Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Décembre 2023

 

Actes et décisions  - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Documents administratifs – Nature de - – Documents produits par des agents de police municipale – Régime juridique – Refus de communiquer – Rejet.

En principe, les documents produits par les agents de police municipale dans l'exercice de leur mission de service public, notamment ceux par lesquels ils rendent compte des opérations de police administrative qu'ils effectuent, de leur propre initiative ou à la suite d'un signalement, à des fins de prévention et de surveillance du bon ordre, de la tranquillité, de la sécurité et de la salubrité publiques, sur le fondement de l'article L. 511-1 du code de la sécurité intérieure, ont le caractère de documents administratifs, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction.

En revanche, les rapports et procès-verbaux mentionnés à l'article 21-2 du code de procédure pénale, par lesquels les agents de police municipale constatent une infraction pénale ou en rendent compte, qu'ils transmettent au procureur de la République, le cas échéant par l'intermédiaire des officiers de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, ne sont pas détachables de la procédure juridictionnelle à laquelle ils participent et ne constituent donc pas des documents administratifs.

Enfin, il appartient à l'administration d'occulter ou de disjoindre les mentions dont la communication demandée est susceptible de porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions ou leurs préliminaires, sauf autorisation donnée par l'autorité compétente et, lorsque le demandeur n'est pas la personne intéressée au sens de l'article L. 311-6, celles : 1)  dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée d'autres personnes, 2) celles qui portent une appréciation ou un jugement de valeur sur une autre personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable et 3) celles qui font apparaître le comportement d'une tierce personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

En cette hypothèse, l'administration ne peut légalement se borner à occulter le nom d'une tierce personne aisément identifiable par le demandeur, mais doit occulter l'ensemble des informations relevant de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration, lorsqu’elles se rapportent à cette personne.

(06 décembre 2023, Mme Margueritat, n° 468626)

(2) V. aussi, à propos de la communication de documents produits ou reçus par les agents de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la distinction faite par le juge entre ces documents, comparable à celle présentée dans la décision précédente, selon qu’ils se situent dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des infractions pénales prévues par le code de la consommation, et qui, alors, ne constituent pas des documents administratifs communicables sur le fondement des dispositions du livre III du code des relations entre le public et l'administration, sans préjudice du régime de communication particulier organisé par les dispositions de l'art. L. 521-27 du code de la consommation, ou qu’ils se situent dans le cadre de leurs activités de recherche et de constatation des manquements aux dispositions du code de la consommation et qui sont susceptibles de donner lieu à des sanctions administratives, ou dans le cadre des contrôles administratifs prévus à l'article L. 511-14 du même code, lesquels revêtent le caractère de documents administratifs, quand bien même ils seraient par la suite transmis à une juridiction. En l’espèce, il est jugé qu’entrant dans la catégorie des documents non communicables, les documents litigieux ne pouvaient, contrairement à ce qui a été jugé par erreur de droit en première instance, donner lieu à communication : 06 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470726 et n° 470727.

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 45

(3) V. également, confirmant celle des premiers juges, la décision estimant que sont communicables les comptes rendus et le rapport de synthèse des contrôles des assainissements non collectifs établis en 2010 par la communauté de communes du Grand Chambord sans que puisse être invoquée à l’encontre de cette demande la circonstance que le nombre des demandes passées présentées par l’intéressé et les conflits qui l'opposent à la communauté de communes suffiraient à démontrer que sa demande de communication des documents en litige avait pour objet de perturber le bon fonctionnement des services. En outre, est inopérante ici l’invocation, seulement  dans une note en délibéré, de la charge, pour la collectivité, résultant de la communication des documents faisant l'objet du litige, notamment à raison de l'obligation de procéder à l'occultation d'un grand nombre de mentions, et alors que le tribunal administratif a estimé ne pas devoir rouvrir l’instruction, comme il en a la faculté. En effet, il s’agit d’un moyen que la demanderesse à la cassation était en état de faire valoir dans le délai du pourvoi :15 décembre 2023, Communauté de communes du Grand Chambord, n° 469651.

 

4 - Communication de documents administratifs – Demande de publication des fichiers correspondant aux délibérations budgétaires des collectivités territoriales et de leurs groupement, réalisés avec l'application « TotEM » et versés dans l'application « Actes budgétaires » - Refus – Application des principes de base - Rejet. 

Le ministre de l’intérieur a refusé la communication à la requérante, par publication en ligne, de plusieurs documents budgétaires et comptables des collectivités territoriales et de leurs groupements versés dans l'application « Actes budgétaires » à partir de l'application « TotEM ». Après que le tribunal administratif a enjoint cette communication par mise en ligne, le Conseil d’État, saisi par le ministre défendeur, annule ce jugement en rappelant et en croisant deux principes méthodologiques bien connus en droit de la communication des actes administratifs.

En premier lieu, celui qui demande la communication de documents administratifs n'a pas à justifier de son intérêt à cette communication, quel que soit le fondement légal de sa demande (code des relations entre le public et l’administration ou CGCT) sauf dans le cas où, l’administration invoque la charge matérielle excessive pesant sur elle du fait de cette demande, ce qui oblige le juge à apprécier l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public. 

En second lieu, l’obligation de communication ne peut porter que sur les documents tels qu’ils sont et selon les moyens techniques et modalités dont dispose l’administration détentrice. En aucun cas, cette obligation ne saurait contraindre cette dernière à recourir à un logiciel mis à sa disposition par le demandeur, à développer un nouvel outil informatique, ou à développer de nouvelles fonctionnalités sur les outils dont elle dispose.

Au cas de l’espèce, le juge relève d’abord, pour trouver régulier le refus opposé par le ministère de l’intérieur à l’association requérante, que les documents dont la communication est demandée représentent plusieurs centaines de milliers de fichiers qui peuvent contenir des données à caractère personnel concernant, notamment, le personnel de la collectivité, les personnes physiques bénéficiaires de prêts, aides et autres concours financiers, ou encore les personnes physiques débitrices à l'égard de l'administration. Il relève ensuite l’énormité de la tâche consistant en l’anonymisation matérielle des données personnelles, en l’absence de logiciel existant à cet effet et compte tenu de ce que, comme indiqué ci-dessus, l’administration n’est tenue ni d’utiliser un logiciel mis à sa disposition par l’association demanderesse, ni de développer les fonctionnalités des dispositifs actuellement utilisés par elle.

Reste entière la question de savoir – non abordée ou résolue ici - s’il est bien conforme aux exigences contemporaines de transparence et de clarté de laisser à l’administration la liberté totale de choisir selon quels moyens et modalités elle stocke les données qu’elle utilise au risque, bien évidemment, d’en rester à un stade minimal de développement des capacités techniques mises en œuvre, limitant ainsi drastiquement les possibilités de satisfaire les demandes de communication dont elle est saisie.

On peut d’ailleurs douter que les textes du droit de l’Union, ceux européens ou internationaux, soient compatibles avec cette orientation minimaliste.

(20 décembre 2023, Association « Ouvre-boîte », n° 467161)

 

5 - Procédure non contentieuse – Fixation d’un délai pour produire des observations – Observations faites avant l’expiration du délai – Impossibilité d’une décision intervenant postérieurement à ces observations mais antérieurement à l’expiration du délai fixé – Annulation.

(08 décembre 2023, M. A., n° 466620)

V. n° 126

 

6 - Avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) – Conditions de livraison des dépositaires de presse – Prise d’acte d’une information – Absence de caractère décisoire – Irrecevabilité d’un recours formé contre une décision ne faisant pas grief – Rejet.

Est jugé irrecevable le recours en annulation dirigé contre l’avis de l’ARCEP en date du 16 février 2023 relatif aux conditions techniques, tarifaires et contractuelles des prestations des Messageries Lyonnaises de Presse en tant qu'il se prononce sur la suppression d'un jour de livraison de la presse. En effet, cet avis, qui se borne à prendre acte de l’information portant sur les conditions de livraison des dépositaires de presse, ne constitue pas une décision susceptible de faire grief aux sociétés requérantes.

(11 décembre 2023, Société MLP et société Messageries Lyonnaises de Presse, n° 473404)

 

7 - Décret d’extradition – Demande d’abrogation – Irrecevabilité.

Pour la première fois avec une telle netteté le Conseil d’État juge, en réponse à un moyen tiré de ce qu’un décret d’extradition pris à l’encontre du requérant serait devenu illégal à la suite de changements dans les circonstances de droit et de fait postérieurs à son édiction, que des conclusions à fin d'abrogation d'un décret d'extradition ne sont pas recevables.

(21 décembre 2023, M. A., n° 476011)

 

8 - Site Eduscol – Éducation des jeunes à la sexualité - Liste ne comportant pas de commentaire – Publication de caractère informatif dépourvue de caractère impératif et sans effets notables – Irrecevabilité manifeste - Rejet.

L’association requérante demandait l'abrogation des références faites sur la plateforme Eduscol à plusieurs sites internet d'éducation sexuelle des mineurs et qu’injonction soit faite au ministre de l’éducation nationale d'abroger ces références.

Le site d'information et d'accompagnement des professionnels de l'éducation dénommé Eduscol fait référence à plusieurs sites internet traitant de l'éducation des jeunes à la sexualité, tel un site créé par Santé publique France et dénommé « onsexprime.fr ».

Le Conseil d’État rejette la requête.

Il considère que ces références, qui figurent sur le site internet Eduscol, au sein de la rubrique « éducation à la sexualité », dans un fichier devant être préalablement téléchargé, comportant une liste d'ouvrages et de sites internet, rendus accessibles au moyen de liens hypertextes, tous relatifs à l'éducation des jeunes à la sexualité, ne sont accompagnées d'aucun commentaire, ayant seulement un objet informatif, sont dépourvues de tout caractère impératif et ne peuventt être regardées, en l'espèce, comme ayant par elles-mêmes des effets notables sur les droits ou la situation des personnes auxquelles cette information est destinée. Dès lors, le refus du ministre d'abroger certaines des références, qui ne fait pas grief, est insusceptible de recours, la requête est donc manifestement irrecevable.

(28 décembre 2023, Association France Audace, n° 447946)

 

9 - Instruction relative à l’interprétation de l’état du droit – Absence d’instruction – Abstention de le faire – Irrecevabilité du recours dirigé contre cette abstention – Rejet.

La solution est classique.

Les intéressés ont demandé au premier ministre d’enjoindre aux établissements et services accueillant des personnes handicapées ou des personnes atteintes de pathologies chroniques mentionnés au 7° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, notamment les maisons d'accueil spécialisées, de respecter la législation prohibant le recours à l'isolement ou à la contention.

Ils demandent l’annulation du refus implicite né du silence gardé par le premier ministre sur leur demande et qu’injonction lui soit faite de prendre la mesure sollicitée.

Le recours est rejeté selon une motivation constante et bien connue : une autorité publique n'est jamais tenue d'adresser à des destinataires relevant de son autorité des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit qu'ils ont mission de mettre en œuvre, pas davantage n’est-elle tenue, lorsqu’elle est saisie par un tiers, de répondre à la demande dont l'objet est de faire donner instruction à ces destinataires d'appliquer les règles de droit à une situation déterminée, obligation à laquelle ceux-ci sont en tout état de cause tenus.

Par suite, le recours dirigé contre le refus de donner des instructions est manifestement irrecevable.

(28 décembre 2023, M. et Mme A., n° 488858)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

10 - Message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique – Message diffusé dans les salles de spectacles cinématographiques – Message diffusé par voie radiophonique – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Message pouvant être diffusé immédiatement après l’annonce publicitaire – Rejet.

Les recours, joints par le juge, tendaient à l’annulation de l'arrêté du ministre de la santé du 29 juillet 2022 relatif au message de mise en garde contre le jeu excessif ou pathologique devant figurer sur les communications commerciales diffusées dans les salles de spectacles cinématographiques par des services de communication audiovisuelle, sur support imprimé, affichage et par voie radiophonique.

Ces recours qui portent essentiellement sur l’arrêté litigieux en tant qu'il s'applique à la diffusion du message de mise en garde par voie radiophonique, sont, sans surprise, rejetés.

Le développement considérable pris par les jeux et paris en ligne est devenu un phénomène de société qui oblige les pouvoirs publics à s’en préoccuper (cf. art. D. 320-2 et D. 320-5 du code de la sécurité intérieure) en raison du risque de multiplication d’addictions de tous ordres en cas de pratique excessive. Le principe même d’adoption de mesures régulatrices n’est contraire ni au principe d’égalité, étant sauve l’éventuelle spécificité des supports publicitaires, ni au principe de liberté du commerce et de l’industrie qui doit être concilié avec les nécessités de l’ordre public.

La circonstance que le message originaire d’avertissement était d’une durée de dix secondes et qu’il est désormais d’une durée double est liée à la croissance considérable des jeux en lignes et donc des risques.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu qu’il serait porté atteinte au principe d’égalité en raison de ce que les messages publicitaires diffusés par voie radiophonique, compte tenu des caractéristiques de ce média, imposent que le message de mise en garde fasse l'objet d'une lecture à haute voix diffusé immédiatement après le message publicitaire, ce qui conduit à traiter ce média différemment des autres médias où le message de mise en garde peut être lu directement par ses destinataires. Cette différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la norme et n'est pas manifestement disproportionnée, de sorte que le principe d'égalité n'est pas méconnu. 

(01 décembre 2023, Syndicat des radios indépendantes, n° 467991 ; Association Le Bureau de la Radio, n° 471033)

 

11 - Nom d’une personne figurant sur une liste de personnalités politiques et comme membre d’un parti politique – Situation d’appartenance ayant cessé – Auteur d’un roman dont la promotion serait impossible de ce fait – Rejet.

Le requérant demande au juge du référé liberté de faire injonction à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de retirer sans délai son nom des listes des personnalités politiques établies en application des dispositions de l’art. 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et, à titre subsidiaire, de supprimer la mention de son appartenance au parti « Reconquête ».

Il fait valoir que, venant de publier un roman, disponible en librairie depuis le 23 novembre 2023, il ne pourrait en assurer la promotion en raison du refus des médias audiovisuels de lui accorder un temps de parole au motif, selon eux, que ce temps devrait être décompté comme un temps d'intervention au titre du parti « Reconquête ». Ceci justifierait, selon lui, l'urgence particulière attachée au prononcé de cette injonction. 

La requête est rejetée.

L’intéressé ne met pas le juge en état de connaître la composition actuelle des listes en ce qui le concerne puisque le dernier relevé produit, en date du 5 décembre 2022 selon l'attestation jointe à la présente requête, mentionnant son temps de parole, date du mois de septembre 2022 et est donc antérieur à la rupture des liens de celui-ci avec le parti « Reconquête ».

Dès lors que n’est pas établie l’existence de l’urgence particulière au référé de l’art. L. 521-2 CJA, fait défaut l’une des conditions nécessaires à l’octroi de l’injonction sollicitée par cette voie.

(ord. réf. 01 décembre 2023, M. B., n° 489781)

(12) V. aussi, rejetant pour défaut d’urgence le référé tendant à la suspension de la décision par laquelle l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a demandé aux éditeurs des services de radio et de télévision de regarder le requérant comme une « personnalité politique » pour l'application des dispositions de l’art. 13 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : ord. réf. 22 décembre 2023, M. B., n° 490109. 

 

13 - Activité de location de véhicules en libre accès - Principe de minimisation des données – Durée excessive de conservation de données personnelles – Sanction proportionnée – Rejet.

La société requérante a fait l’objet d’une amende administrative de 175 000,00 euros infligée par la formation restreinte de la CNIL, amende dont elle demande l’annulation. Sa requête est rejetée en ses différents griefs.

L’activité de l’intéressée consiste en une offre de location de véhicules automobiles en autopartage, proposée à ses clients particuliers, comportant un service entièrement dématérialisé avec des véhicules en libre accès sans intervention du personnel de la société ni lors de la prise du véhicule, ni lors de sa restitution.

La société collectait, pour sa plateforme, déployée en France, en Italie, et partiellement en Belgique, les données de géolocalisation de ses véhicules tous les 500 mètres, ainsi que lorsque le moteur s'allume ou se coupe et lorsque les portières s'ouvrent ou se ferment. Ses équipes pouvaient en outre obtenir la localisation des véhicules en temps réel. Enfin, la société conservait l'historique de l'ensemble des données de localisation pour chaque contrat de location.

La CNIL a estimé qu’il avait été ainsi manqué au respect du principe de minimisation des données au regard de leur nature, à la date de ses contrôles. Notamment, sans s’opposer au principe même de la géolocalisation des véhicules loués dans le cadre de l'activité d'autopartage proposée par la société requérante, la CNIL a cependant estimé que seule la conservation de l'intégralité des données de géolocalisation de chaque véhicule tous les 500 mètres pour chaque contrat de location, et non leur collecte, n'était pas justifiée au regard des trois finalités poursuivies tenant à la gestion de la flotte de véhicules et du service, pour limiter le temps écoulé entre chaque location et assurer la flexibilité du service, à la prévention et à la lutte contre le vol et à l'assistance à l'utilisateur en cas d'accident.

La CNIL a également considéré qu’il y avait eu manquement à cause de la durée de conservation des données puisque celles-ci, qui sont à caractère personnel et qui concernent des utilisateurs non professionnels, sont conservées pour une durée de trois ans à partir de la fin de la relation commerciale, sauf si l’utilisateur demande l'effacement anticipé de ses données. Il en va particulièrement ainsi des données de géolocalisation des véhicules, dont il n'est pas sérieusement contesté qu'elles sont rattachées aux données de l'utilisateur.

Par suite, la demanderesse ne saurait contester ni le bien-fondé de l’amende ni son montant.

(06 décembre 2023, Société Ubeeqo International, n° 467368)

 

14 - Article publié sur un journal en ligne – Référence acessible à partir des prénon et nom de l’auteur sur Google - Demande de déréférencement – Rejet.

M. C. a demandé a demandé à la société Google de procéder au déréférencement, dans les résultats affichés par le moteur de recherche qu'elle exploite à la suite d'une recherche portant sur son nom, du lien hypertexte renvoyant vers un article le concernant, publié sur le site Mediapart.fr. À la suite du refus opposé à cette demande par la société Google, il a saisi la CNIL d'une plainte en vue qu'il soit enjoint à cette société de procéder au déréférencement du lien en cause.

La présidente de la CNIL ayant informé M. C. de la clôture de sa plainte, celui-ci a demandé au Conseil d’État l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision. 

Pour rejeter cette demande, le juge se fonde sur deux éléments.

Tout d’abord, l’article incriminé se borne à retracer le parcours artistique et politique du demandeur d’effacement sans comporter d’inexactitude matérielle dans sa narration. Au surplus, le caractère prétendument diffamatoire du titre de l’article en litige a été rejeté par un jugement du tribunal correctionnel au motif de la bonne foi de son auteur. La CNIL ne s’est donc pas fondée sur des faits matériellement inexacts pour décider de clôre la plainte.

Ensuite, ces données ayant été rendues publiques par le requérant lui-même au sens du e) du § 2 de l’art. 9 du RGPD, il s’ensuit que ce dernier ne saurait exciper de ce qu’elles relèvent d'une des catégories particulières visées à l'article 9 du RGPD.

Il est donc jugé qu’eu égard à la nature des données à caractère personnel litigieuses, à leur source journalistique et au sujet de l'article de presse, qui porte sur le choix de certaines mairies dirigées par des élus du Rassemblement national de promouvoir auprès de leurs administrés un produit proposé par l'entreprise dont M. C. est toujours co-gérant et directeur général, c’est sans illégalité que la CNIL a cru pouvoir estimer que ces informations contribuaient à alimenter un débat d'intérêt général et que le maintien du lien présentait en conséquence un intérêt prépondérant pour le public. Le refus de ne pas ordonner le déréférencement n’est, par suite, pas entaché d’illégalité.

On doit demeurer dubitatif non sur le fait que des informations soient données mais sur la mise en corrélation et le croisement de certaines d’entre elles afin de les porter, ainsi croisées et corrélées et non dans leur primitive originalité, à la connaissance de la partie du public hostile à une mouvance idéologique dans le clair dessein de voir se reporter cette hostilité vers une décision de non achat du produit en cause.

(20 décembre 2023, M. C., n° 464642)

 

15 - Pôle emploi – Traitement de données relatives aux handicapés – Exigences de légalité externe – Absence d’illégalités internes – Rejet.

Était demandée l’annulation du décret n° 2022-1161 du 17 août 2022 relatif à la création, par Pôle Emploi et les organismes spécialisés de placement mentionnés à l'art. L. 5214-3-1 du code du travail,  d'un traitement de données à caractère personnel dénommé « Traitement de données de santé nécessaires à l'accompagnement adapté des personnes en situation de handicap » afin d'améliorer l'accompagnement des demandeurs d'emploi handicapés.

Le recours soulevait un certain nombre d’irrégularités qui auraient affecté la légalité externe du décret. Elles sont toutes rejetées.

En premier lieu, le traitement en cause ne relève pas, eu égard à ses finalités et aux données traitées, des dispositions des articles 31 et 32 de la loi du 6 janvier 1978, dont aucune disposition n'imposait que ce traitement fût autorisé par décret en Conseil d'Etat.
En deuxième lieu, il est constant que la CNIL a été consultée sur le projet de décret, qu'elle a rendu un avis le 21 avril 2022 et qu’aucune disposition ne prévoit la publication de son avis.
En troisième lieu, enfin, aucune disposition législative ou réglementaire ne subordonne la légalité de l'acte créant un traitement de données à caractère personnel et justifiant la réalisation d'une analyse d'impact des opérations de traitement envisagées à la condition que cette analyse soit réalisée et transmise à la CNIL préalablement à la signature de cet acte.

Concernant la légalité interne du décret litigieux, les moyens sont également tous rejetés.

En premier lieu, le traitement en cause est conforme aux exigences de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978 en tant qu’il ne comporte que les données pertinentes au regard de sa finalité et en adéquation avec cette dernière.

Il est également respectueux :

- d’une part, des dispositions de l'article D. 5312-50 du code du travail d’ailleurs introduit dans ce code par le décret attaqué visant à l'information, l'accueil, l'orientation et l'accompagnement de manière adaptée des demandeurs d'emploi en situation de handicap vers l'emploi, l'élaboration et le suivi du projet personnalité d'accès à l'emploi, l'attribution et le versement d'aides et la mobilisation de prestations, la gestion électronique de documents et la production de statistiques. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, la circonstance que des données à caractère personnel identiques fassent l'objet d'autres traitements ayant une finalité connexe est sans incidence sur le caractère légitime, au sens de l'article 4 de la loi du 6 janvier 1978, des finalités précédemment mentionnées.

- d’autre part, des dispositions de l'article D. 5312-51 introduit dans le code du travail par le même décret litigieux, en ce que les données de santé limitativement énumérées à l’article D. 5312-50 précité qu’il s’agisse de l’« origine » du handicap ou des données relatives au « besoin lié au rétablissement de la personne en situation de handicap permettant d'identifier les modalités de soutien nécessaires à son insertion professionnelle, y compris ses habitudes de vie et interactions sociales ». Par suite, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir que ce décret méconnaîtrait à ce titre le droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution et l'art. 8 de la convention EDH, ainsi que les dispositions de l'art. 9 du RGDP et de l'art. 4 de la loi du 6 janvier 1978.

En deuxième lieu, les dispositions issues du décret attaqué limitent l'accès aux données à caractère personnel concernant la santé des demandeurs d'emploi figurant dans le traitement aux seuls agents, y compris de Pôle emploi, soumis au secret professionnel sous les sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal et habilités à cet effet eu égard à leurs fonctions, des organismes qu'elles énumèrent et à condition que ces agents aient besoin d'en connaître pour l'exercice des missions d'accompagnement et de soutien aux demandeurs d'emploi en situation de handicap qui leur sont dévolues. En outre, ces dispositions n'autorisent pas la collecte de données concernant la santé des personnes en méconnaissance des exigences du secret médical et de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique. Enfin, aucune règle n'impoe que le décret attaqué mentionne les conditions dans lesquelles seront désignées et habilitées les personnes autorisées à traiter les données de santé conservées dans le traitement.

En troisième lieu enfin, dès lors, qu'eu égard à l'importance des finalités susrappelées et aux garanties dont est entourée la mise en œuvre du traitement litigieux, ainsi que la CNIL l'a d'ailleurs admis dans son avis, c'est à bon droit que le décret attaqué a été pris sur le fondement des dispositions précitées de l'exception prévue au g) du paragraphe 2 de l'article 9 du RGDP, contrairement à ce que soutient l'association requérante

(20 décembre 2023, Association Act Up Paris, n° 468295)

 

16 - Plainte d’un particulier à la CNIL – Existence d’un fichier national d’incidents d’avocats – Délai raisonnable d’instruction dépassé – Absence de traitement de la plainte – Termes de la demande – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

Le requérant a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) d’une demande « de bien vouloir interroger le ministère de la justice sur l'existence, l'usage et la légalité » d'un fichier national d'incidents concernant les avocats, alimenté notamment par le tribunal de grande instance de Nice. Il demande au Conseil d'État d'annuler le rejet implicite né de l'absence de réponse de la CNIL à sa plainte. 

Il est tout d’abord jugé que la CNIL, qui a enregistré la plainte de M. A. le 5 août 2019, a engagé des investigations dans le délai initial de trois mois prévu par les dispositions de l'article 78 du RGPD et a donné à M. A., par son courrier du 5 mars 2020, une partie des informations qu'il avait sollicitées sur l'existence et la base juridique du traitement en litige, s’est depuis lors bornée à lui adresser des réponses d'attente, souvent à la suite de relances de l'intéressé, lui confirmant la poursuite de l'instruction, la CNIL ne peut être regardée comme ayant traité cette plainte dans le délai raisonnable exigé par les dispositions de l'art. 8 de la loi du 6 janvier 1978. Elle doit donc être réputée l'avoir implicitement rejetée, ce qui permet à M. A. de saisir le Conseil de cette décision de rejet, ses conclusions aux fins d'annulation d'une telle décision n’étant pas dépourvues d'objet, contrairement à ce que soutient la CNIL. 

Cependant, l’intéressé s’est borné à interroger la CNIL sans se prévaloir d'aucune illégalité entachant ce traitement, ni d'aucune atteinte à ses droits s'agissant des données à caractère personnel le concernant. 

La CNIL n’a donc pas commis d’erreur manifeste d'appréciation en s'abstenant de prendre des mesures dans le cadre du traitement de cette plainte. Il suit de là que l’absence de traitement dans un délai raisonnable est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.

(20 décembre 2023, M. A., n° 471469)

 

17 - Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et informatique (ARCOM) – Mise en demeure adressée à une chaîne de télévision – Obligation de se conformer à une stipulation conventionnelle ainsi qu’à une délibération du CSA (aujourd’hui ARCOM) – Garanties de pluralisme et d’honnêteté s’imposant aux émissions concourant à l’information même si elles ne présentent pas d’information – Manquements avérés – Rejet.

La société C8 n’est pas fondée à se plaindre de la mise en demeure que lui a adressée l’ARCOM de se conformer, à l'avenir, aux stipulations de l'article 2-3-8 de sa convention du 29 mai 2019 ainsi qu'aux dispositions des articles 1er et 3 de la délibération du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent, après des propos tenus les 18, 19 et 24 octobre 2022 par l'animateur de l'émission « Touche pas à mon poste » à la suite du meurtre d'une enfant. 

Le juge indique on ne peut plus clairement désormais que  l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique étant tenue par l’art. 3-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, de garantir l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, les exigences qu'elle formule s'appliquent également aux programmes qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information, concourent à son traitement. Tel est le cas de l’émission « Touche pas à mon poste » qui, sans avoir pour seul objet la présentation de l'information puisque s’y mêlent des éléments de divertissement,  concourt à son traitement. La décision de l’ARCOM n’est donc pas, de ce chef, illégale.

Par ailleurs, il résulte tant de l’art. 3 de la délibération n° 2018-11 que de son art. 1er, d’une part, qu’il est bien établi que la chaîne en cause a manqué à son obligation de traiter l'affaire en cause avec mesure et de porter une attention particulière au respect de la présomption d'innocence et, d’autre part, que n’a pas, à cette occasion, été garantie une présentation honnête de la question traitée.

(21 décembre 2023, Société C8, n° 470565)

 

Biens et Culture

 

18 - Collectivité territoriale – Exercice du droit de préemption urbain – Conditions de légalité – Absence – Annulation de l’ordonnance de référé.

La société requérante, qui exerce l’activité d’auto-école, a consenti une cession de droit au bail sur laquelle la commune a exercé son droit de préemption urbain.

Elle a saisi le juge du référé suspension afin qu’il ordonne à la commune la suspension de l’exécution de la délibération du conseil municipal relative à l’exercice de ce droit.

Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État rappelle que l’art. L. 210-1 du code de l’urbanisme, combiné avec l’art. L. 300-1 de ce code, soumet l’exercice du droit de préemption, particulièrement attentatoire au droit de propriété et à la liberté des affaires, à plusieurs conditions cumulatives : justifier, à la date d’exercice de ce droit, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement ; projet devant figurer parmi les objets mentionnés à l'article L. 300-1 précité ; faire apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date ; obligation de répondre à un intérêt général suffisant.

Or, en l’espèce, le juge de cassation aperçoit dans l’ordonnance de rejet, à la fois, une erreur de droit et une dénaturation des pièces du dossier. En effet, il a cru devoir écarter les moyens soulevés par la demanderesse, tirés d’une part, de l'absence de justification de la réalité d'un projet répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et, d'autre part, de ce que la mise en œuvre du droit de préemption ne répondait pas à un intérêt général suffisant, alors que ni la décision de préemption attaquée, qui se borne à se référer à cette délibération et à indiquer que l'extension d'un commerce déjà existant va à l'encontre de l'objectif de diversité commerciale et artisanale ayant présidé au choix de délimiter ce périmètre, n'apportait de précision quant à la nature du projet poursuivi, notamment la où les activités commerciales ou artisanales dont l'installation ou le développement seraient organisés dans le périmètre en cause, laquelle ne ressortait pas non plus de la délibération délimitant le périmètre, ni les autres pièces du dossier qui lui était soumis n'indiquaient la nature de ce projet.

(15 décembre 2023, SAS NM Market, n° 470167)

 

19 - Domaine communal – Compétences respectives du maire et du conseil municipal  en matière d’occupation domaniale – Erreur de droit – Annulation.

Par une délibération du 16 octobre 2019, un conseil municipal a autorisé son maire à conclure avec une société une convention d'occupation et d'utilisation de plusieurs voies et chemins relevant du domaine public communal, pour les besoins d'un projet de création d'un parc éolien. La convention a été signée le même jour par le maire, et le 22 janvier 2020 par la société.

Les requérants ont demandé au tribunal administratif l'annulation de cette délibération, de la convention ainsi que de la décision implicite du maire rejetant leur recours tendant au retrait de ces actes.  Ce tribunal a transmis leur requête à la cour administrative d’appel en application des dispositions du 13° de l'article R. 311-5 du CJA.

Les intéressés se pourvoient en cassation de l’arrêt de rejet de leurs demandes.

C’est l’occasion pour le juge, au visa des art. L. 2121-29, L. 2122-21, L. 2122-22, et R. 2241-1 du code général des collectivités territoriales, et R. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques de rappeler d’abord que le maire n'est compétent pour décider la conclusion de conventions d'occupation du domaine public dont la durée n’excède pas douze ans que sur délégation du conseil municipal prise en application des dispositions du 5° de l'art. L. 2122-22 du CGCT et de rappeler ensuite que s'il appartient au conseil municipal de délibérer sur les conditions générales d'administration du domaine communal, le maire est seul compétent pour délivrer et retirer les autorisations unilatérales d'occuper temporairement ce domaine. 

En l’espèce, les demandeurs contestaient la validité de la convention précitée en raison de l'illégalité de la délibération du conseil municipal en autorisant la conclusion. Or la cour a rejeté cette argumentation en retenant que cette convention ayant pour objet l'occupation du domaine public, le maire était seul compétent pour la conclure en vertu des dispositions de l'art. L. 2122-21 du CGCT, de sorte que la délibération contestée présentait un caractère superfétatoire.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour l’erreur de droit ayant consisté à n’avoir pas recherché si étaient remplies en l’espèce les deux conditions prévues au 5° de l’art. L. 2122-22 du CGCT précité : existence d’une délégation donnée au maire par le conseil municipal, appréciation de la durée de la convention.

(21 décembre 2023, M. A., société civile immobilière du Roussay et M. C., n° 471189)

 

Collectivités territoriales

 

20 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autosiation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

Approuvant la solution retenue par la cour administrative d’appel, le Conseil d’État estime irrecevable le recours formé par un département contre un arrêté préfectoral autorisant sur son territoire l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien.

Il retient pour cela qu’en vertu du 2° de l'art. 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, les autorisations délivrées au titre de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement obéissent, après leur délivrance, au régime de l'autorisation environnementale, notamment en ce qui concerne les conditions dans lesquelles elles sont contestées. Or l'art. R. 181-50 du code de l'environnement dispose que les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative « par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 181-3 » et l’art. L. 511-1 de ce code, auquel il est renvoyé par l'art. L. 181-3, vise les dangers et inconvénients « soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ».

Il suit de là qu’une personne morale de droit public ne peut pas se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge administratif une autorisation environnementale sauf dans les cas où les inconvénients ou les dangers pour les intérêts visés à l'article L. 181-3 sont de nature à affecter par eux-mêmes sa situation, les intérêts dont elle a la charge et les compétences que la loi lui attribue. Il est certain que, comme l’a jugé la cour,  un département ne justifie d'aucune compétence propre en matière de protection de l'environnement, des paysages ou du patrimoine, d'aménagement du territoire ou de lutte contre l'effet de serre par la maîtrise et l'utilisation rationnelle de l'énergie qui serait susceptible de lui conférer un intérêt direct à l'annulation d’un arrêté préfectoral comme celui en cause en l’espèce.

Au reste, la circonstance que le conseil départemental de la Charente-Maritime ait voté la création d'un observatoire de l'éolien et une demande de moratoire sur l'implantation de parcs éoliens sur le territoire du département est sans aucun effet à cet égard.

En outre, si le département dispose de compétences qui lui sont attribuées par la loi en matière de protection, de gestion et d'ouverture au public des espaces naturels sensibles, d'élaboration et de mise en œuvre d'une politique touristique, laquelle comprend notamment l'élaboration d'un plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée, il ne justifie d'aucune atteinte que le parc éolien litigieux serait susceptible de porter aux intérêts dont il assume la charge au titre de ces compétences.

Enfin, si le département entend se prévaloir de ce que le projet serait susceptible de porter atteinte à la commodité ou au cadre de vie des habitants de la Charente-Maritime, cette circonstance ne saurait lui permettre de justifier d'une incidence sur sa propre situation ou sur les intérêts dont il a la charge. Il ne saurait pas davantage soutenir être compétent en matière de promotion des solidarités et de la cohésion car ce ne sont pas là des intérêts protégés par l'article L. 181-3 du code de l'environnement.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

(21) V. aussi, jugeant :

- d’abord, confirmant la décision précédente, qu’une région, comme un département, ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté autorisant l’installation et l’exploitation d’éoliennes sur son territoire,

- ensuite, qu’en revanche des communes peuvent se prévaloir d’un intérêt donnant cette qualité à agir en faisant valoir que le projet litigieux affecterait directement la qualité de leur environnement et aurait un impact sur leur activité touristique, en raison notamment de nuisances paysagères et patrimoniales résultant de la proximité ou covisibilité du site d'implantation du projet avec plusieurs monuments historiques et sites inscrits et de la présence de zones naturelles à préserver, dont une zone Natura 2000, susceptibles d'être affectées par le fonctionnement du parc éolien et situées à proximité immédiate de ce dernier : 01 décembre 2023, Région Auvergne-Rhône-Alpes et communes de Saint-Hilaire et de Meillers, n° 470723.

(22) V. encore, annulant pour contradiction entre les motifs l’arrêt d’appel jugeant que l’implantation et l’exploitation d’éoliennes nécessitait une dérogation « espèces protégées » dès lors que l’atteinte portée à la noctule de Leisler, à la noctule commune, à la pipistrelle de Nathusius, à la sérotine commune, à la pipistrelle de Kuhl, à la pipistrelle commune, à la grue cendrée et à l'oedicnème criard, alors que l’arrêt relevait également, pour la noctule de Leisler, la noctule commune, la grue cendrée et l'oedicnème criard, en s'appuyant sur les conclusions des études naturaliste et chiroptérologique et sur l'étude d'impact, versées au dossier qui lui était soumis, que les impacts pour ces espèces étaient faibles : 06 décembre 2023, Société Éoliennes des Terres Rouges, n° 466696 ; ministre de la transition écologique, n° 466723.

 

23 - Quota de logements sociaux à réaliser sur le territoire d’une commune – Non respect assorti d’une sanction financière – Article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation – Atteintes aux principes de libre administration et de nécessité et de proportionnalité des peines – QPC – Refus de transmission.

La commune d'Olivet s’est vu infliger par deux arrêtés préfectoraux une pénalité consistant à porter à 150% le taux de majoration du prélèvement fiscal prévu par l'article L. 302-7 du code de la construction et de l’habitation en raison de sa carence à satisfaire le quota de logements sociaux devant être atteint sur son territoire pour les périodes triennales 2017-2019 puis 2020-2022, quota fixé à 396 logements pour la deuxième période triennale.

Parallèlement au recours en annulation dirigé contre chacun de ces deux arrêtés, la commune a soulevé une QPC dirigée contre les dispositions de l’art. L. 302-8 du code précité en ce qu’elles méconnaissent les principes de libre administration des collectivités territoriales, de nécessité et de personnalité des peines.

Le Conseil d’État refuse la transmission de cette question.

En premier lieu, le juge rappelle que le dispositif critiqué par la QPC a été jugé conforme à la Constitution par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel rendues en 2000, 2001, 2013 et 2017 car il a pour but de mettre en œuvre l'objectif de mixité sociale et d'accroissement de la production de logements locatifs sociaux, répondant ainsi à une fin d'intérêt général et n’est pas manifestement inapproprié à l'objectif poursuivi. De sorte que la loi imposant de telles contraintes n’a pas porté à la libre administration des communes concernées une atteinte d'une gravité telle que seraient méconnus les articles 72 et 72-2 de la Constitution. 

Si, au cas de l’espèce, il est fait valoir que les dispositions en cause diffèrent de celles sur lesquelles se sont fondées les décisions précitées du juge constitutionnel, en ce qu’elles confient au préfet et plus au conseil municipal la compétence pour fixer les quotas, il n’en demeure pas moins que les différents critères de détermination des quotas sont fixés par la loi elle-même et s’imposent au préfet. La question n’est donc pas nouvelle.

En second lieu, les griefs concernant la nécessité et la personnalité des peines ne peuvent être retenus en tant qu’ils sont dirigés contre l’art. L. 302-8 précité puisque les sanctions de substitution à la carence des communes ne résultent pas de ce texte.

(01 décembre 2023, Commune d’Olivet, n° 488444)

 

24 - Département – Non-renouvellement par l’État de concessions hydrauliques – Carence prolongée – Refus d’indemnisation – Erreurs de droit – Annulation.

Un département a demandé la condamnation de l'État à lui verser la somme de 9 311 525,20 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du non-renouvellement par l'État des concessions hydroélectriques de la vallée d'Ossau.

Le département, qui a saisi du litige la juridiction administrative, se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande.

Le Conseil d’État relève dans l’arrêt attaqué deux erreurs de droit conduisant à sa censure.

En premier lieu, il est reproché à la cour, après qu’elle a jugé que la carence prolongée de l'État à procéder au renouvellement des concessions en litige était constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité, d’avoir estimé que le préjudice allégué par le département des Pyrénées-Atlantiques, tenant à l'absence de versement d'une fraction de la redevance due par les titulaires des concessions, ne revêtait pas un caractère certain au motif, notamment, que leur montant dépendait des bénéfices aléatoires retirés par ces derniers de l'exploitation des installations hydroélectriques. La cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit car il résulte des dispositions de l’art. L. 523-2 (ex-art. L. 521-23) du code de l’énergie que les redevances en litige ne sont pas calculées en proportion des bénéfices mais des recettes de la concession, diminuées des achats d'électricité liés aux pompages. 

En second lieu, il est encore reproché à la cour de s’être bornée à juger que le département demandeur n'avait pas subi de perte de chance de percevoir une fraction de la redevance au motif, d'une part, qu'une personne publique peut renoncer à conclure une concession dont elle a engagé la procédure de passation pour un motif d'intérêt général ou lorsqu'aucune offre acceptable n'a été présentée et, d'autre part, que le taux de redevance mentionnée à l'article L. 523-2 du code de l'énergie dépend de l'équilibre économique de la concession. Là encore est commise une erreur de droit dès lors qu’il incombait à la cour de déterminer si, au regard de l'ensemble des faits propres à l'espèce, le département avait perdu une chance sérieuse de percevoir une part de cette redevance.

(14 décembre 2023, Département des Pyrénées-Atlantiques, n° 466746)

(25) V. aussi, retenant comme motif d’annulation le second des motifs exposés dans la décision précédente : 14 décembre 2023, Communauté de communes de la vallée d'Ossau, n° 466747.

 

26 - Transfert d’agents publics d’une collectivité à un syndicat intercommunal -  Règles applicables – Champ d’application – Annulation.

La solution ici retenue, en partie inédite mais cependant attendue, vaut surtout par l’extension considérable qu’il y est donné au champ d’application de la loi  sur la reprise des salariés en cas de succession d’entités employeuses. Il est jugé qu’il résulte des dispositions des art. L. 5216-6, L. 5211-41 du CGCT ainsi que de celles du dernier alinéa du I de l’art. 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du décret du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État, telles qu’éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale dont est issu le deuxième alinéa de l'article L. 5211-41 du code général des collectivités territoriales, que le législateur, qui a entendu éviter les effets de discontinuité en cas de substitution d'un établissement public de coopération intercommunale à un syndicat mixte, n'a assorti les dispositions prévoyant que l'ensemble des personnels de l'établissement transformé est réputé relever du nouvel établissement dans les conditions de statut et d'emploi qui sont les siennes d'aucune restriction quant à leur champ d'application, qui couvre également, par conséquent, la situation des personnels exerçant une activité accessoire conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1983 et du décret du 2 mai 2007.

En conséquence, est annulé pour une première erreur de droit l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que le demandeur initial n'était pas membre du personnel de l'établissement public de coopération intercommunale, communauté d'agglomération Paris-Saclay, au sens du deuxième alinéa de l'article L. 5211-41 du code général des collectivités territoriales alors qu’il exerçait une activité accessoire pour le compte du syndicat intercommunal pour l'accueil des gens du voyage (SIAGV) à la date à laquelle cette communauté d’agglomération s'est substituée à ce syndicat dans l'exercice de ses compétences, le 1er janvier 2016.

Ensuite, les actes de recrutement de l’intéressé pris par le président du syndicat intercommunal ne prévoient point de limitation de durée pour l’exercice des deux missions, d'expertise et de conseil dans le domaine de la gestion administrative et financière, qui lui ont été alors confiées, d’où il suit que la cour a commis une seconde erreur de droit en  jugeant que M. B. était, à compter du 1er janvier 2016, employé sur la base d'un contrat à durée déterminée, au seul motif qu'un tel contrat avait été préparé par la communauté d’agglomération et que, si ce contrat n'avait pas été signé par l'intéressé, les modifications de rémunération et de quotité de travail qu'il emportait ne pouvaient lui avoir échappé eu égard aux mentions figurant sur les bulletins de salaire qu'il avait reçus.

(20 décembre 2023, Communauté d'agglomération Paris-Saclay, n° 459883)

 

27 - Authentification du chiffre de population des communes – Décret du 29 décembre 2022 – Refus de transmission d’une QPC – Utilisation de la méthode de recensement par sondage – Caractère non contradictoire – Rejet.

La commune de Corbeil-Essonnes a demandé l’annulation, d’une part, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande de retrait du décret n° 2022-1702 du 29 décembre 2022 authentifiant notamment les chiffres des populations de métropole ainsi, d’autre part, que celle de ce décret lui-même.

La QPC qu’elle soulève ainsi que les moyens de la requête en annulation sont rejetés.

Sur la QPC, le juge fait observer, à titre principal, que contrairement à ce que soutient la commune requérante le législateur, en renvoyant - par l'article 158 de la loi du 27 février 2002 -  au pouvoir réglementaire le soin de préciser les modalités de mise en œuvre des opérations de recensement, ne saurait avoir méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales. Le grief est ainsi dépourvu de caractère sérieux.

Sur la requête en annulation, le rejet est tout aussi ferme. Tout d’abord la méthode de recensement par sondage qui a été employée n'est pas dépourvue de base légale et l'INSEE est bien compétent pour concevoir, en application de l’art. 1er de la loi du 7 juin 1951 sur l'obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques comme de l’art. 156 de la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les modalités de mise en œuvre de cette méthode. Ensuite, il ne peut être soutenu que le choix par l'INSEE, pour la mise en œuvre de la méthode par sondage, de se fonder, chaque année, sur un taux d'échantillonnage de 8% de l'ensemble des logements de la commune, soit au total, pour la période de cinq années prévue par les dispositions précitées, un échantillon de 40% de ces logements, serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Également, il appartient à l'INSEE, de déterminer les méthodes en application desquelles sont établis les résultats du recensement. En particulier, si le législateur a prévu que, pour établir les chiffres de la population lors des opérations de recensement, l'INSEE utilise, entre autres, les données démographiques non nominatives issues des fichiers administratifs, notamment sociaux et fiscaux, que cet institut est habilité à collecter à des fins exclusivement statistiques, il ne peut être regardé comme ayant entendu imposer par ces dispositions que l'INSEE fonde directement l'évaluation de la population sur les chiffres issus de ces fichiers. De plus, aucune disposition non plus qu’aucun principe n'impose que les opérations de recensement confiées à l'INSEE soient menées, et leurs résultats arrêtés, contradictoirement avec les communes intéressées. Enfin, la commune de Corbeil-Essonnes n’assortit d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé, le moyen – qui ne peut donc qu’être rejeté - que la méthode retenue par l'INSEE méconnaîtrait les dispositions du règlement (CE) n° 862/2007 du 11 juillet 2007 relatif aux statistiques communautaires sur la migration et la protection internationale, du règlement n° 763/2008 du 9 juillet 2008 relatif au recensement de la population et du logement et du règlement n° 1201/2009 du 30 novembre 2009 relatif à la mise en œuvre du règlement n° 763/2008 en ce qui concerne les spécifications techniques des thèmes et de leur classification.

(20 décembre 2023, Commune de Corbeil-Essonnes, n° 475296)

 

28 - Réforme de la dotation d’intercommunalité – Dispositions de nature transitoire – Pérennisation instituant une différence de traitement – Modification de la législation après une décision en ce sens du Conseil constitutionnel - Transmission d’une QPC.

(20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488692)

(29) V. aussi, 20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488696.

V. n° 232

 

30 - Conseil de territoire – État spécial adopté par le conseil de territoire et arrêté par le conseil d’une métropole – Président du conseil de territoire, ordonnateur des crédits à lui alloués – Étendue de sa compétence – Nouvelle répartition des crédits – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui juge que le président d’un conseil de territoire n’est pas compétent pour modifier la répartition des crédits d'investissement prévus à l'état spécial du territoire approuvé par délibération de son conseil de territoire et arrêté par le conseil de la métropole, dans la limite prévue par les dispositions de l'art. L. 5218-8-5 du code général des collectivités territoriales. En effet, il incombait à la cour de rechercher seulement si les modifications décidées excédaient la limite fixée par cet article.

(22 décembre 2023, métropole Aix-Marseille-Provence, n° 464881)

 

Contrats

 

31 - Responsabilité contractuelle - Convention de prestation de services entre un établissement public maritime et une société privée – Portée et champ d’application de la convention - Interprétation des stipulations de la convention – Commune intention des parties – Rejet.

Le 6 juillet 2007 ont été conclues, entre le port autonome de Marseille, établissement public de l'État auquel s'est substitué le grand port maritime de Marseille et la société anonyme Carfos deux conventions.

La première autorise cette dernière à établir et exploiter sur le terminal minéralier de Fos-sur-Mer un portique à processus continu, appartenant à cette société, dénommé « P+ », destiné au déchargement de vracs solides.

La seconde convention a pour objet de déterminer les conditions de réalisation de prestations de services rendues par le port pour le fonctionnement, notamment, de ce portique.

Le portique « P+ », alors conduit par l'un des agents du grand port maritime, a percuté le portique « C2 » appartenant à cet établissement public. Le grand port maritime a émis à l’encontre de la société Carfos un titre exécutoire pour remboursement des frais de remise en état des installations portuaires. Celui-ci se pourvoit en cassation contre l'arrêt rejetant l’appel qu'il avait formé contre le jugement du tribunal administratif qui a annulé ce titre exécutoire et déchargé la société Carfos de l'obligation de payer la somme en litige.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État juge que c’est sans avoir dénaturé ni les stipulations de la convention, ni l'intention des parties à cette convention que la cour a d’abord jugé que les stipulations en cause ne se sont pas bornées à organiser les modalités d'intervention des agents du terminal minéralier de Fos mis à la disposition de la société Carfos pour la réalisation des opérations de conduite et de dépannage des portiques appartenant à cette société mais ont défini le contenu et les conditions de la prestation de services effectuée par ces agents sous le contrôle et l'encadrement du grand port maritime puis qu’elle a ensuite jugé que le grand port maritime de Marseille était responsable des dommages causés du fait de la manipulation par ses agents du portique « P+ » appartenant à la société Carfos

(22 décembre 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 472006)

 

32 - Contrat de maîtrise d’œuvre - Devoir de conseil des maîtres d’œuvre – Existence de désordres susceptibles d’effets sur la réception de l’ouvrage – Champ d’application des désordres – Annulation.

L’OPH Domanys a confié la maîtrise d'œuvre de la construction d'un ensemble de logements à un groupement dont la société SIZ' IX Architectes, aux droits de laquelle vient la société Emmanuelle Andreani Architectes, était le mandataire. Après réception de l’ouvrage, suite à un contrôle, le directeur départemental des territoires a mis en demeure l'OPH Domanys de mettre les logements en conformité aux normes portant sur leur aération et leur accessibilité aux personnes handicapées. Les travaux à cet effet ont été effectués par la société titulaire du marché de travaux. Le tribunal administratif a fait droit à la demande de l'OPH Domanys tendant à la condamnation de la société SIZ'-IX Architectes à lui rembourser le coût de ces travaux de reprise. L'OPH Domanys se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a annulé ce jugement et rejeté ses conclusions.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi au prix d’une importante extension de l’obligation de conseil incombant aux maîtres d’œuvre.

Pour accueillir l’appel de la société SIZ'-IX Architectes, la cour avait jugé que les non-conformités aux règles de construction des bâtiments d'habitation neufs n'auraient pas pu figurer au nombre des réserves assortissant la réception au motif qu'elles ne constituaient pas des non-conformités aux spécifications des marchés de travaux et qu'en admettant qu'elles relèvent d'erreurs de conception de l'ouvrage, leur signalement ne relevait pas de la mission d'assistance aux opérations de réception incombant au maître d'œuvre. La cour a donc jugé que la responsabilité contractuelle de ce dernier pour manquement à son devoir de conseil à la réception ne pouvait être engagée pour ne pas les avoir signalées au maître d'ouvrage.

Le Conseil d’État, pour annuler cet arrêt, retient une conception large de l’obligation de conseil en jugeant que « Ce devoir de conseil implique que le maître d'œuvre signale au maître d'ouvrage toute non-conformité de l'ouvrage aux stipulations contractuelles, aux règles de l'art et aux normes qui lui sont applicables, afin que celui-ci puisse éventuellement ne pas prononcer la réception et décider des travaux nécessaires à la mise en conformité de l'ouvrage. » 

(22 décembre 202, Office public de l'habitat (OPH) Domanys, n° 472699)

 

33 - Décompte général et définitif – Erreur de date – Absence de caractère certain de la créance – Dénaturation des pièces – Annulation.

Dénature les pièces du dossier qui lui est soumis la cour administrative d’appel jugeant qu’un décompte général établi par le maître d'œuvre était devenu le décompte général et définitif du marché car il avait été notifié à la société concernée le 14 septembre 2011, alors, d’une part, qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette notification serait intervenue à cette date et, d’autre part, que la commune contestait le caractère définitif du décompte général et, par suite, le caractère certain de la créance de la société demanderesse.

(29 décembre 2023, Commune de Saint-Thibéry, n° 470274)

 

34 - Polynésie française – « Loi du pays » dispensant certaines délégations de service public de tout obligation de publicité et de mise en concurrence – Illégalité quels que soient les motifs avancés – Méconnaissance d’exigences constitutionnelles.

Le Conseil d’État était saisi par un jugement avant dire droit du tribunal administratif de Polynésie française de la question de savoir si les alinéas 2 à 5 de l'art. LP. 28 de la « loi du pays » du 7 décembre 2009 sont conformes aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures applicables en matière de commande publique, ainsi qu'à l'article 28-1 de la loi organique du 27 février 2004.

Ce texte décide que les règles de publicité et de mise en concurrence des délégations de service public, ne s'appliquent pas lorsqu'un établissement public confie la gestion d'un service public dont il a la responsabilité à une société filiale au sens de l'art. L. 233-1 du code de commerce, c'est-à-dire une société dont il possède plus de la moitié du capital.

Le Conseil d’État, rejette d’abord la justification donnée par les autorités polynésiennes pour cette dérogation à savoir la nécessité pour les établissements publics de l’archipel de garder la maîtrise, par l'intermédiaire de leurs filiales, des services publics assurant l'« interconnexion » entre les îles de l'archipel et le fait qu’elle rendrait la gestion de ces services publics insuffisamment rentable pour des opérateurs privés.

Guère convaincu par ce « raisonnement », le juge décide qu’en dispensant par principe de toute obligation de publicité et de mise en concurrence la conclusion des délégations de service public entre les établissements publics de la Polynésie française et leurs filiales, les dispositions litigieuses méconnaissent les exigences constitutionnelles de liberté d'accès à la commande publique et d'égalité de traitement des candidats, rappelées à l'art. 28-1 de la loi organique du 27 février 2004.

(29 décembre 2023, Société Pacific Mobile Telecom, n° 488288)

 

Droit du contentieux administratif

 

35 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autosiation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

V. n° 20

 

36 - Obligation de recourir au ministère d’un avocat – Irrecevabilité du recours en l’absence de satisfaction spontanée à cette exigence – Régime et effets – Cas d’une demande d’aide juridictionnelle - Annulation.

Dans un litige en désignation d’expert pour faire constater la superficie d’un logement, le Conseil d’État est conduit à rappeler et à préciser le régime de droit applicable aux actions introduites sans le ministère d’un avocat dans les cas où ce ministère est obligatoire.

Tout d’abord, la chose pouvait se discuter, l’appel d’une ordonnance en référé constat  (art. R. 531-1 CJA) n’est pas dispensé du ministère d’avocat.

Ensuite, la cour administrative d'appel peut rejeter les requêtes d'appel irrecevables à raison du  défaut de ministère d'avocat.

Elles n’ont pas, à cet effet, l’obligation de demander à l’appelant,  préalablement à l’opposition de l’irrecevabilité, de régulariser sa requête d’appel dès lors que la notification du jugement attaqué mentionnait l'obligation pour lui du ministère d'avocat en l'espèce.

En l’absence d’une telle mention dans la notification du jugement, il incombe à la cour de mettre l’intéressé en demeure de régulariser sa requête.

Enfin, dans l’hypothèse où le requérant a obtenu la désignation d'un avocat au titre de l'aide juridictionnelle et si cet avocat n'a pas produit de mémoire, la juridiction d'appel ne peut pas rejeter la requête sans avoir préalablement mis l'avocat désigné en demeure d'accomplir, dans le délai qu'elle détermine, les diligences qui lui incombent et porté cette carence à la connaissance du requérant, afin de le mettre en mesure, le cas échéant, de choisir un autre représentant, ceci afin de satisfaire à l’objectif poursuivi par la loi de 1991 sur l’aide juridictionnelle, d’accès au juge.

(01 décembre 2023, M. B., n° 468973)

 

37 - Appel d’une ordonnance de référé liberté rejetant la demande d’annulation de l’interdiction d’un concert – Délai trop bref – Requête devenu sans objet – Rejet.

À l’impossible nul n’est tenu, y compris le juge du référé liberté…

Un arrêté préfectoral du 29 novembre 2023 a interdit la tenue d’un concert prévu le 1er décembre à 20h00 ; saisi par M. B. d’une demande de suspension de cet arrêté par voie de référé liberté, le juge du tribunal administratif a rejeté la requête.

Saisi le même jour d’un appel contre cette ordonnance, le juge des référés du Conseil d’État ne peut que constater que le recours formé contre l’interdiction du spectacle est devenu sans objet après l’heure prévue pour le début de celui-ci.

(01 décembre 2023, M. B., n° 489853)

 

38 - Référé liberté – Condition d’urgence – Condition non satisfaite lorsque l’urgence ne résulte que de l’attitude du demandeur en référé – Cas de travaux sur une voie d’accès à une habitation – Rejet.

Les requérants ont saisi le juge du référé liberté en se fondant sur le fait que l’institution d’un sens unique sur la voie conduisant à leur propriété y rend l’accès impossible compte tenu de l'angle de braquage trop aigu impliqué par le sens de circulation retenu. Ce juge a rejeté leur demande au motif que si les aménagements en cause rendaient impossible l'accès à la maison des requérants en marche avant sauf à empiéter sur les places de stationnement nouvellement créées et s’il était ainsi porté atteinte à leur liberté de circulation et à leur liberté d'aller et venir, ils s'étaient toutefois placés eux-mêmes en situation d'urgence, dans la mesure où la commune avait proposé de réaliser à ses frais des travaux à l'entrée du chemin privé qui conduit à leur maison, afin de rendre plus aisé le braquage des véhicules qui s'y engagent, et qu'ils s'y étaient opposés.

Le juge d’appel rejette l’action des intéressés en relevant que s’ils contestent s’être opposés à la proposition de la commune, il ressort des pièces du dossier que tel a cependant été le cas.

(ord. réf. 01 décembre 2023, M. et Mme A., n° 489631)

(39) V., dans le même sens, le rejet de l’invocation de l’urgence lorsque c’est le requérant lui-même qui, par son attitude (ici le refus de communiquer l’état de frais funéraires), a fait naître une situation d’urgence : 22 décembre 2023, M. B., n° 488153.

(40) V. aussi, jugeant dans une affaire d’hébergement d’urgence, que si les requérants s’étaient eux-mêmes mis, par refus d’une proposition d’hébergement, en situation d’urgence et de précarité, toutefois l’état de santé de leur enfant de six ans souffrant d’un diabète de type 1, «  dont la stabilité impose un traitement par injection, environ quatre fois par jour, d'une dose d'insuline rapide à chaque repas et le soir d'une injection d'une dose d'insuline lente pour la nuit, que ce traitement soit administré de manière régulière, que les doses d'insuline sous forme de stylos soient conservées dans un endroit réfrigéré, enfin que l'enfant bénéficie également de repas adaptés et équilibrés » imposait au préfet, comme jugé en première instance, qui en a pris l’initiative pour quatre mois, à 50 km de Rennes, d’un accueil de cette famille dans un centre où la famille peut préparer ses propres repas. Pour autant, le juge rappelle qu’un tel placement « demeure toutefois sans incidence sur les mesures que l'État pourrait prendre pour assurer l'éloignement de la famille hors du territoire français. » : ord. réf. 04 décembre 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 489529.

(41) V. encore, jugeant avec une certaine sévérité que la seule circonstance qu'il n'est pas prévu de poursuivre l'accueil provisoire d'urgence d'une personne se déclarant mineure et isolée lorsqu'au terme de l'évaluation conduite, le département estime qu'elle n'a pas la qualité de mineur et que le juge des enfants, saisi, n'a pas encore statué, ne saurait caractériser par elle-même une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées. Le juge ajoute que, en tout état de cause, les mesures demandées, qui supposent de repenser l'articulation des dispositifs existants et de se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique permettant, en dehors des conditions précédemment exposées, qu'un jeune, qui ne peut se réclamer de sa minorité, soit mis à l'abri dans l'attente de la décision du juge des enfants, excèdent celles pouvant être prononcées par le juge des référés, statuant sur le fondement de l'art. L. 521-2 (référé liberté)  du CJA : 08 décembre 2023, M. B., n° 489825.

(42) V. également, identique en substance à la décision précédente : 08 décembre 2023, M. B., n° 489826.

(43) V., annulant une ordonnance enjoignant à la ville de Paris d’offrir un hébergement et une mise en sécurité à une ressortissante guinéenne dont l’état de minorité est douteux, sans enfant ni souci de santé spécifique, ne présentant pas une vulnérabilité particulière et parvenue en France dans des conditions pour le moins indéterminées : ord. réf. 26 décembre 2023, Mme A., n° 490048.

 

44 - Jugements rendus sous forme d’ordonnances – Caractère public de l’audience et convocation des parties - Régime procédural propre (art. R. 742-2 CJA) – Rejet.

Il résulte du régime procédural propre aux ordonnances, fixé par l'art. R. 742-2 du CJA que celui-ci n'impose la mention ni de ce que l'audience a été publique ni de ce que les parties ont été convoquées à l'audience.

Dès lors qu'il ressort des pièces de la procédure suivie devant le juge des référés et n'est pas sérieusement contesté que l'audience a été publique que les parties y ont été convoquées, la seule circonstance que l'ordonnance ne comporte pas de mention en ce sens est sans incidence sur sa régularité. 

(05 décembre 2023, Mme Signou, n° 487973)

 

45 - Pourvoi incident – Condition de recevabilité – Pourvoi ne devant pas soulever un litige distinct – Rejet.

Est irrecevable un pourvoi incident qui soulève en réalité un litige distinct de celui sur lequel porte le pourvoi principal.

Ici, alors que le premier juge avait ordonné la communication de certains documents administratifs, le pourvoi incident demandait la communication de documents autres que ceux mentionnés dans le jugement, ce qui soulevait un litige distinct de celui sur lequel portait le pourvoi principal, d’où l’opposition de l’irrecevabilité.

(06 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470726)

V. aussi, pour un autre aspect de cette décision, le n° 2

 

46 - Audience – Ajournement – Absence d’indication sur une autre date d’audience – Audience tenue hors la présence ou la représentation des demandeurs – Annulation.

Une cour administrative d’appel, par un avis de renvoi en date du 12 décembre 2022, informe les parties au litige de l'ajournement de l'audience initialement fixée au 15 décembre 2022.

Ni cet avis ni aucun autre avis ultérieur ne les a averties de la date de la nouvelle audience.

Comme il ne ressort ni des mentions de l'arrêt attaqué, ni d'aucun autre élément du dossier que les parties auraient été présentes ou représentées à l'audience qui s'est tenue le 12 janvier 2023, les requérants sont fondés à soutenir que cet arrêt est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et à en demander l'annulation.

(07 décembre 2023, M. C. et Mme D., n° 474539)

 

47 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Situation compromise d’une société d’assurance mutuelle – Suspension temporaire de toute nouvelle souscription – Nomination d’un administrateur provisoire – Irrecevabilité de recours formés par la société seule – Rejet.

(12 décembre 2023, Société Assurance mutuelle d'Illkirch-Graffenstaden (AMIG), n°s 469238, 469762, 471357)

V. n° 112

 

48 - Agent public contractuel – Médecin de prévention au sein de services ministériels déconcentrés – Licenciement – Conclusions jugées irrecevables pour tardiveté – Rejet.

(13 décembre 2023, Mme B., n° 459853)

V. n° 171

 

50 - Conclusions tendant au reversement de sommes dues – Jugement annulant une décision contre laquelle aucune conclusion n’avait été prise – Dénaturation des écritures de la requête – Annulation.

Alors que le tribunal administratif avait été saisi de conclusions tendant à voir condamner la caisse requérante à reverser aux organismes intéressés une certaine somme correspondant au montant de l'aide personnalisée au logement due pour l'occupation d’un appartement à compter du 1er mai 2018, il a annulé la décision par laquelle le directeur de la caisse d'allocations familiales a notifié à l’un de ces organismes la perte définitive de l'allocation de logement conservée à compter du 1er mai 2018 pour l'occupation de l'appartement en cause.

Dénaturant les écritures de la requête, le jugement est annulé.

(13 décembre 2023, Caisse d’allocations familiales de l’Hérault, n° 465912)

 

51 - Référé – Appel – Parties non présentes en première instance – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Même en référé et en dépit de l’urgence alléguée, ne peut pas interjeter appel un justiciable qui n’a été ni partie ni représenté en première instance. Cette irrecevabilité est manifeste.

(ord. réf. 04 décembre 2023, Comité départemental des Alpes-Maritimes, comité Nice-Grasse du Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples et Association France Palestine Solidarité, n° 489743)

V. aussi le n° 204

 

52 - Minute des jugements et arrêts – Arrêt rendu dans une formation à trois juges – Absence de mention du nom de l’un d’eux – Irrégularité – Annulation.

Appliquant les dispositions de l’art. L. 1, alinéa 1, du CJA, selon lequel « Les jugements sont publics. Ils mentionnent le nom des juges qui les ont rendus », le juge de cassation annule un arrêt dont la minute révèle que s’il a été signé par deux magistrats, respectivement président de la formation de jugement et rapporteur de l'affaire, aucune de ses mentions ne permet d'établir l'identité du troisième magistrat ayant participé à l'audience et au délibéré.

(15 décembre 2023, M. C., n° 465432)

 

53 - Ordonnance non complètement datée – Irrégularité – Annulation.

Une ordonnance, ici de la Cour nationale du droit d’asile, qui comporte seulement l’indication qu’elle a été rendue le 4 mars mais sans préciser l’année est évidemment irrégulière et encourt annulation.

(15 décembre 2023, M. B., n° 467236)

 

54 - Référé mesure utile – Délai d’appel de quinze jours – Tardiveté opposée à tort – Annulation.

Le requérant a interjeté appel d’une ordonnance de référé rendue en vue que soit ordonnée une expertise médicale en milieu pénitentiaire sur les conditions de sommeil d’un détenu. Cette ordonnance, notifiée le 20 février 2023 au garde des sceaux, était appelable sous quinze jours soit, au plus tard, le 8 mars 2023. La requête de ce dernier, enregistrée au greffe de la cour le 8 mars, était donc recevable et, contrairement à ce qu’a jugé la présidente de la cour, elle n’était pas entachée d’irrecevabilité manifeste pour tardiveté.

(15 décembre 2023, garde des sceaux, n° 472836)

 

55 - Permis de construire – Requête préfectorale en suspension d’exécution du permis délivré - Préfet agissant sur le fondement de l’art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT – Recours contre l’ordonnance de suspension – Recours ayant la nature d’un appel de droit commun – Attribution de la requête à la cour administrative d’appel.

(15 décembre 2023, Société Biarritz Camping, société civile immobilière Mendixka, n° 484082)

V. n° 293

 

56 - Permis de construire – Contestation par une association agréée pour la défense de l’environnement – Existence d’un intérêt donnant à cette association qualité pour agir - Qualification inexacte des faits – Annulation.

(18 décembre 2023, Association Patrimoine et Environnement, n° 464454)

V. n° 151

 

57 - Autorisation administrative de licenciement d’un salarié protégé – Absence de réception des courriers à lui adressés par la cour administrative d’appel – Absence de qualité de partie à l’instance – Pourvoi en cassation devant être regardé comme une tierce opposition – Renvoi à la cour.

Après que le tribunal administratif a annulé la décision administrative de licenciement de l’intéressé, la société employeur a saisi la cour administrative d’appel d’un appel dirigé contre ce jugement. Il est constant que le salarié n'a produit aucun mémoire en appel et n'était pas présent à l'audience tandis que tous les courriers qui lui ont été adressés par la cour ont été retournés à celle-ci avec la mention « défaut d'accès ou d'adressage » alors que l’adresse de ce dernier est demeurée inchangée. Enfin, l’avis d’audience, daté du 18 juin 2020, ne lui a été présenté que le 4 août suivant, puis remis le 16 août, soit postérieurement à la date de l'audience fixée au 6 juillet. M. A. n’ayant été ni partie, ni représenté ni mis en cause durant l’instance d’appel, il s’ensuit que son pourvoi en cassation dirigé contre l’arrêt de cette cour doit s’analyser en une tierce opposition au sens de l’art. R. 832-1 du CJA.

L’affaire est donc renvoyée à la cour administrative d’appel.

(19 décembre 2023, M. A., n° 445220)

 

58 - Expulsion du territoire français pour menace grave – Saisine du juge du référé liberté – Requête ne contenant l’exposé d’aucun fait ou moyen et n’ayant pas fait l’objet d’une régularisation – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable une « requête » qui ne contient l’exposé d’aucun fait ou moyen et qui n’a pas été régularisée de ces vices dans le délai du recours contentieux.

(19 décembre 2023, Mme B., n° 489670)

(59) V., identique en substance, à propos d’un ensemble de demandes provenant d’un détenu handicapé : ord. réf. 21 décembre 2023, M. A., n° 489829.

 

60 - Demande de suspension d’un concours administratif en référé – Absence d’atteinte grave et immédiate aux intérêts du requérant – Absence d’urgence – Rejet.

Ne justifie pas d’une atteinte grave et immédiate à ses intérêts ni donc d’une urgence à voir le juge statuer sur sa requête, ce qui entraîne le rejet de sa demande, un maître de conférence des universités et praticien hospitalier, qui continue à exercer ses fonctions dans un centre hospitalier universitaire, auteur d’un référé tendant  à la suspension du déroulement  d’un concours de recrutement de professeurs d'université - praticiens hospitaliers dans la section 56.02 du conseil national des universités « prévention, épidémiologie, économie de la santé, odontologie légale », aux motifs que le prochain concours dans cette spécialité ne se tiendra qu’en 2025, que ses conditions de travail sont dégradés et qu’il souffre de problèmes de santé. 

(19 décembre 2023, M. B., n° 489767)

 

61 - Interdiction d’embarquer sur un aéronef – Suspicion de trafic de stupéfiants – Interdiction limitée à cinq jours – Recours en référé devenu sans objet – Rejet.

Est déclaré devenu sans objet le recours en référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral pris le 21 novembre 2023, faisant interdiction au demandeur d’embarquer sur un aéronef à destination « de l’Hexagone » en raison d’une suspicion de trafic de stupéfiants, pris pour une durée de cinq jours, laquelle est expirée au jour de la présente décision.

(19 décembre 2023, M. A., n° 490021)

 

62 - Recours prématuré – Décision non encore existante – Irrecevabilité manifeste sauf intervention en cours d’instance d’une décision expresse ou explicite – Recours devenant recevable sauf s’il a, auparavant, formellement été déclaré manifestement irrecevable – Rejet.

En principe, est irrecevable le recours dirigé contre une décision qui n’existe pas encore – recours dit « prématuré » - car elle n’a pas encore été prise. Le caractère manifeste de cette irrecevabilité se traduit par l’impossibilité pour le juge d’inviter la partir concernée à régulariser sa requête. De telles conclusions peuvent donc être rejetées par ordonnance sur le fondement du 4° de l'art. R. 222-1 du CJA. Toutefois, si intervient en cours d’instance une décision expresse ou explicite, le recours devient alors recevable hormis le cas où, avant l’intervention d’une telle décision, le juge a déjà opposé l’exception de caractère prématuré.

(20 décembre 2020, M. B. et association La Quadrature du Net, n° 463151)

 

63 - Référé de l’art. R. 531-1 CJA (référé constat) – Référé susceptible uniquement d’appel – Renvoi du requérant devant la cour administrative d’appel.

Rappel qu’il résulte des dispositions des art. L. 522-3, R. 531-1 et R. 533-1 du CJA que la décision du juge des référés du tribunal administratif se prononçant sur une demande présentée en application de l'art. R. 531-1 du CJA, parce qu’elle n'entre pas dans le champ d'application des art. L. 521-1 à L. 523-1 du même code relatifs au juge des référés statuant en urgence, est susceptible de faire l'objet d'un appel.

Alors même que – comme ce fut le cas en l’espèce -, le juge des référés du tribunal administratif a, à la suite d'une erreur de droit, rejeté par une ordonnance fondée sur l'art. L. 522-3 du même code, la demande présentée par le requérant en application de l'art. R. 531-1 de ce code cette ordonnance a le caractère d'un appel.

Il y a donc lieu d'en attribuer le jugement à la cour administrative d'appel.

(21 décembre 2023, M. A., n° 475125)

 

64 - Référé provision (art. R. 541-1 CJA)  – Office du juge – Obligation d’apprécier lui-même le caractère non sérieusement contestable d’une créance – Annulation.

Pour dire non sérieusement contestable la créance fiscale dont se prévalait une requérante, le juge du référé provision a retenu deux éléments : le tribunal administratif avait, par des jugements devenus définitifs, prononcé la décharge totale des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles la contribuable avait été assujettie à raison d’une parcelle qu’elle détenait, au titre des années 2014 à 2018 et l'administration n'avait pas démontré que la situation de fait aurait évolué en 2019 et 2020. 

Le Conseil d’État considère qu’a été méconnu en l’espèce l’office du juge du référé provision car il incombait à ce dernier d’apprécier lui-même directement le caractère non sérieusement contestable de la créance revendiquée par la requérante.

(21 décembre 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 488282)

 

65 - Référé suspension – Référé dirigé contre deux décisions avec des moyens distincts – Obligation d’identifier le(s) moyen(s) de nature à créer un doute sérieux – Absence – Annulation.

Dans un litige en suspension d’une décision décidant la mutation d’office d’un agent public et d’une délibération du conseil municipal portant création d’un poste de chargé de mission, est annulée pour insuffisance de motivation l’ordonnance du juge des référés qui ne désigne pas avec précision, celui ou ceux des moyens dont il a considéré qu'ils sont de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de chacune des décisions dont la suspension était demandée.

(13 décembre 2023, Commune de Mantes-la-Jolie, n° 472907)

 

66 - Sursis à l’exécution d’une décision de justice – Réintégration d’un enseignant au sein d’une université - Risques de troubles allégués – Absence de conséquences difficilement réparables – Rejet.

Par une décision du 4 septembre 2023, contre laquelle l'université de Montpellier s’est pourvue en cassation, le CNESER, après renvoi du Conseil d'État, a infligé à M. Jean-Luc Coronel de Boissezon, professeur des universités à l’université de Montpellier, la sanction de l'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pour une durée de quatre ans avec privation de la totalité de son traitement.

L'université de Montpellier, à l'appui de sa requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de cette décision, soutient que la sanction prononcée par le CNESER, statuant en matière disciplinaire, ayant désormais été entièrement exécutée, la réintégration, en son sein, de l’intéressé risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables. Elle produit, pour en justifier, un article de presse du 9 décembre 2022 et des publications sur les réseaux sociaux se faisant l'écho d'une mobilisation contre le retour de l’enseignant au sein de l'établissement, ainsi que des attestations d'agents exprimant leurs inquiétudes. Le Conseil d’État estime que ces éléments ne permettent pas de retenir que la condition d’existence de conséquences difficilement réparables, est remplie en l’espèce.

(22 décembre 2023, Université de Montpellier, n° 488979)

(67) V. aussi, rappelant que sont devenues sans objet des conclusions à fin de sursis à exécution d’un arrêt d’appel dès lors que leur auteur a complètement exécuté cet arrêt : 27 décembre 2023, Commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), n° 476188.

(68) V. également, ordonnant le sursis à l’exécution de la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers en ce qu'elle impose au demandeur et à une SELARL de communiquer sous astreinte au conseil départemental de l'Ordre des infirmiers de la Gironde un avenant au contrat de collaboration conclu avec les collaborateurs du demandeur en raison de ce que l’exécution de cette injonction, entraînant la modification de nombreux contrats de collaboration et de l'astreinte importante dont elle est assortie, aurait des conséquences difficilement réparables : 27 décembre 2023, M. E. et SELARL E., n° 476329.

(69) V. encore, rejetant une demande de sursis à l’exécution d’une décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des infirmiers au motif que si les moyens invoqués à l'appui de la requête paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à conduire à l'annulation de la décision attaquée, ils ne sont cependant pas de nature à entraîner l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond : 27 décembre 2023, Mme A., n° 488746.

 

70 - Requête d’appel – Annonce de la production d’un mémoire complémentaire – Conditions du rejet de l’appel pour irrecevabilité (art. R. 222-1, 7° du CJA) – Annulation.

Rappel qu’en vertu des dispositions du 7° de l’art. R. 222-1 du CJA les magistrats des cours administratives d'appel ne peuvent, par ordonnance rendue en application de ce 7°, rejeter une requête d'appel qu'après l'expiration du délai d'appel contre le jugement de première instance, ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé devant la cour, après la production de ce mémoire. 

En l’espèce est annulée l’ordonnance jugeant irrecevable un appel, après qu’a été annoncée la production d’un mémoire complémentaire, au motif qu’aurait expiré le délai d’appel alors que l’annonce d’un tel mémoire a été faite dans le délai d’appel.

(28 décembre 2023, M. B., n° 465725)

 

71 - Recours en révision – Ordonnance invitant à régulariser un pourvoi en cassation – Invitation adressée à l’avocat des parties non à celles-ci – Irrégularité - Ordonnance déclarée nulle et non avenue – Recours soumis à nouveau à la procédure d’admission des pourvois.

Il résulte des dispositions combinées des art. R. 612-1, R. 821-3 et R. 822-5 du CJA que l'irrecevabilité tirée de ce qu'un pourvoi en cassation a été introduit sans le ministère d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation ne peut être opposée à des conclusions soumises à cette obligation que si le requérant, invité à régulariser son pourvoi, s'est abstenu de donner suite à cette invitation.

La demande de régularisation, si elle peut être adressée pour information à un mandataire du requérant, y compris un avocat autre qu'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, qui l'aurait représenté avant l'introduction du pourvoi devant le Conseil d'État, doit impérativement être communiquée au requérant, une demande adressée à un tel mandataire ne pouvant tenir lieu de demande de régularisation adressée au requérant.

(28 décembre 2023, M. et Mme A., n° 468453)

(72) V. aussi, dans un litige en révocation d’un agent public, le rejet de l’allégation que le Conseil d’État se serait prononcé en jugeant sur « pièces fausses » (qui est l’un des trois cas donnant ouverture à révision selon l’art. 834-1 du CJA), les faits regardés comme établis par la décision attaquée l'ayant été sur la base d'attestations mensongères de collègues de l’intéressé produites dans le seul but de lui nuire, le requérant n’assortissant son affirmation d’aucune précision permettant d’en apprécier le bien-fondé : 22 décembre 2023, M. D., n° 473365.

 

73 - Délai raisonnable de jugement – Invocation d’un préjudice moral du fait de son dépassement – Décomposition de la durée entre les différentes procédures – Absence de méconnaissance du délai raisonnable et de droit à réparation du préjudice moral – Rejet.

(20 décembre 2023, M. B., n° 472425)

(74) V. aussi, 28 décembre 2023, Mme B., n° 470222.

Voir n° 245 

 

75 - Litiges relatifs aux services d'aide et d'accompagnement à domicile – Dispositions applicables lors de l’épidémie de Covid-19 – Décisions ne relevant pas de l’art. L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles – Compétence du tribunal administratif – Annulation.

(29 décembre 2023, Association de soins et services à domicile de Dunkerque, n° 470106)

(76) V. aussi, identique : 29 décembre 2023, Association d’aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), n° 470106.

V. n° 138

 

77 - Intérêt pour agir – Convention constitutive d’un groupement d’intérêt public (GIP) – Exercice dans le passé d’une mission relevant du champ de ce GIP et vocation à en assurer d’autres dans le futur - Absence d’intérêt suffisamment direct et certain - Rejet.

Pour justifier de son intérêt à demander l’annulation de l'arrêté du 3 octobre 2022 portant approbation de la convention constitutive du groupement d'intérêt public dénommé « France Volontaires », dont l'objet est d'agir « en vue de développer et de promouvoir des engagements volontaires et solidaires à l'international, y compris dans leur dimension réciproque », le requérant indique, d’une part, avoir accompli par le passé une mission en tant que volontaire relevant de l'initiative des volontaires européens de l'aide humanitaire qui lui avait été confiée dans le cadre d'un contrat conclu avec l'association France Volontaires, d’autre part, avoir vocation à accomplir de nouvelles missions, dans le futur, dans le cadre de contrats à conclure avec le groupement d'intérêt public qui s'est substitué à cette association.

Le Conseil d’État juge, à juste raison, au vu du flou du projet du requérant et en considération du fait que l’arrêté litigieux a pour seul objet de procéder à l'approbation des conditions d'organisation et de fonctionnement internes définies par ce groupement d'intérêt public, que cela n'emporte aucune conséquence sur la situation du requérant et qu’ainsi celui-ci ne justifie pas d'un intérêt suffisamment direct et certain lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'arrêté attaqué.

(29 décembre 2023, M. B., n° 471204).

 

78 - Avis d’audience absent ou incomplet – Absence d’information sur l’existence ou non de conclusions d’un rapporteur public – Privations de garanties – Annulation.

Encourt l’annulation pour avoir privé les parties de garanties de procédure, le jugement rendu alors qu’il n’est pas établi par les pièces du dossier que le demandeur ait reçu l’avis d’audience et qu’il est constant que l’avis d’audience adressé au département défendeur se bornait à l'informer que l'état de l'instruction du dossier pouvait être consulté sur le site de l'application « Sagace », sans comporter les informations relatives aux conclusions du rapporteur public prévues par le deuxième alinéa de l'art. R. 711-2 du CJA.

(29 décembre 2023, M. B., n° 471750)

 

79 - Transports scolaires – Frais de déplacement des élèves handicapés entre leur domicile et l’établissement scolaire fréquenté – Contentieux – Tribunal statuant sous réserve d’appel – Renvoi du litige à la cour administrative d’appel.

Les litiges relatifs au remboursement, par le Syndicat des transports d'Île-de-France et, désormais, Île-de-France Mobilités, des frais de déplacement exposés par les élèves handicapés ayant leur domicile dans la région Île-de-France ne relèvent pas des litiges relatifs « aux prestations, allocations ou droits attribués au titre de l'aide ou de l'action sociale » au sens de l'art. R. 811-1 du CJA. Les jugements prononcés en cette matière ne sont pas rendus en dernier ressort. Ils relèvent donc de la voie de l’appel devant une cour administrative d’appel non d’un pourvoi direct en Conseil d’État.

Le dossier de la présente affaire est renvoyé à la cour administrative d’appel de Versailles.

(29 décembre 2023, Mme A., n° 473744)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

80 - Impôt sur les sociétés – Détournements de fond – Régime applicable – TVA – Factures fictives – Régime applicable – Erreur de droit et annulation sur l’impôt – Confirmation et rejet sur la taxe.

Rappel, en premier lieu, du régime fiscal applicable en cas de détournements de fonds commis au détriment d'une société.

En principe, les pertes en résultant sont déductibles des résultats de la société. Tel est normalement le cas, lorsque ces détournements ont été commis par des tiers.

Toutefois, cette déduction n’est pas possible soit lorsque les détournements ont été commis par les dirigeants, mandataires sociaux ou associés soit lorsqu’ils l’ont été par un salarié s’ils ont pour origine, directe ou indirecte, le comportement délibéré des dirigeants, mandataires sociaux ou associés ou leur carence manifeste dans l'organisation de la société et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, contraires à l'intérêt de la société.

Enfin, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, le Conseil d’État décide, pour l’application de ce régime, que ne saurait être considéré comme dirigeant ou mandataire social, celui qui exerçait les fonctions de directeur du département plancher de la société et d’un site de celle-ci, était titulaire de la signature sur les comptes bancaires et avait la qualité d'associé minoritaire. Celui-ci n’étant que salarié, la cour aurait du rechercher si les détournements commis par ce salarié ne résultaient pas d'un comportement délibéré des principaux dirigeants, associés ou investis de la qualité de mandataire social de la société ou de leur carence manifeste dans l'organisation de celle-ci et la mise en œuvre des dispositifs de contrôle interne.

Rappel,  en second lieu, que, comme jugé en appel, dès lors que l’administration fiscale a à bon droit considéré que les factures émises par certains tiers étaient fictives, la cour a pu juger que la TVA qu'elles mentionnaient n'était pas déductible. 

(06 décembre 2023, Société Strudal Préfabriqués, n° 458981)

 

81 - Sommes inscrites au crédit d’un compte courant d’associé – Prise en considération de l’année d’utilisation non de la nature de ces sommes – Erreur de droit et insuffisance de motivation – Annulation.

Commet une erreur de droit et entache son arrêt d’insuffisance de motivation la cour administrative d’appel qui, pour dire justifiée l’imposition au titre des revenus distribués d’une somme figurant au compte courant d’associé du contribuable, se fonde sur la circonstance qu’il n’en a disposé qu’en 2013 et ne répond pas à l’argumentation fondée sur leur nature d’intérêts des sommes inscrites en compte courant. Or c’est cette nature qui, seule, fixe le régime d’imposition.

(06 décembre 2023, M. A., n° 467508)

 

82 - Article 1649 A du CGI - Comptes ouverts à l’étranger et non déclarés – Présomption d’utilisation postérieure à l’année de découverte de leur existence - Demande de justification par l’administration au titre des années ultérieures –  Non réponse ou réponse insuffisante – Taxation d’office – Rejet.

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469040)  

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469042)

(06 décembre 2023, Mme B., n° 469043)

(06 décembre 2023, M. et Mme B., n° 469044)

V. n° 56, chronique novembre 2023 (29 novembre 2023, M. et Mme B., n° 469039)

 

83 - Qualité d’assujetti (à la TVA) revendeur – Régime de la TVA sur la marge – Revente d’un bien d’occasion – Fournisseur (direct ou indirect) situé dans un autre État de l’Union – Conditions de remise en cause par l’administration fiscale – Annulation.

Le principe, tel qu’il résulte des dispositions des art. 256bis, I, 2°bis, 297 A et 297 E du CGI, est qu'une entreprise française assujettie à la TVA a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur la marge prévu par l'art. 297 A du CGI lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé dans un autre État membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions de l'art. 297 E de ce code, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la TVA ou encore est situé en France mais dont le fournisseur est situé quant à lui dans un autre État-membre.

Toutefois, par exception à ce principe, l'administration peut remettre en cause l'application du régime de TVA à la marge lorsque l'entreprise française connaissait ou ne pouvait ignorer que son fournisseur n'avait pas la qualité d'assujetti revendeur et n'était pas autorisé à appliquer lui-même le régime de taxation sur la marge. Lorsqu'une entreprise produit des factures émanant de ses fournisseurs qui mentionnent que la vente des biens en cause s'effectuaient sous le régime de la taxe sur la marge, il incombe à l'administration, si elle s'y croit fondée, de démontrer que les mentions portées sur ces factures sont erronées et que le bénéficiaire de ces achats savait ou aurait dû savoir que les opérations présentaient le caractère d'acquisitions intracommunautaires taxables sur l'intégralité du prix de revente à ses propres clients, et sans que pèse sur le contribuable l'obligation de vérifier la qualité d'assujetti revendeur de ses fournisseurs.

En l’espèce, commet une erreur de droit la juridiction d’appel qui, pour décider que l'administration avait à bon droit remis en cause l'application du régime de TVA sur la marge, se fonde sur ce qu'il résultait de l'instruction et qu'il n'était pas contesté que les véhicules en litige avaient précédemment appartenu soit à des loueurs, soit à des concessionnaires, soit étaient utilisés à des fins professionnelles par des sociétés commerciales, inférant de là que ces propriétaires avaient ainsi bénéficié du droit de déduire la TVA, alors que la circonstance que les véhicules en litige aient précédemment appartenu à de tels propriétaires ne suffisait pas à établir qu'ils avaient bénéficié du droit de déduire la TVA, notamment s'agissant de voitures particulières acquises par des sociétés commerciales indéterminées.

(07 décembre 2023, M. A., n° 467358)

(84) V. aussi, très voisine, mais, à l’inverse de la précédente, la décision annulant l’arrêt d’appel pour n’avoir pas recherché si la société établissait, ainsi qu'elle le soutenait, que les conditions de fond pour l’application de l’art. 297 A du CGI, transposant celles de l'art. 314 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA étaient satisfaites en l’espèce : 12 décembre 2023, Société Lefebvre Petrenko, n° 466239.

 

85 - TVA – Location de terrains non aménagés et de locaux nus - Demande de décharge de rappels de TVA – Droit à déduction pour dépenses antérieure à l’option – Prétendue rétroactivité de l’option – Erreur de droit – Annulation.

L’art. 261 D du CGI exonère de la TVA les contribuables pratiquant des locations de terrains non aménagés et des locaux nus. La société François Perrino Holding a demandé, en vain en première instance, la décharge des rappels de la taxe sur la valeur ajoutée procédant de la remise en cause de l'exercice d'un droit à déduction au titre de la taxe grevant des dépenses exposées antérieurement à la date à laquelle elle avait formulé l'option prévue à l’art. 260 du CGI selon lequel « Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée :

(...) 2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti.

L'option ne peut pas être exercée :

(...) b. Si le preneur est non assujetti, sauf lorsque le bail fait mention de l'option par le bailleur. » L’art. 194 de l’annexe II à ce code précise que « L'option ou sa dénonciation prend effet à compter du premier jour du mois au cours duquel elle est formulée auprès du service des impôts ».

La cour administrative d’appel a estimé que la société avait clairement manifesté son intention de conférer à cette option, exercée le 15 décembre 2016, un effet rétroactif au 1er janvier de la même année, ce dont elle a déduit que, peu important le temps écoulé entre l'engagement des dépenses en amont et le début effectif de l'activité en cause, intervenu le 1er janvier 2017, la société était fondée à solliciter le bénéfice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ces dépenses.

Le Conseil d’État, sur pourvoi du ministre de l’économie et des finances, est à la cassation de cet arrêt pour erreur de droit car il incombait à la cour de rechercher à quelle date avaient été souscrits les engagements contractuels en vertu desquels la société a débuté son activité, le 1er janvier 2017, et alors que l'option exercée était en tout état de cause insusceptible de produire des effets, au titre de l'exercice par la société de son droit à déduction, antérieurement au 1er décembre 2016 ainsi qu’il résulte des dispositions précitées du CGI.

(21 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474042)

 

86 - Détermination de la valeur locative de locaux professionnels – Hôtel – Application de l’art. 1498 du CGI – Méthodes d’évaluation – Régime – Annulation.

Le volume des contentieux suscité par les dispositions régissant les impôts locaux est tel, année après année, que s’introduit un doute sur la légitimité de tels impôts ou sur l’ahurissante complexité subjective de leurs bases.

À la lecture du texte de l’art. 1498 du CGI, il ressort que le juge de l'impôt, saisi d'une contestation portant sur la méthode d'évaluation des locaux soumis à impôt retenue par l’administration, a l'obligation, lorsqu'il estime irrégulière cette dernière méthode d'évaluation, de lui substituer la méthode d'évaluation qu'il juge régulière.

Lorsqu’il retient une méthode d’évaluation par comparaison, comme le permet le  2° de cet article 1498, il incombe au juge de rechercher un terme de comparaison qu'il estime, par une appréciation souveraine, pertinent et dont il vérifie la régularité, en se fondant pour cela sur les éléments dont il dispose ou qu'il sollicite par un supplément d'instruction.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative d’appel d’avoir tout à la fois manqué à son office et commis une erreur de droit en retenant comme terme de comparaison l’application au local-type choisi par l’administration d’un coefficient d’ajustement de 55% proposé par la société contribuable pour tenir compte des différences de caractéristiques entre les deux termes de comparaison sans rechercher si l'évaluation de la valeur locative sur laquelle elle s'est fondée était conforme aux dispositions de l'article 1498 du CGI et alors au surplus que cette évaluation reposait sur le même local-type que celui qu'elle avait écarté.

(07 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474034, n° 474057, n° 474058 et n° 474059)

 

87 - Sanctions des contrevenants aux obligations légales en matière fiscale – Impossibilité de leur déduction du bénéfice soumis à impôt – Cas d’une sanction infligée par un organisme étranger pour méconnaissance d’une obligation légale étrangère – Annulation.

Une société a déduit de son bénéfice imposable les sommes qu’elle a été tenue d’acquitter à titre punitif pour n’avoir pas satisfait aux obligations légales d’un pays étranger et auxquelles elle a été contrainte sur décision d’un organisme situé à l’étranger. Le ministre requérant demande l’annulation de l’arrêt qui a estimé ces sommes déductibles.

Le Conseil d’État lui donne raison relevant seulement qu’il est fait exception à ce principe de non déductibilité des sanctions et pénalités fiscales seulement dans le cas où cette sanction aurait été prononcée en contrariété avec la conception française de l'ordre public international.

La décision ne nous paraît admissible qu’en cas d’identité et non de simple compatibilité des régimes applicables en cette matière dans les deux États en cause ainsi que d’une procédure administrative non contentieuse présentant toutes garanties.

(08 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458968)

 

88 - Retenues à la source sur les produits d'actions et de parts sociales et les revenus assimilés - Application aux revenus dont le bénéficiaire n’a pas son domicile fiscal ou son siège en France – Application églement au récipiendaire ayant son domicile fiscal ou son siège en France si le bénéficiaire effectif des revenus en cause a son domicile fiscal ou son siège hors de France – Ajout à la loi – Auteur incompétent – Annulation.

La requérante demandait l’annulation des paragraphes 1 et 5 des commentaires administratifs publiés le 15 février 2023 au bulletin officiel des finances publiques-Impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-30-30-10-10 ainsi que des commentaires administratifs publiés sous les références BOI-RES-RPPM-000122 et BOI-RES-RPPM-000123.

Selon les paragraphes critiqués, la retenue à la source sur les produits d'actions et de parts sociales et les revenus assimilés instituée par cet article « s'applique aux revenus considérés dans la mesure où ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. (…) À cet égard, la retenue à la source s'applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c'est-à-dire la personne qui a le droit d'en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France ». Le paragraphe 5 des mêmes commentaires précise que :

« Dans certaines situations, la détermination des personnes qui bénéficient effectivement des revenus sur lesquels s'applique cette retenue à la source peut présenter des spécificités, notamment en ce qui concerne le traitement fiscal de certaines activités des établissements bancaires concernant les acquisitions temporaires d'actions de sociétés françaises et les opérations sur certains produits dérivés.

Pour plus de précisions sur les opérations susceptibles de donner lieu au prélèvement par l'établissement bancaire d'une retenue à la source, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000122.

Pour plus de précisions sur la retenue à la source à prélever par un établissement bancaire s'agissant d'opérations d'acquisition temporaire d'actions de sociétés françaises auprès de personnes dont le domicile ou le siège est situé hors de France ou de conclusion avec ces mêmes personnes d'opérations sur produits dérivés dont les sous-jacents sont ou comportent des actions de sociétés françaises, il convient de se reporter au BOI-RES-RPPM-000123 ». 

La requérante soutenait qu’il résulte des dispositions du 2 de l’art. 119 bis du CGI que les distributions entrant dans leur champ donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsque le titulaire du droit de les percevoir ou, s'agissant de revenus regardés comme distribués, leur bénéficiaire est domicilié ou établi hors de France. Elles ne sauraient être interprétées comme prévoyant que sont soumises à retenue à la source des distributions dont le titulaire est une personne ayant son domicile fiscal ou son siège en France, lorsque les sommes en cause sont reversées, en tout ou en partie, à une personne ne satisfaisant pas à cette condition et regardée par l'administration comme en étant le bénéficiaire effectif. 

Reprenant à son compte ce raisonnement, le Conseil d’État juge qu'en dehors des situations prévues par l'art. 119 bis A du CGI, l'administration fiscale ne peut, sauf à mettre en œuvre la procédure de répression des abus de droit prévue par l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, écarter comme ne lui étant pas opposable l'interposition, entre l'établissement payeur et la personne non résidente qu'elle regarde comme le bénéficiaire effectif des revenus en cause, d'une personne résidente titulaire du droit de percevoir des distributions. Il tire de là qu’en énonçant que la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du CGI « s'applique y compris lorsque le récipiendaire a son domicile fiscal ou son siège en France, dès lors que le bénéficiaire effectif des revenus en cause, c'est-à-dire la personne qui a le droit d'en disposer librement, a son domicile fiscal ou son siège hors de France », les commentaires attaqués ajoutent incompétemment aux dispositions législatives qu'ils ont pour objet d'éclairer. 

Ces commentaires sont annulés.

(08 décembre 2023, Fédération bancaire française, n° 472587)

(89) V. aussi, très comparable dans la démarche et identique dans son constat d’ajout à la loi par une autorité incompétente, la décision jugeant que les paragraphes 540 et 585 des commentaires administratifs publiés le 25 septembre 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-RCM-40-50-20-20, par lesquels l'administration fiscale a fait connaître son interprétation des dispositions de l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier en tant que ces commentaires excluent la possibilité d'inscrire dans un plan d'épargne en actions les titres acquis en exercice de bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, ont ajouté incompétemment à la loi. En effet, si l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier exclut la possibilité d'inscrire dans un plan d'épargne en actions des bons de souscription de parts de créateur d'entreprise, de tels bons ne figurant pas au nombre des emplois énumérés par son I, ni ces dispositions, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne font obstacle à ce que les sommes versées sur ce plan soient employées pour l'acquisition, en exercice de tels bons, de titres éligibles au plan en vertu de ce même I. Est sans incidence à cet égard, contrairement à ce que soutient le ministre en défense, l'abrogation par l'art. 13 de la loi du 29 décembre 2013 de finances rectificative pour 2013 du c) du 1° du I de l'art. L. 221-31 du code monétaire et financier, qui permettait d'inscrire dans un plan d'épargne en actions des droits ou bons de souscription ou d'attribution attachés à des actions ou parts de sociétés éligibles en vertu des a) et b) du même 1° : 08 décembre 2023, M. B., n° 482922.

 

90 - Régimes de l’impôt sur les sociétés et de la TVA – Droits et charges versés par une société établie en France à une société située hors de France – Cas  d’une fiscalité privilégiée existant dans cet État – Conditions de déductibilité de l’assiette de l’impôt (art. 238 A CGI) – Rejet.

Expression du traditionnel nationalisme du droit fiscal, l’art. 238 A du CGI  décide que ne sont admises comme charges déductibles, pour l'établissement de l'impôt, que celles versées par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un État étranger ou un territoire situé hors de France où elles sont soumises à un régime fiscal privilégié, que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré.

Pour dire un régime fiscal priviligié, cet article retient qu’il en est ainsi lorsqu’il aboutit à ce que les débiteurs n’y sont pas imposables ou y soient assujettis à des impôts dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont ils auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, s’ils y avaient été domiciliés ou établis.

En l’espèce, l'administration fiscale a notamment remis en cause la déduction des bénéfices de la société Pro'Confort de redevances qu’elle a versées à une société en exécution d'un contrat de licence de la marque « Pro'Confort » conclu avec cette dernière. 

Il convenait encore, pour refuser la déductibilité des sommes versées à titre de droits et charges, d’établir l’existence d’une fiscalité privilégiée et le caractère réel et non anormal desdits droits et charges.

Sur le premier point, le juge est convaincu par la démonstration opérée par l’administration fiscale d’où il résulte que les sociétés constituées à Chypre dont le capital est détenu par des non-résidents et dont la source des revenus est située hors de Chypre sont soit soumises à un taux d'impôt sur les sociétés de 10 % (12,5 % en 2013) si elles sont contrôlées ou dirigées depuis Chypre, soit exonérées dans le cas contraire (heureux contribuables chypriotes…), alors que le taux de l'impôt français sur les sociétés était fixé à 33,1/3 % à l’époque des années en litige.

Sur le second point, le juge de cassation approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé que la société demanderesse n'apportait aucune justification comptable au soutien de ses allégations selon lesquelles le montant des redevances versées était proportionné au regard du chiffre d'affaires réalisé grâce à la vente des produits qu'elle commercialisait sous les marques « Pro'Confort France ».

Le recours est rejeté.

On relèvera le caractère artificiel et contestable de la « logique » de cet article 238 A du CGI, illustration supplémentaire de la rapacité fiscale propre à la France. Comparer deux taux d’imposition pris abstraitement n’a aucun sens. Il convient de restituer la réalité dans sa globalité en mettant en balance, dans les deux cas, et le taux d’imposition et la qualité, la régularité et la densité des services rendus par la puissance publique dans chacun d’eux. L’impôt n’est pas une substance désincarnée flottant dans les airs mais une modalité en relation directe avec ce qu’est l’ordre social désirable dans une société et une civilisation données.

(12 décembre 2023, Société Pro’Confort, n° 464740)

(91) V. aussi, identique : 12 décembre 2023, Société Pro’Confort, n° 464874.

 

92 - Impôt sur les sociétés – Interposition d’une société luxembourgeoise dépourvue de substance économique – Abus de droit - Revenus devant être considérés comme appréhendés directement par le contribuable requérant – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni dénaturation des pièces du dossier qu’une cour administrative d’appel aperçoit un montage artificiel constitutif d’un abus de droit, avec toutes les conséquences qui découlent de cette qualification juridique, dans l’interposition entre le contribuable et la société productrice de dividendes d’une société de droit luxembourgeois dépourvue de substance économique réelle, son interposition entre ses associés et la société française Fidem avait pour but exclusif de permettre au contribuable de s'approprier en franchise d'impôt le produit de la cession des actifs de la société Fidem via la société Holdem.

La circonstance, invoquée par le contribuable, qu'il aurait eu la possibilité, au moyen d'un rachat par la société Fidem de ses propres titres suivi de leur annulation, d'appréhender en franchise d'impôt la trésorerie de cette société compte tenu du montant élevé des droits de mutation à titre gratuits acquittés lors de l'entrée de ces titres dans son patrimoine, venant majorer leur prix de revient. Toutefois, cette circonstance était sans incidence sur l'existence d'un montage artificiel et sur le droit de l'administration de l'écarter comme ne lui étant pas opposable.

Ainsi, cette interposition n’était pas opposable  et les distributions réalisées par la société française Fidem devaient être regardées, à hauteur de la participation de M. B. au capital de la première de ces sociétés, comme des sommes directement appréhendées par celui-ci, taxables entre ses mains.

La solution n’est guère judicieuse au regard de l’argumentation du contribuable relative au rachat de ses propres parts par la société Fidem. En quoi le caractère, même à le supposer artificiel, d’un montage juridique produisant les mêmes effets qu’un montage régulier lèse-t-il le fisc ? Où est passé le « réalisme » du droit fiscal ?

(12 décembre 2023, M. B., n° 470038)

(93) V. aussi, dans le même litige que ci-dessus, avec même solution : 12 décembre 2023, M. B., n° 470039.

 

94 - Taxe sur les métaux précieux – Notion de bijoux au sens du I de l’art. 150VK du CGI – Absence de métaux précieux entrant dans la composition de bijoux – Soumission à la taxe – Annulation.

Le I de l’art. 150 VI du CGI soumet à une taxe (une de plus !) sur les métaux précieux les cessions à titre onéreux de bijoux.

Une cour administrative d’appel a jugé que seules entraient, en qualité de « bijoux », dans le champ d’application de cette taxe « les montres composées de métaux précieux ou comportant des perles, des pierres précieuses ou des diamants ».

Annulant pour erreur de droit cette qualification, le Conseil d’État décide que par « bijoux » au sens de cette disposition fiscale il faut entendre les « objets ouvragés, précieux par la matière ou par le travail, destinés à être portés à titre de parure, y compris lorsqu'ils ne sont pas composés de métaux précieux. » Ainsi, avec une logique qui n’appartient qu’à lui le juge estime applicable la taxe sur les métaux précieux à des objets ne comportant pas de métal précieux.

Reste plus qu’à baptiser carpe le lapin…

(12 décembre 2023, Société Paris Heure, n° 470249)

 

95 - TVA – Calcul (art. 1586 ter, II, 1 du CGI) - Loyers afférents à des biens corporels – Notion – Sommes représentatives de contreparties – Erreur de droit – Annulation.

Il résulte d’abord du 1 du II de l'article 1586 ter du CGI que  : « La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises est égale à une fraction de la valeur ajoutée produite par l'entreprise, telle que définie à l'article 1586 sexies ».

Il résulte ensuite du 4 du I de l'article 1586 sexies précité : « La valeur ajoutée est égale à la différence entre :

a) D'une part, le chiffre d'affaires (...)

(...)

b) Et, d'autre part :

(...)

- les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance ; toutefois, lorsque les biens pris en location par le redevable sont donnés en sous-location pour une durée de plus de six mois, les loyers sont retenus à concurrence du produit de cette sous-location (...) ».

Interprétant ces dispositions, le Conseil d’État considère que doivent être regardés comme des loyers afférents à des biens corporels l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition.

En revanche, le juge estime que les sommes versées en contrepartie d'autres prestations, distinctes, fournies en complément de la mise à disposition de biens corporels et des prestations accessoires, n'ont pas le caractère de loyers.

Il en déduit qu’en cas de facturation globale, le preneur doit établir, par tous moyens, la fraction du prix qui correspond à ces prestations distinctes.

En l’espèce, la société requérante, pour assurer la livraison de béton, concluait avec des loueurs des contrats-cadres dont l'objet était la location de véhicules avec personnel de conduite, notamment pour une durée supérieure ou égale à six mois. Des contrats d'application étaient ensuite conclus, précisant notamment que le service rendu consistait à mettre un camion avec chauffeur à disposition du preneur afin de lui permettre de délivrer des quantités de béton sur les chantiers de ses clients. 

Suite à un litige portant sur cette notion de loyers déductibles, la cour administrative d’appel a d’abord estimé que les dépenses de loyers, non déductibles de la valeur ajoutée servant au calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, s'entendaient strictement, à l'exclusion de l'ensemble des prestations et frais annexes à cette location mais compris dans le coût global facturé par le prestataire. Elle a ensuite jugé que pouvaient être déduits de la valeur ajoutée la part des coûts des contrats ne correspondant pas à « la stricte location des camions ». Ce faisant elle a commis une erreur de droit car elle n’a pas recherché si les frais annexes à déduire correspondaient effectivement à des prestations distinctes fournies en complément de la mise à disposition des véhicules et non à des prestations accessoires à celle-ci.

(12 décembre 2023, Société Eqiom Bétons, n° 470624)

 

96 - Sommes provenant de détournements des fonds d’une SARL par son gérant – Imposition au titre des bénéfices non commerciaux – Erreur de droit - Requalification en revenus de capitaux mobiliers (art. 109 CGI) – Substitution de base légale sur demande de l’administration – Rejet.

L’administration et les juges du fond commettent une erreur de droit en considérant que les sommes provenant du détournement de fonds d’une SARL par son gérant entrent dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (art. 92 CGI) alors qu’ils ressortissent à celle des revenus de capitaux mobiliers ainsi qu’il résulte des dispositions de l’art. 109 du CGI.

Toutefois, il est loisible à l’administration fiscale, à tous les stades de la procédure, d’opérer une substitution de la base légale de l’imposition pour justifier de son bien-fondé.

Le pourvoi du contribuable est donc rejeté.

(13 décembre 2023, M. A., n° 469629)

 

97 - Contrats comportant occupation du domaine public d’aéroports – Société occupante assujettie à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et à la taxe additionnelle – Absence d’erreur de droit ou de qualification inexacte des faits – Rejet.

La société demanderesse louait des espaces au sein des aéroports de Nice Côte d'Azur et de Pointe-à-Pitre aux fins d'exploitation commerciale de boutiques de « duty free » sur le fondement de conventions conclues avec, respectivement, la société des aéroports de la Côte d'Azur et la chambre de commerce et d'industrie de région des Îles de Guadeloupe, et constituant « des autorisations d'occupation temporaires et révocables » du domaine public. En contrepartie, la société versait des redevances comportant une part fixe et une part variable indexée sur le montant du chiffre d'affaires.

À la suite d’une vérification de comptabilité l’administration fiscale a remis en cause la déduction de certaines charges de la valeur ajoutée retenue pour le calcul de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dont la société était redevable au titre des années correspondant aux deux exercices contrôlés et l'a assujettie à des suppléments de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, de taxe additionnelle et de frais d'assiette.

Son recours contre cette décision ayant été rejeté en première instance et en appel, la société se pourvoit en cassation, en vain. 

Le débat portait sur la qualification juridique du lien contractuel entre la société et les gestionnaires d’aéroports. Cette dernière soutenait que la part fixe de ses redevances correspondait à l’exploitation commerciale des boutiques et que la part variable correspondait à un droit spécifique conféré à l’occupant et distinct de celui d’occupation domaniale.

Le juge de cassation fait sienne l’analyse de la cour au bénéfice du pouvoir d’appréciation souveraine des faits exempt de dénaturation. Selon la cour,  il ne résultait d'aucune des stipulations de ces conventions, et notamment pas de celles précisant que l'objet de l'occupation du domaine était l'exploitation commerciale de boutiques, que la part variable des redevances serait la contrepartie spécifique d'un droit conféré à l'occupant, distinct de celui d'occuper privativement le domaine public à des fins économiques. En conséquence, c’est sans erreur de droit ou qualification inexacte des faits que la cour a  jugé que ces redevances constituaient, pour leur totalité, la contrepartie de la location de biens corporels au sens de l'article 1586 sexies du CGI dont le I du 4 dispose : « La valeur ajoutée est égale à la différence entre :

a) D'une part, le chiffre d'affaires (...)

b) Et, d'autre part : (...)

- les services extérieurs diminués des rabais, remises et ristournes obtenus, à l'exception des loyers ou redevances afférents aux biens corporels pris en location ou en sous-location pour une durée de plus de six mois ou en crédit-bail ainsi que les redevances afférentes à ces biens lorsqu'elles résultent d'une convention de location-gérance (...) ». Il s’en déduit donc que, selon ce texte, doivent être regardés comme des loyers ou redevances afférents à des biens corporels, non déductibles pour le calcul de la valeur ajoutée servant de base à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, et partant, pour le calcul de la taxe additionnelle et des frais de gestion, l'ensemble des sommes versées en contrepartie d'une prestation dont l'objet principal est la mise à disposition de tels biens, y compris celles constituant la contrepartie d'une prestation accessoire à cette mise à disposition. Ce qui était exactement le cas de l’espèce.

(21 décembre 2023, Société Dufry France, n° 469209)

 

98 - Taxe annuelle sur les logements vacants – Art. 232, I, 2° et 1407 ter, I du CGI – Taxe perçue dans les communes touristiques – Absence de charge excessive ou de défaut de critères objectifs et rationnels – Refus de transmission d’une QPC.

 (21 décembre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM) et autres, n° 488601)

V. n° 235

 

99 - Procédure de redressement – Créances fiscales nées postérieurement au jugement ouvrant cette procédure – Dispense de l’obligation de déclaration prévue alors par le code de commerce – Absence d’incidence sur ces créances – Rejet.

N’est pas entaché d’insuffisance de motivation et d’erreur de droit le jugement qui, constatant que les créances en litige sont nées après le jugement d'ouverture de la procédure de redressement dont Mme A. a fait l'objet, estime que ces créances n'étaient dès lors pas soumises à l'obligation de déclaration prévue par l'art. 50 de la loi du 25 janvier 1985 repris à l'art. L. 621-43 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 et applicable à la procédure ouverte à l'encontre de la requérante et qu’en conséquence l'absence de déclaration des créances fiscales au liquidateur de Mme A. était sans incidence sur leur exigibilité et leur recouvrement.

(22 décembre 2023, Mme A. et société JSA, mandataire liquidateur, n° 470988)

 

100 - TVA – Demande de décharge de rappels de taxe – Invocation du bénéfice des dispositions du second alinéa de l’art. L. 80A du LPF – Juridiction statuant exclusivement sur le fondement des dispositions du premier alinéa de cet article – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Le contribuable, qui exerce la profession d’avocat, demandait l'annulation d’un arrêt en tant qu'il avait statué sur ses conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012. À cet effet, le demandeur faisait valoir, sur le fondement de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales, des commentaires administratifs du 12 septembre 2012 relatifs aux règles d'assujettissement des prestations d'avocat selon les conditions d'exercice de cette profession. 

Pour rejeter la demande, la cour s’est fondée sur le premier alinéa de cet article, motif pris de ce que M. A., qui n'avait ni souscrit les déclarations de taxe sur la valeur ajoutée correspondant à son activité d'avocat libéral au titre de l'exercice clos en 2012, ni spontanément acquitté cette taxe au cours du même exercice, ne pouvait utilement s'en prévaloir.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit pour n’avoir pas examiné l’argumentation du contribuable reposant sur le second alinéa de ce même art. L. 80 A alors qu'elle avait estimé que M. A. s'était prévalu, sur ce fondement, de la même instruction pour soutenir qu'en ne déclarant pas de taxe sur la valeur ajoutée, il avait appliqué un texte fiscal que l'administration avait interprété comme excluant qu'il en soit lui-même redevable en sa qualité de membre d'une société d'exercice libéral. 

(22 décembre 2023, M. A., n° 471373)

 

101 - TVA – Condition d’assujettissement – Absence de développement d’une activité économique en France – Absence d’établissement doté d’un degré suffisant de permanence en France – Rejet.

L’administration fiscale lui ayant infligé des suppléments d’impôt sur les sociétés et surtout des suppléments de TVA, une société de droit britannique a saisi, d’abord en vain, le tribunal administratif, puis avec succès la cour administrative d’appel ; le ministre des finances se pourvoit en cassation de l’arrêt rendu par celle-ci.

Le Conseil d’État approuve la solution retenue par l’arrêt querellé.

D’abord, c’est sans erreur de droit que la cour, au visa du I de l’art. 209 du CGI selon lequel « (...) les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) », a jugé que la société n'exploitait pas une entreprise en France au sens des dispositions de cet article, pas plus qu'elle n'y disposait d'un établissement stable au sens de la convention signée le 19 janvier 2008 entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande Bretagne et d'Irlande du Nord, dès lors qu’elle se bornait à encaisser des sommes, correspondant en l'occurrence à des commissions liées à l'activité d'architecte exercée en France par son associé unique, cette circonstance ne permettant pas de regarder cette société comme développant une activité économique, notamment en France.

Ensuite, c’est encore sans erreur de droit que la cour, au visa de l’art. 256 du CGI, a estimé, reprenant les motifs précédents, que la société ne pouvait être regardée comme disposant d'un établissement doté d'un degré suffisant de permanence et d'une structure autonome en France justifiant son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée en France.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 474331)

 

102 - Déduction de 40% des biens d'équipement de réfrigération et de traitement de l'air utilisant certains fluides réfrigérants (I de l’art. 39 decies D CGI) – Commentaires administratifs illégaux – Annulation.

Le I de l’art. 39 decies D du CGI prévoit que les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu selon un régime réel d'imposition peuvent déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40 % de la valeur d'origine, hors frais financiers, de l'ensemble des biens d'équipement de réfrigération et de traitement de l'air utilisant certains fluides réfrigérants.

La contribuable requérante demande l’annulation du n° 150 des commentaires administratifs, dont l’abrogation a été refusée par une décision implicite, en tant qu’ils énoncent « Si une entreprise choisit de ne pas commencer à (…) pratiquer (les déductions concernées) à la clôture de l'exercice où les biens sont acquis ou fabriqués, elle prend une décision de gestion définitive. Par conséquent, elle ne peut pas corriger par la suite sa déclaration pour déduire les déductions auxquelles elle a renoncé ».

Le juge rappelle opportunément que les dispositions qui prévoient que le bénéfice d'un avantage fiscal est demandé par voie déclarative n'ont, en principe, pas pour effet d'interdire au contribuable de régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales, sauf si loi a prévu que l'absence de demande dans le délai de déclaration entraîne la déchéance du droit à cet avantage, ou lorsqu'elle offre au contribuable une option entre différentes modalités d'imposition dont la mise en œuvre impose nécessairement qu'elle soit exercée dans un délai déterminé.

Or ni l'article 39 decies D du CGI ni aucune autre disposition législative ne prévoit une règle de déchéance du bénéfice de l'avantage fiscal qu'il instaure en l'absence d'exercice par le contribuable, lors de la déclaration du résultat de l'exercice au cours duquel l'immobilisation a été acquise ou fabriquée, de la faculté offerte par ces dispositions de déduire de celui-ci 40 % de la valeur des investissements éligibles à ce dispositif. De plus, l'économie générale de celui-ci ne fait pas obstacle à ce que le contribuable puisse régulariser sa situation dans le délai de réclamation prévu à l'art. R. 196-1 du livre des procédures fiscales.

Illégaux, ces commentaires administratifs doivent, sur injonction, être abrogés dans les deux mois de cette décision.

(22 décembre 2023, Société par action simplifiée Agrial Entreprise, n° 476379)

 

103 - Aides d’une société française à sa filiale turque – Existence d’un intérêt commercial propre à cette opération – Remise en cause des déductions opérées à ce titre – Erreurs de droit – Annulation.

La société Compagnie Gervais Danone a conclu avec la société de droit turc Danone Tikvesli un contrat concédant à cette dernière le droit d'utiliser les marques des produits laitiers du groupe Danone, des brevets et un savoir-faire, dont elle est propriétaire, afin de fabriquer et vendre des produits laitiers sur le marché turc.

Pour faire face à la situation déficitaire de la société Danone Tikvesli à la fin de l'exercice 2010, ce qui devait conduire, en vertu du droit turc, à la cessation de son activité, la société Compagnie Gervais Danone lui a versé en 2011 une subvention de 39 148 346 euros, dont l'administration n'a admis la déduction qu'à proportion de sa participation dans la société Danone Tikvesli, qui s'élevait à 22,58 %.

Le débat porte donc sur l'existence en l’espèce d'un intérêt commercial de nature à permettre de justifier la déduction de l'aide ainsi accordée.

La société Compagnie Gervais Danone justifie de l'existence d'un intérêt commercial de nature à permettre la déduction de l'aide ainsi accordée à sa filiale, en faisant valoir, d'une part, l'importance stratégique du maintien de sa présence sur le marché turc des produits laitiers et, d'autre part, la perspective de croissance des produits qu'elle devait recevoir de sa filiale turque au titre des redevances d'exploitation des marques et droits incorporels qu'elle détient.

Pour confirmer la position de l’administration et rejeter cette argumentation, la cour administrative d’appel s’est fondée sur deux motifs, l’un et l’autre voués à la cassation pour erreur de droit.

En premier lieu, est annulé le motif tiré de l'absence d'un intérêt commercial de la société Compagnie Gervais Danone du fait de l’existence d'un intérêt financier de l'actionnaire principal de la société Danone Tikvesli à procéder à son refinancement ce qui empêcherait, selon la cour, que la société Compagnie Gervais Danone supporte intégralement la charge du refinancement de la société Danone Tikvesli.

En second lieu, est également annulé le motif selon lequel les éléments produits par la société Compagnie Gervais Danone ne permettaient pas de tenir pour établies les perspectives alléguées de croissance de ses produits, qui se trouvaient contredites par la circonstance qu'aucune redevance ne lui avait été versée avant 2017 par la société turque en rémunération du droit d'exploiter les marques et droits incorporels qu'elle détient.

Le juge de cassation considère, au rebours, que la circonstance qu'une aide soit motivée par le développement d'une activité qui, à la date de son octroi, n'a permis la réalisation d'aucun chiffre d'affaires ou, comme en l'espèce, le versement d'aucune redevance en rémunération de la concession du droit d'exploiter des actifs incorporels, est néanmoins susceptible de conférer à une telle aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n'apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles.

(29 décembre 2023, Société Compagnie Gervais Danone, n° 455810 ; Société par actions simplifiée Danone et société anonyme Compagnie Gervais Danone, n° 455813)

 

104 - Droit fiscal néo-calédonien – Convention fiscale entre la France et la Nouvelle-Calédonie – Cumul d’impositions excédant le plafond fixé par cette convention – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

La banque requérante a demandé, en vain, aux juges du fond le prononcé de la décharge de la cotisation additionnelle à l'impôt sur les sociétés qui lui a été assignée au titre de l'exercice clos en 2015. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande prononcé en première instance.

La banque soutenait que le cumul, sur l'assiette constituée par les bénéfices de son établissement stable situé en Nouvelle-Calédonie, en sus de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu des valeurs mobilières (IRVM) et de la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés (CAIS) conduisait à une imposition desdits bénéfices excédant le plafond fixé par le paragraphe 8 de l'art. 9 de la convention fiscale conclue entre la France et la Nouvelle-Calédonie. Cette argumentation a été rejetée par la cour administrative d’appel au motif que l'IRVM avait la nature d'un impôt sur les distributions, dû par le bénéficiaire de celles-ci et dont la société distributrice se contente de faire l'avance, et non d'un impôt sur le bénéfice des entreprises, de sorte qu'il n'y avait pas lieu d'en tenir compte pour apprécier le respect de la règle de plafonnement en cause. 

Ce raisonnement est cassé pour erreur de droit car, pour les sociétés concernées dont la requérante, les bénéfices réalisés par l'établissement stable sont réputés distribués alors même qu'ils demeurent dans le patrimoine de la société et l'IRVM que cette dernière supporte à ce titre est assis sur l'intégralité desdits bénéfices. Il s'ensuit que, dans une telle situation, l'IRVM a la nature d'une imposition des bénéfices de l'établissement stable au sens des dispositions du paragraphe 8 de l'art. 9 de la convention fiscale et qu’il entre dans le champ de la règle de plafonnement.

Le jugement est, à son tour, annulé car, comme le soutient la banque requérante, elle ne saurait, en application de la règle de plafonnement précitée, être assujettie à une imposition supplémentaire ayant, comme la CAIS, pour assiette tout ou partie des mêmes bénéfices que ceux assujettis à l’impôt sur les sociétés et à l’IRVM (au taux de 10%).

(29 décembre 2023, Société Casden Banque Populaire, n° 462713)

(105) V. aussi, dans le cadre du droit fiscal néo-calédonien, à propos de la demande, par la société contribuable, de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, de contribution sociale additionnelle, de contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, d'impôt sur le revenu des valeurs mobilières, d'impôt sur le revenu des créances, dépôts et cautionnements, de contribution calédonienne de solidarité et de centimes additionnels auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2015 et 2016, la décision jugeant, pour l’essentiel, que la contribuable est fondée à soutenir que les frais correspondant à des prestations individualisables réalisées par une entreprise ayant son siège social en dehors de la Nouvelle-Calédonie pour le compte d'un établissement stable ou d'une personne morale liée situé sur ce territoire, qui constituent des charges directes de cet établissement ou de cette personne morale, sont déductibles de son bénéfice net imposable en application du I de l'article 21 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie : 29 décembre 2023, Société La Mondiale, n° 462718.

(106) V. également, semblable à la décision précédente, à propos d’un litige de droit fiscal néo-calédonien portant sur une demande de décharge de cotisations supplémentaires des impôts et contributions citées dans la décision ci-dessus : 29 décembre 2023, Société QBE Insurance International Ltd, n° 463523.

(107) V. encore, comme dans la décision ci-dessus : 29 décembre 2023, Société générale calédonienne de banque, n° 471614.

 

Droit public de l'économie

 

108 - Cave viticole coopérative – Soumission de bâtiments à la taxe foncière sur les propriétés bâties – Refus du maintien du bénéfice de l’exonération de cette taxe prévue par le 6° de l’art. 1382 du CGI – Rejet.

À la suite d’une vérification de comptabilité, la société requérante, qui exerce une activité d'assemblage, d'embouteillage, de conditionnement et de commercialisation de vin qu'elle réalise, pour les besoins exclusifs de ses adhérents, a vu remise en cause l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties dont elle bénéficiait en application des dispositions du 6° de l'art. 1382 du CGI. Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté se demande de décharge de cotisations à cette taxe auxquelles elle a été soumise suite à ce contrôle.

Le pourvoi est rejeté pour deux raisons principales.

En premier lieu, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits, que le tribunal administratif a jugé que, compte tenu de la proportion importante de vin acquis par la société requérante auprès de producteurs non adhérents, et quand bien même ces achats auraient été nécessaires pour améliorer la qualité des vins produits par ses adhérents, l'activité de cette société ne pouvait pas être regardée comme constituant le prolongement d'opérations qui s'insèrent dans le cycle biologique de la production animale ou végétale, au sens du a du 6° de l'art. 1382 du CGI, et qu'il en a déduit que les immeubles lui appartenant ne pouvaient être considérés comme affectés à un usage agricole au sens de ces mêmes dispositions : ainsi, ils ne pouvaient bénéficier de l'exonération prévue au b du 6° du même article.

En second lieu, contrairement à ce que soutient la demanderesse, le tribunal administratif n’a pas davantage commis d’erreur de droit ou une dénaturation des faits en ne recherchant pas si ses achats de vin auprès de producteurs non adhérents étaient conjoncturels ou structurels, et avaient rendu nécessaires des investissements supérieurs à ceux qu'exigeait la satisfaction des besoins collectifs de ses adhérents. En effet, ayant constaté que l'activité de la société ne pouvait être regardée comme correspondant à des opérations réalisées habituellement par les agriculteurs eux-mêmes, ce qui est la première des deux conditions cumulatives auxquelles est subordonné le bénéfice de l'exonération prévue par les dispositions du b du 6° de l'article 1382 précité, le tribunal n’avait pas à apprécier la seconde de ces conditions, qui est relative au caractère non industriel de cette activité.

(04 décembre 2023, Société coopérative agricole (SCA) Union des caves coopératives du secteur de Saint-Chinian, n° 461395)

 

109 - Appellation « Camembert de Normandie » pour des fromages ne bénéficiant pas de l’appellation d’origine protégée (AOP) – Injonction de mise en conformité des étiquetages litigieux – Suspension par le juge des référés – Annulation et confirmation partielles.

Cette décision est un nouvel épisode de la « saga du camembert », produit odoriférant qui se caractérise également, on le voit ici, par son sex-appeal contentieux.

Le service de la répression des fraudes a enjoint à la société requérante de mettre en conformité, avec les prescriptions du règlement (UE) n° 1151/2012 du 21 novembre 2012, l'étiquetage des fromages qu'elle commercialise et qui ne bénéficient pas de l'AOP « Camembert de Normandie ».

Le juge des référés a, sur recours de la société, suspendu l’injonction administrative.

Le ministre de l’économie et des finances se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Celui-ci contestait d’abord qu’il y eût urgence à suspendre mais le Conseil d’État, confirmant la solution du premier juge, d’une part, reconnaît la possibilité d’existence d’un préjudice économique difficilement réversible, les effets de l'injonction étant susceptibles d'affecter durablement la structure du marché, compte tenu du risque avéré de perte définitive d'un avantage concurrentiel sur les marchés européens et hors Union européenne, et, d’autre part,  que ce dernier n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant qu'en se bornant à invoquer la possibilité d'un recours en manquement des autorités communautaires, l'administration n'établissait pas l'existence d'une urgence à ce que la mesure d'injonction demeure exécutoire en dépit des conséquences économiques qui en résultent pour la requérante. 

Plus délicate était l’appréciation des moyens critiquant l'existence d'un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée.

D’un ensemble juridique et factuel complexe, il convient de retenir en premier lieu que pour un certain nombre de fromages commercialisés par la société le juge du premier degré n’a pas commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant, s'agissant de ces mentions, eu égard aux caractéristiques formelles des mentions et au graphisme mis en cause, ainsi qu’à leur signification, que les moyens précités étaient de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 24 septembre 2021. 

En deuxième lieu, il est jugé cependant que pour les mentions et graphismes litigieux d’autres fromages, du fait de leur agencement et de leurs modalités concrètes d'apposition, sur la face avant de l'emballage et associant directement la référence à la Normandie, que ce soit par les termes employés ou la reproduction du blason caractéristique de la Normandie, au terme camembert lui-même, notamment à sa fabrication, ces mentions et graphismes sont de nature à conduire le consommateur à avoir directement à l'esprit le fromage bénéficiant de l'appellation d'origine ; sur ce point, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant que tel n'était pas le cas et en regardant les moyens précités comme étant de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision du 24 septembre 2021. Toutefois, au visa du § 2 de l’art. 14 du règlement n°1151/2012 relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires, le Conseil d’État relève qu’ « une marque dont l'utilisation enfreint l'article 13, paragraphe 1, et qui a été déposée, enregistrée, ou acquise par l'usage dans les cas où cela est prévu par la législation concernée, de bonne foi sur le territoire de l'Union, avant la date du dépôt auprès de la Commission de la demande de protection relative à l'appellation d'origine ou à l'indication géographique, peut continuer à être utilisée et renouvelée pour ce produit nonobstant l'enregistrement d'une appellation d'origine ou d'une indication géographique, pour autant qu'aucun motif de nullité ou de déchéance, au titre du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire ou de la directive 2008/95/CE, ne pèse sur la marque. En pareil cas, l'utilisation tant de l'appellation d'origine protégée ou de l'indication géographique protégée que des marques concernées est autorisée ».

En conséquence, le ministre de l'économie et des finances est jugé fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il conteste, sauf en tant qu'elle porte, d'une part, sur les mentions de l'origine du lait figurant sur les étiquettes des produits « Le Fameux Normand », « Gerbe d'Or »  et « Best moments » et, d'autre part, sur l'usage de la dénomination le « Fameux Normand » et de l'écusson évoquant le blason de la Normandie utilisé par la marque « Lanquetot ».

La leçon méritait peut-être bien un fromage mais ce beau fromage justifiait cette belle leçon.

(04 décembre 2023, Société Fromagère d'Orbec, n° 462065)

(110) V. aussi, manifestant à nouveau la vigueur contentieuse du camembert et de ses succédanés (ici les dénominations « Cœur de Lion », « Le Rustique » et « Le Père normand »), concernant des questions communes avec la décision ci-dessus et d’autres plus spécifiques : 04 décembre 2023, Société Compagnie des Fromages et Richesmonts, n° 463386.

 

111 - Droit public de l’agriculture – Schéma directeur régional des exploitations agricoles - Terres agricoles – Autorisation de reprise ou d’extension d’exploitation – Demandes concurrentes – Ordre de priorité – Régime – Annulation.

Le code rural prévoit que les demandes d’autorisation de reprise en exploitation de terres agricoles sont adressées au préfet. Lorsque celui-ci est saisi de demandes concurrentes il suit en principe l’ordre de priorité fixé, au regard des prescriptions du schéma directeur régional, par les art. L. 312-1, III, L. 331-2, I, 1°, L. 331-3, L. 331-3-1 et R. 331-6 du code rural.

Toutefois, il lui est possible de déroger à cet ordre de priorité en délivrant une autorisation concurrente à une demande de rang inférieur de priorité si l'intérêt général ou des circonstances particulières, en rapport avec les objectifs du schéma directeur, le justifient. 

La question ici posée est de savoir si cette faculté de dérogation n’est qu’exceptionnelle ou si elle peut être exercée dès lors qu’elle serait justifiée au regard de l’intérêt général ou de circonstances particulières.

La cour administrative d’appel avait jugé irrégulière l’autorisation préfectorale dérogatoire d’exploiter délivrée en l’espèce parce que, constituant une exception à la règle de priorité, elle ne devait être accordée que de façon limitée. Rejetant cette analyse, le juge de cassation considère que le respect de l’ordre de priorité ou son non respect, lorsqu’il est commandé par l’intérêt général ou les circonstances, se situent au même plan. C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation de l’arrêt d’appel, entaché d’erreur de droit.

(12 décembre 2023, ministre de l’agriculture, n° 462416 ; GAEC de la Ruais, n° 462503)

 

112 - Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) – Situation compromise d’une société d’assurance mutuelle – Suspension temporaire de toute nouvelle souscription – Nomination d’un administrateur provisoire – Irrecevabilité de recours formés par la société seule – Rejet.

La société requérante a demandé l’annulation des décisions par lesquelles l’ACPR a :

- refusé d'approuver le plan de financement à court terme qu'elle lui avait transmis, décidé de « poursuivre » la mesure d'interdiction temporaire de toute nouvelle souscription de contrats et prononcé une mesure conservatoire de restriction temporaire de la libre disposition de ses actifs ; 

- confirmé la mesure de restriction temporaire de libre disposition de ses actifs et lui a enjoint de déposer une demande de transfert de tout ou partie de son portefeuille de contrats d'assurance dans un délai de quatre mois ;

- décidé de porter à la connaissance du public que l'interdiction de souscription par la société AMIG de tout contrat d'assurance à compter du 13 juillet 2022 « se poursuit » et que les contrats en cours ne pourraient pas être renouvelés au 1er janvier 2023, sauf à ce que la société justifie d'ici le 31 décembre 2022 qu'elle a rétabli sa situation et qu'elle respecte les exigences réglementaires.

Ces différents recours sont rejetés car l’ACPR a nommé un administrateur provisoire auprès de la société requérante le 11 janvier 2023 et non seulement ni une requête déposée après cette date, ni des mémoires complémentaires annoncés dans les deux autres requêtes, qui n’ont pas été produits ne sont – et pour cause pour ces deux derniers – revêtus de la signature de cet administrateur provisoire mais encore celui-ci a expressément refusé de les régulariser.

Comme  il résulte des dispositions de l’art. L. 612-34 du code monétaire et financier que l'administrateur provisoire désigné par l'ACPR est seul investi des pouvoirs d'administration, de direction et de représentation de la personne auprès de laquelle il est placé, seul ce mandataire est habilité à représenter les intérêts de cette dernière devant la juridiction administrative, et notamment à se pourvoir en justice comme à poursuivre ou interrompre l'action préalablement engagée par les dirigeants de la société. D’où il suit que la requête présentée par la société requérante après la désignation de cet administrateur est irrecevable et que cette dernière doit être réputée s’être désistée des deux autres requêtes en raison de l’absence de production des mémoires annoncés pour chacune d’elles.

Cette solution, innovante car nouvelle sur une question inédite, doit être approuvée en raison de son caractère parfaitement logique.

(12 décembre 2023, Société Assurance mutuelle d'Illkirch-Graffenstaden (AMIG), nos 469238, 469762, 471357)

 

113 - Boulangeries – Obligation d’un jour de fermeture hebdomadaire par arrêté préfectoral – Libre jeu de la concurrence – Refus d’apercevoir une distorsion de concurrence – Erreur de droit – Annulation partielle.

Sur le fondement des dispositions de l’art. L. 3132-29 du code du travail, un arrêté du préfet de Seine-et-Marne a, en premier lieu, imposé la fermeture au public, un jour par semaine au choix des intéressés, des établissements, parties d'établissements, magasins, fabricants artisanaux ou industriels, dépôts ou locaux de quelque nature qu'ils soient, couverts ou découverts, sédentaires et/ou ambulants, employant ou non des salariés, dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente au détail ou la distribution de produits panifiés, emballés ou non.

Cet arrêté a également prévu, en second lieu, que les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche devront fermer leur rayon pâtisserie, le même jour que celui choisi pour leur rayon pain.

Le tribunal administratif, confirmé par la cour administrative d’appel, ayant rejeté la demande d’annulation de cet arrêté formée par la fédération requérante, celle-ci se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi car la  cour a, à bon droit, jugé que l’obligation d’un jour hebdomadaire de fermeture permettait d’assurer l'égalité entre les établissements d'une même profession, quelle que soit leur taille, au regard du repos hebdomadaire et ainsi à préserver les conditions du libre jeu de la concurrence entre ces établissements, qu'ils emploient ou non des salariés.

En revanche, il estime que la cour a commis une erreur de droit en rejetant le moyen tiré de l’illégalité de l’arrêté litigieux en ce qu’il impose aux seules boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche de fermer leur rayon pâtisserie le même jour que celui choisi pour leur rayon pain, cependant que les autres établissements qui commercialisent de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, ne sont pas contraints de fermer leur rayon pâtisserie un jour par semaine. En effet, il est erroné de juger que l'arrêté litigieux n'engendrait pas de distorsion de concurrence entre les boulangeries vendant de la pâtisserie fraîche, d'une part, et les autres établissements commercialisant de la pâtisserie fraîche, à titre principal ou à titre accessoire, d'autre part, alors que la requérante faisait valoir, sans être utilement contredite, que ces établissements commercialisent les mêmes articles et se trouvent placés en concurrence directe sur un même marché.

(15 février 2023, Fédération des entreprises de boulangerie, n° 468710)

 

114 - Institution par une société d’aéroport d’une redevance pour bagage – Demande à l’Autorité de régulation des transports (ART) de constater les manquements commis en cette circonstance – Obligation pour l’ART de rechercher, et de constater, un éventuel manquement portant sur un tarif de redevance aéroportuaire – Annulation avec injonction de décider sous deux mois.

Le syndicat requérant avait demandé à l’ART de rechercher des manquements qu'aurait commis la société Aéroport de Toulouse-Blagnac lorsqu'elle a institué une redevance pour bagage. L’ART avait estimé que l'exigence d'impartialité comme les principes de sécurité juridique et de confiance légitime s'opposaient à ce qu'elle puisse procéder à la recherche et à la constatation d'un manquement portant sur un tarif de redevance aéroportuaire qu'elle avait précédemment homologué. Le Conseil d’État rejette le moyen, estimant que ni le principe d’impartialité ni ceux de sécurité juridique et de confiance légitime ne sauraient par eux-mêmes faire obstacle à ce que le collège de l'ART puisse décider, en application des dispositions de l'art. L. 1264-1 du code des transports, de procéder à la recherche et à la constatation de manquements liés à un tarif qu'il a homologué en application de l'art. L. 6327-2 du même code.

Injonction est faite à l’ART de procéder au réexamen de la demande du syndicat requérant dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

(21 décembre 2023, Syndicat des compagnies aériennes autonomes, n° 475334)

 

115 - Demande d’extension d’un accord interprofessionnel – Refus – Liberté d’action laissée aux autorités nationales par la jurisprudence de la CJUE – Motivation régulière du refus d’extension – Rejet.

La requérante demandait l’annulation du refus du ministre de l’agriculture  d'étendre l'accord interprofessionnel « Pêche-nectarine-calibrage » relatif aux campagnes 2021-2023 conclu dans le cadre d'Interfel.

Cet accord prévoyait que les pêches et nectarines produites en France et destinées à être commercialisées sur le marché français et à l'exportation seraient soumises à un calibrage minimum de 56 millimètres ou de 85 grammes à toutes les étapes de la commercialisation et durant toute la campagne de commercialisation. Or,  les dispositions de la partie 5 (relative à la « Norme de commercialisation applicable aux pêches et aux nectarines ») du B de l'annexe I du règlement d'exécution (UE) n° 543/2011 de la Commission du 7 juin 2011 prévoient que « Le calibre minimal est de : (…)

 - 56 mm ou 85 g pour la catégorie " Extra ",

- 51 mm ou 65 g pour les catégories I et II ", »

 et que « toutefois, les fruits de moins de 56 mm ou 85 g ne sont pas commercialisés pendant la période allant du 1er juillet au 31 octobre (hémisphère Nord) et du 1er janvier au 30 avril (hémisphère Sud) ».

Ainsi les stipulations de l’accord interprofessionnel vont au-delà des dispositions du règlement précité.

L’association requérante justifie la restricion supplémentaire qu’il comporte par le souci de garantir la qualité des fruits vendus aux consommateurs.

Toutefois, les dispositions de l'article 164, paragraphe 4, du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007, n'autorisent explicitement l'extension d'accords fixant des règles plus strictes que les dispositions édictées par les réglementations de l'Union que dans le domaine des « règles de production » mentionnées au b) de ce paragraphe 4, ce que ne sont pas les normes de calibrage ici en cause.

C’est pourquoi, saisi par cette organisation professionnelle, le Conseil d’État (décisions du 22 juillet 2022, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426 ; v. aussi, les renvois préjudiciels du même jour, n° 450429 concernant le « Concombre de type long ou hollandais », n° 451793 relatif à la « Pomme-calibre au poids » ou encore n° 451895 portant sur le « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation - maturité » ; V. cette Chronique juillet-août 2022, n° 124),  a estimé que « la réponse au moyen tiré de ce que le ministre ne pouvait légalement refuser d'étendre l'accord litigieux, dès lors que l'association aurait démontré l'impact qualitatif bénéfique des mesures de calibrage dont l'extension est demandée, dépend de la réponse à la question de savoir si l'article 164 du règlement (UE) n° 1308/2013 doit être interprété en ce sens qu'il autorise l'extension d'accords interprofessionnels prévoyant des règles plus strictes que celles édictées par la réglementation de l'Union non seulement dans le domaine des " règles de production " mentionnées au b) de cet article, mais aussi dans l'ensemble des domaines, mentionnés au a) et aux c) à n), pour lesquels il prévoit que l'extension d'un accord interprofessionnel peut être demandée, et notamment si cet article autorise, alors que la réglementation de l'Union prévoit des règles de commercialisation pour une catégorie donnée de fruits ou de légumes, l'adoption de règles plus contraignantes, sous forme d'un accord interprofessionnel, et leur extension à l'ensemble des opérateurs. ». Il a, en conséquence, sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur cette question préjudicielle.

De la réponse donnée par cette Cour (29 juin 2023, aff. C-501/22 à C-504/22), le Conseil d’État déduit :

- d’une part,  que si l’extension sollicitée par la requérante est jugée possible au regard du droit de l’Union, elle ne constitue pas une obligation pour les États-membres mais une simple faculté,

- d’autre part, que cette extension est exclue en particulier : 1° lorsque les règles dont l'extension est demandée portent préjudice aux opérateurs auxquels elles seraient étendues, 2° lorsqu'elles ont les effets énumérés à l'article 210, paragraphe 4, du même règlement (distorsions de concurrence non indispensables pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune poursuivis par l'activité de l'organisation interprofessionnelle ou création de discriminations ou élimination de la concurrence pour une partie substantielle des produits concernés), 3°  lorsqu’elles sont contraires à la législation de l'Union ou à la réglementation européenne en vigueur.

Ensuite, des dispositions du droit national (art. L. 632-3 code rural), il s’évince qu'il appartient aux autorités nationales compétentes d'apprécier, sous l'entier contrôle du juge, si l'extension de l'accord présente un intérêt commun conforme à l'intérêt général. Ce point est sans doute l’aspect le plus important de cette décision.

Examinant le cas de l’espèce, le juge rejette le recours en tous ses moyens dont les trois principaux.

En premier lieu, ne saurait être invoqué le principe de sécurité juridique dès lors que l’extension prononcée lors de périodes précédentes ne l’a toujoutrs été que pour des périodes déterminées, excluant toute pérennisation ou automaticité de l’extension ; ne saurait non plus être invoqué le principe de confiance légitime, le ministre ayant déjà fait part de ses doutes sur la justification de cette extension, n'ayant pris aucun engagement ni donné aucune assurance à l'association Interfel requérante permettant à celle-ci, opérateur avisé du secteur, de nourrir des espérances fondées. 

En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu, en prenant la décision de rejet querellée le ministre de l’agriculture est resté dans la limite de ses compétences s’agissant d’apprécier si l’extension sollicitée était justifiée par les améliorations invoquées de la qualité des produits ou du fonctionnement du marché.

En troisième lieu, c'est sans erreur d'appréciation que le ministre a estimé que l'association requérante n'apportait pas les éléments permettant d'établir que cette restriction, susceptible d'empêcher la commercialisation d'une partie de leur production par certains producteurs, était justifiée par l'amélioration du fonctionnement du marché ou de la satisfaction des consommateurs.

(22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450426)

(116) V. aussi, même solution à propos du « Concombre de type long ou hollandais » : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 450429.

(117) V. encore s’agissant de la variété « Pomme – calibre au poids », la décision identique aux précédentes : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451793.

(118) V. également, pour la variété « Kiwi Hayward - date de récolte et de commercialisation -maturité », la décision elle aussi identique aux précédentes : 22 décembre 2023, Association interprofessionnelle des fruits et légumes frais (Interfel), n° 451895.

(119) V., voisine, la décision rejetant la demande d’annulation de l'arrêté du 7 juin 2022 du ministre de l'agriculture relatif à l'extension de l'accord interprofessionnel du 14 février 2022 conclu dans le cadre de l'association INTERAPI - Interprofession des produits de la ruche établissant une cotisation interprofessionnelle. Sont en particulier rejetés les griefs dirigés contre les conditions fixées pour la présentation et l'instruction de la demande d'extension des accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue, contre l'absence d'extension des stipulations de l'accord relatives aux cotisations volontaires demandées aux conditionneurs et contre les cotisations volontaires obligatoires (sic) auxquelles sont assujettis les distributeurs : 22 décembre 2023, Union Nationale de l'Apiculture Française (UNAF), n° 466469.

 

120 - Droit public vitivinicole – Aide pour restructuration de vignobles – Différence entre surface déclarée lors de la demande d’aide et surface effectivement soumise à restructuration – Mode de détermination de cette différence – Parcelle cadastrale et parcelle culturale - Erreur de droit – Annulation.

Le demandeur a obtenu de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) une aide versée au titre de la restructuration de son vignoble pour la campagne 2015/2016, pour une surface déclarée de 3,40 hectares. A la suite d'un contrôle, FranceAgriMer a rejeté partiellement cette demande d'aide après avoir constaté un taux de sous-réalisation de l'opération subventionnée de 27,94 %.

Le demandeur se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif du jugement qui avait annulé le rejet partiel de sa demande d’aide.

Tout le litige tournait autour de la méthodologie de décompte des superficies concernées par la demande d’aide. L’administration, comme le juge d’appel et à la différence des premiers juges, apprécient celle-ci par parcelle cadastrale alors que le demandeur soutient que, la demande concernant une parcelle culturale, la réalisation de la restructuration financée par cette aide devait elle aussi être appréciée dans le cadre de cette parcelle prise globalement.

Approuvant cette analyse, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de droit dès lors qu’il ne résulte pas des dispositions du droit de l'Union européenne (cf. notamment le § 1 de l'article 46 et le § 3 de l’art. 3 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, l’art. 67 du règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune, l’art. 14 du règlement d'exécution (UE) n° 809/2014 de la Commission du 17 juillet 2014 établissant les modalités d'application du règlement (UE) n° 1306/2013 en ce qui concerne le système intégré de gestion et de contrôle, les mesures en faveur du développement rural et la conditionnalité) que la demande d'aide, et la conformité à cette demande des plantations réalisées, doivent s'apprécier à l'échelle de la parcelle cadastrale. Pas davantage une telle exigence ne résulte des dispositions de la décision du 20 juillet 2015 par laquelle le directeur général de FranceAgriMer, comme le prévoient les dispositions du décret du 25 février 2013 relatif au programme d'aide national au secteur vitivinicole pour les exercices financiers 2014 à 2018, a précisé les conditions d'éligibilité aux aides, l'article 6 de cette décision disposant au contraire que la demande d'aide porte sur une parcelle culturale, consistant en une parcelle en vigne plantée ou à planter d'un seul tenant avec la même variété et les mêmes écartements entre rangs et entre pieds, et la mention des parcelles cadastrales par la demande d'aide n'étant imposée par l'article 12 de cette décision qu'en vue de permettre la localisation de la parcelle culturale objet de cette demande. 

Pour nouvelle que puisse sembler cette solution, en ce qu’elle procède à la distinction entre parcelle cadastrale et parcelle culturale, elle est très logique et pouvait être prévue.

(22 décembre 2023, M. A., n° 459632)

 

121 - Autorisation d’exploitation commerciale - Extension de la surface de vente d’un commerce au détail – Application de la loi nouvelle dans le temps – Erreur de droit – Annulation.

Saisi d’un litige inédit, le Conseil d’État estime que si les dispositions du 2° du I de l’art. L. 752-1 du code de commerce, dans la version que lui a donnée la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, soumettent à une autorisation d’exploitation commerciale l'extension de la surface de vente d'un magasin de commerce de détail dès qu'elle concerne un magasin existant de plus de 1 000 m2 ou qu'elle porte la surface de ce magasin à plus de 1000 m2, cependant l'extension d'un ensemble commercial, y compris lorsque l'extension ne concerne qu'un seul de ses magasins, n'était, sous l'empire des dispositions du 5° du I du même article dans sa rédaction issue de la loi du 4 août 2008, applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009, soumise à autorisation d'exploitation commerciale que si l'extension, en elle-même, dépassait 1 000 m2. 

Tel n’était pas le cas en l’espèce où l'extension avait été réalisée en octobre 2008 ; la cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que l’extension litigieuse aurait dû faire l'objet d'une autorisation préalable.

(29 décembre 2023, Société Deta Distribution, n° 471159)

 

Droit social - Action sociale – Sécurité sociale

 

122 - Hébergement d’urgence – Volonté de poursuivre une activité associative – Refus - d’hébergements proposés – Demande de réquisition municipale de locaux – Absence de carence – Rejet.

La demanderesse ne saurait invoquer, au soutien d’un référé liberté formé à l’appui d’une demande d’hébergement d’urgence, la carence de l’État ou celle du maire, ce dernier au titre de ses pouvoirs de police municipale, à lui fournir un hébergement, alors qu’elle a refusé à quatre reprises des solutions d'hébergement d'urgence permettant un accompagnement social à Dax, dans un CHRS, puis à Mont-de Marsan en faisant valoir qu'elles n'étaient pas compatibles avec l'activité associative bénévole qui est la sienne à Mimizan plage, compte-tenu de l'éloignement de ces deux communes et de son état de santé. 

(19 décembre 2023, Mme A., n° 489599)

 

123 - Cumul emploi-retraite – Réglementation propre aux avocats et à certains régimes spéciaux – Interdiction de constitution de nouveaux droits à pension – Rejet.

Le requérant recherchait l’annulation de la décision implicite par laquelle la première ministre a rejeté sa demande d'abrogation de l'art. R. 723-45-2 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret du 7 janvier 2010 relatif au cumul emploi-retraite dans le régime des avocats et dans certains régimes spéciaux.

Pour rejeter ce recours, le juge retient d’abord qu’il résulte des dispositions combinées des art. L. 161-22, L. 161-22-1 et L. 653-7 du code de la sécurité sociale qu'un avocat ne peut cumuler sa pension de vieillesse avec une activité professionnelle qu'à la condition d'avoir liquidé ses pensions de vieillesse personnelles auprès de la totalité des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, le législateur ayant entendu exclure que la reprise d'activité par un avocat puisse lui permettre d'acquérir de nouveaux droits en matière de retraite.

L'art. R. 723-45-2 du code de la sécurité sociale, objet de la critique, n'a fait que tirer les conséquences des dispositions législatives précitées, par suite leur légalité ne saurait être discutée au motif qu'il méconnaîtrait les art. 16 et 17 de la déclaration de 1789, le principe d'égalité ou les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention EDH. 

Le juge retient ensuite que si, comme le soutient le demandeur, l'art. 26 de loi du 14 avril 2023 a introduit, par les dispositions codifiées au 2° de l'art. L. 161-22-1 du code précité, une exception à la règle générale selon laquelle la reprise ou la poursuite d'une activité professionnelle par le bénéficiaire d'une pension de vieillesse personnelle servie par un régime de retraite de base légalement obligatoire n'ouvre droit à aucun avantage de vieillesse auprès d'un régime légal ou rendu légalement obligatoire d'assurance vieillesse, en autorisant la liquidation d'une seconde pension de vieillesse lorsque l'assuré satisfait aux conditions énumérées à cet article, le requérant n'est néanmoins pas fondé à soutenir que le refus d'abroger qui lui a été opposé serait contraire à ces dispositions législatives, dès lors que le décret du 10 août 2023 a complété l'art. R. 653-11 en précisant qu'il n'est pas applicable à l'assuré ayant liquidé une seconde pension de vieillesse en application de ces mêmes dispositions législatives.

(06 décembre 2023, M. C., n° 466858)

 

124 - Pension d’ayant-droit de victimes décédées d’accidents du travail ou de maladies professionnelles – Exception d’illégalité du décret fixant un âge limite unique pour le droit à pension – Rejet.

Le Conseil d’État était saisi par renvoi préjudiciel d’un tribunal judiciaire sur le point de savoir si, comme le soutenait la demanderesse, l’art. R. 434-15 du code de la sécurité sociale était ou non illégal au regard des dispositions de l’art. L. 434-10 de ce code.

Selon le premier alinéa de l’art. L. 434-10 : « Les enfants dont la filiation, y compris adoptive, est légalement établie ont droit à une rente jusqu'à un âge limite. Cette limite d'âge peut être relevée pour les enfants qui sont placés en apprentissage, qui poursuivent leurs études, qui sont à la recherche d'une première activité professionnelle et inscrits comme demandeurs d'emploi à l'institution mentionnée à l'article L. 311-7 du code du travail, ou qui, par suite d'infirmités ou de maladies chroniques, sont dans l'impossibilité permanente de se livrer à un travail salarié ».

Le premier alinéa de l’art. R. 434-15 du même code dispose : « La limite d'âge prévue au premier alinéa de l'article L. 434-10 est fixée à 20 ans ».

La requérante soutenait que ces dernières dispositions étaient entachées d'illégalité car elles méconnaîtraient le premier aliéna de l'art. L. 434-10 précité, dans l'hypothèse où elles seraient regardées comme fixant la limite d'âge au-delà de laquelle cette rente n'est plus versée sans prévoir un relèvement de celle-ci dans les hypothèses prévues par ces dispositions législatives. 

Le Conseil d’État rejette cette argumentation en faisant observer que cet article n’institue qu’une faculté, non une obligation, pour le pouvoir réglementaire, d’où la formulation retenue par cet article : « Cette limite d’âge peut être relevée… » ; l’exception d’illégalité n’est donc pas fondée.

(28 décembre 2023, Mme B., n° 475854)

 

125 - Salarié protégé – Revendication de la qualité de lanceur d’alerte – Refus – Licenciement Absence de bonne foi - – Rejet.

Un salarié protégé, licencié en raison de dénonciations calomnieuses à l’endroit de son supérieur hiérarchique direct et de plusieurs autres personnes au sein de SNCF Mobilités, a tenté de se revendiquer comme lanceur d’alerte afin de bénéficier de la protection applicable à cette catégorie de personnes.

Le Conseil d’État approuve le tribunal administratif d’avoir jugé qu’il ne pouvait se réclamer de cette qualification en raison d’accusations d’une particulière gravité qu’il a proférées dans plusieurs courriers électroniques, formulées en des termes généraux et outranciers, sans avoir jamais été en mesure de les préciser d'aucune manière, pas davantage il n’a étayé le moindre élément factuel à l’appui de ses affirmations dans le cadre d'une campagne de dénigrement dirigée contre son ancien supérieur hiérarchique direct, le mettant en cause de façon répétée pour des pratiques illégales, il n’a pas, non plus, donné suite à la demande de précision de la direction de l'éthique de la SNCF qu'il avait saisie en 2013, en des termes allusifs, d'accusations de fraude.

En l’absence de bonne foi, il ne saurait prétendre à la qualité et au statut de lanceur d’alerte.

(08 décembre 2023, M. A, n° 435266)

 

126 - Salarié protégé – Licenciement – Sélection parmi les fautes commises de celles fondant le licenciement – Conséquence – Respect du contradictoire dans la procédure administrative d’autorisation du licenciement – Annulation.

Le litige ayant donné lieu à cette décision est intéressant par les deux précisions qu’il apporte en matière de procédure administrative d’autorisation  du licenciement des salariés de droit privé.

En premier lieu, cette décision aborde la question, assez inédite, de la sélection par l’employeur, en cas de pluralité de fautes reprochées au salarié, de l’une ou plusieurs d’entre elles pour motiver la décision de licenciement.

Le Conseil d’État fait sienne la jurisprudence de la Cour de cassation relative à l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Celle-ci décide, lorsque l'employeur qui a connaissance, dans une même période de temps, de divers faits commis par un salarié, non atteints par la prescription résultant de l'art. L. 1332-4 du code du travail et considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner qu'une partie d’entre eux, il ne peut plus légalement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire en vue de sanctionner les autres faits dont il avait connaissance à la date de l'infliction de la première sanction.

Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’a jugé ici la juridiction d’appel, l'administration, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé pour un motif disciplinaire, ne peut légalement autoriser ce licenciement lorsqu’il se fonde sur des agissements fautifs du salarié qui étaient déjà connus de l'employeur à la date à laquelle il a prononcé une précédente sanction disciplinaire. 

En second lieu, et c’est là l’application d’une règle constante de la procédure administrative non contentieuse destinée à sauvegarder le principe du contradictoire, l’administration qui a imparti à l’administré un certain délai pour qu’il formule une réponse ou autre, ne peut pas décider avant l’expiration de ce délai même si l’intéressé a donné sa réponse ou autre avant la date d’expiration. Ici, il avait été donné dix jours au salarié, à compter du 11 avril, pour présenter ses observations ; celui-ci les a adressées le 12 avril : la ministre ne pouvait, le 19 avril, donc avant l’expiration du délai fixé au 21 avril, prendre sa décision.

(08 décembre 2023, M. A., n° 466620)

 

127 - Aide personnalisée au logement (APL) – Condition de ressources – Notion d’activité professionnelle rémunérée – Condition non remplie – Annulation.

Pour apprécier l’éligibilité d’une demande d’APL les textes prévoient la prise en compte de l’activité professionnelle rémunérée du demandeur.

En l’espèce, pour réduire le montant de l’aide qu’elle lui avait accordée, une caisse d’allocations familiales a retenu que l’intéressée avait occupé un emploi salarié de garde d’enfant à domicile.

Le tribunal administratif, saisi par cette dernière, est jugé avoir commis une erreur de droit en voyant dans cet emploi « une activité professionnelle rémunérée » alors qu’il n’a été exercé que quelques mois et pour un revenu faible, de 200 euros par mois.

(13 décembre 2023, Mme A., n° 468456)

 

128 - Institution d’une zone touristique internationale « Paris La Défense » - Conditions légales de création – Satisfaction – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté interministériel créant dans le secteur « Paris La Défense » une zone touristique internationale en se fondant sur les dispositions de l’art. L. 3132-24 du code du travail.

Celles-ci exigent la réunion de plusieurs conditions pour une telle création. En conséquence de cette qualification juridique, les établissements de vente au détail mettant à disposition des biens et des services peuvent donner le repos hebdomadaire par roulement à tout ou partie du personnel dans les conditions prévues aux art. L. 3132-25-3 et L. 3132-25-4 du code précité.

Pour rejeter le pourvoi dirigé contre l’arrêt infirmatif de la cour administrative d’appel, le juge retient principalement deux motifs.

En premier lieu, ce quartier répond bien au critère du code du travail (art. R. 3132-21-1, II, 1°) d' « avoir un rayonnement international en raison d'une offre de renommée internationale en matière commerciale ou culturelle ou patrimoniale ou de loisirs », ainsi qu'à celui, posé au 3°, de « connaître une affluence exceptionnelle de touristes résidant hors de France », la cour ayant relevé la présence annuelle de 2,4 millions de « touristes d’affaires ».

En second lieu, est également satisfait en l’espèce, le critère exposé au 4° de ce II de l’art. R. 3132-21-1 du code du travail, selon lequel le quartier ainsi classé doit « bénéficier d'un flux important d'achats effectués par des touristes résidant hors de France, évalué par le montant des achats ou leur part dans le chiffre d'affaires total de la zone », la cour ayant indiqué que le volume des achats réalisés au sein du centre commercial pouvait être évalué à 31,4 millions d'euros pour ceux effectués par la clientèle étrangère résidant hors de l'Union européenne et à 62,8 millions d'euros pour l'ensemble de la clientèle étrangère résidant hors de France.

(15 décembre 2023, Syndicats Fédération des syndicats CFTC Commerce Services et Force de vente (CFTC-CSFV) et Union départementale CFTC des Hauts-de-Seine, n° 467650)

 

129 - Aides sociales – Récupération d’indus – Imputation des prélèvements portant sur des échéances à venir mais se rapportant à des droits ouverts antérieurement – Rejet.

Confirmant le jugement qui lui est déféré, le Conseil d’État juge, ce qui n’allait pas de soi, qu’un conseil départemental, après suspension du versement d’indus à des bénéficiaires, a pu décider la récupération de plusieurs indus de prestations sociales au moyen de retenues sur des échéances à venir de prime d'activité et de revenu de solidarité active, alors même que ces échéances se rapporteraient à des droits ouverts au titre d'une période antérieure à la décision de récupération des indus. C’est ce dernier point qui pouvait faire difficulté car il semblait procéder d’une rétroactivité de la décision de récupération. Ce n’est pas le cas selon la Haute Juridiction.

(15 décembre 2023, Mme B. et M. C., n° 468253)

 

130 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Exigences s’imposant à l’employeur pour prévenir les conséquences de ce plan sur la santé et la sécurité des salariés – Étendue de la liberté contractuelle des signataires de l’accord collectif majoritaire – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a validé l'accord collectif majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Assistance Aéronautique et Aérospatiale et de la décision par laquelle le même directeur régional a validé l'avenant à l'accord collectif majoritaire relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Assistance Aéronautique et Aérospatiale. 

Si le tribunal administratif a annulé ces deux décisions, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté les demandes. Les requérants se pourvoient, en vain, en cassation.

De cette longue décision, comme toujours s’agissant des recours dirigés contre les validations de PSE où sont en jeu de multiples intérêts et de nombreuses exigences légales ou réglementaires, on retiendra surtout l’affirmation par le Conseil d’État que « s'il incombe à l'employeur de prendre des mesures pour prévenir les conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé ou la sécurité des travailleurs, en application des dispositions de (l'art. L. 4121-1 c. trav.), et de les mettre en œuvre, conformément aux dispositions de (l'art. L. 4121-2 dudit code), il est loisible aux signataires d'un accord collectif majoritaire fixant le plan de sauvegarde de l'emploi de cette entreprise, eu égard à la liberté contractuelle qui découle des sixième et huitième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958, d'adopter de telles mesures. »

De là le juge déduit qu’il incombe à l’administration d’opérer un certain nombre de contrôles quant au respect par l’employeur de ses obligations au travers des mesures prises, « lesquelles peuvent également figurer, en tout ou partie, dans l'accord collectif, ce contrôle n'étant pas séparable du contrôle auquel elle est tenue en application des articles (L. 1233-61, L. 1233-24-1, L. 1233-24-4) du même code ». 

(Concernant l’étendue du contrôle que, selon le juge, doit exercer l’administration du travail, on pourra lire cette Chronique, mars 2023 n° 100, sur 21 mars 2023, ministre du travail, n° 450012).

(19 décembre 2023, Fédération générale des mines et de la métallurgie et autres, n° 458434)

(131) V. aussi, jugeant que commet une erreur de droit la cour administrative d’appel qui, relevant que la décision attaquée se fonde sur l'ensemble des éléments nécessaires, en particulier ceux relatifs aux mesures prises pour l'équipe de transition, juge cependant qu'aucun avenant à l'accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l'emploi n'a été signé pour intégrer les éléments produits par l'employeur après la signature de l'accord, qu'aucune demande d'homologation de ces éléments n'a été présentée, et que l'autorité administrative s'est bornée à valider l'accord collectif majoritaire sans procéder à l'homologation des éléments élaborés par l'employeur, de sorte que sa décision est entachée d'illégalité. Alors qu’il n’incombait à l’administration du travail, saisie d'une demande de validation d'un accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, de vérifier les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'art. L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d'application de l'opération projetée et que ces mesures figurent dans l'accord collectif portant plan de sauvegarde de l'emploi, le cas échéant, précisé et complété, par avenant, ou par tout autre document, ou dans des documents produits par l'employeur, dès lors que seul l'employeur a la responsabilité d'assurer la sécurité et de protéger la santé des travailleurs : 19 décembre 2023, ministre du travail, n° 464864 ; Société Blizzard Entertainment et M. A., n°464923.

(132) V. également, revenant sur une jurisprudence pourtant récente (13 juillet 2016, Société PIM Industries et autres, n° 387448 et 489), et jugeant désormais que le contrôle exercé par le juge administratif, saisi d’un recours contre une décision d’homologation du document unilatéral portant PSE fondé sur le moyen que l’administration aurait inexactement apprécié le respect des conditions s’imposant à l’homologation (comme, par exemple, s’agissant de la procédure d’information et de consultation du comité social et économique) et critiquant la méthode d’évaluation suivie par l’administration, ne s’effectuerait plus au vu de la seule motivation de la décision administrativre mais de l’ensemble des pièces du dossier. À cet égard, il incombe donc au juge de rechercher si l’administration a vérifié la réalité du respect des conditions prévues et si elle a pu, au vu de cette constatation, estimer qu’elles étaient satisfaites, sans qu’il soit tenu compte d’erreurs pouvant affecter, dans le détail, la motivation de la décision de l’administration au cours d’une étape simplement intermédiaire de son analyse : 19 décembre 2023, ministre du travail, n° 465656 ; Société Sealants Europe, n° 465817.

(133) V. encore, jugeant qu’il n’appartient pas à l'autorité administrative statuant sur une demande d'homologation d'un document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de vérifier la bonne application des dispositions de l’art. L. 1224-1 du code du travail selon lequel « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel écarte comme inopérant le moyen tiré de l'illégalité de la décision contestée en raison de l'absence de contrôle par l'administration du respect des dispositions de l'art. L. 1224-1 du code du travail : 19 décembre 2023, M. F. et autres, n° 467283.

(134) V., jugeant notamment : 1°/ que l'existence d'une unité économique et sociale à laquelle appartiennent les sociétés PSI et l'Équipe, requérantes, ne faisait pas obstacle, en l'espèce, à ce que des projets de réorganisation de chacune des sociétés, motivés, pour le premier, par une cessation anticipée d'activité, pour le second, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise, soient conduits de façon concomitante et donnent lieu à l'établissement de documents unilatéraux portant plan de sauvegarde de l'emploi distincts, propres à chaque société ; 2°/ qu’aucune disposition législative ou règlementaire ne faisait obstacle à ce que l'employeur retire, après échange avec l'administration, sa première demande d'homologation du document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi de la société L'Équipe, aucune décision d'homologation expresse ou implicite n'étant alors intervenue dans les conditions fixées par l'art. L. 1233-57-4 du code du travail : 29 décembre 2023, Société L'Equipe et société Presse Sport Investissement, n° 463794 ; ministre du travail, n° 463814, jonction.

 

135 - Licenciement d’un salarié protégé – Obligation de respecter le délai de réflexion de sept jours calendaires prévu par les dispositions d’un plan de sauvegarde de l'emploi – Juridiction ne se fondant que sur un premier courrier – Erreur de droit – Annulation.

Une cour administrative d’appel avait jugé que l'inspectrice du travail ne pouvait légalement autoriser le licenciement d’un salarié motif pris de ce que la date à laquelle le courrier de son employeur, daté du 31 mai 2018, lui proposant des postes de reclassement et lui indiquant qu'il devait manifester son intérêt pour ces propositions de reclassement avant le 6 juin 2018 à 17 heures, faute de quoi il serait réputé les avoir refusés, ne pouvait être déterminée, l’intéressé alléguant même l'avoir reçu seulement le 7 juin 2017. La cour a estimé il n'était pas établi qu'il avait bénéficié du délai de réflexion de sept jours calendaires prévu par les dispositions du plan de sauvegarde de l'emploi de la société requérante, homologué le 30 mai 2018, pour se prononcer sur les offres de reclassement qui lui avaient été adressées par un courrier du 31 mai 2018.

Le Conseil d’État est à la cassation car la convocation à l'entretien préalable qui a été remise en mains propres au salarié le 5 juin 2018 mentionnait également qu'il disposait « d'un délai de réflexion de 7 jours » à ce titre. Par suite la cour a commis une erreur de droit en se fondant sur le seul premier courrier du 31 mai 2018 pour apprécier si le salarié avait disposé de la garantie de délai de réflexion prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi pour répondre aux offres de reclassement qui lui avaient été faites.

(28 décembre 2023, Société Ardennaise Industrielle, n° 467385)

(136) V. aussi, dix autres décisions identiques et du même jour : 28 décembre 2023, Société Ardennaise Industrielle, n° 467386 ; n° 467387 ; n° 467388 ; n° 467389 ; n° 467390 ; n° 467392 ; n° 467393 ; n° 467394 ; n° 467395 ; n° 467397.   

 

137 - Revenu de solidarité active (RSA) – Fausse déclaration ou omission délibérée de déclaration – Amende administrative – Erreur de droit – Annulation.

Le président d’un conseil départemental, après constatation de la perception par l’intéressé d’un indu de RSA et l’avoir informé préalablement, par un courrier du 22 septembre 2020, qu’il envisageait de prononcer à son encontre une amende administrative, lui a infligé le 11 décembre 2020 une amende administrative d'un montant de 500 euros.

Le requérant s’est pourvu en cassation du jugement qui n’a que partiellement fait droit à sa demande d’être déchargé de cette amende.

Il est jugé par le Conseil d’État qu’il découle des dispositions de l’art. L. 262-52 du code l’action sociale et des familles et de celles de l’art. L. 144-17, 6ème alinéa, du code de la sécurité sociale que le président du conseil départemental ne peut sanctionner, par l'amende administrative qu'elles prévoient, que des fausses déclarations ou des omissions délibérées de déclaration ayant abouti à un versement indu du revenu de solidarité active qui s'est poursuivi moins de deux ans avant la date à laquelle il prononce cette amende. Le tribunal administratif a donc commis une erreur de droit en se fondant sur la date du courrier par lequel le président du conseil départemental a informé M. A. de son intention de lui infliger une amende administrative (soit le 22 septembre 2020) alors que c'est au regard de la date du prononcé de l'amende, soit le 11 décembre 2020, qu'il devait apprécier le respect de ces dispositions.

(29 décembre 2023, M. A., n° 465637)

 

138 - Litiges relatifs aux aides aux services d'aide et d'accompagnement à domicile – Dispositions applicables lors de l’épidémie de Covid-19 – Décisions ne relevant pas des dispositions de l’art. L. 351-1 du code de l’action sociale et des familles – Compétence du tribunal administratif – Annulation.

L’association requérante demandait la condamnation du département du Nord à lui verser une provision assortie des intérêts au taux légal, correspondant au préjudice financier qu'elle estimait avoir subi du fait des modalités selon lesquelles ce département a décidé de compenser les pertes d'activité des services d'aide et d'accompagnement à domicile dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Le tribunal administratif puis la cour administrative d’appel ont rejeté le recours comme porté devant une juridiction incompétente pour en connaître, le litige relevant en réalité de la compétence du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale en application des dispositions de l'article L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles.

L’association se pourvoit, avec succès, en cassation.

Le Conseil d’État censure l’erreur de droit commise par les juges du fond car les aides aux services d'aide et d'accompagnement à domicile prévues par les dispositions des ordonnances du 25 mars 2020 et du 9 décembre 2020 et des décrets des 29 juin 2020 et 2 avril 2021 précisant les modalités de financement des services d'aide et d'accompagnement à domicile dans le cadre de l'épidémie de Covid-19 ne sont pas au nombre des décisions mentionnées à l'art. L. 351-1 du code de l'action sociale et des familles. Les conclusions de l'association requérante relevaient donc de la compétence du tribunal administratif et non de celle du tribunal interrégional de la tarification sanitaire et sociale. 

(29 décembre 2023, Association de soins et services à domicile de Dunkerque, n° 470106)

(139) V. aussi, identique : 29 décembre 2023, Association d’aide à domicile en activités regroupées en Sambre-Avesnois (ADAR Sambre-Avesnois), n° 470107.

 

140 - Prime d’activité – Destinataires – Exclusion des étudiants – Cas des élèves-avocats – Rejet

Le Conseil d’État déduit de la combinaison des dispositions des art. L. 841-1 et L. 841-2 du code de la sécurité sociale avec celles de la loi du 31 décembre 1971 et du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat, éclairées par les travaux parlementaires préalables à l'adoption de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, que la prime d'activité est destinée aux travailleurs et non aux étudiants.

Les élèves avocats, lorsqu'ils effectuent un stage au titre de leur formation, assurée par un centre régional de formation professionnelle d'avocats, en vue d'obtenir le certificat d'aptitude à la profession d'avocat, doivent être regardés, pour l'application du 3° de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale, comme des stagiaires au sens des dispositions de l'article L. 124-1 du code de l'éducation, sauf lorsqu'ils ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle continue. Les élèves-avocats ne peuvent pas, par conséquent, bénéficier de la prime d'activité, sauf lorsque leurs revenus professionnels, excluant les gratifications de stage, excèdent mensuellement, pour chacun des trois mois précédant l'examen ou le réexamen périodique du droit, le plafond de rémunération mentionné au 2° de l'article L. 512-3 du code de la sécurité sociale ou lorsqu'ils ont la qualité de stagiaires de la formation professionnelle continue, dès lors qu'ils remplissent par ailleurs l'ensemble des conditions d'ouverture des droits.

Ainsi, en l’espèce, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que, dès lors que l’élève-avocat requérant devait être regardé pendant la période litigieuse, pour l'application du 3° de l'article L. 842-2 du code de la sécurité sociale, comme un stagiaire au sens de l'article L. 124-1 du code de l'éducation, la caisse d'allocations familiales avait fait une exacte application de ces dispositions en le regardant comme ne remplissant pas les conditions pour bénéficier de la prime d'activité pour la période en litige.

(29 décembre 2023, M. B., n° 470286)

 

141 - Agents de direction et agents comptables des organismes de sécurité sociale – Nomination par voie d’inscription sur une liste d’aptitude – Conditions – Absence d’atteinte au principe d’égalité entre candidats aux emplois de direction accessibles à partir de cette liste – Rejet.

Les requérants recherchaient à titre principal l’annulation de l'arrêté du 21 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 31 juillet 2013 relatif aux conditions d'inscription sur la liste d'aptitude aux emplois d'agent de direction des organismes de sécurité sociale du régime général et de certains régimes spéciaux.

Ils invoquaient en particulier l’atteinte au principe d’égalité.

Leur recours est rejeté.

L'article 6 de l'arrêté du 31 juillet 2013, dans sa rédaction issue de l'arrêté attaqué dispose que peuvent notamment solliciter leur inscription sur la liste d'aptitude dans la classe L 1-2, lorsqu'ils occupent ou ont occupé un emploi d'agent de direction, les anciens élève de l'École nationale de sécurité sociale ou les titulaires du certificat qualifiant CapDirigeants (CapDIR) délivré par cette école, qui remplissent en outre une condition de durée d'exercice allant de cinq à dix ans dans des fonctions de direction, selon la nature des postes occupés, sur deux postes différents.

Le juge considère que les agents de direction salariés d'organismes de sécurité sociale se trouvent, au regard de leur aptitude à occuper un emploi d'agent de direction de ces organismes, dans une situation différente des personnes précédentes.

Ainsi, en leur permettant, dans la limite de quatre chaque année, de demander leur inscription sur la liste d'aptitude, sous condition d'expérience professionnelle et d'encadrement et uniquement sur proposition conjointe des caisses nationales du régime général, l'arrêté attaqué a opéré une différence de traitement qui est en rapport avec l'objet de l'établissement de cette liste d'aptitude, sans être manifestement disproportionnée.

Les requérants ne sont pas fondés, par suite, à soutenir que l’arrêté querellé aurait porté une atteinte illégale au principe d'égalité entre les candidats aux emplois de direction accessibles par la classe L 1-2 de cette liste d'aptitude.

(29 décembre 2023, Fédération de la protection sociale et de l'emploi CFTC et Syndicat national CFTC des agents de direction et d'encadrement des organismes sociaux, n° 471608)

 

Environnement

 

142 - Performance énergétique des bâtiments – Recours aux énergies renouvelables – Exclusion dans le futur du biométhane dans les constructions nouvelles – Absence d’obligation de faire apparaître la part de chaque source d’énergie renouvelable dans les coefficients d’impact de la consommation d’énergie sur le changement climatique – Absence d’atteinte disproportionnée au biogaz – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation, assortie d’une injonction, du décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et de l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux mêmes exigences de performance énergétique et environnementale et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'art. R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation, en tant qu'ils ont pour effet d'exclure le biométhane des constructions nouvelles à compter du 1er janvier 2022 s'agissant des maisons individuelles et à compter du 1er janvier 2025 s'agissant des logements collectifs.

Le Conseil d’État rejette les recours.

Se fondant sur les dispositions de l’art. 1er de la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments, du paragraphe 4 de l’art. 15 de la directive du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et, enfin, sur celles du 10° de l’art. L. 111-1 du code de la construction et de l’habitation, le juge estime qu’aucun des moyens invoqués au soutien des requêtes ne peut prospérer.

 Ainsi, le coefficient applicable au « gaz méthane (naturel) issu des réseaux » prend en compte les émissions de gaz à effet de serre associées au gaz fossile mais également celles du biogaz, à hauteur de sa part dans le gaz injecté dans le réseau national de distribution de gaz naturel, actuellement de l'ordre de 1 %. Par ailleurs, le pouvoir réglementaire, contrairement à ce qui est soutenu, n’avait pas l'obligation de déterminer un coefficient propre au biogaz.

Semblablement, alors que les constructions nouvelles ne représentent chaque année qu'environ 1 % du parc des bâtiments et que l'utilisation du gaz reste possible pour les constructions existantes et dans des bâtiments à faibles émissions de gaz à effet de serre comme solution d'appoint, les dispositions attaquées ne peuvent être regardées comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre des producteurs et fournisseurs de biogaz, ainsi que des constructeurs et installateurs de solution de chauffage utilisant le biogaz.

Pas davantage il ne saurait être allégué que les dispositions attaquées, en tant qu'elles concernent le biogaz, seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation alors, d’une part, que lorsqu'il est injecté dans le réseau de distribution du gaz, le biogaz est physiquement indissociable du gaz fossile, contrairement à ce qui existe pour le biofioul ou les réseaux de chaleur et que, d’autre part, les capacités de production du biométhane ne permettraient pas de répondre aux besoins de l'ensemble des constructions neuves. Enfin, la limitation du recours au biogaz dans les constructions nouvelles n’est pas de nature à freiner son développement, compte tenu des autres usages dont il peut faire l'objet, pour l'industrie ou les transports ou pour les besoins de chauffage des bâtiments anciens tout comme il n'est pas davantage établi que les dispositions attaquées auront pour effet d'augmenter le recours au gaz naturel pour produire l'électricité nécessaire.

(01 décembre 2023, Association Coénove, n° 457117 ; Association française du gaz, n° 457153, jonction)

 

143 - Réduction des émissions de gaz à effet de serre et recherche de la neutralité carbone – Performance énergétique des bâtiments – Réglementation environnementale des bâtiments neufs (« RE 2020 ») – Méthode retenue pour l’analyse du cycle de vie du bâtiment (ou « dynamique simplifiée ») – Rejet.

À des titres divers, les organisations ci-après recherchaient l’annulation soit du seul décret du 29 juillet 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine, soit, en outre, l’annulation de l'arrêté du 4 août 2021 relatif aux exigences de performance énergétique et environnementale des constructions de bâtiments en France métropolitaine et portant approbation de la méthode de calcul prévue à l'article R. 172-6 du code de la construction et de l'habitation.

Brevitatis causa, ces dispositions cherchent tout à la fois à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à améliorer la performance énergétique des bâtiments et à déterminer une méthode de mesure satisfaisante de la durée du cycle de vie d’un bâtiment.

Les moyens, très divers, soulevés par les demandeurs sont tous rejetés comme il fallait s’y attendre car il n’est pas dans la nature du Conseil d’État d’empêcher une politique publique.

Sur la légalité externe, sont rejetés les deux moyens principaux soulevés, tirés, l’un, de l’insuffisance de la consultation du public en termes de durée de celle-ci et de consistance du document présenté à cet effet, l’autre, de l’absence de consultation de l’Autorité de la concurrence. Le rejet est motivé pour l’essentiel, au premier cas, par l’absence d’applicabilité directe et donc d’invocabilité par les citoyens des stipulations de la convention d’Aarhus, et au second cas, par l’absence de mise à l’écart d’un quelconque matériau ou procédé ou d’institution d’un régime nouveau par les textes attaqués.

Sur la légalité interne, sont d’abord rejetés les griefs de non respect de la hiérarchie des normes : la mise en cause de la constitutionnalité de l’atteinte portée à des droits ou libertés constitutionnellement garantis par une disposition du code de l’environnement (ici l’art. L. 171-1) à la Charte des droits fondamentaux ne peut se faire que par une QPC dont le Conseil d’État a déjà, ici, refusé la transmission ; les stipulations tant de l'article 2 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CNUCC), conclue à New-York le 9 mai 1992 et signée par la France le 13 juin 1992 que de l'accord de Paris adopté le 12 décembre 2015, signé par la France à New-York le 22 avril 2016 sont jugées sans effet direct et donc insusceptibles d’être invoquées devant le juge.

Par ailleurs, ne sont entachés d’erreur manifeste d’appréciation, contrairement à ce qui est soutenu, ni les dispositions retenant la prise en compte du stockage temporaire du carbone dans les bâtiments ni celles régissant la méthode retenue par l’arrêté attaqué pour l’analyse du cycle de vie dit « dynamique simplifiée » relative aux indicateurs d’impact sur le changement climatique, tels que Icénergie, Icconstruction et Icbâtiment. D’où, sur ces différents points, cette conclusion du juge qu’« (…) qu'il n'est pas établi que le recours à la méthode d'analyse du cycle de vie dite " dynamique simplifiée " et la prise en compte du stockage temporaire du carbone définies par l'arrêté attaqué, qui ont notamment pour effet de différencier les émissions immédiates de gaz à effet de serre de celles qui peuvent être reportées dans le temps, transféreront aux générations futures la responsabilité des émissions produites par les bâtiments construits sur la base des dispositions réglementaires attaquées. »

Pas davantage n’est retenu le grief de méconnaissance de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne car, d’une part, les dispositions litigieuses n'écartent, par elles-mêmes, aucune solution ou technique de construction, pourvu que soient respectés les indicateurs de performance qu'elles fixent, l'utilisation de produits ou techniques dont l'impact sur le changement climatique est élevé pouvant être compensée par le recours à des solutions dont l'impact est plus faible et, d’autre part, car la circonstance, alléguée, que la méthode d'analyse du cycle de vie dite « dynamique simplifiée » résultant de l'arrêté attaqué ne serait pas utilisée dans un autre État membre de l'Union européenne n'est pas, par elle-même, constitutive d'une discrimination. 

Les solutions retenues ne méconnaissent pas non plus la hiérarchie des modes de valorisation des déchets et des objectifs de valorisation des déchets car, conformément aux dispositions du droit de l’Union (directive du 19 novembre 2008 relative aux déchets, modifiée), les textes critiqués évaluent l'impact sur le changement climatique lié aux composants du bâtiment ou au bâtiment lui-même sur l'ensemble du cycle de vie de ce dernier et prennent en compte les charges et bénéfices liés à la valorisation en fin de vie. De plus, la phase de fin de vie des bâtiments, d'une part, « couvre la valorisation des déchets de chantier de déconstruction et démolition » notamment sous forme de réemploi, réutilisation, recyclage ou valorisation énergétique et, d'autre part, « permet de comptabiliser les bénéfices et charges environnementaux liés à la valorisation des produits en fin de vie » tels que le recyclage ou la valorisation énergétique.

Semblablement est rejeté le grief tiré de la méconnaissance prétendue, par le code de la construction et de l’habitation, du règlement du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction eu égard notamment à la portée donnée à ce texte par la jurisprudence de la CJUE (17 décembre 2020, Deutsche BundesRepublik, aff. C-475/19 P et C-688/19P).

Enfin, sont rejetées les classiques objections fondées sur de prétendues atteintes au principe d’égalité comme au principe de la liberté d’entreprendre, au principe de sécurité juridique comme à celui de confiance légitime.

(01 décembre 2023, Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (FILMM), n° 457118 ; Société Vicat, n° 457132 ; association La Filière Béton, n° 457143 ; association La Filière Béton, n° 457144 ; Fédération française des tuiles et briques et Syndicat national des industries de roches ornementales et de construction, n° 457175 ; Syndicat professionnel Alliance des minerais, minéraux et métaux, Fédération française de la distribution des métaux, association Construiracier, association professionnelle des armaturiers, société Arcelormittal France, société Afica et société Aperam services et solutions France, n° 457154 ; Fédération française des tuiles et briques et Syndicat national des industries de roches ornementales et de construction, n° 457531)

 

144 - Déchets nucléaires à forte ou à moyenne radioactivité – Enfouissement profond – Opération classée comme étant d’intérêt national (art. R. 102-3 c. urb.) – Mise en conformité de documents d’urbanisme – Déclaration d’utilité publique – Étude d’impact – Principe de précaution – Compensation, réduction ou évitement des effets notables du stockage – Hiérarchie des normes et mises en cohérence diverses – Rejet.

Le rejet des recours introduits ne faisait aucun doute en dépit des moyens, souvent pertinents, invoqués par les requérants car le juge ne saurait annuler certains projets publics trop importants, précisément parce qu’ils le sont. Si l’on ajoute qu’en l’espèce s’ajoutait à cette tradition contentieuse la grave incertitude touchant à l’évolution pluricentenaire sinon millénaire de déchets nucléaires, il était inévitable – les choses étant au Palais-Royal ce qu’elles sont – qu’un rejet fût prononcé, le Conseil d’État optant pour le claudélien « le pire n’est pas toujours sûr » contre le jonassien « le pire n’est pas exclu » qui est, on le sait, à la base du principe de précaution.

Étaient attaqués deux décrets du 7 juillet 2022  décidant :

- l’un (sous le n° 992), d’inscrire le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue (Cigéo) parmi les opérations d'intérêt national mentionnées à l'art. R. 102-3 du code de l'urbanisme,

- l’autre (sous le n° 993), de déclarer d’utilité publique le centre Cigéo et portant mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale du Pays Barrois, du plan local d'urbanisme intercommunal de la Haute-Saulx et du plan local d'urbanisme de Gondrecourt-le-Château (Meuse). 

De très nombreux moyens étaient soulevés touchant principalement à la classification du stockage des déchets nucléaires en cause parmi les opérations d'intérêt national et à la déclaration d’utilité publique du centre de stockage en couche géologique profonde desdits déchets.

Sur le premier point, la cartographie, le périmètre, les effets juridiques, etc. de cette opération sont jugés avoir été suffisamment exposés et mis à disposition des collectivités territoriales concernées. De plus, le premier des deux décrets attaqués (n° 992) n'est, par lui-même, pas susceptible d'avoir une incidence directe et significative sur l'environnement telle qu'il aurait dû être soumis à la participation du public en application des dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement puisqu’il ne dispense pas cette opération du respect des obligations auxquelles les travaux réalisés à ce titre peuvent être soumis.

Sur la déclaration d’utilité publique, qui appelait des développements plus étendus du fait de la critique de divers aspects de cette déclaration, le juge répond aux différents moyens touchant à la compétence de l’auteur du décret en Conseil d’État déclarant cette utilité, à la légalité de l’arrêté portant ouverture de l’enquête publique, aux modalités d’organisation de l’enquête, au contenu du dossier d’enquête. Une place spécifique est faite au sein de l’analyse de la juridicité de la déclaration d’utilité publique, à l’étude d’impact appelée à y jouer un rôle important.

Semblablement, sont rejetés les moyens critiquant cette étude, qu’il s’agisse, globalement, de son contenu ou, plus particulièrement, des analyses qu’elle comporte :

- de l'intérêt géothermique du site de Bure et des risques du projet pour la sûreté,

- de la maîtrise des risques, de la sûreté et de la sécurité,

- de l'hydrogéologie des eaux souterraines et des eaux d'exhaure,

- des caractéristiques radiologiques de l'environnement et des effets du projet sur la biodiversité, 

- des incidences du projet sur les générations futures, allusion directe, ici, à la jurisprudence constitutionnelle (C.C. déc. n° 2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres), d’ailleurs mentionnée dans les visas de la présente décision,

- des incidences de l'exploitation du bâtiment d'exploitation de phase 2 dit EP2,

- de la méconnaissance des exigences résultant de l’art. 9bis de la directive 2011/92/UE dans le version que lui a donné la directive 2014/52/UE du 16 avril 2014, qui impose aux États membres de veiller à ce que les autorités compétentes accomplissent les missions relatives à l'évaluation environnementale des projets ayant des incidences sur l'environnement de façon objective et de ne pas se trouver en situation de conflit d'intérêts.

Enfin, ne sont pas retenus non plus les nombreux moyens de légalité interne soulevés à l’appui des recours.

Le juge estime qu’il n’est pas, dans les circonstances de l’espèce, porté atteinte au principe de précaution par un raisonnement qui peut ne pas convaincre car affirmer que les risques – qui comportent toujours en matière nucléaire une marge, pouvant être importante, d’indétermination - ont été identifiés ne suffit pas à établir avec certitude l’adéquation et la proportionnalité des mesures adoptées, à raison même de ce qu’elles concernent des éléments non complètement déterminés.

Pareillement, il ne lui apparaît pas une insuffisance des dispositions relatives à l'évitement, à la réduction, et à la compensation des effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaine ou encore des dispositions concernant la réversibilité du stockage des déchets radioactifs ou de celles relatives au financement du centre de stockage ou encore celles concernant l'absence de demande de dérogation «espèces protégées ».

On ne sera pas étonné de lire que le juge trouve positif le bilan coûts-avantages du projet et admet donc son utilité publique.

(01 décembre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467331 et n° 467370)

 

145 - Département – Demande d’annulation d’un arrêté préfectoral autorisant l’implantation d’éoliennes – Régime de l’autorisation environnementale – Intérêts pouvant être soulevés à l’appui d’un recours contre une telle autorisation – Défaut d’intérêt à agir du département – Rejet.

(01 décembre 2023, département de Charente-Maritime, n° 467009)

V. n° 20

 

146 - Épandage de produits phytosanitaires à proximité de zones d’habitation ou de travail – Intervention d’une décision du Conseil d’État – Décret et arrêtés pris pour l’exécution de cette décision – Demande d’annulation – Rejet.

(04 décembre 2023, Collectif des maires anti-pesticides et association Agir pour l'environnement, n° 460892 ; M. D. et autres, n° 461521 ; Association des Amis de la Terre en Haute-Savoie, n° 462555 ; M. D., n° 474338)

V. n° 253

 

147 -   Élevage de poules pondeuses en cage – Régime fixé par un décret pris sur injonction en ce sens du Conseil d’État – Demande d’annulation – Rejet.

Par une décision du 27 mai 2021 (Association Compassion in World Farming France (CIWF), n° 441660), le Conseil d'État a enjoint au premier ministre de prendre le décret d’application prévu par l’art. L. 214-11 du code rural qui interdit la mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cages à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018.

Le décret du 14 décembre 2021, par son art. 1er, est venu préciser les modalités d’application de l’art. L. 214-11 précité en introduisant dans le même code un article D. 214-38 ainsi conçu :

« Pour l'application de l'article L. 214-11, constitue un nouveau bâtiment la construction ou la reconstruction, totale ou partielle, d'un bâtiment destiné à l'élevage de poules pondeuses élevées en cage.

Pour l'application de ce même article, constituent un réaménagement de bâtiment :

1° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ;

2° Les travaux ou aménagements d'un bâtiment existant conduisant à augmenter le nombre de poules pondeuses pouvant y être élevées en cage. »

C’est de ce texte que les organisations requérantes demandaient l’annulation. Leur requête est rejetée.

Sur la légalité externe, le décret litigieux n’avait pas à être soumis à l’obligation de participation du public dès lors qu’il ne peut aucunement être regardé comme ayant des effets à la fois directs et significatifs sur l’environnement.

Sur la légalité interne, deux moyens sont écartés. Le premier moyen était tiré de ce que le législateur, en prohibant la mise en production de tout bâtiment réaménagé d'élevage de poules pondeuses élevées en cage, aurait entendu interdire les travaux ou aménagements permettant le maintien en production, à capacités inchangées, d'un bâtiment existant affecté à l'élevage en cage de poules pondeuses. En réalité, le législateur, ainsi que le montrent les travaux parlementaires, n’a pas eu en vue cette interdiction. Ainsi, le décret attaqué n’a pas méconnu les dispositions législatives qu’il applique en définissant comme réaménagement d'un bâtiment, pour l'application de ces dispositions, l'aménagement d'un bâtiment existant pour le destiner à l'élevage de poules pondeuses en cage ou l'aménagement d'un bâtiment d'élevage existant conduisant à augmenter le nombre de poules pouvant y être élevées en cage.

Le second moyen, fondé sur une prétendue différence de traitement qu’aurait institué le décret litigieux entre exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages et exploitants de bâtiments affectés à un autre usage, est rejeté car les exploitants de bâtiments déjà affectés à l'élevage en cages de poules pondeuses ne sont pas dans la même situation, eu égard à l'objet de l'interdiction énoncée, que les exploitants de bâtiments affectés à un autre usage.

(04 décembre 2023, Association Compassion in World Farming France (CIWF) et autres, n° 461367)

 

148 - Projet de parc éolien – Demande d’autorisation environnementale – Nécessité d’un avis conforme du ministère des armées – Rejet implicite – Nature juridique et régime contentieux – Annulation.

La société W.E.B. Énergie du Vent a développé un projet d’implantation d’un parc éolien et, en vue de la constitution du dossier de demande d'autorisation environnementale, elle a cherché à obtenir l’avis du ministre des armées sur son projet. Par courrier et courriel celui-ci a indiqué que cette implantation n'était pas possible dans le secteur envisagé. La société W.E.B. Énergie du Vent a saisi la cour administrative d’appel dont l’une des présidentes de chambre a rendu une ordonnance d’irrecevabilité manifeste de son recours dirigé contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la direction régionale de la circulation aérienne militaire Nord sur sa nouvelle demande du 12 mai 2021 tendant à l'obtention d'un nouvel avis sur un projet modifié. Elle se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

De la combinaison des dispositions des art. R. 181-32 et R. 181-34 du code de l'environnement subordonnant la délivrance de l'autorisation environnementale portant sur un projet d'installation de production éolienne d'électricité à un accord du ministre de la défense le juge déduit l’existence de deux régimes contentieux  pour la contestation du refus d’un tel accord selon le stade chronologique d’intervention du refus. Cette distinction, logique, n’en est pas moins source de complexité pour le justiciable et, parfois, d’égarement pour le juge comme on le voit ici.

En premier lieu, lorsque cet accord est sollicité par le préfet après que ce dernier a été saisi d'une demande d'autorisation environnementale, le refus d'un tel accord, qui s'impose au préfet, ne constitue pas une décision susceptible de recours. Cependant, il est loisible au requérant d’invoquer devant le juge saisi de la décision préfectorale, et cela  quel que soit le sens de la décision prise par le préfet pour statuer sur la demande d'autorisation, des moyens tirés de la régularité et du bien-fondé de ce refus.

En second lieu, lorsque la phase de concertation relative à cet accord a lieu – comme en l’espèce - avant le dépôt du dossier de demande d'autorisation directement entre le pétitionnaire et le ministre de la défense, un refus d'accord recueilli par le demandeur rend impossible la constitution d'un dossier susceptible d'aboutir à une décision favorable, mettant ainsi un terme à la procédure, sauf pour l'intéressé à présenter néanmoins au préfet une demande d'autorisation nécessairement vouée au rejet, dans le seul but de faire naître une décision susceptible d'un recours à l'occasion duquel le refus d'accord pourrait être contesté. Dans ces conditions, le refus d'accord du ministre de la défense doit être regardé comme faisant grief et comme étant, par suite, susceptible d'être déféré au juge. 

L’ordonnance attaquée est annulée, son auteur n’ayant pas recherché si le refus d'accord opposé par le ministre mettait ou non un terme à la procédure de délivrance de cette autorisation. 

(06 décembre 2023, Société W.E.B. Énergie du Vent, n° 462446)

 

149 - Parc éolien – Exigences successives du chef de l’évolution du droit positif – Application dans le temps des variations légales – Rejet.

La présente décision, relative à une énième contestation du refus d’autoriser l’implantation et l’exploitation d’un parc éolien, est intéressante par son analyse des rapports entre permis de construire et édification d’éoliennes du fait de la succession rapide des régimes juridiques applicables.

Au régime de l'autorisation unique prévu par l'ordonnance du 20 mars 2014 a succédé celui de l'autorisation environnementale institué par l'ordonnance du 26 janvier 2017. De plus, s’agissant du droit transitoire, le législateur a organisé un mécanisme disposant que les demandes d'autorisation au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement régulièrement déposées avant le 1er mars 2017 seraient instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur de l’ordonnance de janvier 2017 et qu'après la délivrance de ces autorisations, ces dernières seraient considérées comme des autorisations environnementales auxquelles les dispositions du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du code de l'environnement sont applicables, notamment lorsque ces autorisations sont modifiées ou contestées.

En l’espèce, les recours tendaient à voir annulé l’arrêt de la cour administrative d’appel annulant l'arrêté préfectoral du 29 juillet 2019 refusant l'autorisation d'exploiter six éoliennes et un poste de livraison à la société Centrale éolienne Vexin, accordant à cette dernière l'autorisation demandée et enjoignant au préfet de l'Eure d'assortir cette dernière, dans un délai de six mois, de toutes les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Le pourvoi est rejeté en tous ses chefs de griefs.

En premier lieu, il est déduit des dispositions applicables en l’espèce (L. 512-1, L. 181-1 c. environnement, art. 15, ord. 26 janv. 2017) que la demande d’autorisation du parc éolien, en date du 23 octobre 2013, refusée par l’arrêté préfectoral du 29 juillet 2019, était antérieure à l’entrée en vigueur des ordonnances de 2014 et de 2017 précitées ; c’est donc sans erreur de droit ou contradiction de motifs que l’arrêt de la cour a jugé que cette dernière était saisie d'un litige relatif au refus d'une autorisation régie par la législation antérieure à ces deux ordonnances.

En deuxième lieu, il se déduit des dispositions combinées des art. L. 421-1, L. 421-6, L. 151-9 et R. 151-33 du code de l’urbanisme, d’une part, des dispositions des art. L. 123-5 (devenu L. 152-1) c. urb. et L. 514-6, I c. environnement, d’autre part, ainsi que de celles des art. L. 421-5 c. urb. et D. 181-15-2 c. environnement, qu’il convient d’opérer une distinction entre les projets d'installation d'éoliennes terrestres obtenus depuis le 1er mars 2017 et ceux qui, comme celui en litige, ont fait l'objet d'une demande régulièrement déposée avant le 1er mars 2017.

Dans le premier cas, les projets d'installation d'éoliennes terrestres soumis, depuis cette date, à autorisation environnementale sont dispensés de l'obtention d'un permis de construire mais tenus du respect des règles d'urbanisme qui leur sont applicables sous le contrôle de l'autorité administrative, à l'occasion de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale. Ces dispositions permettent ainsi d’assurer le respect, par les projets d'installation d'éoliennes terrestres, des prescriptions du plan local d'urbanisme, notamment celles relatives à la hauteur des constructions et installations.

Dans le second cas, les projets qui ont fait l'objet d'une demande régulièrement déposée avant le 1er mars 2017 et qui sont soumis à la fois à l'exigence d'un permis de construire et d'une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement, si le plan local d'urbanisme est opposable à l'autorisation d'exploiter (cf. art. L. 514-6 c. environnement), ne sont tenus qu’au respect des seules prescriptions du PLU qui déterminent les conditions d'utilisation et d'occupation des sols et les natures d'activités interdites ou limitées s'imposant à cette autorisation. En ce cas, les règles relatives à la hauteur des constructions et installations ne sont pas opposables à l'autorisation d'exploiter, peu important à cet égard la circonstance qu'elles figurent dans une partie du règlement du PLU relative à la nature de l'occupation et de l'utilisation des sols.

C’est donc à bon droit et sans erreur de droit que la cour a jugé que les règles du PLU relatives à la hauteur des constructions et installations n'étaient pas opposables à l'autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement.

En troisième lieu, c’est sans insuffisance de motivation, qu’en sa qualité de juge de pleine juridiction que lui confèrent les dispositions de l’art. L. 181-17 c. env., que la cour administrative d’appel a accordé l’autorisation sollicitée.

Enfin, il résulte des dispositions du 2° de l'art. 15 de l'ordonnance du 26 janvier 2017 que les demandes d'autorisation d'exploiter déposées au titre du chapitre II du titre Ier du livre V du code de l'environnement avant le 1er mars 2017, ainsi que les demandes d'autorisation unique déposées sur le fondement de l'ordonnance du 20 mars 2014 sont instruites et délivrées selon les dispositions législatives et réglementaires antérieures à l'entrée en vigueur du régime de l'autorisation environnementale. C’est donc sans erreur de droit ni insuffisance de motivation que la cour a jugé inapplicables aux demandes déposées avant la même date les prescripttions contenues dans les textes entrés postérieurement en vigueur.

(18 décembre 2023, Association pour la défense des habitants du Vexin normand (ALIANSE), n°459339 ; ministre de la transition écologique, n° 460192)

 

150 - Chasse au grand tétras – Annulation précédente par le Conseil d’État du refus de suspendre cette chasse – Absence d’annulation par voie de conséquence – Absence d’erreur d’appréciation – Rejet.

Sans surprise est ici rejeté le recours en annulation de l'arrêté du 1er septembre 2022 par lequel le ministre de la transition écologique a suspendu la chasse du grand tétras en France métropolitaine pour une durée de cinq ans.

En effet, la fédération requérante ne saurait soutenir, alors que son recours en tierce opposition a été rejeté, que le Conseil d’État décide en sens contraire de ce rejet.

Elle ne peut davantage prétendre que la procédure suivie pour prendre l’arrêté attaqué l’a été irrégulièrement, le ministre n’étant pas tenu de décider dans un sens déterminé.

Enfin, eu égard à la très mauvaise situation du grand tétras en France métropolitaine, la mesure d’interdiction de le chasser pendant cinq ans ne repose pas sur une erreur manifeste d’appréciation.

(06 décembre 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 468959)

 

151 - Permis de construire – Contestation par une association agréée pour la défense de l’environnement – Existence d’un intérêt donnant à cette association qualité pour agir - Qualification inexacte des faits – Annulation.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce le jugement qui dénie à une association agréée pour la protection de l'environnement (cf. art. L. 141-1 code environmt.), ayant pour objet statutaire le développement durable, la protection et la mise en valeur de l'environnement et du patrimoine archéologique, architectural, paysager et touristique de la France ainsi que l'amélioration du cadre de vie des Français, tout intérêt lui donnant qualité pour agir contre toute décision qui, relevant de son objet statutaire, produit des effets dommageables pour l'environnement au sens de l'art. L. 141-1 préc.

Le Conseil d’État juge qu’il en va particulièrement ainsi du recours formé par cette association contre un permis de construire qui, comme celui délivré en l’espèce, autorise la réalisation d'une opération d'urbanisme importante, conduisant à la densification des parcelles concernées et, comme le relève d'ailleurs le jugement attaqué, à l'abattage de plusieurs arbres de haute tige.

(18 février 2023, Association Patrimoine et Environnement, n° 464454)

 

152 - Emploi de tendelles pour la chasse aux oiseaux dans les départements de l’Aveyron et de la Lozère - Directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages – Code de l’environnement (art. L. 424-2) – Arrêté préfectoral autorisant cette forme ce chasse – Refus d’abrogation – Annulation.

Est illégal comme contrevenant tant au droit de l’Union qu’au droit national, un arrêté préfectoral ouvrant dans deux départements français la possibilité de chasser certaines espèces d’oiseaux sauvages au moyen de tendelles. Par suite, est également illégal le refus de l’abroger sans que puissent être invoqués le caractère traditionnel d'une méthode de capture d'oiseaux, l’absence d’une autre solution satisfaisante ou le fait qu'une autre méthode requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s'écarter de certaines caractéristiques d'une tradition.

(20 décembre 2023, Association One Voice, n° 458522)

 

État-civil et nationalité

 

153 - Décret accordant la nationalité française à un ressortissant congolais – Mensonge sur la réalité de sa situation familiale – Retrait du décret – Rejet.

C’est sans illégalité que le premier ministre rapporte un décret de naturalisation au vu des déclarations mensongères de l’intéressé. Celui-ci s’est déclaré célibataire avec un enfant à charge alors qu’il est, en outre, père de trois autres enfants résidant habituellement à l’étranger avec leur mère.

Au surplus, la circonstance que M. E. a porté ces informations à la connaissance des services des impôts en déclarant la pension alimentaire versée à ses enfants est sans incidence à cet égard. 

(18 décembre 2023, M. E., n° 468555)

(154) V., dans le même sens, pour avoir celé l’existence de son mariage avec une ressortissante algérienne qui résidait alors habituellement à l'étranger :  28 décembre 2023, M. B., n° 468605.

(155) V., identique, rejetant le recours dirigé contre le décret rapportant le décret de naturalisation de la requérante, ressortissante haïtienne, pour mensonge sur la réalité de sa situation matrimoniale : 28 décembre 2023, Mme A., n° 468808.

(156) V. aussi, la solution identique concernant un ressortissant algérien : 28 décembre 2023, M. B., n° 470232.

 

157 - Décret de naturalisation – Extension de plein droit de ses effets à un enfant mineur – Conditions – Rejet.

Nouveau rappel qu'un enfant ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents que s'il est mineur, et qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

(28 décembre 2023, M. A., n° 468782)

 

158 - Déchéance de la nationalité française – Participation à une entreprise terroriste – Déchéance ne mettant pas l’intéressé en état d’apatridie – Gravité des faits justifiant la mesure – Rejet.

Ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée de l’intéressé, la décision portant déchéance de sa nationalité française, consécutive à sa condamnation pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme prenant la forme d’un départ en Syrie où il a rejoint les rangs de l'organisation terroriste « État islamique », suivi un entrainement de type militaire et participé aux opérations de ce groupe en tant que combattant.

En outre, la mesure a été prise dans le respect des conditions de forme exigées.

(18 décembre 2023, M. A., n° 473340)

 

159 - Déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage – Indignité – Rejet.

Un ressortissant égyptien ayant épousé une française a fait une déclaration d’acquisition de la nationalité française par mariage. Celle-ci a été rejetée par un décret portant opposition à cette acquisition à raison de l’indignité du demandeur sur le fondement des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil.

Pour motiver ce refus, le premier ministre fait valoir que le requérant a fait l'objet d'une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel pour avoir, pendant trois ans, apporté ou tenté d'apporter une aide directe ou indirecte facilitant l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers en France d'étrangers, en bande organisée, et s'être rendu complice de faux, en l'espèce de bulletins de salaire, et en avoir fait usage.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que le principe de pla résomption d'innocence ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement s'oppose, pour indignité, à l'acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger en se fondant sur des faits qui n'ont pas donné lieu à une condamnation pénale devenue définitive, dès lors que ces faits sont établis. 

Il relève ensuite que le requérant ne conteste pas sérieusement la matérialité des faits reprochés dans l’ordonnance de renvoi en correctionnelle, par suite, il ne saurait soutenir qu’en se fondant sur ces circonstances pour estimer qu'en raison de la nature, de la durée et de la gravité des faits qui lui sont reprochés, il devait être regardé, à la date du décret attaqué, comme indigne d'acquérir la nationalité française, l’auteur du décret aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article 21-4 du Code civil. 

(28 décembre 2023, M. B., n° 488658)

 

Étrangers

 

160 - Ressortissant marocain – Expulsion de France pour participation à une entreprise terroriste – Régime spécial applicable aux étrangers entrès très jeunes en France – Absence de caractère disproportionné de la mesure – Rejet.

Un ressortissant marocain entré en France à l’âge de deux mois et aujourd’hui âgé de 33 ans, fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour son implication dans la mouvance terroriste.

Il relève d’un régime particulier de protection à raison de l’ancienneté de ses liens avec la France, régime dont il se prévaut au soutien de sa requête en référé liberté tendant à voir suspendue cette mesure.

Son appel contre l’ordonnance rejetant sa demande est lui-même rejeté.

Le Conseil d’État relève un ensemble d’éléments au soutien de sa décision de rejet :

- participation à la filière orléanaise d'acheminement de combattants jihadistes vers la zone syro-irakienne,

- reconnaissance, au cours de l’audience pénale, de son implication dans la réception de l'argent destiné à l'achat d'armes et dans l'identification des cibles potentielles d'attentats ; témoignages cités à l'audience confirmant son soutien aux thèses de l'organisation terroriste de l'État islamique,

- condamnation pénale définitive pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme,

- expertise psychiatrique soulignant son déni global et son absence de prise de conscience de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné ainsi que d'empathie pour les victimes d'attentats antérieurs et celles potentielles des attentats que son groupe prévoyait, et  concluant à une dangerosité criminologique très réelle ainsi qu’à une capacité de récidive, notamment en cas de retour dans sa zone géographique initiale,

- nouvelle expertise psychiatrique faisant état de « traits dyssociaux de personnalité » pouvant le rendre dangereux pour autrui,

- auteur, en tant que chauffeur intérimaire d’autobus, de harcèlement à l’encontre d’une passagère contactée à l'aide d'une fausse identité.

Sans surprise, le juge d’appel des référés estime que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a rejeté sa demande de suspension de l’arrêté d’expulsion.

Par ailleurs, constatant que l’intéressé est célibataire et sans enfant, et alors même qu’il justifie d'un ancrage personnel et familial ancien en France et indique ne pas lire ni parler la langue arabe et ne pas s'être rendu au Maroc depuis de nombreuses années, le juge estime, eu égard aux éléments de dangerosité persistante, que la décision d'expulsion prise à son encontre n'apparaît pas manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(04 décembre 2023, M. B., n° 489712)

 

161 - Ressortissant algérien – Certificat de résidence d’un an – Existence d’un lien conjugal – Condition exigible, sauf fraude, seulement lors du premier renouvellement – Avis de droit – Réponse en ce sens.

Le Conseil d’État était saisi d’une demande d’avis sur le point de savoir si la condition d'une communauté de vie effective entre les époux prévue par les stipulations du 2) du dernier alinéa de l'article 6, dans leur rédaction issue du troisième avenant à l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et des membres de leur famille, est exigée uniquement dans le cas d'un premier renouvellement du certificat de résidence d'un an, de sorte que les renouvellements de certificats de résidence d'un an suivants ne sont subordonnés qu'au maintien des liens du mariage à la date de la décision attaquée, ou bien si elle peut être exigée pour les renouvellements ultérieurs.

Le Conseil d’État répond d’abord que si l'octroi et le renouvellement du certificat de résidence d'un an portant la mention « vie privée et familiale » délivré de plein droit au ressortissant algérien marié avec un ressortissant de nationalité française sont subordonnés à l'existence de ce lien conjugal, seul le premier renouvellement d'un tel certificat est soumis à la condition d'une communauté de vie effective entre les époux. 

Il ajoute cependant ces deux précisions : 1° si ce premier renouvellement a été obtenu par fraude, notamment en raison de la dissimulation délibérée d'une rupture de la vie commune, le préfet peut légalement le retirer ; 2° les stipulations de l’accord précité laissent entier le pouvoir de l’administration française de refuser tout renouvellement du certificat en se fondant sur des motifs tenant à l'ordre public. 

(21 décembre 2023, Mme B., n° 476142)

 

162 - Ressortissante algérienne – Situation d’urgence du fait de la gravité de l’état de sa fille – Dénaturation des pièces du dossier – Juge des référés imposant à l’administration diverses obligations de faire – Annulation.

La requérante a demandé, en vain en première instance, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, la suspension de l'exécution des décisions implicites par lesquelles la préfète du Rhône a respectivement rejeté sa demande de titre de séjour et refusé de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de ces décisions et, d'autre part, d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour portant droit au travail d'une durée d'au moins six mois.

Elle se pourvoit en Conseil d’État contre l’ordonnance de rejet de ses demandes.

Le juge de cassation estime que c’est au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que le juge du référé suspension a refusé d’apercevoir l’existence d’une urgence en l’espèce alors que ce dernier a lui-même relevé que l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration du 4 juillet 2022 concernant l'enfant de la requérante, considérait que l'état de santé de ce dernier nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pouvait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et dont il ne pouvait pas bénéficier dans son pays d'origine, que la requérante produisait la confirmation d'inscription de son enfant sur la liste nationale d'attente d'une greffe de rein et d'une greffe de foie, un certificat médical du 9 février 2022 du chef de service du service de néphrologie, rhumatologie et dermatologie pédiatrique de l'hôpital femme-mère-enfant de Bron établissant que l'enfant de la requérante nécessitait des soins quotidiens et un certificat médical du même jour indiquant que sa présence était justifiée sur le territoire du fait de l'état de santé de son fils et qu'enfin, elle soutenait, sans être contredite, qu'elle se trouvait dans une situation de très grande précarité et dépourvue de toute ressource pour faire face aux besoins de son enfant.

En outre, le juge de cassation, compte tenu des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles, exprime un doute sérieux quant à la légalité de la décision implicite par laquelle la préfète du Rhône a refusé de délivrer à Mme B. un certificat de résidence.

En conséquence, usant pleinement de ses pouvoirs, le juge des référés ordonne de délivrer à Mme B. un récépissé de sa demande de titre de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai de huit jours à compter de la notification de sa décision et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la même date, au réexamen de sa demande de titre de séjour. 

(21 décembre 2023, Mme B., n° 487666)

 

163 - Ressortissante guinéenne – Invocation de son état de minorité – Refus - Demande d’hébergement et de prise en charge – Rôles respectifs du juge judiciaire et du juge administratif – Rejet du référé liberté.

Rappel de solutions constantes applicables au cas d’un mineur étranger demandant à être pris en charge et à être hébergé par un département qui réfute son état prétendu de minorité.

Tout d’abord, lorsqu'il est saisi par un mineur d'une demande d'admission à l'aide sociale à l'enfance, le président du conseil départemental peut seulement, au-delà de la période provisoire de cinq jours prévue par l'art. L. 223-2 du code de l'action sociale et des familles, décider de saisir l'autorité judiciaire mais ne peut, en aucun cas, admettre le mineur à l'aide sociale à l'enfance sans que l'autorité judiciaire l'ait ordonné.

Ensuite, l'art. 375 du Code civil autorise le mineur à solliciter lui-même le juge judiciaire pour que soient prononcées, le cas échéant, les mesures d'assistance éducative que sa situation nécessite.

Également, lorsque le département refuse de saisir l'autorité judiciaire à l'issue de l'évaluation prévue au II de l’art. R. 221-11 du code de l’action sociale et des familles, au motif que l'intéressé n'aurait pas la qualité de mineur isolé, l'existence d'une voie de recours devant le juge des enfants par laquelle le mineur peut obtenir son admission à l'aide sociale rend irrecevable le recours formé devant le juge administratif contre la décision du département. 

Enfin, et par exception, si le juge administratif du référé liberté, saisi à cet effet, estime que l'appréciation portée par le département sur l'absence de qualité de mineur isolé de l'intéressé est manifestement erronée et que ce dernier est confronté à un risque immédiat de mise en en danger de sa santé ou de sa sécurité, il peut enjoindre au département de poursuivre son accueil provisoire. 

En l’espèce, le juge du Conseil d’État annule en appel l’ordonnance faisant droit à la demande de la requérante et enjoignant la maire de Paris d'assurer l'hébergement de la requérante dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que le juge des enfants se prononce sur la question relative à sa minorité. Il estime qu'aucun des éléments retenus par les services de la Ville de Paris pour conclure que l’intéressée n'établissait pas être mineure, ce qu'il appartiendra au juge des enfants de déterminer, ne révèle d'erreur manifeste d'appréciation. La seule copie d'un acte de naissance établi dans des conditions présentant certaines incohérences avec la législation guinéenne que l'instruction et l'audience tenue dans le cadre de la présente instance n'ont pas permis de clarifier, et qui n'a pas été légalisée par les services diplomatiques français en Guinée, ne peut, en l'absence de tout autre élément d'état civil probant, suffire à établir une telle erreur. Si la demanderesse a produit, par une note en délibéré postérieure à l'audience tenue en appel, une carte consulaire établie sur la base de cet acte de naissance, ce document n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à infirmer l'ensemble des éléments qui ont conduit à écarter sa minorité. 

(ord. réf. 21 décembre 2023, Ville de Paris, n° 490020)

 

164 - Expulsion d’un étranger – Demande de suspension d’exécution de l’arrêté d’expulsion – Assignation à résidence du fait de l’impossibilité d’exécuter la mesure d’expulsion – Absence d’autorisation de travail – Rejet.

Le demandeur, a fait l’objet d’un arrêté d'expulsion en urgence absolue dans le cadre de son réexamen quinquennal et a été assigné à résidence avec fixation de l’Autriche comme pays de renvoi. Il a demandé la suspension de ces décisions ainsi qu’injonction soit faite au ministrte de l’intérieur de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour assortie d'une autorisation de travail.  Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de la décision d’expulsion et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. B., dans l'attente du jugement au fond, une autorisation provisoire de travail et d'aménager la mesure d'assignation à résidence dont il fait l'objet pour la rendre compatible avec l'exercice de sa future activité professionnelle dans un délai de 8 jours à compter de la notification de cette ordonnance et sous astreinte de 200 euros par jour de retard.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État annule cette ordonnance car l'intéressé est actuellement assigné à résidence en raison de l'impossibilité temporaire d'exécuter l’arrêté d’expulsion dès lors qu'il ne possède pas de passeport en cours de validité et que les démarches pour obtenir un laissez-passer consulaire auprès des autorités russes n'ont pas abouti.

En outre, les désagréments dont il se plaint : une atteinte grave et immédiate à sa vie privée et familiale, le fait d’être empêché de travailler alors qu'il dispose d'une promesse d'embauche,  l’absence de sa femme et de ses enfants résidant en Autriche, trouvent tous leur origine dans l'assignation à résidence prononcée à l'encontre de l'intéressé, qui n'est pas au nombre de celles devant être assortie d'une autorisation de travail en application de l'art. L. 732-9 du CESEDA, et non dans la décision refusant d'abroger l'arrêté d'expulsion du 2 octobre 2017.

Enfin, le demandeur ne saurait soutenir que cette décision a conduit à lui retirer l'autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dont il disposait, car cette autorisation provisoire de séjour a été délivrée en exécution d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 5 septembre 2022, dans l'attente du réexamen quinquennal de l'arrêté ministériel d'expulsion, au terme duquel elle prenait ainsi fin. Ainsi, la condition d'urgence prévue par les dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA n'est pas remplie. 

(18 décembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474650)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

165 - Sapeurs-pompiers professionnels – Organisation du temps de travail par le règlement intérieur d’un service départemental d’incendie et de secours (SDIS) – Absence d’incidence sur le décret relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux – Annulation partielle sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

L’intérêt de cette décision vient du rappel qu’elle contient et des précisions qu’elle apporte.

Il est d’abord rappelé que, saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision. Naturellement, si aucun changement n’est intervenu dans ces règles, il est légitime de se fonder sur elles.

Il est ensuite apporté des précisions, s’agissant des données propres à l’espèce, en ce qui concerne les effets sur la durée des congés annuels, des modulations des temps de présence journaliers des sapeurs-pompiers fixées par le règlement intérieur d’un SDIS.

Revenant à une application correcte de la hiérarchie des normes, le Conseil d’État juge que si l'organe délibérant d'un SDIS peut, d'une part, en application des dispositions du décret du 31 décembre 2001, moduler les temps de présence journaliers des sapeurs-pompiers professionnels et, d'autre part, en application de l'art. 2 du décret du 12 juillet 2001, réduire la durée annuelle de travail servant au décompte de leur temps de travail pour tenir compte des sujétions propres à leur activité, aucune disposition ne prévoit que ces ajustements imposeraient une modulation des conditions dans lesquelles sont ouverts des droits à jours de congé dits « de fractionnement » en application du troisième alinéa de l'art. 1er du décret du 26 novembre 1985, dont les dispositions s'appliquent à tous les fonctionnaires territoriaux indépendamment de la durée du temps de travail ou des congés annuels des fonctionnaires concernés.

L’arrêt attaqué est annulé pour erreur de droit en ce qu’il a jugé que le nombre de jours à poser par les sapeurs-pompiers du SDIS du Pas-de-Calais, en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre, pour bénéficier d'un jour de congé supplémentaire, dit de « fractionnement », devait être proratisé selon une quotité de 5/25èmes des jours de congés annuels prévus, correspondant à 2,8 jours arrondis à 3 jours pour les agents astreints aux gardes mixtes, bénéficiant de quatorze jours de congés annuels, et à 3,8 jours arrondis à 4 jours pour les agents astreints aux gardes de douze heures, bénéficiant de dix-neuf jours de congés annuels.

L’arrêt est confirmé en ce qu’il a jugé qu'il résulte des dispositions de l'article 1er du décret du 26 novembre 1985 que les jours de congé supplémentaires dits de fractionnement doivent être assimilés à des jours légaux de congés, et qu'il en a déduit que, dès lors que son règlement intérieur prévoit que les sapeurs-pompiers en gardes mixtes bénéficient de congés équivalents à 14 gardes de 24 heures, pondérées à 16,8 unités de temps de travail et que les sapeurs-pompiers en gardes exclusives de 12 heures bénéficient de congés équivalents à 19 jours de garde, pondérés à 12 unités de temps de travail, le SDIS du Pas-de-Calais ne pouvait légalement fixer la valeur d'un jour de congé de fractionnement à sept unités de temps de travail. 

(04 décembre 2023, Syndicat autonome des sapeurs-pompiers professionnels et des personnels administratifs, techniques et spécialisés (SPP-PATS) du Pas-de-Calais, n° 457244)

 

166 - Magistrats exerçant à titre temporaire – Demande d’alignement sur certaines dispositions statutaires régissant les magistrats professionnels – Absence d’illégalité – Rejet.

Le syndicat demandeur recherchait l’annulation de la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux sur sa demande tendant à ce que soient prises les mesures permettant aux magistrats exerçant à titre temporaire de bénéficier d'un statut conforme à ce qu'exigent leurs conditions d'emploi, et prévoyant au moins des droits et des garanties équivalents à ceux dont bénéficient les agents contractuels de l'État.

Pour rejeter cette requête le juge rappelle d’abord, d’une part, que les intéressés exercent à titre temporaire et partiel  des fonctions normalement dévolues aux magistrats de carrière alors qu’ils n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, et d’autre part, que, conformément à la jurisprudence constitutionnelle, des garanties appropriées leur permettent de satisfaire au principe d'indépendance tout comme leur sont applicables les obligations qui s’imposent à l'ensemble des magistrats.

Il indique ensuite que leur est attribuée une indemnité et non un traitement, à la différence des magistrats de carrière dès lors que les magistrats exerçant à titre temporaire sont autorisés à exercer une activité professionnelle concomitamment à leurs fonctions judiciaires. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs jugé conforme à la Constitution (décis. n° 94-355 DC du 10 janvier 1995, Loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, et n° 2016-732 DC du 28 juillet 2016, Loi organique relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature) que l’indemnité allouée aux magistrats exerçant à titre temporaire soit fixée par décret en Conseil d’État à la différence du traitement des magistrats de carrière qui relève d’un décret en conseil des ministres.

Enfin, ces magistrats, qui constituent une catégorie particulière de magistrats en tant notamment qu'ils contribuent au service public de la justice sous la forme de vacations, ne tirent d’aucune disposition législative ni d’aucun principe général du droit l’application à leur cas des garanties ou droits équivalents à ceux accordés à des agents appartenant à des corps différents, ou régis par des dispositions statutaires différentes tels certains droits ou garanties applicables aux assistants de justice ou aux agents non titulaires de l'État et ne sauraient prétendre que le refus implicite opposé à leur demande serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation ou méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement entre fonctionnaires.

(06 décembre 2023, Union syndicale des magistrats exerçant à titre temporaire, n° 470054)

 

167 - Candidature à l'exercice des fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire – Conditions – Refus – Absence d’erreur manifeste d’appréciation – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni erreur manifeste d’appréciation que le ministre de la justice rejette la candidature à l’exercice des fonctions de magistrat à titre temporaire d’une personne titulaire d'un master de droit et études européennes, mention « droit privé et sciences criminelles », qui a exercé pendant 27 ans au sein de la gendarmerie nationale en section de recherches, essentiellement comme enquêteur puis comme commandant de la division « délinquance économique, financière et numérique »  de Toulouse de 2016 à 2021, et qui se prévaut de ce que ces missions l'ont mis en contact étroit avec les professionnels et les procédures judiciaires. En effet, le dossier du candidat, notamment l'avis des chefs de cour, l'avis du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Toulouse et l'avis du président de ce tribunal, à la suite des entretiens organisés avec l'intéressé, montre des insuffisances sur sa manière de servir et sur sa capacité à adopter le positionnement d'un magistrat, ainsi que des carences en matière de connaissances juridiques, notamment en droit civil. 

(06 décembre 2023, M. B., n° 471789)

(168) V. aussi, assez voisin, avec solution identique : 06 décembre 2023, M. A., n° 472054.

 

 

169 - Magistrat de la Cour des comptes – Reproche d’exhibition sexuelle dans son bureau - Suspension de ses fonctions – Poursuites pénales – Attente de la décision définitive – Rejet.

C’est sans illégalité – et notamment sans erreur manifeste d’appréciation – que, dans l’intérêt du service, l’autorité de nomination d’un magistrat à la Cour des comptes, poursuivi pour exhibition sexuelle dans son bureau, le suspend d’abord pour une durée limitée à quatre mois, puis, après sa condamnation, et en raison de l’appel qu’il a interjeté, prolonge la suspension jusqu’à l’achèvement de la procédure pénale.

(18 décembre 2023, M. B., n° 474387)

 

170 - Arrêts maladie – Imputabilité au service tardivement reconnue – Congés annuels non pris - Indemnisation – Rejet.

Professeur contractuel de l'enseignement privé, la requérante a été placée en congé pour accident de service du 28 mai au 17 octobre 2004, puis en congé de longue durée non imputable au service pour plusieurs périodes successives de six mois jusqu'à la date du 15 septembre 2009 à laquelle, sur sa demande, elle a été admise à la retraite pour invalidité, à l'âge de soixante ans. Saisie par cette dernière, le tribunal administratif a, par un jugement devenu définitif, annulé le refus de la rectrice de l'académie de reconnaître l'imputabilité au service du congé de longue durée. Après avoir en vain saisi l'État d'une demande indemnitaire préalable, le 2 janvier 2014, Mme B. a formé devant le même tribunal administratif un recours tendant à l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait du refus de reconnaissance de l'imputabilité au service. Cette imputabilité ayant finalement été reconnue par un arrêté rectoral du 29 septembre 2015, la requérante a demandé la réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'abstention de l'administration, jusqu'à cette date, de reconnaître l'imputabilité au service de son état de santé.

Après que le tribunal a rejeté ses prétentions, la cour administrative d’appel, saisie par l’intéressée, par un premier arrêt, a annulé ce jugement, rejeté ses conclusions tendant à la réparation de la perte de l'indemnité compensatrice de congés payés puis, statuant par la voie de l'évocation, rejeté les mêmes conclusions et rejeté le surplus de ses conclusions d'appel à l'exception de celles tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction de ses droits à pension, ordonnant à cet effet, avant dire droit, de procéder à un supplément d'instruction contradictoire concernant ces droits à pension. Enfin, par un second arrêt, elle a rejeté les conclusions d'appel tendant à la réparation du préjudice résultant de la réduction des droits à pension. Mme B. se pourvoit en cassation des deux arrêts de la cour.

En premier lieu, le Conseil d’État juge que la cour, en se fondant sur les dispositions de l'art. 5 du décret du 26 octobre 1984 relatif aux congés annuels des fonctionnaires de l'État, applicables aux professeurs contractuels de l'enseignement privé sous contrat d'association, pour écarter la demande de Mme B., tendant à l'indemnisation du préjudice résultant de la perte de ses congés payés pendant la période où elle était en congé de maladie, a commis une erreur de droit. En effet, ces dispositions, en tant qu'elles ne prévoient pas l'indemnisation des congés annuels qu'un agent aurait été, en raison d'un arrêt maladie, dans l'impossibilité de prendre avant la fin de sa relation de travail, méconnaissent les objectifs de la directive du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail tels qu’interprétés par la jurisprudence de la CJCE (grande chambre, 20 janvier 2009, Schultz-Hoff e. a., aff. C-350/06 et C-520/06).

En revanche, c’est dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation et sans dénaturation que la cour a relevé que les pièces médicales produites par la demanderesse se bornaient à attester de l'imputabilité au service de l'accident du 3 mai 2004 et d'un suivi médical mais ne démontraient pas que le refus en cause lui aurait par lui-même causé des souffrances morales. Semblablement, c’est sans inverser la charge de la preuve que la cour a demandé à l’intéressée la production des éléments qui étaient nécessaires à l'appréciation de la réalité du préjudice invoqué et de son lien avec une éventuelle faute de l'administration, et qui ne pouvaient être produits que par elle ou, à sa demande, par sa caisse de retraite, puis que, ayant constaté l’absence de production de ces éléments, elle a jugé que la requérante ne justifiait pas de la réalité du préjudice invoqué.

Enfin, concernant la demande relative à l'indemnisation des congés annuels non pris, le juge de cassation oppose la prescription quadriennale née de ce que le fait générateur de la créance est apparu  le 15 septembre 2009, à une date où la requérante n'avait pas pu prendre les congés annuels correspondant aux cinq années précédentes, pendant lesquelles elle était en arrêt maladie. Or, alors qu’aucun fait ou acte n’a interrompu le cours de la prescription, elle n’a formé sa réclamation pécuniaire préalable que le 2 janvier 2014, trop tardivement puisque la prescription était acquise le 31 décembre 2013. Dura lex sed lex

(13 décembre 2023, Mme B., n° 449752)

 

171 - Agent public contractuel – Médecin de prévention au sein de services ministériels déconcentrés – Licenciement – Conclusions jugées irrecevables pour tardiveté – Rejet.

Licenciée pour insuffisance professionnelle, l’intéressée a, dans le délai de recours contentieux de deux mois à compter de la notification de cette décision, adressé à l'administration un recours, qu'elle a qualifié de « recours gracieux », par lequel elle a indiqué, après avoir contesté les motifs de son licenciement qu’elle estimait « sans cause réelle et sérieuse », prendre acte de la décision de licenciement prise à son encontre, et s'est bornée à demander « l'application de la loi en réparation des préjudices subis pour licenciement abusif ».

La cour administrative d’appel a jugé que les conclusions dont elle a saisi le tribunal administratif étaient tardives et donc irrecevables car il résulte de ce qui vient d’être dit que Mme B. n'avait souhaité tirer de conséquences de son licenciement que sur le terrain indemnitaire. Elle avait donc saisi l'administration d'une demande indemnitaire préalable mais non d'un recours administratif de nature à interrompre le délai de recours en excès de pouvoir à l'encontre de la décision de licenciement.

Le juge de cassation approuve cette solution.

(13 décembre 2023, Mme B., n° 459853)

 

172 - Fonctionnaire de police – Mutation irrégulière – Annulation – Obligation s’imposant à l’administration – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Commet une erreur de droit conduisant à son annulation, l’arrêt d’appel qui, après avoir annulé l'arrêté prononçant la mutation du requérant dans l'intérêt du service, juge que cette annulation n'implique pas nécessairement la réintégration de l’intéressé dans ses fonctions et se borne à enjoindre à l'administration de l'affecter dans un poste de niveau comparable, alors qu’il est constant qu’en cas d’annulation pour illégalité d’une décision de mutation d’un agent public l’autorité compétente est tenue de replacer l'intéressé dans l'emploi qu'il occupait précédemment et de reprendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière à la date de sa mutation.

Il n’y a d’exceptions à cette exigence que si la réintégration est impossible, soit que cet emploi ait été supprimé ou substantiellement modifié, soit que l'intéressé ait renoncé aux droits qu'il tient de l'annulation prononcée par le juge ou qu'il n'ait plus la qualité d'agent public. 

(13 décembre 2023, M. A., n° 465836)

 

173 - Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – Fonctionnaire - Indemnités sous forme de prime de restructuration de service, d’allocation d’aide à la mobilité du conjoint, indemnité de départ volontaire – Annulation partielle.

Le requérant a demandé l’annulation de la décision du 15 juillet 2020 par laquelle la déléguée régionale Île-de-France du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) a rejeté sa demande du 9 mars 2020 tendant au bénéfice des indemnités prévues par les décrets nos 2008-366 et 2008-368 du 17 avril 2008 au titre du transfert de l'École normale supérieure (ENS) Paris-Saclay du site de Cachan vers le plateau de Moulon à Gif-sur-Yvette.

Si la demande d’annulation des deux décisions refusant au requérant le bénéfice de la prime de restructuration de service, de l'allocation d'aide à la mobilité du conjoint et d'indemnité de départ volontaire prévues par l’arrêté du 2 juillet 2019, est rejetée, en revanche, est jugée fondée l’invocation du principe d’égalité entre agents d’un service faisant l’objet d’une restructuration. Ainsi  l'arrêté du 2 juillet 2019 a créé une différence de traitement qui ne saurait être justifiée par la seule absence de demande du CNRS tendant à l'édiction d'un tel arrêté, laquelle n'est pas exigée par les textes, dès lors qu’ayant ouvert le bénéfice des indemnités instituées par les décrets du 17 avril 2008 aux seuls agents de l'ENS Paris-Saclay affectés au sein du laboratoire PPSM-UMR 8531 au titre du transfert de ce laboratoire du site de Cachan de l'ENS Paris-Saclay vers le plateau de Moulon à Gif-sur-Yvette, il a refusé d'inclure les agents du CNRS affectés au sein de ce même laboratoire dans le champ de cet arrêté. Celui-ci est donc entaché d’illégalité pour méconnaissance du principe d'égalité.

(14 décembre 2023, M. B., n° 473265 et n° 473276)

 

174 - Sapeur pompier professionnel - Médecin-chef d’un service de santé et de secours médical d’un service départemental d'incendie et de secours (SDIS) – Mise à disposition auprès de CHU – Emploi entrant dans la catégorie « services actifs » - Prise en compte pour le calcul des droits à pension de retraite – Rejet.

Un médecin sapeur-pompier professionnel occupant l'emploi de médecin-chef du service de santé et de secours médical au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) du Bas-Rhin, a été mis à disposition des hôpitaux universitaires de Strasbourg pendant trois ans pour y exercer les fonctions de directeur médical du SAMU-SMUR de Strasbourg.

Il a demandé à  Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales de prendre en compte en catégorie active, pour le décompte de ses droits à pension, ces trois années de mise à disposition. Le directeur de cette caisse ayant rejeté sa demande, il a saisi le tribunal administratif d'une demande d'annulation de cette décision de rejet.

Le tribunal a annulé cette décision et enjoint au directeur de la caisse de procéder au réexamen de la situation du demandeur.

Sur pourvoi de la caisse, le Conseil d’État confirme le jugement qu’elle conteste. Il décide, se fondant sur les dispositions de l’art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite, que les fonctionnaires occupant un emploi classé dans la catégorie active bénéficient de ces dispositions lorsqu'ils sont mis à disposition, ainsi qu'il résulte de l'art. 61 de la loi du 26 janvier 1984 selon lequel les fonctionnaires mis à disposition sont réputés occuper leur emploi, sans qu'il y ait lieu de rechercher s'ils exercent des fonctions analogues, par leur nature ou les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'ils exerçaient lorsqu'ils occupaient un emploi classé dans la catégorie active. 

C’est sans erreur de droit que le tribunal a jugé en ce sens.

(14 décembre 2023, Caisse des dépôts et consignations, n° 470520)

 

175 - Services pris en compte pour le calcul de la pension de retraite – Période de prolongation d’activité retenue sur le fondement de l’art. 1-1 de la loi du 13 septembre 1984 – Erreur de droit – Annulation.

L’intéressée, ancienne greffière de cour d'appel, a été maintenue dans ses fonctions après avoir atteint la limite d'âge, du 5 mai 2019 au 30 avril 2020. Cette période n'a pas été prise en compte, pour le calcul de sa pension de retraite, par le titre de pension qui lui a été concédé et le directeur du service des retraites de l'État a rejeté la demande de l’intéressée tendant à ce que cette période soit prise en compte et que soit révisée sa pension de retraite.

Le tribunal administratif, saisi par la pensionnée, a annulé ces rejets et enjoint que soit pris en compte dans le calcul des droits à pension de retraite de la requérante les services accomplis du 5 mai 2019 au 30 avril 2020.

Le ministre des finances se pourvoit contre ce jugement.

Le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit contenue dans ce jugement. Pour dire que la demanderesse avait droit à la prise en compte de la période litigieuse, le tribunal s’est fondé sur les dispositions du décret du 30 décembre 2009 pris pour l'application de l'article 1-3 de la loi du 13 septembre 1984 relative à la limite d'âge dans la fonction publique et le secteur public. Or la demande de prolongation d'activité de l’intéressé, qui n'appartenait pas à un cadre d'emplois dont la limite d'âge est inférieure à celle prévue au premier alinéa de l'article 1er de la loi du 13 septembre 1984, se fondait sur les dispositions de l'article 1-1 de cette loi. Dès lors, le tribunal ne pouvait pas, en l’espèce, faire application des dispositions du décret du 30 décembre 2009, qui ne concernent que les demandes présentées sur le fondement de l'article 1-3 de la même loi.

(14 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 471202)

 

176 - Services pris en compte pour le calcul de la pension de retraite – Période de prolongation d’activité non retenue – Annulation – Rejet du pourvoi.

C’est sans erreur de droit, contrairement à ce qui est soutenu par le pourvoi, qu’un jugement retient qu’un agent public admis à la retraite par arrêté d’une rectrice d'académie du 1er mai 2018 avec effet à cette date, puis, après retrait de cet arrêté par un nouvel arrêté rectoral du 30 août 2018, n'était pas, au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 161-22-1 A du code de la sécurité sociale (selon lesquelles « La reprise d'activité par le bénéficiaire d'une pension de vieillesse personnelle servie par un régime de retraite de base légalement obligatoire n'ouvre droit à aucun avantage de vieillesse, de droit direct ou dérivé, auprès d'aucun régime légal ou rendu légalement obligatoire d'assurance vieillesse, de base ou complémentaire »), en situation de reprise d'activité lorsqu'il a occupé, du 5 au 29 septembre 2018, avant sa mise à la retraite au 1er octobre 2018, un emploi d'adjoint administratif, et que, par suite, et sans que la liquidation de sa pension de retraite du régime général d'assurance vieillesse ait d'incidence à cet égard, les dispositions de cet article ne pouvaient par elles-mêmes faire obstacle à la prise en compte des services accomplis par cet agent pendant cette période.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466534)

 

177 - Professeur des écoles ancien instituteur – Invocations du principe d’égalité – Rejet.

Le litige portait sur les conditions et les effets de l’intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles après sa création par le décret du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles. Parmi les moyens développés au soutien d’une demande d’indemnisation à raison de préjudices qu’elle aurait subis de ce fait, la requérante se prévalait par deux fois du principe d’égalité entre agents publics.

En premier lieu, le juge rappelle que le principe d'égalité ne s’applique normalement qu'entre les agents appartenant à un même corps, sauf à ce que la norme en cause ne soit, en raison de son contenu, pas limitée à un même corps ou à un même cadre d'emplois de fonctionnaires. En l’espèce, la requérante ne pouvait pas invoquer le principe d'égalité pour contester la différence de traitement dont les instituteurs et les professeurs des écoles feraient l'objet dans le déroulement de leur carrière à raison de l'appartenance de leurs corps respectifs à des catégories différentes.

En second lieu, le juge de cassation estime que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que le décret du 1er août 1990 portant statut particulier des professeurs des écoles a pu, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir des règles différentes pour le classement des agents intégrant le corps des professeurs des écoles par la voie de concours externes, d'une part, et le reclassement avec reprise d'ancienneté des fonctionnaires qui appartenaient au corps des instituteurs intégrant ce corps par la voie de concours internes ou d'inscription sur des listes d'aptitude, d'autre part, dès lors que ces règles ne s'appliquent qu'à l'entrée dans le corps et que la carrière des agents recrutés par les différentes voies est ensuite régie par les mêmes dispositions.

(22 décembre 2023, Mme C. épouse A., n° 472661)

 

178 - Personnels enseignants relevant du ministère de l’agriculture – Prime d’équipement informatique – Prime non accordée aux professeurs de la discipline « documentation » – Atteinte justifiée au principe d’égalité entre membres d’un même corps – Rejet.

Les requérants se plaignaient de n’être points bénéficiaires, comme les autres collègues de l’enseignement agricole public, de la prime d’équipement informatique créée par l’art. 1er du décret n° 2021-1095 du 18 août 2021 : ils contestaient ce qu’ils considèrent être une atteinte au principe d’égalité entre agents membres d’un même corps.

Le Conseil  d’État rappelle, ce qui n’a pas la vertu d’évidence, qu’il peut être porté atteinte au principe d’égalité non seulement entre agents appartenant à des corps différents (solution ancienne et classique, voir, par exemple, la décision rapportée au n° 177) mais encore entre agents d’un même corps de fonctionnaires en raison de différences dans les conditions d'exercice de leurs fonctions.

En l’espèce, aussi bien quantitativement que qualitativement, il ressort du dossier qu’eu égard aux conditions d'exercice de leurs fonctions, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu le principe d'égalité en excluant les professeurs de la discipline de documentation du bénéfice de la prime annuelle d'équipement informatique instituée par le décret attaqué, compte tenu de l'objet de cette prime, quand bien même ces fonctionnaires appartiennent aux mêmes corps que les autres enseignants de l'enseignement agricole.

La solution a l’inconvénient de « saucissonner » à l’extrême les régimes applicables aux fonctionnaires et agents publics en multipliant les particularités prises en compte à l’intérieur de chaque corps d’agents nuisant d’autant au principe de l’unité de corps.

(20 décembre 2023, Syndicat national de l'enseignement technique agricole public - Fédération syndicale unitaire (SNETAP-FSU), n° 457698)

 

179 - Magistrate – Congés maternité fractionnés – Nomination sur avis défavorable du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – Suspension de l’avis – Injonction d’un réexamen de la demande de réintégration.

La requérante a bénéficié d’un congé maternité au cours de sa scolarité à l’École nationale de la magistrature, puis, au terme de cette scolarité, a été nommée à Amiens, poste qu’elle avait choisi en fonction de son rang de classement. Elle n’a pas occupé ce poste du fait de sa nouvelle mise en congé maternité. En vue de sa réintégration, au terme de ce dernier congé, elle a émis, conformément à la procédure applicable, trois choix d’affectation, à Alès, Auxerre et Montpellier. Le ministre de la justice a agréé sa nomination à Alès et l’a soumise à la formation compétente du CSM qui a émis un avis non conforme par le motif que « le fait de solliciter un congé parental de très courte durée, à répétition, et, sans avoir jamais rejoint le poste qu'elle s'était engagée à occuper à l'issue de sa scolarité à l'École nationale de la magistrature, de demander sa réintégration sur un autre poste, constitue une fraude à la loi. Le Conseil invite la direction des services judiciaires à faire pleinement application des dispositions de l'art. 72-3 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 et notamment son dernier alinéa qui prévoit une priorité de réintégration du magistrat en congé parental sur le poste précédemment exercé. »

 L’intéressée demande la suspension de cet avis dans l’attente du jugement de son recours sur le fond.

Le Conseil d’État juge remplie la condition d’urgence car la requérante et son conjoint, qui a quitté son emploi pour ce faire, se sont installés à Nîmes (Gard) sans attendre l'avis du CSM, afin de pouvoir notamment organiser au mieux la garde de leur bébé qui n'est âgé que de 8 mois. L'exécution de l'avis contesté leur impose un nouveau déménagement, alors que la requérante, en congé parental, est privée de son traitement. 

Il juge également que si Mme B. détenait un droit à être réintégrée dans l'emploi dans lequel elle avait été nommée à Amiens, il n'apparaît pas que le ministre de la justice disposait, sur le fondement de l’art. 72-3 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958, du pouvoir de lui imposer d'être réintégrée dans le poste de juge placé auprès du Premier président de la cour d'appel d'Amiens dans lequel elle avait été nommée à l'issue de sa scolarité à l'ÉNM.

En conséquence, le moyen pris de ce que le CSM a fait une application erronée de ces dispositions en considérant qu'il y avait lieu, en priorité, de la réintégrer dans ce poste apparaît propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de son avis.

Un second moyen apparaît également créer un doute sérieux, celui tiré de ce que l’intéressée, dans toutes ses démarches, n'a fait que se conformer en tout point aux indications qui lui ont été données par la Direction des services judiciaires, qu’il s’agisse de la demande et de l'obtention du congé parental,  puis de ce qu’elle a postulé, à l'issue de ce congé parental, sur le poste à Alès ou encore de sa demande de renouvellement de son congé parental qui a été suggérée par la chancellerie, soucieuse de placer l'intéressée dans une position statutaire régulière dans l'attente de l'aboutissement de la procédure visant à la nommer à Alès.

Dès lors apparaît sérieux le moyen que c'est par une appréciation erronée des circonstances de l'espèce que le CSM a considéré que le comportement de la requérante révélait une fraude à la loi.

L’exécution de l’avis querellé est suspendu jusqu’au jugement sur le fond et injonction est faite au ministre de la justice de réexaminer la demande de réintégration de Mme B. à l'issue de son congé parental dans un délai d'un mois à compter de la notification de cette ordonnance.

(ord. réf. 21 décembre 2023, Mme Marion Benslimane, n° 489598)

 

180 - Professeur du second degré – Régime disciplinaire – Principes et règles régissant la communication du dossier disciplinaire à l’intéressé – Portée du principe non bis in idem en l’espèce – Annulation partielle mais sans effet sur l’arrêt critiqué dont le premier motif justifie le dispositif – Rejet en substance.

Un professeur du second degré (philosophie) a été sanctionné par une mise à la retraite d’office, prononcée par arrêté du ministre de l’éducation, en raison de manquements à ses obligations déontologiques ainsi qu'à son devoir de neutralité et d'obéissance hiérarchique.

Le juge des référés ayant suspendu l'exécution de cette sanction, le ministre a réintégré l'intéressé et pris à son encontre la sanction d'exclusion temporaire, pour une durée de dix-huit mois assortie d'un sursis de douze mois.

Le tribunal administratif a annulé la sanction de mise à la retraite d'office et rejeté la demande de l’intéressé tendant à l'annulation de la sanction d'exclusion temporaire. Puis, la cour administrative d'appel, sur appel de l’intéressé, a annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions dirigées contre la sanction d'exclusion temporaire et annulé cette sanction. 

Le ministre de l'éducation nationale se pourvoit en cassation de cet arrêt.

 

1 - La cour s’était fondée sur deux moyens pour annuler la décision ministérielle.

 

a/ Le premier moyen est un moyen de forme relatif à une garantie de procédure instituée au profit de l’agent public. La cour a relevé, d’une part, qu’en l’espèce, pour prendre la sanction litigieuse, le ministre s’était fondé sur un rapport conjoint de l'inspection générale de l'éducation nationale et de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche et sur des « témoignages concordants » recueillis par la mission d'inspection, d’autre part, que si ce rapport avait été communiqué à l'intéressé, ces témoignages ne l'avaient pas été et que seuls des extraits de ces témoignages figuraient au rapport. Elle a, en conséquence, considéré que la communication à l'intéressé des seuls extraits de témoignages reproduits dans le rapport d'inspection ne suffisait pas à garantir les droits de la défense, dès lors que la sanction était fondée sur l'ensemble des témoignages. Elle a donc pu en déduire, sans erreur de droit, que, faute que l'intégralité de ces témoignages, qu'il appartenait à l'administration d'anonymiser, s'agissant de témoignages d'élèves sur leur professeur, en fonction de son appréciation du risque de préjudice pour ceux-ci, lui aient été communiqués, le demandeur avait été privé de la garantie d'assurer utilement sa défense. D’où l’annulation prononcée au terme d’une appréciation souveraine que le juge de cassation estime exempte de dénaturation.

On remarquera sur ce point que le ministre défendeur soutenait en cassation que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant la procédure irrégulière alors que le requérant n'avait pas demandé communication des témoignages. Ce moyen de défense est fondé car il incombe à l’agent poursuivi de demander lui-même la communication intégrale ou, du moins, la plus complète possible, des témoignages, toutefois, en l’espèce, ce moyen a été présenté pour la première fois en cassation, étant donc nouveau en cassation, il est inopérant et rejeté comme tel.   

 

b/ Le second moyen est tiré du principe, commun à toutes les branches du droit de la sanction (pénal, disciplinaire, administrative), non bis in idem qui interdit de sanctionner deux fois une personne juridique (physique et/ou morale) à raison d’un même fait reproché.

La cour, relevant que la sanction d'exclusion temporaire infligée au demandeur le 10 décembre 2018 l'avait été pour les mêmes faits que la sanction de mise à la retraite d'office prise le 31 juillet 2018, qui demeurait dans l'ordonnancement juridique dès lors que seule son exécution avait été suspendue par le juge des référés, a jugé que le demandeur avait été illégalement sanctionné deux fois pour les mêmes faits. Sur ce point l’arrêt est annulé pour erreur de droit car à la date de la sanction d'exclusion temporaire litigieuse, celle-ci était la seule sanction susceptible de produire des effets par suite de la suspension par le juge des référés de la décision de mise à la retraite d’office.

 

2 - Cette solution appelle plusieurs précisions d’importance.

 

a/ Sur l’office du juge de cassation en présence d’une pluralité de motifs, les uns erronés les autres fondés.

Tout d’abord, elle réitère une jurisprudence désormais bien établie selon laquelle, sauf en excès de pouvoir, lorsque le juge de cassation est saisi d'un pourvoi dirigé contre une décision juridictionnelle reposant sur plusieurs motifs dont l'un est erroné, il ne lui appartient pas de rechercher si la juridiction aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur les autres motifs mais doit accueillir le pourvoi, sauf si ce motif erroné présente un caractère surabondant. Ensuite, dans le cas d’un recours en excès de pouvoir, lorsque la décision juridictionnelle attaquée prononce l'annulation d'une décision administrative en retenant un ou des moyens de nature à justifier cette annulation, il incombe au juge de cassation, de rejeter le pourvoi mais, en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache aux motifs constituant le soutien nécessaire du dispositif de la décision juridictionnelle déférée, il entre dans l’office du juge de cassation de ne prononcer ce rejet qu’après avoir, au préalable, censuré celui ou ceux de ces motifs qui étaient erronés.

 

b/ Sur la portée de la communication intégrale de son dossier à l’agent faisant l’objet d’une procédure disciplinaire.

Il est rappelé que dans le cas où l'autorité disciplinaire se fonde sur le rapport établi par une mission d'inspection, elle doit mettre cet agent à même de prendre connaissance de celui-ci ou des parties de celui-ci relatives aux faits qui lui sont reprochés, ainsi que des témoignages recueillis par les inspecteurs dont elle dispose, notamment ceux au regard desquels elle se détermine. Une restriction importante est apportée à ce principe général lorsque la communication d'un témoignage comporterait un risque avéré de préjudice pour son auteur au regard de la situation particulière du témoin vis-à-vis de l'agent public mis en cause. En ce cas, d’une part, l'autorité disciplinaire ne communique ce témoignage à l'intéressé que s'il en forme la demande, d’autre part, cette communication ainsi demandée s’effectue selon des modalités préservant l'anonymat du témoin.

 

c/ Sur la substitution de sanction dans le cadre d’un référé.

Lorsque le juge des référés a suspendu l'exécution d'une sanction en raison de son caractère disproportionné, l'autorité compétente, peut, éventuellement sans attendre qu'il soit statué sur le recours en annulation joint à la demande de suspension, prendre une nouvelle sanction, plus faible que la précédente. Ce faisant, cette autorité ne méconnaît ni le caractère exécutoire et obligatoire de l'ordonnance de référé, ni le principe général du droit selon lequel une autorité administrative ne peut sanctionner deux fois la même personne à raison des mêmes faits. De plus, en cas de rejet du recours tendant à l'annulation de la sanction initialement prononcée et provisoirement suspendue, l’autorité compétente demeure libre de retirer l'une ou l'autre des sanctions. 

(Section, 22 décembre 2023, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, n° 462455)

 

181 - Droits à pension de retraite – Prolongations successives d’activité accordées avant la rupture du lien avec le service – Conditions et effets – Rejet.

Dans cette importante décision, qui aurait pu prendre la forme d’un arrêt de Section, le Conseil d’État entérine la solution adoptée par le tribunal administratif en matière de prolongations successives d’activité en vue, pour un agent, d’optimiser le montant de sa pension de retraite.

Il y est jugé que les agents publics qui ont obtenu, avant d’avoir atteint la limite d’âge, plusieurs autorisations successives de prolongation de leur activité au-delà de cette limite, sous réserve de l’intérêt du service et de ne pas dépasser un maximum de dix trimestres supplémentaires, ont droit à la prise en compte de l'ensemble des périodes correspondantes pour la détermination des droits à pension, alors même qu'une partie de ces autorisations avaient été accordées après la survenance de la limite d'âge.

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 472933)

 

182 - Constitution de droits à pension – Demande de validation de certains trimestres – Demande postérieure à l’acceptation de la proposition de l’administration – Irrecevabilité – Rejet et annulation.

L’agent qui, dans le délai prévu à l'art. D. 2 du code des pensions civiles et militaires de retraite, n'a pas contesté la proposition de validation de ses services d'auxiliaire à temps incomplet que lui a adressée le ministre de l'économie mais l'a au contraire acceptée, est irrecevable à demander l’annulation des décisions refusant de porter de deux à six le nombre de trimestres validés pour les mêmes services, ces décisions n’ayant qu'un caractère purement confirmatif de la décision initiale de validation devenue irrévocable. A donc commis une erreur de droit la magistrate du tribunal administratif à ce déléguée qui a jugé recevables les conclusions de l’intéressé. 

(22 décembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 472185)

 

183 - Imputabilité d’une maladie au service – Conditions – Présomption – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Rappel du principe bien établi selon lequel une maladie contractée par un militaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel du militaire ou toute autre circonstance particulière conduise à détacher du service la survenance ou l'aggravation de la maladie.

En conséquence, qualifie inexactement les faits de l’espèce et encourt l’annulation, l’arrêt jugeant qu’en raison des difficultés familiales rencontrées par la requérante le lien direct entre la pathologie dont souffre Mme C. et le service ne pouvait être regardé comme établi alors que l’arrêt lui-même et les pièces jointes relatent que les relations professionnelles au sein de l'unité dans laquelle était affectée Mme C. étaient extrêmement tendues, ainsi que l'établissait le rapport de l'enquête de commandement conduite à l'automne 2015, que les rapports de la requérante avec sa hiérarchie étaient dégradés et qu'un certificat médical imputait à ces circonstances les souffrances psychologiques subies par Mme C.

(29 décembre 2023, Mme C., n° 469382)

 

184 - Gardien de la paix – Participation à un groupe de discussion sur une messagerie – Activité se déroulant partiellement en dehors du service – Abstention de modérer ou dissuader la tenue de propos violents déplacés – Révocation – Sanction non disproportionnée – Rejet.

Un gardien de la paix est révoqué de ses fonctions pour s’être abstenu, au cours d’un forum entre collègues fonctionnaires de police sur la messagerie WhatsApp, de modérer des propos violemment racistes, misogynes, antisémites et discriminatoires émis par les autres membres du groupe, ou de les dissuader d’en tenir et pour avoir lui-même tenu à quatre reprises des propos racistes et discriminatoires.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a estimé justifié le principe d’une sanction et non disproportionné son quantum.

Le pourvoi est rejeté en ces deux chefs de griefs en dépit de ce que ces propos ont été tenus en partie en dehors du service et des bons états de service de l’agent concerné.

Cette solution est bien dans l’air du temps mais ne dispense pas de s’interroger sur les conditions de la captation des propos et sur le respect, en l’espèce, de la loyauté de la preuve.

(28 décembre 2023, M. A., n° 474289)

 

185 - Fonctionnaire – Condamnation pénale – Peine complémentaire d’interdiction d’exercer certaines fonctions – Conséquences à tirer par l’administration – Erreur de droit – Annulation.

Un agent appartenant au corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire a fait l’objet d’une condamnation pénale assortie d’une peine complémentaire pour faits de violence sur la personne d’un détenu.

Le garde des sceaux l’ayant radié des cadres, l’intéressé a obtenu du juge des référés la suspension de l’exécution de cette mesure. Le ministre se pourvoit en cassation de cette ordonnance de suspension.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance.

En effet, lorsqu'un agent public a été condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, les fonctions dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice desquelles l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation. Cette autorité est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. Cette autorité est, en ce cas, en situation de compétence liée à la fois du fait du principe que le criminel tient le civil (et donc l’administratif) en état et en raison de l’autorité de chose jugée au pénal.

(29 décembre 2023, M. B’tina, n° 475893)

 

Hiérarchie des normes

 

186 - Convention d'aide mutuelle judiciaire entre le Gabon et la France – Demande d’exéquatur à la juridiction administrative française d’arrêts rendus par le Conseil d’État gabonais – Principes de droit international coutumier - Immunité juridictionnelle des États – Immunité d’exécution - Distinction entre actes de gestion et actes participant de la souveraineté des États – Conditions d’une éventuelle renonciation de l’État à son privilège de juridiction – Annulation.

Cette décision donne une solution classique à une question classique de droit processuel international, illustrant l’une des plus criantes imperfections de l’ordre juridique international, imperfection à laquelle sont attachés tous les États, très soucieux, en protégeant la souveraineté des autres États, de sauvegarder leur propre souveraineté sous la forme de l’immunité de juridiction. Cette solution d’un autre temps subsiste en dépit du développement de l’État de droit, d’une reconnaissance croissante des droits subjectifs des sujets de droit, privés comme publics, personnes physiques comme personnes morales et d’une internationalisation des droits de l’homme. Outre le paradoxe né de ce double mouvement en sens contraire, il est piquant de voir cela reposer sur une fantomatique « souveraineté » dont on peut se demander ce qu’elle recouvre à part que les gros peuvent manger impunément les petits.

La requérante a saisi le président du tribunal administratif de Paris de deux demandes.

La première tend à le voir ordonner, sur le fondement de la convention d'aide mutuelle judiciaire, d'exéquatur des jugements et d'extradition entre la France et le Gabon du 23 juillet 1963, l'exéquatur d’arrêts par lesquels le Conseil d'État gabonais a reconnu la responsabilité de l'État gabonais dans le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à cette société et a condamné cet État à lui verser la somme de 11 184 814 496 francs CFA. Cette demande mettait donc en jeu, non l’immunité juridictionnelle d’un État mais l’immunité d’exécution.

La seconde demande tend à la conversion en euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'intervention de ces arrêts portant condamnation de l’État gabonais.

La présidente de l’une des sections du tribunal administratif de Paris ayant rejeté par ordonnance ces demandes comme manifestement irrecevables, la société requérante se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

En premier lieu, le Conseil d’État, au visa de la convention précitée de 1963, spécialement ses articles 34 et 43, rejette l’exception d’incompétence de la juridiction administrative française soulevée par l’État gabonais dès lors que les arrêts du Conseil d'État gabonais condamnant l'État gabonais à indemniser la Société gabonaise d'édition et de communication pour le démantèlement par la force publique de panneaux publicitaires appartenant à cette société relèvent de la matière administrative au sens et pour l'application des stipulations de l'article 43 de la convention franco-gabonaise du 23 juillet 1963.

En deuxième lieu, est cassée pour une évidente erreur de droit l’ordonnance attaquée en ce qu’elle fonde l’irrecevabilité manifeste qu’elle a opposée à la société demanderesse sur la circonstance que les arrêts du Conseil d'État gabonais étaient relatifs à des faits s'étant déroulés sur le territoire du Gabon et ne présentant ainsi aucun lien avec la France.

En troisième lieu enfin, sur le fond, le pourvoi est rejeté en vertu du principe de droit international coutumier d’immunité des États (qu’exprime l’adage « par in parem non habet jurisdictionem » ; sur ces points, voir : RICCI J.-C. et LOMBARD F., Droit administratif des obligations, Sirey Université, 2018, p. 387 et s., § 739-742 et la jurisprudence citée). Le juge rappelle, d’une part, que ce principe couvre tous les actes étatiques qui participent, par leur nature ou leur finalité, à l'exercice de la souveraineté de l’État dits de iure imperii, à la différence des actes de gestion, ou de iure gestionis, qui ne bénéficient pas de ce privilège.

Il ajoute ici cette précision, quelque peu inédite, qu’un État peut renoncer à son immunité de juridiction dans un litige, y compris par l'effet d'engagements résultant d'une convention internationale. Dans tous les cas, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation entérinée par le Palais-Royal, cette renonciation doit être certaine, expresse et non équivoque.

Tel n’est pas le cas en l’espèce où l’on se trouve bien en présence d’un acte de souveraineté et où il n’existe pas de « renonciation certaine, expresse et non équivoque ».

La requête est rejetée.

(Section, 22 décembre 2023, Société gabonaise d'édition et de communication, n° 463451)

 

Libertés fondamentales

 

187 - Liberté de manifestation – Droit à recours juridictionnel effectif – Atteintes – Refus de transmission d’une QPC portant sur l’art. L. 211-4 du code de la sécurité intérieure.

Dans le cadre d’un contentieux né de ce que la requérante estime contraires aux art. 11 et 13 de la Convention EDH les art. L. 211-4 et R. 211-26-1 du code de la sécurité intérieure et R. 644-4 du code pénal en ce qu’ils porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté de manifester et au droit à un recours juridictionnel effectif, celle-ci a soulevé une QPC fondée sur ces deux libertés constitutionnelles. 

La transmission est refusée et le recours rejeté au fond.

Sur la QPC, le rejet opposé par le Conseil d’État peut laisser dubitatif.

La requérante soutenait l’inconstitutionnalité de l’art. L. 211-4 précité pour un triple motif, cette disposition ne fixant pas de délai minimal de principe entre la notification d'une interdiction de manifester et la date de la manifestation, auquel il ne pourrait être dérogé qu'en cas d'urgence liée à un risque d'atteinte grave à la sécurité publique, en ne confèrant pas d'effet suspensif au recours juridictionnel formé contre une telle interdiction et en ne prévoyant pas de mesures d'information adéquates et effectives de l'arrêté d'interdiction auprès de l'ensemble des manifestants potentiels. Les deux premiers moyens méritaient de retenir l’attention. Le juge balaie les objections au moyen d’un argumentaire assez faible selon lequel la déclaration d'une manifestation peut être faite jusqu'à trois jours francs avant la date de l'évènement, les risques de troubles à l'ordre public peuvent ne se révéler que peu de temps avant la tenue de la manifestation, enfin, l'autorité administrative doit, avant de prendre une décision d'interdiction de la manifestation, évaluer si d'autres mesures moins attentatoires à la liberté de manifester seraient de nature à prévenir ces risques puis, normalement, mettre les organisateurs à même de faire valoir leurs observations sur l'interdiction ou les restrictions envisagées.

Le juge retient aussi que la décision interdisant une manifestation sur la voie publique doit être dûment notifiée aux organisateurs et préciser les motifs, la date, les horaires et le périmètre de l'interdiction et qu’elle doit être portée à la connaissance du public par tout moyen utile.

Certes, il concède que l’autorité de police doit procéder, dans toute la mesure du possible, à ces différentes mesures d'information dans un délai permettant de saisir utilement le juge administratif, notamment celui chargé des référés mais en réalité les requérants, semble-t-il, ne demandaient pas autre chose. On a un peu l’impression d’un dialogue de sourds. S’il n’y a pas urgence, on ne peut dire que la solution retenue soit celle d’une solution équilibrée, en revanche, la position du juge se défend en cas d’urgence ou toute autre circonstance spéciale.

Sur le fond, il ne semble pas que soit conforme aux art. 11 et 13 de la convention EDH un régime juridique qui ne prévoit, dans de telles circonstances, ni un effet suspensif au recours nécessairement formé à bref délai ni un délai minimal de communication de l’interdiction avant la date prévue pour la manifestation. Au reste, en plusieurs de ses décisions récentes, le juge des référés du Conseil d’État a déploré la tardiveté de mesures, préfectorale et/ou ministérielle, d’interdiction, ce qui est un peu contradictoire avec la position adoptée dans cette affaire.

(04 décembre 2023, Ligue des droits de l’homme, n° 487984)

 

188 - Régime de la garde à vue et de la rétention dans les locaux prévus à cet effet. – Respect de la dignité des personnes concernées – Absence d’atteintes systémiques à cette dignité – Efforts et décisions des pouvoirs publics – Rejet.

La requérante demandait, d’une part, l’annulation des décisions implicites par lesquelles le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont rejeté sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement et d’autre part, qu’une série d’injonctions soient adressées à ces ministres.

La requête est rejetée au moyen d’une argumentation qui peine à convaincre.

Pour le juge, s’il peut exister des situations locales déplorables, on ne saurait parler, comme la requérante, d’une atteinte systémique à la dignité des personnes concernées. Ceci résulterait des efforts importants déjà faits par l’administration, de ceux en cours ou à intervenir comme en témoigne par exemple l’importante augmentation des dépenses destinées à l'achat de couvertures et à leur nettoyage régulier. 

L’existence, enfin, de possibilités de recours devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif selon la matière en litige permet de corriger les dysfonctionnements éventuellement constatés et subis par les intéressés.

Au vu de tout cela, il est jugé qu'à la date de la présente décision, il n’existe pas de défaillances généralisées sur l'ensemble du territoire et d'une ampleur suffisante pour que soit établie une atteinte caractérisée, au niveau national, à la dignité de la personne humaine.

L’affirmation semble discutable, ainsi que le montre, par exemple, le rapport alarmant du Bâtonnier de Marseille, Me Mathieu Jacquier, du 22 décembre 2023, sur les conditions de garde à vue constatées le 19 décembre dans deux commissariats de Marseille, constat ayant entraîné la saisine du tribunal administratif.

Ce rejet tranche quelque peu avec les espoirs qu’avaient suscité deux récentes décisions d’Assemblée du 11 octobre 2023 (Ligue des droits de l’homme et autres, n°s 467771 et 467781, à propos de l’identifiant des forces de l’ordre ; Amnesty international France et autres, n° 454836, à propos des contrôles d’identité au faciès ; V. cette chronique, octobre 2023, n° 175 et n° 176).

(29 décembre 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

 

189 - Hospitalisation psychiatrique sans consentement – Mesures d’isolement et de contention – Décret du 23 mars 2022 – Atteintes à certaines libertés – Insuffisance des moyens permettant d’assurer l’effectivité de l’accès au juge et de l’exercice des contrôles – Rejet.

Les syndicats demandaient l’annulation du décret n° 2022-419 du 23 mars 2022 modifiant la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d'isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement. Les divers moyens soulevés sont rejetés. En particulier, ne sont pas retenus les griefs tirés de la méconnaissance par ce décret de la liberté individuelle (art. 66 de la Constitution) ainsi que du droit au recours effectif (art. 16 Déclaration de 1789), en ce qu'il instaure l'obligation de saisir le juge des libertés et de la détention pour le renouvellement d'une mesure d'isolement ou de contention et qu'il fixe à celui-ci un délai de vingt-quatre heures pour statuer, ces griefs relevant d’une QPC, absente ici.

Également, est rejeté le grief d’insuffisance des moyens en personnels (greffes et magistrats), ce qui rendrait ineffectif le contrôle prétendument exercé par les juridictions judiciaires.

Pareillement, n’est pas admis le moyen que, faute de prévoir des mesures transitoires nécessaires au recrutement et à l'affectation de juges des libertés et de la détention, le décret attaqué serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaîtrait la liberté individuelle et le droit au recours effectif garantis par les stipulations des art. 5 et 6 de la convention EDH, alors qu’il n’est pas démontré qu’une entrée en vigueur retardée était nécessaire pour tenir compte des conséquences du décret attaqué sur le fonctionnement des services, alors, au surplus, que les dispositions tendant à soumettre le maintien à l'isolement ou sous contention au-delà d'une certaine durée à l'intervention systématique du juge judiciaire étaient attendues depuis la décision du Conseil constitutionnel (n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021) abrogeant, à compter du 31 décembre 2021, les dispositions des troisième et sixième alinéas du paragraphe II de l'art. L. 3222-5-1 du code de la santé publique. 

(06 décembre 2023, Syndicat de la magistrature, Syndicat des avocats de France et Union syndicale de la psychiatrie, n° 464444)

 

190 - Demande d’asile ou de protection subsidiaire – Récusation d’une juge – Délai réduit de convocation à l’audience – Rejet.

Un ressortissant ouzbek s’est vu refuser l’asile ou la protection subsidiaire au motif qu’il ne démontrait pas le caractère fallacieux des accusations portées contre lui par son pays selon lesquelles il entretiendrait des liens avec des mouvements islamistes radicaux, ce qui a conduit  à ce que des poursuites pénales soient engagées à son encontre. Il se pourvoit, en vain, en cassation de cette décision, le Conseil d’État n’apercevant pas d’erreur de droit dans la décision querellée de la Cour nationale du droit d’asile. Toutefois, la décision est intéressante surtout par les deux points de procédure soulevés par le demandeur.

En premier lieu, il demandait la récusation de la présidente de la formation de jugement  en raison de ce qu’elle avait refusé d'autoriser le conseil du requérant à plaider sa demande de renvoi de l'affaire. Cette demande de récusation est rejetée car les propos alors tenus par cette magistrate n'ont porté que sur la seule question du report de l'audience et n'ont ainsi pas été de nature à établir l'existence d'un pré-jugement de l'affaire. C’est donc sans erreur de droit ou de qualification juridique des faits que la CNDA a jugé que ni la décision de refuser le renvoi de l'affaire en formation collégiale, ni le comportement de la présidente de la formation de jugement n'étaient susceptibles de mettre en doute l'impartialité de cette dernière.

En second lieu, le délai séparant la date de l’avis d’audience et la date de l’audience a été ramené en l’espèce de quinze à sept jours, ce qui est possible lorsque l’OFPRA soit statue en procédure accélérée sur une demande d'asile, soit prend une décision d'irrecevabilité. Après avoir jugé qu’il lui incombait en sa qualité de juge de cassation, de vérifier, le cas échéant,  s’il a été fait un usage abusif de cette faculté, ce qui est assez nouveau, le Conseil d’État estime que tel n’a pas été le cas ici.

(06 décembre 2023, M. A., n° 464542)

 

191 - Statut de réfugié – Évolution – Disparition de la vie conjugale initiale – Accession à la majorité d’un mineur lors de l’octroi du statut – Régimes de droit – Annulation.

Apportant une précision et une clarification bienvenues, cette décision se prononce sur les évolutions des situations familiales des personnes auxquelles a été, à un moment donné, reconnu le statut de réfugié, et sur leurs effets sur ce statut.

Le juge envisage deux cas.

En premier lieu,  en vertu des principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la convention de Genève de 1951 sur les réfugiés, une personne ayant la même nationalité qu'un réfugié et qui, à la date à laquelle ce dernier a demandé son admission au statut, était unie à lui par le mariage ou entretenait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille, doit, sous réserve de l'application des clauses d'exclusion prévues par le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, se voir reconnaître la qualité de réfugié par l'OFPRA, à condition que ce mariage ou cette liaison n'ait pas cessé à la date à laquelle l'office se prononce.

En second lieu, en vertu de ces mêmes principes généraux, si les enfants de ce réfugié, qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France, sont devenus majeurs à la date à laquelle l'OFPRA se prononce, ne bénéficient pas ipso facto de la qualité de réfugiés, sauf s’ils sont à la charge de leurs parents ou s’il existe des circonstances particulières, tenant notamment à leur vulnérabilité, les mettant dans la dépendance de leurs parents, de nature à justifier l'application à leur profit de ces principes. 

(06 décembre 2023, M. A., n° 469817)

 

192 - Réfugié – Commission d’actes très graves – Exclusion du bénéfice de la Convention de Genève – Expulsion - Impossibilité d’opposer le principe de non refoulement à cette expulsion – Rejet.

Un ressortissant russe d’origine tchéchène qui s’est vu reconnaître la qualité de réfugié a été par la suite exclu du bénéfice de la Convention de Genève en raison de la commission de faits qui, par leur nature, par leur gravité et par leur dimension internationale, constituent des agissements contraires aux buts et principes des Nations unies, par application des dispositions du c) du F de l’article 1er de cette Convention.

En conséquence, a été décidé à son encontre, à sa sortie de prison, un arrêté d’expulsion et la fixation de la Russie comme pays de destination dont l’intéressé a demandé, en vain, la suspension par voie de référé liberté. Il interjette appel de l’ordonnance de rejet de sa demande.

Le Conseil d’État, juge d’appel en matière de référé liberté, confirme la décision du premier juge après avoir constaté que n’est apporté en appel aucun élément nouveau susceptible de remettre en cause l’ordonnance attaquée.

C’est peut-être avec beaucoup d’optimisme et un peu d’inconscience qu’il est précisé que l’intéressé n’établit pas, en cas de retour en Russie, risquer d'être soumis à la torture, à la peine de mort ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants prohibés par l'art. 3 de la convention EDH et les art. 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du fait du statut de déserteur qui serait actuellement le sien ou des opinions politiques qui lui seraient imputées.

(ord. réf. 29 décembre 2023, M. A., n° 490438)

 

193 - Demande d’asile – Refus par l’administration et rejets par les juges – Cour EDH demandant de ne pas éloigner l’intéressé jusqu’à l’achèvement de la procédure ouverte devant elle – Arrêté fixant l’Ouzbékistan comme pays de renvoi – Exécution annulée par le juge – Injonction de rapatrier en France l’intéressé.

Cette ordonnance de référé a fait grand bruit en ce qu’elle oblige l’État à revenir sur une décision autorisée par une juridiction en raison de ce que la situation créée par l’éloignement d’un ressortissant ouzbek vers son pays d’origine ne respecterait pas la demande de suspension de cet éloignement formulée par la Cour EDH dans sa décision du 26 avril 2022.

Un ressortissant ouzbek, après avoir fait l’objet d’une interdiction de territoire pour appartenance à la menace terroriste, a sollicité l’asile, ce qui lui a été refusé par une décision de l’OFPRA confirmée par un arrêt de la Cour nationale du droit d’asile. Entretemps et parallèlement à la fois, la Cour EDH, saisie par l’intéressé, a, une première fois, demandé aux autorités françaises de ne pas éloigner M. A. vers l'Ouzbékistan ou la Russie, dans l'attente de la décision de la CNDA. Après la décision de rejet de la CNDA, la Cour a décidé, pour la seconde fois, de proroger cette demande pour la durée de la procédure en cours devant elle. 

Puis, le ministre de l’intérieur a, par arrêté du 13 novembre 2023 fixé, à l’intéressé l’Ouzbekistan comme pays de destination et exéuté cet arrêté le 15 novembre 2023. Enfin, le tribunal administratif, saisi en référé liberté le 14 novembre 2023, a rejeté les demandes de l’intéressé.

Le Conseil d’État a été saisi d’un pourvoi en cassation de cette ordonnance de rejet.

Le juge des référés a estimé que le ministre de l'intérieur ne faisant valoir aucun obstacle objectif empêchant le gouvernement français de se conformer à la mesure prescrite et dont il aurait informé la Cour EDH afin de l'inviter à réexaminer la mesure conservatoire prescrite, il s’ensuit que l'éloignement à destination de l'Ouzbékistan de M. A., qui a été décidé en violation de la mesure provisoire prescrite par la Cour EDH, constitue une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

Il a, en conséquence, ordonné le retour en France du requérant.

En bref, il suffisait à la France de le maintenir en résidence surveillée jusqu’à la reddition de la décision de la Cour EDH.

À cette occasion, jugée emblématique par eux, certains élus ont demandé qu’il soit mis fin à la supériorité normative des traités internationaux sur les actes de droit interne celle-ci empêchant toute réforme sérieuse du droit de l’immigration.

(ord. réf. 07 décembre 2023, M. A., n° 489817)

 

194 - Demandeur d’asile – Acceptation des conditions matérielles d’accueil ne comportant pas hébergement – Refus de la proposition d’hébergement faite ultérieurement – Refus emportant celui des conditions matérielles d’accueil même acceptées antérieurement – Rejet.

De la combinaison, d’une part, des art. L. 551-9, L. 552-8 et L. 552-9 du CESEDA relatifs à l’octroi au demandeur d’asile de conditions matérielles d’accueil et, d’autre part, des art. L. 551-15 et L. 551-16 du même code, le juge tire cette conséquence, inaperçue jusqu’alors, que dans le cas où les conditions matérielles d'accueil initialement proposées au demandeur d'asile ne comportent pas encore la désignation d'un lieu d'hébergement, dont l'attribution résulte d'une procédure et d'une décision particulières, le refus par le demandeur d'asile de la proposition d'hébergement qui lui est faite ultérieurement doit être regardé comme un motif de refus des conditions matérielles d'accueil entrant dans le champ d'application de l'art. L. 551-15 du CESEDA et non comme un motif justifiant qu'il soit mis fin à ces conditions relevant de l'art. L. 551-16 du même code y compris dans le cas où le demandeur avait initialement accepté, dans leur principe, les conditions matérielles d'accueil qui lui avaient été proposées.

Pour sévère que puisse sembler cette solution elle a sa cohérence globale avec le dispositif en cause et elle a le mérite de la clarté.

(11 décembre 2023, M. A., n° 467151)

(195) V. aussi, annulant l’ordonnance de référé faisant droit à la demande de l’intéressée, ressortissante albanaise, tendant à ce qu’injonction soit faite au préfet d’indiquer un hébergement d'urgence pour elle et ses quatre enfants. Le juge rappelle à cette occasion que : 1° Les ressortissants étrangers qui font l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou dont la demande d'asile a été définitivement rejetée, et qui doivent ainsi quitter le territoire, n'ont pas vocation à bénéficier du dispositif d'hébergement d'urgence sauf le temps nécessaire à l’organisation de leur départ ;

2° Il n’en va autrement qu’en cas de circonstances exceptionnelles ;

3° Qu’une telle circonstance peut se rencontrer en présence d’enfants de très jeune âge, en cas de risque grave pour leur santé ou leur sécurité, leur intérêt supérieur doit être une considération primordiale dans les décisions les concernant. 

Toutefois, en l’espèce, les enfants étant âgés de 4, 8, 14 et 17 ans et leur mère ayant refusé une solution d'hébergement d'urgence dans la banlieue de Strasbourg, qui n'était pas, contrairement à ce qu'elle soutient, inadaptée à sa situation : ord. réf. 21 décembre 2023, Mme B., n° 489927.

 

196 - Demandeurs d’asile – Détenteurs de visa d’un autre pays périmés depuis moins de six mois – Décision de cet État de les reprendre en charge - Demande parallèle de titre de séjour en qualité d’« étranger malade » - Refus d’enregistrement de cette demande de titre confirmé par le juge des référés – Contestation – Rejet.

Ayant constaté que des kossovars, demandeurs d’asile en France, étaient en possession de visas délivrés par la Suisse et périmés depuis moins de six mois, les autorités françaises ont obtenu des autorités suisses la reprise en charge des intéressés. Parallèlement, était déposée une demande de titre de séjour « étranger malade ». Celle-ci ayant été refusée et le juge du référé liberté ayant rejeté le référé dirigé contre ce refus, les intéressés interjettent appel devant le Conseil d’État.

Celui-ci, à son tour, rejette l’appel au motif que faisant l’objet d’un transfert en Suisse sans que s’y oppose son état de santé, la requérante n’établit pas qu'elle risquerait dans ce pays d'être privée des soins qui lui sont nécessaires. 

En l’absence de circonstances particulières justifiant l’intervention à très bref délai d’une décision de justice, le pourvoi est rejeté.

Le juge rappelle à nouveau que l’atteinte portée à une liberté fondamentale ne crée pas, par elle-même, une situation d’urgence de la nature de celles que vise l’art. L. 521-2 CJA.

(ord. réf. 15 décembre 2023, Mme D., n° 489972)

 

197 - Extradition – Décret – Exécution – Absence de qualité de réfugié – Rejet.

Le requérant, de nationalité serbe, fait l’objet d’une demande d’extradition pour purger en Serbie une peine de quatre ans et cinq mois d'emprisonnement pour des faits qualifiés de vols avec violence, vol aggravé et falsification de documents pour tenter de les utiliser comme documents authentiques, prononcée le 4 décembre 2020 par le tribunal de première instance de Cacak.

Il demande, en vain, l’annulation du décret d’extradition car celui-ci repecte les conditions de forme et de fond imposées par la loi et les traités. Surtout, il ne saurait exciper de sa qualité de réfugié, celle-ci lui ayant été refusée  par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 24 octobre 2022, sans que l'intéressé ne fasse état d'aucun élément nouveau qui serait intervenu depuis cette décision.

(18 décembre 2023, M. A., n° 474710)

 

198 - Décret d’extradition – Demande d’abrogation – Irrecevabilité - Rejet.

(21 décembre 2023, M. A., n° 476011)

V. n° 7

 

199 - Demande d’asile par des parents au nom de leur fille – Invocation de risques ou menaces personnellement encourus – Incohérences du dossier – Absence de démonstration du bien-fondé de la demande – Rejet.

Les demandeurs, en leur qualité de représentants légaux de leur fille mineure, ont sollicité pour celle-ci, née le 27 décembre 2020 en France et de nationalité guinéenne, la reconnaissance de la qualité de réfugié ou, à défaut, le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison des craintes de persécutions de leur fille en cas de retour dans son pays d'origine, du fait de son appartenance au groupe social des jeunes filles exposées à une excision.

L’OFPRA a rejeté leur demande, ces craintes ne lui apparaissant pas fondées.

Leur recours contre cette décision ayant été rejeté par la Cour nationale du droit d’asile, ils se pourvoient en cassation contre l’arrêt qu’elle a rendu.

Le pourvoi est rejeté notamment en raison des incohérences ou imprécisions contenues dans les déclarations des parents et du fait de l’absence d’éléments permettant de regarder l’enfant comme personnellement exposée à des persécutions sans que puissent faire obstacle la circonstance que la cour n’a pas explicitement pris parti sur son appartenance à un groupe social. 

(15 décembre 2023, M. E. et Mme B., n° 464424)

 

200 - Liberté d’aller et venir - Demande de suspension d’une décision administrative en référé – Durée de validité de la mesure expirée au jour où le juge statue – Non lieu à statuer – Nouveau départ envisagé – Absence de nouvelle décision – Rejet.

La demanderesse poursuit la suspension d’un arrêté du 26 novembre 2023 par lequel le préfet de la Guyane lui a interdit, pour dix jours, d'embarquer dans un aéronef au départ de l'aéroport de Cayenne en raison de sa « tentative itérative de participer au trafic de stupéfiants ». Elle saisit le juge des référés du Conseil d’État d’une demande d’annulation de l’ordonnance de rejet de sa demande de suspension de cet arrêté rendue le 5 décembre 2023 par le juge des référés du tribunal administratif de la Guyane. 

L’appel est rejeté car l’arrêté querellé a épuisé ses effets le 6 décembre 2023, date à laquelle l'intéressée a introduit sa requête en annulation de l'ordonnance attaquée. Il n’y a donc plus lieu d’y statuer alors même que la requérante fait état de son intention d'embarquer sur un vol au départ de l'aéroport de Cayenne le jeudi 7 décembre 2023, en soirée, car l'arrêté en litige est insusceptible de justifier un nouveau refus d'embarquer, lequel ne pourrait être légalement fondé, le cas échéant, que sur un nouvel arrêté préfectoral d'interdiction.

(07 décembre 2023, Mme A., n° 489937)

 

201 - Art. L. 481-1 du code de l’urbanisme – Obligation éventuelle de démolition et de remise en état des lieux – Absence de privation du droit de propriété – Mesures proportionnées – Absence d’atteinte au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

(13 décembre 2023, Société Human Immobilier, n° 488749)

V. n° 231

 

202 - Manifestation contre le vote d’une loi – Autorisation donnée pour une période restreinte et en un autre lieu – Circonstances particulières – Arrêté ne portant pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté – Rejet.

La requérante a demandé l’autorisation de manifester de façon statique pendant 21heures, du 13 décembre à 13heures au 14 décembre à 10 heures, Place du Palais-Bourbon.

Le préfet de police n’a autorisé cette manifestation que pour le 13 décembre 2023 de 16h à 20h et le 14 décembre 2023 de 7h à 10h sur le terre-plein numéro 3 de l'esplanade des Invalides. 

L’association a demandé la suspension de cet arrêté, ce qui a été rejeté en première instance, et saisit le juge des référés du Conseil d’État d’un appel en annulation de ce rejet et en octroi de cette suspension.

L’association invoque précisément le caractère symbolique du lieu choisi pour manifester s’agissant de protester contre un projet de loi en cours de discussion, elle affirme que les nécessités de l’ordre public ne sauraient prévaloir sur le respect de la dignité humaine  qui est son objet statutaire.

L’appel est rejeté.

Le juge retient pour cela le caractère particulièrement sensible de cette zone en matière de risque et de sécurité du fait de la présence de plusieurs sites institutionnels, d’où une protection renforcée en permanence et le fait que l’emplacement proposé est le plus proche de celui réclamé par l’association compatible avec les exigences de sécurité des personnes et des biens d’autant que d’autres manifestations sont prévues simultanément place Édouard Herriot, qui ont donné lieu à des déclarations antérieures à celle de la requérante.

(ord. réf. 13 décembre 2023, Association Utopia 56, n° 490098)

(203) V. aussi, très semblable : ord. réf. 20 décembre 2023, Association Utopia 56, n° 490326.

 

204 - Manifestation sur la voie publique – Soutien à la paix au Proche-Orient – Interdictions par un préfet – Allégation d’interdictions systématiques – Rejet.

Le requérantes, se fondant sur le fait qu’un préfet a interdit plusieurs des manifestations qu’elles ont organisées en ont déduit l’existence chez ce dernier de la volonté d'interdire systématiquement leurs rassemblements pour la paix.

Le juge des référés, relevant toutefois que les arrêtés d’interdiction comportent la même motivation générale et « traduisent une orientation générale que ce préfet entend suivre en matière de maintien de l'ordre public dont il a la charge dans le département », décide qu’en l’espèce les demandeurs n’établissent pas «  l'existence d'une décision administrative, qui serait d'ailleurs illégale, interdisant, de manière générale et absolue et par anticipation, toute manifestation de soutien à la population palestinienne ou appelant à l'arrêt des hostilités au Proche-Orient, ni (d’)une décision ayant des effets notables sur les droits ou la situation d'une personne, notamment sur les associations qui peuvent librement déclarer les manifestations sur la voie publique qu'elles entendent organiser ».

Reste que si les arrêtés querellés sont sauvés, ils le sont in extremis d’autant que le préfet a, par ses déclarations publiques, plutôt révélé une intention d’interdiction systématique donc illégale.

(ord. réf. 04 décembre 2023, Ligue des droits de l’homme et autres, n° 489743)

 

205 - Accès à l’eau potable – Droits au respect de la vie et de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants – Caractère sérieux de la situation à Mayotte – Prise en considération des efforts faits et en cours – Absence de carence constitutive d’une atteinte grave et immédiate à des libertés fondamentales – Rejet.

La question de l’accès à l’eau, surtout à l’eau potable, est un grave sujet de préoccupation à Mayotte tant en raison d’un déficit structurel en eau, que du fait de l’accroissement exponentiel de la population conjugué à une sécheresse extrême. C’est dans ce contexte que les requérants ont saisi le juge du référé liberté d’une action tendant à le voir enjoindre au préfet de Mayotte de publier et de déclencher un plan ORSEC « eau potable » adapté à Mayotte et d'établir dans les 48 heures un plan complet d'urgence sanitaire et d'accès à l'eau à Mayotte comportant toutes mesures utiles pour faire cesser au plus vite et durablement la crise d'accès à l'eau, humanitaire, sanitaire, scolaire et environnementale afin de fournir cent litres d'eau par jour et par personne, au regard du volume réel de la population.

Le premier juge ayant rejeté leurs demandes, les requérants interjettent appel de son ordonnance. Ils n’ont pas davantage de succès.

Si le juge d’appel admet la gravité de la situation en raison de sa persistance, de ses aspects multiformes et de ses effets critiques, il rejette la demande, d’une part en considération des efforts des pouvoirs publics déjà accomplis et en cours ainsi que de ceux à venir, ce qui exclut un constat de carence constitutive d’une atteinte grave et immédiate aux libertés fondamentales que sont le droit au respect de la vie et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, d’autre part du fait que cette demande comporterait, pour sa satisfaction, que le juge des référés, qui excéderait alors son office, ordonne des mesures de sauvegarde de nature structurelle et de toutes façons inefficaces dans le bref délai de 48 heures.

(ord. réf. 26 décembre 2023, Association « Notre affaire à tous », association « Mayotte a soif » et autres, n° 489993)

 

206 - Droit au logement opposable – Invocation du caractère inadapté du logement attribué – Méprise du tribunal sur les écritures de la requérante – Annulation avec renvoi.

Doit être annulé pour s’être mépris sur les écritures de la requérante, reconnue par une commission de médiation (cf. art. L. 441-2-3 du code de la construction et de l'habitation) comme prioritaire et comme devant être logée ou relogée d'urgence, le jugement rendu dans les circonstances suivantes. Pour rejeter la requête dont il était saisi, le tribunal administratif s’est fondé sur ce que l’intéressée se bornait à se prévaloir du caractère sur-occupé et mal isolé de ce logement, alors qu’elle a soutenu dans son mémoire qu'elle partageait l'unique chambre de ce logement de 32m², situé au 4ème étage sans ascenseur, avec son fils de 12 ans, reconnu en situation de handicap avec un taux d'incapacité compris entre 50 et 80 %, présentant une hypoacousie, un souffle cardiaque avec insuffisance mitrale, des troubles cognitifs et des troubles de l'apprentissage, et que leurs conditions de logement faisaient obstacle à l'amélioration de son état.

Nous aurions plutôt aperçu dans ce jugement une dénaturation des pièces et conclusions.

(27 décembre 2023, Mme A., n° 472920)

(207) V. aussi, jugeant qu’il ne résulte d'aucun texte que la commission de médiation statuant sur le caractère prioritaire d’une demande de logement ou relogement puisse être saisie par le représentant de l'État ni qu'il lui appartienne de proposer un logement au demandeur. Ainsi, commet une erreur de droit la magistrate désignée par le président du tribunal administratif qui enjoint au préfet de saisir la commission de médiation afin qu'elle propose de nouveaux logements à la requérante : 27 décembre 2023, Mme A., n° 475167.

(208) V. également, jugeant :

1°/ que le II de l’art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l’habitation ayant ouvert aux personnes reconnues prioritaires une voie de droit spéciale devant la juridiction administrative afin d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation, ces personnes ne sont en principe pas recevables à agir à cette fin sur le fondement de l'art. L. 521-2 du code de justice administrative ;

2°/ que toutefois les art. L. 345-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles permettent à ces personnes de saisir le juge des référés, sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA, de conclusions à fin d’injonction à l'administration de prendre toutes mesures afin d'assurer leur hébergement d'urgence dans les plus brefs délais, sans qu'ait d'incidence sur la recevabilité d'une telle requête l'existence de la voie de droit mentionnée au 1°/, qui est ouverte devant la juridiction administrative aux fins, distinctes, d'obtenir l'exécution d'une décision de la commission de médiation, peu important d'ailleurs que cette voie de droit ait ou non été exercée, et dont les effets ne peuvent, contrairement à ce que soutient le ministre, eu égard en particulier au délai devant être respecté avant de l'exercer et à celui imparti au juge pour statuer, être regardés comme équivalents.

Ainsi doit être rejeté le recours en annulation de l’ordonnance du premier juge estimant recevables les conclusions des demandeurs : 29 décembre 2023, ministre délégué chargé de la ville et du logement, n° 489206.

 

Police

 

209 - Police de l’hygiène et de la salubrité – Camp de migrants – Obligation, par le juge, d’assurer des conditions mininimales d’accès à l’eau, froide et chaude, et d’hygiène corporelle – Inexécution par la commune des injonstions prononcées à cet effet – Conséquences – Nouvelles injonctions alourdies et contraignantes.

Une ordonnance du juge des référés, du 2 juin 2023, confirmée par le rejet des appels de la commune de Ouistreham et du ministre de l’intérieur dirigés contre cette ordonnance, a fait injonction au préfet et au maire de créer, à titre provisoire, à proximité immédiate d’un campement de migrants, des points d'eau et des latrines, ainsi qu'un dispositif d'accès à des douches selon des modalités prévoyant des créneaux dédiés pour les personnes vulnérables et d'organiser, en lien avec les associations requérantes, le nombre, la localisation précise de ces installations et leurs modalités d'accès et fixé à huit jours à compter de la notification de son ordonnance le délai dans lequel ces prescriptions devaient connaître un début de réalisation. 

La commune  a installé, à la fin du mois de juin 2023, un point d'eau comportant un robinet et, à la fin du mois d'août 2023, une cabine modulaire à usage de WC, puis, par délibération du conseil municipal, elle a refusé de voter la dépense, évaluée à 75 000 euros par son maire, correspondant à des travaux de création d'un espace sanitaire pérenne sur le campement des migrants.

Le préfet, devant l’inertie communale, a usé de son pouvoir de substitution et commandé l'installation, la pose et le raccordement aux réseaux sanitaires et électriques, de deux cellules sanitaires comprenant chacune une cabine de WC, un lavabo, une douche et un chauffe-eau de 80 litres, ainsi que des prestations périodiques d'entretien et de vidange des cuves de ces installations sanitaires. Ces équipements ont été installés le 6 octobre 2023 et raccordés au réseau électrique le 27 octobre 2023.

Toutefois, compte tenu du refus de la commune de prendre en charge l'abonnement au réseau d'assainissement de ces équipements et afin de prévenir tout risque de pollution accidentelle du canal de l'Orne, situé à proximité immédiate du campement, l'accès aux deux WC et aux lavabos compris dans ces cellules sanitaires a été interdit.

À la date à laquelle il statue, le juge constate que ne sont donc opérationnels qu'un point d'eau, une cabine à usage de WC et deux douches. Il estime, en sa qualité de juge de l’exécution, puisque saisi sur le fondement de l’art. L. 911-4 du CJA, que n’a pas été assurée, plus de six mois après qu’elle ait été ordonnée, l’exécution complète des injonctions prononcées par le juge des référés le 2 juin 2023. Il relève aussi que deux cents personnes environ vivent dans ce camp et que les associations requérantes n'ont pas été associées à la détermination, en fonction du nombre de migrants présents sur le site, du nombre et des modalités d'accès aux installations sanitaires dont la création a été ordonnée par le juge du référé-liberté.

En conséquence, sans doute passablement agacé par la désinvolture des édiles communaux, il prend les décisions très détaillées suivantes :

- D’une part, il fait injonction à la commune de prendre les mesures indispensables au fonctionnement effectif des équipements sanitaires installés par la préfecture du Calvados sur le site, en particulier de souscrire, à son nom, l'abonnement nécessaire auprès de l'opérateur du réseau d'assainissement, dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente décision. Ces prescriptions sont assorties d'une astreinte de 1 000 euros par jour jusqu'à la date à laquelle ces équipements seront opérationnels. 

- D’autre part, il fait injonction à la commune de déterminer, en lien avec les associations requérantes, les mesures d'adaptation de la nature et du nombre des installations sanitaires en tenant compte du nombre de personnes présentes sur le campement, et de prévoir des créneaux d'accès à ces équipements dédiés aux personnes vulnérables, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision. Ces prescriptions sont assorties d'une astreinte de 1 000 euros par jour jusqu'à la date à laquelle ces adaptations auront été déterminées et communiquées aux associations requérantes.

Également, il est fait injonction à la commune, sans astreinte sur ce point, et, au besoin, au préfet, de mettre en œuvre les adaptations ainsi déterminées. 

(01 décembre 2023, Association Vents contraires et autres, n° 487539)

 

210 - Police de l’urbanisme – Obligation de démolition de biens immobiliers - Art. L. 481-1 c. urb. – Présomption d’urgence – Limites – Rejet au fond.

Étendant le champ d’application de la jurisprudence établie en matière d’atteintes immobilières assez irréversibles (cf. 18 novembre 2009, ministre de la santé et des sports, n° 327909), le Conseil d’État juge qu’eu égard à la gravité des conséquences qu'emporte une mise en demeure prononcée en application de l'art. L. 481-1 du code de l'urbanisme prescrivant une mise en conformité qui implique nécessairement la démolition de constructions, la condition d'urgence est en principe satisfaite en cas de demande de suspension de son exécution présentée, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA, par le propriétaire de l'immeuble qui en est l'objet.

Sans être irréfragable cette présomption est tout de même assez forte puisqu’il ne peut y être fait exception que dans deux situations : soit l'exécution de la mesure de démolition n'affecte pas gravement la situation du propriétaire, soit un intérêt public s'attache à l'exécution rapide de cette mesure. 

(11 décembre 2023, SCI Brunetière, n° 470207)

 

211 - Police du stationnement public – Tarification applicable au stationnement sur voie ou en équipements – Tarif établi pour les résidents en fonction du revenu fiscal de référence – Refus de transmission d’une QPC.

La commune de Strasbourg a adopté une tarification applicable au stationnement sur voirie et en ouvrages prévoyant pour les résidents un tarif de stationnement progressif en fonction de leur revenu fiscal de référence. Cinq conseillers municipaux ont saisi le tribunal administratif d’une requête en annulation en même temps qu’ils y ont joint une QPC dirigée contre l’art. L. 2333-87 du CGCT en ce qu’il prévoit la possibilité pour les collectivités territoriales d’instituer une redevance pour le stationnement des véhicules « en prenant en compte un objectif d’équité sociale ».

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette QPC, en premier lieu car, rappelle-t-il, il était loisible au législateur de fixer à la loi un nouvel objectif d'équité sociale et de chercher à favoriser l'accès à la mobilité des plus vulnérables, et en conséquence de prévoir que les personnes qui stationnent leur véhicule sur la voie publique pourraient se voir appliquer un tarif établi en fonction du niveau de leurs revenus. S'il en résulte une différence de traitement, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. 

De plus les critères que la loi a retenus sont objectifs et rationnels.

Par ailleurs, la redevance pour stationnement n’ayant pas la nature d’une imposition, la loi pouvait, contrairement à ce qui est soutenu, confier aux collectivités territoriales le soin de fixer la redevance dans le cadre tracé par l’art. L. 2333-87 précité, sans méconnaître sa compétence.

(12 décembre 2023, Mme I. et autres, n° 488319)

 

212 - Police de l’ordre et de la sécurité publics – Marché de Noël de Strasbourg - Utilisation de drones – Absence d’atteinte grave aux droits et libertés eu égard aux circonstances de temps et de lieu – Rejet.

Un arrêté préfectoral ayant autorisé la captation, l'enregistrement et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des aéronefs à l'occasion du marché de Noël de Strasbourg, son annulation a été demandée mais rejetée en première instance, d’où le présent appel en Conseil d’État.

Les intéressées soutiennent notamment que ce dispositif est par trop intrusif et disproportionné, que les objectifs de prévention en vue de la sécurité des personnes et des biens sont insuffisamment précis, qu’il pourrait être recouru à des dispositifs moins attentatoires aux libertés comme les caméras de vidéo-surveillance, qu’il serait porté atteinte, par captation d’images, à la liberté d’aller et venir comme au secret professionnel des avocats requérants.

Le Conseil d’État, pour rejeter le recours, retient la notoriété de ce marché (2,8 millions de visiteurs), son étendue, sa durée (4 semaines), les circonstances qu’un attentat y a été commis le 11 décembre 2018, causant cinq morts et onze blessés graves, qu’en 2019 ont été arrêtées deux personnes pour apologie du terrorisme, qu’en 2020 et 2022 deux projets d’attentats y ont été déjoués, que le plan Vigipirate a été réhaussé à la suite de l’attentat du 13 octobre 2023, que l’autonomie des drones tout comme leur champ de vision, à 120 mètres de hauteur au moins, sont limités, que ne peuvent être filmés ni l’entrée des domiciles ni, a fortiori, leurs intérieurs, etc..

Bref, il n’est pas porté ici une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 12 décembre 2023, Mme A. et autres, n° 489923)

 

213 - Police des mines – Ordonnance du 10 novembre 2022 portant diverses dispositions relatives au code minier – Lutte contre la dégradation des sites par les orpailleurs sauvages – Absence de détournement de pouvoir – Rejet.

La requérante demandait l'annulation des dispositions du 18°) de l'article 5 de l'ordonnance n° 2022-1423 du 10 novembre 2022 portant diverses dispositions relatives au code minier au motif d’une part qu’en les prenant le pouvoir réglementaire a excédé les limites de l’habilitation législative et d’autre part qu’elles sont entachées de détournement de pouvoir.

Les deux griefs sont rejetés.

En premier lieu, l'ordonnance permet au préfet de Guyane d'autoriser un opérateur, retenu au terme d'une procédure de sélection, ou la personne déjà détentrice d'un titre minier sur un site ayant fait l'objet d'activités d'orpaillage clandestin à conduire un projet lui permettant d'exploiter les gisements découverts dans une zone irrégulièrement exploitée dans laquelle les intérêts énumérés à l’art. L. 161-1 du code minier paraissent menacés par l'orpaillage illégal, et à procéder à la réhabilitation de la zone ou, lorsque les gisements sont d'ores et déjà épuisés et qu'un danger grave pour les intérêts protégés est constaté, à conduire les travaux de réhabilitation destinés à mettre fin à ce danger. Ces dispositions visent ainsi à faire appel à des opérateurs réguliers sur des sites dégradés par l'orpaillage illégal afin qu'ils procèdent à leur réhabilitation. Par suite, en prévoyant les dispositions contestées, l'ordonnance du 10 novembre 2022 n'a pas excédé les limites de l'habilitation donnée au gouvernement par l'article 81 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

En second lieu, c’est à tort que la requérante croit pouvoir soutenir que les dispositions attaquées de l'ordonnance du 10 novembre 2022 ont pour seul objet de satisfaire les demandes des opérateurs miniers tendant à reprendre l'exploitation sur des sites antérieurement illégalement exploités, sans avoir à solliciter une autorisation d'exploitation à ce titre, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier, ainsi que des termes mêmes des dispositions attaquées, que le projet minier que le représentant de l'Etat pourra autoriser, au terme d'une procédure de sélection, est soumis à une évaluation environnementale et à l'accomplissement d'une procédure de participation du public. Ainsi, ces dispositions poursuivent l'objectif d'intérêt général de lutter contre les effets fortement dommageables de l'orpaillage illégal sur l'environnement. 

(20 décembre 2023, Association Maiouri Nature Guyane, n° 470399)

 

214 - Football - Interdictions de circulation de supporteurs de certains clubs – Arrêté ministériel du 7 décembre portant interdiction pour le 8 et le 9 décembre – Absence de circonstances particulières invoquées – Suspensions.

(ord. réf. 08 décembre 2023, Association nationale des supporters, n°489991)

(215) V. aussi : ord. réf. 12 décembre 2023, Sevilla Fútbol Club, Association nationale des supporters, Association « Accionistas Unidos del Sevilla FC, SAD », Association « Accionistas y Socios del Fútbol Español » et Football Supporters Europe eV, n° 490062.

(216) V. encore : ord. réf. 15 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490134.

(217) V. enfin : ord. réf. 19 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490204.

V. n° 280

 

218 - Schéma national du maintien de l’ordre – Exclusion des observateurs indépendants – Annulation partielle.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation de trois dispositions du Schéma national du maintien de l’ordre dans sa version mise à jour le 16 décembre 2021.

Seule est retenue la demande d’annulation du point 2.2.3.3 en tant qu’il réserve aux seuls journalistes la possibilité de ne pas être contraints de quitter les lieux lors de la dispersion d'un attroupement, excluant ainsi du bénéfice de cette dérogation toute autre catégorie de personnes, y compris, par suite, les observateurs indépendants, méconnaissant ainsi l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif de la décision n° 444849 du 10 juin 2021 par laquelle le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contre la version antérieure de ce schéma, a annulé l'interdiction alors faite aux observateurs indépendants, comme aux journalistes, d'exercer leur mission lors de la dispersion d'un attroupement en les contraignant à quitter les lieux (V. cette Chronique, juin 2021, n° 122).

(29 décembre 2023, Ligue des droits de l'homme, n° 461513 ; Union syndicale solidaires et autres, n° 461598, jonction)

 

219 - Police du stationnement – Carte « mobilité inclusion » avec mention « stationnement pour personnes handicapées » - Condition de délivrance – Erreur de droit – Annulation.

Une personne à laquelle a été refusée la délivrance d’une carte « mobilité inclusion » portant la mention « stationnement pour personnes handicapées », a saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation de ce refus.

Celui-ci a jugé que la requérante avait droit à la carte sollicitée en dépit de ce que le critère relatif à la réduction importante de la capacité et de l'autonomie de déplacement à pied ne pouvait pas être regardé comme rempli au sens de l'arrêté du 3 janvier 2017 (relatif aux modalités d'appréciation d'une mobilité pédestre réduite et de la perte d'autonomie dans le déplacement individuel, prévues aux art. R. 241-12-1 et R. 241-20-1 du code de l'action sociale et des familles) car cette circonstance ne faisait pas obstacle à ce que le juge administratif estime, au regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce qu'il lui appartenait d'apprécier, qu'une personne est atteinte d'un handicap réduisant de manière importante et durable sa capacité et son autonomie de déplacement à pied au sens de la loi.

Ce jugeant a été commise une évidente erreur de droit conduisant à l’annulation du jugement car il résulte de l’arrêté précité que seule peut être regardée comme ayant droit à l'attribution de la carte « mobilité inclusion » portant la mention « stationnement pour personnes handicapées » une personne qui satisfait aux critères fixés par cet arrêté, c'est-à-dire, s'agissant du critère de réduction importante de la capacité et de l'autonomie de déplacement à pied, qui se trouve exclusivement dans l'une des trois situations qu'il prévoit.

(29 décembre 2023, département du Var, n° 473559)

 

Professions réglementées

 

220 - Pharmaciens d’officine – Demande de regroupement de deux phamacies – Autorisation d’installation concomitante accordée à une troisième – Absence d’appréciation de l’intérêt à agir de la requérante – Erreur de droit – Annulation.

Alors que deux sociétés de pharmacies d’officine ont sollicité de l’Agence régionale de santé l’autorisation de se regrouper sur le territoire d’une commune, cette agence a, dans le même temps, accordé à une troisième pharmacie, société Pharmacie Ottavy Sylvain, l’autorisation de se transférer vers cette même commune.

Le tribunal a rejeté la demande de l’une des deux requérantes, la Pharmacie du Centre, l’autre société s’étant désisté de son action, tendant à l’annulation de l'autorisation accordée à la société Pharmacie Ottavy Sylvain. La cour administrative d’appel, saisie par la société Pharmacie du Centre, a confirmé le rejet motif pris de ce que la demande de première instance était irrecevable pour défaut d'intérêt pour agir.

Cette dernière se pourvoit, ce qui conduit à la cassation de l’arrêt, entaché d’erreur de droit et de qualification inexacte des faits cadre du litige. En effet, l’appelante soutenait avoir intérêt à contester l'autorisation attaquée car cette autorisation accordée à une autre officine faisait par elle-même, à compter de sa délivrance, obstacle à ce qu'il puisse être fait droit à sa propre demande de regroupement sur le territoire de la même commune, compte tenu de la taille de cette commune. Or la cour a jugé irrecevable le recours introduit en première instance en se fondant sur ce que la demande de regroupement ne bénéficiait pas d'une priorité, telle que définie par les dispositions du code de la santé publique dans leur rédaction applicable au litige, sur la demande de transfert de la société Pharmacie Ottavy Sylvain.

La cour devait seulement rechercher si l'intérêt invoqué par l’appelante présentait un caractère suffisamment direct et certain pour lui donner qualité pour agir et non chercher à déterminer, comme elle l’a fait, si la société requérante était susceptible de se voir accorder l'autorisation de regroupement qu'elle avait elle-même déposée.

(15 décembre 2023, Société Pharmacie du Centre, n° 473691)

 

221 - Commissaires aux comptes – Sanctions à l’encontre d’un individu et d’une société – Pouvoir normatif et règles de procédure – Exigences du procès équitable (art. 6 § 1 convention EDH) – Rejet.

La formation restreinte du Haut Conseil du commissariat aux comptes a prononcé à l'encontre de M. C., la radiation de la liste des commissaires aux comptes et à l'encontre de la société C. et associés, une interdiction d'exercer la fonction de commissaire aux comptes pendant cinq ans, assortie du sursis pour la totalité de sa durée. Les sanctionnés demandent l’annulation des sanctions ou, à défaut, leur réduction à de plus justes proportions.

Le recours est rejeté.

Le rapporteur général près le Haut conseil ne s’est pas auto-saisi des dossiers contrairement à ce qui est soutenu mais a été saisi par une lettre du président de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.

Par ailleurs, l'absence de mention de la société mise en cause dans la lettre de convocation pour une audition n'a pas porté atteinte aux droits de la défense et le moyen tiré de ce que l'enquête serait, pour ce motif, irrégulière doit être écarté dès lors que cette lettre a été adressée au représentant légal de cette société.

Enfin et surtout, l'attribution par la loi au collège du Haut conseil du commissariat aux comptes, d’une part, de la compétence pour adopter des normes relatives à la déontologie des commissaires aux comptes, au contrôle interne de qualité et à l'exercice professionnel et, d’autre part, à sa formation restreinte, l’exercice du pouvoir disciplinaire à l'égard des commissaires aux comptes ne contrevient pas aux exigences de l'art. 6 § 1 de la Convention EDH dès lors que ce pouvoir de sanction est aménagé de telle façon que soient assurés le respect des droits de la défense, le caractère contradictoire de la procédure et l'impartialité de la décision.

Pour le reste, le pouvoir de sanction a été correctement exercé, l’existence d’infractions professionnelles parfaitement établie et les sanctions infligées exactement proportionnées.

(15 décembre 2023, M. C. et Société C. et associés, n° 451785)

(222) V. aussi, très semblable en matière encore de commissariat aux comptes : 15 décembre 2023, Société Mazars et M. M., n° 451835.

(223) V. encore, toujours aussi voisin et concernant un commissaire aux comptes : 15 décembre 2023, M. F., n° 451866.

(224) V. également, illustrant un certain comportement systémique en matière de commissariat aux comptes : 15 décembre 2023, Sociétés PricewaterhouseCoopers Audit et PricewaterhouseCoopers Entreprises et M. H., n° 451878.

(225) V., très comparable : 15 décembre 2023, M. B., n° 451947.

 

226 - Architecte – Compétence du conseil régional de l’ordre pour la tenue à jour de la liste des architectes satisfaisant aux conditions de moralité – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt qui annule la décision du conseil régional des architectes d'Île-de-France prononçant la radiation administrative d’un architecte du tableau de l'ordre des architectes, au motif qu'une telle mesure de radiation motivée par la perte des garanties de moralité ne pouvait être prononcée que par une juridiction de l'ordre dans le cadre d'une procédure disciplinaire, et non par le conseil régional de l'ordre statuant dans le cadre d'une procédure administrative.

C’est à juste titre que la ministre demande l’annulation de l’arrêt d’appel.

(18 décembre 2023, ministre de la culture, n° 466528)

 

227 - Médecins – Laboratoires d’optique – Interventions ne relevant pas d’activités de chirurgie – Actes non soumis à autorisation préalable – Qualification inexacte des faits – Annulation sur ce point.

Dès lors qu’en l'état des données acquises de la science et des techniques utilisées, les interventions de chirurgie réfractive réalisées directement sur la cornée par le recours à des techniques de laser, dites extra oculaires par différence avec les interventions dites intra oculaires réalisées notamment sur le cristallin, si elles doivent répondre à des conditions d'hygiène et d'asepsie permettant de maîtriser le risque infectieux, n'impliquent pas, eu égard à la nature superficielle de l'effraction sur la cornée et à sa durée très courte, le recours à un secteur opératoire et ne nécessitent pas le recours à une anesthésie justifiant l'application des dispositions de l'art. D. 6124-91 du code de la santé publique. Il s'ensuit qu'en jugeant que les interventions de chirurgie réfractive proposées dans le centre créé par la société Optical Center relevaient des activités de chirurgie soumises à autorisation en application des art. L. 6122-1 et R. 6122-25 du code de la santé publique et n'avaient, en l'espèce, pas été autorisées par l'agence régionale de santé, la cour administrative a inexactement qualifié les faits de l'espèce. Son arrêt encourt annulation sur ce point.

(29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455074)

(228) V. aussi, identique sur ce point : 29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455075.

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

229 - Quota de logements sociaux à réaliser sur le territoire d’une commune – Non respect assorti d’une sanction financière – Article L. 302-8 du code de la construction et de l’habitation – Atteintes aux principes de libre administration et de nécessité et de proportionnalité des peines – QPC – Refus de transmission.

(01 décembre 2023, Commune d’Olivet, n° 488444)

V. n° 23

 

230 - Police du stationnement public – Tarification applicable au stationnement sur voie ou en équipements – Tarif établi pour les résidents en fonction du revenu fiscal de référence – Refus de transmission d’une QPC.

(12 décembre 2023, Mme I. et autres, n° 488319)

V. n° 211

 

231 - Art. L. 481-1 du code de l’urbanisme – Obligation éventuelle de démolition et de remise en état des lieux – Absence de privation du droit de propriété – Mesures proportionnées – Absence d’atteinte au droit de propriété – Refus de transmission d’une QPC.

L’art. L. 481-1 du code de l’urbanisme permet à l’autorité administrative, lorsqu’a été constatée l’irrégularité de travaux soumis à permis de construire, permis d'aménager, permis de démolir ou déclaration préalable, en vertu de ses pouvoirs de police spéciale et indépendamment de poursuites pénales, de mettre en demeure l'intéressé, après avoir recueilli ses observations, selon la nature de l'irrégularité constatée et les moyens permettant d'y remédier, soit de solliciter l'autorisation ou la déclaration nécessaire, soit de mettre la construction, l'aménagement, l'installation ou les travaux en cause en conformité avec les dispositions dont la méconnaissance a été constatée, y compris, si la mise en conformité l'impose, en procédant aux démolitions nécessaires. 

La société requérante fait plaider que, par là, d’une part, il est institué un mécanisme de privation du droit de propriété garanti par l'art. 17 de la Déclaration de 1789 sans intervention du juge judiciaire et, d’autre part, que sont méconnus  le droit de propriété garanti par l'art. 2 de la Déclaration précitée ainsi que l'étendue de la compétence reconnue au législateur. 

Ces moyens sont rejetés.

En premier lieu, le pouvoir conféré à l’autorité administrative n’a pour seul objet que de rétablir les lieux dans leur situation antérieure aux opérations entreprises ou exécutées irrégulièrement. Il en résulte que si la remise en état a pour effet de priver le propriétaire de l'usage du bien tel qu'il l'avait irrégulièrement aménagé, elle n'a pas pour effet, contrairement à ce qui est soutenu, de conduire à une privation du droit de propriété tel qu’il est garanti par l'art. 17 précité sans que l’absence d’intervention du juge judiciaire ne méconnaisse les principes de la garantie des droits et de la séparation des pouvoirs.

En second lieu, les garanties dont est entourée la mise en œuvre de l’art. L. 481-1 du code de l’urbanisme (respect du contradictoire, délai de régularisation, démolition ne pouvant être ordonnée que si elle est strictement nécessaire…) ne méconnaissent ni l’étendue de la compétence du législateur ni, non plus, le droit constitutionnel de propriété.

(13 décembre 2023, Société Human Immobilier, n° 488749)

 

232 - Réforme de la dotation d’intercommunalité – Dispositions de nature transitoire – Pérennisation instituant une différence de traitement – Modification de la législation après une décision en ce sens du Conseil constitutionnel -  Transmission d’une QPC.

Le Conseil d’État admet le raisonnement de la collectivité requérante selon lequel s'il était loisible au législateur de prévoir, dans le cadre de la réforme de la dotation d'intercommunalité, le maintien à titre transitoire du prélèvement auquel certains établissements publics de coopération intercommunale étaient jusqu'alors soumis, afin de garantir qu'ils continueraient à participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques, il ne pouvait, sans porter une atteinte caractérisée à l'égalité devant les charges publiques, compte tenu de l'objet de ce prélèvement et sans autre possibilité d'ajustement que celle expressément prévue en cas de changement de périmètre d'un établissement, laisser subsister de façon pérenne une différence de traitement reposant uniquement sur la circonstance que l'établissement a été ou non soumis au prélèvement en 2018.

Le juge relève également que si les dispositions contestées par la présente QPC sont substantiellement identiques à celles déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la modification introduite par la loi de finances pour 2020 se bornant à étendre, dans certaines conditions, le prélèvement en cause aux communes nouvelles, sans modifier le principe d'un prélèvement et sans possibilité, hors cas de changement de périmètre d'un établissement, d'ajustement dans le temps, il ressort de la décision du 15 octobre 2020 que cette déclaration d'inconstitutionnalité et les effets que le Conseil constitutionnel a décidé de lui attacher ne portent que sur la version initiale de l'article 250 de la loi de finances pour 2019 et ne s'étendent pas à sa version immédiatement postérieure. La question n'a donc, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, pas perdu son objet. Il découle en outre des motifs de la décision du 15 octobre 2020 que la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, en soutenant notamment que les dispositions en cause, dans leur version issue de la loi de finances pour 2020, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question qui présente un caractère sérieux.

(20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488692)

(233) V. aussi, à l’inverse, concernant la même requérante que ci-dessus, refusant de transmettre la QPC soulevée par cette même communauté de communes du fait que le législateur a reconduit, à l'identique, chaque année à compter de 2019, le prélèvement opéré en 2018 afin de garantir la participation à ce redressement des établissements qui en étaient redevables à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, tout en prévoyant, à compter de l'année 2021, qu'une baisse des recettes réelles de fonctionnement par habitant du budget principal du pénultième exercice d'un établissement de plus de 5% par rapport à celles prises en compte au jour de la répartition initiale de la minoration induit un ajustement à la baisse de sa participation à l'effort budgétaire de redressement des comptes publics. Ainsi, le législateur a entendu s'assurer que la participation de chaque établissement à l'effort sollicité des établissements publics de coopération intercommunale dans leur ensemble n'excède pas, au titre d'un exercice donné, l'effort qui peut lui être demandé compte tenu de sa richesse relative telle que constatée lors du pénultième exercice. Dès lors, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général que tous les établissements publics de coopération intercommunale participent, à hauteur de leur richesse relative, à l'effort de redressement des finances publiques, auquel répond le dispositif de participation ainsi institué, qui n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il n'a, par suite, méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, lesquels n'imposaient pas, contrairement à ce que soutient l'établissement requérant, que le mécanisme d'ajustement en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux établissements concernés pour l'exercice des compétences qu'ils exercent : 20 décembre 2023, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, n° 488696.

 

234 - Complément de traitement indiciaire versé à certains agents publics – Exclusion de certaines catégories d’agents hospitaliers du bénéfice de ce complément – Transmission d’une QPC.

À l’appui d’un recours en annulation de la décision par laquelle le premier ministre a refusé de modifier le décret n° 2020-1152 du 19 septembre 2020 relatif au versement d'un complément de traitement indiciaire à certains agents publics, dans sa version issue du décret n° 2022-1497 du 30 novembre 2022, la fédération requérante a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité.

Celle-ci est fondée sur ce que les dispositions du I de l'article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, dont fait application le décret attaqué, méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité en ce qu'elles excluent du bénéfice du complément de traitement indiciaire qu'elles instituent les agents des filières administrative, technique, ouvrière, ainsi que les agents des services hospitaliers qualifiés de la filière soignante des établissements publics sociaux et médico-sociaux autonomes hors EHPAD et appartenant à la fonction publique hospitalière.

Le Conseil d’État juge que cette question présente un caractère sérieux notamment concernant l'atteinte au principe d'égalité devant la loi résultant de l’exclusion de certains personnels hospitaliers du bénéfice du complément de traitement.

La question est donc transmise au Conseil constitutionnel. 

(21 décembre 2023, Fédération hospitalière de France (FHF), n° 475351)

 

235 - Taxe annuelle sur les logements vacants – Art. 232, I, 2° et 1407 ter, I du CGI – Taxe perçue dans les communes touristiques – Absence de charge excessive ou de défaut de critères objectifs et rationnels – Refus de transmission d’une QPC.

Les intéressés entendaient contester la légalité du décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l'article 232 du CGI et soulevaient à l’appui de leur demande une question prioritaire de constitutionnalité.

Celle-ci était d’abord dirigée contre le 2° du I de l’art. 232 du CGI décidant l’application de la taxe annuelle sur les logements vacants : « 2° Dans les communes ne respectant pas les conditions prévues au 1° du présent I où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou la proportion élevée de logements affectés à l'habitation autres que ceux affectés à l'habitation principale par rapport au nombre total de logements. »

Celle-ci visait également le I de l’art. 1407 ter du CGI en ce qu’il dispose que : « Dans les communes classées dans les zones géographiques mentionnées au I de l'article 232, le conseil municipal peut, par une délibération (...), majorer d'un pourcentage compris entre 5% et 60% la part lui revenant de la cotisation de taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale due au titre des logements meublés ».

Au soutien de leur QPC les demandeurs se prévalaient de deux exemples arithmétiques montrant que ces dispositions conduiraient à des augmentations de taxes d'habitation de 432 et 760 euros. Ils faisaient aussi valoir, de façon très générale, l'importance de la part relative, dans le produit des taxes locales perçu par les communes touristiques, des impositions acquittées par les propriétaires de résidences secondaires, la contribution de ces propriétaires à la vie de ces communes et aux conditions dans lesquelles certains d'entre eux ont financé l'acquisition de leur bien. Toutefois, ces éléments ne sont pas retenus par le juge pour apprécier la transmissibilité ou non de la QPC dès lors qu’ils ne démontrent pas que le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'est fixé ou aurait fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, en méconnaissance des principes garantis par les art. 6 et 13 de Déclaration de 1789. 

La QPC n’est pas transmise, démontrant une fois de plus le peu de cas que les citoyens doivent faire des annonces et promesses des personnes publiques en lesquelles il est pure folie de croire.

(21 décembre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM) et autres, n° 488601)

 

236 - Droit de propriété – Rapports locatifs - Notion et régime de « logement décent » - Performance énergétique des appartements loués – Refus de transmission d’une QPC.

Les requérantes soulevaient, à l’appui de leur recours en annulation du décret du 18 août 2023 pris pour l'application de l'art. 6 et de l'art. 20-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et adaptant les dispositions des contrats types de location de logements à usage de résidence principale, une QPC dirigée contre le 1er alinéa de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi du 23 décembre 1986, dans sa rédaction issue de la loi du 8 novembre 2019, et des 1er et 3ème à 10ème alinéas du même article, dans leur rédaction issue de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.

Le Conseil d’État refuse, comme il fallait s’y attendre, la transmission de cette question au Conseil constitutionnel. Il considère que les dispositions en cause ne méconnaissent pas le droit de propriété tel qu’il est protégé par les art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789.

Déjà, il faut relever la naïveté de requérants qui semblent croire encore à l’existence, en France, d’un droit de propriété tel que fantasmé, plutôt que « garanti », par les dispositions de la Déclaration précitée telles qu’interprétées depuis près d’un siècle par la jurisprudence.

Ensuite, entonnant un refrain bien connu le juge réitère que la loi n’entraîne aucune privation de propriété, mais croit-il lui-même à la méthode Coué ? Car le droit de propriété n’est que l’ensemble des prérogatives exercées par son titulaire sur la chose, prérogatives qui fondent la relation juridique née de la propriété, telle, ici, la location.

Pourquoi ne pas avoir l’honnêteté d’écrire – ce qui est un vrai truisme aujourd’hui – que l’art. 17 de la Déclaration de 1789 n’a plus cours tout comme n’a plus cours l’esclavage pourtant maintenu (de 1789 à 1793) puis rétabli (à partir de 1802) sous l’empire de l’art. 1er de cette même Déclaration ?

Ayant relevé l’absence de privation de propriété, le juge n’a plus à rechercher « que les limites apportées à son exercice (sont) justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi. » Comme le motif central du dispositif législatif est le désordre climatique progressif qui caractérisera les prochaines décennies, il ne reste plus à vérifier que les atteintes – qui n’affectent pas la propriété, le juge dixit – sont proportionnées à l’objectif poursuivi par le législateur.

Évidemment qu’il en est bien ainsi, d’où cette imparable conclusion : « (…) les limitations apportées à l'exercice du droit de propriété par les dispositions contestées trouvent leur justification dans la poursuite d'objectifs à valeur constitutionnelle et n'apparaissent pas, eu égard à leur portée et aux modalités de leur mise en œuvre, disproportionnées au regard des objectifs poursuivis. »

(21 décembre 2023, Union des syndicats de l'immobilier (UNIS) et l'Union nationale des propriétaires immobiliers (UNPI), n° 488900)

 

237 - Projet d’aménagement – Prescription de fouille d’archéologie préventive – Mise à la charge exclusive de l’aménageur du coût des opérations de fouilles - Absence d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulevait une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de dispositions du code du patrimoine (en particulier les articles art. L. 522-2, L. 523-9, L. 524-14) en ce qu’elles portent atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques dès lors qu’elles mettent à la charge exclusive de l'aménageur le coût des opérations de fouilles d'archéologie préventive sans prévoir de dispositif de soutien financier suffisant, alors que ce coût peut être élevé et extrêmement variable selon les situations. 

Le moyen dirigé contre le premier de ces articles est rejeté, le Conseil constitutionnel l’ayant déclaré conforme à la Constitution par une décision rendue en 2003 et aucun changement n’étant survenu depuis dans les circonstances de droit ou de fait qui justifierait une nouvelle saisine de celui-ci.

Ensuite, l'obligation pour la personne projetant d'exécuter les travaux ayant donné lieu à une prescription de fouilles d'archéologie préventive de réaliser à ses frais les opérations correspondantes résulte des dispositions de l'art. L. 523-8 du code du patrimoine, qui ne font pas l'objet de la présente question prioritaire de constitutionnalité et qui, au reste, sont issues de l'art. 5 de la loi du 17 janvier 2001 dans sa rédaction résultant de l'art. 6 de la loi du 1er août 2003, lequel a été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel susmentionnée.

Également ce coût ne pèse que sur les aménageurs qui ne renoncent pas à réaliser les aménagements qu’ils avaient prévus (quelle magnanimité !), de plus, ces frais peuvent être réduits en mettant en concurrence les opérateurs de fouilles.

Enfin, si la réalisation des fouilles et leur financement mettent en péril l’équilibre de l’opération d’aménagement, il est possible que ces prescriptions de fouilles soient prises en charge par l'État dans les cas énumérés et selon les modalités définies au dernier alinéa de l’art. L. 524-14 du code  précité et peuvent, dans les autres cas, donner lieu au versement de subventions du Fonds national pour l'archéologie préventive, qui doivent viser à « faciliter la conciliation entre la préservation du patrimoine archéologique et le développement des territoires, en particulier ruraux ». 

On regrettera le réalisme assez faible d’une analyse qui pourrait ne pas passer le test de conformité à la Convention EDH.

(29 décembre 2023, Commune de Grandvillars, n° 488870)

 

Responsabilité

 

238 - Responsabilité hospitalière – Saisine du juge administratif en vue d’une désignation d’expert puis de la commission régionale d’indemnisation de conciliation et d’indemnisation (CRCI) – Incompétence déclarée de cette commission – Désistement d’instance – Nouvelle saisine du juge en vue d’une désignation d’expert – Intervention de la caisse d’assurance maladie – Annulation partielle de l’arrêt d’appel et confirmation du jugement.

Les faits et la procédure sont complexes en raison des multiples options de procédure successives que l’intéressée a cru devoir suivre.

Reprochant les conditions de sa prise en charge dans un centre hospitalier, une patiente a demandé réparation des préjudices qui en auraient résulté. Cela lui a été refusé par une décision expresse notifiée le 29 septembre 2019 par le groupe hospitalier auquel le centre appartient. Elle a alors saisi le juge administratif d’un recours à fins indemnitaires, la CPAM, appelée en la cause, ayant demandé à être remboursée de ses débours. Parallèlement, la requérante a saisi d'une demande d'indemnisation amiable la commission régionale de conciliation et d'indemnisation, laquelle s’est déclarée incompétente. Elle s’est, ensuite, désistée de l’instance introduite devant le tribunal administratif. Ce dernier a, à la fois, donné acte de ce désistement et rejeté les conclusions de la CPAM.

Deux ans plus tard, l’intéressée a à nouveau saisi le juge administratif des référés, cette fois d’une demande de désignation d’expert, demande rejetée. Sur appel de la demanderesse, une ordonnance d’appel a annulé celle rendue en première instance et prescrit l’expertise demandée. Le groupe hospitalier se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État examine l’ordonnance attaquée en ses deux chefs de décisions.

D’abord, l’ordonnance prescrit une expertise relative à une éventuelle action de la patiente  tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute du centre hospitalier. Sur ce point est relevée l’erreur de droit commise par l’auteur de l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a estimé que la saisine de la CRCI par une personne qui avait déjà saisi le juge administratif d’une identique demande de réparation avait pour effet de prolonger le délai de recours contentieux ou de faire naître un nouveau délai au terme duquel le juge pourrait être saisi de la même demande. Ceci ne se produit que lorsque la saisine du juge est postérieure à la décision de la CRCI, car en ce cas le délai imparti à la personne ayant saisi la commission pour exercer un recours contentieux contre cette décision se trouve suspendu jusqu'au terme de cette procédure.

Ensuite, l’ordonnance a prescrit une expertise relative à une éventuelle action de la patiente  tendant à l'engagement de la responsabilité de l'établissement au titre des dommages résultant d'un produit défectueux, à savoir l’utilisation de sondes d'intubation défectueuses. On sait que l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique institue en ce cas un régime de responsabilité sans faute à prouver.

Sur ce second point, il est relevé en premier lieu, que la juridiction d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que le désistement de la requête initialement formée devant le tribunal administratif, tendant à l'engagement de la responsabilité pour faute de l'établissement, dont le tribunal lui a donné acte, avait le caractère d'un désistement d'instance et ne faisait donc pas obstacle à l'exercice d'une nouvelle action visant à obtenir réparation de ses préjudices sur le fondement du régime de responsabilité sans faute, les deux régimes, pour faute et sans faute, constituant des causes juridiques distinctes.

Il est aussi relevé en second lieu, que la juridiction d’appel a cependant commis une erreur de droit en tant qu'elle a ordonné une expertise en rapport avec une éventuelle action de la demanderesse tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier. En effet, si le jugement du tribunal administratif a rejeté les conclusions présentées devant lui par la CPAM, alors même qu'un tel jugement doit être regardé comme ayant implicitement mais nécessairement statué sur les droits de la caisse au titre de l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier, il ne saurait faire obstacle, en l'absence d'identité d'objet et de parties entre les deux instances, à ce que la demanderesse puisse utilement demander l'engagement de la responsabilité sans faute de l'établissement hospitalier au titre des dispositions du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique. 

Enfin, réglant l’affaire au titre de l’action en référé, le juge retient que le délai dont disposait la requérante pour agir contre le groupe hospitalier sur le fondement de la responsabilité pour faute étant expiré, ses conclusions tendant à ce que le juge des référés ordonne une expertise en rapport avec une éventuelle action recherchant la responsabilité pour faute de l'établissement ne peuvent qu'être rejetées.

La solution ne nous paraît pas d’une grande clarté.

(01 décembre 2023, Groupe hospitalier de la Haute-Saône, n° 471514)

 

239 - Responsabilité pour faute – Scolarisation d’enfants à besoins particuliers – Refus puis scolarisation dans un local non scolaire – Demande d’indemnisation non chiffrée dans la demande préalable – Validité – Annulation et rejet.

Ceci ne se passe pas dans un roman d’Eugène Sue ni au XIXème siècle mais ces jours-ci en banlieue parisienne, à Ris-Orangis…

Le maire de la commune, après avoir refusé de scolariser douze enfants de nationalité roumaine et d'origine rom, âgés de cinq à douze ans, dont les deux enfants des requérants, a ensuite décidé de les placer dans un local attenant à un gymnase municipal, aménagé en salle de classe au moyen d'équipements sommaires, hors de tout établissement scolaire et à l'écart des autres enfants scolarisés de la commune, alors que des places étaient disponibles dans des écoles de la commune, les privant ainsi en particulier de l'accès au service de restauration scolaire et aux activités complémentaires ou périscolaires organisées au sein des écoles.

Les parents ayant obtenu condamnation de la commune à réparer les préjudices causés par ce comportement, la commune s’est pourvue en cassation devant le Conseil d’État. Celui-ci, en dépit d’une annulation du jugement contesté pour des raisons particulières, en a repris les motifs (méconnaissance du principe d'égalité de traitement des usagers du service public, quelle que soit leur origine) ainsi que les chefs et montants de condamnation avec intérêts et capitalisation.

(08 décembre 2023, Mme G. et M. E., n° 438289)

(240) V. aussi, identique au précédent avec rappel qu’un requérant peut se borner à demander à une collectivité publique ou à l'administration réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions et ne préciser les chefs de préjudice qu'il invoque que devant le juge administratif ; sur le fond, même comportement affligeant et même réponse vigoureuse du juge de cassation : 08 décembre 2023, Mme et M. D. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438287.

(241) V. également, identique : 08 décembre 2023, Mme D. et M. J. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438288.

(242) V. encore, identique : 08 décembre 2023, M. et Mme B. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438290.

(243) V. aussi, comme dans l’affaire n° 438289 ci-dessus, jugeant que le maire d’une commune, lorsqu’il dresse, en application des art. L. 131-1, L. 131-5 et L.131-6 du code de l'éducation, la liste des enfants résidant sur le territoire de sa commune qui sont soumis à l'obligation scolaire, agit au nom de l'État (19 décembre 2018, Commune de Ris-Orangis, n° 408710) et qu’en revanche, il agit au nom de la commune lorsqu'il décide de l'inscription d'un enfant dans une école de la commune en fonction de la sectorisation définie par délibération du conseil municipal et délivre le certificat d'inscription qui indique l'école que l'enfant doit fréquenter. Les conséquences dommageables des décisions prises à ce double titre engagent les responsabilités respectives de l’État et de la commune : 08 décembre 2023, M. D. et autres, n° 441979.

 

244 - Suicide d’un détenu – Responsabilité fautive de principe de l’État – Conditions – Erreur de droit – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA) et condamnation de l’État à réparer.

En principe, le décès consécutif au suicide d’un détenu engage la responsabilité pour faute de l’État à condition que, compte tenu des informations à sa disposition : existence chez le détenu de troubles mentaux, de tentatives de suicide ou d'actes d'auto-agression antérieurs, de menaces suicidaires, de signes de détresse physique ou psychologique, l’administration pénitentiaire n’ait pas pris les mesures raisonnablement attendues d’elle.

Dans le cas présent, les juges du fond avaient rejeté les actions en réparation du préjudice moral formées par des membres de la famille du détenu au motif que la lettre qu’il avait rédigée le jour même de sa tentative, annonçant son passage à l’acte, n’avait été trouvée qu’après son décès par pendaison. Le juge de cassation relève dans ce jugement et dans cette ordonnance une erreur de droit dès lors que la lettre évoquait une précédente tentative de suicide à la prison où il avait été antérieurement incarcéré, ce que l’administration pénitentiaire ne pouvait ignorer.

Dès lors est établie une faute par absence de mesures  adéquates destinées à prévenir ce comportement.

Après annulation de l’ordonnance attaquée, le juge de cassation statue au fond, donc sans renvoi.

(18 décembre 2023, Mme  K. et autres, n° 457847)

 

245 - Délai raisonnable de jugement – Invocation d’un préjudice moral du fait de son dépassement – Décomposition de la durée entre les différentes procédures – Absence de méconnaissance du délai raisonnable et de droit à réparation du préjudice moral – Rejet.

Le demandeur soutient que la durée de la procédure, à compter de sa première demande au service départemental d'incendie et de secours de Vaucluse, le 14 mars 2019, de lui communiquer divers avis en matière d'urbanisme sur le territoire de la commune de Blauvac et jusqu’à la communication des avis demandés, le 14 février 2023, soit près de quatre ans plus tard, sans que l'affaire ait présenté de complexité, a excédé le délai raisonnable de jugement et lui a causé un préjudice moral. 

Pour rejeter cette demande, le Conseil d’État relève qu’outre le déroulement de la procédure née d’un refus de communication de documents administratifs, le requérant a saisi la CADA, qu’il a introduit un recours en interprétation d’un jugement à raison de son ambiguïté qui soulevait une question complexe, puis qu’il s’est désisté de cette dernière demande, de sorte que chaque procédure a eu une durée raisonnable et que, dans son ensemble, l’enchaînement procédural n’a pas, lui-même, eu une durée excessive. D’où résulte l‘absence de préjudice moral de ce fait et le rejet de la demande d’indemnisation.

(20 décembre 2023, M. B., n° 472425)

(246) V. aussi, admettant que la méconnaissance du droit de la requérante à un délai raisonnable de jugement de son appel, lui a causé un préjudice moral consistant en des désagréments qui vont au-delà des préoccupations habituellement causées par un procès et allouant à ce titre une indemnité de mille euros, tous intérêts compris, ainsi que l'avait d'ailleurs proposé le garde des sceaux, ministre de la justice, en réponse à la demande préalable de la requérante : 28 décembre 2023, Mme B., n° 470222. 

(247) V., à l’inverse, estimant que n’existe pas en l’espèce d’atteinte au droit à un délai raisonnable de jugement : 28 décembre 2023, Mme A., n° 472122.

 

248 - Ouvrier de l’État - Exposition à l’amiante – Point de départ du calcul de la prescription quadriennale – Acte interruptif de la prescription – Cas d’une plainte pénale sauf si elle n’est pas formée par la victime de l’exposition à l’amiante – Rejet.

Le décret du 21 décembre 2001 a attribué une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, à raison de leur exposition à l’amiante, à certains ouvriers de l'État relevant du régime des pensions des ouvriers des établissements industriels de l'État.

Le requérant, chaudronnier-tuyauteur aux constructions navales de Toulon, conteste en cassation l’ordonnance rejetant son appel contre le jugement ayant rejeté pour cause de prescription sa demande d’indemnisation en réparation du préjudice d’anxiété consécutif à la conscience des effets de cette exposition aux poussières d’amiante.

Le Conseil d’État réitère ici sa jurisprudence selon laquelle le point de départ du délai de prescription quadriennale est la date de publication de l'arrêté qui inscrit l'établissement en cause, pour une période au cours de laquelle l'intéressé y a travaillé, sur la liste établie par arrêté interministériel. Or ici le délai quadriennal était expiré à la date de saisine de la juridiction administrative.

Toutefois, il existe des causes interruptives du cours de la prescription, ainsi du dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile ou du fait de se porter partie civile dans une instruction pénale déjà ouverte. C’est ce qu’invoquait le requérant.

À tort, indique le Conseil d’État car  si le dépôt par un ouvrier de l'État exposé aux poussières d'amiante d'une plainte avec constitution de partie civile ou le fait de se porter partie civile constitue bien un recours relatif au fait générateur de la créance que son auteur détient sur la collectivité et interrompt par suite le délai de prescription de cette créance au profit de cet auteur, cette interruption ne saurait bénéficier à d'autres ouvriers de l'État exposés aux poussières d'amiante alors même qu'ils auraient travaillé dans les mêmes établissements ou parties d'établissements que l'auteur de la plainte, l'action en cause ne pouvant être regardée comme relative au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de leur propre créance.

(22 décembre 2023, M. B. n° 474885)

 

249 - Décès du conjoint – Évaluation du préjudice économique subi par le conjoint survivant – Prise en compte de la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien ainsi que de la part desdits revenus affectés à l’entretien de la famille – Erreur de droit – Annulation.

En principe, le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte de la partie des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Ce préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affecté à l'entretien de la famille. 

Est donc cassé pour erreur de droit, en tant qu'il statue sur les pertes de revenus du demandeur, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui inclut parmi les revenus effectivement perçus par le demandeur la rente « Assurance vieillesse et survivants / Assurance invalidité » que celui-ci percevait en Suisse depuis le 1er juin 2014, sans l'inclure aussi dans le calcul des revenus dont le foyer aurait normalement bénéficié pendant la période en litige, alors que cette rente, qui était servie au demandeur en considération de ses droits propres et lui était acquise en toute hypothèse, devait être en prise en compte dans le calcul de ces derniers revenus. 

(27 décembre 2023, M. B., n° 456128)

 

250 - Illégalité fautive de décisions disciplinaires d’un conseil départemental de l’ordre des médecins – Exercice du pouvoir juridictionnel au nom de l’État – Responsabilité exclusive de l’État – Rejet.

La décision par laquelle une autorité ordinale décide de traduire un praticien devant l'instance disciplinaire compétente n'étant pas détachable de la procédure juridictionnelle ainsi engagée, les conclusions à fin de dommages et intérêts, y compris si elles sont présentées par des tiers, à raison de l'illégalité fautive reprochée aux poursuites disciplinaires à l'origine de cette procédure doivent être regardées comme tendant à la réparation d'un dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Il s’ensuit qu’en l’espèce seule la responsabilité de l'État pouvait être engagée, le cas échéant, à l'égard de la société Optical Center du fait des illégalités fautives qu'aurait commises le conseil départemental de l'ordre des médecins du Rhône en décidant d'engager des poursuites disciplinaires à l'encontre d'un praticien partenaire de la société et que, par suite, les conclusions indemnitaires présentées par celle-ci tendant à ce que le conseil départemental de l'ordre des médecins du Rhône soit condamné à ce titre ne pouvaient, dès lors qu'elles étaient mal dirigées, qu'être rejetées.

(29 décembre 2023, Société Optical Center, n° 455074)

V. pour un autre aspect de l’affaire, le n° 227

 

251 - Responsabilité contractuelle - Convention de prestation de services entre un établissement public maritime et une société privée – Portée et champ d’application de la convention - Interprétation des stipulations de la convention – Commune intention des parties – Rejet.

(22 décembre 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 472006)

V. n° 31

 

Santé  publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux – Recherche médicale

 

252 - Informations couvertes par le secret médical – Obligation de transmission, à certaines conditions, aux services de renseignements – Absence d’opposabilité du secret – Rejet.

L’instance ordinale demandait l’annulation de la circulaire primo-ministérielle du 28 mars 2022 relative aux dispositions de l'art. L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. Selon cet article, applicable aux établissements publics de santé et aux établissements privés de santé en tant qu'ils sont chargés d'une mission de service public, les personnels de ces établissements qui détiennent des informations protégées au titre du secret médical peuvent légalement les transmettre aux services de renseignement qui en font la demande, par dérogation aux dispositions de l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique instituant un secret lié au respect de la vie privée sauf dérogation légale expresse.

Le Conseil d’État, dans une décision décevante, rejette le recours.

Auparavant, il faut rappeler l’avertissement de Montesquieu selon lequel « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu'à ce qu'il trouve des limites (…) » (De l’esprit des lois, Livre XI, chap. IV). C’est une présomption de suspicion générale qui pèse sur les détenteurs du pouvoir non une présomption d’innocence, ce que traduit au reste parfaitement la séparation des pouvoirs. Or la source principale de la puissance est, aujourd’hui plus que jamais, l’information, d’autant que sa connaissance et son extension sont désormais, via les technologies télématiques, immenses. Et, naturellement, c’est l’occasion qui fait le larron : on peine à imaginer l’existence de cet être vertueux qui, détenteur d’une masse d’informations, avec une capacité à peu près infinie de stockage, serait capable d’engranger tout cela avec l’intention de ne surtout pas s’en servir.

On est déçu de voir ici le juge faire litière des moyens soulevés par l’organisation requérante.

Le juge répond d’abord à l’ordre des médecins pour justifier son rejet sur ce point, que les dispositions attaquées n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser les personnels des établissements susvisés, parce que précisément ils sont tenus par le secret médical, à fournir de telles informations au directeur de l'établissement ou à tout autre membre du personnel de celui-ci, en-dehors des cas prévus par la loi, afin qu'il les transmette lui-même au service de renseignement demandeur. On a envie de dire « Et alors ? Cela change quoi ?»

Ajoutant la complexité à la perplexité, le juge indique qu’il appartient en revanche au directeur de l'établissement, au titre de ses pouvoirs d'organisation du service, de veiller à ce que les mesures nécessaires soient prises pour assurer le traitement des demandes émanant des services de renseignement, dans le respect du secret médical au sein de l'établissement. En somme, à la différence des femmes s’agissant de la succession au trône de France sous l’Ancien régime, le directeur peut parfaitement « servir de pont et de planche »…
Ensuite, il est jugé que si la demande formulée par les services de renseignement peut prendre la forme d'une demande « ponctuelle et spécifique » ou celle d'une « demande-cadre aux termes plus génériques », la circulaire attaquée n'a pas pour objet, et n'aurait pu légalement avoir pour effet, d'autoriser les services de renseignement à demander la transmission d'informations qui ne seraient pas strictement nécessaires à l'accomplissement des missions du service et susceptibles de concourir à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. Il eût été plus conforme au respect des droits d’exiger de ces services la démonstration préalable de cette stricte adéquation de la demande aux besoins du renseignement. Surtout, c’est une vraie mascarade de prétendre qu’une « demande-cadre aux termes plus génériques » pourrait à tous les coups satisfaire à l’exigence, alors qu’elle est générale et abstraite, d’être « strictement nécessaire à l’accomplissement des missions » du service de renseignements. Cette affirmation fait fi de l’exigence d’examen particulier des circonstances surtout avant de porter atteinte à un élément aussi fondamental de la liberté et de la dignité humaines.

Également, on demeure très étonné de lire sous la plume du juge que «  (…) l'art. L. 863-2 du code de la sécurité intérieure ne crée pas d'obligation de transmission d'informations à la charge des autorités administratives saisies, mais se borne à délier ces dernières des secrets protégés par la loi pour les besoins d'une telle transmission. Ces secrets, notamment le secret médical, ne peuvent plus, en conséquence, être légalement opposés aux services de renseignement par les administrations saisies. En invitant ces dernières à répondre aux demandes qui leur sont adressées dans un délai raisonnable et à préciser les raisons pour lesquelles elles ne seraient pas en mesure, le cas échéant, de transmettre les informations demandées, la circulaire attaquée n'a pas instauré d'obligation de transmission et n'a pas méconnu les principes et règles (concernant le secret médical, le droit au respect de la vie privée et le « principe de l'indépendance professionnelle du médecin »). » Qui peut ne pas apercevoir dans cette « motivation » ( ?) une contradiction dans les termes ?

Enfin, se pose ici, comme en toute matière affectée par son quadrillage informatique, la question de la réalité de la destruction des données recueillies lorsqu’elles ne sont plus nécessaires sans que ne soit instaurée une obligation de contrôle de cette destruction par celui qui a fourni l’information originaire et, surtout, car il n’y a jamais d’innocence là-dedans, sans que l’on puisse être assuré que l’information prétendument détruite n’a pas, auparavant, transité vers d’autres supports de stockage … Ni vu ni connu.

(06 décembre 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 464480)

 

253 - Épandage de produits phytosanitaires à proximité de zones d’habitation ou de travail – Intervention d’une décision du Conseil d’État – Décret et arrêtés pris pour l’exécution de cette décision – Demande d’annulation – Rejet.

Par une décision du 26 juillet 2021, le Conseil d'État avait annulé partiellement, en premier lieu, l'article 1er du décret du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation, relatif aux chartes d'engagements des utilisateurs de produits phytopharmaceutiques et, en second lieu, l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en tant, notamment, d'une part, qu'il prévoit des distances de sécurité insuffisantes pour les produits classés comme suspectés d'être cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction (CMR 2) et, d'autre part, qu'il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les personnes travaillant à proximité des zones d'utilisation des produits phytopharmaceutiques, et a enjoint au premier ministre et aux ministres concernés de prendre les mesures réglementaires qu'impliquaient les annulations prononcées par sa décision dans un délai de six mois à compter de sa notification.

C’est pour l’exécution de cette décision que sont intervenus le décret du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et les arrêtés du 25 janvier 2022 et du 14 février 2023 relatifs aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'art. L. 253-1 du code rural.

Les divers requérants demandent l’annulation, tantôt séparée tantôt conjointe, de ce décret et de ces deux arrêtés.

Le recours est rejeté.

D’abord, n’est retenu aucun des moyens de légalité externe dirigés tant contre le décret et l’arrêté de 2022 à la fois ou seulement contre ce dernier.

Au premier titre, il est jugé que la durée de la consultation du public (21 jours) a été suffisante, que la note de présentation de la consultation au public apporte des précisions suffisantes sur les projets de décision en cause et, enfin, que n’affecte pas la juridicité des décret et arrêté en cause la circonstance, selon les demandeurs, qu'il n'aurait été tiré aucune conséquence des observations formulées par le public à l'occasion de cette consultation.

Au second titre, il est rappelé que les modifications du projet postérieures à la consultation du public ne conduisent à organiser une nouvelle consultation que dans le cas où elles auraient pour effet de dénaturer le projet tel que soumis primitivement à la consultation.

Ensuite, sont rejetés les moyens de l’égalité interne développés à l’appui des requêtes.

Le décret et l’arrêté de 2022 ne sauraient être argués d’erreur manifeste d’appréciation alors que les précisions s’y rapportant se trouvent dans l’arrêté de 2023.

Il ne saurait non plus être soutenu, cette fois à l’encontre du seul décret de 2022, qu’il serait entaché d’erreur manifeste d’appréciation pour n’avoir pas prévu de dispositif de contrôle, ni de sanction en cas de non-respect des engagements contenus dans les chartes d’engagements alors que toute utilisation des produits phytopharmaceutiques qui méconnaîtrait les conditions d'utilisation prévues par les chartes d'engagements expose le contrevenant aux sanctions prévues à l'art. L. 253-17 du code rural. 

S’agissant à la fois des deux arrêtés de 2022 et de 2023, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en prévoyant que les mesures de protection prévues en cas de traitement avec un produit phytopharmaceutique à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités sont étendues en cas de traitement avec un tel produit à proximité des lieux accueillant des travailleurs présents de façon régulière, les auteurs de ces arrêtés auraient méconnu l'autorité de la chose jugée par la décision du 26 juillet 2021 du Conseil d'État, les règles de protection de la santé des personnes issues du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ou le principe d'égalité des travailleurs au regard de leur droit à protection.

Ils ne sont pas davantage fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire n'aurait pas défini avec suffisamment de précision les lieux auxquels s'applique l'obligation de respecter une distance de sécurité alors que celle-ci relève soit de l'autorisation de mise sur le marché, soit des dispositions de l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural.

(04 décembre 2023, Collectif des maires anti-pesticides et association Agir pour l'environnement, n° 460892 ; M. D. et autres, n° 461521 ; Association des Amis de la Terre en Haute-Savoie, n° 462555 ; M. D., n° 474338)

(254) V. aussi, jugeant qu’a bien été exécutée l’injonction par le Conseil d’État, dans sa décision du 26 juillet 2021, aux ministres concernés de prendre les mesures réglementaires prévoyant des distances de sécurité suffisantes pour les produits classés CMR 2 dont l'autorisation de mise sur le marché ne prévoit aucune distance de sécurité spécifique et par sa décision du 22 décembre 2022 impartissant un délai de deux mois – expirant donc le 22 février 2023 - sous astreinte de 500 euros par jour de retard. La circonstance d’un retard de 42 jours pour la publication de l’instruction technique n’empêche pas d’estimer acquise cette exécution surtout que la modification réglementaire a, elle, été publiée au Journal officiel dès le 21 mars 2023 : 04 décembre 2023, Association Générations futures et autres, n° 462352.

 

255 - Objectif de dépenses d’assurance maladie – Activité de psychiatrie – Fixation du montant alloué – Détermination des différentes dotations entre lesquelles est réparti ce montant – Allégations d’illégalités diverses – Rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours dirigé contre la décision par laquelle la première ministre a implicitement rejeté la demande de la fédération requérante tendant à l'abrogation du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie.

Tout d’abord, sont sans objet les conclusions de la fédération requérante dirigées contre le refus d'abroger les dispositions de l'art. 2 du décret attaqué, dès lors qu'elles ont cessé de recevoir application.

Ensuite, il ne saurait être soutenu, au moyen d’une QPC, que  les art. L. 162-22-18 et L. 162-22-19 du code de la sécurité sociale, bases légales du décret attaqué, sont contraires à la liberté d'entreprendre, à la liberté contractuelle et à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé, qu’elles sont entachés d'incompétence négative et portent atteinte à la garantie des droits prévue par l'art. 16 de la Déclaration de 1789. En effet, l'instauration d'un objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie des établissements de santé constitué en dotations a notamment pour but d'assurer une meilleure répartition sur le territoire du financement de ces dépenses entre l'ensemble des établissements exerçant ces activités, en fonction des besoins de la population, tout en maîtrisant l'évolution de son coût pour la sécurité sociale. Elle met ainsi en œuvre les exigences de valeur constitutionnelle qui s'attachent tant à l'équilibre financier de la sécurité sociale qu'à la protection de la santé, en concourant, contrairement à ce qui est soutenu, à un meilleur accès aux soins. Il suit de là qu’en fixant le principe d'un tel mode de financement de ces activités, commun aux différents établissements de santé, le législateur n'a pas porté une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d'entreprendre ou à la liberté contractuelle, qu'il a conciliées de manière équilibrée avec les exigences précitées.

Pas davantage ne saurait venir au soutien de cette QPC le moyen qua été renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de fixer les principaux critères d'attribution des dotations dont est constitué l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie car la détermination des modalités du financement des activités de psychiatrie ne relève pas des principes fondamentaux de la sécurité sociale qu'il incombe au législateur de déterminer en vertu de l'art. 34 de la Constitution.

Enfin, ne sauraient prospérer les moyens d’incompétence avancés dès lors que le premier ministre détient le pouvoir réglementaire en vertu de l’art. 21 de la Constitution et qu’il peut déléguer le pouvoir réglementaire aux ministres.

(14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 468139)

(256) V. aussi, rejetant le recours dirigé contre la décision par laquelle la première ministre a implicitement rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1855 du 28 décembre 2021 relatif à la tarification nationale journalière des prestations bénéficiant aux patients hospitalisés : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 468140 ; Fédération de l'hospitalisation privée - Soins de suite et de réadaptation, n° 471006.

(257) V. encore, rejetant le recours en annulation du décret n° 2022-1775 du 31 décembre 2022 modifiant certaines dispositions relatives au financement des établissements de santé en tant qu'il modifie les dispositions du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475556.

(258) V.  également, voisin, rejetant le recours en annulation de l'arrêté du 31 décembre 2022 modifiant l'arrêté du 17 décembre 2021 relatif aux modalités de calcul, de versement et de régularisation de l'acompte, de la dotation provisionnelle et du montant complémentaire prévus aux I et II de l'art. 2 du décret n° 2021-1255 du 29 septembre 2021 relatif à la réforme du financement des activités de psychiatrie : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475567.

(259) V. enfin, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté du 31 décembre 2022 relatif au financement des établissements de santé exerçant des activités de soins mentionnées au 2° de l'article L. 162-22 du code de la sécurité sociale : 14 décembre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée - Psychiatrie, n° 475568.

 

260 - Code de la route - Dépistage de substances stupéfiantes – Demande d’abrogation de l’arrêté fixant les modalités de dépistage de substances stupéfiantes – Rejet.

L’organisation requérante a demandé l’annulation des décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par divers ministres sur ses demandes tendant à l'abrogation de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route ; elle a également demandé qu’injonction soit faite au pouvoir réglementaire, sous quinze jours et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, d'abroger l'arrêté contesté et de fixer la limite de détection du cannabis dans le sang à un taux qui ne soit pas inférieur à 3 ng/ml de delta-9 tétrahydrocannabinol (THC) et de fixer un taux équivalent pour les analyses salivaires.

Le recours est bien évidemment rejeté.

D’abord est rejetée l’exception d’illégalité tirée de ce que l’arrêté du 22 février 1990 serait illégal en ce qu'il classe le cannabis comme stupéfiant sans opérer de distinction en fonction de la teneur en THC de ses différentes variétés car une telle argumentation est sans incidence sur la légalité de l'arrêté en litige du 13 décembre 2016 dès lors que celui-ci, au nombre des substances dont il prévoit la recherche, ne mentionne pas le cannabis mais uniquement le THC, d'ailleurs également mentionné par l'arrêté du 22 février 1990, dont il n'est pas contesté qu'il relève bien des substances stupéfiantes dont l'usage est visé par l'art. L. 235-2 du code de la route. 

Ensuite, il résulte des dispositions du I de l’art. L. 235-1 et de l’art. L. 235-2 du code de la route, de celles des art. R. 235-3 à R. 235-6 inclus de ce code et l’arrêté du 13 décembre 2016,  que les seuils fixés par ce dernier pour la mise en œuvre des épreuves de dépistage et de vérification prévues par les dispositions de l'art. L. 235-2 du code de la route ne constituent pas des seuils d'incrimination pénale mais des seuils de détection assurant que les tests salivaires, urinaires ou sanguins mis en œuvre permettent de détecter et de vérifier, notamment, une présence de THC, substance dont le classement comme stupéfiant n'est pas contesté. Il n’est pas soutenu que ces seuils auraient été fixés à un niveau tel qu'ils ne permettraient pas de répondre à une telle finalité légale. La circonstance alléguée que ces seuils puissent être atteints en raison de la seule consommation de certains dérivés du cannabis autorisés à la commercialisation, dont la teneur en THC n'est pas supérieure à 0,30 %, est dépourvue d'incidence sur la légalité de l'arrêté contesté, dès lors que le THC est une substance classée elle-même comme stupéfiant, et que l'autorisation de commercialisation des produits en cause est sans incidence sur l'incrimination de conduite après usage de stupéfiants, qui est constituée s'il est établi que l'intéressé a conduit un véhicule après avoir fait usage d'une substance classée comme telle, quelle que soit la quantité absorbée. Les moyens critiquant le niveau auquel l'arrêté contesté fixe les seuils de dépistage et de vérification du THC ne peuvent dès lors qu'être écartés.

(21 décembre 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France), n° 470132)

(261) V. aussi, sur le même sujet, à propos de la nature et de la portée de la dépêche du garde des sceaux du 31 août 2020 relative à la mise en œuvre de la forfaitisation du délit prévu à l'art. L. 3421-1 du code de la santé publique, le rejet de la requête : 21 décembre 2023, Association National organisation for the reform of marijuana laws France (NORML France), n° 470350.

(262) V. également, rejetant, par les mêmes motifs qu’aux décisions précédentes, le recours dirigé contre les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par divers ministres sur une demande tendant à la modification de l'arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l'usage de stupéfiants et des analyses et examens prévus par le code de la route, tendant à voir enjoindre au pouvoir réglementaire d'abroger ou de modifier l'arrêté attaqué et subsidiairement à saisir la CJUE d'une question préjudicielle sur la conformité au droit de l'Union européenne de l'incrimination de la conduite d'un véhicule après avoir fait usage de produits à base de cannabidiol (CBD), comportant des traces de 9-tétrahydrocannabinol (THC) inférieures à 0,3%, dont la commercialisation et la consommation est par ailleurs autorisée : 21 décembre 2023, Union des professionnels du CBD, n° 473466.

 

263 - Recherche sur les embryons humains – Importation de cellules souches embryonnaires – Obligation d’indiquer l’adresse du fournisseur – Absence – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L'Agence de la biomédecine a délivré à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM, UMR 1190) une autorisation d'importation d'une lignée de cellules embryonnaires à des fins de recherche en provenance du WiCell Research Institute, localisé aux États-Unis.

La fondation Jérôme Lejeune a demandé l'annulation pour excès de pouvoir de cette autorisation ; sa requête a été rejetée par le tribunal administratif. Sur appel de cette dernière, la cour administrative d’appel a annulé le jugement du tribunal administratif ainsi que l'autorisation en litige.

L'Agence de la biomédecine se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour.

Le code de la santé publique prévoit que la décision du directeur général de l'Agence de la biomédecine autorisant l'importation de cellules souches embryonnaires humaines doit comporter l'adresse de l'organisme étranger fournisseur de ces cellules. Cette mention faisait défaut en l’espèce et la cour a relevé que l’autorisation litigieuse, qui ne comportait que l’indication de l’État dans lequel est situé le fournisseur, ne satisfaisait pas aux exigences légales et réglementaires. D’où l’annulation qu’elle a prononcée.

Le Conseil d’État est à la cassation car, selon lui, la cour devait rechercher, comme l’y invitait la défenderesse, si la notoriété de cet organisme permettait en l'espèce, en dépit de l'absence de mention de son adresse, une telle identification. Et voilà les cours appelées à jouer les commis voyageurs de la notoriété laborantine…

(29 décembre 2023, Agence de la biomédecine, n° 467400)

 

264 - Audioprothésistes – Convention nationale avec la sécurité sociale – Conditions d’exercice de cette activité professionnelle – Rejet.

Étaient demandées l’annulation ou, subsidiairement, l’abrogation de l'arrêté du 24 juin 2022 portant extension d'application de la convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, plus subsidiairement, les 2° et 3° de son art. 14, d’autre part, qu’injonction soit faite au ministre de la santé d'approuver une convention contenant des mesures légales permettant la réalisation effective d'actes de télésoin et d'appareillage dans le délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et, le cas échéant, de procéder à l'abrogation demandée dans le délai de deux mois à compter de cette décision.

L'Union nationale des caisses d'assurance maladie a conclu le 23 mars 2021, notamment avec le Syndicat des audioprothésistes, le Syndicat national des entreprises de l'audition et le Syndicat national des audioprothésistes mutualistes, une convention nationale organisant les rapports entre les audioprothésistes délivrant des produits et prestations inscrits au chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale et l'assurance maladie, c'est-à-dire relevant des aides auditives, ou audioprothèses. Cette convention a été rendue applicable à l'ensemble des audioprothésistes par l’arrêté précité du 24 juin 2022 ; de cette convention la société requérante demande l'annulation ou, à titre subsidiaire, l'abrogation, totale ou partielle. 

La requête est rejetée en tous ses chefs de griefs.

Les syndicats signataires de la convention comme les auteurs matériels des signatures étaient bien compétents à cet effet contrairement à ce qui est soutenu.

La convention du 23 mars 2021 était bien au nombre de celles entrant dans le champ d'application de l'art. L. 165-6 du code de la sécurité sociale et pouvait donc, le cas échéant, être rendue applicable, dans les conditions prévues à cet article, à l'ensemble des distributeurs.

Le 2° de l’art. 14 de la convention, qui rappelle l’illégalité de l'activité itinérante d'appareillage des assurés, se borne à indiquer les exigences posées s'agissant du local dans lequel toute activité relevant de la profession d'audioprothésiste doit s'exercer, notamment, les dispositions des art.  L. 4361-6 et L. 4361-7 du code de la santé publique. Elles ne font d'ailleurs pas obstacle, contrairement à ce qui est soutenu, à ce que cette activité soit, dans le respect de ces exigences, exercée selon des conditions et dans des locaux facilitant l'accès des personnes âgées ou dépendantes. Ainsi, elle n’a ni pour but ni pour effet d’étendre l'interdiction posée à l'art. L. 4361-7 du code précité. 

Enfin, le 3° de cet article 14, relatif aux consultations de suivi à distance, se bornant à rappeler les différentes exigences, résultant des dispositions du chapitre 3 du titre II de la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, dite liste des produits et prestations (LPP), à laquelle la prise en charge des aides auditives par l'assurance maladie est subordonnée, notamment s'agissant des prestations de suivi obligatoire, ne méconnaît pas les dispositions de l’art. L. 6316-2 du même code, dont il résulte notamment que les soins nécessitant un contact direct « en présentiel » entre l'audioprothésiste et le patient ou un équipement spécifique non disponible auprès du patient ne sont pas au nombre de ceux qui peuvent être dispensés à distance.

Il n’est ainsi pas porté atteinte au principe d'égalité entre les patients, entre les professionnels de santé ou à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. 

(29 décembre 2023, Société Les audioprothésistes mobiles, n° 470028)

 

Service public

 

265 - Service public de la distribution et de la fourniture d’électricité -  Coupures à heures fixes de certains appareils électriques – Absence d’atteintes au principe d’égalité entre usagers du service public, au respect de la vie privée et domiciliaire, à la liberté du commerce et de l’industrie – Absence de défaut de proportionnalité de la mesure – Rejet.

Un arrêté de la ministre de la transition énergétique, du 22 septembre 2022, a prescrit aux gestionnaires des réseaux publics de distribution d'électricité de désactiver « la fermeture du contact pilotable (...) entre 11 heures et 15 h 30 » pour les « dispositifs de comptage mis à la disposition des utilisateurs des réseaux publics de distribution en métropole continentale ayant souscrit une offre de fourniture assurant une gestion quotidienne du contact pilotable ». Cette désactivation quotidienne, « qui ne peut être supérieure à deux heures, commence avant 14 heures », elle doit être effective « au plus tôt le 1er octobre et au plus tard le 1er novembre 2022 » et elle prend fin « au plus tôt au 15 avril 2023 et au plus tard au 15 mai 2023 ».

La requérante demande l’annulation de cet arrêté.

Elle soutient d’abord que l'arrêté attaqué méconnaît le principe d'égalité car il prévoit des coupures à heures fixes de certains appareils électriques qui n'affectent que les souscripteurs d'un contrat de fourniture d'électricité comportant une différenciation tarifaire entre heures pleines et heures creuses, sans prendre en compte la situation personnelle et professionnelle des intéressés, et notamment de ceux d'entre eux qui travaillent à leur domicile. Le moyen est rejeté car le principe d'égalité n'imposait pas au pouvoir réglementaire de soumettre les souscripteurs de contrats de fourniture d'électricité concernés à des régimes différents adaptés en fonction de leur situation personnelle ou professionnelle. En outre, l'arrêté attaqué, qui n'a ni pour objet, ni pour effet, d'organiser des coupures d'électricité, se borne à empêcher le déclenchement automatique, durant une partie des heures méridiennes, des appareils électriques reliés à un dispositif de comptage comprenant un contact pilotable. Les souscripteurs ne sont ainsi pas privés d'un contrat avec heures creuses, et notamment ceux qui travaillent à leur domicile, de la faculté de déclencher manuellement les appareils concernés. En prévoyant une désactivation quotidienne du déclenchement automatique de ces appareils de deux heures maximum, ces dispositions créent une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de l'arrêté, qui est de limiter les pics de consommation durant les heures méridiennes.

En conséquence, cette différence de traitement ne saurait être regardée comme manifestement disproportionnée au regard des motifs, parmi lesquels la prévention des risques de délestage sur le réseau électrique, qui sont susceptibles de la justifier. 

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la mesure attaquée ne peut être regardée ni comme une ingérence dans l'exercice du droit au respect du domicile et de la vie privée et familiale (cf. art. 8 Convention ESDH) ni comme ayant pour objet ou pour effet, d'organiser des coupures d'électricité qui porteraient atteinte à la liberté de l'industrie et du commerce, ni, non plus, comme entachée d’un défaut de proportionnalité.

(06 décembre 2023, Mme B., n° 469094)

 

266 - Enseignements dans les classes de collège – Suppression de l’enseignement de technologie en sixième et remplacement par un enseignement de soutien ou d’approfondissement – Absence de méconnaissance des dispositions applicables – Rejet.

Les requérants arguaient d’illégalité  l'arrêté du 7 avril 2023 modifiant l'arrêté du 19 mai 2015 relatif à l'organisation des enseignements dans les classes de collège et l’arrêté du 21 octobre 2015 relatif aux classes des sections d'enseignement général et professionnel adapté et ils en demandaient l’annulation.

La critique de légalité externe est rejetée, les arrêtés attaqués n’ayant été pris ni en méconnaissance des dispositions de l’art. L. 231-1 du code de l’éducation, ni en méconnaissance de celles de l’art. L. 311-3 de ce code.

Concernant la légalité interne, la critique est également rejetée en tant qu’elle porte sur la suppression, en classe de sixième, de l’enseignement de technologie et son remplacement par un enseignement « de soutien ou d’approfondissement ». Ces dispositions ne portent pas sur les disciplines devant être enseignées mais identifient les connaissances et compétences qui doivent être acquises à l'issue de la scolarité obligatoire ; par suite, elles ne méconnaissent pas, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions des art. L. 121-7, L. 122-1-1 et L. 332-3, D. 122-1 et D. 122-2,  du code de l’éducation.

(08 décembre 2023, Syndicat Action et Démocratie et association Pagestec, n° 474146 et n° 474148)

 

267 - Enseignement primaire - Scolarisation d’enfants à besoins particuliers – Responsabilité pour faute – Refus puis scolarisation dans un local non scolaire – Demande d’indemnisation non chiffrée dans la demande préalable – Validité – Annulation et rejet.

(08 décembre 2023, Mme G. et M. E., n° 438289)

(268) V. aussi : 08 décembre 2023, Mme et M. D. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438287 ; 08 décembre 2023, Mme D. et M. J. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438288 ; 08 décembre 2023, M. et Mme B. en leur propre nom et en celui de leurs enfants mineurs, n° 438290 ; 08 décembre 2023, M. D. et autres, n° 441979.

V. n° 239

 

269 - Service public de l’éducation – Circulaire sur la prise en compte de l’identité de genre en milieu scolaire – Méconnaissance de dispositions du Code civil – Protection de l’intérêt supérieur de l’enfant – Atteinte aux prérogatives des personnels de santé scolaire – Atteintes à divers droits et libertés – Rejet.

Les associations requérantes demandaient l’annulation du rejet par le ministre de l’éducation nationale de leurs demandes de retrait de sa circulaire du 29 septembre 2021 portant lignes directrices à l'attention de l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, intitulée « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l'identité de genre en milieu scolaire ».

Les divers moyens développés au soutien de ces recours sont rejetés sans trop de ménagement ni un grand luxe argumentatif.

Tout d’abord, la circulaire litigieuse ne soulevant pas de question d'intérêt national concernant l'enseignement ou l'éducation au sens des dispositions de l'art. L. 231-1 du code de l'éducation, l'association SOS Éducation ne saurait soutenir qu'elle aurait dû être soumise à la consultation du Conseil supérieur de l'éducation. Dire que ce n’est pas là une question d’intérêt national concernant l’éducation est aller un peu vite en besogne.

Ensuite, il est jugé que si la circulaire recommande l'usage, par les personnels de l'éducation nationale, du prénom choisi par les élèves transgenres plutôt que celui du prénom inscrit à l'état civil dans le cadre de la vie interne des établissements et pour les documents qui en relèvent, elle précise que seul le prénom inscrit à l'état-civil doit être pris en compte pour le suivi de la notation des élèves dans le cadre du contrôle continu pour les épreuves des diplômes nationaux. En proposant une solution de nature à faciliter la scolarisation inclusive de tous les enfants conformément aux dispositions de l'art. L. 111-1 du code de l'éducation, la circulaire n'a pas méconnu les dispositions de l'article 1er de la loi du 6 fructidor an II, relative au port des noms et prénoms. Qui n’aperçoit le sophisme consistant à prétendre que cette mesure n’affecte pas les dispositions du Code civil relatives à la matière alors que l’usage répété pendant des années emportera le prénom figurant à l’état civil ? Et, pareillement, comment prétendre qu’en effectuant ce tout de passe-passe nominal il ne sera pas porté atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant ? Qui en est juge ? À partir de quand ? Et pour quel(s) motif(s) ? Alors que l’identification nominale de l’être humain est fondamentale pour son repérage dans la société ?

Enfin, par ces dispositions, il n’est porté atteinte ni au monopole des personnels de santé en milieu scolaire, ni au principe de neutralité du service public ou à la liberté de conscience des enseignants, élèves et parents, ni, non plus, au droit des autres élèves au respect de leur vie privée et de leur intimité ainsi qu'au devoir des parents, au titre de l'autorité parentale, de protéger, dans leur intérêt, leurs enfants.

En bref, cette circulaire est trop « in », dans l’air du temps, pour que l’on puisse s’arrêter aux objections de la frange ringardisée du corps social, aux idées forcément fausses puisque minoritaires.

(29 janvier 2023, Association SOS Éducation, n° 463697 ; Association Juristes pour l'enfance, n° 467769, jonction)

 

270 - Hôpitaux publics – Réglementation de l’exercice libéral au sein de ces hôpitaux – Rejet.

Les requérants demandent l’annulation du décret n° 2022-133 du 5 février 2022 relatif à l'activité libérale des praticiens dans les établissements publics de santé.

Leur recours est rejeté.

Le moyen pris de la légalité externe est rejeté car le décret litigieux, qui modifie certains articles du code de la santé publique afin de préciser les conditions d'exercice d'une activité libérale interne à l'hôpital par les praticiens des établissements publics de santé, n'est pas relatif à l'assurance maladie, il est dépourvu d'incidence sur l'équilibre financier du régime général d'assurance maladie ou des régimes obligatoires de protection sociale des salariés et des non-salariés des professions agricoles. Il n’avait donc pas à être pris après consultation des organes de la Caisse nationale de l'assurance maladie, de l'Union nationale des caisses d'assurance maladie et de la Caisse centrale de mutualité sociale agricole. 

Concernant la légalité interne de l’ordonnance du 17 mars 2021 visant à favoriser l'attractivité des carrières médicales hospitalières, qui sert de base au décret attaqué, le juge rejette également les arguments des demandeurs.

D’abord, il n’y a pas contradiction entre les art. L. 6154-1 et L. 6154-2-1 du code de la santé publique issus de l'ordonnance attaquée en tant que le premier de ces articles décide que les praticiens hospitaliers des établissements publics de santé ne peuvent exercer d'activité libérale au sein du service de santé des armées et que le second décide que l'activité exercée le cas échéant par ces praticiens au sein de ce service est prise en compte pour l'appréciation de condition de durée hebdomadaire de service permettant l'exercice de l'activité libérale. Il n’y a ainsi pas d’atteinte portée à l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme.

Ensuite, l’auteur du décret contesté n’est pas allé au-delà des termes de la loi d’habilitation en prévoyant, à l'art. L. 6154-2-1, la prise en compte de l'activité exercée le cas échéant au sein du service de santé des armées pour l'appréciation de la condition de durée hebdomadaire de service comme indiqué précédemment.

Enfin,  les dispositions relatives à l'exercice d'une activité libérale des praticiens dans les établissements de santé, issues de l'ordonnance du 17 mars 2021, n'ont ni pour objet ni pour effet de restreindre la liberté de choix de son médecin par le patient.

(13 décembre 2023, Association Hôpital Foch, Fondation ophtalmologique Adolphe de Rothschild, Association Hôpitaux privés de Metz, Mutualité Fonction publique action santé social et groupement de coopération sanitaire « Groupement des hôpitaux de l'Institut catholique de Lille », n° 462637)

(271) V. aussi, portant sur des questions voisines, le rejet du recours dirigé contre le décret n° 2022-135 du 5 février 2022 relatif aux nouvelles règles applicables aux praticiens contractuels, celui-ci, contrairement à ce qui est soutenu, ne souffre pas de vices qui affecteraient sa légalité externe, ne porte pas atteinte au principe d'indépendance professionnelle des médecins, ni à l'art. 9 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière alors applicable, ni au principe d’égalité, ni, non plus, au principe de non-rétroactivité des actes administratifs ou aux situations contractuelles en cours, ni, enfin, à l’art. 21 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : 13 décembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 462913.

(272) V. également, rejetant les recours formés contre le décret n° 2022-132 du 5 février 2022 portant diverses dispositions relatives aux personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques des établissements publics de santé, s’agissant des moyens tirés du régime de l’exercice d’activités non cliniques, du dispositif de non concurrence en cas de départ temporaire ou définitif ou encore de la méconnaissance de l'art. 13 de la loi du 24 juillet 2019 : 13 décembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 462940 ; Conseil national de l’ordre des médecins, n°462977, jonction.

(273) V. encore, rejetant le recours pour excès de pouvoir dirigé contre le décret n° 2022-134 du 5 février 2022 relatif au statut de praticien hospitalier en tant qu’il institue, en cas d’autorisation d’exercice à temps partiel pour un praticien hospitalier, une interdiction d'exercer une activité rémunérée dans un rayon maximal de dix kilomètres autour de l'établissement public de santé dans lequel le praticien exerce à titre principal et qu’il instaure une sanction particulière pour non respect de cette interdiction : 13 décembre 2023, Conseil national de l’ordre des médecins, n° 462978.

 

274 - SNCF – Exception d’illégalité dirigée contre le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel – Question préjudicielle du juge judiciaire – Absence d’illégalité.

Dans le cadre d’un litige pendant devant un conseil de prud’hommes, le demandeur a soulevé devant cette juridiction, par voie d’exception, l’illégalité des dispositions  du paragraphe 3 de l'art. 13 du chapitre 10 du statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel.

Le Conseil d’État, saisi à titre préjudiciel, rejette l’exception.

D’abord, c’est erronément que le demandeur soutient que les dispositions contestées présenteraient, au motif qu'elles feraient dépendre la réintégration des agents en fin de disponibilité sans faculté de versements de la seule volonté de la SNCF, un caractère « potestatif » (sur la condition potestative au pouvoir du créancier en matière d’obligations administratives, voir J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey, 2018, p. 431 § 821-822 et pp. 433-435 § 827-829) et devraient, par conséquent, être regardées comme nulles en vertu de l'article 1304-2 du Code civil. En effet, le statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel ne revêt pas le caractère d'une convention de droit privé mais présente un caractère règlementaire ce qui exclut l’applicabilité de dispositions du Code civil.

Le juge relève, au reste, que la réintégration des agents de la SNCF en fin de disponibilité est subordonnée à une condition objective de vacance d'emploi et que l'employeur doit prendre immédiatement, en cas de vacance d'emploi, des dispositions pour y nommer un titulaire, de sorte que la réintégration d'un agent à l'issue d'un congé de disponibilité sans faculté de versements ne peut être regardée comme laissée à la seule volonté de la SNCF.

Ensuite, il est constant que tout agent mis en disponibilité peut obtenir sa réintégration s’il la demande deux mois à l’avance au moins et que la SNCF, sans être obligée d’effectuer cette réintégration, a l’obligation d’y procéder dans un délai raisonnable en fonction des vacances d’emploi.

Les dispositions critiquées ne sont pas entachées d’illégalité contrairement à ce qui est soutenu.

(15 décembre 2023, M. B., n° 473300)

 

275 - Universités – IEP de Paris – Régime disciplinaire – Caractère juridictionnel de l’instance disciplinaire – Obligation de respecter les règles générales de procédure – Sursis à l’exécution d’une sanction disciplinaire.

Une décision prise par la section disciplinaire de l’IEP de Paris, qui avait à l’époque du litige le caractère d'une décision juridictionnelle, devait observer la règle générale de procédure d'après laquelle la rédaction des décisions juridictionnelles doit contenir le nom des juges. Faute de satisfaire à cette exigence, la décision querellée est irrégulière. Ce motif, soulevé par le requérant, paraît sérieux et de nature à justifier son annulation, d’où la suspension d’exécution de cette décision par le juge.

(27 décembre 2023, IEP de Paris, n° 461306)

 

276 - Établissement pénitentiaire – Location de téléviseurs aux détenus – Principe d’égalité – Erreur de fait – Substitution de motif impossible en cassation  en l’espèce – Annulation et rejet.

Des détenus, qui avaient saisi en vain le tribunal administratif d’une demande de condamnation de l’État à verser à chacun d'eux une somme égale au montant qui leur est facturé, pendant leur détention à la maison centrale d'Ensisheim (Haut-Rhin), pour l'accès aux chaînes de télévision gratuites, soit 3,86 euros par mois, à compter du 1er février 2017 jusqu'à la notification du jugement, assortie des intérêts et de la capitalisation, ont interjeté appel. La cour administrative d’appel a estimé que ces détenus faisaient l'objet d'une différence de traitement par rapport à d'autres détenus placés dans une situation identique, en considérant que la maison centrale d'Ensisheim était un établissement à gestion privée et que la tarification mise en place dans cet établissement n'était pas appliquée dans des établissements à gestion publique.

Le garde des sceaux se pourvoit en cassation de cet arrêt.

En premier lieu, le Conseil d’État annule l’arrêt pour erreur de fait en ce que les faits ont été inexactement qualifiés : d'une part, la maison centrale d'Ensisheim n'est pas un établissement sous gestion privée mais sous gestion publique, et, d'autre part, la tarification était en tout état de cause identique, durant la période en cause, dans ces deux catégories d'établissements pénitentiaires.

En second lieu, invité par les demandeurs à substituer au motif erroné retenu par la cour un motif tiré de l'existence d'une différence de traitement entre les détenus propriétaires de leur téléviseur et n'accédant qu'aux chaînes non payantes, d'une part, et les autres catégories de détenus, d'autre part, constitutive d'une rupture d'égalité, le juge de cassation s’y refuse en vertu d’une classique limite de procédure : une telle substitution supposerait une appréciation de circonstances de fait à laquelle le Conseil d'État, en qualité de juge de cassation, ne peut se livrer. 

(15 décembre 2023, M. G. et autres, n° 470619)

 

277 - Principe d’égal accès à l’instruction – Scolarisation d’un enfant handicapé – Conditions d’accueil en institut médico-éducatif – Régime général – Saisine du juge des référés – Irrecevabilité de l’appel du ministre de la santé – Rejet.

Les parents d’un enfant handicapé éprouvant de graves difficultés pour en obtenir la scolarisation ont saisi le juge du référé liberté  qui a constaté l’existence d'une carence caractérisée dans l'accomplissement des obligations mises à la charge de l'État, constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales, résultait de ce que l'agence régionale de santé (ARS) d'Île-de-France, qui exerce la tutelle sur les établissements médico-éducatifs, s'était abstenue d'intervenir au niveau régional, alors qu'aucune solution à la situation individuelle critique de cette personne handicapée n'avait pu être trouvée au niveau départemental. Il a, en conséquence, enjoint à la directrice générale de l'ARS d'Île-de-France d'accomplir, sans délai, toutes diligences afin de s'assurer de l'existence de places disponibles au sein des instituts médico-éducatifs ayant refusé d'accueillir E. de manière permanente pour une raison de sectorisation géographique, puis de proposer, dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, une solution d'accueil permanent pour le jeune E. au niveau régional, y compris en sureffectif le cas échéant, si aucune autre solution ne permettait de respecter la décision de placement prise par la commission départementale des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du département de l'Essonne. 

Le ministre de la santé a interjeté appel de cette ordonnance.

Sa requête est rejetée pour un motif de procédure. En effet, l’appelant faisait valoir que tant l'urgence que l'atteinte aux libertés fondamentales relevées par le juge des référés du tribunal administratif ont disparu, du fait de l'admission, à temps plein depuis le 22 novembre 2023, du jeune E. à l'institut médico-éducatif « Notre école », en vertu d'un contrat de séjour signé le 20 novembre 2020 pour la durée de l'orientation décidée par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées, soit jusqu'au 13 octobre 2030. De plus, les représentants du ministre à l'audience, ont précisé que l'objet de l’appel du ministre n'était pas de remettre en cause l'accueil de l'enfant dans cet établissement, décidé par sa directrice avec l'accord de la directrice générale de l’ARS, laquelle a engagé les procédures devant permettre de régulariser, à titre définitif, cet accueil actuellement défini en sureffectif et à en assurer le financement.

Il tombe donc sous le sens que « l'appel présenté par le ministre de la santé (…) ne tend à remettre en cause aucun des effets de l'injonction prononcée par le juge des référés du tribunal administratif (…) sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA. Ses conclusions sont, par suite, irrecevables, et ne peuvent qu'être rejetées. »  Beaucoup de bruit pour rien comme dirait Shakespeare…

(ord. réf. 20 décembre 2023, ministre de la santé, n° 489645)

 

278 - Autoroutes – Tarif des péages – Hausse des tarifs sur un réseau autoroutier concédé – Critiques - Rejet.

Mme B. demande au Conseil d’État d’annuler le décret du 30 janvier 2023 approuvant les avenants aux conventions passées entre l'État et la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et entre l'État et la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) et les cahiers des charges annexés à ces conventions, en ce qu'ils prévoient une hausse des tarifs autoroutiers sur le réseau concédé à la société AREA.

Le recours est rejeté en ses différents chefs de demandes.

En particulier, est rejeté le moyen que les hausses tarifaires en cause auraient été décidées en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 122-4 du code de la voirie routière car les tarifs de péages fixés pour le tronçon Chambéry-Grenoble et le tronçon Chambéry-Albertville, d'une longueur équivalente sont différents et parce que le tarif des péages appliqué au tronçon Chambéry-Grenoble a augmenté entre 2022 et 2023. Le juge estime que ces seuls éléments, au reste non assortis de précisions, ne sont de nature à démontrer ni la méconnaissance du principe d'égalité ni l'illégalité de la stipulation de l'article 25 du cahier des charges annexé à la convention conclue avec la société AREA qui prévoit une majoration des tarifs de péages de 0,080 %.  Au surplus, ces hausses tarifaires sont notamment justifiées par l'aménagement d'un pôle d'échange multimodal sur l'autoroute A48 en entrée de l'agglomération grenobloise et par la création de dix parkings de covoiturage et de deux voies réservées aux transports collectifs alors même que la requérante allègue que ce pôle d'échange ne profiterait qu'à une faible partie des usagers de l'autoroute, ce seul motif ne pouvant permettre d’établir que la hausse tarifaire litigieuse serait manifestement disproportionnée au regard des objectifs poursuivis par cette tarification.

Ensuite, est également rejeté le moyen que la concession autoroutière confiée à la société AREA s'est avérée beaucoup plus rentable que ce qui avait été initialement anticipé, cette seule circonstance n'étant pas de nature à démontrer qu'aucun risque lié à l'exploitation de l'ouvrage n'a été transféré au concessionnaire, en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 1121-1 du code de la commande publique, cet aléa étant consubstantiel à la notion de concession.

(29 décembre 2023, Mme B., n° 472655)

 

279 - Œuvres universitaires et scolaires (CROUS) – Décision d’affecter des chambres de résidence étudiante à certaines personnes autres que des étudiants dans le cadre de l’organisation des J.O. de l’été 2024 – Absence d’illégalité – Rejet.

Était demandée au juge des référés la suspension de l’exécution de la décision du CROUS de Paris, révélée par un courriel d'information adressé aux étudiants logés dans certaines résidences universitaires, d'affecter les logements de ces résidences à l'accueil de volontaires et partenaires des Jeux Olympiques et Paralympiques pendant l'été 2024 et, par suite, en cas de demande de renouvellement de leur droit d'occupation pour l'année universitaire 2023-2024, et que leur soit accordé un droit d'occupation dans ces résidences ayant pour terme le 30 juin 2024. 

Le juge des référés ayant suspendu l’exécution de cette décision, le CROUS de Paris se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le point le plus important de l’arrêt annulant cette ordonnance consiste en ce qu’il juge que la faculté reconnue au gestionnaire d'une résidence universitaire qui n'est pas totalement occupée de louer les locaux inoccupés après le 31 décembre de chaque année pour des séjours d'une durée inférieure à trois mois s'achevant au plus tard le 1er octobre de l'année suivante (cf. art. L. 631-12-1 du code de la construction et de l'habitation), si elle est susceptible de bénéficier, en particulier, aux publics reconnus prioritaires par l'État au sens de l'article L. 441-1 du même code, n'a pas pour portée d'en réserver le bénéfice à ces publics et ne s'oppose pas, s'agissant de l'année universitaire 2023-2024, à ce que de tels locaux soient loués à l'État pour y loger des personnels mobilisés pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris de 2024.

(29 décembre 2023, CROUS de Paris, n° 488337)

 

Sport

 

280 - Football - Interdictions de circulation de supporteurs de certains clubs – Arrêté ministériel du 7 décembre portant interdiction pour le 8 et le 9 décembre – Absence de circonstances particulières invoquées – Suspensions.

Constatant l’absence d’invocation par le ministre de l’intérieur de circonstances particulières à chacune de ces rencontres sportives que justifieraient les nécessités de l’ordre public ainsi que l’absence de rivalité entre les deux équipes respectivement en compétition lors de chacune de ces quatre rencontres, le juge des référés ordonne, en référé liberté, la suspension d’arrêtés ministériels du 7 décembre 2023 ou préfectoraux des 5, 6 ou 7 décembre 2023 interdisant de façon générale la circulation voire le stationnement de supporteurs à l’occasion des matches de football du vendredi 8 décembre 2023 opposant le Montpellier Hérault Sport Club (MHSC) au Racing Club de Lens, des rencontres du 9 décembre 2023 opposant d’une part, le Football Club des Girondins de Bordeaux à l'Angoulême Charente Football Club et d’autre part, le Football Club Saint-Meziery à l'Association jeunesse auxerroise et du match du10 décembre 2023 opposant l'OGC Nice au Stade de Reims.

On saluera la belle indépendance dont fait preuve ici le juge des référés en se dégageant da l’automatisme de confirmation des arrêtés d’interdiction qui prévalait jusque-là.

(ord. réf. 08 décembre 2023, Association nationale des supporters, n°489991)

(281) V. aussi, dans le même sens que la décision précédente et rendue par un autre juge des référés, l’ordonnance jugeant par des motifs semblables, dont le caractère manifestement disproportionné des interdictions édictées, que sont illégaux l'arrêté du 12 décembre 2023 du ministre de l'intérieur et l'article 1er de l'arrêté du préfet du Pas-de-Calais du 11 décembre 2023 pris en vue de la rencontre comptant pour la sixième journée de la phase de groupe de la Ligue des champions de l'Union européenne des associations de football (UEFA), où le Racing Club de Lens (RCL) reçoit l'équipe espagnole du Sevilla Fútbol club (FC Séville) au stade Bollaert-Delelis de Lens (Pas-de-Calais), le mardi 12 décembre 2023 à 18 h 45, arrêtés décidant, respectivement, d’interdire le déplacement individuel ou collectif, par tout moyen, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du club du FC Séville ou se comportant comme tel, entre les points frontières routiers, portuaires et aéroportuaires français, d'une part, et la commune de Lens, d'autre part, et d’interdire, du 12 décembre 2023 à 10 h 00 au 13 décembre 2023 à 3 h 00, à toute personne se prévalant de la qualité de supporter du FC Séville ou se comportant comme tel, d'accéder au stade Bollaert-Delelis et à ses abords, de circuler ou de stationner sur la voie publique dans les périmètres qu'il précise à Lens, Liévin et Arras :  ord. réf. 12 décembre 2023, Sevilla Fútbol Club, Association nationale des supporters, Association « Accionistas Unidos del Sevilla FC, SAD », Association « Accionistas y Socios del Fútbol Español » et Football Supporters Europe eV, n° 490062.

(282) V. encore, signe supplémentaire d’un raidissement très net des différents juges de référé du Conseil d’État, l’ordonnance suspendant à son tour l’exécution d’arrêtés du ministre de l’intérieur portant interdiction de déplacements de supporteurs à l’occasion des matches de football de la 16ème journée du championnat de Ligue 1, le samedi 16 décembre 2023, opposant le Racing Club de Lens (RCL) au Stade de Reims (SR), le samedi 16 décembre 2023 à 17h00, opposant le Havre Athletic Club (HAC) à l'Olympique Gymnaste Club de Nice (OGCN) et le dimanche 17 décembre 2023 opposant le Lille Olympique Sporting Club (LOSC) au Paris Saint-Germain (PSG) : ord. réf. 15 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490134.

(283) V. enfin, largement identique, décidant la suspension d’exécution d’arrêtés du ministre de l’intérieur interdisant le déplacement :

1°/ le mardi 19 décembre 2023, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter de l'En avant de Guingamp ou se comportant comme tel entre les communes du département des Côtes-d'Armor et la commune d'Angers (Maine-et-Loire),

2°/ le mercredi 20 décembre 2023, de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Racing Club de Lens ou se comportant comme tel entre les communes du département du Pas-de-Calais et la commune de Nice (Alpes-Maritimes),

3°/ le mercredi 20 décembre 2023 de toute personne se prévalant de la qualité de supporter du Football Club de Nantes ou se comportant comme tel entre les communes du département de la Loire-Atlantique et les communes de Décines-Charpieu, Meyzieu et Lyon (Rhône),

pour absence de justification suffisante de ces mesures au regard des nécessités de la préservation de l'ordre public et de leur application immédiate, ce qui rend accomplie la condition d’urgence : ord. réf. 19 décembre 2023, Association nationale des supporters, n° 490204.

 

284 - Sportif – Dopage – Personne asthmatique - Demande d’autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) rétroactive – Absence de justification – Sanction non disproportionnée – Rejet.

C’est sans excès de sévérité ni erreur d’appréciation que, dans les circonstances de l’espèce, la commission des sanctions de l’Agence française de lutte contre le dopage a, le 27 avril 2023,  condamné le demandeur, notamment, à l'interdiction, pendant une durée de trois ans, de participer à une manifestation sportive et à diverses activités sportives et à l'annulation des résultats individuels obtenus depuis le 14 octobre 2021.

Le sportif en cause ne saurait critiquer le refus qui a été opposé à sa demande d’autorisation à titre rétroactif, de prendre un médicament pour le traitement de l’asthme dès lors qu'il n'est pas possible d'exclure une amélioration de la performance sportive au-delà du retour à la normale lorsque la ventoline est utilisée à des doses largement supérieures aux doses prescrites habituellement à titre thérapeutique et qu'il n'y a pas d'indication thérapeutique à l'utilisation de la ventoline au-delà des doses habituellement prescrites.

Un tel refus n’est pas entaché d’erreur manifeste d’appréciation.

(2023, M. B., n° 473401)

 

285 - Athlétisme – Demande de réduction d’une sanction pour dopage – Irrégularité  de la procédure de sanction suivie – Rejets.

Un athlète qui a refusé par deux fois de se soumettre aux contrôles antidopage pour lesquels il avait été désigné, a été sanctionné d'une interdiction, pendant une durée de huit ans, de participer directement ou indirectement à l'organisation et au déroulement de manifestations sportives, aux entraînements y préparant ainsi qu'à des activités sportives, et d'exercer des fonctions d'encadrement ou toute activité administrative au sein d'une fédération agréée ou d'une ligue professionnelle, ou de l'un de leurs membres. Il a sollicité le 15 novembre 2022 la réduction de la sanction à trois ans, à tout le moins à quatre ans, par application, d’une part, des dispositions en ce sens du IV de l’art. 63 de l'ordonnance du 21 avril 2021 relative aux mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour assurer la conformité du droit interne aux principes du code mondial antidopage et renforcer l’efficacité de la lutte contre le dopage, et d’autre part, de l’art. 79 du décret du 2 août 2021 modifiant les dispositions de la partie réglementaire du code du sport relatives à la lutte contre le dopage.

Sa demande ayant été rejetée par une décision de la commission des sanctions de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) en date du 8 mars 2023, il saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation ou en réformation de cette décision.

Pour rejeter la requête, le Conseil d’État retient deux motifs.

D’abord, le demandeur ne pouvait pas, après l'expiration du délai de recours, soulever contre la décision attaquée un moyen tiré de ce que la commission des sanctions a pris la décision attaquée au terme d'une procédure irrégulière, alors que ce moyen, de légalité externe, figurant pour la première fois dans le mémoire complémentaire enregistré le 12 mai 2023, relève d'une cause juridique distincte des moyens relatifs à la légalité interne de cette décision, seuls soulevés dans le délai de recours. Le moyen est frappé d’une insurmontable irrecevabilité.

Ensuite, le demandeur n’ayant fondé sa requête en réduction de la durée de la sanction que sur des allégations sommaires concernant les circonstances des manquements incriminés, celles-ci ne permettaient pas à la commission de revenir sur sa décision querellée.

(21 décembre 2023, M. A., n° 472484)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

286 - Permis de construire – Possibilité, à certaines conditions, d’y apporter des modifications – Modifications n’étant pas de nature à différer la date de formation d’un permis de construire tacite – Exceptions – Annulation.

Rappel  que faute qu’existent des dispositions en sens contraire dans le code de l’urbanisme, il est loisible à l'auteur d'une demande de permis de construire d'apporter à son projet, pendant la phase d'instruction de sa demande et avant l'intervention d'une décision expresse ou tacite, des modifications qui n'en changent pas la nature, en adressant une demande en ce sens accompagnée de pièces nouvelles qui sont intégrées au dossier afin que la décision finale porte sur le projet ainsi modifié.

En principe, une telle demande complémentaire est sans incidence sur la date de naissance d'un permis de construire tacite.

Il en va cependant différemment lorsque du fait de leur objet, de leur importance ou de la date à laquelle ces modifications sont présentées, leur examen ne peut être mené à bien dans le délai d'instruction, compte tenu notamment des nouvelles vérifications ou consultations qu'elles impliquent, en ce cas l'autorité compétente en informe par tout moyen le pétitionnaire avant la date à laquelle serait normalement intervenue une décision tacite, en lui indiquant la date à compter de laquelle, à défaut de décision expresse, la demande modifiée sera réputée acceptée.

En cette hypothèse, l'administration doit être considérée comme saisie d'une nouvelle demande se substituant à la demande initiale à compter de la date de la réception par l'autorité compétente des pièces nouvelles et intégrant les modifications introduites par le pétitionnaire.

Il appartient, le cas échéant, à l'administration d'indiquer au pétitionnaire, dans le délai d'un mois, les pièces manquantes dont la fourniture est nécessaire à l'examen du projet modifié. 

(01 décembre 2023, Commune de Gorbio, n° 448905)

 

287 - Permis de construire – Recours en annulation – Appréciation de l’intérêt à agir – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Les juges du fond se voient reprocher d’avoir inexactement qualifié les faits de l’espèce en décidant que l’association requérante n’avait pas d’intérêt à agir contre un permis de construire alors, d’une part, que celui-ci autorise la construction de trois bâtiments totalisant une surface de plancher de plus de 7100 mètres carrés qui sont destinés à accueillir des activités artisanales et commerciales et, d’autre part, que l'association requérante s'est donnée pour objet statutaire d'assurer, dans l'ensemble du département du Var, « la défense et la préservation du cadre de vie contre toute atteinte qui y serait portée par la planification ou l'autorisation de surfaces destinées au commerce », notamment en veillant « à la légalité des autorisations d'urbanisme portant sur des surfaces destinées au commerce, y compris celles ne nécessitant pas la saisine de la commission départementale d'aménagement commercial ». Est ainsi annulée l’irrecevabilité opposée à l’association demanderesse eu égard à son objet statutaire et à la nature comme à l'importance des constructions autorisées par le permis attaqué.

(01 décembre 2023, Association « En toute franchise Département du Var », n° 466492)

 

288 - Permis de construire – Contestation – Portée des dispositions de l’art. R. 412-1 CJA – Invitation à régulariser – Formation d’un recours gracieux ou hiérarchique – Production de la pièce justificative – Art. R. 412-1 censé respecté – Annulation.

Cette décision vaut d’abord  en ce qu’elle constitue une preuve de plus de l’interprétation souple (ou bienveillante) par le juge, en faveur des pétitionnaires de permis de construire, des règles de procédure, notamment celles dotées d’un effet couperet.

Cette situation est d’ailleurs doublement paradoxale. D’abord, elle contredit une tendance inverse de la part des juridictions du fond, davantage enclines à une application des textes conforme aux volontés de leurs auteurs. Ensuite, et ceci est plus piquant, c’est le juge qui est le plus souvent à l’origine de l’instauration de ces articles « couperet » qui se met en situation de détourner le couteau de la tête des justiciables…

Était ici en cause, une nouvelle fois, l’art. 412-1 du CJA selon lequel est irrecevable la requête non accompagnée de l’acte attaqué ou d’un document justifiant de la date du dépôt de la réclamation.

Le juge rappelle à nouveau qu’en principe est irrecevable la requête en annulation d’un permis de construire, d’aménager ou de toute autre occupation du sol, lorsque son auteur n'a pas, en dépit d'une invitation à régulariser ou de la communication d'un mémoire lui opposant à ce titre une fin de non-recevoir, produit soit la décision attaquée, dont tient lieu la pièce justifiant de la date de dépôt de la demande faite à l'administration lorsqu'il s'agit d'une décision implicite de rejet d'une demande, soit, en cas d'impossibilité, tout document justifiant des diligences qu'il a accomplies pour en obtenir la communication.

Toutefois, il apporte un sérieux tempérament à ce principe lorsque  le demandeur a formé un recours gracieux ou hiérarchique et exerce un recours contentieux suite à son rejet. En effet, et c’est là l’apport principal de cette décision, le juge administratif, du moins  s'il est saisi dans le délai de recours contentieux, de conclusions dirigées formellement contre le seul rejet de ce recours administratif, doit interpréter les conclusions qui lui sont soumises comme étant aussi dirigées contre la décision administrative initiale. Le Conseil d’État estime donc que la production, par le requérant, dans le cadre du recours contentieux consécutif au rejet de son recours gracieux ou hiérarchique, de la décision explicite de rejet de ce recours administratif ou, en cas de rejet implicite, de la pièce justifiant de la date du dépôt de ce recours administratif, suffit à assurer le respect des dispositions de l'art. R. 412-1 du CJA tant à l'égard des conclusions dirigées contre le seul recours gracieux ou hiérarchique que, le cas échéant, à l'égard de celles également dirigées contre la décision administrative initiale ou interprétées en ce sens par le juge administratif saisi des seules premières.

Ceci conduit, au cas d’espèce, à juger entachées d’erreur de droit les décisions des juges du fond en ce qu’elles se sont fondées pour rejeter le recours dont ils étaient saisis sur ce que le requérant n'avait pas justifié des diligences accomplies pour obtenir la communication des permis de construire attaqués.

(01 décembre 2023, M. D., n° 466579)

 

289 - Permis de construire un immeuble de logements – Dispositions du règlement du plan local d’urbanisme imposant des césures de façade et des pans coupés aux angles des voies publiques – Erreurs de droit – Annulation.

Les requérants poursuivaient l’annulation d’un permis de construire et d’un permis de construire modificatif à la société civile de construction vente Montreuil Rapatel, pour la réalisation de 49 logements sur un terrain situé à l'intersection de trois voies publiques. Leur demande ayant été rejetée par le tribunal administratif, ils se pourvoient en cassation de ce jugement.

Le Conseil d’État accueille au fond le pourvoi en relevant deux erreurs de droit dans les motifs du jugement.

En premier lieu, dans un souci d’aération urbaine, le règlement du PLU communal a prévu l’obligation pour les constructions de comporter des césures des façades en fonction de leur hauteur et de leur longueur. Ainsi le tribunal a commis une première erreur de droit en jugeant, pour calculer la longueur du linéaire de la façade nord du bâtiment projeté bordant l’une des rues et relever qu'elle était inférieure à 65 mètres, que les pans biseautés, de 5 mètres chacun, situés aux deux extrémités de cette façade ne devaient pas être inclus dans la mesure de son linéaire, alors que ces pans seraient visibles depuis cette rue et susceptibles d'être projetés sur l'alignement. À cet égard est sans incidence, contrairement à ce qu’ont estimé les premiers juges, la circonstance que le tracé de cette façade suit le tracé de la parcelle d'assiette.

En second lieu, le règlement précité prescrit des règles particulières pour les constructions édifiées à l'angle de deux voies publiques et qui comportent la réalisation d'un pan coupé. Le tribunal a commis une seconde erreur de droit en jugeant que ces dispositions n'étaient pas applicables au projet litigieux alors que la construction projetée comporte des pans coupés aux deux extrémités de la façade nord du bâtiment projeté bordant la rue du Demi-Cercle, l'un à l'angle de la rue Rapatel, l'autre à l'angle du boulevard Jeanne d'Arc. Si ceux-ci épousent la délimitation de la parcelle d'assiette, cette circonstance ne dispense pas du respect des dispositions susmentionnées, qui imposent un retrait à partir du point d'intersection des deux alignements bordant le terrain d'assiette, correspondant en l'espèce à l'intersection des deux linéaires de façades.

(06 décembre 2023, M. et Mme L., société civile immobilière Eco-Logis et autres, n° 463274)

 

290 - Permis de construire – Transfert du secteur d’assiette d’une opération immobilière – Classement en zone 1 AUf (ouverture à l’urbanisation) d’une zone jusque-là classée 2AUe (fermeture à l’urbanisation pour insuffisance de la desserte en réseaux divers – Rejet.

Les secteurs à caractère naturel d’une commune peuvent être ouverts à l'urbanisation selon des modalités différentes en fonction du caractère suffisant ou insuffisant des voies publiques et des réseaux d'eau, d'électricité et, le cas échéant, d'assainissement existant à la périphérie immédiate de la zone à urbaniser - dite zone AU - pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de cette zone.

Il suit de là, en premier lieu, que si les voies et réseaux existant à la périphérie immédiate des terrains ont une capacité suffisante pour desservir les constructions à implanter dans l'ensemble de la zone, celle-ci est ouverte à l'urbanisation.

Au cas contraire, en second lieu, le plan local d'urbanisme peut soit subordonner l'ouverture à l'urbanisation de la zone à une modification ou à une révision de ce plan, soit fixer immédiatement les règles de constructibilité applicables dans la zone en subordonnant la possibilité d'autoriser des constructions à la réalisation des voies et réseaux nécessaires à la périphérie immédiate de la zone.

En l’espèce, l'arrêt de la cour administrative d’appel est approuvé pour avoir jugé que ce transfert, à la date du permis de construire attaqué, était entaché d'erreur manifeste d'appréciation, au motif que les voies ouvertes au public en périphérie de la zone n'étaient pas suffisantes pour que celle-ci puisse être ouverte à l'urbanisation et que les travaux nécessaires pour doter ces voies de la capacité requise n'étaient certains ni dans leur principe, ni dans leur échéance de réalisation.

Le recours est rejeté car la cour s'est prononcée, sans erreur de droit, sur l'état de la voirie existant en périphérie de la zone à urbaniser en litige et non dans la zone elle-même contrairement à ce qui est soutenu.

(06 décembre 2023, Commune de Plaisance-du-Touch, n° 466055)

 

291 - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale – Avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial - Permis ne pouvant pas être retiré mais seulement abrogé car non illégal dès l’origine – Erreur de droit – Illégalité de l’arrêté municipal donnant effet rétroactif à la décision du maire de revenir sur le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale initialement accordé – Annulation.

C’est au prix d’une erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge qu’un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale ne pouvait légalement être retiré par un maire à la suite de l'avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial au motif qu'il n'était pas illégal dès son édiction, mais pouvait seulement être abrogé.

En revanche, peut être substitué à ce motif erroné celui qui, répondant à un moyen soulevé devant la cour et n'appelant l'appréciation d'aucune circonstance de fait, justifie le dispositif de l'arrêt attaqué, en ce qu’il repose sur la circonstance que le maire d’une commune ne pouvait pas, en donnant un effet rétroactif à sa seconde décision, revenir sur le permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale initialement accordé.

(08 décembre 2023, Société Distribution Casino France, n° 467105)

 

292 - Projet de restructuration urbaine – Insuffisances de l’étude d’impact – Invitation à régulariser – Régime contentieux et juridique de la régularisation – Possibilité d’effet suspensif de la régularisation sur l’appréciation de l’utilité publique du projet – Rejet.

Les demandeurs ont obtenu en première instance l’annulation d’un arrêté préfectoral déclarant d'utilité publique, au bénéfice de l'Établissement public foncier d'Île-de-France, la réalisation du projet de restructuration urbaine du secteur Paris-Joffre, et emportant mise en compatibilité du plan local d'urbanisme d'Épinay-sur-Seine. 

Saisi par cet Établissement d’un appel dirigé contre ce jugement, la cour administrative d’appel a sursis à statuer pour permettre la régularisation éventuelle, dans un délai de six à douze mois, des illégalités entachant l'arrêté litigieux. 

Les demandeurs se pourvoient cassation de cet arrêt. Ils sont déboutés en tous leurs chefs de demandes.

Le juge de cassation indique pour la première fois, semble-t-il, que la régularisation d'un arrêté déclarant d'utilité publique des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d'occupation des sols et de plans locaux d'urbanisme peut être mise en œuvre pour la première fois en appel au titre de l’effet dévolutif de l’appel.

La décision de régularisation peut subordonner cette dernière à la réalisation d’une enquête complémentaire.

Contrairement à ce qui est soutenu, la cour n’a pas entaché de contradiction de motifs, n’a pas commis d’erreur de droit et a suffisamment motivé son arrêt pour avoir, à la fois, accueilli le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'action préventive et ne pas se prononcer sur la régularisation de ce vice. En effet, dès lors qu’ayant jugé lacunaires les inventaires faunistiques et floristiques de l’étude d’impact, en ce qu’ils ne comportaient pas indication des mesures d'évitement et de réduction suffisantes pour permettre d'assurer le respect du principe de prévention, et qu’elle a précisé que ces vices entachant l'arrêté litigieux étaient susceptibles d'être réparés par l'élaboration d'études complémentaires destinées, notamment, à préciser les mesures visant à éviter, réduire et compenser les impacts négatifs du projet sur l'environnement, il s’en déduit nécessairement que la cour a entendu inclure le vice tiré de la méconnaissance du principe d'action préventive et de correction dans le champ de la régularisation donnant lieu au sursis à statuer. 

Enfin, la cour a pu estimer sans erreur de droit, les autres moyens n’étant pas jugés fondés, que les lacunes de l'étude d'impact concernant les nuisances sonores et l'inventaire de la flore et de la faune ne lui permettaient pas d'apprécier l'utilité publique du projet, or la réponse au moyen contestant cette utilité publique supposait de disposer des éléments complémentaires attendus de l'éventuelle régularisation.

(11 décembre 2023, SCI Safa et autres, n° 466593)

 

293 - Permis de construire – Requête préfectorale en suspension d’exécution du permis délivré - Préfet agissant sur le fondement des art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT – Recours contre l’ordonnance de suspension – Recours ayant la nature d’un appel de droit commun – Attribution de la requête à la cour administrative d’appel.

Le recours d’un préfet, fondé sur les dispositions des art. L. 554-1 du CJA et L. 2131-6 du CGCT, tendant à voir suspendue l’exécution d’un permis de construire :

1°/ n’entre pas dans l’exception prévue à l’art. R. 811-1-1 du CJA prévoyant que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours, introduits entre le 1er septembre 2022 et le 31 décembre 2027, dirigés « contre : / 1° Les permis de construire (...) un bâtiment comportant plus de deux logements (..) lorsque le bâtiment (...) est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application (..). » En effet, si la commune de Biarritz entre bien dans la catégorie précitée de communes, le permis dont s’agit, qui tend à la construction d'une structure d'hébergement touristique, comportant cinquante-deux hébergements et divers équipements ne peut être regardé comme portant sur un bâtiment comportant plus de deux logements au sens et pour l’application des dispositions précitées.

2°/ dès lors qu’ici le juge des référés du tribunal administratif se prononce sur une demande de suspension présentée par le représentant de l'État en application de l’art. L. 2131-6 du CGCT, sa décision n’entre pas dans le champ d'application des articles L. 521-1 à L. 523-1 du CJA relatifs au juge des référés statuant en urgence, elle est sseulement usceptible de faire l'objet d'un appel dans les conditions du droit commun.

L’affaire est renvoyée devant la cour administrative d’appel.

(15 décembre 2023, Société Biarritz Camping, société civile immobilière Mendixka, n°484082)

 

294 - Permis de construire – Document comportant des inexactitudes ou des omissions – Absence d’effet sur la légalité du permis – Erreur prétendue de l’architecte des Bâtiments de France – Absence – Rejet.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif ayant rejeté sa demande d’annulation du jugement du tribunal administratif rejetant sa requête en annulation d’un permis de construitre et d’un permis de démolir.

Son pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État opère une substitution de motifs dans l’arrêt d’appel, jugeant que dès lors que d'éventuelles erreurs susceptibles d'affecter les mentions, prévues par l'article A. 424-9 du code de l'urbanisme, devant figurer sur l'arrêté délivrant le permis ne sauraient donner aucun droit à construire dans des conditions différentes de celles résultant de la demande, il s’ensuit que la seule circonstance que l'arrêté délivrant un permis de construire comporte des inexactitudes ou des omissions en ce qui concerne la ou les destinations de la construction qu'il autorise, ou la surface de plancher créée, est sans incidence sur la portée et sur la légalité du permis.

Puis, il considère que l’on ne saurait tirer de ce que l’architecte des Bâtiments de France (ABF) a, le lendemain du jour où il a pris un avis défavorable à la démolition, rendu un avis favorable à cette démolition, l’existence d’une erreur d’appréciation qui entacherait le second avis.

(20 décembre 2023, M. A., n° 461552)

 

295 - Demandes de permis de construire – Refus – Refus jugés illégaux – Conditions d’indemnisation de l’illégalité fautive – Erreur de droit – Annulation.

Des pétitionnaires s’étant vu refuser à plusieurs reprises un permis de construire sur l’un des lots, le lot F, d’un terrain leur appartenant et ces refus ayant été jugés illégaux par les juges du fond, ils ont demandé réparation des préjudices causés par ces décisions entachées d’illégalité fautive.

Ils se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif rejetant deux chefs de demandes de réparation.

Le Conseil d’État accède à leur requête après avoir rappelé tout d’abord qu’en principe la perte de bénéfices ou le manque à gagner découlant de l'impossibilité de réaliser une opération immobilière en raison d'un refus illégal de permis de construire revêt un caractère éventuel et ne peut, dès lors, ouvrir droit à réparation. Le Conseil d’État rappelle ensuite qu’il en va toutefois autrement si le requérant justifie de circonstances particulières permettant de faire regarder ce préjudice comme présentant, en l'espèce, un caractère direct et certain (ainsi des engagements souscrits par de futurs acquéreurs ou l'état avancé des négociations commerciales avec ces derniers). En ce cas, le requérant est fondé, si tel est le cas, à obtenir réparation au titre du bénéfice qu'il pouvait raisonnablement attendre de cette opération.

En premier lieu, la cour a jugé que si les demandeurs avaient fourni, au soutien de leur demande d’indemnisation, un « engagement unilatéral d'achat » ayant date et prix certains, cet engagement unilatéral d'achat, dont la cour ne contestait pas le caractère ferme et précis, ne démontrait cependant pas le caractère sérieux des intentions de la candidate sur le lot F, dès lors que l’acquéreuse avait finalement acquis une autre parcelle appartenant aux demandeurs. Ce jugeant, la cour a commis une évidente erreur de droit puisque cette dernière circonstance était manifestement sans incidence sur l'appréciation de ses intentions sur le lot F.

En second lieu, pour refuser d’indemniser les frais d’architecte vainement exposés par les demandeurs, la cour s’est fondé sur ce que ceux-ci étaient dans l'obligation d'exposer ces dépenses puisqu'ils étaient tenus de faire appel à un architecte pour présenter leurs dossiers de permis de construire, elle a commis, ce jugeant, une seconde erreur de droit puisque ces frais, engagés en vain pour chaque permis de construire illégalement refusé par la commune, constituaient un préjudice indemnisable sous réserve que les requérants justifient de leur paiement.

Enfin, au plan de la procédure contentieuse, on relèvera que le Conseil d’État rejette les deux demandes de substitution de motifs que la commune défenderesse lui demandait d’opérer car il fallait pour cela apprécier des circonstances de fait ce qui rendait impossible, pour le juge de cassation, de telles substitutions.

(28 décembre 2023, Commune de Cussac-Fort-Médoc, n° 460492)

 

296 - Permis de construire – Plan local d’urbanisme (PLU) – Disposition du règlement du - PLU relative aux places de stationnement pour personne à mobilité réduite – Défaut de réponse à moyen – Annulation.

Est entaché d’insuffisance de motivation pour omission de réponse au moyen tiré du non-respect, par le permis de construire attaqué, de la disposition du règlement du PLU imposant une règle de dimension particulière pour les places de stationnement afin d’accueillir le véhicule d'une personne à mobilité réduite. 

Le jugement du litige est renvoyé au tribunal administratif.

(27 décembre 2023, Syndicat des copropriétaires du 127 rue Diderot et autre, n° 466896)

 

297 - Déclaration de travaux – Non-opposition – Péremption – Situation sans effet sur l’arrêté de non-opposition à travaux – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la péremption d’un arrêté de non opposition à déclaration de travaux est, par elle-même, contrairement à ce que soutenaient les requérants, sans incidence sur la légalité de l'arrêté de non opposition aux travaux en litige.

(28 décembre 2023, M. et Mme B., n° 470947)

 

298 - Permis de construire – Demande de suspension – Information insuffisante sur le recensement de la végétation existante et son traitement – Doute sérieux sur la juridicité de la décision contestée – Suspension ordonnée.

La circonstance qu’un dossier de demande de permis de construire est dépourvu d'une information suffisante s'agissant du recensement de la végétation existante et de son traitement par le projet, est de nature à fausser l'appréciation de l'administration, qui ne pouvait être en mesure de la porter, sur le respect par le projet des prescriptions de l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, imposant que les espaces libres soient aménagés en maintenant les plantations existantes ou en les remplaçant par des plantations indigènes et que les limites avec les zones naturelles ou agricoles soient obligatoirement constituées par une haie vive d'essences végétales indigènes variées. Ainsi, le permis de construire en litige ayant été délivré au vu d'un dossier de demande de permis de construire lacunaire, n'a pas permis à l'administration d'apprécier la conformité du projet à la règlementation applicable, en particulier à l'article UB 13 du règlement du plan local d'urbanisme, il est ainsi, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

La suspension d’exécution du permis est ordonnée.

(29 décembre 2023, M. B., n° 476137)

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