Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Octobre 2023

  

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

 

1 - Mesures d’exécution d’un acte réglementaire – Arrêté relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans les établissements pénitentiaires – Mesures devant être prises dans un délai raisonnable – Absence – Injonction de prendre l’acte d’exécution.

Constatant que dix ans après qu’a été publié le décret du 30 janvier 2012 relatif à la qualité nutritionnelle des repas servis dans le cadre des services de restauration des établissements pénitentiaires, son arrêté d’exécution n’a pas encore été pris, le juge retient que n’a pas été respecté en l’espèce le délai raisonnable normalement nécessaire à l’édiction d’un tel acte, il est fait injonction au garde des sceaux et autres ministres concernés de le prendre sous six mois.

(13 octobre 2023, M. A., n° 456986)

 

2 - Mesure concernant le fonctionnement du service pénitentiaire non son organisation – Mesure dépourvue de caractère réglementaire – Conseil d’État incompétent pour en connaître en premier et dernier ressort – Renvoi au tribunal administratif de la Polynésie française.

Le recours dirigé contre la décision du garde des sceaux refusant de faire droit à une demande tendant à ce qu'il soit mis fin aux conditions de détention indignes au sein du centre pénitentiaire de Nuutania (Polynésie française) ou à ce que celui-ci soit fermé pour mettre fin à ces conditions de détention indignes, concerne le fonctionnement du service public pénitentiaire et n'a pas, par lui-même, pour objet d'assurer son organisation. Par suite, ne revêtant pas un caractère réglementaire, ce recours ne saurait être porté directement devant le Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort.

L’affaire est renvoyée au tribunal administratif de la Polynésie française.

(13 octobre 2023, M. A., n° 458055)

 

3 - Demande d’ouverture d’un bureau annexe à un office de notaire – Demande mettant en jeu le mécanisme d’ouvertures limitées d’offices et le statut spécifique du notariat – Régime spécial des autorisations d’ouverture – Absence d’application de la règle « silence vaut acceptation » et de la constitution consécutive de droits acquis – Annulation de l’arrêt et rejet de la demande au fond.

Statuant sur un litige né du refus du ministre de la justice d’autoriser un office notarial à créer un bureau annexe à cet office, le juge, qui rejette l’entier recours dirigé contre ce refus, est conduit – et c’est l’un des intérêts principaux de cette décision – à préciser, de façon plutôt innovante, le régime applicable au silence de ce ministre saisi d’une telle demande.

En effet, arguant de ce que la procédure de création d’un bureau annexe à un office notarial se relie (ou se rattache) au régime général, très spécifique, de la création des offices notariaux dont les titulaires sont des officiers ministériels dotés de prérogatives particulières, le Conseil d’État décide que le silence du ministre de la justice sur une demande d’ouverture d’un bureau annexe n’est pas au nombre des cas où le silence vaut acceptation, par dérogation au principe posé par l’art. L. 231-1 du code des relations entre le public et l’administration.

Il suit de là, nécessairement, que si les décisions qui retirent une décision créatrice de droits doivent être précédées d'une procédure contradictoire préalable, tel n’est pas le cas en l’espèce où n’existe aucune décision implicite d’acceptation. La circonstance que le ministre de la justice a pris une décision expresse de rejet de la demande de création d’un bureau annexe ne peut pas s’analyser comme le retrait d’une décision créatrice de droits et, ainsi, ce rejet express n’avait pas, non plus, à être précédé d’une procédure contradictoire.

(13 octobre 203, MM. Laffon, Marcuello et Ayrolles, n° 461407)

 

4 - Institution d’une prime de fidélisation territoriale – Exclusion de son bénéfice pour les maîtres contractuels exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat – Refus d’abrogation de l’arrêté ne mentionnant pas ces agents parmi les bénéficiaires de cette prime – Acte réglementaire – Absence d’obligation de motiver – Rejet.

 La décision par laquelle la ministre de la transformation et de la fonction publiques a refusé d'abroger l'arrêté du 24 octobre 2020 en tant que celui-ci n'inclut pas dans le champ des bénéficiaires de la prime de fidélisation territoriale les maîtres contractuels exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré a un caractère réglementaire. Elle n’est donc pas soumise à une obligation de motivation.

(13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416 ; Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et syndicat de l'enseignement privé de l'est francilien CFDT (SEPEF-CFDT), n° 464605)

V. aussi, pour un autre aspect de la décision, le n° 155

 

5 - Instruction relative à l’action administrative en matière d’énergie renouvelable – Indication de l’orientation de l’action contentieuse en ce domaine – Document de portée générale sans effet notable autre que sur les préfets chargés de la mettre en œuvre – Rejet.

Ne peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir la seconde partie d’une instruction gouvernementale du 16 septembre 2022 demandant aux préfets de préparer d'éventuelles mesures de répartition ou de délestage de la fourniture de gaz ou d'électricité au cours de l'hiver 2022-2023 et d'accélérer le développement des énergies renouvelables, notamment éolienne.  Ce texte, se bornant à donner instruction aux préfets sur l’action administrative en matière d'énergie renouvelable et à porter à leur connaissance une orientation de l'action contentieuse de l'État en cette matière, n’est pas susceptible d'avoir des effets notables sur les droits ou la situation d'autres personnes que les préfets chargés de la mettre en œuvre.

Un tel recours ne peut qu’être rejeté.

(18 octobre 2023, Association Fédération Environnement Durable et association Vent de Colère ! Fédération nationale, n° 468888)

 

6 - Spectacles de cirque – Demandes au premier ministre de déposer un projet de loi et de donner instruction aux préfets – Rejet.

Le requérant demandait l’annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le premier ministre sur sa demande tendant à ce qu'une circulaire soit adressée aux préfets sur l'accueil des cirques et le prononcé d’une injonction envers la même personne de prendre les mesures nécessaires pour assurer l'accueil dans toutes les communes des cirques itinérants, dans un délai maximum d'un mois à compter de la décision à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Ces demandes sont, bien évidemment, rejetées.

Ces rejets sont l’occasion d’appliquer deux grandes théories du droit de la décision administrative : celle de l’acte de gouvernement et celle de l’autonomie d’exercice du pouvoir hiérarchique.

La première demande est rejetée en ce qu’elle tend à ce que soit conféré aux préfets le pouvoir d'annuler les actes pris par les autorités municipales pour réglementer la tenue, sur leur commune, des spectacles itinérants incluant des espèces d'animaux non domestiques, qui ne saurait trouver son fondement dans les dispositions de l'art. L. 2215-1 du CGCT. Une telle décision ne relève donc pas de la compétence du pouvoir réglementaire mais suppose la présentation au Parlement d’un projet de loi conférant une telle possibilité aux préfets. Or le refus du Gouvernement de soumettre un projet de loi au Parlement touche aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels et constitue un acte insusceptible de tout contrôle juridictionnel. De ce chef, la requête était irrecevable.

La seconde demande, consistant à ce que soit adressée aux préfets une instruction qui rappelle le cadre juridique de la tenue des spectacles de cirques itinérants et leur demandant de déférer au juge administratif tous les actes des autorités municipales réglementant la tenue des cirques itinérants qu'ils estiment contraires à ce cadre juridique, est également rejetée car s’il est loisible à une autorité publique d'adresser à ses subordonnés des instructions visant à faire connaître l'interprétation qu'elle retient de l'état du droit, elle n'est jamais tenue de le faire. 

(20 octobre 2023, Collectif des cirques, n° 470965)

 

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

 

7 - Demande d’exercice d’un droit d’accès à l’évaluation d’un travail réalisé par une société – Rejet par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Office du juge des référés – Impossibilité d’annuler une décision administrative ou de prendre toute mesure équivalant à une décision administrative – Rejet.

Il était demandé au juge des référés du Conseil d’État d'annuler la décision par laquelle la CNIL a rejeté sa réclamation concernant l'exercice de son droit d'accès à une évaluation de travail réalisée par la société Savcham et d'enjoindre à celle-ci de l'assister dans l'exercice de ce droit auprès de cette société.

Cette demande était manifestement irrecevable car le juge des référés n’est qu’un juge du provisoire d’où résulte qu’il ne peut ni annuler une décision administrative telle celle contestée, ni prononcer une injonction qui aurait la même portée que l'obligation qui pèserait sur la Commission à la suite d'une décision du juge administratif annulant une telle décision.

La voie du référé n’était donc pas la bonne au cas de l’espèce et il incombait au demandeur de saisir le juge d’une action de droit commun en annulation.

(ord. réf. 02 octobre 2023, M. A., n° 488413)

 

8 - Demande d’autorisation de poser une antenne de téléphonie mobile – Refus du maire – Annulation par les juges du fond – Conclusions manifestement irrecevables – Impossibilité de faire droit à des conclusions incidentes – Annulation et confirmation, au fond, du rejet prononcé en première instance comme en appel.

La société Orange s’étant vu refuser par le maire de la commune la délivrance d’un certificat de non-opposition à la déclaration de travaux qu’elle a fait en vue de la pose d’une antenne de téléphonie mobile, elle a saisi le tribunal administratif qui a annulé le refus et fait injonction à la commune de réexaminer sous astreinte cette demande.

Sur l’appel de la commune, la cour administrative d’appel a prononcé un rejet et, faisant droit aux conclusions incidentes de la société Orange, a enjoint au maire de la commune de délivrer une décision de non-opposition à la déclaration de travaux de cette société dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance attaquée, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La commune se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle une évidence : dès lors qu’elle jugeait les conclusions de la commune comme manifestement dépourvues de fondement, la cour ne pouvait pas faire droit à des conclusions incidentes lesquelles ne sauraient exister sans conclusions principales…

Annulant l’arrêt d’appel sur ce point, le juge de cassation règle l’affaire au fond en rejetant le recours de la commune et en donnant satisfaction aux conclusions incidentes de la société Orange, le tout assorti d’une injonction à un mois et d’une astreinte de 50 euros par jour.

(24 octobre 2023, Commune de Sainghin-en-Mélantois, n° 465360)

 

9 - Autorisation d’exploitation d’un service radio - Agrément du CSA/ARCOM pour le changement de titulaire et de catégorie d’une autorisation antérieurement délivrée – Agrément du changement de nom et de programmes de ce service – Annulations contentieuses – Interruption immédiate de diffusion du service – Modulation dans le temps des effets des annulations prononcées.

Le Conseil d'État, par une décision du 20 juin 2023, a, sur demande de la société Europe 2 entreprises :

1°/ annulé deux décisions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), l’une agréant le changement de titulaire et de catégorie de l'autorisation délivrée à l'Association pour l'information et le développement de la vallée de Belleville (AIDVB) pour l'exploitation du service « Virgin Radio Val Thorens Les Ménuires » et autorisant le changement de nom et de programmes de ce service,  l'autre reconduisant l'autorisation d'exploitation par la société Radio Saint-Martin Les Ménuires Val Thorens du service de radio de catégorie B par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dénommé « R' Saint-Martin Les Ménuires Val Thorens ».

2°/ sursis à statuer, avant-dire-droit, sur la date d'effet des annulations prononcées afin de permettre aux parties de débattre, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision, de la question de savoir s'il y a lieu, en l'espèce, de limiter dans le temps les effets des annulations ainsi prononcées.

Après avoir recueilli les propositions en ce sens des deux entreprises concernées et du CSA/ARCOM, le juge retient en premier lieu que porteraient une atteinte excessive à l'intérêt du public ainsi qu'à la situation du titulaire de l'autorisation annulée, l’interruption immédiate de la diffusion du service dont l'autorisation a été annulée et l’inutilisation de la fréquence correspondante dans l'attente de la délivrance d'une nouvelle autorisation.

Il décide, en second lieu et en conséquence, que, par dérogation à la règle de l'effet rétroactif des annulations contentieuses, les annulations prononcées ne prendront effet qu'au terme du délai nécessaire à la désignation du service auquel la fréquence sera attribuée et à la délivrance de la nouvelle autorisation. 

(20 octobre 2023, Société Europe 2 entreprises, n° 454982)

 

Biens et Culture

 

10 - Demande d’installation et d’exploitation d’un parc éolien – Refus préfectoral – Atteintes au paysage – Prise en compte des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires caractérisant un paysage – Paysages proustiens – Rejet.

(04 octobre 2023, Société Combray Énergie, n° 464855)

V. n° 111

 

11 - Contrat de crédit-bail immobilier entre une personne privée et une personne publique – Terrain objet du crédit-bail supportant un atelier-relais construit par une commune – Décision ordonnant à la personne privée de quitter les lieux – Appartenance de l’ensemble immobilier au domaine public – Absence d’affectation au service public – Erreur de droit – Incompétence du juge administratif – Annulation.

La société requérante a conclu avec une commune, en juillet 2020, un contrat de crédit-bail d'une durée de quinze ans, portant sur un terrain bâti situé dans la zone artisanale sur le territoire de cette commune et comportant une option, pouvant être exercée à compter de la huitième année, d'achat de l'ensemble immobilier composé de ce terrain et de l'atelier-relais que la commune y avait édifié.

En septembre 2021, une délibération du conseil municipal prononcé le classement de l'ensemble immobilier en cause dans le domaine public communal et la commune a ensuite saisi le juge des référés afin qu'il ordonne, sur le fondement de l'art. L. 521-3 du CJA, la libération du terrain et de l'atelier-relais qu'il supportait, qu'elle entendait céder.

D’une part, la société Guillet-Joguet se pourvoit en cassation de l'ordonnance lui enjoignant de quitter sans délai les lieux.

D’autre part, la société Guillet-Joguet et la société civile professionnelle (SCP) MJuris agissant en qualité de mandataire judiciaire demandent l'annulation de l'ordonnance par laquelle ce même juge des référés a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'art. L. 521-4 du CJA, tendant à ce qu'il mette fin à cette injonction sous astreinte.

Le litige posait la question, déterminante, de savoir si l’ensemble immobilier en cause constitue, ou non, une dépendance du domaine public communal.

Appliquant tout d’abord une jurisprudence constante et ferme, le Conseil d’État décide qu’il faut se placer à la date des faits et actes en cause pour examiner quels critères doivent être pris en considération pour opérer cette qualification juridique. En effet, la loi, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, qui modifie les critères de la domanialité publique n’a pas d’effet rétroactif. Lorsque, comme en l’espèce, les faits sont antérieurs à la date précitée il convient d’appliquer les critères antérieurement retenus par la jurisprudence.

Ensuite, le juge constate que la construction d'ateliers-relais par une commune a pour objet de favoriser son développement économique en complétant ses facultés d'accueil des entreprises et qu’elle relève donc d'une mission de service public. Toutefois, pour autant, cela ne suffit pas à faire regarder ces ateliers, qui ont vocation à être loués ou cédés à leurs occupants, comme étant affectés, une fois construits, à un service public et, sous réserve qu'ils aient fait l'objet d'un aménagement spécial ou indispensable, à les incorporer de ce seul fait dans le domaine public de la commune.

En l’espèce, il est constaté par le juge que l’atelier-relais en question a été édifié par la commune pour les besoins de la société Guillet-Joguet, qu’il n'était pas affecté à l'usage direct du public et ne pouvait être regardé comme affecté à un service public pour les besoins duquel il aurait fait l'objet d'aménagements spéciaux ou indispensables. Au reste, le contrat conclu entre la commune et la société comportait une clause emportant promesse unilatérale de cession au profit du preneur et la commune, dans ses écritures produites dans l’instance, a exposé l'intention de céder le bien après sa libération.

Certes, il existe bien une délibération du conseil municipal, antérieure de quelques mois à la saisine du juge, qui a prononcé le classement de ce bien dans le domaine public communal mais en l’absence de toute intention exprimée d'affecter le bien en litige à un service public, ce classement était impuissant à conférer audit bien le caractère d'une dépendance du domaine public dès lors qu’il ne satisfaisait pas aux critères alors exigés pour son appartenance à ce domaine, soit un bien à la fois affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné.

De ce que le bien immobilier litigieux ne peut être qualifié de dépendance du domaine public, s’ensuit l’incompétence du juge administratif pour connaître du litige contrairement à ce qu’a estimé, au prix d’une erreur de droit, le juge des référés.

(13 octobre 2023, Société Guillet-Joguet, n° 466114 ; Société Guillet-Joguet et société civile professionnelle (SCP) MJuris, agissant en qualité de mandataire judiciaire, n° 468983, jonction)

 

12 - Délimitation du domaine public communal – Propriété d’un mur de soutènement - Absence prétendue de revendication de la qualité de propriétaire par la commune – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Une cour administrative d’appel juge que, contrairement à ce qui est indiqué sur l’arrêté municipal délimitant le domaine public communal, ne peut pas faire partie de ce domaine public la parcelle sur laquelle se situe le mur de soutènement érigé par la commune à l'arrière d’une fontaine car elle n’a pas revendiqué en être propriétaire. Le juge de cassation aperçoit dans cette analyse une dénaturation des pièces du dossier.

En effet, il tombe sous le sens que l’acte de délimitation - qui comporte mention que la commune avait acquis ce terrain en 1883, par acte notarié, en vue de la construction d'un réseau d'adduction en eau potable issue d’une source -, d’une parcelle sur laquelle a été édifiée une fontaine, comprend nécessairement cette fontaine et son terrain d'emprise ainsi que le mur de soutènement adjacent à celle-ci, et que l’ensemble est propriété de la commune.

(18 octobre 2023, Commune de Montendre, n° 470623)

 

Contrats

 

13 - Marché public global de performance pour la création d'un réseau multiservices de l'ensemble des équipements urbains et des bâtiments communaux – Ajournement des travaux par la commune et suspension des paiements – Formation d’un référé provision (art. R. 541-1 CJA) – Indétermination du sort des clauses contractuelles concernées – Erreur de droit et manquement à l’office du juge – Annulation – Rejet au fond.

Une commune ayant informé les titulaires d’un marché public global de performance pour la création d'un réseau multiservices de l'ensemble des équipements urbains et des bâtiments communaux de sa décision d’ajourner les travaux et de suspendre les paiements, ceux-ci ont saisi le tribunal administratif d’un référé provision portant sur les montants des troisième et quatrième acomptes majorés des intérêts moratoires.

Ils se pourvoient en cassation de l’ordonnance de référé par laquelle la cour administrative d’appel a annulé celle du premier juge qui avait accordé la provision demandée.

En premier lieu, le juge de cassation annule l’ordonnance rendue en appel rejetant la demande de provision fondée, à titre principal sur les stipulations du contrat et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Cette ordonnance se borne, très curieusement, à estimer impossible de déterminer s'il y avait lieu d'appliquer les clauses contractuelles prévues dans le contrat ou de les écarter. La cassation est justifiée par l’erreur de droit ainsi commise, le juge devant déterminer lequel des deux fondements invoqués il retenait et par un manquement à l’office du juge.

En second lieu, après avoir annulé l’ordonnance d’appel, le juge de cassation se trouvait donc saisi de l’ordonnance de première instance. Il l’annule, notamment parce que les demandeurs à la provision n’établissent pas l'existence d'une autorisation du maître d'ouvrage préalable à l'exécution des travaux. Leur créance ne saurait être dite « non sérieusement contestable ».

(ord. réf. 10 octobre 2023, Sociétés Citétech-Citéquip et Travaux électriques du midi, n° 471091)

 

14 - Construction par une université d'un centre européen de recherche en imagerie médicale (Cerimed) - Délégation de la maîtrise d’ouvrage à un groupement – Conclusion entre l’université et une société (AAA) d’une convention autorisant cette société à occuper des locaux au sein du bâtiment avant la fin des travaux – Graves dommages – Recherche d’indemnisation – Rejet.

La construction d’un centre d’imagerie médicale au sein d’une université ayant subi de graves dommages par suite d’un incendie causé par des travaux menés sur le chantier de construction, s’en est suivie une série de recours croisés entre les divers intervenants, dans le cadre de ce qui s’avère, fondamentalement, comme une action en responsabilité quasi-délictuelle en dépit de l’existence de plusieurs relations contractuelles, doublée d’une demande de condamnation solidaire.

Le juge rappelle plusieurs points importants.

Au plan de la procédure, s’agissant de notes en délibéré, il est indiqué qu’une partie ne peut se plaindre de ce qu’une juridiction n’a pas visé une note en délibéré produite par une autre partie, en raison de sa tardiveté.

S’agissant d’un mémoire produit après la clôture de l’instruction, il est aussi rappelé que la juridiction saisie n’a pas à l’analyser.

Enfin, c’est sans erreur de droit et par application d’une solution très classique, que la cour, saisie d'un appel de la société AAA contre le jugement en tant qu'il avait rejeté ses conclusions tendant à la réparation du préjudice résultant du retard dans la livraison du bâtiment et avait en conséquence limité à 20 992 euros le montant de la condamnation de la société Inéo Provence Côte d'Azur à son profit ; elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit en jugeant que l'appel incident formé par celle-ci contre le jugement en tant qu'il l'avait condamnée à verser à la société XL Insurance Company SE une somme en réparation des dommages matériels subis par la société AAA, soulevait un litige distinct de l'appel principal, qui portait sur un autre chef de préjudice.

Au plan du fond de l’action en responsabilité, trois points retiennent l’attention.

En jugeant que l'université ayant contractuellement autorisé la société AAA à occuper des locaux au sein du bâtiment, avant la fin des travaux, moyennant le paiement d'une redevance, celle-ci avait la qualité d'occupant régulier du domaine public, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier.

La cour n’a pas non plus méconnu le principe de l’effet relatif des contrats en estimant que l'incendie avait privé la société AAA de la possibilité d'occuper les locaux à la date prévue par la convention qu'elle avait conclue avec l'université et a condamné la société Inéo Provence et Côte d'Azur à l'indemniser du préjudice en résultant puisque, ce jugeant, elle a simplement réparé l'atteinte portée par cette dernière société au droit de la société AAA d'occuper ces locaux à compter d'une certaine date.

Enfin, dès lors que l'acte d'engagement entre l'université et le groupement conjoint avec mandataire solidaire ne comportait pas la répartition détaillée des prestations à exécuter par chacun des membres du groupement, chaque membre du groupement était tenu envers le maître d'ouvrage de l'exécution de l'ensemble des prestations contractuelles, par suite, la cour n’a pas commis d'erreur de droit dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation en condamnant solidairement les membres du groupement à garantir la société Inéo Provence et Côte d'Azur à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à son encontre.

(12 octobre 2023, Société Didier Rogeon architecte et société Scott Tallon Walker architects, n° 462994 ; Société Inéo Provence et Côte d'Azur, n° 463026 ; Société TPF Ingénierie, n° 463084, jonction)

 

15 - Marché de fourniture d’appareils de diagnostic in vitro et leurs consommables à un service départemental d’incendie et de secours – Décision de suspension du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) – Indemnisation des préjudices subis – Refus – Impossibilité juridique d’exécuter le contrat – Rejet.

Une société a fourni au service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, en exécution d’un contrat de fourniture notifié en 2009, huit appareils de diagnostic in vitro de type « M-Scan II », conçus et fabriqués par une autre société et acquis auprès de cette dernière, et des consommables pour ces appareils. Le directeur de l’ANSM, par sa décision du 9 juin 2014, a suspendu la fabrication, la distribution, l'exportation et l'utilisation de ce dispositif médical.

Le SDIS de la Savoie a émis à l'encontre de cette société un titre exécutoire au titre de sa garantie contractuelle concernant les préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de l'impossibilité de poursuivre l'utilisation de ce dispositif.

Par un arrêt confirmatif, la cour administrative d’appel a rejeté l’appel du SDIS contre le jugement qui a annulé le titre exécutoire et déchargé la société de l'obligation de payer la somme correspondante.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi du SDIS.

Comme la cour, il juge que la garantie contractuelle prévue par le cahier des clauses techniques particulières du marché et détaillée à l'article 4-3 du cahier des clauses administratives particulières ne pouvait pas être invoquée du fait de l’impossibilité juridique, et non technique, de recourir aux dispositifs médicaux en cause, à la suite de la décision précitée du directeur général de l'ANSM. (12 octobre 2023, Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) de la Savoie, n° 467372)

 

16 - Contrats de voyages touristiques et de séjours – Circonstances exceptionnelles – Épidémie de Covid-19 – Régime de remboursements des frais engagés – Ordonnance du 25 mars 2020 – Renvoi préjudiciel à la CJUE – Réponse de la Cour – Annulation.

L’ordonnance du 25 mars 2020 avait décidé qu’en cas d’annulation, pour force majeure ou circonstances exceptionnelles, des prestations de voyages touristiques et de séjours, les vendeurs de ces contrats seraient soumis à un régime de remboursement très aménagé. Ce texte avait prévu que lorsqu'un contrat de vente de voyages et de séjours fait l'objet d'une résolution entre le 1er mars 2020 et le 15 septembre 2020, « l'organisateur ou le détaillant peut proposer, à la place du remboursement de l'intégralité des paiements effectués, un avoir » d'un montant égal à celui de l'intégralité des paiements effectués au titre du contrat résolu. Cette proposition, qui devait être faite au plus tard dans les trois mois de la notification de la résolution du contrat, était valable pendant une durée de dix-huit mois. À l'issue de ce délai et à défaut d'acceptation par le client de la prestation identique ou équivalente à celle que prévoyait le contrat résolu et qui lui a été proposée, le professionnel serait tenu de le rembourser de l'intégralité des paiements effectués. 

Les associations requérantes avaient saisi le Conseil d’État d’un recours en annulation de cette partie de l’ordonnance qui, non soumise à ratification, était donc un acte administratif réglementaire.

Ce juge a transmis trois questions préjudicielles à la Cour de Luxembourg (cf. 1er juillet 2021, n° 441663 ; voir cette Chronique, juillet-août 2021 n° 79) auxquelles cette dernière a répondu (8 juin 2023, UFC - Que choisir et CLCV, aff. C-407/21) en disant pour droit que les solutions retenues par le législateur délégué français était contraire aux dispositions de l’art. 12 de la directive du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées.

Le Conseil d’État prononce, en conséquence, l’annulation des disposions litigieuses.

(13 octobre 2023, Union fédérale des consommateurs - Que choisir et Confédération consommation logement cadre de vie, n° 441663)

 

17 - Contrat de location d’un photocopieur à une commune – Résiliation anticipée du contrat par motif d’intérêt général – Indemnisation – Rejet.

Une commune a procédé, par motif d’intérêt général, à la résiliation anticipée du contrat de location d’un photocopieur qu’elle avait conclu avec la société requérante. Cette dernière réclame indemnisation du chef de cette résiliation.

Le juge de cassation rappelle que la résiliation unilatérale d’un contrat ouvre au contractant de la personne publique un droit à indemnisation du chef ce celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité cocontractante.

Ici aucun des deux chefs de réclamation n’est jugé avoir constitué une dépense utile à la collectivité défenderesse.

En premier lieu, le photocopieur étant demeuré la propriété de la société CM-CIC Leasing Solutions durant toute la durée du contrat et à son expiration, la part non amortie de ce bien ne constituait pas une dépense utile à la collectivité.

En second lieu, dès lors que l’objet du marché litigieux était la location à la commune d'un photocopieur, la société requérante n'était pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit en jugeant que « les frais financiers engagés par le cocontractant de l'administration pour assurer l'exécution de ce contrat résilié (...) ne peuvent être regardés comme des dépenses utiles à la collectivité » alors au surplus que par l’expression « frais financiers », ici inadéquate car la requérante n'avait pas acquis l’appareil au moyen d’un emprunt, elle désignait le coût d’achat du matériel.

(13 octobre 2023, Société CM-CIC Leasing Solutions, n° 461079)

 

18 - Convention portant délégation du service public de production et de distribution de l'eau potable à une société privée – Contrat ayant la nature d’une concession – Obligation d’une information préalable appropriée des conseillers municipaux – Forme et étendue de l’obligation – Soumission des conventions aux principes de la commande publique – Possibilité d’adaptations en cours de négociation – Rejet.

Le litige portait sur les conditions de conclusion, entre une commune et une société privée, d’une convention de délégation de service public pour la production et la distribution de l'eau potable. Les requérants, conseillers municipaux, saisissent le juge de cassation d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet, en première instance, de leur requête tendant à l’annulation de la convention.

Avant d’examiner les moyens dont il était saisi, le juge a entrepris de qualifier cette convention qu’il estime être une concession, au sens de la législation de 2016 : responsabilité du fonctionnement du service aux risques et périls de la société et gestion des équipements du service public qu'elle exploite ; contractant privé ne recevant aucune subvention de la part de la commune ; rémunération de celui-ci par les usagers en fonction notamment des volumes d'eau, dont la consommation est variable, et prise en charge du risque de factures impayées.

En premier lieu, avec une particulière netteté, le juge rappelle, s’agissant ici d’une commune de 3500 habitants et plus, l’obligation stricte pour le maire de mettre les membres du conseil municipal à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l'ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal. À défaut du respect de cette exigence d'information adéquate de l'ensemble des membres de l’assemblée délibérante, en vue qu’ils exercent utilement leur mandat, il serait porté atteinte à une garantie pour les intéressés, susceptible d’entraîner l’annulation de la délibération subséquente. Tel n’est pas le cas ici où les requérants se plaignaient de n’avoir pas eu communication du projet de convention sur lequel ils allaient être appelés à délibérer alors qu’il n’était fait obligation au maire que de les mettre en état de demander la communication de ce projet.

En deuxième lieu, si les concessions sont, comme tout autre contrat de la commande publique, soumises à une triple exigence de liberté, d’égalité et de transparence, cela n’empêche pas l’autorité concédante de faire évoluer le projet de contrat au cours des négociations. Ainsi, en l’espèce, alors qu’à l’origine le document-programme remis aux candidats avant négociation réservait à la commune la totalité de la maîtrise d’ouvrage, celle-ci a pu, légalement, décider ensuite d’en confier une partie au délégataire.

Enfin, de ce que la durée d’une concession doit être limitée, il ne s’ensuit évidemment pas qu’il soit interdit qu’elle ait une durée inférieure à celle de l'amortissement des investissements réalisés.

(13 octobre 2023, M. Jean-Didier D. et Collectif alétois gestion publique de l'eau actions sur le Limouxin et le Saint-Hilairois, n° 464955)

 

19 - Marché public de travaux de réhabilitation de locaux scolaires - Sous-traitance (loi du 31 décembre 1975, art. 1er) – Règle du paiement direct – Conditions et régime – Délai d’acceptation ou de refus de la demande de paiement direct par le sous-traitant – Expiration – Effet – Rejet.

Tout d’abord, précisant et amplifiant une jurisprudence antérieure (26 septembre 2007, Département du Gard et société d'aménagement et d'équipement du département du Gard, n° 255993, à propos d’un contrat qui n’était pas d’entreprise mais de fournitures), le juge éclaire davantage le champ d’application du régime de la sous-traitance. Il y précise que les décisions d'accepter une entreprise en qualité de sous-traitante et d'agréer ses conditions de paiement ne sont susceptibles d'ouvrir à celle-ci un droit au paiement direct de ses prestations que pour autant que ces prestations relèvent effectivement du champ d'application de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, lequel ne concerne que les prestations consistant en l'exécution d'une part du marché, à l'exclusion de simples fournitures au titulaire du marché conclu avec le maître de l'ouvrage.

Des biens présentant des spécificités destinées à satisfaire des exigences particulières d'un marché déterminé ne peuvent être regardés, pour l'application de ces dispositions, comme de simples fournitures.

Ceci étend donc la solution jusque-là retenue pour les marchés de fournitures aux prestations de fournitures dans le cadre de tout autre marché.

Ensuite, il est rappelé, la solution est classique sur ce point, que, si l'entrepreneur principal dispose d'un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été saisi par le sous-traitant d'une demande tendant à son paiement direct (dit aussi « privilège de pluviôse » car issu de la loi du 26 pluviôse an II) par le maître d'ouvrage, pour faire connaître son acceptation ou son refus motivé, il doit, faute d'avoir formulé un tel refus dans ce délai, être regardé comme ayant accepté définitivement la demande de paiement. Dès lors, le refus qu'il exprimerait après l'expiration du délai de quinze jours ne saurait constituer un refus motivé, au sens des dispositions, d’une part, de l’art. 116 du code des marchés publics alors en vigueur, d’autre part, de l’art. 8 de la loi précitée du 31 décembre 1975.

(17 octobre 2023, Commune de Viry-Châtillon, n° 465913)

(20) V. aussi, assez voisin sur cette question du paiement direct du sous-traitant : 17 octobre 2023, Syndicat intercommunal d'énergies du département de la Loire (" SIEL Territoire d'énergie Loire "), n° 469071.

 

21 - Contrat de délégation de service public en vue de la mise en valeur touristique d’un site communal – Demande par une société tierce de cesser l’exécution de cette convention – Demande faite par la société ancienne titulaire du contrat – Absence d’incidence directe et certaine sur les intérêts de cette société – Qualification inexacte des faits – Annulation sans renvoi (règlement de l’affaire au fond)

La requérante, qui a été ancienne exploitante du site objet d’une délégation de service public en vue de sa mise en valeur touristique, dont elle a été évincée lors de son renouvellement, demande à la commune des Baux-de-Provence de mettre fin à l'exécution de cette convention de délégation de service public conclue en 2010 avec la société Culturespaces.

Pour dire cette demande recevable et fondée la cour administrative d’appel a relevé l'atteinte portée par l'exécution de la convention en litige aux intérêts de la société requérante du fait de sa « qualité de candidate potentielle, ancienne exploitante du site, et non de simple tiers à la convention en litige ».  Cette qualification, étrange, aboutit à contourner la jurisprudence sur les conditions et limites de la contestation d’un contrat administratif par un tiers au contrat. En effet, le juge saisi par un tiers au contrat de conclusions en vue qu’il soit mis fin au contrat en cours d’exécution, doit apprécier si les moyens qu’il soulève sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et qu’il ordonne, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.

Mais quid du recours formé par une personne, physique ou morale, interlope quant à situation juridique désormais, qui a été détentrice du contrat mais ne l’est plus et qui sera, peut-être, un jour à nouveau candidate pour l’obtenir et qui, peut-être encore, l’obtiendra ?

Le juge refuse d’apercevoir deux catégories de tiers, les vrais et les ex si l’on peut dire, ce qui ouvrirait des complications infinies avec la multiplication de cas singuliers.

Dans le cas de l’espèce, la cour a inexactement qualifié les faits : la société requérante ne saurait exciper de ce cas de figure pour prétendre qu'elle serait susceptible d'être lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention litigieuse.

Au reste cette solution est dans la droite ligne de l’arrêt de Section, Syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) (n° 398445) qui, sur ce point, a abandonné la solution inverse prévalant depuis la décision de Section du 24 avril 1964, Sté Ano. de Livraisons industrielles et commerciales (LIC), n°53518, AJDA 1964, p. 308, concl. M. Combarnous.

(24 octobre 2023, Société Cathédrale d'Images, n° 470101)

 

22 - Marché de maîtrise d'œuvre pour la restauration d’une église protestante à Strasbourg – Rejet d’une offre – Attribution du marché par la commission d’appel d’offres – Annulation sur référé précontractuel – Erreur de droit – Annulation et rejet au fond.

Un candidat, M. A., évincé de la procédure d’appel d’offres en vue de la conclusion du marché de maîtrise d'œuvre pour la restauration de l'église protestante Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg, a saisi le juge du référé précontractuel (art. L. 551-1 CJA).

Celui-ci a annulé dans sa totalité la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre litigieux, la décision d'attribution de ce marché et celle rejetant l'offre du candidat évincé.

La commune de Strasbourg se pourvoit en cassation de cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance et rejette les différents moyens soulevés par le requérant de première instance.

Tout d’abord, il est jugé que le groupement - dont le mandataire est la société 1090 architectes, attributaire du marché -, ayant transmis l'ensemble des certificats et attestations prévus par les art. R. 2143-6 à R. 2143-10 du code de la commande publique au stade de sa candidature puis ayant procédé à une nouvelle transmission entre le 1er mars et le 14 avril 2013 de ces mêmes certificats et attestations en cours de validité, ces transmissions – comme c’est d’ailleurs leur objet - ont ainsi mis la commune à même de s'assurer que ce groupement était à jour de ses obligations tant lors du dépôt de sa candidature qu'avant la signature du marché. Dès lors, la seule circonstance que ces certificats et attestations n'auraient pas été produits dans le délai imparti par les stipulations de l'article 8.2 du règlement de la consultation est, contrairement à ce qu’a jugé le premier juge des référés, sans incidence sur la régularité de la procédure suivie. Il a, par suite, commis une erreur de droit en jugeant que cette circonstance constituait un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'avoir lésé M. A.

Ensuite, sont rejetés les divers moyens, dont deux d’entre eux pour n’être pas assortis de précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé.

M. A. n’a pas été lésé du fait du retard du groupement attributaire du marché à fournir les pièces ci-dessus indiquées.

C’est erronément que M. A. soutient que la répartition des honoraires par intervenant et la répartition des honoraires par mission sont prises en compte au titre de la méthode de notation du critère du prix car elles constituent des sous-critères, distincts de celui du montant global des honoraires, qui sont liés à l'objet du marché et qui ont été portés à la connaissance des candidats avec leur pondération. 

L'article 8.2 du règlement de la consultation stipule que la commune de Strasbourg se réservait la possibilité d'attribuer le contrat sur la base des offres initiales sans négociation. Par suite et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait négocié avec d'autres candidats, la seule circonstance que celui-ci s'est abstenu de négocier avec le requérant n'est pas de nature à entacher d'irrégularité la procédure suivie. 

Enfin, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, à qui il incombe seulement de vérifier le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Doit donc être écarté le moyen développé en ce sens.

(26 octobre 2023, Commune de Strasbourg, n° 474464)

 

23 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Société représentante d’intérêts - Exercice d’une influence sur les décisions publiques préparant un appel d’offres - Mise en demeure d’effectuer une déclaration – Obligation de motivation – Période de référence retenue – Rejet.

(04 octobre 2023, Société Deveryware, n° 454659)

V. n° 109

 

24 - Marché public de travaux de construction d'un ensemble immobilier - Décompte général définitif – Mise en demeure – Délais fixés par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG Travaux) – Annulation très partielle.

Le juge rappelle que pour l'application de l'article 50.22 du CCAG travaux, la mise en demeure d'établir le décompte général et définitif, adressée par l'entreprise au maître de l'ouvrage, constitue un mémoire en réclamation.

Il résulte de l’art. 50.31 de ce cahier que l'entrepreneur peut saisir le tribunal administratif si trois mois après sa réclamation aucune décision ne lui a été notifiée ou s'il n'accepte pas cette décision.

La saisine prématurée du tribunal administratif par l’entrepreneur est régularisable par l'intervention d'une décision de rejet avant que le tribunal n'ait statué.

S’agissant de l'intervention du décompte général :

Si celle-ci a lieu avant l'expiration du délai de trois mois elle entraîne un non-lieu à statuer, alors même qu'antérieurement au jugement ce décompte a fait l'objet d'une réclamation qui a donné naissance à un litige distinct.

Si, à l’inverse, l'intervention du décompte général intervient après l'expiration du délai de trois mois le juge ne peut pas prononcer le non-lieu à statuer car en ce cas ce document ne constitue pas un décompte général au sens des dispositions du CCAG.

Par suite la cour administrative est approuvée d’avoir, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation :

- en premier lieu, estimé que le courrier litigieux intitulé « Notification du décompte général » ne revêtait pas le caractère d'un décompte général ;

- en second lieu, jugé que le courrier adressé au maître d’ouvrage qu’elle a estimé être une mise en demeure d'établir le décompte général constituait un mémoire en réclamation pour l'application de l'article 50.22 du CCAG. Or  cette réclamation ayant fait l'objet d'une réponse expresse du maître d'ouvrage reçue le 2 janvier 2013, la circonstance qu'un décompte général aurait ensuite été notifié à la même société le 7 mai 2013, soit après l'expiration du délai de trois mois imparti au maître d'ouvrage pour se prononcer sur la mise en demeure, est dépourvue d'incidence sur le cours du délai de six mois dont dispose le titulaire du marché, à compter de la notification de la décision prise sur les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général, pour saisir le tribunal administratif. Faute d’avoir respecté ce délai, la demande formée devant le tribunal administratif était tardive et, par suite, irrecevable. 

En revanche, l’arrêt est annulé pour erreur de droit en tant qu’il a statué sur les conclusions reconventionnelles du maître de l’ouvrage. En effet, comme on vient de le lire, les conclusions principales étant irrecevables, les conclusions reconventionnelles le sont tout autant et ne peuvent qu’être rejetées.

 (31 octobre 2023, Société GTM Sud, n° 467237)

 

25 - Marché public de travaux en vue de la réalisation d'un immeuble comportant des locaux administratifs et un pôle d'accueil des entreprises – Désordres affectant l’ouvrage – Condamnation solidaire du groupement maître d’œuvre – Rejet des pourvoi principal et provoqué.

Une communauté de communes a confié à la société Reflets du Sud le lot n° 8, relatif aux menuiseries métalliques, métalleries et serrurerie, d'un marché public de travaux pour la réalisation d'un immeuble destiné à abriter ses locaux administratifs ainsi qu'un pôle d'accueil des entreprises. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement dont le mandataire était l'entreprise Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés.

Ayant constaté des désordres sur l’ouvrage, la communauté de communes a demandé au tribunal administratif la condamnation solidaire des sociétés Reflets du Sud et Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés à une certaine somme. Ce tribunal a condamné la société Reflets du Sud à verser à la communauté de communes une somme de dédommagement et une somme au titre des dépens. Sur appel de la société Reflets du Sud, la cour administrative d’appel a annulé partiellement ce jugement, condamné la société Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés à verser des sommes à la communauté de communes à titre de réparation et pour couvrir les dépens.

C’est contre cet arrêt que la société Atelier d'architecture… se pourvoit en cassation par un pourvoi principal tandis que la communauté de communes forme un pourvoi provoqué.

Ces deux pourvois sont rejetés.

Le pourvoi principal, émané de la société Atelier d'architecture …, est rejeté car la communauté de communes n’ayant pas formé appel de la partie du jugement du tribunal administratif rejetant ses conclusions tendant à la condamnation de la société Atelier d'architecture… au titre d'un manquement à son devoir de conseil lors de la réception de l'ouvrage, la cour administrative d'appel a méconnu son office en se saisissant d'office, par l'effet dévolutif de l'appel, de ces conclusions.

Toutefois, si c’est à bon droit que la société Atelier d'architecture… a demandé l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il l'a condamnée à payer des sommes à la communauté de communes, celle-ci succombe néanmoins car le juge de cassation opère une substitution de motifs : dès lors que la communauté de communes n’avait pas pris de conclusions en appel mettant en cause la responsabilité de la société Atelier d'architecture…, les conclusions présentées devant la cour appelant en garantie la société Reflets du Sud étaient dépourvues d'objet et donc irrecevables.

Le pourvoi provoqué de la communauté de communes ne prospère pas davantage. La cour avait annulé le jugement du tribunal administratif en tant qu'il avait condamné la société Reflets du Sud à indemniser cette communauté sur le fondement de la garantie de parfait achèvement car elle avait estimé que les vices à l'origine des désordres litigieux tenant, d'une part, à l'absence d'inclinaison des couvertines et, d'autre part, à leur mauvais positionnement par rapport à la pierre de façade, pouvaient être constatés et leur conséquences appréciées dans toute leur étendue par un homme de l'art normalement précautionneux lors de la réception de l'ouvrage.

L’arrêt étant suffisamment motivé et ne souffrant pas de dénaturation des pièces, le pourvoi provoqué de la communauté de communes ne peut, dès lors, qu'être rejeté.

(31 octobre 2023, Société Atelier d'architecture Pierre Ponzetto et associés, n° 469536)

 

26 - Marché sur procédure adaptée – Délais de réception des candidatures et des offres – Délai raisonnable – Courrier en recommandé ouvrant les négociations par dépôt des offres – Point de départ du délai de dépôt – Erreur de droit – Annulation.

Une commune conclut un marché public d’instrumentation d’un cours d’eau pour en réduire les crues torrentielles dangereuses pour le village et pour un camping, ce marché est soumis au régime de la procédure adaptée.

La société requérante, évincée, a formé un référé précontractuel qui a conduit le juge à annuler la procédure adaptée ayant débouché sur l’attribution du marché. Puis, la procédure ayant été reprise et menée à son terme, cette dernière a été informée de l’attribution du marché à une société concurrente. La société Ogoxi-Ogoxe obtient du tribunal l’annulation du nouveau marché et l’indemnisation du préjudice né de son éviction irrégulière. Sur recours de la commune, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande de la société. Celle-ci se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Le Conseil d’État rappelle que les textes régissant la procédure adaptée imposent à l'acheteur, qui fixe les délais de réception des candidatures et des offres, y compris le cas échéant après négociation, de tenir compte de la complexité du marché et du temps nécessaire aux opérateurs économiques pour préparer leur offre, dans le respect du principe d'égalité de traitement des candidats. 

En l’espèce la commune a adressé à chaque candidat, le 19 août 2019, un premier courrier recommandé avec avis de réception engageant une phase de négociation, les invitant à présenter une offre modifiée au plus tard le 2 septembre suivant, et les informant qu'à défaut ils seraient regardés comme maintenant leur offre initiale. Le gérant de la société Ogoxi-Ogoxe ayant signalé à la commune un problème de réception de ce pli, l'Office national des forêts, en sa qualité d'assistant à la maîtrise d'ouvrage de la commune, a envoyé à cette société un second courrier recommandé avec accusé de réception daté du 5 septembre, reportant l'échéance au 9 septembre. Ce nouveau courrier n'a été retiré par la société Ogoxi-Ogoxe que le 16 septembre, soit postérieurement à la date limite du 9 septembre mais dans le délai de sa mise en instance au bureau de poste. Ce nonobstant, la cour a jugé que le délai laissé aux candidats pour présenter leurs offres modifiées était suffisant eu égard au fait qu'il y avait lieu de se placer au jour de l'envoi aux candidats du pli recommandé avec avis de réception, contenant l'information du délai de remise des offres modifiées tel que fixé par l'acheteur. La cour a ainsi commis une erreur de droit car le caractère suffisant de ce délai doit s'apprécier en prenant en compte la date de notification de ce pli résultant de l'application des principes selon lesquels lorsque le destinataire du pli recommandé avec avis de réception le retire au bureau de poste durant le délai de mise en instance de quinze jours, la date de notification de ce pli est celle de son retrait (cf. art. 5, arrêté ministériel pris pour l’application de l’art. R. 2-1 du code  des postes).

Ce n’est que dans qu’en cas de retour du pli à l'administration au terme du délai de mise en instance que la notification est réputée avoir été régulièrement accomplie à la date à laquelle ce pli a été présenté à l'adresse de l'intéressé, dès lors du moins qu'il résulte soit de mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation du service postal ou d'autres éléments de preuve, que le préposé a, conformément à la réglementation en vigueur, déposé un avis d'instance informant le destinataire que le pli était à sa disposition au bureau de poste.

(31 octobre 2023, Société Ogoxi-Ogoxe, n° 470264)

 

Droit du contentieux administratif

 

27 - Compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État – Décision refusant me maintien en fonctions d’un agent public au-delà de la limite d’âge – Litige ne concernant ni la nomination ni la discipline d’un agent nommé par décret du président de la république – Rejet.

Le requérant, inspecteur général de l'éducation, du sport et de la recherche, demande, par recours direct au Conseil d’État, de suspendre l'exécution, d'une part, de l'avis du 12 juillet 2023 de la cheffe de l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche et, d'autre part, du rejet de son recours gracieux auprès du directeur de l'encadrement du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse du 3 août 2023, tendant à son maintien en fonction au-delà de la limite d'âge.

Le recours ne pouvait aucunement prospérer, la compétence directe du Conseil d’État étant limitée aux seuls litiges relatifs à la nomination ou à la discipline des agents nommés par décret du président de la république en application soit du troisième alinéa de l'art. 13 de la Constitution soit des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'État.

Le demandeur doit donc porter son action devant le tribunal administratif.

(03 octobre 2023, M. B., n° 488258)

 

28 - Demande d’exercice d’un droit d’accès à l’évaluation d’un travail réalisé par une société – Rejet par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – Office du juge des référés – Impossibilité d’annuler une décision administrative ou de prendre toute mesure équivalant à une décision administrative – Rejet.

(ord. réf. 02 octobre 2023, M. A., n° 488413)

V. n° 7

 

29 - URSSAF – Inscription d’office au répertoire des entreprises, à une même adresse, de sociétés de droit étranger – Détermination de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître du recours contre cette décision – Procédure irrégulière pour non-respect du délai d’appel – Cassation partielle avec renvoi à la cour.

(04 octobre 2023, Société civile immobilière Immo Toulouse, n° 461138 et M. B., n° 461139)

V. n° 90

 

30 - Présentation des requêtes devant le Conseil d’État – Requête en référé liberté – Introduction de l’action par un mandataire – Demande d’aide juridictionnelle – Exclusivité au profit des avocats aux Conseils – Rejet.

Si dans les recours en référé (ici un référé liberté, art. L. 521-2 CJA) il est possible aux parties de se faire représenter dans l’instance ouverte devant le Conseil d’État par un mandataire de leur choix, autre qu’un avocat au Conseil d’État ou à la Cour de cassation, en revanche l’allocation de l’aide juridictionnelle ne peut être attribuée qu’à un tel avocat, non à un mandataire n’ayant pas cette qualité.

(04 octobre 2023, Mme A., n° 488502)

 

31 - Juge du référé liberté – Atteinte alléguée à une liberté fondamentale – Mesures nécessaires prises – Non-lieu à statuer par disparition de l’objet du litige.

Rappel de ce que le juge du référé liberté, s’il peut ordonner, sous réserve que la condition particulière d'urgence requise soit remplie, toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale en cas d'atteinte grave et manifestement illégale à une telle liberté, doit constater qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande dont il est saisi lorsque, les mesures nécessaires ayant été prises, cette demande ayant alors perdu son objet.

(ord. réf. 06 octobre 2023, Ministre de l’Europe et des affaires étrangères, n° 488599)

 

32 - Appel – Rejet pour cause de tardiveté d’introduction de l’appel – Erreur de droit dans la détermination du point de départ de la computation du délai d’appel – Annulation.

Dans un litige en réparation des dégâts qui auraient été causés à des plantations forestières par de gros gibiers, la présidente d’une chambre de cour administrative d’appel a rejeté l’appel pour cause de tardiveté, celui-ci ayant été introduit le 5 août alors que le pli recommandé notifiant le jugement a été présenté le 1er juin.

L’ordonnance est annulée car si le pli a bien été présenté le 1er juin à l'adresse du groupement forestier requérant, il n'a cependant pas été distribué à cette date mais mis en instance au bureau de poste et distribué à son destinataire le 7 juin 2022 seulement. Celui-ci n’était donc pas forclos lorsqu’il a saisi la juridiction d’appel contrairement à ce qui a été jugé, au prix d’une erreur de droit.

(10 octobre 2023, Groupement forestier du chemin vert, n° 468730)

 

33 - Action en responsabilité – Désignation d’un expert – Mise en doute de son impartialité – Rejet – Annulation.

Suite à un accident médical survenu lors de la prise en charge hospitalière de l’un de ses clients, la mutuelle requérante a mis en cause l’impartialité du médecin que la cour administrative d’appel avait désigné comme expert pour examiner les conditions de l’intervention chirurgicale à la suite de laquelle son client est demeuré paraplégique. Elle se pourvoit en cassation de l’arrêt rendu à la suite de cette expertise.

Le juge de cassation, après avoir rappelé les termes de l’art. R. 4127-105 du code de la santé publique qui fixe le cadre de l’impartialité de l’expert médical (obligation de refuser « une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu ses propres intérêts, ceux d'un de ses patients, d'un de ses proches, d'un de ses amis ou d'un groupement qui fait habituellement appel à ses services. »), expose l’office du juge saisi d’un moyen contestant l’impartialité d’un expert.

En ce cas, il appartient au juge « de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise. » La dernière phrase ici citée sonne comme une véritable présomption.

Examinant le cas en litige, le Conseil d’État retient – avec juste raison – que le médecin désigné comme expert a remis ses conclusions le 9 septembre 2021 alors qu’il avait assuré au cours de l'année 2021, en qualité de médecin-conseil, plusieurs missions, dont certaines étaient encore en cours, pour le compte de l’assureur du centre hospitalier dont la responsabilité était recherchée par la mutuelle requérante.

Il tire de là qu’en jugeant que cette dernière n'était pas fondée à mettre en cause l'impartialité de l’expert eu égard, d'une part, aux obligations déontologiques et aux garanties qui s'attachent tant à la qualité de médecin qu'à celle d'expert désigné par une juridiction et, d'autre part, au déroulement des opérations d'expertise, tenues en présence de deux médecins-conseils de la mutuelle, la cour administrative d’appel a qualifié inexactement les faits de l’espèce.

Au reste, le seul visa de l’art. R. 4127-105 précité du code de la santé publique aurait dû conduire la cour à ne pas désigner ce médecin comme expert ou, l’ayant fait, à le démettre de sa mission expertale.

(10 octobre 2023, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France et des cadres et salariés de l'industrie et du commerce (MACIF), n° 461706)

 

34 - Requête présentée sans ministère d’avocat – Rejet par les cours administratives d’appel sans invitation préalable à régulariser – Condition – Cas où le requérant est bénéficiaire de l’aide juridictionnelle – Annulation.

Le Conseil d’État rappelle ici que les cours administratives d'appel peuvent rejeter, sans demande de régularisation préalable, les requêtes qui n'ont pas été présentées par un avocat à la condition que le requérant ait été averti dans la notification du jugement attaqué que l'obligation du ministère d'avocat s'imposait à lui en l'espèce.

Dans le cas où le requérant a sollicité le bénéfice de l’aide juridictionnelle, s’ensuivent deux conséquences. En premier lieu, le juge ne peut régulièrement statuer sur un recours formé par le requérant avant qu’il n’ait reçu la notification de la décision prise sur sa demande. En second lieu, l’exigence du droit à un recours effectif impose en ce cas au juge de surseoir à statuer, sans qu'ait d'incidence la circonstance qu'il n'aurait pas été avisé de l'existence d'une telle demande. 

En l’espèce, l’ordonnance de la présidente de la cour est annulée en ce qu’elle rejette le recours de l’intéressée comme manifestement irrecevable pour avoir été présenté sans ministère d’avocat alors que cette dernière avait demandé pendant l'instance le bénéfice de l'aide juridictionnelle et qu'il appartenait donc à la cour de surseoir à statuer jusqu'à la décision du bureau d'aide juridictionnelle compétent.

(10 octobre 2023, Mme B., n° 464601)

 

35 - Notification d’un jugement de tribunal administratif à une rectrice mais non au ministre de l’éducation nationale – Ministre ayant seul qualité pour interjeter appel au nom de l’État – Délai d’appel ne pouvant courir contre l’État – Exception de forclusion opposée à tort – Annulation.

Le jugement prononçant l’annulation de la décision de licenciement prise par le proviseur d’un lycée à l’encontre d’un accompagnant d'élèves en situation de handicap (AESH), a été notifié à la rectrice de l’académie mais point au ministre de l’éducation.

Or le ministre avait seul qualité pour interjeter appel au nom de l’État contre ce jugement.

C’est donc à tort que la cour administrative d’appel a jugé irrecevable pour cause de tardiveté l’appel du ministre car le délai d’appel de deux mois n’a pu courir envers un jugement non notifié.

(10 octobre 2023, ministre de l’éducation nationale, n° 470461)

 

36 - Loi du 5 mars 2007 – Occupation illicite de logements – Compétence de constat appartenant au maire en qualité d’officier de police judiciaire – Refus d’intervention du maire – Absence de compétence exclusive du juge judiciaire – Rejet pour défaut d’urgence.

Le maire de Marseille, saisi en ce sens par le propriétaire d’un logement, sur le fondement de l’art. 38 de la loi modifiée du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, n’ayant pas répondu à sa demande de constater l'occupation illicite de ce logement, l’intéressé a saisi le juge administratif par voie de référé liberté afin qu’il enjoigne au maire de procéder à ce constat.

Ce juge a, notamment, opposé à cette demande l’incompétence de l’ordre administratif de juridiction pour connaître de ce litige car le maire agit en ce cas comme agent de police judiciaire et le contentieux né d’actes pris en cette qualité n’appartient qu’au juge judiciaire.

Le Conseil d’État a estimé cette solution erronée car il n’en résulte pas pour autant que le litige échapperait manifestement à la compétence de la juridiction administrative, d’autant que le maire a également la qualité d'autorité administrative.

Le recours est cependant rejeté car le premier juge a relevé, sans erreur, l’absence d’établissement par le demandeur d’une situation d’urgence.

(ord. réf. 11 octobre 2023, M. B., n° 488783)

 

37 - Sursis à l’exécution d’un arrêt – Arrêt ordonnant une mesure de régularisation coûteuse et fondé sur une erreur de droit – Sursis ordonné.

Le litige portait, une fois de plus, sur une autorisation d’implantation et d’exploitation d’éoliennes (cf. cette Chronique, juillet-août 2023, après le n° 140, l’encadré intitulé Du malheur d’être une éolienne ou paradoxes d’un progrès écologique). La cour administrative d’appel avait sursis à statuer sur le recours dirigé contre l’autorisation préfectorale jusqu'à l'expiration d'un délai de quatre mois, afin de permettre à la société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire de procéder à la régularisation de l'illégalité mentionnée au point 35 de son arrêt, par l'obtention d'une dérogation au titre des art. L. 411-1 et suivants du code de l'environnement.

Cette dernière se pourvoit en cassation de cet arrêt dont elle demande au Conseil d’État qu’il en ordonne le sursis à l’exécution.

Pour accéder à cette requête, le juge retient en premier lieu que l’exécution de cet arrêt est susceptible d'entraîner un retard estimé entre un an et deux ans pour la réalisation du projet éolien, de nature à générer un surcoût évalué entre 1,8 et 3,6 millions d'euros et qu’elle est, de nature à priver d'objet un recours contre cet arrêt contestant le bien-fondé de l'illégalité ayant justifié cette mesure. Il relève en second lieu, qu’est sérieux, en l’état de l’instruction, le moyen tiré de l’erreur commise par la cour en jugeant que le projet litigieux nécessitait l'octroi d'une dérogation dite « espèces protégées ».

(03 octobre 2023, Société Ferme éolienne de Bandiat-Tardoire, n° 474381)

 

38 - Sursis à l’exécution d’une décision juridictionnelle (art. R. 821-5 CJA) – Moyens non susceptibles d’être invoqués – Exigences d’infirmation de la solution retenue par les juges du fond – Absence – Rejet.

Rejetant la demande de sursis à l’exécution d’une décision de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins sollicitée par le praticien sanctionné, le Conseil d’État rappelle opportunément, au visa de l’art. R. 825-1 du CJA, que la circonstance que sont invoquées la composition irrégulière de la formation de jugement et l’insuffisance de motivation de sa décision, quand bien même  ces moyens paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à conduire à l'annulation de la décision attaquée, le sursis à l’exécution ne peut être accordé. Il faut impérativement établir, par les autres (ou un autre) moyen(s), que ceux-ci (ou celui-ci) sont (ou est) de nature à entraîner l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond.

(13 octobre 2023, M. B., n° 471329)

(39) V. aussi, en sens inverse, accordant le sursis à exécution sollicité par un occupant sans droit ni titre du domaine public ferroviaire condamné à payer une somme hors de proportion avec les revenus du foyer et compte tenu de ce que paraît, en l’état, sérieux et de nature à justifier, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond le moyen tiré de ce qu’ils ont estimé que les indemnités d'occupation sans titre du domaine public étaient exigibles à l'issue de chaque période annuelle d'occupation : 18 octobre 2023, M. A., n° 471950.

(40) V. encore, jugeant que le refus d’admission d’un pourvoi entraîne ipso facto que deviennent sans objet les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de l’arrêt frappé de pourvoi : 18 octobre 2023, Commune de La Flotte, n° 472088.

 

41 - Dispositions réglementaires contestées en justice – Dispositions remplacées par d’autres – Dispositions originaires n’ayant jamais reçu d’application – Recours devenu sans objet – Rejet.

Le syndicat requérant a demandé l’annulation d’un décret du 24 janvier 2022 portant notamment sur les préparateurs en pharmacie hospitalière dans les établissements publics de santé. Après l’introduction de ce recours, le décret du 31 août 2022 est venu corriger les erreurs matérielles que comportait celui du 24 janvier 2022.

Dès lors que ce premier décret n’a pas reçu d’application avant l’intervention du second, le recours est devenu sans objet, il est donc rejeté.

(13 octobre 2023, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU), n° 462605)

 

42 - Moyen soulevé d’office par le juge – Obligation d’en informer les parties – Absence – Annulation.

Encourt l’annulation l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, dans un litige fiscal, soulève d’office un moyen sans en aviser les parties.

(13 octobre 2023, M. A., n° 469302)

 

43 - Délibérations communales annulées – Annulation en appel – Arrêt rendu sans répondre aux fins de non-recevoir dont la cour était saisie – Annulation.

Encourt – évidemment – annulation l’arrêt qui se prononce sur un jugement annulant des délibérations municipales sans statuer sur les fins de non-recevoir dont elle était saisie.

(18 octobre 2023, M. A., n° 470192)

 

44 - Pourvoi en cassation – Conditions d’ouverture – Nécessité d’avoir été partie à l’instance frappée de pourvoi – Personne invitée par le juge à présenter des observations – Rejet.

Rappel d’un grand classique du contentieux de la cassation.

Le recours en cassation n'est ouvert, en vertu des règles générales de la procédure, qu'aux personnes qui ont eu la qualité de partie dans l'instance ayant donné lieu à la décision attaquée. Ne peut être regardée comme une partie à l'instance devant les juges du fond que la personne qui, ni présente ni représentée dans l’instance, a été invitée par eux à présenter des observations et qui, si elle ne l'avait pas été, aurait eu qualité pour former tierce opposition contre la décision rendue par les juges du fond.

Il convient de rappeler que selon l’art. R. 832-1 CJA « Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. »

(17 octobre 2023, Mme B. veuve C., n° 463019)

 

45 - Pourvoi en cassation – Demande concomitante de sursis à exécution de la décision frappée de pourvoi – Refus d’admission du pourvoi – Requête à fin de sursis devenue sans objet – Rejet.

Devient sans objet une requête à fin de sursis à l’exécution d’un jugement frappé de pourvoi lorsque ce pourvoi n’est pas admis.

(20 octobre 2023, M. C., n° 470066 et n° 470652)

 

46 - Sentence arbitrale – Exécution forcée – Sentence rendue dans un litige contractuel entre une personne publique française et une personne de droit étranger – Condition de la compétence du juge administratif – Arbitrabilité du litige – Absence – Rejet.

La réticence du juge administratif envers l’arbitrage appliqué aux personnes publiques comme celle du législateur national sont bien connues (v. en ce sens : 23 décembre 2015, Territoire des Îles Wallis-et-Futuna, n° 376018 ; voir aussi, l’enterrement du projet de la commission Labetoulle du 13 mars 2007). Cette culture de l’« inarbitrage » public de principe se révèle pleinement dans le présent dossier.

Le Syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) a conclu le 8 février 2008 avec la société Ryanair et la société Airport marketing services, sa filiale à 100 %, deux conventions ayant pour objet le développement d'une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d'Angoulême à compter du printemps 2008. Ces conventions, expressément soumises au droit français, comportaient cependant une stipulation imposant le recours à l'arbitrage auprès de la cour d'arbitrage international de Londres, pour tout différend non résolu à l'amiable « découlant de ou en relation avec la Convention, y compris toute question concernant son existence, sa validité ou sa résiliation ».

La société Ryanair a notifié au SMAC sa décision de supprimer la liaison Londres/Angoulême, mettant également fin à la seconde convention, dite « de services marketing » conclue par le SMAC avec la société Airport marketing services.

Dans une décision rendue avant dire droit, la cour d'arbitrage international de Londres s'est déclarée compétente pour connaître du litige opposant les sociétés au SMAC et a en conséquence refusé de surseoir à statuer jusqu'à ce que le tribunal administratif de Poitiers, également saisi par le syndicat, se soit prononcé sur le même litige. Par sa sentence au fond du 18 juin 2012, elle a décidé que le contrat de services aéroportuaires avait été valablement résilié, elle a prononcé la résiliation du contrat de services marketing et accordé aux sociétés le remboursement de frais juridiques et mis à la charge du SMAC le coût total de l'arbitrage.

Puis, par une décision nos 352750, 362020 du 19 avril 2013, le Conseil d'État a rejeté comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître les requêtes du SMAC tendant à l'annulation des sentences arbitrales, tandis que le tribunal administratif a rejeté les demandes de la société Ryanair et de la société Airport marketing services tendant à ce qu'il ordonne l'exequatur des sentences arbitrales. Enfin, la cour administrative d'appel a rejeté leur appel formé contre ce jugement du tribunal administratif.

Le juge de cassation rappelle en deux volets les règles et les principes gouvernant l’arbitrage lorsqu’y est partie une personne morale de droit public.

1er volet : L'exécution forcée d'une sentence arbitrale rendue dans le cadre de l'application d'un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, ne saurait être autorisée par le juge administratif si elle est contraire à l'ordre public (V. en ce sens : Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 3888806).

2ème volet : Il résulte des principes généraux du droit public français que, sous réserve des dérogations découlant de dispositions législatives expresses ou, le cas échéant, des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, les personnes morales de droit public ne peuvent pas se soustraire aux règles qui déterminent la compétence des juridictions nationales en remettant à la décision d'un arbitre la solution des litiges auxquels elles sont parties. Le juge administratif, saisi d'une demande d'exequatur d'une sentence arbitrale, doit s'assurer qu'il n'a pas été recouru à l'arbitrage en méconnaissance de ces principes. C’est pourquoi la seule circonstance qu'un contrat a été passé par une personne publique pour les besoins du commerce international ne permet pas de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage.

Sur ces bases, il est passé à l’examen du fond du litige.

La cour, en estimant que le juge administratif doit rejeter la demande tendant à l'exequatur de la sentence arbitrale s'il constate l'illégalité du recours à l'arbitrage, notamment du fait de la méconnaissance du principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage sauf dérogation prévue par des dispositions législatives expresses ou des stipulations de conventions internationales régulièrement incorporées dans l'ordre juridique interne, n’a pas méconnu les stipulations de l'article V de de la convention de New-York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l'exécution des sentences arbitrales étrangères.

Pas avantage n’a été méconnue, par cet arrêt, l'art. 1er de la convention européenne sur l'arbitrage commercial international 1, qui est relatif au « champ d'application de la convention » car cette convention n'est applicable qu'aux conventions d'arbitrage conclues entre des parties ayant leur résidence ou leur siège dans des États parties à la convention européenne sur l'arbitrage commercial international différents or tel n’est pas le cas de l’Irlande, où ont leur siège les deux sociétés demanderesses en cassation, Ryanair et Airport marketing services. C’est donc sans erreur de droit que la cour a jugé que le SMAC ne tenait pas de ces stipulations le droit de déroger au principe de l'interdiction pour les personnes publiques de recourir à l'arbitrage.

Dès lors que litige soumis à la cour internationale d’arbitrage de Londres n’était pas arbitrable, les deux sociétés requérantes n’étaient pas fondées à soutenir que la cour aurait méconnu leur droit, garanti par les stipulations de l'art. 6 de la Convention EDH, à l'exécution des sentences arbitrales. 

(17 octobre 2023, Sociétés Ryanair et Airport marketing services, n° 465761)

 

47 - Avis de droit – Contribution au service public de l’électricité (CSPE) – Demande de remboursement partiel – Refus du président de la Commission de régulation de l’énergie – Régime contentieux du recours contre cette décision.

La requérante a demandé l’annulation du refus opposé par le président de la Commission de régulation de l’énergie à sa demande de remboursement partiel de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) acquittée au titre des années 2011 à 2013. Le tribunal a, avant de statuer, saisi le Conseil d’État, sur le fondement de l’art. L. 113-1 du CJA, d’une demande d’avis de droit comportant trois questions.

Les réponses qui y sont données témoignent du remarquable effort de reconstruction du droit, ici singulièrement lacunaire et chaotique, par le juge administratif. Un juge qui gouverne ? Qui pourrait en douter ?

La première question portait sur la possibilité d’introduire un recours pour excès de pouvoir contre le refus de remboursement partiel de la CSPE.

Il convient de rappeler que cette possibilité de remboursement de la CSPE résulte de l’arrêt de la CJUE (25 juillet 2018, Messer France SAS (Praxair) c/ Premier ministre, aff. C-103/17) qui a partiellement invalidé la CSPE qu’avait créée l’art. 37 de la loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie.

L’ordonnance du 26 février 2020 et le décret du 30 octobre 2020 ont prévu, sous le nom de règlement transactionnel, la possibilité pour le président de la Commission de régulation de l’énergie de procéder au remboursement du montant de taxe dû, sans aucune modulation possible, ainsi qu’au paiement des intérêts moratoires et, le cas échéant, au remboursement des frais exposés par le contribuable. Si le contribuable accepte le montant du remboursement qui lui est proposé, il renonce à tout recours ultérieur ayant le même objet et, s'il a déjà introduit un recours, s’engage à se désister de l'instance en cours. Parce que le refus du président de la Commission opposé à une demande de règlement transactionnel ne constitue pas un acte détachable de la procédure d'imposition, sa contestation relève exclusivement du recours de plein contentieux susceptible d'être formé devant le juge de l'impôt, quel que soit le motif de refus opposé au contribuable.

L’éventuelle formation par le contribuable d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision de rejet impose donc au juge de le requalifier comme tendant au remboursement partiel de la contribution et de le traiter ensuite comme tel. Dans l’hypothèse où le contribuable présente des conclusions d’excès de pouvoir alors qu'il a déjà introduit devant le juge de l'impôt un recours à la suite du rejet, exprès ou implicite, de sa réclamation initiale, ces nouvelles conclusions sont examinées dans le cadre de l'instance engagée devant le juge de l'impôt.
La deuxième question portait sur l'application de la prescription quadriennale aux créances afférentes aux impositions mentionnées au second alinéa de l'art. R. 772-1 du code de justice administrative.
La loi du 31 décembre 1968 sur la prescription quadriennale n'est applicable que sous réserve des dispositions définissant un régime légal de prescription spécial à une catégorie déterminée de créances susceptibles d'être invoquées à l'encontre d'une des personnes morales de droit public visées par cette loi. Ainsi, ces dispositions ne sont pas applicables aux réclamations qui sont présentées, instruites et jugées dans les formes prévues par le Livre des procédures fiscales.

En revanche, aucune disposition législative non plus qu'aucun principe général régissant le contentieux fiscal ne prévoit que les créances afférentes aux impositions mentionnées au second alinéa de l'art. R. 772-1 du CJA seraient, quant à elles, exclues du champ d'application de la loi du 31 décembre 1968.

Par suite, lorsqu'une réclamation portant sur une telle imposition, a été présentée dans le délai fixé à l'art. R. 772-2 précité, elle interrompt la prescription pour le délai de quatre ans, prévu par la loi du 31 décembre 1968 ; il appartient donc à l'autorité administrative compétente d'opposer la prescription dans l'hypothèse où le contribuable, en l'absence de recours juridictionnel devant le juge de l'impôt, n'aurait pas renouvelé sa réclamation avant l'expiration de ce délai.

La troisième question concernait l'application de la prescription quadriennale à la CSPE. 
Comme on vient de le lire, la prescription quadriennale peut en principe être opposée aux créances fiscales afférentes à la CSPE, dont le contentieux est régi par le code de justice administrative. Or ni la loi d’habilitation du 8 novembre 2019 (art. 57, III) relative à l'énergie et au climat, ni la loi du 10 mars 2023 (art. 104) relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, ratifiant l'ordonnance du 26 février 2020, ni les dispositions de cette même ordonnance n’ont institué de régime légal de prescription propre aux créances fiscales considérées. Ainsi, la circonstance que, dans le cadre de la procédure de règlement transactionnel, ne soit pas mentionné, au nombre des pièces à joindre à la demande du contribuable, le cas échéant, de document valant renouvellement de la réclamation initiale aux fins de prolonger l'interruption du délai de prescription ne saurait faire obstacle à l’application de la loi de 1968 aux créances issues de la CSPE. C’est donc au président de la Commission de régulation de l'énergie d'opposer la prescription quadriennale au contribuable qui, en l'absence de recours formé devant le juge de l'impôt, n'aurait pas renouvelé sa réclamation avant l'expiration du délai de quatre ans prévu à l'art. 2 de la loi du 31 décembre 1968, et cela alors même que sa demande  - présentée dans le cadre de la procédure de règlement transactionnel - a été assortie de l'ensemble des pièces exigées par les dispositions de l'ordonnance du 26 février 2020 et du décret du 30 octobre 2020.

(17 octobre 2023, Société Protexsur, n° 475983)

 

48 - Appel incident étant en réalité un appel principal – Litige distinct - Absence de formation dans le délai d’appel – Irrecevabilité pour forclusion - Rejet.

On sait que l’appel incident, c’est-à-dire qui se greffe sur un autre appel dit « principal » peut être formé sans condition de délai. Il faut, pour cela, que l’appel incident ne porte pas sur un litige distinct de celui qui fait l’objet de l’appel principal sinon il ne serait qu’un second appel principal parallèle au premier et devrait respecter toutes les conditions, notamment de délai, requises d’un appel principal.

En l’espèce, où le litige portait sur un refus d’hébergement d’urgence, une partie demandait l’annulation d’une ordonnance de référé en tant qu'elle avait rejeté ses conclusions tendant à ce que soit enjoint au président d’un conseil départemental de l'admettre au bénéfice de l'aide sociale à l'enfance à titre provisoire et de le prendre en charge à ce titre. Or ces conclusions, dirigées contre un département, avaient un objet différent et soulevaient donc un litige distinct de celles dirigées contre l'État, alors même que ces dernières l'étaient à titre subsidiaire. C’était donc un appel principal et non un appel incident, il devait être formé dans le délai d’appel, formé hors délai il était irrecevable.

(ord. réf. 17 octobre 2023, Me Roxane Vigneron, n° 488480 ; Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488747)

V. aussi pour un autre aspect de cette décision, le n° 100

 

49 - Demande d’autorisation de poser une antenne de téléphonie mobile – Refus du maire – Annulation par les juges du fond – Conclusions manifestement irrecevables – Impossibilité de faire droit à des conclusions incidentes – Annulation et confirmation, au fond, du rejet prononcé en première instance comme en appel.

(24 octobre 2023, Commune de Sainghin-en-Mélantois, n° 465360)

V. n° 8

 

50 - Fermeture administrative de deux commerces pour un mois – Absence d’urgence au sens de l’art. L. 521-2 CJA – Rejet.

Est rejetée une requête en référé liberté dirigée contre les arrêtés préfectoraux ordonnant la fermeture administrative pour un mois de deux épiceries car les demandeurs n’établissent pas l’existence de l’urgence spécifique à l’art. L. 521-2 CJA, l'existence d'une perte de revenus ne suffisant pas à caractériser une situation d'urgence au sens de ce texte, d’autant que les requérants ne produisent aucun élément comptable et financier propre à démontrer les conséquences de la fermeture administrative temporaire de leurs établissements sur leur situation financière personnelle. 

(ord. réf. 30 octobre 2023, Mme B., n° 489011)

 

51 - Décision du Conseil d’État – Demande d’exécution – Classement de la demande – Litige distinct – Rejet.

L’intéressé demande au Conseil d’État de faire assurer l’exécution de sa décision du 19 février 2009 par laquelle, annulant une décision de refus de visa d’entrée en France, il a enjoint au ministre de l’immigration de faire délivrer à son fils un tel visa dans le délai d’un mois.

Le recours en exécution est rejeté car la décision du 19 février 2009 a bien été exécutée. En réalité, par le présent recours, le demandeur conteste le refus opposé par le consul général de France à Oran, par une décision du 18 juillet 2022, à la délivrance d’un visa d'entrée et de séjour à son fils, il soulève ainsi un litige distinct qui ne se rapporte pas à l'exécution de la décision du 19 février 2009 et dont il n'appartient pas au Conseil d'État de connaître dans le cadre de la présente instance.

(23 octobre 2023, M. A., n°468671)

 

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

52 - Plus-values professionnelles – Cession d’éléments de l’actif immobilisé – Conditions – Absence – Rejet.

Des exploitants agricoles commercialisent l’électricité d’origine photovoltaïque produite par des panneaux couvrant les bâtiments agricoles. Lors de la cession de leur exploitation agricole l’administration a entendu imposer la plus-value dégagée par la vente d’électricité. Les contribuables invoquent les dispositions de l’art. 151 septiès du CGI qui prévoient une exonération des plus-values réalisées dans le cadre de certaines activités professionnelles à l'occasion de la cession d'éléments de l'actif immobilisé, à la condition, notamment, que l'activité ait été exercée depuis plus de cinq ans.

Le juge de cassation, saisi par les intéressés après que leur action a été rejetée en première instance et en appel, rejette le pourvoi.

Tout d’abord, il rappelle, s’agissant de la condition relative à la durée de l’activité, que lorsque le contribuable exerce plusieurs activités, le respect de cette condition s'apprécie activité par activité, dans le cadre de l’activité où a été réalisée la plus-value. En l’espèce, comme jugé par les juges du fond, la production et la vente d'électricité doivent être regardées, en principe, comme constituant une activité distincte des autres activités exercées par le contribuable.

Ensuite, il approuve la cour d’avoir jugé que la production et la vente d'électricité d'origine photovoltaïque ne pouvaient pas être assimilées, pour l'application des dispositions précitées, aux activités agricoles exercées par l'EARL contribuable, sans qu'aient d'incidence à cet égard la circonstance que sont réputées agricoles, notamment, les activités exercées par un exploitant agricole qui sont dans le prolongement de l'acte de production ou qui ont pour support l'exploitation, alors même que les panneaux solaires utilisés pour produire l'électricité étaient installés sur des bâtiments de l'exploitation agricole.

Enfin, est jugée régulière l’application en l’espèce du taux marginal d’imposition.

(04 octobre 2023, M. et Mme B., n° 462030)

(53) V. aussi, largement comparable, sauf pour la majoration pour retard : 04 octobre 2023, M. et Mme A., n° 464969.

 

54 - Joueur de football professionnel – Prime pour résiliation du contrat de travail sans préavis – Prime jugée n’être pas un élément de la rémunération au sens du 1 du I de l’art. 155 B du CGI – Prime indemnisant la perte du contrat de travail et ne correspondant pas à un service ou à un travail fourni par le salarié – Prime jugée non imposable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

(04 octobre 2023, M. Mohamed Sissoko, n° 466714)

V. n° 224

 

55 - Acte anormal de gestion – Déduction du bénéfice imposable d’une société de rémunérations versées à l’un des agents d’une autre société, dirigeant de la première – Absence d’acte anormal de gestion – Versements de rémunérations à titre rétroactif à une personne non rémunérée jusque-là – Absence d’acte anormal de gestion – Annulation avec renvoi partiel.

La société contribuable requérante a déduit de son bénéfice imposable les honoraires versés à la société Sonely à raison des prestations de management réalisées par un dirigeant commun, exerçant respectivement les fonctions de gérant de la société vérifiée et de co-gérant de la société prestataire. Par ailleurs, le gérant de la société contribuable, précédemment salarié de celle-ci, qui n’avait pas perçu de rémunération, s’est vu accorder une rémunération à titre rétroactif.

Approuvée par le juge d’appel, l’administration fiscale a vu dans ces deux situations des actes anormaux de gestion.

La société se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État juge qu’il n’y a pas eu en l’espèce d’acte anormal de gestion.

En premier lieu, la conclusion par une société d'une convention de prestations de services avec une autre société pour la réalisation, par le dirigeant de la première, de missions relevant des fonctions inhérentes à celles qui lui sont normalement dévolues ne relève pas d'une gestion commerciale anormale si cette société établit que ses organes sociaux compétents ont entendu en réalité, par le versement des honoraires correspondant à ces prestations, rémunérer indirectement le dirigeant et qu'ainsi ce versement n'est pas dépourvu pour elle de contrepartie, le choix d'un mode de rémunération indirect ne caractérisant pas en lui-même un appauvrissement à des fins étrangères à son intérêt.

En second lieu, l'absence de versement, par une société, d'une rémunération à son dirigeant au cours d'un exercice ne constitue pas une décision de gestion faisant obstacle à la rémunération de ce même dirigeant, sur décision des organes sociaux compétents, au cours d'un exercice postérieur, le cas échéant à titre rétroactif, ou, au cours du même exercice, par l'intermédiaire d'une autre société. 

(04 octobre 2023, Société Collectivision, n° 466887)

 

56 - Fiscalité locale – Décret autorisant jusqu’à 60% de hausse de la taxe d'habitation sur les logements meublés non affectés à l'habitation principale – Autorisation ne valant pas décision d’augmentation – Absence de preuve d’une atteinte grave aux intérêts des requérants – Rejet.

Par cette décision, le Conseil d’État rejette la demande de référé suspension dirigée contre le décret du 25 août 2023 qui a modifié l'annexe au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants, notamment pour établir la liste des communes concernées par l'élargissement du périmètre d'application de cette taxe et, partant, de la majoration de taxe d'habitation sur les logements meublés non affectés à l'habitation principale qui peut désormais atteindre un plafond de 60%.

Le recours est rejeté, d’une part, car les requérants n’apportent pas de précisions suffisantes afin de permettre au juge d’apprécier les effets de cette mesure sur leur situation et, d’autre part, car les communes devant prendre des délibérations pour adopter un taux de la taxe, il s’ensuit que ce n’est pas le décret mais cette délibération qui aura des effets directs sur les intérêts des propriétaires. On pourrait tout aussi bien dire que les délibérations ne peuvent avoir de tels effets que parce que le décret litigieux les y autorise…

(ord. réf. 06 octobre 2023, Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres, n° 488602)

 

57 - Taxe foncière sur les propriétés bâties – Champ d’application – Ensembles modulaires de chantiers – Installations provisoires – Enlèvement en fin de chantier – Soumission à la taxe – Rejet.

En vue de la refonte d’une usine d’épuration a été installé un important chantier sur lequel ont été posées, notamment, des structures modulaires déplaçables posés sur le sol ou sur des parpaings (à usage de vestiaires, sanitaires, réfectoires, salles de réunions ou bureaux…), reliées à une pergola, pour constituer à titre provisoire, pendant la durée du chantier, un espace de vie pour les ouvriers y travaillant ainsi qu’un parking à cette même fin.

L’administration fiscale a estimé ces éléments comme devant être assujettis à la taxe foncière sur les propriétés bâties. Sur saisine des entreprises concernées, le tribunal administratif a confirmé cette analyse au visa des dispositions, on ne peut plus compréhensives, des art. 1380 et 1381 du CGI. Le juge ne s’est pas arrêté au fait que ces ensembles modulaires sont seulement posés sur le sol ou sur des parpaings, qu’ils sont démontables et réutilisables car ils sont reliés à l'ensemble des réseaux et des scellements en béton, qu’ils ont été réalisés avec des marches en béton à l'avant des bungalows et des allées bétonnées entre chaque rangée d'ensembles modulaires et que ces éléments nécessitent, pour être déplacés, un semi-remorque et une grue de 35 tonnes. 

Sur pourvoi, le Conseil d’État confirme pleinement la motivation et la solution retenues par les premiers juges.

Ce fétichisme de l’imposition à tout prix n’aura pour seul résultat certain que l’augmentation du coût des marchés et autres contrats publics, les entreprises candidates ne manquant pas de les inclure dans leurs prévisions financières.

Encore une pierre dans le jardin de la compétitivité française…

(13 octobre 2023, Société Razel-Bec, n° 463325 ; Société Chantiers Modernes Construction, n° 464485 et n° 465193)

 

58 - Omissions ou inexactitudes des déclarations fiscales – Cas d’un manquement délibéré – Pénalité infligée – Conditions de légalité – Application à la déduction, de la base d’imposition, d’une pension alimentaire jugée très élevée – Annulation.

L’un des points du litige relatif à une minoration des revenus déclarés ou de leur assiette, portait sur le « manquement délibéré » qu’aurait commis le contribuable en majorant indûment le montant de la pension alimentaire versée à sa mère.

Le CGI majore de 40% les droits dus du fait d’omissions ou inexactitudes entachant une déclaration de revenus.

Le juge rappelle ce qu’il convient d’entendre par cette expression dont use le législateur sans autrement la définir : « la pénalité pour manquement délibéré a pour seul objet de sanctionner la méconnaissance par le contribuable de ses obligations déclaratives. Pour établir ce manquement délibéré, l'administration doit apporter la preuve, d'une part, de l'insuffisance, de l'inexactitude ou du caractère incomplet des déclarations et, d'autre part, de l'intention de l'intéressé d'éluder l'impôt. ».

L’administration, confirmée par les juges de première instance et d’appel, avait cru déceler un tel manquement dans l'importance des pensions alimentaires déclarées comme déductibles par le contribuable et l'insuffisance des justifications apportées par lui pour établir cette déductibilité.

À l’évidence ce n’est pas là la preuve du caractère délibéré du manquement car ni l'importance des sommes déduites à tort, ni le caractère insuffisant des justifications apportées par le contribuable ne suffisent, par elles-mêmes, à établir une telle intention.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464351)

 

59 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Montant devant correspondre aux dépenses de fonctionnement réellement exposées pour le service public des ordures ménagères – Preuve devant être établie au moyen d’une comptabilité analytique – Invocation d’un tel moyen n’étant pas inopérant – Omission d’y répondre – Annulation.

Rappel, une nouvelle fois, qu’en omettant de statuer sur un moyen qui n’est pas inopérant, une juridiction statue irrégulièrement. Tel est le cas, dans le contentieux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, du moyen que le montant des dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères retenu pour apprécier le caractère proportionné du taux fixé pour l'année 2020 par une collectivité incluait une somme de 17 600 665 euros correspondant à une quote-part des charges d'administration générale de la commune dont il n'était pas justifié, au moyen d'une comptabilité analytique, qu'elles pouvaient être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et assimilés.

Le jugement est annulé.

(13 octobre 2023, SCI Ringmerit Alpha, n° 472774)

(60) V. aussi, identique : 13 octobre 2023, SCI Ringmerit Alpha, n° 472775.

 

61 - Impôt sur les sociétés – Exemption pour les sociétés de construction d’immeubles en vue de la vente – Condition devant être corroborée par l’objet social – Situation inverse – Rejet.

Le I de l'article 239 ter du CGI prévoit, à certaines conditions, une exemption d'impôt sur les sociétés au profit des seules sociétés civiles qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente et qui réalisent de telles opérations.

Le juge tire de là une double déduction.

En premier lieu, une société civile ne peut, en principe, utilement se prévaloir de ce que les seules opérations qu'elle a réalisées sont des opérations de construction d'immeubles en vue de la vente pour prétendre bénéficier du régime établi par les dispositions en cause dès lors que son objet social ne comportait pas la construction d'immeubles en vue de la vente. Il faut donc et la réalité d’une activité de construction pour revendre et la conformité de cette activité à l’objet statutaire de la société qui prétend au bénéfice de cette exonération.

En second lieu, le juge indique qu’une société qui remplirait les conditions pour bénéficier de ce régime ne saurait davantage se prévaloir, en l'absence de toute modification de son activité réelle, d'une modification de ses statuts qui aurait supprimé la mention de l'activité de construction d'immeubles en vue de la vente pour soutenir qu'elle devrait, à raison de cette seule modification, être assujettie à l'impôt sur les sociétés. Ceci s’analyserait sans doute, la décision ne le dit pas, à un abus de droit : le montage juridique consistant à supprimer de l’objet social une activité pourtant bien réelle ne serait destiné qu’à éluder ou réduire le paiement de l’impôt.

(13 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 446017)

 

62 - Détermination du résultat d’ensemble d’un groupe fiscalement intégré – Déduction de déficits antérieurs d’une société – Obligations de recherche s’imposant au juge – Annulation.

Commet une erreur de droit une cour administrative d’appel qui juge déductible du résultat d’ensemble d’un groupe fiscalement intégré qu’une société forme avec ses filiales, une somme correspondant à des déficits antérieurs de cette société sans rechercher ni si ces déficits n'avaient pas été subis antérieurement à la création du groupe fiscalement intégré ni s'ils n'avaient pas déjà été imputés sur les résultats de ce groupe au titre des exercices antérieurs.

(18 octobre 2023, Sarl SEJM, n° 469885)

 

63 - Impôt sur le revenu – Imposition des plus-values – Détermination du prix de revient des biens dont la cession est imposée – Confusion sur le sens des conclusions – Annulation.

Encourt annulation pour s’être méprise sur le sens des écritures dont elle était saisie, la cour administrative d’appel qui affirme que les contribuables ne lui demandaient la prise en compte que de travaux correspondant à des factures d'un certain montant alors qu’ils demandaient, pour calculer la plus-value réalisée à l'occasion de la cession des biens immobiliers en litige et imposée entre leurs mains, qu’il soit tenu compte, dans le prix de revient de ces biens, de travaux d'amélioration, pour lesquels ils fournissaient des factures, d'un certain montant.

(18 octobre 2023, M. et Mme B., n° 47602)

 

64 - Impôt sur les revenus fonciers – Réduction d’impôt pour acquisition d’un logement faisant partie d'une résidence de tourisme classée dans une zone de revitalisation rurale – Conditions et régime – Erreur de droit – Annulation.

Le litige portait sur l’applicabilité à l’espèce des dispositions de l'art. 199 decies E du CGI. Selon ce texte : « Tout contribuable qui (...) acquiert un logement neuf ou en l'état futur d'achèvement faisant partie d'une résidence de tourisme classée dans une zone de revitalisation rurale et qui le destine à une location dont le produit est imposé dans la catégorie des revenus fonciers bénéficie d'une réduction d'impôt sur le revenu. (...)

(...) (Cette réduction) est accordée au titre de l'année d'achèvement du logement ou de son acquisition si elle est postérieure (...).

Le propriétaire doit s'engager à louer le logement nu pendant au moins neuf ans à l'exploitant de la résidence de tourisme. Cette location doit prendre effet dans le mois qui suit la date d'achèvement de l'immeuble ou de son acquisition, si elle est postérieure (...) ".

Toute la question était de savoir ce qu’il convient d’entendre par « neuf » au sens et pour l’application de cette disposition.

La cour administrative d’appel avait jugé que les contribuables remplissaient les conditions pour prétendre au bénéfice de la réduction dès lors qu’ils ont acquis un appartement qui résultait d'une construction nouvelle achevée depuis moins de cinq années et sans qu'ait d'incidence la circonstance que le bien avait déjà été donné en location avant leur achat.

Le Conseil d’État annule cet arrêt entaché d’erreur de droit car doit « être regardé comme neuf, au sens et pour l'application de ces dispositions, un logement n'ayant fait l'objet au préalable d'aucune utilisation, occupation, location ou exploitation. »

(17 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 463003)

 

65 - Personne domiciliée en France –Exercice d’une activité salariée pour un employeur dans un autre État que la France et que celui où est établi cet employeur - Exonération d’impôt sur les salaires perçus – Conditions d’exonération – Refus – Erreur de droit – Annulation.

L’art. 81 A du CGI prévoit dans son I que peut bénéficier d’une exonération de l’impôt sur les revenus constitués par les salaires qu’il en a perçus le contribuable que son employeur envoie dans un autre État que la France et que celui du lieu d’établissement dudit employeur.

L’administration fiscale, confirmée par les juges du fond, a cru pouvoir soutenir qu’en l’espèce l’intéressé n’était pas éligible à cette exonération d’impôts.

Le Conseil d’État annule l’arrêt confirmatif du rejet de la requête de M. et Mme C. en retenant les éléments suivants.

Le travail de M. C., responsable de la maintenance à bord d'un navire de forage pétrolier en Angola et Namibie pendant les années 2015 et 2016, était organisé par une société établie à Athènes où se situaient ses responsables hiérarchiques, qui fixaient ses périodes de rotation sur le navire où il était affecté, arrêtaient ses ordres de mission, contrôlaient son activité, assuraient sa formation professionnelle et procédaient à ses évaluations annuelles.

Le juge de cassation considère que M. C. doit être regardé, pour l'application des dispositions de l'art. 81 A du CGI, comme ayant été employé, au cours des années en litige, par une société. établie en Grèce, État membre de l'Union européenne, en dépit de la circonstance qu'il ait été lié, pour l'exercice des missions que lui confiait cet employeur, par un contrat de travail conclu avec une autre société établie, elle, à Jersey, qui lui versait sa rémunération.

Au reste, il n’est pas discuté qu’au cours des années d'imposition en litige, M. C. a été envoyé par son employeur en Angola et en Namibie, c'est-à-dire dans des États qui, à la fois, sont autres que la France et que celui d'établissement de cet employeur, pour y exercer l'activité salariée de responsable de maintenance à bord d'un navire de forage pétrolier.

M. et Mme C. sont fondés à demander le bénéfice de l'exonération d’impôt sur les salaires perçus par M. C. à ce titre et ce d’autant plus que, par ailleurs, que l'administration n’a pas contesté le respect par les contribuables des autres conditions énoncées par les dispositions du I de l'art. 81 A précité pour prétendre à leur bénéfice.

(17 octobre 2023, M. et Mme C., n° 464551)

 

66 - Demande par une société d’un agrément au transfert des déficits reportables d’une autre société – Conditions d’application du II de l’art. 209 du CGI – Refus et rejet – Refus d’examiner des conclusions subsidiaires – Erreurs de droit – Annulation.

Le II de l'article 209 du CGI décidait, pour l’essentiel, au moment du litige, que : « En cas de fusion ou opération assimilée placée sous le régime de l'article 210 A, les déficits antérieurs (...) non encore déduits par la société absorbée ou apporteuse sont transférés, sous réserve d'un agrément délivré dans les conditions prévues à l'article 1649 nonies, à la ou aux sociétés bénéficiaires des apports, et imputables sur ses ou leurs bénéfices ultérieurs dans les conditions prévues (...) au troisième alinéa du I (...).

(...)

L'agrément est délivré lorsque :

(...) b) L'activité à l'origine des déficits (...) dont le transfert est demandé n'a pas fait l'objet par la société absorbée ou apporteuse, pendant la période au titre de laquelle ces déficits (...) ont été constatés, de changement significatif, notamment en termes de clientèle, d'emploi, de moyens d'exploitation effectivement mis en œuvre, de nature et de volume d'activité ; (...) ».  
Ce texte suppose donc que l'activité transférée à la société absorbante n'ait pas fait l'objet de changement significatif pendant la période au titre de laquelle ont été constatés les déficits dont le transfert est demandé soit entre l'exercice de naissance des déficits jusqu'à l’exercice au cours duquel est effectuée la demande tendant à leur transfert.

Le juge ajoute cette précision, qui nous semble normale, qu’en fonction des conditions et des modalités d'exercice de l'activité transférée durant cette période, l'agrément peut être accordé pour une fraction seulement des déficits dont le transfert est demandé. D’où il suit que le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'une argumentation en ce sens, peut annuler un refus d'agrément en tant seulement qu'il refuserait le transfert d'une fraction des déficits concernés. 

Dans le cas d’espèce, la société Metalic a demandé le 24 mars 2017 le transfert à son profit des déficits reportables constatés dans la comptabilité de la société Fonderie Rhône – dont elle avait acquis en 2013 la totalité du capital social - au terme des exercices clos les 31 décembre 2011, 2014 et 2015 et non encore déduits. L’administration ayant refusé de donner son agrément à ce transfert ainsi que, comme demandé à titre subsidiaire, le transfert des déficits constatés à la clôture des seuls exercices 2014 et 2015, la société Metalic a saisi en vain les juridictions du fond et se pourvoit en cassation de l’arrêt de rejet confirmatif.

Le Conseil d’État est à la cassation.

En premier lieu, la cour a commis une première erreur de droit en fondant son rejet sur ce que la production vendue par la société Fonderie Rhône avait chuté de 1,6 million d'euros au terme de l'exercice clos le 31 décembre 2011 à 288 000 euros au terme de l'exercice clos le 31 décembre 2016 et que les effectifs de la société, au nombre de 25 au 31 décembre 2011, s'établissaient à seulement 7 au 31 décembre 2016. Elle en a déduit que les baisses ainsi constatées étaient constitutives d'un changement significatif de l'activité de la société absorbée au sens des dispositions du b du II de l'article 209 précité du CGI sans prendre en compte l'ensemble des éléments caractérisant l'activité de la société au cours de la période et le contexte économique dans lequel ces évolutions en termes de chiffre d'affaires et d'effectifs s'inscrivaient.

En second lieu, la cour a commis une deuxième erreur de droit en refusant de se prononcer sur les conclusions subsidiaires présentées par la société, tendant à l'annulation du refus d'agrément pour les seuls exercices 2014 et 2015, au motif que la demande de transfert présentée par la société Metalic ne présentait pas un caractère divisible. 

(17 octobre 2023, Société Metalic et société AJ Partenaires, sa mandataire judiciaire, n° 464667)

 

67 - Impôt sur le bénéfice des sociétés - Bénéfices distribués à l’intérieur de sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré exclues du régime mère-fille – Exonération (art. 223 B, alinéa 3, du CGI) – Régime – Incompatibilité avec la liberté de circulation et la liberté d’établissement reconnues par le droit de l’Union européenne – Confirmation et annulation partielles.

La requérante est la société mère d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'art. 223 A du CGI, dont font notamment partie les sociétés Généfinance et SG Financial Services Holding. En 2013 et en 2014, ces deux sociétés ont perçu des dividendes distribués par la société de droit britannique Société Générale Investments (SGI), dans laquelle elles détenaient des participations inférieures au seuil de 5 % prévu par les dispositions de l'art. 145 du CGI pour l'application du régime fiscal des sociétés mères.

La Société Générale a demandé la restitution des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de ces exercices, ainsi qu'à l'augmentation du stock de ses déficits reportables à la clôture de chaque exercice. Elle s’est fondée pour cela sur l'incompatibilité avec la liberté d'établissement protégée par le droit de l'Union européenne des dispositions du troisième alinéa de l'art. 223 B du CGI car elles ne permettent de soustraire du résultat d'ensemble d'un groupe fiscalement intégré les produits de participation qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères que si ces produits proviennent d'une société membre du groupe, à l'exclusion de ceux de ces produits provenant d'une société établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France qui, si elle était établie en France, remplirait les conditions pour être membre de ce groupe.

La cour administrative d'appel a écarté ce moyen.

La Société Générale se pourvoit en cassation au motif que cet arrêt a commis une erreur de droit et méconnu les dispositions des art. 49 et 54 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives à la liberté d'établissement.

1 - En premier lieu, comme l'a d’ailleurs jugé la cour administrative d'appel, le juge de cassation estime que ces dispositions constituent une restriction à la liberté d'établissement protégée par les dispositions de l'art. 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne dès lors que leur application aux seuls produits de participation provenant d'une société membre d'un groupe fiscalement intégré au sens de l'art. 223 A du même code est de nature à dissuader une société mère de créer une filiale dans un autre État membre car cette dernière, faute que ses résultats soient soumis en France à l'impôt sur les sociétés, ne peut être membre d'un tel groupe.

Or cette atteinte à la liberté d’établissement concerne des sociétés-mères se trouvant dans des situations comparables (2) et n’est justifiée par aucun motif impérieux d’intérêt général réellement étayé (3).

2 - En deuxième lieu, s’agissant de la similitude des situations, il est jugé qu’au regard de dispositions prévoyant, par suite de la soustraction des produits de participation du résultat d'ensemble du groupe, une exonération fiscale totale de ces produits, la situation des sociétés appartenant à un groupe fiscalement intégré est comparable à celle des sociétés n'appartenant pas à un tel groupe, qu'il s'agisse de la société mère ou d'une filiale de celle-ci. Dans les deux cas, la société mère supporte des frais et charges liés à sa participation dans sa filiale et les bénéfices réalisés par la filiale et dont sont issus les dividendes distribués sont, en principe, susceptibles de faire l'objet d'une double imposition économique ou d'une imposition en chaîne.

3 - En troisième lieu, le juge démontre l’incohérence du mécanisme ainsi institué.

À supposer qu'une différence de traitement constitutive d'une restriction à la liberté d'établissement puisse être justifiée par une raison impérieuse d'intérêt général telle que la nécessité de sauvegarder la cohérence du régime de l'intégration fiscale, lequel repose sur l'assimilation du groupe constitué par la mère et ses filiales à une seule entreprise ayant plusieurs établissements, il n’en reste pas moins qu’un lien direct doit être établi entre l'avantage fiscal en cause et un désavantage fiscal résultant de la neutralisation des opérations internes au groupe. Or, constate avec pertinence le juge, si la neutralisation, dans le calcul du résultat d'ensemble du groupe, des produits de participation qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères résulte de l'assimilation du groupe constitué par la société mère et ses filiales à une seule entreprise ayant plusieurs établissements, cette neutralisation ne procure aucun désavantage fiscal à la société mère tête du groupe fiscalement intégré, mais lui confère, au contraire, l'avantage fiscal contesté. D’où cette inévitable conclusion qu’en l'absence de lien direct entre cette exonération et un désavantage résultant de l'application du régime de l'intégration fiscale, la limitation de son champ d'application aux seuls produits de participations provenant de sociétés membres du groupe ne peut être justifiée par la nécessité de sauvegarder la cohérence du système fiscal.

L’arrêt est annulé pour avoir écarté le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions du troisième alinéa de l'art. 223 B du CGI avec le droit de l'Union européenne au motif que la restriction à la liberté d'établissement qui en résultait était justifiée par la raison impérieuse d'intérêt général tenant à la cohérence du système fiscal.

(17 octobre 2023, Société Générale, n° 464994)

 

68 - Article L. 77 du Livre des procédures fiscales (LPF) - Vérification simultanée des taxes sur le chiffre d'affaires et taxes assimilées et de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés – Impôt sur le revenu complémentaire assis en ce cas sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt – Disposition inapplicable en l’espèce – Rejet.

Un contribuable a acquis de la société de marchand de biens dont il est l’associé unique et le gérant, un terrain dont le prix de cession est inférieur de 25% à sa valeur vénale déterminée par celle d’un terrain mitoyen. L’administration a entendu taxer en qualité d’avantage occulte cette différence.

Le contribuable a invoqué le bénéfice des dispositions de l’art. 77 du LPF selon lesquelles, notamment « Les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés peuvent, dans la mesure où le bénéfice correspondant aux rectifications effectuées est considéré comme distribué, par application des articles 109 et suivants du code général des impôts, à des associés ou actionnaires dont le domicile ou le siège est situé en France, demander que l'impôt sur le revenu supplémentaire dû par les bénéficiaires en raison de cette distribution soit établi sur le montant du rehaussement soumis à l'impôt sur les sociétés diminué du montant de ce dernier impôt. »

Sur pourvoi de l’intéressé le juge de cassation approuve la cour administrative d’appel d’avoir jugé cette disposition inapplicable au cas de l’espèce car ne peuvent bénéficier de l’effet dit « de cascade » que les sommes, constitutives d'une libéralité, directement appréhendées par l'associé et taxées entre ses mains sur le fondement du c de l'article 111 du CGI.

(25 octobre 2023, M. A., n° 466532)

 

69 - Bénéfices non commerciaux – Imposition à ce titre d’un virement de 500 000 euros – Pièces consultées auprès du parquet national financier – Vente fictive de deux tableaux - Absence de description ou de qualification de la « prestation » litigieuse par le juge – Insuffisance de motivation et erreur de droit – Annulation.

L’administration a mis à la charge du contribuable une imposition supplémentaire portant sur un virement de 500 000,00 euros en se fondant sur diverses pièces qu'elle a consultées auprès du parquet national financier, lesquelles faisaient notamment état de la mise en examen de l'intéressé pour avoir participé « à la confection d'un ensemble de documents (promesse d'achat, lettre, facture) destinés à formaliser la vente fictive de deux tableaux du peintre X pour la somme de 500 000 euros et en faisant usage desdits faux ».

Alors que le tribunal administratif avait accordé décharge de l’imposition à l’intéressé, la cour administrative d'appel a estimé que l'administration fiscale devait être regardée comme établissant que la somme de 500 000 euros avait été versée, non pas en contrepartie de la vente de tableaux, mais de la réalisation d'une prestation.

Au requérant, qui faisait valoir que l'administration fiscale n'avait pas été en mesure d'identifier la nature de la prestation qui aurait été rémunérée par le versement de la somme de 500 000 euros, la cour a cru pouvoir se borner à juger qu'il était établi « que la somme de 500 000 euros est venue rémunérer une prestation susceptible de se renouveler, dont la rémunération doit donc être regardée (...) comme un revenu ».

Le Conseil d’État est à la cassation car la cour, qui n’a ni décrit, ni qualifié la prestation en contrepartie de laquelle la somme de 500 000 euros aurait été versée, a jugé comme établie la possibilité de la répétition ou de la réitération de l'activité ou de l'action à la source du gain litigieux, elle a ainsi insuffisamment motivé son arrêt et commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 92 du CGI (qui considère « comme provenant de l'exercice d'une profession non commerciale ou comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices des professions libérales, des charges et offices dont les titulaires n'ont pas la qualité de commerçants et de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus. »).

(25 octobre 2023, M. B., n° 467538)

 

70 - Avantage fiscal attribué aux dirigeants de certaines sociétés – Abattement fixe et abattement supplémentaire sur les gains nets retirés de cessions à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits sur ces actions ou parts – Interprétation stricte – Conditions non remplies – Rejet.

L'article 150-0 D ter du CGI instaure un avantage fiscal sur les gains nets retirés de la cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés ou de droits portant sur ces actions ou parts consistant en un abattement fixe de 500 000 € et, pour le surplus éventuel, de l'abattement prévu au 1 quater dudit article 150-0 D à certaines conditions. Cette disposition, ainsi que celle de l’art. 885 O bis de ce code, sont d’interprétation très stricte car elles constituent une exception au principe universel d’imposition des gains et revenus (en vertu du principe exceptiones sunt strictissimae interpretationis) ; elles ne sauraient donc voir leur champ d’application étendu par un raisonnement a pari, a fortiori ou a contrario.

Le bénéfice de l'avantage fiscal précité ne peut concerner que les dirigeants justifiant avoir assuré de manière effective, personnelle et continue la gestion de la société dont ils cèdent les titres lors des cinq années précédant cette cession, et ayant perçu une rémunération normale à ce titre.

En l’espèce, le contribuable, qui a souscrit 499 parts de la société sur 500 en 1999, puis 39 370 parts en 2010, avant d'acquérir la dernière part en 2014, soutenait qu'il convenait de prendre pour point de départ de la durée de détention des 39 370 parts souscrites en 2010 la date d'acquisition des 499 parts souscrites en 1999, dès lors que cette souscription résultait de l'incorporation au capital social de son compte courant d'associé, laquelle aurait selon lui le même effet qu'une augmentation du nominal des titres qu'il détenait précédemment, peu important l'augmentation du nombre total des actions représentant sa participation dans la société, laquelle n'aurait revêtu qu'un caractère formel.

Il est jugé que la cour n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que cette opération n'était au contraire pas demeurée sans incidence sur la structure du bilan de la société, dès lors que l'incorporation du compte courant d'associé avait entraîné un désendettement et un accroissement de l'actif net de la société, et que les titres ainsi souscrits en 2010 par M. B. par transformation de sa créance sur la société en une participation au capital accru de celle-ci étaient détenus par lui depuis cette opération seulement, pour en déduire que la plus-value de cession de ces titres ne pouvait bénéficier de l'abattement pour durée de détention renforcé de 85 % prévu au 3° du A du 1 quater de l'article 150-0 D du CGI.

(25 octobre 2023, M. B., n° 470394)

 

71 - Contribuable – Obligation déclarative – Absence – Taxation d’office – Mariage entre Français à l’étranger - Imposition par foyer après mariage – Rejet.

Dans une affaire où des Français avaient contracté mariage aux États-Unis en 2010, ce dernier n’avait été transcrit sur les registres de l’état-civil qu’en 2015.

C’est sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a d’abord jugé que les époux n'étaient pas soumis à une imposition commune au titre des années 2013 et 2014, en litige, et que les déclarations souscrites par l'épouse de M. A. au titre de ces années en qualité de « divorcée / séparée » ne pouvaient être regardées comme l'ayant été au nom des deux époux.

C’est également sans erreur de droit qu’elle a ensuite jugé que M. A. ne s’étant pas acquitté de son obligation déclarative, l’administration fiscale était fondée à le soumettre à la procédure de taxation d’office, alors même que celle-ci aurait eu connaissance de la transcription du mariage à la date à laquelle elle lui a adressé une mise en demeure de souscrire des déclarations de revenu pour les années en litige.

Enfin, il ne saurait être reproché à la cour d’avoir, sans dénaturation, souverainement jugé que l'administration fiscale avait pu, sans méconnaître les dispositions de l'art. L. 76 B du livre des procédures fiscales, s'abstenir de communiquer au contribuable deux procès-verbaux de gendarmerie obtenus de l'autorité judiciaire par exercice du droit de communication, dès lors que les éléments contenus dans ces procès-verbaux n'avaient pas été utilisés pour établir les impositions.

(25 octobre 2023, M. A., n° 472191)

 

72 - Environnement – Fiscalité des centrales de production d’électricité photovoltaïque – Différence de traitement selon que les installations sont en un même lieu ou réparties entre plusieurs – Différence justifiée – Rejet.

Les requérantes demandent l’annulation du refus implicite du ministre de l’économie, des finances… d’abroger plusieurs paragraphes des commentaires administratifs publiés au BOFiP-Impôts relativement à l’art. 1519 F du CGI.

En bref, il est reproché aux pouvoirs publics d’avoir instauré un mécanisme d’imposition différent entre les installations produisant plus de 100 kilowatts selon qu’elles sont situées en un même lieu ou en plusieurs lieux.

La requête est rejetée.

En premier lieu, le juge rappelle opportunément que les demandeurs ne peuvent se prévaloir, pour déterminer l’intention du législateur, du contenu des travaux préparatoires que dans le cas où le texte légal n’est pas clair en lui-même or ce n’est pas le cas de l’art. 1519 F du CGI qui indique très explicitement soumettre à l'imposition qu'il institue les centrales de production d'énergie électrique d'origine photovoltaïque dont la puissance électrique installée est supérieure ou égale à 100 kilowatts, les établissements regroupant, en un même lieu, en vue d'une même exploitation, des installations de production d'énergie d'origine photovoltaïque dont la puissance installée cumulée, c'est-à-dire la puissance totale injectée sur les réseaux publics d'électricité, que ce soit en un ou plusieurs points de livraison, et, le cas échéant, autoconsommée, excède ce seuil. 

Par ailleurs, les commentaires contestés, en leur § n° 15 (comme en leurs autres §), contrairement à ce qui est soutenu, n’ajoutent pas à la loi dont ils éclairent la portée.

Enfin, la différence de traitement n’est pas contraire aux stipulations du 1er protocole additionnel à la Convention EDH car elle est ici justifiée par le fait que la situation de l'exploitant d'un établissement de production d'énergie électrique d'origine photovoltaïque regroupant dans un même lieu des installations de production dont la puissance installée cumulée excède 100 kilowatts ne peut être regardée comme analogue à celle de l'exploitant de plusieurs établissements de production d'énergie de même origine situés dans des lieux différents et dont la somme des puissances installées serait la même. 

(25 octobre 2023, Sociétés S.A.S.U. 2 Energie GAC et Vouillé photovoltaïque, n° 479417)

 

Droit public de l'économie

 

73 - Nomination du P-D.G. d’ÉDF – Décret du président de la république – Désignation soumise au régime de l’art. 19 de l’ordonnance du 20 août 2014 – Ordre chronologique des formalités préparatoires – Ordre sans effet juridique – Rejet.

Les deux recours joints contestent les conditions dans lesquelles s’est déroulée la procédure de désignation, par le président de la république (décret du 23 novembre 2022), du P-D.G. d’ÉDF.

Ils considèrent que n’a pas été respecté l’ordre des actes préparatoires prévu par les textes.

En effet, le chef de l’État, compétent en vertu de l’art. 13 de la Constitution pour effectuer cette désignation, à lire les dispositions du 1° du I de l’art. 19 de l’ordonnance du 20 août 2014, relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique,combinée à celles de la loi organique du 23 juillet 2010  relative à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution, semble bien devoir prendre connaissance, d’abord, de la proposition  faite à cet égard par le conseil d’administration de l’entreprise, ensuite des avis de la commission compétente au sein de chacune des deux chambres du parlement. On aura bien noté que dans le premier cas, il s’agit d’une proposition, dans le second d’avis.

Les demandeurs soulevaient l’irrégularité résultant du non-respect de cet ordre séquentiel. En effet, si les commissions compétentes de chaque chambre ont rendu, chacune, un avis public le 26 octobre 2022, le conseil d’administration d’ÉDF n’a formulé sa proposition que trois semaines plus tard.

Le Conseil d’État rejette le moyen en relevant qu’aucun texte n’impose un tel ordre chronologique ou n’en sanctionne le non-respect. La solution n’a pas pour elle les vertus de l’évidence ou celles du bon sens : il existe bien une sérieuse différence juridique entre une proposition et des avis : que seraient ces derniers à défaut de proposition ou s’ils portaient sur des noms autres que celui figurant sur la proposition ?

Voilà une belle illustration de l’expression « cul par-dessus tête »...

(04 octobre 2023, M. H. et autre et parti l’Avenir français, n° 470792 ; M. X. et autres, n° 470833, jonction)

 

74 - Entreprises disposant de certaines flottes de véhicules - Obligation annuelle progressive d’acquisition de véhicules à faibles émissions – Principes d’égalité et de libre concurrence – Libertés du commerce et de l’industrie et d’entreprendre – Autres libertés – Rejet.

(11 octobre 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités, n° 454045)

V. n° 114

 

75 - Droit public de l’agriculture – Aménagement foncier – Procédure devant la commission départementale – Recours administratif préalable obligatoire – Effet en cas de saisine postérieure du juge – Erreur de droit – Annulation.

Le litige portait sur le classement de parcelles dans le cadre d’une opération d’aménagement foncier. Les requérants, après avoir saisi la commission départementale d’aménagement foncier, ont demandé au juge administratif l’annulation de sa décision subséquente.

Celui-ci a estimé leur recours irrecevable faute de réclamation préalable. La cour administrative d’appel, sur appel du département, a annulé ce jugement en tant qu'il avait donné partiellement satisfaction aux demandeurs, rejeté, dans la même mesure, leur demande relative à un certain compte de propriété ainsi que l'appel formé par M. B. et autres contre le surplus du jugement.

Ces derniers se pourvoient en cassation.

Pour annuler, comme entaché d’erreur de droit, cet arrêt, le juge de cassation rappelle que le requérant qui entend contester la décision d’une commission départementale devant le juge administratif, peut, jusqu'à la clôture de l'instruction, invoquer tout moyen de droit nouveau, alors même qu'il n'aurait pas été invoqué à l'appui du recours administratif contre la décision initiale, dès lors que ces moyens sont relatifs au même litige que celui dont avait été saisie l'autorité administrative. 

Or, en l’espèce, les requérants ont mis en cause, en première instance comme en appel, le classement des parcelles litigieuses au regard de la qualité des sols, de l'humidité ou du dénivelé de plusieurs parcelles relevant de différents comptes, sur la circonstance que ce moyen n'avait pas été invoqué devant la commission départementale, alors que les requérants pouvaient présenter pour la première fois devant le juge tout moyen de droit nouveau dès lors qu'il était relatif au même litige que celui dont avait été saisie cette commission, d’où l’erreur de droit. 

(13 octobre 2023, M. B. et autres, n° 462366)

 

76 - Autorité des marchés financiers (AMF) – Sanction d’une société de droit anglais –Infraction de manipulation des cours – Rejet.

La requérante demandait l’annulation de décisions de sanction (amende de 5 millions d’euros, publication pendant cinq ans sur le site de l’AMF) prise par l’autorité des marchés financiers.

Auparavant se posait la question de savoir si le Conseil d’État était compétent pour se prononcer en la matière dans la mesure où était en cause une société de courtage de droit anglais. Le juge lève l’obstacle en se bornant à relever qu’à la date des faits en cause cette société était enregistrée en France pour intervenir en libre établissement.

La décision se prononce sur trois points.

En premier lieu, le motif de la sanction était le fait d’avoir commis un acte de manipulation des cours pour des opérations sur le FESX (ou EuroStoxx 50, indice des plus grandes entreprises de la zone Euro, il porte sur les cinquante actions les plus importantes des pays de l’Union européenne) réalisées entre le 26 mai et le 24 juillet 2015. Après analyse des faits, le juge constate que tel a bien été le cas en fonction des dispositions du b) du 1 de l'art. 12 du règlement (UE) l du 16 avril 2014, lequel dispose que constitue une manipulation de cours toute opération influençant ou étant susceptible d'influencer le cours d'un ou de plusieurs instruments financiers, en ayant recours à des procédés fictifs ou à toute autre forme de tromperie ou d'artifice.

En deuxième lieu, il convenait de déterminer si cette manipulation, dès lors qu’elle était certaine, était bien imputable à la requérante, ce que cette dernière contestait. Le juge retient cette imputabilité en relevant en particulier que si la société Tullett Prebon Ltd a fait valoir au cours de la procédure qu'elle avait mis en place des dispositifs pour identifier les risques, ceux-ci étaient insuffisants pour prévenir et détecter les manquements professionnels reprochés à l’unique courtier chargé de l’opération, le système de surveillance permettant de détecter de tels manquements et le renforcement des équipes dédiées au contrôle n'étant notamment intervenus que postérieurement aux faits en cause.

En troisième et dernier lieu, ne pouvait guère prospérer le moyen tiré du caractère disproportionné des sanctions infligées eu égard aux disponibilités de la contrevenante et à aux effets de cette sanction.

(13 octobre 2023, Société Tullett Prebon Ltd, n° 457232)

 

77 - Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) - Subventions aux investissement agricoles (vitivinicoles) – Retrait d’une décision d’octroi  - Régime général – Contrôle de proportionnalité – Annulation partielle.

Cette décision, qui porte sur la sanction du non-respect partiel par une entreprise vitivinicole des conditions d’octroi d’une subvention européenne, est intéressante à trois points de vue.

D’abord, elle rappelle le régime applicable aux subventions, ici à caractère économique. La formulation est classique mais mérite d’être rappelée : « Une décision qui a pour objet l'attribution d'une subvention constitue un acte unilatéral qui crée des droits au profit de son bénéficiaire. Toutefois, de tels droits ne sont ainsi créés que dans la mesure où le bénéficiaire de la subvention respecte les conditions mises à son octroi, que ces conditions découlent des normes qui la régissent, qu'elles aient été fixées par la personne publique dans sa décision d'octroi, qu'elles aient fait l'objet d'une convention signée avec le bénéficiaire, ou encore qu'elles découlent implicitement mais nécessairement de l'objet même de la subvention. Il en résulte que les conditions mises à l'octroi d'une subvention sont fixées par la personne publique au plus tard à la date à laquelle cette subvention est octroyée. Quand ces conditions ne sont pas respectées, en tout ou partie, le retrait ou la réduction de la subvention peuvent intervenir sans condition de délai. » (V. à ce sujet la thèse de Mme Clothilde Blanchon « Recherche sur la subvention. Contribution à l’étude du don public », Aix-en-Provence, LGDJ, 2019, Bibl. dr. pub.)

Ensuite, alors que la subvention en cause avait été attribuée par le FEOGA, organisme communautaire, le Conseil d’État estime, dans une formulation inédite et de principe, que lorsque l'autorité compétente constate la méconnaissance d'une condition à laquelle l'octroi d'une subvention a été subordonnée, il lui appartient, sans préjudice des mesures qui s'imposent en cas de constat d'une irrégularité au regard du droit de l'Union européenne, d'apprécier les conséquences à en tirer, de manière proportionnée eu égard à la teneur de cette méconnaissance, sur la réduction ou le retrait de la subvention en cause.

Ceci appelle deux remarques : d’abord est, par-là, manifestée une certaine indépendance des deux actions, européenne et interne française, en répression du non-respect de conditions de la subvention, ensuite, le principe de proportionnalité est applicable en matière de conséquences tirées de ce non-respect.

Enfin, précisément, illustrant ce contrôle de proportionnalité, alors que le Directeur général de FranceAgriMer avait retiré en totalité l'aide allouée à l’entreprise et lui avait infligé des pénalités assises sur la totalité du montant de cette aide, le juge estime disproportionnée cette décision. Compte tenu des éléments du dossier, le juge ordonne que le retrait rétroactif de la subvention soit limité au prorata des factures émises et que les pénalités soient assises sur cette part résiduelle.

En effet, il ressortait du dossier :

- D’une part, négativement, que l’entreprise avait transmis à FranceAgriMer sept factures datées postérieurement à la date limite de réalisation des travaux fixée au 24 septembre 2015, trois d'entre elles étant antérieures au 30 septembre 2015, trois d'entre elles antérieures au 15 décembre 2015, et la dernière datée du 21 avril 2016, que dix factures transmises par l'entreprise ont été réglées plus de deux mois après cette date limite de réalisation des travaux, trois d'entre elles avant le 2 décembre 2015, quatre d'entre elles avant le 5 janvier 2016, deux d'entre elles en février 2016 et la dernière le 2 mai 2016, que ces factures ainsi établies ou acquittées hors délai par la requérante représentaient un montant total de 185 572,26 euros hors taxes, soit près de 27 % des dépenses d'investissement initialement prévues.

- D’autre part, positivement, que les investissements initialement prévus et qui ont fait l'objet de l'aide en litige ont été entièrement réalisés, que, hormis la facture émise le 21 avril 2016, d'un montant représentant 0,9 % des dépenses éligibles, et les factures acquittées à compter de février 2016, d'un montant inférieur à 20 % des dépenses éligibles, les retards constatés pour l'émission des factures ou leur règlement ne dépassaient pas quelques jours ou quelques semaines, et enfin que le contrôle effectué en juillet 2016 n'a relevé aucune irrégularité concernant ces factures et a conclu que la société avait mené à terme son programme d'investissements conformément à la réglementation en vigueur.

Cette solution juste, raisonnable et équilibrée doit être approuvée.

(13 octobre 2023, FranceAgriMer, n° 462881)

 

Droit social et action sociale – Sécurité sociale

 

78 - Formation professionnelle continue – Cas des professionnels de santé (pharmaciens) – Retrait de formations programmées du site internet de l'Agence nationale du développement professionnel continu – Lignes directrices - Annulation sur motifs inopérants.

La société Union technique intersyndicale pharmaceutique (UTIP) Innovations, enregistrée auprès de l'Organisme gestionnaire du développement professionnel continu dans le cadre du remplacement de ce dernier par l'Agence nationale du développement professionnel continu, a déposé le 5 janvier 2017 sur le site internet de l'agence une action de développement professionnel continu à destination des pharmaciens intitulée « La vaccination antigrippale en pratique ». Par un courrier du 19 mai 2017, la directrice générale de l'agence a indiqué à la société que cette action était, à cette date, retirée du site au motif qu'elle ne s'inscrivait pas dans le cadre des orientations prioritaires de développement professionnel continu applicables.

Après que la société UTIP Innovations s’est vu refuser la prise en charge des sessions de formation assurées par elle avant la décision du 19 mai 2017, la société Égide, venue aux droits de cette dernière, a formé auprès de l'agence, le 23 novembre 2017, un recours gracieux contestant le caractère rétroactif de cette décision et qui a été rejeté le 5 décembre 2017. Le tribunal administratif, saisi de ce rejet, l’a annulé par jugement du 24 septembre 2021 et a condamné l'agence à verser à l’UTIP la somme de 151 135,30 euros, puis, par un arrêt du 9 juin 2022, la cour administrative d'appel a rejeté l'appel de l'Agence nationale du développement professionnel continu en tant qu'elle contestait l'annulation de la décision du 5 décembre 2017 et y a fait droit en tant qu'elle contestait sa condamnation à indemniser la société Égide. L'Agence nationale du développement professionnel continu se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il lui fait grief.

Son pourvoi est rejeté après substitution de motifs.

Le juge de cassation relève d’abord qu’il résulte des textes applicables que l'Agence ne peut légalement contribuer au financement d'actions de développement professionnel continu que si ces actions s'inscrivent dans le cadre des orientations définies de façon pluriannuelle par les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale. L’Agence est donc compétente pour contrôler que les actions de développement professionnel continu déposées sur son site internet en vue d'être mises à la disposition des professionnels de santé s'inscrivent bien dans le cadre de ces orientations.

Le juge constate ensuite, que, pour l'année 2017, l'Agence a établi un document intitulé « Règles de gestion pour les organismes de développement professionnel continu », mis à disposition de ces organismes sur son site internet, prévoyant notamment, s'agissant des actions déposées antérieurement au 23 mars 2017, que « les services de l'Agence procèdent de façon rétroactive au contrôle des actions déposées avant le 23 mars 2017 sur le site de l'Agence sur la base des mêmes critères. Dans ce cas et lorsqu'une action est retirée, les sessions ayant eu lieu avant la notification de la décision de retrait par l'Agence donneront lieu à une prise en charge et à l'indemnisation des participants. Toute session postérieure à la notification de la décision par l'Agence ne pourra donner lieu ni à la prise en charge des frais pédagogiques ni à l'indemnisation du professionnel ». La décision du Conseil d’État considère que ces indications constituent des lignes directrices que l’Agence s’est donnée à elle-même, en ce qui concerne la conformité aux orientations pluriannuelles prioritaires des actions actions contrôlées au titre de l’année 2017.

L’action de formation déposée le 5 janvier 2017 relative à la vaccination antigrippale en application de la loi du 23 décembre 2016 de financement de la sécurité sociale pour 2017 qui a ouvert la possibilité pour les pharmaciens, à titre expérimental, de procéder à la vaccination antigrippale, ne figurait pas parmi les orientations pluriannuelles prioritaires de développement professionnel continu retenues par l'arrêté du 8 décembre 2015 fixant la liste des orientations pour les années 2016 à 2018. Par suite, cette action de formation, immédiatement mise à disposition des professionnels de santé et la décision de la retirer, prise le 19 mai 2017 par l'agence, l'ont été au titre du contrôle de la conformité de cette action aux orientations pluriannuelles prioritaires.

Dès lors, la société requérante était fondée, en l'absence d'invocation, devant les juges du fond, d'un motif d'intérêt général conduisant à y déroger ou de toute justification de l'appréciation particulière qu'aurait appelée l'espèce, à se prévaloir des « règles de gestion » de l'Agence rappelées plus haut.

Le juge de cassation substitue ainsi ce motif, qui repose sur des faits constants n'appelant pas d'appréciation, au motif retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif. Ceci entraîne donc le rejet du pourvoi introduit par l'Agence car les moyens qu’elle développe sont inopérants.

(02 octobre 2023, Société d'exercice libéral par actions simplifiée Égide, agissant en qualité de liquidatrice de la société par actions simplifiée à associé unique Union technique intersyndicale pharmaceutique (UTIP) Innovations, n° 466537)

 

79 - Revenu de solidarité active (RSA) – Obligations s’imposant au bénéficiaire de justifier de son droit à ce revenu – Communication au service gestionnaire des activités et ressources du foyer et de leur changement – Absence de satisfaction à ces exigences – Office du juge et pouvoirs de l’administration – Annulation.

La présente décision ajoute une pierre de plus à la construction d’un contentieux social de plus en plus dérogatoire au droit commun.

En principe, le bénéficiaire du RSA doit communiquer au service prestataire toute information ou tout changement concernant les activités et les ressources des membres du foyer aux fins de vérification qu’il remplit les conditions d'ouverture des droits et de déterminer le montant de l'allocation éventuellement due. À défaut, il est procédé aux contrôles prévus par le code de l'action sociale et des familles.

Si, à l’issue, les renseignements requis ne sont pas obtenus, le président du conseil départemental est en droit de procéder à la radiation de l'intéressé de la liste des bénéficiaires du RSA au terme de la durée de suspension qu'il a fixée et, faute de connaître le montant exact des ressources des personnes composant le foyer et donc de déterminer s'il pouvait ou non bénéficier de l'allocation pour la période précédant la suspension du versement du RSA, l'autorité administrative peut décider de récupérer les sommes qui ont été indûment versées à l'intéressé avant la période de suspension de ses droits. De là, s’ensuivent deux conséquences.

En premier lieu, en cas de recours juridictionnel contre une décision de radiation de la liste des bénéficiaires du RSA, le juge – et c’est là un rappel fréquemment fait par le Conseil d’État – ne doit pas se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée mais il lui incombe d’examiner les droits de l'intéressé sur lesquels l'administration s'est prononcée, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et notamment des pièces justificatives le cas échéant produites en cours d'instance par le requérant, et de décider en conséquence, d’une part, la confirmation, l’annulation ou la réformation de la décision contestée, d’autre part, l’éventuelle fixation des droits de l'intéressé pour la période courant à compter de la date de suspension des droits et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement.

En second lieu, si a été décidée la récupération rétroactive des sommes indûment versées au demandeur, le juge saisi d’un recours contre cette décision, au vu des circonstances et moyens, doit, dans le cas où il décide d’annuler ou de réformer la décision de récupération, régler le litige en retenant à cet effet le motif qui lui paraît, compte tenu des éléments qui lui sont soumis, le mieux à même, dans l'exercice de son office, de régler le litige.

Il convient de se demander si l’on se trouve encore ici dans le cadre d’une procédure pleinement contentieuse – ce dont il faut douter – ou plutôt, comme il en est en d’autres matières (par ex. dans le cas d’édifices menaçant ruine) dans une procédure mi-administrative, mi-juridictionnelle (cf. J.-C. Ricci et Ch. Debbasch, Contentieux administratif, 8ème édit.)

(02 octobre 2023, M. B., n° 466599)

(80) V. aussi, assez voisin en substance, mutatis mutandis, à propos de la décision de récupérer des indus de RSA, d’aide personnalisée au logement, de prime exceptionnelle de fin d’année et de prime d’activité : 10 octobre 2023, Mme B. épouse C., n° 460751.

(81) V. également, voisine dans le souci de traiter spécifiquement les contentieux sociaux et appelant les mêmes remarques que la décision n° 466599, la décision qui annule le jugement estimant que n’était pas justifiée par un motif légitime l'absence d'établissement du contrat prévu à l’art. L. 262-36 du code de l'action sociale et des familles énumérant les engagements réciproques du bénéficiaire du RSA et du département (ou, sur sa délégation, une autre collectivité publique) en matière d'insertion sociale ou professionnelle : 02 octobre 2023, M. B., n° 467834.

(82) V. encore, très illustratif d’une tendance lourde des contentieux sociaux, à propos de la mention, sur un avis d’audience, que « cette audience peut se dérouler sans conclusions du rapporteur public » et du renvoi du requérant au site SAGACE, l’annulation du jugement subséquent : 20 octobre 2023, M. A., n° 462823.

 

83 - Revenu de solidarité active (RSA) – Composition du foyer de l’allocataire – Notion de foyer – Récupération d’un indu d’allocation – Rejet.

Cette décision est intéressante par les précisions, classiques au demeurant, qu’elle apporte sur la notion de « foyer » au sens et pour l’application des textes régissant le RSA.

Une caisse d’allocations familiales, informée par la requérante, Mme B., de ce qu’elle vivait en couple, avec M. C., depuis le mois de janvier 2012, prenant en compte les revenus de ce couple, a réclamé le versement d’un indu de RSA, d’abord, pour sa totalité, à la requérante puis, pour moitié de la somme, à chacun des deux membres du couple.

La requérante se pourvoit en cassation du jugement qui a rejeté sa demande d’annulation de l’avis de sommes à payer émis à son encontre.

Le juge de cassation rappelle qu’un « foyer » (cf. art. L. 262-2 code de l’action sociale et des familles) comprend le demandeur, le cas échéant, son conjoint marié, partenaire ou concubin et les enfants ou personnes de moins de vingt-cinq ans à charge (cf. art. R. 262-3 du même code). La personne concubine est celle qui mène avec le demandeur une vie de couple stable et continue dont la preuve peut être établie par un faisceau d'indices concordants, notamment la circonstance que les intéressés mettent en commun leurs ressources et leurs charges.

Dans le cas de l’espèce, le juge relève que les deux personnes formaient bien un foyer. D’abord le rapport établi par un agent assermenté de la caisse d’allocations familiales avait constaté une communauté d'adresse administrative et affective des intéressés, ceux-ci étant parents d'un enfant né le 8 mars 2014 et que M. C., même s'il avait conservé une autre adresse que Mme B. auprès d'un fournisseur d'accès internet et de Pôle emploi, s'était en revanche déclaré domicilié à la même adresse qu'elle pour ses comptes bancaires, ainsi qu'auprès des services fiscaux et, pour l'activité d'autoentrepreneur qu'il avait exercée de juin 2012 à juin 2014, auprès du régime social des indépendants. Ensuite, la requérante, qui avait elle-même déclaré au cours de sa grossesse vivre en couple avec M. C. depuis 2012, se bornait, pour remettre en cause ces constatations, à des allégations très vagues. Le tribunal administratif a pu, sans commettre d'erreur de droit dans la valeur probante accordée aux différents éléments qu'il a relevés, juger que la réalité d'une vie de couple stable et continue entre Mme B. et M. C. devait, peu important qu'ils n'aient pas été liés par le mariage ou par un pacte civil de solidarité, être regardée comme établie au cours de la période considérée.

Par suite, le tribunal a pu, sans inverser la charge de la preuve, en déduire que Mme B. n'établissait pas que l'allocation aurait été perçue par M. C. uniquement et que les sommes indûment perçues pouvaient, en tout ou partie, être récupérées auprès de Mme B., alors même que la demande de revenu de solidarité active avait été présentée par le seul M. C.

(06 octobre 2023, Mme B., n° 465898)

 

84 - Allocation de solidarité spécifique – Récupération d’indu de cette allocation – Bénéficiaire ayant créé une société et en étant gérant – Erreur de droit – Annulation.

Pôle emploi a prétendu récupérer sur le requérant une certaine somme constituant prétendument un indu d’allocation de solidarité spécifique motif pris de ce qu’il aurait, tout en continuant à percevoir celle-ci, créé une société dont il s’est déclaré gérant et qui a été immatriculée au registre du commerce.

Le juge de cassation reproche au jugement rejetant pour l’essentiel la réclamation de l’intéressé tendant au remboursement de « l’indu » qu’il a versé, d’avoir commis une erreur de droit. En effet, s’il résulte des documents produits par ce dernier que les statuts de la société qu'il avait créée et dont il était le gérant avaient été déposés au registre du commerce et des sociétés, cette société n'a eu aucune activité effective avant le 8 février 2018, date de fin de la période de l'indu que l'administration entend récupérer.

(13 octobre 2023, M. A., n° 460426)

 

85 - Observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation – Désignation de membres par les organisations représentatives de salariés – Notion d’organisation « représentative » - Critère tiré de l’influence des syndicats dans les entreprises de moins de cinquante salariés – Illégalité – Annulation sans renvoi (art. L. 821-2 CJA).

Il résulte des dispositions de l’art. L. 2243-4 du code du travail qu’un « observatoire d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation est institué au niveau départemental par décision de l'autorité administrative compétente. Il favorise et encourage le développement du dialogue social et la négociation collective au sein des entreprises de moins de cinquante salariés du département ».

Cet observatoire est notamment composé de membres salariés – dans la limite de six - ayant leur activité dans la région, désignés par les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département, chacune d’elles y disposant d'un siège.

Il incombe au directeur régional des entreprises, de la consommation, de la concurrence, du travail et de l'emploi, sur proposition du responsable de l'unité départementale, de publier tous les quatre ans la liste des organisations syndicales de salariés représentatives au niveau départemental et interprofessionnel.

En l’espèce, brevitatis causa, une cour administrative d’appel avait annulé la décision du directeur régional autorisant l'UNSA à désigner un représentant au sein d’un observatoire départemental au motif que ce syndicat ne pouvait en l'espèce être regardé comme représentatif dans la mesure où il ne justifiait pas de l'influence qu'il exerçait dans le département auprès des entreprises de moins de cinquante salariés.

L'UNSA se pourvoit en cassation de cet arrêt qui, par ailleurs, statuait sur renvoi du Conseil d'État.

Ce dernier est à la cassation car la cour, ce jugeant, a commis une erreur de droit. En effet, il résulte des textes que seules les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau interprofessionnel et du département pouvant, dans la limite de six organisations par département, désigner un membre pour siéger au sein de l'observatoire départemental d'analyse et d'appui au dialogue social et à la négociation, l'autorité administrative compétente doit prendre en considération à cette fin l'ensemble des critères de représentativité mentionnés à l'article L. 2121-1 du code du travail (respect des valeurs républicaines, indépendance, transparence financière, ancienneté dans le champ professionnel et géographique concerné, audience, lnfluence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience, effectifs d'adhérents et cotisations).

Surtout, si le législateur a entendu que la représentativité des organisations syndicales de salariés s'apprécie au niveau départemental et interprofessionnel, il n’exige pas qu'elles justifient d'une influence particulière au sein des entreprises de moins de cinquante salariés.

(02 octobre 2023, Union nationale des syndicats autonomes (UNSA), n° 467531)

 

86 - Procédures de redressement puis de liquidation judiciaires – Homologation postérieure du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Ordre de paiement des créanciers imposé au liquidateur judiciaire par l’art. L. 641-13 du code de commerce – Impossibilité d’invoquer le moyen tiré de la disponibilité d’une partie de l’actif de l’entreprise pour soutenir que le plan de sauvegarde est insuffisant – Rejet.

Cette décision est d’un grand classicisme en ce qu’elle rappelle, aussi complètement que possible et donc longuement, les différents contrôles et les diverses vérifications que doit opérer le juge administratif saisi d’un recours contre l’homologation par l’autorité administrative du document unilatéral fixant le plan de sauvegarde de l’emploi d’une entreprise.

Elle est aussi classique en ce que le PSE s’accompagne ici d’un plan de redressement judiciaire puis d’une liquidation judiciaire : un PSE est le signe certain d’une entreprise en difficulté et il n’est pas étonnant que, parfois, le PSE soit concomitant ou succède à une liquidation judiciaire.

Ici la décision comporte une importante précision qui n’eût pas détonné dans une décision de Section.

Le syndicat requérant faisait valoir l’insuffisance du PSE au regard de l’actif de l’entreprise restant encore disponible dans le cadre de la procédure de redressement puis de liquidation judiciaire. Le moyen est rejeté car lorsque, comme en l’espèce, l’entreprise faisant l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, demande l’homologation de son PSE, jouent, d’une part, les dispositions de l’art. L. 641-13 du code de commerce qui imposent au liquidateur judiciaire l'ordre de paiement des créanciers et d’autre part, celles du 4° de l'art. L. 3253-8 du code du travail selon lesquelles l'assurance de garantie des salaires couvre notamment les mesures d'accompagnement du plan de sauvegarde de l'emploi homologué d'une entreprise en liquidation judiciaire.

C’est pourquoi est rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la cour administrative d’appel, celle-ci n'ayant pas commis d'erreur de droit en jugeant que le requérant ne pouvait utilement se fonder sur la circonstance que l'actif de l’entreprise était pour partie disponible pour soutenir que le plan de sauvegarde de l'emploi n'était pas suffisant au regard des moyens de cette entreprise.

C’est l’occasion de relever que pareille situation met en présence d’une opposition, plus ou moins forte, entre deux séries de textes législatifs fondées, chacune, sur des logiques et des intérêts très différents, le droit social et le droit commercial.

(04 octobre 2023, Syndicat national du personnel navigant commercial, n° 447057)

(87) V. aussi, jugeant qu’eu égard aux effets différents attachés par le législateur à l'annulation pour excès de pouvoir d'une décision d'homologation ou de validation d'un plan de sauvegarde de l'emploi selon le motif pour lequel cette annulation est prononcée et à la limitation des moyens susceptibles d'être invoqués devant le juge administratif à l'appui d'un recours contre une nouvelle décision suffisamment motivée, lorsqu'une décision juridictionnelle fait droit à une requête tendant à l'annulation d'une telle décision en se fondant sur un moyen qui n'est pas, parmi ceux présentés par la requête, celui qui est susceptible d'avoir les effets les plus favorables pour le ou les requérants, ces derniers justifient d'un intérêt pour en demander l'annulation, alors même que la décision juridictionnelle a prononcé l'annulation de la décision attaquée. Par suite, les requérants justifient d'un intérêt pour demander l'annulation de l’arrêt d’appel, alors même qu'il a été fait droit à leurs conclusions aux fins d'annulation, dès lors que si la cour avait accueilli un autre des moyens qu'ils avaient présentés à l'appui de leur requête, une telle annulation aurait eu à leur égard des effets plus favorables : 04 octobre 2023, M. C. et autres c/ DIRECCTE de Centre-Val de Loire, n° 460949.

(88) V. également, assez proche par la récurrence de certaines des questions posées et annulant l’arrêt d’appel reprochant à la décision d’homologation d’un PSE le fait que l’employeur, pour déterminer l'ordre des licenciements, avait appliqué, lors de la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi, les critères d'ordre au niveau de chacune des agences concernées par une cession et non au niveau de la zone d'emploi alors que le juge administratif, saisi d'une demande tendant à l'annulation d'une décision homologuant un tel document, doit faire porter son contrôle sur le périmètre d'application des critères d'ordre arrêté par ce document, et non sur le périmètre utilisé par l'employeur lors de la mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi : 31 octobre 2023, Société TUI France, n° 456332.

(89) V. encore, la décision qui, précisant la jurisprudence antérieure sur le critère de « qualification professionnelle » (1er février 2007, Me Cambon, liquidateur de la société Avinov, n° 387886),  rejette un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’une cour administrative d’appel jugeant que le liquidateur judiciaire d’une société, pour établir le document unilatéral prévoyant le plan de sauvegarde de l'emploi de cette dernière, ne pouvait pas, au titre du critère d'ordre permettant de prendre en compte les qualités professionnelles des salariés, prévu au 4° de l'art. L. 1233-5 du code du travail, des éléments d'appréciation communs à toutes les catégories professionnelles qu'il définissait par ailleurs, en particulier la détention d'un ou plusieurs certificats d'aptitude à la conduite en sécurité, dits « permis CACES », lesquels autorisent la conduite d'équipements de travail mobiles automoteurs et d'équipements servant au levage. En effet, un tel élément d'appréciation est sans rapport avec les fonctions afférentes à nombre des catégories professionnelles que le liquidateur avait définies, peu important à cet égard, au regard de l'objet des critères d'ordre, que la détention d'un tel permis paraisse correspondre aux besoins du repreneur de la société en liquidation judiciaire : 31 octobre 2023, Me Souchon, liquidateur de la société IOC Print et société IOC Print, n° 456091

 

90 - URSSAF – Inscription d’office au répertoire des entreprises, à une même adresse, de sociétés de droit étranger – Détermination de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître du recours contre cette décision – Procédure irrégulière pour non-respect du délai d’appel – Cassation partielle avec renvoi à la cour.

 Le directeur de l'URSSAF Midi-Pyrénées a décidé d'inscrire au répertoire des entreprises plusieurs sociétés de droit étranger à l'adresse des bâtiments dont les requérants sont, chacun, propriétaires et qu'ils donnent en location par bail commercial à deux autres sociétés. Ils ont demandé, en vain, à son auteur, de retirer ses décisions. Saisi d’un recours dirigé contre ce refus, le tribunal administratif l’a rejeté à raison de l’incompétence de la juridiction administrative. La présidente d’une chambre de la cour administrative d’appel a, sur leur appel, par deux ordonnances, annulé le jugement d’incompétence et rejeté leurs demandes.

Saisi d’un pourvoi contre ces ordonnances, le Conseil d’État les annule partiellement.

Il confirme d’abord implicitement la compétence du juge administratif pour connaître du litige opposant les demandeurs à l’URSSAF.

Il annule ensuite l’une des ordonnances au fond en raison de l’irrégularité de la procédure suivie. En effet, l’art. R. 222-1 du CJA permet à certains des magistrats des cours administratives d'appel d’annuler une ordonnance prise en première instance en application des 1° à 5° et 7° de cet article et, réglant l'affaire au fond par application du même 7°, de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif qu'après l'expiration du délai d'appel contre l'ordonnance de première instance ou, lorsqu'un mémoire complémentaire a été annoncé devant la cour, après la production de ce mémoire. En l’espèce, les deux ordonnances du premier juge ont été notifiées aux requérants le 21 octobre 2021, le délai d’appel expirant le 21 décembre 2021. La magistrate de la cour ne pouvait pas, le 7 décembre 2021, tout à la fois annuler le jugement et rejeter au fond les deux demandes dont elle était saisie, faisant ainsi application du 7° du même article, alors qu’à cette date le délai d'appel contre les ordonnances de première instance n'était pas expiré. 

(04 octobre 2023, Société civile immobilière Immo Toulouse et M. B., n° 461138)

 

91 - Licenciement d’un salarié protégé – Refus d’autorisation de l’inspection du travail – Annulation de ce refus sur recours hiérarchique – Annulation pour illégalité externe de la décision – Ministre n’ayant pas à donner les motifs de sa décision contraire de celle de l’inspection du travail – Annulation.

L'inspecteur du travail a refusé d'autoriser le licenciement d’un salarié protégé de la société JFM car, d’une part, les faits reprochés à ce salarié n'étaient pas d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement et d’autre part, il existait un lien entre la demande d'autorisation de licenciement et les mandats de représentant du personnel exercés par l’agent licencié.

Sur recours hiérarchique de l’entreprise, la ministre du travail a annulé la décision
de l'inspecteur du travail pour illégalité externe en raison de la méconnaissance du principe du contradictoire. Puis, statuant sur la demande d'autorisation de licenciement, elle l’a accordée, les faits reprochés au salarié lui paraissant présenter une gravité suffisante pour justifier son licenciement et aucun indice de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié ne ressortant des pièces du dossier.

La cour administrative d'appel a jugé que la ministre avait insuffisamment motivé sa décision en se bornant à constater l'absence de lien entre la demande d'autorisation de licenciement et l'exercice des mandats détenus par le salarié sans indiquer les raisons pour lesquelles elle portait sur ce point une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail.

Ce jugeant, la cour a commis une erreur de droit car la ministre n'était pas tenue d'indiquer les considérations la conduisant à retenir une appréciation contraire de celle de l'inspecteur du travail puisqu'elle avait prononcé l'annulation de sa décision en raison d'une illégalité externe l’entachant et qu'elle se prononçait à nouveau, après cette annulation, sur la demande d'autorisation de licenciement (réitération, par a contrario, de 8 décembre 2021, M. Chaillot, n° 428118 ; v. cette Chronique, décembre 2021 n° 110). 

(04 octobre 2023, Société JFM, n° 464094)

 

92 - Salariés – Décompte de la durée de travail – Non-respect des art. L. 3171-2 et D. 3171-8 du code du travail – Sanctions indéfiniment cumulatives – Demande d’annulation ou de minoration – Rejet.

L’entreprise requérante demandait l’annulation ou la minoration des cent vingt et une amendes qui lui ont été infligées par un DIRECCTE pour non-respect de son obligation de mettre en place les modalités de décompte des heures de travail accomplies par chacun de ses salariés, quotidiennement et par semaine.

Le juge rappelle que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi quotidiennement et chaque semaine, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible. 

Faute d’apporter ces trois garanties l’entreprise en cause doit être réputée n’avoir pas satisfait aux exigences légales (art. L. 3171-2, c. trav.) et réglementaires (D. 3171-8, c. trav.).

La demande d’annulation de l’arrêt frappé de pourvoi est rejetée.

(06 octobre 2023, Société CGI France, n° 465781)

(93) V. aussi, avec même requérante, pour un autre établissement, la solution identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 466291.

(94) V. encore, avec même requérante, pour un troisième autre établissement, la solution identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 467551. Et également : avec même requérante, pour un autre établissement, la solution également identique retenue : 06 octobre 2023, Société CGI France, n° 466294.

 

95 - Personnels hospitaliers – Fonctionnaires et agents de droit privé - Bénéfice de la prime « Grand âge » - Pérennité du financement de ce dispositif – Rejet.

Le décret du 30 janvier 2020 a créé une prime « Grand âge » pour certains personnels correspondant aux corps des aides-soignants et auxiliaires de puériculture et des accompagnants éducatifs et sociaux de la fonction publique hospitalière, d'un montant mensuel de 118 euros brut, à compter du 1er janvier 2020, dont le bénéfice a été étendu par le décret du 29 septembre 2020 aux personnels des corps équivalents de la fonction publique territoriale à compter du 1er mai 2020.

La Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs a pris, le 25 octobre 2021, une recommandation patronale relative à l'attribution d'une prime mensuelle « Grand âge » d'un montant de 70 euros bruts à compter du 1er juin 2021, qui a été agréée par un arrêté du ministre de la santé du 10 décembre 2021. L’arrêté du 8 juin 2021 fixant pour l'année 2021 l'objectif de dépenses et le montant total annuel des dépenses pour les établissements et services relevant de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie a fait l'objet de trois instructions budgétaires adressées aux agences régionales de santé.

La première de ces instructions, du 8 juin 2021, relative aux orientations budgétaires de l'exercice 2021 pour la campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, complétée par une deuxième instruction du 16 novembre 2021, a prévu des délégations de crédits au bénéfice des établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes privés non lucratifs incluant le financement de cette évolution de la masse salariale ainsi que les crédits alloués au titre de cette augmentation de la masse salariale pour 2021 afin de permettre le financerment de la part relevant de l'assurance maladie de la prime « Grand âge » créée par la recommandation patronale dans les établissements hospitaliers et sociaux et médico-sociaux privés non lucratifs à compter du 1er juin 2021.

La campagne budgétaire des établissements et services médico-sociaux accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées pour l'exercice 2022 a fait l'objet d'une première instruction du 12 avril 2022, suivie d'une seconde instruction du 8 novembre 2022, adressées aux agences régionales de santé.

La fédération requérante demande l'annulation de cette seconde instruction en tant qu'elle ne prévoit pas de crédits supplémentaires par rapport à la première instruction pour financer la prime « Grand âge » versée par les établissements privés à but non lucratif à leurs personnels.

Le recours est rejeté.

 En premier lieu, le financement, pour les sept mois de son application en 2021, de la prime « Grand âge » créée comme indiqué plus haut, a été assuré dans le cadre des crédits alloués au titre de l'augmentation de la masse salariale, fixée à 1,2 % pour 2021, les crédits alloués au titre de cette augmentation de la masse salariale pour 2021 permettant de financer la part relevant de l'assurance maladie.  La recommandation patronale du 25 octobre 2021, agréée par l'arrêté ministériel du 10 décembre 2021, prévoyant l'attribution d'une prime « Grand âge » de 70 euros mensuels brut à compter du 1er juin 2021 aux salariés des établissements et services sociaux et médico-sociaux à but non lucratif, s'impose aux autorités compétentes en matière de tarification.

En second lieu, la première instruction budgétaire du 12 avril 2022 a prévu, pour compléter les crédits reconduits de l'année 2021, une délégation supplémentaire de crédits pérennes d'un montant de 13 millions d'euros pour financer l'extension en année pleine, correspondant à cinq mois supplémentaires d'attribution de la prime mensuelle « Grand âge » issue de la recommandation patronale précitée. 

Dès lors, la fédération requérante n’est fondée ni à soutenir que la seconde instruction budgétaire pour l'année 2022, qu'elle attaque, serait illégale faute d'avoir prévu de nouveaux crédits pour le financement de la même mesure, ni à tirer argument de ce que les crédits supplémentaires, à hauteur de 18 millions d'euros, pour le financement de la prime « Grand âge » au titre de la période allant de juin à décembre 2022 au seul bénéfice des agents de la fonction publique méconnaîtrait le principe d'égalité alors que les agents de la fonction publique ne sont pas, en matière de régime indemnitaire, placés dans la même situation que les salariés de droit privé.

Encore une fois, il faut regretter un raisonnement tronqué qui se borne – de manière purement incantatoire – à invoquer une différence de situation ou de textes pour justifier l’atteinte au principe d’égalité alors que celui-ci supposerait, pour la vérification de son respect, que soit apprécié le point de savoir si l’existence de ces différences est objectivement justifiée et, en conséquence, fonde valablement la différence des régimes en résultant.

En outre, il nous semble plus judicieux de comparer non pas les situations respectives des agents concernés mais celles des établissements employeurs au regard de l’ensemble des charges qu’ils supportent.

(06 octobre 2023, Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs, n° 470385)

 

96 - Hébergement d’urgence – Retard à exécuter une décision de la commission de médiation – Indemnisation – Notion – Maintien de l’urgence en dépit de la signature d’un bail – Annulation partielle.

La requérante demandait la réparation du préjudice que lui a causé le retard apporté par les services de l’État à la reloger ainsi que ses enfants dans un logement adapté, malgré la décision de la commission de médiation reconnaissant le caractère prioritaire de sa demande de relogement. Ce retard a tout de même duré de septembre 2008 à janvier 2015. Un jugement du tribunal administratif a condamné l’État à lui verser la somme de 500 euros tous intérêts compris. On a bien lu cinq cents…pour près de 80 mois de retard…

La demanderesse se pourvoit en cassation du jugement en ce qu’il ne lui a pas donné pleine satisfaction, ce qui se conçoit assez facilement.

Des divers aspects de la décision du Conseil d’État deux d’entre eux retiennent l’attention.

En premier lieu, pour rejeter en totalité la demande d'indemnisation formée au titre de la période septembre 2008 - janvier 2015, pour laquelle Mme A. était prioritaire du fait de la sur-occupation de son logement, le tribunal administratif a retenu que le logement de 28 m² qu'elle louait durant cette période aurait été sur-occupé, dès lors que l'adresse du père de ses cinq enfants, dont elle est divorcée, apparaissait sur les papiers d'identité de certains d'entre eux et que, selon les années, certains des enfants n'apparaissaient pas rattachés à son foyer fiscal ou étaient mentionnés être en résidence alternée. Cette partie du jugement est censurée d’abord parce qu’elle repose sur une dénaturation des pièces du dossier notamment car elle ignore la décision de la commission de médiation et se fonde principalement sur des pièces postérieures à la période concernée. Le juge a également manqué à son office en s’abstenant d’user de son pouvoir d'instruction pour demander la production de pièces contemporaines. Pour la petite histoire, en sus des 500 euros tous intérêts compris alloués en première instance, le juge accorde à la requérante celle de 11.000,00 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 14 septembre 2020.

En second lieu, le tribunal a relevé que, postérieurement à la décision de la commission de médiation, l'intéressée est parvenue à se procurer un logement par ses propres recherches ce qui établirait que l’urgence à être relogé avait, à cette date, disparu.

Le juge de cassation rejette cette analyse car cette circonstance ne saurait être regardée comme établissant ipso facto que l'urgence a disparu. En effet, compte tenu des caractéristiques de ce logement, le demandeur peut continuer de se trouver dans une situation lui permettant d'être reconnu comme prioritaire et comme devant être relogé en urgence en application des dispositions de l'art. R. 441-14-1 du code de la construction et de l'habitation. Il appartient donc au juge de déterminer si l'urgence perdure du fait que le logement obtenu ne répond manifestement pas aux besoins de l'intéressé, excède notablement ses capacités financières ou présente un caractère précaire. On saluera cette solution, réaliste, parfaitement adaptée à des personnes se trouvant dans des situations souvent très difficiles.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 469178)

(97) V. aussi, parmi un grand nombre de décisions, le rejet du recours d’une personne accompagnée de ses quatre enfants mineurs, aucune carence de l'État ne pouvant être caractérisée en l'espèce : ord. réf. 11 octobre 2023, Mme C. épouse B., n° 488536.

(98) V. encore, rejetant le recours dirigé contre l’ordonnance estimant que les documents fournis au soutien de la demande d’hébergement ne démontraient pas que l’état de santé de l’un des demandeurs – invoqué pour justifier cette demande – présentait une gravité particulière : ord. réf. 12 octobre 2023, M. D. et Mme B., n° 488644.

(99) V. également, confirmant le rejet, en première instance, de la demande d’hébergement d’une ressortissante camerounaise pour elle-même et sa fille, adapté à un suivi médical à l'hôpital Bichat, à Paris, ainsi que l’octroi de l'allocation pour demandeur d'asile et d’un hébergement pérenne, refus fondé, d’une part, sur ce que la requérante a refusé la proposition d'hébergement qui lui avait été faite à Montpellier sans justifier de l'impossibilité de poursuivre, dans cette ville, son suivi médical et celui de sa fille et, d’autre part, sur ce que, malgré ce refus, la famille a pu, à plusieurs reprises et sur des périodes conséquentes, bénéficier d'hébergements d'urgence : ord. réf. 18 octobre 2023, Mme A., n° 488777.

(100) V., rejetant le recours d’un ressortissant guinéen de 14 ans contre le rejet, notamment, de sa demande d’admission au bénéfice de l'aide sociale à l'enfance à titre provisoire, et ce dans les deux heures de la notification de l’ordonnance à venir (!! Existe-t-il des juges TGV, à très grande vitesse ?) assortie d’une injonction au président du département de procéder à son hébergement et de prendre en charge ses besoins alimentaires, médicaux et vestimentaires et de saisir l'autorité judiciaire pour placement au-delà du délai de cinq jours, etc., motif pris de ce que « compte tenu du cadre temporel dans lequel il se prononce, (le juge du référé liberté ne peut) ordonner que des mesures utiles en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises. » Or le requérant ne soutient pas présenter d'autre cause de vulnérabilité que son isolement et sa minorité de 14 ans, ce qui ne révèle pas, à supposer même cette dernière établie, compte tenu de la présence de personnes et de familles encore plus vulnérables dans un contexte de saturation des hébergements d'urgence, une situation justifiant que soit ordonné, au motif d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence, de prendre les mesures pour mettre à l'abri l'intéressé : ord. réf. 17 octobre 2023, Me Roxane Vigneron, n° 488480 ; Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488747.

V. aussi pour un autre aspect de cette décision, le n° 48

(101) V., dans un litige en hébergement d’urgence, le rejet de la demande d’application de l’art. L. 761-1 CJA formée par l’avocat et par ses clients, d’abord, s’agissant de ces derniers, car ayant été admis à l’aide juridictionnelle, ils sont sans qualité pour présenter des conclusions sur le fondement de cette disposition, leur requête étant manifestement irrecevable, ensuite, s’agissant de leur avocat, parce que si l’ordonnance imposait au préfet de fournir aux intéressés une place en hébergement d'urgence au plus tard le 5 octobre en début de matinée, elle n'est restée inexécutée qu'au cours de cette journée et a été mise en œuvre avant la nuit du 5 au 6 octobre. Eu égard aux difficultés matérielles auxquelles l'administration est confrontée dans la mise en œuvre du droit à l'hébergement d'urgence, la requête de l’avocat est manifestement infondée : ord. réf. 17 octobre 2023, M. et Mme E. et Me Bastien Demars, n° 488820.

(102) V. aussi, plus original, l’annulation d’une ordonnance confirmant le refus, par l’administration, de logement ou de relogement d’urgence d’une personne qui soutenait le caractère inadéquat du logement accordé. Le demandeur invoquait le fait qu'un accident provoqué par son fils avait entraîné le décès d'un enfant du voisinage proche et que le sentiment d'une hostilité du quartier à l'égard des membres de sa famille depuis cet accident était à l'origine, pour eux, de troubles psychologiques graves. Le tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le demandeur ne pouvait utilement se prévaloir de telles circonstances, alors que l'existence de troubles médicaux, y compris d'ordre psychologique, est, lorsque ces troubles sont suffisamment caractérisés pour présenter un lien direct et certain avec le maintien de l'intéressé dans son logement, de nature à établir le caractère inadapté de celui-ci : ord. réf. 20 octobre 2023, M. A., n° 464585.

(103) V. également, plus spécifique, rejetant l’appel de personnes reconnues prioritaires par une commission départementale de médiation, qui n'ont pas exercé le recours spécial ouvert par les dispositions du II de l'art. L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation aux personnes déclarées prioritaires par la commission de médiation pour l'accueil dans une structure d'hébergement en vue de rendre effectif leur droit à l'hébergement, ce qui, par suite, les rendait irrecevables à agir à cette fin sur le fondement de l'art. L. 521-2 (référé liberté) du CJA : ord. réf. 25 octobre 2023, M. E. et Mme F., n° 488976.

(104) V., la décision qui, pour confirmer le rejet opposé en première instance à la demande d’une ressortissante guinéenne d’être hébergée ainsi que ses cinq enfants mineurs, retient les éléments suivants. Si l’intéressée, dont la demande d'asile a été définitivement rejetée en juillet 2016 ainsi que sa demande de réexamen en 2020, qui a fait l'objet de plusieurs refus de titre de séjour ainsi que d'une obligation de quitter le territoire en date du 2 mai 2023, est accompagnée de cinq enfants mineurs, âgés entre 15 ans et 3 ans, cette seule circonstance ne suffit pas à justifier d'une vulnérabilité telle que l'absence d'hébergement constitue, à elle seule, une carence constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. De plus, en se bornant à faire valoir le suivi psychiatrique dont elle fait l'objet ainsi que les difficultés psychologiques générées par l'absence d'hébergement depuis le 15 octobre 2023, la requérante n'apporte pas plus en appel qu'en première instance d'éléments justifiant d'un état de santé la rendant elle ou un de ses enfants particulièrement vulnérable. Par ailleurs, la famille a bénéficié d'un hébergement au titre de l'aide sociale à l'enfance entre janvier 2020 et le 15 octobre 2023, qui a pris fin au troisième anniversaire du dernier enfant. Or il n’est pas contesté par la requérante qu’elle conserve des liens avec le père de son dernier enfant. Ce ressortissant espagnol résidant en France l'a déjà hébergée avec ses cinq enfants sans que la requérante n'explique pourquoi elle a quitté son domicile. Elle ne saurait soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, et eu égard à son office, le juge des référés du tribunal administratif a jugé qu'aucune carence de l'État ne peut être caractérisée en l'espèce, ce qui entraîne le rejet de l’appel : ord. réf. 27 octobre 2023, Mme A., n° 489014.

 

105 - Licenciement d’une salariée protégée – Salariée déclarée médicalement inapte à tout poste au sein du groupe – Autorisation ministérielle de licenciement – Avis sur le licenciement donné par un organe du personnel irrégulièrement composé – Erreur de droit de l’arrêt annulant l’autorisation de licenciement – Annulation.

La société requérante a demandé l’autorisation de licencier une salariée protégée dont le médecin du travail avait constaté qu’elle était inapte à tout poste au sein du groupe Crédit agricole. L’autorisation de licencier a été accordée par l’inspection du travail puis, sur recours hiérarchique, par le ministre du travail.

Pour annuler cette autorisation, la cour administrative d’appel s’est fondée sur une irrégularité de procédure : le projet de licenciement avait été soumis à l'avis, non pas des délégués du personnel du seul collège des salariés de la classe 2 dont faisait partie l’intéressée, comme le prévoient les dispositions ici et alors applicables du premier alinéa de l'article 14 de la convention collective nationale du Crédit Agricole mais de l'ensemble des délégués du personnel.

Le Conseil d’État, toujours circonspect sur l’emploi des moyens ou des motifs de forme, reproche à la cour de n’avoir pas poussé plus loin son analyse en vérifiant si cette irrégularité avait, en l'espèce, empêché les délégués du personnel d'émettre leur avis en toute connaissance de cause, dans des conditions susceptibles de fausser leur consultation.

En bref, l’annulation pour vice de forme doit plus seulement être justifiée mais se mériter.

(13 octobre 2023, Caisse régionale de crédit agricole mutuel Toulouse 31, n° 459314)

 

106 - Licenciement d’un salarié protégé – Convocation à l’entretien préalable au licenciement – Salarié unique représentant du personnel dans l’entreprise – Information sur la possible assistance d’un conseil donnée tardivement – Rejet.

C’est sans erreur de droit qu’une cour administrative d’appel annule, par arrêt confirmatif, le recours formé par la société requérante contre le refus d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé qu’elle avait sollicité de l’inspection du travail. Il lui est reproché deux choses.

En premier lieu, dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, le salarié convoqué à un entretien préalable à son licenciement est le seul représentant du personnel dans l'entreprise, la lettre de convocation à cet entretien adressée par l'employeur doit mentionner qu'il peut se faire assister par un conseiller du salarié. Ce n’a pas été fait ici.

En second lieu, l'intéressé n'a pas été informé en temps utile des modalités d'assistance auxquelles il avait droit, n'ayant obtenu l'information quant à la possibilité de se faire assister par un conseiller du salarié que la veille de son entretien. La procédure suivie a donc été irrégulière alors même que le salarié s'était présenté à l'entretien accompagné d'un conseiller.

Il nous semble qu’il eût été plus judicieux d’exiger que le juge établisse en quoi le manquement à cette garantie a pu porter atteinte aux droits du salarié.

(13 octobre 2023, Société Chaumeil Île-de-France, n° 467113)

 

107 - Licenciement d’un salarié protégé pour motif disciplinaire – Respect du caractère contradictoire de la procédure suivie – Absence prétendue – Dénaturation des pièces – Annulation.

Pour annuler le jugement rejetant le recours formé par le demandeur en annulation de l’autorisation donnée à son licenciement pour motif disciplinaire par l’inspection du travail, la cour administrative d’appel  a retenu que les pièces du dossier, notamment celles produites par l'administration, ne permettaient pas d'établir que le salarié avait été mis à même de prendre connaissance des témoignages susceptibles de constituer des éléments déterminants recueillis par l'inspecteur du travail et que, par suite, il avait été privé de la garantie que constitue pour le salarié protégé le caractère contradictoire de l'enquête préalable de l'inspecteur du travail.

Le Conseil d’État annule l’arrêt déféré à sa censure pour dénaturation des pièces du dossier car il résulte de celles-ci, d’une part, qu’en première instance l'inspecteur du travail, par un courriel du 23 juillet 2018, a informé ce salarié de ce qu'il avait recueilli les témoignages des personnes nommément citées dans le rapport d'enquête interne annexé à la demande de l'employeur et que ces pièces étaient tenues à sa disposition, et d’autre part, qu’en appel a été produit un autre courriel de l’inspecteur, du 2 août 2021, indiquant qu'un entretien a eu lieu entre l'inspecteur du travail et le salarié  le 1er août 2018, postérieurement aux derniers courriels que la société Axa Banque a adressés à l'inspecteur du travail, à la suite duquel le salarié a demandé communication des pièces qu'il souhaitait plus précisément consulter.

(26 octobre 2023, Société Axa Banque, n° 467616)

 

108 - Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – Demande d’expertise par le comité social et économique – Honoraires prévisionnels – Taxation par l’administration – Contentieux – Procédure – Annulation.

La société Kookaï ayant présenté au comité social et économique un projet de réorganisation et un projet de plan de sauvegarde de l'emploi, ce comité a décidé de recourir à l'assistance d'un expert-comptable (cf. art. L. 1233-34 du code du travail) et a mandaté à cette fin un cabinet d'expertise. Puis, au vu du montant des honoraires prévisionnels établi par ce dernier, la société  a contesté ce chiffre devant le directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités. Ce dernier a ramené de ce montant de 166 020,00 euros à 124 000,00 euros. Par ailleurs, il a, ensuite validé l'accord collectif majoritaire fixant le contenu du PSE signé le 27 octobre 2021.

La société a contesté cette décision ; son recours a été rejeté pour cause de tardiveté par ordonnance d’une présidente de section du tribunal administratif de Paris qu’a réformé par substitution de motif la cour administrative d’appel selon laquelle la demande d’annulation de la décision taxant les honoraires d’expertise-comptable ne pouvait pas faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la contestation de la décision de validation de l'accord collectif portant PSE de la société.

Sur pourvoi de la société Kookaï, l’arrêt est cassé, donnant l’occasion au Conseil d’État d’apporter trois précisions de procédure.

En premier lieu, l'employeur est recevable à contester devant le juge administratif la décision de l'administration se prononçant sur le montant des honoraires prévisionnels de l'expert mandaté par le comité social et économique sur le fondement des dispositions de l'art. L. 1233-34 du code du travail.

En deuxième lieu, l’employeur conserve cette faculté même en l'absence de litige relatif à la décision de validation de l'accord collectif ou d'homologation du document unilatéral portant PSE.

En troisième lieu, enfin, si le recours de l’employeur doit être introduit dans le délai de deux mois à compter de la notification qui lui est faite de la décision de validation ou d'homologation, en revanche, le tribunal administratif saisi n'est pas tenu de statuer sur cette contestation dans le délai de trois mois applicable au contentieux du PSE parce que cette contestation constitue une procédure autonome de celle portant sur le PSE.

(31 octobre 2023, Société Kookaï, n° 467870)

 

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

109 - Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) – Société représentante d’intérêts - Exercice d’une influence sur les décisions publiques préparant un appel d’offres - Mise en demeure d’effectuer une déclaration – Obligation de motivation – Période de référence retenue – Rejet.

Dans un souci de transparence, de loyauté et de démocratie, la loi du 11 octobre 2013 a prévu, en ses art. 18-1 à 18-9, l’obligation pour les organismes représentants d’intérêts (donc de lobbying comme il ne faut pas dire) de déclarer à la HATVP leurs relations avec les pouvoirs publics lorsque son activité principale ou régulière est d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire en entrant en communication avec « un certain nombre de personnes exerçant des fonctions publiques ». À cet effet sont communiquées à la HATVP un certain nombre d’informations relatives à l’organisme concerné. À défaut, la HATVP, spontanément ou sur signalement, adresse, après une procédure contradictoire, une mise en demeure d’avoir à le faire et rend publique cette dernière. Des sanctions pénales assortissent cette exigence.

La requérante poursuit l’annulation de la délibération par laquelle la HATVP l’a mise en demeure de se conformer, dans un délai de deux mois à compter de la notification de sa délibération,  à l’obligation de déclaration prévue à l'article 18-3 de la loi du 11 octobre 2013 et décidé de publier cette mise en demeure sur son site internet. 

Le Conseil d’État rejette le recours.

Sur la légalité externe, le juge, décide d’abord, ce qui n’allait pas de soi, que la mise en demeure, alors même qu’elle n'entre dans aucune des catégories de décisions administratives qui doivent être motivées en application de l'art. L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, doit identifier le manquement aux obligations mentionnées aux articles 18-3 ou 18-5 auxquelles elle invite le représentant d'intérêt à se conformer à l'avenir.  Examinant les faits et pièces, il constate que la HATVP a satisfait en l’espèce à cette exigence de motivation ainsi qu’il résulte des motifs de sa décision.

Sur la légalité interne, c’est sans erreur de droit ni de qualification juridique des faits que la HATVP a qualifié la requérante de représentante d’intérêts, d’abord en relevant que son président avait bien accompli, à dix reprises, sur une période de douze mois, des démarches visant à entrer en communication avec des responsables publics qui avaient pour « objet de mettre en avant le savoir-faire de cette société en vue d'intégrer sa technologie de géolocalisation dans le cadre des évolutions de la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ), alors que le ministère de la justice avait annoncé le lancement prochain d'un appel d'offres », ensuite en retenant une période de référence de douze mois continus pour apprécier la fréquence des démarches sans que la HATVP fût tenue de prendre en compte les « douze derniers mois » qui précédaient sa décision ou le début de la procédure contradictoire qui la précédait et enfin en estimant, notamment sur la base des déclarations des cabinets d'affaires publiques qui accompagnaient la société requérante dans ses rencontres avec les responsables publics, que ces rencontres avaient pour objet d'influer sur les caractéristiques d'un appel d'offres à venir en vue de la passation d'un contrat de la commande publique, et ne constituaient pas des contacts organisés dans le cadre du déroulement de cet appel d'offres.

(04 octobre 2023, Société Deveryware, n° 454659)

 

110 - Recours contre la délibération d’un conseil municipal désignant ses représentants dans une métropole et dans un établissement public dont elle est membre – Recours en matière électorale – Délai de cinq jours pour la saisine du juge non respecté – Rejet.

Rappel d’une jurisprudence constante : le recours de membres d’un conseil municipal contre la délibération de celui-ci désignant les représentants de la commune, ici à une métropole et à un établissement public territorial dont est membre cette commune, a la nature d’un recours en matière électorale. Il est donc enfermé dans le bref délai de cinq jours fixé par le code électoral (art. R. 119) car cette délibération n’est pas détachable de l’élection du conseiller territorial.

Ici, la désignation a eu lieu le 15 décembre 2021 et la protestation a été enregistrée le 2 février 2022, elle était donc irrecevable ainsi que l’a jugé le tribunal administratif.

Cette solution se justifie par la nécessité, en démocratie, que le contentieux des élections et des autres désignations soit purgé dans des délais brefs.

(11 octobre 2023, M. D. et Mme A., n° 464987)

 

Environnement

 

111 - Demande d’installation et d’exploitation d’un parc éolien – Refus préfectoral – Atteintes au paysage – Prise en compte des dimensions historiques, mémorielles, culturelles et artistiques, y compris littéraires caractérisant un  paysage – Paysages proustiens – Rejet.

La solution n’est pas banale en ce qu’elle retient que la notion de paysage peut résulter d’une dimension littéraire. L’affirmation peut surprendre car cela ouvre d’immenses perspectives ainsi de la mare au diable de Sand, du petit Liré de Du Bellay ou de la colline de Sion pour Barrès. Il est vrai que le paysage en question dans la présente décision sert en partie de toile de fond à l’une des plus somptueuses œuvres littéraires en langue française, La Recherche de Marcel Proust. Et la commune d’Illiers, sur le territoire de laquelle se trouve ce paysage, s’est d’ailleurs rebaptisée pour s’incorporer le nom de Combray que lui donne cet auteur dans son ouvrage. C’est là qu’enfant il a mangé chez tante Léonie ce délicieux gâteau « qui semble avoir été moulé dans la valve rainurée d'une coquille Saint-Jacques ». Ah ! La madeleine…

La malheureuse société Combray Énergie ne s’imaginait pas, lorsqu’elle eut l’idée, funeste selon le juge, d’implanter ses huit éoliennes, qu’elle allait réveiller la terrible « malédiction » non pas du pharaon mais des innombrables proustophiles et proustolâtres dont certains hantent les couloirs du Palais-Royal.

Au commencement ce fut un refus opposé par une préfète (« préfète aux champs » peut-être ?) à la demande de cette société d’être autorisée à installer et à exploiter un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de quatre postes de livraison sur le territoire des communes de Montigny-le-Chartif et de Vieuvicq.

La société saisit le juge d’un recours en annulation de cette décision mais en vain les membres de la cour administrative d’appel avaient lu La Recherche… La cour a fondé son rejet du recours principalement sur la protection des paysages (art. L. 181-3 du code de l’environnement qui renvoie sur de point à l’art. L. 511-1 dudit code en matière de paysage) car le projet avait une incidence sur celui-ci. En outre, ce projet était prévu dans l’espace de visibilité de monuments protégés.

Toutefois, un paysage c’est normalement quelque chose livré à la préhension visuelle de tout un chacun, c’est ce qu’il donne immédiatement à voir. Or ici ce n’est pas pour ce qu’il donne à voir que le paysage a été considéré comme « offensé » par les éoliennes mais en raison des éléments mémoriels et littéraires qui y font référence. Il faut citer ici ce passage de la décision où pointe quelque lyrisme admiratif : « (…) la réalisation du projet de parc éolien risquerait de porter une atteinte significative notamment à l'intérêt paysager et patrimonial du site remarquable, classé au titre de l'article L. 631-1 du code du patrimoine, du village d'Illiers-Combray et de ses abords. La cour a relevé que le classement de ce site, qui a le caractère d'une servitude d'utilité publique, trouve son fondement dans la protection et la conservation de paysages étroitement liés à la vie et à l'œuvre de Marcel Proust, dont un parcours pédestre favorise la découverte. Elle a également relevé que le clocher de l'église d'Illiers-Combray et le jardin du Pré Catelan, dessiné par Jules Amiot, oncle de Marcel Proust, sont classés au titre des monuments historiques. En prenant ainsi en considération des éléments qui ont trait aux dimensions historiques, mémorielles, culturelles et notamment littéraires du paysage, pour juger que le projet litigieux n'était pas compatible avec l'exigence de protection des paysages résultant des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, la cour n'a pas commis d'erreur de droit. »

Bref, « touche pas à mon Proust »…

La solution est d’autant plus audacieuse qu’il faudra encore inclure dans ce périmètre de la notion métaphysique de paysage son versant musical (la plage de Sète poétisée par Paul Valéry et chantée par Pierre Brassens) comme sa version picturale (la Sainte Victoire portraiturée par le génial Paul Cézanne, etc.). Pourtant, elle ne saurait être sans limite d’autant qu’après tout, en défense, il pourrait être soutenu que le ballet des hélices d’éoliennes se compare, dans sa gracieuseté, à « un vol de gerfauts hors du charnier natal » comme dirait Hérédia à moins que Baudelaire ne juge que, tel l’albatros, pour l’éolienne « ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Bien sûr, d’autres motifs fondent la solution du juge (voyez les points 7 et 8 de la décision) mais celui sur lequel l’on vient d’insister est assurément le plus beau et l’on pourra disputer à l’infini de sa pertinence mais après tout le pouvoir souverain d’appréciation du juge n’est-il pas comparable au privilège du poète, à celui de l’écrivain caractérisant un paysage ?

(sur cette liberté de l’écrivain, cf. la position de Proust dans son Contre Sainte-Beuve, Gallimard, 1954, 1ère édit.)

(04 octobre 2023, Société Combray Énergie, n° 464855)

(112) V. aussi, annulant pour erreur de droit et pour qualification inexacte des faits l’arrêt qui, pour dire régulière une autorisation préfectorale d’installer et d’exploiter des éoliennes, estime, d’une part, que le critère de covisibilité avec des monuments historiques ne peut être utilement invoqué pour caractériser une atteinte contraire à l'art. R. 111-27 du code de l'urbanisme au motif que le projet en cause était implanté en dehors du périmètre de protection résultant des art. L. 621-30 et L. 621-31 du code du patrimoine, (c’est l’erreur de droit) et, d’autre part, que l’avis sur l’évaluation environnementale avait été rendu conformément aux exigences de la directive du 13 décembre 2011 alors que l'avis de l'autorité environnementale avait été émis au terme d'une procédure ne garantissant pas l'indépendance de cette autorité (c’est la qualification inexacte des faits) : 19 octobre 2023, Association Les Hauts de l'Auxois, n° 466286.

 

113 - Régime de l’évaluation environnementale (décret du 25 mars 2022) – Demande d’instauration d’une « clause filet » en droit interne – Absence alléguée d’exécution d’une injonction du juge administratif – Annulation partielle.

Par sa décision du 15 avril 2021 (Association France Nature Environnement (FNE) et association France Nature Environnement Allier (FNE Allier), n° 425424), le Conseil d'État a :

-  d'une part, annulé le décret du 4 juin 2018 modifiant les catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale en tant qu'il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant qu'un projet, mentionné à l'annexe de l'art. R. 122-2 du code de l'environnement, susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine, en raison d'autres caractéristiques telles que leur localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.

- d'autre part, enjoint au premier ministre de prendre, dans un délai de neuf mois à compter de la notification de sa décision, les dispositions permettant qu'un projet susceptible d'avoir une telle incidence en raison d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale. 

Les requérantes demandent l'annulation du décret du 25 mars 2022 relatif à l'évaluation environnementale des projets qui a modifié les dispositions du code de l'environnement, du code forestier, du code général de la propriété des personnes publiques et du code de l'urbanisme, notamment afin d'exécuter cette injonction.

Sauf sur un point, les moyens soulevés sont rejetés.

Rappelons en préambule que le mécanisme dit de la « clause filet » a pour objectif de permettre que des projets, qui ne relèvent ni d'une évaluation environnementale de façon systématique, ni d'un examen au cas par cas en vertu des dispositions des art. L. 122-1 et R. 122-2 du code de l'environnement et de l'annexe à ce dernier article, soient néanmoins soumis à un examen au cas par cas s'ils apparaissent susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

Le juge écarte ce qui était sans doute pour les requérantes l’argument le plus fort, à savoir la méconnaissance par le dispositif de « clause filet » tel que défini au I de l’art. R. 122-1 du code de l’environnement soit des dispositions des art. L. 122-1 et L. 122-1-1 de ce code, soit de la chose jugée par la décision précitée du Conseil d’État. Ce dernier estime que les requérantes n’apportent pas d'éléments de nature à établir que la liste des projets figurant en annexe de l'art. R. 122-2 du code de l'environnement omettrait certaines catégories de projets qui auraient dû y figurer, notamment s'agissant des ouvrages de production d'électricité à partir de l'énergie solaire (rubrique 30) ou des premiers boisements et déboisements en vue de la reconversion des sols (rubrique 47) et que, de plus, le préfet, dans son appréciation qu’un projet est susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine au regard des critères énumérés à l'annexe de l'art. R. 122-3-1 dudit code, peut retenir un projet relevant d'une catégorie qui ne serait pas mentionnée à l'annexe de l'art. R. 122-2.

La circonstance que le III de l’art. R. 122-2-1 a prévu que le maître d’ouvrage puisse spontanément saisir l‘autorité chargée de l’examen au cas par cas ne dispense évidemment pas l’autorité compétente de s'interroger sur les éventuelles incidences notables d'un projet sur l'environnement ou la santé humaine et de le soumettre à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions du III de l’art. L. 122-1-1 du code précité n’ont pas pour effet de soustraire à l’application de la « clause filet » les projets qui, bien que ne relevant d'aucun régime particulier d'autorisation ou de déclaration en droit interne ont néanmoins fait l'objet d'une évaluation environnementale, en raison de leurs incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

Sont également écartés comme manquant, pour les deux premiers, en fait (les moyens tirés du non-respect du principe de clarté et d'intelligibilité de la norme et du principe d'impartialité et la prévention des situations donnant lieu à un conflit d'intérêts) et pour les deux autres  en droit (les moyens relatifs à la motivation de la décision de ne pas soumettre un projet à l'autorité chargée de l'examen au cas par cas et au principe de participation du public).

En revanche, est retenu le moyen selon lequel le décret attaqué doit être annulé en tant qu'il ne prévoit pas d'exception aux dispositions de l'art. R*. 424-1 du code de l'urbanisme dans l'hypothèse où une déclaration préalable a fait l'objet d'une évaluation environnementale, à la suite de la mise en œuvre de la « clause filet » prévue au I de l'art. R. 122-2-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de l'article 1er du décret attaqué.

(04 octobre 2023, Association France nature environnement, n° 465921 ; Union sociale pour l'habitat, Fédération des promoteurs immobiliers, Fédération française du bâtiment (pôle habitat) et Union nationale des aménageurs, n° 467653, jonction)

 

114 - Entreprises disposant de certaines flottes de véhicules - Obligation annuelle progressive d’acquisition de véhicules à faibles émissions – Principes d’égalité et de libre concurrence – Libertés du commerce et de l’industrie et d’entreprendre – Autres libertés – Rejet.

Rejet, hautement prévisible, d’un recours tendant à voir annulé le décret du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat et d'utilisation par les entreprises de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions.

Ce décret a été pris en exécution de l’art. 77 de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités qui a introduit, afin de contribuer à l'objectif de neutralité carbone en 2050, un nouvel art. L. 224-10 dans le code de l'environnement, mettant à la charge des entreprises disposant de flottes de plus de 100 véhicules l'obligation de consacrer une part croissante du renouvellement annuel de leur parc à des véhicules à faibles émissions.

Après avoir rejeté les moyens de légalité externe, au reste assez peu convaincants, le juge s’attache à l’examen des critiques relevant de la légalité interne du décret litigieux.

Le syndicat requérant faisait grief à ce dernier de porter atteinte à diverses libertés économiques d’une part (1), et de comporter plusieurs erreurs manifestes d’appréciation, d’autre part (2).

 

1 – Atteintes alléguées à diverses libertés économiques

Aucune des libertés prétendument bafouées n’est reconnue comme telle par le juge. Ce décret est jugé ne porter atteinte  ni aux principes d'égalité et de libre concurrence, ni à la liberté du commerce et de l'industrie, ni, non plus, à la liberté d'entreprendre du fait qu’il ne s’applique pas à d'autres opérateurs économiques comme les sociétés de financement automobile car cette distinction a été posée par la loi non par le décret attaqué et comme, dans cette affaire, le Conseil d’État a refusé le renvoi d’une QPC dirigé contre ce même grief fait à la loi (2 août 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD), n° 454045, voir cette Chronique juillet-août 2023 n° 156), la boucle est bouclée. Pas davantage, ces principes ne sont-ils violés par ce décret du fait qu’il exclurait de son champ d’application les entreprises qui gèrent des parcs de véhicules automobiles pour le compte de tiers sans en être propriétaires ou locataires si elles gèrent un parc de plus de cent véhicules car le silence des dispositions de l’art. R. 224-15-12 A du code de l'environnement ne conduit pas, contrairement à ce qui est soutenu, à les exclure du champ d'application de l'article L. 224-10 du même code.

Par ailleurs, ne sauraient être invoqués les principes communautaires de libre établissement et de libre prestation de services car les obligations instituées par ce décret ne sont applicables aux entreprises ayant leur siège dans un autre État de l'Union européenne que pour la part de leur flotte qu'elles gèrent en France.

 

2 – Prétendues erreurs manifestes d’appréciation

Sont également rejetées les prétendues erreurs manifestes d’appréciation qui entacheraient le décret litigieux :

- du fait qu’il fait peser ces charges sur les seules entreprises de location automobile et non sur certains autres opérateurs économiques proposant d'autres formules d'accès à l'automobile comme les sociétés de financement d'acquisition de véhicules car cette distinction résulte de la loi elle-même ;

- en ce qu’il retiendrait la prise en compte de véhicules dont le nombre ne pourrait être déterminé à l'avance, en effet les sociétés de location de véhicules de longue durée auront la possibilité, chaque année, à l'occasion de la signature des contrats d'acquisition, de location ou de prises en gestion de véhicules, de s'assurer qu'elles respectent les obligations de renouvellement prévues à l'art. L. 224-10 du code de l'environnement, lesquelles sont fixées en considération du stock de véhicules gérés directement ou indirectement ;

- en ce qu’il fixe un seuil de cent véhicules dont la gestion incombe à l'entreprise sans que celle-ci n'en soit propriétaire ou utilisatrice car ce décidant, le décret attaqué se borne à expliciter les critères prévus par l'art. L. 224-10 précité. 

(11 octobre 2023, Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités, n° 454045)

 

115 - Pollution atmosphérique – Emploi de pesticides – Demande d’édiction d’une réglementation protectrice – Carence non établie par les écritures des demandeurs – Rejet.

Le collectif requérant demandait au ministre de l’écologie l’édiction d’une réglementation protectrice de la population contre la pollution de l’air et les pesticides. Il invoquait au soutien de sa démarche diverses documentations dont aucune ne concernait l’objet du litige, portant sur l’eau, le sol et le sous-sol, les usages professionnels, etc., ou des risques sur la santé humaine autres que ceux dénoncés dans sa requête.

De sorte que le juge estime, non sans quelque sévérité, que les requérants ne justifient pas de l'existence d'une carence illégale de l'État à prendre des mesures utiles pour réglementer et protéger la population contre la pollution de l'air par les pesticides. 

On a vu le juge être plus audacieux dans la « compréhension » des requêtes dont il est parfois saisi…

(13 octobre 2023, Collectif des maires antipesticides, n° 463247)

 

116 - Dérèglement climatique – Recul du trait de côte – Régime applicable aux immeubles exposés – Expropriation ou préemption – Libre administration des collectivités territoriales – Bail réel immobilier – Dérogations au droit de l’urbanisme engendrées par le recul du trait de côte – Refus de transmettre une QPC et rejet du surplus.

La décision que l’on présente est d’une grande importance : sa publication au Recueil Lebon et sa reddition sous forme d’une décision de Section eussent été bienvenues.

Parmi les inconvénients nés de l’évolution climatique, l’érosion et la montée des eaux en sont une des manifestations, ceci a pour effet de provoquer un recul de la côte, notamment maritime, la faisant se rétracter vers l’intérieur des terres. Cette situation a des retentissements divers : sort des immeubles côtiers régulièrement construits, devenir du domaine public maritime et de la bande des cent mètres, valeur des terres à l’existence temporaire, fiscalité, droit de succession sur des biens en voie de réduction constante, etc.

Le législateur s’est emparé de cette question par l'ordonnance n° 2022-489 du 6 avril 2022 relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte.

De cette ordonnance, les associations requérantes demandaient l’annulation par la voie du recours pour excès de pouvoir (II) et invoquaient à son encontre une QPC (I).

Ces requêtes sont – comme cela était très prévisible – rejetées.

 

I/ Sur la QPC

 

Au soutien de leur action en QPC, les associations faisaient valoir, brevitatis causa, deux séries de moyens, les uns touchant au principe de libre administration locale (a), les autres de caractère plus ou moins directement financier (b).

 

a/ Le principe de libre administration des collectivités territoriales

 

Avant d’aller plus loin, il faut en finir avec un mythe, celui du caractère constitutionnel du principe de libre administration des collectivités locales. Cette nature juridique n’est que cosmétique, elle donne à voir une apparence non la réalité sous-jacente.

Ceci se comprend fort bien dans le cadre de la conception juridique française de l’État : en droit français seul l’État est premier car seul il est, juridiquement, un être « naturel » et donc doté d’une légitimité primaire. Au contraire, les collectivités n’existent - toujours en se situant sur le seul plan juridique qui contredit ici absolument la vérité historique, géographique, sociologique ou autre -, que parce que l’État en a ainsi décidé, elles pourraient ne pas exister, exister autrement, disposer de plus ou de moins de prérogatives et de charges, etc. Bref, elles ne se situent pas au même niveau, elles ne font jamais jeu égal avec l’État, le Conseil d’État n’ayant jamais fait mystère de sa conviction profonde sur ce sujet.

Il faut donc se résoudre à l’évidence : si le statut et la liberté de l’État sont de rang constitutionnel tel n’est pas le cas de la libre administration des collectivités. Ou, pour le dire moins brutalement et de façon politiquement correcte c’est-à-dire, comme toujours, sous forme de charabia, il faut créer une distinction hiérarchique entre un niveau constitutionnel de premier rang, celui de l’État, souverain et altier, et un niveau constitutionnel de second rang, celui des collectivités, humbles prestataires de services. Mais alors, bonjour la hiérarchie des normes s’il existe à l’intérieur d’une même norme des niveaux différents. Mais laissons ces tourments à Kelsen en son éternité.

Les requérants en QPC invoquaient le principe de libre administration à deux reprises.

En premier lieu, les associations requérantes soutenaient que l’institution d’un droit de préemption spécifique pour les biens concernés méconnaît le principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur n'ayant pas prévu de ressources particulières pour la mise en œuvre de ce droit. Le juge rejette le moyen car l'usage de ce droit constitue une simple possibilité pour les communes concernées, qu'elles pourront décider de mettre en œuvre en prenant en considération, notamment, les ressources dont elles disposent. On s’abstiendra de qualifier l’argument.

Il ne s’agit tout de même pas d’une simple extension du champ d’application du droit de préemption mais bien de l’institution d’une compétence entièrement nouvelle – la préemption de biens appelés à disparaître - nécessitant la prévision de ressources en rapport.

En second lieu, il était soutenu en demande que les dérogations aux dispositions du code de l'urbanisme propres au littoral en vue de permettre la relocalisation des constructions, ouvrages ou installations menacés par l'évolution du trait de côte que prévoient les art. L. 312-8 et L. 312-9 du code de l'urbanisme, en subordonnant (cf. art. L. 312-9) cette relocalisation à « l'accord de l'autorité administrative compétente de l'État » méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales en ce qu'elles instaureraient une tutelle de l'État en matière d'urbanisme. Le moyen, qui n’était pas sans valeur, est écarté en vertu du mantra selon lequel ces mesures « ne portent pas à la libre administration des collectivités territoriales une atteinte qui excèderait la réalisation de l'objectif d'intérêt général poursuivi par les nécessités de protection de l'espace particulièrement sensible que constitue le littoral. » 

 

b/ Les autres arguments

 

En premier lieu, les requérantes critiquaient les dispositions du code de l’urbanisme (art. L. 219-7) et du code de l'expropriation (art. L. 322-2) insérées par l'ordonnance attaquée car le législateur y aurait méconnu l'étendue de sa compétence et porté atteinte au droit de propriété en omettant de prévoir qu'il serait tenu compte, dans la fixation de l'indemnité d'expropriation, de l'état des ouvrages de protection et des stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte. Le juge récuse cette argumentation en faisant observer que le législateur a, au contraire, garanti la prise en compte de la situation particulière de chaque bien d’abord en ce que l'évaluation des biens immobiliers concernés relève, à défaut d'accord amiable, du juge judiciaire, compétent en matière d'expropriation et ensuite en tenant compte de l'exposition du bien au recul du trait de côte

En second lieu, il était soutenu que les dispositions, notamment, des art. L. 321-18 et L. 321-25 du code de l'environnement, relatives au « bail réel d'adaptation à l'érosion côtière », en particulier concernant la renaturation des lieux, auraient pour effet de mettre à la charge de la seule collectivité publique locale le coût de la remise en état du terrain, méconnaissant ainsi les dispositions de l'art. 4 de la charte de l'environnement selon laquelle « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». Le moyen est prestement rejeté par le motif que l'opération de renaturation prévue par les dispositions précitées ne constitue pas, en tant que telle, la réparation d'un dommage à l'environnement, ce qui exclut l’invocation à cet égard de l’art. 4 de la charte précitée. Un peu moins de laconisme n’aurait pas été superflu.

 

II/ Sur le recours pour excès de pouvoir

 

Quatre moyens étaient avancés, tous rejetés

 

Tout d’abord, le grief tenant à la procédure de consultation n’est pas retenu car la consultation du public sur l'ordonnance attaquée est intervenue entre le 3 et le 24 mars 2022, alors que le Conseil national d'évaluation des normes, dont la consultation était obligatoire en application des dispositions de l'art. L. 1212-2 du CGCT, a examiné le projet d'ordonnance lors de sa séance du 25 mars 2022, soit à une date où ne pouvait lui être transmise la synthèse des observations et propositions du public. La motivation de ce rejet laisse dubitatif.

Ensuite, s’agissant des modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, le juge réfute trois moyens.

1°/ Dès lors que les dispositions du 3° du I de l'article 248 de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets autorisaient le Gouvernement à prendre par ordonnance de l’art. 38 toute mesure définissant les modalités d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, l’ordonnance litigieuse pouvait, sans méconnaître le champ de l'habilitation législative, prévoir que pour tous les biens situés dans une zone exposée au recul du trait de côte les modalités d'évaluation soient celles prévues à l'art. L. 219-7 du code de l'urbanisme issu de l'article 1er de cette même ordonnance, y compris pour ceux des biens entrant dans le champ des art. L. 561-1 et L. 561-3 du code de l'environnement relatifs à l'expropriation pour risques naturels majeurs.

2°/ Parce que le propriétaire d'un bien soumis à l'érosion côtière est placé dans une situation différente de celle des propriétaires de biens soumis à d'autres risques naturels majeurs, l'ordonnance a pu prévoir un mécanisme d'évaluation propre aux biens soumis au recul du trait de côte et cela sans méconnaître le principe d'égalité. Là encore l’« argumentation », s’il s’agit bien de cela, peine à  convaincre.

3°/ Il ne saurait être reproché à l’ordonnance attaquée le fait qu’elle ne prévoit pas de prendre en compte, au titre de la méthode d'évaluation des biens exposés au recul du trait de côte, l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte, ainsi que les mesures d'accompagnement car une telle exigence ne résulte pas des termes de la loi d'habilitation. Ainsi, en prévoyant que cette méthode se ferait « en tenant compte de l'exposition du bien au recul du trait de côte », l'art. L. 219-7 du code de l'urbanisme issu de l'article 1er de l'ordonnance attaquée, est resté dans les limites fixées par la loi d'habilitation. 

Également, pour ce qui est du bail réel immobilier, c’est à tort que les requérantes font soutenir que l'ordonnance attaquée, en instituant à son article 5 (devenu les art. L. 321-18 et L. 321-25 du code de l'environnement), le régime de ce type ce bail, aurait contrevenu aux termes de la loi d’habilitation (1° de l'art. 248 de la loi du 22 août 2021 précitée). En particulier en ce qu’ils reprochent à cette ordonnance de faire peser sur la collectivité publique le coût de la renaturation et de la dépollution en fin de bail, ce  qui serait également contraire, à la fois, à un principe général du droit selon lequel ce serait au preneur de remettre les lieux en l'état et au principe constitutionnel du pollueur-payeur ainsi qu’à la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux. En effet, estime le juge, d’une part, la loi du 22 août 2021 précitée, en autorisant la création d’un nouveau bail réel immobilier, imposait nécessairement aux auteurs de l'ordonnance, d'en préciser le régime juridique, d'autre part, il n’existe aucun principe général du droit impliquant qu'il incomberait nécessairement au preneur à bail de remettre les lieux en l'état et, enfin, la directive précitée n’est pas applicable au bail réel immobilier institué par l'ordonnance attaquée. Au reste, il se déduit des dispositions de l'art. L. 321-25 et de l'article L. 321-21 du code de l'environnement, que le coût de la renaturation et de la dépollution du terrain pourra être pris en charge par le preneur à bail. 

Enfin, sur les possibilités de déroger aux dispositions du code de l'urbanisme propres au littoral, le juge n’y aperçoit nulle violation des termes de la loi d’habilitation et relève qu’elles sont limitées et encadrées aux seules dispositions relatives au littoral.

(13 octobre 2023, Association nationale des élus du littoral et association des maires de France, n° 464202)

 

État-civil et nationalité

 

117 - Décision rapportant un décret de naturalisation – Changement de situation familiale en cours d’instruction – Absence d’information de l’autorité administrative - Rejet.

Rappel, classique et récurrent, de ce que le candidat à la naturalisation française qui, durant l’instruction de sa demande, n’informe pas l’autorité administrative saisie de son dossier ou n’est pas en état de prouver qu’il l’a fait, de l’existence d’un changement dans sa situation familiale, ici le fait d’avoir contracté mariage avec une ressortissante étrangère résidant à l’étranger, s’expose à voir retirer le décret qui avait autorisé sa naturalisation.

(03 octobre 2023, M. E., n° 466617)

(118) V., la solution identique retenue envers une ressortissante tunisienne qui, antérieurement au décret de naturalisation, du 21 mars 2014, publié au J.O. du 23 mai 2014, avait, sans le déclarer, contracté mariage le 6 février 2014 avec un compatriote résidant habituellement à l’étranger : 23 octobre 2023, Mme C., n° 469769.

(119) V. aussi, très voisin, approuvant le retrait d’un décret de naturalisation accordé le 23 octobre 2015 à un ressortissant sénégalais qui a, ensuite, sollicité la transcription sur les registres de l'état-civil français des actes de naissance de ses deux enfants mineurs résidant à l'étranger, nés respectivement le 3 octobre 2012 et le 5 mai 2014, révélant ainsi avoir menti sur sa situation familiale lors de l’instruction de sa demande de naturalisation : 03 octobre 2023, M. B., n° 468147.

(120) V. encore, identique au précédent, le rejet d’une demande d’annulation du retrait d’un décret de naturalisation fondé sur ce qu’un ressortissant malien, naturalisé par décret du 20 septembre 2019, a sollicité la transcription sur les registres de l'état-civil français de son enfant, né le 18 octobre 2012 à Bamako (Mali), résidant habituellement au Mali, révélant le caractère mensonger de sa déclaration d’être célibataire et sans enfant lors de sa demande de naturalisation : 23 octobre 2023, M. B., n° 468925.

(121) V., dans le même sens, pour un ressortissant marocain qui a déclaré un mariage en 2007 avec une femme dont il a un enfant mais n’a pas informé le service instructeur de sa demande de naturalisation de l’existence d’un premier mariage, en 2001, et d’une épouse et de trois enfants reconnus par lui et auxquels il a régulièrement rendu visite et avec lesquels il a cohabité : 24 octobre 2023, M. C., n° 466708.

(122) V. également, rejetant une telle demande pour absence d’établissement d’une urgence propre à démontrer en l'état de l'instruction, que l'exécution du décret de retrait de naturalisation contesté serait, par elle-même, de nature à préjudicier gravement et immédiatement à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il invoque : ord. réf. 11 octobre 2023, M. B., n° 488703.

(123) V., plus originale, l’annulation, pour erreur de droit, d’une ordonnance de référé refusant à une ressortissante bangladaise la suspension d’exécution du retrait d’une carte pluriannuelle de séjour au motif qu’elle avait mis plus de deux mois pour saisir le juge des référés, une telle circonstance n’étant pas de nature, à elle seule, à renverser la présomption d’urgence applicable à un retrait de titre de séjour : ord. réf. 23 octobre 2023, Mme B., n° 468980.

 

124 - Demande de certificat de nationalité française – Rejet – Ordre de restituer la carte nationale d’identité et le passeport – Obligation de saisir le juge judiciaire – Compétence liée - A défaut, impossibilité de contester la légalité de la décision de restitution – Erreur de droit – Annulation.

Le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande de certificat de nationalité française déposée par le requérant et, en conséquence, le préfet lui a demandé de restituer sa carte nationale d’identité et son passeport français.

Le juge des référés ayant rejeté sa requête en suspension de l’exécution de la décision préfectorale, M. D. se pourvoit en cassation de cette ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État est à la cassation en raison de l’erreur de droit commise par le juge des référés en ce qu’il a fondé son ordonnance sur le fait que le demandeur ne justifiant pas avoir exercé devant la juridiction civile compétente un recours contre le refus de certificat de nationalité française qui lui a été opposé par le directeur des services de greffe du tribunal judiciaire de Paris, il ne pouvait utilement contester la légalité de la décision du préfet, et notamment faire valoir qu'il est français par filiation car le préfet se trouvait en situation de compétence liée. 

Inaugurant une jurisprudence nouvelle, le Conseil d’État estime que l’administration, en pareille situation, ne se trouve pas en situation de compétence liée la contraignant à exiger de l’intéressé la remise des documents d’identité. Il incombait au juge saisi, alors que le certificat de nationalité n'est que l'un des moyens de preuve de la nationalité française, d'apprécier si, au vu des justificatifs éventuellement présentés par l'intéressé, il existait un doute suffisant sur sa nationalité.

Statuant au fond, le juge estime que sont réunies les deux conditions nécessaires à l’octroi d’une suspension d’exécution de la décision préfectorale : doute sérieux sur la juridicité de la décision préfectorale, qui n’a pas été précédée d’une procédure contradictoire préalable, et urgence car l’intéressé, qui réside et travaille au Royaume-Uni, serait susceptible de s'exposer à une rupture de son contrat de travail. 

(ord. réf. 10 octobre 2023, M. D., n° 470174)

 

125 - Déclaration en vue d’acquérir la nationalité française – Mariage avec une ressortissante française – Opposition pour indignité – Rejet.

Le Gouvernement n’a pas fait une inexacte application des dispositions de l’art. 21-4 du Code civil en s’opposant à la déclaration d’un ressortissant tunisien marié à une française en vue d’acquérir la nationalité française, en se fondant sur ce que celui-ci, président de l'association gestionnaire d'une mosquée à Romainville, a eu une responsabilité particulière dans le recrutement et le maintien en fonction de l'un des prédicateurs, M. B., connu pour des propos d'une teneur radicale et violente, en particulier sur les réseaux sociaux, encourageant la propagation de thèses contraires ou hostiles aux valeurs essentielles de la société française. En outre, les prétendus changements de comportement de M. B. sont contredits en particulier par les positions prises lors de l'attentat de Nice en octobre 2020. Par suite, en prenant la décision querellée, le Gouvernement ne s’est pas fondé sur des faits matériellement inexacts et n’a pas entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation du comportement du requérant.

(24 octobre 2023, M. E., n° 469227)

 

Étrangers

 

126 - Avis de droit – Demandes de titre de séjour incomplètes – Régime – Demandes de titre de séjour par des demandeurs d’asile – Régime.

Répondant à plusieurs questions du tribunal administratif de Dijon, le Conseil d’État précise les régimes applicables aux demandes de titre de séjour incomplètes, d’une part, aux demandes de titre de séjour formulées par des demandeurs d’asile, d’autre part.

S’agissant des demandes de titre de séjour incomplètes, le juge indique d’abord que le caractère spécial des dispositions du CESEDA concernant le traitement des demandes de titres de séjour, notamment celles incomplètes, a pour effet d’écarter celles de l’art. L. 114-5 du CRPA, en vertu du principe que la loi spéciale déroge aux lois générales (lex specialis generalibus derogat). Il ajoute aussi que le refus d’enregistrer une demande incomplète ne peut être déféré au juge de l’excès de pouvoir si elle est réellement incomplète. En revanche, lorsque la demande incomplète émane d’un demandeur d’asile dont la demande n’a pas été rejetée, le titre de séjour ne peut pas être refusé pour incomplétude des documents.

S’agissant des demandes de titre de séjour formulées par des demandeurs d’asile, lorsque la demande d'asile relève de la compétence de la France, l'étranger se voit remettre au moment de son enregistrement, une attestation de demande d'asile qui l'autorise à rester sur le territoire.

Si l’étranger demandeur d'asile a été dûment informé des conditions dans lesquelles il peut solliciter son admission au séjour sur un autre fondement et s’il formule une demande de titre de séjour après l'expiration du délai qui lui a été indiqué pour le faire, l'autorité administrative peut rejeter cette demande pour sa tardiveté sauf si l'étranger fait valoir un motif de délivrance d'un titre de séjour apparu postérieurement à l'expiration de ce délai. En ce cas, aucun nouveau délai ne lui est opposable pour formuler sa demande de titre. Cependant, l'étranger ne peut se prévaloir pour la première fois devant le juge d'une telle circonstance.

Enfin, la tardiveté de la demande de titre formulée par l'étranger ayant présenté une demande d'asile peut constituer l'un des motifs de la décision de refus de titre prise après le rejet définitif de sa demande d'asile ou fonder un refus d'enregistrement de la demande de titre, dont l'étranger sera recevable à demander l'annulation pour excès de pouvoir.

On mesure dans quels abîmes de perplexité peuvent parfois être plongées les administrations et les juridictions ayant à gérer ces situations diverses, enchevêtrées au possible et reposant sur l’impossible et instable et subjectif compromis entre une certaine rigueur nécessaire et une compassion qui peut être légitime.

(10 octobre 2023, M. I. M. E., n° 472831)

 

127 - Retrait d’un titre de séjour – Titre fondé sur une attestation frauduleuse d’hébergement – Caractère non déterminant de ce défaut – Erreur de droit – Annulation.

Le juge des référés a suspendu les décisions du préfet de Mayotte retirant à la demanderesse son titre de séjour et lui ordonnant de ne plus paraître durant trois ans sur le territoire français. Le ministre de l’intérieur se pourvoit en cassation de son ordonnance.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en relevant que l’attestation d’hébergement produite par la requérante à l’appui de sa demande de titre de séjour avait été établie par une personne qui a signé cent trente fausses attestations et a été, pour cela, condamnée pénalement, ce que le premier juge a admis mais celui-ci a cru devoir estimer qu'il n'était pas établi que cette attestation, reconnue comme apocryphe, aurait déterminé le préfet à délivrer ce titre.

Ce juge a ainsi commis une erreur de droit car une pièce justificative de domicile, qui est au nombre des pièces à fournir par le demandeur pour la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour (cf. annexe 10 du CESEDA), constitue l'un des éléments permettant au préfet d'apprécier la stabilité des liens du demandeur de titre avec la France et l’état de ses conditions d’existence (cf. art. L. 423-23 du CESEDA).

(13 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474868)

 

128 - Refus d’enregistrer une demande de titre de séjour – Irrecevabilité pour tardiveté – Préfet tenu de se prononcer sur le droit au séjour après annulation par le juge d’une OQTF – Erreur de droit – Annulation.

Un ressortissant géorgien, après que lui a été refusée, par l’OFPRA, sa demande d’asile, a fait l’objet d’un arrêté préfectoral portant à son encontre obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cet arrêté ayant été annulé par le tribunal et celui-ci ayant ordonné le réexamen de la situation de l’intéressé par le préfet, ce dernier, saisi d’une demande de titre de séjour, l’a rejetée en raison de sa tardiveté. Le tribunal a annulé ce refus et enjoint le préfet d’enregistrer la demande de titre de séjour. Sur appel du préfet, la cour administrative d’appel a annulé le jugement et rejeté la demande d’enregistrement.

Sur pourvoi de l’intéressé, le Conseil d’État annule l’arrêt comme étant entaché d’erreur de droit  car, juge-t-il, le préfet ne pouvait pas refuser l'enregistrement de la demande de titre de séjour au motif que cette demande était irrecevable car tardive, alors qu'il était tenu de se prononcer sur le droit au séjour de l'intéressé après l'intervention du jugement par lequel le tribunal administratif avait annulé l'obligation de quitter le territoire français prononcée à l'encontre de l'intéressé.

(17 octobre 2023, M. A., n° 468993)

 

129 - Demande de rétablissement rétroactif des conditions matérielles d’accueil – Absence de vulnérabilité particulière – Absence d’élément nouveau – Rejet.

Rejet du recours d’un ressortissant afghan dirigé contre le refus du premier juge des référés d’accéder à sa demande qu’il soit fait injonction à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de lui rétablir rétroactivement le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

Le Conseil d’État relève que l’ordonnance attaquée énumère ses motifs de rejet (entretien particulier accordé, examen médical, absence de vulnérabilité particulière) sans que, en appel (s’agissant d’un référé liberté), le demandeur n’apporte d’éléments nouveaux.

(ord. réf. 17 octobre 2023, M. B., n° 488839)

 

130 - Ressortissante italienne – Affirmation d’occuper une activité professionnelle en France – Demande de délivrance d’un titre de séjour – Refus – Absence de ressources suffisantes - OQTF – Erreur de droit – Annulation.

Pour rejeter la demande d’une ressortissante italienne, Mme B., d’annulation d’un arrêté préfectoral portant OQTF à son encontre, le président de chambre d’une cour administrative d’appel s’est fondé, au visa de l’art. L. 511-3-1, 1°, point 2, du CESEDA, sur ce que les missions d'intérim qu'elle avait accomplies et les revenus générés par l'activité de son mari ne permettaient pas de regarder le foyer comme disposant de ressources suffisantes pour assurer l'entretien de la famille. Le Conseil d’État annule cette ordonnance en ce qu’elle repose sur une erreur de droit dès lors que les conditions d'exercice professionnel et de ressources, mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 121-1 de ce code, sont alternatives et non pas cumulatives. Ainsi, la cour ne pouvait pas rejeter la demande de Mme B. en se prononçant sur la seule seconde condition sans vérifier si la première était satisfaite.

(23 octobre 2023, Mme B., n° 464466)

 

131 - Placement en zone d’attente – Refus d’entrée sur le territoire français – Absence de fourniture les documents légalement requis – Rejet.

Le requérant, ressortissant marocain, n’est pas fondé à se plaindre que le ministre de l’intérieur l’a placé en zone d’attente et lui a refusé l'entrée sur le territoire français dès lors qu’il n’a pas fourni les documents requis par l'article L. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour être autorisé à entrer sur le territoire français. Cette situation ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux droits et libertés.

(ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489050)

(132) V., même solution pour un ressortissant tunisien : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489052.

(133) V. aussi, identique, pour un autre ressortissant tunisien : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489053.

(134) V. encore, identique, pour un autre ressortissant marocain : ord. réf. 31 octobre 2023, M. B., n° 489054.

(135) V. également, identique, à nouveau pour un ressortissant marocain : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489055.

(136) V., pour un ressortissant ghanéen : ord. réf. 31 octobre 2023, M. A., n° 489049 ou, pour un ressortissant libanais : ord. réf. 31 octobre 2023, M. Fayez Al Sayad, n° 489051.

 

137 - Étranger – OQTF – Interdiction de retour et placement en rétention administrative – Éléments insuffisants ou non corroborés – Rejet.

Le juge des référés du Conseil d’État estime que c’est sans erreur de droit que le juge du référé liberté a rejeté, en première instance, le recours d’un ressortissant congolais tendant, d’une part,  à voir suspendue l’exécution de l’arrêté du préfet de Mayotte lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, assorti d'une interdiction de retour pendant un an avec placement en rétention administrative et, d’autre part, à ce qu’injonction soit faite à cette autorité de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ainsi que d'organiser aux frais de l'État son retour en cas de mise à exécution de la mesure d'éloignement. 

Aucun des moyens soulevés n’a convaincu les juges successifs.

L'ordonnance attaquée mentionne que ni le conseil de M. B., ni ce dernier n'étaient présents à l'audience publique des référés du tribunal administratif de Mayotte. Une telle mention faisant foi jusqu'à preuve contraire, en l’espèce cette preuve n'est pas apportée par le requérant qui se borne à alléguer que si son avocat était absent, la parole ne lui a pas été donnée alors qu'il était présent au tribunal.

L’attestation d'hébergement par une personne bénéficiaire de la reconnaissance d'une protection internationale produite par le requérant ne permet pas de préciser la nature de ses relations avec cette personne ; en outre, le requérant ne peut se prévaloir de la qualité de demandeur d'asile dès lors que la validité de l'attestation de demande d'asile produite au soutien de son recours avait expiré. 

Enfin, il n’est établi par aucun élément le caractère sérieux des affirmations selon lesquelles sa vie serait menacée en raison de ses idées politiques en cas de retour au Congo ou qu’il serait susceptible de trouver un emploi auprès d'entreprises du bâtiment ou encore qu’il serait en situation de mener une vie maritale et sociale paisible.

Faute de démontrer que la mesure d'éloignement dont il fait l'objet serait de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, l’appel contre l’ordonnance de rejet rendue en première instance est rejeté. 

(ord. réf. 31 octobre 2023, M. B., n° 489018)

 

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

138 - Professeur dans un conservatoire municipal – Allégations de harcèlement moral – Irrégularité prétendue des comptes rendus d’entretien professionnel – Refus d’accorder la protection fonctionnelle - Rejet.

La requérante, professeur de danse dans un conservatoire municipal, a demandé l’annulation du refus de son administration de lui accorder la protection fonctionnelle dans un litige résultant de ses allégations d’être victime de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie et de ses collègues ainsi que des irrégularités qui auraient entaché les comptes rendus de ses entretiens professionnels.

Le recours est rejeté en tous ses moyens.

Le juge de cassation estime que la cour administrative d’appel, en rejetant le recours dont elle était saisie s’agissant des faits de harcèlement, n’a ni insuffisamment motivé sa décision, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ni commis d'erreur de droit. Celle-ci a bien, conformément aux exigences qui lui étaient imparties dans un dossier de harcèlement, correctement analysé puis apprécié les faits dénoncés devant elle : relations conflictuelles entre l’intéressée avec sa hiérarchie s’étant poursuivies sous deux responsables de département et deux directeurs différents, caractère dégradé des locaux ne relevant pas de la responsabilité du conservatoire, absence d'animosité systématique et répétée à son égard de la part de ses supérieurs hiérarchiques ou de ses collègues. C’est donc à bon droit que la cour a conclu que les faits prétendus de harcèlement n’étaient pas établis.

Semblablement, la cour n’a pas davantage commis d’erreur de droit en jugeant que, contrairement à ce que soutenait la requérante, celle-ci n’établissait pas davantage le caractère irrégulier des comptes rendus d’entretiens professionnels notamment en relevant qu’en raison des relations conflictuelles entretenues par Mme A. avec sa supérieure hiérarchique directe, 
l'entretien professionnel de la requérante au titre de l'année 2014 s'est tenu en présence à la fois de cette dernière et du directeur du conservatoire, ce qui n’a pas entaché cet entretien d’irrégularité, et qu'en 2015 Mme A. a été placée sous la responsabilité directe du directeur du conservatoire, de sorte que l'entretien professionnel au titre de cette année n'a été mené que par ce dernier.

(04 octobre 2023, Mme A., n° 452910)

 

139 - Demande d’exécution intégrale d’un jugement annulant une décision d’admission d’un agent hospitalier à faire valoir ses droits à la retraite– Rejet de cette demande fondé sur la méprise d’une cour d’appel sur la portée de ce jugement – Annulation.

Se méprend sur la portée d’un jugement et encourt annulation, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui rejette une demande d’exécution intégrale de ce jugement au motif que l'indemnité accordée à la requérante  par celui-ci réparait une perte de revenus et conservait à ce titre le caractère d'un revenu imposable sous le régime des salaires et soumis aux retenues et prélèvements sociaux dont les cotisations à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) alors que la somme allouée par le tribunal avait pour objet de réparer le préjudice ayant résulté non pas de l'éviction illégale de Mme A., mais des manquements de son employeur dans la gestion de son dossier de retraite, qui ne lui ont pas permis de percevoir sa pension de retraite au plus tard en mars 2011 et, si cette somme pouvait bien être calculée à partir du décompte de pension établi en 2014, elle n'était en revanche pas assujettie à des cotisations de retraite.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 460584)

 

140 - Agents des services hospitaliers – Comportements inappropriés envers des femmes, collègues ou patientes – Sanction – Absence de caractère disproportionné – Annulation – Rejet au fond.

Un agent hospitalier a fait l’objet d’une sanction disciplinaire d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de deux ans en raison de comportements déplacés envers les femmes, ses collègues ou des patientes. Sur sa saisine, le juge des référés du tribunal administratif a suspendu l’exécution de cette sanction ; l’intéressé se pourvoit.

Le juge de cassation annule l’ordonnance de suspension pour dénaturation des faits en ce qu’elle a estimé que le caractère disproportionné de la sanction était de nature à créer un doute sérieux sur sa juridicité. A cet effet, il est indiqué qu’il résulte du rapport de saisine du conseil de discipline, établi après neuf entretiens conduits par la direction des ressources humaines, des témoignages de plusieurs médecins et collègues de M. A. et du rapport de signalement établi par une cadre de santé, que ces documents attestent de manière circonstanciée que celui-ci a fait preuve de manière répétée d'un comportement inapproprié tant à l'égard de ses collègues femmes que de patientes. La sanction n’est pas disproportionnée d’autant que les écritures du requérant ne sont pas de nature à remettre en cause la matérialité des faits.

(ord. réf. 10 octobre 2023, CHU de Poitiers, n° 472124)

 

141 - Fonctionnaires de police – Bonification spéciale ou bonification du 1/5ème – Absence de prise en compte en position de mise à disposition – Illégalité – Annulation sans injonction.

La loi du 8 avril 1957 institue un régime particulier de retraites en faveur des personnels actifs de police et l'art. L. 24 du code des pensions civiles et militaires de retraite crée un avantage consistant en une bonification spéciale (dite BSFP) égale à un cinquième du temps qu'ils ont effectivement passé en position d'activité dans des services actifs de police sans que le plafond en résultant n’excède cinq années.

Une note du ministre de l'intérieur du 4 juillet 2016 a décidé que « le policier mis à disposition ne bénéficie pas du classement en catégorie active, ni de la BSFP, même s'il exerce des tâches analogues à celles exercées par un policier. Il s'agit de l'application de l'article L. 73 du code des pensions qui ne reconnaît le maintien des avantages spéciaux attachés à l'accomplissement de services actifs, seulement aux fonctionnaires détachés dans un emploi similaire ».

Les requérants demandent au Conseil d'État d'annuler cette disposition de la note de service du 4 juillet 2016 et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de rectifier en conséquence leur convention de mise à disposition, en tant qu'elle reproduit les dispositions contestées.

Le juge accède à ces demandes.

Il relève, en effet, d’abord, que la bonification litigieuse, qui consiste en un avantage d’ancienneté, est attachée à la nature des fonctions que ces agents exercent en position d'activité. Un fonctionnaire de police placé en position de mise à disposition a donc droit au bénéfice de la bonification d'ancienneté pour autant que les fonctions qu'il exerce soient analogues, par leur nature et les sujétions qu'elles emportent, à celles qu'exercent les fonctionnaires actifs de police conformément aux dispositions du code de la sécurité intérieure (art. L. 411-2 et R. 411-2).

Le juge relève ensuite qu’en raison de l’objet de l’art. L. 24 du code des pensions précité, les fonctionnaires relevant des différents corps et grades des personnels actifs de la police nationale, qui sont, dans leur ensemble, classés dans la catégorie active par le tableau annexé au même code conformément à l'article R*. 34 de ce code, en bénéficient lorsqu'ils sont mis à disposition dès lors que l’art. 41 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État prévoit que le fonctionnaire mis à disposition est réputé occuper son emploi. À cet égard c’est en vain que le ministre de l'intérieur, défendeur, prétend dénier le bénéfice de cet avantage aux requérants en se prévalant des dispositions de l'art. L. 73 du code des pensions précité car celles-ci ne s'appliquent qu'à certains fonctionnaires détachés.

Le passage contesté de la note attaquée est entaché d’illégalité et annulé.

(11 octobre 2023, M. E., n° 454135 ; M. D., n° 454137 ; M. G., n° 454138 ; M. A., n° 454139, jonction)

 

142 - Ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts – Fonction occupée ayant été supprimée – Radiation des cadres pour abandon de poste – Agent demeuré sans affectation régulière – Annulation.

Le requérant, ingénieur en chef des ponts, des eaux et des forêts, a été affecté le 14 janvier 2015 à la direction générale de l'enseignement et de la recherche du ministère chargé de l'agriculture. Cette fonction a été supprimée en mars 2019 par suite d’une réorganisation du service. L’intéressé n’a pas été affecté dans l'entité qui a repris les missions de cette structure. En dépit d’échanges avec sa hiérarchie, il a fait l’objet, le 6 décembre 2021, d’une décision le mettant en demeure de reprendre son service sous huit jours car il se trouvait en situation d'absence non justifiée depuis le 11 juin 2020. Cette mise en demeure a été réitérée par un courrier du 21 janvier 2022 du chef de service des ressources humaines.

Le requérant demande l’annulation du décret du 6 mai 2022 par lequel le président de la république l'a radié des cadres pour abandon de poste. 

Le Conseil d’État rappelle que, d’une part, la radiation des cadres ne peut intervenir qu’à l’issue d’une procédure contradictoire et d’information très encadrée dans un souci de protection des agents publics, et que, d’autre part, l’administration ne peut laisser un fonctionnaire sans affectation. Retenant ce double motif, l’absence d’information sur le risque encouru et sur la marche à suivre dans le cadre d’une action en abandon de poste et la circonstance que l’on ne peut guère reprocher à un agent de ne pas occuper son poste alors qu’il est laissé sans affectation donc sans poste…, le juge annule le décret litigieux, ce qui met fin à une situation si ubuesque que l’administration s’y est elle-même embourbée.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464419)

 

143 - Assistante familiale – Contrat à durée indéterminée – Suspension temporaire puis restriction d’agrément avec avertissement – Licenciement disciplinaire sans préavis ni indemnité – Juge suspendant la mesure – Erreur de droit sur le régime de l’avertissement – Annulation mais rejet au fond.

Une assistante familiale a fait l’objet d’une suspension temporaire d’agrément suite à un signalement pour comportement violent du mari et le département employeur a engagé une procédure en vue d’un retrait d’agrément ainsi qu’une procédure disciplinaire. Sur avis en ce sens de la commission consultative paritaire départementale, le département a maintenu à l’intéressée son agrément avec restriction, assorti d’un avertissement. Puis, au terme de la procédure disciplinaire, a été prononcé son licenciement disciplinaire sans préavis ni indemnité de licenciement. Cette décision a fait l’objet, à la demande de l’agent, d’une ordonnance suspendant son exécution et ordonnant la réintégration de cette dernière.

Le département se pourvoit.

Si le juge de cassation, in fine, ordonne la suspension du licenciement sur un autre fondement juridique que le tribunal, il n’en a pas moins censuré le raisonnement du premier juge, ce qui fait l’un des intérêts de cette décision.

Le juge des référés avait jugé que le moyen tiré de ce que le prononcé de la sanction disciplinaire de licenciement sans préavis ni indemnité méconnaissait le principe non bis in idem au motif que la requérante avait déjà fait l'objet, à raison de l’avertissement qui lui avait été antérieurement donné, d'une sanction disciplinaire pour les mêmes faits, et il avait estimé que ce moyen était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée. Le Conseil d’État aperçoit dans cette solution une erreur de droit car l'avertissement préalable à une décision de retrait d'agrément prévu par les dispositions de l'art. R. 421-6 du code de l'action sociale et des familles ne constitue pas, à la différence de l'avertissement prévu par les dispositions de l'art. R. 422-20 du même code, une sanction disciplinaire mais une mesure préalable à une mesure de police administrative. Dès lors qu’il n’y avait pas succession de deux sanctions disciplinaires à raison de mêmes faits, le principe non bis… ne pouvait pas être retenu.

On pourra trouver bien subtile la distinction entre deux formes d’avertissement aux régimes si différenciés.

(11 octobre 2023, département des Pyrénées-Atlantiques, n° 466950)

 

144 - Gendarme – Demande de pension d’invalidité pour accident partiellement imputable au service – Calcul du taux global d’invalidité – Détermination hypothétique – Méconnaissance des règles de charge de la preuve - Annulation.

Une gendarme a demandé, en vain, l’octroi d’une pension d’invalidité consécutivement à un accident de service. Le ministre des armées se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif rendu par la cour administrative d’appel au bénéfice de la demanderesse.

Le litige venait de ce que l’intéressée avait subi deux entorses, l'une en service le 6 avril 2009 lors d'une séance d'entraînement, dont était rapportée la preuve de l'imputabilité au service, l'autre en dehors du service en septembre 2009.

La cour, pour déterminer quelle part respective a pris chacune de ces deux entorses dans l’ensemble de l’infirmité, a estimé que la part causale étrangère au service n'était susceptible de remettre en cause l'imputabilité au service de l'ensemble de l'infirmité, d'un taux global de 10%, que si cette cause étrangère avait été déterminante dans l'apparition de la pathologie. Or, par un raisonnement hypothétique, elle a considéré que dès lors que le rapport d'expertise médicale ne permettait pas de déterminer l'imputabilité respective des séquelles à chacun des deux accidents, il fallait en déduire que la part imputable au second ne pouvait être regardée comme ayant eu un effet déterminant dans l'apparition de l'infirmité. Par suite, une pension militaire d'invalidité devait être attribuée à l’intéressée au taux de 10 %.

Le Conseil d’État rappelle opportunément que c’est à l'intéressée qu’il incombait d'apporter, par tous moyens, la preuve de l'imputabilité au seul service, la cour a donc méconnu les règles gouvernant la charge de la preuve.

(13 octobre 2023, ministre des armées, n° 465579)

 

145 - Professeur des universités – Praticien hospitalier – Suspension des fonctions dans l’intérêt du bon fonctionnement du service – Climat délétère dans un service hospitalier - Saisine de la juridiction disciplinaire – Praticien lanceur d’alerte – Rejet.

Le juge rejette le recours d’un professeur des universités et praticien hospitalier, suspendu de ses fonctions dans l’intérêt du bon fonctionnement d’un service hospitalier considéré comme affecté par l’existence d’un climat délétère, dirigé à la fois contre la mesure de suspension et l’engagement de poursuites disciplinaires par les autorités ministérielle et académique.

Il considère ces mesures fondées en droit et en fait car la dénonciation fréquente par le demandeur, qui s’estime lanceur d’alerte, des conditions de fonctionnement de ce service et des actes de chirurgie cardio-vasculaire qui y sont pratiqués, outre la création d’une mauvaise ambiance de ce fait en raison de la campagne de dénigrement du service, a été faite sans respect de l’obligation de prudence et du secret professionnel. Ainsi en va-t-il de la consultation illicite, par ce professionnel, du dossier de plusieurs centaines de patients de l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris. 

La demande de référé suspension est rejetée en l’absence de doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.

(ord. réf. 05 octobre 2023, M. A., n° 488404)

 

146 - Professeur des universités – Président d’université – Suspicion de harcèlement moral – Suspension des fonctions à titre conservatoire – Condition d’urgence non satisfaite – Rejet.

Est rejetée la demande, en référé, tendant à  voir suspendue l’exécution de la suspension à titre conservatoire d’un professeur des universités, président d’université, en raison du défaut d’urgence : la continuité du service public est assurée par le premier vice-président du conseil d’administration, les allégations de difficultés financières résultant pour le requérant de la suspension ne sont pas telles qu’elles ne permettraient pas de suffire aux dépenses incompressibles, l’atteinte à la réputation professionnelle de l’intéressé est déjà réalisée et l’examen du litige au fond interviendra avant la fin du mois d’avril 2024.

(ord. réf. 30 octobre 2023, M. B., n° 489003)

 

147 - Professeur des universités – Recrutement – Composition du comité de sélection – Atteinte au principe d’impartialité – Annulation.

Pour annuler le décret présidentiel nommant un professeur d’université suite au défaut d’impartialité du comité de sélection, le juge retient « que le candidat placé par le comité de sélection en deuxième position et finalement nommé sur le poste (de professeur) était rattaché, au moment du dépôt de sa candidature, au laboratoire d'informatique de l'université d'Avignon, dont l'un des membres du comité de sélection est le directeur, que ce même membre a encadré les travaux de sa thèse, soutenue en 2010, et a participé au jury de son habilitation à diriger des recherches en décembre 2020, enfin, que (ce candidat) a publié, au cours des années qui ont précédé le recrutement litigieux, des travaux scientifiques en collaboration avec ce membre du comité de sélection. ».

Le juge précise que chaque fait pris isolément n’aurait pas suffi à justifier le prononcé de cette annulation mais que celle-ci résulte d’un cumul d’éléments, ajoutant encore que si les liens professionnels précédemment décrits ont amené le membre du comité de sélection en question à s'abstenir de prendre part aux interrogations et délibérations concernant le candidat retenu, il n'est pas contesté qu'il a, en revanche, pris part aux interrogations des autres candidats ainsi qu'aux délibérations les concernant.

Cela faisait, en effet, beaucoup…

(13 octobre 2023, Mme C., n° 459205)

 

148 - Professeur des universités – Recrutement – Composition du comité de sélection – Irrégularité – Absence irrégulière de motivation de la délibération du conseil académique - Annulations.

Les recrutements d’enseignants dans l’enseignement supérieur français sont souvent entachés d’irrégularités diverses, qu’elles soient le résultat de maladresses ou de turpitudes.

En l’espèce, l’université de La Réunion avait ouvert un concours en vue du recrutement d’un professeur en « Littérature et/ou Civilisation et/ou Espagne et/ou Amérique Latine ». Une candidate malheureuse saisit le juge d’un recours en annulation de la procédure ayant conduit in fine à la proposition de retenir et à classer deux candidats ; elle invoque deux griefs, l’un relatif à l’irrégularité dans le fonctionnement du comité de sélection, l’autre relatif à la décision arrêtée par le conseil académique.

Le juge constate, dans chacun des deux cas, la commission d’irrégularités.

En premier lieu, un membre du comité de sélection ayant participé à la délibération par laquelle ce comité avait dressé la liste des candidats qu'il souhaitait entendre, a été absent, sans motif légitime, de la suite de la procédure par laquelle le comité de sélection procède à l'audition des candidats et arrête la liste, classée par ordre de préférence, des candidats qu'il retient. La procédure suivie était entachée d'irrégularité (cf. en ce sens : 17 juin 1927, Bouvet et autres, n° 89357, Rec. Lebon p. 676, à propos de l’absence du secrétaire général de la préfecture de police à certaines épreuves d’un concours de recrutement d’inspecteur principal de la navigation commerciale et des ports) sans que puisse faire échec à cette irrégularité la circonstance que l’université soutenait que c'est en raison de cette irrégularité que le conseil académique a émis un avis défavorable à la liste de candidats proposée par le comité de sélection parce que cet avis lui-même est irrégulier.

En second lieu, en effet, le conseil académique siégeant en formation restreinte avait l’obligation de motiver son avis puisqu’il était défavorable, or le procès-verbal de délibération de ce conseil ne fournit aucun avis, se bornant seulement à décider qu’il émet un avis défavorable à la liste de candidats proposée par le comité de sélection, ce qui ne constitue pas précisément une « motivation ». 

La délibération est annulée.

(13 octobre 2023, Mme A., n° 461026)

 

149 - Professeur des universités – Avis défavorable à une mutation – Demande de suspension de diverses décisions en résultant – Absence d’urgence – Rejet.

Au moyen d’un référé suspension, l’intéressée, professeur des universités dont la candidature à une mutation de Paris à Montpellier a été refusée, demande la suspension d’exécution de l’avis défavorable donné à cette mutation, le classement d’autres candidats et la nomination de la candidate classée première à l’issue de la procédure de recrutement.

Sa requête est rejetée, le juge estimant que le refus de mutation à Montpellier où réside son conjoint qu'elle doit notamment accompagner chaque mois à l'hôpital pour des examens d'imagerie médicale, - alors même qu’elle prétend que ce refus porte atteinte à sa vie privée et familiale et à ses activités de recherche, et qu'un intérêt public s'attache à ce que la procédure d'examen de sa candidature soit reprise -, n’entraîne ni pour la requérante ni pour l’intérêt général, de conséquences de nature à caractériser une situation d'urgence comme l’exige l’art. L. 521-1 CJA.

(19 octobre 2023, Mme B., n° 488657)

 

150 - Professeur des universités – Mise en examen pour divers chefs d’infractions et placement sous contrôle judiciaire – Mesures diverses prises par l’Université – Pluralité d’illégalités – Annulation.

Le requérant, professeur des universités, a été mis en examen des chefs de détournement de fonds publics, de faux et d'usage de faux et d'abus de confiance en lien avec son activité professionnelle à l'université et au sein de l'Institut de prévention et de recherche sur l'ostéoporose et placé sous contrôle judiciaire par une ordonnance du 30 septembre 2020 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire, qui lui a fait interdiction de se livrer à toute activité de gestion, de direction ou d'administration au sein de l'université. 

Il a été élu au conseil d’administration de l’université le 6 octobre 2020.

Le président de l'université, par arrêté du 22 octobre 2020, l'a suspendu à titre conservatoire et pendant une durée d'un an de ses fonctions d'enseignement et de recherche ainsi que de son mandat de membre du conseil d'administration de cette université et lui a interdit d'accéder aux locaux de l'université, sans privation de traitement. Puis, un an plus tard, il a reconduit ces décisions « tant que les mesures prises par l'autorité judiciaire ne permettent pas un rétablissement dans ses fonctions ».

Par deux requêtes, M. B. demande l'annulation des deux arrêtés précités.

Le Conseil d’État relève qu’une série d’irrégularités entache la juridicité des deux arrêtés.

Tout d’abord, l’arrêté par lequel le président de l’université a donné délégation au vice-président de l’université à l'effet de signer l'ensemble des actes relatifs à la direction de l'établissement pris sur le fondement de l'art. L. 712-2 du code de l'éducation ou au titre des pouvoirs délégués par le conseil d'administration conformément à l'art. L.712-3 du même code, n'autorisait pas le vice-président de l'université à signer, au nom du président de l'université, les actes par lesquels ce dernier agit au titre de la délégation de pouvoir reçue du ministre chargé de l'enseignement supérieur par l'arrêté du 10 février 2012. Il s’ensuit donc que l'arrêté du 22 octobre 2020 signé au nom du président de l'université l'a été par une autorité incompétente en tant qu'il prononce la suspension de M. B. de ses fonctions d'enseignement et de recherche sur le fondement de l'art. L. 951-4 du code de l'éducation. 

Ensuite, le président de l'université ne tenait d’aucune disposition législative ou réglementaire le pouvoir de suspendre le mandat de membre du conseil d'administration de l'université d'un enseignant-chercheur. 

Encore, si l'université  invoque l'existence de tensions dans le contexte des élections universitaires se déroulant au sein de l'établissement en octobre 2020, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il existait à la date de l'arrêté litigieux une situation « de désordre ou de menace de désordre dans les enceintes et locaux définis à l'article R. 712-1 », de nature à justifier l'interdiction faite à M. B. d'accéder aux locaux de l'université sur le fondement des dispositions de l'art. R. 712-8 du code de l'éducation. 

Enfin, s’agissant du second arrêté attaqué, il est annulé à la fois pour certains des motifs précédents et pour un motif propre tenant à ce que la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur ne peut être prononcée, sur le fondement des dispositions de l’art. L. 951-4 du code précité, pour un temps qui excède un an, quand bien même l'intéressé ferait encore, à cette date, l'objet de poursuites disciplinaires ou de poursuites pénales. 

(26 octobre 2023, M. B., n° 457493)

 

151 - Professeur des universités – Recrutement par promotion interne – Composition irrégulière du comité d’audition – Privation d’une garantie - Annulation.

La procédure de recrutement des professeurs d’université par la voie temporaire d'accès par promotion interne comporte, outre les avis rendus par le conseil académique et le collège restreint aux professeurs d’université, un examen des candidatures par le comité d’audition.

Le III de l'art. 4 du décret du 20 décembre 2021 créant une voie temporaire d'accès au corps des professeurs des universités et aux corps assimilés, dispose que le comité d’audition « est composé du chef de l'établissement ou de son représentant et de trois membres du corps des professeurs des universités ou d'un corps assimilé, désignés par le chef de l'établissement ou par son représentant, dont deux au moins choisis parmi les spécialistes de la discipline concernée (…) ».

Or il est constant que lors de l’audition de la requérante ce comité ne comprenait qu'un seul membre du corps des professeurs des universités, ou d'un corps assimilé désigné par le président de l'université, spécialiste de sa discipline. Ayant ainsi été privée d’une garantie prévue par le texte précité, Mme B. de C. est fondée à soutenir que la décision par laquelle le président de l'université a refusé de l'inscrire sur la liste des candidats dont la nomination est proposée, a été prise au terme d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.

(26 octobre 2023, Mme B. de C., n° 471086)

 

152 - Professeur agrégé du second degré – Sanction pour manquement aux devoirs de réserve et de neutralité – Suspension des fonctions et du traitement – Invocation d’un préjudice moral – Rejet.

Un professeur de mathématiques, agrégé du second degré, a fait l’objet d’une sanction d'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de six mois par un arrêté du ministre de l'éducation nationale pour avoir tenu devant ses élèves, le 27 novembre 2015, jour de l’hommage national aux victimes des attentats du 13 novembre 2015, des propos contraires aux devoirs de réserve et de neutralité.

Le juge des référés a ordonné la réintégration de l’enseignant et, au fond, a annulé la sanction à raison de son caractère disproportionné. Cependant, la cour administrative d’appel a rejeté son appel contre ce jugement en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation des préjudices moral et financier qu’il estime avoir subis.

Le pourvoi dirigé contre cet arrêt est rejeté.

Le juge de cassation considère que la cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que, compte tenu de la gravité des faits reprochés au requérant, l'administration aurait pu légalement prendre une sanction emportant les mêmes effets sur sa rémunération, ce dont elle a déduit que le préjudice matériel allégué par M. B. du fait de la perte de revenus au cours de sa période d'éviction ne présentait pas un lien de causalité direct avec l'illégalité le suspendant temporairement de ses fonctions. 

Semblablement est rejeté le grief dirigé contre l’arrêt de la cour en tant qu’elle a refusé le versement d'une indemnité en réparation du préjudice moral prétendument subi du fait de la sanction qui lui a été infligée car le discrédit ou le stress que le demandeur alléguait ne présentaient pas de lien de causalité direct avec l'illégalité de l'arrêté portant suspension de ses fonctions.

(13 octobre 2023, M. B., n° 462580)

 

153 - Magistrat exerçant à titre temporaire – Impossibilité d’accomplir plus de deux mandats quelle que soit la durée réelle de l’un d’eux - Rejet.

Rappel de ce que les textes applicables (notamment l’ordonnance et la loi organiques, respectivement du 22 décembre 1958 modifiée et du 8 août 2016) qui ont prévu la possibilité de nommer certaines personnes en qualité de magistrats exerçant leurs fonctions à titre temporaire, limitent strictement à deux le nombre de mandats susceptibles d’être accordés à ces magistrats. Il en est ainsi, alors même que l’un des mandats n’aurait pas eu, pour quelque motif que ce soit, la durée initialement prévue.

(13 octobre 2023, Mme C., n° 463944 ; M. C., n° 464138)

 

154 - Magistrat administratif, juge non permanent à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Décision mettant fin à ses fonctions à la Cour – Demandes de récusation – Décision de faire cesser ses fonctions à la cour – Rejet de la requête en référé liberté.

Un magistrat administratif, qui exerce à titre non permanent les fonctions de président de chambre à la CNDA, a fait l’objet d’une décision de cessation de ses fonctions prise par le président de la Cour. Ce dernier s’est fondé, pour arrêter cette mesure, sur le fait que, par trois décisions rendues le 24 octobre 2023, la Cour nationale du droit d'asile a fait droit à trois demandes de récusation le concernant au motif que ses prises de position publiques et expressions sur les réseaux sociaux étaient de nature à créer un doute sérieux sur son impartialité pour juger les demandes d'asile en cause.

La requête du magistrat tendant à la suspension de cette décision est rejetée.

Le requérant soutenait l’urgence née de l’atteinte à son statut de magistrat, les craintes qu'il éprouve désormais pour sa sécurité et celle de sa famille du fait de l'écho public qui a été donné à la décision qu'il conteste, l’atteinte grave à des libertés fondamentales, à son statut de magistrat, son inamovibilité et son indépendance, et, enfin, l’absence d’intérêt public qui justifierait l'atteinte portée à ses intérêts personnels.

Le juge rejette la requête en relevant d’abord successivement l’absence de tout effet de la décision attaquée sur l'exercice par l'intéressé de ses fonctions au sein du tribunal administratif de Marseille en qualité de premier conseiller du corps des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel et sur sa situation statutaire, la protection qui lui a été accordée contre les atteintes volontaires à l'intégrité de sa personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages.

Ensuite, il rappelle que la circonstance qu'une atteinte à une liberté fondamentale serait avérée n'est, par elle-même, pas de nature à caractériser l'existence d'une situation d'urgence et pas davantage, l’absence éventuelle d’un intérêt public qui justifierait l'atteinte portée à ses intérêts, n'est en soi de nature à établir qu'il serait porté à ses intérêts une atteinte suffisamment grave et immédiate justifiant l'intervention en urgence du juge des référés. 

(31 octobre 2023, Jean-Marie Argoud, n° 489058)

 

155 - Prime de fidélisation territoriale – Exclusion de son bénéfice pour les maîtres exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Existence de différences objectives – Rejet.

Devant les difficultés à assurer la stabilité des agents des services publics en poste dans le département de Seine-Saint-Denis, lequel est caractérisé par un « turn-over » permanent, a été décidée la création, par le décret du 24 octobre 2020, d’une prime de fidélisation territoriale pour ceux de ces agents comptant cinq années continues de services effectifs, calculées à compter de l'entrée en vigueur de ce décret. Ces dispositions s’appliquent notamment aux enseignants du service public de l’éducation ; toutefois en sont exclus ceux affectés dans un établissement d’enseignement privé du second degré.

Les syndicats requérants demandent, les uns, l’annulation de l’art. 2 du décret en tant qu’il exclut du bénéfice de la prime de fidélisation territoriale les maîtres exerçant leurs fonctions dans les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré, les autres l’annulation de son art. 1er en tant qu’il a dressé une liste des établissements dont les enseignants sont éligibles à cette prime, ne comportant pas les établissements d'enseignement privés sous contrat du second degré. Les recours, joints, sont rejetés.

Après avoir rappelé que les règles générales notamment en matière de conditions de service, applicables aux maîtres titulaires de l'enseignement public, ainsi que les mesures sociales et les possibilités de formation dont ils bénéficient, sont également applicables aux enseignants de l’enseignement privé sous contrat, le juge indique que cela n’exclut pas l’existence de différences de traitement dans la gestion de la situation respective de ces deux catégories d'enseignants.

Précisément, s’agissant de la stabilité du personnel enseignant en poste en Seine-Saint-Denis, le juge retient que la situation de ce département est la plus « déficitaire » de celles de tous les départements français. Au contraire, pour l’enseignement secondaire privé cette stabilité est plus grande que dans celle de dix autres départements. L’objet recherché par l’institution de la prime de fidélité litigieuse se présente donc très différemment dans l’un et l’autre type d’établissements ce qui justifie l’exclusion critiquée.

On relèvera qu’en revanche, pour l’enseignement primaire, la prime de fidélisation territoriale existe dans ces deux catégories d’établissements.

(13 octobre 2023, Syndicat professionnel de l'enseignement libre catholique (SPELC) Créteil, n° 464416 ; Syndicat de l'enseignement privé de l'académie de Créteil (CréSEP) et syndicat de l'enseignement privé de l'est francilien CFDT (SEPEF-CFDT), n° 464605, jonction)

 

156 - Gestion des bois, forêts et espaces naturels – Recrutement d’agents contractuels de droit privé - Compétence pour constater, sans les rechercher, « certaines infractions » - Ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l’ONF – Conformité à la loi d’habilitation – Rejet.

(13 octobre 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466224 et n° 466225)

V. n° 217

 

157 - Sapeurs-pompiers – Traitement différencié entre sapeur-pompier professionnel et sapeur-pompier volontaire – QPC – Situations dissemblables - Refus de transmission.

Les trois requêtes jointes, à l’appui d’un pourvoi en cassation, tendaient, par mémoire distinct, à voir transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité reposant sur la méconnaissance par plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure des principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques en ce que les sapeurs-pompiers professionnels et les sapeurs-pompiers volontaires ne sont pas traités de la même façon à plusieurs égards (organisation du temps de travail, indemnisation des astreintes, application de la législation du travail, repos et loisirs, etc.) en violation des droits et garanties de la Constitution et/ou de son Préambule (s’agissant des art. L. 723-5, L. 723-6, L. 723-15) ainsi que de la directive  européenne du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (pour l’art. L. 723-15).

Le recours, dont il est reconnu qu’il soulève une question nouvelle, est rejeté pour deux catégories de motifs.

En premier lieu, les situations des deux sortes de sapeurs-pompiers, bien qu’ils exercent le même métier, sont assez différentes du fait que les pompiers volontaires, à la différence de ceux opérant à titre professionnel, exercent leur activité dans le cadre d'un engagement volontaire dont ils déterminent eux-mêmes l'ampleur en fonction de leurs disponibilités, la loi ne prévoyant à cet égard aucune obligation minimale, et dont ils peuvent demander à tout moment la suspension ou la résiliation. Or le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que des situations objectivement différentes puissent recevoir, le cas échéant, des traitements juridiques différents : c’est bien le cas en l’espèce.

En second lieu, les griefs tirés de ce que la directive précitée n’aurait pas été transposée aux pompiers volontaires et de ce que l’art. L. 723-15 serait incompatible avec celle-ci ne concernent pas les droits et libertés que la Constitution garantit, au sens de son article 61-1 ; ils ne sauraient, par suite, être invoqués dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. 

(13 octobre 2023, M. E., n° 473321 ; M. F., n° 473322 ; M. C., n° 473323, jonction)

 

158 - Administrateur du Sénat – Arrestation et information judiciaire du chef d’intelligence avec une puissance étrangère – Ordonnance de non-lieu – Mise à la retraite d’office par mesure disciplinaire - Suspension ordonnée par le juge des référés – Annulation.

Un administrateur du Sénat, a fait l’objet d’une arrestation et de poursuites judiciaires pour intelligence avec la Corée du Nord susceptible de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Il a été placé sous contrôle judiciaire à compter du 29 novembre 2018 avec interdiction d'exercer son activité professionnelle d'administrateur du Sénat. Une ordonnance définitive de non-lieu a été rendue le 29 avril 2022 au motif que l’existence de liens et de relations réguliers avec ce pays n'avait pas permis de démontrer, en dépit de la mise en œuvre de moyens d'enquête significatifs, le recueil ou la livraison à la Corée du Nord, y compris de manière indirecte, d'informations susceptibles de porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation.

Durant ce temps, le Sénat avait suspendu l’intéressé de ses fonctions d’administrateur, puis, à la suite de l’ordonnance de non-lieu, l’a réintégré et a immédiatement engagé à son encontre une procédure disciplinaire. Celle-ci a débouché sur la sanction de mise à la retraite d’office.

L’intéressé a, par voie de référé, obtenu du juge de première instance la suspension de cette mesure.

Le président du Sénat se pourvoi en cassation de cette ordonnance de suspension.

Le Conseil d’État, se rendant aux moyens développés devant lui, annule l’ordonnance.

Il retient pour cela ainsi que le soutenait le président du Sénat, que l’absence de condamnation pénale du fait du non-lieu prononcé ne saurait masquer ou effacer la gravité des manquements déontologiques constatés notamment au regard de ses obligations de loyauté, de dignité et de réserve, la rupture définitive du lien de confiance en découlant et les risques pour le bon fonctionnement et la réputation du Sénat qui en résulteraient.

Il existait bien un intérêt public s'opposant à la suspension de l'exécution de la décision de mise à la retraite d’office. 

(13 octobre 2023, Président du Sénat, n° 474545)

 

159 - Agent unique affecté au service technique d’une commune – Demande d’attribution d’une décharge totale de service pour activité syndicale – Refus du maire – Rejet de l’action en référé liberté.

Un syndicat a désigné l’unique agent technique d’une commune de moins de mille habitants comme la personne bénéficiaire d’une décharge totale de service pour activité syndicale. Le maire a refusé au moins pour certains jours et a demandé au syndicat de porter son choix sur un autre agent, pour les jours pour lesquels il a refusé la décharge d'activité.

Le syndicat a vu son action en référé liberté, dirigée contre ce refus, rejetée par le juge du tribunal administratif et interjette appel de l’ordonnance de rejet.

Le Conseil d’État rejette le recours faute de l’urgence spécifique à l’art. L. 521-2 CJA qui justifierait qu’intervienne une décision sous 48 heures dont on ne voit pas ce qu’elle pourrait être, la personne désignée étant le seul agent technique de la commune, ce qui contraindrait les élus municipaux à prendre en partie en charge l'entretien des équipements communaux et des espaces verts de la commune.

(ord. réf. 16 octobre 2023, M. B. et syndicat CFDT INTERCO du Doubs, n° 488646)

 

160 - Professeurs certifiés du second degré – Recrutement parmi les titulaires du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré ou du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique – Mode de recrutement constituant un concours – Bénéfice de la bonification pour stage professionnel – Rejet.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation d’une ordonnance rendue par une magistrate de tribunal administratif ayant jugé qu’un agent, qui a été nommé dans le corps des professeurs certifiés de l'enseignement technique après avoir été admis en 1998 au concours externe de recrutement du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique et qui a été recruté au terme d'un concours et non au choix, pouvait prétendre au bénéfice de la bonification d’ancienneté de vingt trimestres au maximum prévue au h) de l'art. L. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite en faveur des personnes ayant accompli le stage prévu par le décret du 4 juillet 1972.

Son pourvoi est rejeté : le Conseil d’État relève que si les candidats ayant subi avec succès les épreuves du concours externe du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique, pour lequel sont exigées cinq années de pratique professionnelle antérieure, ne peuvent être nommés dans le corps des professeurs de l'enseignement technique qu'à la condition d'avoir obtenu, à l'issue du stage prévu à l'article 24 du décret précité, le certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement technique, ce concours n'en constitue pas moins un concours de recrutement au sens des dispositions de l’art. 12 du code des pensions civiles et militaires de retraite. Cette durée donne donc droit au bénéfice de la majoration de l’ancienneté totale de service.

(17 octobre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 469691)

 

161 - Général de division de la gendarmerie nationale – Agent détaché du ministre des armées à celui de l’intérieur – Suspension de ses fonctions à titre conservatoire – Compétence et procédure pour prendre la mesure – Rejet.

Suite à une enquête préliminaire du Parquet national financier pour des faits de corruption, de prise illégale d'intérêt et de trafic d'influence, un général de division de la gendarmerie, détaché dans les fonctions de sous-directeur au sein du service de l'achat, de l'innovation et de la logistique du ministère de l'intérieur, a été suspendu de ses fonctions à titre provisoire par le ministre de l’intérieur.

Le requérant conteste le bien-fondé d’une part, de la décision, ce moyen étant rejeté, mais aussi, d’autre part, les conditions de procédure de la décision de sanction, moyen également rejeté.

Ce second aspect retient l’attention sur deux points.

Le juge, répondant à l’argumentation du demandeur, rappelle d’abord que le ministre de l'intérieur était, en qualité d'autorité de détachement, compétent pour prendre la mesure en litige et, ensuite, que pour la prendre, le ministre n’avait pas à suivre la procédure prévue pour les officiers généraux par l'art. R. 4137-46 du code de la défense car celle-ci n’est applicable qu’aux décisions de suspension prises par le ministre de la défense.

Ceci montre, une fois de plus, les effets statutaires d’un détachement dans la fonction publique.

(20 octobre 2023, M. B., n° 473706)

 

162 - Adjoint administratif territorial stagiaire – Allégation de harcèlement moral et sexuel – Mesure prise en conséquence – Éloignement de l’auteur des faits – Rejet.

Adjoint administratif territorial stagiaire affecté à la direction des personnes handicapées et personnes du bel âge dans une maison départementale des aidants, le requérant a demandé au juge du référé liberté du tribunal administratif d'ordonner toutes mesures de nature à faire cesser la situation de harcèlement moral et sexuel dont il estime être victime de la part d'un de ses collègues de travail. Il interjette appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État rejette l’appel en relevant, d’abord, que dès le 20 septembre 2023, l'agent désigné par le requérant comme l'auteur des faits qu'il allègue a été muté sur un autre site où il n'est plus susceptible d'être en contact avec l'intéressé et, ensuite, que M. B. n'apporte aucun élément permettant de présumer que cette circonstance, qui est également de nature à ôter à sa demande le caractère d'urgence propre à justifier l'intervention à très bref délai du juge du référé liberté, serait erronée.

(ord. réf. 24 octobre 2023, M. B., n° 488871)

 

163 - Réforme de la haute fonction publique - Création du corps des administrateurs de l’État – Application au corps des conseillers des affaires étrangères et à celui des ministres plénipotentiaires – Demande d’annulation – Rejet.

Cette affaire n’est que l’une des nombreuses contestations liées aux conséquences de la réforme de l'encadrement supérieur de l'État issue de l'ordonnance du 2 juin 2021 qui a notamment débouché sur le décret du 1er décembre 2021 portant statut particulier du corps, à vocation interministérielle, des administrateurs de l'État. Ses membres exercent, dans l'ensemble des services de l'État et de ses établissements publics, des missions de conception, de mise en œuvre et d'évaluation des politiques publiques et sont chargés de fonctions supérieures de direction, d'encadrement, d'expertise et de contrôle.

Ceci a conduit à la mise en extinction corrélative de plusieurs corps de la haute fonction publique, dont le corps des conseillers des affaires étrangères et le corps des ministres plénipotentiaires pour lesquels est prévue, sur demande de leurs membres et sous conditions, leur intégration dans le corps des administrateurs de l'État, un droit d'option leur étant ouvert à ce titre. 

Les requérants demandent l’annulation du décret du 16 avril 2022 qui, pour l’application au ministère de l'Europe et des affaires étrangères de la réforme de la haute fonction publique, détermine les conditions de mise en œuvre de la réforme de la haute fonction publique au sein de ce ministère. 

Les divers moyens soulevés sont rejetés.

La mise en extinction des corps concernés résultant du décret précité du 1er décembre 2021 et non du décret attaqué, le moyen critiquant ce dernier est donc inopérant. Tout comme il ne saurait être excipé de l’illégalité du décret de 2021 à l’encontre du décret attaqué du 16 avril 2022 car ce dernier n’a pas été pris en exécution ou pour l’application du décret de 2021.

La circonstance que les fonctionnaires sont placés légalement dans une position statutaire et réglementaire a pour conséquence l’absence de droit acquis de ces agents au maintien de leur statut. 

Par ailleurs, demeure sauve, en tout état de cause, l’obligation pour le gouvernement de respecter le principe d'égal accès aux emplois publics résultant de l'article 6 la Déclaration de 1789.

Enfin, il est rappelé que le principe d’égalité ne s’applique qu’entre les agents appartenant à un même corps.

(31 octobre 2023, Syndicat CFTC Affaires Étrangères, syndicat ASAM-UNSA et organisation des secrétaires des affaires étrangères, n° 468058)

 

164 - Chef d’escadron de la gendarmerie nationale – Détournement des fonds d’une amicale professionnelle – Radiation des cadres – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Le requérant, chef d’escadron de la gendarmerie nationale, a, au cours de son affectation à l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI), détourné à son profit personnel des fonds de l'amicale de cet Office, dont il exerçait les fonctions de trésorier.

Un décret du chef de l’État l’a radié des cadres par mesure disciplinaire. L’agent demande l’annulation de cette sanction, sa réintégration sous quinzaine et l’effacement de toute mention de la sanction.

Ses demandes sont, évidemment, rejetées : la sanction n’est ni imméritée ni disproportionnée. Le juge relève en particulier que si l’intéressé était confronté à des difficultés financières lorsqu’il a transféré des fonds de la caisse de l’amicale de l’OCLDI vers son compte personnel et s’il a entièrement remboursé ses « prélèvements », il est également constant qu'il n'a reconnu les faits que lorsque l'existence de ces différents prélèvements a été mise en évidence successivement par le nouveau trésorier de l'amicale de l'OCLDI puis par un rapport d'audit interne de cette amicale.

Au total, le caractère répété des faits, les qualités d’officier supérieur et de gendarme, le discrédit porté sur la gendarmerie nationale, et alors même que le requérant présente de bons états de service, justifient la sanction prise et son quantum.

(31 octobre 2023, M. A., n° 474850)

 

Libertés fondamentales

 

165 - Réfugié – Retrait de cette qualité par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Office du juge du plein contentieux – Inexacte qualification juridique des faits – Annulation.

L’OFPRA a, en application des dispositions combinées de l'art. L. 511-8 du CESEDA et du C de l'art. 1er de la convention de Genève sur les réfugiés, mis fin au statut de réfugié dont bénéficiait jusque-là un ressortissant russe d'origine tchétchène.

Sur recours de l’intéressé, la CNDA a jugé qu'il n'existait pas – contrairement à ce que soutenait l’OFPRA - de raisons sérieuses de penser qu'une part de responsabilité pourrait lui être imputée personnellement dans des crimes ou agissements susceptibles d'entrer dans le champ de l'exclusion prévue au c) du F de l'article 1er de la convention de Genève. 

Le juge de cassation relève d’abord, à titre de principe, qu’il incombe à la CNDA, saisie d’une décision par laquelle l'OFPRA a mis fin au statut de réfugié en se fondant sur les dispositions  combinées précitées,  qui juge infondé le motif ainsi allégué, de se prononcer sur le droit au maintien de la qualité de réfugié en examinant, au vu du dossier et des débats à l'audience, si l'intéressé relève d'une autre des clauses de cessation énoncées au paragraphe C de l'art. 1er de la convention de Genève ou de l'une des situations visées à l'art. L. 511-8 du CESEDA.

Le juge de cassation, examinant les faits, ne peut que constater, que la Cour a, en l’espèce, inexactement qualifié les faits au plan juridique dès lors qu’il résulte des pièces du dossier que l’intéressé « a  été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour des faits qualifiés d'association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme et financement d'une entreprise terroriste, pour avoir apporté un soutien logistique et financier à des candidats depuis la France au jihad et à des combattants jihadistes en Syrie entre 2012 et le 8 février 2014, et qu'étaient produits des courriers du parquet national antiterroriste et du service national des enquêtes administratives de sécurité étayant les faits reprochés à l'intéressé (…) » sans que puisse faire échec à cette annulation la circonstance que l'instruction par l'autorité judiciaire était encore en cours.

(03 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 466701)

(166) V. aussi, comparable en ce que la Cour se voit reprocher de n’avoir pas pris toute la mesure de la gravité des comportements violents de l’intéressé, bénéficiaire jusque-là de la protection subsidiaire, ainsi que du risque de reprise ou de persistance de ses actes criminels : 23 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 460596.

(167) V. encore, assez voisin s’agissant du refus de la CNDA de retirer la protection subsidiaire à un ressortissant sri-lankais qui, en réunion, lors d’un contrôle d’identité, et alors qu’il était en état d’ébriété, a participé à une scène de violence à l’encontre du policier chargé du contrôle et donc connu comme tel, au terme de laquelle un autre participant l’a tué au moyen de son arme de service. Ne peut faire échec à cette déchéance de la protection subsidiaire la circonstance que l’intéressé, après avoir purgé la peine de trois ans dont deux avec sursis à laquelle l’a condamné la cour d’assises d’appel, a cessé de consommer de l’alcool, son comportement doit néanmoins être qualifié de « crime grave » au sens et pour l’application de l’art. L. 512-2 du CESEDA. C’est pourquoi, en annulant la décision de déchéance de l’OFPRA, la CNDA a inexactement qualifié les faits de l’espèce. On peut se demander où la cour avait la tête ce jour-là : 23 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 467649.

 

168 - Refus d’octroi de la qualité de réfugié ou de droit à la protection subsidiaire – Appréciation incomplète des pièces de procédure – Omission de certificats médicaux – Insuffisance de motivation et erreur de droit – Annulation.

La Cour nationale du droit d’asile a refusé d’accorder à la requérante la qualité de réfugiée ou le bénéfice de la protection subsidiaire en raison de ce que « ni les pièces du dossier, ni les déclarations faites à l'audience ne permettaient de tenir pour établis les faits allégués ni pour fondées les craintes énoncées. »

Le Conseil d’État est à la cassation de cette décision qui lui a été déférée car la Cour n’a pas fait mention dans son arrêt des certificats médicaux du 16 juin 2017 et du 19 avril 2021 qui faisaient état de façon circonstanciée de plusieurs traumatismes et blessures et de leurs séquelles, elle n’a donc pas cherché à évaluer les risques que ces pièces étaient susceptibles de révéler ni précisé les éléments qui la conduisaient à ne pas les regarder comme sérieux, entachant ainsi sa décision d'insuffisance de motivation et d'erreur de droit.

(23 octobre 2023, Mme B., n° 469617)

 

169 - Demande d’octroi de la qualité de réfugié ou du bénéfice de la protection subsidiaire – Refus de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) – Annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en raison de l’impossibilité pour l’intéressé de se faire comprendre lors de l'entretien en raison d'un défaut d'interprétariat imputable à l'Office – Dénaturation des pièces du dossier et erreur de droit – Annulation avec renvoi à la Cour.

La CNDA a annulé le refus de l’OFPRA d’accorder à un ressortissant guinéen la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire au motif qu’il avait été dans l'impossibilité de se faire comprendre lors de l'entretien avec les services de l’Office en raison d'un défaut d'interprétariat imputable à l'Office.

Le Conseil d’État annule cette décision car elle dénature les pièces du dossier et commet une erreur de droit dans la mesure où il ressort des pièces du dossier que l’intéressé avait indiqué avoir une connaissance suffisante du « mikhiforé » à l'appui de la notice d'information enregistrée le 3 mai 2021 à la préfecture de Haute-Garonne et qu'il a été entendu par l'OFPRA le 20 octobre 2021 avec le concours d'un interprète en « soussou », langue qu'il comprend. Si le compte-rendu de cet entretien fait apparaître des difficultés de compréhension liées aux différences de ces langues, il ressort de ses énonciations que l'intéressé a pu présenter les éléments pertinents permettant d'apprécier le bien-fondé de sa demande d'asile.

(24 octobre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 468385)

 

170 - Extradition – Garanties au titre du droit français – Garanties au titre du droit moldave – Rejet.

Décision très classique dans laquelle le juge réitère sa jurisprudence habituelle en la matière.

Le recours contre le décret d’extradition est rejeté.

Tout d’abord, ce décret est suffisamment motivé en fait et en droit ; l’extradition n’est pas prononcée pour des faits sur lesquels la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris ne se serait pas prononcée ; il n’est pas porté atteinte au principe selon lequel en matière pénale une personne condamnée par défaut doit bénéficier du droit d'être rejugée en sa présence, sauf s'il est établi d'une manière non équivoque qu'elle a renoncé à son droit à comparaître et à se défendre, ce qui est le cas en l’espèce où le demandeur a fui après avoir assisté à la première audience de son procès, d’où la demande d’extradition.

Ensuite, ne saurait être invoquée la convention de Genève sur le statut des réfugiés dès lors que la demande d’octroi de ce statut à l’intéressé a été rejetée par l’OFPRA et encore que la CNDA ne se soit pas encore prononcée sur le recours dont elle a été saisie. Pas davantage ne sauraient être invoqués l’état des prisons moldaves ou la méconnaissance de l’art. 8 de la Convention EDH relative au respect de la vie privée et familiale. (03 octobre 2023, M. A., n° 472635)

(171) V. aussi, la solution identique retenue à propos de l’extradition d’un ressortissant moldave vers la Moldavie invoquant plusieurs des moyens rapportés dans l’affaire précédente : 23 octobre 2023, M. A., n° 473621.

 

172 - Extradition d’un ressortissant sri-lankais vers la Suisse – Risque d’expulsion vers le pays d’origine et d’y être exposé à des traitements inhumains ou dégradants – Circonstance ne relevant que de l’appréciation de l’État requérant – Rejet.

Un ressortissant sri-lankais conteste la décision de l’extrader vers la Suisse où il a été condamné à cinq ans d’emprisonnement pour tentative d’homicide volontaire. Il invoque la circonstance qu’ayant été condamné par la justice suisse à être renvoyé dans son pays d’origine à l’achèvement de sa peine, il y risque de mauvais traitements en raison de son orientation sexuelle.

Le juge rappelle que ce second volet du dossier ne relève que de l’appréciation de l’État requérant non de celle de l’État extradant. Toutefois il indique avoir obtenu des autorités suisses l’assurance qu’à l’issue de sa peine, son cas serait réexaminé à la lumière de ce que sera alors sa situation, l’octroi du bénéfice de l’asile n’étant pas exclu.

(10 octobre 2023, M. A., n° 471253)

 

173 - Extradition – Ressortissant de l’Union européenne – Extradition demandée par un État tiers – Obligations s’imposant à l’État requis – Rejet.

Un ressortissant luxembourgeois fait l’objet de la part des États-Unis d’une demande d’extradition adressée à la France pour des faits qualifiés de « complot en vue de commettre une fraude par voie électronique » et « complot en vue de commettre un blanchiment ».

Interprétant les art. 18 et 21 du traitgé sur le fonctionnement de l'Union européenne ainsi que la décision-cadre du 13 juin 2002, relative au mandat d'arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, la CJUE (6 septembre 2016, Petruhhin, aff. C-182/15) a jugé que, lorsqu'un État membre dans lequel un citoyen de l'Union, ressortissant d'un autre État membre, s'est déplacé, se voit adresser une demande d'extradition par un État tiers avec lequel le premier État membre a conclu un accord d'extradition, il est tenu d'informer l'État membre dont ce citoyen a la nationalité (sur la notion d’ « information », cf. CJUE, 17 décembre 2020, BY, aff. C-398/19) et, le cas échéant, à la demande de ce dernier État membre, de lui remettre ce citoyen.

En l’espèce, le requérant faisait valoir que les autorités françaises auraient manqué à leur obligation d'information à l'égard du Luxembourg dont il a la nationalité.

Se posait ainsi une question très délicate à laquelle le Conseil d’État répond de façon assez latitudinaire. L’importance de celle-ci aurait justifié que la décision fût publiée et pas seulement mentionnée aux tables du Recueil Lebon.

Pour rejeter le moyen ainsi soulevé, le Conseil d’État retient dans une formulation de principe « que l'État de nationalité peut être regardé comme ayant été mis à même de réclamer la personne recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen alors même que la demande d'extradition n'a pas encore été formellement transmise à l'État membre requis. »

Cela se discute nous semble-t-il.

Le juge explique avec force détails que le Luxembourg a été informé par courriel de l'interpellation de M. B. au titre d'une demande d'arrestation provisoire émanée des États-Unis d'Amérique aux fins d'extradition et qu'il a été indiqué aux autorités luxembourgeoises que l'intéressé avait été placé sous écrou extraditionnel pour l'exercice de poursuites pénales à raison d'un mandat d'arrêt délivré le 24 septembre 2020 par une juge américaine pour des faits commis entre 2014 et 2019, qualifiés de fraude électronique et blanchiment en lien avec la vente d'une crypto-monnaie. Ce même courriel décrivait les faits reprochés à M. B. et invitait les autorités luxembourgeoises, « en application de la jurisprudence Petruhhin de la Cour de justice de l'Union européenne », à faire savoir si elles entendaient délivrer un mandat d'arrêt européen ; les autorités luxembourgeoises ont répondu négativement, sans demander d'informations complémentaires. Jugeant les informations fournies suffisamment précises quant aux poursuites pénales motivant la demande d’extradition, à son objet et aux éléments communiqués par les États-Unis pour justifier de leur demande et alors même que ces informations ont été transmises au stade de l'arrestation provisoire, avant la présentation formelle de la demande d'extradition, le Conseil d’État en conclut que « les autorités luxembourgeoises doivent être regardées comme ayant été mises à même de réclamer leur ressortissant dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen. »

Pour faire bonne mesure, est refusé le renvoi préjudiciel à la CJCE, demandé par le requérant, sur le point de savoir si les autorités françaises avaient manqué à leur obligation d'information à l'égard de l'État de nationalité de la personne réclamée.

Les autres moyens sont également rejetés.

(10 octobre 2023, M. B., n° 472301)

 

174 - Droit de propriété – Indivision privée du droit de jouir d’un bien immobilier du fait de son occupation irrégulière – Absence d’extinction du droit de propriété – Détermination de la juridiction compétente, des conditions de représentation de l’indivision et des modalités de la réparation – Annulation avec renvoi.

Le requérant, en son nom propre et en celui des autres membres d’une indivision, a obtenu du tribunal administratif de la Polynésie française la condamnation de la commune de Faa’a au paiement d’une certaine somme à titre d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’occupation irrégulière d’une terre leur appartenant. Ce jugement ayant été annulé en appel, l’intéressé se pourvoit en cassation.

Le litige est né de ce que la commune de Faa’a occupe irrégulièrement, comme site de décharge et d'enfouissement de déchets, la parcelle du lot n° 9 de la terre Mumuvai appartenant en indivision au demandeur, à son frère, à sa sœur et à son neveu, agissant en qualité d'ayants droit de sa mère.

Le juge de cassation décide d’abord que ce litige relève de la compétence du juge administratif par application de la jurisprudence du Tribunal des conflits (9 décembre 2013, M. et Mme Panizzon c/ Cne de Saint-Palais-sur-Mer, n° 3931) dès lors que cette occupation irrégulière est réalisée sans extinction du droit de propriété, ce qui aurait pour effet, on le sait, de transférer la connaissance de ce litige au juge judiciaire.

Ensuite, il annule l’arrêt déféré à sa censure en tant qu’il a jugé irrecevable la demande de M. DKK. en tant qu’elle était présentée au nom de l’indivision. La cour s’était appuyée sur l’art. 815-3 du Code civil qui ne réserve le droit d’action au nom des co-indivisaires qu’à celui ou à ceux détenant au moins deux-tiers des droits indivis ce qui n’était pas le cas en l’espèce selon elle. En réalité, par là était commise une erreur de droit car cette proportion des deux tiers devait s’apprécier au sein de l'indivision HKK. - IKK., branche de l'indivision possédant le lot n° 9 de la terre Mumuvai, et non au sein seulement, comme l’a fait la cour, de cette dernière indivision.

Enfin, est annulée également la partie de l’arrêt jugeant que les préjudices subis par M. DKK. présentaient un caractère définitif, alors que ce dernier demandait à être indemnisé de la privation du droit de jouissance de la parcelle du fait de son occupation irrégulière par la commune. Or de tels préjudices présentent un caractère continu et évolutif, la cour a donc inexactement qualifié les faits de l'espèce.

Par suite, la prescription quadriennale ne pouvait être opposée à l’ensemble d’une créance elle-même de caractère continu et évolutif dont l’indemnisation doit, en conséquence, être rattachée à chacune des années au cours desquelles ces préjudices ont été subis.

On relèvera que la jurisprudence de la Cour de cassation est en sens contraire (Cass. civ. 3ème, 5 novembre 2007, SCI Carnot Défense 1 c/ Ville de Nanterre, n° 06-14.404, Bull. III, 2007 n° 225).

Au reste, il y aurait eu une erreur de droit à juger définitif un préjudice, ce qui en l’espèce aurait constitué une voie de fait par extinction du droit de propriété, dont le jugement eût appartenu à l’ordre judiciaire de juridiction alors qu’a été reconnue la compétence du juge administratif pour connaître de ce litige.

(06 octobre 2023, M. DKK., n° 466523)

 

175 - « Contrôles d’identité au faciès » – Demande d’injonction à faire cesser cette pratique – Suggestion de mesures à prendre et de contrôle de leur exécution – Rejet.

Les requérantes ont formé une action de groupe (cf. art. L. 77-10-1 CJA) tendant à voir le Conseil d’État ordonner à l'État de mettre fin au manquement résultant, selon les requérantes, de l'existence d'une pratique généralisée de contrôles d'identité discriminatoires par les forces de police et de gendarmerie ciblant les personnes présentant des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, dits « contrôles au faciès ».

En raison de la relative rareté des actions de groupe devant la justice administrative en dépit d’importantes évolutions législatives internes (loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle) ou mettant en œuvre le droit de l’Union (loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations), le Conseil d’État consacre la première partie de sa décision (nos 2 à 10 inclus) à un rappel circonstancié du régime applicable à ces formes d’action collective d’un type particulier (1). Il examine ensuite les conclusions de la requête (2).

 

1 - Une action de groupe peut être introduite, dans les domaines visés à l'art. L. 77-10-1 du CJA, par une association satisfaisant aux conditions prévues par loi, lorsque plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, subissent chacune un dommage causé par une personne morale de droit public ou une personne morale de droit privé chargée de la gestion d'un service public et que les dommages ainsi subis trouvent leur cause commune dans un même manquement de cette personne morale à ses obligations légales ou contractuelles. Le dommage en question peut résulter de discriminations directes ou indirectes. 

L'action de groupe peut tendre soit à la cessation du manquement qui est la cause du dommage, soit à la réparation des préjudices subis, soit à ces deux objets à la fois. Dans le premier cas, l'engagement de la responsabilité de la personne auteur du dommage est soumis aux conditions de droit commun (préjudice certain, lien de causalité direct entre le manquement et le préjudice). Dans le second cas, il incombe au juge, dans les limites de sa compétence, de caractériser l'existence d'un tel manquement et, si le dommage n'a pas cessé à la date à laquelle il statue, d'enjoindre au défendeur de prendre toute mesure nécessaire pour y mettre fin. Ce pouvoir du juge trouve sa limite en ce qu’il ne peut, dans le cadre de cet office, se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou leur enjoindre de le faire. Cette restriction va, évidemment, jouer un rôle capital dans la solution du présent litige.

Concernant la notion de manquement, celle-ci s’apprécie en deux temps.

D’abord, la personne morale doit faire disparaître de l'ordonnancement juridique les dispositions qui y contreviennent et prendre les mesures administratives d'ordre juridique, financier, technique ou d’organisation qu'elle estime utiles pour assurer ou faire assurer le respect de la légalité.

Ensuite, le juge apprécie, sur la base de critères combinés, notamment, la portée de l'obligation qui pèse sur la personne morale concernée, les mesures qu’elle a déjà prises, les difficultés inhérentes à la satisfaction de cette obligation, les contraintes liées à l'exécution des missions dont elle a la charge et les moyens dont elle dispose ou, eu égard à la portée de l'obligation, dont elle devrait se doter.

Au terme de cette analyse, il y a manquement si le juge estime que la personne morale est tenue de mettre en œuvre des actions supplémentaires. 

Lorsque l’existence du manquement est établie il enjoint la personne morale concernée d'y mettre fin par toutes mesures utiles qu’elle prend normalement spontanément ou qui, le cas échéant, sont ordonnées par le juge car, à défaut, le manquement persisterait ; il peut aussi circonscrire le champ de son injonction aux domaines particuliers dans lesquels l'instruction a révélé l'existence de mesures qui seraient de nature à prévenir la survenance des illégalités constatées.

 

2 – Le juge procède à l’examen de la requête proprement dite en rappelant en premier lieu les principales normes applicables aux contrôles d’identité (art. 12 de la Déclaration de 1789, dispositions du code de procédure pénale, art. 78-1 et 78-2, celles du code de la sécurité intérieure, art. R. 434-16) dont il déduit in fine ce qu’est un contrôle au faciès et sa conséquence : « Un contrôle d'identité effectué selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, constitue une discrimination directe au sens des dispositions (…) de l'article 1er de la loi du 27 mai 2008 (…) et crée un dommage pour les personnes qui y sont exposées. » 

Puis, le Conseil d’État se prononce sur trois points : la compétence du juge administratif pour connaître du recours, la recevabilité de l’action de groupe dont il est saisi et l’existence d’un manquement de l’État dans le cas de l’espèce.

La compétence de principe reconnue au juge judiciaire en matière d’appréciation de la régularité des contrôles d’identité pouvait sembler un obstacle important à la compétence du juge administratif pour connaître du litige. Le Conseil d’État écarte l’objection en retenant qu’alors que le juge judiciaire connaît de cas individuels de contrôle, l’action dont il est présentement saisi est relative à une pratique qui serait « systémique » et « généralisée » contre laquelle il est reproché à l’État de n’avoir pas pris les mesures normatives et d’organisation du service public pour y obvier. D’où résulte la compétence du juge administratif. Cette solution doit être approuvée.

L’examen de la recevabilité de l’action de groupe est évidemment, comme dans tout procès, une condition majeure mais d’autant plus ici où la loi encadre fortement les actions de groupe ; en outre, le ministre de l’intérieur invoquait plusieurs moyens contre cette recevabilité. Ils sont tous écartés. 

- Ne sont pas en cause ici des comportements envers des individus déterminés mais la carence de la puissance publique à prendre des mesures en sa qualité d’organisatrice du service public judiciaire ayant conduit à la création desdits contrôles ;

- Les requérantes présentent plusieurs témoignages nominatifs et circonstanciés faisant état, postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIème siècle ayant instauré la procédure d'action de groupe, de contrôles d'identité que les personnes concernées ont perçus comme étant justifiés uniquement par leur origine ethnique réelle ou supposée ;

 Le manquement dénoncé par la présente action de groupe n'est pas, comme le soutient le ministre de l’intérieur, l'illégalité commise par les agents de l'État lors de contrôles d'identité donnés de sorte qu’il n’y aurait plus de manquement à faire cesser, mais celui, structurel et continu, qui résulterait d'une inaction de l'État, il y avait donc toujours lieu, à la date d'introduction de la requête, de se prononcer sur l'existence d'un tel manquement.

L’appréciation de l’existence d’un manquement est l’aboutissement logique de ce long déroulé contentieux. Elle pourrait sembler décevante mais ce serait une erreur. En aucun cas, le juge n’a voulu se défausser de ses responsabilités ou les esquiver car, tout simplement, ce ne sont pas les siennes.

Le long examen détaillé, circonstancié et minutieux des « preuves » rapportées par les deux parties à l’appui de leurs positions respectives atteste, si besoin était, du souci du juge de prendre à bras-le-corps le problème qui est au cœur de cette action de groupe. Il ne manque pas d’indiquer qu’à plusieurs des comportements ou situations dénoncés il existe déjà des remèdes.

Le constat, qu’annonçait déjà la remarque liminaire signalée plus haut dans cette notule, n’est guère discutable : le Conseil d’État est un juge et il n’est qu’un juge administratif, d’où découle une invincible logique, un peu amère mais très réaliste, exposée par le juge au point 26 de cette importante décision : « L'action en manquement dont le Conseil d'État a été saisi porte ainsi sur l'abstention des pouvoirs publics, soit, principalement, d'adopter des mesures dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître, parce qu'elles touchent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ou à la conduite des relations internationales, soit de refondre les dispositifs existants. Ces mesures visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d'identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l'ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l'autorité judiciaire, le cas échéant par l'intervention du législateur, ainsi que l'évolution des relations entre la police et la population. Elles relèvent donc de la détermination d'une politique publique et excèdent par suite, ainsi qu'il a été dit aux points 8 et 9, l'office du juge de l'action de groupe. »

(Assemblée, 11 octobre 2023, Associations et organisations Amnesty International France, Human Rights Watch, Maison communautaire pour un développement solidaire, Open Society Foundation London, Open Society Institute, Pazapas Belleville et Réseau Egalité, antidiscrimination, justice interdisciplinaire, n° 454836)

 

176 - Port de l’identifiant individuel par les membres des forces de l’ordre – Mesures tendant à assurer le respect de cette exigence – Office du juge et sa limite – Défaut certain de port de l’identifiant et de lisibilité de celui-ci - Annulation avec injonction.

Les requérants demandaient, d’une part l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté leur demande tendant à ce qu'il prenne toutes mesures utiles pour assurer le respect par les forces de l'ordre de l'obligation de port visible de l'identifiant individuel, d’autre part qu’injonction soit faite à ce ministre de prendre toutes mesures utiles de nature à garantir le respect de ces obligations, et notamment d'édicter une instruction prescrivant aux directions de la police nationale et de la gendarmerie nationale d'adapter leur réponse disciplinaire et de modifier les spécifications techniques du matricule pour le rendre plus visible, plus lisible, et plus facilement mémorisable.

Le Conseil d’État, dans cette importante décision rendue dans la plus solennelle de ses formations contentieuses, leur donne très largement raison.

En préambule, le juge donne une leçon de droit aux magistrats et aux avocats requérants, auteurs du second recours, en leur rappelant que l’intérêt pour agir d'un requérant s'apprécie au regard des conclusions qu'il présente et non des moyens invoqués à leur soutien. Ici étaient en cause les modalités d'identification individuelle des agents de police et de gendarmerie, éléments sans effet sur des magistrats de l’ordre judiciaire ou des avocats et qui ne portent aucune atteinte à leurs droits et prérogatives. Sans intérêt, ces juristes sont donc sans qualité pour saisir le juge.

Fixant ensuite le cadre du litige, cette décision rappelle d’abord que le droit positif, soucieux d’instaurer des rapports de confiance entre la police et la population, a prévu le port par les policiers et les gendarmes, de manière systématique et permanente, d’un identifiant sous la forme d’un brassard. Il incombe donc aux autorités hiérarchiques de ces corps de fonctionnaires de rappeler cette obligation et de veiller à son respect.

Cette décision rappelle ensuite qu’il revient au juge saisi en ce sens d’apprécier si le refus de l’administration de prendre de telles mesures est entaché d'illégalité et, si tel est le cas, d'enjoindre l'administration de prendre la ou les mesure(s) nécessaire(s). Ceci, sous la réserve, déjà indiquée dans la décision n° 454836 du même jour (V. au n°), que le juge ne peut, dans le cadre de son office, se substituer aux pouvoirs publics pour déterminer une politique publique ou leur enjoindre de le faire. 

Par un raisonnement directement repris et exposé à partir de la décision n° 454836, le juge établit ce qu’il incombe respectivement à l’administration de faire et à lui de décider en cas de carence manifeste de l’administration.

S’agissant du moyen tiré des défauts de port effectif et apparent de l'identifiant individuel, il est jugé que ces défauts sont établis par les témoignages et constats circonstanciés produits par les demandeurs ainsi que par plusieurs rapports et avis du Défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, ainsi que par les observations formulées par les corps d'inspection de la police et de la gendarmerie nationale. De là se déduit que les requérants sont fondés à demander l'annulation du refus que le ministre de l'intérieur a opposé à leur demande en tant qu'il porte sur la prise de toutes mesures utiles aux fins de rendre effectif le respect de cette exigence.

S’agissant des modalités techniques retenues pour assurer une lisibilité suffisante de l'identifiant individuel de ses agents par l’administration, le juge retient, là encore, le caractère insuffisant de la lisibilité du brassard notamment du fait de son étroitesse, ce qui fonde les requérants à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle refuse de modifier les modalités de l'identification individuelle pour en assurer une lisibilité suffisante pour le public dans l'ensemble des contextes opérationnels.

En revanche, sont rejetées les allégations de dissimulation du visage ou des plaques d'immatriculation des véhicules par les agents des forces de l’ordre car elles ne sont pas assorties de précisions suffisantes.

Il est ainsi ordonné au ministre de l’intérieur, sous douze mois, d’une part, d'assurer le respect par les agents de police et de gendarmerie, y compris lorsque l'emplacement habituel de leur matricule est recouvert par des équipements de protection individuelle, de l'obligation de port apparent du numéro d'identification, lorsque ceux-ci y sont soumis, d’autre part, de modifier les caractéristiques de l'identifiant individuel, et en particulier ses dimensions, afin d'en assurer une lisibilité suffisante pour le public dans l'ensemble des contextes opérationnels.

(Assemblée, 10 octobre 2023, Ligue des droits de l'homme (LDH) et association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), n° 467771 ; Syndicat de la magistrature et Syndicat des avocats de France, n° 467781)

 

177 - Dignité de la personne humaine – Expulsion d’un logement occupé sans droit ni titre – Suspension de l’expulsion ordonnée – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Commet une erreur de droit l’ordonnance d’un tribunal administratif estimant, dans le cadre de l’expulsion de l’occupant sans droit ni titre d’un logement, que l’exécution de la mesure d’expulsion constitue une erreur manifeste d'appréciation en raison de l'atteinte à la dignité de la personne humaine, eu égard notamment à l'état de santé dégradé de l’intéressé et à l'absence de solution de relogement. 

Le Conseil d’État relève que cette expulsion avait été ordonnée par un tribunal judiciaire et le concours de la force publique accordé par le préfet, il estime, eu égard à la force exécutoire attachée à toute décision de justice, que le juge du référé suspension a commis une erreur de droit en ne recherchant pas si les circonstances sur lesquelles il se fondait pour estimer que l'exécution de la décision contestée serait susceptible d'attenter à la dignité de la personne humaine, étaient, par la date à laquelle elles sont survenues ou ont été révélées, postérieures à la décision du juge de l'exécution qui avait refusé d'octroyer au requérant un délai pour quitter les lieux. 

Cette solution suppose examinée par le juge judiciaire cette question du respect de la dignité d’une personne au regard de son état de santé.

(11 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 474491)

 

Police

 

178 - Police des immeubles en péril – Notion d’insalubrité irrémédiable – Détermination du coût de reconstruction d’un immeuble – Prise en compte du coût de démolition – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Un arrêté préfectoral ayant déclaré l’état d’insalubrité irrémédiable d’un immeuble il en a été demandé l’annulation, en vain en première instance et en appel. L’un des copropriétaires de l’immeuble en cause se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle que l’art. L. 1331-26 du code de la santé publique dispose : « L'insalubrité d'un bâtiment doit être qualifiée d'irrémédiable lorsqu'il n'existe aucun moyen technique d'y mettre fin, ou lorsque les travaux nécessaires à sa résorption seraient plus coûteux que la reconstruction. » Il précise que dans le coût de reconstruction de l’immeuble il y a lieu d’inclure le coût de sa démolition.

La cour administrative d’appel a ainsi commis une erreur de droit en rejetant l’appel de M. A. au motif que ce dernier n'était pas fondé à soutenir que l'évaluation du coût de reconstruction devait prendre en compte le coût des travaux de démolition.

Est donc prononcée une inévitable cassation de cet arrêt.

(10 octobre 2023, M. A., n° 464403)

 

179 - Police des étrangers – Instruction ministérielle du 3 août 2022 – Éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public - Circulaire ministérielle du 17 novembre 2022 - Exécution des obligations de quitter le territoire français - Renforcement des capacités de rétention – Rejet.

Les requêtes, jointes car présentant des questions similaires, demandent l’annulation, la première, de l'instruction du ministre de l'intérieur du 3 août 2022 relative aux mesures nécessaires pour améliorer la chaîne de l'éloignement des étrangers en situation irrégulière connus pour trouble à l'ordre public, les trois autres, de la circulaire du 17 novembre 2022 du ministre de l'intérieur relative à l'exécution des obligations de quitter le territoire français et au renforcement des capacités de rétention.

Les cinq chefs de moyens sont rejetés.

 

1/ La circonstance que la circulaire du 3 août 2022 fasse une simple référence à celle du 29 septembre 2020, abrogée pour n’avoir pas été publiée, n’a pas pour effet de l’entacher d’illégalité.

 

2/ Concernant les moyens relatifs aux décisions obligeant à quitter le territoire français, le juge les range en quatre rubriques.

Tout d’abord, est examinée l'édiction de telles obligations. Le juge relève que la circulaire du 17 novembre 2022, qui invite les préfets à prendre une mesure portant obligation de quitter le territoire français à l'égard de « tout étranger en situation irrégulière » lorsqu'est constatée « l'absence de droit au séjour, a donc pour seul objet et effet de leur demander de prendre une telle mesure une fois examinée et rejetée la demande de titre sollicité ou vérifiée l'absence de droit au séjour sans écarter toute possibilité de régularisation. Elle ne méconnaît donc ni les art. 3 et 8 de la Convention EDH ni les art. L. 611-1 et L. 611-3 du CESEDA. 

Ensuite, concernant l'octroi d'un délai de départ volontaire, la circulaire du 17 novembre 2022 ne saurait être interprétée comme visant la situation des étrangers en situation irrégulière ressortissants de l'Union européenne puisqu’elle ne s'appuie que sur les seuls art. L. 612-1 et suivants du CESEDA qui ne sont pas applicables aux ressortissants de l’Union. De plus, paraphrasant sur ce point les dispositions de l’art. L. 612-2 du CESEDA, la circulaire ne saurait la méconnaître sur ce point.

Encore, la recommandation aux préfets d'édicter des interdictions de retour « aussi souvent  que possible » ne saurait exclure les exceptions figurant aux art. L. 612-6 et L. 612-7 du CESEDA, tenant à l'existence de circonstances humanitaires, ou celle figurant à l’art. L. 612-9 du CESEDA, relative aux étrangers victimes de traite des êtres humains ou de proxénétisme ou engagés dans un parcours de sortie de la prostitution.

Également, l'inscription au fichier des personnes recherchées (FPR) et au système d'information Schengen (SIS) est, pour la première, conforme au décret du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées (FPR) et, pour la seconde, exclusive, contrairement à ce qui est soutenu, d’une inscription au traitement N-SIS II.

 

3/ Sur les moyens relatifs aux décisions d'assignation à résidence et aux visites domiciliaires le juge répond en deux temps.

S'agissant de l'assignation à résidence, la circulaire attaquée ne méconnaît ni les dispositions de l’art. L. 731-1 du CESEDA ni celles de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour la transposition desquelles cet article a été pris. De plus, en invitant, par sa circulaire du 17 novembre 2022, les préfets à assigner systématiquement à résidence les étrangers faisant l’objet d’une OQTF, le ministre n’a ni entaché celle-ci d’incompétence, ni méconnu l'art. L. 731-1 ou L. 731-3 du CESEDA, les art. 2 et 4 et la Déclaration de 1789, ni l'art. 27 de la directive du 16 décembre 2008 précitée ni, non plus, le droit à une bonne administration. 

S'agissant des visites domiciliaires, en prescrivant d'avoir recours aux visites domiciliaires « en sollicitant l'autorisation du juge judiciaire » « pour mener à bien l'expulsion des étrangers dont le comportement constitue une menace pour l'ordre public », la circulaire du 17 novembre 2022 se borne à rappeler la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, seul compétent pour prescrire de telles visites et ne porte ainsi pas atteinte aux art. L. 733-6, L. 733-7 et L. 733-8 du CESEDA.

 

4/ Sur les moyens relatifs à la rétention administrative, la circulaire du 3 août 2022 recommande d’utiliser « prioritairement » la rétention « pour les étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l'ordre public, y compris lorsque l'éloignabilité (– quel mot affreux -) ne parait pas acquise ». Les deux circulaires ajoutent qu’il convient de développer « les locaux de rétention administrative ». Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces textes ne comportent point d’atteinte à la directive précitée du 16 décembre 2008, dont ils n’indiquent pas en quoi elle serait méconnue.

 

5/ Sur les moyens relatifs aux droits et prestations sociaux des personnes concernées, le ministre de l’intérieur n’était pas incompétent, au regard du décret fixant ses attributions, pour inviter les préfets à se rapprocher des organismes de protection sociale afin de « vérifier que la prise d'une OQTF s'accompagne d'une suspension des droits sociaux de la personne faisant l'objet d'une telle obligation. »

(10 octobre 2023, Cimade, Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s, Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s et Ligue des droits de l'Homme, n° 469328 ; Groupe d'information et de soutien des immigré-e-s, Ligue des droits de l'Homme, association Utopia 56, Association pour le droit des étrangers et syndicat des avocats de France, n° 470574 ;  Fédération des acteurs de la solidarité et fondation Abbé Pierre, n° 471464 ; Cimade service œcuménique d'entraide, n° 471949, jonction)

 

180 - Permis de conduire – Échange d’un permis étranger avec un permis français – Titre non authentique – Refus de l’échange – Annulation du refus – Erreur de droit – Annulation.

Commet, à l’évidence, une erreur de droit le tribunal qui annule le refus d’un préfet de procéder à un échange de permis de conduire ivoirien, reconnu comme n’étant pas authentique par le service spécialisé à cet effet, avec un permis de conduire français.

(13 octobre 2023, ministre de l’intérieur, n° 467975)

 

181 - Permis de conduire – Changement d’état-civil – Demande de délivrance d’un permis avec la nouvelle identité – Fausses indications d’identité – Annulation du refus de délivrance – Annulation.

Un couple de ressortissants arméniens et leurs enfants alors mineurs sont entrés en France en 2006 sous une fausse identité pour obtenir des titres de séjour. Les parents et un de leurs enfants ont obtenu dix ans plus tard la délivrance de permis de conduire sous cette identité usurpée, puis, en 2020, ayant révélé ce subterfuge, ils ont demandé l’établissement de permis sous leur véritable identité.

Le préfet ayant refusé de se prêter à cette combinaison, les intéressés ont obtenu du juge l’annulation des décisions préfectorales motif pris qu'en dépit de la manœuvre commise pour l'obtention de titres de séjour, chaque membre de la famille, après avoir décliné son identité d'emprunt, avait été physiquement présent lors de la passation des épreuves du permis de conduire.

Sur recours du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État casse ce jugement en rappelant que, passées sous une fausse identité, les épreuves en vue de l’obtention du permis de conduire étaient nulles ainsi qu’il résulte d’ailleurs de l’art. 5 de l'arrêté ministériel du 20 avril 2012 fixant les conditions d'établissement, de délivrance et de validité du permis de conduire. C’est l’application stricte du principe selon lequel « ce qui est nul ne produit pas d’effet » (Quod nullum est nullum producit effectum)

(13 octobre 2023, MM. et Mme E., n° 469505)

 

182 - Permis de conduire – Infractions au code de la route – Paiement d’amendes forfaitaires – Absence d’avis de contravention inexacts ou incomplets – Obligation d’information présumée respectée – Rejet.

Un automobiliste, qui s’est acquitté du paiement différé des amendes forfaitaires correspondant aux infractions relevées sans prétendre ou établir que les avis de contravention étaient inexacts ou incomplets, n’est pas fondé à prétendre qu’à l’occasion de la commission de contraventions au code de la route il n’aurait pas bénéficié, de la part de l’administration, de l'obligation d'information prévue par les art. L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route. 

(20 octobre 2023, M. A., n° 467690)

 

183 - Police des transports publics particuliers de personnes – Taxi – Retrait de la carte professionnelle de conducteur de taxi – Absence de fixation légale de la durée maximale du retrait temporaire de la carte – Refus de transmission d’une QPC.

Deux conducteurs de taxis qui ont fait, chacun, l’objet d’un retrait temporaire de huit ans de leurs cartes professionnelles d’exploitation de taxi soulèvent une QPC à l’appui de leurs pourvois en cassation dirigés contre les arrêts confirmatifs du rejet de leurs demandes opposé en première instance.

Ils font valoir que l'art. L. 3124-11 du code des transports, en ne prévoyant pas une durée maximale pour la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle de conducteur de taxi, porte atteinte au principe de légalité des délits et des peines (art. 8 Déclaration de 1789) et qu’il est entaché d'incompétence négative.

La transmission de cette question leur est refusée par une curieuse argumentation qu’il faut citer en entier : « (…) la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle s'inscrit dans une échelle de sanctions, dont la peine la plus élevée est le retrait définitif de cette carte impliquant, pour la personne sanctionnée, l'interdiction définitive d'exercer. Dans ces conditions, le législateur pouvait, sans méconnaître sa compétence ni le principe de légalité des délits et des peines, ne pas fixer de limite à la durée de la peine de retrait temporaire de la carte professionnelle. » Que cela veut-il dire ? Que n’importe quelle durée est possible ? Quid alors du principe de proportionnalité ? Et surtout, comment et pourquoi inférer de ce qu’un retrait pouvant être définitif les autres retraits peuvent avoir n’importe quelle durée ?

Ni le juge pénal national, ni l’une des deux juridictions européennes ne laisserait passer une telle justification. La « mort civile » supprimée par la loi du 31 mai 1854 aurait-elle été remplacée par la mort économique ?

(18 octobre 2023, M. C., n° 475657 ; Mme A., n° 475660)

 

184 - Police des manifestations sur la voie publique – Manifestation de soutien à la cause palestinienne – Télégramme ministériel aux préfets – Risque de troubles à l’ordre public – Compétence exclusive des préfets au vu de circonstances locales – Rejet.

Le juge du référé-liberté du Conseil d’État a été saisi d’une demande de suspension de l’exécution de l'instruction du ministre de l'intérieur du 12 octobre 2023 portant interdiction de toute manifestation en soutien au peuple palestinien.

Le recours portait en réalité sur deux questions juridiques : la compétence de ce ministre en la matière, la proportionnalité de la mesure aux menaces pour l’ordre public.

 

1 - Sur la compétence du ministre de l’intérieur, le Conseil d’État rappelle très clairement que c’est au préfet, dans chaque département, qu’il appartient (cf. art. L. 211-1 et, L. 211-4 et R. 211-1 du code de la sécurité intérieure) à titre exclusif « d'apprécier, à la date à laquelle (cette autorité) se prononce, la réalité et l'ampleur des risques de troubles à l'ordre public susceptibles de résulter de chaque manifestation déclarée ou prévue, en fonction de son objet, déclaré ou réel, de ses caractéristiques propres et des moyens dont elle dispose pour sécuriser l'évènement. A ce titre, il revient au préfet compétent, sous le contrôle du juge administratif, de déterminer, au vu non seulement du contexte national (actuellement existant), mais aussi des circonstances locales, s'il y a lieu d'interdire une manifestation présentant un lien direct avec le conflit israélo-palestinien, quelle que soit du reste la partie au conflit qu'elle entend soutenir, sans pouvoir légalement motiver une interdiction par la seule référence à l'instruction reçue du ministre ni la prononcer du seul fait qu'elle vise à soutenir la population palestinienne. » 

Ainsi se trouve interdite la solution d’une double automaticité qui consisterait à interdire une manifestation sur la base du télégramme ministériel et parce qu’il s’agit de soutenir la population palestinienne. C’est le rappel classique de la méthodologie d’exercice du pouvoir de police administrative. Toutefois, il fallait faire un sort juridique au télégramme litigieux : le juge se satisfait de l’explication de texte donnée au cours de l’audience selon laquelle l’auteur du télégramme aurait entendu seulement  rappeler aux préfets qu'il leur appartenait, dans l'exercice de leurs compétences, d'interdire les manifestations de soutien à la cause palestinienne justifiant publiquement ou valorisant, de façon directe ou indirecte, la commission d'actes terroristes, comme ceux qui ont été perpétrés le 7 octobre 2023 par des membres de l'organisation Hamas. Dès lors qu’elle laissait sauf le pouvoir d’appréciation et de décision des préfets, cette formulation n’encourt pas annulation.

 

2 - Sur la proportionnalité des mesures d’annulation de manifestations de soutien à la cause palestinienne, le juge décrit le fort climat de tension internationale au Proche-Orient, les risques de troubles pouvant résulter de manifestations, le caractère terroriste du Hamas, tous éléments entrant dans l’élaboration de la politique préfectorale de maintien de l’ordre.

Le recours est donc rejeté avec cette « pique » en direction du ministre qu’il en est ainsi « en dépit de (la) regrettable approximation rédactionnelle (du) télégramme contesté ».

(ord. réf. 18 octobre 2023, Comité Action Palestine, n° 488860)

(185) V. aussi, estimant que c’est à bon droit que le juge des référés du tribunal administratif de Nice a estimé que le Préfet des Alpes-Maritimes n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifestation en se fondant, pour interdire une « Marche pacifique en soutien au peuple palestinien », sur l’existence d’un contexte international particulièrement sensible mais aussi sur un contexte particulier propre à la ville de Nice où il existait un risque sérieux de troubles graves à l'ordre public entre partisans de l'une ou l'autre des parties à ce conflit, alors que les forces de l'ordre, qui sont déjà très mobilisées, n'auraient pas la capacité, compte tenu de « l'élévation de la posture Vigipirate en urgence attentat », de prévenir ces risques ou de les contenir. Le préfet a, en outre, indiqué, dans son mémoire en défense devant le juge des référés, que depuis le 7 octobre ses services ont recensé à Nice de nombreux tags et graffiti qui alimentent un climat particulier de tensions, qu'un concert et un match de football Nice/Marseille, qui doivent avoir lieu le 21 octobre au soir, mobilisent les forces de l'ordre et que la venue de supporters marseillais à Nice a été interdite du fait de l'insuffisance des effectifs de forces de l'ordre disponibles : ord. réf. 22 octobre 2023, M. D. et M. E., n° 488973.

 

186 - Police des mines – Titres miniers – Refus de prolongation d’une concession minière – Atteinte à l’environnement – Erreur de droit – Annulation.

Une société s’est vu refuser sa demande de prolongation d’une concession minière, fondée sur l’art. L. 144-4 du code minier au motif d’atteintes à l’environnement. Les juridictions du fond ont annulé le refus opposé par le préfet.

Le ministre requérant se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel confirmatif.

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour une double erreur de droit commise par la cour administrative d’appel, d’abord en ce qu’elle a affirmé qu'il n'y avait lieu de prendre en considération l'impact sur l'environnement des travaux d'exploitation projetés sur le périmètre de la concession que dans le cadre de l'instruction de la demande d'autorisation de travaux, distincte de l'autorisation de prolongation de la concession, ensuite parce qu’elle fait application d’une disposition législative (seconde phrase de l’art. L. 144-4 précité) déclarée contraire aux droits et libertés garantis par la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel (déc. n° 2021-971 QPC, 18 février 2022, France nature environnement, prolongation de plein droit de certaines concessions minières).

(19 octobre 2023, ministre de l’économie et des finances…, n° 456736 et n° 456738)

 

187 - Police des eaux - Prescriptions techniques générales applicables aux plans d'eau – Moyens de légalité externe et de légalité interne – Rejet.

Les requérants demandaient l’annulation de l’arrêté du 9 juin 2021 de la ministre de la transition écologique fixant les prescriptions techniques générales applicables aux plans d'eau, y compris en ce qui concerne les modalités de vidange, relevant de la rubrique 3.2.3.0 de la nomenclature annexée à l'article R. 214-1 du code de l'environnement.

C’est l’occasion pour la sixième chambre du Conseil d’État d’une très longue décision dont il ne saurait être rendu compte dans le cadre de cette chronique sauf à la citer intégralement. On se permet d’inviter les lecteurs intéressés à se reporter au texte.

(19 octobre 2023, Syndicat des Étangs Poitou-Charentes Vendée, n° 457355 ; Association des Étangs de France Nivernais Morvan, n° 457451 ; Syndicat des Étangs de la Haute-Vienne, n° 457468 ; Union régionale du Centre des intérêts aquatiques et piscicoles, n° 457490 ; Syndicat des propriétaires et exploitants d'Étangs du Val-de-Loire, n° 457513 ; Syndicat des Étangs creusois, n° 457514 ; Société coopérative Unicoque et association nationale des producteurs de noisettes, n° 457580 ; Syndicat des Étangs corréziens, n° 457582 ; Syndicat des exploitants de plans d'eau, de cours d'eau de la Mayenne et de la Sarthe, n° 457603 ; Syndicat de défense et de promotion des étangs dauphinois, n° 457862 ; Association Étangs de France et association française des pisciculteurs professionnels d'étangs, n° 461540)

 

188 - Police de la circulation routière – Ralentisseurs – Demande de mise en conformité – Rejet – Insuffisance de motivation – Annulation avec renvoi.

Les personnes et organismes requérants ont demandé au tribunal administratif de Toulon d'enjoindre au département du Var de supprimer ou de mettre en conformité les ralentisseurs non conformes implantés sur la voirie départementale. Leur recours a été rejeté et la cour administrative d’appel a confirmé ce rejet.

Ils se pourvoient en cassation.

Pour annuler l’arrêt d’appel le Conseil d’État retient qu’il est insuffisamment motivé et ne met donc pas le juge de cassation en état d’exercer son contrôle.

En effet, alors que les requérants soutenaient que la qualification par le département du Var comme « plateaux traversants » de la plupart des ouvrages visés par leurs demandes ne permettait pas de les exclure du champ d'application du décret du 27 mars 1994, dès lors que, quelle que soit la longueur du plateau du ralentisseur, leur profil présente la forme d'un trapèze, la cour a motivé son rejet en retenant qu'il résultait de ce décret pris dans son ensemble que ses auteurs n'avaient pas entendu désigner tous les ouvrages présentant cette forme comme étant de « type trapézoïdal », mais uniquement ceux caractérisés comme tels dans « la typologie technique propre à ces aménagements routiers », et en a déduit que les ouvrages caractérisés comme « plateaux traversants » selon la « typologie technique usuelle » ne pouvaient par définition être qualifiés de ralentisseurs de type trapézoïdal pour l'application de ce décret.

(24 octobre 2023, Association « Pour une mobilité sereine et durable » (PUMSD), fédération française des motards en colère, antenne du Var, Mme C. et autres, n° 464946)

 

189 - Police municipale des travaux sur les voies publiques – Installation de palissades pour un chantier de construction – Construction autorisée par un permis de construire – Refus – Rejet.

Bénéficiaire du permis de construire un immeuble d’habitat collectif, la société requérante a sollicité du maire de la commune une autorisation d'occuper le domaine public en vue de la réalisation, sur la voirie communale, d'une aire de livraison et de déchargement et de l'installation d'une palissade pour les besoins du chantier de construction de cet immeuble.

Cette demande a été refusée, d’abord implicitement puis explicitement.

La société ayant saisi en vain les juges du fond de recours en annulation de ces refus, elle se pourvoit en cassation.

Pour rejeter le pourvoi, le Conseil d’État énonce d’abord que c’est à tort que la requérante invoque les dispositions de l’art. L. 115-1 du code de la voirie routière, celles-ci ne concernant que des travaux qui sont de nature à conduire à l'ouverture de tranchées ou à nécessiter la réfection des chaussées, trottoirs, accotements et autres ouvrages dépendant de la voie alors qu’en l’espèce les travaux se limitaient à la simple réalisation d'une aire de livraison et de déchargement de chantier et à l'installation d'une palissade ; au surplus, la société ne disposait pas, à la date des décisions attaquées, d'un titre l'autorisant à effectuer des travaux affectant la voirie.

Ensuite, le maire a pu légalement refuser l'autorisation sollicitée par la requérante car elle aurait été incompatible avec une autre autorisation déjà accordée de l'autre côté de la même rue ; il n’appartenait pas à la cour de rechercher si cette dernière autorisation avait été demandée antérieurement à celle sollicitée par la requérante.

Enfin, la cour a souverainement apprécié les faits en estimant que l'installation de palissades pour les besoins des deux chantiers de part et d'autre de la même voie publique aurait eu pour conséquence d'empêcher durablement toute circulation sur cette voie et que le déplacement de la palissade installée pour les besoins du chantier concurrent de celui de la société Villa Les Guilands aurait, de même, bloqué une autre rue.

C’est donc sans erreur de droit ni dénaturation que la cour a jugé que la décision de refus du maire trouvait sa justification dans des motifs d'intérêt général et de sécurité publique.

(25 octobre 2023, Société Villa Les Guillands, n° 471052)

 

Professions réglementées

 

190 - Vétérinaires – Juridiction disciplinaire – Suspension d’exercice assortie de sursis – Nouvelle sanction de suspension durant la durée d’épreuve – Office du juge – Annulation.

Au visa de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel de la portée des dispositions de l’art. L. 242-7 du code rural (déc. n° 2022-1017, 21 octobre 2022, Lucas S. et autre), le Conseil d’État, dans cette importante décision, se prononce sur la situation juridique née d’une sanction infligée à un vétérinaire avec sursis lorsque survient postérieurement une autre décision de sanction elle aussi prononcée avec sursis.

Selon le juge, la suspension du droit d'exercer la profession de vétérinaire assortie d’un sursis partiel ou total prononcée par la juridiction disciplinaire constitue une mesure de suspension de l'exécution de la peine. Il s’ensuit que cette sanction, assortie en totalité d'un sursis ou la partie de la sanction de suspension assortie d'un tel sursis, devient automatiquement exécutoire lorsque la juridiction disciplinaire, au cours du délai d'épreuve, inflige une nouvelle sanction de suspension.

C’est pourquoi il est de l’office de cette dernière, lorsqu'elle fixe la durée de cette nouvelle sanction de suspension, d’une part, de prendre en compte la durée de la première sanction de suspension assortie d'un sursis, qui deviendra exécutoire du fait de cette nouvelle sanction de suspension et, d’autre part, de le faire apparaître dans sa décision, en faisant référence, dans ses visas ou ses motifs, à cette première sanction de suspension. 

En l’espèce, la juridiction disciplinaire nationale a jugé, rejetant la demande en ce sens du requérant, qu'il ne lui appartenait pas de prononcer la révocation d'un sursis. Si, en effet, la juridiction disciplinaire n’a pas ce pouvoir puisque cette révocation est automatique lorsque les conditions en sont réunies, il lui incombait cependant de prendre en compte la précédente sanction assortie du sursis, intervenue moins de cinq ans auparavant et devenue définitive, pour fixer la durée de la nouvelle sanction de suspension infligée à l’intéressé. En s’en abstenant elle a commis une erreur de droit.

(04 octobre 2023, M. Lemarignier, n° 461090)

(191) V. aussi, très largement comparable : 04 octobre 2023, M. B., n° 464975.

 

192 - Notaire – Refus de démission et refus de nomination – Prise en compte d’une infraction professionnelle ancienne – Rejet.

Le garde des sceaux a refusé d’accepter la démission du requérant en qualité de notaire titulaire d’un office à Paris, ainsi que sa demande de nomination en qualité de notaire associé de la société d'exercice libéral à responsabilité limitée à associé unique « B... Notaires », constituée afin de remplacer l'intéressé dans son office. 

Le tribunal administratif, saisi par l’intéressé, a annulé ce refus, estimant que le motif allégué par son auteur était entaché d’une erreur d’appréciation en ce qu’il était fondé sur une faute professionnelle commise et jugée en juin 2012. Sur appel du ministre, la cour administrative d’appel a annulé ce jugement et rejeté la demande de l’intéressé.

Ce dernier se pourvoit, en vain, en cassation.

En effet, après avoir annulé cet arrêt en ce qu’il n’a pas examiné les autres moyens développés par le requérant à l’appui de son recours, le juge de cassation, se prononçant au fond par suite de l’effet dévolutif de l’appel, les rejette.

La question de procédure constitue un rappel classique. Le juge d'appel qui, saisi par le défendeur de première instance, censure le motif retenu par les premiers juges, doit, en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, examiner l'ensemble des moyens que le demandeur avait présentés en première instance, alors même qu'ils n’auraient pas été repris dans les écritures produites, le cas échéant, devant lui, à l'exception de ceux qui auraient été expressément abandonnés en appel. Or la cour, après censure du motif retenu par les premiers juges, n’a pas examiné les autres moyens qu’avait soulevé le demandeur en première instance alors que, du fait de l’annulation, elle se trouvait saisi par l’effet dévolutif de l’appel. Dès lors que le Conseil d’État casse pour ce motif l’arrêt, il statue comme juge d’appel et donc, à son tour, saisi par l’effet dévolutif.

Dans l’examen du fond, confirmant la cour, et c’est le point central de cette décision, le juge estime que lorsqu'une personne physique entend constituer une société d'exercice libéral à associé unique pour être titulaire d'un office notarial, y compris d'un office existant, elle doit remplir les conditions requises pour exercer la profession de notaire, notamment celle de n'avoir pas été l'auteur de faits contraires à l'honneur et à la probité. Il revient donc au ministre de la justice, tenu de vérifier le respect de cette condition, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si l'intéressé a commis des faits contraires à l'honneur et à la probité qui sont, compte tenu notamment de leur nature, de leur gravité, de leur ancienneté, ainsi que du comportement postérieur de l'intéressé, susceptibles de justifier légalement un refus de nomination.

Examinant les faits constatés en 2011, il juge que la décision contestée du garde des sceaux n’est pas entachée d’une erreur d’appréciation, le requérant ayant manqué à ses obligations professionnelles en concluant des conventions de séquestre amiable avec la République de Côte-d'Ivoire pour trois comptes séquestres, à partir desquels il  a perçu une rémunération d'un montant total de 300 262 euros alors qu'il n'était pas fondé à accepter ces sommes dont le versement reposait sur des actes ne relevant pas de son office public. Le juge ne s’arrête, pour dire le refus du ministre justifié, ni à la circonstance que ces faits sont anciens, isolés, ni à la circonstance que le comportement du demandeur  dans l'exercice de son office n'a donné lieu à aucun reproche, postérieurement à ces faits et à la sanction disciplinaire d'interdiction d'exercice pendant deux ans qui lui a été infligée par jugement du 6 juin 2012 du tribunal de grande instance de Paris, statuant en matière disciplinaire. De tels agissements, qui constituent des faits contraires à l'honneur et à la probité, sont, compte tenu de leur nature et de leur particulière gravité, et alors même qu'ils sont relativement anciens et qu'ils n'auraient donné lieu à aucune sanction pénale, de nature à justifier le refus de sa nomination.

C’est donc à tort que le tribunal administratif a cru pouvoir estimer entaché d’une erreur d’appréciation le refus du ministre.

 (04 octobre 2023, M. B., n° 467121)

 

193 - Chirurgiens-dentistes - Société de participations financières de professions libérales (SPFPL) inscrite au tableau de l’ordre – Prise de participation majoritaire dans une société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) - Conditions – Impossibilité de déterminer si l’associé unique de la SPFPL détenteur majoritaire de cette dernière est une personne physique ou morale exerçant la profession de chirurgien-dentiste – Radiation de l’inscription au tableau de l’ordre – Condition devant être réputée satisfaite – Annulation avec renvoi au Conseil national de l’ordre des chirurgiens-dentistes.

La société de participations financières de professions libérales (SPFPL) Eurodonti France, inscrite au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine, est devenue, par suite de modifications statutaires, actionnaire majoritaire, détenant désormais la majorité de ses actions, de la société d'exercice libéral à actions simplifiée (SELAS) Cabinet de la Grand Place, inscrite au même tableau de l'ordre.

Le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes a estimé cette situation contraire aux règles applicables aux sociétés d'exercice libéral de chirurgiens-dentistes, l'article R. 4113-11 du code de la santé publique faisant obstacle à ce que des sociétés de participations financières puissent détenir des participations dans plus de deux sociétés d'exercice libéral, elle a en conséquence décidé que la société devait être radiée du tableau de l'ordre.

Sur recours administratif préalable obligatoire de la société, le conseil régional d'Île-de-France de l'ordre a, lui, estimé que la nouvelle répartition du capital de la SELAS Cabinet de la Grand Place porte atteinte à l'indépendance des chirurgiens-dentistes (cf. art. R. 4127-209, CSP) et en a déduit que la SELAS ne pouvait plus être inscrite au tableau de l'ordre.

Le Conseil national de l'ordre, par sa décision du 21 juillet 2022, a également retenu que ces modifications des statuts ne pouvaient être admises mais en se fondant sur un autre motif, tiré de ce que la SPFPL Eurodonti France ne répond pas à la condition d'être détenue majoritairement par une personne physique ou morale exerçant elle-même la profession de chirurgien-dentiste car les éléments recueillis ne lui permettent pas de déterminer si son associé unique, la société de droit grec « Orthodontiko Odontiatreio toy Hamagelou Monoprosopi Ike », exerce la profession de chirurgien-dentiste. Il a également prononcé le retrait de l'inscription de la SELAS Cabinet de la Grand Place au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes des Hauts-de-Seine.

En exécution de ces décisions, le conseil départemental des Hauts-de-Seine a notifié aux praticiens de la SELAS Cabinet de la Grand Place l'exécution du retrait de son inscription au tableau de l'ordre à compter du 26 octobre 2022. Cette société demande, pour l’essentiel, l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 21 juillet 2022.

Pour accueillir le pourvoi au fond, le juge de cassation retient en premier lieu qu'en application du IV de l'art. 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, le conseil départemental des Hauts-de-Seine de l'ordre des chirurgiens-dentistes a inscrit la SPFPL Eurodonti France au tableau de l'ordre de ce département par une décision du 27 février 2020. Or une telle inscription était subordonnée à la condition, prévue par le II du même article, que plus de la moitié du capital et des droits de vote de cette société soit détenue par des personnes exerçant la profession de chirurgien-dentiste.

Il relève en deuxième lieu que l'inscription de la SPFPL Eurodonti France au tableau de l'ordre des chirurgiens-dentistes n'avait été, à la date à laquelle la formation restreinte du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes a statué sur le recours de la SELAS Cabinet de la Grand Place, ni rapportée, ni abrogée, ni annulée par décision d'une juridiction administrative.

Il conclut donc que le Conseil national de l'ordre ne pouvait pas, dans le cadre de son examen de la conformité des modifications statutaires de la SELAS Cabinet de la Grand Place aux dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice de la profession, remettre en cause le respect par la SPFPL Eurodonti France de la condition de détention majoritaire de son capital social et de ses droits de vote par des personnes exerçant la profession de chirurgien-dentiste à laquelle son inscription au tableau de l'ordre était subordonnée, la vérification d'une telle condition incombant au seul conseil départemental des Hauts-de-Seine au vu notamment de l'état de la composition du capital de la SPFPL qui lui est transmis chaque année en application du dernier alinéa du IV de l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990 précitée. La décision du Conseil national du 21 juillet 2022 est entachée d'illégalité. L’affaire lui est donc renvoyée « non (pour) qu'il soit fait droit au recours formé par la société requérante auprès du Conseil national de l'ordre des chirurgiens-dentistes, mais qu'il soit réexaminé, en fonction des circonstances de fait et de droit applicables à la date de sa décision ».

Ce Conseil a deux mois pour opérer ce réexamen.

(04 octobre 2023, SELAS Cabinet de la Grand Place, n° 468239)

 

194 - Chirurgiens-dentistes – Signalisation apposée sur un centre de santé – Ouverture d’un tel centre non subordonnée à l’inscription au tableau de l’ordre – Annulation.

Pour annuler la sanction du blâme infligée par l’ordre des chirurgiens-dentistes à l’un de ses membres pour avoir apposé une signalisation sur la façade d’un centre de santé en violation des dispositions du code de déontologie de cet ordre, le Conseil d’État retient qu’il résulte des dispositions des art. R. 4127-201 et R. 4127-215 du code de déontologie des chirurgiens-dentistes qu'à la différence des sociétés d'exercice libéral et des sociétés civiles professionnelles ayant pour objet l'exercice en commun de la profession de chirurgien-dentiste, qui, en vertu respectivement des art. R. 4113-4 et R. 4113-28 du même code, ne sont constituées que sous la réserve de leur inscription, en tant que société, au tableau de l'ordre, l'ouverture d'un centre de santé n'est pas subordonnée à son inscription au tableau de l'ordre auxquel appartiennent les praticiens qui y exercent. Par suite, les centres de santé ne sont pas soumis aux obligations fixées par le code de déontologie élaboré, en application des dispositions de l'art. L. 4127-1 du code de la santé publique, pour la profession de chirurgien-dentiste. 

(26 octobre 2023, M. L., n° 461015)

(195) V. aussi, identique : 26 octobre 2023, M. O., n° 461017.

(196) V. encore, identique : 26 octobre 2023, M. K., n° 461019.

 

197 - Pharmacien – Sanction disciplinaire du blâme avec inscription au dossier pour publicité en faveur de son officine – Procédure suivie – Rejet.

Sanctionné d’un blâme pour usage de publicité en faveur de son officine, un pharmacien se pourvoit en cassation de la décision de rejet rendue par la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens. Il invoque au soutien de son action des moyens touchant à la procédure et un moyen de fond.

Sur la procédure, ses deux griefs sont rejetés : la juridiction a suffisamment répondu au grief que l'affaire ne pouvait sans méconnaissance du principe d'impartialité être jugée par la chambre de discipline de l'ordre des pharmaciens de la région Lorraine ; la circonstance que la juridiction a décidé de statuer à huis-clos sans objection de la part du requérant rend irrecevable la critique de cette décision de ce chef pour la première fois en cassation.

Sur le fond, il ne saurait être soutenu que la sanction infligée contreviendrait à la jurisprudence européenne (CJCE, 4 mai 2017, Luc Vanderborght, aff. C-339/15) prohibant l’interdiction de manière générale et absolue de toute publicité relative à des prestations de soins buccaux et dentaires puisque notamment les dispositions de l’art. L. 5125-31 du code de la santé publique ne soumettent pas cette publicité à un régime d’interdiction générale et absolue.

(10 octobre 2023, M. B., n° 456539)

 

198 - Pharmacienne d’officine – Interdiction temporaire d’exercer la pharmacie – Ouverture de la pharmacie – Pharmacie laissée sans remplacement de la praticienne suspendue -Rejet.

A la suite de contrôles inopinés, trois pour la première infraction et deux pour la seconde infraction, il a été constaté qu’une pharmacienne qui avait fait l’objet d’une interdiction d’exercer temporaire ses fonctions, d’une part, avait néanmoins laissé ouverte sa pharmacie en violation de cette interdiction, d’autre part, n’avait pas pourvu à son remplacement par un autre pharmacien.

L’intéressée se pourvoit en cassation de la décision de la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens qui a prononcé à son encontre la sanction d'interdiction d'exercer la pharmacie pour une durée de trois ans pour le double motif rappelé ci-dessus. 

Son pourvoi est évidemment rejeté.

Le juge estime qu’il y a là une faute méritant sanction alors même que la requérante invoquerait l’absence d’élément intentionnel de sa part, d’autant que celle-ci a été destinataire de plusieurs courriers et courriers électroniques de l'agence régionale de santé lui rappelant les obligations qui s'imposaient à elle.

Par ailleurs, dès lors qu’elle n’était pas tenue de laisser sa pharmacie ouverte durant la période d’interdiction, elle ne saurait invoquer la difficulté à se trouver un remplaçant.

(10 octobre 2023, Mme A., n° 467215)

 

199 - Expert-comptable – Blâme à titre disciplinaire – Détournement de clientèle et de salariés d’une société – Utilisation de courriels dont un seul est cité – Dénaturation des faits – Annulation.

Suite à un dépôt de plainte d’une société contre un expert-comptable, la chambre régionale de discipline près un conseil régional de l'ordre des experts-comptables a infligé à l’intéressé la sanction du blâme avec inscription au dossier pour atteinte à l'honneur et à la probité et non-respect des règles déontologiques. Sur appel, la chambre nationale de discipline a, à la fois, annulé la décision en estimant que les faits de détournement de clientèle et de salariés de la société plaignante n'étaient pas caractérisés et elle a confirmé la sanction du blâme avec inscription au dossier qu’avaient prononcée les premiers juges.

Toutefois, la chambre nationale a considéré les faits reprochés comme établis, en indiquant disposer d’une liste de vingt-et-une personnes ayant échangé des courriels avec cet expert-comptable, mais elle s’est appuyée sur un seul courriel, n’émanant d’ailleurs pas de la personne sanctionnée mais d’un tiers, pour maintenir la sanction litigieuse. Le Conseil d’État aperçoit dans ce jugement une dénaturation des pièces du dossier conduisant à sa cassation.

(19 octobre 2023, M. C., n° 456216)

 

Question prioritaire de constitutionnalité

 

200 - Mandat de conseiller de la métropole de Lyon – Silence de l’art. L.O. 141 du code électoral sur l’incompatibilité de ce mandat avec celui de député – Question présentant un caractère sérieux – Transmission d’une QPC.

Les requérants ont soulevé une QPC au sujet de l’art. L.O. 141 du code électoral en ce qu’il est muet sur l’incompatibilité du mandat de conseiller métropolitain de Lyon avec celui de député. Certes, les lois organiques font l’objet d’un examen automatique de leur constitutionnalité après leur adoption et avant leur promulgation et l’art. L.O. 141 a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (déc. n° 85-205 DC du 28 décembre 1985 et n° 2000-427 DC du 30 mars 2000).

Toutefois, c’est postérieurement à ces décisions que la loi du 27 janvier 2014 a, par les articles L. 3611-3 et L. 3641-2 du CGCT, conféré à la métropole de Lyon les compétences d’un département et donc, aux conseillers de cette métropole, toutes les attributions des conseillers départementaux.

Il s’ensuit que constitue une question de caractère sérieux celle de savoir si l’art. L.O. 141 du code électoral est conforme à la Constitution en ce qu’il n’établit pas d’incompatibilité entre les qualités de conseiller métropolitain de Lyon et de député alors que pour tous les autres conseillers départementaux de France cette incompatibilité est établie par cet article.

(09 octobre 2023, M. F. et M. H., n° 475884)

 

201 - Produits métalliques résultant d’une crémation – Éléments ne faisant pas partie des restes du défunt – Art. L.2223-18-1-1 CGCT – Dignité de la personne humaine - Transmission d’une QPC.

Présente un caractère sérieux justifiant sa transmission au Conseil constitutionnel, la QPC portant sur la conformité au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine découlant du premier alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et au droit de propriété de la disposition de l’art. L. 2223-18-1-1 du CGCT selon laquelle, à l’issue d’une crémation, « Sans considération de leur origine, les métaux issus de la crémation ne sont pas assimilés aux cendres du défunt. ».

(11 octobre 2023, Société Europe Métal Concept, n° 472830)

 

202 - Cours de soutien scolaire – Cours donnés par des organismes à but lucratif – Absence d’exonération de la TVA – Cours donnés par des personnes physiques dispensés de TVA – Atteintes aux principes d’égalité devant la loi et d’égalité devant les charges publiques – Rejet – Refus de transmission d’une QPC.

La requérante soulevait une QPC à l’encontre du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts que le ministre des finances avait, malgré sa demande, refusé d’abroger.

Elle estimait qu’était contraire tant au principe d’égalité devant la loi qu’au principe d’égalité devant les charges publiques le fait que soient exonérés de TVA les cours et leçons dispensés par une personne physique et que n’en soient point exonérés ceux dispensés par un organisme à but lucratif. Cette différence de traitement lui paraissait ne se fonder sur aucune raison objective ni sur aucun motif d'intérêt général et elle ne lui apparaissait pas pouvant être regardée comme en rapport avec l'objet des dispositions mettant en place la taxe sur la valeur ajoutée.

Le recours est rejeté.

Le juge rappelle que l’art. 261, 7, 1°, a) du CGI qui institue cette dichotomie fiscale se borne en réalité à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive du 28 novembre 2006 relatives à l'obligation pour les États membres d'exonérer les leçons, portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire, données à titre personnel par des enseignants et à l'exercice par ces mêmes États membres de la faculté qui leur est ouverte de conditionner à l'une ou plusieurs des conditions que cette directive énumère l'exonération dont peuvent bénéficier les organismes de droit privé au titre, notamment, des prestations relevant de l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse ou de l'enseignement scolaire ou universitaire qu'ils délivrent. De ce chef, la QPC ne peut prospérer et cela d’autant plus que, comme le relève le juge, cette directive, ce décidant, ne met en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, ce qui aurait pu justifier que fût transmise une QPC. 

(18 octobre 2023, Sarl Forma-Cours, n° 457842)

 

203 - Urbanisme – Opération de restauration immobilière – Silence du propriétaire sur son acceptation ou son refus d’effectuer ou de faire effectuer les travaux prévus – Expropriation possible – Atteinte au droit de propriété – refus d’une transmission de QPC.

Étaient contestées les dispositions du code de l’urbanisme (art. L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 314-2) qui permettent l'expropriation d'un immeuble dont le propriétaire n'a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans une opération de restauration immobilière. Dans le cadre de ce litige est soulevée une QPC tirée de la contrariété de ces dispositions à l’art. 17 de la Déclaration de 1789 sanctuarisant le droit de propriété.

Pour refuser de la transmettre, le Conseil d’État retient les éléments suivants qui excluent toute atteinte au droit ainsi revendiqué.

Le législateur n'a autorisé l'expropriation, dans le cas des périmètres de restauration immobilière, que pour la réalisation d'opérations dont l'utilité publique est préalablement et formellement constatée par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif auquel il appartient de vérifier que celle-ci répond à la finalité d'intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d'habitabilité d'immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente.

De plus, le juge administratif, juge de la légalité de l'arrêté de cessibilité pris dans le cadre d'une opération de restauration immobilière, s’assure que l'inclusion d'un immeuble déterminé dans le périmètre d'expropriation est en rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux qui lui a été notifié avant l'intervention de l'arrêté de cessibilité.

(30 octobre 2023, Mme B., n° 474408)

 

Responsabilité – Solidarité nationale         

 

204 - Catastrophe naturelle – Sécheresse – Demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle – Refus – Rejet.

Les trois communes requérantes se pourvoient en cassation d’arrêts d’une cour d’appel ayant rejeté leurs demandes d’annulation de l'arrêté interministériel du 27 septembre 2017 refusant de reconnaître l'état de catastrophe naturelle sur leurs territoires respectifs du fait de mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2016 ainsi que leurs demandes d'injonction à l'État de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur leurs territoires.

Elles saisissent également le juge de cassation d’une QPC dirigée contre les dispositions de l’art. L. 125-1 du code des assurances

Nous laissons de côté le rejet de cette QPC motivé par le fait que les communes requérantes soulèvent devant le juge de cassation, par les mêmes moyens, les mêmes questions que celles soumises à la cour.

Les trois pourvois sont également rejetés en leurs trois principaux chefs de griefs.

Tout d’abord, comme l’a jugé la cour, la seule présence, au sein de la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles, qui est chargée de donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis, de représentants de la Caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'État et proposant, avec la garantie de ce dernier, la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, n'était pas, par elle-même, de nature à entacher d'irrégularité sa composition au regard du principe d'impartialité, dès lors qu'il n'est pas établi qu’aurait, de ce fait, été entachée de partialité l'appréciation portée par elle.

Ensuite, contrairement à ce qui était soutenu, les ministres concernés peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'entourer des avis qu'ils estiment utiles de recueillir et s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune.

Enfin, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits de l’espèce ni commis une erreur d’appréciation en relevant que la sécheresse de 2016 ne présentait pas, pour les trois communes requérantes, les caractères d'intensité et d'anormalité retenus par l'article L. 125-1 du code des assurances car les critères de méthodologie « SIM », lesquels prennent en compte l'intensité et l'anormalité de l'évènement, n'étaient pas remplis.

Au reste, à l’appui de leur affirmation que les indices utilisés par l'administration pour se prononcer sur l'existence d'un état de catastrophe naturelle étaient supérieurs à ceux consultés sur le site Météo-France, les communes requérantes n'ont fourni aucun élément, notamment météorologique, de nature à remettre en cause l'évaluation de l'intensité du phénomène de sécheresse résultant de l'application de la méthodologie retenue.

(06 octobre 2023, Commune de Roumazières-Loubert devenue Commune de Terres de Haute-Charente, n°456129 ; Commune de Fléac, n° 456130 ; Commune de Magnac-sur-Touvre, n° 456158, jonction)      

 

205 - Loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis – Régime d’indemnisation des préjudices subis – Réparation forfaitaire – Avis de droit (art. L. 113-1 CJA).

Interrogé par une cour administrative d’appel sur divers points de droit soulevés par l’application du mécanisme de réparation des préjudices subis du fait des conditions d'accueil et de vie qui ont été réservées sur le territoire français aux anciens supplétifs de l'armée française en Algérie et à leurs familles, institué par l’article 3 de la loi du 23 février 2022, le Conseil d’État répond ceci.

Tout d’abord, cet article 3, en créant un mécanisme de réparation forfaitaire des préjudices résultant de l'indignité des conditions d'accueil et de vie dans les lieux où ont été hébergés en France, entre 1962 et 1975, les harkis, moghaznis et personnels des diverses formations supplétives et assimilés de statut civil de droit local qui ont servi la France en Algérie ainsi que les membres de leurs familles, fait obstacle, depuis son entrée en vigueur, à ce que la responsabilité de droit commun de l'État puisse être recherchée au titre des mêmes dommages. 

Ensuite, ce mécanisme n’est applicable, faute de dispositions transitoires, qu’aux seules instances engagées postérieurement à cette date. Pour les instances ouvertes antérieurement, le juge doit appliquer les règles et principes du droit commun de la responsabilité de la puissance publique, y compris les règles de prescription.

Enfin, les intéressés demeurent susceptibles de saisir la commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis et autres, créée par l'article 4 de la loi du 23 février 2022, d'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions de cette loi.

(06 octobre 2023, M. C., n° 475115)

 

206 - Nourrisson atteint de méningite bactérienne – Défaut d’orientation immédiate vers un hôpital – Erreur subséquente de diagnostic – Fautes portant en elles-mêmes la totalité du dommage subi – Régime de la réparation – Annulation.

Dans un contexte dramatique, le Conseil d’État rappelle aussi pédagogiquement et aussi complètement que possible le mécanisme de responsabilité et donc de réparation en cas de préjudice résultant de plusieurs fautes indépendantes. Il annule l’arrêt d’appel qui n’a pas appliqué cette véritable directive contentieuse.

Tout d’abord, lorsqu'un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l'une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux.

Lorsque l'un des auteurs du dommage a été condamné par le juge judiciaire à réparer tout ou partie de celui-ci, il peut former une action récursoire contre une personne publique co-responsable devant le juge administratif, auquel il appartient alors de fixer, d’une part, le partage de responsabilité entre les co-auteurs et d’autre part l'indemnisation due en conséquence par la personne publique à la personne privée, dans la limite des droits qu'aurait pu faire valoir la victime du dommage à l'égard de la collectivité publique.

Ensuite, en l’espèce, les recommandations médicales en vigueur au moment des faits préconisaient, devant la difficulté de diagnostiquer une méningite bactérienne chez un nourrisson, de toujours hospitaliser un enfant de moins de vingt-huit jours présentant une forte fièvre, afin de débuter une antibiothérapie systématique en attendant les résultats des prélèvements. Ainsi, la faute commise par le médecin régulateur du SAMU en n'orientant pas immédiatement, sur l'appel de la mère, l'enfant vers les urgences pédiatriques du centre hospitalier de Carcassonne portait en elle, tout comme le diagnostic erroné posé trente minutes plus tard par le médecin de la maison de garde, la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et de traitement de la méningite à pneumocoque.

La cour administrative d’appel a donc commis une erreur de droit en jugeant que la faute commise par le médecin régulateur ne pouvait, du fait de l'erreur de diagnostic commise ensuite par le médecin de la maison de garde, être regardée comme une cause déterminante du préjudice subi et en rejetant pour ce motif l'action des requérants devant les juridictions administratives. 

(10 octobre 2023, Mme C. et Mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF), n° 461535)

 

207 - Responsabilité civile de l’État à raison des dommages résultant de crimes ou délits, commis à force ouverte, par des rassemblements ou attroupements (art. L. 211-10 code de la sécurité intérieure) – Notion – Absence – Annulation.

La société requérante a demandé réparation à l’État, sur le fondement de l’art. L. 211-10 du code de la sécurité, qui institue une responsabilité sans faute à prouver, des préjudices qu’elle a subis du fait des dégradations de portions de la ligne à grande vitesse dans le secteur de Calais-Frethun les 23 et 30 juin 2015, provoquées par des barricades de pneus et de palettes enflammés édifiées par des salariés de la société SeaFrance qui protestaient contre une décision de la société Eurotunnel au sujet de l'exploitation des navires opérant la liaison transmanche entre Calais et Douvres. 

La cour administrative d’appel a relevé le caractère prémédité des dégradations litigieuses et la circonstance que celles-ci avaient été commises dans le cadre d'un mouvement social. Elle en a déduit qu'elles ne pouvaient, dès lors, être regardées comme ayant été commises par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits. Considérant qu’il s’agissait d’un attroupement, la cour, appliquant l’art. L. 211-10 précité, a donné gain de cause à la requérante.

Sur pourvoi du ministre de l’intérieur, l’arrêt est cassé.

Le Conseil d’État estime que ces actes dommageables, commis certes dans le contexte d'un conflit social, ont été en réalité « le fait d'une partie seulement des salariés, qui, après avoir quitté le port de Calais où étaient rassemblés l'ensemble des participants au mouvement social, ont emprunté des véhicules pour se rendre dans l'enceinte d'installations ferroviaires dépendant de SNCF Réseau dans le but d'y commettre, de façon volontaire et préméditée, des dégradations provoquant la détérioration de voies et d'autres équipements annexes. »

Les actes délictuels en cause ne résultaient pas d'un attroupement, contrairement à ce qu’a jugé la cour, qui a ainsi inexactement qualifié les faits qui étaient imputables à un groupe de salariés structuré à la seule fin de les commettre.

On pourra trouver le distinguo bien subtil et le raisonnement quelque peu réversible mais ce régime de réparation étant exceptionnel, il est normal que son application soit de droit étroit.

(10 octobre 2023, Société SNCF Réseau, n° 465591)

 

208 - Responsabilité hospitalière – Fautes ayant compromis les chances d’éviter le dommage subi – Préjudice réparable – Perte de chance – Annulation.

Rappel, une nouvelle fois, qu’en cas de fautes commises dans la prise en charge d’un patient qui ont eu pour résultat de compromettre les chances d’éviter le dommage subi, le préjudice réparable n’est pas le préjudice corporel subi mais la proportion de perte de chance de le subir, proportion qui doit être appliquée sur l’évaluation du préjudice corporel.

(13 octobre 2023, Assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP), n° 464464)

     

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux

 

209 - Lutte contre les pratiques dangereuses en matière de prise de drogue – Institution de « haltes « soins addictions » (loi du 26 janvier 2016, art. 43) – Caractère expérimental – Arrêté approuvant le cahier des charges national relatif à ces « haltes » - Rejet de la demande d’annulation.

La loi du 26 janvier 2016, dans le souci d’inciter les drogués à adopter progressivement des solutions de moins en moins dangereuses pour leur santé, notamment par la prise de substituts, a imaginé, à titre expérimental, la création de « haltes » dites « soins addictions ». Naturellement, il était à prévoir que les habitants riverains de ces haltes n’allaient pas apprécier plus qu’il ne faut ces présences, d’autant que les lieux choisis ont pour effet, du moins aux yeux des contestataires, de stigmatiser davantage certains quartiers ou zones.

C’est ainsi que plusieurs requérants, principalement des personnes morales mais aussi des personnes physiques, ont demandé l’annulation de l'arrêté du 26 janvier 2022 portant approbation du cahier des charges national relatif aux « haltes « soins addictions ». Le litige se situe donc aux confins du droit de la santé et de l’exercice des pouvoirs de police.

Comme l’on pouvait s’y attendre, le Conseil d’État rejette le recours pour excès de pouvoir dont il était saisi. 

Les moyens sont tous rejetés, notamment ceux soulevés contre l’art. 1er (1) et celui dirigé contre les art. 2 et 3 dudit arrêté (2).

 

1 - À l’encontre de l’art. 1er trois griefs étaient formulés : la violation d’articles de la Convention EDH, l’accès aux soins et l’implantation des haltes.

Il est répondu tout d’abord que les dispositions législatives en cause, contrairement à ce qui est soutenu, ne sont pas incompatibles avec les articles 2 et 3 de la convention EDH, au motif qu'elles auraient pour effet, du fait du recours à la supervision et de l'absence de mesures qui seraient propres à permettre le sevrage, d'encourager l'addiction aux substances en cause au lieu de permettre d'en sortir. 

Ensuite, s’agissant de l’accès aux soins, la circonstance que le cahier des charges en cause prévoit divers dispositifs et actions (faire entrer les usagers de drogues ou de médicaments détournés de leur usage dans un parcours de santé,  adoption de pratiques de réduction des risques et des dommages,  atteindre les usagers actifs à haut risque et les faire entrer dans un parcours de réduction des risques et de soins ; institution de partenariats et de conventionnements avec des structures, notamment médico-sociales, sanitaires de proximité ou intervenant dans le cadre de prestations de soins somatiques, addictologiques et psychiatriques, etc.) ne le conduit pas à méconnaître les dispositions de la loi de 2016, notamment en ce qu’il ne les assortit pas d'obligations quant à l'entrée effective des usagers dans une démarche de soins et de traitement de leur addiction. Pareillement en va-t-il du moyen  que le ministre de la santé aurait illégalement été subdélégué sa compétence en laissant à chaque halte le soin de décider, lors des partenariats et conventionnements à conclure, lesquels doivent l'être en vue d'améliorer le parcours de soin des usagers ainsi que les modalités selon lesquelles seront renforcées l'orientation et la prise en charge médico-psycho-sociale.

Enfin, le ministre chargé de la santé a pu retenir que les haltes seraient plutôt implantées à proximité des lieux de consommation des drogues sans prévoir ni des lieux où l’implantation serait exclue ni une consultation du public ou du préfet de police avant toute décision d’implantation.

 

2 - À l’encontre des art. 2 et 3 de l’arrêté litigieux est rejeté le moyen tiré de ce que seraient illégales les décisions d’implanter une halte, un centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques et des dommages pour usagers de drogue ou un centre de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie sans les faire précéder des consultations préalables que ces dispositions prévoient s’agissant, d’une part, du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Ithaque à Strasbourg, d’autre part, du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues Gaia à Paris, car cet arrêté ne désigne pas ces centres mais se borne à prolonger la durée de l'expérimentation mise en place par deux arrêtés du 25 mars 2016 les concernant.

(02 octobre 2023, Associations Union Parisienne, Villette Village, Vivre ! Bd de Strasbourg - Fg St-Denis St-Martin, Demain La Chapelle, Vivre Gares du Nord et Est, Pour la renaissance du quartier Arts et Métiers (ARCAM), Vivre le Marais!, Place Frenay, Gare de Lyon, Diderot BASTA COSI !, M. A. et Mme B., n° 463428)

 

210 - Membres suppléants du collège d’experts placé auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) pour l'indemnisation des victimes du valproate de sodium – Demande d’annulation du référentiel indicatif d’indemnisation de l’ONIAM en ce qui concerne le taux horaire d’indemnisation pour assistance tierce personne – Défaut d’intérêt donnant qualité pour agir – Irrecevabilité manifeste – Rejet.

Les requérants, qui sont membres suppléants du collège d’experts placé auprès de l’ONIAM pour l'indemnisation des victimes du valproate de sodium, demandent l’annulation du référentiel indicatif d'indemnisation de l’ONIAM pour les accidents médicaux et du référentiel indicatif d'indemnisation de l'ONIAM pour les dommages imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C datés du 1er avril 2022, en tant qu'ils proposent un taux horaire d'assistance tierce personne de 13 euros pour une aide non spécialisée et de 18 euros pour une aide spécialisée et en tant qu'ils proposent une capitalisation des rentes et une indemnisation du déficit fonctionnel permanent différenciées selon le sexe.

Leur recours est rejeté car entaché d’irrecevabilité manifeste faute pour les demandeurs de disposer d’un intérêt leur donnant qualité pour agir.

En effet, comme le relève le juge, il ne résulte ni des dispositions législatives et réglementaires relatives au collège auquel appartiennent les requérants, ni d'aucune des pièces versées au dossier, que cette instance aurait pris part ou qu'elle aurait dû prendre part à l'élaboration et à l'adoption des dispositions contestées.

En outre, ils ne justifient pas, en leur seule qualité d'usagers du service public de la santé, et en l'absence de tout élément invoqué tendant à laisser penser qu'ils seraient particulièrement susceptibles de voir leurs intérêts propres lésés par l'application des référentiels qu'ils attaquent, d'un intérêt leur donnant qualité pour en demander l'annulation.

(10 octobre 2023, M. B. et autres, n° 464232)

 

211 - Diabète – Tarifs de responsabilité, de vente au public, de produits et de prestations remboursables – Inscription sur la liste des produits et prestations remboursables – Rejet.

Par le premier recours était demandée l’annulation de la décision du 30 juillet 2021 du Comité économique des produits de santé fixant le tarif de responsabilité, le prix limite de vente au public (PLV et le prix de cession du système de boucle semi-fermée DBLG1 dédié à la gestion automatisée du diabète de type 1) de la société DIABELOOP et des prestations associées pour son inscription sur la liste prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Par le second recours, était demandée l’annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 portant inscription du système de boucle semi-fermée DBLG1 de la société DIABELOOP au titre I de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale. 

Les deux affaires ont été jointes.

Les recours sont rejetés.

Le remboursement par l'assurance maladie des dispositifs médicaux à usage individuel et des prestations de services et d'adaptation associées est subordonné, par  l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, à leur inscription, effectuée soit par la description générique, soit sous forme de marque ou de nom commercial, sur une liste, dite « liste des produits et prestations remboursables », établie après avis de la Commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé de la Haute Autorité de santé. 

L’arrêté interministériel du 15 septembre 2021 a inscrit sur la liste des produits et prestations remboursables, les « Systèmes de boucle semi-fermée pour gestion automatisée/Société DIABELOOP » comprenant une description du système DBLG1, composé d'un capteur, d'un système de mesure en continu du glucose interstitiel, d'un transmetteur, d'une pompe à insuline avec tubulure externe et d'un terminal mobile hébergeant notamment le logiciel DBLG1 connectés entre eux par Bluetooth basse énergie, et huit dispositifs ou prestations concourant à la fourniture et au fonctionnement de ce système dans l'indication prise en charge correspondant aux patients diabétiques de type 1 adultes dont l'équilibre glycémique préalable est insuffisant en dépit d'une insulinothérapie intensive bien conduite par perfusion sous-cutanée continue d'insuline par pompe externe pendant plus de 6 mois et d'une auto-surveillance glycémique supérieure ou égale à quatre fois par jour. Le Comité économique des produits de santé a, en outre, par une décision du 30 juillet 2021, fixé les tarifs de responsabilité, les prix limites de vente au public et les prix de cession applicables à ces huit dispositifs ou prestations.

Les requérants demandent l'annulation de l'arrêté du 15 septembre 2021 et de la décision du 30 juillet 2021. 

S’agissant de l’arrêté interministériel du 15 septembre 2021, le recours est rejeté en premier lieu car le requérants n’établissent pas que les exigences prévues par la nomenclature au titre de la prise en charge du système DBLG1 en matière d'assistance, de formation et de qualification des intervenants et de réponse à une défaillance technique seraient manifestement erronées ou insuffisantes, au point qu’en résulterait une méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé publique ou d'un objectif de garantie de la qualité des soins dispensés aux assurés sociaux qui gouvernerait les rapports entre l'assurance maladie et les professions de santé et se déduirait des dispositions de l'art. L. 162-1-13 du code de la sécurité sociale régissant ces rapports. En deuxième lieu, manque en fait le moyen des requérants selon lequel l'arrêté n'aurait pas prévu de période d'observation du bon fonctionnement du système DBLG1 après sa mise en place chez le patient, cette affirmation étant contredite par la formation technique initiale du patient prévue par l’arrêté (prévoyant une période d’essai plus un rappel). Enfin,  dès lors que les pompes à insuline non connectées n'ont pas le même fonctionnement que le système DBLG1, il ne saurait être soutenu une atteinte au principe d’égalité.

S’agissant de la décision du 30 juillet 2021, il ressort des pièces du dossier que le système DBLG1 comprend, outre une pompe à insuline avec tubulure externe, un système de mesure en continu du glucose interstitiel composé d'un capteur et d'un transmetteur dexcom G6, connectés à un terminal mobile hébergeant un logiciel permettant d'assurer au patient une gestion automatisée de l'injection d'insuline. Par la décision attaquée, le Comité économique des produits de santé a fixé les prix de cession, tarifs et prix limites de vente de huit produits et des prestations associées, dont deux forfaits, servis une fois hors renouvellement, pour la prise en charge de la mise à disposition du terminal mobile et pour la formation technique initiale du patient, quatre forfaits journaliers correspondant à l'abonnement au logiciel, à la mise à disposition de la pompe et des consommables associés, à l'utilisation du transmetteur dexcom G6 et au suivi du patient, et deux forfaits applicables lorsqu'un déplacement à domicile est nécessaire pour la visite trimestrielle ou la livraison mensuelle des consommables. Il résulte de ce qui vient d’être dit que les requérants ne sauraient  demander l'annulation de la décision du Comité économique des produits de santé fixant les tarifs de responsabilité, les prix limites de vente au public et les prix de cession du système DBLG1 par voie de conséquence de l'annulation de l'arrêté portant inscription de ce système au titre I de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale, cette demande d’annulation n’ayant pas été retenue.

En deuxième lieu n’est pas retenue la contestation de certains des prix et tarifs des produits et prestations concourant au système DBLG1, fixés par la décision litigieuse car le niveau de ces prix et tarifs retenus, n’est ni manifestement insuffisant ni contraire au principe d'égalité, d’autant, d’abord, qu’ils résultent d'une convention entre le Comité économique des produits de santé et la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France ainsi que l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine et, ensuite, que les prestations assurées ne sont en tout état de cause pas identiques à celles prévues pour les pompes à insuline non connectées.

Enfin, s'agissant des produits fournis et prestations assurées à la suite de la mise en place du système DBLG1, ces forfaits n’ont pas été fixés à un niveau inférieur au coût de revient de ces produits et prestations, de telle sorte qu'ils seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation ou qu'ils méconnaîtraient les dispositions de l'art. L. 162-38 du code de la sécurité sociale qui prévoient que les prix fixés tiennent compte de l'évolution des charges des praticiens ou entreprises concernés.

(13 octobre 2023, Syndicat national des associations d'assistance à domicile et l'Union des prestataires de santé à domicile indépendants, n° 458423 ; Fédération des prestataires de santé à domicile, Syndicat national des associations d'assistance à domicile et Union des prestataires de santé à domicile indépendants, n° 458426)

 

212 - Médicament pour le traitement du diabète sucré de type 2 – Refus d’inscription sur la liste des médicaments remboursables et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publics – Non-application par la Haute autorité de ses recommandations de bonnes pratiques - Principe de sécurité juridique – Faiblesse du service médical rendu – Rejet.

La société requérante demandait l’annulation de la décision du 22 avril 2022 par laquelle les ministres chargés de la santé et de la sécurité sociale ont refusé d'inscrire la spécialité Rybelsus sur la liste des médicaments remboursables prévue à l'art. L. 162-17 du code de la sécurité sociale et sur la liste des spécialités agréées à l'usage des collectivités et divers services publics prévue à l'art. L. 5123-2 du code de la santé publique.

Ces demandes sont rejetées.

L’inscription d’un médicament sur l’une de ces listes, ou sur les deux, repose sur l'appréciation du service médical rendu qu'ils apportent indication par indication, cette appréciation prenant en compte l'efficacité et les effets indésirables du médicament, sa place dans la stratégie thérapeutique, notamment au regard des autres thérapies disponibles, la gravité de l'affection à laquelle il est destiné, le cas échéant, le caractère préventif, curatif ou symptomatique du traitement médicamenteux, et son intérêt pour la santé publique. Les médicaments dont le service médical rendu est insuffisant au regard des autres médicaments ou thérapies disponibles ne sont pas inscrits sur l'une des listes.

La commission de la transparence a estimé que pour le Rybelsus le service médical rendu était insuffisant en l'absence de place du Rybelsus dans la stratégie thérapeutique en raison de l'absence de démonstration de la réduction, par cette spécialité, du risque cardio-vasculaire, les études disponibles, avec un niveau de preuve peu exigeant, montrent que cette spécialité n'accroissait pas ce risque par rapport au placebo, alors que d'autres molécules antidiabétiques ont fait la preuve de résultats positifs s'agissant de leur supériorité par rapport au placebo et que de nombreux comparateurs cliniquement pertinents disposent de données complémentaires sur la morbi-mortalité cardiovasculaire, de sorte que les études cliniques portant uniquement sur le taux d'HbA1C sont désormais considérées comme de moindre intérêt pour démontrer une amélioration de cette morbi-mortalité. La société n’est pas fondée à invoquer la violation du  principe de sécurité juridique, faute pour les ministres compétents d'avoir inscrit la spécialité Rybelsus sur les listes sus-mentionnées, fût-ce de façon transitoire dans l'attente des résultats de l'étude qu'elle avait engagée en 2019 pour disposer de données complémentaires sur la morbi-mortalité cardiovasculaire.

Pas davantage la requérante ne peut soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les dispositions de l'art. 6 de la directive 89/105/CEE du 21 décembre 1988 qui dispose : « Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d'assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations sur lesquels les décisions s'appuient (...) ». En effet, la commission de la transparence se fonde sur des critères objectifs et vérifiables au sens des dispositions précitées de la directive lorsqu'elle apprécie, par l'avis au vu duquel les ministres prennent leur décision et qu'ils s'approprient le cas échéant à cette occasion, le bien-fondé de l'inscription d'un médicament sur l'une des listes susmentionnées. La circonstance que les modalités d'appréciation de la place de ce médicament dans la stratégie thérapeutique évoluent au regard des données cliniques disponibles sans faire l'objet d'une communication préalable à la société qui l'exploite n'est pas de nature à priver ces critères de leur caractère vérifiable. 

Enfin, dès lors que la société requérante ne conteste pas que les études conduites démontrent seulement la non-infériorité de Rybelsus par rapport au placebo en termes de risque cardiovasculaire, elle n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'elle s'approprie l'appréciation du service médical rendu portée par la commission de la transparence alors même que cette appréciation n'est pas principalement fondée sur un critère de réduction du taux d'HbA1c ou en ce qu'elle retient que le bénéfice cardiovasculaire de la spécialité n'est pas démontré. 

(13 octobre 2023, Société Novo Nordisk, n° 465007)

 

213 - Dispositif médical – Endoprothèse coronaire – Restriction des indications de prise en charge puis réduction à une seule indication – Modification des conditions d’inscription sur la liste des produits et prestations remboursables – Défaut d’urgence – Rejet.

La requérante exploite un dispositif médical « Titan Optimax », qui est une endoprothèse coronaire (" stent ") enrobée d'oxyniture de titane, et qui a été inscrit en 2015, pour plusieurs indications thérapeutiques, sur la liste des produits et prestations remboursables, prévue à l'article L. 165-1 du code de la sécurité sociale. Elle demande l’annulation et, en même temps, la suspension d’exécution de l'arrêté du 2 août 2023 portant modification des conditions d'inscription et radiation de certaines indications et références relatives au stent nu Titan Optimax jusque-là inscrit au titre III de la liste des produits et prestations remboursables prévue à l'article précité.

Le juge rejette la requête en référé pour défaut d’urgence.

Deux motifs sont retenus au soutien de cette appréciation.

Si la requérante fait valoir que cette décision porte une atteinte grave et immédiate à sa situation financière dès lors que la radiation d'environ deux tiers des références des stents Titan Optimax inscrites jusqu'alors sur la liste des produits et prestations remboursables va entraîner une perte évaluée au minimum à 44 % de son chiffre d'affaires, il est constant que les ventes du dispositif Titan Optimax connaissent depuis plusieurs années un net fléchissement, le nombre d'unités remboursé par l'assurance maladie ayant été réduit de près de moitié entre 2019 et 2022 ; au reste, l’arrêté litigieux, par les restrictions qu’il comporte, ne fait que concrétiser ce que laissaient déjà prévoir le rapport d'évaluation de la Haute autorité de santé de mai 2018 et l'avis du 13 avril 2021 de la commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des produits de santé (CNEDiMTS).

Si la société requérante invoque également l'intérêt public qui s'attache à ce que les patients puissent avoir accès à une endoprothèse adaptée à leur pathologie, l'arrêté attaqué ne procède à la radiation que des seules références du stent Titan Optimax dont, conformément à l'avis de la CNEDiMTS, le service a été jugé insuffisant.

(ord. réf. 20 octobre 2023, Société Hexacath France, n° 488672)

 

214 - Objectif national de dépenses d'assurance maladie - Fixation de certains éléments tarifaires (cf. les I et IV de l'art. L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale) - Tarifs nationaux des prestations d'hospitalisation – Prise en compte de l’inflation – Rejet.

La fédération requérante demande au juge administratif :

- d’annuler, à titre principal, l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale, ainsi que les décisions implicites de rejet de ses recours gracieux, l'annexe XIV de l'arrêté du 28 mars 2022 en tant qu'elle fixe à 1,59 % le coefficient de minoration tarifaire applicable aux établissements mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale et aux établissements privés à but non lucratif mentionnés au d du même article ;

- d’enjoindre aux ministres de la santé et de l'économie de prendre un nouvel arrêté tenant compte du montant réel de l'inflation et de fixer à 0 % le coefficient de minoration tarifaire pour les établissements mentionnés aux b et c de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale et pour les établissements privés à but non lucratif mentionnés au d du même article.

Le recours est rejeté à raison des moyens soulevés au soutien de ces demandes.

D’abord, ne sont pas retenus les trois moyens de forme avancés : la chef de service qui a signé l’arrêté attaqué au nom du ministre de la santé avait bien compétence à cet effet et ce depuis le jour de sa nomination ; la circonstance que l’arrêté querellé n’ait pas été pris dans le délai de quinze jours fixé par l’art. R. 162-33-4 du code de la sécurité sociale est sans incidence sur sa légalité ; cet arrêté ne saurait non plus être dit entaché de rétroactivité illégale car la date de son entrée en vigueur est fixée par la loi (art. L. 162-22-10, I, alinéa 5, code de la séc. soc.).

Au fond, il est jugé que la sous-estimation de la prévision du taux d’inflation pour l’année 2022 et, partant, la fixation d’un objectif national des dépenses d'assurance maladie sous-dimensionné ne révèlent pas une erreur manifeste d’appréciation ; il en va de même s’agissant du coefficient de minoration de -1,59 % des tarifs applicables aux établissements privés à but non lucratif, dont il est prétendu qu’eu égard à la baisse des tarifs qu'il entraîne comparée au bénéfice retiré de ces dispositifs, il révèlerait une erreur manifeste d'appréciation.

(13 octobre 2023, Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés non lucratifs (FEHAP), n° 467863)

(215) V. aussi, relativement comparable, le rejet des recours tendant à voir annuler, d’une part, les trois arrêtés du 25 mars 2022 fixant pour l'année 2022 respectivement l'objectif des dépenses d'assurance maladie commun aux activités de médecine, chirurgie, obstétrique et odontologie mentionné à l'art. L. 162-22-9 du code de la sécurité sociale, l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux activités de psychiatrie et l'objectif de dépenses d'assurance maladie afférent aux soins de suite et de réadaptation et, d’autre part, l'arrêté du 28 mars 2022 fixant pour l'année 2022 les éléments tarifaires mentionnés aux I et IV de l'article L. 162-22-10 du code de la sécurité sociale, sauf s’agissant de l'arrêté du 28 mars 2022, en tant qu'il fixe les tarifs en unité de dialyse médicalisée : 13 octobre 2023, Fédération de l'hospitalisation privée n° 467929 et n° 467930.

 

Service public

 

216 - Service public de la justice - Conseil supérieur de la magistrature (CSM) – Nomination d’une personnalité qualifiée par le Président du Sénat – Qualité de magistrate honoraire – Champ d’application de l’art. 65 de la Constitution – Constitutionnalité de la décision de nomination – Rejet.

Le président du Sénat, après avis de la commission des lois du Sénat, a nommé Mme Dominique Lottin, magistrat en retraite honoraire, comme personnalité qualifiée au Conseil supérieur de la magistrature.

Le Syndicat de la magistrature demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

L’affaire n’était pas simple d’une part en raison de ce que cette personne avait, au moment de sa nomination, la qualité de magistrat honoraire, d’autre part du fait du libellé, sur ce point, de l’art. 65 de la Constitution.

Auparavant devaient réglées deux questions de droit du contentieux : celle de l’ordre juridictionnel compétent pour connaître de ce recours et, dans le cas où serait retenue la compétence de l’ordre administratif, quelle juridiction au sein de celui-ci serait compétente pour y statuer.

Sur le premier point, la réponse ne faisait aucun doute et c’est d’ailleurs bien le juge administratif que le syndicat requérant a saisi.

C’est en tant qu’il est un élément majeur de l’organisation du service public de la justice que le contentieux des nominations des membres du CSM relève de la compétence du juge administratif, d’abord en raison du partage des compétences entre les deux ordres de juridiction selon que le litige relève de l’organisation (compétence de l’ordre administratif) ou du fonctionnement du service public de la justice judiciaire (compétence de l’ordre judiciaire) en vertu d’une mémorable décision du Tribunal des conflits (27 novembre 1952, Officiers ministériels de Cayenne c/ préfet de la Guyane, n° 01420), ensuite en vertu d’une décision de principe concernant les décisions rendues par le CSM sur la discipline des magistrats du siège (C.E., Assemblée, 12 décembre 1969, Sieur Édouard L’Étang, n° 72480).

Naturellement, de là découle qu’au sein de l’ordre administratif de juridiction cette compétence ne peut appartenir, en premier et dernier ressort, qu’au Conseil d’État y compris s’agissant de statuer sur une décision du président du Sénat portant désignation de l’un de ses membres.

Sur le fond, le syndicat demandeur invoquait l’inconstitutionnalité de la décision attaquée au motif de sa contrariété aux dispositions de l’art. 65 de la Constitution. Ce texte dispose que ne peuvent être nommées en qualité de personnalités qualifiées que des personnes « qui n'appartiennent ni au Parlement, ni à l'ordre judiciaire, ni à l'ordre administratif ».

Selon le syndicat, cette disposition n’a pas été respectée au cas de l’espèce en raison de ce que l’intéressée, magistrate honoraire, d’une part, disposait de la faculté de continuer à jouir des honneurs et privilèges attachés à son état, d'assister aux cérémonies solennelles de la juridiction à laquelle elle appartenait et, d'autre part, d'exercer des fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, conformément aux articles 41-25 à 41-32 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Enfin, elle continue, de ce fait, à être tenue au respect du devoir de réserve. 

Le Conseil d’État rejette ces arguments en retenant que si « les magistrats honoraires conservent en cette qualité un lien honorifique avec leur ancienne juridiction et s'ils peuvent être appelés à exercer certaines fonctions juridictionnelles ou non juridictionnelles, ils ne sauraient pour autant, en raison de la rupture avec le service qui caractérise l'admission à faire valoir ses droits à la retraite, être regardés comme appartenant à l'ordre judiciaire au sens de ces dispositions. »

Le recours est rejeté mais le raisonnement paraît un peu court car il demeure assez des « restes » de l’ancienne fonction de magistrat pour faire s’interroger sur la réalité de cette « distance » relevée par le juge avec son ancien métier.

On imagine qu’appliquant sa théorie des apparences, la cour EDH ne partagerait peut-être pas le point de vue du Palais-Royal.

(Assemblée, 10 octobre 2023, Syndicat de la magistrature, n° 472669)

 

217 - Gestion des bois, forêts et espaces naturels – Recrutement d’agents contractuels de droit privé - Compétence pour constater, sans les rechercher, « certaines infractions » - Ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts (ONF) – Conformité à la loi d’habilitation – Rejet.

Étaient attaqués l’ordonnance du 1er juin 2022 relative aux agents de l'Office national des forêts, modifiant diverses dispositions du code forestier, du code de l'environnement et du code de la santé publique concernant les missions des agents de cet établissement ainsi que le décret du 1er juin 2022 relatif aux agents de l’ONF, qui tire les conséquences de cette ordonnance.

 

I/ Sur l’ordonnance du 1er juin 2022

 

N'ayant pas été ratifiée, cette ordonnance conserve sa nature réglementaire initiale et son contentieux relève de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État.

Le syndicat demandeur conteste plusieurs points de ces textes en ce qui concerne les agents contractuels de droit privé que l’ONF est désormais autorisé à recruter pour l’exercice de missions de l’Office.

L’essentiel de l’argumentation se concentre sur ce que l’ordonnance aurait, à plusieurs reprises, méconnu le champ de l’habilitation qui lui avait été donnée par le 1° du I de l'article 79 de la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique.

D’abord, même si cette loi habilitait l’ordonnance à n’apporter de modifications, à droit constant, qu’au seul code forestier, celle-ci n’a pas excédé le champ d’habilitation en effectuant, d’une part,  un renvoi aux autres dispositions législatives relatives aux agents en cause et à leurs compétences  et, d’autre part, en apportant, dans un souci de cohérence, les modifications nécessaires dans d’autres codes que le code forestier, tels le code de l’environnement et celui de la santé  publique.

Ensuite, contrairement à ce qui est soutenu, l’ordonnance n’habilite ces agents contractuels de droit privé, d’une part, qu’à constater « certaines infractions » au droit forestier non à procéder à la recherche de telles infractions, restant ainsi dans la limite de son champ d’application et, d’autre part, que celles des infractions définies au titre III du livre Ier du code forestier ainsi que par les actes réglementaires pris pour l’application de ce titre.

Enfin, il ne saurait être soutenu, ni que les dispositions ainsi modifiées dans les trois codes précités méconnaîtraient des droits ou libertés garantis par la Constitution dès lors que le Conseil constitutionnel a rejeté la QPC dont il a été saisi en ce sens par le syndicat requérant (déc. n° 2023-1042 QPC, 31 mars 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel), ni qu’elles ne respecteraient pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi qui s’impose également au gouvernement auteur d’une ordonnance de l’art. 38.

 

II/ Sur le décret du 1er juin 2022, d’application de l’ordonnance du même jour

 

S’agissant du décret du 1er juin 2022, également attaqué, il n’est contraire ni à l’ordonnance attaquée ni à la loi d’habilitation car, contrairement à ce qui est prétendu, ses dispositions (cf. art. L. 161-4 et R. 162-1, code forestier) ne peuvent être lues comme ouvrant la possibilité au directeur général de l’ONF de commissionner les agents contractuels de droit privé de l'Office en vue de rechercher des infractions. 

En outre, il se déduit de ce qui précède que le moyen tiré de ce que ce décret devrait être annulé par voie de conséquence de l’annulation des dispositions critiquées de l’ordonnance ne peut qu’être rejeté.

(13 octobre 2023, Syndicat national unifié des personnels des forêts et de l'espace naturel, n° 466224 et n° 466225)

 

218 - Contrat de crédit-bail immobilier entre une personne privée et une personne publique – Terrain objet du crédit-bail supportant un atelier-relais construit par une commune – Décision ordonnant à la personne privée de quitter les lieux – Appartenance de l’ensemble immobilier au domaine public – Absence d’affectation au service public - Erreur de droit – Incompétence du juge administratif - Annulation.

(13 octobre 2023, Société Guillet-Joguet, n° 466114 ; Société Guillet-Joguet et société civile professionnelle (SCP) MJuris, agissant en qualité de mandataire judiciaire, n° 468983, jonction)

V. n° 11

 

219 - Universités – Admission en master (ou deuxième cycle des études supérieures) – Incompétence négative du législateur pour indétermination des conditions d’appréciation des mérites des candidats – Rejet d’une QPC.

Le requérant faisait valoir que l'absence de détermination par le législateur, au deuxième alinéa de l'art. L. 612-6 du code de l'éducation, des modalités selon lesquelles les établissements d'enseignement supérieur qui subordonnent l'admission des étudiants dans les formations du deuxième cycle à un examen de leurs dossiers, les informent, avant la présentation de leur candidature et, le cas échéant, après une décision de refus d'admission, des éléments sur la base desquels leurs mérites sont appréciés, affecte, par elle-même, le principe d'égal accès à l'instruction consacré par le treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, le droit d'accès aux documents administratifs garanti par l'article 15 de la Déclaration de 1789 ainsi que le droit un recours juridictionnel effectif, consacrés ou protégé respectivement par le Préambule de 1946, et les art. 15 et 16 de la Déclaration de 1789.

Le recours est rejeté.

Le Conseil d’État rappelle d’abord que quelle que soit l’étendue du pouvoir de sélection des autorités universitaires celui-ci trouve une limite infrangible dans l’obligation que les procédés choisis à cet effet ne peuvent prendre en compte que les mérites des candidats, à l’exclusion de tous autres critères.

Le juge précise ensuite, qu’une fois arrêtées par l’établissement les modalités d’appréciation des mérites des candidats au regard de la formation en cause, il lui incombe d’assurer la publicité adéquate afin de les porter à la connaissance des étudiants.

La QPC est ainsi rejetée.

Enfin, parmi les moyens d’excès de pouvoir, il faut retenir que, confirmant la solution de l’arrêt de la cour d’appel qui lui était déféré, le Conseil d’État juge qu’aucune disposition législative ou réglementaire non plus qu’aucun principe, ne fait obligation au conseil d'administration d’une université, après avoir limité à un certain nombre d’étudiants la capacité d'accueil d’un master et subordonné l'admission en première année de ce master à l'examen du dossier des candidats, de préciser les éléments d'appréciation des mérites des candidats.

(13 octobre 2023, M. B., n° 467671)

 

220 - Universités – Recrutement en première année de master – Recours à une procédure dématérialisée – Critique de la sécurité des données introduites sur la plateforme « Mon Master » - Rejet.

Le requérant demande au juge d’annuler le décret du 20 février 2023 relatif à la procédure dématérialisée de candidature et de recrutement en première année des formations conduisant au diplôme national de master et d’ordonner, avant dire droit, la désignation d'un expert aux fins de constater la réalité et l'étendue des malfaçons affectant la plateforme « Mon Master », en particulier l'existence ou non de violations critiques de sécurité exposant les usagers à des risques quant aux données qu'ils versent sur cette plateforme.

La demande est rejetée en tous ses griefs.

Tout d’abord, il est jugé que l’obligation d’utiliser un téléservice pour accomplir une démarche administrative, dont, notamment, la délivrance d'une autorisation, ne met pas en cause, par elle-même, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, non plus qu'aucune autre règle ou aucun autre principe dont l'article 34 ou d'autres dispositions de la Constitution prévoient qu'ils relèvent du domaine de la loi. Elle pouvait donc être instituée par voie réglementaire.

Ensuite, les dispositions pertinentes invoquées du code des relations entre le public et l'administration, d’une part, créent en principe un droit, pour les usagers, de saisir l'administration par voie électronique, sans le leur imposer, et, d’autre part, ne font cependant pas obstacle à ce que le pouvoir réglementaire édicte une obligation d'accomplir des démarches administratives par la voie d'un téléservice. Il incombe cependant à ce pouvoir, en ce cas, d’en rendre l’accès commode aux usagers du service public pour un exercice effectif de leurs droits en tenant compte des caractéristiques, à la fois, du public visé et de l’outil numérique en cause. Au reste, il ne ressort pas des pièces du dossier que le téléservice « Mon Master » aurait fait l'objet de dysfonctionnements tels que s’imposait une solution de substitution. C’est pourquoi, il ne saurait être prétendu que les modalités d'utilisation de la plateforme dématérialisée d'inscription en première année de master ne sont pas régulièrement portées à la connaissance des usagers alors qu’elles sont détaillées sur la plateforme elle-même.

Également, le décret litigieux n’a pas créé, avec cette plateforme, un traitement de données à caractère personnel pour les besoins de la procédure dématérialisée de candidature et d'inscription en première année de master, les règles relatives au traitement des données ainsi recueillies ont été fixées par un arrêté ministériel du 9 mars 2023 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Mon Master ». Le décret attaqué ne méconnaît ainsi pas, contrairement à ce que soutient le demandeur, les exigences de protection des données à caractère personnel résultant tant du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 que de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Enfin, c’est sans illégalité, d’une part, qu’a été dévolu au ministre compétent le pouvoir de fixer le nombre maximal de candidatures qu'un même candidat peut présenter, cette limitation ne portant pas, par elle-même, atteinte aux principes d'égal accès à l'instruction dans l'enseignement supérieur et d'égal accès à la formation professionnelle, d’autre part, que le décret règlemente la phase d'admission des candidats aux formations de première année de master proposées en alternance sans déroger au premier alinéa de l'art. L. 6222-12-1 du code du travail.

(31 octobre 2023, M. B., n° 471537)

 

221 - Centre pénitentiaire – Détenu réclamant des soins dentaires – Absence de carence des soins – Rejet.

Le demandeur, incarcéré à l’isolement, souffre d'une parodontite aggravée provoquant des déchaussements dentaires. Il a demandé au juge des référés, sur le fondement de l’art. L. 521-2 CJA, le prononcé d'une mesure de sauvegarde lui permettant de bénéficier des soins appropriés à son état.

Il relève appel de l'ordonnance par laquelle ce juge a rejeté sa demande. 

Son appel est, à son tour, rejeté. Le juge retient que celui-ci avait pu bénéficier, depuis son arrivée au centre pénitentiaire, d'un suivi médical régulier par le médecin de l'unité sanitaire qui passe chaque semaine au sein du quartier d'isolement, sauf lorsqu'il a refusé de le voir, et qu'il avait accédé à une consultation et des soins dentaires les 15 juin et 18 août 2023. Si l'intéressé fait valoir que des rendez-vous avec le dentiste ont été annulés, ces annulations n’ont pas affecté sa prise en charge, des consultations dentaires ayant eu lieu quelques jours plus tard et le médecin de l'unité sanitaire attestant de l'absence d'entrave à l'accès aux soins dentaires et de ses échanges avec ses collègues chirurgiens-dentistes.

Par ailleurs, en se bornant à alléguer le caractère illusoire de leur obtention, il n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause le constat du juge des référés selon lequel il n'a pas sollicité de rendez-vous supplémentaires auprès de l'unité médicale dédiée pour ses soins dentaires. Enfin, il résulte de l'instruction menée par le juge des référés du tribunal que si un bain de bouche lui a été prescrit le 15 juin 2023, il a lui-même refusé de prendre ce bain de bouche suite aux soins réalisés le 18 août 2023 et que, pour tenir compte de ses problèmes dentaires et de leur incidence sur sa capacité à s'alimenter normalement, il bénéficie d'un régime alimentaire mixé.

Il ne saurait donc être soutenu que les conditions de détention du requérant révèleraient une carence dans l'accès aux soins constitutive d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

(ord. réf. 23 octobre 2023, M. A., n° 488846)

 

222 - Service public de la justice - Longueur excessive d’une procédure juridictionnelle – Réparation en cas de préjudice en résultant – Nécessité de disposer de la qualité de justiciable – Comptable public - Absence en vertu des règles alors applicables – Rejet.

Le demandeur se plaint de la durée excessive de la procédure suite à la décision du trésorier-payeur général de la Martinique de saisir la chambre régionale des comptes (CRC) de l’ensemble de ses comptes en ses qualités de comptable d’un lycée professionnel au titre des exercices 1997 à 1998, et de comptable commis d'office chargé de la reddition des comptes financiers de ce même établissement au titre des exercices 1994, 1995 et 1996 à raison de la défaillance de son prédécesseur. Il demande réparation du préjudice résultant de cette durée.

On sait qu’en vertu d’un des principes généraux gouvernant le fonctionnement des juridictions administratives, telles les juridictions financières, les justiciables ont droit à ce que leur cause soit jugée dans un délai raisonnable.

Alors même que la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l'issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect et, lorsque cette longueur leur a causé de ce fait un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage résultant du fonctionnement défectueux du service public de la justice.

En l’espèce, la CRC, saisie le 13 janvier 1999, après contrôle des comptes de l’intéressé, lui en a donné quitus aux termes de trois jugements intervenus en novembre 2001, juin 2005 et octobre 2005, et, par une ordonnance du 28 juin 2012, le président de cette chambre a mis fin à la procédure de jugement des comptes, soit après treize ans et demi de procédure.

La requête est cependant rejetée car, sous l’empire des dispositions alors applicables (art. L. 111-1 du code des juridictions financières dans sa version antérieure à celle que lui a donnée l’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics), le comptable public dont la régularité des comptes est vérifiée par la CRC et qui n'a pas été appelé dans la procédure en qualité de mis en cause, n'est pas un « justiciable » au sens du principe général du droit susrappelé car ce processus n’est pas une « procédure juridictionnelle » au sens et pour l’application de la jurisprudence instituant la règle du délai raisonnable de jugement (Ass. 28 juin 2002, garde des sceaux c/ Magiéra, n° 239575).  

(31 octobre 2023, M. A., n° 464858)

 

223 - Réforme de la haute fonction publique - Création du corps des administrateurs de l’État – Application au corps des conseillers des affaires étrangères et à celui des ministres plénipotentiaires – Demande d’annulation – Rejet.

(31 octobre 2023, Syndicat CFTC Affaires Étrangères, syndicat ASAM-UNSA et organisation des secrétaires des affaires étrangères, n° 468058)

V. n° 163

 

Sport

 

224 - Joueur de football professionnel – Prime pour résiliation du contrat de travail sans préavis – Prime jugée n’être pas un élément de la rémunération au sens du 1 du I de l’art. 155 B du CGI – Prime indemnisant la perte du contrat de travail et ne correspondant pas à un service ou un travail fourni par le salarié – Prime jugée non imposable – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Le Conseil d’État interprète le 1 du I de l’art. 155 B du CGI comme signifiant que lorsque le contribuable opte pour l'évaluation forfaitaire de l'exonération dont peut bénéficier sa rémunération, l'exonération de 30 % qu'il prévoit s'applique à l'ensemble de sa rémunération imposable, telle qu'elle est définie notamment à l'article 80 duodecies du même code relatif aux indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail.

Qualifie inexactement les faits de l’espèce l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui juge que la prime en litige (de 2,3 millions d’euros en sus du solde de tout compte), versée en l’espèce à l'occasion de la rupture du contrat de travail d’un joueur du PSG, ne pouvait être regardée, au sens et pour l'application des dispositions précitées de l'article 155 B CGI, comme un élément de la rémunération de ce joueur  au motif qu'elle avait pour objet d'indemniser la perte du contrat de travail et ne correspondait pas à une somme perçue en contrepartie d'un travail ou d'un service fourni par le salarié. 

(04 octobre 2023, M. Mohamed Sissoko, n° 466714)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

225 - Documents de planification et d’urbanisme – Nomenclature de l’artificialisation des sols – Absence de définition par un décret en Conseil d’État – Violation de la loi – Annulation.

 Le dernier alinéa de l'art. L. 101-2-1 du code de l'urbanisme dispose « Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application du présent article. Il établit notamment une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme ».

Sur le fondement de ces dispositions est intervenu le décret du 29 avril 2022 relatif à la nomenclature de l'artificialisation des sols pour la fixation et le suivi des objectifs dans les documents de planification et d'urbanisme, dont les dispositions sont codifiées à l'art. R. 101-1 du code de l'urbanisme.

L'association des maires de France a demandé l'annulation de ce décret pour excès de pouvoir.

Le Conseil d’État donne raison à la requérante car ce décret se réfère à la simple notion de « polygone », et renvoie, pour la définition de la surface de ces derniers, à un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme et aux standards du Conseil national de l'information géographique, lesquels ne font pas l'objet d'une définition par décret en Conseil d'État.

De la sorte, les auteurs du décret attaqué ne peuvent être regardés comme ayant établi, comme il leur appartenait de le faire en application des dispositions législatives précitées, l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme.

Le 2ème alinéa du II de l'art. R. 101-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction résultant du décret attaqué est donc annulé.

(04 octobre 2023, Association des maires de France, n° 465341)

(226) V. aussi, en revanche, le rejet du recours de la même association tendant à l’annulation du décret n° 2022-762 du 29 avril 2022 relatif aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Celui-ci, en prévoyant que le fascicule du SRADDET comporte des règles territorialisées permettant d'assurer la déclinaison des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols entre les différentes parties du territoire régional avec une cible d'artificialisation nette des sols au moins par tranches de dix années, le pouvoir réglementaire n'a pas méconnu les termes de la loi. Doit également être écarté le moyen tiré de ce que, faute de préciser ce que sont « les projets d'envergure régionale », le décret méconnaîtrait l'objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et le principe d'égalité. Enfin, doit être écarté le moyen tiré par l'association requérante de l’illégalité de la liste dressée par l’art. R. 4251-3 du CGCT, au motif qu'elle ne mentionnerait pas les efforts déjà réalisés au titre des critères à prendre en compte car il résulte des termes de l'art. 194 de la loi du 22 août 2021 que ces efforts pourront être pris en compte lors de l'élaboration du document, notamment par le biais de l'association des établissements publics chargés de l'élaboration des schémas de cohérence territoriale à la fixation et à la déclinaison des objectifs du SRADDET en matière de maîtrise de l'artificialisation : 04 octobre 2023, Association des maires de France, n° 465343.

 

227 - Non opposition à déclaration préalable de travaux assortie d’une prescription – Pose de panneaux solaires dans la pente du toit - Portée de l’art. L. 111-16 du code de l’urbanisme – Effets sur les dispositions réglementaires d’un plan local d’urbanisme – Rejet.

Le maire d’une commune ne s’est pas opposé à une déclaration préalable de travaux en vue de régulariser la pose sur le toit des requérants de panneaux solaires thermiques, mais l'a néanmoins assortie d'une prescription relative à l'insertion de ces panneaux dans la pente du toit. 

Cette prescription est contestée par les demandeurs : les juges du fond ayant rejeté les recours de première instance et d’appel, ils se pourvoient, toujours en vain, en cassation.

Sera exposé ici seulement le premier, et le plus important, motif de rejet du pourvoi.

De l’art. L. 111-16 du code de l’urbanisme, qui est issu de l’art. 12 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, le juge donne l’interprétation selon laquelle cet article n’a ni pour objet, ni pour effet d'écarter l'application des dispositions réglementaires d'un plan local d'urbanisme relatives à l'aspect extérieur des constructions qui, sans interdire l'utilisation de matériaux ou procédés permettant d'éviter l'émission de gaz à effet de serre ou l'installation de dispositifs destinés à la production d'énergie renouvelable ou favorisant la retenue des eaux pluviales, imposent la bonne intégration des projets dans le bâti existant et le milieu environnant. 

(04 octobre 2023, M. et Mme B., n° 467962)

 

228 - Permis de construire – Renvoi vers l’administration pour régularisation – Office du juge dans la direction de l’instruction – Contrôle du permis de construire – Office du juge – Rejets.

Dans un litige en contestation d’un jugement sursoyant à statuer sur une demande d’annulation de permis de construire dans l’attente d’un permis de régularisation, le juge rappelle sur deux points importants l’étendue de son office, office du juge en général sur le premier point, office spécifique du juge en matière de permis de construire sur le second point.

La solennité de la formulation retient l’attention du lecteur.

En premier lieu, le juge indique, à titre général, qu’il lui appartient « dans l'exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d'ordonner toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis et, notamment, de requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, en particulier des administrations compétentes, la communication des documents qui lui permettent de vérifier les allégations des requérants et d'établir sa conviction. Il lui incombe, dans la mise en œuvre de ses pouvoirs d'instruction, de veiller au respect des droits des parties, d'assurer l'égalité des armes entre elles et de garantir, selon les modalités propres à chacun d'entre eux, les secrets protégés par la loi. Le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce que le juge se fonde sur des pièces produites au cours de l'instance qui n'auraient pas été préalablement communiquées à chacune des parties. »

En second lieu, dans le cas du contentieux du permis de construire, il est rappelé que « le permis de construire n'ayant d'autre objet que d'autoriser la construction conforme aux plans et indications fournis par le pétitionnaire, l'autorité administrative n'a à vérifier ni l'exactitude des déclarations du demandeur relatives à la consistance du projet à moins qu'elles ne soient contredites par les autres éléments du dossier joint à la demande tels que limitativement définis par les dispositions des articles R. 431-4 et suivants du code de l'urbanisme, ni l'intention du demandeur de les respecter, sauf en présence d'éléments établissant l'existence d'une fraude à la date à laquelle l'administration se prononce sur la demande d'autorisation. »

Rien de nouveau mais de salutaires et fermes rappels.

(06 octobre 2023, Société Villa Mitchou, n° 464692)

 

229 - Permis de construire – Recours en annulation – Moyens divers – Qualité pour présenter une demande de permis – Contenu du dossier de demande permis et légalité du permis subséquemment accordé – Rejet.

Dans le cadre d’une action en annulation d’un permis de construire une villa, une piscine et un garage, des divers moyens d’annulation présentés, deux seront retenus, classiques et importants.

Il est d’abord rappelé que, hormis l’existence d’une fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'art. R. 431-5 du code de l'urbanisme selon laquelle il remplit les conditions fixées à l'art. R. 423-1 du même code pour déposer une demande de permis de construire doit être regardé comme ayant qualité pour présenter cette demande. Ceci constitue une présomption en faveur du demandeur du permis.

Ensuite, il est également rappelé, que dans le cas où  le dossier de demande de permis de construire ne comporterait pas l'ensemble des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, ou que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, le permis accordé n'est susceptible d'être entaché d'illégalité que si ces omissions, inexactitudes ou insuffisances ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

Aucune de ces conditions n’est satisfaite en l’espèce.

(06 octobre 2023, M. B., n° 467073)

 

230 - Permis de construire – Obligation de communiquer à son bénéficiaire et à l’auteur de la décision la copie du recours contentieux – Condition d’opposabilité de l’irrecevabilité pour défaut de communication – Certificat de dépôt d’une lettre recommandée – Formalité suffisante – Annulation.

L’art. R. 600-1 du code de l’urbanisme impose à l’auteur d’un recours en annulation de permis de construire, à peine d’irrecevabilité de son recours, de notifier une copie du recours tant à l'auteur de la décision attaquée qu'à son bénéficiaire.

Lorsque, invité par le juge, au besoin d’office, à produire la justification de l’accomplissement de cette formalité, le requérant s’en abstient, le recours doit être rejeté.

Lorsqu’il est prétendu que cette formalité n’a pas été accomplie mais que le requérant produit le certificat de dépôt de la lettre recommandée ceci suffit à justifier de cet accomplissement sauf s’il est soutenu devant le juge que cette lettre aurait eu un contenu insuffisant au regard de l'obligation d'information que l’art. R. 600-1 du code précité fait peser sur l'auteur du recours. 

En l’espèce, doit donc être annulée, comme entachée d’erreur de droit, l’ordonnance rejetant pour irrecevabilité un recours en annulation de permis car les requérants n'établissaient pas avoir satisfait à cette obligation en première instance du fait qu'ils ne justifiaient pas avoir joint à leur notification la copie de leurs recours, alors que, l'affaire n'ayant pas été instruite, rien de tel n'était soutenu devant le juge par l'auteur de la décision ou par le bénéficiaire du permis litigieux.

(06 octobre 2023, Consorts G., n° 469410)

 

231 - Permis de construire – Demande de suspension d’exécution de ce permis accordée – Pourvoi incident des demandeurs en vue de l’annulation de l’ordonnance de suspension à raison de ce que des moyens invoqués par eux n’auraient pas été retenus – Pourvoi dirigé contre les seuls motifs de l’ordonnance – Irrecevabilité – Rejet.

Est évidemment irrecevable le pourvoi incident formé par les demandeurs, dans le cadre d’un référé tendant à la suspension d’un permis de construire, et dirigé contre les seuls motifs d’une ordonnance dont le dispositif leur est favorable.

(06 octobre 2023, M. M. et autres, n° 471190)

 

232 - Arrêté de mise en demeure d’interruption de travaux (art. L. 480-2 c. urb.) – Demande de suspension de l’arrêté – Rejet.

Le juge de cassation rejette le pourvoi dirigé contre l’ordonnance d’un tribunal administratif refusant de suspendre l’exécution d’un arrêté municipal portant mise en demeure d’interrompre des travaux.

Le pourvoi est rejeté en ses trois moyens.

La circonstance que la procédure n’ait pas été communiquée à la préfète du département n’affecte pas, à l’égard du requérant, le respect du caractère contradictoire de la procédure.

La communication du mémoire produit par la commune la veille de l’audience n’a pas entaché le caractère contradictoire de l’instruction, l’intéressé ayant pu répondre, d’abord au cours des débats oraux tenus pendant l’audience, ensuite par le moyen d’un mémoire détaillé produit avant la clôture de l’instruction.

L’urgence n’est pas établie automatiquement du seul fait de la formation de la demande de référé tendant à la suspension d'une décision par laquelle une autorité administrative prescrit une interruption de travaux en application de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme, encore faut-il démontrer cette urgence.

(10 octobre 2023, M. A., n° 471611)

 

233 - Permis d’aménager un lotissement – Demande de suspension en référé – Conditions réunies pour ordonner la suspension mais refus de l’ordonner – Conditions de régularité – Absence – Erreur de droit – Annulation.

Rappel que le juge des référés a la faculté de rejeter, à titre exceptionnel, une demande de suspension, alors même qu'il constate que les conditions tenant à l'urgence et à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée sont réunies. 

Ici, cependant, cette faculté a été utilisée à tort.

Le juge s’est fondé en l’espèce sur ce que le vice de légalité interne dont était, selon lui, entaché le permis d'aménager et tenant à l'insuffisante largeur de la voie d'accès, « pourrait être aisément rectifié sur les plans d'exécution ou faire l'objet, le cas échéant, d'un permis modificatif auquel la commune de La Ciotat, représentée à l'audience, a précisé qu'elle ne s'opposerait pas », il a également indiqué ne pas ordonner la suspension « sous la seule réserve » qu'il soit remédié au vice retenu. Il lui est reproché, à juste titre, de suspendre l'exécution de la décision contestée dans l'attente de cette régularisation.

L’ordonnance est annulée pour erreur de droit. 

(10 octobre 2023, Mme B. et M. D., n° 471859)

 

234 - Permis de construire – Recours en annulation dirigé contre les motifs d’un jugement – Irrecevabilité – Rejet.

Rappel que les recours formés contre une décision de justice ne peuvent l’être que contre son seul dispositif et non contre ses motifs sauf dans le cas où les motifs constituent le soutien nécessaire du dispositif.

(12 octobre 2023, Société l’Augauria, n° 472302)

 

235 - Permis de construire – Contrariété à une disposition du règlement du plan local d’urbanisme (PLU) – Refus d’annulation - Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit le jugement qui, alors qu’une disposition du règlement du PLU impose que les constructions situées en deuxième rideau, soit au-delà d'une bande de 22 mètres par rapport aux voies, soient en principe édifiées en ordre discontinu et à une distance minimale de 4 mètres de toutes les limites séparatives, juge  qu’en l’espèce n’est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire attaqué le moyen tiré de ce que le projet méconnaissait les exigences de cet article dans sa partie implantée à plus de 22 mètres de la voie, laquelle borde le terrain d'assiette.

(12 octobre 2023, Consorts E., n° 473422)

 

236 - Permis de construire des logements – Obligation de planter au moins un arbre par 200 mètres carrés de terrain non bâti – Confusion dans le calcul entre terrain non bâti et espaces de pleine terre - Erreur de droit – Annulation.

Appliquant la disposition d’un article de règlement de plan local d’urbanisme (PLU), selon lequel « Les espaces non bâtis devront comporter au moins un arbre de haute tige par 200 m2 de terrain non bâti. », les juges du fond ont retenu, au dénominateur, non pas la surface de terrain non bâtie mais la surface des espaces de pleine terre, alors qu’il résulte du lexique de ce PLU, d’une part, qu’il faut entendre par « terrain non bâti » « des surfaces hors emprise au sol des constructions (...) compren(a)nt les espaces aménagés autour des constructions, les espaces plantés (jardins, pelouses, haies, bosquets, etc.), les accès et les surfaces de stationnement ainsi que les terrasses imperméables d'une hauteur inférieure à 60 cm. » et d’autre part, qu’« Un espace non construit peut être qualifié de "pleine terre" si il n'est pas recouvert et qu'il reste perméable à l'eau et la laisse s'infiltrer jusqu'à la nappe phréatique. Cet espace peut être planté. »

Le jugement annulant le permis accordé à la société requérante est annulé car il repose sur une erreur de droit. Nous y aurions plutôt aperçu une erreur sur la qualification juridique des faits.

(13 octobre 2023, Société Airis Aquitaine, n° 466583)

 

237 - Exercice du droit de préemption urbain (art. L. 210-1 et L. 300-1 c. urb.) – Hébergement de personnes déplacées du fait de l’invasion russe de l’Ukraine – Motif pouvant être considéré comme s’inscrivant dans une politique locale de l’habitat ou une opération d’aménagement – Rejet.

Le Conseil d’État estime que c’est au prix d’une erreur de droit qu’un tribunal administratif suspend, sur le fondement de l’art. L. 521-1 CJA, un arrêté municipal portant mise en œuvre du droit de préemption urbain sur certains lots en vue d’héberger des personnes déclassées par suite de la guerre en Ukraine. Il considère qu’un tel motif s’inscrit dans une politique locale de l’habitat ou une opération d’aménagement telles que prévues par les art. L. 210-1 et L. 300-1 du code de l’urbanisme et cela alors même que, à la date d’exercice du droit de préemption, les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies ni, non plus, sa nature.

(13 octobre 2023, Commune de Cannes, n° 468694)

 

238 - Plan local d’urbanisme (PLU) – Article imposant un alignement à une certaine distance de la voie publique – Disposition ne pouvant atteindre pleinement son objectif – Erreur de droit – Annulation.

Les demandeurs contestaient la légalité d’une délibération municipale approuvant l’art. UB6 du PLU lequel définit une bande de constructibilité de 6 à 35 mètres pour assurer que les constructions neuves seront implantées en retrait des voies, en ce que cette disposition n'assurerait qu'imparfaitement les objectifs en vue desquels elle est édictée. De plus, il est prétendu qu’une telle mesure aurait pu être prise sur le fondement de l'article L. 151-18 du code de l’urbanisme.

La cour administrative d’appel a annulé cet article au double motif qu'il aurait pour seul effet de règlementer le front bâti continu le long de la voie publique et qu'il ne viserait en réalité qu'à garantir la qualité esthétique du paysage urbain.

La commune se pourvoit en cassation de cet arrêt.

Le Conseil d’État annule ce dernier en relevant que cet article, en instaurant, une bande de constructibilité de 6 à 35 mètres cherche à s’assurer que les constructions neuves seront implantées en retrait des voies, et que, d’une part, si cette mesure n'est pas de nature à empêcher toute construction neuve en double rideau, elle fait néanmoins peser sur ce type de construction une contrainte susceptible d'en réduire l'occurrence et, d’autre part, elle assure la préservation, au fond des parcelles de plus de 35 mètres de profondeur, d'îlots inconstructibles.

Par conséquent, un tel article n'est illégal ni du seul fait qu'il n'assurerait qu'imparfaitement les objectifs en vue desquels il est édicté ni du fait que ses dispositions interdisant la construction dans les six premiers mètres de l'alignement des voies publiques, qui favorisent un alignement homogène des constructions sur la voirie, auraient également pu être prises, dans cette mesure, sur le fondement des dispositions de l'article L. 151-18 du code de l’urbanisme. 

(20 octobre 2023, Commune de Varennes-Jarcy, n° 463916)

 

239 - Construction d’une serre agricole – Permis de construire de régularisation – Prorogation d’un mois du délai d’instruction du permis – Refus de permis – Date d’acquisition d’un permis de construire tacite – Rejet.

 Par un courrier du 23 janvier 2018, le maire de la commune a informé le pétitionnaire d’un permis de régularisation en vue de l’édification d’une serre agricole que le délai d'instruction de sa demande était majoré d'un mois et qu'en l'absence de réponse avant le 29 avril 2018, il bénéficierait d'une autorisation tacite. Le 19 avril 2018, le maire a refusé d'accorder le permis sollicité.

M. B. a demandé au tribunal administratif l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et d’enjoindre le maire, sous astreinte, de lui certifier, en application de l'art. R*424-13 du code de l'urbanisme, qu'il est titulaire d'un permis de construire tacite.

Son action ayant été rejetée tant par le tribunal que par la cour administrative d’appel, M. B. se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État rappelle qu’il résulte des art. R* 423-18, R*423-4, R.*423-5, R. 423-24 à R. 423-33 et R*423-42 du code de l’urbanisme qu'à l'expiration du délai d'instruction tel qu'il résulte de l'application des dispositions du chapitre III du titre II du livre IV du code de l'urbanisme relatives à l'instruction des déclarations préalables, des demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir, naît une décision de non-opposition à déclaration préalable ou un permis tacite.

Une modification du délai d'instruction notifiée après l'expiration du délai d'un mois prévu à l'art. R*423-18 de ce code ou qui, bien que notifiée dans ce délai, ne serait pas motivée par l'une des hypothèses de majoration prévues aux articles R*423-24 à R*423-33 du même code, n'a pas pour effet de modifier le délai d'instruction de droit commun à l'issue duquel naît un permis tacite ou une décision de non-opposition à déclaration préalable.

De plus, s'il appartient à l'autorité compétente, le cas échéant, d'établir qu'elle a procédé à la consultation ou mis en œuvre la procédure ayant motivé la prolongation du délai d'instruction, le bien-fondé de cette prolongation est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. 

Abandonnant une jurisprudence quarantenaire (22 octobre 1982, Société Sobeprim, n° 12522), le Conseil d’État décide que désormais la lettre majorant le délai d'instruction d’une demande de permis n'est plus une décision faisant grief susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

En outre, le refus d’accorder le permis sollicité ne trouve pas sa base légale dans la lettre informant le pétitionnaire de la majoration du délai d’instruction et, semblablement, cette lettre est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. 

(24 octobre 2023, M. B., n° 462511)

 

240 - Police municipale des travaux sur les voies publiques – Installation de palissades pour un chantier de construction – Construction autorisée par un permis de construire – Refus – Rejet.

(25 octobre 2023, Société Villa Les Guillands, n° 471052)

V. n° 189

 

241 - Urbanisme – Opération de restauration immobilière – Silence du propriétaire sur son acceptation ou son refus d’effectuer ou de faire effectuer les travaux prévus – Expropriation possible – Atteinte au droit de propriété – refus d’une transmission de QPC.

(30 octobre 2023, Mme B., n° 474408)

V. n° 203

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