Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Novembre 2021

  

Actes et décisions - Procédure administrative non-contentieuse

 

1 - Militaire - Demande de remboursement d’indu et menace de retrait de l’indu sur la solde d’un militaire – Recours administratif préalable obligatoire -– Décision susceptible d’un recours de plein contentieux – Non-notification d’une décision expresse de rejet – Absence d’effet - Annulation et rejet.

La lettre par laquelle l'administration informe un militaire qu'il doit rembourser une somme indument payée et qu'en l'absence de paiement spontané de sa part, cette somme sera retenue sur sa solde, est une décision susceptible de faire l'objet d'un recours de plein contentieux dont le délai de formation est de deux mois nonobstant l'absence de notification d'une décision expresse de rejet du recours administratif préalable obligatoire contre cette décision.

D’où l’erreur de droit commise par la cour administrative d’appel qui en avait conclu que le délai de recours contentieux n’avait pas commencé à courir.

(10 novembre 2021, Ministre des armées, n° 451462)

 

2 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

V. n° 9

 

3 - Communication des documents administratifs - Registre de contention et d'isolement et Rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement dans un centre hospitalier – Documents communicables – Rejet.

L’établissement requérant demandait l’annulation du jugement ordonnant, à la demande de l’association « Commission des citoyens pour les droits de l’homme » (CCDH), la communication d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement correspondant à l'année 2017 et du rapport annuel établi pour cette même année.

Le pourvoi est rejeté en raison de ce que, contrairement à ce qui était soutenu par l’établissement défendeur,  les dispositions de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, qui prévoient, d'une part, que le registre de contention et d'isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et, d'autre part, que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement, n'ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles du code des relations entre le public et l'administration régissant le droit d'accès aux documents administratifs telles qu’énoncées aux art. L. 311-1, L. 311-5, L. 311-6 et L. 311-7 de ce code. Simplement, doivent être occultés avant communication les noms des patients et des soignants figurant, le cas échéant, dans l’un ou l’autre de ces deux documents.

(18 novembre 2021, Centre hospitalier Sainte-Marie de Privas, n° 442348)

 

4 - Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) - Clôture d'une plainte - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

C'est sans erreur manifeste d'appréciation que la CNIL « a clôturé la plainte dont elle était saisie par les requérantes en se fondant notamment sur les échanges intervenus entre ces dernières et le docteur K. et sur une conversation téléphonique que ses services ont eue avec celui-ci. Il ressortait de ces éléments, d'une part, que ce médecin estimait que le dossier médical de la mère des requérantes, par ailleurs saisi dans le cadre d'une procédure pénale qui a donné lieu à un classement sans suite en l'absence de lien de causalité avéré entre un acte médical dispensé à l'intéressée et son décès, ne contenait pas de données à caractère personnel qui permettraient aux requérantes de faire valoir leurs droits ou de connaître les causes de ce décès, d'autre part, que ce professionnel de santé a cessé d'être le médecin traitant de la mère des requérantes plus d'un an avant son décès et, enfin, que le conseil départemental de l'ordre des médecins de la Drôme, que le docteur K. a consulté pour avis, lui a indiqué que le secret médical faisait obstacle à la communication du dossier médical demandé.

Dans ces conditions, eu égard à ses pouvoirs d'instruction et aux diligences qu'elle a accomplies, et alors au surplus que la demande d'accès formulée par les requérantes ne visait pas à l'organisation et au règlement de la succession de la défunte, dont il n'est pas allégué qu'elle aurait établi de son vivant des directives sur la communication de ses données à caractère personnel (...) ».

(18 novembre 2021, Mmes I., J. et H., n° 448729)

 

5 - Circulaire du ministre de l'intérieur - Acte pris en qualité de chef de service - Acte de nature réglementaire - Inapplicabilité de dispositions du code des relations du public avec l'administration (CRPA) - Rejet.

Le requérant contestait la légalité d'une circulaire du 27 juillet 2015 par laquelle le ministre de l'intérieur a précisé les différentes modalités de mise en œuvre des changements de subdivision d'arme vers la gendarmerie départementale des gradés et gendarmes servant dans la gendarmerie mobile. 

Il invoquait en particulier le non respect des dispositions du CRPA réputant abrogées les instructions et circulaires qui n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret et en particulier l'article R. 312-7 de ce code prévoyant, d'une part, que les instructions ou circulaires qui n'ont pas été publiées sur l'un des supports prévus à cet effet ne sont pas applicables et que leurs auteurs ne peuvent s'en prévaloir à l'égard des administrés et d'autre part, qu'à défaut de publication dans un délai de quatre mois à compter de leur signature, elles sont réputées abrogées.

Toutefois, et c'est là un apport important de cette décision, ces dispositions ne sont pas applicables aux circulaires qui comportent des dispositions à caractère réglementaire.

Or la circulaire litigieuse a été prise par le ministre en sa qualité de chef de service et revêt un caractère réglementaire.

Enfin, pour faire bonne mesure, le Conseil d’État relève qu'en réalité la circulaire attaquée a été publiée, dans le délai prévu, sur le site internet relevant du Premier ministre mentionné à l'article R. 312-8 du CRPA.

Le recours est rejeté.

(25 novembre 2012, M. G., n° 450258)

 

Audiovisuel, informatique, fichiers et technologies numériques

 

6 - Création d’une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision – Autorisation sous réserve donnée par l'Autorité de la concurrence – Critiques sur l’appréciation erronée par cette Autorité de divers éléments (définition du marché pertinent, analyse concurrentielle, marché de distribution de services de télévision, commercialisation de données, insuffisance des engagements pris) – Rejet.

Les requérantes demandaient, pour l’essentiel, l’annulation de la décision du 12 août 2019 de l'Autorité de la concurrence relative à la création d'une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision. Laissant de côté les moyens de légalité externe, peu utiles ici, c’est l’examen des moyens de légalité interne qui retient l’attention.

Ceux-ci sont très nombreux (la décision comporte près de 60 000 caractères : plus de vingt pages d’un précis Dalloz ou Thémis…) et sont tous rejetés. Ils se regroupent ainsi : l’existence d’une « entreprise commune », la délimitation des marchés pertinents, l’analyse concurrentielle et les engagements pris.

En premier lieu, étaient soulevées les questions de savoir si la création de Salto - nom de l’entité née du rapprochement des trois sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision -, en tant qu’entreprise commune constituait une concentration au sens du II de l’art. L. 430-1 du code commerce et si l’Autorité de la concurrence avait correctement exercé son contrôle. La réponse est positive à la première question, le Conseil d’État estimant que Salto dispose des moyens nécessaires à l’exercice d’activités et au fonctionnement autonomes. Sur la seconde question, il est répondu en deux temps : 1° l’Autorité de la concurrence était tenue ici, d’une part, de délimiter les marchés pertinents, ce qui englobe les produits ou services offerts par l'entreprise résultant de la concentration et ceux d'autres entreprises, et considérés comme suffisamment substituables principalement du point de vue de la demande pour exercer sur elle une pression concurrentielle significative, et d’autre part, de caractériser les effets anticoncurrentiels de l'opération sur ces marchés ainsi que d’apprécier si ces effets étaient de nature à porter atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte. 2° Cependant cette Autorité n’avait pas pour autant à analyser les effets de cette opération au regard des règles générales du droit de la concurrence et d’ailleurs une telle analyse ne s’imposait ni au regard des stipulations de l’art. 101 du TFUE ni à celui des art. L. 420-1 et L. 420-4 du code de commerce.

En deuxième lieu, s’agissant d’apprécier la correcte analyse par l’Autorité des marchés pertinents, le Conseil d’État était saisi de deux moyens.

Le premier moyen portait sur les marchés aval de la distribution de services de télévision, marchés sur lesquels se rencontrent distributeurs de services de télévision et téléspectateurs. Les quatre arguments développés par les requérantes sont rejetés : il n’y avait pas lieu pour l’Autorité de la concurrence de retenir une segmentation plus fine, ni non plus le marché de la distribution au détail de la télévision gratuite étant observé que la Commission européenne ayant renvoyé l’examen de ce dossier à l’Autorité de la concurrence cette dernière pouvait donc ne pas respecter complètement la pratique suivie en cette matière par la Commission ; cette Autorité n’avait pas davantage à segmenter le marché de la distribution de la télévision payante en fonction de la plateforme de distribution des chaînes, et à distinguer un marché spécifique de la distribution de télévision payante par l'intermédiaire d'Internet, en diffusion dite « over-the-top » (OTT). Ni non plus à délimiter un marché de la fourniture agrégée de contenus linéaires et non linéaires et de services associés audiovisuels en raison de la perméabilité croissante entre la télévision linéaire et non linéaire.

Le second moyen concernait les marchés relatifs à l'activité de commercialisation de données : il reprochait à l’Autorité de la concurrence d’avoir laissé ouverte la question de savoir si l'activité de Salto relative à la commercialisation de données de consommation de ses contenus audiovisuels devait être analysée dans le cadre d'un marché global des services de vente de données ou dans le cadre d'un marché spécifique de la commercialisation de données relatives à la consommation audiovisuelle. Toutefois, c’est sans erreur d’appréciation que l’Autorité a fait ce choix dans la mesure où il lui était apparu que les conclusions de l'analyse concurrentielle demeuraient inchangées que l'on retienne l'un ou l'autre solution. 

En troisième lieu, sont rejetés les arguments tendant à démontrer la défectuosité de l’analyse concurrentielle effectuée par l’Autorité de la concurrence.

Cette dernière n’avait ni à analyser la contribution de l'opération au progrès économique dès lors que la première phase d'examen de l'opération l’avait conduite à constater l'absence d'atteinte à la concurrence sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties, et à autoriser l'opération sans engager un examen approfondi.

Elle n’a pas, non plus commis d’erreur de droit dans la prise en compte du périmètre de l'activité de Salto et dans l’appréciation de son évolution prévisible, en relevant que l’actuelle réglementation relative à la chronologie des media était suffisante, en estimant que les marchés de l'acquisition des droits sportifs et des films de cinéma – dits œuvres originales en français - récents n'étaient pas affectés par l'opération et, enfin, en considérant que n’avait pas à être remise en cause l’affirmation selon laquelle Salto – notamment compte tenu de ses moyens financiers - ne prévoyait pas « l'exploitation de contenus sportifs dont la consommation se fait davantage en direct, i.e. via le linéaire et non via un service de SvoD ».

Sont pareillement rejetés les argumentaires relatifs : 1° au non-examen des effets verticaux découlant de la position forte des sociétés mères de Salto, en amont, sur le marché de l'acquisition de droits sportifs, et de la présence de Salto, en aval, sur le marché de la distribution de services de télévision ; 2° à l’absence d’exigence de précisions de la part de Salto concernant la commercialisation des données.

En quatrième lieu, s’agissant des engagements, le Conseil d’État juge très logiquement :

« 28. Lorsque lui est notifiée une opération de concentration dont la réalisation est soumise à son autorisation, il incombe à l'Autorité de la concurrence d'user des pouvoirs d'interdiction, d'injonction, de prescription ou de subordination de son autorisation à la réalisation effective d'engagements pris devant elle par les parties, qui lui sont conférés par les articles L. 430-6 et suivants du code de commerce, à proportion de ce qu'exige le maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés affectés par l'opération. Les engagements qu'elle accepte doivent être suffisamment certains et mesurables pour garantir que les effets anticoncurrentiels qu'ils ont pour finalité de prévenir ne seront pas susceptibles de se produire dans un avenir relativement proche

29. S'il est soutenu que les engagements pris par les sociétés mères sont insuffisants pour prévenir les effets anticoncurrentiels identifiés au motif qu'ils seraient uniquement comportementaux et que des engagements structurels auraient été plus efficaces, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée, dès lors qu'il appartient seulement à l'Autorité de la concurrence, pour apprécier si un engagement est pertinent et suffisant, de rechercher s'il est de nature à remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et à maintenir ainsi une concurrence suffisante, et s'il est suffisamment certain et mesurable. » Appliquant cette méthode d’analyse aux requêtes dont il était saisi le juge note qu’il en est bien ainsi concernant les engagements pris au titre 1° de la prévention des risques de coordination, 2° de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'acquisition des droits de diffusion – qu’il s’agisse des achats couplés entre droits linéaires et droits non linéaires par les mères, des achats par Salto de droits non linéaires auprès des sociétés mères ou de la levée des clauses de « holdback » et de l'exercice d'un droit de préemption et de priorité -, 3° de la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l'édition et de la commercialisation des chaines de télévision ou 4° de la prévention des effets congloméraux sur le marché de la distribution de services de télévision payante linéaire.

(8 novembre 2021, Société Free, n° 435984 ; Société Iliad, n° 439527)

 

7 - Fichier STARTRAC (ministère des finances) – Communication des informations relatives au demandeur – Compétence de la formation spécialisée du Conseil d’État – Absence pour les données n’intéressant pas la sûreté de l’État – Compétence des juridictions de droit commun – Office du juge saisi d'un recours relatif aux données recueillies dans un fichier non publié qui n'intéressent pas la sûreté de l'État – Arrêt avant-dire droit ordonnant le versement au dossier cde l’instruction écrite du décret portant création du fichier STARTRAC.

M. B. avait demandé au tribunal administratif, d’une part, d'annuler la décision, révélée par un courrier de la présidente de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par laquelle le ministre de l'économie et des finances a refusé de lui communiquer les informations le concernant figurant dans le fichier STARTRAC, et d’autre part, d'enjoindre au ministre de lui communiquer ces informations ou, à titre subsidiaire, celles d'entre elles qui ne concerneraient pas la sûreté de l'État ou, à titre infiniment subsidiaire, de procéder à leur communication au juge, hors procédure contradictoire. Par une ordonnance du 25 janvier 2016, la présidente du tribunal administratif a transmis la demande de M. B. à la formation spécialisée du Conseil d’État en application de l'article R. 351-2 du code de justice administrative.

Le Conseil d’État a rejeté la requête en tant qu’elle concernerait, le cas échéant, des données intéressant la sûreté de l’État, et renvoyé au tribunal administratif celles des conclusions de cette requête qui n’intéresseraient pas la sûreté de l’État.

Le tribunal administratif a annulé la décision du ministre de l'économie et des finances refusant de communiquer à M. B. les informations autres que celles intéressant la sûreté de l'État le concernant dans le fichier STARTRAC, et lui a enjoint de les communiquer à M. B. dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Sur appel du ministre, la cour administrative d’appel, avant dire droit, a annulé le jugement du tribunal administratif de Paris et ordonné au ministre de verser au dossier de l'instruction écrite, hors contradictoire, les informations litigieuses, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois, l’un, émané de M. B., qui demande l’annulation de cet arrêt et qu’il soit fait droit à sa demande de première instance, l’autre, du ministre, qui sollicite l’annulation de ce même arrêt.

La décision est intéressante par les indications qu’elle contient sur deux points.

En premier lieu, le juge rappelle que la formation spécialisée du Conseil d’État statuant au contentieux n'est compétente, en ce qui concerne les litiges relatifs à l'accès indirect aux données recueillies dans le fichier STARTRAC, que pour celles de ces données qui intéressent la sûreté de l'État. Le tribunal administratif et la cour administrative d'appel restent compétents en première instance et en appel pour connaître des litiges relatifs à l'accès indirect aux données recueillies dans ce même fichier n'intéressant pas la sûreté de l'État. Il faut saluer cet effort de strict cantonnement du champ d’application d’une procédure fortement dérogatoire à la procédure contentieuse de droit commun.

En second lieu, un véritable modus operandi est donné par le Conseil d’État s’agissant de l'office du juge lorsqu’il est saisi – comme en l’espèce - d'un recours relatif aux données recueillies dans un fichier non publié qui n'intéressent pas la sûreté de l'État. Le juge y indique : « Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions dirigées contre le refus de communiquer les données relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'État, la défense ou la sécurité publique, de vérifier, au vu des éléments qui lui ont été communiqués hors la procédure contradictoire et dans la limite des secrets qui lui sont opposables, si le requérant figure ou non dans le fichier litigieux. Dans l'affirmative, il lui appartient d'apprécier si les données y figurant sont pertinentes au regard des finalités poursuivies par ce fichier, adéquates et proportionnées. Lorsqu'il apparaît soit que le requérant n'est pas mentionné dans le fichier litigieux, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figurent ne sont entachées d'aucune illégalité, le juge rejette les conclusions du requérant sans autre précision. Dans le cas où des informations relatives au requérant figurent dans le fichier litigieux et apparaissent entachées d'illégalité, soit que les données à caractère personnel soient inexactes, incomplètes ou périmées, soit que leur collecte, leur utilisation, leur communication ou leur conservation soit interdite, cette circonstance, le cas échéant relevée d'office par le juge, implique nécessairement que l'autorité gestionnaire du fichier rétablisse la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses. Il s'ensuit, dans pareil cas, que doit être annulée la décision implicite refusant de procéder à un tel effacement ou à une telle rectification. »

(10 novembre 2021, M. B., n° 444992 ; ministre de l’économie et des finances, n° 444998)

(8) V. aussi, largement comparable : 10 novembre 2021, ministre de l’économie et des finances, n° 444997.

 

9 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

La demande en référé tendant à voir suspendue l'exécution de la décision de l'Autorité de la concurrence de procéder à l'instruction du dossier « Projet d'acquisition par Bouygues de Métropole Télévision », révélée par l'envoi qui leur a été fait du questionnaire « Test de marché - distributeurs de contenus audiovisuels » ainsi que de tout autre questionnaire qu'elle serait susceptible d'adresser dans le cadre de cette instruction ne constituant, en sa qualité de phase de « pré-notification » qu’un élément d’une procédure d’ensemble, revêt ainsi le caractère d’une mesure préparatoire laquelle ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ni, non plus, par voie de conséquence, d’un référé suspension.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

 

Biens

 

10 - Propriété privée – Propriété supportant un pylône électrique, surplombée par trois lignes électriques – Demande d’enlèvement – Servitude conventionnelle constituée avec l’accord des précédents propriétaires – Absence de publication de la servitude au livre foncier des départements alsaço-mosellans – Inopposabilité de la servitude – Annulation et renvoi.

La loi du 1er juin 1924 portant introduction de la législation civile dans les départements d’Alsace et de Moselle ayant fait partie de l’empire allemand de 1871 à 1918, dispose en son art. 38 : « Sont inscrits au livre foncier, aux fins d'opposabilité aux tiers, les droits suivants : (...) b) (...) les servitudes foncières établies par le fait de l'homme (...) » ; tandis que l’art. 38-1 de cette loi apporte cette précision que : « Dès le dépôt de la requête en inscription et sous réserve de leur inscription, les droits et restrictions visés à l'article 38 (...) sont opposables aux tiers qui ont des droits sur les immeubles et qui les ont fait inscrire régulièrement ».

Il se déduit de ces dispositions que, dans les départements d’Alsace-Moselle, les servitudes résultant des conventions régies par l’art. 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d’énergie, alors même qu'elles ne sont que la concrétisation d’une servitude légale instituée par cette loi, constituent des « servitudes foncières établies par le fait de l'homme » au sens de l'article 38 de la loi du 1er juin 1924. En conséquence, ces servitudes doivent être publiées au livre foncier pour pouvoir être opposées aux tiers qui ont des droits sur l'immeuble concerné, en particulier les nouveaux propriétaires de celui-ci.

C’est donc à la suite d’une erreur de droit que l’arrêt attaqué a jugé les servitudes en cause opposables aux intéressés alors même qu’elles n’avaient pas été publiées au livre foncier.

(5 novembre 2021, M. et Mme L., n° 441067)

 

11 - Société propriétaire d'un terrain classé par la suite en zone inconstructible par une carte communale - Demande d'indemnisation - Conditions d'appréciation de l'existence d'un préjudice - Erreur de droit - Annulation.

Une société se plaint de ce que les auteurs d'une carte communale, en classant le terrain dont elle est propriétaire en zone inconstructible, en ont réduit la valeur vénale. Pour rejeter sa prétention la cour administrative d'appel reproche à la requérante de ne pas justifier avoir supporté une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi par les auteurs de la carte communale.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit cet arrêt. En effet, il incombait seulement à la cour de rechercher si et dans quelle mesure, au regard des possibilités de construction préexistantes à l'entrée en vigueur de la carte communale dont se prévalait la société, compte tenu de la caducité du plan d'occupation des sols au 1er janvier 2016 et de la règle de surface minimale de constructibilité qu'il prévoyait, le classement de la parcelle litigieuse en zone inconstructible par la carte communale avait eu pour effet d'en réduire la valeur vénale.

(19 novembre 2021, Société Le Coin du Feu, n° 442689)

(12) V. aussi, sur un autre aspect du litige : 19 novembre 2021, Société Le Coin du Feu, n° 442688.

 

Collectivités territoriales

 

13 - Nouvelle-Calédonie – Troisième référendum en vue de l’accession de ce territoire à la souveraineté – Conditions de la consultation du gouvernement néo-calédonien – Expédition des affaires courantes - Absence de président élu du gouvernement – Circonstance n’entachant pas d’irrégularité le décret subséquemment pris – Rejet.

Divers textes, dont les accords de Nouméa constitutionnalisés et la loi organique du 19 mars 1999, ont prévu l’organisation d’un référendum sur l’accession de ce territoire ultra-marin à la « pleine (sic) souveraineté » et, en cas d’échec d’icelui, l’organisation, à certaines conditions, d’un deuxième puis d’un troisième référendum. Après l’échec du deuxième référendum il a été décidé d’en organiser un troisième pour lequel, comme pour les précédents, étaient nécessaires la consultation du gouvernement et celle du congrès de Nouvelle-Calédonie.

Le décret du 22 juin 2021, pris en vue du troisième référendum, l’a été après consultation d’un gouvernement n’avait pas encore désigné son président, d’où un recours pour contester la régularité de cette consultation. Le Conseil d’État estime que l’absence d’entrée en fonction de ce gouvernement n’entachait pas sa consultation et rejette de ce chef le recours.

La solution est bien surprenante.

En vue d’assurer la continuité de l’action publique et pour en éviter toute solution, il est recouru, en cas de besoin, spécialement en cas de gouvernement démissionnaire, à la théorie de l’expédition des affaires courantes (Assemblée, 4 avril 1952, Syndicat régional des quotidiens d’Algérie, Rec. p. 210 ; Sir. 1952.3.49, concl. J. Delvolvé) dont le Conseil d’État donne une interprétation très large, estimant, par exemple, de façon assez surprenante, qu’un gouvernement démissionnaire pouvait proposait au chef de l’État l’organisation du référendum constituant créant l’élection directe du président de la république au suffrage universel. Ici la situation n’est pas la même cependant. Le Conseil d’État aurait pu exiger que fût consulté le gouvernement formé antérieurement aux élections, celui-ci, en effet, expédiant les affaires courantes, demeurait en fonctions jusqu’à la constitution du gouvernement suivant. Ce n’est cependant pas ce que le Conseil d’État a fait en l’espèce, il a jugé régulière la consultation d’un gouvernement incomplet et pas faiblement incomplet mais carrément étêté puisque sans chef et donc incapable de fonctionner.

La solution est très critiquable.

(10 novembre 2021, M. M., n° 456139)

 

Contrats

 

14 - Marché sur procédure adaptée – Huissiers candidats à un marché portant sur la phase amiable pour le recouvrement des créances prises en charge par les comptables de la direction générale des finances publiques d’un département – Candidats évincés – Recours contre l’attribution du marché et demande de réparations - Invocation du non-respect du code de commerce – Rejet.

La candidature d’une société d’huissiers à l’attribution d’un marché portant sur la phase amiable pour le recouvrement des créances prises en charge par les comptables de la direction générale des finances publiques d’un département n’ayant pas été retenue celle-ci a demandé l’annulation de la procédure d’attribution à une autre société d’huissiers ainsi qu’une indemnisation du chef d’avoir été irrégulièrement évincé. La juridiction d’appel, après annulation du jugement de rejet de la réclamation indemnitaire, a alloué une certaine somme à la société d’huissiers requérante. Le ministre des finances se pourvoit et obtient gain de cause.

Pour juger irrégulière l’attribution du marché litigieuse et accueillir, en conséquence, en partie, la demande indemnitaire, la cour administrative d’appel avait jugé que la procédure suivie pour cette attribution n’avait pas été régulière. En effet, n’avait pas été respectée l’obligation d’immatriculation au registre (prévue par les dispositions combinées de l’art. L. 123-9 et de l’art. L. 251-8 du code de commerce) d’une société ayant adhéré au GIE attributaire du marché litigieux. L’arrêt est cassé pour erreur de droit en tant qu’il a fait droit à la demande indemnitaire dont il était saisi car il résulte des termes mêmes de l’art. 123-9 que : « La personne assujettie à immatriculation ne peut, dans l'exercice de son activité, opposer ni aux tiers ni aux administrations publiques, qui peuvent toutefois s'en prévaloir, les faits et actes sujets à mention que si ces derniers ont été publiés au registre. (...) ». Il suit de là que l’administration pouvait retenir la candidature du GIE dès lors que le défaut d’immatriculation au registre ne lui était pas opposable.

(5 novembre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 44625)

 

15 - Convention de financement et de réalisation d’un tronçon de ligne ferroviaire à grande vitesse – Suspension des versements au titre de cette convention par plusieurs collectivités territoriales – Procédure de recouvrement des sommes dues – Notion de résolution amiable d’un différend – Compétence des collectivités publiques pour s’engager – Invocation d’un défaut de cause à la conclusion de la convention puis de sa disparition en cours d’exécution – Vices du consentement allégués – Rejet.

En vue de la réalisation et du financement du tronçon central Tours-Bordeaux de la ligne ferroviaire à grande vitesse Sud-Europe-Atlantique, a été conclue une convention quadripartite entre l’État, l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, Réseau ferré de France et diverses collectivités territoriales des communautés d’agglomération. Aux termes de cette convention, était prévu le financement par ces dernières du tronçon central. Par la suite, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) requérants ont suspendu leurs versements, conduisant SNCF Réseau, après une tentative amiable, à saisir le juge administratif du litige. Le tribunal administratif, confirmé par la juridiction d’appel, a, par trois jugements, condamné ces EPCI à verser certaines sommes à la demanderesse.

Trois communautés d’agglomération se pourvoient contre ces jugements et arrêts. Leurs pourvois sont rejetés.

Quatre moyens étaient développés au soutien des pourvois.

En premier lieu, il était soutenu que la demande en justice de SNCF Réseau était irrecevable car la convention prévoyait que le juge ne pouvait être saisi qu’à défaut d’accord amiable et que tel n’était pas le cas en l’espèce. L’argument est rejeté car, avant de saisir le juge, le directeur du projet avait indiqué aux intéressées leur non règlement de plusieurs appels de fonds, les avait invitées à régulariser leur situation et précisé qu’à défaut de l’avoir fait avant une certaine date une procédure juridictionnelle serait engagée.

En deuxième lieu, les collectivités excipaient de la nullité de la convention litigieuse en raison de leur incompétence pour la conclure. Confirmant les juges du fond, le Conseil d’État estime que les avantages susceptibles d’être retirés par ces collectivités du fait de la réalisation de ce tronçon ferroviaire (accessibilité et attractivité accrues des territoires, contribution à leur développement économique) entraient pleinement dans le champ de compétence des signataires.

En troisième lieu, les EPCI invoquaient la théorie de la cause à la fois en raison de l’absence de cause lors de la signature de la convention litigieuse et du fait de sa disparition en cours d’exécution de la convention.

Cette argumentation témoigne de la vigueur de la cause dans le contrat administratif (cf. L’excellente thèse de F. Lombard, La cause dans le contrat administratif, Dalloz, Nouv. Biblio. des thèses, 2008) en dépit de la disparition du mot (sinon de la chose) depuis la réforme du droit civil des obligations de février 2016 ; la mention du Code civil dans les visas de cette décision ne manque d’ailleurs pas de sel sur ce point. Confirmant l’arrêt d’appel, il est jugé que l’engagement pris par les collectivités en signant la convention trouvait sa cause dans la réalisation de ce seul tronçon Tours-Bordeaux de la ligne Sud-Europe-Atlantique.

Par ailleurs, parce que la cause de l’engagement de ces collectivités se trouvait seulement dans la réalisation dudit tronçon, celles-ci ne sauraient soutenir que l’abandon de la branche France-Espagne aurait provoqué la disparition de la cause dans le cours de l’exécution du contrat.

En dernier lieu, enfin, est rejeté le moyen tiré d’un vice du consentement des collectivités à la convention par suite d’une erreur car la signature de la convention par l'ensemble des signataires pressentis n'avait pas constitué un élément déterminant de leur consentement, et ni la convention ni le protocole ne comportaient d'engagement à leur égard de réaliser la branche Bordeaux-Espagne : ainsi la cour n'a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que les collectivités n'avaient été induites en erreur ni sur l'étendue des obligations de leurs cocontractants ni sur l'objet de la convention de financement.

(9 novembre 2021, Communauté d’agglomération du Pays Basque, n° 438388 ; Communauté d’agglomération du Grand Montauban, n° 438389 ; Communauté d’agglomération « Mont-de-Marsan Agglomération », n° 438408, jonction)

 

16 - Marché public de travaux – Recherche de la responsabilité quasi-délictuelle de participants à l’opération – Condition – Annulation.

On retiendra en particulier de cette décision le rappel d’une solution bien établie selon laquelle le titulaire d’un marché de travaux publics, s’il peut rechercher la responsabilité contractuelle du maître de l’ouvrage ou d’autres participants à l’opération auxquels il est lié par contrat, peut aussi rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à cette opération avec lesquels il n’est lié par aucun contrat de droit privé.

(10 novembre 2021, Société Entreprise Jean Spada, n° 448580)

 

17 - Marchés publics de travaux – Cahier des clauses administratives générales (CCAG) – Mise en demeure de remettre le décompte général et définitif du marché – Existence de nombreuses et substantielles réserves – Mise en demeure prématurée – Erreur de droit – Annulation.

Une cour d’appel avait jugé qu’en raison de réserves nombreuses et substantielles émises par le pouvoir adjudicateur, la mise en demeure à lui adressée d’établir le décompte général et définitif afférent à un lot d’un marché public de travaux dont la requérante était titulaire, était prématurée. Ainsi, c’était à bon droit que la commune avait sursis à l’établissement du décompte.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit car il résulte des dispositions du CCAG (art. 41.3, 41.5 et 41.6, art. 50.1.1, art. 13.3.1, 13.3.2 et 13.4.2), en vigueur en 2009, qu’une mise en demeure - quelle que soit l’importance des réserves émises -  ne peut être dite prématurée que dans l’un des trois cas suivants : la mise en demeure intervient avant l'expiration du délai de quarante jours stipulé à l’art. 13.4.2 ou si la remise au maître d'œuvre du projet de décompte final par le titulaire, qui constitue le point de départ de ce délai, est elle-même intervenue avant la notification de la décision de réception des travaux prononcée en application des articles 41.3 ou 41.6 ou avant la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux dans le cas d'une réception prononcée en application de l'article 41.5. 

Aucun de ces trois cas ne se présentait en l'espèce, d'où la cassation prononcée.

(10 novembre 2021, Société Soludec France (ex-société Soludec, n° 449395)

 

18 - Convention de concession de stationnement urbain – Résiliation anticipée pour motif d’intérêt général – Indemnisation – Stipulations contractuelles fixant le calcul des droits à indemnisation – Application sous réserve de disproportion manifeste entre le montant de l’indemnité et l’étendue du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation dans cette mesure.

La ville de Sète a résilié par anticipation pour motif d’intérêt général la convention de concession de stationnement urbain la liant à une société. Le litige portait sur le calcul de l’indemnisation due au concessionnaire. Le contrat de concession avait fixé les éléments de calcul de cette indemnisation en cas de résiliation anticipée pour motif d’intérêt général mais les parties n’étaient pas d’accord entre elles sur leur application, d’où un contentieux parvenu jusqu’au Conseil d’État.

Celui-ci rappelle que la légalité des dispositions contractuelles fixant les droits à indemnité du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général est subordonnée à l’absence, au détriment de la personne publique, d’une disproportion manifeste entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi.

Par ailleurs l’essentiel de l’indemnisation portant sur la partie non amortie des biens de retour, elle est soumise, dans le cas des contrats de concession, aux règles suivantes. Soit l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, l’indemnité due au concessionnaire est en ce cas égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Soit la durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est alors égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

Si la stipulation du contrat de concession prévoyant l’indemnisation due en cas de résiliation anticipée dans l’intérêt général elle peut déroger à ces principes, c’est sous réserve que l'indemnité mise à la charge de la personne publique ne puisse, en toute hypothèse, excéder le montant calculé selon l’une des deux modalités ci-dessus.

En outre, il est évidemment exclu qu'une telle dérogation, permettant de ne pas indemniser ou de n'indemniser que partiellement les biens de retour non amortis, puisse être prévue par le contrat lorsque le concessionnaire est une personne publique.

En l’espèce, l’arrêt d’appel est censuré pour avoir jugé, au prix d’une erreur de droit, que la circonstance que le montant de la part de l'indemnité versée au titre du capital restant dû, tel qu'il résultait de l'application des clauses du contrat, serait supérieur à la valeur non amortie des biens de retour n'était pas de nature, à elle seule, à faire obstacle à l'application de l'article 43 de la convention, alors qu’au titre de son office il lui incombait de vérifier – et au besoin de les écarter - que les stipulations contractuelles permettaient d'assurer au concessionnaire l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans les conditions qui viennent d’être rappelées.

(10 novembre 2021, Commune de Sète, n° 449985)

 

19 - Marché à bons de commande - Lot portant sur certains travaux d'entretien et de démolition - Incendie survenu sur un monument historique en cours de travaux - Conditions de la subrogation de l'assureur - Notion d'entretien normal de l'ouvrage endommagé - Effet d'un engagement conjoint et solidaire - Abattement pour vétusté en cas de responsabilité contractuelle ou décennale - Rejet.

Cette décision aborde, parfois en innovant, plusieurs questions fréquentes du droit de la responsabilité contractuelle.

La ville de Reims a attribué à un groupement d'entreprises solidaires le lot n° 1 d'un marché à bons de commande ayant pour objet la réalisation " de travaux d'entretien et travaux de démolition sur le patrimoine autre que scolaire et sportif ". En exécution de ce marché, la société Astier Victor est intervenue le 18 avril 2012 pour effectuer des travaux de zinguerie sur le toit de la basilique Sainte-Clotilde, nécessitant l'usage d'un chalumeau. Une heure après le début des travaux, un incendie s'est déclaré au niveau de la toiture où intervenait l'entreprise Astier Victor, avant de se propager aux dômes nord de la basilique. Un contentieux s'en est suivi.

Le tribunal administratif a condamné, d'une part, solidairement les sociétés Gayet, Vitoux et Astier Victor, membres du groupement d'entreprises solidaires attributaires du lot n° 1, à verser à la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL), assureur de la ville de Reims, en sa qualité de subrogée dans les droits de cette collectivité, une certaine somme en réparation des préjudices subis du fait de cet incendie, d'autre part, la société Astier Victor à garantir la société Gayet et la société Vitoux de la totalité de cette condamnation.

La cour administrative d'appel a rejeté les requêtes des sociétés Astier Victor, Vitoux, Groupama Grand Est, assureur de la société Vitoux, et Gayet tendant à l'annulation de ce jugement et la requête de la société Astier Victor tendant à ce qu'il soit sursis à son exécution.

Un pourvoi principal est formé par les sociétés Vitoux et Groupama, et un pourvoi provoqué, par la société Gayet.

En premier lieu, était soulevé un moyen tiré de ce que la société SMACL n'avait pas produit la police d'assurance en exécution de laquelle elle a indemnisé la ville de Reims alors qu'il résulte des dispositions de l'art. L. 121-12 du code des assurances que l'assureur qui demande à bénéficier de la subrogation prévue par ces dispositions législatives doit justifier par tout moyen du paiement d'une indemnité à son assuré. En outre, l'assureur n'est fondé à se prévaloir de la subrogation légale dans les droits de son assuré que si l'indemnité a été versée en exécution d'un contrat d'assurance. Ainsi donc, la SMACL n'aurait pas été fondée à exercer  son droit de subrogation à son assurée.

La cour a jugé qu'à défaut de production de la police d'assurance en exécution de laquelle la SMACL a indemnisé la ville de Reims, les éléments concernant cette police et notamment les événements garantis ainsi que les modalités d'indemnisation en cas de sinistre ont été mentionnés dans le rapport d'expertise établi le 10 février 2014 par le cabinet Eurexo, à la demande de la SMACL. La cour en a déduit que la SMACL avait satisfait à l'obligation lui incombant. Ceci est approuvé par le Conseil d’État car la cour pouvait, sans erreur de droit, se fonder sur l'ensemble des éléments du dossier pour vérifier que l'indemnité avait bien été versée en exécution du contrat d'assurance.

En deuxième lieu, l'entreprise intervenue sur le toit de la basilique soutenait, pour tenter d'échapper à sa responsabilité, que la ville de Reims, propriétaire de l'édifice, ne l'avait pas entretenu normalement et que la présence de branchages, fientes d'oiseaux et poussières sur la surface des dômes de la cathédrale avait pu constituer un terrain propice au développement de l'incendie. L'argument est, à bon droit selon le Conseil d’État, rejeté par la cour car cette présence était habituelle sur ce type de monuments, elle était donc visible et prévisible pour l'entreprise chargée des travaux de zinguerie sur la toiture, ce qui exonérait la ville de toute responsabilité.

En troisième lieu, la cour est approuvée d'avoir jugé qu'en l'absence de stipulations contraires, les entreprises qui se sont engagées conjointement et solidairement envers le maître de l'ouvrage à réaliser une opération de construction s'obligent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais également à réparer le préjudice subi par le maître de l'ouvrage du fait de manquements dans l'exécution de leurs obligations contractuelles. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu'il n'a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l'ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l'exécution des travaux. C'est sans erreur de droit qu'en conséquence elle a condamné les trois entreprises à indemniser la SMACL solidairement à raison du sinistre engageant la responsabilité de leur groupement, alors même que les pièces contractuelles faisaient état d'une répartition géographique et matérielle des tâches au sein de ce groupement.

Enfin, en quatrième lieu, se posait la question de savoir si la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus lors de travaux sur ce bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres. Le Conseil d’État répond que, saisi d'une demande en ce sens, il incombe au juge de rechercher si, eu égard aux circonstances de l'espèce, les travaux de reprise sont de nature à apporter une plus-value à l'ouvrage, compte tenu de la nature et des caractéristiques de l'ouvrage ainsi que de l'usage qui en est fait. En l'espèce, c'est sans erreur de droit que la cour a pris en considération le caractère historique du bâtiment pour apprécier s'il y avait lieu d'appliquer un coefficient de vétusté au montant de l'indemnité due au titre des travaux de réfection de la toiture de la basilique Saint-Clothilde.

Le rejet du pourvoi principal entraîne mécaniquement, celui du pourvoi provoqué.

(25 novembre 2021, Sociétés Vitoux et Groupama Nord Est, Société Gayet, n° 442977)

 

20 - Acte d'engagement - Construction par une commune d'une école maternelle et primaire - Action en responsabilité contractuelle contre la maîtrise d'oeuvre - Prescription de l'action (art. 2224 c. civ.) - Droit transitoire - Rejet.

Suite à des malfaçons dans la réalisation de certains travaux de construction d'une école maternelle et primaire, la commune maître de l'ouvrage, après mise en demeure du 26 juillet 2007, a ordonné à une société titulaire du lot n° 3, par acte d'engagement du 31 mai 2006, d'effectuer les travaux de reprise permettant d'assurer l'étanchéité de la toiture du bâtiment en construction. Par suite du refus de cette société d'exécuter les travaux demandés, le maître d'ouvrage a engagé la procédure de mise en régie partielle, confié la réalisation des travaux conservatoires à une autre société et a saisi le juge des référés en vue que soit diligentée une expertise à fin de constatation des désordres. L'expertise a été ordonnée le 21 mai 2008 et le rapport définitif d'expertise a été remis le 3 mars 2011. Le tribunal administratif a procédé à un certain nombre de condamnations pécuniaires de la maîtrise d'oeuvre et de la société titulaire du lot n° 3 au titre des désordres ainsi qu'au titre des honoraires et frais d'expertise. La cour administrative d'appel a annulé ce jugement ainsi que les appels incident et provoqués de la commune.

Celle-ci se pourvoit.

La cour a estimé que l'action contentieuse de la commune tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle des constructeurs était prescrite en raison des dispositions de l'art. 2224 du Code civil résultant de la loi du 17 juillet 2008 portant réforme de la prescription en matière civile. Selon ce texte : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Elle a en effet jugé que cette action était soumise à une prescription de cinq ans et que si elle avait été interrompue par la demande de la commune adressée au juge des référés afin qu'il ordonne une expertise, elle avait recommencé à courir à compter de l'ordonnance décidant cette mesure et n'avait pas été suspendue pendant la durée des opérations d'expertise. 

Le Conseil d’État approuve la solution. Il juge que, dans sa version antérieure à la loi du 17 juillet 2008, applicable aux faits de l'espèce, l'art. 2224 du Code civil disposant que : « Une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu'on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir », il s'ensuit que la demande adressée à un juge de diligenter une expertise n'interrompt le délai de prescription que pendant la durée de l'instance à laquelle il est mis fin par l'ordonnance désignant l'expert. Ainsi, en jugeant que l'interruption de la prescription de l'action de la commune de Mouvaux résultant de la demande qu'elle avait adressée au juge des référés d'ordonner une expertise avait pris fin le 21 mai 2008, date à laquelle le juge a ordonné l'expertise, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.

Par ailleurs, il résulte des dispositions transitoires de l'art. 26 de la loi du 17 juillet 2008 que la suspension qu'elle institue du délai de prescription jusqu'à l'exécution de la mesure d'instruction ordonnée, ne s'applique qu'aux mesures d'instruction, telles les expertises, ordonnées à compter du 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi qui l'a instituée. Par suite, en jugeant que ces dispositions n'étaient pas applicables à l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal administratif de Lille le 21 mai 2008, la cour administrative d'appel de Douai n'a pas non plus commis d'erreur de droit. 

(25 novembre 2021, Commune de Mouvaux, n° 449575)

 

21 - Attribution d'un contrat de concession de services - Saisine du juge du référé précontractuel - Utilisation de documents couverts par le secret des affaires - Absence d'effets sur la régularité de l'ordonnance de référé - Rejet.

Saisi par une société concurrente, le juge du référé précontractuel a annulé la procédure de passation du contrat de concession de services pour l'exploitation du terminal « multivrac » du Grand port maritime du Havre. La société requérante, bénéficiaire dudit contrat, se pourvoit en cassation.

Parmi les moyens soulevés, l'un retient particulièrement l'attention. Il est fondé sur ce que l'ordonnance de référé annulant l'ensemble de la procédure de conclusion du contrat serait irrégulière en raison de ce qu'elle est fondée sur des pièces communiquées par la société demanderesse en première instance en violation du secret des affaires.

Le Conseil d’État rejette le grief car, dès lors que les pièces en question ont pu être discutées au contradictoire des parties, l'existence d'un secret n'entache l'ordonnance attaquée ni d'irrégularité ni d'erreur de droit. La solution peut sembler audacieuse mais elle tente une balance équitable entre respect du secret et droit au juge.

(25 novembre 2021, Société Lorany Conseils, n° 449643)

 

22 - Appel d'offres ouvert - Accord-cadre sur bons de commande pour la création d'un réseau régional à très haut débit - Candidature évincée - Principe d'impartialité de l'administration active - Méconnaissance - Vice d'une particulière gravité - Annulation du contrat - Indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat - Rejet.

Un recours a été formé par une société évincée de la procédure de conclusion d'un marché entre la collectivité de Corse et une autre société portant sur la conception, l'installation et l'administration d'un réseau régional très haut débit pour les établissements d'enseignement et de recherche de Corse. Elle demandait au tribunal administratif l'annulation du marché, la condamnation de la collectivité de Corse à réparer les préjudices subis du fait de son éviction de la procédure ou, à titre subsidiaire, l'allocation d'une somme de 8000 euros hors taxes en réparation du préjudice découlant des frais exposés pour la préparation de son offre, majorés des intérêts au taux légal.

Cette demande, rejetée en première instance, ayant été accueillie en appel, la collectivité publique se pourvoit.

Le point central du litige était constitué par l'application à l'espèce du principe d'impartialité de l'administration active.

Le juge d'appel a relevé que le règlement de consultation du marché avait désigné comme « technicien en charge du dossier », une personne chargée notamment de fournir des renseignements techniques aux candidats. Or celle-ci a exercé des fonctions d'ingénieur-chef de projet en matière de nouvelles technologies de l'information et de la communication au sein de l'agence d'Ajaccio de la société attributaire du marché immédiatement avant son recrutement par la collectivité de Corse et trois mois avant l'attribution du marché. En outre, le procès-verbal d'ouverture des plis mentionne que les plis ont été remis à cette personne « en vue de leur analyse au regard des critères de sélection des candidatures et des offres ».

La cour a également relevé que si elle n'était pas l'un des cadres dirigeants de la société attributaire du marché, cette personne occupait des fonctions de haut niveau au sein de la représentation locale de cette société et ces fonctions avaient trait à un objet en relation directe avec le contenu du marché.

Elle en a déduit qu'eu égard au niveau et à la nature des responsabilités confiées à celle-ci au sein de la société attributaire puis au sein des services de la collectivité de Corse et au caractère très récent de son appartenance à cette société et alors même qu'elle n'a pas signé le rapport d'analyse des offres, sa participation à la procédure de sélection des candidatures et des offres pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance d'intérêts le liant à la société précitée et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la collectivité de Corse.

Entérinant cette analyse, le Conseil d’État juge qu'elle n'est entachée ni de qualification inexacte des faits ni d'erreur de droit.

Par ailleurs, c'est à bon droit qu'elle a en conséquence jugé que cette méconnaissance du principe d'impartialité était par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat à l'exclusion de toute autre mesure.

Par ailleurs, s'agissant de l'indemnisation de la perte de chance sérieuse d'obtenir le contrat, l'arrêt est confirmé en cassation. Compte tenu que la société évincée était la seule concurrente de la société attributaire, que l'écart des notes attribuées à l'une et à l'autre n'est pas très important et eu égard aux qualités concurrentielles de son offre, la société évincée avait des chances sérieuses d'obtenir le marché, d'où son droit à être indemnisée de son éviction de la procédure.

(25 novembre 2021, Collectivité de Corse, n° 454466)

 

Droit du contentieux administratif

 

23 - Référé suspension – Réforme concernant un examen professionnel – Défaut d’urgence révélé par la mise en balance des intérêts – Rejet.

Les requérantes demandaient par voie de référé la suspension de l’exécution du décret n° 2020-1277 du 20 octobre 2020 relatif aux conditions de certification des candidats à l'examen du baccalauréat professionnel et portant suppression du brevet d'études professionnelles, en ce qu'il supprime, pour les élèves inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, la possibilité de candidater au diplôme du certificat d'aptitude professionnelle.

Pour rejeter la requête le juge des référés retient le défaut d’urgence, l’une des deux conditions indispensables pour le succès d’un recours en référé suspension. Pour cela, il procède à une « mise en balance de l'ensemble des intérêts » en présence.

D’un côté, il est exact que le décret litigieux supprime la possibilité pour les élèves préparant le baccalauréat professionnel de candidater au certificat d'aptitude professionnelle, ce qui a pour effet d'interdire aux élèves actuellement inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel de participer à la session 2022 du certificat d'aptitude professionnelle. Or il y a urgence, d’une part, car la clôture des inscriptions à la session 2022 du certificat d'aptitude professionnelle, doit intervenir à brève échéance, entre mi-novembre et mi-décembre 2021 selon les académies et, d’autre part,  car les élèves actuellement inscrits en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, qui s'étaient engagés dans le cycle de préparation au baccalauréat avant la publication du décret, en comptant sur la possibilité d'obtenir également le certificat d'aptitude professionnelle pour s'orienter, le cas échéant, vers une formation en alternance ne pourront plus le faire. 

Mais, d’un autre côté, si la suspension demandée était accordée cela entraînerait une réorganisation de la formation des élèves engagés dans le cycle de préparation au baccalauréat professionnel, pour les préparer également aux examens du certificat d'aptitude professionnelle et organiser les évaluations certificatives requises, alors que l'entrée en vigueur du décret contesté le 1er janvier 2021 a d'ores et déjà conduit à réformer les programmes de préparation au baccalauréat professionnel. Les inconvénients qui résulteraient de cette solution pour le bon déroulement de l'année en cours et de l'intérêt général qui s'attache à la continuité des enseignements dispensés à l'ensemble des élèves actuellement en deuxième année de préparation au baccalauréat professionnel, conduisent à considérer non remplie la condition d’urgence au terme d’une « mise en balance des intérêts ».

La solution est limite mais tient compte d’éléments de fait contradictoires.

(ord. réf. 2 novembre 2021, Confédération nationale artisanale des instituts de beauté et spa (CNAIB-SPA) et autres, n° 457559)

 

24 - Principe du caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Assignation à résidence - Communication de l’unique mémoire en défense du préfet le jour de la clôture de l’instruction – Refus de tenir compte du mémoire en réplique et absence de réouverture de l’instruction – Annulation.

Ne respecte pas le caractère contradictoire de la procédure contentieuse et doit en conséquence être annulée la partie d’un arrêt de cour administrative d’appel relative à une demande d’annulation d’une décision d’assignation à résidence dès lors que la cour ayant fixé la clôture de l’instruction au 6 mai 2019 à 12 heures, l'unique mémoire en défense du préfet, enregistré au greffe de la cour le 3 mai 2019, ayant été communiqué au requérant le jour même de la clôture et mis à sa disposition le lendemain, elle a statué au vu de ce mémoire en défense sans que l'instruction ait été rouverte et en refusant de tenir compte du mémoire en réplique du requérant, alors qu'il comportait des éléments nouveaux.

(4 novembre 2021, M. B., n° 443138)

 

25 - Forclusion – Recours enregistré plus de deux mois après notification de la décision attaquée – Erreur de fait sur la date – Annulation.

Doit être annulé pour erreur de fait l’arrêt de la Cour nationale du droit d’asile qui rejette comme tardif un recours dirigé contre une décision de l’OFPRA du 10 janvier 2020 et enregistré au greffe de la cour le 20 mai 2020 alors qu’en réalité l’OFPRA a pris sa décision le 26 février 2020 et l’a notifiée à l’intéressée le 15 mai 2020.

(4 novembre 2021, Mme C., n° 445466)

 

26 - Recours contre un permis de construire – Cas où l’appel est porté devant la cour administrative d’appel – Exception de l’art. R. 811-1-1 CJA inapplicable en l’espèce – Renvoi de l’appel à la cour.

Si l’art. R. 811-1-1 du CJA décide que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort « sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application, à l'exception des permis afférents aux opérations d'urbanisme et d'aménagement des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 mentionnées au 5° de l'article R. 311-2 », c’est la voie d’appel de droit commun qui doit  être utilisée en cas de recours – comme en l’espèce – contre un jugement relatif à un projet portant sur l'extension et la surélévation d'une maison à usage d'habitation afin de permettre au pétitionnaire d'y loger avec sa famille, et qu'aucun nouveau logement n'est créé.

Renvoi à la cour est ordonné.

(4 novembre 2021, M. et Mme F., n° 450169)

 

27 - Référé de l’art. L. 521-3 CJA – Projet de concentration entre deux chaînes de télévision - Injonction à l’Autorité de la concurrence – Référé tendant non à la communication de pièces en vue de former un recours mais à voir engager un débat sur la compétence d’une autorité administrative – Rejet.

Les sociétés requérant demandaient au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de leur communiquer, dans un délai de quarante-huit heures, la décision par laquelle elle a admis sa compétence pour instruire le projet de concentration entre les groupes TF1 et M6 ou, le cas échéant, la décision par laquelle la Commission européenne aurait décliné sa propre compétence en sa faveur ou, à tout le moins, l'exposé des raisons de droit et de fait justifiant qu'elle s'estime compétente pour connaître de cette opération de concentration.

Les requérantes justifient leurs demandes en référé par le fait qu'elles entendent engager un recours devant le Conseil d’État afin de contester la compétence de l'Autorité de la concurrence pour autoriser cette opération.

Il ressort des termes mêmes de leur demande que les requérantes recherchent, par ce référé de l’art. L. 523-1 CJA, non la communication de pièces nécessaires à la formation d’un recours contentieux mais en réalité l’ouverture devant le juge des référés d’un débat sur la compétence de l’Autorité de la concurrence, débat et communication de pièces qui, d’évidence, ne peuvent relever que de la juridiction saisie d’un recours au fond.

(5 novembre 2021, Société Free et société Iliad, n° 457924)

 

28 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

V. n° 135

 

29 - Intérêt pour agir en matière de retenue à la source – Responsable du paiement de la retenue à la source – Personne non établie en France effectuant les paiements sur le montant desquels est assise la retenue à la source - Rejet.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453022)

V n° 63

 

30 - Action en reconnaissance de droits formée par une association de consommateurs – Pétition transmise à une autorité incompétente – Non-transmission à l’autorité compétente – Naissance d’une décision implicite de rejet ou non – Interruption ou non des délais de prescription et de forclusion applicables – Avis de droit.

Cette décision est importante en ce qu’elle précise et clarifie certains aspects du régime contentieux des actions en reconnaissance de droits.

En l’espèce, la cour administrative d’appel de Nancy était saisie d’un appel du ministre des finances dirigé contre un jugement qui avait fait droit à la demande d’une association locale de consommateurs tendant à ce que le droit de bénéficier, sur leur demande, de la décharge du montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères mise à leur charge au titre de l'année 2018 soit reconnu aux contribuables de la métropole du Grand Nancy. La cour pose deux questions principales.

Tout d’abord il convenait de savoir si, lorsque la pétition a été présentée à une autorité administrative incompétente et quand celle-ci ne l’a pas transmise à l’autorité compétente, il peut naître cependant une décision implicite de rejet qui, permettant de lier le contentieux, rend recevable l’action en reconnaissance de droits.

La réponse est évidemment positive car l’action en reconnaissance de droits a la nature d'une réclamation, au sens et pour l'application des dispositions de l'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration et, par suite, d'une demande, au sens de l'article L. 114-2 du même code. Comme il n’existe sur ce point aucune disposition dérogatoire, c’est le droit commun qui doit être appliqué : l’autorité saisie incompétemment doit transmettre la pétition à celle qui est compétente et cette dernière est réputée l'avoir rejetée au terme d'un silence de quatre mois gardé par elle à compter de la saisine de l'autorité incompétente, y compris dans l'hypothèse où l'autorité incompétente a notifié au demandeur, avant le terme de ce délai, une décision de rejet motivée. Cette décision implicite de rejet est de nature à lier le contentieux et à rendre recevable la saisine du juge administratif par l'auteur de l'action en reconnaissance de droits.

Ensuite, il était demandé en cas de réponse positive à la première question – ce qui est le cas -, si, dans ces conditions, cette demande adressée à une autorité incompétente est susceptible d'interrompre (cf. art. L. 77-12-2 du CJA) les délais de prescription et de forclusion opposables aux personnes susceptibles de se prévaloir des droits dont la reconnaissance est demandée et, en particulier, d'interrompre les délais de réclamation et de recours prévus par le livre des procédures fiscales.

Le Conseil d’État apporte une réponse claire et très simplificatrice fort bien venue : lorsqu'une demande en reconnaissance de droits est introduite par l'envoi d'une réclamation préalable à une autorité administrative incompétente, les délais de prescription et de forclusion opposables aux personnes susceptibles de se prévaloir des droits dont la reconnaissance est demandée, et ce y compris les délais de réclamation et recours prévus par le livre des procédures fiscales, sont interrompus à la date de cette réclamation.

En adoptant une position doublement libérale, le juge est dans la droite lignée de l’intention du législateur lorsqu’il a créé cette voie de droit, au demeurant trop peu utilisée semble-t-il.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 454125)

 

31 - Pourvoi en cassation sans le ministère d’un avocat aux Conseils - Formation d’un second pourvoi par le ministère d’un tel avocat - Ordonnance refusant d’admettre le premier pourvoi pour défaut de ministère d’avocat – Recours en rectification d’erreur matérielle contre cette ordonnance – Irrecevabilité.

Le requérant avait formé le 10 février 2021 un pourvoi en cassation sans le ministère d’un avocat à la Cour de cassation et au Conseil d’État alors que la décision attaquée mentionnait le caractère obligatoire d’un tel avocat. Le 1er mars 2021 il forme un second pourvoi avec constitution d’avocat. Le 16 avril 2021 est rendue une ordonnance refusant d’admettre le premier pourvoi pour défaut de constitution d’avocat.

Le requérant saisit alors le Conseil d’État d’un recours en rectification d’erreur matérielle qui ne pouvait qu’être rejeté pour irrecevabilité, le second pourvoi, régulier, n’a ni pour objet ni pour effet de régulariser le premier qui était présenté de manière défectueuse.

(18 novembre 2021, M. C., n° 452723)

 

32 - Compétence juridictionnelle - Interprétation d'un acte réglementaire par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) - Action en réparation du préjudice causé par cette interprétation - Compétence du juge administratif - Litige portant sur le montant de diverses cotisations sociales - Compétence judiciaire - Rejet.

Le Conseil d’État adopte ici une solution complexe et obscure.

La requérante avait demandé la réparation du préjudice que lui aurait causé l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) du fait de l'interprétation illégale donnée par elle, notamment dans sa lettre collective n° 2004-46 du 2 mars 2004, de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale. Le tribunal administratif puis le juge unique d'appel ont rejeté ce recours pour saisine d'un ordre de juridction incompétent.

Le Conseil, tout d'abord, accueille le pourvoi contre l'arrêt d'appel : Les actes par lesquels l'ACOSS indique l'interprétation qu'il convient de retenir des dispositions législatives et réglementaires relatives aux cotisations et contributions dont les unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales et les caisses générales de sécurité sociale assurent le recouvrement ont la nature d'actes administratifs. Le contentieux de la responsabilité du fait des préjudices causés par cette interprétation relève par nature de la juridiction administrative, alors même que les contentieux individuels auxquels donne lieu le recouvrement des cotisations et contributions mentionnés à l'article L. 142-1 du code de la sécurité sociale relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire en application de l'article L. 142-8 du même code.

Ensuite, le Conseil d’État, constatant que la demanderesse ne sollicite que la réparation du préjudice correspondant au montant de diverses cotisations sociales qu'elle a indûment acquittées en conséquence de l'illégalité de l'interprétation que l'agence a donnée de l'arrêté du 20 décembre 2002, juge que ces conclusions ayant le même objet que des conclusions tendant à la contestation du montant de ces cotisations, elles ne relèvent, par suite de l'existence d'une voie de recours devant les juridictions de l'ordre judiciaire (art. L. 142-8, c. séc. soc.) en vue du règlement d'un tel litige, que de ces juridictions, ce qui s'oppose à ce qu'elle engage une action mettant en cause la responsabilité de l'ACOSS en raison de l'illégalité de l'interprétation donnée par celle-ci des dispositions dont il lui a été fait application.

Autrement dit, le juge administratif eût été compétent soit saisi d'un recours direct en annulation d'une interprétation erronée donnée par l'ACOSS soit saisi d'un recours en réparation portant sur des préjudices autres que celui portant sur le seul montant des cotisations litigieuses.

(19 novembre 2021, Société Guisnel, n° 440236)

(33) V. aussi, avec mêmes solution et requérante : 19 novembre 2021, Société Guisnel, n° 440237.

 

34 - Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) - Établissement de la liste des pays sûrs - Office du juge  de l'excès de pouvoir -  Demande principale en annulation - Conclusions subsidiaire à fin d'abrogation - Conclusions renvoyées à la Section du contentieux - Conditions et régime juridique de l'abrogation directe d'une décision par le juge de l'excès de pouvoir - Rejet.

L'affaire est d'importance mais la portée de la solution adoptée par le juge est incertaine.

En bref, sous d'importantes limites du moins présentées comme telles, le Conseil d’État se reconnaît le pouvoir de procéder lui-même, directement, à l'abrogation d'une décision administrative réglementaire. Hauriou se fût, sans doute, étranglé à la lecture de cette affirmation, lui qui s'émut si vivement de la décision du Tribunal des conflits Association syndicale du canal de Gignac (9 décembre 1899, Sir. 1900.3.49, note M. Hauriou). Reconnaissons que, ramenée à son épure, la solution présentement rapportée a de quoi étonner passablement.

L'OFPRA, par délibération du 5 novembre 2019, a fixé la liste des pays d'origine sûrs et cette liste a été contestée par diverses organisations qui en ont sollicité l'annulation  par conclusions principales (2 juillet 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141 ; Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour (Ardhis) et autres, n° 437142 ;  Association Forum Réfugiés-Cosi, n° 437365; V. sur ce point, cette chronique juillet-août 2021 n° 152). En cours d'instance, par conclusions subsidiaires, les requérantes ont demandé l'abrogation de cette liste en tant qu'y figuraient l'Arménie, la Géorgie et le Sénégal.

Le Conseil d’État a, en premier lieu, par la décision précitée, s'agissant du maintien sur la liste du Bénin, du Sénégal et du Ghana, annulé cette délibération. Puis, concernant les conclusions subsidiaires à fin d'abrogation, les 2ème et 7ème chambres réunies, après s'être prononcées sur les conclusions principales, ont, faisant application des dispositions du premier alinéa de l'art. R. 122-17 du CJA, renvoyé leur jugement à la Section du contentieux en formation de jugement.

La présente espèce concerne donc ce dernier point.

Disons tout d'abord, qu'est rejetée la partie de la demande d'abrogation portant sur le Sénégal puisque le caractère illégal de son maintien sur la liste avait déjà été affirmé et jugé dans la décision du 2 juillet 2021, et que la demande d'abrogation relative à l'Inde est jugée irrecevable car présentée après rejet, par la décision précitée du 2 juillet 2021, des conclusions principales ayant le même objet.

Avant de procéder à l'examen du cas de l'Arménie et de la Géorgie, et c'est là l'intérêt majeur de cette affaire, la Section analyse ce qu'est l'office du juge de l'excès de pouvoir saisi de conclusions subsidiaires en abrogation d'une décision de l'Administration.

Ceci s'effectue en trois étapes.

D'abord, c'est un rappel : le juge de l'excès de pouvoir se place au jour où il a été pris pour apprécier la légalité d'un acte réglementaire dont l'annulation lui est demandée ; c'est un principe constant et bien connu qui a été singulièrement obscurci ces dernières années par une succession de décisions qui, pour des motifs divers, dont le souci d'une pleine efficacité du recours pour excès de pouvoir, se sont placées au jour où le juge statuait pour apprécier cette légalité. Ce qui a pour effet de brouiller la distinction entre l'excès de pouvoir et la pleine juridiction puisque, on le sait, le juge du plein contentieux se place au moment où il statue pour apprécier le cadre juridique et la situation qu'il a à juger.

Ensuite, après avoir indiqué, comme une évidence semble-t-il, que le juge de l'excès de pouvoir peut-être saisi à la fois de conclusions principales à fin d'annulation d'une décision et de conclusions à titre subsidiaire à fin d'abrogation de celle-ci, énonce les conditions auxquelles est subordonnée la recevabilité des conclusions en abrogation.

C'est le troisième temps de la démonstration.

1) Il ne peut s'agir que de conclusions subsidiaires,

2) Les conclusions principales doivent être recevables,

3) L'illégalité doit résulter d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait survenu postérieurement à l'édiction de la décision,

4) Le juge statue toujours d'abord sur les conclusions principales en se plaçant à la date de la décision qu'elles attaquent et ce n'est que s'il ne fait pas droit à celles-ci qu'il se prononce sur les conclusions subsidiaires en se plaçant cette fois à la date à laquelle il statue et en usant, le cas échéant, de son pouvoir de modulation.

Une question surgit car la décision n'est pas claire sur ce point : faut-il que le changement (dans les circonstances de droit et/ou de fait) qui fonde les conclusions en abrogation se produise nécessairement après la saisine du juge au moyen des conclusions principales ou suffit-il qu'il existe fût-ce avant même la saisine du juge ?

Il semble que selon la réponse à cette question deux opinions peuvent être émises envers la décision présentement commentée.

L'exigence d'un changement survenu en cours d'instruction ramène cette innovation à un niveau certes assez technique : afin de ne pas provoquer une nouvelle instance dont l'issue peut être décidée dès maintenant, il n'y aurait pas grand mal et même, nous dit-on, un certain bien, à permettre au juge de prononcer l'abrogation de l'élément litigieux. La solution serait expédiente : elle demeure cependant très osée.

En revanche, si, pour que le juge exerce un pouvoir d'abrogation, le moment où est perçu le changement dans les circonstances de fait ou de droit est indifférent et, en particulier, peut exister avant même la saisine du juge, alors là c'est une tout autre affaire. En effet, d'une part, il serait porté atteinte à la séparation des pouvoirs dont l'article 16 de la Déclaration de 1789 décide que, sans elle,  il n'y a plus de garantie des droits, d'autre part, serait ruinée la distinction de l'administration active et de l'administration contentieuse si chère à Laferrière et, bien sûr, il n'y aurait plus de raison de distinguer entre excès de pouvoir et pleine juridiction. Cela ferait beaucoup et même trop au regard du bénéfice qui en est retiré.

Et, devant l'extravagance de la solution, on hésite entre paraphraser Boileau se désolant de la dégradation du génie de Corneille («Après Agésilas, hélas, mais après ELENA (Attila), holà ») ou citer Hauriou (« Nous disons que c'est grave parce qu'on nous change notre État », note précitée).

(Section, 19 novembre 2021, Association des avocats ELENA France et autres, n° 437141)

 

35 - Répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction - Demande au juge administratif des référés de "contraindre un premier président de cour jdiciaire d'appel de désigner un avocat commis d'office - Irrecvabilité manifeste - Rejet.

Doit être rejetée comme manifestement irrecevable - car portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître - la demande en référé devant le juge administratif tendant à le voir « contraindre » un premier président de cour judiciaire d'appel à lui désigner un avocat commis d'office.

(ord. réf. 16 novembre 2021, Mme A., n° 458178)

 

36 - Non-opposition à déclaration préalable en vue de la division d'un terrain en deux lots - Permis de construire deux villas - Défaut d'intérêt pour agir des requérants en excès de pouvoir - Rejet de recours comme manifestement irrecevables - Absence d'invitation à régulariser - Annulation.

Doivent être annulées les ordonnances rejetant pour défaut d'intérêt à agir de leurs auteurs, les recours en excès de pouvoir qu'ils ont dirigés contre une non opposition à déclaration de division d'un terrain en deux lots et contre l'octroi de permis de construire deux villas dès lors que l'affirmation du caractère manifestement irrecevable de ces recours n'a pas été précédée ni d'une invitation à régulariser leur demande en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, ni d'une indication sur les conséquences susceptibles de s'attacher à l'absence de régularisation dans le délai imparti.

(9 novembre 2021, M. I. et Mme C., n° 448423 et n° 448425)

 

37 - Désignation d'experts par la juridiction administrative - Ordonnance aux experts de remettre en l'état leur rapport et de passer outre à une extension de leur mission par une précédente ordonnance - Régularité en cas de carence d'une des parties - Contestation de l'ordonnance possible seulement devant les juges du fond - Rejet.

C'est sans erreur de droit que la présidente d'une cour administrative d'appel déclare manifestement irrecevable l'appel formé contre l'ordonnance par laquelle le magistrat du tribunal administratif chargé des expertises a, sur le fondement des dispositions de l'art. R. 621-7-1 CJA, demandé aux experts de remettre leur rapport final en l'état du fait de la carence d'une des parties à l'expertise, le recours contre cette décision relevant de la seule compétence des juges du fond.

(19 novembre 2021, Société Implenia Regiobau GmbH, n° 451962)

 

38 - Recours en rectification d'erreur matérielle - Omission de statuer sur un chef de demande - Recours recevable.

Dans le cadre d'un recours formé par les requérants le Conseil d’État a liquidé l'astreinte prononcée à l'encontre de l'État par ses précédentes décisions des 31 mars 2017 et 24 octobre 2018 mais omis de statuer sur les conclusions qu'ils avaient présentées au titre de l'art. L. 761-1 CJA. Le recours en rectification d'erreur matérielle qu'ils présentent est donc recevable : une somme de 1250 euros leur est allouée de ce chef.

(22 novembre 2021, M. C. et Association nationale pour l'intégration des personnes handicapées moteurs, n° 453315)

(39) V. aussi, sur des cas d'irrecevabilité du recours en rectification d'erreur matérielle : 30 novembre 2021, Mme D., n° 447074 ; 30 novembre 2021, M. et Mme D., n° 447077 ; 30 novembre 2021, SCI du Vallon, n° 447079 ;  30 novembre 2021, M. et Mme F., n° 447081.

 

40 - Exécution des décisions de la justice administrative (art. L. 911-4, R. 921-5 et R. 921-6 CJA) - Office du juge ordonnant l'exécution - Renonciation expresse du demandeur au bénéfice d'une partie des mesures d'exécution - Rejet.

Un fonctionnaire territorial demande l'exécution d'un jugement rendu en sa faveur ordonnant au SIVOM employeur, d'une part, de reconnaître l'imputabilité au service de son affection, de lui accorder un congé de longue durée ou un congé de longue maladie et de le placer en disponibilité d'office à compter du 1er juillet 2012 et, d'autre part, lui enjoignant de placer rétroactivement l'intéressé dans une position statutaire régulière d'activité et de procéder à la régularisation de ses droits à rémunération, à avancement et à pension.

Il a saisi la cour administrative d'appel, après que celle-ci a confirmé le jugement, d'un recours tendant à ce que soit assurée l'exécution de ces décisions de justice. Le SIVOM se pourvoit contre l'arrêt confirmatif de la cour.

Répondant à un argument en ce sens, le Conseil d’État dispose, dans une rédaction de principe, d'une part, que le juge de l'exécution doit prescrire les mesures qu'implique nécessairement la décision dont l'exécution lui est demandée par la partie intéressée, alors même que ces mesures ne figuraient pas expressément dans la demande présentée au président de la juridiction ou dans les mémoires produits après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, et d'autre part, qu'il n'en va autrement que lorsque la partie qui a saisi la juridiction d'une demande d'exécution a indiqué, sans équivoque, qu'elle renonçait au bénéfice d'une partie de ces mesures.

Il semble donc que l'office du juge en tant qu'il peut étendre au maximum le champ des mesures d'exécution soit d'ordre public tandis que ces mesures, instituées dans le seul intérêt de la partie qui les sollicite, peuvent se voir, à volonté, restreintes par celui-ci.

(25 novembre 2021, SIVOM de l'Est Gessien, n° 447105)

 

41 - Mesures anti-Covid - Intérêt donnant qualité pour agir - Absence - Rejet.

D'évidence, une association dont les statuts lui donnent pour objet d' « informer les citoyens sur le fonctionnement de l'exécutif et sa composition ; Analyser les décisions de l'exécutif et ses pratiques ; Contrôler les projets de loi ainsi que les décrets et arrêtés émanant du gouvernement », ne tire pas de là un intérêt lui donnant qualité pour demander au juge des référés la suspension de l'exécution du I du 6° de l'article 1er du décret n° 2021-1471 du 10 novembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, aux termes duquel « Les salles de danse, relevant du type P défini par le règlement pris en application de l'article R. 143-12 du code de la construction et de l'habitation, peuvent accueillir du public ».

(ord. réf. 25 novembre 2021, Association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE), n° 458383)

 

42 - Vente de fruits et légumes - Interdiction des emballages en plastique - Mesure entrant en vigueur au 1er janvier 2022 - Absence d'atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts en cause - Rejet.

Le syndicat requérant demandait la suspension d'exécution du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Sa demande en référé est rejetée pour défaut d'urgence.

Tout d'abord, le décret litigieux a été pris en application du III de l'article L. 541-15-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 77 de la loi du 20 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire de sorte qu'il n'y ajoute rien au plan de l'interdiction, se bornant en particulier à établir la liste des fruits et légumes frais non soumis à l'obligation législative en raison du risque de détérioration lors de la vente en vrac et à définir le calendrier de mise en œuvre du dispositif.

Ensuite, au soutien de l'invocation du préjudice découlant de l'interdiction d'exposer à la vente, à compter du 1er janvier 2022, les fruits et légumes frais non transformés conditionnés sous emballages composés pour tout ou partie de matière plastique, en ce que les entreprises fabriquant de tels emballages seraient privées de tout un pan de leur activité dans des conditions nuisant à leur situation financière et menaçant leur pérennité, le syndicat requérant n'apporte aucun élément permettant d'apprécier, d'une part, l'impact pour les entreprises qu'il représente de l'application du décret contesté, au-delà de ce qui résulte directement de la loi elle-même, et d'autre part, en tout état de cause, la gravité des atteintes invoquées pour ce secteur d'activité.

Enfin, d'une part, outre l'exemption prévue par la loi pour les fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme et autres, le II de l'article D. 541-334 du code de l'environnement, issu du décret attaqué, fixe une liste de plusieurs fruits et légumes, y compris de consommation courante, pour lesquels, en raison d'un risque de détérioration à la vente en vrac, une exemption est prévue jusqu'à des dates s'étalant entre le 30 juin 2023 et le 30 juin 2026 et d'autre part, le III de ce même article prévoit des dispositions transitoires sur plusieurs mois pour permettre l'écoulement des stocks d'emballage.

Le recours est rejeté faute pour l'organisation requérante de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des entreprises qu'elle représente.

(ord. réf. 25 novembre 2021, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 458441)

 

43 - Arrêté limitant le remboursement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la Covid-19 - Requête précédente en ce sens rejetée - Requête actuelle ne comportant aucun moyen nouveau - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Était demandée la suspension de l'arrêté ministériel limitant le remboursement par l'assurance maladie des tests de dépistage de la Covid-19. Le requérant avait déjà saisi le juge des référés d'une requête en ce sens qui avait été rejetée. La présente requête ne comporte aucun moyen nouveau par rapport à la précédente. Elle est manifestement irrecevable. Le recours est rejeté

(25 novembre 2021, M. A., n° 458525)

 

44 - Juridiction des référés - Conditions d'accès - Obligation vaccinale des personnels de santé ne travaillant pas dans des locaux de soins - Rejet.

Les requérants, excipant de ce que s'ils travaillent dans des locaux accessoires d'établissements de santé (trésorerie, bâtiment universitaire, buanderie), contestent leur soumission à l'obligation vaccinale instituée, pour les personnels de santé, par l'article 49-2 du décret du 1er juin 2021, issu du 8° de l'article 1er du décret du 7 août 2021, prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

En tant qu'est demandée la prescription par le juge des référés de toutes mesures utiles pour faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale à leurs libertés fondamentales résultant de ces mesures, la requête est rejetée car elle n'entre pas dans les matières qui relèvent de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

En tant qu'ils demandent qu'une injonction soit faite au premier ministre de modifier les dispositions de l'article 49-2 du décret précité, pour préciser que les établissements distincts dans lesquels exercent les personnes n'étant jamais au contact des patients ne sont pas au nombre des locaux mentionnés au 4° du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, les requérants se bornent à des allégations générales dépourvues des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. Elles sont rejetées.

Ce second motif de rejet nous semble juridiquement un peu « court ».

(25 novembre 2021, Mme B. et autres, n° 457734)

 

45 - Ordonnance de référé - Infliction d'une amende pour recours abusif - Erreur de qualification juridique - Absence de caractère abusif - Annulation.

Commet une erreur de qualification juridique le juge des référés qui, saisi le 26 octobre 2021 d'une requête relative à un titre de séjour expirant le 24 novembre 2021, estime celle-ci abusive et inflige une amende de deux mille euros à son auteur.

En revanche, il lui aurait été loisible de rejeter la requête pour défaut d'urgence si le requérant n'établissait pas la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées par le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

(30 novembre 2021, M. B., n° 458523)

 

46 - Rapport d'expertise - Obligation de soumission au contradictoire des parties - Non-respect - Invocation pour la première fois en cause d'appel - Recevabilité - Annulation avec renvoi.

La requérante poursuivait la réparation de préjudices causés par le décès de son époux lors de sa prise en charge par un centre hospitalier.

Après avoir été déboutée en première instance et en appel, elle s'est pourvue en cassation.

Était en jeu l'invocation de l'exigence de caractère contradictoire du rapport d'expertise.

Tout d'abord, cette exigence n'est pas discutable surtout s'agissant de constatations expertales de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige.

En l'espèce, il était soutenu que ce contradictoire n'avait pas été respecté car la requérante n'avait pas eu communication de clichés d'imagerie médicale utilisés par l'expert, clichés qui étaient absents du dossier médical qui lui avait été remis. Or il ressortait des termes mêmes du rapport de l'expert que celui-ci s'était fondé de manière déterminante sur ces clichés et de l'arrêt lui-même que la cour s''est fondée à titre exclusif sur les conclusions du rapport d'expertise.

Ensuite, un second point était soulevé par le centre hospitalier défendeur : le moyen tiré du défaut de contradictoire ayant été soulevé pour la première fois en appel, la cour l'avait donc jugé irrecevable. Le Conseil d’État, innovant grandement sur ce point, a estimé que ce moyen « n'était pas irrecevable devant la cour administrative d'appel, alors même qu'il était présenté pour la première fois en appel et que Mme L. aurait été en mesure de le soulever devant le tribunal administratif ». Ce jugeant, se trouve abandonnée une jurisprudence ancienne (15 février 1957, Ministre des travaux publics, n° 99033 au Recueil Lebon p. 995) et bien établie car constamment confirmée depuis.

Même si cette solution profite ici à la demanderesse, on n'aperçoit guère le bénéfice qui peut être tiré en général de la renonciation au principe de l'immutabilité du litige en appel, fragilisant un peu plus le rôle de l'appel en procédure administrative. Comme, d'évidence, il ne s'agit pas d'un moyen d'ordre public, force est de constater une fois de plus la subjectivisation croissante du contentieux administratif de la légalité.

(30 novembre 2021, Mme L., n° 430492)

 

47 - Juge des référés - Modification à tout moment de mesures ordonnées en référé (L. 521-4 CJA) - Demande d'exécution des décisions du juge des référés - Obligation pour le demandeur de rapporter la preuve de l'inexécution des mesures ordonnées - Rejet.

Les organisations requérantes avaient obtenu du juge du référé liberté du tribunal administratif de Nantes diverses mesures afin qu'il soit mis fin à certaines conditions de détention manifestement attentatoires aux libertés fondamentales des détenus au sein du centre pénitentiaire de Ploemeur. Sur appel du garde des sceaux, le juge des référés du Conseil d’État avait annulé une partie de ces mesures et confirmé le surplus.

Se fondant sur les dispositions de l'art. L. 521-4 CJA (« Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin »), les requérants demandent qu'il soit fait injonction à l'administration d'assurer l'exécution des mesures d'injonction déjà ordonnées et demeurées inexécutées, d'assortir d'astreinte ces mesures et d'organiser un suivi de l'exécution des injonctions prononcées.

Contre toute attente, la requête est rejetée, le juge des référés faisant application du principe constant de procédure en vertu duquel la charge de la preuve incombe au demandeur en soumettant au juge des référés, en l'absence de tout commencement de preuve,  « tout élément de nature à démontrer l'absence d'exécution totale ou partielle de la décision du premier juge. Il appartient alors à l'administration, si elle entend contester le défaut d'exécution, de produire tout élément en sens contraire. Le juge se prononce alors au vu de l'instruction.» On peut regretter que le juge du référé de l'art. L. 521-4 CJA n'ait pas confié en urgence une mesure d'instruction de visite des lieux, ce qui aurait satisfait et le régime de la preuve et le principe du contradictoire assuré durant cette visite sans que soient atteintes ni la nature spécifique des pouvoirs du juge des référés ni la célérité consubstantielle à cette procédure.

(29 novembre 2021, Section française de l'Observatoire international des prisons et Ordre des avocats au barreau de Nantes, n° 458355)

 

48 - Responsabilité hospitalière - Accident survenu à la naissance d'un enfant – Impossibilité d’être scolarisé et d’exercer une activité professionnelle –Détermination du calcul et des modalités de l’indemnisation – Annulation très partielle.

Outre le motif principal, tenant au droit de la responsabilité médicale, de cette décision, il convient d'indiquer qu'elle contient une solution de procédure contentieuse qui a pu et peut encore faire difficulté. Pour implicite qu'elle soit elle est à relever.

Il y est jugé en effet qu'en cas de second pourvoi en cassation, le Conseil d’État statue définitivement sur le fond alors même qu'il serait saisi d'un arrêt ou d'un jugement rendu avant dire droit (réitération de : 11 avril 2008, Reniers, n° 291677).

(30 novembre 2021, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 440443)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n° 165

 

49 - Audience publique à l'issue de laquelle sera lue une décision en fin du délibéré - Obligation d'informer les parties de ce choix procédural pour éventuelle production d'une note en délibéré - Absence de cette information - Annulation.

Statue dans des conditions irrégulières la Cour nationale de la tarification sanitaire et sociale qui, ayant décidé que la décision sera lue le jour même de l'audience, à l'issue du délibéré, n'en a pas informé les parties, au plus tard lors de l'audience publique, les privant de la faculté de produire, si elles le jugent utile, une note en délibéré.

(30 novembre 2021, Comité mosellan de sauvegarde de l'enfance, de l'adolescence et des adultes, n° 443842)

 

50 - Cour nationale du droit d'asile - Octroi du bénéfice de l'aide juridictionnelle - Rejet du recours le même jour - Irrégularité - Cassation.

Par un courrier en date du 29 mai 2020, le vice-président du bureau de l'aide juridictionnelle près la Cour nationale du droit d'asile a informé la requérante de sa décision du 27 mai 2020 lui accordant le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale et a désigné un avocat aux fins de la représenter. Par une ordonnance prise le même jour, la présidente de la Cour nationale du droit d'asile a rejeté la requête de Mme B. au motif que celle-ci ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA.

Il est manifeste que cette décision a été rendue dans des conditions irrégulières car l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et n'avait d'ailleurs, et pour cause, pas été mis en demeure de le faire avant une certaine date, ce qui portait atteinte à la fois au droit au respect des droits de la défense et à l'octroi du bénéfice de l'aide juridictionnelle.

(30 novembre 2021, Mme B., n° 444737)

 

Droit fiscal et droit financier public

 

51 - Exploitation d’une carrière – Établissement industriel – Éléments assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties – Cassation partielle avec renvoi.

A la suite d’une vérification de comptabilité de la société requérante, l’administration fiscale a, suite à la mise en œuvre de la méthode comptable prévue à l’art. 1499 CGI, notifié à celle-ci des cotisations supplémentaires au titre de la taxe foncière sur les propriétés bâties dues pour l’exploitation d’une carrière.

Sa demande de décharge de cette imposition ayant été rejetée par le tribunal administratif, l’intéressée se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État admet partiellement la demande dont il est saisi.

Le débat portait sur ceux des frais et celles des dépenses susceptibles de venir en déduction de l’assiette de la taxe litigieuse.

Le Conseil d’État juge que si les frais d'extraction des couches dites stériles exposés en cours d'exploitation de la carrière afin de maintenir le gisement dans un état tel que l'exploitation normale de la carrière puisse continuer constituent des charges d'exploitation, les frais de préparation du terrain en vue de l'exploitation du gisement, dès lors qu'ils sont nécessaires à la mise en état d'exploitation de la carrière, doivent être inclus dans le coût d'acquisition de celle-ci.

Par ailleurs, il résulte du règlement de l'Autorité des normes comptables du 2 octobre 2014 relatif à la comptabilisation des terrains de carrière et des redevances de fortage, homologué par arrêté du 26 décembre 2014, que les matériaux à extraire d'un terrain de carrières répondent à la définition non plus d'une immobilisation mais d'un stock, et doivent désormais être distingués du terrain de carrière résiduel, qui constitue seul une immobilisation corporelle. Il s’ensuit que les coûts encourus pour mettre à découvert le gisement et accéder aux matériaux à extraire sont un élément du coût de production des matériaux extraits et non une dépense immobilisable.

Il a confirmé le jugement querellé en ce que, d’une part, il a jugé que la contribuable ne démontrait ni même n'alléguait – pour les faire échapper à la taxe - que les espaces verts constitués par les zones engazonnées seraient affectés à une utilisation distincte de son activité industrielle, et d’autre part, que les enrobés avaient été pris à bon droit en compte dans la valeur locative de l'établissement car ils ne pouvaient pas être ôtés des chaussées auxquelles ils ont été appliqués sans être détruits, qu'ils concouraient à l'exploitation du site industriel, et que la circonstance que la société devra les détruire à l'expiration du bail ne saurait suffire, par elle-même, à exclure leur prise en compte au titre des immobilisations par nature.

On peut trouver sévère la solution retenue sur ce dernier point.

(5 novembre 2021, Société Yves Le Pape et Fils K. J., n° 431576)

(52) V. aussi, du même jour et avec même requérante, portant sur divers éléments déductibles ou non (garage à véhicules, bâtiment de stockage des pièces, frais de découverte) : 5 novembre 2021, Société Yves Le Pape et Fils K. J., n° 431579.

 

53 - Impôt sur les sociétés – Déclaration de moins-value – Inexactitudes relevées – Modalités de décompte des intérêts de retard – Rejet.

Dans cette importante décision, il est jugé qu’en cas d’inexactitudes ou d’omissions dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt, le décompte des intérêts de retard est arrêté au dernier jour du mois de la première proposition de rectification régulière notifiant au contribuable le supplément d'impôt en résultant, dont l'absence d'acquittement dans le délai légal a causé un préjudice au Trésor public et déclenché le décompte de ces intérêts (confirmation de : Assemblée, 12 avril 2002, Société anonyme financière Labeyrie, n° 239693).

Dans le cas où, comme en l’espèce, il a d’abord été procédé à une première proposition de rectification remettant en cause le montant du déficit déclaré par une société au titre d'un exercice mais ne conduisant à l'établissement d'aucun supplément d'impôt au titre de cet exercice eu égard à la situation de l'entreprise qui demeure déficitaire, puis, ensuite, à une autre proposition de rectification qui tire, au titre d'un exercice ultérieur, les conséquences de la réduction du déficit reportable sur le premier exercice bénéficiaire de l'entreprise, seule cette seconde proposition de rectification peut être regardée comme étant celle emportant arrêt du décompte des intérêts de retard en application du 4 du IV de l'article 1727 du CGI.

Par ailleurs, dans le cas de filiales fiscalement intégrées à un groupe et malgré le fait que les rectifications apportées à leurs résultats constituent les éléments d’une unique ensemble procédural, les propositions de rectification notifiées aux filiales intégrées au titre d'une période caractérisée par un résultat d'ensemble qui demeure déficitaire ne peuvent pas être regardées, pour l'application du 4 du IV de l'article 1727 du CGI, comme déterminant le terme du décompte des intérêts de retard mis à la charge de la société tête de groupe au titre d'une période ultérieure comprenant son premier exercice bénéficiaire.

(5 novembre 2021, Société Elior Group, n° 431747)

 

54 - Impôt sur les dividendes des sociétés non-résidentes – Retenue à la source (2 de l’art. 119 bis CGI) – Impossibilité en cas de situation déficitaire – Appréciation de l’existence d’une telle situation – Annulation avec renvoi.

La jurisprudence de la CJUE (22 novembre 2018, Sofina SA, Rebelco SA et Sidro SA, aff. C-575/17), condamnant la solution retenue par le Conseil d’État (Plén. fiscale, 9 mai 2012, Société GBL Energy, n°s 342221 et 342222), a jugé que  la différence, existant en France, de technique d'imposition des dividendes entre les sociétés non-résidentes, qui sont imposées immédiatement et définitivement lors de leur perception par une retenue à la source, et les sociétés résidentes, qui sont imposées en fonction du résultat net bénéficiaire ou déficitaire enregistré, procure un avantage fiscal substantiel aux sociétés résidentes en situation déficitaire dont ne bénéficient pas les sociétés non-résidentes déficitaires. Elle a donc considéré que cette différence de traitement dans l'imposition des dividendes, qui ne se limite pas aux modalités de perception de l'impôt, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux qui n'est pas justifiée par une différence de situation objective.

Le Conseil d’État interprète cette décision, d’une part, - il ne pouvait à vrai dire faire moins – comme obligeant à restituer à l’intéressée le montant de la retenue à la source opérée sur les dividendes qu’elle a versés, et d’autre part, comme imposant à cette dernière de rapporter la preuve du caractère déficitaire des exercices concernés.

Ici, faute que, selon le juge, cette preuve soit rapportée, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en prononçant la restitution des retenues à la source, d’où la cassation.

Toutefois, il convient de prendre garde qu’il n’est pas possible pour le juge national, comme le Conseil d’État semble avoir annoncé dans cette décision vouloir le faire, d’apprécier la notion de résultat déficitaire par rapport au droit national sous prétexte d’égalité avec le sort réservé aux sociétés françaises jugées déficitaires. En effet, c’est le droit européen seul qui doit trouver application en l’espèce et il appartient au législateur national de corriger, le cas échéant, la conception française du résultat déficitaire non d’imposer ses choix unilatéraux dans le cadre transnational.

(5 novembre 2021, Société Filux, n° 433212)

 

55 - Marques et brevets de produits parapharmaceutiques – Concession du droit d’exploiter une licence de marques et brevets – Absence de contrepartie d’un service rendu – Caractère indissociable de cette concession de licence des actes d’exploitation, protection, renouvellement et autres de cette concession – Qualification inexacte des faits et erreur de droit subséquente – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Une cour administrative d’appel avait approuvé la décision de l’administration fiscale, fondée sur le I de l’art. 155 A CGI, qui considérait comme un service rendu l’activité afférente au contrat de licence exclusive d’exploitation de marques et brevets de produits parapharmaceutiques exercée par les requérants et rémunérée sous la forme de redevances versées par la société qui avait acquis le contrat d’exploitation. L’administration et le juge considéraient, en effet, que la société de droit britannique acquéreuse des marques et brevets litigieux n’avait aucune activité réelle et que les décisions relatives à l'entretien des marques et brevets étaient prises par Mme O. qui devait, dès lors, être regardée comme réalisant les prestations de gestion du portefeuille de ces marques et brevets et, par suite, comme relevant du régime institué par la disposition précitée du CGI.

Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution, à juste titre, une erreur de droit et une erreur de qualification des faits par le double motif : 1° que les redevances versées en contrepartie de la concession du droit d'exploiter une licence de marques et brevets ne peuvent pas être regardées comme la contrepartie d'un service rendu au sens et pour l'application de l'article 155 A du CGI ; 2°  que « l'entretien, le renouvellement, l'extension des marques et brevets et, plus généralement, l'accomplissement des actes nécessaires au maintien de leur protection ne peuvent être regardés comme une activité dissociable de la concession même de ces licences de marques et brevets ».

(5 novembre 2021, M. et Mme O., n° 433367)

 

56 - Société de fabrication de produits pharmaceutiques - Taxe professionnelle – Dépassement du plafond des aides « de minimis » - Plafond résultant d’un règlement européen – Silence de la législation interne – Application directe du règlement européen par l’administration– Rejet.

Rappel de ce que l’administration fiscale tient de son pouvoir de rectification l’obligation d'assurer le respect du plafond des aides de minimis résultant des règles du droit de l'Union européenne directement applicables au litige (règlement n° 1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006 relatif aux aides de minimis) même en l’absence de mention de ce plafond dans la législation interne.

(5 novembre 2021, Société Laboratoires Gilbert, n° 434036)

 

57 - Opération de restructuration d’entreprises - Institution d’un sursis automatique d’imposition – Réalisation de plus-values sans liquidités – Nécessité d’un réinvestissement concomitant – Caractère péremptoire de l’absence d’investissement – Remise en cause du sursis – Abus de droit – Rejet.

Il ressort des dispositions de l'article 150-0 B du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 de laquelle elles sont issues, que le législateur a, en les adoptant, entendu favoriser et rendre plus aisées les restructurations d'entreprises par création nette ou par développement, en instituant un sursis automatique d'imposition pour les plus-values résultant de certaines opérations qui ne dégagent pas de liquidités.

En l’espèce, l’apport par un contribuable des titres d'une société à une autre qu'il contrôle, suivi de leur cession immédiate par cette dernière, répond à l'objectif économique poursuivi par le législateur tel qu’il résulte des débats parlementaires lors du vote de la loi de finances pour 2000 d’où cet article est issu, du moins sous la condition impérative que le produit de la cession de titres ait fait l’objet, de la part de cette société, dans un délai bref, d’un réinvestissement à caractère économique. Lorsque les titres ainsi apportés par un contribuable le sont à plusieurs entreprises qu'il contrôle, le but de chaque opération d'apport doit être apprécié distinctement.

Faute d’un réinvestissement à caractère économique, cette opération de cession s’analyse, sauf preuve contraire, comme poursuivant un but exclusivement fiscal dans la mesure où elle conduit, en différant l'imposition de la plus-value, à minorer l'assiette de l'année au titre de laquelle l'impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable.

(5 novembre 2021, M. G., n° 437996)

 

58 - Avis à tiers détenteur – Annulation contentieuse – Caractère rétroactif de l’annulation - Effet interruptif de prescription – Absence – Annulation.

Rappel que l'annulation contentieuse d'un avis à tiers détenteur a pour conséquence qu'il est réputé n'avoir jamais existé et fait, dès lors, obstacle à ce que lui soit attaché un effet interruptif de prescription, contrairement à ce qui avait été jugé en première instance. 

(15 novembre 2021, Mme C., n° 430655)

(59) V. aussi, dans le cadre d'une procédure de liquidation judiciaire, sur le caractère irrégulier d'avis à tiers détenteurs émis : (22 novembre 2021, Mme C. épouse A., n° 449067) ou sur la prescription des sommes faisant l'objet de tels avis (22 novembre 2021, M. N., n° 441820).

 

60 - Changement d’adresse d’une société commerciale – Accomplissement des formalités auprès du registre du commerce (art. L. 123-9 et R. 123-53 du code de commerce) et du centre de formalités des entreprises – Inopposabilité à l’administration fiscale – Rejet.

La notification par l’administration fiscale d'une proposition de rectification à une société doit être effectuée, non pas à l'adresse de son siège social, mais à la dernière adresse communiquée par elle à cette administration. Il suit de là qu’une société contribuable ne saurait exciper de ce qu’elle a procédé régulièrement aux formalités devant accompagner un changement de siège social tant auprès des services du registre du commerce conformément aux art. L. 123-9 et R. 123-53 du code de commerce qu’auprès du centre des formalités des entreprises pour justifier n’avoir pas reçu la lettre recommandée avec accusé de réception qui lui avait été adressée par l’administration fiscale à la dernière adresse connue de celle-ci.

Une interprétation plus souple des dispositions de l’art. 57 du livre des procédures fiscales n’aurait pas été de trop d’autant que, précisément, l’information donnée au centre des formalités des entreprises a aussi une visée fiscale.

(15 novembre 2021, Société Repass Chic Management, n° 443190)

 

61 - Réduction d’impôt – Dispositif « Scellier » - Logements neufs répondant à certaines conditions – Niveau de performance énergétique – Cas des acquisitions de biens en l’état futur d’achèvement – Indice de performance à prendre en considération – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Le législateur (dispositif dit Scellier, art. 199 septvicies du CGI) a prévu pour les contribuables domiciliés en France une réduction d’impôt à un taux de 13% pour l’acquisition, dans un immeuble locatif, de logements neufs ou en l’état futur d‘achèvement sous condition, notamment, qu’ils disposent d’un certain niveau de performance énergétique. L’indice pris en considération est soit celui conforme aux prescriptions de l'article L. 111-9 du code de la construction et de l'habitation soit, lorsque l’acquisition concerne un logement ayant fait l'objet d'un dépôt de demande de permis de construire du 1er janvier au 31 décembre 2011 et acquis ou construit en 2012, s'ils justifient des conditions de performance énergétique globale fixées par le I de l'article 46 AZA octies de l'annexe III au CGI.

Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les logements acquis en vente en l'état futur d'achèvement en 2012 et qui ont fait l'objet du dépôt d'un permis de construire antérieurement au 1er janvier 2012 doivent, pour ouvrir droit à la réduction d'impôt sur le revenu prévue par l'article 199 septvicies du CGI au taux de 13 %, nécessairement bénéficier du label « bâtiment basse consommation BBC 2005 ».

(15 novembre 2021, M. et Mme F., n° 448231)

 

62 - Outre-mer - Demande de permis de construire, à titre de logements sociaux, portant sur des bâtiments collectifs ou sur des ensembles de logements individuels – Demande devant être considérée comme portant sur un ensemble immobilier – Applicabilité de l’art. 199 undecies C du CGI – Réduction d’impôt  subordonnée à un agrément fiscal – Seuil de deux millions d’euros non atteint – Rejet.

En l’espèce, un contribuable a bénéficié, au titre de l'année 2011, de la réduction d'impôt sur le revenu prévue par l'article 199 undecies C du CGI à raison d'un investissement consistant en la réalisation de logements sociaux en Martinique par la société civile immobilière (SCI) Kampech'8, dont il était associé à hauteur de 15 %. Cette réduction d’impôt ayant été remise en cause par l’administration fiscale, le contribuable a obtenu de la cour administrative d’appel décharge de la cotisation supplémentaire d’impôt sur le revenu.

Le ministre demandeur poursuit l’annulation de cet arrêt en tant qu’il a jugé éligible au dispositif fiscal régissant la construction de logements sociaux outre-mer, une opération portant sur un ensemble immobilier (art. 199 undecies C du CGI). Son pourvoi est rejeté.

Selon la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer, d’une part, la réduction d'impôt prévue au I de l'article 199 undecies C du CGI pour les investissements réalisés outre-mer dans le secteur du logement est subordonnée à l’obtention de l'agrément préalable du ministre chargé du budget lorsque leur montant excède deux millions d'euros et, d’autre part, que, eu égard à l'objet et aux critères de délivrance de cet agrément, le seuil de deux millions d'euros doit être apprécié, non pas au regard des souscriptions au capital des sociétés, mais au regard du coût total du programme immobilier en vue duquel les souscriptions de parts ou d'actions de sociétés ont été réalisées.

Pour l'application de ces dispositions, les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l'objet d'une même demande de permis de construire constituent un programme immobilier, à concurrence de ceux donnant lieu à réduction d'impôt sur le revenu au sens et pour l'application de l'article 199 undecies C du code général des impôts.

Avant d’examiner, et de rejeter, les deux moyens invoqués par le ministre au soutien de son pourvoi, le juge décide – et c’est en réalité l’apport principal de cette décision – que les bâtiments collectifs ou les ensembles de logements individuels faisant l’objet d’une unique demande de permis de construire doivent être considérés, pour l’application des dispositions de l’art. 199 undecies C du CGI comme étant un « programme immobilier ».

En premier lieu le ministre soutenait qu’excédant le seuil de deux millions d'euros, l’opération devait être soumise à son agrément. Le juge approuve la cour d’avoir dit que ce programme n’était pas soumis à agrément car si les huit maisons à bâtir avaient fait l'objet d'un unique permis de construire et si leur coût total s'élevait à 2 606 400 euros, il n'était pas contesté que deux de ces maisons n'étaient pas éligibles à la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies C précité, de sorte que le montant global du programme d'investissement immobilier placé sous ce régime ne s'élevait qu'à 1 954 800 euros, soit un montant inférieur au seuil de deux millions d'euros au-delà duquel cet article subordonne son bénéfice à la délivrance d'un agrément préalable du ministre chargé du budget. 

En second lieu, le ministre soutenait que la cour avait commis une erreur de droit en jugeant que les époux G. pouvaient prétendre au bénéfice de la réduction d'impôt qu'ils sollicitaient alors même que, ainsi qu'elle l'avait relevé, la SCI Kampech'8 n'était pas titulaire d'un permis de construire à la date du fait générateur de cette réduction, intervenu en 2011. Le Conseil d’État répond qu’il ne résulte d’aucune disposition applicable ici l’existence d’une telle exigence d'antériorité chronologique.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 452952)

 

63 - Intérêt pour agir en matière de retenue à la source – Responsable du paiement de la retenue à la source – Personne non établie en France effectuant les paiements sur le montant desquels est assise la retenue à la source - Rejet.

Une société, concessionnaire de l’exploitation et de la gestion du port de plaisance de Vauban à Antibes, perçoit des redevances pour l’utilisation temporaire de postes à quai inoccupés. L’administration fiscale a estimé que les sommes versées par la société de gestion du Port Vauban à dix-neuf sociétés étrangères disposant chacune de la jouissance d'un poste à quai, en contrepartie de l'occupation temporaire de ces postes par des usagers de passage, constituaient la rémunération de prestations de services rendues par elles en France et devaient par suite être soumises à la retenue à la source prévue par l'article 182 B du CGI. L’une de ces sociétés, la société Palomata, basée au Luxembourg, a demandé au juge la décharge partielle de la retenue à la source imposée à la société de gestion du Port Vauban. Le tribunal administratif ayant fait droit à cette demande, sur appel du ministre des finances la cour administrative d’appel a jugé que la société Palomata était fondée à soutenir que l'article 182 B du CGI méconnaissait le principe de la libre prestation de services protégé aux articles 56 et 57 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en ce qu'il ne permettait pas la déduction de l'assiette de la retenue à la source des frais professionnels supportés par le fournisseur établi à l'étranger de la prestation rendue en France et directement liés à cette prestation de service ; elle a en conséquence ordonné à cette société de justifier, par tous moyens, du montant de ces frais au titre des années en litige notamment des frais de gestion prélevés par la société de gestion du Port Vauban, qui sont directement liés à l'activité de sous-location du poste à quai et réservé. 

Le ministre se pourvoit, en vain, contre cet arrêt.

Le Conseil d’État juge, à juste titre, par application d’une « jurisprudence constante des juridictions de l'ordre judiciaire que le responsable du paiement est fondé à en demander la restitution au bénéficiaire des revenus. »

 Il en résulte que « Tant le responsable du paiement de la retenue à la source à laquelle donnent lieu les paiements effectués par une personne établie en France en rémunération de prestations rendues en France par une personne qui n'y est pas établie que cette personne, bénéficiaire de ces revenus, sont recevables à contester cette retenue devant le juge de l'impôt. La circonstance que la retenue à la source n'ait pas été spontanément opérée lors du versement des revenus et que, par suite, ces derniers n'ont pas été amputés de son montant est sans incidence sur la recevabilité du bénéficiaire des revenus à la contester dès lors que, dans une telle hypothèse, en premier lieu, la retenue est établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue non pratiquée spontanément, en deuxième lieu, cette retenue est imputable sur l'impôt sur le revenu ou sur l'impôt sur les sociétés éventuellement dû en France par le bénéficiaire des revenus en application, respectivement, du 3ème alinéa du II de l'article 182 B et de l'article 219 quinquies du CGI. »

Cette solution est particulièrement illustrative - à travers la notion de « responsable du paiement » - de la profonde unité du droit des obligations que celles-ci soient civiles ou administratives (en ce sens, voir : J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey Université, 2018, 1ère édition, pp. 1-38, §§ 1- 44).

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 453022)

 

64 - Conventions fiscales bilatérales en vue d’éviter les doubles impositions – Doctrine fiscale excluant l’imputation de l’impôt étranger au titre de la plus-value de cession de titres en cas d’absence d’imposition effective en France – Méconnaissance des textes applicables – Irrégularité – Annulation.

Afin d’éviter de doubles impositions sont intervenues des conventions fiscales bilatérales destinées à organiser un mécanisme en ce sens. La requérante demande au juge, - après qu’elle en a sollicité, en vain, l’abrogation par le ministre des finances -  l’annulation des paragraphes n° 180 et n° 190 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts, par lesquels le ministre des finances a fait connaître son interprétation des règles d'imputation, sur l'impôt sur les sociétés acquitté en France, de l'impôt prélevé à l'étranger sur le produit de cessions de titres de participation.

Selon la requérante, ces commentaires méconnaîtraient, à titre principal, les a et b du 1 de l'article 220 du CGI et, à titre subsidiaire, les stipulations des conventions fiscales signées avec l'Autriche, Bahreïn, le Chili, la Colombie, la Corée du Sud, les Émirats Arabes Unis, l'Espagne, le Gabon, Hong-Kong, l'Inde, Israël, le Japon, le Luxembourg, Malte, Oman, le Qatar et la Suède.

Le Conseil d’État accueille le recours en ce que ces commentaires se méprennent sur le sens des dispositions du a quinquies du I de l’art. 219 du CGI combinées avec celles des conventions fiscales qu’ils sont censés expliciter.

En effet, tout d’abord, selon l’art. 219, au a quinquies du I, la réintégration de la quote-part de frais et charges égale à 12 % du montant brut des plus-values de cession est subordonnée à la réalisation par l'entreprise d'une plus-value nette au cours de l'exercice de cession. Il suit de là que cette disposition a pour objet de soumettre à cet impôt, à un taux réduit, les plus-values de cession de titres de participation ; en revanche, contrairement à ce que soutient le ministre défendeur, elle n’a pas pour objet de neutraliser de manière forfaitaire la déduction de frais exposés pour l'acquisition ou la conservation d'un revenu afférent à une opération exonérée. 

Ensuite, des conventions fiscales bilatérales attribuent concurremment le pouvoir de taxer les plus-values de cession de titres de participation à la France, en qualité d'État de résidence du cédant, et à l'État dans lequel se situe la société dont les titres sont cédés et elles prévoient une élimination de la double imposition correspondante par voie d'imputation de l'impôt prélevé à l'étranger sur l'impôt sur les sociétés acquitté en France au titre de la même opération, dans la limite du montant de l'impôt français correspondant à ces revenus.

Par suite, c’est erronément que ces commentaires retiennent que « en l'absence d'imposition effective [en France] de la plus-value réalisée, aucune imputation de l'impôt étranger éventuellement acquitté au titre de la plus-value réalisée ne peut être effectuée dès lors qu'aucune double imposition ne peut être constatée. »

(15 novembre 2021, Société anonyme L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés Georges Claude, n° 454105)

 

65 - Charte des droits et obligations du contribuable vérifié – Droit pour le contribuable de saisir le supérieur hiérarchique du vérificateur puis l’interlocuteur départemental ou régional – Garantie substantielle – Non-respect – Caractère irrégulier de l’examen de la situation personnelle du contribuable – Rejet.

La charte des droits et obligations du contribuable vérifié prévoit qu’en cas de difficultés rencontrées au cours ou du fait de la vérification, le contribuable peut s’adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis, ensuite, à l'interlocuteur départemental ou régional.

En l’espèce, le contribuable avait demandé dans un courrier à rencontrer le supérieur hiérarchique en y faisant état de difficultés rencontrées au cours du contrôle. Aucune suite n’ayant été donnée à ce courrier, la cour administrative d’appel avait jugé que le contribuable avait été privé d’une garantie essentielle ce qui entachait d’illégalité la vérification et ses suites.

Elle est approuvée par le Conseil d’État qui rejette le pourvoi du ministre.

(17 novembre 2021, Ministre de l’économie, des finances et de la relance, n° 445981)

 

66 - Investissement productif neuf dans les départements d'outre-mer - Réduction d'impôt - Conditions d'octroi - Soumission aux dispositions combinées des articles 199 undecies B et 217, III undecies du CGI - Annulation.

L'art.  199 undecies B du CGI prévoit, au bénéfice des entreprises exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34 du CGI, une réduction d'impôt sous condition d'investissements productifs dans les départements d'outre-mer. Il prévoit, renvoyant sur ce point au III de l'art. 217 undecies du CGI, que « Pour ouvrir droit à réduction et par dérogation aux dispositions du 1, les investissements mentionnés au I doivent avoir reçu l'agrément préalable du ministre chargé du budget (...) lorsqu'ils sont réalisés dans les secteurs des transports (...) ».

En l'espèce, la cour administrative d'appel avait jugé que les dispositions du III de l'article 217 undecies ne permettaient pas de justifier un refus d'agrément en se fondant sur d'autres conditions que celles qu'elles prévoient, alors même que l'investissement ne répondrait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'article 199 undecies B.

Le Conseil d’État censure l'arrêt déféré pour erreur de droit : l'administration fiscale doit, pour s'assurer de l'éligibilité d'un contribuable au bénéfice de la réduction d'impôt, vérifier qu'il satisfait à la fois aux conditions de fond énoncées au I de l'art. 199 undecies B et, en vertu du II de ce même article, aux conditions requises pour l'obtention de l'agrément.

Il faut regretter l'obscurité de ces dispositions combinées dont l'interprétation est loin d'être évidente.

(19 novembre 2021, Ministre de l'action et des comptes publics, n° 440755)

(67) V., identique : 19 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 442768.

 

68 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Détermination par comparaison - Conditions - Application à l'espèce - Annulation partielle.

L'article 1498 CGI prévoit la possibilité que la valeur locative des biens passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties soit déterminée par comparaison.

En l'espèce, était discutée la valeur locative par mètre carré arrêtée par l'administration fiscale concernant un hypermarché situé dans la périphérie immédiate de Bordeaux, à Bègles. La requérante avait proposé trois établissementblissements de comparaison et l'administration une. Ecartant trois de ces termes de comparaison en raison des différences entre la situation litigieuse et celles des termes de comparaison, le Conseil d’État retient l'une des propositions de la requérante en relevant que cet hypermarché « est situé en périphérie de l'agglomération de Toulouse, dans une aire urbaine présentant une situation économique analogue à celle dans laquelle est située la commune de Bègles. La taille de la population des deux métropoles est par ailleurs similaire. Ce terme de comparaison présente en outre des caractéristiques propres similaires à celles de l'établissement à évaluer, en particulier une surface équivalente, la présence d'importants espaces de stationnement et de «drive» ainsi que l'inclusion au sein d'une galerie marchande d'égale importance, comportant respectivement environ 120 et 150 commerces. En outre, il ressort du procès-verbal des évaluations foncières que, contrairement à ce que soutient le ministre, ce local de référence a été régulièrement évalué à partir du loyer du bail dont il faisait l'objet au 1er janvier 1970 ».

La valeur locative est ramenée de 15,24 euros/m2 à 13,87 euros pour une superficie d'environ douze mille mètres carrés.

(22 novembre 2021, SAS Société Carrefour Hypermarchés, n° 437180)

 

69 - Taxe professionnelle due par une chambre de commerce et d'industrie (CCI) pour l'exploitation d'un aéroport - Bases de calcul - Bien transféré de l'État à une collectivité territoriale puis de celle-ci à une CCI - Transfert ne constituant pas un apport - Événement sans incidence sur la prise en compte de la seule valeur d'origine des installations aéroportuaires - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de droit l'arrêt d'une cour administrative d'appel jugeant que la valeur locative des immobilisations inscrites dans le cadre de la concession aéroportuaire au bilan de la chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse devait être calculée en fonction de leur valeur d'origine et non de leur valeur nette comptable au 31 décembre 2004.

En effet, il résulte tant des dispositions combinées des art. 1467, 1499 et 1500 du CGI que de celles de l'art. 324 AE de son annexe III et de l'art. 621-8 du plan comptable général (ex-art. 393-1) que, pour la détermination de l'assiette de la taxe professionnelle, le prix de revient des installations aéroportuaires remises par l'État puis, à compter de 2004, par la collectivité territoriale de Corse à la CCI de Bastia et de la Haute-Corse, à l'actif du bilan de laquelle les immobilisations devaient être inscrites, et que celle-ci exploite dans le cadre de la concession sans en être devenue propriétaire, est la valeur d'origine sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces biens ont été transférés par l'État à la collectivité territoriale de Corse, ce transfert ne pouvant être regardé comme un apport au sens des dispositions de l'article 38 quinquies de l'annexe III au CGI. 

(29 novembre 2021, Chambre de commerce et d'industrie de Bastia et de la Haute-Corse, n° 450267)

 

70 - Contrats d'option - Prime versée lors de l'acquisition du contrat d'option - Prime ayant sa contrepartie - Avantage constituant un actif financier - Absence du caractère de charge déductible - Possibilité d'amortissement comptable de l'actif et de contitution de provisions - Exercice de l'option - Régime - Refus du bénéfice de la compensation - Rejet - Annulation sans renvoi, règlement de l'affaire au fond.

Une banque avait demandé - et en partie obtenu - une décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de la contribution sociale y relative. Le ministre demandeur forme un pourvoi qui est le second en l'espèce, ce qui conduit le Conseil d’État à statuer sans renvoi.

La banque avait provisionné comme charge déductible de ses marges bénéficiaires latentes la prime qu'elle avait acquittée pour l'acquisition de contrats d'option.

Le Conseil d’État, censurant l'arrêt d'appel sur ce point, juge que la prime acquittée pour l'acquisition d'un contrat d'option a pour objet d'attribuer à l'acheteur le droit exclusif d'exercer l'option qui lui permettra d'obtenir l'avantage économique potentiel lié aux variations de la valeur de l'instrument financier sous-jacent. En conséquence, la prime rémunère, pour le vendeur du contrat d'option, l'abandon irrévocable du même droit. Il suit de là que cette prime a pour contrepartie l'acquisition du droit de bénéficier de cet avantage, qui a la nature d'un actif financier, et ne saurait par suite constituer une charge déductible de l'exercice au cours duquel elle est acquittée.

Relevant l'absence de règles comptables en disposant autrement, le juge considère que cet actif peut, pour la fraction de sa valeur qui se déprécie de manière irréversible avec le temps, donner lieu à amortissement. Il peut aussi, le cas échéant, donner lieu à la constitution de provisions.

Ensuite, s'agissant des effets attachés à l'exercice de l'option, le juge envisage deux situations : soit l'option est exercée et la valeur résiduelle de la prime d'acquisition constitue, dans le cas d'une option d'achat, un élément du prix d'acquisition de l'actif sous-jacent, et vient, dans le cas d'une option de vente, en déduction du prix de cession, soit l'option n'est pas exercée à la date de son échéance, une perte peut être constatée à concurrence de cette valeur résiduelle. 

Par ailleurs, la banque avait demandé le bénéfice de la compensation entre les rehaussements dont elle a fait l'objet par la surimposition qui résulterait pour elle de son abstention à déduire, au titre de l'exercice clos en 2010, le montant des primes d'option acquittées au cours de cet exercice mais cela lui est refusé en raison de ce que les primes d'option acquittées au cours de l'exercice 2010 - comme indiqué plus haut - ne constituaient pas des charges déductibles du résultat de cet exercice.

(29 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 450732)

 

71 - Activité de sous-concession de brevets - Utilisation et exploitation de brevets de l'Institut Pasteur moyennant redevances - Assujettissement à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises - Conditions - Régime - Rejet - Annulation sans renvoi, second pourvoi.

La société requérante exerce une activité de sous-concession de brevets dont elle a acquis le droit d'usage et d'exploitation auprès de l'Institut Pasteur, moyennant le paiement de redevances. L'administration fiscale l'a assujettie à des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises au titre des années 2010 et 2011. Estimant qu'elle n'était pas soumise à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la société a formé devant le tribunal administratif, au titre des années 2010 et 2011, une demande tendant à la décharge tant des cotisations primitives que des cotisations supplémentaires ainsi que de la taxe additionnelle à cette cotisation. Le recours a été rejeté par le tribunal administratif et en appel. Puis, après cassation de l'arrêt d'appel, la cour, à nouveau saisie, a rejeté la demande de la société. Celle-ci se pourvoit contre ce second arrêt.

Se posaient, brevitatis causa, deux questions principales : Les revenus tirés de la concession d'un brevet sont-ils assujettis à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises ? Quelle est, en cas de réponse positive à cette première question, l'assiette de cette cotisation ?

Sur le premier point, le Conseil d’État décide que les revenus tirés de la concession d'un brevet sont le fruit d'une activité professionnelle au sens des dispositions de l'art. 1447 du CGI si le concédant met en œuvre de manière régulière et effective, pour cette activité de concession, des moyens matériels et humains ou s'il est en droit de participer à l'exploitation du concessionnaire et est rémunéré, en tout ou partie, en fonction de cette dernière.

Il casse pour erreur de droit l'arrêt déféré en ce qu'il a jugé qu'il résultait de ce que la société avait engagé, chaque année, des honoraires d'avocats et de conseils en propriété intellectuelle afin d'entretenir la valeur économique de ses brevets qu'elle mettait en œuvre de manière régulière et effective des moyens matériels et humains pour son activité de concession. Or, la cour, ce jugeant, n'a pas recherché, comme il lui incombait, si la société ne se bornait pas, en engageant ces dépenses, à gérer son patrimoine en préservant la valeur de ses brevets mais devait être réellement regardée comme mettant en œuvre des moyens matériels et humains pour assurer leur exploitation économique.

Quant à l'assiette de la cotisation, l'art. 1586 sexies du CGI fixe la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce sont les normes comptables en vigueur lors de l'année d'imposition concernée et dont l'application est obligatoire pour l'entreprise en cause qui permettent de déterminer si une charge ou un produit se rattache à l'une de ces catégories. 

Il suit de là que sont rejetées les demandes de la société tendant à ce que soient prises en compte dans le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, d'une part le montant d'une indemnité trannsactionnelle versée à l'Institut Pasteur, laquelle constitue une charge de gestion exceptionnelle et, d'autre part, les redevances pour brevet versées à cet institut, l'une et les autres n'entrant pas dans la liste limitative énoncée à l'art. 1586 sexies précité.

(29 novembre 2021, SASU Bio-Rad France Holding, venant aux droits de la société Bio-Rad Innovations, n° 451521)

 

72 - Acte anormal de gestion - Remboursement des frais de transport, hôtellerie et restauration du président d'un club sportif entre sa résidence (Londres) et le siège du club ou le lieu des compétitions - Déplacements devant avoir des conséquences positives pour le club - Absence - Remise en cause des déductions de ces frais - Erreur de droit - Cassation avec renvoi.

Le club requérant avait déduit de son revenu les charges des frais de transport, d'hôtellerie et de restauration exposés par son président exécutif - domicilié près de Londres en raison de ses activités professionnelles - pour ses déplacements vers Lorient et d'autres villes françaises, en lien avec les matchs du club, sa vie administrative et financière et ses partenariats.

L'administration fiscale y a vu un acte anormal de gestion dans la mesure où elle n'apercevait pas en quoi ces déplacements concernaient l'activité du club. La cour d'appel, dans son arrêt confirmatif, a donné raison à l'administration en l'absence de « répercussions positives attendues pour le club » du fait de ces déplacements.

Le Conseil d’État annule heureusement cette solution, reprochant à la cour de n'avoir pas recherché si les déplacements en cause intervenaient pour les besoins de l'exercice par l'intéressé de ses fonctions pour se rendre au lieu du siège de l'entreprise dont il était à la la fois le propriétaire, le président et le responsable de sa gestion ou s'ils avaient la nature de déplacements personnels de celui-ci.

(29 novembre 2021, SAS Lorient Football Développement Promotion, n° 452705)

 

Droit public de l'économie

 

73 - Autorité de la concurrence – Demande de suspension en référé de l’instruction d’un dossier par cette Autorité – Projet d’acquisition de Métropole Télévision – Phase de « pré-notification » engagée par ladite Autorité – Mesure à caractère préparatoire – Rejet.

(12 novembre 2021, SAS Free et S.A. Iliad, n° 458273)

V. n° 9

 

74 - Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Qualité de partie de l'État dans certains litiges portant sur des demandes de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l'État par le président de la CNAC - Dispense du ministère d'avocat dans le contentieux né de tels permis - Pouvoir d'injonction du juge envers la CNAC - Effets contentieux de l'avis défavorable de la CNAC - Annulation sans renvoi et injonctions.

L'urbanisme commercial est une matière sensible mettant en jeu des intérêts, y compris généraux, parfois contradictoires, ce qui explique une législation fluctuante et complexe reflétant bien l'inconfort d'un législateur lui-même peu assuré de la pertinence de ses prescriptions. Cette décision le montre bien, où l'on voit le juge obligé de se livrer à une reconstruction du droit applicable.

La société Les Cluses du Marais a sollicité, le 25 octobre 2017, l'octroi d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour la réalisation d'un supermarché de 2 600 mètres carrés sur le territoire de la commune de Châtillon-sur-Cluses. A la suite de l'avis favorable donné à ce projet, le 20 décembre 2017, par la commission départementale d'aménagement commercial, plusieurs sociétés concurrentes, dont la requérante, ont saisi la CNAC, qui a émis un avis défavorable sur ce projet le 26 avril 2018, à la suite de quoi, le maire de la commune a, par arrêté du 4 juillet 2018, rejeté la demande dont il avait été saisi.

La cour administrative d'appel, saisie par la société Les Cluses du Marais, a, d'une part, annulé l'arrêté refusant la délivrance du permis sollicité et, d'autre part, enjoint à la CNAC de rendre un avis favorable au projet et au maire de réexaminer la demande dont il demeurait saisi par l'effet de l'annulation de son précédent arrêté.

La société Taninges distribution et la CNAC se pourvoient contre cet arrêt.

Ceci conduit le juge de cassation à rendre une importante décision qui a le mérite de clarifier un certain nombre de points relativement à la procédure administrative, non contentieuse comme contentieuse, régissant ce genre de dossiers.

Tout d'abord, répondant à une critique des pourvois, le juge indique qu'il découle tant de l'art. L. 425-4 du code de l'urbanisme que des art. L. 752-17 et R. 751-8 du code de commerce que l'État a la qualité de partie au litige devant une cour administrative d'appel, saisie en premier et dernier ressort d'un recours pour excès de pouvoir, formé par l'une des personnes mentionnées à l'article L. 752-17 du code de commerce, tendant à l'annulation de la décision prise par l'autorité administrative sur la demande de permis de construire en tant qu'elle concerne l'autorisation d'exploitation commerciale.

Ensuite, répondant là ausi à une critique qui pouvait sembler assez forte, le Conseil d’État relève, d'une part que, en dépit de ce que le secrétariat de la CNAC est assuré par les services du ministre chargé du commerce, il est constant que la Commission n'est pas soumise au pouvoir hiérarchique des ministres, qui n'ont pas le pouvoir de réformer ses avis et décisions et qu'ainsi il n'est pas anormal que le code de commerce ait prévu que son président a qualité pour représenter l'État devant les juridictions administratives dans ces litiges. Il peut donc, par suite logique, signer les recours et mémoires présentés devant le Conseil d’État au nom de l'État nonobstant les dispositions contraires du second alinéa de l'article R. 432-4 CJA. Présentés au nom de l'État, de tels recours et mémoires sont dispensés du ministère d'avocat au Conseil d’État (cf. art. R. 432-4, al. 1, CJA).

Également, il résulte des art. L. 911-1 et L. 911-2 CJA que « le juge administratif peut, s'il annule la décision prise par l'autorité administrative sur une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale et en fonction des motifs qui fondent cette annulation, prononcer une injonction tant à l'égard de l'autorité administrative compétente pour se prononcer sur la demande de permis qu'à l'égard de la Commission nationale d'aménagement commercial » sans que puisse y faire obstacle la circonstance que cette Commission soit chargée d'instruire les recours dont elle est saisie (cf. art. R. 752-36 c. com.). On peut trouver surprenante cette dernière solution.

Enfin, et ceci limite assez la portée de ce qui précède, l'annulation de la décision rejetant une demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale sur le fondement d'un avis défavorable de la CNAC n'implique, pour elle, qu'une obligation de réexamen du projet sauf dans le cas où les motifs de l'annulation retenus par le juge administratif impliquent nécessairement la délivrance par elle d'un avis favorable. 

(22 novembre 2021, Société Taninges distribution, n° 441118 ; Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 442107, jonction)

 

75 - Droit public de l'agriculture - Structures foncières agricoles - Autorisation préalable d'agrandissement d'une surface agricole - Nouvelle superficie excédant le seuil fixé au schéma directeur départemental des structures - Notion d'agrandissement - Portée de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole - Rejet.

Il résulte des dispositions du I de l'article L. 331-2 du code rural et de la pêche maritime que sont soumises à autorisation préalable les agrandissements d'exploitations agricoles au bénéfice d'une exploitation agricole mise en valeur par une ou plusieurs personnes physiques ou morales, lorsque la surface totale qu'il est envisagé de mettre en valeur excède le seuil fixé par le schéma directeur départemental des structures.

En l'espèce, l'associé-exploitant d'une société civile d'exploitation agricole n'ayant pas sollicité l'autorisation prévue par la disposition précitée, a été mis demeure de régulariser sa situation puis, l'intéressé n'y ayant pas déféré, il lui a été enjoint de cesser l'exploitation des terres concernées et infligé une sanction pécuniaire de 78 223 euros.

Le Conseil d’État rejette les deux arguments principaux développés par le requérant : le premier portant sur la notion juridique d'agrandissement au sens et pour l'application de l'art. précité et le second sur les effets de la loi d'orientation agricole du 5 janvier 2006.

Le Conseil d’État estime tout d'abord que la disposition litigieuse s'applique lorsque l'agrandissement de la surface agricole résulte d'un rachat, par une personne physique, de parts d'une société à objet agricole, si cette personne participe effectivement aux travaux et doit, par suite, être regardée comme mettant en valeur les surfaces exploitées par cette société.

Interprétant, ensuite, de manière singulièrement restrictive les dispositions de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole, le Conseil d’État juge, sans autrement s'expliquer, que si celle-ci a retiré de la liste des opérations soumises à autorisation certaines modifications dans la répartition des parts ou actions des sociétés à objet agricole, elle ne saurait cependant avoir eu pour effet, contrairement à ce que soutient le demandeur, d'exempter d'autorisation celles des opérations d'extension qui se traduiraient par une modification dans la répartition des parts ou actions des sociétés à objet agricole.

(30 novembre 2021, M. I., n° 439742)

 

Droit social et action sociale

 

76 - Engagement dans un parcours de sortie de la prostitution - Décision préfectorale de refus - Office du juge saisi d'un recours en annulation de ce rejet - Erreur de droit - Annulation.

La requérante s'est vu refuser par le préfet l'autorisation  d'engagement dans un parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle qu'elle sollicitait. Après rejet de son recours en première instance elle saisit le Conseil d’État qui annule le rejet de sa requête.

Il estime que les premiers juges ont commis une erreur de droit en estimant fondé le refus opposé par le préfet à la demanderesse car, au moment où elle demandait  l'autorisation d'engagement dans le parcours de sortie de la prostitution et d'insertion sociale et professionnelle, elle n'avait pas encore arrêté de se prostituer et n'avait pas déposé de plainte à raison d'infractions portant sur la traite des êtres humains ou le proxénétisme, d'où ils en ont déduit l'absence de réalité de l'engagement de la personne.

Le Conseil d’État juge, au contraire, que la juridiction saisie doit examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction, tout comme il incombe au préfet, lorsqu'il se prononce sur la demande initiale d'engagement dans le parcours au vu de l'instruction et de l'avis de l'association agréée et de l'avis de la commission compétente, de prendre sa décision en considération des mêmes éléments et de vérifier la réalité de l'engagement de la personne à sortir de la prostitution. Lorsqu'il se prononce sur une demande de renouvellement, il tient compte du respect de ses engagements par la personne accompagnée ainsi que des difficultés rencontrées, au vu desquels la commission, après avoir examiné la mise en œuvre des actions menées au bénéfice de la personne, a rendu son avis.

(19 novembre 2021, Mme C., n° 440802)

 

77 - Observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation - Désignation par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département d'un membre pour siéger à cet observatoire - Appréciation de la représentativité - Critère de l'audience - Critère de l'activité dans le département - Qualification inexacte des faits - Annulation avec renvoi.

L'article L. 2234-4 du code du travail prévoit l'existence d'un observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation dans chaque département ; cet organisme a pour objet de favoriser et d'encourager le développement du dialogue social et la négociation collective au sein des entreprises de moins de cinquante salariés du département. Il est notamment composé, dans la limite de six organisations par département,  de « membres, salariés et employeurs ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département et par les organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national interprofessionnel et multiprofessionnel » (cf. art. L. 2234-5 c. trav.). Les critères de représentativité sont le respect des valeurs républicaines, l'indépendance, la transparence financière, l'ancienneté dans le champ professionnel et géographique concerné, l'audience, l'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience, et, enfin, les effectifs d'adhérents et les cotisations (cf. art. L. 2121-1 c. trav.).

Selon le juge, l'autorité administrative, qui doit tenir compte de l'audience, déterminée en fonction des résultats aux élections professionnelles, n'a pas à retenir les différents seuils d'audience auxquels le 5° de l'article L. 2121-1 c. trav. se réfère selon les niveaux de négociation car ils sont, dans ce cadre, sans objet et inapplicables.

C'est donc sans erreur de droit qu'en l'espèce la cour administrative d'appel s'est abstenue de se référer à ces seuils d'audience. En revanche, elle a inexactement qualifié les faits en jugeant que l'organisation syndicale requérante ne satisfaisait pas à la condition de représentativité posée à l'article L. 2234-5 précité pour pouvoir désigner un représentant au sein de l'observatoire précité.

(19 novembre 2021, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 443858)

 

78 - Revenu de solidarité active (RSA) - Demande d'allocation de ce revenu en qualité d'ascendant à charge d'un citoyen de l'Union européenne - Fille de nationalité française - Rejet.

La demanderesse ne peut se prévaloir de la qualité d'ascendante d'une ressortissante de l'Union européenne de nationalité française pour obtenir le bénéfice du revenu de solidarité active, les dispositions de l'art. L. 121-1 (reprises depuis à l'art. L. 233-1) du CESEDA qu'elle invoque ne s'appliquant qu'à des personnes accueillies en France par des ressortissants de l'Union exerçant eux-mêmes leur droit au séjour, non à celles accueillies par des Français.

(19 novembre 2021, Mme H., n° 448443)

 

79 - Avis de droit - Indu de revenu de solidarité active (RSA) - Amende administrative pour omission de déclaration ou fausse déclaration d'éléments ayant entraîné l'indu de RSA - Soumission ou non à l'obligation préalable d'un recours administratif préalable au recours contentieux - Absence.

Si l'art. L. 262-47 du code de l'action sociale et des familles subordonne toute réclamation contentieuse dirigée contre une décision relative au RSA à l'exercice préalable d'un recours administratif auprès du président du conseil départemental, cette disposition n'est pas applicable au recours dirigé contre la décision de ce même agent infligeant l'amende administrative pour fausse déclaration ou omission délibérée de déclaration ayant abouti au versement indu du RSA, cette dernière étant régie par les dispositions, spécifiques à cette amende, de l'art. L. 246-52 dudit code.

(19 novembre 2021, Mme C., n° 454699)

 

80 - Organisations professionnelles d'employeurs - Appréciation de leur représentativité - Critère de l'activité et de l'expérience - Influence retenue d'une organisation professionnelle s'exerçant seulement sur une partie des activités relevant de la convention collective en cause - Rejet.

Pour déterminer la représentativité des organisations professionnelles d'employeurs, le 5° du I de l'article L. 2151-1 du code du travail retient notamment un critère tiré de l'expérience qui prend en compte à titre prioritaire l'activité et l'expérience. Or la requérante soutenait qu'avait été retenue à ce titre comme représentative une fédération professionnelle dont l'influence ne portait que pour une part seulement des activités relevant du champ de la convention collective concernée. L'argument est rejeté, le Conseil d'État estimant que l'appréciation de cette influence doit se faire globalement avec l'ancienneté de l'organisation et son audience. L'exercice d'une partie seulement des activités entrant dans le champ de la convention collective n'empêche l'intéressée de satisfaire au critère susrappelé.

(22 novembre 2021, Fédération française des services à la personne, n° 431275)

(81) V. aussi, jugeant notamment que le vote des agents publics aux institutions représentatives du personnel dans les établissements de l'enseignement privé non lucratif couverts par la convention collective nationale ne peuvent pas être retenus pour déterminer la représentativité des organisations syndicales dès lors que cette convention ne régit que les relations entre les employeurs relevant de son champ et leurs salariés de droit privé : 22 novembre 2021, Ministre du travail, n° 431431.

(82) V. également, s'agissant de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans la convention collective nationale du personnel des centres équestres : 22 novembre 2021, Fédération française d'équitation, n° 431927.

(83) V. encore, à propos de la fixation de la liste des organisations représentatives dans la convention collective nationale de l'enseignement agricole privé : 22 novembre 2021, Syndicat national de l'enseignement privé CFE-CGC (SYNEP CFE-CGC), Syndicat national de l'enseignement privé initial (SNEIP-CGT) et Fédération de l'éducation, de la recherche et de la culture CGT (FERC-CGT), n° 433536.

 

84 - Licenciement d'un salarié protégé - Avis favorable de l'inspection du travail - Annulation par le juge d'appel pour non-recherche de la gravité de la faute reprochée - Office du juge - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

L'inspection du travail avait donné un avis favorable au projet de licenciement d'un salarié protégé (conseiller prudhomal) du requérant. La cour administrative d'appel, par un arrêt infirmatif, avait annulé cette autorisation motif pris de ce qu'il ne résultait pas des pièces du dossier que l'inspecteur du travail avait recherché si le licenciement était justifié par une « faute grave » ainsi que l'exigent les stipulations de l'article 33 de la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour erreur de droit car il était de l'office du juge saisi d'un tel grief de se prononcer lui-même, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, y compris, le cas échéant, celles fixées dans la convention collective qui lui était applicable, sur le bien-fondé de l'appréciation de l'autorité administrative selon laquelle les faits reprochés étaient de nature à justifier le projet de licenciement. 

(24 novembre 2021, Institut Avenir Provence, n° 432331)

 

85 - Licenciement d'une salariée - Refus d'autorisation opposé par l'inspection du travail confirmé par le ministre - Faits justificatifs du licenciement jugés comme « apparaissant » prescrits - Insuffisance de motivation - Annulation avec renvoi.

Une autorisation de licenciement est refusée en raison de ce que les faits invoqués pour le justifier sont prescrits. L'employeur conteste la réalité de la prescription. Une cour administrative d'appel rejette l'appel en raison de ce que les faits « apparaissaient » prescrits. Une motivation dubitative ne constitue pas une motivation : l'arrêt est très logiquement cassé pour n'avoir pas mis le juge de cassation en mesure d'exercer son office.

(24 novembre 2021, Association « Coordination des œuvres sociales et médicales» (COSEM), n° 433075)

 

86 - Droit au logement - Reconnaissance d'une personne comme prioritaire au logement - Refus du logement proposé - Condition d'exercice du pouvoir d'injonction du juge - Rejet.

Rappel de ce que lorsqu'un demandeur reconnu par une commission de médiation comme prioritaire et devant être logé ou relogé en urgence refuse un logement qui lui est proposé, le juge administratif, saisi par lui d'un recours tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement (cf. art. L. 441-2-3-1, c. de la construct. et habitat.), ne peut adresser une injonction à l'administration que si l'offre qu'il a rejetée n'était pas adaptée à ses besoins et capacités tels que reconnus par la commission ou si, bien que cette offre soit adaptée, il fait état d'un motif impérieux de nature à justifier son refus.

En ce cas, l'administration doit être regardée comme étant déliée de son obligation de lui proposer un logement conforme aux préconisations de la décision de la commission de médiation.

(30 novembre 2021, Mme B., n° 436148)

 

Élections et financement de la vie politique

 

87 - Élections municipales et communautaires - Compte de campagne – Dépôt tardif – Conditions d’envoi de ce compte – Caractère non probant – Inéligibilité confirmée – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de fait que le tribunal administratif, après avoir constaté le dépôt tardif du compte de campagne du requérant et en l’absence de valeur probante des éléments qu’il apporte pour tenter de démontrer l’existence d’un dépôt de ce compte suivi de son envoi dans le temps légal, a sanctionné l’irrégularité ainsi commise par une inéligibilité de trois mois.

(4 novembre 2021, M. E., n° 453522)

(88) V., avec solutions comparables : 9 novembre 2021, M. F., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allonnes, n° 448318 ou, pour une inéligibilité de six mois : 18 novembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Ajaccio, n° 451971 ou encore : 22 novembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune du Beausset, n° 453026.

(89) V aussi, confirmant une inéligibilité pour dix-huit mois, alors que le compte de campagne a été visé par un expert-comptable mais qu’il a été déposé tardivement et n’était pas accompagné des justificatifs des recettes et des dépenses : 10 novembre 2021, M. D., Él. mun. et cnautaires de la commune de Besançon, n° 450388.

(90) Comparer avec la décision qui, tout en relevant l’importance du montant des dépenses en cause dans un compte déposé hors délai, constate le caractère non délibéré du manquement et annule la partie d’un jugement prononçant l’inéligibilité de l’intéressé : 9 novembre 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Asnières-sur-Seine, n° 448221 ou encore avec celle jugeant que si le compte de campagne doit en l’espèce être rejeté, le montant faible du déficit (moins de 2500 euros) permet de dispenser l’intéressée de l’inéligibilité : 16 novembre 2021, Mme F., Él. mun. et cnautaires de la commune de Saint-François, n° 451512 ; v. aussi, assez semblable en substance : 16 novembre 2021, M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Morne-à-l’Eau, n° 451514.

(91) Voir, confirmant par la sanction de l’inéligibilité entraînant une démission d’office du candidat dont le mandataire financier figure sur sa liste électorale en violation de l’art. L. 52-6 du code électoral : 10 novembre 2021, M. H., Él. mun. et cnautaires de la commune de Goussainville, n° 451001 ; Mme L., Él. mun. et cnautaires de la commune de Goussainville, n° 451039.

(92) Voir également, censurant sur ce point le jugement de première instance, la décision proclamant l'inéligibilité d'une candidate administratrice de la société d'économie mixte de la commune, laquelle est une entreprise de services municipaux, bien qu'elle soit la seule des quatre administrateurs qui ne soit pas un représentant de la commune car à ce titre elle est la seule à pouvoir voter sans devoir se déporter sur les dossiers relatifs à des contrats ou des marchés concernant la commune, d'où le rôle prépondérant qu'elle joue au sein du conseil d'administration de cette société : 22 novembre 2021, M. G., Él. mun. et cnautaires de la commune de Montreuil-sous-Bois, n° 448743.

 

93 - Élections des conseillers régionaux – Conclusions dirigées contre un premier tour de scrutin sans résultat – Irrecevabilité – Possibilité d’exciper d’éventuelles irrégularités entachant ce tour au soutien d’une protestation dirigée contre le second tour – Rejet.

Tout d’abord, le juge rappelle qu’est irrecevable une protestation dirigée contre un premier tour de scrutin à l’issue duquel aucun résultat n’a été proclamé même si celui-ci a conduit à l’élimination de la liste du candidat requérant. En revanche, il est loisible d’invoquer des irrégularités qui auraient entaché ce premier tour au soutien d’un recours dirigé contre le second tour des opérations électorales.

Ensuite, s’agissant du second tour, le protestataire soulève des moyens qui soit ne sont pas assortis d’éléments permettant d’en apprécier le bien-fondé, soit n’ont pas altéré la sincérité du scrutin comme la composition incomplète de bureaux de vote ou l’ouverture tardive de certains d’entre eux, le taux élevé d’abstentions n’étant pas différent des autres circonscriptions métropolitaines ou ultra-marines.

(4 novembre 2021, M. G., Élections de conseillers régionaux de Guadeloupe, n° 454069)

(94) V. aussi, pour une application à des élections régionales de cette règle d'irrecevabilité d'une protestation dirigée contre un premier tour à l'issue duquel n'a été proclamé aucun élu et sur son extension aux conclusions dirigées contre la décision de la commission départementale de recensement des votes relative à la validité des bulletins de vote ainsi que contre le refus du préfet d'invalider certains suffrages, qui ne sont, en tout état de cause, pas détachables des opérations électorales : 22 novembre 2021, M. C., Élections des conseillers régionaux de la région Normandie, n° 453941.

 

95 - Élections municipales et communautaires – Protestataire ayant annoncé la production ultérieure d’un mémoire complémentaire – Expiration du délai d’un mois – Désistement d’office.

En contentieux électoral, le protestataire qui n’a pas produit avant l’expiration du délai d’un mois (art. R. 611-22 et R. 611-23 c. électoral) le mémoire complémentaire qu’il avait annoncé, est réputé s’être désisté de sa requête.

(10 novembre 2021, M. K., Él. mun. et cnautaires de la commune de Soisy-sous-Montmorency, n° 448589)

 

96 - Élections municipales et communautaires – Griefs tirés d’irrégularités diverses – Décès d’un responsable de liste entre les deux tours – Inéligibilité de certains agents du conseil régional – Fonctions ne figurant pas dans l’énumération du 8° de l’art. L. 231 du code électoral – Rejet.

Cette décision, d’ailleurs rendue en chambres réunies, situation peu fréquente en contentieux électoral, est intéressante à un double titre par-delà les habituels griefs, tous rejetés, tenant aux incidents ayant émaillé la campagne électorale.

En premier lieu, dans le silence du code électoral sur ce point, le Conseil d’État juge qu’en cas de décès d’un responsable de liste entre les deux tours de scrutin, le deuxième de cette liste doit être considéré comme lui succédant pour l'accomplissement des opérations de candidature du second tour.

En second lieu, était contestée l’éligibilité d’un candidat en sa qualité d’agent employé par le conseil régional ; les fonctions qu’il occupe ne figurent pas dans l’énumération du 8° de l’art. L. 231 du code électoral (selon lequel « Ne peuvent être élus conseillers municipaux dans les communes situées dans le ressort où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois : (...) 8° Les personnes exerçant, au sein du conseil régional (...), les fonctions de directeur général des services, directeur général adjoint des services, directeur des services, directeur adjoint des services ou chef de service, ainsi que les fonctions de directeur de cabinet, directeur adjoint de cabinet ou chef de cabinet en ayant reçu délégation de signature du président, du président de l'assemblée ou du président du conseil exécutif (...) »). Le Conseil d’État, fidèle à sa jurisprudence habituelle, considère cette énumération comme non limitative et recherche si la réalité des fonctions exercées ne confère pas à leur titulaire des responsabilités équivalentes à celles exercées par les personnes mentionnées par ces dispositions. En l’espèce, il constate que ce n’est pas le cas car, ainsi que jugé par le tribunal administratif, l’intéressé occupait, par contrat, un poste de directeur de projet au sein de la direction de la communication et de la marque de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, correspondant au grade d'administrateur. Chargé en particulier de développer les relations avec les institutions et la presse nationales et d'assurer la promotion de la marque « Région Sud-Provence-Alpes-Côte d'Azur », il exerçait des fonctions d'expertise stratégique en matière de communication auprès de la directrice de la communication et de la marque, sans mission d'encadrement de personnel, et ne disposait d'aucune délégation de signature ni d'aucun pouvoir de décision.

(8 novembre 2021, Mme T., Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allauch, n° 450970 ; Mme Robineau- Chailan, Él. mun. et cnautaires de la commune d’Allauch, n° 451000)

(97) V. aussi, pour un florilège des moyens développés en contentieux électoral : 22 novembre 2021, Mme A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villetaneuse, n° 448292 ou : 22 novembre 2021, M. E., Él. mun. et cnautaires de la commune de Villemomble, n° 450484 ou également : M. A., Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondy, n° 450598.

 

98 - Élections municipales et communautaires – Délai dans lequel doit statuer le tribunal administratif - Irrégularités de certains suffrages exprimés - Élément nouveau de polémique électorale - Soutien sur les réseaux sociaux - Confirmation de l'annulation des deux tours du scrutin.

Le tribunal administratif saisi d'un recours dirigé contre les résultats d'une élection qui s'est déroulée lors du renouvellement général des conseillers municipaux et communautaires, doit surseoir à statuer jusqu'à la réception des décisions de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, à compter de laquelle il dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer. En l'espèce, les décisions de cette commission ayant été notifiées au tribunal administratif le 9 décembre 2020, celui-ci n'a pas jugé hors délai en se prononçant le 12 février 2021 sur le recours dont il était saisi, soit moins de trois mois après que la commission lui a notifié sa décision.

Le juge d'appel estime irréguliers un certain nombre de suffrages, outre une partie de ceux déjà relevés en première instance et confirmés en appel, en raison des différences significatives et systématiques entre les signatures portées lors du premier et du second tours du scrutin. Cela le conduit à déduire hypothétiquement de chaque liste seize suffrages.

Enfin, des accusations graves ont été portées contre la maire sortante pour prise illégale d'intérêts au moyen de divers instruments de diffusion reprenant, en le tronquant et en le truquant, une partie d'un article de presse ; celles-ci ont été portées trop tardivement à la connaissance des électeurs pour permettre à la maire de répliquer utilement et entachent la sincérité du scrutin. Par ailleurs, on ne saurait soutenir que cette irrégularité aurait été «compensée» par les publications appelant sur les réseaux sociaux à voter pour la maire sortante notamment de la part d'un célèbre joueur de football évoluant au PSG (avant, peut-être, de devenir madrilène ?) et d'une bien connue influenceuse.

C'est donc sans erreur que le tribunal administratif a annulé les opérations électorales des 15 mars et 28 juin 2020 dans la commune de Bondy.

(22 novembre 2021, M. A. et autres, Él. mun. et cnautaires de la commune de Bondy, n° 450598)

 

99 - Élections municipales -  Fraude électorale - Personnes sanctionnables - Inéligibilité pour fraude - Dossier communiqué au procureur de la république - Rejet.

Des élections municipales sont arguées de fraude en ce qui concerne les conditions de recueil de 118 procurations ainsi que de constatation de l'identité des mandants.

Le Conseil d’État décide, et c'est là l'intérêt principal de la décision, que la faculté pour le juge de l'élection de déclarer inéligibiles, d'office le cas échéant, les candidats ayant personnellement accompli des manœuvres frauduleuses ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin litigieux, s'applique aux candidats qui,  « informés de l'existence ou de la préparation de telles manœuvres, se sont abstenus de prendre toute mesure utile en vue de les prévenir ou d'y mettre fin ». La solution pourrait sembler donner une extension très large à la notion d'auteur d'une fraude, elle est pourtant très logique et particulièrement bienvenue dans une matière où la moralité des comportements est une composante de la légalité s'agissant d'une opération consubstantielle à l'idée de démocratie.

(10 novembre 2021, M. K., Élections municipales d'Arue, n° 450401)

 

100 - Élection des adjoints - Communes de plus de mille habitants - Obligation d'une liste alternée par sexe - Caractère unisexué des deux dernières candidatures - Irrégularité - Rejet.

Dans les communes de plus de mille habitants les adjoints sont élus au scrutin de liste à partir d'une liste composée alternativement d'un homme et d'une femme. En l'espèce, où neuf adjoints devaient être élus, la liste comportait, pour les deux derniers postes d'adjoints à pourvoir, deux candidats de même sexe. C'est donc à bon droit que les premiers juges ont annulé l'élection de l'ensemble de la liste.

(19 novembre 2021, Élection des adjoints de la commune de Chennevières-sur-Marne, n° 451305)

 

101 - Élections municipales et communautaires – Crise sanitaire - Faible taux de participation - Autres griefs - Rejet.

Rappel, une énième fois, que ne sauraient être annulées des opérations électorales motif pris de ce qu'en raison de leur déroulement pendant la crise sanitaire de Covid-19, le taux d'abstention y aurait été très élevé : d'une part la loi n'impose pas un taux minimum de participation, d'autre part, il n'est pas établi que ce taux aurait porté atteinte à la sincérité du scrutin. Au reste, un recours contentieux est possible, le cas échéant, contre les résultats obtenus. Les autres griefs (attribution de salles pour des réunions électorales, affiches électorales dégradées, nombre d'assesseurs pouvant être désignés, absence irrégulière de bulletins ou mauvaise disposition de ceux-ci) sont rejetés comme non établis ou impuissants à affecter la sincérité du scrutin.

(18 novembre 2021, M. B., Él. mun. et cnautaires de la commune de Mireval, n° 445197)

(102) V., semblable sur ce point : 19 novembre 2021, Mme F.,  Él. mun. et cnautaires de la commune d'Aimargues, n° 445632.

 

103 - Élection du maire et de ses adjoints - Caractère définitif de l'élection, contestée,  d'un adjoint - Rejet.

L'appel dirigé contre le jugement rejetant la protestation d'un conseiller municipal contre l'élection du troisième adjoint au maire est irrecevable dès lors que cette élection a acquis un caractère définitif.

(19 novembre 2021, M. H., Élection d'un adjoint au maire de la commune de Verchin, n° 446482)

 

104 - Élection des adjoints - Ordre de leur présentation sur la liste - Obligation de les proclamer élus dans cet ordre - Notion de contentieux électoral - Compétence du Conseil d’État par connexité - Déféré préfectoral - Délai de saisine du juge par ce déféré - Versions successives du tableau du conseil municipal - Inexistence des actes administratifs - Annulation très partielle, rejet pour l'essentiel.

La décision ici rapportée est très riche par le nombre et la diversité des questions soulevées.

Le préfet de la Loire-Atlantique avait demandé au tribunal administratif de Nantes de rectifier les résultats des opérations électorales qui se sont déroulées le 28 mai 2020 en vue de l'élection des adjoints au maire de la commune de La Haye-Fouassière, de proclamer élus les adjoints au maire dans l'ordre de leur présentation sur la liste «Ensemble, vivons La Haye-Fouassière» ou d'enjoindre au conseil municipal de procéder à une nouvelle élection, de déclarer inexistante la seconde version de la proclamation des résultats des opérations électorales du 28 mai 2020, transmise le 11 juin, d'annuler pour excès de pouvoir les trois versions du tableau du conseil municipal, transmises respectivement les 29 mai, 5 juin et 11 juin 2020 ou, à titre subsidiaire, de déclarer inexistante la version transmise le 11 juin et d'enjoindre au maire d'établir un nouveau tableau du conseil municipal tenant compte de la rectification de l'ordre des adjoints et classant les autres conseillers municipaux selon l'ordre prescrit par l'article L. 2121-1 du code général des collectivités territoriales. Toutes ces demandes ont été rejetées en première instance ; le préfet déférant interjette appel, ce dernier est, pour l'essentiel, rejeté.

À l'issue des opérations électorales qui se sont déroulées le 15 mars 2020 dans la commune, les vingt-sept sièges de conseillers municipaux ont été pourvus. Le 28 mai 2020, les conseillers municipaux se sont réunis afin de procéder à l'installation du conseil municipal. Après l'élection du maire, la séance s'est poursuivie par la fixation du nombre d'adjoints au maire suivie de leur élection. Puis, par courriel du 29 mai, le maire a transmis à la préfecture de la Loire-Atlantique le procès-verbal de l'élection du maire et des adjoints, auquel était annexée la feuille de proclamation des résultats ainsi que le tableau du conseil municipal, il est alors apparu, d'une part, que les adjoints au maire ne figuraient pas selon leur ordre de présentation sur la liste soumise au vote des conseillers municipaux ni sur la feuille de proclamation annexée au procès-verbal ni sur le tableau du conseil municipal, d'autre part que les conseillers municipaux autres que les adjoints au maire n'étaient pas classés sur le tableau du conseil municipal par priorité d'âge, à nombre de voix égal. Par courriel du 5 juin 2020, le maire a adressé à la préfecture une deuxième version du tableau du conseil municipal, datée du 28 mai, dans laquelle les conseillers municipaux autres que les adjoints au maire étaient classés, à nombre de voix égal, par priorité d'âge. Enfin par courriel du 11 juin 2020, le maire a transmis à la préfecture, d'une part, le procès-verbal de l'élection, auquel était annexée une seconde version de la feuille de proclamation des résultats, datée du 28 mai, faisant figurer les adjoints au maire dans le même ordre que celui de la liste soumise au vote des conseillers municipaux, d'autre part, une troisième version du tableau du conseil municipal, également datée du 28 mai, faisant figurer les adjoints au maire dans cet ordre et les autres conseillers municipaux par priorité d'âge, à nombre de voix égal.

Une première question se posait dans la mesure où, manifestement, le préfet avait suivi dans cette affaire la procédure ordinaire du contentieux électoral alors que l'établissement du tableau du conseil municipal est distinct des opérations électorales et de la proclamation des résultats de ces opérations, d'où il résulte que le litige relatif à ce tableau n'a pas le caractère d'un litige en matière électorale et ne relève donc pas de la compétence d'appel du Conseil d'État. Toutefois, en raison de la connexité existant entre le déféré préfectoral et l'appel dirigé contre le jugement du tribunal administratif concernant l'élection du maire et des adjoints, le Conseil d’État accepte de statuer sur le litige portant sur les trois versions successives du tableau.

En deuxième lieu, le préfet disposait de quinze jours à compter de la réception du procès-verbal des opérations électorales pour saisir le juge, y compris en cas de transmission, comme ici, par voie électronique (solution nouvelle et qui n'allait pas de soi). Or, alors que ce délai expirait le 15 juin 2020 à vingt-quatre heures, le déféré contre les deux premières versions du tableau n'a été enregistré au greffe du tribunal administratif que le 17 juillet 2020. Le déféré était tardif mais, comme on va le voir, seulement en tant qu'il tendait à l'annulation de la proclamation des résultats de l'élection des adjoints au maire. 

En troisième lieu, dès lors que le code électoral interdit à toute autre personne que la juridiction administrative saisie de rectifier les résultats de l'élection du maire et des adjoints tels qu'ils ont été transcrits au procès-verbal signé des membres du bureau de vote, le maire ne pouvait pas, comme il l'a fait en l'espèce, « apporter la moindre rectification à l'annexe au procès-verbal des opérations électorales ». C'est pourquoi le préfet requérant estimait cet acte inexistant mais le Conseil d’État refuse cette qualification d'acte nul et de nul effet car, relève-t-il, « la modification à laquelle il a pourtant été procédé en l'espèce n'a pas altéré le résultat des opérations électorales mais a uniquement visé à faire apparaître les adjoints dans l'ordre prescrit par l'article L. 2121-1 du CGCT ». C'est donc sans erreur que le tribunal administratif a rejeté sur ce point le déféré préfectoral.

En quatrième lieu, puisque la critique du contenu du tableau du conseil municipal ne relève pas du contentieux électoral c'est le délai de recours de droit commun qui doit être appliqué, soit deux mois. Ce délai a été respecté par le déféré préfectoral et c'est à tort que le tribunal l'a rejeté sur ce point en se fondant sur sa tardiveté. Passant à l'examen des première et deuxièm versions dudit tableau, le juge constate le non-respect des prescriptions législatives (cf. le II de l'art. L. 2121-1 CGCT) et déclare le préfet fondé à en demander l'annulation pour excès de pouvoir. Puis, s'agissant de la troisième version du tableau, du 11 juin 2020, même à la supposer antidatée comme le soutient le préfet, cette circonstance ne saurait la faire regarder comme inexistante en raison de son objet qui était de respecter les prescriptions légales. Le préfet est seulement fondé à en demander l'annulation que dans la mesure où ce tableau a entendu produire effet entre le 28 mai et le 11 juin 2020.

Maigre consolation du représentant de l'État dans le département...

(22 novembre 2021, Préfet de la Loire-Atlantique, Élection des adjoints au maire de la commune de La Haye-Fouassière, n° 445758)

 

105 - Élection présidentielle de 2022 - Demande d'injonction envers le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) - Réglementation des sondages - Temps de parole des candidats déclarés - Incompétence du juge du référé de l'art. L. 521-3 CJA - Rejet.

Une personne ayant fait connaître sa décision de se porter candidate à l'élection présidentielle du printemps 2022 saisit le juge du référé de l'art. L. 521-3 du refus que lui a opposé le CSA de modifier sa délibération du 22 novembre 2017 relative au principe de pluralisme politique dans les services de radio et de télévision, afin d'y préciser les règles d'élaboration des sondages d'opinion susceptibles d'être pris en compte pour apprécier le caractère équitable des temps d'intervention des candidats au regard de leur représentativité. Dans l'attente du jugement au fond du rejet implicite de cette demande, il saisit le juge des référés du Conseil d’État afin qu'il enjoigne au CSA de prendre une délibération fixant provisoirement de telles règles et d'assurer provisoirement un temps minimal de quinze minutes par semaine d'expression de tous les candidats publiquement déclarés à la prochaine élection présidentielle dans les médias se trouvant sous son contrôle à des heures de grande audience.

Le recours est rejeté pour irrecevabilité, le référé de l'art. L. 521-3 ne pouvant produire d'effets qui ne seraient pas produits par les référés des art. L. 521-1 et L. 521-2 CJA.

(25 novembre 2021, M. A., n ° 458424)

 

Environnement

 

106 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

V. n° 135

 

107 - Création d'une centrale à cycle combiné gaz dans le cadre du « pacte électrique breton » conclu entre plusieurs organismes publics – Autorisation préfectorale en vue de cette création – Demande d’annulation – Rejet.

Les requérantes contestaient la décision d’un préfet autorisant, au terme d’un appel d’offres, une société à construire une centrale à cycle combiné gaz. Deux des moyens soulevés ont donné lieu à d’importantes réponses du Conseil d’État.

En premier lieu, était reproché le non-respect, par l’étude d’impact réalisée en vue de cette opération, du 5° de l’art. R. 122-5 du code de l’environnement, selon lequel l’étude d’impact présente « Une esquisse des principales solutions de substitution examinées par le pétitionnaire ou le maître d'ouvrage et les raisons pour lesquelles, eu égard aux effets sur l'environnement ou la santé humaine, le projet présenté a été retenu ». Le moyen est rejeté car une telle étude « peut légalement s'abstenir de présenter des solutions qui ont été écartées en amont et qui n'ont, par conséquent, pas été envisagées par le maître d'ouvrage ».

En second lieu, le juge de cassation  réserve au pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond la question de savoir si, conformément aux dispositions de l’art. L. 181-27 du code de l’environnement, la société pétitionnaire dispose des capacités techniques et financières lui permettant « de conduire son projet dans le respect des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 (c. env.) et d'être en mesure de satisfaire aux obligations de l'article L. 512-6-1 (c. env.) lors de la cessation d'activité ». 

(15 novembre 2021, Association Force 5 et autres, n° 432819)

(108) V. aussi, assez comparable et avec rejet de la requête : 15 novembre 2021, Association Force 5, n° 434742.

 

109 - Directive européenne instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable – Transposition dans le code rural et de la pêche maritime – Absence alléguée de prise des mesures d’application – Aires de captage d’eau potable – Utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000 visés à l'article L. 414-1 du code de l'environnement – Rejet et annulation partiels avec injonction d’édicter des mesures d’application sous six mois.

L’association demandait l’annulation pour excès de pouvoir du rejet implicite de sa demande de prendre les mesures d'application des 2° et 3° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime intervenus en transposition des articles 11 et 12 de la directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable.

S’agissant de l'interdiction ou de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les zones de captage de l'eau potable destinée à la consommation humaine mentionnées au 1° de l'article R. 212-4 du code de l'environnement, la requête est rejetée car soit au titre de la règlementation applicable aux aires d'alimentation des captages d'eau potable prévue par le code de l'environnement et le code rural et de la pêche maritime, soit au titre de la réglementation applicable aux prélèvements d'eau destinée à la consommation humaine prévue par le code de l'environnement et le code de la santé publique, l'autorité administrative, en fonction des caractéristiques de la zone de captage et des activités humaines susceptibles de s'y exercer, peut interdire ou encadrer, dans les conditions fixés par ces réglementations spéciales, l'usage de toute substance, y compris de produits phytopharmaceutiques afin de garantir la qualité des eaux prélevées destinées à la consommation humaine. Ces réglementations mettent donc bien en œuvre les dispositions du 2° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, conformément aux exigences posées par la directive du 21 octobre 2009 précitée.

S’agissant, en revanche, de l'interdiction ou de l'encadrement de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques dans les sites Natura 2000 visés à l'article L. 414-1 du code de l'environnement, le Conseil d’État juge que le pouvoir réglementaire n’a pas adopté les mesures qu'il était tenu de prendre pour l'application des dispositions du 3° du I de l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime pour ce qui concerne ces sites. Le recours est accueilli sur ce point et injonction est faite d’édicter sous six mois les mesures d’application de ce dernier texte.

(15 novembre 2021, Association France Nature Environnement, n° 437613)

 

110 - Référé suspension - Contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et des quadricycles - Directive européenne fixant au 1er janvier 2022 l'instauration d'un contrôle technique de certains véhicules - Non-respect par un décret - Existence prévue d'alternative - Absence d'urgence - Rejet.

Il était demandé la suspension d'exécution du décret du 9 août 2021 relatif à la mise en place du contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur en tant qu'il fixe au 1er janvier 2023 l'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules de catégorie L et qu'il prévoit des dispositions transitoires alors qu'une directive fixe au 1er janvier 2022 la date d'entrée en vigueur de l'obligation de contrôle technique des véhicules motorisés à deux ou trois roues et quadricycles à moteur.

La requête est rejetée au prix d'une motivation embarrassée et peu convaincante. Il n'y aurait pas urgence à statuer, d'une part, car la directive invoquée n'instaurerait pas une obligation univoque mais ouvrirait la faculté aux États membres de ne pas imposer d'obligation de contrôle technique aux véhicules de catégorie L3e, L4e, L5e et L7e de cylindrée supérieure à 125 cm3 lorsqu'ils ont mis en place et notifié à la Commission européenne des mesures alternatives de sécurité routière en tenant compte des statistiques pertinentes de sécurité routière et, d'autre part, compte tenu de ce que le recours en annulation de ce même décret pour ce même motif viendra à l'audience dans le courant du premier semestre 2022.

(ord. réf. 16 novembre 2021, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris Sans Voiture, n° 457399)

 

111 - Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) - Classement des terrains - Objet - Régime et conditions du classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Suite à d'importantes inondations, un préfet abroge le PPRI existant et prescrit l'élaboration d'un nouveau plan. Celui-ci classant des parcelles appartenant à la requérante en zone rouge R1, cette dernière saisit la justice administrative et in fine se pourvoit en cassation contre l'arrêt d'appel confirmatif du rejet de son recours en première instance.

Le Conseil d’État, conformément à sa jurisprudence antérieure (cf. 6 avril 2016, Commune d'Alès et autres, n° 386000), déduit de dispositions du code de l'environnement (art. L. 562-1 et R. 562-3) « que le classement de terrains par un plan de prévention des risques d'inondation a pour objet de déterminer, en fonction de la nature et de l'intensité du risque auquel ces terrains sont exposés, les interdictions et prescriptions nécessaires, à titre préventif, notamment pour ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ».

Il suit de là, selon lui, que le plan doit être arrêté après un examen in concreto et non théorique des éléments de fait (existence et état des ouvrages de protection, altimétrie des terrains inclus dans ou exclus du PPRI, classement en fonction du degré de risque...).

En l'espèce, la société requérante faisait valoir l'exhaussement, par remblaiement, des terrains classés en zone rouge R1 et donc la modification subséquente de leur altimétrie, pour prétendre ce classement illégal. La cour a jugé que le préfet pouvait, lors de l'établissement du nouveau PPRI, s'abstenir de tenir compte de la modification de l'altimétrie de terrains résultant d'une opération de remblaiement au motif que celle-ci avait eu lieu dans des conditions estimées irrégulières et présentait, à ce seul titre, un caractère précaire dans l'attente d'une éventuelle régularisation dont la cour n'excluait d'ailleurs pas la possibilité.

Ce jugeant elle a commis une erreur de droit, l'altimétrie des terrains devant être éventuellement classés à risque devant s'apprécier à la date à laquelle le PPRI est établi.

(24 novembre 2021, Société «Les quatre chemins», n° 436071)

 

112 - Notion de « déchets » - Droit de l'Union - Code de l'environnement - Cas du stockage de pneumatiques usagés - Erreur de droit - Annulation sans renvoi (affaire réglée au fond).

Il résulte tant des dispositions de l'article 3 de la directive n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets que de celles de l'art. L. 541-1-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de cette directive, que sont des déchets les biens dont le détenteur se défait ou dont il a l'intention de se défaire.

En jugeant que des pneumatiques ne pouvaient pas être regardés comme des déchets s'ils n'avaient pas été recherchés comme tels dans le processus de production dont ils sont issus, une cour administrative d'appel commet une erreur de droit.

(24 novembre 2021, Ministre de la transition écologique et solidaire, n° 437105)

 

État-civil et nationalité

 

113 - Action en changement de nom – Nom illustre au plan national – Absence – Motif affectif ne caractérisant pas un intérêt légitime – Nom en voie d’extinction en ligne directe comme en ligne collatérale – Absence d’erreur de droit – Rejet.

L’intéressé, qui s’était vu refuser par le garde des sceaux l’autorisation de changer de nom a saisi le juge administratif en annulation dudit refus qui, tant en première instance qu’en appel lui a donné gain de cause. Le garde des sceaux, débouté en son appel, se pourvoit.

La cour administrative d’appel avait admis les trois motifs invoqués par le demandeur au soutien de sa requête en changement de nom : ce nom est porté par sa mère, il a un caractère illustre et enfin cette demande repose sur un motif affectif.

Le Conseil d’État aperçoit dans l’arrêt querellé devant lui deux erreurs dans la qualification des faits.

D’une part, c’est à tort que la cour a retenu le motif tiré du caractère illustre de ce nom au plan national même s’il a été porté sous l'Ancien régime par des descendants de familles royales et des membres de la cour et par Jacques-François de Menou, baron de Bussay, président de l'assemblée constituante en mars 1790, général en chef de l'armée d'Orient en 1800 et dont le nom est gravé sur un pilier de l'Arc de Triomphe et en dépit du caractère éminent des fonctions occupées par certains membres de cette famille.

D’autre part, la cour a fait droit, à tort, au motif affectif invoqué par le requérant en raison de son projet de reprendre la gestion d'un domaine familial dont ses parents sont propriétaires et qui appartenait à son grand-père maternel.

En revanche, faisant application du deuxième alinéa de l’art. 61 du code civil (« La demande de changement de nom peut avoir pour objet d'éviter l'extinction du nom porté par un ascendant ou un collatéral du demandeur jusqu'au quatrième degré »), il approuve la cour d’avoir examiné, à partir de la descendance en ligne directe et en ligne collatérale issue de cet ascendant du demandeur au quatrième degré, si le nom est en voie d'extinction et d’avoir, pour ce motif également, jugé illégal le refus opposé par le garde des sceaux.

La demande d’annulation de l’arrêt par le garde des sceaux est rejetée, ce dernier motif suffisant à en justifier le dispositif.

(9 novembre 2021, M. Q., n° 448719)

(114) V. aussi, rejetant une opposition à autorisation de changement de nom, la décision qui estime, d’une part, qu’est légitime la demande de relèvement d’un nom en voie d’extinction porté par un ascendant ou collatéral du demandeur jusqu’au quatrième degré, et d’autre part, que ce risque d’extinction s’apprécie au sein d’une même famille sans qu’y fasse obstacle la circonstance qu’existent des porteurs du nom revendiqué qui sont susceptibles de le transmettre : 9 novembre 2021, M. de J. et autres, n° 450752.

 

Étrangers

 

115 - Réfugiés – Convention de Genève et art. L. 711-6 CESEDA - Office de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Étendue différente de cet office selon que la CNDA est saisie d’un recours contre une décision mettant fin à ce statut sans remise en cause de cette qualité par l’OFPRA ou qu’elle est saisie d’une demande de l’OFPRA tendant à la remise en cause de cette qualité – Rejet.

Le requérant, de nationalité russe et d'origine tchétchène, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2009. Par suite de sa condamnation, en 2013, pour participation à association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme commis dans le département de la Sarthe, en Turquie et en Russie, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), se fondant sur le 2° de l'article L. 711-6 du CESEDA, a, par une décision du 30 mai 2018, mis fin à son statut de réfugié en raison de ce qu’il avait été condamné en dernier ressort en France pour un délit constituant un acte de terrorisme et que sa présence en France constituait une menace grave pour la société. Saisie par l’intéressé, la Cour nationale du droit d'asile a dénié à l'intéressé la qualité de réfugié en application du c) du F de l'article 1er de la convention de Genève et a annulé, par une décision du 6 février 2020, la décision du 30 mai 2018 de l'OFPRA, d’où le pourvoi.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État apporte une précision d’où il fait découler une distinction qui a des effets importants sur l’office de la CNDA.

Tout d’abord, le juge précise que la possibilité de refuser le statut de réfugié ou d'y mettre fin, en application de l'article L. 711-6 du CESEDA, est sans incidence sur le fait que l'intéressé a ou conserve la qualité de réfugié.

Ensuite se déduisent de là deux situations.

Première situation : la CNDA est saisie d'un recours dirigé contre une décision mettant fin au statut de réfugié prise sur le fondement dudit article L. 711-6 sans que l'OFPRA ne remette en cause devant elle la qualité de réfugié de l'intéressé. En cette hypothèse, la CNDA n’a pas à vérifier d'office que ce dernier remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA.

Seconde hypothèse :  Dans le cadre d'un recours dirigé contre la décision mettant fin au statut de réfugié d'un demandeur d'asile, la cour est saisie par l'OFPRA, en cours d'instance, de conclusions visant à ce que soit remise en cause la qualité de réfugié de l'intéressé. En ce cas s’impose à elle l’obligation de vérifier qu’il remplit les conditions prévues aux articles 1er de la convention de Genève et L. 711-1 du CESEDA.

(9 novembre 2021, M. K., n° 439891)

 

116 - Demandeur d’asile – Procédure devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Annonce du dépôt d’un mémoire complémentaire – Recours insusceptible de remettre en cause la décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Rejet du recours sans attendre la réception des observations complémentaires annoncées – Rejet.

Lorsqu’un demandeur d'asile qui conteste une décision de l'OFPRA devant la Cour nationale du droit d'asile annonce dans son recours son intention de produire des observations complémentaires, la cour, tenue de statuer dans les délais prévus à l'article L. 731-2 du CESEDA sur les recours dont elle est saisie, peut, après avoir mis en mesure le requérant de prendre connaissance des pièces du dossier et après examen de l'affaire par un rapporteur, rejeter le recours par ordonnance sur le fondement du 5° de l'article R. 733-4 du CESEDA s'il ne présente aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision de l'OFPRA, sans attendre la production des observations annoncées ni avoir imparti au requérant de le produire dans un délai déterminé et attendu l'expiration de ce délai.

(10 novembre 2021, Mme G., n° 447265)

(117) Voir, identiques : 10 novembre 2021, M. E., n° 447279 ; 10 novembre 2021, M. M., n° 447293 ; Mme I., n° 447309 ; M. G., n° 447310.

 

118 - Réfugié syrien – Demande d’asile – Refus de l’OFPRA pour agissements contraires aux buts des Nations Unies – Octroi de l’asile par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) non entaché de qualification inexacte des faits – Rejet.

Voilà une affaire délicate malaisée à juger.

L’OFPRA, sur le fondement de l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA), avait refusé à un ressortissant syrien l’asile qu’il sollicitait. La CNDA annule ce refus ; l’OFPRA se pourvoit et son pourvoi est rejeté.

En bref, il était reproché à l’intéressé, qui est médecin, d’avoir perpétré des actes de torture sur des détenus ou sur des personnes hospitalisées.

La Cour a estimé que celui-ci, eu égard aux activités exclusivement médicales auxquelles il s'était livré, à l'absence de participation, même indirecte, aux actes de torture perpétrés par les services du régime syrien dans les établissements où il a été affecté et dont il a pu être témoin, et à l'incapacité dans laquelle il se trouvait de faire obstacle à ces agissements répréhensibles, quand bien même il a gravi les échelons de la police syrienne jusqu'à en être promu colonel en 2012, ne pouvait pas être exclu du bénéfice de l’asile sur le fondement des dispositions du c) de la section F de l'article 1er de la convention de Genève qui excluent l’octroi de l’asile aux individus personnellement impliqués dans des agissements contraires aux buts et principes des Nations Unies.

Le Conseil d’État estime cette décision suffisamment motivée après une analyse serrée des faits quant au comportement de l’intéressé notamment dans l’exercice de ses fonctions dans le cadre d’une prison et d’un hôpital.

Il a, à la suite de la Cour, relevé, d’une part, que le demandeur d’asile « exerçait exclusivement des fonctions administratives et médicales et n'entretenait pas de lien avec les forces de sécurité, que, s'il a été témoin d'agissements répréhensibles de cette nature, il ne résultait pas de l'instruction qu'il aurait pu être en capacité d'y faire obstacle, au-delà de la réprobation qu'il a exprimée et de demandes tendant à ce que ces exactions cessent au sein de l'hôpital, et, enfin, qu'il a demandé que des sanctions disciplinaires soient prises contre des personnels de l'hôpital ayant insulté ou maltraité des patients, lesquels ont finalement été mutés » et, d’autre part, que « sunnite originaire de la ville rebelle de Deraa, M. F. a fait l'objet à plusieurs reprises de soupçons et de mises en garde de la part de responsables de la sécurité et a dû fuir la Syrie dès le mois d'août 2012, alors qu'il venait d'être promu colonel. »

On mesure aisément combien délicats à juger sont ces sortes de dossiers.

(10 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 447059)

(119) V. aussi, très semblable et concernant également un individu de nationalité russe et d’origine tchétchène : 18 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 444991.

 

120 - Réfugié – Décision de l’OFPRA mettant fin à son statut - Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Qualification juridique inexacte des faits – Annulation avec renvoi.

Qualifie inexactement les faits au plan juridique l’arrêt de la CNDA qui, annulant la décision de l’OFPRA mettant fin au statut de réfugié jusque-là reconnu à un individu, estime que la présence en France de ce dernier ne constitue pas, à la date de sa décision, une menace grave pour la société française, au sens du 2° de l'article L. 711-6 du CESEDA alors qu’il a été condamné à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an avec sursis pour des faits de vol avec violences et de violences en réunion à l'encontre de deux personnes qu'il a agressées à leur domicile, délit qui est puni de dix ans de prison, que l’un de ses trois frères a été condamné pour des actes de terrorisme, qu’il s’est lui-même fait remarquer, lors de sa détention, entre juin 2012 et novembre 2015, par une pratique rigoriste de l'islam et par sa proximité avec plusieurs détenus condamnés pour des actes de terrorisme, qu’il a aussi été soupçonné de participer au recrutement de codétenus pour le « djihad » et qu’après sa sortie de prison, il a poursuivi ses relations avec des personnes appartenant à des groupements « djihadistes ». Par ailleurs, il ne saurait se prévaloir de ce qu'il a suivi une formation, consulté un médecin psychiatre et commencé à indemniser ses victimes car ces actions répondaient aux obligations de sa mise à l'épreuve de deux ans décidée par le juge pénal pour lui permettre de bénéficier d'un sursis d'un an sur sa peine de prison. 

(18 novembre 2021, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 441397)

 

Fonction publique et agents publics

 

121 - Ressortissant indien se prévalant d’avoir été recruté par les services français du renseignement – Demande indemnitaire couvrant rémunérations dues et préjudices subis – Inexistence d’un emploi permanent occupé par ce ressortissant – Erreur de droit – Rejet et annulation sans renvoi.

L’affaire était assez mystérieuse, bien dans le style des romans d’espionnage en forme de poker menteur.

Un ressortissant indien, naturalisé français, affirme avoir été employé par les services français du renseignement pendant sept années et réclame de ce chef une indemnité couvrant les rémunérations qu’il estime lui être dues ainsi que la réparation des dommages qu’il a subi du fait de son refus de poursuivre ces missions.

Ayant essuyé une décision de refus de la part du ministre de l’intérieur, il saisit la justice administrative, en vain, d’où son pourvoi. Ce dernier est rejeté.

Tout d’abord, le Conseil d’État prononce l’annulation de l’arrêt d’appel en ce qu’il contient une erreur de droit dans la mesure où, pour rejeter l’appel dont elle était saisie, la cour a estimé que le requérant n’occupait pas du fait de ses fonctions prétendues un emploi budgétairement ouvert dans un service considéré, inséré dans une chaîne hiérarchique déterminée et comportant des attributions stables et déterminées, il ne pouvait donc pas être considéré comme occupant un emploi permanent. L’arrêt est annulé car aucun texte ni aucun principe ne fixe de telles exigences, un emploi permanent de la fonction publique pouvant être pourvu par un agent contractuel soit lorsqu'il implique un service à temps incomplet, soit dans les cas limitativement prévus à l'article 4 de la loi du 11 janvier 1984. Le caractère permanent d'un emploi doit donc s'apprécier – contrairement à ce qu’a jugé la cour - au regard de la nature du besoin auquel répond cet emploi.

Ensuite, le juge de cassation réglant l’affaire au fond, rejette le recours par le double motif, d’une part, que s’il est certain que l’intéressé a perçu des rétributions pour fourniture « de renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits » (cf. loi du 21 janvier 1995), celui-ci se prévaut d’un contrat conclu avec les services du renseignement sans apporter la preuve de son existence et contredisant son affirmation de première instance selon laquelle il n’aurait pas passé de contrat, et d’autre part, qu’il n’établit pas le bien-fondé de ses allégations relatives aux préjudices qu’il aurait subis.

(5 novembre 2021, M. G., n° 443810)

 

122 - Militaire radié des contrôles à l’expiration du contrat d’engagement – Ordre de reversement d’un trop-perçu – Absence de forclusion en raison de l’obligation de mobilité – Annulation sans renvoi.

Radié des contrôles à l’expiration de son contrat d’engagement, un militaire fait l’objet, au titre de la répétition de l’indu, d’un ordre de reversement du trop-perçu de certaines sommes. L’ordre de reversement ayant été envoyé à l’ancienne adresse de ce militaire, ce dernier prétend échapper à son obligation de paiement en invoquant la prescription biennale de la créance de l’État. La cour administrative d’appel, infirmant très partiellement le jugement de première instance, a déchargé entièrement l’intéressé de l’obligation de payer.

La ministre des armées se pourvoit.

Le Conseil d’État rappelle que les anciens militaires de carrière sont soumis, à certaines conditions, à une obligation de disponibilité constituant la « réserve militaire » ; au rang des obligations en découlant figure la nécessité pour l’ancien militaire d'avertir l'autorité militaire de tout changement dans sa situation personnelle susceptible d'affecter l'accomplissement de cette obligation, ainsi en va-t-il d’un changement d’adresse (art. R. 4231-3 code de la défense) et cela alors même qu’il n’aurait pas reçu, en violation des dispositions de l’art. R. 4231-1 du code de la défense, la notification écrite indiquant « la durée de sa disponibilité, les sujétions qui en découlent ainsi que, le cas échéant, son unité et son lieu d'affectation ». Par suite, la créance n’était pas prescrite contrairement à ce qui avait été jugé en appel.

Juridiquement impeccable la solution – le litige portant sur neuf mille euros environ – est un peu sévère au regard du manquement du créancier à une obligation stricte de notification.

(5 novembre 2021, Ministre des armées, n° 448092)

 

123 - Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail – Comité technique – Compétences consultatives respectives – Personnel de l’administration centrale et des trois services à compétence nationale de la direction de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – Rejet.

Rappel de ce qu’il résulte, d’une part, des art. 34, 35 et 36 du décret du 15 février 2011 relatif aux comités techniques dans les administrations et les établissements publics de l'État et, d’autre part, de l’art. 47 du décret du 28 mai 1982 pris pour l'application de l'article 16 de la loi du 11 janvier 1984, qu'une question ou un projet de disposition ne doit être soumis à la consultation du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail que si le comité technique ne doit pas lui-même être consulté sur la question ou le projet de disposition en cause. Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ne doit ainsi être saisi que d'une question ou projet de disposition concernant exclusivement la santé, la sécurité ou les conditions de travail. En revanche, lorsqu'une question ou un projet de disposition concerne ces matières et l'une des matières énumérées à l'article 34 du décret du 15 février 2011, seul le comité technique doit être obligatoirement consulté.

En l’espèce, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail n’avait pas à être consulté sur une note de service relative au temps de travail question qui relève de la compétence du comité technique. De ce chef le recours est rejeté.

(10 novembre 2021, Syndicat Solidaires CCRF et SCL, n° 445353)

 

124 - Poste vacant dans une administration – Administration décidant de pourvoir un poste vacant par affectation après réintégration – Existence de prérequis mentionnés dans l’avis de vacance - Obligations s’imposant à l’administration dans l’examen des candidatures – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui juge que les prérequis définis dans l'avis de vacance d’un poste conditionnent l'admissibilité des candidatures individuelles en vue de leur classement selon les seuls critères prévus par le quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, sans pouvoir, eux-mêmes, donner lieu à aucun classement des candidatures par l'administration.

En effet, lorsque, comme en l’espèce, l’administration a fait le choix de pourvoir un poste vacant par la voie de l’affectation après réintégration, elle a l’obligation de comparer l'ensemble des candidatures dont elle est saisie, au titre des mutations comme des affectations après réintégration, en fonction, d'une part, de l'intérêt du service, d'autre part, si celle-ci est invoquée, de la situation de famille des intéressés appréciée, pour ce qui concerne les agents qui demandent leur mutation, compte tenu des priorités fixées par les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984. 

(10 novembre 2021, Mme E., n° 447693 ; ministre de l’éducation nationale, n° 447897, jonction)

 

125 - Militaire – Bonification du cinquième du temps de service – Conditions – Conditions non réunies – Rejet et annulation.

Les art. L. 12 et R. 25-1 du code des pensions civiles militaires de retraite prévoient, au profit des militaires, la bonification du cinquième du temps des services militaires effectivement accomplis, dans la limite d’un plafond de vingt trimestres.

Le Conseil d’État rappelle que ces dispositions, en prenant pour base de calcul de la bonification une durée de « services militaires effectifs », entendent en exclure, d’une part, les services accomplis à titre civil et d’autre part, tous les congés ne figurant pas parmi ceux limitativement énumérés à l’art. 12 précité.

(10 novembre 2021, Mme A., n° 449124)

(126) V. aussi, même solution mutatis mutandis s’agissant d’appliquer le coefficient de minoration en cas d’insuffisance de la durée totale de cotisation pour la retraite (art. L. 14, code des pensions civiles et militaires) calculée sur la durée des seuls « services militaires effectifs » y compris les congés limitativement énumérés à l’art. 12 dudit code : 10 novembre 2021, Mme B., n° 449574.

 

127 - Concours interne d’accès à l’ÉNA – Allégation de diverses irrégularités dans le déroulement des épreuves comme dans la notation – Rejet.

La requérante, qui a obtenu la note de cinq sur vingt à l’épreuve de grand oral, demande l’annulation de cette note, de la délibération du jury sur laquelle son nom ne figure pas au titre des admis, du rejet de son recours gracieux et l’octroi d’indemnités au titre de divers préjudices. Sans surprise aucune, le recours est rejeté.

Le recours contre la note n’était pas recevable car celle-ci n’est pas détachable de la décision finale du jury dressant la liste de ceux des candidats admis.

Les vices de forme qui auraient entaché la délibération litigieuse manquent en fait.

Concernant l’obligation du port du masque, d’une part, celle-ci s’imposait aux candidats au concours d’entrée à l’ÉNA en vertu de l’art. 35 du décret du 16 octobre 2020 prescrivant les mesures générales pour faire face à l'épidémie de Covid, d’autre part, la circonstance que cette obligation n’ait été effective qu’à partir du 27 octobre, pour regrettable qu’elle soit, n’a pas entraîné une rupture de l’égalité entre les candidats.

Enfin, la requérante n’établit pas son allégation selon laquelle la note obtenue au grand oral serait le résultat d’une discrimination à raison de son origine et de sa double nationalité.

(15 novembre 2021, Mme I., n° 453244)

 

128 - Fonctionnaire placé en congé spécial - Retrait de cette autorisation - Absence d'atteinte grave et immédiate aux intérêts de la requérante - Annulation de la suspension ordonnée en première instance.

La directrice générale des services d'une commune avait été admise, sur sa demande, au bénéfice d'un congé spécial par arrêté du 15 avril 2020 ; lors du changement de municipalité consécutif aux élections de 2020, le nouveau maire, par arrêté du 28 juillet 2020, a retiré le précédent arrêté et réintégré l'intéressée dans ses fonctions antérieures.

Sur saisine de cette dernière, le juge des référés a suspendu ce dernier arrêté et enjoint à la commune de Vals-près-le-Puy d'exécuter dans toutes ses conséquences l'arrêté du 15 avril 2020, remis en vigueur par cette ordonnance.

La commune se pourvoit contre cette ordonnance de référé suspension.

Le Conseil d’État considère que le retrait du bénéfice du congé spécial, qui entraînait ipso facto la réintégration de l'intéressée dans ses fonctions, ne portait pas atteinte à sa situation financière ni non plus à ses conditions d'existence dont, d'ailleurs, il n'était nullement soutenu qu'elles auraient été bouleversées par ce retrait. Par suite, c'est au prix d'une dénaturation des faits que l'ordonnance attaquée a suspendu l'arrêté municipal portant retrait du bénéfice du congé spécial ; le recours de la commune est donc accueilli.

(22 novembre 2021, Commune de Vals-près-le-Puy, n° 444484)

 

129 - Fonction publique territoriale - Principe de parité avec la fonction publique d'État - Maintien intégral de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux fonctionnaires placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie - Situation jugée n'être pas plus favorable que celle faite aux fonctionnaires d'État - Erreur de droit - Annulation sans renvoi.

La communauté d'agglomération Ardenne Métropole ayant décidé le maintien du versement intégral de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise (IFSE) aux fonctionnaires placés en congé de longue durée ou en congé de longue maladie, le préfet des Ardennes a déféré cette délibération à la censure du juge au motif qu'elle ne respecte pas le principe de parité institué par la loi entre les agents des deux fonctions publiques, territoriale et d'État (cf. art. 88 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale). Selon ce principe, « Le régime indemnitaire fixé par les assemblées délibérantes des collectivités territoriales et les conseils d'administration des établissements publics locaux pour les différentes catégories de fonctionnaires territoriaux ne doit pas être plus favorable que celui dont bénéficient les fonctionnaires de l'État exerçant des fonctions équivalentes ».

Si le tribunal administratif a annulé la délibération attaquée, la cour administrative d'appel, après annulation du jugement, a rejeté le recours du préfet, jugeant que les dispositions litigieuses n'étaient pas plus favorables que celles applicables en cette matière à la fonction publique d'État.

L'arrêt est cassé sans renvoi - le Conseil d’État jugeant l'affaire au fond - en raison de l'erreur de droit sur laquelle il repose du fait des dispositions directement contraires à cette solution figurant à l'art. 20 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.

(22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448769)

(130) V., mêmes solutions s'agissant de délibérations identiques du conseil municipal de la commune de Charleville-Mézières (22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448779)  et du centre communal d'action sociale de cette commune (22 novembre 2021, Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, n° 448807).

 

131 - Professeurs des universités - Régime des mutations - Profils des postes à pourvoir - Demande de mutation au titre du rapprochement des conjoints - Délibération irrégulière du conseil académique car non suivie de celle du comité de sélection - Décision insuffisamment motivée - Annulation de cette délibération, de celle du comité de sélection, et du décret portant nominations de professeurs sur les postes litigieux - Injonction.

Le requérant, candidat au titre de la mutation pour rapprochement de conjoints, sur des postes vacants d'une université demandait l'annulation de plusieurs décisions liées les unes aux autres. S'agissant de fonctionnaires nommés par décret du président de la république, le litige relevait de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

Celui-ci donne raison, pour l'essentiel, au requérant.

S'agissant de la délibération du conseil académique du 24 avril 2019, celle-ci est entachée d'irrégularité substantielle puisque ce n'est qu'après rejet de la demande de mutation par ce conseil que le comité de sélection peut examiner cette candidature avec les autres candidatures aux mêmes postes. En l'espèce, c'est l'inverse qui s'est produit : le comité de sélection a retenu le 9 avril la candidature de l'intéressé alors que le refus de mutation qui lui a été opposé par le conseil académique résulte d'une délibération qui ne s'est tenue que le 29 avril 2019. De plus, la motivation par ce conseil de son rejet de la mutation sur les trois postes à pourvoir est manifestement insuffisante.

S'agissant des délibérations subséquentes du comité de sélection dont le requérant n'a eu connaissance que le 4 juillet 2019, elles sont illégales par voie de conséquence ; ceci entraîne également l'annulation du décret du 15 janvier 2020 procédant aux nominations de professeurs sur les trois postes à pourvoir.

Enfin, injonction est adressée au conseil académique de se prononcer à nouveau, sous trois mois, sur les candidatures présentées sur chacun des trois postes litigieux.

(23 novembre 2021, M. D., n° 432576)

 

132 - Enseignants vacataires des universités - Contrats à durée déterminée - Absence de licenciement en cas de non-renouvellement d'un contrat arrivé à terme - Rejet.

Rappel de ce que les relations de travail entre les agents chargés d'enseignement et les universités ne peuvent être regardés que comme des contrats à durée déterminée. Par suite, c'est sans dénaturation des pièces du dossier et sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a analysé la décision par laquelle le président de l'université a mis fin aux fonctions d'enseignement de la requérante comme une décision de non-renouvellement de son dernier contrat de travail à durée déterminée en qualité de chargée d'enseignement et non comme une mesure de licenciement d'un agent bénéficiant d'un contrat à durée indéterminée. 

(23 novembre 2021, Mme B., n° 438880)

 

133 - Fonctionnaires de l'Union européenne - Notion "d'entrée au service" au sens du statut des fonctionnaires de l'Union - Affectation initiale ou retour dans cette fonction après une interruption - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

Le Conseil d’État, saisi d'un pourvoi contre un jugement du tribunal administratif de Strasbourg, a posé à la CJUE, afin de statuer sur ce pourvoi, la question préjudicielle de savoir si le bénéfice des dispositions du 1. de l'article 11 de l'annexe VIII du règlement fixant le statut des fonctionnaires des Communautés européennes ainsi que le statut applicable aux autres agents, est réservé aux seuls fonctionnaires et agents contractuels affectés pour la première fois au sein d'une administration nationale après avoir été employés en qualité de fonctionnaire, agent contractuel ou agent temporaire dans une institution de l'Union européenne, ou s'il est ouvert également aux fonctionnaires et agents contractuels retournant au service d'une administration nationale après avoir exercé des fonctions dans une institution de l'Union européenne et avoir été, pendant cette période, placés en disponibilité ou congé pour convenances personnelles ?

Le tribunal administratif avait estimé ces dispositions applicables seulement dans le cas de l'affectation initiale de l'agent au sein d'une administration.

Suite à la réponse de la Cour (CJUE 4 février 2021, X. c/ contre Ministre de la Transition écologique et solidaire et Ministre de l'Action et des Comptes publics, aff. C-903/19) selon laquelle cette notion d'« entrée au service » a été jugée comme s'appliquant aussi bien en cas d'affectation initiale qu'en cas de retour de l'agent ayant exercé des fonctions dans le cadre d'une mise en disponibilité ou d'un congé pour convenances personnelles, le Conseil d’État annule le jugement pour erreur de droit et lui renvoie l'affaire.

(24 novembre 2021, M. D., n° 405548)

 

134 - Fonctionnaires du ministère du travail - Notes de service du ministre du travail instaurant une priorité d'accès ou une réservation d'accès à certains postes - Non-respect du principe d'égal accès aux emplois publics - Dispositions indivisibles - Annulation intégrale.

Des notes de service de la ministre du travail du 20 juillet et du 3 août 2017 relatives aux mutations prévoient que certains postes vacants sont ouverts en priorité aux candidatures infrarégionales et réservent l'accès à certains postes d'agents de contrôle de la législation du travail aux membres du corps de l'inspection du travail. 

Celles-ci instaurent pour certains postes une « priorité » de mutation, dite « infrarégionale », à caractère subsidiaire, en faveur des agents qui sont affectés sur un poste situé dans les départements relevant de la même région par rapport aux agents affectés dans des postes situés à l'extérieur à la région qui ne peuvent se prévaloir d'aucune des priorités prévues par le quatrième alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984. Cette « priorité » ainsi instituée a pour effet que les candidatures des agents affectés dans des postes situés à l'extérieur de la région en cause ne seront examinées en commission administrative paritaire que pour la prise en compte éventuelle de motifs prioritaires. 

Les syndicats requérants sont ainsi fondés à soutenir que ces notes de service, faisant obstacle à ce que des agents affectés dans des postes situés à l'extérieur des régions en cause et ne pouvant se prévaloir d'aucune des priorités prévus par ce quatrième  alinéa de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1964 puissent utilement présenter leurs candidatures en vue d'une mutation sur ceux des postes de ces régions faisant l'objet d'une «priorité» infrarégionale, ont été édictées en méconnaissance du principe d'égal accès aux emplois publics.

Ces dispositions n'étant pas divisibles des autres dispositions de ces notes de service, est prononcée l'annulation intégrale desdites notes.

(24 novembre 2021, Syndicat national solidaire, unitaire et démocratique (Sud-travail affaires sociales) et autres, n° 437958)

 

Hiérarchie des normes

 

135 - Annulation du refus implicite d’abroger le a) du 2° de l’art. D. 531-2 du code de l’environnement et de prononcer un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides – Injonctions diverses adressées au premier ministre en cette matière – Élaboration d’un projet de décret pour l’exécution des injonctions – Absence d’exécution à ce jour de ces injonctions – Projet de décret jugé contraire à la réglementation européenne par la Commission européenne – Contradictions entre les avis scientifiques du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) – Solution du litige en exécution d’injonctions dépendant de la résolution de difficultés sérieuses – Renvoi à la CJUE de questions préjudicielles – Prononcé d’injonctions contre l’État – Demande à la CJUE de statuer en urgence ou par classement prioritaire de cette affaire.

Voilà encore une décision-fleuve (près de 40 000 caractères !). Mais où est donc passée la légendaire imperatoria brevitas du Conseil d’État ?

L’affaire n’était pas banale et le demeure tournant à l’imbroglio. Elle concerne tout autant le droit de l’environnement, la hiérarchie des normes et le dialogue des juges.

A l’origine se trouve une décision du Conseil d’État du 7 février 2020 (Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 388649) qui a :

- en premier lieu, annulé la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté la demande tendant, d'une part, à l'abrogation du a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement et, d'autre part, à ce qu'il prononce un moratoire sur les variétés rendues tolérantes aux herbicides,

- en deuxième lieu, enjoint au premier ministre, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision, de modifier le a) du 2° de l'article D. 531-2 du code de l'environnement, en fixant par décret pris après avis du Haut Conseil des biotechnologies, la liste limitative des techniques ou méthodes de mutagenèse traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps,

- en troisième lieu, enjoint aux autorités compétentes d'identifier, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la cette décision, au sein du catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles, celles des variétés, en particulier parmi les variétés rendues tolérantes aux herbicides (VRTH), qui y auraient été inscrites sans que soit conduite l'évaluation à laquelle elles auraient dû être soumises compte tenu de la technique ayant permis de les obtenir et d'apprécier, s'agissant des variétés ainsi identifiées, s'il y a lieu de faire application des dispositions du 2 de l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 et des articles L. 535-6 et L. 535-7 du code de l'environnement,

- en quatrième lieu, enjoint, dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre des recommandations formulées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) dans son avis du 26 novembre 2019, en matière d'évaluation des risques liés aux VRTH, ou de prendre toute autre mesure équivalente de nature à répondre aux observations de l'agence sur les lacunes des données actuellement disponibles,

- en cinquième lieu, enjoint au Premier ministre de mettre en œuvre la procédure prévue par le 2 de l'article 16 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002, pour être autorisé à prescrire des conditions de culture appropriées pour les VRTH issues de la mutagénèse utilisées en France.

Les organisations demanderesses ont saisi le Conseil d’État d’une requête en mesures d’exécution et d’astreinte car celui-ci avait donné un délai de six mois pour que soit assurée l’exécution des diverses injonctions prononcées le 7 février 2020 et ce délai est expiré depuis plus d’un an sans que les exécutions ordonnées aient eu lieu. Certes le gouvernement a produit devant le Conseil d’État un projet de décret censé avoir cet effet mais il est patent que faute que ce décret ait été pris, les injonctions sont restées lettre morte. Celui-ci note : « Il y aurait donc lieu, pour le Conseil d’État, dans son rôle de juge de l'exécution, de constater l'absence d'exécution de son injonction et de prononcer, le cas échéant, contre l'État une astreinte jusqu'à ce que ladite injonction ait reçu exécution. ».

On aura remarqué l’emploi du conditionnel qui peut sembler étrange dans ce contexte. S’il en est ainsi c’est qu’un grain de sable a grippé la machine. Le projet de décret dont il a été jugé qu’il ne satisfaisait pas à l’obligation d’exécution en raison de sa nature de simple « projet » a été notifié à la Commission européenne, notification obligatoire pour une réglementation technique. Celle-ci, au vu notamment d’un rapport préliminaire du 19 mai 2020 de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA), dans lequel celle-ci conclut que les processus et les mécanismes de réparation qui sont déclenchés par l'agent mutagène se produisent au niveau cellulaire et que, dès lors, il n'y a pas de différence dans la manière dont cet agent affecte l'ADN, qu'il soit appliqué in vivo ou in vitro, et qu'il est attendu que le type de mutations induites par un agent mutagène donné soit identique, qu'il soit appliqué in vivo ou in vitro, a rendu un avis circonstancié indiquant notamment que la distinction opérée par le Conseil d’État entre la mutagénèse in vivo et la mutagénèse in vitro n'est étayée ni par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 25 juillet 2018 (Confédération paysanne et alii, aff. C-528/16), ni par la législation de l'Union européenne, ni par les avancées scientifiques de ces techniques. Selon cet avis circonstancié, en effet, il n'y aurait pas de distinction entre les deux techniques, mais un continuum dans les modifications génomiques causées par la mutagénèse aléatoire in vivo et in vitro, ainsi que dans la régénération des plantes qui en résulte.

En conséquence, la Commission, estimant que l'ensemble de la mutagénèse aléatoire devrait être regardée comme une même technique de modification génétique au sens de l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/18/CE du 12 mars 2001, en déduit que le projet de décret mentionné susmentionné méconnaîtrait, d'une part, cette directive en ce qu'il inclut la mutagénèse aléatoire in vitro dans le champ de la réglementation des organismes génétiquement modifiés, d'autre part, l'article 14 de la directive 2002/53/CE du 13 juin 2002 en ce qu'il aboutirait au retrait du catalogue commun de variétés remplissant pourtant les conditions pour y figurer et, enfin, la libre circulation des marchandises en ce qu'il conduirait à interdire la commercialisation, en France, de variétés autorisées dans d'autres États membres. Si le Gouvernement français devait adopter, en l'état, ce projet de décret, la Commission indique qu’elle pourrait engager une procédure en constatation de manquement conformément à l'article 258 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

S’ensuit donc une contradiction assez frontale, d’une part, entre les données scientifiques sur lesquelles se sont fondés, respectivement, le gouvernement français pour élaborer le projet de décret précité et la Commission européenne pour rendre l’avis circonstancié susévoqué et d’autre part, entre le projet français de décret et l’avis européen. Ce que résume très bien le Conseil d’État lorsqu’il écrit : « Il se déduit de ce qui précède que, pour déterminer les techniques de mutagénèse qui ont été traditionnellement utilisées pour diverses applications et dont la sécurité est avérée depuis longtemps, au sens de l'arrêt de la Cour de justice du 25 juillet 2018, deux approches s'opposent. Selon une première approche, qui est celle de la Commission européenne et de l'EFSA, il convient, à cette fin, de ne prendre en compte que le processus par lequel le matériel génétique est modifié tandis que, selon une seconde approche, qui a été celle retenue par le Conseil d’État dans sa décision du 7 février 2020, il convient de prendre en compte l'ensemble des incidences sur l'organisme du procédé utilisé dès lors qu'elles sont susceptibles d'affecter la santé humaine ou l'environnement, que ces incidences proviennent de l'agent mutagène ou de la méthode de reconstitution de la plante, le cas échéant, employée. »

Parvenu à ce stade, le lecteur doit se souvenir que tout ce qui précède n’est pas en réalité l’objet du litige mais conditionne absolument la solution à donner au litige, à savoir la sanction du non-respect par le gouvernement français d’injonctions à lui adressées par le Conseil d’État.

On comprend aisément que cela passe par un renvoi à la CJUE de deux questions préjudicielles.

Si le Conseil formule et adresse ces questions et demande à la Cour de justice de statuer selon la procédure d’urgence ou, à défaut, en classant prioritairement ce litige par rapport aux autres litiges actuellement soumis à la Cour, il n’en décide pas moins, en l’état du dossier, de condamner l’État, d’une part, à une astreinte de 100 000 euros par semestre de retard s'il ne justifie pas avoir, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, adopté un plan d'action définissant les mesures retenues en vue d'évaluer les risques liés aux variétés de plantes rendues tolérantes aux herbicides pour la santé humaine et le milieu aquatique, en exécution de l'injonction mentionnée à l'article 4 de la décision du 7 février 2020, et d’autre part à une astreinte de 500 euros par jour de retard (ce qui fait 91 000 euros par semestre) s'il ne justifie pas avoir, dans les trois mois suivant la notification de la présente décision, exécuté l'injonction mentionnée à l'article 5 de la décision du 7 février 2020.

Par un enchaînement diabolique, digne du Woody Allen de « Match Point », ou, plutôt, par une inattendue mutagénèse, un simple litige d’inexécution d’injonction prend des proportions considérables du fait de l’imbrication normative entre droit interne et droit de l’Union

(8 novembre 2021, Confédération Paysanne, Réseau Semences Paysannes, Les Amis de la Terre France, Collectif Vigilance OGM et Pesticides 16, Vigilance OG2M, CSFV 49, OGM Dangers, Vigilance OGM 33 et Fédération Nature et Progrès, n° 451264)

 

Libertés fondamentales

 

136 - Ressortissant palestinien – Assignation à résidence – Obligation de présentation quadri-journalière à la gendarmerie – Atteinte excessive à la liberté d’aller et venir – Annulation.

En l’absence de tout élément particulier avancé à l’appui de cette mesure, la cour administrative d’appel ne pouvait pas considérer comme régulier l’arrêté préfectoral imposant au requérant, assigné à résidence, de se présenter quatre fois par jour, à 9 heures 15, 11 heures 45, 15 heures 15 et 17 heures 45, à la brigade de gendarmerie, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, alors qu’il porte une atteinte excessive à la liberté d’aller et venir.

(4 novembre 2021, M. C., n° 439405)

 

137 - Ressortissant camerounais - Père d'un enfant de mère française - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Naissance postérieure de l'enfant - Obligation de réexamen de la situation de l'intéressé - Absence - Annulation.

Un ressortissant camerounais faisant l'objet d'une OQTF tente de s'y opposer en invoquant sa qualité de père d'un enfant de mère française. Le recours est rejeté car l'enfant n'est pas encore né.

Après la naissance de ce dernier, le 24 juillet 2021, il incombait au préfet de procéder à un réexamen de la situation du père au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant du requérant et au droit de celui-ci à une vie familiale normale sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l'intéressé soit connu sous différentes identités, ait été interpellé pour des faits de détention, acquisition et transport non autorisé de stupéfiants ou soit connu au fichier automatisé des empreintes digitales, dès lors qu'aucune poursuite pénale n'a été engagée à son encontre à la suite des diverses interpellations dont il a fait l'objet. Faute de ce réexamen  existe une atteinte aux libertés susénoncées et celles-ci sont constitutives de l'urgence, ce qui justifie que soit suspendu l'arrêté préfectoral emportant OQTF adressé au requérant.

L'ordonnance de rejet du 15 octobre 2021 est annulée.

(ord. réf. 19 novembre 2021, M. C., n° 458056)

 

138 - Référé liberté - Personnes gardées à vue - Protection de leur vie et de leur santé - Propreté des locaux de garde à vue - «Kits d'hygiène» - Protection contre l'épidémie de Covid-19 - Injonction au ministre de l'intérieur de prendre d'urgence des mesures d'information des intéressés.

La requérante demandait au juge du référé liberté, suite aux recommandations de la  contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dans un rapport publié au Journal officiel, d'ordonner au ministre de l'intérieur la prise d'un certain  nombre de mesures de nature à protéger la dignité des personnes en garde à vue ainsi que leur santé et leur hygiène.

Deux des trois séries de mesures sollicitées sont accordées en raison de l'urgence découlant de l'atteinte à la dignité des personnes gardées à vue. Il est enjoint à ce ministre : d'une part, de prendre les dispositions utiles pour que les «kits d'hygiène» soient disponibles et systématiquement proposés aux personnes gardées à vue, d'autre part, de prendre les mesures permettant d'informer les personnes gardées à vue des possibilités qui leur sont offertes en matière de protection contre les risques découlant de l'épidémie de Covid-19.

En revanche, il n'est pas possible au juge du référé liberté d'ordonner qu'à très bref délai il soit mis fin à des dysfonctionnements structurels affectant la propreté des locaux de garde à vue.

C'est le rappel, à nouveau, que l'urgence de l'art. L. 521-2 CJA (référé liberté) n'est pas celle de l'art. L. 521-1 (référé suspension), elle suppose et une urgence à statuer et une possibilité d'exécution urgente, quasi-immédiate, de ce qui est ordonné.

(ord. réf. 22 novembre 2021, Association des avocats pénalistes, n° 456924)

 

139 - Référé suspension - Défaut d'urgence, le juge étant saisi plus de deux mois après la mise en oeuvre de la décision contestée -  Rejet.

Alors que les décisions du jury de passage de l'Ecole polytechnique fixant le classement final des élèves de la promotion 2018 et les admissions dans les services publics et, notamment, les admissions dans le corps des mines et son admission dans le corps des ingénieurs de l'armement, ont été prises le 20 mai 2021, la requérante saisit le juge du référé de diverses demandes de suspension le 9 novembre 2021. La scolarité à l'École ayant débuté depuis plus de deux mois, elle ne saurait invoquer l'urgence à suspendre ces décisions ; son recours est rejeté sans qu'il y ait lieu pour le juge de se prononcer sur l'existence de moyens propres à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions contestées.

(22 novembre 2021, Mme A., n° 458302)

 

140 - Liberté de culte - Fermeture d'un lieu de culte - Conditions et régime juridique - Prévention d'actes de terrorisme - Éléments de fait de nature à justifier une telle fermeture - Rejet.

L'association requérante demandait au juge du référé liberté l'annulation de l'ordonnance refusant de suspendre l'exécution de l'arrêté par lequel le préfet de la Sarthe a prononcé, sur le fondement de l'art. L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, la fermeture pour une durée de six mois du lieu de culte Mosquée d'Allonnes, situé à Allonnes.

Réuni en formation collégiale de référé, le Conseil, statuant par voie d'appel, donne une extension importante au champ d'application des dispositions de cet article qui pourrait prêter à critique si elle n'était pas justifiée par un souci de réalisme et d'efficacité dans la lutte pour la protection des personnes contre une menace terroriste multiforme et omniprésente.

Selon ce texte tel que l'a interprété le Conseil constitutionnel lors de son examen, la mesure de fermeture d'un lieu de culte ne peut être prononcée qu'aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme et à condition que les propos tenus en ce lieu, les idées ou théories qui y sont diffusées ou les activités qui s'y déroulent soit constituent une provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, soit provoquent à la commission d'actes de terrorisme ou en font l'apologie. 

Toute la difficulté de cette affaire consistait à relever les éléments de fait établissant, le cas échéant, l'existence de tels actes. C'est la raison principale de la réunion, ici, en formation collégiale pour statuer en état de référé.

Posant le cadre juridique de la détermination des éléments pouvant être retenus comme manifestant des signes de menace, les juges écrivent :

« 4. La provocation à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme, à la commission d'actes de terrorisme ou à l'apologie de tels actes peut, outre des propos tenus au sein du lieu de culte, résulter des propos exprimés, dans les médias ou sur les réseaux sociaux, par les responsables de l'association chargée de la gestion de ce lieu ou par les personnes en charge du culte qui y officient ainsi que des propos émanant de tiers et diffusés dans les médias ou sur les réseaux sociaux relevant de la responsabilité de cette association ou de ces personnes en charge du culte.
5. Peut également révéler la diffusion, au sein du lieu de culte, (l'existence de tels comportements) (...), notamment, la fréquentation du lieu de culte par des tiers prônant ces idées ou théories, l'engagement en faveur de telles idées ou théories des responsables de l'association chargée de la gestion de ce lieu et des personnes en charge du culte qui y officient ou la présence, sur le lieu de culte ou dans des lieux contrôlés par l'association gestionnaire ou les officiants du culte, d'ouvrages ou de supports en faveur de ces idées ou théories. »

Appliquant ces principes au cas de l'espèce, la juridiction des référés estime justifiée la mesure de fermeture provisoire de ce lieu de culte du fait d'éléments figurant dans les notes blanches précises et circonstanciées des services de renseignements, soumises au débat contradictoire d'où il résulte, d'une part, que (X et Y) ont lors de prêches, fait l'apologie du «djihad» par les armes et tenu des propos haineux à l'encontre des «mécréants», d'autre part, que certains des dirigeants des associations gestionnaires du lieu de culte, de leurs membres actifs et des personnes nommément désignées, ont légitimé les attentats terroristes commis en France, notamment celui du 16 octobre 2020 ayant causé la mort de M. B. et celui du 23 avril 2021 contre le commissariat de Rambouillet, enfin, que certaines de ces personnes ont mis en œuvre un prosélytisme radical envers des jeunes fréquentant le lieu de culte. Si l'association requérante produit notamment de nombreuses attestations de personnes se présentant comme des fidèles de ce lieu de culte, qui certifient ne jamais avoir entendu de tels propos, et de collègues et connaissances de M. A. témoignant de ses qualités professionnelles et humaines, ces attestations, rédigées pour la plupart en termes généraux, ne sont pas de nature à remettre en cause les éléments précis et concordants relevés par le préfet, qui établissent la diffusion, au sein de la mosquée d'Allonnes, d'idées et de théories provoquant à la violence, à la haine ou à la discrimination en lien avec le risque de commission d'actes de terrorisme au sens de l'article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure.

(ord. réf., form. coll., 29 novembre 2021, Association Al Qalam, n° 458385)

 

Police

 

141 - Police sanitaire – Certificat de vaccination ou de non-contamination par la Covid-19 (passe sanitaire) – Agents publics territoriaux - Note de service le rendant obligatoire – Champ d’application excessif – Atteinte aux libertés fondamentales – Rejet.

Le syndicat requérant, par voie de référé liberté, demandait l’annulation d’une note de service du directeur général des services de la région Occitanie imposant à certaines catégories de personnes dans certaines circonstances la présentation d'un certificat de non contamination par la Covid-19 (passe sanitaire) dans les services généraux de la collectivité. Le requérant faisait valoir qu’en imposant cette exigence à des agents qui n'interviennent pas nécessairement et à tout moment dans des espaces et aux heures accessibles à un public soumis à la présentation d'un passe sanitaire, la note de service étend cette mesure qui porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux des agents au-delà de son champ d'application légal et réglementaire, sans que cela soit au demeurant nécessaire ni proportionné. 

Pour rejeter la requête, le juge des référés retient, d’une part, que cette note ne s’applique, s’agissant des agents de musées, qu’à ceux dont les « missions les amènent à être en contact régulier avec le public » et, s’agissant des agents des services protocole et accueil de la DRPP, qu’à ceux qui interviennent sur les lieux de manifestation et, d’autre part, que cette obligation ne s’applique pas à ceux des agents qui, exerçant des fonctions purement administratives, ne sont pas en contact avec le public. Enfin, l’absence d’un planning général recensant pour chaque agent les moments et activités de la journée où, en contact avec du public, il est soumis à l’obligation du passe et ceux, autres, où il en est dispensé, à supposer la chose réalisable, ne révèle pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, étant observé, au surplus, que les agents concernés ne disposant pas d'un passe sanitaire peuvent voir leurs conditions de travail aménagées.

(ord. réf. 2 novembre 2021, Syndicat SUD collectivité territoriale région Occitanie, n° 457346)

 

142 - Stationnement payant – Forfait de post-stationnement – Absence de recours administratif préalable obligatoire – Moyen n’étant pas d’ordre public – Rejet.

En matière de litige relatif au forfait post-stationnement, le moyen tiré de ce que l’automobiliste requérant n’a pas formé de recours administratif préalable obligatoire avant de saisir la commission n’est pas d’ordre public. Le juge saisi n’avait donc pas l’obligation de le soulever d’office et, présenté pour la première fois par la commune devant le juge de cassation, ce moyen y est irrecevable.

(10 novembre 2021, Commune de Strasbourg, n° 435646)

 

143 - Parc national de la Guadeloupe – Pouvoir de police spéciale du directeur du parc – Mesures de protection de la faune et de la flore – Interdiction ou réduction de certaines pratiques sportives – Absence de caractère de sanction – Annulation et rejet.

La société requérante poursuivait l’annulation de la décision du directeur du parc national de la Guadeloupe par laquelle il a abrogé un précédent arrêté qui l’avait autorisée à pratiquer des activités commerciales de kayak et de randonnée palmée ainsi qu'une activité de découverte par bouée tractée sur le site des îlets Pigeon à Bouillante, classé en cœur du parc national et l’a remplacé par un arrêté n'autorisant la location de kayaks et la pratique de randonnée palmée qu'à une fréquence plus restreinte que celle précédemment autorisée et en supprimant l'autorisation de pratiquer l'activité de bouée tractée en raison de  plusieurs infractions commises par la société Caraïbes Pirates relevées au cours de l'année 2016 par les agents du Parc. En réalité la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce en voyant dans cette décision une sanction car dans le cœur du parc national de la Guadeloupe, le directeur du parc dispose d'un pouvoir de police spéciale pour autoriser et réglementer les activités commerciales nouvelles ou les changements de localisation ou d'exercice d'activités existantes, dans le but d'assurer le développement de la faune et de la flore et de préserver le caractère du parc national.  Or une mesure de police ne constitue pas par elle-même une sanction.

(15 novembre 2021, Société Caraïbes Pirates, n° 435662)

 

144 - Police sanitaire - Covid-19 - Restrictions à la circulation des personnes entre La Réunion et le reste du territoire national - Absence de doute sérieux sur la légalité du décret attaqué - Rejet.

Était contesté par voie de référé suspension, le I de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 29 septembre 2021 en tant qu'il fixe les conditions de voyage des personnes non-vaccinées entre la France et la Réunion. 

La demande de suspension est rejetée sans que soit recherchée l'existence d'une urgence dès lors qu'il n'y a pas de doute sérieux quant à la juridicité de la disposition contestée. En effet, les dispositions de l'art. L. 3131-12 du code de la santé publique ne sont pas imprécises contrairement à ce qui est soutenu, l'état sanitaire dans l'île de La Réunion de mi-juillet à mi-octobre 2021 puis à nouveau à compter de novembre 2021 justifiait des mesures restrictives. Celles-ci, nécessaires, adaptées et proportionnées, ne portent pas d'atteinte excessive à la liberté d'aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté individuelle et, même, au «principe de fraternité». Au reste, ces dispositions ne concernent que les personnes ne justifiant pas d'une complète vaccination qui sont donc, au regard du risque de contamination, dans une situation identique à celle des personnes complètement vaccinées.

(ord. réf. 16 novembre 2021, M. D. et autres, n° 457686)

(145) V. aussi la solution identique mutatis mutandis concernant la requête de parents d'élèves contestant la même disposition assortie de l'inconstitutionnalité alléguée de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 en tant qu'il prévoit la possibilité de vacciner un mineur avec l'accord d'un seul des parents ainsi que l'éviction des seuls élèves non vaccinés : ord. réf. 16 novembre 2021, Mme V. épouse E. et autres, n° 457687.

(146) V. également, jugeant que n'est pas illégal le refus du premier ministre de suspendre  l'obligation vaccinale pesant sur les professionnels de santé compte tenu de ce que cette obligation vise à éviter la propagation du virus, qu'elle ne porte pas d'atteintes excessives aux droits et aux libertés et de l'accélération de la circulation du virus dans toute la France à partir du début du mois de novembre 2021, d'où le rejet du référé suspension et du référé liberté introduits : ord. réf. 16 novembre 2021, M. J. et autres, n° 458085 et n°458087.

(147) V. encore, estimant que des tests sérologiques établissant un niveau d'immunité suffisant, en particulier en cas de rétablissement depuis plus de six mois, n'établissent pas que l'assurance apportée sur l'immunité contre la Covid-19 par les résultats de test sérologique qu'elle invoque seraient équivalents à ceux d'un test RT-PCR ou d'un test antigénique négatif de moins de six mois : 17 novembre 2021, Mme A., n° 458216.

(148) V. enfin, le rejet du recours fondé sur ce que le maintien par le décret du 10 novembre 2021 du champ d'application géographique et matériel de l'usage du passe sanitaire ne serait plus justifié en raison de l'amélioration de la situation sanitaire et de la bonne couverture vaccinale, le juge retenant la nécessité de maintenir la vigilance sanitaire : ord. réf. 18 novembre 2021, M. B. et Association française des espaces de loisirs indoor, n° 458393.

 

149 - Covid-19 - Motif impérieux d'entrée sur le territoire national - Mariage - Inexécution d'une précédente ordonnance du juge des référés du Conseil d’État - Engagement pris à l'audience - Non lieu à statuer à fin d'astreinte.

Par plusieurs ordonnances,  du 9 avril 2021 (V. cette Chronique, avril 2021, n°  47 et n° 145) et du 17 juin 2021  (V. cette Chronique, juin 2021, n° 48), le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l'exécution d'une circulaire du premier ministre en tant qu'elle interdisait l'enregistrement et l'instruction de demandes de visa en vue de se marier en France avec un Français, et d'autre part en tant qu'elle n'autorisait pas l'entrée sur le territoire du titulaire d'un tel visa lorsqu'était invoqué le mariage comme motif (ordonnance du 9 avril), puis ce même juge  a enjoint au premier ministre de modifier la circulaire du 19 mai 2021 pour y indiquer que le mariage en France constitue un motif impérieux permettant le franchissement des frontières, et pour indiquer que le visa délivré dans ce cas peut, si les circonstances et conditions de délivrance sont remplies, être de court ou de long séjour (ordonnance du 17 juin).

Constatant l'ineffectivité de ces injonctions, la requérante dans ces diverses affaires a demandé le prononcé d'une astreinte.

Le juge relève qu'il résulte des échanges entre les parties au cours de l'audience de référé l'engagement pris par le ministre de l'intérieur de donner instruction aux postes consulaires, lorsque le motif impérieux d'entrée sur le territoire national invoqué est le mariage, de procéder à l'instruction de la demande de visa correspondante en vue de la délivrance d'un visa de court ou de long séjour selon que les circonstances et conditions en sont réunies, et de publier sans délai sur le site internet du ministère de l'intérieur cette nouvelle information. Par suite, il décide qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'astreinte.

L'inertie du ministre de l'intérieur n'a pas coûté cher à l'État.

(ord. réf. 19 novembre 2021, Association de soutien aux amoureux au ban public, n° 457726)

 

150 - Plan de prévention des risques d'inondation (PPRI) - Classement des terrains - Objet - Régime et conditions du classement - Erreur de droit - Annulation avec renvoi.

(24 novembre 2021, Société "Les quatre chemins", n° 436071)

V. n° 111

 

151 - Police des bâtiments en péril - Edifice menaçant ruine - Ordonnance désignant un expert et fixant sa mission - Régime de la communication de cette ordonnance - Tierce opposition - Absence d'appel en cause d'un syndicat de copropriétaires - Pourvoi en cassation requalifié en tierce opposition - Renvoi à la cour administrative d'appel.

La commune d'Aubervilliers a obtenu du juge administratif des référés la désignation d'un expert aux fins d'examiner l'état d'un immeuble et de déterminer, le cas échéant, les mesures à mettre en œuvre.

Le syndicat des copropriétaires de cet immeuble a formé tierce opposition à cette ordonnance dont il a demandé l'annulation à son auteur ; celui-ci l'a annulée en la déclarant nulle et non avenue et a rejeté la demande de la commune.

Cette seconde ordonnance a été annulée par une ordonnance du juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles.

Le syndicat des copropriétaires requérant demande au Conseil d’État d'annuler cette dernière ordonnance et de rejeter l'appel de la commune.

Pour répondre à ces demandes, le Conseil d’État est conduit à une longue et complexe analyse de la combinaison du régime de la tierce opposition, d'une part  avec celui issu des dispositions de l'art. L. 511-3 du code de la construction et de l'habitation sur lesquelles la commune se fonde pour solliciter la mesure d'expertise et d'autre part, avec le principe du caractère contradictoire de l'expertise.

En premier lieu, le Conseil d’État indique que s'il peut mettre en cause le propriétaire du bâtiment et les autres défendeurs éventuels avant de rendre son ordonnance, le juge des référés n'en a toutefois pas l'obligation.

En deuxième lieu, il résulte de ces dispositions, au contraire, d'une part, que le juge des référés a l'obligation de notifier immédiatement à ces personnes l'ordonnance par laquelle il nomme un expert et fixe sa mission puisque l'expertise doit avoir lieu en présence de ces défendeurs et, d'autre part,  s'il rejette la demande du maire et que la commune fait appel de son ordonnance devant le juge des référés de la cour administrative d'appel, que ce dernier n'est pas non plus tenu de mettre en cause le propriétaire du bâtiment et les autres défendeurs éventuels avant de rendre son ordonnance, y compris dans le cas où ceux-ci auraient été mis en cause en première instance. Toutefois, comme au cas précédent, s'il désigne un expert, il a l'obligation de leur notifier l'ordonnance de désignation. 

En troisième lieu, dans le cas où le juge des référés du tribunal administratif fait droit à la demande d'expertise présentée par le maire, le principe du caractère contradictoire de la procédure lui impose, saisi, soit par la voie de l'appel, soit par celle de la tierce opposition, d'une contestation de l'ordonnance ayant ordonné l'expertise, de mettre en cause la commune avant de statuer. Il n'est en revanche pas tenu de mettre en cause les autres personnes auxquelles avait, le cas échéant, été notifiée l'ordonnance ayant nommé l'expert.

Cependant, il a l'obligation de leur notifier son ordonnance lorsque, ressaisi de la demande de la commune, il rejette cette demande ou modifie la mission de l'expert.
Enfin, en quatrième lieu, dans le cas où la commune fait appel d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif ayant, à la demande d'un tiers-opposant, déclaré nulle et non avenue une précédente ordonnance de nomination d'un expert à la demande du maire, le principe du caractère contradictoire de la procédure impose au juge des référés statuant en appel d'appeler à l'instance ce tiers-opposant. Naturellement, comme aux cas précédents, dans cette hypothèse, il n'est pas tenu de mettre en cause les autres personnes auxquelles avait, le cas échéant, été notifiée l'ordonnance ayant nommé l'expert, mais il lui appartient là encore, s'il désigne un expert, de leur notifier son ordonnance. 

Voilà une architecture procédurale bien complexe...

(30 novembre 2021, Syndicat des copropriétaires du 65 avenue de La République à Aubervilliers, n° 439491

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

152 - Covid-19 –Loi du 31 mai 2021 - Pouvoir réglementaire autorisé à porter atteinte au droit absolu d'entrée et de séjour des Français sur le territoire national – Atteintes à divers autres droits et libertés constitutionnels – Atteintes disproportionnées – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant soulevait une QPC à propos des dispositions du 1° du A du II de l'article 1er  de la loi du 31 mai 2021, en tant qu'elles permettent au pouvoir réglementaire de prendre, sur leur fondement, des mesures applicables aux ressortissants français, portent atteinte à leur droit général et absolu d'entrée et de séjour sur le territoire national, rattachable à la liberté d'aller et venir garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, ainsi qu'à leur droit de mener une vie familiale normale consacré par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qu'elles sont entachées d'incompétence négative et méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi. Ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales en ne prévoyant pas de limites temporelles aux mesures qu'elles instituent ainsi qu’une atteinte au principe d'égalité entre les citoyens français selon le pays dans lequel ils se trouvent.

La demande de transmission est rejetée.

Le motif principal de ce refus repose sur une erreur d’interprétation du requérant : le premier ministre n’est pas autorisé par ce texte à faire durablement obstacle au droit fondamental de tout  Français de rejoindre le territoire national, mais se voit seulement attribuer la faculté d'imposer, pour une période limitée, les restrictions d'accès qui se révéleraient indispensables pour préserver la situation sanitaire, et à la condition que le bénéfice de telles mesures pour la protection de la santé publique excède manifestement l'atteinte ainsi portée à ce droit. Il s’ensuit que contrairement à l’argumentation du requérant qui fonde sur ce moyen l’essentiel de son recours,  que ces dispositions ne peuvent donc pas être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à exiger des ressortissants français la présentation d'un résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la Covid-19, d'un justificatif de statut vaccinal concernant la Covid-19 ou d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19 que s'il prévoit, pour ce qui les concerne, des dérogations à ces obligations, notamment dans l'hypothèse où, au vu des conditions dans le pays de résidence ou de la situation des personnes en cause, celles-ci ne seraient pas à même de les respecter et se trouveraient ainsi privées durablement de leur droit de rejoindre le territoire national. 

(8 novembre 2021, M. N., n° 454927)

 

153 - Droit à la communication des documents administratifs – Limitation tenant à la vie privée et à la protection des personnes – Restrictions imposées par la loi en cas de signalement d’un enfant au service d’accueil téléphonique pour l’enfance en danger et aux services d’aide sociale à l’enfance – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant contestait la constitutionnalité des dispositions de l’art. L. 226-9 du code de l’action sociale et des familles et de celles des 1° et 3° de l’art. L. 311-6 du code des relations du public avec l’administration en ce qu’elles font obstacle à la communication, aux parents d'un enfant dont la situation a été signalée au service national d'accueil téléphonique pour l'enfance en danger et aux services de l'aide sociale à l'enfance, des informations leur permettant de se défendre et, en particulier, de l'identité de l'auteur du signalement.

Pour refuser la transmission sollicitée, le Conseil d’État relève tout d’abord la légitimité du but poursuivi par ces dispositions restrictives qui est de permettre une dénonciation sans crainte de représailles et, ensuite, la possibilité pour les parents s’estimant victimes de mauvaise foi ou de dénonciation calomnieuse d’en poursuivre leur auteur devant les juridictions répressives ou civiles et d’obtenir de ces juridictions, le cas échéant, réparation de ces agissements fautifs.

Il n’y a pas, dans ce mécanisme, d’atteinte disproportionnée à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit justifiant la transmission de la QPC. On peut ne pas trouver cette réponse très convaincante.

(8 novembre 2021, M. H., n° 455421)

 

154 - Question prioritaire de constitutionnalité – Attribution de la charge des frais de procédure – Incompétence du juge de la QPC – Compétence du juge saisi du litige ayant donné lieu à QPC – Irrecevabilité.

Rappel de ce que la décision statuant seulement sur le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel ne peut se prononcer sur les conclusions présentées au titre des frais de procédure, lesquelles doivent être portées seulement devant le juge saisi du litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée et sont irrecevables devant le juge de saisi de la seule QPC.

(16 novembre 2021, Société Aéroport de Tahiti, n° 452646)

 

155 - Covid-19 - QPC dirigée contre des dispositions législatives portant atteinte au droit à recours effectif ou au principe Nulla poena... - Absence - Rejet.

(19 novembre 2021, M. A., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, n° 457360)

V. n° 172

 

156 - Installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants - Art. L. 541-30-2 du code de l'environnement - Obligation de réceptionner certains déchets - Régime de facturation du traitement des déchets - Absence d'indemnisation du chef des préjudices résultant sur les contrats conclus de l'obligation de réception desdits déchets - Transmission de la QPC.

Dans le cadre d'un recours en annulation du décret du 29 juin 2021 relatif à la priorité d'accès aux installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants et de l'arrêté du 29 juin 2021 pris pour l'application de l'article L. 541-30-2 du code de l'environnement, la fédération requérante demande au Conseil d’État la transmission d'une QPC fondée sur l'atteinte portée par l'article législatif précité à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre.

Selon ce texte les propriétaires d'installations de stockage de déchets non dangereux pour les déchets et résidus de tri issus d'installations de valorisation de déchets performants ont l'obligation de réceptionner certains déchets avec cette double particularité qu'un régime uniforme de facturation du traitement des déchets est imposé et qu'aucune indemnisation des préjudices résultant sur les contrats conclus de l'obligation de réception desdits déchets n'est possible.

La question lui paraissant revêtir un caractère sérieux, le Conseil d’État la transmet.

(26 janvier 2021, Fédération nationale des activités de dépollution, n° 456187)

 

Responsabilité

 

157 - Assurance dommages-ouvrage – Déclaration de sinistre – Délai de soixante jours imparti à l’assureur pour y répondre – Non-respect de ce délai - Inopposabilité de principe de la prescription biennale – Prescription cependant opposable en cas d’inaction de l’assuré dans les deux années suivant l’expiration du délai de soixante jours – Annulation et renvoi.

Cette décision fournit un bel exemple de dialogue des juges au travers de l’interprétation des dispositions de l’art. L. 242-1 du code des assurances selon lesquelles, saisi d’une déclaration de sinistre par un assuré auprès de son assureur dommages-ouvrage, l’assureur doit prendre position dans les soixante jours sur la mise en jeu de la garantie (Cass. civ., 3ème, 26 novembre 2003, SCI du Golf c/ société Axa assurances venue aux droits de la société UAP, n° 01-12.469), faute de quoi ce dernier est déchu du droit de se prévaloir de la prescription biennale (cf. art. L. 114-1 de ce code et).

En l’espèce, une communauté d’agglomération avait notifié aux sociétés requérantes la mise en jeu de l’obligation résultant pour elles de la réparation des désordres affectant la station d'épuration dont cette communauté avait la charge. Les assureurs n’ayant pas répondu dans le délai de soixante jours, la communauté réclamait, outre la condamnation au principal, l’allocation des intérêts courant pour la période considérée.

Toutefois, si les assureurs étaient légalement déchus du droit d’opposer la prescription biennale, une jurisprudence bien établie de la Cour de cassation (3è chambre, 20 juin 2012, époux X. c/ société Bouygues immobilier, n° 11-14.969) décide que « l'action du maître de l'ouvrage contre l'assureur dommages-ouvrage qui n'a pas répondu à une déclaration de sinistre dans le délai de soixante jours de l'article L. 242-1 du code des assurances (est) soumise à la prescription biennale de l'article L. 114-1 du même code dont le délai commence à courir à l'issue du délai précité (…) ». C’est cette solution qu’adopte à son tour ici le Conseil d’État dans des termes semblables en substance : « (…) la seule circonstance que l'assureur n'ait pas respecté ce délai (de 60 jours) ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse ensuite opposer la prescription biennale dans le cas où l'action du maître de l'ouvrage n'a pas été engagée dans le délai de deux ans à compter de l'expiration du délai de soixante jours suivant la réception de la déclaration de sinistre. »

Semblablement, sur le point de savoir si le délai de 60 jours doit se comprendre comme celui dans lequel l’assureur doit avoir adressé sa réponse à l’assuré ou comme celui dans lequel l’assuré doit avoir reçu la réponse de son assureur, le juge du Palais-Royal rejoint celui du Quai de l’Horloge : comme lui (Cass. 3è civile, 18 février 2004, Commune de Lyon c/ Compagnie AGF, n° 02-17.976), il estime que l’envoi doit avoir été effectué au plus tard le soixantième jour ou le premier jour ouvrable qui suit si ce dernier est un jour férié (ce qui était le cas dans l’espèce jugée par la Cour de cassation).

(5 novembre 2021, Sociétés MMA IARD Assurances mutuelles et MMA IARD, n° 443368)

 

158 - Divagation de bovins sur la voie publique – Dommage causé à un véhicule – Carence dans l’exercice municipal des pouvoirs de police – Responsabilité de la commune – Annulation.

Commet une erreur dans la qualification des faits de l’espèce, le jugement qui, pour rejeter la demande de réparation du dommage causé à un véhicule par un bovin divagant sur la voie publique, se fonde sur ce que le maire de la commune n'avait commis aucune carence dans l'exercice de ses pouvoirs de police, aux seuls motif que la commune ne comporte ni éleveur ni troupeau sur son territoire et qu'elle a aménagé en 2010 un lieu de dépôt pour le bétail divagant, sans s’assurer que ce dépôt avait été effectivement utilisé ou que d'autres mesures avaient été prise pour obvier au danger provoqué par la divagation d'animaux sur les voies de circulation de la commune, et alors qu'à la même époque, trois accidents de la circulation ont été provoqués, en quinze jours, par la divagation d'animaux sur la voie publique.

(10 novembre 2021, M. A., n° 439350)

 

159 - Suicide d’un détenu en prison – État dépressif initial ayant disparu depuis plusieurs années – Défaut de surveillance ou de vigilance carcérale – Absence – Faute de l’hôpital – Absence – Rejet.

Divers membres de la famille d’un détenu réclament à l’État (administration pénitentiaire) et à un centre hospitalier la réparation du préjudice moral qu’ils ont subi du fait de son suicide survenu dans la cellule de la prison où il purgeait une peine de quinze ans de réclusion criminelle pour meurtre

La demande est rejetée par le Conseil d’État qui confirme ainsi l’arrêt d’appel.

S’agissant de la maison d’arrêt, l’action en responsabilité est rejetée car si le détenu a présenté au début de son incarcération un état dépressif et a fait une tentative de suicide par pendaison, en août 2011, il a fait l’objet ensuite d’un traitement et de soins appropriés et, pendant plusieurs années, il n’a plus donné de signes suicidaires ; son suicide revêt donc le caractère d’un événement imprévisible exonérant le service pénitentiaire de sa responsabilité.

S’agissant du centre hospitalier, la prise en charge médicale, psychiatrique et psychologique a été immédiate et n’a pas permis de déceler une tendance suicidaire ; en outre, la circonstance que le centre hospitalier n’ait pas avisé l’administration pénitentiaire de la tentative de suicide survenue en janvier 2011 n’a pas constitué une faute.

Sur le premier point, on comparera mutatis mutandis cette solution relative à la force majeure avec celle retenue dans une décision récente très discutable (Cf. cette Chronique, octobre 2021, n° 156 : 4 octobre 2021, Société sportive professionnelle Olympique de Marseille, n° 440428).

Sur le second point, on peut ne pas partager la conviction du juge.

(10 novembre 2021, Mme I. épouse G. et autres, n° 448105)

 

160 - Marché de travaux publics – Recherche de la responsabilité quasi-délictuelle de participants à l’opération – Condition – Annulation.

(10 novembre 2021, Société Entreprise Jean Spada, n° 448580)

V. n° 16

 

161 - Militaire – Imputabilité au service d’une pathologie – Juridiction se bornant à retenir l’absence de liens entre cette pathologie et l’ambiance du service – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui, pour écarter l’imputabilité au service d’une pathologie dont se plaint une militaire, se fonde sur ce que l'ambiance dégradée au sein de l'unité dans laquelle était affectée la requérante ne visait pas spécifiquement celle-ci, qu'une sanction adoptée à son encontre ne présentait pas de caractère vexatoire et que les justificatifs d'absence qui lui étaient demandés ne caractérisaient aucune volonté de lui nuire personnellement, sans rechercher, ce qui était pourtant l’essentiel, l'existence d'un lien direct entre cette pathologie et l'exercice des fonctions de l'intéressée.

(10 novembre 2021, Mme D., n° 448135)

 

162 - Saisie et mise en fourrière d’un hélicoptère français en Espagne sur commission rogatoire de juges français – Recours en responsabilité pour faute et sans faute dirigé contre l’État – Incompétence des juridictions de l’ordre administratif – Rejet.

Les requérants réclamaient à l’État un peu plus de trois millions d’euros du chef de dommages résultant de l’exercice défectueux, en Espagne, d’une commission rogatoire internationale ordonnée par des juges français dans le cadre d’une affaire de trafic et d’importation de stupéfiants, ayant abouti à la saisie et à la mise en fourrière d’un hélicoptère. Était en particulier reproché le comportement défaillant du magistrat de liaison en fonction à l'ambassade de France en Espagne pour avoir assuré un suivi insuffisant de la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Marseille.

L’action en responsabilité était fondée à la fois sur l’existence d’une faute et sur celle d’un cas de responsabilité non fondée sur la preuve de l’existence d’une faute.

L’une et l’autre sont, comme il était aisément prévisible, rejetées au motif que se rattachant d’évidence à une opération de police judiciaire, elles relevaient de la seule compétence des juridictions de l’ordre judiciaire.

Seule eût pu donner ouverture à la compétence du juge administrative l’invocation comme cause du dommage de l’irrégularité entachant l’incorporation en droit interne français de la convention d'entraide judiciaire en matière pénale, signée à Strasbourg le 20 avril 1959 et entrée en vigueur dans l'ordre interne en vertu d'un décret du 23 juillet 1967 (cf. Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radio-électrique, Rec. Leb. p. 257) : ce n’était pas le cas ici.

(15 novembre 2021, M. D. et société Aéronord, n° 443978) 

 

163 - Illégalité fautive – Refus illégal d’autoriser une opération de lotissement – Appréciation du lien direct entre l’illégalité et le préjudice invoqué – Appréciation du caractère certain du préjudice – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Un maire ayant illégalement refusé d’autoriser une opération de lotissement, la société propriétaire du terrain d’assiette de ce projet, réclame réparation du préjudice causé par ce refus irrégulier.

Son action est rejetée par la cour administrative d’appel pour défaut de caractère direct et certain du préjudice allégué. La société se pourvoit.

Le Conseil d’État juge que si, en  principe, la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison du refus illégal opposé à sa réalisation revêt un caractère éventuel et n’ouvre pas droit à réparation, la circonstance que le requérant justifie de circonstances particulières, peut permettre de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain et d’en demander la réparation à hauteur de la certitude acquise.

En l’espèce, le juge de cassation aperçoit une erreur de droit dans l’arrêt d’appel dans la mesure où la cour, pour juger dépourvu de caractère direct et certain le préjudice né de la perte du prix de cession de son terrain par la requérante, n’a pas recherché, si l’autorisation de lotir avait été délivrée le 15 février 2007, quelle eût été la probabilité, compte tenu des règles d’urbanisme alors applicables, de l'octroi des permis de construire objet de la condition suspensive de la vente du terrain litigieux dans le protocole d'accord du 2 mai 2007. Alors que, au lieu de cela, elle s’est bornée à relever, d'une part, la signature, le 2 mai 2007, entre la société et un promoteur d'un protocole d'accord par lequel ce dernier s'engageait à acquérir le terrain litigieux au prix de 640 000 euros à condition que les neuf parcelles obtiennent un « permis » et que « tous les recours soient épuisés » et, d'autre part, l'absence d'autres démarches entreprises par la société, ce qui ne suffisait pas, selon elle, à caractériser le lien direct et certain entre la faute résultant de l’illégalité et le dommage.

(18 novembre 2021, Société le Trou d’Houillet, n° 437821)

 

164 - Victime d'un dommage corporel - Nécessité de l'assistance d'une tierce personne - Calcul de l'indemnité allouée - Caractère futur de l'assistance à domicile d'une tierce personne - Office du juge - Méconnaissance - Annulation avec renvoi dans la mesure de l'annulation prononcée.

Annulant en partie l'arrêt dont il était saisi, le Conseil d’État décrit très complètement l'office du juge administratif indemnisant la victime d'un dommage corporel du préjudice résultant pour elle de la nécessité de recourir à l'aide d'une tierce personne dans les actes de la vie quotidienne.

Le juge aborde deux séries de questions.

La première concerne la détermination du montant de la réparation à allouer.

A cet égard, l'office du juge doit le conduire à déterminer d'abord l'étendue des besoins d'aide de la victime ainsi que les dépenses nécessaires pour y pourvoir.

Il doit fixer, ensuite, le montant de l'indemnité à allouer par la personne publique responsable du dommage, en tenant compte des prestations dont, le cas échéant, la victime bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. A ce stade, il appartient au juge, lorsqu'il résulte de l'instruction que la victime bénéficie de telles prestations, de les déduire d'office de l'indemnité mise à la charge de la personne publique, en faisant, si nécessaire, usage de ses pouvoirs d'instruction pour en déterminer le montant.

Enfin, lorsque la personne publique n'est tenue de ne réparer qu'une fraction du dommage corporel, la déduction évoquée ci-dessus ne doit toutefois être opérée que dans la mesure requise pour éviter que le cumul des prestations et de l'indemnité versée excède les dépenses nécessaires aux besoins d'aide par tierce personne, évaluées comme indiqué plus haut.

La seconde série de questions concerne l'hypothèse où le juge, saisi de conclusions tendant, pour une période à venir, à l'indemnisation de frais futurs d'assistance à domicile par tierce personne, n'est pas en mesure de déterminer, lorsqu'il se prononce, si la victime sera effectivement logée à domicile, ou hébergée dans une institution spécialisée dans laquelle ces frais ne seront pas exposés. En cette occurrence il appartient au juge d'accorder une rente couvrant les frais d'assistance par tierce personne à domicile, en précisant le mode de calcul de cette rente, dont le montant doit dépendre du temps passé à domicile. 

(30 novembre 2021, Mme C. et Union départementale des associations familiales (UDAF) de l'Essonne, n° 438391)

 

165 - Responsabilité hospitalière - Accident survenu à un enfant jeune – Impossibilité d’être scolarisé – Impossibilité d’exercer une activité professionnelle – Réparation – Détermination du calcul et des modalités de l’indemnisation – Annulation très partielle.

Il résulte des conditions de sa naissance dans un centre hospitalier et des graves séquelles qui en ont résulté qu’un enfant n’a pu, dès son jeune âge, être scolarisé et qu’il ne peut davantage exercer une quelconque activité professionnelle. Se posait en l’espèce d’importantes questions de réparation et de distinction des préjudices subis et à venir. Cette affaire est assez semblable à celle rapportée dans cette chronique (Juillet-août 2019 n° 126 : 24 juillet 2019, Mme Depecker, tutrice légale de son fils majeur, n° 408624) à laquelle on se permet pour le surplus de renvoyer le lecteur. Cette décision constituait un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt du 28 avril 1978, Borras (n° 4225, Rec. T. p. 941-943-945).

Toutefois, la présente affaire permet d'ajouter une précision notable à la solution de 2019.

La fixation d'un montant de la rente égal au salaire médian doit être effectuée déduction faite des revenus perçus par l'intéressé au titre de son activité salariée dans un établissement spécialisé et d'éventuels revenus, prestations ou pensions de retraite ; c'est d'ailleurs là le motif de la cassation très partielle prononcée en l'espèce.

(30 novembre 2021, Centre hospitalier Métropole Savoie, n° 440443)

V. aussi, sur un autre aspect de cette décision, le n°  48

 

166 - Indemnisation d'un préjudice par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale - Refus - Dommage sans probabilité faible de survenue - Seuil de 5% - Absence d'erreur de qualification juridique - Rejet.

Ne commet pas d'erreur de qualification juridique la cour administrative d'appel qui juge que ne relève pas du régime de réparation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale un préjudice, tel celui de l'espèce (accident vasculaire cérébral post-opératoire immédiat chez un patient atteint d'une sténose carotidienne), dont le risque de survenue  est de l'ordre de 5%.

(30 novembre 2021, M. E., n° 443922)

 

Santé publique

 

167 - Covid-19 – Obligation vaccinale imposée aux personnels soignants – Demandes en référé de suspension d’exécution d’un décret et d’une loi, et de prise d’un nouveau décret – Rejet.

La requérante, médecin libéral, demande au juge du référé liberté, notamment, d’ordonner la suspension d’exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021, pris en application des articles 12 et suivants de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021, ainsi que de la loi elle-même.

Elle demande également que soit levée l’obligation vaccinale des soignants eu égard à l’évolution favorable du taux de couverture vaccinale de la population française, que les soignants non vaccinés puissent exercer sous réserve de tests de dépistage, qu’ils soient, d’une part, indemnisés pour perte de travail et rémunérés par Pôle emploi à hauteur de leur revenu initial,  et, d'autre part qu'ils soient indemnisés par les contrats d'assurance et de prévoyance au titre de la perte de leur travail et de leurs revenus, qu’enfin il soit ordonné au gouvernement de garantir une prise en charge financière pour toute formation ou tentative de reconversion professionnelle.

A l’énoncé du contenu d’une telle requête, laquelle nous semble constituer un abus de l’utilisation du droit à recours, il est clair qu’elle ne pouvait qu’être rejetée et qu’il n’y a même pas lieu de dire au lecteur pourquoi.

(ord. réf. 5 novembre 2021, Mme B., n° 457445)

(168) V. aussi, rejetant une demande en référé liberté dirigée contre l'annexe II du décret du 1er juin 2021 dans la version que lui a donné le décret du 7 août 2021 tendant à ce qu'injonction soit adressée au premier ministre d'élargir les cas de contre-indications médicales prévues par ces dispositions : ord. réf. 24 novembre 2021, M. L. et autres, n° 457935.

(169) V. également, réitérant la solution donnée le mois précédent à un recours identique (ord. réf. 27 octobre 2021, Confédération générale du travail (CGT) et autres, n° 457060. V. cette Chronique, octobre 2021 n° 83), le rejet d’un référé tendant à la suspension de l'exécution du décret n° 2021-951 du 16 juillet 2021 fixant le cadre applicable des dispositions du code du travail en matière de prévention des risques biologiques dans le cadre de la pandémie de SARS-CoV-2 : ord. réf. 8 novembre 2021, Syndicat national travail, emploi, formation professionnelle CGT (SNTEFP-CGT), n° 457429.

 

170 - Covid-19 - Suspension totale de la vente en ligne de certaines spécialités pharmaceutiques - Durée - Durée excessive après une certaine date - Annulation partielle.

L'article 6 de l'arrêté du ministre des solidarités et de la santé du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, dans sa rédaction issue de cet arrêté puis des arrêtés des 14 et 23 avril et du 11 mai 2020, a suspendu la vente par internet des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène et d'acide acétylsalicylique (aspirine) et de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique.

Les requérants demandaient l'annulation de cette disposition pour excès de pouvoir.

Tout d'abord, le juge relève que, contrairement à ce qui était soutenu dans la requête, le ministre de la santé était compétent, sur le fondement  de l'art. L. 3131-16 du code de la santé, pour prendre une mesure encadrant les conditions de dispensation d'une spécialité pharmaceutique en officine et par internet, afin d'éviter un risque de mésusage et une tension sur son approvisionnement.

Ensuite, il estime que pour la période courant du 23 mars au 11 mai 2020, la décision de suspension totale de la vente en ligne des spécialités composées exclusivement de paracétamol, d'ibuprofène ou d'aspirine et des spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique satisfaisait à la condition de nécessité comme de caractère proportionné en raison du risque de surconsommation de médicaments, d'aggravation de l'infection et d'automédication.

Enfin, en revanche, pour la période au-delà du 11 mai 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, le ministre défendeur n''apporte aucun élément de nature à justifier de la nécessité de maintenir les mesures prises par l'arrêté du 23 mars 2020 jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire alors, d'une part, que les risques ayant initialement justifié les mesures prises s'étaient atténués et, d'autre part, que la levée progressive des mesures de confinement strict par le décret du 11 mai 2020 rendaient plus aisé l'accès physique aux professionnels de santé.

Par suite, les dispositions contestées n'étaient plus nécessaires ni proportionnées, et étaient par suite illégales, à compter du 12 mai 2020.

(19 novembre 2021, M. L. G. et Association française des pharmacies en ligne (AFPEL), n° 440721)

 

171 - Référé liberté - Institution d'un passe sanitaire dans l'ïle de La Réunion - Atteinte à plusieurs libertés fondamentales - Rejet.

Les requérants demandaient, en premier lieu, à titre principal, la suspension de l'exécution du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en deuxième lieu, à titre subsidiaire, la réalisation de tests pour toutes les personnes détenant un «laissez-passer sanitaire», et la prise en charge de tous les tests par l'assurance maladie, en troisième lieu, de prendre toutes les mesures nécessaires à la lutte contre l'épidémie s'agissant des maladies chroniques, en quatrième lieu, de suspendre l'obligation vaccinale pour toute personne ou, à défaut, pour les sapeurs-pompiers et pour les personnes qui y sont soumises n'étant pas en contact direct avec du public et, en dernier lieu, de prendre toute mesure visant à prévenir les conflits d'intérêt dans les facultés de médecine.

La demande est rejetée car elle se limite à des allégations d'ordre général selon lesquelles, d'une part, le passe sanitaire constitue en réalité une obligation de présenter un «laissez-passer» pour accéder à de nombreux lieux de la vie quotidienne, et ce sur l'ensemble du territoire de La Réunion, et, d'autre part, il serait porté atteinte à de nombreuses libertés fondamentales. De ce fait, n'est pas établie l'existence d'un préjudice suffisamment grave et immédiat pour les requérants et, par suite, une situation d'urgence au sens de l'article L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 17 novembre 2021, M. T. et autres, n° 458259)

 

172 - Covid-19 - QPC dirigée contre des dispositions législatives portant atteinte au droit à recours effectif ou au principe Nulla poena... - Absence - Rejet.

Ne saurait donner lieu à ouverture à QPC l'allégation que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 3136-1 du code de la santé publique et du VIII de l'article 1er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, porteraient atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ou qu'elles méconnaîtraient par elles-mêmes les dispositions de l'article 7 de la même Déclaration, qui garantissent le droit de n'être accusé, arrêté et détenu que dans les cas déterminés par la loi.

En effet, les mesures pouvant être prescrites sur le fondement de ces dispositions, outre qu'elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu, peuvent faire l'objet, sur le fondement du IV de l'article 1er de la loi du 31 mai 2021, outre des recours de droit commun, des recours en urgence prévus par les articles L. 521-1 et L. 521-2 du CJA.

(19 novembre 2021, M. A., agissant en son nom propre et au nom de ses enfants mineurs, n° 457360)

 

173 - Juridiction des référés - Conditions d'accès - Covid-19 - Obligation vaccinale des personnels de santé ne travaillant pas dans des locaux de soins - Rejet.

 (25 novembre 2021, Mme B. et autres, n° 457734)

V. n° 44

 

174 - Classification commune des actes médicaux - Cotations de l'arthroscanner du membre supérieur et de l'arthroscanner du membre inférieur - Rémunération insuffisante de certains actes - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation pour excès de pouvoir des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le ministre de la santé et par l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (UNCAM) sur leurs demandes tendant à l'abrogation des dispositions de la classification commune des actes médicaux fixant la cotation de l'arthroscanner du membre supérieur et de l'arthroscanner du membre inférieur.

Leur requête est rejetée en tous ses chefs.

Le moyen tiré de la contrariété de la classification des actes d'arthroscanner du membre inférieur et du membre supérieur avec les dispositions prévues par les articles L. 182-2-4 et R. 162-52 du code de la sécurité sociale est écarté car cette classification ne résulte pas d'une orientation délibérée par le conseil de l'UNCAM.

Pas davantage les requérants ne sont fondés à soutenir que la rémunération associée à l'arthroscanner du membre supérieur serait inférieure à celle associée à l'arthrographie de l'épaule alors que cette dernière constitue un acte moins complexe que la première et que la classification commune des actes médicaux serait de ce fait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, de la même manière, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la rémunération associée à l'arthroscanner du membre inférieur serait inférieure à celle de l'arthrographie du genou, alors que cette dernière constitue un acte moins complexe que la première, et que la classification commune des actes médicaux serait de ce fait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. 

(30 novembre 2021, M. Pierre C. et autres, n° 448575)

 

Service public

 

175 - Service public de la justice judiciaire - Organisation judiciaire - Regroupement du jugement de certains litiges devant un seul tribunal judiciaire du département - Objectif constitutionnel de bonne administration de la justice - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Rejet.

Les requérants contestaient la légalité du décret du 30 août 2019 modifiant le code de l'organisation judiciaire, pris en application des articles 95 et 103 de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice en tant que son art. 3 permet de spécialiser, au sein d'un département, un seul tribunal judiciaire pour juger certaines affaires civiles et pénales.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève, d'une part, comme l'a jugé le Conseil constitutionnel (déc. décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice), que le législateur a entendu regrouper certaines catégories de litiges très techniques, exigeant des compétences particulières, au sein d'un nombre restreint de tribunaux satisfaisant ainsi à l'objectif constitutionnel de bonne administration de la justice, et d'autre part, que le pouvoir réglementaire, eu égard à la technicité des matières civiles et pénales ainsi regroupées et à leurs faibles volumes représentant respectivement moins de 10 % du contentieux des tribunaux judiciaires pour les affaires civiles et moins de 4 % pour les affaires pénales, n'a commis ni erreur de droit ni erreur manifeste d'appréciation en prenant ces dispositions.

(24 novembre 2021, Conseil national des barreaux et association Conférence des bâtonniers de France et d'Outre-Mer, n° 435698)

(176) V. aussi, en partie voisin et comparable : 24 novembre 2021, Ordre des avocats au barreau de Lille, n° 438491.

 

Urbanisme

 

177 - Permis de construire – Demande d’un permis de construire – Rejet pour absence de justification par les requérants de la notification de leur recours imposée par l’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme – Absence d’invitation à régulariser la requête – Annulation.

Commet une erreur de droit le magistrat qui rejette pour irrecevabilité un recours tendant à l’annulation d’un permis de construire au motif que leurs auteurs ne justifiaient pas avoir notifié leur recours contentieux au bénéficiaire du permis conformément aux dispositions de l’art. R. 600-1 c. urb. alors qu’il n’a pas invité les requérants, préalablement au rejet de leur action, à régulariser le défaut de notification.

(9 novembre 2021, Association Timone Noyau Villageois et autres, n° 447271)

 

178 - Déclaration préalable de division parcellaire en vue de construire – Absence d’opposition du maire – Ordonnance rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette non-opposition – Contestation ayant le caractère d’un appel – Incompétence du Conseil d’État – Renvoi à la cour administrative d’appel.

Le recours dirigé contre l’ordonnance du président d’une chambre d’un tribunal administratif rejetant la demande d’annulation d’une non-opposition à une division parcellaire en vue de construire, a le caractère d’un appel et non d’un recours formé dans une matière où les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort (cf. art. R. 811-1 CJA). C’est donc à tort que le Conseil d’État a été saisi, le dossier est transmis à la cour administrative d’appel dont relève ce tribunal.

(9 novembre 2021, M. F. et Mme B., n° 448424)

 

179 - Permis de construire – Absence de permis modificatif - Invitation à régulariser une irrégularité partielle du permis – Conséquences sur les moyens susceptibles d’être développés – Absence de notification au juge d’une mesure de régularisation – Obligation d’annulation – Contestation possible d’un refus de régularisation par une autre procédure – Rejet.

Cette affaire donne l’occasion au juge d’apporter d’importantes précisions sur les effets contentieux d’une demande de permis de modificatif qu’il a suggérée afin de régulariser une irrégularité entachant le permis (cf. art. L. 600-5-1 c. urb.).

Lorsque, saisi d’une demande d’annulation d’un permis de construire, le juge constate que le(s) motif(s) d’irrégularité qu’il retient peu(ven)t être régularisé(s), il peut inviter le pétitionnaire du permis à demander la régularisation de cette situation en déposant un permis modificatif et à l’obtenir avant l’expiration d’un terme qu’il fixe.

En premier lieu, à compter de ce jugement, seuls peuvent être invoqués devant ce juge, le cas échéant, des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée. Les parties peuvent donc contester la légalité d'un permis de régularisation par des moyens propres et au motif qu'il ne permet pas de régulariser le permis initial.

En deuxième lieu, ce qui était le cas de l’espèce, lorsque aucune mesure de régularisation ne lui a été notifiée  à l’expiration du délai qu’il avait fixé, il appartient au juge de prononcer l'annulation de l'autorisation de construire litigieuse.

Enfin, il n’est pas possible de contester devant lui la légalité de l’éventuel refus opposé à la demande de régularisation présentée par le pétitionnaire. Une telle contestation ne peut intervenir que dans le cadre d'une nouvelle instance, qui doit être regardée comme dirigée contre le refus d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter.

C’est donc sans erreur de droit qu’ici le tribunal administratif a jugé illégal le permis de construire délivré le 26 juin 2015 à la SCCV Lucien Viseur dès lors qu'aucun permis de construire modificatif n'avait été produit auprès de lui dans le délai imparti par son premier jugement et cela sans se prononcer sur la légalité du refus du maire de délivrer le permis modificatif sollicité.

(9 novembre 2021, Société civile de construction vente Lucien Viseur, n° 440028)

 

180 - Permis de construire – Notion de vice régularisable – Limite – Dénaturation du projet de construction – Absence – Annulation.

Rappel d’une jurisprudence constante selon laquelle un vice entachant le bien-fondé de l'autorisation d'urbanisme est susceptible d'être régularisé sur le fondement des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, même si cette régularisation implique de revoir l'économie générale du projet en cause, dès lors que les règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge statue permettent une mesure de régularisation qui n'implique pas d'apporter à ce projet un bouleversement tel qu'il en changerait la nature même. Seule la dénaturation du projet d’origine ferait obstacle à une régularisation, de sorte que, allant sans doute au-delà de la lettre de la loi mais fidèle à l’inspiration du législateur, le juge a construit un véritable droit à la régularisation.

(10 novembre 2021, Commune de Val d’Isère, n° 439966)

 

181 - Outre-mer - Demande de permis de construire, à titre de logements sociaux, portant sur des bâtiments collectifs ou sur des ensembles de logements individuels – Demande devant être considérée comme portant sur un ensemble immobilier – Applicabilité de l’art. 199 undecies C CGI – Réduction d’impôt – Réduction d’impôt subordonnée à un agrément fiscal – Seuil de deux millions d’euros non atteint – Rejet.

(15 novembre 2021, Ministre de l'économie, des finances et de la relance, n° 452952)

V. n° 62

 

182 - Acte obtenu par fraude – Notion de fraude – Déclaration préalable de travaux au lieu d’une demande de permis de construire – Date incertaine ou non démontrée de construction du bien objet de la déclaration de travaux – Fraude non établie – Annulation avec renvoi.

Un particulier avait déposé une déclaration préalable de travaux en vue de la réhabilitation d’un hangar à usage agricole. Sur recours d’une association, le tribunal administratif a annulé l’arrêté de non-opposition du maire à cette déclaration. La cour administrative d’appel a, à son tour, annulé le refus implicite du maire de retirer l’arrêté de non-opposition et enjoint au maire de le retirer rétroactivement sous trois mois.

Le pétitionnaire se pourvoit en cassation contre cet arrêt en ce qu’il se fonde sur la fraude qu’il aurait commise en se bornant à une déclaration préalable de travaux au lieu de solliciter un permis de construire car il ne justifiait pas que la construction existante, qui a été édifiée sans autorisation, l'aurait été antérieurement à la loi du 15 juin 1943 imposant la délivrance d'un permis de construire et qu’ainsi elle n'entrait pas dans le champ de l'obligation de permis de construire instituée par cette loi reprise pour l'essentiel par l'ordonnance du 27 octobre 1945 relative au permis de construire.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit cet arrêt – et il a bien raison – en rappelant que « la fraude est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier que le demandeur a eu l'intention de tromper l'administration pour obtenir une décision indue. » Ce n’était manifestement pas le cas ici. L’absence de justification, qui n’a rien de caché ou de mensonger, ne saurait constituer l’élément intentionnel d’un acte de fraude.

(18 novembre 2021, M. A., n° 442887)

 

183 - Permis de construire - Reconstruction de bâtiments existants - Notion - Directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes - Annulation avec renvoi.

La directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes prévoit que, dans les espaces urbanisés sensibles, l'extension de l'urbanisation est « strictement limitée aux seules parcelles interstitielles du tissu urbain, ou « dents creuses » des îlots bâtis, ainsi qu'à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments existants ».

Un jugement avait estimé, sur saisine par déféré préfectoral, que l'arrêté municipal accordant un permis de construire une résidence de six logements était illégal car le projet autorisé visait à l'édification d'une résidence après démolition d'une construction préexistante sur la parcelle et que ce projet ne pouvait, eu égard aux différences qu'il comportait dans sa conception et ses caractéristiques par rapport au bâtiment démoli, être regardé comme la reconstruction d'un bâtiment existant au sens des dispositions de la directive territoriale d'aménagement des Alpes-Maritimes. Le Conseil d’État annule pour erreur de droit ce jugement car, selon lui, « les dispositions de la directive territoriale d'aménagement doivent être regardées comme permettant l'extension de l'urbanisation sur les parcelles ainsi désignées (...). La « reconstruction » ainsi permise sous cette réserve s'entend donc d'une construction après démolition du bâtiment préexistant sur la parcelle.»

Toutefois, comme le tribunal, le juge de cassation rappelle que les dispositions que le tribunal a opposées au permis de construire en litige avaient pour objet de préciser les modalités d'application des dispositions particulières au littoral qui sont les seules à être directement applicables à une autorisation d'urbanisme en application du 2° de l'article L. 172-2 du code de l'urbanisme. 

(19 novembre 2021, Commune de Théoule-sur-Mer, n° 435153 ; Société MFT Théoule IV, n° 435157, jonction)

 

184 - Extension d'une construction existante en vue d'en conserver l'unité architecturale - Prescription d'un plan d'urbanisme - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation avec renvoi.

Dénature les pièces du dossier l'arrêt d'une cour administrative d'appel jugeant que le prrojet autorisé ne constitue pas l'extension d'une construction existante en vue d'en conserver l'unité architecturale au sens d'une disposition du règlement du plan local d'urbanisme, alors que le permis de construire modificatif attaqué permet de prolonger sur environ 1,20 m, avec le même bardage en bois, la couverture du mur de façade nord du premier étage de la grange appartenant aux pétitionnaires, jusqu'au mur mitoyen de l'habitation de l'appelant et que ces travaux de clôture du mur s'inscrivent dans le volume préexistant du bâtiment.

(19 novembre 2021, M. et Mme G., n° 445509)

 

185 - Non-opposition à déclaration préalable en vue de la division d'un terrain en deux lots - Permis de construire deux villas - Défaut d'intérêt pour agir des requérants en excès de pouvoir - Rejet de recours comme manifestement irrecevables - Absence d'invitation à régulariser - Annulation.

(9 novembre 2021, M. I. et Mme C., n° 448423 et n° 448425)

V. n° 36

 

186 - Commissions départementales d'aménagement commercial - Composition - Présence de personnalités qualifiées désignées par les chambres de commerce et d'industrie et par les chambres de métiers et de l'artisanat - Incompatibilité de dispositions législatives avec le droit de l'Union - Illégalité du décret pris pour l'application de ces dispositions - Annulation.

Après renvoi préjudiciel à la CJUE (du 15 juillet 2020) et réponse de cette dernière (15 juillet 2021, aff. C-325/20), le Conseil d’État, qui était saisi d'un recours en annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-331 du 17 avril 2019 relatif à la composition et au fonctionnement des commissions départementales d'aménagement commercial et aux demandes d'autorisation d'exploitation commerciale, admet partiellement le recours dont l'avait saisi le requérant.

La CJUE a jugé que « l'article 14, point 6, de la directive 2006/123/CE du Parlement et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale prévoyant la présence, au sein d'une instance collégiale compétente pour émettre un avis sur l'octroi d'une autorisation d'exploitation commerciale, de personnalités qualifiées représentant le tissu économique de la zone de chalandise pertinente, et ce même si ces personnalités ne prennent pas part au vote sur la demande d'autorisation et se bornent à présenter la situation de ce tissu économique ainsi que l'impact du projet concerné sur ce dernier, pour autant que les concurrents actuels ou potentiels du demandeur participent à la désignation desdites personnalités ».

Par suite, les dispositions ajoutées à l'art. L. 751-2 du code de commerce, issues de la loi du 23 novembre 2018, sont incompatibles avec le droit de l'Union, ce qui entraîne l'illégalité et l'annulation des dispositions du décret attaqué du 17 avril 2019 faisant application de ces dispositions.

(22 novembre 2021, Conseil national des centres commerciaux, n° 431724)

 

187 - Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) - Qualité de partie de l'État dans certains litiges portant sur des demandes de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Représentation de l'État par le président de la CNAC - Dispense du ministère d'avocat dans le contentieux né de tels permis - Pouvoir d'injonction du juge envers la CNAC - Effets contentieux de l'avis défavorable de la CNAC - Annulation sans renvoi et injonctions.

 (22 novembre 2021, Société Taninges distribution, n° 441118 ; Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 442107)

V. n° 74

 

188 - Plan local d'urbanisme (PLU) - Projet d'aménagement et de développement durables (PADD) - Fixation d'une zone comme agricole (zone "A") - Conditions et limites - Absence d'erreur manifeste d'appréciation - Dénaturation des pièces et des faits - Annulation avec renvoi.

Le tribunal administratif avait annulé une délibération municipale approuvant un PLU au motif qu'il classe certaines parcelles en zone agricole ou zone "A". Ce jugement ayant été annulé sur ce point en appel, les demandeurs se pourvoient en cassation.

Toute la question était de déterminer ce qu'il convient d'entendre par "zone agricole" au sens et pour l'application des art. L. 151-5 et L. 151-9, R. 151-22 et R. 151-23 du code de l'urbanisme. Interprétant ces textes, le Conseil d’État estime qu'il en résulte qu'une telle zone « a vocation à couvrir, en cohérence avec les orientations générales et les objectifs du projet d'aménagement et de développement durables, un secteur, équipé ou non, à protéger en raison du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles ». Il importe peu à cet égard que la parcelle en cause soit actuellement une terre agricole ou, à l'inverse, qu'elle soit en partie urbanisée ou non car seul est déterminant le "potentiel".

En l'espèce, l'arrêt d'appel est annulé pour avoir jugé que le classement en zone "A" n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation car les auteurs du PLU ont entendu préserver les ressources agricoles de la commune et rechercher un équilibre entre le développement résidentiel et le maintien du « caractère rural » du hameau, situé au cœur d'une vaste plaine agricole de bonne valeur agronomique et facilement exploitable, alors que le secteur ainsi classé, situé à environ un kilomètre du centre-bourg, comporte une trentaine d'habitations et présente un caractère urbanisé, et qu'il n'est pas établi par des pièces du dossier que ce classement permet d'assurer la préservation du potentiel agronomique, biologique ou économique des terres agricoles de cette commune.

(24 novembre 2021, M. et Mme I., n° 435178)

 

189 - Délivrance d'un certificat d'urbanisme - Cristallisation pendant dix-huit mois du droit applicable à la date du certificat - Annulation du refus opposé à une demande d'autorisation fondée sur ce certificat - Absence d'effets sur le droit applicable - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

Les demandes d'autorisation de construire ou les déclarations préalables déposées dans les dix-huit mois de l'obtention d'un certificat d'urbanisme sont régies par le droit en vigueur au jour de la délivrance de ce certificat (art. L. 410-1 c. urb.) à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique (cf. 18 décembre 2017, M. et Mme B. c/ commune de Lambres-lez-Douai, n° 380438), et, en cas d'annulation du refus de délivrer un certificat d'urbanisme, la demande doit tout de même être examinée au regard des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date de ce certificat, l'administration demeurant saisie de cette demande après l'annulation du refus de l'accorder.

Cependant, se posait en l'espèce la question de savoir si cette règle est également applicable lorsque le bénéfice d'un permis de construire tacite est subordonné à la condition que le pétitionnaire ait confirmé sa demande.

La cour administrative d'appel avait répondu par la négative : faute d'avoir demandé la prorogation du certificat d'urbanisme, la société pétitionnaire ne pouvait bénéficier du maintien des règles d'urbanisme applicables à cette date, alors même qu'il n'était pas contesté que celle-ci avait déposé sa demande initiale dans le délai de dix-huit mois lui permettant de bénéficier du maintien des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date de ce certificat. Le Conseil d’État, très logiquement, annule l'arrêt pour erreur de droit sur ce point en jugeant que la règle sus-rappelée joue alors même que le demandeur n'est susceptible de bénéficier d'un permis tacite qu'à la condition d'avoir confirmé sa demande. 

(24 novembre 2021, Société Dai Muraille, n° 437375)

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