Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Juillet – Août 2023

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Étrangers - Institution d’un dispositif d’hébergement en vue de la préparation au retour d’étrangers dans leurs pays (DPAR) - Absence de caractère d’établissements ou services sociaux ou médico-sociaux ou de lieux d’hébergement au sens du CESEDA - Conséquences - Rejet.

La requérante demandait l‘annulation de la circulaire du ministre de l'intérieur et du directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII)  intitulée «  information n° INTV2213078J du 9 mai 2022 relative à la gestion du parc de places d'hébergement en dispositif de préparation au retour (DPAR) » par laquelle sont données des instructions aux préfets de région et de département, ainsi qu'aux directeurs territoriaux de l'Office, concernant l'organisation et le fonctionnement des dispositifs de préparation au retour, qui reposent notamment sur l'hébergement et l'accompagnement d'étrangers sollicitant l'aide au retour volontaire prévue à l'art. L. 711-2 du CESEDA ou susceptibles de la solliciter.

Ce document contient les indications relatives à la conduite à tenir en vue du fonctionnement de ce dispositif : profil des publics hébergés, partenariat entre les préfectures et les directions territoriales de l'OFII, conditions d'accueil et de sortie du dispositif, mobilisation des places en dehors du droit commun de ce dispositif et prise en charge budgétaire.

Le juge rejette l’ensemble des griefs formulés par la requérante, tant ceux de légalité externe que ceux de légalité interne.

Sur la légalité externe, sont rejetés les deux moyens soulevés par la Cimade.

Dès lors que la circulaire attaquée prévoit que les DPAR ont vocation à accueillir, pour une durée n'excédant pas en principe 90 jours, des personnes éligibles à cette aide et présentant des perspectives raisonnables d'éloignement, en priorité des demandeurs d'asile déboutés et des familles avec enfants, contrairement à ce que soutient la Cimade, ces dispositifs, eu égard à leur objet et leurs caractéristiques, ne sauraient être regardés comme des établissements et services sociaux et médico-sociaux au sens de l'art. L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles ni, d'ailleurs, comme des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile au sens de l'art. L. 552-1 du CESEDA. Par suite doivent être rejetés les moyens tirés de l'incompétence du ministre de l'intérieur et du directeur général de l'OFII pour signer cette circulaire et du défaut de signature par le ministre chargé de la politique du logement et de l'hébergement d'urgence

Pas davantage, la Cimade ne saurait soutenir que la section sociale du Comité national d'organisation sanitaire et sociale aurait dû être consultée préalablement à l'édiction de la circulaire attaquée car les dispositions de l'art. L. 312-3 du code de l'action sociale et des familles ne sauraient être invoquées s’agissant des DPAR lesquels ne constituent pas des établissements et services relevant des catégories mentionnées au I de l'article L. 312-1 de ce code.
Sur la légalité interne, sont écartés les quatre moyens développés à ce titre.

La requérante ne saurait prétendre que les instructions des 18 janvier et 31 mars 2021 par lesquelles le ministre de l'intérieur et des outre-mer a défini, à destination des préfectures et directions territoriales de l'OFII, les actions à conduire en matière d'hébergement au sein des dispositifs de préparation au retour et les objectifs et règles d'organisation et de fonctionnement de ces dispositifs, - qui ne comportent pas de description des procédures administratives ni d'interprétation du droit positif au sens de ces dispositions - sont devenues caduques pour n’avoir pas été publiées sur l'un des supports requis dans un délai de quatre mois à compter de leur signature. Cette caducité ne pourrait concerner (cf. art. L. 312-2 code des relations entre le public et l’administration) que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Tel n’est pas donc pas le cas de l’instruction litigieuse.

La requérante ne peut, non plus, exciper des dispositions de l'art. R. 345-4 du code de l'action sociale et des familles et de l'art. L. 552-9 du CESEDA, qui donnent compétence au responsable du centre d'hébergement sur proposition du service intégré d'accueil et d'orientation et à l'OFI, pour prononcer les admissions respectivement dans un centre d'hébergement et de réinsertion sociale et dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile, dès lors que les places dans les DPAR ne sont pas au nombre des hébergements concernés par ces dispositions. Et, pour le même motif, il ne saurait être soutenu que la mobilisation provisoire de places vacantes au sein des DPAR dans le cadre d'opérations de mises à l'abri, méconnaîtrait ces mêmes dispositions.

Il suit encore de là que la circulaire contestée pouvait sans illégalité prévoir une durée de prise en charge dans les DPAR limitée en principe à 90 jours, dans l'attente d'un retour de l'étranger dans son pays d'origine et pour autant que cette perspective demeure réalisable à brève échéance.

Enfin, c’est sans illégalité que l’instruction attaquée a prévu que  les agents des préfectures compétents pour l'application de la réglementation relative aux étrangers individuellement désigné, et spécialement habilités par le préfet, peuvent être destinataires des données nominatives contenues dans le traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Outil de statistique et de contrôle de l'aide au retour »  mis en œuvre par l'OFII car elle n'a pas pour objet et ne pourrait légalement avoir pour effet de dispenser du respect des dispositions régissant ce traitement ni de celles relatives à la protection des données personnelles.

(10 juillet 2023, Cimade, n° 468764)

 

2 - Dispositifs médicaux - Demande d’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables - Refus implicite - Demande de révélation des motifs du refus - Annulation.

La requérante poursuit l’annulation implicite du rejet par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale de sa demande d'inscription, du 20 mai 2021, des dispositifs médicaux « Alber Scalamobil S35 » et « Alber Scalamobil S38 » sur la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Du fait du silence gardé par les destinataires de cette demande, est née une décision implicite de rejet.

La société requérante a demandé, par courrier du 4 mars 2022, la communication des motifs de cette décision aux ministres concernés sur le fondement de l'art. L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Les ministres s’étant abstenus de répondre à cette demande dans le délai d'un mois suivant sa formulation, il s’ensuit que la décision implicite de rejet litigieuse est entachée d'illégalité. 

(12 juillet 2023, Société Invacare Poirier, n° 464645)

 

3 - Refus d’instruction d’un enfant dans la famille - Recours à la commission présidée par le recteur de l’académie - Obligation de statuer dans le délai d’un mois - Délai non prescrit à peine de nullité - Application du droit commun de constitution des décisions implicite de rejet - Annulation.

Les requérants ont demandé l'autorisation d'instruire leur fils dans la famille, elle leur a été refusée par décision du 8 juillet 2022 de la directrice académique des services de l'éducation nationale de la Haute-Vienne. Ils ont alors saisi la commission présidée par la rectrice de l'académie de Limoges d’un recours contre cette décision sur lequel, en vertu d’une disposition réglementaire, cette commission devait statuer dans le délai d’un mois. A l’expiration de ce délai, la commission n’ayant pas statué, ils ont saisi le juge administratif d’un référé tendant à la suspension de l’exécution du refus explicite opposé par la directrice académique et du refus explicite résultant du silence gardé par la commission ad hoc ainsi que de la décision implicite de la commission présidée par la rectrice de l'académie de Limoges rejetant leur recours contre cette décision.

Le juge du référé suspension, par une ordonnance du 31 août 2022, a suspendu l'exécution de la décision implicite de la commission, a enjoint à cette dernière de délivrer aux requérants, dans un délai de huit jours, l'autorisation d'instruire leur fils dans la famille jusqu'à l'intervention du jugement se prononçant au fond sur la légalité de cette décision et a jugé, par voie de conséquence qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision initiale du 8 juillet 2022. 

Le ministre de l’éducation se pourvoit en cassation contre cette ordonnance et le Conseil d’État l’annule.

Le juge des référés avait estimé que, faute pour la commission d’avoir statué dans le délai d’un mois qui lui était imparti par l'art. D. 131-11-10 du code de l'éducation, la décision implicite de rejet née à l'expiration de ce délai d'un mois, avait, dès lors, été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

Le Conseil d’État prend le contrepied de cette solution en relevant que ce délai d’un mois n’était pas prescrit à peine de nullité et que, sauf si un décret en Conseil d'État prévoit un délai différent, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, une décision implicite de rejet d'un recours administratif préalable obligatoire naît du silence gardé pendant deux mois sur le recours.

Il note ensuite qu’il n’y a pas urgence à statuer au regard du calendrier de l’année scolaire 2022-2023.

La solution n’est pas satisfaisante à plusieurs égards.

D’abord, nombre de conventions internationales dont la France est signataire reconnaissent un droit prioritaire d’éducation dans la famille et si l’on doit admettre un contrôle (honnête) de la puissance publique sur l’existence et le contenu de la formation ainsi dispensée, soumettre l’exercice d’un tel droit à autorisation préalable est déjà discutable.

Ensuite, s’agissant de telles demandes, leur traitement doit être effectué dans un délai très contraint et donc très bref compte tenu des impératifs liés au déroulement de l’année scolaire afin de donner une portée effective au droit à recours c’est-à-dire, notamment, au droit à obtenir du juge des réponses intervenant de façon à conserver un caractère d’utilité aux recours introduits. Ici, le refus date du 8 juillet 2022 (et donc la demande des parents est antérieure) et la commission ad hoc est demeurée muette jusqu’au 19 août, la rentrée scolaire étant le 1er septembre 2022, si, dès le 31 août 2022, le juge des référés a donné sa pleine efficacité au droit à recours, ce n’est qu’un an plus tard que le Conseil d’État vient dire qu’il y a lieu à annulation et que, du fait de l’absence d’urgence, le référé doit être rejeté. On croit rêver tant le déroulement des faits est implacable. Plaisante justice dirait Pascal…D’autant que pour la rentrée 2023 le scenario est déjà tracé.

Enfin, il convient de s’interroger sur le motif qui a fait choisir un délai d’un mois et non de deux mois, conformément au droit commun, pour la prise d’une décision par la commission ad hoc. C’est bien évidemment la contrainte temporelle évoquée plus haut qui en est la cause, ce qui conduit, par construction logique mais aussi de bon sens, à voir dès le silence d’un mois une décision implicite de rejet.

Cela laisse la fâcheuse impression que tout est mis en œuvre, y compris un triste bricolage normatif, pour que, par principe, il ne soit pas donné satisfaction à des demandes dont la multiplication, assortie du pullulement d’initiatives scolaires privées, témoignent de la dégradation déplorable de notre enseignement public.

(17 juillet 2023, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 467600)

 

4 - Carte d’aléa « mouvements de terrain » - Demande de modification - Termes du porter à connaissance du préfet - Orientation significative du pouvoir municipal de décision - Influence sur la valeur vénale des terrains - Acte susceptible de recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Ne qualifie pas inexactement les faits de l’espèce la cour administrative d’appel qui juge recevable le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d'aléa « mouvement de terrain » établie par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en tant qu'elle classe la parcelle des requérants en zone d'aléa fort. La cour s’est, à bon droit, d’une part, fondée pour cela sur ce que cette cartographie et les termes dont le préfet a assorti le porter à connaissance qu'il en a fait étaient destinés à orienter de manière significative les autorités compétentes dans l'instruction des autorisations d'urbanisme, et d’autre part, sur ce que, compte tenu de la publicité qui lui a été donnée et des commentaires accompagnant sa publication sur le site internet de la préfecture, cette cartographie était, par elle-même, de nature à influer sur la valeur vénale des terrains concernés. De plus, en l'absence de mise en œuvre d'un processus de révision du plan de prévention des risques, ce document ne saurait être regardé comme un document préparatoire à un tel plan et, s'il est au nombre des études techniques qu'il incombait au préfet de transmettre à titre d'information aux communes ou à leurs groupements, dans le cadre de l'élaboration des plans locaux d'urbanisme, en application de l'art. L. 132-2 du code de l'urbanisme, cette circonstance ne permettait pas, eu égard à la publicité et à la portée qui lui ont été par ailleurs données, d'exclure qu'il présente le caractère d'un acte susceptible de recours. Ainsi, la cartographie du risque de mouvements de terrain ainsi que le refus opposé par le préfet de la modifier étaient susceptibles d'emporter des effets notables sur la situation et les intérêts des propriétaires des parcelles classées en zone d'aléa fort et pouvaient, par suite, faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

(13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455800)

Voir, pour un autre aspect de cette décision le n° 246

(5) V. aussi, très semblable : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455801.

(6) V. également : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455803.

 

7 - Centrales nucléaires - Souhait du président de la république de voir prolonger la durée de fonctionnement de certaines centrales - Propos sans caractère décisoire car supposant l’intervention de nombreux autres actes - Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision du 10 février 2022 par laquelle le Président de la République a annoncé la prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs nucléaires en activité et la création de six nouveaux réacteurs nucléaires, de type EPR nouvelle génération ou EPR2, ainsi que le lancement d'études sur la création de huit EPR2 additionnels.

Le recours est rejeté et ne pouvait que l’être car cette annonce politique du chef de l’État n’est qu’un souhait dont la réalisation concrète suppose l’intervention d’un processus de décision, d’où il suit que cet acte n’est pas susceptible d'être attaqué par la voie du recours pour excès de pouvoir et que la requête tendant à son annulation est irrecevable.

(04 août 2023, Association Greenpeace France, n° 462777)

 

8 - Remarque figurant dans les commentaires d’un bulletin officiel - Explicitation de la portée de la loi fiscale - Absence de commentaires de la législation - Irrecevabilité partielle et rejet du surplus.

La requérante demande l’annulation du troisième alinéa du paragraphe n° 330 des commentaires administratifs publiés le 8 février 2023 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts portant sur le champ d’application de la TVA et les orthèses dentaires.

En premier lieu, est contestée une « remarque » figurant dans cet alinéa et faisant état de l’opinion du comité de la TVA portant sur l'exclusion des orthèses dentaires du champ d'application de l'exonération de TVA. Cette demande est jugée irrecevable car elle ne comporte que des énonciations qui se bornent à faire état, à titre d'information, de la position d'un comité consultatif dont les avis sont dépourvus de toute force contraignante et ne sont donc pas susceptibles d'avoir, par elles-mêmes, des effets notables sur les droits ou la situation de la requérante.

En second lieu, sont rejetés les autres moyens.  

D’abord, en énonçant, au troisième alinéa de leur paragraphe n° 330, que l'exonération prévue au 1° du 4 de l'article 261 du CGI en faveur des prothèses dentaires ne s'étend pas à « la fourniture d'orthèses dentaires tels que les appareils orthodontiques et les gouttières dentaires (aligneurs) », les commentaires attaqués se bornent à expliciter la portée de la loi fiscale, sans y ajouter, ils ne sauraient donc être entachés d'incompétence ou, d'un vice de procédure tenant à ce que leur « entrée en vigueur » n'aurait pas été précédée de mesures transitoires.

Ensuite, les énonciations attaquées n'ont pas pour objet de commenter le 1° du 4 de l'art. 261 du CGI en tant qu’il prévoit une exonération des « soins dispensés aux personnes » par certains professionnels de santé, et indique que cette exonération s'étend à la fourniture des biens qui en sont matériellement et économiquement indissociables. Par suite, leur paragraphe n° 330, selon lequel la fourniture d'orthèses dentaires n'est pas exonérée de TVA, ne saurait être prétendu donner une interprétation erronée de la loi fiscale.

Également, l'entreprise requérante n'est pas fondée à soutenir que les commentaires attaqués réitèreraient une règle législative méconnaissant la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA et le principe de neutralité de cette taxe qui en découle alors que les dispositions législatives commentées se bornent à assurer la transposition, dans les mêmes termes, de ladite directive.

(18 juillet 2023, EURL Smiledirectclub FR, n° 472881)

 

9 - Schéma régional de santé - Contenu - Arrêté portant schéma régional de santé non pris en exécution ou sur le fondement de l’arrêté portant adoption des zones du schéma régional de santé relatives aux activités de soins, aux équipements matériels lourds et aux laboratoires de biologie médicale - Impossibilité de soulever une illégalité par voie de conséquence - Annulation et rejet.

Le tribunal administratif a, à la demande de la société requérante, annulé  l'arrêté par lequel la directrice générale de l'agence régionale de santé d'Occitanie a adopté le schéma régional de santé en tant que celui-ci détermine les objectifs quantitatifs de l'offre de soins des activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie, pour la pratique des actes portant sur les autres cardiopathies de l'adulte dans la zone d'activité de soins de la Haute-Garonne. La cour administrative d’appel ayant annulé ce jugement et rejeté le recours de la société, celle-ci se pourvoit en cassation et son pourvoi est rejeté.

On retient et présente deux des nombreux moyens soulevés par la demanderesse à la cassation.

Tout d’abord, elle faisait valoir que le schéma régional de santé devant être élaboré sur le fondement d'une évaluation des besoins de santé, sociaux et médico-sociaux reposant elle-même sur un diagnostic tenant compte, notamment, des éléments que mentionnent les dispositions de l’art. R. 1434-4 du code de la santé publique, les éléments de ce diagnostic devraient nécessairement figurer dans le schéma régional de santé. Le moyen est rejeté très logiquement car de ce que doivent être prises en considération certaines données pour l’élaboration du schéma régional en cause, il ne s’ensuit pas que ces données doivent nécessairement figurer dans ledit schéma.

Ensuite, la requérante excipait de l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2018 de la directrice générale de l'agence régionale de santé d'Occitanie portant adoption des zones du schéma régional de santé relatives aux activités de soins, aux équipements matériels lourds et aux laboratoires de biologie médicale pour en déduire par voie de conséquence l’illégalité du schéma régional de santé attaqué. Le moyen est rejeté sans examen de la légalité de l’arrêté du 12 janvier 2018 car il résulte d’une jurisprudence constante que l’illégalité d’un acte second ne peut être prononcée par voie de conséquence de l’illégalité de l’acte premier que dans ceux cas : soit cet acte premier constitue la base légale de l’acte second soit l’acte second a été pris directement pour l’application de l’acte premier, or aucun de ces deux cas de figure ne se rencontrait en l’espèce.

Après avoir, au début de sa décision, annulé l’arrêt attaqué pour motivation insuffisante de la communication du sens des conclusions de la rapportrice publique, le Conseil d’État annule le jugement du tribunal administratif en ce qu’il a annulé l'arrêté du 3 août 2018 en tant qu'il détermine les objectifs quantitatifs de l'offre de soin des activités interventionnelles sous imagerie médicale, par voie endovasculaire, en cardiologie, pour les actes portant sur les « autres cardiopathies de l'adulte » dans la zone d'activités de soins de la Haute-Garonne, 

(20 juillet 2023, Société Clinique d'Occitanie, n° 467648)

 

10 - Communication de documents administratifs - Étendue de ce droit - Communication d’une méthodologie d’évaluation, de données statistiques, du fondement d’un traitement algorithmique - Annulation et rejet partiels.

Les requérants ont demandé l’annulation de la décision implicite par laquelle la directrice générale de l'Agence nationale du développement professionnel continu (ANDPC) a refusé de leur communiquer la méthodologie utilisée pour sélectionner de manière aléatoire les organismes soumis au contrôle de la commission scientifique indépendante (CSI) des médecins et les données statistiques concernant les organismes de formation évalués.

Ils se pourvoient en cassation du jugement ayant prononcé le non-lieu à statuer sur leurs conclusions à fin d'annulation en tant qu'elles concernent le refus implicite de communication de la méthodologie utilisée pour sélectionner les actions soumises au contrôle de la CSI des médecins et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Le jugement est annulé en tant qu’il a jugé que la demande de communication des documents relatifs à la méthodologie utilisée par l'ANDPC pour sélectionner de manière aléatoire les actions des organismes soumises à évaluation avait été satisfaite, alors qu’il ressortait des pièces du dossier et, en particulier, des écritures produites par l'ANDPC elle-même, que l'agence détenait d'autres documents décrivant la méthodologie litigieuse et que les requérants soutenaient en réplique qu'aucun document présentant de manière précise les méthodes utilisées n'avait été produit et rappelaient que leur demande portait sur la communication d'autres documents que le compte rendu précédemment mentionné, notamment l'algorithme utilisé pour sélectionner aléatoirement les actions des organismes devant être évaluées et dont l'ANDPC elle-même faisait état dans ses écritures.

Le jugement est également annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions des requérants tendant à l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer les documents statistiques concernant les évaluations conduites par l'agence sur les actions des organismes de développement continu en se fondant pour cela sur ce qu'une telle communication aurait pour effet de révéler le volume d'actions de ces organismes ainsi que le type d'actions menées et porterait donc atteinte au secret des affaires, sans examiner si l'ANDPC était en mesure de communiquer un document comportant uniquement les données, divisibles de celles couvertes par le secret des affaires, relatives au nombre d'évaluations réalisées par l'agence pour chaque organisme, qui correspondait au document demandé.

Réglant l’affaire au fond, le juge de cassation commence en premier lieu par estimer satisfaite, en cours d’instance, la demande des requérants à l'ANDPC de leur communiquer  les « données statistiques concernant les organismes de formation évalués » afin d'apprécier la fréquence moyenne à laquelle un organisme fait l'objet d'une évaluation d'une de ses actions par l'agence et de la comparer au nombre d'actions des associations Amiform et Formalliance qui ont été évaluées du fait de la production par l’ANDPC des tableaux qui retracent notamment, pour chaque organisme, dont le nom est occulté, et pour chaque année 2018 et 2019, le nombre d'actions réalisées et évaluées, et le pourcentage d'actions réalisées ayant fait l'objet d'une évaluation qui en découle.. Ainsi, de ce chef est prononcé un non-lieu à statuer.

En deuxième lieu, concernant le fondement du traitement algorithmique dont la communication a été refusée, le juge relève qu’il résulte de l’art. L. 311-3-1 du code des relations entre le public et l’administration que ses dispositions ne trouvent à s’appliquer que dans le cas où le traitement algorithmique a fondé, en tout ou partie, une décision individuelle ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

En troisième lieu, le juge estime en revanche que la communication des documents décrivant la méthode aléatoire employée pour diligenter des évaluations n'est pas de nature à révéler la stratégie d'évaluation de l'ANDPC dans des conditions qui pourraient porter atteinte à la recherche des manquements aux obligations pesant sur les organismes de développement professionnel continu relevant de son champ de compétence et que les requérants sont fondés, pour ce motif, à demander l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer ces documents mais non l'annulation du refus de l'ANDPC de communiquer des documents relatifs aux autres méthodes utilisées pour déterminer les organismes dont les actions sont évaluées, dès lors que leur demande initiale ne portait que sur la méthode dite de l'échantillonnage aléatoire. Injonction est faite à l’ANDPC d’effectuer cette communication dans le mois de la présente décision.

(24 juillet 2023, Association médicale indépendante de formation (Amiform), association de formation professionnelle Formalliance et M. B., n° 462778)

 

11 - Droit à communication des documents administratifs - Distinction entre documents dont tous les éléments sont définis par un texte et ceux dont ces éléments ne sont pas définis - Effets sur les pouvoirs du juge saisi - Annulation.

Dans un litige relatif au refus de communication de l’audit interne d’un service de voie publique effectué par la sous-direction des audits et du contrôle interne de la direction générale de la sécurité publique, communication autorisée par la CADA, le juge en avait, sans en prendre connaissance, ordonné la communication sous réserve d’occultation des éléments couverts par l’un des secrets protégés par l’art. L. 311-6 du code des relations entre le public et l’administration.

Le Conseil d’État fait application d’une distinction habituelle en la matière.

Lorsque le refus de communication est l’unique objet du litige porté devant le juge, il y a lieu de distinguer selon qu’un texte définit tous les éléments devant constituer le document dont la communication est demandée ou, au contraire, selon que ces éléments ne sont pas définis.

Dans le premier cas, le juge peut, sans être tenu d'en ordonner la production, décider si, eu égard au contenu des informations qui doivent y figurer, il est, en tout ou partie, communicable. Dans le second cas, cette communication ne peut être ordonnée sans que le juge n’ait, au préalable, demandé sa production, le cas échéant hors contradictoire, afin d'apprécier l'ampleur des éléments protégés et la possibilité de communiquer le document après leur occultation.

En l’espèce, le jugement querellé est annulé pour avoir - alors que ni l’objet ni le contenu des rapports d'audit adressés par la direction centrale de la sécurité publique aux directions départementales de la sécurité publique à l'issue de contrôles effectués dans leurs services déconcentrés ne sont définis par aucun texte -  sans s'être fait produire au préalable hors contradictoire le document dans une version intégrale, vérifié que la communication à M. B. par le ministre de l'intérieur d'une version occultée du rapport d'audit et de contrôle interne privait le litige de son objet, alors qu'il était soutenu devant lui que certaines des mentions occultées avaient un caractère communicable.

(26 juillet 2023, M. B., n° 461130)

 

12 - Assemblée nationale - Recours pour excès de pouvoir dirigé contre une sanction infligée à un député proposée par le bureau de cette Assemblée - Règlement de l’Assemblée, élément du statut du parlementaire - Séparation des pouvoirs - Incompétence de la juridiction administrative - Rejet.

Le requérant, député, a fait l’objet le 10 février 2023, pour « provocations envers l’Assemblée nationale », d’une censure avec exclusion temporaire sur proposition du bureau de l’Assemblée.

Il saisit la Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre cette décision disciplinaire Le recours est rejeté car le régime disciplinaire des députés, qui est fixé par le Règlement de l’Assemblée nationale, fait partie du statut du parlementaire et se rattache à l'exercice de la souveraineté nationale par les membres du Parlement. Ainsi, « en vertu de la tradition constitutionnelle française de séparation des pouvoirs, il n'appartient pas au juge administratif de connaître des litiges relatifs aux sanctions infligées par les organes d'une assemblée parlementaire aux membres de celle-ci » sans que fasse obstacle à cette incompétence la circonstance qu'aucune juridiction ne puisse être saisie d'un tel litige.

Même si la nature a horreur du vide, il n’entre pas dans les pouvoirs du Conseil d’État de le combler.

On peut certes regretter que les textes imposent cette solution mais il faut reconnaître que, jaloux de leur indépendance statutaire, les parlementaires seraient les premiers à exciper de leur « souveraineté » contre un quelconque empiètement - réel ou supposé - du juge sur celle-ci.

(24 juillet 2023, M. Thomas Portes, n° 471482)

(13) V. aussi, la solution identique retenue à propos du recours de députés sanctionnés d’un « rappel à l’ordre » le 5 avril 2023 pour avoir été reconnus coupables d'avoir transgressé les règles de publicité des travaux de la commission mixte paritaire du 15 mars 2023 : 24 juillet 2023, M. B. et Mme A., n° 473588.

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

14 - Appel à candidatures pour l'édition de services de radio multiplexés diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique - Consultation publique préalable sur l'utilisation du spectre radioélectrique - Étude d'impact des décisions d'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique - Absence des services de radio de catégorie A dans le volet économique de l'étude d'impact - Erreur de droit - Annulation.

La requérante a répondu à un appel candidatures du CSA/ARCOM pour l'édition de services de radio multiplexés diffusés par voie hertzienne terrestre en mode numérique. Sa candidature n’ayant pas été retenue, elle a saisi, en vain, la cour administrative d’appel et se pourvoit en cassation de l’arrêt de rejet.

Elle fait valoir au soutien de ses prétentions que la procédure d'attribution des autorisations était entachée d'irrégularité au motif que les services de radio de catégorie A n'avaient pas été inclus dans le volet économique de l'étude d'impact qui a précédé l’appel à candidatures litigieux. Pour écarter ce moyen, la cour retient que ces services bénéficient dans leur grande majorité de subventions publiques du fonds de soutien à l'expression radiophonique locale et que leurs ressources commerciales provenant de messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont dès lors, en vertu de l'article 80 de la loi du 30 septembre 1986, inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires total. Elle a en outre indiqué que les parts d'audience des services de radio de catégorie A dans les allotissements concernés par l'étude d'impact étaient inférieures à 0,5 % alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis qu'elles sont comprises entre 0 et 5 %.

L’arrêt est annulé pour erreur de droit ; nous y aurions plutôt vu une erreur de fait.

(19 juillet 2023, Association « Los Estuflaïres », n° 453010)

(15) V. aussi, identique : 19 juillet 2023, Association « Groupement des radios associatives libres », n° 453012.

 

16 - Demande d’autorisation d’édification d'une station relais de téléphonie mobile - Refus - Demande de suspension du refus rejetée - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation de l’ordonnance de référé rejetant sa demande de suspendre le refus d’autoriser l’édification d'une station relais de téléphonie mobile. Le juge du référé de l’art. L. 522-3 du CJA s’est fondé sur les dispositions du règlement local d’urbanisme alors que ni les dispositions de l'article A1, applicables aux constructions de la sous-destination « locaux techniques et industriels des administrations publiques assimilées », ni les règles de hauteur et d'implantation au regard des limites séparatives prescrites par les articles A5 et A7 du même règlement n'étaient opposables au projet, rejetant ainsi implicitement mais nécessairement le moyen tiré de ce que cette décision méconnaissait l'article 7 du règlement du plan local d'urbanisme. Ce juge a ainsi commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son ordonnance dès lors qu'eu égard à leur objet, ces dispositions s'appliquent aux antennes et aux pylônes installés par les opérateurs dans le cadre de l'exploitation d'un réseau de télécommunications.

(20 juillet 2023, Société Free Mobile, n° 468686)

 

17 - CSA (ARCOM) - Établissement d’une méthodologie pour vérifier le respect, par les éditeurs des services de radio, de leurs obligations relatives aux quotas de chansons francophones diffusées à la radio - Notions d’« heures d’écoute significative », de « nouveaux talents » - Possibilité de dérogation contre certains engagements - Rejet.

Pour apprécier si et dans quelle mesure sont respectées par les éditeurs de services de radio leurs obligations de diffuser des quotas minima de diffusion des chansons françaises, le CSA (ARCOM) a entrepris, suite aux observations d'une mission de l'Assemblée nationale relative aux quotas de chansons francophones à la radio, d’énoncer, dans sa délibération du 8 décembre 2021, les définitions qu'il entend retenir et la méthode qu'il prévoit de mettre en œuvre pour vérifier ce respect.

Le syndicat requérant invoque trois moyens, dirigés respectivement contre les art. 3, 5 et 9 de la délibération litigieuse, portant :

- sur la redéfinition des « heures d’écoute significative » dont le CSA/ARCOM a étendu les plages horaires au cours des différents jours de la semaine,

- sur la définition des « nouveaux talents » comme artistes ou groupes n’ayant pas dépassé un certain seuil de ventes par album ou pour deux albums distincts,

- sur la possibilité de dérogation à ces exigences moyennant la prise en contrepartie, par les éditeurs concernés, d’un certain nombre d’engagements.

Le juge n’ayant relevé aucune erreur manifeste d’appréciation (signe du large pouvoir de décision reconnu à l’organe régulateur de l’audiovisuel) dans les décisions contestées, rejette le recours.

(04 août 2023, Syndicat national de l'édition phonographique, n° 461514)

 

18 - Mise en demeure par l’ARCOM d’un éditeur de programmes de se conformer à ses obligations - Propos tenus à l’antenne par un professeur de médecine - Défaut de maîtrise de la part de l’éditeur - Sanction justifiée - Rejet.

Est justifiée la mise en demeure de respecter ses obligations conventionnelles adressée à un éditeur de programme d’information par l’ARCOM à la suite de la diffusion à l’antenne - dans le cadre d’une émission télévisée - de propos d’un professeur de médecine au sujet de la Covid-19, de sa diffusion et de sa mortalité liée à la vaccination et pas à la non-vaccination. En effet, l’éditeur a laissé se développer des propos controuvés par les données scientifiques alors disponibles sans y apporter ou y faire apporter de contradiction ou seulement une contradiction très insuffisante et en présentant au contraire l’invité comme «  un grand spécialiste des vaccins que l'on n'entend plus » et sa venue dans l’émission « pour que l'on parle des faits, que l'on cesse avec ces idéologies ou avec ces idées toutes faites »; il a manqué ainsi à son obligation de veiller à l'expression des différents points de vue sur les questions prêtant à controverse et, partant, à son obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information.

(04 août 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 465757)

(19) V. aussi, une solution voisine mutatis mutandis - et bien trop clémente - à propos d’un journaliste, chroniqueur régulier d’une émission de la chaîne, pour avoir comparé la situation des personnes non-vaccinées contre la Covid-19 à celle des Juifs face aux persécutions nazies, avançant comme un fait historique que la création du ghetto de Varsovie par les nazis en octobre 1940 avait notamment répondu à des préoccupations hygiénistes : 04 août 2023, Société d'exploitation d'un service d'information (SESI), n° 465759.

 

20 - Demande d’assistance à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en vue d’exercer un droit d’accès à des informations personnelles - Clôture de la réclamation par la CNIL - Demandes d’injonction et de sanction - Demandes excédant la compétence du uge des référés - Rejet.

Le requérant a saisi par voie électronique la commune de Castellet-en-Luberon de deux demandes tendant, pour l'une, au zonage en matière d'assainissement et, pour l'autre, à la désignation d'une personne responsable de l'accès à l'information relative à l'environnement. Puis il a demandé à cette commune la communication de l'ensemble des données personnelles le concernant dont celle-ci disposerait, ceci afin de prouver avoir ainsi saisi la commune de demandes d'accès à des informations environnementales.

Il a saisi la CNIL d’une réclamation tendant à ce que celle-ci l'assiste dans l'exercice de son droit d'accès aux informations personnelles auprès de la commune de Castellet-en-Luberon ; la CNIL ayant clôturé cette réclamation, le requérant saisit le juge du référé liberté du Conseil d'État d’enjoindre à la CNIL, d'une part, de l'assister dans l'exercice de son droit d'accès aux informations personnelles et, d'autre part, de prendre des mesures de sanction à l'encontre de cette commune.

Sans surprise, la requête est rejetée.

Le juge constate le défaut d’urgence à statuer en l’espèce.

Surtout, il rappelle - ce qu’ont parfois tendance à oublier les requérants et leurs conseils - que le juge des référés, juge du provisoire, ne peut qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Il ne peut donc, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant pour défaut de base légale une telle décision. Or tel serait le cas ici si le juge devait entrer en voie de satisfaire à la double demande dont il est saisi envers la décision de la CNIL de clôturer la réclamation du demandeur.

(ord. réf. 31 août 2023, M. B., n° 482656)

 

21 - Demande à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), par un ancien salarié, de procéder à la communication de documents détenus par son ancien employeur - Rejet implicite de la plainte - Demande d’injonction tendant au déclenchement d’une procédure de sanction - Invocation d’un faux produit à la CNIL - Rejet.

Dans un litige né du licenciement d’un salarié de droit privé, celui-ci s’est adressé à la CNIL pour qu’elle lui communique certains documents détenus par son ancien employeur, la société X. Cette demande ayant été implicitement rejetée, l’intéressé saisit le Conseil d’État de deux requêtes qui sont jointes pour y être statué par une seule décision :

- d’une part, une requête en annulation de ce rejet et en demande d’injonctions par la CNIL de procéder à la communication desdites pièces ainsi qu’à l’ouverture d’une procédure à l’encontre de son ex-employeur,

- d’autre part, d’annuler la décision de la présidente de la CNIL de clôturer sa plainte et d’en reprendre l’instruction ainsi que de vérifier qu’un certain courrier lui a bien envoyé.

Le juge rejette ces deux séries de demandes en apportant d’importantes précisions notamment s’agissant des pouvoirs de la CNIL, des délais de recours contre ses décisions de rejet et de l’étendue du contrôle exercé sur elles par le juge administratif.

En premier lieu, le demandeur soutenait que la loi de 1978 disposant que le silence gardé pendant trois mois par la CNIL sur une réclamation valait décision implicite de rejet, il était précisément dans ce cas. En réalité, estime le juge, dont on peut discuter ici le raisonnement, M. D. a saisi la CNIL le 11 janvier 2022, la commission lui a adressé une réponse le 4 avril, donc avant l’expiration du délai de trois mois, l'informant de la saisine du délégué à la protection des données de la société X. et de ce qu'il serait tenu informé de la suite réservée à sa réclamation. En mai 2022, il lui a été indiqué verbalement que sa réclamation était toujours en cours d'instruction. Sa plainte a finalement été clôturée par une décision de la présidente de la CNIL du 1er septembre 2022. Comme cette décision répond à l'ensemble de ses demandes, il n'est pas fondé à soutenir qu'une décision implicite de rejet serait née du silence gardé par la CNIL sur ses trois demandes au-delà du délai de trois mois prescrit par les articles 78 du RGPD et 10 du décret du 29 mai 2019. Sont donc rejetées comme irrecevables ses conclusions tendant à l'annulation de décisions inexistantes.

En deuxième lieu, il est jugé qu’il résulte des dispositions de l’art. 8 de la loi du 6 janvier 1978 une importante distinction, selon les cas, entre les pouvoirs de contrôle dont dispose le juge lorsque la CNIL est saisie d'une plainte ou d'une réclamation tendant à la mise en œuvre de ses pouvoirs. Si celle-ci doit dans tous les cas procéder à l'examen des faits qui en sont à l'origine et décider des suites à leur donner, l’étendue des pouvoirs de contrôle du juge administratif n’est pas la même selon que le requérant conteste une décision de refus de la CNIL ou qu’il fonde sa plainte sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à l'égard des données à caractère personnel le concernant, notamment les droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition mentionnés aux articles 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978.

En effet, dans le premier cas la CNIL dispose d'un large pouvoir d'appréciation et, par suite, le juge de l'excès de pouvoir n’exerce sur le refus de la CNIL d'y donner suite qu’un contrôle portant sur un motif d'illégalité externe et, au titre du bien-fondé de la décision, sur une erreur de fait ou de droit, une erreur manifeste d'appréciation ou un détournement de pouvoir.

En revanche, lorsque l'auteur de la plainte se fonde sur la méconnaissance par un responsable de traitement des droits garantis par la loi à l'égard des données à caractère personnel le concernant (droits d'accès, de rectification, d'effacement, de limitation et d'opposition, cf. art. 49, 50, 51, 53 et 56 de la loi du 6 janvier 1978), le pouvoir de contrôle du juge de l’excès de pouvoir est plein et entier sur la décision de la CNIL relative aux suites à y donner eu égard à la nature du droit individuel en cause.

En troisième lieu, le requérant invoquait le caractère illicite, déloyal et non transparent du traitement dont auraient fait l'objet certaines de ses données personnelles afin de réaliser un faux courriel, daté du 12 septembre 2017, émanant du responsable de production sous l'autorité duquel il se trouvait lorsqu'il était employé par la société X. entre le 20 février et le 20 octobre 2017, afin de s'en servir dans le cadre de la contestation de son licenciement devant le juge prud'homal. Il est jugé que faute qu’il ait apporté un élément permettant d’émettre une suspicion de faux, la CNIL n’a pas commis d’erreur de droit en écartant cette demande

Enfin, en dernier lieu, s’agissant des moyens relatifs au droit d'accès aux données personnelles détenues par la société X., ils sont tous rejetés, spécialement celui tiré de ce que la société aurait conservé ces documents dans ses archives : ces dernières n’ont, en effet, été conservées que pour permettre la défense des droits de la société dans le contentieux prud'homal qui l'oppose à son ancien employé. Dès lors que l'accès à ces données est limité à cette seule finalité, le requérant ne peut se prévaloir d'un droit à une limitation supplémentaire du traitement des données personnelles.

(24 juillet 2023, M. D., n° 465229 ; 24 juillet 2023, M. D., n° 468923, jonction)

 

Biens et Culture

 

22 - Appartenance d’un bien au domaine public - Existence ou non d’un service public - Critères de la domanialité publique antérieurement à l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) - Annulation.

Des locaux appartenant à une commune sont loués à l'Association pour adultes et jeunes handicapés qui y gère un institut médico-éducatif comprenant notamment un internat pour enfants et jeunes handicapés de moins de 18 ans, une section d'éducation et d'enseignement spécialisée pour les enfants de 6 à 13 ans et une section d'initiation et de première formation professionnelle. Cet institut propose aux adolescents des enseignements, des formations professionnelles et des activités éducatives et sportives.

Un incendie d'origine indéterminée s'étant déclaré dans la nuit du 2 au 3 août 2015 dans les locaux de l'établissement, alors fermé pour congés, la société mutuelle d'assurances des collectivités locales (SMACL) a indemnisé la commune, puis, se fondant sur la présomption de responsabilité du locataire édictée par l'article 1733 du Code civil en cas d'incendie des lieux loués, elle a assigné la société mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF), assureur de l’Association, devant le tribunal de grande instance en vue d'obtenir le remboursement des sommes versées à la commune. La société MAIF ayant soutenu que les locaux en cause appartenaient au domaine public communal et que l'article 1733 n'était par suite pas applicable, les tribunaux de l'ordre judiciaire ont saisi le tribunal administratif d'une question préjudicielle portant sur l'appartenance des locaux sinistrés au domaine public ou au domaine privé de la commune.

La société MAIF se pourvoit en cassation contre le jugement du tribunal administratif, en tant qu'il a jugé que les locaux en cause n'appartenaient pas au domaine public communal.

Le Conseil d’État fait trois observations liminaires avant d’annuler le jugement querellé.

En premier lieu, si les actions médico-éducatives en faveur des enfants et des jeunes en situation de handicap, menées par des personnes privées constituent une mission d'intérêt général, il résulte toutefois des dispositions de la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu exclure que la mission assurée par ces organismes revête, en tant que telle, le caractère d'une mission de service public.

En deuxième lieu, il incombe à l'État, au titre de sa mission d'organisation générale du service public de l'éducation et, le cas échéant, de ses responsabilités à l'égard des établissements sociaux et médico-sociaux, de prendre l'ensemble des mesures et de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour que le droit à l'éducation et l'obligation scolaire aient, pour les enfants en situation de handicap, un caractère effectif. Lorsque la scolarisation se déroule dans une unité d'enseignement créée au sein d'un institut médico-éducatif, elle participe du service public de l'éducation et les locaux qui, dans l'enceinte d'un tel institut, servent au fonctionnement de l'unité d'enseignement doivent être regardés comme affectés à ce service public.

En troisième lieu, si l’ordonnance du 1er juin 2006 portant CGPPP décide désormais qu’un bien appartient au domaine public à condition d'avoir fait à cette fin l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable, ce critère n’a pas eu pour effet de faire sortir du domaine public ceux des biens qui y appartenaient antérieurement en vertu des critères alors appliqués selon lesquels l'appartenance d'un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l'usage du public, subordonnée à la double condition qu'il ait été affecté à un service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. 

C’est pourquoi le tribunal administratif a commis une erreur de droit en se fondant, pour dénier le caractère de dépendances du domaine public aux locaux incendiés, sur ce que le législateur, avait entendu exclure que l'activité de cet institut revête, en tant que telle, le caractère d'une mission de service public, alors  que de tels locaux étaient susceptibles d'être affectés au service public de l'éducation comme indiqué plus haut et, le cas échéant, de relever du domaine public à condition d'avoir fait à cette fin l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable.

Le dossier est renvoyé au tribunal administratif.

(18 juillet 2023, Société MAIF, n° 470151)

 

23 - Dépendance du domaine public - Mandat de vente sans exclusivité donné à un agent immobilier - Obligation de désaffectation préalable du bien ne faisant pas obstacle à l’exercice et à la validité du mandat - Annulation.

En vue de la cession d’un ensemble immobilier appartenant à son domaine public, une commune conclut avec l’agence immobilière requérante un « mandat de vente sans exclusivité ». Par la suite, le maire a informé cette société que la commune avait elle-même trouvé un acquéreur et qu'il était, en conséquence, conformément aux stipulations du mandat, mis fin à celui-ci.

La société Ykha Standing Home a demandé la condamnation de la commune à lui verser une indemnité de 98 000 euros en exécution de la clause pénale stipulée au contrat, ainsi qu'une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice qu'elle aurait subi du fait du refus de la commune d'exécuter cette clause. Elle se pourvoit en cassation contre l'arrêt confirmatif par lequel la cour administrative d'appel a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté ses demandes.

Le Conseil d’État annule cet arrêt qu’il juge entaché de deux erreurs de droit.

En premier lieu, si, comme l’a jugé la cour, un bien relevant du domaine public ne saurait être aliéné sans avoir été préalablement déclassé après, le cas échéant, désaffectation, cette exigence - contrairement à ce qu’a jugé la cour -, ne faisait pas obstacle à ce qu'un tel bien fasse l'objet d'un mandat donné à un agent immobilier pourvu que ce mandat n'autorise pas le mandataire à engager son mandant. Or il résulte des art. 1er et 6 de la loi du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d'exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce et de l'art. 72 de son décret d'application du 20 juillet 1972 que le mandat donné à un agent immobilier est un mandat d'entremise consistant en la recherche de clients et à la négociation de la vente de biens d'autrui, qui ne permet pas à ce dernier d'engager son mandant pour l'opération envisagée, à moins qu'une clause de ce mandat ne l'y autorise expressément ce qui n’était pas le cas ici.

En second lieu, la cour ne pouvait pas juger, comme elle l’a fait, qu’un « mandat de vente » portant sur un bien relevant du domaine public méconnaît, par son objet même, le principe d'inaliénabilité du domaine public, faisant ainsi obstacle à ce que le litige relatif à son exécution puisse être réglé sur le terrain de la responsabilité contractuelle. En effet, en statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt de dénaturation car il ressortait des stipulations mêmes de ce contrat qu'il constituait un mandat de recherche d'acquéreurs au sens des dispositions précitées. Elle l'a en outre entaché d'erreur de droit en se fondant, pour juger qu'il y avait lieu d'écarter le contrat, sur le seul motif qu'il portait sur une dépendance du domaine public, sans rechercher s'il autorisait la société Ykha Standing Home à accomplir des actes de disposition pour le compte de la commune. 

(18 juillet 2023, Société Ykha Standing Home, n° 465200)

 

24 - Occupation irrégulière du domaine public maritime - Ordonnance de référé expulsant la requérante et enjoignant la remise des lieux en l’état - Démolition des ouvrages installés - Office du juge de l’art. L. 521-3 CJA - Méconnaissance - Annulation.

Le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, saisi à cet effet par le préfet sur le fondement de l’art. L. 521-3 du CJA, a ordonné l’expulsion de la requérante du domaine public et la remise en état de celui-ci, à ses frais et risques, notamment la démolition des ouvrages installés sur ce domaine.

Le juge des référés est d’abord approuvé d’avoir justifié l’acceptation de la demande d’expulsion par le caractère d'utilité et d'urgence de la nécessité de rétablir le libre accès des piétons à la plage et l'égalité de traitement entre les occupants du domaine public, pour mettre fin à des troubles ainsi que pour préserver l'intégrité du domaine public,

Ensuite, son ordonnance est annulée car le juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA, s’il peut ordonner le déplacement ou le démontage d'un ouvrage immobilier, ne peut ordonner, comme en l’espèce, la destruction d'un tel ouvrage, manquant ainsi à son office.

L’ordonnance attaquée est donc annulée seulement en tant qu'elle a enjoint la société requérante de procéder à ses frais et risques à la démolition des ouvrages installés sur le domaine public.  

(24 juillet 2023, Société La Vedette, n° 467796 et n° 467801)

 

Collectivités territoriales

 

25 - Conseil municipal - Conseiller et maire condamné par le juge judiciaire - Déclaration de démission d’office - Rejet.

L’intéressé, maire et conseiller municipal en exercice, a été condamné le 3 mai 2022 par le tribunal judiciaire à l'interdiction de toute fonction ou tout emploi public pour une durée de cinq ans et à la privation de son droit d'éligibilité pour une durée de dix ans, ces peines complémentaires ayant été déclarées exécutoires par provision. Le préfet, par arrêté du lendemain, 4 mai, l’a déclaré démissionnaire d'office de son mandat de conseiller municipal et de ses fonctions de maire de la commune.

Il a demandé l’annulation de cette décision, son recours a été rejeté pour cause de tardiveté. Le juge d’appel confirme ce rejet ne retenant aucun des griefs articulés au soutien de l’appel.

(24 juillet 2023, M. A., n° 468202)

 

26 - Communes et établissements de coopération intercommunale - Agglomération d’assainissement - Délimitation des zones d’assainissement collectif et des zones d’assainissement non collectif - Large pouvoir d’appréciation des collectivités - Non réalisation de travaux - Rejet.

Le requérant a demandé et obtenu, en première instance, d’une part, l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le maire de la commune du Rouret sur sa demande de réalisation de travaux d'extension du réseau d'assainissement collectif jusqu'à son habitation et, d’autre part, qu’il lui soit fait injonction de procéder à ces travaux. 

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif du jugement qui lui avait donné gain de cause.

Le pourvoi est rejeté.

Tout d’abord, le juge relève qu’il résulte des dispositions des art. L. 2224-10, L. 2224-8 et L. 2224-10 et R. 2224-7 et R. 2224-10 du code général des collectivités territoriales que les communes et les établissements publics de coopération intercommunale disposent d'un large pouvoir d'appréciation s’agissant de délimiter les zones d'assainissement collectif et d'assainissement non collectif en tenant compte de la concentration de la population et des activités économiques productrices d'eaux usées sur leur territoire, de la charge brute de pollution organique présente dans les eaux usées, ainsi que des coûts respectifs des systèmes d'assainissement collectif et non collectif et de leurs effets sur l'environnement et la salubrité publique.

Ensuite, il découle des dispositions de l’art. R. 2224-10 précité que dans le cas où, comme en l’espèce, tout ou partie du territoire d'une commune est compris dans une agglomération d'assainissement dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour, la commune ou l'établissement public est en principe tenu d'équiper cette partie du territoire d'un système de collecte des eaux usées.

Enfin, cependant, les dispositions de l'art. R. 2224-7 précité permettent aux communes et établissements publics de coopération intercommunale de placer en zones d'assainissement non collectif les parties de leur territoire dans lesquelles l'installation d'un système de collecte des eaux usées ne se justifie pas, soit parce qu'elle ne présente pas d'intérêt pour l'environnement et la salubrité publique, soit parce que son coût serait excessif, y compris, par exception aux obligations résultant de l'article R. 2224-10, si ces parties de territoire sont comprises dans une agglomération d'assainissement au sein de laquelle les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour.

C’est donc sans erreur de droit que l’arrêt attaqué a jugé :

- d’une part, que les dispositions de l'art. R. 2224-7 du CGCT permettent de déroger à celles de l'art. R. 2224-10 de ce code, et en a déduit que, dès lors qu'à la date de la décision litigieuse, la propriété de M. B. était située dans une zone d'assainissement non collectif en vertu du plan de zonage adopté par la commune le 12 décembre 2005, cette dernière n'était pas tenue de réaliser le raccordement de cette propriété au réseau collectif d'assainissement communal, quand bien même cette commune aurait été incluse, à cette même date, dans une agglomération d'assainissement, au sens de l'art. R. 2224-6 de ce code, dont les populations et les activités économiques produisent des eaux usées dont la charge brute de pollution organique est supérieure à 120 kg par jour ;

- d’autre part, que la propriété de M. B. étant située dans une zone d'assainissement non collectif, la commune n'était pas non plus tenue de prendre à sa charge la réalisation d'installations d'assainissement non collectif pour cette propriété.

(13 juillet 2023, M. B., n° 454945)

 

27 - Reversement des sommes du fonds de solidarité régional - Mécanisme de péréquation fondé sur les ressources des collectivités concernées, sans tenir compte des charges supportées (art. L. 4332-9, II, CGCT) - QPC - Refus de transmission.

La région Île-de-France, dans le cadre d’un recours en annulation du décret du 29 décembre 2022 portant diverses mesures relatives au reversement des sommes du fonds de solidarité régional et à la composition du comité des finances locales, soulève une QPC tirée de ce que le mécanisme de péréquation institué par les dispositions de ce décret est fondé sur les seules ressources des collectivités concernées, sans tenir compte des charges qu'elles supportent pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont confiées par la loi et de leur évolution. En conséquence, il serait ainsi porté atteinte aux principes d'égalité devant la loi, d'égalité devant les charges publiques et de libre administration des collectivités territoriales.

La demande de transmission d’une QPC est rejetée.

Le juge estime que le législateur, pour fixer les conditions du dispositif de péréquation, a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général que ce dispositif poursuit et qu’il l’a fait, sans restreindre les ressources des collectivités contributrices au point d'entraver leur libre administration.

Par suite, la loi n’a méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni le principe de libre administration des collectivités territoriales. Principes qui, indique le juge en réponse à l’argumentation de la requérante, n'imposaient pas que le dispositif de péréquation en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux collectivités concernées pour l'exercice des compétences obligatoires qui leur sont conférées par la loi. 

Examinant au fond les griefs articulés contre le décret litigieux, le juge les rejette.

Le mécanisme de péréquation entre les régions tenant compte des effets sur leurs ressources de la réforme résultant de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021, n’est pas incompatible avec les stipulations des paragraphes 1 et 2 de l'article 9 de la Charte européenne de l'autonomie locale en ce qu'il ne prendrait pas en compte les charges supportées par les collectivités concernées,

La requérante ne saurait reprocher au décret attaqué de méconnaître le principe d'égalité devant la loi, faute de tenir compte lui-même des charges effectivement supportées par les collectivités concernées, alors que ces dispositions réglementaires se bornent à cet égard à mettre en œuvre les critères institués par la loi elle-même (cf. art. L. 4332-9 du CGCT), pour déterminer les prélèvements et versements du fonds de solidarité régional. 

(13 juillet 2023, région Île-de-France, n° 471743)

 

28 - Maire agissant comme représentant de l'État dans l'exercice de la police des établissements recevant du public - Substitution du préfet au maire - Conditions - Refus ou négligence du maire de prendre un acte prescrit par la loi - Mise en demeure restée sans effets - Annulation de l’ordonnance de référé - Injonction adressée au maire.

Saisi par la SARL Vaiti Traiteur à laquelle le maire de la commune du Tampon a refusé une autorisation de réouverture de son établissement fermé par arrêté municipal du 22 juin 2016, le juge du référé suspension a prononcé la suspension de l'exécution de la décision litigieuse et enjoint au préfet de La Réunion de procéder à l'examen de la demande de la SARL Vaiti Traiteur dans un délai de trois mois.

Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État, tout d’abord, annule cette ordonnance au motif qu’il résulte des dispositions des art. L. 122-5 et R. 122-5, R. 122-7 et R. 14-24 du code de la construction et de l’habitation et de celles de l’art. L. 2122-34 du CGCT que le préfet ne peut se substituer au maire agissant comme représentant de l'État dans l'exercice de la police des établissements recevant du public qu'à la double condition que le maire ait refusé ou négligé de prendre un acte prescrit par la loi et qu'une mise en demeure qu'il lui a adressée est restée sans résultat. L’ordonnance ne pouvait donc pas délivrer injonction au préfet.

Ensuite, le Conseil d’État, jugeant que l’art. 1er de cette ordonnance est devenu définitif en tant qu’il ordonne la suspension de la décision du maire du Tampon comme entachée d’un détournement de procédure, cette partie de l’ordonnance n’ayant pas été attaquée par le pourvoi du ministre, enjoint à ce dernier de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation et de se prononcer sur la demande de la SARL Vaiti Traiteur en faisant usage de ses pouvoirs de police spéciale des établissements recevant du public et en tirant les conséquences de l'avis favorable à la réouverture de l'établissement émis par la commission consultative départementale de la sécurité et de l'accessibilité.

On peut regretter que le juge de cassation n’ait pas fixé le délai dans lequel devait intervenir la nouvelle décision du maire.

(26 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 473309)

 

Contrats

 

29 - Bail à usage professionnel – Redéploiement des services d’une commune – Résiliation du bail – Compétence de la jurdiction judiciaire.

Un bail à usage professionnel, excluant toute autre activité commerciale, industrielle ou artisanale a été conclu entre Mme B. et la commune de Baie-Mahault pour permettre, à titre temporaire, le redéploiement des services publics de la ville.

Un litige s’étant élevé suite à la résiliation du bail par la propriétaire assortie d’une demande d’expulsion de la commune et de demandes indemnitaires, s’est posée la question de l’ordre de juridiction compétent pour connaître de ce litige.

Le Tribunal des Conflits relève que ce contrat n’est pas un marché public, qu’il ne comporte pas de clauses le faisant relever du régime exorbitant des contrats administratifs et qu’il n’a pas pour objet de confier à la cocontractante l'exécution d'un service public dont la commune a la charge puisqu’il se borne à répondre aux besoins de fonctionnement des services de la ville. Par suite, n’étant pas un contrat administratif, le contentieux qu’il soulève relève de la compétence de la juridiction judiciaire.

(TC, 03 juillet 2023, Mme B. c/ commune de Baie-Mahault, n° C4278)

 

30 - Marché public d’assurance - Application en principe du code des assurances - Exigence de compatibilité avec le droit des marchés publics - Imposition de la poursuite du contrat - Compétence du juge administratif - Annulation.

Le Grand port maritime de Marseille a conclu le 30 octobre 2019, avec un groupement conjoint, un marché public d'assurance de dommages aux biens, pour une durée initiale de trois ans à compter du 1er janvier 2020, susceptible de deux reconductions tacites d'un an dont le contrat prévoyait que l'assureur ne pouvait pas les refuser si le pouvoir adjudicateur décidait d'y procéder.

L’une des compagnies membre du groupement d’assureurs a informé le Grand port maritime de Marseille, les 30 mars et 19 juillet 2022, de sa décision de résilier ce marché à compter du 1er janvier 2023. Ce dernier, qui s’était opposé à la décision de résiliation et avait mis en demeure ses cocontractants de poursuivre l’exécution du contrat, a demandé au juge des référés de l'art. L. 521-3 du CJA, de leur enjoindre de maintenir, au moins jusqu'au 31 décembre 2023, la police d'assurances « dommages aux biens » et les garanties contractuelles qui en font l'objet dans les conditions prévues par le marché précité.

Le Grand port maritime de Marseille se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet de sa demande au motif qu'elle se heurtait à une contestation sérieuse.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance au terme d’un raisonnement qui confère une grande importance à cette décision. S’y rencontrent, en effet, deux aspects juridiques majeurs : celui des pouvoirs du juge administratif envers les cocontractants privés d’un contrat mixte en tant qu’il relève de deux systèmes juridiques distincts (I), celui de l’arbitrage à opérer en cas de conflit, au sein d’un même contrat, entre les exigences du droit de la commande publique et celles découlant du droit des assurances (II).

I - Le juge rappelle, au moyen d’une motivation traditionnelle, d’abord, qu’en principe il ne lui appartient pas d'intervenir dans l'exécution d'un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, ensuite, qu’il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle.

De là est tirée une double conséquence dont les éléments sont étroitement liés.

En premier lieu, en ce dernier cas, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire.

En second lieu, en cas d'urgence, il appartient au juge des référés de l'art. L. 521-3 du CJA, d’ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. 

II - Il résulte des dispositions de l'art. L. 113-12 du code des assurances que l'assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l'expiration d'un délai d'un an suivant sa conclusion, avec un préavis d'au moins deux mois. Le contrat peut prévoir une durée de préavis plus longue lorsque l'assuré est une personne morale.

Il n’est pas douteux que ces dispositions sont applicables aux marchés publics d'assurance.

Cependant, le juge fait ici appel aux principes généraux applicables aux contrats administratifs dont il convient de relever qu’ils ont une portée supra-législative compte tenu de la portée que le juge va leur assigner en l’espèce.

Selon lui, lorsque l'assureur entend faire application de la disposition précitée pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d'assurance, cette dernière peut, pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s'y opposer et lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s'avère infructueuse.

L'assureur peut contester cette décision devant le juge afin d'obtenir la résiliation du contrat.

De façon prétorienne est construit un système palliatif qui nous semble équilibré en permettant de concilier les exigences propres à chacune des deux catégories d’intérêts en cause.

(12 juillet 2023, Grand port maritime de Marseille, n° 469319)

 

31 - Marché de rénovation du système informatique d’un hôpital - Référé provision en paiement des prestations livrées - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Encourt annulation pour dénaturation des pièces du dossier, l’arrêt d’appel infirmatif qui, pour ramener le montant de la provision tel que fixé en première instance, de 1 421 297,86 euros hors intérêts moratoires, à 760 485,89 euros, se fonde sur ce  que la société Maincare Solutions, demanderesse, ne produisait pas de relevés validés par le représentant de l’hôpital qui seuls étaient, en vertu de l'article 7.2.3 du cahier des clauses particulières du marché, de nature à attester la réalité et la conformité de la prestation et à donner lieu à paiement pour les prestations relevant des lots 1 à 3 du marché, alors qu'il ressortait des pièces du dossier produites par la société requérante à l'appui de sa demande, que ces relevés étaient bien signés par le directeur des systèmes d'information du CHU.

(13 juillet 2023, Société Maincare Solutions, n° 469619)

 

32 - Marché public de fourniture d’heures de vol - Offre d’une société candidate rejetée - Rejet du recours indemnitaire de cette candidate évincée - Délai de recours non opposable en raison du défaut de publicité - Application de la règle du délai raisonnable - Prorogation du délai de recours impossible - Rejet.

La société Seateam aviation, requérante, a fait une offre pour chacun des lots n°s 1 et 2 d’un marché négocié pour la fourniture d'heures de vol d'aéronef en vue d’assurer des essais de matériel et l'entraînement des forces de la marine nationale lancé par le ministère de la défense. Ces offres ayant été rejetées, la société Seateam aviation a saisi le tribunal administratif de conclusions tendant notamment à l'annulation de ce marché et à l’octroi d’une indemnité que celui-ci a rejetées. La cour administrative d'appel a, par un arrêt avant dire droit, notamment annulé ce jugement en tant seulement qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Seateam aviation.

De ce fait, cet arrêt doit dès lors être regardé comme ayant rejeté ses conclusions dirigées contre le même jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du contrat.

Sur pourvoi de la société requérante, le Conseil d'État a prononcé l'admission des conclusions de la société Seateam aviation dirigées contre cet arrêt en tant qu'il s'est prononcé sur ses conclusions tendant à contester la validité du contrat en litige et à en demander l'annulation.

Le pourvoi est rejeté, la cour étant approuvée en tous les chefs de la motivation de son arrêt.

Auparavant, le Conseil d’État précise, d’une part, le régime du point de départ du délai de recours contentieux ouvert au tiers évincé, d’autre part la durée de ce délai en cas de défaut de publicité du contrat litigieux.

Tout d’abord, il est jugé que si un tiers évincé de la procédure d’un contrat administratif peut saisir le juge du plein contentieux d’un recours dirigé contre la validité du contrat conclu ou de certaines de ses clauses divisibles et comportant une demande indemnitaire, il doit le faire dans le délai du recours contentieux de deux mois, y compris lorsque ce contrat porte sur des travaux publics, pour autant qu’il ait été satisfait aux exigences de publicité de ce contrat puisque c’est à cette date que commence à courir ce délai. Dans le cas de défaut d’accomplissement des mesures de publicité appropriées, le délai de recours ne peut commencer à courir que si ces mesures indiquent au moins l'objet du contrat et l'identité des parties contractantes ainsi que les coordonnées, postales ou électroniques, du service auprès duquel le contrat peut être consulté.

Ensuite, le principe de sécurité juridique impose que la durée du délai de recours ne soit pas indéfiniment prorogée du fait de l’absence de mesures de publicité appropriées mais d’une durée raisonnable qui est en principe d’un an à compter de la date à laquelle il est établi que le requérant a eu connaissance, par une publicité incomplète ou par tout autre moyen, de la conclusion du contrat, c'est-à-dire de son objet et de l’identité des parties contractantes.

En l’espèce, le Conseil d’État approuve la cour d’avoir jugé - sans erreur de droit - qu’en dépit du défaut de publicité le recours introduit devant le tribunal administratif était tardif pour avoir été formé plus d’un an à compter de la publication au bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 9 octobre 2010, d'un avis d'attribution du contrat qui indiquait sa conclusion, c'est-à-dire son objet et l'identité des parties contractantes.

Le Conseil d’État approuve aussi la cour d’avoir jugé, au terme d’une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que le fait que la société Seateam aviation avait introduit un premier recours en contestation de la validité du même contrat devant le tribunal administratif sans avoir ni produit l'acte d'engagement signé par le ministre de la défense et l'attributaire du marché ni justifié d'une impossibilité d'obtenir ce document, ne constituait pas une circonstance particulière justifiant de proroger au-delà d'un an le délai raisonnable dans lequel elle pouvait exercer un recours juridictionnel. 

(19 juillet 2023, société Seateam aviation, n° 465308)

(33) V. aussi, identique, portant sur un marché négocié ayant pour objet la mise à disposition de plastrons de surface pour la réalisation de prestations d'entraînements au profit de la marine nationale : 19 juillet 2023, Société Prolarge, n° 465309.

 

34 - Marché public de travaux - Recours à la procédure adaptée - Obligation d’une information appropriée des candidats sur les critères d'attribution du marché - Présentation des critères, de leur pondération ou hiérarchisation - Obligation identique pour les sous-critères susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats - Communication aux candidats évincés du motif de rejet de leurs candidatures - Erreur de droit, qualification inexacte des faits et dénaturation - Annulation.

Après qu’une société candidate à la procédure de passation d’un marché public engagée pour des travaux de création de passerelles connexes à une « voie verte », a été évincée de la suite de la procédure, celle- ci a obtenu du juge du référé précontractuel l’annulation de cette dernière et l’injonction à la communauté de communes de la reprendre au stade de l'analyse des offres.

La communauté de communes s’est pourvue en Conseil d’État ; celui-ci annule l’ordonnance attaquée pour deux motifs.

En premier lieu, une qualification inexacte des faits résulte de l’ordonnance litigieuse en ce qu’elle a jugé que la communauté de communes avait méconnu le principe de transparence des procédures car elle n’a pas porté à la connaissance de la candidate les éléments d'appréciation associés à un barème de notation que le pouvoir adjudicateur a utilisé pour évaluer trois des onze sous-critères (sous-critère n° 1 « organisation du chantier », noté sur dix points, « la présentation des intervenants et du chantier », notée sur deux points, « la prise en compte des contraintes du site et leurs traitements », notée sur quatre points, « la préparation du chantier », notée sur deux points, et le phasage général, noté sur deux points ; sous-critère n° 6 « fiches techniques », les fiches techniques notées sur un point et l'adéquation de ces dernières avec le cahier des clauses techniques particulières, notée sur quatre points ; sous-critère n° 8 « planning » noté sur dix points, le respect des délais d'exécution et l'adéquation avec le calendrier, notés sur cinq points chacun). Elle ne pouvait regarder comme des critères de sélection ce qui n'était, eu égard à leur objet et à leur pondération, que des éléments d'appréciation de ces trois sous-critères, insusceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats et relevant par conséquent de la méthode de notation des offres dont on sait que le pouvoir adjudicateur n’a pas à en tenir informés les candidats lorsqu'il se borne à mettre en œuvre les critères annoncés.

En second lieu, l’ordonnance est annulée pour erreur de droit et dénaturation des pièces du dossier, pour s’être fondée sur un second motif tiré de ce que cet acheteur n'a pas communiqué au groupement évincé le motif du rejet de sa candidature, en violation des dispositions de l'art. R. 2181-2 du code de la commande publique, applicable aux marchés passés, comme en l'espèce, selon une procédure adaptée. Il résulte toutefois de deux courriers des 24 janvier et 2 février 2023, que la communauté de communes a informé le groupement évincé du nom de l'attributaire du marché, du classement de son offre et de celle de l'attributaire, des notes qui lui avaient été attribuées et de celles qu'avait reçues l'offre retenue, inférieure à la sienne pour le critère du prix mais supérieure pour le critère de la valeur technique au titre de laquelle la société attributaire a obtenu la note maximale, ce qui rendait au demeurant inutile de communiquer le détail de sa notation par sous-critères, et de ce que l'offre retenue était la mieux-disante au regard des critères du marché.

(02 août 2023, communauté de communes de Rahin et Chérimont, n° 472976)

 

35 Responsabilité décennale - Désordres affectant divers éléments d’un complexe aquatique municipal - Demande de condamnation solidaire par l’assureur - Refus - Méconnaissance de l’office du juge - Annulation.

(04 août 2023, SMABTP, n° 466468)

V. n° 297

 

36 - Garantie décennale - Conditions d’engagement - Régime - Rejet.

(04 août 2023, Département de la Drôme, n° 467667)

V. n° 298

 

Droit du contentieux administratif

 

37 - Ordre des vétérinaires - Juridiction d’appel statuant avant-dire droit sur une demande de récusation – Moyen de cassation tiré de l’irrégularité de la composition de la formation de jugement de première instance – Inopérance – Rejet.

Est inopérant le moyen de cassation tiré de ce que la juridiction d’appel aurait statué sur la régularité de la composition de la formation de jugement de première instance, moyen écarté en première instance, et alors que la juridiction d’appel, avant-dire droit, ne s’est prononcée que sur la demande de récusation.

(04 juillet 2023, Société Le loup blanc, n° 442947)

 

38 - Référé suspension – Voie contentieuse à caractère provisoire – Impossibilité pour le juge de ce référé d’annuler une décision administrative ou de prendre une mesure équivalente – Annulation.

Réitération solennelle d’une solution logique relative aux limites des pouvoirs du juge du référé suspension qui tient à la nature essentiellement provisoire de la juridiction des référés. Il s’ensuit que ce juge « ne peut, sans excéder sa compétence, ni prononcer l'annulation d'une décision administrative, ni ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l'exécution par l'autorité administrative d'un jugement annulant une telle décision. »

Cette solution doit être approuvée dans toute sa rigueur à peine, autrement, de bouleverser la logique du procès en référé.

(07 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 470729)

(39) V. réitérant expressis verbis la décision précédente : 07 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 470728 ; ministre de l’intérieur, n° 470731 ; ministre de l’intérieur, n° 470732 ; ministre de l’intérieur, n° 470734.

 

40 - Refus d’instruction d’un enfant dans la famille - Recours à la commission présidée par le recteur de l’académie - Obligation de statuer dans le délai d’un mois - Délai non prescrit à peine de nullité - Application du droit commun de constitution des décisions implicite de rejet - Annulation.

(17 juillet 2023, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, n° 467600)

V. n° 3

 

41 - Avis de droit – Exercice d’un référé provision – Effet interruptif ou non du délai de recours en cas d’exercice ultérieur d’une action à fin indemnitaire en dommages intérêts – Existence d’un effet interruptif.

Le Conseil d’État a été saisi d’une demande d’avis de droit sur le point de savoir si l'exercice d'un référé provision interrompt le délai de recours au bénéfice du requérant qui l'a introduit en vue de l'exercice ultérieur d'une requête indemnitaire en dommages et intérêts.

Il répond d’abord en rappelant que la recevabilité du référé provision est notamment subordonnée à l’existence d’une décision de rejet de l’administration qui est indispensable à la liaison du contentieux, faute d’une telle décision préalable au recours contentieux le délai pour former ce dernier ne court pas.

Ensuite, et très logiquement, il est jugé que la saisine du juge du référé provision interrompt le délai de recours contentieux contre la décision de l'administration ayant rejeté la demande d'indemnisation. Ce délai ne commence à courir à nouveau qu’à compter de la notification de l'ordonnance du juge des référés.

(07 juillet 2023, Mme A. et Chambre de commerce et d’industrie de région Paris Île-de-France, n° 471401)

 

42 - Délai raisonnable de jugement – Délai dépassé – Indemnisation du seul préjudice moral - Annulation.

La requérante, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, a demandé l’annulation de l'arrêté préfectoral qui a procédé au retrait de l'agrément qui lui avait été délivré pour exercer les fonctions de mandataire judiciaire à la protection des majeurs dans le département et l’octroi d'une réparation du préjudice résultant selon elle de l'illégalité de cet arrêté.

Le tribunal administratif a annulé l'arrêté en raison d'un vice affectant sa légalité externe et rejeté la demande indemnitaire.

Le Conseil d’État accueille la demande de réparation du préjudice résultant de la durée excessive de la procédure – qui ne présentait pas de difficulté particulière - mais limite son champ à la seule réparation du préjudice moral, peu généreusement fixé à mille euros.

(05 juillet 2023, Mme A., n° 464312)

 

43 - Règle du délai raisonnable pour saisir le juge – Saisine du juge judiciaire puis du juge administratif – Application concrète de la règle – Rejet.

Depuis l’arrêt d’Assemblée, Czabaj, n° 387763, le justiciable qui n’a pas été avisé, ou pas régulièrement, des voies et délais ouverts pour contester au contentieux une décision de l’administration doit cependant saisir le juge dans un délai raisonnable fixé normalement à un an mais qui peut, dans certains cas particuliers, être plus long.

Dans le cadre d’un litige l’opposant à Pôle emploi, le requérant avait d’abord saisi le juge judiciaire puis, celui-ci ayant décliné sa compétence, le juge administratif. Se posait la question de l’application pratique de la jurisprudence Czabaj.

Confirmant la solution retenue par la juridiction d’appel, le Conseil d’État retient que l’intéressé, pour conserver son droit de saisine, doit, tout d’abord, avoir saisi ler juge judiciaire dans le délai raisonnable d’un an puis le juge administratif dans le délai de droit commun de deux mois à compter du jugement, devenu irrévocable, d’incompétence rendu par le juge judiciaire.

C’est la transposition en la matière de la solution qui – en dehors de toute application de la règle du délai raisonnable de saisine - gouverne la saisine successive du juge judiciaire incompétent puis du juge administratif compétent.

(05 juillet 2023, M. B., n° 465478)

 

44 - Clôture de l’instruction - Production de pièces et mémoires in extremis - Maintien de la date de clôture - Production postérieure de mémoires par l’autre partie - Exigences tenant au contradictoire - Non-respect - Annulation.

Dans un litige en reconnaissance de l’imputabilité au service du syndrome anxio-dépressif dont souffre la requérante, adjointe administrative principale de 2ème classe exerçant les fonctions de responsable du service comptabilité de la commune de Néoules, le Conseil d’État annule, pour un motif de procédure, l’arrêt de cour administrative d’appel infirmatif du jugement qui a enjoint au maire de la commune de reconnaître l’imputabilité au service de cette affection.

Alors que la cour administrative d'appel a informé les parties, le 23 juillet 2021, qu'une ordonnance de clôture de l'instruction serait susceptible d'intervenir à la date du 10 août 2021et que la commune de Néoules a produit le 6 août 2021 de nombreuses pièces nouvelles et, le 10 août 2021, un mémoire en réplique comportant des éléments de droit et de fait nouveaux, qui  ont été communiqués à Mme A. les 10 et 11 août 2021 avec l'indication que cette communication ne remettait pas en cause les échéances prévisionnelles d'audience ou de clôture d'instruction précédemment communiquées.

La clôture de l'instruction a été fixée, par une ordonnance du 23 août 2021, à cette même date du 23 août 2021. Mme A. ayant produit deux nouveaux mémoires, enregistrés les 13 septembre et 14 octobre suivants, qui n'ont été ni communiqués ni pris en compte, en l'absence de réouverture de l'instruction, il est jugé que l’arrêt annulant le jugement du tribunal administratif, qui se fonde sur les éléments du mémoire de la commune, enregistré le 10 août 2021, sans laisser à Mme A. un délai suffisant pour y répondre, méconnaît le principe du contradictoire et qu’ayant ainsi été rendu aux termes d'une procédure irrégulière il doit être annulé.

(17 juillet 2023, Mme A., n° 461224)

 

45 - Action en référé liberté – Demande d’annulation d’une ordonnance de président de chambre du Conseil d’État refusant d’admettre un pourvoi en cassation – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Est rejetée selon la procédure de l’art. L. 522-3 une requête tendant à voir le juge du référé liberté du Conseil d’État annuler notamment « l'ordonnance (…) du 17 août 2020 du président de la 6ème chambre de la section du contentieux du Conseil d'État qui n'a pas admis le pourvoi (que la requérante) a introduit contre l'ordonnance (…) du 28 novembre 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Pau ».

(01 août 2023, Mme B., n° 476378)

 

46 - Absence de régularisation d’un pourvoi - Requêtes en révision et en rectification pour erreur matérielle - Non consultation de l’application « Télérecours citoyen » par la requérante - Rejet.

Doit être rejeté un recours tendant à la révision et, subsidiairement, à la rectification pour erreur matérielle de l'ordonnance par laquelle la requérante soutient qu'elle n'a pas été destinataire du courrier du 2 décembre 2021 l'invitant à régulariser son pourvoi afin qu'il soit présenté par le ministère d'un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation et que, par conséquent, l'auteur de l'ordonnance attaquée ne pouvait refuser l'admission de son pourvoi en ce qu'il n'a pas été régularisé.

En effet, le courrier du 2 décembre 2021 invitant à régulariser le pourvoi a été adressé via l'application « Télérecours citoyen », à laquelle l'intéressée avait eu recours pour former son pourvoi. Faute pour elle d’avoir consulté ce courrier dans le délai de deux jours ouvrés à compter de la date de mise à disposition du courrier dans l'application, l'intéressée doit être réputée, par application de l'art. R. 611-8-6 du CJA, en avoir eu notification à l'issue de ce délai.

Il convient donc d’écarter le moyen - qui manque en fait - tiré de l'absence de notification du courrier l'invitant à régulariser son pourvoi, présenté à l'appui des conclusions principales en révision et subsidiaires en rectification pour erreur matérielle.

(11 juillet 2023, Mme A. ép. C., n° 463642)

 

47 - Avis de droit - Règle du délai raisonnable - Formation dans ce délai d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique - Effet interruptif du délai - Réponse explicite sans mention du délai de recours - Réponse implicite - Demande d’aide juridictionnelle formée durant le délai raisonnable - Effets - Réponses en ce sens.

Dans un litige portant sur le refus d’un maire d’accorder au requérant une autorisation d'occupation temporaire du domaine public, la juridiction saisie, avant de trancher au fond, pose au Conseil d’État, dans le cadre d’un avis de droit, les trois questions suivantes.

1°) Le délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel peut-il être prorogé par la formation d'un recours administratif, même facultatif ? En cas de réponse positive à cette question, l'absence de mention des voies et délais de recours dans la réponse à ce recours administratif a-t-elle pour effet d'ouvrir un nouveau délai raisonnable de recours de même nature à compter de la connaissance, par son destinataire, de cette seconde décision ?

2°) Le délai raisonnable peut-il être interrompu par une demande d'aide juridictionnelle dans les conditions prévues par l'article 43 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ?
3°) Faut-il sinon considérer que le respect du délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel doit être apprécié par le juge de manière globale, en fonction de l'ensemble des circonstances de l'espèce et notamment des diverses actions entreprises par le requérant depuis qu'il a eu connaissance de la décision attaquée ?

Ce sont là des questions délicates et importantes où se combinent la logique inhérente à la jurisprudence d’Assemblée Czabaj (13 juillet 2016, n° 387763), le souci de ne pas la ruiner en la prolongeant à l’extrême et le respect des droits légitimes du justiciable.

 

A la première question, le juge répond que la présentation, dans le délai imparti du recours contentieux, d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique a pour effet d'interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai découlant de la règle jurisprudentielle dite du « délai raisonnable ».

Deux hypothèses doivent alors être distinguées.

En premier lieu, en cas de décision explicite de rejet, un nouveau délai de recours commence à courir à compter de la date de notification de cette décision et si la notification de la décision de rejet du recours administratif n'est pas elle-même assortie d'une information sur les voies et délais de recours, l'intéressé dispose de nouveau, à compter de cette notification, du délai raisonnable pour saisir le juge.

En second lieu, en cas de silence gardé par l'administration sur le recours administratif, deux situations sont susceptibles de se présenter.

Soit l'autorité administrative a accusé réception de ce dernier recours et l'accusé de réception comporte les indications prévues à l'art. R. 112-5 précité, dans ce cas le délai de recours contentieux de droit commun contre la décision administrative contestée recommence à courir dès la naissance d'une décision implicite de rejet du recours administratif.

Soit, à défaut d’accusé de réception, l'intéressé dispose, pour introduire son recours contentieux contre la décision administrative qu'il conteste, à compter du jour où il a eu connaissance de la décision implicite de rejet de son recours administratif, de la règle du délai raisonnable. 

 

A la deuxième question, le juge apporte les réponses suivantes.

Lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer le destinataire d'une décision administrative sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose celui-ci pour exercer un recours juridictionnel contre cette décision est le délai dit « raisonnable », une demande d'aide juridictionnelle formée avant l'expiration de ce délai en vue de l'exercice de ce recours a pour effet de l'interrompre.

Le délai de recours contentieux recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

En cas d'admission à l'aide juridictionnelle, ce délai est celui, en principe de deux mois, imparti par le code de justice administrative pour contester la décision administrative. Lorsque, en revanche, le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été refusé, l'intéressé dispose, pour introduire un recours contentieux contre la décision qu'il conteste, du délai dit « raisonnable ».

Les réponses données à ces deux questions rendent sans objet la troisième question posée au Conseil d’État.

(12 juillet 2023, M. G., n° 474865)

 

48 - Sursis à l’exécution des jugements et arrêts - Arrêt annulant un titre exécutoire - Risque de perte définitive d’une somme susceptible de ne pas rester à la charge de la personne publique condamnée - Octroi du sursis.

Le Conseil d’État ordonne le sursis à l’exécution de l’arrêt qui annule le titre exécutoire émis par le syndicat requérant, d’un montant de 1 225 769 euros, alors que la situation financière de la société débitrice est très dégradée et que son associé unique a décidé de réduire son capital à concurrence d'une valeur au moins égale à la moitié du capital social. L'exécution de l'arrêt attaqué, déchargeant la société de l'obligation de payer cette somme au syndicat mixte, expose ainsi ce dernier à la perte définitive de sommes qui ne devraient pas rester à sa charge au cas où ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêt seraient reconnues fondées par le Conseil d'État.

Au reste, le juge aperçoit dans la demande du syndicat au moins un moyen sérieux et, en l'espèce, de nature à justifier, outre l'annulation de l'arrêt attaqué, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

(13 juillet 2023, Syndicat mixte de traitement des déchets Savoie Déchets, n° 473572)

(49) V. aussi, estimant, à l’inverse, n’y avoir lieu à surseoir à l’exécution d’un arrêt d’appel du fait du décès de la requérante en décembre 2021 dès lors que cette exécution n’est susceptible d'exposer la personne publique débitrice qu'aux conséquences financières qui s'attachent à une reconstitution de carrière jusqu'à la date du décès de l’intéressée, elle n'est par suite pas susceptible d'entraîner pour elle des conséquences difficilement réparables : 13 juillet 2023, Chambre de commerce et d'industrie de région (CCIR) Normandie, n° 474818.

 

50 - Autorité de la concurrence - Instruction sur des pratiques anticoncurrentielles - Demande d’écarter du dossier d’instruction deux procès-verbaux - Acte non détachable de la procédure juridictionnelle - Compétence du juge judiciaire - Rejet.

(18 juillet 2023, Société Alten et société Alten Sud-Ouest, n° 469032)

V. n° 110

 

51 - Procédure contentieuse - Rédaction des jugements et arrêts - Obligation d’indiquer les textes servant de fondement à la décision de justice - Absence - Annulation.

Encourt annulation le jugement qui ne mentionne ni dans ses visas ni dans son dispositif de quels textes il fait application pour juger le litige.

(18 juillet 2023, M. B., n° 461492)

 

52 - Irrecevabilité d’une requête tendant à l’allocation d’une somme d’argent - Régime procédural - Absence de décision préalable fournie dans la requête - Régularisation - Conditions - Annulation.

Le demandeur sollicitait la condamnation de l’État à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices résultant d'un retard de l'immatriculation définitive de son véhicule. Sa demande a été rejetée comme manifestement irrecevable par ordonnance du président de chambre d’un tribunal administratif. Sur pourvoi de l’intéressé l’ordonnance est annulée avec renvoi à la juridiction qui l’a prononcée.

Le litige concernait donc le régime applicable aux requêtes irrecevables.

C’est l’occasion pour le Conseil d’État, dans une décision très pédagogique, de rappeler qu’il n’existe que trois cas d’irrecevabilité manifeste pouvant être opposés par ordonnance : 1°/ le cas où l'irrecevabilité ne peut en aucun cas être couverte, 2°/ le cas où la requête ne peut être régularisée que jusqu'à l'expiration du délai de recours, lorsque ce délai est expiré, 3°/ le cas où la requête a donné lieu à une invitation à régulariser, si le délai que la juridiction avait imparti au requérant à cette fin, en l'informant des conséquences qu'emporte un défaut de régularisation comme l'exige l'art. R. 612-1 du CJA, est expiré. 

Il suit de là que l’irrecevabilité manifeste ne peut être opposée par ordonnance présidentielle ni lorsque, après que la requête a été mise à l'instruction, la juridiction s'est bornée à communiquer au requérant le mémoire par lequel une partie adverse a opposé à la requête une fin de non-recevoir tirée d'une irrecevabilité susceptible d'être encore régularisée, en lui indiquant le délai dans lequel il lui serait loisible de répondre, ni lorsque la juridiction s'est bornée à informer les parties, sur le fondement de l'art. R. 611-7 du CJA, que la décision est susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office et tiré d'une irrecevabilité susceptible d'être régularisée, sans mentionner la possibilité de régulariser la requête ni fixer un délai à cette fin.

Appliquant ces règles au cas de l’espèce, le juge administratif suprême rappelle qu’elles y trouvent à s'appliquer lorsque, ni dans la requête, ni dans les pièces qui l'accompagnent, il n'est fait état de l'existence d'une décision, expresse ou implicite, de l'administration statuant sur une demande formée devant elle tendant au versement d'une somme d'argent.

Dans un tel cas le Conseil d’État précise que le président de la juridiction ou l'un des magistrats mentionnés à l'art. R. 222-1 du CJA, peut rejeter cette requête comme manifestement irrecevable, sur le fondement du 4° de cet article, si, à la date de son ordonnance, le requérant, ayant été dûment invité, par la juridiction, selon les modalités prévues par le dernier alinéa de l'art. R. 612-1 du CJA, à régulariser sa requête, en produisant la décision mentionnée au deuxième alinéa de l'art. R. 421-1 du CJA, ou, à défaut, la pièce justifiant de la date du dépôt de la réclamation formée devant l'administration, en application de l'article R. 412-1 du même code, n'a pas, à l'expiration du délai ainsi imparti, satisfait à cette obligation. 

Précisément, dans cette affaire le juge, après avoir communiqué au demandeur le mémoire en défense par lequel le ministre de l'intérieur soulevait une fin de non-recevoir tirée de ce qu'il n'avait pas produit, à l'appui de sa requête, la pièce justifiant de la réception de sa réclamation préalable indemnitaire, puis, après avoir informé les parties, sur le fondement de l'art. R. 611-7 du CJA, de ce qu'était susceptible d'être relevé d'office le moyen tiré de ce que le requérant ne justifiait pas que sa requête avait été précédée d'une demande préalable, l'auteur de l'ordonnance attaquée l’a rejetée en application du 4° de l'art. R. 222-1.

Ainsi, en s'abstenant d'inviter le requérant à régulariser sa requête en justifiant de la date du dépôt de la réclamation préalable, l'auteur de l'ordonnance a entaché sa décision d'irrégularité. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 463520)

 

53 - Référé suspension - Procédure à suivre - Irrégularité - Défaut d’établissement d’une urgence à juger - Annulation et rejet.

La société requérante a demandé l’annulation d’un arrêté municipal interdisant de façon permanente la circulation des véhicules de transit de plus de 3,5 tonnes sur l'ensemble des voiries de l'agglomération, à l'exception d’une route départementale et d’une route nationale, sauf pour les véhicules utilisés par les propriétaires et leurs ayants droit circulant à des fins privées sur leur propriété et qui auraient été préalablement autorisés par la commune.

Tout d’abord, le juge de cassation estime que le juge du référé suspension a entaché son ordonnance de deux irrégularités.

En premier lieu, après avoir tenu une audience le mardi 11 octobre 2022 à 15 heures, le juge des référés a décidé de fixer aux parties un délai jusqu'au jeudi 13 octobre à midi pour produire des pièces complémentaires, sans renvoyer l'affaire à une autre audience. En s'abstenant ainsi d'aviser les parties de la date à laquelle interviendrait la clôture de l'instruction ainsi différée il a entaché d'irrégularité la procédure suivie devant lui.

En second lieu, en ne communiquant pas à la société Transdev Boucle-des-Lys l'arrêté du maire du 18 avril 2005, produit le 12 octobre 2022 par la commune, sur lequel il a fondé sa décision bien que cette pièce n'ait pas été précédemment soumise au débat contradictoire. 

Ensuite, examinant l’affaire au fond afin de la régler lui-même, le Conseil d’État retient que l’urgence invoquée et alléguée n’est pas établie par la société en l'absence d'éléments objectifs et précis de nature à démontrer la gravité de l'atteinte portée à sa situation économique financière, et de toute incidence directe sur l'exécution du service public de transport de voyageurs dont elle est chargée.

L’ordonnance est annulée et la requête rejetée.

(19 juillet 2023, Société Transdev Boucle-des-Lys, n° 468565)

 

54 - Demande d’avis de droit - Demande formulée par une ordonnance d’un juge statuant seul - Irrecevabilité - Rejet.

L'art. R. 222-1 du CJA énumère limitativement les cas dans lesquels les magistrats qu'il désigne peuvent statuer seuls par ordonnance. Au nombre de ces cas ne figure pas la faculté de saisir le Conseil d'État d'une demande d'avis sur le fondement des dispositions de l'art. L. 113-1 du CJA. 

Il suit de là que formulée - comme en l’espèce - par une ordonnance d’un juge statuant seul, une demande d’avis de droit est irrecevable.

(19 juillet 2023, M. D., n° 472622)

 

55 - Recours en rectification d’erreur matérielle - Demande d’aide juridictionnelle postérieure à ce recours - Obligation de surseoir à statuer - Absence - Nouvel examen du recours.

Dès lors que, postérieurement à l'introduction de son pourvoi en cassation, Mme B. a formé une demande d'aide juridictionnelle enregistrée au secrétariat du bureau d'aide juridictionnelle du Conseil d'État, le juge saisi du pourvoi était tenu de surseoir à statuer dans l'attente de la décision sur cette demande d'aide juridictionnelle en application des dispositions du décret du 28 décembre 2020 relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles.

Par suite, l'ordonnance refusant l'admission du pourvoi en cassation avant qu'il ait été statué sur la demande d'aide juridictionnelle est entachée d'une erreur matérielle qui n'est pas imputable à la requérante et qui, par application des dispositions de l'article R. 833-1 du code de justice administrative, doit être rectifiée.

L'ordonnance est déclarée non avenue et il convient de statuer à nouveau sur le pourvoi. Celui-ci est rejeté, aucun des moyens soulevés n'étant de nature à permettre l'admission du pourvoi.

(20 juillet 2023, Mme B., n° 460458)

 

56 - Compétence juridictionnelle – Litiges en matière de visas d’entrée en France – Absence de compétence directe du Conseil d’État – Compétence du tribunal administratif de Nantes.

Le litige né du refus du consulat de France à Manille de délivrer un visa long séjour à l’épouse et à l’enfant mineur du requérant ne relève pas de la compétence de premier ressort du Conseil d’État mais, en vertu des dispositions de l’art. R. 312-18 CJA, de celle du tribunal administratif de Nantes.

La requête est manifestement irrecevable en tant que portée directement devant le Conseil d’État et il appartient au demandeur de saisir la juridiction compétente.

(ord. réf. 10 août 2023, M. B., n° 477358)

 

 57 - Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED) - Recueil d’informations préoccupantes portées à la connaissance du président du conseil départemental - Recours contre la transmission opérée par le SNATED - Compétence du juge administratif - Annulation et rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de la transmission opérée par le Service national d'accueil téléphonique de l'enfance en danger (SNATED) au président du conseil départemental de l'Hérault de l'information recueillie sur la situation de leur fils mineur. Les juridictions de premier degré et d’appel ont décliné la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

Ils se pourvoient en cassation. Le Conseil d’État leur donne raison sur la compétence mais rejette leur requête au fond.

Tout d’abord, le SNATED a l’obligation d’informer immédiatement le président du conseil général des informations préoccupantes recueillies au sujet d’un mineur et ce président doit aviser sans délai le procureur de la république, ensuite, s’il y a lieu, intervient le juge judiciaire. Le Conseil d’État considère que s’il n’est pas douteux que tout litige né à compter de et du fait de l’intervention du président du conseil départemental relève de la compétence du juge judiciaire, en revanche le litige opposant les requérants au service d'accueil téléphonique qui, en transmettant une information recueillie sur la situation d’un mineur, participe à la mission nationale de prévention des mauvais traitements en permettant au président du conseil départemental de recueillir, traiter et évaluer cette information, relève de la compétence du juge administratif.

L’ordonnance attaquée est annulée.

Ensuite, la requête est rejetée au fond car le juge estime qu’eu égard à l'objet et à la nature de la mission du SNATED, la transmission qu’il effectue au président du conseil départemental ne peut être regardée comme une décision faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir.

Le pourvoi est, de ce chef, rejeté. Cependant, le juge prend soin de glisser discrètement qu’il pourrait en aller autrement si la contestation avait eu lieu dans le cadre d'une action en responsabilité dès lors que serait démontré le caractère dommageable découlant directement d’un comportement fautif du SNATED.

(20 juillet 2023, M. et Mme C., n° 463094)

(58) V. aussi, très semblable en substance : 20 juillet 2023, M. et Mme D., n° 463102.

 

59 - Pouvoirs du juge de l’exécution - Nécessité d’interpréter un jugement ou arrêt de contenu ou de portée incertain - Cas d’un recours en matière de pension militaire d’invalidité - Annulation.

Par un arrêt du 13 juillet 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a jugé que M. A., militaire blessé d’une balle en service, devait être regardé comme étant obligé de recourir d'une manière constante aux soins d'une tierce personne et était, par suite, fondé à demander le bénéfice de l'allocation pour tierce personne mentionnée au deuxième alinéa de l'art. L. 18 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre. Puis, sur saisine de l’intéressé, la cour statuant comme juge de l’exécution, a, sur le fondement de l’art. L. 911-4 du CJA, par un arrêt du 5 mai 2022, enjoint à la ministre des armées de lui octroyer, à titre définitif, l'allocation pour tierce personne et de procéder, dans un délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt, aux versements correspondants, et a assorti cette injonction d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de l'expiration de ce délai.

Sur pourvoi de la ministre des armées, le Conseil d’État annule cet arrêt.

Il relève qu’il ne résulte pas des motifs de son arrêt que la cour aurait reconnu le caractère définitif de l'incapacité de M. A. à se mouvoir, à se conduire ou à accomplir les actes essentiels de la vie, lequel ne saurait, eu égard aux dispositions du second alinéa de l'art. R. 19-1 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, se déduire du caractère définitif de la pension militaire d'invalidité accordée à M. A.

Par suite, et alors qu’il n'appartient pas au juge saisi d'une demande tendant à l'exécution d'une décision juridictionnelle, sur le fondement de l'art. L. 911-4 du CJA, de l'interpréter, il lui revient cependant de l’interpréter dans la mesure nécessaire pour en définir les mesures d'exécution lorsque, comme en l’espèce, cette décision est entachée d'une obscurité ou d'une ambiguïté qui, en rendant impossible la détermination de l'étendue des obligations qui incombent aux parties du fait de cette décision, font obstacle à son exécution.

Le Conseil déduit de là que la cour doit être regardée comme ayant prescrit l'attribution à M. A. d'une allocation pour tierce personne à compter du 19 mars 2015, date à laquelle il a sollicité la révision de sa pension, révisable au terme d'un délai de trois ans dans les conditions fixées par l'art. R. 19-1.

Il suit donc de là que la ministre des armées est fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l'exécution de son arrêt du 13 juillet 2021 impliquait l'octroi à M. A., à titre définitif, de l'allocation pour tierce personne.

Encourt ainsi annulation l'arrêt du 5 mai 2022 de la cour administrative d'appel de Bordeaux en tant qu'il lui a enjoint de verser à M. A. une allocation pour tierce personne pour la période postérieure au 18 mars 2018. 

C’est pourquoi est rejetée la demande de M. A. tendant au versement de cette allocation pour la période postérieure au 18 mars 2018, qui soulève un litige distinct de celui qui a fait l'objet de l'arrêt du 13 juillet 2021. 

(20 juillet 2023, ministre des armées, n° 465594)

 

60 - Caractère public des jugements - Indication des noms des magistrats ayant siégé - Omission du nom de l’un d’eux - Annulation.

Il résulte des dispositions de l’art. 10 du titre préliminaire du code de justice administrative qu’en raison de l’obligation de caractère public des jugements, doivent y être mentionnés les noms des juges qui les ont rendus.

Dans une affaire où un jugement a été rendu en formation collégiale de trois membres, l’absence d’indication du nom de l’un des trois juges ayant siégé à l’audience et au délibéré entache d’irrégularité ce jugement, conduisant à son annulation

(20 juillet 2023, M. B., n° 469580)

 

61 - Permis de construire - Suspension de l’exécution du refus du permis de construire - Injonction, par le juge des référés, de réexaminer la demande de permis - Injonction insusceptible de faire courir le délai d’octroi d’un permis de construire tacite.

(20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318)

V. n° 334

 

62 - Référé suspension - Mesure disciplinaire - Sanction d’exclusion temporaire - Condition d’urgence - Rejet.

Dans un litige en contestation d’une sanction disciplinaire d’exclusion de deux mois et dix-huit jours infligée par un syndicat intercommunal de transports à l’un de ses agents, ce syndicat s’est pourvu en cassation de l’ordonnance de référé qui en a suspendu l’exécution.

Après avoir relevé l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée, le juge de cassation pour dire constituée l’urgence en l’espèce, retient que l’agent fait valoir la perte intégrale de sa rémunération pendant la durée de sa suspension et ses charges financières fixes supportées par sa famille comprenant quatre enfants, ce que ne conteste pas le syndicat intercommunal. 

(25 juillet 2023, Syndicat intercommunal des transports collectifs de Montereau et de ses environs (SITCOME), n° 462581)

 

63 - Note en délibéré - Rappel de l’exigence d’en prendre connaissance et de la viser - Omission - Annulation du jugement.

Dans un litige en contestation de la délivrance d’un permis de construire où, à l’issue de l’audience, a été régulièrement présentée une note en délibéré, le juge est amené à rappeler pour la énième fois que la réception par le juge, en cette hypothèse, d'une note en délibéré, il lui appartient dans tous les cas d'en prendre connaissance avant de rendre sa décision ainsi que de la viser, sans toutefois l'analyser dès lors qu'il n'est pas amené à rouvrir l'instruction S’il estime que cette note comporte des éléments nouveaux, il doit, rouvrant la procédure, la soumettre au débat contradictoire.

(26 juillet 2023, M. A., n° 466779)

(64) V. aussi, adoptant la même solution dans un cas identique : 26 juillet 2023, Société Promobat, n° 468400 et n° 468402.

 

65 - Communication d’un moyen susceptible d’être relevé d’office - Réponse de la requérante à cette communication - Arrêt ne faisant mention ni de l’un ni de l’autre - Irrégularité - Annulation.

Dans un litige en contestation de l’autorisation d’exploiter cinq éoliennes et un poste de livraison, la cour a informé les parties d’un moyen susceptible d’être relevé d’office et la requérante y a répondu par un mémoire. L’arrêt est annulé pour irrégularité car il ne fait mention ni de la communication du moyen susceptible d'être relevé d'office, ni des observations présentées en réponse sans que puisse faire obstacle à l’annulation la circonstance que la cour ne s'est pas fondée sur ce moyen, pour statuer sur les conclusions dont elle était saisie. 

(28 juillet 2023, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, n° 458794)

 

66 - Juge du référé suspension - Obligation de statuer avec diligence - Date à laquelle l’ordonnance est rendue sans effet sur sa régularité - Rejet sur ce point.

Dans un litige en contestation d’un refus préfectoral d’autoriser la délivrance d’une carte de séjour et le renouvellement de la carte de résident de 10 ans, le juge est saisi d’un moyen tiré de la trop grande célérité du juge du référé. Alors que les refus litigieux ont été opposés le 25 août 2022 et que le délai de saisine du juge expirait le 25 octobre 2022, l’ordonnance de rejet a été rendue dès le 12 octobre 2022. Contrairement à ce qui est soutenu, il n’y a là aucune irrégularité. Au contraire, les dispositions des art. L. 511-1, L. 521-1 et L. 522-3 du CJA font obligation à ce juge de statuer avec diligence et elles n'ont ni pour objet ni pour effet de faire du délai dans lequel il statue une condition de la régularité de l'ordonnance rendue.

(02 août 2023, M. B., n° 468561)

 

67 - Compétence de premier et dernier ressort du tribunal administratif - Impôts locaux - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères (4° de l’art. R. 811-1 du CJA) - Litige ne portant pas sur la décharge ou la réduction d’une imposition locale - Exclusion de l’exception - Rejet.

Il résulte du 4° de l’art. R. 811- 1 du CJA que le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges relatifs aux impôts locaux. Si les litiges de plein contentieux tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition locale entrent dans le champ d’application de cette disposition dérogatoire, tel n’est pas le cas, comme en l’espèce, du recours dirigé par une communauté de communes contre le jugement rejetant sa demande tendant, à titre principal, à l'annulation de la décision par laquelle le directeur régional des finances publiques de Mayotte a rejeté sa demande tendant, en application du II de l'art. 137 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, au versement par l'État d'une allocation pour compenser la perte de recettes de taxe d'enlèvement des ordures ménagères au titre de l'année 2018 résultant du mécanisme de minoration des valeurs locatives prévu par les dispositions du II bis de l'art. 1496 du CGI. 

Le dossier de l’affaire est renvoyé à la cour administrative d’appel.

(04 août 2023, Communauté de communes de Petite-Terre, n° 465169)

 

68 - Détermination du juge de l’exécution - Juridiction auteur de la décision à exécuter - Saisine du juge de cassation - Incompétence de la juridiction administrative - Recours devenu sans objet. Rejet.

La requérante, l’ANAST, a obtenu du tribunal administratif, le 10 févier 2022, des injonctions adressées au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au groupe permanent pour la sécurité électrique en milieu agricole (GPSE) de lui communiquer les résultats de la ferme expérimentale de Grignon ainsi que plusieurs documents et rapports. Puis, le 11 août suivant, la requérante a saisi le tribunal administratif, sur le fondement de l'art. L. 911-4 du CJA, d'une demande tendant à l'exécution de ces injonctions, dans un délai d'un mois, sous astreinte. Par une ordonnance du 18 août 2022, le président du tribunal administratif a transmis cette demande au Conseil d'État, au motif que celui-ci était saisi en appel du jugement du 10 février 2022.

Le Conseil d’État relève tout d’abord que c’est à la juridiction qui a rendu le jugement dont est demandée l’exécution - ou, en cas d’appel, la juridiction d’appel - qu’il appartient de se prononcer sur la demande d’exécution, soit, ici, le tribunal administratif de Paris, non le Conseil d’État.

Ensuite, ce dernier rappelle que sur appel du GPSE, il a annulé le jugement du 10 février 2022 enjoignant la communication de documents et, statuant au fond, a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître les conclusions présentées par l'ANAST relatives à la communication de documents par le GPSE. Ainsi, est devenue sans objet la demande d’exécution du jugement du 10 février 2022.

(04 août 2023, Association nationale animaux sous tension (ANAST), n° 466936)

 

69 - Mutation d’un fonctionnaire territorial - Demande de transmission de son dossier administratif et d’annulation du refus de transmission - Litige n’étant pas relatif à la communication de documents administratifs - Compétence de la juridiction d’appel et non du juge de cassation - Renvoi à une cour administrative d’appel.

Le syndicat requérant a contesté devant le tribunal administratif le refus du maire de Montereau-Fault-Yonne de lui transmettre le dossier individuel de l’adjointe administrative mutée de cette commune à ce syndicat. Le juge saisi a prononcé un non-lieu que le syndicat a contesté devant la cour administrative d’appel. Celle-ci, se fondant sur les dispositions du 2° de l’art. R. 811-1 du CJA, selon lesquelles le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort sur les litiges en matière de consultation et de communication de documents administratifs, a transmis cette requête au Conseil d’État.

Celui-ci relève que le litige relatif à l’obligation, instituée par l’art. 51 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, de transmission du dossier individuel de l’agent muté par son administration d'origine à son administration d'accueil, n’est pas un litige en matière de communication de documents administratifs au sens de l'art. R. 811-1 du CJA. Ainsi la contestation des jugements rendus en cette matière relève non d’un pourvoi en cassation mais d’un appel formé dans les conditions du droit commun devant la cour administrative d’appel. Le litige est donc attribué à cette juridiction.

(04 août 2023, Syndicat de la région de Montereau-Fault-Yonne pour le traitement des ordures ménagères (SIRMOTOM), n° 468907)

 

70 - Police des installations classées - Demande d’implantation d’éoliennes - Moment d’appréciation de la légalité de l’autorisation en ce sens - Pouvoir du juge - Annulation.

(04 août 2023, Association Environnement et patrimoines en Pays du Serein et autres, n° 455196)

V. n° 263

 

71 - Juge du référé de l’art. L. 521-3 du CJA - Incompétence pour connaître d’un litige relatif à la communication d’un dossier détenu par le service de la protection des majeurs - Demande de régularisation de la procédure par sa transmission à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - Rejet.

Est rejetée comme manifestement irrecevable la requête portée devant le juge du référé (art. L. 521-3 CJA) du Conseil d’État tendant à ce que soit régularisée - par sa transmission à un avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation - une procédure en vue de la communication au requérant, sous astreinte, d'une copie du dossier détenu par le service de la protection des majeurs relatif à la situation de sa mère.

(03juillet 2023, M. A., n° 475304)

(72) V. aussi, identiques : 03juillet 2023, M. A., n° 475305 ; 03juillet 2023, M. A., n° 475306.

(73) V. encore, semblable et relatif à une demande à la tutrice de la mère du requérant de communiquer des relevés des comptes courants de cette dernière, entre les 5 décembre 2022 et 31 mai 2023, des factures payées ou à payer durant cette période, l'inventaire de ses biens, et le budget prévisionnel qu'elle entend faire appliquer : 03juillet 2023, M. B., n° 475307.

 

74 - Délai d’appel – Durée de deux mois – Prorogation du délai pour cause de Covid-19 - Rejet de l’appel pour tardiveté – Erreur de droit – Annulation.

Est entaché d’erreur de droit et encourt annulation l’arrêt qui déclare tardif l’appel du garde des sceaux formé le 13 août 2020 contre un jugement rendu le 03 mars 2020, alors qu’il résultait de la prorogation de délai pour cause d’épidémie de Covid-19 (cf. art. 15 de l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif) que ce délai expirait le 24 août 2020.

(28 juillet 2023, Garde des sceaux, n° 459715)

 

 75 - Composition irrégulière de la formation de jugement – Magistrat d’une cour administrative d’appel ayant déjà conclu en qualité de rapporteur public sur des requêtes dirigées contre l’arrêté interministériel objet du présent litige – Annulation.

Les communes requérantes demandaient l’annulation du rejet, par les juridictions administratives de première instance et d’appel, de leur action tendant à l’annulation de décisions ministérielles, les unes explicites et les autres implicites, portant refus de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle qu'elles avaient présentées à la suite des mouvements de terrains différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols du 1er juin au 10 septembre 2015.

Sans examiner le fond du litige, le juge de cassation annule l’arrêt d’appel auquel a participé un magistrat qui avait, deux ans auparavant, conclu en qualité de rapporteur public sur plusieurs requêtes d'appel formées par d'autres communes et portant sur des litiges relatifs au même arrêté interministériel.

La composition de cette formation de la cour administrative d'appel était irrégulière du fait de la participation de ce membre qui avait déjà publiquement exprimé, par le passé, son opinion sur le litige dont elle avait à connaître. Le Conseil d’État est donc à la cassation de l’arrêt attaqué.

(11 août 2023, Commune de Fraisnes-en-Santois, n° 456146 ; Commune de Haraucourt, n° 456149 ; Commune de Ville-en-Vermois, n° 456151 ; Commune de Saint-Nicolas-de-Port, n° 456155 ; Commune de Toul, n° 456159 ; Commune de Vandœuvre-lès-Nancy, n° 456163)

 

76 - Constatation de l’état de catastrophe naturelle – Éboulement de roches sur des cuves d’une cave viticole – Société ayant formé tierce opposition contre l’arrêt d’appel – Rejet sans respect du contradictoire – Annulation.

Rappel que la juridiction saisie d'un recours en opposition ou en tierce opposition, qu’elle estime recevable, doit, pour assurer le caractère contradictoire de l’instruction, communiquer au requérant les pièces de la procédure ayant donné lieu à la décision dont la rétractation est ainsi demandée, soit d'office lorsque le requérant n'avait pas été régulièrement mis en cause dans l'instance précédente, soit à sa demande, s'il l'avait été.

En l’espèce, faute que la cour ait donné suite aux demandes de communication des pièces de la procédure que lui avait adressées à plusieurs reprises la requérante, la cour administrative d'appel a statué au terme d'une procédure irrégulière, d’où l’annulation de l’arrêt avec renvoi.

(11 août 2023, Société Château Bel-Air, n° 465838)

 

77 - Procédure contentieuse – Minute des jugements et arrêts – Mention défectueuse – Impossibilité de déterminer l’identité du rapporteur qui a participé à l’audience et au délibéré – Irrégularité – Annulation.

Est entaché d’une irrégularité l’arrêt dont la minute indique que la cour a entendu : «  le rapport de M. A. », puis mentionne qu'ont siégé à l'audience : « Mme Michel, présidente, Mme Duguit-Larcher, première conseillère, Mme Corvellec, première conseillère » et que la minute de l'arrêt a notamment été signée par : « La présidente rapporteure, C. Michel ».

Il existe ainsi une contradiction entre ces mentions qui ne permet pas de déterminer l'identité du rapporteur ayant participé à l'audience et au délibéré de l'affaire. Par suite, l'arrêt ne fait pas lui-même la preuve de sa régularité d’où son annulation.

(11 août 2023, Mme B., n° 466925)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

78 - Déficit reportable – Pouvoir de contrôle et de rectification de l’administration – Inopposabilité de la prescription – Faculté de saisir le juge – Rejet.

Classiquement, le juge reconnaît à l’administration, quand elle procède au contrôle fiscal d'une entreprise au titre d'un exercice, la faculté d’exercer son pouvoir de contrôle et de rectification sur l'existence et le montant du déficit reportable, issu d'exercices antérieurs, dont cette entreprise déclare disposer à la clôture de l'exercice vérifié alors même que ces exercices seraient prescrits ou que ce déficit n'aurait pas été imputé sur les bénéfices de cet exercice, étant seulement susceptible d'affecter le résultat d'exercices ultérieurs par la voie du report déficitaire.

Il incombe au contribuable, s’il s’y croit fondé, de contester par voie de réclamation contentieuse, la réduction par l'administration du montant de son déficit reportable. 
C’est donc sans erreur de droit qu’en l’espèce la cour administrative d'appel de Paris a jugé que l'administration avait pu, sans méconnaître les règles de prescription, remettre en cause le montant des déficits déclarés par la société au titre des exercices clos entre 2003 et 2008, lesquels étaient prescrits, dès lors qu'ils avaient contribué au montant des déficits reportables non encore imputés dont elle avait déclaré disposer à la clôture de l'exercice clos en 2011. 

(05 juillet 2023, SA ST Dupont, n° 464928)

 

79 - Taxation d’office – Notification des bases de la taxation ou réponse aux observations du contribuable – Dispense d’informer le contribuable de la possibilité de saisir la commission départementale des impôts – Rejet.

En cas de taxation d’office, réitération d’une jurisprudence inéquitable et passée de mode.

Lorsque le contribuable ne s’est pas acquitté de ses obligations déclaratives, ses revenus ou la partie d’entre eux dont la déclaration a été éludée sont fixés d’office par l’administration (art. L. 16 et L. 69 LPF).

L’administration notifie les redressements envisagés et invite le contribuable à présenter d’éventuelles observations. Au reçu de la réponse du contribuable, l’administration est tenue de lui répondre et de lui indiquer, le cas échéant, la persistance du désaccord. Cette mesure est destinée à lui permettre de solliciter la saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires. En revanche, le juge considère qu’aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation à l'administration de faire mention, dans la proposition de rectification, dans la notification des bases taxées d'office ou dans la réponse aux observations du contribuable, de la possibilité qu'a celui-ci de saisir la commission départementale des impôts en cas de désaccord persistant. 

C’est confondant quand on compare le traitement dont bénéficient en matière de droits de l’intéressé, le criminel, le trafiquant international de drogue, le proxénète et autres joyeux drilles constituant notre corps social.

(05 juillet 2023, M. B., n° 467992)

 

80 - TVA déductible – Régime – Régularisation - Cas de la taxation des hébergements meublés avec services – Rejet.

Une société avait déduit la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé ses dépenses de rénovation d'un bien immobilier, l'administration a remis en cause le bien-fondé de cette déduction au motif qu'eu égard aux conditions dans lesquelles elle avait été mise en œuvre, l'activité d'hébergement pour les besoins de laquelle ces travaux avaient été réalisés s'était avérée être exonérée sur le fondement de l'article 261 D du CGI. 

Le ministre des finances se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif qui a prononcé la décharge des rappels qu’avait rejetée le tribunal administratif. Son pourvoi est rejeté.

Il résulte du droit de l’Union (art. 167 de la directive 2006/112/CE dite « directive TVA ») et en particulier de la jurisprudence interprétative de la CJUE :

1°/ que le droit à déduction peut être exercé lorsque la taxe devient exigible chez le fournisseur, dès lors que l'assujetti s'est acquitté du prix des biens ou services et détient une facture mentionnant la taxe sur la valeur ajoutée, même lorsque l'activité économique envisagée ne donne pas lieu à des opérations ouvrant droit à déduction ou lorsque l'assujetti n'a pas utilisé les biens ou services ayant donné lieu à déduction dans le cadre d'une opération taxable, comme il prévoyait de le faire, en raison de circonstances indépendantes de sa volonté et en l'absence de toute intention frauduleuse ou abusive (cf. en ce sens : CJUE, 29 février 1996, Intercommunale voor zeewaterontzilting (INZO), aff. C-110/94) ;

2°/ que le droit à déduction doit faire l'objet d'une régularisation si l'assujetti n'envisage plus d'utiliser les biens et les services en question pour réaliser des opérations taxées en aval, ou s'il les utilise pour effectuer des opérations exonérées (art. 186, directive précitée et CJUE, 9 juillet 2020, HF c/ Finanzamt Neuenahr-Ahrweiler, aff. C-374/19).

Concernant les modalités de cette régularisation, le droit national (art. 207, annexe II du CGI) dispose d’abord, s'agissant des biens et services ne relevant pas de la qualification de biens d'investissement, que la régularisation prend la forme d'une obligation de reversement de la taxe déduite lorsque les biens et services dont l'acquisition avait donné lieu à déduction sont utilisés pour une opération qui n'est pas effectivement soumise à la taxe.

Ensuite, s'agissant des biens d'investissement, la régularisation est prévue sur une période de 5 ans à compter de l'acquisition ou de la première utilisation du bien, si elle est postérieure (ou par dérogation sur une période de 20 ans pour les immeubles), et prend la forme d'une obligation de reversement partiel égal au cinquième (ou par dérogation au vingtième) du produit de la taxe initiale par la différence entre le coefficient de déduction de l'année et le coefficient de déduction, si cette différence est négative. 

En l’espèce, était en jeu la taxation des hébergements meublés avec services que régit en particulier le b. du 4° de l’art. 261 D du CGI.

Le juge de cassation approuve entièrement la solution qu’avait retenue la cour administrative d’appel. En premier lieu, celle-ci est approuvée pour avoir jugé que le moyen soulevé par la société devant la cour, tiré de ce qu'elle avait déclaré avoir l'intention d'utiliser ces travaux pour les besoins d'une activité taxable d'hébergement avec services et que, dès lors que l'administration ne contestait pas la sincérité de cette intention, la déduction de la taxe à laquelle elle avait procédé lui était définitivement acquise au titre de la période en cause n'était pas inopérant. Ce jugeant, la cour n'a pas méconnu son office en annulant le jugement attaqué pour n'avoir pas répondu audit moyen.

Sur le fond, la cour est également approuvée en ce que, après avoir relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la société avait déclaré son intention de réaliser une activité économique taxable d'hébergement meublé avec services et que cette intention n'était ni frauduleuse ni abusive, elle n'avait pas à rechercher, contrairement à ce qui était soutenu devant elle, si l'activité effectivement exercée était exonérée sur le fondement du 4° de l'article 261 D du CGI, dès lors que cette circonstance était sans incidence sur le bien-fondé de la déduction initiale à laquelle la société avait procédé et qui avait été remise en cause par l'administration, mais était seulement susceptible d'entraîner, pour la contribuable, l'obligation de régulariser cette déduction. 

(05 juillet 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 469778)

 

81 - Comptabilité non probante – Reconstitution du chiffre d’affaires par l’administration – Sommes figurant au compte courant du gérant considérées comme des recettes jugées dissimulées – Principe de séparation des patrimoines d’une société et de son gérant – Inopposabilité – Conditions – Rejet.

Le principe de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de son gérant, fait normalement obstacle à la confusion des patrimoines.

Toutefois, l’administration fiscale est fondée à considérer que l'enrichissement du gérant révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si sont cumulativement réunies les trois conditions suivantes : la comptabilité de la société doit être dépourvue de valeur probante, le gérant doit être regardé comme le seul maître de l'affaire et doivent exister des circonstances précises et concordantes, tirées du fonctionnement même de la société, permettant d'établir l'existence d'une confusion de patrimoines entre la société et son gérant.

La cour administrative d’appel est confirmée dans son opinion que si sont bien présentes en l’espèce les deux premières conditions la troisième fait défaut. Par suite, la société doit être regardée comme apportant la preuve de l'exagération des bases des impositions contestées. 

(05 juillet 2023, ministre de l'économie, des finances…, n° 469947)

 

82 - Joueur de poker professionnel – Imposition sur des revenus évalués d’office au titre des bénéfices non commerciaux – Manquement à l’obligation de déclaration de revenus – Gains réalisés avant un changement de la jurisprudence et de la doctrine fiscales – Simple erreur – Erreur de droit – Annulation.

L’administration fiscale, incarnation moderne de l’oncle Picsou, a estimé qu’un joueur de poker qui tire l’essentiel de ses revenus de la pratique de ce jeu de cartes devait être assujetti, à raison des bénéfices tirés de cette activité, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu par suite de l'évaluation d'office de ses bénéfices non commerciaux, le tout agrémenté, pour faire bonne mesure, d’une majoration d'assiette de 25 % (cf. 2° du 7 de l'art. 158 du CGI), d’une majoration de 80 % (cf. le c) du 1 de l'article 1728 du CGI) pour découverte d'une activité occulte et deux amendes sur le fondement du IV de l'article 1736 du même code.

Par un arrêt infirmatif la cour administrative d’appel a déchargé l’intéressé de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu, de la majoration pour activité occulte correspondante. Le ministre de l'économie, des finances … se pourvoit en cassation de cet arrêt en tant qu'il a déchargé l’intéressé de cette dernière majoration. 

Le Conseil d’État est à la cassation pour erreur de droit par une motivation discutable.

La cour s’était fondée, pour justifier son annulation du jugement de rejet de la demande de l’intéressé, sur ce que son manquement déclaratif est antérieur aux évolutions jurisprudentielle (cf. C.E. 21 juin 2018, M. A., n° 412124) et doctrinale, survenues postérieurement aux années 2013 à 2015 en litige, qui ont estimé que les gains réalisés au poker étaient, dans certaines conditions, imposables à l'impôt sur le revenu. La solution est logique et raisonnable, elle n’est pourtant pas retenue par le juge de cassation selon qui « l'existence de l'obligation déclarative ressortait, depuis fin 2012, tant de plusieurs décisions définitives des juges du fond que des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-BNC-CHAMP-10-30-40 ». S’il suffit de quelques décisions de juges du fond et de l’habituelle rapacité de l’administration dans l’interprétation des textes fiscaux pour faire la jurisprudence administrative cela se saurait… Et se saurait d’autant plus que c’est le plus souvent l’inverse qui se produit.

Naturellement, une fois ce constat fait, il ne reste plus au juge qu’à relever que notre joueur ne s’est pas acquitté des obligations qui étaient les siennes à raison de son « statut » « professionnel » : défaut de dépôt dans le délai légal des déclarations à souscrire, révélation de son activité à un centre de formalité des entreprises ou au greffe du tribunal de commerce. C’est alors un jeu de punching ball où tous les coups sont permis : de ce seul fait est faite la preuve par l’administration de l'exercice occulte d’une activité professionnelle dès lors que le contribuable n'est pas lui-même en mesure d'établir qu'il a commis une erreur justifiant qu'il ne se soit acquitté d'aucune de ses obligations déclaratives. Sauf qu’il ignorait même être « contribuable »…

Belle partie de « poker menteur » où le trompeur n’est pas celui que l’on croit.

(05 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470936)

 

83 - Avis de droit - Conditions d’assujettissement des locations occasionnelles à la TVA – Cas du b. du 4° de l'article 261 D du CGI – Distinction selon le critère retenu (fournitures de certaines prestations ou concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières) – Réponse en ce sens.

La double question suivante était posée aux juges du Palais-Royal :

« Les dispositions du b. du 4° de l'article 261 D du CGI, en ce qu'elles subordonnent l'absence d'application de l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée aux locations occasionnelles, permanentes ou saisonnières de logements meublés ou garnis à usage d'habitation, s'agissant des prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, à la réalisation d'au moins trois des prestations définies à ces dispositions, sont-elles compatibles avec les dispositions de l'art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 ?

En cas de réponse négative à cette question, la fourniture de seulement une ou deux des prestations définies au b. du 4° de l'article 261 D du CGI suffit-elle pour considérer que l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée ne s'applique pas aux prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni à usage d'hébergement effectuées à titre onéreux et de manière habituelle ? »

A questions complexes réponse incertaine.

Le juge répond tout d’abord que la disposition litigieuse est incompatible avec les objectifs de l'art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 en tant qu'elle subordonne la soumission à la TVA des activités de mise à disposition d'un local meublé ou garni à la condition que soient proposées au moins trois des quatre prestations accessoires qu'elle énumère (fourniture du petit-déjeuner, nettoyage régulier des locaux, fourniture du linge de maison et réception de la clientèle), dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements hôteliers.

Il précise ensuite que cette disposition est compatible avec les objectifs de l’art. 135 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA en tant qu'elle exclut de l'exonération de TVA qu'elles prévoient les activités se trouvant dans une situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières.

D’où cette indication (si l’on peut dire) donnée à l’administration selon laquelle il lui appartient d'apprécier au cas par cas si un établissement proposant une location de logements meublés, eu égard aux conditions dans lesquelles cette prestation est offerte, notamment la durée minimale du séjour et les prestations fournies en sus de l'hébergement, se trouve en situation de concurrence potentielle avec les entreprises hôtelières. 

Il n’est pas certain que la lanterne des juges soit très bien éclairée.

(05 juillet 2023, M. L., n° 471877)

 

84 - Comptable public d’une université – Mise en débet – Créances non recouvrées – Versements indus d’indemnités de formation continue à certains agents – Obligations et limites s’imposant au comptable dans l’exercice de sa mission – Rejet et annulation partiels.

Le comptable public requérant contestait les condamnations prononcées contre lui par la Cour des comptes, d’une part du chef de défauts de diligences adéquates complètes et rapides pour le recouvrement de créances admises en non-valeur et l'absence de contrôle de l'imputation des règlements reçus aux créances correspondantes et d’autre part, pour versements indus d’indemnités de formation continue à certains agents de l’université.

Statuant en cassation le Conseil d’État rejette le recours contre le premier chef de mise en débet et l’admet contre le second chef.

S’agissant du premier chef, la Cour a constitué le requérant débiteur de la somme de 115 709,67 euros, correspondant à certaines des créances qui avaient été admises en non-valeur par le conseil d’administration de l’université car elle a estimé que le comptable avait manqué à ses obligations, en ne se livrant pas à des diligences adéquates, complètes et rapides pour le recouvrement de ces créances et en ne procédant pas à l'imputation des règlements reçus aux créances correspondantes pour plus de cinquante d'entre elles.

Le Conseil d’État juge que la Cour des comptes, sur ce premier point, n’a pas commis d’erreur de droit car les diligences pour le recouvrement de créances auxquelles est tenu le comptable public, et dont l'insuffisance ou l'inaccomplissement est susceptible de constituer un manquement de celui-ci, recouvrent l'exacte imputation des règlements perçus aux créances correspondantes, cette diligence étant un préalable nécessaire pour déterminer si une créance a ou non été recouvrée et si elle doit ou non faire l'objet de diligences spécifiques pour son recouvrement.

Dès lors il s’ensuit que l'inexacte imputation des règlements perçus aux créances correspondantes est susceptible de constituer un manquement du comptable public si elle est à l'origine du non-recouvrement des créances. La correcte imputation des règlements reçus des débiteurs aux créances qui leur correspondent fait donc intégralement partie des diligences de recouvrement.

S’agissant du second chef de grief, le Conseil d’État reproche à la Cour des comptes d’avoir commis une erreur de droit en ce que, pour constituer le comptable débiteur du paiement d’indemnités de formation continue au président de l'université, à la directrice générale des services et aux comptables publics successifs, relevé que si le comptable disposait, pour tous les bénéficiaires d'indemnités de formation continue, d'arrêtés d'attribution et de certificats administratifs, il n'était pas contestable qu'au simple énoncé de la fonction qu'ils occupaient, ces agents assuraient nécessairement, au titre de leur activité principale respective, l'organisation ou la gestion administrative, comptable et financière des actions de formation continue de l'université, de sorte qu'ils ne pouvaient pas bénéficier de ces indemnités. En effet, en statuant ainsi, le juge des comptes a exigé du comptable qu'il exerce un contrôle de légalité sur les pièces justificatives fournies par l'ordonnateur, alors que celles-ci ne révélaient pas, par elles-mêmes, d'incohérence au regard de la catégorie de la nomenclature applicable et de la nature et de l'objet de la dépense engagée. Or un tel contrôle de la part du comptable contrevient aux dispositions limitatives des art. 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique.

(10 juillet 2023, M. A., n° 451534)

 

85 - Crédit d’impôt recherche - Aides versées pour les activités de recherche - Réception d’une prétendue subvention publique déductible du montant du crédit impôt recherche - Erreur de droit - Annulation.

L'organisation interprofessionnelle France bois forêt, reconnue par arrêté du 22 février 2008, association à but non lucratif régie par la loi du 1er juillet 1901, a perçu au titre des années 2013 à 2014, des aides pour le financement d'opérations de recherche qui ont été versées par cette association à l'institut requérant lequel est un centre technique industriel au sens de l'article L. 521-1 du code de la recherche.

Ce dernier a sollicité le bénéfice d'un crédit d'impôt en faveur de la recherche à raison des dépenses engagées en matière de recherche et de développement au titre des années 2013 à 2015. Il a attaqué, en vain, devant le juge administratif, le refus qui lui a été opposé. Après cassation de l’arrêt d’appel confirmatif du rejet de son recours, la cour administrative d’appel, statuant sur renvoi du Conseil d’État, a, à nouveau, rejeté son recours au motif que devait être regardée comme constituant une « subvention publique » au sens de l'art. 244 quater B du CGI, toute aide versée en vue ou en contrepartie d'un projet de recherche, provenant de l'utilisation de ressources perçues à titre obligatoire et sans contrepartie, que ces aides soient versées par une autorité administrative ou un organisme privé investi d'une mission de service public.

Le juge de cassation annule cet arrêt motif pris de ce que les aides versées à la requérante ne constituent pas au sens et pour l’application de l'article précité, dans sa rédaction applicable à la période d'imposition en litige, une « subvention publique » laquelle ne peut résulter que d’aides versées à raison d'opérations ouvrant droit au crédit d'impôt par une personne morale de droit public. 

La cour a ainsi commis une erreur de droit car l'organisation interprofessionnelle France bois forêt est une association à but non lucratif non une personne morale de droit public. Par suite, les aides en litige n'avaient pas à être déduites, sur le fondement de ces dispositions, des bases de calcul du crédit d'impôt que l'institut a sollicité au titre des années 2013 et 2014. Dès lors, l'institut FCBA est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a refusé de lui accorder le bénéfice du crédit d'impôt en faveur de la recherche afférent à ces deux années correspondant à la prise en compte des sommes versées par France bois forêt dans l'assiette de ce crédit d'impôt.

(12 juillet 2023, Institut technologique FCBA (forêt, cellulose, bois-construction, ameublement), n° 463363)

(86) V. aussi, jugeant, en premier lieu, que lorsqu'une entreprise confie à un organisme mentionné au d ou au d bis du II de l'art. 244 quater B du CGI, l'exécution de prestations nécessaires à la réalisation d'opérations de recherche qu'elle mène, les dépenses correspondantes peuvent être prises en compte pour la détermination du montant de son crédit d'impôt, quand bien même les prestations sous-traitées à cet organisme feraient l'objet d'un paiement direct à celui-ci par le cocontractant de l'entreprise donneuse d'ordre. En second lieu, il est jugé résulter des dispositions du I de l'art. 236 du CGI, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 9 juillet 1984 sur le développement de l'initiative économique, que le législateur a entendu aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre d'opérations de recherche scientifique ou technique sur la règle comptable. Ainsi, l'option prévue par le I de l'art. 236 précité est, conformément au principe de permanence des méthodes comptables énoncé à l'art. L. 123-17 du code de commerce, irréversible sauf changement exceptionnel de situation du contribuable ou modification des règles comptables, et doit s'exercer pour l'ensemble des dépenses des projets de recherche de l'entreprise qui satisfont aux critères prévus à l'art. R. 123-186 du code de commerce. C’est donc au prix d’une erreur de droit que l’arrêt d’appel attaqué qui, après avoir relevé que la circonstance que la société Cap 2020 Consult avait inscrit en immobilisations les dépenses de développement exposées au titre de divers projets de recherche révélait une décision d'option en faveur de l'activation de ces dépenses, juge que cette circonstance faisait obstacle à ce que, pour ce dernier projet, elle inscrive par ailleurs en charges des dépenses de recherche dites de sous-traitance, sans rechercher si ce dernier projet satisfaisait aux critères d'immobilisation prévus par l'art. R. 123-186 précité du code de commerce. L’arrêt est cassé : 26 juillet 2023, Société Cap 2000 Consult, n° 466493.

 

87 - Vérification de comptabilité - Rehaussements d’imposition sur les sociétés et de TVA - Conclusion d’une transaction - Cessation de la procédure contradictoire - Défaut d’exécution sans effet - Rejet.

Accentuant et développant une jurisprudence inaugurée en matière de transaction portant sur des sanctions (10 août 2005, ministre de l'économie, des finances …, n° 269885), le juge décide que la conclusion d'une transaction avec l'administration fiscale, par laquelle le contribuable donne son accord aux rehaussements de base notifiés, met fin à la procédure contradictoire sans que celle-ci puisse être rouverte par le défaut d'exécution de la transaction par le fait du contribuable.

La solution est tout à fait conforme à la nature et à l’objet de la transaction.

(12 juillet 2023, Société New Asia, n° 463709)

 

88 - Procédure fiscale non contentieuse - Proposition de rectification des bases d’imposition - Notification à la dernière adresse connue de l’administration - Notification d’une nouvelle adresse avant la date d’envoi du pli et reçue par l’administration après cet envoi - Marche à suivre - Annulation.

L’administration doit notifier sa proposition de rectification des bases de l’impôt à la dernière adresse qui lui a été communiquée par le contribuable aux fins d'y recevoir ses courriers et connue par elle à la date d'envoi du pli contenant la proposition de rectification. 

Dans le cas où, comme en l’espèce, par un courrier envoyé avant la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue et reçu par l'administration fiscale après la date d'envoi de ce pli, le contribuable informe l'administration fiscale de son changement d'adresse, la proposition de rectification doit être de nouveau notifiée à la nouvelle adresse communiquée par le contribuable, à moins que celui-ci ait eu connaissance, en temps utile, de la proposition notifiée à son ancienne adresse.

Cette nouvelle notification est sans incidence sur la date d'interruption de la prescription qui est celle de présentation du pli contenant la proposition de rectification à la dernière adresse connue à la date d'envoi de ce pli. 

Doit donc être annulé pour erreur de droit l’arrêt qui, pour déterminer la dernière adresse connue de l'administration fiscale et apprécier si l'exercice de son droit de reprise était prescrit, se place à la date de présentation du pli contenant la proposition de rectification et non pas à la date d'envoi de ce pli. 

(12 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 465351)

 

89 - Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Organisme agissant en tant qu'autorité publique - Soumission à la taxe sur les salaires - Tarification administrée des prestations - Non assujettissement à la TVA - Rejet.

L’établissement requérant a demandé la restitution partielle de la taxe sur les salaires acquittée au titre de l'année 2018, et revendiqué l'assujettissement à la TVA de ses prestations d'hébergement et d'assistance aux personnes âgées dépendantes.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt par lequel, sur appel du ministre des finances, la cour administrative d’appel a annulé le jugement qui a prononcé la restitution de la taxe sur les salaires qu’il avait demandée.

Tout d’abord, c’est sans erreur de droit ni inexacte qualification juridique des faits que la cour a jugé que l'activité de l'établissement « Le Parc et l'Ostal de Garona » était exercée, en ce qui concerne l'ensemble des prestations d'hébergement, par un organisme agissant en tant qu'autorité publique conformément aux dispositions de l’art. 256 B du CGI dès lors que doit être regardée comme une activité effectuée en tant qu'autorité publique le service social d'hébergement des personnes âgées dans des structures publiques. Dans le cadre de ce service d'hébergement, les prestations étroitement liées à l'aide sociale, au sens de ces dispositions de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, s'entendent, contrairement à ce que soutient l'EHPAD requérant, outre de l'accueil hôtelier, des prestations d'administration, de restauration, de blanchissage et d'animation, lesquelles sont au nombre des prestations minimales d'hébergement définies par le décret auquel renvoie l'article L. 314-2 du code de l'action sociale et des familles.

Ensuite, eu égard à leur caractère social les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes à caractère public qui sont habilités à accueillir entièrement ou principalement des personnes âgées à faibles ressources, sont soumis en principe à une tarification administrée de leurs prestations d'hébergement.

En outre, un opérateur privé exerçant cette activité à titre lucratif, libre de choisir sa clientèle et, par suite, de fixer ses tarifs en conséquence, ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la TVA qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes.

Cette même activité exercée sans but lucratif par un opérateur privé est exonérée de la TVA en vertu du b du 1° du 7 de l'art. 261 du CGI.

La cour administrative d’appel n'a ni commis une erreur de droit ni donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique en jugeant que le non-assujettissement à la TVA de l'établissement public requérant, dont il n'est pas contesté qu'il est habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale à l'hébergement pour la totalité des places qu'il offre et qui présente ainsi un caractère social, n'était pas susceptible de conduire à des distorsions dans les conditions de la concurrence au sens et pour l'application de l'art. 256 B précité du CGI, lu à la lumière des dispositions de la directive du 28 novembre 2006 qu'il a pour objet de transposer.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, la cour n'avait pas à examiner si le non-assujettissement à la TVA de l'EHPAD était susceptible de le désavantager, ni à prendre en compte le nombre de ses résidents bénéficiant effectivement de l'aide sociale à l'hébergement.  

(12 juillet 2023, EHPAD « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 466171)

(90) V. aussi, identiques : 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466564 et 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466566.

(91) V. également, identique : 12 juillet 2023, EHPAD « Le Jardin d'Emilie », n°466809.

(92) V. encore, s’agissant du rejet de la demande d’annulation du jugement refusant à l’un des EHPAD ci-dessus, le remboursement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, dès lors qu'un établissement public n'est pas passible de l'impôt sur les sociétés si le service qu'il gère ne relève pas, eu égard à son objet ou, à défaut, aux conditions particulières dans lesquelles il est géré, d'une exploitation à caractère lucratif et qu’il en va ainsi en l’espèce où l’établissement demandeur est géré dans des conditions particulières de nature à faire regarder son exploitation comme non lucrative car ses services sont destinés à un public ne pouvant accéder aux prestations offertes par les entreprises commerciales et dont les tarifs sont, à cet effet, soit inférieurs à ceux du secteur concurrentiel, compte tenu de l'incidence des impôts commerciaux supportés par ce dernier, soit modulés en fonction de la situation des bénéficiaires sans qu'aient d'incidence les circonstances, qu'un cinquième seulement de ses résidents bénéficiaient effectivement de l'aide sociale et qu'il emploierait des méthodes de prospection comparables à celles des EHPAD du secteur privé lucratif : 12 juillet 2023, « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 467919.

 

93 - Plus-value réalisée par une personne physique - Apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité - Report d'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables - Impôt acquitté par le bénéficiaire de la transmission lors de la  cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations - Refus de transmission d’une QPC.

Dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre le refus du ministre des finances d'abroger les paragraphes nos 110 à 170 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-BIC-PVMV-40-20-30-20, en ce qu’ils réitèrent les dispositions du premier alinéa du a du I de l'art 151 octies du CGI, la requérante soulève une QPC à l’encontre de cette disposition législative.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette question au juge constitutionnel.

Par cette disposition, issue de l'article 16 de la loi du 29 décembre 1989 de finances rectificative pour 1989, le législateur a voulu maintenir un mécanisme de report d'imposition visant à favoriser certaines restructurations d'entreprises en évitant que les contribuables ne soient contraints de vendre une partie des titres dont ils disposent à l'issue de ces opérations pour acquitter des impositions sur les plus-values qu'ils réalisent et ainsi de ne pas faire obstacle à la transmission des patrimoines professionnels. A donc été institué un système offrant la possibilité, en cas de transmission à titre gratuit de droits sociaux grevés de plus-values d'apport en société de biens non amortissables auparavant affectés à l'exercice d'une activité sous une forme individuelle placées en report d'imposition, d'un maintien du bénéfice de ce report subordonné à la condition que le bénéficiaire de la transmission prenne l'engagement d'acquitter l'impôt sur ces plus-values à la date à laquelle interviendra la cession, le rachat ou l'annulation de ses droits, ou la cession par la société bénéficiaire de l'apport des biens non amortissables apportés. 

La requérante soutient qu'en organisant l'imposition entre les mains du donataire de plus-values placées en report d'imposition à la suite d'une opération d'apport réalisée par le donateur, sans prévoir d'atténuation de cette imposition par l'effet de l'écoulement du temps, le législateur, par ce premier alinéa du a du I de l'art. 151 octies précité, aurait fait peser, sans limitation de durée, sur le donataire une imposition liée uniquement à l'enrichissement du donateur à raison de ces plus-values réalisées antérieurement au transfert de propriété des droits sociaux et par suite sans lien avec ses facultés contributives, méconnaissant ainsi les exigences de l’art. 13 de la Déclaration de 1789 selon lequel la contribution commune doit être répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Cette argumentation est rejetée car selon le juge le transfert de l'obligation d'acquitter l'imposition sur les plus-values en report prévu par les dispositions litigieuses est subordonné à l'accord du donataire ou de l'héritier, lequel dispose en outre, au moment où il exprime son accord, d'une connaissance exacte du montant et des modalités de paiement de l'imposition en report grevant les droits sociaux dont il accepte la transmission à titre gratuit. Un tel transfert ne saurait, dans ces conditions, être regardé comme faisant peser sur le donataire une charge fiscale excédant ses facultés contributives.

Le raisonnement repose sur un biais : suffit-il de l’accord du contribuable à celle-ci pour qu’une charge fiscale soit dite n’excédant pas les facultés contributives ? La réponse nous semble devoir être négative car la notion de « facultés contributives » est de nature purement objective alors que l’acceptation par un contribuable donné dans des circonstances données d’une certaine charge fiscale est purement subjective et peut d’ailleurs être, de ce fait, contrainte et non libre.

(12 juillet 2023, Mme A., n° 474529)

 

94 - Taxe foncière - Valeur locative des immobilisations corporelles en cas de cession, scission, apport entre deux sociétés interdépendantes ou dépendantes d’une même troisième - Volonté de prémunir les finances locales contre la réduction des bases d’imposition - Absence d’inconstitutionnalité - Notions de société contrôlée et de sociétés agissant de concert - Rejet.

Soucieux de prémunir les finances des collectivités territoriales contre la réduction des bases d'imposition permise par la transmission d'immobilisations corporelles, le législateur a prévu (11ème et 12ème alinéas de l’art. 1518 B du CGI, issu de la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011), pour prévenir l'optimisation fiscale susceptible d'en découler, le maintien de la valeur locative des immobilisations transmises lorsque cette transmission est réalisée entre entreprises qui ne sont pas indépendantes entre elles à raison du contrôle exercé par l'une sur l'autre ou sur les deux par une tierce entreprise. Ainsi, pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2011, la valeur locative des immobilisations corporelles acquises à la suite d'apports, de scissions, de fusions de sociétés ou de cessions d'établissements ne peut être inférieure à son montant avant l'opération lorsque, directement ou indirectement, l'entreprise cessionnaire ou bénéficiaire de l'apport contrôle l'entreprise cédante, apportée ou scindée, ou est contrôlée par elle, ou ces deux entreprises sont contrôlées par la même entreprise. 

En l’espèce, la société par actions simplifiée ArianeGroup, créée en 2015 par les sociétés Safran SA et Airbus SE, qui détiennent chacune 50 % des droits de vote attachés à ses actions, en vue de réorganiser la filière européenne des lanceurs spatiaux civils et militaires, exerce une activité de construction aéronautique et spatiale, notamment dans un établissement situé à Vernon dont la propriété lui a été transférée par la société Safran Aircraft Engines, contrôlée par Safran SA, le 30 juin 2016, à l'occasion d'une opération d'apport partiel d'actifs.

ArianeGroup a demandé en vain la réduction des cotisations de taxe foncière mises à sa charge pour l'année 2017, d'une part, et les années 2018 et 2019, d'autre part. Elle se pourvoit en cassation de deux jugements par lesquels le tribunal administratif de Rouen a rejeté ses demandes.

A l’appui de son pourvoi elle soulève, par voie de QPC, l’inconstitutionnalité des dispositions des deux alinéas précités de l’art. 1518 B du CGI au motif qu’ils portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis par les art. 6 et 13 de la Déclaration de 1789, en ne permettant pas au contribuable d'apporter la preuve que l'opération effectuée ne poursuit pas un but exclusivement fiscal.

Le pourvoi est rejeté au terme d’un raisonnement qui laisse à désirer dans la mesure où il comporte une extrapolation qui peut être discutée et, ensuite, une contradiction interne.

En effet, selon le juge du Palais-Royal, en premier lieu, bien que les dispositions litigieuses n’évoquent que deux cas de « gel » automatique du montant de la taxe foncière, celui où l’une des deux sociétés, cédante et cessionnaire ou apporteuse et bénéficiaire ou issues d’une scission exerce sur l’autre un contrôle exclusif, et celui où une même troisième société exerce un contrôle sur les deux autres, il y aurait lieu, par subordination au droit commercial (III de l’art. L 233-3 du code de commerce, selon lequel « deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en fait les décisions prises en assemblée générale ») du droit fiscal, il y a lieu d’étendre leur application au cas où existe un contrôle conjoint avec une autre entreprise. Cette extrapolation du champ d’application de la loi fiscale au moyen d’une disposition non fiscale ne poursuivant pas du tout le même but, peut surprendre.

En second lieu, le juge, après avoir énoncé que la règle en cause a été édictée « pour prévenir l'optimisation fiscale » nuisible aux finances des collectivités territoriales du fait de la réduction des bases d'imposition permise par la transmission d'immobilisations corporelles, refuse de considérer - comme soutenu par la requérante - que du fait de la présomption irréfragable ne permettant pas au contribuable d'apporter la preuve que l'opération effectuée ne poursuit pas un but exclusivement fiscal, il y a là une atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution. En effet, de deux choses l’une : ou bien l’optimisation fiscale contre laquelle lutte la disposition litigieuse peut être controuvée, et il n’y a alors pas de problème juridique, ou bien l’optimisation ne peut pas être discutée, par exemple en démontrant que l’opération ne poursuit pas un but fiscal mais un tout autre but, légitime, et, en ce cas, l’inconstitutionnalité résulte directement du caractère irréfragable de la règle. On ne saurait se contenter de l’affirmation ex abrupto que : « Enfin, compte tenu de leur objet, rappelé ci-dessus, ces dispositions ne peuvent être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale » d’autant, que l’on sache, que l’optimisation fiscale n’a pas la gravité d’une fraude ou d’une évasion fiscale…

(13 juillet 2023, SAS ArianeGroup, n° 460743 et n° 460744)

 

95 - Salarié - Versement d’une indemnité transactionnelle - Caractère imposable - Rejet.

Le requérant conteste l’arrêt infirmatif par lequel une cour administrative d’appel a jugé imposable l’indemnité transactionnelle versée à un salarié par son employeur. Le pourvoi est rejeté, confirmant entièrement la solution de cette dernière.

La cour n’a pas commis d’erreur de droit en rappelant que l’imposition ayant été établie sur la base des déclarations du contribuable, il lui incombait d'établir le bien-fondé de ses prétentions en démontrant le caractère non-imposable de l'indemnité en litige (cf. art. R. 194-1 LPF).

C’est sans méconnaître les dispositions de l’art. 80 duodecies du CGI que la cour a jugé que la transaction conclue entre le salarié et son ancien employeur ne trouvant pas sa cause dans la rupture du contrat de travail de l'intéressé mais ayant pour objet de régler un litige relatif aux conditions d'exécution de son contrat, la somme versée en vertu de cette transaction n’avait pas pour objet de compenser un préjudice autre que celui résultant d'une perte de revenu, condition sine qua non du caractère non-imposable de l'indemnité en cause.

C’est pareillement sans erreur de droit ni dénaturation que la cour a estimé que le requérant ne pouvait être regardé comme justifiant que le versement de cette somme aurait, fût-ce pour partie, correspondu à la réparation d'un préjudice autre qu'une perte de revenus dès lors qu’il s’est borné à faire valoir que l'indemnité litigieuse lui aurait été versée par son ancien employeur à titre transactionnel en vue d'éviter qu'il n'introduise contre lui l'action contentieuse qu'auraient appelée les conditions, selon lui défectueuses, d'exécution de son contrat de travail. Ainsi, cette somme revêtait un caractère imposable.

Semblablement, c’est sans erreur de droit ou de qualification juridique des faits que la cour a jugé n’être pas invocable par le demandeur le quatrième alinéa de l'article 80 précité du CGI dont les dispositions ne sont relatives qu’aux conditions d'imposition des indemnités ayant pour objet de réparer un préjudice moral.

(18 juillet 2023, M. B., n° 468125)

(96) V. aussi, identique : 18 juillet 2023, M. B., n° 467512.

 

97 - Demande de réduction d’impôts et taxes - Disposition du CGI (art. 223 B) ne permettant pas la neutralisation de la quote-part des frais et charges réintégrés - Produits de participation provenant de filiales établies dans un autre État de l’Union européenne que la France - Disposition jugée contraire à l’art. 49 du TFUE par la CJUE - Rejet.

Dès lors qu’il résulte d’un arrêt de la CJUE (11 mai 2023, Manitou BF SA et Bricolage investissement France SA, aff. C-407/22 et C-408/22) que le I de l’art. 223 B du CGI est incompatible avec les stipulations de l’art. 49 du TFUE, c’est sans erreur de droit ni qualification erronée des faits qu’une cour administrative d’appel en écarte l’application.

En l’espèce la cour a donc jugé que la société Bricolage Investissement France, demanderesse, était fondée à soutenir, à l'appui de sa demande tendant à la réduction des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, que l'article 223 B du CGI méconnaissait la liberté d'établissement en tant qu'il ne prévoyait pas la possibilité de neutraliser la quote-part de frais et charges réintégrée à raison des produits de participations en provenance de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France satisfaisant aux critères d'éligibilité au régime d'intégration fiscale, y compris dans l'hypothèse où cette société mère, en dépit de l'existence de liens capitalistiques avec d'autres sociétés françaises permettant la constitution d'un groupe fiscal intégré, n'appartenait pas à un tel groupe.

(18 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 458379)

(98) V. aussi, identique : 18 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 454107.

 

99 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères - Illégalité de la fixation du taux de la taxe au titre d’une année - Possibilité, sous condition, de retenir le taux de l’année précédente - Annulation.

Rappel de ce que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente. Tel n'est pas le cas lorsque le taux de l'année précédente est manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimées au titre de l'année en litige.

Annulation, ici, du jugement qui estimant que le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères fixé au titre de l'année 2016 s'élevait à 8,83 % et était ainsi plus élevé que celui fixé au titre de l'année 2017 qui s'élevait, d'après le tribunal, à 8,69 %, écarte la demande de substitution présentée par l'administration fiscale sur le fondement des dispositions du III de l'art. 1639 A du CGI, alors qu’il ressort des pièces du dossier que les taux votés pour les années 2016 et 2017 s'élevaient respectivement à 7,81 % et 7,88 %. 

(24 juillet 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 448161)

 

100 - Taxe foncière sur les propriétés bâties - Cotisation foncière des entreprises - Exonération - Conditions - Erreur de droit - Annulation.

La requérante se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté son recours contre la décision de l'administration qui a révisé la valeur locative des biens de l’entreprise et l’a assujettie à des cotisations supplémentaires de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2015, 2016 et 2017 et de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017.

La requérante prétendait au bénéfice des dispositions de l’exonération de ces impôts prévue au 11° de l'article 1382 du CGI.

Le Conseil d’État annule le jugement querellé en ce qu’il repose sur une erreur de droit. En effet, il résulte de la disposition précitée que sont exonérés de cette taxe ceux des biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'art. 1499 du CGI, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui, enfin, ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'art. 1381 de ce code. Or le tribunal, pour rejeter la requête dont il était saisi, s'est fondé sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction, ni n'était au demeurant soutenu que ces biens étaient dissociables des immeubles les accueillant alors qu'il lui appartenait seulement de rechercher s'ils étaient spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel au sens de l'art. 1499 précité, sans être au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'art. 1381 du même code.

(24 juillet 2023, Société D'Aucy Locminé, venant aux droits de la société Union Fermière Morbihannaise, n° 468906)

 

101 - Droit fiscal néo-calédonien - Taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers - Majoration pour manquement délibéré - QPC - Rejet.

La Société de Développement du Pacifique Sud (SDPS) a demandé au tribunal administratif de prononcer la décharge, en droits et majorations, des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers mis à sa charge au titre de l'année 2015 et de l'amende prévue au II de l'art. Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie qui lui a été infligée au titre des exercices 2015 à 2017, ainsi que le remboursement des sommes engagées pour l'obtention d'une garantie bancaire à l'appui du sursis du paiement. Cette demande a été rejetée tandis que la cour administrative d'appel de Paris a, d’une part, refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par cette société, d’autre part, déchargé la société SDPS de l'amende infligée au titre de l'année 2015 et ramené à 2 % le taux de l'amende infligée au titre de l'année 2016, déchargeant ainsi la société de l'amende lui ayant été infligée au titre de l'année 2016 à concurrence de la réduction prononcée. La cour a réformé le jugement en ce qu'il était contraire à cet arrêt et rejeté le surplus de la requête. 

Le Conseil d’État est saisi de deux pourvois dirigés contre cet arrêt : le gouvernement de Nouvelle-Calédonie conteste l’arrêt en tant qu'il a statué sur l'application de l'amende prévue au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie ; les deux pourvois débattent de la QPC ainsi que de la partie de l’arrêt qui a prononcé, pour 2015, une décharge totale et, pour 2016, une décharge partielle de l’amende et, enfin, des conclusions de la SDPS relatives à la demande de décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers au titre de l'année 2015.

 

I - Sur la QPC dirigée contre l'amende prévue au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie


La société SDPS conteste sur ce point le refus de transmettre au Conseil d'État la QPC relative au II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie qu’elle avait soulevée en appel car elle soutient que ces dispositions méconnaissent les principes de nécessité, de proportionnalité et d'individualisation des peines découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789. La demande est rejetée en considération de ce que le but poursuivi par cette obligation de déclaration est de permettre à l'administration fiscale de procéder à des recoupements aux fins de contrôle du respect de leurs obligations fiscales par les intéressés poursuivant ainsi l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale.

La fixation du montant de l’amende en fonction des sommes versées est en lien avec la nature de l'infraction et proportionnée à la gravité des manquements réprimés, d’autant que les taux retenus, fixés à 2 % en cas de première infraction et à 10 % les années suivantes, qui tiennent compte de la réitération des manquements sanctionnés, ne sont pas manifestement disproportionnés.

Au reste, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le juge de l'impôt décide dans chaque cas soit de maintenir l'amende infligée, soit d'en prononcer la décharge ou d'en réduire le quantum. La transmission de la QPC est refusée.

 
II - Sur les conclusions des deux pourvois dirigées contre l'arrêt prononçant les décharges, totale pour 2015, partielle pour 2016, de l'amende susindiquée

 

Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie demande, lui, l'annulation des décharges totale et partielle tandis que la société SPDS demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à la décharge totale de l'amende pour les années 2016 et 2017.
Il est jugé en premier lieu que la société SDPS n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait inexactement qualifié les faits de l'espèce en estimant que l'amende qui lui a été infligée n'était pas disproportionnée. Ses conclusions doivent, par suite, être rejetées.

Il est jugé, en second lieu, que la cour a commis deux erreurs de droit :

- d’abord en prononçant la décharge totale de l'amende due au titre de l'exercice clos en 2015 car elle n’a pas recherché si la règle d'application immédiate de la loi répressive nouvelle plus douce rendait applicable le II de l'article Lp. 1084-6 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, en appréciant la sévérité de cette sanction, pour l'exercice en cause, au regard de celle prévue par l'article 156 ;

- ensuite, en jugeant que le taux de l'amende dont était redevable la société SDPS devait être fixé à 2 % et non à 10 % pour l'exercice clos en 2016 et en accordant la décharge partielle à ce titre alors qu'elle avait relevé que la société avait déjà commis le même manquement en 2015.

III- Sur les conclusions du pourvoi de la société SDPS dirigées contre le rejet de sa demande de décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers au titre de l'année 2015

 

Le Conseil d’État rejette l’argumentation de la société qui, alors que son établissement était classé trois étoiles, revendiquait qu’il le soit pour deux étoiles, le taux de la taxe provinciale étant assis sur le nombre d’étoiles, avait d’autorité appliqué elle-même ce « classement » alors qu’elle n’avait pas formé de recours en excès de pouvoir à l'encontre des refus réitérés opposés par la province Sud à ses demandes de déclassement et en dépit de ce que l'hôtel qu'elle exploitait continuait à relever de l'arrêté de classement en tant qu'hôtel de tourisme de catégorie trois étoiles, cet arrêté n'ayant pas été modifié et la société n'ayant fait l'objet d'aucune décision implicite de déclassement. La cour administrative d’appel n’a donc ni refusé à tort de prononcer la décharge des rappels de taxe provinciale sur les nuitées des établissements hôteliers mis à sa charge au titre de l'année 2015, ni inexactement qualifié les faits de l'espèce en considérant établi, pour l'application de la majoration de 40 % prévue au 2° de l'art. 1054 du code des impôts de Nouvelle-Calédonie, le caractère intentionnel du manquement de la société SDPS.

(24 juillet 2023, gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, n° 465099 ; Société de Développement du Pacifique Sud (SDPS), n° 465771, jonction)

 

102 - Impôts sur les sociétés - Déductibilité du bénéfice net d’un abandon de créance consenti à une filiale - Abandon constituant une aide à caractère commercial - Abandon de créance prétendu n’être qu’à caractère financier - Absence de réalisation d’un chiffre d’affaires - Erreur de droit - Annulation.

La société RT2i prétendait déductible du résultat net imposable un abandon de créance qu’elle avait consenti au profit de sa filiale et qu’elle prétendait être de caractère commercial et donc déductible selon les termes du 13 de l’art.39 du CGI.

Elle a demandé en vain, au tribunal administratif puis à la cour administrative d’appel de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 30 septembre 2014 ainsi que des pénalités correspondantes.

Elle se pourvoit en cassation et le Conseil d’État annule l’arrêt d’appel déféré à sa censure.

En effet, pour écarter l’argumentation de la requérante la cour a retenu que si la convention conclue avec la filiale prévoyait que les perfectionnements pouvant être apportés au savoir-faire demeureraient la propriété exclusive du concédant, il en ressortait également l'absence de rémunération en contrepartie du droit consenti à la filiale d'utiliser le procédé RT2i, ce qui, selon la cour, révélait l'absence de relation commerciale entre les deux sociétés. Elle a également retenu que si la société requérante avait vocation à se voir délivrer, par sa filiale, tous les perfectionnements apportés par cette dernière à la technologie RT2i, et à les réutiliser dans le cadre de sa propre activité « composite », cette activité n'avait généré aucun chiffre d'affaires au cours de la période 2011-2014 et n'avait connu de développement qu'au cours des années ultérieures, ce qui attestait également l'absence d'une relation commerciale entre les deux sociétés.

Le Conseil d’État est à la cassation car la circonstance qu'une aide soit motivée par le développement d'une activité qui, à la date d'octroi de cette aide, n'a permis la réalisation d'aucun chiffre d'affaires est néanmoins susceptible de conférer à l'aide un caractère commercial lorsque les perspectives de développement de cette activité n'apparaissent pas, à cette même date, comme purement éventuelles.

Cette solution doit être approuvée pour son bon sens et son réalisme.

(26 juillet 2023, Société Lamaï venant aux droits de la société RT2i, n° 463846)

 

103 - Impôt sur les sociétés - Contribution sociale sur cet impôt - Notion de chiffre d’affaires (art. 235 ter ZC du CGI) - Détention de participations dans des sociétés à caractère immobilier - Rejet.

La société de droit néerlandais Mayapan, a détenu plusieurs sociétés exploitant des immeubles situés en France. Elle a demandé la décharge de la contribution sociale sur l'impôt sur les sociétés, assortie d'une majoration de 5 %, à laquelle elle a été soumise.

Elle se pourvoit en cassation du rejet de sa requête en première instance et en appel. Son pourvoi est rejeté.

L'art. 235 ter ZC du CGI dispose : « I.- Les redevables de l'impôt sur les sociétés sont assujettis à une contribution sociale égale à une fraction de cet impôt calculé sur leurs résultats imposables aux taux mentionnés aux I et IV de l'art. 219 et diminué d'un abattement qui ne peut excéder 763 000 euros par période de douze mois. (...).

Sont exonérés les redevables ayant réalisé un chiffre d'affaires de moins de 7 630 000 euros. Le chiffre d'affaires à prendre en compte s'entend du chiffre d'affaires réalisé par le redevable au cours de l'exercice ou période d'imposition, ramené à douze mois le cas échéant et, pour la société mère d'un groupe mentionné à l'art. 223 A, de la somme des chiffres d'affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe. Le capital des sociétés, entièrement libéré, doit être détenu de manière continue, pour 75 % au moins, par des personnes physiques ou par une société répondant aux mêmes conditions dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques. (...) ».

Le Conseil d’État interprète largement ces dispositions en décidant - ce qui n’allait pas forcément de soi - que le chiffre d'affaires auquel elles font référence « s'entend du montant des recettes tirées de l'ensemble des opérations réalisées par le redevable dans le cadre de son activité professionnelle normale et courante, y compris, le cas échéant, eu égard à son modèle économique, les produits financiers. »

Confirmant l’arrêt d’appel, le juge de cassation relève d’abord que, durant les années en cause, la société Mayapan avait eu pour seule activité la détention de participations dans des sociétés à objet immobilier situées en France, et l'octroi à celles-ci de prêts, lesquels produisaient des intérêts dont la perception constituait pour la société l'une des modalités courantes et normales de poursuite du profit, caractérisant son modèle économique. C’est donc sans erreur de droit, que les produits financiers résultant de ces prêts ont été jugés comme faisant partie de son chiffre d'affaires.

Il juge ensuite que les revenus d'intérêts versés à la société Mayapan, au titre des prêts mentionnés aux sociétés susindiquées s’étant élevés à respectivement 13 986 762 et 15 071 111 euros au titre des exercices clos en 2013 et 2015, la société Mayapan ne peut soutenir que, pour constater que la condition de chiffre d'affaires posée par les dispositions de l'art. 235 ter ZC du CGI n'était pas remplie, la cour aurait confondu ses propres résultats avec les revenus immobiliers des sociétés de personnes qu'elle détenait.

(26 juillet 2023, Société Mayapan, n° 466200)

 

104 - Crédit d’impôt au bénéfice de créateurs de jeux vidéo - Régime - Délai maximal de trente-six mois pour l’obtention d’un agrément définitif - Durée très difficile à respecter - Refus de transmission d’une QPC.

Le CGI a prévu au bénéfice des créateurs de jeux vidéo, à diverses conditions, un crédit d’impôt (cf. art. 220 terdecies du CGI) sous réserve, notamment, de l’obtention d’un agrément provisoire puis d’un agrément définitif dans les trente-six mois (ou soixante-douze mois lorsque le coût de développement est supérieur à dix millions d’euros) qui suivent, faute de quoi le bénéficiaire doit reverser ce crédit d’impôt (cf. art. 220 X CGI).

La requérante a demandé, d’une part, la suspension de la décision par laquelle le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) lui a refusé l'octroi de l'agrément définitif pour le jeu « Tau station » au titre du crédit d'impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo et d’autre part, qu’il soit fait injonction au CNC de lui accorder cet agrément. Le juge des référés ayant rejeté ces demandes, la société s’est pourvue en cassation, puis, par mémoire distinct, a soulevé une QPC dirigée contre l’art. 220 X du CGI fixant un délai de trente-six mois maximum entre l’obtention de l’agrément provisoire et celle de l’agrément définitif pour pouvoir conserver le bénéfice du crédit d’impôt institué à l’art. 220 terdecies précité du CGI.

La transmission de cette QPC est refusée car il est jugé qu’il appartient au demandeur du crédit d’impôt de s’organiser en conséquence, même s’il estime extrêmement difficile - sans réellement le démontrer - le respect de ce délai, et à l’administration de prendre sa décision dans un délai raisonnable. Il eût été, nous semble-t-il, plus simple et plus normal de fixer un délai maximal pour saisir l’administration afin d’éviter d’artificielles complications infinies. Cependant, même si ces précisions seraient les bienvenues elles ne relèvent pas du domaine de la loi précise le juge. Enfin, en toute hypothèse, il est loisible à l’intéressée de saisir le juge administratif, y compris des référés, du refus d’agrément définitif.

(04 août 2023, SAS Makes Dreams Happen, n° 474456)

 

Droit public de l'économie - Énergie - Régulation

 

105 - Droit de la concurrence – Autorisation d’une concentration aval de la distribution de produits alimentaires – Délimitation des marchés pertinents – Analyse concurrentielle sur le marché aval de la distribution au détail de produits principalement alimentaires – Dépendance des distributeurs sur la partie amont de ce marché - Analyse de l’existence d’un marché de la distribution généraliste – Prise d’engagements sur les différentes formes de marchés aval (produits alimentaires, livres) – Risques de dépendance économique des fournisseurs et de verrouillage de la distribution en gros – Rejet.

Par trois décisions, n° 20-DCC-69 du 19 mai 2020 relative au rachat par les sociétés Aram Financial et Victor Bellier Participation de quatre magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, n° 20-DCC-72 du 26 mai 2020 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Vindémia Group par la société Groupe Bernard Hayot (GBH) et n° 20-DCC-74 du 26 mai 2020 relative à la prise de contrôle par la société Ah-Tak de deux magasins de commerce de détail à dominante alimentaire, l'Autorité de la concurrence a autorisé ces rachats ou prises de contrôle, ce sont les décisions attaquées au principal. A titre subsidiaire, est demandée l’annulation de la décision précitée n° 20-DCC-72 du 26 mai 2020 en tant qu'elle ne comporterait pas d'engagements suffisants pour prévenir l'effet anticoncurrentiel de l'opération de concentration sur le marché aval de la distribution au détail de produits alimentaires et sur le marché local de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire.

Les requêtes sont rejetées au terme d’un examen particulièrement fin des analyses et vérifications auxquelles a procédé l’Autorité de la concurrence.

Au préalable, il est jugé que si les tiers ne peuvent utilement critiquer la régularité du choix de cette Autorité de prendre une décision d'autorisation assortie d'engagements pris par les parties, sans recourir à la procédure d'examen approfondi prévue aux art. L. 430-6 et suivants du code de commerce, ils peuvent, en revanche, s'ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir et s'ils estiment que cette décision porte atteinte au maintien d'une concurrence suffisante sur les marchés qu'elle affecte, en contester le bien-fondé.

Examinant ensuite les différents griefs, le juge les rejette en relevant que c’est sans erreur de droit et/ou de fait que l’Autorité de la concurrence a délimité les marchés pertinents et procédé à l’analyse des risques concurrentiels à Mayotte et à La Réunion.

En outre, les requérantes ne produisent aucun élément probant de nature à remettre en cause la délimitation des marchés de la distribution généraliste et d’éventuels effets congloméraux retenue par l'Autorité de la concurrence.

Pas davantage ne sauraient être critiqués ni la méthodologie appliquée ni les résultats obtenus par l’analyse concurrentielle que cette Autorité a menée sur le marché aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire.

Enfin, sont justifiées les analyses de l’Autorité et les conclusions en résultant relatives aux risques, respectivement, de dépendance économique des fournisseurs sur le marché amont de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire et de verrouillage par les intrants sur le marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires. Il en va de même de l’appréciation par l’Autorité des engagements pris la société GBH comme de l’agrément des repreneurs identifiés ainsi que des engagements sur le marché aval de la distribution au détail de produits à dominante alimentaire comme sur le marché aval de la vente au détail de livres.

Enfin, d’une part, sont jugés pertinents, justifiés et fondés les constats opérés par l’Autorité de la concurrence tant du marché amont de l'approvisionnement en produits à dominante alimentaire et du risque de dépendance économique des fournisseurs.que du risque de verrouillage de clientèle sur le marché de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires, d’autre part sont jugées suffisamment motivées les décisions nos 20-DCC-69 et 20-DCC-74 portant sur les cessions de magasins consécutives aux engagements pris par GBH dans le cadre de sa prise de contrôle de Vindémia.

(03 juillet 2023, Société Excellence et autres, n° 440948, n° 44095, n° 440952 ; Confédération des petites et moyennes entreprises de Mayotte (CPME), n° 441200 ; Mme A. et autres, n° 442211 ; Association contre la domination économique et pour la défense des citoyens attachés aux libertés outre-mer (Adecalom), n° 442216 ; Association des maires de Mayotte, n° 442218 ; Société Bout'Iks, n° 443394, jonction)

 

106 - Politique agricole commune - Aides directes de la politique agricole commune - Indemnités compensatrices de handicaps naturels et des aides aux ovins et aux bovins – Contrôle sur place – Désignation d’un représentant par l’agriculteur contrôlé – Portée et limites des pouvoirs du représentant – Rejet.

Le requérant, qui exploite un élevage de bovins et d'ovins, a obtenu le bénéfice d'aides directes de la politique agricole commune, dont des indemnités compensatrices de handicaps naturels et des aides aux ovins et aux bovins, et a perçu, à ce titre, une avance de trésorerie versée par l'Agence de services et de paiement (ASP), remboursable au fur et à mesure de la perception des aides communautaires.

A la suite d’un contrôle sur place a été constaté un manquement sanctionné par l’absence de versement d’aide pour 2015 assorti d’une pénalité ainsi que d’un ordre de recouvrement.

Le demandeur se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement annulant l'ordre de recouvrement et rejetant le surplus de ses conclusions. 

Le pourvoi est rejeté.

Ce qui fait l’intérêt de cette affaire c’est l’appréciation par le juge du moyen tiré de l’irrégularité du contrôle dont l’exploitation avait fait l’objet. En effet, l’agriculteur, avisé de la date du contrôle et s’étant déclaré indisponible ce jour-là, a désigné un ouvrier agricole de l'exploitation pour accompagner les agents en charge des opérations de contrôle et pour préparer les documents nécessaires à ces opérations. Or il faisait valoir que cette désignation ayant été seulement verbale et cet employé ne résidant pas dans l’exploitation et ne s’en étant pas vu confier au moins une partie de sa gestion, ceci avait vicié la procédure de contrôle. Pour rejeter la critique de ce chef de l’arrêt d’appel, le Conseil d’État adopte entièrement le raisonnement développé par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 16 juin 2011, Marija Omejc (aff. C-536/09). Selon cette décision, la notion de représentant constitue une notion autonome du droit de l'Union et recouvre, lors des contrôles sur place, toute personne adulte présente, dotée de la capacité d'exercice, à laquelle l'agriculteur a clairement exprimé sa volonté de lui donner mandat aux fins de le représenter, l'agriculteur s'engageant ainsi à assumer tous les actes et toutes les omissions de cette personne.

Le Conseil d’État tire de là que « dès lors que le bénéficiaire d'une aide a clairement exprimé sa volonté de donner mandat à un tiers pour le représenter lors des opérations de contrôle sur place, cette volonté pouvant être exprimée oralement, d'une part la circonstance que le tiers ainsi désigné sans équivoque réside ou non dans l'exploitation agricole ou qu'il lui soit confié ou non une partie de la gestion de cette exploitation est sans incidence sur la validité du mandat qui lui a été confié, d'autre part, ce représentant doit être regardé comme ayant qualité à agir pour le compte du bénéficiaire pendant tout le déroulement des opérations de contrôle sur place, ce qui inclut la possibilité pour ce représentant de signer le rapport établi à l'issue du contrôle, pour attester de sa présence et le cas échéant formuler des observations, et pour recevoir au nom du bénéficiaire, si elle est établie et remise sur place, la copie du rapport de contrôle qui doit être adressée au bénéficiaire de l'aide lorsque des cas de non-conformité sont constatés ».

Naturellement, ce représentant n’a pouvoir pour représenter le bénéficiaire de l’aide qu’en ce qui concerne le déroulement des opérations de contrôle sur place non pour l'ensemble des actes de la procédure accomplis en dehors du contrôle sur place sauf à détenir un mandat explicite à cet effet.

(03 juillet 2023, M. C., n° 455918)

 

107 - Aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble – Mode de sélection des candidatures en fonction du nombre des dossiers présentés – Décision de FranceAgriMer – Application du droit de l’Union – Annulation.

Le tribunal administratif de Toulon, confirmé par la cour administrative d’appel de Marseille, a annulé la décision du 5 février 2016 par laquelle le directeur général de l'Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) a rejeté la demande de versement de l'aide à la restructuration et à la reconversion du vignoble présentée par la société civile du Domaine du Carrubier.

Cette annulation était fondée sur ce que le point 5.1.1.2 de la décision du 30 décembre 2015, sur la base de laquelle a été pris le refus litigieux, prévoyait que la sélection des demandes déposées au titre du programme d'aide au secteur viti-vinicole à compter de 2016 s'opérait par ordre chronologique de réception, tant que le montant cumulé de l'ensemble des dossiers n'excédait pas le montant de l'enveloppe globale de l'année, les demandes suivantes étant rejetées sans être examinées. Les juges du fond y ont aperçu une violation des dispositions de l’art. 40 du règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles selon lesquelles : « (...). 2. Les États membres assument la responsabilité des programmes d'aide et veillent à ce qu'ils soient cohérents sur le plan interne et à ce que leur conception et leur mise en œuvre se fassent avec objectivité, en tenant compte de la situation économique des producteurs concernés et de la nécessité d'éviter des différences de traitement injustifiées entre producteurs (...) ".

Le Conseil d’État juge, de très surprenante façon, « que les dispositions de l'article 40 de ce règlement, qui se bornent à rappeler les principes gouvernant la mise en œuvre des programmes d'aide, ne prohibent pas l'instauration de règles d'examen des demandes telle que celle prévue au point 5.1.1.2 de la décision du 30 décembre 2015 dès lors que cette règle ne fait pas obstacle, une fois les demandes ainsi sélectionnées, à la prise en compte de la situation économique des producteurs ». 

Qui n’aperçoit pas ici le sophisme du raisonnement ? La question n’est pas de savoir si les candidatures retenues seront correctement examinées mais, bien évidemment, pour la société requérante, de savoir pourquoi et comment certaines ne seront pas retenues.

On peut sérieusement douter que le juge européen cautionne une règle destinée à obvier l’impéritie administrative dans l’organisation et l’attribution de moyens nécessaires à l’exercice correct de ses attributions, ici dans la répartition des fonds d’aide européens.

L’erreur de droit relevée à l’encontre de l’arrêt d’appel nous semble plutôt exister dans la décision de cassation.

(03 juillet 2023, FranceAgriMer, n° 459229)

 

108 - Prolongement d’autoroute - Aménagement foncier et agricole - Remembrement - Aggravation des conditions d’exploitation - Dénaturation et erreur de droit - Annulation.

Dans le cadre des travaux de prolongement de l'autoroute A 719 (section Gannat-Vichy), le département de l'Allier a mis en place une procédure d'aménagement foncier agricole et forestier sur le territoire de plusieurs communes. Les requérants ont demandé l’annulation des décisions par lesquelles la commission départementale d'aménagement foncier de l'Allier a statué sur leur réclamation. Ils se pourvoient en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de leur demande.

Le Conseil d’État est à la cassation, à titre principal, pour dénaturation des pièces du dossier et aussi pour erreurs de droit.

Tout d’abord, le juge relève que les intéressés disposaient de grandes parcelles contiguës formant deux grands îlots de parcelles d'un seul tenant, situés de part et d'autre d'une voie ferrée. Si le premier, maintenu en l'état après remembrement, comprend le siège d'exploitation et relève d'un premier compte de propriété de parcelles destinées à un élevage d'ovins, l'autre grand îlot, d'une superficie de 50 hectares de parcelles céréalières qui n'était traversé que par un chemin de terre, a été scindé et morcelé par le remembrement du fait de la réduction significative de la surface des parcelles de l'îlot initial, situées en deçà de la ligne de chemin de fer autour, du fait de l’attribution de deux îlots de parcelles éloignées, situées de l'autre côté de la voie ferrée, dont l'une présente en outre une forme en L, rendant ainsi plus difficile l'exploitation de cet ensemble.

Dès lors, la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le remembrement litigieux n'a pas eu pour conséquences d'aggraver les conditions d'exploitation des parcelles appartenant à M. et Mme A. aux motifs, d'une part, qu'il ressortait des pièces du dossier que le nombre total des parcelles de celles-ci avait été réduit de huit à six et, d'autre part, que la présence de la voie ferrée n'avait pas eu pour effet de scinder davantage l'ensemble de la propriété et qu'enfin, les parcelles avaient été majoritairement regroupées autour du siège de leur exploitation du même côté de la voie ferrée.

Par ailleurs sont aussi relevées deux erreurs de droit entachant l’arrêt attaqué. En premier lieu, pour apprécier le respect de la règle d'équivalence en valeur de productivité réelle entre les terres attribuées et celles apportées, posée par l'art. L. 123-4 du code rural, et retenir que le compte étant excédentaire de 1,25% en superficie et que le déficit en points de 0,65 % était faible, et juger qu’ainsi cette règle n'avait pas été méconnue, la cour a procédé à une confusion des deux comptes de propriété. En second lieu, la cour a estimé qu'il y avait lieu d'écarter l'expertise réalisée à la demande de M. et Mme A. alors qu’il est de jurisprudence constante qu'une expertise qui n'a pas été ordonnée par le juge administratif peut être utilisée à titre d'élément d'information, quand bien même elle n'aurait pas été rendue de manière contradictoire dans la procédure devant le juge administratif.

(12 juillet 2023, M. et Mme A., n° 458995)

 

109 - Organisation interprofessionnelle de la filière du chanvre - Extension d’un accord interprofessionnel - Publicité régulière - Représentativité des signataires de l’accord - Respect du principe d’égalité - Rejet.

Un accord interprofessionnel a été conclu le 20 janvier 2021, il est applicable aux campagnes 2020/21, 2021/22 et 2022/23 (récolte 2023) instaurant deux cotisations assises sur le tonnage de semences de chanvre certifiées et inscrites au catalogue européen et utilisées en France. L'association interprofessionnelle du chanvre dénommée InterChanvre, reconnue organisation interprofessionnelle au sens de l'article L. 632-1 du code rural pour le secteur du chanvre, a saisi le ministre de l'agriculture d'une demande d'extension de cet accord, ce qui a été fait par l'arrêté interministériel (agriculture et économie) du 19 avril 2021 portant extension de cet accord.

La société Terrachanvre demande l’annulation de cet arrêté du 19 avril 2021 ainsi que de la décision implicite de rejet née du silence gardé par les ministres sur son recours gracieux en date du 24 juin 2021.

Le Conseil d’État rejette les trois moyens soulevés par la requérante.

D’abord, du fait de la publication d'un avis au Bulletin officiel du ministère de l'agriculture du 25 février 202 lançant la consultation des acteurs concernés par la demande d'extension de l'accord conclu dans le cadre de l'association interprofessionnelle du chanvre, ceux-ci ont eu la possibilité, pendant une durée de trois semaines, de formuler des observations sur cette demande. La circonstance que le document annexé à cet avis ne comportait que la partie I retraçant les actions prévues dans l'accord interprofessionnel et le budget qu'il était prévu d'y consacrer, mais pas sa partie II présentant les modalités de financement de ces actions par les contributions des acteurs concernés, n’est pas de nature à entacher d’illégalité la décision critiquée car il ressort toutefois des pièces du dossier que ces informations étaient disponibles sur le site Internet de l'association à compter du 3 février 2021 et pendant toute la période de la consultation officielle des acteurs concernés. Dans ces conditions, et alors que les acteurs concernés sont des professionnels avertis, en mesure de demander communication du texte de l'accord dont l'extension était envisagée ou de prendre connaissance sur le site Internet d'InterChanvre des informations relatives au montant des contributions destinées à financer les actions prévues par l'accord, l'absence de publication de la partie II du document annexé à l'avis de consultation n'a, dans les circonstances de l'espèce, ni exercé une influence sur le sens de la décision prise, ni porté atteinte à la garantie constituée par la consultation prévue à l'article 165 du règlement (UE) n° 1308/2013 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles.

Ensuite, l'interprofession du chanvre, composée d'un collège des producteurs et d'un collège des transformateurs, représente, à travers ses adhérents, plus de 90 % des volumes de graines et de paille de chanvre tant produites que transformées, soit au moins les deux tiers des volumes de production et de transformation des graines et de paille de chanvre. En outre, elle représente plus de 50% des producteurs concernés.

Elle satisfait donc aux conditions posées par l'art. 164 du règlement européen précité et reprises à l'art. L. 632-4 du code rural et doit, par suite, être regardée comme une organisation interprofessionnelle représentative.

Enfin, si la société requérante soutient que les modalités de prélèvement des cotisations interprofessionnelles prévues par l'accord interprofessionnel précité étendu par l'arrêté litigieux, en ce qu'elles diffèrent selon que le producteur est adhérent ou non à l'Union des Transformateurs de Chanvre, ce qui affecterait le principe d’égalité entre producteurs de chanvre, le moyen ne saurait être utilement invoqué. En effet, il résulte des stipulations contestées que si elles fixent deux modalités distinctes de versement à l'interprofession des sommes collectées auprès des producteurs, soit deux acomptes versés en janvier et septembre d'une année donnée pour les établissements multiplicateurs soit deux acomptes versés en novembre et février de l'année suivante pour les chanvrières, ces modalités de versement des cotisations sont identiques pour tous les producteurs et que les modalités de reversement des cotisations à l'interprofession par les établissements multiplicateurs ou les chanvrières sont sans incidence pour les producteurs.

La société requérante ne peut utilement soutenir que les stipulations contestées caractériseraient une rupture du principe d'égalité entre producteurs, ni, non plus, que, en tant que telles, elles conduiraient à procurer aux producteurs adhérents à l'Union des Transformateurs de Chanvre un avantage financier constitutif d'une discrimination prohibée par l'article 210 du règlement n° 1308/2013 du 17 décembre 2013 ou, en tout état de cause, d'une aide d'État prohibée par l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

(13 juillet 2023, Société Terrachanvre, n° 457724)

 

110 - Autorité de la concurrence - Instruction sur des pratiques anticoncurrentielles - Demande d’écarter du dossier d’instruction deux procès-verbaux - Acte non détachable de la procédure juridictionnelle - Compétence du juge judiciaire - Rejet.

Dans le cadre de l'instruction relative à des pratiques anticoncurrentielles diligentée par l’Autorité de la concurrence, les requérantes ont demandé que soient distraits des pièces du dossier deux procès-verbaux recueillant des déclarations de leurs salariés.

Elles demandent l’annulation du refus implicite qui leur a été opposé de ce chef par le rapporteur général de cette Autorité.

Le Conseil d’État juge d’abord que les dispositions du premier alinéa de l'art. L. 464-8 du code de commerce qui soumettent les recours en annulation ou en réformation dirigés contre les décisions de l’Autorité de la concurrence à la compétence de la cour d'appel de Paris s'appliquent aux décisions que prend l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles.

Il est jugé ensuite que le refus litigieux, qui n'est pas susceptible de faire grief par lui-même indépendamment de la procédure suivie devant l'Autorité de la concurrence dans laquelle il s'inscrit, ne peut être regardé comme un acte détachable de cette procédure susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Il s'ensuit que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître de la requête ainsi portée devant une juridiction incompétente pour en connaître.

(18 juillet 2023, Société Alten et société Alten Sud-Ouest, n° 469032)

 

111 - Aménagement commercial - Avis défavorable de la Commission nationale d’aménagement commercial - Nouvelle demande - Exigences s’imposant à la commission d’aménagement commercial saisie de ce nouveau projet - Rejet.

La société requérante s’est pourvue en cassation de l’arrêt de la cour administrative d’appel refusant d’annuler l'arrêté du 8 septembre 2020 par lequel le maire de Trets (Bouches-du-Rhône) a délivré à la société 3B Invest un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en vue de la réalisation, sur le territoire de cette commune, d'un ensemble commercial d'une surface de vente de 4 990 m², comprenant un hypermarché, une galerie marchande et une moyenne surface, ainsi que d'un point de retrait permanent. 

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en apportant d’importantes précisions dans le cas où un pétitionnaire dont un projet a été rejeté en présente un nouveau pour avis d’une commission d’aménagement commercial.

Le juge déduit des dispositions de l’art. L. 752-21 du code de commerce que lorsqu'un projet soumis à permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale fait l'objet d'un avis défavorable de la Commission nationale d'aménagement commercial pour un motif de fond, une nouvelle demande d'autorisation de construire valant autorisation d'exploitation commerciale à raison d'un nouveau projet sur le même terrain ne peut être soumise, pour avis, à une commission d'aménagement commercial que pour autant que le pétitionnaire justifie que sa demande comporte des modifications en lien avec la motivation de l'avis antérieur de la Commission nationale d'aménagement commercial.

La commission d'aménagement commercial saisie de ce nouveau projet doit dans ce cas procéder en deux temps. D’abord, il lui incombe de vérifier que la condition préalable de lien du nouveau projet avec les critiques faites au projet précédent est satisfaite. Ensuite, et uniquement en cas de réponse positive concernant le respect de cette condition, il revient à cette commission de procéder au contrôle du respect des autres exigences découlant du code de commerce, y compris, s'agissant des exigences de fond, de celles dont il avait été antérieurement estimé qu'elles avaient été méconnues ou dont il n'avait pas été fait mention dans l'avis de la Commission nationale d'aménagement commercial.

(21 juillet 2023, Société Distribution Casino France, n° 461753)

 

112 - Tarifs de vente de l’électricité aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale - Institution puis maintien d’un « bouclier tarifaire » - Arrêtés du 28 janvier 2022 et du 1er août 2022 - Rejet de propositions de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Annulation.

(26 juillet 2023, société EkWatteur, n° 462612)

V. n° 318

 

113 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Champ d’application du pouvoir de saction - Personnes, entités ou autres situées dans un autre État de l’Union ayant une succursale ou fournissant des services en France - Définition claire et précise des obligations à respecter - Respect du principe de responsabilité personnelle - Absence d’atteinte aux principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère - Refus de transmission d’une QPC.

Les requérants soulevaient une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de l’application qui leur a été faite de dispositions du code monétaire et financier (7° bis du II de l'article L. 621-9 et du b) du II de l'article L. 621-15) conférant à l’AMF le pouvoir de sanctionner les manquements à leurs obligations commis par  les sociétés de gestion établies dans un autre État membre de l'UE ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant une succursale ou fournissant des services en France, qui gèrent un ou plusieurs OPCVM agréés ainsi que les personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte de l'une des personnes mentionnées aux 1° à 8° et 10° bis à 22° du II de l'article L. 621-9 définies par les règlements européens, les lois, règlements et règles professionnelles approuvées par l'Autorité des marchés financiers en vigueur.

Ils font valoir trois moyens, tous rejetés.

Tout d’abord, sont satisfaites ici les exigences découlant du principe de légalité des délits et des peines, lorsqu'il est appliqué à des sanctions qui n'ont pas le caractère de sanctions pénales, s’agissant du caractère suffisamment clair et précis de la définition des obligations auxquelles se trouvent soumises ces sociétés de gestion ainsi que des personnes physiques placées sous leur autorité ou agissant pour leur compte qui sont, à ce titre, chargées de faire respecter les obligations ainsi fixées. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, il n’est pas, par les dispositions litigieuses, porté atteinte au principe de responsabilité personnelle (cf. art. 8 et 9, Déclaration de 1789) des personnes physiques placées sous l'autorité ou agissant pour le compte, notamment, des sociétés de gestion susmentionnées à raison des manquements à leurs obligations professionnelles telles que fixées par les textes.

Enfin, il ne saurait davantage être prétendu que la commission des sanctions de l'AMF n'aurait jamais, avant la décision attaquée, du 30 décembre 2022, sanctionné les dirigeants d'une société de gestion étrangère sur le fondement des art. L. 621-9 et L. 621-15 du code monétaire et financier car une telle allégation n'est pas de nature à démontrer la méconnaissance par ces dispositions des principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère. 

(02 août 2023, M. B. et M. D., n° 471744)

 

114 - Loi de programmation pluriannuelle de l’énergie - Modification du facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité - Modification du facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique - Non respect prétendu de directives de l’UE - Marge de manœuvre des États - Principes d’égalité et de libre concurrence - Rejet.

La requérante demande l'annulation du décret du 21 avril 2020 et de l’arrêté du 4 août 2021 relatifs à la programmation pluriannuelle de l'énergie en tant qu'ils précisent, d'une part, que le facteur de conversion de l'énergie finale en énergie primaire de l'électricité sera fixé à 2,3 et, d'autre part, que le facteur d'émission de l'électricité pour le chauffage électrique sera déterminé par la méthode mensualisée par usage, qui conduit à une valeur de 79 gCO2/kWh.

Les recours sont, sans grande surprise, rejetés.

Sur le premier point, il est jugé que le facteur 2,3 a bien été déterminé selon une méthode transparente, conformément aux directives européennes du 19 mai 2010 et du 25 octobre 2012 et que la circonstance que le facteur de conversion arrêté diffèrerait de celui calculé sur la base d'une méthodologie proposée par la Commission européenne est sans incidence sur la légalité des dispositions en cause dès lors que cette méthodologie ne revêt pas un caractère contraignant et qu'il appartient, aux termes mêmes des deux directives précitées, aux seuls États membres de calculer ce facteur.

En outre, la double circonstance que l'arrêté attaqué n'ait pas uniquement tenu compte de l'énergie primaire consommée à la date à laquelle cet arrêté est intervenu et celle qu'il ait tenu compte d'objectifs postérieurs à 2030 ne sont pas de nature à caractériser une méconnaissance des dispositions des deux directives précitées imposant aux États membres de tenir compte de leurs bouquets énergétiques figurant dans leurs plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat prévus par le règlement du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, sans que puisse être objectée le fait que le plan national notifié à la Commission européenne par la France, conformément à ces dispositions, ne couvre à ce jour que la période 2021-2030.

Sur le second point, relatif au facteur d'émission de gaz à effet de serre de l'électricité pour le chauffage électrique, il est jugé que la substitution à la méthode « saisonnalisée par usage », utilisée jusqu’alors,  de celle  « mensualisée par usage » ne conduit pas, contrairement à ce qui est soutenu, à favoriser indûment les systèmes de chauffage électrique au détriment d'autres systèmes de chauffage, notamment de gaz naturel, et ne méconnaît ainsi pas les principes d'égalité et de libre concurrence ou, en tout état de cause, les dispositions de l'art. L. 111-1 du code de l'énergie, ni, non plus, celles de l’art. 100-1 de ce code qui assignent à la politique énergétique l'objectif de favoriser l'émergence d'une économie compétitive et riche en emplois grâce à la mobilisation de toutes les filières industrielles.

(04 août 2023, Association française du gaz, n° 441166 et, n° 457566)

 

115 - Accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH) - Notification d’un complément de prix - Mode de calcul - Absence de doute sérieux - Rejet du référé provision.

La société requérante demandait la suspension d’exécution de la notification, par la Commission de régulation de l’électricité (CRE), le 24 juillet 2023, d’un complément de prix ARENH sur l'année 2022 d'un montant de 3 356 816,30 euros ainsi que des deux délibérations de la CRE des 29 juin 2023 et 20 juillet 2023 portant décision sur le calcul du complément de prix ARENH sur l'année 2022. 

L’essentiel de la critique portait sur les modalités de calcul du terme « CP1 » du complément de prix ARENH au motif qu'elles n’auraient pas tenu compte du fait que la requérante avait exercé son activité de fournisseur d'électricité uniquement jusqu'au 7 février 2022. Ainsi, auraient été méconnus à la fois la lettre et l'esprit du mécanisme de complément de prix institué par l'article L. 336-5 du code de l'énergie.

Pour rejeter la demande de référé, le juge relève que la CRE a tenu compte du fait que la société avait été contrainte d'interrompre ses livraisons d'électricité aux consommateurs finals le 8 février 2022. Le montant de la part « CP1 » du complément de prix ARENH mis à la charge de la société E-Pango a été déterminé au prorata du nombre d'heures de livraison et en calculant la référence de prix à partir des heures hors période de cessation des livraisons. C’est ainsi que la CRE a fixé le complément de prix ARENH à la somme de 3 356 816,30 euros au lieu de la somme de 45 599 479,20 euros qui aurait résulté de l'application des dispositions réglementaires du code de l'énergie (cf. art. R. 336-33, R. 336-34 et R. 336-35).

Par suite, il n’existe aucun doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées. 

(ord. réf. 25 août 2023, Société E-Pango, n° 477334)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

116 - Salarié protégé – Licenciement – Harcèlement moral – Insuffisance de motivation de l’arrêt d’appel – Annulation.

Le juge de cassation estime insuffisamment motivé l’arrêt d’appel confirmatif du jugement ayant annulé l’autorisation administrative de licenciement d’un délégué du personnel au motif que l’inaptitude de l’intéressé était en lien direct avec les obstacles mis par l’employeur à l'exercice des fonctions représentatives de délégué du personnel qu'il a exercées à compter du 28 février 2014. En effet la cour administrative d’appel relève, d'une part, les actions pour la défense des salariés réalisées par M. A. ainsi que des difficultés que ce dernier alléguait avoir rencontrées sur certains points dans l'exercice de son mandat et le fait que ces difficultés n'étaient pas sérieusement contestées par son employeur, d'autre part, que si l'état de santé de M. A. avait commencé à se dégrader avant qu'il n'accède à des fonctions de délégué du personnel, les difficultés ainsi constatées dans l'exercice de ce mandat avaient pu conduire à une dégradation accrue de son état de santé.

Le Conseil d’État reproche à la cour de n’avoir point examiné l'argumentation par laquelle l’employeur faisait valoir qu'il avait été retenu, par l'assurance maladie, que la maladie de M. A. n'était pas d'origine professionnelle et que, par ailleurs, il résultait d'un jugement de départage du conseil de prud'hommes de Périgueux du 19 décembre 2016, alors non encore infirmé en appel, que, pour la période des faits dont cette juridiction était saisie, allant, pour certaines demandes, au-delà de la date à laquelle M. A. avait été élu délégué du personnel, les faits de harcèlement moral dénoncés par M. A. n'étaient pas établis.

(04 juillet 2023, M. A., n° 465922)

 

117 - Revenu de solidarité active (RSA) – Récupération d’indu de RSA – Calcul des droits à RSA - Détermination des revenus professionnels non salariés des travailleurs non salariés – Cas de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux – Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige opposant le président d’un conseil départemental à un ex-titulaire de RSA, le juge rappelle comment doit être déterminé le droit au bénéfice du RSA pour une personne exerçant son activité dans le cadre d'une société par actions simplifiée unipersonnelle sans qu'aucun revenu ne lui ait été distribué et alors qu’a été déclaré un certain montant de bénéfices industriels et commerciaux.

Il résulte de diverses dispositions du code de l'action sociale et des familles (notamment les art. L. 262-7 et L. 611-1, R. 262-19, R. 262-21, R. 262-18 à R. 262-22 et R. 262-24) que, pour arrêter les revenus professionnels non salariés nécessaires au calcul du revenu de solidarité active des travailleurs non salariés, lorsqu'il s'agit de bénéfices industriels et commerciaux ou de bénéfices non commerciaux, le président du conseil départemental doit, en cas de déclaration ou d'imposition, se référer aux bénéfices déterminés en fonction des régimes d'imposition applicables au titre de la pénultième année, ou ceux de la dernière année s'ils sont connus, pourvu qu'ils correspondent à une année complète d'activité, auxquels s'ajoutent les amortissements et les plus-values professionnels, et sans tenir compte des déficits catégoriels et des moins-values subis au cours de l'année de référence ainsi que des déficits constatés au cours des années antérieures. Il peut également tenir compte de tout autre élément relatif aux revenus professionnels de l'intéressé, dans le but notamment de mieux appréhender la grande variété des situations des travailleurs indépendants et de procéder à une meilleure approximation des revenus perçus par ceux-ci à la date à laquelle ils bénéficient du revenu de solidarité active.

En l’espèce, le tribunal administratif a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le président du conseil départemental avait commis une erreur de droit dans l'appréciation des droits au revenu de solidarité active du demandeur en tenant compte du bénéfice annuel de cette société au lieu de lui appliquer l'évaluation forfaitaire applicable aux capitaux non productifs de revenus. 

(06 juillet 2023, M. B., n° 465873)

 

118 - Prestation de compensation du handicap – Refus – Demande d’indemnisation – Compétence du juge judiciaire.

Le litige en réparation du préjudice causé par le rejet implicite, par le président d’un conseil départemental, d’accéder à la demande de l’intéressé tendant à obtenir le bénéfice de la prestation de compensation du handicap d'urgence relève de la compétence du juge judiciaire car l’art. L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, qui donne compétence au juge judiciaire pour connaître de tous les litiges relatifs aux décisions portant sur la prestation de compensation du handicap, doit s’entendre comme applicable également aux actions indemnitaires mettant en cause la responsabilité du département au titre d'un refus opposé à la demande d'une telle prestation.

(TC, 03 juillet 2023, M. B. c/ département du Nord, n° C4283)

(119) V. aussi, et à l’inverse, au sujet de ce même art. L. 134-3 du code de l'action sociale et des familles, jugeant que la décision d’un département mettant à la charge des parents d'un enfant mineur, confié aux services de l'aide sociale à l'enfance sur décision de l'autorité judiciaire en application de l'art. 375-3 du code civil, une somme à titre de contribution aux frais d'entretien et d'éducation de cet enfant, procède de la mise en œuvre de l'obligation légale qui incombe aux parents en vertu des art. 375-8 du code civil et L. 228-2 du code de l'action sociale et des familles de participer au financement des prestations du service public administratif de l'aide sociale à l'enfance dont bénéficie leur enfant. En conséquence, les contestations relatives à cette décision administrative relèvent de la compétence de la juridiction administrative, sans qu'y fassent obstacle les dispositions du 1° de l'art. L. 134-3 précité dès lors qu'une telle décision n'a nullement pour objet la récupération auprès des débiteurs d'aliments d'un bénéficiaire de l'aide sociale, au sens de l'art. L. 132-6 du même code, de sommes avancées par la collectivité à raison de son admission au bénéfice de cette aide : TC, 03 juillet 2023, M. C. c/ président du conseil départemental de la Seine-Maritime, n° C4281.

 

120 - Pension de réversion suite au décès de l’un des conjoints – Maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat - Institution d’une « procédure pré-contentieuse » par circulaires de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) – Absence d’atteinte au droit à recours effectif – Rejet.

Pour l’essentiel il était reproché à des circulaires de la CNAV d’avoir, en aménageant une « procédure pré-contentieuse » en matière de litiges avec cette caisse, méconnu le droit à recours effectif ou les dispositions des art. L. 142-1, L. 142-3 et L. 142-4 du code de la sécurité sociale. Le moyen est rejeté car cet aménagement, qui est destiné à réduire la charge de travail des commissions de recours ammiable et à améliorer les relations des caisses avec le public, ne saurait ni dispenser les caisses de respecter les formalités de notification de leurs décisions et d'information de leurs destinataires fixées par les dispositions sus-rappelées, ni remettre en cause le délai imparti à la commission de recours amiable pour statuer ou le délai de recours ouvert à l'intéressé, dont il est informé le cas échéant par l'accusé de réception qui lui a été notifié, pour saisir le juge dans l'hypothèse où la commission ne ferait pas droit à son recours préalable. 

Au passage le juge effectue deux rappels de principes bien connus.

Tout d’abord, est indiqué que, contrairement aux enseignants titulaires de l'enseignement public, les maîtres contractuels des établissements d'enseignement privé sous contrat avec l'État n'entrent pas dans le champ d'application des dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite et relèvent du régime général d'assurance vieillesse régi par les dispositions du code de la sécurité sociale, et, par conséquent, de celles de son article L. 353-1 subordonnant l'ouverture d'un droit au versement d'une pension de réversion à une condition de ressources.

Ensuite, le refus du premier ministre de déposer un projet de loi dans les conditions prévues à l'article 39 de la Constitution, présentant le caractère d'un acte du pouvoir exécutif concernant ses rapports avec le Parlement, il est insusceptible de faire l'objet d'un recours contentieux. Solution classique tirée de la nature d’acte de gouvernement de cette catégorie d’actes.

(06 juillet 2023, Consorts C., n° 465511)

 

121 - Convention collective nationale de la plasturgie – Extension d’un accord relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) – Rejet et annulation partiels.

Le syndicat requérant demandait l’annulation de l’arrêté ministériel portant extension de l'accord du 5 juillet 2019 relatif à la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation conclu dans le cadre de la convention collective nationale de la plasturgie (n° 292).

La plupart des moyens sont rejetés comme ne soulevant pas de question sérieuse y compris celui, étrange, qui reprochait à cet arrêté de n’avoir pas consulté la commission paritaire permanente de négociation et d'interprétation (CPPNI) créée par cet arrêté…

Est seul retenu le moyen que l’arrêté attaqué prévoit dans son art. 1er que le « 3e alinéa du a) de l'article 3 est étendu sous réserve du respect de la jurisprudence de la Cour de cassation » car l’accord du 5 juillet 2019 qu’il vise ne comporte pas de paragraphe a) qui serait subdivisé en trois alinéas : aucun des deux éléments qu’il comporte, en dépit de ce que soutient le ministre défendeur, n'est compréhensible à la seule lecture de l'arrêté attaqué qui, par suite, méconnaît l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la norme. 

(05 juillet 2023, Syndicat alliance plasturgie et composites du futur (Plastalliance), n° 448450)

 

122 - Modification dans la situation juridique de l’employeur – Reprise des contrats de travail en cause – Conditions – Annulation.

La cour administrative d’appel a relevé, en premier lieu, que le département de la Haute-Loire a recruté trois anciens employés de l'association HLMD en les affectant à la direction jeunesse, culture, développement durable et en précisant dans leurs contrats à durée indéterminée conclus le 17 mai 2016 « l'activité de l'association devient un SPA [service public administratif] ».

Elle a relevé, en second lieu, que le département a acquis les matériels musicaux et scéniques de l'association et repris ses locaux en les affectant au soutien d'activités et d'événements musicaux et chorégraphiques.

De ce double constat la cour a déduit l'existence d'un transfert de l'entité économique autonome constituée par l'association HLMD vers le département de la Haute-Loire en application des dispositions des art. L. 1224-1 et L. 1224-3 du code du travail. En conséquence, la cour juge que l'inspection du travail ne pouvait pas autoriser l'ancien employeur de l’un des salariés à le licencier pour motif économique.

Cette solution semble assez logique, elle est cependant annulée par le Conseil d’État qui reproche à la cour d’avoir entaché son arrêt d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit car elle n’a pas recherché si cette opération caractérisait le transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité et dont l'activité aurait été poursuivie par le département, alors même que, ainsi que le faisait valoir le département sans être contesté sur ce point, deux des principales missions de l'association HLMD que sont l'organisation du festival de musique Altilive d'une part, et la gestion d'un parc de matériel scénique en vue de sa mise à disposition à des organisateurs de spectacles d'autre part, avaient été reprises en tout ou partie, non par le département, mais par une autre association et une société coopérative. L’étonnement de l’annotateur n’en est que plus grand.

(05 juillet 2023, Département de la Haute-Loire, n° 448572)

 

123 - Réforme du régime de l’assurance chômage – Absence d’atteinte au principe de fraternité ou au droit au respect de la dignité de la personne humaine, ainsi qu’aux cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 – Absence de caractère nouveau – Refus de transmission d’une QPC.

(05 juillet 2023, Confédération générale du travail et autres, n° 472376 ; Union nationale des syndicats autonomes, n°472385 ; Confédération française démocratique du travail et Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 472437 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 472491)

V. n° 278

 

124 - Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) - Organisme agissant en tant qu'autorité publique - Soumission à la taxe sur les salaires - Tarification administrée des prestations - Non assujettissement à la TVA - Rejet.

(12 juillet 2023, EHPAD « Le Parc et l'Ostal de Garona », n° 466171)

V. aussi, identiques : 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466564 et 12 juillet 2023, EHPAD « Résidence de l'Abbaye », n°466566.

V. également, identique : 12 juillet 2023, EHPAD « Le Jardin d'Emilie », n°466809.

V. n° 89

 

125 - Allocation de retour à l’emploi - Application à l’espèce d’un règlement annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l’indemnisation du chômage - Moyen substitué d’office - Rejet.

 Il résulte des termes mêmes de l’article 14 de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage que celle-ci ne s'applique qu'aux salariés involontairement privés d'emploi dont la fin de contrat de travail est intervenue à compter du 1er octobre 2017. En se fondant sur les dispositions de l'art. 4 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 pour juger que l’intéressée avait droit à l'allocation de retour à l'emploi, alors que la fin de son dernier contrat de travail était intervenue le 31 août 2017, le tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Cependant, le juge relève en premier lieu que le règlement général annexé à la convention du 14 mai 2014 relative à l'indemnisation du chômage prise en application de l'art. L. 5422-20 du code du travail, prévoit, en son article 1er que : « Le régime d'assurance chômage assure un revenu de remplacement dénommé allocation d'aide au retour à l'emploi, pendant une durée déterminée, aux salariés involontairement privés d'emploi qui remplissent (certaines) conditions (…) ». Aux termes de l'article 2 de ce règlement : « Sont involontairement privés d'emploi ou assimilés, les salariés dont la cessation du contrat de travail résulte : (...) d'une fin de contrat de travail à durée déterminée (...) ». Aux termes de l'article 4 de ce règlement : « Les agents privés d'emploi justifiant d'une durée d'affiliation telle que définie aux articles 3 et 28 du même règlement doivent : (…) e) n'avoir pas quitté volontairement, (...) leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière, dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une durée d'affiliation d'au moins 91 jours travaillés ou 455 heures travaillées ».

Le juge relève en second lieu que le règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 fixe les nouvelles modalités d'attribution par le régime d'assurance chômage d'un revenu de remplacement dénommé allocation d'aide au retour à l'emploi et prévoit aux termes de son article 4 que : « Les salariés privés d'emploi justifiant d'une période d'affiliation comme prévu aux articles 3 et 28 doivent : (...) e) n'avoir pas quitté volontairement, sauf cas prévus par un accord d'application, leur dernière activité professionnelle salariée, ou une activité professionnelle salariée autre que la dernière dès lors que, depuis le départ volontaire, il ne peut être justifié d'une période d'affiliation d'au moins 65 jours ou d'une période de travail d'au moins 455 heures ».

Le juge tire du rapprochement des art. 4 des règlements annexés aux conventions des 14 mai 2014 et 14 avril 2017 relatives à l'indemnisation du chômage que, lorsqu'un salarié, après avoir quitté volontairement un emploi, a retrouvé un autre emploi dont il a été involontairement privé, il est, dans l'un ou l'autre cas, attributaire de droits à indemnisation au titre de l'assurance-chômage dès lors qu'il a travaillé au moins quatre cent cinquante-cinq heures dans ce dernier emploi.

En l’espèce, la salariée a travaillé 676,68 heures pendant la période en litige, et remplissait ainsi la condition de durée prévue par les dispositions résultant de la convention du 14 mai 2014. Le juge de cassation substitue d'office ce motif, dont l'examen n'implique l'appréciation d'aucune circonstance de fait et qui justifie sur ce point le dispositif du jugement attaqué, au motif erroné retenu par le tribunal administratif fondé sur une disposition non applicable au litige.

(12 juillet 2023, CCAS de Rosporden., n° 467313)

 

126 - Aide sociale à l’enfance - Doutes persistants sur l’âge de la personne - Refus - Allocation de jeune majeur - Rejet.

Une ressortissante guinéenne, entrée illégalement en France le 11 mars 2022, accompagnée de sa fille alors âgée d'un an, a déposé une demande d'asile, déclarant être née le 13 février 2004.

Accueillie dans un centre d'hébergement pour demandeurs d'asile, elle a saisi le juge des enfants afin d'être prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance, déclarant alors être née le 13 mai 2005, et a produit au soutien de ses affirmations une photocopie d'acte de naissance et un jugement supplétif guinéens.

Par un jugement avant-dire droit, du 18 août 2022, le juge des enfants l'a confiée, pour une durée de six mois, au service d'aide sociale à l'enfance du département des Bouches-du-Rhône, dans l'attente du résultat d'expertises concernant son âge. Par un deuxième jugement ce juge a ordonné la poursuite de sa prise en charge et la réalisation d'une expertise osseuse permettant de déterminer l'âge de l’intéressée. Par un troisième jugement, du 12 mai 2023, eu égard aux doutes persistants sur l'âge de l’intéressée, il a ordonné une nouvelle expertise osseuse, et le maintien du placement provisoire jusqu'au dépôt de l'expertise ou à sa majorité.

Par une décision du 22 mai 2023, la présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône a refusé la poursuite de la prise en charge de Mme B. au titre de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur, au motif que les différents éléments portés à sa connaissance établissaient qu'elle n'était pas mineure au moment de sa prise en charge initiale, de sorte qu'elle ne pouvait exciper d'un droit à sa prolongation en tant que jeune majeure au titre de l'art. L.222-5 du code de la famille et de l'action sociale.

Le département interjette appel de l’ordonnance par laquelle le juge des référés, sur le fondement de l'art. L.521-2 du CJA, lui a enjoint de poursuivre la prise en charge de Mme B. en tant que jeune majeure.

Pour confirmer cette ordonnance et donc rejeter l’appel du département, le juge des référés du Conseil d’État rappelle qu’une carence caractérisée dans l'accomplissement par le président du conseil départemental des missions fixées par les dispositions des art. L. 111-2, L. 222-1 et L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, notamment dans les modalités de prise en charge des besoins du mineur ou du jeune majeur relevant de l'aide sociale à l'enfance, lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour l'intéressé, est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 

A cet effet, il est relevé que s’il y a incertitude sur l’âge de la requérante lors de son arrivée en France, le juge des enfants a ordonné la poursuite de la prise en charge de l'intéressée qui est sans ressources ni soutien en France, élève seule sa fille, âgée de deux ans, et suit notamment de façon régulière une formation qualifiante visant à lui permettre d'obtenir un CAP.

Dès lors qu’en l'état de l'instruction, elle doit être regardée comme remplissant les conditions posées par les dispositions du 5° de l'art. L.222-5 précité, qui imposaient la poursuite de sa prise en charge en qualité de jeune majeur, le refus de sa prise en charge à ce titre porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à une prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance du jeune majeur remplissant ces conditions.

Par ailleurs, l’urgence à décider est réalisée en l’espèce car il ne résulte pas de l'instruction que la poursuite de la prise en charge socio-éducative globale de Mme B., soit compatible avec la fin de la prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance en qualité de jeune majeur, ce qui aurait pour elle des conséquences graves.

La solution est plus empreinte d’une subjectivité généreuse que juridiquement convaincante.

(ord. réf. 10 juillet 2023, Département des Bouches-du-Rhône, n° 475130)

(127) V. aussi, voisin en tant qu’était mise en doute, par le département, la minorité du demandeur d’hébergement et d’autres aides, lequel a saisi le juge des enfants près le tribunal judiciaire, qui ne s'est pas encore prononcé à la date où est rendue la présente ordonnance sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA. Pour admettre l’appel de la Délégation interministérielle et annuler l’ordonnance du premier juge qui a enjoint au préfet de proposer à l'intéressé un lieu d'hébergement susceptible de l'accueillir, dans un délai de huit jours à compter de la notification de son ordonnance, le juge retient l’énormité des efforts faits et de ceux encore non satisfaits à cause de la saturation des hébergements d’urgence, laissant sans solution des personnes et des familles encore plus vulnérables que celle du requérant. Ainsi des chiffres suivants rappelés par le juge : durant la seule journée du 26 juillet 2023, pour le seul département en cause, le 115 a été sollicité par 160 personnes, dont 27 hommes seuls, 32 personnes ayant pu obtenir une réponse favorable dont 2 hommes seuls seulement. De même, il résulte des précisions apportées à l'occasion de la prolongation de l'instruction, que le taux d'occupation du parc d'hébergement des départements du Rhône, de la Loire, de la Savoie et de la Drôme est très proche de 100 % et que, en conséquence, le taux des demandes au 115 auxquelles il n'a pas été possible de faire droit a été compris entre 74 % et 97 % au cours du mois de juillet : ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476624.

(128) V. encore, identiques au précédent, concernant le même département : ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476625 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476626 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476630 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476633 ; ord. réf. 10 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 476638.

 

129 - Praticien contractuel dans un centre hospitalier - Fin du dernier contrat - Demandes du bénéfice de l'indemnité de fin de contrat et de l'indemnité compensatrice de congés payés - Praticien non inscrit sur la liste d'aptitude à la fonction de praticien hospitalier - Annulation et rejets partiels.

Un praticien contractuel exerçant dans le service de gériatrie d’un centre hospitalier a demandé, au terme de son dernier contrat, que lui soient versées l'indemnité de fin de contrat prévue par les dispositions de l'art. L. 1243-8 du code du travail et l'indemnité compensatrice de congés payés prévue par les dispositions de l'art. L. 1242-16 de ce code.

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement qui a rejeté ses demandes.

Le pourvoi est admis en ce qu’il porte sur l’indemnité de fin de contrat et rejeté en tant qu’il porte sur l’indemnité compensatrice de congés payés.

En premier lieu, pour rejeter la demande de versement de l'indemnité de fin de contrat, la cour, commettant une erreur de droit, s’est fondée sur ce que le centre hospitalier ayant déclaré vacant un poste de praticien hospitalier titulaire dans sa spécialité afin de rendre possible son recrutement s'il se présentait et était reçu au concours de praticien hospitalier titulaire, le requérant s'est abstenu de présenter sa candidature à ce concours. En effet, une telle abstention ne saurait être assimilée au refus d'une proposition de contrat à durée indéterminée. En outre, le centre hospitalier défendeur ne saurait soutenir que l'indemnité de fin de contrat était en réalité  incluse dans la rémunération de M. A. dès lors que cette dernière dépassait le plafond de rémunération prévu par l'art. R. 6152-416 du code de la santé publique car la circonstance que le centre hospitalier ait consenti à M. A. une rémunération supérieure au maximum réglementaire est sans influence sur le droit de percevoir une indemnité de fin de contrat que l'intéressé tient des dispositions combinées de l’art. L. 6152-1 du code de la santé publique et de l’art. L. 1243-8 du code du travail.

En second lieu, est rejetée la demande d’attribution de l’indemnité compensatrice de congés payés dès lors que, comme l’a jugé la cour, M. A. ne pouvait prétendre au bénéfice de cette indemnité (cf. art. L. 1243-16 du code du travail) car il n'alléguait pas ne pas avoir été en mesure de prendre effectivement ses congés et il lui incombait de prouver que le régime des congés applicable au sein du centre hospitalier ne lui permettait pas de les prendre effectivement. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 469875)

 

130 - Fixation des prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées - Arrêté du 23 décembre 2022 - Différence de traitement entre établissements soumis à un régime locatif et établissements relevant du mécanisme du « socle de prestations » et autres prestations d’hébergement - Refus de transmission d’une QPC.

Les requérants poursuivaient l’annulation de l'arrêté du 23 décembre 2022 relatif aux prix des prestations d'hébergement de certains établissements accueillant des personnes âgées.

Ilsont soulevé une QPC à l’encontre des dispositions de l'art. 12 de la loi du 16 août 2022 en ce qu’elles méconnaissent le principe d'égalité devant la loi car elles ne prévoient pas de plafonner, de la même manière que dans les hypothèses auxquelles elles s'appliquent, l'évolution du prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'article L. 342-1 du code de l'action sociale.

La QPC est rejetée.

La législation distingue à ce point de vue deux catégories d’établissements recevant des personnes âgées.

En premier lieu, en vertu du deuxième alinéa du I de l'art. 17-1 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs, lorsque le contrat de location d'un logement régi par ces dispositions prévoit la révision du loyer, la variation qui en résulte ne peut, dans les cas où ces dispositions sont applicables, excéder, à la hausse, la variation d'un indice de référence des loyers publié par l'INSEE et cette limite de variation est également applicable à la révision des loyers dus par les locataires du parc social ainsi que de tout logement faisant l'objet d'une convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement.

L'art. 12 de la loi précitée du 16 août 2022 a prévu que, pour la fixation des indices de référence des loyers entre le troisième trimestre de l'année 2022 et le deuxième trimestre de l'année 2023, la variation en glissement annuel de l'indice de référence des loyers ne pourrait, dans ces différentes hypothèses, excéder 3,5 %. Cette échéance a été repoussée au premier trimestre de l'année 2024 par la loi du 7 juillet 2023 maintenant provisoirement un dispositif de plafonnement de revalorisation de la variation annuelle des indices locatifs.

En second lieu, en vertu de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles, les établissements accueillant des personnes âgées qui ne sont pas habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale et qui ne sont pas non plus conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement ou, lorsqu'ils sont conventionnés, pour ce qui concerne les prestations qui ne sont pas prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables au titre de ces conventions, ainsi que les établissements qui n'accueillent pas à titre principal des bénéficiaires de l'aide sociale, pour la fraction de leur capacité au titre de laquelle ils ne sont pas habilités à cette fin, sont soumis à des dispositions spécifiques. Notamment, les prix des prestations d'hébergement, qu'il s'agisse du « socle de prestations » que doivent réglementairement proposer les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, qui fait l'objet d'un prix global constitué des prestations d'administration générale, d'accueil hôtelier, de fluides, de restauration, de blanchissage et d'animation de la vie sociale, ou des autres prestations d'hébergement, sont librement fixés lors de la signature du contrat qui doit être passé entre l'établissement et la personne âgée préalablement à son hébergement et ces prix « varient ensuite, dans des conditions fixées par décret, dans la limite d'un pourcentage fixé au 1er janvier de chaque année compte tenu de l'évolution des coûts de la construction et des loyers, des produits alimentaires et des services et du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'article L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale ». Pour les établissements conventionnés au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilités à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale, le prix du socle de prestations pris en compte dans le calcul de la part de redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables évolue conformément à ce que prévoit la convention conclue au titre de l'aide personnalisée au logement, c'est-à-dire qu'il est révisé au 1er janvier de chaque année en fonction de l'indice de référence des loyers du deuxième trimestre de l'année précédente ; seules les autres prestations évoluent en fonction de l'arrêté interministériel mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 342-1 du code de l'action sociale et des familles.

Ainsi, l'annexe 2-3-3 du code de l'action sociale et des familles, fixe - conformément aux dispositions de l'article D. 342-5 de ce code - la formule permettant de déterminer le taux maximal d'évolution des prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement. Cette annexe prévoit que le pourcentage d'évolution maximale des prix est calculé en fonction de l'évolution des charges des établissements, évaluée à partir d'un panier pondéré d'indices de charges qui reflètent le taux d'évolution des charges des établissements liées à l'entretien et à l'amélioration des bâtiments, aux loyers - calculé à partir de l'indice des loyers des activités tertiaires - que les établissements versent au propriétaire des murs, aux services administratifs, aux services de nettoyage, à la consommation d'énergie et aux produits alimentaires et en fonction du taux d'évolution des retraites de base prévu à l'art. L. 161-23-1 du code de la sécurité sociale. Pour 2023 le taux d’évolution maximale du prix de des prestations est de 5,14% par rapport à 2022. C’est de cet arrêté qu’est demandée l’annulation.

Au soutien de leur QPC les requérants estiment que l'art. 12 de la loi du 16 août 2022 méconnaît le principe d'égalité devant la loi en ne plafonnant pas de la même manière que dans les hypothèses auxquelles elles s'appliquent, l'évolution du prix du socle de prestations et des autres prestations d'hébergement dont doivent s'acquitter les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'art. L. 342-1 susmentionné du code de l'action sociale.

En premier lieu, pour rejeter l’argumentation, le Conseil d’État retient que les personnes âgées hébergées dans les établissements visés à l'art. L. 342-1 ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations d'hébergement susrappelées comprenant des prestations « socle » ainsi que, le cas échéant, d'autres prestations d'hébergement. Elles ne sont ainsi pas, au regard de l'objet de l'art. 12 de la loi du 16 août 2022, qui est de plafonner provisoirement la variation de l'indice de référence des loyers à compter du troisième trimestre 2022 afin de limiter l'impact de la forte inflation sur les hausses de loyer, placés dans la même situation que les locataires du parc privé ou du parc social.

En second lieu, répétant partiellement la réfutation argumentative précédente, ce même juge relève que si les personnes âgées hébergées dans un établissement conventionné au titre de l'aide personnalisée au logement et non habilité à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale bénéficient, pour les seules prestations qui sont prises en compte dans le calcul de la part de la redevance assimilable au loyer et aux charges locatives récupérables du plafonnement à 3,5 % de l'indice de référence des loyers, à l'évolution duquel elles sont habituellement soumises, prévu par l'art. 12 de la loi de 2022, elles ne sont pas non plus placées dans la même situation que les personnes âgées hébergées dans les autres catégories d'établissements visés à l'art. L. 342-1, ne s'acquittent pas d'un loyer mais d'un prix global correspondant à un ensemble de prestations.

(20 juillet 2023, Association nationale des familles de victimes du Covid-19 en EHPAD (FAVICOVID EHPAD) et autres, n° 471769)

 

131 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) - Document unilatéral - Demande d’homologation - Vérification du caractère régulier de la consultation du comité d’entreprise - Notion de « moyens du groupe » - Caractère suffisant du PSE au regard des moyens du groupe -  loyauté de la procédure de négociation de l’accord collectif - Rejet.

La société Flunch a informé, la directrice régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) des Hauts-de-France d'un projet de réorganisation impliquant la fermeture de ses restaurants, exploités en libre-service de Belfort, du Havre Grand Cap, de Nancy Saint-Sébastien et de Rouen centre-ville, entraînant la suppression de quatre-vingts emplois. Cette directrice a homologué le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi.

Le tribunal administratif, saisi par les requérants, a refusé d’annuler la décision du 10 décembre 2018 par laquelle la DIRECCTE des Hauts-de-France a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi de la société Flunch. Les requérants demandaient l’annulation de deux arrêts de la cour administrative d’appel de Douai confirmant ces jugements. Les deux syndicats et des salariés se pourvoient en cassation de ces arrêts. Ces deux pourvois sont rejetés.

Le Conseil d’État groupe en trois volets les moyens de cassation.

En premier lieu, est rejeté le groupe de moyens critiquant l’exercice par l'administration du contrôle du caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens du groupe. Le juge indique à cet effet en quoi consiste la notion de « moyens du groupe » qui constitue l’un des critères d’appréciation de la légalité du PSE. Il convient d’entendre par là « des moyens, notamment financiers, dont dispose l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle d'une même entreprise dominante dans les conditions définies aux art. L. 233-1, L. 233-3 (I et II) et L. 233-16 du code de commerce, ainsi que de ceux dont dispose cette entreprise dominante, quel que soit le lieu d'implantation du siège de ces entreprises.

Il est jugé que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant :

- que l'autorité administrative a, pour contrôler le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l'emploi litigieux, pris en compte, comme périmètre du groupe, l'ensemble des entreprises placées sous le contrôle de la société Surestag, entreprise dominante au sens des dispositions susindiquées du code de commerce dès lors qu'elle détient la totalité du capital de la société Restag, laquelle détient 99,35 % du capital de la société Soparagapes et 66,29 % de celui de la société Agapes, cette dernière détenant la totalité du capital de la société Flunch ;

- que n’avaient pas être incluses dans le périmètre du PSE les sociétés Acanthe, Valorest et Cimofat, d’une part car aucune d’elles ne détient plus de 50 % du capital de la société Surestag et n'atteint à elle seule, le seuil fixé par les dispositions des art L. 233-1 et L. 233-16 du code de commerce et d’autre part car il résulte des statuts de la société Surestag qu’aucun associé, quel que soit le nombre d'actions qu'il détient, ne pourra exercer plus de 39 % des droits de vote pour son compte propre à l'occasion d'une décision collective, ce qui implique que ni la société Acanthe, ni les deux autres sociétés, ne détiennent chacune plus de 39 % des droits de vote au sein de la société Surestag, et n'atteignent donc le seuil fixé par les dispositions précitées du code de commerce ;

 - qu'il n'est pas établi que les autres circonstances alléguées concernant les relations entre les sociétés Acanthe, Valorest et Cimofat, dont la cour a mentionné qu'elles constituent des personnes morales distinctes, permettent de retenir que l'une d'entre elles exerce le contrôle exclusif de la société Surestag au sens des dispositions du II de l'art. L. 233-16 du code de commerce. 

En deuxième lieu, la cour est encore approuvée pour avoir jugé régulière la procédure d'information et de consultation organisée en l’espèce.

Elle n’a, tout d’abord, pas commis d’erreur de droit en estimant que lorsque l'expert-comptable, désigné par le comité central d'entreprise, avait rendu son rapport le jour de la seconde réunion du comité central d'entreprise, il y avait exposé, de manière circonstanciée, son analyse du contenu des documents comptables relatifs aux sociétés Restag et Surestag et de la question du périmètre du groupe auquel la société Flunch appartenait, incluant ces deux sociétés, ce qui avait donné lieu à plusieurs interventions des membres du comité et qu’ainsi le comité central d'entreprise avait disposé des informations utiles lui permettant de formuler ses avis en toute connaissance de cause.

Elle n’a, ensuite, pas davantage commis d’erreur de droit, en jugeant que  si le comité d’établissement de Belfort ne disposait pas lors de sa réunion du 8 novembre 2018 du rapport de l'expert-comptable qui n'avait pas encore été remis, il avait connaissance des documents comptables relatifs aux sociétés Restag et Surestag qui avaient été communiqués aux cinq organisations syndicales, et n'avait pas, lors de cette réunion, fait état d'un quelconque défaut d'information, ainsi qu'en atteste le procès-verbal de cette séance, et qu’ainsi il disposait, en l'espèce, d'éléments propres à lui permettre d'émettre ses avis en connaissance de cause.

En troisième lieu, enfin, la cour est également approuvée pour avoir jugé que devait être écarté le moyen tiré du défaut de loyauté de la procédure dès lors que les conditions de cette négociation sont, par elles-mêmes, sans incidence sur la régularité de la procédure d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel.

(21 juillet 2023, Fédération Confédération générale du travail (CGT) des personnels du commerce, de la distribution et des services, n° 435896 ; Fédération Confédération française démocratique du travail (CFDT) des services, le comité d'établissement de la société Flunch de l'établissement Flunch Belfort et autres, n° 435899, jonction)

 

132 - Licenciement d’un salarié protégé - Inaptitude par suite de maladie professionnelle - Existence d’un emploi disponible - Emploi relevant d’une catégorie supérieure à celle d’appartenance du salarié - Emploi pouvant lui être proposé - Refus fautif d’autorisation de licenciement - Action en responsabilité - Rejet.

La requérante a demandé l’autorisation de licencier un agent de maîtrise, délégué du personnel, pour inaptitude suite à une maladie professionnelle. Cette autorisation ne lui a pas été accordée et ce refus a été annulé pour vice de procédure par un jugement, devenu définitif, du tribunal administratif. La requérante demande réparation du préjudice causé par cette illégalité.

Sa demande, rejetée par les juges du fond, l’est aussi par le juge de cassation.

La cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé l'absence de lien direct de causalité entre cette illégalité et le préjudice allégué, au motif que ces décisions de l’administration auraient pu être légalement prises si elles étaient intervenues à l'issue d'une procédure régulière. A ce titre, elle a jugé qu'elles étaient légalement fondées sur le non-respect par l'employeur de ses obligations en matière de reclassement.

En effet, et c’est là un élément original de cette affaire, si la société a proposé divers postes au salarié, il existait d'autres postes de travail équivalents aux fonctions exercées par le salarié qui ne lui avaient pas été proposés. La société faisait savoir qu’il s’agissait de postes de cadre, relevant donc d’une catégorie d’emplois supérieure à celle d’agent de maîtrise dont relevait l’agent.

L’argument pouvait paraître sérieux puisque la législation impose un reclassement de la personne licenciée sur un emploi « équivalent » à celui occupé, ce qui n’est pas le cas d’un emploi supérieur. Cependant, confirmant la solution de la cour, le Conseil d’État juge « que la circonstance que (les) fiches de postes mentionnaient un statut de cadre alors que (l’intéressé) avait un statut d'agent de maîtrise ne suffisait pas pour retenir que ces emplois n'étaient pas équivalents à celui de responsable de magasin qu'il occupait alors (…). »

La solution est discutable car, selon le code du travail, serait illégal le classement dans la même catégorie d’emplois hiérarchiquement distincts ou la proclamation du caractère « équivalent » de tels emplois distincts.

(21 juillet 2023, Société Lidl, n° 457196)

 

133 - Bénéficiaire de l’aide personnalisée au logement et de l’aide exceptionnelle de fin d’année - Trop-perçu du fait de sa vie en couple (concubinage) - Insuffisance de motivation - Annulation.

Bénéficiaire de diverses aides sociales en tant que personne seule ayant des enfants à charge, l’intéressée s’est vue notifier des trop-perçus à rembourser du fait qu’elle vivait depuis deux ans en concubinage.

Elle se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté son recours contre les décisions de récupération des trop-perçus notifiées par la caisse d'allocations familiales (CAF). Le pourvoi est reçu pour insuffisance de motivation du jugement en ce qu’il avait fondé son rejet sur ce que Mme A. habitait au même endroit que M. C. sans répondre à l'argumentation non inopérante par laquelle la requérante contestait l'existence d'une vie de couple stable et continue en invoquant les condamnations de M. C. pour violences à son endroit assorties de l'interdiction de la rencontrer et affirmant que, si M. C. et elle-même résidaient à la même adresse, leurs logements étaient distincts. 

(26 juillet 2023, Mme A., n° 466047)

 

134 - Dispositif d’hébergement d’urgence - Injonction au préfet d’accorder un tel hébergement - Solution retenue inadéquate et trop éloignée de l’établissement de prise en charge de l’enfant - Circonstances exceptionnelles de l’espèce - Rejet.

C’est à bon droit que le juge des référés de première instance a enjoint au préfet de l'Isère d’attribuer un hébergement d'urgence à la requérante et à sa fille âgée de deux ans car celui proposé, situé dans une zone industrielle éloignée de la gare ferroviaire, n'est en tout état de cause pas compatible, dans les circonstances particulières de l'espèce, avec les besoins de l'enfant, notamment en ce qu'il ne permet pas la continuité de sa prise en charge par l'établissement d'accueil pour jeunes enfants, situé à Grenoble, où elle est accueillie quotidiennement depuis septembre 2022, où elle trouve la stabilité qui lui est nécessaire eu égard à son très jeune âge, à la séparation avec son père et à la fragilité de son état physique et psychique après plus de six mois à la rue, et où elle est inscrite pour l'année 2023-2024.

L’appel est rejeté.

(ord. réf. 31 août 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement, n° 481062)

 

135 - Lutte contre le travail illégal - Travailleur agricole tunisien détenteur d’un faux titre de séjour - Prononcé d’une OQTF à son encontre et interdiction du territoire français pendant deux ans - Droit au contradictoire - Conditions d’application du droit de l’Union - Rejet.

M. C., ressortissant tunisien, a été interpelé au sein de l'EARL « Les Pépinières de la Haute Provence », dans le cadre d'une mission de lutte contre le travail illégal, en possession d'un faux titre de séjour. Il a fait l’objet, le même jour, d’un arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français, sans que ne lui soit accordé de délai de départ volontaire, assorti d'une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

L’intéressé et son employeur l’EARL, se pourvoient en cassation contre l'ordonnance par laquelle le magistrat de la cour administrative d'appel de Marseille a ce délégué, a rejeté l'appel et la tierce opposition qu'ils ont, respectivement, formés contre le jugement qui a rejeté la demande de M. C. tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

L’affaire était sérieuse en ce qu’il apparaissait que n’avait pas été respecté le principe du contradictoire.

Le juge de cassation se livre à une certaine acrobatie pour « sauver » la décision contestée.

Tout d’abord est rejeté le moyen tiré de la méconnaissance du droit à être entendu dans le cadre de la procédure d'obligation de quitter le territoire français.

Le juge retient qu’il ne résulte pas des dispositions du I de l'art. L. 511-1 du CESEDA, dans sa version en vigueur à la date de l'arrêté contesté, qui a été pris pour la transposition des objectifs de la directive du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que serait prévu le droit pour un étranger à être entendu dans le cadre de la procédure de prise d'une décision l'obligeant à quitter le territoire français. En particulier, il juge que si, en vertu de la jurisprudence de la CJUE (10 septembre 2013, M. A., N. R./Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, aff. C-383/13), il appartient aux États membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, de déterminer les conditions dans lesquelles doit être assuré, pour les ressortissants des États tiers en situation irrégulière, le respect du droit d'être entendu, c’est-à-dire de faire connaître, de manière utile et effective, leur point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable leurs intérêts, « cela ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause ».

Ensuite, enfonçant encore un peu plus nettement le clou, les juges du Palais-Royal, se fondant sur deux décisions de la CJUE (5 novembre 2014, Sophie Mukarubega, aff. C-166/13 et 11 décembre 2014, Khaled Boudjlida, aff. C-249/13), rappellent que si, d’une part, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour, d’autre part, ce droit n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.

Enfin, en l’espèce, le juge d’appel n’a pas commis d’erreur de droit quand, après avoir relevé  que M. C. n’avait pas été informé de l'intention du préfet de prendre à son encontre une décision portant OQTF, il a estimé qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que les arguments qu’il aurait pu avancer, relatifs au métier d'arboriculteur qu'il exerce, aux difficultés de recrutement dans ce secteur et au handicap de sa sœur, auraient pu influer sur le contenu de cette décision et qu’ainsi il n’avait pas été privé de la possibilité de mieux faire valoir sa défense dans une mesure telle que cette procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

Ensuite est rejeté le moyen selon lequel le président assesseur de la 4ème chambre de la cour aurait méconnu son office. Dès lors que les requérants se bornaient à invoquer les difficultés de recrutement dans l'arboriculture et la situation de dépendance de la sœur de M. C., ils n'étaient pas fondés à soutenir - comme jugé par ce magistrat - que la décision portant interdiction de retour était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de ce dernier. Ce n’est que dans le cas, qui n’était pas en jeu en l’espèce, où le juge doit se prononcer sur la légalité de la décision de l’autorité compétente ordonnant l’OQTF que celui-ci doit rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'art. 8 de la convention EDH une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

Dès lors, l’ordonnance attaquée n’est pas entachée d’une erreur de droit sur la portée du contrôle que devait exercer son auteur.

 (04 août 2023, M. C. et EARL Les pépinières de la Haute Provence, n° 455156)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

136 - Conseiller municipal démissionnaire - Remplacement par une autre personne - Point de départ du délai de recours contentieux contre ce remplacement - Jour de la première séance à laquelle a participé le nouveau conseiller - Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’un tribunal administratif juge que la conseillère municipale remplaçant une autre, démissionnaire, ayant siégé pour la première fois en qualité de conseillère municipale lors de la séance du 9 novembre 2022, c’est à cette date que doit être fixé le point de départ du délai de cinq jours imparti par le code électoral pour contester sa désignation. Dès lors était irrecevable comme tardive la protestation du demandeur. 

(12 juillet 2023, M. A., n° 470639)

 

137 - Élections municipales partielles - Protestation tardive - Rejet.

Il résulte des dispositions de l’art. L. 119 du code électoral qu’en l’absence de réclamation contre les opérations électorales consignée au procès-verbal, le dépôt de la réclamation d'un électeur doit se faire à la sous-préfecture ou à la préfecture au plus tard à dix-huit heures le cinquième jour qui suit l'élection. 

En l’espèce, confirmant le tribunal administratif, le juge d’appel déclare la protestation entachée de tardiveté dans la mesure où l’élection contestée ayant eu lieu le 4 décembre 2022, sans consignation de la protestation au procès-verbal, et alors qu’elle devait avoir été déposée en préfecture ou sous-préfecture ou au greffe du tribunal administratif au plus tard le 9 décembre à dix-huit heures, ne l’a été que le 20 décembre.

Elle était donc, par suite, irrecevable.

(25 juillet 2023, M. A., élections municipales de Saint-Ours-les-Roches, n° 470912)

 

138 - Contrôle des comptes de campagne par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) - Irrégularités justifiant le rejet d’un compte de campagne - Irrégularités justifiant, en cas d’approbation des comptes, une réduction éventuelle du remboursement forfaitaire - Rejet de la saisine du Conseil d’État par la CNCCFP.

Dans le cadre de l'élection des membres du conseil territorial de Saint-Barthélemy qui s’est tenue en mars 2022, la CNCCFP a rejeté le compte de campagne du requérant et a saisi le Conseil d'État, en application des dispositions de l'art. L. 52-15 du code électoral. Le requérant demande l’annulation de cette saisine.

C’est l’occasion pour le juge administratif de rappeler, avec pédagogie et de façon quelque peu novatrice la conduite à tenir par la Commission en cas d’irrégularités constatées.

Il lui incombe en premier lieu, rappelle le juge, d’apprécier si les irrégularités éventuellement commises par un candidat justifient le rejet de son compte de campagne.

En second lieu, si la Commission décide d'approuver ce compte, il lui revient d’apprécier si, eu égard au nombre et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu de réduire le montant du remboursement forfaitaire auquel a droit le candidat, le cas échéant, dans les conditions prévues par les deux premiers alinéas de l’art. L. 52-11-1 du code électoral. Le juge ajoute une précision innovante en ce qu’il décide que la circonstance que le candidat ne remplit pas les conditions pour bénéficier du remboursement forfaitaire est dépourvue d'incidence sur la décision d'approuver ou de rejeter le compte de campagne.

En l’espèce, il est jugé qu’ « eu égard à la nature et à la valeur modeste de l'avantage qui lui a été consenti par la société exploitant " Le News Saint-Barth " au regard du plafond des dépenses électorales autorisées pour cette élection, à la part limitée que cet avantage représente dans le total des dépenses exposées par le candidat, et, enfin, à la circonstance que les deux autres listes en présence ont bénéficié d'un avantage équivalent du même journal, la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 52-8 du code électoral commise par M. A. ne justifie pas (…) le rejet de son compte de campagne. » 

(13 juillet 2023, M. A., n° 469182)

(139) V. aussi, concernant la même élection et sur la base du même raisonnement que dans l’affaire précédente, le rejet de la demande de versement du remboursement forfaitaire car le total des dons reçus par M. A. excède celui des dépenses électorales qu'il a engagées et qu'aucune de ces dernières n'a donc été réglée sur son apport personnel : 13 juillet 2023, M. A., n° 469187.

(140) Voir encore, rappelant - et l’appliquant positivement à l’espèce - qu’« en dehors des cas de fraude, le juge de l'élection ne peut prononcer l'inéligibilité d'un candidat sur le fondement de ces dispositions que s'il constate un manquement d'une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Il lui incombe à cet effet de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce et d'apprécier s'il s'agit d'un manquement caractérisé à une règle substantielle relative au financement des campagnes électorales et s'il présente un caractère délibéré. » Application à un binôme ayant présenté un compte de campagne non revêtu de sa signature, ne comportant ni dépenses ni recettes alors qu’il y en avait, non certifié par un expert-comptable : 18 juillet 2023, Mme A. et M. C., élections départementales du canton de Mérignac-2, n° 465562.

 

Environnement

 

 

 

 

Du malheur d’être une éolienne

ou paradoxes d’un progrès écologique

 

Les éoliennes sont devenues pour le juge administratif une « mine » (!) inépuisable de contentieux où, malheureusement, pointe trop souvent l’argumentaire répétitif sur fond de paradoxe. En effet, nul ne niera la laideur de ces poteaux à ventilateurs bruyants et guère invisibles. Pourtant, ils se veulent respectueux de l’environnement en contribuant à substituer aux énergies fossiles, devenues désormais funestes, une énergie très peu chère – du moins tant que la voracité fiscale n’y aura pas fait son œuvre captatrice – et présumée indéfiniment renouvelable.

Et voilà que, paradoxalement, se dressent contre ces appareils les défenseurs de l’environnement visuel pour qui quand c’est laid ce n’est décidément pas beau !

Et voilà le Conseil d’État dans l’un de ses grands rôles : le funambulisme. Il sautille sur le fil (pas du rasoir tout de même…) entre trop et pas assez, entre préservation du futur de l’homme et préservation de son passé car le respect du visuel consiste à figer à l’instant T la vision de notre environnement.

Encore une fois est posée la question, urgente, redoutable et douloureuse de la place des préoccupations environnementales dans la hiérarchie des règles de droit : Ont-elles ou doivent-elles avoir une priorité absolue parce qu’il y va de la survie de l’espèce ? Ou bien ne faut-il rien changer à l’état actuel de notre normativité parce que celle-ci est, pour l’heure, adaptée ? Ou encore, convient-il, pour reprendre le titre d’un célèbre ouvrage d’Hannah Arendt (« Between past and future », 1961), d’instaurer un mix entre futur et passé ?

A cette difficulté s’en ajoute une autre, tirée de ce que la gravité des problèmes introduit ipso facto une urgence : Faut-il aller à marche forcée en délaissant les schémas, procédures et délais ordinaires lorsqu’ils sont gênants pour l’efficacité de la lutte en faveur de l’environnement ? Faut-il rester en l’état ? Ou bien convient-il, là aussi, de jouer les équilibristes si prisés au Palais-Royal ? These are the questions…

 

141 - Éoliennes - Décision de poursuivre un projet à l’issue du débat public - Nature et régime juridique et contentieux - Régularité du débat public - Rejet.

Les requérants demandent l’annulation de la décision du 10 mai 2021 des maîtres d'ouvrage société Éoliennes en mer de Dunkerque (EMD) et Réseau de Transport d'Électricité (RTE) de poursuivre le projet d'implantation d'un parc éolien en mer du Nord au large de Dunkerque, qu’il soit fait injonction aux maîtres d'ouvrage de saisir de nouveau la commission nationale du débat public (CNDP) et les autorités compétentes en vue d'organiser une nouvelle procédure de participation du public, de prendre une nouvelle décision au titre de l'art. L. 121-13 du code de l'environnement.

Par une décision du 10 mai 2021, la société Réseau de Transport d'Électricité (RTE) et la société Éoliennes en Mer de Dunkerque (EMD) ont, à la suite du débat public organisé à ce sujet du 14 septembre au 20 décembre 2020 et du bilan publié à son issue le 15 février 2021 par la présidente de la commission nationale du débat public, décidé de poursuivre le développement du projet de parc éolien en mer au large de Dunkerque et son raccordement électrique. 

Il résulte des dispositions de l'art. L. 121-13 du code de l'environnement invoqué par les demandeurs qu’à l’issue du débat public organisé sur un projet, le maître d'ouvrage ou la personne publique responsable du projet décide, par un acte qui est publié, du principe et des conditions de la poursuite du projet. Le Conseil d’État déduit de là que l’acte décidant du principe et des conditions de la poursuite du projet, a pour seul objet de tirer les conséquences de ce débat et que si cet acte a le caractère d'une décision car une fois devenu définitif, aucune méconnaissance des art. L. 121-8 à L. 121-12 de ce code ne peut plus être invoquée, il ne peut cependant, eu égard à son objet, être contesté que sur le fondement de moyens tirés de vices propres dont il serait entaché et de l'irrégularité du débat public au regard de ces mêmes dispositions, à l'exclusion, notamment, de toute contestation du bien-fondé de l'opération dont il est décidé de poursuivre les études, celui-ci ne pouvant être mis en cause qu'à l'occasion des actes qui, au titre des différentes législations applicables, en autorisent la réalisation. 

Ceci explique qu’ici le juge se prononce, d’une part, sur les vices propres allégués de cet acte et d’autre part, sur la régularité du débat public, rejetant d’ailleurs tous les moyens soulevés par les demandeurs (on se reportera au texte de la décision sur ce point).

La décision vaut aussi, et peut-être surtout, par ses aspects de contentieux et les solutions qui y sont apportées, lesquelles eussent mérité de figurer dans un arrêt de Section. Comme le Conseil d’État ne répond ici à aucune argumentation en ce sens, le moyen est donc relevé d’office et il s’agit donc de réponses implicites.

Tout d’abord, alors qu’il s’agit de recours dirigés contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage privé met en œuvre l’art. L. 121-13 précité du code de l’environnement, est affirmée la compétence ratione materiae du juge administratif pour en connaître.

Ensuite, le Conseil d’État statue sur renvoi du tribunal administratif de Lille primitivement saisi et donc en premier et dernier ressort. Si cette compétence directe est prévue par l’art. R. 311-1-1 du CJA pour un certain nombre de décisions qui y sont - apparemment - limitativement énumérées, relatives aux ouvrages de production et de transport d’énergie renouvelable en mer, force est de constater que n’y figure pas le recours dirigé contre l’acte par lequel un maître d’ouvrage, à l’issue du débat public, décide du principe et des conditions de la poursuite d’un projet d’implantation d’un parc éolien en mer. Il s’agit d’une extension prétorienne de la compétence juridictionnelle du Conseil d’État.

(10 juillet 2023, Société Port d'Ostende, n° 457659 ; État belge, n° 457660 ; Commune de La Panne (Belgique), n°457661 ; Région flamande, n° 457663, jonction)

 

142 - Autorisation d’exploitation de parc éolien - Absence de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées - Mesure de régularisation ordonnée - Prise en compte des mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire - Absence - Annulation.

Cette affaire est une nouvelle illustration d’une situation juridique récurrente dont il conviendrait de venir à bout.

Le scénario est classique : l’autorisation d’exploiter un parc éolien est accordée par un préfet, le pétitionnaire, attentif au risque de recours, propose des mesures d’évitement et de réduction des atteintes portées ou susceptibles de l’être aux espèces protégées et ensuite les juges du fond soit ne tiennent pas compte de ces mesures soit les estiment insuffisantes et prononcent l’annulation de l’autorisation faute qu’ait été sollicitée et/ou obtenue une dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées prévue à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Enfin, le Conseil d’État annule l’annulation.

Une donnée supplémentaire peut fréquemment intervenir lorsque, en outre du problème des espèces protégées qui seraient menacées par le projet, est invoqué le moyen tiré de ce que l’art. 6 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement impose qu'une autorité compétente et objective en matière d'environnement soit en mesure de rendre un avis sur l'évaluation environnementale des projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, avant leur approbation ou leur autorisation, afin de permettre la prise en compte de ces incidences.

Ce scénario est répété ad nauseam dans un très grand nombre de dossiers. C’est le cas ici ou, la cour administrative d’appel :

- d’une part, se voit reprocher l’erreur de droit ayant consisté à n’avoir pas apprécié si les mesures d’évitement et de réduction proposée par le pétitionnaire présentaient des garanties d'effectivité telles qu'elles permettaient de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé,

- d’autre part est approuvée d’avoir jugé que l'avis de l'autorité environnementale avait, en l'espèce, été rendu en méconnaissance des exigences de la directive du 13 décembre 2011 dès lors que le projet a été instruit pour le compte du préfet de département par la DREAL et que l'avis environnemental émis par le préfet de région a été préparé par la même direction, sans que soit intervenu, au sein de cette direction, le service mentionné à l'art. R. 122-21 du code de l'environnement qui a spécialement pour rôle de préparer les avis des autorités environnementales.

(20 juillet 2023, Société Engie Green Tilly, n° 466162)

 

143 - Éoliennes – Refus d’autorisation unique – Nécessité d’obtenir une dérogation « espèces protégées » - Exigence liée à un risque suffisamment caractérisé – Possibiulité de proposer des mesures de réduction ou d’évitement – Absence – Erreur de droit – Annulation.

La société pétitionnaire d’un parc éolien a demandé l’annulation du refus du préfet de lui accorder une autorisation unique en vue d'exploiter un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs d'une hauteur maximale de 125 mètres en bout de pâles et d'un poste de livraison, ce refus étant justifié par le fait que le projet nécessitait une dérogation au titre de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement. La cour administrative d’appel a rejeté ce recours. Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi formé par la société contre cet arrêt, l’annule.

Il rappelle à nouveau que si la disposition précitée impose une dérogation c’est sous la réserve, d’abord, que le risque que le projet comporte pour les espèces protégées soit suffisamment caractérisé, ensuite, que le pétitionnaire n’ait pas déposé un projet contenant des mesures d'évitement et/ou de réduction qui présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé. Lorsque, en revanche, de telles mesures sont proposées, l’exigence d’une dérogation n’a plus lieu d’être.

En l’espèce, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que, pour apprécier le risque que le projet présente pour l'avifaune et pour les chiroptères, et, par voie de conséquence, pour apprécier la nécessité d'une dérogation au titre de l'art. L. 411-2 du code de l'environnement, les mesures de réduction ne devaient pas être prises en compte.

C’est pourquoi le Conseil d’État est à la cassation et cela d’autant plus que cette ligne jurisprudentielle, constante, a été rappelée des dizaines de fois.

(11 août 2023, Société Ferme éolienne de Moux, n° 465751)

 

144 - Autorisation unique d'exploiter une installation éolienne - Contrariété prétendue aux dispositions du plan local d’urbanisme (PLU) - Erreur de droit - Annulation.

Encourt annulation pour motif d’erreur de droit, l’arrêt d’une cour administrative d’appel annulant l’arrêté préfectoral délivrant une autorisation unique d'exploiter une installation de production d'électricité à partir de l'énergie éolienne regroupant cinq aérogénérateurs et un poste de livraison motif pris de ce que le projet envisagé n'entrait pas dans la catégorie des activités admises en zone A du PLU telles que les installations nécessaires au fonctionnement des services publics ou d'intérêt collectif, notamment les installations nécessaires au fonctionnement des réseaux d'énergie, alors que le projet litigieux, d’installer des éoliennes, contribue à la satisfaction d'un besoin collectif par la production d'électricité destinée au public et participe ainsi au fonctionnement des réseaux d'énergie.

(20 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 467112 ; Société Ferme éolienne de Chaleins, n° 467133)

 

145 - Éoliennes – Refus d’autorisation unique – Nombre total et vue générale des aérogénérateurs – Absence de phénomène d’encerclement – Erreur de droit – Annulation.

Une cour administrative d’appel annule un refus préfectoral d’accorder une autorisation unique d’implantation d’aérogénérateurs en raison de ce que le nombre de leurs implantations, dans un rayon de vingt kilomètres, est de nature à créer un phénomène visuel d’encerclement. La cour considère cet argument comme guère tenable en raison de la variabilité des distances d'implantation et de la multiplicité des points d'observation lesquels font obstacle à ce que ces mâts puissent être perçus simultanément et en totalité avec la même profondeur de champ. 

Le Conseil d’État juge ce raisonnement de la cour entaché d’erreur de droit car, relève-t-il, « l'impact visuel du projet sur le paysage environnant pouvait être pris en compte et le projet refusé s'il était susceptible de générer un phénomène de saturation visuelle à partir d'un seul point d'observation pertinent, y compris si toutes les éoliennes existantes ou autorisées ne pouvaient être perçues à partir de ce point d'observation. » Il se comprend aisément que si la saturation est perceptible dès la vue d’une partie seulement des éoliennes cela peut suffire à justifier le rejet préfectoral mais alors à quoi cela sert-il d’évoquer un rayon de vingt kilomètres (lequel signifie tout de même, rappelons-le, une surface impactée de 1254 km2) ? Il suffit donc de rechercher si cette saturation est visible – ou non - de l’un quelconque des points pertinents où se place l’observateur.

(11 août 2023, ministre de la transition écologique…, n° 459062)

 

146 - Permis de construire des aérogénérateurs et des postes électriques - Insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et méconnaissance de l'art. R. 423-72 c. urb. – Régularisation jugée possible – Délai octroyé à cet effet -

L'association requérante et diverses personnes physiques ont contesté un arrêté préfectoral délivrant à deux sociétés un permis de construire six aérogénérateurs et deux postes électriques sur le territoire de la commune de Saint-Beauzély.

Après annulation de cet arrêté en première instance par un jugement du 22 mars 2017, la cour administrative d’appel, saisie par les sociétés bénéficiaires des autorisations accordées, a jugé par un arrêt avant-dire droit, du 26 novembre 2019 :

- d’une part, que, sur l'ensemble des moyens invoqués par les requérants, tant en première instance qu'en appel, seuls les moyens tirés de l'insuffisance de motivation des conclusions du commissaire enquêteur et de la méconnaissance des dispositions de l'art. R. 423-72 du code de l'urbanisme étaient de nature à entraîner l'annulation de l'arrêté préfectoral du 13 juin 2014,

- d’autre part, que ces illégalités pouvaient être régularisées et elle a sursis à statuer jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, ou de six mois en cas d'enquête publique, à compter de la notification de cet arrêt, pour permettre de notifier le cas échéant à la cour une mesure de régularisation des illégalités susmentionnées,

- enfin, qu’il y avait lieu de réserver jusqu'en fin d'instance tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'était pas expressément statué par ledit arrêt. 

Puis, par un arrêt du 29 décembre 2020, la cour administrative d'appel a annulé le jugement précité et rejeté la demande de l'association Lévézou en péril et autres tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral précité.

Ces derniers se pourvoient en cassation des deux arrêts de la cour. Pour rejeter l’ensemble des moyens soulevés à cet effet, le juge de cassation examine successivement chacun des deux arrêts attaqués, l’avant-dire droit du 26 novembre 2019 et l’arrêt définitif du 29 décembre 2020.

 

I/ Sur l’arrêt avant-dire droit

 

Le juge est conduit ici à aborder deux questions distinctes, d’abord celle portant sur les moyens écartés dans cet arrêt (A), ensuite celle relative à la décision de cette juridiction de faire usage des pouvoirs que lui confèrent les dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme (B).

 

A/ Sur les moyens écartés

 

Les demandeurs avaient soulevé une dizaine de moyens, tous rejetés par la cour.
Il est d’abord jugé que les dispositions de l'art. R. 111-15 du code de l'urbanisme – contrairement à ce qui est soutenu -, ne permettent pas à l'autorité administrative de refuser un permis de construire, mais seulement de l'accorder sous réserve du respect de prescriptions spéciales relevant de la police de l'urbanisme, telles que celles relatives à l'implantation ou aux caractéristiques des bâtiments et de leurs abords, si le projet de construction est de nature à avoir des conséquences dommageables pour l'environnement. La cour n’a ainsi pas commis d‘erreur de droit en retenant que les pétitionnaires avaient prévu un ensemble de mesures de protection des chiroptères communiquées au service instructeur et en considérant que ces engagements devaient être regardés comme étant pris en compte par l'arrêté préfectoral litigieux.

Également, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé que les conditions de raccordement des bâtiments et ouvrages aux équipements publics existants, telles que prévues à l’art. R. 421-2 c. urb., n'avaient pas à figurer dans le dossier de demande de permis de construire du parc éolien projeté, car le raccordement, à partir de son poste de livraison, d'une installation de production d'électricité au réseau électrique se rattache à une opération distincte de la construction de cette installation et est sans rapport avec la procédure de délivrance du permis de construire l'autorisant.

Pareillement, c’est sans erreur de droit que la cour a jugé :

- d’une part, que si les avis du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense, tous deux favorables mais assortis de prescriptions (cf. art. R. 425-9 c. urb. et R. 244-1 code aviation civile), n’ont pas été joints au dossier soumis à enquête publique, ce seul élément, en l'absence d'autres circonstances, n'était pas de nature à avoir privé le public d'une information sans laquelle il n'aurait pu participer effectivement, à l'enquête et n'a pas exercé une influence sur les résultats de l'enquête et, par suite, sur le sens de la décision en litige,

- d’autre part, que les dispositions (L. 122-1 du code de l'environnement), qui exigent que l’autorisation d’un projet soumis à étude d'impact soit portée à la connaissance du public par une information supplémentaire explicitant les motifs et les considérations qui ont fondé la décision, ne sauraient être interprétées comme imposant une motivation de celle-ci qui serait une condition de sa légalité. La circonstance que les informations prévues par ces dispositions n'ont pas été jointes aux arrêtés contestés est sans incidence sur leur légalité.

C’est encore sans erreur de droit que la cour a, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l’art. R. 111-2 c. urb. relatif à la salubrité ou à la sécurité publique de la construction projetée, relevé que l'art. 2 de l'arrêté litigieux imposait le respect d'un plan de gestion sonore ainsi que l'obligation de mise en place d'un contrôle in situ ayant pour objectif de le renforcer et de l'améliorer, et en a déduit que les prescriptions en cause étaient suffisantes.

Ensuite, rappelant une jurisprudence constante en cette matière, le Conseil d’État indique que la recherche par le juge de l’éventuelle existence d'une atteinte à un paysage naturel pouvant fonder le refus de permis de construire ou l’édiction de prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de ce permis, lui impartit d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel sur lequel la construction est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette construction, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site sans que, à ce second stade, il puisse être procédé, pour apprécier la légalité des permis de construire, à une balance d'intérêts divers en présence, autres que ceux visés à l'article R. 111-21 c. urb. précité. Or, en l’espèce, appliquant ce schéma d’analyse la cour, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-21 c. urb., a – sans aucune erreur de droit - examiné tant la qualité du site naturel et urbain sur lequel l'exploitation de l'installation est projetée, marqué par la présence de monuments historiques, du mont Seigne et du Puech du Pal, de lieuxdits remarquables tels que Mauriac et de la Gineste, du parc régional des Grandes Causses, et par l'inscription au Patrimoine mondial de l'UNESCO des Causses des Cévennes, que l'impact de l'autorisation projetée sur ces paysages et ces sites. En outre, et spécifiquement sur ce dernier point, répondant à une objection tirée de l’art. L. 600-2 c. urb., le juge de cassation rappelle que, pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-21 précité, la cour a relevé que le classement des Causses des Cévennes au Patrimoine mondial de l'UNESCO n'avait, en tout état de cause, pas à être pris en compte pour apprécier la légalité de l'arrêté en litige, eu égard à l'effet de cristallisation des règles d'urbanisme à la date du refus illégal initialement opposé à la demande de permis de construire des sociétés requérantes.

Enfin, c’est sans erreur de droit que la cour, concernant le moyen de saturation visuelle résultant de ce que le projet en litige s’ajoute aux parcs existants à proximité, a rappelé l'autorité de chose jugée attachée aux motifs du jugement du 11 juin 2013, devenu définitif, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a annulé la décision implicite de rejet opposée par le préfet à la demande des pétitionnaires, en jugeant qu'en estimant que le projet en litige présentait un risque de saturation du paysage proche et lointain, le préfet avait commis une erreur d'appréciation.


B/ Sur l'application de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme 


Le juge de cassation réitère ici une jurisprudence bien établie selon laquelle lorsqu’il a été décidé de recourir à l'art. L. 600-5-1 c. urb., le requérant de première instance peut contester le jugement avant-dire droit aussi bien en tant qu'il a écarté comme non-fondés les moyens dirigés contre l'autorisation initiale d'urbanisme qu’en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1.

En revanche, à compter de la délivrance du permis régularisant le vice relevé dans le cadre du sursis à statuer prononcé par le jugement avant-dire droit, les conclusions présentées par le requérant de première instance et dirigées contre ce jugement en tant qu'il met en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'art. L. 600-5-1 précité, sont privées d'objet.

En conséquence, dans la présente espèce, à compter de la régularisation des vices relevés par la cour administrative d'appel dans son arrêt avant-dire droit du 26 novembre 2019, les conclusions dirigées contre cet arrêt, en tant qu'il a mis en œuvre les pouvoirs que le juge tient de l'art. L. 600-5-1 précitées sont privées d'objet, d’où le rejet, pour irrecevabilité, du recours dirigé contre cette partie de l’arrêt. 


II/ Sur l’arrêt définitif du 29 décembre 2020

 

Le pourvoi dirigé contre ce second arrêt est rejeté en tous ses chefs de griefs.

D’abord, la cour est approuvée pour avoir jugé que devait être écarté le moyen que les conclusions du nouveau commissaire-enquêteur désigné après l'arrêt avant-dire droit auraient méconnu l'exigence de motivation en retenant, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation :

- d'une part, que l'intéressé a analysé dans son rapport de manière synthétique et par thèmes les observations du public formulées devant lui, sans que la circonstance qu'il se soit fondé, pour répondre aux observations du public, sur les éléments produits par le maître de l'ouvrage ne soit de nature à révéler qu'il ne se serait pas personnellement approprié les éléments du dossier d'enquête,

- d'autre part qu'il a apprécié l'impact de l'exploitation projetée sur le paysage dans plusieurs parties de son rapport, notamment dans la partie 2.3 consacrée à la présentation du projet en y décrivant les caractéristiques du paysage, l'impact du projet et les perceptions visuelles ainsi que les co-visibilités depuis différents points de vue, avant d'assortir son avis de réserves et de recommandations.

Ensuite, le juge de cassation rappelle que dans le cadre d'une nouvelle enquête publique, les éléments d'une précédente procédure peuvent être réutilisés, malgré leur ancienneté, à la condition toutefois qu'aucun changement de fait ou de droit ne soit intervenu les rendant obsolètes. C’est pourquoi la cour a pu juger, dans le présent arrêt, sans erreur de droit, aux termes d'une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que les éléments de la note technique produite par la Ligue de protection des oiseaux du Lot-et-Garonne, en date du 24 juin 2019, concluant à une adaptation faible des oiseaux aux éoliennes, ainsi que la note technique Eurobats, de novembre 2020, rappelant que la Grande Noctule est classée parmi les espèces grandement vulnérables, ne suffisent pas, à eux seuls, à établir que les données de l'étude d'impact initiale, au demeurant complétée par le pétitionnaire lors de la nouvelle instruction de sa demande faisant suite à l'injonction prononcé par le tribunal administratif, seraient devenus obsolètes. 

Enfin, lorsque le juge administratif estime par un premier jugement, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice entraînant l'illégalité de l'acte attaqué est susceptible d'être régularisé et sursoit en conséquence à statuer par application de l'art. L. 600-5-1 c. urb., les motifs de ce premier jugement qui écartent les autres moyens sont au nombre des motifs qui constituent le soutien nécessaire du dispositif du jugement qui clôt finalement l'instance, si ce second jugement rejette les conclusions à fin d'annulation en retenant que le vice relevé dans le premier jugement a été régularisé, dans le délai imparti, par la délivrance d'une mesure de régularisation. Il suit de là que c’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a jugé qu’était inopérant – car déjà écarté par la cour dans son arrêt avant-dire droit - le moyen tiré de la méconnaissance de l'art. R. 111-26 c. urb. en raison de l'impact environnemental du projet sur le vautour Fauve et le busard cendré.

(13 juillet 2023, Association Lévézou en péril et autres, n° 450093)

 

147 - Ours brun des Pyrénées - Mesures d’effarouchement - Directive « Habitats » et art. L. 411-1 c. env. – Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation de l'arrêté interministériel du 20 juin 2022 (transition écologique et agriculture) relatif à la mise en place de mesures d'effarouchement de l'ours brun dans les Pyrénées pour prévenir les dommages aux troupeaux et la prise d’une injonction.

Après trois arrêtés pris à titre expérimental en 2019, 2020 et 2021, l'arrêté du 20 juin 2022 attaqué fixe désormais à titre permanent, les conditions et limites dans lesquelles des dérogations à l'interdiction de perturbation intentionnelle des ours bruns peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques.

En particulier, sont classiquement retenus deux moyens d'effarouchement, sous réserve de la mise en œuvre effective et proportionnée de moyens de protection du troupeau tels que définis par les plans de développement ruraux ou de mesures reconnues équivalentes, l'effarouchement simple, par des moyens sonores, olfactifs ou lumineux, et l'effarouchement renforcé, au moyen de tirs non létaux.

La demande de dérogation doit être justifiée par la survenance d'au moins une attaque sur l'estive lors de l'année précédente, ou d'au moins quatre attaques cumulées au cours des deux années précédentes ou de plus de dix attaques par an en moyenne lors des trois saisons d'estive précédentes. Le déclenchement des opérations d'effarouchement n'est possible qu'en cas d'indices de la présence récente de l'ours brun à proximité du troupeau.

La mise en œuvre, d’une part, de l'effarouchement simple est, par ailleurs, conditionnée à une information préalable par les agents de l'Office français de la biodiversité (OFB) en direction des personnes en charge de cette mise en œuvre, d’autre part, de l'effarouchement renforcé, lequel est subordonné à la mise en place de l'effarouchement simple et à la survenance, malgré cela, d'une deuxième attaque en moins d'un mois ou, sur les estives ayant subi au moins quatre attaques sur les deux dernières années, dès la première attaque malgré la mise en œuvre effective de moyens d'effarouchement simple lors de l'estive en cours ou encore, sur les estives ayant subi en moyenne plus de dix attaques par an au cours des trois saisons d'estive précédentes, en cas de nouvelle attaque malgré la mise en œuvre effective de moyens d'effarouchement simple durant les douze mois précédents.

La dérogation est délivrée pour une durée maximale de huit mois ne pouvant s'étendre au-delà de la saison d'estive en cours, et peut être suspendue si le compte-rendu d'une opération d'effarouchement n'est pas adressé ou si les conditions de dérogation ne sont plus réunies.

Les opérations d'effarouchement renforcé sont mises en œuvre de nuit, avec une extension possible aux périodes crépusculaires ou matinales, autour d'un troupeau regroupé pour la nuit, lorsqu'il est exposé à la prédation d'un ours repéré à sa proximité immédiate. Elles sont subordonnées à un certain nombre de conditions restrictives.

Il convient de rappeler que la population ursine, proche de l’extinction dans les années 1980, est remontée à 70 spécimens en 2022, son aire de présence passant de 3 800 km2 en 2015 à 10 400 km2 en 2019 mais que les effectifs demeurent encore inférieurs à la valeur de référence jugée nécessaire pour assurer la survie de l'espèce, estimée à un peu plus d'une centaine d'individus matures.

Pour rejeter les recours dont il était saisi, le Conseil d’État relève, au plan procédural, que c’est sans irrégularité qu’a été organisée la participation du public sur la base d’une note de présentation elle aussi régulière, que n’a pas été retenu l'avis défavorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) qui n’est qu’un avis simple et que, en qualité d’acte réglementaire celui-ci n’était pas soumis à une obligation de motivation.

Sur le fond, le juge relève, d’abord, que n’a pas été méconnu l'objectif de prévenir des dommages importants à l'élevage dès lors que les dispositions attaquées ne permettent le recours à des mesures d'effarouchement que si le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés.

Il juge ensuite que n’a pas été méconnue la condition légale relative à l'absence d'autre solution satisfaisante car contrairement à ce qui est soutenu les mesures d’effarouchement ne sont pas inefficaces et les requérants n'apportent par ailleurs pas d'éléments de nature à démontrer que d'autres mesures auraient une efficacité supérieure à celles résultant de l'arrêté attaqué. 

Par ailleurs, si les associations requérantes soutiennent que la combinaison du gardiennage par les bergers, du regroupement nocturne des troupeaux et de la présence de chiens de protection, notamment préconisée par le CNPN, constitue une autre solution satisfaisante, il ne résulte pas des pièces du dossier, au vu des éléments produits, que la mise en œuvre de telles mesures présenterait des résultats équivalents à ceux de l'effarouchement. Étant ici rappelé que ce dernier, qui n’est qu’une solution subsidiaire, ne peut être mis en œuvre que pour autant qu’existent des mesures effectives et proportionnées de protection du troupeau par leurs propriétaires ou gardiens.

Pas davantage n’est méconnu l’exigence du maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l'espèce dans son aire de répartition naturelle compte tenu des éléments rapportés plus haut qu’ils soient olfactifs ou sonores, qu’ils concernent le calibre 12 des fusils chargés de cartouches à double détonation ou de cartouches à munition en caoutchouc. Au reste, aucune incidence des mesures prises sur l'évolution de l'espèce et de son aire de répartition naturelle, notamment à travers une perte d'habitats, n'a été relevée, de même qu’aucun effet négatif particulier n'a été mis en évidence, selon les éléments versés au dossier par le ministre et qui ne sont pas utilement contestés par les associations requérantes, que ce soit s'agissant d'éventuels dommages auditifs à la suite de la mise en œuvre de tirs d'effarouchement, ou de la situation des femelles en gestation ou suitées, le nombre de ces dernières ayant sensiblement augmenté en 2019 et 2020 et qu'aucune séparation entre une femelle et son ourson n'a été constatée à la suite de la mise en œuvre d'une opération d'effarouchement renforcé.

 Enfin, les mesures querellées ne contreviennent ni au principe de précaution ni à l’exigence d’une évaluation préalable des incidences Natura 2000 des autorisations de tirs car elles ne constituent pas des plans ou projets au sens du § 3 de l'art. 6 de la directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage et de l'art. L. 414-4 du code de l'environnement pris pour sa transposition.

(10 juillet 2023, Association One Voice, n° 465654 ; Association Sea Shepherd, n° 466825)

 

148 - Délibération portant révision du plan local d’urbanisme (PLU) - Délibération précédée d’une modification des orientations du projet d'aménagement et de développement durable de la commune - Obligation d'une évaluation environnementale préalable - Absence - Annulation.

Les associations requérantes demandaient la suspension de l’exécution de la délibération par laquelle par laquelle le conseil municipal de Septeuil (Yvelines) a approuvé la révision du plan local d'urbanisme (PLU) de la commune. Elles se pourvoient en cassation de l’ordonnance rejetant leur demande.

Pour entrer en voie de cassation, le juge des référés du Conseil d’État relève qu’avant d’approuver la révision du PLU le conseil municipal avait, afin de permettre cette révision, modifié les orientations de son projet d'aménagement et de développement durable par une délibération de son conseil municipal.

Or il résulte tant des dispositions de l’art. 3 de la directive 2001/42/CE du 27 juin 2001 relative à l'évaluation des incidences de certains plans et programmes sur l'environnement que de celles de l’art. 26 du décret du 13 octobre 2021 portant modification des dispositions relatives à l'évaluation environnementale des documents d'urbanisme et des unités touristiques nouvelles, que la révision dont s'agit devait être précédée d'une évaluation environnementale et qu'en jugeant que tel n'était pas le cas, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

L’ordonnance est annulée et la suspension ordonnée.

(12 juillet 2023, Association « Sauvons la Tournelle », n° 465248 ; Association « Sauvons les Yvelines », n° 465249 ; Association Septeuil Demain, n° 465250 ; Association Septeuil Demain, n° 462251)

 

149 - Pêche récréative à l’anguille jaune - Refus d’interdiction -Absence de doute sérieux sur la juridicité de ce refus - Rejet.

L’Association requérante a saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle le ministre de la transition écologique a refusé de faire droit à sa demande tendant à ce qu'il adopte, sur le fondement de l'art. R. 436-8 du code de l'environnement, un arrêté interdisant la pêche récréative de l'anguille d'Europe au stade de l'anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, et pour une durée de cinq ans ou, à tout le moins, pour une durée de deux ans.

 Pour rejeter ce recours, le juge se fonde sur l’absence d'existence de moyens propres à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

D’abord, la requérante ne saurait utilement invoquer à l’encontre du refus contesté la méconnaissance ni des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement relatives à la participation du public à l'encontre du refus de prendre une mesure réglementaire ni du règlement (UE) du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, qui ne s'applique pas à la pêche en eau douce ni, non plus, des dispositions de l'art. L. 436-11 du code de l'environnement lesquelles n'imposent pas que les catégories de pêcheurs auquel il est interdit de pratiquer la pêche de l'anguille soient définies de manière uniforme pour la pêche en eau douce et pour la pêche maritime. 

Ensuite et surtout, si le ministre de la transition écologique n'a pas contesté ne pas disposer de données postérieures à celles déclarées en 2018 à la Commission européenne sur le nombre de pêcheurs pratiquant la pêche récréative des anguilles en eau douce, ni sur le volume d'anguilles jaunes pêchées, alors évalué à 700 tonnes par an, et ne procéder à aucune estimation de ces données entre les échéances des rapports à la Commission européenne que la France doit présenter en application de l'art. 9 du règlement (CE) n° 1100/2007, il ne résulte pas de l'instruction que l'association requérante aurait demandé aux autorités compétentes de se conformer à leurs obligations sur ce point, ou de lui fournir des informations fiables de l'évolution du volume d'anguilles jaunes pêchés en eau douce par les pêcheurs de loisir.

Dès lors, l'absence de suivi de cette pêche, pour regrettable qu'elle soit au regard des exigences résultant des dispositions des art. 9 et 11 de ce règlement, l'ampleur des volumes pêchés selon la dernière estimation disponible, l'absence de limitation des volumes et de la taille des anguilles capturées et les effets sur la santé de leur consommation invoqués par le requérant ne suffisent pas, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité du refus opposé à la demande d'interdire la pêche récréative en eau douce au regard de l'exigence de gestion équilibrée des ressources piscicoles énoncée par l'art L. 430-1 du code de l'environnement.

(ord. réf. 12 juillet 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 475177)

 

150 - Autorisation de destruction d’espèces susceptibles d’occasionner des dégâts - Inscription sur une liste ad hoc de la martre des pins et de la belette dans certains départements - Risque, pour la première, d’atteinte au grand tétras - Rejet.

Le juge des référés joint deux requêtes en référé suspension d’un arrêté ministériel du 03 août 2023 fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégâts pour la période du 1er juillet 2023 au 30 juin 2026, en ce qu'il inscrit sur cette liste la martre des pins dans les départements de l'Aude, de la Haute-Garonne, des Hautes-Pyrénées et des Pyrénées-Orientales et la belette d'Europe dans le département du Pas-de-Calais.

La première requête est rejetée motif pris de ce que la martre des pins constitue un risque pour le grand tétras, ou grand coq de bruyère, espèce dont il n'est pas contesté que, subsistant pour l'essentiel dans le massif des Pyrénées, elle est en mauvais état de conservation et fait l'objet d'une stratégie nationale d'action. Aussi, eu égard à la gravité de la situation du grand tétras, à sa grande vulnérabilité et au périmètre de l'inscription de la martre, qui est restreint aux communes du massif dans lesquelles le grand tétras est susceptible de se trouver et de se reproduire, la condition d'urgence ne peut pas être regardée comme remplie.

La seconde requête est rejetée faute pour la requérante de soulever des moyens de nature à créer un doute sérieux dans l’esprit du juge quant à la juridicité de l’arrêté querellé au regard des dégâts que la belette est susceptible d’occasionner dans le département du Pas-de-Calais.

(ord. réf. 29 août 2023, Association One Voice, n° 480996 ; Ligue pour la protection des oiseaux, n° 482270, jonction)

 

151 - Produits phytopharmaceutiques -  Actions standardisées d'économie de produits phytopharmaceutiques - Appel à contribution national et  évaluation des actions standardisées d’économie transmises dans le cadre de cet appel - Politique de diminution du recours aux produits phytopharmaceutiques imposée aux mise en vente, vente ou distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques - Conformité à des actions standardisées fixées par le ministre de l’agriculture - Incompatibilité entre actions de vente et de conseil - Rejet.

La société requérante demande, d’une part l’annulation de  l'arrêté du ministre de l'agriculture du 29 juin 2021 portant modification de l'arrêté du 9 mai 2017 définissant les actions standardisées d'économie de produits phytopharmaceutiques ainsi que la décision implicite de rejet de sa demande de publier, dans un délai de deux mois, les actions standardisées résultant des fiches action intitulées : « Diminuer l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en recourant à une certification environnementale des exploitations en grande culture de Champagne Crayeuse »  et « Raisonnement de la protection des céréales à paille contre les maladies fongiques du feuillage avec l'aide du service C-3PO », d’autre part qu’injonction soit faite à ce ministre de prendre un nouvel arrêté incluant les actions standardisées résultant des fiches actions en litige dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration de ce délai.

Le recours est rejeté par une décision d’une grande importance théorique et pratique.

Il convient tout d’abord d’indiquer que la réglementation européenne (directive 2009/128/CE du 21 octobre 2009) relayée par le droit national (notamment les art. L. 254-1, L. 254-6-2 et L. 254-10-1 du code rural), a instauré un cadre d'action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides qui soit compatible avec le développement durable en particulier en réduisant les risques et les effets des pesticides sur la santé humaine et sur l'environnement et en encourageant le recours à la lutte intégrée contre les ennemis des cultures et à des méthodes ou techniques de substitution, telles que les moyens non chimiques alternatifs aux pesticides.

C’est pourquoi, les dispositions législatives susindiquées instaurent deux séries d’exigences.

Positivement, elles décident, en premier lieu, que les entreprises assurant la mise en vente, la vente ou la distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques aux utilisateurs de ces produits, mentionnées au 1° du II de l'article L. 254-1 du code rural, sont soumises à des obligations de réalisation d'actions tendant à la réduction de l'utilisation de ces produits, notamment par des actions de conseil, et en second lieu (cf. art. R. 254-34 de ce code), que ces actions doivent être conformes à des actions standardisées arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture.

Négativement, ces dispositions posent un principe d’incompatibilité entre l'exercice de ces activités de mise en vente, vente ou distribution à titre gratuit des produits phytopharmaceutiques et l'activité de conseil mentionnée au 3° du II de l’art. L. 254-1 précité, consistant en la fourniture, à titre professionnel, de conseils stratégiques ou de conseils spécifiques. On comprend que cette incompatibilité vise à garantir aux utilisateurs un conseil objectif de nature à permettre la réduction de l'utilisation et des impacts de ces produits.

Il résulte ainsi de la dernière phrase du VI de l'article L. 254-1 (selon laquelle : « Toutefois, cette incompatibilité ne fait pas obstacle à ce que les personnes exerçant les activités mentionnées au 1° du II délivrent les informations énumérées au premier alinéa de l'article L. 254-7, ni à ce qu'elles promeuvent, mettent en place ou facilitent la mise en œuvre des actions tendant à la réduction de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques prévues à l'article L. 254-10-1 ») qu’elle a pour unique objet d'autoriser les personnes assurant la vente ou la distribution de produits phytopharmaceutiques, tenues de mettre en place des actions visant à la réalisation d'économies de tels produits, d'une part, à délivrer des informations relatives à l'utilisation, aux risques et à la sécurité d'emploi des produits qu'elles commercialisent et, d'autre part, à promouvoir auprès des utilisateurs de ces produits la mise en œuvre des actions contribuant à la réduction de l'utilisation de tels produits, prévues à l'article L. 254-10-1, et à leur apporter une assistance à la mise en place de ces actions, pour autant que ces actions ou l'assistance à leur mise en place ne relèvent pas d'une activité de conseil stratégique ou spécifique telle que définie par les dispositions de l'art. L. 254-6-2 du code rural.

Il suit de là que l'incompatibilité entre les actions de vente et de conseil prévue par le VI de l'article L. 254-1 du code rural vise à garantir aux entreprises utilisatrices de produits phytopharmaceutiques un conseil objectif de nature à permettre la réduction de l'utilisation et des impacts des produits phytopharmaceutiques. C’est pourquoi une telle garantie n'est pas contraire aux objectifs de la directive précitée en instaurant une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable et elle n'empêche pas les personnes exerçant les activités mentionnées au 1° du II de l'article L. 254-1 du code rural de satisfaire à leurs obligations relevant de ces mêmes objectifs.

Doit donc être écarté le moyen tiré de ce que les dispositions de cet article seraient contraires aux objectifs de cette directive, au seul motif qu'elles s'opposeraient à la mise œuvre d'actions telles que celle en litige.

Enfin, en dernier lieu, la fiche action intitulée « Diminuer l'utilisation de produits phytopharmaceutiques en recourant à une certification environnementale des exploitations en grande culture de Champagne Crayeuse », dont la SCARA demandait l'inclusion dans les actions standardisées arrêtées par le ministre chargé de l'agriculture et qui a vocation à être réalisée par elle-même en sa qualité d'obligé au sens des dispositions de l'article L.254-10-1 du code rural, porte sur un accompagnement des agriculteurs, utilisateurs de produits phytosanitaires en vue de l'obtention d'une certification, cette démarche reposant notamment sur la réalisation d'un diagnostic environnemental et la rédaction d'un plan de progrès, les exploitants étant à cet effet « accompagnés, formés et étroitement conseillés » par le pôle Agronomie, Innovation et Services de la SCARA et par ses techniciens, y compris « sur le terrain » et au travers notamment d' « interventions en bout de champ ».

Il est certain qu’une telle action qui comprend également, au-delà d'une formation générale à la démarche de certification, des conseils et un accompagnement adaptés à chaque exploitation, inclut des activités de conseil stratégique au sens de l'art. L. 254-6-2 du code rural. Or une telle action, quand bien même il n'est pas contesté que sa mise en œuvre permet la réduction de l'emploi de produits phytopharmaceutiques, ne saurait donc être mise en œuvre par des vendeurs de produits phytopharmaceutiques, dont il est constant que la SCARA fait partie, sans méconnaître l'incompatibilité entre actions de vente et actions de conseil prévue par le VI de l'article L. 254-1 précité.

C’est donc sans erreur de droit que le ministre de l'agriculture a pu refuser de retenir cette action parmi les actions standardisées qu'il a arrêtées. 

(13 juillet 2023, Société coopérative agricole de la région d'Arcis-sur-Aube (SCARA), n° 459774)

 

152 - Demande d’interdiction de la vénerie sous terre du blaireau - Demande d’abrogation sans effet d’un acte réglementaire en l’état de la législation - Demande d’abrogation de l’autorisation d’une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau - Rejet.

Les requérantes demandent l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la ministre de la transition écologique et solidaire :

- d’une part, sur leur demande tendant à l'interdiction de la vénerie sous terre du blaireau et d'enjoindre au ministre d'interdire la vénerie sous terre du blaireau et d'abroger l'art. R. 424-5 du code de l'environnement et les art. 1, 3, 4, 5 et 6 de l'arrêté du 18 mars 1982 relatif à l'exercice de la vénerie, afin d'en exclure le blaireau ;

- d’autre part, à titre subsidiaire, sur leur demande tendant à l'interdiction de la période complémentaire de vénerie sous terre du blaireau et d'enjoindre au ministre d'abroger le deuxième alinéa de l'art. R. 424-5 du code de l'environnement.

Les deux demandes sont rejetées.

En premier lieu, l’art. R. 424-5 précité se bornant à préciser les périodes d’ouverture de la pratique de la vénerie sous terre qui est autorisée par l'art. L. 424-4 du code précité, les conclusions y relatives ne peuvent être que rejetées.

En second lieu, sont rejetées les conclusions tendant  à l'abrogation du deuxième alinéa de l'art. R. 424-5 du code de l'environnement, en tant que ses dispositions autorisent une période de chasse complémentaire par vénerie sous terre du blaireau à compter du 15 mai car elles n'ont pas par elles-mêmes pour effet d'autoriser la destruction de petits blaireaux ou de nuire au maintien de l'espèce dans un état de conservation favorable, le préfet étant notamment tenu, pour autoriser cette période de chasse complémentaire, de s'assurer, en considération des avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage et des circonstances locales, qu'une telle prolongation n'est pas de nature à porter atteinte au bon état de la population des blaireaux ni à favoriser la méconnaissance, par les chasseurs, de l'interdiction légale de destruction des petits blaireaux.

(28 juillet 2023, Association AVES France, association pour la Protection des Animaux Sauvages et association One Voice, n° 445646)

 

153 - Sincérité des consultations publiques - Garantie - Demande d'abrogation de l'article D. 123-46-2 du code de l'environnement - Demande d’instauration de garanties supplémentaires - Rejet.

La fédération requérante demande l'annulation du refus implicite opposé par le premier ministre à sa demande d'abrogation de l'art. D. 123-46-2 du code de l'environnement et, subsidiairement, à sa demande d'édiction de dispositions réglementaires de nature à permettre d'assurer la sincérité des consultations organisées sur le fondement de l'art. L. 123-19-1 du même code.

On sait que l’une des exigences les plus difficiles à satisfaire ou à respecter lors des consultations publiques est la fiabilité de leurs résultats eu égard aux personnes intervenues (groupes sociaux, économiques, politiques idéologiques, etc.), aux plans, données et précisions fournis (complétude, objectivité, lisibilité, intelligibilité, etc.), aux époques de leur déroulement, au contexte local et plus général, etc. Cela fait beaucoup et, par suite, il est très difficile d’y voir une solution optimale d’où des interrogations à l’infini sur le respect, ou non, de l’art. 7 de la Charte de l’environnement sans parler, d’une part, d’innombrables conventions internationales dont aucune procédure non plus qu’aucun organe n’a explicitement la charge d’assurer juridiquement la cohérence les unes par rapport aux autres, d’autre part, du droit de l’Union applicable en ces matières. Cela fait probablement trop.

C’est dans cette optique que l’art. L. 123-19-1 du code de l'environnement a pour ambition de définir les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public est applicable aux décisions à caractère collectif ayant une incidence sur l’environnement. C’est également dans ce cadre que se situe le présent litige.

Nul ne sera surpris du rejet des deux chefs de demandes de la fédération requérante.

En premier lieu est rejetée la demande d’annulation du refus d'abroger l'art. D. 123-46-2 du code de l'environnement d’abord parce que cette disposition réglementaire ne saurait être confrontée directement à l’art. 7 précité de la Charte de l’environnement, ensuite parce que le Conseil d’État a déjà refusé la transmission d’une QPC relative à la conformité de cet article législatif à ladite Charte, enfin parce que ne saurait, non plus, être opposée ici l’art. 8 de la convention d’Aarhus car ces stipulations créent seulement des obligations entre les États parties à la convention et ne produisent pas d'effets directs dans l'ordre juridique interne.

En second lieu, est rejetée la demande d’annulation du refus d'édicter des dispositions réglementaires supplémentaires de nature à garantir la fiabilité de la participation du public en particulier pour lutter contre les doublons, les usurpations d’identité, etc., dans les observations faites par le public, le juge estimant que les dispositions de l'art. L. 123-19-1 du code de l'environnement permettent à l'autorité administrative de distinguer, parmi les observations du public, celles n'ayant aucun lien avec l'objet de la consultation ou exprimant des positions générales ou de principe, de celles se prononçant sur le projet objet de la consultation. Elles permettent également à cette même autorité d'écarter certaines observations en cas de doublons, ou en raison de leur caractère incomplet ou sans lien avec l'objet de la consultation, de nature à apporter ainsi une garantie sur la fiabilité des avis exprimés par le public, nonobstant les risques qui peuvent résulter à cet égard du recours à la voie électronique, comme d'ailleurs de la voie postale. L’argumentation ne répond pas vraiment au moyen car de ce que des mécanismes soient prévus ne résulte évidemment pas leur mise en œuvre réelle ou leur efficacité certaine.

(28 juillet 2023, Fédération nationale des chasseurs, n° 461565)

 

154 - Audit énergétique (art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation) - Professionnels susceptibles d’effectuer cet audit - Compétence du pouvoir réglementaire - Appréciation de la capacité des professionnels pour accomplir cette fonction - Accès gratuit à la connaissance du contenu des normes applicables - Discrimination entre acteurs de la certification énergétique - Rejet.

La requérante, habituée des prétoires sur ce sujet, demande l’annulation du décret n° 2022-780 du 4 mai 2022 relatif à l'audit énergétique mentionné à l'art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation. Ses griefs sont, une nouvelle fois, rejetés.

Il ne saurait être soutenu que le pouvoir réglementaire aurait été incompétent pour prévoir, par le décret attaqué, que les professionnels certifiés pour réaliser un diagnostic de performance énergétique et souhaitant réaliser des audits énergétiques devraient disposer d'une certification pour ce faire, attestant qu'ils justifient des compétences nécessaires, puisque ce pouvoir a été habilité par l’art. L. 126-28-1 du code de la construction et de l'habitation à déterminer le niveau de compétence et de qualification des auditeurs.

Il ne saurait non plus être soutenu que les textes applicables ici méconnaissent l'art 9 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur car ces textes précisent les qualifications dont les professionnels doivent justifier pour effectuer l'audit énergétique mais ne mettent pas en place, par eux-mêmes, un régime d'autorisation d'une activité de service au sens de cet article, qui précise seulement les conditions selon lesquelles les États membres peuvent subordonner l'accès à une activité de service et son exercice à un régime d'autorisation.

Semblablement, ne saurait être opposé au décret litigieux l'art. L. 6351-1 A du code du travail, selon lequel : « L'employeur est libre de choisir l'organisme de formation (...) auquel il confie la formation de ses salariés », qui se borne à préciser les conditions dans lesquelles est apprécié le niveau de compétence et de qualification des professionnels réalisant l'audit énergétique.

Pas davantage le décret attaqué ne saurait être jugé contraire au règlement européen du 9 juillet 2008 fixant les prescriptions relatives à l'accréditation et à la surveillance du marché pour la commercialisation des produits, dont les dispositions n'ont pas pour objet, contrairement à ce que soutient la société requérante, d'interdire l'application de normes autres que celles qui auraient fait l'objet d'une harmonisation au niveau de l'Union Européenne. 

Encore, la circonstance que la norme NF EN/ISO/CEI 17000 ne soit pas gratuitement accessible est sans incidence sur l'obligation de certification imposée par le décret attaqué dès lors qu’il s’agit d’une norme générale non obligatoire reprenant des définitions issues de normes elles-mêmes gratuitement accessibles. En outre, le fait, pour les professionnels intéressés, de devoir attester sur l'honneur qu'ils ont besoin d'accéder à la norme pour pouvoir la consulter gratuitement ne méconnaît pas les termes de l'article 17 du décret du 16 juin 2009, lesquels imposent seulement que la consultation se fasse gratuitement. 

Enfin, la différence établie entre les architectes et d’autres professionnels concernant la réalisation des audits énergétiques ne constitue pas une discrimination illégale dès lors que les architectes sont, en raison de leurs qualifications propres et des obligations professionnelles qui s'imposent à eux, placés dans une situation différente de celle des autres professionnels concernés.

(28 juillet 2023, Société Tekimmo, n° 465505)

 

155 - Demande de fermeture partielle de la pêche maritime du 1er au 15 août 2023 dans tous les sites Natura 2000 dédiées au grand dauphin et au marsouin commun du Golfe de Gascogne - Activité de diverses espèces de chalutiers - Réduction ou élimination des captures accidentelles d'espèces protégées imputables à la pêche - Directive « Habitats » et principe de précaution - Conditions de combinaison des prescriptions des art. L. 414-2 et L. 414-4, II bis, du code de l'environnement relatifs aux documents d'objectifs définissant, pour chaque site Natura 2000 les orientations de gestion et les mesures de prévention appropriées pour éviter la détérioration des habitats naturels de la faune ou de la flore - Absence d’urgence - Rejet.

L’association requérante a demandé que soit suspendue l'exécution de la décision implicite de refus du ministre de l'agriculture et du secrétaire d'État chargé de la mer de faire droit à sa demande tendant à la fermeture partielle de la pêche maritime du 1er au 15 août 2023 dans tous les sites Natura 2000 dédiées au grand dauphin et au marsouin commun du Golfe de Gascogne en ce qui concerne l'activité des chalutiers pélagiques en paire ciblant des espèces démersales, des chalutiers de fond ciblant des espèces pélagiques et démersales, des filets tramails ciblant des espèces pélagiques et démersales, des chalutiers pélagiques à panneaux ciblant des espèces démersales, des sennes ciblant les petites espèces pélagiques, des filets maillants ciblant les espèces pélagiques et démersales et des chalutiers pélagiques en paire ciblant les grandes espèces pélagiques.

La demande de référé suspension est rejetée au terme d’une très longue décision qui reprend sur bien des points l’analyse qu’avait effectuée la décision du Conseil d’État du 20 mars 2023, France nature Environnement et autres (req. n°s 449788, 449849, 453700, 459153) (V. cette Chronique, mars 2023, n° 125), laquelle enjoignait à l’État, sous six mois :

1°/ de prendre des mesures complémentaires de nature à réduire l'incidence des activités de pêche dans le golfe de Gascogne sur la mortalité accidentelle des petits cétacés à un niveau ne représentant pas une menace pour l'état de conservation de ces espèces, en assortissant les mesures engagées ou envisagées en matière d'équipement des navires en dispositifs de dissuasion acoustique, tant que n'est pas établie leur suffisance pour atteindre cet objectif, sans porter atteinte dans des conditions contraires à celui-ci à l'accès des petits cétacés aux zones de nutrition essentielles à leur survie, de mesures de fermeture spatiales et temporelles de la pêche appropriées ;

2°/ de mettre en œuvre des mesures complémentaires permettant d'estimer de manière fiable le nombre de captures annuelles de petits cétacés, notamment en poursuivant le renforcement du dispositif d'observation en mer, et de disposer d'éléments suffisamment précis pour définir et évaluer les mesures de conservation nécessaires pour assurer que ces captures ou mises à mort involontaires n'aient pas une incidence négative importante sur ces espèces.

De ce chef fait ici défaut la condition d’urgence compte tenu de l’imminence de l’expiration de ce délai de six mois.

On se permet de renvoyer le lecteur intéressé, pour le surplus de cette décision, au texte même de celle-ci.

(ord. réf. 31 juillet 2023, Association Défense des milieux aquatiques, n° 476028)

 

156 - Obligation d’achat ou d’utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises - Atteinte à divers droits et libertés (principe d’égalité, liberté d’entreprendre, liberté du commerce et de l’industrie) - Absence - Rejet.

Le syndicat requérant soulève une QPC fondée sur la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'art. L. 224-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat ou d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises.

La transmission de cette question est refusée.

Tout d’abord, est rejeté le moyen reposant sur l’atteinte au principe d’égalité en raison de la distinction que les dispositions de l'art. L. 224-10 du code précité établissent entre les sociétés de financement auxquelles il peut être fait appel pour l'acquisition de véhicules automobiles et les entreprises ayant pour activité la location de véhicules en longue durée méconnaîtrait l'égalité de traitement entre ces deux catégories d'entreprises, dont les offres sont concurrentes. En effet, les sociétés de financement automobile, dès lors qu'elles ne gèrent pas de parcs de véhicules automobiles, et eu égard au fait qu'elles ne rendent pas à leurs clients des prestations de même nature que les sociétés de location de longue durée, se trouvent, au regard de la législation considérée, dans une situation différente.

Ensuite, est aussi rejeté le moyen reposant sur l’atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie ainsi qu’à la liberté d’entreprendre. En effet, le législateur a imposé aux entreprises gestionnaires d'un parc de plus de cent véhicules automobiles l'acquisition ou l'utilisation, à l'occasion du renouvellement de ce parc, d'une proportion croissante de véhicules à faibles niveaux d'émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, le législateur a entendu réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports, notamment pour satisfaire aux engagements de la France contenus dans l'art. L. 220-1 du code de l'environnement le taux de remplacement devant passer de  10 à 50 % entre 2022 et 2030.

Il suit de là que les atteintes portées à ces libertés ne sont pas manifestement disproportionnées.

(02 août 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD), n° 454045)

 

157 - Emballages des fruits et légumes - Interdiction d'exposer à la vente les fruits et légumes frais non transformés conditionnés sous emballages composés pour tout ou partie de matière plastique – Absence d’urgence – Rejet de la requête en référé suspension de cette mesure.

Le Conseil d’État rejette la demande de suspension d’exécution du décret n° 2023-478 du 20 juin 2023 relatif à l'obligation de présentation à la vente des fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, formée par l’une des habituées de son prétoire, en raison de la non satisfaction de la condition d’urgence.

Le juge estime que la seule production d'une attestation du président d'une entreprise, se bornant à faire état, sans l'étayer, des difficultés engendrées par l'entrée en vigueur du décret litigieux, et les quelques éléments chiffrés produits ne permettent pas d'apprécier l'impact pour les entreprises concernées de l'application du décret contesté, au-delà de ce qu'implique la loi elle-même, ni, en tout état de cause, la gravité des atteintes invoquées pour ce secteur d'activité. En outre, le décret comporte les exemptions prévues par la loi, d’une part, pour les fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme et autres, d’autre part, pour une trentaine de fruits et légumes, y compris de consommation courante, en plus des fruits mûrs à point et des graines germées, pour lesquels, en raison d'un risque de détérioration à la vente en vrac, une exemption est prévue. Enfin, les fruits et légumes qui ne sont pas exemptés peuvent être exposés à la vente avec un conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique jusqu'au 31 décembre 2023.

(ord. réf. 21 juillet 2023, Syndicat Alliance Plasturgie et Composites du Futur (Plastalliance), n° 476116)

(158) V. aussi, sur l’appréciation de la condition d’urgence par le juge du référé liberté cette fois, dans une hypothèse où le juge judiciaire a ordonné le placement d’une enfant hors du cadre familial en raison de la violence répétée de sa mère et, faute que le département ait pu prendre en charge cette enfant, l’a placée chez sa grand-mère. Le juge des référés du Conseil d’État, confirmant l’ordonnance rendue en première instance et tout en regrettant que le département n’ait pas obtempéré à la demande que lui a adressée le juge judiciaire, estime que, pour l’heure, il n’y a pas d’urgence particulière, au sens de l’art. L. 521-2 CJA, à statuer : ord. réf. 21 juillet 2023, Mme B., n° 476140.

(159) V. aussi, insistant sur le caractère particulier de l’urgence de l’art. L. 521-2 CJA qui n’est pas celle du référé suspension de l’art. L. 521-1, à propos d’une demande d'intervention rapide afin de remédier aux « intrusions informatiques permanentes en provenance de la gendarmerie nationale », ainsi qu'aux actes « intenables de cyber surveillance » dont il fait l'objet et qui n’est pas jugée revêtir l’urgence propre au référé liberté qui rendrait nécessaire la prise de mesures effectives et efficaces sous quarante-huit heures : ord. réf. 25 juillet 2023, M. A., n° 475774.

 

État-civil et nationalité

 

160 - Naturalisation - Retrait d’un décret de naturalisation - Mensonges sur l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la république française - Défaut d’assimilation - Prise en compte d’éléments postérieurs à la date de la décision - Rejet.

Est rejeté le recours formé contre le décret primo-ministériel du 24 décembre 2021 rapportant le décret du 3 juillet 2019 prononçant la naturalisation du requérant au motif que son bénéficiaire a menti sur son adhésion aux principes et valeurs de la république française alors même que les éléments de fait établissant la réalité de son défaut d’assimilation à la communauté nationale française n’ont été connus que postérieurement à la date d’édiction du décret de naturalisation.

(11 juillet 2023, M. C., n° 462174)

(161) V. aussi, rejetant la demande d’annulation du décret rapportant le décret de naturalisation accordé à un ressortissant algérien pour avoir menti sur sa situation matrimoniale, affirmant être célibataire à une époque où il était déjà marié à une ressortissante algérienne vivant à l’étranger : 11 juillet 2023, M. B., n° 467209.

(162) V. également, rejetant la demande d’annulation du décret rapportant le décret de naturalisation accordé à un ressortissant tunisien pour n’avoir pas porté à la connaissance de l’administration, alors qu’il est intervenu durant l'instruction de sa demande de naturalisation, son mariage avec une ressortissante tunisienne résidant dans son pays d’origine : 20 juillet 2023, M. D., n° 472998.

(163) V. encore, rejetant pour défaut d’urgence la demande de suspension du décret rapportant le décret de naturalisation de la requérante au motif qu'il avait été obtenu par fraude, en raison de la dissimulation volontaire par l'intéressée de son mariage avec un ressortissant marocain résidant à l'étranger, intervenu pendant l'instruction de sa demande. En effet, ce retrait n'implique pas, par lui-même, que Mme B. et sa fille seraient privées de tout droit au séjour sur le territoire français et que l'intéressée risquerait en conséquence de perdre l'emploi qu'elle occupe, alors au demeurant qu'il résulte de l'instruction qu'elle a rendez-vous le 31 juillet 2023 à la préfecture de Versailles pour déposer une demande de titre de séjour : ord. réf. 25 juillet 2023, Mme B., n° 475940.

(164) V., très comparable à la décision précédente, le rejet, pour défaut d’urgence, de la demande de suspension du retrait du décret de naturalisation d’un ressortissant sénégalais pour fraude en raison de la dissimulation de son mariage avec une ressortissante sénégalaise résidant à l'étranger, intervenu au Sénégal pendant l'instruction de sa demande : ord. réf. 25 juillet 2023, M. B., n° 475959.

(165) V. rejetant le recours dirigé contre le refus d’acquisition de la nationalité française opposé au demandeur au motif qu’il ne peut être regardé comme assimilé à la communauté française, notamment pour avoir été en relation avec plusieurs individus en lien direct avec une organisation à caractère terroriste et en avoir minimisé la gravité lors d'un entretien réalisé dans le cadre de sa demande de naturalisation en 2021 ainsi que pour avoir adopté un mode de vie caractérisé par une soumission des femmes qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l'égalité entre les sexes. La circonstance que le requérant fasse valoir que les contacts qui lui sont prêtés sont anciens et sa pleine intégration à la société française ne saurait l’emporter sur le fait que l’intéressé ne conteste pas sérieusement et en tout état de cause, par de simples attestations signées de lui et de sa femme, les propos qu'il a tenus qui révèlent un défaut d'adhésion aux valeurs essentielles de la société française : 11 juillet 2023, M. A., n° 466865.

(166) V., très comparable à la décision précédente, rejetant un recours en annulation d’un rejet de déclaration d'acquisition de la nationalité française (art. 21-13-1 du code civil) formée par un ressortissant sénégalais ayant vécu pendant vingt-huit ans en état de bigamie soit jusqu’au décès de l’une des femmes : 11 juillet 2023, M. A., n° 467163.

 

167 - Étranger naturalisé français - Demande d’inscription du nom de son enfant sur l’acte de naturalisation - Enfant né avant la signature du décret de naturalisation - Refus (art. 22-1 du Code civil).

Il résulte des dispositions de l’art. 22-1 du Code civil qu'un enfant mineur ne peut devenir français de plein droit par l'effet du décret qui confère la nationalité française à l'un de ses parents qu'à condition, d'une part, que ce parent ait porté son existence, sauf impossibilité ou force majeure, à la connaissance de l'administration chargée d'instruire la demande préalablement à la signature du décret et, d'autre part, qu'il ait, à la date du décret, résidé avec ce parent de manière stable et durable sous réserve, le cas échéant, d'une résidence en alternance avec l'autre parent en cas de séparation ou de divorce.

En l’espèce, pour justifier n’avoir point informé l’autorité administrative de la naissance de sa fille préalablement à la signature du décret lui accordant la nationalité française et que celle-ci ne résidait pas habituellement avec lui, le requérant soutient qu'il était dans l'impossibilité de produire l'acte de naissance de sa fille, née en Côte d'Ivoire en mars 2020, avant l'intervention du décret en raison du confinement et de la fermeture des frontières intervenus dans le cadre de la crise sanitaire et que ceux-ci justifiaient la résidence de l'enfant dans ce pays. Toutefois, il n'établit ni avoir été dans l'impossibilité de porter cette naissance à la connaissance de l'administration, ni l'existence de démarches en vue de faire venir l'enfant auprès de lui, entre la naissance et sa naturalisation. 

Est donc rejeté son recours tendant à voir annulé le refus qui a été opposé à sa demande de modification du décret de naturalisation pour y porter mention du nom de sa fille, afin de lui permettre de bénéficier de la nationalité française en vertu de l'effet collectif attaché à sa naturalisation.

(11 juillet 2023, M. A., n° 467016)

(168) V. aussi, très voisin, rejetant le recours dirigé contre le refus du ministre de l’intérieur de mentionner deux enfants, A et B, sur le décret de naturalisation. Or il résulte d’un jugement judiciaire que la résidence habituelle de l'enfant A a été fixée chez sa mère, M. D ne s'étant vu octroyer qu’un droit de visite et d'hébergement. Concernant l’enfant B, M. D n'a pas porté l'existence de cet enfant à la connaissance de l'administration chargée d'instruire sa demande de naturalisation préalablement à la signature du décret : 20 juillet 2023, M. D., n° 468613 et n° 469343.

(169) V. également, rejetant une demande de mentionner un enfant adopté, afin de le faire bénéficier de la nationalité française en vertu de l'effet collectif attaché à sa naturalisation car le procès-verbal de consentement à l'adoption du tribunal départemental hors classe de Dakar du 29 août 2012 a rompu de manière complète et irrévocable le lien de filiation préexistant avec les parents de l'enfant. Ce procès-verbal ne peut ainsi être regardé comme ayant conduit à une adoption plénière de nature à permettre de faire bénéficier l'enfant de la nationalité française par l'effet de l'article 22-1 du code civil : 20 juillet 2023, M. A., n° 468113.

 

170 - Décret autorisant la perte de la qualité de Français - Demande de retrait ou d’abrogation - Demande de recouvrement de la nationalité française - Régime de la réintégration - Rejet.

La requérante conteste le refus du ministre de l’intérieur d’accéder à sa demande de retirer le décret du 25 juin 1980 la libérant de ses liens d'allégeance à l'égard de la France. 

Le Conseil d’État rejette sa requête au motif que cette décision a été prise sur la demande formulée le 1er août 1977 par le père de l'intéressée, alors mineure, et après avoir obtenu de sa part une confirmation sans équivoque de son souhait d'être libéré, avec sa femme et ses enfants, de ses liens d'allégeance à l'égard de la France.

L’intéressée ne peut donc recouvrer la nationalité française (cf. art. 24 du Code civil) qu’en sollicitant sa réintégration dans la nationalité française soit en obtenant un décret à cet effet qui est subordonné aux conditions et aux règles de la naturalisation soit en formulant une déclaration souscrite, en France ou à l'étranger, conformément aux articles 26 et suivants du Code civil, à condition d’avoir conservé ou acquis avec la France des liens manifestes, notamment d'ordre culturel, professionnel, économique ou familial.

(20 juillet 2023, Mme B., n° 468834)

 

Étrangers

 

 

171 - Certificat de nationalité française - Refus du juge judiciaire - Demande de restitution du passeport et de la carte d’identité - Incompétence du juge des référés du Conseil d’État - Rejet.

Le Conseil d’État ne peut être saisi directement d’un recours en référé que si le litige principal auquel se rattache ou est susceptible de se rattacher la mesure d'urgence qu'il lui est demandé de prendre ressortit lui-même à la compétence directe du Conseil d'État. Tel n’est pas le cas de la demande par laquelle l’intéressée sollicite la suspension de la décision d’un sous-préfet lui ordonnant, suite au rejet de sa demande de délivrance de certificat de nationalité française par le tribunal judiciaire de Paris, de restituer son passeport et sa carte d'identité.

Le juge décline donc sa compétence au moyen, dérogatoire, prévu par l’art. R. 522-8-1 du CJA, d’une ordonnance.

(ord. réf. 28 août 2023, Mme B., n° 487229.)

(172) V. la solution identique retenue, envers la requête de la même requérante tendant à voir le juge des référés du Conseil d’État suspendre l'exécution de la décision du 30 mars 2023 par laquelle le ministre de la justice a confirmé le refus de délivrance d'un certificat de nationalité française opposé par le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Paris : ord. réf. 28 août 2023, Mme B., n° 487207.

 

173 - Ressortissants étrangers demandant l’asile seulement pour leur enfant mineure - Risque d’excision - Délivrance d’une carte de retrait ou de paiement - Obligation pour les parents ou l’un d’eux de détenir des pièces d’identité en original - Annulation et rejet.

Ce genre de litiges ne cesse de se développer (V., par ex., cette Chronique, juin 2023, n° 122, ord. réf. 02 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474282 ; ord. réf. 05 juin 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 474281).

Un couple de ressortissants ivoiriens non demandeurs d’asile a sollicité l’asile pour leur fille née en Côte d’Ivoire, âgée de dix ans environ, en raison du risque d’être exposée à une excision du clitoris et demandé, notamment, l’octroi d’une carte de retrait ou de paiement (cf. art. D. 553-18 CESEDA).

Le juge du référé liberté, sur recours de ces personnes, a enjoint l’OFII de verser à Mme et M. A. l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) allouée à leur fille en leur délivrant la carte de retrait ou de paiement prévue par l'article D. 553-18 du CESEDA, dans un délai de quarante-huit heures, le tout assorti d’une astteinte de 150 euros par jour de retard. 

L’Office interjette appel de cette ordonnance en tant qu’elle ordonne la délivrance d’une carte et que soit versée l’ADA. Il indique qu’une telle carte ne peut être délivrée qu’à des personnes majeures présentant à cet effet, en l’état de la législation bancaire française et pour un motif de prévention de fraude comme de blanchiment d’argent, des documents d’état civil originaux dont les intéressés ne disposent pas.

Estimant qu’il est loisible pour ces derniers de s’adresser à leur consulat ou à leur ambassade en France pour demander la délivrance desdites pièces originales et tenant compte des efforts faits par l’administration, le juge des référés du Conseil d’État décide, « dans les circonstances très particulières de l'espèce et en l'état de l'instruction » que le comportement de l’OFII ne révèle pas une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile.

L'ordonnance attaquée est annulée en ce qu’elle fait injonction à l’OFII de délivrer aux parents une carte de paiement.

(ord. réf. 04 juillet 2023, Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), n° 475122 et n° 475165)

 

174 - Documents de caractère officiel - Pièces émanant de l’État italien - Documents jugés non probants par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dénature les pièces du dossier et encourt annulation la décision par laquelle la Cour nationale du droit d’asile relève, pour écarter la valeur probante de documents, sans en contester le caractère officiel, l'approximation des mentions y figurant, l'absence de production du relevé d'empreintes issu du fichier Eurodac, ainsi que le défaut de production d'éléments à la fois sur le déroulement précis de la procédure de demande d'asile en Italie et sur les motifs pour lesquels le requérant aurait obtenu cette protection, alors que répondant à une mesure d’instruction ordonnée par la Cour, le ministre de l'intérieur a produit deux documents émanant du ministère de l'intérieur italien indiquant que le requérant bénéficiait de la protection subsidiaire en Italie et s'était vu délivrer un titre de séjour valable jusqu'au 4 janvier 2023. 

(20 juillet 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 465691)

(175) V. aussi, jugeant que la CNDA a rendu une décision sur procédure irrégulière quand, après avoir relevé que le demandeur à la reconnaissance de la qualité de réfugié ou à l’octroi de la protection subsidiaire craignait avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques en cas de retour dans son pays d'origine, elle rejette néanmoins son recours au vu de la condamnation dont il avait fait l'objet et de la menace grave pour la société qu'il représentait ainsi, au sens du 2° de l'article L. 511-7 du CESEDA alors que cette clause permettant de refuser le statut de réfugié n’avait pas été invoquée lors de l'instruction de l'affaire, que les parties n’avaient pas été préalablement informées que la Cour entendait soulever d'office son application : 20 juillet 2023, M. B., n° 466241.

 

176 - Ressortissantes étrangères se trouvant au Soudan - Demandes d’attribution de visas au titre de la réunification familiale avec leur mère - Mère ayant en France la qualité de réfugiée - Demande d’évacuation des intéressées via l’Égypte - Pouvoirs du juge des référés - Relations internationales de la France - Rejets.

L’affaire est aussi complexe que dramatique.

Deux filles mineures, B. et D., se trouvant au Soudan, bloquées à la frontière avec l’Égypte, ont saisi le ministre de l’intérieur d’une demande de visa pour rejoindre en France leur mère, Mme I., qui y dispose de la qualité de réfugiée.

La juge des référés du tribunal administratif de Nantes, saisi d’un référé liberté par Mme I. agissant au nom de ses filles mineures, a, sur un premier recours, d’abord enjoint au ministre de l'intérieur, par ordonnance du 15 juin 2023, de délivrer un laissez-passer aux jeunes B. et D. en vue de leur entrée en France et de prendre toute mesure pour remettre de manière effective aux intéressées ces documents, dans un délai de 72 heures à compter de la notification de son ordonnance. Ensuite, cette même ordonnance a en revanche rejeté les demandes concernant les autres personnes accompagnant ces jeunes filles.

Le ministre de l'intérieur a interjeté appel de cette ordonnance en tant qu'elle a fait droit à certaines des demandes de Mme I.

Par ailleurs, Mme I. a à nouveau saisi ce même juge d’un référé liberté afin qu’elle ordonne des mesures immédiates permettant d’assurer l’exécution de l'ordonnance du 15 juin 2023, à titre principal par la remise à Mme I... d'un laissez-passer et d'un visa, dans un délai de 24 heures à compter de l'ordonnance à intervenir, à titre subsidiaire, par le déplacement d'un agent consulaire auprès des jeunes B. et D. pour leur remettre un laissez-passer et les accompagner lors de la traversée de la frontière avec l’Égypte. Ces demandes ont été rejetées par une ordonnance du 3 juillet 2023 dont Mme I. interjette appel. 

Les deux appels joints soulèvent deux questions de droit distinctes : celle du droit des intéressées à l’obtention des visas, celle du droit à obtenir une intervention du gouvernement français en vue d’une décision à prendre par un autre État.

Sur le premier point, il est jugé, comme cela était prévisible, qu’il appartient aux autorités françaises de prendre les mesures permettant aux ressortissants étrangers pouvant bénéficier d'une réunification familiale de faire valoir leur droit par la délivrance d'un visa ou de toute autre mesure équivalente. A défaut, le juge des référés est compétent pour leur enjoindre, sur le fondement des dispositions de l'art. L. 521-2 du CJA, de prendre de telles mesures. 

Sur le second point, qui met en jeu les relations internationales de la France, le juge rappelle, là aussi très classiquement, que la juridiction administrative n'est pas compétente pour connaître des demandes tendant à ce que soit organisée l'évacuation de ressortissants étrangers du territoire de l'État dans lequel ils se trouvent, alors même qu'ils ont vocation à bénéficier des dispositions précitées. 

On ne voit guère quelles autres réponses auraient pu ou auraient du être faites par le juge en dépit du caractère dramatique de la situation actuelle des intéressées. C’est maintenant aux diplomates, dont c’est le métier, de trouver les voies et moyens de sortir de cette impasse.

(ord. réf. 13 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 475576 ; Mme I. agissant pour le compte de Mmes B. et D., n° 475629, jonction)

 

177 - Institution d’un dispositif d’hébergement en vue de la préparation au retour d’étrangers dans leurs pays (DPAR) - Absence de caractère d’établissements ou services sociaux ou médico-sociaux ou de lieux d’hébergement au sens du CESEDA - Conséquences - Rejet.

(10 juillet 2023, Cimade, n° 468764)

V. n° 1

 

178 - Allégation d’état de mineur isolé – Protection de l’enfance refusée en raison de la majorité du solliciteur – Absence d’acte d’état civil probant – Rejet.

Doit être rejetée la requête dirigée contre le rejet, par ordonnance de référé rendue en première instance, d’un ressortissant se disant de nationalité ivoirienne auquel le président d’un conseil départemental a refusé le bénéfice de la protection de l'enfance à raison de sa majorité révélée par l'évaluation éducative et sociale dont il avait fait l'objet.

Le juge d’appel retient également le caractère très vague du récit du requérant, dépourvu de toute indication permettant de déterminer les dates des évènements mentionnés, le fait que l'extrait d'acte de naissance et le certificat de nationalité fournis ne comportaient aucune photographie de telle sorte que ces documents ne permettaient pas d'identifier l'intéressé d’autant que le passeport déjà présenté en première instance, et établi à la demande de l'intéressé le 4 mai 2023, ne constitue pas, par lui-même, un acte d'état civil au sens de l'article 47 du code civil. Par ailleurs, le requérant ne fournit aucune pièce ou élément conduisant à remettre en cause les appréciations précises et circonstanciées sur lesquelles s'est fondé l'auteur de l’évaluation éducative et sociale. Enfin si le requérant invoque son état de santé, il n'apporte, en tout état de cause, aucun élément sur la gravité de cet état.

(ord. réf. 19 juillet 2023, M. A., n° 475855)

(179) V. aussi, infirmant l’ordonnance du premier juge, repoussant la présomption instituée par l’art. 47 du code civil en faveur des actes d’état-civil dressés à l’étranger, la décision refusant de reconnaître l’existence d’un prétendu état de minorité d’un demandeur guinéen et recevant l’appel d’un département en son refus de prise en charge de l’intéressé au titre de l'accueil provisoire d'urgence des mineurs non accompagnés. Il faut relever l’analyse minutieuse, circonstanciée et approfondie à laquelle se livre ici le juge des référés, rendant ainsi sa décision, au terme d’une implacable démonstration, rigoureusement incontestable : ord. réf. 21 août 2023, M. A., n° 478962.

 

180 - Demande d’hébergement d’urgence - Attribution d’un logement abandonné par la suite - Motif non fondé - Attribution de plusieurs logements successifs - Rejet.

Des ressortissants algériens, les consorts E., ainsi que leurstrois enfants âgés de 7, 8 et 11 ans, ont demandé en vain au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA, qu'il soit enjoint au préfet de la région d'Île-de-France de les prendre en charge dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence et d'assurer leur accompagnement social. Ils interjettent appel devant le juge des référés du Conseil d’État. Celui-ci, s’appropriant entièrement le raisonnement des premiers juges, rejette l’appel.

Il relève que les intéressés avaient bénéficié d'un hébergement dans la Marne en mars 2023, qu'ils avaient quitté volontairement, faisant valoir que cet hébergement les éloignait des structures auprès desquelles ils avaient entamé un suivi psychologique, notamment pour assurer la prise en charge du traumatisme subi lors du naufrage survenu pendant la traversée de la mer Méditerranée, alors qu’il ne résultait pas de l'instruction que ce lieu d'hébergement ait fait obstacle à la poursuite de ce suivi.

De plus, la famille a depuis lors pu, à plusieurs reprises, à la suite de ses appels au 115, bénéficier d'hébergements d'urgence à Paris ou en région parisienne, sur des périodes de plusieurs jours, notamment du 26 avril au 2 mai, du 12 au 22 mai, puis du 1er au 21 juin 2023.

Ainsi et eu égard aux capacités limitées d'hébergement d'urgence à Paris et dans la région d'Île-de-France, c'est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif a estimé qu'en l'état de l'instruction, la situation des consorts E. ne faisait pas apparaître une carence caractérisée des services de l'État dans la mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence. (ord. réf. 13 juillet 2023, Consorts E., n° 475570)

(181) V. aussi, rejetant l’appel formé contre une ordonnance de référé refusant l’octroi d’un hébergement d’urgence à une mère et ses deux enfants, âgés de 14 et 17 ans, en raison du refus qu’elle a opposé, sans aucun élément sérieux, à la proposition de logement qui lui a été faite : ord. réf. 10 août 2023, Mme C., n° 477099.

(182) V. également, le rejet de l’appel dirigé contre l’ordonnance rejetant la demande de la requérante que soit continuée sa prise en charge dans le cadre du dispositif hôtelier d'hébergement d'urgence dont elle avait bénéficié jusqu’au rejet, par la Cour nationale du droit d’asile, de sa demande d’asile suivi de l’arrêté préfectoral portant obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le juge relève en particulier qu’étant demeurée depuis en France elle n’a pas organisé son retour au Nigéria, ne fait état d’aucun risque particulier pour sa santé et sa sécurité ainsi que pour celles de ses deux enfants : 14 août 2023, Mme E., n° 478713.

(183) V. aussi, rejetant un recours tendant à la suspension de la décision d’une commune de fermer un centre d’hébergement en raison de problèmes d'hygiène et de sécurité au sein de locaux vétustes et inadaptés et des difficultés rencontrées par le centre communal d'action sociale pour assurer la gestion de ce service : 01 août 2023, M. E. et autres, n° 476412.

 

184 - Ressortissants étrangers, l’une nigériane, l’autre ghanéen – Parents d’un enfant – Mère en grossesse difficile – Demande d’asile rejetée – Décision préfectorale portant OQTF – Préfet ayant reconsidéré la situation – Octroi provisoire d’un hébergement d’urgence – Réponse à l’état de détresse d’une des familles les plus vulnérables – Demande au titre du référé liberté devenue sans objet – Rejet en tant que la situation actuelle de cette famille est assurée d’une certaine stabilité.

Le référé liberté au service de la détresse pourrait être le titre de cette dramatique affaire.

Deux ressortissants étrangers, une femme nigériane et un homme ghanéen se sont vus refuser l’asile et font l’objet d’une OQTF cependant, d’une part, qu’ils sont devenus parents d’un enfant né en France le 30 décembre 2020 et que la mère est enceinte d’un nouvel enfant, la grossesse se déroulant difficilement du fait de saignements (métrorrargies), situation difficilement compatible avec la condition de personnes sans domicile fixe.

Le préfet, tout en maintenant son arrêté d’OQTF, a permis une solution provisoire d’hébergement jusqu’à ce que soit stabilisée la situation médicale de la mère. Compte tenu d’une certaine pérennité de cette situation, le juge déclare sans objet le référé liberté formé en vue d’obtenir un hébergement.

On relèvera cependant que, s’adressant directement ainsi aux autorités de l’État, le juge des référés – tout en laissant sauf l’arrêté portant OQTF - qualifie cette famille comme étant « une des familles les plus vulnérables justifiant l'action de l'État à ce titre », ce qui devrait inciter les pouvoirs publics à la mansuétude d’autant que vont bientôt exister deux enfants français.

(ord. réf. 17 juillet 2023, Mme B. et M. C., n° 475754)

 

185 - Ressortissante marocaine - Demande de renouvellement de carte de séjour « salariée » - Situation d’urgence imputable à la seule intéressée - Demande de renouvellement devenue première demande - Absence de titre l’autorisant à travailler - Rejet.

Le juge du premier degré statuant en référé liberté est approuvé pour avoir jugé que l'absence de délivrance à Mme B., ressortissante marocaine, d'un récépissé de la demande de renouvellement de la carte de séjour portant la mention « salariée » dont elle disposait jusqu'au 29 novembre 2021, ne constituait pas en l'espèce une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ni n'était, par elle-même, de nature à caractériser l'urgence particulière exigée par l'art. L. 521-2 du CJA, la requérante s'étant elle-même placée en situation d'urgence car elle n'a sollicité le renouvellement de son titre de séjour qui expirait le 29 novembre 2021 que le 20 avril 2022, ce qui conduisait à regarder sa demande comme une première demande. En outre, ce juge a relevé que l’intéressée n'avait pas répondu à la demande de pièces complémentaires pour l'instruction de son dossier et n'avait saisi le juge des référés du tribunal administratif que le 1er mai 2023.

Le juge du référé liberté du Palais-Royal conclut logiquement que si Mme B. fait valoir que l'absence de délivrance d'un récépissé l'autorisant à travailler la prive de ressources pour vivre et se loger, ces circonstances, dont elle se prévalait déjà devant le premier juge, ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation qu'il a portée, au regard des faits de l'espèce rappelés ci-dessus, sur l'absence tant d'une situation particulière d'urgence que d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, d’où le rejet de l’appel.

(ord. réf. 18 juillet 2023, Mme B., n° 475759)

 

186 - Ressortissant malgache faisant l’objet d’une OQTF – Situation irrégulière – Aucun motif sérieux ne pouvant fonder une décision de suspension d’exécution de l’OQTF – Rejet.

Est confirmée l’ordonnance de rejet, par le premier juge, d’une demande de suspension d’exécution de l’OQTF  faite par un ressortissant malgache se trouvant irrégulièrement à Mayotte, célibataire, n’y ayant aucune attache familiale, d’autant qu'il avait présenté une première demande d'asile le 11 octobre 2021 puis une demande de réexamen le 24 février 202, demande déclarée irrecevable par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 7 mars 2023 et que le recours exercé contre cette décision avait été rejeté le 2 mai 2023 par la Cour nationale du droit d'asile.

(ord. réf. 20 juillet 2023, M. A., n° 475836)

 

187 - Ressortissant marocain – Déchéance de la nationalité française - Expulsion – Allégation d’atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale – Rejet.

L’intéressé interjette appel de l’ordonnance de référé qui a rejeté sa demande de suspension des arrêtés du 15 juin 2023 du ministre de l'intérieur, l’un l'expulsant du territoire français et l’autre fixant le Maroc comme pays de renvoi. 

En réalité, c’est parce qu’il a été déchu de la nationalité française- pour des faits qu’il ne conteste pas – que le demandeur a fait l’objet, en conséquence, d’un arrêté d’expulsion.

L’on sait cependant, d’une part, que la légalité d’une telle décision suppose sauf le respect du droit à mener une vie familiale normale, d’autre part, que la condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.

C’est sur ce point que portait le recours et, confirmant la solution retenue par le premier juge, le juge d’appel estime que quels que soient la force et le nombre des liens familiaux de l’intéressé avec sa famille résidant en France, la gravité des faits ayant justifié la déchéance de la nationalité française en font encore une menace pour la France. Par suite, l'arrêté d'expulsion litigieux ne porte pas en l'espèce atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ou à en tout état de cause à l'intérêt supérieur de sa fille ou au droit à la vie garanti par l'article 3 de la Convention EDH.

(ord. réf. 27 juillet 2023, M. B., n° 476319)

 

188 - Ressortissant étranger – Décret lui refusant l’octroi de la nationalité française – Décision le mettant en état d’apatridie – Impossibilité de visiter sa fille, orpheline, vivant en Angola – Défaut d’urgence particulière – Rejet.

Le requérant fait valoir qu’il y a pour lui urgence à l’intervention du juge du référé liberté car le décret du 31 mai 2023, notifié le 1er août 2023, portant refus d'acquisition de la nationalité française dont il demande la suspension, a pour conséquences de le rendre apatride et de l'empêcher, d'une part, de se rendre en Angola sur le vol qu'il a réservé pour le 21 août prochain, pour rendre visite à sa fille de 12 ans, orpheline de mère depuis 2015, qui se trouverait en situation de détresse affective et matérielle et souffre de troubles respiratoires, et, d'autre part, de faire venir celle-ci en France dans les meilleurs délais.

Le juge rejette la demande, relevant qu’à supposer même que le requérant ait effectivement été déchu de sa nationalité congolaise en dépit du refus d'acquisition de la nationalité française et qu'il ne puisse pas se rendre en Angola le 21 août, sa fille, qu'il cherche à faire venir en France depuis plusieurs années, est matériellement prise en charge en Angola, même si c'est de façon précaire depuis le départ au Brésil, en avril 2023, de la personne qui l'hébergeait jusqu'alors.

Ainsi n’est pas satisfaite la condition d'urgence particulière à laquelle est subordonnée l'intervention du juge des référés statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du CJA.

(ord. réf. 14 août 2023, M. A., n° 481311)

(189) V. aussi, à propos du rejet – confirmé par le juge d’appel du référé liberté - fondé sur le défaut d’urgence particulière de la demande d’injonction au préfet de Mayotte d'organiser le retour du requérant à Mayotte où il est jugé  que n’est pas de nature à caractériser la condition d'urgence particulière au référé de l'art. L. 521-2 du CJA, l’invocation par le demandeur de ce qu’il ne lui est pas possible, à défaut, de solliciter la délivrance d'un visa de long séjour pour rejoindre en France ses quatre enfants et leur mère, également mère d'un autre enfant de nationalité française, alors que celle-ci se trouve seule et sans ressources pour subvenir aux besoins des cinq enfants en bas âge du foyer, qui ont, par ailleurs, besoin de sa présence : ord. réf. 17 août 2023, M. A., n° 481026.

 

190 - Expulsion – Ressortissant sénégalais – Participation à une entreprise terroriste – Absence d’atteinte au droit de mener une vie familiale normale – Rejet.

Le Conseil d’État rejette l’appel dirigé contre le refus du premier juge des référés de suspendre l’exécution de l'arrêté par lequel le ministre de l'intérieur a prononcé l’expulsion du requérant du territoire français et fixé le Sénégal comme pays de destination.

En premier lieu, M. A. a fait l'objet d'une condamnation, prononcée le 23 mars 2016, à une peine de cinq ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme. La commission d'expulsion a émis un avis favorable à la mesure contestée, le comportement de M. A. démontrant un ancrage persistant dans la mouvance islamiste radicale corroborée par les notes des services de renseignements précises et circonstanciées rédigées en 2021, 2022 et 2023, portant notamment sur ses contacts réguliers avec des personnes pro-djihadistes condamnées pour terrorisme. Toutes indications que M. A. ne remet pas sérieusement en cause en appel.

En second lieu, l'intéressé ayant acquis la nationalité française à l'âge de 14 ans et en ayant été déchu par décret du 30 avril 2021, soutient se trouver dès lors en état d’apatridie, ce qui ferait obstacle à son expulsion. Or la seule circonstance qu'il ne disposerait pas de documents d'identité sénégalais et ne figurerait pas dans les registres de l'état civil du Sénégal ne saurait permettre de déduire qu'il ne possède plus la nationalité de ce pays à la suite de la déchéance de la nationalité française dont il a fait l'objet. Enfin, si M. A. est le père d'un enfant français mineur résidant en France, les éléments qu'il a produits ne permettent pas d'établir qu'il contribue effectivement à l'éducation et à l'entretien de cet enfant né en 2022 de sa relation avec une femme avec laquelle il ne vit pas.

Ainsi, il ne saurait être soutenu que la mesure d'expulsion porterait à son droit de mener une vie familiale normale avec sa fille et sa compagne une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

(14 août 2023, M. A., n° 478448)

 

191 - Ressortissante haïtienne - Époux et enfant de nationalité française - Refus de délivrance d’une carte de séjour - Absence d’urgence - Rejet.

Le juge d’appel confirme l’ordonnance de référé rejetant la demande d’une ressortissante haïtienne qu’il soit fait injonction au préfet de la Guyane de lui délivrer une carte de séjour d’un an ou provisoire, en raison de l’absence d’urgence, au sens spécifique de l’art. L. 521-2 du CJA, caractérisant sa situation en dépit de l’invocation de ce que son époux et sa fille sont français, de la longueur de la procédure dedélivrance des titres de séjour et, enfin, de ce que sa fille, née prématurément, soit actuellement hospitalisée en Martinique alors que l'enfant est déjà accompagnée de son père, qu'il ne résulte pas de l'instruction que sa présence serait médicalement indispensable à l'état de santé de l'enfant, ni d'ailleurs qu'elle aurait effectué une démarche en vue d'obtenir un éventuel laissez-passer.

(ord. réf. 22 août 2023, Mme C., n° 484241)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

192 - Agent en congé pour maladie – Exercice concomitant de l’action disciplinaire – Conséquence sur la rémunération – Suspension dès le prononcé de la sanction – Rejet.

Le requérant, professeur certifié, a fait l’objet d’une sanction disciplinaire d'exclusion de ses fonctions pour une durée de deux ans et d’une suspension concomitante de sa rémunération. 

Il se pourvoit en cassation de l’arrêt qui a jugé que la circonstance qu’il était en congé pour maladie ne faisait pas obstacle à l'entrée en vigueur de la décision par laquelle lui a été infligée la sanction disciplinaire d'exclusion de ses fonctions pour une durée de deux ans et donc à la suspension de sa rémunération. 

Le pourvoi est rejeté car la procédure disciplinaire et la procédure de mise en congé de maladie sont des procédures distinctes et indépendantes.

Il s’ensuit que la circonstance qu'un agent soit placé en congé de maladie ne fait pas obstacle à l'exercice de l'action disciplinaire à son égard ni, le cas échéant, à l'entrée en vigueur d'une décision de sanction. 

Dès lors c’est sans erreur de droit qu’au terme de la procédure disciplinaire et alors que se poursuivait le congé pour maladie, la mesure de suspension a été traduite en une suspension corrélative et concomitante de traitement pour la durée de la suspension sans que puisse être invoquée l’existence du congé maladie au titre duquel aurait été due sa rémunération.

(03 juillet 2023, M. A., n° 459472)

 

193 - Assistant territorial d'enseignement artistique – Missions – Cadre et lieux d’exercice de ces missions – Enseignement dispensé sur temps périscolaire et à des élèves non inscrits à l’école de musique – Rejet.

Il résulte des dispositions des art. 3 du décret du 29 mars 2012 portant statut particulier du cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique, L. 216-1, L. 551-1 et L. 916-6 du code de l’éducation que les fonctionnaires appartenant au cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique sont placés sous l'autorité du fonctionnaire chargé de la direction de l'établissement où ils exercent leurs fonctions. Ils sont chargés, au sein de cet établissement, soit de tâches d'enseignement dans leur spécialité, soit d'apporter une assistance technique ou pédagogique aux professeurs de musique, de danse, d'arts plastiques ou d'art dramatique. Ils peuvent également être chargés d'apporter leur concours aux enseignements artistiques dispensés dans les établissements scolaires des premier et second degrés, sous la responsabilité pédagogique de leurs personnels enseignants.

Le juge  en déduit que ces dispositions ne font pas obstacle à ce que les tâches d'enseignement confiées à ces assistants territoriaux dans l'un des établissements où ils sont susceptibles d'être affectés, qui incluent les écoles municipales de musique, soient le cas échéant organisées, par cet établissement et sous la responsabilité du fonctionnaire qui en assure la direction, hors des locaux de cet établissement, et notamment dans les locaux d'un établissement scolaire, sur du temps périscolaire, au bénéfice des élèves de cet établissement scolaire, quand bien même ceux-ci ne seraient pas inscrits à l'école de musique.

Dès lors la requérante ne saurait se plaindre de ce que la cour administrative d’appel l’a déboutée de sa prétention selon laquelle l’enseignement, qui lui a été confié, du chant choral, sur le temps périscolaire méridien, à des élèves des établissements scolaires du premier degré de la commune ne reléverait pas des missions susceptibles d'être confiées aux fonctionnaires appartenant au cadre d'emplois des assistants territoriaux d'enseignement artistique.

(03 juillet 2023, Mme B., n° 461154)

 

194 - Assistance aux agents de l’État exerçant un recours administratif contre une décision individuelle défavorable à caractère professionnel – Droit exclusif réservé aux organisations syndicales représentatives – Inconstitutionnalité – Refus de modification subséquentes des textes – Annulation.

Le Conseil constitutionnel a jugé (déc. n° 2022-1007 QPC, 5 août 2022, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie) que les dispositions de l'art. 14 bis de la loi du 11 janvier 1984 (art. L. 216-1 du code général de la fonction publique), méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et sont, par suite, contraires à la Constitution, sans qu'il y ait lieu de différer dans le temps les effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité, en tant qu'elles réservent aux organisations syndicales représentatives la faculté de désigner un représentant aux fins d'assister un agent de l'État dans l'exercice d'un recours administratif contre une décision individuelle qui lui est défavorable en matière d'avancement de grade, de promotion interne ou de mutation car elles établissent une différence de traitement entre ces organisations et les organisations syndicales non représentatives sans rapport avec l'objet de la loi.

Le syndicat requérant a, en conséquence, demandé au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports de faire droit à sa demande tendant à la suppression du mot « représentative » ainsi que de deux paragraphes dans les lignes directrices de gestion ministérielles du 25 octobre 2021 relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports, et également les lignes directrices de gestion ministérielles du 25 octobre 2021 relatives à la mobilité des personnels du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports dans la même mesure.

Il saisit le Conseil d’État du refus implicite opposé par le ministre.

Le juge lui donne raison et annule le refus qui lui a étéopposé par ce ministre.

(04 juillet 2023, Syndicat national de l'enseignement Action et Démocratie (SNEAD), n° 460759)

 

195 - Enseignant-chercheur – Sanction disciplinaire – Révocation – Date de prise d’effet de la sanction – Annulation partielle.

Un universitaire a fait d’abord, le 11 juin 2015, l’objet de la sanction de l'interdiction d'exercer des fonctions de direction de laboratoire de recherche à l'université des Antilles pendant cinq ans, puis, le 8 juin 2016, d’une décision de révocation par le CNESER, décision qu’a annulée le Conseil d’État le 8 novembre 2017. Saisi à nouveau le CNESER a réitéré la sanction de la révocation le 18 septembre 2018, confirmée en cassation par le Conseil d’État le 25 novembre 2019.

Le président de la république a radié l’intéressé des cadres, à compter du 18 juin 2015, par son décret du 3 août 2020, publié au Journal officiel du 5 août.

Le requérant demande l’annulation de ce décret ; sa requête est partiellement rejetée.

Le juge constate en premier lieu que la décision de révocation prise par le CNESER le 8 juin 2016 n’a pas été, alors, suivie d’une décision de radiation des cadres et a été ensuite annulée par le Conseil d’État le 8 novembre 2017. Il constate, en second lieu, que le CNESER a, à nouveau, prononcé la révocation de l’intéressé le 18 septembre 2018, notifiée le 15 octobre 2018 sans en fixer la période d’exécution, d’où il suit que cette dernière décision était immédiatement exécutoire.

Le président de la république ne pouvait donc pas prononcer légalement la révocation du requérant avant le 15 octobre 2018 ; son décret est annulé en tant qu’il porte sur la période comprise entre le 18 juin 2015 et le 14 octobre 2018.

(05 juillet 2023, M. B., n° 445926)

 

196 - Agent de l’administration pénitentiaire - Faits de violence sur un détenu - Condamnation pénale assortie d’une peine complémentaire d’interdiction d’exercer - Compétence liée de l’autorité - Obligation de radiation des cadres - Rejet.

Un surveillant pénitentiaire a été condamné à une peine de prison pour des coups portés à un détenu. La juridiction pénale a assorti cette condamnation d'une peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire.

L’administration l’a, en conséquence, radié des cadres.

Sur recours de l’agent, le juge des référés a suspendu l’exécution de cette mesure au motif que l'interdiction qui lui avait été faite d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire pour une durée de deux ans, qui n'est pas une interdiction d'exercer tout emploi public, n'impliquait pas nécessairement sa radiation des cadres dès lors qu'en application des dispositions de l'art. 3 du décret du 14 avril 2006 portant statut particulier des corps du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire, il aurait pu être affecté à l'administration centrale du ministère de la justice.

Sur pourvoi du garde des sceaux, l’ordonnance de référé est annulée.

Le juge rappelle en ces termes une solution constante et, au demeurant, inévitable.

« Lorsqu'un agent public a été condamné pénalement à une peine complémentaire d'interdiction d'exercer, à titre définitif ou temporaire, les fonctions dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice desquelles l'infraction a été commise, il appartient à l'autorité administrative de tirer les conséquences nécessaires de cette condamnation. Cette autorité est tenue de prononcer sa radiation des cadres lorsque l'intéressé ne pourrait être affecté à un nouvel emploi correspondant à son grade, sans méconnaître l'étendue de l'interdiction d'exercice prononcée par le juge pénal. »

Ici, compte tenu de la peine complémentaire de deux ans d'interdiction d'exercer la fonction de surveillant pénitentiaire, l’intéressé ne pouvait être affecté dans aucun emploi correspondant à son grade et le garde des sceaux devait le radier des cadres.

(10 juillet 2023, Garde des sceaux, n° 470058)

 

197 - Magistrate - Substitut au parquet général - Comportement incompatible avec les fonctions - Dysfonctionnements sur plusieurs années - Sanction par mise à la retraite d’office - Rejet.

N’est ni irrégulière, ni entachée d’erreur de droit ni disproportionnée la sanction de mise à la retraite d’office infligée à une magistrate exerçant les fonctions de substitut au parquet général de Paris compte tenu de la gravité de son comportement, de l’atteinte qu’il porte à la réputation et à l’honneur de la magistrature et de sa persistance dans le temps.

Le juge décrit ainsi le comportement de l’intéressée ayant conduit à la sanction et l’ayant justifiée : « Mme A. a fait preuve, dans l'exercice de ses fonctions de substitute générale près la cour d'appel de Paris, et sur plusieurs années, de graves manquements professionnels, se manifestant notamment par l'absence de règlement d'un nombre important de dossiers qui lui avaient été affectés, par des retards ou absences imprévues à de nombreuses audiences lors desquelles elle devait requérir, nécessitant de manière récurrente des remplacements en urgence, par de fréquents endormissements lors d'audiences publiques, par l'accumulation de retards dans le traitement des dossiers qui lui étaient affectés, par des carences manifestes sur la forme et sur le fond de ses réquisitions et, plus largement, par une incapacité structurelle à assumer ses fonctions, alors même que sa hiérarchie, tenant compte des problèmes rencontrés, avait veillé à l'affecter successivement sur des postes de nature à atténuer tant sa charge de travail que la difficulté des missions qui lui étaient confiées. En outre, Mme A. a fait preuve de manière répétée d'un comportement particulièrement inapproprié au sein de la juridiction, notamment en se présentant à plusieurs audiences dans un état ne lui permettant pas d'exercer ses fonctions et en tenant lors d'audiences publiques des propos incohérents, déplacés ou agressifs à l'égard des justiciables, des avocats comme de ses collègues magistrats. Enfin, il n'est pas contesté que Mme A. a, du 3 au 8 août 2020, mis en ligne sur le réseau social à caractère professionnel LinkedIn, depuis son compte qui mentionnait son identité et sa qualité de magistrate, une série de messages extrêmement déplacés pour un magistrat en exercice, au contenu outrancier ou injurieux et, pour certains d'entre eux, présentant un caractère xénophobe. Ces messages, dont l'un a fait l'objet d'un article dans un journal satirique de la presse nationale, ont conduit à ce qu'un rappel à la loi soit prononcé à l'encontre de Mme A. pour injures publiques envers une personne ou un groupe de personnes à raison de l'origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation ou une religion déterminée. » 

(10 juillet 2023, Mme A., n° 458534)

 

198 - Magistrate administrative - Indélicatesse - Sanction - Absence d’irrégularité dans la saisine, dans le déroulement de la procédure devant le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel (CSTACAA) ainsi que de disproportion dans la sanction qu’il a infligée - Rejet.

Une magistrate, première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris, a subtilisé, puis détourné pour son usage personnel, la carte d'accès aux restaurants administratifs de la Ville de Paris appartenant à un élève-avocat, en stage à cette cour, utilisant cette carte à plusieurs reprises afin de bénéficier d'un tarif plus avantageux que celui auquel elle avait droit. En outre, afin de récupérer la somme qu'elle avait créditée sur cette carte lorsque son utilisation a été bloquée par les services de la Ville de Paris à la fin de la période de stage de son titulaire, elle a créé une adresse de messagerie électronique au nom de ce stagiaire, en utilisant frauduleusement l'identité de ce dernier.

L’intéressée, qui avait déjà antérieurement fait l'objet de poursuites disciplinaires, s’est vue infliger la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée d'un an, dont six mois avec sursis compte-tenu de difficultés d'ordre personnel dont elle faisait état, ladite sanction étant en outre assortie de la sanction complémentaire du déplacement d'office.

L’intéressée se pourvoit en cassation de ces décisions.

Au soutien de son pourvoi elle invoque d’abord des irrégularités de procédure (I), puis, ensuite, le caractère disproportionné des sanctions (II). Sera-t-on étonné d’apprendre que ce recours a été rejeté ?

 

I - Sur la procédure

 

Tout d’abord, Mme B. fait valoir qu'elle n'a pas eu accès à l'ensemble des pièces de son dossier individuel et des pièces de l'enquête préliminaire, en méconnaissance des dispositions de l'art. L. 236-5 du CJA. En réalité, l’intéressée a pu consulter son dossier administratif et a été destinataire du rapport du président de la mission d'inspection des juridictions administratives ayant saisi le CSTACAA statuant en formation disciplinaire.

Si elle n'a pas été mise en mesure de prendre connaissance du courriel, en date du 
20 juillet 2021, par lequel le président de la cour administrative d'appel de Paris a informé le président de la mission d'inspection des faits litigieux et des échanges qu'il avait eus à leur propos avec l'intéressée, ce courriel, antérieur à l'engagement des poursuites disciplinaires et dont la teneur, relative aux faits litigieux, que Mme B. n'a jamais contesté avoir commis, est retracé dans le rapport du président de la mission d'inspection qui lui a été communiqué, ce fait n'est donc pas de nature, en l'espèce, à affecter la procédure d'irrégularité. Enfin, aucune enquête préliminaire n'ayant, en l'espèce, été conduite par le rapporteur en application des dispositions de l'art. L. 236-5 du CJA, Mme B. ne peut utilement se plaindre de ne pas avoir eu accès aux pièces afférentes à une telle enquête. Le moyen tiré de ce qu’elle 
n’aurait pas été mise en mesure d'exercer son droit à communication intégrale de son dossier et des documents annexes tel que prévu à l'article précité du CJA ne peut qu’être écarté. 

Ensuite, Mme B. ne peut soutenir qu'elle aurait dû avoir préalablement à l'audience communication du rapport du rapporteur car celui-ci n'est jamais l'auteur des poursuites disciplinaires, son rapport n'est remis ni aux parties ni à la juridiction, il est seulement présenté oralement à l'audience. En outre, le magistrat poursuivi peut, à tout moment de la procédure, demander au président du Conseil supérieur l'autorisation d'intervenir afin de présenter des observations orales et il est également invité à présenter d'ultimes observations avant que le Conseil supérieur ne commence à délibérer. En dernier lieu, le rapporteur n'assiste pas au délibéré. De cet ensemble de garanties il résulte que la procédure suivie en l'espèce n’est pas irrégulière du fait que la requérante n’a pas eu communication du rapport du rapporteur préconisant qu’une sanction disciplinaire du troisième groupe, d'exclusion temporaire de fonctions pendant un an, assortie d'un sursis à déterminer et une sanction complémentaire de déplacement d'office, lui soient infligées. 

Enfin, de ce que :

- le Conseil supérieur ne peut être saisi des faits motivant des poursuites disciplinaires que par le président de la juridiction à laquelle est affecté le magistrat ou par le président de la mission d'inspection des juridictions administratives ;

- le président de la mission d'inspection chargé de rapporter l'affaire devant le Conseil supérieur, sauf s'il est l'auteur de la saisine, auquel cas cette fonction est dévolue à celui des membres du CSTACAA appelé à le remplacer, désigné par le président de ce Conseil ;

- ni le rapporteur, ni l'autorité de saisine, n'assistent, après l'audience, au délibéré,

n’existe aucun motif pouvant permettre de caractériser un manque d'impartialité de la formation du CSTACAA qui a prononcé la décision attaquée.

Pas davantage ne saurait-il en être ainsi du fait que le rapporteur ait été, en l'espèce, le secrétaire général du Conseil d'État et qu'il ait demandé que soit prononcée à l'encontre de Mme B. la sanction disciplinaire assortie d'une sanction complémentaire qui lui a été infligée. Doit être aussi écarté le moyen tiré d’une prétendue violation des stipulations de l'art. 6, paragraphe 1, de la convention EDH.


II - Sur la sanction


Eu égard à la gravité des fautes commises - dont la matérialité n’a jamais été contestée par l’intéressée -, à leur caractère récidivant, à l’atteinte ainsi portée à la dignité et à la réputation d’un corps jouissant d’un statut particulier au sein de la nation, comportant des exigences singulières, l’infliction d’une exclusion temporaire des fonctions durant six mois ferme et six mois avec sursis assorti d’un déplacement d’office ne paraît pas disproportionnée.

(21 juillet 2023, Mme B., n° 460102)

 

199 - Poste de professeur des universités non pourvu - Imminence de la rentrée universitaire - Privation du bénéfice d’une rémunération plus élevée, d’un avancement plus rapide et de certaines perspectives de carrière - Absence d’atteinte suffisamment grave aux droits de l’intéressé - Rejet.

Un maître de conférences des universités ayant vu rejeter sa candidature à un emploi de professeur des universités, demande la suspension de cette décision au motif que la rentrée est imminente et que le rejet de sa candidature par le comité de sélection le prive de la possibilité de bénéficier d'une rémunération plus élevée, d'un avancement plus rapide et de perspectives de carrière plus avantageuses. Ces éléments ne suffisent cependant pas à caractériser une atteinte suffisamment grave à sa situation ou à un intérêt public justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, une mesure de suspension soit prononcée.

(ord. réf. 17 juillet 2023, M. B., n° 475526)

 

200 - Élections au comité social d'administration ministériel du ministère de l'agriculture - Note de service excluant du corps électoral des agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture exerçant dans un lycée professionnel maritime - Établissement placé sous la tutelle exclusive du ministre chargé de la mer - Note réitérant un arrêté illégal - Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation des énonciations de la note de service du ministre de l'agriculture du 5 octobre 2022, portant organisation des élections professionnelles du 1er au 8 décembre 2022, en tant qu'elles concernent les agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture exerçant leurs fonctions dans un lycée professionnel maritime.

L'art. 29 du décret du 20 novembre 2020, relatif aux comités sociaux d'administration dans les administrations et les établissements publics de l'État décide que :

« I - Sont électeurs pour la désignation des représentants du personnel au sein d'un comité social d'administration tous les agents exerçant leurs fonctions, dans le périmètre du ou des services au titre desquels le comité social compétent est institué (...).

II. - Par dérogation aux dispositions du premier alinéa du I (...) les agents affectés ou mis à disposition dans un service placé sous l'autorité d'un ministre autre que celui en charge de leur gestion sont électeurs au seul comité social d'administration ministériel du département ministériel assurant leur gestion ainsi qu'au comité social d'administration de proximité du service dans lequel ils exercent leurs fonctions. (...).

IV. - Lorsqu'un comité social d'administration ministériel reçoit compétence (…) pour examiner les questions communes à tout ou partie des établissements publics de l'État relevant du département ministériel ou, par arrêté conjoint des ministres intéressés, de plusieurs départements ministériels, ou conformément au 2° du même article pour examiner les questions propres à un ou plusieurs établissements publics de l'État en cas d'insuffisance des effectifs en leur sein, les agents affectés dans ces établissements sont électeurs à ce comité »

Tandis que l'art. 53 de ce décret dispose : « Les comités sociaux d'administration sont compétents pour examiner les questions intéressant les seuls services au titre desquels ils ont été créés.

Toutefois :

1° Le comité social d'administration ministériel peut recevoir compétence pour examiner des questions communes à tout ou partie des établissements publics administratifs relevant du département ministériel considéré, lorsqu'il n'existe pas de comité social d'administration de proximité commun à ces établissements créés à cet effet ou que l'intérêt du service le commande ; (...) ».

Or l'art. 1er de l’arrêté-cadre du 30 juin 2022 a décidé de faire application aux agents requérants des dispositions précitées du 1° de l'article 53 du décret du 20 novembre 2020 ce qui n’est pas possible car les établissements publics locaux d'enseignement eu égard aux conditions de leur fonctionnement et de leur participation à la mise en œuvre de la politique éducative du ministère auquel ils sont rattachés, doivent être regardés, au sens et pour l'application des dispositions du décret du 20 novembre 2020, comme des services déconcentrés de ce ministère. Pas davantage il ne pouvait, par voie de conséquence, être fait application aux agents affectés dans ces établissements des dispositions du IV de l'article 29 précité du même décret.

Il en résulte que les agents concernés, appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture et exerçant dans un lycée professionnel maritime, placé sous la tutelle exclusive du ministre chargé de la mer, sont, en application du II de l'article 29 de ce même décret, électeurs au seul comité social d'administration ministériel du ministère de l'agriculture.

Les requérants sont donc fondés à soutenir qu'en réitérant la règle, fixée par l'article 1er de l'arrêté-cadre du 30 juin 2022, d'attribution de compétence au comité social d'administration ministériel unique des ministères chargés de la transition écologique et de la cohésion des territoires, de la transition énergétique et de la mer pour connaître de questions communes concernant notamment les lycées professionnels maritimes et en en déduisant que les agents appartenant à un corps relevant du ministère de l'agriculture et exerçant en lycée professionnel maritime ne sont pas électeurs au comité social d'administration ministériel dudit ministère, la note de service attaquée est entachée d'illégalité.

(12 juillet 2023, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire (SNETAP-FSU), n° 468974 ; 12 juillet 2023, Mme A. et autres, n° 469136, jonction). 

(198) V. aussi, largement identique : 12 juillet 2023, Syndicat National de l'Enseignement Technique Agricole Public - Fédération Syndicale Unitaire (SNETAP-FSU), n° 472796.

 

201 - Fonction publique territoriale - Centre de gestion de la fonction publique territoriale - Refus de décharge d'activité de service - Refus de rembourser des heures de décharge - Annulation.

Le syndicat CFDT Interco 67 a demandé au tribunal administratif, d'une part, d'annuler la décision par laquelle le président d’un centre de gestion de la fonction publique territoriale a refusé le bénéfice d'une décharge d'activité de service à un agent sur le contingent calculé par le centre de gestion et a refusé de procéder au remboursement des heures de décharge de l’intéressé et, d'autre part, d'annuler la décision par laquelle le président de ce centre de gestion de la fonction publique territoriale a rejeté son recours gracieux contre la décision refusant le bénéfice de la décharge.

Le syndicat requérant se pourvoit en cassation de l’arrêt confirmatif du jugement de rejet de son recours. Le Conseil d’État annule cet arrêt.

Tout d’abord, il résulte des dispositions combinées des art. 15, 22 et 100-1 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et de celles de l'art. 12 du décret du 3 avril 1985 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique territoriale, qu’il appartient au centre de gestion de calculer le contingent de décharges d'activité de service pour les syndicats mixtes qui lui sont affiliés, alors même que cette affiliation n'est pas obligatoire, et dont le comité technique est placé auprès de lui.

Ensuite, Il résulte également de ces mêmes dispositions que dès lors qu'un centre de gestion calcule le contingent de décharges d'activité de service pour les syndicats mixtes qui lui sont affiliés, il lui incombe de procéder au remboursement des charges salariales afférentes à l'utilisation de ce contingent.

La cour a ainsi commis une erreur de droit en jugeant que les centres départementaux de gestion calculent le contingent des décharges d'activité de service accordées aux responsables des organisations syndicales représentatives pour les seuls collectivités et établissements obligatoirement affiliés en vertu des dispositions de l'art. 15 de la loi du 26 janvier 1984, et non pour les collectivités et établissements affiliés à titre volontaire à un centre de gestion et dont le comité technique est placé auprès de lui.

(13 juillet 2023, Syndicat CFDT Interco 67, n° 452599)

 

202 - Ministère de l’agriculture - Agents de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) de ce ministère - Courriel relatif aux modalités d’organisation du télétravail au sein de cette direction - Compétence du ministre et délégation de celle-ci - Examen des circonstances particulières à chaque agent - Principe d’égalité de traitement entre agents publics - Rejet.

Le Conseil d’État rejette la requête par laquelle le syndicat demandeur poursuivait l’annulation du courrier électronique du 21 mars 2022 intitulé « Organisation du télétravail à compter du 28 mars 2022 » et adressé aux agents de la direction générale de la performance économique et environnementale des entreprises (DGPE) du ministère de l'agriculture et de l'alimentation par le chef de la mission affaires générales et ressources humaines de cette direction. 

Tout d’abord ce courrier pouvait être signé par le chef de la mission affaires générales et ressources humaines de la DGPE, sur délégation du ministre car ce ministre est compétent au titre de ses prérogatives d'organisation des services placés sous son autorité (ce qui est un rappel de la doctrine de l’arrêt de Section, JAMART, du 7 février 1936), d'établir, dans le respect des règles fixées par ce décret, le cadre applicable à la mise en œuvre du télétravail au sein de son administration. 

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, ce courrier ne contrevient pas aux dispositions du décret du 11 février 2016 dès lors qu’il prévoit que des dérogations aux orientations générales qu'il fixe seront accordées en fonction de la situation de chaque agent et, par exemple, de leur état de santé.

Enfin, le courrier électronique attaqué n’instaure pas un régime de télétravail moins favorable pour les agents de la DGPE du ministère de l'agriculture car il n'a ni pour objet, ni pour effet de restreindre les possibilités de télétravail prévues par le décret du 11 février 2016 puisqu'il se borne à fixer un plafond de quotité d'activité en télétravail de deux jours par semaine pour les assistants et les chargés de mission de la DGPE inférieur au maximum de trois jours par semaine fixé par l'article 3 de ce décret. Ce courrier ne porte ainsi pas atteinte au principe d'égalité de traitement des agents publics en instaurant un régime de télétravail moins favorable pour les agents de la DGPE du ministère de l'agriculture.

(18 juillet 2023, Syndicat national des ingénieurs de l'agriculture et de l'environnement (SNIAE-FO), n° 464175).

 

203 - Nouvelle bonification indiciaire (NBI) - Infirmier de bloc opératoire - Décret ne prévoyant pas son attribution - Régime général applicable - Annulation.

Un infirmier de bloc opératoire s’est vu refuser l’attribution de la NBI au motif que le décret du 3 février 1992 relatif à la NBI attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, dans sa version antérieure au 1er avril 2022, ne prévoyait pas le versement d'une NBI aux infirmiers de bloc opératoire. Si, saisi par l’intéressé, le tribunal administratif lui a accordé, pour l’essentiel, gain de cause, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement. M. A. se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Tout d’abord, se fondant sur les dispositions de la loi du 18 janvier 1991 portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, du décret du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière, du décret du 3 février 1992 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière ainsi que sur diverses dispositions du code de la santé publique, le Conseil d’État rappelle les principes gouvernant l’attribution de la NBI. Selon lui, « le bénéfice de la nouvelle bonification indiciaire est lié aux seules caractéristiques des emplois occupés, au regard des responsabilités qu'ils impliquent ou de la technicité qu'ils requièrent. Le bénéfice de cette bonification, exclusivement attaché à l'exercice effectif des fonctions, ne peut ainsi être limité par la prise en considération du corps, du cadre d'emploi ou du grade du fonctionnaire qui occupe un emploi dont les fonctions ouvrent droit à ce bénéfice. En outre, le principe d'égalité exige que l'ensemble des agents exerçant effectivement leurs fonctions dans les mêmes conditions, avec la même responsabilité ou la même technicité, bénéficient de la même bonification. » 

Ensuite, le Conseil d’État relève que les différences de technicité ou de responsabilité existant entre les fonctions exercées, dans le cas d'un exercice exclusif en bloc opératoire, par les infirmiers et les infirmiers en soins généraux, d'une part, et par les infirmiers de bloc opératoire, d'autre part, pour réelles qu'elles soient, ne sont pas de nature à justifier, au regard de l'objet de l'article 27 de la loi du 18 janvier 1991, la différence de traitement en fonction du grade résultant de l'article 1er du décret du 3 février 1992, qui est sur ce point illégal, la circonstance que certains actes seraient réservés ou destinés en priorité aux seconds ne caractérisant pas, au regard de cet objet, qui est de valoriser la technicité et la responsabilité des fonctions en cause, une différence de situation justifiant une différence de traitement à leur détriment. 

C’est pourquoi l’arrêt qui a jugé qu’il y avait là des différences appréciables justifiant la différence de traitement au regard de la NBI est entaché d’erreur de droit et encourt annulation.

(19 juillet 2023, M. A., n° 467049)

(204) V. aussi, identiques : 19 juillet 2023, M. A., n° 467051 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467052 ; 19 juillet 2023, Mme A., n° 467053 ; 19 juillet 2023, Mme A., n° 467055 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467056 ; 19 juillet 2023, Mme B., n° 467057.

(205) V. également, rejetant le recours dirigé contre le décret du 3 mars 2022 relatif à la nouvelle bonification indiciaire attachée à des emplois occupés par certains personnels de la fonction publique hospitalière, en tant qu'il fixe à 13 points majorés seulement le montant de la nouvelle bonification indiciaire - au lieu de 19 points dans la réglementation antérieure - accordée aux infirmiers de bloc opératoire régis par le décret du 30 novembre 1988 portant statuts particuliers des personnels infirmiers de la fonction publique hospitalière ou par le décret du 29 septembre 2010 portant statut particulier du corps des infirmiers en soins généraux et spécialisés de la fonction publique hospitalière. Le juge motive sa décision par le large pouvoir d'appréciation dont le pouvoir réglementaire dispose en la matière : 19 juillet 2023, Association Collectif inter blocs, n° 463687.

 

206 - Agent public en disponibilité - Demande de réintégration - Préjudice subi du fait du refus illégal de le réintégrer - Indemnisation - Erreur de droit - Annulation.

Dans une importante décision qui étend le champ d’application de la jurisprudence sur le sujet, le juge précise qu’en vertu des principes généraux du droit de la responsabilité des personnes publiques, l'agent public placé en position de disponibilité a droit à la réparation intégrale des préjudices de toute nature qu'il a effectivement subis du fait du refus illégal de faire droit à sa demande de réintégration lorsque ces préjudices présentent un lien direct de causalité avec l'illégalité commise, y compris au titre de la perte de la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre. Toutefois, cette indemnisation, d’une part, ne comprend pas les primes et indemnités seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions et d’autre part, est réduite tant, le cas échéant, du montant des rémunérations que l'agent a pu se procurer par son travail au cours de la période d'éviction que de la prise en compte des fautes commises par l’agent. 

Par ailleurs, lorsque les préjudices causés par cette décision illégale n'ont pas pris fin ou ne sont pas appelés à prendre fin à une date certaine, il appartient au juge de plein contentieux, forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, d’accorder une indemnité versée pour solde de tout compte. 

En l’espèce est reprochée à la cour administrative d’appel l’erreur de droit ayant consisté, le CNRS employeur ayant adressé à Mme A. une proposition de réintégration, avec effet au 1er juin 2017, sur un poste correspondant à son grade, à n’avoir pas tenu compte de ce que, du fait de cette réintégration, les illégalités résultant des refus antérieurs de réintégration ont cessé à cette date. Par suite la cour ne pouvait se fonder sur la circonstance que l’intéressée n'avait pas demandé l'annulation de ces décisions pour en déduire qu'il lui appartenait d'allouer à cette dernière une indemnisation forfaitaire versée pour solde de tout compte, alors qu'il lui appartenait de lui allouer une indemnisation réparant intégralement les préjudices qu'elle avait subis au cours de cette période, conformément aux principes généraux du droit rappelés plus haut.

(19 juillet 2023, Mme A., n° 462834)

 

207 - Autorisation de cumul entre une activité de fonction publique et une autre, accessoire, dans un conservatoire municipal de musique - Autorisation n’ayant pas de terme - Erreur de droit - Annulation.

Le demandeur, brigadier-chef de la police nationale, a sollicité l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis résultant de l'illégalité des décisions du ministre de l'intérieur, intervenues en 2013, 2014 et 2015, lui refusant l'autorisation de cumuler son activité principale avec des activités accessoires d'enseignement musical, annulées par un jugement du tribunal administratif de Versailles du 12 juin 2017, devenu définitif.

Le juge de cassation rappelle que sous réserve du cas où elles prévoient expressément que les activités sont exercées à titre accessoire pour une durée limitée, les dispositions  alors en vigueur du I de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du  décret du 2 mai 2007 relatif au cumul d'activités des fonctionnaires, des agents non titulaires de droit public et des ouvriers des établissements industriels de l'État, ne font pas obstacle à ce qu'une demande d'autorisation de cumul d'activités soit formée sans en préciser le terme.

Ceci n’empêche pas que l'autorité appelée à statuer sur une telle demande, d’une part, peut, sans y être tenue, lui fixer un terme, d’autre part, puisse s'opposer à tout moment, dans l'intérêt du service, à la poursuite de l'activité dont l'exercice a été autorisé et de l'obligation faite à l'intéressé de solliciter une nouvelle autorisation pour tout changement substantiel intervenant dans les conditions d'exercice ou de rémunération de l'activité qu'il exerce à titre accessoire.

Ainsi, a commis en l’espèce une erreur de droit la cour administrative d’appel qui a jugé qu'une autorisation de cumul d'activités ne peut être demandée et délivrée que pour une durée limitée et en a déduit que le requérant ne saurait valablement soutenir que sa demande d'indemnisation du préjudice financier résultant de l'illégalité de la décision de refus d'autorisation de cumul d'activités du 27 février 2014 pourrait se rapporter à une période postérieure à l'année scolaire 2014-2015.

(19 juillet 2023, M. A., n° 464504)

 

208 - Pouvoirs du juge de l’exécution - Nécessité d’interpréter un jugement ou arrêt de contenu ou de portée incertain - Cas d’un recours en matière de pension militaire d’invalidité - Annulation.

(20 juillet 2023, ministre des armées, n° 465594)

V. n° 59

 

209 - Création du corps des administrateurs de l’État - Décret du 1er décembre 2021 - Mise en extinction de corps d'inspection générale de l'État - Absence de vice de légalité externe - Indépendance des services d'inspection générale de l'État - Erreur manifeste d’appréciation - Rejet.

Les requérantes demandaient l’annulation du décret du 1er décembre 2021 qui, en créant un corps des administrateurs d’État, met en extinction les corps d’inspection générale de l’État.

Les recours sont rejetés tant au regard de leurs moyens de légalité externe que pour ce qui concerne leurs moyens de légalité interne.

Au plan de la légalité externe, il est jugé d’abord que les dispositions attaquées n'ont pas pour effet de modifier les dispositions législatives particulières qui, en mentionnant les corps d'inspection et de contrôle mis en voie d'extinction par le décret attaqué et les missions d'inspection ou de contrôle auxquelles leurs agents peuvent être conduits à participer, n'imposent pas, par elles-mêmes, l'existence de ces corps. Ensuite, le pouvoir réglementaire pouvait  légalement mettre en extinction les corps d'inspection générale et de contrôle de l'État susmentionnés et cela alors même que l’art. 34 de la Constitution réserve à la loi les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires, le Gouvernement étant compétent pour déterminer la mission et l'organisation des corps de la fonction publique de l'État, les fonctionnaires étant par ailleurs dans une situation statutaire et réglementaire et n'ayant pas droit au maintien de leur statut. Également, les dispositions du II de l'art. 13 du décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps des administrateurs de l'État, n'avaient pas - contrairement à ce qui est soutenu - à être prises par un décret délibéré en conseil des ministres compte tenu de l'abrogation, par l'art. 31 de la loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique, du deuxième alinéa de l'art. 8 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État selon lequel devaient être délibérés en conseil des ministres les décrets en Conseil d'État portant statut des corps de fonctionnaires comportant des emplois pourvus en conseil des ministres ainsi que des corps mentionnés au premier alinéa de l'art. 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique  concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État. 

Au plan de la légalité interne, il est jugé :

- qu’il n’existe ni un principe constitutionnel ni un principe général du droit qui consacrerait l'indépendance des agents chargés des missions d'inspection générale et de contrôle de l'État,

- qu’aucune erreur manifeste d’appréciation n’entache les décisions concomitantes de mettre les corps en cause en voie d’extinction et de créer un nouveau corps, celui des administrateurs d’État,

- que les dispositions critiquées ne méconnaissent pas, faute de comporter l'ensemble des dispositions relatives à la réforme des services d'inspection générale, l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme,

- et enfin, qu’aucune atteinte au principe d'égalité ne résulte du fait que tant des agents appartenant à des corps mis en voie d'extinction que des agents appartenant au corps des administrateurs de l'État pourront être conduits à accomplir des missions de même nature.

(21 juillet 2023, Association de promotion de l'exercice indépendant des fonctions d'inspection générale de l'État (APEIFIGE), n° 41032 ; Association de membres des inspections générales de l'administration, des affaires sociales et des finances (association A3I) et autres, n° 461057)

(210) V. aussi, très voisin mais non identique : 21 juillet 2023, Association de membres des inspections générales de l'administration, des affaires sociales et des finances (association A3I) et 36 requérants individuels, n° 463874.

 

211 - Fonctionnaire du Sénat - Mise à la retraite d’office par motif disciplinaire - Demande de suspension de la sanction et de réintégration provisoire - Refus - Annulation.

Le demandeur, fonctionnaire du Sénat, a fait l’objet d’une mise à la retraite d’office par motif disciplinaire. Cette sanction a été suspendue par le juge des référés qui a, en outre, ordonné la réintégration de l’intéressé dans ses fonctions.

Le Président du Sénat se pourvoit en cassation de cette ordonnance. Il invoque au soutien de sa demande plusieurs motifs : 1°/ cette réintégration risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables à raison des troubles au sein des services et pour le fonctionnement du Sénat et du discrédit jeté sur l'institution, 2°/ elle susciterait également des troubles compte tenu de la gravité des manquements déontologiques reprochés à cet agent et de la publicité donnée à ces manquements, de la résonance dans les médias et au sein du Sénat, y compris à l'initiative de l'intéressé, tant de la procédure judiciaire dont il a fait l'objet que de la procédure qu'il a engagée devant le juge administratif, 3°/ il y aurait aussi le risque que ces manquements et cette publicité se poursuivent en cas de réintégration provisoire, et de la rupture définitive qui en découle du lien de confiance fondant la relation entre les élus et un agent du Sénat.

Pour rejeter cette argumentation et confirmer l’ordonnance du premier juge, le juge de cassation relève, avec un luxe de précisions, que l'exécution de l'ordonnance contestée n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à entraîner, pour le Sénat, des conséquences difficilement réparables.

En particulier, il est jugé : que la médiatisation invoquée ne s'est pas poursuivie et ne peut, en tout état de cause, être regardée comme jetant un discrédit difficilement réparable sur l'institution ; que la réintégration provisoire de l’agent n'est pas de nature à susciter, s'agissant de la gestion des services du Sénat, de difficulté significative, aucune difficulté de cette nature n'ayant ainsi été observée entre le 1er juin 2022, date de son retour au Sénat, et le 15 février 2023, date d'effet de la mise à la retraite d'office prononcée par la décision suspendue par le juge des référés ; qu’il n’est pas établi que l’intéressé aurait effectivement poursuivi, depuis son retour au Sénat et après sa mise à la retraite d'office, son engagement actif au sein de l'Association d'amitié franco-coréenne, dans laquelle il n'exerce plus de responsabilités ; qu’enfin,  le Sénat est en mesure d'affecter le demandeur, pour les besoins de sa réintégration provisoire, à des fonctions qui excluent tout risque de compromission d'informations confidentielles ou sensibles, qui limitent les contacts qu'il pourrait avoir directement avec les sénatrices et les sénateurs, et qui ne lui confèrent aucune responsabilité de représentation. 

(25 juillet 2023, Président du Sénat, n° 474547)

 

212 - Agent du ministère de la Défense - Note relative aux astreintes - Reprise des dispositions d’un décret - Inapplicabilité de dispositions du code du travail - Rejet.

Doit être rejeté le recours de l’intéressé contre une note de service relative aux modalités des astreintes pour le personnel civil titulaire, non titulaire et ouvrier de l'État du ministère des armées en tant qu'elle ne prévoit pas la possibilité d'appliquer ce régime aux personnels civils du ministère des armées embarqués à bord d'un navire de la marine nationale et demandant qu’injonction soit faite à ce ministre  de modifier cette note de service afin d'étendre le régime des astreintes à ces personnels.

D’une part, cette note se borne à rappeler les dispositions de l'art. 5 du décret du 25 août 2000 qui définissent la période d'astreinte à laquelle un agent de l'État peut être soumis et le requérant n’excipe pas de son illégalité au soutien de sa requête.

D’autre part, il ne saurait être soutenu que cette note serait contraire à l'art. L. 3121-9 du code du travail, dès lors que ces dispositions excluent que l'astreinte puisse être réalisée sur le lieu de travail du salarié.

Enfin, contrairement à ce qui est prétendu, les personnels civils de la défense embarqués à bord d'un bâtiment de la marine nationale ont droit à une majoration journalière pour service à la mer en application du décret du 16 octobre 1951 fixant le mode de calcul des majorations pour service à la mer et des majorations pour service en sous-marin.

(04 août 2023, M. A., n° 471223)

 

213 - Commission locale d’action sociale - Création par le préfet (ou équivalent) - Répartition des sièges devant être effectuée avant le 30 juin 2023 - Processus proche d’aboutir - Absence d’urgence - Rejet.

Les organisations requérantes demandent que soit suspendue l'exécution de la circulaire du ministère de l’intérieur du 22 mars 2023 relative à la recomposition des commissions locales d'action sociale (CLAS) à la suite des élections professionnelles du 1er au 8 décembre 2022.

Cette circulaire de la directrice des ressources humaines du ministère de l'intérieur a été prise sur le fondement de l'art. 1er de l'arrêté du 17 octobre 2022 relatif aux commissions locales d'action sociale et au réseau local d'action sociale du ministère de l'intérieur, lui-même mettant en œuvre l’art. L. 731-2 du code général de la fonction publique ainsi que l’art. 4 du décret du 6 janvier 2006 relatif à l'action sociale au bénéfice des personnels de l'État.

La suspension sollicitée concerne son I relatif au « mode opératoire de recomposition de la CLAS », au sein du « e) Répartition des sièges et représentation des personnels », à propos de l' « étape 1 » devant conduire à déterminer « l'ensemble des listes présentées à l'ensemble des CSA participant à la recomposition des CLAS ». Après avoir rappelé que « Les résultats obtenus par les listes sont agrégés dès lors qu'elles appartiennent aux mêmes fédérations ou unions », cette circulaire indique : « Il convient de souligner que, pour un certain nombre de CSA, la fédération des services publics CFE-CGC et UNSA-FASMI ont présenté des listes communes dont les compositions et les protocoles diffèrent selon les CSA. S'agissant au cas présent de deux blocs syndicaux distincts qui ont présentés des listes et des protocoles différents, il ne peut y avoir d'agrégation. C'est la raison pour laquelle les 10 listes présentées par CFE-CGC et UNSA-FASMI doivent être considérées et traitées indépendamment les unes des autres. »

Le calendrier fixé par la circulaire précisait que la mise en œuvre de ces dispositions devait donner lieu, pour chacune des commissions locales d'action sociale, au nombre de cent sept, à un arrêté préfectoral pris au plus tard le 30 juin 2023 et notifié sans délai aux organisations syndicales, précisant à chacune le nombre de sièges qui lui sont attribués et ouvrant à celle-ci un délai maximum d'un mois pour désigner ses représentants, la réunion d'installation de la commission locale d'action sociale devant avoir lieu au plus tard deux mois après cette notification et l'arrêté du 17 octobre 2022 prévoyant lui-même que la nouvelle composition de la commission locale d'action sociale est fixée dans les six mois suivant la publication des résultats aux scrutins des comités sociaux figurant à son annexe 2.

Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que l'ensemble des cent sept arrêtés préfectoraux de répartition des sièges, qui devaient être pris au plus tard le 30 juin 2023, ne l'auraient pas été au jour de la présente ordonnance, cent d'entre eux ayant d'ailleurs été communiqués au ministère, selon les indications, non contestées, données par celui-ci à l'audience. En outre, le processus de recomposition des cent sept commissions locales d'action sociale concernées est, au jour de la présente ordonnance, achevé ou proche de l'être pour une part substantielle d'entre elles, trente-neuf ayant d'ores et déjà été installées et vingt-cinq convoquées à cette fin, selon les indications, non contestées, données par les requérants eux-mêmes à l'audience.

Dès lors, compte tenu, d’une part, que les requérants, qui avaient connaissance de la circulaire qu'ils attaquent au moins depuis le courrier qu'ils ont adressé au ministre de l'intérieur le 5 avril 2023 pour se plaindre de ses dispositions en litige, n'ont saisi le juge des référés du Conseil d'État que trois semaines après que ces dispositions devaient avoir épuisé leurs effets par l'intervention des arrêtés préfectoraux de répartition des sièges et, à supposer même que les quelques arrêtés qui n'ont pas encore été communiqués au ministère n'aient pas encore été pris, et d’autre part, de l'intérêt qui s'attache à ce que le processus de recomposition en cours, proche d'aboutir, soit mené à son terme de la même façon pour toutes les commissions locales d'action sociale, la suspension des dispositions en litige ne revêt pas un caractère d'urgence au sens de l'art. L. 521-1 du CJA.

La demande de référé tendant à la suspension d’exécution de la circulaire litigieuse est rejetée.
Encore une bonne illustration du légendaire pragmatisme du juge administratif.

(ord. réf. 31 juillet 2023, Syndicat Alliance Police nationale (APN) et Fédération autonome des syndicats du ministère de l'intérieur (UNSA-FASMI), n° 470068)

 

214 - Sous-préfet - Suspension à titre provisoire de ses fonctions puis mise à la retraite d’office - Absence de vices affectant la légalité externe de ces décisions ainsi que leur légalité interne - Rejet.

Le requérant, sous-préfet, a demandé l’annulation de l'arrêté du 13 septembre 2022 du ministre de l'intérieur le suspendant à titre conservatoire de ses fonctions de sous-préfet pour une durée maximale de quatre mois puis du décret du président de la république du 26 décembre 2022 prononçant sa mise à la retraite d'office.

Les deux recours sont rejetés.

Concernant l’arrêté ministériel de suspension provisoire des fonctions, il est jugé, tout d’abord, que celui-ci n’est affecté d’aucun vice touchant à sa légalité externe, ni non plus sa légalité interne. Sur ce point, le juge relève que le requérant s’est rendu coupable d’insubordinations répétées et du refus de rendre compte de son activité, d’avoir effectué un séjour en Ukraine du 20 au 27 mai 2021 sur son temps de travail, sans information ni autorisation préalable de sa hiérarchie, d’avoir altéré un ordre de mission et supprimé plusieurs milliers de documents sur le serveur informatique de sa direction d'administration centrale ainsi que d’avoir communiqué en décembre 2021 des notes diplomatiques à une personne extérieure à l'administration, non habilitée à en connaître. 

Concernant le décret présidentiel de mise à la retraite d’office, aucun des griefs relatifs à sa légalité externe n’est retenu (application du régime disciplinaire des sous-préfets non de celui du droit commun de la fonction publique ; invocation d’une prétendue partialité des membres représentant l'administration dans le cadre de l'entretien contradictoire du 8 décembre 2022 qui a précédé la décision contestée ; délai d’un mois accordé pour consulter son dossier et présenter ses observations ; sanction infligée sur la base de faits clairs et précis). La légalité interne de ce décret n’est pas critiquable (invocation, erronée, d’un prétendu principe d’égalité entre les sous-préfets hors classe ; existence certaine de fautes disciplinaires et sanction proportionnée à leur gravité).

(09 août 2023, M. A., n° 467978)

 

215 - Agent public contractuel – Invocation de faits de harcèlement moral – Traitement normal du dossier – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits que le juge du référé liberté a rejeté la requête de l’intéressé, responsable du pôle juridique du service administratif et technique de la police nationale (SATPN) de Mayotte, fondée sur ce que celui-ci aurait fait l’objet d’actes de harcèlement répétés de la part de sa hiérarchie dans le cadre de son licenciement pour abandon de poste.

Confirmant le premier juge, il est constaté un déroulement normal de la procédure utilisée en l’espèce, sans animosité particulière qu’il s’agisse des demandes relatives aux faits qui lui ont été adressées pour expliquer et justifier ses absences répétées ou de l’attitude de sa hiérarchie.

(ord. réf. 19 juillet 2023, M. B., n° 475923)

 

216 - Pensions militaires d'invalidité – Diminution d’acuité auditive – Régime applicable à la perte de sélectivité – Erreur de droit – Annulation.

Est entachée d’erreur de droit et encourt annulation la décision d’une cour administrative d’appel qui, à la fois, constate qu'il résulte du compte-rendu audiométrique subi par un militaire pensionné du fait de son hypoaccousie, que les nouveaux seuils d'audition sur la meilleure oreille ont été mesurés à 80 dB sur la fréquence 4 000 Hz et à 40 dB sur la fréquence 1 000 Hz, soit une différence inférieure à 50 dB, et juge que le demandeur a droit au maintien du bénéfice de la majoration de sa pension pour perte de sélectivité, alors que le guide barème des invalidités (cf. annexe 2 au code des pensions militaires d'invalidité) dispose, concernant les diminutions d'acuité auditive, que pour la détermination des pertes de sélectivité importantes qui peuvent être la conséquence d'une atteinte post-traumatique ou toxique, les taux applicables seront majorés de 10 lorsque, pour la meilleure oreille (celle dont la PA est la moins accentuée), la différence des seuils d'audition sur les fréquences 4 000 et 1 000 Hz (4 000 - 1 000) est égale ou supérieure à 50 dB, à la condition toutefois que la perte auditive moyenne en dB (PA) de la meilleure oreille soit inférieure à 60 dB, car la gêne fonctionnelle qui résulte d'une perte de sensibilité supérieure n'est que fort peu aggravée par la perte de sélectivité. Il s’ensuit donc que, contrairement à ce qu’a jugé la cour, lorsque les conditions ci-dessus sont réunies, la perte de sélectivité ne peut être retenue que sous la forme d'une majoration du taux de l'hypoacousie, et non sous celle d'une infirmité distincte.

(11 août 2023, ministre des armées, n° 451212)

 

217 - Auditeur de justice – Décision du jury la délarant inapte à l’exercice des fonctions judiciaires – Cessation des fonctions d’auditeur – Composition du jury de l’examen d’aptitude – Motivation de la décision – Absence – Exactitude matérielle des faits – Rejet.

Un auditeur de justice déclaré inapte à l’exercice des fonctions judiciaires à l’issue de sa scolarité à l’Ecole de la magistrature, demande l’annulation de la décision d’inaptitude rendue par le jury et, par voie de conséquence, de la décision du ministre de la justice mettant fin à ses fonctions d’auditeur.

Au soutien de ses prétentions, le requérant invoque plusieurs moyens, tous rejetés.

En premier lieu, la circonstance que la présidente du jury, s'étant aperçue que l'une des candidates avait été assistante de justice sous son autorité, s'est retirée du jury, et l'administration s'étant trouvée dans l'impossibilité matérielle de pourvoir en temps utile à son remplacement, n’a pas été remplacée et que le jury s'est réuni dans une formation ne comprenant que huit des neuf membres réglementairement prévus n‘est, dans les circonstances de l'espèce, ni de nature à entacher d'irrégularité la décision attaquée, ni davantage de nature à avoir entraîné une rupture d'égalité entre candidats dès lors que ce retrait de la présidente est intervenu avant le début des épreuves. Le moyen en ce sens est rejeté.

En deuxième lieu, et contrairement à ce qui est soutenu, aucune règle non plus qu’aucun principe n’exige que la décision par laquelle le jury de classement décide de ne pas inscrire un auditeur de justice sur la liste de classement à la sortie de l'ÉNM, en raison de son inaptitude aux fonctions judiciaires, soit motivée. Ce moyen est donc écarté.

En troisième lieu, enfin, ne sont pas fondés sur des faits matériellement inexacts les appréciations figurant sur les bilans de stage en juridiction, les rapports rédigés par les coordonnateurs régionaux de formation de l'École nationale de la magistrature qui reprennent les observations des maîtres de stage ainsi que le constat qu’il a été mis à même d'acquérir une expérience et de faire la preuve de ses capacités pour l'exercice des fonctions judiciaires.

C’est sans erreur manifeste d’appréciation que le jury de l’examen d’aptitude et de classement de la promotion 2020 des auditeurs de justice a décidé d’écarter le requérant de l'accès aux fonctions judiciaires après redoublement.

(11 août 2023, M. B., n° 464256)

 

Hiérarchie des normes

 

218 - Droit de l’Union et droit national - Dénominations de préparations comportant des protéines végétales - Transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires - Matière entièrement harmonisée par le droit de l’Union -  Renvoi de questions préjudicielles à la CJUE.

Les requérantes demandent au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir le décret du 29 juin 2022 relatif à l'utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales, pris pour l'application de l'article L. 412-10 du code de la consommation issu de l'article 5 de la loi du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires.

Selon cet art. L. 412-10 : « Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d'origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n'est pas possible. Ce décret définit également les modalités d'application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement ».

C’est là l’objet du décret attaqué.

Parmi les divers moyens développés par les requérantes, la plupart rejetés, deux retiennent l’attention du juge.

En premier lieu, les requérantes font valoir que le décret attaqué, en interdisant d'utiliser des dénominations de denrées alimentaires d'origine animale pour désigner des denrées alimentaires à base de protéines végétales, méconnaît le paragraphe 1 de l'article 38 du règlement (UE) n° 1169/2011 en tant qu'il traite d'une question expressément harmonisée par les dispositions de ses articles 7 et 17 combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI. Le juge relève que cette interdiction s'applique non seulement dans l'hypothèse où des indications complémentaires ne seraient pas portées à proximité immédiate de ces dénominations pour informer les consommateurs de la substitution partielle ou totale des protéines végétales dans la composition de ces denrées mais également dans l'hypothèse où de telles indications seraient accolées à ces dénominations. 

En second lieu, les requérantes font valoir à titre subsidiaire que le décret attaqué méconnaît les articles 9 et 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, en interdisant aux producteurs de denrées alimentaires à base de protéines végétales, en l'absence de dénomination légale prescrite par les dispositions nationales ou européennes, de désigner leurs produits selon leur nom usuel, qu'il s'agisse d'un nom dont l'usage serait apparu antérieurement à la publication du décret ou apparaîtrait postérieurement, ou un nom descriptif. À l'appui de ce moyen, les requérantes, constatant qu'aucune dénomination légale des denrées alimentaires à base de protéines végétales n'est prévue par le droit national ou le droit de l'Union européenne, font valoir que les producteurs et distributeurs de telles denrées seraient ainsi empêchés d'utiliser des dénominations autorisées par le règlement pour la présentation et la commercialisation de leurs produits et rappellent que la Commission avait elle-même relevé, dans le cadre de ses réponses à la notification, le 1er octobre 2021, du projet de décret présentement attaqué, que certains des termes dont le projet de décret notifié interdirait l'utilisation avaient été largement utilisés ces dernières années sur le marché de l'Union pour la description de produits à base végétale et que les consommateurs s'étaient familiarisés avec ces types de produits et ces dénominations.

Dans ces conditions, sont renvoyées à la cour de Luxembourg deux questions préjudicielles :

- celle de savoir si les dispositions de l'article 7 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prescrivent la délivrance aux consommateurs d'informations ne les induisant pas en erreur sur l'identité, la nature et les qualités des denrées alimentaires, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question de l'utilisation de dénominations de produits d'origine animale issues des secteurs de la boucherie, de la charcuterie et de la poissonnerie pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, susceptibles d'induire le consommateur en erreur, faisant ainsi obstacle à ce qu'un État membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations. 

- celle de savoir si les dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 1169/2011, qui prévoient que la dénomination par laquelle la denrée alimentaire est identifiée est, en l'absence de dénomination légale, son nom usuel ou un nom descriptif, combinées aux dispositions du paragraphe 4 de la partie A de son annexe VI, doivent être interprétées en ce sens qu'elles harmonisent expressément, au sens et pour l'application du paragraphe 1 de l'article 38 de ce même règlement, la question du contenu et de l'utilisation de dénominations, autres que des dénominations légales, désignant des denrées alimentaires d'origine animale pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires contenant des protéines végétales, y compris dans l'hypothèse d'une substitution totale d'ingrédients d'origine végétale à la totalité des ingrédients d'origine animale composant une denrée, faisant ainsi obstacle à ce qu'un État membre intervienne sur cette question par l'édiction de mesures nationales réglementant ou interdisant l'usage de telles dénominations. 

(12 juillet 2023, Association Protéines France, n° 465835 ; Union végétarienne européenne et association végétarienne de France, n° 467116 ; Société Beyond Meat, n° 468384, jonction)

 

219 - Droit de l’Union et droit national - Réglementation nationale des fluides frigorigènes inflammables - Directives européennes du 17 mai 2006, du 26 février 2014 et du 15 mai 2014 - Interprétation par la CJUE - Méconnaissance des objectifs de ces directives - Annulation.

Le syndicat requérant demande l'annulation de l'arrêté du 10 mai 2019 modifiant l'arrêté du 25 juin 1980 portant approbation des dispositions générales du règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public qui a notamment pour objet de fixer l'emploi dans ces établissements d'équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables.

Le Conseil d’État, après avoir rejeté tous les moyens soulevés par le syndicat Uniclima autres que ceux tirés de la méconnaissance du droit de l'Union européenne, a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur trois questions préjudicielles auxquelles cette dernière a répondu par son arrêt du 23 mars 2023, Syndicat Uniclima, aff. C-653/21.

L’arrêté litigieux prévoit, en bref, qu’est désormais autorisé dans les établissements recevant du public l'emploi de fluides frigorigènes inflammables, sous réserve du respect des normes de sécurité qu'il définit, ces normes ne s'appliquant toutefois pas à l'emploi de fluides frigorigènes inflammables dans les équipements qui disposent du « marquage CE », sous réserve toutefois que ces équipements soient « hermétiquement scellés ». C’est cette dernière exigence qui constitue l’essentiel du litige.

En effet, lorsqu’un domaine a fait l’objet, comme en l’espèce, d’une complète ou exhaustive harmonisation européenne, résultant ici des directives du 17 mai 2006 relative aux machines, du 26 février 2014 concernant la mise à disposition sur le marché du matériel électrique destiné à être employé dans certaines limites de tension et du 15 mai 2014 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché des équipements sous pression, l’équipement relevant du champ d'application de l'une de ces directives, qui ne sont pas d'application cumulative, respecte les garanties essentielles de sécurité qu'elle prescrit, ce dont atteste l'apposition du « marquage CE », il peut circuler librement sur le marché de l'Union européenne. 

La CJUE a d’abord dit pour droit (14 décembre 2004, Radlberger Getränkegesellschaft mbH & Co. og S. Spitz KG mod Land Baden-Württemberg, aff. C-309/02, point 53, et 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft AB/Energimyndigheten, aff. C-573/12, point 57) qu’en cas d’harmonisation exhaustive au niveau communautaire toute mesure nationale qui y est relative doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d'harmonisation et non pas de celles du droit primaire.

Ensuite et surtout, répondant aux questions préjudicielles que le Conseil d’État lui avait transmises, la CJUE, dans son arrêt précité du 23 mars 2023, a dit pour droit en substance que les dispositions de la directive précitée du 15 mai 2014 (comme aussi mutatis mutandis celles des directives susmentionnées du 17 mai 2006 et du 26 février 2014) s'opposent à une réglementation nationale qui, y compris afin de protéger la santé et la sécurité des personnes à l'égard des risques d'incendie dans des locaux ouverts au public, impose aux équipements sous pression et aux ensembles utilisant des fluides frigorigènes inflammables des exigences qui ne figurent pas parmi les exigences essentielles de sécurité prévues par cette directive, aux fins de la mise à disposition sur le marché ou de la mise en service de ces équipements et ensembles, alors même que ceux-ci disposent du marquage CE.

Il suit de là que l’arrêté litigieux, en décidant que les normes de sécurité qu'il introduit ne s'appliquent pas aux équipements utilisant des fluides frigorigènes inflammables dès lors que, à la fois, ils disposent du « marquage CE » et sont « hermétiquement scellés », est incompatible avec les objectifs de ces trois directives. 

Il y a donc lieu d’annuler les dispositions de l'arrêté du 10 mai 2019 en tant que les dispositions du nouveau paragraphe 3, à l'exception de celles figurant au a) et au c) de ce paragraphe, qu'il insère à l'article CH 35 de l'arrêté du 25 juin 1980 s'appliquent aux équipements qui disposent du marquage CE dès lors qu'ils ne sont pas hermétiquement scellés. 

(19 juillet 2023, Syndicat Uniclima, n° 435581)

 

Libertés fondamentales

 

220 - Référé liberté – Campement de migrants – Accès à l’eau potable et à des modalités d’hygiène adaptées – Sauvegarde de la dignité de la personne humaine – Risque de traitement inhumain ou dégradant – Confirmation de l’ordonnance et rejet.

Est rejeté l’appel dirigé contre l’ordonnance par laquelle le juge des référés a, d'une part, enjoint au préfet du Calvados et à la commune de Ouistreham de créer, à proximité immédiate d’un campement de migrants, des points d'eau et des latrines, ainsi qu'un dispositif d'accès à des douches, en indiquant qu'il reviendrait à ces autorités d'organiser, en lien avec les associations requérantes, le nombre, la localisation précise de ces installations et leurs modalités d'accès et que ces prescriptions devraient connaître un début de réalisation dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance.

Au visa du principe constitutionnel de la dignité de la personne humaine et du principe conventionnel de prohibition des traitements inhumains et dégradants le juge des référés du Conseil d’État confirme l’ordonnance du premier juge. Il relève en particulier que les migrants installés dans ce campement, qui se trouvent dans un état de dénuement et d'épuisement, n'ont accès à aucun point d'eau ou de douche ni à des toilettes à proximité du site. La présence de sanitaires publics, situés à près d'un kilomètre du campement, et dont le point d'eau ne permet pas le remplissage de cuves à eau, ainsi que de douches, à une distance de plus deux kilomètres et demi, ne peut être regardée comme suffisante pour répondre à leurs besoins élémentaires en matière d'alimentation en eau potable et d'hygiène. Ces personnes souffrent en conséquence de pathologies dermatologiques, digestives et infectieuses liées à une mauvaise hygiène. L'absence de dispositifs d'accès à l'eau à proximité de leur lieu de vie entraîne en outre de leur part le recours à des solutions alternatives présentant des risques pour leur santé et leur sécurité physique, telle que l'utilisation de l'eau du canal jouxtant le campement. Et le juge d’asséner : « De telles conditions de vie font apparaître que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants présents, en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable, demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains et dégradants, portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Ces circonstances, constitutives en outre d'un risque pour la santé publique, révèlent en elles-mêmes une situation d'urgence caractérisée, justifiant l'intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. »

On pourrait certes se féliciter de l’existence d’une voie de droit permettant l’octroi très rapide de solutions aussi élémentaires mais ne faut-il pas, d’abord et surtout, déplorer que des autorités publiques, dans un État de vieille démocratie, aient besoin d’être contraints successivement par deux juges et par deux procédures pour accorder de telles aumônes ?

(ord. réf. 03 juillet 2023, commune de Ouistreham, n° 475136 ; ministre de l’intérieur, n° 475262)

 

221 - Décision préfectorale de placement en unité pour malades difficiles (UMD) – Demande de mainlevée de cette décision – Compétence du juge judiciaire.

Dès lors qu’il résulte des dispositions des art. L. 3211-12 et L. 3211-12-1, L. 3216-1 et L. 3222-5-1 du code de la santé publique que toute action relative à la régularité et au bien-fondé d'une mesure d'admission en soins psychiatriques sans consentement prononcée sous la forme d'une hospitalisation complète et aux conséquences qui peuvent en résulter ressortit à la compétence de la juridiction judiciaire, il s’ensuit que cette dernière est également compétente pour connaître de tout litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet admet dans une UMD un patient placé en soins psychiatriques sans son consentement sous la forme d'une hospitalisation complète, ou refuse sa sortie d'une telle unité. 

(TC, 03 juillet 2023, M. A. c/ préfète de la Gironde, n° C4279)

 

222 - Extradition - Détournements de fonds publics - Actes qualifiés crimes par loi marocaine - Modalités d’exercice des poursuites - Élément sans importance au regard de la compétence de l’État requérant - Rejet.

Le requérant, ressortissant marocain dont l’extradition a été demandée par le Maroc à la France, ne saurait exciper des dispositions de l'art. 2-1 de la convention bilatérale d'extradition pour soutenir l’illégalité du décret primo-ministériel autorisant son extradition. En particulier, il ne peut invoquer la circonstance qu'un mandat d'arrêt international visant à engager une procédure d'extradition à l'encontre du requérant ait été émis en l'absence de ce dernier sur le territoire marocain, dès lors que les détournements reprochés ont eu lieu dans l’exercice de fonctions au sein d’un poste consulaire à l’étranger. En effet, d’une part, il résulte des dispositions du premier alinéa de l'art. 707 du code marocain de procédure pénale que les autorités judiciaires marocaines sont compétentes pour poursuivre et juger de tels faits, qualifiés crimes. L’objection soulevée par l’intéressé concerne seulement les modalités d'exercice des poursuites, dont il n'appartient pas au Conseil d'État statuant au contentieux d'apprécier la régularité, celle-ci étant sans effet sur celle du décret d’extradition.

(10 juillet 2023, M. B., n° 469860)

 

223 - Extradition - Motifs de la demande d’extradition - Absence de contrôle de la France sur le bien-fondé des charges retenues sauf erreur évidente - Absence - Rejet.

A un ressortissant kossovar contestant le décret l’extradant vers le Kossovo à la demande des autorités de cet État pour viol, menaces et agression sexuelle, il est rappelé que, sauf erreur évidente, inexistante en l’espèce, il résulte des principes généraux du droit applicable à l'extradition qu'il n'appartient pas aux autorités françaises de statuer sur le bien-fondé des charges retenues contre la personne recherchée.

(20 juillet 2023, M. A., n° 470530)

 

224 - Prévenu - Maintien en détention - Relevés signalétiques contraints - Erreur sur sa majorité ou sur sa minorité -Rejet.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation la circulaire du 28 mars 2022 du garde des sceaux présentant des dispositions résultant de la loi n° 2022-52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure permettant le recours à des relevés signalétiques contraints et le maintien en détention d'un prévenu en dépit d'une erreur sur sa majorité ou sa minorité, notamment par adjonction d’un quatrième alinéa à l'art. 55-1 du code de procédure pénale et par l’insertion d’un art. 397-2-1 dans ce code ainsi que des art. L. 413-16 et L. 413-17 dans le code de la justice pénale des mineurs.

Après avoir décidé que la circulaire contestée présente un caractère impératif et qu’elle est donc susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir, le juge rappelle que le recours formé à son encontre ne peut être accueilli que si elle fixe une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si l'interprétation du droit positif qu'elle comporte en méconnaît le sens ou la portée ou si elle est prise en vue de la mise en œuvre d'une règle contraire à une norme juridique supérieure.

Il est alors procédé à l’analyse du contenu de la circulaire en deux volets (I et II).

 

I/ En premier lieu, la circulaire attaquée est examinée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions du quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale et des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de l'article 30 de la loi du 24 janvier 2022.

De ce chef le recours est d’abord rejeté car le Conseil constitutionnel (déc. n° 2022-1034 QPC, 10 février 2023), d’une part, a déclaré les mots « 61-1 ou » figurant au quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale contraires à la Constitution, dans la mesure où ils permettent de recourir à des opérations de prise d'empreinte digitales ou palmaires ou de photographies à l'égard d'une personne entendue dans le cadre du régime de l'audition libre, alors que le respect des droits de la défense exige que la personne intéressée soit entendue sans contrainte et en droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue et, d’autre part, a déclaré conformes à la Constitution le reste des dispositions du quatrième alinéa de l'art. 55-1 du code de procédure pénale, ainsi que les art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs, sous la réserve que les opérations de prise d'empreintes digitales ou palmaires ou de photographies sans le consentement de la personne, qu'elle soit mineure ou majeure, ne sauraient être effectuées hors la présence de son avocat, des représentants légaux ou de l'adulte approprié et, s'agissant de l'art. L. 413-17, que ces dispositions ne sauraient être interprétées comme s'appliquant aux mineurs entendus sous le régime de l'audition libre.

Surtout, le Conseil a précisé que les mesures prises avant la publication de sa décision ne pouvaient être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité. C’est pourquoi, les dispositions du paragraphe 1 de la partie A du I de la circulaire attaquée comportant les mots « de l'audition libre ou » qui se rapportent, en tant qu'ils concernent les personnes majeures, aux dispositions jugées contraires à la Constitution, doivent être réputés caduques. Par voie de conséquence, les conclusions de la requête dirigées contre ces dispositions doivent être regardées comme ayant perdu leur objet.

Par ailleurs, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité des dispositions des art. L. 413-16 et L. 413-17 du code de la justice pénale des mineurs alors que le Conseil constitutionnel les a déclarées conformes à la Constitution, sa décision étant revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée et liant tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause.

De ce chef, le recours est ensuite rejeté car, en raison des exigences de forme et de fond posées par les textes ainsi que des garanties dont elles sont assorties, en particulier s’agissant de l’enregistrement et de la conservation des données, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions en cause méconnaitraient le droit au respect de la vie privée garanti par les stipulations de l'art. 8 de la convention EDH, le droit à un procès équitable garanti par le § 1 de l'art. 6 de la même convention ainsi que le § 1 de l'art. 3 de la convention internationale des droits de l'enfant qui consacre la notion d'intérêt supérieur de l'enfant. 

II/ En second lieu, la circulaire attaquée est examinée en tant qu'elle porte sur l'application des dispositions de l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de l'article 25 de la loi du 24 janvier 2022.

Tout d’abord, comme le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée, a déclaré les deuxième et troisième alinéas de l'article 397-2-1 du code de procédure pénale conformes à la Constitution, sous la réserve qu'afin d'assurer le respect des exigences constitutionnelles résultant du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs tenant notamment à la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, il appartient à la juridiction saisie « de vérifier que, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité des infractions qui lui sont reprochées, son placement ou son maintien en détention provisoire n'excède pas la rigueur nécessaire ». Cette réserve d'interprétation est revêtue de l'autorité absolue de la chose jugée et lie tant les autorités administratives que le juge pour l'application et l'interprétation des dispositions en cause. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la circulaire attaquée serait privée de base légale à raison de l'inconstitutionnalité des dispositions de cet article du code de procédure pénale.

Ensuite, les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir que les dispositions de l'art. 397-2-1 du code de procédure pénale, qui poursuivent un objectif de sauvegarde de l'ordre public, méconnaîtraient les stipulations du § 1 de l'art. 3 et de l'art. 37 de la convention relative aux droits de l'enfant, qui imposent, d'une part, d'accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants pour toutes les décisions qui les concernent et qui prévoient, d'autre part, que leur placement en détention ne doit constituer qu'une mesure de dernier ressort, ainsi que du § 3 de l'art. 5 de la convention EDH, qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté. Par suite, ne saurait, non plus, être invoquée une prétendue méconnaissance des stipulations combinées des art. 5 et 14 de la convention européenne EDH au motif que les dispositions de cet article 397-2-1 instaureraient une différence de traitement injustifiée entre les mineurs immédiatement renvoyés devant une juridiction pour mineurs et ceux d'abord renvoyés devant une juridiction pour majeurs en raison de l'ignorance de leur état de minorité, qui se trouvent au demeurant dans des situations différentes.

(10 juillet 2023, Syndicat de la magistrature, syndicat des avocats de France et association Groupe d'information et de soutien des immigrés, n° 464528)

 

225 - Droit de propriété - Aménagement foncier et agricole - Remembrement - Aggravation des conditions d’exploitation - Dénaturation et erreur de droit - Annulation.

 (12 juillet 2023, M. et Mme A., n° 458995)

V. n° 108

 

226 - Personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement - Refus de prendre des mesures utiles mettant fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense - Transmission d’une QPC.

(13 juillet 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

V. n° 285

 

227 - Rétention de deux passeports, d’une carte d’identité étrangère et d’un permis de conduire - Procédure en contestation d’un OQTF - Légalité des rétentions de documents Absence d’atteinte à une liberté fondamentale -Rejet.

(ord. réf. 06 juillet 2023, M. A., n° 475417)

V. n° 259

 

228 - Ressortissant afghan – Demande d’asile en France – Refus en raison d’une demande antérieure d’asile à la Suède, acceptée par ce pays – Rejet.

Est confirmée, faute d’éléménts nouveaux apportés postérieurement à cette décision, l’ordonnance de référé liberté estimant que ne résultait du refus d’accorder l’asile au requérant, aucune atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile du fait de la décision de porter le délai de son transfert vers la Suède à dix-huit mois. En effet, suite à sa demande, le requérant, qui a obtenu l’asile politique en Suède, a, à l'occasion de la notification, le 9 juin 2023, des modalités de son acheminement vers la Suède organisé dans le cadre d'un départ contrôlé, explicitement exprimé son refus de se rendre dans ce pays et a refusé de signer le document portant à sa connaissance ces modalités. Par ailleurs, alors qu'il avait été informé du vol sur lequel une place lui avait été réservée, il ne s'est pas présenté à l'embarquement le 13 juin. S'il fait valoir que l'administration n'avait pas organisé un pré-acheminement de son lieu de résidence à l'aéroport de Roissy, il apparaît qu'il n'avait pas sollicité une telle mesure et qu'il avait clairement manifesté son intention de ne pas se conformer à la procédure de transfert vers la Suède.

Par suite, le premier juge a, à bon droit, estimé que M. B. devait être regardé comme se trouvant « en fuite » au sens de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 dit « de Dublin », et jugé, en conséquence, que l'autorité préfectorale avait régulièrement rejeté sa demande d’asile.

(ord. réf. 21 juillet 2023, M. B., n° 476091)

(229) V., en sens contraire, également à propos d’un ressortissant afghan demandeur d’asile en France après que les autorités suédoises ont donné leur accord pour sa prise en charge en Suède, annulant l’ordonnance du premier juge rejetant son recours contre l’arrêté préfectoral ordonnant son transfert vers la Suède au motif que contrairement à ce qui y a été jugé, l’intéressé ne pouvait être déclaré « en fuite » au sens et pour l’application des dispositions de l'article 29 du règlement (UE) du 26 juin 2013 du seul fait qu'il ne s'était pas présenté à des convocations en vue de l'exécution de la décision de transfert à des dates auxquelles cette décision ne pouvait être mise à exécution en vertu des dispositions de l'art. L. 742-5 du CESEDA, soit parce que le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision n'était pas expiré, soit parce que le tribunal administratif, saisi dans les conditions du I de l'art. L. 742-4 du CESEDA, n'avait pas encore statué, ce qui était le cas de l’espèce : ord. réf. 17 août 2023, M. A., n° 478953

(230) V., également en ce sens, jugeant en premier lieu qu’en principe un demandeur d'asile faisant l'objet d'une procédure de réadmission dans le cadre de la procédure « Dublin III » peut être regardé comme « en fuite » si, informé précisément et dans une langue qu'il comprend des modalités exactes de son réacheminement, il s'est délibérément abstenu de se conformer aux indications données par l'administration pour son voyage. Le fait de ne pas se rendre en temps utile sur le lieu programmé du départ, compte tenu des aléas de déplacement sur le trajet et de la longueur des procédures d'embarquement, sans pouvoir faire valoir un motif valable de retard, doit être assimilé à une telle abstention délibérée. Mais, en second lieu, relevant qu’en l’espèce ne peut être déclarée en fuite une ressortissante angolaise qui, faisant l’objet d’une procédure de réadmission vers le Portugal, qui ne parle pas et ne comprend pas le français, a reçu notification d'un document d'information dénommé « routing », qui lui a été traduit par oral, mentionnant la compagnie aérienne, le numéro de vol et l'heure de départ de l'aéroport d'où elle devait, le 29 juin 2023, se rendre au Portugal, alors que ce document, qui ne lui permettait pas d'embarquer, indiquait qu'elle devait se présenter à la police aux frontières à 4h45, sans préciser la localisation de ce service au sein de l'aéroport, lequel comporte au demeurant plusieurs étages.

Il résulte d’ailleurs de l'instruction et notamment des échanges à l'audience que l'intéressée s'est effectivement rendue à l'aéroport à 4h45 et que, ne sachant pas où trouver la police aux frontières, elle s'est présentée à un agent de l'aéroport. Celui-ci, à qui elle a donné à lire sa « fiche de liaison » retraçant les instructions de la préfecture, lui a demandé d'attendre dans une salle, ce qu'elle a fait sans chercher à aucun moment à se dérober. Lorsque, après plus d'une heure et demi d'attente à la place qui lui avait été indiquée, elle a pu échanger avec des policiers, ceux-ci lui ont fait comprendre qu'il était trop tard pour embarquer et l'ont invitée à recontacter la préfecture. Au regard des circonstances de l'espèce, notamment de l'initiative qu'elle avait prise de faire traduire sa « fiche de liaison » en langue allemande pour le cas où elle en aurait besoin à l'aéroport de Francfort et d'avancer, en vue de son départ, la séance d'hémodialyse qu'elle subit trois fois par semaine, ainsi que du fait que, s'étant rendue à l'aéroport à l'heure prévue, elle s'est adressée à un agent dont elle pouvait raisonnablement penser qu'il pourrait l'aider à se conformer aux instructions reçues, à un moment de la journée où les guichets d'information étaient encore fermés, Mme A. ne peut être regardée comme s'étant délibérément soustraite à l'exécution de ses obligations. En regardant l'intéressée comme « en fuite », alors au surplus que ni avant cette date, ni depuis, elle n'a cherché à se soustraire à ses obligations, notamment dans le cadre de son assignation à résidence pendant plusieurs mois, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg et le ministère de l'intérieur ont inexactement qualifié les faits. C'est donc à tort que sa demande a été rejetée pour ce motif.

Statuant par la voie de l’effet dévolutif de l’appel, le juge des référés du Conseil d’État décide que la requérante est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée et à ce qu'il soit enjoint à la préfète du Bas-Rhin d'enregistrer sa demande d'asile en procédure normale et de lui remettre une attestation de demande d'asile, ainsi que le dossier destiné à l'instruction de sa demande par l'OFPRA, dans les meilleurs délais : ord. réf. 11 août 2023, Mme A., n° 476377.

 

231 - Ressortissant kossovar – Demande d’asile en France – Transfert aux autorités suisses – Procédure « Dublin III » - Allégation d’un état de santé s’opposant à ce transfert – Rejet.

Un ressortissant kossovar demandeur d’asile en France, pour s’opposer à son transfert en Suisse selon la procédure dite « Dublin III », invoque un état de santé incompatble avec un tel transfert. La demande est rejetée par application de la jurisprudence de la CJUE (16 février 2017, C.K et autres c/ République de Slovénie, aff. C-578/16, PPU) selon laquelle le transfert d'un demandeur d'asile « Dublin III » ne peut être opéré que si l'intéressé, lorsqu’il présente une affection mentale ou physique particulièrement grave, n’encourrait pas, en cas de transfert, un risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé. A défaut, il incombe à l'État membre concerné de suspendre l'exécution du transfert de l'intéressé aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert. 

En l’espèce, s’agissant d’un individu paraplégique dont l’état de santé, notamment les escarres, la pathologie digestive, l'état de stress post-traumatique et la fragilité psychique dont il souffre, nécessite des soins infirmiers biquotidiens et un suivi médical et psychologique adapté mais qui bénéficie de l'assistance de sa mère, il est jugé que le transfert vers la Suisse, soit de Strasbourg à Bâle, ne serait pas incompatible avec un transport par ambulance de quelques heures et, en particulier, il n’apparaît pas que son transfert entraînerait le risque réel et avéré d'une détérioration significative et irrémédiable de sa santé.

Le référé liberté est rejeté.

(ord. réf. 01 août 2023, M. A., n° 476413)

 

232 - Ressortissant étranger demandeur d’asile en France et en Allemagne – Demande d’octroi du bénéfice des conditions matérielles d’accueil – Absence de vulnérabilité particulière – Rejet.

Est rejeté l’appel d’un ressortissant étranger dirigé contre l’ordonnance rejetant sa demande qu’il soit fait injonction à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) de lui accorder les conditions matérielles d'accueil et d'indiquer un lieu d'hébergement à compter du 25 juillet 2023 sa situation ne révélant pas une vulnérabilité particulière qui rendrait sa demande prioritaire car il n'établit pas qu'il ne pourra pas bénéficier d'un autre hébergement d'urgence, ni que la pathologie qu'il invoque impose une prise en charge permanente.

(ord. réf. 03 août 2023, M. A., n° 476372)

(233) V. aussi, annulant l’ordonnance de référé par laquelle un tribunal administratif enjoint à un département de désigner à une ressortissante guinéenne demandant l’asile de lui désigner sous 24 heures un lieu d'hébergement d'urgence susceptible de l'accueillir avec sa fille alors que l’intéressée étant prise en charge, comme demandeur d'asile, par l'Office français pour de l’immigration et de l’intégration (OFII) qui doit lui assurer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil auxquelles elle a droit conformément aux dispositions de l’art. L. 551-8 du CESEDA. C’était donc à l’OFII que le juge - qui ainsi commis une erreur de droit - devait adresser son injonction ; injonction est donc faite à cet Office par la présente ordonnance : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 479508.

(234) V., identique, concernant une ressortissante ivoirienne et ce même département : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 479547, voir aussi, similaire, concernant une autre ressortissante ivoirienne : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 480584.

(235) V. également, en revanche, rejetant le recours de ce même département  fondé sur ce que la requérante, ressortissante congolaise, a elle-même contribué à sa situation de précarité en n'effectuant pas les démarches requises pour obtenir le renouvellement de son attestation de demandeur d'asile et en quittant sans motif valable le centre d'hébergement qui lui avait été assigné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration, alors qu'elle aurait pu continuer à bénéficier des conditions matérielles d'accueil attachées à ce statut, et qu'elle n'a effectué aucune démarche auprès de ses services afin de bénéficier d'un hébergement d'urgence avant de saisir le juge des référés du tribunal administratif. Le juge d’appel des référés confirme l’ordonnance du premier juge en relevant que l'intéressée est mère célibataire et a trois enfants à sa charge, dont le dernier est âgé de moins de trois ans et que, sans l'intervention de l'ordonnance de première instance, elle ne disposait d'aucune solution d'hébergement pour elle-même et ses enfants. Elle remplit donc tant la condition d'urgence pour présenter une demande en référé sur le fondement de l'art. L. 521-2 du CJA, que les conditions prévues au 4° de l'art. L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 478278.

(236) V., identique au précédent, relatif à ce même département et à une ressortissante sénégalaise mère célibataire d’un enfant de moins de trois ans, satisfaisant à la double condition rappelée dans la précédente décision : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 478585. Pour deux autres ressortissantes sénégalaises, mères célibataires d’un enfant de moins de trois ans, voir, identiques : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 481484 ; ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 481493. Voir aussi, pour une ressortissante géorgienne, célibataire avec trois enfants à charge tous âgés cde moins de trois ans : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 482508.

(237) V. encore, identique, concernant une ressortissante tunisienne mère célibataire d’un enfant de moins de trois ans : ord. réf. 24 août 2023, département des Alpes-Maritimes, n° 480572.

 

238 - Principe général du droit des réfugiés – Convention de Genève du 28 juillet 1951 – Obligation d’accorder le même statut aux membres d’une même unité familiale – Erreur de droit – Annulation avec renvoi.

L'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté les demandes d'asile présentées par un ressortissant nigérian, sa compagne et leur fille. La Cour nationale du droit d'asile a annulé les décisions de l'OFPRA portant sur les demandes de Mme B. et de sa fille et leur a reconnu la qualité de réfugiées mais, par la même décision, elle a refusé de reconnaître la qualité de réfugié à M. B. pour des motifs tenant aux craintes de persécution qu'il faisait valoir en propre.

Sur pourvoi de ce dernier, le Conseil d’État est à la cassation, retenant  qu’il résulte d’un principe général du droit applicable aux réfugiés, tiré de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967 et en vue d'assurer pleinement aux réfugiés la protection prévue par la convention, que l’État d’accueil a l’obligation de reconnaître la même qualité, à raison des risques de persécutions qu'ils encourent également, à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage au réfugié à la date à laquelle il a demandé son admission au statut ou qui avait avec lui une liaison suffisamment stable et continue pour former avec lui une famille, ainsi qu'aux enfants de ce réfugié qui étaient mineurs au moment de leur entrée en France.

Il incombait donc à la Cour nationale du droit d'asile d'accorder à la personne qui lui demandait protection, le bénéfice du statut de réfugié sur le fondement de ce principe dès lors qu'il ressortait des éléments qui lui étaient soumis que les conditions susrappelées étaient réunies. En l’espèce, la cour a commis une erreur de droit en s’abstenant d'examiner si le requérant pouvait se voir reconnaître la qualité de réfugié sur le fondement de ce principe, du fait des décisions prises sur les demandes de sa compagne et de sa fille mineure.

(26 juillet 2023, M. B., n° 469273)

 

239 - Détenu - Mesures de surveillance et de sécurité renforcées - Rédiviste de l’évasion avec violences - Profil dangereux - Mesure d’isolement justifiée - Rejet.

Est rejetée la requête en référé liberté d’un détenu tendant à ce qu’il soit mis fin au régime de surveillance particulièrement stricte auquel il est soumis. Le juge retient que l’intéressé s’est évadé à plusieurs reprises et chaque fois en commettant des violences, qu’il a été condamné à plusieurs reprises pour des crimes graves, qu’il appartient de longue date au grand banditisme, que son état de santé n’a pas été jugé médicalement incompatible avec ses conditions de détention et qu’enfin, il a bénéficié depuis son transfert au centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe de plusieurs entretiens avec ses avocats au parloir et qu'il s'entretient régulièrement avec ceux-ci par téléphone, qu'il passe de très nombreux appels téléphoniques, reçoit des visites régulières, de sa famille notamment, dispose de deux heures de promenade par jour et de la possibilité de faire du sport.

Ainsi la requête en référé liberté est jugée mal fondée, aucune atteinte grave n’est portée à une liberté fondamentale dès lors que la rigueur du traitement accordé au requérant est exactement proportionnée à la dangerosité de l’individu, à la gravité et à la persistance de son comportement criminel.

(ord. réf. 24 août 2023, M. A., n° 476395)

 

240 - Centre de rétention administrative - Atteintes en matière de sécurité et de salubrité - Demande de fermeture provisoire et de prise de mesures diverses - Confirmation du rejet prononcé en première instance en l’absence de carence caractérisée et de l’urgence propre à l’art. L. 521-2 du CJA.

Saisi d’un recours tendant à voir fermer provisoirement un centre de rétention administrative dans l’attente que soient appliquées les mesures propres à obvier divers dysfonctionnements existants selon le requérant, le juge d’appel confirme le rejet opposé par l’ordonnance rendue en première instance. Il estime en effet, d’une part, qu’en dépit des éléments de fait rapportés, n’existe aucune atteinte grave et immédiate à une liberté fondamentale non plus que des traitements inhumains ou dégradants du fait de ceux-ci, d’autre part, qu’ainsi n’est pas établie l’urgence caractérisée qui permettrait au juge, sous quarante-huit heures, d’ordonner que des mesures soient prises et mises en œuvre effectivement dans ce même laps de temps.

(ord. réf. 24 août 2023, M. B., n° 482421)

(241) V. aussi, un rejet identique de demandes similaires à l’égard du même centre de rétention administrative : ord. réf. 24 août 2023, M. B., n° 481424.

 

Police

 

242 - Police des jeux et paris - Contrôle de l’État sur la Française des jeux (LFDJ) - Monopole d’exploitation des jeux et loteries - Atteinte à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services - Procédure de désignation de la Française des jeux - Monopole et droits exclusifs non nécessaires - Liberté d’entreprendre - Présence de l’État - Rejet.

On sait que l’art. 137 de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises a autorisé le transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des jeux (LFDJ) et lui a confié le monopole de l'exploitation des jeux de loterie commercialisés en réseau physique de distribution et en ligne ainsi que des jeux de pronostics sportifs commercialisés en réseau physique de distribution. Cet article a autorisé le Gouvernement à prendre par ordonnance de l'art. 38 de la Constitution, les dispositions précisant le périmètre des droits exclusifs et les contreparties dues par la société LFDJ au titre de leur octroi, définissant les conditions d'exercice, d'organisation et d'exploitation de ces droits exclusifs ainsi que les modalités du contrôle étroit exercé par l'État sur leur titulaire et redéfinissant les modalités de régulation de l'ensemble du secteur des jeux d'argent et de hasard.

C’est sur ce fondement qu’a été prise l'ordonnance du 2 octobre 2019 réformant la régulation des jeux d'argent et de hasard sur la base de laquelle a été édicté, pour son exécution, le décret du 17 octobre 2019 relatif aux modalités d'application du contrôle étroit de l'État sur la société La Française des jeux. La requérante demande à titre principal l’annulation de ce décret et, à titre subsidiair, son abrogation. 

Cette action se situe dans une vaste offensive des entreprises de jeux contre le système français de régulation des jeux et paris et, naturellement, comme toutes les actions de ce type, elle est rejetée en tous ses chefs de griefs qu’il s’agisse de la régularité externe du décret litigieux ou de celle de son contenu normatif.

Il est jugé que ne peuvent être retenus ni le moyen tiré de ce que l'octroi des droits exclusifs porte atteinte à la liberté d'établissement et à la libre prestation de services ni celui que le système mis en place viserait uniquement à favoriser la valorisation de la société LFDJ dans la perspective du transfert au secteur privé de la majorité de son capital et non un objectif d’intérêt général ni l'absence de procédure de publicité et de mise en concurrence préalable ni, non plus, celui selon lequel l’octroi de droits exclusifs ne serait pas nécessaire, pas proportionné au but visé et pas cohérent avec l’ensemble de ce dispositif ni, encore, qu’il serait, par là, porté atteinte à la liberté d’entreprendre au moyen d’un abus de position dominante et du non respect du principe d’égalité ainsi que de la présence de représentants de l’État au sein du collège de l'Autorité nationale des jeux.

En bref, si le monde des jeux et ses motifs ne sont pas jolis, jolis, leur existence est aussi inévitable que leurs gains sont appétissants, par suite l’État, qui n’est pas professeur de morale, se doit d’intervenir pour, à la fois, capter une part de la manne financière en légitimant cette captation sur le vice et la crédulité par un souci que les choses ne débordent pas trop. On le sait depuis le jurisconsulte Paul : « Non, tout ce qui est permis (par la loi) n’est pas (forcément) honnête » (Non omne quod licet honestum est, Digeste 50.17.144).

(12 juillet 2023, Société SPS Betting France limited, n° 436864)

 

243 - Forfait de post-stationnement - Procédure contentieuse - Rappels et précisions - Annulation.

Encore une fois la complexité du régime contentieux du stationnement payant a frappé, obligeant à nouveau le juge à une leçon de formation en direction de la commission compétente à cet effet.

L’hypothèse est ici celle dans laquelle la commission notifie à un requérant que sa requête ne peut, en l'état, qu'être rejetée comme irrecevable, faute de comporter une ou plusieurs des pièces mentionnées à l'art. R. 2333-120-31 du CGCT, il appartient à l'intéressé, s'il ne conteste pas qu'une régularisation est nécessaire, de produire les pièces requises dans le délai d'un mois qui lui est imparti. Deux cas se présentent alors selon que le requérant apporte ou n’apporte pas une réponse à cette notification dans le mois de sa réception.
Si le requérant apporte une réponse à la notification dans le délai d'un mois, il ne peut être réputé avoir renoncé à son action et la commission doit statuer sur sa requête aussi bien s’il conteste qu'une régularisation soit nécessaire que s’il adresse à la commission les pièces qui lui ont été demandées ou s'il ne produit qu’une partie seulement des pièces demandées par le greffe ou encore s'il fait valoir qu'il est dans l'impossibilité de les produire.
La commission ne peut donc pas, dans ces différents cas, statuer sur la requête avant l'expiration du délai d'un mois. Dans l’hypothèse où le requérant a fourni, dans ce délai d’un mois, les éléments justifiant qu'il est dans l'impossibilité de procéder à la régularisation demandée dans le délai imparti, la commission ne peut statuer qu'après avoir fixé un nouveau délai de régularisation.

Si le requérant n'apporte aucune réponse à la notification dans le délai d'un mois, l'expiration du délai met fin à l'instance, sans qu'une décision de la commission soit nécessaire. Cependant, si la commission reçoit, après l'expiration du délai d'un mois, une réponse du requérant comportant tout ou partie des pièces demandées ou contestant la nécessité d'une régularisation, l'intéressé doit être regardé comme contestant avoir renoncé à son action. Dans ce cas, l'instance est rouverte et la commission soit statue sur sa requête au fond si  l’intéressé fait état de circonstances de nature à justifier qu'il n'ait pas respecté ce délai, soit donne acte au requérant de sa renonciation dès lors que la réponse du requérant a été reçue après l'expiration du délai d'un mois.

Difficile de faire plus complexe et de désorienter davantage les intéressés…

(12 juillet 2023, Mme D., n° 462155)

 

244 - Forfait de post-stationnement - Cession du véhicule et débiteur du forfait - Cession du véhicule à un professionnel de l’automobile - Avis de droit.

Le requérant demandait l'annulation de deux titres exécutoires émis contre lui par l'Agence nationale de traitement automatisé des infractions, ayant donné lieu à deux avertissements en date du 2 avril 2020, en vue du recouvrement de deux forfaits de post-stationnement émis à son encontre le 3 août 2019 par une commune et de la majoration dont ils sont assortis. Avant de statuer sur ses demandes, le tribunal administratif recourt à la procédure de l’avis de droit (art. L. 2333-87-9 du code général des collectivités territoriales).

En bref, il s’agissait de répondre à des questions relatives à l’effet de la déclaration d’achat, ou de son absence, sur le forfait post-stationnement en cas de cession du véhicule à un professionnel de l’automobile avant l’émission de ce forfait ou si ce dernier intervient dans les 15 jours de la cession.

Le juge du rescrit administratif, au visa tant du VII de l'art. L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales que de l'art. L. 330-1 du code de la route, répond ceci.

En premier lieu, et c’est là le cas général, le juge pose le principe et l’exception.

En principe, il résulte des textes précités que le débiteur du forfait de post-stationnement et de sa majoration éventuelle est la personne titulaire du certificat d'immatriculation du véhicule à la date d'émission de l'avis de paiement de ce forfait.

Par exception, lorsque le véhicule a été cédé, son acquéreur est le débiteur du forfait de post-stationnement, dès lors que le vendeur a cédé son véhicule avant l'émission de l'avis de paiement et a procédé à la déclaration au ministre de l'intérieur prévue par l'art. R. 322-4 du code de la route avant cette date ou, en tout état de cause, dans le délai de quinze jours prévu à cet article.

En deuxième lieu, lorsqu'un véhicule a été cédé à un professionnel de l'automobile, il incombe, d’une part, à l'ancien propriétaire du véhicule de s'acquitter des formalités déclaratives prévues par l'art. R. 322-4 précité, soit directement par voie électronique, soit en mandatant un professionnel de l'automobile habilité par le ministre de l'intérieur, et, d’autre part, au professionnel de l'automobile ayant fait l'acquisition du véhicule d’effectuer une déclaration d'achat au ministre de l'intérieur dans les quinze jours suivant l'achat du véhicule, soit directement par voie électronique, soit par l'intermédiaire d'un professionnel de l'automobile habilité par le ministre de l'intérieur, en application des dispositions du même article. 

En troisième lieu, par exception aux principes énoncés ci-dessus, lorsque le véhicule est cédé à un professionnel de l'automobile, ce dernier doit être regardé, qu'il ait procédé ou non à la déclaration d'achat prévue par les dispositions de l'art. R. 322-4 précité, comme seul redevable des forfaits de post-stationnement émis après la date de la cession, laquelle peut être établie par tout moyen. 

(19 juillet 2023, M. A., n° 473260)

 

245 - Fête du 14 juillet - Risques de troubles à l’ordre public - Engins pyrotechniques - Interdiction de les vendre ou de les utiliser - Annulation partielle en référé suspension.

Quatre-vingt sept entreprises ont saisi le juge des référés du Conseil d’État d’une demande de suspension de l'exécution du décret n° 2023-576 du 8 juillet 2023 portant interdiction de la vente, du port et du transport d'engins pyrotechniques et d'artifices de divertissement.

Par ce décret, publié et entré en vigueur le lendemain, afin de prévenir les risques de troubles graves à l'ordre public au cours des festivités du 14 juillet, il a été interdit, jusqu'au 15 juillet 2023 inclus, la vente, le port, le transport et l'utilisation des articles pyrotechniques et des artifices de divertissement sur l'ensemble du territoire national, à l'exclusion des opérations réalisées par les professionnels disposant des agréments et habilitations requis et par les collectivités publiques.

S’agissant des articles pyrotechniques, l'art. 2 du décret attaqué soustrayant les professionnels disposant des agréments et habilitations requis à l'interdiction d'acquérir, de porter, de transporter et d'utiliser les articles pyrotechniques qui résulte de l'article 1er du même décret, ce dernier est dépourvu d'effet en ce qui concerne les articles pyrotechniques, réservés aux professionnels, relevant des catégories F4, T2 et P2. Il n'y a donc pas lieu de prononcer la suspension de son exécution dans cette mesure.

S’agissant des artifices de divertissement, le ministre de l'intérieur ne saurait soutenir ni  que ces produits ne sont pas dépourvus de danger, notamment pour les enfants, car de tels risques, inhérents à la manipulation de tout article pyrotechnique, sont étrangers aux troubles graves à l'ordre public que le décret a pour objet de prévenir, ni que les effets visuels et sonores modestes de ces produits seraient susceptibles d'occasionner de tels troubles et qu'ils peuvent accroître le sentiment d'anxiété des policiers et gendarmes mobilisés, ni que la matière première combustible contenue dans ces produits serait susceptible de permettre la confection par des particuliers d'articles pyrotechniques présentant un danger significatif pour des biens et des personnes qui seraient pris pour cibles, ni, non plus, enfin, qu’existerait un risque sérieux de confusion, à l'occasion des contrôles de police, entre ces produits et des artifices de divertissement des catégories F2 et F3 susceptibles d'être utilisés de façon détournée et malveillante comme projectiles contre les forces de l'ordre, d'autres personnes ou des biens. Par ailleurs, le paragraphe 1 de l'art. 4 de la directive 2013/29/UE du 12 juin 2013 relative à l'harmonisation des législations des États membres concernant la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques interdit en principe aux États membres de prohiber, restreindre ou entraver la mise à disposition sur le marché d'articles pyrotechniques satisfaisant aux exigences de cette directive ne vise que les artifices de divertissement des catégories F2 et F3 et ne mentionne pas les artifices de divertissement de la catégorie F1, précisément en raison des très faibles risques qu'ils présentent.

Ainsi, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction prévue par le décret litigieux en ce qui concerne les artifices de divertissement de la catégorie F1 ne serait, eu égard au très faible risque lié à la mise en œuvre de ces articles pyrotechniques, ni nécessaire, ni proportionnée, et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure. Il en va pareillement de ces mêmes moyens développés contre l’interdiction des articles pyrotechniques classés dans les catégories T1 et P1.
En revanche, en ce qui concerne en premier lieu les artifices de divertissement classés dans les catégories F2 et F3, énumérés par l’arrêté ministériel du 17 décembre 2021, tels que fusées, chandelles romaines, chandelles monocoup, pétards aériens et, lorsqu'ils relèvent de la catégorie F3, pétards à mèche, pétards à composition flash, batteries et combinaisons, et en raison de la proximité des festivités du 14 juillet comme de récentes émeutes urbaines, aucun des moyens de légalité interne soulevés n'apparaît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du décret dans cette mesure.

Au contraire, pour les autres artifices de divertissement classés dans ces catégories F2 et F3, les moyens tirés, d'une part, de ce que l'interdiction générale faite par le décret litigieux de vendre à des particuliers et, pour ces derniers, de porter, transporter et utiliser des artifices de divertissement relevant des catégories F2 et F3 et qui ne sont pas inscrits sur la liste fixée par l'arrêté du 17 décembre 2021 présenterait un caractère disproportionné et, d'autre part, de ce qu'elle méconnaîtrait les objectifs de la directive du 12 juin 2013 apparaissent, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ce décret dans cette mesure.
Concernant l’urgence à décider, le juge des référés note :

1) que les festivités du 14 juillet constituent, avec le passage à la nouvelle année, la principale occasion de vente au public d'articles pyrotechniques et, en particulier, d'artifices de divertissement ; le chiffre d'affaires réalisé par les entreprises du secteur à cette occasion représente une proportion très significative de leur chiffre d'affaires annuel. Ainsi, l'interdiction prononcée par le décret litigieux est susceptible d'occasionner un préjudice financier important, à tout le moins, pour les deux entreprises de commerce de gros requérantes qui sont tenues contractuellement de reprendre les produits non écoulés par les détaillants, et pour les détaillants, en particulier ceux qui ont acquis ces produits sans pouvoir contractuellement les restituer contre remboursement aux grossistes.

2) que l'équilibre financier de ce secteur a été sérieusement fragilisé par l'annulation des spectacles pyrotechniques pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 et reste particulièrement précaire en raison des contraintes réglementaires et des restrictions liées notamment à la sécheresse et aux risques de départs de feux de forêts.

3) qu’un retour massif des produits en cause par des détaillants craignant de ne pouvoir les écouler après les festivités du 14 juillet pourrait soulever des difficultés de stockage pour les grossistes, astreints à des obligations particulières à cet égard, et, ce faisant, créer un risque pour la sécurité publique.

Le décret litigieux apparaît ainsi de nature à porter un préjudice suffisamment grave et immédiat à la situation de ces entreprises et à celle de tiers ce qui atteste de la satisfaction de la condition d'urgence. 

La suspension de ce décret est ordonnée dans la mesure qui vient d’être précisée.

(ord. réf. 13 juillet 2023, Société Pyragric Industrie et 86 autres, n° 475817)

 

246 - Police de la sécurité publique - Carte d’aléa « mouvements de terrain » - Demande de modification - Termes du porter à connaissance du préfet - Orientation significative du pouvoir municipal de décision - Influence sur la valeur vénale des terrains - Acte susceptible de recours pour excès de pouvoir - Rejet.

Les requérants demandaient l'annulation de la décision implicite par laquelle la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de modifier la carte d'aléa « mouvement de terrain » établie par le centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) en tant qu'elle classe leur parcelle en zone d'aléa fort.

Le ministre se pourvoit contre l’arrêt d’appel qui a estimé qu’était entaché d’une erreur manifeste d’appréciation le classement litigieux en « aléa fort ». Son pourvoi est rejeté.

Le juge de cassation considère que la cour administrative d’appel a exercé son pouvoir souverain d’appréciation sans dénaturation en jugeant ainsi et en se fondant pour cela :

- sur les conclusions de l'expertise géotechnique, réalisée pour la communauté d'agglomération d'Agen en janvier 2016, mettant en cause la méthodologie retenue par le CEREMA pour le classement de très grandes plages de zones d'aléa fort et, s'agissant plus particulièrement de la parcelle des requérants,

- sur le rapport d'expertise établi le 30 juin 2017 par l'expert désigné par le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux, qui conclut à une probabilité d'occurrence du risque de glissement de terrain faible, éventuellement moyenne, mais non d'une probabilité d'occurrence forte, eu égard à la pente du terrain inférieure à 11° dans la zone dédiée à l'habitation et à l'absence de nappe d'eau généralisée dans le versant,

- que si une note du 5 mars 2018 sur les plans de prévention des risques de mouvements de terrain dans l'Agenais, établie à la demande de la direction départementale des territoires de Lot-et-Garonne, estime que le degré d'aléa faible proposé par l'expert est inapproprié, compte tenu notamment des éléments hydriques, il ne confirme pour autant pas l'aléa fort retenu par le CEREMA « en l'absence d'observation suffisante » sur le site.

(13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455800)

Voir, pour un autre aspect de cette décision le n° 4

(247) V. aussi, très semblable : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455801.

(248) V. également : 13 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 455803.

 

249 - Police des constructions illicites - Arrêté préfectoral portant évacuation et démolition de telles constructions - QPC dirigée contre l’art. L. 11-1 de la loi du 23 juin 2011 - Intérêt à agir d’une association à ressort national contre une mesure de police locale - Irrecevabilité - Rejet.

Il était demandé la suspension de l’exécution de l'arrêté préfectoral du 19 septembre 2022 par lequel le préfet de Mayotte a ordonné l'évacuation et la destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, dans la commune de Mamoudzou.

Le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l'exécution de cette décision en tant qu'elle concerne les requérants personnes physiques, transmis une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et rejeté les conclusions présentées par la Ligue des droits de l'homme. 

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi en cassation de cette ordonnance, juge d’abord que l’introduction d’un tel pourvoi devient sans objet lorsqu’il est dirigé contre une ordonnance du juge du référé suspension, qu'elle ait ou non suspendu la décision litigieuse, dès lors que cette dernière a été entièrement exécutée comme c’est le cas en l’espèce où le recours pour excès de pouvoir a été introduit le 23 décembre 2022, l’ensemble des constructions abusives ont été démolies le 14 janvier 2023 et un nouveau mémoire a été enregistré le 13 juin 2023 dans la procédure de cassation.

Ensuite est rejeté le moyen tiré du défaut d’intérêt à agir d’une association ayant un ressort national contre une mesure de police locale car le juge de cassation estime que la décision contestée soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

Également est rejetée la QPC dirigée contre l’art. 11-1 de la loi du 23 juin 2011 portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, issu de l'art. 197 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, sur la base duquel le préfet de Mayotte s’est fondé pour prendre l’arrêté querellé car, comme indiqué précédemment, le litige a perdu son objet.

Enfin, de ce que le recours n’était pas recevable, il se déduit que ne sont pas davantage recevables les conclusions de la requérante au titre de l’art. L. 761-1 du CJA.

(19 juillet 2023, Ligue des droits de l'homme et autres, n° 469986)

 

250 - Police des étrangers - Compagnies aériennes - Réacheminement obligatoire des passagers étrangers non admis sur le territoire français - Abstention - Sanction pécuniaire - Conditions d’infliction - Annulation.

Les entreprises de transport aérien sont tenues d'assurer sans délai, à la requête des services de police aux frontières, la prise en charge et le transport des personnes de nationalité étrangère non admises sur le territoire français. Elles doivent, à cet effet, établir des procédures internes permettant d'assurer la sécurité des aéronefs et de leurs occupants lors du transport de passagers non admissibles ou refoulés, sans que les en dispense la faculté donnée au commandant de bord par le code des transports de débarquer toute personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre à bord de l'aéronef.

Cependant, ces exigences n’instaurent pas - et seraient d’ailleurs impuissantes à le faire - une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant de la seule compétence des autorités de police.

Par ailleurs, pour sanctionner et fixer le montant de la sanction en cas d’inobservation de ces prescriptions, il incombe à l’administration de considérer en particulier le comportement du passager et les diligences accomplies par l'entreprise pour respecter ses obligations, au nombre desquelles figure la mise en place de procédures de réacheminement. A cet égard constitue une circonstance exonératoire l'impossibilité dûment établie de réacheminer le passager en raison de son comportement et des exigences de la sécurité à bord car il n'incombe au transporteur ni de pourvoir à la surveillance de l'intéressé ni d'exercer sur lui une contrainte.

En l’espèce l’arrêt d’appel est censuré pour avoir aperçu l’existence d’une circonstance exonératoire dans la décision du commandant de bord de débarquer l'intéressé au motif de l'absence d'escorte, sans faire état d'éléments liés au comportement de celui-ci et aux exigences de sécurité à bord de nature à établir l'impossibilité de le réacheminer.

(20 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 469330)

(251) V. aussi et à l’inverse, jugeant que c’est sans erreur de droit, ni qualification inexacte des faits  qu’une cour administrative d’appel a estimé que constituait pour la compagnie Air France une circonstance exonératoire l’absence de réacheminent d’une passagère qui avait déjà fait l'objet de cinq tentatives de réacheminement, avait manifesté son refus d'être réacheminée et que la décision du commandant de bord de la débarquer avait été prise au regard du risque présentée par celle-ci pour la sécurité de l'avion ou de ses occupants : 20 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 469754.

 

252 - Police du permis de conduire - Perte de points - Demande de restitution de points - Impossibilité - Rejet.

Commet une erreur de droit le jugement qui ordonne au préfet de police de restituer ses points au titulaire d’un permis de conduire étranger alors qu’il ne saurait, en ce cas, ni être retiré ni être restitué de points sur ce permis de conduire.

(26 juillet 2023, M. A., n° 463176)

(253) V. aussi, annulant pour non respect du contradictoire, l’ordonnance rejetant le recours d’un automobiliste contre la décision référencée « 48 SI » du ministre de l'intérieur portant invalidation de son permis de conduire : 26 juillet 2023, M. A., n° 466295.

(254) V. encore, rejetant des conclusions tendant à l'annulation de la décision de retrait de trois points consécutive à une infraction commise le 2 mai 2014 ainsi que de la décision référencée « 48 SI » du 23 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a constaté l'invalidité d’un permis de conduire pour solde de points nul, ainsi que les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de lui restituer trois points et le bénéfice de son permis de conduire, dès lors que l’intéressé,  qui a payé l'amende forfaitaire majorée correspondant à l'infraction du 2 mai 2014, n'allègue pas avoir reçu un avis d'amende forfaitaire majorée inexact ou incomplet et n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que cette amende a fait l'objet d'un recouvrement forcé. Le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas reçu l'information prévue par les art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route préalablement au règlement de l'amende ne peut dès lors qu'être rejeté : 26 juillet 2023, M. B., n° 470136.

(255) V. également, jugeant que commet une erreur de droit le magistrat désigné qui, pour annuler la décision « 48 SI » du 9 avril 2022 par laquelle le ministre de l'intérieur a retiré six points du capital de points de M. A., a constaté que le solde de points de l'intéressé était nul, a prononcé la perte de validité du permis de M. A. et lui a enjoint de remettre son titre de conduite, s'est fondé sur la circonstance que le point retiré du capital de l'intéressé à la suite de l'infraction commise le 26 juin 2019 a été restitué le 8 janvier 2020, soit avant la fin du délai probatoire survenu le 22 novembre 2020, pour en déduire, d'une part, que l'intéressé bénéficiait à cette dernière date d'un capital de douze points sur son permis de conduire et, d'autre part, qu'à la suite du retrait de six points consécutif à la condamnation définitive de M. A., le 30 novembre 2021, pour l'infraction commise le 22 décembre 2019, le solde de points de l'intéressé n'était pas nul à la date de la décision litigieuse. S’agissant d’un nouveau conducteur, la restitution de points durant la période probatoire est sans effet sur le mécanisme de perte du permis : 26 juillet 2023, M. A., n° 470185.

 

256 - Police de la circulation sur les voies publiques et police de la sécurité publique - Interdiction de circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes - Interdiction générale et absolue - Atteinte grave et immédiate à la liberté du commerce et de l’industrie comme à la liberté d’entreprendre - Annulation.

Par un arrêté municipal du 18 avril 2023, la maire de la commune de Lille a interdit la circulation des véhicules dont le tonnage est supérieur à 3,5 tonnes (sauf véhicules de collecte d'ordure ménagères et de tri sélectif et les véhicules bénéficiant d'autorisations particulières délivrées par la mairie de Lille) dans le cadre de la desserte d’un certain nombre de voies de la commune. La société Exotec a demandé, d'une part, par voie de référé liberté, la suspension de l'exécution de cet arrêté et d’autre part qu’il soit enjoint à la maire de la ville de Lille de déposer les panneaux de signalisation correspondants sous astreinte. L’ordonnance de référé du 30 juin 2023 a suspendu l'exécution de l'arrêté litigieux en tant qu'il interdit la circulation des véhicules de plus de 3,5 tonnes sur la rue César Franck, la rue Berthollet et la place Alexandre Dumas et rejeté le surplus des conclusions de la société requérante.

La commune de Lille interjette appel de cette ordonnance et son appel est rejeté.

Le juge d’appel commence par rappeler sa jurisprudence constante selon laquelle si les mesures prises par le juge des référés lorsqu’il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale doivent en principe présenter un caractère provisoire, il en va différemment lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte car les mesures ordonnées doivent être de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte.

Le juge ne rejette ni les motifs avancés par la commune au soutien de la légalité de la décision litigieuse ni la circonstance que le site exploité par la société Exotec, classé depuis 1979 en zone économique UE dans le plan local d'urbanisme de la commune de Lille, comporte 18 quais de chargement dont la construction a donné lieu à une autorisation d'urbanisme délivrée par la mairie de Lille en 1998, et qui sont destinés à l'expédition des commandes de produits stockés sur place, ni, non plus, qu’eu égard à la nature de l'activité déployée sur ce site, l'expédition des commandes nécessite le recours à des véhicules de type semi-remorque de 44 tonnes, le flux journalier étant estimé à 6 véhicules par jour pour la seule société Exotec. 

Pour rejeter l’appel et confirmer l’ordonnance attaquée, le juge des référés du Conseil d’État retient en premier lieu l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'aller et de venir du fait que l’application de l’interdiction absolue édictée par l’arrêté municipal du 18 avril 2023 de toute sortie des véhicules de plus de 3,5 tonnes du site utilisé par la société Exotec constitue une interdiction générale et absolue de la circulation de ce type de véhicules sur les voies concernées et qu’elle apparaît disproportionnée eu égard à ses effets sur l'activité économique des entreprises présentes sur site, alors, d'une part, qu'il n'est pas contesté que ces activités sont exercées en conformité avec les règles en vigueur et, d'autre part, que des mesures moins contraignantes, telles que des restrictions de circulation à certaines heures, auraient pu être édictées en vue d'assurer la sécurité des personnes et des biens. 

Par ailleurs, l’urgence est ici avérée car les panneaux de signalisation correspondant aux interdictions de circulation contestées sont susceptibles d'être apposés incessamment par la Métropole européenne de Lille sur les voies concernées.

Bonne illustration de l‘aspect parfois « juge de paix » de la juridiction des référés.

(ord. réf. 25 juillet 2023, commune de Lille, n° 475982)

 

257 - Police des frontières - Captation et transmission d’images par caméras installées sur des drones - Lutte contre le franchissement irrégulier de la frontière hispano-française - Atteinte à une liberté fondamentale et situation d’urgence - Rejet.

Saisi par plusieurs personnes privées, morales et physiques, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a suspendu l’exécution de l'arrêté préfectoral du 26 juin 2023 par lequel le préfet des Pyrénées-Atlantiques a autorisé la captation, l'enregistrement, et la transmission d'images au moyen de caméras installées sur des drones. Le ministre de l’intérieur a saisi le Conseil d’État d’un appel dirigé contre cette ordonnance.

Pour rejeter cet appel et confirmer l’ordonnance litigieuse, le juge saisi constate en premier lieu le caractère grave de l’atteinte portée par la décision suspendue à la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie privée.

L’arrêté préfectoral en cause a autorisé la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par la direction interdépartementale de la police aux frontières d'Hendaye au moyen de caméras installées sur des aéronefs au titre de la surveillance aux frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier, du 26 juin au 26 juillet 2023 et de 9 heures à 18 heures, sur un périmètre recouvrant une partie de la frontière hispano-française et du territoire des communes d'Hendaye, de Biriatou et d'Urrugne. 

Sur l’atteinte à une liberté fondamentale, le juge relève d’abord que si cet arrêté ne permet d'utiliser qu'un seul drone à la fois, son périmètre géographique, qui s'étend sur l'essentiel du territoire de la commune de Biriatou et sur une partie de celui des communes d'Hendaye et d'Urrugne, recouvre une superficie de près de 20 km2 et comprend un grand nombre de maisons d'habitation. 

Il note ensuite que si le motif de cette mesure est la hausse du nombre de franchissements illégaux de la frontière et l’absence de mesure efficace qui serait moins intrusive, les requérants contestent cette appréciation des faits et produisent des chiffres faisant apparaître une baisse des flux, l'absence d'effets saisonniers notables, ainsi que les chiffres en baisse en 2023 du centre d'accueil de migrants de la mairie de Bayonne. Au reste, les séries de données extraites du système PAFISA, relatives à l'activité de la direction interdépartementale de la police aux frontières de Hendaye, tout comme les éléments de contexte partiels présentés par le ministre, font apparaître, entre le premier semestre 2022 et le premier semestre 2023, une baisse de 6 154 à 3 481 du nombre de non-admissions à la frontière, une hausse de 206 à 366 du nombre de réadmissions par les autorités espagnoles et une hausse de 539 à 817 du nombre d'étrangers en situation irrégulière interpellés L’ensemble ce ces éléments ne permet pas, en l'état de l'instruction, de confirmer l'existence de facteurs de hausse de l'activité surveillance des frontières en vue de lutter contre leur franchissement irrégulier.

Enfin, selon le juge des référés, en l'état de l'instruction, les données produites par l'administration sur les flux migratoires et les éléments fournis sur les caractéristiques géographiques de la zone concernée et sur les moyens qui y sont affectés à la lutte contre le franchissement irrégulier des frontières ne sont pas suffisamment circonstanciés pour justifier, sur la base d'une appréciation précise et concrète de la nécessité de la proportionnalité de la mesure, que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard du respect de la vie privée. C’est ainsi à bon droit que le premier juge a estimé que l'arrêté contesté portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée. 

Sur l’urgence, celle-ci est jugée remplie en raison d'une part, du nombre de personnes susceptibles de faire l'objet des mesures de surveillance litigieuses, d'autre part, des atteintes qu'elles sont susceptibles de porter au droit au respect de la vie privée, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'objectif de prévention des atteintes à l'ordre public ne pourrait être atteint en recourant à des mesures moins intrusives au regard du droit au respect de la vie privée, ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents.

(ord. réf. 25 juillet 2023, ministre de l’intérieur, n° 476151)

 

258 - Rétention de passeport - Soupçon d’usurpation d’identité - Confiscation des titres présentés - Refus de restitution à l’issue d’une garde à vue non suivie d’une procédure judiciaire - Atteinte grave à une liberté fondamentale et urgence - Annulation - Injonction au préfet de police immédiatement exécutoire.

L'administration a soupçonné le requérant, titulaire d'un passeport français délivré en 2015, au vu d'un certificat de nationalité française qui lui a été délivré en 2012, dont il a produit l'original à l'audience, et qui en vertu de l'art. 30 du code civil fait foi jusqu'à preuve contraire, d'avoir usurpé cette identité à raison du constat qu'en 2018 une autre personne a présenté une demande de carte nationale d'identité en se prévalant de la même identité.

Aucune procédure judiciaire n'a été engagée à l'encontre de l’intéressé que ce soit par l'autre personne qui a revendiqué cette identité ou par l'administration, après le signalement qui lui a été fait de cette demande en 2018, ou à l'issue de la garde à vue du requérant, le 25 juin 2023.

Celui-ci est donc fondé à soutenir qu'en s'abstenant de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, le préfet de police de Paris a porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté personnelle et à sa liberté d'aller et venir. 

Par ailleurs, l’ordonnance de référé est annulée pour avoir jugé qu’il n’y avait pas urgence à statuer au motif que le récépissé délivré au requérant, attestant de la confiscation de sa carte d'identité consulaire malienne, lui permettait de justifier de son identité. Toutefois, ce récépissé, d'une part, ne mentionne pas la confiscation des documents d'identité français de l’intéressé, et, d'autre part, précise qu'il a été délivré dans le cadre de la procédure d'obligation de quitter le territoire français sans délai dont M. A. fait l'objet.

La seule délivrance de ce récépissé ne suffit pas à permettre à l'intéressé de réaliser en France les actes de la vie courante et l'absence de toute perspective de restitution à celui-ci de ses documents d'identité français, si elle ne lui interdit pas de sortir du territoire, compromet la possibilité pour ce dernier de revenir en France pour y faire valoir ses droits, alors même que l'arrêté du 25 juin 2023 lui enjoint de quitter le territoire sans délai, l'exposant donc à une perspective d'éloignement imminente. C'est à tort que le juge des référés a rejeté sa demande pour défaut d'urgence.

En conséquence, il est fait injonction au ministre de l’intérieur de restituer à M. A., sans délai, sa carte d'identité et son passeport français, ainsi que son permis de conduire français, ou, si cette restitution s'avérait impossible, de lui délivrer sans délai des titres d'une durée de validité coïncidant avec celle des titres qui lui ont été confisqués. Compte tenu de l'urgence, le juge décide, sur le fondement de l'art. R. 522-13 du CJA, que la présente ordonnance est immédiatement exécutoire.

(ord. réf. 27 juillet 2023, M. A., n° 476198)

 

259 - Rétention de deux passeports, d’une carte d’identité étrangère et d’un permis de conduire - Procédure en contestation d’un OQTF - Légalité des rétentions de documents Absence d’atteinte à une liberté fondamentale - Rejet.

A la suite d’un arrêté préfectoral du 25 janvier 2023 portant OQTF, un ressortissant étranger s’est vu contraint de remettre aux autorités de police, du fait de son placement en rétention le 26 janvier 2023, ses passeports marocain et portugais, sa carte d'identité portugaise et son permis de conduire portugais. Il lui a été remis deux attestations du centre de rétention administrative, les 27 et 29 janvier 2023, indiquant les documents d'identité retenus et précisant que ces documents étaient conservés au greffe du centre de rétention administrative durant la durée de la rétention et qu'à la sortie du centre, ces documents seraient envoyés à la préfecture de l'Essonne.

L’intéressé n'étant désormais plus ni placé en rétention administrative ni assigné à résidence, il a donc sollicité à plusieurs reprises la restitution de ses documents d'identité et de voyage auprès de la préfecture de l'Essonne et formé, parallèlement, un recours en référé suspension de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français. Ce recours a été rejeté en raison de ce qu’il n’avait pas encore été statué sur sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté portant OQTF et de ce que la rétention par le préfet de l'Essonne de ses documents de voyage et d'identité ne le prive pas du droit de demeurer sur le territoire français jusqu'à ce qu'il ait été statué sur l'arrêté portant OQTF, ni d'y circuler, ni de faire la preuve de son identité par la production des documents qui lui ont été remis en échange de la rétention de ses documents de voyage et d'identité. Ainsi, l’intéressé ne peut soutenir, dans ces conditions, qu’il a été porté une atteinte manifestement illégale à ses droits et libertés.

Le juge des référés du Conseil d’État estime que le requérant n'apporte en appel aucun élément permettant de remettre en cause l'appréciation portée par le juge des référés du tribunal administratif.

On a vu le juge plus soucieux des libertés de l’individu…

(ord. réf. 06 juillet 2023, M. A., n° 475417)

 

260 - Police des déchets et divers - Dispositions réglementaires portant atteinte au secret des affaires et au principe de clarté et d’intelligibilité de la norme - Rejet.

La requérante demandait l’annulation du décret n° 2021-321 du 25 mars 2021 relatif à la traçabilité des déchets, des terres excavées et des sédiments.

En particulier elle reprochait tout d’abord à ce texte de porter atteinte au secret des affaires car il omet de garantir la protection de ce secret. Le moyen est rejeté : le décret attaqué - contrairement à ce qui est soutenu - n'a pas pour objet de préciser les conditions d'accès des tiers aux informations transmises et enregistrées en application de l'art. L. 541-7 du code de l'environnement ; ses dispositions ne sont donc pas illégales de ce chef.

Ensuite, il est également soutenu que le décret attaqué serait entaché d'une erreur de droit et méconnaîtrait le principe de clarté et d'intelligibilité de la norme en ce qu'il s'abstient d'indiquer l'autorité gestionnaire des bases de données et renvoie à des arrêtés pour la désignation des personnes ayant accès aux informations, ce moyen est rejeté dès lors qu’il résulte de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés que les traitements de données à caractère personnel mis en œuvre pour le compte de l'État qui intéressent notamment la sécurité publique sont autorisés par arrêtés des ministres compétents, qui précisent notamment le service gestionnaire compétent auprès duquel s'exerce le droit d'accès ainsi que les destinataires habilités à recevoir communication des données.

(28 juillet 2023, Fédération professionnelle des entreprises du recyclage, n° 452919)

 

261 - Police des taxis et de leurs emplacements - Demande d’indemnisation de préjudices nés d’une modification législative arguée d’inconstitutionnalité - Objectif d’intérêt général - Atteinte justifiée au principe d’égalité - Succession dans le temps de deux régimes législatifs - Absence d’atteinte à des situations légalement constituées - Absence d’atteinte excessive à la liberté d’entreprise - Refus de transmission d’une QPC - Rejet au fond.

Le requérant avait formé deux recours tendant, d’une part, à voir annuler le refus de la ministre chargée des transports de l’indemniser des préjudices qu'il aurait subis du fait de la loi n° 2014-1104 du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur ainsi qu’à voir condamner l'État à lui verser une somme, assortie des intérêts légaux à compter de la date de la demande préalable, en réparation des préjudices subis, d'autre part, d'annuler la décision implicite par laquelle la même ministre a rejeté sa demande du 15 février 2019 tendant à l'indemnisation des préjudices subis dans son activité de taxi du fait de la même loi et de condamner l'État à lui verser une autre somme, assortie du taux d'intérêt au taux légal à compter de la date de la réception de la demande préalable.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’ordonnance et de l’arrêt d’appel ayant, l’une, confirmé le rejet de sa demande de transmission d’une QPC, l’autre, rejeté au fond ses demandes indemnitaires.

Les prétentions du demandeur sont rejetées.

La source du litige résidait dans l'article L. 3121-2 du code des transports, dans sa rédaction issue de la loi du 1er octobre 2014 relative aux taxis et aux voitures de transport avec chauffeur. Ce texte décide que l'autorisation de stationnement délivrée postérieurement à la promulgation de la loi précitée est incessible et a une durée de validité de cinq ans, renouvelable dans des conditions fixées par décret. Toutefois, le titulaire d'une autorisation de stationnement délivrée avant la promulgation de la même loi a la faculté de présenter à titre onéreux un successeur à l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation. Cette faculté est subordonnée à l'exploitation effective et continue de l'autorisation de stationnement pendant une durée de quinze ans à compter de sa date de délivrance ou de cinq ans à compter de la date de la première mutation.

A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, M. B. soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité et la liberté d'entreprendre garantis par les art. 4 et 6 de la Déclaration de 1789, et portent une atteinte non justifiée aux situations légalement acquises protégées par l'art. 16 de cette Déclaration.

Pour rejeter cette demande de transmission le juge invoque trois justifications.

Tout d’abord, contrairement à ce qui est soutenu, la différence de traitement alléguée entre les titulaires d'autorisations de stationnement selon leur date de délivrance est justifiée par un objectif d'intérêt général car ces dispositions s'appliquent indifféremment à tous les titulaires d'une autorisation de stationnement délivrée postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014, lesquels sont par ailleurs placés dans une situation différente de celle des titulaires d'une autorisation de stationnement délivrée avant cette date, dont le législateur a préservé les droits. Cette différence de traitement tient à la volonté du législateur de réformer progressivement le régime juridique des autorisations de stationnement nécessaires à l'exercice de la profession de taxi, afin de remédier aux inconvénients constatés dans le fonctionnement de la profession et tenant, notamment, aux modalités d'utilisation de cette autorisation, sans qu’il soit, pour autant, porté atteinte aux droits des personnes déjà titulaires d'une telle autorisation. La différence de traitement est ainsi en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'a établie. Il suit de là que le grief tiré de l'atteinte portée au principe d'égalité ne présente pas un caractère sérieux.

Ensuite, le Conseil d’État aborde le grief, toujours épineux, tiré des immanquables difficultés liées aux successions de législations portant sur un même objet car pas plus que pour le poète, dans la vie des peuples, le temps ne saurait « suspendre (son) vol ». C’est pourquoi il est jugé qu’en l’espèce la modification, pour l'avenir, des règles applicables aux autorisations de stationnement ne porte par elle-même atteinte à aucune situation légalement acquise.

Si l’on peut admettre ce raisonnement, on sera plus réticent concernant un aspect particulier de la question qui est le suivant. Le requérant faisait valoir qu'en raison des délais d'attente importants observés pour la délivrance d'une autorisation de stationnement, certains chauffeurs de taxi se sont vu accorder une autorisation de stationnement postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 1er octobre 2014 alors qu'ils avaient présenté une demande d'autorisation plusieurs années auparavant, sous l'empire des anciennes dispositions applicables. Le moyen n’était pas sans valeur et il était même sérieux, l’administration étant seule l’auteur de ce dysfonctionnement. C’est pourquoi est critiquable la réponse selon laquelle cette situation « ne saurait conduire à estimer que les dispositions de l'art. L. 3121-2 du code des transports ont remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus de situations nées sous l'empire des dispositions auxquelles elles se sont substituées ». 

Enfin, est rejeté le moyen tiré de ce que les dispositions contestées interdisent aux titulaires d'une autorisation de stationnement, délivrée postérieurement à la loi du 1er octobre 2014, de la céder car cette interdiction est notamment destinée à améliorer les conditions d'exploitation des taxis et à éviter des phénomènes spéculatifs entravant l'accès aux autorisations de stationnement. Fondées sur cet objectif d'intérêt général, les dispositions de l'art. L. 3121-2 précité, ne portent pas une atteinte excessive à la liberté d'entreprendre.

Au fond, le pourvoi en cassation est également rejeté.

(07 août 2023, M. B., n° 471411)

(262) V. aussi, identique : 07 août 2023, M. A., n° 474905.

 

263 - Police des installations classées - Demande d’implantation d’éoliennes - Moment d’appréciation de la légalité de l’autorisation en ce sens - Pouvoir du juge - Annulation.

Dans un litige en contestation de l’autorisation donnée à une société de construire et d’exploiter un parc éolien comprenant six aérogénérateurs et deux postes de livraison, le juge est amené à préciser les pouvoirs et l’office du juge des installations classées pour la protection de l'environnement.

Il lui incombe en premier lieu d'apprécier le respect des règles relatives à la forme et à la procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation.

Il lui incombe en second lieu d'appliquer les règles de fond applicables au projet en cause en vigueur à la date à laquelle il se prononce, sous réserve du respect des règles d'urbanisme, qui s'apprécie au regard des circonstances de fait et de droit applicables à la date de l'autorisation.

Il en résulte que lorsque ce juge relève que l'autorisation environnementale contestée devant lui méconnaît une règle de fond applicable à la date à laquelle il se prononce, il peut, dans le cadre de son office de plein contentieux, lorsque les conditions sont remplies, modifier ou compléter l'autorisation environnementale délivrée afin de remédier à l'illégalité constatée, ou faire application des dispositions de l'art. L. 181-18 du code de l'environnement. 

L’arrêt d’appel est annulé pour n’avoir pas fait application des dispositions réglementaires applicables à l'installation dans leur rédaction en vigueur à la date à laquelle il s'est prononcé.

(04 août 2023, Association Environnement et patrimoines en Pays du Serein et autres, n° 455196)

 

264 - Police des stupéfiants - Classement de substances dans la classe des stupéfiants - Conséquences économiques irrémédiables - Risque pénal - Défaut d’urgence - Rejet du référé - suspension.

Le juge retient ici l’absence d’établissement de la condition d’urgence pour rejeter la demande des sociétés requérantes de suspendre une décision du 12 juin 2023 de la directrice générale de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé portant modification de la liste des substances classées comme stupéfiants pour y ajouter l'hexahydrocannabinol ou HHC, hexahydrocannabinol acétate ou HHC-acétate ou HHCO et enfin l'hexahydrocannabiphorol ou HHCP, ou, à défaut que soient prises des mesures transitoires aux fins d’adaptation à la nouvelle réglementation.

Les requérantes invoquaient les conséquences économiques irrémédiables et inéluctables que la décision litigieuse occasionnerait pour les opérateurs économiques, qui doivent gérer leurs stocks de produits, décider de l'exécution des contrats en cours, et dont la pérennité de l'activité peut dans certains cas être menacée, ainsi que les graves conséquences pénales qui découleraient de son application immédiate et sans régime transitoire et enfin la gravité des atteintes portées aux libertés fondamentales.

Le juge des référés objecte que les intéressées se bornent à produire un état des stocks au mois de juin 2023 en ce qui concerne les produits contenant du HHC et une attestation relative à la part du chiffre d'affaires représentée par ces produits entre février et juin 2023, dont il ressort au demeurant que leur commercialisation n'a débuté qu'en février 2023. Ces éléments partiels et peu étayés ne lui paraissent pas de nature, en l'état du dossier, à justifier la gravité de l'atteinte que les sociétés requérantes invoquent à leurs intérêts économiques particuliers. Par ailleurs, s'il est vrai que la méconnaissance de la décision litigieuse est susceptible de donner lieu à une action pénale, l'entrée en vigueur de cette décision n'a par elle-même aucune conséquence sur l'engagement d'une telle action. Enfin, le juge rappelle que, contrairement à ce qui est soutenu, la seule circonstance que la décision litigieuse porterait atteinte à certaines libertés fondamentales ne saurait caractériser une situation d'urgence. 

(06 juillet 2023, Sociétés CMCMRS Distribution et MYBUD, n° 475368)

 

265 - Police de l’ordre public et de la tranquillité publique - – Établissement de restauration rapide – Nuisances sonores et bagarres – Non respect de certaines règles d’hygiène – Plaintes des riverains – Fermeture administrative temporaire – Absence d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale – Rejet.

Confirmant l’ordonnance rendue en première instance, le juge d’appel du référé liberté estime que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, la décision du maire, agissant sur délégation du préfet, d’ordonner la fermeture pour une durée de deux mois, d’un établissement de restauration rapide provoquant des nuisances sonores, au sein et aux alentours duquel ont lieu divers troubles à l’ordre public dont des bagarres, qui suscite les plaintes et protestations des riverains.

(ord. réf. 19 juillet 2023, Société PACA DELIVERY, n° 475820)

(266) V., très comparable, confirmant le rejet du recours en référé liberté dirigé contre un arrêté préfectoral ordonnant la fermeture pour un mois de deux établissements de nuit pour des faits comparables liés à une consommation excessive d’alcool, auquel s’ajoute une enquête pénale pour des faits de viol sur mineur : ord. réf. 27 juillet 2023, Société SCAN 89, n° 475960.

 

Professions réglementées

 

267 - Ordre des vétérinaires - Juridiction d’appel statuant avant-dire droit sur une demande de récusation – Moyen de cassation tiré de la régularité de la composition de la formation de jugement de première instance – Inopérance – Rejet.

(04 juillet 2023, Société Le loup blanc, n° 442947)

V. n° 37

 

268 - Ordre des vétérinaires – Radiations de clinique et hôpital vétérinaires du tableau de l’ordre – Prise de participations financières d’un établissement dans l’autre établissement – Conflit d’intérêts – Absence de contrôle effectif des associés vétérinaires sur les sociétés créées – Rejet.

La société AniCura AB, de droit suédois, a acquis des actions de la société anonyme Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, qui a elle-même fait l'acquisition d'actions de la société anonyme Clinique vétérinaire Saint-Roch. De là résulte, d’une part, que la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet est détenue à hauteur de 50,01% par cinq associés vétérinaires et à hauteur de 49,99% par la société AniCura AB, d’autre part, que la société Clinique vétérinaire Saint-Roch est détenue à hauteur de 99,95% par la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et à hauteur de 0,05% par dix associés vétérinaires.

Le Conseil national de l'ordre des vétérinaires, saisi des décisions de radiation prise à l’encontre des deux sociétés françaises, respectivement par  le conseil régional des Hauts-de-France de l'ordre des vétérinaires et le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine de l'ordre des vétérinaires, a prononcé la radiation des deux sociétés pour trois motifs communs aux deux décisions (absence de contrôle effectif de la société par les vétérinaires associés, existence de conflits d'intérêts prohibés tenant à ce que, d'une part, la société AniCura AB fournit des services en lien avec l'activité vétérinaire, d'autre part, « le groupe Mars » a une filiale qui exerce une activité de transformation des produits animaux et commercialise des produits alimentaires pour animaux domestiques). Il a, dans sa décision relative à la Clinique vétérinaire Saint-Roch, retenu en outre un motif propre s’ajoutant aux précédents et tiré de ce que, faute d'être une société de participations financières de professions libérales et de prendre des participations dans une société d'exercice libéral, elle ne pouvait légalement prendre des participations dans cette clinique.

Chacune de ces sociétés se pourvoit en cassation contre cette décision par des requêtes qui sont jointes par le juge.

 

On n’examinera que les griefs tenant à la légalité interne des décisions querellées.

 

Est tout d’abord écarté le moyen tiré, par la voie de l'exception, de l’incompatibilité du 1° du II de l'art. L. 241-17 du code rural avec l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, en ce qu'il permet à l'instance ordinale compétente de vérifier si les garanties qui y sont prévues, alors même qu'elles sont formellement reprises dans les statuts d'une société vétérinaire, ne sont pas privées d'effet par d'autres stipulations des statuts et d'éventuels pactes d'associés. En effet, il se déduit de la jurisprudence de la CJUE (1er mars 2018, Colegiul Medicilor Veterinari din România (CMVRO), aff. C-297/16 ; 29 juillet 2019, Commission européenne contre République d'Autriche, aff. C-209/18) que les États membres peuvent décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique, qui est liée à la santé animale, dès lors que certaines maladies animales sont transmissibles à l'homme et que certains produits alimentaires d'origine animale sont susceptibles de mettre en danger la santé humaine lorsqu'ils proviennent d'animaux malades ou porteurs de bactéries résistantes aux traitements ou qu'ils contiennent des résidus de médicaments utilisés pour le traitement des animaux, et que la manière dont ce niveau doit être atteint peut varier d'un État membre à l'autre.

Concernant la requête de la société Nordvet, le juge examine les motifs développés par le conseil national de l’ordre des vétérinaires au soutien des décisions prises.

Pour ce qui regarde le motif tiré du défaut de contrôle effectif de la société par les associés vétérinaires, il est jugé que si les statuts et le pacte d'associés de la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet comportent des stipulations qui reprennent formellement les exigences fixées par le 1° du II de l'art. L. 241-17 du code rural, la conjonction des stipulations relatives aux engagements et promesses de la société (d’un vote favorable en AG à toute proposition d'affectation de sommes distribuables, condition de validité des délibérations impliquant  la présence d'un représentant de la société AniCura A, promesse unilatérale de vente, obligation que deux des trois membres du conseil d’administration soient proposés par la société AniCura AB) conduit à ce que les garanties prévues par ces dispositions législatives soient, en l'espèce, privées d'effet, dès lors qu'il en résulte que les associés vétérinaires, quoique détenant la majorité des droits de vote, ne sont pas en mesure de contrôler effectivement la société. La décision du conseil national de l’ordre ne saurait être critiquée de ce chef.

Pour ce qui est relatif aux motifs tenant à l'existence de conflits d'intérêts prohibés, le juge décide qu’elle ne pouvait pas être retenue en l’espèce mais que le conseil national aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la méconnaissance des dispositions du 1° du II de l’art. précité, qui est, à elle seule, de nature à justifier la mesure prise.

Concernant la requête de la société Saint-Roch, il résulte de ce qui précède que de même que le Conseil national de l'ordre des vétérinaires a pu légalement radier du tableau de l'ordre la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet au motif qu'elle ne satisfait pas aux conditions posées par le 1° du II de l'art. L. 241-17 précité, tendant à garantir un contrôle effectif des vétérinaires associés sur la conduite de la société, de même en va-t-il pour la société Clinique vétérinaire Saint-Roch qui est détenue à 99,95% par la société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet et qu’ainsi cette condition ne peut également être regardée que comme non satisfaite par cette dernière.

Le Conseil national de l'ordre des vétérinaires n'a donc pas fait une inexacte application de ces dispositions en prenant pour ce même motif la décision attaquée.

(10 juillet 2023, Société Centre hospitalier vétérinaire Nordvet, n° 442911 ; Société Clinique vétérinaire Saint-Roch, n° 442925)

 

269 - Vétérinaires – Exercice en commun de leur profession au sein d’une société d’exercice libéral – Possibilité d’avoir plusieurs domiciles d’exercice – Obligation de la présence d’au moins un des vétérinaires associés dans chacun de ces domiciles – Exigence permise par le droit de l’Union – Exigence justifiée et proportionnée - Rejet.

Annulant des décisions en sens contraire rendues par une chambre régionale de discipline de l’ordre des vétérinaires, le conseil national de cet ordre a déclaré régulières les poursuites engagées contre la société Mon Véto IDF Est et la société Mon Véto et a infligé notamment à chacune de ces deux sociétés la sanction de l'interdiction d'exercer la profession de vétérinaire pour une durée de six mois.

De cette décision ainsi que de celles interdisant à quatre personnes d'exercer la profession de vétérinaire, il est demandé la cassation au Conseil d’État.

Le pourvoi est rejeté.

Il est possible à des vétérinaires de s’associer, pour l’exercice en commun de leur profession, dans des sociétés d’exercice libéral.

La réglementation française prévoit la possibilité qu’une telle société dispose d’autant de domiciles d’exercice professionnel qu’elle le veut. Elle pose cependant à cela une condition limitative à savoir que les vétérinaires associés, s’ils peuvent disposer de collaborateurs et de salariés, ne peuvent pas déléguer de façon permanente, en méconnaissance des dispositions de l'art. R. 242-66 du code rural, la gestion d'un domicile professionnel d'exercice à un vétérinaire salarié ou collaborateur libéral. Ceci impose qu’au moins un de ses associés exerce, au minimum à temps partiel, dans chacun de ses domiciles professionnels d'exercice.

Ceci soulevait, dans ce dossier, deux questions liées : celle de la possibilité pour le droit interne d’établir une telle règle au regard de ce que dispose le droit de l’Union et celle de savoir si le contenu de cette réglementation nationale n’est pas excessif au regard de ce même droit.

Sans surprise, le Conseil d’État relève – comme il l’a fait dans la décision précédente rapportée ci-dessus - que l’art. 15 de la directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur permet aux États-membres d’édicter une règle du type de celle attaquée sous condition de respecter les exigences de non-discrimination, de nécessité et de proportionnalité prévues au paragraphe 3 de cet article.

Le juge vérifie donc que cette réglementation, rendue possible par le droit de l’Union, satisfait en outre aux conditions de légalité susénoncées.

La réponse est positive.

D’abord, l’exigence s’applique à toutes les sociétés vétérinaires, françaises ou ressortissantes de l’Union ou d’un État partie à l’Espace économique européen.

Ensuite, l’existence de cette règle est nécessaire car elle garantit la qualité des soins prodigués aux animaux, et, ce faisant, d’une part, la protection de la santé publique, laquelle est liée à la santé animale dès lors que certaines maladies sont transmissibles à l'homme et que certains produits d'origine animale susceptibles de mettre en danger la santé humaine lorsqu'ils proviennent d'animaux malades ou porteurs de bactéries résistantes aux traitements ou qu'ils contiennent des résidus de médicaments utilisés pour le traitement des animaux, et d’autre part, la santé des animaux, la protection de l'environnement et des destinataires de service, ainsi que le respect par la société vétérinaire elle-même et l'ensemble des vétérinaires qui exercent en son sein, dans l'ensemble de ses domiciles déclarés, des règles déontologiques qui s'imposent à eux. Il n’est donc pas douteux que cette réglementation est justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et répond, dès lors, à la condition de nécessité posée par le b) du 3 de l'article 15 de la directive du 12 décembre 2006.

Enfin, la mesure en cause est proportionnée à l’objectif poursuivi tant par les exigences du droit de l’Union que par les règles du droit interne.

(10 juillet 2023, Société Mon Véto, société Mon Véto IDF Est et autres, n° 448133)

(270) V. aussi, jugeant que si la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires ne pouvait légalement se fonder sur la méconnaissance des dispositions du 2° du II de l'art. L. 241-17 du code rural pour procéder à la radiation de la société requérante, il résulte de l'instruction que le Conseil national aurait pris la même décision s'il ne s'était fondé que sur la méconnaissance des dispositions du 1° du II du même article, qui est, à elle seule, de nature à justifier la mesure prise. Il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du Conseil national de l'ordre des vétérinaires qu'elle attaque. Ses conclusions tendant, par voie de conséquence, à l'annulation de la décision du conseil régional - à laquelle, au demeurant, la décision du Conseil national s'est substituée - ne peuvent qu'être également rejetées : 10 juillet 2023, Société par actions simplifiée Oncovet, n° 452448.

(271) V. encore, largement semblable aux trois décisions précédentes : 10 juillet 2023, Société UNIVETIS, n° 455961.

 

272 - Médecin spécialisé en psychiatrie – Commission d’un viol et condamnation pénale – Satisfaction de la condition de moralité - Autorisation d’inscription au tableau de l’ordre – Rejet.

Le conseil départemental requérant a demandé l’annulation de la décision par laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins a autorisé l'inscription de M. B. au tableau de l'ordre des médecins au motif que, bien que s’étant rendu coupable d’un viol et qu’il ait été condamné en cour d’assises pour cela, l’intéressé, compte tenu des circonstances, satisfaisait néanmoins aux conditions de moralité exigées des candidats à l’inscription à ce tableau.

Le Conseil d’État estime que, ce décidant, le Conseil national de l’ordre des médecins a fait une exacte application des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique.

On cite ici l’entier raisonnement du juge par lequel est explicitée une solution qui, sans cela, pourrait surprendre : « (…) par un arrêt du 15 mars 2019, la cour d'assises du département du Puy de Dôme a condamné M. B. à une peine de quatre ans d'emprisonnement dont deux assortis du sursis pour des faits de viol commis en mars 2014 et que, par un arrêt du 5 mars 2021, la cour d'assises d'appel de l'Allier a confirmé la culpabilité de l'intéressé pour ces faits et l'a condamné à une peine de quatre années d'emprisonnement, la condamnation étant assortie du sursis pour la totalité de la peine et dispensée de l'inscription au bulletin n°3 du casier judiciaire. Il ressort des termes mêmes de son arrêt que, pour justifier le choix de la peine prononcée, la cour d'assises d'appel a pris en compte les circonstances particulières dans lesquelles les faits ont été commis, l'absence de dangerosité de M. B. attestée par les rapports d'expertise, qui n'ont relevé aucun trouble de la personnalité ni aucune pathologie, ainsi que son insertion socio-professionnelle. Il ressort également des pièces du dossier que, depuis la commission de ces faits en 2014 alors qu'il était interne au sein du centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand, M. B. a poursuivi ses études après avoir repassé les épreuves de l'internat dans une région différente et a obtenu le 19 avril 2021 le diplôme de docteur en médecine ainsi qu'un diplôme d'études spécialisées en psychiatrie et que, au cours des stages et des missions de remplacement qu'il a réalisés, ses compétences et qualités professionnelles ont été reconnues et que son comportement a donné toute satisfaction. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier, contrairement à ce que soutient le conseil départemental de Mayotte de l'ordre des médecins, que M. B. aurait cherché à induire en erreur les instances ordinales ou à leur dissimuler des informations. Ainsi, malgré la particulière gravité des faits pour lesquels M. B. a été condamné, la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des médecins, qui pouvait, sans commettre d'erreur de droit, prendre en compte la circonstance que les faits en cause ont été commis en dehors de l'exercice de fonctions professionnelles, a, en estimant que l'intéressé remplissait, à la date à laquelle elle a statué, la condition de moralité requise pour l'exercice de la profession de médecin, fait, dans les circonstances de l'espèce et eu égard au comportement de M. B. depuis la commission, en 2014, des faits reprochés, une exacte application des dispositions de l'article L. 4112-1 du code de la santé publique. »

(05 juillet 2023, Conseil départemental de Mayotte de l'ordre des médecins, n° 462306)

 

273 - Médecin – Gérant de fait d’une société médicale – Médecin n’y exerçant pas – Sanction – Décision suffisamment motivée – Rejet.

Est suffisamment motivée la décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins qui, pour retenir l’existence d’une faute disciplinaire d’un médecin et la sanctionner, se fonde sur ce que l’intéressé prenait, sans justifier disposer d'un titre ou d'une délégation pour ce faire, de nombreuses décisions au nom de la société Unité de Radiothérapie République (U2R), en matière juridique, bancaire, comptable, administrative, matérielle ou encore de ressources humaines, qu'il était ainsi le gérant de fait de cette société et que, faute d'exercer sa profession au sein de cette société, il assurait de telles fonctions en méconnaissance des dispositions de l'article 12 de la loi du 31 décembre 1990  relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, qui est applicable à la profession de médecin et que dès lors, il devait être regardé comme ayant méconnu les obligations de moralité et d'absence de déconsidération de sa profession, résultant des dispositions des art. R. 4127-3 et R. 4127-31du code de la santé publique. 

(05 juillet 2023, M. B., n° 465950)

 

274 - Médecin – Production devant la juridiction disciplinaire ordinale d’un dossier médical – Communication jugée non contraire au respect du secret médical – Juridiction disciplinaire ne s’étant pas prononcée sur le caractère strictement nécessaire de cette production – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins qui juge que ne méconnaît pas son obligation au secret médical le praticien qui, dans le cadre d’une instance disciplinaire, produit, pour sa défense, le bilan de la prise en charge d’un patient alors qu’il lui incombait d’établir non pas simplement le caractère nécessaire à sa défense de cette production mais son caractère strictement nécessaire.

(22 août 2023, M. B., n° 462636)

 

275 - Notaire - Nomination en qualité de notaire sur injonction du juge des référés - Demande du garde des sceaux tendant à ce qu’il soit mis fin à l’injonction prononcée (art. L. 521-4 du CJA) - Rejet pour défaut d’élément nouveau - Erreur de droit - Annulation.

Le garde des sceaux ayant refusé de nommer l’intéressée comme notaire, celle-ci a saisi le juge des référés qui a, notamment, fait injonction au garde des sceaux, par ordonnance du 17 novembre 2022, de procéder à sa nomination. Après cette nomination, ce dernier a, sur le fondement de l’art. L. 521-4 du CJA, saisi, le 8 décembre 2022, le juge des référés d’un recours tendant à ce qu'il soit mis fin à l'injonction précédemment prononcée ou à ce que celle-ci soit modifiée, faisant état de l'ouverture d'une enquête pénale sur des faits que Mme B. aurait commis dans l'exercice de ses fonctions, notamment l'utilisation de fonds de l'étude à des fins personnelles, la commission de faux en écriture publique et la perception indue de fonds publics, ainsi que d'une information du parquet sur le résultat d'actes d'enquêtes laissant penser que les faits reprochés à Mme B., s'ils étaient avérés, seraient d'une particulière gravité et incompatibles avec l'honorabilité attendue d'un officier public ministériel. 

Le juge des référés, pour rejeter la demande de cessation ou de modification de son ordonnance, a estimé que ces circonstances, en ce qu'elles n'établissaient par elles-mêmes aucun fait, ne constituaient manifestement pas des éléments nouveaux susceptibles d'entraîner la modification des mesures ordonnées.

Sur pourvoi du garde des sceaux, le Conseil d’État est à la cassation pour une erreur de droit assez évidente d’autant que, pour formuler sa requête, le garde des sceaux s’est fondé sur un courriel du 24 novembre 2022 dans lequel le procureur général près la cour d'appel d'Amiens fait état d'une perquisition réalisée la veille dans les bureaux de l'étude dont Mme B. avait été titulaire jusqu'au 1er octobre 2020, ayant révélé à tout le moins de graves négligences dans la gestion de son office, ainsi que des actes susceptibles d'être qualifiés pénalement, notamment de faux en écriture publique, d'abus de biens sociaux, de faux et usages de faux et d'escroquerie. Ces constatations ont d’ailleurs conduit le parquet d'Amiens à solliciter l'ouverture d'une procédure disciplinaire à l'encontre de Mme B. auprès de la chambre départementale des notaires. 

(24 juillet 2023, Mme B., n° 470158)

 

276 - Masseur-kinésithérapeute – Sanction d’interdiction temporaire d’exercer la profession – Praticien radié, à sa demande, du tableau de l’ordre – Maintien de la compétence des juridictions ordinales – Intérêt du Conseil national de l’ordre à se pourvoir en cassation – Réglementation de l’exercice du toucher pelvien – Obligation d’une prescription médicale en ce sens – Erreur de droit – Annulation.

Un masseur-kinésithérapeute, titulaire du titre d’ostéopathe, était poursuivi disciplinairement pour avoir pratiqué un toucher pelvien, geste qui ne lui est autorisé que sur prescription médicale, sur une patiente pour laquelle sont résulté divers maux et qui a porté plainte devant la juridiction ordinale ainsi que le conseil départemental de l’ordre. La chambre disciplinaire de première instance n’a infligé à l’intéressé qu’un avertissement. Le Conseil national de l’ordre a interjeté appel devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre qui n’a sanctionné cette faute professionnelle que d’une interdiction temporaire d’exercice d’un mois avec sursis. Il se pourvoit en cassation de cette décision.

Avant d’aborder le fond du litige (comportement fautif ou non ?), le Conseil d’État tranche deux questions de procédure. En premier lieu, – répondant à un moyen du praticien –, il reconnaît au Conseil national de l'ordre un intérêt à se pourvoir en cassation contre une sanction qu'il estime insuffisante, quels que soient les termes de l'appel qu'il avait formé. En second lieu, la circonstance que le praticien, qui a commis les faits reprochés alors qu'il était inscrit au tableau de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, ait été à sa demande radié de ce tableau à compter du 1er octobre 2020, n'est pas de nature à retirer leurs compétences aux juridictions ordinales et ainsi à priver d'objet le pourvoi en cassation introduit en l’espèce. 

Sur le fond, le juge déduit des textes applicables (notamment les art. L. 4321-1 et R. 4321-1, 3 et 5 du code de la santé publique, l’art. 75 de la loi du 2 mars 2002 relative aux droits des patients et à la qualité du système de santé et l’art. 1er du décret du 25 mars 2007 relatif notamment aux conditions d’exercice de l’ostéopathie) que si ces dispositions ne soumettent l'exercice de son art par le masseur kinésithérapeute à une prescription médicale que lorsqu'il agit dans un but thérapeutique, elles renvoient à un décret en Conseil d'État la définition de l'ensemble des actes professionnels de masso-kinésithérapie, et non seulement des actes médicaux prescrits par un médecin. Or, il ne résulte d'aucune des dispositions du code de la santé publique énumérant les actes professionnels de masso-kinésithérapie citées ci-dessus qu'un masseur kinésithérapeute soit habilité à pratiquer sur ses patientes, hors prescription médicale, et quelle que soit la finalité qu'il lui assigne, un geste de toucher pelvien, qui ne constitue notamment ni une manœuvre externe constitutive d'un acte de massage ni un acte de gymnastique médicale.

Dès lors doit être annulée la décision de la chambre disciplinaire nationale qui, pour juger que le praticien avait pu pratiquer un acte de toucher pelvien en l’absence de prescription médicale, s’est fondée :

- d’abord, commettant ainsi une première erreur de droit, sur ce que l'acte en cause avait été réalisé en l'espèce dans le cadre d'un bilan ostéopathique, les actes d'ostéopathie pouvant être pratiqués par les personnes titulaires du titre d'ostéopathe sans prescription médicale, alors qu’il résulte des textes précités que quand bien même le geste pratiqué serait réalisé au titre de la pratique de l'ostéopathie, ceux-ci n'en autorisent la réalisation à un masseur-kinésithérapeute également ostéopathe que dans le cadre de l'exercice de la masso-kinésithérapie ;

- ensuite, commettant ainsi une seconde erreur de droit, sur la circonstance que l'acte en cause était autorisé dans l'exercice de la masso-kinésithérapie car il avait été réalisé en vue d'une mobilisation à caractère préventif et non thérapeutique, alors qu'une telle circonstance – comme indiqué plus haut - n'est pas de nature à autoriser un masseur-kinésithérapeute à pratiquer, en l'absence de prescription médicale, un acte de toucher pelvien. 

Le pourvoi du Conseil national de l’ordre est accueilli avec renvoi à la Chambre disciplinaire nationale.

(04 août 2023, Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, n° 467213)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

277 - Régime de la rente viagère pour maladie reconnue imputable au service – Date d’entrée en jouissance – Différence de traitement entre fonctionnaire retraité et fonctionnaire radié des cadres – Refus de transmettre une QPC – Rejet.

Le requérant contestait la constitutionnalité de la différence de traitement établie par les art. L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraites en matière de maladie professionnelle reconnue imputable au service. Alors que le fonctionnaire radié des cadres pour une telle maladie entre en jouissance de la rente viagère d’activité dès cette radiation, le fonctionnaire retraité dont la maladie professionnelle a été reconnue imputable au service postérieurement à sa radiation des cadres, ne jouit de la rente viagère d'activité qu'à compter de la date de dépôt de sa demande d'attribution de cette rente. Pour refuser de transmettre cette question le juge estime que « S'il en résulte une différence de traitement, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. » Différence objective ? Vraiment ? On en doute.

(07 juillet 2023, M. B., n° 470588)

 

278 - Réforme du régime de l’assurance chômage – Absence d’atteinte au principe de fraternité ou au droit au respect de la dignité de la personne humaine, ainsi qu’aux cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 – Absence de caractère nouveau – Refus de transmission d’une QPC.

Les organisations requérantes soulevaient une QPC à l’encontre de l’art. L. 5422-2-2 du code du travail pour l’exécution duquel a été pris le décret du 26 janvier 2023 relatif au régime d’assurance chômage.

Le Conseil d’État refuse de la transmettre car la question posée n’est ni sérieuse ni nouvelle.

Elle n’est pas sérieuse car la prise en considération des indicateurs conjoncturels portant sur l'emploi et sur le fonctionnement du marché du travail qui permettent de décider de l’ouverture ou du rechargement des droits à l'allocation d'assurance des travailleurs privés d'emploi et pour la fixation de la durée de ces droits est autorisée par le législateur et qu’elle n'est pas de nature à porter atteinte, par elle-même, à l'existence d'un régime d'indemnisation des travailleurs privés d'emploi. Elle ne saurait donc méconnaître le principe de fraternité ou le droit au respect de la dignité de la personne humaine ainsi que les dispositions des cinquième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

Semblablement, le législateur n’a pas commis une incompétence négative en ne déterminant pas la nature exacte et les modalités de prise en compte de ces indicateurs qui relèvent de la compétence du pouvoir réglementaire tout comme le principe d’égalité ne saurait faire obstacle en la matière à son application différenciée à des personnes se trouvant dans des situations objectivement différentes.

La question n’est pas nouvelle en tant que, comme le soutiennent les demandeurs, la disposition en litige méconnaîtrait « le devoir de solidarité se dégageant du principe de fraternité ».

(05 juillet 2023, Confédération générale du travail et autres, n° 472376 ; Union nationale des syndicats autonomes, n°472385 ; Confédération française démocratique du travail et la Confédération française des travailleurs chrétiens, n° 472437 ; Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres, n° 472491)

 

279 - QPC dirigée contre l’incompétence négative du législateur - Recevabilité subordonnée à l’existence de ce fait d’une atteinte à un droit ou une liberté garanti par la Constitution - Refus de transmission.

Rappel de ce que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

Tel n’était pas le cas de l’espèce où les dispositions - contestées - de l'art. L. 1115-8-1 du code des transports, qui, d’une part, ont pour objet d'encadrer le déploiement des services numériques d'assistance aux déplacements sur le territoire français, s'appliquent à tous les exploitants de systèmes utilisés sur ce territoire, que leur lieu d'établissement se situe en France ou à l'étranger et, d’autre part, si elles renvoient à un décret la définition des modalités de délivrance de ces informations, ces ne délèguent pas au pouvoir réglementaire la définition de leur champ d'application.

Le grief d'incompétence négative est écarté et cela d’autant plus que ces dispositions, n'affectent pas par elles-mêmes la liberté d'entreprendre des opérateurs proposant de tels services.

(11 juillet 2023, Société Coyotte System, n° 468050)

 

280 - QPC dirigée contre les dispositions du code de l’urbanisme permettant aux plans d’urbanisme le classement de parcelles en zone boisée sans compensation ni garantie procédurale - Absence de privation du droit de propriété - Restriction d’un droit justifiée par l’intérêt général - Absence d’atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques - Refus de transmission de la QPC.

La requérante soulevait une QPC à l’encontre des art. L. 113-1 à L. 113-5 du code de l'urbanisme en tant qu’ils portent atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité devant les charges publiques garantis par les articles 2 et 17 et l'article 13 de la Déclaration de 1789, en ce qu'ils restreignent l'affectation et le mode d'occupation de sa parcelle sans compensation ni garantie de fond et de procédure.

Le litige est né de ce qu’une modification du plan local d’urbanisme a classé en zone forestière des parcelles lui appartenant leur faisant perdre une importante partie de leur valeur marchande.

C’est une question classique du droit de l’urbanisme et du droit constitutionnel : Qu’est-ce que le droit de propriété ?

Un simple titre nominal ? Une « fonction sociale » selon l’expression pontificale (Jean XXIII, Paul VI, Jean Paul II, Benoît XVI, François) venue tout droit de la pensée aristotélo-thomiste ? L’appréhension physique des biens dans toutes leur(s) potentialité(s) originaire(s).

Ici le Conseil d’État joue sur la notion de « privation du droit de propriété » telle qu’utilisée à l’art. 17 de la Déclaration de 1789 ; il entend « privation » au sens de « dépossession » soit la perte de puissance sur la chose. De là s’ensuit que la perte, même drastique, de valeur d’un bien du fait d’une décision de la puissance publique ne constitue pas une dépossession et ne mérite donc ni indemnisation ni garantie procédurale particulière.

Il y faut seulement l’invocation de pur psittacisme de « l’intérêt général », façon Bridoison et sa « fôorme ».

Le juge retient quatre arguments pour rejeter l’argumentation de la requérante.

D’abord, elle s’est vue appliquer des dispositions législatives « qui n’emportent aucune privation du droit de propriété mais se bornent, sans interdire toute construction, à apporter des limites à son exercice, ne méconnaissent pas l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les restrictions apportées à l'exercice du droit de propriété, justifiées par l'intérêt général qui s'attache à la création ou à la préservation d'espaces boisés, ne concernent que les changements d'affectation ou les modes d'occupation du sol de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création de boisements. » On demeure songeur à la lecture des mots « aucune privation du droit de propriété ».

Ensuite, contrairement à ce qui est prétendu, « ces restrictions sont accompagnées des garanties de fond et de procédure prévues pour la procédure d'élaboration des plans locaux d'urbanisme, et dont le respect est contrôlé par le juge de l'excès de pouvoir et sont proportionnées à l'objectif poursuivi. » Le mot « restrictions » illustre à merveille la novlangue chère à G. Orwell car enfin il s’agit bien ici de défigurer la condition juridique du bien en cause et du pouvoir exercé sur lui existant antérieurement à la modification litigieuse du PLU.

Encore, « les art. L. 113-3 et L. 113-4 du code de l'urbanisme donnent la possibilité, dans certaines conditions, au propriétaire d'un terrain classé en espaces boisés d'obtenir un terrain à bâtir contre la cession gratuite de son terrain ou bien d'obtenir une autorisation pour changer l'affectation ou le mode d'occupation des sols de son terrain. » Cette possibilité est aveu du peu de légitimité du procédé législative puisque son auteur propose un subterfuge pour restituer au propriétaire un tantinet de sa propriété d’origine

Enfin, il est rappelé, refrain célèbre, que le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et qu'il ne fasse pas peser sur les contribuables une charge excessive au regard de leurs capacités contributives. Ce mantra posé, il en résulte, aussi tautologiquement que possible, que les différences de traitement entre les propriétés foncières, selon qu'elles sont ou non classées en espaces boisés, répondent à la prise en compte de situations différentes et, partant, elles ne portent point atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques.

En réalité, ceci illustre l’hypocrisie qui consiste à invoquer un prétendu droit constitutionnel de propriété en le vidant autant que faire se peut de sa substance de sorte qu’il n’apparaît plus que comme une superstructure, donc dépourvu de toute réalité substantielle. Il serait plus honnête et plus sain de reconnaître enfin que n’existe qu’un droit d’usage sur les biens, viager si l’on veut, mais à condition que disparaisse en même temps que la fiscalité assise sur eux.

(11 juillet 2023, Mme A., n° 470532)

 

281 - Plus-value réalisée par une personne physique - Apport à une société soumise à un régime réel d'imposition d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité - Report d'imposition des plus-values afférentes aux immobilisations non amortissables - Impôt acquitté par le bénéficiaire de la transmission lors de la  cession, du rachat ou de l'annulation des droits sociaux reçus en rémunération de l'apport de l'entreprise ou jusqu'à la cession de ces immobilisations - Refus de transmission d’une QPC.

(12 juillet 2023, Mme A., n° 474529)

V. n° 93

 

282 - Procédure régissant la question prioritaire de constitutionnalité - Griefs formulés en première instance - Présentation en appel après expiration du délai d’appel - Nouvelle QPC - Obligation d’y présenter des moyens nouveaux - Absence - Rejet.

Dans un litige où elle recherchait l’annulation de l'arrêté du préfet de la région Ile-de-France fixant le montant de sa contribution au fonds de solidarité des communes de la région Ile-de-France (FSRIF), ainsi que de la décision du ministre de l'intérieur rejetant son recours hiérarchique, la commune de Nanterre a demandé au tribunal administratif de Paris de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du G du XV de l'article 59 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République.

La présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune de Nanterre puis, par un jugement du 5 novembre 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la commune. Sur appel de celle-ci, d’une part, un président de chambre de la cour administrative d’appel a refusé, par ordonnance, de transmettre au Conseil d'État la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ces mêmes dispositions, d’autre part, par un arrêt du 2 avril 2021, la cour a rejeté l'appel formé par la commune contre le jugement du 5 novembre 2019.

La commune se pourvoit, en vain, en cassation, le Conseil d’État décelant un vice dans la procédure suivie par la commune.

Le juge déduit des dispositions combinées de l'art. 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, des art. R. 771-12 et R. 771-15 du CJA que lorsqu'un tribunal administratif a refusé de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité qui lui a été soumise, il appartient à l'auteur de cette question de contester ce refus, à l'occasion de l'appel formé contre le jugement qui statue sur le litige, dans le délai de recours contentieux et par un mémoire distinct et motivé, aussi bien lorsque le refus de transmission précédemment opposé l'a été par une décision distincte du jugement, dont il joint alors une copie, que lorsque le refus a été opposé directement par ce jugement.

Par ailleurs, l'art. 23-5 de l'ordonnance précitée, d’une part et négativement, n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à celui qui a déjà présenté une question prioritaire de constitutionnalité devant une juridiction statuant en première instance de s'affranchir des conditions selon lesquelles le refus de transmission peut être contesté devant le juge d'appel puis, le cas échéant, devant le juge de cassation, d’autre part et positivement, il permet de former directement devant le juge d'appel ou, le cas échéant, le Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les mêmes dispositions, mais comportant des moyens nouveaux.

Or : 1°/ la requête de la commune, qui soutenait en première instance que les dispositions législatives contestées méconnaissaient les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques ainsi que les principes d'autonomie financière et de libre administration des collectivités territoriales a fait l’objet d’un rejet par jugement du tribunal administratif de Paris du 5 novembre 2019 qui lui a été régulièrement notifié par un courrier reçu le 6 novembre 2019, mentionnant les voies et délais de recours. 2°/  L'ordonnance de la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris refusant de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant le tribunal a été régulièrement notifiée à la commune de Nanterre par un courrier réceptionné le 8 mars 2019, qui mentionnait, conformément aux dispositions de l'art. R. 771-9 du CJA, que cette décision ne pourrait être contestée, par un mémoire distinct et motivé, qu'à l'occasion d'un recours formé contre la décision réglant tout ou partie du litige.

Il en résulte donc que le « mémoire QPC », enregistré au greffe de la cour le 29  septembre 2020 soit postérieurement à l'expiration du délai de recours contre ce jugement, ne peut pas être regardé comme une contestation de ce refus de transmission mais comme posant une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité devant la cour administrative d'appel. Celle-ci était donc irrecevable en tant qu'elle portait sur la même question que celle soumise au tribunal administratif et qu'elle était fondée sur les mêmes moyens que ceux invoqués devant les premiers juges, tirés de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et du principe d'égalité devant les charges publiques. 

S’agissant, ensuite, du grief tiré de l’atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales, les dispositions contestées du G du XV de l'article 59 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République n’ont pas pour effet, que ce soit directement, ou indirectement du fait, de leur application combinée avec les dispositions des art. L. 2531-13 et L. 2334-4 du code général des collectivités territoriales, de restreindre les ressources des collectivités concernées au point de porter atteinte à ce principe.

(13 juillet 2023, Commune de Nanterre, n° 453229)

 

283 - Distinction entre les sociétés déficitaires établies en France ou à l’étranger dans l’Union européenne et hors UE - Bénéfices réputés distribués - Retenue à la source - Transmission d’une QPC.

Soulève une question présentant un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'art. 119 bis du CGI portent atteinte au principe d'égalité devant la loi garanti par l'art. 6 de la Déclaration de 1789 en ce que, d'une part, dès l'origine, elles ont instauré une différence de traitement injustifiée entre les sociétés déficitaires percevant des revenus de source française selon qu'elles sont établies en France ou à l'étranger, dès lors que les premières ne sont pas imposées en France au titre des revenus qu'elles perçoivent au cours de l'exercice concerné, et d'autre part, depuis leur mise en conformité par le juge de l'impôt avec le droit de l'Union européenne, elles instaurent une discrimination au détriment des seules sociétés déficitaires percevant des revenus distribués de source française qui sont établies en dehors de l'Union européenne lorsque les participations de la société distributrice ont le caractère d'un investissement direct, en vertu de la clause de gel prévue par l'article 64 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. 

(13 juillet 2023, Société Compagnie Gervais Danone, n° 455810)

 

284 - Taxe foncière - Valeur locative des immobilisations corporelles en cas de cession, scission, apport entre deux sociétés interdépendantes ou dépendantes d’une même troisième - Volonté de prémunir les finances locales contre la réduction des bases d’imposition - Absence d’inconstitutionnalité - Refus de transmission d’une QPC -Notions de société contrôlée et de sociétés agissant de concert - Rejet.

(13 juillet 2023, SAS ArianeGroup, n° 460743 et n° 460744)

V. n° 94

 

285 - Personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement - Refus de prendre des mesures utiles mettant fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense - Transmission d’une QPC.

L’association requérante demande l'annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur et le garde des sceaux ont rejeté sa demande tendant à ce qu'ils prennent toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées dans des locaux de garde à vue et de dégrisement et le renvoi au Conseil constitutionnel de la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706-88 du code de procédure pénale. 

Après avoir relevé  que le Conseil constitutionnel (déc. n° 2019-778 DC, 21 mars 2019, Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice) a déclaré conformes à la Constitution la première phrase du dernier alinéa du paragraphe II de l'article 63 du code de procédure pénale, en vertu de laquelle le procureur de la République peut subordonner son autorisation de prolonger la garde à vue à la présentation de la personne devant lui, puis, s’agissant de l'article 706-88 de ce code, d’abord ses six premiers alinéas (n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité) ensuite, par une autre décision, les autres alinéas du même article (déc. n° 2010-31 QPC du 22 septembre 2010, M. Bulent A. et autres), le Conseil d’État note toutefois qu’est susceptible de constituer un changement de circonstances au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, l'intervention postérieure de deux décisions (n° 2020-858/859 QPC, 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre [Conditions d'incarcération des détenus], et n° 2021-898 QPC, 16 avril 2021, Section française de l'observatoire international des prisons [Conditions d'incarcération des détenus II]) par lesquelles il a déclaré non conformes à la Constitution des dispositions relatives à la détention provisoire et à l'aménagement des peines motif pris notamment de ce qu'elles ne permettaient pas à la personne détenue d'obtenir sa mise en liberté ou un aménagement de peine au seul motif qu'elle était détenue dans des conditions indignes.

Comme, par ailleurs, les autres dispositions du code de procédure pénale en litige n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et qu’elles soulèvent une question présentant un caractère sérieux en ce que les dispositions du code de procédure pénale susmentionnées, qui sont applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité humaine et sont entachées d'incompétence négative affectant par elle-même ce principe, faute de subordonner le placement et le maintien en garde à vue à des capacités d'accueil et des conditions matérielles assurant le respect de la dignité des personnes. 

La transmission de la QPC est autorisée.

(13 juillet 2023, Association des avocats pénalistes, n° 461605)

 

286 - Statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel - Régime de compatibilité avec l’exercice de la profession d’avocat - QPC dirigée contre divers articles du code de justice administrative - Compatibilité sous réserve selon la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) - Décision en ce sens du vice-président du Conseil d’État - Absence d’atteinte au principe d’égalité de traitement comme au principe d’identité normative -  Absence d’atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice des fonctions juridictionnelles - Refus de transmission d’une QPC.

Mme A. demande l'annulation, d'une part, de l'avis par lequel le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) a émis un avis de compatibilité avec réserves sur son projet d'exercer, à titre libéral, la profession d'avocat ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cet avis, d'autre part, de la décision par laquelle le vice-président du Conseil d'État l'a autorisée à exercer, à titre libéral, la profession d'avocat dans les conditions posées par l'avis du président de la HATVP ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cette décision, enfin, de la décision par laquelle le premier ministre a implicitement rejeté son recours contre la décision du vice-président du Conseil d'État.

A l'appui de ses demande elle soulève une QPC contestant la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution 1°/ des dispositions de l'art. L. 231-1 du CJA, en tant qu'elles prévoient que le statut des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est régi par les dispositions statutaires de la fonction publique d'État, pour autant qu'elles ne sont pas contraires au deuxième livre du CJA, 2°/ des art. L. 124-5 et L. 124-12 du code général de la fonction publique, en tant qu'ils s'appliquent aux magistrats administratifs, et 3°/ de l'art. L. 124-14 du code général de la fonction publique, en tant qu'il s'applique aux magistrats administratifs souhaitant exercer la profession d'avocat.

Le Conseil d’État refuse de transmettre cette QPC.

Dans un premier groupe de griefs organisés autour du principe d’égalité, le Conseil d’État juge n’être pas sérieuse la question résultant de ce que le législateur, en prévoyant, à l'art. L. 231-1 du CJA, que le statut des magistrats administratifs est régi par le deuxième livre de ce code et, pour autant qu'elles n'y sont pas contraires, par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État, aurait méconnu l'étendue de sa compétence et le principe de séparation des pouvoirs dans des conditions de nature à porter au principe d'égalité entre les magistrats administratifs et les autres agents régis par les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État, les uns et les autres n’étant pas, à l’évidence, dans la même situation.

Ensuite, n’est pas davantage sérieuse la question fondée sur ce que serait contraire au principe d’égalité la différence de traitement qui résulterait des dispositions précitées du code général de la fonction publique, entre les magistrats administratifs en disponibilité ou à la retraite entendant exercer la profession d'avocat et ceux en position de détachement au sein d'une administration, qui peuvent signer des requêtes et mémoires dans des procédures contentieuses relevant de l'ordre administratif, en tant qu'elles impliquent que seuls les premiers doivent, préalablement à l'exercice de leur activité, faire l'objet d'un avis préalable de la HATVP. En réalité, une telle différence de traitement, est en rapport d’abord avec la différence de situation entre les magistrats administratifs selon qu'ils exercent ou non une activité privée lucrative, au regard notamment de ses conséquences sur leur exposition au risque de commettre le délit de prise illégale d'intérêts réprimé par l'art. 432-13 du code pénal, ensuite avec l'objet des dispositions contestées, tendant à prévenir de tels risques et à contribuer à asseoir la confiance des citoyens envers le service public de la justice, en ce qu'elles prévoient que la HATVP contrôle préalablement la compatibilité du projet d'activité lucrative, au regard de leur activité antérieure, des agents publics qui quittent de manière temporaire ou définitive le secteur public pour exercer une telle activité dans le secteur privé.

Enfin, si la différence de traitement relevée au point précédent conduit à interdire aux magistrats administratifs ayant cessé leurs fonctions, d'exercer la profession d'avocat devant leur ancienne juridiction, une telle exclusion ne résulte pas des dispositions contestées par la QPC mais des éventuelles réserves ou incompatibilités mentionnées par les avis émis par la HATVP sur leur situation individuelle qui, ainsi que le prévoit l'art. L. 124-15 du code général de la fonction publique lient l'administration et s'imposent à l'agent public.

Dans un second groupe de griefs organisés autour du niveau normatif des règles applicables et des principes d’indépendance et d’impartialité dans l’exercice des fonctions juridictionnelles, le Conseil d’État juge que ne sont pas davantage sérieuses les questions tirées de ce que :

- les règles statutaires applicables aux magistrats de l’ordre judiciaire relèvent de la loi organique tandis que celles applicables aux magistrats administratifs relèvent de la loi ordinaire ce qui introduirait entre les deux catégories une atteinte au principe d’égalité de traitement ainsi qu’aux principes d'indépendance et d'impartialité indissociables de l'exercice de fonctions juridictionnelles alors que cette différence résulte directement de l’art. 64 de la Constitution.

Pas davantage n’est contraire à ces principes le fait que ne soient applicables aux magistrats administratifs les dispositions statutaires de la fonction publique de l'État que pour autant qu'elles ne sont pas contraires aux dispositions du deuxième livre du CJA, qui énoncent notamment les règles spécifiques propres à garantir l'indépendance et l'impartialité de ces magistrats, en particulier, son titre III :  la requérante ne peut donc pas sérieusement soutenir que l'article L. 231-1 du CJA, en ne précisant pas les dispositions du statut général de la fonction publique de l'État applicables aux magistrats administratifs, ou, à défaut, celles qui ne leur sont pas applicables, seraient entachées d'incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité.

- le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (CSTACAA) n’a pas été consulté sur les dispositions du statut général de la fonction publique de l'État car ceci ne résulte pas des dispositions contestées mais de celles de l'art. L. 242-1 du code général de la fonction publique, relatives à la consultation du Conseil commun de la fonction publique et de celles de l'art. L. 243-1 du même code et du neuvième alinéa du I de l'article 2 du décret du 16 février 2012, relatives à la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, qui ne sont pas contestées dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité. Dès lors est inopérant le moyen que les dispositions de l'art. L. 231-1 du CJA, en ce qu'elles renvoient aux dispositions du statut général de la fonction publique de l'État, alors que ces dernières n'ont pas à être préalablement soumises à l'avis du CSTACAA et donc méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité.

- les dispositions de l'art. L. 124-5 du code général de la fonction publique seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions de nature à porter atteinte aux principes d'indépendance et d'impartialité du fait qu’elles ne fixent pas la liste des emplois justifiant que soit soumise à l'avis préalable de la HATVP la demande d'exercice d'une activité privée lucrative présentée par un agent public ayant occupé un tel emploi au cours des trois dernières années alors que les dispositions du 3° de l'art. L. 124-26 du même code qui, au demeurant ne sont pas contestées dans le cadre de la présente question prioritaire de constitutionnalité, renvoient à un décret en Conseil d'État le soin de dresser « la liste des emplois mentionnés à l'art. L. 124-5 dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions justifient que l'autorité hiérarchique soumette à l'avis préalable de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la demande d'exercice d'une activité privée lucrative présenté par un agent public occupant ou ayant occupé au cours des trois dernières années un tel emploi », ce qui encadre suffisamment les critères de détermination, par le pouvoir réglementaire, de la liste de ces emplois, 

(19 juillet 2023, Mme A., n° 473461)

 

287 - Loi modifiant des contrats en cours conclus entrer les producteurs d'énergie de source renouvelable et Électricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, soit sur demande - Contrats prévoyant le versement d'un complément de rémunération si le prix de vente par les producteurs devient inférieur au tarif de référence  -  Atteinte rétroactive aux contrats en cours - Droit au maintien des situations légalement acquises - Incompétence négative du législateur en renvoyant au pouvoir réglementaire, sans aucun encadrement, du prix « seuil » déclenchant le mécanisme de « déplafonnement » -  Transmission de la QPC au Conseil constitutionnel.

L'art. 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, applicable dès le 1er janvier 2022, modifie les contrats en cours conclus entre les producteurs d'énergie de source renouvelable et Électricité de France, soit à la suite d'appels d'offres, soit sur demande, en application de l'article L. 314-18 du même code. Ces contrats prévoyaient le versement par EDF d'un complément de rémunération lorsque le prix du marché auquel les producteurs vendent leur production est inférieur au tarif de référence fixé, selon le cas, soit par le contrat soit par arrêté, et, à l'inverse, le reversement par les producteurs, lorsque le tarif de référence est inférieur au prix du marché, du montant correspondant à la différence entre ces deux prix, dans la limite du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération.

Du fait du changement apporté par l’art. 38 précité, le reversement dû par les producteurs à EDF à raison d'un prix de marché supérieur au tarif de référence n'est plus, dans certaines hypothèses, plafonné au montant total des aides perçues depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération, la mise en œuvre et le niveau de ce « déplafonnement » étant fonction d'un prix dit « seuil » déterminé par arrêté conjoint des ministres chargés de l'énergie et du budget pour chaque année, de l'année 2022 à l'année de fin des contrats en cours à la date d'entrée en vigueur de la loi. 

Les requérants soulèvent une QPC à l’encontre de cet article 38 qui sert de fondement à l’arrêté interministériel attaqué du 28 décembre 2022.

Ils soutiennent d’abord qu’en procédant comme il l’a fait le législateur a, d’une part, porté, rétroactivement et jusqu'au terme des contrats en cours, atteinte au droit de propriété garanti par les art. 2 et 17 de la Déclaration de 1789 ainsi qu'à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l'économie des situations légalement acquises qui découlent des art. 4 et 16 de cette Déclaration, d’autre part que cette atteinte n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général suffisant, quand bien la très forte augmentation des prix de l'électricité au cours de l'année 2022 aurait créé au profit des producteurs un effet d'aubaine excédant une rémunération raisonnable des capitaux investis et qu'elle serait disproportionnée, notamment en comparaison de la mesure décidée par le règlement du Conseil de l'Union européenne du 6 octobre 2022, plafonnant de façon obligatoire les recettes issues du marché obtenues par les producteurs d'électricité de source renouvelable à un maximum de 180 euros par MWh pour la période comprise entre le 1er décembre 2022 et le 30 juin 2023 et mise en œuvre par les dispositions de l'article 54 de la loi de finances pour 2023 relatives à la contribution sur la rente infra-marginale de la production d'électricité.

Les requérants soutiennent ensuite que ce texte législatif est frappé d’incompétence négative car son auteur s’est borné, sans aucun encadrement, à renvoyer au pouvoir réglementaire le soin de déterminer, pour les années 2022 à 2042, le prix « seuil » annuel qui fixe les conditions de mise en œuvre du mécanisme de « déplafonnement » institué par les dispositions législatives contestées. Ils ajoutent que cette méconnaissance par le législateur de sa compétence a, par elle-même, concouru aux atteintes susmentionnées, en tant, notamment, qu'elle ne garantirait pas de façon effective le partage des recettes que le législateur aurait entendu, par les dispositions en cause, instituer entre les producteurs et l'État.

Jugeant que ces questions, nouvelles, présentent un caractère sérieux, le Conseil d’État les transmet au juge constitutionnel.

(26 juillet 2023, Association France Energie Eolienne, n° 471674 ; Société PSTW, n° 471713 ; Société TTR Energy et autres, n° 471778, jonction)

 

288 - Crédit d’impôt pour l’investissement en Corse - Exclusion du bénéfice de ce crédit d’impôt pour les investissements réalisés sur des surfaces commerciales ouvertes ne constituant pas un local - QPC - Refus de transmission.

L’art. 244 quater E du CGI a institué un crédit d'impôt au titre des investissements, autres que de remplacement, financés sans aide publique pour 25 % au moins de leur montant, réalisés jusqu'au 31 décembre 2020 et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole. Toutefois, le a du 3° du I de cet article exclut du bénéfice de ce crédit d'impôt certains biens meubles quand bien même ils seraient nécessaires à l'activité exploitée et, surtout, les investissements réalisés sur des surfaces commerciales ouvertes ne constituant pas un local.

La société requérante conteste donc au moyen d’une QPC la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mots « et des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle créés ou acquis à l'état neuf » figurant au a du 3° du I de l'article 244 quater E du CGI.

Pour refuser la transmission de la QPC ainsi soulevée le Conseil d’État retient deux arguments.

D’abord le législateur a pu, sans atteinte au principe d’égalité, avoir le souci d’accorder le bénéfice du crédit d’impôt aux seuls investissements attestant de la pérennité de la localisation de l'activité sur le territoire, tels les agencements et installations des locaux commerciaux mentionnés au a du 3° du I de l'art. 244 quater E du CGI, lesquels ne peuvent concerner que des éléments destinés à mettre les locaux commerciaux en état d'utilisation et faisant corps avec eux, et en exclure les biens meubles autres que les biens d'équipements amortissables selon le mode dégressif. 

Ensuite, il est relevé, assez curieusement au regard de ce qui précède, que le législateur n’a pas entendu exclure du champ des « agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle » ouvrant droit au crédit d'impôt les investissements réalisés au titre de surfaces commerciales non couvertes, telles les terrasses de restaurant. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ne peut qu'être écarté.

La transmission de la QPC est refusée.

Nous apercevons une certaine contradiction ou rupture entre les deux motifs de refus de la transmission.

(26 juillet 2023, Société Pefil, n° 471939)

 

289 - Autorité des marchés financiers (AMF) - Champ d’application du pouvoir de sanction - Personnes, entités ou autres situées dans un autre État de l’Union ayant une succursale ou fournissant des services en France - Définition claire et précise des obligations à respecter - Respect du principe de responsabilité personnelle - Absence d’atteinte aux principes de prévisibilité de la loi répressive et de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère - Refus de transmission d’une QPC.

(02 août 2023, M. B. et M. D., n° 471744)

V. n° 113

 

290 - Convention judiciaire d’intérêt public - Absence de voie de recours contre la décision de valider ou non une telle convention - Demande de prise de mesures réglementaires organisant un tel recours - Rejet - Transmission impossible d’une QPC.

L’art. 41-1-2 du code de procédure pénale prévoit, avant la mise en mouvement de l'action publique, que le procureur de la république puisse proposer à une personne morale mise en cause pour un ou plusieurs délits d'atteinte à la probité (corruption, trafic d'influence ou fraude fiscale et leur blanchiment, ainsi que pour des infractions connexes), de conclure une convention judiciaire d'intérêt public. Cette convention institue une ou plusieurs obligations : versement d'une amende d'intérêt public au Trésor public, mise en œuvre d'un programme de mise en conformité, réparation du dommage causé par l'infraction. Si la personne morale donne son accord à la proposition de convention, le procureur saisit le président du tribunal judiciaire aux fins de validation. Or la décision de ce président de valider ou non la proposition de convention n'est pas susceptible de recours. La convention n'emporte pas déclaration de culpabilité et n'a ni la nature ni les effets d'un jugement de condamnation. Elle n'est pas inscrite au bulletin n° 1 du casier judiciaire.

Les requérants soulèvent une QPC à l'appui de leur recours en excès de pouvoir formé contre deux courriers du 3 janvier 2023 par lesquels la première ministre a refusé de donner suite à leur demande d’adoption de mesures réglementaires prévoyant une voie de recours contre la décision du président du tribunal judiciaire de valider une proposition de convention judiciaire d'intérêt public motif pris de ce que ces dispositions du code de procédure pénale méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif et le respect des droits de la défense ainsi que le principe d'égalité devant la justice, garantis par les art. 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et, d'autre part, sont entachées d'incompétence négative. 

Cependant, du fait que c’est la loi qui fixe les règles de la procédure pénale et qui exclut toute voie de recours, y compris à l'initiative des victimes, contre la décision de valider ou non une convention judiciaire d'intérêt public, les demandes des intéressés tendant à voir édicter les mesures réglementaires pour organiser un tel recours ne pouvaient qu’être rejetées

Il suit de là que la question de la conformité de ces dispositions législatives aux droits et libertés garantis par la Constitution est insusceptible d'avoir une incidence sur l'appréciation de la légalité de la décision attaquée, les dispositions de la dernière phrase du deuxième alinéa du paragraphe II de l'art. 41-1-2 du code de procédure pénale ne sont pas applicables au litige, ce qui exclut tout renvoi au Conseil constitutionnel des questions prioritaires de constitutionnalité.

Il eût été plus judicieux que les plaideurs contestent directement la conformité de la disposition législative en cause à la Constitution en ses droits et libertés.

(07 août 2023, M. A. et Association Fakir, n° 471869)

 

291 - Crédit d’impôt au bénéfice de créateurs de jeux vidéo - Régime - Délai maximal de trente-six mois pour l’obtention d’un agrément définitif - Durée très difficile à respecter - Refus de transmission d’une QPC.

(04 août 2023, SAS Makes Dreams Happen, n° 474456)

V. n° 104

 

292 - QPC sur la conformité aux droits et libertés constitutionnellement garantis de dispositions régissant le stockage par enfouissement de déchets radioactifs – Devenir des générations futures – Préservation d’un environnement sain – Principe de fraternité – Transmission d’une QPC.

L'article L. 542-10-1 du code de l'environnement régit le stockage de déchets hautement ou moyennement radioactifs en couche géologique profonde d’ailleurs qualifié par la loi d’installation nucléaire de base. Il aborde avec beaucoup d’imprécision la question de la réversibilité du stockage ou des éléments stockés.

Les requérants, personnes morales et personnes physiques  soutiennent que les dispositions de l'art. L. 542-10-1 du code de l'environnement méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution, en invoquant, à l'appui de leur question prioritaire de constitutionnalité, d'une part, un droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et un principe de solidarité entre les générations, qui résulteraient de la combinaison des articles 1er à 4 de la Charte de l'environnement avec les considérants 1er et 7 de son préambule, ainsi que, d'autre part, un principe de fraternité entre les générations, qui résulterait du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l'environnement.

Jugeant que ce moyen soulève une question nouvelle le juge en ordonne la transmission.

(02 août 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n° 467370)

 

Responsabilité

 

293 - Condamnation d’un État étranger par la juridiction prudhomale - Principe d’immunité d’exécution des États - Responsabilité sans faute de l’État français - Non respect de dispositions du code de procédure civile - Annulation.

Un employé de l’ambassade du Sri Lanka à Paris en qualité de chauffeur a obtenu de la juridiction prudhomale la condamnation de cet État à lui verser une certaine somme au titre de rémunérations qui ne lui avaient pas été versées, à son indemnité de licenciement, à des dommages et intérêts pour travail dissimulé et pour perte de droits à la retraite complémentaire. Devant l’impossibilité d’obtenir exécution de ce jugement, celui-ci a saisi la juridiction administrative d’un recours tendant à ce que l'État lui verse une indemnité pour rupture de l'égalité devant les charges publiques, au titre des condamnations prononcées contre l'État du Sri Lanka qui n'ont pu être recouvrées. Le jugement lui a donné satisfaction au visa de l'art. L. 111-1 du code des procédures civiles d'exécution, il a assorti la somme réclamée des intérêts moratoires avec capitalisation et a annulé le refus implicite du ministre de l'Europe et des affaires étrangères d’accéder à la demande de l’ancien chauffeur de l’ambassade.

Le ministre se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Tout d’abord, quant au fond, le Conseil d’État entérine la solution adoptée par les juges du fond par application d’une jurisprudence bien établie (Section, 14 octobre 2011, Mme Saleh et autres, n°s 329788 et autres).  De ce que la responsabilité de l'État du fait des lois est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, il résulte - ainsi que jugé par la cour - que cette responsabilité était susceptible, en l’espèce, d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, en raison de l'impossibilité, pour le demandeur de faire exécuter par l'État du Sri Lanka le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du fait de l’acceptation par la France de la règle coutumière du droit public international d’immunité d’exécution des États (sur ce point, J.-C. Ricci et F. Lombard, Droit administratif des obligations, Sirey 2018, §§ 739-741, pp.387-390).

Ensuite, l’arrêt est cependant annulé en tant qu’il n’a pas fait une application correcte des dispositions de l’art. L. 111-1-1 du code précité selon lesquelles les mesures d'exécution forcée ne peuvent être mises en œuvre sur un bien appartenant à un État étranger que sur autorisation préalable du juge de l'exécution, par une ordonnance rendue sur requête. Dès lors que la loi impose l'intervention préalable du juge de l'exécution, le préjudice résultant de l'impossibilité d'obtenir l'exécution d'un jugement par un État étranger ne peut revêtir un caractère certain si le juge de l'exécution forcée, n'est pas saisi. Tel est le cas de l’espèce où l’intéressé n'a pas saisi le juge de l'exécution pour obtenir le paiement de sa créance mais a directement demandé au ministre que l'État français lui verse une indemnisation correspondant au montant de cette créance.

La cour a donc commis une erreur de droit en jugeant qu'en dépit de l'absence de saisine préalable du juge de l'exécution, le préjudice invoqué revêtait un caractère certain.

 (10 juillet 2023, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n° 454277)

(294) V. aussi, à l’inverse, rejetant le pourvoi du ministre de l’Europe et des affaires étrangères contre l’arrêt confirmatif du jugement qui a fait droit à la demande d’une employée de l’ambassade de la  république bolivarienne du Venezuela à Paris tendant à ce que l’État français soit condamné du fait de l’inexécution du jugement prud'homal condamnant le Venezuela à lui verser une indemnité d'un certain montant, en réparation des préjudices nés de son absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse. Le préjudice invoqué est bien certain, grave et spécial et l’intéressée avait épuisé toutes les voies de recours en ayant saisi le juge de l’exécution conformément aux dispositions du code des procédures civiles d’exécution citées dans la notule sur l’arrêt précédent, du jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 13 décembre 2011 condamnant la république bolivarienne du Venezuela à lui verser une indemnité d'un tel montant, en réparation des préjudices nés de son absence d'affiliation au régime obligatoire d'assurance-vieillesse : 10 juillet 2023, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n°454276.

(295) V. également, confirmant l’arrêt qui a condamné l’État à indemniser une secrétaire adjointe de l’ambassade de la république du Congo à l’égard de laquelle cette dernière n’a pas rempli ses obligations légales ; cette décision approuve aussi la cour d’avoir, successivement, jugé qu'il ne pouvait être exigé de la requérante qu'elle fasse entreprendre une recherche des éventuels biens détenus par la république démocratique du Congo susceptibles de faire l'objet d'une mesure d'exécution forcée d’autant que le ministre défendeur n'apportait aucun élément dont il ressortirait que de tels biens existeraient, qu’en l’espèce n’existait aucune obligation de saisine préalable du juge de l'exécution dans les conditions prévues à l'art. L. 111-1-2 du code des procédures civiles d'exécution à la date des faits, une telle obligation n'ayant été posée que par la loi du 9 décembre 2016 et, enfin, qu’eu égard au faible nombre de victimes d'agissements analogues imputables à des ambassades d'États étrangers sur le territoire français, elle a pu estimer que le préjudice invoqué présentait un caractère spécial, et, qu’en raison du montant des sommes en cause et de la situation de Mme C., ce préjudice revêtait également un caractère de gravité, justifiant ainsi l’engagement de la responsabilité de l'État pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. : 10 juillet 2023, Mme C., n° 461669.

 

296 - Responsabilité hospitalière - Faute dans la prise en charge d’un patient - Appréciation de l’existence de la perte d’une chance d’éviter le dommage - Conditions de mise à l’écart d’une telle perte - Erreurs de droit - Annulation avec renvoi.

Rappel à nouveau que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage.

Par suite, la réparation doit être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

En outre, l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation ne peut être écartée - lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès - que s’il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences.

Ici, la cour administrative d’appel a commis une double erreur de droit.

D’abord, elle a retenu que les fautes commises par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise dans la prise en charge médicale de M. D. lors de son admission au service des urgences, ne pouvaient être regardées comme la cause directe et exclusive du décès de l'intéressé et n'avaient pu avoir pour effet que de priver M. D. d'une chance d'éviter, le lendemain, après son admission au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue, la réalisation d'une coronarographie à l'occasion de laquelle il est décédé après l'injection du produit de contraste nécessaire à cet examen.

Ensuite, la cour a, pour écarter, dans un second temps, également toute perte de chance, retenu, en premier lieu, que les conditions dans lesquelles M. D. a été pris en charge, la veille de son décès, au centre hospitalier René Dubos n'ont pas permis de faire le diagnostic du syndrome coronarien ST- dont le patient souffrait et qu'une prise en charge adaptée dans ce centre hospitalier aurait permis de soumettre M. D. à des investigations complémentaires et de réaliser une angioplastie à froid, en deuxième lieu, que, selon le rapport d'expertise, les chances de survie de M. D. ont été évaluées à cinq ans en tenant compte d'une revascularisation relevant d'une prise en charge conforme et, en troisième lieu, que la coronarographie effectuée au centre médico-chirurgical Marie Lannelongue n'avait pas été fautive.

La cour a donc entaché son arrêt d'une première erreur de droit en déduisant de ce que les conditions non fautives dans lesquelles M. D. a été pris en charge par le centre médico-chirurgical Marie Lannelongue ne lui avaient pas fait perdre de chance d'échapper au décès dont il a été victime dans cet établissement, la conséquence que les conditions fautives dans lesquelles il a été pris en charge médicalement, la veille, par le centre hospitalier René Dubos de Pontoise, ne lui avaient pas finalement fait perdre une chance d'éviter ce décès.

Elle a également commis une seconde erreur de droit car elle n'a pu affirmer de manière certaine, au vu de ses propres constatations, qu'une prise en charge adéquate par le centre hospitalier René Dubos n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences.

D’où la cassation, avec renvoi, de l’arrêt attaqué.

(12 juillet 2023, Mme D., n° 461819)

 

297 - Responsabilité décennale - Désordres affectant divers éléments d’un complexe aquatique municipal - Demande de condamnation solidaire par l’assureur - Refus - Méconnaissance de l’office du juge - Annulation.

Dans un litige résultant de désordres affectant l'édicule d'un toboggan, le bassin ludique extérieur et le sous-sol technique d’un complexe aquatique municipal, l’assureur (SMABTP) requérant avait sollicité du juge d’appel une condamnation solidaire avec plusieurs des entreprises ayant concouru à l’opération. Celui-ci l’avait refusée motif pris de ce que la SMABTP ne l’avait pas mis à même de distinguer parmi les parties visées celles devant être exclues de la condamnation solidaire recherchée et celles devant supporter la condamnation. Ce jugeant, la cour administrative d’appel, qui devait seulement rechercher si, pour chacune des entreprises visées, des désordres de nature à engager sa responsabilité décennale lui étaient imputables, a méconnu son office. L'annulation sollicitée est prononcée.

(04 août 2023, SMABTP, n° 466468)

 

298 - Garantie décennale - Conditions d’engagement - Régime - Rejet.

Rappel, en premier lieu, qu’au titre de la garantie décennale la responsabilité des constructeurs est engagée en cas de désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

Rappel, en deuxième lieu, que cette responsabilité peut être recherchée pour des dommages survenus sur des éléments d'équipement dissociables de l'ouvrage s'ils rendent celui-ci impropre à sa destination.

Rappel, enfin, que les désordres affectant un élément d'équipement, faisant obstacle au fonctionnement normal de cet élément, n'est pas de nature à engager la responsabilité décennale du constructeur si ces désordres ne rendent pas l'ouvrage lui-même impropre à sa destination. 

Application en l’espèce où était en cause, dans un collège, des désordres affectant les brise-soleil orientables, qui ont persisté en dépit de plusieurs interventions mais n’ont pas rendu l'ouvrage impropre à sa destination car grâce à l'aération des classes, les températures atteintes lors des jours ensoleillés ont permis l’utilisation continue des salles de classe.

(04 août 2023, Département de la Drôme, n° 467667)

 

Santé publique - Santé - Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

299 - Hôpitaux privés - Réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) – Atteintes alléguées à certains droits et libertés, à la non-rétroactivité des décisions administratives, au principe de sécutité juridique – Illégalité prétendue de dispositions transitoires – Rejet.

La fédération demanderesse poursuivait l’annulation du décret n° 2022-597 du 21 avril 2022 relatif à la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation (SSR) dans un souci d’économies budgétaires.

Si l’on laisse de côté, car de moins en moins intéressants par l’effet d’une jurisprudence dissolvante, les moyens de légalité externe, dont aucun n’est reconnu, les moyens de légalité interne, malgré leur nombre, ne prospèrent pas davantage.

Un premier lot de critiques tenait à l’argument selon lequel le décret attaqué n’était pas conforme à l'article L. 162-23-3 du code de la sécurité sociale, au principe d'indépendance des législations, à la liberté du commerce et de l'industrie, à l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et au principe d'égalité.

Est rejeté le moyen que le pouvoir réglementaire aurait - faute notamment de préciser les modalités de désignation ou la durée du mandat des représentants des associations d'usagers et des familles spécialisés dans le domaine d'activité, ainsi que le nombre exact et la répartition des représentants des fédérations hospitalières -, délégué illégalement sa compétence aux directeurs généraux des agences régionales de santé ou méconnu le principe d'égalité.

Pas davantage n’est retenu celui tiré de ce que en prévoyant que la répartition entre établissements de santé de la région de la dotation forfaitaire issue « du montant populationnel » (terme particulièrement laid et malheureux) est opérée « en tenant compte de l'offre hospitalière existante », méconnaîtrait l'art. L. 162-23-3 qui a pour objet, ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 21 décembre 2015, de réduire les inégalités de répartition de ressources entre les établissements exerçant une activité de SSR, d’assurer une meilleure prévisibilité de leurs recettes et de garantir un égal accès à ces soins sur l'ensemble du territoire. 

Pareillement, le décret attaqué n’est pas entaché d’une rétroactivité illégale en tant que, publié au J.O. du 22 avril 2022, il prend effet au 1er mars car cette rétroactivité résulte non du décret mais de la loi elle-même dont il se borne à faire application.

L’institution, à titre temporaire, d’une compensation au moyen d’un système d’acomptes au titre de leurs activités de SSR, ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie. Et semblablement, la requérante ne saurait se fonder sur l’existence de ce mécanisme pour soutenir que le pouvoir règlementaire n'aurait pas exercé sa compétence dans des conditions permettant la mise en œuvre du mécanisme d'acompte institué. 

Enfin, il n’est porté atteinte, contrairement à ce qui est soutenu, ni au principe de sécurité juridique, car la prévisibilité du système est suffisante, ni à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme en dépit d’une coquille dans le chiffre d’un renvoi à une disposition (indication d’un 5° au lieu du 6°).

(05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465188)

(300) V. aussi, jugeant irrecevable la requête de la même requérante dirigée contre un cahier des charges intitulé « modalités d'application de la réforme du financement des SSR en vue de la facturation des séjours par les établissements » qui présente, dans une première partie, l'évolution du modèle de financement des activités de soins de suite et de réadaptation, telle que résultant des dispositions rappelées au point précédent, en particulier les composantes du financement mixte des établissements exerçant ces activités, le calendrier de mise en œuvre de la réforme de ce financement et « la répartition des différents compartiments de financement des établissements entre la valorisation par l'ATIH et la facturation directe à l'assurance maladie obligatoire », et, dans une seconde partie, les modalités de valorisation et de facturation de l'activité des établissements de soins de suite et de réadaptation faisant l'objet de cette facturation directe. Or ce document, en se bornant à rappeler et à décrire la réforme du financement des activités de soins de suite et de réadaptation n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir, ne constituant ni une décision, ni un document de portée générale susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation des établissements de santé exerçant ces activités : 05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465270.

(301) V. encore, rejetant le recours de la même requérante, dirigé cette fois contre l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux 1° à 3° du I de l'art. L. 162-23-4 du code de la sécurité sociale et au 2° du E du III de l'art. 78 modifié de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016, qui a pour objet de réguler (c’est-à-dire, en clair, de limiter voire de réduire) les dépenses d'assurance maladie afférentes aux activités de soins de suite et de réadaptation qui sont exercées par les différents établissements de santé : 05 juillet 2023, Fédération de l'Hospitalisation Privée - Soins de suite et de réadaptation (FHP-SSR), n° 465422.

 

302 - Traitement de l’autisme - Décision du collège de la Haute Autorité de santé - Détermination d’un cadre et élaboration d’un référentiel méthodologique en matière de traitement de l’autisme - Caractère régulier de la procédure suivie - Rejet.

Le Conseil d’État avait été saisi d’un recours de l’association requérante alors dirigé contre une décision du 20 décembre 2018 par laquelle la présidente de la Haute Autorité de santé avait rejeté sa demande tendant au réexamen de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent », adoptée par cette autorité et par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux en mars 2012, en ce qui concerne la méthode des « 3i ». Tout en rejetant ce recours, la Haute Assemblée, par  une décision du 23 décembre 2020, a précisé qu'il appartenait cependant à la Haute Autorité de santé, eu égard à l'évolution des connaissances et des pratiques dans la prise en charge de l'autisme depuis sa recommandation de 2012 et aux enjeux que comporte cette prise en charge pour les enfants et pour leur famille, de déterminer un cadre et d'élaborer un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante des méthodes telles que celle des « 3i » pour préparer les travaux nécessaires au réexamen à bref délai de la recommandation de bonne pratique de mars 2012.

En conséquence, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté par la décision du 28 avril 2022 un document intitulé « Troubles du spectre de l'autisme - Évaluation de la méthode 3i ».

La requérante demande l’annulation, outre, à nouveau, de la décision du 20 décembre 2018, de celle du 28 avril 2022.

Le Conseil d’État rejette ces demandes, essentiellement tournées vers le déroulement de la procédure administrative non contentieuse.

En procédant à l’élaboration d’un référentiel  méthodologique pour l’évaluation des méthodes de traitement de l’autisme qu’avait préconisée le Conseil d’État, la Haute autorité de santé n’a porté atteinte ni à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision du 23 décembre 2020 du Conseil d'État, statuant au contentieux, ni à l'article 6 de la convention EDH, au motif que l'évaluation ainsi menée n'aurait pas été précédée de la détermination d'un cadre et de l'élaboration d'un référentiel méthodologique permettant d'assurer une évaluation indépendante. 

La circonstance que l’une des membres du groupe de travail sur le projet de rapport d'évaluation, présidente d'une association d'usagers, aurait mis en garde une représentante d'une autre association d'usagers située à l'étranger à propos de la méthode des « 3i », n’a pas entaché d'irrégularité les travaux ayant abouti à l'adoption de ce document, l'intéressée n’ayant pas été mue par un intérêt personnel ou eu un intérêt aux questions soumises au groupe de travail.

L’association requérante ne saurait non plus se plaindre de ce que la place qui lui a été accordée lors de ces travaux est moins importante que ce qu’elle avait escompté, alors :

- qu’elle a été regardée comme une « partie prenante » au sens des dispositions de l’art. L. 1451-1 du code de la santé publique,

- qu’elle a été informée par la Haute Autorité de santé de l'engagement de l'évaluation de la méthode des « 3i », ainsi que de la procédure et du calendrier choisis,

- qu'elle a proposé deux des représentants de patients et d'usagers retenus comme membres du groupe de lecture,

- qu'elle a bénéficié d'une audition, ainsi qu'elle l'avait sollicité et selon les modalités qui avaient été convenues,

- enfin, que les pièces et documents transmis par l'association au cours de la procédure d'évaluation ont été adressés aux membres du groupe de travail, du comité de lecture et du collège et examinés.

La requérante ne saurait non plus exciper de l’existence d’erreurs de fait, d’une part, dans la description donnée de la méthode des « 3i , erreurs qu’elle n’établit pas en réalité et, d’autre part, concernant l'absence de fondements théoriques de cette méthode et de données sociologiques sur ses utilisateurs ou sur son coût, l'absence de prise en compte des intérêts particuliers des enfants et de l'insuffisance de la formation des bénévoles et des psychologues mobilisés, ou encore de ce qu'une information propice à une décision éclairée concernant cette méthode ne pourrait être donnée aux parents en l'absence d'éléments de preuve suffisant car tous ces éléments relèvent, pour l'essentiel, non de faits sur lesquels le rapport s'appuierait, mais des seuls avis émis par les membres du groupe de lecture et du groupe d'experts internationaux consultés, relatés dans ses annexes.

Enfin, ne saurait non plus être critiquée la conclusion de la Haute autorité de santé concernant la méthode « 3i » qui ne présente pas un caractère manifestement erroné au regard des données actuellement acquises de la science.

Peut-on dire cependant que nous trouvons un peu trop preste le rejet par le juge de tous ces éléments ?

(20 juillet 2023, Association Autisme Espoir vers l'école, n° 465382)

(303) V. aussi, annulant l’ordonnance par laquelle le juge des référés a, d’une part, enjoint à l’Agence régionale santé (ARS), de prévoir à brève échéance, et d'engager de manière effective, en lien avec un institut médico-éducatif (IME) et la rectrice de l’académie, la mise en place d'un dispositif provisoire de prise en charge des enfants atteints d'autisme sévère et qui sont en rupture de parcours scolaire, d'autre part, d'élaborer, en lien avec la Maison départementale des personnes handicapées de Seine-Maritime, un plan temporaire de résorption du manque de places destinées à ces enfants. Ces prescriptions n’entrent pas, en raison de leur caractère structurel et des délais nécessaires à leur exécution, dans l’office du juge du référé liberté qui est à la fois juge du provisoire et juge de l’immédiateté effective des mesures ordonnées. L’ordonnance attaquée est annulée.

Par ailleurs, la prise en charge de l’enfant dans l’IME dès la rentrée de septembre 2023 pendant six demi-journées par semaine et pendant les autres demi-journées de la semaine à l'hôpital de jour du centre hospitalier, sa restauration méridienne et ses déplacements entre ces établissements étant assurés par ces derniers, et, enfin, le fait que l'évolution vers sa prise en charge complète à l'IME, impossible à assurer en l'état actuel des places disponibles, sera recherchée en fonction de l'évolution de celles-ci ne révèlent pas une carence dans l'accomplissement des obligations mises à la charge de l'État qui caractériserait une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales : ord. réf. 27 juillet 2023, ministre de la santé, n° 476203. 

 

304 - Liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire - Absence d’inscription du syndrome hémolytique et urémique typique - Défaut de saisine du Haut conseil de la santé publique - Signalement obligatoire des toxi-infections alimentaires collectives - Instauration d’un dispositif de surveillance et de signalement, coordonné par Santé publique France et disposant de l'appui du centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella - Rejet.

La requérante demandait l’annulation de la décision implicite de rejet opposée à sa demande d'inscription du syndrome hémolytique et urémique typique sur la liste des maladies relevant de la procédure de signalement obligatoire.

Pour rejeter le recours, le Conseil d’État relève d’abord, quant à légalité externe, que, contrairement à ce qui est soutenu, le III de l’art. L. 3113-1 du code de la santé publique qui fixe la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement n’a pas prévu l’obligation de consulter à cet effet le Haut Conseil de la santé publique contrairement au II du même article qui prévoit, lui, cette consultation  s’agissant du signalement obligatoire de certaines maladies prévu au I de cet article pour les modalités de transmission des données à caractère personnel nécessaires à l'exercice de leurs compétences par les agences régionales de santé et l'Agence nationale de santé publique ainsi que les conditions dans lesquelles est garantie la confidentialité de ces données.

Ensuite, la liste des maladies devant faire l'objet d'un signalement aux autorités sanitaires, figurant à l'article D. 3113-6 du code de la santé publique, comporte les toxi-infections alimentaires collectives, parmi lesquelles celles révélées par la présence, chez plusieurs patients reliés entre eux, de syndromes hémolytiques et urémiques causés par l'ingestion de denrées alimentaires contaminées par des bactéries de type Escherichia coli producteurs de shiga-toxines (SHU typique). De plus, le dispositif de surveillance et de signalement, disposant de l'appui du centre national de référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella, de chaque cas diagnostiqué de ce syndrome chez les enfants de moins de quinze ans par trente-deux services hospitaliers de néphrologie pédiatrique et de pédiatrie, parmi lesquels tous ceux des centres hospitaliers universitaires, ces services accueillent l'immense majorité des enfants victimes de ce syndrome dont le taux de signalement serait de ce fait comparable à celui constaté pour des maladies à signalement obligatoire. Enfin, par ailleurs, tout cas sporadique de syndrome hémolytique et urémique entraîne, dans le cadre du dispositif précité, l'analyse par Santé publique France d'un questionnaire complété par les professionnels de santé avec les parents au moment de l'hospitalisation de l'enfant, permettant de recenser les principales expositions alimentaires ou environnementales à risque ainsi que l'analyse microbiologique des souches de STEC par le centre national de référence précité afin d'identifier d'éventuels cas groupés d'infection à des bactéries de type STEC et de syndrome hémolytique et urémique liés à des bactéries génétiquement similaires.

Il existe donc bien déjà des signalements de ce syndrome et il n’apparaît pas, eu égard à la multiplicité des sources de contamination et des modes de transmission des bactéries de type STEC comme du délai entre l'exposition et l'identification des bactéries, que la mise en œuvre, dans le cas de syndrome sporadique, d'investigations identiques à celles menées en cas de suspicion de toxi-infections alimentaires collectives permettrait d'identifier l'origine de la contamination ou de l'exposition.

Le recours est rejeté.

(20 juillet 2023, Association « SHU-T - Sortons du silence », n° 468245)

 

305 - Épidémie de Covid-19 - Gestion de la sortie de crise sanitaire - Décret du 1er juin 2021 - Institution d’un passe sanitaire - Port du masque - Rejet.

Les requérants contestaient le « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires pour l'année scolaire 2021-2022 » ainsi que les art. 36 et 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire dans leur rédaction issue du décret du 29 septembre 2021, concernant notamment :

- l'obligation du port du masque pour les élèves des écoles élémentaires et des enfants de six à dix ans accueillis dans des structures collectives situées dans des zones à circulation élevée de l'épidémie,

- l'obligation de présenter un passe sanitaire étendue aux mineurs d'au moins douze ans et deux mois,

- la dispense de port du masque pour les personnes en situation de handicap munies d'un certificat médical justifiant de cette dérogation et qui mettent en œuvre les mesures sanitaires de nature à prévenir la propagation du virus.

Le recours est rejeté en tous ses chefs de griefs.

Concernant l’art. 36 du décret, il est jugé que les dispositions contestées, fondées sur le mode de circulation du virus et sur les conditions de sa transmission, rappelés par la note d'alerte du Conseil scientifique du 20 août 2021 ainsi que les risques présentés pour des enfants, en dépit de ce qu’elles peuvent avoir de contraignant pour les enfants souffrant de certaines pathologies, étaient  nécessaires, adaptées et proportionnées et ne portaient pas une atteinte illégale aux droits et libertés, tels que la liberté d'aller et venir, au droit à l'autodétermination, au droit à la vie privée et familiale, au droit à la santé, au principe de fraternité, à la liberté individuelle, au droit à l'éducation et à la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant.

Concernant l’art. 47-1 du décret, qui impose en particulier l'obligation du « passe sanitaire » pour les activités sportives et extra-scolaires ainsi que dans le cadre de l'apprentissage et de la formation professionnelle, il est jugé que, dans le contexte dans lequel ces mesures s’inscrivaient celles-ci n’étaient, contrairement à ce qui est soutenu, ni inutiles et inadéquates, ni contraires au droit à l'autodétermination, au droit à la vie privée et familiale, au droit à la santé, au principe de fraternité, à la liberté individuelle, au droit à l'éducation, à la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant ou aux principes d'égalité et de non-discrimination. 

En outre, la disposition attaquée prévoyait que les personnes autorisées à contrôler le « passe sanitaire » étaient limitativement énumérées et si elles avaient accès aux nom, prénom et date de naissance de la personne concernée ainsi qu'au résultat positif ou négatif de détention d'un justificatif conforme, elles ne pouvaient savoir si ce résultat résultait d'un examen de dépistage virologique, d'une vaccination ou d'une contamination par la Covid-19. Par suite, les requérants ne peuvent soutenir que l'obligation du « passe sanitaire » pour accéder à certains lieux, établissements, services ou évènements, notamment dans le cadre de services de restauration offerts au public ou d'activités sportives, aurait porté atteinte au secret médical. 

Concernant, enfin, le « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires pour l'année scolaire 2021-2022 », le juge y voit un rassemblement de règles de bonne conduite non contraignantes dont l’édiction entrait pleinement dans les compétences du ministre qui en était l’auteur en vue d’assurer le bon fonctionnement des établissements scolaires placés sous son autorité.

Contrairement aux conclusions des demandeurs, les pouvoirs conférés aux médecins de l'éducation nationale ou à l'administration scolaire s’agissant des élèves présentant des pathologies les rendant vulnérables au risque de développer une forme grave d'infection à la Covid-19, ne les habilitent pas à remettre en cause les constatations ou indications à caractère médical portées dans un certificat médical.

Enfin, de telles mesures ne portent pas une atteinte injustifiée au principe d’égalité entre usagers du service public ni, non plus, au principe de fraternité. 

(26 juillet 2023, Mme C. épouse A. et autres, n° 457685)

(306) V. aussi, rejetant - sans surprise - le recours dirigé contre le même décret n° 2021-1215 du 22 septembre 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en ce qu’il subordonne à l'administration d'une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager le caractère complet du schéma vaccinal de personnes s'étant vu précédemment administrer un vaccin dont l'utilisation a été autorisée par l'Organisation mondiale de la santé, mais n'ayant pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne, ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, en dépit des éléments avancés par le requérant (méconnaissance, pour les personnes à vacciner, du droit à un consentement éclairé, efficacité moindre de l'administration d'une dose de vaccin à acide ribonucléique (ARN) que celle d’une troisième dose de vaccin « Sinopharm : 26 juillet 2023, M. A., n° 460133..

(307) V. également, comparable, rejetant la critique du « passe sanitaire » et de son efficacité : 26 juillet 2023, M. A., n° 460383.

(308) V. encore, rejetant le recours contestant, à propos de ces mêmes textes, l’instauration et l’utilisation du « passe vaccinal » : 26 juillet 2023, Mme C. et M. D., n° 462483.

(309) V. toujours, identique aux précédentes décisions avec mêmes objets (passe, substance vaccinale, etc.) : 26 juillet 2023, M. A., n° 462549.

(310) V., avec même rejet, concernant la contestation de la suppression - décidée par le décret du 15 mars 2022, mis en œuvre par la circulaire du 25 mars 2022 - de l'obligation du port du masque et de respect des « gestes barrières » dans les lieux clos : 26 juillet 2023, M. A. et M. B., n° 462908.

(311) V., rejetant quatorze recours joints, dirigés, d’une part, contre les mêmes textes que ci-dessus ainsi que contre les instructions du directeur central du service de santé des armées, les « notes express » de la direction générale de la gendarmerie nationale, le document « Questions / Réponses à l'attention des échelons territoriaux de commandement et des personnels militaires de la gendarmerie » et le document dit « cadre sanitaire pour le fonctionnement des écoles et établissements scolaires / année scolaire 2021-2022 » édité par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et, d’autre part, à propos des mêmes mesures : 04 août 2023,  M. K. et M. T., n° 456154 ; Mme AK., n° 461049 ; M. AE. et autres, n° 461225 ; M. B., n° 461593 ; M. AW., n° 461596 ; M. AR., n° 462010 ; Mme N., n° 462275 ; Mme AM., n° 462461 ; M. T., n° 462463 ; M. AN., n° 462525 ; Mme S. épouse AF., n° 462557 ; Association « Enfance et libertés », n° 462565 ; M. K., n° 462568 ; Association de défense des libertés fondamentales, n° 462572.

(312) V., dans une intarissable série, rejetant un recours à nouveau dirigé contre le décret du 7 août 2021 modifiant le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire : 04 août 2023, M. A., n° 457315 ou encore le rejet d’un recours dirigé contre ce décret du 7 août 2021 en tant qu'il insère un 7° au II de l'art. 47-1 du décret du 1er juin 2021 : 04 août 2023, Société Auchan Hypermarché, n° 457338 ou, également, le rejet d’un recours dirigé contre les dispositions insérées par le a) du 8° de l'art. 1er du décret n° 2021-1268 du 29 septembre 2021 à l'art. 47-1 du décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire en tant qu’il s’applique aux enfants âgés d’au moins douze ans : 04 août 2023, M. A. agissant au nom de ses enfants mineurs B. et D., n° 457360.

(313) V., plus original, rejetant un recours tendant à voir annuler le refus de la première ministre de retirer les décrets des 7 août 2021 et 30 juillet 2022 en tant qu'ils sont relatifs aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, de « réintégrer » pour la lutte contre les feux de forêts de l'été 2022, des sapeurs-pompiers suspendus pour cause de non-vaccination, et la preuve de ce que les sapeurs-pompiers étrangers intervenant en France satisfont complètement à l'obligation vaccinale : 04 août 2023, Association de défense des libertés fondamentales, n° 466826.


Service public

 

314 - Enseignement supérieur – Création de l’Université de Lille et approbation des statuts – Établissement public expérimental – Conditions d’adoption des dispositions statutaires – Installation du nouvel établissement – Gestion individuelle des personnels – Rejet.

La création de l’établissement public expérimental Université de Lille est l’occasion de nombreux recours comme il en va ordinairement ainsi à toute création d’une structure universitaire de quelque ampleur.

Tous les moyens soulevés à l’encontre de cette création sont rejetés.

Il en va ainsi des conditions d’adoption des statuts de la nouvelle université qu’il s’agisse de celles entourant les votes du comité technique ou de celles qui ont caractérisé le vote du conseil d'administration de l'École nationale supérieure d'architecture et de paysage de Lille (ENSAPL).

Pareillement la légalité des conditions d’installation du nouvel établissement n’est pas discutable tant pour ce qui concerne l’absence de dispositions transitoires relatives à ces instances avant que les nouveaux conseils de l'établissement ne leur succèdent que pour ce qui regarde la décision du Président de l’université de Lille d’instituer, à titre transitoire, un comité électoral consultatif chargé de l'assister dans l'organisation des premières élections et pour en proposer la composition au conseil d'administration de l'université.

Enfin, concernant le grief dirigé contre l'exercice par les conseils des composantes de l'établissement public expérimental de compétences en matière de gestion individuelle des personnels, il est rejeté : d’abord les status pouvaient, sans illégalité, confier aux conseils des composantes des compétences de gestion indviduelle des personnels ; ensuite le conseil de composante en formation restreinte aux enseignants-chercheurs et assimilés est, d’une part, soumis aux dispositions du décret du 6 juin 1984 en matière de détachements ou de mutations de certains enseignants, et d’autre part, compétent pour définir la composition des commissions de recrutement des attachés temporaires d'enseignement et de recherche ; enfin il n’est pas non plus porté atteinte au principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics du fait que les composantes exercent, par délégation des instances centrales de l'établissement public expérimental « Université de Lille », leurs compétences en matière de gestion individuelle des personnels qui leur sont affectés « dans le cadre de la politique de ressources humaines de l'établissement ». 

D’autres moyens, plus particuliers, sont également rejetés.

(05 juillet 2023, Syndicat national de l'enseignement supérieur - Fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU), n° 458109 ; Syndicat général de l'éducation nationale (SGEN) - CFDT Nord-Pas-de-Calais et autre, n° 458617 ; Mme A. et autres, n° 458632, jonction)

(315) V. aussi, voisine mais non semblable, la décision rejetant le recours dirigé contre la création de Nantes Université et l’approbation de ses statuts : 05 juillet 2023, Fédération des syndicats généraux de l'éducation nationale SGEN-CFDT, n° 459129.

 

316 - SNCF – Ouverture à la concurrence – Statut particulier des agents – Transfert de ceux-ci à des filiales du groupe ferroviaire – Différences de traitement possibles dans la limite du principe d’égalité – Rejet.

Saisi de demandes d’annulation de la délibération du 9 juin 2022 par laquelle le conseil d'administration de la SNCF a modifié certaines dispositions du « statut des relations collectives entre SNCF et son personnel », le Conseil d’État rappelle tout d’abord une évidence qu’il tempère cependant.

Tout d’abord, les dispositions des art. L. 2102-2, L. 2102-2-1 et L. 2102-2-2 du code des transports impliquent nécessairement que tous les salariés relevant des activités exercées au 31 décembre 2019 par le « groupe public ferroviaire » qui étaient régis par le statut particulier avant le 31 décembre 2019 et dont le contrat de travail est transféré à l'une des filiales créées dans le cadre de l'ouverture à la concurrence des services publics de transport ferroviaire de voyageurs restent soumis à ce statut.

Ensuite, il est jugé que ces mêmes dispositions n'imposent pas au conseil d'administration de la SNCF de soumettre l'ensemble des salariés régis par ce statut aux mêmes règles statutaires, sous réserve de ne pas opérer entre eux de différence de traitement contraire au principe d'égalité. 

Il eût été plus judicieux de procéder de façon inverse : application du statut unique mais faculté d’adaptation en fonction d’exigences concrètes des fonctions, le tout limité par le principe d’égalité.

(05 juillet 2023, Fédération des syndicats des travailleurs du rail - Sud-Rail, n° 465302 ; Union fédérale des cheminots et activités complémentaires (UFCAC CFDT), n° 465413)

 

317 - Appartenance d’un bien au domaine public - Existence ou non d’un service public - Critères de la domanialité publique antérieurs à l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) - Annulation.

 (18 juillet 2023, Société MAIF, n° 470151)

V. n° 22

 

318 - Tarifs de vente de l’électricité aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale - Institution puis maintien d’un « bouclier tarifaire » - Arrêtés du 28 janvier 2022 et du 1er août 2022 - Rejet de propositions de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) - Annulation.

La société EkWateur a demandé l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022 relatif aux tarifs réglementés de vente de l'électricité applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale, instituant un « bouclier tarifaire » à compter du 1er février 2022 au bénéfice de ces derniers dans certaines conditions.

Après avoir rejeté le grief d’incompétence des ministres chargés de l'économie et de l'énergie pour prendre la décision litigieuse, le juge annule l'arrêté contesté pour avoir été pris en méconnaissance des dispositions de l'art. 5 de la directive du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, relatif aux prix de fourniture reposant sur le marché. En effet, l’arrêté litigieux a fixé les tarifs réglementés de vente d'électricité dits « bleus » applicables aux consommateurs non résidentiels en France métropolitaine continentale à un niveau significativement inférieur à celui résultant de la proposition tarifaire de la CRE, et qui ne permet pas d'assurer une concurrence tarifaire effective sur le marché de la fourniture d'électricité. Ainsi, il ne respecte pas les conditions prévues à l'article 5 de la directive du 5 juin 2019 auxquelles est subordonnée toute intervention publique d’un État-membre dans la fixation des prix pour la fourniture d'électricité.

(25 juillet 2023, société EkWatteur, n° 462612)

 

319 - Locaux des services publics - Soumission au principe de laïcité - Installation d’une crèche de la Nativité - Injonction de la retirer - Usage du référé de l’art. L. 521-3 CJA - Erreur de droit - Annulation.

Est entachée d’erreur de droit l’ordonnance de référé rendue au visa de l’art. L. 521-3 qui ordonne le retrait sous 24 heures d’une crèche de la Nativité installée dans le local d’un service public alors que le caractère subsidiaire du référé régi par l'art. L. 521-3, interdit au juge saisi sur ce fondement de prescrire les mesures qui lui sont demandées lorsque leurs effets pourraient être obtenus par les procédures de référé régies par les art. L. 521-1 et L 521-2 du code de justice administrative.

(26 juillet 2023, Ligue des droits de l'homme, n° 470109)

 

320 - Enseignement supérieur – Réglementation du titre de psychologue – Exclusion des diplômes étrangers – Soumission à une procédure spécifique d’équivalence – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Rejet.

La société requérante conteste la légalité de la décision par laquelle la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation a rejeté sa demande tendant à la modification des dispositions du décret n° 90-255 du 22 mars 1990 fixant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel du titre de psychologue afin d'y inclure les diplômes qu'elle délivre.

Sa requête est rejetée sur le fondement du I de l'article 44 de la loi du 25 juillet 1985 - dont fait application le décret du 22 mars 1990 fixant la liste des diplômes permettant de faire usage professionnel du titre de psychologue – qui n'inclut pas les diplômes étrangers, ces diplômes devant faire l'objet d'une autre procédure, tendant à la reconnaissance de leur équivalence.

La requérante (SFU-Paris), succursale de la Sigmund Freud University (SFU), établissement d'enseignement supérieur privé autrichien, situé à Vienne, dispense des formations qui sont sanctionnées par des diplômes de droit national autrichien délivrés au nom de la SFU-Vienne. Il suit de là que la ministre défenderesse n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ni méconnu ces dispositions législatives en refusant d'inscrire les diplômes de psychologie délivrés par la requérante à l'annexe du décret du 22 mars 1990 au motif que ce sont des diplômes étrangers.

Elle ne saurait non plus exciper d’une prétendue violation du principe d’égalité du fait que les diplômes de psychologie délivrés par l'Institut catholique de Paris sont inscrits à cette annexe.

(22 août 2023, Société Sigmund Freud University Paris, n° 460196)

 

Sport

 

321 - Référé suspension - Sportif pratiquant les arts martiaux mixtes - Sanction pour dopage - Recours à un médicament contre l’asthme contenant un produit dopant - Dépassement des concentrations autorisées - Invocation de circonstances exceptionnelles - Demande d’autorisation rétroactive d’usage à des fins thérapeutiques - Rejet.

Un sportif pratiquant les arts martiaux mixtes, asthmatique chronique depuis son enfance, traite sa maladie par des prises de ventoline, médicament usuel dans le traitement de cette affection, qui contient du salbutamol, substance qui appartient à la classe S3 des bêta-2 agonistes et qui figure sur la liste des substances interdites en permanence, annexée au décret du 28 décembre 2020 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adopté à Paris le 15 novembre 2020, qui la répertorie parmi les substances dites « spécifiées ».

Contrôlé à deux reprises (octobre 2021 et mars 2022) positif à ce produit, il a fait l’objet de l'interdiction, pendant une durée de trois ans, de participer à une manifestation sportive et à diverses activités sportives et de l'annulation des résultats individuels obtenus depuis le 14 octobre 2021.

Il demande au juge des référés d'ordonner la suspension de l'exécution, d’une part, de la décision du 2 mars 2023 par laquelle l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) a refusé de lui accorder une autorisation d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) rétroactive, et, d’autre part, de la décision du 27 avril 2023 par laquelle la commission des sanctions de l'AFLD lui a interdit, pendant une durée de trois ans, de participer à une compétition sportive et à toute activité autorisée ou organisée par une fédération sportive, une ligue professionnelle, une organisation signataire du code mondial antidopage ou l'un de leurs membres et a demandé à la fédération française de boxe d'annuler les résultats individuels qu'il avait obtenus lors des manifestations sportives des 14 octobre 2021 et 10 mars 2022, ainsi qu'entre le 14 octobre 2021 et la notification de la décision.

Ces demandes sont rejetées sans examen de la condition d’urgence, les moyens soulevés n’étant pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de ces différentes décisions, 

S’agissant de la demande de suspension du refus d’AUT, le juge retient pour la rejeter que le comité d'experts, composé de trois médecins, a estimé qu'il n'est pas possible d'exclure une amélioration de la performance sportive au-delà du retour à la normale lorsque la ventoline est utilisée à des doses largement supérieures aux doses prescrites habituellement à titre thérapeutique ; il a également indiqué qu'il n'y a pas d'indication thérapeutique à l'utilisation de la ventoline au-delà des doses habituellement prescrites : les recommandations de bonnes pratiques médicales précisent qu'en cas de crise d'asthme, le traitement inhalé par ventoline peut être répété mais qu'en cas d'inefficacité clinique au bout de huit bouffées dans un délai d'une heure, une crise sévère est à craindre et il est impératif de consulter un médecin pour examen et prise en charge adaptée, de façon urgente.

S’agissant de la demande de suspension de la sanction infligée, elle est également rejetée car cette sanction n’est pas disproportionnée en raison de la nature de la substance inhalée, des doses d’absorption et de la répétition des infractions.

(ord. réf. 7 juillet 2023, M. B., n° 475067)

 

Travaux publics et expropriation

 

322 - Travaux à proximité d’ouvrages existants – Déclaration de travaux du responsable du projet devant être adressé à chacun des exploitants d’ouvrages, services et réseaux – Obligation, en certains cas, d’une nouvelle déclaration de travaux – Annulation.

La société ENEDIS s’est vu infliger par deux arrêtés préfectoraux successifs, deux amendes de même montant, 1500,00 euros chacune, sur le fondement, respectivement, du 3° et du 4° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement. Le ministre se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a annulé le jugement en tant qu'il avait rejeté la demande d'annulation de l'arrêté préfectoral infligeant à la société ENEDIS une sanction administrative sur le fondement du 3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement.

Le juge de cassation rappelle qu’il résulte des dispositions de l’art. L. 554-1 et des art. R. 554-2, R. 554-6, R. 554-20, R. 554-22 et R. 554-24 du code de l’environnement que le responsable de projet qui envisage de réaliser des travaux à proximité d'ouvrages mentionnés à l'art. L. 554-1 du code de l'environnement doit, d'une part, adresser à chacun des exploitants d'ouvrages en service mentionnés à l'art. R. 554-20 du même code et dont la zone d'implantation est touchée par l'emprise des travaux, une déclaration de projet de travaux dans les conditions fixées par l'art. R. 554-21 de ce code et, d'autre part, procéder, sauf exceptions prévues au V de l'art. R. 554-22, à une nouvelle déclaration dans les mêmes conditions si le marché de travaux ou la commande des travaux ne sont pas signés dans les trois mois suivant la date de la consultation du guichet unique prévu à l'article R. 554-20. 

La cour administrative d’appel a ainsi commis une erreur de droit  en jugeant que le défaut de renouvellement de la déclaration devait être regardé comme un défaut de déclaration de projet au sens des dispositions du  3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement. Le ministre est ainsi fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour en ce qu'il rejette la demande de la société ENEDIS tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 17 octobre 2016 lui infligeant une sanction administrative sur le fondement du 3° de l'art. R. 554-35 du code de l'environnement et, d'autre part, qu'il annule cet arrêté.

(10 juillet 2023, ministre de la transition écologique, n° 452045)

 

323 - Communes et établissements de coopération intercommunale - Agglomération d’assainissement - Délimitation des zones d’assainissement collectif et des zones d’assainissement non collectif - Large pouvoir d’appréciation des collectivités - Non réalisation de travaux - Rejet.

(13 juillet 2023, M. B., n° 454945)

V. n° 26

 

324 - Travaux publics – Accaparement de parcelles privées – Injonction de cessation immédiate des travaux – Rejet.

Dans le cadre du réaménagement d’une voie publique, la collectivité requérante a procédé de telle sorte qu’en raison de la configuration des lieux il sera impossible aux propriétaires privés riverains de cette voie de recouvrer celles de leurs parcelles sur lesquelles cette collectivité a effectué ses travaux sans que la collectivité ait préalablement procédé à leur acquisition et à l'indemnisation des propriétaires ni même recueilli leur consentement. Le juge du référé liberté a fait injonction de cesser immédiatement les travaux en question puis, suite à un second référé, a refusé qu’il soiut mis fin à l’injonction ainsi prononcée.

Saisi d’un appel de la défenderesse, le juge d’appel le rejette faute que la collectivité appelante ait apporté des faits nouveaux.

(ord. réf. 10 août 2023, Grenoble-Alpes Métropole, n° 477304)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

325 - Exercice du droit de préemption urbain – Hypothèse d’autorisation légale d’une motivation par référence – Programme local de l’habitat – Rejet.

Le juge rappelle tout d’abord l’étendue de l’exigence de motivation d’une décision exerçant le droit de préemprion urbain par référence à un programme local de l'habitat. En ce cas, les exigences d’une telle motivation par référence, autorisée par la loi (cf. art. L. 210-1 c. urb.), doivent être regardées comme remplies lorsque la décision de préemption se réfère à une délibération fixant le contenu ou les modalités de mise en œuvre de ce programme, et qu'un tel renvoi permet de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la collectivité publique entend mener au moyen de cette préemption.

Pour ce faire, la collectivité peut, à sa convenance :

- soit indiquer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement du programme local de l'habitat à laquelle la décision de préemption participe,

- soit se borner à renvoyer à la délibération si celle-ci permet d'identifier la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement poursuivie, eu égard notamment aux caractéristiques du bien préempté et au secteur géographique dans lequel il se situe.

En l’espèce, la cour administrative d’appel a, d’une part, - sans dénaturation des faits ni erreur de droit - relevé que la décision de préemption litigieuse ne satisfaisait pas à ces conditions, se bornant à des considérations générales et d’autre part, estimé – sans qualifier inexactement ou dénaturer les faits - qu’existait un lien de causalité direct entre le préjudice invoqué par la société demanderesse et l'illégalité de la préemption litigieuse.

(06 juillet 2023, Établissement public territorial Plaine Commune, n°464999)

 

326 - Plan local d’urbanisme - Zone classée AUs – Notion d’espaces libres dans une telle zone – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel jugeant illégales les dispositions du règlement d’un plan local d’urbanisme car entachées d’une contradiction rendant impossible leur application en ce qu’elles décident que dans une zone classée Aus doivent être regardés comme des espaces libres, au sens et pour l'application de la règle selon laquelle ceux-ci doivent représenter au moins 30 % du terrain d'assiette d'un projet situé dans cette zone, les espaces verts, y compris ceux aménagés sur dalle, en toiture ou en terrasse possédant un complexe naturel de 60 centimètres permettant à la végétation de se développer durablement en montagne. 

(06 juillet 2023, Société Lucema, n° 463503)

 

327 - Permis de construire, initial et modificatif – Notion de voie ouverte à la circulation générale – Construction devant être édifiée sur plusieurs parcelles classées en zones différentes dans le plan local d’urbanisme (PLU) – Rejet.

Rejetant la demande d’annulation d’un permis de construire un immeuble de trente-sept logements sur six niveaux et de l’arrêté portant permis de construire modificatif pour la réalisation du même projet, le Conseil d’État aborde plusieurs questions dont deux sont présentées ici.

Tout d’abord, la venelle qui jouxte le projet litigieux dans sa partie située à l'est constitue une voie privée ouverte à la circulation des cycles et piétons. Elle doit ainsi être regardée comme étant ouverte à la circulation générale au sens des dispositions du règlement du PLU qui régissent ainsi l'implantation de la partie du projet longeant cette venelle.

Ensuite, le terrain d'assiette du projet litigieux est composé de quatre parcelles se situant, pour les trois premières, en zone UA et, pour la dernière, en zone UD, le terrain d'assiette jouxtant une voie cadastrée relevant de la zone UD. C’est donc sans erreur de droit que le tribunal a jugé que la règle d'implantation par rapport aux voies publiques fixée par les dispositions applicables en zone UD ne s'appliquait pas à la construction litigieuse, dès lors que celle-ci s'implante intégralement sur les parcelles classées en zone UA du terrain d'assiette, alors même que ce terrain d'assiette est bordé par une voie située en zone UD.

(05 juillet 2023, Mme B., n° 463604)

 

328 - Permis de construire - Régularisation - Permis de construire modificatif - Annulations des deux permis – Annulation.

Les requérants demandent au juge de cassation l’annulation des deux jugements par lequel un tribunal administratif a annulé le permis de construire initial, par un jugement avant-dire droit du 29 mars 2021, puis, après la régularisation qu’il avait ordonnée, par un jugement du 11 mars 2022, le permis de construire subséquent.

Le juge aborde trois séries de questions : celles liées au jugement d’avant dire droit et aux illégalités affectant le permis initial (I, a et b), celles concernant les mesures de régularisation ordonnées (II) et celles, enfin, concernant le jugement d’annulation (III).

 

Ia - Concernant le jugement avant-dire droit du 29 mars 2021 ordonnant la régularisation du permis initial, suite au recours en annulation de ce permis formé par des tiers, le juge de cassation retient que c’est sans erreur de droit que le premier juge a estimé que n'était pas tardive la requête en annulation de ce permis car ses auteurs avaient formé un recours gracieux le 21 juillet 2018, reçu par le maire le 23 juillet, et que si ce recours gracieux n'avait pas été notifié à la bénéficiaire du permis, dans les formes prévues par l'art. R. 600-1 du code de l'urbanisme, il avait valablement prorogé le délai de recours contentieux faute pour cette exigence de leur être opposable en l'absence de démonstration de la mention de la formalité requise sur l'affichage à la date de sa notification. En outre, en estimant que la régularité de l'affichage du permis de construire n'était pas établie avant le 10 septembre 2018, date à laquelle un constat d'huissier en attestait, le tribunal a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Ainsi c’est à bon droit que le premier juge a considéré que l'art. R. 600-1 du code de l'urbanisme n'était pas opposable au recours gracieux formé avant cette date par les requérants.

En effet, le juge rappelle que l'exercice par un tiers d'un recours administratif ou contentieux contre un permis de construire montre qu'il a connaissance de cette décision et a, en conséquence, pour effet de faire courir à son égard le délai de recours contentieux, alors même que la publicité concernant ce permis n'aurait pas satisfait aux exigences prévues par l'art. A. 424-17 du code de l'urbanisme ; en outre, si l'absence de mention, dans l'affichage, de l'obligation de notification du recours n'empêche pas le déclenchement du délai de recours contentieux mentionné à l'art. R. 600-2 du code de l'urbanisme, elle a pour effet de rendre inopposable l'irrecevabilité prévue à l'art. R. 600-1 du même code.


Ib - Concernant les illégalités affectant le permis de construire relevées par le jugement avant-dire droit, le juge de cassation estime qu’en les constatant, le tribunal administratif n’a pas dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit.

Les saisissants ne sont donc pas fondés à contester le jugement avant-dire droit du 21 mars 2021 en tant qu'il a jugé que le permis de construire délivré le 9 juin 2018 est affecté d'illégalités tenant au non-respect des articles U1/6 et U1/7 du règlement du plan local d'urbanisme.

II - Concernant les mesures de régularisations au titre des art. L. 600-5-1 et L. 600-5 du code de l'urbanisme, il est jugé que les conclusions de la bénéficiaire du permis qui n'a contesté le jugement avant-dire droit du 29 mars 2021qu'après l'intervention du jugement du 11 mars 2022 mettant fin au litige, étaient privées d'objet dès l'origine du fait de la délivrance, le 18 octobre 2021, du permis de construire modificatif qu'elle avait sollicité aux fins de régularisation. En effet, il se déduit des dispositions de l’art. L. 600-5-1 du code de l’urbanisme que lorsque le juge administratif décide de recourir à cet article, d’une part, le bénéficiaire de l'autorisation initiale d'urbanisme et l'autorité qui l'a délivrée peuvent contester le jugement avant-dire droit en tant qu'il a jugé que cette autorisation était affectée d'un vice entachant sa légalité, d’autre part, qu’ils peuvent également contester ce jugement en tant qu'il fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1, ces conclusions étant cependant privées d'objet à compter de la délivrance du permis destiné à régulariser le vice et, enfin, que l'annulation du jugement en tant qu'il a fait application des dispositions de l'art. L. 600-5-1 peut cependant toujours être prononcée par voie de conséquence de son annulation en tant qu'il a jugé que l'autorisation initiale d'urbanisme était affectée d'un vice.

Il suit de là que Mme B. et la commune de Neauphle-le-Château ne sont pas fondées à demander l'annulation du jugement rendu par le tribunal administratif de Versailles le 29 mars 2021.

III- Concernant les pourvois dirigés contre le jugement du 11 mars 2022, le juge de cassation relève une erreur de droit commise par le tribunal en ce qu’il a estimé que le plan de masse du dossier de demande du permis de régularisation délivré le 18 octobre 2021 concernant le projet de Mme B. prévu sur le lot B du lotissement faisait apparaître une implantation de la maison prévue pour le lot A à une distance de 3,50 mètres de la limite séparative nord du lotissement et que ce vice, tiré de la méconnaissance des dispositions de l'art. U1/7 du règlement du PLU, ne pouvait être regardé comme régularisé au seul motif qu'aucun permis modificatif concernant le lot A ni aucune information relative à une demande en ce sens ne lui avaient été communiqués avant la clôture de l'instruction, alors que l'autorité administrative saisie d'une demande de permis de construire, et après elle le juge, n'a à vérifier l'exactitude des déclarations figurant dans un dossier de demande de permis que si elles sont contredites par d'autres éléments du dossier ou s'il y a matière à soupçonner une fraude et qu'aucun élément de cette nature n'a été relevé par le jugement attaqué.

Le jugement du 11 mars 2022 est annulé  et, statuant en application de l'art. L. 821-2 du CJA, qui lui permet de régler l'affaire au fond, le Conseil d’État juge d’abord que les dispositions de l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, si elles ont pour objet de permettre au juge administratif de surseoir à statuer sur une demande d'annulation d'un permis de construire lorsque le vice entraînant l'illégalité de ce permis est susceptible d'être régularisé, ne subordonnent pas, par principe, cette faculté de régularisation à la condition que les travaux autorisés par le permis de construire initial n'aient pas été achevés contrairement à ce que soutiennent les demandeurs de première instance.

Il juge ensuite que dès lors que le permis modificatif prévoit, d'une part, qu'eu égard à la modification de l'implantation de la construction du lot A, les constructions du lotissement, prises dans leur ensemble, seront implantées, pour l'une des deux limites latérales, avec un retrait d'au moins 3,50 mètres et, d'autre part, que la construction sur le terrain d'assiette de Mme B. est désormais située dans la bande constructible d'une profondeur de 20 mètres à partir de la voie publique, ce permis modificatif permet, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs de première instance, de régulariser les vices tirés de la méconnaissance par le permis de construire initial des articles U1/6 et U1/7.

Il juge enfin qu’à compter de la décision par laquelle le juge recourt à l'art. L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée, le cas échéant, au juge peuvent être invoqués devant ce dernier. A ce titre, les parties peuvent, à l'appui de la contestation de l'acte de régularisation, invoquer des vices qui lui sont propres et soutenir qu'il n'a pas pour effet de régulariser le vice que le juge a constaté dans sa décision avant-dire droit. Elles ne peuvent en revanche soulever aucun autre moyen, qu'il s'agisse d'un moyen déjà écarté par la décision avant dire droit ou de moyens nouveaux, à l'exception de ceux qui seraient fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article U1/8 du règlement du plan local d'urbanisme, d'ailleurs déjà écarté par le jugement avant-dire droit, ne peut pas être utilement invoqué. 

(10 juillet 2023, Mme B., n° 463914 ; Commune de Neauphle-le-Château, n° 463956 et 463957)

 

329 - Permis de construire - Existence d’une dent creuse - Notion - Annulation du permis - Annulation.

Pour annuler le permis de construire délivré à la société requérante la cour administrative d’appel s’est fondée sur ce que ne pouvait constituer une « dent creuse » l’immeuble flanqué d’un côté d’un autre immeuble le dépassant de trois mètres et de l’autre côté d’un immeuble d’une hauteur inférieure à la sienne.

Le juge de cassation annule pour erreur de droit cette solution en relevant qu’il résulte des dispositions du chapitre V du règlement du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris relatif à la terminologie qu’une unité foncière est considérée comme présentant une dent creuse lorsqu’elle se présente comme « ensemble d'une ou de plusieurs parcelles cadastrales, bâti ou non bâti, répondant aux caractéristiques suivantes :

- l'unité foncière est riveraine d'une voie publique ou privée ;

- la hauteur de construction sur rue, existante sur l'unité foncière considérée, doit être inférieure d'au moins trois mètres, à la hauteur de la construction existante, sur les parcelles riveraines à la même voie, mitoyennes de part ou d'autre de l'unité foncière considérée (...) ».

Le texte comporte bien la conjonction de coordination disjonctive « ou » et non la conjonction copulative « et ». Il en résulte, les atteintes à la liberté étant de droit étroit, que constitue une unité foncière en dent creuse une parcelle riveraine d'une voie publique ou privée qui est mitoyenne d'au moins une autre parcelle riveraine de la même voie sur laquelle est bâtie une construction dont la hauteur est supérieure d'au moins trois mètres à celle que supporte, le cas échéant, la première parcelle, et non, comme jugé en appel, qui comporte, de part et d’autre un bâti supérieur de plus de trois mètres.

(11 juillet 2023, Société La Tulipe, n° 467058)

 

330 - Permis de construire - Bande littorale des cent mètres - Conditions d’autorisation des constructions - Secteurs déjà urbanisés - Extension limitée de l’urbanisation - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige relatif à la délivrance d’un permis de construire dans la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage du lac de Lacanau le juge rappelle des solutions bien établies.

Il résulte des dispositions des art. L. 121-8 et L. 121-13 du code de l’urbanisme applicables aux rives des plans d'eau intérieurs désignés au 1° de l'art. L. 321-2 du code de l'environnement et sous réserve des exceptions qu'elles prévoient, que, dans les communes littorales, les constructions peuvent être autorisées soit en hameaux nouveaux, soit en continuité avec les secteurs déjà urbanisés caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, aucune construction ne pouvant en revanche être autorisée, même en continuité avec d'autres constructions, dans les espaces d'urbanisation diffuse éloignés de ces agglomérations et villages et, s'agissant des espaces proches du rivage, à la condition qu'elles n'entraînent qu'une extension limitée de l'urbanisation spécialement justifiée et motivée et qu'elles soient situées en dehors de la bande littorale des cent mètres à compter de la limite haute du rivage.

Le juge rappelle aussi que seuls peuvent déroger à l'interdiction de toute construction sur la bande littorale des cent mètres les projets réalisés dans des espaces urbanisés, caractérisés par un nombre et une densité significatifs de constructions, à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative de ces espaces.

En l’espèce, il est jugé que la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le projet litigieux n'était pas situé dans un espace urbanisé caractérisé par un nombre et une densité significatifs de constructions, où les projets peuvent par dérogation être réalisés à la condition qu'ils n'entraînent pas une densification significative. En effet, la cour a relevé que la zone en cause comporte une soixantaine d'habitations individuelles de type pavillonnaire situées le long des voies publiques ainsi que quelques restaurants, des équipements nautiques et un camping et que ce quartier d'urbanisation diffuse est éloigné des agglomérations de Lacanau Océan et du bourg de Lacanau et ne saurait ainsi être regardé comme un espace urbanisé au sens des dispositions du code de l'urbanisme. Or le quartier, présenté dans le document d'orientation générale du schéma de cohérence territoriale des lacs médocains comme urbanisé depuis 1922, « pensé et conçu comme une station lacustre à part entière », à l'inverse des autres espaces d'urbanisation qui se sont développés autour du lac, compte plus de deux cents habitations ainsi que treize commerces dont quatre ouverts à l'année, regroupés le long d’une avenue et d’une allée.

(12 juillet 2023, Commune de Lacanau, n° 461518 ; Consorts E., n° 461572)

 

331 - Transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation - Possibilité de dérogations dans certaines communes - Économie générale du 3° de l'art. L. 152-6, c. urb. - Rejet.

Les requérants se pourvoient en cassation du jugement d’un tribunal administratif rejetant leur demande tendant à l'annulation du permis de construire délivré par la mairie de Paris pour un projet de construction d'un ensemble immobilier au motif qu’il l’aurait été en violation des dispositions du 3° de l’art. L. 152-6 du code de l’urbanisme applicables dans certaines communes dont celle de Paris.

Le pourvoi est rejeté, le Conseil d’État se fondant non sur ces dispositions prises en elles-mêmes mais sur leur « économie générale » dont il déduit qu'elles permettent, dans le cadre juridique de l’espèce (projet de transformation à usage principal d'habitation d'un immeuble existant par reconstruction, rénovation ou réhabilitation), de déroger aux règles affectant la densité, c'est-à-dire à celles relatives à l'emprise au sol, à la hauteur ou au gabarit des bâtiments fixées par le règlement du plan local d'urbanisme, dans la limite d'une majoration de 30 % du gabarit de l'immeuble existant.

C’est donc sans erreur de droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions car ces dernières autorisaient dans cette limite une dérogation aux règles de gabarit-enveloppe du plan local d'urbanisme de la Ville de Paris.

Par ailleurs, la ville s’étant fondée sur les seules dispositions du plan d’urbanisme précitées pour accorder la dérogation sollicitée, les requérants ne peuvent utilement soutenir que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé et entaché d'erreur de droit en tant qu'il n'a pas recherché si la condition afférente à la dérogation aux règles de gabarit prévue par les 1° et 2° du même article était satisfaite.

(10 juillet 2023, M. et Mme D. et autres, n° 462717)

 

332 - Permis de construire un ensemble commercial - Permis accordé sur un terrain constituant un emplacement réservé - Réserve bénéficiant au pétitionnaire - Nécessité d’une modification du plan - Demande de permis non conforme à la destination de l’emplacement réservé - Erreur de droit - Annulation.

Cette décision comporte, pour l’essentiel, deux rappels.

Le rappel d’abord, que l'autorité chargée de délivrer le permis de construire est tenue de refuser toute demande, même émanant de la personne bénéficiaire de la réserve, dont l'objet ne serait pas conforme à la destination de l'emplacement réservé, tant qu'aucune modification du plan local d'urbanisme emportant changement de la destination n'est intervenue.

Le rappel ensuite, qu’un permis de construire portant à la fois sur l'opération en vue de laquelle l'emplacement a été réservé et sur un autre projet peut être légalement délivré, dès lors que ce dernier projet est compatible avec la destination assignée à l'emplacement réservé.

L’arrêt d’appel est annulé pour avoir rejeté le moyen tiré de l'illégalité du permis de construire litigieux autorisant la construction de bâtiments sur cet emplacement réservé, sur la circonstance que la construction d'une voie de circulation restait possible sur un autre emplacement du terrain d'assiette du projet, sans rechercher si le permis de construire litigieux portait sur cette opération, en vue de laquelle l'emplacement a été réservé.

(19 juillet 2023, Association Les moulins de Vidauban, n° 456409)

 

333 - Permis de construire modificatif - Conclusions dirigées contre ce permis jugées irrecevables pour tardiveté - Dénaturation des pièces du dossier - Annulation.

Dans un litige relatif à un permis de construire modificatif, pour rejeter comme irrecevables les conclusions de certaines des parties, le tribunal administratif a retenu que le moyen qu’elles avaient présenté - tiré de la méconnaissance des articles L. 111-11 et R. 423-50 du code de l’urbanisme - , avait été soulevé pour la première fois dans un mémoire enregistré le 12 février 2021, soit plus de deux mois après le 20 mai 2020, date de communication du premier mémoire en défense relatif à ces conclusions.

Or il ressort des pièces de la procédure que ce moyen avait été soulevé dès un mémoire du 10 juillet 2020 : le tribunal ayant dénaturé les pièces du dossier, son jugement est annulé et l’affaire lui est renvoyée. 

(20 juillet 2023, M. et Mme A., n° 465371)

 

334 - Permis de construire - Suspension de l’exécution du refus du permis de construire - Injonction, par le juge des référés, de réexaminer la demande de permis - Injonction insusceptible de faire courir le délai d’octroi d’un permis de construire tacite.

De ce dossier, où figurent de très intéressants développements en matière de refus d’accorder un permis de construire, de saisine du juge du référé suspension et de mise en œuvre de cette voie procédurale, on retiendra surtout la solution, très logique mais innovante qu’il apporte quant à la naissance, ou non, d’un permis de construire tacite.

Le pétitionnaire, qui avait obtenu du juge des référés la suspension de l’exécution d’un refus de permis de construire assortie d’une injonction de réexamen de cette demande de permis, prétendait que le temps passé durant cette procédure avait fait naître à son profit un permis de construire tacite. Le moyen est évidemment rejeté car les délais emportant décisions de l’administration ne se calculent jamais qu’à partir du jour de la demande adressée à celle-ci sans que puisse intervenir dans cette computation le temps passé à la résolution d’une procédure contentieuse.

(20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318)

(335) V. aussi, identique : 20 juillet 2023, Société Développement d'études foncières et immobilières, n° 467318.

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