Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juin 2023

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

1 - Retrait d’un permis de construire – Respect d’une procédure contradictoire – Garantie pour le titulaire du permis – Observations formulées par courrier – Demande de présentation d’observations orales – Absence – Rejet.

Un permis de construire valant permis de démolir a été délivré à la société requérante en vue de l’édification d’un hôtel, de commerces, d’une résidence intergénérationnelle et de logements collectifs. Ce permis, accordé le 11 mars 2020, a été retiré par le maire le 21 août 2020 et le permis a été refusé.

La société se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté de retrait.

Pour rejeter le recours le tribunal administratif s’était fondé sur ce que la pétitionnaire ayant été mise à même de présenter des observations écrites par un courrier qu'elle a adressé à la commune le 17 août 2020, elle ne pouvait pas soulever devant ce tribunal le moyen qu'elle n'avait pas pu présenter d'observations orales comme elle affirmait l'avoir pourtant demandé à la commune. Rappelant que la possibilité de formuler des observations orales constitue une garantie, le Conseil d’État annule le jugement pour l’erreur de droit résultant de ce qu’il a tenu pour suffisante la possibilité d’observations écrites seules.

Se posait une question de preuve de la réalité de la demande adressée à la commune en vue que la société soit entendue pour exposer des observations orales. Le juge rejette le recours car, d’une part, la société n’établit pas avoir demandé à être entendue afin de pouvoir présenter des observations orales sur le retrait envisagé, d’autre part, le premier permis accordé était en réalité irrégulier, la configuration des lieux ne permettant pas aux services de secours d'accéder aux quarante-six chambres donnant sur la rue et cette atteinte à la sécurité publique ne pouvait pas être évitée par des prescriptions dont l'observation incomberait au seul pétitionnaire mais nécessitait la réalisation d'aménagements de la voirie desservant le terrain d'assiette, dont le gestionnaire est un tiers, à savoir le conseil départemental. C’est donc sans erreur manifeste d’appréciation que le maire a retiré le permis de construire qu’il avait délivré.

(12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n° 465241)

2 - Instruction ministérielle – Contrôle de l’obligation vaccinale des professionnels libéraux – Instruction à caractère impératif ou ayant le caractère de lignes directrices – Instruction entachée d’incompétence – Annulation très partielle.

Les requérants déféraient à la censure du juge de l’excès de pouvoir une instruction du ministre des solidarités et de la santé du 28 octobre 2021 relative au contrôle de l'obligation vaccinale des professionnels de santé libéraux. En bref, cette instruction a pour objet, sur le fondement de dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire née du Covid 19, de multiplier les sanctions encourues par ceux des professionnels de santé non vaccinés.

Si de nombreux griefs sont rejetés par le juge deux points retiennent cependant l’attention.
En premier lieu, le ministre défendeur avait prétendu opposer une fin de non-recevoir à cette requête. Elle est rejetée par le juge qui relève, à juste titre, que, eu égard à son contenu, cette instruction est susceptible de produire des effets notables sur la situation de ces professionnels en ce qu’elle revêt un caractère impératif ou présente le caractère de lignes directrices.

En second lieu, parmi les effets répressifs attachés par cette instruction à l’absence de vaccination des professionnels qu’elle vise, était prévue l’absence de remboursement par la sécurité sociale des médicaments délivrés par ces professionnels lorsqu’ils sont pharmaciens.

Estimant que l’auteur de cette instruction a, par cette disposition, ajouté à la loi qui n’avait rien prévu de tel, le juge annule pour incompétence de son auteur la partie de l’instruction qui prévoit la suspension des remboursements par l'assurance maladie des médicaments dispensés par un pharmacien n'ayant pas respecté l'obligation vaccinale contre la Covid 19, qui indique que les pharmaciens libéraux non vaccinés ne peuvent pas se faire remplacer et qui prescrit dans tous les cas la fermeture des officines dont le pharmacien principal est suspendu en raison de sa méconnaissance de l'obligation vaccinale. La solution adoptée est évidemment normale.

Toutefois, on ne peut manquer de trouver ahurissant qu’un ministre ait pu imaginer un seul instant de priver des assurés sociaux de leur droit à remboursement des médicaments qui leur sont prescrits alors qu’il n’est rien reproché ni au praticien prescripteur, ni à la composition ou autre du médicament ni, non plus, au patient. Il faut croire que cette crise sanitaire a parfois fait souffler un vent de déraison parmi nos pouvoirs publics.

(13 juin 2023, M. A. et société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie A., n° 459447)

3 - Demande de communication d’un document administratif – Saisines tardives de la CADA puis du juge – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une magistrate, pour accueillir la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la saisine de la commission d'accès aux documents administratifs et, par suite, du tribunal administratif, s’est fondée sur ce que la requérante avait saisi la commission d'accès aux documents administratifs plus de deux mois après la formation de la décision implicite de rejet, et sur ce que, en sa qualité d'agent public, l'absence d'accusé de réception de sa demande d'accès aux documents administratifs n'était pas de nature à rendre les délais de recours inopposables. 

(16 juin 2023, Mme A., n° 457613)

4 - Accord sur l’objet et sur le prix - Vente parfaite - Retrait de l’acte possible seulement pour illégalité et dans le délai de quatre mois - Rejet.

Rejetant le pourvoi dont l’avait saisi la commune, le Conseil d’État indique que dès lors qu’une commune et une SCI sont d’accord, la première pour acquérir et la seconde pour céder des biens à un prix convenu entre elles, la délibération entérinant cet accord - qui est créatrice de droits - ne peut plus être retirée, conformément aux dispositions de l’art. L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration, que dans le délai de quatre mois et à condition qu’elle soit illégale.

C’est là une application logique des dispositions des art. 1582 et 1583 du Code civil relatives à la vente.

(23 juin 2023, Commune de La Hague, n° 454888)

 

5 - Rappel d’obligations statutaires s’imposant à un fonctionnaire - Absence de caractère disciplinaire et d’inscription au dossier de l’agent - Mesure d’ordre intérieur ne pouvant faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Un professeur de mathématiques ayant contesté par des messages mis en ligne l'obligation d'utiliser du matériel informatique dans sa classe, a fait l’objet d’une lettre de la rectrice d’académie le mettant en garde sur des poursuites disciplinaires auxquelles pouvait l'exposer le non-respect des préconisations contenues dans cette lettre quant à son comportement et à attirer son attention sur le respect de ses obligations professionnelles et des instructions de ses supérieurs hiérarchiques.

L’enseignant se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d’appel, mettant en œuvre les pouvoirs que le juge détient en vertu des dispositions de l’art. R. 611-8 du CJA, a décidé qu’il n’y avait pas lieu à instruction de ce litige sa solution étant d’ores et déjà certaine : la lettre attaquée ne constitue pas une décision susceptible de faire grief mais une simple mesure d’ordre intérieur. En effet, elle n'avait pas le caractère d'un avertissement disciplinaire et était dépourvue d'incidence sur la situation statutaire de l'intéressé, la rectrice n'ayant nullement mentionné dans sa lettre qu'elle serait versée au dossier de l'agent, quand bien même cette lettre aurait été versée, ultérieurement, dans ce dossier.

Le pourvoi est rejeté. 

(29 juin 2023, M. A., n° 467026)

 

6 - Association sans prérogative de puissance publique - Membres pouvant ne pas être chargés d’une mission de service public - Absence de contrôle par l’État  ou de fixation d’objectifs par celui-ci - Financement privé pour l’essentiel - Demande de communication de documents - Absence de caractère administratif - Incompétence de l’ordre administratif de juridiction - Rejet.

(06 juin 2023, Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, n° 462748)

V. n° 198

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

7 - Obligation de faire droit à une demande raisonnable d’accès au réseau FttH déployé sur un lotissement - Mise en demeure par l’ARCEP - Réseau entrant dans le champ d’application de l’art. L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques - Coût excessif de ce déploiement pour les membres du lotissement - Absence - Rejet - Modulation des effets du rejet d’une demande d’annulation d’une décision déjà suspendue par le juge - Office du juge.

L’association requérante (ALDA) demandait l’annulation de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) de la mettre en demeure de respecter, au plus tard le 19 juillet 2023, l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables d'accès au réseau FttH déployé sur le lotissement du domaine d'Avoriaz et de publier une offre d'accès conformément à l'art. L. 34-8-3 du code des postes et communications électroniques et aux articles 6, 8 et 10 de la décision n° 2010-1312 du 14 décembre 2010 précisant les modalités de l'accès aux lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et d'en justifier auprès de la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction de l'Autorité, au plus tard le 19 septembre 2023.

L'ALDA a déployé à la fin des années 1960, pour l'acheminement des signaux des services de radio et de télévision, un réseau de câbles coaxiaux qui a été utilisé par la suite pour permettre à ses membres d'accéder à internet. A partir de 2015, elle a entrepris de remplacer ce réseau par un réseau de communications électroniques à très haut débit en fibre optique ayant vocation à desservir, au bénéfice de ses membres, les 4967 locaux d'habitation et professionnels du lotissement,. Ce réseau est composé de trois segments interconnectés formant, ensemble, une boucle locale optique : une partie horizontale, dont l'ALDA est maître d'ouvrage, reliant la tête du réseau, qui héberge les équipements actifs, au point de raccordement technique (PRT) de chacun des immeubles du lotissement ; dans les immeubles collectifs, une partie verticale, également dénommée « colonne montante », sous maîtrise d'ouvrage du syndicat des copropriétaires de l'immeuble, qui permet de relier le PRT à un point de branchement optique situé à chaque étage, par un câble comportant un brin de fibre par local à desservir ; enfin la partie desservant les prises terminales optiques à l'intérieur de chacun des locaux. L'ALDA fournit à ses membres, sur ce réseau, un service de communications électroniques, dont le coût de fonctionnement est couvert par une cotisation annuelle par mètre carré acquittée par les membres de l'association au titre des charges générales, qu'ils l'utilisent ou non.

Deux sociétés intervenues comme prestataires pour la réalisation de travaux de fibrage d'immeubles en copropriété, après s'être vues proposer par l'ALDA une convention de mise à disposition de brins de fibre jusqu'au pied de certains immeubles collectifs du lotissement du domaine d'Avoriaz, ont demandé en vain à celle-ci de leur transmettre une convention d'accès à ce réseau au titre des dispositions de l'art. L. 34-8-3 du code des postes et des communications électroniques. Ces sociétés ayant saisi l'ARCEP, la formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (RDPI) de l'ARCEP, estimant que le réseau déployé par l'ALDA relevait du champ d'application des dispositions de l'art. L. 34-8-3 et des décisions prises pour son application, et que l’ALDA avait méconnu l'obligation de faire droit aux demandes d'accès raisonnables et de publier une offre d'accès a, par une décision du 19 juillet 2022, mis cette association en demeure de respecter cette obligation, conformément à ces dispositions et aux art. 6, 8 et 10 de sa décision n° 2010-1312 au plus tard le 19 juillet 2023. L'article 2 de la décision attaquée fait obligation à l'ALDA de justifier, au plus tard le 19 septembre 2023, du respect de cette échéance.

L'ALDA a demandé au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir cette décision. Sa requête est rejetée.

Tout d’abord, il est jugé que c’est sans erreur de droit ni appréciation inexacte de la matérialité des faits que l’ARCEP a considéré qu’entrait dans le champ d’application des dispositions de l’art. L. 38-8-3 du code précité, le déploiement par l’ALDA d’un réseau de télécommunication à haut débit par fibre optique décrit ci-dessus, qui dessert chacun des locaux de ses membres, et dont le déploiement a été supervisé par l’ALDA. Si la réalisation de la partie verticale du réseau, située dans les copropriétés membres de l'association, relève de leur compétence, il ressort des pièces du dossier que l'ALDA assure la réception des travaux de fibrage réalisés par le maître d'œuvre choisi par la copropriété et la connexion à la partie horizontale du réseau, au niveau des points de raccordement technique situés en pied d'immeuble, qui sont sa propriété. En outre, ce réseau est constitué de plusieurs chemins continus en fibre optique permettant de desservir des utilisateurs finals afin de leur fournir des services de communications électroniques.

Ensuite, ce lotissement est situé sur la commune savoyarde de Morzine qui se trouve en zone moins dense au sens des décisions de l’ARCEP. Le réseau de communications électroniques par fibres optiques déployé par l'ALDA, n'a pas été conçu selon l'architecture propre aux boucles locales optiques en zones moins denses, telle que précisée par la décision n° 2010-1312, s'agissant notamment, de la localisation des points de mutualisation potentiels et du nombre de locaux qu'ils desservent.

A l’argument de l'ALDA selon lequel la mise en conformité de son réseau avec cette architecture représenterait un coût avoisinant son budget annuel total, le juge répond qu’il ressort notamment des écritures de l'ARCEP, que l'exécution de la mise en demeure litigieuse implique seulement que l'ALDA fournisse aux opérateurs tiers qui le demandent un accès aux lignes déployées jusqu'à l'utilisateur final à partir de points de mutualisation, et de publier une offre précisant les modalités de cet accès sans imposer à l'ALDA aucune architecture de réseau déterminée. Dès lors doit être écarté le moyen tiré de ce que la décision litigieuse mettrait à la charge de l’ALDA des obligations qui ne sont ni raisonnables, ni proportionnées au regard des objectifs mentionnés à l'art. L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques et des exigences des dispositions de l'art. L. 34-8-3 de ce code et reposerait sur une erreur manifeste d'appréciation.

Enfin, le juge aborde un point de procédure contentieuse auquel il apporte une solution aussi audacieuse que bien venue.

En l’espèce, est rejetée une requête tendant à l'annulation d'une décision dont l'exécution a été suspendue par le juge administratif statuant en référé. En principe un tel rejet a pour effet que la décision suspendue trouve ou retrouve application dès le prononcé de cette décision juridictionnelle de rejet. Toutefois, et c’est ici l’innovation intéressante, le Conseil d’État décide que s'il apparaît que cet effet est de nature à faire naître des difficultés de tous ordres, il appartient au juge administratif, le cas échéant d'office, de préciser les conditions dans lesquelles sa décision prendra effet. C’est ce qu’il fait ici en décidant que l'exécution de la décision attaquée ayant été suspendue par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'État du 24 octobre 2022, les délais de douze et quatorze mois impartis à l'ALDA par la décision du 19 juillet 2022 pour, d'une part, faire droit aux demandes raisonnables d'accès à son réseau FttH et publier une offre d'accès conformément à l'article L. 34-8-1 du code des postes et des communications électroniques et, d'autre part, en justifier auprès de l'ARCEP, courront à nouveau à compter de la notification de la présente décision.

Reste que l’on peut demeurer dubitatif, en matière de communications électroniques et autres, sur le degré d’intrusion des autorités publiques en cause dans les choix privés de personnes privées à l’intérieur de leur propriété privée comme sur l’énormité des pouvoirs de contrainte dont sont assorties ces intrusions.

(19 juin 2023, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467719)

 

8 - Obligation d’indiquer sa civilité sur un site de commande ou d’abonnement de la SNCF - Collecte illicite car proposant un genre binaire et portant atteinte au principe de minimisation des données - Renvoi préjudiciel à la CJUE.

L’association requérante a saisi la CNIL d’une plainte contre le site de la SNCF collectant et enregistrant la civilité des clients lors de l'achat de billets de train, de cartes d'abonnement et de réduction sur le site internet ou les applications de la société au motif qu’il méconnaissait certaines dispositions du règlement (UE) du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit RGPD.

La CNIL ayant fait savoir que cette plainte était clôturée, les faits reprochés ne constituant pas des manquements au RGPD.

L’association saisit d’un recours en annulation de cette décision de clôture en faisant valoir que les clients de la SNCF doivent indiquer obligatoirement leur civilité, en ayant ainsi le choix entre deux mentions, « Monsieur » ou « Madame », ce qui ne serait pas licite  au sens du a) du paragraphe 1 de l'art. 5 du RGPD, car elle ne repose sur aucun des fondements prévus par le paragraphe 1 de l'art. 6, et méconnaît les principes de minimisation de la collecte des données et d'exactitude également prévus par les c) et d) du paragraphe 1 de l'art. 5 et, enfin, la SNCF ne respecte pas les exigences en termes de transparence et d'information qu'impliquent le a) du paragraphe 1 de l'art. 5 et l'art. 13. Elle soutient que l'entreprise ne devrait pas recueillir de telles données ou devrait, à tout le moins, proposer une ou plusieurs possibilités supplémentaires, telles que « neutre » ou « autres ». 

Bottant en touche, les juges du Palais-Royal renvoient à la Cour de Luxembourg le soin de répondre deux questions préjudicielles :

1°/ d’abord la question de savoir s'il peut être tenu compte, pour apprécier le caractère adéquat, pertinent et limité à ce qui est nécessaire de la collecte de données au sens des dispositions du c) du paragraphe 1 de l'art. 5 du RGPD et la nécessité de leur traitement au sens des b) et f) du paragraphe 1 de l'art. 6 du RGPD, des usages couramment admis en matière de communications civiles, commerciales et administratives, de sorte que la collecte des données relatives aux civilités des clients, limitée aux mentions « Monsieur » ou « Madame », pourrait être regardée comme licite, sans qu'y fasse obstacle le principe de minimisation des données, car cette question soulève une difficulté d'interprétation du droit de l'Union européenne, déterminante pour la solution du litige que doit trancher le Conseil d'État.

2°/ la question de savoir si, pour apprécier la nécessité de la collecte obligatoire et du traitement des données relatives à la civilité des clients, et alors que certains clients estiment qu'ils ne relèvent d'aucune des deux civilités et que le recueil de cette donnée n'est pas pertinent en ce qui les concerne, il y a lieu de tenir compte de ce que ceux-ci pourraient, après avoir fourni cette donnée au responsable de traitement en vue de bénéficier du service proposé, exercer leur droit d'opposition à son utilisation et à sa conservation en faisant valoir leur situation particulière, en application de l'art. 21 du RGPD.

La cour de renvoi se serait sans doute passée de devoir trancher une question fort à la mode, fashion ou fashionista, dirons-nous et gentiment provocatrice sans doute propice aux débats profonds et aux invectives de tous ordres.

(21 juin 2023, Association MOUSSE, n° 452850)

9 - Traitement automatisé de données à caractère personnel - « Service de garantie de l'identité numérique » du ministère de l'intérieur et de l'Agence nationale des titres sécurisés - Identification et authentification auprès de divers organismes au moyen d’une carte d’identité à composant électronique - Ingérence disproportionnée dans les droits des personnes - Risque de profilage - Principe de limitation des finalités du traitement - Identification d’une personne à partir de sa photographie - Absence - Rejet.

L’association requérante invoquait plusieurs moyens, tous rejetés, au soutien de sa demande d’annulation du décret du 26 avril 2022 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Service de garantie de l'identité numérique » et abrogeant le décret du 13 mai 2019 autorisant la création d'un moyen d'identification électronique dénommé « Authentification en ligne certifiée sur mobile ».

Dans ces sortes de litiges on a l’impression d’assister à un dialogue de sourds : le plaideur dénonce les risques inhérents à ces procédés et le juge exonère l’administration de toute turpitude, notamment parce que les dispositifs mis en place n’ont pas pour finalité d’attenter à la vie privée, ou autres, des usagers de ces systèmes. C’est encore heureux dans une démocratie ! En réalité la question n’est pas là : elle est de savoir si, techniquement et par l’effet d’une volonté humaine, fût-elle dévoyée, un tel mécanisme est susceptible de « déraper ». S’il y a le moindre risque de réponse positive à cette question cela modifie très profondément l’exigence de légalité. Ce mécanisme ne devrait pouvoir être dit conforme aux droits des personnes que s’il comporte en lui-même et indépendamment de la volonté de ses concepteurs et maîtres d’œuvre, le moyen de faire obstacle à ce qu’il puisse en être ainsi. L’angélisme ne saurait être un ressort de l’action politique car selon l’impérissable formule de Montesquieu « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » (De l’Esprit des lois, L. XI, chap. IV).

En bref, il convient de s’interroger sur le point de savoir si, en cette matière, il ne convient pas de recourir systématiquement au contrôle « en tant que ne pas » (cf. Assemblée, 16 décembre 2005, Groupement forestier des ventes de Nonant, n° 261646, concl. Y. Aguila, AJDA 2006 p. 320)

Cette affaire illustre parfaitement ce très grave malentendu.

Lorsque la requérante soutient que le 3° (« données relatives à l'historique des transactions réalisées par l'usager ») de l'article 2 du décret attaqué méconnaît les principes de limitation des finalités du traitement et de minimisation des données, prévus par l'article 5 du RGDP, et constituerait une ingérence disproportionnée dans les droits des personnes concernées, le juge lui répond que ces données « sont étrangères aux transactions financières que ce dernier peut être amené à réaliser en ligne (…) mais visent les opérations d'utilisation de ce moyen. Le traitement de ces données, dont le décret prévoit, conformément d'ailleurs à l'avis de la CNIL, qu'elles sont limitées à un nombre maximal de transactions fixé par les responsables de traitement, permet à l'utilisateur de conserver la trace de ces opérations et, le cas échéant, de vérifier qu'aucune d'elles n'a été réalisée à son insu ». On croit rêver : 1) comment ai-je le moyen de savoir et/ou de prouver cette réalisation à mon insu ? 2) comment puis-je savoir qu’enregistrée en toute transparence, telle donnée me concernant n’a pas été utilisée à d’autres fins et, naturellement, non pas réalisée mais utilisée à mon insu ?

Quand la demanderesse invoque le risque de profilage par le moyen d’un tel système est-il pertinent et réaliste de lui répondre que le décret litigieux « n'a ni pour objet, ni pour effet d'autoriser un tel profilage » ? C’est encore heureux qu’il en soit ainsi et cela n’a rien de glorieux dans une démocratie ! La question est toute autre : en quoi et comment le décret empêche-t-il qu’à partir des données dont il permet la collecte et la conservation un profilage de l’utilisateur ne pourra pas être établi ?

Quand, encore, il est soutenu que les dispositions relatives au droit d’accès des agents des services responsables de traitement peuvent rendre possible la communication des données à des tiers, est-il judicieux de répondre que ces dispositions « n'ont pas pour objet, et ne pourraient avoir légalement pour effet, d'autoriser ces agents à transmettre à un tiers, notamment à des personnes en litige avec un usager, les informations relatives à une opération d'utilisation du moyen d'identification électronique qu'il a réalisée, une telle transmission n'étant possible que sur le fondement d'une disposition dérogeant à l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration qui fait obstacle à la communication aux tiers des documents administratifs mettant en cause la protection de la vie privée des personnes. » ? Là encore, c’est le moins que l’on puisse attendre d’une démocratie !

La question est de savoir comment s’assurer que cette absence d’autorisation suffit à entraîner ipso facto son respect effectif, sa non-violation ? 

Enfin, dire que tout va bien parce que « le décret attaqué n'autorise pas les responsables de traitement à mettre en œuvre un traitement permettant d'identifier la personne physique à partir de sa photographie » est tout sauf rassurant : là encore, il ne s’agit pas de savoir ce que le décret permet ou autorise mais seulement si et jusqu’à quel point il empêche de survenir ce qu’il n’autorise pas.

C’est tout le problème de savoir si ce type de mécanisme dont on veut bien croire qu’il n’a pas été institué à des fins mauvaises ne fournit cependant pas nécessairement - par son existence même, ce qu’il contient, etc. - les moyens de la commission d’infractions diverses au moyen de données personnelles « récupérées ».

(26 juin 2023, Association DataRing, n° 465329)

 

10 - Ressortissant français autorisé à l’étranger à changer de sexe, de nom et de prénom - Demande d’effacement de ses anciennes données personnelles recueillies en 2019 à l’occasion d’une commande - Refus partiels de la CNIL - Rejet.

Cette question et cette personne ont déjà été évoquées dans cette Chronique. Suite à un changement de sexe, de nom et de prénom autorisé aux États-Unis, l’intéressée a demandé à la CNIL de traiter sa réclamation contre une société refusant de modifier ses données personnelles antérieures à sa transformation, recueillies à l’occasion d’une commande. La CNIL, après avoir ordonné la modification de l'adresse de messagerie électronique figurant dans son compte client, a clôturé la plainte dont elle avait été saisie. C’est de ces décisions qu’est demandée l’annulation.

La requête est rejetée.

D’abord, la société a mis à jour les informations du compte client de l'intéressée et lui a en outre proposé de masquer les éléments relatifs à la commande de 2019 dans la page d'accueil de son compte. Ensuite, le rapprochement du prénom masculin et du prénom mixte dans les données à caractère personnel détenues par la société concernant Mme D., ne fait pas apparaître, directement ou indirectement, une donnée relative à son identité de genre. En tout état de cause, à supposer que le responsable de traitement conserve d'autres mentions, comme la civilité de Mme D., permettant, par rapprochement avec les données relatives à son changement de patronyme, de révéler indirectement cette identité de genre, la conservation de ces données est légalement justifiée. Enfin, dès lors que la décision de clôture de plainte par la CNIL est exclusivement fondée sur ce que les données à caractère personnel en cause ne présentent pas un caractère inexact et n'avaient donc pas vocation à être rectifiées, et sur ce qu'elles sont par ailleurs conservées par la société dans le cadre des obligations légales auxquelles elle est soumise, la requérante n'est, en tout état de cause, pas fondée à se plaindre de ce que cette décision présenterait un caractère discriminatoire et méconnaîtrait ainsi le principe de non-discrimination garanti par l'art. 21 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les art. 225-1 et 432-7 du code pénal, ni qu'elle serait constitutive d'une violation de l'article 8 de la convention EDH.

(26 juin 2023, Mme D., n° 466856)

(11) V. aussi, rejetant (mais a-t-on jamais vu le Conseil d’État adopter une solution différente en cette hypothèse ?) un recours gracieux contre la décision du 12 juillet 2021 portant clôture de la plainte du requérant relative à la suppression de données personnelles le concernant figurant dans le rapport d'activité 2010 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) : 30 juin 2023, M. C., n° 460269.

 

12 - Obligations faites à certains opérateurs ou fournisseurs d’accès - Conservation des données permettant l'identification de tout créateur d'un contenu mis en ligne - Catégories de données devant être conservées par les opérateurs de communications électroniques - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne, pris en application du II de l'art. 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et celle du décret du 20 octobre 2021 relatif aux catégories de données conservées par les opérateurs de communications électroniques, pris en application de l'art. L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques.

Tous les moyens soulevés sont rejetés, notamment ceux tirés de la conservation :

- des données relatives à l'identité civile de l'utilisateur (obligation qui n’est pas disproportionnée au regard des finalités poursuivies, qui ne soulève pas de difficulté d’interprétation et dont la conservation est nécessaire alors même que les opérateurs ne seraient pas tenus de certifier ou vérifier les adresses postales et électroniques),

- des données relatives aux autres informations fournies par l'utilisateur lors de la souscription du contrat ou de la création d'un compte car ces « données destinées à permettre à l'utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier », qui recouvrent les canaux de communication déclarés au préalable par l'utilisateur pour permettre la récupération de comptes, ne permettent nullement de conserver les mots de passe et des données d'authentification des utilisateurs,

- des données relatives au paiement car ce grief est dirigé contre un décret jugé contraire au droit de l’Union dont il n’est pas établi qu’il a été pris en exécution d’une loi qui serait elle-même contraire à ce droit ou dont cette loi constituerait sa base légale ; au surplus, contrairement à ce qui est soutenu, les données relatives au lieu d'une transaction physique ne sauraient être regardées comme des données de localisation, dont la conservation ne pourrait avoir pour finalité que la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et la sauvegarde de la sécurité nationale. Ces données sont, par suite, adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités poursuivies.

 - de celles relatives à la source de connexion et aux équipements terminaux utilisés car sont couvertes par cette obligation les seules adresses IP à l'origine de la communication, par opposition aux obligations de conservation prévues par le V de l'art. R. 10-13 du code des postes et des communications électroniques, qui autorise également la conservation des données techniques permettant d'identifier le ou les destinataires de la communication,

- de celles concernant les données de trafic ou de localisation car les données en cause, qui constituent parfois les seuls éléments de preuve permettant de prévenir et de réprimer des agissements menaçant la sauvegarde de la sécurité nationale, sont nécessaires au regard des finalités poursuivies.

(30 juin 2023, Sociétés Free, Free mobile et Scaleway, n° 459724 ; Sociétés Free et Free mobile, n° 459726, jonction)

(13) V. aussi, rejetant le recours formé par une partie des requérantes précédentes et par des particuliers tendant à l’annulation du  décret du 17 octobre 2022 portant injonction, au regard de la menace grave et actuelle contre la sécurité nationale, de conservation pour une durée d'un an de certaines catégories de données de connexion, cette exigence ne portant pas une atteinte disproportionnée aux libertés fondamentales, et en particulier au droit au respect de la vie privée dès lors qu’il est justifié de l'existence d'une menace grave et actuelle ou prévisible contre la sécurité nationale (persistance d'un risque terroriste élevé, dont la menace islamiste sunnite demeure le principal vecteur, menace terroriste projetée depuis la zone syro-irakienne à laquelle s'ajoutent notamment les répercussions en France de l'instabilité géopolitique au Sahel ; caractère évolutif de cette menace avec l'émergence de profils terroristes dotés d'une autonomie croissante, sur les plans idéologique et opérationnel, par rapport aux acteurs établis sur le territoire d'États étrangers ; menace, sur le territoire national, résultant du nombre élevé de personnes condamnées ou détenues pour terrorisme, ainsi que de délinquants de droit commun radicalisés ; exposition particulière de la France au risque d'ingérence et d'espionnage dans le contexte de la guerre en Ukraine ; menaces graves pour la paix publique, liées à une augmentation de l'activité de groupes radicaux et extrémistes de l'ultra-droite et de l'ultra-gauche ; enfin, menace cybernétique élevée, avec des tentatives récentes d'attaques déjouées sur les systèmes financiers et les systèmes industriels, notamment sur les opérateurs d'importance vitale) : 30 juin 2023, M. C. et M. D., n° 468361 ; Sociétés Free et Free mobile, n°469712.

 

14 - Journal hebdomadaire - Demande de mise en œuvre de traitements automatisés en vue d’élaborer un palmarès des hôpitaux et cliniques – Programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) - Consultation d’un organisme ad hoc (CESREES) – Invocation d’insuffisances méthodologiques – Existence d’un intérêt public à cette publication – Qualité de l’information donnée au public – Rejet.

Voilà une décision de justice qui n’est guère satisfaisante tout comme l’était la décision administrative négative à l’origine de ce contentieux.

L’hebdomadaire Le Point publie régulièrement un « Palmarès » des hôpitaux et cliniques au vu d’une batterie de critères eux-mêmes pondérés.

En vue de son palmarès portant sur les années 2022 à 2024 la société requérante a saisi la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en vue d’être autorisée à mettre en œuvre des traitements automatisés à des fins de recherche, d'étude ou d'évaluation nécessitant un accès aux données du programme de médicalisation des systèmes d'information, qui est l'une des composantes du système national des données de santé.

La SEBDO demande l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération du 20 octobre 2022 par laquelle la CNIL a rejeté sa demande d'autorisation.

De nombreux moyens sont soulevés à l’appui de ce recours, ils sont tous rejetés.

Tout d’abord c’est à bon droit et dans des conditions régulières qu’avant de répondre à la demande d’autorisation dont elle était saisie la CNIL a sollicité des avis du comité éthique et scientifique pour les recherches, les études et les évaluations dans le domaine de la santé (CESREES). Ces avis furent négatifs au motif que le projet serait dépourvu d'intérêt public, dès lors que la publication envisagée serait susceptible d'induire en erreur le public en raison de ses insuffisances méthodologiques. Ces avis sont jugés n’être pas irréguliers ni quant à leur forme, notamment la complétude de leur motivation, ni quant à leur fond.

Ensuite, le juge reconnaît que ce palmarès ne constituant pas une publication scientifique émanant d'un organisme de recherche ou d'une autorité publique, mais un traitement à des fins journalistiques établi par un organisme de presse à destination des lecteurs de la revue qu'il diffuse, afin de les informer sur la qualité de la prise en charge par les établissements de santé et de les éclairer sur leurs mérites comparés, la circonstance que les choix méthodologiques de la SEBDO ne sont pas étayés par la littérature scientifique, ainsi que le relève la CNIL en se référant à l'avis du CESREES, ne saurait faire obstacle à la caractérisation de l'intérêt public d'une publication de cette nature.

Toutefois, le juge met une limite à ce droit d’informer  en retenant à la charge du responsable du traitement l’obligation d'apporter les garanties méthodologiques et de transparence propres à éviter que les lecteurs ne puissent être induits en erreur sur ce classement du fait du caractère sensible du choix d’un établissement de santé par le patient, et de l'influence qu'est susceptible d'exercer sur celui-ci ce palmarès.

Enfin, les atteintes ainsi portées à la liberté de la presse comme à celles d’expression et d’information sont jugées n’être point disproportionnées.

 

On dira notre désaccord sur le glissement opéré dans le raisonnement et qui résulte d’un faussement généralisé de l’analyse juridique : il n’appartient pas à l’organisme saisi d’une demande de communication de données de la nature de celles en cause, en violation totale du principe de bonne foi comme de celui de la présomption d’innocence, de présumer à tout coup et ici de façon irréfragable (à preuve cette décision), leur mésusage certain par le demandeur.

En cas de mauvaise utilisation éventuelle, donc ex-post, il appartient aux personnes ou entités concernées et se prévalant d’un préjudice direct et certain, de saisir la justice en vue de condamnation et/ou d’indemnisation. Faut-il rappeler ce principe cardinal du droit des libertés qui est d’être fondamentalement un régime répressif et non préventif car confiance est faite en la capacité du citoyen à se bien comporter dans l’utilisation des libertés dont il est, par nature, titulaire à titre originaire.

Au reste, le juge lui-même introduit un facteur de contradiction lorsqu’il relève que la publication par Le Point de son palmarès, depuis près d’un quart de siècle, se caractérise par son ancienneté, sa notoriété, sa large diffusion comme son utilisation par certains organismes d'assurance maladie complémentaire dans les conseils qu'ils délivrent à leurs assurés pour l'orientation de leur parcours de soins. Croit-on que s’il ne s’était agi, depuis l’origine, que d’indications peu sérieuses, ces caractères eussent été obtenus et eussent perduré ? Nous croyons voir là, réunis jusqu’à la caricature, tous les indices d’une erreur manifeste d’appréciation.

Cette façon de faire est fâcheuse car elle donne à une opinion publique peu encline à croire ce que lui disent les pouvoirs publics et les administrations les moyens d’apercevoir dans cette censure voire ce musèlement, l’indice qu’il y a des choses à cacher.

(30 juin 2023, Société d'exploitation de l'hebdomadaire Le Point (SEBDO), n° 469964)

 

Biens et Culture

15 - Domaine public fluvial - Détermination - Convention d’occupation domaniale - Superposition d’affectations d’une même parcelle domaniale - Régime - Rejet.

La société requérante a conclu avec Voies navigables de France (VNF) une convention d’occupation   domaniale l’autorisant à installer des infrastructures permettant la mise en œuvre de son réseau de télécommunications dans le sous-sol d'un fossé adjacent à la route départementale n° 3 entre les villes de Spycker et Bierne (Nord). Estimant que cette convention d’occupation était illégale pour avoir été conclue incompétemment par VNF car la dépendance en cause relevait du domaine public routier du département, la société a, en conséquence, demandé la restitution des redevances versées entre janvier 2004 et mars 2015 y compris les intérêts capitalisés. Si le tribunal a fait droit à sa demande, sur appel de VNF, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

La société se pourvoit en cassation de cet arrêt ; elle est déboutée en ses deux griefs : l’appartenance des lieux à la fois au domaine public fluvial et au domaine routier départemental par superposition d’affectations et la compétence de gestion domaniale de VNF.

Tout d’abord, le juge rappelle l’existence et la juridicité du mécanisme de la superposition domaniale. Il confirme ainsi l’arrêt querellé en ce qu’il a souverainement jugé qu'il résultait d'un rapport de l'inspection générale des ponts et chaussées de 1859, d'une lettre du ministère des travaux publics de 1882 et d'un procès-verbal de récolement de 1912 que le canal de la Colme était bordé, sur tout son cours et ses deux rives, de digues artificielles permettant d'en assurer la sûreté. Elle a également relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, qu'il résultait de la configuration des lieux, dont témoignaient plusieurs photographies produites par les parties, que le talus sur lequel reposait la route départementale n° 3, d'une largeur au demeurant modeste, formait, en ce compris le fossé situé en contrebas de l'accotement de la route opposé au canal, un tout indissociable constitutif d'un ouvrage de défense des berges du canal. Elle a pu en déduire sans erreur de droit que, contrairement à ce que soutenait la société Lumen Technologies France, le fossé en cause constituait une dépendance du domaine public fluvial et avait pu légalement faire l'objet d'une convention d'occupation à ce titre. 

Ensuite, le juge de cassation confirme encore l’arrêt d’appel en ce qu’il a jugé que l'affectation supplémentaire de la digue au domaine public routier était compatible avec son affectation initiale au domaine public fluvial, que la circonstance que le fossé en cause constitue également l'accessoire de la route départementale ne faisait pas par elle-même obstacle à son appartenance au domaine public fluvial et, partant, à la compétence de VNF pour en autoriser l'occupation. 

(05 juin 2023, Société Lumen Technologies France, n° 466548)

16 - Occupation domaniale sans droit ni titre - Exercice d’un référé « mesures utiles » - Compétence du préfet et, sur sa délégation, du sous-préfet pour introduire ce référé au nom de l’État  - Appréciation souveraine des faits - Rejet.

Passant outre le refus préfectoral opposé à sa demande, le requérant a installé un corps-mort sur le sol de la mer en baie de Capicciola à Zonza (Corse-du-Sud). Constatant l’infraction, le préfet a saisi le juge du référé « mesures utiles » (art. L. 521-3 CJA) en vue qu’il ordonne l'expulsion de M. B., lui enjoigne de remettre les lieux dans leur état naturel sous astreinte et autorise l'État à y procéder, le cas échéant, d'office. C’est ce qu’a décidé l’ordonnance de référé.

Le contrevenant, dans le pourvoi formé contre cette ordonnance, contestait et la forme et le fond.

Sur la forme, il soutenait que le préfet ne pouvait pas représenter l’État  dans cette instance et qu’ainsi sa demande était irrecevable. Rejetant ce moyen, le Conseil d’État fonde cette compétence du préfet sur ce qu’en tant qu’autorité domaniale il doit veiller à l'utilisation normale et au maintien de l'intégrité du domaine public et exercer à cet effet les pouvoirs qu'il tient de la législation en vigueur notamment en saisissant le juge administratif des référés en vue qu’il prononce toute mesure utile, spécialement l'expulsion d'un occupant sans droit ni titre du domaine public maritime.

En outre, il était loisible au préfet de donner délégation au sous-préfet de Sartène à l’effet de signer les recours juridictionnels et les mémoires en l’absence simultanée du secrétaire général de la préfecture et du directeur de cabinet du préfet. Or ici il n’est pas démontré que ces deux fonctionnaires n'auraient été ni absents, ni empêchés. D’où il suit que le sous-préfet a pu saisir le juge d’un référé « mesures utiles ».

Sur le fond, le Conseil d’État  retient que c’est par une appréciation souveraine des faits et sans les dénaturer que le juge des référés a fondé l’existence de l'urgence à ordonner l'expulsion de M. B. de l'emplacement qu'il occupait, sur la sensibilité environnementale de la zone de Capicciola et sur la nécessité de respecter les zones de mouillages définies par les autorités compétentes.

(05 juin 2023, M. B., n° 467295)

17 - Occupation domaniale sans droit ni titre - Occupation d’un abattoir et d’une salle de découpe municipaux - Indemnisation - Prise en compte du comportement éventuellement fautif du gestionnaire du domaine - Annulation partielle.

La commune de Forges-les-Eaux a demandé au tribunal administratif la condamnation de la société Groupe Bigard à l'indemniser, d'une part, à raison du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'occupation sans titre, entre le 1er mars 2010 et le 19 novembre 2015, d'un abattoir et d'un atelier de découpe constituant des dépendances de son domaine public, d'autre part, à raison des frais exposés pour la remise en état de ces locaux. La société Groupe Bigard se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif du 12 avril 2022 par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement par lequel la société requérant a été condamnée à verser à la commune une certaine somme assortie des intérêts moratoires.

Pour sa défense la société requérante faisait valoir, s’agissant de la période s’étendant du 1er mars 2010 au 15 novembre 2011 que sa responsabilité n’était pas engagée à raison de la faute commise par la commune du fait de son attitude ambiguë concernant la régularité de sa situation. Cette dernière, après avoir, par des délibérations des 7 novembre 2005, 30 mars 2006 et 2 juin 2008, autorisé la cession pour un euro symbolique, au profit de la société Arcadie Centre Est, aux droits de laquelle elle est venue, puis à son profit, de l'abattoir et de l'atelier de découpe, s’est abstenue de lui réclamer une redevance au titre de l'occupation de ces dépendances et cette situation s'était poursuivie sans changement jusqu'au 15 novembre 2011, date à laquelle le conseil municipal avait rapporté ces délibérations.

La cour avait rejeté cette argumentation en retenant que la société ne pouvait utilement se prévaloir d'actes pris par la commune avant le début de la période au titre de laquelle l'indemnité d'occupation était demandée. Ce raisonnement est annulée - et fort justement -, le  Conseil d’État  rappelant opportunément que dans l’hypothèse - qui est celle de l’espèce - où l'autorité gestionnaire du domaine public n'a pas mis l'occupant irrégulier en demeure de quitter les lieux, ne l'a pas invité à régulariser sa situation ou a entretenu à son égard une ambiguïté sur la régularité de sa situation, ces circonstances, sont de nature, le cas échéant, à constituer une cause exonératoire de la responsabilité de l'occupant, dans la mesure où ce comportement du gestionnaire serait constitutif d'une faute. Cette solution est logique, le droit de la responsabilité administrative reprenant, même en matière domaniale, tout son empire.

Ce point est donc renvoyé à l’examen de la cour.

Pour ce qui est de la période suivante en litige (15 novembre 2011-19 novembre 2015) l’évaluation du montant de l’indemnisation due à la commune par la requérante telle qu’appréciée par la cour est, pour sa majeure partie, approuvée par le juge de cassation notamment parce qu’elle tombe sous l’exercice, par le juge d’appel, de son pouvoir souverain non argué de dénaturation.

Au passage, on relèvera que, répondant à un moyen de la demanderesse selon lequel l’expertise effectuée à la demande de la commune par un expert qu’elle a désigné n’avait pas été contradictoire, le juge le rejette motif pris de ce que ce rapport avait bien été soumis au contradictoire des parties dans le cadre de l’instance.

(05 juin 2023, Société Groupe Bigard, n° 464879)

18 - Transfert du domaine colonial ultra-marin dans certains départements d’outre-mer - Parcelles originairement transférées au service des eaux et forêts - Délibérations d’un conseil général sans effet sur le transfert de propriété - Rejet.

La loi du 19 mars 1946 qui a érigé en départements les anciennes colonies (dites Quatre Vieilles) de la Guadeloupe, de la Martinique, de La Réunion et de la Guyane française leur a transféré la propriété de l'ancien domaine colonial, public et privé, sous réserve des modifications apportées à sa consistance par l'application des lois alors en vigueur en France métropolitaine. Le décret d’application du 6 novembre 1947 relatif à l'attribution de l'ancien domaine colonial dans les mêmes départements a défini la procédure permettant de répartir l'affectation de ces biens entre l'État, les départements et les communes, en renvoyant à un arrêté interministériel le soin de déterminer, à l'issue de cette procédure, pour chaque département, la nouvelle affectation des biens de l'ancien domaine colonial.

L'arrêté interministériel du 30 juin 1948 procède à cette répartition selon des tableaux qui lui sont annexés. Le § 2 du I du tableau I, relatif aux immeubles du domaine privé attribués à l'État, mentionne au point 59-256 les : « bois, broussailles et forêts du domaine privé colonial comprenant le massif forestier central et quelques petites forêts isolées en Guadeloupe, Grande-Terre, Marie-Galante, d'environ 22 155 ha », lesquels sont remis en gestion au service des eaux et forêts du ministère de l'agriculture, devenu depuis l’Office national des forêts (ONF).

Le syndicat requérant, qui revendique la propriété de plusieurs parcelles sur le territoire de la Guadeloupe, dont l’une est située dans la commune de Goyave, recherche l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre des finances a rejeté sa demande d'abroger, dans cette mesure, l'arrêté interministériel du 30 juin 1948 précité.

Le recours est rejeté car, contrairement à ce qui est soutenu, l’arrêté attaqué n’est pas entaché d’illégalité comme étant contraire à une délibération du 20 décembre 1909, confirmée par une délibération du 11 juin 1921, par laquelle le conseil général de la Guadeloupe aurait procédé, au profit de ce syndicat, à un transfert de propriété. En effet, par sa délibération du 20 décembre 1909, ce conseil général a bien émis un vote de principe selon lequel le syndicat des petits planteurs à Sainte-Rose devait être « déclaré propriétaire de la portion des terres du domaine dont les membres ont sollicité la concession et sur laquelle ils ont déjà des plantations » et cette prise de position a bien été confirmée lors de sa séance du 11 juin 1921. Toutefois, ces délibérations, alors même que le conseil général était compétent en matière d'aliénation des biens de la colonie, ne sauraient être regardées comme ayant eu pour effet, par elles-mêmes, de procéder à un tel transfert de propriété.

Le syndicat ne peut donc soutenir qu’est illégal le refus implicite d’abroger l’arrêté attaqué.

La solution est discutable car elle revient à opposer à une opération de transfert survenue en 1909 et 1921 les règles régissant ce transfert issues de textes postérieurs de près de quarante années.

(06 juin 2023, Syndicat agricole des petits planteurs de Cadet-Sainte-Rose, n° 459588)

19 - Entreprise de spectacles vivants - Demande d’agrément provisoire - Crédit d’impôt - Conditions (art. 220 quindecies CGI) - Rejet.

La société requérante, s’étant vu refuser l’agrément provisoire qu’elle avait sollicité afin de bénéficier du régime du crédit d’impôts institué par l’art. 220 quindecies du CGI pour les entreprises organisatrices de spectacles vivants saisit le juge de cassation d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel infirmatif du jugement qui lui avait donné gain de cause.

Le pourvoi est rejeté car le Conseil d’État  approuve l’interprétation donnée par la cour de l’activité d'entrepreneur de spectacles vivants, au sens de l'article L. 7122-2 du code du travail pour l’application des dispositions de l’art. 220 quindecies précité.

Il en résulte que, compte tenu de l’objectif législatif de soutien aux petites entreprises et de pérennisation des emplois artistiques, l'entrepreneur de spectacles vivants souhaitant obtenir l'agrément provisoire lui ouvrant le bénéfice du crédit d'impôt prévu à l'article 220 quindecies du CGI, s’il n’a pas l’obligation d’être l'employeur effectif de la totalité du plateau artistique, doit cependant, pour obtenir l’agrément, avoir la responsabilité du spectacle, c'est-à-dire, comme l'a jugé la cour, participer à sa création aux côtés des auteurs, compositeurs, chorégraphes et metteurs en scène, être ainsi responsable du choix, de la préparation et de la mise en œuvre de ce spectacle, ce qui implique nécessairement qu'il soit l'employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle. Cette condition n’est pas remplie en l’espèce et le pourvoi est rejeté sans qu’y puisse faire obstacle l’allégation, inexacte, que cette exigence d’être employeur de l'artiste principal ou des artistes principaux du spectacle porterait atteinte au principe de libre prestation de services.

(06 juin 2023, Société Bleu Citron Productions, n° 459024)

20 - Conservatoire du littoral et des rivages lacustres - Intégration de parcelles occupées et mises en valeur par un exploitant déjà en place en vertu d’un bail rural - Combinaison entre domanialité publique et régime du bail rural - Rejet.

La présente décision se signale à l’attention du lecteur par l’importance des questions théoriques qui y sont abordées mais aussi par ses incidences pratiques. Elle précise et prolonge une jurisprudence récente à propos d’un bail commercial dans une configuration un peu voisine (21 décembre 2022, Commune de Saint-Félicien, n° 4645050 ; V. cette Chronique, décembre 2022, n° 17).

Le Conservatoire du littoral a acquis des parcelles dont l’une est occupée par un exploitant agricole titulaire d’un bail rural en cours d’exécution. Il a demandé au juge administratif de constater l'occupation et l'utilisation sans titre par ce dernier du domaine public, constitutives d’une contravention (cf. art. L. 322-10-4 du code de l'environnement), de le condamner au paiement d'une amende, de lui enjoindre d'évacuer et de remettre les lieux en état dans un délai de quinze jours sous astreinte, de l'autoriser en cas d'inexécution dans un délai d'un mois à procéder d'office aux remises en état aux frais du contrevenant, de lui permettre le cas échéant de recourir au concours de la force publique, et enfin de se réserver le droit de liquider les astreintes prononcées. Le Conservatoire se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a annulé le jugement condamnant l’occupant au paiement d'une amende, lui enjoignant d'évacuer les lieux dans un délai de neuf mois sous astreinte et de les remettre au Conservatoire dans l'état dans lequel ils se trouvaient au 1er janvier 2017, a autorisé le Conservatoire à recourir le cas échéant au concours de la force publique.

Le pourvoi est rejeté au terme d’une décision particulièrement constructive en l’état d’un droit positif assez lacunaire en la matière.

1 - Analyse théorique

En premier lieu est posé le cadre juridique de l’inclusion de parcelles sous bail rural en cours lors de leur acquisition par le Conservatoire du littoral et donc de leur inclusion dans le domaine public de cet établissement public administratif.

Positivement, le bail rural constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d'une contravention de grande voirie pour s'être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Négativement, ce contrat de bail ne peut pas, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu'il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique. 

En second lieu, est construit par le juge le modèle des deux catégories de solutions juridiques possibles à partir de ce double constat.

1°/ Après l'incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant, le Conservatoire peut dénoncer le bail rural encore en cours, mettant ainsi fin à cette occupation et privant, par suite, l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. En ce cas, si le conservatoire juge compatible l'usage des biens relevant de son domaine propre et l’exploitation agricole, il peut proposer de conclure avec ce même exploitant, qui dispose pour la poursuite de son activité d'une priorité en vertu des dispositions de l'article L. 322-9 du code de l’environnement, ou, en l'absence d'accord avec celui-ci, avec un autre exploitant, une convention d'usage temporaire et spécifique permettant un usage des terres compatible avec les missions confiées à l'établissement public comme, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré en application de l'art. R. 322-13 du même code.

2°/ Si après l’incorporation au domaine public le bail conclu antérieurement à celle-ci n'est pas dénoncé et au plus tard jusqu'à sa prochaine échéance - date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu'il puisse être renouvelé -, il est loisible au conservatoire de laisser l'occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire.

3°/ Dans tous les cas, une exploitation agricole des biens incorporés au domaine propre de l'établissement public qui porte atteinte à l'intégrité ou à la conservation de ce domaine constitue, en vertu de l'art. L. 322-10-4 du code de l'environnement, et sans préjudice des sanctions pénales encourues, une contravention de grande voirie qu'il appartient au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de constater, réprimer et poursuivre par voie administrative. 

Le juge ne le dit pas mais il est évident que c’est là une obligation du Conservatoire qui commettrait une faute en n’assurant pas la prééminence domaniale sur le bien exploité.

2 - Application au cas de l’espèce

 La cour administrative d’appel a jugé que le bail rural, dont la validité a été reconnue jusqu'au 30 mars 2022 par un jugement du 15 mai 2019 du tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon, ne pouvait pas, en dépit d'une vaine invitation adressée par le Conservatoire à son titulaire de signer une convention d'usage temporaire et spécifique au cours de l'année 2014, être regardé comme dénoncé à la date d'établissement du procès-verbal d'infraction du 28 mars 2018. Elle en a déduit que l’exploitant présent sur les lieux à la date d'incorporation des parcelles dans le domaine public du Conservatoire, ne pouvait être regardé à la date de ce procès-verbal, faute de dénonciation par le Conservatoire du contrat de bail qui le liait au requérant comme un occupant sans droit ni titre de ce domaine. Ce jugeant, la cour n'a commis ni erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits. Elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant qu'à compter du 1er janvier 2017 et jusqu'à son expiration, ce bail a pu néanmoins, jusqu'à sa dénonciation ou son expiration, conférer à son titulaire un droit d'occupation et d'usage précaire sur cette partie du domaine public du Conservatoire.

(07 juin 2023, Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, n° 447797)

21 - Exercice du droit de préemption urbain sur un local commercial - Acquéreur évincé titulaire d’un bail commercial sur ce local -Absence de réalité du projet justifiant la préemption - Annulation sans renvoi.

La Métropole de Lyon a fait usage du droit de préemption sur un local commercial situé à Vénissieux dont le requérant s’était porté acquéreur étant titulaire d’un bail commercial sur ce local. Celui-ci a saisi le juge du référé suspension pour voir suspendre l’exécution de la décision métropolitaine de préemption.

Par ordonnance du 23 novembre 2022, la préemption a été suspendue au motif qu'elle permet à la collectivité de disposer ou d'user du bien litigieux dans des conditions qui rendraient cette décision difficilement réversible et que crée, en l’espèce, un doute sérieux quant à sa légalité la circonstance que la Métropole n'établissait pas la réalité du projet à la date de sa décision de préempter le bien.

Le juge d’appel annule l’ordonnance pour dénaturation des faits de l’espèce car il ressortait des pièces du dossier soumis au juge des référés que la Métropole avait établi, par une délibération, un périmètre de sauvegarde du commerce et de l'artisanat en vue de redynamiser l'offre commerciale du centre-ville de Vénissieux, puis avait identifié, par une autre délibération, le bien préempté comme faisant partie de ce périmètre d'intervention prioritaire, circonstances qu'au demeurant la décision de préemption mentionne.

(08 juin 2023, Métropole de Lyon, n° 469523)

22 - Droit de préemption urbain – Espace en sous-sol – Création de places de stationnement pour des logements sociaux – Nature d’opération d’aménagement – Réalisation nécessaire – Rejet.

Le juge de cassation rejette le pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel qui a rejeté la demande d’annulation de l’exercice, par une commune, de son droit de préemption urbain et approuve la motivation de la cour.

Notamment, il est jugé que l’exercice en l’espèce du droit de préemption, quand bien même il ne porte que sur un lot de copropriété séparé du terrain d'assiette de la construction, participe cependant à la réalisation d'un programme de construction de sept logements sociaux sur un total de douze logements,  a pour objet, par nature, la mise en œuvre d'une politique locale de l'habitat et répond à ce titre aux objets définis à l'art. L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même qu'il ne concourait pas à la mise en œuvre d'un programme local de l'habitat ou d'un programme d'orientations et d'actions d'un plan local d'urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l'habitat. 

Également, ce projet peut être regardé, eu égard à son ampleur et à sa consistance, appréciées dans le contexte de la commune, marquée par une pression spéculative, une faible disponibilité de terrains et un nombre de logements sociaux insuffisant, et au regard de la taille de cette dernière, comme présentant par lui-même le caractère d'une action ou d'une opération d'aménagement. 

Enfin, répond à un intérêt général suffisant l'exercice du droit de préemption pour créer des places de stationnement dont la réalisation est légalement nécessaire à l'opération à laquelle elles participent, alors même que ces places auraient pu être créées dans un parc de stationnement public situé à 700 mètres du projet et que le caractère indispensable au montage financier de l'opération d'aménagement en cause de la construction de logements destinés à la vente ne serait pas établi. 

La solution peut sembler peu respectueuse du droit de propriété et de la liberté des transactions financières dans un souci d’intérêt général très élastique.

(30 juin 2023, M. et Mme D., M. et Mme C., n° 464324)

(23) V. aussi, assez voisin sur les conditions de mise en œuvre du droit de préemption urbain et sur le contrôle du juge : 30 juin 2023, Société MJ Développement - Immobilier et Investissement et Mme A., n° 468543.

24 - Domaine privé - Contestation par un tiers de la décision de renouvellement d’un bail emphytéotique sur une dépendance de ce domaine - Compétence juridictionnelle pour en connaître - Rejet.

Réitérant une solution jurisprudentielle relativement récente (T.C. 22 novembre 2010, Sarl Brasserie du théâtre, n° 3764) déjà entérinée par le juge administratif (7 mars 2019, Commune de Valbonne, n° 4147629), le juge rappelle ici que la contestation par une personne privée de l'acte par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, engage avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance relève normalement de la compétence du juge judiciaire. Il indique ensuite que seule la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l'annulation de la délibération d'un conseil municipal autorisant la conclusion d'une convention ayant pour objet la mise à disposition d'une dépendance du domaine privé communal et de la décision du maire de la signer. 

(28 juin 2023, Société Voltalia, n° 456291)

 

25 - Association syndicale autorisée (ASA) – Ordonnance du 1er juillet 2004 – Redevances syndicales – Objet – Titre exécutoire - Conditions de répartition entre les propriétés – Rejet.

Rappel et application à l’espèce que les redevances syndicales, qui ont pour objet d'assurer la répartition entre les propriétaires, membres de l'association, des dépenses que celle-ci assume conformément à ses missions, essentiellement constituées par des frais de réalisation de travaux ou d'ouvrages et d'entretien de ceux-ci, doivent être établies annuellement et réparties en prenant en considération l'intérêt de chaque propriété à l'exécution de ces missions. 

C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d'appel a pu décider qu'en l'absence d'incidence effective des aménagements effectués dans la propriété de la SCI Giboulo sur l'intérêt de cette dernière à l'exécution des missions de l'ASA, la répartition des dépenses résultant de la délibération du syndicat de l'association en date du 24 janvier 2019 avait méconnu l'intérêt de chaque propriété à l'exécution des missions de l'ASA, et juger que le titre exécutoire litigieux était fondé sur une base illégale au regard des dispositions de l'article 31 de l'ordonnance du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.

(30 juin 2023, Association syndicale autorisée des propriétaires du lotissement Le Logis Desmoulins, n° 463895)

 

26 - Occupation du domaine public – Refus d’autorisation - Plan de sauvegarde et de mise en valeur d’une commune – Absence de modification de l’état d’immeubles – Erreur de droit – Substitution de motif impossible en cassation car supposant l’appréciation de circonstances de fait - Annulation.

Est entaché d’erreur de droit l’arrêt d’appel qui estime régulier le refus d’une autorisation domaniale fondé sur les prescriptions du plan de sauvegarde et de mise en valeur de la commune  alors que la demande refusée n'emportait pas de modification de l'état d'immeubles. 

Par ailleurs est refusée la demande de substitution de motif formée par la commune, celle-ci étant impossible dès lors qu’elle implique l'appréciation de circonstances de fait.

(30 juin 2023, Société Ice Thé, n° 465802)

Collectivités territoriales

27 - Polynésie française – Régime de navigation des navires autonomes et des drones maritimes – Répartition des compétences entre l’État et la collectivité de Polynésie française – Rejet.

Une ordonnance du 13 octobre 2021 relative aux conditions de navigation des navires autonomes et des drones maritimes a été prise, en vertu de l’art. 38 de la Constitution, sur le fondement de l’habilitation donnée au gouvernement par le III de l’art. 135 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités. La Polynésie française en demande l’annulation en tant qu’elle s’applique à cette collectivité par l’effet du 11° du texte précité.

La requête est rejetée.

Les griefs tirés de ce que l’ordonnance excéderait la portée de l’habilitation accordée au gouvernement par le parlement et serait contraire à  l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la règle de droit sont rejetés.

L’essentiel de la critique reposait sur le non-respect par l’ordonnance attaquée des règles de répartition des compétences entre l'État et la Polynésie française telle que régie par les dispositions des art. 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française. Le moyen est rejeté.

En premier lieu, en étendant à la Polynésie française les dispositions des articles L. 5000-2, L. 5000-2-1 et L. 5000-2-2 du code des transports qui définissent les navires autonomes et les drones maritimes, le 1° de l’art. 17 de l’ordonnance litigieuse n'ont ni pour objet, ni pour effet de régir la sécurité de la circulation et la navigation dans les eaux intérieures du territoire et elles n'empiètent donc pas sur cette compétence réservée à la Polynésie française par les dispositions des art. 13 et 90 de la loi organique du 27 février 2004.

En deuxième lieu, dès lors que les dispositions du a) du 3° de l’art. 17 du texte attaqué ne régissent pas les conditions d'immatriculation des navires, lesquelles relèvent de la compétence de la Polynésie française mais seulement leur identification visuelle lorsqu’ils sont en circulation, à des fins de contrôle et de sécurité de la navigation dans les eaux territoriales françaises adjacentes à la Polynésie française, à l'exclusion des eaux intérieures, elles relèvent ainsi de la compétence de l'État au titre de la police et de la sécurité de la circulation maritime et n’empiètent donc pas sur la compétence de la Polynésie française en matière d'immatriculation des navires.

En troisième lieu, pas davantage le b) du 3° de ce même art. 17 de l’ordonnance querellée, qui étend en Polynésie française les règles, applicables aux navires, y compris aux drones maritimes, relatives à l'abordage, à l'assistance en mer et aux navires abandonnés, n’empiète pas sur  la compétence de la Polynésie française en tant qu’il porterait sur la procédure civile (sic).

En quatrième lieu, le 5° de l’art. 17 de l’ordonnance, par la rédaction qu’il donne des deux premiers alinéas de l'article L. 5772-1 du code des transports, n’empiète pas non plus sur la compétence de cette collectivité en ce qu’il édicte, d’une part, via l’art. L. 5241-2-1-A du code des transports, des règles générales d'entretien et d'exploitation destinées à assurer la sécurité et la sûreté de la navigation des drones maritimes ainsi que la prévention des risques professionnels et la prévention de la pollution, et permet à l'autorité investie du pouvoir de police en mer qui constate ou suspecte un manquement à ces exigences d'interdire la navigation du drone en cause et, d’autre part, via l’art. L. 5241-3-1 du même code, les conditions de refus ou de retrait d’autorisation à tout navire présentant un risque pour la sûreté et la sécurité des personnes et des biens ou la préservation de l'environnement. Enfin, la même disposition critiquée n’empiète pas plus sur cette compétence car elle ne s’applique pas dans les eaux intérieures de la Polynésie française.

En cinquième lieu enfin, ce même 5° de l’art. 17 de l’ordonnance n’empiète pas sur la compétence de la collectivité territoriale de Polynésie française en ce qu’il y rend applicable la subordination du droit de conduire un drone maritime à la détention d'un titre de conduite en mer et au suivi d'une formation spécifique à la conduite en mer, adaptée à la catégorie et à l'usage du drone en cause.

(16 juin 2023, Polynésie française, n° 460333)

 

28 - Contribution des collectivités territoriales à la réduction des déficits publics et à la maîtrise de la dépense publique - Obligation d’un contrat départemental de consolidation des capacités d'autofinancement des départements et de contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public - Notification unilatérale de ces objectifs en l’absence de signature d’un tel contrat - Rejet.

La collectivité requérante n’ayant pas conclu avec l’État avant le 1er juillet 2018 un contrat de consolidation des capacités d'autofinancement du département et de contribution à la réduction des dépenses publiques et du déficit public, prévu par les art. 13 et 29 de la loi du 22 janvier 2018, le préfet lui a notifié un arrêté fixant le niveau maximal annuel de ses dépenses réelles de fonctionnement pour les années 2018 à 2020, en retenant un taux de croissance annuel, par rapport à ses dépenses réelles de fonctionnement en 2017, de 1,2 %.

Le département se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté litigieux.

Le pourvoi est rejeté en raison de ce que la loi du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, a défini un indice correspondant, pour les cinq années en cause, à un taux de croissance annuel de 1,2 % par référence aux dépenses réelles de fonctionnement de ces collectivités en 2017. Semblablement, le critère fixé au 3° du B du IV de l’art. 29 de cette loi permettant une majoration du taux de croissance annuel des dépenses réelles de fonctionnement défini à l'article 13 doit s'apprécier au regard de la moyenne de l'évolution constatée chaque année entre 2014 et 2016 des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie.

Doit donc être rejeté l’argument du département requérant fondé sur ce que devrait être retenue l'évolution globale de ces dépenses calculées sur l'ensemble de cette période. La cour administrative d’appel a pu juger, sans erreur de droit, que l'évolution des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie à prendre en compte pour l'application de ce critère devait s'entendre comme la moyenne de l'évolution annuelle des dépenses réelles de fonctionnement des collectivités de la même catégorie pour chaque année entre 2014 et 2016 et non comme l'évolution globale, sur cette période, de ces mêmes dépenses.

(28 juin 2023, Département des Côtes-d’Armor, n° 454054)

 

29 - Engagement de servir des policiers municipaux - Remboursement des frais de formation en cas de rupture de l’engagement - Inconstitutionnalité - Exercice incomplet du pouvoir réglementaire - Atteinte au principe d’égalité - Enrichissement injustifié des collectivités - Insécurité juridique - Rejet.

Les fédérations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1920 du 30 décembre 2021 pris pour l'application de l'art. L. 412-57 du code des communes relatif à l'engagement de servir des policiers municipaux en tant qu’il dispose que la somme correspondant au coût de la formation due par un fonctionnaire des cadres d'emploi de la police municipale rompant son engagement de service est fixée en fonction, d'une part, d'un montant dépendant du cadre d'emploi auquel il appartient et, d'autre part, de la date à laquelle intervient cette rupture d'engagement.

Les requêtes, jointes, sont rejetées.

Les dispositions législatives dont s’agit n’ayant pas été transmises au Conseil constitutionnel car le Conseil d’État a rejeté la QPC soulevée à leur encontre, le décret attaqué ne saurait être dit inconstitutionnel par voie de conséquence.

Le pouvoir réglementaire a exercé pleinement la compétence conférée par l’article précité.

Se bornant à exécuter les dispositions de ce dernier article, le décret litigieux ne saurait être argué d’atteinte au principe d’égalité et au droit de propriété en ce qu’il impose aux seuls fonctionnaires stagiaires de la police municipale, parmi les fonctionnaires territoriaux soumis à une formation initiale, une durée minimale d'engagement de servir et une obligation de remboursement en cas de rupture anticipée de cet engagement. Pas davantage ne saurait-il être considéré comme portant une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées garantis par les articles 8 et 14 de la convention EDH et par l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention. 

Dès lors que les communes ou établissements publics ayant imposé un engagement de servir s'acquittent d'une cotisation obligatoire, la FAFPT n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir qu'il résulterait des dispositions du décret contesté un enrichissement injustifié au profit de ces communes ou établissements publics.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions attaquées du décret ne présentent aucune difficulté particulière d'interprétation, elles ne peuvent donc être regardées comme une source d'insécurité juridique ni ne méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

(30 juin 2023, Fédération autonome de la fonction publique territoriale et des établissements publics (FAFPT), n° 461888 ; Fédération Interco CFDT, n° 461953, jonction)

Contrats

30 - Marché de conception-réalisation d’un hôpital - Avance forfaitaire versée à un sous-traitant agréé - Résiliation du marché aux torts de ce sous-traitant - Émission d’un titre exécutoire en remboursement de l’avance forfaitaire versée - Annulation pour défaut de décompte général et définitif - Erreur de droit - Annulation et décision au fond.

Le litige concerne un marché conclu sous l’empire des dispositions, principalement, des art. 87 et 88 du code des marchés publics, désormais codifiés en substance sous les art. R. 2191-11 et R. 2191-12 du code de la commande publique.

En vue de la construction d’un nouvel hôpital a été conclu un marché de conception-réalisation entre le centre hospitalier de la commune de Capesterre Belle-Eau (Guadeloupe) et la société Alfa Bâtiment, mandataire d'un groupement d'entreprises. Le pouvoir adjudicateur a accepté la société Savima en qualité de sous-traitant pour l'exécution d'une partie d’un lot « Menuiserie extérieure brise soleil » et agréé ses conditions de paiement pour un certain montant. Cette société a obtenu une avance forfaitaire de 20 % du montant des travaux sous-traités. A la suite de la cession partielle, au profit de la société Saint Landry, des actifs de la société Alfa Bâtiment, placée en redressement judiciaire, le centre hospitalier a constaté l'absence de reprise du chantier, informé la société Savima de la résiliation du marché aux torts de la société Saint Landry et émis un titre exécutoire à l’encontre de la société Savima pour un montant correspondant au remboursement de l'avance forfaitaire sur travaux qui lui avait été versée.

Cette société a saisi le juge administratif et au terme de cette procédure l’arrêt d’appel a été annulé. Le Conseil d’État  statue en l’espèce pour la seconde fois, saisi, cette fois par le centre hospitalier, de l’arrêt de renvoi qui, annulant le jugement du tribunal administratif, annule le titre exécutoire et déboute le centre hospitalier en son appel.

Le Conseil d’État  est à la cassation et statue, par suite, comme juge d’appel.

Deux précisions sont apportées, la première concerne la récupération des avances accordées, la seconde est relative à la délicate question du décompte général et définitif dans les circonstances de l’espèce.

1 - En premier lieu, concernant le régime de récupération des avances accordées et versées au titulaire d'un marché, le juge déduit des dispositions précitées, d’une part, que le maître d'ouvrage a la faculté d'imputer le remboursement des avances par précompte sur les sommes dues au titulaire du marché à titre d'acomptes, de règlement partiel définitif ou de solde et, d’autre part, que cette solution s'applique aux sous-traitants bénéficiaires du paiement direct (dit aussi « privilège de pluviôse »), tel étant le cas en l’espèce.

De là découle cette conséquence que la circonstance que le marché soit résilié avant que l'avance puisse être remboursée par précompte sur les prestations dues, le maître d'ouvrage peut obtenir le remboursement de l'avance versée au titulaire du marché ou à son sous-traitant déduction faite des dépenses qu'ils ont exposées et qui correspondent à des prestations prévues au marché et effectivement réalisées.

S’agissant d’apprécier les prestations réalisées par le sous-traitant, le maître d'ouvrage doit consulter le titulaire du marché pour s'assurer que ces conditions remplies.

Naturellement, si la résiliation du marché est intervenue pour faute, le remboursement de l'avance par le sous-traitant ne fait pas obstacle à ce que celui-ci engage une action contre le titulaire du marché et lui demande, le cas échéant, réparation du préjudice que cette résiliation lui a causé à raison des dépenses engagées en vue de l'exécution de prestations prévues initialement au marché.

2 - En second lieu, lorsque le contrat prévoit l'établissement d'un décompte général et définitif, la créance détenue par le maître de l'ouvrage sur le titulaire de celui-ci ne peut être dite avoir un caractère certain et exigible et donc faire l'objet d'un titre exécutoire à défaut d'un tel décompte, même dans l'hypothèse d'une résiliation du marché.

En revanche, il ne résulte d’aucun principe non plus que d’aucun texte et notamment pas des dispositions des art. 6 et 8 de la loi 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, ni de celles des art. précités du code de la commande publique, ni de celles des art. 115 et 116 du code des marchés publics alors en vigueur que l'exigibilité de la créance que détient le maître d'ouvrage sur le sous-traitant, notamment pour le remboursement des avances qu'il a versées à ce dernier, soit subordonnée à l'établissement préalable d'un décompte général et définitif. La cour administrative d’appel a commis une erreur de droit en jugeant que la créance du centre hospitalier sur la société Savima, au titre du remboursement des avances reçues en qualité de sous-traitante, n'était ni certaine ni exigible au motif qu'aucun décompte de résiliation du marché n'avait été établi au préalable. 

(01 juin 2023, Centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, n° 462211)

(31) V. aussi, dans cette affaire, avec identique solution : 01 juin 2023, Centre hospitalier de Capesterre Belle-Eau, n° 462213.

32 - Contrat de concession d’un aérodrome - Annulation par le Conseil d’État  - Attribution à une autre société - Contestation par un candidat évincé dont l’offre est irrégulière - Appréciation de l’intérêt à agir - Annulation.

A la suite de l’attribution de la concession de l’aérodrome de Tahiti-Faa’a à la société Vinci Airports, la société Egis Airport Operation, candidate évincée pour offre irrégulière, a saisi le juge du référé précontractuel sur le fondement de l'art. L. 551-24 du CJA, lui demandant d'enjoindre à l'État, à titre conservatoire, de différer la signature de cette concession, dans la limite de vingt jours et d'annuler l'ensemble des décisions qui se rapportent à l'attribution de cette concession.

Le juge saisi a annulé la procédure de passation de la convention.

La société attributaire se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

A cette occasion le juge rappelle que la circonstance que l'offre d'un concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir, pour contester l'attribution du contrat, de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire. Il dispose en effet d’un intérêt lui donnant qualité pour agir.

En revanche, il est ajouté ici cette précision importante et logique que si le caractère irrégulier de l’offre du candidat évincé a été jugé par une décision juridictionnelle devenue définitive annulant la décision d’attribution du contrat, ce candidat n’ayant plus d’intérêt à conclure le contrat, n’est plus habilité à agir contre la nouvelle décision attribuant le contrat après reprise de la procédure.

Le juge du référé précontractuel de première instance a commis une erreur de droit en faisant droit à la demande de la société Egis Airport Operation alors qu’elle pas de qualité lui donnant intérêt à agir.

(01 juin 2023, Société Vinci Airports, n° 468930)

33 - Solde du paiement du lot d’un marché public - Référé provision (art. R. 541-1 CJA) - Levée des réserves antérieure à l’établissement du projet de décompte final - Créance ne pouvant être regardée comme non sérieusement contestable - Annulation et rejet.

La société de construction Floriot a demandé au juge du référé provision du tribunal administratif la condamnation du centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes à lui verser une provision d’un certain montant, assortie des intérêts moratoires, en règlement du solde du lot A « structures clos et couvert - partitions - finitions » du marché de travaux de construction du pôle hospitalier public - privé de Voiron. Elle s’est pour cela fondée sur un décompte général et définitif.

Déboutée en première instance elle a interjeté appel, le juge des référés de la cour administrative d’appel, annulant partiellement l’ordonnance de rejet, a accordé une provision.

Le centre hospitalier universitaire de Grenoble Alpes se pourvoit en cassation de cette dernière ordonnance.

Le Conseil d’État  accueille le pourvoi en estimant irrégulière en l’espèce la procédure suivie dans le cadre du marché et, en conséquence, en déniant à la créance de cette société un caractère « non sérieusement contestable ».

Tout d’abord, de la combinaison des art. 13.3.1, 13.3.2, 41.3 et 41.5 du CCAG applicable aux marchés publics de travaux, le juge déduit d’abord que, lorsque dans les trente jours suivant la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception le maître de l'ouvrage ne notifie au titulaire aucune décision expresse de réception ou de refus de réception, les propositions du maître d'œuvre s'imposent au maître de l'ouvrage et au titulaire. Il déduit ensuite de cela que le point de départ du délai de trente jours pendant lequel le titulaire doit (cf. art. 13.3.2 du CCAG), transmettre son projet de décompte final, est alors déterminé au regard de la proposition du maître d'œuvre relative à la réception. Spécialement, si le maître d'œuvre propose de réceptionner l'ouvrage au moins en partie sous réserves, le délai ouvert au titulaire pour transmettre son projet de décompte final court à compter du procès-verbal de levée de ces réserves, y compris, le cas échéant, pour les travaux qu'il propose de réceptionner sans réserves ou avec réserves.

Le juge des référés de la cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en estimant d’abord que si la proposition du maître d'œuvre de réceptionner les travaux sous réserves obligeait la société de construction Floriot à lever les réserves, elle ne faisait pas obstacle à ce que celle-ci notifie son projet de décompte final avant le procès-verbal de levée de ces réserves et, en suite, que cette notification faisait courir le délai imparti au maître d'ouvrage pour transmettre le décompte général.

En suite de l’annulation de l’ordonnance d’appel, le Conseil d’État  - dans le souci d’une bonne administration de la justice (cf. art. L. 821-2 CJA) - se prononce directement au fond sur la demande de référé provision rejetée par le tribunal administratif.

Le juge relève qu’il résulte de l'instruction que les opérations préalables à la réception des travaux se sont déroulées le 4 juin 2021 en présence du maître d'œuvre, du maître d'ouvrage et du titulaire, et que, le 7 juin 2021, le maître d'œuvre a proposé au centre hospitalier de réceptionner l'ouvrage, avec effet du 7 juin 2021, d'une part, sous réserve de plusieurs épreuves, dont l'obtention de l'avis favorable de la commission de sécurité, ainsi que de travaux et prestations, et, d'autre part, avec des réserves portant sur des imperfections et malfaçons.

Or le centre hospitalier n'a notifié aucune décision de réception à la société de construction Floriot dans le délai de quarante-cinq jours qui lui était imparti (cf. art. 9.2.3. du CCAP), par dérogation au délai de trente jours fixé par l'article 41.3 du CCAG. En outre, aucune pièce versée au dossier ne peut être regardée comme révélant que le centre hospitalier aurait manifesté clairement et publiquement sa décision de réceptionner ou de refuser de réceptionner l'ouvrage.

En conséquence de ce qui a été indiqué plus haut la proposition du maître d'œuvre de réceptionner l'ouvrage sous réserves s'est imposée au centre hospitalier et à la société de construction Floriot et elle a eu pour effet de reporter le déclenchement du délai ouvert à cette dernière pour transmettre son projet de décompte final au maître d'ouvrage et au maître d'œuvre à la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux, objets de ces réserves.

Cependant, aucun procès-verbal constatant l'exécution de ces travaux n'avait été établi avant que la société de construction Floriot transmette son projet de décompte final au centre hospitalier et au maître d'œuvre par courriers du 19 août 2021, reçus le 23 août 2021. Par suite, cette transmission était prématurée et n'a pas pu faire courir le délai de trente jours prévu à l'article 13.4.2 du CCAG, ni donner lieu à l'établissement d'un décompte général et définitif tacite dans les conditions prévues par l'article 13.4.4 de ce cahier.

C’est pourquoi, ne pouvant se prévaloir d'un décompte général et définitif tacite, la société de construction Floriot, ne détient pas à l'encontre du centre hospitalier une créance non sérieusement contestable au sens de l'art. R. 541-1 du CJA.

C’est sans erreur de droit que, par son ordonnance attaquée, le premier juge a rejeté la demande de provision dont l’avait saisi la société demanderesse.

(01 juin 2023, Centre hospitalier universitaire Grenoble Alpes, n° 469268)

34 - Marché à bons de commande - Société se portant candidate en s’inscrivant par erreur sur un casier numérique relatif à un autre marché - Marchés ayant même date limite de remise des offres et des candidatures - Candidature et offre non retenues pour le marché en litige - Absence de manquement aux obligations de l’acheteur - Rejet.

La société Routière de la Vallée de la Marne (RVM) a fait acte de candidature et déposé une offre dans le cadre d’un marché relatif à la réalisation de travaux de séparation de réseaux unitaires sur l'agglomération de Château-Thierry (par ailleurs, ville natale de Jean de La Fontaine).

Son offre et sa candidature n’ont pas été prises en considération car la société les a déposées par erreur dans un autre casier numérique que celui dédié à ce marché et qui concernait un autre marché dont la date limite de dépôt des offres et des candidatures était la même que celle du marché litigieux.

Sur le fondement des art. L. 551-1 et suivants du CJA, le juge du référé, saisi par cette société,
a annulé la procédure de passation du marché à compter du stade de l'examen des candidatures et des offres et enjoint à la communauté d'agglomération de la région de Château-Thierry, sauf si elle entendait renoncer à passer le marché, de reprendre la procédure de passation à compter de ce stade. 

Sur pourvoi de la communauté d’agglomération l’ordonnance est annulée au double motif que le pouvoir adjudicateur n’était pas tenu d'informer la candidate que son offre avait été déposée dans le cadre d'une autre consultation que celle à laquelle elle voulait postuler et qu’il ne pouvait pas rectifier de lui-même l'erreur de dépôt ainsi commise sauf dans le cas où l’erreur aurait résulté d’un dysfonctionnement de la plateforme de l’acheteur public. C’est là une curieuse conception de la loyauté contractuelle.

Quand l’exigence de forme tourne au fétichisme...

(01 juin 2023, Communauté d'agglomération de la région de Château Thierry, n° 469127)

35 - Marché public de travaux - Éléments d’équipements d’un ouvrage - Garantie décennale - Exclusion de la garantie pour les éléments ayant pour fonction exclusive l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage (art. 1792-7 Code civil) - Inapplicabilité aux marchés publics de travaux de l’exception tirée l’art. 1792-7 du Code civil - Rejet.

De la solution donnée par le Conseil d’État  à un litige né du fonctionnement défectueux d'une centrale à eau glacée et d'une centrale de traitement d'air on retiendra deux confirmations et une innovation.

Tout d’abord le juge confirme une solution traditionnelle en rappelant que les désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité du constructeur, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

Ensuite, est également confirmée, d’une part, la possibilité que soit recherchée  la responsabilité décennale du constructeur pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination, d’autre part, l’impossibilité d’engager la responsabilité décennale du constructeur lorsque les désordres affectent un élément d'équipement faisant obstacle au fonctionnement normal de cet élément si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination.

Ensuite et surtout, répondant à un moyen du demandeur à la cassation tiré de ce que l’art. 1792-7 du Code civil dispose que « Ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage », le juge énonce avec une certaine brutalité et sans s’expliquer que ces dispositions ne sont pas applicables à la garantie décennale à laquelle sont tenus les constructeurs au titre de marchés publics de travaux.

Il faut avouer n’être pas convaincu par la logique (s’il y en a une…) d’une telle exclusion. Quel(s) particularisme(s) revêt un marché public de travaux, dans sa conception, dans sa réalisation technique ou autre, permettant de justifier cette mise à l’écart de l’art. 1792-7 du Code civil ?

(05 juin 2023, Société Rousseau, n° 461341)

36 - Marché public - Cession de créance - Condition d’opposabilité - Notification au comptable public assignataire - Rejet.

En l’espèce, la société Iemants, d'une part, et les sociétés VCF TP Lyon, Vinci construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage composant, avec la société Cordioli, le groupement d'entreprises avec lequel la communauté urbaine de Lyon a conclu un marché pour la réalisation des travaux de construction du pont Robert Schuman à Lyon, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner la métropole de Lyon, venue aux droits de la communauté urbaine de Lyon, à leur verser le solde de la créance revenant au groupement au titre du règlement financier de ce marché, qui avait par ailleurs fait l'objet, à la demande de la société Iemants, d'un procès-verbal de saisie-attribution pour avoir paiement de la condamnation de la société Cordioli prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Nanterre. Le tribunal administratif de Lyon a condamné la métropole de Lyon à verser à la société Iemants la somme de 656 812,99 euros et a rejeté la demande des sociétés VCF TP Lyon, Vinci construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage tendant au versement de cette même somme. Ces trois dernières sociétés ont interjeté, en vain, appel de ce jugement.

La société Campenon Bernard Centre-Est, venant aux droits de la société VCF TP Lyon, et les deux autres sociétés déboutées se pourvoient en cassation contre l'arrêt qui a rejeté leur appel.

La société Cordioli a conclu le 3 août 2015 avec la société VCF TP Lyon un protocole transactionnel stipulant que celle-ci lui verserait la somme forfaitaire de 1 203 267,99 euros et qu'en contrepartie, les sommes définitives auxquelles la société Cordioli pourrait prétendre au titre du décompte général et de la transaction à conclure avec la métropole de Lyon, seraient directement versées à la société VCF TP Lyon par la métropole, la société Cordioli s'engageant en outre à rembourser, le cas échéant, toutes les sommes qu'elle pourrait percevoir du maître d'ouvrage à compter de la signature de ce protocole transactionnel.

Il est tout d’abord jugé que la cour administrative d’appel n’a pas dénaturé les stipulations de ce protocole quand, après avoir relevé dans les motifs de son arrêt que la société Cordioli avait transféré, par ce protocole transactionne, à la société VCF TP Lyon, l'ensemble des droits qu'elle détenait sur la métropole de Lyon au titre du solde du marché en litige ;  la cour a estimé qu'il devait être regardé comme une cession de créance.

Or il résulte des dispositions de l’art. 107 du code des marchés publics, qui était alors en vigueur, que « Le bénéficiaire d'une cession (...) de créance au titre d'un marché public notifie ou signifie cette cession (...) au comptable public assignataire. Ce bénéficiaire encaisse seul, à compter de cette notification ou signification au comptable, le montant de la créance ou de la part de créance qui lui a été cédée (...) ». La cour n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant que la société VCF TP Lyon était tenue de notifier la cession de créance au comptable public assignataire pour la rendre opposable à la métropole de Lyon. Ce ne fut point le cas et c’est sans aucune faute contractuelle que la métropole, comme jugé par la cour, a refusé de verser à la société VCF TP Lyon les sommes correspondant à la créance initialement détenue par la société Cordioli. 

Enfin, dès lors que le protocole transactionnel du 3 août 2015, faute de notification régulière, n'était pas opposable à la métropole de Lyon, ne peut qu’être écarté le moyen tiré de ce que la cour aurait commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier en jugeant que la saisie-attribution pratiquée sur la même créance le 28 août 2015 par la société Iemants avait conféré à celle-ci la qualité de créancier de la métropole de Lyon.

(09 juin 2023, Sociétés Campenon Bernard Centre Est, Vinci Construction maritime et fluvial et Lyonnaise d'éclairage, n° 462649)

 

37 - Contrat de mise à disposition d’une commune de deux résidences mobiles – Résiliation anticipée du contrat – Demande d’indemnisation – Absence de préjudice – Rejet.

Le litige portait sur l’indemnisation réclamée par la requérante du chef du préjudice subi par le fait de la résiliation anticipée du contrat de mise, par elle, à disposition de la commune de deux résidences mobiles.

L’action est rejetée en première instance pour défaut de liaison du contentieux et en appel pour défaut de préjudice.

Deux points retiennent l’attention même s’ils sont d’évidence.

 

En premier lieu, est jugé irrecevable l’appel incident de la commune contre le jugement qui ne lui fait pas grief.

En second lieu, le titulaire d'un marché résilié irrégulièrement peut prétendre à être indemnisé de la perte du bénéfice net dont il a été privé si et seulement s’il établit la réalité de ce préjudice. Ce n’est pas le cas dans le présent litige.

(30 juin 2023, Société Les halles foréziennes, n° 462498)

Droit du contentieux administratif

38 - Sursis à l’exécution d’un jugement - Moyen d’erreur de droit sérieux - Risque de perte définitive d’une somme - Sursis ordonné.

Dans un litige en recouvrement de la taxe d’habitation où le tribunal avait déchargé la contribuable de son paiement, il est sursis à l’exécution de ce jugement car sont réunies les deux conditions requises à cet effet : 1° le moyen tiré de l’erreur de droit commise par le tribunal paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, l'infirmation de la solution qu’il a retenue ; 2° l'exécution immédiate de ce jugement exposerait l'administration à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans l'hypothèse où ses conclusions tendant à l'annulation de ce jugement seraient reconnues fondées par le Conseil d'État, et il est donc susceptible d'entraîner des conséquences difficilement réparables. 

(01 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 467626)

39 - Requête entachée de forclusion - Impossibilité de régularisation - Requête manifestement irrecevable au vu des pièces du dossier - Production d’un mémoire complémentaire annoncée ou sollicitée - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une requête entachée de forclusion, laquelle n’est pas susceptible d'être régularisée, a été rejetée comme manifestement irrecevable (cf. 4° de l'art. R. 222-1 CJA), une telle tardiveté ressortant de façon certaine des pièces produites à l'appui de la requête. Par ailleurs, il ne résulte ni des dispositions des art. R. 222-1 et R. 612-1 du CJA, ni d'aucune autre disposition ou principe, que, pour rejeter l'appel de la requérante comme manifestement irrecevable, l'auteur de l'ordonnance attaquée ait été tenu d'attendre la production du mémoire complémentaire annoncé dans la requête ni de mettre en demeure la requérante de le produire en application de l'art. R. 612-5 du CJA.

(07 juin 2023, Mme B., n° 458264)

40 - Contestation d’un arrêté préfectoral - Saisine directe du juge du référé « mesures utiles » du Conseil d’État  - Irrecevabilité manifeste - Rejet.

Est manifestement irrecevable le recours porté directement devant le juge des référés du Conseil d’État statuant sur le fondement de l’art. L. 521-3 CJA en tant qu’il demande l’annulation de l’arrêté du préfet des Pyrénées-Orientales interdisant la mise à disposition sur les pontons des ports d'une alimentation en eau potable pour les plaisanciers et que soient ordonnées toutes autres mesures utiles de nature à inciter les plaisanciers à restreindre les quantités d'eau utilisée pour nettoyer leurs bateaux. 

(07 juin 2023, M. A., n° 474712)

 

41 - Pourvoi en cassation - Délai de distance - Pourvoi en cassation d’un jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie - Tardiveté - Rejet.

Il résulte des dispositions combinées des articles R. 421-7, R. 751-8, R. 811-5 et R. 821-1 du CJA que le délai de pourvoi en cassation ouvert à un requérant ne résidant pas en Nouvelle-Calédonie et dirigé contre un jugement rendu par le tribunal administratif de ce territoire est de deux mois augmenté du délai de distance de un mois à compter de la notification du jugement.

En l’espèce, qui concernait un litige en matière de titre de pension, le haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie a notifié au ministre défendeur le 9 septembre 2021 le jugement du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie annulant le titre de pension litigieux de sorte que le pourvoi introduit le 19 mai 2022 était inexorablement entaché de forclusion, d’où son irrecevabilité et son rejet.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 464180)

 

42 - Article L. 761-1 CJA - Somme attribuée excédant celle demandée - Annulation.

Encourt annulation l’arrêt d’une cour d’appel qui, alors qu’avait été demandée l’attribution d’une somme de 1500,00 euros au titre de l’art. L. 761-1 CJA (dépens ou somme mise à la charge de la partie perdante), a condamné l’autre partie à verser 2000,00 euros.

(09 juin 2023, Société Firalis, n° 465530)

 

43 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et cotisation foncière des entreprises - Détermination de la base d’imposition - Confusion entre le montant d’immobilisations et leur valeur locative - Contradiction entre motifs et dispositif d’un arrêt d’appel - Annulation.

Un arrêt statuant dans un litige en réduction du supplément de cotisation foncière des entreprises et de cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mis à la charge de la contribuable, estime au point 17 des motifs que deux immobilisations inscrites à l'actif du bilan d’une société pour un prix de revient total de 92 200 euros devaient être exclues de la base d'imposition de la cotisation foncière des entreprises due par cette société au titre des années 2015, 2016 et 2017. Puis, à l’art. 2 du dispositif, l’arrêt prononce la réduction des bases d'imposition de la cotisation foncière des entreprises à laquelle la société avait été assujettie au titre de ces années à hauteur de cette somme.

Sur pourvoi du ministre, le Conseil d’État  relève une contradiction entre les motifs de l’arrêt et son dispositif dès lors que la réduction de la base d'imposition de la cotisation foncière des entreprises résultant de l'exclusion de ces immobilisations était égale, non à ce montant, mais à la valeur locative des immobilisations en cause, calculée après application des coefficients de revalorisation, des taux d'intérêt et des abattements mentionnés à l'article 1499 du CGI.

La cassation était ainsi inévitable.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466930)

 

44 - Délivrance d’un permis de construire par le maire d’une commune - Litige en matière de taxe d’aménagement - Imposition d’État  - Commune non partie à l’instance - Impossibilité de mettre les dépens à sa charge - Annulation.

A la suite de la délivrance d’un permis de construire ont été émis des titres de perception de la taxe d’aménagement, lesquels ont été annulés par jugement du tribunal administratif. Celui-ci a mis, en outre, à la charge de la commune, au titre de l’art. L. 761-1 du CJA, les frais irrépétibles.

Soulevant d’office ce moyen d’ordre public, le Conseil d’État  rappelle que cette taxe étant une imposition d’État, la commune ne pouvait être partie à l’instance ouverte à son sujet et qu’elle ne pouvait donc être condamnée sur le fondement de l’art. L. 761-1 précité.

(09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468940)

(45) V. aussi, identiques : 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468941 ; 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468943 ; 09 juin 2023, Commune de Beauvoisin, n° 468944.

 

46 - Enseignement secondaire - Mutation d’un enseignant d’un lycée à un autre - Intérêt du service - Absence de nom du requérant sur la minute de l’ordonnance rendue à sa demande - Annulation.

Encourt annulation l’ordonnance de référé qui, en violation des dispositions de l’art. R. 742-2 du CJA, ne comporte pas sur sa minute « le nom des parties » et se borne à ne mentionner que les initiales du requérant.

(12 juin 2023, M. B., n° 468684)

 

47 - Jugement enjoignant, sous astreinte, de reloger les requérants – Liquidation provisoire d’une astreinte – Décision de ne pas procéder à une nouvelle liquidation de l’astreinte – Absence d’invitation préalable des parties à présenter leurs observations – Irrégularité – Annulation.

Un jugement du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de la région d'Île-de-France, d'assurer le relogement des requérants et celui de leurs trois enfants, sous astreinte à compter du 1er mars 2010. Puis, ce tribunal, constatant le défaut d'exécution de son jugement, a liquidé provisoirement l'astreinte pour la période comprise entre le 1er mars 2010 et le 30 juin 2011. Enfin, constatant l'absence de tout élément récent au dossier et l'ancienneté du jugement ayant ordonné, sous astreinte, le relogement des demandeurs, le tribunal a jugé, sur le fondement du deuxième alinéa de l'art. R. 778-8 du CJA, qu'il n'y avait pas lieu de procéder à une nouvelle liquidation de l'astreinte. 

L’ordonnance est annulée  car elle a été rendue au terme d’une procédure irrégulière, le juge
n’ayant pas, au préalable, invité les parties à présenter leurs observations sur l'exécution de l'injonction prononcée (cf. l’art. précité du CJA).

(13 juin 2023, M. et Mme A., n° 468156)

 

48 - Droit de l’urbanisme - Procédure administrative contentieuse – Règle du double degré de juridiction – Décret étendant les cas d’inapplicabilité de la règle – Nature juridique de cette règle – Principe de non-régression – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation du décret n° 2022-929 du 24 juin 2022 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme (parties réglementaires) en tant qu’il porte extension et prolongation de la dispense de l’appel dans certaines domaines du droit de l’urbanisme.

Les requêtes, jointes, sont rejetées.

On relèvera le rappel que la règle (et non pas le principe) du double degré de juridiction est de nature réglementaire et qu’elle ne relève donc que de la compétence des autorités titulaires du pouvoir réglementaire. 

Également, ne sauraient être invoquées ici ni les dispositions de l’art. 8 de la convention d’Aarhus qui, régissant exclusivement les rapports d’État à État, ne sont pas invocables sans l’intervention d’actes complémentaires, ni les dispositions des art. 6 et 16 de la Déclaration de 1789, ni les stipulations du paragraphe 1 des art. 6 et 13 de la convention EDH.

Enfin, et de façon plus originale, est rejeté le moyen tiré du principe de non-régression tiré de ce qu’en supprimant l’appel dans des matières environnementales le décret y porterait atteinte, le Conseil d’État le jugeant inutilement invocable en l’espèce.

(14 juin 2023, Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA), n° 466933 ; Conseil national des barreaux et autres, n° 466947 ; Ordre des avocats au barreau de Nantes, n° 466955, jonction)

 

49 - Suspension du permis de construire  (art. L. 521-1 CJA) – Demande de levée de la suspension (art. L. 521-4 CJA) – Office du juge – Annulations des deux ordonnances.

(16 juin 2023, SCI Mésange, n° 470160)

V. n° 213

 

50 - Demande de retrait de fresques pornographiques dans les centres hospitaliers universitaires – Demande jugée devenue sans objet – Non-lieu à statuer.

L’association requérante demandait que soit ordonné le retrait des fresques à caractère pornographique ornant (sic) les salles de garde. Elle saisit le Conseil d’État d’un recours en annulation du refus implicite opposé à sa demande par le premier ministre et le ministre chargé de la santé.

Pour dire cette action devenue sans objet et prononcer un non-lieu à statuer le juge relève que par une instruction du 17 janvier 2023, le ministre de la santé a demandé aux directeurs des CHU d'organiser le retrait de l'ensemble des fresques à caractère pornographique et sexiste figurant dans leurs établissements. Si cette instruction indique que ce retrait doit se faire « selon un calendrier qui ménage la concertation avec les parties prenantes locales », l'objectif fixé qui, selon les indications figurant en tête de l'instruction, doit être atteint avant la fin de l'année 2023, n'en est pas moins ferme et précis, et les directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS) ont reçu pour ordre de décider eux-mêmes le retrait en cas d'inertie de la direction de l'établissement ou à défaut d'accord trouvé localement pour définir les modalités de retrait des fresques. Enfin, la dernière phrase de l'instruction, selon laquelle : « Tout aménagement relatif aux fresques carabines devra être inscrit dans le règlement intérieur et porté à la connaissance de l'ensemble des étudiants », doit être comprise comme signifiant que les étudiants en santé gardent la possibilité d'apposer ou de faire apposer des fresques dans les salles de garde des internats à la condition qu'elles ne présentent pas de caractère pornographique ou sexiste et que la possibilité en soit prévue par le règlement intérieur de l'établissement.

D’où se déduit la perte de son objet initial par l’action introduite et le prononcé subséquent du non-lieu à statuer.

Le lecteur pourra trouver passablement saugrenu le luxe de précautions prises par le juge et l’administration hospitalière pour ménager la susceptibilité d’auteurs de dégradations de bâtiments publics dans une intention picturale dont l’aspect d’intérêt général ne se laisse pas aisément deviner.

(16 juin 2023, Association " Osez le féminisme ! ", n° 462951)

 

51 - Refus d’admission au séjour à Mayotte d’une ressortissante malgache – Production d’un mémoire répondant à une note en délibéré – Mémoire non visé – Absence de conclusion(s) nouvelle(s) ou de faits nouveaux – Rejet.

Dans le cadre d’un recours en référé-liberté contestant le refus du préfet de Mayotte d’admettre au séjour une ressortissante malgache, était, entre autres, invoqué un moyen tiré de ce qu’un mémoire en réponse à une note en délibéré du préfet, déposé avant la clôture de l’instruction, n’avait pas été visé dans l’ordonnance de rejet. Le juge rappelle, ce qui est une solution classique, qu’une telle omission ne saurait entraîner l’annulation de l’ordonnance attaquée dès lors que ce mémoire ne comportait pas de conclusions nouvelles ni, d'ailleurs, d'élément nouveau auquel il n'aurait pas été répondu. 

(ord. réf. 12 juin 2023, Mme B., n° 474708)

 

52 - Frais de procès exposés et non compris dans les dépens - Art. L. 761-1 CJA - Attribution de la charge à la partie perdante - Exigence d’équité - Dispense.

Si, en principe, par application de l’art. L. 761-1 CJA, la charge des frais de procès non compris dans les dépens incombe à la partie perdante, il est jugé en l’espèce, dans un souci d’équité, que compte tenu de sa situation économique très précaire et de la faiblesse de ses revenus, la demanderesse doit être dispensée du paiement de la somme de mille euros réclamée par le centre hospitalier défendeur et qu’avait attribué à ce dernier l’ordonnance du premier juge. Celle-ci est donc, sur ce point, annulée.

(13 juin 2023, Mme B., n° 474766)

 

53 - Pouvoir des juridictions administratives à l’égard de leurs propres décisions - Rectification d’une ordonnance de référé - Compétence exclusive du président du tribunal administratif - Annulation.

Dans une affaire où un formateur et responsable sportif avait fait l’objet de sanctions du chef de son comportement à l’égard de sportifs mineures, le juge de première instance avait rectifié par une seconde ordonnance celle qu’il avait rendue en premier lieu.

Le juge rappelle le principe qu’il n'appartient à aucune juridiction administrative de statuer à nouveau sur une affaire sur laquelle elle a déjà rendu une décision en dehors de l'exercice des voies de rétractation organisées par les textes. C’est l’application du principe bien connu : « Lata sententia iudex desinit esse iudex ».

Au reste, en l’espèce, c’est au président du tribunal administratif qu’appartenait seul le pouvoir d’apprécier si la raison commandait de rectifier l’ordonnance première rendue.

(19 juin 2023, ministre des sports…, n° 465978)

 

54 - Mise en demeure de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) - Modulation des effets du rejet d’une demande d’annulation d’une décision déjà suspendue par le juge - Office du juge.

(19 juin 2023, Association du lotissement du domaine d'Avoriaz (ALDA), n° 467719)

V. n° Audiov.

 

55 - Récusation d’un juge - Absence d’établissement d’une demande préalable à l’introduction de la requête - Irrecevabilité - Rejet.

Le demandeur sollicitait la récusation d’un membre du Conseil d’État ne siégeant pas dans la formation devant statuer sur sa requête. Cette demande de récusation est évidemment déclarée sans objet.

Ensuite, plus pittoresquement, l’intéressé poursuivait l’annulation de la décision implicite du garde des sceaux rejetant sa demande que soient opérées trois modifications au décret d'application de la loi relative à l'aide juridique, ordonné une enquête interne auprès des différentes juridictions ayant traité de ses requêtes, la mise en place d'un service permettant de centraliser les plaintes des justiciables et de les transmettre aux autorités compétentes en matière disciplinaire, la modification de la partie réglementaire du code de justice administrative, la mise en place d'un service permettant de centraliser les plaintes à l'encontre des bâtonniers et du président de l'ordre des avocats, la fin du monopole des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, la suppression des articles des codes qui imposent le ministère d'avocat, et enfin le versement de la somme de 500 000 euros, au titre des dommages et intérêts, et d'une somme complémentaire de 10 000 euros, pour lui permettre de s'assurer le concours d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation.

Las pour lui, le requérant n’avait pas lié le contentieux, comme l’exige l’art. R. 412-1 du CJA, au moyen d’une demande préalable en vue de se constituer une décision préalable, explicite ou implicite, dont la contestation eût constitué l’objet de son action.

L’action est jugée irrecevable.

(22 juin 2023, M. B., n° 448498)

 

56 - Recours dirigé contre le refus d’une autorisation - Annulation du refus et injonction de délivrer cette autorisation - Intérêt pour agir distinct du droit de former tierce opposition - Rejet du recours pour excès de pouvoir, une tierce opposition devant être introduite - Erreur de droit - Annulation.

Rappel d’un principe de procédure souvent oublié, comme c’est le cas ici.

A la suite du refus administratif de délivrer une autorisation (en l’espèce, d’exploiter un parc éolien), le tribunal administratif saisi a annulé ce refus et enjoint de le délivrer. Le Centre d’entraînement demandeur au pourvoi avait certes intérêt pour contester la décision préfectorale délivrant l’autorisation sur injonction du juge mais pas le pouvoir de former contre cette dernière décision une tierce opposition dès lors qu’elle pouvait être contestée par des tiers à cette autorisation sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement. Or la cour administrative d’appel a jugé irrecevable la requête en excès de pouvoir du Centre d’entraînement dirigée contre l’autorisation préfectorale au motif que ne lui était ouverte que la seule voie de la tierce opposition alors que les tiers ne peuvent pas utiliser la voie de la tierce opposition pour contester cette autorisation, mais doivent former un recours contre l'autorisation finalement délivrée. Il tombe au reste sous le sens que la tierce opposition ne peut être dirigée que contre un jugement non contre une décision de l’administration.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit.

(22 juin 2023, Centre d'entraînement régional de galop de l'Ouest et autres, n° 462251)

(57) V. aussi, rappelant que la tierce opposition à une décision juridictionnelle ne peut être formée que par un justiciable aux droits duquel cette décision préjudicie dès lors que ni lui ni ceux qu'il représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision (cf. art. R. 832-1 CJA). Or en l’espèce, la Fédération nationale des chasseurs ne justifie pas d'un droit auquel aurait préjudicié la décision juridictionnelle du 1er juin 2022 par laquelle le Conseil d’État a annulé pour excès de pouvoir le refus de la ministre de la transition écologique de prendre un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur l'ensemble du territoire métropolitain pour une durée de cinq ans et a enjoint au ministre chargé de la chasse de prendre un tel arrêté avant le 15 juillet 2022. Cette fédération n'est, par suite, pas recevable à former tierce opposition à l'encontre de cette décision : 22 juin 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 466275.

 

58 - Requête jugée manifestement irrecevable - Requête comportant un exposé des motifs dénué des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé - Annulation.

En court annulation l’ordonnance qui juge manifestement irrecevable la requête en appel de la ministre de la transition écologique, faute de satisfaire à l'exigence de motivation requise par les dispositions de l'art. R. 411-1 du CJA, alors que celle-ci, tout en annonçant la production ultérieure d'un mémoire complémentaire, soutenait, d'une part, que le tribunal administratif avait insuffisamment motivé son jugement, d'autre part, qu'il avait commis une erreur de droit et inexactement apprécié la portée d'un précédent jugement du 27 septembre 2017 par lequel il avait annulé un arrêté du 25 juillet 2014 ayant établi un programme d'actions régional en vue de la protection des eaux contre la pollution par les nitrates d'origine agricole, enfin, qu'il avait commis une erreur de droit en jugeant que l'arrêté modificatif du 4 avril 2019 attaqué ne pouvait se fonder sur un arrêté du 30 août 2018 ayant consacré le principe d'interdiction de retournement des prairies permanentes dans les aires d'alimentation de captage d'eau potable, dès lors qu'il était postérieur aux manquements relevés. Certes faisaient défaut les éléments d’appréciation de cette ligne de défense mais cela ne justifiait la mise en œuvre de la procédure d’irrecevabilité manifeste.

(22 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 466303)

(59) V. aussi, pour une solution très comparable : 22 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 465349.

 

60 - Détenu - Contestation de fouilles intégrales - Amende pour recours abusif - Annulation.

Doit être annulée la condamnation à une amende pour recours abusif fondée sur le motif que la requête présentait un caractère abusif car les pièces produites à l'appui de celle-ci n'établissaient pas l'existence des fouilles intégrales que le requérant indiquait avoir subies au mois de janvier 2021.

(22 juin 2023, M. A., n° 464051)

 

61 - Recours dirigé contre une décision révélant l’existence d’une décision antérieure - Office du juge - Recours devant être considéré comme dirigé contre la première des deux décisions - Annulation.

Manque à son office le juge qui, par son ordonnance, considère qu’un recours dirigé contre une décision de FranceAgriMer du 20 juillet 2017 révélant l’existence d’une décision faisant grief, du 2 juin 2016, n’est pas dirigé contre cette dernière décision alors que la société requérante a fait valoir, tant devant les premiers juges qu'en appel, que, par les moyens qu'elle soulevait, sa demande visait à obtenir l'annulation de la décision par laquelle sa candidature a été rejetée pour inéligibilité, portée à sa connaissance par le courrier de FranceAgriMer du 20 juillet 2017 et révélant que cette décision avait été prise le 2 juin 2016.

(23 juin 2023, Société Limoujoux Auvergne, n° 456690)

 

62 - Ordonnance de référé - Ordonnance faisant application d’une disposition du CJA - Disposition non mentionnée dans les visas ou les motifs de cette ordonnance - Annulation et rejet au fond (art. L. 821-2 CJ1A).

Dans une affaire où l’intéressée s’est vue refuser le bénéfice de la protection fonctionnelle et a demandé la suspension de ce refus notamment pour incompétence de l’auteur du refus, le juge rejette la demande en se fondant implicitement mais nécessairement sur les dispositions de l’art. R. 3221-3 du CGCT. Or cet article n’est cité ni dans les visas ni dans les motifs de l’ordonnance querellée : celle-ci, irrégulière, est annulée.

(23 juin 2023, Mme A., n° 462285)

 

63 - Expertise - Demande d’extension de la mission expertale - Extension possible en cas d’utilité - Notion - Annulation.

Il est possible aux parties, seules ou ensemble, de demander au juge, après désignation d’un expert et définition de sa mission, d’étendre cette dernière à d’autres investigations ou à d’autres personnes.

En l’espèce, le juge des référés de la cour administrative d’appel a rejeté cette demande d’extension de la mission expertale car cette demande constituait un litige distinct de celui, de nature contractuelle, qui l'opposait au centre hospitalier, dans la mesure où l'extension du périmètre de l'expertise se rattachait à un litige extracontractuel destiné à contester le bien-fondé des études réalisées en amont des travaux de construction.

Annulant ce raisonnement et statuant au fond, le Conseil d’État juge qu’il incombait au juge du référé de l’art. R. 532-1 du CJA de rechercher si l'intervention, antérieurement à la conclusion du contrat, de la société chargée de l'étude géotechnique, et des autres sociétés, avait pu exercer une influence sur l'exécution du contrat, notamment sur la conception des fondations et l'exécution des travaux de fondation de l'immeuble.

(23 juin 2023, Société Demathieu Bard Construction, n° 468965)

 

 

 

 

L’appréciation de l’urgence dans le contentieux du référé (suspension ou liberté)

 

Plusieurs décisions de ce mois de juin mettant l’accent sur l’exigence d’une urgence nécessaire à l’octroi d’une décision de suspension d’exécution dans le cadre de l’exercice d’un référé suspension (L. 521-1 CJA) ou d’un référé liberté (L. 521-2 CJA)..

 

64 - Demande de suspension d’un arrêté ministériel - Définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu - Défaut d’établissement de l’urgence (art. L. 521-1 CJA) - Rejet.

Les sociétés requérantes ont demandé que soit suspendue l’exécution de l'arrêté du 22 mars 2023 du ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, modifiant la définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu.

La requête est rejetée pour défaut d’urgence.

En ce qui concerne la première des sociétés citées, celle-ci fait valoir que, placée en redressement judiciaire depuis le 2 mai 2023, et ses administrateurs et mandataires judiciaires soutenant que l'exécution de l'arrêté attaqué porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts de cette société, en ce qu'elle l'expose au risque que ses magasins dits « « open store », voués non seulement à la livraison à domicile mais aussi à l'accueil de sa clientèle, pour des achats au comptoir et le retrait de produits achetés en ligne, soient regardés comme des entrepôts, alors qu'une telle qualification la contraindrait à mettre fin à leur exploitation, à Paris comme dans les communes qui opteraient pour leur interdiction en pied d'immeuble. Le juge répond que le plan local d'urbanisme de la ville de Paris actuellement en vigueur assimile déjà aux entrepôts tous les locaux d'entreposage liés à une activité commerciale, dès lors que leur taille représente plus d'un tiers de la surface de plancher totale. 

Pour ce qui regarde à la fois cette société et les autres sociétés demanderesses, dans les communes autres que Paris, le juge relève que les requérants se bornent à faire état de craintes liées à l'adoption de nouvelles réglementations, sans apporter de précisions sur les effets propres de l'arrêté contesté, qui a pour seul objet de modifier la définition des sous-destinations de constructions susceptibles de faire l'objet de règles particulières dans les plans locaux d'urbanisme, sans édicter par lui-même de telles règles.

(08 juin 2023, Sociétés Getir France, Abitbol et Rousselet, El Baze-Charpentier, BTSG et MJA, n° 474448)

 

65 - Militaire radié des cadres par mesure disciplinaire - Existence de virements du compte bancaire d’une amicale professionnelle vers son compte personnel - Absence de doute sérieux sur la juridicité de la sanction - Condition d’urgence non examinée - Rejet.

Dès lors que n’est pas satisfaite, dans le cadre d’une procédure de référé suspension, la condition relative à l’existence d’un doute sérieux sur la mesure contestée il n’y a pas lieu à examiner l’éventuel remplissage de la condition d’urgence.

(ord. réf. 21 juin 2023, M. A., n° 474852)

 

66 - Arrêté portant extension de l’avenant à une convention collective - Demande de suspension de son exécution - Importance des surcoûts en résultant non établie - Absence d’atteinte grave et immédiate et donc d’urgence - Rejet.

Le syndicat requérant demandait que soit suspendue l’exécution de l’arrêté ministériel du 31 mars 2023 qui a rendu obligatoire, pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application de la convention nationale de la plasturgie du 1er juillet 1960, les stipulations de l'avenant du 2 juillet 2020 à cette convention relatif aux indemnités de licenciement et de retraite. 

Le syndicat faisait en particulier valoir les surcoûts qui résulteraient pour les entreprises de plasturgie de la mise en œuvre de cet avenant étendu par rapport à l'application des règles issues du code du travail, en fournissant l'exemple de plusieurs entreprises petites et moyennes dans lesquelles sont prévus les départs de salaries disposant d'une ancienneté importante.

Pour rejeter la demande, le juge du référé suspension relève cependant que les éléments produits ne permettent pas d'établir l'ampleur de ces surcoûts au regard du chiffre d'affaires et des résultats des entreprises concernées ni l'impact potentiel de l'extension de l'avenant sur la situation financière de la branche dans des conditions caractérisant une atteinte grave et immédiate aux intérêts du secteur représenté.

Faute d’urgence, la mesure de suspension est refusée.

(ord. réf. 22 juin 2023, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur, n° 474610)

 

67 - Demande d’autorisation de travaux - Création d’un commerce temporaire - Refus d’autorisation - Suspension du refus - Absence d’établissement de l’urgence - Annulation.

Une société entendait aménager à titre temporaire un magasin de ventes de produits alimentaires à l'enseigne Aldi dans un bâtiment commercial destiné à être détruit. Elle a sollicité à cet effet une autorisation de travaux d'aménagement d'un établissement recevant du public. Celle-ci lui a été refusée par le maire de la commune demanderesse au pourvoi.

Le juge des référés a accordé la suspension de ce refus car le bâtiment faisait l'objet d'une convention d'occupation précaire, sous condition suspensive de l'obtention des autorisations de travaux nécessaires, en vue de l'exploitation d'un supermarché, et que ce projet ne serait viable que s'il était ouvert près d'un an soit, compte tenu de la date à laquelle la démolition était prévue, dans les semaines suivant sa décision.

Sur pourvoi, le juge annule cette ordonnance (plus d’un an après qu’elle a été rendue) motif pris de ce qu’il incombait à son auteur de rechercher si la décision attaquée était susceptible de porter atteinte de manière grave et immédiate à la situation financière de la société pétitionnaire, ce qu’il n’a pas fait, commettant ainsi une erreur de droit. Statuant au fond, le juge de cassation constate que si la société requérante fait valoir que le refus de l'autorisation demandée affecte la viabilité du projet de magasin temporaire, elle n'apporte aucune indication sur les effets de la décision litigieuse sur son activité et sur sa situation financière, et n'établit ainsi aucune atteinte grave et immédiate à ses intérêts financiers susceptible de justifier l'urgence qu'elle invoque. 

(ord. réf. 29 juin 2023, Commune de Thiais, n° 463872)

 

68 - Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSMPS) - Modification de la liste des substances classées comme stupéfiantes - Absence de mesures transitoires - Écoulement des stocks actuels - Menace grave sur l’entreprise - Urgence non établie (L. 521-2 CJA) - Rejet.

Les sociétés requérantes demandaient la suspension de l'exécution de la décision du 12 juin 2023 de la directrice générale de l'ANSMPS portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants en ce qu’elle a ajouté sur cette liste l'hexahydrocannabinol ou HHC, hexahydrocannabinol acétate ou HHC-acétate ou HHCO et enfin l'hexahydrocannabiphorol ou HHCP.

Les requérantes poursuivaient la suspension de cette décision en raison de ses conséquences économiques irrémédiables et inéluctables pour les opérateurs économiques qui doivent gérer leurs stocks de produits et décider de l'exécution des contrats en cours, ainsi que par la gravité des atteintes portée aux libertés fondamentales. Elles réclamaient aussi, à titre subsidiaire, l’application d’un régime transitoire en raison des graves conséquences pénales qui découleraient de son application immédiate et sans régime transitoire.

Le rejet de la demande est fondé sur ce que les sociétés requérantes ne font état d'aucun élément précis de nature à justifier de l'importance de l'atteinte qu'elles invoquent à leurs intérêts économiques particuliers, sur que si la méconnaissance de la décision litigieuse est susceptible de donner lieu à une action pénale, l'entrée en vigueur de cette décision n'a par elle-même aucune conséquence sur l'engagement d'une telle action et enfin sur ce que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que la décision litigieuse porterait atteinte à certaines libertés fondamentales ne saurait caractériser une situation d'urgence. 

En effet, il s’agit ici de l’urgence particulière justifiant que le juge statue sous 48 heures.

(ord. réf. 20 juin 2023, Société CMCMRS Distribution, société Buddha Farm's, société K-lab, société Green exchange lab et société Au pays du thé, n° 475108)

 

69 - Invocation d’« intrusion informatique », de « cyberharcèlement » et de « torture psychologique » - Demande de prise de mesures pour faire cesser cette situation - Absence d’invocation de l’urgence à statuer - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté fondée sur ce que le demandeur ferait l’objet d’« intrusion informatique », de « cyberharcèlement » et de « torture psychologique » mais qui ne fait état, au soutien de sa demande, ni de l'existence d'une urgence particulière ni de celle d'une mesure portant une atteinte manifestement illégale et grave à une liberté fondamentale. 

(ord. réf. 21 juin 2023, M. A., n° 475180)

 

70 - Clôture de l’instruction - Absence de mise en demeure de produire un mémoire en défense - Absence d’acquiescement aux faits invoqués dans leurs écritures par les demandeurs - Rejet.

Dans un litige en contestation d’une autorisation d’aménager un lotissement, les requérants saisissent le juge de cassation, entre autres, d’un moyen tiré de ce que la cour administrative d’appel, qui avait ordonné la clôture de l’instruction, devait constater que la commune défenderesse n’ayant pas produit de mémoire en défense, celle-ci devait être réputée avoir acquiescé aux faits tels que rapportés dans leurs propres écritures. Ne l’ayant pas fait, ils estimaient irrégulier sur ce point l’arrêt attaqué.

En réalité, il résulte des dispositions combinées des art. R. 611-11-1 et R. 612-6 du CJA qu’en cas de clôture de l’instruction sans que la défenderesse n’ait produit un mémoire, celle-ci doit être mise en demeure de le faire et ce n’est que si, en dépit de cette mise en demeure, elle ne produit pas qu’elle doit être réputée avoir acquiescé aux faits tels que rapportés dans les écritures des demandeurs. Tel n’était pas le cas en l’espèce où la commune défenderesse n’avait fait l’objet d’aucune mise en demeure.

C’est donc sans erreur de droit, ni dénaturation des pièces du dossier, que la cour a jugé que le chemin d'accès au projet de lotissement en litige, compte-tenu de ses accotements, permettait le croisement des véhicules ainsi que le passage des véhicules de secours et d'incendie, conformément aux exigences de l'article UC 3 du règlement du plan local d'urbanisme. 

(26 juin 2023, M. A. et autres, n° 467714)

(71) V. aussi, jugeant qu’une commune a été irrégulièrement réputée avoir acquiescé aux faits exposés par la demanderesse en ses écritures dès lors qu’il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que la mise en demeure de produire un mémoire en défense que le tribunal aurait adressée à la commune de Volstroff aurait été reçue par cette dernière : 27 juin 2023, Commune de Volstroff, n° 465803

 

72 - Ordre des vétérinaires - Délai de procédure - Délai franc sauf disposition contraire - Computation - Pli mis en instance au bureau de poste - Date du retrait du pli valant point de départ du délai - Annulation.

Rappel d’abord de ce que, dans le silence des textes et en l’absence de disposition contraire, le délai pour interjeter appel d'une décision d'une chambre régionale de discipline de l'ordre des vétérinaires a le caractère d'un délai franc qui, dans les cas où il expire normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant. 

Rappel ensuite qu’en cas d’absence de son domicile du destinataire d’un courrier en recommandé et de mise en instance au bureau de poste, le délai se calcule à partir du retrait de ce courrier lorsque celui-ci a lieu avant l'expiration du délai au terme duquel un pli non réclamé est renvoyé à l'expéditeur.

(29 juin 2023, Mme Legrain, n° 459872)

 

73 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de la « vallée de la chimie » - Annulation du plan à la demande d’une commune - Rejet des conclusions à fin d’injonction - Appel sur ce point - Irrecevabilité devant être relevée d’office - Annulation.

Saisi de deux requêtes, par une société et par la commune de Solaize, respectivement, d’une demande d’annulation et d’une demande d’annulation assortie d’une injonction, dirigées contre l’arrêté préfectoral arrêtant le PPRT de la « vallée de la chimie », le tribunal a fait droit à la requête en annulation de la société et dit n’y avoir lieu à statuer sur les deux demandes de la commune de Solaize. Cette dernière se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a rejeté son appel en tant qu’il contestait le prononcé du non-lieu en première instance.

L’arrêt est cassé au motif que le jugement ayant fait droit aux conclusions de la commune de Solaize qui tendaient à l'annulation de cet arrêté et la commune de Solaize n’ayant pas contesté ce jugement en tant qu'il a également rejeté ses conclusions à fin d'injonction, ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour faire appel de ce jugement annulant l'arrêté du préfet approuvant le PPRT. Il incombait donc à la cour d’opposer, au besoin d’office, l’irrecevabilité de l’appel interjeté par la commune.

(30 juin 2023, Commune de Solaize, n° 449196)

 

74 - Police des carrières - Autorisation d’extraction de grès - Rejet du recours dirigé contre cette autorisation - Juge d’appel prononçant un arrêt d’avant-dire droit en attente de régularisation - Arrêt se prononçant au fond - Pourvoi en cassation contre le premier et non contre le second arrêt - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

(30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu-Environnement et autres, n° 450481)

V. n° 174

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

75 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (art. 1499 CGI) - Établissement regardé comme industriel - Double dénaturation des faits - Annulation.

La contribuable requérante conteste la qualification comme établissement industriel au sens des dispositions de l’art. 1499 du CGI et donc leur assujettissement à la taxe foncière sur les propriétés bâties, de locaux qu’elle loue à une société qui les sous-loue à la société TB Verger pour les besoins de son commerce de fruits et légumes.

Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de la requalification desdits locaux.

Le Conseil d’État  donne raison à la demanderesse en relevant une double dénaturation dans le jugement ayant confirmé la qualification d’établissement industriel, et en la déchargeant des impositions supplémentaires mises à sa charge.

En premier lieu, le tribunal a regardé comme « importants », au sens de l’article précité du CGI, les moyens techniques et outillages utilisés par la société TB Verger dans les locaux donnés à bail par la société requérante, au motif que cet établissement comprenait trois chambres froides d'une surface de 66 m² chacune et un bâtiment frigorifique d'une surface de 562 m², deux chaînes de conditionnement, trois quais de chargement, ainsi que des chariots à pinces frontales et des transpalettes, alors que ces équipements étaient de dimensions relativement modestes, peu sophistiqués, et représentaient une valeur d'environ 200 000 euros seulement. D’où la dénaturation critiquée.

En second lieu, les premiers juges ont encore dénaturé les pièces du dossier en retenant que ces moyens techniques revêtaient un rôle prépondérant dans l'activité exercée dans cet établissement, ce que contredisent les éléments du dossier d’abord en ce que les deux chaînes de conditionnement, au-delà des mécanismes permettant de vider les caisses de fruits et légumes à conditionner et de mettre ceux-ci en barquettes filmées et étiquetées, ne comportaient aucun dispositif de tri automatisé et mobilisaient dix salariés pour leur fonctionnement, ensuite en ce que ces chaînes traitaient moins de la moitié des fruits et légumes commercialisés par l'établissement, et enfin en ce que les installations de stockage ne comprenaient, au-delà des installations de régulation de température, aucun autre outillage ni dispositif automatisé ou informatisé, et que les opérations de chargement et déchargement se faisaient à l'aide de chariots à pinces ou transpalettes opérés individuellement par les employés de la société. Cela d’autant plus que l’administration ne contestait pas l’importance des moyens humains mobilisés à cet effet.

(01 juin 2023, Société Bail Actea Immobilier, n° 448931)

 

76 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et cotisation foncière des entreprises - Détermination de la base d’imposition - Confusion entre le montant d’immobilisations et leur valeur locative - Contradiction entre motifs et dispositif d’un arrêt d’appel - Annulation.

(09 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466930)

V. n° 43

 

77 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) - Imposition fondée sur des éléments déclaratifs - Respect des droits de la défense en cas d’écart par rapport à la déclaration - Limite - Rejet.

Approuvant la solution retenue par le premier juge, le Conseil d’État rappelle à propos de la TFPB, ainsi qu’il en va de tous les impôts assis sur une base déclarative, que l’administration fiscale qui entend mettre à la charge du redevable de l’imposition des droits excédant ceux résultant de l’application des seuls éléments déclarés par ce dernier, est tenue en vertu du principe du respect des droits de la défense, de le mettre à même de présenter ses observations avant d’arrêter unilatéralement ce montant.

Toutefois, on n’approuvera pas cette restriction ajoutée dans la présente décision selon laquelle le respect de ce principe « n'emporte pas l'obligation, pour l'administration, d'informer expressément le contribuable de sa faculté de présenter ses observations avant d'établir ces droits ». Qu’est-ce que c’est que cette ratiocination ? Le rapprochement des deux formules « obligation de mettre le redevable à même de présenter ses observations » et « dispense d’informer le redevable de sa faculté de présenter ces observations » produit un effet ubuesque dont l’absurdité suffit à le juger.

C’est oublier aussi que les règles et procédures administratives ne sont jamais instituées pour le confort ou la tranquillité ou le bien-être des administrations et de leurs agents mais exclusivement pour l’intérêt propre de leurs destinataires qui ont en commun le droit d’être bien traité, ce qui constitue l’intérêt général.

(20 juin 2023, Société Beltoise Évolution, n° 465114)

 

78 - Participation pour le financement de l'assainissement collectif (loi du 14 mars 2012) - Champ d’application - Exclusion de cette participation en cas de versement de la participation pour raccordement à l'égout - Rejet.

Le juge rappelle qu’il résulte de la combinaison des art. L. 1331-7 du code de la santé publique et L. 332-6-1 et L. 332-28 du code de l’urbanisme que la participation pour le financement de l'assainissement collectif, instituée par le I de l'article 30 de la loi de finances rectificative du 14 mars 2012, n'est pas applicable aux immeubles pour lesquels leurs propriétaires ont été astreints, par une prescription figurant dans un document d'urbanisme délivré à la suite d'une demande déposée avant le 1er juillet 2012, à verser la participation pour raccordement à l'égout. 

C’est donc irrégulièrement que la communauté de communes, demanderesse au pourvoi, a cru pouvoir exiger des contribuables le paiement de la participation pour le financement de l'assainissement collectif alors qu’ils avaient déjà réglé, via le lotisseur lors de la demande de permis d’aménager, la participation pour raccordement à l'égout. 

(01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 454066)

(79) V. aussi, avec même autrice du pourvoi, pareillement rejeté : 01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 4540667.

(80) V. encore, identique au précédent : 01 juin 2023, Communauté de communes Rhône-Crussol, n° 454068.

 

81 - Remboursements de cotisations d’impôts par suite de dégrèvements - Intérêts moratoires en résultant - Régime - Erreur de droit - Annulation.

L'art. L. 208 du livre des procédures fiscales (LPF) dispose qu’en cas de condamnation de l’État  à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable et donnent lieu au paiement d'intérêts moratoires dont le taux est celui de l'intérêt de retard prévu à l'article 1727 CGI. En outre, précise ce texte, les intérêts courent du jour du paiement. Ils ne sont pas capitalisés.

Une société, qui a bénéficié d’une réduction de sa cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) avec intérêts moratoires, par suite de l’abrogation par le Conseil constitutionnel du premier alinéa du I bis de l'art. 1586 quater du CGI relatives au calcul du taux de la CVAE pour les sociétés membres d'un groupe fiscal intégré, dans leur rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, a obtenu d’une cour administrative d’appel le versement de compléments d’intérêts moratoires qu’elle avait réclamés.

Sur pourvoi du ministre des finances, le Conseil d’État  annule cet arrêt.

Selon lui, les dispositions précitées du LPF ne concernent que les remboursements effectués à un contribuable en conséquence d'un dégrèvement prononcé par le juge de l'impôt ou par l'administration chargée d'établir l'impôt, et consécutif à la présentation par ce contribuable d'une réclamation contentieuse entrant dans les prévisions de l'article L. 190 du LPF.

De la sorte, les intérêts moratoires qu'elles prévoient ne sauraient en outre courir au titre d'une période antérieure à l'établissement de l'impôt correspondant, indépendamment de l'éventuel versement d'acomptes effectué en application des règles relatives au recouvrement de cet impôt.

On avoue peiner à être convaincu par cette déduction qui ne s’impose pas d’évidence à la lecture des deux articles précités du LPF. La solution qu’avait adoptée la cour de Versailles dans ce dossier nous paraît plus judicieuse.

(05 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465559)

 

82 - Acquisition d’options d’achat ou de vente d’actions - Prix préférentiel - Écart, lors de la levée de l’option, entre le prix de vente des actions et leur valeur réelle - Rémunération occulte et non plus-value de cession - Régime fiscal - Annulation.

Le contribuable, directeur financier d’une société ayant fait l’objet d’un rachat par le groupe Alpha, s’est vu consentir par ce dernier, le 1er avril 2008, moyennant le versement immédiat par celui-ci d'une prime de 15 735,31 euros, une promesse d'achat d’actions de la société Oslau lui garantissant un prix de rachat minimum de 10,18 euros, assorti de clauses mécaniques d'ajustement, pour 43 243 des 231 273 actions qu'il détenait.

Cette option de vente était exerçable dans certains cas de cessation de ses fonctions, ainsi qu'en cas de défaut dans le remboursement de l'emprunt bancaire qu'il avait contracté pour le financement de l'acquisition de ses actions de la société Oslau, de perte de contrôle de cette société par le groupe Alpha ou d'opérations permettant à ce groupe de percevoir un montant correspondant à une fois et demi son investissement initial.

À la revente de la société Oslau le 4 octobre 2011, le contribuable a cédé l’ensemble de ses actions à un certain prix, à l'exception des 43 243 titres couverts par la promesse d'achat du 1er avril 2008, qui ont été rachetés par le groupe Alpha au prix unitaire de 11,63 euros, résultant de l'application de cette promesse.

L’administration fiscale a considéré que les sommes ainsi acquittées par le groupe Alpha à hauteur de 427 049 euros devaient être regardées comme une rémunération occulte taxable entre les mains de M. B. sur le fondement du c de l'art. 111 du CGI, et non, comme déclaré par celui-ci, comme une plus-value de cession imposable selon les règles définies à l'art. 150-0 A du même code et en l'occurrence exonérées sur le fondement des dispositions du 5° bis de l'art. 157 du même code applicables aux plans d'épargne en actions.

Le contribuable n’ayant pas obtenu du tribunal administratif gain de cause en son action tendant à l’annulation des suppléments d’imposition et de contributions sociales mises à sa charge, se pourvoit en cassation de ce jugement de rejet.

Faisant application des art. 79 (détermination du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu) et 82 (détermination des bases d'imposition) du CGI, le juge rappelle, prolongeant et confirmant une tendance jurisprudentielle récente (par ex. Plénière fiscale, 13 juillet 2021, M. et Mme Rousselet, n° 437498, Rec. Lebon p. 258), que la circonstance que des options d'achat ou de vente d'actions ont été acquises à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition peut être de nature à révéler l'existence d'un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur mais qu’il convient de distinguer deux hypothèses. D’abord se rencontre le cas où cet avantage trouve essentiellement sa source dans l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié : il a alors le caractère d'un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l'année d'acquisition des options dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI. Ensuite, en dehors de ce cette hypothèse, le caractère préférentiel de ce prix est sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l'exercice de ces options.

Donc, au moment de l’exercice par le contribuable de l’option de ventes d’actions qui lui a été consentie, l’écart entre prix d’acquisition et prix de cession, corrigés l’un et l’autre du montant des frais, est imposable suivant le régime des plus-values de cessions de valeurs mobilières institué par l'art. 150-0 A du CGI.

Cependant, ce même gain, lorsqu’il a pour cause l'exercice par l'intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, constitue un avantage en argent, au sens de l'art. 82 du CGI, imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des art. 79 et 82 précités. 

Examinant le cas de l’espèce, le juge de cassation relève que par sa nature même, la promesse d'achat accordée le 1er avril 2008 à M. B., constitutive d'une option de vente, ne conduisait à aucun effet d'alignement entre l'investissement professionnel de M. B. et le gain éventuel pouvant être tiré ultérieurement de l'exercice de cette promesse. Elle ne contribuait pas davantage, par elle-même, à inciter M. B. à demeurer dans sa société d’origine dès lors que cette option pouvait être exercée même s'il avait entretemps quitté ses fonctions.

En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les conditions dans lesquelles cette promesse lui a été accordée aient eu pour objet ou pour effet de lui garantir dès l'origine, notamment eu égard au prix minimal qu'elle fixait, un gain d'exercice quasi-certain.

C’est donc au prix d’une dénaturation des pièces du dossier que la cour a considéré que le gain résultant du complément de prix versé en application de cette promesse d'achat constituait une contrepartie de ses fonctions de dirigeant salarié, imposable en conséquence à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des traitements et salaires.

(05 juin 2023, M. B., n° 467546)

 

83 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Appréciation du caractère excessif ou non du niveau de taxation retenu - Dépenses directement en rapport avec le service pouvant être seules retenues - Erreur de droit - Annulation.

Rappel, à nouveau, que pour apprécier le bien-fondé budgétaire du taux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères il ne suffit pas de se fonder sur un montant estimé de dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères y compris la somme représentative du taux des charges d'administration générale des frais de structure imputée forfaitairement au budget « collecte et valorisation des déchets ».

Encore faut-il rechercher si les sommes concernées, surtout s’agissant de la dernière, sont justifiées par des éléments de comptabilité analytique comme étant des dépenses pouvant, à concurrence de ce taux, être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets.

Tel ne fut point le cas en l’espèce d’où la cassation pour erreur de droit.

(09 juin 2023, Société Immorente, n° 469422)

 

84 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Taux disproportionné - Substitution du taux adopté par la délibération applicable à l’année précédente sauf si ce taux substitué est lui-même disproportionné - Rejet.

Réitérant une jurisprudence relativement récente (24 octobre 2018, SAS L’immobilière Groupe Casino, n° 413895), qui se trouve ainsi désormais bien établie, le Conseil d’État juge que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente sauf si ce taux est lui aussi manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l'année en litige.

(30 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 448159)

(85) V. aussi, identique : 30 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 456574.

 

86 - Impôts sur le revenu – Déduction des frais professionnels – Frais de scolarité d’enfants rattachés au foyer fiscal – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel juge que ne sont pas déductibles au titre des frais professionnels les frais engagés par un contribuable pour la scolarité de ses filles rattachées au foyer fiscal. Seuls sont déductibles les revenus – normalement imposables – que des étudiants perçoivent à raison d'une activité professionnelle ou d'un stage ainsi que les frais inhérents à cet emploi ou à ce stage. N’entrent pas dans cette catégorie ceux des frais acquittés à raison de la scolarité, par exemple – comme en l’espèce - en cas de poursuite d’études dans une université étrangère.

(16 juin 2023, M. B., n° 454452)

 

87 - Contribuables procédant à des acquisitions et cessions successives de biens constituant sa résidence principale – Qualification en marchands de biens – Imposition en conséquence – Absence de démonstration de cette qualité -  Erreur de droit – Annulation.

Rappel que les bénéfices et le chiffre d'affaires réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles sont en principe imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et taxables à la TVA, lorsque ces cessions sont faites par un contribuable qui se livre habituellement à l'activité de marchand de biens.

Toutefois, il n’en va pas ainsi dans le cas où  le contribuable établit soit que les immeubles qu'il a vendus avaient été acquis pour satisfaire des besoins personnels ou familiaux et, de ce fait, que leur vente relevait de la simple gestion de son patrimoine personnel, soit que les immeubles en cause constituaient sa résidence principale. 

En l’espèce est censuré l’arrêt d’une cour d’appel qui a jugé que c’était à bon droit que l’administration fiscale avait qualifié d’activité de marchand de biens, d’une part, le fait pour les contribuables d’avoir réalisé un certain nombre d'opérations sur la période, du court délai qui séparait l'achèvement des travaux de construction des maisons de leur vente, et de la circonstance qu'avant même d'avoir réalisé les ventes, les contribuables avaient déjà acquis de nouveaux terrains, que ces opérations immobilières avaient procédé d'une intention spéculative et, d'autre part, qu'ils n'apportaient aucun élément de nature à établir que ces habitations étaient, à la date de cession, leur résidence principale. En effet, le juge rappelle que la seule circonstance qu'un contribuable procède à des acquisitions et cessions successives d'immeubles qu'il affecte à sa résidence principale, sans que l'administration fiscale n'établisse ni qu'il ne les aurait pas occupés à ce titre ni que ces opérations procédaient d'un abus de droit, ne saurait, compte tenu de l'exonération des plus-values de cession de résidence principale prévue par l'art. 150-U du CGI, caractériser une activité de marchand de biens.

(14 juin 2023, M. et Mme B., n° 461960)

 

88 - Droit à déduction de la TVA payée en amont – Exigence de preuve par facture comportant certaines mentions – Exigence purement formelle – Possibilité pour l’assujetti de produire toute justification du paiement de la TVA et de son montant – Rejet.

Le litige portait sur l’exercice du droit à déduction de la TVA payée en amont.

La requérante soutenait avoir droit au bénéfice de cette déduction en raison de la TVA qu’elle avait acquittée sur les redevances d'exploitation de la marque « Gaffer » que lui avait facturées l'entreprise titulaire de celle-ci.

Le juge de cassation applique assez fidèlement la solution retenue en cette matière par la Cour de justice de l’Union européenne s’écartant passablement des dispositions législatives françaises applicables (notamment l’art. 271 du CGI et le 8° de l'art. 242 nonies A de l'annexe II de ce code). En effet, alors que le CGI subordonne l’établissement du paiement de la TVA dont la déduction est demandée à la production de factures satisfaisant à un fétichisme administratif strict et imposant, le Conseil d’État retient de la jurisprudence de la CJUE (15 septembre 2016, Barlis 06 - Investimentos Imobiliários e Turísticos SA c/ Autoridade Tributária e Aduaneira, aff. C-516/14) que ces exigences ne sont que formelles, n’empêchant pas l’assujetti, selon la Cour, de produire une facture ou tout document en tenant lieu faisant figurer les informations permettant de déterminer l'étendue de son droit à déduction. 

Ici cependant le demandeur succombe pour n’avoir pas répliqué à l’argumentation de l’administration selon laquelle il était impossible de déterminer, au vu des éléments figurant au dossier, la fraction des montants forfaitaires en cause correspondant à la concession de la marque.

(15 juin 2023, Société Groupe TSF, n° 460576)

 

89 - Erreurs ou omissions entachant les écritures retracées au bilan de clôture d’un exercice ou d’une année fiscale – Irrégularités affectant l’estimation de l’actif net de l’entreprise – Réparation – Conditions – Établissement de l’absence de caractère délibéré – Annulation.

La contribuable, suite à un redressement fiscal résultant du rejet de l’inscription de certaines sommes au passif du bilan de clôture d’un exercice, a tenté en vain de faire valoir devant le juge qu’elle avait droit au bénéfice de l'exception au principe de l'intangibilité du bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit prévue par les dispositions du 4 bis de l'article 38 du CGI selon lesquelles : « (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés. (...) 

bis. Pour l'application des dispositions du 2, pour le calcul de la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de l'exercice, l'actif net d'ouverture du premier exercice non prescrit déterminé, sauf dispositions particulières, conformément aux premier et deuxième alinéas de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ne peut être corrigé des omissions ou erreurs entraînant une sous-estimation ou surestimation de celui-ci.

Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas lorsque l'entreprise apporte la preuve que ces omissions ou erreurs sont intervenues plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit (...) ».

La société se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa demande.

Dans une décision importante en ce qu’elle accentue et précise une certaine tendance jurisprudentielle, le Conseil d’État juge que les erreurs ou omissions aboutissant à une sous-estimation ou une surestimation de l'actif net de l'entreprise peuvent, à l'initiative du contribuable qui les a involontairement commises ou à celle de l'administration exerçant son droit de reprise, être réparées dans ce bilan. Si ces mêmes erreurs ou omissions se retrouvent dans les écritures de bilan des exercices antérieurs, elles doivent y être symétriquement corrigées, pour autant que l'administration n'établisse pas qu'elles revêtent, pour le contribuable qui les invoque, un caractère délibéré. Ces corrections ne peuvent toutefois affecter le bilan d'ouverture du premier exercice non prescrit, à moins que le contribuable n'apporte la preuve que les écritures correspondantes procèdent d'erreurs ou omissions commises au cours d'un exercice clos plus de sept ans avant l'ouverture du premier exercice non prescrit, dont l'administration n'établit pas qu'elles auraient revêtu un caractère délibéré.

En l’espèce, il s’agissait donc pour la contribuable d’établir et la durée au moins septennale de la commission des erreurs ou omissions et l’absence de caractère délibéré de celles-ci. En réalité, cette seconde exigence conduit normalement à un renversement de la charge de la preuve puisque celle-ci ne peut guère être rapportée qu’en ce qui concerne le caractère délibéré, ce qui revient à faire porter le fardeau de la preuve par l’administration fiscale.

La cour avait écarté la demande de la société contribuable tendant au bénéfice de l’exception à la règle d’intangibilité du bilan motif pris de ce qu’elle ne justifiait pas de la réalité, de l'ancienneté et du montant des dettes dont elle se prévalait. En réalité, l’ancienneté de l’erreur n’était pas contestée. La cour ne devait donc se prononcer que sur le point de savoir si l’erreur revêtait, ou non, un caractère délibéré. Pour ne l’avoir pas fait son arrêt encourt la cassation.

(15 juin 2023, SCI « Les Hameaux de Mucchiatana », n° 464997)

 

90 - TVA – Condition de redevabilité – Existence d’un établissement stable en France – Rejet.

Le litige portait sur le refus de décharger la requérante des rappels de TVA auxquels elle avait été assujettie au titre d’une certaine période.

C’est sans erreur de droit que l’auteur de l’ordonnance attaquée s’est fondé, pour juger que la société Worldwide Euro Protection était redevable de la taxe sur la valeur ajoutée sur les prestations en litige, sur le seul constat de leur réalisation par l'intermédiaire d'un établissement stable en France, sans rechercher par ailleurs si le siège de l'activité économique de la société Worldwide Euro Protection était situé en France. Par suite sont inopérants les moyens tirés de ce qu'il aurait dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis et insuffisamment motivé son ordonnance en estimant que le siège de l'activité économique de cette société n'était pas situé au Luxembourg.

(15 juin 2023, Société anonyme Worldwide Euro Protection, n° 465719)

 

91 - Taxe d’habitation – Établissement d’après les faits existants au 1er janvier de l’année d’imposition – Cas d’un logement meublé faisant l’objet de locations saisonnières ou de courtes durées – Situation au 1er janvier – Rejet.

En principe, selon l’art. 1407 du CGI, le redevable de la taxe d’habitation est le locataire au 1er janvier de l’année d’imposition. Cependant, lorsqu’un logement fait l’objet de locations saisonnières ou de courte durée c’est le propriétaire du bien qui est redevable de cette taxe dès lors qu'au 1er janvier de l'année de l'imposition, il peut être regardé comme entendant en conserver la disposition ou la jouissance une partie de l'année.

Cette solution jurisprudentielle inédite institue donc une présomption de jouissance ou de disposition par le propriétaire dès lors que le cumul des durées de location ne couvre qu’une partie de l’année

(15 juin 2023, M. et Mme B., n° 468195)

 

92 - Infliction de l’amende prévue au 1 du I de l’art. 1737 du CGI – Paiement de prestations à un tiers – Absence de travestissement ou de dissimulation de l'identité du client ou du fournisseur du contribuable – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’appel confirmatif jugeant que l'administration était fondée à infliger à la société requérante l'amende prévue au 1 du I de l'article 1737 (factures de complaisance) du CGI sans remettre en cause la réalité des prestations réalisées et facturées par la société SPEC, en raison de ce que leur paiement par la société requérante avait été effectué au bénéfice de tiers. En effet, l'article 1737 sanctionne le travestissement ou la dissimulation de l'identité du client ou du fournisseur du contribuable, mais non le paiement effectué au profit de tiers, bénéficiaires effectifs des sommes mentionnées sur les factures concernées.

(16 juin 2023, Société Finrec, n° 454258)

 

93 - Régime fiscal des sociétés mères (art. 145 CGI) - Société non-résidente ayant une succursale établie en France - Versement à cette dernière de produits de participations - Niveau d’appréciation du respect des conditions légales pour l’application de ce texte - Rejet.

Une société d'assurance de droit britannique, QBE Insurance Europe Limited (QIEL), alloue les dividendes tirés de ses diverses participations à ses succursales en fonction de leur nature et de l'importance de leur activité respective, selon une clé de répartition déterminée sur la base de leur quote-part dans le montant total des provisions techniques. Dans ce cadre, elle a attribué à sa succursale française, au titre de l'exercice clos en 2011, les dividendes tirés de sa participation dans les sociétés QIAL (QBE Insurance Australia Limited) et ITMS (Iron Trades Management Services Limited) qu'elle a comptabilisés dans le résultat taxable déclaré à l'administration fiscale française.

La cour administrative d’appel, saisie d’un recours du ministre contre le jugement  déchargeant la société QIEL  des impositions auxquelles ce dernier estimait devoir l’assujettir, a considéré, après avoir relevé que les titres de participation en cause respectaient les conditions posées au 1 de l'art. 145 du CGI au niveau de la société QIEL, que les dividendes alloués à la succursale française pouvaient bénéficier du régime des sociétés mères quand bien même les titres de participation correspondants n'avaient pas été inscrits au bilan fiscal de cette succursale ni mentionnés dans la rubrique prévue à cet effet de la déclaration de résultats déposée par la société QIEL auprès de l'administration fiscale française.

Le Conseil d’État, rejetant le pourvoi, approuve cette solution qui n’est entachée ni d’erreur de droit ni d’inexacte qualification des faits. Selon lui, en effet, lorsqu'une société non-résidente alloue à une succursale établie en France des produits de participations, le respect des conditions relatives aux titres correspondants prévues aux a à c du 1 de l’art. 145 précité est apprécié au niveau de la société et non pas uniquement au niveau de la succursale. La seule circonstance que les titres ne soient pas inscrits à l'actif fiscal de la succursale française ne saurait faire obstacle à l'application du régime des sociétés mères.

(20 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 456719)

 

94 - Revenus de source togolaise - Crédit d’impôt calculé selon un barème figurant sur une notice de l’administration fiscale - Valeur de doctrine administrative opposable à l’administration - Conditions - Erreur de droit - Annulation.

L’administration a remis en cause le bénéfice d’un crédit d’impôt - prévu par les stipulations de la convention fiscale franco-togolaise du 24 novembre 1971 - dont se prévalaient les contribuables dans leur déclaration de revenus togolais sur la foi d’indications contenues dans le formulaire correspondant établi par l’administration fiscale.

Les contribuables se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif rejetant leur recours par le motif qu’ils ne pouvaient utilement se prévaloir d’une notice sur le fondement de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales car ce document, d'une part, ne constituait qu'une notice explicative qui, ainsi qu'elle le rappelait en première page, n'avait qu'une valeur indicative et ne se substituait pas à la documentation officielle de l'administration, et d'autre part, n'était pas au nombre des instructions ou circulaires publiées par lesquelles l'administration fiscale fait connaître son interprétation des textes fiscaux. 

Pour annuler ce raisonnement en raison du vice d’erreur de droit, le juge de cassation retient que « la documentation officielle ne comportait aucune mention explicite du retrait, à compter de 1996, des dividendes de source togolaise du champ du crédit d'impôt dit « décote africaine » institué par la doctrine administrative, mais se bornait à ne plus mentionner le Togo dans la liste des pays concernés, le formulaire déclaratif en cause, au moins jusqu'à la déclaration des revenus perçus en 2010, mentionnait, sans réserve ou précision particulière, le Togo au titre des pays concernés par cette mesure de faveur et se bornait à renvoyer, pour les dividendes de source togolaise, à la disposition n° 12, relative à la formule de calcul du taux, de sa notice explicative, et (…) en outre, cette notice, en dépit de sa formule préliminaire selon laquelle elle ne se substituait pas à la documentation officielle de l'administration, indiquait immédiatement ensuite que le contribuable y trouverait « toutes les explications nécessaires », de sorte que, dans ces circonstances, l'imprimé déclaratif et sa notice explicative devaient être regardés comme comportant une interprétation formelle de la loi fiscale dont les contribuables pouvaient se prévaloir sur le fondement du second alinéa de l'art. L. 80 A du livre des procédures fiscales ». 

Cette solution a le mérite de simplifier un droit fiscal devenu un terrain de jeu de piste qui, en raison de sa très faible accessibilité au commun des contribuables, de son instabilité folle et de ses pièges, volontaires ou non, constitue un défi pour la démocratie sans que les ressources qu’il procure à des services étonnamment dépensiers, à raison même de son inintelligibilité chronique, puissent constituer, dans un État de droit, le moindre commencement de justification.

(20 juin 2023, M. et Mme B., n° 462501)

 

95 - Plus-value de cession d’un bien immobilier - Comparaison entre l’impôt payé par un étranger et celui acquitté par un ressortissant français pour une identique opération - État étranger et État français considérés non comparables au regard de l’impôt français - Atteinte à la libre circulation des capitaux - Annulation.

La SCI Faucon, requérante, détenue à 99,99% par l’État du Koweït, a sollicité, et obtenu, du tribunal puis de la cour administratifs, la restitution totale du prélèvement dont elle avait fait l’objet du fait de la plus-value réalisée lors de la cession d’un immeuble de rapport situé à Nice. Après cassation de l’arrêt d’appel, la cour a, sur renvoi, adopté la même solution.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation de cet arrêt et l’obtient.

Le Conseil d’État adopte une argumentation dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle n’emporte pas la conviction. En effet, le tribunal et la cour avaient retenu, pour décider la restitution des sommes litigieuses, sur le fondement de l’art. 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, selon lequel : « toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres et entre les États membres et les pays tiers sont interdites », que la plus-value de cession d'un bien immobilier réalisée par une société relevant de l'article 8 du CGI dont le siège social est situé en France ne serait pas imposée au prorata des parts détenues par l'État français alors que le prélèvement prévu par l'art. 244 bis A dudit code serait dû à proportion des parts détenues par un État étranger. D’où les juges du fond déduisaient, à bon droit, que le prélèvement litigieux constituait une restriction directe non justifiée à la liberté de circulation des capitaux, d’où la restitution intégrale de celui-ci qu’ils ont ordonnée. 

Pour rejeter ce système argumentatif, le Conseil d’État énonce, non pas un postulat, qui aurait au moins les mérites de son efficacité logique, mais une opinion selon laquelle : « Un État étranger et l'État français ne sont pas, à raison de l'application de la loi fiscale française, placés dans une situation comparable. Par suite, un État étranger qui conteste la charge fiscale qu'il supporte à raison d'opérations qu'il effectue en France, ne peut se prévaloir d'une restriction à la libre circulation des capitaux au seul motif qu'il serait traité de manière moins favorable que l'État français qui effectuerait la même opération ». C’est bien dit mais d’où cela sort-il ? On imagine mal que soit reconnu au droit français, sous prétexte que des biens se trouvent sur son territoire, une application unilatérale de règles relatives aux relations fiscales internationales, une sorte de monisme avec primauté du droit interne, c’est-à-dire le retour à Triepel et Anzilotti, autant dire à la préhistoire du droit international.

Fort de cette auto-proclamation du coq gaulois, les juges du Palais-Royal en concluent « qu'en comparant la situation d'une société civile immobilière établie en France selon qu'elle est détenue par un État étranger ou par l'État français, pour en déduire que l'application du prélèvement prévu par l'article 244 bis A du (CGI), au prorata des droits sociaux détenus par l'État étranger, constituait une restriction directe à la liberté de circulation des capitaux, la cour (…) a donné aux faits soumis à son appréciation une qualification juridique inexacte. » 

On permettra à l’annotateur de penser le contraire.

(20 juin 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 463599)

 

96 - Procédure fiscale non contentieuse - Impôts directs et taxes sur le chiffre d’affaires - Désaccord sur les rectifications notifiées par l’administration - Demande de saisine de la commission départementale desdits impôts ou taxes - Délai de trente jours - Délai dépassé - Promesse de saisine de la commission - Non-respect de cet engagement sans effet - Rejet.

Le juge rappelle en premier lieu que n’est pas applicable le délai maximum de soixante jours ouvert à l’administration fiscale par l’art. L. 57 A du livre des procédures fiscales, à compter de la réception des observations du contribuable faisant suite à la proposition de rectification de l’administration, pour répondre à celles-ci lorsque l’entreprise ou le contribuable a réalisé sur tout ou partie de la période vérifiée un chiffre d’affaires excédant les seuils fixés par ce même article.

Surtout, en second lieu, lorsque le contribuable entend user du droit de saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires du différend l’opposant à l’administration sur les rectifications qu’elle lui a notifiées, il doit le faire dans les trente jours de la réception de cette notification. Il est jugé que passé ce délai, et alors même que l’administration lui a indiqué accepter la saisine de cette commission hors délai, celle-ci peut toujours rétracter son accord et opposer à tout moment l’expiration du délai légal. Bonjour confiance, loyauté procédurale, résilience et autres billevesées de communication. Ce n’est pas très moral surtout si l’on convient que le refus de saisine de la commission après l’avoir acceptée en dit long sur l’opinion qu’a l’administration des chances de succès de l’action du contribuable car s’il en allait autrement l’administration n’aurait guère de crainte que la commission soit saisie hors délai.

Là encore, ce jeu du chat et de la souris n’a rien de très glorieux.

(20 juin 2023, Société Limat, n°467042)

 

97 - Société mère d’un groupement fiscalement intégré - Notification de proposition de rectification - Imposition supplémentaire assortie de pénalités - Récapitulation des rehaussements à partir des résultats des procédures de contrôle menées dans chacune des sociétés membres du groupe - Absence de précisions diverses dans la notification à la société mère - Rejet.

Lorsque des procédures de rectification ont été menées avec les sociétés membres d’un groupe et qu’un tableau chiffré en récapitule les conséquences sur le résultat d'ensemble, l'information qui doit être donnée à la société mère avant la mise en recouvrement peut être réduite à une référence à ces éléments sans qu'il soit nécessaire à ce stade de reprendre l'exposé de la nature, des motifs et des conséquences de chacun des chefs de rectification concernés.

Si cette notification à la société mère doit également comporter, s’agissant des pénalités, l'indication de leur montant ainsi que l’exposé des modalités de détermination mises en œuvre par l'administration car ces éléments constituent une garantie permettant à la société mère de contester utilement les sommes mises à sa charge, l'information relative aux pénalités adressée à la société mère ne constitue pas une décision au sens et pour l'application des dispositions des art. L. 80 D et L. 80 E du livre des procédures fiscales. 

(30 juin 2023, Société Camus Développement, n° 459831)

 

Droit public de l'économie

 

98 - Construction d’un hôpital - Pratiques anticoncurrentielles portant sur les produits de revêtement des sols - Action en réparation du préjudice subi par la personne publique - Prescription alléguée - Modification du régime de la prescription - Extension de la demande de réparation à d’autres entreprises du fait de leur implication au concert anticoncurrentiel - Rejet.

Des diverses questions de droit nées de pratiques anticoncurrentielles concernant le lot « revêtement des sols » du marché public de construction du nouvel hôpital de Metz, on retiendra seulement celle relative à l’invocation de la prescription en raison de la modification de sa durée entre le moment de la commission des actes délictueux et la présente instance.

Le juge de cassation réitère sa toute récente jurisprudence selon laquelle, en premier lieu, depuis l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions fondées sur la responsabilité quasi-délictuelle des auteurs de pratiques anticoncurrentielles se prescrivent selon les dispositions de l'art. 2224 du code civil et s'appliquent également, depuis l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 9 mars 2017 relatives aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, les dispositions de l'art. L. 482-1 du code de commerce.

Le juge précise, en second lieu, que ces dernières dispositions s'appliquent aux actions indemnitaires introduites à compter de leur entrée en vigueur, y compris lorsqu'elles portent sur des pratiques anticoncurrentielles qui ont pris fin avant leur entrée en vigueur, dans la mesure où ces actions n'étaient pas déjà prescrites en vertu des règles antérieurement applicables (cf. art. 12 de l'ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles transposant la directive du 26 novembre 2014 relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne ; CJUE, 22 juin 2022,  Volvo AB et DAF Trucks NV c. RM, aff. C-267/20).

On se permet pour le surplus de renvoyer aux développements consacrés à ces aspects dans notre précédente Chronique à propos d’un litige très semblable mutatis mutandis (Chronique, mai 2023, n° 9, sous Section, 9 mai 2023, Société Gespace France, n° 451710 ; Sociétés Spie Batignolles et Spie Opérations et Mme C., n° 451839 ; Société Nord France Boutonnat, n° 451862, jonction ; V. aussi, eod. loc., Section, 09 mai 2023, Société Eiffage Construction et Société Fougerolle, n° 451817 ; Société de participations et de gestions immobilières (SPGI), n° 451836 ; M. F., n° 451899).

(01 juin 2023, Société Forbo Sarlino, n° 468098 ; Société Gerflor, n° 468177 ; Société Tarkett France, n° 468183)

99 - Institut national de l'origine et de la qualité (INAO) - Publication d’un guide de lecture de règlements européens relatifs au chauffage des serres -  Production biologique de fruits et légumes frais - Demande d’abrogation de certaines énonciations du guide - Méconnaissance de la portée des dispositions prétendument explicitées - Annulation.

L’INAO a mis en ligne sur son site internet un guide de lecture des règlements CE n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et CE n° 889/2008 de la Commission du 5 septembre 2008 portant modalités d'application du règlement précédent.

Ce guide, modifié en 2019, comporte un point 17 ainsi conçu : « Le chauffage des serres est possible uniquement dans le respect des cycles naturels. Dans ce cadre la commercialisation au stade de la production avec la qualité biologique pour les légumes : tomates, courgettes, poivrons, aubergines et concombres est interdite entre le 21 décembre et le 30 avril sur le territoire métropolitain ». C’est le point contesté par le recours.

Seul était applicable à cette date le règlement (UE) 2018/848 du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques qui abroge le règlement (CE) n° 834/2007. Or si l'INAO a mis en ligne un nouveau Guide de lecture de la réglementation biologique, applicable à compter du 1er janvier 2022, ce dernier reprend à l'identique, à son point 17, les énonciations contestées par les requérantes.

Les requérantes demandaient au juge l’annulation du refus d’abroger ce passage. Elles reçoivent satisfaction.

Le Conseil d’État relève d’abord que le règlement de 2018 a défini de manière exhaustive, sans renvoyer à l'adoption de textes d'application par les États membres et sans que de tels textes soient rendus nécessaires pour sa pleine efficacité, les règles relatives à la production biologique de végétaux et à la commercialisation de tels produits. Dès lors, les autorités nationales ne sont pas compétentes pour édicter des dispositions nationales réitérant, précisant ou complétant cette réglementation. 

Par ailleurs, aucune disposition du règlement de 2018 n'assortit ces principes et objectifs généraux d'une prohibition ou d'un encadrement, pour la production agricole biologique, de la culture sous serre chauffée. Dans ces conditions, et en tout état de cause, les énonciations critiquées méconnaissent la portée des dispositions que leur auteur entendait expliciter. 

Dès lors c’est illégalement qu’a été opposé aux fédérations requérantes un refus d’abroger ce point 17.

(28 juin 2023, Fédération professionnelle représentative des entreprises coopératives et SICA de fruits et légumes frais et transformés, horticulture et pommes de terre (Felcoop) et Fédération des producteurs de légumes de France, n° 452089)

 

100 - Certificats d’économies d’énergie - Évolution du marché de ces certificats - Opérateurs concernés - Rejet.

La requérante recherchait l'annulation de la décision implicite par laquelle le premier ministre a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des dispositions des 5° et 7° de l'art. R. 221-3 du code de l'énergie dans leur rédaction issue du II de l'art. 1er du décret du 3 juin 2021 relatif à la cinquième période du dispositif des certificats d'économies d'énergie, qui réduisent les seuils de volumes annuels d'électricité et de gaz naturel vendus sur le territoire national aux ménages et aux entreprises du secteur tertiaire, au-delà desquels les fournisseurs sont soumis aux obligations d'économies d'énergie.

La société requérante demande également l'annulation de ces dispositions ou, à titre subsidiaire, leur abrogation. Sa requête est rejetée.

En particulier, le juge relève qu’il résulte de l'économie générale de la loi du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique, ayant institué le dispositif des certificats d'économies d'énergie, que le législateur a souhaité la contribution des principaux opérateurs de chacun des secteurs concernés à la réalisation de l'objectif national d'économies d'énergie. Cependant, et contrairement à ce qui est soutenu, le fait que le législateur ait renvoyé purement et simplement à un décret la fixation des seuils de ventes annuelles à partir desquels les fournisseurs d'énergies sont soumis aux obligations d'économies d'énergie, ne signifie nullement qu'il ait entendu exclure que le Gouvernement puisse, progressivement, eu égard à la taille et à la structure de chacun des secteurs d'énergie concernés et compte tenu du développement du marché des certificats d'économies d'énergie, attraire dans le champ du dispositif un plus grand nombre d'opérateurs aux fins qu'ils participent aussi aux objectifs d'économies d'énergie énoncés à l'art. L. 100-4 du code de l'énergie et renforcés notamment par la loi du 17 août 2015 de transition énergétique pour la croissance verte et par la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.

(30 juin 2023, Société Plüm Énergie, n° 457884)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

101 - Contrat d’engagement jeune – Ajout d’une condition de régularité du séjour – Contrat visant une insertion durable dans l’emploi de jeunes en difficulté – Circulaire s’inscrivant dans le contenu implicite de la loi – Rejet.

« Tirée par les cheveux » tel pourrait l’intitulé de cette décision.

Les requérantes demandaient l’annulation d’une circulaire ministérielle relative à la mise en œuvre du contrat d'engagement jeune, en tant qu'elle aurait ajouté à la loi - donc incompétemment -, pour pouvoir en bénéficier, une condition tenant à la régularité du séjour.

Pour sauver ce texte de l’annulation, en le tirant proprement par les cheveux, le Conseil d’État se livre à une belle acrobatie.

Le Conseil d’État part du présupposé que la finalité du contrat d'engagement jeune ainsi que d’autres dispositions de la partie du code du travail au sein de laquelle s'insèrent les dispositions qui l'instaurent, vise à permettre une insertion durable dans l'emploi des jeunes en difficulté et confrontés à un risque d'exclusion professionnelle. Il en déduit que, par là, le législateur a implicitement mais nécessairement entendu limiter le bénéfice de ce contrat, s'agissant des jeunes étrangers qui en remplissent les conditions d'âge, aux mineurs de plus de seize ans ainsi qu'aux majeurs en situation régulière sur le territoire.

Dès lors, la circulaire attaquée, en disant explicitement ce que la loi recherche implicitement, n’aurait pas créé une exigence nouvelle, contrairement à ce qui est soutenu par les demanderesses mais s’est bornée à donner une interprétation que le ministre pouvait donner s’agissant de dispositions qu’il doit mettre en œuvre. C’est prendre quelque liberté avec la sagesse juridique bi-millénaire, rappelée par Justinien, selon laquelle le pouvoir d’interpréter appartient à l’auteur de la règle (« Eius est interpretari legem cujus est condere »). 

(12 juin 2023, Associations Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), Informations sur les mineurs isolés étrangers (InfoMIE) et Accès aux droits des jeunes et d'accompagnement vers la majorité (AADJAM), n° 463398)

 

102 - Prestation compensatrice du handicap – Fixation des montants maxima attribuables – Prise en compte du coût réel des aides humaines – Reste à charge – Absence de caractère rétroactif de l’arrêté querellé – Convention internationale dépourvue d’application directe – Rejet.

L’association requérante demandait l’annulation de l’arrêté du 28 mars 2022 modifiant l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les tarifs de l'élément de la prestation de compensation mentionné au 1° de l'art. L. 245-3 du code de l'action sociale et des familles et de l'arrêté du 28 décembre 2005 fixant les montants maxima attribuables au titre des éléments de la prestation de compensation.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de griefs.

D’abord, la demanderesse n’est pas fondée à soutenir que le salaire brut minimum conventionnel prévu par la convention collective des particuliers employeurs et de l'emploi à domicile étant un salaire brut avant déduction des seules contributions et cotisations salariales, il n'intègre pas l'ensemble des charges pouvant peser sur le particulier employeur, d’où il résulterait que la fixation d'un tarif consistant en une majoration du salaire brut minimum conventionnel par application d'un taux fixe, dont l'arrêté attaqué s'est au demeurant borné à rehausser le niveau de 130 % à 140 %, serait par elle-même impropre à assurer le respect des dispositions des art. L. 114-1-1, L. 245-1, L. 245-3, 245-4 et 245-6 du code de l’action sociale et des familles.

Ensuite, contrairement à ce qui est prétendu, l’arrêté attaqué ne conduit pas à laisser systématiquement aux bénéficiaires particuliers employeurs un reste à charge, ni, quand ce reste existe, à lui faire atteindre un niveau tel que les exigences des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 seraient susceptibles d'être méconnues.

Enfin, l’arrêté n’a pas de caractère rétroactif.

La requérante ne peut exciper de  la convention relative aux droits des personnes handicapées signée à New York le 30 mars 2007 pour critiquer les arrêtés litigieux car celle-ci est dépourvue d’effets directs à l’égard des particuliers puisqu’elle suppose l’intervention d’actes complémentaires pour être pleinement applicable, d’où il suit que sa méconnaissance ne peut pas être invoquée à l’encontre des arrêtés précités.

(12 juin 2023, Association Coordination Handicap et Autonomie - Vie autonome France, n° 464470)

 

103 - Demande de fixation, par le ministre chargé du travail, de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans un champ donné (art. L. 2122-11 c. travail – Fixation  de la liste des organisations syndicales représentatives et de leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir même ne correspondant pas à une branche professionnelle – Notion de « branche professionnelle » - Notion d’utilité du périmètre – Contrôle du juge de cassation - Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de la décision implicite de rejet par le ministre du travail de sa demande de fixation de la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans le champ des travaux publics et du bâtiment. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement rejetant sa demande.

A cette occasion le juge de cassation rappelle tout d’abord qu’en vertu des dispositions de l'art. L. 2122-11 du code du travail, il appartient au ministre chargé du travail d'arrêter périodiquement, à l'issue de chaque cycle électoral de quatre ans, la liste des organisations syndicales reconnues représentatives dans les branches professionnelles visées par ces dispositions, au vu, notamment, des résultats des élections professionnelles s'y étant tenues. Il rappelle ensuite qu’en vertu de plusieurs dispositions de ce code combinées (art. L. 2121-1, 2121-2, 2122-5 et R. 2121-1, 2121-2, 2122-3), ce ministre est aussi compétent, sans préjudice de l'application des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales propres aux accords interbranches ou aux accords de fusion de branches, pour, s'il y a lieu, fixer, sous le contrôle du juge administratif, la liste des organisations syndicales représentatives et leurs audiences respectives dans un périmètre utile pour une négociation en cours ou à venir, y compris lorsque celui-ci ne correspond pas à une « branche professionnelle » au sens de l'article L. 2122-11 du code du travail.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État confirmant en tous points l’analyse de la cour administrative d’appel notamment en ce qu’elle a, d’une part, estimé que le « secteur » du bâtiment et des travaux publics ne pouvait, contrairement à ce que soutenait devant elle la Fédération FO Construction, être qualifié de « branche professionnelle » au sens des dispositions de l'art. L. 2122-11 du code du travail et d’autre part, jugé que la détermination préalable, par un arrêté du ministre chargé du travail, de la représentativité des organisations syndicales appelées à négocier un accord interbranches conclu entre les différentes branches couvertes par les conventions collectives du bâtiment et des travaux publics n'était pas, au cas d'espèce, utile, alors qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier qui lui était soumis qu'une telle négociation était engagée, ni même envisagée à court terme, et qu'au demeurant, l'absence d'un tel arrêté ne faisait pas obstacle à la négociation d'accords interbranches dans un tel périmètre, compte tenu des règles d'appréciation de la représentativité des organisations syndicales et professionnelles propres aux accords interbranches.

Cette vérification du raisonnement de la cour montre que le juge de cassation entend exercer un contrôle de qualification juridique sur la notion de « branche professionnelle » et un contrôle de qualification des faits sur la notion d’utilité de la détermination de la représentatitivité syndicale.

(14 juin 2023, Fédération Force ouvrière Construction (FO Construction), n° 451724)

 

104 - Demandeurs d’asile – Demande d’octroi de conditions matérielles d’accueil – Enfant né après l’enregistrement de la demande d’asile – Demande s’analysant comme une demande de réexamen – Rejet.

Est confirmé en appel le rejet en première instance d’une demande, en référé liberté, d’annulation de la décision administrative refusant d’accorder un hébergement d’urgence pour un couple de demandeurs d’asile ainsi pour leurs deux filles.

D’abord la demande d’asile a été refusée aux parents et à la première enfant, d’où il suit que la demande d’asile formée après la naissance de la seconde fille s’analyse en une demande de réexamen. Ensuite, en ce cas, le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être refusé à la famille tant qu’une décision positive n’est pas prise, ce qui, en l’espèce, n’est pas assuré.

Enfin, en dépit de ce que l'une des enfants est en très bas-âge et que ses parents font état de la difficulté à trouver un hébergement ou un logement, ne disposant d'aucune offre dans le cadre du 115, la famille étant ainsi contrainte de vivre dans la rue et si une telle situation peut donner lieu à une prise en charge au titre de l'hébergement d'urgence, elle ne révèle cependant pas, s'agissant des droits octroyés aux personnes sollicitant l'asile, une situation telle qu'elle justifie une mesure à prendre dans un délai de quarante-huit heures.

Une nouvelle fois, l’urgence spécifique de l’art. L. 521-2 CJA joue l’effet d’un couperet.

(12 juin 2023, Mme D. et M. A., n° 474732)

(105) V. aussi, annulant une ordonnance de référé refusant d’accorder au préfet l’expulsion d’une famille de deux parents et de leurs trois enfants occupant un hébergement pour demandeurs d’asile après qu’a été refusée leur demande d’asile. En effet, saisi par le préfet d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'expulsion d'un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile d'un demandeur d'asile dont la demande a été définitivement rejetée, le juge des référés du tribunal administratif y fait droit dès lors que la demande d'expulsion ne se heurte à aucune contestation sérieuse et que la libération des lieux présente un caractère d'urgence et d'utilité. Commet donc une erreur de droit l’auteur de l’ordonnance refusant l’expulsion en retenant que constitue une contestation sérieuse la circonstance que l’un des membres du couple est en mauvaise santé et que l’un des trois enfants est en bas âge : ord. réf. 29 juin 2023, ministre de l’intérieur…, n° 470217.

 

106 - Droit prioritaire au logement ou au relogement - Refus d’une solution de logement proposée - Motif impérieux - Erreur de droit - Annulation.

Dans un litige relatif à l’exercice du droit au logement opposable et à l’appréciation de l’exécution de décisions de la commission de médiation, le juge se prononce sur le refus de l’intéressée d’accepter un logement proposé. Alors que le tribunal avait vu dans ce refus un motif faisant perdre à la requérante son droit à indemnisation, ce logement disposant d'un ascenseur et étant adapté aux besoins et capacités de l’intéressée, le Conseil d’État aperçoit dans ce jugement une erreur de droit. Selon lui, il ressortait des pièces produites en première instance, et notamment du courrier explicatif adressé au secrétariat de la commission de médiation, que Mme A., âgée alors de soixante-six ans et disant souffrir de douleurs articulaires handicapantes, a refusé le logement qui lui était proposé en avril 2017 aux motifs qu'il se situait au neuvième étage, que l'ascenseur était en panne lors de la visite et que ce problème lui avait été décrit comme récurrent par le gardien de l'immeuble. Il incombait donc aux premiers juges de rechercher si, eu égard aux circonstances non démenties dont elle faisait état, la demanderesse avait justifié d'un motif impérieux pour en refuser l'attribution, de sorte que ce refus n'était pas de nature à lui faire perdre son droit à indemnisation. 

(20 juin 2023, Mme A., n° 457925)

 

107 - Revenu de solidarité active (RSA) - Condition pour en bénéficier - Suppression des droits en raison de la qualité d’étudiant - Erreur de droit - Annulation.

Le requérant s’est vu retirer le bénéfice du RSA et réclamer le paiement d’un indu de ce chef ainsi que du fait du versement de l’allocation de logement sociale au motif qu’étant étudiant, il n’était pas éligible au RSA. Son action en justice ayant été rejetée par le tribunal administratif, l’intéressé se pourvoit en cassation et bien lui en a pris.

Le Conseil d’État relève que M. Fuhro, inscrit sur la liste des demandeurs d'emploi, suivait la formation d'architecte en technologies numériques dispensée par l'établissement « Le 101 » pour une période de trois ans ayant débuté le 6 novembre 2017.

Il estime que le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le requérant ne relevait pas du dispositif de la formation professionnelle tout au long de la vie et que le président de la métropole de Lyon avait pu à bon droit mettre fin à ses droits au RSA au motif qu'il était étudiant, et en se fondant sur l'absence de contrat de formation professionnelle conclu entre celui-ci et l'établissement d'enseignement en application des dispositions des art. L. 6353-3 et L. 6353 4 du code du travail.

En effet, il incombait à ce tribunal de tenir compte de la convention de formation professionnelle établie avec Pôle emploi et « Le 101 » et de rechercher si ce dernier était un organisme de formation dont la déclaration d'activité avait été enregistrée.

(30 juin 2023, M. Fuhro, n° 461116)

(108) V. aussi, assez voisin, annulant pour dénaturation des pièces du dossier un jugement estimant que l’intéressée ne pouvait revendiquer la qualité de stagiaire de la formation professionnelle la rendant éligible au revenu de solidarité active car si l’intéressée s'était inscrite à l'université sous le statut de stagiaire de la formation professionnelle pour suivre une licence 1 de psychologie, si cette formation faisait l'objet d'un contrat de formation professionnelle entre l’intéressée et le service de la formation continue et de l'apprentissage de l'université et si ce contrat indiquait que l'action de formation organisée entrait dans la catégorie des actions prévues par l'art. L. 6313-1 du code du travail, cette formation ne comportait pas de volet relatif aux modalités de la concrétisation du cursus universitaire envisagé en vue de sa réinsertion dans le milieu du travail. En effet, la formation en cause était nécessairement, eu égard aux éléments que le tribunal avait relevés, suivie dans le cadre de la formation professionnelle tout au long de la vie : 30 juin 2023, Mme B., n° 464587.

 

109 - Décompte des heures de travail accomplies – Horaire collectif devant être affiché - Absence d’horaire collectif de travail – Obligation de décompte individuel selon un système objectif et fiable – Rejet.

Condamnée à 53 amendes administratives (autant que de salariés) pour absence de décompte de la durée de travail, la société demanderesse obtient en appel une réduction du montant total des amendes mais se pourvoit contre le rejet par la cour du surplus de sa demande d’appel.

Le Conseil d’État réitère sa jurisprudence sur le sujet.

Normalement, les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillent selon le même horaire collectif de travail lequel est affiché.

Cependant, dans le cas où les salariés ne travaillent pas selon un même horaire collectif, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible. 

Tel n’était pas le cas dans la présente affaire d’où le rejet du pourvoi.

(30 juin 2023, SAS CGI France, n° 466290)

(110) V. aussi, avec même requérant et adoptant la même solution : 30 juin 2023, SAS CGI France, n° 467553          

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

111 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)  - Qualification d’une organisation comme « représentante d’intérêts » - Obligation d’inscription sur un répertoire à cet effet - Rejet de la demande de suspension d’exécution.

Le think tank requérant demandait la suspension de l’exécution des décisions des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023 par laquelle la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) lui a demandé de procéder à son inscription sur le répertoire des représentants d'intérêts ou, à défaut, de faire état de ses entrées en communication avec des responsables publics français.

Le recours est rejeté pour défaut d’urgence.

L'institut requérant soutenait qu’une atteinte grave et immédiate à sa situation était portée par les décisions litigieuses car elles l'exposent à des sanctions pénales si elle ne s'y conforme pas, l'incitant ainsi à les exécuter avant que son recours au fond ne soit jugé et par suite à préjudicier à sa liberté d'expression, au droit au respect de sa vie privée et, plus généralement, à l'intérêt public s'attachant à la liberté du débat démocratique.

Relevant cependant que les courriers en litige interviennent en amont de la mise en demeure (cf. art. 8 du décret du 9 mai 2017), mise en demeure qui doit elle-même être précédée d'une notification par la HATVP au représentant d'intérêts du ou des manquements aux obligations lui incombant, la mise en demeure étant seule susceptible, d'une part, d'être rendue publique, d'autre part, de conduire à l'application des sanctions pénales. En outre, la HATVP, ainsi qu'elle l'a indiqué lors de l'audience, n'entend pas adresser à l'Institut Montaigne de mise en demeure, à la suite de son courrier du 19 avril 2023 dont au demeurant l'Institut Montaigne ne demande pas la suspension de l'exécution par la présente requête, jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué sur la requête de l'Institut Montaigne tendant à l'annulation des courriers des 11 mars 2022, 29 septembre 2022 et 26 janvier 2023.

Faute de satisfaire à la condition d’urgence le référé est rejeté.

(o rd. réf. 14 juin 2023, Institut Montaigne, n° 474353)

 

112 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP)  - Avis d’incompatibilité entre des fonctions exercées par un ancien secrétaire d’État et des fonctions privées futures postulées - Risque pénal avéré - Rejet.

Le juge confirme la juridicité de la décision par laquelle la HATVP a estimé ne pas pouvoir délivrer un avis de compatibilité entre les fonctions ministérielles de M. Cédric O en qualité de secrétaire d’État chargé du numérique et son projet de devenir membre du conseil d'administration de la société Atos qui a bénéficié de plusieurs plans de soutien sectoriels comportant le versement de subventions de la part de l'État : en janvier 2021, dans le cadre de la stratégie nationale sur les technologies quantiques, en juillet 2021, dans le cadre de l'appel à projet relatif à la « stratégie d'accélération 5G et réseaux du futur » et en novembre 2021, dans le cadre du plan industriel de soutien à la filière « cloud » française. 

C’est sans erreur de droit que la Haute autorité a estimé que le projet de M. O consistant à devenir administrateur de la société Atos l'exposait au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêts sans qu'aucune réserve n'apparaisse propre à le prévenir.

Enfin, c’est en vain que le demandeur invoque le sort différent fait par cette autorité à des demandes comparables d’autres anciens membres de gouvernements, les situations respectives étant différentes.

(20 juin 2023, M. Cédric O, n° 472366)

 

Environnement

113 - Déchets issus de chantiers de construction - Charge de leur élimination incombant à leur producteur ou à leur détenteur - Notion - Collecte et transport de déchets pour le compte de tiers ne conférant pas la qualité de producteur ou détenteur desdits déchets - Rejet.

La société initialement chargée d’exploiter, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, un centre de tri et de transit de déchets issus de chantiers de construction ou de démolition s’est vue suspendue de son activité par le préfet pour n’avoir pas déféré à une mise en demeure de celui-ci pour non-respect des prescriptions relatives à l'exploitation du site. Cette société ayant été mise en liquidation judiciaire, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a été chargée d'intervenir, pour sécuriser le site et évacuer les déchets, aux frais des personnes physiques ou morales responsables, cette dernière ayant engagé, à ce titre, des dépenses à hauteur d'un montant de 19 500 000 euros.  Le préfet a informé la société Métalarc, chargée de la collecte et du transport de déchets issus de chantiers pour le compte d'entreprises tierces, qu'elle devait être regardée comme responsable, au sens de l'art. L. 541-2 du code de l'environnement, d'une partie des déchets abandonnés sur le site en question et qu'il lui appartenait, à ce titre, d'en financer l'élimination. L'ADEME, après versement par cette société d'une somme de 1 235 000 euros au titre de sa contribution aux travaux d'élimination des déchets, lui a adressé le titre de recettes correspondant.

La société Métalarc, aux droits de laquelle est venue la société Paprec Île-de-France, a, par la suite, demandé que l'État lui verse cette somme en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de sa désignation comme responsable d'une partie des déchets abandonnés sur le site et exigé de l'ADEME la restitution de cette même somme qu'elle estimait avoir versé à tort.

Le tribunal administratif de Melun, ayant joint les demandes, a mis respectivement en cause la responsabilité de l'ADEME et celle de l'État, condamné l'ADEME à verser à la société Paprec Île-de-France la somme litigieuse avec intérêts au taux légal et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.

Le ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation de l’arrêt par lequel la cour administrative d'appel a, sur appel principal de l'ADEME et appel incident de la société Paprec Île-de-France, annulé ce jugement, rejeté les conclusions des demandes de la société Paprec Île-de-France tendant à la condamnation de l'ADEME et, enfin, condamné l'État à lui verser la somme de 1 235 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 2 juillet 2015 et capitalisation des intérêts.

Le pourvoi est rejeté.

Le juge, se fondant sur les dispositions idoines du code de l’environnement (art. L. 541-1-1, L. 541-2, L. 541-3 et L. 541-8 et R. 541-50 et R. 541-51), indique très nettement que - ainsi que l’a jugé la cour sans erreur de droit - ne peut être regardée comme producteur ou détenteur de déchets au sens de l'art. L. 541-1-1 c. env., la société dont l’activité a uniquement consisté à collecter et transporter des déchets pour le compte de tiers jusqu'à un centre de tri autorisé par l'administration conformément aux dispositions particulières de ce code régissant cette activité, tâche dans l’accomplissement de laquelle elle n'avait, au surplus, commis aucune négligence. 

(02 juin 2023, ministre de la transition écologique, n° 450086)

 

114 - Installation d’éoliennes - Directive « habitats » et art. L. 411-1 c. env. - Méthodologie de l’appréciation par le juge de la nécessité d’une dérogation - Obligation de prise en compte des mesures d’évitement et de réduction proposées par le pétitionnaire - Erreur de droit - Annulation.

Sur pourvoi des requérants, le Conseil d’État casse un arrêt d’appel qui a annulé un arrêté préfectoral délivrant à la société requérante une autorisation de construction et d’exploitation d’un parc éolien en tant qu'il ne comporte pas la dérogation prévue à l'art. L. 411-2 du code de l'environnement et suspendu, en application de l'art. L. 181-18 du même code, l'exécution des parties non viciées de l'arrêté préfectoral jusqu'à la délivrance éventuelle de cette dérogation. 

Le Conseil d’État aperçoit une erreur de droit dans le fait que, pour apprécier si la société pétitionnaire était dans l'obligation de solliciter une dérogation « espèces protégées », la cour, a considéré, s'agissant tant de l'avifaune que des chiroptères, que les mesures de réduction des impacts sur les espèces protégées n'avaient pas à être prises en compte alors qu'il résulte de la jurisprudence du Conseil d’État que tant les mesures d'évitement que les mesures de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par la société pétitionnaire doivent être prises en compte afin d'apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour qu’une dérogation soit estimée nécessaire.

(22 juin 2023, Société Ferme éolienne de Saint-Fraigne, n° 461394 ; ministre de la transition écologique…, n° 461517)

(115) V. aussi, quasi identique et concernant la même cour administrative d’appel : 22 juin 2023, Société Centrale éolienne La plaine des fiefs, n° 465839.

 

116 - Autorisation d’installation d’éoliennes - Installations classées pour l’environnement - Intérêt à agir d’une entreprise commerciale contre cette autorisation - Régime - Appréciation - Absence - Rejet.

La requérante poursuivait l’annulation de l’arrêt rejetant sa demande d’annulation de l'arrêté préfectoral ayant délivré à une autre société une autorisation unique pour la construction et l'exploitation de dix aérogénérateurs et trois postes de livraison sur le territoire de la commune de Macquigny.

Le pourvoi est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle opportunément qu’un établissement commercial ne peut se voir reconnaître la qualité de tiers recevable à contester devant le juge une autorisation d'exploiter une installation classée pour la protection de l'environnement délivrée à une entreprise, fût-elle concurrente, que dans les cas où les inconvénients ou les dangers que le fonctionnement de l'installation classée présente pour les intérêts visés à l'art. L. 511-1 du code de l’environnement sont de nature à affecter par eux-mêmes les conditions d'exploitation de cet établissement commercial.

Le juge doit donc s’assurer que l'établissement justifie d'un intérêt suffisamment direct lui donnant qualité pour demander l'annulation de l'autorisation en cause, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour lui l'installation classée, appréciés notamment en fonction de ses conditions de fonctionnement, de la situation des personnes qui le fréquentent ainsi que de la configuration des lieux. 

Aucun de ces éléments ne se retrouvant positivement dans cette affaire c’est sans qualifier juridiquement les faits de manière inexacte que la cour a dénié à la requérante un quelconque intérêt pour agir, y compris en tenant compte de ce que l’éolienne du nouveau site d’implantation la plus proche d’une éolienne de la demanderesse est située à 482 mètres.

(22 juin 2023, Société Parc éolien de la Mutte, n° 456192)

 

117 - Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) de la « vallée de la chimie » - Annulation du plan à la demande d’une commune - Rejet des conclusions à fin d’injonction - Appel sur ce point - Irrecevabilité devant être relevée d’office - Annulation.

(30 juin 2023, Commune de Solaize, n° 449196)

V. n° 73

 

118 - Règle de tri ou d’apport de déchets issus d’un produit - Signalétique pouvant induire une confusion - « Règle technique » au sens du droit de l’Union - Contrariété à ce dernier - Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté ministériel du 30 novembre 2020 relatif aux signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit ainsi que, pour une partie d’entre eux, l’annulation de l’arrêté ministériel du 25 décembre 2020 portant modification de l'arrêté du 29 novembre 2016 relatif à la procédure d'agrément et portant cahier des charges des éco-organismes de la filière des emballages ménagers et son annexe, notamment le point II.4°.

Dans le souci de lutter contre le gaspillage et de favoriser le développement de l'économie circulaire, l’art. L. 541-10-3 du code de l’environnement, dans la version issue de l’art. 62 de la loi du 10 février 2020, pénalise financièrement les producteurs qui utilisent des emballages sur lesquels est apposée une signalétique susceptible d'induire en erreur les consommateurs en leur laissant croire qu'elle vaudrait consigne de tri. En définissant les signalétiques et marquages pouvant induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu du produit comme étant les « figures graphiques représentant deux ou plusieurs flèches enroulées et inscrites dans un cercle », l'arrêté querellé du 30 novembre 2020 vise de façon indirecte mais non équivoque la signalétique « Point Vert », laquelle est couramment utilisée dans de nombreux pays en Europe. Il en va de même du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 prévoyant les conditions d'application dans le temps de la pénalité. 

Or en désignant la signalétique « Point Vert » comme étant de nature à induire une confusion sur la règle de tri ou d'apport du déchet issu des produits sur lesquels elle est apposée et comme devant, à ce titre, être affectée d'une pénalité, les dispositions réglementaires attaquées introduisent une exigence, imposée pour des motifs de protection de l'environnement, qui porte sur le cycle de vie des produits concernés et qui est de nature à influencer de manière significative leur commercialisation. Elles doivent, par suite, être regardées comme entrant dans le champ des « règles techniques » au sens de la directive (UE) 2015/1535 du 9 septembre 2015.  

En principe, n’ont pas, en application du 1 de l'art. 5 de la directive 2015/1535/CE précitée, à être communiquées à la Commission européenne les dispositions réglementaires d'application relatives à une règle technique lorsque, d'une part, le texte législatif détermine la règle technique en cause d'une manière suffisamment précise pour que ses effets puissent être évalués par la Commission européenne et les États membres de l'Union européenne, d'autre part, que la disposition législative a été communiquée conformément à la directive et, enfin, que les dispositions réglementaires d'application n'ajoutent pas d'autre règle technique relevant de cette obligation de communication.

Dans le présent litige, les autorités françaises ont bien notifié à la Commission européenne le 20 juillet 2020 les dispositions de l'art. L. 541-10-3 précité, issues de la loi du 10 février 2020, en application desquelles les dispositions attaquées de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020 ont été prises. Cependant, le juge estime que la communication de ces dispositions législatives, qui se bornent à définir un régime général de pénalité affectant les signalétiques et marquages pouvant induire en erreur sur les règles de tri ou d'apport du déchet, n'a, en tout état de cause, pas pu permettre, à elle seule, à la Commission d'évaluer pleinement les effets de la règle technique introduite, qui s'applique exclusivement à une signalétique donnée, dénommée « Point Vert », et n'a, par suite, pas suffi à satisfaire à l'obligation de notification résultant de l'art. 5 de la directive (UE) 2015/1535.  
Pour ce motif, les requérants sont jugés fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 30 novembre 2020 et du 4° du II de l'annexe à l'arrêté du 25 décembre 2020. 

(30 juin 2023, Société Der Grüne Punkt Duales System Deutschland GmbH (DSD) et société PRO Europe Sprl, n° 449872 ; Association française des industries de la détergence et autres, n° 450134 et n° 450158)

 

119 - Stockage de déchets et affouillements du sol sans autorisation - Mise en demeure de « l’intéressé » - Notion d’intéressé - Cas du contrevenant - Rejet.

L’art. L. 171-7 du code de l’environnement dispose que : « Indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées, lorsque des installations ou ouvrages sont exploités, des objets et dispositifs sont utilisés ou des travaux, opérations, activités ou aménagements sont réalisés sans avoir fait l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement, de l'agrément, de l'homologation, de la certification ou de la déclaration requis en application des dispositions du présent code, ou sans avoir tenu compte d'une opposition à déclaration, l'autorité administrative compétente met l'intéressé en demeure de régulariser sa situation dans un délai qu'elle détermine, et qui ne peut excéder une durée d'un an. »

La requérante, mise en demeure de régulariser sa situation du fait de l’exercice - sans enregistrement - de son activité de stockage de déchets inertes sur un espace supérieur ou égal à 5 000 m2, soumis à enregistrement en application de la rubrique 2760 de la nomenclature des installations classées annexée à l'art. R. 511-9 du code de l'environnement, faisait valoir qu’elle n’avait pas la qualité d’« intéressé » au sens et pour l’application de l’art. L. 171-7 précité. En particulier, elle faisait valoir avoir signé avec le propriétaire de la parcelle et une société, une convention aux termes de laquelle elle était autorisée à entreposer ces déchets sur une hauteur d'1 mètre 20, à concurrence de 70 000 tonnes, la société co-contractante étant chargée de la mise en forme des remblais. A la suite de la mise en liquidation judiciaire de cette société, la requérante a passé le 5 janvier 2015 une nouvelle convention avec le propriétaire, autorisant cette société à poursuivre l'entreposage des déchets, le propriétaire assurant la mise en forme des remblais. 

Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d’appel a relevé que cette société réalisait sur la parcelle une activité de dépôt et de stockage de déchets inertes soumise à enregistrement sans avoir enregistré cette activité alors qu’elle pouvait être regardée comme une personne « intéressée » au sens de l'art. L. 171-7 précité, nonobstant la circonstance que le propriétaire de la parcelle, avec qui elle avait signé un contrat pour le stockage et le traitement des déchets inertes en cause, était titulaire d'une autorisation de procéder à des travaux de remblaiement et bénéficierait à ce titre de l'activité exercée par la société sur sa parcelle.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État estimant que la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce.

C’est l’application du principe de la personnalité et de l’incessibilité des autorisations de police sauf texte exprès. 

(30 juin 2023, Société RE.VA.LY, n° 452669)

Étrangers

120 - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) - Dépôt d’un recours - Exécution immédiate de l’OQTF - Atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale - Rejet.

Un ressortissant marocain, à l’expiration de la peine correctionnelle qu’il purgeait, s’est vu notifier le 23 février 2023 une OQTF contre laquelle il a formé le jour même de cette notification une requête au greffe de la maison d’arrêt où il était incarcéré et qui a été enregistrée au greffe du tribunal administratif le 28 février 2023. Le 4 mars 2023, jour de la levée de son écrou, il a été éloigné vers le Maroc.

Le juge du référé liberté, par ordonnance du 13 mars 2023, a enjoint à la préfète du département d'organiser dans les meilleurs délais, aux frais de l'État, le retour de M. B. en France, au motif qu'il avait été porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours.

Le Conseil d’État  rejette l’appel formé par le ministre de l’intérieur contre cette ordonnance.

Il juge d’abord que c’est en violation des dispositions de l’art. L. 722-7 du CESEDA que M. B. a été éloigné vers le Maroc alors qu'il avait régulièrement saisi le tribunal administratif de Nîmes d'une requête dirigée contre l’OQTF.

Il rejette ensuite l’argumentation du ministre défendeur appelant selon laquelle, d’une part, l’éloignement de l’intéressé ne prive pas de son objet sa requête contre l’OQTF et ne fait pas non plus obstacle à ce qu'il soit représenté par son avocat à l'audience afférente, d’autre part, M. B. n'est pas en risque de subir, dans le pays vers lequel il a été éloigné, des traitements inhumains ou dégradants et a commis de graves délits pour lesquels il a été condamné à de la prison ferme. Le juge considère, en effet, que l'éloignement du requérant, en dépit de l'effet suspensif qui s'attache à son recours, porte à son droit à un recours effectif, qui implique notamment le droit à ne pas être éloigné jusqu'au prononcé du jugement statuant sur son recours, une atteinte grave et immédiate à laquelle il doit être mis fin de manière urgente.

Enfin, le juge ne s’arrête pas à l’objection tirée de ce que c'est sans avoir connaissance de l'existence de la requête de M. B. que le préfet du Gard a procédé à son éloignement.

Est ainsi confirmée l’ordonnance du premier juge enjoignant au préfet d'organiser aux frais de l'État le retour en France de M. B.

(ord. réf. 02 juin 2023, ministre de l’intérieur, n° 474063)

121 - Ressortissants étrangers demandant l’asile seulement pour leur enfant mineure - Risque d’excision - Délivrance d’une carte de retrait ou de paiement - Obligation pour les parents ou l’un d’eux de détenir des pièces d’identité en original - Annulation et rejet.

Un couple de ressortissants ivoiriens non demandeurs d’asile a sollicité l’asile pour leur fille née en Italie, âgée d’un mois, en raison du risque d’être exposée à une excision du clitoris et demandé, notamment, l’octroi d’une carte de retrait ou de paiement (cf. art. D. 553-18 CESEDA).

Le juge du référé liberté, sur recours de ces personnes, a enjoint l’OFII de verser à Mme et M. A. l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) allouée à leur fille en leur délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA, dans un délai de cinq jours. 

L’Office interjette appel de cette ordonnance en tant qu’elle ordonne la délivrance d’une carte. Il indique qu’une telle carte ne peut être délivrée qu’à des personnes majeures présentant à cet effet, en l’état de la législation bancaire française et pour un motif de prévention de fraude, des documents d’état civil originaux. Or en l’espèce ne sont détenues par les intéressés que des photocopies.

Estimant qu’il est loisible pour ces derniers de s’adresser à leur consulat ou à leur ambassade en France pour demander la délivrance desdites pièces originales et tenant compte des efforts faits par l’administration, le juge des référés du Conseil d’État  décide, « dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction » que le comportement de l’OFII ne révèle pas une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile.

L'ordonnance attaquée est annulée en ce qu’elle fait injonction à l’OFII de délivrer aux parents une carte de paiement.

(ord. réf. 02 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474282)

(122) V. aussi, très largement semblable : ord. réf. 05 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474281.

123 - Étudiant ukrainien bénéficiaire d’une carte de séjour pluriannuelle et de la protection subsidiaire - Refus de délivrance d’un titre d’identité et de voyage - Défaut d’urgence - Rejet de la demande en référé liberté.

Le requérant, ressortissant ukrainien, titulaire d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention « étudiant », s'étant vu octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire et la délivrance d'un titre de voyage pour étranger bénéficiaire de la protection internationale compte tenu de l'absence de possession, à cette date, de la carte de séjour prévue à l'art. L. 424-9 du CESEDA, a demandé au juge des référés qu’il fasse injonction au préfet de police de lui délivrer un titre d'identité et de voyage.

Il lui est rappelé qu’il lui incombe de « justifier des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai » de la mesure qu’il sollicite. Or le juge saisi relève que si le requérant soutient qu'en l'absence de ce titre de voyage, il ne peut rendre visite aux familles de sa sœur et de sa compagne, qui résident respectivement en Espagne et en Grèce, et qu'il ne peut ni participer aux programmes de mobilité internationale, ni présenter sa candidature en vue d'effectuer un stage à l'étranger, le requérant ne justifie pas de circonstances particulières, concrètes et précises nécessitant à très bref délai le prononcé de l'injonction sollicitée. 

Encore une fois se vérifie la nécessité de ne pas prendre le référé (suspension ou, surtout, liberté) pour une panacée, il demeure une voie contentieuse dérogatoire ; en particulier pour se placer sur le terrain de l’art. L. 521-2 il faut être capable de démontrer l’urgence qu’il y a à ce que le juge statue sous quarante-huit heures.

(06 juin 2023, M. B., n° 473754)

124 - Droit d’asile - Requêtes distinctes de membres d’une même famille - Faculté de joindre plusieurs affaires - Conditions - Rejet.

Le juge précise, en innovant, la procédure contentieuse pouvant être suivie en matière de jonction de requêtes tendant à l’octroi du droit d’asile.

La Cour nationale du droit d'asile a la faculté de joindre deux ou plusieurs affaires, y compris lorsque celles-ci sont jugées en audience non publique, notamment pour statuer, au vu du dossier mais aussi des débats à l'audience, sur les droits à protection des membres d'une même famille faisant état d'éléments communs ou semblables ou d'une communauté de risques.

Comme la jonction de requêtes est, par elle-même, insusceptible d'avoir un effet sur la régularité de la décision rendue, elle ne peut être contestée en tant que telle devant le juge de cassation.

Toutefois, le huis clos étant de droit devant la Cour nationale du droit d'asile, celle-ci est tenue, même en cas de jonction, de procéder à des auditions séparées des requérants si l'un d'entre eux en fait la demande.

(19 juin 2023, M. A. et autre, n° 462584)

 

125 - Titre de séjour - Retrait ou refus de renouvellement - Référé suspension - Appréciation de la condition d’urgence - Annulation et rejet.

Le juge de cassation, saisi d’un pourvoi contre une ordonnance de référé rejetant la demande de suspension de l’arrêté préfectoral refusant de faire droit à la demande de renouvellement du titre de séjour du requérant, rappelle comment doit s’apprécier l’urgence en ce cas.

Tout d’abord, lorsqu’il est saisi d'une demande de suspension d'une décision refusant la délivrance d'un titre de séjour, le juge administratif des référés doit apprécier et motiver l'urgence compte tenu de l'incidence immédiate du retrait de titre de séjour sur la situation concrète de l'intéressé.

Ensuite, et cette précision est d’importance, cette condition d'urgence sera en principe constatée dans le cas d'un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d'ailleurs d'un retrait de celui-ci. 

Enfin, dans les autres cas, il appartient au requérant de justifier de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d'une mesure provisoire dans l'attente d'une décision juridictionnelle statuant sur la légalité de la décision litigieuse.

En l’espèce, le premier juge a fondé sa décision de rejet sur ce que le requérant n'établissait pas qu'il serait privé de ressources liées à une activité professionnelle du fait du refus de renouvellement de son titre de séjour dès lors que ses ressources sont principalement constituées par l'allocation pour adulte handicapé dont il n'établit pas être privé par la décision en litige. Ce raisonnement est cassé car, comme indiqué ci-dessus, la condition d’urgence doit toujours être considérée comme satisfaite en cas de refus de renouvellement d’un titre de séjour ou de retrait de celui-ci.

Statuant au fond, le juge du Conseil d’État rejette le pourvoi car fait défaut la seconde condition nécessaire à l’octroi d’un sursis à exécution, à savoir l’existence d’au moins un moyen de nature à créer un doute sérieux quant à la juridicité de la décision contestée.

(ord. réf. 23 juin 2023, M. B., n° 472013)

 

126 - Demande d’asile - Refus - Participation à des crimes de guerre - Insuffisante motivation - Annulation.

Motive insuffisamment son arrêt, lequel est annulé, la Cour nationale du droit d’asile qui, pour confirmer le refus de protection asilaire par l’OFPRA, en raison de ce que le demandeur se serait rendu coupable de crimes de guerre commis en 2011 lors des affrontements ayant eu lieu à la suite des élections présidentielles en Côte d'Ivoire, retenant pour cela, d'une part, l'existence de tels crimes et, d'autre part, le fait que l'intéressé, lieutenant de police, exerçait alors des fonctions de commandement au sein du groupement de sécurité du président de la République et assurait la sécurité de la résidence présidentielle, sous l'autorité du colonel major B., regardé comme responsable de violations des droits de l'homme lors de ces événements.

Cependant, la cour ne précise pas en quoi le requérant aurait pris part à titre personnel à des crimes de guerre.

(26 juin 2023, M. A., n° 463971)

 

127 - Étranger reconnu comme réfugié - Condamné pour infraction pénale - Expulsion - Possibilité de reconstitution de la cellule familiale - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier la juridiction qui, pour rejeter le recours contre un arrêté d’expulsion, retient que cette dernière ne porte pas une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée et familiale de l’intéressé dans la mesure où celui-ci n’établit pas que sa cellule familiale ne pourrait pas désormais se reconstituer dans son pays d'origine, alors que le dossier de la procédure indique que celui-ci a le statut de réfugié, ainsi d'ailleurs que sa mère, hébergée au domicile familial et qu’il est titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 7 septembre 2024.

(27 juin 2023, M. A., n° 465754)

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

128 - Adjointe territoriale - Déclaration d’aptitude à l’exercice de ses fonctions après un congé maladie - Placement en disponibilité - Illégalité - Annulation.

Dénature l’appréciation portée sur les faits de l’espèce, le jugement estimant que l'administration n'avait commis aucune faute à l'occasion de l'affectation de Mme A. sur un poste d'archiviste le 1er novembre 2018, dès lors que cette dernière avait accepté cette affectation, alors qu'il ressort des pièces du dossier que la commune avait omis de lui proposer deux postes également vacants, à pourvoir au 1er septembre 2018, le tribunal administratif a porté sur les faits de l'espèce une appréciation entachée de dénaturation.

Par ailleurs ce jugement se méprend sur la portée des écritures de la requérante qui soutenait qu’elle ne pouvait être mise en disponibilité lors de son retour de congé maladie alors qu’elle avait été reconnue médicalement apte à reprendre son poste qui était alors vacant.

(01 juin 2023, Mme A., n° 452206)

 

129 - Attaché territorial - Évolution prétendument prévisible de son poste - Dénaturation des pièces du dossier - Qualification juridique erronée des faits - Annulation.

Le requérant attaché territorial, a été recruté en 2016, par mutation, pour occuper un poste de « responsable carrière, paie et pilotage de la masse salariale » au sein de la direction des ressources humaines de la communauté d'agglomération de Metz Métropole, devenue l'Eurométropole de Metz. L’avis de recrutement mentionnait que ce poste devrait évoluer à compter de 2018 afin de devenir un poste de « pilotage de la masse salariale permettant une aide à la décision », à raison de la fusion des services des ressources humaines de la collectivité avec ceux de la ville de Metz à compter du 1er janvier 2018.

Constatant que son affectation sur ce dernier poste se traduisait par une perte totale des responsabilités d'encadrement qui étaient les siennes dans le poste sur lequel il avait été recruté en octobre 2016, une réduction du périmètre de ses missions et une réduction de sa rémunération à raison d'une perte de la nouvelle bonification indiciaire et d'un régime indemnitaire moins favorable, l’intéressé a demandé l’annulation de la décision d’affectation sur ce poste.

Sur son recours, la cour administrative d’appel a estimé que M. B. ne pouvait ignorer, lorsqu'il s'était porté candidat au poste offert à la mutation en 2016, qu'à raison de l'évolution envisagée de l'emploi proposé, le périmètre de ses attributions s'en trouverait réduit à la seule gestion de la masse salariale dans des conditions permettant seulement l'aide à la décision ; la cour en a déduit que la décision contestée l'affectait sur un emploi conforme à sa demande et a jugé que, par suite, il n'était pas recevable à en demander l'annulation.

Pour annuler cet arrêt le juge de cassation se fonde sur ce que la cour aurait tout à la fois dénaturé les pièces du dossier et erronément qualifié les faits au plan juridique. La dénaturation résulte de ce que l’avis de recrutement, s’il mentionnait bien l’évolution future du poste à pourvoir, ne donnait aucune précision sur l'incidence éventuelle de cette évolution, le moment venu, sur les caractéristiques essentielles de l'emploi à pourvoir (périmètre, responsabilités d'encadrement ou rémunération). L’erreur de qualification juridique des faits résulte, elle, de ce que la cour a jugé que le demandeur, lors de son recrutement en 2016, ayant accepté d'être nommé sur le poste auquel il a été affecté en 2018, cette affectation était donc conforme à sa demande et qu’il n’était par conséquent pas recevable à demander l'annulation de la seconde décision d'affectation.

(01 juin 2023, M. B., n° 461312)

 

130 - Fonctionnaire d’État  affectée dans une direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) - Candidature à l'examen professionnel de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales - Interdiction de présentation aux épreuves orales faute d’être gérée ou payée par les ministères sociaux - Annulation.

Adjointe administrative principale des administrations de l'État alors affectée à la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) de la Corrèze, la requérante a été déclarée admissible à l'examen professionnel de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales.  Par une décision du 28 septembre 2018, il lui a été indiqué que, « n'étant ni gérée ni payée par les ministère sociaux », elle ne remplissait pas les conditions pour se présenter à cet examen professionnel et lui a été refusé l’autorisation de se présenter aux épreuves orales.

L’intéressée se pourvoit en cassation de l’arrêt qui, sur appel du ministre de la santé, a annulé le jugement annulant ce refus et faisant injonction d'autoriser Mme B. à se présenter aux épreuves orales de l'examen.

Le Conseil d’État  est à la cassation en raison de ce que la cour administrative d’appel, pour recevoir l’action du ministre, a commis une erreur de droit en se fondant sur ce que la rémunération et la gestion de carrière de Mme B., agent du ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, étaient assurées par ce ministère et ensuite sur ce que les directions départementales interministérielles relevaient du Premier ministre. Par suite,  l'intéressée ne pouvant être regardée comme « affectée dans un service relevant des ministres chargés des affaires sociales » au sens et pour l'application du 2° de l'article 2 du décret du 13 avril 2012, la cour en a déduit que la ministre des solidarités et de la santé avait pu légalement considérer qu'elle ne remplissait pas les conditions pour se présenter aux épreuves orales d'admission de l'examen professionnel ouvert pour l'accès au grade de secrétaire administratif de classe normale relevant des ministres chargés des affaires sociales. 

Le Conseil d’État  juge, au contraire, que les missions du service dans lequel l’intéressée exerce ses activités - la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Corrèze -, mettent en œuvre les politiques de cohésion sociale et relèvent fonctionnellement de celles assurées par le ministre des affaires sociales. Elle doit dès lors être regardée comme affectée dans un service relevant des ministres chargés des affaires sociales au sens et pour l'application des dispositions du 2° de l'article 2 du décret du 13 avril 2012.

(07 juin 2023, Mme B., n° 442679)

 

131 - Fonctionnaire hospitalière - Arrêt maladie et congé pathologique prénatal - Refus de versement de la prime de service - Discrimination entre agents en congé maladie pour grossesse ou non - Rejet.

La demanderesse, cadre de santé dans un centre hospitalier, a demandé que lui soit versée une somme qu’elle estime avoir été retenue indûment sur sa prime de service au titre de l'année 2013 pendant la période de congé correspondant à son arrêt maladie dès lors que cet arrêt maladie avait été mentionné par le médecin traitant comme étant en lien avec sa grossesse. Elle a saisi le tribunal administratif d’une demande tendant à ce que lui soit allouée une somme de 656,13 euros ; une somme de 49,50 euros lui ayant été allouée par le jugement, elle saisit le Conseil d’État, son pourvoi est rejeté en ses deux moyens principaux.

Tout d’abord, il était soutenu que les dispositions de l'article 3 de l'arrêté interministériel du 24 mars 1967 devraient être interprétées comme prévoyant le maintien de la prime de service durant les périodes d'absence pour congé de maladie lié à la grossesse. En réalité, la notion de congé de maternité au sens des dispositions applicables aux agents hospitaliers, est celle retenue, y compris pour sa durée, par le code de la sécurité sociale et la faculté d'augmenter la période du congé maternité en particulier dans la limite d'une durée maximale de deux semaines avant la date présumée de l'accouchement lorsqu'un état pathologique est attesté par un certificat médical comme résultant de la grossesse ou de l'accouchement, ne constitue pas pour autant une définition autonome du congé de maternité.

Or en application de l'art. 3 de l'arrêté précité du 24 mars 1967, si les agents qui, au titre d'une année considérée, bénéficient de la prime de service instituée par cet arrêté interministériel, ne sont pas privés du versement de la totalité de la prime de service alors même qu'ils sont placés en congé maladie, compte tenu des modalités d'abattement d'un cent quarantième de la prime de service ainsi prévues, d'une part, tout agent placé en congé maladie se voit appliquer le même abattement et, d'autre part, parmi les absences liées à des congés n'entraînant pas l'abattement, l'arrêté permet de prendre en compte, au titre du congé de maternité, les états pathologiques liés à la grossesse dans la limite légale de deux semaines avant la date présumée de l'accouchement, mais pas les congés de maladie liés à l'état de grossesse. 

Ensuite, c’est vainement que la requérante soutient que l'absence de distinction faite entre les personnes placées en congé de maladie selon qu'elles sont, ou non, en état de grossesse, alors pourtant, selon elle, que cette différence de situation est pertinente pour l'appréciation de l'existence d'une discrimination liée au sexe et qu’elle devrait s'analyser, au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, comme une discrimination.

Il résulte en effet de cette jurisprudence (8 septembre 2005, North Western Health Board c/ Margaret MacKenna, aff.  C-191/03) que : « (…) 2) L'article 141 CE et la directive 75/117 (du 10 février 1975) doivent être interprétés en ce sens que ne constituent pas des discriminations fondées sur le sexe : une règle d'un régime de congé maladie qui prévoit, à l'égard des travailleurs féminins absents antérieurement à un congé de maternité en raison d'une maladie liée à leur état de grossesse, comme à l'égard des travailleurs masculins absents par suite de toute autre maladie, une réduction de la rémunération, lorsque l'absence excède une certaine durée, à condition que, d'une part, le travailleur féminin soit traité de la même façon qu'un travailleur masculin absent pour cause de maladie et que, d'autre part, le montant des prestations versées ne soit pas minime au point de mettre en cause l'objectif de protection des travailleuses enceintes ». 

(07 juin 2023, Mme B., n° 460540)

 

132 - Litige en matière de pension - Notion - Régime contentieux - Rejet.

La demande d'un fonctionnaire ou d'un agent public tendant seulement au versement de traitements, rémunérations, indemnités, avantages ou soldes impayés, sans chercher la réparation d'un préjudice distinct du préjudice matériel objet de cette demande pécuniaire, ne revêt pas le caractère d'une action indemnitaire au sens du 8° de l'art. R. 811-1 du CJA. Par suite, une telle demande n'entre pas, quelle que soit l'étendue des obligations qui pèseraient sur l'administration au cas où il y serait fait droit, dans le champ de l'exception, prévue à ce 8°, en vertu de laquelle le tribunal administratif statue en dernier ressort. 

Par ailleurs, une action indemnitaire engagée par un agent public à raison du défaut d'information ou de renseignements erronés délivrés par le service en charge de ses droits à pension de retraite ne relève pas des litiges en matière de pension au sens des dispositions précitées.

(09 juin 2023, Mme B., n° 466551)

 

133 - Conseils médicaux dans la fonction publique d’État  - Décret du 11 mars 2022 - Qualité de fonctionnaires des agents qui y sont élus - Régime des décisions individuelles d’aptitude au service - Rejet.

La requérante demandait l’annulation des art. 2 et 38 du décret n° 2022-353 du 11 mars 2022 relatif aux conseils médicaux dans la fonction publique de l'État . Elle soulevait, au fond, deux moyens qui sont rejetés par le juge.

Tout d’abord, il était soutenu qu’en raison de la circonstance que le corps électoral des comités sociaux d'administration est constitué de l'ensemble des fonctionnaires, titulaires et stagiaires, des agents contractuels de droit public et de droit privé et des personnes à statut ouvrier qui siègent en qualité de titulaires au sein du comité compétent, seraient méconnues les dispositions de l’art. L. 112-1 du code général de la fonction publique ou le principe allégué selon lequel les fonctionnaires titulaires devraient être représentés par des personnels eux-mêmes titulaires. Le moyen est rejeté car, précisément, les agents élus pour siéger au sein de la formation plénière du conseil médical ont nécessairement la qualité de fonctionnaire.

Ensuite, il était prétendu qu’en prévoyant un collège électoral chargé de désigner les représentants des fonctionnaires titulaires au sein des conseils médicaux composé de l'ensemble des membres titulaires du comité social d'administration compétent, le décret aurait ainsi attribué aux comités sociaux d'administration une compétence en matière d'examen des décisions individuelles d'aptitude médicale au service. Le moyen ne saurait prospérer puisque le décret n'a ni pour objet, ni pour effet de confier cet examen aux comités sociaux d’administration.

(09 juin 2023, Fédération syndicale unitaire (FSU), n° 467289)

 

134 - Élève officier de la gendarmerie nationale - Refus d’engagement pour inaptitude médicale à servir - Rejet.

La requérante conteste la juridicité de la décision par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé, pour inaptitude médicale, de l'autoriser à souscrire un contrat d'engagement en tant qu'élève officier de carrière de l'École des officiers de la gendarmerie nationale, ainsi que les décisions rejetant ses recours hiérarchique et gracieux.

L’intéressée, qui est atteinte d’une légère hypoacousie de l’oreille gauche, conteste cette décision en se prévalant de ce que cette situation n'a pas été détectée au cours des stages qu'elle a effectués au sein de la gendarmerie nationale et de ce que cela ne lui occasionnerait aucune gêne dans la vie quotidienne. Cependant, elle ne saurait tirer argument de cet état de fait pour soutenir, sans en faire la démonstration, que la norme d'aptitude médicale relative à l'ouïe fixée à un coefficient maximum de 2 par l'arrêté du 12 septembre 2016, fixant les conditions physiques et médicales d'aptitude exigées des personnels militaires de la gendarmerie nationale et des candidats à l'admission en gendarmerie, ne serait pas en adéquation avec les exigences inhérentes aux missions confiées aux officiers de gendarmerie, alors d'ailleurs que, selon l'annexe II de l'arrêté du 20 décembre 2012, l'attribution d'un coefficient numérique 4 au sigle O du profil médical peut traduire l'existence d'une lésion auriculaire grave par son évolution possible et se manifestant seulement, à la date de l'expertise médicale, par une hypoacousie légère.

Ensuite, est rejeté le moyen selon lequel un tel état physique n’aurait pas constitué un obstacle si la requérante avait été recrutée parmi les lauréats du concours de l'École des officiers de la gendarmerie nationale, d’où il s’ensuivrait selon elle que la fixation de normes d'aptitude médicale différentes pour les officiers en cours de carrière méconnaitrait le principe d'égalité et qu’il en va de même de la possibilité qui leur est réservée de continuer à servir par dérogation à ces conditions d'aptitude sur autorisation de l'autorité militaire. Le juge estime, d’une part, cette différence dans l’appréciation des conditions physiques et médicales de l’aptitude à servir justifiée, s’agissant des élèves lauréats précités, eu égard à l'éventuelle incidence de leurs années de service sur leurs capacités physiques, à leur expérience professionnelle antérieure et à la circonstance qu'ils occupent déjà, au moment de l'évaluation de leur aptitude médicale, un emploi au sein de la gendarmerie nationale dont les exigences opérationnelles sont connues, d’autre part, il considère qu’il n’existe pas de droit à l’obtention de la dérogation médicale prévue à l’art. 11 de l’arrêté du 12 septembre 2016 précité.

Encore une fois, il nous semble que le recours quasi totémique au principe d’égalité appliqué à des situations différentes ne peut, à lui seul, justifier - sans démonstration au cas par cas - des traitements aussi fortement différenciés dans leurs effets.

(09 juin 2023, Mme B., n° 468241)

 

135 - Officier de gendarmerie - Déplacements lors de ses permanences - Sanction non disproportionnée - Rejet.

Le requérant, officier de gendarmerie affecté au groupement de gendarmerie départementale de Seine-et-Marne, a été désigné officier de permanence pour la période du 6 au 13 mai 2022. Il s'est rendu à Paris à deux reprises dans la soirée et la nuit du 11 au 12 mai pour des motifs d'ordre personnel, en méconnaissance de l'ordre qu'il avait reçu de ne pas quitter le département. Il a fait l’objet d’une sanction de quinze jours d'arrêt avec dispense d'exécution. 

Sa requête en annulation est rejetée car, en dépit du fait allégué par le requérant qu'il ne serait pas établi que, ainsi que cela ressort de la motivation de la décision attaquée, « son organisation personnelle ne lui permet pas de gérer sereinement les situations dont (sic) il a à faire face » et que la distance entre Melun et Paris n'est pas plus grande que celle qu'il pourrait effectuer dans le département, ces circonstances sont sans incidence sur le caractère fautif de sa désobéissance aux ordres reçus. 

Par ailleurs, eu égard à ses responsabilités et vu la nature des manquements réprimés, la sanction infligée n’est pas jugée disproportionnée.

(27 juin 2023, M. A., n° 466866)

 

136 - Professeur des écoles - Prise en compte de services antérieurs accomplis dans un institut médico-éducatif privé - Institut doté d’une unité d’enseignement - Institut constituant un établissement d’enseignement privé - Annulation.

Une personne recrutée comme professeur des écoles a demandé la prise en compte de services accomplis antérieurement pour son classement dans le corps des professeurs des écoles ; cela lui est refusé. Ayant saisi en vain les juridictions du fond, l’intéressée se pourvoit en cassation.

Le juge relève que la requérante a occupé pendant quinze ans en qualité de salariée titulaire d'un contrat de travail, un emploi d'enseignant des activités physiques et sportives, en dernier lieu au sein d’un institut médico-éducatif (IME) géré par l'association des pupilles de l'enseignement public de l'Ain. C’est de ces fonctions qu’elle a demandé la prise en compte à la suite de sa réussite au concours externe de professeur des écoles au titre de l'année 2018, en vue de son classement dans le corps des professeurs des écoles. L’arrêt querellé est annulé car le juge de cassation estime, d’une part, que les instituts médico-éducatifs sont des établissements ou services d'enseignement au sens du 2° du I de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles, assurant une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés qui y sont accueillis, et d’autre part que, lorsqu'ils sont dotés d'une unité d'enseignement définie aux art. D. 351-17 et D. 351-18 du code de l'éducation, ils y assurent la scolarisation de ces enfants et adolescents, dans des conditions définies, conformément aux dispositions de l'art. L. 112-1 du code de l'éducation, par convention entre l'État et l'établissement.

Dès lors qu’un institut médico-éducatif privé constitue un établissement d'enseignement privé au sens de l'article 7 bis du décret du 5 décembre 1951 portant règlement d'administration publique pour la fixation des règles suivant lesquelles doit être déterminée l'ancienneté du personnel nommé dans l'un des des corps de fonctionnaires de l'enseignement relevant du ministère de l'éducation nationale, il s’ensuit que les services effectifs d'enseignement et de direction qui y sont accomplis doivent être pris en compte pour le classement opéré lors de la nomination de l’agent en qualité de stagiaire.

En ne jugeant pas illégal le refus de prise en compte opposé à la demanderesse la cour a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt.

(28 juin 2023, Mme B., 456900)

 

137 - Principe d’égalité de traitement entre fonctionnaires d’un même corps - Indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise attribuée aux inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable – Inégalité par rapport aux ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts – Rejet.

Dès lors que le bénéfice de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise est déterminé pour chaque corps de fonctionnaires par les décisions règlementaires prises sur le fondement des dispositions de l’art. 2 du décret du 20 mai 2014 portant création d'un régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel dans la fonction publique de l'État, le syndicat requérant ne peut soutenir utilement qu’est irrégulière et doit être annulée la note de gestion du 4 novembre 2021 relative à l'évolution des modalités de gestion de l'indemnité de fonctions, de sujétions et d'expertise des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable au motif que cette indemnité est inférieure à celle dont bénéficient les membres du corps des ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts, alors même que les uns et les autres peuvent se voir confier des fonctions similaires au sein du conseil général de l'environnement et du développement durable, devenu l'inspection générale de l'environnement et du développement durable. 

L’exercice de fonctions parfois comparables par deux corps distincts de fonctionnaires est sans effet sur la fixation par corps, et non par fonctions ou tâches, de l’indemnité litigieuse.

(30 juin 2023, Syndicat des inspecteurs généraux et inspecteurs de l'administration du développement durable, n° 468336)

 

138 - Enseignement secondaire - Mutation d’un enseignant d’un lycée à un autre - Intérêt du service - Absence de nom du requérant sur la minute de l’ordonnance rendue à sa demande - Annulation.

(12 juin 2023, M. B., n° 468684)

V. n° 46

 

139 - Enseignement public agricole – Agents sur emplois « gagés » - Affectation des agents prétendument en dehors de leur périmètre d’affectation - Placement en position normale d’activité par une note de service – Violation du décret applicable – Annulation.

Le requérant demandait l’annulation du II de la note de service du ministre de l'agriculture et de l'alimentation portant sur les principes et règles de gestion applicables aux emplois dits « gagés » sur ressources propres des établissements d'enseignement agricole et aux agents qui les occupent. Des agents publics peuvent occuper des emplois dits « gagés » c’est-à-dire qui ne sont pas des emplois créés sur crédits d’État mais sur ressources propres des établissements publics, tels les établissements d'enseignement agricole.

Par cette note le ministre avait décidé que les agents concernés seraient placés à compter du 1er janvier 2021 en position normale d'activité au sein des établissements d'enseignement agricole, dans les conditions définies par le décret du 18 avril 2008 organisant les conditions d'exercice des fonctions, en position d'activité, dans les administrations de l'État et que la position normale d'activité est prononcée pour une durée de trois ans renouvelables selon les souhaits de l'agent et aussi longtemps que les besoins de l'établissement le justifient. 

Ces agents, à l’origine contractuels, ont été titularisés en tant que fonctionnaires d’État tout en continuant à occuper des emplois gagés puisque financés non sur crédits d’État mais sur les fonds propres des établissements. Il s’ensuit donc que ces agents ne peuvent être regardés, lorsqu'ils sont affectés dans les établissements publics d'enseignement agricole, comme étant affectés dans un établissement public en dehors du périmètre d'affectation défini par le statut particulier dont ils relèvent.

Or dans le II de sa note de service attaquée, le ministre a précisé que les agents sur emplois dit « gagés » des établissements publics d'enseignement agricole y seraient néanmoins placés en position normale d'activité dans les conditions prévues par le décret du 18 avril 2008, et par suite soumis à la durée de trois années applicable à l'affectation d'un fonctionnaire en dehors du périmètre défini par son statut particulier, dont le renouvellement dépend de la décision de l'administration d'accueil, alors que ces agents ne peuvent être regardés, pour l'application de l'article 36 bis de la loi du 11 janvier 1984, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État, comme étant affectés soit dans une administration, soit dans un établissement public qui ne relèverait pas du périmètre d'affectation défini par leur statut particulier. Le ministre a ainsi méconnu le sens et la portée des dispositions statutaires applicables à ces agents ainsi que les dispositions de ce décret. 

(14 juin 2023, Syndicat de l'enseignement agricole - union nationale des syndicats autonomes, n° 448605)

 

140 - Professeur certifié – Détachement auprès d’une institution européenne – Obligation de notation annuelle – Conditions – Annulation et rejet partiels.

Dans un litige en refus de notation annuelle d’une fonctionnaire détachée auprès du parlement européen, le Conseil d’État rappelle les exigences et limites attachées à l’obligation de notation.

Il doit être attribué chaque année à tout fonctionnaire en activité une note chiffrée accompagnée d'une appréciation écrite exprimant sa valeur professionnelle y compris lorsque le fonctionnaire est mis à disposition auprès d'organismes d'intérêt général, d'organisations internationales intergouvernementales ou d'une institution de l'Union européenne.

Toutefois, cette exigence est subordonnée à la présence effective du fonctionnaire au cours de l'année en cause pendant une durée suffisante, eu égard notamment à la nature des fonctions exercées, pour permettre à son chef de service d'apprécier sa valeur professionnelle.

Lorsque le fonctionnaire détaché est un enseignant qui, dans son emploi de détachement, ne remplit pas une fonction d'enseignement, le ministre chargé de l'éducation doit arrêter chaque année une note de 0 à 100 sur proposition de l'autorité auprès de laquelle l’enseignant exerce ses fonctions. En l'absence de transmission d'une telle proposition par l'administration d'accueil de l’agent détaché mis à disposition, le ministre ne peut s'abstenir de procéder à sa notation qu'après avoir vainement sollicité la transmission de cette proposition ou, à défaut, d'un rapport sur la manière de servir et qu'il ne dispose par ailleurs d'aucun élément permettant d'apprécier sa valeur professionnelle.

En l’espèce, en premier lieu, la cour est jugée n’avoir pas commis d’erreur de droit ni de dénaturation en estimant que l’intéressée n’avait pas, à raison de son congé maladie, exercé ses fonctions pendant une durée suffisante pour pouvoir être correctement appréciée sur sa manière de servir et sur ses compétences professionnelles durant les deux années 2017 et 2018.

Au contraire, en second lieu, la cour a commis une erreur droit s’agissant de l’absence de notation pour la période du 3 décembre 2001 au 31 août 2004 pour avoir jugé que la circonstance que le ministre chargé de l'éducation nationale n'ait jamais demandé au Parlement européen de lui transmettre un rapport sur la manière de servir de l’agent était sans incidence sur la légalité de la décision par laquelle ce ministre a refusé de procéder à sa notation, et que par ailleurs le ministre ne disposait pas d'éléments pour apprécier sa valeur professionnelle au titre de cette période. En effet, le ministre ne pouvait légalement s'abstenir de procéder à la notation de Mme A. qu'après avoir vainement sollicité la transmission d'une proposition de notation ou, à défaut, d'un rapport sur la manière de servir de l'intéressée. Ce n’était pas le cas en l’espèce.

(14 juin 2023, Mme A. et ministre de l’éducation nationale, n° 455784)

 

141 - Fonctionnaire affecté à Mayotte pour un « séjour réglementé » de deux ans – Condition de versement de l’indemnité d’éloignement dégressive -  Régime transitoire – Agents affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 – Annulation.

Les agents publics affectés à Mayotte avant le 1er janvier 2014 dans le cadre du séjour dit « réglementé » de deux ans alors prévu par le décret du 26 novembre 1996 et qui, à l'issue de ce séjour, ont été de nouveau affectés à Mayotte postérieurement à l'abrogation de ce décret, et donc sans condition de durée de séjour, entrent dans le champ des dispositions transitoires du II de l'article 8 du décret du 28 octobre 2013 et avaient ainsi droit à l'indemnité dégressive que ces dispositions prévoient, pour une durée de quatre ans à compter de leur nouvelle affectation.

Il s’ensuit donc que le requérant, ingénieur de l'agriculture et de l'environnement à la DEAL, affecté à Mayotte à compter du 1er septembre 2013 pour un séjour dit « réglementé » de deux ans et dont l’affectation à Mayotte a été réitérée à compter du 1er septembre 2015 n’avait pas épuisé ses droits au versement de l'indemnité à l'issue de ses quatre premières années de séjour, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal administratif de Mayotte, commettant ainsi une erreur de droit. L'ordonnance attaquée est annulée.

(16 juin 2023, M. B., n° 451985)

 

142 - Professeur d’université – Suspension temporaire des fonctions -  Décision sans caractère disciplinaire – Maintien du traitement – Mesure destinée à permettre le bon fonctionnement de l’université – Absence d’urgence – Rejet de la demande de suspension.

Droit être rejetée la demande d’une professeur d’université tendant à voir suspendue la mesure la suspendant pendant quatre mois de ses fonctions en attendant que soit parvenu le terme de la procédure disciplinaire engagée contre elle. En effet, cette décision n’a pas de caractère disciplinaire, maintient intégralement son traitement et n’a été prise que pour assurer le bon fonctionnement de l’université. Ainsi, la situation créée par cette décision ne revêtant aucun caractère d’urgence, cette dernière ne saurait faire l’objet d’une suspension.

(ord. réf. 12 juin 2023, Mme B., n° 474618)

 

143 - Magistrat administratif - Non nomination en qualité de président de tribunal administratif - QPC - Qualités pour exercer la fonction - Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de décisions de nommer d’autres personnes que lui aux fonctions de président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise et de président du tribunal administratif de Melun.

Il développe d’abord une QPC à l’encontre de dispositions du CJA (d’une part, les art. L. 232-1, L. 232-4 et L. 232-6, d’autre part les art. L. 232-1 et L. 234-1) estimées, les premières, entachées d’incompétence négative en ce qu’elles n'aménagent pas les conditions des recours présentés par les magistrats administratifs de façon à en garantir l'effectivité ainsi que le respect des principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles consacrés par l'article 16 de la Déclaration de 1789, et, par suite, le droit à un recours juridictionnel effectif, qui résulte également de cet article et les secondes en ce qu’elles porteraient atteinte au principe d’égalité devant la justice.

Dans le cadre de l’examen du litige par le juge administratif sont rejetés les moyens de légalité externe.

S’agissant de l’examen de la légalité interne, le Conseil d’État rejette le défaut d’objectivité qui aurait présidé à l’examen de la candidature du requérant, l’appréciation de l’aptitude du demandeur à exercer les fonctions postulées, laquelle n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation, enfin le détournement de pouvoir allégué et non établi.

(14 juin 2023, A. Mendras, n° 468104)

(144) V. aussi, rejetant la requête tendant à l’annulation de la désignation d’un magistrat en qualité de président du tribunal administratif de Paris : 14 juin 2023, M. B., n° 464355.

 

145 - Avis de droit - Statut général des militaires - Officiers généraux - Admission en deuxième section - Âge limite ou durée limite des fonctions - Notion de radiation des cadres - Réponses en conséquence.

Saisi d’une demande d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA) relative à plusieurs questions touchant au régime applicable aux officiers généraux atteints par la limite d’âge ou la limite de durée de service, le Conseil d’État apporte les précisions suivantes.

Tout d’abord, il se déduit des dispositions de l’art. L. 125-4 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre ainsi que de celles des art. L. 4141-1 et L. 4142-2 du code de la défense : 1°/ que l'admission d’un tel officier dans la deuxième section du corps des officiers généraux peut résulter d'une promotion ; 2°/ que certaines des dispositions relatives aux droits, obligations et sanctions figurant dans le statut général des militaires sont applicables aux officiers qui y sont admis.

Ensuite, la radiation des cadres d'un officier général en deuxième section ne peut résulter que d'une sanction disciplinaire ou intervenir, sur sa demande, au terme d'un replacement en première section. Il suit de là que, pour l'application des dispositions de l'art. L. 125-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre relatives au calcul d'une pension militaire d'invalidité, le placement dans la deuxième section des officiers généraux ne peut pas être regardé comme une radiation des cadres, y compris pour un officier promu à ce titre.

Enfin, en l'absence de radiation des cadres, la pension militaire d'invalidité d'un officier promu au titre de la deuxième section doit être calculée sur la base du grade atteint à la fin de la période d'activité précédant sa promotion.

(19 juin 2023, Mme C., n° 472318)

 

146 - Auditrice de justice stagiaire - Agent déclarée inapte à l’exercice des fonctions de magistrat par le jury - Rejet.

L’intéressée, qui a bénéficié d’une intégration directe en qualité d'auditrice de justice à l'Ecole nationale de la magistrature, s’est vue imposer par le jury, à l’issue de son année de stage, le renouvellement d'une année de formation. Au terme de cette seconde année, le jury de l'examen d'aptitude et de classement des auditeurs de justice l’a déclarée inapte à l’exercice des fonctions postulées.

Sa demande d’annulation de cette décision est rejetée par le Conseil d’État qui n’y aperçoit aucune erreur manifeste d’appréciation. La candidate n’a pas fait l’objet de discrimination ni d’un a priori défavorable, son dossier a été traité comme ceux de tous les autres candidats, la synthèse sur laquelle s’est fondé le jury reflétait exactement et fidèlement les opinions et jugements des différents magistrats l’ayant suivie dans son parcours.

Par suite, elle n’est pas davantage fondée à demander l’annulation de l'arrêté du 20 juillet 2021 par lequel le garde des sceaux a mis fin à ses fonctions d'auditrice de justice par voie de conséquence de la décision du jury.

(22 juin 2023, Mme B., n° 454003)

(147) V. aussi, rejetant le recours formé contre les avis défavorables donnés par la commission d’avancement du Conseil supérieur de la magistrature aux demandes de la requérante d’être nommée en qualité d’auditeur de justice, aucune erreur manifeste d’appréciation n’y étant relevée : 22 juin 2023, Mme D., n° 462684.

 

148 - Bonification d’ancienneté exceptionnelle - Mesure destinée à revaloriser les traitements de fonctionnaires de catégorie C - Demande d’application de la mesure à certains personnels de l’administration pénitentiaire - Corps distinct - refus non contraire à l’égalité de traitement entre fonctionnaires - Rejet.

L'article 4 du décret du 24 décembre 2021 modifiant l'organisation des carrières des fonctionnaires de catégorie C de la fonction publique de l'État et portant attribution d'une bonification d'ancienneté exceptionnelle, est intervenu pour accélérer les règles d'avancement propres aux corps régis par le décret du 11 mai 2016 relatif à l'organisation des carrières des fonctionnaires de catégorie C de la fonction publique de l'Eta, et auxquels s'appliquent les dispositions du décret en cause.

Cette bonification était notamment destinée à permettre une revalorisation des traitements des fonctionnaires de catégorie C appartenant aux dix échelons des premier et second grades dont l'indice se trouvait à un niveau inférieur à l'indice minimum de traitement des fonctionnaires depuis que ce dernier avait été revalorisé à compter du 1er octobre 2021.

Or les fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire appartiennent à un corps distinct de ceux pour lesquels a été prévu le bénéfice de cette bonification d'ancienneté exceptionnelle. Ainsi le syndicat requérant ne peut utilement se prévaloir de ce qu'en refusant d'instituer, au profit des fonctionnaires du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, une bonification d'ancienneté exceptionnelle similaire au titre de l'année 2022, la décision attaquée aurait méconnu le principe de l'égalité de traitement entre les fonctionnaires.

Que mystérieuses sont les voies de circulation du principe d’égalité !

(22 juin 2023, Syndicat national Force Ouvrière Justice, n° 468119)

 

149 - Agent recrutée en CDD par un employeur public - Demande d’aide au retour à l’emploi (ARE) - Refus d’une offre d’emploi par l’intéressée - Agent ne pouvant pas être considérée comme n'ayant pas été involontairement privé d'emploi - Annulation.

Le juge déduit en premier lieu des dispositions combinées des art. L. 5422-1, L. 5422-20, L. 5424-1, L. 5422-2, L. 5422-3 et R. 5424-2 du code de travail que la personne qui, après avoir été employée par contrat à durée déterminée par un employeur public qui n'est pas affilié au régime d'assurance, a travaillé pour un employeur qui y est affilié, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée venu à échéance, cet employeur public est redevable du versement de l'aide au retour à l'emploi lorsqu'il a employé l'intéressé sur une plus longue période.

Il déduit de ces mêmes dispositions, en second lieu, que l'employeur public ne peut soutenir, dans une telle situation - ce qui est le cas de l’espèce -, que l'intéressé ne peut être regardé comme n'ayant pas été involontairement privé d'emploi au motif qu'il aurait refusé son offre d'un nouvel emploi en contrepartie du non versement de l'aide au retour à l'emploi. 

L’ordonnance attaquée est annulée.

(ord. réf. 20 juin 2023, Mme B., n° 468720)

(150) V. aussi, jugeant que c’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif décide que doivent être assimilés à des salariés involontairement privés d'emplois les agents publics ayant quitté volontairement leur emploi en vue de reprendre une activité salariée à durée indéterminée, concrétisée par une embauche effective, à laquelle l'employeur met fin avant l'expiration d'un délai de 65 jours travaillés : 30 juin 2023, Syndicat mixte des ordures ménagères d'Is-sur-Tille, n° 463867.

 

151 - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) des fonctionnaires territoriaux - Agents non titulaires exclus de son bénéfice - Discrimination défavorable aux agents contractuels - Rejet.

Il était demandé au juge d’annuler le refus implicite du premier ministre opposé au requérant d’abroger diverses dispositions réglementaires portant attribution d'une nouvelle bonification indiciaire aux fonctionnaires occupant certains emplois administratifs de direction de collectivités territoriales ou d'établissements publics locaux assimilés, en tant qu'ils excluent du bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire les agents non titulaires de la fonction publique territoriale.

Contrairement à ce qui est soutenu, le juge n’aperçoit pas dans cette situation de traitement inégalitaire de deux catégories d’agents. En effet, alors que la responsabilité ou la technicité particulières des fonctions exercées par les agents contractuels de la fonction publique territoriale ont vocation à être prises en compte par l'autorité territoriale pour la fixation de la rémunération de chaque agent, cette solution ne peut pas être retenue pour les fonctionnaires territoriaux, ceux-ci étant soumis au régime du traitement indiciaire. C’est donc sans inégalité que la NBI a été instituée pour ces derniers afin de tenir compte de la responsabilité ou de la technicité particulières des fonctions qu'ils exercent.

Ceci manifeste que ce mécanisme ne porte pas atteinte à clause 4 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 telle que l’interprète la Cour de justice de l'Union européenne, car il s'oppose aux inégalités de traitement dans les conditions d'emploi entre travailleurs à durée déterminée et travailleurs à durée indéterminée, sauf si elles sont justifiées par des raisons objectives.

Précisément, pour l’application de la NBI la ligne de partage ne passe pas entre CDD et CDI mais entre contractuels et titulaires, ce qui n’est pas du tout la même chose.

(26 juin 2023, Syndicat Force Ouvrière des personnels de la collectivité européenne d'Alsace, n°458775)

 

152 - Procédure disciplinaire - Erreur dans le calcul d’une majorité pour la prise d’une décision - Reprise de la procédure - Composition différente du conseil de discipline - Réexamen d’une sanction déjà écartée - Rejet et annulation partiels.

Le juge rappelle opportunément plusieurs points de procédure en matière disciplinaire s’agissant des agents publics.

Tout d’abord, lorsqu'un conseil de discipline, appelé à se prononcer sur les poursuites dirigées contre un agent, a régulièrement procédé à un vote sur une ou des propositions qui n'ont pas recueilli l'accord de la majorité des membres présents, mais qu'une erreur entachant le décompte de ces votes a conduit dans un premier temps à considérer, à tort, que le conseil de discipline avait donné un avis favorable, il appartient à l'administration de reprendre la procédure afin de la poursuivre conformément aux textes.

Lors de la nouvelle réunion il n’est pas nécessaire que la composition du conseil de discipline soit identique à ce qu’elle était lors de la réunion précédente.

Enfin, reprenant la procédure, l’administration ne peut soumettre au vote du conseil de discipline une proposition de sanction déjà écartée par une majorité des membres présents lors de la précédente réunion du conseil de discipline. C’est le principe bien connu du vote acquis qui en interdit le recommencement.

(26 juin 2023, ministre de l’intérieur, n° 464361)

 

153 - Pension militaire d’invalidité - Conditions d’octroi - Existence d’une présomption légale d’imputabilité au service ou preuve d’une affection ayant son origine dans le service - Absence - Rejet.

Rappel d’une solution constante imposée par l’art. L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre dans sa version alors applicable.

Celui qui sollicite l’octroi d’une pension militaire d’invalidité doit se trouver dans l’un des deux cas suivants. Ou bien il bénéficie d’une présomption légale d’imputabilité au service de l’affection qu’il invoque, ou bien, à défaut, il rapporte la preuve de l'existence d'un fait précis ou de circonstances particulières de service à l'origine de l'affection qu'il invoque. 

Concernant ce second cas, le Conseil d’État réitère à nouveau que cette preuve ne saurait être considérée comme établie par la seule circonstance que l'infirmité soit apparue durant le service, ou par une hypothèse médicale, ou par l’existence d’une vraisemblance, ni même par une probabilité, aussi forte soit-elle. C’est la conséquence de la très nette distinction entre ces deux cas, l’un relevant d’une présomption, l’autre d’une preuve.

(29 juin 2023, M. A., n° 465924)

 

154 - Personnel de la Banque de France – Applicabilité de plein droit de dispositions du code du travail sous réserve de compatibilité avec les missions de service public exercées par cet organisme – Demande de mise en place d’une disposition déjà existante dans le code du travail – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation du rejet implicite de sa demande de mise en place de la garantie d'évolution de rémunération pour les femmes de retour de congé maternité prévue par l'art. L. 1225-26 du code du travail.

On sait que nombre de dispositions du code du travail sont applicables au personnel de la Banque de France si elles ne sont pas incompatibles avec les missions de service public dont est chargée la Banque. Tel est le cas de la mesure en cause. La demande du syndicat était donc autant redondante que superfétatoire et son rejet, très logique, ne saurait être critiqué au contentieux.

Le recours est donc rejeté.

(30 juin 2023, Syndicat national CGT de la Banque de France, n° 468815)

 

Libertés fondamentales

 

155 - Étrangers - Réfugiés - Droit d’asile - Mesures d’éloignement ou de refoulement - Saisine de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) pour avis - Absence de recours contentieux - Rejet.

Dans une importante décision qui se prononce sur une question largement inédite, le Conseil d’État  indique que la faculté reconnue par le CESEDA (art. L. 532-4 et R. 532-69 et s.) aux personnes bénéficiaires d'une protection au titre de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés, de saisir la CNDA des mesures d’éloignement ou de refoulement dont elles sont l’objet a pour effet de faire obstacle à l’exécution de ces mesures jusqu’à ce que cette juridiction se soit prononcée sur leur légalité. Toutefois, la CNDA se bornant à rendre un avis motivé sur le maintien ou l’annulation de celles-ci, il s’ensuit qu’à la différence de ces mesures qui sont, elles susceptibles d’un recours contentieux, l’avis de la Cour, lui, n’est pas susceptible d’un tel recours.

Le Conseil d’État  rejette la requête dont il est saisi en usant de la procédure de l’art. R. 351-4 du CJA qui permet à toute juridiction administrative, nonobstant la répartition des compétences à l’intérieur de l’ordre juridictionnel administratif, de rejeter des conclusions entachées d'une irrecevabilité manifeste insusceptible d'être couverte en cours d'instance.

(01 juin 2023, M. B., n° 468549)

 

156 - Extradition - Règle de la confusion des peines - Absence de caractère d’ordre public - Règle ne s’imposant pas en droit extraditionnel - Rejet.

Rejetant un recours en annulation du décret autorisant l’extradition du requérant vers les États-Unis, le juge se prononce notamment sur deux moyens intéressants.

En premier lieu, il était soutenu que le requérant était exposé à être condamné dans l'État  requérant, à raison des trois infractions qui lui sont reprochées, à exécuter plusieurs peines sans que celles-ci ne soient confondues. Le juge fonde le rejet de ce moyen sur ce que la confusion des peines, qui est une faculté prévue par l'article 132-3 du code pénal pour les juridictions répressives françaises, ne constitue toutefois pas une règle d'ordre public applicable au droit de l'extradition. 

En second lieu, il était soutenu que la procédure de « plaider coupable », aux États-Unis, n'assurerait pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense et serait ainsi contraire à l'ordre public français. Pour rejeter le moyen, le juge retient qu’il résulte notamment du complément d'information en date du 4 septembre 2019 apporté aux autorités françaises par les autorités américaines, que l'accusé, lorsqu'il conclut dans l'État  requérant un accord dans le cadre d'une procédure de « plaider coupable », peut disposer de l'assistance d'un avocat et doit, sous le contrôle du juge, donner son accord de manière volontaire, libre et en parfaite connaissance des effets juridiques qui s'y attachent.

(01 juin 2023, M. A., n° 469484)

 

157 - Demandeur d’asile - Dispositif électronique de notification des décisions de l’OFPRA et de convocation à l’entretien requis par les textes - Exigences pratiques - Rejet.

L’OFPRA a rejeté la demande d’un ressortissant malien tendant à ce que lui soit reconnu le statut de réfugié ou, à défaut, accordé le bénéfice de la protection subsidiaire. La Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a annulé cette décision et a renvoyé à l'Office l'examen de cette demande. L’OFPRA se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Il est constant qu'à la suite du dépôt d'une demande d'asile par l’intéressé l'OFPRA a mis à sa disposition, le 11 mai 2021, dans l'espace personnel numérique sécurisé auquel l'intéressé s'était préalablement connecté, la convocation, le 8 juin suivant, à l'entretien prévu par les dispositions, de l'art. L. 531-12 du CESEDA. L'office a ensuite reçu un accusé de réception l'informant que cette convocation n'avait pas été consultée par l’intéressé dans le délai imparti de 15 jours à compter de sa mise à disposition et que ce document était réputé avoir été notifié. 

En effet, Il résulte des dispositions combinées des art. R. 531-17 et R. 531-11 du CESEDA, qu'un procédé électronique a été mis en place pour la notification aux demandeurs d'asile non seulement de la décision de l'OFPRA statuant sur leur demande d'asile mais aussi pour la notification de leur convocation à l'entretien exigé par les dispositions, susrappelées, de l'art. L. 531-12 du même code. En particulier, elles prévoient que l'absence de consultation par le demandeur d'asile de la convocation mise à sa disposition par l'OFPRA par l'intermédiaire de l'espace numérique personnel sécurisé, cette dernière est réputée avoir été notifiée à l'issue d'un délai de quinze jours à compter de sa mise à disposition.

Eu égard à l'ensemble des garanties dont est entourée l'utilisation de cet espace numérique personnel sécurisé, et contrairement à ce que soutient l’intéressé, ce procédé électronique ne méconnaît pas le principe de la réception personnelle par le demandeur d'asile de sa convocation posé par les dispositions de l'art. L.531-12 du CESEDA. 

La CNDA a donc commis une erreur de droit en jugeant, pour annuler la décision de l’OFPRA, qu'aucune disposition ne prévoyait qu'à défaut de consultation de la convocation sur l'espace numérique personnel sécurisé, cette dernière était réputée avoir été régulièrement notifiée.

(06 juin 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 464768)

 

158 - Extradition - Risques liés à une grave pathologie découverte après la prise du décret autorisant l’extradition - Circonstance sans incidence sur l’appréciation de la juridicité du décret -  Application différée du décret d’extradition - Rejet.

Les divers moyens soulevés par un ressortissant turc contre le décret autorisant son extradition vers la Turquie sont rejetés par le juge. L’un d’eux retient plus précisément l’attention. Il consiste pour le requérant à soutenir, d’une part, qu'après l'intervention du décret litigieux, une grave pathologie lui a été diagnostiquée et que, depuis décembre 2022, il fait l'objet d'un traitement reposant sur une prise en charge chirurgicale et une chimiothérapie post-opératoire devant se prolonger sur plusieurs mois et, d’autre part, que l'exécution du décret d'extradition l'exposerait à des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa santé ainsi qu'au risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens de l'art. 3 de la convention EDH dès lors qu'en cas de détention en Turquie, il ne pourrait pas bénéficier du traitement nécessaire à sa survie. 

L’argument est rejeté après que la chambre chargée de l’instruction de ce dossier s’est efforcée, par une mesure d’instruction, d’obtenir des autorités turques des garanties permettant d'assurer que l'intéressé ne serait pas exposé à des risques exceptionnels eu égard à son état de santé. Or en réponse aux demandes formulées par les autorités françaises, les autorités turques se sont bornées à fournir des informations générales sur le suivi médical des détenus en Turquie. De la sorte le juge décide que les éléments ainsi apportés ne sont pas assez précis pour donner l'assurance que M. A. serait traité, en détention, de manière compatible avec son grave état de santé. Dans ces conditions, le décret d'extradition ne peut pas être mis à exécution et donner lieu à la remise de l'intéressé aux autorités turques. 

Il convient de bien comprendre que le décret n’est en rien jugé irrégulier d’autant que sa juridicité a été appréciée à la date à laquelle il a été pris et donc antérieurement à la découverte de la maladie du requérant. Il est simplement en attente d’exécution matérielle jusqu’à ce que la Turquie fournisse les garanties qui lui sont demandées.

Par ailleurs, il faut rappeler que l’extradition, à la différence de l’expulsion par laquelle l’État expulsant reproche des faits ou comportements imputables à l’étranger expulsé, est une situation où l’État requis, sans rien reprocher à l’extradé, se borne à satisfaire une demande de l’État requérant.

(19 juin 2023, M. A., n° 469722)

 

159 - Demande du bénéfice de la réunification familiale - Prise en compte de l’âge de l’enfant - Compatibilité sur ce point du droit français avec le droit de l’Union - Âge à retenir en cas de demandes successives de réunification - Avis de droit.

Le tribunal administratif de Nantes a sollicité du Conseil d’État un avis de droit - soulevant de délicates questions même si elles sont assez techniques - relatif au régime de la réunification familiale de réfugiés, à la date à laquelle il convient de se placer pour la prise en considération à cet effet de l’âge de l’enfant et à la combinaison/compatibilité des dispositions du droit interne (CESEDA) et du droit de l’Union (directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial) en ce domaine.

Statuant au regard des dispositions européennes, il est, en bref, répondu tout d’abord que la date à laquelle il convient de se référer pour déterminer si l'enfant doit être regardé comme mineur, au sens du § 1 de l’art. 4 de la directive précitée, est en principe celle à laquelle est présentée la demande d'entrée et de séjour aux fins de regroupement familial pour rejoindre le parent réfugié. 

Ensuite, le juge précise qu’il en va toutefois autrement lorsqu'il en découlerait que le succès de la demande de regroupement familial serait susceptible de dépendre principalement de circonstances imputables à l'administration ou aux juridictions nationales notamment lorsque l'enfant, mineur au moment de la demande d'asile, est devenu majeur avant l'octroi du statut de réfugié au parent demandant le bénéfice du droit au regroupement familial. Dans cette situation, l'âge de l'enfant doit être apprécié à la date de la demande d'asile, sous réserve que la demande de regroupement familial ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection et peu important que l'État membre concerné ait fait usage ou non de la faculté ouverte par l'article 12 de la même directive de fixer un délai pour introduire une demande de regroupement familial dont le non-respect permet d'opposer les conditions de ressources et de logement qui s'appliquent au titre du droit au regroupement familial de droit commun des étrangers.

Statuant au regard des dispositions nationales, le juge précise encore que l'âge de l'enfant pour lequel il est demandé qu'il puisse rejoindre son parent réfugié sur le fondement de l'art. L. 561-2 du CESEDA doit être apprécié à la date de la demande de réunification familiale, c'est-à-dire à la date à laquelle est présentée la demande de visa à cette fin, sans qu'aucune condition de délai ne puisse être opposée. La circonstance que cette demande de visa ne peut être regardée comme effective qu'après son enregistrement par l'autorité consulaire, qui peut intervenir à une date postérieure, est sans incidence à cet égard.

Par ailleurs, lorsqu'une nouvelle demande de visa est déposée après un premier refus définitif, il convient, pour apprécier l'âge de l'enfant, de tenir compte de cette demande, et non de la première demande. 

Enfin, dans le cas où l'enfant a atteint l'âge de dix-neuf ans entre la demande d'asile de son parent et l'octroi à celui-ci du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire il ne peut être fait application des dispositions précédentes, l’âge devant être apprécié à la date de la demande d’asile sous réserve que la demande de réunification ait été introduite dans les trois mois suivant l'octroi de la protection.

(29 juin 2023, M. et Mme C. et leur enfant C., n° 472495)

 

160 - Associations et fondations  bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État– Contrat d’engagement républicain – Atteintes à divers droits et libertés – Rejet.

Les nombreuses organisations requérantes demandaient l’annulation du décret n° 2021-1947 du 31 décembre 2021 pris pour l'application de l'article 10-1 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 et approuvant le contrat d'engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d'un agrément de l'État.

Elles sont déboutées en tous leurs chefs de demandes.

Tout d’abord est rejeté le grief d’atteinte aux libertés d’association, de réunion ou d’expression car si les dispositions de la loi du 24 août 2021 dont le décret attaqué fait application constituent une ingérence dans la liberté d'exercice des associations, les obligations qu’elles comportent poursuivraient, selon le juge, un but légitime défini avec suffisamment de précision par le texte, à savoir le respect des principes de liberté, d'égalité, de fraternité et de dignité de la personne humaine, ainsi que du caractère laïque de la République, de l'ordre public et des symboles de la République au sens de l'article 2 de la Constitution.

Le régime de retrait des subventions après le et à partir du manquement à l’ordre républicain est placé sous le contrôle du juge.

Il assez hypocrite cependant d’indiquer que « les mesures de refus ou de retrait d'agrément ou de subventions ne limitent pas la liberté d'expression des associations, ni la liberté de recevoir ou de communiquer des informations » alors que, le système français étant ce qu’il est, ces aides sont vitales pour l’existence et le fonctionnement des organisations concernées. 

Ensuite, sont aussi rejetées les critiques contre les obligations nées du contrat d'engagement républicain en ce que le pouvoir réglementaire n’avait pas compétence pour les édicter et qu’elles reposent sur des notions imprécises et floues.

Enfin, est semblablement balayé le moyen qu’affecterait le principe de liberté personnelle le fait qu’une personne morale soit condamnée à raison d’agissements de ses dirigeants ou de ses salariés « dès lors que les mesures d'abrogation d'un agrément ou de retrait d'une subvention qui peuvent être prises à l'encontre d'une association n'ont pas le caractère d'une sanction ». Ici aussi le bon sens s’égare car, en ce cas, ce n’est peut-être pas une « sanction » mais c’est bel et bien une mise à mort. Le sophisme n’est pas loin.

En revanche on sera d’accord avec le juge pour reconnaître que le refus ou le retrait d’agrément ne méconnaît pas le droit à un recours effectif et d'accès à un tribunal compte tenu de notre organisation juridictionnelle et des garanties offertes par les pouvoirs du juge.

 

Tout ceci masque mal une approximation juridique confuse à souhait et qui résulte d’une vieille habitude française en cette matière « républicaine ».

En effet, il serait temps de prendre conscience tout d’abord que si la démocratie est un système politique et juridique, la république est un système idéologique d’où il suit que mettre les instruments du droit comme la loi, l’agrément ou la subvention au service de cette vision patisane et donc inobjective des choses est un exercice autant périlleux que discutable.

Ensuite, imaginer un « contrat d’engagement républicain » est une salade juridique : où est le contrat dont toutes les clauses sont imposées et se trouvent dans la loi ou le décret ? Qu’est-ce qu’un engagement « républicain » ? Le refus de l’empire ou de la monarchie ? Mais on est où là ? Ou alors veut-on prétendre que la démocratie est très différente de la république ? Qu’est-ce à dire ? Que la démocratie exclut la solidarité ou ne l’implique pas inéluctablement ? Que la république est nécessairement fraternelle ?

Enfin, faire tourner tout un système de subventions, qui ne sont pas de droit, ou de refus ou retrait de subventions, autour de palinodies entre des inconsistances conceptuelles nous semble hautement dangereux et nécessairement critiquable.

(30 juin 2023, Union syndicale solidaires et autres, n° 461962 ; Ligue des droiots de l’homme et autres, n° 462013 ; Association Greenpeace France et autres, n° 462015, jonction)

 

161 - Droit de propriété – Décision de justice ordonnant l’expulsion d’occupants et la démolition de l’habitation occupée par eux – Exécution forcée – Absence de voie de fait – Compétence du juge administratif.

Les requérants ont fait l’objet d’une expulsion ordonnée par un jugement d’un tribunal judiciaire faisant suite à un arrêt devenu définitif de cour d'appel ordonnant la démolition de l'habitation édifiée sur la parcelle, jugement dont une ordonnance de ce même tribunal a ordonné l'exécution provisoire.

La démolition à laquelle il a été procédé ne portait pas sur une construction différente qui aurait été le siège de l'exploitation agricole. Si elle a été exécutée de manière forcée et a abouti à l'extinction d'un droit de propriété, ces opérations, décidées en exécution de décisions de justice, ne sont pas intervenues dans des conditions irrégulières et ne sont pas non plus manifestement insusceptibles d'être rattachées à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative.

Elles ne peuvent, par suite, être qualifiées de voie de fait.

Le litige qu’elles soulèvent relève donc de la seule compétence des juridictions administratives et alors, d’autant plus, que ne peut être relevée en l’espèce, de la part des agents publics mis en cause, aucune faute personnelle détachable du service.  

(TC, 12 juin 2023, M. et Mme C. c/ préfète de l’Ain et autres, n° C4276)

 

162 - Occupation temporaire de la cour d’un immeuble – Occupation autorisée par le juge judiciaire – Réalisation de travaux publics - Demande d’indemnisation – Compétence du juge administratif.

La demande présentée devant le juge du fond pour obtenir la réparation des conséquences dommageables de l'occupation de la cour de leur immeuble, qui, comme les autres préjudices invoqués par Mme B. et M. A., résultent de l'exécution de travaux publics, relève de la compétence du juge administratif, bien que cette occupation temporaire de leur cour ait été autorisée par le juge judiciaire, statuant en référé.

(TC, 12 juin 2023, Mme. B. et M. A. c/ métropole Aix-Marseille-Provence et commune de Miramas, n° C4274)

 

Police

 

163 - Cyno-détection des explosifs - Délivrance d’une certification technique - Évaluation de l’équipe cynotechnique - Absence d’urgence - Rejet.

Le syndicat requérant demande la suspension de l’exécution de l'article 7 de l'arrêté du 31 mars 2023 portant organisation de la certification technique des équipes cynotechniques privées en recherche des explosifs en tant que l'appréciation par le seul examinateur de l'opportunité d'un report de l'évaluation de l'équipe cynotechnique à raison de l'état de santé du chien est susceptible de porter atteinte à la vie et au bien-être de l'animal et à l'égalité entre les candidats.

Pour rejeter la requête en raison du défaut d’urgence, le juge du référé suspension relève tout d’abord que dans l'hypothèse où, en dépit de l'état de santé dégradé du chien avant le début des épreuves ou d'une blessure de l'animal en cours d'examen, l'examinateur n'accepterait pas le report de l'évaluation, le candidat pourrait, s'il estimait que le bien-être du chien était menacé ou que l'état de santé de l'animal amoindrirait ses chances de réussite aux épreuves, renoncer à être évalué et se présenter à une session ultérieure de certification.

En outre, si, dans cette hypothèse, le candidat devrait acquitter, de nouveau, des frais d'inscription, cette circonstance ne saurait, à elle seule, justifier de l'urgence qu'il y aurait pour le juge des référés à faire usage des pouvoirs qu'il détient sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-1 du CJA. 

(02 juin 2023, Syndicat autonome des agents cynophiles, n° 474556)

 

164 - Police des mines - Prolongation des concessions minières - Suppression des concessions à durée illimitée - Constitutionnalité de l’art. L. 144-4 du code minier - Refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité.

La Compagnie défenderesse en cassation avait obtenu une concession minière à durée illimitée à laquelle a mis fin la loi du 15 juillet 1994 qui a décidé que les concessions de mines à durée illimitée accordées antérieurement au 17 juin 1977 expireraient le 31 décembre 2018, mais que leur prolongation, par périodes successives d'une durée inférieure ou égale à vingt-cinq ans, serait de droit si les gisements étaient exploités à cette dernière date. Le ministre de l’économie et des finances, par une décision implicite, a refusé d’accorder à cette société la prolongation des concessions minières dont elle est détentrice.

Les juridictions de première instance et d’appel ayant annulé ce refus, le ministre s’est pourvu en cassation.

En défense à ce pourvoi, la compagnie a soulevé une QPC à l’encontre de la première phrase de l’art. L. 144-4 du code minier dans la version qui lui a été donnée par l’ordonnance du 20 janvier 2011 qui a codifié la partie législative du code minier.

La demande est rejetée.

Il est d’abord relevé que le Conseil constitutionnel (18 février 2022, France nature environnement, décis. n° 2021-971 QPC) a décidé que la seconde phrase de l'art. L. 144-4, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 20 janvier 2011, était contraire à la Constitution avant la date d'entrée en vigueur de la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. La déclaration d'inconstitutionnalité a pris effet à compter de sa publication, soit le 19 février 2022, et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date. 

Il est relevé ensuite, s’agissant de la première phrase de cet article, seule en litige en l’espèce, d’une part, qu’elle se borne à énoncer que les concessions de mines instituées pour une durée illimitée expirent le 31 décembre 2018 sans prévoir ni la possibilité ou les modalités d'une prolongation de ces concessions ni non plus leur interdiction de prolongation et, d’autre part, que la déclaration d’inconstitutionnalité du C.C. dans sa décision précitée n’a pour effet que de permettre aux parties aux instances juridictionnelles non jugées définitivement le 18 février 2022 de se prévaloir de l'inconstitutionnalité du régime de prolongation qui leur a été appliqué. 

Il suit de là que la QPC n’a pas un caractère sérieux.

(09 juin 2023, Société Compagnie minière Montagne d'Or, 456736 et n° 456738)

 

165 - Police du contrôle technique des véhicules – Véhicules motorisés à deux et trois roues – Injonction de transposer une directive de l’UE – Suspension d’un  rejet implicite.

Nouvel épisode de l’obstination du gouvernement (que F. Mauriac aurait qualifié de « gouvernement à tête de boeuf » comme il le fit pour celui de J. Laniel) à ne pas transposer, s’agissant des deux roues et des trois roues, la directive européenne relative au contrôle technique périodique des véhicules à moteur et de leurs remorques et cela en dépit de la décision du Conseil d’État du 31 octobre 2022 (Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 466125 ; v. cette Chronique, octobre 2022 n° 111) laquelle réitérait celles du 27 juillet 2022 (n° 457398 et n° 456131 ; v. cette Chronique juillet-août 2022 n° 167).

Sans surprise, le juge du référé suspension relève que si le ministre chargé de l’écologie invoque, pour justifier son inqualifiable retard, « les concertations et les travaux nécessaires à l'adoption de l'arrêté d'application du décret du 9 août 2021 qui définira les modalités selon lesquelles le contrôle technique des véhicules motorisés concernés sera réalisé », ceci, en l'absence de mise en œuvre effective à la date de la présente ordonnance des mesures envisagées et, à défaut d'indications quant à la date à laquelle cet arrêté sera publié, n’est pas de nature à justifier de la transposition de cette directive. D’où le doute sérieux existant quant à la légalité de la décision contestée et l’injonction d’agir dans les deux mois.

Devant la persistance d’un comportement aussi déplorable, le lecteur a envie de s’écrier avec Cicéron : « Qousque tandem (Borne(a)) abutere patientia nostra ? ».

(ord. réf. 01 juin 2023, Associations Respire, Ras-le-Scoot et Paris sans voiture, n° 473930)

 

166 - Fermeture provisoire d’un établissement commercial en infraction – Détention frauduleuse en vue de la vente de tabacs fabriqués et vente, même à distance, de ces tabacs – Absence de caratère disproportionné portant une atteinte grave à certaines libertés – Rejet.

Doit être rejetée la demande en référé liberté tendant à l’annulation de la décision préfectorale ordonnant la fermeture pour un mois d’un commerce où est commise l’infraction, prévue et réprimée par les art. 1810, 1817 et 1825 du CGI, de « détention frauduleuse en vue de la vente de tabacs fabriqués » et de « vente, y compris à distance, de tabacs fabriqués ». En effet, eu égard au caractère répété de l’infraction et au plafond de trois mois de fermeture prévu par ces dispositions, la sanction retenue ne revêt pas un caractère disproportionné qui serait constitutif d'une atteinte grave et manifestement illégale portée à sa liberté d'entreprendre, à la liberté du commerce et de l'industrie, à la liberté contractuelle ou à une autre liberté fondamentale. Par ailleurs, la demanderesse n’apportant pas d’éléments ou arguments nouveaux en appel elle n’est pas fondée à demander l’annulation du jugement attaqué.

(ord. réf. 12 juin 2023, Société Alimentation Miyanna market, n° 474672)

 

167 - Permis de conduire - Retrait de points - Commission de plusieurs infractions simultanées - Régime applicable - Erreur de droit.

Commet une erreur de droit l’auteur d’une ordonnance jugeant qu’en cas d’infractions simultanées il résulte de dispositions du code de la route que la « limite des deux tiers du nombre maximal de points pouvant être retirés » doit s'entendre du nombre maximal de points dont le retrait est encouru par le conducteur du fait des infractions en cause alors qu’il se déduit d’évidence des articles ad hoc de ce code (L. 223-1 et L. 223-8, R. 223-1 et R. 223-2) que, dans le cas où plusieurs infractions sont commises simultanément, les retraits de points afférents à ces infractions se cumulent dans la limite des deux tiers du nombre maximal de points affecté au permis de conduire, soit dans la limite de huit points, compte tenu du nombre de douze points affecté, en principe, au permis de conduire à l'issue de la période probatoire. 

(20 juin 2023, M. A. n° 460902)

 

168 - Adoptions internationales - Suspension temporaire des adoptions d’enfants malgaches - Mesure nécessaire et proportionnée - Rejet.

Les requérants poursuivaient l’annulation de l’arrêté ministériel portant suspension temporaire des procédures d'adoption internationale concernant les enfants résidant à Madagascar.

Le recours est rejeté au motif que « les fragilités de l'Autorité centrale pour l'adoption à Madagascar, révélées notamment par le rapport du comité des droits de l'enfant de l'Organisation des Nations Unies du 9 mars 2022, ne (permettent) plus de disposer des garanties nécessaires en termes de sécurité et d'éthique des procédures d'adoption concernant ce pays, ainsi que de validité de certains documents d'état civil. »

La suspension litigieuse, intervenue en raison de cette situation et à titre temporaire, est destinée à donner le temps aux autorités malgaches de renforcer les garanties entourant ces procédures, y compris par la consolidation du cadre réglementaire. Par suite, cette mesure qui est provisoire, est adaptée, nécessaire et proportionnée.

La requête est rejetée.

(20 juin 2023, Confédération française pour l'adoption comité de Brive et autres, n° 471428)

 

169 - Police des jeux - Pouvoirs de l’Autorité nationale des jeux - Encadrement de la communication commerciale des jeux - Affichage préventif en matière de prévention du jeu excessif et de la protection des mineurs - Rejet et annulation partiels.

Le territoire de Polynésie françaises demandait l’annulation de deux séries de dispositions du code de la sécurité intérieure relatives aux jeux, paris et loteries.

En raison du régime de large autonomie normative dévolue à ce territoire se posait, en matière de jeux, la question des compétences respectives de l’État et du territoire en cette matière. D’un côté, l'art. 43 de la loi du 29 décembre 1989 de finances pour 1990 a autorisé sur le territoire de la Polynésie française l'exploitation par la société France Loto de jeux faisant appel au hasard. D’un autre côté, diverses dispositions de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ont conféré compétence à l’Assemblée de Polynésie à l’effet de déterminer les règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris, dans le respect des règles de contrôle et des pénalités définies par l'État. Elles ont aussi reconnu au conseil des ministres de ce territoire la compétence pour autoriser l'ouverture des cercles et des casinos. 

De là, le juge administratif tire une ligne générale de combinaison de ces textes en décidant que la fixation des règles applicables aux jeux d'argent et de hasard en Polynésie française ressortit à la compétence de l'assemblée de la Polynésie française, sous réserve de la compétence dévolue à l'État pour fixer - pour des motifs de sécurité et d'ordre public -  les règles de contrôle et les pénalités applicables à ces jeux, notamment aux jeux exploités, sur le fondement des dispositions de l'art. 43 de la loi du 29 décembre 1989, qui n'ont été ni abrogées ni modifiées, par la société La Française des jeux, venue aux droits de France Loto, dans le cadre de la convention conclue entre cette société et la Polynésie française.

En premier lieu, est rejeté le recours dirigé contre l'extension des articles D. 320-1 à D. 320-10, D. 322-18-5 et D. 322-22-9 du code de la sécurité intérieure. Selon ces dispositions, est organisé l'affichage, dans les postes d'enregistrement des jeux de loteries et des paris sportifs ou hippiques, des dispositions législatives interdisant le jeu aux mineurs et aux personnes interdites de jeu. Toute communication commerciale en faveur d'un opérateur de jeux d'argent et de hasard est assortie d'un message de mise en garde contre les risques liés à la pratique du jeu ainsi que l'adaptation de ce message aux différents supports de diffusion, y compris les articles de sports commercialisés ou offerts par les associations et fédérations sportives. Enfin, sont interdites, d’une part, toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard comme source de revenus ou facteur de réussite sociale et, d’autre part, toute communication commerciale valorisant le jeu d'argent et de hasard destinée aux mineurs. Rejetant sur ces points le recours, le juge que ces restrictions, qui tendent à prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public et à l'ordre social qui seraient susceptibles de résulter d'une pratique non réglementée des jeux, ainsi que la protection de la santé publique, constituent des règles de contrôle des jeux dont la fixation relève de la compétence de l'État.

 

En second lieu, est admis le recours dirigé contre l'extension des articles D. 322-9 à D. 322-22 du code de la sécurité intérieure qui encadrent l'affectation aux gagnants du montant total des mises de ces jeux, définissent la nature de leurs gains ou lots, prévoient leur nombre maximum, organisent leur mise à disposition des joueurs ainsi que la manière dont l'intervention du hasard peut y être intégrée et représentée et, enfin, déterminent le cadre dans lequel la société la Française des jeux peut autoriser des personnes privées à exploiter des postes d'enregistrement de ces jeux. En effet, ces dispositions constituent des « règles applicables aux casinos et cercles de jeux, aux loteries, tombolas et paris », sans pouvoir être regardées comme des règles de contrôle ou des pénalités, au sens et pour l'application de l'article 24 de la loi organique du 27 février 2004. Leur fixation relève ainsi, par application du même article, de la compétence de l'assemblée de la Polynésie française.

(26 juin 2023, Polynésie française, n° 449339 ; Polynésie française, n° 451243, jonction)

 

170 - Police spéciale des déchets - Objets laissés à l’abandon sur une propriété privée - Qualification comme « dépôt sauvage de déchets » - Absence d’erreur de qualification juridique - Rejet.

Le maire d’une commune a mis en demeure, sous astreinte journalière, le propriétaire d’un terrain d’en éliminer les déchets qui y sont présents. L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du rejet de sa requête en annulation de la décision municipale.

Pour contester cette décision, le demandeur fait valoir qu’il n’a pas abandonné les objets hétéroclites se trouvant sur son terrain.

Confirmant pleinement la solution - assez innovante - retenue par les juges du fond, le Conseil d’État indique que peuvent être regardés comme des déchets au sens des dispositions des art. L. 541-1-1, L. 541-2 et L. 541-3 du code de l’environnement, les très nombreux objets hétéroclites et usagés se trouvant sur le terrain et dont il n’est pas établi qu'ils pourraient faire l'objet, sans transformation préalable, d'une utilisation ultérieure. La cour est ainsi approuvée d’avoir caractérisé la situation d'abandon de biens dont, eu égard à leur état matériel, à leur perte d'usage et aux modalités de leur dépôt, le détenteur, quoiqu'il les ait laissés entreposés sur un terrain lui appartenant, peut être regardé comme s'en étant effectivement défait, en leur donnant ainsi le caractère de déchets, après avoir pris en compte la circonstance que leur réutilisation sans opération de transformation préalable n'était pas suffisamment certaine.

Par suite, l’astreinte infligée n’était pas non plus illégale.

(26 juin 2023, M. B., n°457040)

 

171 - Police de l’agriculture - Maladie de la vigne - Flavescence dorée - Moyen de lutte - Absence d’erreur d’appréciation - Rejet.

La requérante a demandé l’annulation de l'arrêté du 27 avril 2021 relatif à la lutte contre la flavescence dorée de la vigne et contre son agent vecteur en tant qu'il n'impose pas une obligation générale de traitement à l'eau chaude des boutures issues des vignes mères et des plants issus des pépinières viticoles ainsi qu’une injonction soit faite
au ministre de l'agriculture de procéder à la modification de cet arrêté et de l'instruction technique du 13 août 2021 précisant les modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne afin d’y prévoir cette obligation.

Le recours est rejeté.

Le juge estime que ne sont pas entachées d’erreur d’appréciation les mesures décidées pour chacune des trois catégories de zones concernées : 1°/ obligation de traitement à l’eau chaude  de tous les plants plantés en zone exempte lorsqu'ils sont issus de pépinières situées en zone délimitée, ou constitués de porte-greffes et greffons issus de vignes-mères situées en zone délimitée et non traités à l'eau chaude, ce qui revient à rendre obligatoire un tel traitement, dans les pépinières et vignes mères situées en zone délimitée, lorsqu'elles entendent vendre leurs plants à destination de zones exemptes ; 2°/ pour les pépinières et vignes mères situées en zone délimitée et où l'insecte vecteur est présent, si le traitement à l'eau chaude permet d'éliminer le phytoplasme, agent de la flavescence dorée de la vigne, de plants ou de boutures déjà contaminés, il n'empêche pas les plants traités de développer la maladie en cas d'infection ultérieure ; de plus, ce traitement n'est pas efficace à lui seul contre l'insecte vecteur du phytoplasme, dont il élimine les œufs mais pas les larves et les insectes adultes, porteurs de la maladie, et enfin, dans les zones où la maladie est déjà présente, son développement est très rapide sous l'effet du vecteur ; 3°/ pour les pépinières et vignes mères situées en zone exempte et où l'insecte vecteur est absent, la requérante ne fait pas apparaître en quoi, alors que le phytoplasme est lui-même absent de telles zones, un traitement à l'eau chaude contribuerait à lutter contre la flavescence dorée de la vigne, ni en quoi les mesures de surveillance et de prévention de la maladie décrites dans l’arrêté attaqué, dont elle ne soutient pas qu'elles sont inefficaces, seraient insuffisantes pour prévenir cette maladie. 

(28 juin 2023, Confédération paysanne, n° 457727)

(172) V. aussi, à propos d’un recours tendant à l’annulation de l'instruction technique du 13 août 2021 relative aux modalités de surveillance et de lutte contre la flavescence dorée de la vigne et ses annexes, notamment les points « 2-Financement des prospections », « Plantations en zone exempte » et « Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières » de son annexe I, le rejet de la plupart des moyens sauf celui, admis, tiré de ce qu’il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté par le ministre de l'agriculture que l'obligation de traitement à l'eau chaude prévue par l'arrêté du 27 avril 2021 et reprise par l'instruction technique contestée, oblige à traiter à l'eau chaude des plants issus de pépinières et vignes-mères utilisés pour la multiplication de la vigne alors même que ceux-ci remplissent les conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII du règlement (UE) 2019/2072. Par suite, la requérante est fondée à soutenir que les points « Plantations en zone exempte » et « Lutte antivectorielle en Vignes mères et pépinières » de l'instruction technique et les articles 13 et 16 de l'arrêté du 27 avril 2021 méconnaissent les règlements (UE) 2016/2031 et (UE) 2019/2072 en tant qu'ils ne permettent pas la circulation de végétaux destinés à la plantation répondant aux conditions prévues au b du point 19 de l'annexe VIII de ce dernier : 28 juin 2023, Fédération française de la pépinière viticole , n° 461202.

 

173 - Retour en France d’une ressortissante française accompagnée d’une enfant née au Mexique d’une gestation pour autrui - Délivrance d’un laissez-passer consulaire pour l’enfant - Intérêt supérieur de l’enfant - Injonction de délivrer à titre provisoire un document lui permettant l’accès en France.

Une ressortissante française partie au Mexique pour bénéficier du fruit de la gestation d’une autre personne, entend y revenir avec l’enfant issue de ce procédé la validité de son visa de séjour mexicain arrivant à expiration. Le ministère des affaires étrangères tardant à délivrer un document de voyage à l’enfant dans l’attente d’avoir statué sur son sort juridique, la justice administrative a été saisie, en vain au premier degré. Le Conseil d’État est saisi par voie d’appel dans le cadre d’un référé liberté.

Le juge des référés considère qu’il y a urgence car l’expiration du visa mexicain contraint la demanderesse à rentrer en France en laissant l’enfant abandonnée à Mexico car cette dernière ne peut entrer en France.

Le juge estime que l’intérêt supérieur de l’enfant joint à la présomption de validité des actes de l’état-civil étrangers posée par le Code civil (art. 47) qui fait de la requérante sa mère, imposent à l’administration de délivrer sans délai un document quelconque permettant l’entrée de l’enfant en France en compagnie de celle qui est désormais sa mère. Cette injonction ne préjuge nullement du sort que la France réservera in fine à la détermination de la nationalité de l’enfant laquelle est, au demeurant, déjà détentrice de la nationalité mexicaine.

Ce scénario, digne d’alimenter les causeries dans les chaumières en faisant pleurer Margot, est le résultat de choix libres de la mère dont elle impose les conséquences, de façon unilatérale, à l’État français dont le droit interne n’admet pourtant pas le recours au procédé qui le contraint néanmoins à renoncer, cas par cas, à sa souveraineté. Quid de la démocratie ?

(28 juin 2023, Mme B., n° 475257)

 

174 - Police des carrières - Autorisation d’extraction de grès - Rejet du recours dirigé contre cette autorisation - Juge d’appel prononçant un arrêt d’avant-dire droit en attente de régularisation - Arrêt se prononçant au fond - Pourvoi en cassation contre le premier et non contre le second arrêt - Pourvoi devenu sans objet - Rejet.

Après le rejet, par le tribunal administratif, de leur requête tendant à voir annuler l'arrêté par lequel le préfet de l'Orne a autorisé l’exploitation d’une carrière et ses installations connexes sur le territoire de deux communes, les demandeurs ont saisi la juridiction d’appel. Celle-ci a rendu d’abord un arrêt d’avant-dire droit accordant au préfet un délai de six mois pour la régularisation de l'autorisation par la réalisation d'un nouvel état de pollution des sols. 

Les demandeurs se sont pourvus en cassation de cet arrêt.

Puis, au vu des mesures prises par le préfet, la cour ayant constaté la régularisation du vice de procédure qu’elle avait relevé, a, par un second arrêt, rejeté l’ensemble des conclusions dont l’avait saisie l’association.

Or si le pourvoi en cassation était dirigé contre l’arrêt rendu avant-dire droit, aucun pourvoi n’a été dirigé contre le second arrêt ce qui a pour effet de rendre sans objet le pourvoi.

(30 juin 2023, Association Tournai-Villedieu-Environnement et autres, n° 450481)

 

175 - Police des enseignes lumineuses – Extinction de ces enseignes à partir d’une certaine heure en cas de forte tension du système électrique – Sort des enseignes à LED – Rejet.

Était demandée l’annulation du décret du 17 octobre 2022 portant obligation d'extinction des publicités lumineuses en cas de situation de forte tension du système électrique en tant qu'il impose cette obligation aux publicités lumineuses reposant sur la technologie des diodes électroluminescentes (LED).

Le recours est rejeté.

Contrairement à ce qui est allégué, ce décret n’a ni pour objet ni pour effet de conférer à la société RTE, personne privée, un pouvoir de police qui n’appartient en cette matère qu’au premier miniustre.

Ces restrictions, qui sont commandées en cas de menace grave et imminente sur la sécurité d'approvisionnement en électricité et d'insuffisance des mécanismes à disposition du gestionnaire pour assurer l'équilibre des flux d'électricité sur le réseau, sont bien nécessaires, adaptées et proportionnées.

Reposant sur une obligation d'extinction faite à toutes les publicités lumineuses raccordées au réseau, cette mesure ne saurait être considérée comme portant atteinte aux règles de la concurrence.

Enfin, le décret attaqué n’a pas pour objet – contrairement à ce qui est soutenu - de traiter plus favorablement les dispositifs qui ne recourent pas à la technologie des diodes électroluminescentes mais de permettre, conformément au principe de sécurité juridique et dans un délai dont la durée n'est pas manifestement excessive, l'adaptation des dispositifs qui ne sont ni programmables ni pilotables à distance.

(30 juin 2023, Société Cocktail Développement, n° 469553)

 

Professions réglementées

176 -- Chirurgien-dentiste - Régime disciplinaire - Infliction d’une sanction - Méconnaissance d’une obligation n’entrant pas dans le champ disciplinaire - Erreur de droit - Cassation de l’entière décision.

Sur plainte du médecin-conseil régional, chef de service du service médical d'Île-de-France, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance d'Île-de-France de l'ordre des chirurgiens-dentistes  a infligé au requérant la sanction de l'interdiction de donner des soins aux assurés sociaux pendant une durée de trois ans et lui a ordonné de reverser des sommes aux caisses primaires d'assurance maladie de Paris, de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et des Yvelines. La section des assurances sociales du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a, d'une part, rejeté l'appel formé par M. B. contre cette décision et, d'autre part, décidé que la sanction serait exécutée du 15 février 2022 au 14 février 2025.

M. B. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule la décision déférée.

Il relève que, parmi les fautes justifiant la sanction prononcée, la juridiction d’appel  a retenu que M. B. n'avait pas fourni, à de nombreuses reprises, les documents demandés par le service du contrôle médical de l'assurance-maladie de Paris dans le cadre de l'analyse de son activité, notamment 260 radiographies, et a jugé que l'intéressé avait, ce faisant, méconnu l'obligation qui découle des dispositions de l'art. R. 315-1-1 du code de la sécurité sociale de communiquer au service du contrôle médical l'ensemble des documents lui permettant de procéder à l'analyse prévue à l'art. L. 315-1 du code de la sécurité sociale.

Pour fonder la sanction infligée, cette juridiction s’est appuyée sur les dispositions de l'art. L. 145-1 du code de la sécurité sociale or ce texte ne réprime que les fautes, abus, fraudes et faits intéressant l'exercice d'une profession de santé qui sont relevés à l'encontre d'un praticien à l'occasion des soins qu'il dispense aux assurés sociaux. Tel n’est pas le cas de l’espèce : la juridiction d’appel a ainsi commis une erreur de droit.

Comme le juge d’appel a pris en compte ces faits avec d'autres agissements pour déterminer la sanction infligée à M. B., l’erreur de droit entraîne la cassation de la décision attaquée dans son ensemble.

(29 juin 2023, M. B., n° 462323)

 

177 - Expert-comptable - Procédure disciplinaire - Désistement de l’appelant principal - Sort des appels incidents - Application du droit commun processuel - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit la chambre nationale de discipline auprès du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables qui, saisie à la fois d’un appel principal et d’appels incidents et en présence d’un désistement de l’appelant principal, juge que ce désistement a éteint l’instance d’appel alors que les requérants avaient expressément refusé d'accepter ce désistement.

En cette occurrence, il appartient à cette juridiction comme à toute juridiction administrative de droit commun, de décider soit de donner acte du désistement de l’appel incident lorsque l’appelant incident a accepté le désistement de l’appelant principal, soit que l’appel incident est irrecevable, en particulier s’il est formé après enregistrement du désistement de l’appelant principal, soit statuer au fond sur les conclusions incidentes dans la mesure de leur recevabilité.

(30 juin 2023, Société Ethix et M. B., n° 451040)

Question prioritaire de constitutionnalité

178 - Enseignement supérieur - Diplôme national de master - Procédure de recrutement en première année de ce diplôme - Principe d’égal accès à l’instruction - Incompétence négative du législateur - Règle de capacité d’accueil des établissements - Sécurité juridique - Refus de transmission de la QPC.

Le saisissant contestait la constitutionnalité des dispositions des deuxième et sixième alinéas de l'art. L. 612-6 du code de l'éducation portant adaptation du deuxième cycle de l'enseignement supérieur français au système Licence-Master-Doctorat.

Les différents moyens soulevés au soutien de la question sont rejetés.

Cet article n’est pas entaché d’incompétence négative en ce qu’il prévoit que les capacités d'accueil pour l'accès à la première année du cycle de master sont fixées par les établissements dans le cadre d'un dialogue avec l'État, sans préciser les modalités particulières de détermination de ces capacités d'accueil dès lors que de telles précisions ne relèvent pas des principes fondamentaux de l'enseignement, ni d'aucun autre principe ou règle dont la détermination incombe à la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution. 

Le législateur pouvant déroger au principe du libre accès aux études universitaires en fonction de critères tirés exclusivement des mérites des candidats, il lui a été loisible de décider qu’en cas de limitation des capacités d’accueil en master l’accès y serait subordonné au succès à un concours ou à une sélection sur dossier, dès lors que les seuls critères applicables sont ceux tenant aux mérites des candidats.

Enfin ne saurait être invoqué le principe de sécurité juridique dès lors que n’est pas en cause une atteinte à des situations légalement acquises ou à des effets qui peuvent légitimement en être attendus s’agissant de la détermination des modalités de sélection pour l'accès en première année des formations de deuxième cycle lorsque les capacités d'accueil y sont limitées.

(07 juin 2023, M. B., n° 471537)

179 - Police des mines - Prolongation des concessions minières - Suppression des concessions à durée illimitée - Constitutionnalité de l’art. L. 144-4 du code minier - Refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité.

(09 juin 2023, Société Compagnie minière Montagne d'Or, 456736 et n° 456738)

V. n° 184

 

180 - Magistrat du siège - Procédure disciplinaire - Question nouvelle mais restreinte à la matière pénale - Exclusion du droit disciplinaire - Refus de transmission d’une QPC.

Le demandeur opposait une QPC aux art. 52 et 56 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature fondée sur le motif que ces dispositions, en ce qu’elles prévoient l'audition du magistrat poursuivi par le rapporteur désigné par le Conseil supérieur de la magistrature et par le conseil de discipline sans que ne lui soit notifié son droit au silence, méconnaissent le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire, résultant des art. 9 et 16 de la Déclaration de 1789.

Si le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion (déc. n° 2010-611 DC du 19 juillet 2010 et n° 2001-445 DC du 19 juin 2001), de déclarer conformes à la Constitution ces articles dans leur rédaction applicable au présent litige, sa jurisprudence a cependant été précisée par la suite s’agissant du principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser en matière pénale, dont découle le droit de se taire (déc. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, n° 2021-894 QPC et n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021). Cependant, si ces décisions constituent une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel tel n’est pas le cas en l’espèce qui concerne la matière disciplinaire, non la matière pénale, alors qu’il résulte de ces dernières jurisprudences qu’elles ont vocation à s'appliquer dans le cadre d'une procédure pénale.

Il en va ainsi alors même que les informations recueillies dans le cadre de cette procédure disciplinaire pourraient être ultérieurement transmises au juge pénal. Cette solution peut se discuter dès lors que le droit de se taire n’est pas reconnu en procédure disciplinaire.

(23 juin 2023, M. B., n° 473249)

 

181 - Entreprises de presse - Régime des aides à la presse - Péréquation du coût de la distribution des quotidiens en France – Rejet.

Des divers moyens soulevés par les requérantes - tous rejetés -  à l’encontre de la décision de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) en date du 21 septembre 2022 fixant le montant de la péréquation entre entreprises de presse prise en application du 3° de l'art. 18 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 modifiée relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques, on retiendra seulement celui  soulevant une question prioritaire de constitutionnalité.

Les requérantes arguaient de ce que les dispositions précitées, ne prévoient pas la prise en compte, pour le calcul de la péréquation du montant des coûts spécifiques et ne pouvant être évités induits par la distribution des quotidiens en France, des aides pour la distribution de quotidiens en France prévues par le décret du 25 avril 2002 relatif à l'aide à la distribution de la presse.

Le juge rejette - pour la première fois nous semble-t-il avec cette netteté et à juste titre - une telle question au motif que lorsque pour l'adoption d'une disposition, le législateur a ou non pris en considération l'existence ou le contenu d'un acte règlementaire, ne saurait constituer par elle-même une violation, par cette disposition, d'un droit ou d'une liberté garanti par la Constitution et ne peut par suite être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

(29 juin 2023, Société Messageries Lyonnaises de Presse et société MLP, n° 469035)

Responsabilité

182 - Responsabilité hospitalière - Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) agissant par subrogation aux droits de la victime - Action de l’ONIAM contre un établissement devant être regardée comme une action de la victime - Transaction conclue par l’ONIAM - Évaluation des préjudices - Responsabilité de plusieurs établissements - Régime - Annulation.

L'ONIAM, subrogé dans les droits des victimes sur le fondement de l'art. L. 1142-15 du code de la santé publique du fait des indemnités transactionnelles qu’il leur a versées en réparation des préjudices subis par leur enfant à la suite de la prise en charge de Mme B. par ces établissements hospitaliers et le centre de protection maternelle et infantile des Yvelines, a demandé au tribunal administratif de condamner le centre hospitalier intercommunal de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, le département des Yvelines et le centre hospitalier de Cornouaille à lui rembourser celles-ci, et à lui verser une pénalité de 15 % sur le fondement de même article du code précité.

Le tribunal administratif a condamné le centre hospitalier de Cornouaille à verser à l'ONIAM les sommes de 501 582,76 euros et 75 237,41 euros ; sur appel de l’ONIAM, la cour administrative d’appel a ramené ces sommes respectivement à 76 232,52 et 3 811,63 euros et rejeté le surplus de ses demandes.

L’ONIAM se pourvoit en cassation de cet arrêt en tant qu’il a rejeté celles de ses conclusions tendant au remboursement des sommes versées en exécution des protocoles d'indemnisation transactionnelle conclus le 24 novembre 2017.

Le juge rappelle tout d’abord, l’applicabilité à l’espèce du principe constant du droit de la sécurité sociale selon lequel lorsque l’organisme subrogé dans les droits de la victime qu’il a indemnisée exerce son action subrogatoire, celle-ci constitue « une action de la victime » ce qui impose au juge administratif d’appeler en la cause les caisses de sécurité sociale (cf. art. L. 376-1 code séc. soc.). L’arrêt attaqué est irrégulier pour avoir omis cet appel en la cause.

Surtout, il incombe au juge, saisi d'une action de l'ONIAM subrogé, à l'issue d'une transaction, dans les droits d'une victime à concurrence des sommes versées, de déterminer si la responsabilité du professionnel ou de l'établissement de santé est engagée et, dans l'affirmative, d'évaluer les préjudices subis, afin de fixer le montant des indemnités dues à l'Office.

Lorsqu'il procède à cette évaluation, le juge n'est pas lié par le contenu de la transaction intervenue entre l'ONIAM et la victime.

Dans le cas particulier où, alors que la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation avait estimé que la responsabilité de plusieurs établissements était engagée, le juge, saisi d'un recours subrogatoire de l'ONIAM, estime que la réparation du dommage incombe à un seul établissement, il doit, pour déterminer le montant de l'indemnité due à l'Office, tenir compte de l'ensemble des préjudices indemnisés par l'ONIAM, qu'ils l'aient été en substitution de l'assureur de l'établissement jugé seul responsable ou de ceux d'autres établissements. 

L’arrêt est entaché d’erreur de droit  pour avoir limité l'indemnité accordée à l'ONIAM au remboursement des sommes versées en exécution du protocole complémentaire d'indemnisation conclu en novembre 2017 en substitution de l'assureur du centre hospitalier de Cornouaille, alors qu'elle a jugé que ce centre hospitalier était seul responsable du dommage et que l'ONIAM avait demandé que ce centre hospitalier soit condamné à lui rembourser l'intégralité des sommes versées au titre de ces nouveaux protocoles, indemnisant des préjudices nouveaux ou s'étant aggravés.

(07 juin 2023, Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), n° 448871)

(183) V. aussi, jugeant et rappelant :

1°/ que le juge saisi d'un recours de la victime d'un dommage corporel et du recours subrogatoire formé par un organisme de sécurité sociale en application des dispositions de l'art. L. 376-1 du code de la sécurité sociale ou par un autre tiers payeur sur le fondement des articles 28 et 29 de la loi du 5 juillet 1985 tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation doit, pour chacun des postes de préjudices, déterminer le montant du préjudice en précisant la part qui a été réparée par des prestations versées par l'organisme de sécurité sociale ou l'autre tiers-payeur et celle qui est demeurée à la charge de la victime.

2°/ qu’il appartient ensuite à ce juge de fixer l'indemnité mise à la charge de l'auteur du dommage au titre du poste de préjudice en tenant compte, s'il a été décidé, du partage de responsabilité avec la victime, le juge devant allouer cette indemnité à la victime dans la limite de la part du poste de préjudice qui n'a pas été réparée par des prestations, le solde, s'il existe, étant alloué à l'organisme de sécurité sociale ou à l'autre tiers payeur.

3°/ que le recours subrogatoire ouvert par ces dispositions n'étant susceptible de s'exercer que dans la limite de l'évaluation, poste par poste, du préjudice subi par la victime, la cour administrative d'appel, qui a procédé à une nouvelle évaluation des préjudices de la victime au titre de ses dépenses de santé et de ses pertes de gains professionnels, n'a pas commis d'erreur de droit en réduisant par voie de conséquence, au-delà des conclusions dont elle était saisie par les parties, les sommes accordées aux tiers payeurs au titre de leurs débours s'imputant sur ces postes. Elle n'a par ailleurs pas entaché son arrêt d'irrégularité en s'abstenant d'inviter les tiers payeurs, auxquels la procédure avait été communiquée, à présenter leurs observations sur ce point. 

4°/ Enfin, que la pension d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet exclusif de réparer, sur une base forfaitaire, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l'accident : les pertes de revenus professionnels et l’incidence professionnelle de son incapacité. Dès lors, le recours exercé par une caisse de sécurité sociale ou un autre tiers payeur au titre d'une pension d'invalidité ne saurait s'exercer que sur ces deux postes de préjudice : 07 juin 2023, Caisse régionale d'assurance maladie d'Île-de-France (CRAMIF) et Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Seine-Saint-Denis, n° 452790.

 

184 - Responsabilité hospitalière - Demande indemnitaire - Saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation - Avis favorable - Refus d’accepter l’offre amiable - Saisine de la commission valant demande préalable à l’établissement de santé - Annulation avec renvoi au tribunal administratif.

La requérante a demandé l’indemnisation de dommages qu’elle estime avoir subis du fait d'une opération chirurgicale réalisée au centre hospitalier d’Arpajon le 24 février 2016. Sa requête a été rejetée en première instance et en appel au motif qu’elle n’a pas produit la justification de la date de dépôt de sa demande indemnitaire préalable auprès de l'administration ni de l'impossibilité de la produire, contrairement aux dispositions de l’art. R. 412-1 du CJA. Sur pourvoi de l’intéressée, le Conseil d’État  annule l’arrêt et le jugement.

Il décide que la production, comme ce fut le cas en l’espèce, de l'avis rendu par la commission de conciliation et d'indemnisation, qui établit sa saisine par une réclamation préalable, dans les conditions prévues aux art. R. 421-1 et R. 421-2 du CJA et aux art. L. 1142-7, R. 1142-13 et R. 1142-19 et suivants du code de la santé publique, suffit à satisfaire aux exigences de l'article R. 412-1 du CJA sans qu'il soit besoin au requérant d'apporter en outre la preuve de la date de dépôt de sa réclamation. 

C’est là la réitération d’un avis contentieux reconnaissant à la saisine de la commission de conciliation et d’indemnisation le caractère d’une « demande préalable » au sens et pour l’application du deuxième alinéa de l’art. R. 421-1 du CJA (Avis, 29 mai 2019, M. et Mme Blard, n° 426519 V ; cette Chronique, mai 2019, n° 96).

(07 juin 2023, Mme A., n° 464883)

 

185 - Responsabilité hospitalière - Infection nosocomiale - Déficit fonctionnel définitif de 65% - Appréciation de la possibilité, ou non, d’exercer une activité salariée - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation sur ce point.

Par suite d’une infection nosocomiale contractée en milieu hospitalier à sa naissance, la victime conserve d'importantes séquelles neurocognitives, se traduisant notamment par des troubles moteurs, des crises épileptiques, des céphalées chroniques, une fatigabilité accrue et une très grande lenteur d'action et de réflexion, sans capacité à mémoriser des consignes ni des séquences de gestes et à anticiper des actions qui ont conduit la cour administrative d’appel à lui reconnaître un déficit fonctionnel définitif de 65 % et à lui accorder une assistance par tierce personne de douze heures par jour. Toutefois, il est jugé que la cour, nonobstant ce constat, n’a pu décider que l’intéressée n’est pas dans l'impossibilité d'exercer une activité salariée, sous réserve d'un aménagement de son poste de travail, que par suite d’une dénaturation des pièces du dossier conduisant à la cassation de l’arrêt sur ce point.

(26 juin 2023, Mme B. représentante de sa fille Mme E., n° 459272)

 

186 - Responsabilité à raison des ouvrages publics - Dégâts causés par des débordements du réseau d’assainissement - Réparation allouée pour une partie du préjudice supérieure à celle demandée - Absence d’ultra petita en l’espèce - Responsabilité sans faute - Notion de risque aléatoire - Annulation partielle.

Une classique banale affaire de demande de réparation des dommages causés par les débordements successifs d’un réseau d’assainissement suite à de violents orages conduit le juge, entre autres, à se prononcer sur deux questions très intéressantes.

En premier lieu, il décide que si la cour a fait du préjudice de jouissance une évaluation supérieure à celle qu'avaient indiquée les victimes, elle n'a accordé à celles-ci, au regard du total des chefs d'indemnisation, qu'une indemnité globale inférieure à celle qu'ils réclamaient. Ainsi, la cour n'a pas statué au-delà des conclusions indemnitaires dont elle était saisie. 

La solution est assez logique car l’on ne se trouve pas en présence de dommages corporels où l’évaluation du préjudice devant s’effectuer poste par poste (nomenclature Dintilhac), l’ultra petita devrait y être apprécié lui aussi poste par poste de préjudice.

En second lieu, le contrat d’assurances liant la collectivité publique condamnée à réparation et son assureur stipulait exclus du champ du contrat « les dommages causés par les infiltrations, refoulements, débordements de canalisations et installations servant à l'écoulement des eaux pluviales et usées, s'il est établi que le risque n'a pas de caractère aléatoire du fait d'un vice de conception de l'ouvrage, d'un défaut d'entretien ou d'une insuffisance de capacité du réseau ». Cette exclusion découle de ce que le Code civil définit toujours le contrat d’assurances comme un contrat aléatoire au sens de son nouvel art. 1108.

Ici l’assureur demandeur au pourvoi  soutenait tout d’abord que l’arrêt d’appel était entaché d’erreur de droit et de contradiction de motifs pour avoir tout à la fois jugé que la responsabilité sans faute de la communauté de communes était engagée à l'égard des victimes en sa qualité de maître d'ouvrage du réseau d'assainissement et que, cependant, la capacité et les dimensions de réseau étaient conformes aux prescriptions techniques, de sorte que les sinistres en litige ne provenaient pas, au sens des stipulations du contrat précitées qu'elle a souverainement appréciées, d'un risque n'ayant pas de caractère aléatoire du fait d'un vice de conception de l'ouvrage, d'un défaut d'entretien ou d'une insuffisance de capacité du réseau. Le moyen est, évidemment, rejeté, l’aléa ne pouvait, précisément, exister que si le réseau, par ses caractéristiques, ne pouvait être en lui-même la cause des débordements mais seulement l’élément transmetteur.

L’assureur soutenait également l’absence d’aléa en ce que de précédents sinistres étaient survenus dans les mêmes conditions antérieurement au renouvellement du contrat d’assurances, le 22 avril 2008, liant la communauté de communes et la société Axa Iard. Le juge réplique qu’il ne résultait pas de l’instruction que la communauté de communes avait eu connaissance de ces événements. Le dommage présentait bien un caractère aléatoire.

Ceci montre combien, en droit des obligations, le juge administratif est fréquemment appelé, d’une part, à se prononcer sur des actes et catégories juridiques de droit privé, enrichissant ainsi leur régime juridique, et combien il est, à son tour, dépendant de ces mêmes actes et catégories tels que les régit le droit privé, spécialement les droits civil et commercial.

La cassation partielle ne porte que sur l’estimation du coût de la remise en état d’un mur séparatif de la propriété des victimes et d’un terrain communal.

(09 juin 2023, Société Axa France Iard, Mme E. et MM. E., n° 464218)

 

187 - Responsabilité du fait de décisions illégales - Responsabilité du fait de la non-réalisation de travaux d’extension de réseaux d’eau et d’électricité – Acte inexistant – Annulation.

Le maire d’une commune a rejeté le 10 septembre 2013 la demande de permis de construire présentée par le groupement requérant en vue de l'édification d'un atelier de découpe de viande, notamment du fait de l'absence de desserte du terrain d'assiette par les réseaux électrique et d'eau potable (cf. art. L. 111-4 du code de l'urbanisme alors en vigueur).

Le 21 novembre 2013, le conseil municipal de la commune a, d'une part, décidé que les travaux d'extension de ces réseaux seraient pris en charge par la communauté d'agglomération et un syndicat des énergies et du numérique (SYADEN) et, d'autre part, entendu dispenser le GAEC du versement de la participation financière pour équipement public exceptionnel prévue à l'art. L. 332-8 du code de l'urbanisme.

Puis, par un arrêté du 6 décembre 2013, le maire de la commune a retiré sa décision du 10 septembre 2013 et délivré le permis de construire sollicité, sans exiger du GAEC le versement d'une participation.

Enfin, par une délibération du 1er mars 2016, le conseil municipal a abrogé la délibération du 21 novembre 2013, pour avoir été adoptée dans des conditions frauduleuses. 

La cour administrative d’appel, par un arrêt infirmatif, a rejeté les prétentions indemnitaires du GAEC qui se pourvoit en cassation. Il succède en son pourvoi.

Relevant que le GAEC requérant s'est borné à mettre en cause les agissements de la commune à partir du mois de mai 2015, à la suite de la demande présentée par le SYADEN en avril 2015, et à se plaindre des préjudices subis du fait de l'absence de raccordement au réseau électrique de l'atelier édifié en 2016, le juge de cassation décide que les dispositions de l'art. 49 du décret du 29 juillet 1927 relatives à la procédure d'opposition, comme du reste celles de l'art. 2 du décret du 1er décembre 2011, en matière d’ouvrages des réseaux publics d'électricité, dans leur rédaction antérieure au décret du 26 mai 2014, lesquelles au demeurant ne permettaient pas au maire concerné de faire échec à la réalisation des travaux d'extension du réseau électrique mais obligeaient seulement le maître d'ouvrage à mettre en œuvre la procédure d'approbation en cas d'opposition du maire, sont inapplicables au présent litige.

Il en résulte qu’en se fondant sur ces dispositions, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'erreur de droit.

Au surplus, et contrairement à ce que soutient la commune, aucune disposition ne permettait au maire - en se fondant sur la charge financière pouvant en résulter pour la commune -  de faire obstacle à la réalisation de ces travaux ou de refuser le raccordement à ce réseau d'un bâtiment pour lequel il avait délivré un permis de construire. 

(06 juin 2023, GAEC des Garrigues arquettoises, n° 464325)

 

188 - Responsabilité pour faute – Responsabilité hospitalière  définitivement jugée – Expertise – Éléments de la mission expertale sans utilité – Réformation.

Dans un litige où était en cause la responsabilité d’un centre hospitalier du fait du préjudice subi par les demandeurs au moment de leurs naissances, le tribunal administratif, par un jugement devenu définitif sur ce point, a mis hors de cause l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et la cour administrative d'appel a jugé, par un arrêt également devenu définitif, que les manquements fautifs du centre hospitalier lors de la naissance de MM. D. étaient à l'origine d'une perte de chance de 70%, pour ces enfants, d'éviter de contracter la leucomalacie périventriculaire à l'origine des importantes séquelles motrices dont ils souffrent.

Il résulte de ceci que la justice administrative s'est ainsi définitivement prononcée sur les responsabilités encourues et sur l'étendue de l'obligation de réparation qui pèse sur le centre hospitalier.

C’est pourquoi, les points de la mission d'expertise visés aux 4°, 5°, 7°, 8° et 9° de l'article 1er du dispositif de l'ordonnance du 7 novembre 2022 du juge des référés du tribunal administratif, qui prescrivent à l'expert de recueillir et exposer tous éléments qui pourraient être utiles au juge pour déterminer l'existence de fautes ou d'un aléa thérapeutique et apprécier l'ampleur des responsabilités, ne présentent pas d'utilité au sens des dispositions précitées de l'art. R. 532-1 du CJA.

En conséquence, le juge de cassation réforme la mission définie par l'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif en annulant ces dispositions, ainsi que la mention, au 6° du même article, d'une personne étrangère au litige. 

(13 juin 2023, MM. D., n° 470654)

 

189 - Responsabilité pour faute - Dommage imputable au service - Chefs de préjudice détaillés en appel - Demande d’appel restant dans l’épure de la demande de première instance - Aggravation connue postérieurement à l’enregistrement de l’appel - Office du juge - Absence de faute de la victime - Annulation.

Cette affaire constitue une excellente illustration des règles et principes gouvernant le contentieux de la responsabilité à raison de préjudices corporels.

Le juge rappelle à nouveau que la victime qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d'un fait qu'elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d'appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n'avait pas fait état devant les premiers juges, sous deux limites et une exception.

1ère limite : les chefs de préjudice détaillés en appel doivent se rattacher au même fait générateur que celui invoqué en première instance.

2ème limite : les prétentions de la victime en appel doivent demeurer dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance.

L’exception réside dans la faculté reconnue au demandeur d’augmenter, le cas échéant, ses prétentions initiales du chef d’éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, mais, là aussi, sous une double limite : 1) ces éléments nouveaux dans le chiffrage du préjudice ne doivent pas relever d’une cause juridique nouvelle ; 2)  la majoration des prétentions en appel n’est possible que si le dommage s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

Lorsque sont satisfaites ces conditions, l’office du juge lui impose d'évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu'ils l'aient été dès la première instance ou pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges.

En l’espèce, le requérant, gardien d’une déchetterie, a été victime d'une chute, le 17 décembre 2015, alors qu'il manipulait une caissette dans le couloir de passage permettant le déplacement à l'intérieur du conteneur des déchets ménagers spéciaux, qui a provoqué une fracture de son pilon tibial droit et a été reconnue, le 28 décembre 2015, comme constitutive d'un accident imputable au service.

Le tribunal administratif a condamné son employeur, la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse, à lui verser la somme de 3 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2016 et a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la condamnation de cette collectivité à lui verser la somme de 60 000 euros en réparation des préjudices qu'il alléguait. M. D. se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif de ce jugement.

Le Conseil d’État est à la cassation.

Tout d’abord, la victime demandait, en première instance comme dans ses premières écritures en appel, la condamnation de la communauté de communes du Pays d'Argenton-sur-Creuse à hauteur de 60 000 euros pour différents chefs de préjudice ayant tous pour fait générateur l'accident de service du 17 décembre 2015 et incluant le chef du préjudice patrimonial causé par les conséquences de cet accident sur le déroulement de sa carrière professionnelle. Dans le dernier état de ses écritures en appel, il a demandé la même condamnation de la collectivité, en y ajoutant une demande d'indemnisation pour une somme correspondant à l'allocation temporaire d'activité dont il soutient qu'il aurait dû bénéficier, compte tenu de la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par un rapport médical établi le 16 octobre 2019, donc postérieurement à l’enregistrement de son appel.  Il incombait donc à la juridiction d’appel, dès lors que les conclusions de première instance et d’appel étaient, l’une et l’autre fondées sur la responsabilité pour faute et invoquaient le même fait générateur, d’une part, de se prononcer sur ces conclusions, dans la limite du montant total de l'indemnité chiffrée en première instance et d'autre part, d'apprécier, dans la mesure où l'intéressé soutenait que ces conclusions correspondaient à la révélation du préjudice dans toute son ampleur, conformément à la fixation de son taux d'invalidité à 15 % par le rapport médical établi le 16 octobre 2019, soit postérieurement à l'enregistrement de son appel, si ces conclusions justifiaient de mettre à la charge de la communauté de communes une indemnité excédant le montant total demandé en première instance par M. D. En jugeant ces conclusions irrecevables la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Ensuite, la cour a estimé que la victime avait commis une faute car bien que le passage étroit du conteneur, dans lequel M. D. circulait au moment de l'accident de service, fût dans un état dégradé, encombré par des sangles exposant notamment ses utilisateurs à de forts risques de chutes, pourvu d'un sol irrégulier et doté d'un éclairage insuffisant, M. D. avait lui-même signalé à la communauté de communes l'état dégradé du conteneur et la présence de sangles révélant ainsi qu’en s'y déplaçant la victime avait fait preuve d'un manque de prudence fautif.

Le juge de cassation décide que constitue une qualification juridique erronée l’affirmation de l’existence d’une faute de la victime.

(30 juin 2023, M. D., n° 453834)

 

190 - Fourniture de sang contaminé - Action de tiers payeurs contre l’Établissement français du sang (EFS) - Régime - Incertitude sur celui de deux établissements identifiés ayant fourni du sang contaminé - Régime - Rejet.

(20 juin 2023, Établissement français du sang (EFS), n° 455696)

V. n° 196

 

191 - Dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles - Indemnisation financière de ces dégâts mise par la loi à la charge des fédérations de chasseurs - Inconstitutionnalité et inconventionnalité prétendues de ce régime - Rejet.

Les recours des différentes fédérations, joints en tant qu’ils présentent à juger des questions sinon identiques du moins communes, sont dirigés contre les décisions implicites du premier ministre rejetant leur demande d'abrogation des art. R. 421-34, R. 421-35, R. 421-37, R. 421-39 et R. 426-1 à R. 426-19 du code de l'environnement, celles, implicites, du même et des ministres de l’écologie et de l’agriculture rejetant la demande de modification des dispositions de la loi du 26 juillet 2000 et des art. L. 421-5, L. 421-8, L. 421-10, L. 421-11-1, L. 426-1 à L. 426-5 du code de l'environnement ainsi que celle d'abrogation des art. R. 426-1 à R. 426-29 de ce code.

Brevitatis causa, il est reproché aux dispositions litigieuses, qui font reposer sur les fédérations de chasseurs la charge financière de l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles, d’une part, d’être inconstitutionnelles pour méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, d’autre part, d’être contraires à la Convention EDH, spécialement l’art. 1er de son premier protocole additionnel en tant qu’elles portent atteinte au droit de propriété.

Sur le premier point, le rejet s’imposait puisque le Conseil constitutionnel a jugé que les art. L. 421-5, L. 426-3 et L. 426-5 du code de l'environnement étaient conformes au principe d'égalité devant les charges publiques et au droit de propriété (20 janvier 2022, Fédération nationale des chasseurs, n° 2021-963 QPC).

Sur le second point, le juge répond en deux temps compte tenu de l’argumentation présentée devant lui.

D’abord, les fédérations départementales des chasseurs, qui sont des associations de droit privé, régies par un statut législatif particulier et investies de missions de service public (cf. art. L. 421-5 c. env.), qui perçoivent des ressources provenant des cotisations obligatoires versées par les adhérents et des taxes instituées dans le cadre des plans de chasse ne sont donc pas placées dans une situation analogue à celle des autres individus. Elles ne sauraient donc utilement soutenir que les dispositions litigieuses, en tant qu'elles leur imposent, au titre de leurs dépenses obligatoires, l'obligation d'indemniser les propriétaires des dégâts causés par le gibier, auraient pour effet de créer une discrimination injustifiée. 

Ensuite, l’exception d’inconventionnalité est rejetée en considération, d’une part, de ce que le régime exorbitant d'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles poursuit un objectif d'intérêt général et, d’autre part, de ce que seuls certains dégâts et non tous doivent être réparés sous la double condition d’excéder un certain seuil de gravité et de ne pas résulter d’une faute du propriétaire victime de dégâts. Enfin, les fédérations ont toujours la faculté, conformément aux principes généraux du droit de la réparation, de se retourner, par subrogation, contre le responsable éventuel.

Ainsi, est constatée l’existence d’un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l'exercice du droit de propriété et les exigences d'intérêt général qui sont à l'origine de l’institution de ce régime de responsabilité.

(22 juin 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 4745722 ; Fédération départementale des chasseurs des Landes, n° 455054 ; Fédération départementale des chasseurs du Gers, n° 455246 ; Fédération départementale des chasseurs de la Vienne, n° 458199 ; Fédération départementale des chasseurs des Hautes-Pyrénées, n° 458229 ; Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, n° 458644, jonction)

(192) V. aussi, très voisin, rejetant par des motifs comparables une demande d’annulation du refus implicite du président de la Commission nationale d'indemnisation des dégâts de gibier de retirer ou, à défaut, d'abroger la grille nationale de réduction de l'indemnisation arrêtée par cette commission le 10 mars 2015 en application des art. L. 426-3 et R. 426-5 du code de l'environnement : 22 juin 2023, Fédération départementale des chasseurs du Gard, n° 457751.

 

193 - Responsabilité pour faute résultant du non-respect d’un engagement - Promesse jugée non créatrice de droits - Absence de lien direct de causalité entre la faute et le dommage - Erreur de droit - Annulation.

Une cour administrative d’appel, après avoir jugé qu’une commune avait commis une faute envers une société en ne réalisant pas le raccordement ferroviaire à une plateforme logistique gérée par cette société qu’elle avait promis de réaliser ou de faire réaliser, a rejeté le recours en indemnisation formé par la société contre la commune au motif qu'une promesse de l'administration n'est pas une décision créatrice de droits, son destinataire ne disposant pas d'un droit à ce qu'elle soit réalisée, de la sorte le préjudice invoqué par la société Combronde Logistique résultant de son manque à gagner sur les opérations de brouettage ne présentait pas un lien de causalité direct et certain avec la faute commise tenant au non-respect de cette promesse.

Le Conseil d’État annule cet arrêt pour l’erreur de droit ayant consisté à juger non créatrice de droit une promesse de l’administration, du moins lorsque cette promesse est claire, certaine et non équivoque ou conditionnelle.

(23 juin 2023, Société Combronde Logistique, n° 454844)

 

194 - Responsabilité hospitalière - Réparation au titre de la solidarité nationale - Distinction des cas selon que des dommages multiples résultent d’un unique accident médical ou de plusieurs - Erreur de droit - Annulation sur ce point.

On sait qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 1142-1 du code de la santé publique l’ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la double condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état et que leur gravité excède un certain seuil réglementairement défini.

En l’espèce, se posait la question de l’office du juge administratif saisi de la demande de réparation de plusieurs dommages selon qu’ils résultent d’un même et unique accident médical ou de plusieurs.

Dans cette importante décision qu’annonçaient déjà, au moins en filigrane, plusieurs décisions antérieures (par ex. 20 avril 2013, M. Tonnelier, n° 369473 ; 30 novembre 2021, M. Rivière, n° 443922), le juge pratique une distinction.

Lorsqu’est demandée la réparation de plusieurs dommages résultant d'un même accident médical, d'une même affection iatrogène ou d'une même infection nosocomiale, il est de l’office du juge d’apprécier globalement les conditions, d'une part, d'anormalité et, d'autre part, de gravité de l'ensemble de ces dommages.

Lorsqu’est demandée la réparation de plusieurs dommages résultant de plusieurs accidents médicaux, affections iatrogènes ou infections nosocomiales, l’office du juge le conduit à apprécier de façon distincte les conditions d'anormalité et de gravité de chacun d'entre eux.

(26 juin 2023, Mme A., n° 465640)

 

195 - Délivrance d’un permis de construire - Habitation inondée à plusieurs reprises - Plan de prévention du risque d'inondation - Erreurs figurant dans la carte des aléas de la zone d’implantation du terrain d’assiette - Engagement de la responsabilité des services de l'État - Absence de lien direct et certain entre les erreurs et les préjudices subis - Rejet.

(30 juin 2023, M. et Mme D., n° 459025)

V. n° 219

 

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

196 - Fourniture de sang contaminé - Action de tiers payeurs contre l’Établissement français du sang (EFS) - Régime - Incertitude sur celui de deux établissements identifiés ayant fourni du sang contaminé - Régime - Rejet.

A la suite de l’hospitalisation d’une personne victime d’un accident de la circulation a été diagnostiquée une infection par le virus de l'hépatite C.

Le tribunal administratif a rejeté la demande de la caisse primaire d'assurance maladie tendant à voir condamner l’EFS à lui verser une certaine somme en remboursement des débours exposés par elle en raison de la contamination d’un patient par le virus de l'hépatite C. Puis la cour administrative d’appel a condamné l’EFS à verser à la CPAM cette même somme au titre des débours exposés par cette dernière au bénéfice de la victime. L’établissement se pourvoit en cassation, en vain.

Le Conseil d’État apporte ici trois réponses, dont certaines nouvelles, d’importance.

Tout d’abord, il est jugé que la présomption d’imputabilité d’une contamination à l’hépatite C par une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang, instituée par l’art. 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé est susceptible d'être invoquée aussi bien par les tiers payeurs subrogés dans les droits de la victime de la contamination que par la victime elle-même. 

Ensuite, il découle des dispositions de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique que les tiers payeurs ne peuvent être fondés à exercer une action subrogatoire contre l’EFS que si la condition relative à l'assurance du ou des établissements de transfusion sanguine qu’elles prévoient est satisfaite car ce n’est que dans cette hypothèse que l’EFS peut solliciter la garantie de l'assureur de l'établissement de transfusion sanguine à l'origine de la contamination. 

Enfin, lorsque, comme en l’espèce, il n'est pas possible de déterminer, entre deux établissements de transfusion sanguine identifiés comme ayant fourni des produits sanguins à la victime et pour lesquels la condition de couverture assurantielle est remplie, lequel a fourni ceux des produits qui ont été à l'origine de la contamination, l'EFS peut appeler l'un ou l'autre des assureurs de ces établissements, ou les deux solidairement, à le garantir de l'ensemble des sommes qu'il a versées aux tiers payeurs au titre des dommages subis par la victime, sauf à ce qu'ils établissent l'innocuité des produits fournis par leur assuré.  

La cour administrative d’appel n’a donc pas commis d’erreur de droit en jugeant qu'alors même qu'il était impossible de déterminer lequel des deux établissements concernés avait fourni les produits sanguins directement à l'origine de la contamination, la CPAM était fondée à demander à l'EFS le remboursement de ses débours.

La solution vaut surtout par sa simplicité de mise en œuvre.

(20 juin 2023, Établissement français du sang (EFS), n° 455696)

(197) V. aussi, confirmant un arrêt de cour d’appel rejetant un appel de l’ONIAM ayant jugé :

- en premier lieu, que la convention conclue le 29 décembre 1999 entre l'Assistance Publique -Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l' Établissement français du sang (EFS) prévoyant, notamment, la prise en charge par l'EFS de l'ensemble des contentieux transfusionnels et des demandes transactionnelles nées ou susceptibles de naître après sa date de création, était opposable à l' Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), et que l'ONIAM n'était donc pas fondé à exercer un recours subrogatoire contre l'AP-HP en qualité de personne responsable du dommage ;

- en second lieu, que s’il résulte des dispositions de l’art. L. 1221-14 du code de la santé publique que l'ONIAM, lorsqu'il a indemnisé une victime de contamination transfusionnelle par le virus de l'hépatite C, peut exercer soit directement une action en garantie auprès des assureurs des établissements de transfusion sanguine repris par l'EFS, soit l'action subrogatoire contre l'EFS prévue par l'avant-dernier alinéa du même article et subordonnée à une condition de couverture assurantielle de l'établissement de transfusion aux droits duquel est venu l'EFS, l'AP-HP, bénéficiant d'une dérogation à l'obligation de souscrire un contrat d'assurance, ne peut être regardée comme un assureur pour l'application des dispositions de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique : : 20 juin 2023, Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), n° 460868.

Service public

198 - Association sans prérogative de puissance publique - Membres pouvant ne pas être chargés d’une mission de service public - Absence de contrôle par l’État  ou de fixation d’objectifs par celui-ci - Financement privé pour l’essentiel - Demande de communication de documents - Absence de caractère administratif - Incompétence de l’ordre administratif de juridiction - Rejet.

L’Association nationale animaux sous tension (ANAST) a demandé, notamment à l’association Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, la communication de documents relatifs à son champ d’activités. Le refus implicite opposé à cette demande de communication a été annulé par le tribunal administratif. Le Groupe se pourvoit en cassation.

Pour infirmer le jugement querellé le Conseil d’État  recherche si le défendeur est bien détenteur de documents administratifs du fait de son organisation et de ses activités. Il est ainsi conduit à déterminer si l’on est ici en présence d’un service public ou de missions de service public.

Pour répondre par la négative, le juge de cassation retient que cette association, dont l'existence n'est ni prévue ni impliquée nécessairement par la loi, est dépourvue de prérogatives de puissance publique, qu’elle est ouverte à de nouveaux membres, indépendamment de l'exercice par ces derniers d'une mission de service public, chaque membre, à l'exclusion de l'État  qui en est dépourvu, disposant des mêmes droits de vote en assemblée générale et aucune règle ne garantissant aux trois membres fondateurs le contrôle de l'association.

De plus, le conseil d'administration de cette dernière, qui doit comprendre entre trois et onze membres, en sus des représentants de l'État qui n'y ont que voix consultative, comptait, à la date du jugement attaqué, sept membres, dont les trois représentants des membres fondateurs. Le conseil d'administration, dont les décisions sont prises à la majorité simple en vertu du règlement intérieur, désigne le président et le délégué général de l'association, qui en assurent la gestion, et définit la politique et les orientations générales de l'association dont il établit le budget, sans que l'État  ou les membres fondateurs aient assigné à celle-ci des objectifs dont ils contrôleraient la réalisation. Enfin, le financement de l'association, notamment des expertises qu'elle réalise, est pour l'essentiel assuré par ses membres, sans qu'une part prépondérante provienne de subventions versées par les ministères concernés, un fonds partenarial abondé par les membres ayant été créé en 2019 pour financer les expertises lorsque l'opérateur électrique concerné décide de refuser de les prendre en charge. Dans ces conditions, s'ils en ont été à l'initiative, ni les membres fondateurs, au titre de leur mission de service public, ni l'État  n'exercent un contrôle sur l'association Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole et ne peuvent être regardés comme ayant entendu lui confier une mission de service public.

Il s’ensuit que les documents détenus par cette association ne constituent pas des documents administratifs et que le litige relatif à leur communication ne relève pas de la compétence l’ordre administratif de juridiction. Le jugement est annulé pour n’avoir pas relevé d’office son incompétence.

(06 juin 2023, Groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole, n° 462748)

199 - Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) - Charge de ses interventions - Intervention inutile - Régime de prise en charge - Rejet et annulation partiels.

Une intervention du SDIS s’étant finalement révélée inutile, une alarme n’ayant été déclenchée que par inadvertance, se posait la question de sa facturation.

Le Conseil d’État juge que la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant qu’en l’espèce, au moment de lancer cette intervention, le SDIS avait agi au titre de la mission de service public de secours aux personnes, au sens de l'art. L. 1424-2 du code général des collectivités territoriales et que la circonstance que cette intervention s'était finalement révélée inutile ne permettait pas de la regarder, a posteriori, comme ne relevant pas de cette mission et par suite facturable à la personne secourue.

En revanche, la cour a commis une erreur de droit, dans l'hypothèse où une société de téléassistance avait sollicité l'intervention du SDIS sans avoir accompli les diligences qui lui incombent pour éviter une intervention inutile, en jugeant que la société ne pourrait alors être regardée comme bénéficiaire de l'intervention, au sens de l'art. précité car cette intervention devrait être regardée comme ayant été sollicitée par cette société à son profit.

(28 juin 2023, Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du Loiret, n° 463457)

Sport

 

200 - Fédération française de football (FFF) - Manifestations ou compétitions organisées par elle - Statuts interdisant le port de signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse - Principe de neutralité du service public - Mesure adaptée et proportionnée - Rejet.

Les requérantes recherchaient l’annulation du refus opposé par le président de la FFF à leur demande tendant à l'abrogation ou la modification de l'article 1er des statuts de la Fédération en tant qu'il interdit le port de tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance religieuse à l'occasion de compétitions ou de manifestations organisées par la Fédération française de football.

La requête est rejetée sur conclusions contraires du rapporteur public.

Le juge estime d’abord s’agissant des  agents de la FFF ou des personnes sur lesquelles elle exerce une autorité hiérarchique ou un pouvoir de direction, que ces dernières en tant que participantes à l’exécution du service public confié à la FFF, doivent s’abstenir de toute manifestation de leurs convictions et opinions afin de garantir la neutralité du service public ; ainsi en va-t-il des personnes sélectionnées en équipes de France mises à sa disposition et soumises à son pouvoir de direction pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent à ce titre.

Pour ce qui est des autres licenciés de la FFF, cette dernière peut édicter des règles de participation aux compétitions et manifestations qu'elle organise ou autorise, parmi lesquelles celles qui permettent, pendant les matchs, d'assurer la sécurité des joueurs et le respect des règles du jeu, comme ce peut être le cas de la réglementation des équipements et tenues.

Surtout, le juge considère que ces règles peuvent légalement avoir pour objet et pour effet de limiter la liberté de ceux des licenciés qui ne sont pas légalement tenus au respect du principe de neutralité du service public dont les joueurs ne sont qu’usagers, d'exprimer leurs opinions et convictions si cela est nécessaire au bon fonctionnement du service public ou à la protection des droits et libertés d'autrui, et adapté et proportionné à ces objectifs.

On dira notre désaccord sur l’idée que les joueurs ne sont pas tenus au respect du principe de neutralité alors qu’ils constituent l’« instrument » indispensable par lequel la FFF assure sa mission de service public. Cette distinction entre deux catégories de personnes au regard du principe susénoncé n’est ni justifiée ni pertinente et introduit une source de complications infinies.

La prohibition litigieuse, au reste limitée aux temps et lieux de matchs, est adaptée et proportionnée.

(29 juin 2023, Associations Alliance citoyenne et Contre-Attaque et autres, n° 45808 ; Ligue des droits de l’homme, n° 459547 et n° 463408)

 

Travaux publics et expropriation

 

201 - Création d’une ligne électrique souterraine de 225 000 volts - Raccordement électrique à un projet éolien en mer - Institution de servitudes légales sur les parcelles concernées - Degré de précision du plan parcellaire - Présomption de caractère de chemin rural - Protection du cheptel - Absence d’émission de champ électrique par la liaison souterraine - Rejet.

En vertu de la maxime bien connue que le juge « filtre le moustique et laisse passer le chameau » il n’y avait aucun doute sur l’issue négative du recours objet de la présente affaire.

Au soutien de leur demande d’annulation de l'arrêté du 9 novembre 2021 par lequel le préfet des Côtes d'Armor a institué des servitudes légales au bénéfice de la société Réseau de transport d'électricité (RTE), gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, sur le chemin des Moineries, situé sur le territoire de la commune d'Erquy, pour l'établissement d'une ligne souterraine électrique à deux circuits de 225 000 volts, destinée au raccordement électrique du projet de parc éolien en mer de la baie de Saint-Brieuc, les requérants soulevaient divers moyens, tous rejetés.

L'état parcellaire sur lequel s’appuie la procédure d'enquête en vue de l'établissement des servitudes administratives nécessaires à la réalisation des ouvrages de transport et de distribution d'électricité n’a pas à faire apparaître les constructions existant sur les propriétés concernées.

De plus, si les requérants soutiennent que l'arrêté préfectoral qu'ils attaquent mentionne par erreur que le chemin des Moineries appartient à la commune d'Erquy, alors qu'il existerait une incertitude sur son véritable propriétaire, cependant, faute d’élément contraire en ce sens, ce chemin doit être présumé constituer un chemin rural.  

Enfin, l'étude d'impact réalisée en vue de l'adoption de l'arrêté du 28 mars 2017 portant déclaration d'utilité publique de l’établissement de la ligne électrique souterraine, affirme que « la liaison souterraine n'émet pas de champ électrique » en raison des précautions prises, que le tracé retenu suit le « fuseau de moindre impact », notamment le tracé des routes départementales et communales existantes, et que RTE devra mettre en place un dispositif pertinent de surveillance et de mesure des ondes électromagnétiques, dans le cadre d'un plan de contrôle et de surveillance, conformément aux dispositions de l'art. L. 323-13 du code de l'énergie.  Faute pour les requérants d'apporter des éléments nouveaux permettant de remettre en cause les constatations réalisées en l'état des connaissances scientifiques, sur l'absence d'émission de champ électrique par la liaison souterraine en projet, ces derniers ne sont pas fondés à soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur d'appréciation, au regard de l'article 13 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, de l'art. 515-14 du code civil et de l'art. L. 214-1 du code rural, quant à l'impact de l'installation de câbles électriques dans le sol sur le bien-être des vaches laitières appartenant à M. A. 

Malgré ce flux d’électricité, circulez car il n’y a rien à voir.

(22 juin 2023, M. A. et association Gardez les Caps, n° 459290)

 

202 - Occupation temporaire de la cour d’un immeuble – Occupation autorisée par le juge judiciaire – Réalisation de travaux publics - Demande d’indemnisation – Compétence du juge administratif.

(TC, 12 juin 2023, Mme. B. et M. A. c/ métropole Aix-Marseille-Provence et commune de Miramas, n° C4274)

V. n° 162

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

203 - Permis de construire - Saisine du juge de cassation après rejet d’un référé suspension - Retrait du permis - Pourvoi devenu sans objet - Non-lieu à statuer.

L’intervention au cours de l’instance en cassation dirigée contre le rejet d’un référé tendant à la suspension d’un permis de construire du retrait du permis litigieux prive cette instance d’objet et il n’y a donc plus lieu à y statuer.

(01 juin 2023, « Collectif pour la défense des jardins et des espaces naturels du Val-de-Marne », n° 466213)

 

204 - Permis de construire - Requérant se prévalant d’une vicinalité d’une centaine de mètres et invoquant des atteintes diverses à son droit de propriété - Absence d’affectation directe des conditions d’occupation et autres du bien - Absence d’intérêt à agir - Rejet.

On sait que dans le souci d’un resserrement drastique des possibilités de contester un permis de construire, d’aménagement ou de démolir ou tout autre acte d’autorisation d’occupation du sol, le législateur a recouru à un subterfuge de procédure en réduisant l’intérêt pour agir des potentiels candidats à un recours contre ces sortes de décisions.

Accentuant, sans doute à l’excès, la subjectivisation du droit de l’urbanisme dont les effets sur et pour la collectivité sont pourtant très sensibles et délaissant fortement les préoccupations d’intérêt commun, la loi ne permet plus d’agir aux voisins d’une parcelle bénéficiaire d’un tel permis ou acte d’autorisation que s’ils établissent que celui-ci affecte directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens.

En l’espèce, une ordonnance rendue en première instance a jugé irrecevable la demande d’un requérant tendant à l’annulation d’un permis de construire relatif à un terrain situé à une centaine de mètres de sa propre habitation.

Le Conseil d’État  rejette le recours et confirme la solution retenue en première instance. Il relève pour cela « que si le projet est visible depuis la maison de M. B., celle-ci est séparée de ce projet par le chemin des Pralets et trois parcelles de terrain plantées d'arbres dont deux sont construites, limitant ainsi très fortement les incidences du projet sur la vue depuis la propriété de M. B. comme sur les vues du projet sur celle-ci et, d'autre part, que l'accès au projet depuis la route du 8 août 1945 a vocation à emprunter la rue de la République sans passer devant la propriété de M. B., qui ne sera donc pas affectée par un accroissement significatif de la circulation sur la partie du chemin des Pralets la longeant, ainsi que l'ordonnance attaquée l'a relevé sans dénaturation. Enfin, la circonstance que l'accès à l'arrêt de bus scolaire par la courte portion piétonne du chemin des Pralets desservant le projet serait rendu plus dangereux compte tenu du fait que celui-ci n'a à cet endroit que 3,8 mètres de largeur et qu'il ne dispose pas de trottoir, si elle était avérée, ne suffirait pas à établir que les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien de M. B. en seraient directement affectées. »

On perçoit par cet exemple combien le droit de l’urbanisme n’est devenu couramment qu’un régulateur des conflits d’intérêts subjectifs, un arbitre des querelles de voisinage, et l’on peut se demander si cette mission est bien de l’essence du droit public qu’est celui de l’urbanisme et, surtout, du recours pour excès de pouvoir.

(08 juin 2023, M. B., n° 468889)

 

205 - Demande de suspension d’un arrêté ministériel - Définition des sous-destinations des constructions pouvant être réglementées dans les plans locaux d'urbanisme ou les documents en tenant lieu - Défaut d’établissement de l’urgence (art. L. 521-1 CJA) - Rejet.

(08 juin 2023, Sociétés Getir France, Abitbol et Rousselet, El Baze-Charpentier, BTSG et MJA, n° 474448)

V. n° 64

 

206 - Modification de droit commun d’un plan local d’urbanisme (cf. art. L. 153-25 c. urb.) - Suspension par le préfet - Arrêté suspendu par le juge - Erreur de droit - Annulation.

Le préfet des Alpes-Maritimes a suspendu l'effet exécutoire de la délibération du conseil municipal de la commune de Biot approuvant la modification de droit commun n° 9 de son plan local d'urbanisme, dans l'attente de la modification qu’il a demandée. Cette décision a été suspendue par le juge des référés.

La ministre de la transition écologique se pourvoi en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État  rappelle que la condition d’urgence  de l'art. L. 521-1 du CJA est, en principe, remplie lorsque la mise en œuvre des modifications demandées par le préfet sur le fondement de l'art. L. 153-25 du code de l'urbanisme est de nature à retarder l'entrée en vigueur du plan local d'urbanisme d'une commune ou d'un groupement de communes qui en était jusque-là dépourvu.

Tel n'est cependant pas le cas lorsque la décision du préfet a pour seul effet de retarder l'entrée en vigueur d'une modification d'un plan local d'urbanisme auparavant approuvé par la commune ou le groupement de communes. 

Or c’était là le cas de l’espèce où le préfet avait demandé à la commune de Biot de modifier sur un certain nombre de points la modification de droit commun n° 9 du plan local d'urbanisme que son conseil municipal avait adoptée par une délibération du 22 septembre 2022. Ceci n’avait donc pas, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge au prix d’une erreur de droit, pour effet de retarder l’entrée en vigueur du PLU mais seulement de cette modification.

(09 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 470006)

 

207 - Urbanisme et aménagement commercial – Projet urbain partenarial - Autorisation d’extension d’un ensemble commercial - Permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale - Absence d’erreur de droit ou de dénaturation des pièces du dossier - Pouvoir souverain d’appréciation du juge saisi - Rejet.

La présente décision rejette le recours de la demanderesse contre l’arrêt de cour administrative d’appel qui a rejeté sa demande d’annulation de l’arrêté par lequel le maire de Roquefort-les-Pins - après avis favorable de la Commission nationale d'aménagement commercial saisie par la requérante - a accordé à une société, par arrêté du 21 août 2020, un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de l'extension d'un ensemble commercial sur le territoire de la commune.

Tout d’abord, c’est à bon droit que la cour a jugé qu’était suffisamment certaine la réalisation des aménagements à l'ouverture du projet litigieux dès lors que les aménagements nécessaires à la desserte du projet sont prévus par un contrat de concession d'aménagement et que ceux-ci sont financés par le porteur du projet dans le cadre d'une convention de projet urbain partenarial.

Ensuite, l’arrêt querellé n’est pas davantage critiquable en tant qu’il a jugé, d'une part, que le dossier accompagnant la demande d'autorisation d'exploitation commerciale du projet litigieux n'était pas tenu de comporter indication de la surface de vente et le secteur d'activité des onze magasins le composant et, d'autre part, que la circonstance que le projet litigieux ne permettait pas de s'assurer de la variété de l'offre proposée faute pour le dossier accompagnant la demande de comporter la surface de vente et le secteur d'activité de chacun de ces magasins ne suffisait pas à elle seule à faire regarder ce projet comme méconnaissant l'objectif de protection des consommateurs.

Enfin, la cour n’a pas erronément jugé en estimant que la Commission nationale d'aménagement commercial n'a pas limité son examen à l'extension qui lui était soumise, mais a examiné le projet dans sa globalité tout comme l’a fait la cour elle-même et pris en compte le projet dans sa globalité pour apprécier ses effets au regard du critère de la consommation économe de l'espace.

(12 juin 2023, Société Distribution Casino France, n° 459184)

 

208 - Permis de construire des logements dont une partie comme logements sociaux - Commune littorale de la mer - Condition de l’extension d’urbanisation - Création d’un lotissement - Opération pouvant constituer par elle-même une agglomération - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif jugeant que le projet litigieux consistant à construire sur un lotissement quarante-six logements dont la moitié de logements sociaux ne pouvait être regardé comme s'inscrivant en continuité avec les agglomérations et villages existants, notamment du fait qu'un lotissement ne pourrait caractériser une agglomération ou un village existant au sens de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme. Le Conseil d’État décide au contraire qu’ « Un projet de construction situé en continuité avec un secteur urbanisé issu d'une opération de lotissement peut, ainsi, être autorisé si le nombre et la densité des constructions de ce lotissement sont suffisamment significatifs pour qu'il caractérise une agglomération ou un village existant au sens de l'article L. 121-8. ». Ce qui importe ce n’est pas la nature de l’opération foncière à l’origine du secteur mais seulement l’appréciation du nombre et de la densité des constructions en cause.

Ce jugeant, le Conseil d’État s’éloigne d’une jurisprudence presque trentenaire (03 juillet 1996, SCI Mandelieu Maure-Vieil, n° 137623) où il avait jugé que « quand bien même l'urbanisation autorisée par le plan d'aménagement de zone pourrait être regardée comme se situant en continuité avec le lotissement dit "des hameaux du basilic et du romarin", ce lotissement ne constitue, contrairement à ce que soutient la société requérante, ni une agglomération ni un village au sens des dispositions précitées de l'article L. 146-4 (du code de l’urbanisme) ».

(12 juin 2023, Société Bouygues Immobilier, n° 459918)

 

209 - Retrait d’un permis de construire – Respect d’une procédure contradictoire – Garantie pour le titulaire du permis – Observations formulées par courrier – Demande de présentation d’observations orales – Absence – Rejet.

(12 juin 2023, Société Bobigny Indépendance, n° 465241)

V. n° 1

 

210 - Permis de construire en zone de montagne – Obligation de construction en continuité du bâti existant – Exceptions – Cas de l’espèce – Annulation.

Le préfet a refusé de délivrer à une SCI un permis de construire pour l'extension et la construction d'un abri pour voiture, d'un garage et d'une piscine sur un terrain lui appartenant. La cour administrative d’appel, par un arrêt partiellement infirmatif, a enjoint au préfet de la Drôme de délivrer le permis de construire modificatif sollicité dans un délai de deux mois. Le ministre de l’écologie se pourvoit en cassation.

Le principe posé par la loi en zone de montagne est que l’urbanisation doit en principe être réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sauf le bénéfice de l’un des trois motifs de dérogation à cette prohibition (1/ l'adaptation, le changement de destination, la réfection ou l'extension limitée des constructions existantes, 2/ la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées, 3/ la construction d'annexes, de taille limitée, aux constructions existantes).

La cour a estimé, s’agissant de ce troisième cas dérogatoire, que le caractère limité de la taille des annexes dont la construction était envisagée ne saurait s'apprécier par rapport aux dimensions de la construction principale, pourvu que chaque annexe ait en elle-même une taille limitée. Ce jugeant, elle a commis une erreur de droit car elle ne pouvait pas se borner à apprécier la taille limitée de chacune des annexes mais devait rechercher si l'ensemble des constructions secondaires, existantes et envisagées, pouvaient, eu égard, d'une part, à leur implantation par rapport aux constructions principales existantes et à leur ampleur limitée en proportion de ces dernières et, d'autre part, à leur taille elle-même limitée, être regardées comme constituant des annexes de taille limitée au sens de l'art. L. 122-5 du code de l'urbanisme. 

(12 juin 2023, ministre de la transition écologique…, n° 466725)

 

211 - Permis de construire un ensemble immobilier unique – Notion – Cas de deux constructions – Exclusion de la catégorie d’ensemble immobilier unique – Rejet.

Un arrêté municipal  autorise la construction, après démolition d’une maison existante, de deux villas et de deux piscines.

La société requérante a demandé en vain au juge des référés de première instance la suspension de l'exécution de ces deux décisions ; elle se pourvoit.

Le Conseil d’État rejette la demande.

Après avoir rappelé qu'une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique doit en principe faire l'objet d'une seule autorisation, sauf à ce que l'ampleur et la complexité du projet justifient que des éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative vérifie, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés.

Il juge, en revanche, que lorsque deux constructions sont distinctes, la seule circonstance que l'une ne pourrait fonctionner ou être exploitée sans l'autre, au regard de considérations d'ordre technique ou économique et non au regard des règles d'urbanisme, ne suffit pas à caractériser un ensemble immobilier unique. Dans ce cas, elles peuvent faire l'objet aussi bien de demandes d'autorisation distinctes que d'une demande d'autorisation unique, laquelle présente alors un caractère divisible. Dans ces deux hypothèses, la conformité aux règles d'urbanisme est appréciée par l'autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment.

En l’espèce, les villas et les piscines n'ayant en commun qu'un accès à la voie publique et aux réseaux, elles ne constituent pas un ensemble immobilier unique, mais des constructions distinctes, alors même qu'elles ont fait l'objet d'une demande unique de permis de construire, de sorte que la conformité aux règles d'urbanisme doit être appréciée par l'autorité administrative pour chaque construction prise indépendamment. 

C’est donc par une appréciation souveraine exempte de dénaturation et d’erreur de droit que le juge des référés a considéré que le moyen tiré de ce que le maire devait prendre en compte les deux villas pour apprécier le respect d’une règle prévue au règlement du plan local d'urbanisme n’était  pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

 Pour les autres aspects juridiques de cette affaire voir la décision complète.

(12 juin 2023, Société Mas-Cosy, n° 468343)

 

212 - Demande de suspension d’un permis de construire initial – Suspension du permis modificatif – Suspension non demandée – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement suspendant par voie de conséquence un permis modificatif et un arrêté de prorogation survenus ultérieurement au permis initial suspendu ou annulé alors que, saisi d’une demande de suspension du permis de construire initial il n’a pas été saisi de conclusions concernant les actes postérieurs. En effet, si l'annulation ou la suspension d'un permis de construire interdit la mise en œuvre des éventuels permis modificatifs, mesures de régularisation ou décisions de prorogation intervenues ultérieurement, leur annulation ou suspension par voie de conséquence ne peut être prononcée par le juge que s'il est saisi de conclusions en ce sens.

(16 juin 2023, M. A., n° 468841 ; commune de Mamoudzou, n° 468846, jonction)

 

213 - Suspension du permis de construire  (art. L. 521-1 CJA) – Demande de levée de la suspension (art. L. 521-4 CJA) – Office du juge – Annulation des deux ordonnances.

Le Conseil d’État délivre ici au juge du référé de l’art. L. 521-4 CJA un mode d’emploi assez complet et particulièrement innovant de son office.

Tout d’abord, cela suppose qu’une première ordonnance, prise au titre de l’art. L. 521-1 CJA, ait suspendu l’exécution d’un permis de construire (ici de démolition et de reconstruction d’un hôtel) en raison de l'existence d'un ou plusieurs vices propres à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire litigieux.

Ensuite, lorsque le juge est saisi d’une demande de levée de la suspension antérieurement ordonnée (art. L. 521-4 CJA) au motif que le permis litigieux a fait l’objet de régularisation(s) ou d’un permis modificatif, il doit en premier lieu vérifier s'il est possible de lever la suspension du permis ainsi modifié, après avoir mis en cause le requérant ayant initialement saisi le juge du référé suspension, la portée du permis modificatif ou de la mesure de régularisation sur les vices précédemment relevés. Il doit en second lieu, le cas échéant, relever les vices allégués ou d'ordre public dont le permis modificatif ou la mesure de régularisation serait entaché et qui seraient de nature à y faire obstacle. 

Les deux ordonnances sont annulées.

(16 juin 2023, SCI Mésange, n° 470160)

 

214 - Permis de construire un ensemble immobilier - Atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique - Atteinte grave aux conditions d’éclairement - Rejet.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi dirigé contre un jugement de tribunal administratif ayant rejeté la demande d’annulation du permis de construire délivré par le maire de Paris à l'office public de l'habitat (OPH) Paris Habitat en vue de la construction d’ensemble immobilier d'une surface de plancher totale de 2 533 m², composé d'un immeuble d'habitation de vingt-cinq logements sociaux et d'une crèche de cinquante-cinq berceaux, comportant quatre étages sur un niveau de stationnement souterrain.

Dans sa décision de rejet il est amené à trancher deux questions récurrentes dans le contentieux du permis de construire des immeubles collectifs.

En premier lieu, le juge rappelle, s’agissant de l’application de l’art. R. 111-2 c. urb., que pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, l’autorité compétente pour délivrer le permis doit tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent. Surtout, il est indiqué que les risques d'atteinte à la sécurité publique qui, en application de cet article, peuvent justifier le refus d'un permis de construire ou son octroi sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle le permis est sollicité que ceux que l'opération projetée peut engendrer pour des tiers.

En second lieu, relativement à la notion d’ « atteinte grave aux conditions d'éclairement d'un immeuble voisin »,  le juge décide tout d’abord que « l'atteinte grave aux conditions d'éclairement suppose une obstruction significative de la lumière, qui ne saurait se réduire à une simple perte d'ensoleillement. ». Ensuite, il précise qu’en cas d’ « obstruction significative résult(ant) de la perte totale d'éclairement d'une pièce d'au moins un des appartements de l'immeuble voisin, la gravité de l'atteinte doit s'apprécier en prenant en compte les caractéristiques propres de cette pièce, notamment sa destination, ainsi que son rôle dans le niveau d'éclairement d'ensemble du ou des appartements concernés. ».

Ces exigences peuvent être jugées très restrictives, elles sont raisonnables au regard des conditions de fait résultant de la surdensification des constructions urbaines. Elles sont d’autant plus importantes à une époque où l’habitat collectif concentré est considéré plus respectueux de l’environnement que l’habitat individuel dispersé type lotissement.

(22 juin 2023, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis 146-146 bis quai Louis Blériot, n° 455652)

 

215 - Plan local d’urbanisme (PLU) - Règlement de zone - Recherche de critères non prévus au règlement - Erreur de droit - Annulation.

Saisie d’un recours tendant à l’annulation de la décision implicite par laquelle le maire d’une commune ne s'est pas opposé à la déclaration préalable relative aux travaux de surélévation d'un immeuble, la cour administrative d’appel l’avait rejeté au motif que les modifications de forme de la toiture prévues par le projet litigieux ne méconnaissent pas les dispositions du règlement du PLU car en l'absence de toute particularité architecturale de la toiture, le projet n'implique que des modifications de forme de la toiture d'une ampleur limitée.

L’arrêt est cependant cassé pour erreur de droit car, d’une part, il se fonde sur des critères qui ne sont pas prévus par la disposition litigieuse du règlement du PLU, et d’autre part, et surtout, il n’a pas recherché si avaient été respectés en l’espèce les critères limitativement énoncés par cette disposition.

(26 juin 2023, M. A., n° 455734)

 

216 - Décret du 11 juin 2021 - Location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme - Régime applicable - Champ d’application - Absence d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Le requérant recherchait l’annulation du décret n° 2021-757 du 11 juin 2021 relatif à la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme et la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur son recours gracieux, reçu le 9 août 2021.

Le recours est rejeté.

Tout d’abord, il convient de retenir que les art. L. 631-7 et suivants du code de la construction et de l'habitation prévoient, dans certaines communes, une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage des locaux à usage d'habitation qui vise à y assurer le maintien d'un nombre suffisant de logements. Une de leurs dispositions précise que « Le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article ».

Ensuite sont rejetés les trois griefs développés à l’encontre du décret attaqué.

Celui-ci, contrairement à ce qui est critiqué, ni ne s'applique aux locaux meublés destinés à l'habitation qui ont fait l'objet d'une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage, quelle que soit la destination des immeubles dans lesquels ils sont inclus, ni ne méconnaît le principe de sécurité juridique et, en tout état de cause, le principe de confiance légitime en ce qu'il permettrait de soumettre à autorisation la location en qualité de meublé de tourisme d'un local dont la location à ce titre a déjà fait l'objet d'une procédure d'autorisation préalable de changement d'usage. 

Enfin, pas davantage n’est retenu le grief d’atteinte à la sécurité juridique que comporterait ce décret alors qu’il se borne à préciser les modalités de la procédure d'autorisation susceptible d'être mise en œuvre par les communes (cf. IV bis de l'art. L. 324-1-1 du code du tourisme).

(26 juin 2023, Syndicat des professionnels de la location meublée, n° 458799)

 

217 - Permis d’aménager - Réalisation d’un lotissement - Obligation préalable d’autorisation de défrichement – Prétendue absence de massif boisé de plus de quatre hectares - Erreur de droit - Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, pour dire que n’est pas soumis à l’obtention préalable d’une autorisation de défrichement un permis d’aménager en vue de la réalisation d’un lotissement dès lors que l’ensemble boisé sur lequel ce dernier sera réalisé a une superficie de moins d’un hectare, inférieure donc au seuil de quatre hectares fixé par la législation forestière, alors que ce terrain ne présente pas de discontinuité significative (chemin de passage, quelques habitations) avec un vaste secteur boisé d’une superficie de plus de 28 hectares.

(26 juin 2023, Association Bien vivre aux Pendances et autres, n° 461946)

 

218 - Autorisation d’aménager un lotissement - Clôture de l’instruction - Absence de mise en demeure de produire un mémoire en défense - Absence d’acquiescement aux faits invoqués dans leurs écritures par les demandeurs - Rejet.

(26 juin 2023, M. A. et autres, n° 467714)

V. n° 70

 

219 - Délivrance d’un permis de construire - Habitation inondée à plusieurs reprises - Plan de prévention du risque d'inondation - Erreurs figurant dans la carte des aléas de la zone d’implantation du terrain d’assiette - Engagement de la responsabilité des services de l'État - Absence de lien direct et certain entre les erreurs et les préjudices subis - Rejet.

Le juge rappelle en premier lieu que les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP), élaboré par l’État, s'imposent directement aux autorisations de construire car elles sont destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valent servitude d'utilité publique.

Ensuite, dans une rédaction un peu brouillonne, le juge indique que l'autorité administrative n’est pas tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire mais que, toutefois, si les particularités de la situation l'exigent, Il appartient à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles.

Il est encore précisé que l'autorité compétente peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser de délivrer un permis de construire, sur le fondement de l'art. R. 111-2 du code de l'urbanisme, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables. Tout ceci n’est pas d’une fulgurante clarté.

Puis le juge, indique, en second lieu, à titre de principe, que la responsabilité de l’autorité de délivrance du permis de construire peut être engagée lorsque, en application des dispositions de l'art. R. 111-2 précité, il lui appartenait, soit de refuser l'autorisation, soit de l'assortir de prescriptions spéciales nécessaires à la préservation de la salubrité ou de la sécurité publique.

Cependant, conformément au droit commun de la responsabilité, celle-ci ne peut être engagée qu’à la condition qu'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes commises pour délivrer cette autorisation et le préjudice subi par la victime.

Et le juge de préciser que la compétence de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme ne fait pas obstacle à ce que la responsabilité de l'État puisse être recherchée ou à ce que ce dernier soit appelé à garantir cette autorité, en raison du contenu du plan de prévention des risques approuvé ou des informations figurant dans les documents graphiques, comme la carte des aléas, portés à la connaissance de l'autorité délivrant l'autorisation d'urbanisme. Sous réserve, naturellement, de l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre la faute ainsi imputable à l'État et le préjudice subi par la victime. 

(30 juin 2023, M. et Mme D., n° 459025)

 

220 - Autorisation d’urbanisme délivrée par une autorité incompétente – Régularisation possible – Annulation.

La régularisation est devenue, on le sait, le maître-mot des irrégularités d’urbanisme au point que peut se poser la question : une autorisation d’urbanisme peut-elle être annulée ? La présente affaire enfonce encore un peu plus le clou en admettant pour la seconde fois semble-t-il (cf. 04 mai 2023, Société Octogone, n° 464702 ; v. cette Chronique, mai 2023, n° 121 et aussi, plus indirectement : 03 juin 2020, Société Alexandra, n° 420736 ; v. cette Chronique, juin 2020, n° 169), et en généralisant cette solution, la régularisation d’une autorisation d’urbanisme délivrée par une autorité incompétente qui est pourtant le vice le plus grave pouvant affecter une décision administrative. Ceci soulève une interrogation : l’urbanisme est-il à ce point singulier et vital qu’il puisse justifier la régularisation de toutes les illégalités susceptibles d’entacher une décision administrative ?

Le juge indique – et l’exercice doit être salué - les trois formes de régularisations possibles en cette occurrence :

- délivrance d'une autorisation modificative compétemment accordée pour le projet en cause ;

- octroi d’une autorisation modificative si la règle relative à l'utilisation du sol qui était méconnue par l'autorisation initiale a été entretemps modifiée ou si cette règle ne peut plus être regardée comme méconnue par l'effet d'un changement dans les circonstances de fait de l'espèce ;

- notification en temps utile au juge, par le bénéficiaire de l'autorisation initiale, d’une décision individuelle de l'autorité administrative compétente valant mesure de régularisation à la suite d'un jugement décidant de surseoir à statuer sur une demande tendant à l'annulation de l'autorisation initiale.

(30 juin 2023, Société AFC Promotion, n° 463320)

 

221 - Permis de construire assorti de prescriptions – Permis délivré dans une zone de tension – Régime contentieux – Portée d’un « cahier de recommandations architecturales » visé par un plan local d’urbanisme (PLU) – Effets juridiques – Annulation partielle.

Une commune a assorti le permis de construire délivré à la pétitionnaire de douze prescriptions qui y sont applicables. La SCI a demandé l’annulation de certaines d’entre elles, deux ont été annulées en première instance. Elle se pourvoit en cassation pour le surplus rejeté des demandes d’annulations.

Se posait tout d’abord une question de procédure : le tribunal avait-il statué en premier et dernier ressort et, par conséquent, le Conseil d’État avait-il été saisi régulièrement d’un pourvoi contre le jugement ?

L’art. R. 811-1-1 du CJA dispose que dans les zones en tension entre offre et demande de logements le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort. Parce que de nature dérogatoire cette disposition est d’interprétation stricte conformément au principe bien connu qu’exprime l’adage « exceptio est strictissimae interprÉtationis ». Au cas de l’espèce il est jugé que le permis portant sur des travaux à usage d’habitation, l’exception joue.

Par ailleurs, le juge précise qu’un recours qui n’est pas dirigé contre un permis de construire mais seulement contre des prescriptions l’assortissant doit être considéré comme dirigé contre un permis de construire : la solution est logique.

Le Conseil d’État était donc bien compétent pour connaître du litige par la voie du pourvoi en cassation.

Concernant les prescriptions accompagnant le permis de construire, elles figuraient dans un « cahier de recommandations architecturales » auquel renvoie le règlement du PLU ce qui est parfaitement possible sous la triple condition que ce cahier ait été adopté selon les mêmes modalités procédurales que le PLU, qu’il y soit fait expressément référence dans le règlement et, enfin et surtout, qu’il se borne à expliciter ou préciser, sans les contredire ni les méconnaître, des règles figurant déjà dans le règlement. C’est pour ce dernier motif qu’outre les deux prescriptions déjà annulées en première instance sont aussi annulées celles visées, mais non retenues alors, aux points 17, 18 et 19 du jugement.

(02 juin 2023, SCI  du 90-94 avenue de la République à Montgeron, n° 461645) 

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