à l'exécution de la prestation de travail par les salariés. 

Depuis l’entrée en vigueur de cette ordonnance du 22 septembre 2017, l’articulation entre les conventions de branche et les accords d'entreprise a été modifiée par rapport au droit antérieurement applicable.

Tout d’abord, la convention de branche peut définir les garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, auxquelles un accord d'entreprise ne peut déroger que s'il prévoit des garanties au moins équivalentes.

Ensuite, si la convention de branche peut, y compris indépendamment de la définition des garanties applicables en matière de salaires minima hiérarchiques, prévoir l'existence de primes, ainsi que leur montant, les stipulations d'un accord d'entreprise en cette matière prévalent sur celles de la convention de branche, qu'elles soient ou non plus favorables, sauf, le cas échéant, en ce qui concerne les primes pour travaux dangereux ou insalubres pour lesquelles la convention de branche, lorsqu'elle le stipule expressément, s'impose aux accords d'entreprise qui ne peuvent que prévoir des garanties au moins équivalentes.

Enfin, en raison du silence, dans la nouvelle rédaction notamment des art. L. 2253-1, 2253-2 et 2253-3 du code du travail  concernant la définition de la notion de salaires minima hiérarchiques, la convention de branche peut désormais, d'une part, définir les salaires minima hiérarchiques et, le cas échéant à ce titre prévoir qu'ils valent soit pour les seuls salaires de base des salariés, soit pour leurs rémunérations effectives résultant de leur salaires de base et de certains compléments de salaire, d'autre part, en fixer le montant par niveau hiérarchique. Dans le cas où la convention de branche stipule que les salaires minima hiérarchiques s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de compléments de salaire qu'elle identifie, elle ne fait pas obstacle à ce que le montant de ces minima soit atteint dans une entreprise par des modalités de rémunération différentes de celles qu'elle mentionne, un accord d'entreprise pouvant réduire ou supprimer les compléments de salaire qu'elle mentionne au titre de ces minima, dès lors toutefois que sont prévus d'autres éléments de rémunération permettant aux salariés de l'entreprise de percevoir une rémunération effective au moins égale au montant des salaires minima hiérarchiques fixé par la convention. 

Il suit de là que la ministre du travail, par l’arrêté querellé, a commis une erreur de droit en décidant :

-        d’une part, d’exclure de l’extension de l’avenant auquel procédait son arrêté, les stipulations des deuxième et troisième alinéas de l'article 1er de l'avenant, qui prévoient que les salaires minima hiérarchiques qui prévalent, sauf garanties au moins équivalentes, sur les accords d'entreprise, correspondent à une garantie annuelle de rémunération incluant un salaire de base et certains compléments de salaire, au motif que les salaires minima hiérarchiques entrant dans le champ de l'article L. 2253-1 du code du travail et qui s'imposent aux accords d'entreprise ne peuvent se rapporter qu'à un salaire de base ;

-        et, d’autre part, que le dernier alinéa de l'article 3 de l'avenant, qui stipule que le salaire minimum mensuel garanti pour les cadres à temps complet dont le temps de travail est décompté dans le cadre d'un forfait annuel en jours inférieur à 216 jours ne peut être inférieur au salaire minimum mensuel garanti fixé à l'article 2 de l'avenant, est étendu sous réserve de l'application de l'article L. 2253-3 du code du travail, ce dont il s'infère que la référence à l'article 2 devait s'entendre comme ne visant que les montants des salaires de base qui y sont mentionnés.

Or il résulte de ce qui a été dit plus haut quant aux salaires minima hiérarchiques pour lesquels la convention de branche peut retenir, comme au cas d'espèce, qu'ils s'appliquent aux rémunérations effectives des salariés résultant de leurs salaires de base et de certains compléments de salaire, qu'en procédant à cette exclusion et à cette réserve, au motif que les salaires minima hiérarchiques ne s'appliquent qu'aux salaires de base, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur de droit. 

(7 octobre 2021, Fédération des syndicats CFTC Commerce, Services et Force de vente (CFTC CSFV), n° 433053 ;   Fédération CFDT des services (FS CFDT), n° 433233 ; Fédération générale des travailleurs de l'agriculture, de l'alimentation, des tabacs et des services annexes Force ouvrière (FGTA-FO) , n° 433251 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres AGRO (CFE-CGC AGRO), 433463 ; Fédération des entreprises du Commerce et de la Distribution (FCD), n° 433473 ; Fédération CGT des Personnels du Commerce, de la Distribution et des Services (Fédération CGT du commerce et des services), n° 433534)

 

Élections et financement de la vie politique

 

46 - Élections municipales et communautaires - Irrégularités multiples - Annulation du scrutin par les premiers juges - Annulation du jugement.

Cette décision est surprenante en ce que le Conseil d’État désavoue le tribunal administratif qui avait sanctionné l'existence de nombreuses irrégularités par l'annulation des deux tours de scrutin s'étant tenus dans cette commune. Cela est d'autant plus gênant que le juge d'appel ne conteste point l'existence des irrégularités relevées en première instance ni, non plus, le faible écart des voix entre les listes en présence. Même en faisant la part de la subjectivité dans l'appréciation in concreto par le juge d'irrégularités prétendues, en l'espèce cela est allé très (trop ?) loin.

On se borne, en premier lieu, à énumérer les griefs non contestés.

Le Conseil d’État examine d'abord les griefs qui ont déterminé le tribunal administratif à annuler les opérations électorales.

Le recours, par la liste du maire sortant, à un procédé de publicité commerciale interdit par le code électoral ayant consisté à mettre en avant, moyennant paiement, deux vidéos publiées sur la page du réseau social « Facebook » de cette liste et ayant fait l'objet, respectivement de 7700 vues et de 2700 vues ne saurait être retenu au motif qu'est ignoré quels étaient ces chiffres au moment du vote.

Le tournage de vidéos dans une salle de la mairie n'aurait pas créé de confusion dans l'esprit des électeurs entre action municipale et propagande électorale.

La circonstance que l'une des vidéos ait fait l'objet d'un partage sur le site officiel du comité des fêtes de la commune aurait été sans influence sur l'issue du scrutin. Au total, le cumul de ces irrégularités, en dépit du faible écart des voix, n'a pas altéré la sincérité du scrutin.

Après annulation du jugement, le Conseil d’État examine les autres griefs. Voici quelques-uns entre-eux.

L'utilisation par la liste du maire sortant, sur ses affiches, des trois couleurs du drapeau national n'entretenait pas de confusion avec l'emblème national.

Certains tracts distribués par cette liste, critiqués par ses adversaires pour leur caractère mensonger, ne comportaient point d'éléments nouveaux de polémique électorale.

La liste en question n'a pas indûment utilisé les moyens de la commune et les agents municipaux au service de sa propagande électorale en faisant réaliser par l'association du comité des fêtes une distribution d'œufs de Pâques, en annonçant de nouvelles actions en matière de stationnement lors d'une réunion publique à peine plus d'une semaine avant le second tour du scrutin, en procédant tardivement à la mise en place de la vidéo-protection, en faisant participer des agents municipaux à sa campagne électorale, dont l'épouse du maire sortant qui exerce les fonctions de directrice générale des services, en utilisant la communication institutionnelle de la commune entre les deux tours de scrutin pour faire la promotion des actions menées dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, en ayant recours à la photothèque de la commune et enfin en laissant diffuser un entretien du président du comité des fêtes la soutenant. En particulier, la distribution d'oeufs de Pâques n'était pas liée à la campagne électorale et la réunion publique du 20 juin 2020 qui portait sur le stationnement, avait été organisée à la suite d'une demande des habitants.

Pas davantage ne peut être retenu le fait que les présidents suppléants de différents bureaux de vote aient été désignés, non parmi les membres du conseil municipal dans l'ordre du tableau mais parmi les candidats non élus de la liste « Bondoufle l'Enjeu », en méconnaissance de l'article R. 43 du code électoral.

Le maintien de l'affichage des voeux du maire pour l'année 2020 jusqu'au second tour des élections, en juin, ne saurait être regardée, à elle seule, comme ayant méconnu l'article L. 52-8 du code électoral. 

Enfin, le requérant n'a pas excédé ses fonctions de maire en assurant une permanence et en étant présent sur les marchés durant la période électorale pour assurer la distribution de masques fournis par la région.

 Visiblement, le Conseil d’État n'avait pas envie que ces élections-là fussent annulées.

« Quand ça ne veut pas, ça ne veut pas ».

(15 septembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondoufle, n° 450600 et n° 450614)

 

47 - Élections municipales et communautaires - Dons prohibés (art. L. 52-8 c. élect.) - Tentative d'influencer le vote (art. L. 106 c. élect.) - Compte de campagne - Inéligibilité - Rejet.

Dans une décision bienveillante, le Conseil d’État confirme en appel le jugement rejetant le recours électoral fondé sur divers moyens soit parce que l'irrégularité alléguée n'existe pas (ainsi de l'art. L. 52-8 c. élect. s'agissant de relancer économiquement des activités commerciales mises à mal par l'épidémie de Covid-19) soit parce que le grief n'est pas suffisamment établi (ainsi de procurations qui auraient été obtenues par dons, promesses ou autres en violation de l'art. 106 c. élect.) soit parce que l'irrégularité n'est pas d'une gravité suffisante (cas du compte de campagne dont le montant demeure, en toute hypothèse, très inférieur au maximum légal) soit, encore, parce que l'irrégularité est bien présente mais absoute au regard de l'écart entre les voix obtenues par les listes en présence (ainsi de l'art. L. 52-8 c. élect. s’agissant du partenariat entre la commune et une association proposant une consultation ophtalmologique et une paire de lunettes aux plus de 60 ans).

(29 septembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montereau-Fault-Yonne, n° 451189)

 

48 - Élections municipales et communautaires - Recours dirigé contre le premier tour de scrutin formé après la tenue du second tour - Recours ayant conservé son objet - Irrecevabilité d'une demande tendant à l'annulation d'un tour de scrutin à l'issue duquel aucun élu n'a été proclamé et qui ne sollicite la proclamation de l'élection d'aucun candidat.

La décision présentement rapportée rappelle deux règles de la procédure contentieuse en matière électorale.

En premier lieu, et contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif dont le jugement est annulé, la protestation que le requérant avait présentée devant le tribunal administratif et qui demandait l'annulation de suffrages exprimés lors du premier tour n'a pas perdu son objet en cours d'instance alors même qu'elle a été formée après la tenue du second tour de scrutin. C'est donc à tort que les premiers juges ont estimé que la demande dont ils étaient saisis était devenue sans objet et ont constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur cette demande.

En second lieu, il est rappelé que sont irrecevables des conclusions dirigées contre un tour de scrutin à l'issue duquel aucun candidat n'a été proclamé élu et qui ne sollicitent pas la proclamation d'un élu au titre de ce tour de scrutin.

Cette irrecevabilité nous paraît être d'ordre public.

(29 septembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune du Tampon, n° 451851)

(49) V. aussi, à propos de ces mêmes élections, le rejet du recours tendant à voir annulées les opérations électorales des deux tours de scrutin et prononcée l'inéligibilité d'un candidat élu : 29 septembre 2021, Mme E., Él. mun. et cnautaires de la commune du Tampon, n° 451853.

 

50 - Élections municipales et communautaires - Dépôt tardif du compte de campagne - Inéligibilité proclamée - Désignation d'un autre candidat comme élu - Rejet.

Le juge d'appel confirme le jugement de première instance en ce que, saisi par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, il a déclaré inéligible pour six mois le requérant en raison du dépôt tardif de son compte de campagne et il a proclamé élu à sa place un autre candidat.

(30 septembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Crépy-en-Valois, n° 449925)

(51) V. aussi, comparable et faisant négativement application des dispositions nouvelles de l'art. L. 118-3 c. élect. issues de la loi du 2 décembre 2019 : 30 septembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Châlons-en-Champagne, n° 452978.

 

52 - Élections municipales et communautaires - Invocations de nombreuses et diverses irrégularités - Rejet.

La lecture de cette longue décision donnera au lecteur un véritable panorama de la diversité et du foisonnement des griefs en contentieux électoral.

Ils sont tous rejetés en l'espèce tant en première instance qu'en appel.

(29 septembre 2021, M. Q., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Pierre, n° 448954 ; M. A. et Mme F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-Pierre, n° 448973)

 

Environnement

 

53 - Pollution de l'air - Contrôle technique des véhicules à deux et trois roues - Suspension - Demande de suspension de la mesure de suspension - Défaut d'urgence - Rejet.

Est rejetée la demande de suspension de l'arrêté ministériel du 12 août 2021 qui suspend l'application du décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues car les dispositions de ce dernier ne doivent entrer en vigueur, selon la date d'immatriculation de ces véhicules, que le 1er janvier 2022 ou le 1er janvier 2023.

Ainsi fait défaut la condition d'urgence

(ord. réf. 10 septembre 2021, Association Respire, n° 456134)

 

54 - Certificats d’économie d’énergie (CEE) – Manquements d’une société à ses obligations en la matière – Sanctions – Société mise en redressement judiciaire – Mise en demeure de la société en vue de l’acquisition des CEE « classiques » au lieu de ceux « précarité » qu’elle détenait – Incompétence du ministre – Annulation.

(7 octobre 2021, Société Proecowatt, n° 435121)

V. n° 6

(55) V. aussi, à propos d’un litige né de la mise en œuvre défectueuse des certificats d’économie d’énergie mais soulevant des questions différentes de celles de la décision précédente : 7 octobre 2021, Société Alpha Europe Energy, n° 436706.

 

Étrangers

 

56 - Étrangère mineure non accompagnée - Refus de prise en charge opposé par un département pour défaut de minorité - Demande de désignation, par le procureur de la république, d'un administrateur ad hoc - Refus pour défaut de minorité - Refus du préfet d'enregistrer une demande d'asile en tant que mineure - Rejet.

Opérant une substitution de motif, le juge du référé liberté du Conseil d'État, rejette la demande d'annulation de l'ordonnance par laquelle le juge des référés d'un tribunal administratif a rejeté la requête d'une ressortissante ivoirienne se disant mineure et tendant à ce que soit ordonné au préfet l'enregistrement de sa demande d'asile et donné avis au procureur de la république pour qu'il lui désigne un mandataire ad hoc.

En effet, s'il résulte des dispositions, notamment, de l'art. L. 521-9 du CESEDA,  que si le préfet doit enregistrer, sur la base des éléments dont il dispose, la demande d'asile d'un mineur non accompagné se présentant, sans représentant légal, dans ses services et, concomitamment, doit aviser immédiatement le procureur de la République pour qu'il désigne sans délai un administrateur ad hoc afin que, dès cette désignation effectuée, soit complété l'enregistrement de la demande d'asile, en revanche, dès lors que le procureur refuse d'opérer cette désignation au motif que le demandeur n'est pas mineur, le préfet est tenu de refuser de compléter l'enregistrement de la demande d'asile en tant que mineur.

Si l'intéressée peut contester le refus du procureur devant le juge judiciaire ou saisir le préfet d'une demande d'asile en tant que majeure, en l'espèce le préfet était tenu d'opposer un refus. En cet état de compétence liée, ce refus de compléter l'enregistrement de la demande d'asile ne saurait, en lui-même, constituer une atteinte grave et manifestement illégale à son droit d'asile.

(ord. réf. 27 septembre 2021, Mme B., n° 456388)

 

Fonction publique et agents publics

 

57 - École nationale de la magistrature – Recrutement sur titre – Condition d’âge minimal – Discrimination non contraire à la Constitution – Discrimination contraire au droit de l’Union – Annulation.

Il est possible, en vertu des dispositions de l’art. 18-2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative à la magistrature, dans la version qui lui a été donnée par la loi organique du 25 février 1992, d’accéder directement sur titres à l’École nationale de la magistrature, les conditions à remplir étant fixées, en vertu de ce texte, par un décret. Le décret du 24 mai 1972 impose un âge minimum de 31 ans et un âge maximum de 40 ans pour pouvoir prétendre au bénéfice de cette voie d’accès. La requérante, qui satisfait par ailleurs aux autres conditions exigées, n’a pas atteint l’âge minimal de 31 ans et a demandé au garde des sceaux d’abroger le premier alinéa de l’art. 33 du décret de 1972 qui impose cette condition d’âge minimal.

Ayant essuyé un refus, elle sollicite, par voie de QPC, que soit déclarée contraire à la Constitution, à raison de son caractère discriminatoire prohibé, l’art. 18-2 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 et, par un recours pour excès de pouvoir, que soit déclaré illégal, pour le même motif de discrimination prohibée, l’art. 33 du décret litigieux.

Son recours est rejeté sur le premier point, le Conseil d’État étant forcé de relever que la loi organique du 25 février 1992 a été examinée par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision 92-305 DC du 21 février 1992, n’y a rien trouvé à redire au plan de la légalité constitutionnelle. De plus, il est estimé ici que l’allégation de changement de circonstances tiré du droit de l’Union est formulée en termes trop généraux pour donner ouverture à un renvoi de QPC afin d'interroger à nouveau le Conseil constitutionnel. Sur la motivation de ce second aspect du refus de renvoyer la QPC, on peut être dubitatif mais, d’une part, le C.C. est si imprévisible… et, d’autre part, puisqu’il savait donner raison à la requérante en la seconde branche de son argumentation, le Conseil d’État a jugé plus élégant et expédient de se charger lui-même d’apporter la solution.

En effet, sur le second point de son argumentation, la requérante obtient gain de cause. La limitation de l’âge d’accès au recrutement sur titres constitue incontestablement une discrimination qui doit être considérée comme prohibée dès lors que l’art. 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne combiné avec les dispositions des art. 2, 4 et 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail transposée, n’admettent les discriminations professionnelles fondées sur l’âge que si ces différences répondent à « une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l'objectif soit légitime et que l'exigence soit proportionnée » et « lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (...) ». 

Or, en la présente affaire, le juge relève que le garde des sceaux n’a pas été capable de justifier son refus d’abroger la disposition incriminée par l’existence d’une exigence professionnelle essentielle et déterminante ni, non plus, de démontrer en quoi l'instauration d'une telle condition serait nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi, eu égard aux titres et aux conditions d'expérience professionnelle requis aux termes de l'article 18-1 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 pour prétendre au recrutement sur titres en tant qu'auditeur de justice.

Le garde des sceaux a trois mois pour procéder à l’abrogation de l’art. 33 du décret de 1972 précité, faute de quoi l’astreinte sera de 500 euros par jour de retard à exécuter la chose jugée.

L’intéressée peut aussi, au reste, solliciter la réparation du préjudice fautif qu’elle a subi du fait, d’une part, d’un texte illégal et d’autre part, du refus illégal d’y mettre un terme.

(8 septembre 2021, Mme B., n° 453471)

 

58 - Accident - Conditions d'imputabilité au service - Entretien annuel d'évaluation - Syndrome anxio-dépressif à l’issue de cet entretien - Absence d'imputabilité à l'entretien d'évaluation à défaut de caractère soudain et violent - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Un arrêt d'appel juge que le syndrome anxio-dépressif dont souffre une fonctionnaire est directement imputable à son entretien annuel d'évaluation avec sa chef de service. Le Conseil d’État annule cet arrêt motif pris de ce qu'il ne suffisait pas à la cour de relever que des certificats médicaux établissaient que cet entretien est la cause du choc ressenti par l'agent et du syndrome qui en est résulté pour en déduire qu'ils étaient imputables à cet entretien et donc au service. Il appartenait aux juges du fond de vérifier si la chef de service avait tenu des propos ou adopté un comportement qui auraient excédé l'exercice normal de son pouvoir hiérarchique.

Un entretien d'évaluation, acte prévisible et normal, ne saurait par lui-même être cause d'un tel effet.

(27 septembre 2021, Ministre des armées, n° 440983)

 

59 - Fonction publique - Alimentation du compte épargne-temps - Jours de congé - Notion de jours de congés - Cas des jours de repos pris en contrepartie de la RTT - Absence - Rejet.

C'est sans erreur de droit qu'une note du garde des sceaux expose qu'il résulte des dispositions du décret du 29 avril 2002 portant création d'un compte épargne-temps dans la fonction publique de l'État et dans la magistrature, que le nombre de 20 jours de congés devant, au minimum, avoir été pris dans l'année pour ouvrir droit à l'alimentation du compte épargne-temps s'apprécie uniquement au regard des jours de congés annuels ainsi que, le cas échéant, des jours de congés supplémentaires dits « de fractionnement » mentionnés au deuxième alinéa de l'article 1er du décret du 26 octobre 1984, sans que puissent être pris en compte les jours de repos institués en contrepartie de la réduction du temps de travail, qui ne sont pas des jours de congés.

(27 septembre 2021, Union nationale des syndicats CGT de la protection judiciaire de la jeunesse, n° 448985)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 3

 

60 - Procédure disciplinaire - Professeur d'université et praticienne hospitalière - Contrôle de la régularité de la procédure suivie - Invocation de la partialité des auteurs d'un rapport d'inspection - Rapport figurant au dossier soumis au contradictoire - Rejet.

La requérante, professeur des universités et praticienne hospitalière, qui a fait l'objet d'une sanction, pour divers motifs, par la juridiction disciplinaire compétente à l'égard des personnels enseignants et hospitaliers des centres hospitaliers et universitaires et des personnels enseignants de médecine générale, conteste celle-ci.

Son recours est rejeté.

Des divers griefs invoqués et tous rejetés, le rejet de l'un d'eux doit retenir l'attention.

La requérante soutenait que la décision de la juridiction disciplinaire était entachée d'irrégularité car les auteurs du rapport de la mission d'inspection IGAS-IGAENR diligentée par les ministres auraient manqué au principe d'impartialité. Pour rejeter ce moyen le juge retient que ce rapport ayant constitué une pièce du dossier d'instruction et ayant été soumis à la discussion contradictoire, il a constitué, comme tout autre, un élément apprécié par la juridiction saisie. Il appartenait donc à l'intéressée d'en démontrer, au cours du débat contentieux, l'irrégularité pour défaut d'impartialité.

(29 septembre 2021, Mme B., n° 432628)

 

61 - Pension de réversion – Séparation de corps – Remariage – Demande de reversement de l’indu de pension – Légalité au fond – Irrégularité en la forme – Rejet et annulation.

Suite à un contrôle, la CNRACL (Caisse nationale de retraite des agents des collectivités publiques) informe la requérante qu’elle a indûment perçu une pension de réversion en deux périodes totalisant un peu plus de 23 années.

Sur le fond, le juge donne raison à l’administration (Caisse des dépôts) : il résulte des art. 299 et 303 du Code civil que la séparation de corps ne met pas fin au mariage car si elle met fin à la cohabitation elle maintient d’ailleurs le devoir de secours. La requérante n’est pas fondée à invoquer une différence de traitement entre les veuves divorcées ou ayant cessé de vivre en concubinage et les veuves séparées de corps, différence qu’elle estime, à tort, contraire tant à l’art. 14 de la Convention EDH qu’à l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette Convention.

Sur la forme, la Caisse était tenue de motiver son retrait de la décision de versement d'une pension de réversion au conjoint survivant ou divorcé d'un fonctionnaire civil à compter de la date à laquelle il a contracté un nouveau mariage ou vit en état de concubinage notoire d’une part car il s’agit d’une décision retirant ou abrogeant une décision créatrice de droits et, d’autre part, car il s’agit d’une décision qui ne concerne pas les relations entre l’administration et ses agents, lesquelles sont dispensées de motivation, mais les relations entre l’administration et la veuve ou l’épouse séparée de corps d’un agent public. 

Sur ce point, la décision litigieuse est annulée.

(7 octobre 2021, Mme A., n° 435488)

 

Libertés fondamentales

 

62 - Liberté de l’enseignement – Établissement d’enseignement privé sous contrat simple – Refus de contracter – Motifs ne se limitant pas aux conditions posées aux articles L. 442-12, L. 442-13 et L. 442-14 du code l’éducation – Cassation avec renvoi.

Une école primaire privée entendant se placer sous le régime du contrat simple s’était vu refuser par le préfet la conclusion d’un tel contrat. Ce refus a été annulé en première instance et cette annulation a été confirmée en appel au motif que les articles L. 442-12, L. 442-13 et L. 442-14 du code de l’éducation énumérant limitativement les conditions à satisfaire pour la conclusion d’un contrat simple et la demanderesse y satisfaisant, le préfet avait illégalement opposé un refus.

Cassant l’arrêt d’appel, le Conseil d’État juge que si les conditions figurant aux articles précités sont bien les seules pouvant être examinées par l’administration ainsi que l’ont jugé les juges du fond, l'administration peut, également, prendre en considération dans son appréciation, la capacité de l'établissement à respecter le principe du droit à l'éducation et à garantir l'acquisition des normes minimales de connaissances, en vertu des exigences posées par les articles L. 111-1 et L. 131-1-1 de ce code.

Et le juge de cassation de préciser que l’administration peut, à ce titre, tenir compte de l'existence d'une mise en demeure adressée par l'État au directeur de cet établissement, en application de l'article L. 442-2 du même code, à la suite des contrôles que les autorités académiques doivent mener sur les établissements d'enseignement privés demeurés hors-contrat et portant, notamment, sur le respect de telles normes minimales de connaissances et sur l'accès au droit à l'éducation.

La cour a donc commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de l’existence au dossier d’une telle mise en demeure comme motif du refus préfectoral de contracter.

Il faut donc dire, en dépit de la dénégation du Conseil d’État sur ce point, que l’énumération des art. L. 442-12 à L. 442-14 inclus du code l’éducation n’est pas limitative…

(3 septembre 2021, Association École Hanned-Acces, n° 439008)

 

63 - Ressortissants afghans bénéficiant de la protection subsidiaire - Demande de réunification de leurs familles - Invocation de l'urgence à décider - Situation exceptionnelle - Absence de carence des services diplomatiques français - Rejet.

Statuant en formation collégiale comme elle l'avait déjà fait à propos de dossiers relatifs à des ressortissants afghans, la formation collégiale des référés du Conseil d’État rejette la demande de deux ressortissants tendant à ce que soit suspendu le refus implicite des ministres concernés de prendre les mesures d'organisation nécessaires à l'instruction de leurs demandes de réunification familiale et à ce que soit ordonné l'enregistrement et l'instruction sans délai de leurs demandes  de visas au titre de leur droit à la réunification de leur famille afin que puissent les rejoindre en France, où ils bénéficient déjà de la protection subsidiaire prévue par la Convention de Genève de 1949, leurs épouses et enfants respectifs. Ils invoquent la lenteur actuelle et persistante depuis plusieurs années des procédures d'examen et d'octroi de ces visas du fait de la fermeture des postes diplomatiques de Kaboul (Afghanistan) et d'Islamabad (Pakistan) et de l'éloignement des postes désormais compétents territorialement de New Dehli et de Téhéran ainsi que des difficultés liées tant à l'épidémie de Covid-19 qu'à la situation chaotique de l'Afghanistan.

Ils demandent au juge des référés qu'il ordonne à la France la prise de mesures administratives complémentaires exceptionnelles et d'urgence afin d'accélérer la procédure d'instruction des visas en cause.

Pour rejeter les moyens soulevés à l'appui de la requête, tirés de la méconnaissance de l'obligation de statuer dans les meilleurs délais sur les demandes de réunification familiale et du principe de continuité du service public, le juge retient qu'au moment où il se prononce n'existe pas de doute sérieux sur la légalité du refus de prendre les mesures sollicitées par les requérants car le ministre de l'intérieur a pris l'engagement, après l'audience, d'une part, d'autoriser tout poste consulaire saisi à cet effet par des demandeurs afghans, nonobstant sa compétence territoriale, à les faire bénéficier de la dérogation prévue par l'article 1er du décret du 13 novembre 2008 relatif aux attributions en matière de visas qui autorise tout chef de poste consulaire à « délivrer des visas aux étrangers justifiant de motifs imprévisibles et impérieux qui ne leur ont pas permis de déposer leur demande dans la circonscription consulaire où ils résident habituellement » et, d'autre part, la prise de mesures prochaines pour mieux dimensionner les moyens humains, matériels et immobiliers, en lien avec les postes concernés et en fonction de l'évolution sécuritaire.

Il se déduit de là que les précisions ministérielles unilatéralement apportées et les engagements unilatéralement pris l'ont été en dehors du débat contradictoire.

(ord. réf., form. coll., 8 septembre 2021, M. A. et M. C., n° 455751)

 

Police

 

64 - Police sanitaire – Covid-19 – Mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire (décrets des 1er juin et 10 août 2021) – Inconstitutionnalité (QPC) et illégalité – Rejet.

Les requérants contestaient la constitutionnalité, au moyen d’une QPC, et la légalité de textes législatif et réglementaires disposant en matière de gestion administrative de la sortie de crise sanitaire.

La demande de renvoi d’une QPC est rejetée car elle est dirigée contre le D du paragraphe II de l’art. 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de la crise sanitaire, dans sa rédaction issue de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, alors que le décret attaqué a été, lui, pris pour l’application des dispositions du 2° du A du II de la loi du 31 mai 2021. La disposition législative critiquée n’est donc pas applicable au litige frappé d'une QPC.

Ensuite, le recours en illégalité dirigé contre le décret litigieux est également rejeté en tant que n’a été instaurée par les textes ni obligation de soin ni obligation de vaccination. Sur ce point l’ordonnance est discutable car empêcher l’exercice d’activités sociales diverses ou l’exercice d’une profession pour défaut de vaccination ou de soin n’est guère différent dans ses effets pratiques de l’instauration d’une obligation vaccinale ou de soin.

(ord. réf. 1er septembre 2021, Association « Le Cercle droit et liberté » et autres, n° 455532 et n° 455533)

 

65 - Police sanitaire - Covid-19 - Référé suspension - Demande de suspension des décrets primo-ministériels pris sur le fondement de diverses dispositions législatives - Référé liberté - Invocation d'atteintes à diverses libertés - Absence d'identification des dispositions réglementaires litigieuses - Rejet.

La requérante demandait au juge des référés qu'il ordonne la suspension de tous les décrets - pris par le premier ministre dans l'intérêt de la santé publique afin de lutter contre l'épidémie de Covid-19 -, sur le fondement des art. 1, 3, 4 et 11 de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, sur ceux des articles 4, 12 à 21, de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, sur celui de l'alinéa 3 du I de l'article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

La demanderesse soutenait que l'obligation générale de présenter le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par voie de Covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant le Covid-19 ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par le Covid-19 pour emprunter certains transports en commun et accéder à certains lieux, établissements, services ou événements ainsi que l'obligation faite aux seuls personnels des services de santé d'être vaccinés contre le Covid-19, porteraient atteinte à divers droits et libertés. En particulier, seraient ainsi affectés le principe de précaution, faute pour ces obligations d'avoir été précédées d'études indépendantes, le droit constitutionnel à la protection de la santé, le principe d'égalité entre les citoyens, selon qu'ils peuvent ou non présenter ce justificatif et entre les salariés selon qu'ils doivent ou non être vaccinés, la liberté d'aller et venir, la liberté d'expression et de manifestation de ses opinions ainsi que le droit au respect de la vie privée, notamment en raison de la conservation de données de santé dans des systèmes d'information.

La requête est rejetée, le juge n'y trouvant ni un moyen sérieux d'illégalité, ceci pour répondre à la demande en référé suspension, ni une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, ceci pour répondre à la demande de référé liberté. 

L’absence de réalisation de l’une des conditions du référé-liberté dispense le juge d'examiner la condition d'urgence.

Le recours est rejeté au visa de l'art. L. 522-3 CJA.

(ord. réf. 1er septembre 2021, Mme Brigitte Thivenin, n° 455637)

 

66 - Police sanitaire - Covid-19 - Obligation vaccinale des soignants - Atteinte à divers principes fondamentaux - Argumentation de caractère très général et non développée - Rejet.

La requérante, infirmière libérale de son état, soutenait par voie de référé liberté que le décret n° 2021-1089 du 7 août 2021 en tant qu'il prescrit les mesures générales relatives à l'obligation vaccinale des soignants et autres professionnels de santé porte une atteinte grave et manifestement illégale à l'article 2 de la charte de l'Union européenne, au principe de précaution, au principe de l'interdiction de toute discrimination résultant de la Déclaration des droits de 1789 et de l'article 2 du traité de l'Union européenne, à l'égalité des citoyens devant la loi et aux dispositions du règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016. 

Jugeant ces critiques, d'une part, formulées en termes très généraux et, d'autre part, dépourvues d'argumentation, le Conseil d’État estime non démontrée l'existence d'une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées et rejette la requête selon la procédure de l'art. L. 522-3 CJA en raison de son irrecevabilité manifeste.

(ord. réf. 10 septembre 2021, Mme B., n° 456233)

(67) V. aussi, voisine, la solution identique donnée à une requête en référé liberté tendant à ce qu'il soit mis au harcèlement électromagnétique dont le requérant ferait l'objet sans apporter aucune précision sur l'origine et les manifestations du harcèlement allégué : ord. réf. 15 septembre 2021, M. A., n° 456197.

 

68 - Police sanitaire - Covid-19 - Arrêté préfectoral subordonnant à la présentation du passe sanitaire l'accès aux centres commerciaux d'une certaine superficie - Conditions de légalité de la mesure - Conditions satisfaites en l'espèce - Rejet.

Cette ordonnance rendue en formation collégiale - le fait est notable compte tenu de son objet -, est un nouvel épisode de la célèbre saga « Covid-19 ».

Les requérants contestaient la légalité d'un arrêté du préfet des Alpes-Maritimes subordonnant à la présentation du passe sanitaire l'accès aux six centres commerciaux du département d'une surface commerciale utile de plus de 20 000 m².

Le recours est, sans surprise, rejeté.

Le juge relève tout d'abord que la loi du 31 mai 2021 et son décret d'exécution du 1er juin 2021 qui garantissent l'accès des personnes aux biens et services de première nécessité ainsi que, le cas échéant, aux moyens de transport, n'imposent pas d'assurer cette garantie au regard de ceux de ces biens ou services se trouvant dans l'enceinte des grands magasins et centres commerciaux dans lesquels est exigé le passe sanitaire. Toutefois, le préfet doit s'assurer de l'existence, à proximité des centres commerciaux d'accès restreint, de commerces où les personnes démunies de passe sanitaire peuvent accéder à des biens et services de première nécessité, en particulier alimentaires et de santé. Il doit, à cette fin, apprécier, d'une part, la réalité des moyens de transports disponibles pour parvenir à ces commerces, et d'autre part, qu'ils sont situés à une distance raisonnable des centres à accès restreint.

En outre, ces personnes doivent être autorisées à accéder aux lieux de soins situés à l'intérieur des centres commerciaux lorsque ne peut être établi un accès différencié entre porteurs et non porteurs du passe sanitaire. Enfin, le préfet doit veiller à ce que ces derniers puissent accéder aux moyens de transport situés dans des centres commerciaux où est exigée la présentation du passe, en instituant des accès différenciés.

Ensuite, ces préalables posés, le juge examine les moyens de la requête en référé liberté pour les rejeter.

Le préfet n'était pas tenu, comme indiqué ci-dessus, de prévoir un accès aux centres commerciaux soumis au passe sanitaire pour permettre aux personnes sans passe d'y accéder aux biens et services de première première nécessité proposés.

De plus, il existe bien à proximité de chacun des six centres concernés dans le département des Alpes-Maritimes un nombre suffisant de commerces proposant ces biens et services.

Enfin, la mesure ainsi adoptée est adéquate à l'évolution du taux d'incidence et du taux de positivité même si l'un et l'autre, ainsi que le chiffre des hospitalisations, sont en baisse dans ce département et elle n'affecte pas le principe d'égalité au regard de personnes situées dans des conditions différentes par rapport à la lutte contre un fléau sanitaire.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Mme B. et autres, n° 456391)

 

69 - Réunion publique d'information sur la modification d'un plan local d'urbanisme - Exigence d'un passe sanitaire pour l'accès à la salle de réunion - Illégalité - Rejet.

 La commune requérante demandait au Conseil d’État, ici juge d'appel des référés, l'annulation de l'ordonnance du 10 septembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles lui a enjoint de permettre l'accès à une réunion publique d'information sur la modification du plan local d'urbanisme organisée dans la salle des fêtes de la commune sans que soit exigée la présentation du passe sanitaire.

L'appel est rejeté car après avoir  relevé que le respect des conditions d'hygiène et de distanciation définies dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19 était de nature à assurer une protection suffisante de la santé publique, le premier juge a à bon droit décidé que cette réunion ne constitue pas une activité culturelle, sportive, ludique ou festive au sens et pour l'application des dispositions de l'article 47-1 du décret du 1er juin 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, issu du décret du 7 août 2021. Ainsi, l'accès à cette réunion ne pouvait pas être subordonné à la présentation d'un passe sanitaire sur le fondement des dispositions résultant de la loi du 5 août 2021 et du décret du 7 août 2021, quand bien même la réunion devait se tenir dans une salle relevant de la catégorie des établissements recevant du public de type L.

Aucune autre disposition n'investissant, par ailleurs, le maire du pouvoir d'exiger la présentation d'un tel document pour accéder à cette réunion, la décision attaquée était bien irrégulière.

On relèvera que la réunion se tenait le 13 septembre et que, saisi d'un appel contre une ordonnance rendue le 10 septembre, le juge des référés du Conseil d’État a rendu sa propre ordonnance le 13 septembre étant observé que les 11 et 12 septembre étaient un samedi et un dimanche. Cette célérité, dont beaucoup doutaient lors de la réforme du 30 juin 2000, est devenue banale, raison de plus pour la saluer.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Commune de Savigny-sur-Orge, n° 456578)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

70 - Portée effective d’une disposition législative donnée par une interprétation jurisprudentielle – Possibilité de former une QPC à son égard – Impossibilité lorsque la jurisprudence contestée ne porte pas sur l’interprétation des dispositions législatives en cause – Rejet de la demande de renvoi.

S’il est possible à un requérant, dans le cadre d’une action fondée sur une question prioritaire de constitutionnalité, de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, c’est à la condition que le litige porte réellement sur une telle interprétation.

En l’espèce, la jurisprudence constante du Conseil d’État selon laquelle, à l'exception des moyens d'ordre public ou de ceux relatifs à la régularité de la procédure, les moyens qui n'ont pas été invoqués devant la commission départementale d'aménagement foncier ne peuvent, à peine d'irrecevabilité, être présentés pour la première fois devant le juge administratif à l'appui d'une demande d'annulation de la décision de cette commission, n'a pas pour objet d'interpréter les dispositions des articles L. 121-7 et L. 121-10 du code rural et de la pêche maritime mais, simplement, de les appliquer. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer la QPC au Conseil constitutionnel.

(16 septembre 2021, Mme A. et autres, n° 451257)

 

71 - Contrôle routier impliquant l’interception de véhicules – Diffusion au moyen d'un service électronique d'aide à la conduite ou à la navigation par géolocalisation de tout message ou autre susceptible de permettre aux autres utilisateurs de se soustraire au contrôle – Interdiction – Absence de limitation et de précision des motifs de cette interdiction – Admission de la QPC.

Il est jugé que soulève une question présentant un caractère sérieux le moyen, relevé par la société requérante, tiré de ce que les dispositions des art. L. 130-11 et L. 130-12 du code de la route, pour l’application des art. L. 234-9 ou L. 235-2 de ce code ou pour l’application de dispositions du code de procédure pénale, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment à la liberté de communication entre utilisateurs d'un même service électronique d'aide à la conduite en ce que, d'une part, la possibilité de leur interdire d'échanger des informations susceptibles de leur permettre de se soustraire à un contrôle de police s'étend à des motifs et est soumise à des conditions, notamment de durée et de couverture géographique, qui ne seraient pas suffisamment limités et en ce que, d'autre part, la possibilité de leur interdire, en dehors du réseau routier national, l'échange de toute information, y compris celles ne portant pas sur l'existence d'un contrôle de police, ne serait pas adaptée, nécessaire et proportionnée à l'objectif poursuivi. Ce moyen est renvoyé au juge de la QPC.

(16 septembre 2021, Société Coyote System, n° 453763)

 

72 - Organismes de formation professionnelle - Absence de preuve de la réalité des actions de formation financées notamment sur fonds publics - Obligation de restitution des sommes indûment perçues - Obligation ne constituant pas une sanction - Absence d'atteinte au droit des contrats - Invocation impossible au soutien d'une QPC de l’incompétence négative du législateur hors du champ des droits et libertés - Rejet.

Les organismes de formation professionnelle reçoivent, pour l'exercice de leurs actions de formation, à la fois des fonds publics (État, collectivités territoriales, Caisse des dépôts et consignations, Pôle emploi, opérateurs de compétences) et des fonds versés par les employeurs. Un contrôle est exercé sur la réalité de l'accomplissement de ces activités de formation.

La société requérante, soulevant une question prioritaire de constitutionnalité, se plaignait de ce que les dispositions du code de travail qui régissent les conditions et les effets de ces contrôles, d'une part, instituent des sanctions disproportionnées en cas de manquement, violant ainsi le principe de nécessité et de proportionnalité des peines, d'autre part portent atteinte à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des contrats légalement conclus, enfin, au cas d'espèce, révèlent une incompétence négative du législateur.

Cette demande est très logiquement rejetée en tous ses chefs de demande.

D'abord, ne saurait être qualifié de « sanction » le fait pour une autorité publique d'exiger le remboursement de versements indus tant pour ce qui concerne les aides publiques à une opération qui n'a pas eu lieu que pour ce qui regarde les sommes versées par les employeurs.

Ensuite, ne sauraient être invoqués les principes du droit contractuel (liberté contractuelle et respect de l'économie initiale du contrat) à l'encontre de dispositions législatives qui loin d'y porter atteinte en assurent en réalité le respect en tirant les conséquences du non-respect d'engagements de nature contractuelle.

Enfin, il est à nouveau rappelé que l'incompétence négative du législateur ne peut pas, en soi, constituer un cas d'ouverture à QPC si elle n'affecte pas directement un droit ou une liberté constitutionnellement garantie.

(22 septembre 2021, Société « Institut de formation à distance », n° 449602)

 

73 - Fonctionnaires - Accidents et maladies professionnelles - Présomption d'imputabilité au service - Régime différent en cas d'incapacité temporaire et en cas d'incapacité permanente - Absence d'inconstitutionnalité - Refus de transmission de la QPC.

Dans cadre d'un litige l'opposant à la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL), la requérante faisait valoir notamment  l'inconstitutionnalité du I de l'art. 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire pour violation du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant les charges publiques en tant qu'il réserve la présomption d'imputabilité au service de certains accidents et maladies professionnelles aux seuls cas d'incapacité temporaire du fonctionnaire, à l'exclusion de son incapacité permanente. 

L'argument n'apparaît pas sans valeur mais il est rejeté par le Conseil d’État.

Celui-ci, pour refuser la transmission, considère que sont placés dans une situation différente de celle des fonctionnaires frappés d'une incapacité temporaire ceux des fonctionnaires atteints d'une incapacité permanente, dont les conséquences sont prises en charge au moyen de dispositifs d'indemnisation adaptés au caractère durable de ses effets et qui ne sont pas à la charge directe de chaque employeur mais mutualisés entre les employeurs publics au sein des régimes spéciaux de retraites. C'est pourquoi la différence de traitement qui en résulte est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

Cette manière de traiter la QPC pose un réel problème : jusqu'où peut aller le juge a quo pour apprécier le caractère sérieux d'une question ? A partir de quand, l'ampleur et les caractéristiques de son analyse se substituent au rôle et à la compétence exclusifs du juge de la QPC ?

La présente affaire constitue un bon exemple de cette difficulté.

(23 septembre 2021, Mme B., n° 451317)

 

74 - Institution d'une contribution exceptionnelle des organismes de complémentaire santé à la prise en charge des dépenses liées à la gestion de l'épidémie de Covid-19 - Inconstitutionnalité - Absence - Rejet.

(29 septembre 2021, Société Quatrem, n° 451491)

V. n° 43

 

Responsabilité

 

75 - Vaccination obligatoire contre l'hépatite B - Troubles attribués à cette vaccination - Absence de lien de causalité scientifiquement établi - Omission de vérifier l'absence de toute probabilité d'existence d'un tel lien - Erreur de droit - Annulation.

Une personne, militaire de son état, est soumise, entre 1994 et 1995, à l'obligation d'être vaccinée contre le virus de l'hépatite B.

Ayant souffert de divers troubles quelques mois après avoir été vaccinée, elle s'est vu attribuer une pension militaire d'invalidité à partir de 2001.

Le ministre de la défense lui ayant refusé la réparation des préjudices non indemnisés par cette pension, l'intéressé se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif jugeant que n'est pas établi un lien de causalité entre les troubles dont il se plaint et l'administration d'un vaccin contenant des adjuvants aluminiques. La cour avait fondé sa décision de rejet sur les travaux de l'Académie nationale de médecine, du Haut conseil de santé publique, de l'Académie nationale de pharmacie et de l'Organisation mondiale de la santé consacrés aux liens susceptibles d'exister entre l'administration de vaccins contenant des adjuvants aluminiques et le développement de différents symptômes constitués de lésions histologiques de myofasciite à macrophages, de fatigue chronique, de douleurs articulaires et musculaires et de troubles cognitifs, symptômes dont le requérant se plaignait.

Pour accueillir le pourvoi et annuler cet arrêt, le Conseil d’État retient, dans une formulation qui n'est pas loin d'être celle d'une décision de principe en la matière, qu' « il appartenait à la cour, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration d'adjuvants aluminiques et les différents symptômes attribués à la myofasciite à macrophages était ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, qu'il n'y avait aucune probabilité qu'un tel lien existe

Puis, le juge de cassation délivre un véritable mode d'emploi de la conduite à tenir par la cour en cette hypothèse : soit il était résulté de cet examen, en l'état des connaissances scientifiques, l'absence de toute probabilité d'existence d'un lien de causalité, la cour devait en ce cas rejeter la demande dont elle était saisie, soit, à défaut d'une exclusion totale de probabilité, la cour, examinant les circonstances, ne pouvait alors retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations et les symptômes que si ceux-ci étaient apparus postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et avec une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.

En réalité, le Conseil d’État introduit ici une présomption, peu réfragable, de lien de causalité.

(29 septembre 2021, M. D., n° 435323)

(76) V., pour une solution identique en matière de vaccinations obligatoires à raison d'activités professionnelles (ici, à la fois, contre le virus de l'hépatie B et contre la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite) : 29 septembre 2021, Mme B., n° 437875.

 

77 - Police de l'ordre public - Attroupements et rassemblements - Actes commis à force ouverte ou par violence - Régime de réparation et charge de la réparation - Distinction entre un blocage routier, donc prémédité, et les violences qui en ont résulté, non préméditées - Rejet.

L'art. L. 211-110 du code de la sécurité intérieure disposait à l'époque des faits litigieux : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».

Dans le cadre d'un mouvement national de protestation contre un projet de texte législatif des manifestants ont bloqué un carrefour giratoire situé à proximité d'une sortie d'autoroute et causé des dégâts aux biens de la société requérante, exploitante du réseau autoroutier. Elle a demandé réparation à l'État des préjudices qu'elle avait subis, ce qui lui a été refusé par une décision implicite dont elle a recherché, en vain, l'annulation par un tribunal administratif puis, avec succès, par la cour administrative d'appel.

Le ministre compétent se pourvoit contre cet arrêt. Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État approuve les juges du fond d'avoir estimé, d'une part, que les dégradations dont la société d'autoroutes demande réparation résultent d'actes commis à force ouverte ou par violence et sont constitutives de délits et, d'autre part, que si le blocage routier et ses conséquences ont pu présenter un caractère organisé et prémédité, les dégradations qui ont été commises ne l'ont pas été par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre ce délit, et qu'ainsi ces faits étaient de nature à engager la responsabilité sans faute de l'État sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 211-10.

(29 septembre 2021, Ministre de l'intérieur, n° 449761)

 

78 - Responsabilité hospitalière - Hospitalisation psychiatrique - Agression d'un malade par un autre - Existence éventuelle d'une faute de la part de l'établissement de soins - Appréciation en l'espèce - Qualification inexacte des faits - Annulation.

Un patient hospitalisé dans un établissement de santé mentale agresse violemment, le 22 novembre 2009, un autre patient de cet établissement qui demeurera, du fait de cette agression et jusqu'à sa mort huit ans plus tard, dans un état végétatif.

L'établissement public de santé mentale se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif qui l'a condamné à indemniser le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie.

Tout le débat se concentrait sur le point de savoir si l'établissement avait, ou non, par défaut de surveillance, commis une faute ayant joué un rôle causal dans la survenance de l'agression. Le Conseil d’État, statuant au fond après une première cassation (art. L. 821-2 CJA), retient une solution directement contraire à celles qu'avaient retenue les juridictions du fond.

Dans une formulation de principe, le juge cassation fixe, au point 3 de sa décision, le cadre juridique dans lequel doit s'inscrire l'analyse du juge saisi d'un tel litige : « Pour établir l'existence d'une faute dans l'organisation du service hospitalier au titre du défaut de surveillance d'un patient atteint d'une pathologie psychiatrique, le juge doit notamment tenir compte, lorsque l'état de santé de ce patient fait courir le risque qu'il commette un acte agressif à son égard ou à l'égard d'autrui, non seulement de la pathologie en cause et du caractère effectivement prévisible d'un tel passage à l'acte, mais également du régime d'hospitalisation, libre ou sous contrainte, ainsi que des mesures que devait prendre le service, compte tenu de ses caractéristiques et des moyens dont il disposait

Appliquant cette grille d'analyse au cas de l'espèce, le juge indique, en premier lieu quel a été le raisonnement de la juridiction d'appel et, en second lieu, en quoi il lui paraît qu'il repose sur une qualification inexacte des faits.

La cour avait retenu une faute dans l'organisation du service hospitalier en se fondant sur deux faits. 1° l'auteur de l'agression était connu pour son agressivité et sa violence, plusieurs actes commis par lui au cours des sept derniers mois en attestant ; 2° le rapport de l'expert commis par les juges avait relevé que les pathologies respectives dont souffraient l'agresseur et sa victime présentaient une incompatibilité spécifique devant immanquablement se révéler s'ils se trouvaient en présence l'un de l'autre.

Le Conseil d’État reproche à la cour de s'être fondée sur ces seuls éléments pour y apercevoir l'existence d'une faute de l'établissement. Il a une autre opinion sur l'appréciation des faits le conduisant à dénier l'existence d'une faute et il retient, pour aboutir à cette conclusion, deux faits.

1° le comportement de l'agresseur s'était stabilisé depuis plus de deux mois au moment de l'agression et il avait bénéficié de permissions de sortie qui n'avaient donné lieu à aucun incident ; 2° il avait été décidé de ne pas le confiner dans sa chambre mais de lui laisser une certaine autonomie de mouvement après administration d'un traitement ad hoc et mise en observation dont l'application et la surveillance étaient, selon le juge, d'autant plus aisées s'agissant d'un établissement de petite taille dans lequel le personnel pouvait très vite intervenir.

De là se déduit l'absence de faute.

On peut disputer à l'infini de ces deux appréciations des faits où demeure une grande part de subjectivité. Cependant, dans la mesure où était connue l'existence d'une incompatibilité majeure entre les maladies dont souffraient les deux protagonistes, il eût peut-être été plus sage, soit d'empêcher tout contact soit d'éloigner systématiquement l'un de l'autre, ce que la petite taille de l'établissement, dont le Conseil d’État fait un atout, permettait difficilement.

(29 septembre 2021, Établissement public de santé mentale (EPSM) de Lille-Métropole, n° 432627)

 

Service public

 

79 - Gestion de la trésorerie de l'État - Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR) - Organismes privés chargés d'une mission de service public - Notion de mission de service public et notion de service public - Rejet.

(28 septembre 2021, Fonds de garantie des dépôts et de résolution (FGDR), n° 447625)

V. n° 39

 

Urbanisme

 

80 - Demande de permis de construire - Silence de l'administration - Servitude d'urbanisme non inscrite en annexe d'un plan local d'urbanisme - Silence valant acceptation - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Commet une erreur de droit l'arrêt qui annule le refus de délivrance d'un permis de construire sur un immeuble dont les façades et le toit sont inscrits au titre des monuments historiques au motif que cette servitude d'urbanisme ne figurant pas en annexe du plan local d'urbanisme, le silence de plus de trois mois du maire sur la demande de permis valait permis de construire tacite.

En effet, si une servitude d'utilité publique affectant l'utilisation des sols, telle la servitude pesant sur les immeubles classés ou inscrits au titre des monuments historiques, n'est pas, en principe, opposable à une demande d'autorisation d'occupation des sols lorsqu'elle n'est pas annexée à un plan local d'urbanisme, il en va différemment lorsque le propriétaire d'un immeuble classé ou inscrit aux monuments historiques s'est vu notifier cette inscription en application de l'article R. 621-8 du code du patrimoine. En ce cas, cette servitude lui est opposable alors même qu'elle ne serait pas annexée au plan local d'urbanisme et toute demande de permis de construire, de démolir ou d'aménager portant sur cet immeuble relève en conséquence, conformément à l'article R. 424-2 du code de l'urbanisme, de la procédure dérogatoire prévue pour ces demandes par les dispositions précitées de l'article L. 621-27 du code du patrimoine, d'où il résulte que le silence gardé par l'administration à l'issue du délai d'instruction fait naître une décision implicite de rejet de la demande.

Au cas de l'espèce, le classement par un arrêté du 15 novembre 1927 (!!!) avait été notifié au propriétaire, d'où il suit que le pétitionnaire ne saurait se prévaloir de ce que le silence, gardé pendant plus de cinq mois, aurait valu octroi d'un permis de construire tacite.

Encore eût-il fallu, nous semble-t-il, car le propriétaire requérant n’est probablement celui qui a reçu notification de l’arrêté de classement près de 95 ans avant la saisine du juge, établir que ce dernier avait incontestablement connaissance de cet acte, par exemple car il était retranscrit dans l’acte notarié d’acquisition, de donation ou de succession de l’immeuble litigieux.

(23 septembre 2021, Société La Place Gambetta, n° 432650)

 

81 - Permis de construire initial et permis modificatif - Accès à la propriété par une voie privée ouverte à tous les propriétaires riverains - Voie accessible aux services de lutte contre l'incendie - Accès alternatif autorisé par le permis modificatif - Erreur de droit et double dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Le permis de construire initial d'une maison d'habitation individuelle d'une superficie de 664,89 m2 avait été annulé par le tribunal administratif pour le double motif, d'une part, que les pétitionnaires, qui prétendaient pouvoir utiliser une voie privée pour l'accès à leur parcelle n'invoquaient aucun titre créant une servitude ou un quelconque droit de passage sur cette voie de desserte et d'autre part, que l'état de ladite allée privée ne permettait pas l'accès des vehicules de lutte contre l'incendie.

Le permis de construire modificatif, qui faisait suite à l'acquisition par les pétitionnaires de parcelles de terrain supplémentaires, est également annulé par le tribunal par le motif que, vu l'importance de la construction projetée, l'accès alternatif proposé par le permis de régularisation accordé méconnaissait les conditions posées par le règlement du PLU.

Le jugement est annulé en ses deux branches.

Concernant le permis initial, le tribunal a, d'abord, commis une erreur de droit en ce qu'il n'a pas tiré la conséquence que les demandeurs tenaient directement de leur qualité de propriétaires riverains de la voie privée le droit d'y accéder et d'en user. Il a, ensuite, dénaturé les pièces du dossier en jugeant ladite voie inaccessible aux véhicules de secours alors que figuraient au dossier de demande permis, d'une part des photographies attestant que l'état de l'allée en cause ne fait pas obstacle à l'accès des services de lutte contre l'incendie au terrain d'assiette du projet et, d'autre part, l'avis favorable émis par le service de lutte contre l'incendie et la protection civile de la préfecture de police.

Concernant le permis modificatif, le tribunal - se fondant exclusivement sur la superficie de la construction projetée - a omis de prendre en considération, pour apprécier la pertinence de la création d'un accès piétonnier et d'un accès pour véhicules, le fait qu'il ne s'agissait néanmoins que d'un seul logement, commettant ainsi une seconde dénaturation des pièces du dossier qui lui était soumis.

(23 septembre 2021, M. et Mme A. H., n° 435616)

 

82 - Révision d'un POS portant plan d'urbanisme - Irréglarités affectant la consultation - Invocation au soutien d'un recours dirigé contre la délibération approuvant le PLU - Nature de servitudes d'urbanisme des zones ZPPAUP - Absence d'effet sur l'appréciation de la légalité d'un PLU - Rejet.

Les requérants contestaient par de nombreux moyens de forme et de fond la légalité de la délibération du conseil municipal de la commune de Pertuis approuvant la révision du POS mis en forme de PLU.

On retiendra surtout deux aspects de la décision du Conseil d’État dont le premier est une reprise d'une importante jurisprudence antérieure.

Tout d'abord, réitérant le revirement de jurisprudence constitué par une décision relativement récente (Section 5 mai 2017, Commune de Saint-Bon-Tarentaise, n° 388902) le Conseil d’État rappelle que s'il est loisible à tout requérant de contester la légalité de la délibération fixant les modalités de la concertation en vue de l'adoption ou de la révision d'un PLU, il ne lui est plus possible, depuis cette décision, d'invoquer cette illégalité au soutien d'un recours dirigé contre la délibération approuvant le PLU, ce qui était le cas en l'espèce.

Ensuite, de façon plus innovante, est précisée l'imbrication normative et hiérarchique du PLU avec l'institution d'une zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP).

Le juge de cassation approuve la cour administrative d'appel d'avoir jugé, d'une part, que les dispositions d'une ZPPAUP ne sont pas au nombre des règles par rapport auxquelles s'apprécie la légalité d'un plan d'urbanisme, et d'autre part, que ces dispositions sont, en revanche, opposables aux autorisations d'urbanisme délivrées sous l'empire dudit PLU.

Ceci ne manquera pas de soulever de délicats problèmes de hiérarchie des normes et de cohérence juridique car au final il y a bien interposition des dispositions du ZPPAUP entre le PLU et l'autorisation d'urbanisme sollicitée.

Ce qui soulève une question difficile : y a-t-il vraiment une grande différence pour le pétitionnaire entre voir sa demande directement soumise au respect de la réglementation au titre de la ZPPAUP ou par le biais de dispositions du PLU prises dans le respect des règles que comporte la ZPPAUP ?

D'un autre côté il n'est pas illégitime de considérer que l'empilement normatif au-dessus du PLU est déjà suffisamment consistant pour ne pas en rajouter une couche.

(24 septembre 2021, Mme B. et autres, n° 444673)

 

83 - Propriétaires voisins - Recours en tierce opposition contre un jugement annulant un refus de permis de construire - Conditions de recevabilité d'un tel recours (art. R. 832-1 CJA) - Conditions non réunies en l'espèce - Rejet de ce chef - Refus d'un permis de construire pour des motifs censurés par le juge - Impossibilité d'un nouveau refus fondé sur l'un des motifs censurés.

Rappel de ce que si l'administration qui a refusé un permis de construire pour des motifs censurés par le juge demeure saisie de la demande de permis et peut, à ce titre, le refuser à nouveau pour un motif différent de ceux censurés, en revanche elle ne peut le refuser en se fondant sur l'un des motifs censurés en raison de l'autorité absolue qui s'attache à la chose jugée par une annulation sur recours pour excès de pouvoir.

 (29 septembre 2021, EARL Grand Fossé et autres, n° 438525)

V. pour un autre aspect de la décision, le n° 21

 

 

84 - Réunion publique d'information sur la modification d'un plan local d'urbanisme - Exigence d'un pass sanitaire pour l'accès à la salle de réunion - Illégalité - Rejet.

(ord. réf. 13 septembre 2021, Commune de Savigny-sur-Orge, n° 456578)

V. n° 69

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