Sélection de jurisprudence du Conseil d‘État

Novembre 2023

Actes et décisions - Procédure administrative non contentieuse

1 - Tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) – Proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Niveau tarifaire prétendu insuffisamment élevé – Délibération préparatoire – Absence d’acte de droit souple - Irrecevabilité – Rejet.

(07 novembre 2023, Société Ekwateur, n° 467489)

V. n° 62

2 - Habilitation au secret défense – Retrait – Absence de caractère contradictoire – Nature alléguée de sanction – Invocation tardive – Rejet.

L’intéressé s’est, d’une part, vu retirer son habilitation d'accès aux informations et supports classifiés au niveau confidentiel défense, d'autre part, retirer ses autorisations d'accès au site naval de Cherbourg. Par deux jugements, le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes tendant à l’annulation de ces décisions ; solution confirmée en appel.

Le requérant se pourvoit en cassation, en vain.

Le juge de cassation vérifie tout d’abord la réalité des faits reprochés, à savoir le fait d’avoir pénétré sans présenter de badge sur le site de l'entreprise Naval Group à Cherbourg, puis de s’être introduit au cours de la même matinée, sans autorisation, dans des locaux situés dans une zone protégée dont l'accès est soumis à des règles strictes et réservé aux personnels détenant une habilitation spécifique.

Confirmant entièrement l’arrêt qui lui était déféré, le Conseil d’État est conduit à trancher une importante question de procédure administrative contentieuse sinon pour la première fois, du moins avec une très grande netteté ici. Au demandeur, qui reprochait à la décision contestée d’avoir été prise sans qu’il ait fait l’objet d’une procédure contradictoire préalable conformément aux dispositions de l’art. L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration, le Conseil d’État oppose un rejet ainsi argumenté.

Il estime que le retrait d'une habilitation au secret de la défense nationale, eu égard à la nature d'une telle habilitation et aux motifs susceptibles d'en justifier le retrait, qui ne sont pas nécessairement liés au comportement personnel de l'intéressé et dont la divulgation peut être de nature à porter atteinte au secret de la défense nationale, n'est pas au nombre des décisions devant être soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable, alors même qu'il serait fondé sur l'appréciation portée par l'autorité compétente sur le comportement de l'intéressé.

Par ailleurs est rejeté le moyen que la mesure prise étant une sanction, il incombait à l’administration de suivre les règles procédurales applicables en ce cas : en effet, ce moyen n’avait pas été soulevé en appel, nouveau en cassation il ne peut qu’être rejeté.

(09 novembre 2023, M. A., n° 466754)

 

3 - Note du garde des sceaux relative à la localisation des emplois de magistrats et fonctionnaires des services judiciaires pour l'année 2022 - Annexe à cette note relative aux créations de postes de magistrats au sein du tribunal judiciaire de Nanterre – Absence de caractère décisoire – Irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir – Rejet.

Étaient demandées l’annulation de la note du garde des sceaux du 27 juillet 2022 relative à la localisation des emplois de magistrats et fonctionnaires des services judiciaires pour l'année 2022 ainsi que son annexe n° 1, en tant qu'elles concernent les créations de postes de magistrats au sein du tribunal judiciaire de Nanterre et la prise d’une injonction à l'État d'affecter des postes de magistrats au tribunal judiciaire de Nanterre sur la base de critères objectifs et pertinents, tenant notamment compte de la nature des affaires soumises à cette juridiction et susceptibles de permettre le jugement des affaires dans un délai raisonnable.

Le recours est rejeté car il est irrecevable en ce qu’il ne concerne qu’un document indicatif et d’orientation qui, sans caractère décisoire, ne saurait lier le président de la république dans l'exercice de son pouvoir de nomination individuelle des magistrats, dans les conditions prévues par l'art. 65 de la Constitution et l'art. 28 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

(10 novembre 2023, Ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine et association des magistrats du tribunal judiciaire de Nanterre, n° 467645)

 

4 - Documents relatifs à l’évaluation psychologique d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement privé sous contrat – Communicabilité des pièces – Condition de participation à l’exercice d’une mission de service public – Réponse positive pour un organisme de gestion d’un tel établissement – Réponse négative pour une direction diocésaine de l’enseignement catholique – Rejet.

La mère d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement catholique sous contrat d’association avec l’État, a demandé la communication de divers documents relatifs à une évaluation psychologique concernant son fils, effectuée à la suite de plusieurs incidents, en octobre 2020, par une psychologue scolaire employée par la direction diocésaine de l’enseignement catholique et intervenant dans cet établissement.

Cette communication ayant été refusée, elle a saisi le juge administratif qui s’est déclaré incompétent la requête ne relevant manifestement pas de la compétence des juridictions administratives car les documents en cause ne mettaient pas en jeu l’exercice de prérogatives de puissance publique.

Sur pourvoi de l’intéressée, le Conseil d’État annule cette ordonnance en raison de l’évidente erreur de droit sur laquelle elle repose, la nature administrative de documents détenus par une personne privée ne résulte que de la participation de cette dernière à une mission de service public sans qu’il soit besoin, en outre, que soient détenues, à cet effet, des prérogatives de puissance publique.

Il convenait donc de déterminer l’existence ou non, en l’espèce, de missions de service public dans le cadre de l’exécution desquelles entreraient les documents dont la communication était demandée.

Le juge pratique une intéressante et très logique distinction.

C’est le contrat d’association conclu entre l’État et une personne privée gestionnaire d’une école privée qui, seul, permet à cette dernière de participer à des missions de service public dans le cadre de l’enseignement. Tel est le cas des organismes gestionnaires (OGEC pour les écoles catholiques) des établissements sous contrat. En revanche, la direction diocésaine de l’enseignement catholique, en dépit des prérogatives qu’elle exerce sur l’établissement, ne peut être regardée ni comme un organisme gestionnaire de cet établissement ni comme étant elle-même chargée par l'État d'une mission de service public. 

Il suit de là que les documents dont la communication était demandée étant détenus non par l’organisme de gestion mais par la direction diocésaine, ils n’ont pas la nature de documents administratifs communicables en tant que tels.

(13 novembre 2023, M. B., n° 466958)

Audiovisuel, informatique et technologies numériques - Intelligence artificielle

5 - Opposition à déclaration préalable en vue de l'édification d'une station relais de téléphonie mobile – Rejet en référé de la demande de suspension de cette opposition – Demande jugée manifestement infondée – Méconnaissance de son office par le juge des référés – Annulation de l’ordonnance et de l’opposition.

La société requérante a saisi le juge du référé en vue qu’il suspende l’opposition du maire d’une commune à sa déclaration préalable en vue de l'édification d'une station relais de téléphonie mobile. Cette société faisait valoir que la décision litigieuse avait été signée par une personne n’ayant pas compétence à cet effet, qu'elle devait être regardée comme le retrait illégal d'une décision implicite de non-opposition à déclaration préalable et qu'au regard des caractéristiques du projet et de celles des lieux environnants, les motifs de refus, tirés du non-respect des art. R. 111-27 du code de l'urbanisme et N.T.1.1 du règlement du plan d'urbanisme de la commune en raison de la hauteur du projet et de son impact visuel, étaient illégaux. Le juge des référés a rejeté sa demande.

Le Conseil d’État annule cette ordonnance en relevant que ce dernier, méconnaissant ainsi son office, a fondé son ordonnance de rejet sur ce qu'il apparaissait manifeste, au seul vu de la demande, que celle-ci était mal fondée et l'a rejetée en application des dispositions de l'article L. 522-3 du CJA, sans instruction contradictoire, et en particulier sans solliciter les observations de la commune sur les caractéristiques du lieu d'implantation du projet et des lieux avoisinants. 

Statuant au fond, il annule, outre l’ordonnance, l’opposition du maire, lui faisant injonction, sans astreinte, de prendre une décision de non-opposition dans un délai d'un mois. 

(ord. réf. 10 novembre 2023, Société Free Mobile, n° 470808)

(6) V. aussi, très comparable, annulant l’ordonnance de référé refusant de suspendre un arrêté municipal s’opposant à la déclaration préalable de la société Free Mobile en vue de la réalisation de deux antennes-relais de téléphonie mobile sur le toit d'un hôtel situé sur le territoire communal et admettant le pourvoi avec injonction au maire de délivrer sous un mois une décision de non-opposition : ord. réf. 30 novembre 2023, Société Free Mobile, n° 474900. Les maires devraient comprendre qu’il n’est à peu près jamais possible de s’opposer à une déclaration d’installation en vue de la téléphonie mobile, le Conseil d’État y voyant une espèce de « grande cause nationale ».

(7) V. également, illustrant la sanctuarisation du contentieux de la téléphonie mobile : ord. réf. 30 novembre 2023, Société TDF, n° 470172.

 

8 - Attribution d’une aide à une création audiovisuelle – Réalisation d’un documentaire – Refus – Absence d’erreur manifeste d’appréciation eu égard à ses caractéristiques – Rejet.

La requérante a sollicité du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) une allocation d’investissement pour un projet de « documentaire » intitulé « Nus et Culottés Saison 7 (Objectif Île de la Réunion) ». La présidente du CNC a refusé d’allouer cette aide en raison de ce que ce projet ne constituait pas un « documentaire » vu son faible apport de connaissances pour le spectateur, son absence d'originalité et d'innovation par rapport aux épisodes antérieurs et sur une construction narrative s'apparentant à celle d'une aventure filmée.

Le Conseil d’État, saisi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt d’appel confirmatif du rejet, en première instance, de la demande d’annulation de ce refus, estime que cet arrêt n’est entaché ni d'erreur de droit, ni de dénaturation des pièces du dossier, en ce qu’il a jugé, d’une part, que le programme en cause avait essentiellement pour objet « de mettre en scène deux aventuriers qui se lancent le défi de partir complètement nus dans la nature sans argent pour atteindre un objectif jugé impossible au cœur d'une région de rêve », d’autre part, que la présidente du CNC n’avait pas commis une erreur manifeste d'appréciation en lui déniant le caractère de documentaire de création éligible à une aide financière, alors même que certains épisodes antérieurs avaient pu obtenir une telle qualification. 

L’existence d’aides sur fonds publics, donc prélevés sur les biens et le labeur des particuliers, pour de telles « réalisations », laisse rêveur sur notre degré de civilisation.

(13 novembre 2023, Société Bonne Pioche Télévision, n° 460831)

Biens et Culture

9 - Domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Demande de condamnations diverses du contrevenant – Rejet partiel assorti d’une injonction de démolir sous astreinte – Recours en tierce opposition – Rejet.

Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré au tribunal administratif une société et son gérant, comme prévenus d'une contravention de grande voirie sur la base d'un procès-verbal constatant l'occupation, sans autorisation, du domaine public maritime et lui a demandé de condamner les intéressés à l'amende maximale prévue à cet effet au titre de l'action publique ainsi que d'ordonner la remise en état du domaine public maritime par la démolition des ouvrages et des constructions visés dans le procès-verbal à compter de la notification du jugement.

Le tribunal, par jugement du 21 novembre 2017, a estimé l'action publique prescrite, rejeté les conclusions du déféré du préfet relatives au paiement d'une amende et au remboursement des frais d'établissement du procès-verbal et condamné la société et son gérant à évacuer le domaine public des installations et ouvrages visés dans le procès-verbal, sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de six mois, l'administration étant autorisée à procéder d'office, aux frais, risques et périls de cette société, à cette évacuation en cas d'inexécution du jugement dans ce même délai.

La cour administrative d'appel, saisie par la société et son gérant, a, par son arrêt du 16 novembre 2018, annulé l'art. 3 du dispositif du jugement les condamnant à démolir la portion d'embarcadère débordant de l'emprise de la terrasse, rejeté le surplus des conclusions et prononcé un non-lieu à statuer sur leur requête à fin de sursis à exécution du jugement.

Par une requête en tierce opposition, enregistrée le 3 août 2021 au greffe de la cour, le syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », a demandé à la cour de surseoir à l'exécution de son arrêt du 16 novembre 2018 et de le déclarer nul et non avenu.

Ce recours ayant été rejeté, le syndicat se pourvoit en cassation.

Le juge raisonne en deux temps.

Tout d’abord, la juridiction saisie d'un procès-verbal constatant une occupation irrégulière du domaine public, et alors même que la transmission de cet acte ne comporte pas de conclusions tendant à faire cesser l'occupation irrégulière et à remettre le domaine public en l'état, est tenue en sa qualité de juge de la contravention de grande voirie, d'y faire droit sous la seule réserve que des intérêts généraux, tenant notamment aux nécessités de l'ordre public, n'y fassent pas obstacle. 

Ensuite, la recevabilité de la tierce opposition du syndicat était subordonnée à la condition que le tiers opposant n’ait été ni partie ni représenté ni mis en cause dans l’instance devant la cour administrative d’appel. Ici, le syndicat soutenait que ses intérêts ne concordaient pas, dans l'instance de contravention de grande voirie, avec ceux de la société, propriétaire du lot n°1, dès lors que la destruction des ouvrages implantés sans autorisation sur le domaine public maritime était susceptible d'avoir des conséquences sur les parties communes de la copropriété, en particulier sur un mur de soutènement commun à tous les lots. Elle était donc bien, selon elle, tiers à la procédure ouverte devant la cour. Le moyen est rejeté car, comme indiqué plus haut, elle ne pouvait, pas plus que le contrevenant, contester une décision de justice prescrivant la remise en état du domaine public, en se prévalant de ce que cette remise en état était susceptible de porter atteinte à ses propres intérêts privés.

Ainsi, c’est sans erreur de droit ou qualification juridique inexacte des faits, que la cour a jugé que, dans l'instance en cause, ses intérêts et ceux de la société étaient concordants et qu’il devait être regardé comme ayant été représenté en appel par cette société, au sens de l'art. R. 832-1 du CJA.

(13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », n° 474211)

 

10 - Domaine public communal – Autorisation donnée à une brasserie d’installer une contre-terrasse – Abrogation – Annulation pour irrégularité de procédure – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation et rejet.

La Ville de Paris a informé la société exploitant une brasserie, qui avait été autorisée par un arrêté du 6 octobre 2008 à installer une contre-terrasse au droit de sa façade, de l’abrogation de cette décision par un arrêté du 22 mars 2023.

La société a obtenu la suspension de cet arrêté par le juge des référés.

Sur pourvoi de la commune, l’ordonnance est annulée pour dénaturation des pièces du dossier. En effet, l’ordonnance de suspension était motivée par le fait que l’arrêté d’abrogation avait été adopté à l'issue d'une procédure irrégulière, la décision envisagée paraissant avoir été prise avant que ne se soit tenue la réunion du 1er mars 2023 à la demande de la société, en raison de la mention figurant sur ledit arrêté, selon laquelle, au cours de cette réunion, « la société (…) a été informée de l'abrogation de son autorisation de contre-terrasse à compter du 1er avril 2023 ».

Estimant que la décision d'abrogation ne pouvait procéder que de l'arrêté en litige, qui, lui, a été pris postérieurement à la réunion, et que la mention précitée devait seulement être regardée comme rappelant que la société avait été informée, lors de la réunion, de l'abrogation envisagée, pour lui permettre de présenter ses observations, il est jugé que l’ordonnance attaquée a dénaturé les pièces du dossier.

(21 novembre 2023, Ville de Paris, n° 474604)

Collectivités territoriales

11 - Transferts de compétences d’une commune à  un établissement public de coopération intercommunale -  Transmission automatique des tous les droits et obligations attachés aux compétences transférées – Rejet.

Rappel du principe traditionnel de succession entre personnes morales en cas de transfert de compétences entre collectivités et/ou groupements de collectivités territoriales. Un tel transfert entraîne automatiquement transfert des droits et obligations attachés à chacune des compétences transférées y compris lorsque ces droits et obligations sont nés antérieurement au transfert.

C’est sans erreur de droit que l’arrêt d’appel a jugé que la requérante était tenue des obligations attachées à la compétence du service public de gestion des eaux pluviales en raison du transfert de cette compétence, et a condamné, par suite, la communauté d'agglomération à verser à la victime une certaine somme en réparation de ses préjudices au titre de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage public.

(28 novembre 2023,  Communauté d'agglomération de la Provence Verte, n° 471274)

12 - Communauté de communes –  Raccordement irrégulier d’habitations d’une commune au réseau intercommunal d’assainissement des eaux usées - Émission d’un titre exécutoire envers la commune – Irrecevabilité de conclusions dirigées contre une délibération ne faisant pas grief – Préjudice continu et régulier – Interruption de la prescription quadriennale – Rejet.

Un litige opposait la commune requérante à une communauté de communes du chef de redevances mises à la charge de cette commune par suite du raccordement irrégulier au réseau intercommunal d'assainissement des eaux usées, géré alors par un syndicat intercommunal aux droits duquel est venu cette communauté de communes, de plusieurs habitations ou installations situées sur le territoire de la commune alors que celle-ci n'était pas membre du syndicat.

La requérante se pourvoit en cassation de l’arrêt infirmatif rejetant la requête de la commune de Cauro.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi en ses deux chefs principaux de moyens.

En premier lieu, est rejeté le moyen dirigé contre la délibération du conseil communautaire de la communauté de communes en date du 4 juillet 2016. Le Conseil d’État approuve la cour d’avoir, sans erreur de droit ni qualification juridique erronée des faits, jugé irrecevable ce chef de demande dès lors que cette délibération s'était bornée à prendre acte de la démarche exposée par sa présidente et n'avait pas entendu constater l'existence, la quotité et l'exigibilité de la créance, ni décidé d'en poursuivre le recouvrement ou de s'immiscer dans les compétences de la présidente de la communauté de communes en tant qu'ordonnatrice. Ne faisant pas grief, cette délibération était insusceptible de recours.

En second lieu, était discutée par la commune  la régularité du titre exécutoire émis par la présidente de la communauté de communes. Le juge, confirmant la solution retenue par la cour, rappelle, d’une part, que la créance d’indemnité de la victime d’un préjudice causé par une personne publique naît à la date à laquelle la réalité et l'étendue de ce préjudice ont été entièrement révélées, d’autre part, que si le préjudice présente un caractère continu et évolutif, cette créance doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi faisant ainsi courir le point de départ de la precription quadriennale (loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics) au 1er janvier de chaque année.

Cette seconde situation est celle réalisée en l’espèce puisque la faute commise par la commune en organisant le raccordement de certaines parties de son territoire au réseau d'intercommunal d'assainissement des eaux usées alors qu'elle n'était pas encore membre du syndicat intercommunal, a produit un préjudice continu et régulier correspondant au surcoût engendré par le rejet supplémentaire d'eaux usées pour le fonctionnement du service d'assainissement. Ce préjudice a bien eu, pour la totalité de son montant, un caractère continu et évolutif, interrompant sans cesse le cours de la prescription quadriennale ainsi, au reste, que d’autres éléments (les conclusions reconventionnelles présentées par le syndicat à l'occasion d'un précédent litige, ou encore la délibération en date du 1er juillet 2011 du conseil municipal de Cauro autorisant la signature d'un précédent protocole d'accord, qui constitue une communication écrite de l'administration intéressée au sens du troisième alinéa de l’article 2 de la loi de 1968).

(29 novembre 2023, Commune de Cauro, n° 465840)

Contrats

13 - Marché de travaux de réhabilitation d’un poste de livraison –Décompte général - Notification au titulaire du marché – Décompte irrégulier – Impossibilité pour le titulaire d’établir un décompte général et définitif tacite (cf. art. 13.4.4 du CCAG alors applicable aux marchés de travaux) – Office du juge – Annulation partielle.

Des diverses questions traitées dans cette décision il convient de retenir celles relatives au régime juridique et contentieux du caractère irrégulier du décompte général produit au terme d’un marché public de travaux soumis aux dispositions du CCAG travaux alors applicable.

En l’espèce, la société requérante a adressé son projet de décompte final à un centre hospitalier le 18 juillet 2016. Le maître d'œuvre lui a transmis le décompte général le 27 octobre 2016, faisant apparaître un solde négatif de 347 039,92 euros TTC. La société a formé une réclamation contre ce décompte le 25 novembre 2016, qui a été implicitement rejetée. Elle a adressé, le 14 avril 2017, un projet de décompte général signé au centre hospitalier et a saisi le tribunal administratif afin qu'il condamne celui-ci à lui verser la somme totale de 72084,88 euros TTC au titre des travaux non payés et du coût de la prolongation des travaux. Le centre hospitalier a présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de la société à lui verser une somme de 222 815,00 euros au titre des préjudices liés à la faute commise par cette dernière au cours de l'exécution des travaux.

Par un jugement du 15 juillet 2020, le tribunal a fixé le solde du marché à la somme négative de 334 441,43 euros TTC et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

La société se pourvoit en cassation de l'arrêt du 14 octobre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre ce jugement ainsi que l'appel incident formé par le centre hospitalier.

Il résulte notamment des dispositions de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux applicable au moment des faits de l’espèce : « Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé (...).

Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3.

Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. (...) ». 

C’est ce dernier décompte qui est appelé décompte tacite et c’est de cette règle que la demanderesse se prévalait.

Toutefois, en l’espèce l’on ne se trouvait pas dans le cas prévu à l’art. 13.4.4. précité dans la mesure où il existait bien un décompte mais irrégulier. Or, rappelle le juge, même irrégulier un décompte est un décompte et cela exclut que le titulaire du marché puisse proprio motu établir un décompte général et définitif tacite.

La solution est parfaitement justifiée : qu’en présence d’un silence une autre prise de position, tacite, puisse valoir décision se comprend fort bien mais qu’en présence d’un décompte, même prétendu irrégulier, le titulaire du contrat puisse en quelque sorte l’annuler pour lui en substituer un autre ne saurait être admis.

Se posait alors la question de l’office du juge du contrat en pareille situation. En l'absence de décompte général devenu définitif, il lui appartient de statuer sur les réclamations pécuniaires présentées par chacune des deux parties pour déterminer le solde de leurs obligations contractuelles respectives. Est ainsi approuvé, sur ce point, l’arrêt d’appel qui a pris en compte les pénalités de retard réclamées dans le décompte général et contestées par la société.

(09 novembre 2023, Société Transport tertiaire, n° 469673)

14 - Marché public avec négociation – Achat de vélos à assistance électrique – Gestion d’un service public de location de ces vélos en libre-service – Principes de la commande publique– Critères et sous-critères, pondération et hiérarchisation – Pouvoirs du juge du référé précontractuel – Annulation sans renvoi.

Un candidat non retenu dans le cadre d’un marché public devant être passé selon la procédure formalisée avec négociation portant sur l'achat de vélos à assistance électrique et le déploiement et la gestion d'un service public de location de ces vélos en libre-service, a saisi le juge du référé précontractuel d’un recours en annulation de cette procédure. Après que celui-ci a annulé la procédure de passation de ce marché ainsi que la décision de rejet de l'offre de la société Ecovélo Human Concept et celle attribuant ce marché à la société Fifteen, cette dernière et la collectivité territoriale se pourvoient en cassation de l’ordonnance portant annulation de la procédure de passation de ce marché.

Le Conseil d’État annule l’ordonnance.

C’est l’occasion pour lui d’opérer deux rappels assez classiques.

En premier lieu, est à nouveau rappelé le cadre strict dans lequel intervient le juge du référé précontractuel. Tout d’abord, il ne peut se prononcer que sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat. Ensuite et en conséquence, ce juge ne saurait se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Enfin, s’il est saisi d'un moyen en ce sens, il lui incombe de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

En second lieu, il est rappelé que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics sous la réserve que cette méthode ne méconnaisse pas les principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Il en serait ainsi, notamment, si les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres étaient dépourvus de tout lien avec les éléments de l’offre dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation. C’est pourquoi l’ordonnance attaquée est, en l’espèce, entachée d’erreur de droit pour avoir estimé que les notes attribuées comportaient des décimales, alors que cela traduisait, sous forme arithmétique, les appréciations littérales portées sur chacun des critères.

(24 novembre 2023, Communauté d'agglomération Saint-Malo Agglomération, n° 473674; Société Fifteen, n° 473793)

15 - Contrat de concession – Résiliation pour motif d’intérêt général – Indemnisation – Règles générales - Régime d’amortissement – Rejet.

Le juge rappelle qu’un contrat de concession peut être résilié pour motif d’intérêt général et qu’en ce cas il convient de respecter les principes d’indemnisation.

En premier lieu, si les parties peuvent déterminer l'étendue et les modalités des droits à indemnité du cocontractant en ce cas, ces droits ne sauraient comporter, au détriment d'une personne publique, une disproportion entre l'indemnité ainsi fixée et le préjudice subi.

En second lieu des règles spécifiques régissent l'indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession.

Tout d’abord, si la concession est résiliée avant le terme prévu, le concessionnaire a droit à l'indemnisation du préjudice subi à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique, dès lors qu'ils n'ont pu être totalement amortis.

Ensuite, si l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan. Si leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat.

Enfin, s’il est loisible aux parties de déroger à ces principes, l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités qui viennent d’être précisées.

(24 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 473696 ; Société Enedis, n° 473723)

16 - Accord-cadre – Conclusion avec plusieurs opérateurs économiques – Notion de tiers – Régime d’annulation ou de résiliation de cet accord - Avis de droit.

Dans le cadre d’un litige né d’un accord-cadre portant sur des prestations d'interprétariat et de traduction conclu par un centre hospitalier universitaire, il est posé au Conseil d’État deux questions sous forme d’avis de droit (art. L. 113-1 CJA) :

« 1°) Appartient-il au juge du contrat, saisi de conclusions en ce sens par l'un des titulaires d'un accord-cadre multi-attributaire à bons de commande, notamment dévolus par une méthode dite « en cascade », de prononcer l'annulation ou la résiliation de cet accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec un ou plusieurs de ses autres titulaires, alors qu'une telle annulation ou résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui fixé en vertu des dispositions du règlement de la consultation publié pour la passation du contrat en litige voire à aboutir à ce que seul l'un de ses titulaires en assure l'exécution ?

2°) Les irrégularités constatées par le juge du contrat saisi d'un recours en contestation de la validité d'un accord-cadre multi-attributaire formé par l'un de ses titulaires, alors même qu'elles ne porteraient que sur la candidature ou sur l'offre de l'un de ses titulaires, peuvent-elles le conduire à prononcer l'annulation ou la résiliation totale de l'accord-cadre en litige ? »

Le Conseil d’État, se situant dans le droit fil de la jurisprudence « Tarn-et-Garonne » (Assemblée, 4 avril 2014, n° 358994), rappelle d’abord que tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles.

Il répond ensuite ceci aux questions qui lui sont posées.

En premier lieu, dans un accord-cadre conclu avec plusieurs opérateurs économiques, chacun de ses titulaires doit être regardé, pour l'exercice de l'action en contestation de la validité du contrat, comme un tiers à cet accord en tant que celui-ci a été conclu avec les autres opérateurs.

En second lieu, le juge du contrat, saisi par l'un des titulaires d'un recours en contestation de la validité de l'accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec d'autres opérateurs économiques, peut prononcer, le cas échéant, la résiliation ou l'annulation de cet accord en tant qu'il a été attribué à ces autres opérateurs dès lors qu'il est affecté de vices qui ne permettent pas la poursuite de son exécution.

En troisième lieu, la circonstance qu'une telle annulation ou une telle résiliation aurait pour effet de ramener le nombre des titulaires de cet accord-cadre à un nombre inférieur à celui envisagé par le règlement de la consultation est sans incidence sur la possibilité pour le juge de la prononcer.

Enfin, en dernier lieu, saisi de conclusions contestant la validité de l'accord-cadre en tant qu'il a été conclu avec certains opérateurs économiques, le juge du contrat ne peut prononcer la résiliation ou l'annulation de l'accord-cadre dans son ensemble.

(24 novembre 2023, Association Imedi, n° 474108)

17 - Accord-cadre en procédure formalisée d’appel d’offres ouvert – Marché de location, enlèvement, transport et vidage des caissons d’une déchetterie – Différences de taux de TVA figurant dans une offre – Dénaturation de pièces du dossier – Annulation.

Le juge du référé précontractuel a, en l’espèce, annulé la procédure de passation du marché,  la décision de rejet de l’offre de l’entreprise saisissante et l’attribution du marché à une autre société. Il a estimé que le pouvoir adjudicateur avait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence car le montant de l'offre toutes taxes comprises (TTC) de la société attributaire, figurant dans le rapport d'analyse des offres, correspondait au prix hors taxes (HT) indiqué par la société augmenté de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) au taux de 5,5 % et parce que le pouvoir adjudicateur avait noté en commentaire du rapport d'analyse des offres que la société avait indiqué sur le détail quantitatif estimatif un taux de TVA de 10 %. Le pouvoir adjudicateur aurait ainsi rectifié de lui-même l'offre de la société attributaire. Le juge de cassation annule cette ordonnance pour dénaturation des pièces du dossier car il ressortait du rapport d'analyse des offres, qui portait la mention « analyse des offres après demande de précisions », que le pouvoir adjudicateur avait retenu le taux de TVA légalement applicable après avoir demandé à la société de rectifier son offre sur ce point.

(24 novembre 2023, Communauté d’agglomération Morlaix Communauté, n° 476301)

 

18 - Contestation relative à l’exécution d’un contrat – Critique du contenu du contrat sans demande d’annulation de celui-ci – Annulation par le juge – Manquement à son office – Erreur de droit de la juridiction d’appel – Annulation.

L'établissement public industriel et commercial SNCF Mobilités a demandé au tribunal administratif de condamner une région à lui verser, à titre principal sur le fondement de la responsabilité contractuelle, et, à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle et quasi-délictuelle, une somme à parfaire, correspondant à la différence entre le montant de la contribution prévisionnelle pour l'année 2016 au titre du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre eux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, tel qu'estimé par SNCF Mobilités, et le montant retenu par la délibération du 3 novembre 2016 du conseil régional, auquel s'ajoutait une somme correspondant au solde non versé, assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, outre la capitalisation des intérêts à compter du jugement à intervenir.

Le tribunal administratif a annulé ce contrat et a ordonné avant dire droit une expertise comptable afin de déterminer le montant des charges de SNCF Mobilités et, le cas échéant, le préjudice financier indemnisable subi par ce dernier au titre de l'exercice 2016 du fait de la délibération litigieuse.

Par un arrêt du 19 janvier 2022, la cour administrative d'appel a donné acte à SNCF Mobilités de son désistement au titre de sa demande de condamnation de la région à lui verser la somme litigieuse assortie des intérêts au taux contractuel à compter du 27 décembre 2016, avec capitalisation de ces intérêts au titre de l'exercice 2016, et a rejeté le surplus des conclusions de son appel.

La société SNCF Voyageurs, venant aux droits de l'établissement SNCF Mobilités, se pourvoit en cassation de cet arrêt notamment en tant qu’il rejette sa demande tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2019 en ce qu'il annule le contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux conclu entre SNCF Mobilités et la région.

Le Conseil d’État accueille le pourvoi au motif que le tribunal administratif, qui n'était saisi que d'un litige indemnitaire relatif à l'exécution du contrat d'exploitation des services ferroviaires régionaux pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2016, a annulé ce contrat, alors que la région, si elle avait invoqué en défense, par la voie de l'exception, le caractère illicite du contenu du contrat, afin que le litige soit réglé sur un terrain extracontractuel, ne l'avait pas saisi d'un recours de plein contentieux contestant la validité de ce contrat. Semblablement, la cour administrative d'appel, après avoir estimé que le contrat litigieux avait un contenu illicite et qu'il devait, de ce fait, être écarté, a refusé de faire droit aux conclusions de la société requérante tendant à l'annulation du jugement du 15 octobre 2019 en tant qu'il a annulé le contrat d'exploitation en cause.

Enfin, il est jugé que la cour a commis une erreur de droit conduisant à l’annulation de son arrêt,  en rejetant l'appel de SNCF Mobilités contre ce jugement car il lui appartenait de relever d'office le moyen tiré de ce que, saisi d'un litige relatif à l'exécution d'un contrat sans que l'une des parties ait demandé son annulation par la voie de l'action, le tribunal administratif ne pouvait, sans méconnaître son office, annuler ce contrat.

(27 novembre 2023, Société SNCF Voyageurs, venant aux droits de SNCF Mobilités, n° 462445)

 

19 - Délégation de service public – Attribution d’un lot de plage – Éviction irrégulière d’un contrat – Indemnisation du manque à gagner – Détermination de l’existence d’une chance sérieuse d’emporter le contrat – Annulation partielle.

Réitérant une jurisprudence bien établie (au moins depuis Section, 13 mai 1970, Sieur Monti, n° 74601 ou encore, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075), le Conseil d’État rappelle que lorsqu’un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure contractuelle et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat.

En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité.

Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre.

Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, qui inclut nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre.

La cour administrative d’appel a donc commis en l’espèce une erreur de droit en se fondant, pour indemniser un candidat irrégulièrement évincé, sur la seule circonstance qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'offre finale de cette société aurait eu une valeur inférieure à celles des trois autres candidats admis à négocier, alors qu'il lui revenait d'apprécier si, en l'absence de faute de la commune, la société aurait eu des chances sérieuses d'emporter le contrat au contraire de tous les autres candidats.

(28 novembre 2023, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 468867)

                    

Droit du contentieux administratif

20 - Référé suspension – Personnel de surveillance de l’administration pénitentiaire – Dépassement du volume horaire hebdomadaire maximum de travail – Absence d’urgence – Rejet.

Le litige portait sur l’inapplication aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail. Le requérant faisait valoir, au moyen de plusieurs tableaux, l’existence de moyennes mensuelles de durée hebdomadaire de travail supérieures à 48 heures.

Il demandait, en conséquence, l’annulation de la décision du directeur de l'administration pénitentiaire du 27 mars 2023 refusant d'appliquer cette directive aux personnels de surveillance de l'administration pénitentiaire et qu’injonction lui soit faite de transposer ce texte à ces personnels.

Pour rejeter la requête, la juge des référés du Conseil d’État estime que ces tableaux ne sauraient suffire, en tout état de cause, à établir, par eux-mêmes, le caractère grave et immédiat de l'atteinte portée à la sécurité et à la santé psychique et physique des personnels de l'administration pénitentiaire dont il se prévaut.

Le raisonnement est discutable, d’un côté, il peut être soutenu que l’immédiateté et l’urgence de l’atteinte à la santé ne résultent pas ipso facto d’un dépassement du temps de travail hebdomadaire, d’un autre côté il peut aussi être retenu que la limite hebdomadaire ainsi fixée tient compte nécessairement des risques résultant de son non-respect, risques qui, s’agissant de nerfs, de psychisme et autres, peuvent être immédiats.

Certes la voie de droit commun a davantage de chance de prospérer mais l’addition, mois après mois, de semaines où le plafond est dépassé, devrait aussi pouvoir trouver au moins une solution d’attente en référé.

(03 novembre 2023, M. A., n° 489113)

21 - Accident de plongée imputable au service - Demande d’allocation temporaire d’invalidité – Silence de l’administration valant rejet implicite – Délai de recours contentieux – Intervention d’une décision implicite de rejet puis d’une décision explicite – Condition de prorogation du délai – Absence – Erreur de droit – Annulation sans renvoi.

Un adage dit, avec juste raison, que gagnant en principe sur le fond, un justiciable peut perdre son procès sur la procédure. Le présent dossier en est une illustration.

Victime d’un accident de plongée, un commandant de port, est atteint d’une incapacité permanente partielle que la commission de réforme a arrêtée à 35%, nécessitant un appareillage auditif. Il a demandé 14 décembre 2015 à son administration le bénéfice de l'allocation temporaire d'invalidité. Une décision de refus lui ayant été opposée le 13 décembre 2017, la victime a saisi le tribunal administratif. Celui-ci a annulé le refus et fait injonction de réexaminer sa demande.

Le ministre de la transition écologique se pourvoit en cassation contre ce jugement.

Le Conseil d’État annule le jugement pour un pur motif de procédure.

L’administration étant demeurée silencieuse pendant plus de deux mois après la réception, le 15 décembre 2015, de la demande préalable de la victime, est née une décision implicite de rejet le 15 février 2016 puisqu’en application des dispositions de l’art. L. 231-4 (5°) du code des relations entre le public et l’administration le silence gardé par l'administration pendant deux mois sur une demande dont elle est saisie vaut décision de rejet dans les relations entre l'administration et ses agents. 

Le requérant soutenait que, en vertu de l’art. R. 421-3 du CJA dans sa rédaction alors applicable, « l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...) », ce qui était le cas en l’espèce s’agissant d’un litige indemnitaire où, en cas de refus tacite, le recours contentieux n'était enfermé dans aucun délai. Il n’en allait autrement que si intervenait une décision expresse de rejet, régulièrement notifiée, son destinataire disposant alors d’un délai de recours de deux mois à compter de la date de cette notification.

Or le décret du 2 novembre 2016 a supprimé cette disposition de l'article R. 421-3 précité à compter du 1er janvier 2017 et a prévu que les nouvelles dispositions de cet article s'appliqueraient aux requêtes enregistrées à partir de cette date.

D’où il découle d‘abord que, s'agissant des décisions implicites relevant du plein contentieux, le délai de recours de deux mois court désormais à compter de la date à laquelle elles sont nées, soit, au plus tôt, à compter du 1er janvier 2017. Il en découle ensuite que, pour les décisions implicites relevant du plein contentieux, nées antérieurement à cette date, à titre transitoire, un délai franc de recours de deux mois a couru à compter du 1er janvier 2017, soit jusqu'au 2 mars 2017.

Dans le présent litige, le requérant, avisé du rejet de sa demande par décision expresse du 13 décembre 2017, avait formé un recours gracieux par courrier du 5 février 2018, rejeté implicitement le 5 avril 2018 et avait saisi le tribunal administratif le 28 mai 2018. Son recours était donc irrecevable car la décision expresse du 13 décembre 2017 ne constituait pas une décision nouvelle ouvrant le délai du recours contentieux mais était purement confirmative du rejet implicite antérieur car il est de principe qu'un requérant n'est pas recevable à contester une décision expresse confirmative d'une décision de rejet devenue définitive.

(07 novembre 2023, ministre de la transition écologique…, n° 468432)

22 - Renvoi, après cassation, à une cour administrative d’appel – Obligation d’aviser le mandataire et non le seul requérant – Procédure irrégulière – Annulation.

À la suite de la cassation d’un arrêt d’appel rendu en matière fiscale et du renvoi de l’affaire devant la cour primitivement saisie, la cour avait notifié la reprise d’instance et l’avis d’audience au seul requérant. Or il résulte des dispositions de l’art. R. 431-1 du CJA qu’en cas de représentation d’une partie par un mandataire « les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire ». La procédure suivie était irrégulière d’où la cassation de l’arrêt. Le Conseil d’État, s’agissant d’une seconde cassation, statue donc lui-même au fond. En l’espèce la demande est rejetée.

(09 novembre 2023, M. C., n° 468731)

 

23 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Soumission aux règles générales de procédure – Obligation de prendre connaissances des notes en délibéré et de les viser – Absence – Annulation.

Encourt annulation la décision de la CNDA qui, en violation des règles générales relatives aux productions postérieures à la clôture de l'instruction, s’abstient dans un dossier de prendre connaissance des notes en délibéré versées et de les viser ainsi qu’il résulte de l’absence de visas relatifs à cette note en délibéré.

(09 novembre 2023, M. B., n° 469240)

(24) V. aussi, identique,  et de deux ! : 09 novembre 2023, Mme A., n° 469326

 

25 - Demande d’expulsion d’occupants d’une habitation privée – Action en justice des occupants irréguliers – Défaut de respect du principe du contradictoire – Tierce opposition – Annulation.

Les propriétaires d’un logement ont obtenu du préfet qu’une mise en demeure soit adressée à ses occupants irréguliers aux fins de libérer les lieux sous 48 heures. Le juge des référés, saisi par ces derniers, a, au visa de l’art. L. 521-2 CJA, suspendu l’exécution de l’arrêté préfectoral. Sur appel des propriétaires contre cette ordonnance de suspension, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté leur requête pour irrecevabilité, les appelants n'ayant été ni appelés ni présents à l'instance ayant abouti à l'ordonnance attaquée.

Les propriétaires ont alors demandé au juge des référés du tribunal administratif, par une requête en tierce opposition, de déclarer nulle et non avenue l’ordonnance litigieuse et de mettre fin à la suspension d’exécution de la mise en demeure préfectorale. Le juge des référés ayant rejeté ces deux demandes, les déboutés saisissent le juge des référés du Conseil d’État.

Celui-ci relève que le juge des référés a, lors de l'audience commune aux deux requêtes ayant donné lieu aux ordonnances attaquées, informé les parties à l'audience que la clôture de l'instruction interviendrait le 29 septembre à 12h. Pour chacune des deux affaires, les occupants irréguliers ont déposé un premier mémoire en défense, qui ont tous deux été enregistrés le 29 septembre à 11h01 et qui n'ont pas été communiqués aux parties.

Ainsi, le juge des référés du tribunal administratif, en ne communiquant pas aux parties les mémoires en défense présentés par les propriétaires, en violation des dispositions combinées des art. R. 522-8 et R. 611-1 du CJA, a entaché d'irrégularité les procédures aux termes desquelles il a pris les deux ordonnances attaquées rendues sans qu’aient été communiqués aux demandeurs le premier mémoire des défendeurs. Il en aurait été différemment seulement dans le cas où, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'aurait pas pu préjudicier aux droits des parties.

Au fond, l’ordonnance de suspension est déclarée non avenue ce qui rend sans objet les conclusions présentées contre celle-ci.

(ord. réf. 08 novembre 223, M. et Mme J., n° 488872)

 

26 - Appel d’un jugement – Appel déclaré manifestement irrecevable – Méprise sur les écritures du requérant – Annulation.

Encourt annulation l’ordonnance d’une présidente de chambre de cour administrative d’appel qui juge manifestement irrecevable l’appel d’un jugement rejetant une demande d’annulation de l’OQTF qui a été donné. En effet, alors que cette irrecevabilité était fondée sur que la requête ne comportait pas de moyens critiquant utilement le jugement et l'arrêté préfectoral attaqués, il est constant que le dossier soumis en appel comportait l'exposé d'éléments de fait et de droit mettant le juge d'appel à même de se prononcer.

(10 novembre 2023, M. Gakou, n° 468403)

 

27 - Interdiction de prises de vue aériennes – Non-respect des distances minimales de survol – Urgence non démontrée – Annulation de l’ordonnance de référé suspension.

La ministre demandait l’annulation de l’ordonnance de référé prononcée en première instance décidant la suspension d’exécution de l’interdiction d'exploitation faite à une société concernant la prise de vues aériennes jusqu'à la levée de cette constatation dite « de niveau 1 » par suite du survol d'une régate à Saint-Tropez le 14 juin 2022 sans respecter les distances minimales autorisées en vol rasant et du fait de l'absence de flotteurs nécessaires aux survols maritimes par un hélicoptère.

Sur pourvoi de la ministre chargée de l’écologie, l’ordonnance de suspension est annulée car la société demanderesse n’établit pas se trouver, du fait de cette interdiction, en situation d’urgence à cause de sa situation financière, les éléments financiers qu’elle a fournis étant lacunaires, en outre l’activité en cause n’est que saisonnière et enfin la société exerce d’autres activités.

(10 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 469464)

 

28 - Rectification d’erreur matérielle contenue dans un jugement – Régime contentieux – Exclusion du champ de l’office du juge de l’exécution – Erreur de droit – Annulation.

Rappel qu’en cas d’erreur matérielle entachant un jugement, le justiciable dispose soit des voies de réformation ordinaires soit de la faculté de signaler au président du tribunal qui a rendu ce jugement l’erreur affectant ce jugement. En revanche, il n’entre pas dans l’office du juge de l’exécution, saisi sur le fondement des dispositions des art. L. 911-1 et L. 911-4 du CJA, d’opérer cette rectification d’erreur matérielle.

Ici, l’ordonnance rendue au visa de ces dispositions afin de rectifier une erreur matérielle est annulée.

(10 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 470316)

 

29 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Demande adressée au bureau d’aide juridictionnelle près cette cour – Délai de quinze jours – Délai non franc – Demande ne pouvant être adressée qu’à ce bureau ou à la cour elle-même - Rejet.

Confirmant pleinement un avis de sa Section du contentieux (28 juin 2013, M. B., n° 363460), le Conseil d’État rappelle dans la présente décision que le délai de quinze jours imparti à un requérant (art. 9-4, loi du 10 juillet 1991) pour envoyer au bureau d'aide juridictionnelle de la CNDA sa demande d’aide juridictionnelle n’est pas un délai franc car cette demande ne constitue pas un recours contentieux. Par ailleurs, si cette demande peut être adressée au bureau d’aide juridictionnelle de la CNDA ou à la CNDA elle-même, en revanche aucune disposition ne permet qu’elle soit déposée auprès du chef de l’établissement pénitentiaire où est incarcéré le requérant.

Cette dernière restriction, eu égard à une situationn de détention, ne nous semble pas bienvenue.

(13 novembre 2023, M. B., n° 467595)

 

30 - Domaine public maritime – Contravention de grande voirie – Demande de condamnations diverses du contrevenant – Rejet partiel assorti d’une injonction de démolir sous astreinte – Recours en tierce opposition – Rejet.

(13 novembre 2023, Syndicat de la copropriété « La Joie de Vivre », n° 474211)

V. n° 9

 

31 - Caractère contradictoire de la procédure contentieuse – Indication trop vagues données à la demanderesse pour fournir son mémoire – Incertitudes de date et de délai – Annulation.

Dans un litige portant sur le licenciement d’une aide-soignante titulaire exerçant au sein d’un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), le juge de cassation est amené à annuler l’arrêt d’une cour administrative d’appel pour non-respect du contradictoire dans les circonstances suivantes.

La cour a communiqué le mémoire en défense de l’EHPAD à la requérante avec les indications suivantes : « Dans le cas où ce mémoire appellerait des observations de votre part, celles-ci devront être produites en deux exemplaires, dans les meilleurs délais » et « Afin de ne pas retarder la mise en état d'être jugé de votre dossier, vous avez tout intérêt, si vous l'estimez utile, à produire ces observations aussi rapidement que possible ». De telles indications ne permettaient pas à l'intéressée, en l'absence de date déterminée, de connaître de façon certaine le délai dans lequel elle était invitée à produire ses observations en réplique. De plus, en l'absence d'audience, elle n'a pas été mise en mesure de les faire éventuellement valoir avant que la cour ne statue.

L’arrêt est annulé pour méconnaissance du caractère contradictoire de la procédure.

(14 novembre 2023, Mme B., n° 471622)

(32) V. aussi, très comparable, le juge des référés ayant, dans un litige en contestation d’autorisation d’implanter des éoliennes, rendu son ordonnance le lendemain du jour de l’envoi de son invitation à produire… : 29 novembre 2023, Association Fédération environnement durable et autres, n° 468962.

 

33 - Référé liberté – Procédure – Nécessité de respecter les conditions d’ouverture de ce référé – Contestation du silence gardé sur ses plaintes ou réclamations – Requête manifestement irrecevable – Rejet.

Est manifestement irrecevable et rejetée selon les modalités prévues à l’art. L. 522-3 du CJA, la requête en référé liberté d’une personne contestant l'absence de réponse à ses plaintes adressées au procureur de la république de Paris et au Conseil national de l'ordre des médecins ainsi que l'absence de réponse à ses réclamations adressées à tous les organismes de santé publique de Paris et relatives à l'autorisation de commercialisation sur le territoire français des flacons Cominarty du laboratoire Pfizer. En effet, la demanderesse n’indique pas en quoi et comment ces demandes se rattacheraient à une mesure que le juge des référés serait susceptible de prononcer en vertu des dispositions du code de justice administrative. 

(ord. réf. 21 novembre 2023, Mme A., n° 489346)

(34) V. aussi, rejetant un recours de la même requérante tendant à la suspension de l’exécution de l'ordonnance du 6 septembre 2023 par laquelle le président de la chambre de discipline du conseil central de la section H de l'Ordre des pharmaciens a rejeté sa plainte, un tel litige ne relevant de la compétence drecte du Conseil d’État statuant en premier et dernier ressort : ord. réf. 21 novembre 2023, Mme A., n° 489347

 

35 - Référé liberté – Urgence particulière à ce référé – Longueur du délai à saisir le juge des référés – Rejet.

Ne saurait justifier sa demande de suspension de la décision implicite par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai et prononçant une interdiction de retour pour une durée de deux ans, le ressortissant étranger (algérien) qui a attendu près de deux mois pour saisir le juge des référés du tribunal administratif d'une telle demande, ce temps mis à saisir le juge n’est justifié par aucune circonstance particulière d’où il résulterait pour ce dernier une obligation impérative de statuer à bref délai.

(ord. réf. 24 novembre 2023, M. B., n° 489414)

 

36 - Référé liberté – Désistement de conclusions à fin d’injonction - Conditions d’application de l’art. L. 761-1 CJA – Absence d’effet automatique sur la qualité de « partie perdante » - Rejet.

Dans un litige en revendication d’hébergement d’urgence, satisfaction ayant été accordée à la demanderesse d’hébergement, celle-ci s’est désistée de ses conclusions à fin d’injonction. Son avocat a réclamé le bénéfice de l’application  à son profit des dispositions de l’art. L. 761-1 CJA.

Pour rejeter cette demande le juge rappelle d’abord que la circonstance que la requérante ait déclaré se désister purement et simplement de ses conclusions à fin d'injonction ne conduit pas à la regarder ipso facto comme la partie perdante au sens et pour l'application des dispositions de l'art. L. 761-1 CJA et ne s'oppose dès lors pas au maintien des conclusions présentées à ce titre par son avocat. Il indique ensuite qu’en cette hypothèse il appartient au juge d'apprécier, en fonction des circonstances de l'espèce, s'il y a lieu d'y faire droit. 

Enfin, constatant que l’avocat requérant se borne à faire valoir en appel que sa cliente n'a obtenu l'hébergement qu'elle réclamait que peu de temps avant la tenue de l'audience convoquée pour examiner sa requête et que la préparation de cette dernière a exigé plusieurs heures de travail, il relève cependant que l’avocat n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause le rejet de sa demande prononcé par le juge des référés du tribunal administratif. Son appel est donc rejeté.

Nous est-il permis de dire que l’argumentation du juge est très elliptique ?

(ord. réf. 24 novembre 2023, Maître Bastien Demars, n° 489458)

 

37 - Référé liberté – Demande d’injonction adressée à l’État (élaboration et déclenchement d’un plan ORSEC eau à Mayotte) – Absence de compétence directe du Conseil d’État – Rejet.

L’association requérante a saisi directement le Conseil d’État d’un référé liberté en vue qu’il soit fait injonction à l’État d'élaborer et de déclencher un plan ORSEC Eau Potable adapté à Mayotte et d'établir, dans les quarante-huit heures, un plan complet d'urgence sanitaire et d'accès à l'eau à Mayotte. Cette requête est rejetée car bien que ses conclusions soient dirigées contre l'État « pris en la personne du ministre délégué aux outre-mer », l’essentiel des mesures réclamées relève de la compétence du préfet  car elles doivent être mises en œuvre localement.

La juridiction saisie est donc manifestement incompétente pour connaître d’un tel recours direct et cela alors même que la requérante invoque une défaillance du préfet.

(ord. réf. 24 novembre 2023, Association Notre affaire à tous, n° 489567)

 

38 - Société demandant l’annulation d’un contrat conclu par une collectivité publique avec une autre société – Société demanderesse ayant fait l’objet d’une liquidation judiciaire – Sursis à statuer sur le recours en annulation dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad hoc – Rejet.

Une société, candidate à l’attribution d’un lot de plage, a demandé l’annulation de l’attribution de ce lot à une autre société. Sa demande a été rejetée en première instance puis, l’appel ayant été interjeté, la société requérante a été mise en liquidation judiciaire. Par un arrêt avant-dire droit, la cour administrative d’appel a sursis à statuer sur la requête jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois afin de permettre la désignation, par le tribunal compétent, d'un administrateur ad hoc pour représenter la société appelante.

La commune se pourvoit en cassation de cet arrêt au motif principal que la requérante ayant perdu la personnalité morale du fait de sa liquidation son appel ne pouvait plus être jugé.

Le moyen est rejeté au visa des dispositions de l’art. L. 237-2 du code du commerce d’où il résulte que la perte de la personnalité morale d'une société en cours d'instance ne prive pas d'objet sa requête.

C’est ainsi sans erreur de droit que la cour a décidé de surseoir à statuer dans l’attente de la désignation d’un mandataire ad hoc.

(28 novembre 2023, Commune de Saint-Cyr-sur-Mer, n° 468865)

 

39 - Référé suspension – Chasse à la tourterelle des bois – Suspension jusqu’au 30 juillet 2024 – Doute sur la compatibilité de cette chasse avec la conservation de l’espèce – Condition d’urgence non remplie – Rejet.

Il convient de signaler cette décision rejetant un référé tendant à la suspension de l'arrêté du 2 août 2023 par lequel le ministre chargé de l’écologie a suspendu la chasse de la tourterelle des bois sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024.

En effet, pour dire que la condition d’urgence n’est pas remplie en l’espèce, le juge retient « le doute sur la compatibilité de la chasse avec les efforts de conservation de cette espèce », ce qui est une formulation assez proche des exigences du principe de précaution qui conduit à s’abstenir en cas de doute car le pire n’est jamais exclu.

Voilà qui satisferait les préconisations d’Hans JONAS (cf. Le principe responsabilité, Une éthique pour la civilisation technologique, 1979, Flammarion, coll. Champs, 2013 ; V. aussi : J.-C. Ricci, Histoire des idées politiques, Dalloz Cours, 5ème édit. 2023, § 590).

(ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489320)

(40) V. aussi, rejetant pour le même motif que ci-dessus le recours en référé suspension de l’arrêté suspendant la chasse du courlis cendré sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024 (ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489321)

(41) V. encore, rejetant pour le même motif que ci-dessus le recours en référé suspension de l’arrêté suspendant la chasse de la barge à queue noire sur l'ensemble du territoire métropolitain jusqu'au 30 juillet 2024 (ord. réf. 29 novembre 2023, Union nationale des associations de chasseurs d'oiseaux migrateurs, n° 489321)

Droit fiscal et droit financier public – Comptabilité publique

 

42 - Location de fonds de restaurant et exploitation de deux restaurants – Vérification de comptabilité et examen contradictoire de la situation fiscale personnelle du contribuable -  Reconstitution des recettes – Exercice de plusieurs activités distinctes retracées dans une comptabilité unique – Nouvelle notification de redressements – Notion – Information sur les conséquences financières de la vérification – Reconstitution du chiffre d’affaires par la méthode « des cafés » - Annulations et rejets partiels.

Cette décision, qui porte notamment sur la notion et le régime des vérifications de comptabilité et sur une méthode de reconstitution du chiffre d’affaires dans la restauration, est intéressante à ce double titre.

À la suite de la vérification de la comptabilité d’un loueur de fonds de restaurant exploitant lui-même également deux restaurants, puis de l’examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, l’administration a, d’une part, procédé à la reconstitution des recettes et, d’autre part, taxé d’office les sommes qu’elle a considérées comme des revenus d’origine indéterminée. Un contentieux s’en est suivi jusqu’en cassation.

Tout d’abord, il est jugé, conformément à la jurisprudence antérieure, que dans le cas où le contribuable exerce des activités distinctes (ici location de fonds et exploitation directe de restaurants) dont les opérations sont retracées dans une seule comptabilité donnant lieu à une déclaration fiscale commune, l’administration n’est pas tenue de suivre une procédure de vérification propre à chacune de ces activités. L’impôt est déclaratif et l’administration contrôle normalement des déclarations.

Ensuite, il est rappelé que toute révision à la hausse du montant des redressements notifiés doit faire l'objet d'une nouvelle notification de redressements, à peine d'irrégularité de la fraction de l'imposition correspondant aux rehaussements opérés. En l’espèce, la cour administrative d’appel est approuvée pour avoir jugé n’être pas en présence d’une rectification supplémentaire dès lors que l’administration se bornait à corriger une erreur affectant la saisie du résultat reconstitué en matière de bénéfices industriels et commerciaux et une erreur tenant à l'omission d'un remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée au profit du contribuable. D’autant que cela conduisait à arrêter un montant de rappels de taxe sur la valeur ajoutée, en droits, inchangé, et un montant des droits réclamés au titre des bénéfices industriels et commerciaux modifié à la baisse.

Également, l’administration, s’agissant des conséquences financières de la vérification de comptabilité, a procédé à l'application d'une majoration de 345 euros sur le fondement de l'art. 1758 A du CGI qui n'avait pas été mise en œuvre auparavant, et, s'agissant des conséquences financières de l'examen de situation fiscale personnelle, elle a appliqué une majoration de 2988 euros sur le fondement du même article, alors que ce montant avait été arrêté à 2637 euros dans la réponse aux observations du contribuable. Pour la seconde majoration, il est jugé que le contribuable a été mis en mesure de présenter utilement ses observations tant sur le principe de cette majoration, infligée à raison d'un retard de déclaration, puisque ce retard était relevé dès la proposition de rectification, que sur le montant des droits mis à sa charge sur laquelle elle était assise, modifié seulement à la baisse par un courrier postérieur, c'est sans erreur de qualification juridique ni erreur de droit que la cour administrative d'appel a jugé que l'administration n'était pas tenue de répondre aux observations que le contribuable avait formulées sur ce point en réponse à ce courrier. En revanche, pour la majoration de 345 euros, dont il n'avait pas été en mesure auparavant de contester le principe, le contribuable est jugé fondé à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit en estimant que l'administration n'était pas tenue de répondre à ses observations sur ce point.

Enfin, la comptabilité du contribuable ayant été considérée comme non probante à raison de l’existence de revenus de source indéterminée, l’administration a reconstitué son chiffre d’affaires, s’agissant d’un établissement de restauration, par la « méthode des cafés ». Celle-ci consiste, d'une part, à estimer le nombre de ventes de café non enregistrées, en évaluant le nombre de cafés servis à partir des achats et de l'évolution des stocks, et en en déduisant le nombre de cafés enregistrés comme vendus, la consommation estimée du personnel et une réfaction de 5 % au titre des cafés offerts, d'autre part, à estimer le chiffre d'affaires associé à chaque café vendu, et enfin à multiplier le nombre estimé de cafés dont la vente n'a pas été enregistrée par le chiffre d'affaires par café vendu estimé. 

Le contribuable soutenait que la méthode de calcul était viciée car elle ne tenait pas compte des cafés simples inclus dans le prix de la majorité des menus. Il est jugé qu'en écartant ce moyen la cour administrative d'appel a commis une erreur de qualification juridique.

(03 novembre 2023, M. B., n° 460520)

 

43 - Déficit reportable – Groupe fiscalement intégré – Déficit imputable à la société mère ou à celle l’absorbant – Imputation possible sur les sociétés membres de l’ancien groupe figurant à nouveau comme telle dans le groupe absorbant – Annulation.

Le litige portait sur le régime, souvent source de contentieux, des déficits reportables notamment en cas de fusion ou absorption de groupes fiscalement intégré.

De la combinaison des dispositions des articles 233 C, 233 I, 233 L et 233 S du CGI, le juge tire cette conclusion que :

- d’une part, les déficits reportables constitués par un groupe fiscalement intégré ayant cessé sont imputables sur les bénéfices propres de la société mère de ce groupe ;

- d’autre part, qu’en cas d’absorption de cette société mère par une société qui est mère d'un nouveau groupe fiscalement intégré avec les sociétés membres de l'ancien groupe, les déficits reportables constitués par l'ancien groupe sont imputables sur les bénéfices propres de la société absorbante, sous réserve d'obtention de l'agrément nécessaire à cet effet.

En revanche, contrairement à ce qu’a jugé la cour administrative d’appel, au prix d’une erreur de droit, ces déficits ne peuvent être également imputés que sur les bénéfices des seules sociétés membres du groupe ayant cessé et qui font partie du nouveau groupe et non de l’ensemble des déficits constitués par l'ancien groupe transférés à la société absorbante.

(07 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 455304)

 

44 - Contrôle sur pièces et examen d’une situation fiscale personnelle – Non-communication des procès-verbaux d'audition fondant les rectifications en litige – Absence de vérification d’une demande en ce sens pour une année – Erreur de droit – Annulation de l’arrêt dans cette limite.

Après un contrôle sur pièces portant sur l'année 2013 et un examen de leur situation fiscale personnelle portant sur les années 2014 et 2015, l'administration a, par deux propositions de rectification concernant respectivement l'année 2013 et les années 2014 et 2015, notifié aux contribuables requérants des rehaussements d’imposition sur les trois années.

La cour administrative d’appel, se fondant sur les dispositions de l’art. 76 B du livre des procédures fiscales, a jugé qu'en s'abstenant de communiquer aux contribuables les procès-verbaux d'audition fondant les rectifications en litige, l'administration fiscale avait, au titre des trois années, méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales.

L’arrêt est cassé concernant l’année 2013 car il est reproché à la cour de n’avoir pas recherché si, au titre de cette année, dont la vérification était distincte de celle des années 2014 et 2015, les requérants avaient sollicité la communication des procès-verbaux en cause avant la mise en recouvrement des impositions en litige. Le renvoi est effectué dans cette mesure.

(07 novembre 2023, M. et Mme A., n° 465362)

 

45 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Inclusion prétendue des dotations aux amortissements des immobilisations affectées à ce service – Absence – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Le Conseil d’État annule un jugement comme entaché de dénaturation des pièces à lui soumises, dans les circonstances suivantes, relatives au contentieux de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Cette dénaturation ressort de deux éléments.

En premier lieu, le tribunal a jugé que le montant total des dépenses du service de collecte et de traitement des ordures ménagères d’une communauté d'agglomération, évalué à 14 932 873 euros, incluait les dotations aux amortissements des immobilisations qui lui étaient affectées, d'un montant de 2 025 000 euros, alors qu’il ressortait de l'état de répartition de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères figurant au dossier que le montant de 14 932 873 euros n'incluait aucune charge d'amortissement.

En second lieu, il est également reproché aux premiers juges d’avoir pris en compte le montant de dotations aux amortissements de 2 025 000 euros, qui figurait dans le tableau « annexes - éléments du bilan - présentation croisée par fonction - vue d'ensemble (1) » sous la mention « opérations non ventilables », sans procéder, au besoin par un supplément d'instruction, à un retraitement afin d'identifier la part afférente aux immobilisations affectées au service de collecte des déchets.

(07 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 466957)

 

46 - Cession de droits incorporels (brevets) - Dispositifs d'éclairage pour piscines – Prix d’achat payé par une société de droit français à une société lettone pour la fourniture de ces dispositifs supérieur au prix moyen du marché – Présomption de transfert de bénéfices – Absence de procédure pour abus de droit – Défaut de preuve – Rejet.

La requérante, qui exerce une activité de vente de dispositifs d'éclairage pour piscines, a créé entre ses associés la société de droit letton PPLV Trading, l'un étant, en outre, l'ayant-droit économique de la société luxembourgeoise Royalux.

La société Alphadif vend ces dispositifs qu’elle acquiert auprès de la société PPLV Trading qui, elle-même se fournit en Chine.

En 2008, les associés d’Alphadif ont cédé à la société Royalux leurs droits de propriété intellectuelle sur les demandes de brevets relatifs à ces équipements pour la somme de 10 000 euros. La société Royalux en a concédé l'exploitation à la société PPLV Trading moyennant une redevance annuelle fixée à 400 000 euros.

Suite à une procédure de visite et de saisie, puis à une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010, 2011 et 2012, l'administration fiscale a réintégré dans son résultat imposable des trois exercices vérifiés les sommes correspondant à la partie des paiements effectués au bénéfice de la société PPLV Trading en tant qu'ils correspondaient à la redevance acquittée par cette dernière auprès de la société Royalux.

La demande d’Alphadif tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie, des retenues à la source qui lui ont été réclamées ainsi que des pénalités correspondantes, à la suite de cette rectification, a été rejetée en première instance tandis que la cour administrative d'appel a annulé ce jugement, prononcé la décharge des impositions en litige et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Le ministre de l'économie, des finances …, se pourvoit en cassation des articles 1er à 3 de cet arrêt. Il est débouté.

Tout d’abord, il est jugé que c’est sans erreur de droit que la cour a rejeté la prétention du ministre à la voir appliquer en l’espèce une présomption de transfert de bénéfices car l’administration n'a pas fait valoir auprès des juges du fond que les prix payés par la société Alphadif à la société lettone PPLV Trading pour la fourniture de dispositifs d'éclairage pour piscines auraient été supérieurs à ceux pratiqués pour des biens comparables par des entreprises similaires exploitées normalement.

Ensuite, il est jugé qu’à supposer même – comme il est soutenu par le demandeur à la cassation - que le montage et les opérations en cause aient été réalisés dans le but de faire échapper des bénéfices ou des revenus à l'imposition en France par le jeu de la cession de droits incorporels à un prix minoré et de la prise en charge, par la société Alphadif dont les cédants de ces droits étaient associés, d'une redevance excessive en contrepartie de ces droits, à l'avantage de la société luxembourgeoise Royalux, il est constant que l’administration a, au cours de la procédure de vérification, renoncé à mener à son terme la procédure de répression des abus de droit prévue à l'art. L. 64 du livre des procédures fiscales et qu’ainsi elle n'a apporté la preuve - qui lui incombait puisque la présomption de transfert de bénéfices ne pouvait jouer en l’espèce -, ni de ce que le montant de la redevance supportée en définitive par la société Alphadif était excessif, notamment au regard de son chiffre d'affaires, ni de ce que la société lettone PPLV Trading lui aurait facturé une prestation qu'elle ne lui aurait pas fournie.

(07 novembre 2023, Société Alphadif, n° 471310)

 

47 - Remboursements des frais de déplacement perçus par le gérant majoritaire d’une sarl – Éléments du revenu imposable – Absence de comptabilisation apparente ou de justificatifs sans effet à cet égard – Absence de caractère d’avantage occulte – Annulation.

L’associé unique et gérant majoritaire d’une s a r l a perçu les remboursements de ses frais de déplacement qu’il a déduits des revenus imposables à l’impôt sur les sociétés. L’administration fiscale a réintégré les sommes correspondantes dans le revenu imposable car, selon elle, ces charges n’étaient pas assorties de justificatifs et les a qualifiés d’avantage occulte constitutif de revenu distribué.

Les contribuables ont saisi, en vain, les juges du fond ; ils se pourvoient en cassation de l’arrêt de rejet confirmatif.

Le Conseil d’État est à la cassation car il considère qu’il résulte des dispositions combinées des art. 62, 39 et 111, c et d, du CGI que les remboursements de frais de déplacement perçus par un gérant majoritaire de s a r l constituent, en principe, même en l'absence de justificatifs, un élément de sa rémunération imposable (cf. art. 62 du CGI), dans la catégorie des rémunérations allouées aux gérants majoritaires de société à responsabilité limitée, sauf si l'administration établit que les sommes correspondantes n'ont pas fait l'objet d'une comptabilisation explicite en tant que remboursements octroyés au personnel ou que leur montant, ajouté aux autres éléments de la rémunération, a pour effet de porter le total de celle-ci à un niveau excessif.

Dans chacun de ces deux derniers cas, ces sommes sont imposées dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement, respectivement, des c et d de l'article 111 du même code.

Ainsi, en l’espèce, l'absence de justification du caractère professionnel de remboursements de frais de déplacement n'était pas à elle seule de nature à faire écarter la qualification d'élément de la rémunération imposable du contribuable. Comme de tels remboursements ne constituent pas des avantages en nature (cf. art. 54 bis CGI), il s’en déduit que la cour a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en jugeant que les sommes en litige présentaient le caractère d'un avantage occulte au sens du c de l'article 111 du CGI et qu’elles étaient, en conséquence,  imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers, alors qu'elle a relevé par ailleurs que les frais de déplacement en litige avaient été inscrits dans la comptabilité de la société et qu'elle n'a pas fait état de ce que l'administration aurait établi que ces remboursements portaient la rémunération de M. C. à un niveau excessif.

(07 novembre 2023, M. et Mme C., n° 471338)

 

48 - Exercice d’une activité occulte ou détention de revenus distribués par une personne morale exerçant une activité occulte – Droit de reprise de l’administration – Délai décennal – Exercice de ce droit dans le délai de droit commun de trois ans – Absence d’effets sur le délai décennal – Erreur de droit – Annulation.

Selon l’art. L. 169 du livre des procédures fiscales, en matière d'impôt sur le revenu et d'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due. Toutefois ce texte comporte une exception lorsque le contribuable exerce une activité occulte ou lorsqu'il est bénéficiaire de revenus distribués par une personne morale exerçant une activité occulte, le droit de reprise s'exerce alors jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due.

Par ailleurs, l’art. R. 196-3 du livre des procédures fiscales dispose que lorsqu’un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations.

En l’espèce, l’administration prétendait, suivie en cela par les juges du fond, que dès lors qu’elle avait exercé, en l’espèce, son droit de reprise dans le délai de droit commun de trois ans, le contribuable, en raison du parallélisme de délais instauré par l’art. R. 196-3 précité, ne disposait également que du même délai de trois ans et non de dix ans comme le soutenait ce dernier. La cour avait donc confirmé le rejet, prononcé par le tribunal administratif, de la requête en raison de ce que le contribuable ne disposait pas d’un délai de dix ans.

Le Conseil d’État annule pour erreur de droit l’arrêt déféré à sa censure. Cette solution doit être approuvée car il se déduit évidemment de l’art. L. 169 précité du LPF que le contribuable qui a fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification dispose, pour présenter ses propres réclamations, d'un délai égal à celui fixé à l'administration pour établir l'impôt, lequel expire, s'agissant de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés et lorsque le contribuable exerce une activité occulte, le 31 décembre de la dixième année suivant celle au cours de laquelle la proposition de rectification lui a été régulièrement notifiée. Il importe peu à cet égard que l’administration n’ait pas usé de la faculté exceptionnelle d’étendre de trois ans (délai de droit commun) à dix ans (délai exceptionnel) le délai de reprise car la durée exceptionnelle de celui-ci est exclusivement liée à la nature occulte des revenus en cause. Une fois cette condition remplie, le délai est inexorablement de dix ans. 

(09 novembre 2023, M. B., n° 466960)

 

49 - Agent public – Avance sur frais de déplacement et de mission – Principe de prescription biennale des demandes de répétition d’indus adressés aux agents – Erreur de droit – Annulation.

L'article 37-1 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dispose que les répétitions d’indus effectués par les personnes publiques en matière de rémunération de leurs agents sont enfermées dans un délai de deux années à compter du premier jour du mois suivant celui de la date de mise en paiement du versement erroné, y compris lorsque ces créances ont pour origine une décision créatrice de droits irrégulière devenue définitive. C’est la règle de la prescription biennale.

En l’espèce, suivant en cela l’argumentation de l’agent bénéficiaire d’une avance sur frais de déplacement et de mission, une cour administrative d’appel a jugé que l’administration ne pouvait pas répéter cette avance car cette répétition était couverte par la prescription biennale.

Pour annuler l’arrêt, le Conseil d’État relève que la prescription biennale ne s’applique pas aux sommes en cause qui ne sont pas des « rémunérations » au sens et pour l’application des dispositions précitée de la loi du 12 avril 2000, lesquelles à raison de leur caractère dérogatoire sont nécessairement de droit étroit.

(09 novembre 2023, ministre des armées, n° 469144)

 

50 - Société de biens immobiliers de droit américain – Mise à disposition gratuite d’un bien à titre de résidence principale aux parents de l’un de ses associés – Mise à disposition par ces derniers au profit d’un employé d’entretien de ce bien d’une partie de celui-ci comme avantage en nature – Opération de caractère lucratif – Qualification juridique inexacte des faits – Annulation.

Le litige concernait une société de droit américain dont le siège est en Californie, à raison de son assujettissement à l’impôt sur les sociétés par voie d’évaluation d’office.

Le Conseil d’État rappelle tout d’abord que, saisi d'un litige portant sur le traitement fiscal d'une opération impliquant une société de droit étranger, il incombe au juge fiscal d'identifier, au regard de l'ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, à quel type de société de droit français est assimilable la société de droit étranger. Ensuite, il détermine le régime applicable à l'opération litigieuse au regard de la loi fiscale française.

Sur le fond, l’administration fiscale, confirmée par les juges du fond, a estimé que la société  se livrait à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, relevant en particulier pour cela qu’elle était propriétaire d'un ensemble immobilier et d'une maison et que ces biens immobiliers étaient mis à la disposition gratuite des parents de son associé, ces derniers occupant l'ensemble immobilier à titre de résidence principale et ayant attribué, comme logement de fonction au titre d'un avantage en nature, une maison à leur employé et sa compagne, qui n'étaient ni associés ni en lien de parenté avec les associés. La cour en avait conclu que la société Carmejane LLC était passible de l'impôt sur les sociétés en France, dès lors que, compte tenu de son objet social, qui inclut notamment l'achat, la location et la revente de biens immobiliers, la mise à disposition à titre gracieux de tels biens au profit des parents de son dirigeant ainsi que de tiers, devait être regardée comme une opération de caractère lucratif au sens et pour l'application du 1 de l'article 206 du CGI.

Le Conseil d’État annule cet arrêt  pour avoir inexactement qualifié les faits au plan juridique car « la mise à disposition à titre gratuit par une société de biens immobiliers aux parents de son associé à titre de résidence principale ne saurait caractériser, par elle-même, une activité lucrative, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que ces derniers mettent à leur tour à la disposition de leur salarié chargé d'entretenir la propriété et d'assurer son gardiennage, à titre d'avantage en nature, une partie des biens en cause. »

(13 novembre 2023, Société Carmejane LLC, n° 465852)

 

51 - Impôt sur les sociétés - Provisions pour dépréciation de stocks – Provisions pour créances douteuses – Déduction refusée – Annulation - Rejet.

Une société, membre du groupe fiscalement intégré dont la requérante est la mère, exerce un négoce de visserie et de boulonnerie comprenant un très grand nombre d’articles différents. Elle a déduit de ses résultats une provision pour dépréciation de stocks et une provision pour créances douteuses qui n’ont pas été admises par l’administration fiscale.

Par un arrêt infirmatif, la cour administrative d’appel, saisi par la contribuable a accordé les dégrèvements d’impôts qu’elle sollicitait.

Le ministre des finances, de l’économie…se pourvoit, en vain, en cassation de cet arrêt.

La déduction fiscale pour dépréciation de stocks se réalise lorsqu’une entreprise constate que tout ou partie des matières ou produits qu'elle possède en stock a, à la date de clôture de l'exercice, une valeur probable de réalisation inférieure au prix de revient.

Cette dépréciation doit normalement être calculée par articles ou catégories d’articles en stock concernés. En l’espèce, la cour est approuvée d’avoir jugé que les différentes variétés de boulons et de vis constituant le fonds de ces stocks, subissaient, du fait d’une rotation lente, une dépréciation homogène sans qu’il soit besoin de spécifier cette dépréciation par type ou catégorie de pièces correspondant aux références figurant en catalogue, opération qui ne serait, ici, ni utile ni raisonnable en vue d’une utilisation statistique. Si le ministre faisait valoir qu’il convenait de tenir compte, en toute rigueur statistique, du réapprovisionnement de certaines références ayant fait, à la suite du constat de leur faible rotation, l'objet de provisions inscrites au cours de la même année, ce qui aurait révélé le caractère vicié dans son principe de la méthode statistique adoptée par la société, la cour a pu, sans erreur de droit, estimer que ceci ne concernait, le cas échéant, qu’un très petit nombre de pièces et qu’il incombait à l’administration de remettre en cause les provisions constituées à raison des seuls produits pour lesquels pouvait être établie l'incohérence des pratiques de cette société. Enfin, il est jugé que la circonstance que les produits dont les références avaient fait l'objet de provisions étaient vendus à un prix excédant la valeur moyenne unitaire nette de ces articles en comptabilité n'était pas, par elle-même, de nature à invalider la méthode statistique adoptée par la société.

S’agissant de la provision pour créance douteuse, c’est sans erreur de droit que la cour, après avoir relevé que la société avait effectué des relances régulières au sujet de la créance qu’elle détenait sur une cliente étrangère et faisait valoir l'insuffisance et les difficultés de la trésorerie de celle-ci, ainsi que l'existence d'autres dettes concurrentes, a jugé que cette société établissait le caractère probable du risque d'irrecouvrabilité de cette créance et en déduire que la société était fondée à constituer, au titre de l'exercice clos en 2008, une provision égale à près de 90 % du montant de cette créance, sans qu'ait d'incidence à cet égard l'absence de caractère coercitif des relances effectuées ou la circonstance que la cliente étrangère ait procédé, en 2008, au paiement de factures émises par cette société. 

(13 novembre 2023, ministre des finances, de l’économie…, n° 466464)

 

52 - Réintégration dans le bénéfice d’une société mère des revenus distribués par sa filiale à 100% - Résultat d’ensemble du groupe – Obligation, sauf exceptions légales, pour chacune des sociétés intégrées de déterminer son résultat dans les conditions de droit commun – Revenus distribués regardés à bon droit comme réintégration de recettes non comptabilisées – Rejet.

Une société fiscalement intégrée à un groupe prétend avoir distribué la totalité de ses revenus à sa société mère, ils sont requalifiés par l’administration fiscale et par le juge comme étant en réalité des recettes non comptabilisées à la date de clôture des exercices contrôlés. S’ensuivent des rehaussements d’impositions qui sont contestés par la société mère.

Celle-ci se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel qui a rejeté ses prétentions : elle est déboutée.

Le juge rappelle une constante qui résulte directement de dispositions du CGI (art. 223 A et 223 B du CGI et art. 46 quater-0 ZG de l'annexe III à ce code) : dans un groupe fiscal intégré le résultat d’ensemble de la société mère résulte de la somme algébrique des résultats de chacune des sociétés du groupe, déterminés dans les conditions de droit commun. Dès lors que l’une (ou plusieurs) des sociétés du groupe ne se trouve(nt) pas dans l’une des exceptions légales à ce principe, c’est donc le droit commun qui s’applique. Or en l’espèce, les revenus prétendument distribués à la société mère n’apparaissent pas dans le résultat de la société distributrice.

C’est pourquoi la cour administrative d’appel est approuvée d’avoir jugé, par application du principe que l’on vient de rappeler, que les sommes réintégrées aux résultats de la société Cesco ne pouvaient être neutralisées pour le calcul du résultat d'ensemble du groupe fiscal intégré que cette société formait avec sa filiale, la société Bastide du Cours, d’autant que ces sommes n’avaient ni la nature d’une  subvention directe ni celle d’une subvention indirecte au sens et pour l’application des dispositions de l’art. 223 B du CGI.

La cour a retenu deux éléments à cet effet.

 En premier lieu, elle a estimé que la circonstance que la filiale avait désigné la société mère comme étant la bénéficiaire des revenus réputés distribués, en litige, ne permettait pas de regarder la filiale comme ayant procédé au versement effectif d'une quelconque somme au bénéfice de sa société mère, de sorte que les distributions ne pouvaient être regardées comme ayant la nature d'une subvention directe consentie par la première à la seconde au sens des dispositions du sixième alinéa de l'art. 223 B du CGI.

En second lieu, elle a considéré que le rehaussement des bénéfices de la société Bastide du Cours dont découlent les distributions en litige ne procédait pas de la remise en cause d'une opération constitutive d'un acte anormal de gestion ayant pour effet un transfert de bénéfice à sa mère, ce dont elle a déduit que ces distributions ne pouvaient pas davantage être regardées comme des subventions indirectes au sens des mêmes dispositions. 

(13 novembre 2023, Société Cesco, n° 469628)

 

53 - Plan d’épargne en actions (PEA) – Retraits partiels de sommes d’un PEA – Assujettissement des gains nets en résultant aux contributions sociales sur le revenu – Rejet.

Il est jugé que les gains nets afférents aux retraits partiels de sommes d'un plan d'épargne en actions sont soumis aux contributions sociales sur les revenus de placements instituées par le b du 5° du II de l'art. L. 136-7 du code de la sécurité sociale, quelle que soit l'origine des sommes retirées.

Il en va notamment ainsi lorsque ces sommes proviennent, en tout ou partie, du gain de cession de titres inscrits sur ce plan d'épargne, regardé, eu égard aux conditions dans lesquelles il est intervenu, comme acquis en contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant du cédant et comme ayant, par suite, la nature de traitements et salaires devant être soumis à l'impôt sur le revenu dans cette catégorie au titre de l'année de la cession en application des articles 79 et 82 du CGI. 

Le pourvoi est rejeté car c’est cette solution qu’a adoptée l’arrêt de la cour sans erreur de droit ni erreur de qualification juridique des faits.

(29 novembre 2023, M. B., n° 461258)

 

54 - Plus value de cession d’un bien immobilier – Exonération – Conditions – Libre disposition du bien depuis le 1er janvier de l’année précédant la cession – Opposition d’une QPC – Refus de transmission.

(29 novembre 2023, M. A., n° 466283)

V. n° 143

 

55 - Dettes fiscales – Avis à tiers détenteurs – Référé liberté –  Dettes prescrites - Annulation.

Qui rechercherait une illustration de l’adage « summun ius summa iniuria » la trouverait à la perfection dans la présente affaire.

La requérante a fait l’objet de la part de l’administration fiscale d’une saisie administrative à tiers détenteur auprès de Pôle emploi afin d'obtenir le paiement de la somme de 1 016 euros correspondant à des reliquats de cotisations de taxe d'habitation de l'année 2007 et d'impôt sur le revenu de 2006. La réclamation de la contribuable adressée au service des impôts étant demeurée sans réponse de ce dernier, l’intéressée a saisi le juge du référé liberté en vue que soient suspendus les effets de cet avis à tiers détenteur ainsi que la restitution des sommes déjà prélevées. Elle interjette appel du rejet de sa requête en référé.

Le juge des référés du Conseil d’État annule l’ordonnance attaquée : l’urgence à suspendre est avérée et l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale certaine.

Sur le premier point, il est relevé, d’une part, qu'en dehors de la somme de 143 euros dont elle dispose mensuellement après déduction des sommes prélevées sur les allocations qui lui sont versées par Pôle emploi en exécution de la saisie administrative à tiers détenteur en litige, l'intéressée ne dispose d'aucune autre ressource pour subvenir à ses besoins et, d’autre part, que son compte bancaire présentait au 10 octobre 2023 un solde débiteur de 122 euros, enfin, qu'elle n'est détentrice d'aucun produit d'épargne dans l'établissement bancaire concerné. Ces éléments, au surplus, ne sont pas contestés par l'administration fiscale.

L’ordonnance de rejet est annulée en ce qu’elle est fondée sur le défaut d’urgence. Il faut s’interroger sur la double question de savoir comment l’administration peut-elle s’obstiner dans l’immoralité d’appliquer la loi en pareille situation et comment un juge des référés a pu ne pas apercevoir l’existence d’une urgence ? Qui peut vivre, c’est-à-dire continuer à exister, avec moins de cinq euros par jour aujourd’hui en France ?

Sur le second point, et c’est là un sommet, le juge du référé liberté statuant en appel, relève qu’un arrêt de la cour administrative d’appel a déchargé la requérante de l’obligation de payer cette somme de 1016 euros, afférente à une dette d’impôt sur le revenu de 304 euros au titre de l’année 2006 et à une dette de taxe d’habitation de 683 euros au titre de l’année 2007, dès lors que les deux mises en demeure valant commandement de payer ont été émises à l'encontre de la contribuable le 18 juillet 2016, donc déjà atteintes par la prescription.

Le juge ne peut que constater « qu'en émettant à l'encontre de la contribuable l'avis de saisie administrative à tiers détenteur en litige en vue du recouvrement de ces mêmes sommes, l'administration fiscale a porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit pour un propriétaire de disposer librement de ses biens ».

(ord. réf. 15 novembre 2023, Mme A., n° 488864)

 

56 - Article 1649 A du CGI - Comptes ouverts à l’étranger et non déclarés – Présomption d’utilisation postérieure à l’année de découverte de leur existence - Demande de justification par l’administration au titre des années ultérieures –  Non réponse ou réponse insuffisante – Taxation d’office – Rejet.

Confirmant et précisant une jurisprudence récente (8 mars 2023, M. et Mme C., n° 463267, cf. cette Chronique, mars 2023, n° 64), le Conseil d’État juge que l’administration fiscale, lorsqu’elle a réuni les éléments nécessaires pour établir l’ouverture par un contribuable de comptes à l’étranger sans les lui avoir déclarés et leur utilisation pendant une ou plusieurs années – comme il y est pourtant tenu en application des dispositions de l’art. L. 1649 A du CGI - est fondée à se prévaloir du délai de reprise spécial de dix ans prévu par l'art. L. 169 du livre des procédures fiscales (LPF) aux fins d'imposer, le cas échéant, au titre de ces années, tant les transferts réalisés en provenance ou au bénéfice de ces comptes dissimulés que les revenus issus des avoirs y figurant.

Par ailleurs, faute de réponse satisfaisante aux demandes de l’administration fiscale celle-ci est fondée à mettre en œuvre, en application de l’art. L. 69 du LPF, une procédure de taxation d’office à raison des revenus tirés de ces avoirs au titre de ces mêmes années.

(29 novembre 2023, M. et Mme B., n° 469039)

 

57 - Service public transfusionnel – Livraison de produits dérivés du sang humain dits « produits sanguins labiles » par l’Établissement français du sang – Assujettissement à la TVA – Contrariété au droit de l’Union – Rejet.

En premier lieu, c’est sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits qu’une cour administrative d’appel juge contraire aux dispositions du d du 1 de l'art. 132 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de TVA, telles qu’interprétées par la CJUE (5 octobre 2016, TMD Gesellschaft für transfusionsmedizinische Dienste mbH, aff. C-412/15), l’art. 281 octies du CGI, dans sa rédaction alors en vigueur, en ce qu’il assujettissait la fourniture de produits sanguins labiles à un taux de TVA de 2,1%. Ces produits sont, en effet, exclus du champ d’application de la TVA lorsqu’ils sont destinés à un usage thérapeutique direct.

En second lieu, c’est également  sans erreur de droit ni qualification inexacte des faits que cette cour juge fondée l’action en restitution d’indu de TVA formée par une clinique contre l’Établissement français du sang, au visa des art. 1302 et 1302-1 du Code civil, lesquels disposent respectivement : « (...) ce qui a été reçu sans être dû est sujet à restitution » et « Celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû doit le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu ».

(29 novembre 2023, Établissement français du sang, n° 469111)

 

58 - Valeur locative des propriétés bâties – Détermination – Cas des foires et salons – Réduction de cette valeur en cas d’affectation partielle ou totale à une activité de service public ou d'utilité générale – Caractère commercial de l’activité – Élément sans effet si l’affectation au service public ou à l’utilité gérale est significative – Annulation avec renvoi.

Encourt annulation le jugement qui, pour refuser à la requérante le bénéfice de la réduction de 50% de la valeur cadastrale du parc qu’elle exploite à usage de foires et salons et autres, retient le caractère purement commercial de l'exploitation tant de l'activité d'organisation de foires, salons et congrès à destination de professionnels ou du grand public que des activités, qu'il a regardées comme accessoires, de commerce, hôtellerie, restauration et autres.

Le tribunal a, en effet, commis une erreur de droit en se fondant sur ce motif alors qu’il lui incombait de rechercher si l'activité de service public ou d'utilité générale présentait en l’espèce un caractère significatif.

(30 novembre 2023, Société d'exploitation du parc des expositions de la ville de Paris, n° 469920)

 

Droit public de l'économie

 

59 - Viande porcine - Extension d’accords interprofessionnels – Cotisation pour équarrissage – Illégalités diverses alléguées – Rejet.

Il était demandé le prononcé de l’annulation des deux arrêtés interministériels (Finances et Agriculture) du 22 décembre 2021, relatifs, l’un à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 portant sur la cotisation interprofessionnelle  « contribution volontaire équarrissage éleveur » au profit de l'association « ATM porc » (dit accord « amont ») et l’autre, à l'extension de l'accord interprofessionnel du 8 septembre 2021 relatif à la cotisation interprofessionnelle « contribution aval spécifique équarrissage » au profit de l'association « ATM porc » (dit accord « aval ») ainsi que d’éventuels renvois préjudiciels au juge judiciaire et à la CJUE.

La requête est rejetée.

Après avoir rejeté le moyen de légalité externe qui ne pouvait prospérer, le juge rejette tous les moyens de l’égalité interne, qu’il s’agisse de celui critiquant le caractère incomplet du dossier à partir duquel l’administration a décidé ; de ceux relatifs à la compétence de l'INAPORC, sa représentativité et les conditions d'adoption des accords dont l'extension est contestée ; de celui, manquant en droit, soutenant que l’extension serait illégale faute de prévoir une durée limitée ou encore de ceux invoquant la méconnaissance de l'article 165 du règlement du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles, alors applicable, ou la méconnaissance de la liberté du commerce et de l'industrie, de la liberté d'entreprendre et de la libre concurrence.

(03 novembre 2023, Société Cooperl Arc Atlantique, n° 460806)

(60) V. aussi, dans la même affaire, rejetant la demande de la société requérante de voir le juge administratif surseoir à statuer jusqu’à ce que le juge judiciaire ait statué sur le recours relatif au paiement des contributions volontaires interprofessionnelles obligatoires dont il a été saisi et soulevant pour l’essentiel les mêmes moyens que dans la décision ci-dessus, y ajoutant les griefs tenant aux principes de sécurité juridique et de clarté de la norme, d’illégalité de la rétroactivité de l'extension de l'accord et au non-respect de la Convention EDH : 03 novembre 2023, Société Cooperl Arc Atlantique, n° 466358

 

61 - Exercice d’une activité de production dans le secteur des vins – Cas de l’Institut coopératif du vin - Absence d’erreur de qualification juridique – Rejet.

C’est sans erreur de droit ni de qualification juridique qu’une cour administrative d’appel juge que l’Institut coopératif du vin (ICV) doit être regardé comme exerçant, au moins en partie, une activité de production dans le secteur des vins au sens et pour l'application de l'art. 2.1.2 de la décision de la directrice générale de FranceAgriMer du 27 juillet 2017. En effet, la cour a souverainement apprécié pour décider ainsi que l’Institut en cause fournit à ses seuls associés coopérateurs des conseils à la vinification, des analyses œnologiques et des services propres à favoriser la mise en œuvre de tous procédés utiles à la bonne conservation et à la commercialisation de vins et autres produits vinicoles répondant aux marchés et jugé que ces opérations conduisent l'ICV, au-delà de la simple fourniture de conseils généraux ou d'analyses, à exercer en lieu et place de ses adhérents une partie des opérations participant de la production du vin, induisant ainsi, par leur nature, une intervention directe dans la fabrication du vin.

La requête de FranceAgriMer est rejetée. 

(03 novembre 2023, FranceAgriMer, n° 461297)

 

62 - Tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) – Proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) – Niveau tarifaire prétendu insuffisamment élevé – Délibération préparatoire – Absence d’acte de droit souple - Irrecevabilité – Rejet.

La société Ekwateur demande l'annulation de la délibération par laquelle la Commission de régulation de l'énergie a adopté, le 7 juillet 2022, une délibération portant proposition de tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) en ce que les tarifs retenus l’auraient été à un niveau insuffisamment élevé.

Le recours est jugé irrecevable et rejeté.

Tout d’abord, il est rappelé que s'il peut être excipé de l'illégalité des propositions motivées de la CRE à l'appui d'une demande d'annulation de l'arrêté conjoint des ministres chargés de l'économie et de l'énergie fixant les TRVE, ces propositions ne constituent en elles-mêmes qu'un acte préparatoire à cet arrêté, insusceptible de faire directement l'objet d'un recours en excès de pouvoir. 

Ensuite, les seules circonstances que les tarifs proposés par la CRE soient susceptibles d'influer sur le niveau de la composante de rattrapage au titre des tarifs dits « bleus » ou sur le niveau de la compensation pour charges de service public ne sont pas, non plus, de nature à conférer à cette délibération le caractère d'un acte pouvant être déféré au juge de l'excès de pouvoir. 

Enfin, la délibération contestée qui n’est qu’une proposition de tarifs, ne constitue pas davantage un acte de droit souple susceptible de faire l'objet d'un recours en excès de pouvoir, faute de produire, par elle-même, des effets notables, notamment de nature économique, sur la situation ou le comportement des fournisseurs d'électricité.

(07 novembre 2023, Société Ekwateur, n° 467489)

 

63 - Certificat d’économie d’énergie – Application du dispositif – Opérations standardisées d’économies d’énergie – Octroi de certificats d’énergie bonifiés – Atteintes aux principes de la liberté du commerce et de l’industrie et au principe d’égalité ainsi qu’au droit européen de la concurrence et à la directive « services » – Absence – Rejet.

Le litige portait sur un arrêté ministériel (écologie) modificatif qui prévoit, en faveur des signataires de la charte intitulée « Coup de pouce Chauffage des bâtiments résidentiels collectifs et tertiaires », qui s'engagent à accorder aux propriétaires ou aux gestionnaires de ce type de bâtiments, des incitations financières sur certaines opérations réalisées pour leur compte durant une certaine période et achevés avant une date limite.

Le juge rejette d’abord le moyen de légalité externe tiré de la non consultation de l'Autorité de la concurrence prévue par l’art. L. 462-2 du code de commerce dès lors que le dispositif contesté n'institue pas, par lui-même, un régime nouveau.

Sont ensuite rejetés les divers moyens de légalité interne soulevés par la demanderesse.

L’arrêté modificatif litigieux ne méconnait pas les art. L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l’énergie car il se borne à prévoir l'octroi de certificats d'économies d'énergie bonifiés au titre de certaines opérations et il ne fait pas, par lui-même, obstacle à l'utilisation d'installations de chauffage de secours ou de complément telle que prévue par les dispositions des articles L. 443-9-3 et L. 712-3 du code de l'énergie.

Pas davantage ne sont méconnus la liberté du commerce et de l'industrie, eu égard aux objectifs poursuivis et en l'absence de tout élément établissant que ce dispositif de bonification constituerait un frein au développement de la filière dite « biogaz », ou le principe d’égalité en ce que l’arrêté querellé incite au remplacement d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire au charbon, au fioul ou au gaz non performants par le raccordement à un système de chauffage alimenté majoritairement par des énergies renouvelables. Au reste, c’est en se fondant sur des critères objectifs et rationnels dans un but d'intérêt général, que l’arrêté exclut du dispositif les équipements de chauffage car s’ils sont susceptibles de fonctionner au gaz produit en totalité à partir d'énergies renouvelables c’est sur la base de la souscription, par définition, non pérenne, d'offres commerciales.

La requérante ne saurait, non plus, soutenir que, par l’instauration de ce dispositif, les demandeurs de certificats d'économies d'énergie seraient empêchés de jouer un rôle actif et incitatif dans la réalisation des opérations d'économies d'énergie au sens et pour l'application de l'article R. 221-22 du code de l'énergie, dans l'hypothèse où le raccordement à un réseau de chaleur serait devenu obligatoire du fait du classement de ce réseau en application de l'article L. 712-1 dudit code. En effet un tel classement ne fait naître, dans le chef des propriétaires ou des gestionnaires de bâtiments résidentiels collectifs ou tertiaires existants qui se situent dans le périmètre de ce réseau, une obligation de raccordement à ce réseau que lorsque ces bâtiments font l'objet de travaux de rénovation importants au sens du 2° de l'article R. 712-9 de ce code, c'est-à-dire lorsque le remplacement de l'installation de chauffage ou de refroidissement d'une puissance supérieure à 30 kilowatts a été décidé par les propriétaires ou gestionnaires des bâtiments, permettant ainsi aux demandeurs de certificats d'économies d'énergie de jouer un rôle actif et incitatif dans cette prise de décision.  

Enfin, la demanderesse n’est fondée à prétendre ni qu’il est porté atteinte aux règles européennes de concurrence car, contrairement à ce qui est prétendu, l'arrêté attaqué n’a pas pour effet de renforcer le droit exclusif des délégataires de réseaux de chaleur, qui serait issu de l'article L. 712-1 du code de l'énergie, ni que seraient méconnu le principe de la liberté d'établissement et la directive « services » dès lors que la création de certificats d’économies d’énergie bonifiés cherche seulement à inciter, par l'octroi d'une bonification du volume des certificats d'économies d'énergie, au raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération, ou, en cas d'impossibilité technique ou économique attestée par le gestionnaire du réseau de chaleur, à la mise en place d'équipements de chauffage ou de production d'eau chaude sanitaire ne consommant ni charbon ni fioul.

(07 novembre 2023, Association Coénove, n° 467980)

 

64 - Taxe d’enlèvement des ordures ménagères – Taux manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir – Obligation du juge d’y substituer le taux voté l’année précédente – Omission à statuer – Annulation.

Rappel à nouveau que lorsque la délibération fixant le taux de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne peut plus servir de fondement légal à l'imposition au motif que ce taux est manifestement disproportionné par rapport aux dépenses à couvrir l'année en litige, il appartient au juge de l'impôt, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher s'il y a lieu de lui substituer le taux résultant de la délibération applicable à l'année précédente.

D’une part, on aura relevé que le juge doit avoir été expressément invité à opérer cette substitution pour, le cas échéant, y procéder. En l’espèce, l’annulation est prononcée car le juge, expressément invité à la faire, a omis de statuer sur ce chef de demande.

D’autre part, il ne peut être procédé à cette substitution que si le taux de l'année précédente n’est pas lui-même manifestement disproportionné au regard du montant des dépenses estimé au titre de l'année en litige.

(21 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances..., n° 474838)

 

Droit social - Action sociale – Sécurité sociale

 

65 - Handicap – Fonds départemental de compensation du handicap – Conditions d’intervention – Détermination des ressources des personnes handicapées – Rejet.

Les recours joints tendaient à voir annuler le décret n° 2022-639 du 25 avril 2022 relatif à l'amélioration des fonds départementaux de compensation du handicap.

Les personnes handicapées perçoivent automatiquement une prestation de compensation du handicap et sont éligibles, pour la part des conséquences financières de ce handicap restant à leur charge après versement de la prestation, à une aide versée par les fonds départementaux de compensation du handicap.

Les requérantes demandent l’annulation du décret - qui définit les conditions d’attribution des aides versées par les départements - auquel elles reprochent principalement deux choses.

Leur recours est rejeté.

En premier lieu, s’agissant du dispositif d'intervention du fonds, que le législateur a voulu non contraignant pour les départements en donnant à cette aide un caractère facultatif et en fixant seulement des objectifs non contraignants, ne porte pas atteinte au principe d’égalité ainsi que jugé par le Conseil constitutionnel (24 mars 2023, Association Handi-Social et autre, n° 2023-1039 QPC) ; il n’est pas davantage incompatible avec les stipulations de l’art. 14 de la convention EDH non plus qu’avec protocole n° 12 à cette dernière que la France n’a pas ratifié.

En second lieu, s’agissant de la détermination du montant des ressources personnelles nettes d'impôts de la personne handicapée, aucune disposition non plus qu’aucun principe ne fait obstacle à ce que le pouvoir réglementaire prévoie de déterminer ce montant, ainsi qu'il l'a fait par les dispositions en litige, à partir du revenu fiscal de référence du foyer fiscal de cette personne, le montant de l'impôt sur le revenu de ce foyer fiscal étant déduit de cette somme qui est ensuite divisée par le nombre de parts fiscales qui le composent. Ne saurait faire obstacle à ces dispositions le fait que l'article 6 du CGI prévoit des cas d’impositions séparées des époux dans les hypothèses qu'il énonce ou que les ressources du conjoint, concubin ou partenaire d'un pacte civil de solidarité de la personne handicapée ne soient pas prises en compte dans la détermination du taux de prise en charge dans la limite duquel est accordée la prestation de compensation prévue par l'article L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles, non plus que dans les ressources pouvant se cumuler, dans la limite d'un plafond, avec l'allocation aux adultes handicapés prévue par les dispositions de l'article L. 821-3 du code de la sécurité sociale, entrées en vigueur le 1er octobre 2023, ces prestations sociales obligatoires ayant en tout état de cause un objet différent des aides facultatives versées par les fonds départementaux de compensation du handicap.

(09 novembre 2023, Association France Handicap, n° 465268 ; Association Handi-Social et Mme B., n° 468567, jonction)

 

66 - Récupération d’indus – Concubinage – Preuve de sa réalité – Dénaturation des pièces – Erreur de fait et erreur de droit par inexacte application des textes – Annulation.

Une caisse d’allocations familiales a entendu récupérer auprès de la requérante un indu d'allocation de logement familiale, un indu de prime exceptionnelle de fin d'année et un indu de revenu de solidarité active au motif qu’alors qu’elle se déclarait comme allocataire isolée depuis 2012, l’intéressée vivait maritalement depuis le mois de novembre 2016.

Sa demande d’annulation de ces décisions ayant été rejetée par tribunal administratif, elle se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État reproche aux premiers juges d’avoir dénaturé les pièces du dossier en omettant de prendre en compte les éléments dont se prévalait la requérante et qui conduisaient à remettre en cause la réalité d'une vie de couple stable et continue.

(09 novembre 2023, Mme A., n° 466043)

 

67 - Dispositif d’hébergement d’urgence – Prise en charge effective demandée – Enfant mineur handicapé – Rejet.

Des ressortissants algériens et leurs enfants mineurs font l’objet depuis le mois de juillet 2023 d’une prise en charge au titre du dispositif d’hébergement d’urgence, puis à compter d’octobre 2023 d’un hébergement dans un hôtel. Le juge du référé liberté qu’ils avaient saisi, constatant qu’ils s’étaient vu attribuer un logement en hôtel, a, par ordonnance du 27 octobre 2023, jugé qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une injonction à bref délai qui avait perdu son objet.

Le Conseil d’État, juge d’appel, est saisi d’un recours contre cette ordonnance, motif pris de ce que ce dernier hébergement à pris fin le 2 novembre. Il rejette l’appel car, contrairement à ce qui est soutenu, le juge des référés n'a pas, en tout état de cause, méconnu son office et entaché son ordonnance d'irrégularité en s'abstenant de vérifier le caractère adapté et pérenne de la prise en charge de la famille proposé dans le cadre du « 115 », avant de constater que la demande d'injonction dont il était saisi avait perdu son objet. Il incombe donc aux demandeurs, si l'interruption de la mise à l'abri de la famille dans le cadre du dispositif d'hébergement d'urgence perdurait, de saisir à nouveau le juge des référés du tribunal administratif afin qu'il se prononce, à bref délai, sur la situation nouvelle née de cette rupture dans la prise en charge de la famille au regard notamment des dispositions du code de l’action sociale et des familles.

(ord. réf. 06 novembre 2023, Mme B. et M. C., n° 489186)

() V. aussi, à l’inverse, annulant une ordonnance en référé liberté enjoignant à un préfet de proposer au requérant prétendument mineur un hébergement d'urgence alors que cet état de minorité, dénié par le rapport d’évaluation sociale et éducative, n’est pas attesté en l’absence de toute pièce ou de tout document de nature à contredire le rapport ; est ainsi rejeté l’appel de l’intéressé et accueilli celui de la délégation interministérielle : ord. réf. 09 novembre 2023, Délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (DIHAL), n° 488952 ; M. A., n° 489010.

(68) V. également, jugeant qu’est sans objet une requête tendant à voir le juge du référé liberté enjoindre à l’État de procurer à ses auteurs, un couple de ressortissants ivoiriens et leurs deux enfants, de leur assurer un hébergement d’urgence à Paris alors, d’une part, qu’ils ont refusé la proposition d’un hébergement à Beaucouzé, en Pays de la Loire, et, d’autre part, qu’il n’est pas établi que la prise en charge de la famille au titre de l'hébergement d'urgence ne pourrait pas être assurée à proximité d'Angers dans des conditions qui sont de nature à répondre à l'état de détresse qu'elle rencontre actuellement : ord. réf. 16 novembre 2023, Mme B. et M. C., n° 489150.

(69) V. encore, confirmant l’ordonnance rejetant une demande d’hébergement de deux ressortissants congolais et leurs deux enfants au motif qu’en n’indiquant pas les raisons pour lesquelles ils s'étaient rendus à Paris et en ne permettant ainsi pas au juge d'apprécier pleinement leur situation, ils ne pouvaient qu'être regardés comme s'étant eux-mêmes placés dans la situation d'urgence qu'ils invoquent : ord. réf. 20 novembre 2023, Mme E. et M. F., n° 489247.

(70) V. en revanche, annulant l’ordonnance du premier juge rejetant la demande en référé d’attribution d’un logement d’urgence à une ressortissante ivoirienne et à ses fils car la circonstance que l’un d’eux ait moins d’un an place ces personnes dans le groupe des plus vulnérables, le refus d’accorder une solution d’hébergement porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : ord. réf. 27 novembre 2023, Mme A., n° 489412.

 

71 - Allocation de logement sociale – Refus d’octroi antérieurement au mois de juillet 2019 – Incompétence de l’ordre administratif de juridiction – Rejet.

Le litige portait, d’une part, sur le rejet, par le directeur de la caisse d'allocations familiales de Paris, du recours préalable formé par la requérante et confirmé par une décision explicite du 5 novembre 2019, de sa demande de bénéficier de l'allocation de logement sociale antérieurement au mois de juillet 2019 et, d'autre part, sur la demande de l’intéressée tendant à ce que que la caisse d'allocations familiales de Paris soit condamnée à lui verser une somme au titre des allocations de logement sociales dues pour la période du 22 novembre 2004 au 5 juillet 2019, ainsi qu'une indemnité de 80 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des fautes commises.

Le juge saisi du litige a rejeté cette demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. 

Le Conseil d’État rejette le recours car il résulte des dispositions de l’ordonnance du 17 juillet 2019, notamment celle insérant un article L. 825-1 dans le code de la construction et de l’habitation, et celle figurant à l’art. 23 de cette ordonnance que la décision précitée du 5 novembre 2019, intervenue avant le 1er janvier 2020, demeurait soumise aux dispositions applicables en matière de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole prévues aux art. L. 142-1 et suivants du code de la sécurité sociale.

Si le directeur de la caisse d'allocations familiales de Paris s'est à nouveau prononcé, après la date du 1er janvier 2020, sur un recours administratif concernant la même décision initiale et les conséquences financières qu'elle implique, cette décision n'a pu, en tout état de cause, se substituer à la décision initiale dès lors que les dispositions relatives à l'entrée en vigueur du recours administratif préalable obligatoire institué par l'art. L. 825-2 du code de la construction et de l'habitation et celles relatives à ses modalités d'applications prévues aux art. R. 825-1 à R. 825-3 du même code n'étaient pas applicables aux décisions prises avant le 1er janvier 2020, faute d'être entrées en vigueur avant cette date.

Ainsi que l’a jugé le premier juge, le recours présenté par Mme A. continuait de relever de la compétence du juge judiciaire.

(10 novembre 2023, Mme A., n° 473907)

 

72 - Indu de revenu de solidarité active – Récupération – Office du juge saisi – Cas particulier des contentieux sociaux – Dénaturation des pièces – Annulation.

Rappel à nouveau – cela devient quelque peu lassant - que « Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision rejetant une demande de remise gracieuse d'un indu de revenu de solidarité active, il appartient au juge administratif d'examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est justifiée et de se prononcer lui-même sur la demande en recherchant si, au regard des circonstances de fait dont il est justifié par l'une et l'autre parties à la date de sa propre décision, la situation de précarité du débiteur et sa bonne foi justifient que lui soit accordée une remise. Lorsque l'indu résulte de ce que l'allocataire a omis de déclarer certaines de ses ressources, il y a lieu, pour apprécier la condition de bonne foi de l'intéressé, hors les hypothèses où les omissions déclaratives révèlent une volonté manifeste de dissimulation ou, à l'inverse, portent sur des ressources dépourvues d'incidence sur le droit de l'intéressé au revenu de solidarité active ou sur son montant, de tenir compte de la nature des ressources ainsi omises, de l'information reçue et de la présentation du formulaire de déclaration des ressources, du caractère réitéré ou non de l'omission, des justifications données par l'intéressé ainsi que de toute autre circonstance de nature à établir que l'allocataire pouvait de bonne foi ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises. A cet égard, si l'allocataire a pu légitimement, notamment eu égard à la nature du revenu en cause et de l'information reçue, ignorer qu'il était tenu de déclarer les ressources omises, la réitération de l'omission ne saurait alors suffire à caractériser une fausse déclaration. »

En l’espèce, il est jugé que la demanderesse ne pouvait être regardée comme ayant sciemment dissimulé une ressource. Le tribunal administratif a dénaturé les faits de l'espèce et les pièces du dossier qui lui était soumis en estimant qu'elle ne saurait être regardée comme justifiant de sa bonne foi.

(23 novembre 2023, Mme C., n° 469399)

 

73 - Journalistes – Calcul des cotisations de sécurité sociale - Déduction forfaitaire spécifique (DFS) au titre des frais professionnels – Recueil de l’accord des salariés par l’employeur – Annulation.

Les organisations requérantes demandaient l’annulation du paragraphe 2330 des commentaires publiés le 16 janvier 2023 au Bulletin officiel de la sécurité sociale, en ses dispositions applicables aux journalistes.

Le chapitre 9 de la rubrique « Frais professionnels » des commentaires publiés au bulletin précité porte sur la déduction forfaitaire spécifique. Ce dispositif, issu de l'art. 9 de l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, est ouvert à l'employeur qui fait ce choix, sous les conditions de recueil de l'accord des salariés ou de leurs représentants que prévoit cet arrêté, pour les professions, dont les journalistes, prévues à l'art. 5 de l'annexe IV du code général des impôts dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2000, qui comportent des frais dont le montant est notoirement supérieur à celui résultant du même arrêté. Il consiste en un abattement de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, calculé selon les taux prévus au même article du code général des impôts, dans la limite de 7600 euros par année civile.

À la suite d'une mise à jour du 16 janvier 2023, la section 3 du chapitre 9 de la rubrique prévoit, pour cinq secteurs, dont celui des journalistes, une extinction de la déduction forfaitaire spécifique au 1er janvier 2038, avec une réduction progressive de son taux à compter du 1er janvier 2023. En outre, le paragraphe 2330 dispose qu'à compter du 1er janvier 2023, pour ces secteurs, par dérogation au paragraphe 2190 en vertu duquel, depuis le 1er avril 2021, lorsqu'à défaut d'une convention ou d'un accord collectif du travail ou d'un accord donné par les représentants du personnel il appartient à chaque salarié d'accepter ou non cette option, l'employeur doit s'assurer annuellement de ce consentement. Le texte précise à cet égard : « (...) Par ailleurs, en vue de faciliter les modalités de gestion des informations concernant les salariés bénéficiaires de ce dispositif en cours d'extinction, par tolérance et pour ces cinq seuls secteurs, il est admis que le consentement des salariés couvre la totalité de la période de transition dans les conditions suivantes : (...)

- Pour (...) les journalistes : si le consentement des salariés a été recueilli avant 2023, il couvre, pour ces salariés, la totalité de la période restant à courir jusqu'à la suppression du dispositif.

En l'absence de convention collective ou d'accord collectif du travail prévoyant explicitement l'application de la DFS, ou d'accord du comité d'entreprise, des délégués du personnel ou du comité social et économique, l'application de la déduction forfaitaire spécifique à tout salarié embauché à compte du 1er janvier 2023 est quant à elle conditionnée au recueil de son consentement et vaut jusqu'à extinction du dispositif. Lorsque le travailleur ne répond pas à cette consultation, son silence vaut accord. »

C’est de cette disposition que les requérants demandaient l’annulation.

Le juge relève tout d’abord que si la circulaire du 7 janvier 2003 relative à la mise en œuvre de l'arrêté du 10 décembre 2002 concernant l'évaluation des avantages en nature en vue du calcul des cotisations de sécurité sociale et l'arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations de sécurité sociale et, désormais, la rubrique 2190 du Bulletin officiel de la sécurité sociale, préconisent que, lorsqu'il y a lieu de le recueillir, l'employeur s'assure annuellement du consentement du salarié, initialement lors de l'établissement de la déclaration annuelle des données sociales (DADS) et, désormais, par année civile, il ressort aussi des pièces du dossier qu'ainsi que les syndicats requérants le font valoir, que les entreprises de presse le font usuellement selon cette périodicité.

Cependant, le juge reproche aux dispositions litigieuses de ne pas imposer que l'accord de chaque salarié en faveur de cette option revête une durée déterminée.

Or lorsque cette option ne revêt pas de durée déterminée, ce qui peut notamment se déduire de ce qu'il n'a pas été sollicité par l'employeur au titre d'une période précise, l'employeur peut opter pour la déduction forfaitaire spécifique aussi longtemps que l'auteur de l'accord donné ne décide pas, comme il lui est loisible de le faire, d'y mettre fin pour l'avenir.

En revanche, lorsqu'il revêt une durée déterminée, l'employeur ne peut toutefois opter pour la déduction forfaitaire spécifique au-delà de cette durée sans avoir recueilli un nouvel accord.

Le juge en conclut que si les commentaires attaqués pouvaient modifier les précisions qui avaient été apportées sur les modalités de recueil de consentement dans les commentaires publiés au Bulletin officiel de la sécurité sociale depuis le 1er avril 2021 ainsi que, précédemment, par la circulaire du 7 janvier 2003, pour indiquer que l'employeur pourrait, lorsqu'il y a lieu de recueillir le consentement du salarié, ne le faire, à compter du 1er janvier 2023, qu'une seule fois jusqu'à l'extinction du dispositif au 1er janvier 2038 ou, dans le cas où un consentement a été donné avant 2023, sans le recueillir de nouveau, les commentaires en litige ont en revanche méconnu le sens et la portée des dispositions précitées en ne rappelant pas la possibilité pour les salariés de mettre fin ultérieurement à leur accord pour l'option exprimée par leur employeur en faveur de la déduction forfaitaire spécifique. En outre, ces commentaires auraient dû préciser qu'il était nécessaire de le recueillir de nouveau lorsqu'il a revêtu une durée déterminée, en particulier dans l'hypothèse où l'employeur l'aurait sollicité pour une période précise, par exemple d'une année.

Est donc prononcée l’annulation du paragraphe 2330 des commentaires publiés le 16 janvier 2023 au Bulletin officiel de la sécurité sociale en tant qu'il s'applique aux journalistes.

(29 novembre 2023, Syndicat national des journalistes, Syndicat général des journalistes - Force ouvrière (SGJ-FO), Fédération Communication Conseil Culture (F3C) CFDT et Syndicat national des journalistes - CGT (SNJ-CGT), n° 472182)

 

Élections et financement de la vie politique – Transparence et déontologie de la vie publique

 

74 - Élections à l’assemblée de la Polynésie française – Proclamation d’aucun candidat comme étant élu – Absence de demande de proclamation d’un élu – Protestation irrecevable.

Est irrecevable, comme sans objet, la protestation dirigée contre les opérations électorales du 16 avril 2023 en vue de la désignation des représentants à l'assemblée de la Polynésie française dès lors, d’une part, que ces opérations n’ont débouché sur la proclamation d’aucun candidat, et, d’autre part, que le protestataire ne demande pas au juge de l’élection de proclamer élu un candidat.

(09 novembre 2023, M. E., n° 473463)

 

75 - Élections municipales complémentaires – Proclamation de deux élus sur les quatre sièges à pourvoir – Nécessité d’un second tour – Absence d’obligation pour le juge d’enjoindre la tenue d’un second tour – Rejet.

À l’issue d’opérations électorales complémentaires en vue de la désignation de quatre conseillers municipaux, le tribunal administratif, sur déféré préfectoral, a proclamé élus seulement deux des quatre candidats.

Le requérant soutenait que le tribunal n’avait pas satisfait à son obligation d’épuiser son pouvoir juridictionnel en n’enjoignant pas à l'autorité administrative de convoquer les électeurs de la commune de Tousson au second tour des élections municipales complémentaires car cela ne constituait pas une mesure d’exécution du jugement au sens de l’art. L. 911-1 du CJA.

La requête est rejetée.

(24 novembre 2023, M. C., Élections municipales complémentaires de Tousson, n° 476229)

 

Environnement

76 - Absence d’étude d’impact – Projet prétendument soumis à une telle étude – Conséquences contentieuses – Rejet.

L'article L. 122-2 du code de l'environnement dispose que lorsqu’une requête déposée devant la juridiction administrative contre une autorisation ou une décision d'approbation d'un projet visé au I de l'article L. 122-1 est fondée sur l'absence d'étude d'impact, le juge des référés, saisi d'une demande de suspension de la décision attaquée, est tenu d’y faire droit dès que cette absence est constatée.

La requérante a saisi le juge des référés en vue qu’il suspende l’exécution de la délibération du 9 mai 2022 par laquelle le conseil municipal de Nancy a approuvé le projet de piétonnisation du centre-ville en soutenant son illégalité en raison de l’absence d’étude d’impact.

Elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance rejetant leur demande.

Le pourvoi est rejeté car l’opération litigieuse ne constitue pas, au sens et pour l’application du 1° du I de l’art. L. 122-1 du code de l’environnement, un projet nécessitant une étude d’impact préalable. La piétonnisation du centre-ville de Nancy n'implique la construction d'aucune voie de circulation mais seulement la mise en place de mesures restrictives de circulation et la modification des modalités de stationnement dans et aux abords de cette zone. Ce projet se traduit, outre la suppression de 155 places de stationnement dans la zone piétonnisée et la modification des durées de stationnement autorisé ou gratuit pour des places existantes, celle de la carte du stationnement résidentiel autour de cette zone, par l'aménagement de 41 places de stationnement sur une voie, au demeurant sur un emplacement actuellement consacré au stationnement d'autobus. Aucune de ces mesures ne relève de celles dont l'art. R. 122-2 du code précité prévoit qu'elles doivent être soumises à une évaluation environnementale et donc nécessitant l'élaboration d'une étude d'impact. Semblablement, ce projet, limité à quelques rues, n’est pas susceptible d’avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine justifiant de le soumettre à cette évaluation et imposant une telle étude en application de l'art. R. 122-2-1 du même code.

(09 novembre 2023, Société V3 Lor et autres, n° 471882)

 

77 - Décret du 27 novembre 2020 – Réforme du régime de responsabilité élargie des producteurs de déchets – Méconnaissance de dispositions du droit de l’Union – Contestation de diverses dispositions du code de l’environnement introduites ou modifiées par le décret attaqué – Rejet sauf d’un seul des moyens.

(10 novembre 2023, Société EcoDDS, n° 449213)

V. n° 145

 

78 - Éoliennes et aérogénérateurs – Demande d’autorisation unique – Refus annulé par le juge décidant d’accorder cette autorisation - Prise en compte de l’impact visuel ou de la saturation visuelle d’un projet nonobstant les dispositions de l’art. L. 511-1 c. env. – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à sa cassation, l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, pour écarter l'existence d'un effet de saturation visuelle susceptible de faire regarder le projet litigieux comme présentant des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage, relève que si soixante-douze éoliennes avaient déjà été construites ou autorisées dans un rayon de dix kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers et seize dans un rayon de trois kilomètres, et que le projet avait pour effet de porter le cumul des angles occupés par des machines à un total de 167,5 degrés, il ne résultait pas de l'instruction que les éoliennes seraient toutes simultanément visibles depuis un même point.

Le Conseil d’État reproche à la cour : 1°/ de n’avoir pas retenu qu’alors même que les éoliennes ne seraient pas toutes simultanément visibles depuis un même point, cette circonstance n'est pas, par elle-même, de nature à permettre d'écarter l'existence d'un effet de saturation ; 2°/ de n’avoir pas tenu compte de l'effet d'encerclement lié à la réduction de l'angle de respiration qu'invoquaient les parties. 

(10 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 459079)

 

79 - Office français de la biodiversité – Fichier national du permis de chasser – Absence d’intervention du décret d’application d’une loi – Délai raisonnable dépassé – Illégalité – Annulation et injonction assortie d’une astreinte.

Une nouvelle fois le pouvoir exécutif fait la preuve de son peu d’empressement à prendre les dispositions réglementaires qu’appellent les lois votées en matière d’environnement.

La loi du 24 juillet 2019 portant création de l'Office français de la biodiversité a prévu en son art. 13 que serait pris un décret, après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, pour préciser les modalités de constitution et de mise à jour du fichier national du permis de chasser et définir les conditions de consultation du fichier par les agents de l'Office français de la biodiversité et de la Fédération nationale des chasseurs. 

Saisi en ce sens par une association, le Conseil d’État constate qu’il s'est écoulé plus de quatre ans depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 2019 sans que ne soit pris ce décret et il juge qu’a été excédé le délai raisonnable nécessaire à cette exécution sans que puisse venir atténuer cette impéritie le fait que l'élaboration du décret se serait heurtée à certaines difficultés d'ordre juridique et technique, du fait notamment des interconnexions devant être réalisées entre le fichier national en cause et les fichiers existants consacrés au contrôle des armes, tels que le fichier national des personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes (Finiada) et le système d'information sur les armes (SIA).

Il est fait injonction de prendre ce décret dans les six mois sous astreinte de deux cents euros par jour de retard à compter de l’expiration de ce délai.

(13 novembre 2023, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 459252)

 

80 - Pêche de l’anguille européenne – Arrêté fixant de nouvelles dates de pêche – Méconnaissance alléguée d’un règlement européen – Absence de doute sérieux sur la juridicité de l’arrêté attaqué – Rejet.

Était demandée la suspension d’exécution de l'arrêté ministériel du 19 octobre 2023 portant nouvelles dates de pêche de l'anguille européenne (Anguilla anguilla) aux stades d'anguille de moins de douze centimètres en domaine maritime en Atlantique.

L'arrêté contesté autorise la pêche de l'anguille européenne de moins de 12 centimètres dans chacune des unités de gestion de l'anguille (UGA) de la façade atlantique pendant deux mois, dans la période comprise entre le 1er janvier et le 31 mars 2024, qui correspond en principe à une période de fermeture en application des dispositions du i) du b) du 4 de l'article 13 du règlement (UE) n° 2023/194, l’arrêté prévoit que les captures effectuées pendant l'un de ces deux mois sont exclusivement destinées au repeuplement. En outre, il résulte de l'instruction que la pêche est fermée pendant une période complémentaire d'au moins cinq mois entre le 1er mars et le 31 décembre 2023. Enfin, si le paragraphe 2 de l'article 13 précise que les périodes de fermeture sont cohérentes avec les schémas de migration des anguilles au stade de développement concerné, la seule circonstance que la pêche des civelles soit autorisée dans une UGA pendant une partie de leur période de migration ne suffit pas à établir que cette autorisation méconnaît les dispositions de cet article et, par suite, elle n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté.

(ord. réf. 13 novembre 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 489107)

(81) V. aussi, rejetant la demande de référé en suspension de l’exécution de l'arrêté ministériel du 24 octobre 2023 portant définition, répartition et modalités de gestion du quota d'anguille européenne (Anguilla anguilla) de moins de douze centimètres pour la campagne de pêche 2023-2024 en tant qu’il a fixé des quotas de 26 tonnes pour les anguilles de moins de 12 centimètres destinées à la mise à la consommation et de 39 tonnes pour les anguilles destinées au repeuplement, dont respectivement 22,62 tonnes et 33,93 tonnes sont attribués aux marins pêcheurs. Un arrêté du même jour du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires fixe le quota de capture de ces anguilles attribué aux pêcheurs professionnels en eau douce dans les secteurs où la pêche est autorisée en application de l'art. R. 436-65-3 du code de l'environnement à 8,845 tonnes, dont 3,38 tonnes destinées à la consommation car cet arrêté contesté, se bornant à mentionner des quotas totaux résultant de l'addition des quotas attribués respectivement aux marins pêcheurs et aux pêcheurs professionnels en eau douce présente un caractère récognitif. Le moyen tiré de ce qu’il serait entaché d'incompétence en ce qu'il n'a été signé que par le secrétaire d'Etat auprès de la Première ministre, chargé de la mer, n'est pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté. Les autres moyens de la requête ne sont pas davantage susceptibles de créer un doute sérieux sur la légalité de ses dispositions : ord. réf. 13 novembre 2023, Association française d'étude et de protection des poissons, n° 489108.

 

82 - Demande de suspension d’exécution totale ou partielle d’un arrêté ministériel relatif à la destruction d’espèces susceptibles d'occasionner des dégâts – Défaut, selon les espèces, d’urgence ou d’atteinte grave aux intérêts défendus par l’association requérante – Rejet.

Étaient demandées la suspension d’exécution :

- à titre principal, de l'arrêté du 3 août 2023 pris pour l'application de l'art. R. 427-6 du code de l'environnement et fixant la liste, les périodes et les modalités de destruction des espèces susceptibles d'occasionner des dégât,

- à titre subsidiaire, de l’exécution de cet arrêté en tant qu’il fait figurer le corbeau freux et le renard roux sur cette liste au niveau national, qu'il ne restreint pas le classement du renard aux seuls abords des activités susceptibles de faire l'objet de dégâts imputables à l'espèce, qu'il autorise le déterrage dans certains départements et qu'il autorise la destruction du renard roux, de la martre des pins, de la fouine, de l'étourneau sansonnet et du geai des chênes dans certains départements, le cas échéant au-delà des zones où ils sont susceptibles d'occasionner des dégâts importants. 

Le recours, en son principal et en son subsidiaire, est rejeté.

Le juge des référés relève que dans chaque cas fait défaut l’une des deux conditions cumulatives nécessaires à l’octroi d’une suspension en référé, soit l’urgence (martre des pins, fouine, étourneau sansonnet, geai des chênes, renard roux) soit l’atteinte grave aux intérêts défendus par la demanderesse (corbeau freux).

(ord. réf. 20 novembre 2023, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 489082)

 

83 - Qualité de l’air – Décisions enjoignant l’État de ramener sous un certain seuil les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 – Vérification du degré d’exécution de ces décisions – Mesures insuffisantes dans certaines zones – Exécution incomplète – Condamnation à astreinte.

Voilà un feuilleton que les pouvoirs publics n’auront pas peu contribué tant à en écrire le scénario qu’au foisonnement des épisodes, la monotonie risquant de gagner les lecteurs et pourtant l’enjeu est de taille.

Tout commence avec une décision du 12 juillet 2017 (Les Amis de la Terre France, n° 394254), par laquelle le Conseil d'État, après avoir annulé les décisions implicites de divers membres du pouvoir exécutif refusant de prendre toutes mesures utiles et d'élaborer des plans conformes à l'art. 23 de la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe, permettant de ramener, sur l'ensemble du territoire national, les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 en deçà des valeurs limites fixées à l'annexe XI de cette directive, a également enjoint au premier ministre et au ministre chargé de l'environnement de prendre toutes les mesures nécessaires pour que soit élaboré et mis en œuvre, pour plusieurs zones, un plan relatif à la qualité de l'air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d'azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l'art. R. 221-1 du code de l'environnement dans le délai le plus court possible, et de transmettre le résultat à la Commission européenne avant le 31 mars 2018.

Puis, une décision du Conseil d’État du10 juillet 2020 (n° 428409), a prononcé une astreinte de dix millions d'euros par semestre à l'encontre de l'État et ce jusqu'à la date de cette exécution, s'il ne justifiait pas, dans les six mois, avoir exécuté la décision du 12 juillet 2017, pour chacune des zones énumérées.

Une décision du Conseil d’État du 4 août 2021 (toujours sous le n° 428409) a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte de dix millions d’euros prononcée pour le semestre courant du 11 janvier au 11 juillet 2021, à répartir entre diverses associations et organismes.

Par une quatrième décision, du 17 octobre 2022 (n° 428409), le Conseil d’État a procédé à la liquidation provisoire de l'astreinte prononcée pour la période des deux semestres courant du 11 juillet 2021 au 11 juillet 2022, soit la somme de vingt millions d'euros, répartie selon des modalités identiques à celles fixées dans la précédente décision.

Les organisations requérantes ont à nouveau saisi le Conseil d’État pour lui faire constater que ses décisions précitées du 12 juillet 2017 et du 10 juillet 2020 n'ont pas été pleinement exécutées au terme du délai laissé par la décision du 10 juillet 2020 et elles ont demandé le prononcé d’une astreinte ainsi que d’en porter le plafond de dix à vingt millions d’euros par semestre.
Le juge analyse d’abord comment ont évolué durant cette période les concentrations en particules fines PM10 et les concentrations en dioxyde d’azote.

En premier lieu, pour les particules fines PM10, il conclut de cette analyse que la situation d'absence de dépassement dans la ZAG (zone à risque agglomération) Paris pouvant désormais être considérée comme consolidée, sa décision du 12 juillet 2017 doit donc être regardée comme étant exécutée s'agissant du respect des taux de concentration en particules fines.

En second lieu, pour les concentrations en dioxyde d’azote, il conclut de cette analyse que sa décision du 12 juillet 2017 ne peut être regardée comme étant désormais exécutée que pour la seule ZAG Toulouse. La situation à Marseille-Aix ne peut, en raison de la persistance d'une valeur très proche de la valeur limite, être considérée comme suffisamment consolidée et les ZAG Lyon et Paris connaissent encore des dépassements significatifs pour ce polluant.

Le juge étudie ensuite les mesures adoptées pour en conclure que, pour la ZAG de Marseille-Aix, ces mesures peuvent être regardées comme assurant, pour la zone qu'elles concernent, une correcte exécution de la décision du Conseil d'État du 12 juillet 2017 mais qu’en revanche tel n’est pas le cas pour les ZAG de Paris et de Lyon où les valeurs limites sont dépassées.

Ainsi, si les différentes mesures prises et celles qui vont être mises en vigueur « devraient permettre de poursuivre l'amélioration de la situation constatée à ce jour par rapport à 2021, les éléments produits ne permettent pas d'établir que les effets des différentes mesures adoptées permettront de ramener, dans le délai le plus court possible, les niveaux de concentration en dioxyde d'azote en deçà des valeurs limites fixées à l'art. R. 221-1 du code de l'environnement pour les ZAG Lyon et Paris. Par suite, l'Etat ne peut être regardé comme ayant pris des mesures suffisantes, propres à assurer l'exécution complète des décisions du Conseil d'Etat des 12 juillet 2017 et 10 juillet 2020 dans ces deux zones. »

Une condamnation à astreinte de dix millions d’euros est donc prononcée, elle est ainsi répartie :

- 10 000 euros pour l'association Les Amis de la Terre France,

- 3,3 millions d'euros à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME),
- 2,5 millions d'euros au Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA),

- 2 millions d'euros à Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES),

- 1 million d'euros à Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS),

- 450 000 euros aux associations agréées de surveillance de la qualité de l'air  Air Parif et Atmo Auvergne Rhône-Alpes, chacune,

- 145 000 euros à Atmo Occitanie et Atmo Sud, chacune.

(24 novembre 2023, Association « Les Amis de la Terre France » et autres, n° 428409)

État-civil et nationalité

84 - Décision d’irrecevabilité d’une demande de naturalisation française – Incompétence du Conseil d’État en premier et dernier ressort pour connaître du recours contre cette décision - Compétence du tribunal administratif de Nantes – Renvoi à ce tribunal.

La décision par laquelle un agent de la sous-direction de l'accès à la nationalité française, dont le siège se situe à Rézé (Loire-Atlantique), déclare irrecevable une demande d’acquisition de la nationalité française transmise par le consul général de France à Alger, bien que prise sur délégation du ministre de l'intérieur, chargé des naturalisations, n’est pas au nombre de celles dont le Conseil d’État est compétent pour connaître en premier et dernier ressort mais relève de la compétence territoriale du tribunal administratif de Nantes.

(27 novembre 2023, M. B., n° 470102)

85 - Déchéance de la nationalité française – Participation à une entreprise terroriste – Rejet.

Doit être rejeté le recours formé contre le décret déclarant déchu de la nationalité française l’individu qui a été condamné à une peine de six ans d'emprisonnement pour participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte de terrorisme du 1er janvier au 31 décembre 2014, confirmé et assorti d'une peine de sûreté des deux tiers, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 octobre 2018 devenu définitif.

Le décret attaqué, en énonçant que les conditions légales permettant de prononcer la déchéance de la nationalité française doivent être regardées comme réunies, sans qu'aucun élément relatif à la situation personnelle du requérant ni aux circonstances de l'espèce justifie qu'il y soit fait obstacle, satisfait à l'exigence de motivation posée par l'article 61 du décret du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française.

(30 novembre 2023, M. A., n° 474304)

(86) V. aussi, très largement identique au précédent : 30 novembre 2023, M. B., n° 474300.

(87) V. également, très comparable et ajoutant cette précision que l’affirmation selon laquelle le décret de déchéance de nationalité est susceptible de le rendre apatride, ne saurait être retenue faute pour le requérant de l’établir par un quelconque élément : 30 novembre 2023, M. A., n° 474081.

(88) V. encore, identique ou presque, précisant que l'art. 4 du protocole n° 7 à la convention EDH, invoqué par la requérante et selon lequel : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par des juridictions du même État en raison d'une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État », ne trouve à s'appliquer que pour les poursuites en matière pénale, ce qui n’est pas le cas de la déchéance de la nationalité, laquelle constitue une sanction de nature administrative. Par suite, la requérante ne saurait utilement soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait ces stipulations : 30 novembre 2023, Mme A., n° 472953.

 

Étrangers

89 - Ressortissant malgache - OQTF assortie d’une interdiction de retour pendant un an – Invocation du respect de la vie privée et familiale et d’une intégration scolaire en France – Absence d’atteinte grave et manifestement illégale – Confirmation du rejet de la requête en référé liberté.

Confirmant l’ordonnance de rejet rendue en première instance, le juge d’appel du référé liberté estime que ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale ou à l'intérêt supérieur de ses enfants, l’arrêté préfectoral lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, interdisant son retour pendant une durée d'un an et fixant Madagascar comme pays de destination, sans que puissent faire échec à cette décision, d’une part, l’affirmation du requérant soutenant avoir le centre de sa vie privée et familiale en France, où il affirme s'être établi depuis 2015, en produisant des justificatifs de sa présence et des dépenses engagées pour sa famille durant cette période, ainsi que de son engagement au sein d'une association de quartier et, d’autre part, faisant valoir que ses quatre enfants, dont l'aînée est âgée de 13 ans et dont les deux derniers sont nés en France, en 2017 et 2020, ont suivi toute leur scolarité en France, de façon assidue et avec des résultats satisfaisants. En effet, ces circonstances, à elles seules, ne suffisant pas, au regard des exigences de l’art. L. 521-2 du CJA, « à justifier que l'arrêté préfectoral dont il demande la suspension porte une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale ou à l'intérêt supérieur de ses enfants, qui sont tous, comme leur mère, de nationalité malgache. »

La solution peut sembler sévère.

(ord. réf. 02 novembre 2023, M. B., n° 489060)

90 - Ressortissant malien - Refus de titre de séjour – Contrôle juridictionnel insuffisant – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit conduisant à la cassation de son arrêt, la cour administrative d’appel qui rejette la demande d'annulation du refus de titre de séjour opposé au requérant, estimant qu'il n'était pas établi qu’il avait moins de 19 ans au moment où il a formulé sa demande de titre en se fondant seulement sur ce que la consultation du fichier Visabio avait permis de constater que le requérant avait précédemment sollicité un visa, sous une autre identité, en faisant état d'un âge sensiblement supérieur.

Il appartenait à la cour de se prononcer sur les différents documents produits par le requérant en vue d’attester de son état civil, notamment de son âge, dont l'acte de naissance et le jugement supplétif qui avaient été déclarés conformes par les services spécialisés dans la fraude documentaire et avaient justifié le placement de l'intéressé auprès du service départemental de l'aide sociale à l'enfance par jugement du tribunal pour enfants. 

(10 novembre 2023, M. A., n° 467770)           

 

91 - Ressortissant burkinabé – Refus de visa d’entrée en France – Contrôle du juge – Erreur de droit – Annulation.

Le ressortissant étranger auquel a été reconnue la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, y compris par ceux qui sont issus d'une autre union, à la condition que ceux-ci n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été présentée.

Dans le cas où la demande est présentée pour les enfants issus d'une autre union, elle doit satisfaire, en outre, aux autres conditions prévues par les art. L. 434-3 ou L. 434-4 du CESEDA, le respect de celles d'entre elles qui reposent sur l'existence de l'autorité parentale devant s'apprécier, le cas échéant, à la date à laquelle l'enfant était encore mineur. 

En se bornant à indiquer en l’espèce que l’intéressé avait plus de dix-huit ans et moins de dix-neuf sans appliquer les autres conditions prévues par ces dispositions, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

(27 novembre 2023, M. B. A. et M. C. A., n° 471525)

 

92 - Ressortissant ivoirien bénéficiaire d’un visa long séjour pour études – Demande de renouvellement de titre de séjour – Absence de délivrance d’un récépissé de sa demande  de renouvellement – Rejet.

Pour demander au juge de cassation l’annulation de l’ordonnance rejetant sa demande qu’il soit fait injonction à un préfet de lui délivrer un récépissé de demande de titre de séjour et d'achever l'instruction de sa demande de renouvellement de ce titre, le requérant invoque, comme en première instance, que se trouvant en situation irrégulière depuis l'expiration le 31 octobre 2023 de son quatrième titre de séjour, et, par conséquent, exposé au risque de faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français, il ne peut plus se déplacer sur le territoire national ou à l'étranger pour exercer les activités de recherche nécessaires à la poursuite de ses études de doctorat ni accepter des missions d'enseignement ou d'intérim et se trouve menacé de devoir quitter son logement étudiant. La requête est rejetée, ces éléments ne suffisant pas à établir l'urgence particulière à ce qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale soit prise dans les quarante-huit heures, dès lors que le caractère obligatoire de ses activités de recherche, la réalité de ses projets universitaires et professionnels ainsi que le risque de voir résilier le bail de son logement étudiant ne sont pas établis. Par ailleurs, le juge rappelle que la condition d'urgence propre à l'art. L. 521-2 du CJA, contrairement à ce que soutient le requérant, ne saurait être présumée. 

(ord. réf. 27 novembre 2023, M. A., n° 489461)

 

93 - Étranger mineur non accompagné – Prise en charge ordonnée par le juge des référés – Minorité jugée non contestable – Portée des mentions figurant sur un passeport – Rejet.

Un ressortissant guinéen âgé de 16 ans s’est vu refuser sa prise en charge par une commune  au titre de la protection de l'enfance. Le juge du référé liberté a enjoint à la maire de la commune d'assurer l'hébergement de l’intéressé dans une structure adaptée à son âge ainsi que la prise en charge de ses besoins essentiels, alimentaires, vestimentaires, sanitaires et scolaires, jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question relative à sa minorité.

La commune interjette appel de cette ordonnance.

Le pourvoi est rejeté.

En premier lieu, le Conseil d’État relève que le premier juge a estimé « qu'en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, l'appréciation portée par la maire de A. sur la minorité de M. B. doit être regardée comme manifestement erronée » et qu’il s’est appuyé pour juger ainsi  sur ce que M. B. avait présenté pour justifier sa minorité un passeport biométrique original à son nom délivré le 7 octobre 2022 à Conakry, ne présentant ni rature, ni modification manifeste susceptible de remettre en doute son authenticité et dont la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire et à l'identité, qui l'a analysé dans le cadre d'une commission rogatoire du juge des enfants du tribunal pour enfants de A., a relevé qu'il « présente toutes les caractéristiques d'un document authentique » et a estimé que ni l'indication figurant dans le rapport de la division nationale de la lutte contre la fraude documentaire selon laquelle le « risque d'une obtention indue » du passeport n'était pas exclu, ni l'absence de visa pour l'Espagne alors que M. B. affirme y être passé, ni l'évaluation sociale mettant en doute le parcours migratoire relaté par l'intéressé, ne remettaient en cause la force probante de la mention de sa date de naissance figurant sur son passeport. 

En second lieu, la seule circonstance qu'un passeport ne soit pas un acte d'état civil au sens des dispositions de l'article 47 du code civil ne fait pas obstacle à ce que le juge des référés se fonde sur les données personnelles figurant sur un passeport qu'il estime authentique ainsi que sur l'ensemble des pièces du dossier, y compris le rapport d'évaluation qui concluait en sens contraire.

Au surplus, si la commune fait valoir qu'aucun élément ne permet de rattacher le passeport à M. B. et que les conditions de son obtention ainsi que les déclarations de M. B. doivent conduire à écarter sa valeur probante, elle n'apporte aucun élément nouveau ou sérieux de nature à remettre en cause l'appréciation du juge des référés du tribunal administratif.

(ord. réf. 15 novembre 2023, Ville de A., n° 489228)

(94) V. aussi, très sensiblement voisin, à propos d’un ressortissant ivoirien, avec même solution envers le refus de prise en charge : ord. réf. 15 novembre 2023, Ville de Paris, n° 489229.

 

95 - Étrangers demandeurs d’asile – Application de la procédure « Dublin » - Déclaration de fuite – Atteinte grave à une liberté fondamentale – Défaut de l’urgence requise en procédure de référé liberté – Rejet.

Un couple de ressortissants turcs d’origine kurde a présenté en décembre 2022 une demande d’asile, la préfecture les a orientés en procédure « Dublin » et leur a délivré à chacun une attestation de demande d'asile. Une fille est née en France le 31 janvier 2023. Les autorités italiennes ayant donné leur accord pour une prise en charge, le préfet a prononcé leur transfert vers l'Italie et, dans l’attente, les a assignés à résidence.

Constatant que les intéressés ne s'étaient pas rendus à trois convocations des 30 mars, 2 juin et 4 juillet 2023, sans justifications, le préfet a signalé aux autorités italiennes qu'il les déclarait « en fuite », prolongeant ainsi le délai de transfert et donc de l'assignation à résidence, puis  il a retiré leur attestation de demande d'asile et cessé de les placer en assignation à résidence. Après que la juge des référés du tribunal administratif a rejeté leur demande qu’il soit fait injonction au préfet de leur réattribuer le bénéfice de leur attestation de demande d'asile, ils interjettent appel.

La décision illustre très bien les exigences propres au référé liberté.

En premier lieu, le juge relève que les requérants se sont rendus en réalité à plusieurs convocations sans discontinuité, que leurs absences ne procédaient pas d’un mauvais vouloir et que trois jours avant d’être déclarés en fuite ils s’étaient rendus à une convocation tout comme avant que le préfet ne retire leurs demande d’asile ils s’étaient présentés à quatre reprises aux services préfectoraux. Ainsi, ce retrait a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit d'asile pour l'exercice duquel l'attestation est délivrée. 

En second lieu, il est repoché aux requérants de se borner à faire état de quelques considérations générales sans apporter aucun élément de nature à établir que leur demande de rétablissement de cette attestation serait, en ce qui les concerne, justifiée par une situation d'urgence.

L’appel est rejeté.

(ord. réf. 20 novembre 2023, M. et Mme C., n° 489212)

 

96 - Demande de renouvellement d'un document de circulation pour étranger mineur – Effet d’un tel document – Refus – Absence de présomption d’urgence – Rejet, à défaut d’invocation de circonstances particulières.

Si le refus de délivrance d’un titre de séjour à un étranger ou son retrait a une incidence immédiate sur la situation concrète de l'intéressé et donc sur l’appréciation de l’urgence à statuer, il n’en va pas de même du document de circulation pour étranger mineur, qui, en vertu des dispositions des art. L. 414-4 et L. 414-5 du CESEDA, permet seulement à son titulaire d'être réadmis en France sans avoir à justifier d'un visa et n'a aucune incidence sur la régularité de son séjour. Il suit de là que son refus comme son retrait ne saurait, en principe et en l'absence de circonstances particulières relatives à la situation concrète de l'étranger, créer une situation d'urgence.

C’est sans erreur de droit que l’auteur de l’ordonnance attaquée a jugé que la requérante ne pouvait pas se prévaloir d'une présomption d'urgence à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution du refus du préfet de renouveler le document de circulation de sa fille mineure.  

(ord. réf. 24 novembre 2023, Mme F., n° 476318)

Fonction publique et agents publics – Agents des services publics

 

97 - Rédacteur territorial – Contrat à durée indéterminée – Recruté en qualité d'animateur éducateur sportif – Mises en demeure de rejoindre son poste – Constat d’abandon de poste – Radiation des cadres – Erreur de droit – Annulation.

Le requérant, rédacteur territorial dans une commune, y a d’abord été embauché par contrat à durée déterminée, puis par contrat à durée indéterminé, il a été, en premier lieu, affecté comme directeur des services de la jeunesse et des sports en janvier 2011, en deuxième lieu, en novembre 2014, comme instructeur des permis de construire dans le service aménagement, urbanisme et foncier, en troisième lieu, en janvier 2017, il a été  nommé au grade d'éducateur territorial des activités physiques et sportives, en qualité d'animateur éducateur sportif. Malgré trois mises en demeure successives, il a refusé de rejoindre cette nouvelle affectation. Estimant se trouver en présence d’un abandon de poste, la commune l’a radié des cadres.

L’intéressé se pourvoit en cassation de l’arrêt d’appel infirmatif qui a considéré que le maire a à bon droit estimé que M. B., qui ne pouvait être regardé comme se trouvant dans l'impossibilité matérielle de reprendre son service et ne faisait valoir aucun justificatif d'ordre médical, avait rompu le lien qui l'unissait au service en refusant de rejoindre son poste d'animateur éducateur sportif en dépit des mises en demeure qui lui avaient été adressées, et que ce comportement était constitutif d'un abandon de poste justifiant sa radiation des effectifs.

Le Conseil d’État annule cet arrêt en reprochant à la cour de n’avoir pas recherché, alors qu'elle était saisie de moyens en ce sens, si le requérant avait signé le nouveau contrat par lequel la commune proposait de le recruter en qualité d'animateur éducateur sportif ou si, à défaut de nouveau contrat, ce changement d'affectation constituait une modification d'un élément substantiel du contrat en cours, justifiant qu'il refuse de rejoindre cette nouvelle affectation.

Il est très, très difficile, tant la jurisprudence se montre restrictive pour en reconnaître l’existence, de radier un agent public des cadres pour avoir abandonné son poste.

(03 novembre 2023, M. B., n° 461537)

 

98 - Invalidité temporaire imputable au service - Invalidité temporaire prononcée à titre définitif (art. 37-9) et invalidité temporaire prononcée à titre provisoire (art. 37-5) – Régimes distincts régis par le décret du 30 juillet 1987 – Annulation de l’ordonnance de rejet.

Le juge rappelle une délicate subtilité du décret du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux.

Lorsqu’une collectivité est saisie d’une demande de reconnaissance d’invalidité temporaire imputable au service, deux cas peuvent se présenter et la confusion entre les deux est fréquente.

Soit la collectivité, appliquant les dispositions de l’art. 37-9 du décret de 1987, place l’agent en congé pour invalidité temporaire imputable au service, ce qui implique qu’elle a reconnu l'imputabilité au service de l'accident ou de la maladie à l'origine de cette invalidité temporaire. Il s’agit donc d’une décision créatrice de droits au profit de l'agent. D’où cette conséquence, inaperçue en l’espèce par la commune, que l'autorité territoriale ne peut retirer ou abroger un tel arrêté, s'il est illégal, que dans le délai de quatre mois suivant son adoption, et ne saurait ultérieurement, en l'absence de fraude, remettre en cause l'imputabilité au service ainsi reconnue. 

Soit la collectivité, appliquant les dispositions de l’art. 37-5 du décret de 1987 parce qu’elle n'est pas en mesure d'instruire la demande de l'agent dans les délais impartis, le place en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre seulement provisoire et la décision précise qu'elle peut être retirée dans les conditions prévues à l'article 37-9 du décret du 30 juillet 1987, un tel placement en congé pour invalidité temporaire imputable au service à titre provisoire ne vaut pas reconnaissance d'imputabilité et il peut être retiré si, au terme de l'instruction de la demande de l'agent, cette imputabilité n'est pas reconnue. 

Alors qu’elle se trouvait dans le premier cas, la commune a appliqué le régime du second cas. En validant ce raisonnement l’ordonnance en référé provision encourt annulation.

(ord. réf. 03 novembre 2023, Mme A., n° 465818)

 

99 - Aide-soignante - Radiation des cadres – Demande de reconnaissance de l’imputabilité au service d’un syndrome dépressif antérieur à la radiation – Refus pour rupture de tout lien avec le service – Erreur de droit – Annulation.

Commet une erreur de droit l’arrêt d’une cour administrative d’appel qui, confirmant la décision de son employeur, rejette la requête d’un agent qui, radié des cadres, demande que soit reconnu imputable au service un syndrome dépressif apparu antérieurement à la décision de radiation. Cette radiation est, en effet, sans conséquences sur les éléments ou événements qui lui sont antérieurs.

(09 novembre 2023, Mme B., n° 461203)

 

100 - Agent public stagiaire – Licenciement pour insuffisance professionnelle – Régime applicable – Contrôle du juge – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Saisi d’un pourvoi dirigé contre l’arrêt confirmatif du jugement annulant, à l’issue de son stage, le licenciement pour insuffisance professionnelle d’une adjointe technique territoriale, le Conseil d’État rappelle ainsi les conditions et points de contrôle incombant au juge saisi d’un recours en annulation d’un tel licenciement : « (…) pour apprécier la légalité d'une décision de refus de titularisation, il incombe au juge de vérifier qu'elle ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, qu'elle n'est entachée ni d'erreur de droit, ni d'erreur manifeste dans l'appréciation de l'insuffisance professionnelle de l'intéressé, qu'elle ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire et n'est entachée d'aucun détournement de pouvoir et que, si elle est fondée sur des motifs qui caractérisent une insuffisance professionnelle mais aussi des fautes disciplinaires, l'intéressé a été mis à même de faire valoir ses observations. »

En l’espèce, où la cour administrative d’appel avait confirmé l’annulation de la décision de licenciement, le Conseil d’État relève qu’il résulte de la motivation de l’arrêt une dénaturation des pièces du dossier.

(09 novembre 2023, Syndicat intercommunal au service de la personne âgée (SISPA) « Vivre ensemble », n° 465459)

 

101 - Militaire de carrière dans la marine nationale – Succès au concours externe de contrôleur des douanes et droits indirects – Candidature au tableau d’avancement pour l’accès au grade de contrôleur de 1ère classe – Invocation du bénéfice de l’ancienneté acquise dans ses fonctions antérieures – Refus – Annulation du refus – Annulation de l’arrêt.

Un militaire de carrière ayant servi dans la marine nationale passe avec succès les épreuves du concours externe de contrôleur des douanes et droits indirects. Il est d’abord titularisé dans le corps des contrôleurs de 2ème classe. Il se porte candidat au tableau d’avancement pour l’accès au grade de contrôleur de 1ère classe et invoque au soutien de sa candidature le bénéfice de l’ancienneté acquise dans ses fonctions militaires antérieures. Cela lui ayant été refusé, il a saisi le tribunal et la cour administrative d’appel ont fait droit à sa demande.

Le ministre des finances se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État décide que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l’intéressé avait droit au bénéfice de la bonification pour ancienneté de services car si, pour pouvoir être inscrits sur le tableau d'avancement précité, les contrôleurs des douanes et droits indirects doivent justifier d'au moins cinq ans de services effectifs accomplis en qualité de fonctionnaire dans un corps, cadre d'emplois ou emploi de catégorie B ou de même niveau, ni les dispositions de l'article L. 4139-1 du code de la défense, ni aucune autre disposition législative ou règlementaire ne prévoit que lorsqu'un militaire est intégré dans la fonction publique selon la procédure prévue par cet article, l'appréciation de la durée de service exigée pour l'avancement dans le corps ou le cadre d'emploi d'accueil doit inclure les services qu'il a antérieurement accomplis en tant que militaire.

(09 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470522)

(102) V. aussi, identique : 09 novembre 2023, ministre de l’économie, des finances…, n° 470523.

 

103 - Assistants sociaux – Retrait d’agréments puis licenciements – Suspension de ces mesures ordonnée – Rejet.

Un département, prétendûment sur la base d’une information préoccupante, a retiré aux requérants leurs agréments en qualité d’assistants familiaux pour l’accueil, respectivement, de deux et de trois enfants, puis les a licenciés.

Ils ont obtenu du juge des référés la suspension de ces mesures.

Le département se pourvoit en cassation de cette ordonnance. Il est débouté par le Conseil d’État qui approuve en tous points l’ordonnance attaquée : il y avait bien urgence à statuer et, en l’état de l’instruction, il existe un doute sérieux quant à la juridicité des décisions attaquées.

L’urgence résulte de ce que ces décisions ont pour effet de faire obstacle à la poursuite, par les requérants, de leur activité professionnelle et privent leur foyer de tout revenu d'activité, également de ce que leur détresse psychique est établie et, enfin, de ce que l'existence d'un intérêt public suffisant justifiant le maintien de l'exécution de ces décisions n'était pas établie, le département ne donnant aucune information sur l'information préoccupante qui en était à l'origine.

Le doute sérieux résulte, lui, du constat que les intéressés ont eu pour seule information, mentionnée dans les décisions du 6 octobre 2022 suspendant leurs agréments d'assistant familial, que le département avait été destinataire d'une information préoccupante faisant état de faits graves remettant en cause leurs pratiques professionnelles, tandis que le président du conseil départemental a refusé de leur apporter des précisions sur la teneur des éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux leur ayant raisonnablement permis de penser que le ou les enfants étaient victimes des comportements en cause ou risquaient de l'être, au motif que ces éléments faisaient l'objet d'une instruction pénale. De plus, la commission consultative paritaire départementale, saisie pour avis par le président du conseil départemental en vue d'un éventuel retrait d'agrément, s'est trouvée dans l'impossibilité de rendre un avis faute de disposer de ces éléments. Il s’ensuit que ces décisions, prises en méconnaissance tant des dispositions de l'art. R. 421-23 du code de l'action sociale et des familles, que des droits de la défense et du principe du caractère contradictoire de la procédure, étaient propres à faire naître un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

(09 novembre 2023, département de Seine-et-Marne, n° 473633)

(104) V. aussi, très comparable, jugeant que la seule existence d'un signalement ne pouvait suffire à constituer la justification des mesures de suspension prises à l’égard d’un couple d’assistants sociaux et qu'en l'absence d'autre précision apportée par le département du Pas-de-Calais, employeur, dans le cadre des instances de référé, un doute sérieux existait quant à la légalité de ces décisions et, par conséquent, quant à la juridicité de la décision du 28 février 2023 mettant fin à la prise en charge à son domicile de l'enfant accueilli par M. A ; ainsi, le juge des référés du tribunal administratif s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce, sans les dénaturer, et n'a pas commis d'erreur de droit : 09 novembre 2023, département du Pas-de-Calais, n° 474932.

 

105 - Candidature à l'intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes – Rejet – Information de ce rejet ne constituant pas une décision – Institution d’une commission assistant le conseil supérieur des chambres régionales des comptes – Rejet.

La requérante demande l’annulation de  la décision par laquelle le premier président de la Cour des comptes l'a informée du rejet de sa candidature à l'intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes et du décret du président de la république portant intégration dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes, en tant que son nom n'y figure pas.

Le recours est rejeté en tous ses griefs.

D’abord, le courrier du premier président de la Cour des comptes adressé à l’intéressée se bornait à l’informer du rejet de sa candidature par l’autorité compétente, il ne constituait pas une décision susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.

Ensuite, si le code des juridictions financières prévoit une procédure spécifique comprenant notamment un avis du conseil supérieur des chambres régionales des comptes, ce dernier peut parfaitement préciser les conditions dans lesquelles il se prononce sur les candidatures et aucune disposition ni aucun principe ne fait obstacle à ce qu'il confie à une commission le soin de l'assister pour les examiner dès lors que l'appréciation de cette commission ne lie pas le conseil supérieur, qui délibère sur chacune des candidatures pour émettre son avis. À la supposer établie, la circonstance que le règlement intérieur du conseil supérieur prévoyant l'existence et la composition de cette commission n'aurait pas été publié est sans incidence sur la régularité de la procédure suivie.

Également, la requérante ne saurait soutenir que la procédure suivie est entachée d'irrégularité au motif que la commission d'intégration n'aurait pas utilisé de grille d'analyse pour évaluer les mérites respectifs des candidatures et qu'elle aurait insuffisamment motivé son rapport au conseil supérieur des chambres régionales des comptes, faute de se prononcer sur les mérites individuels de chaque candidat, il ne résulte d'aucun texte ni d'aucun principe que cette commission aurait été soumise à de telles obligations.

Enfin, il ne découle pas des dispositions de l'art. L. 221-9 du code des juridictions financières qui permettent l’intégration d’agents publics dans le corps des magistrats de chambre régionale des comptes, que cette intégration constitue un droit pour le fonctionnaire qui en sollicite le bénéfice. Le président de la république disposant à cet effet d’un large pouvoir d’appréciation. Or il n’apparaît pas en l’espèce que son refus reposerait sur une erreur manifeste d’appréciation.

(10 novembre 2023, Mme B., n° 454476)

 

106 - Accès à la fonction publique – Instituts régionaux d’administration (IRA) – Refus de suppression de l’épreuve orale d’admission aux IRA – Demande d’annulation – Rejet d’une QPC et rejet au fond.

Doit être rejeté le recours dirigé contre la décision primo-ministérielle refusant de supprimer les épreuves orales d'admission au concours des instituts régionaux d'administration. La transmission d’une QPC fondée sur ce que les dispositions des lois du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État porteraient atteinte aux droits et libertés que garantit la Constitution, est refusée, aucune d’elle ne prévoyant d’ailleurs le principe de l'organisation d'épreuves orales d'admission aux concours d'accès à la fonction publique de l'État.

Au fond, c’est sans méconnaître le principe d'égalité des candidats et alors qu’aucun principe n'impose l'anonymat des épreuves d'un concours d'accès à la fonction publique, que l'article 1er de l'arrêté attaqué a institué une épreuve orale d'admission pour les concours externes, les concours internes et les troisièmes concours d'accès aux instituts régionaux d'administration.

(10 novembre 2023, M. A., n° 487986)

 

107 - Professeur des universités et président d’université – Suspension de ses fonctions à titre conservatoire – Formation d’un référé liberté – Absence de démonstration de l’urgence spécifique à ce référé – Rejet.

Suite à des dénonciations de harcèlement dirigées contre lui, la ministre de l’enseignement supérieur, après rapport de l'inspection générale de l'éducation concluant à l'existence de faits susceptibles de relever d'un harcèlement moral et à la responsabilité du président de l'université dans cette situation, a suspendu de ses fonctions un professeur des universités, président de l’université de La Réunion, avec maintien de son traitement, à l’exception de sa prime de président. Elle a indiqué engager une procédure disciplinaire à son encontre parallèlement à l’action publique déclenchée du fait de la saisine du parquet de Saint-Denis-de-La Réunion.

L’intéressé a demandé la suspension de l’exécution de cette mesure par la voie d’un référé liberté. Cela lui est refusé car n’est pas établie en l’espèce l’existence de l’urgence spécifique aux demandes en référé liberté et l’atteinte, même avérée, à une liberté fondamentale ne saurait, par elle-même, constituer une situation d’urgence non plus que la continuité du service public prise en la gouvernance de l’université laquelle est, en l’espèce, correctement assurée.

(10 novembre 2023, M. Frédéric Miranville, n° 489207)

 

108 - Pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires – Organisation des épreuves du concours de recrutement – Diplômes permettant de concourir – Détention d’un diplôme d’études spécialisées – Absence – Rejet.

Le syndicat requérant demandait l’annulation, d’une part, de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et le ministre de l'éducation nationale ont refusé de modifier l'annexe de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021 relatif à l'organisation des épreuves du concours de praticien hospitalier des établissements publics de santé, en tant qu'elle fixe la liste des diplômes requis pour se présenter dans la spécialité n° 72, « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière », et d’autre part, de l'arrêté du 28 octobre 2022 du ministre de la santé portant ouverture du concours national de praticien hospitalier des établissements de santé publics, session 2022.

Le recours est rejeté notamment pour ce qui regarde l’argument principal du requérant.

Concernant le recours dirigé contre l’arrêté interministériel du 25 septembre 2021, il est rappelé que l’art. R. 5126-2 du code de la santé publique dispose que pour exercer au sein d'une pharmacie à usage intérieur, le pharmacien doit être titulaire soit du diplôme d'études spécialisées (DES) de pharmacie hospitalière et des collectivités, soit du DES de pharmacie industrielle et biomédicale, soit du DES de pharmacie, soit du DES de pharmacie hospitalière.

Toutefois, l’art. R. 5126-3 du même code prévoit que, par dérogation aux dispositions de l'art. R. 5126-2, peut également exercer au sein d'une pharmacie à usage intérieur, le pharmacien qui, soit à la date du 1er juin 2017 justifie d'un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur, à temps plein ou à temps partiel, d'une durée équivalente à deux ans à temps plein sur la période des dix dernières années, soit après le 1er juin 2017 et jusqu'au 1er juin 2025 reprend un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur et justifie, à la date de la reprise, d'un exercice au sein d'une pharmacie à usage intérieur, à temps plein ou à temps partiel, d'une durée équivalente à deux ans à temps plein sur la période des dix dernières années. Cet article prévoit également que les périodes de fonction en pharmacie à usage intérieur en qualité de faisant fonction d'interne, d'attaché associé, de praticien attaché associé ou d'assistant associé sont prises en compte au titre de la condition de durée minimale d'exercice de deux ans rappelée ci-dessus. 

L'arrêté interministériel querellé, du 25 septembre 2021, relatif à l'organisation des épreuves du concours de praticien hospitalier des établissements publics de santé prévoit trois spécialités accessibles aux pharmaciens : la spécialité « hygiène hospitalière » (n° 14), la spécialité « pharmacologie clinique et toxicologie » (n° 58) et la spécialité « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière » (n° 72).

Les pharmaciens lauréats du concours de praticien hospitalier dans cette dernière spécialité ont vocation à exercer leurs fonctions dans les « pharmacies à usage intérieur » des établissements hospitaliers et doivent donc, en principe, être titulaires de l'un des diplômes d'études spécialisées prévus par l'art. R. 5126-2 précité. Toutefois, il est constant que des pharmaciens non titulaires de ces diplômes peuvent continuer à exercer leurs fonctions dans les « pharmacies à usage intérieur », ou y reprendre du service jusqu'en juin 2025, sans être titulaires de l'un de ces diplômes, et peuvent ainsi être utilement inscrits sur la liste d'aptitude à l'issue du concours en vue de leur recrutement comme praticiens hospitaliers dans la spécialité n° 72, dès lors qu'ils justifient, par ailleurs, en vertu de l'annexe à l'arrêté en litige, du « diplôme d'État de docteur en pharmacie ». C’est donc sans méconnaître les dispositions de l'art. R. 5126-2, qui, au demeurant, ne fixent pas les conditions de recrutement des pharmaciens praticiens hospitaliers, que les ministres chargés de la santé et de l'enseignement supérieur ont pu ne pas imposer aux candidats au concours de praticien hospitalier dans la spécialité « pharmacie polyvalente et pharmacie hospitalière » (n° 72) d'être titulaires d'un des diplômes d'études spécialisés prévus audit article.

Concernant le recours dirigé contre l’arrêté ministériel du 28 octobre 2022, il ne peut qu’être rejeté dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu par le syndicat requérant, cet arrêté se borne à se référer aux dispositions de l'arrêté interministériel du 25 septembre 2021, sans y apporter de compléments ou de modifications. Le moyen tiré de l’incompétence de son auteur ne peut qu’être rejeté.

(14 novembre 2023, Syndicat national des pharmaciens praticiens hospitaliers et praticiens hospitaliers universitaires (SNPHPU), n° 470022 et n° 470150, jonction pour connexité des questions posées)

 

109 - Ouvrier de l’État – Départ à la retraite - Décision plaçant rétroactivement un agent dans  un échelon supérieur – Effets – Erreur de droit – Annulation.

Un ouvrier de l’État, radié des contrôles le 31 octobre 2015, a fait l’objet, par une décision du 12 janvier 2016, d’un reclassement au 8ème échelon du groupe hors catégorie A (HCA) de l'emploi de contrôleur des travaux de l'infrastructure avec effet à compter du 19 mars 2015.

Une pension civile de retraite lui a été concédée à compter du 1er novembre 2020 sur la base d'un classement au 8ème échelon de la catégorie 7 de l'emploi de contrôleur des travaux de l'infrastructure, ainsi qu'il résulte du brevet de pension qui lui a été notifié le 29 avril 2021.

Estimant cette décision irrégulière en ce qu’elle ne tient pas compte de sa dernière promotion, l’intéressé a saisi le tribunal administratif d’une demande d’annulation ainsi que d’une demande d'indemnisation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de cette omission.

Sa requête ayant été rejetée, il se pourvoit en cassation.

Le Conseil d’État annule le jugement.

Celui-ci était fondé sur ce que le requérant ne pouvait pas se prévaloir de la décision de reclassement du 12 janvier 2016, au motif que cette décision ayant été adoptée après sa radiation des contrôles le 31 octobre 2015 et donc après la cessation de ses fonctions, présentait un caractère rétroactif alors qu’elle n'avait été prise en exécution ni d'une loi, ni d'un règlement ayant légalement un effet rétroactif, ni d'une décision du juge de l'excès de pouvoir. Toutefois, le juge de cassation indique que cette décision était antérieure à la date du 1er novembre 2020, à laquelle il a été admis à faire valoir ses droits à la retraite. Ainsi, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif a commis une erreur de droit.

Le jugement est annulé en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à l'annulation de la décision concédant une pension de retraite qui ne tient pas compte de la promotion du demandeur au 8ème échelon du groupe hors catégorie A.

(29 novembre 2023, M. B., n° 469031)

 

110 - Fonctionnaire territorial – Agent affecté à un établissement public communal (CCAS) – Détachement auprès d’un organisme privé – Réintégration à l’issue du détachement – Refus des postes proposés dans la collectivité et non dans l’établissement public – Refus de l’allocation d’aide au retour à l’emploi – Refus justifié - Annulation.

La requérante, recrutée au sein du centre communal d'action sociale de Jarville-la-Malgrange en qualité d'adjointe technique territoriale de 2e classe stagiaire pour y exercer les fonctions de veilleur de nuit, a été titularisée en 2012, puis détachée auprès de la société Médica France jusqu'au 31 décembre 2016.

Elle a d’abord sollicité la fin anticipée de son détachement et, en l'absence de poste vacant au sein du centre communal d'action sociale, elle a été placée en disponibilité d'office jusqu'à la date à laquelle son détachement aurait dû prendre fin, puis, en octobre 2016, elle a demandé  sa réintégration au sein de la mairie de Jarville-la-Malgrange ou d'une autre collectivité territoriale de la métropole du grand Nancy à compter du 1er janvier 2017.

Après qu’elle a refusé deux propositions d'emploi au sein de la commune, elle a été placée en disponibilité d'office à compter du 1er janvier 2017 pour une durée maximale de trois ans.

Le président du centre communal d'action sociale a refusé de faire droit à sa demande de versement de l'allocation de retour à l'emploi. Le centre se pourvoit en cassation du jugement qui a annulé cette décision.

Le Conseil d’État est à la cassation de ce jugement retenant que l’intéressée avait refusé des propositions d’emplois au sein de la commune et que la circonstance de son affectation au sein du CCAS, établissement public communal mais distinct de la commune, n’empêchait pas, compte tenu des liens étroits entre un CCAS et sa commune d’exercice, que des emplois lui fussent proposés parmi les emplois communaux.

Dès lors, la requérante ne pouvait soutenir avoir été involontairement privée d’emploi « involontairement » au sens et pour l’application des dispositions combinées du 1° de l’art. L. 5424-1 et de l’art. L. 5422-1 du code du travail. Par suite, c’est sans illégalité que le CCAS lui a refusé le bénéfice de l'allocation de retour à l'emploi.

(29 novembre 2023, Centre communal d'action sociale de Jarville-la-Malgrange, n° 470421)

 

Libertés fondamentales

 

Dissolution d’associations ou de groupements de fait,

variations sur l’ordre et la liberté

(n°s 111 à 114 inclus)

 

Une vague de dissolutions d’associations et de groupements de fait prononcées par décrets présidentiels est l’occasion pour le juge administratif de rappeler et de préciser sa doctrine dans une matière sensible pour les libertés publiques d’une part et pour l’étendue du pouvoir de police d’autre part. Les dissolutions d’associations ou de groupements de fait ne sont pas une chose très fréquente et c’est heureux. Leur emploi très concentré en 2023 n’en a que davantage marqué l’opinion et a conduit le juge à rendre des décisions dans une de ses plus importantes formations contentieuses : la Section du contentieux.

Naturellement, ces décisions, diverses dans les faits comme dans les solutions en droit, ont été abondamment commentées voire, parfois, critiquées tant il entre une part de subjectivité tant dans l’appréciation des circonstances de fait que dans le maniement du principe de proportionnalité car ce principe est toujours un critère subjectif en lui-même et ce caractère se diffuse, lorsqu’il est mis en œuvre, à l’ensemble du litige, faisant courir à la décision le risque d’être discutée souvent âprement.

 

111 - Liberté d’association, liberté fondamentale – Interprétation stricte des dispositions affectant cette liberté – Application du principe de proportionnalité – Absence de provocation à des agissements violents – Publication de propos outranciers accusant les pouvoirs publics d’être hostiles aux musulmans – Publication et commentaires de nature à provoquer discrimination et violence – Dissolution fondée et non disproportionnée – Rejet.

Les requérants recherchaient l’annulation du décret du 20 octobre 2021 portant dissolution de l'association demanderesse, fondée sur l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure.

Le juge opère une distinction.

S’agissant du 1° de cet article, l’organisation en cause n’y contrevient pas et les requérants sont fondés à soutenir qu’il en a été fait une inexacte application en l’espèce dans la mesure où les réactions exprimées à la suite d’affrontements entre une famille musulmane et d’autres habitants d’un village, pour injurieuses et menaçantes qu’elles fussent, n’appelaient pas à la violence.

Cependant, en revanche, au regard des dispositions du 6° de l’article précité, l’association dissoute a, de façon récurrente, sur ses réseaux sociaux, publié en grand nombre, notamment entre 2019 et 2021, tenu des propos, dont certains outranciers, fondés sur l'idée que les pouvoirs publics, la législation, les différentes institutions et autorités nationales ainsi que de nombreux partis politiques et médias seraient systématiquement hostiles aux croyants de religion musulmane et instrumentaliseraient l'antisémitisme pour nuire aux musulmans. La gravité de ces accusations et les nombreuses réactions qu’elles ont suscitées sans que l'association ne tente de les contredire ou de les effacer relèvent manifestement de la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une nation, une prétendue race ou une religion déterminée ou à propager des idées ou théories tendant à les justifier ou à les encourager, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que l'objet de l'association, tel que défini par ses statuts, n'était pas illicite.

Dès lors, en prononçant la dissolution contestée, le décret attaqué n’a pas pris une mesure présentant un caractère disproportionné au regard des risques de troubles à l'ordre public résultant de ces agissements.

L’application inexacte du 1° de l’art. L. 212-1 du code précité n’a aucune incidence en l’espèce car l’auteur du décret aurait pris la même décision s’il ne s’était fondé que sur les seules dispositions de son 6°.

(Section, 09 novembre 2023, Association « Coordination contre le racisme et l'islamophobie », n° 459704 et M. Chaambi, n° 459737)

 

112 - Groupement de fait – Justification de la discrimination et de la haine envers les étrangers et les Français issus de l'immigration – Assimilation à des criminels ou à des terroristes – Liaisons avec des groupes à l’idéologie largement comparable – Gravité et récurrence des agissements – Rejet du recours dirigé contre le décret de dissolution.

Le recours formé contre le décret du 19 novembre 2021 prononçant la dissolution de l’Alvarium, soulevait une question de qualification juridique de ce dernier qui n’a pas la personnalité juridique, ce qui explique l’introduction du présent recours par une personne physique se disant porte-parole de ce mouvement. Le Conseil d’État le qualifie de « groupement de fait », catégorie juridique reconnue par l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure et d’ailleurs reprise telle quelle de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées adoptée à la suite des émeutes du 6 février 1934.

Le juge considère que le caractère récurrent et la gravité de ces agissements assimilant les étrangers et les Français musulmans à des délinquants, criminels ou terroristes et appelant à la discrimination, à la violence ou à la haine contre les étrangers, les font entrer dans le champ du 6° de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure dont il a été fait en l’espèce une exacte application ne contrevenant pas aux dispositions de l’art. 11 de la Convention EDH.

(Section, 09 novembre 2023, M. Gannat, (dissolution du groupement de fait Alvarium), n° 460457)

 

113 - Groupement de fait – Règles et principes s’appliquant à son décret de dissolution – Procédure administrative suivie – Appel à des agissements violents lors de manifestations – Violences revendiquées sur les forces de l’ordre et sur leurs moyens – Appels au meurtre – Actes graves et répétés justifiant la dissolution – Rejet.

Le recours dirigé contre le décret dissolvant le groupement de fait dont les requérants sont des dirigeants soulevaient trois questions préalables de procédure.

Tout d’abord, bien que sans personnalité juridique, sans structure(s) et non déclaré, il constitue, comme dans la décision précédente, un groupement de fait ce qui le rend éligible aux dispositions invoquées par l’auteur du décret de dissolution.

Ensuite, si ce décret a été pris le jour de l’expiration du délai de dix jours légalement imparti pour permettre aux intéressés de faire parvenir leurs observations sur la projet de dissolution, il n’y a là aucune irrégularité.

Enfin, n’est pas irrégulière la circonstance que le courrier d’information ait été adressé à l’un des dirigeants du groupement et non aux deux.

Sur le fond, le juge rappelle, d’une part, que le 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, réprime les agissements qui constitue une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public et, d’autre part, que le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, constitue une provocation au sens de ces mêmes dispositions tout comme le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence. 

Examinant les faits à l’origine du décret de dissolution, le juge relève que le 1° de l’art. précité, lorsque les conditions qu’il prévoit pour sa mise en œuvre sont réunies, n’apporte pas, contrairement à ce qui est soutenu, des ingérences injustifiées dans les libertés garanties par les stipulations des art. 10 et 11 de la Convention EDH. Puis, il estime que ne saurait être contesté que plusieurs messages postés par le groupement dissous et M. D. sur les réseaux sociaux, dont il ne peut être sérieusement contesté qu'ils leur sont imputables, ont appelé explicitement à commettre des agissements violents sur les biens ou les personnes, constitutifs de troubles graves à l'ordre public, en particulier à l'occasion de manifestations, déclarées ou non, sur la voie publique. Enfin, entrent dans les prévisions du 1° précité la répétition et la durée dans le temps, d’une part, de messages comprenant des photographies ou des dessins représentant des policiers ou des véhicules de police incendiés, recevant des projectiles ou faisant l'objet d'autres agressions ou dégradations, et d’autre part, de messages approuvant et justifiant des violences graves commises à l'encontre de militants d'extrême-droite et de leurs biens ainsi que des appels, formulés par des tiers, à la violence, voire à leur meurtre, sans donner lieu à une quelconque modération de la part de l'organisation, qui n'était pas dépourvue de moyens pour y procéder. 

Le décret de dissolution est, à la fois, exactement fondé dans son existence et correctement proportionné dans son contenu.

(Section, 09 novembre 2023, M. Festas et autre, (dissolution du groupement de fait « Groupe Antifasciste Lyon et environs, dit " la GALE ", »), n° 464412)

 

114 - Groupement de fait – Dissolution – Régime et limites – Provocation par action ou par abstention – Nécessité d’une mesure de caractère adapté, nécessaire et proportionné – Absence – Annulation.

Les requérants demandaient l’annulation du décret du 21 juin 2023 portant dissolution du groupement de fait « Les Soulèvements de la Terre ».

Le Conseil d’État rappelle à nouveau (cf. requête n° 464412 ci-dessus) que dès lors que la dissolution est fondée sur le 1° de l’art. L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, il est nécessaire d’établir l’existence d’une provocation à des manifestations armées ou à des agissements violents à l'encontre des personnes ou des biens, de nature à troubler gravement l'ordre public et que constitue une telle provocation le fait de légitimer publiquement des agissements violents présentant une gravité particulière, quels qu'en soit les auteurs, tout comme le fait, pour une organisation, de s'abstenir de mettre en œuvre les moyens de modération dont elle dispose pour réagir à la diffusion sur des services de communication au public en ligne d'incitations explicites à commettre des actes de violence. 

En l’espèce, le juge constate que le groupement n’a ni appelé à des violences contre les personnes ni exercé de telles violences quand bien même des membres des forces de l’ordre ont été blessés au cours des manifestations organisées par lui.

En revanche, c’est sans erreur de droit ou de fait que le décret attaqué a estimé que le groupement de fait et ses membres ont provoqué à des agissements contre les biens, ce qui relève effectivement du 1° de l’art. L. 212-1 du CSI. Par ailleurs, il est constant qu’ont été commises des dégradations matérielles qui ont été suscitées puis revendiquées par le groupement.

Toutefois, au regard de la portée de ces provocations, mesurée notamment par les effets réels qu'elles ont pu avoir, « la dissolution du groupement ne peut être regardée, à la date du décret attaqué, comme une mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d'être portés à l'ordre public. »

Le décret de dissolution est annulé. 

(Section, 09 novembre 2023, Les Soulèvements de la Terre, M. H et autres, n° 476384 ; M. J., n° 476392 ; M. P., n° 476408 ; Association Europe Écologie Les Verts et autres, n° 476946, jonction).

 

115 - Expulsion du territoire français en urgence absolue – Retrait de visa – Ressortissante palestinienne - Menace grave à l’ordre public – Membre dirigeant d’un mouvement classé comme terroriste par l’Union européenne – Annulation.

Une militante palestinienne, Mme Mariam Abou Daqqa, a fait l’objet d’une mesure d’expulsion du territoire français en urgence absolue pour menace grave à l'ordre public et du retrait de son visa de court séjour délivré le 7 août 2023.

Elle a obtenu du tribunal administratif la suspension de l’arrêté ministériel attaqué. Le ministre de l’intérieur interjette appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État annule celle-ci.

Il relève d’abord que la requérante a donné plusieurs conférences et a participé à plusieurs actions de soutien à la cause palestinienne sans qu’aucun incident ne soit survenu et donc sans qu’il ait été porté atteinte à l’ordre public. Ses interventions publiques ne sauraient à elles seules être assimilées à un soutien au Hamas, à des propos antisémites ou à des agissements de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence contre un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion.

Ensuite, le juge note cependant que le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), en vertu du règlement d'exécution du Conseil du 20 juillet 2023, figure sur la liste tenue par l’Union européenne en vertu de l'art. 2, § 3, du règlement du Conseil du 27 décembre 2001 sur laquelle sont inscrits les personnes morales, groupes ou entités « commettant ou tentant de commettre un acte de terrorisme, participant à un tel acte ou facilitant sa réalisation », ceux « détenus ou contrôlés par une ou plusieurs (de ces) personnes (...) morales, groupes ou entités » ou ceux « agissant pour le compte ou sous les ordres d'une ou de plusieurs (de ces) personnes (...) morales, groupes ou entités ».

Enfin, il retient que, pour la première fois dans la procédure, l’instruction a révélé que, contrairement à ses affirmations, l’intéressée est non seulement demeurée membre du FPLP mais qu'elle est une « dirigeante du mouvement », notamment aux termes mêmes du site internet officiel en arabe de cette organisation. Le FPLP a commis, de 2002 à 2015, treize attentats contre des civils israéliens, faisant de nombreuses victimes.

En conséquence, eu égard à la tension internationale au Proche-Orient, à une récente attaque du Hamas en Israël, à la forte recrudescence de l’antisémitisme, la présence de cette personne en France pour s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien est susceptible de susciter de graves troubles à l'ordre public ce qui justifie la mesure d’expulsion immédiate prise à son encontre. Au surplus, la requérante ne pouvant se prévaloir d'aucune attache en France, pays dans laquelle elle est arrivée en septembre 2023 et dont elle ne parle pas la langue, son expulsion ne peut être considérée comme portant une atteinte gravement illégale à sa liberté d'aller et venir, ni, en tout état de cause, à sa liberté d'expression.

(ord. réf. 08 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489045)

 

116 - Étranger bénéficiaire de la protection subsidiaire – Retrait – Annulation par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Qualification inexacte des faits – Annulation avec renvoi à la Cour.

L’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) saisit le Conseil d’État d’un pourvoi en cassation dirigé contre la décision de la CNDA annulant le retrait du bénéfice de la protection subsidiaire que l’Office avait accordé à un ressortissant kosovar.

L’Office se fondait, pour justifier la mesure prise, sur divers messages et photos émanant de ce dernier et figurant sur les réseaux sociaux mais la CNDA a jugé qu'il n'existait pas de raisons sérieuses de penser que l'activité de ce dernier sur le territoire français constituait une menace grave pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sûreté de l'État.

Le Conseil d’État annule l’arrêt de la CNDA pour qualification inexacte des faits de l’espèce en raison des faits figurant au dossier. Entre le 1er mai 2017 et le 30 avril 2018, l’intéressé a publié, sur son compte personnel Facebook :

- quatre messages signalés à l'OFPRA, dont, en mai 2017, une représentation de deux fusils d'assaut croisés autour d'une horloge à l'effigie de l'Armée de Libération du Kosovo, annotée du texte : « Ah mon frère l'heure viendra un jour »,

- en décembre 2017, un message de soutien appuyé à un imam alors poursuivi au Kosovo pour incitation à commettre des actes terroristes,

- le 18 avril 2018, un autoportrait légendé : « Appelle-moi Al-K-Idda »,

- le lendemain, une photographie de plusieurs personnes en uniforme, cagoulées et porteuses d'un fusil d'assaut de type AK 47, posant devant un drapeau albanais, assortie du commentaire suivant : « J'ai pas d'amis, moi j'ai des frères, ils sont prêts à tout péter, ils attendent un coup d'appel, ils vont venir et tout baiser » (sic).

Par ailleurs, l’intéressé a été condamné à ce titre pour apologie publique d'un acte de terrorisme ;  au cours de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, il a tenté de justifier ces publications ; dans le même temps, lors de son entretien devant l'OFPRA, il a prétendu ignorer ce qu'est Al-Qaida, niant toute référence à ce groupe terroriste dans son message du 18 avril 2018, alors que l'intéressé est identifié depuis 2016 par les services de renseignement comme un individu en relation avec la mouvance islamiste, en raison d'un changement brutal de comportement, en particulier à l'égard des femmes, intervenu à la suite des attentats terroristes commis en France en 2015. 

(09 novembre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 470180)

 

117 - Droit d’asile - Recours contre un refus d’octroi de la protection asilaire – Procédure suivie devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Irrégularité – Annulation.

Encourt annulation pour irrégularité de la procédure suivie, la décision de la CNDA rejetant la requête de l’intéressée au motif qu'elle ne présentait aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause la décision du directeur général de l'OFPRA refusant de lui accorder la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire alors que l'avocat désigné au titre de l'aide juridictionnelle n'avait pas encore produit de mémoire et sans l'avoir mis en demeure de le faire en lui impartissant un délai à cette fin, n’assurant pas ainsi à la requérante le respect effectif du droit qu'elle tirait de la loi du 10 juillet 1991 sur l’aide juridictionnelle.

(10 novembre 2023, Mme B., n° 470807)

 

118 - Extradition – Ressortissant moldave - Contestation au moyen d’arguments divers – Rejet.

Le demandeur conteste par divers moyens, tous rejetés, la juridicité du décret autorisant son extradition vers la Moldavie.

Le décret est  correctement motivé et bien que n’existe aucune obligation de notifier un décret d’extradition à une personne dans la langue qu’elle comprend, en l’espèce tant le formulaire de notification du décret d'extradition que l'une des versions du décret qui lui a été remise ont été traduits en langue moldave, en outre, contrairement à ce qui est soutenu, le formulaire indiquait les voies et délais de recours ouverts contre ce décret ainsi que la possibilité de saisir la juridiction administrative par l'application Télérecours citoyens.

L’autorisation d’extradition est fondée sur la commission de faits également réprimés en droit français, comme en droit moldave.

Enfin, il est constant, en premier lieu, que le requérant avait adressé un écrit au tribunal de Chisinau aux termes duquel il avait déclaré reconnaître les faits et souhaiter être jugé selon une procédure simplifiée et que, s'il n'était pas présent à l'audience, il avait été informé de sa date et y a été représenté par son avocat lequel l'avait assisté dès le début de la procédure, et, en second lieu, qu'il n'a pas usé de la faculté d’interjeter appel du jugement prononcé par ce tribunal. Il n'est donc pas fondé à soutenir qu'il a été jugé par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense au sens des dispositions du 7° de l'article 696-4 du code de procédure pénale.

Le moyen tiré du risque de subir des traitements inhumains ou dégradants n’est pas assorti d'éléments suffisamment précis pour pouvoir être retenu.

Le recours est rejeté sans que puisse y faire obstacle, en raison des nécessités de l’ordre public, la circonstance que l'intéressé réside en France depuis 2018 et y ait une vie sociale et professionnelle, le décret d’extradition ne portant pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée.

(10 novembre 2023, M. B., n° 471792)

(119) V. aussi, à propos de l’extradition d’un ressortissant marocain, le rejet du recours dirigé contre cette décision motif pris de ce que si une décision d'extradition est susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie familiale au sens de l'art. 8de la convention EDH, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition qui est de permettre dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France qui sont poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors de France que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées à l'étranger pour de tels crimes ou délits sans que puisse y faire obstacle, comme au cas d’espèce, la circonstance que l'intéressé déclare être domicilié en France, y exercer une activité professionnelle et être le père de trois enfants nés en France : 10 novembre 2023, M. A., n° 475484.

(120) V. aussi, très intéressante, la décision annulant partiellement le décret d’extradition d’un ressortissant canadien en tant que si la législation pénale canadienne punit d’un emprisonnement maximal de deux ans la personne qui, n'ayant pas fait l'objet d'une condamnation, ne s’est pas conformée à une ordonnance de mise en liberté sous contrôle avec obligations de répondre aux convocations, d'assignation à résidence et de port du bracelet électronique, un tel comportement ne constitue pas en France une infraction. Au passage, le juge rappelle que ne sauraient utilement être invoquées en matière d’extradition vers un État non membre de l’UE les stipulations des articles 6, 47 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, le décret d’extradition attaqué ne mettant pas en œuvre le droit de l'Union européenne mais la convention franco-canadienne d’extradition : 27 novembre 2023, M. A., n° 476088.

 

121 - Demande d’asile ou de protection subsidiaire – Demande présentée par une personne entrée irrégulièrement en France ou s’y maintenant irrégulièrement – Examen en procédure accélérée – Décompte du délai de quatre-vingt-dix jours – Erreur de droit.

La solution retenue par cette décision n’allait pas de soi.

Le Conseil d’État décide que des dispositions combinées des art. L. 521-1, L. 532-6, L. 532-7, ce dernier transposant l'art. 31 de la directive du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection, il se déduit que le point de départ du délai de quatre-vingt-dix jours au terme duquel l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) statue en procédure accélérée sur la demande d’asile formée par une personne entrée irrégulièrement en France ou s’y maintenant irrégulièrement n’est pas la date à laquelle l’OFPRA a été saisi de la demande d’asile ou de protection subsidiaire mais celle de l'introduction de la demande de protection en vue de son enregistrement par l'autorité administrative compétente et de la remise de l'attestation de demande d'asile.

En l’espèce, le magistrat de la  la Cour nationale du droit d’asile statuant seul sur le recours de l’intéressée, a commis une erreur de droit en jugeant que la demande de la requérante relevait de la procédure accélérée et en rejetant pour ce motif sa demande de renvoi devant une formation collégiale de la Cour nationale du droit d'asile (cf. art.  L. 532-7 CESEDA), dès lors que celle-ci avait présenté sa demande d'asile devant l'OFPRA le 1er juin 2021, soit plus de quatre-vingt-dix jours après son entrée en France, le 30 septembre 2019 ; elle relevait donc des dispositions du 3° de l'art. L. 531-27 du CESEDA. Or il ressortait des pièces du dossier soumis à son examen qu'un enregistrement de sa demande en guichet unique pour demandeurs d'asile avait été opéré dès le 10 octobre 2019.

(27 novembre 2023, Mme A., n° 467705)

 

122 - Étranger sollicitant l’asile en France pour lui-même et ses enfants mineurs – Possibilité d’invoquer des motifs de persécution propres à ses enfants – Cas de la naissance d’enfant(s) ou d’une entrée d’enfant(s) mineur(s) en France postérieurement à l’enregistrement de la demande d’asile du père – Régime – Rejet.

L’OFPRA demandait l’annulation de la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) par laquelle celle-ci lui a renvoyé, pour nouvel examen, le dossier d’une candidate mineure à l’asile que l’OFPRA avait refusé d’examiner.

C’est l’occasion d’une importante décision relative au cas des enfants mineurs entrés en France ou nés postérieurement à la demande d’asile formée par leur(s) ascendant(s). Le juge délivre pour ces cas un vade-mecum assez complet et somme toute marqué par un fort souci d’équilibre entre des exigences qui ne sont pas forcément à l’unisson entre elles.

Il déduit des dispositions combinées des art. L. 521-3, L. 521-13 et L. 531-12 du CESEDA les conséquences suivantes.

Tout d’abord, l'étranger présent sur le territoire français souhaitant demander l'asile doit présenter une demande en son nom et, le cas échéant, en celui de ses enfants mineurs qui l'accompagnent. Il peut, au soutien de sa demande pour ses enfants, faire valoir, s'il y a lieu, des craintes propres de persécution pour ses enfants lors de l'entretien prévu en ce cas par le CESEDA (cf. art. L. 531-12 CESEDA).

Ensuite, en cas de naissance ou d'entrée en France d'un enfant mineur postérieurement à l'enregistrement de sa demande, l'étranger, qui est tenu d'informer dans les meilleurs délais l'OFPRA de cette naissance ou de cette entrée, doit procéder de la même manière que dans le cas précédent. À cet égard, la circonstance que l'Office a déjà statué sur sa demande n’a pas d’effet sur cette procédure.  Sur ce point, deux situations se présentent : soit la naissance ou l’entrée est antérieure à l’entretien soit elle lui est postérieure.

Dans le premier cas, la décision rendue par l'Office est réputée l'être à l'égard du demandeur et de l'enfant, sauf si celui-ci établit que la personne qui a présenté la demande n'était pas en droit de le faire.

Dans le second cas, et si l'enfant se prévaut de craintes propres de persécution, il appartient à l'OFPRA de convoquer à nouveau l'étranger afin qu'il puisse, le cas échéant, faire valoir de telles craintes. Lorsque l'Office est informé de ces craintes postérieurement à sa décision sur la demande de l'étranger, il lui appartient en outre de réformer cette décision afin d'en tenir compte. Il en est ainsi y compris après l'enregistrement d'un recours devant la Cour nationale du droit d'asile.

Enfin, quel que soit le cas susvisé, lorsque l'OFPRA n'a pas procédé à un tel examen individuel des craintes propres de l'enfant ou s'est abstenu de convoquer l'étranger à un nouvel entretien, il appartient, en cas de recours, à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision de l'OFPRA et de lui renvoyer l'examen des craintes propres de l'enfant si, d'une part, elle n'est pas en mesure de prendre immédiatement une décision positive sur la demande de protection de l'enfant au vu des éléments établis devant elle et, d'autre part, elle estime que l'absence de prise en compte de l'enfant ou de ses craintes propres par l'Office n'est pas imputable au parent de cet enfant.

En l’espèce, contrairement à ce que soutient l’OFPRA demandeur, la CNDA n’a pas dénaturé les faits de l'espèce, ni commis d'erreur de qualification juridique en s'estimant saisie, dans les circonstances de l'espèce, d'un rejet de la demande de la jeune C. sur laquelle elle n'avait pas statué dans sa décision du 27 octobre 2022 rejetant la demande de son père, ni méconnu les dispositions du CESEDA relatives tant au caractère familial des demandes qu'au devoir d'information et de coopération incombant au demandeur. Pas davantage, la Cour n’a méconnu son office ou commis d’erreur de droit dès lors qu’ayant jugé que l'Office a pris la décision litigieuse sans procéder à un examen individuel de la demande ou en se dispensant, en dehors des cas prévus par la loi, d'un entretien personnel avec le demandeur, en ne se prononçant pas sur la demande de la jeune C.

Il appartient donc à l’OFPRA de procéder à l’examen de la demande dont il a été saisi.

(27 novembre 2023, Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 472147)

 

123 - Cour nationale du droit d’asile (CNDA) – Demande adressée au bureau d’aide juridictionnelle près cette cour – Délai de quinze jours – Délai non franc – Demande ne pouvant être adressée qu’à ce bureau ou à la cour elle-même. Rejet.

(13 novembre 2023, M. B., n° 467595)

V. n° 29

 

124 - Liberté de la presse – Conditions d’accès au régime économique de la presse – Reconnaissance des services de presse en ligne – Nécessité d’une équipe rédactionnelle composée de journalistes – Exigences répondant à un but légitime dans une société démocratique – Rejet.

Les requêtes, jointes par le juge, d’un syndicat et d’une société de presse tendaient, pour le syndicat requérant, à l’annulation du décret du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques ainsi que le code général des impôts et le décret du 29 octobre 2009 pris pour l'application de l'article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et, pour la société requérante, à l’annulation du refus primo-ministériel d’abroger ces mêmes dispositions.

Les requêtes sont rejetées.

Le décret du 29 octobre 2009 n’excède pas l'habilitation que lui donne la loi du 1er août 1986 et il n’est pas, non plus, entaché d’incompétence négative. Le Conseil d’État a d’ailleurs refusé de transmettre la QPC soulevée par la société requérante sur la non-conformité de l'article 1er, alinéa 3, de la loi du 1er août 1986 avec les art. 1er, 2 et 34 de la Constitution et les art. 4, 6, 11 et 16 de la Déclaration des droits de 1789. Par ailleurs, le décret litigieux, s’agissant de la presse imprimée, ne fait pas application de la loi de 1986 mais, à la fois, du dernier alinéa de l'art. L. 2 du code des postes et communications électroniques, sur le bénéfice du tarif postal de la presse, et de l'article 298 septies du code général des impôts, s'agissant des avantages fiscaux accordés à la presse.

Ensuite, en subordonnant le bénéfice du régime économique de la presse à une nouvelle condition tenant au traitement des informations par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels dont la composition est appréciée en fonction de la taille de l'entreprise éditrice, de l'objet de la publication et de sa périodicité, le décret attaqué n’a pas retenu  des critères équivoques ou insuffisamment précis car ce sont ceux que la commission paritaire des publications et des agences de presse applique aux publications qui lui sont soumises. Contrairement à ce qui est allégué, ces critères ne méconnaissent pas l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la norme, ni le principe d'égalité devant la loi.

Enfin, il ne saurait être sérieusement soutenu que le texte querellé serait contraire aux stipulations de l’art. 10 de la Convention EDH alors qu’il n’a pas pour objet d'autoriser ou d'interdire les publications mais de les faire bénéficier d'avantages économiques en vue de garantir le pluralisme de la presse en définissant les critères de l'admission de ces publications au bénéfice de ces avantages. Il répond ainsi au but légitime et nécessaire dans une société démocratique, au sens des stipulations de l'art. 10 de la Convention précitée, de protection du pluralisme de la presse.

(13 novembre 2023, Syndicat des éditeurs de presse magazine, n° 461835 ; société RL Mags Limited, n° 469186, jonction)

 

Police

 

125 - Police de l’ordre public – Match de football – Interdiction de déplacement de supporters d’un club – Appréciation objective des risques – Décisions préfectorales de légalité douteuse - Compétence du juge saisi par voie de connexité – Rejet au regard des intérêts publics en cause.

En vue d’un match de football devant opposer, à Marseille, le 4 novembre 2023 à 21 heures, les équipes du Lille Olympique Sporting Club et de l'Olympique de Marseille, des échanges en vue de la préparation de cette rencontre en matière de sécurité ont eu lieu jusqu’au 2 novembre, débouchant sur le principe d’une présence, dans la tribune réservée aux visiteurs, de 250 à 350 supporters lillois s'y rendant pour leur majorité par leurs propres moyens, à l'exception d'un car et de deux minibus affrétés. Cependant, la veille et le jour même de cette rencontre, le ministre de l’intérieur le 3 novembre et la préfète de police le 4 novembre, ont publié chacun un arrêté interdisant, le premier, le déplacement à Marseille des personnes se prévalant de la qualité de supporter de l'équipe lilloise ou se comportant comme tels et la seconde, leur présence au stade Orange vélodrome ou dans ses abords immédiats.

La suspension de ces arrêtés est demandée par l’association requérante au visa de l’art. L. 521-2 CJA (référé liberté). Ceci soulevait trois questions distinctes.

La première était une question de procédure : si le référé dirigé contre l’arrêté du ministre de l’intérieur relevait de la compétence de premier et dernier ressort du Conseil d’État, celui visant l’arrêté préfectoral relevait de la compétence du tribunal administratif de Marseille. Toutefois, le juge fait ici application des dispositions de l’art. R. 341-1 du CJA régissant le traitement de conclusions connexes dont les unes relèvent de la compétence directe du Conseil d’État et dont les autres relèvent de la compétence d’un tribunal ou d’une cour : le Conseil d’État est compétent pour connaître de l’ensemble des conclusions. Ici il s’agissait d’une connexité par l’unicité de l’objet des deux arrêtés contestés, à savoir la sécurité de la rencontre du 4 novembre au stade Vélodrome.

La deuxième question concernait la tardiveté des décisions de l’administration, intervenues, l’une la veille et l’autre le matin même de la rencontre, ce qui était parfaitement déraisonnable comme on va le voir surtout en l’état d’un calendrier des matches organisés dans le cadre du championnat de France de football connu depuis plusieurs mois. Le juge relève l’absurdité d’une telle chronologie car le mal est déjà fait en quelque sorte puisque les supporters lillois qui devaient parcourir quelques mille kilomètres pour parvenir à Marseille étaient nécessairement déjà en route ou arrivés à destination au moment de la publication des arrêtés et, a fortiori, au moment où le juge des référés rend son ordonnance. Il faut saluer les efforts remarquables des services et des membres du Conseil d’État, capables d’instruire un tel dossier dans le respect du contradictoire avec la tenue d’une audience (grand merci à l’oralité des débats !) et de déboucher sur une ordonnance qui n’a rien de bâclé ou d’approximatif en dépit d’un temps de procès follement réduit.

La troisième question portait évidemment sur le fond : les mesures d’interdictions attaquées étaient-elles légales ? Ici, le juge des référés, sans doute agacé par le traitement subi du fait de décisions intempestivement tardives et cela sans aucune justification, n’y va pas avec des gants. Il estime, au terme de son analyse, que : « Dans ces conditions, et indépendamment même de la regrettable annonce tardive des mesures contestées, en contradiction avec les travaux préparatoires qui avaient été conduits entre les parties concernées et sans que ce revirement apparaisse justifié par quelque élément nouveau que ce soit, la requérante peut nourrir des doutes quant à la légalité des décisions litigieuses. » En effet, le juge des référés n’a été convaincu par aucun des arguments du ministre et de la préfète, relevant au passage que leurs argumentaires respectifs ne concordent pas absolument  : ni l'historique des rencontres entre les deux équipes concernées, ni l’invocation du risque pour la sécurité propre au match en cause, ni la mobilisation des forces de l'ordre qu'imposerait la présence d'un nombre de toutes façons limité de supporters lillois dans le cadre d'une rencontre qui devait, en toute hypothèse, être fortement sécurisée, ni l’interdiction de la présence de personnes en réalité déjà arrivées sur place, ne sont détaillés, précisés, documentés de manière suffisante.

Et pourtant… l’ordonnance rendue au terme de cette analyse est une ordonnance de rejet, le juge des référés retenant que : « Toutefois, eu égard à l'imminence, malgré l'instruction de la présente requête dans l'espace de quelques heures, de la rencontre sportive en cause et aux risques pour l'ordre public que pourrait présenter la modification du dispositif de sécurité, tel qu'arrêté à la suite de l'interdiction ministérielle, qu'imposeraient les mesures demandées dans un contexte réel de forte mobilisation des forces de l'ordre, il y a lieu, au regard de l'ensemble des intérêts publics en cause, de rejeter la requête. »

Les arrêtés et leurs auteurs ont senti siffler le vent du boulet. À bon entendeur, salut !

(ord. réf. 04 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489226)

(126) V. aussi, très largement comparable, le rejet du recours tendant à la suspension de l’exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du ministre de l'intérieur portant interdiction de déplacement des supporters du Football Club des Girondins de Bordeaux (FCGB) lors de la rencontre du samedi 25 novembre 2023 à 19 heures avec le Paris Football Club  (PFC) devant se dérouler au stade Charléty dans le cadre de la 15ème journée de championnat de France de Ligue 2 BKT : ord. réf. 24 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489603.

(127) V. encore, dans cette même affaire, rejetant – car devenu sans objet - l’appel formé par le ministre de l’intérieur contre l’ordonnance de référé du tribunal administratif de Paris suspendant l'exécution de l'arrêté du 22 novembre 2023 du préfet de police, en tant qu'il interdit aux supporters des Girondins de Bordeaux de se prévaloir de cette qualité et de se comporter comme tels dans l'enceinte du stade Charléty, à l'occasion de la rencontre de football du 25 novembre 2023 entre le Paris Football Club et le Football Club des Girondins de Bordeaux. La rencontre ayant débuté le 25 novembre 2023 à 19h00, la demande d’annulation de cette ordonnance, formée le même jour, est devenue sans objet : ord. réf. 25 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489648.

 

128 - Expulsion du territoire français en urgence absolue – Retrait de visa – Ressortissante palestinienne - Menace grave à l’ordre public – Membre dirigeant d’un mouvement classé comme terroriste par l’Union européenne – Annulation.

(ord. réf. 08 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 489045)

V. n° 115

 

129 - Police du logement – Local déclaré impropre à l’habitation – Obligation pour le propriétaire de reloger les locataires – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation.

Un arrêté préfectoral a déclaré par nature impropre à l'habitation un local appartenant à la société requérante et lui a ordonné d'assurer le relogement de ses locataires.

La société a saisi, en vain, le juge du référé suspension ; elle se pourvoit en cassation de l’ordonnance de rejet.

Pour rejeter la demande, le juge des référés s’est fondé sur ce que ne pouvait être tenu pour propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté préfectoral en litige le moyen tiré de ce que l'appartement ne présentait pas par nature un caractère impropre à l'habitation. Le Conseil d’État est à la cassation en ce que cette motivation repose sur une dénaturation des pièces du dossier dès lors que l’appartement présente une superficie de 28 m² et comporte deux pièces dont l'une, de 14 m², comprend sur la moitié de sa surface une mezzanine en bois qui supporte un chauffe-eau électrique et des espaces de rangement, même s'il est vrai que, sous cette mezzanine, la hauteur disponible n'est que de 2,10 m, d’autant que les aménagements litigieux ont un caractère réversible.

(14 novembre 2023, Société CF6 Immo, n° 472764)

 

130 - Police des épizooties – Arrêté ordonnant l’abattage d’un cheval – Absence d’atteinte au principe d’égalité – Confinement de l’animal n’éliminant pas complètement le risque de propagation d’une maladie – Absence de caractère disproportionné – Rejet.

Par deux arrêtés des 17 mai et 8 juin 2023, le préfet de la Dordogne a ordonné l'abattage, par un vétérinaire, du cheval répondant au doux nom de « Plaisir des fleurs », en raison de son infection à l'anémie infectieuse des équidés, sur le fondement de l’art. 9 de l'arrêté interministériel du 23 septembre 1992 fixant les mesures de police sanitaire relatives à l'anémie infectieuse des équidés. 

Le juge des référés du tribunal administratif ayant rejeté ses demandes tendant à la suspension de l'exécution de ces arrêtés, la propriétaire de l’animal a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance de rejet.

Par ailleurs, saisi par l'administration, le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire, par une ordonnance du 27 juillet 2023 puis, par une seconde ordonnance, du 17 août suivant, dont il n'a pas été interjeté appel, a rejeté la demande du préfet tendant à obtenir l'autorisation de pénétrer sur le lieu de détention de l'équidé afin de le capturer et de procéder à son abattage.

Par un troisième arrêté, du 10 octobre 2023, portant déclaration d'infection au titre de l'anémie infectieuse des équidés sur la commune de Le Bugue, le préfet a ordonné à l'intéressée de faire procéder elle-même à cet abattage avant le 22 octobre 2023, sous peine de la sanction pénale prévue à l'art. R. 228-1 du code rural.

Sa propriétaire a saisi le juge du référé liberté qui a ordonné la suspension de cet arrêté jusqu'à ce que le Conseil d'État ait statué sur le pourvoi en cassation dont l’intéressée l’a saisi et dirigé contre l’ordonnance de rejet.

Le ministre de l’agriculture se pourvoit, avec succès, contre cette ordonnance.

Le Conseil d’État retient d’abord pour cela que la circonstance que l'administration ne procède pas à l'abattage systématique des animaux souffrant de maladies qui, comme l'anémie infectieuse des équidés, est classée dans les catégories D et E du règlement d'exécution (UE) de la Commission du 3 décembre 2018 sur l'application de certaines dispositions en matière de prévention et de lutte contre les maladies à des catégories de maladies répertoriées et établissant une liste des espèces et des groupes d'espèces qui présentent un risque considérable du point de vue de la propagation de ces maladies répertoriées, est insusceptible de caractériser une atteinte au principe d'égalité qu'elle invoque dès lors qu'il s'agit de maladies distinctes, appelant des programmes et mesures de l'administration adaptés à leurs caractéristiques propres.

Il retient ensuite, et de manière très discutable, ce que trahit une rédaction embarrassée,  que s’il existe un doute sur la légalité des dispositions de l'art. 9 de l'arrêté du 23 septembre 1992 en tant qu'elles prévoient l'abattage systématique d'équidés atteints d'anémie infectieuse, indépendamment de tout mouvement au sein de l'Union européenne, ces dispositions n'apparaissent pas entachées d'une contrariété manifeste avec le droit de l'Union.

Il retient enfin que l’arrêté litigieux est suffisamment motivé et que le confinement dont fait actuellement l’objet l’animal n’élimine pas entièrement le risque de contamination, d’où il suit que doit être rejeté le grief tiré du caractère disproportionné de la mesure. C’est une façon un peu sommaire d’apprécier la régularité juridique d’une mesure aussi grave.

Pour notre « Plaisir des fleurs » ce seront donc des chrysanthèmes…

(ord. réf. 20 novembre 2023, ministre de l’agriculture, n° 489253)

 

131 - Permis de conduire – Retrait pour solde de points nul – Annulation contentieuse – Délivrance d’un nouveau permis et sort du permis initial – Régime – Solde de points nul – Rejet.

Rappel de plusieurs règles régissant le solde de points du permis ce conduire.

En premier lieu, lorsque le juge annule la décision constatant la perte de validité d'un permis de conduire pour solde de points nul, cette décision est réputée n'être jamais intervenue. Ainsi, lorsque l'intéressé réclame, en exécution du jugement, la restitution du permis il y a lieu de vérifier que son solde de points n'est pas nul. Pour déterminer ce résultat, il convient de retenir, d’une part, les retraits de points sur lesquels reposait la décision annulée qui n'ont pas été regardés comme illégaux par le juge, d’autre part les retraits justifiés par des infractions qui n'avaient pas été prises en compte par cette décision, y compris celles que l'intéressé a pu commettre en conduisant avec un nouveau permis obtenu dans les conditions prévues au II de l'article L. 223-5 du code de la route et, enfin, des reconstitutions de points prévues par les dispositions applicables au permis illégalement retiré.

En deuxième lieu, comme une même personne ne peut disposer de plus d'un permis de conduire, la personne qui obtient l'annulation d'une décision constatant la perte de validité de son permis alors qu'elle s'est vu délivrer un nouveau permis ne peut prétendre à la restitution par l'administration du permis initial qu'à la condition qu’elle restitue elle-même le nouveau permis. Toutefois, il incombe au jugement qui prononce l'annulation d’informer l’intéressé que, s’il souhaite qu'il soit procédé à cet échange, il doit le faire savoir à l'administration dans un délai que fixe le jugement et qu'à défaut il sera regardé comme ayant définitivement opté pour la conservation du nouveau permis. En l’absence de cette information dans le jugement, l'administration saisie par l'intéressé de la demande d'échange de permis doit faire droit à cette demande dès lors que le solde de points du permis initial n'est pas nul.

Enfin, si aucune demande d'échange n'a été formée, il appartient à l'administration, lorsqu'elle constate la perte de validité du nouveau permis pour solde de points nul, de vérifier le solde de points du permis initial déterminé comme précédemment indiqué. Si ce solde est positif, elle doit restituer ce permis à l'intéressé ; si le solde est nul, elle doit lui notifier une décision constatant qu'il a perdu le droit de conduire.

(21 novembre 2023, ministre de l’intérieur, n° 466680)

 

132 - Permis de conduire – Retrait après prélèvement salivaire détectant la prise de substances psychoactives – Analyse médicale contradictoire – Absence de réalisation conforme au code de la route – Annulation.

Si un automobiliste, soupçonné, à la suite d'un prélèvement salivaire de dépistage, d'un usage de stupéfiants, peut se réserver la possibilité de demander l'examen technique, l'expertise ou la recherche de l'usage des médicaments psychoactifs prévues par l'article R. 235-11 du code de la route, en revanche la circonstance que le conducteur n'a pas été mis à même de se réserver une telle possibilité ou qu'un souhait exprimé en ce sens n'a pas été pris en compte est de nature à entacher la régularité de la procédure engagée à son encontre. Commet cependant une erreur de droit le jugement qui annule l’arrêté de suspension du permis de conduire en se fondant sur les résultats d'une expertise réalisée de la propre initiative de l’automobiliste, en dehors de la procédure organisée par les dispositions des art. L. 235-2, R. 235-5 et R. 235-6  du code de la route.

(21 novembre 2023, M. B., n° 467841)

 

133 - Permis de conduire – Retrait à la suite d’un accident de la circulation ayant entraîné la mort d’une personne – Conditions d’application et régime de l’art. L. 224-2 du code de la route – Annulation et rejet.

Il résulte notamment des dispositions de l’art. L. 224-2 du code de la route, dans sa version alors applicable : « I. - Le représentant de l’État dans le département peut, dans les soixante-douze heures de la rétention du permis prévue à l'article L. 224-1, ou dans les cent vingt heures pour les infractions pour lesquelles les vérifications prévues aux articles L. 234-4 à L. 234-6 et L. 235-2 ont été effectuées, prononcer la suspension du permis de conduire lorsque : (...) 4° Le permis a été retenu à la suite d'un accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne ou ayant occasionné un dommage corporel, en application du 6° du I de l'article L. 224-1, en cas de procès-verbal constatant que le conducteur a commis une infraction en matière d'usage du téléphone tenu en main, de respect des vitesses maximales autorisées ou des règles de croisement, de dépassement, d'intersection et de priorités de passage ; (...) II.- La durée de la suspension du permis de conduire ne peut excéder six mois. Cette durée peut être portée à un an en cas d'accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne ».

Il résulte également de l’art. R. 415-7 du code de la route : « À certaines intersections indiquées par une signalisation dite "cédez le passage", tout conducteur doit céder le passage aux véhicules circulant sur l'autre ou les autres routes et ne s'y engager qu'après s'être assuré qu'il peut le faire sans danger.

Le fait, pour tout conducteur, de contrevenir aux dispositions du présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.

Tout conducteur coupable de cette infraction encourt également la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire, cette suspension pouvant être limitée à la conduite en dehors de l'activité professionnelle.

Cette contravention donne lieu de plein droit à la réduction de quatre points du permis de conduire ».

À la suite d'un accident de la circulation ayant entraîné la mort d'une personne, un préfet prononce, sur le fondement de ce texte, une suspension de permis de conduire pour six mois. Le juge des référés, saisi par le conducteur sanctionné, a rejeté sa demande. Ce dernier se pourvoit en cassation.

Tout d’abord, le juge du Conseil d’État annule l’ordonnance de rejet pour l’erreur de droit qui a consisté à se fonder sur des dispositions qui ne peuvent être appliquées que si un procès-verbal établi par un officier ou par un agent de police judiciaire justifie de façon suffisamment probante, quels que soient son intitulé ou sa formulation, de la commission par le conducteur en cause d'une des infractions qu'elles énumèrent. Or tel n’était pas le cas en l’espèce où le préfet ne disposait que d’un avis de rétention immédiate du permis de conduire établi par les services de gendarmerie, qui se bornait à indiquer que les conditions de cette rétention immédiate étaient réunies, sans préciser les circonstances de l'accident et l'implication du conducteur requérant. Le juge des référés ne pouvait donc pas rejeter la demande de suspension dont il était saisi au motif que le moyen qu'il invoquait, tiré de ce que l'arrêté du préfet ne se fondait sur aucune infraction constatée à son encontre par procès-verbal n'était pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de cet arrêté, alors qu'un tel avis de rétention ne pouvait être regardé comme un procès-verbal constatant une infraction au sens des dispositions de l'art. L. 224-2 précité.

Ensuite, toutefois, le juge rejette à son tour la demande de suspension en retenant qu’il résulte du courrier accompagnant la notification au requérant de l'arrêté préfectoral litigieux que celui-ci s'est fondé, pour suspendre son permis de conduire, sur un procès-verbal établi par une brigade de gendarmerie, produit en défense par le ministre de l'intérieur dans le cadre de l’instance devant le Conseil d'État. Or il ressort des énonciations et des illustrations de ce document intitulé « procès-verbal de transport, constatation et mesures prises », dressé par un agent de police judiciaire et un officier de police judiciaire au vu de constats immédiatement consécutifs à l'accident mortel impliquant le requérant, que cet accident est consécutif à une manœuvre qu’il a effectuée en méconnaissance d'une règle de priorité matérialisée par un panneau lui imposant de céder le passage. Un tel document doit être regardé, alors même qu'il ne renvoie pas aux dispositions précitées de l'art. R. 415-7 du code de la route et qu'il ne procède pas à la qualification expresse d'une infraction à ces dispositions, comme un procès-verbal satisfaisant aux conditions posées par l'art. L. 224-2 du code de la route.

La demande de suspension est rejetée.

(ord. réf. 21 novembre 2023, M. A., n° 473372)

 

134 - Permis de conduire – Retrait de points – Perte de validité du permis – Demande de réattribution de points – Irrecevabilité – Annulation.

La perte de validité du permis de conduire prononcée par une décision « 48 SI » devenue définitive fait par elle-même obstacle à la réattribution, en application des dispositions du 5ème alinéa de l'art. L. 223-6 du code de la route, des huit points perdus par le requérant au cours de l'année 2009 et correspondant à des contraventions des quatre premières classes. La demande qu’il a présentée au tribunal administratif par laquelle il sollicite l'annulation de la décision lui refusant la réattribution de ces points tend en réalité à remettre en cause la décision « 48 SI » devenue définitive.

Elle est, par suite, ainsi que l'a soutenu le ministre de l'intérieur en première instance, irrecevable. Il y a lieu, dès lors, de la rejeter et d’annuler le jugement contraire rendu en première instance.

(21 novembre 2023, M. A., n° 471142)

 

135 - Police du logement – Arrêté d’expulsion d’un appartement – Suspension – Erreur dans la caractérisation de l’urgence – Annulation.

Le juge des référés du Conseil d’État annule pour inexacte appréciation des faits concernant l’urgence, l’ordonnance qui a suspendu l’arrêté d’expulsion pris, sous menace du recours à la force publique, à l’encontre d’un père et de son fils mineur occupant indument un appartement, le requérant ayant un emploi stable en Suisse et y percevant à ce titre un salaire mensuel de plus de 6 000 euros qui le met à l'évidence à l'abri du besoin, y compris pour trouver rapidement une solution de relogement convenant à son fils de 7 ans, il n’a pu être jugé que l’arrêté d’expulsion était « susceptible de produire une situation irréversible pour les personnes qui en sont l'objet ».

(ord. réf. 22 novembre 2023, M. A., n° 489282

 

136 - Police du logement – Utilisation des sous-sols à fin d’habitation – Conditions – Décret du 29 juillet 2023 – Rejet d’une demande de suspension en référé.

La fédération requérante contestait la légalité de l'art. 2 du décret n° 2023-695 du 29 juillet 2023 portant règles sanitaires d'hygiène et de salubrité des locaux d'habitation et assimilés, en ce qu'il crée au sein du code de la santé publique des art. R. 1331-17 et R. 1331-18 qui permettent la mise à disposition des sous-sols aux fins d'habitation, texte dont elle demandait au juge des référés de suspendre l’exécution.

La requête est rejeteé.

La requérante faisait valoir l’urgence attachée à cette suspension car la disposition contestée – en permettant la mise à disposition de logements composés exclusivement de pièces situées en sous-sols -  autorise la location, notamment aux populations les plus précaires, de biens considérés jusqu'à présent comme impropres à l'habitation et qui doivent être regardés comme des logements indécents, portant ainsi une atteinte grave et immédiate à la protection de la santé publique et aux intérêts que la requérante défend s'agissant de la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. 

Le juge motive son rejet en relevant la mise à disposition de sous-sols à fins d’habitation est subordonnée à ce que leurs caractéristiques ne constituent pas un risque pour la santé de l'occupant, qu'ils répondent aux exigences de hauteur sous-plafond, d'ouverture sur l'extérieur, d'éclairement et de configuration prévues par les dispositions des art. R. 1331-20 à R. 1331-23 du code de la santé publique, que les ouvertures sur l'extérieur n'exposent pas les occupants à des sources de pollution, et qu'ils soient aménagés à usage d'habitation.

De plus, ces mêmes dispositions interdisent la mise à disposition aux fins d'habitation des caves, quels que soient les aménagements et transformations qui leur sont apportés.

Dans ces conditions, dès lors que la demanderesse n'établit pas, en l'état de l'instruction, que les prescriptions encadrant ainsi la mise à disposition de sous-sols aux fins d'habitation seraient inadaptées ou insuffisantes pour assurer la protection de la santé de leurs occupants, il n'est pas justifié d'une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts invoqués par la requérante de nature à caractériser une situation d'urgence justifiant l'usage par le juge des référés des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-1 du CJA sans attendre le jugement de la requête au fond.

(ord. réf. 30 novembre 2023, Association Fédération Droit au Logement, n° 489410)

 

Professions réglementées

137 - Notariat – Résolution de l’assemblée générale du conseil supérieur du notariat – Adoption d’un « plan visioconférence » - Établissement d’un cahier des charges pour l'ouverture à la concurrence de l'installation et de la distribution des salles de visioconférence – Recours au logiciel Lifesize - Préservation du secret professionnel – Rejet.

La requérante demande l’annulation de la décision par laquelle le président du conseil supérieur du notariat a refusé de faire droit à sa demande d'abroger la résolution de l'assemblée générale du conseil supérieur du notariat du 30 juin 2020 relative au « plan visioconférence ».

Le recours est rejeté.

En premier lieu, il résulte de dispositions du décret du 26 novembre 1971, modifié (art. 16 et 20-1), relatif aux actes établis par les notaires, qu'il appartient au Conseil supérieur du notariat, auquel il incombe d'agréer les systèmes de traitement, de communication et de transmission de l'information utilisés pour l'établissement d'actes sur support électronique, de définir les conditions dans lesquelles les dispositifs proposés à cette fin satisfont à l'obligation de garantir l'identification des parties ainsi que l'intégrité et la confidentialité des contenus. 

En deuxième lieu, le conseil supérieur n’a pas excédé sa compétence en décidant, aux fins de garantir l'identification des parties ainsi que l'intégrité et la confidentialité des contenus, l'établissement d'un cadre de référence devant être respecté par les dispositifs utilisés pour l'établissement d'actes sur support électronique mettant en œuvre un système de traitement, de communication et de transmission de l'information soumis à son agrément sur le fondement des dispositions précitées du décret du 26 novembre 1971.

En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, cette résolution, qui se borne à prévoir la définition d'un cadre de référence pour les dispositifs proposés par les opérateurs, sans instituer de régime d'agrément de ces derniers, ne méconnait pas, par elle-même, l'art. L. 420-1 du code de commerce, qui prohibe les actions concertées, telles que les ententes, ayant pour effet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.  

(10 novembre 2023, Société Adjutorium informatique, n° 458347)

 

138 - Expert-comptable – Sanction disciplinaire – Transmission de la sanction à la société absorbante ou fusionnée – Inopposabilité du principe de personnalité des peines – Situation de conflit d’intérêts – Notion – Annulation.

Le Conseil d’État, juge de cassation en matière d’ordre professionnel, apporte d’utiles précisions dans le domaine des sanctions disciplinaires dans les professions organisées en Ordres.

Tout d’abord, contrairement à ce qu’avaient jugé les juridictions ordinales, le Conseil d’État indique sans équivoque que le principe de la personnalité des peines ne fait pas, par lui-même, obstacle à ce que l'une des sanctions disciplinaires prévues par l'ordonnance du 19 septembre 1945, qui régit l’ordre des experts-comptables, puisse être prononcée à l'encontre d’une société absorbante au titre de manquements qui auraient été commis par la société absorbée.

Commet donc une erreur de droit la juridiction disciplinaire décidant que les poursuites disciplinaires dirigées contre une société absorbante (ici KPMG SA) sont, pour ce motif, irrecevables

Ensuite, le juge précise son office en ce domaine en rappelant qu’il appartient, dans un tel cas, à l'autorité investie du pouvoir disciplinaire d'apprécier, dans le respect du principe de proportionnalité des peines, la nature et le quantum de la sanction qu'il convient d'infliger à la société absorbante en tenant compte des principes dont elle est chargée d'assurer le respect, de la nature des manquements commis par la société ayant fait l'objet de l'absorption ou de la fusion et des circonstances dans lesquelles ces manquements ont été commis.

Enfin, la juridiction ordinale, pour estimer que le fait que la sœur de l’une des personnes poursuivies  avait été l'épouse de l'un des cessionnaires des parts de société civile immobilière cédées par l’autre personne poursuivie ne caractérisait pas l'existence d'intérêts substantiels de l'expert-comptable dans cette société, s'est fondée sur ce que de tels intérêts s'entendent uniquement d'intérêts économiques. Elle a ainsi commis une erreur de droit au regard des dispositions du décret du 30 mars 2012 qui précisent que les situations de conflit d'intérêts dont doivent se garder les experts-comptables dans l'exercice de leurs missions peuvent résulter aussi bien de liens d'ordre personnel que d'ordre professionnel ou financier.  

(10 novembre 2023, M. C., n° 460684)

Question prioritaire de constitutionnalité

139 - Taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) – Renvoi au pouvoir réglementaire de la définition des sous-groupes et catégories de locaux – Incompétence négative de la loi – Atteintes au droit de propriété et aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques – Refus de transmission de la QPC.

À l’appui d’un recours principal en minoration du montant de la TFPB auquel elle a été assujettie, la fondation requérante soulève l’inconstitutionnalité de l'article 34 de la loi du 
29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 et de l'article 1498 du CGI en ce qu’ils méconnaissent la compétence du législateur définie à l'art. 34 de la Constitution dans des conditions affectant le droit de propriété et les principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques, dès lors que le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire le soin de définir les sous-groupes et catégories de locaux soumis à la taxe sans prévoir qu'il lui appartiendrait de tenir compte des conditions d'exploitation des locaux, en particulier du caractère lucratif ou non-lucratif de l'exploitation.

Le Conseil d’État rejette l’argumentation développée au soutien de cette question et en refuse la transmission au Conseil constitutionnel.

Il rappelle d’abord que la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte par elle-même aucun droit ou liberté que la Constitution garantit. En revanche, le pouvoir donné par la loi à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l'assiette d'une imposition méconnaît la compétence du législateur dans des conditions qui affectent, par elles-mêmes, le principe d'égalité devant les charges publiques.

Ensuite, en l’espèce, il est relevé que les deux dispositions critiquées prévoient, pour le calcul de la valeur locative des locaux professionnels soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties, leur classement en sous-groupes et en catégories qui doivent être définis par le pouvoir réglementaire en fonction des critères déterminés par ces mêmes dispositions législatives. Ainsi, la loi ne permettant pas à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, l'assiette de l'impôt, l'incompétence négative alléguée n'affecte par elle-même, ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, ni le droit de propriété.

D’où le refus de transettre la question.

On peut s’interroger sur la légitimité, au regard de la volonté du pouvoir constituant sur ce point comme d’une certaine logique, d’une restriction aussi drastique des cas d’ouverture à QPC.

(07 novembre 2023, Fondation Saint Charles, n° 488232)

 

140 - Taxe foncière sur les propriétés bâties et ses annexes – Inconstitutionnalité prétendue de plusieurs dispositions fiscales – Refus de transmission d’une QPC – Rejet.

Les requêtes, jointes, à l’appui de demandes en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et taxes annexes, outre l’annulation du rejet de ces demandes par le tribunal administratif,  soulevaient la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'art. 1518 A quinquies et du I de l'art. 1518 E du CGI, ainsi que du A du III de l'art. 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et du A du V de l'art. 30 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

La demande de transmission est rejetée en tous ses chefs.

La raison principale de ce rejet tient à la considération que le législateur, par ces modalités nouvelles de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque-là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.

Naturellement, ce nouveau système – il a été adopté pour cela - n’aboutit qu’à des augmentations de la taxation et c’est pourquoi le législateur a prévu plusieurs mécanismes destinés à atténuer temporairement les effets de la réforme du mode de détermination des valeurs locatives des locaux professionnels.

Puis, analysant chacune des dispositions à l’encontre desquelles est invoquée une (ou plusieurs) contrariété(s) à des droits ou libertés garantis par la Constitution, le Conseil les rejette :

- Le III de l’art. 1518 A quinquies du CGI et le I de l’art. 1518 E du CGI n’instituent pas, au détriment des contribuables ayant vu le coefficient de localisation de leur parcelle fixé postérieurement à 2017, une différence de traitement méconnaissant les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques.

- Le A du III de l’art. 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, contrairement à ce qui est soutenu, instaure de nouveaux coefficients de localisation qui s'appliquent indifféremment, à compter des impositions établies au titre de l'année 2018, à tous les contribuables assujettis aux impositions directes locales à raison de biens immobiliers implantés sur une parcelle dont la situation particulière au sein du secteur d'évaluation concerné le justifie et leur incidence sur la mise en œuvre des mécanismes atténuateurs prévus au III de l'article 1518 A quinquies et à l'article 1518 E du CGI est la même pour tous les contribuables, qu'ils aient ou non été concernés, au titre de l'année 2017, pour la détermination de la valeur locative de leurs locaux professionnels, par l'application d'un coefficient de localisation alors compris entre 0,85 et 1,15.

- Enfin, le A du V de l'article 30 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 ne saurait faire l’objet d’une QPC car par lui-même il ne porte pas atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'il prévoit que les dispositions de l'art. 1498 du CGI, dans la rédaction qu'elles lui donnent, n'entrent en vigueur que le 1er janvier 2018. En effet, ce texte se borne à codifier à l'article 1498 du CGI des dispositions issues de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue notamment de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

(13 novembre 2023, Société Immobilière Carrefour, n° 474735 et 474736 ; Société Leroy Merlin France, n° 474757, jonction)

 

141 - Articles  L. 532-11 à L. 532-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile – Absence de procès-verbal ou d’enregistrement audiovisuel ou sonore des débats à l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) – Incompétence négative – Droit au recours effectif – Refus de transmission d’une QPC.

Le requérant, contestant l’arrêt par lequel la CNDA a rejeté son recours tendant à l’annulation du rejet de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, soulève une QPC. Celle-ci est dirigée contre les art. L. 532-11 à L. 532-15 du CESEDA.

Ces dispositions, en ne prévoyant pas un procès-verbal ou un enregistrement audiovisuel ou sonore des débats se déroulant lors de l'audience devant la CNDA, seraient entachées d'incompétence négative et priveraient de garanties légales le droit à un recours effectif garanti par l'art. 16 de la Déclaration de 1789.

La demande de transmission est rejetée car il est loisible à l’intéressé de se pourvoir en cassation d’une décision de la CNDA et de contester alors devant le Conseil d'Etat l'exactitude des propos que la Cour lui a prêtés ainsi que la régularité des conditions dans lesquelles se sont tenus les débats devant elle. Ainsi, le législateur, en la matière, n'a ni méconnu l'étendue de sa compétence ni porté atteinte au droit à un recours effectif.

(20 novembre 2023, M. A., n° 475176)

(142) V. aussi, très comparable, avec refus de transmission de la QPC pour le même motif que ci-dessus : 21 novembre 2023, Mme C. agissant en son nom et en celui de ses filles mineures c/ Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), n° 474359.

 

143 - Plus value de cession d’un bien immobilier – Exonération – Conditions – Libre disposition du bien depuis le 1er janvier de l’année précédant la cession – Opposition d’une QPC – Refus de transmission.

Le 2° du II de l'article 150 U du CGI subordonne le bénéfice de l'exonération de la plus-value tirée de la cession d'un bien immobilier qu'il prévoit à la condition que le cédant ait eu la libre disposition de ce bien au moins depuis le 1er janvier de l'année précédant la cession.

Le requérant soulève deux griefs d’inconstitutionnalité à l’encontre de cette disposition.

En premier lieu, celle-ci porterait atteinte à l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi car en les adoptant, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration de 1789 ; faute de définir de manière suffisamment précise la notion de libre disposition, elle laisserait toute latitude à l'administration fiscale pour fixer, contribuable par contribuable, les modalités de détermination de l'assiette de l'impôt.

En second lieu, par cette disposition, le législateur aurait institué une présomption irréfragable d'abus, en méconnaissance de ces mêmes dispositions constitutionnelles.

La transmission est refusée, le Conseil d’État  estimant que la question, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux.

Pour cela est opérée une démonstration en deux temps.

Tout d’abord, en elle-même, cette condition de libre disposition figurant au 2° du II de l'article 150 U du CGI devant être respectée de manière continue entre la date du 1er janvier de l'année précédant celle de la cession et la date de cette cession, il s’ensuit que la location d'un bien immobilier à titre onéreux est au nombre des circonstances qui s'opposent, en principe, à ce que son propriétaire puisse être regardé comme en conservant la libre disposition au sens et pour l'application de ces dispositions. Il n’en va autrement que dans le cas où un logement meublé fait l'objet de locations ponctuelles durant la période en cause, la condition de libre disposition demeurant satisfaite pour autant que la mise du bien à la disposition de tiers puisse être regardée, eu égard à sa durée, sa fréquence et aux autres conditions dans lesquelles elle intervient, comme revêtant un caractère négligeable. 

Ensuite, contrairement à ce que soutient le contribuable requérant, cette condition de libre disposition n'a ni pour objet ni pour effet de permettre à l'administration de fixer, contribuable par contribuable, l'assiette de l'impôt. En outre, cette disposition, qui est suffisamment claire et intelligible, se borne à prévoir les conditions auxquelles est subordonné le bénéfice d'une exonération et n'a ni pour objet, ni pour effet d'instituer une présomption de fraude ou d'abus.

(29 novembre 2023, M. A., n° 466283)

Responsabilité

144 - Accident mortel – Imprégnation alcoolique de la victime – Accident détachable des fonctions - Absence d’imputabilité au service – Rejet.

Ne saurait être considéré comme imputable au service l’accident mortel de la circulation dont a été victime, à bord de son scooter, l’époux de la requérante, agent supérieur d'exploitation de la Ville de Paris, dès lors que son taux d’alcoolémie, qui a fait l'objet de deux analyses distinctes par deux laboratoires différents, a été estimé entre 0,89 g et 1,07 g/l de sang, soit un taux supérieur au taux maximal autorisé pour la conduite de véhicules.

Sont sans effet à cet égard les circonstances que l’accident s’est produit :

- sur le trajet normal entre le lieu de son travail et celui de son domicile et durant le temps normalement nécessaire pour l’effectuer,

- et qu’il est consécutif à un événement festif organisé pendant le temps de travail dès lors qu’aucune autre circonstance particulière n’est de nature à détacher l'accident du service. 

(03 novembre 2023, Mme C., n° 459023)

145 - Décret du 27 novembre 2020 – Réforme du régime de responsabilité élargie des producteurs de déchets – Méconnaissance de dispositions du droit de l’Union – Contestation de diverses dispositions du code de l’environnement introduites ou modifiées par le décret attaqué – Rejet sauf d’un seul des moyens.

Le Conseil d’État, dans une décision très longue (près de 64 000 caractères et espaces, 75 paragraphes), analyse les moyens développés par la société requérante au soutien de sa demande d’annulation du décret du 27 novembre 2020 portant réforme de la responsabilité élargie des producteurs de déchets. Il les rejette tous sauf un, celui tiré de ce que l’art. R. 541-174 du code de l’environnement introduit, par le décret attaqué, dans ce code, ne pouvait pas prévoir, étant de nature réglementaire, que le producteur est « subrogé » dans toutes les obligations de celui dont il a accepté le mandat ; il eût fallu une disposition législative en ce sens, l’art. 34 de la Constitution plaçant dans le domaine de la loi la matière des obligations.

Pour le reste, le lecteur est renvoyé à la lecture du texte même d’une décision où sont analysés les moyens dirigés, contre plus de trente articles du code de l’environnement, chacun pris séparément.

(10 novembre 2023, Société EcoDDS, n° 449213)

Santé publique – Santé – Droit du médicament et des dispositifs médicaux – Recherche médicale

146 - Recherche sur l’embryon humain – Effets d’un dysfonctionnement organique sur le développement embryo-foetal humain – Recherche à fins préventives et curatives – Interdiction de créer des embryons transgéniques ou chimériques (art. L. 2151-2 c. santé pub.) – Rejet.

Dans une importante décision, le Conseil d’État rejette le pourvoi formé par les requérantes contre un arrêt de cour administrative d’appel accueillant un recours dirigé contre la décision par laquelle l'Agence de la biomédecine a autorisé pour une durée de cinq ans le groupe hospitalier de Paris-Sud de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris à mettre en œuvre un protocole de recherche sur l'embryon humain afin d'étudier les conséquences d'un dysfonctionnement mitochondrial sur le développement embryo-fœtal humain, les moyens de les prévenir et de les traiter.

La cour, approuvée par le Conseil d’État, avait jugé qu’était contraire aux dispositions de l’art. L. 2151-12 du code de la santé publique le protocole de recherche litigieux en ce qu’il consiste en un transfert de matériau d'ADN nucléaire de l’embryon d'une patiente atteinte d'une maladie mitochondriale vers un zygote énucléé sain issu d'une donneuse et conservant son ADN mitochondrial d'origine.

En effet, il se déduit d’évidence des dispositions de l’article précité, selon lesquelles : « (...) La création d'embryons transgéniques ou chimériques est interdite », que ne peut être autorisée une recherche conduisant à créer un embryon dont l'ADN mitochondrial est exogène. 

C’est l’occasion de rappeler que si l’on peut éprouver de sérieuses réticences envers un développement anarchique de l’intelligence artificielle et autres robots, ces réticences ne sont pas moins vives s’agissant d’une réification constante de la personne humaine, ainsi soumise à deux processus, à la fois convergents et parallèles, de destruction, interne et externe.

(29 novembre 2023, Agence de la biomédecine, n° 461200 ; Assistance publique – Hôpitaux de Paris, n° 461227)

147 - Fixation du prix public de médicaments – Décisions du Comité économique des produits de santé (CEPS) – Application de l’un des critères prévus par la loi – Légitimité d’une fixation par comparaison avec le prix de médicaments à même visée thérapeutique – Rejet.

Par quatre requêtes jointes la société requérante demande l’annulation de quatre décisions du CEPS fixant le prix de spécialités qu’elle fabrique (Abiraterone Sandoz 500 mg, comprimés pelliculés (B/60) ; Sitagliptine GNR 100 mg, comprimés pelliculés (B/30), et Sitagliptine GNR 50 mg, comprimés pelliculés (B/30) et de la spécialité Sitagliptine/Metformine GNR 50 mg/1000 mg, comprimés pelliculés (B/60 ; Vildagliptine Sandoz, 50 mg, comprimés (B/30), Vildagliptine Sandoz, 50 mg, comprimés (B/60) et Vildagliptine/Metformine Sandoz 50mg/1000mg, comprimés pelliculés (B/60) ; Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés (B/63), Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés (B/252), Pirfenidone Sandoz 267 mg, comprimés pelliculés sous plaquettes prédécoupées unitaires (B/252) et Pirfenidone Sandoz 801 mg, comprimés pelliculés (B/84)) et qu’il lui soit fait injonction de fixer ce prix en appliquant une décote de 60 % par rapport au prix fabricant hors taxes de leurs médicaments de référence.

Les requêtes sont rejetées, le juge estimant que le CEPS peut, sur le fondement du premier alinéa du I de l'art. L. 162-16-4 du code de la sécurité sociale, fixer le prix de vente au public d'un médicament en faisant usage d'un unique critère, tel que les prix des médicaments à même visée thérapeutique, dès lors qu'il est de nature à justifier sa décision. Il en va ainsi en particulier, en principe, s'agissant de la fixation du prix de spécialités génériques d'une même spécialité de référence.

(09 novembre 2023, Société par actions simplifiée Sandoz, n°s 466777, 467602, 467603 et 470328)

 

148 - Covid-19 – Données de dépistage positif – Conservation et exploitation – Intervention du décret n° 2021-930 du 13 juillet 2021- Rejet et annulation partiels.

Il était demandé au juge l’annulation des dispositions des 2° et 4° de l'article 1er, des 1°, 2° et 3° de l'article 2, et à l'article 4, des mots : « et entrera en vigueur immédiatement », du décret n° 2021-930 du 13 juillet 2021 modifiant les dispositions du décret du 12 mai 2020 relatives aux traitements « Contact Covid » et « SI-DEP » ainsi que celles du décret du 25 décembre 2020 relatives au traitement « Vaccin Covid ». Il est également demandé au juge d’ordonner l'effacement des données de dépistage positif datant de plus de six mois stockées dans le traitement « Vaccin Covid ». 

En bref, le requérant reproche à ce décret de permettre à des tiers d'accéder à des informations relatives au statut vaccinal au regard de la Covid-19, d’organiser une interconnexion entre différents fichiers, de ne pas informer les personnes concernées par la collecte de ces données préalablement à leur traitement et de limiter la possibilité pour les personnes concernées d'exercer leur droit d'opposition et de limitation du traitement.

Le recours est rejeté pour l’essentiel sauf sur trois dispositions.

Globalement le juge estime l’ensemble du mécanisme institué conforme aux exigences qui régissent le traitement des données personnelles, leur utilisation et leur conservation pour des motifs de protection de la santé publique et de diagnostic des personnes concernées.

S’agissant de l’accès du médecin traitant et du service du contrôle médical des caisses de sécurité sociale aux données relatives à la vaccination figurant dans le traitement « Vaccin Covid », il est jugé que « s'il était loisible au pouvoir réglementaire, sur le fondement (des dispositions de l’art. L. 1110-4 du code de la santé publique), de prévoir l'accès des praticiens-conseils aux données du traitement « Vaccin Covid » relatives aux personnes présentant des maladies chroniques, sans que le consentement de celles-ci soient requis, il ne pouvait légalement étendre ce droit d'accès aux données relatives à l'ensemble des personnes figurant dans le traitement « Vaccin Covid » ». Est donc annulé le c) du 3° de l'art. 2 du décret attaqué en tant qu'il ne limite pas cette transmission aux seules données relatives aux personnes présentant des maladies chroniques. 

S’agissant des interconnexions entre le traitement « Vaccin Covid » et les traitements « Contact Covid » et « SI-DEP », il est jugé que si l'art. 11 de la loi du 11 mai 2020 prévoit que les données à caractère personnel concernant la santé susceptibles d'être contenues dans les traitements dont il prévoit la création sont strictement limitées au statut virologique ou sérologique de la personne à l'égard du virus de la Covid-19, ces dispositions ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à ce qu'y figurent les données relatives au statut vaccinal des personnes figurant dans ces traitements, qui peuvent se révéler indispensables pour interpréter les résultats des tests sérologiques pratiqués sur les personnes concernées. Le raisonnement est un peu court en l’absence de démonstration du bien-fondé de cette interprétation négative. De plus, peut se discuter sérieusement l’affirmation qu’en autorisant la transmission à la caisse nationale d'assurance maladie des données recueillies dans le cadre du traitement « Vaccin Covid » relatives à l'identification de la personne, à son statut vaccinal, au nom du vaccin, ainsi qu'aux dates de la ou des injections, en vue de leur enregistrement dans le traitement « Contact Covid », l'art. 2 du décret attaqué organise le partage de données à caractère personnel relatives au statut virologique et sérologique des personnes concernées à l'égard du virus de la Covid-19 conformément au cadre dérogatoire au secret médical prévu par le I de l'article 11 de la loi du 11 mai 2020. Ainsi, le décret litigieux ne porterait pas atteinte au secret médical en organisant la mise en relation de ces deux traitements.

En revanche sont annulées les dispositions du b) du 2° de l'art. 2 du décret attaqué en ce qu’elles modifient le I de l'art. 2 du décret du 25 décembre 2020 pour ajouter à la liste des catégories de données enregistrées dans le traitement « Vaccin Covid » la date d'une infection par le virus de la Covid 19 obtenue à partir des données enregistrées dans le traitement « SI-DEP » car il résulte des dispositions de l'art. 11 de la loi du 11 mai 2020 que le législateur n'a entendu ouvrir la possibilité de traiter de telles données, sans le consentement des personnes concernées, par dérogation à l'art. L. 1110-4 du code de la santé publique, que pour les seules finalités mentionnées à son II, dont ne fait pas partie la gestion des vaccinations.

Concernant la méconnaissance alléguée de l'art. 69 de la loi du 6 janvier 1978 et du RGPD, elle est rejetée du fait que l’obligation d’information prévue par cet article est réellement garantie puisqu’il incombe aux responsables de traitement de la porter, par tout moyen, à la connaissance des personnes concernées.

Enfin, sur la violation alléguée du droit d'opposition et de la limitation du traitement des données garanti par le règlement général sur la protection des données, le juge observe tout d’abord que le traitement « Vaccin Covid » institué par le décret du 25 décembre 2020 est rendu nécessaire pour des motifs d'intérêt public dans le domaine de la santé publique et que, par suite, la limitation de l'exercice du droit d'opposition aux données enregistrées à la suite de l'identification des personnes éligibles à la vaccination jusqu'à l'enregistrement de leur consentement à la vaccination et à la transmission des données au groupement d'intérêt public gérant la plateforme des données de santé et à la caisse nationale d'assurance maladie, répond aux exigences de nécessité et de proportionnalité. Dès lors il ne saurait être soutenu que le décret attaqué du 13 juillet 2021, qui ne modifie d’ailleurs pas les conditions d'exercice du droit d'opposition prévues initialement par le décret du 25 décembre 2020, méconnaît le droit d'opposition garanti par le RGPD. Ensuite, un raisonnement analogue est adopté envers le moyen tiré de ce qu'en faisant entrer immédiatement en vigueur le décret attaqué, son art. 4 méconnaîtrait le droit d'opposition garanti par le RGPD ainsi que le droit à la limitation du traitement, alors qu'un tel droit peut être exercé dans les conditions prévues au II de son art. 5.

(13 novembre 2023, M. A., n° 456674)

 

149 - Apnée du sommeil – Dispositif de ventilation auto-asservi – Demande d’inscription en nom de marque sur la liste des produits et prestations remboursables – Refus – Défaut d’urgence – Rejet.

La société Philips France commercial commercialise un dispositif médical de ventilation auto-asservie dénommé « DREAMSTATION BIPAP AUTOSV », qui est  utilisé pour certaines personnes atteintes d'un syndrome d'apnée du sommeil (SAS) lorsque les dispositifs médicaux de PPC (pression positive continue) ne permettent pas d'obtenir le résultat attendu. Ce dispositif médical, bénéficie d'un marquage « CE » depuis 2016 et il est mis en vente sur le marché depuis 2017.

La requérante a déposé une demande d'inscription en nom de marque de ce dispositif médical sur la liste des produits et prestations remboursables mentionnée à l'art. L. 165-1 du code de la sécurité sociale.

Cette demande a été rejetée par les ministres compétents sur avis défavorable de la commission compétente de la Haute Autorité de Santé (CNEDiMTS). Outre l’annulation de ce refus est demandée la suspension de son exécution.

Cette dernière demande est rejetée par le Conseil d’État pour défaut d’urgence.

Le juge des référés relève que l'impact de la décision sur la société requérante sera limité eu égard à son faible effet sur le chiffre d'affaires de la société tout comme sera incertain son effet sur la réputation des dispositifs médicaux qu'elle commercialise dans le domaine du SAS car ils sont pris en charge depuis longtemps et sont largement utilisés.

Il souligne, de plus, que le risque de rupture dans la prise en charge du traitement de certains patients n'apparaît pas tel qu'il serait de nature à caractériser une situation d'urgence, compte tenu de l'état du stock des appareils de ventilation auto-asservie.

Enfin, il constate que l’audience a fait ressortir que si la société requérante présentait une nouvelle demande, de nature notamment à apporter certaines précisions et à lever certaines ambiguïtés relevées lors de l'examen par la CNEDiMTS, cette demande serait examinée avec la plus grande célérité par la Haute Autorité de Santé et les ministres compétents.

(ord. réf. 27 novembre 2023, Société Philips France Commercial, n° 489233)

Service public

150 - Entreprises de gaz et d’électricité (GRDF et ENEDIS) – Évolution des unités opérationnelles nationales – Transformation d’activités communes – Organisation interne de ces sociétés – Absence d’organisation du service public – Incompétence de la juridiction administrative – Rejet.

La fédération requérante recherche l’annulation de la décision conjointe de la présidente du directoire de la société Enedis et de la directrice générale de la société GRDF relative à l'évolution des unités opérationnelles nationales et à la mise en œuvre par ces deux sociétés du projet de transformation des activités communes.

Le Conseil d’État juge la juridiction administrative incompétente pour connaître de ce litige car il concerne non l’organisation du service public de l’énergie lui-même mais seulement l’organisation interne des deux sociétés qui ont charge de gérer ce service. En effet, cette décision acte la séparation, par type d'énergie, et l'intégration au sein des directions respectivement compétentes de chacune des deux sociétés, des activités de l'unité comptable nationale, de l'unité « opérateur informatique et télécoms » et de « l'unité opérationnelle Serval », ainsi que des activités « Contrat de travail et études RH », « logement » et « alternance » de l'unité opérationnelle nationale « RH et médico-social », jusque là rattachées au service commun créé en application des dispositions des art. L. 111-57 et L. 111-71 du code de l’énergie. Les fonctions faisant l'objet de ce transfert comprennent, aux dires non contestés de la requérante, la production de la comptabilité, l'assistance informatique, l'exploitation des infrastructures électroniques et des applications nationales, la gestion des ressources humaines ainsi que l'approvisionnement en matériel des unités réseaux des deux sociétés.

Rien de tout cela ne concerne l’organisation du service public énergétique, condition sine qua non de la compétence de l’ordre administratif de juridiction.

(07 novembre 2023, Fédération nationale des mines et de l'énergie - CGT (FNME-CGT), n° 472212)

151 - Consultation du Conseil économique, social et environnemental (CESE) – Participants (enfants et adolescents) invités à s’identifier par sexe – Inclusion d’un sexe « autre » - Absence d’urgence – Rejet.

L’association requérante demande la suspension d’exécution de la décision du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de proposer aux mineurs, en réponse à une question sur leur sexe dans un questionnaire en ligne relatif à l'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, la possibilité de répondre « Autres », plutôt que « Fille » ou « Garçon ».

La requête est rejetée pour défaut d’urgence.

La consultation au titre de laquelle le questionnaire litigieux a été mis en ligne a vocation à donner lieu à la rédaction d'une synthèse des réponses, à l'organisation d'une « journée délibérative » au CESE et, le cas échéant, à un avis de ce dernier. Selon le juge, « la seule circonstance que les jeunes qui consultent voire répondent à ce questionnaire en ligne se voient offrir la possibilité de ne pas s'identifier comme une fille ou un garçon, choix qui peut d'ailleurs procéder de multiples considérations, n'est pas de nature à créer des effets notables ou à exercer une influence significative sur le comportement des personnes concernées, de sorte que la décision litigieuse n'est pas susceptible de recours contentieux. »

En tout état de cause, la décision de mise en ligne du questionnaire ainsi conçu n'est pas de nature, par elle-même, à préjudicier de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation de l'association requérante ou aux intérêts qu'elle entend défendre, alors qu'à l'inverse, la modification du questionnaire que sollicite celle-ci pourrait dissuader certains répondants de renseigner le questionnaire et priverait le CESE d'une source d'information pour alimenter sa réflexion sur le thème de la consultation.

La condition d'urgence n'est donc pas satisfaite.

On peut douter de la cohérence du raisonnement ; ainsi, par exemple, présenter trois réponses comme équivalentes les légitime toutes de la même manière et les présente comme telles aux yeux des enfants et adolescents, par ailleurs assez influençables. Le CESE ne pourra que prendre comme un fait indubitable les résultats d’une consultation qui sera devenue de facto une véritable ligne juridique obligatoire qu’il aura, en réalité, unilatéralement suscitée. La solution est plus hyporcite que fondée.

(ord. réf. 07 novembre 2023, Association « Juristes pour l’enfance, n° 489225)

 

152 - Documents relatifs à l’évaluation psychologique d’un enfant scolarisé dans un établissement d’enseignement privé sous contrat – Communicabilité des pièces – Condition de participation à l’exercice d’une mission de service public – Réponse positive pour un organisme de gestion d’un tel établissement – Réponse négative pour une direction diocésaine de l’enseignement catholique – Rejet.

(14 novembre 2023, M. B., n° 466958)

V. n° 4

 

153 - Service public de l’enseignement – Enseignement supérieur - Organisation des études médicales – Indétermination du contenu de la quatrième année du troisième cycle des études médicales – Désaffection des étudiants pour la spécialité « médecine générale » - Absence d’urgence – Rejet.

Le juge rejette le recours en référé suspension dirigé contre la décision implicite de rejet né du silence gardé par le ministre de la santé sur sa demande tendant à l'adoption de textes règlementaires relatifs à la quatrième année d'internat en médecine générale. Il estime que cette incertitude nuit à la visibilité de la quatrième année du troisième cycle des études de médecine pour cette spécialité et a des conséquences négatives sur la possibilité pour les étudiants du deuxième cycle, et en particulier ceux de sixième année, de choisir de manière éclairée leur spécialité et de construire leur parcours de formation. 

Il estime que la nouvelle durée du troisième cycle des études de médecine pour la spécialité de médecine générale s'applique aux étudiants qui commencent ce troisième cycle à la rentrée de l'année universitaire 2023 et qui, donc, ont vocation à en effectuer la quatrième année en 2026. Par ailleurs, il ressort des éléments versés par le syndicat requérant à l'appui de sa demande de référé que les choix de spécialité pour l'année en cours ont déjà été réalisés et que la prochaine procédure dite « d'appariement » aura lieu en septembre 2024. Dans ces conditions, les circonstances invoquées par le syndicat requérant ne permettent pas de caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts qu'il entend défendre.

(ord. réf. 20 novembre 2023, Syndicat Jeunes médecins, n° 489364)

 

154 - Service public transfusionnel – Livraison de produits dérivés du sang humain ou « sanguins labiles » par l’Établissement français du sang – Assujettissement à la TVA – Contrariété au droit de l’Union – Rejet.

(29 novembre 2023, Établissement français du sang, n° 469111)

V. n° 57

Sport

 

155 - Police de l’ordre public – Match de football – Interdiction de déplacement de supporters d’un club – Appréciation objective des risques – Décisions préfectorales de légalité douteuse - Compétence du juge saisi par voie de connexité – Rejet au regard des intérêts publics en cause.

(ord. réf. 04 novembre 2023, Association nationale des supporters, n° 489226)

V. n° 125 et n° 126

 

156 - Joueur de rugby à XIII – Analyse révélant la présence de morphine dans ses urines – Sanctions – Invocation d’irrégularités dans le stockage des prélèvements – Rejet.

Pour contester la sanction le frappant pour cause de dopage, un joueur de rugby invoque divers moyens dont la disproportion de la sanction par rapport à la gravité des faits et les conditions défectueuses de stockage des prélèvements d’urines effectués.

Sur le premier point, le rejet du recours est fondé sur la gravité de la faute commise d’autant que l’intéressé exerçant la profession d’infirmier ne saurait invoquer un prétendu manque de vigilance quant à la nature de la substance utilisée.

Sur le second point, le juge relève que si le requérant fait valoir l'absence de mention, dans le formulaire de chaîne de possession des échantillons prélevés dans ses urines, du lieu de conservation des échantillons entre le 8 mai 2022 au soir et leur remise au transporteur le 10 mai 2022, il résulte de l'instruction que les échantillons ont été pendant cette période stockés au domicile de l'agent ayant procédé au contrôle dont l'adresse a, pour en préserver la confidentialité, été masquée sur la copie du formulaire communiquée au requérant. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions relatives au stockage et au transport des échantillons doit être écarté.

La solution fait bon marché d’une réalité concrète dont le déroulement n’est pas sans reproches.

(30 novembre 2023, M. C., n° 472196)

 

Urbanisme et aménagement du territoire

 

157 - Permis de construire – Non-respect prétendu d’une disposition du PLU – Implantation en retrait du nu des façades – Erreur de droit – Annulation.

Une disposition du règlement d’un PLU (Uh 6) prévoit que « Le nu des façades de toute construction peut être implanté dans les conditions suivantes :

- soit à l'alignement ;

- soit en retrait par rapport à l'alignement avec un minimum de 5 m.

(...) Ces prescriptions s'appliquent aux constructions à édifier en bordure des voies privées ; dans ce cas, la limite latérale effective de la voie privée est prise comme alignement ».

Et l'article 5 de ce règlement dispose que les voies et emprises publiques, au sens de l'article 6 de chaque zone, s'entendent comme les « voies publiques ou privées ouvertes à la circulation publique (...) ». 

Dès lors qu’en l’espèce, la cour administrative d’appel, pour apprécier le respect de cette prescription, s’est fondée sur la circonstance que le nu de cette façade est situé en retrait de plus de cinq mètres par rapport à la limite de la parcelle dont les appelants sont propriétaires, alors qu'il lui revenait de prendre en compte, non pas cette limite cadastrale de propriété mais la limite réelle de l'impasse, qui fait partie du domaine public communal et constitue une voie ouverte à la circulation publique, la cour a commis une erreur de droit.

(09 novembre 2023, M. et Mme C., n° 455647)

 

158 - Permis de construire en vue de l’extension d’une maison d’habitation – Absence de définition de la notion d’« extension » dans le PLU – Limitation prétorienne de la superficie supplémentaire – Annulation.

L’affaire n’est pas banale.

Un permis de construire est déposé en vue de l’extension d’une maison d’habitation sans que le PLU applicable ne définisse en quoi consiste l’extension.

Les juges du fond décident que dès lors que l’extension s’effectue en continuité physique et en complémentarité avec l’existant il n’y a pas lieu de fixer d’autre limitation notamment en surface. Ils rejettent donc le recours contre le permis dont ils ont été saisis.

Le juge de cassation vient mettre bon ordre à cette conception débridée de l’extension : dans le silence du PLU cette extension, « doit, en principe, s'entendre d'un agrandissement de la construction existante présentant, outre un lien physique et fonctionnel avec elle, des dimensions inférieures à celle-ci. » L’arrêt attaqué est annulé.

(09 novembre 2023, M. et Mme C., n° 469300)

 

159 - Permis de construire – Demande de suspension du permis – Rejet – Pourvoi en cassation – Intervention du jugement au fond – Conclusions du pourvoi devenues sans objet – Rejet.

La requérante avait demandé en référé la suspension d’exécution d’un permis de construire. Cela lui fut refusé et elle se pourvut en cassation de cette ordonnance de rejet.

Durant l’instance de cassation, le tribunal a statué au fond rejetant les moyens qu’avait soulevés la requérante sauf celui concernant un vice pour lequel il a ouvert une procédure de régularisation.

Le Conseil d’État rejette le pourvoi comme devenu sans objet alors même que le jugement est susceptible d’appel car les ordonnances de référé n’ont qu’un caractère provisoire en l’attente du jugement au fond, même lorsqu’elles comportent une invitation à régulariser. L’intervention d’un tel jugement rend donc le pourvoi initial sans objet. On doit considérer que cette décision constitue un revirement de jurisprudence par rapport à la décision n° 385183 du 22 mai 2015, SCI Paolina, qui avait jugé que n’est pas privé d’objet le pourvoi en cassation dirigé contre une ordonnance suspendant l’exécution d’une autorisation d’urbanisme alors même que dans l’intervalle le juge du fond a fait usage de son pouvoir d’inviter à régulariser.

(09 novembre 2023, Mme A., n° 469380)

 

160 - Permis de démolir et de reconstruire – Incomplétude du dossier de demande de permis de démolir – Examen par le juge du degré d’influence de cette incomplétude sur l’autorisation administrative accordée ou refusée – Absence - Annulation.

Rappel que l’incomplétude documentaire d’une demande d'autorisation d'urbanisme au regard des dispositions du code de l'urbanisme, ou que la circonstance que les documents produits seraient insuffisants, imprécis ou comporteraient des inexactitudes, n'est susceptible d'entacher d'illégalité l'autorisation qui a été accordée que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances entachant le dossier ont été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En l’espèce, il est reproché à la cour administrative  d’appel, dont la décision est censurée pour erreur de droit, d’avoir, pour écarter le moyen tiré de ce que le dossier de demande de permis de démolir ne comportait pas le plan de masse de la construction à démolir, jugé que ce document ne constituait pas un des documents exigés par les dispositions du code de l'urbanisme, d’autant, au surplus, que la cour, n'a pas examiné si cette omission entachant le dossier avait été de nature à fausser l'appréciation portée par l'autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable. 

(10 novembre 2023, Société Promobilia, n° 467357)

 

161 - Déclarations préalables à la création d’un lot à bâtir – Oppositions de sursis à statuer – Annulation contentieuse – Confirmation de la demande initiale dans les six mois – Conséquences pour l’autorité administrative – Hypothèse où la décision d’annulation n’est pas devenue irrévocable – Possibilité de retrait de la nouvelle décision – Cas des tiers – Rejet.

Le litige à l’origine de cette affaire est né de l’opposition du maire de la commune auteur du pourvoi, aux déclarations préalables successivement déposées en vue de la création, sur un terrain appartenant aux pétitionnaires, d'un lot à bâtir de 740 m², puis d'un lot à bâtir de 1500 m².

Ces deux arrêtés ayant été annulés par la cour administrative d'appel de Lyon par arrêt du 20 décembre 2018, le maire a, par deux autres arrêtés du 24 janvier 2019, opposé un sursis à statuer aux mêmes déclarations préalables ; puis, les pétitionnaires ayant confirmé leur demande en application de l'art. L. 600-2 du code de l'urbanisme, par deux nouveaux arrêtés du 15 février 2019, le maire a confirmé ce sursis à statuer.

Par l'arrêt déféré au juge de cassation, la cour administrative d'appel a annulé les arrêtés du 15 février 2019, rejeté les conclusions des pétitionnaires tendant à l'annulation des arrêtés du 24 janvier 2019 et enjoint au maire de Saint-Didier-au-Mont-d'Or de prendre des décisions de non-opposition aux mêmes déclarations préalables dans le délai d'un mois à compter de la notification de cet arrêt.

Le Conseil d’État juge d’abord qu’il résulte, à titre de principe, des dispositions de l’art. L. 600-2 du code de l’urbanisme que, lorsqu'un refus de permis de construire ou une décision d'opposition à une déclaration préalable a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle et que le pétitionnaire a confirmé sa demande ou sa déclaration dans le délai de six mois suivant la notification de cette décision juridictionnelle d'annulation, l'autorité administrative compétente ne peut rejeter la demande de permis, opposer un sursis à statuer, s'opposer à la déclaration préalable dont elle se trouve ainsi à nouveau saisie ou assortir sa décision de prescriptions spéciales en se fondant sur des dispositions d'urbanisme postérieures à la date du refus ou de l'opposition annulé.

Toutefois, le bénéfice de ce principe ne peut être invoqué par le pétitionnaire que si l'annulation juridictionnelle de la décision de refus ou d'opposition est elle-même devenue définitive, c'est-à-dire, si la décision juridictionnelle prononçant cette annulation est devenue irrévocable. Ici, l'arrêt du 20 décembre 2018 est devenu irrévocable à l'expiration du délai de pourvoi en cassation.

Par suite, lorsque l’annulation juridictionnelle fait l'objet d'un sursis à exécution ou est elle-même annulée, sauf si les motifs de la nouvelle décision juridictionnelle font par eux-mêmes obstacle à un autre refus, l'autorité administrative qui a délivré le permis sollicité ou pris une décision de non-opposition sur le fondement de ces dispositions, peut, dans le délai de trois mois à compter de la notification à l'administration de cette nouvelle décision juridictionnelle, retirer cette autorisation.

L'administration doit, avant de procéder à ce retrait, inviter le pétitionnaire à présenter ses observations.

Enfin, l'autorisation d'occuper ou utiliser le sol délivrée au titre de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme peut être contestée par les tiers sans qu'ils puissent se voir opposer les termes du jugement ou de l'arrêt ayant annulé le refus ou la décision d'opposition.

(13 novembre 2023, Commune de Saint-Didier-au-Mont-d'Or, n° 466407)

 

162 - Droit de préemption – Exercice défectueux – Inexécution correcte d’un jugement – Réparation du préjudice subordonnée à l’existence d’un lien de causalité – Absence – Rejet.

L’établissement public foncier Provence-Alpes-Côte d'Azur (EPF PACA) a exercé son droit de préemption en vue de l'acquisition, pour un montant de 355 000 euros, d'un entrepôt qui avait fait l'objet d'une déclaration d'intention d'aliéner au prix de 370 000 euros.

Cette décision a été annulée, par un jugement du 30 mai 2013, pour incompétence de l’auteur de la décision, en raison de l'absence de publication de la décision du maire déléguant son droit de préemption à l'EPF PACA.

Le même jugement a enjoint à l'EPF PACA de proposer au requérant, acquéreur évincé, l'acquisition du bien en litige à un prix rétablissant autant que possible les conditions de la transaction initiale, sans enrichissement sans cause de l'une quelconque des parties.

En conséquence, l'EPF PACA a proposé à M. B. d'acquérir le bien préempté, dépourvu de sa toiture, au prix de 432 939 euros, en justifiant ce montant par les travaux de dépose du toit qu'il avait entrepris dans le but d'éviter que le bien soit irrégulièrement occupé.

Cette offre ayant été refusée par lui, M. B. a demandé au tribunal administratif de condamner l’EPF PACA à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'il estimait avoir subis en sa qualité d'acquéreur évincé.

Cette demande ayant été rejetée par le tribunal administratif, et rejet ayant été confirmé par la cour administrative d’appel, M. B. se pourvoit, en vain, en cassation.

En réalité, la demande de réparation, forfaitisée à 150 000,00 euros, entendait couvrir deux préjudices, celui résultant de l'illégalité de la décision de préemption pour incompétence de son auteur et celui résultant des fautes commises dans l'exécution du jugement du 30 mai 2013.

Sur le premier point, il est de jurisprudence constante que doit exister un lien de causalité entre la faute et le dommage pour que ce dernier soit réparable. Lorsqu’est invoqué un dommage qui aurait sa cause dans l’incompétence de l’auteur de la décision critiquée, il convient de s’assurer que l’autorité compétente n’aurait pas pris la même décision car si tel est le cas, il est démontré que l’incompétence n’est pas la cause du dommage allégué. Tel était le cas en l’espèce où l’EPF PACA a fondé sa décision de préemption sur un motif d’intérêt général.

De ce chef, la demande de réparation ne pouvait prospérer comme l’a jugé la cour.

Sur le second point, l’affaire était un peu plus délicate.

Une modification du droit positif (art. L. 213-11-1, c. urb., issu de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) conduit désormais à ce que s'il appartient au juge administratif, saisi de conclusions en ce sens par l'ancien propriétaire ou l'acquéreur évincé, d'exercer les pouvoirs qu'il tient des art. L. 911-1 et suivants du CJA en sa qualité de juge de l’exécution, afin d'ordonner les mesures qu'implique l'annulation d’une décision de préemption, il n'appartient qu’au juge judiciaire, en cas de désaccord sur le prix du bien, de fixer ce prix.

Comme ces dispositions nouvelles se sont appliquées immédiatement aux litiges en cours devant le juge de l'exécution lorsque le prix d'acquisition du bien n'avait pas encore été fixé par une décision juridictionnelle, quelle que soit la date du jugement dont l'exécution était poursuivie, il s’ensuit que faute pour le requérant de saisir le juge de l'expropriation afin que celui-ci fixe ce prix, le préjudice qu'il alléguait avoir subi, tenant à la perte de chance de réaliser une plus-value à l'occasion de la revente du bien en cause, ne trouvait pas sa cause directe et certaine dans une faute qu'aurait commise l'EPF PACA dans l'exécution du jugement du 30 mai 2013, ainsi que l’a jugé la cour sans erreur de droit, ni qualification juridique inexacte des faits, d’où le rejet de la requête.

(13 novembre 2023, M. B., n° 466959)

 

163 - Permis d’aménager – Contentieux – Médiation organisée à l’initiative du juge – Absence d’effet interruptif du délai de saisine du juge des référés prévu à l’art. L. 600-3 c. urb. – Rejet.

Le requérant a demandé au juge du référé de l’art. L. 521-1 CJA de suspendre l’exécution de la décision du 7 juillet 2022, par laquelle le maire de Rasteau (Vaucluse) a délivré un permis d'aménager à la commune pour la réalisation de terrains de sport et d'un local technique et sanitaire. 

Sa demande ayant été rejetée, il se pourvoit en cassation où il est débouté.

Le pourvoi portait pour l’essentiel sur les effets du recours à la médiation sur le cours du délai de recours contentieux. La question était un peu complexe.

En premier lieu, les art. L. 213-1, L. 213-5, L. 213-6, L. 213-7 et R. 213-8, qui organisent cette procédure, ne prévoient d’interruption des délais de recours que si la médiation est organisée à l’initiative des parties avant la saisine du juge, ceci afin de préserver leur droit de saisir ultérieurement ce dernier. 

En deuxième lieu, dans le souci d’enserrer dans un délai bref la possibilité d'assortir une requête en annulation d'une autorisation d'urbanisme, telle qu'un permis d'aménager, d'une demande de suspension de l'exécution de cet acte, pour ne pas ralentir à l’excès la réalisation du projet autorisé par ce permis, l’art. L. 600-3 du code de l’urbanisme, décide qu’est irrecevable le moyen nouveau présenté après l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction doit informer les parties de l’irrecevabilité, à moins de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens, postérieure à la production du mémoire en cause s'il estime que les circonstances de l'affaire le justifient. Il a l’obligation de procéder ainsi lorsque le moyen est fondé sur une circonstance de fait ou un élément de droit dont la partie concernée n'était pas en mesure de faire état avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense et est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire.

La fixation d'une nouvelle date de cristallisation des moyens a pour effet que le délai dans lequel une requête en annulation d'une autorisation d'urbanisme peut être assortie d'une demande de suspension est rouvert jusqu'à l'expiration du nouveau délai de cristallisation des moyens.

Enfin, en troisième lieu, de la combinaison de ces deux séries de dispositions, le juge tire cette conséquence que le législateur n'a pas entendu conférer à la médiation organisée à l'initiative du juge un effet interruptif du délai fixé par l'art. L. 600-3 précité pour saisir le juge des référés sur le fondement de l'article L 521-1 du CJA.

L’ordonnance de référé attaquée n’est pas entachée d’erreur de droit en ce que son auteur y juge que la mise en œuvre, à l'initiative du juge, d'une médiation, n'avait pu avoir pour effet, ni sur le fondement de l'art. L. 213-6 du CJA, ni sur celui d'aucun principe général du droit, d'interrompre le délai institué par l'art. L. 600-3 du code de l'urbanisme pour la saisine du juge du référé afin d'obtenir la suspension de l'exécution du permis d'aménager contesté.

(13 novembre 2023, M. A., n° 471898)

(164) V. aussi, au sujet de la médiation, les réponses du Conseil d’État à deux questions qui lui ont été posées dans le cadre d’un avis de droit contentieux (cf. art. L. 113-1 du CJA) rendu dans un litige relatif au paiement d’un marché public de travaux.

Les questions étaient les suivantes :

« 1°) à quelles conditions une pièce, des observations ou un élément d'analyse issus d'un processus de médiation peuvent-ils être considérés comme une constatation du médiateur ou des déclarations recueillies au cours de la médiation au sens et pour l'application de l'art. L. 213-2 du code de justice administrative ?

2°) dans l'hypothèse où il ne remplirait pas les conditions définies en réponse à la première question, un rapport d'expertise établi dans le cadre d'un processus de médiation et procédant à une analyse technique et factuelle des prétentions des parties peut-il être soumis au débat contradictoire et être régulièrement pris en compte par le juge du fond à titre d'élément d'information ? »

Le Conseil d’État répond d’abord que doivent demeurer confidentielles et ne peuvent donc être divulguées, sauf accord contraire des parties et sous réserve des exceptions prévues à l’art. L. 213-1, que les seules constatations du médiateur et déclarations des parties recueillies au cours de la médiation, (actes, documents ou déclarations) émanant du médiateur ou des parties, qui comportent des propositions, demandes ou prises de position formulées en vue de la résolution amiable du litige par la médiation.

Le juge indique ensuite que cet article ne fait pas obstacle à ce que soient invoqués ou produits devant le juge administratif d'autres documents, émanant notamment de tiers, alors même qu'ils auraient été établis ou produits dans le cadre de la médiation. Tel est en particulier le cas pour des documents procédant à des constatations factuelles ou à des analyses techniques établis par un tiers expert à la demande du médiateur ou à l'initiative des parties dans le cadre de la médiation, dans toute la mesure où ces documents ne font pas état des positions avancées par le médiateur ou les parties en vue de la résolution du litige dans le cadre de la médiation.

Enfin, le juge rappelle que dans l’hypothèse où le juge ordonne avant dire droit une expertise et où l'expert se voit confier une mission de médiation (cf. art. R. 621-1 CJA), doivent, de même, demeurer confidentiels les documents retraçant les propositions, demandes ou prises de position de l'expert ou des parties, formulées dans le cadre de la mission de médiation en vue de la résolution amiable du litige. Il appartient alors à l'expert de remettre à la juridiction un rapport d'expertise ne faisant pas état, sauf accord des parties, des constatations et déclarations ayant eu lieu durant la médiation : 14 novembre 2023, Société Grands Travaux de l'Océan Indien (GTOI), de la société Vinci Construction Terrassement (VCT) et de la société Bourbonnaise de Travaux publics et de Construction (SBTPC), n° 475648.

 

165 - Permis de construire – Panneau d’affichage du permis – Objet – Omission de mentionner un changement de destination – Mention non prévue – Annulation.

L’art. R. 421-1 du code de l’urbanisme impose que figurent sur le panneau d'affichage du permis de construire diverses informations sur la nature du projet et ses caractéristiques. Ces mentions ont pour objet de permettre aux tiers, à la seule lecture de ce panneau, d'apprécier l'importance et la consistance du projet, le délai de recours contentieux ne commençant à courir qu'à la date d'un affichage complet et régulier.

Pour dire non complet un tel affichage, une ordonnance d’un président de chambre de cour administrative d’appel a relevé que si était bien mentionnée « une extension » du bâti, il n’était pas porté que le permis était sollicité en vue d’un changement de destination du bien. L’auteur de l’ordonnance en a déduit que l’affichage était incomplet et n'avait pu faire courir le délai de recours. En réalité, a été ainsi commise une erreur de droit pour avoir jugé que le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance, présenté par le requérant à l'appui de sa demande de sursis à exécution, ne paraissait pas sérieux en l'état de l'instruction, alors qu'aucune disposition, notamment pas celles de l'art. A. 424-16 du code de l'urbanisme, n'imposait de mentionner que le projet de construction en litige impliquait un changement de destination.

L’ordonnance est cassée.

Il faut regretter l’attitude latitudinaire du pouvoir réglementaire car la destination d’un bien à construire peut avoir une grande importance, notamment pour les voisins du bien.

(14 novembre 2023, M. C., n° 475258)

 

166 - Permis de construire – Contestation – Rejet pour absence d’intérêt donnant qualité pour agir – Qualification inexacte des faits – Annulation.

Dans le souci de réduire le nombre de recours dilatoires, « mafieux » ou quérulents, dans le contentieux de l’urbanisme, les textes ont prévu une obligation renforcée pour le requérant de disposer d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision qu’il attaque. Cependant, la jurisprudence décide très logiquement que « Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction. »

Au cas d’espèce, le juge du référé suspension avait rejeté la demande du requérant motif pris de ce qu’il ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre le permis de construire qu’il attaquait.

Pour annuler cette ordonnance de rejet, le juge de cassation retient que le requérant a justifié être propriétaire d'une maison à usage d'habitation implantée sur un terrain situé à proximité immédiate de la parcelle d'implantation de la construction projetée. Il a fait valoir que la maison et les aires de stationnement, objet du permis de construire, devaient être desservies par une voie d'accès établie sur sa propriété au titre d'une servitude de droit privé, et a soutenu que la décision attaquée était susceptible d'affecter, du fait du passage de nouveaux véhicules et de réseaux sur sa propriété, les conditions d'utilisation et de jouissance de la voie qui dessert également son bien et deux autres maisons. Il a ainsi fait état d'éléments relatifs à la nature, à l'importance et à la localisation du projet de nature à établir l'atteinte susceptible d'être portée par le permis de construire en litige aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien.

L’ordonnance de rejet a donc inexactement qualifié les faits de l'espèce.

(14 novembre 2023, M. B., n° 475532)

 

167 - Lotissement – Notion – Division parcellaire – Détachement d’une parcelle où existent déjà des bâtiments – Absence de caractère de lotissement même en cas d’agrandissement de l’existant – Rejet.

La présente décision est intéressante en ce qu’elle apporte quelques éclairages nouveaux sur la notion et le régime du lotissement, le juge faisant montre d’un grand libéralisme à l’heure où les préoccupations d’économie du foncier disponible rendent de plus en plus précaire et incertain le recours aux lotissements accusés de consommer excessivement des disponibilités foncières qui vont en se raréfiant.

Tout d’abord, est rappelé un principe classique en la matière : toute division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière constitue un lotissement dès lors que l'un au moins des terrains issus de cette division est destiné à être bâti.

Ensuite, contrairement à une idée assez répandue, le périmètre du lotissement peut ne comprendre qu'un unique lot à bâtir ou comprendre, avec un ou des lots à bâtir, des parties déjà bâties de l'unité foncière.

Enfin, et c’est peut être l’aspect le plus innovant de la décision, le juge précise que ne constitue pas un lotissement le détachement d'un terrain supportant un ou plusieurs bâtiments qui ne sont pas destinés à être démolis, ajoutant cette importante précision qu’il en va ainsi même lorsqu'est envisagée l'extension, même significative, de l'un de ces bâtiments, le cas échéant après démolition d'une partie de celui-ci, ou la construction d'annexes à ces bâtiments.

La solution nous paraît faire bon marché des préoccupations environnementales et le principe d’indépendance des législations est bien malencontreux face à l’urgence écologique.

(29 novembre 2023, Association de défense de l'environnement du parc de Maisons-Laffitte, n° 470788 et n° 470789)

 

168 - Permis de construire – Agrandissement de l’existant – Dénaturation des pièces du dossier – Annulation – Octroi de la suspension d’exécution sollicitée par déféré préfectoral.

Le préfet de la Corse-du-Sud a saisi le juge administratif d’un déféré, pris sur le fondement de l'art. L. 2131-6, 3ème alinéa, du code général des collectivités territoriales, en vue que soit suspendue l'exécution de l'arrêté par lequel le maire de Figari a accordé un permis de construire portant sur l'extension d'une maison et la réalisation d'une piscine avec démolition d'un local technique.

Pour rejeter ce déféré la cour administrative d’appel avait, par arrêt confirmatif, estimé que le projet d'extension en cause constituait un simple agrandissement et ne méconnaissait donc pas les dispositions de l'art. L. 121-8 du code de l'urbanisme selon lesquelles, notamment « L'extension de l'urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants. »

Le Conseil d’État annule l’arrêt pour dénaturation des pièces du dossier. En réalité, avait d’abord été commise une erreur de droit car l’art. L. 121-8 retenu par la cour ne saurait s’appliquer à l’agrandissement d'une construction existante, opération qui ne peut être regardée comme une extension de l'urbanisation au sens de cette disposition.

Ensuite, la cour et le tribunal ont commis une dénaturation en apercevant en l’espèce seulement un agrandissement de l’existant alors que le projet objet du permis litigieux comportait la démolition d'un local technique de 2,6 m² et la réalisation d'une extension de 58,01 m² d'une maison individuelle d'une surface de plancher de 85,27 m², correspondant à une villa de 68,45 m², un garage de 14,22 m² et un local technique de 2,60 m², soit, après la démolition du local technique, une augmentation de 55,41 m², équivalent à 65 % de l'existant, ainsi que la construction d'une piscine de 30 m² se trouvant à proximité immédiate du bâti existant. C’était beaucoup pour un « agrandissement ».

La suspension demandée par le déféré préfectoral est accueillie.

(29 novembre 2023, ministre de la transition écologique, n° 470858)

Précédent
Précédent

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État

Suivant
Suivant

Sélection de jurisprudence du Conseil d’État