Sélection de jurisprudence du Conseil d'État

Mars 2023

 

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des critères repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Critères figurant dans un avis ministériel - Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande de permis de construire huit éoliennes et du refus explicite d’autoriser leur exploitation.

Elle se fondait pour cela sur ce que les motifs avancés par le ministre des armées, constants depuis 2010, à savoir des éléments d'appréciation comportant notamment les critères litigieux d'appréciation des perturbations générées par les éoliennes sur le fonctionnement des équipements militaires, alors que ces critères sont repris de lignes directrices qui n’ont pas fait l'objet d'une publication préalable.

Le recours est rejeté car ces critères étaient repris de manière explicite dans l'avis du ministre des armées du 30 janvier 2015 et dans ses annexes.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

 

2 - Demande adressée à l’ARCOM d’intervenir auprès d’une société éditrice de programme – Absence de demande de mise en œuvre de l’un des pouvoirs détenus par l’ARCOM – Refus opposé à cette demande ne constituant pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux – Rejet.

La requérante avait demandé l'annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande, adressée le 20 avril 2020 au Conseil supérieur de l'audiovisuel, devenu Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), tendant à le voir « intervenir auprès de la société France Télévisions » afin qu'elle cesse de faire usage à l'antenne ou sur tout support de la marque verbale « Vrai ou fake », en particulier en tant que titre d'une rubrique du journal télévisé ou d'une émission. Le CSA a adressé le 7 décembre 2020 à la société France Télévision un courrier se bornant à l’inviter « dans la mesure du possible à traduire le terme anglais " fake " dans l'ensemble des titres de programme ».

La demande de l'association requérante au CSA ne tendant à la mise en œuvre d'aucun des pouvoirs reconnus à cette autorité par la loi du 30 septembre 1986, le refus opposé à cette demande ne constitue pas une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. 

La requête est rejetée pour irrecevabilité.

(10 mars 2023, Association Francophonie Avenir, n° 460929)

 

3 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

L’association requérante demandait l’infirmation du jugement par lequel le tribunal administratif  a rejeté sa requête en annulation de la décision par laquelle EDF a refusé de lui communiquer le dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles usés dans une version occultée à bon escient ainsi que sa demande d’injonction à ce que cette société lui communique cette version dans un délai de dix jours à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Le Conseil d’État opère une distinction au sein de la demande rejetée.

Tout d’abord, il juge que c’est sans insuffisance de motivation que les premiers juges ont considéré que la communication des passages du document demandé relatifs à la teneur des outils de surveillance utilisés dans la piscine d'entreposage et à la température de l'eau porterait atteinte au secret des affaires, de sorte que la société EDF était fondée à la refuser d’autant que l’invocation, ici, de la convention d’Aarhus comme de l'avant-dernier alinéa du paragraphe 2 de l'article 4 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l'accès du public à l'information en matière d'environnement (tel qu’interprété par la CJUE : 23 novembre 2016, Bayer CropScience SA-NV et autre, aff. C-442/14), est inopérante puisque ces textes ne concernent que l’information qui « a trait à des émissions dans l'environnement » lesquelles ne s’entendent donc pas des émissions purement hypothétiques, seules concernées en l’espèce. En outre, parce que la teneur des outils de surveillance développés par EDF dans le cadre de son activité de recherche et développement et la température de l'eau de la piscine d'entreposage relèvent du secret des procédés, le tribunal administratif n’a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que le secret des affaires faisait obstacle à la divulgation des passages du document traitant de ces deux points. 

Ensuite, en revanche, le Conseil d’État estime qu’est entachée d’insuffisance de motivation la partie du jugement attaqué rejetant, sans en donner les raisons, celles des conclusions relatives à l'occultation des passages du document concernant l'implantation des systèmes de refroidissement et du mécanisme de maintien du niveau d'eau. Le jugement est donc annulé dans cette mesure.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

 

4 - Communication de documents concernant les biens et impôts d’une représentation diplomatique en France – Distinction entre documents communicables et non communicables – Rejet et non-lieu partiels.

Le litige portait sur le refus opposé par le ministre des affaires étrangères à la demande de la société requérante de lui communiquer la « liste diplomatique et consulaire » ou ses pages concernant la République du Congo, des documents concernant les demandes d'exonération de taxe foncière ou de droits de mutation présentées par cet État, ainsi que tout autre document émis ou reçu par le ministère faisant état de l'utilisation de tout bien, mobilier ou immobilier, appartenant à ce même État et utilisé pour les besoins de sa mission diplomatique.

Ce refus a été annulé par le tribunal administratif et ce jugement est frappé d’un pourvoi par le ministre.

Le Conseil d’État juge d’abord que la simple désignation des biens d'un État étranger reconnus par la France, État accréditaire, comme étant affectés à la mission diplomatique de celui-ci, justifiant ainsi qu'il bénéficie des immunités et privilèges, notamment fiscaux, s'y attachant en vertu des engagements internationaux de la France et des dispositions législatives et réglementaires applicables, n'est pas une information dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France. C’est pourquoi, une liste des locaux ainsi reconnus, ou un bordereau ou un autre document par lequel le ministère chargé des affaires étrangères se borne à notifier à l'administration fiscale qu'un local fait l'objet d'une telle reconnaissance, sont, lorsqu'ils existent et sous réserve des autres exceptions prévues à l'article L. 311-5 du code des relations entre le public et l'administration, communicables à toute personne qui en fait la demande.

Il juge ensuite, au contraire, qu’il en va différemment des demandes de reconnaissance et d'exonération fiscale formulées par l'État accréditant et des pièces qui leur sont annexées, des documents relatifs à l'instruction de ces demandes, des actes accomplis par l'administration fiscale à l'endroit de l'ambassade ou de ses diplomates, des pièces concernant ou mentionnant les réclamations et litiges s'y rapportant, des « notes verbales » échangées entre l'ambassade et le ministère, ainsi que de l'ensemble des documents relatifs aux biens pour lesquels la reconnaissance de l'affectation à la mission diplomatique a été refusée, leur divulgation étant de nature à porter atteinte aux relations diplomatiques entre la France et l'État étranger.  

S’agissant en l’espèce d’une demande de communication portant sur les biens utilisés par la République du Congo, il résulte des diligences effectuées par la 10ème chambre de la section du contentieux que le dossier relatif à ces biens qu’elle s’est fait communiquer sans le soumettre au débat contradictoire, ne contient que des documents de la nature de ceux dont la communication porterait atteinte à la conduite de la politique extérieure de la France et qui présentent un caractère indivisible, et ne comporte ni bordereau de notification de reconnaissance de biens affectés à la mission diplomatique de la République du Congo, ni de liste ou de registre des biens bénéficiant d'une telle reconnaissance, qu'aucune disposition ne fait d'ailleurs obligation à l'administration de tenir. 

D’où le rejet et le non-lieu partiels prononcés.

(15 mars 2023, Société Commissions Import Export, n° 463834)

 

5 - Communication des documents administratifs – Exception des secrets protégés – Secret des affaires – Motivation insuffisante d’un jugement – Annulation et rejet.

Même si, se prononçant au fond, le juge de cassation réaffirme la solution qu’avaient retenue les premiers juges, le jugement n’en est pas moins cassé pour insuffisance de motivation.

On sait que l’une des exceptions au droit à la communication des documents administratifs est constituée par la protection du secret des affaires.

Dans un litige où était demandée la communication de l'estimation prévisionnelle du coût de travaux de construction ou de réhabilitation de logements devant figurer au dossier d'agrément en vertu du b) du 10° de l'article R. 365-5 du code de la construction et de l'habitation, le tribunal administratif s’était borné à juger régulier le refus de communication car un tel document pouvait contenir des informations financières sur les travaux en cours ou à venir et ainsi sa communication était susceptible de porter atteinte au secret des affaires. C’était une motivation un peu mince, d’où l’annulation du jugement mais sa confirmation sur le fond.

(27 mars 2023, M. A., n° 453633)

 

6 - Décret portant aide à certains acteurs de santé dont l'activité a été affectée par l'épidémie de Covid-19 – Disposition de ce décret interprétée par la Caisse nationale de l’assurance maladie – Interprétation retenue par souci de cohérence mais non conforme au texte – Annulation.

Les organisations requérantes poursuivaient l’annulation de la décision implicite de la Caisse nationale de l'assurance maladie rejetant leur demande tendant au retrait de la formule de calcul, différente de celle prévue au VI de l'article 2 du décret n° 2020-1807 du 30 décembre 2020 relatif à la mise en œuvre de l'aide aux acteurs de santé conventionnés dont l'activité est particulièrement affectée par l'épidémie de Covid-19, adoptée pour calculer le montant de l'indemnisation de la perte d'activité des exploitants de taxi conventionnés, ainsi que cette formule de calcul.

La Caisse ne conteste pas avoir donné de cette disposition une interprétation différente de celle qu’appelait la lettre du texte mais fait valoir qu'elle s'est bornée, ce faisant, à l’interpréter en lui restituant sa juste portée, compte tenu de l'incohérence manifeste de la formule de calcul énoncée par les dispositions du décret, ce qui, selon elle, serait corroboré par la modification apportée ultérieurement en ce sens par le décret du 15 avril 2022.

Cependant, le juge relève qu’ainsi la Caisse n’a pas respecté le texte qu’elle devait appliquer et exécuter, méconnaissant ainsi son caractère clair et dépourvu d’ambiguïté.

La décision de la Caisse est annulée.

(30 mars 2023, Fédération nationale du taxi (FNDT) et autres, n° 464059)

 

7 - Propos tenus par un ministre – Propos relayés sur son compte « Twitter » - Propos ne constituant pas une instruction donnée à ses subordonnés et n’attentant point à une liberté fondamentale – Rejet du recours en référé liberté.

Le ministre de l'intérieur et de l'outre-mer, au cours d'une rencontre avec la presse ayant trait à diverses questions relatives en particulier au maintien de l'ordre, dans une vidéo relayée sur son compte « Twitter », propos selon lesquels, notamment, « être dans une manifestation non déclarée est un délit » et que ce fait « mérite une interpellation ». 

Les requérants demandent au juge du référé liberté l’annulation de ces énonciations du ministre de l'intérieur exprimées le 21 mars 2023.

Le recours est rejeté car, relève, avec une certaine sévérité, l’auteur de l’ordonnance de référé, « D'une part, ces propos ne révèlent pas l'existence d'une instruction aux policiers et aux gendarmes d'interpeller toute personne se trouvant sur les lieux d'une manifestation au seul motif que celle-ci n'aurait pas été déclarée. D'autre part, ces déclarations faites le 21 mars dernier et alors même qu'elles ont été relayées sur un réseau social, pour regrettables qu'elles soient en raison de leur caractère erroné, ne sont pas susceptibles d'avoir par elles-mêmes des effets notables sur l'exercice de la liberté de manifester et de se réunir. Il s'ensuit que les requérants ne sont manifestement pas fondés à soutenir que les déclarations ministérielles caractérisent une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés justifiant l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ». 

(29 mars 2023, Association « Lanceur d’alerte », n° 472440 ; MM. B., n° 472447 ; M. E., n° 472469, jonction)

 

 

Contention, isolement, psychiatrie et communication des documents administratifs

 

On assiste depuis plusieurs mois à une offensive tous azimuts d’associations afin d’obtenir des établissements psychiatriques qu’ils leur communiquent le registre de contention et d’isolement ainsi que le rapport annuel décrivant le recours à ces méthodes médicales. Devant cette prolifération, à la fois pour l’accompagner et pour la contenir, le juge a développé une jurisprudence désormais très nettement établie comme on le voit par les exemples ci-après.

 

8 - Communication des documents administratifs – Registre de contention et d’isolement d’un établissement psychiatrique – Rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement – Conditions de compatibilité entre droit d’accès aux documents administratifs et protection de la vie privée – Refus de transmission d’une QPC.

Un jugement de tribunal administratif a annulé la décision d’un centre hospitalier refusant la communication à une association d'une copie du registre de contention et d'isolement de l'établissement ainsi que du rapport annuel rendant compte des pratiques de contention et d'isolement observées dans l’établissement. Il a ordonné cette communication, sous injonction, sans occultation de l'identifiant anonymisé du patient pour ce qui concerne le registre de contention et d'isolement.

Le centre hospitalier se pourvoit en cassation de ce jugement.

Le Conseil d’État opère une confrontation entre les dispositions du code des relations du public avec l’administration (art. L. 311-1, L. 311-6 et L. 311-7) et celles du code de la santé publique (art. L. 3222-5-1) d’où il résulte, assez évidemment, que si le droit à la communication des documents administratifs que sont ceux demandés ici trouve son fondement dans l’art. 15 de la Déclaration de 1789, l’art. 2 de ce texte impose le respect de la vie privée « qui requiert que soit observée une particulière vigilance dans la communication des données à caractère personnel de nature médicale ». Il suit de là que si le registre et le rapport prévus à l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique constituent des documents administratifs communicables aux tiers c’est sous la réserve que soient occultées ou disjointes les mentions dont la communication porterait atteinte à la vie privée ou au secret médical des patients. Il en va ainsi, en particulier, s'agissant du registre qui retrace les mesures d'isolement ou de contention, des mentions permettant d'identifier ceux-ci, directement ou indirectement.

Observant en outre que ce registre est accessible à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires, le juge estime que les limitations ainsi apportées au droit d'accès aux documents administratifs, ne sont pas disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi.

Le jugement est annulé.

(16 mars 2023, Centre hospitalier Nord Deux-Sèvres, n° 460617)

(9) V. aussi, très voisin du précédent et peut-être plus explicite : 16 mars 2023, CHU de Saint- Étienne, n° 460681.

(10) V. encore, identique au précédent 16 mars 2023, Centre hospitalier de Roanne, n° 461003.

(11) V. également, identique : 16 mars 2023, Centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay, n° 462537.

(12) V. : 16 mars 2023, Établissement public de santé Barthélémy Durand, n° 463219 et n° 464192, n° 465652 et n° 465975 ; 16 mars 2023, CHU Sud Francilien de Corbeil-Essonnes, n° 463231 et n° 463987 ; 16 mars 2023, CHU du Forez, n° 467045 et n° 467861 ; 16 mars 2023, Centre hospitalier Le Vinatier, n° 467062 et n° 467689.

 

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

13 - Société éditrice de programmes radiophoniques – Autorisation d’exploitation sous plafond d’une certaine puissance apparente rayonnée – Dépassement de cette puissance – Sanction infligée par l’ARCOM – Absence d’irrégularités – Rejet.

Le CSA (devenu ARCOM) a infligé à la société éditrice requérante une sanction pécuniaire de quinze mille euros pour avoir dépassé la puissance apparente rayonnée maximale autorisée à 1000 watts qui lui a été accordée.

La société demande l’annulation de cette décision ; sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure de sanction serait entachée d’irrégularité du fait qu'il n'a pas été donné suite à sa demande faite en réponse à la notification des griefs par le rapporteur, que lui soient communiqués le cahier des charges, la description des procédures et l'évaluation des marges d'erreur applicables aux mesures réalisées par l'Agence nationale des fréquences qui lui étaient opposées car les éléments relatifs à la méthodologie des contrôles ne constituent ni une pièce du dossier de sanction ni une pièce sur laquelle le rapporteur se serait fondé pour proposer la sanction. Au reste, la société requérante ne conteste d'ailleurs pas l'exactitude matérielle des mesures de la puissance apparente rayonnée qui ont été effectuées ; en outre, elle a contesté la méthode dans les observations qu'elle a adressées au rapporteur, en se fondant sur le procès-verbal de constat établi par le technicien du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui mentionne les principales spécificités techniques de l'équipement utilisé pour effectuer ces mesures et comporte des indications relatives au déroulement de la campagne de mesures.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, la décision de sanction est suffisamment motivée en ce qu’elle indique les motifs pour lesquels le CSA retient l'existence d'un manquement ainsi que la sanction qu'il inflige.

Enfin, les circonstances, d’une part, que le dépassement de la puissance maximale autorisée n'a pas altéré, notamment par des brouillages, les conditions de diffusion des opérateurs autorisés à émettre depuis les sites voisins, et d’autre part, que la sanction prononcée à l'encontre d'autres services de radiodiffusion pour des manquements de même nature aurait été moindre, sont, la première, sans incidence sur la matérialité du manquement et la seconde sans incidence sur le caractère proportionné de la sanction retenue.

(09 mars 2023, Société Quinto Avenir, n° 459859)

 

14 - Plainte ou réclamation adressée à la CNIL (ou ARCOM) – Pouvoirs de cette autorité – Refus de mettre en œuvre l’un de ses pouvoirs – Régime de droit et régime contentieux applicables – Rejet.

Il est possible à toute personne concernée de saisir la CNIL, devenue ARCOM, d’une plainte en vue de son instruction par son président en cas de manquement aux dispositions de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés.

En cas de refus du président de la CNIL d'engager une procédure sur le fondement de l'article 20 de la loi du 6 janvier 1978 et, notamment, de saisir la formation restreinte sur le fondement du III de cet article, y compris lorsque la commission a procédé à des mesures d'instruction, constaté l'existence d'un manquement aux dispositions de cette loi et pris l'une des mesures prévues aux I et II de ce même article, l'auteur de la plainte peut le déférer au juge de l'excès de pouvoir.

En ce cas, il appartient au juge de censurer cette décision de refus soit pour un motif d'illégalité externe soit, au titre du bien-fondé de la décision, en cas d'erreur de fait ou de droit, d'erreur manifeste d'appréciation ou de détournement de pouvoir. C’est donc un contrôle contentieux « restreint ».

En revanche, lorsque le président de la CNIL a saisi la formation restreinte sur le fondement du III de cet article 20, l'auteur de la plainte n'a pas d’intérêt à contester la décision prise à l'issue de cette procédure, quel qu'en soit le dispositif.

Il en va cependant différemment lorsque l'auteur de la plainte se fonde sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à la personne concernée à l'égard des données à caractère personnel la concernant, notamment les droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition mentionnés aux articles 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978. En effet, en ce cas, l’intéressé, s'il ne peut contester devant le juge l'absence ou l'insuffisance de sanction une fois que la formation restreinte a été saisie, est néanmoins toujours recevable à demander l'annulation du refus du président de la CNIL de mettre en demeure le responsable de traitement de satisfaire à la demande dont il a été saisi par cette personne ou du refus de la formation restreinte de lui enjoindre d'y procéder.

Le pouvoir d'appréciation de la CNIL s'exerce alors, eu égard à la nature du droit individuel en cause, sous l'entier contrôle du juge de l'excès de pouvoir.

(27 mars 2023, Mme E., n° 467774)

 

Biens et Culture

 

15 - Passerelle surplombant les voies ferrées aux abords d’une gare – Arrêté municipal mettant à la charge de SNCF Réseau la mise en sécurité de la passerelle – Bien faisant partie du domaine public ferroviaire – Dénaturation des pièces – Annulation.

Le maire d’une commune met la SNCF en demeure de prendre des mesures conservatoires de mise en sécurité de la passerelle piétonne surplombant les voies ferrées aux abords de la gare. Sur recours de la SNCF, le juge des référés a suspendu l’arrêté municipal au motif qu’existe en l’espèce un doute sérieux car la passerelle en cause ne pouvait appartenir à cette société dès lors qu'elle assurait la jonction entre une voie communale et une voie départementale.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance en raison de ce que les biens immobiliers appartenant à une personne publique et affectés au service public du transport ferroviaire ont le caractère de dépendances du domaine public dont la SNCF assume toutes les obligations du propriétaire (cf. art. L. 2111-1 et L. 2111-20 du code des transports), ce qui conduit à la considérer comme la propriétaire de ces biens pour l'exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.

L’argument tiré par le premier juge de la mise en communication entre deux voies publiques non étatiques assurée par la passerelle est rejeté car le procès-verbal du 2 octobre 1933 de récolement et de remise des travaux conduits par la Compagnie du Chemin de fer du Nord établissait que cet ouvrage avait été édifié, dans l'intérêt du service public du chemin de fer, par cette entreprise en sa qualité de concessionnaire de ce service public et appartenait ainsi au domaine public ferroviaire, dont il n’est plus sorti depuis lors.

Que se passerait-il dans le cas où n’existerait pas un tel document aussi explicite ? Le juge ne donne pas la réponse directement mais la suggère car ce motif n’est précédé d’aucune des mentions telles « Au surplus », « En outre », « Au reste », etc., signe que l’argument lui a paru décisif. Est-ce à dire que si un quelconque document avait fait état de ce que la passerelle n’a été installée qu’à fin de circulation entre ces deux voies la solution eût été différente ? Ce n’est pas certain, un intérêt public n’étant pas forcément exclusif d’un autre intérêt public et, de plus, le survol des voies ferrées n’est pas une compétence matérielle locale.

(1er mars 2023, commune de Tergnier, n° 466574)

 

16 - Exercice du droit de préemption – Déclaration d’intention d’aliéner affectée d’irrégularité – Vente parfaite avant exercice de ce droit – Doute sérieux et urgence – Suspension ordonnée.

Le Conseil d’État, infirmant l’ordonnance du premier juge rejetant la demande de référé suspension, ordonne la suspension de la délibération d’un conseil général exerçant son droit de préemption sur une parcelle dont un jugement judiciaire a proclamé que sa vente – entre le demandeur et le conseil général – était parfaite, ledit conseil ayant expressément renoncé à exercer son droit de préemption et alors que la seconde déclaration d’intention d’aliéner portant sur la même parcelle a été faite par une personne n’ayant pas qualité à cet effet.

Rappel de ce que l’art. 480 du code de procédure civile décide que bénéficie dès son prononcé de l’autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche « Le jugement qui tranche dans son dispositif tout ou partie du principal, ou celui qui statue sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident (…) ». 

(1er mars 2023, M. B., n° 462877)

 

17 - Autorisation d’occupation privative du domaine public – Compatibilité avec l’affectation et la conservation du domaine – Autorisation de durée limitée – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de la décision autorisant une association à occuper l'esplanade des Feuillants du jardin des Tuileries du 16 novembre 2018 au 11 janvier 2019 et à ouvrir ses installations au public de 11h à 23h45 les dimanche, lundi, mardi, mercredi, jeudi, du 24 novembre 2018 au 6 janvier 2019.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête.

Le pourvoi est rejeté.

En premier lieu, ne peut être retenu le moyen tiré de l’absence d'une procédure de sélection préalable régulière, en méconnaissance des dispositions des art. L. 2122-1-1 et L. 2122-1-4 du code général de la propriété des personnes publiques dès lors qu’une telle irrégularité n'est pas en rapport avec les intérêts lésés dont l’association requérante se prévaut.

Ensuite, il est constant que l’autorisation accordée, limitée à une durée de deux mois, ne porte que sur une petite partie du jardin des Tuileries (4% environ), et qu’elle concerne des activités ludiques et de spectacles (fêtes foraines) compatibles avec l’affectation comme avec la conservation de cette dépendance domaniale.

Ainsi, le pourvoi ne peut qu’être rejeté.

(08 mars 2023, Association Les Amis des Tuileries, n° 462550)

 

18 - Contravention de grande voirie – Demande de constatation formulée par un tiers - Obligations imparties à l’autorité administrative – Régime contentieux – Avis de droit.

Saisi d’une demande d’avis de droit concernant la date à laquelle doit se placer le juge de l’excès de pouvoir pour apprécier la légalité du refus du préfet de poursuivre la répression d’une contravention de grande voirie alléguée par un tiers, le Conseil d’État saisit cette occasion pour un large tour d’horizon du régime de droit et du régime contentieux applicables.

En bref, il est répondu que dans l’hypothèse concernée par la question posée le juge de l'excès de pouvoir, saisi de conclusions d’un tiers tendant à l'annulation du refus de l'autorité compétente de déférer au tribunal administratif des faits de contravention de grande voirie, doit se placer à la date de ce refus pour en apprécier la légalité.

Le juge apporte encore quelques intéressants rappels ou précisions qui justifient la publication de cette décision au Recueil Lebon.

D’abord, est important le rappel qu’en principe, la légalité d'un acte administratif doit être appréciée à la date de son édiction. Il ne peut en aller autrement, c’est-à-dire se placer à la date à laquelle le juge statue, que dans l’hypothèse où la mise en œuvre de cette exception permet de conférer un effet pleinement utile à son intervention, eu égard à la nature des droits en cause et à la nécessité de prendre en compte l'écoulement du temps et l'évolution des circonstances de droit et de fait. 

Ensuite, et c’est un rappel également important, les autorités compétentes, en cas de manquement aux textes ayant pour objet la protection de l'intégrité ou de l'utilisation du domaine public, ont l’obligation de dresser un procès-verbal constatant les faits, de notifier au contrevenant la copie de ce procès-verbal puis d'adresser l'acte de notification au juge des contraventions de grande voirie auquel il appartient de décider de la poursuite et de la répression de l'infraction, tant au titre de l'action publique que de l'action domaniale. Si la jurisprudence a admis que cette obligation trouve sa limite dans les autres intérêts généraux dont ces autorités ont la charge, notamment dans les nécessités de l'ordre public, celles-ci ne sauraient légalement s'y soustraire pour des raisons de simple convenance administrative. Cette dernière précision est très utile face à certains comportements laxistes.

Également, cette obligation à la charge de l’autorité de protection du domaine public n'est pas susceptible de s'éteindre par l'effet de l'écoulement du temps. Et sur ce point, le juge enfonce le clou : « Si la disparition de l'atteinte à l'intégrité du domaine ou la fin de son occupation irrégulière peuvent être de nature à priver d'objet l'action domaniale, un tel changement de circonstances ne saurait priver d'objet l'action publique ».

Le juge précise encore s’agissant des effets du temps sur le régime de la contravention de grande voirie, que si une atteinte à l'intégrité du domaine public ou une situation d'occupation irrégulière apparaît postérieurement au refus de l'autorité compétente de mettre en œuvre les pouvoirs dont elle est investie, cette autorité est tenue de tirer les conséquences d'un tel changement de circonstances en dressant constat de l'atteinte au domaine et en saisissant le juge des contraventions de grande voirie. Il résulte de là, par application du principe de l’effet utile des décisions du juge - ici de l’annulation du refus de l'autorité compétente de procéder, à la demande d'un tiers, à la constatation d'une contravention de grande voirie et à la transmission du procès-verbal au tribunal administratif -, impose que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une demande d'annulation de ce refus, en apprécie la légalité au regard de la situation de droit et de fait à la date à laquelle cette décision de refus est intervenue, et non au regard de la situation de droit et de fait à la date de sa propre décision. 

(31 mars 2023, Association de protection de la plage de Boisvinet et son environnement, n° 470216)

 

19 - Contrat comportant autorisation d’occupation du domaine public – Absence de clause relative à son renouvellement – Proposition d’avenant tendant à la poursuite de l’occupation – Rejet – Décision entièrement exécutée – Demande de suspension de cette décision devenue sans objet – Rejet.

La requérante, titulaire d'une convention d'occupation temporaire du site des haras de Rodez, lequel constitue une dépendance du domaine public, a demandé au département de l’Aveyron que soit conclu un avenant en vue de l'autoriser à poursuivre son occupation, dans les mêmes conditions, au-delà du terme de la convention en cours qui courait jusqu’au 31 mai 2022. Cette convention ne comportait aucune stipulation relative à son renouvellement.

Le président du conseil départemental de l'Aveyron a informé l’occupante qu'il n'y avait pas lieu de maintenir au-delà de cette date l'autorisation d'occupation des lieux dans les conditions convenues par cette convention et lui a enjoint de quitter les lieux et de procéder à leur remise en état primitif avant le 30 juin 2022.

La requérante a saisi le tribunal administratif d’un référé suspension qui a été rejeté le 14 juin 2022 car cette demande est devenue sans objet du fait que le refus opposé par le département de l’Aveyron s’est trouvé entièrement exécuté à la date d’échéance de la convention soit le 31 mai 2022.

Le Conseil d’État confirme sur ce point l’ordonnance de référé : à la date d’expiration de la convention, la demande tendant à ce que soit suspendue par le juge l'exécution de la décision refusant de la prolonger se trouve alors privée d'objet. 

(31 mars 2023, Société Station A, n° 465385)

 

20 - Domaine privé – Renonciation à acquérir un fonds de commerce – Décision ne constituant pas un acte de gestion du domaine privé – Compétence de la juridiction administrative.

On signale au lecteur cette intéressante décision du Tribunal des Conflits relative à l’étendue des compétences juridictionnelles respectives du juge administratif et du juge judiciaire en matière de domaine privé des personnes publiques.

Après avoir décidé, par une délibération municipale du 10 octobre 2016, d’approuver le principe et le prix d'acquisition d’un fonds de commerce de boucherie et d’autoriser le maire à signer tous les actes nécessaires à cette opération, la commune de Cannes a informé la demanderesse, le 9 avril 2018, de son intention de ne pas acquérir le fonds de commerce dans les conditions prévues par la délibération du 10 octobre 2016.

La Sarl propriétaire du fonds a recherché la responsabilité de la ville en vue d’être indemnisée du préjudice résultant pour cette société de la volte-face de la ville. Le juge administratif, d’abord saisi, a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de la compétence juridictionnelle pour connaître de ce litige.

Pour rejeter la compétence judiciaire et renvoyer l’affaire au juge administratif, le Tribunal décide que « L'acte d'une personne publique, qu'il s'agisse d'une délibération ou d'une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif. Il en va de même du refus de prendre un tel acte ou de son retrait, ainsi que du litige par lequel est recherchée la responsabilité de cette personne publique à raison d'un tel acte, du refus de le prendre ou de son retrait. »

Cette très claire décision a le grand mérite d’opérer une circonscription stricte de la compétence du juge judiciaire organisée exclusivement autour de la gestion du domaine privé.

(T. C. 13 mars 2023, Sarl Boucherie cannoise, n° C4620)

 

Collectivités territoriales

 

21 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans abrogation préalable expresse de la délégation consentie – Annulation sur ce point.

Un conseil municipal qui a délégué au maire de la commune, pour la durée de son mandat, l’exercice du droit de préemption de la commune ne peut se ressaisir de cette compétence pour l’exercer lui-même que sous la condition d’une délibération préalable expresse abrogeant la délibération antérieure portant délégation.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

 

22 - Correspondant défense de la commune – Silence des textes sur les modalités de sa désignation – Compétence du maire – Rejet.

Une instruction ministérielle du 8 janvier 2009 invite les communes à désigner un correspondant défense, interlocuteur privilégié des autorités civiles et militaires pour ce qui concerne les questions de défense.

Les textes étant muets sur les modalités de désignation de ce correspondant défense, le Conseil d’État juge, judicieusement, qu’elle revient au maire, seul chargé de l'administration communale (cf. art. L. 2122-18 du CGCT) ; il lui est loisible de recueillir à cet effet l'avis du conseil municipal. Il en résulte que la délibération par laquelle le conseil municipal se prononce, le cas échéant, sur la désignation du correspondant défense d'une commune celle-ci se bornant à donner un avis, elle ne saurait faire grief. En outre, la contestation de cette désignation ne constitue pas une protestation électorale.

(30 mars 2023, Mme G., n° 468012)

(23) V., réitérant en substance mutatis mutandis la solution précédente à propos de la désignation d’une conseillère municipale comme déléguée de sa commune au sein du syndicat départemental d'énergie, d’un syndicat intercommunal des transports publics et d’un syndicat environnement et comme correspondante défense de la commune. La protestation contre ces désignations doit être formée dans les conditions, formes et délais prescrits par le code électoral pour les réclamations contre les élections du conseil municipal. Il s'ensuit qu'une commune n'a pas la qualité de partie devant le juge de l'élection saisi d'une contestation relative à l'élection de représentants d'une commune au conseil d'un établissement public de coopération intercommunale ou d'un syndicat mixte ; elle a, en revanche, la qualité de partie au litige pour ce qui concerne la contestation de la délibération relative à la désignation du correspondant défense de la commune. L’arrêt apporte aussi cette précision que l'élection des membres du conseil municipal au conseil d'un syndicat de communes ou d'un syndicat mixte se fait, à moins que le conseil municipal ne décide du contraire à l'unanimité, au scrutin secret : 31 mars 2023, Mme G., n° 468012.

 

Contrats

 

24 - Contrats de la commande publique – Offre anormalement basse – Notion et régime – Rejet.

La communauté demanderesse a lancé une consultation en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande, d'une durée de cinq ans, comportant trois lots, pour la réalisation de travaux d'extension, de réhabilitation et de réparation des réseaux d'assainissement ainsi que des travaux de branchements et de réparations ponctuelles sur ce même réseau. Ayant estimé anormalement basse l’offre de la société Chassaing TP, elle l’a écartée de la suite de la procédure de passation du contrat. Saisi par cette dernière société, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif a enjoint à la communauté d’agglomération, d'une part d'interrompre sans délai l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché en litige et, d'autre part, si elle entendait poursuivre la réalisation du programme de travaux publics en litige, de reprendre la procédure de passation dans son ensemble au stade de la définition des lots susceptibles d'y figurer.

La communauté d’agglomération s’est pourvue en cassation de cette ordonnance.

Au visa des art. L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique, l’ordonnance est annulée.

Le juge rappelle tout d’abord la marche à suivre en cas d’offre apparaissant anormalement basse, notion qui est généralement d’un maniement délicat : « (…)  il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. »

Ensuite, appliquant cette ligne générale d’appréciation au cas de l’espèce, le juge de cassation estime entachée d’erreur de droit et de dénaturation l’ordonnance attaquée alors qu’il résultait des pièces du dossier que la communauté d'agglomération avait demandé à la société Chassaing TP de justifier les prix proposés, lesquels étaient en deçà de l'estimation et de la moyenne des autres offres avec des écarts importants et d’apporter tous éléments justificatifs au sujet d’une liste non exhaustive de prestations dont les coûts et les prix apparaissaient incohérents. C’est au vu de la réponse de la société que le président de la communauté d'agglomération a rejeté son offre comme anormalement basse.

Celui-ci a, en effet, constaté d’abord l’absence d'explication générale sur les tarifs appliqués, lesquels apparaissaient particulièrement bas en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultants des offres concurrentes, ensuite que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations n'apparaissaient pas en adéquation avec le descriptif du chantier-exemple produit dans le mémoire technique de l'entreprise, également, que les détails complémentaires demandés pour certaines prestations comportaient toujours des imprécisions et carences et, enfin, que les réponses apportées par la société Chassaing TP comportaient des incohérences dans les justifications apportées, ces deux dernières considérations étant assorties d'exemples précis. 

(ord. réf. 14 mars 2023, Communauté d'agglomération du Grand Cahors, n° 465456)

 

25 - Contrat de concession de lots de plage – Sous-concession du service public balnéaire – Définition des besoins à satisfaire – Vice de nature à permettre ou non la poursuite cde l’exécution du contrat – Annulation avec renvoi.

Retour sur la plage de Pampelonne et sur le feuilleton de la chaotique attribution de lots de sous-concession de plage en ce haut-lieu du contentieux administratif.

Le Conseil d’État annule par un double motif l’arrêt de la cour administrative d’appel qui a prononcé la résiliation, à compter du 1er avril 2023, de la sous-concession d’un lot sur la plage de Pampelonne dans le cadre de l’exécution du service public balnéaire.

En premier lieu, il est jugé que la cour, pour prononcer la résiliation du contrat litigieux, ne pouvait pas, sans erreur de droit se borner à considérer que la commune avait entaché la procédure de passation de celui-ci d'un vice tenant à l'insuffisante définition de ses besoins, faute pour elle d'avoir précisé le « niveau de standing » des établissements qui était attendu pour chaque lot, alors que l'autorité concédante avait informé les candidats sur les principales caractéristiques du service public concédé, et qu'elle n'était pas tenue de définir cet élément de la stratégie commerciale des établissements exploités sur chacun des lots.

En second lieu, alors qu’elle était saisie du recours d’un tiers contre l’attribution d’un lot, la cour devait respecter les exigences contentieuses attachées par la jurisprudence à la recevabilité et aux effets d’un tel recours. C’est pourquoi elle a entaché son arrêt d’une erreur de droit en jugeant que la procédure de passation du contrat en cause était entachée d'un vice qui découlait de divers manquements de la commune de Ramatuelle à ses obligations de mise en concurrence et qu’ainsi ces irrégularités devaient conduire à la résiliation du contrat de sous-concession, alors qu'il lui appartenait de rechercher si, dans les circonstances de l'espèce, le vice dont elle estimait qu'était entachée la procédure de passation du contrat permettait, eu égard à son importance et à ses conséquences, la poursuite de l'exécution du contrat. 

(10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464816)

(26) V., identique mais pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464817 ; Société foncière PLM, n° 465657.

(27) V., pour un autre lot : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464818 et Société Le Byblos, n° 465687.

(28) V., toujours identiques : 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464819 et Société La Serena, n° 465469 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464820 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464821 et Société l’O, n° 465665 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464822 et Société Loisirs Soleil, n° 465236 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464823 et Société Rama, n° 465694 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464824 et Société Tropicana, n° 465080 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464825 et Société L’Esquinade, n° 465676 ; 10 mars 2023, Commune de Ramatuelle, n° 464830.

 

29 - Modification unilatérale du contrat – Existence d’une irrégularité divisible du reste du contrat – Purge possible par modification unilatérale – Faculté ouverte à la personne publique en dehors de tout recours au juge – Annulation.

Le Conseil d’État précise dans cette décision – ce qui n’allait pas de soi – que la personne publique contractante peut user de son pouvoir de modification unilatérale du contrat en vue de le purger d’une disposition illicite si celle-ci est divisible du reste du contrat.

Dans le cas où cette illicéité ne serait pas divisible du reste du contrat et serait d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique contractante peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans avoir besoin de saisir le juge à cette fin.

En l’espèce, saisi par le préfet, sur le fondement de l’art. L. 554-1 du CJA, d’une demande référé de suspension de délibérations entérinant une modification unilatérale de trois conventions concédant la distribution d'électricité à la société Enedis dans le périmètre de la requérante, le juge des référés avait fait droit à cette demande de suspension par le motif  que la modification unilatérale d'un contrat concédant un service public ne saurait être mise en œuvre au seul motif de purger le contrat de stipulations illicites.

La décision rapportée annule cette ordonnance.

(08 mars 2023, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour les énergies et les réseaux de communication (SIPPEREC), n° 464619)

 

30 - Candidat évincé de l’attribution d’une concession de services – Concession de mobilier urbain – Demande de communication de pièces ou de mentions qui y sont portées – Rejet et admission partiels.

La requérante  a demandé au tribunal administratif de Paris – et a obtenu - l'annulation de la décision par laquelle la Ville de Paris a refusé : 1° de lui communiquer le rapport d'analyse des offres présentées pour l'attribution d'une concession de services relative à la conception, la fabrication, la pose, l'entretien, la maintenance et l'exploitation de mobiliers urbains publicitaires, 2° a occulté des mentions portant atteinte au secret des affaires, 3° les courriers échangés entre la Ville de Paris et la société Clear Channel France au cours de la phase de négociation des offres et 4° les documents mentionnés par le premier adjoint à la maire de Paris au cours de la séance du conseil de Paris du 1er avril 2019.

La ville demande l’annulation de ce jugement et, dans l’attente, que soit prononcé le sursis à son exécution.

Le Conseil d’État juge que c’est sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que le tribunal a relevé que la SOMUPI avait pu légitimement estimer, au vu des déclarations de cet adjoint, qu'il existait d'autres documents relatifs à la garantie bancaire de la société attributaire que la seule note des services municipaux déjà produite par la collectivité, qui ne faisait ressortir aucun élément propre à éclairer la réalité du montant de cette garantie bancaire. 

Ensuite, s’agissant des échanges entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation, il est jugé que c’est au prix d'une erreur de qualification juridique que le tribunal a considéré que les pièces et courriers échangés entre la Ville de Paris et la société attributaire pendant la phase de négociation devaient être regardés comme, en principe, communicables à la SOMUPI, alors même qu'il mentionne la réserve du respect du secret des affaires car il lui revenait d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions de l'article L. 311-6 du même code. Les documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation d'un contrat de la commande publique, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, entrent dans le champ du 1° de l'article L. 311-6 et ne sont, par suite, pas communicables.

Enfin, concernant la communication d'une version moins occultée du rapport d'analyse des offres, le juge note que parmi les mentions occultées par la Ville de Paris dans le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI, figurent des éléments relatifs aux engagements pris par la société attributaire à l'égard du pouvoir adjudicateur en termes de quantité et de qualité des prestations ; toutefois, dès lors que, comme l'a relevé le tribunal administratif, ils ne mentionnent ni les prix unitaires, ni les caractéristiques précises de ces prestations, ils ne révèlent pas en eux-mêmes des procédés de fabrication ou la stratégie commerciale de l'entreprise et sont, par suite, communicables,  ainsi des éléments relatifs aux modèles de mobilier envisagés, à leur dimensionnement, à leur qualité, incluant la nature des équipements numériques proposés, à leur esthétique, à leur évolutivité ainsi qu'à leur nombre et au calendrier de leur déploiement. C’est à bon droit que le tribunal a jugé que le rapport d'analyse des offres communiqué à la SOMUPI avait fait l'objet d'occultations excessives.

(15 mars 2023, Société des mobiliers urbains pour la publicité et l'information (SOMUPI), n° 465171)

 

31 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

A la suite de l’erreur de manipulation commise par l’agent d’une société informatique intervenant sur l’infrastructure de la demanderesse, cette dernière a été contrainte de mobiliser plusieurs de ses agents pour réaliser des opérations de ressaisie des données perdues à la suite de cette erreur et elle a produit une estimation chiffrée du montant de ce préjudice sur la base d'une liste des agents concernés, de la fraction de leur temps de travail consacré à ces opérations et du montant de leur rémunération. Le tribunal administratif n’a admis que partiellement sa demande indemnitaire et la cour administrative d’appel a dénié toute réparation.

Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en relevant que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que les éléments ci-dessus fournis par la collectivité ne permettaient pas d'établir la réalité du préjudice subi par la communauté d'agglomération en termes de charges de personnel, aux seuls motifs que celle-ci ne justifiait pas avoir dû recruter du personnel supplémentaire, ni avoir versé des compléments de rémunération pour accomplir le travail de ressaisie, ni avoir renoncé à l'exercice de missions de service public.

Nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces du dossier.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

 

32 - Marché public de travaux – Appel d’offres restreint en vue de la sélection de trois candidats autorisés à soumissionner – Sélection ensuite, après négociation, de l’offre économiquement la plus avantageuse - Candidature écartée au profit d’une autre – Candidature retenue ne justifiant pas de l’une des compétences exigées – Irrégularité – Annulation et reprise de la procédure à partir de l’examen des candidatures.

Dans le cadre d’une procédure d’attribution d’un marché de travaux portant sur la construction de huit classes et d’un réfectoire pour une école élémentaire, la candidature de la demanderesse a été écartée au profit d’un autre groupement.

Or il résulte du rapport d'analyse des candidatures, que ce groupement ne justifiait pas de la compétence « restauration collective » pourtant exigée par les documents de la consultation. Sa candidature ne pouvait être régulièrement retenue et ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société Pro services, demanderesse, dont la candidature a été écartée au profit de celle du groupement.

Ce vice entraîne l’annulation de la procédure de passation du marché public en litige à compter de l'analyse des candidatures, ainsi que, par voie de conséquence, l’annulation de la décision portant rejet de la candidature de la société Pro services.

Si la commune entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, elle devra la reprendre à ce stade.

(31 mars 2023, Société Pro services, n° 468242

 

Droit du contentieux administratif

 

33 - Recours en rectification d’erreur matérielle – Champ d’application – Absence d’erreur matérielle – Rejet.

Dans un litige en attribution de la charge des frais au titre de l’art. L. 761-1 du CJA, la chambre requérante a formé un recours en rectification d’erreur matérielle de l’ordonnance portant répartition des sommes allouées sur le fondement de cette disposition.

Le recours est rejeté après que le juge a rappelé qu’aux termes de l’art. R. 833-1 du CJA, le recours en rectification d'erreur matérielle n'est ouvert qu'en vue de corriger des erreurs de caractère matériel de la juridiction qui ne sont pas imputables aux parties et qui ont pu avoir une influence sur le sens de la décision.

Tel n’était pas le cas en l’espèce, d’où le rejet prononcé.

(10 mars 2023, Chambre de commerce et d’industrie de Grenoble, n° 465409)

 

34 - Office du juge de cassation - Moyen de cassation retenu – Moyen le plus approprié selon le juge, non tenu par la hiérarchie des moyens établie par l’auteur du pourvoi – Annulation avec renvoi.

Dans un litige en contestation de la décision mettant fin au détachement de la requérante auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne, à Bruxelles, et aux conséquences financières en résultant, le Conseil d’État décrit ce qu’est l’office du juge de cassation lorsqu’il prononce l’annulation d’une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort.

Il lui appartient de fonder l'annulation sur le moyen relatif à la régularité ou au bien-fondé de la décision juridictionnelle contestée, soulevé devant lui ou d'ordre public, « qui lui paraît, eu égard à son office de juge de cassation, le plus approprié pour statuer sur le pourvoi. Il n'est pas tenu, pour faire droit aux conclusions d'annulation dont il est saisi, de se prononcer sur d'autres moyens que celui ou ceux qu'il retient explicitement comme étant fondés, ni de se conformer à la hiérarchie de ses prétentions éventuellement faite par l'auteur du pourvoi en fonction de la cause juridique sur laquelle elles reposent. » 

Cette décision réitère mutatis mutandis la solution retenue par l’arrêt de Section, Société Eden dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir appuyé sur une pluralité de moyens d’annulation (21 décembre 2018, n° 409678, Rec. Lebon p. 468).

En l’espèce, est retenu le moyen que l’arrêt a été rendu sans que ses visas ne portent mention d’une note en délibéré reçue antérieurement.

(15 mars 2023, Mme J., n° 452953)

 

35 - Référé liberté – Demande d’annulation d’un décret et de suspension de tout jugement en découlant – Irrecevabilité - Rejet.

Rappel qu’il n’entre pas dans l’office du juge des référés, juge du provisoire, de prononcer l’annulation d’une décision administrative, une telle demande est donc manifestement irrecevable. Est pareillement manifestement irrecevable la demande, sans autre précision, de suspension de « tout jugement qui découle (du) décret (du 4 mai 2022 portant incorporation au CGI de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code) et celui à venir du 2 mars 2023 ».

(ord. réf. 07 mars 2023, Mme B., n° 471765)

 

36 - Exécution d’une décision de justice – Rapport négatif de la section du rapport et des études du Conseil d’État – Ouverture d’une procédure juridictionnelle d’astreinte d’office – Condamnation à astreinte.

Par une décision du 25 novembre 2020 (Conseil national de l’ordre des médecins, n° 428451), le Conseil d'État a annulé le décret du 26 décembre 2018 relatif aux départements d'information médicale en tant qu'il ne prévoit pas, lors de l'accès des commissaires aux comptes aux données personnelles de santé recueillies au cours de l'analyse de l'activité, de mesures de protection techniques et organisationnelles propres à garantir l'absence de traitement de données identifiantes et, en cas d’accès des prestataires extérieurs à ces données, de mesures techniques et organisationnelles propres à assurer que seules sont traitées, avec des garanties suffisantes, les données identifiantes nécessaires au regard des finalités du traitement et de dispositions destinées à garantir qu'ils accomplissent effectivement leurs activités sous l'autorité du praticien responsable de l'information médicale. Le Conseil d’État a encore précisé dans cette même décision que cette annulation impliquait nécessairement l'édiction d'une réglementation complémentaire.

Il résulte des diligences effectuées par la section du rapport et des études du Conseil d’État que cette dernière partie de la décision n’a pas été exécutée et c’est pourquoi le président de la section du contentieux a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle d'astreinte d'office.

Est donc prononcée contre l’État, à défaut pour lui de justifier de cette exécution dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, une astreinte de trois cents euros par jour jusqu'à la date à laquelle la décision du 25 novembre 2020 aura reçu exécution.

(09 mars 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 468007)

(37) V. aussi, pour un autre exemple de prononcé d’une astreinte d’office dans un litige où le haut-commissaire de la République en Polynésie française a refusé d'édicter les mesures qu'implique nécessairement l'application des art. L. 471-5 et L. 564-3 du code de l'action sociale et des familles en Polynésie française : 17 mars 2023, M. B., n° 463548.

 

38 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

Devant la hausse considérable des tarifs de l’électricité ont été mis en place deux dispositifs d’atténuation des effets économiques de cette hausse : le « bouclier tarifaire », qui concerne les consommateurs non domestiques employant moins de dix personnes, dont le chiffre d'affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n'excèdent pas 2 millions d'euros, pour leurs sites souscrivant une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères et « l’amortisseur électrique », pour les consommateurs finals dont le nombre d'employés, le chiffre d'affaires ou la consommation électrique sont supérieurs aux seuils fixés pour bénéficier du « bouclier tarifaire » et qui remplissent les conditions prévues à l'art. 3 du décret du 31 décembre 2022 dans la version que lui a donné le décret du  03 février 2023 pris pour l’exécution des VIII et IX de l'art. 181 de la loi de finances pour 2023. Les deux mécanismes, on l’aura compris, sont exclusifs l’un de l’autre.

Les entreprises de boulangerie requérantes demandaient au juge saisi au moyen d’un référé liberté « d'enjoindre au gouvernement d'étendre à toute personne concernée par l'amortisseur électrique, dont ils font partie, le bouclier tarifaire électrique instauré par le décret n° 2022-1774 du 31 décembre 2022 ».

La requête est rejetée faute d’urgence extrême.

Il faut à nouveau insister sur ce que l’urgence de l’art. L. 521-2 CJA n’est pas celle des autres référés, notamment du référé suspension. Cela se comprend du fait du délai de 48 heures en principe imparti au juge pour statuer. Ceci implique, d’une part, la possibilité pour l’administration de prendre dans ce bref délai des mesures propres à obvier efficacement à la situation présente et, d’autre part, que ces mesures soient elles-mêmes efficaces dans ce même délai.

Ici, le juge des référés décide que « ni les mesures sollicitées, qui sont des mesures réglementaires ne présentant pas le caractère de mesures de sauvegarde provisoires à très bref délai, ni la situation des entreprises requérantes, qui n'établissent pas que faute de remplir les conditions posées par l'art. 1er du décret du 31 décembre 2022 pour bénéficier du « bouclier tarifaire », elles se trouveraient exposées à bref délai à une cessation de paiement, ne permettent de regarder comme remplie la condition d'extrême urgence justifiant l'intervention rapide du juge des référés saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »  

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

 

39 - Référé suspension – Prise postérieure d’une décision remédiant au vice retenu pour ordonner la suspension – Pourvoi contre la décision de suspension devenu sans objet – Non-lieu à statuer.

La commune de Toulon se pourvoit en cassation d’une ordonnance ordonnant la suspension de l’arrêté municipal prononçant la fermeture au public d’un établissement au double motif de l’existence d’une urgence à statuer et du défaut de caractère contradictoire de la procédure suivie par la commune.

Entretemps, cette dernière a recueilli les observations de l’intéressé et prononcé à nouveau la fermeture de la salle. Du fait de cette nouvelle décision, le pourvoi contre l'ordonnance suspendant la première décision doit être regardé comme privé d'objet. Il n’y a donc pas lieu pour le Conseil d’État d’y statuer.

(10 mars 2023, Commune de Toulon, n° 466752)

 

40 - Marché public – Mise en cause de la responsabilité des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre – Conclusions subsidiaires d’appel – Invocation d’un manquement à l’obligation de conseil – Absence de présentation d’un moyen à cet effet avant l’expiration du délai d’appel – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel, saisie de conclusions subsidiaires d’appel tendant à la mise en cause de la responsabilité contractuelle des membres d’un groupement de maîtrise d'œuvre pour manquement à leur obligation de conseil, les rejette, au visa des dispositions combinées des art. R. 411-1, R. 811-2 et R. 811-13 du CJA, comme manifestement irrecevables dès lors que le demandeur n'a présenté devant le juge d'appel, dans le délai d'appel, aucun moyen spécifique au soutien de ses conclusions contestant le jugement du tribunal administratif sur ce point.

(17 mars 2023, Groupement de coopération sanitaire de moyens de Mangot-Vulcin, n° 462460)

 

41 - Délai d’appel – Délai franc expirant un dimanche – Report au premier jour ouvrable suivant – Erreur de droit – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance qui juge manifestement irrecevable pour cause de tardiveté l’appel formé le lundi 27 décembre 2021 contre un jugement notifié le 25 octobre 2021 alors que le délai d’appel, délai franc, expirait le dimanche 26 décembre 2021 à minuit. L’appel était donc encore recevable le lundi 27 décembre.

(17 mars 2023, Mme D., n° 462765)

 

42 - Police de l’audience – Infraction d’audience – Pouvoirs du président de la formation de jugement – Conséquences différentes selon que le fauteur de trouble est ou non partie à l’affaire examinée lors de l’incident – Conciliation de la dignité des débats et de l’impartialité du juge.

L’affaire n’est – heureusement – pas banale.

Au cours d’une audience se tenant dans le cadre d’un litige en licenciement d’un salarié protégé ainsi qu’après que l’affaire a été mise en délibéré, l’intéressé a perturbé les débats et eu une attitude qui n'était ni digne ni respectueuse de la justice, de ses magistrats et de ses greffiers. Le président de la formation de jugement a alors usé des pouvoirs qui lui sont conférés par l’art. R. 731-1 du CJA au titre de la police des audiences.

Le Conseil d’État rappelle que le président de la formation de jugement doit, en ce cas, ordonner au perturbateur qu'il mette fin immédiatement à ses agissements, sous peine d'être expulsé de la salle d'audience. Si les agissements en cause peuvent recevoir une qualification pénale, tel l’outrage à magistrat, le président en informe le chef de juridiction pour signalement au procureur de la république tout comme il est loisible à tout magistrat directement visé de porter plainte ou d’actionner l’action publique ou l’action civile. Pour autant, la circonstance que le président d'une formation de jugement fasse, en présence de tels agissements, usage de ses pouvoirs de police n'est pas, en elle-même, de nature à affecter la régularité de la décision juridictionnelle rendue à l'issue de cette audience. 

En revanche, lorsque le perturbateur est partie au litige soumis à la juridiction au cours de l’audience perturbée et afin de ne pas créer dans le chef de cette partie un doute sur son impartialité à juger son affaire, il appartient au président de la formation de jugement de rayer l'affaire du rôle de l'audience, de façon à ce qu'elle puisse être examinée à une autre audience, devant une formation de jugement à laquelle il ne participe pas ainsi, éventuellement, que les magistrats directement visés. A fortiori en va-t-il ainsi lorsque, comme au cas de l’espèce, le président de la même formation de jugement a immédiatement après la fin de l'audience porté plainte contre le perturbateur à raison de son comportement à l'audience et que l'arrêt qu'il attaque a été rendu postérieurement à ce dépôt de plainte, après qu'il a été délibéré sur le litige par une formation de jugement présidée par le même magistrat administratif.

(21 mars 2023, M. C., n° 456347)

 

43 - Recours formé par une personne morale – Demande de communication de ses statuts et, le cas échéant, de communication d’une délibération – Qualité de représentant de la personne morale non contestée par l’autre partie – Irrecevabilité – Annulation et renvoi au tribunal administratif – Annulation et rejet.

Rappel de ce que, saisi de la requête d'une personne morale, le juge peut s'assurer, chaque fois qu'il l'estime nécessaire, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que cette qualité ne serait pas contestée sérieusement par l'autre partie.

Commet par suite une erreur de droit et encourt cassation l’arrêt d’appel fondé sur ce que le premier examen du dossier de première instance ne faisait pas apparaître que le représentant de la fédération requérante n'aurait pas eu qualité pour agir au nom de cette dernière.

Cette solution doit être approuvée car la vérification de la qualité pour agir, élément fondamental de tout procès, appartient au seul juge et ne saurait être abandonnée aux parties.

(24 mars 2023, Société des forces hydrauliques du Nées, n° 448722)

 

44 - Dénaturation des pièces – Appelant affublé de la nationalité monténégrine – Titulaire d’un passeport croate – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la cour administrative d’appel qui attribue à un appelant la nationalité monténégrine alors qu’il est titulaire d’un passeport croate et de la nationalité croate.

(24 mars 2023, M. A., n° 448841)

 

45 - Nouvelle-Calédonie - Condamnation de l’État (administration pénitentiaire) à astreinte – Inexécution partielle – Pouvoirs du juge de l’exécution (art. L. 911-7 CJA) – Attribution du produit de l’astreinte.

L’état, notamment sanitaire, du centre pénitentiaire de Nouméa est déplorable et la requérante, ainsi que d’autres organisations d’ailleurs, s’en est souvent plainte au juge administratif.

La présente affaire illustre une nouvelle fois cette situation et la difficulté d’en obtenir l’amélioration à défaut de cessation complète de l’état très dégradé.

Par une décision du 11 février 2022, le Conseil d'État a prononcé une astreinte à l'encontre de l'État s'il n'était pas justifié, dans le délai d'un mois suivant la notification de cette décision, de l'exécution, d'une part, des injonctions prononcées par l'ordonnance du 19 février 2020 par le juge des référés du tribunal administratif de Nouméa tendant à ce que soit facilité l'accès des personnes détenues aux téléphones mis à leur disposition, que soit résorbée l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, que le suivi des personnes détenues par un médecin addictologue soit assuré, que des produits répulsifs soient distribués, à titre gratuit, aux personnes détenues dans les cellules infestées et que soient installées des moustiquaires dans les salles d'enseignement et les cellules infestées et, d'autre part, de l'injonction prononcée par la décision n° 439372, 439444 du 19 octobre 2020 du Conseil d'État tendant à ce qu'il soit procédé au remplacement des fenêtres cassées ou défectueuses.

Par la même décision, le taux de cette astreinte a été fixé à 1 000 euros par jour de retard.

Au plan de la procédure, le Conseil d’État rappelle que si  le juge de l'exécution saisi, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 911-7 du CJA, aux fins de liquidation d'une astreinte précédemment prononcée peut la modérer ou la supprimer, même en cas d'inexécution constatée, compte tenu notamment des diligences accomplies par l'administration en vue de procéder à l'exécution de la chose jugée, il n'a pas le pouvoir de remettre en cause les mesures décidées par le dispositif de la décision juridictionnelle dont l'exécution est demandée.

Usant de souplesse et de réalisme, le juge admet cependant que l'administration puisse justifier avoir adopté, en lieu et place des mesures provisoires ordonnées par le juge des référés, des mesures au moins équivalentes à celles qu'il lui a été enjoint de prendre, et qu’en ce cas le juge de l'exécution peut constater que l'ordonnance du juge des référés a été exécutée. 

Au fond, le Conseil d’État constate que si la plupart des prescriptions contenues dans les injonctions antérieures (accès facilité des détenus aux téléphones mis à leur disposition, résorption de l'insalubrité des points d'eau et des sanitaires du quartier des mineurs, organisation du suivi des personnes détenues par un médecin addictologue, remplacement des fenêtres cassées) ont été exécutées ou sont en cours d’exécution, l’une d’elles ne l’est toujours pas. Il s’agit de l’injonction relative à l’installation de moustiquaires dans les salles d'enseignement, à laquelle l'administration n'a pas procédé à ce jour. Même si le ministre de la justice fait valoir, d’une part, que les salles d'enseignement ont été équipées d'une climatisation mise en marche un quart d'heure avant le début des cours et fonctionnant durant toute la durée de la classe, d’autre part, l'efficacité d'une telle mesure pour limiter l'impact des moustiques durant les cours, il n'apporte pas d'éléments établissant que celle-ci a des effets au moins équivalents aux mesures que l'ordonnance du 19 février 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Nouméa lui a enjoint de mettre en œuvre.

Ainsi, le ministre ne peut, dans ces conditions, être regardé comme ayant en l'espèce pleinement exécuté cette ordonnance. 

Suite à sa modération, le produit de l’astreinte allouée à la demanderesse est fixé à dix mille euros.

On approuvera cette solution autant par sa haute valeur symbolique que par ses effets concrets même si l’on peut regretter que le juge ait fait preuve d’une patience infinie dans l’attente d’un comportement de l’administration pénitentiaire qui serait un tantinet plus respectueux de l’autorité de la chose jugée.

(27 mars 2023, Section française de l'Observatoire international des prisons, n° 452354)

 

46 - Procédure contentieuse – Régularité des jugements – Absence de mention des juges ayant rendu un jugement ou arrêt – Annulation.

Est annulé l’arrêt dont la minute ne comporte pas les noms des juges l’ayant rendu.

(29 mars 2023, M. B., n° 464527)

 

47 - Procédure contentieuse – Requête manifestement irrecevable – Champ d’application et régime contentieux – Annulation.

La présente décision se caractérise par deux rappels et une importante précision qui aurait pu en justifier la publication au Recueil Lebon.

Rappel en premier lieu de ce que la catégorie des « requêtes manifestement irrecevables » recouvre trois hypothèses :

1° les requêtes dont l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte,

2° les requêtes qui ne peuvent être régularisées que jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsque ce délai est expiré,

3° les requêtes ayant fait l’objet d’une invitation à régulariser, lorsque vient à expiration le délai imparti au requérant à cette fin.

Rappel en second lieu, que ces requêtes peuvent être rejetées par ordonnance (art. R. 222-1 CJA).

Par ailleurs, cette décision apporte cette précision/innovation que dans le cas où la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, alors même qu'elle aurait fixé une date de clôture d'instruction, la requête ne peut pas être rejetée par ordonnance mais seulement par une décision prise après audience publique. 

Ainsi, commet une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance, prise sur le fondement du 4° de l’art. R. 222-1 CJA précité, rejetant comme manifestement irrecevable une demande tendant à l'annulation d’un permis d'aménager en retenant, postérieurement à la clôture de l'instruction, la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de ce que le demandeur ne justifiait pas d'un intérêt pour agir.

En ce cas, le juge devait préalablement inviter le requérant à régulariser sa requête en apportant les précisions permettant d'en apprécier la recevabilité au regard des exigences de l'art. L. 600-1-2 du code de l'urbanisme et l’informer, comme l'exige l'art. R. 612-1 du CJA, des conséquences qu'emporterait un défaut de régularisation dans le délai imparti.

(30 mars 2023, M. B., n° 453389)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

48 - Impôt sur les sociétés – Société mère d’un groupe fiscalement intégré - Distribution de dividendes et autres profits – Institution de la règle du précompte (art. 223 sexies CGI) – Contrariété en certains cas à une directive – Limites – Rejet.

Si cette affaire est importante son exposition n’en demeure pas moins d’une certaine complexité, tournant autour de la question du précompte.

Le code général des impôts (art. 158 bis) dispose que les personnes qui reçoivent des dividendes distribués par des sociétés françaises bénéficient à ce titre d'un revenu constitué par les sommes qu'elles reçoivent de la société distributrice et par un avoir fiscal représenté par un crédit ouvert sur le Trésor. Ce crédit d'impôt, égal à la moitié des sommes effectivement versées par la société, ne peut être utilisé que dans la mesure où le revenu est compris dans la base de l'impôt sur le revenu dû par le bénéficiaire. L'article 216 du même code prévoit par ailleurs que : « Les produits nets des participations, ouvrant droit à l'application du régime des sociétés mères et visées à l'article 145, touchés au cours d'un exercice par une société mère, peuvent être retranchés du bénéfice net total de celle-ci (...) ». Surtout, selon le premier alinéa du 1 de l'art. 223 sexies de ce code, dans sa version issue de la loi de finances pour 2000 du 30 décembre 1999 : « (...) lorsque les produits distribués par une société sont prélevés sur des sommes à raison desquelles elle n'a pas été soumise à l'impôt sur les sociétés au taux normal (...), cette société est tenue d'acquitter un précompte égal au crédit d'impôt calculé dans les conditions prévues au I de l'article 158 bis. Le précompte est dû au titre des distributions ouvrant droit au crédit d'impôt prévu à l'article 158 bis quels qu'en soient les bénéficiaires ». Enfin, aux termes du 2 de l'article 146 du même code, avant son abrogation par l'article 93 de la loi du 30 décembre 2003 de finances pour 2004 : « Lorsque les distributions auxquelles procède une société mère donnent lieu à l'application du précompte prévu à l'article 223 sexies, ce précompte est diminué, le cas échéant, du montant des crédits d'impôts qui sont attachés aux produits des participations (...), encaissés au cours des exercices clos depuis cinq ans au plus ».

En l’espèce, la société L'Air liquide, société mère d'un groupe fiscalement intégré, a demandé à l'administration fiscale de lui accorder la restitution de l'intégralité du précompte dont elle s'est acquittée entre 2000 et 2004 à raison de la redistribution à ses actionnaires, notamment, de produits des participations qu'elle détient dans ses filiales établies dans des États membres de l'Union européenne autres que la France. Après rejet de sa réclamation, la société L'Air liquide a saisi le juge administratif qui a prononcé la restitution du précompte dont s'était acquittée la société au titre des distributions de dividendes intervenues en 2002 et 2003 à hauteur de respectivement 18 315 969 euros et de 11 994 059 euros et rejeté le surplus de sa demande. Par deux pourvois, ici joints, le ministre de l'économie, des finances...  et la société L'Air liquide se pourvoient en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel, statuant sur appel de la société L'Air liquide, a porté le montant de cette restitution à 42 443 780 euros et 19 725 565 euros au titre des distributions intervenues en 2002 et en 2003 et rejeté le surplus des conclusions de l'appel de la société.

Se posait à ce stade une intéressante question d’applicabilité et de portée de l’art. 4 d’une directive de l’Union tel qu’interprété par la CJUE dans son arrêt du 12 mai 2022 (Schneider Electric et autres, aff. C-556/20). Selon la Cour, le paragraphe 1 de l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents, doit être interprété comme s'opposant à une réglementation nationale qui prévoit qu'une société mère est redevable d'un précompte en cas de redistribution à ses actionnaires de bénéfices versés par ses filiales lorsque ces bénéfices n'ont pas supporté l'impôt sur les sociétés au taux de droit commun, dès lors que les sommes dues au titre de ce précompte dépassent le plafond de 5 % prévu au paragraphe 2 de ce même article 4. La Cour a également jugé qu'une telle réglementation, alors même qu'elle ne s'appliquerait que lorsque la redistribution ouvre droit à un avoir fiscal, ne relevait pas des stipulations du paragraphe 2 de l'art. 7 de cette même directive.

Le Conseil d’État donne une interprétation assez restrictive de cette solution jurisprudentielle.

Il juge, en effet, positivement, qu’une société mère est fondée à obtenir la restitution du précompte qu'elle a acquitté à raison de la redistribution de dividendes reçus de ses filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, dès lors que l'art. 4 de la directive du Conseil du 23 juillet 1990 fait obstacle à ce qu'elle soit soumise à une imposition sur de tels dividendes.

Il juge aussi, négativement cette fois, que lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de telles filiales, l'obligation dans laquelle elle se trouve, le cas échéant, d'acquitter à ce titre le précompte n’est pas incompatible avec la directive du 23 juillet 1990. Ce point eût mérité, assurément, un renvoi préjudiciel à la CJUE.

En conséquence, le pourvoi est rejeté en ses deux chefs principaux de griefs.

Tout d’abord, il est jugé qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les dispositions relatives au précompte et la convention EDH, spécialement l’art. 1er du premier protocole additionnel à cette convention et l’art. 14 de celle-ci. Or, pour exciper, comme le fait ici la société, d’une situation discriminatoire, il convient de démontrer qu’elle n'est pas assortie de justifications objectives et raisonnables, c'est-à-dire qu’elle ne poursuit pas un but légitime ou qu'il n'y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

De ce chef, la société requérante fait soutenir que les dispositions de l'art. 223 sexies du CGI, telles qu'interprétées en conséquence de l'arrêt du 12 mai 2022 de la CJUE, en ce qu'elles ont pour effet de soumettre au précompte mobilier une société mère établie en France à raison de la redistribution de dividendes en provenance de filiales établies dans un État tiers à l'Union européenne tandis que n'en est pas redevable une société mère qui redistribue des dividendes en provenance de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France, instituent entre les sociétés mères un traitement discriminatoire au regard du droit au respect de leurs biens, selon le lieu d'établissement de leurs filiales. 

Selon le Conseil d’État, par l’institution du précompte, le législateur a entendu assurer la cohérence du dispositif d'élimination de la double imposition économique des dividendes qu'il créait, en faisant en sorte que l'avoir fiscal dont les sommes distribuées étaient assorties, constitue la contrepartie de la soumission à l'impôt, en amont, des bénéfices sur lesquels ces sommes étaient prélevées. Or il résulte de la jurisprudence de la CJUE précitée, telle qu’interprétée par le Conseil d’État, que le champ de la directive est limité, en vertu de son article 1er, aux distributions en provenance ou à destination d'un autre État membre, lorsqu'elle procède à la redistribution, également assortie de l'avoir fiscal, de dividendes en provenance de filiales établies dans des États tiers à l'Union européenne et qu’une telle société mère demeure redevable du précompte. Il découle ainsi des dispositions contestées, telles qu'elles doivent être mises en œuvre pour se conformer aux exigences du droit de l'Union européenne, une différence de traitement entre sociétés mères, au regard de la soumission au précompte, selon que celles-ci redistribuent des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France ou des dividendes en provenance d'une filiale établie dans un État tiers à l'Union européenne. 

Ce raisonnement se discute : si la compétence des actes et jugements des organes de l’Union se limitent au territoire globalisé des États qui la composent, il n’en reste pas moins que doivent être respectées les conditions d’une concurrence et d’une égalité desdits États envers les États tiers d’une part, et au regard des charges mises sur les contribuables des différents États de l’Union du fait d’activités et de relations économiques qu’ils entretiennent en dehors de l’Union. Par ailleurs, reconnaissant implicitement le bien-fondé de cette objection (d’où cette affirmation que « le respect des exigences découlant du droit de l'Union européenne constitue un objectif d'intérêt public légitime de nature à justifier une différence de traitement entre des situations comparables, selon qu'elles sont ou non régies par ces règles »), le Conseil d’État recherche si du fait du régime fiscal critiqué par le pourvoi en résulte une absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi. Et celui-ci de conclure que la différence de traitement en cause peut être regardée comme répondant à une justification objective et raisonnable.

Ensuite, est rejeté le second grief tiré de ce que la déclaration de précompte ne serait pas opposable au contribuable dès lors qu’il n’a pas à la souscrire. Le juge estime que la circonstance que le droit de l'Union fasse obstacle au prélèvement d'un précompte à raison de la redistribution de produits de filiales établies dans un État membre de l'Union autre que la France ne remet pas, par elle-même, en cause la possibilité de recourir aux éléments portés dans cette déclaration pour déterminer le montant du précompte dont une société demeure redevable à raison de la distribution d'autres bénéfices ainsi que celui dont elle est fondée à obtenir la restitution.

Enfin, sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d’État donne raison à ce dernier s’agissant du grief d’erreur de droit articulé à l’encontre de l’arrêt d’appel frappé de pourvoi pour n’avoir pas précisé le montant effectivement versé aux bénéficiaires des distributions alors qu'il résulte des dispositions du II de l'art. 46 quater-0 E de l'annexe III au CGI que les montants mentionnés dans la déclaration de précompte comme imputés sur les différents postes de résultats disponibles s'entendent du total des revenus effectivement distribués et du précompte y afférent.

(1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 443678 ; Société l’Air liquide, n° 443800)

(49) V. dans le même sens, annulant l’arrêt d’appel ayant jugé que la société demanderesse (SA Mersen) était fondée à obtenir la restitution de l'intégralité du précompte qu'elle avait acquitté en 2002 et 2003 : 27 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 438187.

(50) V. aussi, largement comparable en son principe à la décision n° 443678, rejetant une QPC à l’encontre de l’art. 223 sexies du CGI, ainsi que les arguments d’inopposabilité du précompte et d’incompatibilité du précompte avec la directive de 1990 lorsqu'une société choisit de prélever les sommes qu'elle distribue sur des bénéfices autres que ceux constitués de dividendes reçus de filiales établies dans un État à l’extérieur de l’Union : 1er mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 441657 ; Société Schneider Electric, n°442192.

(51) V. également, prononçant, après renvoi préjudiciel à la CJUE, l’annulation des commentaires administratifs attaqués (documentation de base publiée le 1er novembre 1995 sous les références 4 J 1321 et 4 J 1322  - Instruction 4 J-1-01 du 21 mars 2001, publiée au BOI du 30 mars) au motif qu'ils réitèrent les dispositions de l'article 223 sexies du CGI relatives au précompte mobilier lesquelles sont incompatibles avec le droit de l’Union : 1er mars 2023, Société européenne Schneider Electric et sociétés anonymes (SA) Axa, BNP Paribas, Engie et Orange, n° 442224 ; Société anonyme L'Air Liquide pour l'étude et l'exploitation des procédés George Claude, n° 442248.

(52) V. voisin dans l’esprit mais portant sur une autre imposition, l’application positive faite à la société demanderesse de la jurisprudence de la CJUE (2 septembre 2015, Groupe Steria SCA, aff. C-386/14) selon laquelle l'art. 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation d'un État membre relative à un régime d'intégration fiscale en vertu de laquelle une société mère intégrante bénéficie de la neutralisation de la réintégration d'une quote-part de frais et charges forfaitairement fixée à 5 % du montant net des dividendes perçus par elle des sociétés résidentes parties à l'intégration, alors qu'une telle neutralisation lui est refusée, en vertu de cette législation, pour les dividendes qui lui sont distribués par ses filiales situées dans un autre État membre qui, si elles avaient été résidentes, y auraient été objectivement éligibles, sur option, en vertu des dispositions de l'art. 223 A du CGI : 1er mars 2023, Société AXA, n° 464552.

(53) V., dans le sens des décisions précédentes mais annulant les imprécisions dans le calcul du précompte par une cour administrative d’appel : 27 mars 2023, S.A. Chargeurs, n° 442866. Et aussi, très comparables en substance : 27 mars 2023, SA Engie venue aux droits de la SA GDF Suez, n° 443285 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SA Péchiney, n° 443294 ; 27 mars 2023, SAS Rio Tinto France venue aux droits de la SAS Alcan France, n° 443296 ; 27 mars 2023, SA Orange venue aux droits de la SA France Télécom, n° 443413 ; 27 mars 2023, SA Accor, n° 443425 ; 27 mars 2023, SA Axa, n° 443457 ; 27 mars 2023, SA Imerys, n° 443483.

 

54 - Impôt sur les sociétés – Conventions internationales d’évitement de doubles impositions – Interprétation – Cas d’une situation déficitaire – Impossibilité d’imputation d’un crédit d’impôt conventionnel au titre d’un exercice ultérieur – Rejet.

La société Natixis ainsi que les filiales appartenant au groupe fiscal intégré dont elle est la société mère ont perçu, au titre de chacune des années 2008 à 2011, divers revenus de source étrangère, en particulier des dividendes, auxquels étaient attachés des crédits d'impôt correspondant à l'impôt prélevé à la source dans les États dont provenaient ces revenus, en application des stipulations des conventions fiscales bilatérales conclues entre la France et ces États en vue d'éliminer les doubles impositions.

La société requérante n'ayant pu les imputer sur l'impôt sur les sociétés dû au titre des exercices clos au cours des mêmes années compte-tenu de sa situation déficitaire, elle a demandé à l'administration fiscale le remboursement des cotisations d'impôts sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2012 au titre duquel elle était redevenue bénéficiaire, à concurrence d'une somme correspondant au montant de ces crédits d'impôt.

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif qui a rejeté sa demande de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.

Son pourvoi est rejeté aux termes d’une décision complexe et discutable.

Dans un premier temps, le juge commence par relever que les stipulations des articles relatifs à l'élimination des doubles impositions des quinze conventions fiscales bilatérales conclues par la France et invoquées par la requérante prévoient que, lorsqu'un résident de France perçoit des revenus en provenance de ces États revêtant la nature, notamment, d'intérêts, de redevances et de dividendes et que ces revenus y ont supporté l'impôt, ils sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français, leur bénéficiaire disposant d’un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt payé ou supporté dans l'État d'origine, qui ne peut toutefois excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. Il relève ensuite que ces conventions ne comportent, en revanche, aucune stipulation prévoyant qu'une société résidente de France puisse imputer sur l'impôt dû au titre d'un exercice ultérieur le crédit d'impôt conventionnel correspondant à l'impôt acquitté à l'étranger qu'elle ne peut, en raison de sa situation déficitaire, imputer au titre de l'exercice au cours duquel elle perçoit les revenus y ouvrant droit. On peut déjà s’interroger sur la pertinence intellectuelle d’une telle exclusion de la symétrie fiscale.

Dans un deuxième temps, le juge recourt à la notion, obscure, de « double imposition juridique » pour en tirer « que l'absence de possibilité de report d'un crédit d'impôt conventionnel non utilisé du fait d'une situation déficitaire ne saurait conduire à priver un contribuable résident de France du bénéfice de l'élimination d'une double imposition » et pour réfuter la thèse de la société requérante selon laquelle les stipulations des conventions fiscales bilatérales en cause devraient être lues, dans leur silence, comme prévoyant nécessairement le report des crédits d'impôt conventionnels non utilisés. Une telle déduction ne nous semble pouvoir être admise que si elle est commune à tous les signataires desdites conventions sans que puisse être invoquée une prétendue souveraineté fiscale comme on le voit ci-après.

Dans un troisième temps, le juge croit pouvoir s’abriter derrière la circonstance que la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne selon laquelle, en l'absence de mesures d'unification ou d'harmonisation adoptées par l'Union, les États membres demeurent compétents pour définir, par voie conventionnelle ou unilatérale, les critères de répartition de leur pouvoir de taxation et la préservation de cette répartition est un objectif légitime reconnu par la Cour. Il juge en conséquence que : « En particulier, le droit de l'Union, dans son état actuel, ne prescrit pas de critères généraux pour la répartition des compétences entre les États membres s'agissant de l'élimination de la double imposition à l'intérieur de l'Union ». Ceci ne saurait faire échec aux exigences d’égalité concurrentielle et d’interdiction de dumping fiscal qui, par elles-mêmes, prohibent nécessairement des attitudes nationales portant directement atteinte à la libre circulations des capitaux (on nous fera grâce du caractère d’alibi de l’invocation de la différence de situation entre deux sortes de sociétés), à la libre détermination des actes juridiques et de leurs motifs, sans entraves nationales.

La solution est d’autant plus regrettable qu’elle s’accompagne d’un refus de renvoi préjudiciel à la Cour de Luxembourg sur ce sujet.

(08 mars 2023, Société anonyme Natixis, n° 456349)

 

55 - Investissements productifs en outre-mer – Agrément fiscal en vue de l’admission au crédit d’impôt existant pour de tels investissements – Entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location – Contrôle de l’administration fiscale et portée – Erreur de droit – Annulation.

Une entreprise d’achat de bateaux de plaisance en vue de leur location à des bases nautiques dans les départements d'outre-mer ou directement à des particuliers s’est vu refuser l’agrément fiscal nécessaire à l’obtention du bénéfice du crédit d’impôt afférent à de tels investissements en vertu des art. 244 quater W et 217 undecies (premier alinéa du I) du CGI. Elle a saisi le juge administratif ; la cour administrative d’appel a annulé le refus d’agrément.

Sur pourvoi du ministre le Conseil d’État annule pour erreur de droit l’arrêt qui avait jugé que les dispositions du III de l'art. 217 undecies du CGI ne permettent ni de fonder un refus d'agrément, ni de limiter le montant des investissements productifs pour lesquels il est délivré, en se fondant sur d'autres conditions que celles qu'elles prévoient, alors même que l'investissement ne répondrait pas aux conditions fixées par les dispositions de l'art. 244 quater W du CGI.

Il tombe en effet sous le sens que le crédit d'impôt institué par cet article ne peut s'appliquer que sous réserve que soient satisfaites les conditions de fond fixées à cet article, relatives notamment à la nature, à la localisation et à la réalisation des investissements et dont la vérification incombe à la seule administration fiscale. En outre, le VII de cet article  soumet certains de ces investissements à l'agrément préalable prévu au III de l'article 217 undecies précité. La délivrance de l’agrément est ainsi subordonnée au respect des conditions posées à l'article 244 quater W ainsi que, le cas échéant, à celles fixées au III de l'article 217 undecies.

(02 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 452492)

 

56 - Décision de dégrèvement fiscal produite en cours d’instance – Dégrèvement n’ayant été ni notifié ni exécuté envers le contribuable – Litige devenu sans objet – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance d’appel qui, pour décider que le litige n'était pas privé d'objet par la simple intervention d’une décision de dégrèvement car celle-ci n'avait été ni notifiée à la société contribuable, ni exécutée, alors que la production en cours d'instance d'une décision de dégrèvement d'une imposition dont un contribuable a demandé la décharge au juge de l'impôt suffit à priver d'objet le litige.

(02 mars 2023, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 454923)

 

57 - Avantages occultes – Notion – Retrait de sommes d’un compte courant d’associé – Absence de caractère de prêt – Libéralité – Imposition en tant que telle - Rejet.

Ne commet ni erreur de droit ni inexacte qualification des faits l’arrêt d’appel, par ailleurs suffisamment motivé, qui aperçoit non un prêt remboursable mais une libéralité dans le fait pour un contribuable d’avoir prélevé des sommes dans un compte courant d’associé au sein de la société PA Finances, à hauteur de la quasi-totalité de la trésorerie de cette dernière, alors que la convention de placement de ces sommes conclue le 10 juillet 2012 entre M. D. et la société PA Finances était dépourvue de date certaine, qu’elle ne précisait pas le nom de ses signataires, ne mentionnait ni le montant des sommes confiées à M. D., ni les placements envisagés et que si elle prévoyait, au demeurant, sans autre précision, que le rendement escompté devait être « du double du taux de rémunération versé par notre nouvelle banque » et que les sommes devaient être restituées « à première demande », elle n'organisait aucun mécanisme de garantie.

En outre, la cour a constaté que si les procès-verbaux d'assemblée générale du 20 juillet 2013 et du 27 juin 2014 faisaient mention de cette convention, ils n'apportaient pas davantage de précisions sur les modalités de l'opération. Enfin, elle a également retenu le fait qu'aucun produit financier résultant de ces placements n'avait été enregistré par la société au cours des exercices vérifiés et que les sommes en cause n'avaient été restituées à la société que le 5 décembre 2014, soit postérieurement à la notification de la proposition de rectification en date du 20 novembre 2014.

Pas davantage n’a été commise une erreur de droit en ce que la cour a jugé que l'administration avait pu imposer les sommes en litige en qualité d'« avantages occultes » au sens des dispositions du c) de l'article 111 du CGI.

(06 mars 2023, M. et Mme D., n° 458553)

 

58 - Société n’ayant qu’un siège social apparent au Luxembourg – Réintégration dans le revenu imposable de dividendes et tantièmes perçus sans imputation de la retenue à la source pratiquée au Luxembourg – Conditions d’application de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 – Rejet et annulation partiels.

L’administration fiscale a exigé des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales du fait de la perception de dividendes et de tantièmes par un contribuable en qualité d’administrateur et d’actionnaire de la société CA Animation dont le siège social est au Luxembourg. Ce dernier invoquait le bénéfice de l’application de la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune.

Une double question se posait.

En premier lieu, l’application de cette convention supposait l’examen de la réalité de l’implantation de la société au Luxembourg. Sur ce point la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir répondu par la négative en retenant que la société ne disposait au Luxembourg que d'un local de 13 m² mis à sa disposition par une société luxembourgeoise de domiciliation, qu’elle n'y employait qu'un salarié de la même société exerçant pour elle une activité de comptable quelques heures par semaine tandis que, dans le même temps, ses contrats ont continué à être signés et les décisions à être prises depuis le siège parisien d'autres sociétés du groupe par M. d'Espous et son co-associé, tous deux domiciliés en France.

C’est donc sans erreur de droit, ni de qualification juridique des faits que la cour a jugé que le centre effectif de direction de cette société se situait en France alors même que la société CA Animation tenait ses assemblées générales et ses conseils d'administration au Luxembourg.

En conséquence, le contribuable ne saurait se prévaloir du bénéfice du crédit d'impôt prévu par les stipulations de l'article 19 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, à hauteur du montant de la retenue à la source subie au Luxembourg par les revenus tirés des dividendes et tantièmes. 

En second lieu, en revanche, l’arrêt est annulé pour erreur de droit en tant qu’il a refusé au demandeur le bénéfice de l’application des dispositions de l’art. 122 du CGI lui permettant de déduire des dividendes en litige l'imposition supportée au Luxembourg dès lors que la convention fiscale franco-luxembourgeoise ne comporte aucune stipulation excluant la possibilité de déduire l'impôt acquitté dans cet État d'un revenu imposable en France et dès lors que M. d'Espous, bénéficiaire de la distribution des dividendes, a supporté la charge fiscale ayant pesé sur ces derniers.

(15 mars 2023, M. A. d’Espous, n° 449723)

 

59 - Demande de restitution d’un crédit d'impôt pour dépenses de production déléguée d'œuvres cinématographiques – Demande rejetée pour dépassement du plafond d'aides publiques (VII de l’art. 220 sexies CGI) – Production d’un film « difficile » - Erreur de droit dans l’appréciation de la nature d’aide publique prohibée et sur les effets du plafonnement de l’aide – Annulation avec renvoi.

La requérante a demandé le remboursement d'un crédit d'impôt à raison du film « Vent du Nord » qu'elle a coproduit. L'administration fiscale ayant rejeté sa demande notamment à raison du dépassement du plafond d'aides publiques institué par le VII de l'art. 220 sexies du CGI, sa position a été confirmée, sur recours de la société Barney Production, par les juges du fond, d’où le pourvoi en cassation de cette dernière.

L’art. 220 sexies du CGI a pour objet d’assurer la compatibilité du régime français d'aide au cinéma et à l'audiovisuel avec les règles européennes relatives aux aides d'État, ce régime a été déclaré compatible avec les traités européens par une décision de la Commission européenne.

Par ailleurs, il résulte de l’art. 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que sont considérées comme des aides d'État les interventions de l'État ou au moyen de ressources d'État qui sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres, en accordant un avantage à son bénéficiaire ayant pour conséquence de fausser ou de menacer de fausser la concurrence. En bref, sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui sont à considérer comme un avantage économique que l'entreprise bénéficiaire n'aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché.

Examinant le cas d’espèce, le Conseil d’État relève en premier lieu que le film « Vent du Nord », parce qu’il entre dans la qualification de film dit « difficile », peut bénéficier du crédit d'impôt prévu à l'art. 220 sexies du CGI à condition que le montant total des aides publiques accordées n’excède pas, du fait du crédit d’impôt, plus de 60 % du budget de production. Le juge de cassation relève en second lieu qu’en application de la convention de financement conclue avec l'association Pictanovo, organisme institué par la région des Hauts-de-France pour promouvoir la création cinématographique sur son territoire, cette association a versé à la société Barney Production une somme de 150 000 euros pour participer au financement du film. Ce contrat organise un partage des recettes nettes du film permettant à l'association de percevoir 8,42 % des recettes nettes mondiales jusqu'au remboursement de la somme versée, puis 6 % de ces recettes. En revanche, cette convention ne lui donne pas la qualité de coproducteur, la société Barney Production demeurant seule propriétaire des éléments corporels et incorporels de l'œuvre.

De là se déduit que la cour a commis deux erreurs de droit : d’abord, en jugeant que la somme versée par l'association Pictanovo pour le financement du film avait le caractère d'une aide publique sans rechercher si et dans quelle mesure cette somme constituait un avantage que la société Barney Production n'aurait pu obtenir dans les conditions normales du marché ; ensuite, en jugeant qu’en cas de franchissement du seuil (de 50% ou de 60%) du coût définitif de production de l'œuvre par le montant total des aides publiques accordées pour la production d'un film, le crédit d’impôt devait être remis en cause dans sa totalité, et non pas seulement pour la fraction excédant ce plafond.

(15 mars 2023, Société Barney Production, n° 452317)

 

60 - Impôt sur les sociétés – Créances irrécouvrables – Réintégration de leur montant dans le résultat taxable – Double imposition partielle au détriment de la contribuable – Erreur de droit – Annulation.

Rappel de ce qu’il résulte des dispositions du 5° du 1 de l'article 39 du CGI qu'une provision ne saurait être déduite du résultat de l'exercice si elle n'a pas été effectivement constatée dans les écritures comptables à la clôture de l'exercice. Le défaut de constitution d'une provision n'est ainsi pas susceptible de faire l'objet d'une correction demandée par voie de réclamation ou, après l'expiration du délai de réclamation, par voie de compensation à l'occasion d'un rehaussement.

Dès lors que les provisions qui avaient été constituées par la STPCL au titre des exercices clos entre 2006 et 2009 avaient été reprises au cours de l'exercice clos en 2010 et ne figuraient plus au bilan de clôture de cet exercice, l'absence de déduction du montant de ces provisions pour le calcul du résultat passible de l'impôt sur les sociétés au titre de cet exercice ne pouvait être regardée – contrairement à ce qu’a jugé la cour - comme caractérisant une surtaxe commise au détriment de la société ou une double imposition de nature à ouvrir droit à une demande de compensation à l'occasion de la réintégration par l'administration de la perte sur créances irrécouvrables, d’où la censure de l’arrêt pour erreur de droit.

(13 mars 2023, Société de travaux publics et de construction du Littoral (STPCL), n° 465369)

 

61 - Impôt sur le revenu – Non déclaration de revenus – Prétendue irrégularité de procédure – Dénaturation – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis et encourt la cassation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que le défaut de communication d’une lettre de l’administration fiscale du 13 août 2015 avait entaché d'irrégularité la procédure d'imposition, alors que les renseignements contenus dans cette lettre ne pouvaient être regardés comme ayant été effectivement utilisés pour fonder tout ou partie des impositions supplémentaires mises en recouvrement puisque après un entretien postérieur avec le contribuable, l’administration a informé ce dernier par lettre du 24 octobre 2016 qu'elle abandonnait le chef de redressement  qui y était contenu.

(13 mars 2023, M. et Mme C., n° 466024)

 

62 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

La société requérante, qui assure des prestations de soutien scolaire dans un but lucratif a fait l’objet d’un rappel de TVA à raison de celles-ci. Elle soutient qu’est contraire à la Constitution, en ce qu’il porterait atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques, le a du 1° du paragraphe 7 de l'art. 261 du CGI, pris pour la transposition des dispositions du i du 1 de l'art. 132 et de l'art. 133 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en tant qu’il exonère de la taxe sur la valeur ajoutée, par son premier alinéa, « les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée ». 

Le recours est bien évidemment rejeté tant en raison de l’objectif de favoriser l'accès à des prestations d'intérêt général aux prix les plus faibles poursuivi par cette disposition qu’en raison de ce que l’argument selon lequel cela aurait pour effet de faire supporter aux consommateurs de ces services une charge plus lourde que celle supportée par ceux qui acquièrent ces services auprès d'organismes privés sans but lucratif dont la gestion est désintéressée, est, en lui-même, sans incidence sur le respect du principe d'égalité devant les charges publiques entre les redevables légaux de la TVA que sont les prestataires.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

(63) V. aussi, identique : 13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467226.

 

64 - Compte bancaire ouvert à l’étranger – Obligation de déclaration – Obligation déclarative s’imposant à une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France - Omission de déclaration – Caractère imposable des fonds transitant par ce compte – Rejet.

L’art. 1649 A du CGI fait obligation à tout contribuable domicilié en France, de déclarer à l'administration les références de tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger, à défaut de quoi les fonds ayant transité par ce compte constituent des revenus imposables, sauf preuve que les sommes en question étaient hors champ d'application de l'impôt ou en étaient exonérées, ou constituaient des revenus ayant déjà été soumis à l'impôt.

Le Conseil d’État considère, par une interprétation large de ce texte, que l'obligation déclarative ainsi posée est applicable à tout compte bancaire ouvert, utilisé ou clos à l'étranger par une personne physique, une association ou une société n'ayant pas la forme commerciale, domiciliée ou établie en France, quel que soit le titulaire de ce compte, y compris notamment si ce titulaire est une société commerciale.

En l’espèce, l’administration fiscale a imposé comme un revenu imposable entre les mains de M. C., les sommes ayant transité sur le compte bancaire letton d’une société chypriote dont le contribuable requérant était actionnaire à 50 % et avait tout pouvoir sur le compte bancaire letton.

C’est donc sans erreur de droit que l’arrêt d’appel juge qu’étaient imposables et soumises à déclaration les sommes débitées sur l’ordre de M. C. pour le paiement des fournisseurs sans qu'aient d'incidence à cet égard les circonstances que la société chypriote était une société commerciale non établie en France et que M. C. avait agi en qualité de mandataire social de cette société.

(08 mars 2023, M. et Mme C., n° 463267)

 

65 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

La société RG Patrimoine a obtenu le permis de construire une maison individuelle sur un terrain appartenant à M. A., puis la commune a conclu avec M. A., le 29 juin 2017, une convention de projet urbain partenarial par laquelle l'intéressé s'engageait à verser à la commune une participation correspondant à 50 % du coût des équipements publics à réaliser à raison de la construction projetée. Les 6 juillet 2018 et 9 juillet 2019, deux titres de perception ont été adressés à la société RG Patrimoine en vue du recouvrement de la taxe d'aménagement due à raison de l'opération de construction.

La société RG Patrimoine a saisi le tribunal administratif de l’annulation du refus qui a été opposé à sa demande de restitution de la fraction de ces sommes correspondant à la part communale de la taxe d'aménagement. Ce recours ayant été rejeté par le tribunal, la société se pourvoit en cassation. 

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État retient tout d’abord qu’il résulte des art. L. 332-11-3 et L. 332-11-4 du code de l’urbanisme que la durée de l'exonération de taxe locale d'équipement est l'une des composantes nécessaires d'une convention de projet urbain partenarial. Il indique ensuite qu'à défaut de mention, dans une convention de projet urbain partenarial, de la durée d'exonération de la taxe d'aménagement, les parties à cette convention ne peuvent être regardées comme ayant entendu se référer à la durée maximale de dix ans mentionnée à l'art. L. 332-11-4 du même code. C’est donc sans erreur de droit que le tribunal administratif a jugé que la convention de projet urbain partenarial conclue entre la commune et M. A. n'avait pu avoir pour effet d'exonérer la société requérante de la taxe d'aménagement faute de fixer la durée durant laquelle les constructions édifiées dans son périmètre seraient exclues du champ d'application de la taxe d'aménagement. Au reste, ainsi que l’a d'ailleurs relevé le tribunal, cette convention mentionnait que la société RG Patrimoine serait assujettie à cette taxe au taux de 8 %.

Enfin, contrairement à ce que soutenait la requérante, celle-ci n’a pas fait l’objet d’une double imposition faute d’avoir été assujettie, à la fois, à une participation d’urbanisme et à la taxe d’aménagement.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

(66) V. aussi, jugeant qu’une commune, qui n’a pas la qualité de partie dans l’instance par laquelle un tribunal administratif se prononce sur un litige relatif à la taxe d’aménagement, laquelle constitue une imposition établie, liquidée et recouvrée par l'État au profit de la personne morale de droit public qui en est le bénéficiaire légal, n'est pas recevable à se pourvoir en cassation contre certains articles du dispositif dudit jugement : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468940.

(67) V., identiques, avec même demanderesse : 10 mars 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468941 ; n° 468943 ; n° 468944.

 

68 - TVA – Demande de remboursement d’un crédit de TVA – Nature juridique de « réclamation » (art. L. 190 du LPF) – Décision de rejet – Absence d’effets des irrégularités affectant la procédure conduisant à cette décision – Rejet.

La contribuable, importatrice de tabac, a fait l’objet d’un rappel de TVA et a demandé, en vain, aux juges du fond le remboursement du crédit de TVA dont elle s’estimait titulaire. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet prononcé en première instance.

Le Conseil d’État rappelle qu’une demande de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constitue une réclamation au sens de l’art. L. 190 du LPF dont le rejet, partiel ou total, par l'administration, n'a pas le caractère d'une procédure de reprise ou de rectification.

Or la contribuable se prévalait d’irrégularités dans la procédure d’instruction de la réclamation notamment le fait qu’était dépourvue de signature la proposition de rectification établie à l'issue du contrôle diligenté par l'administration afin d'instruire la demande de remboursement présentée par la société, au point qu’elle a saisi le doyen des juges d'instruction près le tribunal judiciaire de Fort-de-France d’une plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie au jugement.

Ce nonobstant, il est jugé que les irrégularités susceptibles d'avoir entaché la procédure d'instruction de cette réclamation, y compris celles qui affecteraient les opérations de vérification ou de contrôle effectuées, le cas échéant, à cette occasion, sont sans incidence sur le bien-fondé de cette décision. Les moyens du pourvoi dirigés contre ce motif sont inopérants.

(10 mars 2023, Société Import Négoce International, n° 460695)

 

69 - Taxe d’habitation – Locaux non assujettis à cette taxe les deux années précédentes – Irrecevabilité du recours en décharge de l’imposition – Motif d’ordre public – Rejet.

Sont irrecevables, et ce motif est d’ordre public, des conclusions en décharge de la taxe d’habitation qui aurait grevé certains locaux alors que, pour les deux années antérieures, la taxe a fait l’objet d’un dégrèvement total, pour la première année, et n’a pas été réclamée pour la seconde année.

(10 mars 2023, Société Montpellier Rugby Club, n° 460959)

 

70 - Taxe sur les véhicules de société – Conditions d’assujettissement – Interprétation de l’art. 1010 du CGI – Charte des droits et obligations du contribuable vérifié – Interprétation jurisprudentielle – Annulation de l’arrêt et confirmation du jugement.

La société requérante, spécialisée dans la conception et la commercialisation de circuits touristiques en France auprès d'une clientèle anglophone, s’est vue notifier des rappels de taxe sur les véhicules de société. Sur son recours, le tribunal administratif a prononcé la décharge de ces impositions. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt infirmatif de la cour administrative d'appel.

Le juge de cassation décide in fine que c’est à bon droit que le tribunal administratif que les véhicules de neuf places à raison desquels la société Butterfield et Robinson France a été assujettie aux rappels de taxe sur les véhicules de société en litige étant pris en location par la société canadienne Butterfield et Robinson Inc., seule cette dernière pouvait être assujettie à la taxe sur les véhicules de société à raison de ces véhicules. 

Mais la décision vaut surtout par les deux interprétations jurisprudentielles assez innovantes qu’elle contient et qui pouvaient ne pas aller de soi.

En premier lieu, l'art. 1010 du CGI disposait, à l’époque des faits : « I. - Les sociétés sont soumises à une taxe annuelle à raison des véhicules de tourisme qu'elles utilisent en France, quel que soit l'État dans lequel ils sont immatriculés, ou qu'elles possèdent et qui sont immatriculés en France. (...).

II. (...)

Lorsqu'elle est exigible en raison des véhicules pris en location, la taxe est à la charge de la société locataire. (...) ».

Le Conseil d’État interprète ces dispositions comme signifiant que l'administration est tenue d'assujettir à la taxe tous les redevables qui remplissent l'un des critères alternatifs d'assujettissement ainsi définis sauf pour ce qui concerne la taxe exigible en raison de véhicules pris en location qui n'est due que par la seule société locataire. 

En second lieu, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié dispose que le contribuable peut saisir l'inspecteur divisionnaire ou principal pour obtenir des éclaircissements supplémentaires sur les rectifications envisagées au terme de la vérification. Si des divergences importantes subsistent, le contribuable peut faire appel à un interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur.

Le Conseil d’État en déduit cette interprétation que ces dispositions n'imposent pas que le supérieur hiérarchique du vérificateur prenne expressément position après son entretien avec le contribuable. En l'absence de prise de position écrite du supérieur hiérarchique, les divergences avec l'administration fiscale doivent être regardées comme persistant. Par suite, tant que n’est pas intervenu un document écrit par lequel l'administration fiscale fait savoir au contribuable qu'il n'y a plus de désaccord, le contribuable peut faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné. Dans l'hypothèse où une position écrite du supérieur hiérarchique faisant état de la disparition des divergences entre l'administration fiscale et le contribuable intervient après que celui-ci a demandé à rencontrer l'interlocuteur, cette demande devient sans objet. 

(10 mars 2023, Société Butterfield et Robinson France, n° 464123)

 

71 - Droit fiscal international – Convention fiscale bilatérale en vue d’éviter les doubles impositions – Régime juridique au regard de la hiérarchie des normes – Rejet et annulation partiels.

Rappel, cette fois à propos de la convention fiscale bilatérale du 19 juillet 1989 entre la France et les Émirats arabes unis, que si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition.

Il incombe donc en premier lieu au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification.

Il incombe également, en second lieu, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

En l’espèce, il est jugé que si l’administration fiscale a pu à bon droit refuser au contribuable le bénéfice de l'exonération prévue par l'article 81 A du CGI, en revanche, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu en litige.

(20 mars 2023, M. A., n° 452718)

 

72 - Entreprise soumise à une obligation déclarative – Obligation, sous peine d’amende, d’utiliser un formulaire fourni par l’administration fiscale– Formulaire ne permettant pas l’inscription d’une mention – Annulation de l’amende.

Le I de l'article 54 septies du CGI, dispose que les entreprises assujetties aux obligations déclaratives qu'il énonce doivent utiliser un état conforme au modèle fourni par l'administration et dont le contenu est précisé par décret. Les déclarations n’utilisant pas ou ne respectant pas ce modèle pour y porter les informations légalement requises, sont passibles d’une amende prévue par les dispositions du e du I de l'article 1763 du CGI.

La société demanderesse a fait l’objet d’une amende pour ne pas s’être soumise à cette exigence de forme.

Elle a fait valoir devant les juges du fond que devant porter le montant des mali résultant d’une opération de fusion, elle n’a trouvé dans ce formulaire aucun espace pour ce faire. La cour administrative d’appel a cependant confirmé la sanction motif pris de ce qu’il existait sur ce formulaire une ligne vierge qui permettait d’y inscrire le montant des mali.

Sur pourvoi, le Conseil d’État annule l’arrêt en rappelant d’abord que les dispositions régissant l’infliction d’amendes, lesquelles constituent des sanctions, sont d'interprétation stricte. Ensuite, le juge relève que la ligne prétendue vierge par les juges du fond, correspondait à diverses rubriques (valeur fiscale, valeur comptable, montant de la soulte éventuellement reçue, montant de la soulte imposée et valeur d'échange ou d'apport des biens) dont aucune ne concernait le cas de l’espèce qui relevait du 3° du I de l'art. 38 quindecies de l'annexe 3 au CGI.

L’amende infligée était donc évidemment l’illégale.

(22 mars 2023, Société Grenoble Logistique Distribution, n° 455621)

 

73 - Associé d’une société civile professionnelle (SCP) de notaires – Maintien de la qualité d’associé d’un notaire n’exerçant plus d’activité professionnelle – Situation abusive emportant versement d’indemnités aux autres associés – Déductibilité des sommes dues à ce titre – Erreur de droit – Annulation.

Un notaire, membre d’une SCP de notaires, qui a cessé d’exercer, continue néanmoins à percevoir une quote-part des résultats de la SCP. Puis, à raison de l’irrégularité de cette perception de revenus, il a été tenu de verser des indemnités à ses ex-associés.

Il a prétendu déduire ces indemnités du montant des revenus tirés de sa quote-part à raison de son maintien abusif dans ladite SCP.

Le Conseil d’État annule, sur pourvoi du ministre des finances, l’arrêt d’appel qui a jugé déductibles les indemnités versées à ses confrères. En effet, les dépenses mentionnées à l'art. 13 du CGI, sous réserve des dépenses reconnues déductibles du revenu global par l'art. 156 du même code, sont uniquement celles qui ont été nécessaires pour acquérir ou conserver les produits bruts retenus pour le calcul du revenu de la catégorie envisagée, ainsi des frais engagés pour acquérir ou conserver des éléments d'actif qui sont affectés aux entreprises ou aux professions exercées par le contribuable. En revanche, et sauf disposition contraire expresse, les frais engagés pour maintenir ou accroître le patrimoine privé du contribuable ne sont pas déductibles, alors même que des revenus sont ou pourront être retirés de certains éléments de ce patrimoine. 

(22 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464167)

 

74 - Taxe sur les surfaces commerciales – Prise en compte des surfaces de vente temporaires (chapiteaux) – Calcul de ces surfaces – Solution prévue par la loi écartée en raison d’une prise de position formelle de l’administration – Annulation partielle.

Un litige s’est élevé en matière de taxe sur les surfaces commerciales concernant le mode de calcul de l’inclusion dans la superficie taxable des surfaces temporaires de vente, généralement sous chapiteaux.

Le Conseil d’État juge qu’il résulte de la loi (art. 3 de la loi du 13 juillet 1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants et artisans âgés) que pour la détermination du taux de la taxe, il y a lieu, pour calculer le chiffre d'affaires au mètre carré, de tenir compte des surfaces de vente créées ou modifiées en cours d'exercice, y compris celles qui revêtent un caractère temporaire, au prorata du temps d'ouverture de ces surfaces. Toutefois, les paragraphes 58 à 60 de l'instruction fiscale 6 F-2-12 du 23 avril 2012, publiée au Bulletin officiel des impôts du 3 mai 2012, donnent une interprétation de la loi différente de celle jugée seule régulière par le Conseil d’État en ce que ces dispositions prévoient une règle de fractionnement de l'exercice en plusieurs périodes correspondant à des surfaces de vente différentes, le montant de la taxe dû au titre de l'année étant égal à la somme des montants de taxe calculés pour chaque période concernée, l'assiette, le taux et les éventuelles majorations étant calculés distinctement pour chaque période, en fonction de la surface de vente de la période et du chiffre d'affaire proratisé et par application du barème prévu par l'art. 3 de la loi du 13 juillet 1972.

Comme cette interprétation est formelle, le contribuable est fondé, en vertu de l’art. L. 80A du livre des procédures fiscales, à s’en prévaloir et à exiger son application plutôt que celle du texte législatif.

C’est donc par erreur de droit que le tribunal administratif a refusé de faire application de cette interprétation. Le jugement est annulé.

(27 mars 2023, Société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Castorama France, n° 460777)

 

75 - Taxe d’aménagement au titre d’un permis de construire – Abattement pour locaux artisanaux – Locaux en partie vacants – Absence de remise en cause – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la circonstance que des locaux artisanaux sont demeurés en partie vacants ne permet pas de remettre en cause l’abattement de la taxe d’aménagement dont a bénéficié le pétitionnaire du permis de construire ces locaux.

(27 mars 2023, Société Color, n° 463961)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Locaux à usage d’hypermarché – Comparaison avec un local de référence – Local occupé par son propriétaire – Absence de « location à des conditions normales » - Annulation.

Est entaché d’erreur de droit le jugement qui rejette la contestation par une contribuable du montant de la taxe foncière sur les propriétés bâties à laquelle elle a été assujettie à raison de locaux à usage d’hypermarché, contestation fondée sur ce que pour évaluer par voie de comparaison ces locaux a été retenu un local-type n° 27 bis de la catégorie « Maisons exceptionnelles » du procès-verbal d'évaluation de Montpellier, le tribunal administratif s'est borné à relever que, contrairement à ce qui était soutenu, ce local était déjà construit à la date du 1er janvier 1970. Or la société demanderesse soutenait que l'administration n'établissait pas avoir évalué son immeuble au moyen d'un local de référence loué à des conditions de prix normales au 1er janvier 1970 et que la déclaration « modèle P » du local-type n°1 du procès-verbal de la commune de Pérols, invoquée en défense par l'administration pour justifier de la valeur locative du local-type, portait la mention « occupé par son propriétaire », de sorte qu'il ne pouvait en être déduit que ce local-type était loué à des conditions normales au 1er janvier 1970.

(27 mars 2023, SAS Immobilière Carrefour, n° 464693)

 

77 - Impôts sur le revenu - Conjoints – Principe de l’imposition par foyer - Solidarité – Séparation ou divorce – Conséquences – Annulation partielle.

Une cour administrative a accordé à la demanderesse décharge de la solidarité entre conjoints au paiement de l’impôt sur la totalité de l’imposition mise à la charge du foyer fiscal alors que cette dernière avait perçu des revenus au cours de l’année en litige. La cour a commis une erreur de droit car il lui incombait de limiter la décharge à la différence entre, d'une part, le montant de la totalité de l’imposition et, d'autre part, la fraction de la cotisation correspondant à ses revenus personnels et à la moitié des revenus communs.

(27 mars 2023, Mme A., n° 466281)

 

78 - Époux placés sous le régime de la communauté universelle – Mise en commun des valeurs mobilières appartenant à l’un des époux – Cession à titre gratuit de titres dont la plus-value est en report d’imposition - Absence de caractère de cession à titre gratuit – Inapplicabilité du II de l’art. 92 B du CGI – Rejet.

Le II de l’art. 92 B du CGI dispose que les cessions de titres à titre onéreux mettent fin au report d’imposition des plus-values ainsi dégagées et que lors de la cession à titre gratuit des titres dont la plus-value a bénéficié du report d'imposition, cette dernière est définitivement exonérée d'imposition. 

En l’espèce, les époux avaient choisi le régime de la communauté universelle ce qui a entraîné la mise en communauté de valeurs mobilières appartenant à l'un des époux, à laquelle a été adossée leur attribution au conjoint survivant, résultant de l'application d'une clause en ce sens figurant dans le contrat de mariage. Il résulte donc des dispositions des art. 1525 et 1526 et du premier alinéa de l’art. 1527 du Code civil que cette mise en communauté avec attribution au dernier survivant constitue un avantage matrimonial non une donation et, par suite, ne saurait constituer ni une cession à titre gratuit ni une cession à titre onéreux pour l’application du II de l’art. 92 B du CGI. Il suit de là qu’au décès de son mari sa veuve était la redevable de l'imposition de la plus-value résultant de l'opération d'échange de titres réalisée par son mari en octobre 1999 et que cette cession à titre onéreux a mis fin au report d'imposition de cette plus-value sous le régime duquel elle avait été placée. 

(27 mars 2023, Mme B., n° 456550)

 

79 - Taxe sur les salaires – Conditions d’exonération – Application a contrario du 1 de l’art. 231 du CGI – Annulation.

Fait une fausse application du 1 de l’art. 231 du CGI la cour administrative d’appel qui juge qu’une entreprise doit être déchargée d’un rappel de taxe sur les salaires alors que, par a contrario de ces dispositions, pour ne pas être redevable de la taxe sur les salaires au titre des rémunérations payées au cours d'une année civile, le contribuable doit, non seulement être assujetti cette année-là à la taxe sur la valeur ajoutée sur une partie au moins de son chiffre d'affaires, mais aussi l'avoir été l'année précédente à hauteur d'au moins 90 % de son chiffre d'affaires.

Ce n’était pas le cas en l’espèce, d’où l’annulation de l’arrêt avec renvoi.

(31 mars 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 460383)

 

80 - Plus-value de cession d’un bien immobilier – Taxation – Calcul de la plus-value – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

Les contribuables demandeurs ont acquis en 2002 un ensemble immobilier d’une surface totale de 3 553 m2, sur laquelle étaient bâtis une maison principale et plusieurs dépendances pour un prix hors mobilier de 557 964 euros. L’une de ces dépendances a fait l'objet de travaux en vue d'y aménager cinq gîtes et des parties communes. Les différents lots de cette parcelle ont été progressivement inscrits à l'actif de l’entreprise individuelle de loueur de locaux meublés exercée par M. C., pour une valeur totale de 430 000 euros. Le bâtiment abritant cette dépendance a été vendu en 2013, avec son terrain d'assiette d'une surface de 281 m2. Le bien cédé étant inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle exploitée par M. C., les contribuables ont estimé que la plus-value réalisée à l'occasion de cette vente était de nature professionnelle et qu'elle était exonérée en application des dispositions de l'article 151 septies du CGI. Ils n’ont donc procédé à aucune déclaration à ce titre. L’administration fiscale, suite à une vérification de comptabilité et à un contrôle sur pièces a remis partiellement en cause cette exonération.

Selon celle-ci la part de la plus-value de cession correspondant à la différence entre le montant pour lequel le bien avait été inscrit à l'actif de l'entreprise individuelle de M. C., soit 430 000 euros, et son prix de revient, qu'elle a évalué à 44 128 euros, devait être regardée non comme une plus-value professionnelle, mais comme une plus-value imposable entre les mains de M. et Mme C. selon le régime des plus-values de particuliers en application de l'article 151 sexies du CGI.

Des suppléments d’impôt, de contributions sociales, des intérêts de retard et une majoration de 10% ont été infligés.

Le juge de cassation annule pour erreur de droit l’arrêt d’appel rejetant la demande des contribuables.

En effet, pour retenir un prix de revient de 44 128 euros de la parcelle détachée de l'ensemble immobilier acquis en 2002, en vue de la détermination de la fraction de la plus-value de cession de ce bien correspondant à la période, comprise entre son acquisition et son inscription à l'actif professionnel de M. C., pendant laquelle il est demeuré dans le patrimoine privé de ce dernier, l'administration s'est bornée à appliquer au prix total d'acquisition de ce bien, soit 557 964 euros, le rapport entre la superficie de cette parcelle, soit 281 m², et les 3 553 m² de surface totale du terrain d'assiette de l'ensemble immobilier initial. Or la cour administrative d’appel, rejetant l’appel des contribuables, a jugé que la méthode ainsi mise en œuvre par l'administration permettait de traduire fidèlement le prix de revient de la parcelle cédée et tenait suffisamment compte de la part prépondérante du bâti dans le prix d'acquisition.

Le Conseil d’État reproche à cet arrêt de n’avoir pas recherché si, à la date d'acquisition, le rapport entre la valeur des constructions édifiées sur la parcelle détachée et la valeur totale des constructions était identique au rapport des surfaces des terrains d'assiette.

(31 mars 2023, M. et Mme C., n° 467715)

 

81 - EDF - Impôt sur les sociétés – Démantèlement de centrales nucléaires ou de certains de leurs réacteurs – Provision constituée à titre de passif - Actif résultant d’un amortissement linéaire rétroactif – Remise en cause par l’administration fiscale – Rejet.

Le lecteur intéressé est invité à se reporter au texte même de cette décision, importante mais assez technique.

La société EDF, demanderesse, a, à compter de l'exercice clos en 2002, constaté à son passif une provision visant à couvrir l'ensemble des charges futures actualisées de démantèlement des centrales nucléaires qu'elle exploite et, en contrepartie, un actif d'un montant équivalent, qu'elle a amorti suivant le mode linéaire de manière rétroactive depuis la date de mise en service de chaque centrale.

Au sein de ce passif, elle a notamment comptabilisé une provision dite de « dernier cœur » correspondant à la totalité des charges liées à l'arrêt du dernier cœur du ou des réacteurs des centrales à démanteler, et comprenant une part « amont », correspondant à la mise au rebut du combustible nucléaire qui n'aura pas été totalement irradié au moment de l'arrêt des réacteurs, ainsi qu'une part « aval », correspondant aux coûts de retraitement, d'évacuation et de stockage de ce combustible.

Cependant, à la suite de vérifications de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause, au titre des exercices clos en 2008 et 2010, la déduction des charges correspondant à l'amortissement de l'actif constaté en contrepartie de la « part amont » de la provision de « dernier cœur ». Elle a en effet estimé que cette part ne se rattachait pas aux coûts de démantèlement visés par l'art. 39 ter C du CGI.

La cour administrative d'appel, statuant sur renvoi du Conseil d'État en ce qui concerne le premier des deux exercices en litige et sur appel en ce qui concerne le second, a, d'une part, annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif du 5 octobre 2017 et l'article 2 du jugement de ce même tribunal du 14 février 2019 faisant droit, respectivement pour l'exercice clos en 2008 et celui clos en 2010, aux demandes de la société EDF de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt qui en sont résultées et, d'autre part, remis à la charge de la société EDF ces impositions supplémentaires.

La société EDF s’est pourvue en cassation contre l'arrêt du 17 juin 2021. Son pourvoi est rejeté.

(31 mars 2023, Société EDF, n° 455199)

 

Droit public de l'économie

 

82 - Demande de reconnaissance d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) – Demande jugée irrecevable – Conditions de recevabilité – Ajout d’une condition – Annulation avec injonction de réexamen de la candidature à l’AOC.

La candidature de la société requérante tendant à la reconnaissance en appellation d'origine contrôlée de la dénomination « Le Puy » a été rejetée par le comité national des appellations d'origine relatives aux vins et aux boissons alcoolisées et des eaux de vie de l'Institut national de l'origine et de la qualité (INAO).

Son recours ayant été rejeté par l’arrêt d’appel confirmatif, la société se pourvoit en cassation. Après cassation de l’arrêt d’appel pour s’être mépris sur la portée des conclusions dont la cour était saisie, le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit commise par l’INAO en déclarant irrecevable la demande d’AOC.

En effet, l'art. 2 du règlement n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009 dispose qu'un producteur de vin isolé ne peut présenter de demande de reconnaissance d'une appellation d'origine que s'il est établi d’une part qu'il est le seul producteur dans la zone géographique considérée et d’autre part que soit cette zone possède des caractéristiques sensiblement différentes de celles des zones d'appellation délimitées environnantes, soit les principales caractéristiques du vin qu'il produit diffèrent de celles des vins obtenus dans les zones délimitées environnantes. L’INAO ne devait donc se prononcer sur la recevabilité de la demande qu’au regard des deux conditions susénoncées, la première étant univoque et la seconde de caractère alternatif. Or, pour dire irrecevable la demande d’AOC dont les requérants l’avaient saisie, la commission de l’INAO a retenu que s'il existait des différences de caractéristiques entre le vin produit par la société et les produits obtenus dans les zones à proximité, cependant la seconde condition posée par l'art. 2 du règlement n° 607/2009 n'était pas remplie car ces différences de caractéristiques étaient uniquement liées à « l'itinéraire technique » du producteur. L’INAO a ainsi commis une erreur de droit car l’examen des différences de caractéristiques résultant, au-delà de certaines particularités des pratiques culturales ou de vinification, de facteurs naturels ou humains spécifiques au milieu géographique propre au produit en question, ne relève que de l'appréciation à porter, une fois la demande de protection regardée comme recevable, sur le bien-fondé de la reconnaissance de cette demande au profit d'un producteur isolé.

L’INAO a deux mois pour réexaminer la demande qu’il avait estimée irrecevable.

(08 mars 2023, Société JP et P Amoreau, n° 446183)

 

83 - Référé liberté – Hausse massive du prix de l’électricité – Mise en place d’un « bouclier tarifaire » et d’un « amortisseur électrique » - Demande d’extension du « bouclier tarifaire » aux bénéficiaires de l’« amortisseur électrique » - Défaut d’extrême urgence – Rejet.

(ord. réf. 09 mars 2023, Association L'Union des artisans boulangers indépendants et autres, n° 471795)

V. n° 38

 

84 - Décision non ou irrégulièrement notifiée – Décision implicite – Application de la règle du délai raisonnable – Point de départ du délai – Absence de forclusion – Rejet.

Dans le cadre d’une procédure de licenciement d’une salariée protégée l’employeur a saisi d’une demande d’autorisation préalable l’inspection du travail puis, cette demande ayant été rejetée le 8 août 2016, sur recours hiérarchique, le ministre compétent l’a également rejetée sans que celui-ci n’accuse réception de cette démarche contrairement aux exigences de l’art. L. 112-3 du code des relations entre le public et l’administration.

D’une part, il suit de cette carence que les délais de recours fixés par le code de justice administrative ne sont pas opposables à l’employeur en ce qui concerne la décision implicite de rejet du 8 février 2017. D'autre part, à supposer que la société KDI doive être regardée comme ayant eu connaissance de la décision implicite de rejet opposée à sa demande à compter du 8 mars 2017, date à laquelle elle a sollicité la communication des motifs de ce rejet, elle  disposait en tout état de cause, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable d'un an à compter de cette date. Par suite, Mme A. n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait dû retenir que la demande de l’employeur, enregistrée le 19 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif était irrecevable en raison de sa tardiveté. 

En effet, le demandeur, lorsqu'il n'a pas été informé des voies et délais de recours dans les conditions prévues par les textes, dispose, pour saisir le juge, d'un délai raisonnable qui court, si l'intéressé a été clairement informé des conditions de naissance d'une décision implicite lors de la présentation de sa demande, de la date de naissance de la décision implicite et, si la décision a par la suite été expressément mentionnée au cours de ses échanges avec l'administration, de la date de l'événement établissant qu'il a eu connaissance de la décision. 

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

(85) V. aussi, identique avec même requérante : 10 mars 2023, Mme A., n° 450809.

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 96

 

86 - Patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel – Définition – Absence d’ambiguïté – Règle d’insaisissabilité de la partie d’un bien non occupé par l’activité professionnelle – Rejet.

Doivent être rejetés les deux griefs principaux du recours tendant à l’annulation du décret du 28 avril 2022 relatif à la définition du patrimoine professionnel de l'entrepreneur individuel et aux mentions sur les documents et correspondances à usage professionnel.

D’abord, l’art. R. 526-26 du code de commerce, issu de ce décret, en définissant les biens, droits, obligations et sûretés utiles à l'activité professionnelle de l'entrepreneur individuel comme ceux « qui par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité », et en énumérant différentes catégories de biens répondant à cette définition, sans que cette liste présente un caractère exhaustif, est suffisamment précis et n’est pas équivoque : il ne contrevient donc pas à l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme. 

Ensuite, l’art. R. 526-26, 3°, du code de commerce, en incluant dans les biens immeubles entrant dans un patrimoine professionnel seulement la partie de la résidence principale de l'entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel et susceptibles, par suite, d'être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l'occasion de l'activité professionnelle de l'intéressé, n'a fait que tirer les conséquences qui découlent des termes mêmes de l’art. L. 526-1 du code de commerce :  il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaît le principe d'insaisissabilité de la résidence principale posé par l'article L. 526-1 précité. 

(10 mars 2023, Association Solidarité Paysans, n° 465332)

 

87 - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

La société requérante, société d'assurance mutuelle chargée notamment de la gestion de régimes de retraite complémentaire facultatifs, a fait l’objet d’un contrôle au terme duquel le collège de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a, d’une part, constaté une dégradation du taux de couverture du capital de solvabilité requis de la société Capma et Capmi et, d’autre part,  relevé que si le capital de solvabilité requis déclaré au titre des risques actions avait diminué de 35 % au cours de la même période sans que cette variation ne soit clairement justifiée et malgré le redressement des marchés actions constaté depuis la fin du mois de mars 2020, la situation prudentielle de la société demeurait fragile.

L’ACPR, par une décision du 4 novembre 2020, a exigé de la société Capma et Capmi, sur le fondement de l'art. L. 612-32 du code monétaire et financier, qu'elle soumette à son approbation, dans le délai d'un mois, un programme de rétablissement visant à renforcer sa situation financière. La société a saisi le Conseil d’État, se désistant cependant par la suite de certaines de ses demandes.

Une première question d’importance est tranchée par le juge au moyen d’une interprétation très constructive des textes en jeu. En effet, celui-ci estime qu’il résulte de l’art. L. 352-7 du code des assurances que les entreprises d'assurance ou de réassurance sont tenues de soumettre un plan de rétablissement à l'approbation de l'autorité de contrôle tandis qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 612-1 du code monétaire et financier que l'ACPR, qui doit veiller à ce que ces entreprises soient en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, peut exiger de celles-ci l'établissement d'un programme de rétablissement comprenant les mesures appropriées permettant de restaurer ou de renforcer leur situation financière, et notamment leur solvabilité, d'améliorer leurs méthodes de gestion ou d'assurer l'adéquation de leur organisation à leurs activités ou à leurs objectifs de développement. Le Conseil d’État juge qu’il est loisible à l’ACPR, selon les cas, d’user des ou de se fonder sur l’une ou l’autre de ces deux procédures qui n’ont pas un objet identique, le plan de rétablissement prévu par le code des assurances intervenant à l'initiative de l'organisme d'assurance, en cas de non-couverture du capital de solvabilité requis ou s'il risque de ne plus être couvert à court terme alors que le programme de rétablissement prévu par le code monétaire et financier ne vise pas spécifiquement la couverture du capital de solvabilité requis et les règles prévues par l'article L. 352-1 du code des assurances, mais, plus largement, à restaurer ou renforcer la situation financière ou de liquidité, améliorer les méthodes de gestion ou assurer l'adéquation de l'organisation aux activités ou aux objectifs de développement d'une personne soumise au contrôle de l'ACPR.

Ensuite, il est jugé, ce qui est tout à fait logique, que la décision attaquée constitue une mesure de police au sens de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et qu’elle doit donc être motivée, cette exigence de motivation étant satisfaite en l’espèce.

Pour le reste, il est jugé que l’ACPR, dans les circonstances de l’espèces et au vu des éléments portés à sa connaissance, n’a pas pris une mesure disproportionnée et donc illégale en imposant à la société requérante d'établir un programme de rétablissement dont celle-ci est libre de fixer le contenu, sous réserve que ce programme comprenne toutes les mesures appropriées pour restaurer ou améliorer la situation qui l'a rendu nécessaire.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

88 - Aide sociale – Prise en charge des frais relatifs à l'hébergement d’une personne en EHPAD – Contribution de 90% - Assiette et calcul – Erreur de droit partielle – Annulation dans cette mesure.

Les personnes âgées hébergées en EHPAD doivent contribuer à hauteur de 90% de leurs ressources aux dépenses engagées pour elles par les départements.

Le président du conseil départemental doit appliquer ce pourcentage au montant des ressources de l'intéressé diminué des dépenses qui sont mises à sa charge par la loi et qui sont exclusives de tout choix de gestion. 

Lorsque ces ressources proviennent en tout ou en partie de loyers perçus par la personne hébergée, ceux-ci sont pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources pour leur montant net des charges supportées par le propriétaire pour leur perception. En revanche ne peuvent venir en déduction celles des dépenses qui contribuent directement à la conservation ou à l'augmentation du patrimoine, telles que, le cas échéant, les remboursements du capital de l'emprunt ayant permis son acquisition. 

En l’espèce, où la gestion du bien immobilier de l’intéressée est confiée à une agence immobilière moyennant une commission de 7% perçue par elle sur les loyers, le montant de la commission doit être déduit de l'assiette des ressources à prendre en compte pour le calcul de sa contribution à ses frais d'hébergement et d'entretien. Le tribunal administratif a ici commis une erreur de droit en déduisant ces honoraires, non des loyers perçus par l'intéressée pris en compte pour apprécier le montant de ses ressources, mais du montant même de la contribution mise à sa charge. 

(1er mars 2023, Mme A. tutrice de Mme C., n° 451981)

 

89 - Décision de Pôle emploi refusant l’inscription d’une personne étrangère titulaire d’un titre de séjour « étudiant » - Contentieux social – Régime spécifique – Étendue de l’office du juge – Obligation pour lui de se prononcer sur les droits du requérant – Annulation.

Manque à son office dans un litige de plein contentieux et portant sur un contentieux social, le tribunal administratif qui, après avoir jugé illégal le motif de refus d'inscription opposé par Pôle emploi à la requérante, s'est borné à annuler cette décision et à enjoindre à Pôle emploi de réexaminer la demande d'inscription de l'intéressée, alors qu'il lui revenait de fixer lui-même les droits de l’intéressée pour la période en litige ou de la renvoyer devant Pôle emploi pour qu'il procède à cette fixation sur la base des motifs de son jugement.

(1er mars 2023, Pôle emploi, n° 455880)

 

90 - Ressortissant étranger titulaire d’une carte de séjour « étudiant » - Limitation du droit à exercer une activité salariée – Absence de discrimination contraire au droit international – Rejet.

Le demandeur se pourvoit contre le rejet par un tribunal administratif de sa demande d’annulation de la décision par laquelle Pôle emploi a refusé de l'inscrire sur la liste des demandeurs d'emploi. Il argue en particulier de ce que la stricte limitation de son droit à exercer une activité salariée du fait qu’il est titulaire d’une carte de séjour « étudiant » constituerait une atteinte au principe d’égalité, aux stipulations de l’art. 1er du premier protocole additionnel à la Convention EDH et à son art. 14, ainsi qu’à l’art. 11 de la convention internationale du travail n° 97.

Le pourvoi est rejeté car c’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier que le tribunal administratif a jugé que sa situation était très différente de celle d’un demandeur d’emploi et que n’étaient pas invocables les stipulations de la convention OIT qui ne concernent que les travailleurs migrants.

(1er mars 2023, M. A., n° 456329)

(91) V., très semblable, pour une ressortissante étrangère titulaire de la carte de séjour temporaire ou pluriannuelle « entrepreneur / profession libérale », autorisée à séjourner sur le territoire pour y exercer une activité non salariée, économiquement viable et dont elle tire des moyens d'existence suffisants, qui n’est donc pas autorisée à exercer en France une activité professionnelle salariée : 1er mars 2023, Mme B., n° 459364.

 

92 - Bénéficiaire du revenu de solidarité active (RSA) – Cumul possible avec certains aides ou secours – Versements récurrents – Absence d’exclusion de leur prise en considération – Répétition de l’indu - Rejet.

C’est sans erreur de droit ou de qualification juridique ou dénaturation qu’un tribunal administratif juge que les sommes en cause n’ont pas des montants et des périodicités irréguliers pouvant les faire qualifier d’aides ou de secours cumulables avec le bénéfice du RSA des versements récurrents de montants non négligeables.

(1er mars 2023, M. A., n° 458009)

 

93 - Salariés de la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Voyageurs – Conséquences d’un changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs – Conservation de la garantie d'emploi et du régime spécial de sécurité sociale au titre des pensions et prestations de retraite – Rejet.

La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire a inséré dans le code des transports des dispositions régissant le changement d'attributaire d'un contrat de service public de transport ferroviaire de voyageurs. Outre le transfert de plein de droit au nouvel employeur des contrats de travail en cours depuis au moins six mois, le maintien des conventions et accords collectifs qui leur sont applicables, le bénéfice de la garantie du niveau de leur rémunération, ces dispositions prévoient que les intéressés continuent de relever du régime spécial de sécurité sociale dont ils bénéficiaient au titre des pensions et prestations de retraite.

Pour l'application de ces dispositions, le premier ministre a pris le décret du 31 décembre 2021 ayant pour objet de préciser, en cas de changement d'employeur, les règles applicables en matière de retraite pour les salariés ayant été employés par le groupe public unifié et régis par le statut. C’est de ce décret que la fédération requérante demande l’annulation.

Sont rejetés d’abord les moyens de légalité externe dont un retient particulièrement l’attention, le juge indiquant logiquement que si le décret attaqué modifie, notamment, le décret du 30 juin 2008 qui avait été pris après avis du Conseil d'État, des modifications peuvent être apportées par décret simple à un décret pris après avis en Conseil d'État lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, cet avis n'est requis par aucun texte ni aucun principe.

Sont également rejetés tous les moyens de légalité interne dont la plupart tournent autour des dispositions du décret censées affecter le régime de sécurité sociale applicables à ces agents. En réalité, c’est la loi elle-même qui a instauré une dichotomie : les cheminots continueront à relever d’un régime spécial de sécurité sociale qui leur est propre s’agissant des pensions et prestations de retraite, en revanche, pour le reste ils relèveront du régime général de sécurité sociale (cf. les points 7 à 14 de la décision).

(16 mars 2023, Fédération CGT des Cheminots, n° 461974)

 

94 - Formation professionnelle – Fonds indûment perçus à ce titre – Ordre de reversement et sanctions pécuniaires – Décisions fondées sur des renseignements obtenus de tiers – Refus d’en révéler l’identité – Refus justifié en l’espèce – Rejet.

L’administration, après contrôle, a estimé que la requérante avait perçu indûment des fonds pour l’organisation de la formation professionnelle et qu’elle s’était livrée à des manœuvres frauduleuses pour les obtenir ; elle a ordonné le reversement des sommes allouées et infligé une sanction pécuniaire au titre de la fraude. Elle s’est fondée pour cela sur des témoignages dont elle a refusé de communiquer l’identité à la requérante.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d’appel, sur le recours de la société Sapiens, a annulé ces décisions au motif qu’elles avaient été prises au terme d'une procédure irrégulière car l'administration n'établissait ni même n'alléguait en défense que l'accès à ces renseignements aurait été de nature à porter gravement préjudice aux auteurs de ces témoignages.

L’arrêt est annulé pour dénaturation des pièces du dossier dès lors que pour apprécier l'exécution effective des actions de formation, parmi un ensemble d'indices concordants, les décisions litigieuses s’appuient sur des témoignages obtenus auprès de tiers, dont la teneur a été communiquée, de façon circonstanciée, à la société requérante et que l'administration a décidé de ne pas communiquer à cette dernière l'identité des témoins « en considérant que la révélation de cet élément était de nature à porter préjudice à leurs auteurs et notamment à leur avenir professionnel dans la société ou la branche d'activité dans laquelle ils évoluent ».

(16 mars 2023, Société Sapiens, n° 462603)

 

95 - Allocation de solidarité spécifique – Cumul avec des revenus de reprise d’activité – Conditions et durée du cumul – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement estimant que l’intéressée ayant commencé son activité professionnelle le 17 mars 2014, elle ne pouvait plus cumuler à compter d'août 2014 les revenus qu'elle tirait de cette activité professionnelle avec l'allocation de solidarité spécifique au motif qu'elle avait, à cette date, postérieure à ses trois premiers mois d'activité professionnelle, atteint le plafond de sept cent cinquante heures d'activité professionnelle, alors même qu'elle n'avait pas encore atteint son douzième mois d'activité professionnelle. En effet, il résulte des dispositions des art. L. 5423-1 et L. 5425-1, R. 5425-2 à R. 5425-4 et R. 5425-5 du code du travail que le bénéfice de l'allocation de solidarité spécifique peut être cumulé avec les revenus tirés de la reprise d'une activité professionnelle, totalement pendant une durée de trois mois, puis partiellement, au moins jusqu'au douzième mois d'activité professionnelle et, le cas échéant, au-delà de ce douzième mois si le nombre total des heures d'activité professionnelle n'atteint pas alors sept cent cinquante heures, en ce cas jusqu'à ce que ce plafond soit atteint.  

(09 mars 2023, M. B., n° 464346)

 

96 - Salariée protégée – Procédure – Obligation de rechercher et de proposer des emplois de reclassement – Respect – Rejet.

Une entreprise n’ayant pas obtenu de l’inspection du travail puis du ministre concerné l’autorisation de licencier l’une de ses salariées investie des fonctions de représentation du personnel, a saisi le juge administratif d’un recours en annulation de ces refus.

La salariée se pourvoit contre l’arrêt rejetant sa demande d’annulation du jugement ayant jugé légal le licenciement litigieux.

Le juge de cassation approuve la solution retenue par les juges du fond en relevant que pour apprécier le respect par l’employeur de son obligation de recherche sérieuse de reclassement, la cour a constaté, d'une part, que plus de vingt postes répondant aux exigences de l'art. L. 1233-4 du code du travail ont été proposés à Mme A. sur le territoire national, sans que la salariée ne donne suite à aucune de ces propositions, d'autre part, que, si Mme A. avait indiqué, en début de procédure, être intéressée par des postes situés à l'étranger, elle ne maîtrisait pas la langue des pays concernés ni à tout le moins l'anglais, ce qui constituait une compétence indispensable à l'exercice des fonctions commerciales auxquelles elle pouvait prétendre, de sorte que la recherche de tels postes de reclassement n'avait pas abouti, enfin que l’employeur établissait qu'aucun poste n'était disponible dans les sociétés du groupe situées en Belgique et en Suisse.

(10 mars 2023, Mme A., n° 450808)

V. aussi, sur un autre aspect de cette affaire, le n° 85

 

97 - Salariée protégée déclarée physiquement inapte – Licenciement – Vérification de la recherche effective d’emplois de remplacement – Recours hiérarchique au ministre – Licenciement avant décision du ministre – Exigences – Annulation.

Le litige portait sur le licenciement d’une salariée protégée déclarée physiquement inapte à occuper le poste de travail qui était jusque-là le sien et plus particulièrement sur le régime procédural applicable compte tenu des données de l’espèce.

Au vu du certificat d’inaptitude de son employée, la société employeuse a sollicité de l’inspection du travail, et obtenu, l’autorisation de la licencier. Sur recours hiérarchique, le ministre a annulé l’autorisation de licenciement et refusé de l’accorder. Saisi par l’entreprise, le tribunal administratif a rejeté le recours dirigé contre le refus ministériel d’autoriser le licenciement, puis, sur appel de l’entreprise, la cour administrative a annulé le jugement ainsi que le refus d’autorisation opposé par le ministre.

L’intéressée se pourvoit en cassation.

Le juge rappelle que, saisi d’une demande d’autorisation de licenciement dans un tel cas de figure, l'inspecteur du travail doit s'assurer que l'employeur, conformément aux dispositions du code du travail relatives au reclassement des salariés inaptes, a cherché à reclasser le salarié sur d'autres postes appropriés à ses capacités, le cas échéant par la mise en œuvre, dans l'entreprise, de mesures telles que mutation ou transformation de poste de travail ou aménagement du temps de travail.

Lorsque, comme au cas de l’espèce, le ministre du travail est saisi d'un recours hiérarchique contre la décision de l’inspecteur du travail, il se prononce également au regard des dispositions du code du travail, relatives au reclassement des salariés inaptes, en vigueur à la date de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail, soit qu'il confirme cette décision, soit, si celle-ci est illégale, qu'il l'annule et se prononce de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement.

Enfin, dans le cas où le salarié a entretemps été licencié, le ministre ne doit apprécier les efforts de recherche de reclassement du salarié par l'employeur que jusqu'à la date de son licenciement.

(21 mars 2023, Mme B., n° 453558)

 

98 - Entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire – Homologation ou validation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Annulation – Effets différents selon les cas – Rejet.

Le juge rappelle ici le régime légal applicable aux effets de l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation du plan de sauvegarde de l'emploi d’une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire.

Ces effets diffèrent selon que l’annulation est fondée sur l'insuffisance de la motivation de la décision en cause ou sur un autre moyen.

C’est pourquoi, le juge saisi d'une requête dirigée contre une décision administrative d'homologation ou de validation du PSE d'une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, qui soulève plusieurs moyens, doit d’abord se prononcer sur les moyens autres que celui tiré de l'insuffisance de la motivation de la décision administrative, en réservant, à ce stade, un tel moyen. Ce n’est que si aucun de ces moyens n'est fondé, que le juge doit ensuite se prononcer, le cas échéant, sur le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision administrative.

Ensuite, lorsque l'autorité administrative prend la « nouvelle décision suffisamment motivée » prévue à l'art. L. 1233-58 du code du travail, après l'annulation d'une première décision de validation ou d'homologation d'un PSE pour insuffisance de motivation, il convient d’observer, en premier lieu, que cette nouvelle décision intervient nécessairement sans que l'administration procède à une nouvelle instruction de la demande, au vu des circonstances de fait et de droit existant à la date d'édiction de la première décision, et, en second lieu, qu’elle n’a pour seul objet que de régulariser le vice d'insuffisance de motivation entachant la précédente décision.

Il en résulte donc qu’en cas de recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette seconde décision seuls sont susceptibles d'être invoqués devant le juge ceux critiquant ses vices propres.

En l’espèce, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en écartant le moyen tiré de ce que la décision attaquée était entachée d'insuffisance de motivation faute de se prononcer sur le caractère suffisant du PSE et en constatant que la décision d'homologation litigieuse faisait mention, notamment, d'une part, des démarches effectuées par le liquidateur judiciaire pour rechercher des postes de reclassement, des possibilités de reclassement, des mesures d'accompagnement du PSE concernant en particulier des aides à la création d'entreprise, à la formation et à la validation des acquis par l'expérience ainsi que le budget global alloué à ce titre, et de la proposition d'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle et, d'autre part, comportait l'appréciation de l'administration selon laquelle le plan est proportionné aux moyens de l'entreprise conformément au II de l'art. L. 1233-58 du code du travail.

(21 mars 2023, Syndicat national du personnel navigant commercial, n° 453029)

(99) V. aussi, jugeant que c’est au bénéfice de son pouvoir souverain d’appréciation, sans dénaturation ni méprise ni erreur de droit, qu’une cour administrative d’appel :

- a relevé que la cessation d'activité d’une société se traduirait par la suppression de la totalité de ses emplois et que cette situation était de nature à avoir des incidences sur la santé physique et mentale de ses salariés, ainsi que l'avait d'ailleurs constaté le cabinet Qualisocial, mandaté à cet effet.

- n'a pas jugé que les risques pour la santé des salariés qu'elle a relevés devaient être présumés. - constaté que le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société soumis à l'autorité administrative en vue de son homologation ne comportait aucune mesure propre à protéger les salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l'activité de l'entreprise.

- a déduit de ce qui précède que l'administration n'avait pu légalement homologuer ce document unilatéral, peu important que deux des mesures prévues pour les salariés de la société L'Équipe, dans le cadre d'une autre procédure, eussent été susceptibles de bénéficier aux salariés de la société. En statuant ainsi, la cour ne s'est pas méprise sur la portée du contrôle qu'il incombe à l'administration, sous le contrôle du juge administratif, d'opérer sur la présence de telles mesures dans le document unilatéral qui lui est soumis en vue de son homologation et n'a ainsi pas commis d'erreur de droit.

- ne s'est pas prononcée sur le contrôle par l'administration du caractère approprié des actions figurant à ce titre dans le document unilatéral, dès lors qu'elle a relevé qu'il n'en comportait pas, sans commettre les erreurs de droit alléguées quant au contrôle qu'il appartient à l'administration de faire sur ce point : 21 mars 2023, Société L'Equipe et société Presse Sports Investissement, n° 460660 ; ministre du travail, n° 460924.

 

100 - Plan pour la sauvegarde de l’emploi (PSE) – Obligations de contrôle et de vérification s’imposant à l’administration chargée d’homologuer ce plan – Mesures prises pour la sécurité et la santé des salariés – Absence d’examen du document unique sur ce point – Rejet.

Dans une décision de principe, remarquable par sa qualité rédactionnelle et son souci pédagogique comme par sa complétude, le juge de cassation rejette ici un pourvoi dirigé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en ce que, saisie par des syndicats et des salariés, elle a confirmé l’annulation prononcée par le tribunal administratif de la décision d’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de l'unité économique et sociale de l'Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

La décision, sur pourvoi du ministre, se présente – et sans doute aussi, se veut – un véritable mode d’emploi pour l’administration chargée du contrôle des PSE.

Le juge y rappelle le contrôle que doit exercer l'autorité administrative sur le respect par l'employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour, durant la réorganisation de l'entreprise, assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs à l'occasion de l'établissement d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

S'agissant de l'obligation pour l'administration de procéder à un tel contrôle, le juge rappelle ses fondements législatifs (art. L. 1233-61 et L. 1233-57-3 du code du travail) ainsi que son étendue, particulièrement en ce qui concerne la procédure d'information et de consultation du comité social et économique. Il déduit de l’ensemble des textes applicables que l'autorité administrative, saisie d'une demande d'homologation d'un document unilatéral portant PSE, de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en contrôlant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'art. L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles du même code précités.

Au passage, il est précisé que la juridiction administrative est seule compétente pour connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative, le juge judiciaire étant pour sa part compétent pour assurer le respect par l'employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l'origine du litige est liée à la mise en œuvre du document ou de l'opération de réorganisation.
S'agissant des modalités du contrôle de l'administration, le juge opère une distinction chronologique au sein de ces modalités entre celles existant au stade de l'élaboration du PSE et celles liées à l'homologation du document unilatéral portant PSE.

Pour l’élaboration, l'autorité administrative peut adresser des observations et des propositions à l'employeur concernant son déroulement ou les mesures sociales prévues, elle peut aussi enjoindre à l'employeur de fournir des informations, telles celles relatives aux conséquences de la réorganisation en matière de santé, de sécurité ou de conditions de travail des travailleurs et, en présence de telles conséquences, aux actions arrêtées pour les prévenir et en protéger les travailleurs. 

Pour ce qui est de l’homologation, l'autorité administrative doit s'assurer que la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel a été régulière et que ce document et le plan de sauvegarde de l'emploi dont il fixe le contenu sont conformes aux exigences résultant des dispositions législatives et des stipulations conventionnelles qui le régissent. En particulier, l'administration ne peut légalement accorder l'homologation que si le comité d'entreprise (comité social et économique) a été mis à même d'émettre régulièrement un avis sur l'opération projetée et ses modalités d'application ainsi que sur le projet de licenciement collectif et le PSE, et si le document et le plan de sauvegarde qu'il comporte contiennent tous les éléments ainsi exigés et qu'il appartient à l'administration de contrôler. 

A cet égard, et c’est là le point central de la décision, concernant le contrôle du respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, le juge impose deux séries d’obligations à l’administration chargée du contrôle.

Tout d’abord, il incombe à l'administration, dans le cadre de son contrôle global de la régularité de la procédure d'information et de consultation, de vérifier que l'employeur a adressé au comité d'entreprise (comité social et économique), avec la convocation à sa première réunion, ainsi que, le cas échéant, en réponse à des demandes exprimées par le comité ou à des observations ou des injonctions formulées par l'administration, parmi tous les éléments utiles qu'il doit lui transmettre pour qu'il formule ses deux avis en toute connaissance de cause, des éléments relatifs à l'identification et à l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou sur la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et à protéger leur santé physique et mentale.

Ensuite, dans le cadre du contrôle du contenu du document unilatéral soumis en vue de son homologation, l’administration doit vérifier, au vu de ces éléments d'identification et d'évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au sein du comité d'entreprise (comité social et économique), des échanges d'informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l'élaboration du PSE, dès lors qu'ils conduisent à retenir que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l'employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes, au nombre de celles prévues aux art. L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs. 

Illustrant l’ampleur du contrôle qu’il est imparti à l’administration d’effectuer comme l’immensité des exigences s’imposant à l’employeur, la décision approuve la cour administrative d'appel de Versailles d’avoir jugé que si l'autorité administrative avait vérifié si les institutions représentatives du personnel, dont elle a relevé qu'elles avaient notamment disposé d'éléments sur les conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des salariés de l'AFPA, avaient pu rendre leur avis en toute connaissance de cause, celle-ci n'avait en revanche pas procédé au contrôle du contenu du document unilatéral qui lui incombait afin de vérifier le respect, par l'AFPA, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

C’est ainsi qu’au terme d’une motivation suffisante et sans erreur de droit, la cour a pu juger que la décision d'homologation du 13 décembre 2019 était entachée d'illégalité. 

Nul doute, ce qui peut poser problème au plan des principes régissant une société capitaliste mais se justifie dès lors que sont en jeu des êtres humains, que tout ceci a transformé l’administration du travail, en cette matière en supérieur hiérarchique pur et simple des entreprises privées devant recourir à un PSE. Sans doute conviendrait-il d’en tirer des conséquences notamment en termes d’engagement de sa responsabilité.

(21 mars 2023, ministre du travail, n° 450012)

 

101 - Accord collectif portant rupture conventionnelle – Validation administrative – Décision de fermeture d’un site prise antérieurement à la signature de cet accord collectif – Irrégularité – Rejet.

Une union syndicale a demandé en vain au tribunal administratif l’annulation de la décision de l’administration du travail validant l'accord collectif du 15 décembre 2020 portant rupture conventionnelle collective au sein de la société Paragon Transaction. Elle a obtenu gain de cause en appel ; la société se pourvoit en cassation de cet arrêt infirmatif.

Le code du travail dispose (art. L. 1233-3, L. 1237-17 et suivants, surtout L. 1237-19-3), que l'autorité administrative ne peut valider un accord collectif portant rupture conventionnelle collective que s'il satisfait cumulativement à quatre conditions :

1°/ être conforme à l'article L. 1237-19,

2°/ comporter les clauses prévues à l'article L. 1237-19-1,

3°/ contenir des mesures, prévues au 7° du même article L. 1237-19-1, précises et concrètes,

4°/ faire suite, le cas échéant, à une procédure d'information du comité social et économique régulière.

En outre, l’administration ne peut valider un tel accord s'il est entaché de nullité, notamment en raison de ce que des vices, propres à entacher l'accord de nullité, ont affecté les conditions de sa négociation. 

En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir tout d’abord relevé, sans dénaturation, qu'il résultait de la note d'information transmise par la société Paragon Transaction à son comité social et économique le 23 octobre 2020 qu'elle projetait de réorganiser ses activités d'imprimerie en France et à ce titre de fermer le site de production de Romorantin, le site devant être vendu après sa « désindustrialisation », ses activités et ses personnels devant être transférés à d'autres établissements de l'entreprise.

Elle a ensuite, à juste titre, relevé que cette même note mentionnait que, dans le cas où plus de dix salariés refuseraient la modification de leur contrat de travail nécessitée par ce transfert, la société envisageait de soumettre aux institutions représentatives du personnel un projet de plan de sauvegarde de l'emploi.

Elle a, enfin, relevé que l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective précisait qu'il s'inscrivait dans le cadre de ce même projet de transfert de l'ensemble des personnels de Romorantin.

C’est donc sans irrégularité que la cour a déduit de ces éléments que la société Paragon Transaction avait décidé la fermeture du site de Romorantin avant la signature de l'accord portant rupture conventionnelle collective validé par l'autorité administrative et que les salariés de ce site, dont il ne ressort pas des pièces du dossier que le contrat de travail contenait une clause de mobilité susceptible d'être mise en œuvre en vue de leur transfert vers d'autres établissements de l'entreprise, n'étaient pas en mesure d'espérer un maintien dans leur emploi à l'issue de la période d'application de l'accord.

Le pourvoi est rejeté.

(21 mars 2023, Société Paragon Transaction, n° 459626)

(102) V. aussi, assez comparable, à propos des agents, de droit public et de droit privé, de la Caisse des dépôts et consignations, relevant notamment que la circonstance que les membres du comité unique de l’établissement public (CUEP) se sont prononcés avant l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 73 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ne les a pas privés de la possibilité d'exercer utilement leur pouvoir d'appréciation et n'a pas fait obstacle à ce qu'ils soient mis à même de se prononcer en toute connaissance de cause sur l'accord collectif portant rupture conventionnelle collective, dès lors que l'amendement parlementaire introduisant ces dispositions avait été porté à leur connaissance lors de la consultation du 11 juin 2019, de même que la circonstance que l'accord ne serait signé que si ces dispositions, qui, d'ailleurs, n'ont pas été modifiées lors des débats parlementaires, étaient adoptées, le projet d'accord n'ayant au demeurant lui-même pas été modifié après l'avis émis par le CUEP le 11 juin 2019 : 21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

 

103 - Salarié protégé – Refus d’autorisation de le licencier – Confirmation du refus par la ministre du travail avec substitution de motif – Irrégularité – Décision faisant à nouveau courir le délai de deux mois permettant l’engagement d’une nouvelle procédure de licenciement – Annulation.

Par une décision du 23 avril 2018, l'inspectrice du travail a refusé de délivrer l'autorisation, sollicitée par la société Transavia, de licencier pour faute un salarié protégé, en raison de l'insuffisante gravité des fautes qui lui étaient reprochées et de ce qu'un lien entre cette procédure et les mandats qu'il exerce ne pouvait être exclu.

Sur recours hiérarchique de la société Transavia France, la ministre du travail a, par une décision du 25 octobre 2018, déclaré confirmer la décision de l'inspectrice du travail, tout en retenant un autre motif de refus, tiré de ce que la procédure suivie était irrégulière par  méconnaissance du délai de convocation de l’intéressé à l'entretien préalable au licenciement fixé par des dispositions du code du travail ; elle a en outre précisé que sa décision se substituait à la décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique.

Cependant la ministre du travail ne pouvait pas légalement, sans annuler la décision de l'inspectrice du travail, y substituer un autre motif de refus de l'autorisation de licenciement sollicitée, or cette décision illégale est devenue définitive.

Toutefois, le délai de prescription ayant été interrompu par l'introduction de ce recours hiérarchique et la ministre du travail ayant refusé de délivrer l'autorisation sollicitée pour un motif de procédure, différent de celui retenu par l'inspectrice du travail, sa décision a fait courir en l'espèce un nouveau délai de deux mois, en application des dispositions de l'art. L. 1332-4 du code du travail, ce qui permettait à la société Transavia France d'engager une nouvelle procédure de licenciement pour les mêmes faits, en régularisant les vices entachant la première.

La cour administrative d’appel a jugé, implicitement mais nécessairement, que le délai de deux mois prévu par les dispositions précitées du code du travail concernant les faits reprochés au salarié, qui avait été régulièrement interrompu avant que l'employeur ne formule sa demande d'autorisation initiale, avait recommencé à courir à compter de la décision de l'inspectrice du travail du 23 avril 2018. Elle en a déduit que ces faits ne pouvaient faire l'objet de la seconde procédure de licenciement engagée le 8 novembre 2018, dès lors qu'ils étaient prescrits à cette date, entachant son arrêt d’erreur de droit.

(21 mars 2023, Société Transavia France, n° 455890)

 

104 - Arrêté portant extension d’un avenant à une convention collective – Convention collective de l’édition phonographique – Signature par des syndicats représentatifs – Accord pouvant porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés – Absence de violation du code de la propriété intellectuelle – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi d’une requête en annulation de l'arrêté du 2 juillet 2021 de la ministre du travail portant extension d'un accord portant avenant à la convention collective nationale de l'édition phonographique (IDCC n°2770).

Le recours est rejeté en tous ses chefs de grief.

L'arrêté d'extension n'avait pas à mentionner que la condition de représentativité des organisations syndicales signataires de l'accord était remplie ; au reste, cette condition était remplie en l’espèce.

Ensuite, ne saurait être retenu le moyen tiré de ce que cet arrêté aurait omis de faire application de l'art. L. 2261-23-1 du code du travail dès lors que l'arrêté attaqué prévoit, en son article 6, que la nature de cet accord ne rend pas nécessaire l'élaboration de stipulations spécifiques à destination des entreprises de moins de cinquante salariés.

Également, il ne saurait être soutenu que l'arrêté attaqué serait illégal en ce qu'il étend l'accord du 25 septembre 2020 en méconnaissance de l'art. L. 2131-1 du code du travail faute pour les organisations syndicales signataires de l'accord d'être compétentes pour organiser les conditions de cession des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes alors qu’il résulte directement de dispositions législatives (L. 2131-1 et L. 2231-1 du code du travail, art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle dans sa version alors en vigueur) que la négociation et la conclusion d'accords collectifs peut porter sur l'exercice et la rémunération des droits exclusifs des artistes-interprètes salariés.

Encore, contrairement à ce qui est soutenu, l'avenant du 25 septembre 2020 étendu par l'arrêté attaqué pouvait légalement prévoir que le montant du « cachet de base » des artistes-interprètes repose sur trois éléments de rémunération, relatifs respectivement à la prestation de l'artiste-interprète, à l'autorisation d'enregistrement et à l'autorisation d'exploiter, qui peut varier selon les modes d'exploitation. Il pouvait aussi prévoir que le montant des deux derniers éléments de rémunération est fonction du premier élément de rémunération et détermine à cet égard des montants minima.

Au reste, l'accord, qui ne détermine que des montants minima de « cachets de base », prévoit que les stipulations du contrat de travail déterminent par écrit avec précision l'étendue des autorisations données et les modalités et conditions de la rémunération due à l'artiste-interprète au titre de chaque mode d'exploitation. En outre, la situation des artistes-interprètes couverts par le titre III de l'annexe III de la convention collective nationale de l'édition phonographique telle qu'elle est modifiée par l'avenant étendu par l'arrêté attaqué entre dans le champ des situations pour lesquelles l'art. L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, notamment le 4° de son II, permet une rémunération forfaitaire. 

(21 mars 2023, Société de perception et de distribution des droits des artistes interprètes (SPEDIDAM), n° 456775)

 

105 - Donneur d’ordre – Vérification du respect par son cocontractant de son obligation de déclaration et de paiement auprès des URSSAF – Portée – Vérification de l’authenticité de l’attestation de paiement - Conséquence en cas de non-respect de l’exigence de vérification – Dénaturation – Annulation.

L’art. L. 8222-1 du code du travail dispose que « Toute personne vérifie lors de la conclusion d'un contrat dont l'objet porte sur une obligation d'un montant minimum en vue de l'exécution d'un travail, de la fourniture d'une prestation de services ou de l'accomplissement d'un acte de commerce, et périodiquement jusqu'à la fin de l'exécution du contrat, que son cocontractant s'acquitte :

1° des formalités mentionnées aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 ;

(...) Les modalités selon lesquelles sont opérées les vérifications imposées par le présent article sont précisées par décret ».

Pour faire bonne mesure, en accompagnement de cette obligation de dénonciation non rémunérée ni indemnisable, l’art. L. 8222-2 de ce code précise que le donneur d'ordre qui n'a pas procédé à l'ensemble des vérifications prévues à l'art. L. 8222-1 précité et précisées par décret, notamment la vérification de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, est tenu solidairement au paiement des sommes dues au Trésor public et aux organismes de protection sociale par le cocontractant qui a fait l'objet d'un procès-verbal pour délit de travail dissimulé, à due proportion de la valeur des travaux réalisés, des services fournis, du bien vendu et de la rémunération en vigueur dans la profession.

Le donneur d'ordre est considéré comme ayant procédé aux vérifications requises par l'article L. 8222-1 précité, y compris celle de l'authenticité de l'attestation remise par son cocontractant, lorsqu'il s'est fait remettre par ce cocontractant les documents qu'énumère l'article D. 8222-5 du code du travail, à moins d'une discordance entre les déclarations mentionnées sur ces documents et les informations dont le donneur d'ordre pouvait avoir connaissance, telles que l'identité de son cocontractant ou le volume d'heures de travail nécessaire à l'exécution de la prestation ou que, s'agissant de l'authenticité de l'attestation prévue à l'article L. 243-15 du code de la sécurité sociale, l'administration établisse que celle-ci n'émane pas de l'organisme chargé du recouvrement des cotisations et contributions dues par le cocontractant.

En l’espèce, une cour administrative d’appel a jugé que la société requérante pouvait être tenue au paiement solidaire des impositions supplémentaires auxquelles sa cocontractante, la société Asfi, a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et 2013 au motif qu’elle n’avait pas vérifié si les attestations de fourniture des déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale que lui a remises la société Asfi émanaient réellement de l'Urssaf. Cette solution est d’autant plus blâmable qu’elle applique inconsidérément un texte lui-même passablement discutable en ce qu’il repose sur un principe de non-confiance assez unique en Europe.

Le Conseil d’État annule, sans grande hésitation, pour dénaturation des pièces du dossier, l’arrêt déféré à sa censure alors que l'administration ne soutenait pas que ces attestations étaient frauduleuses et qu'aucune pièce du dossier ne permettait d'émettre un doute sur leur authenticité.

(22 mars 2023, Société Bovendis, n° 456631)

 

106 - Salarié protégé – Accusations de harcèlement moral sur des salariés – Mise à pied et procédure de licenciement – Rejet de la demande de licenciement – Recours hiérarchique au ministre – Demande au juge du référé liberté de maintenir à titre conservatoire la mesure de mise à pied – Rejet compte tenu des mesures prises par la société requérante.

Cinq salariés d’une entreprise ayant menacé d’user de leur droit de retrait en l'absence de mesures prises afin de faire cesser les faits de harcèlement moral qu'aurait commis à leur endroit un salarié protégé, l’employeur de ce dernier a engagé une procédure de licenciement et, dans l’immédiat, a prononcé sa mise à pied conservatoire assortie de l’obligation de travailler à distance.

L’inspection du travail ayant rejeté la demande d’autorisation de licenciement, la mesure de mise à pied cessait ipso facto. La société a saisi le ministre chargé du travail d’un recours hiérarchique.

Elle a formé devant le tribunal administratif une demande tendant à la suspension en référé liberté du refus d’autoriser le licenciement. Sa requête ayant été rejetée, elle interjette appel en Conseil d’État.

Ce dernier, manifestant un certain embarras devant ce conflit entre protection d’un délégué du personnel et protection de la dignité des personnes à laquelle il aurait porté atteinte, relève cependant que, d’une part, la décision d’imposer à ce délégué de travailler à distance et de s’abstenir de se rendre sur le site de l’entreprise et d’autre part, l’absence de contestation par l’intéressé de ces mesures, empêchent le refus d’autoriser le licenciement de porter une atteinte manifestement illégale à aucune des libertés fondamentales invoquées tant par son employeur que par certains salariés. D’où le rejet de la requête.

(24 mars 2023, Société Elior Services Propreté et Santé, n° 471970)

 

107 - Allocation de retour à l’emploi – Octroi de l’allocation subordonné à une perte involontaire d’emploi – Agent territorial admis sur sa demande à une retraite anticipée pour invalidité – Absence de privation involontaire d’emploi – Rejet.

L’allocation de retour à l’emploi est attribuée aux personnes involontairement privées d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi. Tel n’est pas le cas d’un agent territorial qui a sollicité et obtenu la mise en retraire anticipée pour invalidité car il n’est pas « involontairement privé d’emploi ».

(30 mars 2023, Mme A., n° 460907)

 

108 - Arrêté ministériel fixant le nombre de sièges aux syndicats dans chaque section de conseils de prudhommes – Absence de fixation globale pour l’ensemble des sections de conseils de prudhommes du département – Rejet.

C’est conformément aux dispositions de l’art. R.1441-3 du code du travail et sans méconnaître celles de l’art. L. 1441-4 de ce code qu’un arrêté ministériel fixe le nombre de sièges à attribuer aux organisations syndicales dans chaque section de chacun des conseils de prudhommes du département et non globalement pour l'ensemble des sections du ou des conseils de prudhommes du département.

(30 mars 2023, Union syndicale Solidaires, n° 462949)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

109 - Listes électorales – Demande de communication de la liste électorale et du tableau des inscriptions et radiations actualisées au jour de sa demande – Maire agissant en défense au nom de l’État – Appel irrecevable en Conseil d’État – Écritures de la commune écartées du débat.

Dans un litige en demande de communication de la liste électorale, un maire ne peut agir en défense devant le Conseil d’État au nom de l’État, celui-ci ne pouvant y être représenté – sauf dispositions dérogatoires expresses – que par un ministre (art. R. 432-34 du CJA).

(27 mars 2023, M. A., n° 465736)

 

110 - Délibération des collectivités territoriales - Désignation des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial – Actes ayant la nature d’opérations électorales – Réclamation devant respecter les délais fixés au code électoral – Annulation et rejet.

Confirmant une jurisprudence bien établie semble-t-il même si elle ne nous semble pas avoir la vertu d’évidence, le Conseil d’État réaffirme que les désignations, par l'assemblée délibérante d'une collectivité territoriale, des membres de la commission de délégation de service public, de ceux de la commission d'appel d'offres, ainsi que des conseillers territoriaux représentant cette collectivité au sein de l'organe délibérant d'un établissement public territorial, constituent des opérations électorales dont la contestation relève des dispositions des art. R. 119 à R. 123 du code électoral.

Il suit de là que dans le cas où une réclamation n'a pas été consignée au procès-verbal de la séance au cours de laquelle l'élection a lieu ou si le procès-verbal n'a pas été établi immédiatement, la réclamation doit être formée au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit la proclamation des résultats de l'élection lors de cette séance, dans les conditions définies à l'art. R. 119 du code électoral. 

(30 mars 2023, M. R., n° 465716)

 

Environnement

 

111 - Lignes directrices non publiées – Décision de refus d’implantation d’éoliennes fondée sur des motifs repris de ou identiques à ceux figurant dans ces lignes directrices – Absence d’illégalité de la décision – Rejet.

(1er mars 2023, Société Éolienne des Cosmos, n° 446826)

V. n° 1

 

112 - Projet de parc éolien en mer – Modifications du projet – Préfet en prenant acte – Régularité de la procédure suivie – Modifications ne portant pas une atteinte substantielle au projet initial – Rejet.

Le recours recherchait l’annulation de la décision préfectorale prenant acte des modifications au projet de parc éolien en mer au large des îles d'Yeu et de Noirmoutier portées à sa connaissance par la société Éoliennes en mer îles d'Yeu et de Noirmoutier.

Le recours est rejeté en premier lieu pour défaut d’irrégularité de la procédure suivie. Il n’était pas obligatoire en l’espèce pour le préfet « de consulter l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement ou les professionnels de la pêche exerçant leur activité professionnelle aux abords immédiats de la zone d'implantation du parc éolien » avant qu’il ne prenne acte des modifications communiquées par la défenderesse ; pas davantage il n’était tenu de solliciter l’avis du comité de gestion et de suivi scientifique institué par arrêté préfectoral, ni, non plus, d’exiger de la pétitionnaire la description de chacune des modifications apportées et lui-même de motiver sa décision prenant acte en distinguant chacune des modifications apportées au projet et leurs impacts.

Le recours est rejeté en second lieu car les modifications, importantes quantitativement, sont soit compensées par des effets moindres de la part d’autres aspects, ainsi, par exemple, si l’emprise sur les fonds marins passe de 943 m2 à 2739 m2 en revanche l’emprise totale des câbles inter-éoliennes sur les fonds marins se réduira de 689 473 m2 à 62 790 m2, soit de faible portée, telles les nuisances sonores en mer et leurs effets sur la faune.

(1er mars 2023, Associations « Non aux Éoliennes entre Noirmoutier et Yeu » et « Société pour la protection du paysage et de l'esthétique de la France » (SPPEF), n° 455415)

(113) V. également, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt qui, pour rejeter le recours de la société requérante contre l’arrêté préfectoral refusant de délivrer quatre permis de construire quatre éoliennes, d’une part, s’est fondé sur ce que le projet litigieux était de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme en raison des inconvénients importants qu'il présenterait pour les conditions et le cadre de vie des riverains alors que de telles considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions, et d'autre part, n'a explicité ni la teneur, ni la gravité des atteintes à la salubrité publique qui seraient induites par le projet : 01 mars 2023, Société Énergie Ménétréols, n° 455629.

(114) V. aussi, jugeant entaché d’erreurs de droit l’arrêt d’appel qui suspend l’exécution de l’arrêté préfectoral délivrant à la demanderesse au pourvoi une autorisation environnementale pour l'implantation et l'exploitation d’un parc de six éoliennes en tant que cet arrêté ne comporte pas la dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces animales non domestiques et de leurs habitats prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement, jusqu'à la délivrance de cette dérogation, et sursoit à statuer sur le surplus des conclusions de la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt, pour permettre à la société titulaire de l'autorisation de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation du vice tenant aux insuffisances du volet écologique de l'étude d'impact sur les chiroptères. Le juge de cassation relève une première erreur de droit en ce que la cour ne pouvait pas ordonner une mesure de régularisation sans s’être mise à même de déterminer si les insuffisances constatées avaient eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative et donc à entraîner l'illégalité de la décision prise. Une seconde erreur de droit a consisté en ce que, expressément invitée par la société pétitionnaire à faire usage des dispositions du 2° du I de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement (octroi d’une possibilité de régularisation), la cour ne pouvait substituer à cette mesure – comme elle l’a fait en l’espèce -, l’annulation partielle prévue au 1° du I du même article : 1er mars 2023, Société Ferme Éolienne de Saint-Maurice, n° 458933.

(115) V. encore, jugeant que la lutte contre la « saturation visuelle » produite sur trois villages riverains par un projet d’implantation d’éoliennes est au nombre des intérêts qui, aux termes des art. L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, doivent être pris en compte pour apprécier les inconvénients d’un projet pour la commodité du voisinage (cf. art. L. 511-1 précité) alors qu’en l’espèce sont déjà construits ou autorisés deux parcs éoliens comportant un total de dix-huit éoliennes à un kilomètre, sept parcs éoliens comportant un total de soixante-huit éoliennes à cinq kilomètres et quatorze parcs éoliens comportant cent-vingt-six éoliennes à dix kilomètres : 1er mars 2023, Société EDPR France Holding, n° 459716.

(116) V., rejetant le pourvoi dirigé contre un arrêt d’appel en ce qu’il estime qu’un projet d’exploitation d’éoliennes et d’un poste de livraison nécessite l'obtention d'une dérogation dans les conditions prévues par l'article L. 411-2 du code de l'environnement : 27 mars 2023, Société Parc éolien des Écoulottes, n° 451112.

(117) V., jugeant entaché de dénaturation l’arrêt estimant que des ouvrages et éoliennes d’une certaine hauteur n'étaient pas susceptibles de constituer des obstacles pour la navigation aérienne au motif que, d'une part, la partie du secteur dédié de façon permanente à l'entraînement au vol à très basse altitude (ou SETBA) concernée ne serait utilisée que pour entrer dans l'espace d'entraînement et que, d'autre part, l'implantation des éoliennes litigieuses dans la stricte continuité du projet TVR n° 3 conduirait à faire obstacle, du fait de l'application des dispositions de l'arrêté interministériel du 10 octobre 1957, au survol à basse altitude de ces installations : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 451633, n° 451634 et n° 451635.

 

118 - Implantation d’éoliennes - Conservation d’espèces animales non domestiques – Exigence ou non d’une dérogation - Portée de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement et obligations en découlant pour l’exercice du pouvoir de contrôle du juge – Appréciation de la réalité de la diminution du risque pour l’espèce – Annulation.

C’est une décision discutable qu’a rendu le Conseil d’État en annulant un arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un litige opposant une association de défense de la nature à un préfet refusant de d’imposer à une société d’implantation d’éoliennes de demander une dérogation « espèces protégées » avant toute autorisation d’installation.

La cour avait estimé que le pétitionnaire était tenu de présenter, pour la réalisation de son projet de parc éolien, la demande de dérogation prévue à l'art. L. 411-1 du code de l'environnement du fait que le site d'implantation du projet constituait une réserve importante de biodiversité, riche en espèces protégées dont le projet était susceptible d'affecter la conservation et que les mesures visant à atténuer l'impact du projet sur la biodiversité ne permettaient pas d'écarter tout risque pour les espèces concernées, notamment en ce qu'elles constituent de simples mesures de réduction et non d'évitement.

Le Conseil d’État impose, en effet, aux juges du fond, en cette hypothèse, de vérifier si les mesures envisagées présentent des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

En outre, il est posé en postulat que l’art. L. 411-1 précité institue un régime de protection qui ne dépend ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes mais qui résulte seulement de la constatation que le projet comporte pour les espèces protégées un risque suffisamment caractérisé. Il est ainsi posé une double condition : existence d’un risque et risque caractérisé. Il convient donc pour le juge d’apprécier dans chaque cas si les mesures d’évitement et de réduction sont telles que, par leur effectivité, elles retirent au risque l’aspect « caractérisé » sans que pour autant ne disparaisse l’aspect « risque » ce qui suffit toutefois pour que ne soit plus exigible l’obtention d’une dérogation « espèces protégées ».

Ainsi, l’arrêt est annulé pour n’avoir pas recherché si les mesures prises présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé.

C’est là exiger un contrôle contentieux trop subtil, trop « saucissonné » et, pour tout dire, un peu hypocrite en réduisant au strict minimum l’exigence légale, sans oublier l’introduction d’une forte dose de subjectivité.

(27 septembre 2023, Société Parc éolien de Mailhac-sur-Benaize, n° 452445)

(119) V. aussi, très comparable quant à l’application de l’art. L. 411-1 du code de l’environnement : 27 mars 2023, Association pour la défense du patrimoine et du paysage de la vallée de la Vingeanne et association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France (SPPEF), n° 455753.

(120) V. également, rejetant le pourvoi du ministre de l’écologie dirigé contre l’arrêt d’appel ayant annulé le refus du préfet d’autoriser une société à exploiter une installation de production d'électricité composée de neuf aérogénérateurs et deux postes de livraison, la cour ayant estimé sans inexactitude dans l’appréciation des faits ni dénaturation de pièces et dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation, qu’étaient suffisantes les mesures prises relatives à la protection de l’avifaune et des chiroptères situés dans une zone Natura 2000 : 27 mars 2023, ministre de la transition écologique, n° 459846.

 

121 - Classement du renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges – Arrêté en ce sens du ministre de la transition écologique – Absence d’erreur de droit ou d’erreur d’appréciation – Rejet.

L’association requérante contestait la juridicité de l’arrêté ministériel qui, pris sur le fondement de l’art. R. 427-6 du code de l'environnement, fixe la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts, en tant qu'il classe le renard roux parmi les espèces susceptibles d'occasionner des dégâts dans le département des Vosges.

Pour rejeter le recours le Conseil d’État relève tout d’abord qu’un tel classement est susceptible d’être appliqué soit lorsque cette espèce est répandue de façon significative dans un département et que, compte tenu des caractéristiques géographiques, économiques et humaines de celui-ci, sa présence est susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par ces dispositions, soit – et alors même que l’espèce en cause ne serait pas répandue de façon significative – lorsqu'il est établi que cette espèce est à l'origine d'atteintes significatives aux intérêts protégés par ces mêmes dispositions.

Ensuite, il est établi que le renard roux, qui apporte une contribution positive à l'écosystème forestier dans un département où la couverture forestière est particulièrement importante, est néanmoins susceptible de porter atteinte aux intérêts protégés par le II de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement dans les communes du département des Vosges mentionnées par l'arrêté litigieux ; en particulier en raison de  la présence de volailles et d'élevage de léporidés et de petit gibier, la réalisation d'au moins un lâcher de repeuplement de petit gibier et les déclarations de dégâts dus au renard.

On peut s’interroger sur l’admission, implicite mais certaine en l’espèce, de l’intérêt pour agir d’une association de défense d’oiseaux à propos de la protection du renard roux, espérons que ces oiseaux-là ne tiennent pas en leur bec un fromage…

(1er mars 2023, Association Oiseaux-Nature, n° 464089)

 

122 - Plate-forme de recyclage de déchets inertes du BTP – Arrêté préfectoral de mise en demeure pris postérieurement à l’introduction du pourvoi – Conclusions à fin de suspension d’une précédente décision devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

La requérante a demandé au tribunal administratif, en référé, la suspension de l'exécution de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à sa télédéclaration effectuée pour l'exploitation d'une plate-forme de recyclage de déchets inertes et de production de granulats et sables recyclés. Le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.  

Par un arrêté du 11 mai 2021, ce préfet a mis en demeure la société requérante de régulariser sa situation soit en cessant ses activités irrégulières et en remettant le site en état, soit en déposant un dossier de demande d'enregistrement pour l'exploitation d'une station de transit, regroupement ou tri de produits ou de déchets non dangereux.

Cet arrêté a été pris après introduction du pourvoi formé contre l’ordonnance de référé du premier juge. Ainsi, en dépit de ce qu’il a été contesté devant le tribunal administratif, ce second arrêté prive d'objet les conclusions à fin de suspension de la décision du 22 février 2021 par laquelle le préfet des Bouches-du-Rhône s'est opposé à la déclaration de la société relative à cette exploitation et lui a ordonné de cesser immédiatement toute activité. 

Il n’y a donc plus lieu à statuer sur ce pourvoi.

C’est là une illustration de ce classique motif de non-lieu à statuer que constitue un changement dans les circonstances de droit ou de fait affectant l’objet du litige.

(15 mars 2023, Société Espace Recyclage Méditerranée (ERM), n° 452196)

 

123 - Communication de documents administratifs - Dossier d'options de sûreté d'un projet de piscine centralisée d'entreposage de combustibles nucléaires usés par EDF – Communication avec des informations occultées – Invocation du secret des affaires – Occultation de certains éléments d’implantation des systèmes de refroidissement – Annulation partielle.

(15 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 456871)

V. n° 3

 

124 - Chaluts pélagiques dans le golfe de Gascogne – Obligation d’équipement de dispositifs acoustiques – Mesure étendue à l’année entière – Rejet.

Un arrêté de la ministre de la mer du 27 novembre 2020 modificatif d’un arrêté du 26 décembre 2019, a étendu à toute l'année l’obligation (jusque-là quadrimestrielle) d'équipement de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et les chalutiers démersaux en paire dans le golfe de Gascogne, quelle que soit leur longueur, afin de limiter l'entrée accidentelle des cétacés, particulièrement les petits cétacés, dans les chaluts et chalutiers.

L'association Sea Shepherd France demande l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté modificatif du 27 novembre 2020.

Sa requête est rejetée, aucun des moyens soulevés n’étant retenu par le juge.

D’abord, ce texte étant un acte réglementaire, il n’est pas soumis à l’obligation de motivation.

Ensuite, il n’est pas entaché d’incompétence du fait qu’il a été signé par la ministre de la mer, dans la compétence de laquelle entrait la matière qu’il régit.

Encore, ne sauraient être invoquées à l’encontre de l’arrêté litigieux les dispositions combinées du règlement (UE) 2019/1241 du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques ainsi que son règlement d'exécution (UE) 2020/967 du 3 juillet 2020 établissant les règles détaillées relatives aux caractéristiques concernant le signal et la mise en œuvre des dispositifs de dissuasion acoustique visés à son annexe XIII, partie A, au motif que cet arrêté s'abstient de prévoir des prescriptions techniques encadrant les niveaux à la source des dispositifs de dissuasion acoustique dans la fourchette comprise entre 130 et 150 dB mentionnée par ce règlement d'exécution. En effet, d’abord ce règlement ne s’applique qu’à certaines zones de pêche seulement dont le golfe de Gascogne ne fait pas partie et ensuite la limitation qu’il institue ne concerne que les filets maillants de fond ou les filets emmêlants et non les chaluts pélagiques visés par l'arrêté attaqué.

Enfin, ne saurait être opposée à l’encontre de la pertinence du dispositif retenu par l’arrêté querellé une étude concernant la mer Baltique car celle-ci présente des caractéristiques, d’ouverture et de profondeur, très différentes de celles du golfe de Gascogne et, en outre, cette étude se prononce uniquement sur l'usage de dispositifs de dissuasion acoustique associés à des filets fixes alors qu'il n'est pas établi que l'effet d'exclusion de tels dispositifs associés aux chaluts visés par l'arrêté attaqué serait équivalent. Au reste, le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), dans des avis rendus en 2020 et 2023, a recommandé, pour réduire les captures accidentelles de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, l'utilisation de dispositifs de dissuasion acoustique pour les chaluts pélagiques et démersaux, combinée avec des mesures de fermeture spatiale et temporelle des pêcheries concernées.

En l’état des connaissances scientifiques, la requête ne peut qu’être rejetée.

(20 mars 2023, Association Sea Shepherd France, n° 447253)

(125) V. aussi, portant sur plusieurs questions voisines mais assorties de demandes différentes, notamment la contestation du caractère suffisant des mesures de protection de certaines espèces, la décision, importante et innovante (justifiant sa publication au Recueil Lebon), jugeant que l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé à la demande de prise de mesures adéquates pour la protection des espèces de petits cétacés dans le golfe de Gascogne, réside dans l'obligation, pour l'autorité compétente, que le juge peut d’ailleurs prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du CJA, de prendre les mesures jugées nécessaires. La légalité de ce refus doit, dès lors, être appréciée par ce juge au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision. L'arrêté attaqué et les décisions de refus de prendre des mesures suffisantes de protection sont annulés en tant, respectivement, que le premier ne prévoit pas de mesures suffisantes de nature à réduire les incidences de la pêche au bar dans le golfe de Gascogne sur les petits cétacés et que les secondes refusent de prendre de telles mesures.

Injonction est ainsi faite à l'État, dans un délai de six mois :

- d'adopter en premier lieu lesdites mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur caractère suffisant pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées. 

- de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces : 20 mars 2023, Associations France Nature Environnement, n° 449788 et n° 459153; Association Défense des milieux aquatiques, n° 449849 ; Association Sea Shepherd France, n° 453700.

(126) V. également, rejetant un recours dirigé contre une prétendue inexécution ou mésexécution de la décision du Conseil d’État du 28 juillet 2020 (n° 429018) annulant d’une part une disposition réglementaire relative au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a et b) et le même arrêté, en tant qu'il ne comporte pas d'autres mesures de protection plus rigoureuses des bars juvéniles que celles qui résultent du droit de l'Union ou des délibérations du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins rendues obligatoires et, d'autre part, enjoignant au ministre de l'agriculture et de l'alimentation d'adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l'incidence sur l'écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, en particulier s'agissant de la protection du dauphin commun. Le juge a relevé dans sa décision que le ministre a pris en cours d’instance un arrêté fixant une nouvelle taille minimale de capture du bar à 40 cm et estimé, à la date à laquelle elle a été rendue, au vu en particulier d'un avis du CIEM du 30 juin 2020, que la biomasse de bar dans le golfe de Gascogne était stabilisée à un niveau légèrement supérieur à celui permettant d'atteindre le rendement maximal durable : 20 mars 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 454842.

 

127 - Déchets – Obligation d’élimination – Charge de cette élimination – Dénaturation des faits de l’espèce – Annulation.

Le Conseil d’État décide qu’une carence de l’administration, non établie en l’espèce mais cet élément n’importe pas ici, dans l'exercice de ses pouvoirs de police en matière d’élimination de déchets ne saurait faire, par elle-même, échec à la mise en cause du détenteur des déchets ou du propriétaire du terrain quant à leur obligation de les éliminer. Commet donc une erreur de droit la cour administrative d’appel qui se fonde sur cette carence prétendue pour juger illégal l'arrêté préfectoral attaqué mettant en demeure les propriétaires du terrain de procéder à leur enlèvement.

Dénature les pièces du dossier cette même cour administrative d’appel en ce qu’elle estime non négligents les propriétaires des terrains d’assiette de ces déchets  alors, d'une part, qu'elle constate que la pollution du site était établie depuis au moins vingt ans, à la suite d'un rapport d'expertise de 1999, confirmé ensuite par un bureau d'études en 2009, et que les propriétaires des terrains, qui habitent pourtant sur place, n'avaient attiré l'attention de l'administration sur les risques qu'en 2015, et, d'autre part, qu'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les propriétaires ne pouvaient ignorer la présence sur le site de très nombreux déchets, que plusieurs membres de l'indivision D., requérante, avaient eux-mêmes exploité une installation classée pour la protection de l'environnement sur le même site et connaissaient les risques liés au stockage des déchets et, enfin, qu'ils n'avaient procédé à aucuns travaux avant 2020.

(27 mars 2023, Indivision D., n° 462947)

 

128 - Déchets faiblement radioactifs – Valorisation – Absence d’atteinte aux principes de participation du public, aux principes de justification, d'optimisation et de limitation ainsi qu’au principe de non-régression – Rejet.

La requérante demandait, par deux recours distincts mais joints par le juge, l’annulation du décret n° 2022-175 du 14 février 2022 relatif aux substances radioactives éligibles aux opérations de valorisation mentionnées à l'art. R. 1333-6-1 du code de la santé publique (recours n° 463186) et celle du décret n° 2022-174 du 14 février 2022 relatif à la mise en œuvre d'opérations de valorisation de substances faiblement radioactives (recours n° 463187).

Les recours sont rejetés.

En premier lieu, la requérante n'est pas fondée à se prévaloir, pour soutenir que le principe de participation aurait été méconnu lors de l'adoption du décret attaqué, d'un moyen fondé sur la méconnaissance des dispositions de l'art. 7 de la Charte de l'environnement car l’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement est intervenu afin de préciser les conditions et les limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'art. 7 de la Charte de l'environnement est applicable notamment aux décisions réglementaires de l'État et de ses établissements publics. 

En deuxième lieu, si les principes de justification, d'optimisation et de limitation sont applicables aux activités de valorisation de substances métalliques ayant précédemment été utilisées pour l'exercice d'une activité nucléaire réalisée dans une installation contrôlée pour la protection de l'environnement ou une installation nucléaire de base, ils ne sont pas applicables à la commercialisation et à l'utilisation des produits résultant d'une opération de valorisation, qui ne sont plus des substances radioactives telles que définies à l'art. L. 542-1-1 du code de l'environnement.

Il suit de là, compte tenu de l’intérêt général qui s'attache au développement de la valorisation des substances métalliques très faiblement radioactives issues d'installations dans lesquelles est exercée une activité nucléaire, que les décrets attaqués ne méconnaissent pas le principe de justification (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Semblablement, compte tenu des valeurs limites fixées qui sont nettement inférieures à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires, lesdits décrets ne méconnaissent pas davantage les principes d’optimisation et de limitation (cf. art. L. 1333-2 code santé pub.).

Enfin, et c’est sans doute là le principal apport de cette décision, si le principe de non-régression s'impose au pouvoir réglementaire lorsqu'il détermine des règles relatives à l'environnement, il n’est cependant pas invocable lorsque le législateur a entendu en écarter l'application dans un domaine particulier ou lorsqu'il a institué un régime protecteur de l'environnement et confié au pouvoir réglementaire le soin de préciser les conditions de mise en œuvre de dérogations qu'il a lui-même prévues à ce régime. Tel n’est pas le cas ici où le législateur n'a pas entendu écarter l'application du principe de non-régression ou confier au pouvoir réglementaire compétence pour déterminer les conditions de mise en œuvre de dérogations à un régime protecteur de l'environnement. Cependant, les décrets attaqués comportent des garanties destinées à prévenir les risques pour la santé et l'environnement notamment du fait de la très faible radioactivité des substances dont la valorisation est susceptible d'être autorisée sur le fondement des décrets attaqués et aux garanties qu'ils prévoient. Ainsi ces décrets ne conduisent pas à une régression de la protection de l'environnement. 

(27 mars 2023, Association Réseau « Sortir du nucléaire », n° 463186)

 

129 - Centrale devant fonctionner en bonne part au bois comme combustible – Ressources forestières locales limitées et soumises à une protection particulière – Insuffisance de l’étude d’impact à cet égard – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à son annulation l’arrêt d’appel qui juge qu’une étude d’impact n'avait pas à analyser les effets sur l'environnement du plan d'approvisionnement en bois d’une centrale dont cette matière devenait le principal combustible alors que cette étude devait analyser non seulement les incidences directes sur l'environnement de l'ouvrage autorisé, mais aussi celles susceptibles d'être provoquées par son utilisation et son exploitation. Or, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'exploitation de la centrale de Provence repose sur la consommation de très grandes quantités de bois provenant de ressources forestières locales, ressources naturelles faisant l'objet d'une protection particulière. Il s'ensuit que les principaux impacts de la centrale sur l'environnement, par son approvisionnement en bois, et notamment les effets sur les massifs forestiers locaux, devaient nécessairement être analysés dans l'étude d'impact contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel. 

(27 mars 2023, Association France Nature Environnement Bouches-du-Rhône et autres, n° 450135)

 

État-civil et nationalité

 

130 - Déchéance de la nationalité française – Commission d’actes de terrorisme – Rejet.

Le requérant, qui a acquis la qualité de Français en 2002, a été déchu de cette nationalité par un décret du 17 novembre 2021 pris sur le fondement des art. 25 et 25-1 du Code civil suite à une condamnation par le tribunal correctionnel à huit années d’emprisonnement, assorties d’une période de sûreté des deux tiers, pour avoir participé à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme, faits que l'art. 421-2-1 du code pénal qualifie d’actes de terrorisme.

Il demande l’annulation de ce décret, sa requête est rejetée.

Tout d’abord, la décision querellée est correctement motivée. Elle ne contrevient pas au principe non bis in idem énoncé par l'art. 4 du protocole n° 7 à la CEDH car cette déchéance ne constitue pas une poursuite en matière pénale mais une sanction administrative. Cette dernière n’est pas excessive au regard de la gravité des infractions commises consistant à rejoindre un groupe terroriste, à participer à des entraînements et aux opérations armées de ce groupe.

Le comportement de l’intéressé postérieurement à ces faits, eu égard à leur nature comme à leur gravité, ne permet pas de remettre en cause l’appréciation portée par le décret attaqué qui a notamment pour effet de le priver de ses droits civils et politiques en France.

(15 mars 2023, M. A., n° 460443)

(131) V. aussi, assez largement comparable et allant dans le même sens : 22 mars 2023, M. B., n° 471511.

(132) V. également, rejetant le recours dirigé contre le décret rapportant le décret accordant la nationalité française à un ressortissant malgache pour dissimulation de sa situation familiale (marié et père d’une enfant) : 20 mars 2023, M. C., n° 463682.

 

133 - Refus d’autoriser l’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité – Fraude au revenu de solidarité active – Rejet.

Le premier ministre n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil en s’opposant à l’acquisition de la nationalité française par un ressortissant algérien du fait d’avoir perçu, avec sa femme, le revenu de solidarité active, alors qu'en 2018, 2019 et 2020, il a séjourné en Algérie plus de deux cents jours par an et a été présent sur le territoire français durant seulement deux mois civils complets. En ne respectant pas l'obligation qui lui incombait de faire connaître à l'organisme payeur cette information relative à sa résidence et en percevant indûment d'importants montants au titre du revenu de solidarité active, faute de satisfaire à la condition de résidence stable et effective en France, l’intéressé s’est rendu indigne d’acquérir la nationalité française.

(20 mars 2023, M. A., n° 460239)

(134) V. la même solution retenue à l’égard d’une ressortissante israélo-américaine ne pouvant être regardée comme assimilée à la communauté française pour avoir adopté un mode de vie caractérisé par une méconnaissance et une ignorance des valeurs et principes essentiels de la société française : 20 mars 2023, Mme A., n° 461575.

(135) V. l’approbation par le juge du refus identique opposé à la demande d’un ressortissant congolais s’étant rendu coupable de fraude aux allocations versées par Pôle emploi, de conduite d’un véhicule sans permis et de blessures involontaires commise au volant d’un véhicule : 29 mars 2023, M. B., n° 463785.

 

136 - Libération des liens d’allégeance avec la France demandée et obtenue par le père – Demande, par la fille, de l’annulation de cet acte – Délai raisonnable de trois ans pour contester – Recevabilité de la requête – Annulation.

Le père de la requérante a demandé et obtenu le 19 octobre 1976 l'autorisation de perdre la qualité de Français pour lui-même et ses enfants mineurs et majeurs.

S'agissant d'un décret de libération des liens d'allégeance, faute de notification régulière, le délai raisonnable de saisine du juge ne saurait, eu égard aux effets de cette décision, excéder, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, trois ans à compter de la date de publication du décret ou, si elle est plus tardive, de la date de la majorité de l'intéressé.

La requérante, qui était mineure à cette époque, et à qui cette autorisation n’a pas été notifiée, n’a été informée de son existence qu'à la suite d'un courrier du ministère de l'intérieur en date du 8 février 2022. Comme l'intéressée, qui vit en France, s'est vu délivrer, à plusieurs reprises, des pièces d'identité françaises ainsi qu'un certificat de nationalité française et qu'elle n'a jamais cessé d'être regardée comme Française, en particulier dans ses relations avec les administrations de l'État et des collectivités territoriales, sa requête, dans les circonstances particulières dont se prévaut Mme B., contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, est recevable.

La requérante étant mineure lors de la demande de cessation des liens d’allégeance avec la France, celle-ci devait émaner de ses deux parents or seul le père a sollicité cette mesure. Il s’ensuit qu’elle est fondée, pour ce qui la concerne, à demander l'annulation du décret du 19 octobre 1976 en ce qu'il porte libération de ses liens d'allégeance avec la France.

(20 mars 2023, Mme B., n° 467580)

 

137 - Naturalisation – Retrait du décret l’autorisant - Dissimulation d’un mariage – Adulte handicapé – Absence d’urgence – Rejet de la demande de suspension.

Un décret de naturalisation a été retiré pour dissimulation par l’intéressé de son mariage contracté avec une ressortissante étrangère en cours d’instruction de sa demande de naturalisation. Elle sollicite en référé la suspension de l’exécution de ce retrait en invoquant notamment l’urgence du fait de la perte d’aides financières qu’elle perçoit et du risque de ne pas obtenir de titre de séjour.

Le référé est rejeté car si le requérant soutient que ce décret fait obstacle à ce qu'il se maintienne régulièrement sur le territoire français et qu'il risque en conséquence d'être privé des aides financières dont il bénéficie du fait de son handicap, notamment l'allocation aux adultes handicapés, celles-ci étant conditionnées à la régularité du séjour en France pour les personnes de nationalité étrangère, le décret contesté n'implique pas, par lui-même, qu’il serait privé de tout droit au séjour sur le territoire français et, par suite, des aides dont il bénéficie. En outre, la seule circonstance invoquée par le requérant et tirée de ce que la préfecture de police de Paris lui a enjoint de restituer son passeport et sa carte nationale d'identité n'est pas de nature à établir que l'administration entendrait lui refuser un titre de séjour s'il dépose une demande en ce sens, alors au demeurant qu’il réside sur le territoire français depuis 2002 et y a été admis au séjour en 2011. 

(20 mars 2023, M. A., n° 471634)

(138) V. aussi, pour une solution identique à l’endroit d’une ressortissante camerounaise : 29 mars 2023, Mme D., n° 464242.

 

Étrangers

 

139 - Ressortissants turcs d’origine kurde – Demande d’admission au séjour pour motif de santé – Obligation de quitter le territoire français (OQTF) prononcée à leur encontre – Arrêt infirmatif de l’annulation prononcée en première instance – Cassation et rejet de la demande d’annulation du jugement.

L’affaire est exemplaire de certains entêtements administratifs.

Les demandeurs, résidant en France depuis plus de dix ans et parents de quatre enfants français, ont fait l’objet d’une OQTF sous trente jours à raison du refus de leur délivrer un titre de séjour avec interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.

Ils ont obtenu du tribunal administratif l’annulation de ces décisions préfectorales pour erreur manifeste d’appréciation ; la cour administrative d’appel a, sur appel de leur auteur, annulé ce jugement.

Sur pourvoi des intéressés, le Conseil d’État est à la cassation après avoir relevé : « que M. et Mme A. résident en France de manière continue depuis plus de dix ans, qu'ils s'y sont mariés, et que leurs enfants, nés en France en 2013, 2015 et 2017, un quatrième enfant étant né en 2021, postérieurement aux décisions litigieuses, y ont toujours vécu, y sont scolarisés et parfaitement intégrés. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'excellente insertion de la famille est attestée par le maire de leur commune et par plusieurs dizaines de parents d'élèves, enseignants, voisins et amis, ce qui avait conduit la commission du titre de séjour des étrangers à émettre, le 11 mars 2020, un avis favorable à la délivrance d'un titre de séjour ; que M. A. disposait, à la date à laquelle ont été pris les arrêtés litigieux, d'une promesse d'embauche, transformée depuis en un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, conclu le 5 janvier 2021, dans une entreprise du secteur du bâtiment ; enfin que la famille entretient des relations très étroites avec les frères de M. A. qui bénéficient en France du statut de réfugié. » Dès lors, a inexactement qualifié ces faits l’arrêt estimant que les arrêtés litigieux ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de M. et Mme A. au respect de leur vie privée et familiale. Le jugement de première instance est confirmé et en particulier l’injonction qu’il fait de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ».

(24 mars 2023, M. et Mme A., n° 453493)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

140 – Fonctionnaire - Abandon de poste – Notion - Régime applicable – Rejet.

La chose est assez rare pour être signalée : le Conseil d’État approuve une cour administrative d’appel d’avoir jugé qu’en l’espèce un fonctionnaire était bien en état d’abandon de poste. En général, le juge administratif suprême répugne à apercevoir une telle situation, recherchant tous les moyens susceptibles de venir contredire ou contrecarrer l’état d’abandon.

Ici, un inspecteur des finances publiques a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de déplacement d'office à la suite de laquelle il a été affecté à une direction régionale des finances publiques à compter du 1er novembre 2018. Il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 5 novembre 2018, date à laquelle il était attendu, ni le 6 novembre 2018, sans en informer son administration. Il a ensuite fourni à son administration un arrêt maladie pour la période du 7 novembre au 7 décembre 2018.

Par un courrier du 21 novembre 2018 signifié par acte d'huissier, il a été invité à se présenter à son poste le 10 décembre 2018. Comme il ne s'est pas présenté dans son nouveau service le 10 décembre ni les jours suivants, un courrier du 14 décembre 2018 signifié par acte d'huissier, l’a mis en demeure de se présenter dans son nouveau service au plus tard le 19 décembre 2018, sous peine de s'exposer à être radié des cadres pour abandon de poste, sans le bénéfice des garanties de la procédure disciplinaire. Faute de s’être présenté le 19 décembre, il a été radié des cadres pour abandon de poste à compter du 20 décembre 2018.

Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté le recours formé contre cette décision. L’intéressé se pourvoit en cassation.

Pour constater l’abandon de poste le juge exige la réunion de deux séries de conditions.

En premier lieu, il incombe au service auquel appartient l’agent de le mettre en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié fixé par l'administration. Cette mise en demeure doit être écrite, notifiée à l'intéressé et l'informer du risque qu'il encourt d'une radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable.

En second lieu, si l'agent ne s'est pas présenté et n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par l'agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que le lien avec le service a été rompu du fait de l'intéressé.

Tel était le cas en l’espèce où le requérant avait été mis en demeure, par un courrier du 14 décembre 2018 du directeur régional des finances publiques, de rejoindre son poste, au plus tard le 19 décembre 2018 et alors que ce courrier de mise en demeure lui a été signifié à son domicile, seule adresse connue de l'administration, par acte d'huissier de justice, le 17 décembre 2018 et que, en son absence, l'huissier de justice, conformément à l'article 656 du code de procédure civile, a laissé à son domicile un avis de passage, mentionnant que lui était signifié un courrier de mise en demeure de reprendre ses fonctions et que ce courrier devait être retiré dans le plus bref délai à son étude. 

(15 mars 2023, M. B., n° 456789 et n° 456844)

 

141 - Fonctionnaire d’État – Affectation d’office – Décision considérée comme une mesure d’ordre intérieur insusceptible de faire l’objet d’un recours – Allégation de faits de harcèlement moral – Obligation d’apprécier l’allégation – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

En principe, les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou de leur contrat ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent de perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre de telles mesures, à moins qu'elles ne traduisent une discrimination ou une sanction, est irrecevable.

En l’espèce la cour administrative d’appel a considéré, comme le tribunal, que le recours dont l’avait saisie la requérante du fait de son affectation d’office au secrétariat général de la préfecture en qualité de chef de la mission de pilotage des politiques partenariales et de l'appui territorial par une décision du préfet, tendait à contester une mesure d’ordre intérieur et que comme tel il était irrecevable.

Le Conseil d’État annule cet arrêt au motif que l’intéressée faisait valoir que cette affectation d'office, alors qu'elle n'était pas candidate à ce poste, avait été retenue, parmi des agissements répétés et excédant les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique qui ont eu pour effet d'altérer sa santé, comme faisant partie des éléments caractérisant un harcèlement moral à son encontre par un jugement du tribunal administratif de Bastia devenu définitif du 25 juin 2020. Il incombait donc à la cour, à peine d’erreur de droit, de rechercher, au vu de cette argumentation, si la décision contestée portait atteinte au droit du fonctionnaire de ne pas être soumis à un harcèlement moral, que l'intéressée tenait de son statut, ce qui exclurait de la regarder comme une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

(08 mars 2023, Mme B., n° 451970)

(142) V. aussi, dans cette même affaire, la décision cassant pour erreur de droit l’arrêt d’appel qui avait annulé le jugement du tribunal administratif reconnaissant l'imputabilité au service d'un accident survenu le 11 janvier 2017 et de la pathologie anxio-dépressive dont souffrait la requérante, au motif que la cour ne pouvait exiger, pour une reconnaissance de l’imputabilité au service, un lien non seulement direct mais également certain et déterminant entre l'état de santé de la requérante et ses conditions de travail : 08 mars 2023, Mme B., n° 451972.

 

143 - Fonctionnaire territorial – Exclusion temporaire de fonctions – Procédure disciplinaire irrégulière – Annulation de l’ordonnance rejetant la demande de suspension de la sanction.

Si dans le cadre d’une procédure disciplinaire, l'administration n’est pas tenue d'informer le fonctionnaire poursuivi, préalablement à la séance du conseil de discipline, de son intention de faire entendre des témoins ou de l'identité de ceux-ci, le conseil de discipline, ayant décidé de procéder à l'audition de témoins, ne peut pas, sans méconnaître les droits de la défense et le caractère contradictoire de la procédure, entendre les témoins le jour même de la séance sans avoir mis en mesure le fonctionnaire poursuivi d'assister à leur audition. En l'absence du fonctionnaire, le conseil de discipline ne peut auditionner de témoin que si l'agent a été préalablement avisé de cette audition et a renoncé de lui-même à assister à la séance du conseil de discipline ou n'a justifié d'aucun motif légitime imposant le report de celle-ci.

L’ordonnance du premier juge est cassée pour erreur de droit en ce qu’elle a jugé que le moyen tiré de la méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure n'était pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision dont la suspension était demandée.

Statuant au fond, le juge de cassation retient l’urgence à décider dès lors que l’agent est privé de son traitement depuis le 8 avril 2022 et estime qu’est fondé le moyen d’irrégularité de la procédure disciplinaire ; il ordonne en conséquence la suspension de la sanction d’exclusion temporaire de fonctions d’une durée de deux ans.

(ord. réf. 08 mars 2023, M. B., n° 463478)

 

144 - Fonctionnaire hospitalier – Demande de départ anticipé à la retraite – Validation de services en qualité de services actifs – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Rappel de ce que si la validation de services effectués en qualité d'agent non titulaire, en application des dispositions de l'art. 8 du décret du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locale, permet que les services correspondants soient pris en compte pour le calcul de la durée de services effectifs ouvrant droit à l'admission à la retraite, une telle validation n'a pas pour effet de les assimiler à des services accomplis dans des emplois de catégorie active pour l'application des dispositions du I de l'art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite.

Commet donc une erreur de droit le tribunal administratif qui juge comme étant des services accomplis dans la catégorie active les services validés accomplis en qualité d'aide-soignante, et qu’ainsi est illégale la décision du 26 janvier 2014 lui refusant le bénéfice de l'admission à la retraite au motif que l'intéressée justifiait, compte tenu de ces services, d'une durée de quinze ans de services dans la catégorie active.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Lourdes, n° 447964)

 

145 - Chargé de travaux dirigés dans une université – Poursuites disciplinaires devant le CNESER - Refus de qualifier ses agissements comme constitutifs de harcèlement sexuel – Qualification inexacte des faits et sanction par trop infra-proportionnelle – Annulation.

Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) a infligé à un chargé de travaux dirigés la sanction du blâme à raison de son comportement envers des étudiantes en estimant que celui-ci n’était pas constitutif de harcèlement sexuel.

Le Conseil d’État casse à bon droit ce jugement d’abord en ce qu’il a inexactement qualifié les faits de l’espèce (nous aurions plutôt aperçu ici une dénaturation des pièces), faits répétés à l'encontre de certaines étudiantes, qui ont créé une situation intimidante et offensante pour elles, et ensuite en ce qu’il a infligé une sanction trop faible car hors de proportion avec les fautes commises compte tenu de la nature de ces faits et de la relation d'autorité qui est celle d'un enseignant-chercheur avec ses étudiants ainsi qu'à l'exemplarité et l'irréprochabilité qui, par suite, lui incombent.

Pour motiver sa cassation le juge écrit ceci qui se passe de commentaire : « M. A. a proposé à plusieurs étudiantes de son groupe de travaux dirigés, qui avaient sollicité un entretien avec lui pour échanger sur la notation de leurs copies, de se rendre au restaurant ou de lui rendre visite à son domicile, en fin de semaine ou le soir, d'autre part, (…) il a proposé, lors d'un entretien en tête-à-tête, à une étudiante qui était souffrante de lui faire un massage, enfin, (…) il a assorti l'un de ses messages d'invitation à une soirée privée à l'une de ses étudiantes d'un commentaire sur son apparence physique et sur celui d'une de ses amies à qui était également destinée son invitation. »

(10 mars 2023, Établissement Sorbonne Université, n° 456602)

 

146 - Gendarmes – Recours formé par un syndicat – Recours en excès de pouvoir contre le refus de versement de sommes à des agents publics – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation du refus du ministre de l'intérieur de faire bénéficier les agents du commandement des écoles de la gendarmerie nationale et du commandement des réserves de la gendarmerie nationale du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel.

Cette requête est jugée irrecevable par application du principe que nul en France ne plaide par procureur hormis le roi. En effet, c’est un principe constant que les syndicats de fonctionnaires et d’agents publics ne sont pas recevables à introduire eux-mêmes, en lieu et place des agents, un recours en excès de pouvoir contre une décision refusant le versement à des agents publics de sommes qui leur seraient dues. 

(10 mars 2023, Syndicat Union des personnels administratifs, techniques et spécialisés - Union nationale des syndicats autonomes (UATS-UNSA), n° 462076)

 

147 - Arrêté prononçant la mutation d’un magistrat administratif en qualité de président d’un tribunal administratif – Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (CSTACAA) – Composition et fonctions – Atteinte à l’impartialité et à l’indépendance de ses membres – Refus de transmission d’une QPC.

Contestant la décision du vice-président du Conseil d'État prononçant la mutation de 
M. C. en qualité de président du tribunal administratif de Paris et celle par laquelle il a rejeté son recours gracieux contre cette décision, le requérant sollicite le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des art. L. 232-1 et L. 232-4 du code de justice administrative.

Sans surprise, le recours est rejeté.

Ces dispositions sont relatives aux compétences et à la composition du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

Tout d’abord, le fait que, parmi ses treize membres, le CSTACAA comprend le vice-président du Conseil d'État, en qualité de président, le conseiller d'État, président de la mission d'inspection des juridictions administratives et le secrétaire général du Conseil d'État, alors qu'ils disposent de prérogatives sur la gestion du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, n'est pas de nature à porter atteinte à l'indépendance des membres du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.

Au reste, ceci est confirmé par le Conseil constitutionnel (n° 2017-666 QPC du 20 octobre 2017), selon lequel quelles que soient les prérogatives du vice-président du Conseil d'État sur la nomination ou la carrière des membres de la juridiction administrative, les garanties statutaires reconnues à ces derniers aux titres troisièmes des livres premier et deuxième du code de justice administrative assurent leur indépendance, en particulier à son égard.

Ainsi, doit être rejeté le moyen tiré de la méconnaissance par ces dispositions des principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789 qui ne soulève pas une question sérieuse.

En outre, le requérant ne saurait faire valoir que les dispositions de l'art. L. 232-1, relatives aux attributions du CSTACAA, seraient, faute de préciser les modalités selon lesquelles il les exerce, entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte à ces mêmes principes, alors que le fonctionnement du CSTACAA est régi par l'art. L. 232-6 du même code, article qui n'est pas contesté dans le cadre de la QPC. 

Pas davantage les dispositions contestées ne sauraient être arguées de porter atteinte au droit à recours effectif devant une juridiction indépendante et impartiale alors qu’elles ne concernent pas les voies de recours contentieux contre les nominations des magistrats administratifs.

(10 mars 2023, M. B., n° 464355)

(148) V. identique, rejetant le recours – assorti d’une QPC et d’une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime - dirigé contre les nominations du président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de la présidente du tribunal administratif de Melun : 10 mars 2023, M. D., n° 468104.

 

149 - Concours de recrutement de fonctionnaires et agents publics - Concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » - Irrégularités – Absence – Rejet.

Le recours d’un candidat malheureux au concours interne d'entrée dans les écoles de formations spécialisées dans la spécialité « Maintenance des matériels aéronautiques (MMA) » donne l’occasion de rappels du droit des concours. On en signale deux.

En premier lieu, la circonstance que l’arrêté ministériel désignant les membres d’un jury de concours d'admission n'ait pas été publié est sans influence sur la légalité de la délibération du jury.

En second lieu, alors que quatre postes étaient à pourvoir, le jury a pu n’en pourvoir que trois en l’absence de fixation par les textes d’un seuil d’admission.

(17 mars 2023, M. D., n° 464646) 

 

150 - Fixation de la liste des emplois de conseiller d'administration de la défense – Absence d’inclusion dans cette liste de l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon – Erreur manifeste d’appréciation – Annulation.

L’arrêté du 26 avril 2017, modifié en 2021, pris pour l’application du décret du 12 décembre 2008 relatif à l'emploi de conseiller d'administration de la défense, ne  comporte pas dans la liste qu’il établit l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon alors que cet emploi, de l’aveu de la ministre autrice de cet arrêté, implique l'exercice de responsabilités comparables à celles qui sont confiées aux titulaires d'autres emplois mentionnés dans l'arrêté du 26 avril 2017.

Faute d’y avoir inclus cet emploi, la ministre a commis une erreur manifeste d’appréciation conduisant à l’annulation assortie d’une injonction de modifier l'arrêté du 20 décembre 2021 pour y inclure l'emploi de chef du bureau d'aide à l'activité de l'établissement du service d'infrastructure de la défense de Lyon.

(17 mars 2023, M. C., n° 464985)

 

151 - Lieutenant de l’armée de terre – Dissimulation d’une coupure du réseau Intradef – Caractère fautif en dépit des effets positifs de cette action – Sanction non disproportionnée – Rejet.

La requérante a fait l’objet d’une sanction de dix jours d’arrêts pour avoir sciemment dissimulé à sa hiérarchie, dans le cadre de l’opération « Barkhane », qu'une coupure du réseau Intradef, qui permet l'échange d'informations opérationnelles au sein du ministère des armées, avait été effectuée par ses subordonnés en méconnaissance des consignes données sur la date et les conditions dans lesquelles cette action devait avoir lieu. 

L’intéressée faisait valoir pour sa défense, ce qui ne semble d’ailleurs pas contesté, que ses subordonnés auraient agi avec de bonnes intentions, que la procédure de maintenance mise en œuvre se serait déroulée dans des conditions plus favorables que celles qui auraient résulté de l'application des consignes données par la hiérarchie et que la dissimulation des dates auxquelles cette opération s'est déroulée s'expliquerait par ses relations dégradées avec le commandant d'unité. Le Conseil d’État n’en aperçoit pas moins en l’espèce un comportement fautif justifiant la sanction, non disproportionnée, qui lui a été infligée.

Il est bien connu que « La discipline fait la force principale des armées… ».

(17 mars 2023, Mme C., n° 465454)

 

152 - Personnel de la Caisse des dépôts et consignations – Accord collectif portant rupture conventionnelle – Disjonction d’un accord collectif global – Rejet.

(21 mars 2023, Syndicat CGT de l'établissement public Caisse des dépôts et Union des syndicats CGT du groupe Caisse des dépôts, n°446492)

V. n° 102

 

153 - Conseil général de l’environnement et du développement durable – Membres associés de la formation d’autorité environnementale ainsi que des missions régionales d'autorité environnementale – Membres ayant la qualité de fonctionnaires ou de contractuels – Indemnité réduite de moitié – Méconnaissance du principe d’égalité – Annulation.

Méconnaît le principe d’égalité l’art. 3 du décret n° 2022-466 du 31 mars 2022 portant attribution d'une indemnité pour l'exercice des fonctions de membre associé de la formation nationale et des missions régionales d'autorité environnementale du Conseil général de l'environnement et du développement durable en ce qu’il prévoit que cette indemnité forfaitaire est réduite de moitié pour ceux de ces membres qui sont fonctionnaires et agents contractuels en activité.

En effet, ces personnes, qui siègent dans ces instances en sus de leurs activités professionnelles, ne sont pas moins qualifiées que les autres membres associés et n’y consacrent pas moins de temps qu’eux. Or le ministre n’a pas été capable de justifier cette différence devant le juge.

(27 mars 2023, M. B. et autres, n° 463421)

 

Libertés fondamentales

 

154 - Liberté de réunion – Interdiction d’une réunion au contenu susceptible de heurter de front les principes fondamentaux de la république – Rejet.

La requérante demandait, au moyen d’un référé liberté, l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande de suspension de l’arrêté municipal interdisant la conférence organisée par l'association « Les Profs Sudio » prévue le 5 mars 2023 sur le territoire de la commune, au regard du contenu très prévisible des interventions portant atteinte aux principes et valeurs de la république, à la cohésion nationale et à la dignité des femmes, pouvant constituer dans certains cas des infractions pénales et des risques d'atteintes graves compte tenu du nombre important de participants prévus et de la montée en puissance de vives réactions sur les réseaux sociaux, qu'il serait difficile aux forces de police de maîtriser.

L’appel est rejeté par les motifs de la nature récurrente et grave des propos déjà tenus par l’intervenant principal à cette réunion publique ainsi que par d’autres intervenants, l’absence de sincérité d’un prétendu repentir formulé le jour même de l’audience de référé, le soutien donné à cette manifestation par des personnes ou entités salafistes, diffusant des ouvrages d’une organisation dissoute par décret notamment pour agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée.

(ord. réf. 04 mars 2023, Mme C., n° 471871)

 

155 - Demande d’asile – Refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Confirmation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Rejet.

L’intérêt de cette décision, par-delà son rejet d’un pourvoi tendant à voir le Conseil d’État annuler la confirmation par la CNDA du refus, déjà opposé par l’OFPRA, de répondre favorablement à une demande d’asile, est signalé ici pour son contenu et sa rédaction.

Il faut d’abord retenir le caractère méticuleux et précis de l’examen des faits, actes, propos ou circonstances, par le juge de cassation. Sera noté ensuite le grand souci de retenir tout ce qui pourrait venir au soutien de la demande d’asile.

Même si, en l’espèce, cela se conclut sur un rejet, il est bon de savoir avec quel souci d’humanité et de bienveillance le juge s’assure qu’aucun élément n’est, en l’état, susceptible d’appuyer la thèse du requérant.

(06 mars 2023, M. A., n° 461466)

 

156 - Retrait du statut de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation de ce retrait par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Personne constituant « une menace grave pour la sûreté de l'État » même en l’absence de poursuite pénale - Annulation.

L’OFPRA se pourvoit en cassation d’un jugement de la CNDA annulant sa décision du 22 octobre 2019 de retirer à un ressortissant russe d'origine tchétchène, M. C., la qualité de réfugié qu’il lui avait reconnue le 20 décembre 2012.

Pour casser ce jugement, le Conseil d’État retient que l’intéressé « est connu des services de renseignements depuis 2010 en raison de liens actifs et réguliers dans la mouvance islamiste radicale et avec des membres de l'organisation terroriste " Émirat du Caucase ". Ces services ont notamment relevé qu'il avait entretenu des liens étroits avec M. B., qui a rejoint la zone irako-syrienne à l'été 2015, a intégré les rangs de l'État islamique et est présumé mort en 2016 et qu'il appartenait à un groupe de ressortissants tchétchènes liés à la mouvance djihadiste se réunissant régulièrement dans un local à Strasbourg. Il ressort des énonciations mêmes de la décision attaquée qu'il a été contrôlé à plusieurs reprises à bord de véhicules en compagnie de personnes liées à l' Émirat du Caucase, dont le frère de M. B. Enfin, il ressort du compte rendu de son entretien devant l'OFPRA que M. C. s'est borné à nier l'existence d'un groupe et d'un local dans lequel il se réunirait et a tenu des propos évasifs, confus et contradictoires sur la réalité et l'intensité de ses liens avec les personnes mentionnées dans la note blanche des services de renseignement, témoignant manifestement d'une volonté de dissimulation. Dans ces conditions, et alors même que M. C. n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale et que les documents produits par l'OFPRA ne font pas apparaître d'agissements à caractère terroriste qu'il aurait lui-même commis ». Ainsi, la Cour nationale du droit d'asile a inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que M. C. représentait une menace grave pour la sûreté de l'État au sens et pour l’application de l’art. L. 511-7 (ex-art. L. 711-6) du CESEDA. 

(02 mars 2023, OFPRA, n° 458126)

 

157 - Demande de réexamen d’une demande d’asile – Rejet pour irrecevabilité - Éléments nouveaux apportés postérieurement – Office du juge – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile manque à son office en ce que, après avoir confirmé l’irrecevabilité d’une demande d’asile prononcée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au motif que les risques de persécutions allégués n'étaient pas établis et que le demandeur à l’asile ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la protection subsidiaire, constate dans sa décision la présentation postérieure par le demandeur d’éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu'il justifie des conditions requises pour prétendre à une protection internationale, sans pour autant lui octroyer une telle protection. La cour devait d’abord annuler la décision d'irrecevabilité de l'Office et lui renvoyer la demande de réexamen afin que le demandeur soit mis à même de bénéficier de la garantie que constitue son entretien personnel.

(02 mars 2023, M. B., n° 461056)

 

158 - Droit d’asile – Demande d’asile jugée irrecevable par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et renvoi devant l’OFPRA – Dénaturation des pièces – Annulation.

La CNDA dénature les pièces du dossier à elle soumis  en ce que, pour écarter la valeur probante de documents produits par l’OFPRA à l’appui de sa décision d’irrecevabilité d’une demande d’asile, documents émanés du ministère italien des affaires étrangères et dont le caractère officiel n’est pas contesté par la CNDA, se borne à relever l'approximation des mentions y figurant, l'absence de production du relevé d'empreintes issu du fichier Eurodac, ainsi que le défaut de production d'éléments à la fois sur le déroulement précis de la procédure de demande d'asile en Italie et sur les motifs pour lesquels M. A. aurait obtenu cette protection en 2008.

(03 mars 2023, M. A., n° 462843)

 

159 - Demande d’asile au nom d’une enfant mineure – Demande d’hébergement de ses parents et d’attribution de l’allocation pour demandeur d’asile - Impossibilité technique avancée par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) – Réformation partielle d’une ordonnance.

Des parents ont déposé une demande d'asile au nom de leur fille mineure puis saisi le juge du référé liberté d’une demande d’injonction au directeur général de l’OFII de respecter les conditions matérielles d’accueil dont bénéficie leur fille, de leur attribuer un hébergement ainsi que l'allocation pour demandeur d'asile avec délivrance de la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).

L'OFII relève appel de l’ordonnance de référé en tant seulement qu’elle lui fait injonction, en vue du versement aux parents de l'allocation pour demandeur d'asile au nom de leur fille mineure, de leur délivrer la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA. 

En effet, l’office fait valoir l'impossibilité technique, en l’espèce, de verser l'allocation sur une telle carte puisque la demande d'asile n’a été présentée qu’au nom d'un enfant mineur dont les représentants légaux n'ont jamais été demandeurs d'asile or, notamment pour des motifs de sécurité liés à la lutte contre la fraude, le système d'information lui permettant d'attribuer à un demandeur d'asile la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA est alimenté par les données relatives à l'identité du demandeur enregistrées par le ministère de l'intérieur lors du dépôt de la demande dans son propre système d'information et que l'attribution d'une telle carte implique qu'un demandeur d'asile majeur soit référencé dans le logiciel et qu'il soit actuellement ou ait précédemment été demandeur d'asile, ce qui n'est pas le cas des parents de l’enfant mineure en cause.

L’OFII propose donc le recours à la dérogation prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA en procédant au versement de l'allocation par virement sur le compte bancaire de l’un des parents. Outre que cette solution est équivalente à l’attribution de la carte – qui n’est qu’une carte de paiement, non de retrait -, l'OFII indique qu'il a conclu depuis 2019 un accord avec la Banque Postale pour faciliter les ouvertures de compte des demandeurs d'asile dans 360 bureaux référents, cette ouverture de compte étant facilitée par des mesures d’accompagnement des demandeurs d'asile.

C’est cette solution que retient le juge d’appel, réformant l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a de contraire à cette dernière.

(ord. réf. 14 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471676)

(160) Voir, identiques en substance : 23 mars 2023, M. C. et Mme A., n° 471873 ; 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 471953.

(161) V. aussi, un peu comparable mais avec demande d’hébergement, en l’état de parents d’une enfant ayant moins d’un an et qui a obtenu la qualité de réfugiée, la décision annulant le rejet par le tribunal administratif de leur demande tendant à voir ordonner à l’OFII et à l’État la fourniture d’un hébergement d’urgence : ord. réf. 07 mars 2023, Mme B. et M. E., n° 471728.

(162) V., voisin : 22 mars 2023, Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), n° 471820.

(163) V., à l’inverse, confirmant le rejet par le premier juge d’une demande d’annulation du refus d’attribuer un hébergement d’urgence à un couple accompagné d’enfants de 10 et 13 ans et alors même que la mère ferait l’objet d’une intervention chirurgicale en ambulatoire, car il existe des situations d’urgence plus graves :  ord. réf. 09 mars 2023, Mme et M. C., n° 471727.

(164) V. dans le même sens, la confirmation de l’ordonnance de rejet d’une demande d’hébergement d’une mère de 62 ans et de son fils de 27 ans, en situation de handicap moteur et cognitif, hébergés provisoirement et à titre précaire, le soir, à l’hôpital Tenon à Paris : 24 mars 2023, Mme A. et M. B., n° 472223.

(165) V. encore, constatant que le litige est devenu sans objet du fait que postérieurement à l’ordonnance attaquée, la vice-présidente du tribunal pour enfants a confié l’enfant mineure aux services de l'aide sociale à l'enfance pour une durée de six mois, l'allocation pour demandeur d'asile étant versée aux services de l'aide sociale à l'enfance : 10 mars 2023, Mme F. et M. C., n° 471729.

 

166 - Constructions illicites – Ordre préfectoral d’évacuation et de destruction – Recours en suspension assorti d’une QPC – Risques allégués d’atteinte à divers libertés et droits – Refus de transmission de la QPC.

L'article 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'article 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a entendu doter l’autorité administrative à Mayotte et en Guyane, en raison du caractère alarmant des constructions illicites, des moyens de riposte eu égard aux atteintes à la propriété, aux risques de troubles à l'ordre public et pour la santé et la salubrité publiques qui en découlent. 

Contestant la juridicité des décisions préfectorales ordonnant l’évacuation et la destruction de ces constructions, les requérants y ont joint une QPC en tant que les dispositions législatives précitées, qui fondent les décisions préfectorales, méconnaissent la compétence confiée au législateur par l'article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques alors qu’il est porté atteinte au respect de la vie privée, aux principes de fraternité et de sauvegarde de la dignité humaine et au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif (ce dernier moyen, nouveau en cassation, ne peut être retenu). 

La demande de transmission de la QPC est rejetée.

D’abord, tant en raison de l’objectif poursuivi par la loi que des garanties mises par celle-ci à l’exercice des pouvoirs conférés à cette fin aux préfets, il ne saurait être soutenu qu’elle n'assure pas, de ce fait, une conciliation équilibrée entre la nécessité de sauvegarder l'ordre public et les atteintes à la vie privée et à la dignité humaine ainsi qu’au principe de fraternité. 

Ensuite, en prévoyant que la mise en œuvre de ces pouvoirs est subordonnée à une « proposition de relogement ou d'hébergement d'urgence adaptée à chaque occupant », la loi a entendu prendre en compte la situation personnelle et familiale des personnes concernées, et notamment leurs facteurs de vulnérabilité. Elle a ainsi institué des garanties légales suffisantes de nature à respecter le droit au respect de la vie privée.

(10 mars 2023, Mme A., M. B. et Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, n° 469663)

 

167 - Demande d’asile – Risque de persécutions du fait d’une conversion au christianisme – Preuve de cette conversion – Preuve rapportée après la clôture de l’instruction – Nécessité, dans les circonstances de l’espèce, de rouvrir l’instruction – Annulation.

Le requérant, de nationalité iranienne, a formé une demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en faisant notamment valoir qu'il craignait d'être exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des persécutions de la part des autorités en raison de sa conversion au christianisme.

Le directeur général de l’OFPRA a rejeté sa demande, au motif notamment que son cheminement vers le christianisme, avant son départ d'Iran, n'était pas avéré. Puis, au dossier de l’instruction de l’affaire devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), a été versé, le 10 juin 2021, veille de la clôture de l'instruction écrite, intervenue cinq jours francs avant la date de l'audience, un mémoire contenant une note de sa division de l'information, de la documentation et des recherches relative aux conversions d'Iraniens au christianisme, dans laquelle l'OFPRA contestait, pour la première fois, la sincérité de la conversion au christianisme de l'intéressé, depuis son arrivée en France, et en concluait qu'il ne serait pas exposé à des risques de persécution en cas de retour en Iran. Dans un mémoire en défense qu’il a produit après la clôture de l’instruction, le requérant a produit un certificat de baptême. La Cour a expressément refusé de le prendre en compte.

Le juge de cassation commence par relever qu’en principe la seule circonstance qu'un mémoire en défense soit communiqué la veille de la clôture de l'instruction écrite devant intervenir cinq ou trois jours francs avant la date de l'audience n'implique, par elle-même, ni le report de l'audience, ni la réouverture de l'instruction écrite, eu égard à la possibilité pour la Cour de tenir compte des observations orales de l'autre partie sur cette nouvelle production et, le cas échéant, de diligenter un supplément d'instruction à l'issue de l'audience. 

Cependant, il estime, à juste titre, qu’en l’espèce, compte tenu de ce que le document produit par ce dernier contredisait tout à fait une pièce du dossier, la CNDA a irrégulièrement statué en ne communiquant pas ce certificat en rouvrant l’instruction pour satisfaire le principe du contradictoire ou en ordonnant un supplément d’instruction à l’issue de l’audience.

(15 mars 2023, M. B., n° 460953)

 

168 - Spectacle – Interdiction dans le cadre d’un festival – Spectacle comportant des passages nazis et antisémites – Répertoire ayant évolué – Absence de trouble avéré à l’ordre public – Atteinte à la liberté fondamentale de réunion - Confirmation de la suspension de l’arrêté municipal d’interdiction.

Au soutien de sa décision d’interdiction d’un spectacle du rappeur Freeze Corléone devant se tenir dans sa commune au sein du festival « Boumin Fest », la mairesse de Rennes invoque d’une part, les textes de celui-ci qui constitueraient « de véritables provocations et incitations à la haine, voire à la violence (...) remettant en cause les valeurs républicaines et la cohésion nationale », d’autre part, la circonstance que de tels propos seraient « de nature à très fortement exacerber les tensions déjà vives entre différents groupuscules politiques extrêmes présents à Rennes ».

La ville de Rennes interjette appel de l’ordonnance de suspension de l’arrêté d’interdiction. Le Conseil d’État, confirmant l’ordonnance du premier juge, rejette chacun de ces deux motifs.

En premier lieu, s’il est exact que l’intéressé a écrit et chanté des textes, dont le contenu n'est pas contesté, comportant des passages faisant référence de manière positive au nazisme et revêtant clairement un caractère antisémite, celui-ci soutient que ces textes ne sont plus ceux qui composent aujourd'hui ses concerts. Cette affirmation est confirmée par la communication des textes actuels de ses chansons, notamment celles devant être jouées à Rennes, et par la consultation sur Youtube des spectacles récents ou actuels du requérant.

En second lieu, l’allégation de troubles possibles à l’ordre public n’est pas assortie de la preuve de risques avérés, elle est donc insuffisante à justifier qu’il soit porté atteinte de manière évidente à une liberté aussi fondamentale que la liberté de réunion.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. F. Corléone, n° 472161)

 

169 - Extradition – Contrôle du juge – Irrégularités de la procédure suivie par l’État requérant – Absence de contrôle sur la qualification des actes retenue par les juridictions de l’État requérant – Absence d’infraction politique eu égard à sa gravité – Rejet.

Rejetant la demande d’annulation du décret autorisant l’extradition du requérant vers la Russie, le Conseil d’État rappelle un certain nombre de points gouvernant le droit extraditionnel

Tout d’abord, il n'appartient pas au Conseil d'État d'apprécier la régularité des actes des autorités judiciaires étrangères pour l'exécution desquels l'extradition a été sollicitée.

Ensuite, il résulte des principes généraux du droit applicables à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises, sauf en cas d'erreur évidente, absente en l’espèce, de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

Enfin, le décret attaqué accorde l'extradition de M. A. pour des faits qualifiés de double meurtre commis en réunion avec préméditation par contrat, détention, transport et port illégaux d'armes à feu et de munitions. Une telle infraction n'est pas une infraction politique par sa nature et ne peut être regardée, compte tenu de sa gravité, comme ayant un caractère politique. En outre, il ne ressort pas des éléments versés au dossier que l'extradition aurait été demandée par les autorités russes dans un but autre que la répression, par les juridictions russes, des infractions de droit commun qui sont reprochées à l'intéressé.

(29 mars 2023, M. A., n° 461399)

(170) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre le décret d’extradition d’un ressortissant tunisien et rappelant que le moyen tiré de ce que le demandeur aurait subi une durée de détention préventive excessive, en violation de l'article 5 de la convention EDH relatif au droit pour la personne arrêtée d'être traduite devant un juge, ne saurait être utilement invoqué à l'appui d'un recours en annulation du décret prononçant son extradition : 29 mars 2023, M. B., n° 468706.

 

171 - Asile accordée sur la base de documents frauduleux – Demande de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de révision de sa décision d’octroyer l’asile – Requête tardive – Rejet – Erreur de droit – Annulation.

L’OFPRA a saisi la CNDA d’un recours en révision de sa décision accordant l’asile à un ressortissant russe d’origine tchétchène en raison de ce qu’elle résultait d’une fraude et ce recours a été rejeté pour cause de tardiveté.

Annulant ce refus, le Conseil d’État juge qu’en estimant que la computation du délai dans lequel devait être introduit un recours en révision avait commencé à courir à la date à laquelle les premiers éléments transmis par le ministère de l'intérieur avaient été reçus, sans rechercher s'ils étaient suffisants pour permettre de caractériser l'existence d'une fraude, la Cour a entaché sa décision d'erreur de droit. 

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 461951)

 

172 - Réfugié – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) d’une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) mettant fin au statut de réfugié – Insuffisance de motivation – Annulation.

La CNDA motive insuffisamment son jugement et manque à son office quand, saisie par l’intéressé d’une décision de l’OFPRA mettant fin à son statut de réfugié au motif que sa présence sur le territoire français constitue une menace grave pour la société au sens du 2° de l'art. L. 511-7 du CESEDA, elle annule cette décision en jugeant que tel n’est pas le cas et que la situation de l'intéressé ne relève d'aucune autre clause de cessation permettant de mettre fin au statut de réfugié alors que l’OFPRA s’était fondé sur le 3° de l'art. L. 711-4 de ce code devenu l'art. L. 511-8, portant fin de la qualité de réfugié, et que l'OFPRA demandait à titre principal à la Cour de faire application de la clause d'exclusion prévue par le c) du F de l'art. 1er de la convention de Genève.

(29 mars 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 462644)

 

Police

 

173 - Incendie d’un campement occupé par des roms – Action en référé en vue d’un recensement et d’un relogement des personnes, notamment mineures – Rejet.

Est rejeté l’appel dirigé contre l’ordonnance rejetant la demande de première instance tendant à ce que soient ordonnées - dans un délai de 48 heures et sous astreinte - aux autorités préfectorales et communales concernées diverses mesures de recensement des personnes en détresse et des mineurs isolés ainsi que des mesures de mise à l'abri ou de relogement des personnes dispersées à la suite de l’évacuation forcée d’un campement de roms à moitié détruit par un incendie né dans la nuit du 24 au 25 janvier 2023 ayant provoqué la mort d’une personne, qui occupait irrégulièrement un terrain correspondant à une ancienne bretelle de sortie d'autoroute.

Le juge d’appel relève, comme le premier juge, l'absence de carences caractérisées de la part des personnes publiques concernées dans l'accomplissement de leur mission d’hébergement d’urgence de certaines catégories de personnes (cf. art. L. 345-2 à L. 5-2-5 code de l’action sociale et des familles) d’abord parce que la commune de Fresnes et la préfecture du Val-de-Marne ont constaté qu'aucune des personnes évacuées après l'incendie n'avait sollicité le bénéfice d'une mise à l'abri d'urgence dans le gymnase situé à proximité du campement et réquisitionné à cette fin le temps nécessaire à la recherche d'un hébergement pérenne, ou n'avait demandé à bénéficier des places en hôtel proposées aux familles qui en auraient formulé la demande, ensuite en raison de l'échec du diagnostic sanitaire et social lancé en août 2022 par l'État, en raison d'une opposition qui s'est manifestée sur place et, enfin, du fait que les personnes, évacuées du campement, qui se sont « repliées » sur un parking de Vitry-sur-Seine ou à Rungis, n'ont pas fait état d'une demande particulière au titre de l'hébergement d'urgence notamment auprès du Samu social par des appels au " 115 " ou d'une absence de prise en compte de situations signalées du fait de vulnérabilités particulières de certaines personnes.

(ord. réf. 06 mars 2023, Mme et M. BE et autres, n° 471862)

 

174 - Infraction au stationnement payant – Signalisation prétendue insuffisante – Erreur de droit – Annulation.

Un automobiliste a demandé à la commission du contentieux du stationnement payant d'annuler la décision du maire de Versailles rejetant son recours administratif dirigé contre l'avis de paiement du forfait de post-stationnement de 33 euros mis à sa charge par la commune de Versailles. Le magistrat à ce désigné a prononcé la décharge demandée et enjoint à la commune d'émettre un ordre de reversement sous deux mois.

La commune se pourvoit.

Pour annuler cette décision, le Conseil d’État relève l’erreur de droit commise en première instance du fait qu’il a été constaté qu'un panneau de type B6b4 était installé au niveau du 27 rue des Réservoirs, constituant l'entrée de cette voie dans le sens de la circulation vers le numéro 1 de la rue des Réservoirs et que la signalisation du stationnement payant cessait de produire effet après le n° 19 de cette rue, en raison de son intersection avec une autre rue, et qu'ainsi la signalisation du stationnement payant méconnaissait, dans cette portion de la voie, les prescriptions de l'article 55 de l'instruction interministérielle sur la signalisation routière. Le juge de cassation observe, à l’inverse, que le maire a, par un arrêté du 19 juillet 2019 réglementant le stationnement payant sur la voirie communale par zones en application des dispositions de l'article 55-1 de l'instruction interministérielle sur la sécurité routière, institué une zone dite « orange » dans le secteur Notre-Dame, zone agglomérée où 1300 places de stationnement payant sont délimitées sur différentes voies, dont la rue des Réservoirs devant le numéro 1 de laquelle il est constant que le contrevenant avait stationné son véhicule.

(10 mars 2023, Commune de Versailles, n° 466040)

 

175 - Amende forfaitaire délictuelle – Notification par envoi en courrier simple – Régime – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1093 du 18 août 2021 relatif à la procédure de l'amende forfaitaire délictuelle, ainsi que le refus de l’abroger, notamment en ce qu’il substitue, après constatation d’un délit, à l’envoi au domicile d’une notice de paiement et d’un formulaire de requête en exonération par lettre recommandée, une lettre simple désormais.

Le recours est rejeté, outre en ses moyens de légalité externe, en ses deux moyens de légalité interne.

En premier lieu, ces nouvelles dispositions se bornent à affecter les modalités d'envoi de l'avis d'infraction et sont seulement de nature, au cas où l'envoi par lettre simple n'aurait pas de date certaine, à rendre inopposable le délai applicable à la contestation de l'avis. Ainsi, elles n'ont ni pour objet ni pour effet de priver les intéressés du droit à un recours juridictionnel effectif (art. 6 et 13 de la convention EDH). 

En second lieu, ces dispositions sont applicables à l'ensemble des délits relevant de la procédure d'amende forfaitaire. Elles n'ont par elles-mêmes ni pour objet, ni pour effet de porter atteinte au mode de vie itinérant des gens du voyage, elles ne méconnaissent ainsi pas le droit des gens du voyage au respect de leur vie privée et familiale, ni n’instituent à leur encontre une discrimination incompatible avec les stipulations de l'article 14 de la convention EDH. 

(17 mars 2023, Association sociale nationale internationale tzigane (ASNIT), association Action Grand Passage (AGP) et association protestante des amis des Tziganes (APATZI), n° 457736 ; Associations Union de défense active des forains (UDAF) et France liberté voyage, n° 462145)

 

176 - Chasse – Associations communales de chasse agréées (ACCA) – Création postérieure d’associations de chasse – Distinction chronologique ne constituant pas une discrimination prohibée au sens de l’art. 14 de la Convention EDH – Rejet.

Dans l’interminable contentieux né de la loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations de chasseurs et renforçant la police de l'environnement, contentieux opposant, dans les milieux de la chasse, les ACCA et les associations de chasseurs constituées postérieurement à la création d’une ACCA, est intervenu un avis de la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (avis n° 16-2021-002 du 13 juillet 2022) sollicité par le Conseil d’État (15 avril 2021, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036) sur la compatibilité de la dichotomie entre associations de chasse instituée par cette loi au regard de l’art. 14 de la Convention EDH. C’était d’ailleurs là la première demande d’avis du Conseil à la Cour EDH.

Au reçu de cet avis, le Conseil d’État rend une décision de compatibilité qui est un peu limite mais bien dans l’air du temps.

En bref, il est jugé que la distinction légale ne constitue pas une discrimination contraire aux art. 14 de la convention EDH et 1er du premier protocole additionnel à cette convention en tant qu'elle prive du droit de se retirer d'une ACCA existante les associations de propriétaires créées après la constitution de l'ACCA car, estiment les juges du Palais-Royal, « si les propriétaires regroupés en association postérieurement à la création d'une ACCA ne peuvent jouir d'un exercice exclusif du droit de chasse sur les terrains leur appartenant, ils disposent toutefois, en leur qualité de membres de droit de l'association communale, de l'autorisation de chasser sur l'espace constitué par l'ensemble des terrains réunis par cette association, la distinction temporelle qu'opèrent les dispositions du troisième alinéa de l'art. L. 422-18 du code de l'environnement entre ces associations et celles existant à la date de création de l'ACCA constitue une mesure proportionnée au but légitime poursuivi ». On peut être quelque peu surpris de ce qu’une interdiction d’être en paix chez soi n’est pas inconventionnelle puisqu’elle est (assortie du ? compensée par le ?) droit d’enquiquiner les autres chez eux.

(23 mars 2023, Fédération Forestiers privés de France (Fransylva), n° 439036)

 

177 - Police de l’ordre public et de la sécurité publique – Chien dangereux – Chien retiré à son ropriétaire – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de fait ni dénaturation que le juge des référés a rejeté la demande de suspension de l’arrêté par lequel le maire de Juvignac a prononcé le retrait définitif au requérant de son chien ainsi que le placement de l'animal au refuge.

Il est établi que cet animal présente « un danger grave et immédiat » justifiant son placement en lieu de dépôt et qu’un vétérinaire l’a déclaré dangereux pour tout autre chien et toute personne de son entourage avec un niveau de risque de 3 sur 4.

Aucun doute sérieux sur la juridicité de l’arrêté querellé ne peut justifier la suspension de son exécution.

(24 mars 2023, M. B., n° 466442)

 

178 - Police des placements financiers - Entreprises d’assurance ou de réassurances – Contrôle de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Taux de couverture du capital de solvabilité insuffisant – Exigence d’un plan de rétablissement – Dispositions du code des assurances et du code monétaire et financier – Pouvoirs de l’ACPR – Rejet.

(22 mars 2023, Société Capma et Capmi, n° 449010)

V. n° 87

 

Professions réglementées

 

179 - Monopole des pharmaciens – Produits de médecine nucléaire – Distinction entre médicaments radio-pharmaceutiques « A » et « B » - Rejet.

Les organisations requérantes demandent l’annulation du décret n° 2022-114 du 1er février 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l'activité de médecine nucléaire.

L'art. L. 6122-1 du code de la santé publique, prévoit qu’un décret fixe la liste des activités de soins et des équipements lourds soumis à autorisation de l'agence régionale de santé. Sur ce fondement, le décret du 30 décembre 2021 relatif aux conditions d'implantation de l'activité de médecine nucléaire décide qu'à compter du 1er juin 2023, l'activité de médecine nucléaire est soumise à une autorisation qui est accordée par site géographique et comporte l'une des deux mentions suivantes : « Mention A » lorsque l'activité concernée comprend les actes diagnostiques ou thérapeutiques hors thérapie des pathologies cancéreuses, réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou préparé conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptisé en système clos et « Mention B », lorsque l'activité concernée comprend en outre les actes diagnostiques ou thérapeutiques réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique préparé selon un procédé aseptisé en système ouvert, les actes diagnostiques réalisés dans le cadre d'exploration de marquage cellulaire des éléments figurés du sang par un ou des radionucléides, les actes thérapeutiques réalisés par l'administration de dispositif médical implantable actif ou les actes thérapeutiques pour les pathologies cancéreuses réalisés par l'administration de médicament radio-pharmaceutique.

L'art. L. 4211-1 du code de la santé publique réserve aux pharmaciens, sauf dérogations, « 1° La préparation des médicaments destinés à l'usage de la médecine humaine » (...) . Aux termes de l'art. L. 5121-1 de ce code, on entend par « 7° Médicament radio-pharmaceutique, tout médicament qui, lorsqu'il est prêt à l'emploi, contient un ou plusieurs isotopes radioactifs, dénommés radionucléides, incorporés à des fins médicales ». Enfin, aux termes du I de l'art. R. 5126-9 : « Pour assurer une ou plusieurs des activités prévues aux 1° à 10° suivants, la pharmacie à usage intérieur est tenue de disposer d'une autorisation mentionnant expressément cette ou ces activités ou délivrée tacitement à la suite d'une demande mentionnant expressément cette ou ces activités : (...) 6° La préparation des médicaments radio-pharmaceutiques (...) ». 

En premier lieu, si la préparation préalable d'un médicament radio-pharmaceutique, qui relève de l'autorisation portant la mention « B », ressortit à la compétence du pharmacien, en revanche, la manipulation d'un médicament radio-pharmaceutique prêt à l'emploi ou sa préparation conformément au résumé des caractéristiques du produit, selon un procédé aseptique en système clos, seule activité autorisée au titre de la mention « A », ne saurait être assimilée à une préparation médicamenteuse relevant du monopole des pharmaciens. Il ne saurait donc être soutenu que le décret attaqué méconnaîtrait les dispositions des art. L. 4211-1, L. 4232-1 et R. 5126-9 du code de la santé publique en se bornant, pour les activités autorisées avec la mention « A » sur un site ne disposant pas d'une pharmacie à usage intérieur, à prévoir le simple « concours » d'un radiopharmacien régulièrement inscrit à la section compétente de l'ordre national des pharmaciens, sans imposer, comme il le fait pour l'autorisation portant la mention « B », que les médicaments radio-pharmaceutiques soient préparés sous le contrôle d'une pharmacie à usage intérieur et sous la responsabilité d'un radiopharmacien inscrit à la section H (pharmaciens exerçant dans les établissements de santé) de l'ordre national des pharmaciens.

En deuxième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que les mots concours et participation utilisés à l’art. D. 6124-190 du code de la santé publique, faute de définition, manqueraient à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité.

Enfin, il ne saurait davantage être soutenu que les dispositions du décret attaqué, en  imposant que la préparation préalable des médicaments radio-pharmaceutiques, qui relève d'une autorisation « mention B » pour laquelle le titulaire de l'autorisation doit disposer d'une pharmacie à usage intérieur autorisée à assurer l'activité prévue au 6° de l'art. R. 5126-9 précité du code de la santé publique, soit effectuée sous le contrôle de la pharmacie à usage intérieur et que l'équipe comprenne au moins un radiopharmacien présent sur le site pendant les activités relevant de sa responsabilité, n'aurait pas prévu de règles et garanties suffisamment précises, de nature à assurer la sécurité de l'usage des médicaments radio-pharmaceutiques et à protéger la santé publique, qu'il méconnaîtrait le droit de toute personne, garanti notamment par l'art. L. 1110-5 du code de la santé publique, de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées et des bonnes pratiques de préparation des médicaments radio-pharmaceutiques prévues à l'art. L. 5121-5 de ce code.

Les recours sont rejetés.

(16 mars 2023, Syndicat national des radio-pharmaciens, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires, Conseil national professionnel de la pharmacie d'officine et de la pharmacie hospitalière et syndicat national des pharmaciens gérants et hospitaliers publics et privés, n° 462809 ; Conseil national de l'ordre des pharmaciens et Conseil central de la section H de l'ordre des pharmaciens, n° 462891, jonction)

 

180 - Entraîneur et driver de chevaux de course – Commission d’infractions diverses - Retrait d’autorisations – Rejet.

Sur injonction du ministre de l’intérieur, l'association France Galop, chargée de missions de service public en ce domaine, a retiré à l’intéressé l'autorisation de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course. Ce dernier a saisi le juge du référé suspension qui a accordé la suspension de la décision de France Galop.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, l’ordonnance du premier juge est cassée, le juge de cassation relevant que la décision querellée a été prononcée en raison de ce que le requérant a commis, en 2014, des faits de violence par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, de violence avec usage ou menace d'une arme et de menace de mort réitérée, qu'il a commis, en 2015, des faits de détention non autorisée de stupéfiants et de conduite de véhicule en ayant fait usage de stupéfiants, qu’il a été mis en examen en 2021 du chef d'escroquerie commise en bande organisée pour avoir, en sa qualité d'entraîneur, administré de façon répétée sur une période de plusieurs mois des produits dopants à des chevaux de course, ces faits ayant entraîné le placement sous contrôle judiciaire de l'intéressé le 9 septembre 2021.

Il est assez clair qu’en jugeant que le moyen tiré de ce que ces faits ne sont pas de nature à justifier le retrait de ses autorisations de faire courir, d'entraîner, de monter et de driver des chevaux de course est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures de police litigieuses, alors que ces faits n'étaient pas sérieusement contestés par l'intéressé et que la poursuite de son activité était susceptible de porter atteinte au bon déroulement des courses hippiques et des paris dont elles sont le support et, ainsi, de créer des troubles à l'ordre public, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis.

(ord. réf. 17 mars 2023, M. B., n° 459720)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

181 - Activité de soutien scolaire – Régime de la TVA – Exonération pour les organismes privés sans but lucratif, soumission pour ceux à fins lucratives – Absence d’atteinte au respect du principe d'égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

(13 mars 2023, Société MCC Axes, n° 467225)

V. n° 62

 

182 - Usage de stupéfiants par le conducteur d’un véhicule – Sanction pénale de cette infraction – Dépistage de l’état d’imprégnation stupéfiante – Absence de changement dans les circonstances de droit ou de fait – Refus de transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État refuse la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC tendant à voir déclarer contraire à un droit ou à une liberté que la Constitution garantit les art. L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route en tant qu’ils prévoient la possibilité de recourir à une analyse salivaire pour établir le délit d'usage illicite de conduite sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants, d'autre part l'évolution du cadre réglementaire fixant les modalités de dépistage des stupéfiants et de classement des plantes et substances classées comme stupéfiants, et que cette disposition a entraîné l'augmentation du nombre de condamnations judiciaires prononcées sur le fondement de l'art. L. 235-1 du code de la route.

Le Conseil d’État considère que ces éléments ne remettent en cause ni la portée du dispositif de la décision du Conseil constitutionnel (n° 2011-204 QPC du 9 décembre 2011) jugeant que les dispositions du I de l'art. L. 235-1 du code de la route qui définissent le délit de conduite d'un véhicule sous l'emprise de substances ou plantes classées comme stupéfiants et les sanctions encourues, dans leur rédaction issue de la loi n° 2007-292 du 5 mars 2007, étaient conformes à la Constitution, ni son champ d'application et qu’elles ne constituent pas un changement des circonstances de droit ou de fait.

(24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470132)

(183) V. aussi, rejetant le recours en QPC de la même requérante fondé sur l’inconstitutionnalité des dispositions combinées du troisième alinéa de l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique et du deuxième alinéa de l'art. 495-17 du code pénal : 24 mars 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France, n° 470350.

 

184 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

V. n° 211

 

Responsabilité

 

185 - Accident de la circulation dont a été reconnue l’imputabilité au service – Rupture d’anévrisme jugée non imputable à l’accident de service – Qualification erronée des faits – Annulation.

La requérante a été victime le 2 octobre 2012 d’un accident de la circulation jugé imputable au service. Le 21 mars 2013 elle est victime d’une rupture d’anévrisme qu’elle prétend imputable à l’accident de la circulation et donc au service.

La cour administrative d’appel a rejeté la demande de l'intéressée tendant à l'annulation de la décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service de l'accident vasculaire cérébral au motif que les conclusions du rapport de l'expert ne reposaient que sur des probabilités et que ni ce rapport ni les autres pièces médicales versées au dossier ne permettaient d'établir avec certitude un lien direct entre la rupture d'anévrisme et l'accident de service dont la requérante a été victime.

Sur le pourvoi de la victime, pour annuler cet arrêt, le Conseil d’État relève que la requérante, qui n'avait pas d'antécédents neurologiques ou vasculaires, a développé, après l'accident de la circulation dont elle a été victime le 2 octobre 2012 et dont l'imputabilité au service a été reconnue, une hypertension artérielle, un syndrome de stress post-traumatique et des céphalées importantes et que le traumatisme crânien subi à l'occasion de cet accident, associé à l'élévation anormale de la tension artérielle, exposait l'intéressée à un risque élevé de rupture d'anévrisme dans les mois suivant. Le juge de cassation en déduit hypothétiquement qu’en refusant d’apercevoir le lien entre l’accident de la circulation et la rupture d’anévrisme la cour a donné aux faits de l'espèce une qualification juridique erronée.

(08 mars 2023, Mme B., n° 456390)

 

186 - Déplacement d’une sonde à ballonnet – Nécessité d’une coloscopie – Perforation colique – Lien de causalité – Engagement de la responsabilité de l’hôpital – Rejet.

L’hôpital demandeur contestait l’engagement de sa responsabilité par une cour administrative d’appel et a formé un pourvoi en cassation contre son arrêt.

Au cours de l’hospitalisation d’un patient a été constatée la migration vers le côlon gauche d’une sonde à ballonnet placée en novembre 2015 afin d’assurer son alimentation entérale. L’aggravation de l’état du patient a d’abord provoqué l’échec de la coloscopie en vue d’extraire la sonde puis conduit à l’opération chirurgicale d'une péritonite stercorale provoquée par une perforation colique, à l'occasion de laquelle la sonde a finalement pu être retirée.

Une action en responsabilité a été dirigée par le patient contre le centre hospitalier demandeur à la cassation, son action ayant été reprise par son épouse au décès de ce dernier. Le centre hospitalier conteste la motivation de l’arrêt d’appel en ce qu’elle retient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche résultait d'un défaut de surveillance fautif du centre hospitalier entre le 11 et le 25 décembre 2015 et que la coloscopie du 4 février 2016, rendue nécessaire par la migration de la sonde, était à l'origine de la perforation colique subie par le patient. Elle a estimé qu’une faute a été commise par le centre hospitalier et que cette faute était à l'origine des complications médicales présentées par le patient du fait de la perforation colique. 

Rejetant le pourvoi, le Conseil d’État considère d’abord que si le centre hospitalier soutient que la migration de la sonde à ballonnet vers le côlon gauche a pu intervenir durant la seule journée du 24 décembre 2015, alors que le patient était rentré à son domicile, il résulte du rapport d’expertise que la migration de la sonde a nécessairement pris plusieurs jours, entre le 11 et le 25 décembre 2015, période durant laquelle il était hospitalisé. La cour n'a ainsi pas commis d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces en retenant que le défaut de surveillance du centre hospitalier de Chartres était fautif. 

Il considère ensuite que la cour n’a ni commis une erreur de droit, ni entaché son arrêt de dénaturation en retenant l'existence d'un lien de causalité entre la faute du centre hospitalier de Chartres et les préjudices subis par le patient du fait de la perforation colique dès lors que l'expert estimait que la coloscopie pouvait avoir favorisé la perforation colique.

(10 mars 2023, Centre hospitalier de Chartres, n° 460084)

 

187 - Retard de diagnostic – Prise en charge pour assistance par une tierce personne – Principes et régime applicables – Annulation.

Lorsqu’à été allouée à la victime d'un dommage corporel une indemnisation au titre des frais d'assistance par une tierce personne il y a lieu d’en déduire le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais.

D’une part, cette solution doit être appliquée même dans le cas où les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage.

D’autre part, cette déduction n’est pas possible lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune.

Ces solutions ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime.

Dans le cas où la personne publique responsable n'est tenue de réparer qu'une fraction du dommage corporel, notamment parce que la faute qui lui est imputable n'a entraîné qu'une perte de chance d'éviter ce dommage, la déduction ne se justifie, le cas échéant, que dans la mesure nécessaire pour éviter que le montant cumulé de l'indemnisation et des prestations excède le montant total des frais d'assistance par une tierce personne.

Ainsi, dans la présente espèce, la cour administrative d’appel a manqué à son office et commis une erreur de droit en jugeant qu'il y avait lieu de déduire de l'indemnité ou de la rente allouée au titre de l'assistance par une tierce personne le montant perçu de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, son complément éventuel et la prestation de compensation du handicap, sans rechercher si le montant cumulé de ces prestations et de l'indemnisation mise à la charge du centre hospitalier excédait le montant total des frais d'assistance. 

(17 mars 2023, Mme et M. D., Centre hospitalier de Châlons-en-Champagne et Société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), n° 453647)

(188) V. aussi, identique sur la question de l’assistance d’une tierce personne : 21 mars 2023, Mme B. et Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Savoie, n° 435632.

(189) V. également, approuvant le juge des référés d’une cour administrative d’appel de s’être fondé sur les circonstances que la victime conservait l'usage de ses membres supérieurs et bénéficiait de la prise en charge de soins infirmiers deux fois par jour et de deux visites quotidiennes de l'association ADMR (services à la personne), pour juger que l'obligation d'indemniser Mme D. au titre de ses besoins futurs d'assistance par une tierce personne ne pouvait être regardée comme non sérieusement contestable que dans la limite de dix heures par jour : 21 mars 2023, Mme D., n° 455899.

 

190 - Responsabilité contractuelle – Endommagement de données informatiques – Défaut d’établissement de la réalité du préjudice subi – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

(17 mars 2023, Communauté d'agglomération de l'Étampois-Sud-Essonne, n° 459518)

V. n° 31

 

191 - Responsabilité hospitalière - Chute d’un toit – Admission dans un état très grave à l’hôpital – Faute dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale – Indemnisation à des titres divers – Rejets et annulations partiels.

A la suite du décès de leur mari et père, hospitalisé à la suite de la chute d’un toit l’ayant laissé dans un état grave, et en leur nom propre les requérants ont sollicité la réparation de divers préjudices subis du fait de fautes qui auraient été commises par le centre hospitalier dans le diagnostic et dans la prise en charge médicale de la victime.

L’arrêt d’appel a été cassé par le Conseil d’État en tant qu'il se prononce sur l'indemnisation des frais de soutien psychologique, des droits de succession, des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et aux pensions d'orphelins des enfants du foyer et du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM).

S’agissant de l'indemnisation des frais de soutien psychologique l’arrêt est annulé pour dénaturation en ce qu’il a refusé d’indemniser les frais futurs de soutien psychologique motif pris de ce que les demandeurs n'avaient pas produit d'éléments permettant de « chiffrer précisément » ce poste de préjudice alors qu’ils avaient fourni un certificat médical évaluant le besoin en cause à deux séances mensuelles de 60 euros chacune.

S’agissant de l’indemnisation des frais de succession est approuvé le refus par la cour d’une telle indemnisation car de tels frais, classiquement, ne peuvent être regardés comme un élément du préjudice résultant directement de la prise en charge fautive de la victime.

S’agissant de l'indemnisation des pertes de revenus liées aux dividendes perçus par M. E. et sur les revenus de substitution perçus par ses enfants, la cour a doublement dénaturé les pièces du dossier. D’abord en jugeant qu’il ne pouvait être tenu pour certain que la victime, à défaut de faute de l’hôpital, aurait pu exercer à nouveau ses fonctions de gestionnaire d'entreprise alors qu’une telle déduction ne résultait pas des pièces du dossier et notamment du rapport d’expertise. Ensuite, en jugeant que les deux enfants avaient perçu 37 621,80 euros chacun de pension d’orphelins jusqu’à l’âge de 21 ans alors qu’il résultait des pièces du dossier qu’ils n’avaient reçu, chacun, que 1767,60 euros.

Enfin, s’agissant de l'indemnisation du préjudice lié au caractère insuffisant de l'offre d'indemnisation de la SHAM, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que cet élément de préjudice ne se distinguait pas des préjudices moraux que le centre hospitalier et la SHAM ont été condamnés à indemniser alors qu'il s'agissait d'un préjudice distinct, dont la réparation incombait d'ailleurs au seul assureur du centre hospitalier.

(20 mars 2023, Mme E. et autres, n° 452939)

 

192 - Étudiante en architecture affectée d’un lourd handicap à la suite d’une intervention chirurgicale – Réparation des préjudices nés des frais d'aménagement de son appartement et des frais d'aménagement des domiciles de ses parents – Erreurs de droit – Annulation.

Le pourvoi de l’intéressée avait été admis contre un arrêt de cour administrative d’appel en tant qu’il se prononce sur les préjudices nés des frais d'aménagement de l'appartement de Mme A. ainsi que des frais d'aménagement des domiciles de ses parents. L’arrêt est cassé en raison de deux erreurs de droit.

Tout d’abord, après avoir reconnu la nécessité d’aménager l’appartement de l’intéressée à raison de son état et que la charge en incombait à l’ONIAM au titre de la solidarité nationale, la cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu de surseoir à statuer dans l'attente de la désignation d'un expert pour évaluer le coût des travaux d'aménagement du domicile, dès lors que l'intéressée avait la possibilité de faire établir elle-même directement des devis. Il incombait à la cour de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour que soit précisée l'étendue de ce préjudice.

Ensuite, pour juger que les frais d'adaptation du domicile familial ainsi que, après la séparation de ses parents, de l'appartement occupé par sa mère, n'étaient pas des préjudices personnels de la requérante, la cour s'est bornée à retenir que leur coût avait été exposé par ses parents. Ce jugeant était commise une erreur de droit.

En effet, lorsque le préjudice à réparer consiste dans l'aménagement du domicile de la victime, il ouvre droit à son indemnisation alors même que la victime n'a pas avancé les frais d'aménagement. En outre, si l'indemnisation des frais d'aménagement du logement doit porter en principe sur le domicile principal de la victime, cependant lorsque celle-ci justifie, eu égard aux contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps entre son domicile principal et un domicile familial ou celui d'un proche, elle est fondée, au titre de ce préjudice, à demander l'indemnisation des frais strictement nécessaires à son accueil dans cet autre domicile. Il incombait donc à la cour de tenir compte du fait, qui ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, que, s'agissant de la période immédiatement postérieure à son hospitalisation, le domicile familial constituait le domicile principal de Mme A. et, ensuite, de rechercher, s'agissant de la période postérieure à la consolidation de son état de santé et à l'installation dans un domicile principal situé à proximité du lieu de ses études, si les deux logements parentaux qui avaient été aménagés en raison de son handicap ne constituaient pas des lieux entre lesquels elle justifiait, en raison des contraintes imposées par la nature et la gravité de son état de santé, partager son temps.

(21 mars 2023, Mme A., n° 454374)

 

193 - Conséquences dommageables d’un accouchement en centre hospitalier – Abstention de statuer sur une partie des conclusions – Arrêt statuant ultra petita – Annulation.

Encourt cassation à un double titre l’arrêt d’appel qui, d’une part, omet de statuer sur des conclusions en indemnisation de troubles dans les conditions d'existence subis par des parents ainsi que des troubles dans les conditions d'existence de leur fille aîné et, d’autre part, statue définitivement sur le préjudice moral des parents et de leur fille aînée alors qu’était demandée seulement une indemnisation à titre provisionnel dans l’attente de consolidation.

(21 mars 2023, Mme A. et M. E., n° 454817)

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

194 - Test de dépistage du Covid-19 – Tarification en cas de réalisation en officine pharmaceutique – Tarification inférieure à celle des tests pratiqués par d’autres professionnels libéraux – Opération de dépistage collectif – Absence de disproportion manifeste contraire au principe d’égalité – Rejet.

Le ministre de la santé a fixé à 19 euros par acte, à compter du 1er juillet 2021, le tarif du prélèvement et de l'analyse réalisés dans le cadre d'un examen de détection des antigènes du Covid-19 ou SARS-CoV-2, par un dispositif médical de diagnostic in vitro lorsqu'ils sont effectués respectivement par les pharmaciens libéraux, ainsi que par les infirmiers diplômés d'État, médecins, masseurs-kinésithérapeutes, sages-femmes et chirurgiens-dentistes, libéraux ou exerçant en centre de santé et à 15 euros lorsque cette opération est réalisée dans le cadre d'un dépistage collectif en établissement médico-social ou en centre ambulatoire dédié. Puis, par un arrêté du 11 février 2022, modificatif du précédent, entré en vigueur le 15 février 2022, le tarif a été ramené à 15 euros pour les seuls pharmaciens libéraux.

L’union requérante conteste une mesure qu’elle estime contraire au principe d’égalité et de nature à dissuader les personnes de s’adresser à eux.

Le recours est rejeté d’abord parce qu’en réalité lorsqu’ils effectuent ces tests ces derniers le font dans des conditions comparables à celles d'un dépistage collectif, ce qui a d’ailleurs conduit à ce que les pharmaciens libéraux aient effectués 85 % des 62 millions de tests réalisés en 2021, et en cela il n’y a pas de disproportion manifeste entre les deux tarifs, l’un, attaqué, applicable aux pharmaciens d’officine et l’autre appliqué aux autres professionnels libéraux ; ensuite, l’argument de fait est controuvé en ce que ne se constate pas l’effet désincitatif allégué sur les neuf premiers mois de l’année 2022.

(01 mars 2023, Union des syndicats de pharmaciens d'officine, n° 463994)

 

 

Reprendre encore un peu de Covid…, sur un contentieux intarissable…

 

Une série de décisions rendues notamment (mais pas que) par la dixième chambre de la section du contentieux mettent en lumière une certaine persistance du contentieux né du Covid et de son traitement administratif. L’obstination des requérants se heurte au mur des rejets du Palais-Royal sans pour autant que son élan soit brisé. L’échec semble même fouetter l’énergie des demandeurs : « Je t’aime moi non plus ».

 

195 - Ainsi, du rejet du recours en annulation du décret n° 2021-724 du 7 juin 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, en tant qu'il permet de bénéficier du « passe sanitaire » sur la présentation d'un justificatif de statut vaccinal, sans avoir à produire dans ce cas le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou d'un test antigénique car la différence de traitement instaurée par le décret attaqué entre, d'une part, les personnes vaccinées, qui pouvaient bénéficier du « passe sanitaire » en présentant un simple justificatif de statut vaccinal et, d'autre part, les personnes non vaccinées, qui devaient pour en bénéficier présenter le résultat négatif d'un examen de dépistage RT-PCR ou un test antigénique, est fondée sur une différence de situation des personnes concernées au regard du risque de transmission du virus. Cette différence de traitement, qui est en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit, n'est pas manifestement disproportionnée au regard de cette différence de situation et du motif d'intérêt général tiré de la nécessité de limiter la propagation de l'épidémie de Covid-19.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus Covid-19 France et M. B., n° 454869)

 

196 - Il en va semblablement de la demande d'annuler le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la crise sanitaire, du moins en ce qu'il s'applique dans des lieux de plein air ainsi que dans les transports publics et en ce qu'il permet de supprimer les obligations de présentation du résultat négatif d'un test RT-PCR et de port du masque dans les lieux dont l'accès est soumis à présentation du « passe sanitaire ». Le rejet est fondé, outre l’argumentation développée au point précédent, sur l’absence de contrariété à l'objectif de santé publique poursuivi par la loi ainsi que sur l’absence de disproportion manifeste dans la situation qu’elle instaure.

(03 mars 2023, Association Victimes coronavirus covid-19 France et autres, n° 455485)

 

197 - Pareillement, encourt le rejet la demande qui, outre l’annulation du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, tend à voir le premier ministre être enjoint de compléter la liste des cas de contre-indication médicale faisant obstacle à la vaccination contre la Covid-19, dans un délai qui ne pourra excéder quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, par la mention : « Antécédents de réaction d'hyper-immunité à une vaccination antérieure constatée par un certificat médical ». Outre plusieurs des motifs précédents, il est rappelé, la chose a été abondamment discutée en temps de Covid, que « l'administration d'un vaccin sur le fondement d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché ne constitue pas, eu égard à sa nature et à ses finalités, un " essai clinique " au sens de la définition qu'en donne l'article 2 du règlement n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain. ». Ce vaccin n’a donc pas à être soumis au régime d’un tel essai.

(03 mars 2023, M. B., n° 457318)

 

198 - De la même manière, ne saurait prospérer le recours tendant à voir annulée l'instruction du 9 septembre 2021 du ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports relative à l'obligation vaccinale des personnels des services et établissements de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, en tant qu'elle inclut dans le champ de l'obligation vaccinale contre la Covid-19 les psychologues de l'éducation nationale et les personnels administratifs travaillant dans les mêmes locaux que ces derniers. Le ministre pouvait édicter une obligation vaccinale s’imposant à des personnels alors même qu’ils ne font pas partie des professions médicales ou des professions relevant du champ sanitaire et médico-social et qu'ils n'exercent aucune de leurs missions dans des établissements de santé ou des établissements à caractère médico-social.

(03 mars 2023, Syndicat Action et Démocratie, n° 457370) 

 

199 - Dans la même lignée se situe le rejet de divers recours joints tendant plus ou moins à l’annulation de plusieurs dispositions du décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 modifié en tant, d'une part, qu'elles subordonnent, pour les personnes ne pouvant justifier ni d'un schéma vaccinal complet ni d'un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la Covid-19, l'accès à certains établissements, lieux, services et événements à la présentation du résultat négatif d'un test ou d'un examen de dépistage et, d'autre part, qu'elles réduisent la durée du certificat de rétablissement de six à quatre mois. 

Il en va encore ainsi des demandes dirigées contre le « passe sanitaire » et le « passe vaccinal » ainsi que contre le « certificat de rétablissement ».

(03 mars 2023, M. A., n° 461280 ; Mme E., n° 462042 ; M. F., n° 462046 ; M. H., n° 462070)

 

200 - Est encore rejetée la demande d’annulation des deuxièmes alinéas du b) et du c) du 1° de l'art. 1er du décret n° 2022-176 du 14 février 2022 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire avec injonction à l'État de modifier les dispositions contestées afin de prendre en compte les différences immunitaires entre les personnes eu égard à leur situation vaccinale, et ce dans un délai de 7 jours à compter de la notification de la décision du Conseil d’État.

(03 mars 2023, Association Organe national indépendant de contrôle de l'exécutif (ONICE) et autres, n° 461485)

 

201 - N’avait pas davantage de chance de prospérer la demande d’annulation de l'art. 1er du décret du 14 février 2022 en ce qu'il réduit de six à quatre mois la durée de validité des certificats de rétablissement prévus par le 1° du A du II de l'art. 1er de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Celles-ci ont parfaitement pu, au vu des circonstances, prévoir leur entrée en vigueur immédiate sans phase transitoire, d’autant que le principe du droit de l’Union dit de confiance légitime est inopérant en dehors de l’application directe ou de la mise en œuvre de ce droit.

(03 mars 2023, M. B., n° 461546)

 

202 - Voir aussi, rejetant ce même grief, en ce que cette réduction de validité de six à quatre mois ne reposerait pas sur un fondement scientifique et qu’elle porterait atteinte au principe de non-rétroactivité.

(03 mars 2023, Association BonSens.org, n° 461777) et aussi (03 mars 2023, M. B., n° 462149)

 

203 - Est encore rejeté le recours tendant à l'annulation des dispositions du 2° du V de l'article 23-2 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans la version que lui a donnée le décret modificatif du 17 septembre 2021 en tant qu'elles subordonnent les déplacements vers la Nouvelle-Calédonie des personnes de plus de dix-sept ans et ne présentant pas de contre-indication médicale à la vaccination anti-Covid-19 à l'obligation de présenter un justificatif de statut vaccinal. Le premier ministre était compétent pour décider cette mesure, l’urgence ne permettait pas de consulter, dans le délai organique requis, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie et, enfin, la mesure prise n'a pas porté une atteinte injustifiée, inadéquate ou disproportionnée à la liberté d'aller et de venir ni, en tout état de cause, à la liberté de conscience (15 mars 2023, Mme R. et autres, n° 458526)

 

204 - Demande d’abrogation de dispositions réglementaires relatives à l’interdiction faite au médecin « de provoquer délibérément la mort » - Refus – Absence d’inconventionnalité – Rejet.

Les demandeurs recherchaient l’annulation des décisions implicites par lesquelles le premier ministre et le ministre de la santé et des solidarités ont rejeté leur demande tendant à l'abrogation du deuxième alinéa de l'art. R. 4127-38 du code de la santé publique selon lesquelles le médecin « n'a pas le droit de provoquer délibérément la mort ».

Le recours est rejeté.

Le juge relève que cette prohibition est instituée par des dispositions législatives (code pénal et code de la santé publique) et que, contrairement à ce qui est allégué, la disposition réglementaire attaquée n’y ajoute pas une interdiction qui n’y figurerait pas.

Ensuite, cette interdiction ne contrevient nullement aux art. 2, 3 et 8 de la Convention EDH relatifs respectivement au droit à la vie, à l'interdiction des traitements inhumains et dégradants et au droit au respect de la vie privée et familiale, tels qu'interprétés par la Cour européenne des droits de l'homme (29 juillet 2002, Pretty c. Royaume-Uni ; 20 janvier 2011, Haas c. Suisse), ni non plus à l’art. 14 de cette Convention.

Enfin, en l’état des dispositions pénales, ces dispositions ne méconnaissent pas davantage l’art. 7 de la Convention EDH en ce qu'elles exposeraient les médecins à être condamnés pour une infraction qui ne résulterait pas clairement de la loi. 

(09 mars 2023, Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) et autres, n° 453481)

 

205 - Accompagnement par un psychologue – Convention type de l’assurance maladie – Conditions de prise en charge des séances – Rejet.

Le recours tendait à l’annulation de l'arrêté ministériel du 2 mars 2022 fixant la convention type entre l'assurance maladie et les professionnels s'engageant dans le cadre du dispositif de prise en charge de séances d'accompagnement par un psychologue en tant que l'article 6.1 de cette convention-type prévoit que, pour que la séquence de soins bénéficie d'une prise en charge des séances dans le cadre du dispositif « MonPsy », « l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé en présentiel » et qu'au maximum 20 % du volume de l'activité conventionnée d'un psychologue peut être effectuée à distance.

Le recours est rejeté d’une part car en indiquant que l'entretien d'évaluation doit nécessairement être réalisé « en présentiel », l'article 6.1 du modèle de convention type critiqué se borne à rappeler ce qui résulte des dispositions mêmes de l'art. R. 162-68 du code de la sécurité sociale et d’autre part car elles ne portent atteinte ni au principe d’égalité ni à celui de non-discrimination pour ce qui regarde les psychologues ou les patients handicapés.

(09 mars 2023, M. A., n° 463798)

 

206 - Décision de limiter les soins thérapeutiques – Médecin revenant sur cette décision – Décision devant être considérée comme abrogée – Demande en référé liberté devenue sans objet.

Le requérant a demandé au juge du référé liberté d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 2 mars 2023 prise par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), portée à sa connaissance le 3 mars 2023, portant limitation des soins thérapeutiques dispensés à sa mère, Mme C.

Après rejet de sa requête et sur son appel, la cour a renvoyé le dossier au Conseil d’État.

Celui-ci rejette l’appel car il est devenu sans objet dès lors que, constatant l’amélioration de l’état de santé de la patiente qui lui permettait d’exprimer sa volonté, l’administration hospitalière était revenue sur sa décision du 2 mars qui doit être considérée comme abrogée.

(27 mars 2023, M. C., n° 472046)

 

207 - Fixation du prix de cession de médicaments aux établissements de santé – Modification intervenue par avenant à une convention antérieure - Appréciation de l’amélioration du service médical rendu – Rejet.

Les laboratoires requérants demandaient l’annulation des décisions par lesquelles le Comité économique des produits de santé a fixé le prix de cession hors taxe aux établissements de santé des spécialités Neofordex 40 mg, comprimé, et Dexliq 4mg/ml et invoquait au soutien de celle-ci divers moyens, tous rejetés.

En premier lieu, ne pouvait être invoquée au cas de l’espèce l’art. 17, relatif à la prévisibilité et à la stabilité des prix, de l'accord-cadre du 5 mars 2021, dès lors que celui-ci réserve expressément le cas où existe un accord conventionnel particulier entre les parties ce qui était le cas dans la présente affaire où les décisions litigieuses sont des avenants à des conventions antérieurement conclues.

Ensuite, n’est relevée aucune erreur de la part du Comité économique des produits de santé, dans son appréciation de l'amélioration du service médical rendu apportée par les spécialités en cause en vue d'en fixer le prix

(30 mars 2023, Société Les Laboratoires CT.RS, n° 463747)

 

208 - Autorisation d’exercice de certains professionnels de santé – Autorisation temporaire – Incompétence du ministre – Méconnaissance du principe d’égalité devant la loi – Annulation.

Le ministre de la santé a pris le 1er juin 2021 un arrêté prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dont l’art. 17 est ainsi conçu : « Les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes et pharmaciens titulaires d'un diplôme, certificat ou autre titre obtenu dans un État non membre de l'Union européenne ou non partie à l'accord sur l'Espace économique européen et permettant l'exercice de la profession dans le pays d'obtention de ce diplôme, certificat ou titre, présents dans un établissement de santé, un établissement social ou un établissement médico-social entre le 1er octobre 2018 et le 30 juin 2019 et ayant exercé des fonctions rémunérées, en tant que professionnel de santé, pendant au moins deux ans en équivalent temps plein depuis le 1er janvier 2015 se voient délivrer une attestation permettant un exercice temporaire, sous réserve du dépôt d'une demande d'autorisation d'exercice avant le 30 octobre 2021. »

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées avant 30 juin 2021, le Conseil d’État retient le moyen d’annulation soulevé par les requérants tiré de ce que le ministre, en réservant cette possibilité dans les conditions susénoncées, a fixé une condition que ne prévoient ni le premier alinéa du B du IV et le premier alinéa du V de l'art. 83 de la loi du 21 décembre 2006 de financement de la sécurité sociale pour 2007 ni le décret du 7 août 2020 pris pour son application. Comme, contrairement à ce que soutient le ministre défendeur, cette disposition ne saurait être tenue pour avoir été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de la menace d'épidémie de Covid-19 sur la santé de la population, il s’ensuit qu’elle est entachée d'incompétence.

S’agissant des demandes d'autorisation d'exercice déposées entre le 30 juin 2021 et le 30 octobre 2021, en premier lieu, la prolongation de la date limite de dépôt d’une demande d’autorisation d’exercice peut être considérée, compte tenu des mesures d'urgence qu'appelait, alors, l'épidémie de Covid-19, ce que les requérants ne contestent d'ailleurs pas, comme ayant été prise sur le fondement de l'art. L. 3131-1 du code de la santé publique aux fins de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population. En second lieu toutefois, en réservant la possibilité ainsi prolongée d'accès au dispositif dérogatoire aux seuls praticiens à diplôme étranger ayant exercé des fonctions de professionnel de santé au sein d'un établissement de santé, d'un établissement social ou un établissement médico-social, ces dispositions ne permettent pas de rendre compte de la diversité des situations au regard de l'objet de la loi concernant les praticiens exerçant dans d’autres environnements, notamment les libéraux. Il en résulte que la différence de traitement que les dispositions contestées ont instituée, qui n'est pas non plus justifiée par un motif d'intérêt général, méconnaît le principe d'égalité devant la loi. 

(31 mars 2023, M. S. et autres, n° 461396)

 

Service public

 

209 - Redevance d’assainissement – Rapport entre son montant et le service rendu – Éléments de coût pouvant être pris en compte en vue de la détermination de son montant – Cas des dépenses de personnel – Erreur de droit – Annulation avec renvoi sur ce point.

Une association a obtenu d’une cour administrative d’appel l’annulation de délibérations du conseil communautaire d’une communauté de communes arrêtant les règlements du service public d'assainissement non collectif géré en régie laquelle s’assure les services d'un prestataire titulaire d'un marché public afin d’exercer la mission obligatoire de diagnostic et de contrôle des installations d'assainissement non collectif et décidant de ne pas prendre en charge les prestations d'entretien des installations.

Pour annuler ces délibérations en tant qu'elles fixent le montant et les modalités d'appel de la redevance relative aux contrôles périodiques de fonctionnement des installations existantes, l’arrêt d’appel infirmatif a retenu que le montant annuel de la redevance collectée auprès des usagers avait fortement progressé à partir de 2016, que la communauté de communes ne justifiait pas de cette augmentation, dès lors qu'elle ne faisait état d'aucun déficit au titre des années antérieures, qu'elle n'apportait pas d'explication justifiant les sommes importantes imputées à compter de 2016 au budget du service au titre de salaires du personnel, alors que les prestations de communication, d'information, de contrôle d'établissement d'un fichier informatique, de rédaction de rapports de synthèse et, jusqu'en juin 2017, de facturation, avaient été confiées au titulaire du marché public conclu pour l'exécution du service d'assainissement non collectif, et que ce montant était largement supérieur, chaque année à partir de 2016, aux frais acquittés par la collectivité en paiement des prestations fournies aux usagers. Elle en a déduit que les tarifs fixés par les délibérations attaquées ne trouvaient pas leur contrepartie directe dans le service rendu aux usagers et méconnaissaient les dispositions des art. R. 2224-19-5 et R. 2224-19-10 du code général des collectivités territoriales.

Pour annuler cet arrêt, le juge de cassation rappelle d’abord comment il convient d’appliquer la règle d’équivalence entre montant de la redevance et service rendu, jugeant que si « l'objet du paiement que l'administration peut réclamer à ce titre est en principe de couvrir les charges du service public, il n'en résulte pas nécessairement que le montant de la redevance ne puisse excéder le coût de la prestation fournie. Il s'ensuit que le respect de la règle d'équivalence entre le tarif d'une redevance et la valeur de la prestation ou du service peut être assuré non seulement en retenant le prix de revient de ce dernier, mais aussi, en fonction des caractéristiques du service, en tenant compte de la valeur économique de la prestation pour son bénéficiaire. » Puis, examinant les faits de l’espèce, le juge reproche à la cour de n’avoir pas pris en compte que la communauté de communes soutenait que le personnel qu'elle avait mis à disposition du service à partir de 2016 avait notamment pour tâche, non seulement de concevoir le marché public de prestation de service et d'organiser sa passation, mais aussi d'assurer le suivi de son exécution, d'identifier les installations d'assainissement, d'assurer une veille de la réglementation applicable aux diagnostics des installations, d'assurer une partie de la facturation, à tout le moins à compter de juin 2017, et d'assurer une partie de la gestion des relations avec les usagers. Or la cour n’a pas recherché si, compte tenu des dépenses de personnel restant ainsi à la charge de la communauté de communes, le montant des redevances demandées aux usagers était proportionné au regard de l'ensemble des charges du service et de la valeur économique de la prestation pour ses bénéficiaires.

La cassation est prononcée dans cette mesure.

(08 mars 2023, Communauté de communes Randon-Margeride, n° 451725)

 

210 - Fédérations sportives délégataires de missions de service public – Nature de leurs actes – Rattachement ou non à leurs prérogatives de puissance publique – Absence en l’espèce – Rejet.

Si les décisions prises par les fédérations sportives, qui sont des personnes morales de droit privé, sont, en principe, des actes de droit privé, cependant, lorsqu’elles ont reçu à titre exclusif délégation à l’effet d’exercer les missions prévues aux art. L. 131-15 et L. 131-16 du code des sports, le législateur les a chargées de l'exécution d'une mission de service public à caractère administratif. Celles de leurs décisions qui procèdent de l'usage des prérogatives de puissance publique qui leur ont été attribuées pour l'accomplissement de cette mission présentent le caractère d'actes administratifs même lorsque ces décisions sont édictées par leurs statuts.  

Tel est le cas de la Fédération française de billard qui a reçu délégation du ministre chargé des sports, la juridiction administrative est donc compétente pour connaître des règles édictées par ses statuts si elles manifestent l'usage de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public. 

En l’espèce, le recours tendait à l'annulation de l'article 1.2.1, qui fixe les règles relatives aux associations et autres personnes composant la fédération, de l'article 1.3 permettant à la fédération de créer des organes déconcentrés au niveau régional et territorial et déterminant les devoirs de ces organes et le contrôle exercé par la fédération sur leur gestion et leur fonctionnement, de l'article 2.3.3 relatif aux incompatibilités avec le mandat de président de la fédération, de l'article 2.3.5 relatif aux conditions d'élection du bureau fédéral de la fédération, de l'article 2.4.1 relatif aux commissions obligatoires de la fédération et de l'article 3.1 relatif aux rétributions perçues par la fédération pour services rendus.

Ces dispositions ont trait à l'organisation et au fonctionnement interne de la fédération et ne manifestent pas l'usage par celle-ci de prérogatives de puissance publique dans l'exercice de sa mission de service public.

La requête est rejetée car portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(15 mars 2023, Ligue de billard d'Ile-de France, Ligue de billard du Centre-Val de Loire et Ligue de billard Grand Est, n° 466632)

 

211 - Élèves mineurs ou majeurs en situation de handicap – Actions médico-éducatives en leur faveur – Actions constituant une mission d’intérêt général mais non une mission de service public – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Différence en rapport direct avec l’objet de la loi – Refus de transmission d’une QPC.

La société requérante a soulevé une QPC à propos des dispositions combinées de l’art. L. 311-1 et du 2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles – relatives aux actions éducatives pour les élèves, mineurs ou majeurs, atteints de handicap - telles que les interprète le Conseil d’État.

Celui-ci déduit en effet des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap constituent une mission d'intérêt général, le législateur a entendu exclure que la mission assurée par les organismes privés gestionnaires des établissements et services (cf.  2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles), dont font partie les instituts médico-éducatifs, revête le caractère d'une mission de service public.

La requérante fonde son action en QPC sur ce que sont ainsi méconnus les principes d'égal accès à l'instruction et d'égalité devant la loi, en tant que ces dispositions ainsi interprétées excluent que la mission assurée par les instituts médico-éducatifs revête le caractère d'une mission de service public, y compris au titre du service public de l'éducation. 

Le Conseil d’État rejette la demande de transmission au terme d’un raisonnement confus où se manifeste à plein l’indigence conceptuelle affectant les notions d’intérêt général et de service public. Le raisonnement vaut d’être cité en son entier : « Il résulte de ces dispositions (i. e. notamment les art. L. 111-1, L. 112-1 à L. 112-5 et L. 351-1 à L. 351-5 du code cde l’éducation) qu'il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation, et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsqu'elle s'effectue en tout ou en partie dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, cette scolarisation participe du service public de l'éducation. Ainsi, et contrairement à ce que soutient la société requérante, la circonstance que les dispositions qu'elle conteste ne confèrent pas à la mission de ces instituts le caractère d'un service public ne saurait en tout état de cause, par elle-même, avoir d'incidence sur l'égal accès à l'instruction des élèves en situation de handicap. » Comprenne qui pourra…

Enfin, pour couronner le tout est ainsi balayé l’argument de différence de traitement : « A supposer que puisse être regardée comme constitutive d'une différence de traitement l'orientation (…) des élèves en situation de handicap vers des structures particulières adaptées à leurs besoins alors que celles-ci ne sont pas, contrairement aux établissement scolaires, chargés d'une mission de service public, (…) une telle différence serait en rapport direct avec l'objet des dispositions contestées, qui visent précisément à assurer la scolarisation de l'ensemble des enfants au moyen, pour ceux d'entre eux présentant un handicap, d'un régime particulier de scolarisation, par l'éducation nationale elle-même, dans l'enceinte d'établissements adaptés. »

(31 mars 2023, Société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), n° 470151)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

212 - Exercice du droit de préemption – Compétence déléguée au maire – Impossibilité pour le conseil municipal de se ressaisir de cette compétence sans délibération préalable abrogeant expressément la délégation consentie – Annulation sur ce point.

(1er mars 2023, M. A. et Cabinet A. Assurance, n° 462648)

V. n° 21

 

213 - Permis de construire – Sursis à statuer – Préservation d’un site médiéval – Instauration d’un espace naturel intermédiaire entre celui-ci et le village actuel – Absence de compromission du futur plan d’urbanisme – Dénaturation des pièces – Annulation.

Est annulé pour dénaturation des pièces du dossier l’arrêt d’appel qui, pour annuler le sursis à l’exécution d’une demande de permis de construire un bâtiment d'habitation comportant trois logements au motif que le projet litigieux n'était pas de nature à compromettre l'exécution du futur plan local d’urbanisme contrairement à ce que soutenait la commune.

Le Conseil d’État relève que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable, soumises au débat du conseil municipal de Zellenberg lors de sa réunion du 28 novembre 2016, ont entendu préserver l'unité historique, architecturale et paysagère existante du village médiéval, installé sur un promontoire, en prévoyant le classement en espace naturel à vocation paysagère de la zone intermédiaire avec le front bâti du village. Or il résulte des pièces du dossier que le projet de construction litigieux, d'une surface de 339 m² sur trois niveaux, se situe sur l'une des quelques parcelles naturelles qui font partie de la zone dépourvue de construction autour de l'ensemble médiéval du village, et notamment de sa tour. Il suit nécessairement de là que ce projet était de nature à rompre le détachement visuel de la silhouette historique du village situé sur le promontoire que les orientations du projet d'aménagement et de développement durable ont entendu préserver. C’est donc au prix d’une dénaturation de ce dossier que la cour a prononcé l’annulation du sursis à statuer sur la demande de permis.

(06 mars 2023, Commune de Zellenberg, n° 460214)

 

214 - Permis de construire – Permis de construire modificatif en vue de régularisation – Refus d’accorder ce permis – Demande de pièces complémentaires parvenue hors délai – Absence d’interruption du délai de constitution d’un permis tacite – Arrêté de suspension dudit permis valant retrait – Retrait illégal du permis pour défaut de contradictoire – Annulation.

Le requérant s’est vu délivrer le permis de construire une maison à usage d'habitation et une piscine par arrêté municipal du 16 mars 2018. Le tribunal administratif, saisi à cet effet par une association syndicale autorisée de propriétaires, a, d’abord, sursis à statuer afin de permettre au pétitionnaire d'obtenir un permis modificatif régularisant les vices tirés, d'une part, du caractère incomplet du dossier de demande de permis s'agissant de la rampe d'accès à la maison projetée et, d'autre part, de l'atteinte portée à la sécurité publique par la pose d'une buse dans un vallon en l'absence de prescription spéciale édictée par le maire.

Ce dernier a, par arrêté du 23 mars 2022, refusé de délivrer le permis modificatif de régularisation déposé le 20 décembre 2021.

Le juge des référés du tribunal administratif ayant rejeté sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022, l’intéressé se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le juge des référés du Conseil d’État est à la cassation.

Tout d’abord, il est relevé que, saisis de la demande de permis modificatif le 20 décembre 2021, les services municipaux ont adressé au pétitionnaire une demande de pièces complémentaires le 19 janvier 2022, qui a été reçue le 21 janvier 2022, soit après l'expiration du délai d'un mois mentionné à l'art. R. 423-38 du code de l'urbanisme. Le juge rappelle à cet égard que, contrairement à ce que soutenait la commune, ce délai n’est pas un délai franc.

Il suit de là, d’une part, que la demande de pièces complémentaires n’a pas pu interrompre le délai d'instruction de la demande fixé par l'art. R. 423-23 du même code et que ce délai était expiré lorsque l'arrêté litigieux a été pris, le 23 mars 2022 et, d’autre part, que le permis modificatif sollicité par le requérant doit être regardé comme ayant été tacitement accordé. Ainsi, l'arrêté litigieux dont la suspension d'exécution était demandée au tribunal administratif doit s’analyser comme constituant un retrait de ce permis tacite.

Des dispositions de l’art. L.  211-2 du code des relations entre le public et l'administration il résulte qu’un tel retrait est soumis à une procédure contradictoire préalable, laquelle n’a pas eu lieu en l’espèce. Le retrait du permis est donc illégal sans que puisse faire échec à cette conséquence la circonstance, relevée par le juge des référés du tribunal, que des échanges ont eu lieu entre le pétitionnaire et le service instructeur car ces échanges n'ont pu constituer la procédure préalable requise par le code précité, dès lors que M. A. n'a pas été mis à même de produire des observations sur les motifs mêmes qui ont conduit le maire à retirer le permis de construire tacite dont il bénéficiait.

L’ordonnance de référé critiquée est entachée d’erreur de droit et encourt cassation pour avoir jugé que le moyen tiré de ce que la décision attaquée retirait illégalement une autorisation tacitement acquise n'était pas propre, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux quant à sa légalité.

Statuant au fond, le juge de cassation rejette en premier lieu le moyen invoqué par la commune, selon lequel l'annulation par le tribunal administratif de l'arrêté du 16 mars 2018, en l'absence de notification de la mesure de régularisation refusée à M. A., l’aurait privé de son intérêt pour contester le refus opposé par le maire le 23 mars 2022 de lui délivrer le permis modificatif qu'il sollicitait en vue de la régularisation de son projet. En réalité, le recours de M. A. doit être regardé comme dirigé contre le refus du maire d'autoriser le projet dans son ensemble, y compris les modifications qu'il était envisagé d'y apporter. En second lieu, le juge décide que l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 doit être suspendue car sont réunies les deux conditions requises pour l’octroi d’une telle suspension : 1°/ il existe bien un moyen sérieux comme indiqué ci-dessus ; 2°/ il y a bien urgence à statuer car l'exécution de l'arrêté du 23 mars 2022 porte atteinte, de façon grave et immédiate, à sa situation dès lors que la réalisation du projet est motivée par sa perte d'autonomie, nécessitant l'aménagement d'un accès à sa propriété mieux adapté à sa mobilité désormais réduite, et qu'il a engagé sur ses fonds propres des frais à hauteur de 200 000 euros et contracté un prêt bancaire à hauteur de 300 000 euros pour la réalisation des travaux autorisés par le permis de construire délivré le 16 mars 2018, laissés inachevés en raison de l'annulation de ce permis de construire.

Enfin, cette suspension ayant pour effet de rétablir provisoirement le permis de construire modificatif tacitement obtenu par M. A., il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant aux fins qu'un tel permis de construire lui soit délivré ou que sa demande soit réexaminée.

(09 mars 2023, M. A., n° 466405)

 

215 - Droit fiscal de l’urbanisme – Convention de projet urbain partenarial – Liaison avec la durée d’exonération de la taxe locale d’équipement – Silence de la convention sur la durée d’exonération de la taxe d’aménagement – Conséquences – Rejet.

(10 mars 2023, Société RG Patrimoine, n° 459895)

V. n° 65

 

216 - Permis de construire un bâtiment à usage d’habitation – Demande d’annulation – Dossier du permis incomplet ou inexact – Condition d’annulation – Rejet.

Rappel d’une constante du contentieux du permis de construire et application positive à l’espèce.

« (…) la circonstance que le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité le permis de construire qui a été accordé que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. »

(17 mars 2023, Mme B. et M. C., n° 450074)

 

217 - Commerces transformés en « dark stores » - Détermination de leur catégorie d’appartenance – Entrepôts - Changement irrégulier de destination pour défaut de déclaration préalable – Impossibilité de régularisation – Rejet.

Un phénomène de mode urbanistique consiste, notamment à Paris, à transformer des commerces situés en rez-de-chaussée en locaux de réception et de stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs circulant à bicyclette : ce sont les « dark stores ».

La Ville de Paris, dans le souci de lutter contre le développement de cette fâcheuse occupation urbaine, a mis en demeure les sociétés requérantes de restituer lesdits locaux dans leur état d’origine. Deux des sociétés concernées ont obtenu du juge des référés la suspension de ces arrêtés, d’où le pourvoi formé par la ville.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance de suspension.

D’abord, le remplacement de commerces, c’est-à-dire des espaces de vente destinés à la présentation et à la vente de bien directement à la clientèle, par des entrepôts, s’agissant de lieux destinés à la réception et au stockage ponctuel de marchandises, afin de permettre une livraison rapide de clients par des livreurs supposait une déclaration préalable qui, en l’espèce, n’a pas été faite.

Ensuite, se posait la question de savoir si une telle déclaration aurait pu déboucher sur une décision de non-opposition à déclaration préalable. Les parties s’opposaient sur ce point, les sociétés en cause soutenant que cela était possible et la ville soutenant le contraire. C’est ce dernier point de vue que retient le juge en se fondant sur les art. R. 151-27 et R. 151-28 du code de l'urbanisme et sur l'arrêté ministériel du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d'urbanisme et les règlements des plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu. En effet, il résulte de ces dispositions ainsi que de celles du 1° de l’art. UG 2.2.2 du plan local d'urbanisme que : « (...) La transformation en entrepôt de locaux existants en rez-de-chaussée est interdite ». 

(23 mars 2023, Ville de Paris c/ Sociétés Frichti et Gorillas Technologies France, n° 468360)

 

218 - Plan local d’urbanisme – Illégalité prétendue entachant son élaboration ou sa révision – Régularisation (art. L. 600-9 c. urb.) – Sort des autres moyens – Rejet.

Le Conseil d’État rappelle notamment, dans cette très longue décision, que le juge saisi de conclusions dirigées contre un plan local d’urbanisme est dans l’obligation, avant d’éventuellement mettre en œuvre l’art. L. 600-9 en vue de la régularisation de ce document d’urbanisme et de surseoir à statuer à cette fin, de constater qu'aucun des autres moyens soulevés n'est fondé et d'indiquer, dans la décision avant-dire droit par laquelle il surseoit à statuer sur le recours dont il est saisi, pour quels motifs ces moyens doivent être écartés.

Si l'auteur du recours peut contester cette décision avant-dire droit en tant qu'elle écarte comme non fondés certains de ses moyens et en tant qu'elle fait application des dispositions de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, en revanche, il ne peut plus, à compter de la délibération régularisant le vice relevé, maintenir celles de ses conclusions qui sont dirigées contre la décision avant-dire droit en tant qu'elle met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'article L. 600-9 du code de l'urbanisme, celles-ci devenant, par le fait même de la délibération de régularisation, sans objet.

(24 mars 2023, M. B. et Mme E., n° 448282 et n° 452908)

 

219 - Autorisation unique valant permis de construire et d’exploiter sept éoliennes – Refus – Annulation – Erreur de droit – Annulation et rejet.

Le juge rappelle à nouveau le sens et la portée de l’art. R. 111-27 du code de l’urbanisme lorsqu’il est appliqué à une demande d’autorisation de construire et d’exploiter des éoliennes.

Si les constructions projetées portent atteinte au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ou encore à la conservation des perspectives monumentales, l'autorité administrative compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou l'assortir de prescriptions spéciales. Cette autorité doit d’abord apprécier la qualité du site sur lequel la construction est projetée. Elle doit ensuite évaluer l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site.

Négativement, ce texte, ne permet pas qu'il soit procédé au cours de cette seconde phase à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux qu’il mentionne et, le cas échéant, qui figurent au plan local d'urbanisme.

Positivement, l’autorité administrative doit apprécier aussi bien la qualité du site que l'impact de la construction projetée sur ce site, en prenant en compte l'ensemble des éléments pertinents et notamment, le cas échéant, la covisibilité du projet avec des bâtiments remarquables, quelle que soit la protection dont ils bénéficient par ailleurs au titre d'autres législations. 

Ainsi, en jugeant que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne pouvait être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'art. R. 111-27 du code de l'urbanisme en raison de l'implantation du projet en dehors du périmètre de protection institué par les dispositions du code du patrimoine, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

(24 mars 2023, Association Paysages et Forêts de l'Armançon, n° 460474 ; ministre de la transition écologique, n° 460637)

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